: l’instauration du régime des capitulations au Maroc :
Bien que l’origine de l’institution consulaire soit inconnue, on retrouve des hommes exerçant des fonctions de ce type au moins dès le troisième millénaire avant notre ère. Au cours des siècles, les fonctions des consuls ont évolué, mais leur tâche principale réside, jusqu’à nos jours, dans la protection des ressortissants de leur nation. C’est ce qu’on appelle le régime des capitulations ; que l’on fait remonter généralement au premier traité signé, au XVI siècle, par l’Empire Ottoman et le Roi de la France. En réalité, il s’agit d’une pratique plus ancienne : déjà entre XII et le XV siècle, un certain nombre d’accords instituant des régimes de capitulations avaient lié l’Egypte aux républiques italiennes. Ces traités, comme les premiers accords signés par l’empire chérifien, étaient conformes aux principes déjà évoqués du droit musulman classique. Si les Etats européens et américains avaient réussi à faire juger leurs ressortissants par leurs propres consuls et selon leurs propres lois, ces privilèges d’ordre législatif et juridictionnel ne constituent sans doute que la confirmation de ce principe libéral faisant relever les protégés de l’Islam- des dhimis- de la compétence de leurs autorités religieuses et de leurs lois nationales. Et donc pour qu’on puisse cibler la matière pénale en ce régime à cette époque, il revient d’éclairer la situation à travers le traitement des privilège exorbitants accordés aux étrangers pour s’arrêter ensuite sur les personnes qui pourront être justiciables des tribunaux consulaires.
Section 1 : les privilèges accordés :
Le régime de faveur, reconnu aux ressortissants des Etats européens et américains, consistait essentiellement dans le privilège d’ordre juridictionnel : les bénéficiaires d’un traité de capitulations sont justiciables, non pas des tribunaux marocains, mais de la juridiction constituée par le consul de leur pays. Notons que, dans l’hypothèse où le litige oppose plusieurs étrangers de nationalités différentes, il était porté devant une formation collégiale : le tribunal des consuls étrangers. Corrélativement, ce privilège sera renforcé par un autre privilège d’ordre législatif, cela veut dire que le consul appliquera, même en l’absence d’une disposition formelle, sa propre loi nationale. En plus des privilèges fiscaux qui dispensaient les européens du paiement des impôts, les consuls avaient bénéficié d’un certain nombre de privilèges administratifs qui étaient d’ordinaire réservés des ambassadeurs : Droit d’asile/ Exemption du droit de douane etc. Dans ce cadre, la justice consulaire a été dotée d’autres privilèges de caractère exorbitant à titre d’exemple : l’ouverture d’une prison et la création d’un service de police…
Section 2 : les personnes justiciables des tribunaux consulaires :
Vers la fin du XIXe siècle, le régime des capitulations était sévèrement critiqué comme constituant de la part des souverains marocains une abdication d’une partie de la souveraineté nationale. Cette opinion, qui paraît tout à fait exacte au regard des conventions signées au cours du XIXe siècle, semble au contraire excessive au regard des premiers traités de capitulation. Il est possible, en effet, de faire avec maître Moussa Abboud, trois constatations qui démontrent toutes qu’à l’origine, les sultans du Maroc n’avaient aucunement l’intention de faire des concessions touchant la souveraineté nationale : Les privilèges accordés aux étrangers furent consentis à une époque où l’Etat marocain disposait d’une grande puissance militaire et ne pouvait, de ce fait, subir aucune pression. Les concessions faites aux étrangers étaient soumises à un régime de réciprocité. Les privilèges institués devaient normalement profiter aussi bien aux étrangers établis au Maroc qu’aux marocains résidant dans le territoire de l’Etat signataire. Le Maroc se réservait le droit de dénoncer ces traités ou de ne pas les renouveler. Si tous ses arguments semblent assez sérieux comme la préconiser monsieur Mohammed Jalal Essaid dans son ouvrage Introduction à l’Etude du Droit, il faut dire que l’institution avait fini par dégénérer, pour porter de graves atteintes à la fois aux principes du droit Musulman et aux attributs de la souveraineté nationale. 1. C’est que la compétence du tribunal consulaire ne s’était pas limitée aux procès mettant en cause les ressortissants étrangers. Elle avait été abusivement étendue aux justiciables marocains eux-mêmes. Tel fut le cas dans les litiges mixtes où le marocain jouait le rôle de demandeur, l’étranger figurant à l’instance comme défendeur. Il y avait là une remise en cause totale des principes islamiques : un musulman marocain était jugé par un tribunal consulaire et devait subir une loi étrangère. 2. Cette règle fut même appliquée en matière pénale : si les poursuites étaient dirigées contre un prévenu marocain, l’affaire était également de la compétence du consul. C’était une sérieuse limitation apportée à la souveraineté marocaine, puisque les Etats réellement indépendants réservent toujours le jugement des affaires pénales aux juridictions nationales. 3. La justice consulaire connaîtra un autre élargissement abusif de ses attributions, à la faveur d’une nouvelle institution : le régime de la protection qui vise, non plus les étrangers, mais les sujets marocains eux même. Pour la première fois, des marocains étaient jugés dans leur propre pays, par un tribunal étranger – le tribunal consulaire – et conformément à une loi étrangère. C’était une véritable ironie du sort : le marocain musulman, qui bénéficiait de la protection d’une puissance étrangère, était devenu une sorte du dhimi dans son propre pays ! L’institution du Protectorat mettra sans doute fin à l’existence de la plupart des tribunaux consulaires, mais les pluralismes législatif et juridictionnel ne disparaîtront pas pour autant, bien au contraire. On peut dire alors qu’à partir du XIXe la prééminence du droit musulman se trouve remise en cause. A cette époque, en effet, s’amorce un repli de la tradition juridique islamique qui va s’intensifier à mesure que s’aggrave l’emprise étrangère sur le pays. Les privilèges de juridiction et de législation dont bénéficient les étrangers connaissent une expansion sans précédent et s’appliquent à tous les domaines du droit y compris le droit pénal de sorte qu’à l’exclusion des affaires immobilières, les étrangers finissent par échapper complètement à la justice marocaine et à l’application du droit musulman. Par ailleurs, la compétence des juridictions consulaires s’élargit encore du fait de l’extension des privilèges consulaires à des sujets marocains qui, en devenant « protégés » de telle ou telle puissance étrangère échappent à leur tour et dans une mesure considérable, à la justice nationale et à l’application du droit musulman. De plus, le juge habilité à connaître des litiges mixtes n’est plus nécessairement le juge marocain mais le plus souvent le juge du défendeur, de sorte qu’un justiciable marocain peut désormais relever de la compétence d’un juge étranger et être soumis, dans son propre pays, à une loi autre que la loi islamique, c’est ce que nous allons déjà traiter en premier lieu.
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