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Le JA et la protection des libertés

Dans ses conclusions sur l'affaire Baldy, le commissaire du Gouvernement Corneille a ainsi
résumé l'esprit de la jurisprudence administrative : « La Déclaration des droits de l'Homme est,
implicitement ou explicitement, au frontispice de nos Constitutions républicaines », raison pour
laquelle «  la liberté est la règle et la restriction de police l'exception ».
Il apparaît donc que dès 1917, la protection des libertés constituait la boussole de l'office du
JA. Ce point de vue n'était pourtant pas évident : longtemps, le JA a souffert de son image
« d'administrateur-juge » du fait de ses origines. Né de la défiance qu'inspiraient les parlements
d'Ancien Régime et les tribunaux judiciaires aux rois, aux révolutionnaires et à Napoléon, le JA a
souvent été accusé d'être le juge complaisant de l'administration, cad le corps chargé de mettre en
œuvre les décisions prises par le pouvoir exécutif. Une telle réputation contrevient à l'image de
défenseur des libertés : en effet, les libertés modernes ont été dressées en faveur de l'individu, contre
l’État. La « 1ere génération » de droits et libertés, dont les DDHC est symbolique des « droits de »
faire telle ou telle chose et ce malgré les inconvénients que cela peut représenter pour la puissance
publique. La « 2eme génération », quant à elle, symbolisée par le Préambule de la Constitution de
1946, entérine quant à elle des « droits à » ce que l’État agisse de telle ou telle manière. Cependant,
malgré l'image d'administrateur-juge dont il a longtemps souffert, force est de constater que le JA
est progressivement devenu un acteur incontournable de la défense des libertés garanties par les
ordres juridiques si bien français qu'européen : que cela soit par l'exercice du REP, de la QPC ou de
l'exception d'inconventionnalité, le JA dispose aujd du pouvoir contrôler les actes admin et légis au
regard des droits et libertés garantis aux citoyens. Il est devenu un juge aussi complet et aussi
légitime que le juge judiciaire.
Un juge est le membre d'une juridiction, chargé de résoudre, par des décisions impératives,
des litiges opposant des parties, de manière indépendante en se fondant sur des moyens de droit. La
spécificité du JA tient à ce qu'il juge, dans ces même conditions, de litiges opposant l’État et les
particuliers, de manière à assurer à la fois les prérogatives d'actions du premier et les libertés du
second. Les libertés, quant à elles, sont le fruit d'un cheminement qui les a fait passer d'idées
philosophiques gravées dans des textes dont la valeur juridique a progressé au cours des siècles.
Proclamées en 1789 par la DDHC et réactualisées jusqu’à la Charte des DF de l'UE, elles ont été
protégées par les jurisprudences administrative, constitutionnelle puis européennes. Les libertés ont
pour point commun de protéger l'individu contre l'arbitraire de l’État, de manière à ce que chacun
fasse « ce qui ne nuit pas à autrui » selon l'art 4 de la DDHC. Elles fondent un régime répressif, cad
un régime dans lequel tout ce qui n'est pas interdit est autorisé, raison pour laquelle « la liberté est
la règle et la restriction de police l'exception ». Les libertés sont donc l'ensemble des principes
juridiques permettant à l'individu d'agir de manière autonome dans le cadre fixé par un État
respectueux desdites libertés, cad un État de droit, dont l'un des fondements est le recours au juge,
chargé d'empêcher la puissance publique d'outrepasser les prérogatives qui lui ont été données par
les citoyens.
I – Extension des normes permettant respect des lib fonda par le JA
A – Tutelle contentieuse exercée de longue date par le JA sur l'autorité admin
- JA juge des actes pris par les administrations centrales et locales, qui sont à même de
limiter illégalement les libertés publiques. Si JA n'a pas toujours été indépendant et donc à même de
protéger équitablement les libertés (CE, Robin de la Grimaudière, 1953 → « L'ouvrage public mal
planté ne se détruit pas »), acquiert son indép avec loi 24 mai 1872 et se met alors à protéger les DF
durant « âge d'or du DA ». Fait application des lois libérales de la IIIeme Rép. Ex: CE, Abbé
Olivier, 1909 → procession funéraire est le corollaire du libre exercice des cultes et de la liberté de
conscience garanties par loi 1905 → un maire ne peut interdire les manifestations publiques à
l'occasion d'enterrement. Ex : CE, Benjamin, 1933 → maire interdit réunion de M. Benjamin → CE
estime qu'une interdiction de réunion n'est possible qu'en cas de trouble potentiel à l'OP et que si
aucune autre mesure moins contraignante ne peut être prise ; il faut proportionnalité entre les
risques et la mesure prise.
- JA a par la suite développé le pouvoir de « découvrir » des PGD. Certes juge doit appliquer
loi et ne peut être créateur de normes car c'est le devoir du législateur. Néanmoins, dans certaines
situations, JA crée des principes destinés à mieux protéger le justiciable. Ex : CE, Dame Lamotte,
1950 → préfet applique une loi disposant qu'elle n'est pas susceptible de recours → CE crée un
PGD selon lequel tout acte administratif peut faire l'objet d'un REP ; suit l'arrêt D'Aillières de 1947
selon lequel toute décision juridictionnelle peut faire l'objet d'un recours en cassation. CE, Scté du
journal L'Aurore, 1948 → les règlements ne disposent que pour l'avenir → non rétro des AAU. Il y
a PGD protégeant l'égalité par ex → CE, Scté des concerts du conservatoire, 1951 → égalité régit le
fonctionnement du SP donc une scté ne peut se voir interdites des ondes. Enfin, PGD qui protègent
lib fonda : droit de mener une vie familiale normale (CE, GISTI, 1978) opposé à la suspension du
décret permettant le regroupement familial.

B – Renouvellement de la tutelle par admission de nouvelles sources du DA


- Tout d'abord, source constitutionnelle. Auparavant, légicentrisme. Mais remise en cause
avec Constitution du 4 octobre 1958 → possibilité de sanctionner un acte administratif ne respectant
pas la norme constit. Tout d'abord, CE, Dehaene, 1950 : visa du Préambule de la C de 1946 selon
lequel loi détermine exercice du droit de grève ; mais aucune loi adoptée concernant les SP donc le
Gouv peut intervenir dans ce domaine par voie réglementaire. Surtout, arrêt CE, Scté Eky, 1960 : JA
contrôle décret et ordonnance intervenant en matière pénale au regard d'art 8 DDHC → JA donne
pleine valeur juridique au Préambule de la Constitution, qui devient opposable à l'administration.
De +, QPC qui fait que justiciable peut soulever QPC devant le JA, qui doit la renvoyer au CE, qui
doit évaluer si elle est nouvelle, sérieuse et applicable au litige : rôle de filtre qui fait du JA un 1er
juge constit en évaluant le caractère sérieux ou non de la question.
- De plus, droit administratif a vu le rôle donné aux normes internationales beaucoup évoluer
à la fin du XXeme siècle → émergence de la CJCE/CJUE et de la CEDH. Art 55 de la Constitution
prévoit traités > lois, ce qui obligeait le JA à effectuer contrôle de conventionnalité. Mais CE a
refusé de contrôler les lois postérieures au traité malgré le non respect des dispositions
conventionnelles par le législateur → CE, Syndicat général des fabricants de semoule de France,
1968. Revirement de JP avec CE, Nicolo, 1989 : JA est compétent pour contrôler compatibilité des
lois postérieures aux conventions internationales. Dès lors, possibilité de contrôle du respect par la
loi des déclarations internationales de droits fonda telles que CESDH ou CDFUE. A permis
l'émergence de nouveaux droits, tel que le PGD de sécurité juridique → CE, Scté KPMG, 2006. Au
visa de CESDH et traité de Rome, CE introduit en droit français un principe protégé par ces deux
conventions : la sécurité juridique. Ainsi, de nouvelles réglementations ne peuvent modifier des
relations contractuelles de façon immédiate ; pouvoir réglementaire doit mettre mesures transitoires
en œuvre de manière à permettre au justiciable de s'adapter au droit à venir.
II – Approfondissement général des pouvoirs du JA en matière de défendre des DF
A-
-Tout d'abord, JA a élargi le champ des actes admin susceptibles de faire l'objet d'un REP.
Tout d'abord, rétrécissement de la catégorie des mesures d'ordre intérieur (MOI), actes
administratifs réglementant la vie de services (règlement scolaire par ex). Longtemps, n'ont pas pu
faire l'objet de REP car ils n'étaient pas considérés comme faisant grief (« de minimis non curat
praetor ») même s'ils influaient les D/L des justiciables. Renouveau jurisprudentiel à ce sujet,
d'abord avec CE, Kherouaa, 1992 → règlements des établissements scolaires peuvent faire objet
d'un REP. Puis avec CE, Hardouin et Marie, 1995 → mise aux arrêts militaires et placement en
cellule d'isolement peuvent faire objet de REP. Moins d'arbitraire laissé aux institutions
scolaires/militaires/pénitentiaire dans leur prise de décision. Par ailleurs, rétrécissement également
de la catégorie des actes de gouvernement : actes qui n'étaient autrefois pas contrôlés du fait de leur
nature politique et non juridique. Certains subsistent comme décisions ayant à voir avec relations
diplomatiques (décision d'engager troupes françaises à l'extérieur) ou rapport des pouvoirs
constitutionnels entre eux (dissolution de l'AN par le Prés). Néanmoins, décision de mettre en
œuvre et de proroger EU peut faire l'objet d'un REP (CE, Rolin et Boisvert, 2006). Ainsi, décision
de mise en œuvre de l'EU, qui donne nombreux pouvoirs à l'admin, peut être contrôlée par le JA.
-De plus, réformes structurelles concernant si bien les pouvoirs du JA dans la mise en œuvre
de ses décisions que concernant son indépendance, de manière à en faire un juge aussi puissant
qu'indépendant. Concernant l'exécution des décisions du JA, il arrivait que l'admin ne mette pas en
œuvre les décisions du JA, ce qui à quoi ce dernier ne pouvait rien. Cela a tout d'abord changé avec
pouvoirs d'astreinte et d'injonction reconnus en 1980 et 1995 : JA peut condamner l'admin au
paiement d'une somme pour les jours de retard dans l'exécution du jugement et peut ordonner à
l'admin de prendre toutes les mesures nécessaires à l'exécution de sa décision. De plus,
indépendance du JA, qui applique le droit fondamental à un juge impartial et indép d'art 6 CESDH,
a été mieux garantie du fait de réformes récentes : obligation pour un JA ayant statué sur un texte
réglementaire en formation consultative de se déporter en cas du contrôle de ce texte en formation
contentieuse ; possibilité de demander à ce que le rapporteur public n'assiste pas au délibéré à
l'occasion du jugement.

B – Adaptation du JA à la culture de l'urgence


-REP était certes instrument le plus « la plus efficace et la plus pratique de défense des
libertés » (Gaston Jèze) mais il avait pour principal défaut de ne pas permettre au JA de statuer dans
l'urgence du fait du temps d'instruction et de n'être pas suspensif, ce qui ne permettait pas de
défendre le justiciable face à des décisions administratives illégales mais d'application immédiate.
Les référés ont été créés par la loi du 30 juin 2000 pour pallier cela : introduit culture de l'urgence
chez le JA → permettent au JA d'ordonner des mesures provisoires destinées à protéger les droits du
demandeur dans l'attente d'un jugement au fond. Tout d'abord, référé-suspension suspend exécution
d'une décision admin en attendant résultat du REP ; est justifié par urgence, doute sérieux sur la
légalité de l'acte et atteinte immédiate à un intérêt public ou à la situation du requérant. D'autre part,
il y a référé-liberté qui permet d'obtenir décision du JA en 48h lorsqu'il est porté une atteinte
manifestement illégale à une lib fonda ; ici, JA peut ordonner toute mesure nécessaire à la
préservation de la lib en question, qu'elle soit provisoire ou non (dératisation d'une prison → CE,
Section française de l'observatoire international des prisons, 2012).
-Utilisation du REP a permis de protéger les libertés fondamentales des justiciables,
notamment durant l'EU et l'EUS. Durant EU : utilisation contre décision d'assignation à résidence
avec JA qui institue présomption d'urgence de telles mesures ; de plus, dans le cadre de son
contrôle, le JA ne s'est pas contenté de vérifier le respect de la légalité par l'administration mais
également la proportionnalité de la décision compte tenu de la situation de la personne en faisant
l'objet → juge des référés n'est donc plus celui de l'évidence mais de la proportionnalité. Enfin,
durant EUS, protection de la liberté de manifestation (13 juin 2020) qui avait fait objet d'une
interdiction générale et absolue ou encore à lib de culte (29 novembre 2020).

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