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Questions :
1) Comment identifie-t-on une loi ?
2) La loi est-elle une source du droit ? La loi peut-elle ne pas être normative ?
3) Pourquoi la loi est-elle générale et abstraite ?
4) Quelle est l’importance du droit romain dans la tradition juridique continentale ?
5) Existe-il différents types de codifications ? A quel type appartient la codification
allemande ?
§ 2 - Au sens matériel
13. Matières législatives. - Alors que la loi était depuis la Révolution définie à l'aide d'un
critère organique, formel, celui de l'organe de son édiction et de sa procédure, la Constitution
de la Ve République lui a ajouté un critère matériel. Avant 1958, rien n'échappait au domaine
du législateur. Toute matière relevait du Parlement. Rompant avec cette compétence générale,
la Constitution de 1958 a réduit le périmètre de compétence du législateur. Désormais, la loi
est donc aussi définie par le champ des matières qui relèvent de la compétence attribuée au
législateur par l'article 34 de la Constitution. Le domaine législatif est donc limité par les
frontières de l'article 34, les autres domaines étant conférés au pouvoir réglementaire par
l'article 37 de la Constitution.
14. Teneur des lois : normativité, généralité, abstraction, permanence. - Au-delà, le sens
matériel de la loi met aussi en lumière le contenu des textes législatifs. La spécificité d'une loi
par rapport aux autres normes non juridiques, comme par exemple la règle morale ou la règle
scientifique est d'être obligatoire, générale, abstraite et permanente. En effet, l'acte de légiférer
est censé en premier lieu être un commandement qui deviendra obligatoire, une source de
droits et d'obligations pour tous les citoyens dès sa publication. En deuxième lieu, la loi se
caractérise par sa généralité ; elle n'est pas censée contenir tous les détails du commandement
qui sont laissés au soin du gouvernement ; elle s'applique de la même manière sur tout le
territoire français et à tous les sujets de droit. La généralité de la loi est le gage de l'égalité de
tous devant la loi. En vertu de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen,
« elle [la loi] […o] doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». En
troisième lieu, la loi doit être abstraite : elle ne contient pas de prescriptions individuelles. En
quatrième lieu, elle devrait être permanente car elle est un commandement censé se maintenir
dans l'avenir. Il s'agit bien sûr d'une présentation idéale de la loi. En réalité, chacun de ces
points mérite d'être nuancé.
15. Normativité des lois. - Tout d'abord, le caractère normatif, c'est-à-dire le caractère
obligatoire de certaines lois, devrait aller de soi, en principe. Pourtant il est discuté depuis
quelque temps. Jusqu'à récemment, le caractère impératif de la loi découlait de son inscription
dans le système juridique. La loi est, en effet, par sa nature même une norme juridique, c'est-
à-dire une norme dont la sanction de son irrespect peut être demandée en dernier lieu à la
force publique. On présente par exception les lois supplétives de volonté (lois auxquelles les
particuliers peuvent déroger) ou même les lois qui ne prévoient pas de contrainte (comme par
exemple les règles d'interprétation des contrats dans le code civil). Encore qu'il soit possible
de soutenir que les lois supplétives offrent une faculté, une liberté qui ne peut être limitée par
autrui et donc que les juges sont obligés de prendre en compte. De même, lorsqu'une
disposition législative ne prévoit aucune forme de sanction, il est toujours loisible aux juges,
lorsque les circonstances l'exigent, de lui conférer une certaine efficacité. On peut citer
l'exemple de l'article 371 du code civil, selon lequel « l'enfant, à tout âge, doit honneur et
respect à ses père et mère ». Cet article n'a-t-il pas été pris comme base légale pour condamner
un enfant qui avait renoncé à la succession de son père défunt à financer les obsèques de ce
dernier ? Mais à partir de 2004, la question de la normativité des lois a été renouvelée avec
une décision du Conseil constitutionnel déclarant inconstitutionnelles certaines dispositions
législatives jugées dénuées de normativité. Dans une décision du 29 juillet 2004, relative à la
loi organique prise pour l'application du troisième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution
relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales, le Conseil constitutionnel a, en
effet, censuré une disposition au motif que « la loi a pour vocation d'énoncer des règles et doit
par suite être revêtue d'une portée normative » (Cons. const. 29 juill. 2004, no 2004-500 DC ,
Rec., p. 116). Il a aussi déclaré que les annexes de la loi n'avaient pas de portée normative.
Dans une seconde décision du 21 avril 2005, le Conseil constitutionnel a censuré les
dispositions de la loi n'ayant pas de portée normative, considérant ces dernières comme
contraires à la Constitution. Il s'agissait de la disposition selon laquelle « l'objectif de l'école
est la réussite de tous les élèves » (Cons. const. 21 avr. 2005, no 2005-512 DC , loi
d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école, Rec., p. 72. – MATHIEU, Le Conseil
constitutionnel censure les lois trop « verbeuses », JCP 2005. Actu. 879. – ZARKA, La
décision du 21 avril 2005 du Conseil constitutionnel : une censure partielle prévisible,
D. 2005. Point de vue. 1372. – VERPEAUX, Neutrons législatifs et dispositions
réglementaires : la remise en ordre imparfaite, D. 2005. Chron. 1886 . – CAMBY, La loi et la
norme, RD publ. 2005. 849 s. – SCHOETTL, Loi d'orientation et de programme pour l'avenir
de l'école devant le Conseil constitutionnel, LPA no 100, 20 mai 2005, p. 3. – GLÉNART, La
conception matérielle de la loi revivifiée, RFDA 2005. 922 . – DEUMIER, Qu'est-ce qu'une
loi ? – Ce n'est ni un programme politique, ni un règlement, RTD civ. 2005. 564 ). Cette
jurisprudence du Conseil constitutionnel doit se comprendre comme un instrument de contrôle
du législateur et de la législation qui semble aujourd'hui utile et opportun à une époque où
l'infréquence du Parlement, la démission de certains parlementaires liée au cumul des mandats
et la vanité de certains hommes politiques contribuent à la multiplication de lois vides et
creuses. En bref, c'est le bavardage législatif ou les incantations législatives qui ont été
condamnées par le Conseil constitutionnel. La discussion sur le point de savoir si les lois
reconnaissant certains faits historiques – lesdites lois mémorielles – sont opportunes n'est pas
sans lien avec la question de la normativité des lois. Dans une décision du 28 février 2012,
relative à la loi visant à réprimer la contestation de l'existence des génocides reconnus par la
loi (Cons. const. 28 févr. 2012, no 2012-647 DC ), le Conseil constitutionnel a déclaré cette
loi non conforme à la Constitution, notamment du fait de l'absence de caractère normatif.
16. Généralité et abstraction des lois. - La loi devrait être l'expression de la volonté générale
se manifestant sur un objet d'ordre général. Pourtant, depuis longtemps cette question est
débattue. Par exemple, DUGUIT constatait, en 1923, que l'idéal de la loi générale parce
qu'issue d'une souveraineté nationale unique et indivisible était battu en brèche par l'existence
des « lois régionales » (surtout les règlements des collectivités locales) et des « lois de
groupes » (conventions collectives, cahiers des charges. – DUGUIT, Les transformations du
droit public, 1923, Armand Colin, rééd. 1999, La Mémoire du droit, p. 85-86). Le caractère
général d'une loi est aussi au centre des débats depuis l'essor d'une législation hypertechnique
issue de projets de lois préparés par les services techniques des ministères (surtout celui de
Bercy qui tend à exercer une force centripète au détriment par exemple du ministère de la
Justice. – MATUTANO, Le domaine réservé au ministère de la Justice dans la préparation
des lois et des règlements, RFDA 2005. 721 s.). De nombreuses lois sont riches en détails
que viennent encore compléter les décrets d'application. De même, les lois d'expérimentation
sur des territoires dérogent au caractère général des lois (Const., art. 37-1) ; ou encore les lois
de l'outre-mer (comme par exemple les lois du pays). Enfin, depuis le début du XX e siècle,
les lois sont de plus en plus spéciales, corporatistes, destinées à des catégories de citoyens :
les salariés, les assurés, les locataires, les commerçants, les acquéreurs de biens immobiliers,
etc. (DUPEYROUX, Sur la généralité de la loi, Mélanges Carré de Malberg, 1933, Sirey,
p. 137 s.). Le recours à des lois protectrices renforcé par l'individualisme ambiant va dans le
sens de la spécialisation des textes juridiques. L'essor de la législation économique associé à
celui de la législation sociale et de la législation environnementale injecte dans le système
juridique des règles incompréhensibles aux citoyens et opaques aux spécialistes eux-mêmes.
17. Stabilité des lois. - La permanence des lois suppose leur durabilité, leur stabilité. Or, cette
stabilité s'est raréfiée. Les lois sont de plus en plus nombreuses et rien ne semble pouvoir
stopper l'inflation législative galopante. Plus personne ne se demande : « Le mal de changer
est-il toujours moins grand que le mal de souffrir ? », comme le faisait MONTESQUIEU. En
2005, une étude du Secrétariat général du gouvernement, « Statistiques sur l'activité
législative et réglementaire », constatait qu'en moyenne 10 % des articles d'un même code
étaient réformés chaque année ; ce qui laisse paraître un taux d'instabilité élevé (sachant que
certains code ne bougent pratiquement pas, comme le code civil et que d'autres connaissent
des réformes constantes, comme le code du travail ou le code des impôts). Les réformes
incessantes dans la plupart des matières juridiques rendent le droit de plus en plus
imprévisible, voire arbitraire, ce qui constitue un facteur d'insécurité juridique. Trop
nombreuses sont les lois de circonstances, temporaires, symboliques (MALAURIE et
MORVAN, Introduction au droit, 5e éd., 2014, LGDJ-Lextenso, no 285). La question de la
normativité, de la généralité, de l'abstraction et de stabilité des lois s'inscrit dans le débat plus
large de la qualité des lois et de la légistique. Comme l'exprime le président de l'Assemblée
nationale : « Légiférer en permanence dans la précipitation, c'est prendre le risque de
malfaçons législatives et de placer nos concitoyens dans une situation d'insécurité juridique
très préjudiciable » (BARTOLONE, Parlement du changement, Assemblée nationale en
mouvement, JCP Adm. 2012. Actu. 711).
Section 1
Histoire de la tradition continentale
11. L’un dans le sud de l’Allemagne, l’autre au sud de l’Écosse (Mur d’Hadrien).
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GRANDS SYSTÈMES DE DROIT CONTEMPORAINS
A. Déclin
30. Cohabitation. – L’Empire romain d’Occident s’est effondré sous
la pression des invasions barbares13. Les différentes parties de l’Empire
sont désormais sous la domination de diverses tribus germaniques : Lom-
bards dans la péninsule italienne, Francs en Gaule, Wisigoths en Espagne
et dans le sud-ouest de l’actuelle France, Angles et Saxons en Angleterre,
etc. Les envahisseurs s’installent, et cohabitent donc avec les populations
conquises. Ces populations avaient toutes appartenu à l’Empire, pendant
des périodes plus ou moins longues. Elles avaient été aussi plus ou moins
influencées par la culture romaine. Ainsi, les populations vivant autour
de la Méditerranée (Italie, sud de la Gaule) étaient fortement romanisées.
31. Régression : généralités. – Avec la chute de l’Empire romain
(d’Occident) s’ouvre une époque de régression généralisée, qui va durer
plusieurs siècles. Les routes ne sont plus sûres, et le commerce s’effondre.
La pauvreté s’installe. Les arts et les sciences périclitent. Les communau-
tés se referment sur elles-mêmes.
32. Régression : crise du droit. – Le droit connaît aussi une crise
profonde. La chute de l’Empire n’a pourtant pas emporté la disparition
du droit romain. Il est encore le droit des populations conquises, et est
donc en théorie largement applicable dans les parties de l’Europe où la
population est majoritairement composée d’anciens citoyens de l’Empire
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GRANDS SYSTÈMES DE DROIT CONTEMPORAINS
14. Mais à ces seuls anciens citoyens, selon le principe de personnalité des lois : infra, nº 34.
15. V. généralement J.-L. THIREAU, Introduction historique au droit, coll. Champs Université, Flammarion,
2001, p. 119.
16. Infra, nº 35.
17. P. MAYER & V. HEUZÉ, Droit international privé, LGDJ, 11e éd., 2014, nº 10.
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La tradition juridique continentale
18. V. généralement J. GAUDEMET, Les naissances du droit, Montchrestien, 4e éd., 2006, p. 107 et s.
19. Des codes de droit wisigoth furent cependant rapidement promulgués. Leur champ d’application per-
sonnel est débattu par les historiens, tout comme d’ailleurs le principe même de la personnalité des lois :
cf. J. GAUDEMET, op. & loc. cit.
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GRANDS SYSTÈMES DE DROIT CONTEMPORAINS
B. Renouveau
38. Plan. – La science juridique va renaître à partir du XIe siècle,
lorsque l’enseignement et l’étude du droit romain vont être initiés à
Bologne (1). Son influence sur le droit de la plupart des pays d’Europe
sera grande (2), et sera à l’origine de la tradition juridique continentale.
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La tradition juridique continentale
soit donné d’entreprendre. Mais c’est aussi parce que le droit en vigueur ne
présente guère d’intérêt scientifique et que, coutumier, il n’est en toute hypo-
thèse guère accessible22. À l’inverse, depuis la redécouverte du corpus juris
civilis, le droit romain présente l’immense avantage d’être rassemblé dans
un ensemble de textes unique. En outre, l’un des textes du corpus, le digeste,
est un condensé de la doctrine romaine classique, qui permet de renouer
avec la tradition doctrinale du droit romain classique et de considérer à nou-
veau le droit d’un point de vue théorique et scientifique.
41. Glossateurs et post-glossateurs. – L’enseignement et l’étude qui
se développent dans l’Europe entière se concentrent en effet sur les seuls
textes anciens, et plus particulièrement sur le plus abouti d’entre eux, le
corpus juris civilis. La méthode d’enseignement est d’expliquer et de com-
menter les termes du texte. Ces commentaires sont notés dans la marge
du texte original : c’est la glose. Les glossateurs explicitent le sens d’un
texte rédigé dans une langue ancienne et à une époque différente ; le
plus célèbre et le dernier d’entre eux, Accurse (1182-1260), rassemblera
les principaux commentaires des juristes bolognais depuis Irnerius dans
une « Grande Glose » qui fera autorité. À partir de la seconde moitié du
e
XIII siècle, une nouvelle génération de commentateurs, les post-glossa-
teurs, entreprennent, d’abord à Orléans, puis à nouveau en Italie, de se
détacher de l’exégèse et de se livrer à un travail analytique plus large
des textes romains, en particulier en tentant d’adapter le droit romain
aux besoins de la société de leur temps.
42. Rapports avec le droit positif. – L’objectif essentiel des profes-
seurs de droit romain du Moyen Âge n’était pas d’exposer le droit positif à
leurs étudiants. Le droit romain était envisagé comme un monument de
connaissance et de logique qui pouvait être étudié en tant que tel, comme
on étudiait la philosophie ou la théologie. Son étude était donc théorique,
et détachée des sources modernes éventuelles, par ailleurs inaccessibles.
Dans de nombreuses parties d’Europe, le droit en vigueur s’inspirait d’ail-
leurs d’un droit romain ancien, le code de Théodose23. Toutefois, la césure
entre l’université et la pratique était loin d’être définitive. Les professeurs
consultaient dans le cadre de litiges privés. Il semble donc que la supério-
rité conceptuelle et le prestige du droit romain classique lui ait donné
droit de cité très tôt en pratique.
43. Conséquences du développement de l’étude universitaire du
droit romain. – La conséquence la plus importante de cette renaissance
de l’étude du droit romain fut la réhabilitation de l’étude scientifique du
droit. À l’instar des juristes romains classiques, les romanistes médiévaux
entreprirent à nouveau de soumettre le droit à une analyse logique et doc-
trinale. C’est à ce second égard qu’il est possible de parler de redécouverte
22. Un enseignement de droit germanique avait pourtant vu le jour en Lombardie, mais il périclita rapi-
dement.
23. En Angleterre, le droit romain fut d’ailleurs enseigné à Oxford bien avant le droit anglais, l’enseigne-
ment universitaire du Common law ne paraissant pas utile : cf. infra, nº 209.
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GRANDS SYSTÈMES DE DROIT CONTEMPORAINS
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La tradition juridique continentale
43
GRANDS SYSTÈMES DE DROIT CONTEMPORAINS
28. F. WIEACKER, A History of Private Law in Europe, Oxford University Press, 1995, p. 69 et s.
29. Selon l’expression de F. BEYERLE, citée par F. WIEACKER, op. cit., p. 83.
30. Infra, nº 117.
31. Selon l’expression de ZWEIGERT & KÖTZ (op. cit., p. 134).
44
La tradition juridique continentale
e
§3. Les codifications du XIX siècle
49. Évolution essentielle. – À la fin du XVIIIe siècle et surtout au
e
XIX siècle, la tradition continentale connaît une évolution essentielle, la
codification, qui est souvent présentée comme l’un de ses traits caracté-
ristiques. De fait, la codification est une entreprise qui souligne deux
traits fondamentaux de la tradition continentale : le culte de la loi et son
caractère scientifique32. Le Code civil français, héritier de la Révolution
française, fut le symbole du premier (A). Le Code civil allemand, héritier
de l’École du droit naturel et des pandectes, fut le symbole du second (B).
A. La codification napoléonienne
50. Plan. – Bénéficiant du prestige de l’idéal révolutionnaire, la codi-
fication française (1) devait connaître un rayonnement extraordinaire
dans le monde (2).
1. La codification française33
51. Origines. – Si la volonté de Bonaparte fut déterminante dans
l’adoption du Code civil, le projet puise ses origines tant dans l’Ancien
Régime que dans la Révolution. Dès avant la Révolution, tout d’abord, le
morcellement du droit français était considéré comme un problème. La
45
GRANDS SYSTÈMES DE DROIT CONTEMPORAINS
118 de Justinien. Mais le Code ne voulait pas pour autant ignorer les
acquis révolutionnaires, qu’il acceptait sous bénéfice d’inventaire. L’égali-
tarisme forcené de la Révolution ne fut pas consacré, mais un certain
nombre de solutions anciennes furent modifiées afin de les rendre plus
égalitaires. Ainsi, en matière successorale, l’égalité entre les héritiers fut
renforcée.
54. Droit nouveau, science ancienne. – Bien que les rédacteurs du
Code aient voulu maintenir nombre de solutions traditionnelles, les sou-
bresauts de l’Histoire de France ont mené à l’adoption d’une législation
qui est le résultat d’une synthèse originale entre les traditions romaine,
coutumières et révolutionnaire. Le droit français se distingue clairement
du droit romain ou du jus commune médiéval. L’existence d’une tradition
juridique continentale cesse alors de pouvoir être justifiée par des solu-
tions et des institutions communes. De fait, un siècle plus tard, l’Alle-
magne adoptera une codification paradoxalement beaucoup plus proche
du droit romain34. Mais si les États de l’Europe continentale se séparent
au niveau des solutions particulières consacrées par leurs droits, ils
demeurent unis par une même conception systématique et scientifique
du droit. Or la filiation intellectuelle est à cet égard tout à fait claire : ce
sont les juristes romains qui en sont à l’origine35. L’unité de la tradition
juridique continentale se manifeste donc par une même conception
scientifique du droit, inconnue de la tradition de Common law36, et non
par des institutions particulières communes.
55. Style. – La langue du Code civil se veut élégante et accessible. Son
style, tout d’abord, a été loué par beaucoup. Jules Romain conseillait de le
lire le soir avant de s’endormir, et Valéry alla jusqu’à y voir un chef-d’œu-
vre de la littérature. Cette qualité littéraire résulte de sa concision, de ses
multiples effets de style, et surtout de formules qui, à l’instar des arti-
cles 1134 ou 2279, sont admirables. Par ailleurs, les rédacteurs du Code
l’ont voulu accessible à tous. Loin de le destiner à l’usage des seuls spécia-
listes, ils ont utilisé une langue simple et directe, qui devait pouvoir être
comprise du justiciable. Stendhal confia à Balzac en avoir lu quelques
pages tous les matins « afin d’être toujours naturel ». Toutefois, la rigueur
et la précision ont souvent été sacrifiées à cette tentation de l’élégance et
à ce style populaire. Ainsi, des termes techniques différents semblent être
utilisés indistinctement pour éviter des répétitions, et certaines disposi-
tions semblent n’avoir eu d’autres utilités que de servir de transition
entre deux articles « normatifs »37.
47
GRANDS SYSTÈMES DE DROIT CONTEMPORAINS
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La tradition juridique continentale
49
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La tradition juridique continentale
2. Les Pandectes
63. Critique du rationalisme. – À partir de la fin du XVIIIe siècle, une
réaction contre le rationalisme se produit en Allemagne et dans une par-
tie de l’Europe. C’est tout d’abord un nouveau mouvement littéraire, le
Romantisme, qui entend privilégier le sentiment sur la raison, et retran-
scrire le mal du siècle. Ce sont ensuite des philosophes qui, tels Herder ou
Kant, critiquent sévèrement le rationalisme. Ce mouvement intellectuel
gagne les juristes qui, inspirés tant par ces philosophes que par les précur-
seurs du romantisme allemand (Goethe, Schiller), contestent la légitimité
de l’École du droit naturel45.
64. Doctrine allemande : École historique46. – Au début du XIXe siè-
cle, le rationalisme de l’École du droit naturel et les codes apparaissant
comme ses réalisations sont sévèrement critiqués par une nouvelle
école de pensée, l’École historique. Son chef de file est le grand romaniste
allemand Friedrich Carl von Savigny (1779-1861). Pour Savigny et les
tenants de l’École historique, le droit trouve sa source dans l’histoire de
chaque peuple. Il en est le produit, que les juristes n’auront qu’à décou-
vrir. Né de la conscience du peuple (Volksgeist), il s’exprime par la cou-
tume, la science et la pratique juridique. Il ne naît donc pas, contraire-
ment à ce que soutient l’École du droit naturel, de raisonnements
abstraits et de principes généraux.
Les tenants de l’École historique se séparèrent cependant sur les éléments
constitutifs de l’histoire du droit allemand. Pour certains, il s’agissait avant
tout de s’intéresser aux coutumes germaniques. Mais, pour Savigny, ces cou-
tumes étaient une source de qualité inférieure par rapport à l’autre source
historique du droit allemand, le droit romain, que l’Allemagne avait accueilli
quatre siècles plus tôt47. Son école se consacra, en conséquence, exclusive-
ment à l’étude du droit romain.
65. Doctrine allemande : Pandectes. – Les disciples de Savigny s’at-
tellent donc à l’étude du droit romain, et plus particulièrement à celle du
corpus juris civilis, auquel ils consacrent tous leurs efforts. La traduction
grecque de corpus, ainsi que de digeste48 étant « pandect », ces romanistes
prennent le nom de pandectes, ou pandectistes. Toutefois, et contraire-
ment aux ambitions affichées, leur œuvre ne se veut pas essentiellement
historique. À l’instar des coutumes germaniques, une grande partie de
l’histoire du droit allemand est d’ailleurs ignorée. Si l’objet de leur étude
45. Sur la filiation intellectuelle de Savigny, cf. F. WIEACKER, op. cit., p. 279 et s.
46. F. WIEACKER, op. cit., p. 277 et s.
47. Supra, nº 47.
48. Supra, nº 28.
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GRANDS SYSTÈMES DE DROIT CONTEMPORAINS
49. V. généralement C. WITZ, Droit privé allemand, 1992, LexisNexis, p. 29 et s. ; V. LASSERRE-KIESOW, op. cit.,
p. 23 et s.
52
La tradition juridique continentale
l’instar du Code civil général autrichien50, le BGB prévoit ainsi une partie
générale traitant des institutions communes à l’ensemble des disciplines
du droit privé51, « un modèle de la capacité d’abstraction germanique »
(Crome). Le BGB est encore un modèle de précision. Il définit les
concepts. Il utilise systématiquement le même terme lorsqu’il se réfère
à une même institution. Le recours à certains verbes ou à certaines tour-
nures de phrases, loin d’être accidentel, peut avoir une signification subs-
tantielle et une portée juridique précise. Ainsi, selon qu’un texte emploie
un verbe impliquant l’obligation ou un autre (müssen ou sollen), le texte
est ou n’est pas sanctionné par une nullité, et la charge de la preuve est
déplacée selon que le texte emploie « sauf... » ou « à moins que... ». Le BGB
est « la machine à calculer par excellence des juristes » (Schwarz).
69. Code civil allemand : style. – La précision et la rigueur de la lan-
gue du BGB ont logiquement rejailli sur son style. À cet égard, la codifica-
tion allemande est aux antipodes du projet français. Le BGB n’a aucune
prétention littéraire, et ne recherche aucunement l’élégance. La conci-
sion est sacrifiée lorsque la rigueur et la précision l’imposent. Les termes
sont répétés s’il le faut, et il ne saurait être question d’avoir des disposi-
tions de transition comme l’article 1384 al. 1er du Code Napoléon. Plus
généralement, le BGB se veut un instrument de spécialistes. Il s’adresse
aux juristes, qui seuls peuvent le comprendre. L’idéal d’accessibilité du
Code Napoléon lui est totalement étranger.
70. Code civil allemand : influence. – La qualité technique et scien-
tifique remarquable du BGB lui assure rapidement une réputation inter-
nationale. Le Code civil, qui était jusqu’alors en situation de quasi-mono-
pole, a désormais un concurrent de poids. Les États souhaitant
moderniser leur droit privé voient dans le BGB un code plus moderne et
de meilleure facture technique. Ainsi, après avoir contemplé l’idée de sui-
vre le modèle français à la fin du XIXe siècle, le Japon se laisse séduire par
les nouvelles codifications allemandes lorsqu’elles sont promulguées52.
Section 2
Caractères de la tradition continentale
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