Vous êtes sur la page 1sur 84

Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

1ERE PARTIE – TITRE 2 LES SOURCES DU DROIT ADMINISTRATIF

1.

Par sources du droit administratif - au sens formel du terme - il faut entendre les différents
types de normes dans lesquelles trouvent leur origine les règles à caractère général qui
sont applicables à l’administration.

N’en font donc pas partie les actes administratifs individuels et les contrats administratifs,
nonobstant le fait qu’ils s’imposent tant à l’administration qu’à leurs destinataires.

Ainsi définies, les sources du droit administratif jouent un double rôle :

• d’une part, elles définissent les compétences et les pouvoirs de l’administration ; son
organisation et les moyens dont elle dispose ;

• d’autre part, et généralement dans le même mouvement, elles lui fixent des bornes ; lui
imposent des obligations ; assignent des limites à son action.

Elles constituent donc à la fois le fondement et les limites de son action.

C’est à ce dernier titre qu’elles forment l’essentiel de ce qu’il est convenu d’appeler la légalité
administrative, c’est-à-dire les normes que l’administration est tenue de respecter.

2.

Telles qu’on vient de les présenter, les sources du droit administratif présentent trois
caractères généraux.

Page 1 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

• Elles se caractérisent, d’abord, par leur diversité :

- diversité de forme, d’abord : certaines sont constituées par des textes écrits ;
d’autre par des solutions jurisprudentielles ;

- diversité d’origine, ensuite : certaines émanent d’organes extérieurs à


l’administration (Constitution, normes internationales, loi ; jurisprudence) ;
d’autres sont internes à l’administration qui est tenue de respecter les règles
qu’elle se fixe à elle-même ; certaines, enfin, sont nationales, tandis que
d’autres revêtent un caractère international (traités et actes dérivés émanant
notamment des institutions communautaires).

• Les sources de la légalité se caractérisent, en deuxième lieu, par la place croissante


qu’y occupent depuis quelques années les normes supérieures à la loi : Constitution
et conventions internationales.

• Elles se caractérisent, enfin, par ceci qu’elles sont hiérarchisées. Elles forment un
ensemble pyramidal au sommet duquel se situe la Constitution et qui comprend, par
ordre décroissant de valeur, les conventions internationales, la loi, les normes
jurisprudentielles, les règlements et autres actes administratifs.

C’est pour l’essentiel dans cet ordre qu’elles seront étudiées.

Toutefois, la hiérarchie qui en a été donnée connaissant certains tempéraments et donnant lieu
à des solutions particulières en cas de conflit de normes, nous consacrerons un dernier
développement à la question spécifique de leur ordre de priorité.

CHAPITRE 1
LA CONSTITUTION ET LES NORMES DE VALEUR CONSTITUTIONNELLE

La Constitution est la norme suprême de l’ordre juridique interne. Elle est également une
source particulièrement riche du droit administratif.

Page 2 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

Bien qu’elle ait toujours occupé une place première dans notre ordre juridique, son
importance ne s’est pleinement manifestée qu’à partir des années 1970, date à laquelle le
contrôle de constitutionnalité des lois a commencé à devenir effectif et à produire ses effets.

Le mouvement s’est depuis amplifié par l’introduction de la Question prioritaire de


constitutionnaltié dans notre droit par la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008
de modernisation des Institutions de la Vème République (art. 29 ; « Art. 61-1. − Lorsque, à
l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition
législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil
constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de
cassation qui se prononce dans un délai déterminé. « Une loi organique détermine les
conditions d’application du présent article »).

Ainsi, sous l’impulsion de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, il est devenu


aujourd’hui courant que pour obtenir l’annulation d’actes administratifs, les justiciables
invoquent des moyens tirés de la violation de la Constitution.

Se trouve réalisée la jonction entre le droit administratif et la Constitution que le doyen Vedel
appelait dans ses vœux dans son célèbre article sur « Les bases constitutionnelles du droit
administratif », au point que l’on a pu parler à l’occasion du cinquantième anniversaire de la
Constitution de 1958 de « la Constitution du droit administratif » (M. Verpeaux, Tribune
AJDA 2008, p. 1793) et se demander si, à l’instar de ce qui est affirmé en droit allemand, le
droit administratif français ne tend pas à devenir « Du droit constitutionnel concrétisé » (J.B.
Auby, Droit administratif, janvier 2009, Repère n° 1).

Cette importance de la Constitution tient à son contenu qui s’est considérablement élargi et
enrichi au cours des dernières décennies et auquel nous consacrerons l’essentiel des
développements à suivre (Section 1) ; avant d’évoquer les problèmes que soulève son
interprétation (Section 2).

SECTION 1 : LE CONTENU DE LA CONSTITUTION

Page 3 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

L’importance de la Constitution comme source du droit administratif n’était pas évidente à


l’origine car le texte même de la Constitution ne comporte que peu de dispositions sur les
institutions et mécanismes qui intéressent spécifiquement le droit administratif.

Si elle a acquis la place considérable que l’on a dite, cela tient principalement à la conception
large que les juges en ont adoptée.

La Constitution ne se limite pas, en effet, aux seuls articles du texte constitutionnel (§1), mais
s’étend à l’ensemble du « bloc de constitutionnalité » englobant également le préambule de la
Constitution (§2) ainsi qu’un certain nombre de principes à valeur constitutionnelle (§3).

§1 : Le texte de la Constitution

A côté d’articles qui règlent l’exercice du pouvoir politique, le texte de la Constitution


comporte deux sortes de dispositions intéressant l’administration.

• Les premières fixent des règles de compétence et de procédure concernant les plus
hautes autorités de l’Etat :

➢ délimitation du domaine du pouvoir réglementaire par rapport à celui


de la loi (article 34 et 37) ;
➢ répartition des compétences entre le Président de la République et le
Premier Ministre ;
➢ contreseing par les ministres des actes de ces autorités (article 19 et 22).

• Les secondes énoncent des principes tels que, par exemple :


- l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race, ou
de religion (article 1er) ;
- l’égalité entre hommes et femmes (article 1er, modifié par la loi
constitutionnelle du 23 juillet 2008 : « La loi favorise l’égal accès des femmes
et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives, ainsi qu’aux
responsabilités professionnelles et sociales ») ;
- la laïcité de la République (article 1er) ;
- la supériorité des conventions internationales sur les lois nationales (article
55) ;

Page 4 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

- la libre administration des collectivités territoriales (article 72) …

La valeur juridique des articles de la Constitution et leur autorité à l’égard de


l’administration ne fait aucune difficulté.

Il arrive ainsi fréquemment que le juge administratif se fonde sur ces articles pour annuler des
actes de l’administration qui leur sont contraires : par exemple, des règlements qui sont pris
inconstitutionnellement dans des matières réservées au législateur par l’article 34, ou encore
des actes qui méconnaissent les principes qu’ils posent.

NB : A cet égard, on signalera que la disposition relative à l’égalité entre hommes et femmes
récemment introduite dans l’article 1er de la Constitution n’est pas dénuée de toute utilité.

En effet, en l’état antérieur du droit, le Conseil d’Etat a jugé que le principe d’égalité
interdisait de faire prévaloir la considération du sexe sur celle des capacités et de l’utilité
commune et excluait par conséquent que la composition des organes dirigeants des personnes
morales de droit privé, comme les fédérations sportives, soit régie par des règles
contraignantes fondées sur le sexe des personnes appelées à y siéger (CE, 10 octobre 2013, n°
359219, Fédération française de gymnastique, AJDA 2013, p. 1999 : à propos de la demande
d’abrogation d’une annexe du Code du sport imposant une représentation des femmes dans
les instances dirigeantes des fédérations sportives proportionnelle au nombre de licenciés).

§2 : Le préambule de la Constitution

Le préambule de la Constitution est l’élément du « bloc de constitutionnalité » qui recèle les


potentialités les plus riches notamment par les très nombreux droits et libertés individuels et
collectifs qu’il consacre.

C’est d’ailleurs à leur exploitation progressive que l’on doit l’importance croissante prise par
la Constitution comme source du droit administratif (A). Encore a-t-il fallu pour cela que lui
soit reconnu valeur juridique, ce qui n’est pas allé sans certains débats (B).

A) La teneur du préambule

Page 5 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

Le texte de la constitution de 1958 est précédé d’un préambule au terme duquel : « le peuple
français proclame solennellement son attachement aux droits de l’homme et aux principes de
la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis dans la déclaration de 1789, confirmée et
complétée par le préambule de la constitution de 1946 ainsi qu’aux droits et devoirs définis
dans la charte de l’environnement de 2004».

Suit un second alinéa consacrant le principe de libre administration des peuples et offrant aux
TOM qui souhaitent y adhérer des institutions nouvelles en vue de leur évolution.

Le texte du préambule de la Constitution de 1958 est donc bref, mais son contenu est
particulièrement riche en raison des textes antérieurs auxquels il se réfère. C’est
d’ailleurs pour cette raison que le rapport rendu par la commission présidée par Mme Simone
Veil (Redécouvrir le préambule de la Constitution, Documentation française, 2009)
déconseille d’y constitutionnaliser de nouveaux droits

1) La déclaration de 1789

Des termes mêmes du préambule, il résulte qu’il se compose d’abord des principes énoncés
par la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Cette déclaration, d’essence libérale, consacre notamment :


. Le droit de propriété, inviolable et sacré ;
. La liberté sous ses multiples formes (liberté d’aller et de venir, du commerce et de
l’industrie, liberté individuelle) ;
. L’égalité : devant la loi, devant les charges publiques, devant le service public, entre
fonctionnaires … ;
. et d’autres principes encore, tels par exemple le droit d’agir en justice qui se trouve
rattaché à l’article 16 de la déclaration, lequel impose que soit assurée la garantie des
droits (Conseil constitutionnel, 9 avril 1996, Autonomie de la Polynésie française, AJDA
1996, p. 371 : déclarant contraire à la Constitution une disposition qui limitait l’exercice
du recours pour excès de pouvoir devant le Tribunal administratif de Papeete ; CE, 29
juillet 1998, Syndicat des avocats de France, AJDA 1998, p. 1019, concl. R. Schwartz :
arrêt reconnaissant au droit d’exercer un recours juridictionnel le caractère d’un principe à
valeur constitutionnelle).
Page 6 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

Cet exemple est intéressant en ce qu’il montre comment le juge utilise des articles de la
DDHC pour en tirer des principes constitutionnels qui n’y sont pas affirmés de manière
expresse. L’article 16 de la déclaration dispose en effet que : « Toute société dans laquelle la
garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de
Constitution ».

L’utilisation du préambule de la Constitution de 1946 fournit d’autres illustrations de cette


démarche.

2). Le préambule de la Constitution de 1946

Beaucoup plus substantiel que celui de la Constitution de 1958, le préambule de la


Constitution de 1946 fait lui aussi partie intégrante de la Constitution.

Il consacre deux sortes de principes.

• En premier lieu, des principes politiques économiques et sociaux, qu’il proclame


comme particulièrement nécessaires à notre temps et dont il dresse la liste.

Ces principes, comme leur dénomination l’indique, présentent un caractère plus social que
ceux issus de la déclaration de 1789. C’est en ce sens qu’ils la complètent.

En font, par exemple, partie :

- l’égalité des droits entre l’homme et la femme ;


- le droit d’obtenir un emploi ;
- le droit de grève qui s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ;
- le principe selon lequel la nation assure à l’individu et à sa famille les
conditions de leur développement.

• En second lieu, le préambule de la Constitution de 1946 réaffirme « solennellement »,


outre les droits et libertés consacrés par la déclaration de 1789, les principes
fondamentaux reconnus par les lois de la République (PFRLR).

Page 7 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

Cette catégorie de principes est plus mystérieuse dans la mesure où la Constitution la cite,
mais sans en définir la contenu. D’où la question posée par Jean RIVERO de savoir à quelle
république, à quelles lois et à quels principes le Constituant a entendu se référer (voir sa
chronique au Dalloz 1972, p. 265 ; ainsi que B. Genevois, RFDA 1998, p. 477).

C’est au juge, et au premier chef au Conseil constitutionnel, qu’il a appartenu d’en décider.

➢ Le premier principe fondamental à avoir été reconnu par le Conseil constitutionnel,


dans sa décision du 16 juillet 1971 (AJDA 1971, p. 537, note J. Rivero) a été la liberté
d’association (dont la valeur constitutionnelle avait d’ailleurs été précédemment
admise par le Conseil d’Etat : Assemblée, 11 juillet 1956, Amical des annamites de
Paris, AJDA 1956.II.400).

L’ont également été, par la suite, les principes de : liberté de l’enseignement (23 novembre
1977) ; l’indépendance des enseignants-chercheurs de l’enseignement supérieur (20 janvier
1984 ; v. aussi, Cons. constit., 6 août 2010, déc. n° 2010-20/21 QPC : réserve d’interprétation
sur le pouvoir de veto des présidents d’université) ; l’indépendance de la juridiction
administrative et son existence constitutionnelle (22 juillet 1980 et 23 janvier 1987, Conseil
de la concurrence, GAJA, n° 93) ; la compétence de l’autorité judiciaire en matière de
protection de la propriété immobilière (25 juillet 1989) ; la particularité du droit applicable
en Alsace-Moselle, (5 août 2011, déc. N° 2011-157 QPC, Sté Somodia, AJDA 2012, p.331,
note A. Jennequin, p.12, JCP A 17 oct. 2011, n° 2319, note N. Abi Rached ; RFDA 2012, p.
131, note J.M. Woehrling).

Selon le Conseil constitutionnel, seuls peuvent être identifiés comme principes fondamentaux,
des principes essentiels, posés par le législateur républicain et auxquels ce dernier n’a pas lui-
même dérogé antérieurement au préambule de la Constitution de 1946.

➢ Le Conseil constitutionnel est cependant allé plus loin.

En effet, il a reconnu le caractère de principe fondamental au respect des droits de la défense


sans se référer à un texte législatif précis.

Page 8 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

Cette solution laisse à penser qu’un principe indissolublement lié à notre tradition
juridique peut être consacré comme principe fondamental, quand bien même il ne
découlerait pas de dispositions législatives expresses.

Il n’use cependant de cette faculté qu’avec une grande modération et il lui est arrivé plus
souvent de refuser à des principes invoqués devant lui le caractère de PFRLR (voir, par
exemple, à propos de la « tradition républicaine » interdisant de modifier les règles du jeu
électoral peu de temps avant l’élection : Conseil constitutionnel, décision n° 2008-563 DC, 21
février 2008, Loi facilitant l’égal accès des femmes et des hommes au mandat de conseiller
général, AJDA 2008, p. 634 et la note ; N. Merley, La non-consécration par le Conseil
constitutionnel de principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, RFDA
2005, p. 621).

➢ On s’est demandé si le Conseil d’Etat pouvait lui aussi identifier des principes
fondamentaux.

Rien ne s’y oppose dès lors qu’il est lui aussi chargé d’appliquer et, pour cela, d’interpréter la
Constitution. Tel est du reste la position qu’il a adoptée en consacrant comme principe
fondamental celui faisant obligation à l’Etat français de refuser l’extradition d’un étranger
lorsqu’elle est demandée dans un but politique (CE Assemblée, 3 juillet 1996, Koné, GAJA,
n° 99).

3) La Charte de l’environnement

En dernier lieu, enfin, la loi constitutionnelle du 1er mars 2005 est venue adosser la Charte de
l’environnement à la Constitution ;

Celle-ci mêle à des déclarations de caractère essentiellement politique, de véritables objectifs


ou principes à valeur constitutionnelle : principe de précaution ; droit de vivre dans un
environnement équilibré ; obligation pour les politiques publiques de promouvoir un
développement durable…

D’où la question de la valeur juridique du Préambule.

Page 9 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

B) La valeur juridique du préambule

Elle soulève trois questions.

1) Première question : le préambule a-t-il valeur constitutionnelle ?

En d’autres termes, s’impose-t-il à l’administration, et les actes pris par cette dernière en
violation de ses dispositions encourent-ils l’annulation ?

➢ La réponse est incontestablement affirmative, et ce quasiment depuis l’origine.

Contrairement à une opinion assez répandue, le Conseil d’Etat a en effet consacré la valeur
juridique du préambule dès la Quatrième République en s’y référant expressément

- dans son arrêt « Dehaëne » relatif à l’exercice du droit de grève des agents
publics (Assemblée, 7 juillet 1950, GAJA n° 63)

- puis dans son arrêt du 7 juillet 1957 « Condamine » (RDP 1958, p. 98, note M.
Waline : arrêt dans lequel le Conseil d’Etat examine pour la première fois, au
fond, un recours contre un acte administratif invoquant la méconnaissance des
articles 8, 9 et 10 de la déclaration des droits de l’homme relatifs à la
présomption d’innocence et à l’impossibilité d’être arrêté, détenu ou puni hors
des cas prévus par la loi).

➢ La question s’est posée à nouveau en 1958 dans la mesure où le préambule de la


Constitution se bornait à affirmer « l’attachement » du peuple français aux droits et
principes que le préambule énumérait, ce qui pouvait apparaître comme ayant une
signification plus politique que juridique.

Néanmoins, le Conseil d’Etat a confirmé sa jurisprudence à la première occasion (CE section,


12 février 1960, Société Eky, Recueil CE p. 101 : arrêt examinant au fond le moyen tiré de la
violation, par un décret, de l’article 8 de la déclaration 1789 qui consacre le principe de non
rétroactivité des lois pénales).

Page 10 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

➢ Enfin, le Conseil constitutionnel a lui-même consacré la valeur juridique du préambule


dans sa célèbre décision déjà citée sur la liberté d’association (16 juillet 1971).

2) Deuxième question : le préambule a-t-il valeur constitutionnelle dans sa totalité ?

La question se pose dans la mesure où un certain nombre de dispositions ou de principes


constituant le préambule revêt un caractère extrêmement général.

La réponse est cependant affirmative. Elle ressort de manière particulièrement nette de deux
décisions,

- l’une du Conseil constitutionnel du 19 juin 2008 (n° 2008-564 DC du 19 juin


2008, Loi relative aux organismes génétiquement modifiés, AJDA 2008, p.
1164, note O. Dord ; JCP 2009.II.10028, note B. Mathieu)

- et l’autre du Conseil d’Etat (Assemblée, 3 octobre 2008, n° 297931, Commune


d’Annecy, GAJA, n° 118 ; RFDA 2008.1852, concl. Y. Aguila ; RDI 2008.563,
note P. Soler-Couteaux), qui consacrent l’invocabilité de l’ensemble des
dispositions contenues dans la Charte de l’environnement.

Il y est indiqué, dans des considérants de principe, que les dispositions en cause : « comme
l’ensemble des droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement, et à l’instar de
toutes celles qui procèdent du préambule de la Constitution, ont valeur constitutionnelle » et
« s’imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leurs domaines de
compétence respectifs » (voir aussi, à propos du droit des personnes à participer à
l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement consacré par
l’article 7 de la Charte, Cons. const., dec. 14 octobre 2011, n° 2011-183/184 QPC,
Association France Nature Environnement, Dr. adm. 2012, n° 23, note G. du Puy-Monbrun ;
CE Assemblée, 12 juillet 2013, n° 344522, Fédération nationale de la pêche en France,
RFDA 2014, p. 97, concl. E. Cortot-Boucher ; RFDA 2013, p. 1259, chron. A. Roblot-
Trozier ; DA 2013, n° 84, note J.L. Pissaloux : à propos de l’article 3 de la charte faisant
obligation à toute personne, dans les conditions définies par la loi, de prévenir les atteintes
qu’elle est susceptible de porter à l’environnement ou, à défaut, d’en limiter les
conséquences).

Page 11 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

3) Troisième question : le préambule est-il invocable dans sa totalité par les administrés à
l’appui des recours qu’ils forment contre les actes de l’administration ?

La réponse à cette question est plus nuancée et peut être résumée comme suit.

• Les administrés peuvent invoquer toutes les dispositions procédant du préambule, quel
que soit leur degré de généralité, pour obtenir l’annulation d’actes réglementaires
qui les méconnaîtraient ou en compromettraient l’effectivité.

Il en est ainsi car il s’agit alors de faire trancher par le juge des questions de légalité
objective (voir par exemple, CE Assemblée, 8 décembre 1978, Groupement d’information et
de soutien aux travailleurs immigrés [GISTI], GAJA n° 88 : l’arrêt censure pour violation de
la disposition du préambule de la Constitution de 1946 consacrant le droit pour les étrangers à
une vie familiale normale et, partant, au regroupement familial, un décret qui limitait ce
droit aux seuls étrangers qui ne demandaient pas l’accès au marché de l’emploi ; voir
également, CE, 6 mai 2009, Association FNATH et Association des accidentés de la vie :
annulation, pour violation du 11ème alinéa du préambule de la Constitution de 1946 relatif à la
solidarité nationale, d’un décret laissant à la charge des assurés sociaux une franchise
annuelle forfaitaire).

• En revanche, les administrés ne peuvent invoquer les dispositions du Préambule


pour se faire reconnaître des droits subjectifs (par exemple, des droits à indemnité).

Il en va ainsi du moins lorsque les dispositions constitutionnelles dont ils se prévalent sont
insuffisamment précises pour leur conférer directement des droits et nécessitent, pour leur
application, l’édiction de mesures législatives ou réglementaires appropriées.

Tel est par exemple le cas du principe de la solidarité nationale devant les calamités qui,
en l’absence de dispositions législatives précises en assurant l’application, ne peut servir de
base à une action contentieuse en indemnité engagée par des français d’Algérie qui pensaient
pouvoir ainsi obtenir réparation du préjudice subi par eux du fait des spoliations dont ils
avaient fait l’objet de la part des autorités algériennes (CE, 29 nov. 1968, Tallagrand, RDP
1969, p. 686, note M. Waline : arrêt considérant que si, en vertu du préambule de la
Constitution de 1946 « La nation proclame la solidarité et l’égalité des tous les français

Page 12 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

devant les charges résultant des calamités nationales, le principe ainsi posé ne peut, en
l’absence de dispositions législatives précises en assurant l’application, servir de base à une
action contentieuse en indemnité engagée par des français d’Algérie qui pensaient pouvoir
ainsi obtenir réparation du préjudice subi par eux du fait des spoliations dont ils avaient fait
l’objet de la part des autorités algériennes »).

Mais, de ce point de vue, le préambule ne se distingue en rien de certaines lois ou


règlements qui, pour pouvoir produire effet, nécessitent également des mesures d’application.

Il est à noter que le Conseil d’Etat a adopté un raisonnement analogue à propos de la Charte
de l’Environnement récemment introduite dans le préambule de la Constitution, dont la valeur
juridique était vivement discutée.

* Il a estimé, en effet, que ses dispositions avaient bien valeur juridique et qu’elles
énonçaient des principes constitutionnels (en l’espèce, d’une part, le droit de vivre dans un
environnement équilibré et respectueux de la santé ; la promotion par les personnes publiques
de politiques de développement durable ; la conciliation entre la protection de
l’environnement, le progrès social et le développement économique et, d’autre part, le
principe de précaution - voir en ce sens : CE Ass., 3 octobre 2008, Commune d’Annecy, préc. ;
et précédemment, CE, l9 juin 2006, Association Eau et Rivières de Bretagne, AJDA 2006, p.
1584, chronique C. Landais et F. Lenica ; CE, 6 avr. 2006, Ligue pour la protection des
oiseaux : mêmes références).

* Le Conseil d’Etat a toutefois précisé que si les principes énoncés par la Charte de
l’environnement ont fait l’objet des dispositions législatives de mise en œuvre, c’est par
rapport à ces dispositions et non par rapport à la charte elle-même que la légalité des actes
administratifs devait s’apprécier, sous réserve que lesdites dispositions de mise en œuvre - si
elles sont antérieures à la Charte - ne soient pas incompatibles avec ses exigences.

Il en va toutefois différemment dans l’hypothèse où les dispositions réglementaires ne se


bornent pas à tirer les conséquences nécessaires de la loi qui met en œuvre la Charte de
l’environnement. Dans cette hypothèse, le juge se reconnaît le pouvoir de vérifier directement
la conformité des dispositions en cause aux principes énoncés dans la Charte (CE, Assemblée,
12 juillet 2013, Fédération nationale de la pêche en France, préc. ; CE, 26 février 2014, n°

Page 13 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

351514, Association Ban Asbestos France et autres, AJDA 2014, p. 476 ; JCP A 2014, act.
237).

* La question reste toutefois posée de savoir si en l’absence de textes de mise en œuvre


(qu’ils soient postérieurs ou antérieurs à la Charte), les administrés peuvent directement
invoquer les dispositions de celle-ci qui consacrent un droit (par exemple, celui de la
participation du public) dans les « conditions et limites » définies par la loi (sur cette question,
voir S.J. Lieber et D. Botteghi, chronique AJDA 2009, p. 1818 sur CE, 24 juillet 2009, Comité
de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique [CRII – GEN] qui ne
tranche pas la question).

Le Conseil constitutionnel a de son côté accepté de vérifier la constitutionnalité de la loi


créant un registre international français pour l’immatriculation des navires au regard de la
disposition de la Charte selon laquelle les politiques publiques doivent promouvoir un
développement durable et concilier, à cet effet, la protection et la mise en valeur de
l’environnement, le développement économique et le progrès social (28 avril 2005, n
°2005-514 DC).

C) Les principes jurisprudentiels de valeur constitutionnelle

• En dépit de la richesse du préambule, le Conseil constitutionnel s’est reconnu le droit


de constater l’existence de principes constitutionnels non écrits.

C’est ainsi qu’il a consacré le principe constitutionnel de continuité du service public (25
juillet 1979, Continuité du service public de la radiotélévision, AJDA 1979, n° 9, p. 46, note
A. Legrand) ainsi que le principe de sauvegarde de la personne humaine (27 juillet 1994,
Lois sur la bioéthique, RDP 1995, p. 54).

• Deux éléments sont cependant de nature à limiter la constatation de tels principes


par le juge constitutionnel :

➢ le caractère déjà très fourni des principes constitutionnels inscrits dans la Constitution
et notamment dans son préambule, qui permettent au Conseil constitutionnel d’exercer
un très large contrôle de constitutionnalité ;

Page 14 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

➢ la réserve du juge constitutionnel à l’égard de toute pratique qui pourrait apparaître


comme une manifestation de « gouvernement des juges».

On peut du reste se demander si même ces principes jurisprudentiels ne sont pas rattachables
à des dispositions constitutionnelles écrites :

- Pour le premier principe cité, article 5 de la Constitution qui fait obligation au


Président de la République d’assurer le fonctionnement régulier des pouvoirs
publics et la continuité de l’Etat ;

- Et en ce qui concerne le second, prologue du préambule de la constitution de


1946 condamnant les régimes qui ont asservi ou dégradé la personne humaine
au mépris de ses droits inaliénables et sacrés.

Force est cependant de reconnaître que sans les principes dégagés par le Conseil
constitutionnel, ces textes n’auraient peut-être pas produit à eux seuls les mêmes effets.

Le Conseil constitutionnel fait toutefois preuve, là encore, d’une certaine réserve dans la
consécration des principes constitutionnels (Cons. const., 11 février 2011, déc. n° 2010-102
QPC : refus de consacrer le principe de sécurité juridique comme un principe
constitutionnel.. Mais le principe de confiance légitime et celui de l’espérance légitime
semble avoir fait son entrée dans les normes de référence du principe de constitutionnalité :
Cons. const. Décision n° 2013-682 du 19 décembre 2013 « Loi de financement de la sécurité
sociale pour 2014 » ; v. infra, le principe de sécurité juridique).

d) Les objectifs de valeur constitutionnelle

• A ces principes, il convient d’ajouter les objectifs de valeur constitutionnelle dégagés


par le Conseil constitutionnel, tel que celui d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi
qu’il tire de divers articles de la DDHC (articles 4, 5, 6 et 16).

Il impose que les dispositions législatives ne soient ni contradictoires, ni incohérentes, ni par


trop imprécises et qu’il en existe une version officielle en langue française (voir à propos du
droit local alsacien-mosellan, Cons. const., 30 novembre 2012, M. Christian S., n° 2012-285
QPC, AJDA 2012, p. 2301).

Page 15 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

• Le Conseil d’Etat a repris cet objectif à son compte (CE, 8 juillet 2005, Fédération des
Syndicats généraux de l’Eduction nationale et de la recherche publique SGEN-CFDT,
AJDA 2005, p. 1544), même si dans le dernier état de sa jurisprudence, il ne relève
plus son caractère constitutionnel et ne fait plus expressément référence à la
Constitution et à son préambule (CE, 21 janvier 2008, Chambre de Commerce et
d’Industrie de Bordeaux, RFDA 2008, p. 605, chron.).

SECTION 2 L’INTERPRÉTATION DE LA CONSTITUTION

Le juge administratif étant compétent pour appliquer la Constitution à l’administration, tout


comme le Conseil constitutionnel l’est pour l’appliquer au législateur, il peut arriver que leurs
interprétations de la norme constitutionnelle divergent. La chose s’est notamment produite en
ce qui concerne la répartition des compétences entre loi et règlement, mais pas uniquement en
ce domaine.

L’article 62 de la Constitution prévoit que les décisions du Conseil constitutionnel s’imposent


aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles.

Cette autorité de chose jugée concerne aussi bien le dispositif des décisions du Conseil
constitutionnel que les réserves d’interprétation de la loi qui en constituent les motifs
nécessaires (voir, par exemple, CE Assemblée, 11 mars 1994, SA La Cinq, Recueil CE, p.
118 ; AJDA 2004, p. 402, chron. C. Mauguë et L. Touvet ; RFDA 1994, p. 429, concl. P.
Frydman). Le Conseil d’Etat lui reconnaît un caractère absolu et précise que, le cas échéant, il
appartient au juge de faire application d’office des réserves d’interprétation apportées par le
Conseil constitutionnel à une déclaration de conformité (CE, 15 mai 2013, n° 340554,
Commune de Gurmençon, à mentionner au Recueil, JCP A 2014, n° 2124, note A-C Bezzina).

Le Conseil d’Etat est donc lié par l’interprétation que le Conseil constitutionnel donne de la
Constitution.

Page 16 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

La question s’est toutefois posée de savoir si cette interprétation ne s’imposait que pour
l’application de la loi précise sur laquelle le Conseil constitutionnel a été amené à statuer ou si
elle possédait une autorité générale.

Le principe unanimement admis est que l’autorité de chose jugée ou interprétée par le Conseil
constitutionnel se limite aux seules lois objet de ses décisions et ne s’étend pas à d’autres lois
conçues en des termes distincts.

Il en va toutefois différemment, selon le Conseil constitutionnel, pour les lois qui, quoique
rédigées sous une forme différente, ont, en substance, un objet analogue à celui de
dispositions législatives déclarées contraires à la Constitution (Conseil constitutionnel, 8
juillet 1989, décision n° 89-258 DC).

Le Conseil d’Etat a, quant à lui, une position différente. Il estime que l’interprétation de la
Constitution par le Conseil constitutionnel ne s’impose qu’à propos des lois sur lesquelles il a
statué et ne s’étend pas « par ricochet » à d’autres lois, même portant sur un objet analogue
(CE Section, 22 juin 2007, M. Lesourd, AJDA 2007, p. 2130, chron. ; JCP A 2007, n° 2255,
note P. Cassia : à propos des quotas d’hommes et de femmes dans les jurys de concours).
Autrement dit, il n’admet pas que le Conseil constitutionnel se trouve investi d’un pouvoir
normatif et ne s’estime pas lié par sa jurisprudence. Pour lui, le Conseil constitutionnel n’a
pas le pouvoir d’imposer son interprétation de la Constitution à l’ensemble des juridictions
comme le ferait une juridiction suprême.

Cela ne l’empêche pour autant de tenir compte, le cas échéant parmi d’autres arguments, des
raisons qui ont conduit le Conseil constitutionnel à adopter telle ou telle interprétation de la
Constitution. Cette « politique de concertation tacite » (G. Vedel) ou de « dialogue des
juges », d’ailleurs à l’œuvre dans l’arrêt « Lesourd » précité, explique que les contrariétés de
jurisprudence entre le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat soient en définitive rares et
permet de préserver ainsi l’unité de l’ordre juridique national.

* *

Page 17 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

CHAPITRE 2

LES NORMES INTERNATIONALES

1.

Par normes internationales, il faut entendre des règles de droit qui ne sont pas créées
unilatéralement par les autorités françaises, mais procèdent de négociations et d’accords entre
celles-ci et les autorités d’autres Etats ou des organisations internationales.

Elles recouvrent

- le droit originaire ou primaire, c’est-à-dire les traités, conventions ou


accords internationaux ;

- mais aussi les actes dits dérivés émanant d’organisations internationales que
leur statut investit du pouvoir d’adopter des mesures qui s’imposent aux Etats.
Les illustrations les plus remarquables de ce droit dérivé sont fournies, comme
nous le verrons, par les actes des organes communautaires.

- Font également partie des normes internationales, les principes reconnus par le
droit de l’Union européenne et leur méconnaissance par le législateur engage
la responsabilité de l’Etat (CE, 23 juillet 2014, n° 354365, Société d’éditions et
de protection route [SEPR], AJDA 2014, p. 1581 : à propos des principes de
confiance légitime et de sécurité juridique)

- Et les règles du droit public international (règles coutumières ou principes


généraux de droit reconnus par les nations civilisées et dégagés par la Cour
Internationale de Justice) auxquelles, en vertu du préambule de la
Constitution de 1946, la France déclare se conformer.

2.

Page 18 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

De la même manière qu’il s’est constitutionnalisé, le droit administratif s’est internationalisé.

Ce phénomène est le résultat de plusieurs facteurs.

• Le premier réside dans la prolifération des normes internationales.

Une étude du Conseil d’Etat (La norme internationale en droit français, Documentation
Française 2000) dénombrait, en 2000, plus de 6 000 traités auxquels la France était partie et
évaluait à 200 le nombre d’accords bilatéraux conclus chaque année.

Quant au droit communautaire, il représente plus de 15 000 normes, ces normes étant plus
nombreuses que celles créées annuellement par les organes nationaux et couvrent plus de 80%
de notre législation économique.

Au total c’est – en volume – 17% environ de notre ordre juridique qui est constitué de
normes internationales.

• La deuxième raison de l’importance des normes internationales tient à leur objet.

Elles couvrent, en effet, pratiquement tous les domaines de notre droit administratif, qu’il
s’agisse du droit des étrangers, du droit de la communication, de l’environnement, de
l’énergie, des marchés publics ; ou encore des droits individuels qu’ils soient
économiques, sociaux, culturels ou encore, par exemple, ceux de l’enfant.

• A cela s’ajoute une troisième raison tenant à la portée des normes internationales.

A côté des traités classiques qui créent des droits et des obligations entre Etats contractants, se
multiplient en effet ceux qui déterminent le comportement des Etats signataires à l’égard
des étrangers résidant sur leur territoire, voire à l’égard de leurs propres ressortissants.

Les plus remarquables d’entre eux sont à cet égard :

Page 19 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

- la CEDH signée sous l’égide du Conseil de l’Europe en 1950 et ratifiée par la


France en 1974 ;

- et le Traité de Rome instituant la CEE (25 mars 1957) modifié par le Traité de
Maastricht sur l’Union Européenne (7 février 1992) et celui d’Amsterdam
(signé le 2 octobre 1999).

L’emprise de ces traités sur notre droit national est d’autant plus forte qu’ils instituent l’un et
l’autre des juridictions chargées d’en contrôler l’application (CEDH et CJUE).

A quoi s’ajoute le fait déjà signalé que le Traité instituant la Communauté Européenne
confère à ses organes le pouvoir d’adopter des normes applicables dans l’ordre interne
(règlements et directives).

• La quatrième raison de l’importance des normes internationales réside enfin en ceci


qu’elles s’imposent à l’administration et, plus généralement, en ce qu’une autorité
croissante leur est reconnue dans l’ordre interne.

C’est ce que nous vérifierons en étudiant ultérieurement la hiérarchie des sources du droit
administratif.

Les développements qui suivent seront consacrés aux deux principales catégories de normes
internationales à savoir, d’une part, les conventions internationales (section 1) et, d’autre part,
les actes communautaires dérivés (section 2).

SECTION 1 : LES CONVENTIONS INTERNATIONALES

NB : Bien distinguer l’applicabilité et l’invocabilité ou l’opposabilité.

• Avant la seconde guerre mondiale, les administrés ne pouvaient se prévaloir de la


violation d’un traité pour contester un acte administratif (Jurisprudence Decerf du CE
de 1937).

Celle-ci était purement affaire de relation entre Gouvernements et de responsabilité


internationale de l’Etat français.

Page 20 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

Les conventions internationales ne constituaient donc pas une source de la légalité


administrative.

• La Constitution de 1946 a conduit le Conseil d’Etat à modifier sa position.

Son article 26 donnait, en effet « force de loi » aux traités et leur reconnaissait une valeur
supérieure à celle des lois internes.

Le Conseil d’Etat a enregistré ce changement en acceptant de vérifier la légalité des actes


administratifs par rapport aux conventions internationales (Assemblée, 30 mai 1952,
Dame Kirkwood, RDP 1952, p. 781, concl. Letourneur).

Depuis lors, tout administré peut poursuivre l’annulation d’un acte administratif en invoquant
la violation par cet acte d’une convention internationale.

Pour qu’il puisse obtenir cette annulation, il faut toutefois que la convention invoquée
remplisse certaines conditions d’applicabilité dans l’ordre interne (§1) et d’invocabilité par
les justiciables (§2).

Peuvent également se poser des problèmes d’interprétation dont la solution a donné lieu à
d’intéressantes évolutions (§3).

§1 : L’applicabilité des conventions internationales dans l’ordre interne

Pour qu’une convention internationale s’impose aux autorités nationales, il faut qu’elle soit
applicable dans l’ordre juridique interne, ce qui suppose la réalisation de plusieurs
conditions.

• En vertu de l’article 55 de la Constitution, il faut, en premier lieu, que la convention


internationale ait été

- régulièrement ratifiée ou approuvée

Page 21 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

Le principe est que les traités (au sens strict) sont ratifiés par décret du Président de la
République et que les accords dits en forme simplifiée (qui constituent une autre catégorie de
conventions internationales) sont approuvés par une autre autorité (généralement, le Ministre
des affaires étrangères) après que, dans les deux cas, ils ont été signés.

Par dérogation, certaines conventions nécessitent une autorisation préalable du


Parlement ou du Peuple par voie référendaire (article 53 de la Constitution). Tel est le cas
notamment de celles relatives à « l’organisation internationale » ; qui modifient des
dispositions législatives ; qui engagent les finances de l’Etat ou encore qui emportent une
modification du territoire français.

- et qu’elle ait, en outre, fait l’objet d’une publication.

La publication s’effectue par voie de décret publié au Journal officiel.

• Le juge accepte traditionnellement de vérifier non seulement l’existence mais encore


la régularité de la publication des conventions internationales.

Le Conseil d’Etat a sur ce point renversé sa jurisprudence par un arrêt d’Assemblée du 18


décembre 1998 « SARL Parc d’Activités de Blotzheim » (Rec. CE, p. 483, concl. G.
Bachelier ; RFDA 1999, p. 315, concl. ; AJDA 1999, p. 127, chron.) par lequel il accepte de
vérifier si un accord relatif à l’extension de l’aéroport de Bâle Mulhouse a bien été précédé de
l’autorisation législative nécessaire (auparavant, s’agissant de leur ratification ou de leur
approbation, il a longtemps limité son contrôle à la seule existence de ces formalités, à
l’exclusion de leur régularité (CE Assemblée, 16 novembre 1956, Villa, Rec. CE, p. 433 ;
RDP 1957, p. 123, concl. P. Laurent ; Ce contrôle peut être exercé par voie d’action, mais
également par voie d’exception (CE Ass. 5 mars 2003, n° 242860, Aggoun, Rec. Lebon, p.
77 ; AJDA 2003.726, chron. F. Donnat et D. Casas ; RFDA 2003.1214, concl. J-H. Stahl).

Ce revirement s’explique par le fait que les traités prévalant désormais sur les lois
nationales, il était normal, avant de leur faire produire cet effet, de contrôler la
régularité de leur introduction en droit interne.

• En revanche, le Conseil d’Etat continue à se refuser à exercer un contrôle de


constitutionnalité des traités promulgués, réduisant ainsi la portée du principe de la
supériorité de la Constitution.

Page 22 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

Le maintien de cet « angle mort » peut être perçu comme gravement anormal dans un système
juridique où le droit international a pris une place centrale.

Elle peut néanmoins se justifier par deux séries de raisons :

- L’une technique : le Conseil d’Etat n’a pas trouvé dans la Constitution le


fondement juridique d’un tel contrôle,

- L’autre plus politique : la déférence vis-à-vis de la règle « Pacta sunt servanda »,


avec toutes les conséquences susceptibles de s’attacher à sa méconnaissance,
notamment du point de vue de la responsabilité internationale de la France (CE 9 juillet
2010, Fédération nationale de la libre pensée, n° 327663, AJDA 2010.1635, chron. S.-
J. Liéber et D. Botteghi ; L. Corre, Le contrôle de constitutionnalité des traités et
accords internationaux : développements récents dans la jurisprudence du Conseil
d’Etat, Droit adm. 2011, Etude 7 : à propos d’un recours contre le décret portant
publication de l’accord entre la République française et le Saint Siège pour la
reconnaissance des grades et diplômes dans l’enseignement supérieur. R. Keller : « le
traité est aujourd’hui la seule norme qui est revêtue d’une immunité totale à partir du
moment où elle est entrée dans l’ordre juridique interne, alors même qu’elle y occupe le
rang le plus élevé après la Constitution »).

§2 : L’invocabilité des conventions internationales par les justiciables

Bibliographie : S. El Boudouhi, Le juge interne, juge de droit commun du droit


international ? Etat des lieux de l’invocabilité du droit international conventionnel en droit
interne, RFDA 2014, p. 371.

• Pour qu’un administré puisse se prévaloir utilement de la violation d’une convention


internationale, il ne suffit pas que celle-ci soit applicable dans l’ordre juridique
interne, il faut encore qu’elle soit invocable par lui.

➢ Pour qu’il en soit ainsi, il faut,

- d’une part, que les stipulations de la Convention ne concernent pas


exclusivement les relations entre Etats

Page 23 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

- et, d’autre part, qu’elles soient d’applicabilité directe, c’est-à-dire


suffisamment précises pour pouvoir être mises en œuvre sans l’intervention
de mesures internes (voir par exemple, CE, 9 novembre 2007, Ligue pour la
préservation de la faune sauvage et la défense des non-chasseurs, AJDA
2008, p. 98, concl. M. Guyomar : à propos de la convention de Paris de
1902 aux termes de laquelle les parties contractantes s’engagent à prendre
les mesures nécessaires à la protection des oiseaux utiles à l’agriculture).

Le Conseil d’Etat a récemment précisé et assoupli, dans une certaine mesure, ces conditions.

- D’une part, il a indiqué que pour apprécier le caractère suffisamment précis des
clauses de la convention, il convient de tenir compte, non seulement de
l’intention exprimée des parties et de l’économie générale du Traité, mais
également du contenu et des termes des stipulations en cause.

- D’autre part, il a considéré que la circonstance que le Traité ou la stipulation en


cause désigne uniquement les Etats parties comme sujet des obligations qu’ils
définissent n’implique pas nécessairement l’absence d’effet direct (CE
Assemblée, 11 avril 2012, GISTI, RFDA 2012, p. 547, concl. G. Dumortier,
note M. Gautier ; AJDA 2012, p. 729, tribune Y. Aguila et p. 936, chron. X.
Domino et A. Bretonneau ; Dr. adm. 2012, n° 76, note T. Fleury : en
l’espèce, le Conseil d’Etat estime, à propos de la convention internationale du
travail du 1er juillet 1949 concernant les travailleurs migrants, que
« l’engagement d’appliquer aux travailleurs migrants un traitement qui ne soit
pas moins favorable que celui appliqué aux ressortissants nationaux en
matière de droit au logement et d’accès aux procédures juridictionnelles
permettant de faire valoir ce droit ne saurait être interprété comme se bornant
à régir les relations entre Etats et, ne requérant l’intervention d’aucun acte
complémentaire pour produire des effets, se suffit à lui-même » - Voir
également au sujet de cet arrêt, T.X. Girardot, Un arrêt plus grand qu’il n’y
paraît, AJDA 2014, p. 125 – Et pour une confirmation, voir CE, 6 décembre
2012, n° 347870, Sté Air Algérie, RFDA 2013, p. 653, note P. Cassia).

Les conditions qui viennent d’être mentionnées ont conduit le Conseil d’Etat à reconnaître,
entre autres, un effet direct à la Charte sociale européenne (10 février 2014, n° 358992, AJDA
2014, p. 380).

Page 24 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

Ces conditions sont applicables quelle que soit la nature de l’acte administratif attaqué, qu’il
s’agisse d’un acte individuel ou d’un acte réglementaire (CE Section, 23 avril 1997, GISTI,
Rec. CE, p. 142 ; RFDA 1997, p. 585, concl. R. Abraham ; AJDA 1997, p. 482, chronqiue D.
Chauvaux et T.X. Girardot).

➢ A défaut d’être remplies, les justiciables ne peuvent invoquer le traité, fût-ce à l’appui
d’un recours dirigé contre un acte réglementaire.

Le Conseil d’Etat a maintenu cette solution dans son arrêt « GISTI » du 11 avril 2012 alors
que son rapporteur public lui proposait d’admettre l’invocabilité de l’ensemble des traités à
l’appui de recours dirigés contre des actes réglementaires.

• La question de l’effet direct peut être délicate à trancher et donner lieu à des réponses
variables suivant les stipulations d’une même convention.

➢ En ce qui concerne les traités communautaires, seules sont directement applicables


celles de leurs stipulations qui sont suffisamment claires, précises, complètes et
inconditionnelles.

La CJCE a cependant considéré très tôt qu’elles bénéficiaient d’une présomption


d’applicabilité directe et la plupart d’entre elles se voient effectivement reconnaître ce
caractère (CJCE, 5 février 1963, Van Gend et Loos, Rec. p. 1).

➢ Pour les autres conventions internationales, elles sont applicables dans l’ordre
interne et invocables par les administrés à leur profit dès lors que les conditions
susvisées se trouvent remplies.

Conseil d'État

N° 393026
ECLI:FR:CESSR:2015:393026.20151027
Publié au recueil Lebon
3ème / 8ème SSR
M. Romain Victor, rapporteur
M. Vincent Daumas, rapporteur public

Page 25 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

lecture du mardi 27 octobre 2015


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

"

Texte intégral
Vu la procédure suivante :

1° Sous le n° 393026, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 27 août et 25 septembre
2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, MM. Jean-Philippe I..., Frédéric C...et Paul
G...demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2015-939 du 30 juillet 2015 portant convocation des
collèges électoraux pour procéder à l'élection des conseillers régionaux, des conseillers à l'Assemblée de
Corse, des conseillers à l'Assemblée de Guyane et des conseillers à l'Assemblée de Martinique ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre de convoquer les collèges électoraux pour procéder à l'élection des
conseillers régionaux dans le cadre des régions délimitées conformément aux dispositions de l'article L.
4111-1 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction antérieure à sa modification par
l'article 1er de la loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections
régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.

2° Sous le n° 393488, par une requête et deux mémoires en réplique, enregistrés les 14 septembre, 12
octobre et 15 octobre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, MM. B...K...E...et
D...F...demandent au Conseil d'Etat, à titre principal, d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2015-939
du 30 juillet 2015 portant convocation des collèges électoraux pour procéder à l'élection des conseillers
régionaux, des conseillers à l'Assemblée de Corse, des conseillers à l'Assemblée de Guyane et des
conseillers à l'Assemblée de Martinique et, à titre subsidiaire, d'annuler ce décret en tant qu'il décide la
convocation des électeurs de la nouvelle région Alsace, Champagne-Ardenne et Lorraine.

....................................................................................

3° Sous le n° 393622, par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 21 septembre et 16
octobre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Mouvement alsacien Unser Land demande
au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, le décret n° 2015-939 du 30 juillet 2015
portant convocation des collèges électoraux pour procéder à l'élection des conseillers régionaux, des
conseillers à l'Assemblée de Corse, des conseillers à l'Assemblée de Guyane et des conseillers à
l'Assemblée de Martinique et, d'autre part, le décret n° 2015-969 du 31 juillet 2015 modifiant le décret n°
60-516 portant harmonisation des circonscriptions administratives.

....................................................................................

4° Sous le n° 393659, par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 22 septembre et 16
octobre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Parti lorrain demande au Conseil d'Etat
d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, le décret n° 2015-939 du 30 juillet 2015 portant convocation
des collèges électoraux pour procéder à l'élection des conseillers régionaux, des conseillers à l'Assemblée
de Corse, des conseillers à l'Assemblée de Guyane et des conseillers à l'Assemblée de Martinique et,
d'autre part, le décret n° 2015-969 du 31 juillet 2015 modifiant le décret n° 60-516 portant harmonisation
des circonscriptions administratives.

....................................................................................

Page 26 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

5° Sous le n° 393724, par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 24 septembre et 16
octobre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Parti des Mosellans demande au Conseil
d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, le décret n° 2015-939 du 30 juillet 2015 portant
convocation des collèges électoraux pour procéder à l'élection des conseillers régionaux, des conseillers à
l'Assemblée de Corse, des conseillers à l'Assemblée de Guyane et des conseillers à l'Assemblée de
Martinique et, d'autre part, le décret n° 2015-969 du 31 juillet 2015 modifiant le décret n° 60-516 du 2 juin
1960 portant harmonisation des circonscriptions administratives.

....................................................................................

1. Considérant que les requêtes visées ci-dessus sont dirigées contre les mêmes décrets ; qu'il y a lieu de
les joindre pour statuer par une seule décision ;

2. Considérant que, dans sa rédaction en vigueur, l'article L. 4111-1 du code général des collectivités
territoriales dispose : " Les régions sont des collectivités territoriales. / Elles sont créées dans les limites
territoriales précédemment reconnues aux établissements publics régionaux " ; que les établissements
publics régionaux mentionnés par ces dispositions ont été institués par la loi du 5 juillet 1972 portant
création et organisation des régions dans chacune des vingt-deux circonscriptions d'action régionale
mentionnées à l'annexe I au décret du 2 juin 1960 portant harmonisation des circonscriptions
administratives, telle que modifiée par le décret du 9 janvier 1970 ;

3. Considérant que l'article 1er de la loi du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux
élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral a modifié l'article L. 4111-1 du
code général des collectivités territoriales afin d'instituer à compter du 1er janvier 2016 douze régions
métropolitaines, en procédant au regroupement de plusieurs régions ; qu'ont notamment été regroupées,
pour former de nouvelles régions, les régions Franche-Comté et Bourgogne ainsi que les régions Alsace,
Champagne-Ardenne et Lorraine ; que l'article 7 de la même loi a également prévu que les dispositions de
son article 1er s'appliqueraient à compter du prochain renouvellement général des conseils régionaux
suivant la promulgation de la loi et que ces élections auraient lieu dans le cadre des nouvelles régions
définies à l'article 1er ; qu'enfin, le premier renouvellement général des conseils régionaux suivant la
promulgation de la loi a été fixé au mois de décembre 2015 par les dispositions du 1° du II de son article 10
;

4. Considérant que, par le décret attaqué du 30 juillet 2015, le Premier ministre a, en application de l'article
L. 357 du code électoral, convoqué les collèges électoraux le dimanche 6 décembre 2015 pour procéder à
l'élection des conseillers régionaux, fixé la date d'un éventuel second tour de scrutin au dimanche 13
décembre 2015, décidé que les élections auraient lieu sur la base des listes électorales arrêtées le 30
novembre 2015 à l'issue de la procédure de révision exceptionnelle prévue par la loi du 13 juillet 2015
visant à la réouverture exceptionnelle des délais d'inscription sur les listes électorales, énoncé les règles
applicables aux heures d'ouverture et de clôture du scrutin ainsi que les dates d'ouverture et de fin de la
campagne électorale ; que, par le décret attaqué du 31 juillet 2015, dont les dispositions entrent en vigueur
le 1er janvier 2016, le périmètre de certaines circonscriptions administratives régionales a été adapté afin
de définir un cadre d'action administrative cohérent avec les nouvelles régions ; que, pour demander
l'annulation pour excès de pouvoir de ces décrets, les requérants invoquent, par la voie de l'exception,
l'incompatibilité des dispositions des articles 1er, 7 et 10 de la loi du 16 janvier 2015 précitée avec les
stipulations du paragraphe 3 de l'article 4 et de l'article 5 de la Charte européenne de l'autonomie locale ;

5. Considérant que les stipulations d'un traité ou d'un accord régulièrement introduit dans l'ordre
juridique interne conformément à l'article 55 de la Constitution peuvent utilement être invoquées à
l'appui d'une demande tendant à ce que soit annulé un acte administratif ou écartée l'application
d'une loi ou d'un acte administratif incompatibles avec la norme juridique qu'elles contiennent, dès
lors qu'elles créent des droits dont les particuliers peuvent directement se prévaloir ; que, sous
réserve des cas où est en cause un traité pour lequel la Cour de justice de l'Union européenne
dispose d'une compétence exclusive pour déterminer s'il est d'effet direct, une stipulation doit être
reconnue d'effet direct par le juge administratif lorsque, eu égard à l'intention exprimée des parties
et à l'économie générale du traité invoqué, ainsi qu'à son contenu et à ses termes, elle n'a pas pour
objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requiert l'intervention d'aucun acte
complémentaire pour produire des effets à l'égard des particuliers ; que l'absence de tels effets ne

Page 27 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

saurait être déduite de la seule circonstance que la stipulation désigne les Etats parties comme
sujets de l'obligation qu'elle définit ;

6. Considérant qu'aux termes de l'article 4, paragraphe 3, de la Charte européenne de l'autonomie


locale, régulièrement approuvée, et publiée au Journal officiel de la République française du 5 mai
2007 par le décret du 3 mai 2007 : " L'exercice des responsabilités publiques doit, de façon
générale, incomber, de préférence, aux autorités les plus proches des citoyens. L'attribution d'une
responsabilité à une autre autorité doit tenir compte de l'ampleur et de la nature de la tâche et des
exigences d'efficacité et d'économie " ; que ces stipulations ne peuvent être regardées comme
produisant, par elles-mêmes, des effets à l'égard des particuliers ; qu'au demeurant, le principe
qu'elles énoncent ne peut être utilement invoqué par les requérants dès lors que la loi du 16 janvier
2015 n'a pas pour objet ou pour effet un transfert de compétences entre collectivités territoriales de
niveaux différents ;

7. Considérant qu'aux termes de l'article 5 de la Charte : " Pour toute modification des limites
territoriales locales, les collectivités locales concernées doivent être consultées préalablement,
éventuellement par voie de référendum là où la loi le permet " ; que si, en vertu des dispositions de
l'article 55 de la Constitution, le juge devant lequel un acte administratif est contesté au motif que
les dispositions législatives dont il fait application sont contraires à une norme juridique contenue
dans un traité ou un accord régulièrement introduit dans l'ordre juridique interne est habilité à
écarter l'application de celle-ci, il ne peut être utilement saisi d'un moyen tiré de ce que la procédure
d'adoption de la loi n'aurait pas été conforme aux stipulations d'un tel traité ou accord ; qu'ainsi le
moyen tiré de ce que la loi du 16 janvier 2015 fixant la nouvelle délimitation des régions aurait été
adoptée en méconnaissance des stipulations de l'article 5 de la Charte européenne de l'autonomie
locale imposant la consultation préalable des collectivités locales ne peut qu'être écarté ;

8. Considérant, enfin, que si plusieurs requérants invoquent la méconnaissance des dispositions de l'article
L. 4122-1 du code général des collectivités territoriales, qui prévoient que les limites territoriales des
régions sont modifiées après consultation des conseils régionaux et des conseils départementaux
intéressés, il était loisible au législateur de déroger à cette obligation de consultation pour l'adoption de la
loi du 16 janvier 2015 ;

9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les requêtes de M. I... et autres, de MM. E...etF..., du
Mouvement alsacien Unser Land, du Parti lorrain et du Parti des Mosellans doivent être rejetées ;

DECIDE:
--------------
Article 1er : Les requêtes de M. I...et autres, de MM. E...etF..., du Mouvement alsacien Unser Land, du Parti
Lorrain et du Parti des Mosellans sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à MM. Jean-J...I..., H...C...et B...G..., à MM. E...etF..., au
Mouvement alsacien Unser Land, au Parti lorrain, au Premier ministre et au ministre de l'intérieur.

"

Analyse
Abstrats : 01-01-02-01 ACTES LÉGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS. DIFFÉRENTES CATÉGORIES
D'ACTES. ACCORDS INTERNATIONAUX. APPLICABILITÉ. - EFFET DIRECT - ARTICLE 4,
PARAGRAPHE 3 DE LA CHARTE EUROPÉENNE DE L'AUTONOMIE LOCALE - ABSENCE.
01-01-02-02 ACTES LÉGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS. DIFFÉRENTES CATÉGORIES D'ACTES.
ACCORDS INTERNATIONAUX. APPLICATION PAR LE JUGE FRANÇAIS. - CONTRÔLE PAR LE JUGE
DE LA CONFORMITÉ DE LA PROCÉDURE D'ADOPTION DE LA LOI AUX STIPULATIONS D'UN TRAITÉ

Page 28 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

OU ACCORD INTERNATIONAL - ABSENCE.


54-07-01-04 PROCÉDURE. POUVOIRS ET DEVOIRS DU JUGE. QUESTIONS GÉNÉRALES. MOYENS. -
MOYEN TIRÉ DE CE QUE LA PROCÉDURE D'ADOPTION DE LA LOI N'AURAIT PAS ÉTÉ CONFORME
AUX STIPULATIONS D'UN TRAITÉ OU ACCORD INTERNATIONAL - ABSENCE DE CONTRÔLE DU
JUGE.

Résumé : 01-01-02-01 Les stipulations du paragraphe 3 de l'article 4 de la Charte européenne de


l'autonomie locale ne peuvent être regardées comme produisant, par elles-mêmes, des effets à l'égard des
particuliers.
01-01-02-02 Si, en vertu de l'article 55 de la Constitution, le juge devant lequel un acte administratif est
contesté au motif que les dispositions législatives dont il fait application sont contraires à une norme
juridique contenue dans un traité ou un accord régulièrement introduit dans l'ordre juridique interne est
habilité à écarter l'application de celles-ci, il ne peut être utilement saisi d'un moyen tiré de ce que la
procédure d'adoption de la loi n'aurait pas été conforme aux stipulations d'un tel traité ou accord. Le moyen
tiré de ce que la loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015 fixant la nouvelle délimitation des régions aurait été
adoptée en méconnaissance des stipulations de l'article 5 de la Charte européenne de l'autonomie locale
imposant la consultation préalable des collectivités locales ne peut donc qu'être écarté.
54-07-01-04 Si, en vertu de l'article 55 de la Constitution, le juge devant lequel un acte administratif est
contesté au motif que les dispositions législatives dont il fait application sont contraires à une norme
juridique contenue dans un traité ou un accord régulièrement introduit dans l'ordre juridique interne est
habilité à écarter l'application de celles-ci, il ne peut être utilement saisi d'un moyen tiré de ce que la
procédure d'adoption de la loi n'aurait pas été conforme aux stipulations d'un tel traité ou accord.

§3 : L’interprétation des conventions internationales

L’application des conventions internationales peut également soulever des problèmes


d’interprétation.

La solution de ces problèmes va dans le sens d’un dessaisissement des autorités


administratives nationales, voire même des juridictions nationales.

Il faut distinguer à cet égard entre

- les conventions internationales en générale

- et le droit communautaire, le problème ne se posant pas dans les mêmes


termes dans les deux cas.

• S’agissant des conventions internationales générales, le juge administratif a


longtemps maintenu la position selon laquelle, en cas de difficultés sérieuses, il ne lui
appartenait pas de trancher les problèmes d’interprétation soulevés, mais devait
renvoyer au Ministre des Affaires Etrangères le soin de les résoudre.

Page 29 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

Cette jurisprudence a été abandonnée par un arrêt d’assemblée du Conseil d’Etat en date du
29 juin 1990 « GISTI » (Rec. CE, p. 171, concl. R. Abraham).

Deux raisons expliquent ce revirement :

- l’interprétation par le juge est un gage d’impartialité et garantit le droit à un procès


équitable consacré par l’article 6-1 de la CEDH ;

- par ailleurs, le juge ayant le pouvoir d’interpréter la loi, il est normal qu’il en aille
de même pour les traités dès lors qu’il a le pouvoir de les faire prévaloir sur la loi.

• S’agissant du droit communautaire, le juge national est en principe compétent pour


l’interpréter.

Sa liberté se trouve cependant limitée par les pouvoirs conférés à la CJUE.

Le Traité de Rome organise, en effet, dans son article 234, une procédure de renvoi
préjudiciel des juridictions nationales en vue d’obtenir de la Cour la réponse aux questions
d’interprétation que soulèvent tant le Traité de Rome que les actes dérivés dont il sera
question ci-après.

Or, pour des raisons compréhensibles tenant à la nécessité d’une interprétation uniforme
du droit communautaire dans l’espace juridique où il s’applique, les interprétations de la
Cour sont revêtues d’une autorité absolue (CE Assemblée, 11 décembre 2006, Société de
Groot, Rec. CE, p. 512, concl. F. Seners ; RFDA 2007, p. 372, concl. ; AJDA 2007, p. 136,
chron. C. Landais et F. Lenica : Il en va ainsi alors même que l’interprétation qu’elle donne va
au-delà de la question préjudicielle qui lui a été posée).

Il est par ailleurs à relever que le juge administratif – et le Conseil d’Etat au premier chef – se
réfère désormais explicitement aux arrêts pertinents de la CJUE dans le corps même de ses
décisions.

SECTION 2 : LES ACTES DÉRIVÉS

Page 30 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

Les actes dérivés soulèvent des problèmes spécifiques d’applicabilité ou d’effet direct (les
deux expressions sont synonymes).

Sont essentiellement concernés

- les règlements communautaires, dont le statut est simple,


- et les directives communautaires qui donnent lieu, au contraire, à des solutions
beaucoup plus complexes.

§1 : Les règlements communautaires

Les règlements communautaires sont directement applicables.

Le Traité de Rome stipule, en effet, que : « le règlement a une portée générale. Il est
obligatoire dans tous ses éléments et il est directement applicable dans tout Etat membre ».

Ils s’imposent à l’administration dès leur publication au Journal Officiel sans qu’aucune autre
intervention de l’Etat français ne soit nécessaire.

Le règlement est donc à la fois applicable et invocable.

Tout administré peut donc se prévaloir d’un règlement communautaire pour obtenir
l’annulation d’un acte administratif qui lui serait contraire.

§2 : Les directives communautaires

La question de l’applicabilité ou de l’effet direct des directives est plus délicate.

Il résulte, en effet, de l’article 189 du Traité de Rome (249 de celui d’Amsterdam) que : « la
directive lie tout Etat membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux
instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens ».

De ces stipulations, la jurisprudence nationale a déduit pendant longtemps :

Page 31 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

➢ d’une part, que les directives s’imposent à l’Etat français qui doit en assurer le respect
par des mesures de transposition adéquates ;

➢ mais qu’elles ne sont pas directement applicables, ni directement invocables par


eux, parce qu’elles nécessitent des mesures nationales de transposition.

La première solution est toujours en vigueur.

La seconde a, en revanche, été récemment remise en cause.

A) L’obligation pour l’administration d’assurer l’applicabilité des directives

En vertu des stipulations du Traité, les objectifs fixés par les directives lient les Etats
membres. Ceux-ci sont donc tenus d’en assurer le respect et, pour ce faire, d’adopter les
mesures nécessaires à leur application dans l’ordre juridique interne, cela avant l’expiration
du délai que les directives fixent à cet effet.

Il en découle plusieurs obligations.

• En premier lieu, l’Etat français doit prendre les mesures de transposition


nécessaires à l’application des directives dans l’ordre juridique interne dans le délai
fixé par ces dernières.

Selon le Conseil Constitutionnel, il s’agit là d’une exigence constitutionnelle découlant de


l’article 88-1 de la Constitution aux termes duquel : «La République participe aux
Communautés Européennes et à l’Union Européenne, constitués d’Etats qui ont choisi
librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d’exercer en commun certaines de leurs
compétences» (10 juin 2004, Loi pour la confiance dans l’économie numérique, AJDA 2004,
p. 1385, note P. Cassia).

Sanction. Il résulte de cette obligation que la compatibilité des mesures de transposition avec
les objectifs fixés par les directives est contrôlée

- par le juge administratif lorsqu’elles prennent la forme de règlements

Page 32 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

- et par le Conseil Constitutionnel, si elles sont adoptées par voie législative.

La solution est remarquable, car en principe, le Conseil constitutionnel considère qu’il n’est
pas juge de la conformité des lois par rapport aux normes internationales.

Mais s’agissant des lois de transposition des directives, le Conseil Constitutionnel accepte
d’exercer un tel contrôle et de censurer, le cas échéant, les lois de transposition.

Il le fait sous les réserves suivantes :

▪ que les dispositions des directives à transposer revêtent un caractère précis et


inconditionnel (en d’autres termes, qu’elles ne laissent guère de liberté aux
Etats, ce qui est très souvent le cas) ;

▪ que l’incompatibilité de la loi par rapport à la directive soit manifeste ;

▪ et que la directive en cause ne méconnaisse elle-même aucune règle, ni aucun


principe constitutionnel inhérent à l’identité constitutionnelle de la France
(Conseil Constitutionnel, 27 juillet 2006, Loi relative au droit d’auteur et aux
droits voisins dans la société de l’information, JO 3 août 2006, p. 11541 ; 30
novembre 2006, loi relative au secteur de l’énergie : décision rendue à propos
de la privatisation de GDF et censurant certaines dispositions de la loi de
transposition déférée qui ont été jugées manifestement incompatibles avec les
objectifs d’ouverture à la concurrence fixés par les directives à transposer).

• En deuxième lieu, l’administration ne peut légalement laisser subsister dans l’ordre


juridique interne des dispositions réglementaires qui ne seraient pas compatibles avec
les objectifs définis par les directives (CE, 3 février 1989, Compagnie Alitalia GAJA
N°92).

Sanction. Tout administré peut donc demander à l’administration d’abroger les règlements
qui méconnaissent les objectifs d’une directive communautaire.

En cas de réponse négative, le juge administratif annulera le refus de l’administration de se


conformer à la directive concernée.

Page 33 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

• En troisième lieu, l’administration ne peut a fortiori adopter des dispositions


réglementaires nouvelles contraires aux objectifs des directives communautaires.
(même arrêt).

De telles dispositions seraient illégales et encourraient l’annulation.

• En dernier lieu, s’ils viennent à causer préjudice, le maintien ou l’adoption de


règlements non conformes à des directives communautaires sont susceptibles
d’engager la responsabilité de l’Etat (CE Assemblée, 28 février 1992, Société Arizona
Tobacco Products, AJDA 1992, p. 329, chron.).

La même solution devrait s’imposer lorsque la méconnaissance de la directive résulte non pas
d’un règlement, mais d’une loi. Cette solution se heurtait jusqu’à présent en droit français au
principe selon lequel la responsabilité de l’Etat ne peut être engagée pour faute.

Mais, après avoir été consacré par la jurisprudence de la CJCE (19 novembre 1991,
Francovich et Bonifaci, RFDA 1992, p. 1, note L. Dubouis ; 5 mars 1996, Brasserie du
Pêcheur, AJDA 1996, p. 489, Etude D. Simon, RFDA 1996.583, note L. Dubouis), elle a été
admise (implicitement) par le Conseil d’Etat dans son arrêt d’Assemblée « Gardedieu » (8
février 2007, AJDA 2007, p. 585, chron. F. Lenica et J. Boucher et p. 1097, note P. Cassia :
arrêt qui, sans utiliser le terme de faute, consacre la possibilité d’engager la responsabilité de
l’Etat en raison des obligations qui sont les siennes pour assurer le respect des conventions
internationales).

B) L’invocabilité des directives communautaires par les administrés

Cette invocabilité a, jusqu’à une époque récente, soulevé de grandes difficultés, du moins
dans certaines hypothèses.

Elle pose la question de savoir si un administré peut invoquer directement la violation


d’une directive pour obtenir l’annulation d’un acte administratif.

➢ La réponse est affirmative lorsque l’acte attaqué est un acte réglementaire.

Page 34 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

➢ Elle a été pendant longtemps négative s’agissant des actes individuels, ceci en vertu
de la jurisprudence « Cohn Bendit », jusqu’à ce qu’un arrêt récent « Mme Perreux »
vienne mettre un terme à cette solution.

1). La jurisprudence « Cohn Bendit » (CE Assemblée, 22 décembre 1978)

En l’espèce, le recours de l’intéressé était dirigé contre le refus du Ministre de l’Intérieur


d’abroger l’arrêté d’expulsion dont il avait fait l’objet en 1969.

Ce recours était fondé sur une directive concernant les mesures dont peuvent faire l’objet les
ressortissants d’Etats membres pour des motifs d’ordre public.

Le Conseil d’Etat le rejette en attirant l’attention sur le fait que ce recours était fondé
uniquement sur la directive susmentionnée, à l’exclusion de ses mesures réglementaires de
transposition.

a). Le principe

• Le principe posé par cette jurisprudence est qu’un administré ne peut obtenir
l’annulation d’une décision individuelle le concernant en se fondant de manière
exclusive sur la méconnaissance par cette décision des objectifs d’une directive, et
ce, quel que soit le degré de précision de cette dernière.

Cette solution s’expliquait par le fait qu’en vertu des termes mêmes du Traité, l’applicabilité
des directives est subordonnée à l’existence d’une législation ou d’une réglementation
nationale de mise en œuvre.

Il est normal qu’à défaut de telles mesures, les directives ne puissent être appliquées aux
administrés, ni être invoquées par eux.

• Cette position était cependant contraire à celle de la CJCE qui considère qu’à défaut
pour les Etats de les avoir correctement transposées, les directives produisent des
effets directs à l’égard des particuliers et sont directement invocables par eux
lorsqu’elles sont, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment
précises (CJCE, 4 décembre 1974, Van Duyn).
Page 35 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

Cette solution est d’une grande portée car étant souvent aussi précises que de véritables
règlements, les directives sont, selon la jurisprudence de la Cour, pour la plupart d’entre elles
dotées d’effet direct.

C’est sans doute en raison de la difficulté qu’il y avait à maintenir une position contraire à
celle de la Cour que le Conseil d’Etat a été conduit à atténuer très sensiblement la portée de la
jurisprudence Cohn Bendit.

b). Les atténuations du principe

Ces atténuations sont de plusieurs sortes et obligent à distinguer selon que la directive a
fait, ou non l’objet d’un acte de transposition en droit interne.

• Si la directive a été transposée, l’administré pourra invoquer la non-conformité de la


décision qu’il attaque par rapport à l’acte de transposition obtenir son annulation.

Mais il peut aussi soulever par la voie de l’exception, l’illégalité de l’acte de transposition en
raison de sa non-conformité par rapport à la directive.

Dans ce cas, la décision qu’il attaque sera annulée comme prise sur le fondement d’un acte de
transposition illégal.

Cette possibilité lui est ouvert que l’acte de transposition revête un caractère réglementaire ou
législatif (voir respectivement : CE, 8 juillet 1991, Palazzi, Rec. CE, p. 276 ; CE, Assemblée,
28 février 1992, SA Rothmans International France, mêmes références que l’arrêt Société
Arizona … : contestation et annulation d’une mesure fixant le prix du tabac sur la base d’un
règlement, lui-même pris en vertu d’une loi contraire à une directive).

• Si la directive n’a pas été transposée, l’administré n’est pas dépourvu de tout moyen,
alors même qu’il ne peut en principe invoquer directement la directive au soutien de
l’illégalité de l’acte qu’il attaque.

Pour obtenir l’annulation de la décision individuelle contraire à la directive, il pourra se


prévaloir du fait que la réglementation nationale sur le fondement de laquelle cette

Page 36 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

décision a été prise est incompatible (ou n’a pas été rendue compatible) avec les objectifs de
la directive.

La décision individuelle qu’il attaque sera alors annulée pour défaut de base légale (CE,
Assemblée, 30 octobre 1996, SA Cabinet Revert et Badelon, AJDA 1996 p. 980, chron.). C’est
ce qu’il est convenu d’appeler l’« invocabilité d’exclusion ».
En résumé,
- il était toujours impossible aux administrés de se prévaloir directement de la
violation d’une directive pour obtenir l’annulation de mesures individuelles les
concernant.
- Mais les moyens mis à leur disposition aboutissent pratiquement au même résultat que
si cette possibilité leur était offerte.

Comme l’écrivait R. Chapus : «Tout, finalement, peut aller pour le mieux dans le meilleur des
mondes communautaires possible».

2). La jurisprudence « Mme Perreux » (CE Assemblée, 30 octobre 2009, GAJA n° 115 -
Voir également, L. Coutroni, La lente conversion du Conseil d’Etat à l’effet direct des
directives, AJDA 2010, p. 1412 ; et à propos de l’arrêt « Mme Perreux », F. Raynaud, Le
Conseil d’Etat au bout de la logique européenne, AJDA 2014, p. 120).

• Au point où en étaient arrivées les choses, il n’y avait cependant plus guère de raison
de maintenir la jurisprudence « Cohn Bendit » qui ne faisait que créer une difficulté
procédurale sans incidence pratique majeure (sauf, cependant, en matière de plein
contentieux).

Aussi bien, le Conseil d’Etat l’a-t-il abandonnée dans son arrêt « Mme Perreux » en jugeant
qu’outre les possibilités existantes qui se trouvent maintenues :

« tout justiciable peut se prévaloir, à l’appui d’un recours dirigé contre un acte
administratif non réglementaire, des dispositions précises et inconditionnelles d’une
directive, lorsque l’Etat n’a pas pris, dans les délais impartis par celle-ci, les mesures
de transposition nécessaires ».

Page 37 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

Il consacre ainsi l’« invocabilité de substitution » des directives, à propos de laquelle on parle
également d’« effet vertical ascendant », c’est-à-dire de la possibilité pour les administrés
d’invoquer une directive non transposée.

Cette solution se justifie d’autant plus

▪ qu’elle est adoptée très largement par les juridictions suprêmes des autres Etats
membres de l’Union européenne, voire par la Cour de Cassation elle-même depuis
plusieurs années (Civ. 1ère, 23 novembre 2004, Bull. I, n° 280)

▪ et que le Conseil d’Etat se reconnaît dorénavant – comme nous le verrons – le pouvoir


de contrôler la validité des directives par rapport aux principes constitutionnels et
aux principes généraux du droit communautaire (CE Assemblée, 8 février 2007,
Société Atlantique Arcelor et Lorraine, GAJA n° 116) ainsi qu’à la CEDH (CE
Section, 10 avril 2008, Conseil national des barreaux, Rec. CE, p. 129 ; AJDA 2008,
p. 1085, chronique J. Boucher et B. Bourgeois-Machureau).

• L’invocabilité (de substitution) des directives reste cependant subordonnée à deux


conditions :

- D’une part, le caractère précis et inconditionnel de la directive, d’une part (condition


non remplie dans l’affaire « Mme Perreux », la directive invoquée laissant aux Etats
membres le soin de décider du régime de preuve applicable aux procédures dans
lesquelles l’instruction des faits incombe à la juridiction – voir dans le même sens, CE,
16 avril 2010, Faure, JCP A 2010, Act., n° 343 ; l’appréciation peut cependant poser
difficulté : v. M. Gautier, Où l’on reparle de l’effet direct des directives
communautaires, AJDA 21 févr.2011, Tribune, p. 297).

- D’autre part, l’absence de transposition de la directive en droit interne ; la question se


posant de savoir si l’invocabilité directe consacrée par l’arrêt « Mme Perreux » a
vocation à s’étendre à l’hypothèse des directives mal transposées.

• En toute hypothèse, l’invocabilité dont il vient d’être question est uniquement celle
dont peuvent se prévaloir les justiciables.

Selon une jurisprudence constante de la CJUE, une directive (non transposée) ne peut en effet
par elle-même créer d’obligations dans le chef d’un particulier, ni donc être invoquée à

Page 38 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

l’encontre d’une telle personne devant la juridiction nationale (CJCE, 8 octobre 1987, aff.
C-80/86, Kolpinghuis Nijmegen, Rec. CJCE, p. I.3969).

CHAPITRE 3: LA LOI
CHAPITRE 4: LA JURISPRUDENCE ADMINISTRATIVE
La jurisprudence administrative peut se définir comme l’ensemble des règles à caractère
général posées par le juge administratif à l’occasion d’un litige.

Ces règles trouvent leur formulation dans les arrêts et jugements, dans la majorité des cas de
manière explicite, sous la forme de considérants de principe ; parfois de manière implicite
au travers de la répétition de solutions identiques de décision en décision.

Elles constituent la part non écrite des sources du droit administratif.

L’importance de la jurisprudence comme source du droit administratif est aussi traditionnelle


qu’incontestable. L’une des caractéristiques, présentée comme majeure, de ce droit est en effet
d’être, selon l’expression consacrée, « un droit essentiellement jurisprudentiel ».

Cette affirmation est sans doute moins vraie aujourd’hui que par le passé en raison de la
multiplication des textes touchant à la matière administrative. Mais le rôle de la
jurisprudence, comme source du droit administratif n’en reste pas moins important.

C’est ce que nous pourrons constater au travers de sa présentation générale (section 1), puis
de l’étude des principes généraux du droit qui en constituent l’illustration la plus remarquable
(section 2).

SECTION 1 : PRÉSENTATION GÉNÉRALE DE LA JURISPRUDENCE ADMINISTRATIVE COMME


SOURCE DU DROIT ADMINISTRATIF

Au-delà de la mise en œuvre et de l’interprétation de la loi ou du règlement, le juge


administratif assure un rôle, qualitativement plus important, qui consiste à créer lui-même,
en marge des textes, des règles de droit nouvelles. C’est à ce titre que la jurisprudence est
source de droit.

Page 39 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

Nous évoquerons les deux principaux problèmes que posent ces normes, à savoir celui de leur
légitimité (§1) et celui de leur rétroactivité (§2).

§1 : La légitimité des normes jurisprudentielles

La question de savoir si le juge n’excède pas ses compétences en s’arrogeant le pouvoir de


créer des règles de droit fait l’objet d’un débat doctrinal classique, qui s’est notamment
développé à propos des principes généraux du droit (voir à ce sujet, l’étude non moins
classique de O. Dupeyroux, La jurisprudence source abusive de droit, Mélanges Maury,
1960).

• La réponse de principe à cette question est sans doute affirmative. Le rôle du juge, tel
que conçu dans un régime de séparation des pouvoirs, n’est pas, en effet, de faire
œuvre de jurislateur, de créer des règles de droit.

Pour ce qui est du juge administratif, son rôle devrait se limiter à contrôler l’administration et
à trancher les litiges qui lui sont soumis en appliquant les règles posées par les organes de
l’Etat disposant d’un pouvoir normatif.

• Cela étant, le rôle normateur de la jurisprudence administrative s’explique, et peut se


justifier par les caractéristiques de la matière.

La principale tient au fait que pendant longtemps, les textes régissant l’action
administrative ont été peu nombreux. Le juge administratif a donc été contraint de suppléer
à cette carence pour remplir son office. C’est ce qui explique qu’il ait été amené à élaborer les
principales notions et les régimes les plus importants concernant la matière
administrative (contrats, responsabilité, acte administratif unilatéral …).

La justification est sans doute moins probante en ce qui concerne les principes généraux du
droit. Mais leur création peut néanmoins se prévaloir de ce que la plupart d’entre eux ont été
dégagés pour renforcer les droits, libertés et garanties des administrés.

De plus, le juge se garde de tout arbitraire dans leur création.

Page 40 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

C’est en définitive la prudence et le discernement dont le juge fait preuve qui rendent
acceptable son rôle de créateur de règles de droit.

§2 : La rétroactivité des normes jurisprudentielles

Bibliographie : J. Rebellato, La modulation dans le temps des règles jurisprudentielles


nouvelles, JCP A 2015, n° 2187.

Les normes jurisprudentielles soulèvent surtout des problèmes plus pratiques relatifs à leur
accessibilité et leur intelligibilité, mais surtout à la rétroactivité de la norme
jurisprudentielle, c’est-à-dire son application à des situations passées, antérieures à son
édiction.

- L’administration (comme d’ailleurs, dans une certaine mesure, le législateur lui-


même) ne peuvent poser des normes ayant des effets sur le passé. Elle ne peut disposer
que pour l’avenir. Il devrait en aller de même du juge dès lors qu’il exerce un pouvoir
normateur.

Or, c’est la solution contraire qui prévaut. Lorsque le juge consacre une règle nouvelle, il
applique en effet immédiatement celle-ci pour trancher des litiges qui se sont noués
antérieurement sous l’empire d’un état différent du droit jurisprudentiel. Ce faisant, il porte
atteinte à la sécurité juridique des justiciables, laquelle constitue une préoccupation majeure
de l’époque actuelle.

- Nonobstant cet inconvénient, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de préciser que la


rétroactivité de la règle jurisprudentielle demeurait le principe (CE Section, 6 juin
2008, Conseil départemental de l’ordre des chirurgiens-dentistes, AJDA 2008, p.
1316, chron. B. Bourgeois-Machureau et E. Geffray ; CE, 2 septembre 2009, n°
297013, Assistance publique de Marseille, AJDA 2009, p. 1584, réaffirmant de
manière solennelle l’effet immédiat des revirements de jurisprudence : « … il
appartient en principe au juge administratif de faire application de la règle
jurisprudentielle nouvelle à l’ensemble des litiges, quelle que soit la date d’effet qui

Page 41 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

leur a donné naissance, sauf si cette application a pour effet de porter rétroactivement
atteinte au droit au recours »).

- Toutefois, le principe doit être écarté dans la mesure où elle aurait pour effet de
porter atteinte au droit au recours du justiciable, consacré notamment par la C.E.D.H.
(CE, 2 septembre 2009, n° 297013, Assistance publique de Marseille : à propos d’un
revirement de jurisprudence sur les modalités d’indemnisation du préjudice en cas de
perte de chance).

- Le Conseil d’Etat s’efforce par ailleurs de limiter l’inconvénient de la rétroactivité.

➢ D’une part, dans un arrêt remarqué, il a récemment accepté de déroger à la


rétroactivité de la jurisprudence en jugeant que le recours nouveau en contestation
de validité des contrats qu’il venait de créer ne s’appliquerait qu’à ceux d’entre
eux dont la procédure de passation a été engagée postérieurement à la date de sa
décision (CE Assemblée, 16 juillet 2007, Société Tropic Travaux Signalisation, GAJA
n° 117 et, sur cette question particulière, la note de B. Seiller, JCP A 2007, n° 2227).

➢ D’autre part, et de manière plus générale, il y a lieu de relever que le juge administratif
s’efforce de limiter les conséquences préjudiciables de la rétroactivité des normes
jurisprudentielles en dégageant (autant que faire se peut, selon une méthode classique)
les règles nouvelles à propos de litiges où elles ne sont pas appelées à produire
effet ou encore en modulant dans le temps les effets des annulations qu’il
prononce, étant précisé que cette dernière solution n’est pas limitée aux décisions
rendues en application d’une règle nouvellement posée mais vaut pour toutes les
annulations contentieuses, dans les limites fixées par le Conseil d’Etat.

SECTION 2 : LES PRINCIPES GÉNÉRAUX DU DROIT

Les P.G.D. sont, comme leur nom l’indique, des principes à caractère général dégagés par le
juge administratif et applicables à l’administration même sans texte.

Ils constituent l’illustration la plus remarquable du pouvoir normateur du juge. Ils visent, dans
la très grande majorité des cas, à pallier les lacunes des textes dans le sens d’une meilleure
protection des droits et libertés des administrés.

Page 42 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

Pour éviter les critiques de « gouvernement des juges », le Conseil d’Etat en a d’abord fait
application sans en indiquer l’origine, ni les qualifier comme tels.

Il faudra attendre la fin de la deuxième guerre mondiale pour qu’il consacre formellement leur
existence, ceci dans deux arrêts relatifs au principe des droits de la défense :

- arrêt « Dame veuve Trompier Gravier » du 5 mai 1944 (GAJA n° 55),

- puis l’arrêt « Aramu » du 26 octobre 1945 qui utilise pour la première fois, de
manière expresse, l’expression de principaux généraux du droit.

Depuis lors, ces derniers ont connu un essor considérable ainsi qu’en témoigne leur nombre
(§1er), leur développement conduisant à s’interroger sur leur mode de création (§2), leur
valeur juridique (§3) et sur leur avenir.

§1 : L’identification des principes généraux du droit

Les P.G.D. sont, comme on l’a dit, extrêmement nombreux. On peut, selon une classification
empruntée à B. Genevois (article au Répertoire Dalloz Contentieux administratif), les répartir
en trois catégories.

A). Les principes de philosophie politique

Ces principes se rattachent même à deux traditions : une tradition démocratique et libérale
(1) et une autre, plus sociale (2).

1. Les principes liés à la tradition démocratique et libérale

Il s’agit des principes qui trouvent leur source dans la philosophie qu’exprime notamment la
DDHC de 1789.

Page 43 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

• Tel est le cas, au premier chef du principe d’égalité dans ses multiples déclinaisons :
égalité devant la loi ; devant les charges publiques ; devant le service public ; devant la
justice.

A la diversité de ses applications on aura compris la place éminente qu’occupe ce principe. Il


est du reste consacré par divers textes constitutionnels (DDHC ; préambule de la
Constitution de 1946 ; constitution de 1958). Mais il ne s’y réduit pas. Il est applicable,
même sans texte, en sorte que ses applications potentielles sont indéfinies.

Sa portée n’est cependant que relative (v. infra, le service public).

• L’autre grand principe issu de la tradition démocratique et libérale est celui de liberté
sous ses multiples formes : liberté individuelle ; d’aller et de venir (c’est-à-dire de
circuler sur le territoire national ou de le quitter) ; liberté du commerce et de
l’industrie …

• Plus récemment, cette veine a donné naissance à de nouveaux principes généraux


concernant le droit des étrangers : interdiction d’extrader une personne vers un
Etat qui ne respecte pas les droits et libertés fondamentales de l’individu ou de
remettre une personne qui s’est vue reconnaître la qualité de réfugié à son pays
d’origine, sauf motif de sécurité publique.

2. Les principes d’inspiration sociale

D’autres principes généraux du droit, tout en procédant eux aussi d’une philosophie politique,
se rattachent à une source d’inspiration plus sociale.

Le Conseil d’Etat consacre à ce titre des principes généraux du droit « dont s’inspire le code
du travail » pour les appliquer

- Aux agents non titulaires des collectivités publiques (CE Assemblée, 8 juin
1973, Dame Peynet, recueil CE, p. 406, concl. S. Grévisse : principe
interdisant à l’administration de licencier une femme en état de grossesse
ce qui n’interdit pas de la licencier pour inaptitude physique, CE, 30 juillet
2014, n° 359426, Min. de l’Intérieur c. Melle A ; CE Section, 23 avril 1982,

Page 44 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

Ville de Toulouse, recueil CE, p. 151, concl. D. Labetoulle : principe


obligeant à rémunérer ces agents à un niveau au moins égal au SMIC) ;

- Aux salariés des entreprises publiques à statut (CE, 17 juin 2014, n° 368867,
Electricité réseau distribution France, Gaz réseau distribution de France,
Electricité de France, Lebon T. ; AJDA 34/2014.1963, note L. Seurot : les
frais qu’un salarié expose pour les besoins de son activité professionnelle et
dans l’intérêt de son employeur, doivent, dès lors qu’ils résultent d’une
sujétion particulière, être supportés par celui-ci. A propos de l’entretien et du
nettoyage des vêtements de travail imposés par l’employeur).

B). Les principes de technique juridique

Une troisième catégorie de principes généraux du droit relève de la technique juridique.

Ils expriment moins une philosophie particulière que la volonté d’assurer aux administrés
une protection élémentaire dans la vie juridique. Ils répondent ainsi à un besoin de
sécurité juridique.

• Tel est, par exemple, le cas du

- respect des droits de la défense qui impose à l’administration de mettre les


administrés auxquels elle envisage d’appliquer une sanction en mesure de
présenter leur défense ;

- du principe de non rétroactivité des actes administratifs selon lequel ceux-ci


ne peuvent disposer que pour l’avenir (CE Assemblée 25 juin 1948, Société du
journal L’Aurore, GAJA n° 61) ;

- ou encore de l’obligation pour l’autorité compétente d’abroger un


règlement illégal à la demande d’un administré (CE Assemblée, 23 février
1989, Compagnie Alitalia GAJA n° 92)

- ou enfin du principe garantissant la possibilité d’exercer un recours pour


excès de pouvoir contre toutes décisions administratives (CE Assemblée, 17
février 1950, Dame Lamotte, GAJA n° 62).

Page 45 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

• Tel est aussi le cas du principe de sécurité juridique consacré par l’arrêt
d’Assemblée du Conseil d’Etat du 24 mars 2006 KPMG (GAJA n° 115) complété par
l’arrêt de Section Lacroix du 13 décembre 2006.

Il traduit une exigence de plus en plus forte du corps social et qui est sans doute appelé à
revêtir une importance croissante.

En application du principe, l’autorité compétente doit prévoir :

- ou bien des mesures transitoires d’application de la règlementation en cause


(arrêt KPMG et CE, 25 juin 2007, Syndicat CFDT du ministère des affaires
étrangères, Rec. CE, p. 277 ; AJDA 2007, p. 1823, concl. I. de Silva) ;

- ou bien une période transitoire avant sa mise en application (CE Section,


27 octobre 2006, Société Techna, Rec. CE, p. 451 ; RFDA 2007, p. 265, concl.
F. Seners ; AJDA 2006, p. 2385, chron. C. Landais et F. Lenica), de façon à
permettre aux administrés de prendre les dispositions nécessaires pour
s’adapter à l’état nouveau du droit.

Autres applications :

- CE, 19 juillet 2010, Ministre de la Défense, AJDA 2010, p. 1513 : le décret


allongeant de huit à neuf ans la durée de service requise des militaires pour
bénéficier d’une indemnité de départ porte, en l’absence de mesures
transitoires, une atteinte excessive aux intérêts de ceux placés en congé de
reconversion et qui n’avaient plus la possibilité de demander la prolongation
de leur contrat. Décision justifiée par le fait qu’ils se sont ainsi trouvés privés
d’une indemnité qui, compte tenu de son montant, était susceptible de faciliter
de manière déterminante leur reconversion.

- CE, 17 juin 2015, n° 375853, Syndicat national des industries des peintures,
enduits et vernis et autres, JCP A 2015, act. 579 : illégalité d’un règlement
imposant une déclaration environnementale pour les produits de construction
et de décoration des ouvrages de bâtiment, faute d’avoir prévu un délai

Page 46 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

raisonnable permettant aux opérateurs économiques de se mettre en conformité


avec elle.

Mais on peut observer que les censures prononcées sur le fondement de la jurisprudence
KPMG/Lacroix sont assez rares (G. Eveillard, Sécurité juridique et dispositions transitoires.
Huit ans d’application de la jurisprudence KPMG, AJDA 9/2014.492).

• De ce principe de sécurité juridique, il faut rapprocher celui de confiance légitime qui


en est la face subjective.

Quoique voisin, le principe de confiance légitime se distingue de celui de sécurité juridique


par son caractère subjectif : en l’occurrence, la croyance des administrés qui l’invoquent
dans le fait que la règlementation sur la base de laquelle ils ont agi ne serait pas modifiée
à brève échéance au moins, et que sa modification n’était pas prévisible.

Le principe de confiance légitime fait partie des principes généraux du droit


communautaire. Mais, en raison sans doute de son caractère extensif et difficile à maîtriser,
le Conseil d’Etat a refusé de l’intégrer totalement dans notre ordre juridique. Il n’en fait
application « que dans le cas où la situation juridique dont a à connaître le juge
administratif français est régie par le droit communautaire » (CE Assemblée, 5 mars 1999,
Rouquette, Rec. CE, p. 37 ; RFDA 1999, p. 357, concl. Ch. Mauguë ; AJDA 1999, p. 420,
chron. F. Raynaud et P. Fombeur ; CE, 9 mai 2001, Entreprise personnelle de transports
Freymuth, Rec. CE, T. 865, D 2001.2090, annulant TA Strasbourg, 8 décembre 1994).

Il est cependant indéniable que le principe de confiance légitime a servi de source


d’inspiration, au moins indirecte, au principe de sécurité juridique.

• Le Conseil constitutionnel n’a, dans un premier temps au moins, pas


conféré au principe de sécurité juridique la valeur d’un principe
constitutionnel, considérant sans doute qu’il n’était pas opportun qu’il fut
opposable au législateur (Cons. const. 11 février 2011, Le Normand de
Bretteville, décision n° 2010-102, QPC, RFDA 2011.303, chron. A Roblot-
Troizier et G. Tusseau ; Cons. const. Décision n° 2013-669 du 17 mai 2013,
Loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe : « 30. Considérant, en

Page 47 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

second lieu, que l'éventualité d'un détournement de la loi ou d'abus lors de son
application n'entache pas celle-ci d'inconstitutionnalité ; qu'il appartient aux
juridictions compétentes d'empêcher, de priver d'effet et, le cas échéant, de
réprimer de telles pratiques ; que le grief tiré de l'atteinte à la sécurité
juridique doit, en tout état de cause, être écarté » ; v. G. Eveillard, Sécurité
juridique et dispositions transitoires. Huit ans d’application de la jurisprudence
KPMG, préc.).

Mais le principe de confiance légitime et celui de l’espérance légitime semble avoir fait son
entrée dans les normes de référence du principe de constitutionnalité.

En effet, sur le fondement de l’article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans


laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a
point de Constitution », le Conseil constitutionnel juge :

« 14. Considérant qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le
domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en
leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions ; que, ce faisant, il ne saurait
toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ; qu'en
particulier, il ne saurait, sans motif d'intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux
situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement
être attendus de telles situations (…) » (Cons. const. Décision n° 2013-682 du 19
décembre 2013 « Loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 » ; B.
Delaunay, La confiance légitime entre discrètement au Conseil constitutionnel, AJDA
12/2014, Tribune, p. 649).

On peut ainsi se demander si, implicitement, le Conseil constitutionnel ne reconnaît pas


valeur constitutionnelle au principe de sécurité juridique ou s’il ne sera pas conduit à le faire
dans un avenir prochain à l’instar du Conseil d’Etat qui a expressément admis que le
principe en question est garantie par la DDHC (CE, 21 janvier 2015, EURL 2 B, n°
382902, AJDA 2015, p. 880, note G. Eveillard).

C) Les principes d’inspiration diverse

Il existe enfin des principes d’inspiration diverse, certains justifiés

Page 48 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

- par les nécessités de la vie en société (comme le principe de continuité du


service public)

- ou par des raisons d’équité (comme celui imposant la restitution de


l’enrichissement sans cause).

Conclusion : Compte tenu de la multiplication des textes et de l’abondance des principes


généraux déjà consacrés, l’on constate un certain tassement de la création des principes
généraux du droit ou en tout cas une moindre généralité de ceux consacrés récemment.

Il ne faut pas croire pour autant que la source en soit tarie.

La pratique montre que de nouveaux principes sont régulièrement invoqués par les
justiciables.

§2 : Le mode de création des principes généraux du droit

On s’est demandé comment le juge procédait pour dégager les principes généraux du droit.
Cette question est étroitement liée à celle de la légitimité du pouvoir normatif du juge. Aussi
bien, a-t-elle divisé la doctrine.

Pour certains, le juge créerait purement et simplement les principes généraux du droit ; il en
serait l’auteur.

Pour d’autres, il se bornerait à les découvrir dans les textes. L’apparition d’un PGD ne
correspondrait donc pas à une création ex nihilo, mais à la reconnaissance de principes
préexistants, mais demandant à être expressément consacrés et à recevoir une formulation
explicite. Le juge jouerait donc un rôle d’accoucheur.

Cette explication participe du souci de rendre plus acceptable la création du droit par le juge.

Qu’en est-il en réalité ? Il semble en fait que pour dégager les PGD, le juge utilise deux
techniques :

Page 49 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

• Tantôt le juge va s’appuyer sur un texte dont il étend la solution à des cas dont
celui-ci ne traite pas, par le moyen d’un PGD : tel est le cas par exemple du principe
général des droits de la défense qui est issu des dispositions législatives prévoyant la
communication de leurs dossiers aux fonctionnaires faisant l’objet d’une procédure
disciplinaire

• Tantôt, il les dégage des caractéristiques générales de notre droit. Le principe


général explicite alors une philosophie politique. Il donne une portée normative à
des principes jusqu’alors latents dans la conscience juridique et présentant un
degré suffisant de généralité et de permanence.

Mais, quelle que soit la technique utilisée, le principe général du droit n’existe, comme on l’a
dit, que par la volonté du juge. Au demeurant, celui-ci prend le soin d’indiquer que les PGD
sont applicables même sans texte.

Il faut donc se rendre à l’évidence, ils sont bien en ce sens une création du juge. Tout au plus,
peut-on ajouter que de par la technique que celui-ci utilise, ils n’en sont pas une création
arbitraire.

§3 : La valeur des principes généraux du droit

La valeur des P.G.D. a, elle aussi, donné lieu à de vifs débats dont l’intérêt théorique est
certain, mais dont la portée pratique est désormais limitée.

• La question qui s’est posée, en premier lieu, a été de savoir si les P.G.D. avaient valeur
législative ou au contraire, une valeur inférieure à la loi.

Elle a revêtu une réelle importance au tout début de la Ve République dans la mesure où, selon
certains, la valeur infra-législative des P.G.D. aurait permis d’y faire échapper les règlements
autonomes qui, en principe, de par les matières dans lesquelles ils interviennent, ne sont pas
soumis à la loi.

Page 50 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

Le Conseil d’Etat a cependant eu l’occasion de régler rapidement la question en considérant


que les P.G.D. s’imposent à tous les actes de l’administration qu’ils soient réglementaires
ou individuels et quel que soit leur rang dans la hiérarchie des normes, y compris aux plus
élevés d’entre eux qu’il s’agisse des règlements autonomes (CE Section, 26 juin 1959,
Syndicat général des ingénieurs conseils, GAJA n° 76) ; des ordonnances de l’article 38 de la
Constitution (voir supra) ; ou encore des ordonnances prises par le Président de la
République sur habilitation référendaire (CE Assemblée, 19 octobre 1962, Canal et autres,
préc.).

En revanche, ils peuvent être écartés par une loi, sauf à ce qu’ils aient également le caractère
de principes constitutionnels.

C’est cet ensemble de solutions que le professeur Chapus a systématisé, dans une étude
classique, en considérant que les P.G.D. ont une valeur infra-législative et supra-décrétale,
son analyse reposant en outre sur la considération que la hiérarchie des normes juridiques doit
correspondre à la hiérarchie des organes qui les édictent.

Le juge étant soumis à la loi, mais contrôlant les actes de l’administration, les principes
généraux qu’il crée ne peuvent avoir qu’une valeur inférieure à la première et supérieure au
second.

• A cette première question, s’en est récemment substituée une seconde, qui est venue
quelque peu perturber les analyses antérieures.

Cette question procède du constat que certains P.G.D. ont le même contenu que des
principes constitutionnels inscrits par ailleurs dans le texte ou le préambule de la
constitution (principes d’égalité ou de liberté, par exemple). Ne faut-il pas leur reconnaître
dès lors une valeur constitutionnelle ?

Page 51 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

- D’un point de vue théorique, la réponse est sans doute négative car, étant
applicables même sans texte, les PGD ne sauraient tenir leur valeur des
textes qui consacrent des principes de contenu identique.

- D’un point de vue pratique, la question n’a qu’un intérêt limité. Le juge
administratif n’étant pas juge de la loi, mais uniquement de l’administration, la
seule chose qui importe de son point de vue est que les principes qu’il dégage
aient une valeur supra-décrétale.

La question de leur valeur constitutionnelle n’a de sens que pour le Conseil constitutionnel
qui est au contraire juge de la loi. Il est déterminant pour lui de décider si un principe a le
caractère d’un PGD auquel la loi peut déroger ou celui d’un principe constitutionnel qu’elle
doit respecter.

Enfin, l’évolution récente de la jurisprudence du Conseil d’Etat devrait sensiblement atténuer


la portée des difficultés nées de la double nature de certains principes.

Il faut en effet rappeler que si le Conseil d’Etat a qualifié de PGD certains principes inscrits
dans la Constitution, c’est parce qu’à l’époque (sous la 3ème République) où il les a dégagés, le
bloc de constitutionnalité n’avait pas révélé encore toutes ses potentialités et que l’hésitation
était encore permise quant à la valeur de certains de ses éléments (Déclaration des droits de
l’Homme et du citoyen, notamment). A partir de la constitution de 1946, les choses auraient
dû changer. Mais le Conseil d’Etat a conservé ses habitudes et a continué à appliquer les
principes inscrits dans la Constitution en tant que PGD, sans se référer à celle-ci.

Depuis quelques années cependant, il manifeste une tendance lorsqu’un PGD a le même
contenu qu’un principe constitutionnel écrit, à se référer au texte de la Constitution, voire
même à l’interprétation qu’en donne le Conseil constitutionnel. Tel est le cas par exemple
pour l’égal accès aux emplois publics (article 6 de la Déclaration) ou pour l’indépendance des
professeurs d’universités (référence à l’interprétation du Conseil constitutionnel).

Page 52 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

Il procède d’ailleurs de même en matière de procédure contentieuse où l’on constate un


effacement des PGD au profit de la référence aux articles 6 et 13 de la C.E.D.H.

Cette évolution ne condamne cependant pas les P.G.D. à une disparition progressive.

D’abord, parce que tous les P.G.D. ne trouvent pas d’homologues dans les principes
constitutionnels et parce que, par fidélité à sa tradition, le juge administratif continue de s’y
référer en tant que P.G.D. alors même qu’ils se voient reconnaître par ailleurs une valeur
constitutionnelle.

Ensuite, parce que l’expérience montre qu’il continue de créer de nouveaux principes
généraux du droit. Tout au plus faut-il relever – mais c’est là une tendance qui se manifeste
depuis plusieurs décennies déjà – que les nouveaux principes généraux sont, pour la majorité
d’entre eux, de moindre portée que leurs prédécesseurs « historiques » ou, si l’on peut dire,
moins « généraux » que ces derniers (pour des illustrations de principe généraux créés à une
époque relativement récente, voir par exemple : CE, 12 décembre 2003, Syndicat des
commissaires et hauts fonctionnaires de la police nationale, AJDA 2004, p. 442 : à propos de
l’obligation de publier les règlements ; CE Assemblée, 8 juillet 2005, Société Alusuisse-
Lonza-France, AJDA 2005, p. 1485, concl. M. Guyomar : à propos de la prescription
trentenaire ; CE, 6 mai 2015, M. B., n° 377487, AJDA 2015, p. 960 : à propos de la faculté
pour le juge de prononcer une astreinte à l’encontre de personnes privées en vue de
l’exécution de ses décisions et de liquider cette astreinte au terme du délai fixé).

Page 53 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

CHAPITRE 5

LA HIERARCHIE DES SOURCES DU DROIT ADMINISTRATIF ET LES


CONFLITS DE NORMES

L’administration est soumise à l’ensemble des normes qui constituent les sources du droit
administratif.

Il peut cependant arriver que ces normes entrent en conflit les unes avec les autres : par
exemple, il peut y avoir contrariété entre les dispositions de la Constitution et les stipulations
d’une convention internationale ou les dispositions d’une loi ; ou encore entre une loi et un
engagement international de la France.

Or, l’autorité administrative est en permanence appelée à agir en application ou sur le


fondement de ces normes.

Dans ce cas, la question se pose de savoir à laquelle de ces normes elle doit se soumettre et
par rapport à laquelle d’entre elles le juge appréciera la légalité de ses actes ; autrement dit,
quelle est des deux normes en conflit, celle qui prévaut sur l’autre.

Quatre hypothèses principales :

- celle des rapports entre la Constitution et les normes internationales (section 1) ;


- celle des rapports entre la Constitution et la loi (section 2) ;
- celle des rapports entre la loi et les normes internationales (section 3) ;
- celle enfin des rapports entre deux normes internationales (section 4).

Page 54 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

SECTION 1 : L E S R A P P O RT S E N T R E L A CONSTITUTION ET LES NORMES


INTERNATIONALES

Les rapports entre la Constitution et les normes internationales sont régis par un principe –
celui de la primauté de la Constitution (§1) – assorti de tempéraments ou de limites en cas
notamment de contrariétés avec les normes communautaires (§2).

§1 : Le principe de primauté de la Constitution

A) La consécration du principe

• Ce principe a été affirmé par le Conseil d’Etat dans son arrêt d’Assemblée du 30
octobre 1998 « Sarran Levacher et autres » (GAJA n° 99 ; v. antérieurement, CE, Ass. 3
juillet 1996, Koné, n° 169219, Rec. Lebon, p. 255 ; AJDA 1996.805, chron. D. Chauvaux et T.-X.
; voir également à son sujet, P. Fombeur,
Girardot, ; RFDA 1996.870, concl. J-M. Delarue
L’affirmation de la primauté de la Constitution, AJDA 2014, p. 114), rendu à propos
d’un conflit entre la Constitution et les normes internationales autres que
communautaires : la suprématie conférée aux engagements internationaux sur la
loi par la Constitution (art. 55) « ne s’applique pas, dans l’ordre interne, aux
dispositions de la Constitution ».

En l’espèce, le Conseil d’Etat était saisi d’un recours contre un décret fixant
l’organisation du scrutin destiné à permettre à la population de Nouvelle Calédonie de
se prononcer sur les accords de Nouméa. Ce décret faisant application des dispositions
de l’article 76 de la Constitution qui, pour protéger la minorité canaque, limitait le
corps électoral aux personnes résidant depuis au moins dix ans sur le territoire.
Certaines personnes exclues du scrutin à raison de cette condition soutenaient que les
dispositions constitutionnelles en cause étaient contraires aux engagements
internationaux de la France (CEDH ; Pacte des Nations Unies sur les droits civils et
politiques) et que lesdits engagements devaient prévaloir sur la Constitution.

A cette fin, elles invoquaient l’article 55 de la Constitution qui consacre la supériorité


des traités sur les lois. Le Conseil d’Etat ne les a pas suivies et a considéré que la
suprématie conférée par cet article aux engagements internationaux « ne s’applique
pas, dans l’ordre interne, aux dispositions de la Constitution ».

Page 55 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

Cette solution a été confirmée par la Cour de Cassation dans un arrêt d’Assemblée plénière du
2 juin 2000 (Mme Fraisse, RDP 2000, p. 1037, note X. Prétot ).

• L’arrêt « Sarran et Levacher » ne réservant pas un sort particulier au droit


communautaire, le Conseil d’Etat a estimé que la Constitution prévalait également
sur ce dernier dans l’ordre interne (CE, 3 décembre 2001, Syndicat National de
l’Industrie Pharmaceutique, Droit adm. 2002, n° 55, Note P. Cassia).

B) La justification du principe

La suprématie de la Constitution sur les normes internationales ne va pas de soi. Elle se


heurte, en effet, à la règle « Pacta sunt servanda » rappelée par Préambule de la Constitution
de 1946 en vertu duquel tout traité doit être exécuté de bonne foi par les parties qu’il lie.

Elle ne s’en fonde pas moins sur de sérieuses raisons. Outre que, comme l’écrit M. Chapus, la
Constitution représente « ce qui subsiste encore de l’identité de l’Etat » dans le processus déjà
lancé de dissolution de l’ordre juridique national, elle repose sur deux justifications tirées du
texte de la Constitution elle-même.

Première justification : l’article 55 de la Constitution qui consacre la supériorité des traités


sur les lois n’évoque nullement les lois constitutionnelles.

Seconde justification : la Constitution prévoit dans son article 54 que si le Conseil


Constitutionnel, saisi par le Président de la République, le Premier Ministre, le Président de
l’une ou l’autre des assemblées, 60 députés ou 60 sénateurs, déclare qu’un engagement
international comporte une clause contraire à la Constitution, cet engagement ne peut
être ratifié ou approuvé qu’après une révision de la Constitution.

C’est bien là la preuve que la Constitution est supérieure aux traités internationaux
puisqu’à défaut de révision, le traité ne pourra être introduit dans l’ordre juridique

Page 56 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

interne (pour un exemple récent, voir Cons. const. 4 novembre 2010, décision n° 2010-614
DC : à propos de l’accord franco-roumain sur les mineurs isolés).

Et postérieurement à l’intervention de la loi autorisant la ratification du Traité, les


mêmes autorités peuvent la soumettre au Conseil Constitutionnel (art. 61 de la Constitution).
Et le Conseil Constitutionnel invalidera cette loi si le traité concerné est contraire à la
Constitution.

En définitive, statuer autrement que l’a fait le Conseil d’Etat serait revenu à
méconnaître la Constitution et à prendre une position qu’aucun titre de l’ordre
juridique auquel il appartient ne l’habilitait à adopter.

Le Conseil a néanmoins apporté au principe de suprématie de la Constitution les limites qui


s’imposaient.

§2 : Les limites à la primauté de la Constitution

Le principe de primauté de la Constitution sur les normes internationales connaît deux


limites :

- l’une d’ordre général qui concerne les rapports internationaux de l’Etat français ;

- l’autre, particulière, qui résulte du droit communautaire et concerne les actes de


transposition des directives.

A) Les limites de la primauté de la Constitution dans l’ordre international

Dans l’arrêt « Sarran et Levacher », comme dans sa jurisprudence ultérieure, le Conseil


d’Etat précise que la supériorité de la Constitution ne s’impose que « dans l’ordre interne ».

Ce faisant, il entend marquer qu’il n’a pas voulu écarter le principe fondamental du droit
international consacrant la prééminence de ce droit sur le droit interne.

Page 57 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

Concrètement, la précision relative à l’ordre interne signifie que la méconnaissance par


la France d’une norme internationale peut engager sa responsabilité internationale,
quand bien même cette méconnaissance aurait pour origine sa propre Constitution (il en
va de même en cas de contrariété entre deux engagements internationaux, CE, Ass., 23
décembre 2011, M. Kandyrine, préc.).

B) Les limites de la primauté de la Constitution dans l’ordre interne

La primauté de la Constitution connaît également certains tempéraments cette fois dans


l’ordre juridique interne, mais ils ne concernent que le droit communautaire.

Ils ont été admis à propos des actes de transposition des directives, lesquelles peuvent
relever soit du domaine de la loi, soit de celui du règlement.

Dans les deux cas, la question s’est posée de savoir si un acte de transposition conforme
à une directive, mais contraire à la Constitution pouvait, voire devait, être invalidé.

En d’autres termes, il s’est agi de déterminer lequel du texte de la Constitution ou de


celui de la directive doit prévaloir sur l’autre.

Si la question s’est posée en ces termes, c’est en raison du fait que l’ordre juridique
communautaire constitue désormais « un ordre juridique intégré » à l’ordre
constitutionnel français en vertu des articles 88-1 et suivants de la Constitution elle-même
(article 88-1 : « La république participe aux communautés européennes et à l’Union
européenne, constituées d’Etats qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont
instituées, d’exercer en commun certaines de leurs compétences »). Par là même, le
Constituant lui-même a reconnu la primauté du droit communautaire dans certaines
matières.

Autrement dit, la Constitution demeure la norme suprême, mais cette norme elle-même
impose de faire prévaloir le droit communautaire sur les règles constitutionnelles, dans
une mesure que le Conseil constitutionnel (si la transposition est le fait de la loi) et le
Conseil d’Etat (si elle est le fait du décret) ont été amenés à préciser.

Ils l’ont fait dans un sens qui permet de sauvegarder la primauté des dispositions les plus
spécifiques de notre Constitution, tout en ménageant les pouvoirs des instances
communautaires et notamment de la CJCE.

Page 58 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

1. La position du Conseil d’Etat

Le Conseil d’Etat a arrêté sa position dans un arrêt d’Assemblée du 8 février 2007 « Société
Arcelor Atlantique et Lorraine » (GAJA, n° 116).

Elle est, pour des raisons procédurales, très protectrice de la suprématie de la Constitution.

Elle s’ordonne autour d’une distinction entre les dispositions constitutionnelles propres
à la France et celles qui ont leur équivalent en droit communautaire.

En l’espèce, les sociétés requérantes contestaient la soumission des activités de


production et de transformation des métaux ferreux au régime d’échange de quotas
d’émission de gaz à effet de serre, prévue par une directive du 13 octobre 2003. Le
décret de transposition imposant cette soumission en droit interne était conforme à la
directive communautaire. Mais les requérants soutenaient qu’il méconnaissait
plusieurs règles constitutionnelles. D’où la question de savoir si le Conseil d’Etat
devait faire prévaloir ces règles constitutionnelles sur la directive en cause.

Sa réponse est la suivante :

➢ Le juge doit, tout d’abord, rechercher si la règle constitutionnelle dont la violation


est invoquée a son équivalent dans les règles et principes du droit
communautaire tel qu’interprétés par le juge communautaire.

Si la réponse est affirmative, il doit vérifier si la directive que le décret transpose est
conforme à la règle ou au principe communautaire équivalent.

En cas de difficulté sérieuse (c’est-à-dire s’il existe un doute sur cette conformité), il doit
saisir la CJCE : c’est ce qu’a fait en l’espèce le Conseil d’Etat sur certains points.

➢ Si la règle constitutionnelle invoquée par les requérants est propre au droit


français, il vérifie que la transposition la respecte bien.

Dans ce cas, par conséquent, il fait prévaloir la Constitution sur la directive en cause.

Page 59 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

Cette solution présente l’avantage de préserver le noyau dur des règles constitutionnelles
françaises, son « identité constitutionnelle » pour reprendre l’expression du Conseil
constitutionnel, tout en laissant, en dehors de ce noyau dur, le soin au juge communautaire de
trancher les problèmes de conformité des directives par rapport au droit communautaire.

Il devrait en résulter une plus grande unité dans l’application et l’interprétation du droit
communautaire.

Et cela d’autant plus que, selon la jurisprudence récente du Conseil d’Etat, l’interprétation des
dispositions du traité et des actes communautaires donnée par la CJUE s’impose aux
juridictions nationales alors même qu’ils n’auraient pas l’objet d’un renvoi préjudiciel (CE
Assemblée, 11 déc. 2006, Sté De Groot, RFD adm. 2007, p. 372, concl. F. Seners, AJDA
2007, p. 136, chron. F. Lenica et J. Boucher).

Dans l’affaire « Arcelor », le Conseil d’Etat a estimé que le droit de propriété et la


liberté d’entreprendre constituaient des principes communs au droit communautaire et
au droit constitutionnel français et qu’ils n’avaient pas été méconnus par la directive
transposée.

En revanche, il a considéré que le respect du principe d’égalité, également commun


aux deux droits, soulevait une difficulté sérieuse en ce que la directive excluait de son
champ d’application les industries du plastique et de l’aluminium, lesquelles émettent
des gaz à effet de serre de même nature que ceux dont la directive communautaire a
entendu limiter l’émission.

Les solutions qui viennent d’être évoquées ne concernent cependant que l’hypothèse
dans laquelle la transposition de la Directive est assurée par un acte réglementaire. Si
elle l’est par la loi, celle-ci fait totalement écran et le Conseil d’Etat ne peut remettre en cause
sa constitutionalité si ce n’est pas dans le cadre d’une QPC posée par la partie requérante (CE,
6 décembre 2012, Société Air Algérie, Recueil Lebon, AJDA 2012, p.2380, Chronique X.
Domino et A. Bretonneau).

2. La position du Conseil constitutionnel

Page 60 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

Quoique légèrement différente en raison du rôle et des compétences qui lui sont propres, la
position du Conseil constitutionnel est très proche de celle du Conseil d’Etat.

• En principe, le Conseil constitutionnel s’estime incompétent pour contrôler la


constitutionnalité d’une loi de transposition d’une directive par rapport à la
Constitution car, comme nous l’avons indiqué, la transposition des directives
constitue elle-même une exigence constitutionnelle.

Mais cette solution ne vaut cependant que lorsque la loi de transposition se borne à tirer
les conséquences nécessaires de dispositions précises et inconditionnelles d’une directive,
autrement dit quand le législateur ne dispose d’aucune marge de manœuvre au regard des
dispositions de celle-ci (Cons. const. 1er juillet 2004, Loi relative aux communications
électroniques ; Cons. Const., 29 décembre 2015, n° 2015-726, DC, Loi de fiances rectificative
pour 2015 et Cons. Const., 3 février 2016, n° 2015-520 QPC, RFDA mai-juin 2016.597, note
A. Roblot-Troizier ; Droit adm. Juillet 2016, Alertes, n° 80, note E. Crepey : dans le cas d’une
loi qui transpose les dispositions d’une directive mais qui s’appliquent à des situations régies
par le droit de l’Union et à des situations échappant à ce droit, le conseil constitutionnel opère
une distinction dans l’exercice du contrôle de constitutionnalité).

• Elle se trouve écartée lorsque la loi de transposition méconnaît le «noyau dur» des
règles constitutionnelles, noyau dur qui a été identifié par le Conseil Constitutionnel,

- d’abord, comme constitué par les dispositions expresses de la Constitution (Cons.


const., 10 juin 2004, Loi pour la confiance dans l’économie numérique précitée)

- et, en dernier lieu, comme formé par « les règles et principes inhérents à l’identité
constitutionnelle de la France » (CC. 27 juillet 2006, loi relative au droit d’auteur).

Dans ce cas, le Conseil Constitutionnel se reconnaît compétent pour contrôler la


constitutionnalité de la loi de transposition et la censurer le cas échéant.

Sa position se justifie par l’article I.5 du Traité établissant une Constitution pour l’Europe en
vertu duquel l’Union respecte l’égalité des Etats membres devant la Constitution ainsi que
« leur identité nationale, inhérente à leurs structures fondamentales, politiques et
constitutionnelles ». Le Conseil constitutionnel considère que cette stipulation constitue une
limite à celle de l’article suivant I.6 selon lequel la Constitution pour l’Europe et le droit
adopté par les institutions de l’Union « prime le droit des Etats membres ».

Page 61 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

En d’autres termes, il n’accepte de faire prévaloir la Constitution sur les directives


communautaires que dans l’hypothèse où ces dernières portent atteinte à des règles ou
principes spécifiques au droit constitutionnel français et qui ne possèdent pas
d’équivalent dans le catalogue communautaire des droits fondamentaux et principes
généraux. Dans les autres cas, il estime, en effet, qu’il n’appartient qu’au juge
communautaire de contrôler la validité des directives au regard de ces règles et
principes.

Il est à noter que le Conseil d’Etat applique strictement la jurisprudence du Conseil


constitutionnel (dont il rappelle d’ailleurs les termes) lorsqu’il est amené à statuer sur une
QPC. Il estime qu’il n’a pas à transmettre celle-ci lorsque les dispositions législatives
critiquées se bornent à tirer les conséquences nécessaires de dispositions précises et
inconditionnelles d’une directive qui ne mettent en cause aucune règle ni aucun principe
inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, car le Conseil constitutionnel n’est pas
compétent, dans ce cas, pour apprécier la constitutionnalité de la directive, cette compétence
appartenant à la seule CJUE (CE, 8 juillet 2015, n° 390154, M. B., AJDA 2015, p. 2036, note
C. Haguenau-Moizard ; JCP A 2015, act. 641, obs. F. T.).

SECTION 2 : LES RAPPORTS ENTRE LA CONSTITUTION ET LA LOI

• Comme nous l’avons vu, la Constitution s’impose à l’administration.

Et le juge administratif est compétent pour annuler les actes administratifs qui ne la
respectent pas.

A cet égard, il convient d’insister à nouveau sur le fait que le juge administratif exerce, à ce
titre, un contrôle de constitutionnalité des actes administratifs.

• Mais, que se passe-t-il lorsqu’un acte administratif, tout en méconnaissant la


Constitution, est conforme à la loi qui lui sert de fondement ?

L’hypothèse est loin d’être théorique. Elle se rencontre même fréquemment dans la pratique.
Elle résulte de ce que

Page 62 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

- les lois ne font pas systématiquement l’objet d’un contrôle de constitutionnalité a


priori (c’est-à-dire avant leur promulgation),

- et qu’une fois promulguées, elles deviennent incontestables.

Il peut donc exister – et il existe sans doute en nombre relativement important – des lois en
vigueur qui ne sont pas conformes à la Constitution.

Les actes administratifs qui sont pris sur leurs fondements peuvent alors être « légaux »,
au sens de respectueux de la loi, tout en méconnaissant la Constitution.

Dans un tel cas, c’est normalement la Constitution qui devrait prévaloir sur la loi
puisqu’elle se situe à un rang supérieur dans la hiérarchie des normes et que son respect
s’impose aussi bien au législateur qu’à l’administration.

C’est pourtant aux résultats contraires qu’a abouti pendant très longtemps la jurisprudence
administrative par application de la théorie dite de l’écran législatif (§1) ; et c’est à raison des
limites à l’autorité de la Constitution qui en résultaient qu’a été institué un contrôle de
constitutionnalité des lois par voie d’exception sous la forme de la question prioritaire de
constitutionnalité (QPC) (§2).

§1 : La théorie de l’écran législatif

A. Exposé de la théorie

Selon cette théorie, le juge administratif se refuse à examiner la conformité d’un acte
administratif par rapport à la Constitution (et à sanctionner son éventuelle
inconstitutionnalité) lorsque cet acte a été pris conformément à une loi qui fait écran entre lui
et la Constitution.

Cette solution s’explique,

- non pas par le fait que la loi serait considérée comme supérieure à la
Constitution,

- mais par ceci que le juge ne se reconnaît pas le pouvoir de vérifier la conformité de
la loi par rapport à la Constitution.

Page 63 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

Ce pouvoir appartient exclusivement au Conseil constitutionnel. Or, déclarer


inconstitutionnel un acte pris conformément à une loi reviendrait, indirectement mais
nécessairement, à se prononcer sur la constitutionnalité de la loi elle-même.

B. Critique de la théorie

Le maintien de cette théorie de l’écran législatif a été critiqué.

On a fait valoir qu’elle n’a plus sa raison d’être dès lors que – comme nous le verrons – le
juge administratif accepte de contrôler la conformité de la loi par rapport aux
conventions internationales.

Pourquoi ne pourrait-il pas alors vérifier sa conformité par rapport à la Constitution ?

La raison tient au fait que le contrôle de conformité des lois aux conventions
internationales – que l’on appelle contrôle de conventionnalité - trouve un fondement
dans la Constitution elle-même et notamment dans son article 55.

En revanche, le contrôle de la constitutionnalité des lois est réservé par la Constitution au


seul Conseil constitutionnel.

On comprend dès lors que le juge administratif se refuse toujours à exercer un tel contrôle.

• Il faut cependant relever que si la théorie de l’écran législatif subsiste, sa portée se trouve réduite par la
conjonction de deux facteurs, tenant, d’une part, aux conditions d’application de la théorie ; d’autre part, à
la pratique jurisprudentielle.

- Tout d’abord, la théorie de l’écran législatif ne joue que si l’acte administratif en cause (et donc
l’inconstitutionnalité qui l’affecte) découle de la loi elle-même. Elle cesse de s’appliquer lorsque
cette loi ne comportait pas de dispositions de fond impliquant nécessairement que l’acte administratif
méconnaisse la Constitution ou, pour dire les choses autrement, lorsque celui-ci ne se borne pas à
tirer les conséquences de l’acte législatif (CE assemblée, 12 juillet 2013, n° 344522, Fédération
nationale de la pêche en France, RFDA 2014, p. 97, concl. E. Cortot-Boucher ; Droit adm. 2013, n°
84, note J.L. Pissaloux ; CE, 26 février 2014, n° 351514, Association Ban Abestos, JCP A 2014, act.
237 : arrêts relatifs l’un et l’autre à la Charte de l’environnement).

- Par ailleurs, la pratique jurisprudentielle tend à limiter fortement les cas d’application de la théorie.
Le juge administratif s’efforce, en effet, autant que faire se peut d’interpréter la loi dans un sens
conforme à la Constitution. Il est aidé en cela par le Conseil constitutionnel qui assortit de plus en
plus souvent ses décisions de réserves d’interprétation. Or, en vertu de l’article 62 de la Constitution,
les décisions du Conseil s’imposent à toutes les juridictions.

Page 64 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

- En troisième lieu, la loi ne fait plus écran lorsqu’elle est censée avoir été abrogée de manière
implicite mais nécessaire (et a fortiori de manière explicite) par des dispositions constitutionnelles ou
législatives postérieures avec lesquelles elle est inconciliable, ce que le juge administratif se
reconnaît le pouvoir de constater (voir à propos de la charte de l’environnement : CE, 12 janvier
2009, Association France Nature Environnement, Droit adm. 2009, n° 75 ; CE, 24 juillet 2009,
Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique, AJDA 2009, p. 1818,
chron. S.J. Liéber et D. Botteghi et sur la question : J.B. Dubrulle, La compatibilité des lois avec la
Constitution : un contrôle de constitutionnalité ? AJDA 2007, p. 127 ; Ch.E. Sénac, Le constat
juridictionnel de l’abrogation implicite de la loi par la Constitution, RDP 2008).

§2 : Le contrôle a posteriori de la constitutionnalité des lois et la question prioritaire


de constitutionnalité

Bibliographie : dossiers AJDA 2010, p. 74 ; RDP 2009, p. 565 ; chron. S.J. Liéber et D.
Botteghi, AJDA 2010, p. 1355 ; X. Domino et A. Bretonneau : QPC : Deux, déjà l’âge de
raison ?, AJDA 2012, p. 422.

• La théorie de l’écran législatif présente deux conséquences difficilement


défendables

- laisser subsister dans l’ordre juridique interne des lois inconstitutionnelle


- et permettre à l’administration de méconnaître la Constitution sous couvert de ces lois.

C’est à cette situation peu justifiable au regard tant de la hiérarchie des normes que de
l’importance du contenu de la Constitution que, après deux réformes avortées en 1990 et
1993, le Constituant a entendu remédier lors de la révision constitutionnelle du 23 juillet
2008.

• Celle-ci ne supprime pas la théorie de l’écran législatif, mais elle donne au


justiciable les moyens de la surmonter en leur permettant de soulever, par la voie de
l’exception, l’inconstitutionnalité de la loi sur le fondement de laquelle les actes
administratifs qu’ils attaquent ont été pris.

L’article 61-1 introduit dans la Constitution lors de la révision précitée dispose, en effet, que :

« lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu
qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution
garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du
Page 65 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

Conseil d’Etat ou de la Cour de Cassation qui se prononce dans un délai déterminé.


Une loi organique détermine les conditions d’application du présent article ».

Cet article complète ainsi le contrôle a priori de constitutionnalité des lois qui
préexistaient par un contrôle a posteriori de leur conformité à la Constitution.

La loi organique mentionnée par l’article 61-1 a été prise le 10 décembre 2009. Le Conseil constitutionnel l’a
jugée conforme à la Constitution sous quelques réserves d’interprétation (décision n° 2009-595 DC du 3
décembre 2009, RFDA 2010, p. 1, étude B. Genevois). Elle a été suivie de plusieurs décrets destinés à en
préciser les conditions d’application. Conformément à ses dispositions, la réforme est entrée en vigueur
le 1er mars 2010.

• Accueillie diversement lors de son adoption (avec faveur ou enthousiasme par


certains ; réticence et scepticisme par d’autres), elle a connu un réel succès dès le
départ, si l’on en juge par la prolifération quasi immédiate des questions de
constitutionnalité soulevées par les requérants et l’on peut considérer qu’elle a
constitué une avancée importante à tous égards de notre état de droit, même si sa portée
effective dépendra de la manière dont seront appliquées les conditions de transmission
de la QPC et du contrôle qu’exercera le juge constitutionnel.

C’est ce point que nous évoquerons (B) après avoir exposé les modalités procédurales
d'examen de la QPC (A) et avant de traiter de la décision du Conseil constitutionnel sur cette
question (C).

A) Les modalités procédurales d’examen de la QPC

* Sur le plan procédural, le contrôle de la constitutionnalité des lois par voie d’exception
est déclenché par la question que soulève l’une des parties à un litige sur la
constitutionnalité d’une loi applicable à ce litige.

Ce moyen peut être présenté à tous les stades de la procédure (1ère instance, appel,
cassation) aussi bien devant les juges du fond que devant celui des référés (CE,
ordonnance, 16 juin 2010, M. Diakite, AJDA 2010, p. 1230 et 1662 ; note O. Le Bot).

Il ne peut être soulevé d’office par la juridiction saisie.

Page 66 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

Il doit faire l’objet de la part du justiciable qui l’invoque d’un écrit distinct et motivé sous
peine d’irrecevabilité.

• Le juge qui en est saisi doit l’examiner de manière prioritaire, d’où l’appellation de
question prioritaire de constitutionnalité.

Le caractère prioritaire de la question a été au cœur d’un débat qui a rapidement connu son épilogue. (J.B. Auby,
Question prioritaire de constitutionnalité et droit de l’Union européenne : l’état du débat, Droit administratif
2010, Repère n° 8).

La Cour de Cassation a, en effet, soumis à la CJUE une question préjudicielle sur le point de savoir si le
mécanisme de la QPC était compatible avec le droit de l’Union européenne (Cassation, 16 avril 2010, Melki,
AJDA 2010, p. 1023, note P. Manin ; JCP A 2010, n° 2162). La raison (implicite) de cette interrogation résidait
dans le fait que le caractère prioritaire de l’examen de la constitutionnalité des lois risquait de faire passer au
second plan le contrôle de leur conventionnalité par rapport au droit communautaire, lequel exige que ce
contrôle de conventionnalité ne soit pas soumis à des procédures moins favorables que les recours de nature
purement interne (principe d’équivalence) et que ses conditions ne rendent pas excessivement difficile l’exercice
des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union européenne (principe d’effectivité).

La CJUE a estimé que tel n’était pas le cas, dès lors que le caractère prioritaire de la question de
constitutionnalité laissait toute liberté à la juridiction compétente pour saisir la CJUE à tout moment de la
procédure d’une question préjudicielle sur la compatibilité de la loi en cause avec le droit de l’Union ; pour
prendre toute mesure nécessaire à la protection provisoire des droits conférés par celle-ci et pour laisser
inappliquées, les dispositions législatives nationales qu’elle jugerait contraire au droit de l’Union (22 juin 2010,
aff. C-188/010, Melki).

Ce faisant, elle a repris, à peu de choses près, les réponses qui avaient été indirectement faites à la Cour de
Cassation par le Conseil d’Etat (14 mai 2010, Rujovic) et par le Conseil constitutionnel (décision n° 2010-605
du 12 mai 2010 sur les jeux de hasard, JCP A 2010, n° 2181, note B. Mathieu ; AJDA 2010.1048, cons. 14), le
Conseil constitutionnel justifiant en outre le caractère prioritaire de la question de constitutionnalité par la place
de la Constitution au sommet de la hiérarchie des normes juridiques.

• La question, une fois posée, est soumise à un double filtrage.

Si elle est soulevée devant les juridictions inférieures (de première instance et d’appel), celle-
ci dispose d’un délai de trois mois pour juger, par une décision motivée, s’il y a lieu - au
regard des conditions de recevabilité et de fond - de transmettre la question au Conseil
d’Etat.

Celui-ci dispose à son tour d’un délai de trois mois pour décider ou non de la transmettre
au Conseil constitutionnel.

Ce délai est identique s’il est saisi directement de la question.


Page 67 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

• Le refus de transmission peut être attaqué, mais à l’occasion du recours contre la


décision qui règle le litige. La décision de transmission n’est, en revanche, susceptible
d’aucun recours.

• En cas de transmission, le juge saisi du litige doit surseoir à statuer.

Cette obligation connait des exceptions : elles concernent le cas d’une personne privée de
liberté ; celui où une loi ou un règlement lui impose de statuer en urgence dans un délai
déterminé ; ou encore celui où le sursis à statuer entraînerait des conséquences
irrémédiables ou manifestement excessives pour l’une des parties au litige.

Par une réserve d’interprétation, le Conseil constitutionnel a cependant considéré que dans de
tels cas, le justiciable qui n’a pas obtenu gain de cause peut introduire une nouvelle instance
sans que lui soit opposable l’autorité de la chose jugée, ceci afin qu’il soit tenu compte de la
décision rendue par le Conseil constitutionnel.

• Enfin, une fois sa question posée, le justiciable ne maîtrise plus le mécanisme qu’il a
déclenché car l’extinction de son instance, pour quelque cause que ce soit, est sans
incidence sur l’examen de la question de constitutionnalité.

Dans le prolongement des deux dernières solutions évoquées, le Conseil d’Etat a considéré que lorsque des
dispositions législatives ou réglementaires obligent une juridiction à juger au fond sans attendre de connaître le
sort réservé à la QPC qu’elle a transmise avant de statuer et que le litige est clos faute pour sa décision d’avoir
fait l’objet d’un recours, la QPC en question ne peut être regardée comme ayant perdu son objet pour ce seul
motif. Il appartient donc au Conseil d’Etat d’examiner si elle doit être transmise au Conseil constitutionnel (CE,
4 juin 2012, M. Morel, AJDA 2012, p.1132 et p.1645, conclusions D. Hedary : à propos d’un recours contre le
refus d’enregistrement d’une liste aux élections territoriales de Saint-Pierre et Miquelon sur lequel, en vertu des
dispositions du Code électoral, le Tribunal administratif devait statuer dans un délai de trois jours).

B). Les conditions de transmission de la QPC

Pour que la QPC fasse l’objet d’une transmission, il faut que soient remplies certaines
conditions fixées par la loi organique, les unes de recevabilité (1) ; les autres de fond (2).

Page 68 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

1. Les conditions de recevabilité

On en dénombre plusieurs dont la réalisation doit être vérifiée par le juge saisi de la question.

• En premier lieu, la question doit porter sur des dispositions législatives à caractère normatif.

Il en résulte que ne peuvent donner lieu à QPC

- ni les lois dépourvues de valeur normative, telles les lois de programmation (ou celles de leurs dispositions
dénuées d’une telle valeur : CE, 18 juillet 2011, Fédération nationale des chasseurs, Fédération départementale
des chasseurs de la Meuse, AJDA 2011, p.1527 et l’étude de C. Grouilier : la normativité des lois de
programmation au prisme de la QPC, AJDA 2012, p.1047 ou les dispositions dénuées d’une telle valeur en
raison de leur objet (voir à propos de la reconnaissance par la France du génocide arménien : CE, 21 octobre
2015, n° 392400, Association pour la neutralité de l’enseignement de l’histoire turque dans les programme
scolaire, JCP A 2015, act. 892)
- ni a fortiori les dispositions de texte qui n’ont pas valeur législative, comme c’est le cas des ordonnances non
ratifiées par le Parlement (CE, 11 mars 2011, Benzoni, AJDA 2011, p.534) ou encore des lois qui ont été
modifiées par Décret après avis du CE si elles sont antérieures à l’entrée en vigueur de la constitution de 1958
(CE, 1er juillet 2011, M. et Mme Lignon, AJDA 2011, p.1356) ou après délégalisation par le Conseil
constitutionnel si elles sont postérieures.

• En deuxième lieu, la question doit porter sur la conformité de la loi à la Constitution, et


non sur l’interprétation de la loi.

Cela étant, elle peut concerner :

- la violation positive de certaines dispositions ou principes constitutionnels


Elle peut même se fonder sur un principe constitutionnel (par exemple un PFRLR) non encore
reconnu sur l’existence duquel le Conseil constitutionnel sera amené à se prononcer lors de
l’examen de la QPC (Conseil constitutionnel, 5 août 2011, déc. N°2011-157 QPC, AJDA
2012, p.331, note A. Jennequin : décision reconnaissant la possibilité pour le Conseil
constitutionnel de dégager un PFRLR à l’occasion d’une QPC).

- l’incompétence négative du législateur - c’est-à-dire le fait pour celui-ci d’avoir


délégué trop largement sa compétence au pouvoir réglementaire, dès lors, à tout le moins,
que cette incompétence affecte un droit ou une liberté garantie par la Constitution
(Conseil constitutionnel, n° 2010-5 QPC, 18 juin 2010, SNC Kimberly Clark, AJDA 2010, p.
1230).

Page 69 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

• En troisième lieu, les dispositions législatives mises en cause doivent porter atteinte,
non pas à n’importe laquelle des dispositions de la Constitution, mais aux droits et
libertés garantis.

A ce titre, la QPC ne peut, par exemple, porter uniquement sur la violation d’un objectif
constitutionnel, tel celui de clarté et d’intelligibilité de la loi, la méconnaissance de cet
objectif ne pouvant, en elle-même, être invoquée à l’appui d’une telle question (Conseil
constitutionnel, 22 juillet 2010, M. Alain Cochard, dec. n° 2010-4/17 QPC, AJDA 2010, p.
1508).

• En quatrième lieu, les dispositions de la loi dont l’inconstitutionnalité est invoquée doivent être applicables
au litige, sans pour autant en commander nécessairement l’issue (CE, 14 avril 2010, Union des familles en
Europe, AJDA 2010, p. 1013, concl. A. Courrèges : arrêt considérant que remplit cette condition une
disposition législative seulement susceptible d’être interprétée comme régissant la situation à l’origine du
litige).

La question posée peut s’étendre à des dispositions connexes ou indissociables de celles applicables au litige (par
exemple, une disposition étendant le régime législatif dont la constitutionnalité est contestée) (voir en ce sens,
CE, 28 mai 2010, M. Opra et M. Balta, AJDA 2010, p. 1376, concl. J.Ph. Thiellay).

• En cinquième lieu, la question ne peut porter sur une disposition qui a déjà été déclarée
conforme à la Constitution à la fois dans les motifs et dans le dispositif d’une décision du
Conseil constitutionnel, quels que soit par ailleurs les moyens d’inconstitutionnalité
invoqués devant le Conseil constitutionnel, c’est-à-dire quand bien même le conseil ne
se serait pas expressément prononcé sur celui qui est soulevé par la QPC (CE, 19 mai
2010, Commune de Buc, AJDA 2010, p. 1050).

C’est la raison pour laquelle les lois organiques, qui sont obligatoirement soumises au
contrôle du Conseil constitutionnel, ne peuvent donner lieu à QPC (CE, 29 juin 2011, Président
de l’Assemblée de Polynésie française, AJDA 2011, p.1355).

Les lois organiques ne sont pas par principe exclues du champ d'application de la QPC
(Cons. const., 5 oct. 2012, n° 2012-278 QPC).

Toutefois, les lois organiques promulguées depuis le 5 mars 1959, date de mise en place du
Conseil constitutionnel, ont été obligatoirement examinées par ce dernier (Const., art. 46).

Déclarées conformes à la Constitution, elles ne peuvent par la suite faire l'objet d'une question
prioritaire de constitutionnalité, sauf en cas de “changement des circonstances” au sens de

Page 70 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 (CE, 29 juin 2011, n° 347214, prés.
Assemblée de la Polynésie française : JurisData n° 2011-012825).

Cette position a été confirmée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 21 févr.
2012, n° 2012-233 QPC, sur saisine de Mme Le Pen à propos des parrainages pour la
présidentielle :

« Considérant qu'aux termes du cinquième alinéa du paragraphe I de l'article 3 de la


loi du 6 novembre 1962 susvisée : « Le nom et la qualité des citoyens qui ont proposé
les candidats inscrits sur la liste sont rendus publics par le Conseil constitutionnel huit
jours au moins avant le premier tour de scrutin, dans la limite du nombre requis pour
la validité de la candidature » ;

2. Considérant que, selon la requérante, en imposant de rendre publics le nom et la


qualité des citoyens qui ont proposé un candidat à l'élection présidentielle, ces
dispositions méconnaîtraient les principes d'égalité et de secret du suffrage ; que cette
publicité aurait pour effet de dissuader les personnes habilitées de présenter certains
candidats et, par suite, méconnaîtrait le principe du pluralisme des courants d'idées et
d'opinions ; qu'en outre, selon la deuxième intervention susvisée, cette publicité
porterait atteinte à l'égalité entre personnes habilitées à présenter les candidats à
l'élection présidentielle ;

- SUR LA RECEVABILITÉ :

3. Considérant que les dispositions contestées sont issues du paragraphe II de l'article


unique de la loi organique du 18 juin 1976 susvisée ; que cette disposition a été
déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif de la décision du
Conseil constitutionnel du 14 juin 1976 susvisée ;

4. Considérant toutefois que, par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, le


constituant a complété l'article 4 de la Constitution par un alinéa ainsi rédigé : « La
loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des
partis et des groupements politiques à la vie démocratique de la Nation » ; que cette
disposition constitutionnelle nouvelle, applicable aux dispositions législatives relatives
à l'élection présidentielle, constitue un changement des circonstances de droit
justifiant, en l'espèce, le réexamen de la disposition contestée issue de la loi du 18 juin
1976 susvisée ; »

Il n’en va différemment qu’en cas de changement de circonstance, de droit ou de fait


(Conseil constitutionnel, 2 juillet 2010, Section française de l’observatoire internationale des
prisons, n° 2010-9 QPC, AJDA 2010, p. 1340) – voir aussi, à propos d’un des rares exemples
de changement de fait justifiant un nouvel examen par le Conseil constitutionnel (CE, 2

Page 71 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

février 2012, Mme Lepen, AJDA 2012, p.240 et Cons. const., 21 février 2012, déc. n
°2012-233 QPC : à propos de la publicité des parrainages des candidatures à la présidence de
la république) qui n’avait pas fait l’objet d’examen par le Conseil constitutionnel depuis le 14
juin 1976, cela eu égard aux changements ayant affecté la vie politique et l’organisation
institutionnelle du pays.

2. Les conditions de fond

Si les conditions susmentionnées sont remplies, la transmission de la QPC n’est pas encore
assurée.

Pour qu’elle s’impose, il faut en outre que deux autres conditions, de fond cette fois, soient
remplies.

• La première condition est que la question soit nouvelle.

Sont de ce fait vouées au rejet,

- non seulement les questions portant sur des dispositions que le Conseil constitutionnel a
déjà examinées,

- mais également celles à propos desquelles il existe déjà une jurisprudence bien établie
du Conseil constitutionnel (relatives, par exemple, au principe d’égalité des contribuables
devant les charges publiques).

L’examen de cette condition est réservé au seul Conseil d’Etat.

• La seconde condition est que la question présente un caractère sérieux.

L’examen de cette condition relève également de la seule compétence du Conseil d’Etat.

Il le conduira sans doute à des appréciations délicates sur l’existence d’une possible
inconstitutionnalité, ceci par le biais d’une interprétation à la fois de la loi contestée et des
dispositions constitutionnelles invoquées. Il s’agit, en quelque sorte, pour la juridiction
suprême de procéder à un pré-jugement de la constitutionnalité de la loi.

Page 72 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

Les juridictions inférieures doivent, quant à elles, se borner à vérifier que la QPC n’est
pas dépourvue de caractère sérieux, laissant au Conseil d’Etat le soin d’affiner cette
appréciation relative au caractère sérieux de la question.

C). La décision du Conseil constitutionnel

• Le Conseil constitutionnel statue sur la question après une procédure juridictionnelle


contradictoire impliquant l’organisation d’une audience.

• S’il déclare inconstitutionnelles les dispositions de la loi visée par la question, celles-ci se
trouvent abrogées à compter de la publication de sa décision ou à une date ultérieure
fixée par lui.

Le Conseil doit également déterminer les conditions et limites dans lesquelles les effets que
la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause (article 62 de la
Constitution). Cet aspect de sa décision revêt une importance particulière puisque c’est de lui
que vont dépendre les conséquences de l’inconstitutionnalité de la loi sur le litige à l’occasion
duquel cette inconstitutionnalité a été soulevée.

Lorsque le Conseil constitutionnel diffère l’abrogation de la loi qu’il juge


inconstitutionnelle, celle-ci doit être considérée comme ayant été en vigueur à la date à
laquelle l’acte réglementaire attaqué a été pris.

Le Conseil d’Etat estime, en effet, que dans cette hypothèse, le Conseil constitutionnel n’a pas
entendu remettre en cause les effets passés de la loi, alors même que, selon les motifs de sa
décision, la déclaration d’inconstitutionnalité doit, en principe, bénéficier à l’auteur de la QPC
(CE, 14 novembre 2012, Association France Nature Environnement, AJDA 2012, p.2377,
Chronique X. Domino et A. Bretonneau).

• Si le Conseil constitutionnel considère que les dispositions législatives en cause sont


conformes à la Constitution, il répondra en ce sens à la question qui lui est posée et
déclarera la loi constitutionnelle.

Page 73 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

Pour « sauver » la loi d’une abrogation, il peut également la déclarer conforme à la


Constitution sous une réserve d’interprétation qu’il mentionnera dans sa décision (18 juin
2010, époux L. n ° 2010-8 QPC).

En conclusion, la QPC modifie très sensiblement le droit en vigueur. Avant l’adoption de


la réforme, la loi, une fois promulguée, devenait incontestable. Elle n’était plus susceptible de
contrôle ni par le juge administratif, ni par le Conseil constitutionnel.

Désormais, elle est contestable, même après sa promulgation, dans les conditions qui
viennent d’être décrites.

Ce changement apparaît comme des plus normales dans son principe. On comprenait mal, en
effet, que le juge administratif puisse – comme nous allons le voir – écarter des lois au motif
qu’elles ne sont pas conformes à des normes internationales et ne pouvoir faire de même à
l’égard de celles qui méconnaissent la norme suprême de notre ordre juridique.

SECTION 3 : LES RAPPORTS ENTRE LA LOI ET LES NORMES INTERNATIONALES

Bibliographie : D. Labetoulle, « Des semoules à Nicolo », RFDA 2014, p. 585

La question pratique soulevée par les rapports entre la loi et les normes internationales est du
même ordre que celles déjà rencontrées.

On a vu précédemment que l’administration était tenue de respecter les conventions


internationales et que ses actes encouraient l’annulation s’ils méconnaissaient ces
dernières.

Mais, la question se pose de savoir ce qui se passe en cas de contrariété entre une loi et une
convention internationale : faut-il apprécier la légalité des actes administratifs entrant dans
leur champ d’application au regard de la première ou des secondes ? En d’autres termes,
laquelle de ces deux normes doit prévaloir sur l’autre ?

En principe, la question aurait dû être résolue aisément puisque l’article 55 de la


Constitution consacre la supériorité des Traités internationaux sur les lois nationales : « les
Traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité

Page 74 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou Traité, de son application
réciproque par l’autre partie ».

Ce n’est cependant pas ainsi que l’a entendu le Conseil d’Etat jusqu’à une époque très
avancée.

Aux termes d’une jurisprudence passablement teintée de nationalisme juridique, dite


« Jurisprudence des semoules », il faisait, en effet, prévaloir les traités sur les lois
antérieures qu’il considérait comme abrogées par ceux-ci.

En revanche, en cas de conflit entre un traité et une loi postérieure, il faisait prévaloir la loi
sur le traité au motif classique que procéder différemment revenait à exercer un contrôle de
conformité de la loi par rapport au traité.

Or, en vertu de sa jurisprudence traditionnelle - dont la théorie de l’écran législatif constitue


une autre illustration -, le juge administratif ne se reconnaît pas un tel pouvoir (CE,
Section, 1er mars 1968, Syndicat général des fabricants de semoule de France, AJDA 1968, p.
235, concl. N. Questiaux).

Pendant de longues années, le Conseil d’Etat s’est arquebouté sur cette position. Il ne l’a
abandonnée qu’avec son arrêt d’Assemblée « Nicolo » du 20 octobre 1989 (GAJA n° 93)
rendu sur les conclusions de M. Frydman.

Encore ne l’a-t-il fait qu’implicitement, ce qui montre sa réticence à renverser sa


jurisprudence antérieure.

Il est vrai que l’affaire était d’importance puisqu’il s’agissait, ni plus ni moins, que de
déterminer si le législateur national devait désormais s’incliner devant l’ordre juridique
international en général et communautaire en particulier.

L’abondance des recensions et commentaires dont l’arrêt « Nicolo » a fait l’objet (conclusions
reproduites dans pas moins de 7 revues et 22 annotations répertoriées) atteste d’ailleurs de
cette importance.

Le Conseil d’Etat a récemment étendu cette solution au cas d’une loi organique (CE, 6 avril
2016, n° 380570, Blanc et a., Lebon ; Droit adm. 2016, n° 50, note G. Eveillard).

Page 75 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

C’est à ce titre que l’arrêt « Nicolo » mérite qu’on en explique les raisons et fondements (§1) ;
la portée de la solution qu’il consacre (§2) et les limites – relativement faibles – qu’il lui pose
(§3).

§1 : Les raisons et fondements de la jurisprudence « Nicolo »

Ces raisons, dont on ne trouve trace dans l’arrêt lui-même, ont été longuement exposées par le
Commissaire du Gouvernement Frydman.

De ses explications, on en retiendra trois principales.

• La première tient à l’isolement de la position du Conseil d’Etat qui était contredite


tant par la Cour de cassation (Chambre mixte, 24 mai 1975, Société des Cafés Jacques
Vabre, AJDA 1975, p. 567, Note J. Boulouis) que par la CJCE (arrêt Simmenthal du 9
mars 1978, AJDA 1978, p. 323, note du même auteur).

• La deuxième raison réside en ceci que la position du Conseil d’Etat était directement
contraire à l’article 55 de la Constitution qui consacre la supériorité des traités sur
la loi.

En faisant prévaloir sur eux les lois postérieures, le Conseil d’Etat méconnaissait donc la
Constitution.

Cet article 55 a d’ailleurs permis au Conseil d’Etat d’opérer un revirement sans


enfreindre les principes les plus classiques de sa jurisprudence : en faisant primer les traités
sur la loi, il estime ne pas se reconnaître le pouvoir de contrôler cette dernière.

Il ne fait, à strictement parler, que se conformer aux dispositions de l’article 55 de la


Constitution et à régler un conflit de normes ainsi qu’elle le prévoit. Il se fonde donc sur
l’existence d’une règle de conflit posée par l’article 55 de la constitution.

• Enfin, le revirement opéré par le Conseil d’Etat permettait de combler un vide


juridique : le Conseil Constitutionnel se refuse, en effet, à vérifier la conformité
de la loi par rapport aux traités, prétextant notamment qu’aucune disposition de la

Page 76 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

Constitution ne lui confère un tel pouvoir (Conseil Constitutionnel, 15 janvier 1975,


IVG, AJDA 1975, p. 134, note J. Rivero).

Le Conseil Constitutionnel est juge de la constitutionnalité des lois, non de leur


conventionnalité.

Le Conseil d’Etat était donc seul à pouvoir assurer la supériorité des traités
internationaux sur les lois.

• Sans doute faut-il également ajouter à ces raisons, une dernière, tenant à ce que dans
un contexte d’intégration européenne croissante, la solution qui consistait à
permettre à la loi de méconnaître le droit international et communautaire était
devenue intenable.

§2 : La portée de la jurisprudence « Nicolo »

Il reste à mesurer la portée de cette jurisprudence.

. En premier lieu, le juge administratif exerce un contrôle de l’applicabilité de la loi et


non de sa validité comme le fait le Conseil constitutionnel dans la cadre d’une QPC.

La conséquence en est qu’en cas de contrariété entre une loi et un traité, le juge administratif
fait prévaloir le traité. Il apprécie donc la légalité de l’acte administratif qui lui est déféré par
rapport à ce dernier et non par rapport à la loi, qu’il écarte pour la solution du litige. Celle-ci
se trouve donc écartée, mais ne disparaît pas de l’ordonnancement juridique.

Ce faisant, il estime ne pas s’ériger en censeur de la loi, mais se borner à régler un conflit
de normes dans le sens imposé par l’article 55 de la Constitution (CE, 5 janvier 2005,
Mlle Deprez, Droit administratif 2005, n° 51).

➢ On appréciera la portée de cette solution en relevant par exemple que le juge


administratif peut écarter une loi de validation d’actes administratifs illégaux
(actes unilatéraux ou contrats).

En effet, selon la formule désormais classique de la jurisprudence, « aux termes du 1 de


l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
Page 77 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

fondamentales : Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement,


publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi
par la loi, qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil
(...) ; que l'Etat ne peut, sans méconnaître ces stipulations, porter atteinte au droit de toute
personne à un procès équitable en prenant, au cours d'un procès, des mesures législatives à
portée rétroactive qui ont pour effet de faire obstacle à ce que la décision faisant l'objet de ce
procès puisse être utilement contestée, sauf lorsque l'intervention de ces mesures est justifiée
par d'impérieux motifs d'intérêt général » (pour des applications récentes (CE, Sect., 10
novembre 2010, Communes de Palavas-les-Flots et de Lattes, n° 314449 et 314580, RFDA
2010.124, concl. N. Boulouis).

• La deuxième conséquence de l’arrêt Nicolo est que le principe de supériorité des


conventions internationales s’applique à toutes les lois,

- quelle qu’en soit la date,

- qu’elles soient donc antérieures ou postérieures au traité

- et la nature (qu’elles soient ordinaires, organiques ou référendaires).

- Seules les lois constitutionnelles échappent à ce principe.

• La troisième conséquence induite de l’arrêt Nicolo est que la supériorité des normes
internationales ne se limite pas aux seuls traités, ni même aux traités communautaires,
mais s’étend également aux normes internationales dérivées, qu’il s’agisse notamment
de règlements ou de directives communautaires (voir respectivement CE, 24 septembre
1990, Boisdet, AJDA 1990, p. 863, chron. ; Ass. 28 février 1992, SA Rothmans
International France, Rec. CE, p. 80, concl. M. Laroque ; AJDA 1992, p. 210, concl. et
chron. p. 329).

On mesure à cette conséquence la portée remarquable de la jurisprudence Nicolo : elle


signifie qu’un administré pourra demander l’annulation d’un acte administratif qui
méconnaît une directive (ou un règlement) communautaire alors même qu’il est
conforme à une loi.

Page 78 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

La solution est logique dès lors que la directive ou le règlement se voient reconnaître une
valeur supérieure à celle des lois. Mais elle a pour effet d’imposer au législateur le
respect d’actes pris par des instances dépourvues de caractère démocratique (et qui, au
surplus adoptent une quantité considérable d’actes).

Le Constituant en a d’ailleurs eu conscience en prévoyant dans l’article 88-4 de la


Constitution que le Parlement doit être saisi des projets ou propositions d’actes des
communautés européennes ou de l’Union européenne comportant des dispositions de
nature législative (révision du 25 janvier 1999), ce qui a pour but d’éviter les contrariétés
entre la loi et les règles communautaires.

. Un quatrième prolongement de l’arrêt Nicolo consiste en ceci qu’en présence d’une loi incompatible avec
les règles communautaires, le ministre en charge de la matière peut donner instruction à ses services de ne
pas l’appliquer, sans être autorisé pour autant à édicter des dispositions réglementaires qui viendraient se
substituer à la loi (CE, 27 juillet 2006, Association Avenir de la Langue Française, Droit administratif 2007,
n° 11).

. Enfin, la jurisprudence récente considère que la responsabilité de l’Etat peut être engagée pour réparer
l’ensemble des préjudices qui résultent de l’intervention d’une loi adoptée en méconnaissance des
engagements internationaux de la France (CE Assemblée, 8 février 2007, Gardedieu, RFD adm. 2007, p.
361, concl. Derepas et p. 525, note D. Pouyaud : à propos d’une loi de validation ayant entraîné le rejet
d’une contestation de cotisations de sécurité sociale fixées par un règlement illégal ; CAA de Paris, 4 avril
2007, M. Abovilier, AJDA 2007, p. 1085, concl. B. Folscheid : action des anciens salariés d’UTA en
réparation du préjudice subi à la suite de la fusion de leur compagnie avec Air France, action fondée sur
l’inconventionnalité d’une disposition législative).

Tout en confirmant cette responsabilité de l’Etat du fait des lois, la jurisprudence est cependant venue préciser
qu’elle ne se trouve pas engagée lorsque le préjudice invoquée résulte non pas de la loi elle-même, mais de la
portée qui lui a été ultérieurement conférée par la jurisprudence (CE, 2 juillet 2014, n° 354365, Société d’édition
et de protection route [SEPR], RJEP 2014, n° 49, concl. A. Lallet et l’étude de G. Alberton, Le législateur peut-il
rester irresponsable, AJDA 2014, p. 2350 : à propos de l’interprétation en 1996 par la Cour de Cassation d’une
loi de 1993 relative au licenciement économique de salariés qui, selon la société requérante, méconnaissait les
principes de sécurité juridique et de confiance légitime ainsi que le droit à un procès équitable reconnus
respectivement par le droit communautaire et la CEDH. En l’espèce, la société requérante avait adopté la mesure
jugée contraire à la loi peu de temps après que l’arrêt de la Cour de Cassation interprétant celle-ci soit intervenu).

§3 : Les limites de la jurisprudence « Nicolo »

• La suprématie des normes internationales sur les lois nationales comporte


cependant une limite.

Page 79 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

En ce qui concerne les conventions internationales, elle ne joue que si la condition de


réciprocité prévue par l’article 55 de la Constitution est remplie, autrement dit si le traité ou
l’accord est également appliqué par l’autre partie.

Jusqu’à une époque récente, en cas de difficulté sérieuse sur la réalisation de cette condition,
le juge administratif prononçait un sursis à statuer et renvoyait au ministre des affaires
étrangères le soin de se prononcer (CE, Ass. 29 mai 1981, Rekhou, AJDA 1981, p. 459,
chron.), car il ne s’estimait pas compétent pour trancher ce genre de question.

Dans un premier temps, cette solution a été maintenue malgré l’abandon par le Conseil
d’Etat de la technique du renvoi au ministre des affaires étrangères pour interprétation
des traités, car autant le juge est armé pour interpréter un texte, fût-il une norme
internationale, autant il est mal placé pour apprécier son application par un Etat étranger (CE,
Ass. 9 avril 1999, Mme Chevrol-Benkeddach, Rec. CE, p. 115 ; AJDA 1999, p. 401, chron.).

Cette solution ayant été condamnée par la CEDH (13 février 2003, Chevrol, AJDA 2003,
p. 1984, note T. Rambaud), le Conseil d’Etat l’a abandonnée récemment (CE, 9 juillet
2010, Mme Cheriet-Benseghir, Droit adm. oct. 2010, comm. n° 131, note M. Gautier ; RFDA
2010.1133, concl. G. Gumortier et note J-F. Lachaume ; AJDA 2010, p. 396 et chron. S.-J
Liéber et D. Botteghi, p. 1635 – Voir également au sujet de cet arrêt, L. Fabius, Du Quai
d’Orsay au Palais-Royal : accords internationaux et réciprocité, AJDA 2014, p. 123).

• Concernant les pouvoirs du juge des référés,

- dans un premier temps, le Conseil d’Etat a considéré qu’il ne lui appartient pas
compte tenu de son office, c’est-à-dire de l’examen nécessairement rapide des
questions de droit soulevées devant lui, de se prononcer sur la compatibilité d’une loi
avec une norme internationale, sauf si une décision juridictionnelle a déjà statué sur ce
point (CE, 30 décembre 2002, Ministre de l’aménagement du territoire c/ M.
Carminati, Rec. CE p.510 ; AJDA 2003, p. 1065, note O. Le Bot ; CE, 21 octobre 2005,
Association Aides et autres, Rec. CE p. 438 ; AJDA 2006, p. 944, note H. Rihal ; CE, ord. 9 décembre
2005, Allouache, n° 287777, Rec. Lebon, p. 562 ; AJDA 2005.2374 ; et sur la question, C. Groulier,
Contrôle de conventionnalité de la loi et référé, AJDA 2007, p. 1274)

- Cette position a évolué en deux temps :

➢ Le Conseil d’Etat a d’abord jugé qu’un tel contrôle relève de l’office du juge di
référé-liberté, « en cas de méconnaissance manifeste des exigences qui découlent du
droit de l’Union », trois conditions de nature à encadrer les pouvoirs du juge des

Page 80 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

référés (CE, 16 juin 2010, Diakité, AJDA 13 sept. 2010.1662, note O. Le Bot ; A.
Zaradny, Le contrôle de conventionnalité du juge administratif des référés, JCP A
2011, n° 2379).

Il eût, en effet, été paradoxal que le juge des référés puisse donner suite à une QPC et ne
pas pouvoir écarter la loi contraire au droit de l’Union européenne (voir ci-dessus les
développements concernant Cassation 16 avril 2010, Melki, préc. ; CJUE, 22 juin 2010, aff.
C-188/010, Melki ; CE, 14 mai 2010, Rujovic, n° 312305, préc.).

➢ Puis au regard des stipulations de la CEDH

CE, Ass., 31 mai 2016, n° 396848, Mme Gonzalez-Gomez, RFDA 2016.740, concl. A.
Bretonneau, note P. Delvolvé ; AJDA 252016.1398, chron.

Dans cette affaire, le juge du référé-liberté accepte de confronter à l’article 8 de la CEDH qui
garantit le droit au respect de la vie privée, les dispositions du code de la Santé publique dont
il résulte qu’en principe, le dépôt et la conservation des gamètes ne peuvent être autorisées,
en France, qu’en vue de la réalisation d’une assistance médicale à la procréation entrant dans
les prévisions légales du code de la santé publique, notamment dans le cas où la prise en
charge médicale d’une personne est susceptible d’altérer sa fertilité, ou dont la fertilité risque
d’être prématurément altérée et qui interdisent que des gamètes déposés en France puissent
faire l’objet d’une exportation, s’ils sont destinés à être utilisés, à l’étranger, à des fins qui
sont prohibés sur le territoire national. Au terme d’un contrôle in concreto de l’atteinte portée
au droit au respect de la vie privée, le juge en juin à l’administration de procéder à
l’exportation des gamètes vers l’Espagne).

➢ La question se pose de l’extension de cette solution au référé-suspension.

Section 4 : Les rapports entre les normes internationales

La question s’est posée de la résolution des conflits entre deux normes internationales dont
l’une a servi de fondement à l’acte administratif, par exemple entre un traité international
établissant une discrimination et la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l’homme (CE, Ass., 23 décembre 2011, M. Kandyrine de Brito, n° 303678, Rec. Lebon ;
RFDA 2012, p.1, conclusions J. Boucher et l’étude de M. Gautier : le Conseil d’Etat et les

Page 81 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

conflits entre conventions internationales : du nouveau, mais pas trop, Droit administratif
2012, étude 11 ; JCP A 2012, jurisp. p. 15 ; AJDA 06.02.2012 point 201, chronique X.
Domino et A. Bretonneau).

Après avoir abandonné la référence à la norme plus récente, le Conseil d’Etat s’est arrêté sur
les principes du droit coutumier relatifs à la combinaison entre elles des conventions
internationales (CE 21 avril 2000, Zaidi, n° 206902, Rec. Lebon, p. 159).

Le raisonnement du juge pour identifier la norme à appliquer et la solution à apporter au


conflit est alors le suivant :

• A titre liminaire, il convient d’écarter de la solution la norme européenne qui est


toujours considérée comme supérieure comme faisant partie de « l’ordre juridique
intégré ».

• Sous cette réserve, et en premier lieu, le juge va d’abord vérifier que la norme qui
rendrait illégale la décision prise par l’administration en application de ses
stipulations est bien en vigueur dans l’ordre juridique interne et invocable devant
le juge administratif (v. supra).

• En deuxième lieu, le juge va faire intervenir le droit coutumier pour définir les
modalités d’application respectives des deux normes afin de les rendre conciliables
au besoin en les interprétant au regard des règles et principes à valeur
constitutionnelle.

• En troisième lieu, si la conciliation est impossible et si aucun des deux textes ne peut
être écarté à l’issue de cette tentative de conciliation, le juge applique « la norme
internationale dans le champ de laquelle la décision administrative contestée a
entendu se placer et pour l’application de laquelle elle a été prise ».

En conséquence, le fait la décision de l’administration, en respectant une norme en ignore


nécessairement une autre, n’a pas d’effet sur sa légalité.

Page 82 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

En revanche, une telle situation est susceptible d’engager la responsabilité de l’Etat tant dans
l’ordre international que dans l’ordre interne.

Page 83 sur 84
Droit administratif 2ème année – 2016-2017

Cours de MM. les Professeurs P. SOLER-COUTEAUX et W. ZIMMER

Page 84 sur 84

Vous aimerez peut-être aussi