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SUJET 6: LE FOR EUROPÉEN DU DÉLIT À L’ÉPREUVE DES DROITS DE LA

PERSONNALITÉ:

Dans sa traditionnelle vision hégémonique, le droit de l’Union Européenne a


souhaité unifier la détermination du for en matière délictuelle. Pour ce faire, le Règlement
Bruxelles I bis, a posé, dans son article 7, trois situations alternatives à celle posée par
l’article 4, qui prévoit la compétence de principe des juridictions du domicile du
défendeur. Le for du délit est un for spécial.
L’article 7 paragraphe 2 du Règlement Bruxelles 1 bis prévoit qu’« une personne
domiciliée sur le territoire d’un Etat membre peut être attraie dans un autre Etat membre:
en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait
dommageable s’est produit ou risque de se produire ».
Le for du délit est à associer avec le type de dommage et notamment ceux, plus
complexes, relatifs aux droits de la personnalité. Il n’existe pas un seul droit de la
personnalité mais un ‘droit général à la protection de la tranquillité et de la dignité’ qui
sont ainsi variées. Les droits de la personnalité concernent entre autre le secret
professionnel, internet, les écoutes téléphoniques, le respect de la vie privée tout comme
le droit à l’image, à la voix ou au nom…

La combinaison du for du délit et des droits de la personnalités nous poussent à


nous poser la question suivante: Dans quelle mesure le principe du for du délit est mis
à l’épreuve par la complexité du droit de la personnalité donnant ainsi une faveur au
demandeur ?
Dans quelle mesure le principe du for du délit est aménagé face à la complexité des
droits de la personnalité ?

Dans un premier temps nous verrons quel est le champ d’application ordinaire du
for du délit (I) et dans un second temps nous verrons comment ce for est concilié avec la
complexité d’un litige portant sur un droit de la personnalité (II).

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I- LE CHAMP D’APPLICATION TRADITIONNEL DU FOR DU DÉLIT:

L’article 5 paragraphe 3 du Règlement de Bruxelles 1 bis énonce les requis pour


déterminer le for du délit. Tout d’abord, il faut que les circonstances relèvent de la
matière délictuelle: « en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du
lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ».
La matière délictuelle fut définie par l’arrêt KALFELIS de 1988. La CJCE retient que la
matière délictuelle vise toutes les actions ayant objet de mettre en jeu la responsabilité et
ne se rattachant pas à la matière contractuelle de l’article 5 paragraphe 1 du Règlement
de Bruxelles 1 bis. Sachant que la matière contractuelle fut, quant à elle, définie par
l’arrêt JAKOB HANDTE de 1992 comme étant la matière regroupant tout engagement
librement assumé par une partie envers l’autre.

Une fois la matière délictuelle du litige établie, il convient de se poser la question


du lieu du fait dommageable. Encore une fois, il faut se pencher sur la définition du
dommage au sens de la CJCE. Dans l’arrêt MINE DE POTASSE D’ALSACE de 1976, la
CJCE avait retenu comme lieu du dommage celui ou avait été subi le dommage. Mais se
pose alors la question de la détermination du lieu lorsque le dommage a été subi à
plusieurs échelles et/ou à plusieurs endroits. Ainsi, un dédoublement est effectué au
profit du demandeur. Ce dernier peut, au choix, choisir le lieu ou l’évènement est survenu
ou le lieu de l’événement causal du dommage.

Ce choix offert au demandeur ne demeure pas moins complexe car emporte deux
conséquences:
- Définir la notion de dommage surtout lorsqu’il est financier ou par ricochet.
- Définir l’étendue du dommage ce qui n’est pas chose aisée en ce qui concerne les
délits de presse, ou sur internet.

Pour ce qui est de la notion de dommage, classiquement la CJCE le définis comme direct
rejetant la possibilité d’invoquer un préjudice par ricochet: arrêt DUMEZ de 1990, CJCE.
Aussi, en matière financière, le lieu ou s’est matérialisé pour seul dommage une perte
financière pure ne saurait consister le lieu du fait dommageable. C’est ce qu’a considéré
la CJCE en 2016, UNIVERSAL MUSIC.

Dans un second temps il faut définir l’étendue et le lieu du dommage.


Dans l’affaire Romy Shneider ou dans l’affaire Caroline de Monaco portant sur un délit
de presse, la publication est considérée comme un fait générateur et le lieu du fait
générateur serait le lieu ou a été imprimé le journal mais également tous les lieux ou le
journal a été diffusé. La jurisprudence a choisi la première solution: on rapproche le lieu
de l’évènement causal du lieu du domicile du défendeur.
Dans le cas des deux affaires précitées, le journal fut édité en France, le juge compétent
était dès lors le juge français mais n’aurait pu connaitre une compétence pour les
demandes en réparation portant sur un dommage subit dans un autre Etat membre par
exemple.

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La Cour de cassation a quant à elle décidé (décision qu’on peut considérer de principe),
que la loi applicable serait celle de l’Etat du lieu ou le fait dommageable s’est produit (ce
lieu s’étend également au lieu du fait générateur ou du lieu de réalisation de ce
dommage) et assoit dès lors le principe de proximité « pays qui présente les liens les plus
étroits avec le fait dommageable ». Cependant la jurisprudence n’est pas fixée sur ce
point.

Dans tous les cas, la détermination du for du délit est conciliée avec le droit de la
personnalité afin d’accorder une faveur au demandeur dont le droit de la personnalité a
été bafoué.

II) UNE MODULATION DES RÈGLES TRADITIONNELLES DU FOR DU DÉLIT EN


MATIÈRE DE DROITS DE LA PERSONNALITÉ: FAVEUR OFFERTE À LA VICTIME
DEMANDERESSE.

En droit français, les atteintes à la vie privée sont sanctionnées sur le plan civil par les
dispositions de l’article 9 du CC. Les atteintes à ces droits sont sanctionnées par le Code
pénal. Les droits de la personnalité et spécialement les droits relatifs à la vie privée sont
constitutionnellement protégés (article 2 DDHC).

Aussi, consacrer le forum actoris (compétence du tribunal du demandeur) en matière


délictuelle revient à reconnaitre la compétence des tribunaux du domicile du demandeur.
Cette consécration est destinée à protéger ce dernier. Lors d’une procédure judiciaire la
proximité géographique, culturelle et juridique est un avantage pour une partie.
Cependant, les fors ne doivent pas se multiplier sans quoi l’objectif de bonne
administration de la justice ou de sécurité juridique pourraient être mouvementé pour
laisser place à des abus.

Avec l’essor des nouvelles technologies, il est apparu de manière significative que
certains délits ‘complexes’ nécessitaient une modulation des règles de compétence, du
fait de la nature de ces délits et de l’étendue des dommages subis. Le délit de presse ou
de diffamation au niveau international par exemple sont des délits considérés comme
‘complexes’ en ce qu’ils englobent plusieurs lieux. Ce fut notamment le cas en matière de
presse écrite (CJCE, 1995, FIONA SHEVILL ou encore l’affaire Romy Schneider ou
Caroline de Monaco) et en matière de délit sur internet, que l’agent soit une personne
physique (CJUE, 2011, E-DATE) ou morale (CJUE, 2017, BOLAGSUPPLY).

Le juge du dommage n’est compétent que pour connaitre de la seule réparation du


dommage local. Pour les atteintes portées au droit de la personnalité d’une personne
physique, on se réfère à une jurisprudence du 25 octobre 2011 ‘E-DATE’. Relatif à un
contenu qui avait été diffusé sur internet ayant donné lieu à des commentaires portant
atteintes aux droits de la personnalité d’un individu.

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L’approche mosaïque revient à fractionner le contentieux pour multiplier les saisine


de juge et espérer obtenir une meilleure indemnisation. Cependant, cette approche n’est
pas possible en ce qui concerne les demandes indivisibles comme ce fut le cas dans
l’arrêt BOLAGSUPPLY de 2017: demande de rectification des données sur internet et la
suppression de ces données. Cette demande n’est pas divisible contrairement à la
demande de l’affaire e-date. Alors le juge compétent est celui du lieu ou ce trouve le
centre d’intérêt de la victime. Le centre d’intérêts de la personne morale est le lieux ou
elle exerce son commerce.

Dans l’arrêt du 07 mars 1995, Fiona Shevill la CJCE estime qu’il est toujours possible de
saisir le for du demandeur. Ce for sera compétent pour réparer tous les dommages. Une
double compétence est alors reconnue:
- Compétence générale devant les juridictions du pays d’établissement de l’émetteur
(personne physique), ou le pays dans lequel se trouve le centre des intérêts de la
personne morale.
- Compétence restreinte devant les juridictions du pays dans lequel le dommage a été
subis, mais ces juridictions ne seront compétentes que pour le dommage subis dans
cet État.
Cette possibilité offerte à la victime lui est évidemment favorable, puisqu’en cas de
multiplicité des dommages elle pourra centraliser son action devant une seule et même
juridiction.

De plus, il doit être souligné que cette option reconnue au demandeur n’est soumise à
aucune condition, ce que la Cour justifie par l’équivalence parfaite entre les deux voies
ouvertes. Ainsi, le droit de s’opposer à l’utilisation de sa personnalité est soumis à la loi
du lieu de commission de l’atteinte, celui d’y consentir à la loi du contrat.

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