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Ohadata D-16-07

LA RESPONSABILITÉ PÉNALE DE LA PERSONNE


MORALE AU CAMEROUN : REGARD CRITIQUE SUR
UNE MUTATION DU DROIT PÉNAL

Par

Frédéric DJAKBA PAGOU


Docteur en Droit des Affaires, Substitut du Procureur de la République près les Tribunaux de
Première et de Grande Instance de Kumbo

1
LA RESPONSABILITE PENALE DE LA PERSONNE MORALE AU CAMEROUN :
REGARD CRITIQUE SUR UNE MUTATION DU DROIT PENAL

Par
Frédéric DJAKBA PAGOU
Docteur en Droit des Affaires,
Substitut du Procureur de la République
près les Tribunaux de Première et de Grande Instance de Kumbo

Réfléchir sur la responsabilité pénale de la personne morale, au regard du droit positif


camerounais, peut sembler curieux dans la mesure où la question semble tranchée par le
législateur et consolidée par la jurisprudence, à savoir qu’en vertu de l’article 74 du code pénal,
seules les personnes physiques sont susceptibles d’être déclarées pénalement responsables1. La
responsabilité pénale suppose un élément intentionnel qui fait défaut aux personnes morales.
Ces dernières n’étant que des fictions juridiques qui s’incarnent dans les personnes physiques
qui les animent, le législateur pénal leur méconnait, non seulement la volonté tout court, mais
surtout la volonté de faire mal. Il s’ensuit que la personne morale est exclue de la catégorie des
êtres pénalement responsables.
Cette exclusion du champ répressif est l’héritage du rejet de la responsabilité pénale
des groupements en France et dans certains pays de la common law pendant tout le XIXème
siècle. Ce rejet que l’on résumait volontiers par l’adage « sociétas delinquere non potest », était
étayé par trois arguments fondamentaux.
Le premier argument soutenait que le groupement est une fiction dénuée de toute
volonté personnelle, attribut des seuls individus et condition indispensable de la responsabilité.
Ensuite, l’on avançait que le groupement n’accède à la vie juridique qu’en vue d’un objet social
qui ne saurait évidemment être la commission des infractions. Et enfin, il existe, disait-on, une
incompatibilité entre peine et groupement, l’idée de peine ne pouvant correspondre qu’à des
individus2. En plus de ces arguments fondamentaux, était convoquée l’idée d’injustice,

1
L’article 74 alinéa 2 du code pénal dispose précisément que : « est pénalement responsable celui qui
volontairement commet les faits caractérisant les éléments constitutifs d’une infraction avec l’intention que ces
faits aient pour conséquence la réalisation de l’infraction ». Cette disposition est le fondement légal de l’élément
intentionnel ou moral de l’infraction et donc de la responsabilité pénale. La personne morale étant considérée
comme un être fictif dépourvu de volonté, elle ne saurait être concernée par cette disposition. Il s’ensuit que seuls
les êtres dotés de la faculté de vouloir, les personnes physiques en l’occurrence, sont susceptibles de tomber sous
le coup de l’alinéa 2 de l’article 74 du code pénal.
2
Sur l’ensemble de ces arguments, lire VIDAL (J.), Cours de droit criminel et de science pénitentiaire, 2ème édition,
1901, n°65 bis.

2
puisqu’« en punissant la personne morale (…), on frappe indistinctement et indifféremment
tous les membres, ceux qui ont voulu le délit et ceux qui ne l’ont pas voulu (…) »3.
Le code pénal camerounais promulgué en 1965, c’est-à-dire aux lendemains des
indépendances, a cru devoir adopter la position française sur la question en rejetant à son tour
la responsabilité pénale de la personne morale4. Malgré les multiples révisions qu’a subies ce
code depuis lors5, le principe général du rejet, cristallisé dans l’article 74 dudit code, n’a guère
été modifié.
Pourtant, la France a changé d’orientation depuis l’extrême fin du XIXème siècle et, de
plus en plus nettement, au cours du XXème siècle6. A l’origine de ce changement se trouve le
développement du droit des affaires et donc du droit pénal des affaires auquel il a donné
naissance7. L’on a remarqué que des infractions sont très souvent commises dans le cadre d’une
entreprise, et que celle-ci apparaît comme l’ « instrument » par lequel agissent certains
individus. Ce constat ayant relancé le débat sur la responsabilité pénale des personnes morales,
tous les arguments naguère invoqués pour rejeter cette responsabilité ont été balayés et le
législateur a fini par la consacrer lors de la refonte du code pénal intervenue en 19948.
Rigoureusement encadré, ce principe exclut cependant certaines entités de la responsabilité
pénale, notamment l’Etat et ses démembrements (collectivités territoriales décentralisées)9. Par
ailleurs il faut, pour déclarer la personne morale responsable pénalement, que l’infraction à elle
imputée soit commise par son organe ou son représentant pour son compte ou dans son intérêt10.

3
ROUX (J.A.), Rapport au Congrès de l’Association Internationale de Droit Pénal, tenu à Bucarest en 1929,
R.I.D.P., 1930.60.
4
Le code pénal camerounais a été adopté par la loi n°65-LF-24 du 12 novembre 1965 portant institution d’un code
pénal.
5
L’on peut relever deux importantes révisions : celle de 1972 intervenue pour réprimer sévèrement le grand
banditisme et celle de 1990 qu’a occasionnée le vent de liberté qui a soufflé sur plusieurs Etats africains.
6
PRADEL (J.), Droit pénal général, cujas, 18ème édition, p. 428, n°535.
7
L’expression « droit pénal des affaires » aurait fait son apparition récemment avec la naissance du droit des
affaires qu’il a fallu substituer au droit commercial dans les années 1960 et c’est pour lutter contre la criminalité
particulière du monde des affaires que ce droit a été conçu. Lire à ce propos AUGUSTIN (J.M.), « Introduction
historique au droit pénal des affaires », in revue pénitentiaire, 2002, pp.7 et s.
8
PRADEL (J.), op. cit., pp.429 et 430 ; MATSOPOULOU (H.), « Les conséquences de la généralisation de la
responsabilité pénale des personnes morales », Revue Lamy, Droit et Patrimoine, 2006-149, pp.1 à 13.
9
L’exclusion de l’Etat est absolue tandis que celle des collectivités territoriales l’est à condition qu’elles ne
commettent pas l’infraction à l’occasion de l’exercice d’une activité relevant normalement des organismes du
secteur privé.
10
Sur les conditions de cette responsabilité, lire utilement CARTIER (M.E.), « La responsabilité des personnes
morales », in le nouveau code pénal, enjeux et perspectives, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, 1994, pp. 37
et s. ; DELMAS-MARTY (M.) et alii, « La responsabilité pénale dans l’entreprise. Vers un espace judiciaire
unifié ? », in R.S.C., 1997, pp.253 et s. ; DANTI-JUAN (M.), « La responsabilité pénale des sociétés », in
R.P.D.P., 2002.91 ; DESPORTES (F.), « Le nouveau régime de la responsabilité pénale des personnes morales »,
in J.C.P., 1995, édition C.I.I., pp.219 et s. ; PRADEL (J.), « La responsabilité pénale des personnes morales en
droit français. Quelques questions », séminaire pénal tenu à Fribourg-en-Brisgau les 2-3 mai 1998, R.P.D.P., 1998,
pp.153 et s., du même auteur, Droit pénal général, Cujas, 18ème édition, op.cit., pp. 435 à 442.

3
Le Cameroun a aussi, au fil de l’histoire et dans des domaines spécifiques, admis la
responsabilité pénale de la personne morale11. Cette reconnaissance limitée et marginale,
rendue nécessaire par l’apparition de nouvelles formes de criminalité et l’adhésion du pays à
certaines organisations internationales, a suivi une trajectoire interne et externe. Le constat est
en effet que l’adhésion du Cameroun à l’OHADA et à la CEMAC notamment et l’abandon
partiel de souveraineté concédé en matière répressive par le législateur national au profit de son
homologue communautaire n’ont pas épargné les assises du droit pénal interne en vigueur. De
même, la nécessité de combattre les nouvelles formes de criminalité, à l’instar de celles
apparues avec le développement des nouvelles techniques de l’information et de la
communication ou de la protection de l’environnement, a donné lieu à une multiplication
d’instruments juridiques au plan interne consacrant la responsabilité pénale de la personne
morale.
Mais la multiplication des textes spéciaux ne pouvait pas suffire à faire émerger un
principe général de la responsabilité de la personne morale au Cameroun. Il fallait conférer au
principe une portée générale en l’insérant dans un texte de portée tout aussi générale. Ayant
ainsi commencé à effriter l’irresponsabilité pénale du groupement par petites touches, le
législateur a fini par l’évacuer complètement en rendant le groupement pleinement responsable
dans le projet de réforme du code pénal. C’est ainsi que dans l’avant-projet de révision du code
pénal, le législateur indique expressément à l’article 100-1 que « les personnes morales, à
l’exclusion de l’Etat et des collectivités territoriales décentralisées et des démembrements de
celles-ci sont responsables pénalement des infractions commises par leurs organes ou
représentants agissant pour leur compte (…) ». Ce changement de cap qui constitue à juste titre
une révolution dans la mesure où il sape nombre d’assises de notre droit répressif, soulève
d’importantes questions qui appellent notre attention12.
Pourtant ce changement annoncé, si important soit-il, ne semble pas assez perceptible
au regard du peu d’intérêt que lui porte la communauté scientifique nationale13. L’indifférence

11
On peut citer, à titre indicatif, la loi n°89/27 du 29 décembre 1989 portant sur les déchets toxiques et dangereux
(article 4 alinéa 3) ; la loi n°94/01 du 10 janvier 1994 portant régime des forêts, de la faune et de la pêche (article
150 alinéa 1) ; la loi n°99/015 du 22 décembre 1999 portant création et organisation d’un marché financier ( article
35 alinéa 1) ; la loi n°05/015 du 29 décembre 2005 relative à la lutte contre la traite et le trafic des enfants (article
7) ; la loi n°2010/012 du 21 décembre 2010 relative à la cybersécurité et à la cybercriminalité (article 64 alinéa 1).
12
Parmi les multiples questions que soulève la responsabilité pénale du groupement, l’on peut, sans prétendre à
l’exhaustivité, mentionner celles relatives aux conditions ratione personae et ratione matériae de ladite
responsabilité, aux sanctions et modalités de leur exécution, à l’opportunité et à l’efficacité de la sanction, etc.
13
A l’exception de NTONO TSIMI (G), « Le devenir de la responsabilité pénale des personnes morales en droit
camerounais. Des dispositions spéciales vers un énoncé général », Juridis Périodique n°89, pp.82 et s., et de
NGUIHE KANTE (P.), « où en est la responsabilité pénale des entreprises en droit camerounais ? », Juridis
Périodique n°87, pp.53 et s., peu d’auteurs, à notre modeste connaissance, ont étudié la responsabilité pénale des

4
affichée pourrait se justifier par le fait que, considérant le droit pénal des affaires comme un
« angle mort » du droit donnant lieu à un contentieux peu fréquent, la doctrine nationale ait
minimisé le changement, et en tout cas, ne l’ait pas apprécié à sa juste valeur. Elle pourrait aussi
s’expliquer par le peu d’intérêt heuristique que suscite désormais le droit répressif chez nous,
peu d’intérêt dû au statisme du droit pénal de fond enserré dans un code pénal qui n’a pas
vraiment été modifié en profondeur depuis son adoption.
Si la multiplication des textes spéciaux ne suffit pas à construire un principe général
de la responsabilité pénale de la personne morale, il reste qu’elle a rendu nécessaire et inévitable
l’insertion d’un tel principe dans le code pénal à venir. L’on peut même penser qu’elle en a été
le préalable indispensable. Toujours est-il que suivant la réforme à venir, personne physique et
personne morale seront désormais toutes responsables pénalement. La question importante que
soulève une telle responsabilité est de savoir si le législateur a suffisamment pris en compte la
nature fictive de la personne morale dans son œuvre de réforme, étant donné que le prononcé
de la sanction pénale nécessite la mobilisation d’un ensemble de règles de fond mais surtout de
procédure. En d’autres termes, la seule réforme du code pénal suffit-elle pour sanctionner
efficacement la personne morale ? Suffit-il de sortir la responsabilité pénale de la personne
morale du particularisme des textes spéciaux pour faire reculer la criminalité générée par les
groupements ?
Cette problématique met en lumière la délicatesse du changement d’orientation et
l’ampleur de ses conséquences sur notre droit répressif. Son intérêt embrasse donc aussi bien le
volet purement théorique voire épistémologique que l’aspect pratique c’est-à-dire judiciaire.
Théoriquement, une telle problématique donne l’opportunité d’ouvrir la réflexion sur
l’impératif de préserver la logique d’ensemble des fondements du droit pénal et la nécessité
d’ajuster certains principes généraux de ce droit pour les rendre compatibles avec la nouvelle
donne. La responsabilité pénale étant le cœur du droit pénal, il faut convenir qu’elle ne saurait
être modifiée sans ébranler l’ensemble de l’édifice. Au plan judiciaire, la présente étude permet
modestement d’attirer l’attention sur les multiples difficultés pratiques prévisibles qui risquent
de porter un coup à l’efficacité de la réforme. Mais avant de se tourner vers l’avenir, il faut
poser un regard éclairant sur l’état actuel de la responsabilité pénale du groupement. La

personnes morales au Cameroun. Alors que le premier auteur s’attèle à montrer que l’énoncé général de la
responsabilité pénale du groupement au Cameroun n’est pas seulement le résultat d’une compilation des textes
spéciaux pour s’arrimer au vraisemblable du moment, mais plutôt l’expression d’une philosophie qui vise à sortir
cette responsabilité du particularisme des textes épars pour en faire un principe général codifié, le second auteur
pour sa part affirme que la responsabilité pénale des entreprises au Cameroun émerge de façon indirecte et ne
s’articule qu’autour de la sanction administrative, dont la nature est du reste controversée.

5
compréhension du nouveau régime de la responsabilité du groupement et des différents écueils
qui le guettent (II) ne s’éclaire qu’à la lumière des formes qu’ont pu emprunter les mutations
de ce régime au fil des âges (I).

I- LES FORMES DE LA MUTATION DE LA RESPONSABILITE PENALE DE


LA PERSONNE MORALE

La mutation du régime de la responsabilité pénale de la personne morale ne s’est pas


faite de façon spontanée. Elle est l’aboutissement ultime d’une impulsion législative orchestrée
au fil du temps, aussi bien au plan externe (A) qu'au plan interne (B).

A- LA MUTATION DU FAIT DU LEGISLATEUR COMMUNAUTAIRE

Pour faire face à la mondialisation et son cortège de défis sécuritaires, les Etats se
regroupent de plus en plus au sein d’organisations internationales voire communautaires. Le
phénomène est à la mode à en croire la prolifération d’organisations sous-régionales dans le
seul espace de l’Afrique centrale et de l’Afrique de l’Ouest. Cette prolifération est d’ailleurs
devenue préoccupante dans la mesure où ces diverses organisations secrètent des normes qui
portent sur les mêmes objets, entrainant des conflits de normes et de juridictions
communautaires14 qui jettent le sujet de droit dans une insécurité juridique de grande ampleur.
Cette insécurité est d’autant plus grande que ces conflits de normes donnent lieu aux conflits
d’ordres publics, nationaux ou communautaires, dont les solutions ne sont pas toujours
évidentes15.

14
Sur la question des conflits de normes et de juridictions, lire MOUANGUE KOBILA (J.), « Les rapports entre
la Cour de Justice de la CEMAC et la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA », in http://afrilex.u-
bordeaux4.fr; BA (D. B.), « Le problème de la compatibilité entre l’UEMOA et l’OHADA », in la libéralisation
de l’économie dans le cadre de l’intégration régionale : le cas de l’UEMOA, sous la direction de Mayer, Publication
du CEEI, n°3, Ouagadougou, Imprimerie presses africaines, 2001, p. 265 ; SAWADOGO, (F.M.), « Les conflits
entre normes communautaires : aspects positifs et prospectifs », communication au colloque sur « La concurrence
des organisations régionales en Afrique », Bordeaux, 28 septembre 2009 ; ISSA SAYEGH (J.), « Conflit entre
droit communautaire et droit régional dans l’espace OHADA », in www.ohada.com, ohadata D-06-05, pp. 4 à 5;
DECKON (F.K.), « Conflit de compétence », in revue de droit uniforme africain, n°3 ou www.ohada.com., ohadata
D-11-69, p. 5; TATY (G.), « Pluralité des juridictions régionales dans l’espace francophone et unité de l’ordre
juridique communautaire : problématiques et enjeux », in Revue Camerounaise de l’Arbitrage n° 47, avril-mai-
juin 2008, pp. 7 à 10 ; MAMADOU KONATE (I.), « L’OHADA et les autres législations communautaires
UEMOA, CEMAC, CIMA, OAPI, CIPRES, etc. », in www.ohada.com, ohadata D-11-95, p. 7; KOUASSI
KOUADIO, « Conflit de normes et application du droit communautaire dans l’espace OHADA », in actualités
juridiques, n°70/2011, pp. 42 à 53.
15
Sur cette question, lire DJAKBA PAGOU (F.), L’ordre public en droit des affaires de l’OHADA, Thèse de
Doctorat, Université de Yaoundé II- SOA, 26 juin 2015, pp. 12 et 13.

6
L’OHADA et la CEMAC font partie de ces multiples organisations sous-régionales
qui existent en Afrique centrale et auxquelles le Cameroun a adhéré. Cette adhésion n’a pas été
sans conséquence sur la responsabilité pénale du groupement, dans la mesure où le législateur
OHADA (1) comme son homologue de la CEMAC (2) ont de façon plus ou moins visible effrité
l’irresponsabilité pénale de la personne morale.

1) L’apport feutrée du législateur OHADA

Le droit des affaires OHADA et son corollaire le droit pénal des affaires qui sont nés
en plein milieu du XXIe siècle pouvaient-ils ignorer la responsabilité pénale de la personne
morale? Cette question se pose inexorablement dans la mesure où le droit des affaires est un
terreau à la criminalité générée par les groupements. A première vue, l’on peut penser que la
personne morale est exclue totalement du champ pénal puisque ce sont les fondateurs, les
gérants, les présidents-directeurs généraux, les directeurs généraux, les administrateurs
généraux, les commissaires aux comptes …, toutes des personnes physiques agissant pour le
compte de la personne morale, qui sont visés par l’essentiel des incriminations contenues dans
les actes uniformes16. C’est d’ailleurs au regard des dispositions pénales de l’acte uniforme
relatif au droit des Sociétés Commerciales et du Groupement d’Intérêt Economique qu’il a été
conclu de façon hâtive, générale et sans réserve, que le droit pénal OHADA se démarque du
droit pénal moderne qui admet la responsabilité pénale de la personne morale17.
Mais une attention plus soutenue et une lecture plus fouillée du droit des affaires de
l’OHADA obligent à adopter une position nuancée, pour ne pas dire différente. En effet, aux
termes de l’article 69 alinéa 1 de l’acte uniforme relatif au droit commercial général, « toute
personne tenue d’accomplir l’une des formalités prescrites au présent acte uniforme, et qui
s’en est abstenue ou encore a effectué une formalité par fraude, est punie des peines prévues
par la loi pénale nationale ou le cas échéant par la loi spéciale prise par l’Etat partie en
application du présent acte uniforme». La personne morale étant, en vertu de l’article 46 de
l’acte uniforme relatif au droit commercial général, assujettie à l’obligation d’immatriculation
au RCCM, le défaut d’accomplissement par elle de cette formalité la rend donc pénalement

16
Sur neuf actes uniformes que compte l’OHADA, six contiennent des dispositions d’incriminations pénales.
Il s’agit de l’acte uniforme relatif au droit commercial général, de l’acte uniforme portant organisation des sûretés,
de l’acte uniforme sur la comptabilité des entreprises, de l’acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales
et GIE, de l’acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif et de l’acte
uniforme relatif au droit des sociétés coopératives.
17
KITIO (E.), « Le contentieux du droit pénal des affaires devant les hautes juridictions nationales et devant la
CCJA », in Revue de l’ERSUMA numéro 2, mars 2013, p. 323.

7
punissable. C’est du moins ce qui transparait, bien que de façon allusive, de l’analyse de certains
auteurs que nous approuvons18.
La personne morale peut également, en tant qu’Agent des Sûretés, être poursuivie pour
défaut d’inscription de sûretés, puisque cette formalité est, au même titre que l’immatriculation
au RCCM, prévue par une disposition de l’acte uniforme relatif au droit commercial général,
notamment l’article 41. Ainsi, le commerçant susceptible des poursuites pénales n’est pas
seulement celui qui est défini par l’article 2 de l’acte uniforme relatif au droit commercial
général, c’est-à-dire l’individu, mais aussi toute société commerciale.
Cette incrimination s’applique-t-elle à la personne morale de droit public ? Pour la
doctrine, les entreprises du secteur public et parapublic sont astreintes à l’immatriculation au
RCCM19. Au Cameroun, les entreprises concernées sont les sociétés à capital public et les
sociétés d’économie mixte20. Le manquement à l’immatriculation les expose donc à la sanction
pénale au même titre que toutes les personnes assujetties à l’immatriculation au RCCM tels que
les Groupements d’intérêt économique21. Mais l’immunité d’exécution dont elles bénéficient
en vertu de l’article 30 de l’acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de
recouvrement et des voies d’exécution les met à l’abri de l’exécution forcée ou des mesures
conservatoires susceptibles d’être prises à leur encontre22.
Il convient de préciser qu’il ne suffit pas d’être une personne morale pour tomber sous
le coup de cette incrimination. Il faut nécessairement être astreint à l’obligation
d’immatriculation. Ainsi, la société en participation23, la société de fait et la société créée de
fait24 ne sont pas concernées par ce texte.

18
KEUBOU (Ph.) et KAMLA FOKA (F.C.), « La sanction pénale du non-respect des formalités relatives au
RCCM dans l’espace OHADA : le cas du Cameroun », in Revue de l’ERSUMA numéro 1, p. 198, qui écrivent
que « toutes les personnes morales assujetties à l’obligation d’immatriculation au RCCM doivent requérir cette
immatriculation (…) faute de quoi elles sont susceptibles d’être poursuivies pour défaut d’immatriculation au
RCCM ».
19
SANTOS (A.P.) et YADO TOE (Y.), OHADA, Droit commercial général, collection droit uniforme africain,
p.128 ; NGUEBOU (J.), « Le nouveau Registre du Commerce et du Crédit Mobilier , in Recueil des actes du
séminaire des greffiers en chef et greffiers sur le nouveau RCCM, p. 5.
20
Voir l’article 3 alinéa 1 de la loi n° 99/016 du 22 décembre 1999 portant statut général des établissements publics
et des entreprises du secteur public et parapublic.
21
POUGOUE (P.G.) et FOKO (A.), Le statut du commerçant dans l’espace OHADA, P.U.A., Coll. vademecum,
2006, p.220.
22
Plusieurs décisions des juridictions nationales et de la CCJA affirment cette immunité avec force. CCJA, arrêt
n°043/2005 du 07 juillet 2005, AZIABLEVI YOVO et autres c/ Société Togo Télécom, juriscope.org ; Abidjan,
ch. civ. et com., arrêt n°344 du 25 mars 2003, poste de Côte d’Ivoire c/ SAIDI NOHME HASSAN HUSSEIN,
juriscope.org ; TPI Bafoussam, ordonnance de référé n°37 du 28 janvier 2004, SNEC SA c/ DJEUKOU Joseph,
SGBC SA Bafoussam, BICEC SA Bafoussam, www.ohada.com, ohadata J-05-01.
23
La société en participation est définie à l’article 854 de l’AUSCGIE comme la société dans laquelle les
associés conviennent qu’elle ne sera pas immatriculée au RCCM.
24
Aux termes de l’article 864 de l’AUSCGIE il y a société créée de fait lorsque deux ou plusieurs personnes
physiques ou morales se comportent comme des associés sans avoir constitué entre elles l’une des sociétés prévues

8
Cependant, il y a lieu de regretter que la révision de l’acte uniforme relatif au droit des
sociétés commerciales et du Groupement d’Intérêt Economique, intervenue le 30 janvier 2014,
n’ait pas permis au législateur OHADA, en dépit des critiques et suggestions de la doctrine25,
de généraliser la responsabilité pénale des sociétés commerciales. La responsabilité pénale des
sociétés commerciales reste donc uniquement limitée aux infractions découlant de l’article 69
de l’AUDCG ci-dessus analysé. Le législateur a laissé passer une occasion de s’arrimer un peu
plus à la modernité, car le droit pénal contemporain et moderne reconnaît la responsabilité
directe ou indirecte de la personne morale. La responsabilité indirecte se traduit par le paiement
total ou partiel de l’amende par la personne morale en lieu et place de la personne physique
condamnée. La responsabilité directe quant à elle suppose que l’infraction est commise par un
organe de la société pour le compte de celle-ci26. Il ne faut pas confondre cette responsabilité
avec celle dite du fait d’autrui. La responsabilité dite du fait d’autrui consiste, pour le chef
d’entreprise qui ne s’est pas assuré du stricte respect des règles de sécurité des travailleurs qu’il
emploie, de répondre pénalement des infractions commises par ces derniers27. La responsabilité
pénale du fait d’autrui concerne donc les personnes physiques et elle n’est pas encore reconnue
par le code pénal du Cameroun. Mais cela n’empêche pas que des lois spéciales réputent
responsable un individu pour la faute commise par un autre. C’est le cas en matière d’infractions
routières, puisque le décret n°79/341 du 3 septembre 1979 portant réglementation de la
circulation routière tel que modifié prévoit que, lorsque le conducteur a agi en qualité de
préposé, le Tribunal peut, compte tenu des circonstances de fait, décider que le paiement des
amendes, ainsi que des frais de justice, soient en totalité ou en partie à la charge du
commettant28.
Par ailleurs, s’il est établi que la personne morale peut tomber sous le coup de
l’incrimination de l’article 69 de l’AUDCG sus évoqué, la sanction des formalités relatives au
RCCM reste problématique dans la mesure où la loi n° 2003/008 du 10 juillet 2003 relative à

par l’AUSCGIE. Sous l’ancien acte uniforme, ce type de société était qualifiée de société de fait. Désormais, il y
a société de fait, selon l’article 865 l’AUSCGIE, lorsque deux ou plusieurs personnes physiques ou morales ont
constitué entre elles l’une des sociétés reconnues par l’AUSCGIE mais qui comporte un vice de formation non
régularisé ou qui ont constitué entre elles une société non reconnue par l’AUSCGIE. Dans tous les cas elles sont
exclues de l’immatriculation à cause de leur irrégularité.
25
ANOUKAHA (F.), CISSE (A.), DIOUF (N.), NGUEBOU TOUKAM (J.), POUGOUE (P.G.) et SAMB (M.),
OHADA, sociétés commerciales et G.I.E., Bruylant, Bruxelles, Collection Droit Uniforme, UNIDA, p. 226, note
2 ; KITIO (E.), op.cit., p.323.
26
PRADEL (J.), op. cit., p. 435 à 442 ; MERLE (R.) et VITU (A.), Traité de droit criminel, T. 1, 6ème édition,
n°601 et s. ; DESPORTES (F.), « Le nouveau régime de la responsabilité pénale des personnes morales », in JCP,
1993, éd. E, I, 219.
27
PRADEL (J.), ibidem, pp. 339 à 350.
28
V. article 91 alinéa 2 du décret n°79/341 du 3 septembre 1979, modifié par le décret n°86/818 du 30 juin 1986
portant réglementation de la circulation routière.

9
la répression de certaines infractions contenues dans certains actes uniformes OHADA a oublié
ou omis la sanction des formalités de cette infraction29.
Afin de combler ce vide, il a été proposé que l’article 332 alinéa 3 (b) du code pénal
trouve application en l’espèce30. Une opinion contraire, rejetant cette proposition, a pensé que
le défaut d’immatriculation au RCCM est une fraude qui s’apparente à un faux, passible des
sanctions prévues par l’article 314 du code pénal camerounais qui punit le faux en écriture de
commerce31. Une troisième opinion, critiquant tous ces choix, a suggéré plutôt l’application des
peines jadis applicables, prévues par le décret du 17 février 1930 instituant un registre du
commerce dans le territoire placé sous mandat de la France, modifié par la loi du 15 avril 1954.
Pour les tenants de ce courant de pensée, il importe d’adapter les peines prévues dans ce texte,
en convertissant le franc français en franc CFA dévalué pour obtenir le montant actuel des
amendes qui y sont prévues32. Un autre auteur trouve que cette manipulation des peines
s’accommode très mal du principe de la légalité criminelle car tout délinquant potentiel en la
matière n’est pas suffisamment instruit pour convertir la monnaie prévue dans ce vieux texte
d’incrimination déjà dépassé et laissé aux oubliettes par le droit uniforme. Aussi, propose-t-il
qu’à défaut d’appliquer l’article 332 alinéa 3 (b) du code pénal, soit réformée la loi afin de fixer
les sanctions applicables en matière d’immatriculation au RCCM33.
Si la proposition de la réforme législative nous paraît acceptable, il convient en
revanche de rejeter celle qui appelle à l’application de l’article 332 alinéa 3 (b) du code pénal,
car ce texte sanctionne uniquement le commerçant failli (en cessation de paiement) qui enfreint
la règlementation relative au RCCM alors que les infractions découlant de l’article 69 de
l’AUDCG ne s’appliquent pas seulement au commerçant en état de cessation de paiement.
En effet, l’annotateur34 de l’article 69 de l’AUDCG identifie quatre infractions
découlant de ce texte : le défaut d’inscription des sûretés mobilières, le défaut d’immatriculation
(pour le commerçant) ou de déclaration (pour l’entreprenant), le défaut de radiation (en cas de

29
KEUBOU (Ph.) et KAMLA FOKA (F. C.), op. cit., font savoir que la loi sénégalaise édictant des sanctions
relatives aux incriminations contenues dans certains actes uniformes est également restée muette sur la répression
des formalités relatives au RCCM.
30
NGUEBOU TOUKAM (J.), Le droit commercial général dans l’Acte uniforme OHADA, PUA, Yaoundé, 1998,
p. 33. L’article 332 alinéa 3 (b) du code pénal dispose en substance qu’ « est puni d’un emprisonnement de un à
deux ans tout commerçant qui, en état de cessation de paiement, ou avant cette cessation dans les cas où elle en
est la conséquence…enfreint la réglementation en vigueur relative au registre de commerce… ».
31
SOCKENG (R.), Droit pénal des affaires OHADA, Collection LEBORD, UNIDA, 2007, p. 58.
32
KEUBOU (Ph.) et KAMLA FOKA (F-C), ibidem, p. 205.
33
KITIO (E.), « Le contentieux du droit pénal des affaires devant les hautes juridictions nationales et devant la
CCJA », in revue de l’ERSUMA n° 2, mars 2013, p. 327.
34
SANTOS (A. P.), note sous l’article 69 de l’AUDCG, in OHADA traité et actes uniformes commentés et
annotés, juriscope, 4ème édition, 2012, p.276, sous la direction de ISSA SAYEGH (J.), POUGOUE (P.G.) et
SAWADOGO (F.M.).

10
cessation d’activité) et la fraude dans l’accomplissement d’une formalité. Si les trois premières
infractions, à savoir le défaut d’inscription de sûretés, le défaut d’immatriculation ou de
déclaration d’activité et le défaut de radiation sont réputées commises sans qu’il soit nécessaire
d’établir l’intention de contourner la loi pénale, la quatrième infraction, notamment la fraude
dans l’accomplissement d’une formalité, exige pour sa part que soit rapportée la preuve de la
mauvaise foi. En somme, les premières infractions sont involontaires tandis que la dernière est
volontaire, la fraude étant consubstantielle et inséparable de la volonté malicieuse de s’écarter
de la légalité.
Il en ressort que pour s’appliquer aux manquements relatifs au RCCM, les infractions
du code pénal proposées par la doctrine doivent, au préalable, satisfaire aux mêmes conditions
de l’élément intentionnel sus décrit. C’est ainsi que l’article 314 du code pénal qui réprime le
faux en écriture privée ou de commerce est manifestement inopérant car il ne trouve application
que si la preuve du dol spécial est rapportée, c’est-à-dire que l’infraction est volontairement
commise, ce qui est contraire à l’article 69 de l’AUDCG car les manquements aux formalités
du RCCM, même involontairement survenus, sont sanctionnés.
Il faudrait en outre que la sanction prévue par le texte retenu soit compatible avec la
nature désincarnée de la personne morale. C’est un critère que la doctrine semble avoir perdu
de vue. En effet, l’article 332 alinéa 3 (b) du code pénal dont certains proposent l’application35,
prévoit comme unique sanction une peine d’ « emprisonnement de un mois à deux ans ».
Comment appliquer une telle sanction à la personne morale ? Cette incompatibilité disqualifie
donc définitivement une telle proposition, ce d’autant plus que le juge ne saurait y substituer
une sanction plus compatible, lié qu’il est par le principe de la légalité des délits et des peines.
En outre, le législateur OHADA n’a pas indiqué comment doit être appréhendée la
responsabilité pénale de la personne morale prévue par l’article 69 sus évoqué. Il s’est contenté
de définir par cette disposition une incrimination susceptible de s’appliquer à la personne
morale. D’où la question de savoir s’il s’agit de condamner la personne morale par ricochet,
c’est-à-dire faire dépendre la responsabilité de la personne morale de celle de son organe ou
représentant ; Ou alors s’agit-il de condamner la personne morale indépendamment de toute
faute de ses organes ou représentants? Il nous semble que le caractère intentionnel et non
intentionnel des infractions découlant de cet article 6936 et l’exigence d’une répression efficace

35
Notamment NGUEBOU TOUKAM (J.), Le droit commercial général dans l’Acte uniforme OHADA, PUA,
Yaoundé, 1998, p. 33 ; KITIO (E.), « Le contentieux du droit pénal des affaires devant les hautes juridictions
nationales et devant la CCJA », in revue de l’ERSUMA n° 2, mars 2013, p. 327.
36
Les infractions intentionnelles sont la fraude dans l’accomplissement des formalités relatives au RCCM, tandis
que les infractions non intentionnelles sont le défaut d’accomplissement desdites formalités.

11
commandent que la responsabilité du groupement ne puisse pas dépendre toujours de la
responsabilité de la personne physique, dirigeant ou représentant social. C’est du moins dans
ce sens que s'oriente le droit comparé37.
Le silence du législateur camerounais sur la sanction des manquements relatifs
au RCCM et le silence de son homologue de l’OHADA à propos du caractère direct ou indirect
de la responsabilité de la personne morale, favorise l’impunité même si en l’occurrence, la
responsabilité pénale de la personne morale est d’une portée limitée. Au regard de ce qui
précède, il appert que le législateur OHADA a, certes de manière limitée et feutrée, admis la
responsabilité pénale du groupement. Ce n’est pas le cas de son homologue de la CEMAC qui
l’a fait de manière manifeste.

2) L’impulsion manifeste du législateur CEMAC

Le règlement CEMAC n°01/031 du 04 avril 2003 portant prévention et répression du


blanchiment des capitaux et du financement du terrorisme en Afrique centrale reconnaît de
façon expresse la responsabilité pénale de la personne morale. Aux termes de l’article 46 alinéa
4 de ce règlement, les personnes morales autres que l’Etat, pour le compte ou au bénéfice
desquelles un blanchiment des capitaux est commis par l’un de leurs organes ou représentants
sont pénalement punissables. Même si cette responsabilité est limitée au domaine du
blanchiment des capitaux38, il reste que la personne morale est clairement visée par le législateur
communautaire. Il faut que l’infraction de blanchiment soit commise par une personne
physique, représentant ou organe de la personne morale, pour le compte ou le bénéfice de cette
dernière. Il n’est donc pas nécessaire qu’il s’agisse d’un dirigeant de la personne morale. Un
employé quelconque ayant blanchi des capitaux au bénéfice de la société qui l’emploie engage
la responsabilité de cette dernière.
Le domaine du blanchiment des capitaux est vaste et clairement défini par le législateur
qui énumère limitativement les actes constituant cette infraction. Il s’agit, conformément à
l’article 1er du règlement, de :
- La conversion ou le transfert des biens en provenance d’un crime ou délit dans
le but de dissimuler ou de déguiser l’origine illicite desdits biens ou d’aider toute personne qui

37
PRADEL (J.), Droit pénal général, cujas, 18ème édition, p. 428 et s. ; DAOUD (E.) et STRICOT (F.), « Des
effets de la délégation de pouvoirs sur la responsabilité pénale de la personne morale »,Revue Lamy Droit des
Affaires, 2015-107, Perspectives Dossier Spécial, pp. 1 à 7.
38
Bien que le règlement porte également sur la répression du financement du terrorisme, il ne reconnaît la
responsabilité pénale de la personne morale que dans le cadre des infractions relatives au blanchiment des capitaux.

12
est impliquée dans la commission de ce crime ou délit à échapper aux conséquences de ses
actes ;
- La dissimulation ou le déguisement de la nature, de l’origine, de l’emplacement,
de la disposition, du mouvement ou de la propriété des biens provenant d’un crime ou délit et ;
- L’acquisition, la détention ou l’utilisation des biens provenant d’un crime ou
délit.
La responsabilité de la personne morale n’exclut pas celle de la personne
physique. Cette dernière peut être sanctionnée comme complice ou coauteur de la personne
morale. Seulement, contrairement au principe qui veut que le complice et le coauteur encourent
la même sanction que l’auteur principal39, le montant de l’amende infligée à la personne morale
est le quintuple du montant de l’amende qu’encourt son organe ou représentant complice ou
coauteur. Le législateur a pris en compte la capacité financière de la personne morale qui est
généralement supérieure à celle de la personne physique. Cette disposition sauvegarde le
respect du principe de la proportionnalité de la peine. Appliqué dans sa rigueur, ce principe
permet d’assurer l’efficacité de la sanction par l’affliction qu’elle produit sur tout condamné en
fonction de sa personnalité et de la gravité de ses actes.
Cette sanction s’aggrave dans trois cas précis énumérés par le règlement. Il s’agit
d’abord du cas où le blanchiment de capitaux est commis de façon habituelle ou par l’usage des
facilités que procure l’exercice d’une activité professionnelle. L’habitude dont il est question
ici renvoie, en sciences criminelles, aux notions de récidive et de réitération. Ensuite, se trouve
aggravé le blanchiment des capitaux commis en bande organisée. Cette notion de bande
organisée doit être précisée. En effet, la question peut se poser de savoir si les membres de la
bande doivent tous être représentants ou organes de la personne morale. De notre point de vue,
il suffit que l’un des membres de la bande soit représentant ou organe de la personne morale
pour que l’infraction soit aggravée. C’est l’appartenance de l’organe ou du représentant de la
personne morale à une bande organisée qui doit être prise en compte ; peu importe la
composition de la bande, il suffit que l’organe ou le représentant ait agi dans le cadre d’une
action concertée avec d’autres individus, étrangers ou non à la personne morale. La troisième
circonstance aggravante est, selon le législateur CEMAC, le régime général des circonstances

39
Au Cameroun, ce principe est édicté à l’article 98 alinéa 1er du code pénal en ces termes : « les coauteurs et
complices sont passibles de la même peine que l’auteur principal, sauf dans les cas où la loi en dispose
autrement ».

13
aggravantes dans l’Etat membre. Au Cameroun, ces circonstances aggravantes sont la récidive
et la qualité de fonctionnaire40.
Outre l’amende, d’autres sanctions, dites complémentaires, sont prévues pour
s’appliquer à la personne morale condamnée pour blanchiment des capitaux. Peuvent en effet
être ordonnées en sus de l’amende, l’interdiction définitive ou pour une durée de cinq ans au
moins d’exercer directement ou indirectement certaines activités professionnelles, la fermeture
définitive ou pour une durée de cinq ans au moins de son établissement ayant servi à commettre
l’infraction, la dissolution et la diffusion de la décision par presse écrite ou tout autre moyen de
communication audiovisuel41. La plupart de ces sanctions se retrouvent également dans les lois
nationales qui réputent responsable la personne morale dans certains domaines.

B- LA MUTATION DU FAIT DU LEGISLATEUR NATIONAL

Plusieurs lois nationales ont admis la responsabilité pénale de la personne morale par
touches successives. C’est ce qu’une certaine doctrine a qualifié de technique du saupoudrage42.
Multipliant les textes qui admettent la responsabilité pénale du groupement, le législateur a fini
par sortir cette responsabilité du cadre des textes spéciaux en la généralisant dans l’avant-projet
du code pénal. Avant d’analyser cette généralisation (2), il convient au préalable de jeter un
regard panoramique sur le particularisme actuel incarné par les textes spéciaux (1).

1) L’option du particularisme

Le particularisme de la responsabilité pénale de la personne morale se traduit dans des


domaines aussi multiples que variés qui ne sauraient être recensés de façon exhaustive. Il
importe en revanche de relever des traits communs aux différents régimes juridiques de cette
responsabilité prévue par des textes spéciaux.
Le premier point commun qui mérite de retenir l’attention est que la responsabilité
pénale de la personne morale découle de la responsabilité pénale de ses dirigeants. La personne
morale est alors condamnée solidairement avec ses dirigeants ou représentants. Il s’agirait donc
d’une responsabilité indirecte. Les lois n°89/27 du 29 décembre 1989 portant sur les déchets

40
Voir les articles 88 et 89 du code pénal.
41
Article 53 du Règlement.
42
NTONO TSIMI (G.), op. cit., p.84.

14
toxiques et dangereux43, n°05/015 du 29 décembre 2005 relative à la lutte contre la traite et le
trafic des enfants44 et n°2010/012 du 21 décembre 2010 relative à la cybersécurité et la
cybercriminalité45, illustrent fort opportunément ce caractère indirect. Les dirigeants doivent
avoir commis l’infraction soit au nom et pour le compte de la personne morale, soit à l’occasion
de leurs charges ou fonctions. Ce qui permet de soutenir que la responsabilité du dirigeant
déteint sur celle de la personne morale.
Le second point est la nature de la sanction qui est surtout pécuniaire. Il s’agit
notamment de l’amende qui peut éventuellement être complétée par la fermeture de
l’établissement46. Comprise dans une fourchette, le montant de l’amende dépend du juge qui
peut le moduler en fonction des circonstances. Dans tous les cas, il est important que ce montant
soit suffisamment élevé, tant pour punir efficacement le coupable que pour dissuader les
potentiels délinquants, puisque l’on ne punit pas seulement celui que l’on pend, l’on punit aussi
les autres par lui. En ce qui concerne le domaine de la cybercriminalité notamment, l’on
constate que, pour accroitre la sévérité de la sanction, le législateur a fixé assez haut le montant
de l’amende (5 000 000 à 50 000 000 F CFA) et qu’il a exclu toute possibilité du sursis47,
comme du reste en matière de détournement de deniers publics48. En matière de déchets
toxiques et dangereux, l’amende est encore plus élevée puisqu’elle va de 5 000 000 à
500 000 000 F CFA49.
Il est important de souligner que les valeurs protégées par les lois spéciales sont aussi
variées. De l’analyse desdites lois, il ressort que sont protégées les atteintes à l’environnement50,
les atteintes aux activités économiques51, les atteintes aux personnes52 , ainsi que les atteintes à

43
L’article 4 alinéa 3 de cette loi dispose que « lorsque l’infraction est commise par une personne morale, (…) la
personne morale en cause est tenue solidairement avec le ou les condamnés au paiement des amendes (…) »
44
Aux termes de l’article 7 de ladite loi, « Nonobstant la responsabilité pénale de leurs dirigeants, les personnes
morales peuvent être déclarées pénalement responsables et condamnées aux amendes ci-dessus prévues lorsque
les infractions ont été commises par lesdits dirigeants, agissant dans l’exercice de leurs fonctions »
45
Selon l’article 64 de la loi concernée, « les personnes morales sont pénalement responsables des infractions
commises, pour leur compte, par leurs organes dirigeants ».
46
Voir notamment l’article 5 alinéa 2 de la loi n°89/27 du 29 décembre 1989 portant sur les déchets toxiques et
dangereux ; Voir également l’article 64 alinéa 4 de la loi n°2010/012 du 21 décembre 2010 relative à la
cybersécurité et la cybercriminalité
47
L’article 89 de la loi de 2010 dispose en effet que « le sursis ne peut être accordé pour les infractions prévues
dans la présente loi ».
48
Considérée comme l’une des infractions les plus sévèrement sanctionnées, le détournement des deniers publics
n’admet en aucun cas le sursis (article 184 alinéa 2 du code pénal). Cette exclusion du sursis constitue précisément
l’un des éléments qui augmentent la sévérité de la sanction de cette infraction.
49
Article 4 alinéa 1 de la loi n°89/27 du 29 décembre 1989 portant sur les déchets toxiques et dangereux.
50
Loi n°89/27 du 29 décembre 1989 portant sur les déchets toxiques et dangereux.
51
Loi n°99/015 du 29 décembre 1999 portant création et organisation d’un marché financier.
52
Loi n°05/015 du 29 décembre 2005 relative à la lutte contre la traite et le trafic des enfants.

15
la sécurité et à la vie privée des individus53. La diversité de ces valeurs montre que les personnes
morales peuvent commettre des infractions de diverses natures.
Seulement, l’une des conséquences de l’option du particularisme qui prévaut à présent,
est que la responsabilité pénale reste limitée au seul domaine visée par les différentes lois
l’ayant expressément reconnue et seule la personne morale désignée par la norme spéciale est
imputable. C’est justement pour sortir cette responsabilité des normes spéciales que le
législateur camerounais a entrepris de la généraliser en l’insérant dans le code pénal.

2) L’option de la généralisation

Les lois spéciales, quel que soit leur nombre, étant insuffisantes à conférer une portée
générale à la responsabilité de la personne morale, il a semblé judicieux au législateur
camerounais de profiter de la refonte à venir du code pénal pour poser, dans des termes assez
généraux, le principe de la responsabilité pénale du groupement. Ce principe transparaît de
l’article 100-1 dudit code comme sus indiqué. Il découle de ce texte que la généralisation du
principe de la responsabilité du groupement se joue sur un double plan : celui du domaine
matériel de la responsabilité et celui de la qualité de la personne morale susceptible d’en
répondre.
Au plan matériel, il est loisible de constater que, contrairement aux lois spéciales qui
limitent la responsabilité du groupement au domaine qu’elles régissent, l’avant-projet du code
pénal envisage tous les domaines. Aucune limite n’est prévue. Suivant ce texte en effet, la
personne morale peut être responsable pour tous les types d’atteintes aux valeurs sociales
protégées par le code pénal. Mais cela ne veut pas dire que la personne morale pourrait
commettre toutes les infractions imputables à la personne physique. Par exemple, il n’est pas
envisageable que la personne morale commette un viol, une rixe, un trouble de jouissance ou
une pratique de sorcellerie54. L’article 100-1 sus évoqué constitue simplement le siège de la
responsabilité de la personne morale au même titre que l’article 74 en constitue pour les
individus.
Sur le plan ratione personae, le texte pose le principe de la généralisation en visant
clairement « les personnes morales » sans opérer une quelconque distinction ou discrimination

53
La loi n°2010/012 du 21 décembre 2010 relative à la cybersécurité et la cybercriminalité.
54
En France, afin de faciliter le travail des magistrats, la circulaire n° Crim‐06‐3/E8 du garde des Sceaux du 13
février 2006 comporte en annexe une liste des infractions pour lesquelles la personne morale peut être condamnée.

16
suivant leur caractère civil ou commercial, étranger ou national, public ou privé. La seule
exception concerne l’Etat, les collectivités territoriales décentralisées et les démembrements de
celles-ci. Mais la question se pose de savoir si par « personnes morales » le législateur
camerounais vise uniquement les groupements dotés de la personnalité juridique. La réponse
affirmative s’impose de l’avis d’une certaine doctrine qui, tout en déplorant cet état de chose,
suggère que le législateur pénal s’approprie le concept de « personne morale » en lui donnant
un contenu opératoire qui permette une répression efficace55. Indiquons qu’en France, seuls les
groupements dotés de la personnalité morale peuvent être déclarés pénalement responsables.
En l’absence de personnalité, les personnes physiques sont seules responsables et, si la
personnalité a disparu par suite d’une opération de fusion, l’action publique ne peut plus être
poursuivie56.
A notre sens, il n’est pas judicieux que seule la personne morale dotée de la
personnalité juridique puisse répondre pénalement aux motifs qu’elle n’accède à l’existence
juridique que lorsqu’elle acquiert la personnalité juridique et que, la personnalité juridique
conférant un patrimoine au groupement, l’amende qui sanctionne ce dernier ne trouverait pas
de biens sur lesquels s’abattre en cas d’absence de personnalité juridique. En effet, la personne
morale ne saurait se prévaloir du défaut d’immatriculation pour échapper à la responsabilité
pénale. D’ailleurs le défaut d’immatriculation en lui-même constitue déjà une infraction telle
que ci-dessus démontrée. En parlant de « personnes morales » sans distinguer, le législateur a
entendu englober toutes les catégories à l’exception des personnes morales expressément
exclues par la loi. Exclure les personnes morales dépourvues de personnalité juridique c’est non
seulement distinguer là où la loi n’a pas distingué mais c’est aussi affaiblir l’efficacité de la
répression.
L’autre question importante qu’il convient de soulever est de savoir si le dirigeant de
fait peut engager la responsabilité de la personne morale. Face au silence du législateur sur cette
question, la doctrine française confrontée au même problème avance que n’ayant pas été
nommé par la société, le dirigeant de fait ne saurait engager celle-ci qui se trouve par ailleurs
placée en situation de victime57. Cette solution qu’il convient d’approuver permet en effet

55
NTONO TSIMI (G), « Le devenir de la responsabilité pénale des personnes morales en droit camerounais. Des
dispositions spéciales vers un énoncé général », Juridis Périodique n°89, p. 87.
56
BOULOC (B.), « Coup d’œil sur la responsabilité pénale des personnes morales », Revue Lamy Droit des
Affaires, 2004-71, chroniques, p.2 ; Cass. crim., 20 juin 2000, n° 99‐86.742, Bull. crim., n° 237, p. 702, D. Aff.
2001, p. 853, note Matsopoulou H., Rev. sc. crim. 2001, p. 153, obs. Bouloc B. ; Cass. crim., 14 oct. 2003, n° 02‐
86.376, Bull. crim., n° 189, p. 778.
57
PRADEL (J.), op. cit., p. 438; MATSOPOULOU (H.), « Les conséquences de la généralisation de de la
responsabilité pénale des personnes morales », Revue Lamy, Droit et Patrimoine 2006-149, p. 3. Indiquons
utilement que la jurisprudence est d’un avis contraire. Le tribunal correctionnel de Strasbourg en date du 9 février

17
d’éviter qu’un individu s’arrogeant des pouvoirs qu’il n’a pas statutairement reçus ne nuise à la
réputation de la personne morale et ne compromette cette dernière par ses initiatives
personnelles. En revanche, si le dirigeant de fait a agi dans le cadre de la gestion d’affaires, il
nous semble que la société doit être déclarée pénalement responsable parce qu’elle cesse d’être
victime du dirigeant de fait et devient bénéficiaire des actes de gestion posés par ce dernier.
Puisque la gestion d’affaires est un quasi-contrat qui profite au maître de l’affaire, les actes
posés par le dirigeant de fait doivent l’avoir été dans l’intérêt de la société. Les juges doivent
donc être vigilants en ce qui concerne les conditions de la gestion d’affaires.
L’on peut aussi se demander si l’organe dirigeant de droit qui outrepasse ses
attributions peut engager par ce fait la personne morale. Certains auteurs pensent que lorsque
l’organe dépasse ses fonctions ou va à l’encontre d’une directive donnée, il n’est logiquement
plus dans ses fonctions et ne peut plus être considérée comme étant la personne morale. Par
conséquent, il ne peut engager la responsabilité pénale de cette dernière58.
Une nuance doit cependant être apportée. De notre point de vue, l’organe peut engager
la responsabilité de la personne morale en cas de dépassement de ses attributions à condition
que ce dépassement se traduise en réalité par un détournement de l’objet social. En effet, il
convient d’opérer une distinction entre le dépassement de ses pouvoirs par un organe de gestion
et le détournement de l’objet social. Le dépassement des pouvoirs de gestion peut bien s’inscrire
dans l’objet social. Il constitue alors simplement une violation de la limitation de ses pouvoirs
statutaires de gestion par le dirigeant, ce qui est d’ailleurs inopposable aux tiers de bonne foi et
ne devrait pas donner lieu à une responsabilité pénale de la société. Or le détournement de
l’objet social implique un changement de l’activité sociale contraire aux statuts. Il entraine la
responsabilité de la société. D’ailleurs, en prévoyant, en ce qui concerne le domaine de la
cybercriminalité, la dissolution de la personne morale comme l’une des sanctions applicables
lorsque la personne morale a été « détournée de son objet pour servir de support aux faits
incriminés »59, le législateur semble bien viser les cas détournement de l’objet social et non le
cas de dépassement d’attributions de la part des organes dirigeants. Cette solution énoncée dans
le cadre particulier pourrait donc utilement être transposée au principe général.

1996 a prononcé une condamnation à l’encontre d’une société pour le délit de travail clandestin commis par
l’ancien président de ladite société qui continuait, de fait, à gérer cette dernière. Voir Annonces de la Seine 1996,
n° 24, p. 10.
58
BOULOC (B.), « Coup d’œil sur la responsabilité pénale des personnes morales », Revue Lamy Droit des
Affaires, 2004-71, chroniques, p. 3.
59
Lire l’alinéa 4 de l’article 64 de la loi de 2010.

18
La question s’est en outre posée, toujours en France, de savoir si le salarié bénéficiant
d’une délégation de pouvoirs pouvait être considéré comme représentant de la personne morale
et partant engager la responsabilité pénale de cette dernière. Une partie de la doctrine a répondu
par la négative en arguant que le salarié délégataire représente le dirigeant personne physique
et non la personne morale d’une part60 et d’autre part que les compétences du délégataire « sont
bornées par les limites d’un service ou d’une fonction, tandis que ses décisions, et donc ses
fautes, sont impuissantes à modifier la structure et la politique de la personne morale dont il
est le salarié »61. En dépit de telles critiques, la jurisprudence encouragée en cela par une partie
de la doctrine62 qu’il convient d’approuver, décide systématiquement que la personne physique
titulaire d’une délégation de pouvoirs peut être considérée comme le représentant de la personne
morale et, dès lors, engager la responsabilité pénale de celle-ci63. Il faut et il suffit que ladite
délégation soit valide, c’est-à-dire qu’elle confère au délégataire la compétence, l’autorité et les
moyens nécessaires pour mener à bien ses missions64.
Dans tous les cas, l’infraction doit être commise pour le compte de la personne morale.
Si le dirigeant, quel qu’il soit, a agi dans son propre intérêt, dans celui d’un tiers ou contre
l’intérêt de la personne morale, cette dernière ne peut être engagée. Comme l’enseigne la
doctrine, agir pour le compte de la personne morale suppose d’agir à son profit, dans son intérêt,
cet intérêt pouvant être matériel ou moral, direct ou indirect, actuel ou éventuel65.
L’énoncé général de la responsabilité pénal du groupement, bien que faisant l’objet
d’une certaine attention du législateur, ne manque pas de buter sur des écueils qui en
hypothèquent malheureusement l’effectivité.

60
MATSOPOULOU (H.), « La généralisation de la responsabilité pénale des personnes morales », Rev. Sociétés
2004, p. 283, n°23 ; du même auteur, « Les conséquences de la généralisation de de la responsabilité pénale des
personnes morales », Revue Lamy, Droit et Patrimoine 2006-149, pp. 1 à 13 ; « La responsabilité pénale du chef
d'entreprise », RJ com. nov. 2001, n° spécial, p. 45 et s. ; BARBIÈRI (J.-F.), « L'incidence de la réforme du code
pénal sur la gestion des personnes morales », Petites affiches 1993, n° 130, p. 22, et spéc. p. 28 ; CARTIER (M.-
E.), « La responsabilité pénale des personnes morales : évolution ou révolution ? », Cah. dr. entr. 1994, n° 5, p. 34
; « Nature et fondement de la responsabilité pénale des personnes morales dans le nouveau Code pénal français »,
Petites affiches 1996, n° 149, p. 21.
61
ROBERT (J.‐H.), « Les préposés délégués sont‐ils les représentants de la personne morale ? », Mélanges offerts
à P. Couvrat, PUF 2001, p. 383.
62
Notamment DESPORTES (F.), « Article 121‐2 du Code pénal », J.‐Cl. Pénal, 2001, n° 134.
63
Cass. crim., 1er sept. 2010, nos 09‐87.331 et 09‐87.234 ; Cass. crim., 25 mars 2014, n° 13‐80.376, Bull. crim., n°
94.
64
Cass. crim., 9 nov. 1999, n° 98‐81.746, Bull. crim., 18/10/2015 n° 252 ; Giudicelli‐Delage G., « Délégation et
responsabilité pénale de la personne morale », RSC 2000, p. 851 ; Cass. crim., 14 déc. 1999, n° 99‐80.104, Bull.
crim., n° 306.
65
PRADEL (J.), ibidem., p. 441, n°545.

19
II- LES ECUEILS DE LA MUTATION DE LA RESPONSABILITE PENALE
DE LA PERSONNE MORALE

S’il est louable que la responsabilité pénale de la personne morale acquiert, à la faveur
de la refonte du code pénal, un caractère général, il faut cependant se garder de croire que cette
généralisation du principe résout tous les problèmes que pourrait soulever une telle
responsabilité. En effet, l’entrée de la personne morale dans le cercle des personnes pénalement
tenues ne va pas aller sans heurt, notamment lorsqu’il va s’agir de lui infliger une sanction.
Qu’il s’agisse d’analyser la question sous un angle purement théorique ou plus concrètement
sous un aspect pratique, l’œuvre du législateur doit prendre en compte un certain nombre de
paramètres. Théoriquement, va se poser la question de la détermination du caractère de la
responsabilité (A) que ne manquera pas de compléter celle de l’efficacité de la sanction (B).

A- L’ECUEIL D’ORDRE THEORIQUE : LA DIFFICILE DETERMINATION


DU CARACTERE DE LA RESPONSABILITE PENALE DE LA
PERSONNE MORALE

Selon l’avant-projet du code pénal, la personne morale peut être déclarée pénalement
responsable des infractions commises par ses représentants ou ses organes pour son compte
agissant dans l’exercice de leurs fonctions ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions. Ce
principe implique que la responsabilité de la personne morale est adossée sur celle de la
personne physique ayant agi pour son intérêt. Pour que la première réponde pénalement, il faut
que la seconde soit déclarée responsable. La responsabilité de la personne morale découle, pour
ainsi dire, de celle de la personne physique. Du coup, se pose la question de savoir s’il s’agit
d’une responsabilité indirecte, d’une responsabilité d’emprunt (ou criminalité d’emprunt) ou
d’une responsabilité partagée. Cette question revêt une importance capitale car les causes
d’irresponsabilité dont jouit la personne physique, auteur de l’infraction, sont susceptibles
d’affecter la responsabilité de la personne morale selon les cas. Autrement dit, l’irresponsabilité
de l’organe ou du représentant de la personne morale, du fait d’une cause personnelle, telle que
la contrainte ou l’immunité à l’instar de celle qui existe entre conjoints en matière de vol66,
pourrait entraîner par voie de conséquence l’irresponsabilité de la personne morale. Ces
diverses notions, délicates à manier, doivent donc être clairement expliquées.

66
Cf. l’article 323 du code pénal.

20
Concernant tout d’abord la notion de responsabilité indirecte, il importe d’indiquer
qu’elle est surtout convoquée en matière de responsabilité du fait d’autrui pour qualifier la
responsabilité du chef d’entreprise pour les faits commis par son préposé. Le chef d’entreprise
est considéré comme l’auteur indirect de l’infraction tandis que son préposé en est l’auteur
matériel. Ici, autant le chef d’entreprise que le préposé commettent une faute, mais il ne s’agit
guère de la même faute. Alors qu’il est reproché au chef d’entreprise d’avoir personnellement
manqué à ses obligations de contrôle et de surveillance, il est reproché au préposé d’avoir violé
une prescription réglementaire telle que le port d’un casque ou d’une ceinture de sécurité. En
clair, la responsabilité indirecte est soumise à deux principales conditions cumulatives : une
infraction commise par le préposé d’une part et une faute personnelle du chef d’entreprise
d’autre part. Chacun des protagonistes ayant commis un fait distinct, lorsque la faute du préposé
est infime, ce dernier peut échapper aux poursuites du parquet ou à une condamnation du juge67.
Il en est également ainsi lorsqu’il n’a tiré aucun profit de l’infraction ou lorsqu’il n’a fait que
se conformer aux ordres reçus68. Ainsi, la condamnation du chef d’entreprise, auteur indirect,
ne dépend pas forcément de la condamnation du préposé, auteur direct ou matériel.
Techniquement et intellectuellement, ce système de responsabilité indirecte est bien
proche de celui de la personne morale. Dans les deux systèmes, l’infraction déférée devant le
juge est commise par un autre que le condamné. Ce dernier n’est pas directement l’auteur de
l’infraction pour laquelle il est jugé responsable. Il suffit que l’infraction lui ait profité pour
qu’il en réponde.
Mais la responsabilité pénale du groupement s’écarte du système de la responsabilité
indirecte en ce que la faute qui est reprochée au représentant ou à l’organe est la même que celle
imputée au groupement. L’un et l’autre en sont responsables au même titre, à l’instar des co-
auteurs. Il s’ensuit que la mise hors de cause de l’un pour une cause personnelle ne devrait pas
influer sur la responsabilité de l’autre. D’ailleurs les cas où la personne morale a été poursuivie
et condamnée seule existent et font dire à certains auteurs que la responsabilité pénale de la
personne morale est « une responsabilité directe ou une responsabilité par représentation »69.
Seulement la question se complique lorsque l’on s’avise de ce que la responsabilité du
groupement a besoin, pour être retenue, que la personne physique soit absolument impliquée

67
Crim. 21 juin 1978, D., 1979, I.R., 30 ; 4 décembre 1979, D., 1980, I.R., 312, chef d’entreprise seul condamné
pour homicide involontaire commis par son préposé auquel il avait imposé un régime de travail contraire à la
réglementation sur le repos.
68
Crim., 16 décembre 1956, B.C., n°1481 ; 6 mai 1964, J.C.P., 1964.II.13476 bis.
69
MATSOPOULOU (H.), « La généralisation de la responsabilité pénale des personnes morales », Rev. Sociétés
2004, p. 12, n°52.

21
dans la commission de l’infraction, faisant penser que l’un emprunte pour ainsi dire sa
criminalité à l’autre.
L’emprunt de criminalité est un système du droit répressif qui appréhende le lien de
dépendance qui lie la responsabilité du complice à celle de l’auteur principal de l’infraction.
Contrairement au système de l’emprunt de pénalité qui postule que le complice encourt la même
sanction que l’auteur principal, indépendamment de la poursuite engagée contre ce dernier ou
des causes personnelles d’irresponsabilité dont il bénéficie, le système de l’emprunt de
criminalité conditionne la responsabilité du complice à celle de l’auteur principal. Critiquée en
doctrine70, cette technique suppose que le complice n’est responsable qu’autant que l’auteur
principal, à qui il a apporté assistance pour la préparation ou la commission de l’infraction, est
reconnu responsable de l’infraction. Tant que l’auteur principal n’est pas condamné, le
complice ne saurait l’être. Ce n’est pas l’existence avérée de l’infraction qui permet la sanction
du complice, c’est plutôt la condamnation de l’auteur principal. C’est pourquoi l’on dit que la
criminalité de l’auteur principal déteint sur celle du complice.
Au Cameroun, contrairement à la France71, le système retenu est celui de l’emprunt de
pénalité. Même si la personne morale n’est pas à considérer comme le complice de son organe
ou représentant, il n’en demeure pas moins que l’entreprise apparaît comme un cadre qui
favorise la commission des infractions par les individus. A partir de cette similitude entre les
deux systèmes, responsabilité du groupement et emprunt de criminalité, le risque d’appliquer
la philosophie de l’emprunt de criminalité n’est pas bien loin. Puisque, de la même manière
qu’il faut un auteur principal pour qu’il y ait un complice, de même il faut un organe ou un
représentant personne physique pour qu’il y ait une personne morale impliquée. Une telle
confusion serait fâcheuse d’un point de vue juridique car ce qu’il convient de prendre en compte
dans l’analyse, c’est l’existence de l’infraction plutôt que les vicissitudes affectant le
substratum humain qui l’a commise. C’est pourquoi, la responsabilité pénale de la personne
morale revêt bien les caractéristiques d’une responsabilité partagée.
Cette responsabilité est partagée entre le représentant ou l’organe du groupement et le
groupement, même si les deux n’encourent pas forcément la même sanction. Le fait que
l’organe ou le représentant puisse échapper à la sanction n’enlève guère le caractère partagée
de ladite responsabilité, mais bien au contraire, le confirme. Puisque la part de responsabilité

70
CARBONNIER (J.), Du sens de la répression applicable aux complices selon l’article 59 du Code pénal, J.C.P.,
1952.I.1034 ; ANCEL (M.), La défense sociale nouvelle, 1981, p.207.
71
L’article 121-7 du code pénal français est le siège de ce système, selon PRADEL (J.), Droit Pénal Général,
Cujas, 18ème édition, 2010, p.356.

22
de l’un ne se confond pas avec celle de l’autre, il est normal qu’une fois l’infraction commise,
la poursuite ou la relaxe du substratum humain soit sans conséquence sur l’être désincarné pour
le compte duquel il a agi. En définitive, il faut marteler que si la commission de l’infraction par
la personne morale nécessite à tout prix l’implication d’un individu, à savoir son organe ou son
représentant, la responsabilité de la personne morale est en revanche indépendante de celle de
son organe ou de son représentant qui peut être relaxé ou acquitté pour une cause subjective
d’irresponsabilité pénale72. Mais lorsque l’organe ou le représentant bénéficie d’une cause
objective d’irresponsabilité, la personne morale ne saurait être condamnée puisque la cause
objective d’irresponsabilité empêche la qualification. Lorsqu’elle est établie, l’infraction
n’existe pas en soi et personne ne peut être tenue responsable73.
Un autre écueil qu’il faut éviter dans la mise en œuvre de la responsabilité de la
personne morale c’est de penser que l’auteur de l’infraction doive absolument être identifié
pour que la responsabilité du groupement soit retenue74. Il faut et il suffit que l’infraction soit
commise par un organe ou un représentant même non identifié. Le caractère diffus de l’auteur
ne fait donc pas obstacle à la responsabilité75. Ne fait pas non plus obstacle à la responsabilité
l’implication de quelques organes ou représentants seulement et non de l’ensemble de ceux-ci
lorsqu’ils sont plusieurs. Il ne faut pas en effet, sous prétexte que les lois pénales de fond sont
d’interprétation stricte, prendre les termes « leurs organes ou représentants » utilisés par le

72
La cour de cassation a pourtant adopté une position contraire, en décidant qu'il ne pouvait y avoir responsabilité
pénale de la personne morale que si l'organe ou le représentant avait eu conscience de commettre un délit. C'est la
solution dégagée par l'arrêt du 2 décembre 1997 (Bull. crim., n o 408, JCP 1998. II. 10023, rapp. F. Desportes,
JCP, éd. E, 1998.948, obs. P. Salvage, Rev. sc. crim. 1998.536, obs. B. Bouloc , Rev. sociétés 1998.148, note B.
Bouloc , Bull. Joly 1998.512, note J.-F. Barbièri, D. 1999, somm. 152, obs. G. Roujou de Boubée , Dalloz affaires
1998.432, obs. M. Boizard). En l'espèce, une attestation inexacte avait été utilisée par le directeur général d'une
société dans un procès prud'homal concernant le licenciement d'un salarié. La Cour d'Appel avait condamné la
personne morale, au motif qu'elle ne pouvait ignorer que les attestations produites comportaient des affirmations
inexactes. Cependant, la Cour de cassation a censuré cet arrêt, car les juges auraient dû rechercher si le directeur
général, organe de la société, avait eu personnellement connaissance de l'inexactitude des faits relatés dans les
attestations.
73
MATSOPOULOU (H.), « La généralisation de la responsabilité pénale des personnes morales », Rev. Sociétés
2004, p. 13, n°57.
74
Quelques décisions en France avaient pris une telle position, donnant ainsi la préférence à la théorie de la fiction.
Voir crim., 2 décembre 1997, B.C., n°48, J.C.P.,1998.II.10023, rapport F. Desportes, R.S.C., 1998.536, obs. B.
Bouloc, R.J.D.A., mars 1998, note N. Rontchevsky, J. Pradel et A. Varinard, n°38 ; crim. 7 juillet 1998, B.C., n°
216 ; 1er décembre 1998, D., 2000.34, note M.A. Houtmann ; crim. 9 novembre 1999, B.C., n°252 ; crim., 18
janvier 2000, B.C., n°28 ; D.,2000.636, note J.C. Saint-Pau ; 24 mai 2000, B.C., n°203 ; 29 avril 2003, B.C., n°91 ;
23 mai 2006, Dr. Pénal, 2006, comm. n°128, obs. M. Véron.
75
Même si aucun individu n’est identifié, la responsabilité de la personne morale est présumée. En ce sens, voir
crim., 20 juin 2006, B.C., n°188, R.S.C. 2006, 852, obs. Y. Mayaud, Dr. Pénal, 2006, comm. N°128, obs. M.
Véron, rev. Sociétés 2006, 895, B. Bouloc, J.C.P. 2006.II.10199, note E. Dreyer, D. 2007, 617, note J.C Saint-Pau,
et Panorama n°2, obs. G. Roujou de Boubée, R.D.P.P. 2007, 164, obs. J.Y. Chevalier ; 26 juin 2007, pourvoi n°06-
84821, inédit, Dr.pénal, 2008, comm. N°7, J.C.P. 2008.II.10082, note J.Y. Maréchal ; crim., 25 juin 2008, Dr.
Pénal, 2008, n°140, obs., M. Véron, Rev. Sociétés, 2008, 813, note H. Matsopoulo, R.P.D.P. 2008, 858, obs., Ph.
Bonfils.

23
législateur à la lettre. En cas de pluralité de représentants ou d’organes, la commission de
l’infraction par un seul d’entre eux suffit à entraîner la responsabilité de la personne morale.
Mais ces considérations purement théoriques ne suffisent pas à donner pleinement force à la
loi. Il faut encore s’intéresser aux aspects pratiques de sa mise en œuvre.

B- L’ECUEIL D’ORDRE PRATIQUE : LA QUESTION DE L’EFFICACITE


DE LA SANCTION

Il ne suffit pas de déclarer la personne morale pénalement responsable. Il faut encore


savoir quel type de sanction lui infliger. La personne morale étant un être désincarné, abstrait,
fictif, les sanctions applicables à la personne physique, tel que l’emprisonnement, ne peuvent
pas lui être appliquées. Comment emprisonner un être fictif ? Cette inadéquation de
l’emprisonnement comme sanction à l’égard de la personne morale a d’ailleurs été un argument
de poids pour les partisans de l’irresponsabilité pénale de la personne morale en France. Mais
l’emprisonnement n’étant pas la seule sanction pénale, cet argument n’a pas pu prospérer. En
effet, dans le régime contemporain des peines, s’inscrivent un ensemble de sanctions dont la
diversité permet de châtier le condamné pas plus qu’il n’est juste et pas plus qu’il n’est
nécessaire, en prenant en compte la personnalité et la nature de la personne poursuivie. Elles
obéissent à une classification légale, qui les range en peines principales, peines accessoires et
mesures de sûreté. Selon l’avant-projet du code pénal, les peines principales sont la dissolution,
la fermeture définitive et l’amende76. Pour mieux analyser leur efficacité vis-à-vis de la
personne morale, il importe de les envisager selon qu’elles ont un caractère pécuniaire (1) ou
non pécuniaire (2). Dans l’un comme dans l’autre cas, l’application de ces peines principales
fait face à des obstacles pratiques qui peuvent porter un coup sévère à l’ensemble de l’œuvre
législative.

1) Le cas de la sanction pécuniaire

L’amende est la principale peine qui frappe directement la personne morale dans son
portefeuille77. Condamnation essentiellement pécuniaire au profit du trésor public, l’amende
apparaît de ce point de vue très bien adaptée à la nature de la personne morale qui est très

76
Article 18-1 de l’avant-projet.
77
D’autres peines existent qui atteignent la personne morale dans son patrimoine ; il s’agit de la confiscation des
bénéfices issus de l’infraction ou du corps du délit.

24
souvent une société commerciale. La peine remplissant une fonction punitive, il faut que le
délinquant soit atteint là où il peut avoir mal. Et en ce qui concerne la société commerciale, la
condamnation à payer une somme d’argent s’avère appropriée pour causer l’affliction
recherchée.
Seulement, l’application de la peine d’amende à la personne morale soulève deux
importants problèmes. Le premier est lié à la question de savoir si la condamnation de la
personne morale à payer un montant inadaptée à sa surface financière ne risque pas de produire
un résultat peu satisfaisant, voire fâcheux. En effet, lorsqu’elle est trop inférieure à la capacité
financière de la société condamnée, l’amende n’aura aucun effet afflictif et donc aucune force
punitive ou dissuasive. En revanche, lorsqu’elle est trop élevée par rapport au poids financier
de la société, l’amende peut entraîner sa cessation de paiement voire sa liquidation, ce que le
droit uniforme OHADA vise précisément à éviter autant que possible78. Il s’ensuit qu’en
disparaissant, la société ainsi condamnée disparaît avec les multiples emplois qu’elle offre,
portant ainsi un coup au tissu économique et social.
Pour éviter cet écueil, les juges doivent donc fixer le montant de l’amende non
seulement en tenant compte de la gravité de l’infraction mais aussi de la capacité financière de
la personne morale mise en cause. De même que la sanction infligée à la personne physique
tient compte de la personnalité du délinquant, de même la sanction à l’égard de la personne
morale doit tenir compte de la capacité financière de celle-ci. C’est ainsi que le montant de
l’amende à payer par le dirigeant ou l’organe ne saurait, en raison du principe de la
proportionnalité de la sanction79, être le même que celui de la personne morale.
Le second problème que soulève l’amende tient à la question de son recouvrement.
Cette question est de la plus haute importance car elle a été une préoccupation majeure du
législateur camerounais lors de l’adoption du code de procédure pénale. Ayant constaté que
sous le code d’instruction criminelle et le criminal procedure ordinance, l’Etat n’arrivait pas à
recouvrer efficacement les condamnations pécuniaires à son profit, le législateur a dû
contourner cette difficulté en rendant exécutoires, dès leur prononcé et nonobstant voies de

78
L’acte uniforme OHADA portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif vise,
notamment à travers le règlement préventif et le redressement judiciaire, à éviter que les sociétés en difficulté
financière ne disparaissent du fait de l’impossibilité de faire face à leur passif exigible avec leur actif disponible.
Il a d’ailleurs été révisé récemment le 10 septembre 2015 pour mieux atteindre cet objectif de sauvetage des
entreprises.
79
Contrairement à ce que pense NTONO TSIMI (G.), op. cit., p. 94, le principe de l’égalité pénale n’explique pas
le fait que la sanction de l’amende infligée au dirigeant soit inférieur à celle qui est infligée à la personne morale.
C’est plutôt le principe de la proportionnalité de la peine, qui veut que celle-ci prenne en compte la gravité de
l’infraction et la personnalité du délinquant, qui permet de sanctionner plus sévèrement l’une que l’autre.

25
recours, les condamnations pécuniaires à l’exception des dommages-intérêts80. Dans la même
veine, le législateur a durci le régime de la contrainte par corps afin que cette mesure puisse
suffisamment faire pression sur le condamné81.
Seulement, si le recouvrement des amendes par la menace de la contrainte par corps
sur l’individu est réel, il n’est pas possible à l’égard de la personne morale. La contrainte par
corps a besoin d’un être doté de chair et d’os pour s’appliquer. Or la personne morale n’est
qu’un être fictif, désincarné, sans support physique palpable. Sa nature la soustrait donc
définitivement de l’emprise et de la menace que représente la contrainte par corps. Les amendes
auxquelles la personne morale serait condamnée ne peuvent donc pas être recouvrées par la
contrainte par corps. Une décision de justice aussi insolite que curieuse a pourtant ordonné la
contrainte par corps contre une société en ordonnant l’exécution de celle-ci sur la personne de
son dirigeant pris comme civilement responsable82. Ce qui est contraire à l’article 569 du code
de procédure pénale qui interdit que la contrainte par corps soit prononcée contre le civilement
responsable.
A notre avis, puisque la contrainte par corps est une mesure comminatoire qui vise à
faire pression sur le condamné en le privant de sa liberté, elle pourrait se traduire à l’égard de
la personne morale par la fermeture immédiate des locaux de celle-ci et par la confiscation de
ses biens et outils de travail jusqu’à complet paiement de l’amende. Une telle mesure peut
paraître excessive au regard de la contribution des entreprises à l’économie nationale, la
préservation des emplois et même le maintien de la paix sociale. C’est pourquoi elle doit surtout
être appliquée aux cas extrêmes, notamment ceux dans lesquels la société n’a été créée que pour
violer la loi et constituer son patrimoine illégalement. La construction de l’économie nationale
ne saurait se faire par la violation des lois et règlements.
Au vue de ce qui précède, il importe que le législateur complète son œuvre sur cette
question cruciale en convoquant les mesures non pécuniaires au secours du recouvrement de la
sanction pécuniaire.

80
Article 393 alinéa 1 (a) du code de procédure pénale.
81
Sous le code d’instruction criminelle, lorsque le condamné avait fourni les preuves de son insolvabilité, la
contrainte par corps ne pouvait pas lui être appliquée, et elle cessait immédiatement si elle avait déjà mise en
œuvre. Avec le code de procédure pénale, l’indigence du condamné est devenue sans effet sur l’exercice de la
contrainte par corps. Sur l’analyse comparative du régime de la contrainte par corps entre le code d’instruction
criminelle et le code de procédure pénale, lire utilement DJAKBA PAGOU (F.), « libres propos sur le régime des
libertés de la personne poursuivie depuis l’avènement du code de procédure pénale », Miroir du droit n°002, 2010,
pp. 105 et s.
82
TPI Ydé CA, 10 février 2009, Affaire Compagnie Professionnelle d’Assurance et Mendouga C. c/ Andela Marie,
inédit.

26
2) Le cas de la sanction non pécuniaire

La dissolution et la fermeture définitive du groupement, constituent les deux peines


principales non pécuniaires prévues dans la pénologie de la personne morale. La dissolution
dont il est question ici doit être distinguée aussi bien de celle qui est prononcée à l’issue d’une
procédure collective d’apurement du passif que de la fermeture définitive. La dissolution prévue
par l’acte uniforme OHADA portant organisation des procédures collectives d’apurement du
passif est une conséquence de la liquidation des biens. Elle est le corollaire de la cessation des
paiements de la société qui n’a pas pu être redressée faute de concordat concluant ou malgré la
suspension des poursuites individuelles des créanciers. Elle diffère de la dissolution prévue par
l’avant-projet par son fondement. Ce fondement consiste dans l’impossibilité définitive de la
société de faire face à son passif exigible avec son actif disponible. Alors que le fondement de
la dissolution de l’avant-projet est constitué par la faute pénale dont la société s’est rendue
coupable. Cette dissolution se distingue également de la fermeture définitive de l’établissement
par ses effets. Alors que la dissolution signe la fin de vie de la société, la fermeture définitive
de l’établissement entraîne simplement la cessation des activités de la société dans un local
donné. Il s’ensuit que lorsque la personne morale condamnée n’est pas propriétaire du local,
celui-ci peut être occupé par une autre personne morale, tout comme la personne condamnée à
fermer définitivement d’établissement peut s’installer dans un local différent.
En raison de leur sévérité, la dissolution et la fermeture définitive de l’établissement
doivent être prudemment prononcées et mises en œuvre. Elles sont la peine de mort de la
personne morale. C’est la raison pour laquelle elles ne doivent être prononcées que dans les cas
extrêmes, notamment lorsque la société n’a été créée que pour servir de couverture aux activités
illicites. De telles sociétés doivent disparaître puisque leur but est de porter atteinte à l’ordre
public. La dissolution et la fermeture définitive jouent donc un rôle d’assainissement du paysage
économique et social.
Cependant, une question mérite d’être soulevée. Une fois prononcées, la dissolution
ou la fermeture définitive doivent-elles être immédiates au regard du danger que représente
l’être moral condamné ? Ou alors l’exécution doit être suspendue par les délais et l’exercice des
voies de recours ?
En effet, pour s’assurer de la personne du délinquant personne physique condamnée à
une peine d’emprisonnement ou d’amende, le juge décerne dès le prononcé de la décision un
mandat d’incarcération contre lui lorsqu’il est présent à l’audience ou un mandat d’arrêt
lorsqu’il est absent à l’audience. Ces mandats s’exécutent nonobstant voie de recours contre la

27
décision83. Il s’agit en quelque sorte de mesures provisoires de privation de liberté en attendant
l’exécution de la décision proprement dite. Elles permettent d’assurer l’exécution effective de
la décision de condamnation. Un tel dispositif, pour efficace qu’il soit, ne semble pas pouvoir
s’appliquer contre la personne morale. Le juge ne saurait, sous peine d’attribuer force
exécutoire à une décision non définitive, ordonner la fermeture définitive ou la dissolution
immédiates de la personne morale. L’exécution de la décision reste suspendue par les délais et
l’exercice des voies de recours. Il s’ensuit que ces sanctions peuvent être paralysées pendant
longtemps et la société condamnée peut ainsi continuer son activité illicite.
D’un autre côté, à supposer que l’on admette par extraordinaire que le juge puisse
ordonner par un mandat que la société dissoute ou fermée restera fermée nonobstant voies de
recours84, cela pourrait être hautement préjudiciable si la décision au fond est réformée plus
tard. Une société restée fermée pendant longtemps perd sa clientèle, son crédit, son matériel, le
marché et amorce inexorablement sa descente aux enfers85.
Il convient d’indiquer que ces questions débordent le cadre des lois pénales de fond
pour investir celui des lois pénales de forme. Le code de procédure pénale organise la procédure
contre la personne physique. Il serait donc important que le législateur prenne en compte la
nature abstraite de la personne morale et aménage le code de procédure pénale de manière à
assurer une logique d’ensemble à la constatation, la poursuite et la répression des infractions
commises par les groupements.

Conclusion

Au terme de cette étude, il appert que le droit pénal camerounais est en mutation. Une
mutation rendue nécessaire par l’apparition de nouvelles formes de criminalité dont la nature et
les auteurs débordent les institutions classiques jusque-là en vigueur. Conçues pour faire face à
la criminalité générée par l’individu, nos lois pénales de fond et de forme se sont avérées avec
le temps inadaptées et incapables de sanctionner efficacement les personnes morales qui
commettent des infractions. Aussi, le législateur soucieux de combattre la criminalité sous
toutes ses formes, a-t-il décidé de réputer pénalement responsable, au même titre que l’individu,
la personne morale, en adoptant un nouveau code pénal. Seulement, une telle généralisation

83
Article 397 alinéa 1 du code de procédure pénale.
84
Cette possibilité n’existe pas en l’état actuel du droit positif.
85
KITIO (E.), « Le contentieux du droit pénal des affaires devant les hautes juridictions nationales et devant la
CCJA », in revue de l’ERSUMA n° 2, mars 2013, p. 326.

28
annoncée du principe ne suffit pas à conférer à la répression une cohérence et une logique
d’ensemble. En effet, la nature fictive de la personne morale la soustrait à certaines règles qui
offrent pourtant satisfaction dans la répression de la personne physique. Il est donc impérieux
que ces règles à l’efficacité avérées soient réaménagées ou aient leur pendant, pour encadrer
non seulement la sanction à infligée au groupement mais aussi la procédure à suivre pour
aboutir à une telle sanction86. Le chantier de la réforme est donc vaste puisqu’il déborde le seul
cadre du code pénal et fait appel aux règles de procédure pénale et à la perspicacité des acteurs
judiciaires. Le législateur doit par conséquent prendre son temps pour apporter des solutions
aux nombreuses questions ainsi soulevées. Il doit également avoir le courage de réadapter ses
lois de procédure pénale en dépit de leur relative jeunesse87.

86
Concernant notamment la procédure, l’on peut, entre autre, se poser les questions suivantes : par qui doit être
assurée la représentation en justice de la personne morale poursuivie ? Est-ce par le dirigeant ou par l’organe
poursuivi avec la personne morale ou par un représentant désigné pour les besoins de la procédure ? Quel serait
au demeurant le statut de ce représentant ?
87
Bien qu’adopté le 27 juillet 2005, le code de procédure pénale camerounais n’est entré en vigueur que le 1er
janvier 2007, ce qui fait moins de dix années d’application à ce jour.

29

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