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Si aujourd’hui, plus de dix ans après l’entrée en vigueur du traité OHADA, on peut
affirmer avec beaucoup de conviction que le bilan est globalement positif, force nous est
cependant de constater que sur le terrain de l’application dudit traité, la plupart des Etats-
parties ont du mal à se conformer à l’esprit et à la lettre de certaines de ses dispositions.
En effet, tantôt considérée comme juge de droit et juge des faits, tantôt comme 3ème degré
de juridiction, la CCJA connait quelques problèmes de cohabitation avec les juridictions
suprêmes nationales.
A l’inverse, la CCJA est incompétente pour régler les litiges portant sur les matières non
harmonisées et de compétence exclusivement nationale.
Mais cette cloison entre la compétence de la CCJA et celle des juridictions nationales
apparemment claire (I) semble être altérée par une propension des juridictions suprêmes
nationales à garder leur compétence dans un domaine désormais réservé à la justice
communautaire.
Nous verrons ensuite quels sont ces difficultés et les pistes de solution pour une
cohabitation harmonieuse. (II)
Aux termes de l’article 14 du traité de l’OHADA « La CCJA assure dans les Etats
parties l’interprétation et l’application commune du présent traité, des Règlements pris pour
son application et des Actes uniformes.
La Cour peut être consultée par tout Etat partie ou par le Conseil des Ministres sur
toute question entrant dans le champ de l’alinéa précédent.
La même faculté de solliciter l’avis consultatif de la Cour est reconnue aux juridictions
nationales saisies en application de l’article 13 ci-dessus. Saisie par la voie du recours en
cassation, la Cour se prononce sur les décisions rendues par les juridictions d’appel des
Etats Parties dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l’application des
Actes uniformes et des règlements prévus au présent traité à l’exception des décisions
appliquant des sanctions pénales.
Elle se prononce dans les mêmes conditions sur les décisions non susceptibles d’appel
rendues par toute juridiction des Etats Parties dans les mêmes contentieux.
Ainsi la CCJA dispose de deux fonctions : Une fonction consultative ouverte aux Etats
Parties, au Conseil des Ministres et aux juridictions nationales et une fonction juridictionnelle
subordonnée à deux conditions :
- Le pourvoi formé doit concerner soit une décision d’appel, soit une décision non
susceptible de voie de recours ;
- Le contentieux doit soulever une question relative à l’application des Actes uniformes
et des Règlements prévus au traité.
L’article 15 quant à lui dispose que « Les pourvois en cassation prévus à l’article 4 sont
portés devant la CCJA, soit directement par l’une des parties à l’instance, soit sur renvoi
d’une juridiction nationale statuant en cassation saisie d’une affaire soulevant des questions
relatives à l’application des Actes uniformes. »
Il convient de relever ici que la plupart des saisines de la CCJA conformément à cette
disposition relève des parties et rares sont les saisines sur renvoi des juridictions nationales de
cassation.
Pour lever toute équivoque, la CCJA a pourtant rendu plusieurs décisions permettant aux
Etats Parties de s’inspirer.
B) Une abondante jurisprudence de la CCJA
Il en est de même de la décision rendue par la CCJA le 26 Avril 2000 dans un contentieux
lié à l’interprétation d’un bail commercial en Centrafrique. A l’examen de ce pourvoi, la Cour
relève que le requérant n’invoque à l’appui de son recours, aucun moyen de droit tiré de
l’interprétation ou de l’application d’un Acte uniforme OHADA ou d’un Règlement prévu au
traité comme l’exigent les dispositions de l’article 14 alinéa 3.
Dans la pratique quotidienne et compte tenu d’une vulgarisation insuffisante des textes de
l’OHADA dans les Etats Parties, on note certaines difficultés qu’ont les juridictions nationales
à se conformer aux dispositions du traité OHADA.
C’est ainsi que plusieurs Cours suprêmes des Etats Parties notamment celles du Niger et
du Cameroun ont rendu des décisions contraires malgré qu’elles reconnaissent la compétence
de la CCJA dans le domaine.
A l’instar des autres Cours, la Cour Suprême du Tchad saisie à deux reprises en pourvoi
dans des affaires ayant un caractère mixte c'est-à-dire soulevant des moyens qui relèvent à la
fois du droit national que de l’OHADA s’est déclaré compétente et a rendu des décisions
contraires aux dispositions du traité de l’OHADA.
Il est compréhensible que nos Cours reconnues par nos Constitutions comme les plus
hautes juridictions en matière judiciaire, administrative et des comptes (au Tchad c’est
l’article 152 de la Constitution qui le précise) ne puissent rapidement céder leur compétence à
une juridiction supranationale qui demeure jusqu’à présent inconnue par la plupart de nos
justiciables.
Cette situation s’explique aussi par le fait que le juge n’est pas lié par l’exception
d’incompétence, il peut rejeter ce moyen de défense lorsqu’il l’estime mal fondé et dans ce
cas il ne renvoie pas les parties à mieux se pourvoir mais retient l’affaire et statue lui-même.
En principe, lorsque les juridictions inférieures ont statué en dernier ressort en matière
OHADA, les parties doivent si elles veulent se pourvoir en cassation, saisir la CCJA.
Mais, il arrive que les juridictions suprêmes nationales soient saisies à tort ; dans ce cas, l’une
des parties peut, aux termes de l’article 18 du traité, saisir la CCJA mais à deux conditions :
La CCJA a réaffirmé cette condition dans son Avis N° 01/2004/JN du 28 janvier 2004
rendue sur consultation de la Cour d’Appel de N’djamena.
Elle s’est exprimée en ces termes « Il convient de rappeler que l’article 18 du traité
instituant l’OHADA dispose : Toute partie qui après avoir soulevé l’incompétence d’une
juridiction nationale statuant en cassation estime que cette juridiction a, dans le litige la
concernant, méconnu la compétence de la CCJA, peut saisir cette dernière dans un délai
de deux mois à compter de la notification de la décision contestée. La CCJA n’ayant pas
été saisie par la partie qui a soulevé l’exception d’incompétence devant la Cour Suprême
du Tchad, ne peut, en l’état se prononcer sur la compétence de ladite juridiction
nationale. »
Pour remédier à cette situation, trois principaux problèmes ont été identifiés par la
doctrine et des pistes de solution proposés.
- 1° - L’insuffisance de vulgarisation du droit OHADA :
Une réorganisation actuelle de la CCJA s’avère indispensable pour permettre à tous les
justiciables un accès facile à la justice.
Il s’agira donc de créer des formations locales de la CCJA dans chaque Etat membre de
l’OHADA tout en maintenant sa formation plénière actuellement à Abidjan afin de garantir
l’uniformité de la jurisprudence OHADA conformément au souhait des promoteurs du traité.
La création d’une Chambre mixte communautaire dans chaque Etat membre semble aussi
inévitable pour résoudre ces difficultés.
Composée de deux sections, l’une des pourvois et l’autre du contentieux, elle serait un savant
mélange des juges suprêmes nationaux et de la formation locale de la CCJA.
Il est évident que la mise en œuvre de ces propositions ne peut passer que par une révision
de certaines dispositions du traité.