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Ohadata D-05-20

LA QUESTION PREJUDICIELLE EN DROIT OHADA ET EN DROIT COMMUNAUTAIRE

Par Catherine GLAUBERT

L'Organisation pour l 'Harmonisation Africaine du Droit des Affaires est née du Traité de Port-Louis, signé
le 17 octobre 1993 dans la capitale de l'île Maurice en marge de la Conférence des Chefs d'Etat de la francophonie.
Ce Traité donne à un conseil composé de Ministres de la Justice et des Finances des pays membres le pouvoir de
prendre des dispositions qui seront publiées et applicables directement dans tous les Etats pour plusieurs matières :
droit des sociétés, statut juridique des commerçants, recouvrement des créances, sûretés, voies d'exécution,
redressement des entreprises et liquidation judiciaire, droit du travail, arbitrage, droit comptable, vente, transports,
et pour tout autre domaine décidé par les Ministres.

La procédure d'élaboration par le Conseil des ministres du fond du droit, c'est-à-dire des Actes uniformes,
fait intervenir la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage (CCJA) - siégeant à Abidjan - en qualité de juridiction
consultative avant l'adoption (Article 7). La CCJA est composée de sept juges élus pour sept ans renouvelables une
fois (Article 31). Les membres de la Cour élisent en leur sein le Président de la Cour pour trois ans et six mois. Le
Président est assisté d'un premier et d'un deuxième vice-Présidents, également élus. La Cour siège en formation
plénière, mais peut constituer des chambres de trois ou cinq juges. Outre ses compétences en matière consultative,
que nous allons étudier ci-dessous, la Cour est compétente pour connaître du contentieux relatif à l'interprétation et
à l'application des actes uniformes en tant que Juge de cassation, appréciant le fond du droit. Enfin, la CCJA
intervient en matière d'arbitrage non pas comme arbitre mais comme organe de nomination des arbitres et de
régulation de la procédure (Articles 21 à26 du Traité).

L'intervention de la Cour en matière consultative est une procédure intéressante et indispensable en matière
d'unification du droit, qu'il est utile de comparer à la procédure de question préjudicielle ayant joué un rôle non
négligeable en droit communautaire. La question préjudicielle est définie en droit communautaire comme étant un
«type fondamental de recours au sujet de l'interprétation des traités et de la validité ou de l'interprétation des actes
des institutions formé par les juridictions nationales devant la CJCE» en vertu, notamment, de l'article 234 du
Traité de la Communauté européenne.

Selon l'article 14 du Traité OHADA, «La CCJA assure dans les Etats Parties l'interprétation et l'application
commune du présent Traité, des Règlements pris pour son application et des Actes uniformes. » A cette fin, la Cour
peut être saisie soit par tout Etat Partie ou par le Conseil des Ministres sur toute question quant à l'interprétation et
l'application commune du Traité (procédure consultative), soit par les juridictions nationales pour tout contentieux
relatif à l'application des Actes uniformes (procédure préjudicielle selon la définition donnée ci-dessus). C'est cette
dernière faculté reconnue aux juridictions nationales qui nous intéressera tout particulièrement ici. L'Article 234
TCE distingue nettement la procédure préjudicielle de la procédure consultative, à la différence du Traité de
l'OHADA.

Il est intéressant de comparer ces deux procédures, toutes deux mises en œuvre devant une juridiction
supranationale relevant d'une organisation unificatrice du droit. Dans le souci de faciliter la compréhension et la
critique du système de l'OHADA, la comparaison sera faite en établissant tout d'abord, pour chaque point, ce qui se
fait en droit communautaire, pour ensuite observer le déroulement de la procédure devant la CCJA. La procédure de
question préjudicielle est organisée de manière différente selon les deux systèmes, mais finalement dans un but
assez proche (I). Il est surtout très instructif de comparer le mécanisme communautaire bien rodé à un mécanisme
récent, plutôt hésitant, mais indispensable à l'entrée du droit uniforme dans les systèmes juridiques internes (II). La
CCJA n'a en effet eu l'occasion de répondre à une question préjudicielle qu'une seule fois, puisque à ce jour seul le

1
Tribunal judiciaire de première instance de Libreville l'a saisie à propos du régime des nullités et de la compétence
de la juridiction des urgences 1.

I. LA PROCEDURE PREJUDICIELLE EN DROIT DE L’OHADA ET EN DROIT COMMUNAUTAIRE.

Les objectifs de la procédure (A), ainsi que sa mise en œuvre (B), font apparaître certains différences entre
les deux organisations supranationales.

A. Les objectifs de la procédure

Bien qu'ayant un rôle différent vis-à-vis des juridictions nationales (1.), les deux cours ont un but commun
d'application uniforme du droit supranational (2.).

1. Le rôle différent des deux cours: la CCJA assume le rôle d'une juridiction supranationale, devant laquelle la
procédure de question préjudicielle est facultative, tandis que la CJCE n'est pas hiérarchiquement supérieure aux
juridictions nationales, et oblige parfois ces juridictions à la saisir.

a. La CJCE: l'absence de supériorité hiérarchique et une procédure pouvant être facultative ou


obligatoire

Les auteurs du Traité CE ont écarté toute idée de subordination organique des tribunaux internes par rapport
au juge communautaire, tout en étant soucieux d'assurer l'application uniforme des règles communes: la
reconnaissance d'un pouvoir de cassation au profit de la CJCE, telle qu'elle existe en droit de l'OHADA aurait en
effet consacré la supériorité hiérarchique du juge communautaire spécialisé sur le «juge communautaire de droit
commun» en ce qui concerne le contentieux relatif à la mise en œuvre des règles communautaires.

Les pères fondateurs ont donc imaginé un mécanisme original, reposant sur l'idée de coopération judiciaire,
sous la forme de la procédure de question préjudicielle en interprétation et en appréciation de validité. Ainsi la
CJCE ne peut « ni appliquer le traité à une espèce déterminée, ni statuer sur la validité des mesures de droit interne
au regard de celui-ci» selon l'arrêt CJCE 15 juillet 1964 Costa / ENEL 2 : elle ne peut se prononcer que sur la
validité ou sur l'interprétation d'un acte communautaire, contrairement à la CCJA. Contrairement à une Cour d'appel
ou une Cour de cassation, la Cour de justice est saisie par la juridiction nationale, et non par les parties, et elle se
prononce avant que le litige ne soit tranché au lieu de confirmer ou infirmer une décision déjà rendue. Dès lors, la
Cour qui est saisie fréquemment de questions visant directement à apprécier la compatibilité d'une réglementation
nationale avec le droit communautaire, au lieu de se déclarer incompétente pour statuer, reformule la question de
manière à respecter, du moins en apparence, les limites rappelées dans l'arrêt Costa. La Cour est donc amenée à
donner l'interprétation des dispositions communautaire invoquées, tandis qu'il appartient à la juridiction nationale
d'en tirer les conséquences en l'appliquant au litige dont elle est saisie.

En vertu du Traité CE, lorsqu'une question d'interprétation ou de validité est soulevée devant les juridictions
nationales, elle peut ou doit être soumise à la CJCE : s'agissant de l'interprétation du droit communautaire, la
question doit lui être soumise si elle se pose dans une affaire pendante «devant une juridiction nationale dont les
décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne 3 », tandis qu'il rie s'agit que d'une
simple faculté pour les juridictions nationales de premier ressort. Cette différence de régime est liée au risque que
l'interprétation du droit communautaire effectuée par des juges nationaux de dernier ressort acquière une autorité
définitive dans l'ordre juridique national considéré, et que cela nuise gravement sinon irrémédiablement à
l'application uniforme du droit communautaire.

1
Avis du 7 juillet ]999, n° 01/99/JN, disponible sur OHADA.COM
2
N° 6/64, rec. 1964, p. 1141
3
Articles 234 al. 3 TCE - CJCE 6 octobre 1982 CILFIT
2
S'agissant de l'appréciation de validité du droit communautaire, la Cour a édifié un régime partiellement
dérogatoire au principe précédent: dans un arrêt du 22 octobre 1987 Foto Frost 4, la Cour a estimé que les
juridictions nationales peuvent se prononcer sur la validité d'un acte communautaire si elles rejettent les moyens
d'invalidité, car dans cette hypothèse elles ne portent pas atteinte au droit de la Communauté. Mais elle a ajouté
qu'en aucune manière ces juridictions ne peuvent déclarer ce droit invalide sous peine de porter atteinte à l'unité
d'application du droit communautaire et à l'exigence de sécurité juridique.

Enfin les juridictions nationales sont dispensées de présenter une question préjudicielle dans trois cas selon
la CJCE : lorsque le juge national a constaté que la question soulevée n'est pas pertinente, lorsque la question
soulevée est essentiellement identique à une autre qui a déjà été résolue par la Cour dans une procédure
préjudicielle, et lorsque l'interprétation correcte du droit de l'Union s'impose avec une telle évidence qu'il n'y a pas
lieu raisonnablement d'en douter (on parle de la théorie dite de l'acte clair 5).

2. La CCJA: une Cour de cassation supranationale devant laquelle la procédure est facultative

Lors de la création d'un ordre juridique nouveau institué par les traités, il est nécessaire qu'un mécanisme pennette
de garantir 1 'homogénéité de la jurisprudence des tribunaux dotés d'une compétence territoriale limitée. Le plus
souvent cette fonction est assumée dans les ordres étatiques internes par une juridiction placée au sommet de la
pyramide juridictionnelle de chaque ordre de juridiction et le plus souvent par le moyen du recours en cassation.

En Droit de l'OHADA, c'est la CCJA qui remplit ce rôle: elle se substitue aux cours nationales de cassation
afin d'unifier l'interprétation du droit uniforme par les juridictions nationales du fond, et évite un renvoi devant une
juridiction du dernier ressort en cas de cassation. Elle est donc saisie par les juridictions nationales de fond lorsque
celles-ci sont saisies d'un contentieux relatif à l'application des actes uniformes (articles 13 et 14 du Traité
combinés), bien que certains auteurs considèrent qu'« il n'est pas inconcevable qu'une juridiction nationale de
cassation saisisse la CCJA pour l'interroger sur sa compétence ». Il s'agit là d'une différence avec la procédure
organisée devant la CJCE, qui est saisie facultativement par les juridictions nationales de fond, mais
obligatoirement par les juridictions nationales dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours.
La bonne réalisation de cet objectif nécessite une renonciation par les Etats parties à leur souveraineté et la
consécration de la CCJA comme une juridiction supranationale. La CCJA est donc un troisième degré de
juridiction, une véritable cour de cassation hiérarchiquement supérieure aux juges étatiques, compétente pour
statuer sur les décisions rendues par les juridictions d'appel des Etats parties 6 dans toutes les affaires soulevant des
questions relatives à l'application des Actes uniformes et des règlements prévus par le traité de l'OHADA à
l'exception des décisions prononçant des sanctions pénales.

Il existe plusieurs Cours communautaires de justice en Afrique, ayant des fonctions toutes différentes. Par
exemple, la Cour de justice de l'UEMOA (Union Economique et Monétaire Ouest Africaine) peut intervenir dans le
cadre d'une procédure préjudicielle selon l' Article 12 du Protocole additionnel n° 1 relatif aux organes de contrôle:

« La Cour de Justice statue à titre préjudiciel sur l'interprétation du Traité de l'Union, sur la légalité et
l'interprétation des actes pris par les organes de l'Union, sur la légalité et l'interprétation des statuts des
organismes créés par un acte du Conseil, quand une juridiction nationale ou une autorité à fonction juridictionnelle
est appelée à en connaître à l'occasion d'un litige.

Les juridictions nationales statuant en dernier ressort sont tenues de saisir la Cour de Justice. La saisie de la Cour
de Justice par les autres juridictions nationales ou les autorités à fonction juridictionnelle est facultative ».

Les différences sont grandes avec la procédure organisée devant la CCJA, puisque dans le cadre de
l'UEMOA les juridictions nationales sont obligées de saisir la Cour. En droit de l'OHADA, la question préjudicielle
est une « faculté de solliciter l'avis consultatif de la Cour reconnue aux juridictions nationales» selon l'article 14 du
Traité.

4
n° 314/85, rec. 4225
5
Dégagée dans l'arrêt CJCE 6 octobre 1982 CILFIT(Rec. 1982, p. 3415)
6
L 'Article 13 du Traité précise que « le contentieux relatif à l'application des Actes uniformes est réglé en première instance et en appel
par les juridictions des Etats parties ».
3
2. Le même but d'application uniforme du droit supranational

L'OHADA et l'Union Européenne sont deux systèmes d'intégration juridique de plusieurs Etats, c'est-à-dire
qu'ils opèrent un transfert de compétences étatiques d'un Etat à une organisation dotée de pouvoirs de décision et de
compétences supranationales 7. Ces organisations supranationales à vocation régionale ont opté pour deux
techniques différentes d'intégration, pour parvenir à un but commun qui est l'application dans tous leurs États
membres d'un droit identique, uniforme.

a. La CJCE et sa coopération avec les juridictions nationales dans le but 1 d'une harmonisation du
droit
L'Union Européenne met en œuvre une technique d'harmonisation du droit, définie 1 comme étant
l'opération législative consistant à mettre en accord des dispositions d'origine , différente; elle vise à modifier des
dispositions existantes afin de les mettre en cohérence entre elles ou avec une réforme nouvelle 8.

Il s'agit donc de réduire les différences et divergences entre les législations nationales - en comblant les
lacunes des unes et en gommant les aspérités des autres, par des techniques juridiques douces telles que les
directives ou recommandations qu'une organisation internationale adopte et adresse aux Etats qui en sont membres.
Ces directives et recommandations se contentent d'indiquer les résultats à atteindre sans imposer la forme et les
moyens pour y parvenir, si ce n'est que la norme nationale à intervenir doit être revêtue d'un imperium différent
pour s'imposer dans l'ordre juridique interne.

La technique de 1'harmonisation du droit respecte la souveraineté législative et réglementaire nationale, ce


qui a permis au droit communautaire de s'insérer en douceur dans les systèmes juridiques nationaux. Mais la
technique d'intégration juridique que l'on connaît en Europe n'est pas une «forme pure» d'harmonisation : en effet, le
règlement communautaire a une autorité différente de celle des directives et autres recommandations. Il a une
efficacité tout à fait comparable à celle de la loi dans les systèmes nationaux 9, puisque, selon l'actuel Article 249
TCE, il a «une portée générale» (il contient des prescriptions générales et impersonnelles), il «est obligatoire dans
tous ses éléments» (il interdit aux Etats toute application incomplète ou sélective) et il «est directement applicable
dans tout Etat membre» (il produit par lui-même et automatiquement, sans aucune interposition des autorités
nationales, des effets juridiques dans l'ordre interne des Etats membres et doit recevoir application sur leur
territoire).

La procédure de question préjudicielle joue un rôle déterminant dans cette opération d'harmonisation. La
Cour a très tôt dû faciliter la tâche aux juges nationaux, en leur laissant entendre qu'elle est un organe de
coopération plus qu'un organe pouvant s'opposer à eux. Il a été précisé que « CJCE et juges étatiques sont intégrés
dans un processus de coopération et non dans une relation hiérarchique » 10, et la Cour de justice a indiqué elle-
même que la procédure préjudicielle était une procédure marquée par l'absence de caractère contentieux, en
affirmant que «les auteurs de l'article 177 ont entendu instituer une coopération directe entre la Cour de justice et
les juridictions nationales aux termes d'une procédure non contentieuse» 11, c'est-à-dire que les deux juges
collaborent et ne s'opposent pas.
L'idée d'une coopération 12 entre la Cour et les États membres s'exprime par le fait que la Cour de justice est
consultée par les juridictions nationales lorsque ces dernières, ayant à appliquer une disposition de droit
communautaire à un litige dont elles sont saisies, ont besoin de savoir si cette disposition est valide ou de voir
7
Vocabulaire juridique Capitant
8
Vocabulaire juridique, Gérard Cornu(Association Henri Capitant)
9
Guy Isaac, Droit communautaire général, Ed. Armand Colin.
10
Dictionnaire du Droit de l'Union Européenne, T. Debard, Editions Ellipses 2002.
11
CJCE 9 décembre 1965, Hessische Knappschafi / Maison Singer et fils
12
CJCE 1er décembre 1965 Schwarze

4
préciser le sens qu'il convient de lui donner. La Cour a la responsabilité d'éclairer le sens et la portée de la norme
communautaire, tandis que le juge national en tire les conséquences pour appliquer la norme ainsi interprétée au
litige au principal. Mais cette séparation théorique est difficile à respecter dans la pratique : la Cour s'efforce d'éviter
deux dérives opposées: d'un côté, une interprétation délibérément abstraite, laissant une marge d'appréciation
importante aux juridictions nationales, risque d'aggraver la perplexité du juge de renvoi, et de porter atteinte à terme
à l'uniformité d'application du droit communautaire. Inversement, une interprétation exagérément concrète, qui
préjuge largement la solution du cas d'espèce, dénature la répartition des compétences juridictionnelles inhérente au
dispositif de l'article 234 TCE et risque de générer des réactions de rejet de la part des juridictions nationales,
réduites à un rôle d'enregistrement des solutions dictées par la jurisprudence communautaire. n s;agit donc de
trouver un équilibre entre ces deux positions opposées, qui exprime le principe de coopération juridictionnelle
inhérent à la logique du renvoi préjudiciel.

. La CCJA et sa participation à l;uniformisation du droit

La CCJA est chargée d'assurer l'unité de l'élaboration et de l'application du droit uniforme. C'est en théorie
une technique d'uniformisation du droit qui est mise en œuvre 13 : l'uniformisation consiste en la modification de la
législation de deux ou plusieurs pays tendant à instaurer dans une matière juridique donnée une réglementation
identique. n s'agit donc d'effacer les différences entre les législations nationales en leur substituant un texte unique,
rédigé en des termes identiques pour tous les Etats concernés. Le processus d'uniformisation privilégié par
l'OHADA est celui de supranationalité qui lui permet d'introduire directement des normes dans l'ordre juridique
interne des Etats membres. Ainsi les Actes uniformes que l'organisation adopte s'imposent directement aux Etats
parties.

C'est par une uniformisation de la jurisprudence des différents États membres que la CCJA participe à
l'u11Îformisation du droit. Ainsi, elle définit son rôle en matière préjudicielle comme permettant « aux juridictions
nationales de bien dire le droit suivant la jurisprudence qu'aura à unifier la Haute Cour, surtout dans l'incertitude
de la règle ou du principe à appliquer dans laquelle elles pourront se trouver. Désormais, grâce à cette procédure
d'avis, on peut penser que les juridictions nationales épargneront les justiciables des décisions les plus
fantaisistes14 ».

Alors que dans le système communautaire, la CCJE a un rôle beaucoup plus délicat du fait de cette méthode
de coopération et des nonnes hétérogènes qu'elle se doit de faire respecter et qui ne sont pas d'application
immédiate, dans le système OHADA le rôle de la CCJA, qui paraît simple, finit par être contraignant du fait du
corpus de règles restreint qui est imposé. Mais ce processus n'est en pratique pas aussi contraignant, puisque les
institutions s'efforcent de jouer un rôle de coopération avec les institutions des Etats Membres, comme le font les
institutions communautaires.

B. La mise en œuvre de la procédure préjudicielle

CJCE et CCJA ont toutes deux une compétence particulière en matière préjudicielle (1.), mise en œuvre par
une procédure qui leur est propre (2.).

1. La compétence des deux Cours en matière préjudicielle

a. La CJCE: l'interprétation et l'appréciation de validité du droit communautaire


L'avis préjudiciel rendu par la Cour a un double objectif en droit communautaire : d'une part, il doit éclairer les
juridictions nationales sur l'interprétation à donner au droit communautaire. La Cour « est habilitée à se prononcer
sur la seule interprétation du traité et des actes pris par les institutions de la Communauté, mais ne saurait ni les

13
Selon Joseph Issa-Savegh, Quelques aspects techniques de l'intégration juridique : l’exemple des actes uniformes de l’OHADA.
14
Avis rendu sur question préjudicielle émanant du tribunal de Libreville.

5
appliquer à un cas d'espèce, ni statuer sur l'interprétation du droit interne d'un Etat membre »15. Mais la Cour
s'autorise à interpréter des dispositions nationales renvoyant au droit communautaire 16.

Peuvent faire l'objet d'une procédure préjudicielle en interprétation les dispositions des traités constitutifs,
ainsi que des protocoles et annexes, les traités «complémentaires », les traités portant modification des traités
constitutifs, les actes d'adhésion, c'est-à-dire pratiquement l'ensemble du droit originaire. La question préjudicielle
en interprétation peut également porter sur le droit dérivé, donc les actes pris par les institutions de la Communauté
ainsi que les actes pris par la Banque Centrale Européenne. Même si la question a été discutée, il a été estimé que
les arrêts de la Cour peuvent faire l'objet d'une procédure préjudicielle en interprétation. Enfin, la Cour a admis
qu'un accord conclu au nom de la Communauté par le Conseil relève des actes visés par l'article 234 TCE. La Cour
est en outre compétente pour interpréter les accords mixtes, conclu à la fois par la Communauté et les Etats
membres, ainsi que les accords conclus par les Etats membres avec des pays tiers, mais liant la Communauté. n n'y
a donc pas de limite à la mission de la Cour, tant que la norme à interpréter est communautaire.

Il est à préciser que la CJCE peut également être saisie par les institutions communautaires, tout comme la
CCJA, mais dans un cadre limité: outre les traités CE CA et CEEA, qui prévoient la possibilité d'une saisine de la
Cour par les institutions dans certains cas précis, le traité CE (Article 300) prévoit que « le Conseil, la Commission
ou un État membre peut recueillir l'avis de la Cour de justice sur la compatibilité d'un accord entre la Communauté
et un ou plusieurs Etats ou organisations internationales » (paragraphes 1 et 6 combinés).

L'opération d'interprétation consiste à dégager le sens des dispositions qui sont soumises à la Cour par le
juge national. A cet égard, la Cour retient une vision large de sa fonction, en considérant qu'il lui appartient de
préciser le champ d'application, ratione materiae, ratione personae et ratione temporis de la norme, mais aussi d'en
déterminer les effets, et notamment de se prononcer sur l'effet direct et la primauté des dispositions du droit
communautaire. La réponse de la Cour doit être «utile » pour le juge national afin de trancher le litige au principal.
C'est pourquoi la Cour situe son raisonnement interprétatif dans le contexte de droit et de fait qui a été à l'origine de
la question. Parfois le juge communautaire statue ultra petita en vue de répondre à la fois aux questions que la
juridiction nationale s'est posée et à celles qu'elle ne s'est pas posée.

D'autre part la CJCE peut rendre un avis préjudiciel appréciant la validité du droit communautaire: à cette
fin 1e contrôle de la Cour peut porter sur tout moyen d'illéga1ité (externe ou interne).
La Cour ne peut contrôler 1a validité du droit originaire, bénéficiant d'une présomption irréfragable de validité.
L'appréciation de va1idité se 1imite donc à l'examen des normes de droit dérivé. Les arrêts de 1a Cour ne peuvent
pas faire 1'objet d'un renvoi en appréciation de va1idité. Mais la Cour semble reconnaître la possibilité de se
prononcer à 1a suite d'une question préjudicielle sur 1a validité d'un engagement international liant la Communauté
ou de l'acte communautaire de conclusion d'un accord international. Une déclaration d'invalidité prononcée dans ce
cas engagerait la responsabilité internationale de la Communauté à l'égard des Etats cocontractants.

Le contrôle de validité se rapproche par nature de la fonction que le juge communautaire exerce dans le
contexte du contentieux de la légalité et en particulier du recours en annulation. Selon l' Article 173 TCE, « la Cour
de justice contrôle la légalité des actes adoptés conjointement par le Parlement européen et le Conseil, des actes du
Conseil, de la Commission et de la BCE, autres que les recommandations et. les avis, et des actes du Parlement
européen destinés à produire des effets juridiques vis-à-vis des tiers ».

La Cour a donc assimilé les deux voies de droit, à la fois quant à l'identification des nonnes de référence et
quant à l'intensité du contrôle, en dépit des différences qui séparent les deux actions quant aux conditions de saisine,
à la procédure et aux effets. Par l'intermédiaire d'une question préjudicielle la Cour va donc réaliser un contrôle de
légalité de l'acte en question, qui pourra être demandé par toute personne physique ou morale, à la différence du
recours en annulation contre un acte communautaire. La CJCE a également précisé que sa compétence, dans le
cadre de la procédure préjudicielle, «ne comporte aucune limite quant aux causes sur la base desquelles la validité

15
CJCE 2 décembre 1964 Dingemans / Bestuur der Sociale Verzekeringsbank
16
CJCE 17 juillet 1997 Leur-Bloem

6
de ces actes pourrait être contestée »17. Le «bloc de légalité» communautaire est donc le même que pour le recours
en annulation, c'est-à-dire le droit originaire, le droit dérivé, les accords liant la Communauté, ainsi que les principes
généraux du droit dont le respect s'impose aux institutions.

Le Traité de Port Louis ne traite quant à mi pas de cette question, si bien qu'il n'est pas permis de penser que
la CCJA puisse opérer un contrôle de la validité des actes des institutions à la demande d'un État membre ou d'une
juridiction nationale hormis lors de l'élaboration des actes, par la procédure consultative décrite ci-dessous.

b. L'interprétation et l'application commune du droit de l'OHADA par la CCJA :

Selon l'Article 14, « la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage assure dans les Etats Parties
l'interprétation et l'application commune du présent Traité, des Règlements pris pour son application et des Actes
uniformes ».

A cette fin la CCJA exerce une fonction consultative lors de l'élaboration des Actes uniformes: ces textes
sont préparés par le Secrétariat permanent, transmis aux gouvernements pour observations, puis à la CCJA pour avis
avant d'être soumis au Conseil des ministres pour adoption. Elle est également consultée lors de l'application du
Traité ou des Actes uniformes : tout Etat Partie, le Conseil des Ministres ainsi que les juridictions nationales
(question préjudicielle) peuvent la saisir sur toute question relative à l'interprétation et l'application du Traité, des
règlements d'application ou des Actes uniformes.

La Cour remplit cette fonction au moyen d'avis et selon la procédure réglée par les articles 53 à 58 du
règlement, étant entendu qu'elle peut appliquer également, si elle le juge convenable, les autres dispositions prévues
pour sa fonction contentieuse.

Cette compétence exclusive d'interprétation et d'application commune du droit uniforme reconnue à la CCJA dans
le souci d'une nécessaire uniformisation de la jurisprudence, indique .l'option des Etats fondateurs de l'OHADA
pour une interprétation authentique du droit harmonisé, non seulement parce qu'ils se reconnaissent dans l'institution
habilitée à la donner, mais aussi parce que cette institution est directement impliquée dans le processus d'élaboration
des Actes uniformes et des Règlements et est censée mieux savoir que quiconque le sens de ce droit harmonisé 18.
Ainsi les juridictions de États membres disposent d'une jurisprudence de référence qui éclaire leur prise de décision
dans les affaires dont elles sont saisies.

2. Saisine:

. La CJCE :

Trois conditions sont à remplir pour pouvoir poser une question préjudicielle: tout d'abord, la question doit
se poser devant un juge national. Comme nous l'avons vu en I.A.l, il peut s'agir des juridictions de fond ou des
juridictions dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours en droit interne. Une jurisprudence de la CJCE
s'est développée autour de la notion de «juridiction », et il en a été déduit que les questions émanant d'arbitres 19
n'étaient pas acceptées, tandis que celles émanant de juridictions institutionnalisées (dont les conseils des ordres
professionnels statuant en matière juridictionnelle 20 le sont. La question ne s'est pas encore posée devant la CCJA,
mais le Traité semble assez restrictif puisqu'il n'évoque que les juridictions nationales saisies« en première instance
et en appel »21

17
CJCE 12 décembre 19721nternational Fruit- aff 21 à 24/72 Rec. 1219
18
Jacques Mbosso, Le rôle des juridictions nationales et le droit harmonisé, RDAI no2, 2000.
19
CJCE 23 mars 1982 Nordsee
20
CJCE 6 octobre 1981 Broeckmeulen
21
Artic1e 13 du Traité OHADA
7
Ensuite, cette question préjudicielle doit être soulevée dans une affaire pendante devant l'organe
juridictionnel en cause, par l'une des parties au litige principal (faculté pas du tout évoquée par le Traité OHADA).
Mais le juge national peut soulever lui-même d'office la question 22. La décision par laquelle le juge national
surseoit à statuer pour poser la question préjudicielle est une mesure interlocutoire, qualification qui pourrait peut-
être éclairer les juges des États membres de l'OHADA, car aucune terminologie n'a été employée dans le Traité de
Port Louis pour qualifier les jugements posant la question à la CCJA. Cette mesure interlocutoire en droit
communautaire permet à l'une des parties au litige de contester un renvoi purement dilatoire et totalement dépourvu
de pertinence en interjetant immédiatement appel contre la décision du juge du premier degré 23.
Enfin, pour pouvoir statuer, l'organe juridictionnel doit estimer nécessaire que la CJCE se prononce sur la question.
La saisine de la Cour s'effectue de greffe à greffe, par transmission du jugement ou de l'ordonnance de renvoi. La
juridiction doit communiquer à la CJCE le dossier complet de la procédure devant cette juridiction, afin que la
Haute Cour apprécie mieux le cadre et les limites des questions posées. L'article 20 du statut de la Cour prescrit au
greffe, après en avoir fait assurer la traduction dans toutes les langues officielles, de notifier toute demande de
décision préjudicielle aux parties en cause dans le recours originel mais aussi à la Commission et aux États
membres et même au Conseil, si l'acte concerné émane de lui; en Droit de l'OHADA la notification n'est faite
qu'aux parties au litige et aux États membres, mais il serait peut-être utile que les institutions soient également
averties, dans le souci d'un meilleur dialogue et d~une véritable coopération entre l'organisation et ses États
membres. Un délai de deux mois pour présenter leurs observations est donné aux destinataires de la notification
émise par la CJCE.

Un juge rapporteur fait un premier examen de l'affaire et la CJCE décide si des mesures d'instruction sont
éventuellement à prendre. Puis, au cours de la phase orale de la procédure, les parties, la Commission~ le Conseil
ou les États membres peuvent se présenter à la barre et exposer une nouvelle fois leurs points de vue en ayant alors
connaissance de toutes les observations qui ont été faites sur l'affaire. il est à préciser que la langue de la procédure
préjudicielle est obligatoirement la langue nationale de la juridiction de renvoi. il s'agit donc d'une relative
complication pour la Cour, qui devra ensuite faire traduire son avis dans toutes les langues officielles de l'Union,
tandis que devant la CCJA seul le français est employé.

. La CCJA :

Selon l'Article 14 alinéa 2 : «La Cour peut être consultée par tout Etat Partie ou par le Conseil des
Ministres sur toute question entrant dans le champ de l'alinéa précédent ». Cette demande d'avis consultatif se
distingue de la procédure préjudicielle - telle que définie en droit communautaire - car n'émane pas des juridictions
nationales. C'est la suite de cet alinéa qui nous intéresse plus particulièrement dans le cadre de cette étude: «La
même faculté de solliciter l'avis consultatif de la Cour est reconnue aux juridictions nationales saisies en
application de l'article 13 ci-dessus », c'est-à-dire saisies en première instance et en appel afin de régler « le
contentieux relatif à l'application des Actes uniformes ».

Une telle saisine ne peut donc se concevoir que pour un contentieux déjà né: une juridiction ne peut solliciter
d'avis en dehors de tout litige, et émane d'une juridiction nationale de fond (bien que ce point fut discuté - voir le
I.A.1). Les parties à un litige ne peuvent saisir la CCJA mais il est permis de penser qu'elles peuvent demander à la
juridiction saisie de leur litige de le faire 24.

La procédure à suivre dans le cadre d'une question préjudicielle est décrite par le Règlement de procédure de
la CCJA (Articles 56 à 58). La juridiction sollicite un avis de la Cour par une décision qui «formule en termes précis
la question sur laquelle la juridiction a estimé nécessaire de solliciter l'avis de la Cour pour rendre son jugement
»25. il n'est pas précisé sous quelle forme cette décision de la juridiction nationale doit intervenir: jugement?
Jugement avant-dire droit? Cette décision est notifiée à la Cour à la propre diligence de la juridiction requérante en
y joignant tout document permettant d'élucider la question posée. Aucune précision n'est donnée quant au moment
de la procédure interne auquel un tel avis peut être demandé, ni dans quel délai maximal la CCJA doit le donner : il
y a donc un risque de lenteur de la procédure inhérent à l'application d'un Acte uniforme ou du Traité.

22
CJCE 16 juin 1971 Salonié
23
Illustré par l'arrêt CJCE 12 février 1974 Rheinmiihlen
24
Articles 56 et 57 du Règlement de procédure de la CCJA combinés
25
Article 56 du Règlement de procédure de la CCJA
8
Le greffier de la CCJA notifie immédiatement la demande d'avis consultatif aux parties en cause devant cette
juridiction ainsi qu'aux Etats parties en leur faisant savoir que la Cour est disposée à recevoir leurs observations
écrites dans le délai fixé par le Président. Les observations écrites sont déposées au greffe et communiquées
uniquement aux auteurs d'autres observations écrites qui sont admis à discuter les observations écrites ainsi reçues
dans les formes, mesures et délais fixés, dans chaque cas, par le Président qui décide, en particulier, s'il y a lieu à
audience. Les observations écrites ainsi déposées sont communiquées aux autres auteurs d'observations écrites;
ceux-ci sont admis à les discuter dans les conditions fixées par le Président qui décide s'il y a lieu à audience. fi y a
donc un - grand respect du principe du contradictoire tout au long de la procédure.

Selon l' Article 58 du Règlement, l'avis consultatif rendu par la CCJA contient l'indication qu'il est rendu par
la Cour, la date du prononcé, les noms des juges qui y ont pris part, ainsi que celui du greffier, l'exposé sommaire
des faits, les motifs, et la réponse à la question posée à la Cour. La CCJA fut ainsi saisie par le Tribunal judiciaire
de première instance de Libreville à propos du régime des nullités et de la compétence de la juridiction des
urgences, et rendit un avis le 7 juillet 199926.

Des différences existent entre les procédures préjudicielles prévues par ces deux cours supranationales, mais
elles sont à minimiser, notamment parce que nous n'avons pas tous les éléments pour comparer cette procédure dans
sa pratique. La procédure manque d'expérience devant la CCJA, et le Traité est silencieux sur certains points qui
poussent pourtant à la réflexion et entraînent des incertitudes. Cette constatation concerne surtout les effets de la
procédure, car ils ne sont pour l'instant que des effets envisageables.

II. Les effets de la procédure préjudicielle en droit de l'OHADA et en droit communautaire

La procédure préjudicielle a plusieurs effets en droit interne (A), mais également une utilité pratique non
négligeable en matière d'uniformisation du droit (B).

A. La valeur de l'avis en droit interne

1. Le comportement des hautes cours face à une question préjudicielle .

Devant la CJCE :

La Cour estime qu'elle est tenue de répondre à toute question posée par une juridiction nationale, à la seule
condition que celle-ci soit de sa compétence, autrement dit qu'elle porte sur l'interprétation ou l'appréciation du droit
communautaire. La Cour refuse de répondre par exemple lorsque la question concerne exclusivement
l'interprétation du droit national 27 ou du droit international, ou lorsqu'elle vise à ce que la Cour formule son opinion
sur le droit à élaborer28.

Afin de répondre à la question posée, la Cour doit également avoir connaissance des éléments de fait et de
droit de l'affaire soumise au juge national, afin de lui donner une réponse précise et circonstanciée. Il arrive de plus
en plus souvent au juge de refuser de répondre à des questions imprécises, mal formulées ou dont l'utilité n'est pas
clairement établie, du moins lorsqu'elles sont posées par des juridictions inférieures.

Mais très souvent la Cour va reformuler les questions mal posées: il lui arrive d'identifier elle-même, au vu
du dossier, les dispositions de droit communautaire que le juge national devra appliquer, soit parce que la question
est insuffisamment précise, soit parce qu'elle ne vise pas les bons textes. De même la Cour est très fréquemment
amenée à transformer une question portant sur la compatibilité du droit national avec le droit communautaire en une
question d'interprétation de ce dernier. n lui arrive même de transformer une question d'interprétation en une
question de validité ou d'apprécier la validité d'un texte au regard de moyens qui n'ont pas été invoqués par la
juridiction nationale.

26
Avis n° 001 /99/JN
27
CCJE 17 décembre 1975 Jacob Adlerbum
28
CJCE 22 novembre 1978 Matheus
9
Une fois la question convenablement posée, la Cour va être en mesure de répondre utilement au juge
national en vue de la solution du litige au principal.

. Devant la CCJA :

Il n'est pas aisé de comparer les éléments analysés ci-dessus avec ce qu'il se passe en droit de l'OHADA,
puisque comme nous l'avons déjà introduit un seul avis a été rendu. Néanmoins dans cet avis la Cour reprend
précisément la question qui lui fut posée par le Tribunal de Libreville et y répond tout aussi précisément. n serait
intéressant de comparer plusieurs avis de la CCJA entre eux.

2. Les cours sont-elles liées par leurs avis et cet avis a-t-il un effet obligatoire pour les parties?

. La CJCE : les effets obligatoire, général et rétroactif de ses avis

Il n'a jamais été discuté que la décision de la Cour donne une réponse définitive et obligatoire à la question
qui lui a été posée dans le cadre de la procédure au principal par le juge national, et lie celui-ci ainsi que toutes les
juridictions ayant à en connaître par le jeu des voies de recours. Mais les juges nationaux peuvent interroger de
nouveau la Cour s'ils ne s'estiment pas suffisamment éclairés par sa réponse. La Cour a récemment précisé que ses
avis avaient « autorité de chose jugée ».

L'avis préjudiciel a en outre des effets au-delà des juridictions saisies du litige principal, puisqu'il s'applique
également aux parties à d'autres litiges devant n'importe quelle juridiction de J'ensemble des États membres. Cette
solution a d'abord été dégagée pour les décisions d'interprétation 29, avant de valoir pour les décisions rendues en
appréciation de validité 30. Ainsi si la CJCE déclare un acte légal, cela ne signifie pas qu'il est à l'abri de toute
critique, mais seulement que les éléments qui ont été soumis à l'appréciation de la Cour ne sont pas de nature à
affecter sa validité. Mais si elle déclare un acte invalide, tous les juges nationaux auront l'obligation, chaque fois
qu'une exception d'illégalité est soulevée devant eux, de refuser d'en faire application.

Le Conseil d'Etat français refuse de reconnaître la portée générale des arrêts préjudiciels dans son arrêt du 13 juin
1986 ONIC. Bien qu'il fasse état des interprétations rendues par la CJCE et appliqué ses interprétations dans les
litiges qui donnent lieu à une question préjudicielle de son fait 31. Mais il est plus réservé sur les conséquences à
tiret d'une déclaration d'invalidité, au contraire de la Cour de cassation qui les accepte 32.

Enfin l'avis rendu par la Cour a une portée rétroactive, reconnu dans son arrêt du 27 mars 1980 Denkavit : la
règle qu'elle interprète «doit être appliquée par tous les juges de la Communauté, même à des rapports juridiques
nés et constitués avant l'arrêt statuant sur la demande d'interprétation, si, par ailleurs les conditions permettant de
porter devant les juridictions compétentes un litige relatif à l'application de ladite règle se trouvent réunies ».
n en est de même des décisions qui infirment ou confirment la validité d'un acte.

La Cour est elle aussi liée par l'effet général de ses avis, car si elle est saisie d'une - demande en réparation
du dommage causé par un acte qu'elle a estimé illégal au bénéfice de toutes les victimes, celles-ci seront dispensées
d'établir l'illégalité de cet acte 33.

. Devant la CCJA :

Tout comme pour la CJCE, la CCJA est liée par ses avis, et ce pour une raison de logique conformément à
sa mission d'application uniforme du droit. La Cour l'a elle-même affirmé dans son avis rendu sur question du

29
CCJE 27 mars 1963 Da Costa
30
CCJE 13 mai 1981 International Chemical Corporation.
31
CE 2 décembre 1983 Sucrimex
32
Cour de cassation 10 décembre 1985 Douanes/Roquette
33
CJCE 25 mai 1978 H.N.L.
10
Tribunal de Libreville: « Certes, il s'agit d'un simple avis dépourvu de tout effet décisoire découlant de l'autorité de
la chose jugée et de la force de chose jugée. Mais, on comprendrait mal que saisie par voie de pourvoi de la même
question que la Cour vienne à se déjuger ».

Cette phrase implique également l'absence d'autorité de chose jugée, donc de portée obligatoire,
contrairement aux avis rendus par la CJCE. Les effets de l'avis ne sont d'ailleurs pas prévus par le Traité ni par le
règlement de procédure. Si l'on tient compte de ce qui se passe en France, il faut savoir que l'avis de la cour de
cassation peut être sollicité par les juridictions de base, sur le sens ou l'interprétation d'une règle de fond ou de
procédure; mais cet avis reste consultatif: il n'a aucun effet obligatoire ni pour la Cour qui le donne ni pour les
juridictions de base qui le sollicitent.

A défaut de dispositions légales ou réglementaires, expresses indiquant le contraire, l'avis de la CCJA ne


saurait lier la Cour, les Etats-Parties ou le Conseil des ministres: il n'a donc pas de portée générale. De même, si la
CCJA est saisie d'un recours contre une décision rendue par une juridiction nationale après avis de la Cour, elle
pourra statuer dans un sens différent de la solution donnée par l'avis. Mais ces avis pourraient servir de guide au
comportement des Etats-Parties pour la conduite à tenir sur certaines dispositions concernant l'application stricte des
textes uniformes indépendamment d'un litige particulier, il serait donc illogique de ne pas en tenir compte.

Toutefois l'avis semble plus contraignant pour la juridiction nationale qui l'a sollicité: il est demandé par une
juridiction qui a présenté les faits et les points de droit; cette demande fait l'objet d'un débat, non seulement entre les
parties au litige mais aussi entre les Etats Parties. Pour ces raisons la juridiction requérante doit suivre l'avis rendu
par la Cour, mais sans que sa méconnaissance puisse constituer un cas d'ouverture de recours à cassation.

Pour certains auteurs,« mieux vaut un avis purement consultatif sans effet obligatoire ni pour la cour
ni pour les Etats-Parties ou juridictions nationales de fond qui le sollicitent» 34, et ce afin de ne pas bloquer les
évolutions positives du droit. Cet argument semble peu approprié u droit de l'OHADA, puisqu'une absence d'effet
contraignant empêche bien au contraire une évolution du droit: si les juridictions nationales décident de ne pas
appliquer les avis de la Cour, non seulement le rôle de cette dernière est irrémédiablement réduit, alors qu'elle est
garante de l'application uniforme du droit, mais en plus l'insertion du droit uniforme en droit interne sera fortement
limitée.

Quant à l'effet rétroactif, la question ne s'est jamais posée car nécessité une pratique de la question
préjudicielle sur plusieurs années.

B. Utilité de la question préjudicielle en matière d'uniformisation du droi! . La CJCE :

La procédure préjudicielle a occupé une place considérable dans le développement du droit communautaire:
la plupart des arrêts fondateurs de l'ordre juridique communautaire ont été rendus dans ce cadre, ainsi que ceux qui
ont joué un rôle moteur dans la réalisation du marché intérieur (libre circulation des marchandises et des personnes)
ou de certaines politiques telles que celle visant à assurer l'égalité entre les hommes et les femmes.

. La CCJA:

Le contrôle de légalité que l'on connaît en droit communautaire pourrait à l'avenir se développer devant la
CCJA, d'autant plus que les matières uniformisées sont hétérogènes et impératives aux États membres. Mais dans ce
système d'intégration relativement jeune, l'enjeu est, outre la nécessité d'une harmonisation du droit des affaires afin
de faciliter les relations avec l'extérieur, d'éviter de froisser les susceptibilités nationales; car les institutions des
États membres de telles organisations ne se prêtent pas facilement à la supranationalité, et ce phénomène n'est pas
seulement visible en Afrique: il suffit d'observer le comportement de notre Conseil d'Etat pour s'en apercevoir.

Bien que les avis rendus par la CCJA n'auront qu'un rôle amoindri par leur absence d'effet contraignant,
l'application et l'interprétation du droit harmonisé dans tous les Etats membres seront facilitées par d'autres
éléments: l'existence et la disponibilité d'un nouveau droit des affaires (remplaçant des textes épars et caducs qu'on
34
OHADA : Saisine et Procédure devant la CCJA », Cheikh Ahmed Coulibaly, 1998.
11
ne pouvait rassembler en cas de nécessité), l'abrogation systématique de toutes dispositions de droit interne des
Etats membres contraires à celles du droit harmonisé (Article 10 du Traité 35), l'existence d'une Cour de Justice
supranationale (notamment du fait de la force exécutoire et de l'autorité de chose ,Jugée attachées à ses décisions),
le choix de l'interprétation authentique, ainsi que l'existence de l'Ecole régionale supérieure de la Magistrature
(ERSUMA, chargée de résoudre les problèmes liés au manque de spécialisation des magistrats).

Le nombre d'avis rendus par la Cour est largement insuffisant, alors que les juridictions nationales
ont de grandes difficultés d'interprétation. n peut y avoir plusieurs raisons à ce phénomène: l'absence de
recours préjudiciel tel qu'il existe en droit communautaire ainsi que dans le Traité UEMOA, le fait qu'une
telle prérogative ne soit directement reconnue, ni aux auxiliaires de justice, ni à leurs organisations
professionnelles (conseil de l'ordre des avocats, chambres des notaires, huissiers, syndicats de
greffiers), ni aux opérateurs économiques (ils ne peuvent que soumettre leurs questions au ministre de la
Justice, qui saisira la CCJA au nom de l'Etat n est impératif que les juridictions développent le réflexe de
demandes d'avis, ce qui contribuera à une meilleure interprétation des Actes uniformes.

Une autre critique est apportée par la Cour elle-même dans son seul avis rendu sur demande d'une juridiction
nationale: «c'est ici l'occasion plus que jamais de regretter le nombre réduit des juges composant cette Cour qui à
notre avis risque d'être saturée avec les demandes d'avis et les pourvois lorsque tous les Etats-Parties viendront à
appliquer le nouveau droit des affaires ».

**********

Selon l'avis rendu par la Cour après question préjudicielle émanant du Tribunal de Libreville, «il faut louer
l'esprit du législateur communautaire qui, en prévoyant cette possibilité [pour les juridictions nationales de saisir la
Cour], permet d'éviter les pourvois systématiques des justiciables et avocats jusqu'au boutistes, qui pourront
l'engorger ». Les avantages de la question préjudicielle, outre l'application uniforme du droit de l'union dans tous
les États membres, sont nombreux: cette procédure facilite la coopération judiciaire entre le juge supranational et le
juge national, assure une certaine stabilité au droit de l'union, favorise la protection juridique des particuliers, et
favorise l'interpénétration entre l'ordre juridique de la Communauté et les droits nationaux.

Les différences sont donc sensibles entre les deux procédures ci-dessus étudiées, tenant notamment au rôle
différent qu'assument les deux cours et aux dissemblances dans les règles de procédure. Mais ces différences sont
bien plus grandes au niveau de l'effet de l'avis rendu par la haute cour, peut-être parce que le système OHADA
nécessite une plus grande pratique, plus d'expérience afin d'améliorer ses techniques. Rappelons tout de même que
l'intégration juridique opérée par le Traité de Port Louis est un système exceptionnel, qui mérite grandement de
s'épanouir, comme le montre l'adoption récente de l'Acte uniforme concernant les transports. Malheureusement la
CCJA est, quant à elle, fortement limitée dans ses actions, notamment du fait de sa localisation en Côte d'Ivoire,
pays qui connaît de graves troubles politiques à l'heure actuelle.

35
« Les Actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les Etats parties, nonobstant toute
disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure ».
12
BIBLIOGRAPHIE

Bibliographie relative à laCCJA :

- Introduction au Traité et aux actes uniformes de l'OHADA, Joseph Issa-Sayegh, Ohada.com


- La fonction juridictionnelle de la CCJA de l'OHADA, Joseph Issa-Sayegh, Ohada.com -
- La nouvelle Cour de cassation des pays de l'OHADA, Doudou Ndoye
- Le rôle des juridictions nationales et le droit harmonisé, Jacques Mbosso, RDAI n° 2, 2000
- OHADA: Saisine et Procédure devant la CCJA, 1998, Cheikh Ahmed Coulibaly
- Quelques aspects techniques de l'intégration juridique: l'exemple des actes uniformes de l'OHADA, Joseph Issa-
Sayegh, Ohada.com

Bibliographie relative à la CJCE :

- Droit et pratique du contentieux communautaire, J.-L. Sauron, Réflexe Europe


- Evolution récente du droit judiciaire communautaire Vol. I, Vassili Christianos, Institut Européen
d'Administration Publique
- Que sais-je? La CJCE, J.-D. Mouton et C. Soulard
- Dictionnaire juridique de l'Union Européenne, F. de la Fuente, Bruylant 1994
- Dictionnaire du Droit de l'Union Européenne, T. Debard, Ellipses 2002
- Droit communautaire général, Guy Isaac, Armand Colin

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