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Conflits de juridictions
par
FOFANA Ouedraogo Ramata
Juge à la Cour de Justice de l’UEMOA
ramatafof@yahoo.fr
INTRODUCTION
Créée à Dakar par le Traité de l’Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine, en abrégé
UEMOA, du 10 janvier 1994, la Cour de Justice est l’un des deux organes de contrôle
juridictionnel de l’UEMOA, le second étant la Cour des Comptes.
La Cour de Justice a pour mission de veiller au respect du droit quant à l’interprétation et à
l’application du Traité de l’Union (Article 1er du Protocole Additionnel n° 1).
Composition : La Cour de Justice de l’UEMOA est composée de huit membres nommés par
la Conférence des Chefs d’Etats et de Gouvernement de l’UEMOA, à raison d’un membre par
pays, pour un mandat de six ans renouvelable.
Compétence : Elle exerce essentiellement trois activités juridictionnelles qui entrent dans le
cadre de ses compétences : le contentieux, l’arbitrage, la consultation juridique.
Les recours en matière contentieuse sont :
Le recours préjudiciel : En règle générale, le rôle d’une Cour de cassation est d’assurer
l’unité dans l’interprétation et l’application du droit. La Cour de Justice de l’UEMOA n’est
pas une juridiction de cassation placée au-dessus des cours suprêmes nationales, comme c’est
le cas pour la CCJA de l’OHADA. Elle est saisie par le système de renvoi préjudiciel pour
prévenir toutes interprétations divergentes et erronées et pour assurer l’unité dans
l’interprétation du droit communautaire.
L’article 12 du Protocole Additionnel n° 1 instituant les organes de contrôle de l’UEMOA, les
articles 27 alinéa 7 des Statuts de la Cour, 15 -6èment du Règlement de procédure de celle-ci
ont prévu un mécanisme juridique permettant à toute juridiction nationale d’interroger la Cour
de Justice de l’UEMOA, si elle estime devoir être éclairée sur un point de droit
communautaire soulevé dans un litige pendant devant elle.
La Procédure : La procédure applicable devant la Cour est régie par le Règlement n° 01/96
du 05 juillet 1996 portant Règlement de procédures de la Cour. Elle comporte une phase
écrite et une phase orale. La requête est introduite par l’entremise d’un avocat inscrit à l’un
des barreaux des Etats membres.
En rapport avec le thème précis de cet atelier qui est : réflexion sur les conflits de
compétences entre les juridictions communautaires, il importe de relever que la diversité des
groupements d’intégration économique régionale, où se retrouvent les mêmes Etats membres,
dont les fonctions et les activités font souvent double emploi, interpelle et suggère d’investir
la réflexion sur la compatibilité et la nécessaire mise en cohérence des différents schémas
d’intégration.
Je propose d’aborder la réflexion sur ce thème en deux parties : d’une part, nous ferons un
bref aperçu des différents conflits et d’autre part, nous verrons quelles peuvent être les
solutions à envisager en cas de conflits.
A. SOURCES DE CONFLITS
Les Etats d’Afrique de l’Ouest comme du Centre semblent avoir compris qu’aucune politique
véritable d’intégration économique n’est possible sans un minimum de contrôle confié à un
organe indépendant. Cette prise de conscience s’est matérialisée par la création de cours de
justice en lieu et place de structures relevant de la justice internationale.
- au niveau communautaire :
Chaque fois que des litiges impliquent l’application simultanée et coordonnée des règles
communautaires de l’UEMOA, de la CEDEAO ou de l’OHADA, et peuvent être revendiqués
par chacune des trois juridictions, le problème de conflit de compétence va se poser.
- au niveau national :
Du fait de l’appartenance à différentes organisations, les actes d’un Etat peuvent violer
plusieurs traités à la fois, conduisant à ce que les juridictions de ces organisations respectives
se déclarent concurremment compétentes.
A titre illustratif, les textes pris par ces Etats pour la mise en œuvre des règlements et
directives UEMOA-CEDEAO, qui légifèrent sur les mêmes domaines, et les A.U. de
l’OHADA qui peuvent concerner des domaines dans lesquels l’UEMOA et la CEDEAO
interviennent sous forme de politiques sectorielles (libre circulation, TEC, PAC, Energie…).
Le conflit de compétence entre la CJ/UEMOA et la CCJA OHADA d’une part, et la
CJ/UEMOA et la CJ/CEDEAO d’autre part, est réel.
A titre d’exemple, l’hypothèse de conflit découlant de normes déjà adoptées et mises en
œuvre est celle qui existait entre, d’une part, l’Acte uniforme portant organisation et
harmonisation des comptabilités des entreprises (AUOHC), adopté à Yaoundé le 24 mars
2000, appelé Acte uniforme relatif au droit comptable, et d’autre part, le Règlement
n° 04/CM/UEMOA du 20 décembre 1996 portant adoption d’un référentiel comptable
commun au sein de l’UEMOA, dénommé Système Comptable Ouest Africain (SYSCOA).
Ce conflit n’a plus une grande portée pratique aujourd’hui, mais il constitue un bon exemple
de contradiction qui, sans l’harmonisation intervenue en 2001, allait aboutir à la coexistence
de deux normes contradictoires qui risquaient de compliquer sérieusement leur mise en
œuvre.
1
Beaucoup de choses ont déjà été réalisées telles que :
- la mise en place d’un Comité conjoint de concertation UEMOA-CEDEAO pour harmoniser les politiques ;
- la participation de l’UEMOA aux différentes phases d’élaboration des Actes uniformes de l’OHADA ;
- l’organisation par la CJ/UEMOA, depuis trois ans déjà, des rencontres inter juridictionnelles pour
l’harmonisation des jurisprudences des différentes Cours régionales : …
2
L.-M. IBRIGA, Communication au colloque IDC du 3 au 6 novembre 2007 à Ouagadougou.
3
voir discours du Président de la Cour de Justice de l’UEMOA prononcé à l’ouverture de la rencontre
interjuridictionnelle le 19 mai 2008 au Palais des Sports de Cotonou.
Si l’on se place sous l’angle de la CJ/UEMOA et de la CCJA/OHADA, les normes de droit
sont d’applicabilité directe dans les Etats parties ou Etats membres. A priori, ces deux
catégories d’actes paraissent se situer au même niveau. En cas de conflit, à quelle norme faut-
il accorder la priorité ?
Selon le professeur SAWADOGO, le conflit doit être réglé en ayant recours au critère
chronologique qui fait prévaloir le texte le plus récent ou en appliquant le critère de spécialité
qui a pour conséquence, qu’une règle spécifique prime la règle générale ou qu’une règle
générale nouvelle laisse subsister les dispositions particulières qui la précèdent4.
La tentation est grande d’établir une hiérarchie, favorable aux Actes uniformes de l’OHADA,
en prenant en compte un certain nombre de considérations.
La première tient dans le nombre des membres participant à chaque traité constitutif : celui-ci
est de huit pour l’UEMOA et de seize pour l’OHADA (tous les membres de l’UEMOA sont
également membres de l’OHADA).
La deuxième se rapporte au mécanisme judiciaire du contrôle de l’application des normes, qui
semble donner le dernier mot à la CCJA.5
Au niveau des relations entre la CJ/UEMOA et la CJ/CEDEAO, le risque de conflit se situe
dans la possibilité de saisine concurrente des deux juridictions, étant donné, comme énoncé
ci-haut, que des actes d’un même Etat peuvent violer les dispositions des deux organismes et
donc entraîner la compétence des deux Cours, ou qu’un citoyen d’un Etat membre de la
CEDEAO décide de choisir de se faire appliquer une norme CEDEAO dans un pays membre
de l’UEMOA, même si celle-ci est contraire à ce qui est prévu à l’UEMOA sur ce domaine …
Sur ces cas précis, la solution possible serait le désistement de l’une des juridictions en faveur
de l’autre sur la base de la compétence d’attribution, de l’objet du litige, ou de l’ancienneté de
la saisine. Il apparaît évident que la spécialisation des juridictions est un impératif à envisager
pour éviter “ la guerre des juges ”.
En conclusion, nous pouvons dire que, les problèmes de hiérarchie et de conflits de normes
juridiques ci-dessus évoqués ainsi que leurs solutions passent par la nécessaire mise en
4
Professeur Filiga Michel SAWADOGO, dans une communication faite au cours du séminaire sur les conflits de
compétence UEMOA-OHADA, organisé par la CJ/UEMOA.
5
En effet, la CCJA saisie par un pourvoi en cassation contre la décision rendue par une juridiction nationale qui a
posé une question préjudicielle à la CJ/UEMOA, peut évoquer et statuer sur le fond, étant précisé que sa décision
non susceptible de recours s’imposera à tous (Traité OHADA, article 20).
6
D’ailleurs, le problème s’est posé dans l’affaire Snar / Leyma du 16 août 2001. Cette jurisprudence Snar et
Leyma peut être considérée comme la manifestation de la réticence des juridictions nationales au monopole
exclusif de la CCJA.
cohérence des traités, grâce à leur relecture et par l’instauration d’un cadre institutionnel
chargé du règlement des conflits de normes et de compétences.
Mais en attendant, il est urgent de mettre en place une structure de concertation, de
coordination des différentes organisations d’intégration, aux fins de créer entre elles une
synergie allant dans le sens de l’harmonisation, voire de la fusion.
Le règlement de tous ces problèmes de contrariété ou de contradiction de normes et conflits
de compétence a été toujours une préoccupation des praticiens du droit, nous devons nous
atteler à proposer aux législateurs communautaires, des pistes à même de résoudre ces conflits
latents.
L’OHADA s’est voulu de bonne guerre très ambitieuse, mais son système de hiérarchie
juridictionnel crée beaucoup plus de problèmes qu’il n’en règle en réalité. Ne faut-il pas
imiter aujourd’hui le modèle de l’UEMOA ?
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