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Introduction au Droit privé communautaire

Pr. Filiga Michel SAWADOGO


Agrégé des facultés de Droit, Professeur titulaires des Universités (Burkina-Faso)

Pr. Jean-Louis CORREA


Agrégé des facultés de Droit

Pôle Sciences juridiques économiques et de l’administration SEJA (UVS)

1
Pr. Corréa et Sawadogo 2018
Introduction générale

La conception de cet enseignement s’est faite suite à l’autorisation expresse du


Professeur Filiga M. SAWADOGO, grand théoricien et praticien du Droit communautaire africain
qui, sur notre demande, a spontanément accepté que nous partagions avec nos étudiants ses
nombreux écrits sur la question. Qu’il trouve en ses lignes nos sentiments de profonde
reconnaissance.

Dans une conception classique de l’Etat, les sources du droit sont internes. En passant
par la Constitution, les lois et les décrets, les organes législatifs et exécutifs internes sécrètent
les normes nécessaires à une vie harmonieuse en Cité. C’est ainsi que pendant longtemps, les
Etats ont vécu dans une forme d’autarcie juridique, se suffisant à eux-mêmes dans une forme
de célébration de la méfiance ou de la défiance des Etats voisins. Cet auto-centrage des Etats a
eu comme conséquence politique de nombreux conflits qui ont émaillé l’histoire de l’humanité1.
D’un Etat de guerre quasi-permanente, les relations internationales ont évolué vers une
pacification dictée par l’imbrication des frontières et des personnes. Si par la force, les Etats
ont été en mesure de dessiner les limites géographiques et politiques, ils n’ont cependant pas
pu limiter les populations dans leur élan migratoire dicté par la recherche du mieux-être et le
caractère artificiel des frontières politiques. A cela, il faut ajouter les nécessaires alliances
nouées entre puissances dominantes afin de mieux s’arroger les ressources disponibles et
maintenir leur domination. Où l’on voit ici poindre les deux grands vecteurs
d’internationalisation des relations humaines et partant de production du droit que sont la
nécessité étatique et la fatalité humaine. Le droit international est ainsi né par nécessité et par
atavisme. Le droit international public et le droit international privé sont venus s’ajouter aux
sources internes de création de normes plus haut citées.
Le droit international, public s’entend, peut être défini au premier abord comme
l’ensemble des règles juridiques régissant les relations entre les Etats et les autres sujets de la
société internationale. Concernant ses sources, la référence est l’article 38 du Statut de la Cour
Internationale de justice (CIJ) lequel prévoit que la Cour applique « a) les conventions
internationales, soit générales, soit spéciales, établissant des règles expressément reconnues par
les Etats en litige ; b) la coutume internationale comme preuve d’une pratique générale,

1 La guerre des Cent jours, les deux conflits majeurs de 1914 et 1939. 2

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acceptée comme étant le droit ; c) les principes généraux de droit reconnus par les nations
civilisées ; d) … les décisions judiciaires et la doctrine des publicistes les plus qualifiés des
différentes nations, comme moyen auxiliaire de détermination des règles de droit »2.
En dépit du droit international, la volonté de certains Etats, tel que l’Allemagne Nazie,
de conquérir le monde, a entrainé, au sortir de la deuxième guerre mondiale, un processus
irréversible de coopération économique entre les Etats européens. C’est ainsi que le Traité de
Rome de 1957, créant la Communauté économique européenne (CEE), est né. Cette
organisation, ancêtre de l’actuelle Union européenne (UE), est l’illustration de la décision
d’Etats anciennement belligérants de lier leurs sorts par l’échange et le commerce ou comment
le commerce peut permettre de construire la paix. Ainsi, l’architecture de l’UE sera bâtie autour
de principes juridiques forts permettant de donner corps à la volonté d’intégration des Etats
membres.
A côté du droit international classique, on voit naitre une nouvelle législation co-
produite par des Etats et ayant donc une valeur supranationale. Le même processus peut être
peint en Afrique noire francophone avec la création, dès après la vague des indépendances, en
1960, des premières organisations sous régionales d’intégration facilitée notamment par
l’existence d’une monnaie commune.
D’un point de vue technique, c’est dans la catégorie des accords multilatéraux qu’il
convient de ranger les traités visant à instaurer l’intégration économique ou juridique. Ainsi, au
niveau de la sous-région Ouest-africaine francophone, deux organisations d’intégration sont à
signaler. Il s’agit d’abord de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA),
avec son droit primaire constitué du Traité de Dakar du 10 janvier 1994 et de ses protocoles
additionnels et son droit dérivé formé par les actes additionnels, les règlements, les directives,
les décisions, les recommandations et les avis.
Les objectifs de construction d’un marché commun et ses implications sur le plan
interne, notamment la convergence des politiques économiques, la libre concurrence et la libre
circulation des personnes, des biens et des services et la liberté d’établissement font que les
règles sécrétées ne peuvent manquer d’exercer une influence quotidienne, directe ou indirecte,
sur la vie des citoyens des Etats membres3. A ce même niveau se situent la CEDEAO, la

3
2
Voy. Combacau J. et Sur S., Droit international public, Montchrestien, 2e éd., 1995, p. 45. Selon ces
auteurs, l’article 38 du statut de la CIJ est une reprise du statut de la CPJI et donc remonte à 1920.
3
Ce point de vue rejoint celui de la Cour de Justice des Communautés Européennes qui dans sa célèbre
jurisprudence Van Gend & Loos (Aff. 26/62, Van Gend & Loos du 5 février 1963, Rec.1963, p.3)
affirmait : l’objectif du traité CEE qui est d’instituer un marché commun dont le fonctionnement
concerne directement les justiciables de la Communauté, implique que ce traité constitue plus qu’un

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CEMAC, qui est la sœur jumelle de l’UEMOA en Afrique centrale, sans oublier les nombreuses
autres organisations d’intégration créées dans les autres régions africaines ou ayant un objet
spécifique4.
Une autre perception de l’intégration est à l’œuvre avec l’Organisation pour
l’harmonisation du droit des affaires en Afrique (OHADA), créée par le Traité de Port Louis
du 17 octobre 1993 et qui regroupe actuellement dix-sept Etats africains. L’OHADA s’est fixé
un but spécifique tenant à la réalisation de l’intégration juridique en Afrique : il s’agit de doter
les Etats parties d’un droit des affaires simple, moderne et adapté. Il a déjà permis l’adoption
de dix actes uniformes5 qui couvrent une bonne partie du droit des affaires et qui doivent
s’appliquer de manière uniforme dans les Etats parties, grâce à la perspicacité des juridictions
internes et à celle de la Cour commune de justice et d’arbitrage (CCJA).

accord qui ne créerait que des obligations mutuelles entre Etats contractants […]. La Communauté
constitue un nouvel ordre juridique de droit international […] dont les sujet sont non seulement les Etats
membres mais également leurs ressortissants». 4
44
Il s’agit entre autres de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale (CEEAC), de la
Communauté Economique des Pays des Grands Lacs (CEPGL), de la Communauté des Etats Sahélo-
Saharien (CESS), du Marché Commun de l’Afrique de l’Est et du Sud (MCAES, en anglais COMESA),
de l’Union du Fleuve Mano (UFM en anglais, MRU), de l’Union du Maghreb Arabe (UMA), de la Zone
d’Echanges Préférentiels entre Etats de l’Afrique de l’Est et de l’Afrique Australe (ZEP), et de la
Conférence du Développement des Etats de l’Afrique Australe (CDEAA, en anglais SADC).
5
De ce point de vue, il est indéniable que l’évolution est rapide. Outre le Traité et les règlements
d’application, l’on relève huit actes uniformes adoptés entre 1997 et 2003. Ce sont :

- d’abord, trois actes adoptés à Cotonou le 17 avril 1997, à savoir l’Acte uniforme portant sur le droit
commercial général (AUDCG), l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du
groupement d’intérêt économique (AUDSC) et l’Acte uniforme portant organisation des sûretés (AUS) ;
- ensuite, deux actes adoptés à Libreville le 10 avril 1998, à savoir l’Acte uniforme portant organisation
des procédures simplifiées de recouvrement des créances et des voies d’exécution (AUPSRVE) et l’Acte
uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif (AUPC) ;
- puis, l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage (AUDA), adopté le 11 mars 1999 à Ouagadougou ;

- également, l’Acte uniforme portant organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises
sises dans les Etats parties au Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique (AUOHC),
adopté à Yaoundé le 24 mars 2000 ;

L’acte uniforme sur la société coopérative du 15 décembre 2010 et l’acte uniforme relatif à la
médiation du 23 novembre 2017.

- enfin, l’Acte uniforme relatif aux contrats de transport par route, adopté à Yaoundé le 22 mars 2003.
Au total, le processus OHADA d’intégration juridique, qui est profond, ambitieux et inédit, a permis
l’adoption de dix actes uniformes, constituant de ce fait un monument juridique de la première
importance.

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Ces différentes organisations ci-dessus citées promeuvent l’intégration. Dans son
acception économique, l’intégration est une politique d’unification des politiques économiques
entre plusieurs Etats. Elle peut prendre la forme d’une Union douanière (UEMOA-UE) ou celle
d’une zone de libre échange (ALENA6). Mais de nouvelles formes d’intégration apparaissent,
comme l’Ohada, qui font la promotion de l’intégration économique par le biais d’instruments
juridiques. En effet, l’Ohada ne crée ni une zone de libre-échange encore moins une union
douanière mais s’appuie sur le droit pour favoriser l’intégration de ses Etats parties. Une telle
approche, pour être efficace, ne saurait être autonome puisque devant nécessairement prendre
appui sur des mécanismes et techniques économiques.
Ces différentes organisations participent d’un mouvement plus général que l’on appelle
le droit communautaire, un processus de communautarisation du droit du double point de vue
de sa conception et de sa mise en œuvre. Dans ses présupposés théoriques, le droit
communautaire implique un renoncement à l’expression pleine et entière de la souveraineté
étatique manifestée par le partage des pouvoirs législatif, judiciaire et exécutif avec un organe
supra-étatique. Un tel partage est symbolisé par l’existence d’organes prenant en charge ces
dimensions de l’action étatique. Dès lors, les Etats parties au processus d’intégration
communautaire, pour réaliser l’objectif d’intégration7, doivent renoncer à une part importante
de leur souveraineté. Celle-ci s’exprime du double point de vue national et international. D’un
point de vue national, l’Etat a une compétence d’action sur toute l’étendue de son territoire.
C’est le principe de territorialité. Il y produit le droit et veille à son application. Du point de vue
international, il existe un principe de non soumission d’un Etat à un autre. Aucun Etat ne
pouvant assumer une obligation mise à sa charge par un autre.
La communautarisation du droit remettrait alors en cause la souveraineté de l’Etat. Il
s’agit bien d’une conception erratique de la notion. Bien au contraire, c’est nanti de sa
souveraineté qui est pouvoir d’agir que l’Etat s’investit et s’implique dans un processus
d’intégration. La participation à un engagement communautaire, la signature d’un Traité
international serait alors la manifestation de la souveraineté de l’Etat et non l’expression de sa
soumission à un ordre juridique transcendant.
Une parfaite illustration est faite avec la décision du Conseil constitutionnel sénégalais
du 16 décembre 1993 où il s’était agi de vérifier la compatibilité entre la Constitution du
Sénégal, notamment le principe de souveraineté, et le Traité de l’OHADA, en ses articles 14 et
16. Le juge constitutionnel faisait remarquer, à juste titre, que le dessaisissement de l’Etat du

6 Accord de libre-échange nord-américain entre les Etats-Unis, le Mexique et le Canada. 5


7 V. préambule de la Constitution de la République du Sénégal du 22 janvier 2001.

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Sénégal n’était ni total ni définitif et que cela participait de la réalisation de l’unité africaine qui
implique une limitation de la souveraineté nationale8.
En prenant la focale de la souveraineté, le droit communautaire ne serait envisagé que
sou l’angle du droit public, la discipline revendiquerait alors une filiation publiciste.
L’affinement de l’analyse permet de se rendre compte que les actes portant création d’organes
communautaires sont souvent des traités internationaux qui eux-mêmes comportent une forte
partie institutionnelle. Ceci conduit naturellement le Droit public à s’intéresser à cette
dimension du droit communautaire. Il s’agit ici plutôt d’un droit communautaire institutionnel
qui s’attache principalement à l’étude de l’organisation et au fonctionnement de l’institution
communautaire.
Notre propos, dans le cadre de cet enseignement, ne portera pas sur le droit institutionnel
ou constitutionnel communautaire. On laissera cet exercice d’apothicaire aux publicistes. Notre
propos se limitera au Droit privé communautaire. On entend par là, le droit communautaire
dans sa dimension relative au Droit des affaires mais aussi au droit civil. Cette conception
permettra de s’intéresser au droit dérivé, c’est-à-dire le droit adopté pour la mise en œuvre issu
du droit primaire. Concrètement, l’étude du Droit privé communautaire, entendu au sens du
droit des affaires et du droit civil d’origine communautaire, devrait nous conduire à étudier
d’abord le droit Ohada qui porte l’essentiel de la réglementation du droit des affaires, mais aussi
le droit de l’UEMOA portant le droit des droits. Ces deux organisations sont également
productrices d’un droit dérivé fécond sous la forme d’Actes uniformes pour l’Ohada et de
Règlements, directives et autres textes pour l’UEMOA.
Enfin, pour assurer le contrôle de la mise en œuvre des actes juridiques ainsi adoptés,
ces organes communautaires sont dotés de juridictions aux pouvoirs importants. Il serait utile,
dans le cadre de ce cours, d’étudier les relations entre ces juridictions communautaires et celles
nationales. La pratique a démontré des incompréhensions persistantes entre ces différents ordres
judiciaires.
En définitive, le droit communautaire est plus une attitude, un état de volition vis-à-vis
d’une norme extérieure et supérieure, un état d’esprit aux antipodes de la conception non
volontariste du phénomène communautaire. Or, comme on le verra, le juge national est le
premier juge de l’application du droit communautaire en ce que ce dernier ne saurait lui être
étranger.

8Décision du CC n° 3/C/93 du 16 décembre 1993, Affaire n° 12/93 du 16/12/93= saisine par le Président 6

de la République.

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Sous le bénéfice de toutes ces observations, l’étude du droit privé communautaire
passera par l’identification de ce droit (I) et le contrôle de son application (II).

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