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Ohadata D-21-30

UNE BRANCHE DU DROIT CONTROUVÉE: LE DROIT


PÉNAL COMMUNAUTAIRE DES AFFAIRES OHADA*
Par

Pr. Cossi Dorothé SOSSA


LL.M., LL.D. (Ottawa)
Agrégé des facultés de droit
Professeur titulaire de droit privé
Ancien Ministre, Ancien Doyen
Ancien Secrétaire Permanent de l’OHADA
Avocat, arbitre, médiateur

*
* Avertissement : cette étude a été faite en l’honneur du Doyen Ndiaw Diouf de l’Université Cheick Anta Diop
de Dakar. Elle a d’abord été publiée dans l’ouvrage collectif Justice et intégration. Tome II : Intégration.
Mélanges en l’honneur du Professeur Ndiaw Diouf, Cotonou, Les Éditions du CREDIJ et les Éditions de
l’ERSUMA, 2020, pages 631 à 670.

1
INTRODUCTION

I - UNE OPTION NORMATIVE PENALE CONTROVERSEE


A – Des critiques renforcées par des difficultés d’application
1 – Une option majoritairement critiquée par la doctrine
2 – Des difficultés d’application législative et judiciaire
B – Un choix conforme à la pratique du droit pénal international
1 – Le renvoi de pénalité en droit pénal international
2 – Les exemples de quelques conventions-phares
II - UN DROIT PENAL DES AFFAIRES COMMUNAUTAIRE IRREALISABLE
A – Des normes d’incrimination communautaires non réalisées
1 – Les normes communautaires mal reçues
2 – Le choix de l’incrimination directe par d’autres organisations régionales
2.1 – les expériences de l’OAPI et la CIMA
2.2 – les cas de la CEMAC et de l’UEMOA
B – L’impossible genèse communautaire d’un droit pénal des affaires OHADA
1 – Nullum crimen sine poena legali
2 – L’absence d’un projet de communautarisation du droit pénal

CONCLUSION

2
*
INTRODUCTION

Le Doyen Ndiaw Diouf, écrivait, il y a quelques années, en évoquant le droit pénal issu du
Traité et des Actes uniformes de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des
Affaires en Afrique (OHADA), que « […] parfois, il faut sanctionner pénalement les atteintes
aux intérêts protégés par le droit communautaire ; or les États parties acceptent difficilement
d’abdiquer leur souveraineté en matière de détermination des comportements constitutifs
d’infraction et des peines à leur appliquer [car] le pouvoir de commander ou d’interdire et
d’édicter une sanction de nature à porter atteinte à la liberté, voire à la vie, ne peut être
déléguée [… ].Tout au plus peut-on envisager la coordination des systèmes pénaux par
l’élimination des discordances notées dans la détermination des comportements à incriminer
»1. C’est effectivement, la voie de prudence et de sagesse, ainsi prônée par le grand juriste, qui
a été empruntée par les auteurs du Traité du 17 octobre 1993 relatif à l’harmonisation du droit
des affaires en Afrique, signé à Port-Louis le 17 octobre 1993 tel que révisé à Québec le 17
octobre 2008. L’article 5, alinéa 2, de cet instrument international prévoit, en effet, que : « les
Actes uniformes peuvent inclure des dispositions d’incrimination pénale. Les États parties
s’engagent à déterminer les sanctions pénales encourues »2.

Comme ailleurs dans le monde, le droit pénal est nécessaire à la moralisation de la vie des
affaires dans l’espace OHADA en assurant la protection des intérêts des créanciers et des
associés ainsi que la garantie d’une bonne exécution des obligations souscrites par les acteurs3.
Mais, les auteurs du Traité OHADA, procédant par « incompétence négative »4, ont retenu que,
pour contrer la criminalité en col blanc dans l’espace communautaire, les Actes
uniformes ne doivent recourir qu’à une incrimination indirecte5. Or, par définition,
l’incrimination indirecte repose sur « la technique du renvoi » et, plus précisément ici, sur un
« renvoi externe » qui est « un renvoi de pénalité » du droit communautaire au droit national
des États parties6.

1
Ndiaw Diouf, « Actes uniformes et droit pénal des États signataires du Traité de l’OHADA : la difficile
émergence d’un droit pénal communautaire des affaires dans l’espace OHADA », OHADATA D-05-41, p. 1, pp.
2 et 4.
2
Le texte du « Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, signé à Port-Louis le 17 octobre
1993 tel que révisé à Québec le 17 octobre 2008 » et entré en vigueur le 21 mars 2010, figure au Journal officiel
de l’OHADA, n° 25 du 1er décembre 2011, pp. 3 et s. ; v. également le texte du Traité in Joseph Issa-Sayegh, Paul-
Gérard Pougoué et Filiga Michel Sawadogo, OHADA. Traité et actes uniformes commentés et annotés,
Futuroscope, Juriscope, 2018, pp. 19 et s.
3
Dieunedort Nzouabeth, « L’activité de l’entreprise saisie par le droit pénal », Revue CAMES/SJP, n° 001/2017,
p. 189.
4
L’« incompétence négative » est « le fait pour une autorité, le plus souvent le législateur, de ne pas avoir exercé
pleinement sa compétence dans le domaine considéré […] ». V. Premier Ministère – Conseil d’État, Guide de
légistique, 3e édition mise à jour, La documentation française 2017, p. 31.
5
En droit européen, l’incrimination est dite directe si la norme communautaire prévoit « une définition complète
et précise du crime ainsi que les modalités de répression qui s’imposent aux États ». Elle est, par contre, dite
indirecte dans le cas où la norme communautaire se limite à « prohiber le comportement dénoncé, laissant aux
États toute faculté pour le définir et le rendre punissable en droit interne ». V. Éric-Adol T. Gatsi, L’espace
judiciaire pénal CEMAC : regard sur la déterritorialisation du droit pénal, Revue Générale de
Droit, Volume 46, numéro 2, 2016, pp. 387 et 394 ; Bertrand Bauchot, Sanctions pénales nationales et
droit international, thèse de doctorat en droit, Université de Lille 2, 2007, p. 19.
6
Le renvoi d’un texte à un autre est u n e t ech n iq u e lé g is la tiv e co n s is tan t en « l’invitation formelle,
énoncée par la règle, à se reporter à une ou plusieurs autres dispositions. » (Nicolas Molfessis, « Le renvoi
d’un texte à un autre », in Les mots de la loi, (sous la direction de Nicola Molfessis), Paris, Économisa, coll. Études
juridiques, n° 5, 1999, p. 55 ; Marie-Line Drago, Le principe de normativité criminelle, reconfiguration du

3
Il convient de préciser ici, avant d’aller plus avant, que le droit OHADA issu du Traité comme
le droit dérivé de l’Organisation sont tout à fait, à notre sens, « communautaires » et ne
constituent surtout pas un « droit commun » comme on a pu le suggérer7. Si, en effet, les mots
et les locutions du langage juridique8 ont et doivent conserver leur nécessaire signifié, une
« communauté » est, tout simplement et rien d’autre, un « ensemble de personnes ou d’États
ayant des intérêts communs » et « la communauté économique n’en est qu’une variante au
même titre que la communauté conjugale ou d’agglomération »9. Est donc « communautaire »
ce « qui se rapporte à une communauté »10. C’est bien là, dans un statut communautaire, que
se positionnent tant la production normative que l’architecture institutionnelle de l’OHADA au
service de ses dix-sept États-membres. C’est donc aussi la situation du droit pénal des affaires
que l’Organisation a semblé, en apparence comme nous le verrons, vouloir instituer.

principe de légalité criminelle, Thèse de doctorat en droit, Université de Montpellier, 2016, n° 147). On parle
également d’une « référence du texte principal à un autre » (Ibid.). Plus précisément encore, nous sommes ici face
à un « renvoi de pénalité », le législateur ayant défini l’acte pénalement interdit et imposé de se reporter à un autre
texte pour la sanction (Ibid.). Le renvoi implique le morcellement de la règle pénale en faisant figurer la définition
du comportement prohibé dans un texte et la sanction de ce comportement dans un autre texte. Le
renvoi est « externe » lorsque le report est fait à des dispositions étrangères à la loi qui définit les interdictions.
Ces dispositions peuvent tenir dans une autre loi, un règlement, une directive etc. Dans un « renvoi interne », au
contraire, le complément des dispositions figure dans la même loi. (Ibid., nos 151 et 154).
7
Il n’y a pas si longtemps, en effet, un auteur a pu articuler que : « l'OHADA n’est pas une communauté politique
ou économique, mais une organisation interétatique conçue exclusivement comme un outil technique. Sur cette
base, on peut affirmer que le droit OHADA n’est pas un droit communautaire ». (Hervé Magloire Moneboulou
Minkada, « L’OHADA, le système juridique et le système judiciaire (première partie) », Lexbase, La lettre
juridique n° 727 du 18 janvier 2018 : OHADA, pp. 4-5. L’auteur ajoute, dans cette même lancée, qu’il y aurait
« l’exclusion du droit OHADA du système juridique international et l'intégration du droit OHADA dans le système
juridique national des États-membres. » (Ibid., p. 9). Et, puisqu’il ne serait pas un droit communautaire « le droit
OHADA est un droit commun ; parce qu’il comporte des règles communes. Ce sont des règles partagées par un
groupe d'États. Leur finalité est le rapprochement des États sur la base d’une volonté commune, sans la prétention
de créer une structure contraignante imposant un projet aux États. Les règles communes sont à base de
volontarisme et non de dirigisme. Leur efficacité réside dans le vouloir des États de réaliser ensemble, ce qu'ils
ne peuvent pas réaliser tout seul .» (Ibid., p. 7). Il est notable que, quelques années plus tôt, le même auteur prônait
l’inverse de cette certitude. En 2013, il écrivait : « Il importe de saluer l’effort consenti par les États membres de
l’OHADA, qui ont surmonté leurs égoïsmes nationaux en faveur des incriminations communautaires. Cependant,
la technique consistant à séparer les éléments de l’infraction de la sanction, a plombé l’intégration juridique par
l’uniformisation ou l’unification du droit applicable. Il convient donc d’achever l’œuvre commencée par la
communautarisation des sanctions uniformes. Qui plus est, le pouvoir de prévoir les sanctions est inhérent à celui
de fixer les règles et ne peut pas en être dissocié ». (in « L’expression de la souveraineté des États membres de
l’OHADA (Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires) : une solution-problème à
l’intégration juridique », Juridical Tribune, Volume 3, Issue 2, December 2013, p. 81 - p. 103). La vérité du
vocabulaire juridique, car il s’agit fondamentalement ici d’un problème de langage et non de substance, valide
plutôt cette première opinion de l’auteur. V., pour une prise de position plus ancienne contre l’idée d’un droit
communautaire OHADA, Stéphane Doumbé-Billé, « A propos de la nature de l’OHADA », Mélanges en
l’honneur du Professeur Madjid Benchikh, Paris, éd. Pédone, 2011, pp. 423 et s.
8
« Il y a un langage du droit parce que le droit donne un sens particulier à certains termes. L’ensemble de ces
termes forment le vocabulaire juridique […]. Le vocabulaire juridique est, au sein d’une langue, l’ensemble des
termes qui ont, dans cette langue, une ou plusieurs acceptions juridiques. Le vocabulaire juridique français est
l’ensemble des termes de la langue française qui reçoivent du droit un ou plusieurs sens. » (Gérard Cornu,
Linguistique juridique, 3e édition, Paris, Montchrestien, Collection Domat – droit privé, 2014 - pp. 13 et 14.
9
Gérard Cornu (Association Henri Capitant), Vocabulaire juridique, 10e édition mise à jour, Paris, PUF, 2014, v.
« communauté ».
10
Ibid., v. « communautaire ».

4
Au regard de l’héritage juridique de la plupart des États membres de l’OHADA, qui tient du
droit français et pour, à peu près tous, du droit continental européen11, « l’exigence, pour
l’exercice de la répression, d’une règle de droit préalable […] demeure […] la clé de voûte
[du] système pénal »12. Il s’agit là du principe cardinal de la légalité criminelle dont
l’affirmation universelle est prise en charge, de nos jours, par des instruments majeurs du droit
international13, et accueillie par la plupart des systèmes juridiques. Il en est ainsi même si
l’expression du principe n’est pas tout à fait semblable dans les systèmes romano-germaniques
et dans ceux de la Common Law. Si aux États-Unis d’Amérique du Nord, en effet, tous les États
disposent d’une législation pénale de fond, il n’en est pas tout à fait de même au Royaume Uni
où les juges conservent, jusqu’à ce jour, une certaine part dans la détermination des
incriminations14. Cela dit, trouvant sa traduction dans des instruments juridiques universels
comme dans les constitutions des États, le principe de la légalité des délits et des peines demeure
fondamental dans le droit des États membres de l’OHADA.

Comment donc retentit ce principe dans le système normatif de l’OHADA qui a recouru à la
technique de « renvoi de pénalité » ? La pertinence de cette question tient en ce que
l’Organisation s’est donnée pour compétence, comme sa dénomination ne l’indique d’ailleurs
pas, d’unifier et non de simplement harmoniser le droit des affaires de ses États membres,
l’harmonisation se situant entre deux extrêmes à savoir, d’une première part, le rapprochement
des systèmes juridiques et, de seconde part, l’adoption de lois uniformes15. Nous avons donc le
simple accommodement entre deux ou plusieurs systèmes juridiques, leur coordination « afin

11
Hormis le Cameroun, qui a un système bi-juridique, droit continental européen/ Common Law anglaise, treize
des seize autres États membres de l’OHADA sont d’anciennes colonies françaises, la Guinée Bissau, la Guinée
Équatoriale et la République Démocratique du Congo ayant été, respectivement, des possessions portugaise,
espagnole et belge. On perçoit donc bien la prédominance de l’empreinte naturelle du droit continental européen
dans cette configuration.
12
Michèle-Laure Rassat, Droit pénal général, Paris, Ellipses, Collection Cours magistral, 2004, n° 86). On ne doit,
malgré tout, pas perdre de vue que l’affirmation du principe de la légalité criminelle ne date pas de temps
immémoriaux et que sa proclamation systématique et philosophique ne remonte pas plus loin que le dix-huitième
siècle. V. sur ce dernier point, par exemple, Roger Merle et André Vitu, Traité de droit criminel, Paris, Éditions
Cujas, 1967, n° 95.
13
Cf. notamment la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 des Nations Unies (art.
11 § 2), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 (art. 15, § 1er) et la Charte africaine
des droits de l’homme et des peuples (art. 7, § 2).
14
Alan Farnsworth, Introduction au système juridique des États-Unis, Paris, LGDJ, Collection Nouveaux
Horizons, 1986, p. 211 ; Jean Cédras, La justice pénale aux États-Unis, 2e édition, Paris, Économico, 2005, p. 134,
n° 280), la réalité est plus nuancée au Royaume Uni (Dans l’affaire Shaw v. DPP du 4 mai 1961, la Chambre des
Lords a statué qu’une Cour a pu créer des délits afin de s’adapter à l'évolution des normes de la vie et au regard
des valeurs et de la morale de la société. Le Vicomte Simonds, qui a exprimé l’opinion de la majorité des juges de
la Chambre, a, en effet, délivré l’arrêt dans les termes suivants : “In the sphere of criminal law I entertain no
doubt that there remains in the Courts of Law a residual power to enforce the supreme and fundamental purpose
of the law, to conserve not only the safety and order but also the moral welfare of the State, and that it is their duty
to guard it against attacks which may be the more insidious because they are novel and unprepared for”. Ce savant
juge avait ajouté : “I now assert, that there is in that Court a residual power, where no statute has yet intervened
to supersede the common law, to superintend those offences which are prejudicial to the public welfare”.) ([1961]
UKHL 1, [1962] AC 220 - [1962] AC 220, [1961] 2 All ER 446, (1961) 45 Cr. App. R. 113). Ainsi, cette affaire a
créé la nouvelle infraction de complot en vue de corrompre la moralité publique et a établi qu'une infraction qui
n'était pas inscrite dans la loi pénale pouvait néanmoins être reconnue comme telle. C’est que « la nécessité de la
loi pénale en droit anglais n’est pas érigée en dogme » mais, aujourd’hui, « après des controverses multiples, il
est désormais admis de façon claire que les juges répressifs, qui avaient jadis le privilège de créer de nouvelles
infractions, n’ont plus l’exorbitant pouvoir d’étendre à leur guise le droit pénal : les juges se contentent
d’expliciter les lois pénales et de faire évoluer la Common law ». « Roland Séroussi, Introduction aux droits
anglais et américain, 4e édition, Paris, Dunod, 2007, p. 66.
15
François Collart Dutilleul, « L’harmonisation internationale du droit privé », Revue générale de droit, Volume
24, numéro 2, juin 1993, p. 229.

5
d’en réduire ou d’en supprimer certaines contradictions » et, parallèlement, l’unification ou
uniformisation qui instaure « dans une matière juridique donnée, une réglementation détaillée
et identique en tous points » pour tous les États concernés16. En fait, au lieu de retenir comme
seul mode opératoire l’uniformisation du droit des affaires, l’OHADA aurait pu tout aussi bien
admettre, comme souhaité par une doctrine avisée17, des procédés plus souples d’harmonisation
juridique telles que les directives, les recommandations et les lois-types18.

Mais il se trouve que le droit pénal des affaires rompt avec ce mode opératoire unique de
l’Organisation : il ne rentre pas dans le schéma de l’uniformisation du droit communautaire.
Dans ces conditions, après près de trente ans de fonctionnement du système, il convient de
regarder objectivement la situation et de vérifier si les fondateurs de l’OHADA avaient
réellement voulu créer un droit pénal communautaire. N’y aurait-il pas un malentendu, sur ce
point, de la part des observateurs et des commentateurs qui ont abondamment exprimé leur
impatience et leur déception face à la non-réalisation de ce droit ? La réalité semble bien nous
confronter au fait que les États parties au Traité OHADA ont fait une option normative pénale
controversée (I), et que des décennies plus tard, le droit pénal communautaire des affaires
OHADA est irréalisé et même irréalisable (II).

I - UNE OPTION NORMATIVE PENALE CONTROVERSEE

La controverse suscitée par le renvoi de pénalité retenu par le Traité OHADA est réelle et
demeure très animée à ce jour. Les difficultés de la mise en œuvre de ce choix alimentent encore
davantage la réfutation de ses pourfendeurs. Mais il importe, tout en rappelant les arguments,
favorables et défavorables, développés par les auteurs, de souligner que ce choix normatif n’est
pas singulier et est, au contraire, conforme à une pratique courante du droit pénal international.

16
Innocent Fetze Kamdem, « Harmonisation, unification et uniformisation. Plaidoyer pour un discours affiné sur
les moyens d’intégration juridique », p. 605 (2009) 43 R.J.T., pp. 616 à 618. Pour cet auteur, qui distingue et sépare
l’unification de l’uniformisation, dans l’unification il est laissé aux États concernés le choix de la modalité de mise
en œuvre des normes communes, alors que l’uniformisation, qui serait « un cran plus haut que l’unification […]
suppose […] que les États impliqués dans une intégration se dotent d’un corps de normes uniformes et détaillées
contenu dans un instrument unique » (Ibid., p. 619). D’ailleurs « la forme d’uniformisation qui aide davantage à
atteindre une uniformisation-résultat est la codification ». (Ibid.). Il nous semble qu’il est juste et suffisant
d’assimiler, unification et uniformisation. Voir, dans ce dernier sens, Paul-Gérard Pougoué, Présentation générale
et procédure en OHADA, Collection droit uniforme, Yaoundé, Presses Universitaires d’Afrique, 1998, p. 11.
17
Paul-Gérard Pougoué, Rapport à la seconde conférence des Forces Vives de l’OHADA, Cotonou, 16-17 octobre
2012, inédit.
18
Nous avons un exemple intéressant d’harmonisation du droit à travers celle de la Common Law aux États-Unis.
Après, en effet, plusieurs décennies de débats et de controverses sur la question de savoir s’il y avait une Common
Law fédérale ou non, la Cour Suprême des États-Unis a décidé, en 1938, dans son arrêt Erie Railroad Corporation
v. Tompkins (804 U.S. 64 (1938)) que : « Except in matters governed by the Federal Constitution or by Acts of
Congress, the law to be applied in any case is the law of the State. And whether the law of the State shall be
declared by its Legislature in a statute or by its highest court in a decision is not a matter of federal concern. There
is no federal general common law ». (« Sauf dans les matières régies par la Constitution fédérale ou par les lois du
Congrès, le droit qui doit être appliqué dans toutes les espèces est le droit d’un État particulier. Que le droit de cet
État ait été formulé par son parlement dans une loi écrite ou par sa Cour Suprême dans une décision, ne regarde
pas les autorités fédérales. Il n’y a pas de Common Law fédérale générale »). Il n’existe donc pas de Common Law
fédérale aux États-Unis. Cependant nous devons retenir qu’il y a une concordance entre les expressions de la
Common Law dans les différents États. C’est aux juridictions de ceux-ci qu’il revient de préciser et de développer
la Common Law américaine et cela n’est possible que dans les matières qui ne sont pas de compétence fédérale.
Les juridictions fédérales ne peuvent donc pas contribuer à l’œuvre d’unification du droit américain et celle-ci
procède, en définitive, du rapprochement des droits des États et non de leur fusion. On devrait plutôt parler, à cet
égard, d’une harmonisation de la Common Law des États plutôt que d’unification.

6
A – Des critiques renforcées par des difficultés d’application

Pour de nombreuses raisons, certains auteurs trouvent justifié l’éclatement de l’élément légal
de l’infraction voulue par les États membres de l’OHADA. Mais tout le monde n’est pas de cet
avis et on peut noter que les critiques sont ici plus nombreuses que les éloges. D’ailleurs,
certaines difficultés d’application législative et judiciaire n’ont fait que renforcer la conviction
des censeurs.

1 – Une option majoritairement critiquée par la doctrine

Le droit pénal communautaire des affaires OHADA a son fondement dans l’article 5, alinéa 2
du Traité du 17 octobre 1993, texte conservé par le Traité modificatif de Québec du 17 octobre
2008. Ce texte a bien retenu l’attention de la doctrine19.

En répartissant « en deux compétences et deux temps »20 l’élaboration du droit pénal


communautaire des affaires de l’OHADA, il crée, à y regarder de très près, un double renvoi :
un renvoi interne, au droit communautaire dérivé, à savoir en l’occurrence les Actes uniformes,
et, surtout, un renvoi externe du droit communautaire au droit national des États membres pour
la fixation des peines appelés par les comportements pénalement interdits par les Actes
uniformes. La rencontre de ces deux sources est donc indispensable à la constitution des
infractions résultant du droit communautaire.

Beaucoup d’auteurs ont salué cette option législative et ici, l’argumentaire est multiple et
multidirectionnel. Il a été articulé que c’est pour préserver la souveraineté des États membres
de l’OHADA que ce « compromis législatif »21, qui constituerait une « solution réaliste »22 a
été retenu, les États membres de l’OHADA ayant été réticents à conférer à un organisme
supranational leur souveraineté en matière pénale23. Ne proclame-t-on pas, en effet, comme une
lapalissade que « la souveraineté étatique et le droit pénal sont étroitement liés l’un à l’autre
[et que] le droit de punir est […] un aspect essentiel des prérogatives de l’État, qui contribue

19
V., par exemple, la bibliographie présentée par Roger Sockeng, Droit pénal des affaires OHADA, UNIDA,
2007 ; Babacar Niang, « Le principe de la légalité de la répression au Sénégal », afrilex.u-bordeaux4.fr, 2018 ;
Dieunedort Nzouabeth, « La légalité criminelle malmenée dans le droit OHADA », in Les horizons du droit
OHADA. Mélanges en l’honneur du Professeur Filiga Michel Sawadogo, Cotonou, Les éditions du CREDIJ, 2018,
pp. 521 et s.
20
Joseph Issa-Sayegh, « Les instruments nationaux de l’intégration juridique dans les États de la Zone Franc », in
De l’esprit du droit africain. Mélanges en l’honneur de Paul-Gérard Pougoué, Paris, Wolters Kluwer/ Cotonou,
CREDIJ, 2014, p. 365, à p. 375.
21
Roger Sockeng, « Le contentieux pénal des affaires OHADA - Les péripéties de la naissance d’un droit pénal
des affaires OHADA », in Recueil des cours de l’ERSUMA. Droit pénal des affaires 2008-2014, ERSUMA, 2015,
p. 140.
22
Ibid.
23
Yao K. Eloi, « Ohada. Uniformisation et droit pénal : esquisse d’un droit pénal des affaires dans l'espace
Ohada », Revue internationale de droit comparé. Vol. 63 N°3,2011. pp. 661-696, à p. 669 ; Ndiaw Diouf, « Actes
uniformes et droit pénal des États signataires du Traité de l’OHADA : la difficile émergence d’un droit pénal
communautaire des affaires dans l’espace OHADA », loc. cit., pp. 2 et 4 ; Roger Sockeng, Droit pénal des affaires
OHADA, op. cit., p. 17 ; Jean-Moïse Ndiaye, « L’OHADA et la problématique de l’harmonisation du droit pénal
des affaires : bilan et perspectives d’un modèle de politique criminelle communautaire », OHADATA D-12-69, p.
3.

7
à l’effectivité de son appareil gouvernemental »24. Il a été même soutenu que réprimer est un
« reflet de l’identité nationale » résultant de l’exercice interne de la souveraineté étatique25.

D’autres auteurs ont observé que l’uniformisation des peines au niveau communautaire pourrait
se révéler improductive face au niveau inégal de de développement des États en présence et,
qu’en outre, l’efficacité de la répression exige que, contrairement à la norme de comportement
pénal, contenue dans les Actes uniformes et qui est de ce fait communautaire, la norme de
sanction doit être rapprochée au maximum du citoyen du fait que « pour les destinataires de la
loi pénale, celle-ci doit être le reflet de leurs profondes aspirations et de leur volonté propre
[…] la matière pénale, de par sa spécificité, [apparaissant] généralement comme l’un des
bastions de la résistance des ordres juridiques internes à une pénétration « sauvage » du droit
international »26. Pour couronner cette sape en règle d’une éventuelle constitution
communautaire du principe de légalité criminelle en droit OHADA, il a été aussi relevé que le
droit international « charrie le flou, l’incertain, des énoncés vagues » alors que le droit pénal
requiert une démarche pointue et pointilleuse27.

Ainsi, pour un certain nombre d’auteurs, l’option de l’éclatement de la compétence législative


en matière pénale prise par le Traité OHADA mérite d’être saluée. Mais les justifications
produites par cette doctrine n’ont pas convaincu la plupart des juristes familiers du droit
OHADA. D’ailleurs, la problématique évoquée ici étant universelle, d’autres propositions
doctrinales nées hors des pays membres de l’OHADA participent de la même tendance
contraire à la démarche des États membres de l’OHADA en matière pénale.

D’abord, il a été constaté que, d’ordinaire et au-delà même des frontières de l’espace OHADA,
la référence d’un texte législatif à une « loi ultérieure », modificative ou complémentaire, est,
entre autres, « porteuse de risques juridiques » en ce qu’elle affecte « lourdement les délais de
mise en œuvre de la norme, du fait des retards inévitables qu’elle engendre »28. Nous sommes
parfaitement dans ce cas de figure en ce concerne l’avènement du droit pénal communautaire
des affaires OHADA attendu par beaucoup d’acteurs et d’observateurs.

Pour la doctrine la plus autorisée du droit OHADA, l’option législative pénale du Traité est tout
simplement « une anomalie regrettable »29. On a même relevé que « la légalité criminelle [est]
malmenée dans le droit OHADA »30. Nous assistons en droit OHADA, en conséquence de cette
évolution, au plan théorique, à un affaiblissement du principe de la légalité du fait de

24
Mohammad Altamimi, La condition de la double incrimination en droit pénal international, Thèse Droit,
Université de Poitiers, 2018, n° 3.
25
Henri Tchantchou et Michel Akouété Akué, « L’état du droit pénal dans l’espace OHADA », Revue de
l’ERSUMA, n° spécial, nov.-déc. 2011, p. 20.
26
Édouard Kitio, « Le contentieux du droit pénal des affaires devant les hautes juridictions nationales et devant la
CCJA », Revue de l’ERSUMA, n° 2, mars 2013, p. 309 – 309-311 ; V. aussi François Anoukaha et autres, OHADA
Sociétés commerciales et G.I.E. Collection droit uniforme, Juriscope 2002, p. 235 ; Alain-Didier Olinga,
« Réflexion sur le droit international, la hiérarchie des normes et l’office du juge au Cameroun », Jurisdis
Périodique, n° 63, juillet-août-septembre 2005, pp. 3 et s.
27
Édouard Kitio, « Le contentieux du droit pénal des affaires devant les hautes juridictions nationales et devant la
CCJA », loc. cit., pp. 309-311.
28
Premier Ministère – Conseil d’État, Guide de légistique, 3e édition mise à jour, La documentation française
2017, p. 31.
29
Joseph Issa-Sayegh et Paul-Gérard Pougoué, « L’OHADA : défis, problèmes et tentatives de solutions », Revue
de droit uniforme, NS – Vol. XIII, 2008 – 1/2, p. 467.
30
Dieunedort Nzouabeth, « La légalité criminelle malmenée dans le droit OHADA », in Les horizons du droit
OHADA. Mélanges en l’honneur du Professeur Filiga Michel Sawadogo, Cotonou, Les éditions du CREDIJ,
2018, p. 522.

8
l’imprécision et du défaut de clarté de certaines incriminations pénales. Dans la pratique,
l’option normative retenue par l’OHADA en matière pénale, « est un coup dur porté au
processus de construction de l’espace pénal » car il a occasionné la défaillance des États qui
n’ont pas pris les sanctions attendues ou qui ont pris des sanctions différenciées, tout cela sans
compter les risques potentiels de conflits de compétences entre la Cour Commune et
d’Arbitrage de l’OHADA (CCJA) et les Hautes juridictions nationales, les lenteurs
procédurales et le risque de déni de justice31.

L’option de l’OHADA a été jugée contestable du point de vue de l’efficacité de la politique


pénale32 et perçue comme porteuse en germe de « l’expression de conflits et de résistances de
la part des États membres » tout en annonçant « des conflits entre revendication de
souveraineté et volonté d’efficacité en matière de sécurité juridique et judiciaire et en matière
d’intégration juridique »33. L’hétérogénéité du droit qui en découle « se révèle, peu ou prou,
un facteur d’incohérence des politiques pénales » entraînant une « rupture d’égalité entre les
individus, suivant leur pays de rattachement et un cadre propice au déploiement de réseaux
criminels transfrontaliers et au développement du « forum shopping », certains investisseurs et
milieux économiques pouvant être avant tout en quête de « paradis pénaux » favorisés par les
« dysharmonies caractérisant le champ pénal » alors même que « la grande délinquance
prospère d’autant plus que le système juridique et judiciaire se révèle désintégré et non
harmonisé. »34. Au total, « la diversité des sources du droit s’avère, en droit pénal des affaires
de l’OHADA, un facteur d’instabilité et de disparité de nature à fissurer l’édifice d’intégration
juridique de l’OHADA. »35.

Au demeurant, les difficultés d’application législative et judiciaire du renvoi de pénalité de


l’article 5 du Traité OHADA ne sont pas négligeables.

2 – Des difficultés d’application législative et judiciaire

Au plan législatif, le renvoi de pénalité du Traité de l’OHADA se traduit tantôt par un renvoi à
un texte préexistant et tantôt par un renvoi à des textes à créer36. Or si le renvoi à un texte à
créer ne présente, en principe, pas de graves difficultés, il n’en va pas de même pour le renvoi
à un texte existant. En semblable hypothèse, et comme l’a relevé le Professeur Ndiaw Diouf,
« il est parfois impossible de déterminer avec précision la norme de sanction »37.

On note aussi, et nous y reviendrons plus loin, que les États qui ont complété leur droit pénal,
en réponse aux Actes uniformes, ont, pour la plupart, redéfini les préventions retenues par ces

31
Ibidem, pp. 524, 539, 544, 545.
32
Didier Loukakou, « La diversité des sources du droit et de quelques implications sur le processus d’intégration
juridique dans l’espace OHADA », in Cathérine Puigelier, La diversité du droit. Mélanges en l’honneur de Jerry
Sainte-Rose, Bruxelles, Bruylant, 2012, p. 825.
33
Ibid.
34
Ibid.
35
Ibid., p. 826 ; v. aussi François Anoukaha et alii, OHADA – Sociétés commerciales et GIE, coll. Droit uniforme
africain, éd. Juriscope, n° 366, p. 237.
36
Ndiaw Diouf, « La place du droit pénal dans le droit communautaire », art. précité, p. 173 et s. ; v. aussi J. A.
Ndiaye, « L’OHADA et la problématique de l’harmonisation du droit pénal des affaires : bilan et perspectives
d’un modèle de politique criminelle communautaire », art. précité, p. 83.
37
Ibid., p.175 ; v. aussi Babacar Niang, « Le principe de la légalité de la répression au Sénégal », afrilex.u-
bordeaux4.fr, 2018, p. 16)

9
textes du droit dérivé de l’OHADA Dans ces conditions, il ne reste de communautaire à ces
législations, purement nationales, que l’inspiration.

La mise en œuvre du renvoi de pénalité prévu par l’OHADA est perturbatrice de nombreuses
règles et principes du droit criminel et de la procédure pénale en vigueur dans les États membres
de l’Organisation. On a ainsi signalé la remise en cause du principe de la territorialité de la loi
pénale au regard des incriminations résultant du droit dérivé OHADA38. En outre, dans le
domaine de la coopération judiciaire d’autres difficultés sont prévisibles en raison de ce qu’un
même fait sera qualifié crime par un État-membre et délit par un autre39.

D’un autre côté et sur le plan judiciaire, aux termes de l’article 14, alinéa 3 et 4, du Traité
OHADA « saisie par la voie du recours en cassation, la Cour [Cour Commune de Justice
et d’Arbitrage, CCJA] se prononce sur les décisions rendues par les juridictions d'Appel
des États Parties dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l'application
des actes uniformes et des règlements prévus au présent Traité à l’exception des décisions
appliquant des sanctions pénales. - Elle se prononce dans les mêmes conditions sur les
décisions non susceptibles d'appel rendues par toute juridiction des États Parties dans les
mêmes contentieux ».

Dans un arrêt n° 053/2012 du 07 juin 2012, intervenu dans l’affaire Etondé Ekoto Édouard
Nathanaël contre Port Autonome de Douala et le Ministère Public (OHADATA n° J-14-79), la
CCJA a statué qu’elle « ne peut connaître, par la voie du recours en cassation, des affaires qui,
bien que soulevant des questions relatives à l’application des Actes uniformes et des
Règlements prévus au Traité, concernent des décisions appliquant des sanctions pénales » ces
dernières ayant été expressément exclues de son champ de compétence.

Autrement dit, la CCJA ne peut être saisie en cassation des questions criminelles lorsque le
pourvoi vise une décision « appliquant des sanctions pénales ». Certains auteurs ont déduit de
cette précision donnée par le Traité et ainsi appliquée, qu’en définitive, la CCJA n’est pas
compétente en matière pénale40. D’autre auteurs ont une opinion différente. Pour ces derniers,
la Cour doit rester compétente lorsque le pourvoi est fondé sur la violation d’un Acte uniforme
établissant une incrimination ; il s’agit, en effet, d’éviter qu’il y ait autant d’interprétation du
même texte qu’autant d’États parties au Traité OHADA41. On a affirmé que le juge national est
chargé seulement d’appliquer la sanction et sera, chaque fois que de besoin, obligé de renvoyer
la question de la qualification à la CCJA, chargée d’assurer l’harmonisation de l’interprétation
et de l’application des actes uniformes. La Cour communautaire « est seule compétente pour
juger de la qualification des faits relevant des incriminations de l’OHADA »42.

La difficulté ici est que, outre les décisions d’abandon de poursuite, de non-lieu, de relaxe ou
d’acquittement, pouvant permettre un recours en cassation au Ministère public ou à la partie

38
Roger Sockeng, Les péripéties de la naissance d’un droit pénal des affaires OHADA, Recueil des cours de
l’ERSUMA. Droit pénal des affaires OHADA 2008-2014, ERSUMA, 2015, p. 143.
39
Ibid.
40
Paul-Gérard Pougoué, Présentation générale et procédure en OHADA, Yaoundé, Presses universitaires
d’Afrique (collection Droit uniforme), 1998, p. 15 ; Roger Sockeng, Les péripéties de la naissance d’un droit pénal
des affaires OHADA, Recueil des cours de l’ERSUMA. Droit pénal des affaires OHADA 2008-2014, ERSUMA,
2015, p. 144.
41
Ndiaw Diouf, « Actes uniformes et droit pénal des États signataires du Traité de l’OHADA : la difficile
émergence d’un droit pénal communautaire des affaires dans l’espace OHADA », loc. cit., p. 13.
42
Edouard Kitio, « Le contentieux du droit pénal des affaires devant les hautes juridictions nationales et devant la
CCJA » Recueil des cours de l’ERSUMA. Droit pénal des affaires OHADA 2008-2014, ERSUMA, 2015, p. 164.

10
civile, il n’est pas imaginable d’avoir des décisions correctionnelles ou criminelles portant
uniquement sur l’incrimination dans l’espace OHADA. Dans les règles de la procédure pénale
largement partagée par les États membres de l’OHADA, la décision sur la culpabilité, en
matière correctionnelle ou en matière criminelle, n’est pas, d’ordinaire, séparée de celle qui
condamne.

En réalité on perçoit bien, au vu de l’article 14, alinéa 3 et 4, du Traité OHADA et de l’arrêt


du 07 juin 2012 de la CCJA, qu’il est impossible à une personne condamnée de contester la
régularité de la faute pénale mise à sa charge sur la base des éléments matériel et moral
découlant d’un acte uniforme. Son intérêt pour former un recours en cassation, seule voie qui
devrait s’offrir à elle en l’occurrence, gît dans sa condamnation. En toute justice, cette
considération de l’intérêt de la personne condamnée, qui participe du souci majeur du respect
de sa liberté et de la protection de son patrimoine, devrait être prééminente dans ce débat. Or
voilà que la décision de condamnation pénale est synonyme d’une impossibilité de saisine de
la Cour par ce recours.

Il est vrai, qu’il reste que la saisine de la Cour pourrait également s’opérer par la voie
consultative (article 14, alinéa 2, du Traité). Saisie pour consultation, la Haute Juridiction émet
des avis pour accompagner l’interprétation et l’application communes du droit primaire et du
droit dérivé de l’Organisation. Mais la voie consultative n’est pas ouverte aux parties. Elle est
exclusivement réservée aux États parties, au Conseil des ministres, au Secrétariat permanent
ainsi qu’aux juridictions nationales43. D’ailleurs, quel aurait pu être l’intérêt d’une telle voie
pour une personne détenue, par exemple, alors qu’elle ne peut aboutir qu’à un avis consultatif
et non à un arrêt exécutoire.

En somme les termes, très clairs, de l’article 14, alinéa 3, du Traité OHADA et l’interprétation
qui en a été logiquement déduite par la CCJA, ne sont pas, en définitive, annonciateurs du
développement d’un contentieux pénal réellement utile, au niveau de cette juridiction
communautaire.

Cette situation remet à l’ordre du jour la proposition de la doctrine qui préconisait, trouvant
malavisée la « compétence partagée avec la CCJA, pour la constitution de l’infraction, et la
juridiction suprême nationale pour la sanction », que « l’interprétation de l’art. 14 al. 3 in fine
[conduise] à une interdiction pour la CCJA de connaître de toute décision pénale et non
seulement de celles appliquant des sanctions pénales »44. Elle vient, en tous les cas, confirmer
avec éclat, que le droit pénal des affaires inspiré par l’OHADA n’a jamais été, dans le fond,
conçu comme une affaire communautaire.

Il convient, à présent, de souligner malgré tout que, quelles que soient les difficultés résultant
du renvoi de pénalité opéré par le Traité OHADA, ce choix n’est pas pour autant une démarche
extraordinaire : il est bien connu et pratiqué en droit pénal international où les conventions
interétatiques renvoient régulièrement aux États le soin de sanctionner pénalement des actes
prohibés.

B – Un choix conforme à la pratique du droit pénal international

43
V. l’article 14, alinéa 2, et l’article 7, alinéa 3, du Traité.
44
Joseph Issa-Sayegh et Paul-Gérard Pougoué, « L’OHADA : défis, problèmes et tentatives de solutions », loc.
cit., p. 467.

11
Le renvoi de pénalité est une pratique très ancienne et très courante en droit pénal international.
Il se retrouve dans tous les domaines régis par cette matière. Pour l’illustrer, nous retiendrons
ici certaines conventions internationales-phares des systèmes multilatéral et régional.

1 – Le renvoi de pénalité en droit pénal international

Le droit pénal des affaires envisagé par le droit dérivé de l’OHADA est un élément du droit
pénal international des États concernés.

Il est important de préciser ici, avant de poursuivre notre réflexion, que des auteurs ont proposé
de distinguer et de séparer le droit international pénal et droit pénal international. Pour ces
auteurs, sont de droit international pénal les infractions établies par des normes supranationales
tandis que les règles nationales régissant les infractions présentant un lien avec un ordre
juridique étranger constitueraient le droit pénal international. Ils ont, plus exactement, perçu
l’avènement pratique d’un droit international pénal, branche du droit international public, dans
la signature, le 17 juillet 1998 à Rome, du Statut instituant la Cour Pénale Internationale45.
Autrement dit, le droit international pénal s'attacherait aux crimes internationaux tandis que le
droit pénal international renverrait aux règles régissant la collaboration pénale sur le plan
international. Ces auteurs expliquent que la nécessité s’est fait sentir, pour le droit international
de s’assurer, pour être efficace, de se doter d’un bras sanctionnateur, d’une branche répressive
et que le droit international pénal est mis au point pour jouer ce rôle. L’étude du droit
international pénal a, en conséquence, pour objet l’analyse de « la façon dont l’ordre juridique
international réagit face à des crimes comportant un élément d'internationalité »46. Dans cette
conception, le droit international pénal est essentiellement un droit « interétatique », ou relevant
d’Organisations créées par les États, et qui, pour cette raison, se distingue du droit pénal
international en ce que celui-ci envisage la façon dont l’ordre juridique interne de chaque État
réagit face à des infractions comportant un élément d'extranéité, c’est-à-dire la rencontre d'un
ordre juridique étranger.

Cette opinion n’a pas obtenu l’adhésion de tous les experts de la matière. Le concept de droit
international pénal a été précédé, au plan conceptuel, par la notion de droit pénal international.
Celle-ci a d’abord été entendue comme la branche du droit qui permet la répression, par le juge
national, d’une infraction touchant au moins un autre ordre juridique étranger. C’est le sens que
lui a donné l’éminent pénaliste français Henri Donnedieu de Vabres47. En fait, le droit pénal
international doit être compris sous deux acceptions. « Dans une première acception, le droit
pénal international comprend les règles internationales imposant un comportement et dont la
violation est sanctionnée par une peine ».48 Le critérium de cette première approche repose sur
la nature de la législation (législation internationale) et son caractère infractionnel
(comportement sanctionné d’une peine). Dans une deuxième approche, le droit pénal
international est appréhendé comme « une branche spécialisée du droit pénal interne (…) qui
fixe les modalités particulières de son application aux situations qui présentent un élément
d’extranéité »49.

45
Hervé Ascencio, Emmanuel Decaux et Alain Pellet (sous la direction de), Droit international pénal, Paris,
Pedone, 2000, p. 7, nos 11 et s.
46
Ibid., Avant-propos, p. v, premier §.
47
V. Claude Lombois, Droit pénal international, Paris, Dalloz, 2e édition, 1979, p. 11, n° 16.
48
Ibid., p. 11, n° 15.
49
Ibid., p. 11, n° 16

12
Effectivement, il n’est pas inexact de relever et de souligner que véritablement, de nos jours, le
droit pénal international est la branche du droit qui régit l’ensemble des problèmes pénaux qui
se posent au plan international50. De ce fait, il constitue très clairement une discipline composite
incluant deux sous-ensembles, concurremment proches et distincts, que l’on tente, à tort, de
séparer au lieu de simplement les distinguer : outre la répression des infractions présentant un
élément d’extranéité, il régit également les infractions définies par le droit international public.

Mieux, en pratique, c’est évidemment en vertu des règles de son droit pénal interne, qui n’est
jamais loin même dans ce qu’on a conçu comme le droit international pénal mais qui ne peut
se passer de l’appui des systèmes pénaux nationaux, que le juge national recherchera les
modalités de répression d’une infraction commise dans un État étranger par l’agent pénal qui
se serait réfugié sur son territoire, par son national, dans un navire ou un aéronef battant pavillon
de l’État du for, etc. On ajoutera qu’en vertu du principe de complémentarité51 les États
conservent, à titre principal, la responsabilité de poursuivre et de juger les crimes les plus graves
relevant de la compétence de la Cour Pénale Internationale. Celle-ci n’intervient donc pas
lorsqu’une juridiction nationale a la compétence et la volonté de connaître d’une des infractions
figurant à son Statut.

Au demeurant, les partisans d’un droit international pénal ne s’entendent pas eux-mêmes sur la
portée de la nouvelle discipline. Certains d’entre eux soutiennent que le droit international pénal
s’entend des « infractions contre le droit des gens » (crimes contre la paix, crimes de guerre,
crimes contre l’humanité mettant en cause des États et leurs organes), tandis que d’autres y
ajoutent toutes les infractions qui découlent des normes internationales (trafic de drogue,
piraterie, traite des personnes). D’un autre côté, on a pu relever que la dénomination de droit
international pénal est trop large à certains égards, en ce qu’elle inclut des infractions
partiellement internationales, i.e. des faits répréhensibles dont les sanctions ne sont pas définies
par le droit international qui se borne à en fixer les incriminations ce qui relève de la pratique
courante, et trop étroite du fait qu’elle exclut des infractions présentant des attaches avec
plusieurs ordres juridiques mais définies par une norme nationale. Pour toutes ces raisons, la
dénomination classique et unificatrice de droit pénal international est, à notre sens, préférable52.

La clarification des notions de droit international pénal et de droit pénal international étant faite, nous
pouvons souligner que les infractions rencontrées en droit pénal international sont définies
soit exclusivement par le droit international, soit, le plus souvent et selon des combinaisons
variées, par le droit international et le droit interne, soit, plus fréquemment encore, par le droit
interne53.

50
André Huet et Renée Koering-Joulin, Droit pénal international, 2e édition, Paris, PUF (Collection Thémis, droit
privé), 2001, §1 ; v. aussi les §§ 3 et 4.
51
Article 17 du Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale. V. le texte sur le site www.icc-cpi.int/iccdocs/
52
Sur la distinction contestée droit pénal international et droit international pénal, v., notamment, André Huet et
Renée Koering-Joulin, op. cit., n° 4.
53
Ibid., n° 58. On note, à cet égard, que cinq domaines d’intervention du Droit pénal international sont touchés
par cette méthode d’appréhension des faits universellement et pénalement répréhensibles, à savoir la protection de
la vie et de l’intégrité physique (crimes contre l’humanité, crime de génocide, crimes de guerre, les tortures et actes
barbares), de la dignité (le proxénétisme, les publications obscènes, les discriminations), de la sécurité des
personnes, des biens et des transactions (pirateries aérienne et maritime, le faux monnayage, le blanchiment des
produits d’une infraction, la corruption), de la santé (trafic de stupéfiants et substances psychotropes), de
l’environnement (protection de la mer, contrôle des mouvements transfrontières de certains biens (faune et flore
sauvages, déchets) (Ibid., nos 60 et s., pp. 87 et s. V. aussi, entre autres, Marie Duffourc et autres, La dimension
internationale de la justice pénale - Recherche réalisée avec le soutien de la mission de recherche Droit et Justice,
Institut des sciences criminelles et de la justice, Université Montesquieu Bordeaux IV, novembre 2011, pp.17 et

13
Pour l’OHADA, le droit primaire de l’Organisation, élément du droit international public, se
borne effectivement à décrire le comportement interdit sans en organiser la répression : la
sanction est l’œuvre d’un droit national alors que l’incrimination découle du droit international.
Rien de plus courant comme le régime de plusieurs infractions courantes du droit pénal
international le montre. A cet égard, nous pouvons mentionner quelques incriminations
majeures résultant du droit international public.

2 – Les exemples de quelques conventions-phares

Les exemples abondent. Il nous suffira d’en considérer ici quelques-uns dans le domaine de la
protection des droits de l’homme, de l’intégrité physique et morale des personnes puis dans
celui de la protection des biens et du commerce international.

2.1 - Dans le domaine de la protection des droits de l’homme, nous pouvons retenir un des actes
de droit international de promotion des droits de l’homme adopté sous l’impulsion des Nations
Unies dans le but d'empêcher la torture partout dans le monde. Il s’agit de la Convention contre
la torture et autres peines ou traitements cruels, adoptée par Résolution 39/46 du 10 décembre
1984 de l’Assemblée générale des Nations Unies et entrée en vigueur le 26 juin 198754. Cet
instrument international définit, en son article 1er, la torture comme «tout acte par lequel une
douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à
une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements
ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée
d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression
sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle
qu’elle soit, lorsqu’une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la
fonction publique ou tout autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec
son consentement exprès ou tacite. Ce terme ne s’étend pas à la douleur ou aux souffrances
résultant uniquement de sanctions légitimes, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par
elles. »

La Convention prescrit, ensuite, aux États qui l’ont ratifiée de prendre des mesures concrètes
afin d'empêcher la torture sur leur territoire tout en les engageant à ne pas renvoyer dans leur
pays d’origine des personnes qui risqueraient d’y être torturées. Elle a instauré le Comité de
l’ONU contre la torture, chargé de son application effective, et auquel tous les États signataires
doivent rendre des rapports concernant la prise en compte du droit international dans leurs
législations nationales. L’article 4, § 1 de la Convention prévoit à cet effet : « Tout État partie
veille à ce que tous les actes de torture constituent des infractions au regard de son droit pénal.
- Il en est de même de la tentative de pratiquer la torture ou de tout acte commis par n'importe
quelle personne qui constitue une complicité ou une participation à l'acte de torture ».

2.2 - Le Protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des
femmes et des enfants, additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité
transnationale organisée, adoptée par Résolution 55/25 de l’Assemblée générale du 15

18 ; Maria Stefania Cataleta, « Le principe de légalité de la peine en droit pénal international, points de
force et de faiblesse », La Revue des droits de l’homme, n° 9-2016, p. 2.
54
https://treaties.un.org/

14
novembre 200055, prévoit en article 5 intitulé « Incrimination » que « 1- Chaque État Partie
adopte les mesures législatives et autres nécessaires pour conférer le caractère d’infraction
pénale aux actes énoncés à l’article 3 du présent Protocole, lorsqu’ils ont été commis
intentionnellement. 2 - Chaque État Partie adopte également les mesures législatives et autres
nécessaires pour conférer le caractère d’infraction pénale: a) Sous réserve des concepts
fondamentaux de son système juridique, au fait de tenter de commettre une infraction établie
conformément au paragraphe 1 du présent article ; b) Au fait de se rendre complice d’une
infraction établie conformément au paragraphe 1 du présent article; et c) Au fait d’organiser
la commission d’une infraction établie conformé- ment au paragraphe 1 du présent article ou
de donner des instructions à d’autres personnes pour qu’elles la commettent. »

2.3 - Dans le domaine de la protection physique et morale des personnes, nous pouvons citer
la Convention internationale contre la prise d’otages, adoptée par l’Assemblée générale
des Nations Unies le 17 décembre 197956. Cet instrument international dispose en son
article premier que : « 1. Commet l'infraction de prise d'otages au sens de la présente
Convention, quiconque s'empare d'une personne (ci-après dénommée « otage »), ou
la détient et menace de la tuer, de la blesser ou de continuer à la détenir afin de
contraindre une tierce partie, à savoir un État, une organisation internationale
intergouvernementale, une personne physique ou morale ou un groupe de personnes,
à accomplir un acte quelconque ou à s'en abstenir en tant que condition explicite ou
implicite de la libération de l'otage. 2. Commet également une infraction aux fins de
la présente Convention, quiconque : a) Tente de commettre un acte de prise d’otages;
ou b) Se rend complice d'une personne qui commet ou tente de commettre un acte de
prise d'otages. »

La Convention prévoit ensuite en son article 2 que « Tout État partie réprime les
infractions prévues à l'article premier de peines appropriées qui prennent en
considération la nature grave de ces infractions. » et, en son article 5, ajoute que :
« 1. Tout État partie prend les mesures nécessaires pour établir sa compétence aux
fins de connaître des infractions prévues à l’article premier, qui sont commises : a)
Sur son territoire ou à bord d'un navire ou d'un aéronef immatriculé dans ledit État;
b) Par l'un quelconque de ses ressortissants, ou, si cet État le juge approprié, par les
apatrides qui ont leur résidence habituelle sur son territoire; c) Pour le contraindre
à accomplir un acte quelconque ou à s'en abstenir; d) A l'encontre d'un otage qui est
ressortissant de cet État lorsque ce dernier le juge approprié. -2. De même, tout État
partie prend les mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fins de connaître
des infractions prévues à l'article premier dans le cas où l'auteur présumé de
l'infraction se trouve sur son territoire et où l’État ne l'extrade pas vers l’un
quelconque des États visés au paragraphe 1 du présent article. – 3. La présente
Convention n'exclut pas une compétence pénale exercée en vertu de la législation
interne. »

2.4 - Suivant le même schéma et au plan régional, la Convention de l’Organisation de


l’Unité Africaine (OUA) sur la prévention et la lutte contre le terrorisme adoptée à
Alger le 1er juillet 199957, prévoit en son article 2 : « Les États Parties s’engagent à : a)

55
https://treaties.un.org/
56
Ibid.
57
V. le texte sur le site https://au.int/fr/treaties/

15
réviser leur législation nationale et à établir comme crimes les actes terroristes tels que
définis dans la présente Convention et pénaliser ses actes en tenant compte de leur gravité;
b) faire de la signature, de la ratification et de l’adhésion aux instruments internationaux
énumérés dans l'annexe une priorité, au cas où ces instruments n’auraient pas encore été
signés ou ratifiés, et où l’État Partie concerné n’y aurait pas encore adhéré ; c) mettre en
application les actions requises, notamment légiférer en vue de la pénalisation de ces actes
en tenant compte de leur gravité conformément aux instruments internationaux visées au
paragraphe et que ces États ont ratifié ou auxquels ils ont adhéré ; […] »

2.5 - La Convention de l’Union Africaine sur la cybersécurité et la protection des données à


caractère personnel, adoptée à Malabo le 27 juin 201458 a aussi décidé, en son article 8, que « 1.
Chaque État partie s'engage à mettre en place un cadre juridique ayant pour objet de
renforcer les droits fondamentaux et les libertés publiques, notamment la protection des
données physiques et de réprimer toute infraction relative à toute atteinte à la vie privée
sans préjudice du principe de la liberté de circulation des données à caractère personnel.
[…] »

2.6 - Dans le domaine de la protection des biens et du commerce interne et international la


Convention des Nations Unies contre la corruption adoptée par Résolution n° 58/4 de
l’Assemblée générale du 31 octobre 2003 et signée à Merida (Mexique) le 9 décembre 200359
peut être mentionnée. Le Chapitre III de cette Convention définit une palette de dix
incriminations. Il s’agit de la corruption d’agents publics étrangers et de fonctionnaires
d’organisations internationales publiques (article 16), de la soustraction, du détournement ou
autre usage illicite de biens par un agent public (article 17) , du trafic d’influence (article 18),
de l’abus de fonctions (article 19), de l’enrichissement illicite (article 20), de la corruption dans
le secteur privé (article 21), de la soustraction de biens dans le secteur privé (article 22), du
blanchiment du produit du crime (article 23), du recel (article 24), de l’entrave au bon
fonctionnement de la justice (article 25).

Pour chacune de ces incriminations, la Convention précise que « chaque État Partie adopte les
mesures législatives et autres nécessaires pour conférer le caractère d’infraction pénale,
lorsque les actes ont été commis intentionnellement […] ». L’article 30, §1, du texte ajoute que
« Chaque État Partie rend la commission d’une infraction établie conformément à la présente
Convention passible de sanctions qui tiennent compte de la gravité de cette infraction. »

2.7 - La Convention internationale pour la répression du faux monnayage conclue à Genève le


20 avril 192960 stipule en son article 3 que : « Doivent être punis comme infractions de droit
commun: 1. Tous les faits frauduleux de fabrication ou d’altération de monnaie, quel que soit
le moyen employé pour produire le résultat ;2. La mise en circulation frauduleuse de fausse
monnaie ; 3. Les faits, dans le but de la mettre en circulation, d’introduire dans le pays ou de
recevoir ou de se procurer de la fausse monnaie, sachant qu’elle est fausse ; 4. Les tentatives
de ces infractions et les faits de participation intentionnelle ; 5. Les faits frauduleux de
fabriquer, de recevoir ou de se procurer des instruments ou d’autres objets destinés par leur
nature à la fabrication de fausse monnaie ou à l’altération des monnaies ». L’article 18 de cette

58
Ibid.
59
https://treaties.un.org/
60
Ibid.

16
convention, à laquelle plusieurs États membres de l’OHADA ont adhéré, renvoie au droit
interne pour la poursuite et la sanction des faits incriminés par l’article 3. Ce texte dispose :
« La présente Convention laisse intact le principe que les faits prévus à l’art. 3 doivent, dans
chaque pays, sans que jamais l’impunité leur soit assurée, être qualifiés, poursuivis et jugés
conformément aux règles générales de sa législation interne ».

2.8 - De même la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée,
adoptée par Résolution 55/25 de l’Assemblée générale du 15 novembre 200061 invite chaque
État Partie à adopter, conformément aux principes fondamentaux de son droit interne, les
mesures législatives et autres nécessaires « pour conférer le caractère d’infraction pénale,
lorsque l’acte a été commis intentionnellement » au fait de participer à un groupe criminel
organisé (article 5), au blanchiment du produit de crime (article 6), à la corruption (article 8), à
l’entrave au bon fonctionnement de la justice (article 23). Le texte décrit avec détails et soin
chacun des faits qu’il vise.

2.9 - La Convention de Montego Bay (Jamaïque) du 10 décembre 198262 stipule en son article
113, qui porte sur la « rupture ou détérioration d'un câble ou d'un pipeline sous-marin » que
« Tout État adopte les lois et règlements nécessaires pour que constituent des infractions
passibles de sanctions, la rupture ou la détérioration délibérée ou due à une négligence
coupable par un navire battant son pavillon ou une personne relevant de sa juridiction d'un
câble à haute tension ou d'un pipeline sous-marin en haute mer, ainsi que d'un câble
télégraphique ou téléphonique sous-marin dans la mesure où il risque de s'ensuivre des
perturbations ou l'interruption des communications télégraphiques ou téléphoniques. Cette
disposition vise également tout comportement susceptible de provoquer la rupture ou la
détérioration de tels câbles ou pipelines, ou y tendant délibérément. Toutefois, elle ne
s'applique pas lorsque la rupture ou la détérioration de tels câbles et pipelines est le fait de
personnes qui, après avoir pris toutes les précautions nécessaires pour l'éviter, n'ont agi que
dans le but légitime de sauver leur vie ou leur navire ».

Il ressort de ces multiples exemples que le fait pour les auteurs du Traité OHADA d’avoir fait
le choix d’une « division du travail »63 en matière pénale n’est pas aussi singulier que la
doctrine la plus critique l’a présenté64. Mieux, les États parties au Traité de l’OHADA se sont
clairement engagés, comme c’est le cas dans les actes internationaux universels que nous
venons de citer, à édicter les textes pénaux requis par les Actes uniformes65.

La vérité, s’agissant du droit communautaire de l’OHADA, tient plutôt en ce que l’Organisation


n’a jamais voulu d’un régime commun de la répression des infractions qu’elle a identifiées et
que, d’un autre côté, les États membres n’ont pas honoré leur signature en prenant les
dispositions législatives internes complémentaires appelées par les Actes uniformes. Il en est
résulté un droit pénal des affaires communautaire irréalisé et même, à y regarder de fort près,
irréalisable.

61
https://treaties.un.org/
62
Ibid.
63
André Huet et Renée Koering-Joulin, op. cit., n° 58.
64
V., par exemple, Dieunedort Nzouabeth, « La légalité criminelle malmenée dans le droit OHADA », loc.cit., pp.
521 et s.
65
Article 5, alinéa 2 du Traité a bien précisé que « les États parties s’engagent à déterminer les sanctions pénales
encourues ».

17
II - UN DROIT PENAL DES AFFAIRES COMMUNAUTAIRE IRREALISABLE

Les dispositions de l’article 5 alinéa 2 du Traité OHADA ont effectivement retenti dans le droit
dérivé de l’Organisation, plusieurs des Actes uniformes prévoyant des normes de
comportement visant des actes pénalement interdits. Mais, vu l’accueil reçu par ces normes de
comportement, on ne peut s’empêcher de relever, comme beaucoup d’auteurs n’avaient pas
manqué de le faire, qu’une meilleure solution s’offrait aux États membres. Il s’agit de
l’incrimination directe ou non-recours au renvoi de pénalité. D’un autre côté, il ressort que la
réalisation du droit pénal des affaires communautaire est tout simplement inenvisageable dans
le contexte actuel de l’OHADA. Des normes de comportement irréalisées comme de l’intérêt
ignoré de l’incrimination directe se déduit, en fait, l’impossible genèse communautaire d’un
droit pénal des affaires OHADA.

A – Des normes d’incrimination communautaires non réalisées

Comme annoncé par Traité OHADA, plusieurs des Actes uniformes ont prévu des normes de
comportement en matière pénale. Malheureusement, ces normes ont reçu très peu d’attention
des États membres de l’Organisation. Ceux-ci avaient pourtant le choix de l’incrimination
directe pour l’OHADA.

1 - Des normes communautaires mal reçues

Sept des dix Actes uniformes de l’OHADA prévoient des incriminations. Il s’agit des Actes
uniformes suivants : l’Acte Uniforme du 15 décembre 2010 portant sur le Droit commercial
général (AUDCG) ; l’Acte Uniforme du 15 décembre 2010 portant organisation des sûretés
(AUS) ; l’Acte Uniforme du 30 janvier 2014 relatif au Droit des sociétés commerciales et du
groupement d’intérêt économique (AUSCGIE) ; l’Acte Uniforme du 10 avril 1998 portant
organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution (AUVE) ;
l’Acte Uniforme du 10 septembre 2015 portant organisation des procédures collectives
d'apurement du passif (AUPC) ; l’Acte Uniforme du 26 janvier 2017 relatif au droit comptable
et à l’information financière (AUDCIF) ; et l’Acte Uniforme du 15 décembre 2010 relatif au
Droit des sociétés coopératives (AUSC). Environ trente-neuf dispositions de ces textes
communautaires posent des incriminations, dont les plus nombreuses résultent de l’AUSCGIE
qui en totalisent une quinzaine.

1.1 - L’Acte Uniforme du 15 décembre 2010 portant sur le Droit commercial général (AUDCG)
prévoit en son art. 69 al. 1er que le défaut et la fraude aux formalités prescrites à la charge du
commerçant ou de l’entreprenant sont passibles de sanctions pénales. Il s’agit plus précisément
des cas de défaut d’inscription, d’immatriculation, de radiation ou lorsque l’accomplissement
de ces formalités, qui sont relatives au Registre du commerce et du crédit mobilier, est entaché
de fraude. Il est notable, que pour la sanction de ces incriminations, ce texte renvoie aux peines
prévues « par la loi pénale nationale, ou le cas échéant par la loi pénale spéciale prise par
l’État partie en application du présent acte uniforme ». L’article 140, du même Acte uniforme,
érige en incrimination le défaut de publicité par le locataire-gérant de sa qualité, la violation de
cette prescription étant « punie par la loi pénale nationale ».

1.2 - L’Acte uniforme du 15 décembre 2010 portant organisation des sûretés (AUS) prévoit, en
son article 65, l’incrimination de l’inscription frauduleuse d’une sûreté mobilière, ou
l’inscription qui comporte des indications inexactes ou des données entachées de mauvaise foi

18
« est punie des peines prévues par la loi pénale nationale ». De même l’Article 184, alinéa 3,
incrimine, sous peine de la sanction prévue par la loi nationale de chaque État partie, le preneur
ou toute personne qui, par des manœuvres frauduleuses, prive, totalement ou partiellement, le
bailleur de son privilège sur les meubles garnissant les lieux loués.

1.3 - L’Acte uniforme du 10 avril 1998 portant organisation des procédures simplifiées de
recouvrement et des voies d’exécution (AUVE) incrimine le défaut de représentation des objets
saisis, dont il est réputé gardien, par le débiteur saisi ou le tiers détenteur, entre les mains duquel
la saisie a été effectuée (article 36, alinéa 1). L’AUVE incrimine également en ses articles 64,
alinéa 1er, 6e et 10e §§, 100, alinéa 1er , 6e et 10e §§, 109 alinéa 1er, 7e et 12e §§, 231 alinéa 1er,
5e et 10e §§, l’omission par l’huissier ou l’agent d’exécution, d’une part, de la mention en
caractères très apparents, que les biens saisis sont indisponibles, qu’ils sont placés sous la garde
du débiteur ou d’un tiers désigné d’accord parties ou, à défaut par la juridiction statuant en
matière d’urgence, qu’ils ne peuvent être ni aliénés ni déplacés et que le débiteur est tenu de
faire connaître la saisie à tout créancier qui procéderait à une nouvelle saisie sur les mêmes
biens et, d’autre part, de la reproduction, notamment, des dispositions pénales sanctionnant le
détournement d’objets saisis. Enfin, l’article 128 de l’AUVE incrimine de son côté le fait par,
le commissaire-priseur ou tout autre auxiliaire de justice chargé de la vente, de recevoir une
somme au-dessus de l’enchère.

1.4 - L’Acte Uniforme du 15 décembre 2010 relatif au droit des sociétés coopératives (AUSC)
prohibe l’usurpation des appellations de sociétés coopératives, union de sociétés coopératives,
fédération de sociétés coopératives ou de confédération de sociétés de coopératives,
accompagnées d’un qualificatif quelconque, ainsi que celle des dénominations de nature à
laisser entendre qu’il s’agit d’un des groupements précités (article 386) et renvoie aux
dispositions des articles 886 à 905 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales
et du Groupement d’intérêt économique, c’est-à-dire à la partie III de cet acte uniforme qui
porte sur les dispositions pénales (article 387).

1.5 - L’Acte Uniforme du 30 janvier 2014 relatif au Droit des sociétés commerciales et du
groupement d’intérêt économique (AUSCGIE) comporte le plus grand nombre de normes
portant sur des comportements pénalement réprouvés. Ainsi, il incrimine :

i - Dans le cadre de la constitution des sociétés, le défaut d’immatriculation (article 886), la


simulation de souscriptions et de versements (article 887, 3° et 4°), la publicité mensongère
(Art. 887, 2°et 4°) de même que la surévaluation des apports en nature (Art. 887, 4°).

ii - En ce qui concerne la gérance, l’administration et la direction des sociétés, la négociation


d’actions non entièrement libérées ou d’actions de numéraire pour lesquelles le versement du
quart du nominal n’a pas été effectué (article 888), la distribution de dividendes fictifs (article
889), la publication ou la présentation de faux états financiers de synthèse (article 890), le non-
dépôt ou le dépôt tardif des états financiers de synthèse au Registre du commerce et du crédit
mobilier (article 890-1), l’abus des biens et du crédit de la société (article 891), le défaut de
publicité de la société sur les actes et documents sociaux (article 891-1), le défaut d’apport à
une société préexistante ou de radiation d’une société ou d’une personne physique au-delà d’une
durée de deux ans (article 891-2).

iii - Dans le cadre de l’organisation des assemblées générales, l’entrave à la participation à une
assemblée générale (891-3), le défaut d’établissement des procès-verbaux d’assemblées
générales (892).

19
iv - Dans le cadre de la modification du capital des sociétés anonymes, le défaut
d’accomplissement des formalités relatives à l’augmentation du capital (article 893), l’émission
des parts sociales d’une société à responsabilité limitée sans libération de la moitié de leur
valeur nominale (article 893-1), l’entrave à l’exercice par les actionnaires de leur droit
préférentiel de souscription en cas d’augmentation du capital (article 894), la suppression
frauduleuse du droit préférentielle de souscription (article 895).

v - En cas de réduction du capital, la réduction frauduleuse du capital social (article 896).

vi - Dans le cadre du contrôle des sociétés, le défaut de désignation ou de convocation des


commissaires aux comptes (article 897), l’exercice irrégulier des fonctions de commissaire aux
comptes (article 898), la diffusion ou la confirmation d’informations mensongères sur la
situation de la société et le défaut de dénonciation de faits délictueux au ministère public (article
899), l’obstruction aux vérifications des commissaires aux comptes (article 900).

vii - Dans le cadre de la dissolution des sociétés, le défaut de convocation de l’assemblée


générale extraordinaire et de publication de la dissolution (article 901).

viii - Dans le cadre de la liquidation des sociétés, le défaut de publicité de la nomination du


liquidateur, de convocation des associés et du dépôt des comptes définitifs au Registre du
commerce et du crédit mobilier (article 902), le défaut d’information des associés du fait d’une
gestion occulte et irrégulière de la liquidation judiciaire (article 903), l’abus des biens et du
crédit de la société en liquidation et la cession irrégulière de l’actif de celle-ci (article 904).

ix - En cas d’appel public à l’épargne, l’émission et la cession irrégulières de valeurs mobilières


(article 905).

1.6 - L’Acte Uniforme du 10 septembre 2015 portant organisation des procédures collectives
d'apurement du passif (AUPC) pose des normes de comportements appelant des normes de
sanction pénale concernant la banqueroute simple (article 228), la banqueroute frauduleuse
(article 229), les actes assimilés aux banqueroutes (articles 230 à 233, et 240), ainsi que d’autres
manquements au préjudice de la liquidation commis par des tiers (article 240), des alliés et
parents proches du débiteur (article 241) ainsi que l’abus de confiance du mandataire judiciaire
(article 243).

1.7 - L’Acte Uniforme du 26 janvier 2017 relatif au droit comptable et à l’information financière
(AUDCIF) érige en faute pénale, en son article 111, les défauts d’inventaire, d’établissement
des états financiers annuels et du rapport de gestion et du bilan sociétaire ainsi que la
communication faux états financiers.

Jusqu’en 2013, année du vingtième anniversaire de l’OHADA seuls le Cameroun et le Sénégal


avait pris les sanctions répondant à certaines des incriminations posées par les Actes uniformes.
A ce jour, près de vingt-sept ans après l’avènement de l’Organisation, seulement neuf 66 des
dix-sept États membres ont satisfait, partiellement pour quasiment eux tous, à cette obligation
conventionnelle d’édicter le droit pénal complémentaire pour fixer, avec des différences plus

66
Il s’agit des États suivants : Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée, Niger,
Sénégal et Tchad.

20
ou moins prononcées, les sanctions des incriminations figurant dans les Actes uniformes
énoncés ci-dessus.

L’examen attentif des textes pris par ces États, montrent qu’en réalité, ils n’ont que
partiellement pris en compte les différentes normes de comportement pénales résultant des
Actes uniformes. Ainsi La loi sénégalaise n° 98-22 du 26 mars 1998 portant sur les sanctions
pénales applicables aux infractions contenues dans l’acte uniforme relatif aux droits des sociétés
commerciales et du groupement d’intérêt économique67 ne vise, comme précisé dans son
intitulé seul Acte uniforme. Il a néanmoins le mérite de ne pas prendre de nouvelles normes de
comportement avant de poser les normes de sanction : elle vise clairement chaque disposition
de l’Acte uniforme définissant une infraction.

De même, la loi camerounaise n° 2003/008 du 10 juillet 2003 portant répression des infractions
contenues dans certains Actes uniformes OHADA n’a visé, en son article 1er, que trois Actes
uniformes : l’AUDCG, AUSCGIE et l’AUPC68. Elle a ainsi ignoré les incriminations contenues
dans les quatre autres actes uniformes cités ci-dessus.

Le Code pénal béninois du 28 décembre 2018 qui abroge et remplace la loi n° 2011-20 du 12
octobre 2011 portant lutte contre la corruption et autres infractions connexes en République du
Bénin en ses chapitres X et XI, est plus complet mais comporte des omissions concernant, par
exemple, l’AUVE. Cette loi reprend la définition de chaque infraction.

La loi n° 042/2018 du 05 juillet 2019 portant Code pénal de la République Gabonaise69 est la
plus complète. Elle vise, en effet, en en reprenant les définitions, les infractions prévues par six
des sept Actes uniformes contenant des incriminations. Seul l’AUDCG n’a pas été pris en
compte par cette loi.

D’un autre côté, les sanctions retenues par ces lois nationales sont souvent très différentes d’un État
à l’autre. Ainsi par exemple, le code pénal béninois punit, en son article 761-2, la distribution de
dividendes fictifs, résultant de l’article 889 de l’AUSCGIE, d’une peine d’emprisonnement de 3 à
10 ans et d’une amende de 1à 5 millions de Francs, la loi du Cameroun, en son article 7, d’une peine
d’emprisonnement d’un an à 5 ans ou d’une amende de 1 million à 10 millions, le code pénal
gabonais, en son article 520, d’un emprisonnement de cinq ans au plus et d’une amende de 10
millions au plus, et la loi du Sénégal, en son article 4, d’une peine d’emprisonnement d’un
an à cinq ans et d’une amende de 100.000 à 5 millions de Francs.

S’agissant de l’infraction d’abus de bien sociaux, visé par l’article 891 de l’AUSCGIE, le code
pénal béninois, d’une main très lourde, prévoit comme sanctions, en son article 767, la réclusion
criminelle à temps de 5 à 10 ans et l’amende de 5 millions à 20 millions de Francs, la loi du
Cameroun, en son article 9, un emprisonnement d’un an à 5 ans et une amende de 2 millions à 20
millions de Francs, le Code pénal du Gabon, en son article 522, un emprisonnement de 5 ans
au plus et une amende de 10 millions au plus, et la loi du Sénégal, en son article 6, un
emprisonnement d’un an à cinq ans et une amende de 100.000 à 5 millions de Francs.

67
Journal officiel de la République du Sénégal, n° 5798 du 25 avril 1998.
68
V. le texte de cette loi camerounaise sur le site http://www.droit-afrique.com/
69
Journal officiel de la République Gabonaise, n° 2019‐27 bis-sp.

21
Il ressort de ce court examen comparatif une disparité réelle entre les sanctions applicables édictées
par les États pour un droit pénal spécial intervenant dans un cadre communautaire. Autrement dit
nous assistons ci à une « diffluence » réelle dénoncée par la doctrine70.

En outre, la reprise de la définition des infractions, par la plupart des législateurs qui ont bien voulu
considérer ce dossier, au lieu de faire une simple référence à la disposition correspondante d’un acte
uniforme confirme davantage encore le caractère purement national des mesures prises. Tout cela
montre combien de fois nous sommes, apparemment en tout cas, loin de la concrétisation du vœu
du Professeur Ndiaw Diouf qui ne souhaitait pas que « […] la violation des prescriptions des
Actes uniformes pénalement sanctionnées, dans certains États, reste impunies dans d’autres
»71. La situation est telle actuellement que nous ne sommes bien aux prises avec les « paradis
pénaux » et « des enfers pénaux » du droit OHADA, appréhendés, il y a quelque temps
maintenant par la doctrine72.

En somme si l’OHADA avait vraiment voulu instaurer créer un droit pénal communautaire, elle
aurait intégralement pris en charge la légalité criminelle des infractions qu’elle a entendu
combattre. Elle aurait donc, à l’instar d’autres organisations régionales ou sous-régionales
africaines, opté pour l’incrimination directe.

2 – Le choix de l’incrimination directe par d’autres organisations régionales

L’idée que l’option normative retenue par l’article 5 alinéa 2 du Traité de l’OHADA se justifiait
par la sauvegarde la souveraineté des États membres en matière pénale, le respect des niveaux
de développement de ces États, de l’identité nationale, est totalement spécieuse. Les mêmes
États dans, dans d’autres fora, ont consenti, sans la moindre anicroche dans la mise en œuvre et
sans les heurts soufferts par le projet d’un droit pénal des affaires inspiré par l’OHADA, la
limitation de leur souveraineté en matière pénale. Il en est ainsi, par exemple, pour
l’Organisation Africaine de la Propriété intellectuelle (OAPI), la Conférence Interafricaine des
Marchés d’Assurance (CIMA), la Communauté Économique et Monétaire de l’Afrique
Centrale (CEMAC) et dans, une moindre mesure, pour l’Union Économique et Monétaire Ouest
Africaine (UEMOA). Le fractionnement de l’élément légal de l’infraction n’a, pour l’essentiel,
nullement eu droit de cité dans les actes fondateurs comme dans le droit dérivé de ces
organisations.

2.1 – Les expériences de l’OAPI et de la CIMA

En ce qui concerne l’OAPI, dont la création remonte à 1962, sauf pour la propriété littéraire et
artistique où le législateur procède comme l’OHADA en laissant à chaque État membre le soin
de déterminer, dans le cadre de sa législation pénale, les peines encourues en cas de violation
du droit d’auteur73, l’Accord de Bangui74 définit directement les infractions aux différentes

70
Dieunedort Nzouabeth, « La légalité criminelle malmenée dans le droit OHADA », loc. cit., p. 523).
71
Ndiaw Diouf, « Actes uniformes et droit pénal des États signataires du Traité de l’OHADA : la difficile
émergence d’un droit pénal communautaire des affaires dans l’espace OHADA », loc. cit., pp. 2 et 4.
72
François Anoukaha, Aminata Cissé-Niang, Ndiaw Diouf, Josette Nguebou Toukam, Paul-Gérard Pougoué,
Moussa Samb, OHADA – Sociétés commerciales et G.I.E., Bruxelles, Bruylant 2002 p. 237.
73
OAPI, Le contentieux de la PI dans l’espace OAPI - Guide du Magistrat et des auxiliaires de justice, 1e édition,
2009 p. 82.
74
V. le texte de l’Accord de Bangui et ses annexes sur le site www.oapi.int/

22
prescriptions en matière de propriété industrielle et fixe les sanctions encourues par les
contrevenants.
Ainsi, la contrefaçon en matière de propriété industrielle est punie des peines correctionnelles
d’amende et d’emprisonnement déterminées sans renvoi par le Traité OAPI.

L’amende est la sanction normale en matière de brevet d’invention, de modèle d’utilité, de


dessin ou modèle industriel. Mais, en en cas de récidive ou si le délinquant est une personne
ayant travaillé pour le titulaire du droit, l’emprisonnement est exceptionnellement prévu en
matière de brevet d’invention, de modèle d’utilité, de dessin ou modèle industriel.
L’emprisonnement est obligatoire en cas d’atteinte à la marque et facultative en matière de
circuit intégré et d’obtention végétale75.

Ainsi, au titre de l’Annexe I relative aux brevets d’invention (art. 42, 58 à 67), l’Article 42 punit
l’usurpation de la qualité de breveté, l’article 58 le délit de contrefaçon ; au titre l’Annexe
II relative aux modèles d’utilité (art. 35, 37, 41, 42, 43, 44), l’article 37 punit l’usurpation de
la qualité de titulaire d’un modèle d’utilité tandis que l’article 41 vise le délit de contrefaçon
d’un modèle d’utilité ; au titre de l’annexe III qui se rapporte aux marques de produits ou de
services (art. 37, 38, 40 et 45), l’article 37 punit l’exploitation illicite d’une marque enregistrée,
ou le défaut d’apposition d’une marque obligatoire, alors que l’article 45 sanctionne l’utilisation
inappropriée d’une marque collective ; au titre l’Annexe IV relative aux dessins et modèles
industriels, l’article 25 punit les atteinte aux droits garantis ; au titre l’Annexe V relative aux
noms commerciaux, l’article 16 punit la violation des droits attachés au nom commercial ; au
titre de l’Annexe VI relative aux indications géographique, l’article 96 réprime toute infraction
à la protection des biens culturels.

Soulignons que l’Accord de Bangui est même allé très loin en créant, chose rare, dans son
Annexe X, un délit de concurrence déloyale commis en rapport avec une obtention végétale,
infraction passible d’une peine d’amende d’emprisonnement. C’est ce qui ressort de l’article
43-3 de cette annexe qui dispose que : « toute personne qui commet sciemment un acte de
contrefaçon au sens de l’alinéa 1) ou un acte de concurrence déloyale au sens de l’annexe VIII
commet un délit et est passible d’une amende d’un montant de 1 000 000 à 3 000 000 de francs
CFA ou d’un emprisonnement de un mois à six mois ou de l’une et l’autre de ces peines sans
préjudice des réparations civile »76.

En plus des peines d’emprisonnement, d’amende et de dommages-intérêts, le juge


correctionnel peut, toujours aux termes de l’Accord de Bangui, ordonner d’autres sanctions
telles que la confiscation des produits contrefaisants et des instruments ou ustensiles destinés
spécialement à leur fabrication et, même en cas de relaxe, en matière de brevet, de modèle
d’utilité, de marque, de dessin ou modèle, de circuit intégré, et d’obtention végétale, étant
entendu que ces bolets peuvent être remis au titulaire du droit violé ou s’il s’agit d’obtentions
végétales, vendus aux enchères publiques au bénéfice de l’État ; ou encore la destruction des
produits contrefaisants en matière de brevet d’invention, de modèle d’utilité bien que
l’article 49 de l’Annexe II ait omis de le préciser, de marque, de circuits intégrés,
d’obtentions végétales77.

75
OAPI, Le contentieux de la PI dans l’espace OAPI - Guide du Magistrat et des auxiliaires de justice op. cit., p.
80.
76
Ibid., p. 88.
77
Ibid., p. 81.

23
Pour la Conférence Interafricaine des Marchés d’Assurance (CIMA), créée en 1992 quasiment
à la même époque de l’OHADA, Les articles 333, 333-1 à 333-14 du Code CIMA78 ont prévu
un catalogue d’infractions touchant certaines actions et omissions relatives à la constitution,
au fonctionnement et à la liquidation des sociétés d’assurance. Le principe de la légalité des
délits et des peines est ici également pleinement respecté par le législateur CIMA. Ces
infractions sont presque toutes passibles d’une peine d’emprisonnement ou d’amende ou de
l’une de ces deux peines seulement avec une aggravation de la sanction en cas de récidive.

Ainsi, aux termes de l’article 329 du Code CIMA79, la violation des conditions d’aptitude et
de probité requises pour fonder, diriger, administrer, gérer et liquider les entreprises d’assurance
et de réassurance, de toute nature, et de capitalisation est passible des sanctions fixées par l’article
329 du Code est sanctionnée des peines prévues à l’art. 333.

Encourent les peines prévues à l’article 333-1 du Code, c’est-à-dire l’emprisonnement de huit
à quinze jours et l’ amende de 18.000 à 360.000 Francs ou l’une de ces deux peines seulement,
les dirigeants d’entreprise d’assurance qui commettent l’une quelconque des infractions
suivantes : omission de porter sur les documents sociaux la mention « entreprise régie par le
Code des assurances » (art. 303), défaut de soumission au Ministre en charge du secteur des
assurances dans l’État membre, pour validation ou visa, des documents commerciaux
(conditions générales des polices, propositions, bulletins de souscription, prospectus et
imprimés destinés au public) et des tarifs (article 304), omission d’information du Ministre en
charge du secteur des assurances dans l’État membre du changement de titulaire concernant les
fonctions de président ou de directeur général (art. 306), omission de communication à la
Commission régionale de contrôle des assurances, lors de ses opérations, des rapports des
commissaires aux comptes, de tous documents comptables et de mise à sa disposition du
personnel qualifié pour lui fournir les renseignements qu’elle jugera nécessaires (art. 310),
violation de l’interdiction de stipuler ou de réaliser l’exécution de contrats ou l’attribution de
bénéfices par la voie du tirage au sort (art. 329-2), omission de la mention sur les documents
Publicitaires comme sur ceux relatifs aux emprunts du privilège des assurés (art. 329-5),
violation de l’interdiction des répartitions d’excédents de recettes avant la constitution des
réserves et des provisions prescrites par les textes en vigueur, l’amortissement intégral des
dépenses d’établissement et l’observation des dispositions réglementaires concernant la marge
de solvabilité (Art. 330-35), violation des prescriptions relatives aux engagements en
devises (Art. 334-1 ), défaut de représentation des engagements réglementés par des actifs
équivalents ( Art. 335 ), défaut d’observation du plan comptable CIMA (Art. 401), défaut de
conservation pendant dix ans au moins des pièces comptables (Art. 404). L’article 333-1, alinéa
2, prévoit une aggravation des peines en cas de récidive.

La violation de l’interdiction de souscription directe à l’étranger de l’assurance d’un risque


concernant une personne, un bien ou une responsabilité, situé sur le territoire d’un État membre
(article 308) est punie, conformément à l’article 333-3, d’une amende de 50 % du montant des
primes émises à l’extérieur ou cédées en réassurance à l’étranger au-dessus du plafond fixé à
l’article 308. En cas de récidive, l’amende sera portée à 100 % de ce même montant. Le
jugement sera publié aux frais des condamnés ou des entreprises civilement responsables.
L’inobservation des règles relatives à la constitution, aux souscriptions comme celle des règles
de fonctionnement de l’entreprise sont passibles d’une peine d’emprisonnement ainsi que d’une
peine d’amende ou de l’une de ces deux peines seulement (Art.333-9 et 333-10).

78
V. le texte du Traité ou Code CIMA sur le www.cima-afrique.org/
79
Tous les articles cités ci-dessous renvoient au Code CIMA.

24
L’article 333-12 vise la violation des règles relatives aux clauses types et à la contribution ainsi
que la non-production de documents aux autorités de contrôle (articles 302 et 307), tandis que
l’article Art.333-13 punit l’infraction aux règles relatives à la forme des entreprises, à la
publicité, à l’agrément, et aux procédures de sauvegarde (Articles 301, 304, alinéa 3, 326 et 322).
Le délit d’entrave à l’exercice des missions de la Commission de Contrôle des Assurances ou
des commissaires contrôleurs des assurances est également sanctionné (Article 333-14).

Pour la sanction de la banqueroute simple ou frauduleuse le Code CIMA renvoie par contre
au droit national. Il en de même, en ce qui les interdictions d’acquisition de l’actif de
l’entreprise en liquidation faites au liquidateur ou la malversation commise par celui-ci dans
sa gestion. Dans ces derniers cas, le Code CIMA renvoie à la peine de l’abus de confiance en
vigueur dans l’État partie (333-5). Cette référence a au moins le mérite de porter sur une peine
préexistante partout dans l’espace CIMA.

2.2 – Les cas de la CEMAC et de l’UEMOA

La CEMAC, née en mars 1994, s’est dotée d’un droit économique et financier assez étoffé qui
intègre un parfait respect du principe de légalité criminalité en assortissant, directement et sans
un renvoi quelconque, les incriminations qu’elle a posées, dans certaines matières, des sanctions
pénales y correspondant.

Elle a ainsi, par son Règlement n° 02/03/CEMAC/UMAC/CM relatif aux systèmes, moyens et
incidents de paiement du 28 mars 200380, défini pleinement les infractions en matière de
chèques (art. 237 à 242), les autres infractions en matière d’instrument de paiement (art. 243 à
249), les infractions spécifiques aux établissements assujettis (art. 250 à 252) ainsi les atteintes
au système de paiement (art. 274 à 277).

Le Règlement n° 1/CEMAC/UMAC/CM portant prévention et répression du blanchiment des


capitaux et du financement du terrorisme et de la prolifération en Afrique centrale du 11 mars
201681 incrimine le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et la prolifération
respectivement en ses articles 8, 9 et 10. Les Art. 114 à 132 du règlement déterminent avec un
trésor de détails les peines applicables à ces différentes infractions avec une détermination
précise des causes d’aggravation et des causes d’atténuation. Même les conditions de la
coopération internationale ont été fixées (art. 133 à 164). Il s’agit, en fait, d’un code pénal
spécifique complet sur le sujet. De même, le Règlement n° 02/CEMAC/UMAC/CM du 2
octobre 2012 portant définition et répression de l’usure dans les États de la CEMAC82 dont
l’article 3 définit la notion de prêt usuraire et en fixe les peines en ses article 9, 10 et 11.

La démarche de l’UEMOA, née en janvier 199483, est à l’opposé de celle de la CEMAC : elle
n’a jamais entendu créer un droit communautaire en matière de lutte contre le blanchiment de
capitaux, le financement du terrorisme dans son espace. Par une Décision n° 26/CM/UMOA du
02 juillet 2015 portant adoption du projet de loi uniforme relative à la lutte contre le blanchiment
de capitaux et le financement du terrorisme dans les États membres de l’Union Monétaire Ouest
Africaine (UMOA)84 elle s’était bornée à mettre un projet de loi uniforme à la disposition de
ses États membres, ceux-ci devant faire adopter ce projet par leur Parlement respectif pour en

80
V. le texte sur le site http://www.sgcobac.org/
81
Ibid.
82
Ibid.
83
V. le Traité UEMOA sur le site www.uemoa.int/
84
Recueil des textes légaux et réglementaires régissant l’activité bancaire et financière dans l’Union Monétaire
Ouest Africaine, https://www.bceao.int/sites/, Chapitre VIII, p. 5.

25
faire un élément de leur droit interne. C’est ce qui ressort d’ailleurs de l’article 2 de la Décision
précitée qui dispose : « dans un délai de six mois à compter de la date de signature de la
présente Décision, les États membres de l'Union Monétaire Ouest Africaine prennent les
dispositions nécessaires, en vue de l'insertion de la loi uniforme visée à l'article premier dans
leur ordre juridique interne. ». Très clairement donc le droit pénal ainsi établi n’est pas un droit
communautaire même si le texte reçu en droit interne est similaire dans les États membres.

De la même manière, l’article 2 de la Décision n° CM/UMOA/009/06/2013 du 28 juin 2013


portant adoption du projet de loi uniforme relative à la définition et à la répression de l’usure85
dispose que « Les États membres de l'UMOA prennent les dispositions nécessaires en vue de
l'insertion de la Loi uniforme portant définition et répression de l'usure dans leur ordre
juridique interne ».

L’expérience de l’OAPI, de la CIMA et de la CEMAC en matière du droit pénal des affaires


nous prouve que les États parties au Traité de l’OHADA, qui sont également membres des
premières, n’ont pas voulu disposer d’un droit pénal des affaires OHADA. Au demeurant,
beaucoup de facteurs permettent de conclure à une impossible genèse de cette branche du droit
communautaire.

B – L’impossible genèse communautaire du droit pénal des affaires OHADA

Le droit pénal des affaires OHADA ne pouvait se réaliser en l’absence de sanctions des actes
interdits par les actes uniformes. S’étant, dans leur majorité et pour l’essentiel des textes
attendus, abstenus d’agir, il est légitimement permis, près de trente ans plus tard, de douter de
ce que les États membres de l’Organisation avaient réellement voulu disposer d’un droit pénal
communautaire des affaires ou tout simplement d’un droit pénal des affaires harmonisé.

1 – Nullum crimen sine poena legali

La défaillance de nombreux États membres de l’OHADA dans la production de normes


de sanction, en réponse aux incriminations résultant des Actes uniformes, rend
logiquement ineffective la réglementation pénale de ces textes communautaires. Ainsi,
par exemple, le fait, pour l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et
du groupement d’intérêt économique d’incriminer l’abus des biens sociaux ou le
partage de dividendes fictifs, n’a aucun intérêt si les contrevenants ne peuvent faire
l’objet de poursuite pénale du fait que la loi nationale, seule compétente à cet effet, n’a
pas fixé les sanctions encourues.

On sait, en effet, que le principe de légalité criminelle inclut aussi bien les incriminations que
les sanctions : nullum crimen, nulla poena sine lege. Mais il faut surtout ajouter que la peine à
une fonction propre dans ce schéma d’ensemble : c’est elle qui crée l’infraction. A cet égard, il
se trouve, effectivement, que « le renvoi par une loi à une « loi ultérieure » pour la modifier
ou la compléter n’a pas et ne saurait avoir le moindre effet juridique »86. « La menace légale
du fait est conditionnée par l’établissement légal d’une sanction juridique : nullum crimen
sine poena legali »87.

85
Ibid., Chapitre II, p. 59.
86
Premier Ministère – Conseil d’État, Guide de légistique, op. cit., p. 31.
87
Claire Ballot Squirawski, Les éléments constitutifs, essai sur les composantes de l’infraction, Thèse de doctorat
Droit, Université Paris-Sud Saclay, 2017, n° 158, ainsi que les références citées par cette auteure.

26
Conçue, sans discussion, comme un « comportement actif ou passif prohibé par la loi et
passible d’une peine », une infraction recèle, par essence, deux caractéristiques : une
incrimination et la peine qui sanctionne le comportement88. L’infraction est aussi appréhendée
comme un comportement prohibé sous « la menace d’une peine telle qu’il est défini de
manière générale et impersonnelle par la loi pénale ». Il s’ensuit que l’incrimination et la
peine « sont les deux données fondamentales de l’infraction, sans lesquelles celle-ci ne peut
exister et la responsabilité ne peut se concevoir ». Elles sont « les marqueurs, les signes
distinctifs » de l’infraction89.

De façon plus tranchée encore, on ne peut véritablement considérer qu’un fait illicite, même
international, constitue une infraction si aucune sanction, nationale ou internationale, ne lui
est effectivement attachée90. En somme, et très nettement « l’infraction est un comportement
puni d’une sanction pénale : il ne suffit donc pas qu’une règle de droit interdise un acte qu’elle
décrit pour que cet acte constitue une infraction ; il faut encore qu’une règle de droit (la même
ou une autre) « incrimine » l’acte, c’est-à-dire le rende « criminel » en le sanctionnant d’une
peine […] l’incrimination, et l’infraction qui en résulte, n’est pas l’œuvre de la « norme de
comportement » ou de « conduite » - celle qui interdit tel ou tel acte – mais de la « norme de
répression » - celle qui attache une sanction pénale audit acte »91. Il résulte d’ailleurs,
incidemment, de cette observation que la « division du travail » entre droit international et
droit national, « que contrairement à ce qui est souvent prétendu, […] l’infraction [qui en naît]
n’est pas vraiment une « infraction internationale »92.

En fait, la sanction est si essentielle à la réalité de la règle pénale qu’en son absence la norme
de comportement ne vaudrait pas plus « qu’une simple recommandation » et ne serait qu’une
« loi imparfaite »93. Pareil texte, qui prescrit ou qui proscrit, mais n’est accompagné ou suivi
d’une quelconque mesure coercitive n’a pas sa place sur le terrain du droit pénal94.

La jurisprudence confirme parfaitement cet état du droit pénal. Dans une affaire relativement
récente, les gérantes d’un laboratoire d’analyse médicale ont été condamnées, pour pratiques
de prix illicites, incrimination prévue dans un arrêté ministériel relatif à la nomenclature d’acte
de biologie médicale. Or le Code de la Sécurité sociale ne prévoit de sanction pénale que pour
les arrêtés visant la tarification des prix et les prestations de services pris en charge par le régime
obligatoire de la Sécurité sociale. La chambre criminelle de la Cour de cassation française a,
jugeant la légalité criminelle non constituée, cassé l’arrêt du 15 février 1991 de la cour d’appel
de Versailles, déféré95. Dans un autre un arrêt en date du 12 juin 1989, la même juridiction a
statué que « les juges du second degré ne pouvaient, sur l'action publique, prononcer une

88
Frédéric Desportes, Francis le Guhenec, Droit pénal général, 16e édition, Paris, Économica, Collection corpus
droit privé, 2009, p. 9, n° 22.
89
Claire Ballot Squirawski, Les éléments constitutifs, essai sur les composantes de l’infraction, op. cit., n° 13.
90
Marie Duffourc et autres, La dimension internationale de la justice pénale, Recherche réalisée avec le soutien
de la mission de recherche Droit et Justice, Institut des sciences criminelles et de la justice, Université Montesquieu
Bordeaux IV, novembre 2011, p. 19.
91
André Huet et Renée Koering-Joulin, Droit pénal international, op. cit., n° 58. On aura noté, au passage, que
pour ces deux auteurs l’incrimination n’est pas synonyme de la prise d’une norme de comportement. Mais cette
position n’est pas partagée par tous. Elle n’est pas, par exemple, celle des Professeurs Roger Merle et André Vitu ;
V., sur ce point, leur Traité de droit criminel, op. cit., n° 122. Sur l’importance particulière de la norme de sanction
dans la constitution d’une infraction, v. aussi Claude Lombois, op. cit., nos 29 et 30.
92
André Huet et Renée Koering-Joulin, Droit pénal international, op. cit., n° 58.
93
Roger Merle et André Vitu, op. cit., n° 124.
94
Ibid.
95
Crim. 1er juin 1992, pourvoi n° 91-82141, https://www.legifrance.gouv.fr/

27
mesure de publication qui n'est pas prévue par les textes sanctionnant les délits d'escroquerie,
de faux et usage de faux […] »96.

Au niveau international européen, par exemple, la Cour européenne des droits de l’homme
(CEDH) a décidé dans un dossier que « la Cour vient de constater que l’infraction par rapport
à laquelle la confiscation a été infligée au requérant n’était pas prévue par la loi au sens de
l’article 7 de la Convention et était arbitraire (paragraphes 72-73 ci- dessus). Cette
conclusion l’amène à dire que l’ingérence dans le droit au respect des biens du requérant était
contraire au principe de la légalité et était arbitraire et qu’il y a eu violation de l’article 1 du
Protocole no 1 »97.

Bien sûr, comme le montre un autre Arrêt de la CEDH, il peut y avoir décalage entre la
détermination de l’interdit international et l’avènement de la norme de sanction au plan national.
Ainsi, la Cour a pu décider qu’une condamnation pour crimes de guerre peut se justifier même
si, à l’époque des faits, aucune sanction pénale n’était prévue par le droit international, dès lors
que le droit national est venu par la suite, sanctionner, l’interdit international existant au
moment des faits98. Ainsi, a été jugée conforme à l’article 7 de la Convention de sauvegarde
des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales et au principe de légalité criminelle, la
poursuite de crimes de guerre commis en 1944 et les sanctions prononcées sur la base d’une loi
nationale intervenue en 1961. La Cour a estimé que du moment où les crimes de guerre
existaient au plan international lors de la commission des faits, l’application d’une sanction
nationale, même postérieure, était justifiée.

Cette décision affirme également la nécessité de l’intervention même tardive de la norme de


sanction pour la création légale effective de l’infraction99. En droit pénal il ne suffit donc pas
de disposer d’une série d’incriminations pour conclure à l’existence d’infractions pénales :
l’incrimination ne fait pas l’infraction.

Il s’ensuit que, rigoureusement parlant, nous ne devrions pas inférer des normes de
comportement, posées par le législateur OHADA dans les actes uniformes, l’existence d’un
droit pénal de l’Organisation. D’ailleurs, ni les auteurs du Traité, ni le Conseil des Ministres de
l’OHADA n’ont jamais prétendu le contraire de cette assertion dans la mesure où ils ont bien
opté pour « le partage du champ répressif normatif »100. Ils n’ont jamais envisagé une
communautarisation d’un droit pénal des affaires OHADA.

2 – L’absence d’un projet de communautarisation du droit pénal des affaires

Relevons-le une fois pour toutes : les États parties au Traité OHADA n’ont jamais
techniquement envisagé l’instauration d’un droit pénal des affaires communautaire. Si c’était
le cas, ces États, qui sont presque tous parties au Traité OAPI et au Traité CIMA, auraient

96
Crim. 12 juin 1989, n° de pourvoi 89-81609, (https://www.legifrance.gouv.fr/
97
Affaire Varvara c. Italie (Requête no 17475/09), arrêt (Fond), Strasbourg 29 octobre 2013, version définitive 24
mars 2014, www.hudoc.echr.coe.int/
98
CEDH, 24 juillet 2008, Kononov c/ Lettonie, RSC 2009, p. 185, commentaire D. Roets. La Cour statuait
sur’applicabilité de la convention de la Haye de 1907.Cette décision été confirmée en grande chambre par l’arrêt
CEDH, Kononov c/ Lettonie, 17 mai 2010, RSC 2010, p. 696, D. 2010. 2732, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé
et S. Mirabail.
99
Duffourc et alii, op. cit., p. 18.
100
Sur cette expression, v. Duffourc et alii, op. cit., p. 19.

28
retenu, comme ils l’ont fait pour ces deux dernières Organisations, de ne pas fractionner la
norme pénale requise à cet effet.

Les termes employés dans certains cas par le législateur OHADA sont parfaitement révélateurs
de son choix de ne pas créer un droit pénal communautaire. Il n’a même pas voulu simplement
harmoniser ce droit pénal des affaires. Il n’y a qu’à relire, par exemple, pour s’en convaincre,
l’article 69 AUDCG, qui dispose en son alinéa 1er : « Toute personne tenue d’accomplir une
des formalités prescrites au présent acte uniforme, et qui s’en est abstenu, ou encore qui a
effectué une formalité par fraude, est punie des peines prévues par la loi nationale, ou le cas
échéant par la loi pénale spéciale prise par l’État partie en application du présent acte
uniforme ».

Rappelons ici que l’AUDCG est le texte qui, à notre sens, sert de matrice à l’ensemble du droit
dérivé de l’OHADA. C’est le texte d’entrée en matière de ce droit des affaires qui, dans les
États concernés, se substitue au bon vieux droit commercial. Il constitue la fondation du droit
OHADA tout entier. C’est le premier des actes uniformes, celui qui régit le statut du
commerçant et de l’entreprenant, organise le registre du commerce et du crédit mobilier,
encadre le bail à usage professionnel et la vente commerciale, la plus courante et la plus
importante des contrats commerciaux, identifie et fixe le pouvoir et les effets juridiques des
actes accomplis par les intermédiaires du commerce.

Le législateur OHADA conçoit donc clairement, dans ce texte majeur, que les normes de
sanction devant répondre aux normes d’incriminations qu’il a prises peuvent se trouver dans
une « loi pénale nationale » préexistante. La prise d’une loi pénale spéciale, en application de
cet acte uniforme, n’est attendue ici des États que le « cas échéant ». Or comment devons-nous
entendre cette locution « le cas échéant » employée ici dans l’AUDCG ? Cette expression réunit
le substantif « cas » et le verbe « échoir », verbe intransitif défectif du troisième groupe,
conjugué au participe présent. Échoir signifie « tomber » ou encore, par extension, « advenir ».
Dès lors, la locution « le cas échéant » s’emploie, en bonne règle, pour rendre les expressions
« si l’occasion arrive », « si l’occasion s’en présente » « s’il y a lieu », « si cela se produit » ou
si « cela est nécessaire »101. En somme, domine dans cette expression la notion d’éventualité.
La certitude et la nécessité n’ont donc nullement leur place en l’occurrence.

L’article 140 du même Acte uniforme n’est pas plus claire quant à l’exigence d’une loi pénale
des États parties au Traité OHADA puisqu’il renvoie tout simplement à la « loi pénale
nationale ». Cette rédaction se retrouve à l’article 65 de l’AUS.

Plusieurs des incriminations découlant des Actes uniformes se réduit à la locution « encourt (ou
encourent) une sanction pénale ». Cette formule figure à l’article 386 de l’AUSC, aux articles
887 à 905 de l’AUSCGIE ainsi qu’à l’article 111 de l’AUDCIF.

Les articles 184 al. 3 de l’AUS et 226 de l’AUPC font référence à la « loi de chaque État
partie » tandis que l’article 36 alinéa 1er de l’AUVE vise les « sanctions prévues par les
dispositions pénales » et que, en son article 886, l’AUSCGIE retient la formule « constitue une
infraction pénale ».

Aucune de ces formulations ne démente que nous sommes ici dans l’hypothèse de l’éventualité
de la prise de dispositions pénales spécifiques par les États membres de l’OHADA, en réponse
101
Cf., notamment, dictionnaire en ligne de Centre national de ressources textuelles et lexicales (CNRTL) du
Centre National français de la Recherche Scientifique (CNRS), https://www.cnrtl.fr/

29
aux actes uniformes. Elles ne semblent d’ailleurs se justifier que pour les cas où les infractions
considérées étaient inconnues dans la législation de ces États.

Puisqu’il en est ainsi, et puisqu’en réalité aucun les États membres de l’OHADA n’était pas
dépourvu d’un droit pénal des affaires avant l’avènement de l’OHADA, on devrait comprendre
que l’intérêt et la volonté commune des États membres de l’Organisation pour une réelle
formation communautaire de cette branche du droit sont, dans le fond, inexistants D’ailleurs,
hormis quelques infractions comme l’abus des biens et du crédit de la société, les infractions
prévues par l’OHADA ne constituent pas une découverte dans les États membres.

D’un autre côté, le législateur OHADA n’a donné aucune orientation quant au contenu des
normes de sanctions pénales internes appelées par les Actes uniformes. L’aurait-il d’ailleurs
fait, que nous nous serions, de toutes les manières, toujours trouvés, en présence de dix-sept
droits pénaux des affaires nationaux inspirés par l’OHADA. En effet, lorsque des États
membres de l’OHADA légifèrent pour compléter les actes uniformes, ils n’en posent pas moins
un droit purement national. Il n’y a pas ici la prise en charge collective des sanctions.

Nous pouvons légitimement inférer de sa démarche, que le législateur de l’OHADA concevait


explicitement que les incriminations qu’ils posent puissent cohabiter avec un système de
normes pénales propres à chaque État membre. Cette remarque ne signifie donc pas qu’il n’y a
pas de droit pénal des affaires dans « dans l’espace OHADA » : il y a, au contraire, dans cet
espace des droits pénaux nationaux des affaires dont certains s’inspirent du droit OHADA. Dans
la mesure où, comme nous l’avons déjà rappelé, l’élément légal n’est créé qu’avec l’avènement
de la norme de sanction, les normes pénales découlant des Actes uniformes n’ont,
techniquement en elles-mêmes, aucune existence réelle comme élément légal des préventions
définies : seule la norme de sanction génère la norme pénale véritable, la norme répressive.

On peut juste se désoler ici de ce que les États concernés n’ont pas rempli l’engagement qu’ils
ont souscrit de « déterminer les sanctions pénales encourues », en réponse aux interdits posés
par les Actes uniformes, pour, tout au moins, moderniser leur système répressif interne. Une
telle réponse aurait peut-être permis « la coordination des systèmes pénaux pour l’élimination
des discordances notées […] » comme cela a été souhaité par le Professeur Ndiaw Diouf102.
Elle aurait, en tout cas, pu contribuer à faciliter la coopération judiciaire, dans ce domaine, entre
les États parties au Traité OHADA.

*
CONCLUSION

Le renvoi de pénalité opéré par l’article 5, alinéa 2, du Traité de l’OHADA a été loué par les
uns et fortement critiqué par d’autres. Les auteurs soucieux de la préservation de la souveraineté
des États, en matière pénale, étaient parfaitement en accord avec cette option faite par
l’Organisation. Pour d’autres auteurs, par contre, on perd, avec cette solution, en efficacité sur
le terrain sensible des affaires où les scandales récurrents appellent du plus fort une moralisation
coordonnée des activités.

A vrai dire, les États membres de l’OHADA ne se sont pas, en faisant ce choix, écartés d’une
pratique très courante du droit pénal international : le renvoi de pénalité revient presque toujours
dans les conventions internationales régionales ou universelles comportant des normes
102
Ndiaw Diouf, « Actes uniformes et droit pénal des États signataires du Traité de l’OHADA : la difficile
émergence d’un droit pénal communautaire des affaires dans l’espace OHADA », loc. cit., p. 4.

30
d’incriminations. Seulement, il ne faut pas attendre de la mise en œuvre d’une telle option la
construction d’un droit communautaire. L’État qui prend une norme de sanction en réponse à
une norme d’incrimination, crée ici un droit purement national. Il en est d’autant plus ainsi que
seule la norme de répression crée une infraction. D’ailleurs, une bonne lecture des actes
uniformes permet de conclure que la prise, par un État membre de l’OHADA, d’une norme
spéciale de sanction d’un comportement réprouvé par un Acte uniforme n’est requise que si
l’infraction était inconnue dans le droit interne de cet État.

Qu’on le dénomme donc droit pénal des affaires communautaire OHADA out tout simplement
droit pénal des affaires OHADA, une telle branche du droit n’existe pas : les auteurs du Traité
OHADA ne l’ont point envisagée. Notons cependant qu’il y a bien un droit pénal des affaires
de chacun des États membres de l’Organisation.

Nous ne devons donc point nous désoler du mythe d’un droit pénal communautaire des affaires
OHADA dont la gravidité n’en finit logiquement pas de se chroniciser. /-

31

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