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Ohadata D-08-96

Le contentieux de l’exécution provisoire


dans l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage
Par
Gaston KENFACK DOUAJNI
Magistrat - Spécialiste en Contentieux Economique (ENM - Paris)
Membre de la Cour Internationale d’Arbitrage de la CCI
sous-Directeur de la Législation Civile, Commerciale, Sociale et Traditionnelle
au Ministère de la Justice, Yaoundé – Cameroun

Revue Camerounaise de l’Arbitrage n° 16 – Janvier - Février - Mars 2002, p. 3.

L’arbitrage s’achève normalement par la sentence, qui est l’aboutissement de la procédure en


général1. Il arrive qu’à la demande des parties, l’arbitre assortisse la sentence de l’exécution
provisoire, tout comme il peut le faire de sa propre initiative2. Dans l’un et l’autre cas,
l’exécution provisoire permet de poursuivre l’exécution de la décision intervenue, malgré
l’exercice des voies de recours à son encontre.
Aussi bien l’exécution provisoire de la sentence que le contentieux que celle-ci peut générer,
sont expressément prévus par l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage, dont l’article 24
énonce que « les arbitres peuvent accorder l’exécution provisoire à la sentence arbitrale, si
cette exécution a été sollicitée, ou la refuser, par une décision motivée ».
Pour sa part, l’article 28 alinéa 2 dudit texte précise que le juge étatique est compétent pour
statuer sur le contentieux de l’exécution provisoire. Il en résulte que lorsqu’un recours est
exercé devant le juge étatique contre une sentence dont l’exécution provisoire a été ordonnée,
ledit juge est également compétent pour connaître du contentieux de l’exécution provisoire de
la sentence ainsi querellée.
Malgré l’article 28 suscité et même le Traité OHADA, dont l’article 16 exclut les procédures
d’exécution de sa compétence matérielle, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage a
récemment rendu un arrêt3, qui suscite des interrogations quant au pouvoir de modulation de
l’exécution provisoire d’une décision que le juge tient de la loi, dans l’intérêt d’une bonne
administration de la justice.
Après avoir examiné les prévisions de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage – ci-après
l’Acte uniforme – relativement au contentieux de l’exécution provisoire (I), on procédera à
une appréciation critique de l’arrêt rendu par la CCJA en date du 11 octobre 2001 (II).

I.- LES PREVISIONS DE L’ACTE UNIFORME


Le texte de base ici est l’article 28 de l’Acte uniforme, selon lequel : « Sauf si l’exécution
provisoire de la sentence a été ordonnée par le tribunal arbitral, l’exercice du recours en

1
C. GAVALDA et C.L. de LEYSSAC in « L’arbitrage » Dalloz 1993 p. 69.
2
D. HASCHER, « L’exécution provisoire en arbitrage international » in « Etudes de procédure d’arbitrage en l’honneur de
Jean POUDRET, Faculté de Droit de l’Université de Lausanne 1999, p. 403 et s.
3
Arrêt n° 002/2001 du 11 octobre 2001 reproduit à la partie « Jurisprudence » du présent numéro, p. 11.
annulation suspend l’exécution de la sentence arbitrale, jusqu’à ce que le juge compétent dans
L’Etat Partie ait statué.
Ce juge est également compétent pour statuer sur le contentieux de l’exécution provisoire ».
L’article 28 suscité institue un préalable au déclenchement du contentieux de l’exécution
provisoire de la sentence (A) et pose le problème de la détermination du juge étatique
compétent pour en connaître (B).

A. Le préalable au déclenchement du contentieux


Il importe d’indiquer que les sentences susceptibles de faire l’objet d’un contentieux de
l’exécution provisoire ici sont, soit celles rendue sur le fondement de l’Acte uniforme, soit
celles rendues sous les auspices des centres privés d’arbitrage existant dans l’espace OHADA.
A cet égard, on a déjà eu à relever que l’Acte uniforme reconnaît implicitement l’efficacité
des règlements d’arbitrage des centres en question, et que ces règlements doivent être en
harmonie avec ledit texte4. Dès lors, les sentences rendues en application desdits règlements
sont également couvertes par l’Acte uniforme, tant en ce qui concerne les recours dont elles
sont susceptibles, que le contentieux de leur exécution provisoire.
La mise en œuvre de ce contentieux implique que la sentence ait été assortie de l’exécution
provisoire, et que l’on veuille en obtenir des défenses à l’exécution ; il faut alors, au préalable,
exercer un recours contre ladite sentence.
Le recours préalable à exercer contre la sentence est, d’après l’article 28 examiné, le recours
en annulation, fondé sur l’un des motifs énumérés par l’Acte uniforme5. L’article 27 de l’Acte
uniforme précise que le recours en annulation est irrecevable, dès le prononcé de la sentence,
et cesse de l’être s’il n’a pas été exercé dans le mois de la signification munie de l’exequatur.
Le contentieux de l’exécution provisoire de la sentence peut également avoir lieu, alors même
que la sentence arbitrale n’a pas été assortie de l’exécution provisoire, soit parce que celle-ci
n’a pas été demandée à l’arbitre, soit parce que, ayant été demandée, elle a été refusée par
l’arbitre, malgré l’urgence qu’il y avait à l’accorder.
En effet, l’article 28 de l’Acte uniforme semble bien inclure le cas où le bénéficiaire d’une
sentence non assortie de l’exécution provisoire sollicite du juge devant lequel la sentence a été
attaquée en annulation, que celui-ci accorde l’exécution provisoire à la sentence querellée, en
subordonnant, le cas échéant, ladite exécution provisoire à la constitution de garanties.
L’hypothèse envisagée peut se présenter s’il apparaît que le recours en annulation exercé
contre la sentence est dilatoire, le recourant cherchant simplement à gagner du temps pour
organiser son insolvabilité. On imagine bien la juridiction saisie du recours accordant
l’exécution provisoire à la sentence attaquée, au cas où elle estime qu’il y a urgence à le faire
pour sauvegarder les droits du bénéficiaire de la sentence, ou pour toute autre raison qu’elle
juge nécessaire, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice
Quel est le juge compétent pour connaître, tant du recours en annulation de la sentence que du
contentieux de l’exécution provisoire de ladite sentence ?

4
P. LEBOULANGER in « L’arbitrage et l’harmonisation du droit des affaires en Afrique », Rev. Arb. 1999 n° 3.
5
Article 26 de l’Acte uniforme : « Le recours en annulation n’est recevable que dans les cas suivants :
- si le tribunal arbitral a statué sans convention d’arbitrage ou sur une convention nulle ou expirée ;
- si le tribunal arbitral a été irrégulièrement composé ou l’arbitre unique irrégulièrement désigné ;
- si le tribunal arbitral a statué sans se conformer à la mission qui lui a été confiée ;
- si le principe du contradictoire n’a pas été respecté ;
- si le tribunal arbitral a violé une règle d’ordre public international des Etats signataires du Traité ;
- si la sentence arbitrale n’est pas motivée.
B. La juridiction compétente
La combinaison de l’article 25 al. 3 de l’Acte uniforme, aux termes duquel la décision du juge
étatique statuant sur le recours en annulation de la sentence n’est susceptible que de pourvoi
en cassation devant la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, et de l’Avis émis par ladite
Cour en date du 30 avril 20016, permet d’affirmer que la Cour d’Appel est, dans l’espace
OHADA, la juridiction compétente pour connaître du recours en annulation de la sentence, en
ce qui concerne les arbitrages de droit commun. La Cour d’Appel d’Abidjan a statué dans ce
sens, à l’occasion de l’examen d’un recours en annulation exercé contre une sentence rendue
sous les auspices de la Cour d’Arbitrage de Côte d’Ivoire (CACI)7. En effet, répondant à l’un
des griefs par lequel sa compétence matérielle à cet effet était contestée, la juridiction
ivoirienne a affirmé que « suivant l’article 25 de l’Acte uniforme relatif à l’arbitrage, « la
décision d’annulation de la sentence arbitrale n’est susceptible que de pourvoi en cassation
devant la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage ».
En droit ivoirien, ce sont les arrêts de la Cour d’Appel, parce que rendus en dernier ressort,
qui font l’objet d’un pourvoi en cassation.
Dès lors, toute allusion au tribunal est inopérante, car celui-ci ne statue en dernier ressort
que pour des litiges dont l’intérêt n’est pas supérieur à 500 mille francs ; ce qui n’est pas le
cas d’espèce.
Il échet, par conséquent, de rejeter les doutes émis sur la compétence de la Cour d’Appel en
cette matière ».
Cet arrêt, confortant des analyses doctrinales sur la question8, il est incontestable que la Cour
d’Appel est la juridiction compétente pour connaître du recours en annulation de la sentence,
lorsque celle-ci est rendue soit sur le fondement de l’Acte uniforme, soit sous les auspices des
centres privés d’arbitrage existant dans l’espace OHADA.
Ladite Cour d’Appel, et plus précisément son Président, est la juridiction compétente visée
par l’article 28 al. 2 de l’Acte uniforme pour statuer sur le contentieux de l’exécution
provisoire de la sentence. Le juge d’appel saisi va devoir user de son pouvoir d’appréciation
pour moduler l’exécution provisoire de la sentence contestée, dans l’intérêt d’une bonne
administration de la justice. Ce juge va ainsi, soit ordonner des défenses à l’exécution
provisoire de la sentence contre laquelle un recours en annulation a été exercé, soit, pour
prévenir les conséquences dommageables d’un recours en annulation dilatoire, ordonner
l’exécution provisoire d’une sentence arbitrale qui n’en était pas assortie.
Dans l’un et l’autre cas, le juge d’appel peut subordonner l’exécution provisoire de la
sentence querellée à la fourniture de garanties.
L’Acte uniforme a simplement prévu un contentieux de l’exécution provisoire de la sentence,
et c’est la législation interne des Etats Parties au Traité OHADA qui comporte des textes
réglementant ledit contentieux, ces textes étant applicables même lorsque le contentieux porte
sur l’exécution provisoire de la sentence arbitrale. C’est ainsi que les articles 180 et 181 du
Code de Procédure Civile ivoirien énoncent, en substance, que l’exécution des jugements
pour lesquels l’exécution provisoire a été ordonnée peut être suspendue en vertu des défenses
obtenues auprès du Premier Président de la Cour d’Appel. C’est ainsi, également, qu’au
Cameroun, la matière est réglementée par la loi n° 92/008 du 04 août fixant certaines
6
L’Avis IV 00l-2001-HP du 30 avril 2001 a été publié dans celte Revue, n° 14 éd.___.
7
voir Abidjan, Arrêt n° 456 du 27 avril 2001, 1ère Chambre, aff. SOTACI c/ DELPECH Gérard et DELPECH Joëlle ; sera
publiée au prochain numéro de cette Revue.
8
G. KENFACK DOUANJI in « Le juge étatique dans l’arbitrage OHADA » ; cette Revue n° l2 p. 9 ; adde du même auteur,
« La portée abrogatoire de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage », cette Revue n° 14 p. 7.
dispositions relatives à l’exécution des décisions de justice, modifiée par la loi 97/0l8 du
7 avril 1997. Ce texte énumère dans son article 3, les hypothèses dans lesquelles l’exécution
forcée peut être ordonnée, nonobstant appel, en cas de décision contradictoire ou réputée
contradictoire.
L’article 4 dudit texte précise, en son alinéa l, que lorsque l’exécution provisoire n’est pas de
droit et qu’elle a été prononcée en dehors des cas prévus à l’article 3, la Cour d’Appel, sur la
demande de la partie appelante, ordonne les défenses à l’exécution provisoire de la décision.
Or, l’arrêt rendu le 11 octobre 2001 par la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage remet en
cause ce pouvoir de modulation que la loi a conféré au juge, et ne manque pas d'inquiéter,
quant à ses conséquences pratiques.

II.- APPRECIATION CRITIQUE DE L’ARRET DU 11 OCTOBRE 2001


Le contenu de l’arrêt dont il s’agit (A) semble difficilement conciliable avec le droit
OHADA (B).

A. Contenu de l’Arrêt de la CCJA


Dans l’espèce ayant donné lieu a cet arrêt, les faits étaient relativement simples. En effet,
s’estimant créancier de la Société Générale de Banques en Côte d’Ivoire (SGBCI), un couple
ivoirien a assigné celle-ci en paiement devant le Tribunal de Première Instance
d’Abengourou.
Par jugement n° 4 du 21 janvier 1999, la juridiction suscitée a condamné la SGBCI à payer
aux époux, la somme totale de 858.486.327 FCFA et ordonné l’exécution provisoire à
concurrence de la somme de 683.486.327 FCFA.
En date du 4 février 1999, le couple ivoirien a fait signifier le jugement sus indiqué à la
SGBCI, laquelle a interjeté appel contre ladite décision et en a sollicité des défenses à
l’exécution provisoire, sur le fondement des articles 180 et 181 du Code de Procédure Civile
ivoirien, qui prévoient en substance, que « l’exécution des jugements par lesquels l’exécution
provisoire a été ordonnée peut être suspendue en vertu des défenses obtenues auprès du
Premier Président de la Cour d’Appel, qui peut ordonner qu’il soit sursis à l’exécution des
jugements frappés d’appel ou des ordonnances de référé, lorsque cette exécution est de
nature à troubler l’ordre public ou doit entraîner un préjudice irréparable ou des
conséquences manifestement excessives ».
Le Premier Président de la Cour d’Appel d’Abidjan a suspendu l’exécution provisoire du
jugement n° 4 du 21 janvier 1999 mentionné plus haut, par ordonnance n° 97/99 du 23 février
1999. Se fondant sur l'article 32 de l'acte uniforme portant organisation des procédures
simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution, aux termes duquel « à l'exception de
l'adjudication des immeubles, l'exécution forcée peut être poursuivie jusqu'à son terme en
vertu d'un titre exécutoire, par provision... », le couple ivoirien a formé pourvoi contre
l'ordonnance n097/99 suscitée.
Par arrêt n° 002/2001 du 11 octobre 2001, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage a
annulé l’ordonnance par laquelle le Président de la Cour d’Appel d’Abidjan a suspendu
l’exécution provisoire de la décision querellée. Ce faisant, la Cour Commune semble avoir
simplement répondu à la question de savoir si une exécution forcée peut être initiée sur le
fondement d’un titre exécutoire par provision, alors que le problème réellement posé était
celui de savoir si une exécution forcée entamée sur le fondement d’un titre exécutoire par
provision peut être interrompue par le juge d’appel usant du pouvoir de modulation de
l’exécution provisoire des décisions que lui confère la loi, dans l’intérêt d’une bonne
administration de la justice.
La réponse négative de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage suscite plus
d’interrogations qu’elle ne résout le problème posé ; la première interrogation est celle de la
recevabilité du pourvoi formé contre l’ordonnance du Président de la Cour d’Appel
d’Abidjan. A cet égard, on rappellera l’article 14 al. 3 du Traité OHADA, qui énonce que :
« Saisie par la voie du recours en cassation, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage9 se
prononce sur les décisions rendues par les juridictions d’appel des Etats Parties, dans toutes
les affaires soulevant les questions relatives à l’application des actes uniformes ... ». On
aurait pu penser, à la lecture de ce texte, que les décisions des juridictions d’appel susceptibles
de pourvoi devant la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage sont uniquement les arrêts des
Cours d’Appel ; voici qu’une ordonnance des défenses à l’exécution provisoire rendue par un
Président de Cour d’Appel se trouve rangée dans la catégorie des décisions susceptibles de
pourvoi devant ladite juridiction supranationale. Cette dernière affirme, à cet égard, que
l’ordonnance entreprise « ayant une incidence sur l’exécution d’une décision de justice, c’est
à bon droit que les requérants ont saisi la Cour de céans ».
En attendant de revenir, plus loin, sur la compétence matérielle de la Cour Commune à
connaître du contentieux de l’exécution provisoire d’une décision de justice, il est permis de
penser que l’invocation, par l’auteur du pourvoi, d’une disposition d’un acte uniforme (en
l’espèce, l’article 32 de l’Acte uniforme traitant des voies d’exécution) a probablement fait
croire à ladite juridiction que le pourvoi dont elle était saisie soulevait une question relative à
l’application d’un Acte uniforme et entraînait la recevabilité dudit pourvoi.
La question de la recevabilité du pourvoi mise à part, l’arrêt de la Cour Commune est
difficilement conciliable avec le droit OHADA.

B. Difficulté de concilier l’arrêt rapporté avec le droit OHADA


L’arrêt rendu par la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage apparaît comme ayant supprimé
le pouvoir du juge étatique, tout au moins celui d’appel10, d’ordonner les défenses à
l’exécution provisoire des décisions ayant fait l’objet d’un recours devant ledit juge. C’est, du
moins, la lecture qui en est faite par ceux des juristes de l’espace OHADA – et ils ne sont pas
peu nombreux – qui ont toujours affirmé que l’Acte uniforme portant organisation des
procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution a abrogé les législations
nationales réglementant l’exécution des décisions de justice.
Une telle affirmation ne semble pourtant pas résister à l’analyse, pour plusieurs raisons :
D’une part, il résulte de l’article 336 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures
simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, que ce texte « abroge toutes les
dispositions relatives aux matières qu’il concerne dans les Etats parties ».
Or, cet Acte uniforme traite des procédures simplifiées de recouvrement (injonction de payer,
procédure simplifiée tendant à la délivrance ou à la restitution d’un bien meuble déterminé),
ainsi que des voies d’exécution (saisie conservatoire des biens meubles corporels, saisie-
vente, saisie-attribution des créances, saisie et cession des rémunérations, saisie-appréhension
et saisie-revendication des biens meubles corporels, saisie des droits d’associés et des valeurs
mobilières, saisie immobilière). Il apparaît que cet Acte uniforme ne concerne pas l’exécution
des décisions de justice et n’a donc pas pu abroger les lois nationales relatives à l’exécution

9
C’est nous qui ajoutons la précision.
10
Il conviendrait de limiter les effets de cet arrêt uniquement, d’une part, au cas où l’exécution forcée d’un titre exécutoire est
déjà entamée, et d’autre part, aux seules décisions de suspension rendues par le juge d’appel.
des décisions de justice. A cet égard, il convient de rappeler que les voies d’exécution
s’entendent de l’« ensemble de procédures permettant à un particulier d’obtenir par la force,
l’exécution des actes et jugements qui lui reconnaissent des prérogatives ou des droits. »11.
Ainsi définies, les voies d’exécution doivent être distinguées des procédures d’exécution, qui
s’entendent des règles relatives à l’exécution des décisions de justice, c’est-à-dire, des
procédures à mettre en œuvre pour obtenir la suspension de l’exécution provisoire des
décisions de justice.
Il se trouve que le Traité OHADA exclut les procédures d’exécution de la compétence
matérielle de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage. Il résulte, en effet, de l’article 16
alinéa 1 dudit Traité, que « La saisine de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage suspend
toute procédure de cassation engagée devant une juridiction nationale contre la décision
attaquée. Toutefois, cette règle n’affecte pas les procédures d’exécution »12.
Qu’est-ce à dire, si ce n’est que les procédures visant à obtenir la suspension de l’exécution
provisoire des décisions querellées demeurent de la compétence matérielle des juridictions
nationales ?
La commentatrice du Traité OHADA affirme, à ce propos, que la disposition dudit Traité
d’après laquelle la saisine de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage ne suspend pas les
procédures d’exécution « est conforme au principe selon lequel un pourvoi n’est pas suspensif
de l’exécution des décisions rendues en dernier ressort13 ».Il en résulte, logiquement, que
pour obtenir les défenses à l’exécution provisoire des décisions rendues en dernier ressort,
qu’il s’agisse des arrêts des Cours d’Appel ou des décisions de première instance rendues en
dernier ressort, il faut former pourvoi contre lesdites décisions devant la Cour Commune de
Justice et d’Arbitrage, puis saisir les juridictions nationales de cassation des requêtes en
défense à l’exécution provisoire des décisions querellées. Ce raisonnement se trouve conforté
par le fait que la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage est, d’après l’article 14 du Traité
OHADA., « saisie par la voie du recours en cassation ». La Cour Commune statue donc
uniquement sur le mérite des pourvois intentés contre les décisions qui lui sont déférées et n’a
pas, en l’état actuel du Traité OHADA, le pouvoir de suspendre l’exécution provisoire
desdites décisions.
Ce pouvoir demeure de la compétence matérielle des juridictions nationales qui, saisies à cet
effet, doivent appliquer les lois nationales relatives a l’exécution des décisions de justice, car
la matière n’étant pas prévue par l’article 2 du Traité OHADA, qui énumère les disciplines
entrant dans le champ de l’harmonisation14, seules s’appliquent les législations nationales y
relatives.
Dès lors, comment concilier l’arrêt du 11 octobre 2001, qui abroge les lois nationales relatives
à l’exécution des décisions de justice, avec la règle de l’article 16 du Traité OHADA

11
voir « Lexique des termes juridiques », Raymond GUILLIEN et Jean VINCENT - Dalloz 1990, p. 16.
12
voir Jacqueline LOHOUES OBLE, in « OHADA -Traité et Actes uniformes commentés et annotés » 1999, Transcode. p. 16.
13
voir article 14 du Traité OHADA.
14
Article 2 du Traité OHADA : « Pour l’application du présent Traité, entrent dans le domaine du droit des affaires,
l’ensemble des règles relatives au droit des sociétés et au statut juridique des commerçants, au recouvrement des créances,
aux sûretés et aux voies d’exécution, au régime du redressement des entreprises et de la liquidation judiciaire, au droit de
l’arbitrage, au droit du travail, au droit comptable, au droit de la vente et des transports, et de toute autre matière que le
Conseil des Ministres déciderait, à l’unanimité, d’y inclure, conformément à l’objet du présent Traité et aux dispositions de
l’article 8 ».
Usant des prérogatives que cet article 2 lui confère, le Conseil des Ministres de l’OHADA réuni à Bangui (Centrafrique) en
mars 2001, a élargi le domaine du droit des affaires en y incluant le droit de la concurrence, le droit bancaire, le droit de la
propriété intellectuelle, le droit des sociétés civiles, le droit des sociétés coopératives et mutualistes, le droit des contrats, le
droit de la preuve.
affirmant la validité desdites lois nationales, voire leur compatibilité avec le droit OHADA en
général ?
Si l’on doit tenir pour acquise cette décision du 11 octobre 2001, comment appliquer l’article
28 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage, selon lequel le juge de l’annulation de la
sentence est également compétent pour statuer sur le contentieux de l’exécution provisoire de
ladite sentence ? La question se pose avec d’autant plus d’acuité, que l’arrêt du 11 octobre
2001 porte les germes d’une entrave au développement de l’arbitrage OHADA, alors que les
signataires du Traité ont proclamé, dès son Préambule, leur désir de promouvoir l’arbitrage
comme instrument de règlement des différends contractuels.
Malgré les interrogations exprimées plus haut, l’arrêt du 11 octobre 2001 a tout de même, des
partisans qui estiment qu’en abrogeant les règles nationales relatives aux décisions de justice,
ledit arrêt a entendu sanctionner les interruptions fréquentes des exécutions forcées,
interruptions ordonnées d’après ces partisans, par des décisions de défense à l’exécution non
motivées.
On hésite cependant à suivre une telle argumentation, d’autant que la Cour Commune de
Justice et d’Arbitrage s’appuie sur l’article 32 de l’Acte uniforme traitant des voies
d’exécution. Or, comme on l’a mentionné, les voies d’exécution ne doivent pas être
confondues avec les procédures d’exécution, que l’article 16 du Traité OHADA exclut de la
compétence d’attribution de ladite Cour.
Par ailleurs, en voulant empêcher l’interruption d’une exécution forcée entamée et fondée sur
un titre exécutoire par provision, l’arrêt du 11 octobre 2001 semble perdre de vue que l’Acte
uniforme traitant des voies d’exécution prévoit expressément qu’une exécution forcée
entamée et fondée sur un titre exécutoire puisse être interrompue du fait du recours du
débiteur saisi. En effet, dans le cadre de la saisie-attribution des créances, qui nécessite
l’existence d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible, le débiteur auquel
la saisie-attribution est dénoncée dispose du délai d’un mois pour contester ladite saisie15. On
sait que le caractère suspensif de la contestation du débiteur entraîne l’interruption de la saisie
attribution, pourtant déjà entamée.
De même, dans le cadre de la saisie-vente, les contestations relatives à la propriété ou à la
saisissabilité des biens saisis suspendent la procédure de saisie déjà commencée16.
Sur un autre plan, il est difficile d’admettre que la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage
ait voulu mettre fin à la pratique des décisions de défense à l’exécution non motivées, en
rendant un arrêt dont l’effet est d’abroger les législations nationales traitant de ces défenses à
l’exécution.
Le meilleur moyen, dans ce cas, n’eût-il pas été, plutôt, d’annuler l’ordonnance querellée pour
défaut ou insuffisance de motifs ? Une telle motivation aurait certainement eu le mérite de
rappeler aux juges nationaux d’instance, d’appel et de cassation, cette règle fondamentale
connue de la plupart des systèmes juridiques, et selon laquelle toute décision doit être motivée
en faits et en droit17.
Au cas où les législations nationales relatives à l’exécution des décisions de justice étaient
effectivement supprimées, il deviendrait difficile, voire impossible, de mettre en œuvre le
contentieux de l’exécution provisoire des sentences arbitrales tel que prévu par l’Acte

15
voir article 160 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution.
16
Article 139 de l’Acte uniforme portant organisation dos procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution.
17
En droit camerounais, celle règle est prévue par l’ordonnance 72/4 du 26 août 1972 portant Organisation Judiciaire, modifiée
(article 5).
uniforme relatif au droit de l’arbitrage. Il apparaît urgent que la Cour Commune de Justice et
d’Arbitrage trouve le moyen de préciser le sens de son arrêt du 22 octobre 2001.
A cet égard, il semble opportun de rappeler que tant en droit africain qu’en droit comparé, on
a vu des Cours d’Appel résister à appliquer les décisions de la juridiction suprême, lorsque
celles-ci, comme en l’espèce, engendraient des difficultés d’application. Les résistances des
Cours d’Appel ont alors obligé la Haute Juridiction, saisie de nouveau, à préciser ou à rectifier
ses décisions précédentes. Il est à espérer que la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage
trouve rapidement l’occasion de rectifier le tir, afin de faciliter la mise en œuvre du
contentieux de l’exécution provisoire, y compris lorsque ledit contentieux porte sur
l’exécution provisoire des sentences arbitrales.
Loin d’être une originalité de l’OHADA, le contentieux de l’exécution provisoire des
sentences arbitrales existe également en droit comparé18 et constitue l’une de ces garanties des
droits de la défense, dont il serait regrettable de priver l’arbitrage OHADA.

18
Dominique HASCHER, dans son article cité à la note 2 supra, rappelle les règles du droit français en la matière, élaborées
sur le fondement de l’article 524 NCPC : l’exécution provisoire, lorsqu’elle a été ordonnée par l’arbitre, peut être arrêtée par
la Cour d’Appel, s’il y a violation de l’ordre public ou s’il est à craindre des conséquences manifestement excessives.

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