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P PANORAMA

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Arbitrage et modes alternatifs
de règlement des litiges
novembre 2018 – décembre 2019
par Thomas Clay, Professeur à l’École de droit de la Sorbonne
(Université Paris 1), Doyen honoraire de la Faculté de droit

I – ARBITRAGE 1 – Spécialisation des juridictions


A – Arbitrages atypiques 2 – Juge d’appui
1 – Arbitrage d’investissement 3 – Juge des référés
2 – Arbitrage en ligne F – Sentence arbitrale
B – Convention d’arbitrage 1 – Forme
C – Tribunal arbitral 2 – Recours
1 – Libre choix 3 – Contrôle
2 – Compétence 4 – Exequatur
3 – Indépendance 5 – Exécution
D – Responsabilité de l’arbitre et du centre d’arbitrage
E – Procédure judiciaire II – MODES ALTERNATIFS DE RÈGLEMENT DES LITIGES

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L’année 2019 a été terne. Aucun arrêt majeur n’est à enregistrer. Certes, de nombreuses décisions ont encore été
rendues – moins que les années précédentes toutefois – mais la plupart consolident des solutions établies, parfois en

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affinant le régime juridique. Trois arrêts se distinguent néanmoins dans la période étudiée : l’arrêt Desbordes de la cour
d’appel de Paris du 2 avril 2019 sur les obligations respectives de l’arbitre et du centre d’arbitrage, l’arrêt Tecnimont,
6e opus de la saga, sur le devoir de réaction face à la révélation incomplète de l’arbitre, et l’arrêt Al-Kharafi de la cour
d’appel de Paris du 5 septembre 2019 sur l’immunité des États engagés par une convention d’arbitrage et leurs éma-
nations. Trois solutions qui seront commentées ici.
Mais il serait faux de penser que la matière ronronne et que l’ennui guette, pour trois raisons au moins. D’abord, parce
que cette absence de revirement est le signe au contraire d’un droit qui se stabilise, huit ans après avoir été refondé,
et on ne peut que s’en réjouir. Ensuite, parce que le législateur (lato sensu), lui, n’a pas chômé puisqu’entre la loi du
23 mars 2019 et les décrets d’application qui l’ont suivie, c’est l’ensemble des modes alternatifs de règlement des
litiges qui sont propulsés dans le monde numérique. Enfin, parce que le tarissement de la jurisprudence ne reflète pas
l’activité doctrinale d’une ampleur inégalée cette année. Ce ne sont pas moins de douze thèses relatives au domaine
de cette chronique qui sont citées dans la bibliographie annuelle 1, dont deux d’entre elles qu’il faut particulièrement
distinguer en ce qu’elles portent sur la matière un regard exogène, historique pour l’une et économique pour l’autre.
Une histoire récente de la doctrine arbitragiste et une analyse économique de la fonction d’arbitre, voilà les deux nou-
velles approches soutenues aux deux bouts de l’année 2019, malheureusement dans des thèses rédigées l’une et l’autre
en anglais, bien que soutenues dans des établissements français. Cette translittération tranche avec l’ouvrage majeur
publié aux éditions Dalloz par notre collègue Ibrahim Fadlallah et le conseiller à la Cour de cassation, spécialiste de la
matière, Dominique Hascher, Les grandes décisions du droit de l’arbitrage commercial. Désormais indispensable, cette
nouvelle bible de l’arbitrage retrace son évolution, ses grands principes, les courants de pensée qui la traversent, le tout
avec force détail. D’une telle œuvre, on peut tirer au moins trois enseignements : premièrement, il n’est pas nécessaire
d’écrire en anglais pour marquer la littérature arbitragiste ; deuxièmement, la jurisprudence reste une source essentielle
de la matière, et encore plus éclairante quand elle est commentée avec tant de hauteur ; enfin, troisièmement, bien
que publié en début d’année, l’ouvrage ne souffre pas d’une absence de mise à jour puisque, précisément, aucun arrêt
de 2019 ne méritait d’y figurer.

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I – Arbitrage l’Union européenne (UE), à plusieurs reprises, et un avis de la
CJUE pour tenter d’y voir plus clair dans le brouillard créé par
A – Arbitrages atypiques cette même Cour.

1 – Arbitrage d’investissement C’est en effet une première déclaration gouvernementale,


du 15 janvier 2019, par laquelle vingt-deux États membres,
Depuis l’oukase de la Cour de justice de l’Union européenne dont la France, ont, en substance, annoncé la fin des TBI
(CJUE) dans l’arrêt Achmea (CJUE, gde ch., 6 mars 2018, intra-communautaires et en ont étendu les effets aux arbi-
aff. C-284/16, D. 2018. 2005, note V. Korom, 1934, obs. trages fondés sur le TCE, ajoutant même que les juges
S. Bollée, et 2448, obs. T. Clay ; AJDA 2018. 1026, chron. étatiques seront invités à annuler ou refuser l’exequatur de
P. Bonneville, E. Broussy, H. Cassagnabère et C. Gänser ; sentences rendues en violation de cette déclaration. Le len-
Rev. crit. DIP 2018. 616, note E. Gaillard ; RTD eur. 2018. demain, 16 janvier 2019, les six États restants confirmaient
597, étude J. Cazala, 649, obs. A. Hervé, et 2019. 464, obs. l’interprétation à propos des TBI, mais refusaient, peu ou
L. Coutron), l’arbitrage d’investissement n’en finit pas de se prou, qu’elles s’appliquent au TCE (Rev. arb. 2019. 555,
chercher et même de s’affaiblir. Et, comme tout corps malade, obs. S. Lemaire). Il faut croire que cette déclaration, aussi
il ne cesse de s’interroger sur lui-même. L’interrogation peut solennelle qu’elle ait été, n’a pas suffi à impressionner la cour
prendre la forme d’une question préjudicielle. Mais elle peut d’appel de Paris qui, dans un arrêt où la question se posait
aussi porter sur les limites de la fatwa communautaire. Celle-ci exactement en ces termes, a refusé de considérer comme fait
ne concerne-t-elle que l’arbitrage d’investissement classique acquis la déclaration gouvernementale de la France. Alors qu’il
fondé sur un TBI (traité bilatéral d’investissement) ou s’étend- lui était demandé d’invalider une sentence pour incompétence
elle aux autres types, comme ceux fondés sur le Traité de la du tribunal arbitral fondée sur le TCE, dans un litige entre
charte de l’énergie (TCE), ou celui, hybride, consacré dans le un investisseur ukrainien et la République de Moldavie, la
Traité CETA, même si en principe la jurisprudence Achmea cour a préféré botter en touche, ce qui, procéduralement, se
ne s’applique pas aux traités conclus avec des États tiers. Il a traduit par le dépôt d’une question préjudicielle auprès de la
fallu cette année des déclarations gouvernementales de pays de CJUE (Paris, 24 sept. 2019, n° 18/14721, D. actu. 29 oct.

(1) Bibliographie : Général : I. Amro, Online Arbitration in Theory and in Practice. A comparative Study of Cross-Border Commercial Transactions
in Common Law and Civil Law Countries, Cambridge Publishing, 2019 ; J.-J. Arnaldez, Y. Derains et D. Hascher, Recueil des sentences arbitrales
2436
de la CCI 2012-2015, ICC Publishing et Kluwer, 2019 ; M. Audit, S. Bollée et P. Callé, Droit du commerce international et des investissements
étrangers, LGDJ, coll. Domat-droit privé, 3e éd., 2019 ; W. Ben Hamida, A. Ngwanza et J.-B. Harelimana, Un demi-siècle africain d’arbitrage d’in-
vestissement CIRDI. Regards rétrospectifs et prospectifs, Préface de A. D. El Kosheri, EJA et LGDJ, coll. Droits africains, 2019 ; A. Bencheneb,
Règlement des litiges et arbitrage commercial international, Gaïa éditions, coll. Droit & Économie, 2018 ; J. Béguin et M. Menjucq (dir.), Droit du
commerce international, LexisNexis, coll. Traités, 3e éd., 2019 ; S. Bensimon, M. Boury d’Antin et G. Pluyette, Art et techniques de la médiation,
Préfaces de P. Drai, D. de la Garanderie et M.-A. Peyron, Postface de B. Keime-Ribert-Houdin, LexisNexis, coll. Art et techniques, 2e éd., 2018 ;
L. Cadiet et T. Clay, Les modes alternatifs de règlement des conflits, Dalloz, coll. Connaissance du droit, 3e éd., 2019 ; T. Clay (dir.), L’arbitrage en
ligne, Le Club des juristes éd., avr. 2019 ; I. Fadlallah et D. Hascher, Les grandes décisions du droit de l’arbitrage commercial, Dalloz, coll. Grands
arrêts, 2019 ; M. Gómez Jene, Arbitraje Comercial Internactional, Civitas et Thomson Reuters, 2019 ; R. Ilongo Mulala, Droit et pratique de l’arbi-
trage dans l’espace OHADA, VA éditions, 2019 ; B. Le Bars, International Commercial Arbitration. Landmark decisions of French Arbitration law,
avec la collaboration de J. Dalmasso, LexisNexis, coll. Droit & Professionnels, International Law, 2019 ; F. Mantilla-Espinosa, M. Salcedo Castro y
F. Benarte Ochoa, El árbitraje nacional frente a la corrupción, Tome IIII, Préface de Juan-Pablo Cárdenas Mejía, Ibañez et Cámara de Comercio de
Bogotá éd., 2018 ; M. Rubino-Sammartano, Arbitrage. Droit et pratique, Préfaces de Lord Mustill et de P. Mayer, Bruylant, coll. Arbitrage, 2 vol.,
2019 ; T. Saint-John, The Rise of Investor-State Arbitration, Oxford University Press, 2018 ; C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne
et international, LGDJ, coll. Domat-droit privé, 2e éd., 2019 ; P. Servan-Schreiber (dir.), Médiation et entreprise. L’opportunité de l’autodétermi-
nation : une liberté créatrice de valeur, Le Club des juristes et CMAP éd., févr. 2019 ; J.-P. Tricoit, Droit de la médiation et des modes amiables
de règlement des différends. Un panorama complet des règles de fonctionnement de règlement amiable, Préface de C. Jarrosson, Gualino, coll.
Mémentos, 2019 ;Varii autoris, Brasil e França : A arbitragem na visão comparada. Brésil et France : L’arbitrage dans une vision comparative, Cour
de cassation, Superior Tribunal de Justiça et FGV Projetos éd., 2019. Mélanges : International Arbitration : Issues, Perspectives and Practice. Liber
Amicorum Neil Kaplan, Édité par Hong Kong International Arbitration Centre and Kluwer, 2019. Thèses : C. Ankaoua, L’ordre public transnational,
th. de l’Université Paris-Saclay, T. Clay (dir.), dactyl., soutenue le 12 déc. 2019 ; O. Bah, L’efficacité de l’arbitrage OHADA : le rôle du juge étatique,
th. de l’Université de Bourgogne – Franche-Comté, F. Osman (dir.), dactyl., soutenue le 11 janv. 2019 ; L. Belrhali, La nature des pouvoirs exercés
par les institutions d’arbitrage dans l’arbitrage commercial (international), th. de l’Université de Strasbourg, C. Kleiner (dir.), dactyl., soutenue le
16 sept. 2019 ; K. El Chazli, L’impartialité de l’arbitre. Étude de la mise en œuvre de l’exigence d’impartialité de l’arbitre, th. de l’Université Paris 1,
P. Mayer (dir.), dactyl., soutenue le 12 juill. 2018 ; M. Discours, L’arbitrage international à l’épreuve de l’expansionnisme du droit de l’Union euro-
péenne, th. de l’Université Paris Nanterre, M. Audit (dir.), dactyl., soutenue le 6 juin 2019 ; B. Guandalini, Economic Analysis of the Arbitrator’s
Function, th. de l’Université Côte d’Azur, J.-B. Racine (dir.), dactyl., soutenue le 8 nov. 2019 ; M. Lahouazi, Le développement des modes alternatifs
de règlement des différends dans les contrats administratifs, th. de l’Université Lyon 3, M. Karpenschif (dir.), dactyl., soutenue le 24 nov. 2017 ;
T. Labatut, L’intervention du juge étatique avant un arbitrage commercial international Étude comparée France-États-Unis, th. de l’Université de
Perpignan, G. A. Bermann, Y. Picod et C. Hugon (dir.), dactyl., soutenue le 11 sept. 2018 ; K. Mechantaf, Le financement de l’arbitrage par les
tiers. Une approche française et internationale, th. de l’Université Paris 1, L. Cadiet (dir.), dactyl., soutenue le 14 janv. 2019 ; S. Partida, La conven-
tion d’arbitrage dans le droit des nouvelles puissances économiques (Chine, Inde, Brésil, Mexique), th. de l’Université Panthéon-Assas (Paris 2),
C. Jarrosson (dir.), dactyl., soutenue le 5 juill. 2019 ; G. Scheffer da Silva, Les modes de règlement des différends dans les contrats internationaux
de construction, Préface de C. Jarrosson, Bruylant, coll. Francarbi, 2019 ; M. Schinazi, The Three Ages of International Commercial Arbitration :
Betwenne Renwal and Anxiety, th. SciencesPo Paris, E. Gaillard et M. Xifaras (dir.), dactyl., soutenue le 15 janv. 2019.

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2019, obs. J. Jourdan-Marques ; Gaz. Pal. 19 nov. 2019, p. 22, tien V. Korom, et 1956, obs. S. Bollée ; Clunet 2019. 833,
obs. D. Bensaude ; Global Arbitration Rev. 26 sept. 2019, obs. note E. Gaillard ; Cah. arb. 2019. 179, obs. C. Kaplan et
C. Sanderson et S. Perry). La question porte plus précisément P. Pinsolle ; Rev. arb. 2019. 555, obs. S. Lemaire). La belle
sur l’interprétation de la notion d’« investissement » au sens affaire. Le contraire eût étonné puisque ce Traité est celui de
du TCE. la Commission, et que celle-ci souhaite mettre fin à l’arbitrage
d’investissement. Mais elle ne peut le faire qu’en proposant
Cette démarche interpelle puisque, premièrement, c’est bien un mécanisme applicable à l’intérieur comme à l’extérieur de
au juge français qu’il est demandé de statuer, que, deuxième- l’Union européenne. C’est ce dont il s’agit ici, avec le Canada,
ment, l’UE a adhéré au TCE, et que, troisièmement, la CJUE et le système juridictionnel du Traité CETA est approuvé par
est compétente sur le fondement de l’article 267 du Traité sur la CJUE qui, saisie par la Belgique de plusieurs questions,
le fonctionnement de l’Union européenne, mais parce qu’il répond que l’organisation prévue par le Traité ne met notam-
n’était en réalité pas nécessaire de solliciter cette interpréta- ment pas en cause le droit d’accès à un tribunal indépendant.
tion. Le professeur Jourdan-Marques a bien montré dans son Cet avis a été fortement critiqué par les premiers commenta-
commentaire le paradoxe auquel on parvient : les deux parties, teurs (E. Gaillard, S. Lemaire, S. Bollée, préc.) qui dénoncent
sans lien avec l’UE, et ayant choisi l’arbitrage pour qu’un tri- une interprétation trop éloignée de la lettre du Traité. Il est
bunal arbitral interprète le traité applicable, se retrouvent dans même à craindre que cette interprétation agisse comme feu
la situation ubuesque d’avoir à attendre la doxa de la CJUE vert de la CJUE pour la multiplication de systèmes de réso-
avec laquelle ils n’ont pourtant aucun lien. lution des litiges analogues dans les traités à venir, puis dans
le traité multilatéral annoncé. Au reste, il semble que ce traité
D’autant que, circonstance aggravante pour la cour de Paris, futur élimine les clauses de survie qu’on trouve dans les TBI
il y a fort à parier que la réponse donnée par la CJUE s’im- selon lesquelles la dénonciation d’un traité n’affecte pas les
posera systématiquement à l’avenir à la juridiction parisienne investissements réalisés lorsque celui-ci était en vigueur. Ces
qui s’est ainsi, en quelque sorte, mise définitivement entre les investissements bénéficient d’une protection supplémentaire
mains de la plus hostile à l’arbitrage de toutes les juridictions de dix ans. Que va-t-il se passer ici ? Mystère.
continentales.
Le plus étonnant dans cette offensive contre l’arbitrage d’in-
En réalité, cette situation a pour cause autant la faute de la cour vestissement est que, parallèlement, les tribunaux arbitraux
d’appel de Paris, laquelle s’est trop dépouillée de ses préroga- devant lesquels les instances sont pendantes continuent leur
tives, que celle des recourants contre les sentences arbitrales, office sans se laisser dicter leur solution par les prescriptions 2437
qui, à force de contester la compétence des tribunaux arbitraux communautaires, dans une attitude qu’un auteur a justement
les ayant condamnés, en jouant sur les concepts pour com- qualifiée d’« art majeur de l’indifférence » (A. de Nanteuil,

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battre la compétence arbitrale, ont fini par confier au juge du in Cah. arb. 2018. 787). On voit bien que les deux ordres
recours un pouvoir exorbitant, prisonnier de sa jurisprudence juridiques, arbitral et communautaire, évoluent dans des
intrusive Plateau des Pyramides / Abela – que nous avons pour sphères parallèles, chacun avec sa propre logique, aussi légi-
notre part toujours critiquée –, revenant à entrer de plus en times l’une que l’autre, et qu’à force de vouloir que celui-ci
plus dans la révision au fond, au prétexte d’un contrôle de absorbe celui-là, c’est tout l’arbitrage qui est en danger,
compétence. Le résultat est là : c’est la CJUE qui décide si un même si on peut toujours exécuter les sentences en dehors de
tribunal arbitral est compétent, pourtant investi pour trancher l’UE. Mais, heureusement, l’arbitrage résiste, notamment en
cette question, entre deux parties n’ayant aucun lien avec l’UE. se réinventant.
On marche sur la tête.
2 – Arbitrage en ligne
Un mois plus tard, le 24 octobre 2019, une nouvelle décla-
ration des États membres de l’UE, par l’intermédiaire de Entre le « code » normatif et le « code » numérique, il y a
leurs seuls ambassadeurs cette fois (Global Arbitration Rev. bien plus qu’une homonymie. Dans les deux cas, il s’agit de
28 oct. 2019, obs. S. Perry), annonçait que les pays de l’Union traduire dans un langage spécifique une prescription délivrée,
européenne s’étaient mis d’accord pour enterrer définitive- soit à un individu, soit à une machine. L’encodage, commun
ment les TBI intra-UE, au profit d’un nouvel acte multilatéral aux deux opérations, n’est finalement qu’une forme de translit-
dont la commission attend qu’il soit ratifié par chaque pays tération, qu’elle soit classique ou moderne. À l’heure où les
selon un procédé « smooth and swift ». Exécution ! codes se multiplient, et où il faudra bientôt un code des codes
ou un code pour accéder aux codes, les codeurs informatiques
L’entreprise de destruction de l’arbitrage d’investissement au apparaissent comme les nouveaux détenteurs du capital de la
profit d’un ersatz de procédure sous le seul contrôle des États connaissance, comme l’étaient jadis les codes qui avaient avant
continue donc. C’est à cette aune qu’il faut comprendre l’avis tout pour fonction de compiler les règles. Écriture juridique
de la CJUE du 30 avril 2019 qui, dans un geste de fausse et écriture numérique obéissent ainsi aux mêmes logiques. Les
mansuétude, considère que le système de résolution des litiges mathématiques ne sont d’ailleurs pas loin (L. Cadiet, Retour
prévu dans le traité de libre-échange entre l’UE et le Canada sur l’open data des décisions de justice. À propos d’un signal
(dit « CETA ») est compatible avec le droit communautaire faible des relations entre la justice et les mathématiques, in
(CJUE 30 avr. 2019, aff. 1/17, D. 2019. 941, 1752, entre- Études en l’honneur du Professeur Marie-Laure Mathieu ;

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Comprendre : des mathématiques au droit, éd. Bruylant, 2019, La vraie réforme eût été de permettre l’exequatur des sentences
p. 137). Il n’y a donc pas de contradiction ontologique entre le électroniques, ce qui eût supposé une modification du code de
droit et le numérique. Au contraire. procédure civile (Club des juristes, rapp. préc., spéc. p. 115
et recomm. n° 9). On sait en effet que lorsqu’une sentence
Ce qui est vrai pour le droit l’est-il également pour la jus- est présentée à l’exequatur, les articles 1487 et 1513 du code
tice ? Épouse-t-elle aussi les logiques du numérique ? Est-elle de procédure civile exigent l’« original » ou « une copie » de
soluble dans le numérique ? Ou ne doit-elle l’utiliser qu’avec la sentence. Or, dans des arbitrages exclusivement électro-
prudence et parcimonie ? Comment, en somme, articu- niques, dont les actes n’ont pas de matérialité papier, il n’existe
ler au mieux la justice et le numérique ? C’est à cette ques- pas d’originaux. S’il n’y a pas d’original, il ne peut y avoir de
tion qu’a tenté de répondre le rapport du Club des juristes, copies. On s’en sortira peut-être en soutenant qu’il n’y a que
« Arbitrage en ligne » (V. bibliographie), publié au moment des originaux ou que des copies, mais il n’en demeure pas
de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation moins que la formulation employée dans ces articles, inspirée
2018-2022 et de réforme pour la justice (JO 24 mars, texte de la Convention de New York de 1958 (art. IV, § 1er, b), est
n° 2 ; Procédures 2019, n° 6, Étude 10, obs. Y. Strickler et obsolète et devrait être toilettée. Comme le code de procédure
L. Weiller), dont il a accompagné l’élaboration. civile relève du décret et non de la loi, tout espoir est encore
permis, à l’occasion des décrets qui doivent encore être pris en
À son article 4 en effet, cette loi qui consacre une section au application de la loi.
« Développement de la culture du règlement alternatif des
différends » (V. infra) contient des dispositions spécifiques Deuxièmement, la nouvelle loi reconnaît les services d’arbi-
sur l’arbitrage en ligne et retouche pour cela la loi n° 2016- trage en ligne « par les personnes physiques ou morales », « de
1547, dite Justice du 21e siècle, du 18 novembre 2016. manière rémunérée ou non ». Même si de tels services existent
Concernant l’arbitrage, les innovations sont au nombre de déjà, cette consécration est bienvenue. D’autant qu’elle est
deux. Premièrement, la loi énonce expressément que « La assortie de deux conditions : d’une part, le respect des obliga-
sentence arbitrale peut être rendue sous forme électronique, tions relatives à la protection des données à caractère personnel
sauf opposition de l’une des parties » (nouv. art. 4-2, al. 2, de et, d’autre part, le respect de la confidentialité, « sauf accord
la L. J21). À la vérité, cette stipulation n’était pas vraiment des parties » (nouv. art. 4-2, L. 18 nov. 2016). On notera en
nécessaire car rien n’empêchait déjà une sentence électro- passant que le principe de confidentialité est réaffirmé, sans
nique, et on en trouve déjà pléthore. C’est pourquoi, il faut distinction entre l’arbitrage interne et international, ce qui,
2438 se garder ici de deux interprétations erronées. D’une part, dans la controverse existante, donne des aliments à ceux qui
il ne faudrait pas croire qu’il serait question de sentences estiment que l’arbitrage international est également confiden-
arbitrales rendues par de purs algorithmes puisque le temps tiel par principe, même si l’article 1506 du code de procédure
de l’arbitre robot n’est pas encore venu et c’est heureux. En civile ne reprend pas cette précision faite à l’article 1464 pour
effet, le Conseil constitutionnel a bien déclaré inconstitu- l’arbitrage interne. Une sanction pénale est même expressé-
tionnels les algorithmes auto-apprenants pour les décisions ment prévue en cas de violation de cette confidentialité, ainsi
administratives (Cons. const., 12 juin 2018, n° 2018-765 érigée au rang de secret professionnel.
DC, sur la loi relative à la protection des données person-
nelles, consid. 71, in fine, D. 2019. 1248, obs. E. Debaets Au demeurant, il serait vain de prétendre que ce texte ne
et N. Jacquinot ; AJDA 2018. 1191 ; RTD eur. 2018. 830, concerne que l’arbitrage interne puisqu’il vise le cas de l’arbitre
obs. D. Ritleng). A fortiori en est-il donc de même pour les personne morale, ce qui n’est possible qu’en matière interna-
décisions juridictionnelles, ce qui est d’ailleurs énoncé, de tionale. De même, il serait aussi vain de limiter la mention de
manière un peu confuse certes, par la nouvelle loi qui écarte la personne morale aux seuls centres d’arbitrage puisque le
l’arbitrage ayant pour « seul fondement un traitement algo- texte ne fait pas cette distinction et, au contraire, au nouvel
rithmique ou automatisé de données à caractère personnel » article 4-6 de la loi du 18 novembre 2016, il est exigé que ces
(nouv. art. 4-3, de la L. J21). personnes physiques ou morales « accomplissent leur mission
avec impartialité, indépendance, compétence et diligence », ce
D’autre part, dans une interprétation a contrario, il ne faudrait qui correspond à la mission de l’arbitre.
pas non plus croire que les parties ne pourraient pas s’opposer
à des sentences arbitrales non électroniques. En réalité, quelle En ce qui concerne les centres d’arbitrage en ligne, il est pré-
que soit la forme de l’arbitrage, il repose toujours entièrement cisé qu’ils pourront faire l’objet d’une certification par un
sur la volonté des parties. Celles-ci peuvent donc décider ou organisme accrédité dans des conditions fixées par décret en
non du recours à l’arbitrage, et décider sous quelle forme. La Conseil d’État (nouv. art. 4-7, L. 18 nov. 2016). À ce sujet
précision finale « sauf opposition » est en réalité issue d’un on relèvera que c’est finalement le choix d’une certification
amendement parlementaire (n° 274, présenté par la députée facultative qui a été opéré, alors qu’il a été un temps envi-
Josiane Costes, 9 oct. 2018) destiné à distinguer entre l’arbi- sagé une certification obligatoire. Cette option a en définitive
trage et la médiation et à s’assurer que les personnes réfrac- été écartée pour deux raisons aussi pragmatiques l’une que
taires au numérique pourraient quand même recourir à l’ar- l’autre. D’abord par manque de moyens face aux probables
bitrage en ligne. Cette précision était donc donnée à des fins demandes de certification, ensuite parce qu’il a été considéré
pédagogiques ; son effet juridique est nul. que le marché ferait lui-même le tri entre les organismes

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sérieux qui auront intérêt à être certifiés et les autres, dont cour d’appel répond par la négative rappelant que, dès lors
l’absence de certification sera source d’interrogations (en ce que le transfert est admis par la loi du pays d’accueil, la société
sens, V. N. Belloubet, débats au Sénat, 9 oct. 2018). On aurait réimplantée peut « se prévaloir de la clause compromissoire
pourtant pu penser que, pour les petits litiges au moins, une conclue antérieurement à ce transfert » (Paris, 20 déc. 2018,
certification obligatoire eût été opportune (Club des juristes, n° 16/25484, D. 2019. 1956, spéc. 1961, obs. L. d’Avout, et
rapp. préc., spéc. p. 77 et recomm. n° 4). 1965, obs. S. Bollée ; Clunet 2019. 800, note S. Bollée ; Rev.
arb. 2019. 472, note J.-B. Racine ; Gaz. Pal. 19 mars 2019,
Le décret fixant les conditions de certification a été pris p. 35, obs. D. Bensaude). L’arrêt est intéressant en ce que, éga-
quelques mois plus tard (Décr. n° 2019-1089 du 25 oct. lement, loin de se contenter de cette approche conflictualiste,
2019 relatif à la certification des services en ligne de concilia- il rappelle la règle matérielle classique de validité de la conven-
tion, de médiation et d’arbitrage, JO 27 oct., texte n° 4), qui tion d’arbitrage international, qui veut que « l’existence ou la
renvoie au garde des Sceaux la définition d’un référentiel de validité de la clause compromissoire dépend[e] uniquement de
certification, laquelle sera opérée par des organismes accré- l’intention commune des parties sans qu’il soit nécessaire de
dités par le Comité français d’accréditation (COFRAC) ou se référer à un droit national ». C’est comme si cette clause
l’équivalent à l’étranger. Le décret détaille ensuite la procé- était valable quel que soit l’angle sous lequel on la scrute : soit
dure de certification, qui est assez classique. l’on s’interroge d’abord sur la validité du transfert de siège
social, pour laquelle il faut prioritairement interroger la lex
En fin de compte, c’est bien l’entrée d’un arbitrage en ligne societatis et tenir compte de ses prescriptions (ici le transfert est
sécurisé dans notre ordre juridique qui est consacrée par la valable), soit on privilégie la dimension processuelle et on part
loi du 23 mars 2019. S’il a vocation à simplifier le traitement de la clause, dont on constate la validité de principe, avant de
des grands litiges, c’est surtout pour les petits litiges que cet la mettre en œuvre. Pour une fois que les approches conflic-
arbitrage en ligne devrait trouver à s’épanouir. Il n’en reste tualiste et arbitragiste convergent, on ne va pas se plaindre.
pas moins que tant les centres d’arbitrage installés depuis des
décennies, comme la Chambre de commerce internationale, C’est encore d’opposabilité qu’il est question lorsqu’il s’agit
que les legaltechs les plus récentes, comme www.madecision. d’attraire un non-signataire de la convention d’arbitrage à
com, ont désormais intérêt à solliciter et obtenir la certifica- une instance arbitrale. On est d’ailleurs obligé d’employer
tion pour leur arbitrage en ligne. cette formule neutre (« non-signataire ») car si l’on y ajoute
« partie » ou « tiers », on a déjà un parti-pris sur la solution.
B – Convention d’arbitrage Tant qu’on ne sait pas s’il est partie ou tiers, il est simplement 2439
non-signataire.
Tout comme la sentence, la convention d’arbitrage peut être

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conclue par voie électronique, sans que cela ne l’affecte, bien Toujours est-il qu’il demeure incongru, en droit civil français,
que l’écrit soit exigé à titre de validité en matière interne. La d’obliger quelqu’un qui ne l’a pas signé à exécuter un contrat
chose est établie depuis la loi du 21 juin 2004. Si la question de dont il affirme au surplus qu’il n’en a jamais voulu. Mais le
la validité de la convention d’arbitrage en général n’a pas été droit de l’arbitrage ne s’embarrasse pas de ces protestations et
saillante dans la période couverte par ce panorama, tel n’est pas surmonte la difficulté en confiant à l’arbitre le soin de décider,
le cas de trois autres points tout aussi classiques : son autono- en priorité, si la convention d’arbitrage s’applique à l’égard de
mie, son opposabilité et son extension à des non-signataires. celui qui s’en défend, sauf si la clause est manifestement nulle
ou manifestement inapplicable et que le tribunal arbitral n’est
En matière d’autonomie, la cour d’appel de Paris a eu l’occa- pas encore constitué. C’est donc souvent sur le terrain de la
sion de rappeler la règle connue qui veut que la clause n’étant compétence-compétence que la question se pose, quand bien
pas affectée par l’inefficacité de l’acte qui la contient, l’éven- même l’action intentée serait de nature délictuelle. La Cour
tuelle nullité du contrat de cession de fonds de commerce de cassation et la cour d’appel de Paris ont été récemment
résultant de l’insincérité alléguée des informations financières confrontées à ce problème, mais l’ont tranché de manière
qui avaient été fournies est sans incidence sur la validité de opposée.
la clause compromissoire. En outre, en l’espèce, la partie qui
soulevait ce moyen avait participé activement à l’arbitrage. Dans la première affaire, au nom évocateur de « Voies navi-
Elle est donc réputée avoir renoncé à se prévaloir ultérieure- gables de France », le contrat prévoyait que les litiges concer-
ment des irrégularités qu’elle s’est, en connaissance de cause, nés par le contrat d’assurance devaient être portés, à l’exclu-
abstenue d’invoquer devant l’arbitre (Paris, 22 janv. 2019, sion des juridictions ordinaires, devant un tribunal arbitral
n° 16/23370, D. actu. 6 mars 2019, obs. J. Jourdan-Marques). de Hambourg et réglés selon les règlements de la German
Rien de neuf. Maritime Arbitrators Association. Malgré cela, les victimes de
l’accident fluvial à l’origine du différend intentèrent une action
En matière d’opposabilité, un arrêt de la même chambre s’est directe contre les assureurs devant le tribunal de commerce
prononcé sur la question de la continuité de la personne morale. de Nancy qui se reconnut compétent. Infirmation par la cour
Dans cette affaire, il s’agissait de savoir si le transfert du siège d’appel, approuvée par la Cour de cassation qui estime que
social de la société d’un pays (Cameroun) à un autre (Belgique) la clause compromissoire n’était pas manifestement inappli-
la privait du droit d’invoquer la clause compromissoire. La cable puisqu’accessoire du droit d’action et qu’elle était donc

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opposable aux victimes (Civ. 1re, 19 déc. 2018, n° 17-28.951, compétence à l’arbitre (Paris, 25 oct. 2006, Rev. arb. 2008.
RGDA 2019. 39, note R. Schulz ; DMF 2019. 114, obs. 677, note O. Cachard). Si un pourvoi est intenté et si la Cour
P. Delebecque ; D. actu. 28 févr. 2019, note V. Chantebout, et de cassation applique sa solution du 19 décembre 2018 ci-des-
6 mars 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; Gaz. Pal. 19 mars 2019, sus commentée, cet arrêt du 14 octobre 2019 n’a sans doute
p. 34, obs. D. Bensaude ; JCP 2019. 792, obs. S. Choisez). qu’une espérance de vie limitée…
Avouons que c’est aller très loin dans l’application du prin-
cipe compétence-compétence (en ce sens, V. Chantebout C – Tribunal arbitral
et J. Jourdan-Marques, préc.) puisque les victimes n’avaient
aucun lien avec le contrat entre assureur et assuré et que, au 1 – Libre choix
surplus, elles agissaient en responsabilité délictuelle. Il n’y
avait ainsi rien de contractuel ici. Pourtant, la clause compro- Un miracle s’est opéré à Luxembourg : un arrêt favorable à
missoire leur est opposée pour la raison qu’elle figure dans le l’arbitrage a été rendu par la CJUE qui a bien voulu considérer
contrat conclu entre assureur et assuré et que c’est ce contrat que l’arbitrage ne devait pas être considéré à l’égal des billets
qui fonde l’action engagée. La clause n’est donc pas manifeste- de transport, appareil hygiénique ou autres fluides, et qu’il
ment inapplicable, et c’est au tribunal arbitral de dire s’il est ou pouvait donc être extrait du champ d’application de la direc-
non compétent, ce qui est plus strict car une clause peut ne pas tive relative aux règles de passation des marchés publics (CJUE
être manifestement nulle ou inapplicable, à première vue, sans 6 juin 2019, aff. C-264/18, AJCT 2019. 510, obs. A. Bercis-
pour autant être valable en seconde analyse, plus approfondie, Gaugain ; JCP A 2019. Actu. 435 ; D. actu. 23 juill. 2019,
menée par celui-là même qui est investi pour cela : l’arbitre. obs. J. Jourdan-Marques ; Europe 2019. 329, obs. V. Michel ;
Rev. CMP 2019. 256, obs. W. Zimmer ; Gaz. Pal. 19 nov.
C’est pourtant ce qu’a refusé de constater la cour d’appel de 2019, p. 18, obs. D. Bensaude). En effet, à la suite d’une ques-
Paris dans une autre affaire (Paris, pôle 5, ch. 10, 14 oct. tion préjudicielle posée par la Cour constitutionnelle belge,
2019, n° 19/01346, D. actu. 29 oct. 2019, obs. J. Jourdan- en appréciation de la validité de l’article 10 de la directive
Marques). En l’espèce, l’arrêt confirme l’ordonnance d’un juge 2014/24/UE portant exclusion des services d’arbitrage et de
de la mise en état considérant que la clause compromissoire conciliation et de certains services juridiques (comme la repré-
conclue entre deux sociétés est inapplicable au dirigeant de sentation légale d’un client par un avocat) des procédures de
l’une d’elles dès lors que « l’opposabilité de la clause com- passation des marchés publics, la CJUE a déclaré qu’une telle
promissoire suppose que le tiers vienne aux droits de la partie exclusion était valable et compatible avec les principes d’éga-
2440 signataire de la clause compromissoire, ou justifie de liens lité de traitement et de subsidiarité, ainsi qu’avec les articles 49
contractuels indirects avec le contrat d’origine ». L’action était et 56 du TFUE portant sur la libre-prestation de services et
de nature délictuelle, la faute consistant dans le détournement sur la liberté d’établissement. Elle l’a formulé ainsi : « C’est
des dispositions contractuelles aboutissant à l’absence de paie- sans porter atteinte au principe de l’égalité de traitement que
ment des honoraires dus, et selon l’ordonnance attaquée, « la le législateur de l’Union a pu, dans le cadre de son pouvoir
demande de dommage et intérêts en réparation du préjudice d’appréciation, écarter les services visés à l’article 10, sous
découlant d’une faute du dirigeant ayant permis à la société c), de la directive 2014/24 du champ d’application de cette
de ne pas payer le règlement des honoraires ne relève pas de dernière » (§ 33). La CJUE relève que les arbitres doivent
l’exécution des conventions », ni par conséquent de la clause toujours être acceptés par les parties en litige et que donc
compromissoire. La cour d’appel rappelle la nature délictuelle leur sélection ne pourrait être soumise à des règles de passa-
de l’action mais ne semble pas s’appuyer sur cette considéra- tion de marchés publics. En conséquence, l’organisme public
tion pour rejeter l’exception d’incompétence du tribunal de qui lancerait une procédure de passation de marchés publics
grande instance de Paris. Elle s’appuie sur la qualité de tiers et pour un tel service d’arbitrage (ou de conciliation) ne pourrait
sur le fait que la simple connaissance de la clause ne suffit pas imposer à l’autre partie l’adjudicataire de ce marché en tant
à la rendre opposable au dirigeant. qu’arbitre (ou conciliateur) commun. Ces services juridiques
impliquent un fort intuitu personae dans le choix du prestataire
Pourtant, la jurisprudence a déjà jugé le contraire, en matière et des échanges confidentiels, incompatibles avec le système de
d’extension de la convention d’arbitrage au dirigeant de passation des marchés publics. On ne saurait mieux dire. Ne
société (Com. 8 nov. 2005, n° 03-14.630, Rev. arb. 2006. 709, reste plus qu’à cesser d’entraver l’arbitrage dans le contentieux
note F.-X. Train ; Civ. 1re, 22 oct. 2008, n° 07-18.744, D. 2009. public.
2959, spéc. 2962, obs. T. Clay ; Rev. sociétés 2009. 363, note
B. Saintourens, et 618, note J. El Ahdab ; RTD com. 2009. 2 – Compétence
149, obs. C. Champaud et D. Danet ; JCP 2008. I. 222, § 2,
obs. J. Ortscheidt ; LPA 2009, n° 53, p. 3, note A. Constantin ; La compétence du tribunal arbitral est une question à choix
Bull. Joly avr. 2008, p. 360, § 70, note P. Le Cannu). Mais multiples. Certaines sont classiques, comme l’étendue de
surtout, ainsi qu’on l’a déjà relevé, cette question de l’opposa- cette compétence, c’est-à-dire jusqu’où elle va, d’autres sont
bilité de la clause compromissoire revient en principe au tri- plus récentes et nous viennent de l’arbitrage d’investissement
bunal arbitral en vertu du principe compétence-compétence, qui, à chaque affaire pratiquement, interroge la compétence
la clause n’étant pas a priori manifestement inapplicable, la ratione materiae et/ou ratione temporis du tribunal arbitral, ce
nature délictuelle de l’action ne pouvant suffire à retirer cette qui conduit les juridictions judiciaires à rechercher, selon la

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formule consacrée, « tous les éléments de droit ou de fait les juridictions judiciaires (Paris, 10 sept. 2019, n° 17/10639,
permettant d’apprécier la portée de la convention d’arbitrage Gaz. Pal. 19 nov. 2019, p. 20, obs. D. Bensaude). Si le prin-
et d’en déduire les conséquences sur le respect de la mission cipe demeure que le remboursement des seuls frais engagés
confiée aux arbitres », auquel elle ajoute désormais parfois : devant le tribunal puisse être sollicité, il n’est en réalité pas
« Il n’en va pas différemment lorsque les arbitres sont saisis sur choquant que la sentence arbitrale solde en quelque sorte
le fondement des stipulations d’un traité ». tous les frais nécessaires pour parvenir à l’exécution de la sen-
tence, au moins tant que les juridictions judiciaires se conten-
Les frais de l’arbitrage constituent, on le sait, une préoccupa- teront de condamnations aux frais irrépétibles aux montants
tion importante, et l’on attend de l’arbitre qu’il statue sur leur symboliques.
prise en charge définitive. En principe, la partie qui triomphe
ne devrait rien avoir à conserver à sa charge, ni frais d’arbitrage En matière d’arbitrage d’investissement, la question de la
ni frais de défense. La question qui se pose est celle de savoir compétence s’est posée dans deux affaires qui concernent
jusqu’où va la compétence de l’arbitre pour statuer sur les le Venezuela. La première, déjà évoquée dans ces colonnes,
frais. L’enjeu peut être déterminant car il arrive que les frais posait un problème de compétence ratione materiae en raison
de l’arbitrage soient supérieurs au montant du litige. Et on se de la double nationalité des investisseurs. La cour d’appel de
souvient que la cour d’appel de Paris avait refusé l’année der- Paris avait partiellement annulé la sentence ayant retenu que
nière qu’un tribunal arbitral puisse être compétent pour sta- les actifs litigieux étaient bien des investissements au sens du
tuer sur les frais d’exécution d’une précédente sentence entre TBI applicable, sans considération de la nationalité des inves-
les mêmes parties, à partir de la même convention d’arbitrage tisseurs à la date des investissements, ce qui avait permis l’exe-
(Paris, 13 nov. 2018, n° 16/16608, D. 2018. 2448, spéc. 2453, quatur de la sentence pour la partie non annulée (Paris, 25 avr.
obs. T. Clay ; Gaz. Pal. 19 mars 2019, p. 38, obs. D. Bensaude), 2017, n° 15/01040, D. 2017. 2559, spéc. 2563, obs. T. Clay ;
ce qui avait pu être critiqué en ce que cela donnait une sorte Rev. arb. 2017. 648, obs. M. Laazouzi ; Cah. arb. 2017. 674,
de prime à la partie de mauvaise foi (ce Pan. D. 2018, 2448). note W. Ben Hamida ; Gaz. Pal. 18 juill. 2017, p. 31, obs.
C’est cette même partie qui, dans une autre affaire, avait allé- D. Bensaude), alors que la Cour de cassation estime ici que
gué des « frais de représentation » que le tribunal arbitral avait la sentence aurait dû être annulée dans son ensemble à partir
cette fois mis à la charge de son adversaire qui avait succombé. du moment où il suffit qu’une seule des conditions requises
Elle eut plus de chance cette année car, invoquant à la fois ne soit pas remplie (Civ. 1re, 13 févr. 2019, n° 17-25.851,
l’ultra petita et les punitives damages qui seraient contraires à D. actu. 17 avr. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; Rev. arb.
l’ordre public international, son adversaire voit son recours 2019. 571, obs. S. Lemaire ; Gaz. Pal. 2 juill. 2019, p. 21, obs. 2441
en annulation rejeté (Paris, 25 juin 2019, n° 16/04150, D. Bensaude). Il s’agit donc d’une censure qui ne se prononce
D. actu. 23 juill. 2019, obs. J. Jourdan-Marques). Il faut dire pas sur la question de la double nationalité. Ce sera à la cour

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que la particularité de cette affaire était que cette partie (dont d’appel de renvoi de le faire.
le dirigeant était avocat) s’était défendue elle-même et avait
comptabilisé les heures effectuées comme frais de défense. Le Quinze jours plus tôt, c’est la cour d’appel de Paris qui s’est
calcul de ces heures avait été établi par elle-même en tenant prononcée dans la seconde affaire concernant le Venezuela
compte de ce qu’elle n’avait pas facturé à d’autres clients pen- à propos de contestation de la compétence ratione temporis
dant le temps qu’elle consacrait à sa défense, sur la base d’un cette fois. Le moyen soulevé était audacieux : il revenait à
tarif horaire qu’elle avait fixé. Cela peut paraître très subjectif, considérer que dès lors que l’offre d’arbitrage contenue dans
mais n’est pas tellement différent au fond de la pratique des le TBI applicable n’avait été acceptée que sous la condition
avocats en la matière. Et la procédure arbitrale n’imposant que les faits dommageables dont la réparation était demandée
pas le ministère d’avocat, on doit pouvoir s’en passer, surtout ne pouvaient être antérieurs à plus de trois années après la
quand on est soi-même avocat, sans que cela prive du droit date où le demandeur en avait eu connaissance ou aurait dû
d’être indemnisé des frais de défense engagés, fût-ce pour soi- en avoir connaissance, le préjudice à prendre en compte était
même. S’appuyant sur le règlement d’arbitrage applicable, la celui des trois dernières années sans remonter au-delà, à l’in-
cour rappelle qu’il entre dans les prérogatives de l’arbitre de verse de ce qu’avait fait le tribunal arbitral. La cour d’appel
statuer sur les frais allégués par les parties, et que le « principe analyse alors en détail le raisonnement du tribunal relatif à
d’une condamnation à des dommages et intérêts punitifs n’est la détermination du préjudice subi par l’investisseur et juge
pas, en soi, contraire à l’ordre public ». Le recourant n’éta- fondé le grief d’incompétence, estimant que le tribunal arbi-
blissant pas en quoi la fixation des frais de représentation de tral a implicitement réparé des préjudices non compris dans
la société au regard du préjudice subi par cette dernière et des son champ de compétence ratione temporis car antérieurs de
manquements du débiteur à ses propres obligations heurtait en plus de trois ans à sa saisine et annule la sentence d’autant
l’espèce de manière manifeste, effective et concrète la concep- (Paris, 29 janv. 2019, n° 16/20822, Rev. arb. 2019. 250,
tion française de l’ordre public international, la condamnation note M. Audit, et 584, obs. M. Laazouzi ; Cah. arb. 2019.
aux frais allégués est admise par la cour d’appel. 87, obs. T. Portwood et R. Dethomas ; D. actu. 6 mars 2019,
obs. J. Jourdan-Marques ; Gaz. Pal. 2 juill. 2019, p. 21, obs.
Quelques semaines plus tard, la même cour est allée encore D. Bensaude). La cour opère ainsi un contrôle très approfondi
plus loin en admettant que les frais invoqués puissent couvrir de la compétence des arbitres. Il n’est pas interdit de penser
d’autres procédures antérieures à l’arbitrage y compris devant que ce contrôle est excessif, voire inapproprié car, comme l’a

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bien montré un auteur, la question relevait finalement plus M. Henry ; Gaz. Pal. 13-15 déc. 2009 ; Cah. arb. 2009/4. 6,
d’un problème de recevabilité que de compétence, du moins obs. L. Degos ; Bull. ASA 2009. 520, note P. Schweizer ;
selon le droit processuel français duquel la cour ne peut pas Spain Arb. Rev. 2009/6, p. 155, note A. Muñoz et T. Parigot ;
s’estimer totalement étrangère, même si elle s’abrite dans cet Arbitraje. Revista de arbitraje commercial y de inversiones 2010-2,
arrêt sous « le droit international public » (M. Audit : note vol. III, p. 597, obs. J.-C. Fernandez-Rozas). L’obligation de
préc.). D’autant que, dans une autre partie de l’arrêt, la cour révélation a ainsi occupé une place de plus en plus centrale
d’appel rejette l’allégation de violation du processus obliga- dans l’examen de l’indépendance de l’arbitre, au point qu’on a
toire de conciliation préalable au juste motif qu’il s’agissait pu même penser un temps que celle-là avait remplacé celle-ci.
d’une question de recevabilité et non pas de compétence et que Mais un second remplacement s’est ensuite opéré puisque la
ce motif ne faisait pas partie des cas d’ouverture du recours en question du contenu de la révélation a, à son tour, semblé
annulation. Dommage donc que la cour n’ait pas appliqué le secondaire par rapport à celle de savoir si celui qui se prévalait
même raisonnement au calcul du préjudice. d’une révélation incomplète avait réagi assez tôt. Au fond,
avant de se demander si la révélation avait été complète, on
3 – Indépendance s’interrogeait sur le temps de réaction pour soulever le grief.

En matière d’indépendance de l’arbitre, deux arrêts impor- Aujourd’hui, la question n’est donc plus de savoir si l’arbitre
tants ont été rendus par la Cour de cassation dans la période est indépendant ou non, elle n’est même plus de savoir si le
sous panorama. À quelques mois d’intervalle en effet, la pre- contenu de la révélation était complet ou non, elle consiste
mière chambre civile s’est à nouveau prononcée sur l’obliga- à se demander si la réaction a été assez rapide, faisant fi de la
tion de révélation de l’arbitre dont les contours n’en finissent réalité de l’indépendance. L’affaire Tecnimont aura donc permis
pas d’interroger. le déplacement de l’indépendance à la révélation et de la révé-
lation à la réaction.
Sauf à vouloir insulter le lecteur, on ne reviendra pas ici sur les
faits de la première affaire vu la place qu’elle occupe dans les Reste à savoir à quoi il convient de réagir, et, sur ce point, le
écrits en droit de l’arbitrage depuis près d’une décennie main- droit positif est approximatif. Pour résumer, on dira – quoi
tenant puisqu’il s’agit du sixième arrêt rendu dans cette célèbre qu’on en pense – que ce qui est notoire est dispensé de révé-
affaire Tecnimont. On renverra pour le détail à notre note lation au seuil de l’instance. Ce concept étant éminemment
publiée ailleurs (Cah. arb. 2019, n° 3, à paraître). Retenons subjectif, et à nos yeux approximatif, la formule employée
2442 simplement que dans cette affaire, après six arrêts, trois de pour le définir est négative : n’est pas notoire ce qui suppose
cours d’appel et trois de la Cour de cassation, la sentence pré- « un dépouillement systématique des sources susceptibles de
liminaire sur le principe du préjudice rendue le 10 décembre mentionner le nom de l’arbitre et des personnes qui lui sont
2007 a finalement été maintenue, non pas parce que l’arbitre liées » (Paris, 27 mars 2018, n° 16/09386, D. 2018. 2448, spéc.
aurait été en définitive indépendant, mais parce que le délai 2455, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2019. 522, note L.-C. Delanoy ;
contractuel de trente jours pour contester à l’origine cette Gaz. Pal. 24 juill. 2018, p. 19, obs. D. Bensaude ; RLDA 2018.
indépendance n’avait pas été respecté (Civ. 1re, 19 déc. 2018, 138, obs. H. Guyader ; Global Arbitration Rev. 29 mars 2018,
n° 16-18.349, D. 2019. 24 ; Procédures 2019. Étude 8, obs. obs. A. Ross). Mais ce même arrêt précisait que, une fois, l’ins-
L. Weiller ; JCP E 2019. 177, note A. Constans ; D. actu. tance engagée, et le travail d’investigation en quelque sorte
29 janv. 2019, obs. J. Jourdan-Marques, et 1er févr. 2019, accompli, la confiance s’étant installée, les parties n’étaient
obs. C. Debourg ; LEDC mars 2019, n° 112C7, p. 2, note plus tenues de procéder à la moindre recherche, même à
S. Pellet). Avec cette décision, la question n’est plus de savoir l’égard de nouveaux faits notoires, que l’arbitre devait leur
si les faits non révélés portent ou non atteinte à l’indépendance révéler spontanément. En l’espèce, l’arbitre ne l’avait pas fait
de l’arbitre, mais s’ils ont été soulevés à temps. À ne pas l’être, et la sentence fut annulée de ce chef.
ils prennent le risque d’être désamorcés. On y verra une consé-
cration du devoir de réaction, qui d’ailleurs irrigue désormais L’arrêt Tecnimont de la Cour de cassation du 19 décembre 2018
bien d’autres branches du droit (Réactivité et adaptation dans semble revenir sur ce point lorsqu’il énonce que, après l’écou-
la vie des affaires, n° spéc. Gaz. Pal. 19 juin 2019 ; et, pour lement du délai de récusation, « aucune information complé-
l’arbitrage, T. Clay, La réactivité dans l’arbitrage, p. 51). mentaire, qui ne fût notoire, [a] été entre-temps découverte »
(nous soulignons), ce qui permet de maintenir la sentence.
C’est donc un devoir de réaction à la force décuplée qui est En d’autres termes, auraient été dispensés de révélation les
ici consacré puisqu’il emporte avec lui la question de la réa- éléments nouveaux apparus en cours d’instance dès lors qu’ils
lité ou non de l’indépendance de l’arbitre. Alors qu’on s’in- sont notoires. Il s’agit donc d’une extension de la dispense de
terrogeait auparavant sur l’indépendance réelle de l’arbitre, révélation au titre de la notoriété, non plus seulement au seuil
ce questionnement a progressivement été supplanté par la de l’instance arbitrale, mais y compris pendant celle-ci.
question de savoir si ce qui était reproché à l’arbitre avait ou
non été préalablement dévoilé par celui-ci, dont le premier Sauf que, depuis cet arrêt, la Cour de cassation s’est prononcée
arrêt Tecnimont a été le point culminant (Paris, 12 févr. 2009, sur l’affaire Volkswagen précitée. Sans revenir sur les faits de
n° 07/22164, D. 2009. 2959, spéc. 2964, obs. T. Clay ; Rev. l’espèce, retenons que la sentence a été annulée au motif que
arb. 2009. 186, note T. Clay ; LPA 2009, n° 144, p. 4, note les faits non révélés qui concernaient, comme dans l’affaire

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Tecnimont, le cabinet d’avocats d’un arbitre et une des parties, d’instance, ce qui a immanquablement entraîné sa récusation
n’ont pas été considérés comme suffisamment notoires pour pour manque d’impartialité. Et on peut en effet comprendre
être dispensés de révélation alors qu’ils étaient apparus après qu’il est compliqué d’être le juge d’une partie avec laquelle
le début de l’instance arbitrale. La Cour de cassation rejette on est par ailleurs en procès. Le deuxième arbitre est parvenu
le pourvoi en recopiant les formules employées par les juges à ne pas rendre sa sentence définitive dans les délais, et s’est
du fond (Civ. 1re, 3 oct. 2019, n° 18-15.756, D. actu. 29 oct. donc trouvé dessaisi. Quant au troisième arbitre, il a rendu une
2019, obs. J. Jourdan-Marques), alors que l’application de la sentence qui a été partiellement annulée par la cour d’appel,
solution Tecnimont aurait dû la conduire à casser l’arrêt d’appel et le pourvoi formé contre cet arrêt fut frappé de déchéance.
puisque, précisément, le fait litigieux postérieur au début de Voilà bien une affaire qui ne serait pas du meilleur choix pour
l’instance était notoire. En d’autres termes, on ne sait plus si le promouvoir l’arbitrage.
devoir d’investigation, qui s’arrête à la notoriété des faits non
révélés, se poursuit ou non après le début de l’instance. Mais, pour atypique qu’elle soit, l’affaire n’en donne pas moins
lieu à un arrêt très intéressant parce que ce fiasco a suscité
Dans l’hypothèse où la solution Tecnimont serait retenue, et la recherche de la responsabilité civile des protagonistes du
non celle de Volkswagen, cela irait à contre-courant de vingt ans dossier (arbitres et centre d’arbitrage). Le tribunal de grande
de jurisprudence toujours plus exigeante en matière d’indépen- instance de Paris condamna in solidum les deux premiers
dance de l’arbitre. Mais ce serait surtout aussi contre-nature arbitres et le centre d’arbitrage au titre des frais et honoraires
dès lors que ce sont les parties qui sont créancières de l’obli- d’arbitrage, mais rejeta la demande d’indemnisation, ce qui
gation, et même plus généralement de l’arbitrage, ce qu’on a déclencha un appel plus gourmand, réclamant notamment le
parfois tendance à oublier. Ce n’est donc pas aux parties de remboursement de tous les honoraires d’avocats, l’indemni-
rechercher si l’obligation de « déclaration », comme l’a rebap- sation du préjudice financier résultant, d’une part, de la perte
tisée un auteur (L.-C. Delanoy, note préc., spéc. n° 16-24), a de chance d’être jugé dans un délai raisonnable et, d’autre
été correctement remplie par celui-là même qui la leur doit. part, du temps consacré à l’arbitrage au détriment de l’activité
Et Laura Weiller d’énoncer à ce sujet avec force qu’« il n’est professionnelle.
sans doute guère pertinent d’imposer un devoir d’investigation
général postérieurement au début de l’instance arbitrale, sauf À l’égard du premier arbitre, la cour répond qu’il a manqué non
à ruiner l’esprit de confiance et de sérénité qui doit présider seulement à son obligation d’indépendance et d’impartialité, ce
dans toute forme de procès, lequel y puise aussi sa légitimité » qui est classique, mais aussi à son obligation de loyauté, ce qui
(note ss l’arrêt, préc.). est inédit. C’est en effet la première fois, à notre connaissance, 2443
que cette obligation est ainsi consacrée en jurisprudence pour
D’autant qu’il est fictif de croire que l’information est automa- l’arbitre. On notera d’ailleurs que le nouvel article 1464 du

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tiquement accessible et publique au prétexte qu’on la trouve code de procédure civile, qui incorpore le principe de loyauté,
dans un des recoins du web. La googlelisation ne peut tenir n’était pas applicable ici car l’affaire était antérieure, et que la
lieu de viatique au régime de l’indépendance de l’arbitre. Il y cour mentionne pourtant cette obligation, lui conférant ainsi
a ici une inversion des valeurs dont on n’a pas fini de mesurer une source prétorienne qui, pour venir chronologiquement
l’effet nocif, sinon « délétère » comme l’a qualifié un auteur après la codification, est une consécration rétrospective. Mais la
(A. Constans, note préc.). À force d’alléger sans cesse les obli- cour va plus loin et dénonce « l’initiative intempestive et fautive
gations des arbitres, on finira par se demander s’ils servent de l’arbitre qui empêchait que l’instance arbitrale se poursuive
encore à quelque chose. devant lui dans des conditions garantissant la loyauté et l’im-
partialité attendues d’un arbitre ».
D – Responsabilité de l’arbitre
et du centre d’arbitrage À l’égard du deuxième arbitre, la cour reproche, non pas
d’avoir dépassé le délai, mais de ne pas avoir sollicité de pro-
La question de la responsabilité civile des arbitres n’est plus rogation. On sait en effet que, depuis un arrêt de la Cour
nouvelle et, année après année, ce panorama s’en fait l’écho. de cassation (Civ. 1re, 6 déc. 2005, n° 03-13.116, Bull. civ. I,
Il est en revanche plus rare qu’elle soit mêlée à celle du centre n° 462 ; D. 2006. 274, note P.-Y. Gautier, et 3026, spéc.
d’arbitrage. Trois nouveaux arrêts de la cour d’appel de Paris 3031, obs. T. Clay ; RTD civ. 2006. 144, obs. P. Théry ; RTD
viennent abonder cette chronique de la responsabilité civile, com. 2006. 299, obs. E. Loquin ; JCP 2006. II. 10066, note
des arbitres, des centres d’arbitrage, et même des deux réunis. T. Clay ; Rev. arb. 2006. 126, note C. Jarrosson ; JCP E 2006.
On commencera par ce cumul, inédit. 1284, note G. Chabot, et 1395, obs. J. Paillusseau ; RLDC
avr. 2006, p. 14, note F.-X. Train ; Rev. contrats 2006. 812,
Trois arbitres pour un tribunal composé d’un seul arbitre ! obs. G. Viney ; SIAR 2006, n° 1, p. 149, note L. Degos), il pèse
C’est l’équation impossible qui a donné lieu à la première sur l’arbitre une obligation de résultat de demander la proro-
affaire (Paris, 2 avr. 2019, n° 16/00136, D. actu. 17 avr. 2019, gation de délai, alors que la nature de l’obligation de rendre
obs. J. Jourdan-Marques ; Gaz. Pal. 2 juill. 2019, p. 24, obs. la sentence dans les délais n’est qu’une obligation de moyens.
D. Bensaude). En l’espèce, trois arbitres uniques se sont suc- Pour sa défense, l’arbitre invoque la prorogation tacite par les
cédé. Le premier a jugé pertinent d’agir devant le juge d’appui parties, sans être en mesure d’en rapporter la preuve. Il est
en paiement d’honoraires contre une des parties, en cours également condamné.

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À l’égard du centre d’arbitrage, la cour entre dans une analyse Doctr. 255, note E. Loquin, et Doctr. 857, obs. J. Ortscheidt ;
contractuelle plus sophistiquée pour refuser toute solidarité RLDC juin 2014, p. 23, note H. Slim ; Gaz. Pal. 17 avr.
conventionnelle ou légale entre arbitres et centres d’arbitrage 2014, n° 107, note M. Mekki, et 27-28 juin 2014, p. 18, obs.
car le contrat d’arbitre, de chaque arbitre avec les parties, ne D. Bensaude ; LPA 2014, n° 215, p. 14, obs. L. Degos), reprise
se confond pas avec le contrat d’organisation de l’arbitrage, ici, comme elle l’avait été en première instance dans cette
du centre d’arbitrage avec les parties. On adhérera à cette affaire (TGI Paris, 22 mai 2017, n° 14/14717, D. 2017. 2559,
approche qui paraît d’une parfaite orthodoxie juridique. La spéc. 2568, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2017. 977, note J.-Y. Garaud
cour retient ensuite la responsabilité du centre dans la gestion et G. de Rancourt), alors que le centre d’arbitrage n’exer-
financière de l’arbitrage, mais écarte sa responsabilité sur la çant aucune mission juridictionnelle, il ne peut prétendre à
question des délais, estimant qu’il ne pesait pas sur le centre aucune immunité s’il faillit dans l’exécution de ses obligations
l’obligation de prendre l’initiative de proroger le délai. Voilà contractuelles. En l’espèce, il n’avait pas assuré un échange
qui intéressera les centres d’arbitrage qui prorogent automati- contradictoire entre les parties, ce qui avait entraîné l’annula-
quement les délais des arbitres. tion de la sentence. Or comme il ressortait de son règlement
d’arbitrage qu’il avait cette obligation, sa responsabilité civile
Enfin, en ce qui concerne les préjudices, la cour estime que contractuelle sur le fondement du contrat d’organisation de
l’appelante a « droit à la réparation intégrale de son dom- l’arbitrage est engagée. Cette solution est, elle aussi, rigoureu-
mage » et que, même si « la représentation par avocat n’est pas sement identique à une précédente (TGI Nanterre, 1er juill.
obligatoire lors d’une procédure d’arbitrage », les honoraires 2010, n° 07/13724, D. 2011. 3023, spéc. 3030, obs. T. Clay ;
d’avocat doivent être indemnisés, tels qu’ils ont été évalués Cah. arb. 2011. 401, note P. Stoffel-Munck ; JCP 2010. I.
par le bâtonnier. Cependant, la cour écarte une partie des 1286, § 8, obs. J. Ortscheidt ; LPA 2011, n° 227, p. 15, note
honoraires exposés devant les deux premiers arbitres au motif C. Catino).
que, même si leurs missions ont avorté, le troisième arbitre a
pu en partie profiter du travail accompli par ses prédécesseurs. E – Procédure judiciaire
La cour procède à un calcul forfaitaire des honoraires devant
être remboursés et écarte pour finir les préjudices financiers 1 – Spécialisation des juridictions
allégués, faute d’être étayés – ce qui peut sembler sévère,
notamment pour ce qui concerne la perte de chance d’être Après les efforts fournis pour offrir au tribunal de commerce
jugé dans un délai raisonnable. Pour finir, la Cour juge que les de Paris, puis à la cour d’appel de Paris, des chambres interna-
2444 fautes du premier arbitre sont autonomes et donneront lieu tionales qui importent les méthodes de l’arbitrage pour traiter
à condamnation spécifique, alors que les fautes du deuxième les questions internationales, ainsi que les recours en matière
arbitre et du centre d’arbitrage sont indissociables et seront d’arbitrage, c’est au tour des autres juridictions françaises de
donc indemnisées in solidum. À eux de se débrouiller ensuite tenir compte des spécificités de l’arbitrage. Pris en applica-
pour se répartir la charge finale de leur incurie. tion des articles 95 et 103 de la loi n° 2019-222 du 23 mars
2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la jus-
Les deux autres affaires où la responsabilité civile des acteurs tice, déjà évoquée, le décret n° 2019-912 du 30 août 2019
de l’arbitrage a été recherchée peuvent être rapprochées car modifiant le code de l’organisation judiciaire énonce ceci
il s’agissait, dans les deux cas, d’un même grief : la violation à son article 3 : « Art. R. 211-4.-I. – En matière civile, les
du principe du contradictoire, reproché à l’arbitre (Paris, tribunaux judiciaires spécialement désignés sur le fondement
21 mai 2019, n° 17/12238, Gaz. Pal. 2 juill. 2019, p. 18, de l’article L. 211-9-3 connaissent seuls, dans l’ensemble du
obs. D. Bensaude ; D. actu. 17 juill. 2019, obs. L. Jandard) département ou, dans les conditions prévues au III de l’ar-
et au centre d’arbitrage (Paris, 19 févr. 2019, n° 17/16113, ticle L. 211-9-3, dans deux départements, de l’une ou plusieurs
Gaz. Pal. 2 juill. 2019, p. 25, obs. D. Bensaude). Les solutions des compétences suivantes : 10° Sauf stipulation contraire des
retenues sont conformes à la jurisprudence antérieure en exo- parties et sous réserve de la compétence du tribunal judiciaire
nérant l’arbitre, mais pas le centre d’arbitrage. Certes, présen- de Paris ou de son président en matière d’arbitrage internatio-
tées ainsi, ces décisions pourraient surprendre puisque c’est nal ainsi que de la compétence de la cour d’appel ou de son pre-
l’arbitre qui juge, et sur lequel le principe du contradictoire mier président en matière de voies de recours, des demandes
pèse au premier chef, et non pas le centre d’arbitrage. Mais en fondées sur le Livre IV du code de procédure civile » (JO
réalité ces solutions sont logiques car les situations ne sont pas 1er sept. 2019, D. actu. 29 oct. 2019, obs. J. Jourdan-Marques).
les mêmes : l’arbitre est investi d’une mission juridictionnelle
qui lui confère une immunité, sauf « une faute personnelle Concrètement, derrière ce phrasé abscons, on comprend que
équipollente au dol ou constitutive d’une fraude, d’une faute le contentieux de l’arbitrage de première instance en province
lourde ou d’un déni de justice », selon la formule du célèbre sera regroupé dans certains des tribunaux judiciaires iden-
arrêt Azran (Civ. 1re, 15 janv. 2014, n° 11-17.196, Bull. civ. I, tifiés. Mais, pour ce qui concerne l’arbitrage, cette réforme
n° 1 ; D. 2014. 219, obs. X. Delpech, et 2541, obs. T. Clay ; pourrait sembler fictive dès lors que les parties qui choisissent
AJCA 2014. 35, obs. M. de Fontmichel ; RTD com. 2014. l’arbitrage écartent en même temps la juridiction étatique.
315, obs. E. Loquin ; AJCA 2014. 35, obs. M. de Fontmichel ; Celle-ci ne revient dans le jeu, et encore partiellement, qu’en
Rev. arb. 2016. 493, note J.-S. Borghetti ; Cah. arb. 2014. appel. Cette réforme a-t-elle alors un réel champ d’applica-
299, note L. Aynès ; JCP 2014. 231, avis av. gén. P. Chevalier, tion ? Pour répondre, on doit envisager les différents juges de

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première instance susceptibles d’intervenir à l’occasion d’un C’est d’abord un arrêt de la Cour de cassation qui considère
arbitrage. Ils sont au nombre de cinq : le juge d’appui, bien que les parties ont l’obligation de saisir le juge d’appui d’une
sûr, mais aussi le juge de l’exequatur, le juge des référés, le demande de nomination du troisième arbitre si le délai imparti
juge de l’exécution et le juge de droit commun en matière de pour constituer le tribunal arbitral est dépassé (Civ. 1re, 19 déc.
responsabilité civile de l’arbitre, du centre d’arbitrage ou des 2018, n° 17-17.874, RTD com. 2019. 48, obs. E. Loquin ;
litigants. Il est peu probable que la réforme vise les trois der- D. actu. 6 mars 2019, obs. J. Jourdan-Marques). Même si la
niers juges cités car l’arbitrage n’y présente pas de spécificité Cour admet en l’espèce que les parties ont renoncé à invoquer
particulière et ne relève pas à proprement parler de demandes l’irrégularité du tribunal arbitral et maintient donc la sentence,
fondées sur le livre IV du code de procédure civile. La réforme cette décision présente l’inconvénient de laisser croire que
ne concerne donc, en principe, que le juge d’appui et le juge le délai de choix du président s’impose, alors que les parties
de l’exequatur. Ce dernier ayant une mission simplissime, sur peuvent bien sûr l’aménager et même y renoncer (en ce sens,
requête, et aboutissant dans 100 % des cas à accorder l’exe- V. E. Loquin, obs. préc.).
quatur, c’est, par élimination, le juge d’appui qui est visé par
cette réforme. Mais, à son égard, comme le texte le rappelle C’est ensuite un arrêt de la cour d’appel de Paris qui sanc-
lui-même, le tribunal judiciaire de Paris a déjà une compétence tionne un juge d’appui ayant refusé de désigner un arbitre
exclusive en matière internationale (C. pr. civ., art. 1505), sauf pour non-respect de la clause de médiation préalable obli-
clause contraire. Donc ce texte ne concerne que les juges d’ap- gatoire avant la saisine du juge d’appui (Paris, 6 juin 2019,
pui non parisiens pour l’arbitrage interne, et, éventuellement, n° 18/27939, D. actu. 23 juill. 2019, obs. J. Jourdan-Marques),
pour l’arbitrage international si les parties l’ont prévu, ce qui alors qu’il n’en a nullement le pouvoir puisque, d’une part,
ne se produit jamais. cela relève de la recevabilité de l’action pour l’appréciation de
laquelle l’arbitre est seul compétent et, d’autre part, cela ne
Sans le dire, cette réforme cible donc précisément les juges rend pas la clause manifestement nulle ni manifestement inap-
d’appui de province dans le contentieux de l’arbitrage interne. plicable, ce qui est pourtant une condition de la compétence
On peut le comprendre tant l’analyse des ordonnances rendues du juge d’appui (C. pr. civ., art. 1455).
témoigne souvent d’une incompréhension de l’effet négatif du
principe compétence-compétence qui oblige le juge d’appui à C’est enfin un autre arrêt de la Cour de cassation qui est
désigner un arbitre sauf si la convention d’arbitrage est mani- rendu à l’occasion d’un recours contre les décisions du juge
festement nulle ou manifestement inapplicable (C. pr. civ., d’appui (Civ. 1re, 13 févr. 2019, n° 18-10.985, Bull. civ. I,
art. 1455), et le juge du fond saisi malgré une convention n° 151 ; D. 2019. 387 ; D. actu. 6 mars 2019, obs. J. Jourdan- 2445
d’arbitrage à se déclarer incompétent, sauf si la convention Marques ; Procédures 2019. 124, note L. Weiller ; JCP 2019.
est manifestement nulle ou manifestement inapplicable et 393, note J. Ortscheidt ; JCP E 2019. 1332, obs. P. Casson).

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que le tribunal arbitral n’est pas encore constitué (C. pr. civ., On sait que la contestation des ordonnances du juge d’ap-
art. 1448). Le non-respect de cette articulation entraîne des pui obéit à un régime asymétrique puisque selon le sens de
contentieux vains qui s’arrêtent souvent à la cour d’appel, mais la décision qu’il prend, un appel sera possible ou non. S’il
qui vont parfois jusqu’à la Cour de cassation. Cela encombre désigne un arbitre, il n’y a en principe pas de recours, sauf un
inutilement ces juridictions qui finissent immanquablement appel nullité pour excès de pouvoir, créé par la jurisprudence
par renvoyer l’affaire à un tribunal arbitral. Face à cette incom- (Paris, 19 déc. 1995, RTD com. 1996. 454, obs. J.-C. Dubarry
préhension persistante, il fallait faire quelque chose et l’idée de et E. Loquin ; Rev. arb. 1996. 110, note A. Hory ; Just. n° 5,
spécialiser les juges d’appui est une bonne solution. En regrou- 1997. 349, obs. M.-C. Rivier), alors que, s’il s’y refuse, un
pant les juges d’appui dans certains tribunaux judiciaires, on appel classique est ouvert, comme une sorte de seconde
permettra une meilleure maîtrise de cette procédure, il est chance en faveur de l’arbitrage (C. pr. civ., art. 1460). En l’es-
vrai, atypique. pèce, un juge d’appui avait dit n’y avoir lieu à désignation d’un
arbitre au motif que la clause d’arbitrage était manifestement
Cette spécialisation fait d’ailleurs écho à un juge d’appui spé- nulle car elle contenait une liste de onze noms dans laquelle
cialisé installé il y a un an au tribunal judiciaire de Paris, dont le demandeur devait choisir l’arbitre unique – ce qui n’est
on a mentionné la création dans ces colonnes. pourtant nullement interdit, comme on a déjà pu le relever
(cette chronique, D. 2013. 2936, spéc. 2942). La cour d’appel
Mais si l’on voulait vraiment mettre fin à ces errements pro- a donc infirmé l’ordonnance du juge d’appui. Pourvoi fut
céduraux, c’est surtout la fonction de juge d’appui au sein des alors formé. Question : quel régime doit-il suivre ? Le régime
tribunaux de commerce – toujours possible si les parties le classique après un appel ordinaire ou un régime spécifique
souhaitent vraiment – qu’il faudrait réformer, car c’est bien après un appel-nullité ? En déclarant le pourvoi irrecevable,
plus souvent là que les erreurs sont commises. la Cour de cassation confirme une décision ancienne (Civ. 2e,
18 déc. 1996, n° 94-10.573, Bull. civ. II, n° 283 ; RTD com.
2 – Juge d’appui 1997. 435, obs. J.-C. Dubarry et E. Loquin ; Rev. arb. 1997.
361, note A. Hory ; Dr. et patr. 1997. 1681, obs. P. Laroche
On trouvera de bons exemples des spécificités de la procé- de Roussane) et opte pour cette seconde solution, de manière
dure relative au juge d’appui dans trois décisions récentes qui à la fois logique et paradoxale. Logique car il ne serait pas
montrent qu’elle n’est pas toujours maîtrisée. admissible que le pourvoi revienne sur ce qui était interdit

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au moment de l’appel. Paradoxale car, ce faisant, la Cour de 1 – Forme
cassation impose au pourvoi d’épouser le régime d’un recours,
l’appel-nullité, qui n’a finalement pas été intenté devant la On sait que la forme de la sentence n’est soumise à aucune exi-
cour d’appel. gence, qu’en théorie elle peut même être verbale (J.-B. Racine,
Droit de l’arbitrage, PUF, 2016, spéc. n° 830), et que lors-
Telle est la contrepartie du caractère asymétrique du régime qu’elle est écrite – c’est-à-dire en pratique toujours –, cela peut
des recours contre les décisions du juge d’appui. Et telle est la être sous forme électronique, comme le réaffirme le nouvel
preuve supplémentaire que ce régime n’étant pas simple, il est article 4-2, alinéa 2, de la loi J21, dans sa rédaction issue de
de bonne pratique que la fonction soit occupée par des juges la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation
spécialisés. 2018-2022 et de réforme pour la justice, déjà commentée
ci-dessus.
3 – Juge des référés
Quant à la structure de la sentence, la liberté est également de
Comme on le sait, la convention d’arbitrage n’empêche pas la mise, au point que la cour d’appel de Paris vient de rappeler
saisine du juge des référés pour solliciter des mesures conser- qu’il n’était même pas obligatoire qu’elle contienne un dispo-
vatoires, et notamment un référé-provision. Aux conditions de sitif (C. pr. civ., art. 1482), l’autorité de chose jugée attachée
droit commun s’ajoutent deux conditions propres à l’arbitrage, à la sentence peut également être logée dans les motifs de la
la seconde étant la conséquence de la première. D’une part, il décision, contrairement aux jugements puisque l’article 480
faut que le tribunal arbitral ne soit encore constitué (C. pr. civ., du code de procédure civile impose qu’elle figure dans un
art. 1449), et, d’autre part, il faut qu’il y ait urgence. C’est pour dispositif. Le moyen tiré du non-respect par le tribunal arbi-
ne pas avoir caractérisé cette urgence que la cour d’appel de tral de sa mission pour n’avoir pas sacrifié à la présentation
Paris, dans deux arrêts de juin 2019, a déclaré incompétent le judiciaire de sa sentence est donc écarté (Paris, 15 janv. 2019,
juge des référés de deux tribunaux de commerce (Paris, 6 juin n° 17/01106, Rev. arb. 2019. 455, note B. Zajdela ; D. actu.
2019, n° 18/27683 ; 26 juin 2019, n° 19/02646, D. actu. 6 mars 2019, obs. J. Jourdan-Marques). Même si la règle n’est
23 juill. 2019, obs. J. Jourdan-Marques). pas nouvelle, elle permet de rappeler que les motifs de la sen-
tence revêtent une importance particulière, supérieure à celle
De la même manière, la cour d’appel de Paris a rejeté quelques de leurs homologues des décisions judiciaires.
mois plus tard la compétence du juge des référés pour connaître
2446 des demandes d’exécution d’une sentence à l’encontre d’un 2 – Recours
tiers, en l’occurrence une banque, au motif que « cette
demande qui tend à l’exécution de la sentence arbitrale relève Si la sentence bénéficie d’une liberté totale quant à sa forme,
de la compétence exclusive du juge de l’exécution et ne peut tel n’est pas le cas des recours pour lesquels la liberté est
donc pas prospérer devant le juge des référés qui ne dispose pas relative. D’un côté, une cour d’appel a pu estimer que la
du pouvoir de statuer sur la question de savoir si la sentence dénomination erronée du recours en annulation, impropre-
arbitrale dont se prévaut la société B. constitue un titre exécu- ment baptisé « déclaration d’appel », ne le rendait pas néces-
toire et s’il est opposable à la banque » (Paris, 11 sept. 2019, sairement irrecevable dès lors qu’il résultait clairement des
n° 19/04988, D. actu. 29 oct. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; mentions que l’intention était bien de déposer un recours en
Gaz. Pal. 19 nov. 2019, p. 26, obs. D. Bensaude). annulation dont l’irrecevabilité pour mauvaise dénomination
porterait une atteinte disproportionnée au droit au recours
C’est de la compétence territoriale du juge des référés qu’il est (Paris, 8 oct. 2019, n° 19/02239, Gaz. Pal. 19 nov. 2019,
question dans la troisième affaire ici présentée (Paris, 26 sept. p. 25, obs. D. Bensaude). Mais, d’un autre côté, dans un arrêt
2019, n° 19/04186, D. actu. 29 oct. 2019, obs. J. Jourdan- remarqué, la deuxième chambre civile de la Cour de cassa-
Marques). La cour d’appel de Paris décide que la compétence tion a refusé qu’une convention conclue entre un Barreau et
territoriale du juge des référés doit être déterminée par les une cour d’appel puisse dispenser d’utiliser le Réseau privé
règles de droit commun issues des articles 42 et suivants du virtuel des avocats (RPVA) pour déposer un recours en annu-
code de procédure civile, et non par le lieu du siège de l’arbi- lation, quand bien même les champs électroniques à rem-
trage. C’est donc une preuve supplémentaire de ce que le siège plir ne comportaient pas encore de case spécifique pour les
emporte peu d’effets juridiques, sinon de moins en moins, et recours en annulation (Civ. 2e, 26 sept. 2019, n° 18-14.708,
conforte la conception française de l’arbitrage international, D. 2019. 1891 ; JCP 2019. 1185, note L. Weiller ; D. actu.
lequel a fait de la déterritorialisation son emblème. 2 oct. 2019, obs. C. Bléry, et 29 oct. 2019, obs. J. Jourdan-
Marques ; Gaz. Pal. 19 nov. 2019, p. 25, obs. D. Bensaude,
F – Sentence arbitrale et 15 oct. 2019, p. 30, obs. C. Berlaud). La Cour de cassation
rappelle en effet que « la recevabilité du recours en annulation
Au sujet de la sentence arbitrale, l’année écoulée, si elle ne de la sentence arbitrale était conditionnée par sa remise à la
fournit pas toujours de solutions inédites, offre tout de même juridiction par la voie électronique et que les conventions
un pot-pourri de décisions sur toutes les grandes questions passées entre une cour d’appel et les barreaux de son res-
relatives aux sentences arbitrales : forme, recours, contrôle, sort, ne peuvent déroger aux dispositions de l’article 930-1
exequatur, exécution. du code de procédure civile ». Soit. Mais derrière cette belle

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proclamation solennelle, il faut que la technique suive. Or il 3 – Contrôle
suffit d’avoir déjà essayé de former un recours en annulation
par RPVA pour constater que cela relève plus du parcours du L’étendue du contrôle opéré par le juge du recours reste une
combattant en zone hostile que de l’exercice d’un droit fon- question débattue. Son intensité dépend pour l’essentiel de
damental. Le professeur Hervé Croze parle de « cauchemar l’objet contrôlé. Si c’est la compétence, le principe du contra-
pour les praticiens » (H. Croze, Procédures 2018. 321, quand dictoire ou l’ordre public, alors le contrôle est plus ou moins
notre collègue Laura Weiller en souligne les effets pervers appuyé. Mais si c’est le respect de la mission ou la motivation,
avec, ensuite, « la persistance d’un contentieux aussi stérile alors le contrôle est allégé. Enfin, si c’est le fond de la décision,
qu’irritant », note préc.). il n’y a pas de contrôle, en principe.

Au-delà de la forme du recours, deux questions, assez clas- En ce qui concerne la motivation, la cour d’appel de Paris a
siques, ont été soulevées cette année : l’une relative à la rece- rendu deux arrêts qui changent un peu la donne. En premier
vabilité, l’autre au fond. La cour d’appel de Paris a d’abord lieu, elle a affirmé que « l’exigence de motivation des déci-
rappelé qu’un tiers ne pouvait former tierce-opposition sions de justice est un élément du droit à un procès équitable
contre l’arrêt statuant sur l’ordonnance d’exequatur portée (…) nécessairement compris dans la mission des arbitres »
contre une sentence rendue à l’étranger (Paris, 28 mai 2019, (Paris, 20 nov. 2018, n° 16/10379, Rev. arb. 2019. 545, obs.
n° 16/21946, Gaz. Pal. 2 juill. 2019, p. 24, obs. D. Bensaude) P. Giraud ; D. actu. 11 janv. 2019, obs. P. Giraud, et 23 juill.
et que n’était pas davantage recevable l’intervention volontaire 2019, obs. J. Jourdan-Marques). Mais cela ne retire rien, selon
des tiers dans les recours formés contre les sentences arbitrales la Cour elle-même, au fait que ce contrôle ne porte que sur
(Paris, 24 sept. 2019, n° 17/14143, D. actu. 29 oct. 2019, obs. l’existence et non sur la pertinence des motifs.
J. Jourdan-Marques), ce qui reprend une solution ancienne
(Paris, 9 avr. 2009, Cah. arb. 2010. 889, note E. Loquin ; LPA C’est d’ailleurs la même solution qui est rappelée dans un
2011, n° 38, p. 9, obs. M. de Boisséson ; Rev. arb. 2009. 436 ; arrêt postérieur (Paris, 18 juin 2019, n° 17/04601, D. actu.
JCP 2009. I. 462, § 8, obs. J. Ortscheidt). Ainsi, qu’il s’agisse 23 juill. 2019, obs. J. Jourdan-Marques) qui précise bien que,
d’arbitrage commercial ou d’arbitrage d’investissement, la en matière internationale, « le défaut de motivation d’une
solution est la même : le tiers n’est pas recevable à intervenir sentence n’est pas un cas d’ouverture du recours en annula-
volontairement au recours, pas plus qu’il ne peut former tierce tion dans le droit français de l’arbitrage international, de sorte
opposition contre l’arrêt conférant exequatur à la sentence qui qu’en dehors des cas de violation de l’ordre public internatio-
lui causerait un préjudice. Si l’on ajoute que le tiers ne peut nal, non invoquée en l’espèce, ou de méconnaissance du prin- 2447
pas non plus former de tierce opposition contre la sentence cipe de la contradiction, la motivation de la sentence échappe
internationale (Civ. 1re, 8 oct. 2009, n° 07-21.990, Bull. civ. I, au contrôle du juge de l’annulation ». Or, comme l’a justement

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n° 201 ; D. 2009. 2959, spéc. 2969, obs. T. Clay ; Rép. com., fait remarquer le professeur Jérémy Jourdan-Marques, cette
actu. nov. 2009, p. 6, obs. X. Delpech ; JCP 2010. I. 644, § 6, formulation semble indiquer que la motivation ne peut plus
obs. J. Béguin), on constate qu’il est maintenu fermement être contrôlée par le juge du recours que sous l’angle de l’ordre
à l’extérieur du processus arbitral. Bien que logique, cette public international (C. pr. civ., art. 1520, 5°) ou du principe de
conception tranche avec la manière dont le tiers est consi- la contradiction (C. pr. civ., art. 1520, 4°), abandonnant l’exa-
déré à l’égard, d’une part, de la convention d’arbitrage qui lui men de la motivation par le biais de la violation de la mission
est aisément déclaré opposable (V. supra) et, d’autre part, de des arbitres (C. pr. civ., art. 1520, 3°).
l’exécution de la sentence arbitrale où, s’il s’agit par exemple
de l’émanation d’un État, il pourra être tenu d’exécuter la Même si cette solution de rejet du fondement de l’ar-
sentence (V. infra). En quelque sorte, l’appréhension du tiers ticle 1520, 3°, du code de procédure civile comme moyen
par le droit de l’arbitrage consiste à le considérer comme un de contrôler la motivation de la sentence a déjà connu un
élément pouvant toujours aider l’arbitrage, mais jamais l’en- précédent (Paris, 21 janv. 2014, n° 12/08215), elle n’apparaît
traver. C’est une nouvelle illustration du principe de faveur du pas satisfaisante. La motivation est bien le cœur de la mission
droit français pour l’arbitrage. de l’arbitre, elle est même celle qui lui permet de parvenir
à une décision. Motiver oblige, d’une part, à connaître le
Sur le fond, la Cour de cassation a justement rappelé que la dossier, et, d’autre part, à raisonner. Découpler la motivation
capacité à agir en justice est une question de recevabilité de de l’éventuelle violation de sa mission par l’arbitre n’apparaît
l’action devant le tribunal arbitral, non de compétence de donc ni justifié ni légitime. Ajoutons enfin que le champ
celui-ci, et qu’elle ne constitue donc pas un des cas d’ouver- d’application des 3° des articles 1492 et 1520, du même code
ture du recours en annulation de la sentence, limitativement est déjà extrêmement réduit. Pourquoi faudrait-il le siphon-
énumérés à l’article 1520 du code de procédure civile (Civ. 1re, ner complètement ? Y aurait-il une volonté de tout concen-
11 juill. 2019, n° 17-20.423, Bull. civ. I, n° 674 ; D. 2019. trer dans le champ du contrôle de l’ordre public ? Compte
1499 ; Procédures 2019. 259, note L. Weiller ; JCP E 2019. tenu des incertitudes qui demeurent encore sur le sujet, ce
Actu. 510 ; Gaz. Pal. 2019, n° 30, p. 37, obs. C. Berlaud, et serait déraisonnable.
19 nov. 2019, p. 20, obs. D. Bensaude ; D. actu. 23 juill. 2019,
obs. J. Jourdan-Marques). La différence porte notamment sur À propos du contrôle de l’ordre public, on citera ici le
l’intensité du contrôle, comme on va le voir. second arrêt Alstom Transport qui illustre le large rôle que

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s’octroie le juge du recours lorsque la violation de l’ordre 5 – Exécution
public international est alléguée, notamment lorsqu’il s’agit
de corruption. On se souvient que, dans le doute sur la réa- En matière d’exécution des sentences, le régime s’est incontes-
lité de la corruption invoquée, la cour d’appel de Paris avait, tablement compliqué depuis la loi n° 2016-1691 du 9 décembre
dans un premier temps, de manière inédite, estimé qu’elle 2016, dite Sapin 2, relative à la lutte contre la corruption. Le
n’était pas suffisamment informée et qu’il lui fallait vérifier contentieux de l’exécution est en passe de devenir un second
si la sentence dont l’exequatur était sollicité « donnait effet à front entre les parties, qui utilisent toutes les subtilités des
un contrat de trafic d’influence ou de pots-de-vin heurtant voies d’exécution pour continuer le combat. C’est ainsi qu’un
l’ordre public international ». Elle invitait donc les parties à juge de l’exécution a autorisé des saisies conservatoires sur la
étayer ce point et à revenir devant elle (Paris, 10 avr. 2018, base de plusieurs sentences arbitrales. Mais celles-ci furent
n° 16/11182, D. 2018. 1934, obs. L. d’Avout, et 2448, obs. ensuite annulées, et le saisi agit alors en mainlevée. L’autre par-
T. Clay ; Rev. arb. 2018. 574, note E. Gaillard ; Cah. arb. tie prétendait que l’annulation des sentences ne remettait pas
2018. 409, note A. Pinna). Une fois les explications fournies, en cause le principe des créances poursuivies. La cour d’appel
le verdict est tombé : sentence annulée sur le fondement de la ordonne la mainlevée en jugeant qu’il n’y a pas lieu de recher-
violation de l’ordre public international (Paris, 28 mai 2019, cher si les sentences établissaient ou non l’existence d’un prin-
n° 16/11182, D. 2019. 1956, spéc. 1965, obs. S. Bollée ; cipe de créance, et que les conditions de la saisie n’avaient pas
D. actu. 7 juin 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; Gaz. Pal. été remplies puisqu’elles avaient été mises en œuvre sans auto-
2 juill. 2019, p. 22, obs. D. Bensaude). La cour conclut à risation préalable du juge (Paris, 28 févr. 2019, n° 18/19913,
l’existence d’un pacte corruptif en se fondant sur un faisceau Gaz. Pal. 2 juill. 2019, p. 26, obs. D. Bensaude).
d’indices (red flags), de « caractère suffisamment grave, précis
et concordants ». Et comme la partie corruptrice ne faisait Mais c’est surtout l’affaire Al-Kharafi qui a fourni en 2019 les
pas mystère qu’elle était coutumière du fait, l’autre arguait meilleures pièces du débat sur l’exécution des sentences arbi-
de ce qu’elle était de mauvaise foi en se prévalant ainsi de sa trales. Sans qu’il soit possible d’entrer trop dans le détail ici en
propre turpitude. Mais la cour rejette l’argument, au motif raison de l’implication de l’auteur de ces lignes dans l’affaire,
que les parties ne peuvent renoncer à cet ordre public de disons simplement qu’il s’agit d’une sentence arbitrale rendue
direction, dont relève la lutte contre la corruption, même si au Caire le 22 mars 2013 qui condamne l’État de Libye à
l’admission du moyen bénéficie au plaideur de mauvaise foi. verser près d’un milliard de dollars à la société koweitienne
Par cet arrêt, la cour d’appel de Paris confirme le contrôle Al-Kharafi. Après avoir obtenu l’exequatur, jusqu’à la Cour de
2448 renforcé des sentences arbitrales en cas de corruption, dans cassation, le bénéficiaire de la sentence essaya logiquement
la suite de l’arrêt Belokon. d’en obtenir l’exécution et se heurta à une série de difficul-
tés, qui tiennent pour l’essentiel à l’invocation de l’immunité
4 – Exequatur d’exécution de l’État de Libye et au fait que le fonds souverain
qui dispose des actifs nécessaires pour régler la condamnation
Au sujet de l’exequatur, on ne pourra faire l’économie de la se présente comme indépendant de l’État dont il procède.
mention de l’arrêt de la cour d’appel de Paris qui, appliquant
à la lettre la jurisprudence Putrabali, confirme qu’une sen- Après s’être heurté à différents juges de l’exécution, mani-
tence rendue à l’étranger et annulée dans le pays du siège pour festement peu enclins à se prononcer sur des questions aussi
contrariété aux règles d’ordre public local peut recevoir appli- délicates et avec de tels enjeux, le débat est parvenu devant les
cation en France (Paris, 21 mai 2019, n° 17/19850, D. actu. cours d’appel de Versailles et de Paris. Si la première a rejeté
7 juin 2019, obs. J. Jourdan-Marques, et 28 juin 2019, obs. les prétentions du bénéficiaire de la sentence (Versailles,
L. Weiller). Mais la nouveauté, en l’espèce, était que la sen- 6 juin 2019, n° 18/02247 et 18/00534), la seconde a
tence était rendue en droit interne étranger, ce qui était inédit. infirmé la décision du juge de l’exécution qui lui était déférée
La cour d’appel n’a que faire de cette nuance et répond que et a autorisé les saisies contre le fonds souverain réfractaire
« Les dispositions des articles 1498 et suivants, devenus 1514 (Paris, 5 sept. 2019, n° 18/17592, Gaz. Pal. 19 nov. 2019,
et suivants, sur la reconnaissance et l’exécution des sentences p. 24, obs. D. Bensaude), rejoignant en cela une décision du
arbitrales, sont applicables à la fois aux sentences arbitrales juge de l’exécution de Paris légèrement antérieure, rendue
internationales et aux sentences rendues à l’étranger, quel que dans la célèbre affaire Commisimpex à l’encontre de la société
soit, pour ces dernières, leur caractère interne ou internatio- nationale des pétroles du Congo (TGI Paris, 24 juill. 2019,
nal ». Malgré les critiques ou les interrogations (L. Weiller, n° 18/06638), premier signe que le vent était en train de
obs. préc.), on approuvera cette solution qui a le mérite de tourner.
considérer l’arbitrage pour ce qu’il est, c’est-à-dire une justice
autonome, déterritorialisée, quelle que soit la qualification L’arrêt Al-Kharafi, sur lequel le signataire de ses lignes ne
d’interne ou d’internationale que prétend lui conférer le droit s’étendra donc pas, est unanimement considéré comme un
du siège du tribunal arbitral. En outre, à l’heure où les régimes grand arrêt au point d’avoir déjà fait l’objet d’une séance spé-
juridiques de l’arbitrage interne et international n’en finissent ciale de débats de l’association « Paris place d’arbitrage » le
pas de converger, ce serait aller à contre-courant que de vou- 6 novembre 2019. On dira simplement que, au terme d’une
loir maintenir à tout prix des distinctions qui sont chaque jour analyse très détaillée, la chambre spécialisée en matière d’exé-
moins justifiées. cution de sentences arbitrales de la cour d’appel de Paris a

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jugé, d’une part, que le fonds souverain résistant était bien Le régime juridique de ces mesures sera bientôt affiné
une émanation de l’État condamné et qu’il était donc possible par décret, mais on connaît déjà le contenu du projet. Sur le
d’exécuter la sentence sur le patrimoine de celui-ci, et que, recours préalable obligatoire aux MARC, le projet de décret
d’autre part, l’immunité alléguée par l’État ne peut être invo- détaille les cas dans lesquels le demandeur doit justifier, avant
quée dès lors que celui-ci a conclu une convention d’arbitrage de saisir la juridiction, d’une tentative de résolution amiable
si les biens saisis ont un lien avec l’entité contre laquelle la et fixe à 5 000 € le montant en dessous duquel la tentative
procédure a été intentée et ne sont pas destinés à être utilisés à de résolution amiable est obligatoire (art. 819 et 819-1 du
des fins de service public non commerciales, ce qui était le cas projet de décret). Mais une partie pourra toutefois opposer
en l’espèce. Ne restera plus à ce créancier, après avoir obtenu un motif légitime pour n’y avoir procédé, notion que le futur
l’exequatur et l’exécution, de faire dégeler les actifs de l’État décret définit. L’assignation devra comporter les mentions des
de Libye qui sont sous mesure de gel à la fois de l’ONU et de diligences effectuées pour parvenir à une résolution amiable du
l’Union européenne. L’affaire n’est donc pas finie. litige, à peine de nullité dans ces cas précis, y compris relevée
d’office.

II – Modes alternatifs de règlement des litiges Sur la mise en état conventionnelle par avocats, c’est à une
véritable révolution des pratiques qu’il faut s’attendre car elle
Les modes alternatifs de règlement des litiges ont le vent serait généralisée à toutes les juridictions de l’ordre judiciaire
en poupe. Après la Convention des Nations unies sur les y compris pour les procédures sans mise en état (le tribunal
accords de règlement internationaux issus de la média- de commerce, le tribunal judiciaire dans ses pôles de proxi-
tion, adoptée à New York le 20 décembre 2018 et ouverte à mité, etc.). Pour favoriser encore plus le dispositif, les parties
la signature le 7 août 2019 à Singapour (dite Convention de auraient même la possibilité d’obtenir une date d’audience
Singapour sur la médiation), conçue, pour les transactions, dès la signature de la convention ou à bref délai en cas de ré-
sur le modèle de la Convention de New York de 1958 sur enrôlement.
l’exécution des sentences arbitrales, c’est un véritable sirocco
qui souffle en leur faveur avec la loi n° 2019-222 du 23 mars Tout est donc en place pour que les modes amiables conti-
2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la nuent de se développer au mieux, dès le 1er janvier 2020,
justice, déjà évoquée ci-dessus. Cette nouvelle loi a non seule- date d’entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions (Décr.
ment imposé le recours aux modes alternatifs de règlement des n° 2019-1333 du 11 déc. 2019 réformant la procédure
conflits (MARC) dans de nombreuses circonstances, mais elle civile, JO 12 déc., texte n° 3). 2449
a aussi, dans le même temps, posé les conditions de véritables
modes alternatifs électroniques. Une des pistes de ce développement est bien sûr constituée

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par l’autre grand apport de la nouvelle loi : l’instauration
En ce qui concerne les modes alternatifs sous forme classique, des modes alternatifs électroniques. Déjà évoqué ci-dessus à
la loi du 23 mars 2019 prévoit désormais le caractère obli- propos de l’arbitrage, le nouvel article 4 de la loi Justice du
gatoire d’une tentative de résolution amiable (conciliation, 21e siècle prévoit la mise en place de plateformes de médiation
médiation ou procédure participative), avant la saisine du tri- ou de conciliation, aux mêmes conditions que pour l’arbi-
bunal judiciaire pour les litiges en dessous d’une certaine valeur trage : respect « des données à caractère personnel et, sauf
et en matière de conflits de voisinage. En outre, elle permet accord des parties, de confidentialité » (nouv. art. 4-1), avec
désormais au juge s’il estime possible une résolution amiable même un secret professionnel pénalement préservé, inter-
du litige, d’enjoindre aux parties de rencontrer un médiateur diction d’utilisation d’algorithmes sans intervention humaine
en cours de procédure, y compris en référé. Et la nouvelle loi (art. 4-3), impartialité, indépendance, compétence et diligence
précise aussi que la médiation classique est désormais admise de tiers, et certification de l’organisme de services de résolu-
en matière de divorce et de séparation de corps. Enfin, la loi tion des litiges en ligne. Les conditions de cette certification
consacre la mise en état conventionnelle du dossier par avocats, ont été précisées par le décret n° 2019-1089 du 25 octobre
ce qui est une forme très avancée de justice négociée au sein 2019, déjà cité, et sont les mêmes que celles applicables à l’ar-
même du processus judiciaire (T. Clay, La mise en état conven- bitrage (S. Amrani-Mekki, Plateformes en ligne de résolution
tionnelle et la césure du procès, JCP n° spéc. 26 mars 2018, des différends : la certification en question, Gaz. Pal. 23 juill.
p. 49). On notera d’ailleurs que, dans le même temps, le régime 2019, n° 27, p. 36).
juridique des conciliateurs de justice a été retouché et amé-
lioré, notamment pour ce qui concerne leur formation obli- La convergence des régimes juridiques de l’arbitrage en
gatoire, initiale et continue, et leurs conditions de nomination ligne et des modes amiables en ligne est le signe de l’émergence
(Décr. n° 2018-931 du 29 oct. 2018, modifiant le Décr. d’un véritable droit des MARC numériques, dont on ne
n° 78-381 du 20 mars 1978 relatifs aux conciliateurs de peut que se réjouir, tant il est adapté et moderne. Et ce n’est
justice, JO 31 oct., texte n° 9). pas fini.

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