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Annuaire français de droit international

Arbitrage transnational et droit international général (2012)


Patrick Jacob, Franck Latty

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Jacob Patrick, Latty Franck. Arbitrage transnational et droit international général (2012). In: Annuaire français de droit
international, volume 58, 2012. pp. 605-652;

doi : https://doi.org/10.3406/afdi.2012.4696;

https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_2012_num_58_1_4696;

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Annuaire français de droit international
lvIII – 2012 – cnrs Éditions, Paris

Arbitrage transnational et droit


international gÉnÉral (2012)
Patrick JACOB
Franck LATTY

En 2012 comme depuis plusieurs années, le droit international a trouvé un


terreau particulièrement fertile de « réalisation juridictionnelle » 1 dans les déci-
sions arbitrales rendues par les tribunaux arbitraux compétents pour trancher les
litiges entre État et investisseur étranger 2, dans la quasi-totalité des cas sur le
fondement de traités bilatéraux ou multilatéraux de protection des investissements
étrangers. Ces décisions, bien que de qualité inégale, sont le signe de l’« essor
nouveau » du « vieux droit des gens de Grotius » 3 qui a littéralement « investi »
les relations transnationales économiques. À ce titre, rares sont, parmi la quaran-
taine de décisions rendues en 2012 4 – qu’il s’agisse de sentences finales, de déci-
sions intermédiaires ou d’ordonnances – celles qui ne comportent pas des éléments
susceptibles d’intéresser les « internationalistes », éléments que la présente chro-
nique s’efforce de restituer de manière exhaustive 5. Elle le fera, pour le cru de 2012,
à travers la question des sources du droit international (I), celle de la responsabilité
internationale (II) et celle du droit applicable 6 (III).

(*) Patrick Jacob, maître de conférences à l’Université Paris Sud 11.


(**) Franck Latty, professeur à l’Université Paris 13, Sorbonne Paris Cité.
1. J. Combacau/ S. Sur, Droit international public, 10e éd., Domat, Paris, Montchrestien, 2012, p. 575.
2. À noter qu’un contentieux interétatique sur le fondement de traités bilatéraux d’investissement a
vu le jour. En 2012, deux sentences de 2005 et 2008 ont été rendues publiques dans une affaire de protec-
tion diplomatique entre l’Italie et Cuba soumise à un tribunal ad hoc (comm. C. Crépet Daigremont in
Cahiers de l’arbitrage, 1er octobre 2012, n° 4, p. 893). Une autre affaire entre l’Équateur et les États-Unis
d’Amérique a abouti à une sentence arbitrale du 29 septembre 2012 (incompétence du tribunal en raison
de l’absence de différend entrant dans le champ d’application du traité – CPA, aff. n° 2012-5, sentence
non publique).
3. Ch. Leben, « La responsabilité internationale de l’État sur le fondement des traités de promotion
et de protection des investissements », cet Annuaire, 2004, p. 714.
4. Voy. les statistiques publiées in CNUCED, Latest Developments in Investor-State Dispute Settle-
ment, IIA Issues note n° 1 (2013), pp. 1-2 et s. Voy. aussi la présentation de l’activité du CIRDI en 2012
par S. Manciaux, in JDI, 2013/2, pp. 505 et s. Les décisions arbitrales citées ci-après sont accessibles sur
le site de la faculté de droit de l’Université de Victoria (Canada) « Investment Treaty Arbitration » [http://
ita.law.uvic.ca] ou sur le site du CIRDI [icsid.worldbank.org].
5. Pour une présentation de la présente chronique, voy. cet Annuaire, 2008, pp. 467 et s.
6. Les questions, autres que le droit applicable, relatives au droit du contentieux international sont
traitées de manière incidente dans les développements et les notes infrapaginales relatifs aux trois thèmes
abordés.

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I. – ARBITRAGE TRANSNATIONAL
ET SOURCES DU DROIT INTERNATIONAL

A. Traités

1. Interprétation des traités

Dans presque toutes les affaires soumises aux tribunaux arbitraux compé-
tents en matière d’investissement se posent des problèmes d’interprétation des
conventions applicables (en premier lieu, le traité de protection des investisse-
ments invoqué ; le cas échéant, la convention de Washington sur le CIRDI 7 ; dans
certaines affaires, il peut même s’agir d’instruments extérieurs 8).
En schématisant, deux options se présentent alors : ou bien le tribunal s’en
remet à la jurisprudence, voire, lorsqu’elle est divisée comme c’est souvent le cas
en matière de droit des investissements, au courant jurisprudentiel qu’il estime
le plus convaincant sur la question à interpréter, sans même faire semblant de
mener sa propre analyse 9 ; ou bien le tribunal procède lui-même à une opération
d’interprétation – laquelle n’exclut pas, au reste, la prise en compte de décisions
arbitrales préalables 10. L’alternative est manifeste dans la décision sur les objec-
tions à la compétence de l’affaire Pac Rim Cayman 11. Le tribunal était le premier
à être confronté à la clause de refus des avantages (« denial of benefits ») contenue
dans l’accord de libre-échange d’Amérique centrale (ALEAC/CAFTA) 12. Comme les
décisions arbitrales préalablement rendues sur des clauses de ce type concernaient
d’autres traités (notamment le traité sur la charte de l’énergie) à la rédaction,
au contexte et aux effets différents, le tribunal les a écartées. Il a considéré qu’il
devait ainsi « interpret the relevant text of CAFTA by itself, in accordance with the
relevant principles for treaty interpretation under international law as codified in
the Vienna Convention on the Law of Treaties » (§ 4.5).
Pour les tribunaux qui prennent la peine de s’engager dans une opération d’inter-
prétation détaillée, la référence aux articles 31 et suivants de la convention de Vienne
sur le droit des traités de 1969 est en effet un passage obligé 13, au point que le sigle

7. Voy. par ex. CIRDI, Caratube International Oil Company LLP c. Kazakhstan, aff. n° ARB/08/12,
sentence du 5 juin 2012, §§ 329 et s.
8. Voy. CIRDI, Electrabel SA c. Hongrie, aff. n° ARB/07/19, décision sur la compétence, le droit appli-
cable et la responsabilité du 30 novembre 2012, § 6.76 et s. et infra III.
9. CIRDI, Quiborax SA, Non Metallic Minerals SA et Allan Fosh Kaplùn c. Bolivie, aff. n° ARB/06/2,
décision sur la compétence, 27 septembre 2012, §§ 2110 et s. (définition de l’investissement au sens de la
convention de Washington) ; CPA (CNUDCI), Ulysseas c. Équateur, sentence du 12 juin 2012, §§ 246 et s.
et CIRDI, Toto Costruzioni Generali SpA c. Liban, aff. n° ARB/07/12, sentence du 7 juin 2012, §§ 151 et s
(standard du traitement juste et équitable).
10. Voy. à cet égard CIRDI, Burlington Resources Inc. c. Équateur, n° ARB/08/5, 14 décembre 2012,
décision sur la responsabilité, §§ 221 et s. Sur la place de la jurisprudence dans le contentieux transna-
tional, voy. infra E.
11. CIRDI, Pac Rim Cayman LLC c. El Salvador, aff. n° ARB/09/12, décision sur les objections à la
compétence, 1er juin 2012, §§ 4.3 et s.
12. L’article 10.12.2 de l’ALEAC permet à un État partie de refuser les avantages du traité à
l’investisseur d’un autre État partie « that is an enterprise of such other Party and to investments of that
investor if the enterprise has no substantial business activities in the territory of any Party, other than the
denying Party and persons of a non-Party, or of the denying Party, own or control the enterprise ». Il s’agit
d’éviter que des investisseurs créent des coquilles vides dont le seul objet est de fournir à l’investisseur
un traitement et une protection auxquelles il n’a normalement pas droit dès lors que son État de ratta-
chement n’est pas partie au traité. Voy. le comm. de A. de Nanteuil sous les sentences Pac Rim Cayman
et Libananco Holdings, in Cahiers de l’arbitrage, 1er octobre 2012, p. 893.
13. L’hommage rendu est parfois expéditif, voy. par ex. CIRDI, SGS Société générale de surveillance
SA c. Paraguay, aff. n° ARB/07/29, sentence du 10 février 2012 , § 90, note 82 ; CIRDI, Marion Unglaube

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« VCLT » (pour « Vienna Convention on the law of treaties ») a acquis droit de cité dans
de nombreuses décisions arbitrales 14. Si l’État défendeur ou l’état de nationalité de
l’investisseur n’y est pas partie – et même parfois s’il l’est 15 –, la valeur coutumière
des techniques interprétatives consacrées dans ces articles est alors rappelée par le
tribunal 16. Les décisions arbitrales rendues au cours de l’année 2012 montrent tout
particulièrement que la référence aux articles 31 et suivants intervient dans une
optique de légitimation du choix interprétatif (1). Pour autant, les arbitres n’hésitent
pas à dépasser le « consensus » 17 de la convention de Vienne en recourant à des
principes d’interprétation qui n’y sont pas officiellement répertoriées (2).

a) La légitimation par la convention de Vienne


Les parties adverses à un arbitrage s’appuient fréquemment sur les techniques
interprétatives de la convention de 1969 pour proposer au tribunal l’interprétation
du traité applicable qui correspond le mieux à leurs intérêts. Pour une question
donnée, c’est donc un choix entre deux constructions interprétatives qui est proposé
au tribunal, lequel est lui-même susceptible de forger sa propre interprétation de la
norme. La référence au « guide de l’interprétation » de la convention de Vienne lui
permet de s’appuyer sur une méthode « homologuée ». Elle tend aussi à présenter
l’interprétation comme une activité objective. Au plus le tribunal « colle » au déroulé
des articles 31 et suivants de la convention de Vienne, au plus son interprétation
paraîtra dégagée des scories subjectives.
La démarche concerne des questions ponctuelles, par exemple l’interprétation
de la préposition « of » dans la clause de règlement des différends relatifs à « an
investment of [a UK company] » selon l’article 8 du traité Royaume-Uni/Tanzanie 18.
Sur ce point, le tribunal de l’affaire Standard Chartered Bank a très consciencieuse-
ment suivi la méthodologie de la convention de Vienne : tout d’abord en procédant
à une interprétation grammaticale du mot, envisagée dans le contexte du traité, où
est par ailleurs employé le terme « by » 19 ; ensuite en envisageant l’interprétation
de la préposition au regard de l’objet et du but du traité, exprimés notamment
dans son préambule 20. Le tribunal a ensuite recours aux moyens c­ omplémentaires

c. Costa Rica, aff. n° ARB/08/1, sentence du 16 mai 2012, § 31. Pour une étude générale de la question, voy.
F. Latty, « Les techniques interprétatives du CIRDI », RGDIP, 2011/2, pp. 459-480.
14. Voy. par ex. CPA (CNUDCI), ICS Inspection and Control Services Limited (United Kingdom)
c. Argentine, aff. n° 2010-9, sentence sur la compétence du 10 février 2012, § 67 (et la table des sigles) ;
CIRDI, Mobil Investments Canada Inc. et Murphy Oil Corp. c. Canada, aff. n° ARB(AF)/07/4, décision sur
la responsabilité et sur les principes relatifs au quantum, 22 mai 2012, § 174.
15. Trib. ad hoc CNUDCI, Jan Oostergetel et Theodora Laurentius c. Slovaquie, sentence du 23 avril
2012 , § 140 ; CIRDI, Quiborax SA, Non Metallic Minerals SA et Allan Fosh Kaplùn c. Bolivie, aff.
n° ARB/06/2, décision sur la compétence, 27 septembre 2012, § 47 ; CIRDI, Daimler Financial Services
AG c. Argentine, n° ARB/05/1, sentence du 22 août 2012, § 169.
16. CIRDI, Kılıç İnşaat İthalat İhracat Sanayi ve Ticaret Anonim Şirketi c. Turkménistan, aff.
n° ARB/10/1, décision sur l’article VII.2 du traité bilatéral d’investissement Turquie-Turkménistan, 7 mai
2012, § 6.3 (application des règles coutumières de la convention de Vienne à la Turquie qui n’y est pas
partie).
17. J.-M. Sorel, « Article 31 » in O. Corten/ P. Klein (dir.), Les conventions de Vienne sur le droit
des traités. Commentaire article par article, Bruxelles, Bruylant, 2006, p. 1291.
18. Voy. aussi l’interprétation du terme « obligation » dans la clause de respect des engagements du
TBI Équateur/États-Unis, in CIRDI, Burlington Resources Inc. c. Équateur, n° ARB/08/5, 14 décembre
2012, décision sur la responsabilité, §§ 211 et s.
19. CIRDI, Standard Chartered Bank c. Tanzanie, n° ARB/10/12, sentence du 2 novembre 2012,
§§ 214 et s.
20. Id., §§ 226 et s. Se référant au préambule du traité Pays-Bas/Slovaquie pour insister sur l’impor-
tance du traitement juste et équitable, voy. Trib. ad hoc CNUDCI, Jan Oostergetel et Theodora Lauren-
tius c. Slovaquie, sentence du 23 avril 2012, § 230. Estimant, inversement, que les objectifs fixés dans le
préambule sont sans effet sur la compétence du tribunal, voy. CIRDI, Iberdrola Energía SA c. Guatemala,
n° ARB/09/5, sentence du 17 août 2012, § 307.

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d’interprétation conformément à l’article 32 de la convention de Vienne, non pas


pour confirmer sa déduction première selon laquelle la préposition « of » requiert
« an active relation between the investor and the investment » et non une simple
possession passive d’actions 21, moins encore parce que son interprétation selon
l’article 31 aurait « conduit à un résultat qui est manifestement absurde ou dérai-
sonnable », mais plutôt dans la mesure où elle « laisse[rait] le sens ambigu ou
obscur » 22. Comme les arguments des parties étaient fondés sur des traités entre
des états distincts, contenant des dispositions différentes de celle du traité appli-
cable, et sur des sentences arbitrales interprétant ces instruments étrangers, le
tribunal a jugé que ces modes complémentaires d’interprétation manquaient en
l’espèce de pertinence et a maintenu sa déduction initiale 23.
Un arbitre dissident désireux de convaincre que la majorité du tribunal a
donné un sens erroné à une disposition conventionnelle trouvera également dans
les techniques interprétatives de la convention de Vienne un support lui permettant
de développer une argumentation alternative 24. Mais la démarche est surtout celle
qui anime des tribunaux arbitraux confrontés à des questions controversées du droit
des investissement (comme la définition même de l’investissement 25, ou la portée
des clauses de la nation la plus favorisée 26), auxquelles ils veulent apporter des
réponses d’autorité. Concernant le traitement de la nation la plus favorisée invo-
quée par les requérants des affaires ICS et Daimler pour bénéficier d’une stipula-
tion sur le règlement des différends contenue dans un autre traité d’investissement,
il n’est pas anodin que les deux tribunaux présidés par P.-M. Dupuy aient repris
« à zéro » la question de l’interprétation de la clause, quand certaines formations
arbitrales concentrent leur analyse sur la jurisprudence existante 27. Appliquant
méticuleusement les techniques de la convention de Vienne, ils ont conclu à l’issue
d’un raisonnement plaqué sur ses articles 31 et 32 que la clause de la nation la plus
favorisée ne pouvait produire les effets escomptés par les entreprises. L’application
ostentatoire des techniques de la convention de Vienne n’a pas pour seule fonction
d’expliquer la solution apportée au cas d’espèce : elle est destinée à montrer la
rigoureuse justesse du raisonnement interprétatif, avec la volonté décelable de
marquer l’évolution de la jurisprudence en la matière.
Cela étant, loin d’être une science dure, la mise en œuvre de techniques inter-
prétatives n’échappe pas elle-même à l’interprétation des arbitres. Par exemple, au
sujet du « sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la

21. Sentence Standard Chartered Bank, § 230.


22. Id., § 235. Jugeant inutile de recourir aux techniques de l’article 32, voy. CIRDI, Mobil Investments
Canada Inc. et Murphy Oil Corp. c. Canada, aff. n° ARB(AF)/07/4, décision sur la responsabilité et sur les
principes relatifs au quantum, 22 mai 2012, §§ 229 et s.
23. Sentence Standard Chartered Bank, § 256. Concernant la mise en œuvre de l’article 33 de la
convention de Vienne (Interprétation de traités authentifiés en deux ou plusieurs langues), voy. CIRDI,
Kılıç İnşaat İthalat İhracat Sanayi ve Ticaret Anonim Şirketi c. Turkménistan, aff. n° ARB/10/1, décision
sur l’article VII.2 du traité bilatéral d’investissement Turquie-Turkménistan, 7 mai 2012, §§ 7.1 et s. Sur la
différence entre deux versions linguistiques, voy. aussi CIRDI, ConocoPhillips Company et al. c. Venezuela,
aff. n° ARB/07/30, décision sur la demande de récusation de l’arbitre Yves Fortier, 27 février 2012, § 54.
24. Voy. par ex. op. diss. Ph. Sands dans l’affaire Mobil Investments, §§ 30 et s. (« In my view, the
Majority’s approach is not consistent with the requirements applicable to the interpretation of treaties »).
25. Voy. CIRDI, Caratube International Oil Company LLP c. Kazakhstan, aff. n° ARB/08/12, sentence
du 5 juin 2012, §§ 344 et s.
26. CPA (CNUDCI), ICS Inspection and Control Services Limited (United Kingdom) c. Argentine, aff.
n° 2010-9, sentence sur la compétence du 10 février 2012, § 283 et s. ; CIRDI, Daimler Financial Services
AG c. Argentine, aff. n° ARB/05/1, sentence du 22 août 2012, §§ 205 et s.
27. CIRDI, Teinver SA, Transportes de Cercanías SA and Autobuses Urbanos del Sur SA c. Argentine,
n° ARB/09/1, décision sur la compétence, 21 décembre 2012, §§ 167 et s. Les arbitres s’appuient sur l’étude
de la CNUCED intitulée « Traitement de la nation la plus favorisée » (Collection de la CNUCED consacrée
aux problèmes relatifs aux accords internationaux d’investissement II), 2010.

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lumière de son objet et de son but » (art. 31 de la convention de Vienne), le tribunal


de l’affaire Daimler a estimé que l’interprétation ne devait pas résulter d’une
analyse en trois temps distincts (1er temps : sens ordinaire ; 2e temps : contexte ;
3e temps : objet et but du traité) – alors même que de nombreuses décisions arbi-
trales retiennent cette séquence 28. Pour le tribunal « the Vienna convention posits
these as interrelated elements of a holistic approach to treaty interpretation rather
than as a set of discrete and sequential steps » 29. La part d’interprétation dans
l’application des techniques interprétatives se manifeste encore lorsque l’accent
est mis sur le « contexte interne » plutôt que sur le sens littéral des termes, ou sur
le « contexte externe » plutôt que sur l’objectif du traité. Le tribunal de l’affaire
ICS a par exemple insisté sur la prise en compte des principes et règles du droit
international applicables aux relations entre les États parties au traité d’inves-
tissement (contexte externe), « particularly those of a systemic nature such as,
for example, the rules regarding the State’s consent to jurisdiction » 30. L’exemple
fourni par le tribunal en l’occurrence n’a rien de fortuit puisque les règles sur le
consentement de l’État à la juridiction vont précisément conduire les arbitres
à retenir une interprétation stricte de la clause de la nation la plus favorisée
examinée 31. Or, l’accent mis sur une autre technique d’interprétation (par exemple
le contexte relatif à la protection juridique des investisseurs 32) aurait pu aboutir
à un résultat inverse. Face à des normes floues, privilégier une technique, c’est
privilégier une interprétation. L’interprétation est donc moins un savoir qu’un
art aux milles nuances 33, dont les techniques sont révélées par touches dans les
décisions arbitrales.

b) Le dépassement de la convention de Vienne

Une série de principes à vocation interprétative tirés plus ou moins directement


des règles générales de la convention de Vienne émerge de la livraison 2012 des
décisions arbitrales en matière d’investissement.
i) Dans l’affaire ICS, le tribunal s’est référé à un « principe de contempora-
néité » pour interpréter le sens du terme « traitement » dans le cadre du traitement
de la nation la plus favorisée. En application du principe, le sens et l’étendue du
terme litigieux devaient être déterminés au sens qui avait cours à l’époque des
négociations entre les États parties 34. Dans ce cadre, les travaux de la Commission
du droit international des Nations Unies sur la clause de la nation la plus favorisée
aboutis en 1978 ainsi que la jurisprudence de la Cour internationale de Justice
devaient être pris en considération « not only as legal authorities on the proper

28. Voy. par ex. CIRDI, Mobil Investments Canada Inc. et Murphy Oil Corp. c. Canada, aff.
n° ARB(AF)/07/4, décision sur la responsabilité et sur les principes relatifs au quantum, 22 mai 2012,
§§ 216 et s.
29. CIRDI, Daimler Financial Services AG c. Argentine, n° ARB/05/1, sentence du 22 août 2012, § 254.
30. CPA (CNUDCI), ICS Inspection and Control Services Limited (United Kingdom) c. Argentine, aff.
n° 2010-9, sentence sur la compétence du 10 février 2012, § 279. Voy. aussi sentence Daimler, §§ 172 et
s. ; CIRDI, Antoine Goetz e.a. et SA Affinage des métaux c. Burundi, aff. n° ARB/01/2, sentence du 21 juin
2012, § 137 où le tribunal envisage l’existence d’un consentement à sa compétence comme une question
d’ordre public. Adde CIRDI, Brandes Investment Partners, LP c. Venezuela, aff. n° ARB/08/3, sentence du
14 mai 2012, §§ 107 et s. (clarté du consentement).
31. Voy. infra E.
32. Ex. : CIRDI, Emilio Agustin Maffezini c. Espagne, aff. n° ARB/97/7, décision sur la compétence,
25 janvier 2000, § 55.
33. Cf. Projet d’articles de la Commission sur le droit des traités, commentaire du projet des articles 27
et 28, in Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa dix-huitième session, A/6309/
Rev.1, Ann. CDI, 1966, vol. II, p. 238, § 4.
34. Sentence ICS Inspection, § 189. Voy. aussi sentence Daimler, § 263. Contra voy. CIRDI, Wintershall
c. Argentine, aff. n° ARB/04/14, sentence du 8 décembre 2008, § 129.

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interpretation of MFN clauses, but also as precedent that informed subsequent treaty
drafting » 35. Au titre du principe de contemporanéité, les directives de la Banque
mondiale de 1992, instrument de soft law légèrement postérieur à la conclusion du
traité, ont également été prises en compte 36.
ii) En revanche, le tribunal de l’affaire ICS a estimé que pas plus la convention
de Vienne que le droit coutumier n’autorisaient la mise en œuvre d’un principe
d’interprétation restrictive – en l’occurrence pour l’interprétation des clauses de la
nation la plus favorisée 37. La précision est digne d’intérêt tant l’adage volontariste
selon lequel « les limitations à la souveraineté ne se présument pas » a marqué les
esprits 38. Pour autant, la mise en œuvre d’autres méthodes, notamment l’interpré-
tation « systémique » peut aboutir à l’interprétation in fine restrictive de la norme
conventionnelle 39.
iii) Le principe d’effet utile trouve régulièrement grâce aux yeux des tribunaux
arbitraux 40. Ainsi, pour le tribunal de l’affaire Urbaser, l’interprétation fondée
sur l’objet du traité ou de l’une de ses dispositions doit être conciliée avec « the
equally important principle of effectiveness (or principle of effet utile) » expliqué
de la sorte : « Any treaty rule is to be interpreted in respect of its purpose as a rule
with an effective meaning rather than as a rule having no meaning and effect » 41.
Le principe est lié, selon les arbitres, à l’article 31 de la convention de Vienne qui
requiert que l’interprétation se fasse de bonne foi 42.
iv) Le tribunal de l’affaire ICS a exprimé une certaine méfiance à l’égard de
l’interprétation téléologique mise en œuvre par les arbitres majoritaires de l’affaire
Abaclat 43 dont l’interprétation contra legem de la clause de règlement des diffé-
rends du traité applicable avait été guidée par le souci de ne pas laisser sans recours
la masse des investisseurs spoliés 44. Loin d’encourager la fabrication prétorienne
d’exceptions au texte conventionnel applicable, le tribunal a estimé que les consi-
dérations politiques (« policy matters ») ne devaient guider l’interprétation des
arbitres que dans le cadre balisé de l’article 31 de la convention de Vienne, ou encore
« in order to provide context in the reasoning of a decision, as well as to provide
some insight for future drafting exercises » 45. Le tribunal ajoute qu’en présence
d’un résultat interprétatif « manifestement absurde ou déraisonnable », il revient
aux arbitres non pas de façonner une interprétation à partir de considérations
politiques aussi désirables soient-elles, mais de recourir aux moyens complémen-
taires d’interprétation fournis par l’article 32 de la convention de Vienne 46. Il en
va du respect du principe pacta sunt servanda et de l’état de droit 47. Bien que se
référant à plusieurs reprises à la sentence ICS, les arbitres de l’affaire Urbaser ont
assumé une conception plus extensive de l’interprétation. Ainsi ont-ils estimé que

35. Sentence ICS Inspection, § 291.


36. Sentence ICS Inspection, §§ 294-295 (Directives de la Banque mondiale de 1992 sur le traitement
de l’investissement direct étranger).
37. Id., § 282.
38. J.-M. Sorel, « Article 31 » op. cit. note 17, p. 1331.
39. Sentence ICS Inspection, § 282.
40. En 2012, voy. les affaires Daimler (§§ 263 et s.), ICS Inspection (§§ 316-317). Voy. aussi CIRDI,
Electrabel SA c. Hongrie, n° ARB/07/19, 30 novembre 2012, décision sur la compétence, le droit applicable
et la responsabilité, § 7.83.
41. CIRDI, Urbaser SA and Consorcio de Aguas Bilbao Bizkaia, Bilbao Biskaia Ur Partzuergoa c.
Argentine, n° ARB/07/26, décision sur la compétence, 19 décembre 2012, § 52 (voy. aussi § 135).
42. Id., § 52.
43. Voy. cette chronique in cet Annuaire, 2011, pp. 568 et s.
44. Sentence ICS Inspection, § 264.
45. Id., § 265. Voy. aussi le § 277 de la sentence.
46. Id., § 267.
47. Id., § 268. Voy. aussi CIRDI, Daimler Financial Services AG c. Argentine, n° ARB/05/1, sentence
du 22 août 2012, §§ 165 et s.

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l’interprétation du traité bilatéral d’investissement à la lumière de son objet et de


son but devait se faire en rapport avec la convention de Washington sur le CIRDI,
qualifié de « convention mère » pour la plupart des TBI, dont l’objectif de promotion
des investissements devait être mis en perspective avec la nécessité d’équilibrer
les intérêts des investisseurs et ceux des États hôtes 48. Le contexte externe du
traité à interpréter permet ainsi au tribunal de faire jouer des « policy matters » 49.
v) L’interprétation évolutive, absente de la convention de Vienne, a également
fait l’objet de développements dans la sentence Daimler, au sujet de l’expression
« traitement sur son territoire » contenue dans la clause de la nation la plus favo-
risée du traité Argentine/Allemagne. Pour les arbitres majoritaires, une interpré-
tation évolutive est permise « in the face of convincing evidence, reflected by state
practice, doctrinal analysis and international case law, that a coherent and generally
accepted new meaning of the phrase has since been accepted by states, and in parti-
cular Argentina and Germany » 50. En l’espèce, le tribunal a relevé qu’en l’absence
de consensus, avant tout des États, sur la question, le fait que certains tribunaux
arbitraux aient retenu une interprétation évolutive de l’expression ne suffisait pas
à lui donner un sens nouveau 51. La place de la jurisprudence dans l’interprétation
d’un traité est d’ailleurs également minorée par le tribunal de l’affaire Caratube :
ni élément de la « règle générale d’interprétation » de l’article 31, ni « mode complé-
mentaire » au sens de l’article 32, les décisions arbitrales préalables ne sont prises
en considération que dans la mesure où le tribunal a jugé qu’elles étaient suscep-
tibles de jeter une lumière utile sur l’affaire 52.
vi) Dans l’affaire Electrabel, la Hongrie soutenait qu’un principe d’interpréta-
tion harmonieuse des traités découlait de l’article 32 de la convention de Vienne,
qui prévoit le recours à des moyens complémentaires d’interprétation lorsque l’in-
terprétation d’un traité « conduit à un résultat qui est manifestement absurde ou
déraisonnable » 53. Présenterait un tel caractère une interprétation du traité sur la
charte de l’énergie ayant pour effet de placer la Hongrie en situation d’infraction
par rapport au droit de l’Union européenne 54. Tout en notant le caractère souhai-
table de l’objectif, le tribunal a estimé qu’un « general principle of international law
compelling the harmonious interpretation of different treaties » n’existait pas. Eu
égard à l’implication particulière de l’UE et de ses États membres dans le traité
sur la charte de l’énergie, le tribunal a néanmoins jugé que « the ECT should be
interpreted, if possible, in harmony with EU law » 55 – en l’espèce, le tribunal n’a
pas relevé d’incohérences entre les deux traités 56. À défaut d’un principe général
d’interprétation harmonieuse, la solution laisse imaginer qu’un tel principe existe
lorsque l’interprétation concerne des conventions « en réseau ». Au niveau de l’OMC,

48. CIRDI, Urbaser SA and Consorcio de Aguas Bilbao Bizkaia, Bilbao Biskaia Ur Partzuergoa c.
Argentine, n° ARB/07/26, décision sur la compétence, 19 décembre 2012, § 53.
49. Voy. aussi CIRDI, Quiborax SA, Non Metallic Minerals SA et Allan Fosh Kaplùn c. Bolivie, aff.
n° ARB/06/2, décision sur la compétence, 27 septembre 2012, § 264 où le tribunal se prononce, au vu des
objectifs du TBI applicable et « within the limits set by the applicable treaty interprétation rules », en faveur
d’une interprétation équilibrée qui prenne en compte le besoin de protection des investissements étrangers
et les responsabilités de l’État dans des domaines autres.
50. CIRDI, Daimler Financial Services AG c. Argentine, n° ARB/05/1, sentence du 22 août 2012, § 267.
51. Id., §§ 267-268. Contra voy. l’opinion dissidente de Ch. N. Bower.
52. CIRDI, Caratube International Oil Company LLP c. Kazakhstan, aff. n° ARB/08/12, sentence du
5 juin 2012, §§231-235. Sur le rôle de la jurisprudence, voy. infra E.
53. CIRDI, Electrabel SA c. Hongrie, n° ARB/07/19, 30 novembre 2012, décision sur la compétence,
le droit applicable et la responsabilité, §§ 4.82. La Commission européenne, dans son mémoire d’amicus
curiae, estimait pour sa part que le principe reposait sur les principes coutumiers d’interprétation codifiés
à l’article 31 (§ 4.144).
54. Id., § 4.83.
55. Id., §§ 4.130 et s.
56. Id., §§ 4.146 et s. Voy. infra III.

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612 arbitrage transnational et droit international général

il peut être déduit de la tendance du « juge » à minimiser les éventuelles contra-


riétés entre accords commerciaux 57. En droit des investissements, il pourrait être
invoqué au sujet des rapports entre les traités d’investissement et la convention de
Washington sur le CIRDI 58, par exemple en ce qui concerne le point controversé
de la définition de l’investissement.
vi) Enfin l’arbitre dissident de l’affaire Mobil Investments a semblé déduire
un « principe d’extrapolation » de l’arrêt de la Cour internationale de Justice dans
l’affaire de l’Application de l’Accord Intérimaire du 13 septembre 1995 (ex-Répu-
blique yougoslave de Macédoine c. Grèce) 59. La majorité du tribunal arbitral ayant
refusé d’examiner les conséquences éventuelles que son interprétation d’une mesure
prise par le Canada aurait dans d’autres cas de figure 60, Ph. Sands a considéré à
l’inverse que « [t]here is ample international authority to support the principle that
it is indeed appropriate and useful to consider the ‘result’ of a particular interpreta-
tion for the implementation of an international agreement more generally, including
before the International Court of Justice » 61.
La prolifération de principes non explicitement reconnus par les articles 31 et
suivants de la convention de Vienne montre que les techniques d’interprétation
qu’elle fournit ne sont pas de nature à brider l’imagination des interprètes que sont
les tribunaux arbitraux, sollicités en ce sens par les conseils des parties. Il n’y a là
rien de propre au droit des investissements. De manière générale, la pratique de
l’interprétation « fait fi » des « silences et lacunes » du traité des traités « pour inté-
grer certains [principes] comme s’ils se trouvaient mentionnés dans l’article 31 » 62.
Les affaires citées en portent témoignage.

2. Autres aspects du droit des traités

i) Non rétroactivité. Le principe de non rétroactivité des traités est rappelé


occasionnellement par les tribunaux arbitraux, de manière plus ou moins exten-
sive ; les discussions à son sujet demeurent limitées, dès lors que les parties n’en
contestent pas l’existence, à plus forte raison lorsque le traité applicable en reprend
­textuellement la teneur 63.
ii) Traités prévoyant des droits pour les tiers. Dans le cadre de l’interprétation
de la clause de règlement des différends entre État et investisseur de l’autre partie
contenue dans le traité d’investissement entre le Royaume-Uni et l’Argentine,
le tribunal de l’affaire ICS a insisté sur le fait que dans le contentieux transna-
tional, l’investisseur requérant est un tiers par rapport aux deux États parties au
traité – différence notable par rapport au contentieux interétatique fondé sur une
clause conventionnelle réunissant le consentement des deux États. En prenant
appui sur l’article 36, § 2, de la convention de Vienne qui prévoit que l’État tiers
auquel un droit est reconnu « est tenu de respecter, pour l’exercice de ce droit, les

57. Voy. J. Burda, « Les fonctions de la démarche interprétative dans le cadre de l’Organisation
mondiale du commerce », RQDI, 2008, vol. 21.2, pp. 13 et s.
58. Voy. CIRDI, Urbaser SA and Consorcio de Aguas Bilbao Bizkaia, Bilbao Biskaia Ur Partzuergoa
c. Argentine, n° ARB/07/26, décision sur la compétence, 19 décembre 2012, § 53, où la convention de
Washington est qualifiée de « convention mère ».
59. Arrêt du 5 décembre 2011, § 36.
60. CIRDI, Mobil Investments Canada Inc. et Murphy Oil Corp. c. Canada, aff. n° ARB(AF)/07/4,
décision sur la responsabilité et sur les principes relatifs au quantum, 22 mai 2012, § 342.
61. Op. diss. jointe à la décision Mobil Investments, § 38.
62. J.-M. Sorel, « Article 31 » op. cit. note 17, p. 1326.
63. Voy. CIRDI, Pac Rim Cayman LLC c. El Salvador, aff. n° ARB/09/12, décision sur les objections
à la compétence, 1er juin 2012, § 2.103 ; CIRDI, Toto Costruzioni Generali SpA c. Liban, aff. n° ARB/07/12,
sentence du 7 juin 2012, § 58.

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arbitrage transnational et droit international général 613

conditions prévues dans le traité ou établies conformément à ses dispositions », le


tribunal a déduit que l’investisseur ne pouvait moduler les termes de la clause de
règlement des différends, même s’il estimait que certaines conditions procédurales
étaient vaines : « the investment treaty presents a ‘take it or leave it’ situation » 64.
Le rapporteur spécial de la CDI H. Waldock avait envisagé que le projet d’articles
à l’origine de la convention de Vienne inclue une disposition sur l’application des
traités aux tiers personnes privées. Faute de consensus au sein de la Commission,
la proposition avait été retirée 65. Il est intéressant de constater que l’article 36, § 2,
de la convention de Vienne étendu aux tiers non étatiques permet d’une certaine
manière au tribunal de faire revivre la proposition qui prévoyait que
« [l]orsqu’un traité crée des obligations ou des droits qui doivent être remplis ou
exercés par des personnes physiques, des personnes morales ou des groupements
de personnes physiques, ces obligations ou ces droits sont applicables aux personnes
physiques, personnes morales ou groupements en question, […]

« b) Par le truchement des procédures et organes internationaux institués à cet effet,


le cas échéant, par le traité en question ou par tous autres traités ou instruments
en vigueur ».
iii) Réserves. Le tribunal de l’affaire Mobil Investments a mis en évidence les
enjeux considérables qui entourent l’article 1108 de l’ALENA sur les réserves
susceptibles d’être émises par les États parties en matière d’investissement 66.
Conformément à l’article 1128 du traité, les États-Unis d’Amérique et le Mexique,
tiers au différend, avaient d’ailleurs présenté au tribunal des conclusions sur l’inter-
prétation de la disposition 67. Parmi les problèmes soulevés, se posait la question de
l’interprétation des réserves (actes unilatéraux), que les parties comme le tribunal
ont spontanément résolue en appliquant les règles d’interprétation des traités de
la convention de Vienne. Pour le tribunal,
« the reservations are an integral part of the NAFTA. The task of ascertaining
the meaning of a reservation, like the task of interpreting any other treaty text,
involves understanding the intention of the NAFTA Parties, and it is to be achieved
by following the customary rules of interpretation of public international law, as
reflected in Articles 31 and 32 of the VCLT » 68.
L’application aux réserves des règles d’interprétation des traités n’a rien
d’inédit 69. La CDI, dans les commentaires du Guide de la pratique des réserves
aux traités, a toutefois estimé que
« si ces règles fournissent des indications utiles, elles ne peuvent pas être transpo-
sées purement et simplement aux réserves et déclarations interprétatives du fait de
leur nature particulière : on ne peut appliquer sans précaution à des instruments
unilatéraux les règles applicables à des instruments conventionnels » 70.

64. CPA (CNUDCI), ICS Inspection and Control Services Limited (United Kingdom) c. Argentine, aff.
n° 2010-9, sentence sur la compétence du 10 février 2012, §§ 270 et s.
65. Voy. Ann. CDI, 1964, II, pp. 45 et 184.
66. CIRDI, Mobil Investments Canada Inc. et Murphy Oil Corp. c. Canada, aff. n° ARB(AF)/07/4,
décision sur la responsabilité et sur les principes relatifs au quantum, 22 mai 2012, §§ 247 et s.
67. Voy. infra III.
68. Décision Mobil Investments, § 254.
69. Voy. Cour interaméricaine des droits de l’homme, avis consultatif du 8 septembre 1983, OC-3/83,
Restrictions à la peine de mort (art. 4, 2) et 4, 4) de la Convention interaméricaine des droits de l’homme),
§ 62, p. 84, cité in Rapport de la CDI, 63e Session, A/66/10/Add.1, Supplément n° 10, p. 84, note 197.
70. Commentaire sous la directive 1.3.1, in Rapport de la CDI, 63e Session, A/66/10/Add.1, Supplément
n° 10, p. 84, § 5 (it. dans le texte).

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614 arbitrage transnational et droit international général

Pour cette raison, la CDI a adopté une directive 4.2.6 spécifiquement consacrée
à l’interprétation des réserves, laquelle dispose :
« Une réserve doit être interprétée de bonne foi, en tenant compte de l’intention de son
auteur telle qu’elle est reflétée en priorité par le texte de la réserve, ainsi que de l’objet
et du but du traité et des circonstances dans lesquelles la réserve a été formulée ».
À vrai dire, la méthode dégagée par le tribunal de l’affaire Mobil Investments
qui insiste sur l’intention des États réservataires tout en renvoyant aux règles
classiques d’interprétation de la convention de Vienne ne diverge pas de l’approche
retenue par la CDI, même si le tribunal n’en avait visiblement pas connaissance.

B. Coutume

i) La question des rapports entre les traités et la coutume est l’une des plus
classiques du droit international, qui n’échappe pas au champ de l’arbitrage trans-
national en raison du pullulement des traités de protection des investissements.
De lege ferenda, la répétition de clauses conventionnelles pourrait faire naître de
nouvelles normes coutumières 71, ce malgré l’éconduite sur ce point de la Guinée
par la Cour internationale de Justice dans l’affaire Diallo 72. Une réponse compa-
rable a été fournie par le tribunal de l’affaire Mobil Investments, où les parties
se disputaient bien la question de savoir si le standard coutumier de traitement
minimum des étrangers incluait à l’instar du standard conventionnel la protection
des attentes légitimes des investisseurs 73. En l’occurrence, le tribunal a jugé que
le traitement prévu à l’article 1105 de l’ALENA renvoyait au standard coutumier,
lequel interdit les comportements arbitraires ou manifestement injustes ou discri-
minatoires sans pour autant imposer à l’État de maintenir un environnement
juridique et d’affaires stable pour les investissements 74. Si certains tribunaux
estiment sans plus de précision qu’« avec le temps » le « niveau minimal coutumier
a dû évoluer et se perfectionner » 75, le tribunal de l’affaire Mobil Investments a
pour sa part considéré que
« [i]t is not the function of an arbitral tribunal established under NAFTA to legislate a
new standard which is not reflected in the existing rules of customary international law. The
Tribunal has not been provided with any material to support the conclusion that the rules of
customary international law require a legal and business environment to be maintained or
set in concrete » 76.
De lege lata, les arbitres sont surtout confrontés à la question de l’« absorp-
tion » 77 des normes coutumières de protection des étrangers par le droit conven-
tionnel des investissements. La question de l’identité de contenu matériel des

71. Voy. O. Danic, L’émergence d’un droit international des investissements. Contribution des traités
bilatéraux d’investissement et de la jurisprudence du CIRDI, thèse (dir. : A. Pellet), Paris Ouest Nanterre
La Défense, 2012, pp. 525 et s. Concernant le consentement à l’arbitrage, voy. M. Audit/ M. Forteau,
Investment Arbitration without BIT : Toward a Foreign Investment Customary Based Arbitration ? »,
Journal of International Arbitration, 2012, n° 5, pp. 581-604.
72. CIJ, Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée contre République démocratique du Congo),
exceptions préliminaires, arrêt du 24 mai 2007, CIJ Rec. 2007, p. 615, § 90.
73. CIRDI, Mobil Investments Canada Inc. et Murphy Oil Corp. c. Canada, aff. n° ARB(AF)/07/4,
décision sur la responsabilité et sur les principes relatifs au quantum, 22 mai 2012, § 136.
74. Id. Cf. l’approche différente in CIRDI, Marion Unglaube c. Costa Rica, aff. n° ARB/08/1, sentence
du 16 mai 2012, §§ 247-248.
75. Décision SAUR International, § 494.
76. Décision Mobil Investment. § 153.
77. Cf. D. Carreau/ P. Juillard, Droit international économique, 5e édition, Précis Dalloz, Paris,
Dalloz, 2012, p. 440, n° 1171.

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arbitrage transnational et droit international général 615

standards conventionnels et des standards coutumiers (l’interprétation de ces


derniers pouvant guider celle des premiers) revient en effet régulièrement devant
les tribunaux arbitraux 78 – même si certains parviennent à contourner l’obstacle 79.
Dans l’affaire Deutsche Bank, le tribunal a considéré que la différence des termes
employés entre le « standard minimum de traitement » coutumier et le standard
de « traitement juste et équitable » conventionnel était le signe de l’autonomie du
second par rapport au premier 80. Il a aussitôt ajouté, néanmoins, que « the actual
content of the Treaty standard of fair and equitable treatment is not materially
different from the content of the minimum standard of treatment in customary inter-
national law, as recognised by numerous arbitral tribunals and commentators » 81.
Dans le même sens, les arbitres de l’affaire SAUR ont vu dans la distinction « une
discussion plutôt dogmatique et conceptualiste » 82, sans doute parce que le recours
à la notion d’attentes légitimes des investisseurs – généralement au cœur de la
distinction 83 – était sans objet dans le présent litige 84.
ii) Dans un autre registre, le tribunal de l’affaire Burlington s’est référé
aux limites coutumières qui bornent le pouvoir fiscal souverain de l’État, selon
lesquelles l’impôt ne doit être ni discriminatoire ni confiscatoire 85. La coutume est
ici appelée à titre interprétatif, en tant que pourvoyeuse de « règles pertinentes
de droit international applicable dans les relations entre les parties » au sens de
l’article 31 de la convention de Vienne, alors que le traité applicable demeurait
silencieux sur les liens entre taxation et expropriation 86. Toutefois, la preuve par
le tribunal de l’existence de la règle coutumière a reposé avant tout sur des sources
de « seconde main » (références doctrinales confirmées par la jurisprudence arbi-
trale). S’agissant de normes coutumières fermement établies (mais est-ce le cas en
l’espèce ?), on ne s’attend pas à ce que le tribunal déroule la méthodologie fixée par
la Cour internationale de Justice dans l’affaire du Plateau continental de la mer du
Nord (recherche d’une pratique généralisée et d’une opinio juris), qui correspond,
au reste, « à une formalisation largement artificielle du processus coutumier tel
qu’il est constaté ou parfois recréé par le juge » 87. Il n’en demeure pas moins que
la motivation de la décision Burlington paraît quelque peu expéditive sur ce point.

78. Voy. O. Danic, op. cit. note 71, pp. 547-548.


79. CIRDI, EDF International SA, SAUR International SA and León Participaciones Argentinas SA c.
Argentine, n° ARB/03/23, sentence du 11 juin 2012, § 999 (« The Tribunal need not decide whether Article 3
establishes an autonomous and independent standard of fairness or simply coincides with customary
international minimum standard. In either event, failure to abide by express commitments without re-estab-
lishing economic balance in a reasonable period of time constitutes inequitable conduct »).
80. CIRDI, Deutsche Bank AG c. Sri Lanka, n° ARB/09/2, sentence du 31 octobre 2012, § 418.
81. Id., § 419.
82. CIRDI, SAUR International SA c. Argentine, aff. n° ARB/04/4, décision sur la compétence et la
responsabilité, 6 juin 2012, § 491.
83. Voy. O. Danic, op. cit. note 71, pp. 572 et s.
84. Décision SAUR International, § 498.
85. CIRDI, Burlington Resources Inc. c. Équateur, n° ARB/08/5, décision sur la responsabilité,
14 décembre 2012, §§ 392 et s. Concernant les droits souverains de l’État, voy. Décision SAUR Interna-
tional, § 398 (droit coutumier de l’État d’exercer ses pouvoirs de police de manière légitime) ; Chambre de
commerce de Stockholm, Renta 4 SVSA et al. c. Russie, n° 24/2007, sentence du 20 juillet 2012, § 179 et
s. (pouvoir discrétionnaire important de l’État en matière fiscale de sorte que l’on doit présumer que ses
mesures sont bien des mesures fiscales et non des saisies ; limitation de ce pouvoir par l’interdiction de
l’expropriation, sous peine de remettre en cause l’effectivité du droit international) ; Trib. ad hoc CNUDCI,
Jan Oostergetel et Theodora Laurentius c. Slovaquie, sentence du 23 avril 2012, §§ 223-224 (droit de l’État
de modifier le cadre juridique et l’environnement des affaires) ; CIRDI, Toto Costruzioni Generali SpA c.
Liban, aff. n° ARB/07/12, sentence du 7 juin 2012, § 242 et s. (droit de l’État de modifier sa législation) ;
CIRDI, Daimler Financial Services AG c. Argentine, n° ARB/05/1, sentence du 22 août 2012, §§ 100 et s.
(droit souverain de l’État de réguler son économie dans le respect de ses engagements internationaux).
86. Décision Burlington, § 392.
87. P.-M. Dupuy/ Y. Kerbrat, Droit international public, Précis Dalloz, Paris, Dalloz, 2012, p. 371,
n° 329.

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616 arbitrage transnational et droit international général

C. Principes généraux de/du droit

Les arbitres cèdent sans cesse à la « tentation du principe ». Pêle-mêle, les


tribunaux arbitraux ont eu recours en 2012, en sus des principes d’interprétation
évoqués supra, aux principes : res judicata 88, jura novit curia 89, actori incumbat
probatio 90, nemo auditur propriam turpitudinem allegans 91, compétence-compé-
tence 92 (principe par ailleurs codifié à l’article 41 de la convention de Washington) 93,
principe d’équité de la procédure 94, de bonne foi 95, de proportionnalité 96 etc., sans
même insister sur les standards substantiels de droit des investissements aussi
qualifiés parfois de « principes » 97.

88. CIRDI, Bosh International, Inc. et B&P Ltd Foreign Investments Entreprise c. Ukraine, aff.
n° ARB/08/11, sentence du 25 octobre 2012, § 277.
89. Sentence Bosh, § 30 ; Trib. ad hoc CNUDCI, Jan Oostergetel et Theodora Laurentius c. Slovaquie,
sentence du 23 avril 2012 , § 141.
90. Sentence Oostergetel, § 147.
91. CIRDI, Occidental Petroleum Corporation and Occidental Exploration and Production Company
c. Équateur, n° ARB/06/11, sentence du 5 octobre 2012, §§ 545-546, 657.
92. CIRDI, Quiborax SA, Non Metallic Minerals SA et Allan Fosh Kaplùn c. Bolivie, aff. n° ARB/06/2,
décision sur la compétence, 27 septembre 2012, § 63 ; CPA (CNUDCI), ICS Inspection and Control Services
Limited (United Kingdom) c. Argentine, aff. n° 2010-9, sentence sur la compétence du 10 février 2012,
§ 255 – on notera avec intérêt les développements consacrés à l’étendue variable des pouvoirs inhérents
d’un tribunal arbitral selon les questions traitées : pouvoir discrétionnaire très large pour les questions
de procédure ; pouvoir limité au principe compétence-compétence pour les questions de compétence ;
entre ces deux extrêmes, le tribunal dispose d’une marge de pouvoir discrétionnaire dans l’appréciation
des conditions de recevabilité d’une requête, §§ 253 et s. Concernant les pouvoirs inhérents des tribu-
naux arbitraux, voy. CPA (CNUDCI), Philip Morris Asia Limited c. Australie, n° 2012-12, 30 novembre
2012, ordonnance procédurale n° 5, § 5 (pouvoir de se prononcer sur la confidentialité de la procédure) ;
CPA (CNUDCI), William Ralph Clayton, William Richard Clayton, Douglas Clayton, Daniel Clayton and
Bilcon of Delaware Inc. c. Canada, aff. n° 2009-04, ordonnance procédurale du 2 mai 2012, § 19 (déter-
mination des standards relatifs aux « privilege claims ») ; CIRDI, Quiborax SA, Non Metallic Minerals
SA et Allan Fosh Kaplùn c. Bolivie, aff. n° ARB/06/2, décision sur la compétence, 27 septembre 2012, §§
64, 67 (préservation de la procédure une fois la compétence établie) ; CIRDI, Abaclat e.a. c. Argentine, n°
ARB/07/5, ordonnance n° 12 du 7 juillet 2012 (détermination de la procédure à suivre afin de vérifier que
les 6 000 demandeurs restant entrent bien dans le champ de la compétence ratione personae du tribunal
telle qu’elle a été définie dans la décision sur la compétence et la recevabilité) ; CIRDI, Marion Unglaube
c. Costa Rica, aff. n° ARB/08/1, sentence du 16 mai 2012 , §§ 27-28 (consolidation de deux affaires par
« judicial economy ») ; CIRDI, Swisslion DOO Skopje c. Ancienne République yougoslave de Macédoine,
aff. n° ARB/09/16, sentence du 6 juin 2012, § 206 et s. (pouvoir d’ordonner la production de documents) ;
CIRDI, Daimler Financial Services AG c. Argentine, n° ARB/05/1, sentence du 22 août 2012, §§ 108-110 et
CIRDI, Bosh International, Inc. et B&P Ltd Foreign Investments Entreprise c. Ukraine, aff. n° ARB/08/11,
sentence du 25 octobre 2012, §§ 30, 97, 137-138 (pouvoir de prendre en considération des arguments
tardifs) ; CIRDI, Caratube International Oil Company LLP c. Kazakhstan, aff. n° ARB/08/12, sentence
du 5 juin 2012, §§ 267 et s. (audition de témoins) ; CIRDI, Flughafen Zürich AG and Gestión e Ingenería
IDC SA c. Venezuela, n° ARB/10/19, décision sur la disqualification d’un expert et l’exclusion de preuves,
29 août 2012 (pouvoir d’appréciation de la recevabilité des preuves). S’agissant des pouvoirs inhérents
des comités ad hoc, voy. Comité ad hoc CIRDI, Libananco Holdings Co. Ltd c. Turquie, aff. n° ARB/06/8,
décision sur la requête du demandeur concernant la prolongation de la suspension de l’exécution de la
sentence, 7 mai 2012, §§ 43 et s., 55 ; Comité ad hoc CIRDI, Commerce Group Corp. and San Sebastian
Gold Mines, Inc. c. El Salvador, n° ARB/09/17, décision sur la demande d’El Salvador sur la sécurisation
des coûts, 20 septembre 2012, § 45.
93. Voy. CIRDI, Pac Rim Cayman LLC c. El Salvador, aff. n° ARB/09/12, décision sur les objections
à la compétence, 1er juin 2012, § 5.30 ; CIRDI, Caratube International Oil Company LLP c. Kazakhstan,
aff. n° ARB/08/12, sentence du 5 juin 2012, § 309.
94. Sentence Bosh, § 139.
95. Sentence Oostergetel, § 227.
96. Sentence Occidental Petroleum, §§ 402 et s. ; Comité ad hoc CIRDI, Libananco Holdings Co.
Ltd c. Turquie, aff. n° ARB/06/8, décision sur la requête du demandeur concernant la prolongation de la
suspension de l’exécution de la sentence, 7 mai 2012, § 61.
97. Cf. R. Dolzer/ Ch. Schreuer, Principles of International Investment Law, 2nd Ed., Oxford, Oxford
UP, 2012, 456 p.

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arbitrage transnational et droit international général 617

Rares sont les décisions arbitrales qui s’embarrassent d’explications détaillées


sur la source du principe 98. Par exemple, la sentence Bosh, s’agissant des prin-
cipes res judicata et jura novit curia, se contente d’un renvoi en note de bas de
page vers l’ouvrage de Bin Cheng General Principles of Law as Applied by Inter-
national Courts and Tribunals. Dans la sentence Ooestergetel, l’on apprend que
c’est en vertu du droit du siège de l’arbitrage, le droit suisse, que le principe jura
novit curia a eu vocation à s’appliquer 99. De fait, les deux décisions renseignent
moins sur les origines du principe que sur ses effets : le principe jura novit curia
autorise le tribunal arbitral à prendre en compte des éléments de droit qui n’ont
pas été invoqués par les parties 100, ou qui l’ont été hors délais 101. Si dans l’affaire
Ooestergetel, il a permis au tribunal de pallier a minima la piètre qualité de l’argu-
mentation du requérant, force est de constater que certains tribunaux n’en font
pas application. Ainsi le tribunal de l’affaire H&H a-t-il considéré qu’il revenait
à la partie invoquant une règle de droit – en l’occurrence l’existence d’une règle
de prescription 102 – d’en apporter la preuve 103. Au regard du principe jura novit
curia, la solution est erronée : le droit, contrairement aux faits, est censé être
connu des arbitres 104.
Lorsqu’un principe juridique repose au cœur de la décision arbitrale, à plus
forte raison quand le montant de la réparation accordée in fine avoisine les deux
milliards de dollars, les efforts de motivation sont plus prononcés. Ainsi s’ex-
pliquent les passages de la sentence Occidental Petroleum sur le principe de
proportionnalité qui précèdent la conclusion du tribunal selon laquelle le compor-

98. Voy. cette chronique, in cet Annuaire, 2011, pp. 541 et s.


99. Trib. ad hoc CNUDCI, Jan Oostergetel et Theodora Laurentius c. Slovaquie, sentence du 23 avril
2012, § 141.
100. Id., 177.
101. CIRDI, Bosh International, Inc. et B&P Ltd Foreign Investments Entreprise c. Ukraine, aff.
n° ARB/08/11, sentence du 25 octobre 2012, § 30.
102. Concernant les questions de prescription extinctive de l’action, voy. aussi CIRDI, SGS Société
générale de surveillance SA c. Paraguay, aff. n° ARB/07/29, sentence du 10 février 2012, § 166 (absence
dans le TBI de limitation dans le temps du droit d’action) ; CPA (CNUDCI), ICS Inspection and Control
Services Limited (United Kingdom) c. Argentine, aff. n° 2010-9, sentence sur la compétence du 10 février
2012, §§ 201 et s., 215 et s., 327 (arguments des parties non examinés en raison de l’incompétence du
tribunal).
103. CIRDI, H&H Enterprises Investments, Inc. c. Égypte, aff. n° ARB 09/15, décision sur les objections
à la compétence, 5 juin 2012, § 87. Parmi les décisions de 2012 abordant des questions de preuve, voy.
CIRDI, SGS Société générale de surveillance SA c. Paraguay, aff. n° ARB/07/29, sentence du 10 février
2012, §§ 79 et s. (le requérant doit prouver les éléments alimentant sa requête, le défendeur ceux relatifs
à sa défense ; et dans le même sens : CIRDI, Marion Unglaube c. Costa Rica, aff. n° ARB/08/1, sentence du
16 mai 2012, §§ 33 et s. ; CIRDI, Swisslion DOO Skopje c. Ancienne République yougoslave de Macédoine,
aff. n° ARB/09/16, sentence du 6 juin 2012, §§ 268 et s.) ; CPA (CNUDCI), ICS Inspection and Control
Services Limited (United Kingdom) c. Argentine, aff. n° 2010-9, sentence sur la compétence du 10 février
2012, § 280 (en l’absence de présomption de consentement étatique au juge, il revient au demandeur de
prouver le consentement de l’État défendeur à l’arbitrage) ; CIRDI, Pac Rim Cayman LLC c. El Salvador,
aff. n° ARB/09/12, décision sur les objections à la compétence, 1er juin 2012, §§ 2.2 (application aux deux
parties du « higher standard of proof » dès le stade préliminaire ; le demandeur doit prouver les faits néces-
saires à l’établissement de la compétence, le défendeur doit prouver le bien-fondé de ses objections) ; CIRDI,
Caratube International Oil Company LLP c. Kazakhstan, aff. n° ARB/08/12, sentence du 5 juin 2012, §§
363 et s., 407 (absence de présomption du contrôle étranger dans le contexte des traités d’investissement) ;
Trib. ad hoc CNUDCI, Jan Oostergetel et Theodora Laurentius c. Slovaquie, sentence du 23 avril 2012,
§§ 295 et s. (absence de présomption de corruption générale de l’État) ; CIRDI, Quiborax SA, Non Metallic
Minerals SA et Allan Fosh Kaplùn c. Bolivie, aff. n° ARB/06/2, décision sur la compétence, 27 septembre
2012, §§ 65 et s. (admissibilité de la preuve émanant de procédures pénales internes) ; CIRDI, Deutsche
Bank AG c. Sri Lanka, n° ARB/09/2, sentence du 31 octobre 2012, § 327 (expertise en tant que moyen de
preuve) ; CPA (CNUDCI), William Ralph Clayton, William Richard Clayton, Douglas Clayton, Daniel
Clayton and Bilcon of Delaware Inc. c. Canada, aff. n° 2009-04, ordonnances procédurales de 2012 relatives
à la protection de certains documents confidentiels.
104. Cf. CIJ, Compétence en matière de pêcheries, arrêt du 24 juillet 1974, CIJ Rec. 1974, p. 9, § 17 :
« le droit ressortit au domaine de la connaissance judiciaire de la Cour ».

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618 arbitrage transnational et droit international général

tement de la société américaine n’ayant pas causé de dommage à l’Équateur, la


résiliation du contrat pétrolier par ce dernier constituait une sanction dispro-
portionnée, à l’origine d’une violation du traité d’investissement 105. Après avoir
constaté que le principe de proportionnalité était reconnu par la constitution
équatorienne 106, la sentence mobilise diverses sources pour établir la positivité
de la norme dans le contexte international : jurisprudence de groupes spéciaux
de l’OMC (sans référence correspondante), droits nationaux, en premier lieu ceux
des États européens (« It is very well-established law in a number of European
countries that there is a principle of proportionality which requires that admi-
nistrative measures must not be any more drastic than is necessary for achieving
the desired end ») 107, jurisprudence des cours européennes de Luxembourg et de
Strasbourg 108, jurisprudence du CIRDI 109. Si la référence aux droits étatiques,
voire à la jurisprudence européenne, paraît montrer que le tribunal puise à la
source des « principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées » au
sens de l’article 38 du statut de la CIJ, les autres éléments de l’argumentation
attestent plutôt que le principe a été digéré par le droit international économique.
Partant, le principe aurait acquis valeur coutumière, ce qui témoigne des passe-
relles entre principes généraux de droit international, par nature transitoires 110,
et principes généraux du droit international.

D. Actes unilatéraux

Le consentement de l’État à l’arbitrage CIRDI est susceptible de résider dans


les dispositions d’une loi nationale 111, ce qui soulève des problèmes d’interpréta-
tion déjà évoqués dans cette chronique 112. Les décisions arbitrales de l’année 2012
s’inscrivent dans ce débat sur le « dédoublement fonctionnel » de la loi nationale,
à la fois acte de droit interne et acte unilatéral au regard de l’ordre international.
Pour le tribunal de l’affaire Brandes, la disposition sur le règlement des diffé-
rends contenue dans la loi vénézuélienne sur les investissements devait être inter-
prétée en fonction du droit national concerné. Pour autant, dès lors que le résultat
de cette interprétation aurait des effets directs sur la compétence du tribunal
CIRDI au sens de l’article 25 de la convention de Washington, « the conclusions
resulting from that initial analysis must be read in accordance with the principles
of international law » 113. Par la suite, le tribunal a écarté l’analyse grammaticale
du texte, jugée vaine tant sa formulation est confuse, pour se concentrer sur le
contexte, les circonstances et le but de la disposition, sans toutefois préciser s’il l’a

105. CIRDI, Occidental Petroleum Corporation and Occidental Exploration and Production Company
c. Équateur, n° ARB/06/11, sentence du 5 octobre 2012, §§ 442 et s. (Comm. S. Manciaux, chronique
précitée note 4, pp. 546 et s.).
106. Id., §§ 396 et s.
107. Id., § 403.
108. Ibid.
109. Id., §§ 404 et s.
110. D. Carreau/ F. Marrella, Droit international public, 11e éd., Paris, Pedone, 2012, p. 345.
111. S’agissant du code guinéen des investissements, voy. CIRDI, Getma International e.a. c. Guinée,
n° ARB/11/29, décision sur la compétence, 29 décembre 2012, spéc. § 108, où le tribunal, visiblement
inspiré par la distinction treaty claims/contract claims devenue classique en droit des investissements,
estime que la clause compromissoire incluse dans le contrat et qui réserve le contentieux contractuel à
un tribunal OHADA n’empêche pas un tribunal CIRDI de connaître des réclamations fondées sur le code
des investissements.
112. Voy. cet Annuaire, 2010, pp. 618-620 ; 2011, p. 544.
113. CIRDI, Brandes Investment Partners, LP c. Venezuela, aff. n° ARB/08/3, sentence du 14 mai
2012, § 36 (voy. aussi § 81).

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arbitrage transnational et droit international général 619

fait en appliquant les méthodes d’interprétation vénézuéliennes ou internationales


– sans doute parce qu’elles coïncident.
Tout autre est la position du tribunal de l’affaire Pac Rim Cayman. S’alignant
sur les décisions rendues dans les affaires Mobil et Cemex qui avaient, non sans
artifice, fait abstraction totale de l’instrumentum législatif 114, les arbitres ont consi-
déré que la loi par laquelle un État consent à la compétence du CIRDI doit être
considérée comme offre permanente d’arbitrage « under the ICSID Convention
and interpreted according to the ICSID Convention and under the rules of inter-
national law governing unilateral declarations of States » 115. Contrairement aux
actes unilatéraux formulés par les États dans l’exercice de leur liberté d’agir au
niveau international 116 qui doivent faire, selon la CIJ, l’objet d’une interprétation
restrictive, les déclarations formulées dans le cadre d’un traité
« must be interpreted as they stand, having regard to the words actually used and
taking into account ‘the intention of the government at the time it made the decla-
ration’. Such intention can be inferred from the text, but also from the context, the
circumstances of its preparation and the purposes intended to be served by the
declaration. In doing so, the relevant words should be interpreted in a natural and
reasonable way » 117.
En présence d’une disposition claire et sans ambiguïté, dont le sens était
confirmé par le contexte, les circonstances d’élaboration et l’objectif poursuivi eu
égard à la convention de Washington, le tribunal a considéré que le consentement
à l’arbitrage était établi 118.

E. Jurisprudence

1. Jurisprudence et valeur du précédent

Le débat sur la valeur du précédent dans l’arbitrage en matière d’investis-


sement est une question désormais classique qui agite non pas seulement la
doctrine 119 mais fait également débat parmi les arbitres eux-mêmes 120. Si, de
fait, la référence aux décisions arbitrales antérieures est toujours abondante – en
partie parce qu’elles irriguent systématiquement les arguments présentés par les
parties aux litiges « either to conclude that the same solution should be adopted […],
or in an effort to explain why t[he] Tribunal should depart from that solution » 121
– certains antagonismes sont nés au sein du corps arbitral, qui font parfois l’objet
d’une formulation à part entière dans leur décision.
La position restrictive a été défendue par Brigitte Stern dans plusieurs arbi-
trages, qui considère qu’il est du devoir de l’arbitre de « to decide each case on its

114. Voy. cette chronique in cet Annuaire, 2010, pp. 618-620.


115. CIRDI, Pac Rim Cayman LLC c. El Salvador, aff. n° ARB/09/12, décision sur les objections à la
compétence, 1er juin 2012, § 5.33.
116. Cf. CDI, Principes directeurs applicables aux déclarations unilatérales des États susceptibles
de créer des obligations juridiques, Ann. CDI, 2006, A/61/10, § 176.
117. Décision Pac Rim Cayman, § 5.35.
118. Id., §§ 5.37 et s.
119. Voy. dernièrement I. M. Ten Cate, « The Costs of Consistency : Precedent in Investment Treaty
Arbitration », Colum. J. Transn’l L., 2013, vol 51., pp. 418 et s.
120. Voy. la présente chronique in cet Annuaire, 2009, pp. 695 et s. ; 2010, pp. 628 et s. ; 2011, pp. 544
et s.
121. CIRDI, Quiborax SA, Non Metallic Minerals SA et Allan Fosh Kaplùn c. Bolivie, aff. n° ARB/06/2,
décision sur la compétence, 27 septembre 2012, § 45.

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620 arbitrage transnational et droit international général

own merits, independently of any jurisprudential trend » 122. En d’autres termes,


aucun objectif de cohérence jurisprudentielle ne doit influencer l’arbitre dans sa
mission de résoudre le différend qui lui est soumis. Il n’en demeure pas moins que
les tribunaux d’investissement « d[o] not adjudicate in a vacuum » 123 : les décisions
arbitrales préalables, sans être « decisive » 124, peuvent être prises en considération
dans la mesure où elles fournissent un éclairage utile sur les questions à examiner
(« shed any [useful] light on the issues that arise for decision » 125), quitte à insister
sur l’importance qu’il y a à prendre en compte la différence de contextes entre les
cas antérieurs et celui de l’espèce 126.
Certains tribunaux arbitraux retiennent une conception difficilement conci-
liable avec cette approche. Sans pour autant consacrer la « règle du précédent » 127,
ils estiment devoir tenir compte des décisions antérieures et ne pas prendre des
distances « from an existing series of consistent decisions save for compelling
reasons » 128. À cet égard, la sentence Daimler distingue trois facteurs devant
être pris en considération : le degré de similitude des affaires ; la mesure dans
laquelle « a clear jurisprudence constante has emerged in respect of a particular
legal issue » ; et « the Tribunal’s independent estimation of the persuasivenesss of
prior tribunals’ reasoning » 129. Mettant en application ces critères au sujet du droit
d’action des détenteurs de parts sociales, le tribunal n’a trouvé aucune raison, ni
dans le traité applicable, ni dans le droit international général, de se départir « from
the overwhelming jurisprudence constante that has emerged around this legal ques-
tion » 130. En revanche, sur la question de l’application de la clause de la nation la
plus favorisée aux clauses de règlement des différends, il n’a pu que constater le
désordre jurisprudentiel 131, contre lequel la CDI a d’ailleurs entrepris de lutter

122. Id. , § 46 ; CIRDI, Burlington Resources Inc. c. Équateur, n° ARB/08/5, décision sur la responsa-
bilité, 14 décembre 2012, § 187. L’arbitre semble s’être appliqué la règle dans les affaires AES Summit et
Electrabel, les deux tribunaux arbitraux au sein desquels elle siégeait ayant donné des solutions différentes
sur la question de l’application du droit de l’Union européenne (voy. infra III, B.). Voy. aussi l’opinion indivi-
duelle de l’arbitre D. Bello Janeiro jointe à la sentence Daimler, dans laquelle il explique son changement
de position, par rapport à la sentence Siemens, concernant l’extension de la clause de la nation la plus
favorisée aux procédures de règlement des différends.
123. CIRDI, Teinver SA, Transportes de Cercanías SA and Autobuses Urbanos del Sur SA c. Argentine,
n° ARB/09/1, décision sur la compétence, 21 décembre 2012, § 167.
124. CIRDI, Brandes Investment Partners, LP c. Venezuela, aff. n° ARB/08/3, sentence du 14 mai
2012, § 31.
125. CIRDI, Caratube International Oil Company LLP c. Kazakhstan, aff. n° ARB/08/12, sentence du
5 juin 2012, § 235 ; sentence Brandes, § 31. Cf. supra A, la place de la jurisprudence en matière d’inter-
prétation des traités.
126. Sentence Caratube, § 359 (différence de contexte entre la notion d’investissement aux fins d’éta-
blir si le requérant est un ressortissant de l’autre État partie au sens du TBI, et la notion d’investissement
aux fins d’établir la compétence matérielle du tribunal CIRDI conformément à l’article 25 de la convention
de Washington) ; CIRDI, ConocoPhillips Company et al. c. Venezuela, aff. n° ARB/07/30, décision sur la
demande de récusation de l’arbitre Yves Fortier, 27 février 2012, § 53 (contexte différent de la jurispru-
dence nationale et internationale invoquée relativement à l’indépendance et l’impartialité des juges et
des arbitres).
127. CIRDI, Quiborax SA, Non Metallic Minerals SA et Allan Fosh Kaplùn c. Bolivie, aff. n° ARB/06/2,
décision sur la compétence, 27 septembre 2012, § 46 (« The Tribunal considers that it is not bound by
previous decisions ») ; CIRDI, Daimler Financial Services AG c. Argentine, n° ARB/05/1, sentence du 22 août
2012, § 52 (« there is no system of precedent in investor-State arbitration, nor indeed could there be, given
the large and diverse set of treaties presently applicable to various investor-State claims »).
128. CIRDI, Electrabel SA c. Hongrie, n° ARB/07/19, décision sur la compétence, le droit applicable
et la responsabilité, 30 novembre 2012, § 4.15. Voy. aussi CIRDI, Bosh International, Inc. et B&P Ltd
Foreign Investments Entreprise c. Ukraine, aff. n° ARB/08/11, sentence du 25 octobre 2012, § 210 ; Trib.
ad hoc CNUDCI, Jan Oostergetel et Theodora Laurentius c. Slovaquie, sentence du 23 avril 2012, § 145.
129. Sentence Daimler, § 52.
130. Id., § 91. Voy. aussi §§ 141 et s.
131. Sentence Daimler, § 268. Voy. à cet égard la taxinomie réalisée par la CNUCED sur le traitement
de la nation la plus favorisée, citée in CIRDI, Teinver SA, Transportes de Cercanías SA and Autobuses

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arbitrage transnational et droit international général 621

à travers les travaux d’un groupe d’étude dont l’ambition est de « contribuer à
accroître la sécurité et la stabilité du droit des investissements » 132.
Cette seconde conception est le signe d’une approche systémique assumée qui
semble faire de chaque tribunal arbitral l’agent de la « communauté des États et
des investisseurs » dont les attentes légitimes en matière de sécurité juridique
devraient conduire les arbitres à contribuer au développement harmonieux du droit
des investissements et à promouvoir « a predictable legal order » en suivant les
solutions antérieures 133. Dans cette perspective, le tribunal de l’affaire Burlington
a estimé qu’il n’y avait pas lieu d’opérer une distinction entre les déterminations
principales et les obiter dicta : « Whether peripheral or central to the decision, the
statements of an international investment tribunal may provide guidance to inves-
tors and host States alike, and may serve to predict the decisions of future tribu-
nals » 134. Le même tribunal n’a pas non plus été dérangé par l’absence de « series of
consistent cases » sur une question donnée, dès lors que « the majority of the ICSID
case law » venait au soutien de sa solution 135.
Tous les tribunaux arbitraux n’affichent pas la couleur de manière aussi expli-
cite, mais la trace plus ou moins marquée de l’une de ces deux positions se retrouve
assez aisément dans les décisions rendues. La seconde approche est par exemple
celle qui est implicitement retenue par le tribunal de l’affaire Clayton qui, prenant
acte de l’accord des parties sur l’existence d’une « evolving jurisprudence constante
by prior NAFTA tribunals » en matière de production de documents sensibles, a
passé en revue les décisions antérieures dont il a déduit les conditions auxquelles
un document détenu par une partie pouvait faire l’objet d’une protection 136. Inver-
sement, la conception restrictive se manifeste lorsque les arbitres s’interdisent de
faire des obiter dicta afin de ne pas influencer des décisions futures, moins par
économie de moyens 137 que pour prévenir les conflits d’intérêts, si l’on en croit la
sentence Standard Chartered Bank 138.

Urbanos del Sur SA c. Argentine, n° ARB/09/1, décision sur la compétence, 21 décembre 2012, §§ 168 et s.
Voy. aussi, au sujet des clauses parapluie CIRDI, Bosh International, Inc. et B&P Ltd Foreign Investments
Entreprise c. Ukraine, aff. n° ARB/08/11, sentence du 25 octobre 2012, § 248.
132. Rapport de la CDI, 2012, A/67/10, p. 130, § 246.
133. CIRDI, Burlington Resources Inc. c. Équateur, n° ARB/08/5, décision sur la responsabilité,
14 décembre 2012, §§ 187 et 221. Dans le même sens, voy. CIRDI, Quiborax SA, Non Metallic Minerals
SA et Allan Fosh Kaplùn c. Bolivie, aff. n° ARB/06/2, décision sur la compétence, 27 septembre 2012,
§ 46 ; CIRDI, EDF International SA, SAUR International SA and León Participaciones Argentinas SA c.
Argentine, n° ARB/03/23, sentence du 11 juin 2012, § 897 ; sur l’idée d’un « ordre juridique international
des investissements », discutable eu égard à son absence d’autonomie à l’égard de l’ordre juridique inter-
national, voy. O. Danic, op. cit. note 71, pp. 923 et s.
134. Décision Burlington, § 221.
135. Id., § 233.
136. CPA (CNUDCI), William Ralph Clayton, William Richard Clayton, Douglas Clayton, Daniel
Clayton and Bilcon of Delaware Inc. c. Canada, n° 2009-04, 11 juillet 2012, ordonnance n° 13, §§ 22 et s.
Opérant aussi un passage en revue détaillé des précédents relatifs à la distinction entre les comportements
contractuels ordinaires et les actes de puissance publique, sans craindre de faire le tri entre le bon grain
et l’ivraie, voy. CIRDI, Bureau Veritas, Inspection, Valuation, Assessment and Control, BIVAC BV c. Para-
guay, n° ARB/07/9, décision supplémentaire sur la recevabilité, 9 octobre 2012, 254 et s. Voy. infra, II, A.
137. Parmi les rares sentences pratiquant l’économie de moyens, voy. CIRDI, Antoine Goetz e.a. et
SA Affinage des métaux c. Burundi, aff. n° ARB/01/2, sentence du 21 juin 2012, spéc. § 259. À l’opposé
de cette conception, la « courtoisie » envers les parties – ou peut-être l’envie dissimulée de faire jurispru-
dence, voire le seul plaisir du droit – conduit de nombreux tribunaux à examiner des questions superfé-
tatoires pour la résolution du différend. Voy. notamment CIRDI, Pac Rim Cayman LLC c. El Salvador,
aff. n° ARB/09/12, décision sur les objections à la compétence, 1er juin 2012, §§ 2.1, 3.44 ; CNUDCI, Carl
A. Sax e.a. c. Ville de Saint-Pétersbourg, sentence finale du 30 mars 2012, § 776 ; CIRDI, Electrabel SA c.
Hongrie, n° ARB/07/19, 30 novembre 2012, décision sur la compétence, le droit applicable et la responsa-
bilité, §§ 4.172 et s., 7.58 et s.
138. CIRDI, Standard Chartered Bank c. Tanzanie, n° ARB/10/12, sentence du 2 novembre 2012,
§ 274 (« Gratuitous resolution of unnecessary issues might present an appearance of impropriety, suggesting

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622 arbitrage transnational et droit international général

Bien souvent toutefois, la question des précédents relève d’une approche


purement casuistique. Dans l’affaire Kilic, non seulement les précédents invoqués
concernant l’interprétation d’une clause conventionnelle n’étaient qu’au nombre
de deux, mais le tribunal a encore considéré qu’ils n’étaient pas suffisamment
convaincants 139. Un précédent unique mais suffisamment convaincant aux yeux
du tribunal sera néanmoins dûment pris en considération 140.

2. Jurisprudence et hiérarchie juridictionnelle

Dans les systèmes de droit interne, la cohérence de la jurisprudence repose sur


l’existence de juridictions suprêmes dont la position hiérarchique assure l’autorité
des solutions qu’elles dégagent. En matière d’arbitrage transnational, un succé-
dané d’organisation juridictionnelle hiérarchisée pourrait résider dans le système
d’annulation des sentences arbitrales prévu par la convention de Washington.
La limitation des cas d’ouverture par l’article 52 de la convention tout comme la
pratique généralement autorestrictive des comités ad hoc 141 ne permettent pas
d’assurer l’unité jurisprudentielle au sein de l’arbitrage CIRDI. Le poids supérieur
des décisions rendues par les comités d’annulation a toutefois été reconnu dans
l’affaire Burlington. Au requérant qui argumentait que « [a]d hoc committees are
not inherently superior to [a]rbitral [t]ribunals, whether in their composition or in
their entitlement to create jurisprudence » pour privilégier la solution donnée par un
tribunal CIRDI plutôt que celle du comité ad hoc qui avait annulé la sentence, les
arbitres ont rétorqué que « one cannot disregard that the ICSID Convention entrusts
ad hoc committees with the power to annul awards » et que le comité en question
avait annulé la sentence sur le point précisément invoqué par le requérant 142.

3. Jurisprudence de la Cour internationale de Justice

Même s’il n’y a aucun lien hiérarchique subordonnant à la Cour internationale


de Justice les tribunaux transnationaux, force est de constater que sa jurisprudence
est couramment exploitée pour trancher les litiges en matière d’investissement. La
présence assez fréquente parmi ces instances d’anciens membres de la Cour (plus
rarement de juges en activité) ou de professeurs de droit international constitue
à cet égard un facteur sociologique non négligeable permettant d’expliquer cette
influence 143. Surtout, la Cour a tranché avec l’autorité morale qui s’attache à ses
décisions nombre de questions substantielles mais surtout procédurales qui se

(rightly or wrongly) that members of a tribunal succumbed to the temptation of making needless decisions
simply to create dictum persuasive in other cases in which they have a role »).
139. CIRDI, Kılıç İnşaat İthalat İhracat Sanayi ve Ticaret Anonim Şirketi c. Turkménistan, aff.
n° ARB/10/1, décision sur l’article VII.2 du traité bilatéral d’investissement Turquie-Turkménistan, 7 mai
2012, §§ 9.9 et s. Voy. aussi CIRDI, Pac Rim Cayman LLC c. El Salvador, aff. n° ARB/09/12, décision sur
les objections à la compétence, 1er juin 2012, §§ 3.39 et s.
140. CIRDI, Deutsche Bank AG c. Sri Lanka, n° ARB/09/2, sentence du 31 octobre 2012, § 288 et s.
au sujet des critères à appliquer pour déterminer l’existence d’un lien territorial entre l’investissement
financier et l’État défendeur (application du « précédent » de l’affaire Abaclat).
141. Voy. cette chronique in cet Annuaire, 2009, pp. 725-726 ; 2011, pp. 594-595. En 2012, voy. Comité
ad hoc CIRDI, Victor Pey Casado and President Allende Foundation c. Chili, n° ARB/98/2, 18 décembre
2012, spéc. §§ 129, 148, 172
142. CIRDI, Burlington Resources Inc. c. Équateur, n° ARB/08/5, décision sur la responsabilité,
14 décembre 2012, § 230.
143. Parmi les anciens juges ayant siégé dans des tribunaux ayant rendu des décisions rendues en
2012, on relève ainsi la présence de Th. Buergenthal (aff. Teinver), G. Guillaume (aff. Goetz, Swisslion),
S. Schwebel (aff. Toto Costruzioni), B. Simma (aff. Clayton). Parmi les professeurs de droit international,
on notera la présence de P.-M. Dupuy (aff. Daimler, ICS Inspection), H. van Houtte (aff. Mobil Invest-
ments, Toto Costruzioni, Getma), D. McRae (aff. Bosh, Clayton, Bureau Veritas), Ph. Sands (aff. Mobil

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arbitrage transnational et droit international général 623

posent aussi de manière classique ou renouvelée dans le contentieux en matière


d’investissement.
La transposition de la jurisprudence interétatique au contentieux transnational
intervient sans difficulté majeure dans de nombreux cas, par exemple lorsqu’il
s’agit de définir le différend 144, d’identifier la date de sa « cristallisation » 145, de
dispenser le demandeur de notifier formellement à la partie adverse qu’il entend
mener des négociations sur le fondement d’un traité identifié 146, de vérifier que les
négociations entamées 147 et le litige soumis aux juridictions internes 148 portaient
sur le même objet que le différend soumis au tribunal, de dispenser le demandeur
d’introduire une nouvelle requête dès lors que la condition de délai, non respectée
au moment de la requête initiale, l’est par la suite 149, d’apprécier la compétence
du tribunal à la date de l’introduction de la requête 150 etc.
La référence s’impose d’elle-même lorsque les textes applicables (convention
de Washington ou règlement d’arbitrage du CIRDI) sont directement inspirés des
textes régissant la Cour : ainsi la jurisprudence de la CIJ a-t-elle été mobilisée
pour rappeler le caractère obligatoire et les conditions d’indication des mesures
conservatoires 151 ; ou encore pour établir le critère de connexité directe qui condi-
tionne la recevabilité d’une demande reconventionnelle 152 – on notera en passant
que les sentences Goetz et Inmaris sont parmi les très rares décisions arbitrales
transnationales à admettre ce type de demande 153, même si sur le fond elles n’ont
pas prospéré 154. Les tribunaux arbitraux transnationaux ont même façonné une
jurisprudence quelque peu chaotique à partir de l’opinion individuelle du juge R.
Higgins jointe à l’arrêt de la CIJ du 12 décembre 1996 dans l’affaire des Plates-
formes pétrolières (« Higgins Test » ou « Platform Test ») 155 en vertu de laquelle un
tribunal retiendra sa compétence au stade préliminaire si les faits invoqués sont
prima facie de nature à constituer une violation du traité invoqué 156.

Investments, Bosh, Kılıç), B. Stern (aff. Brandes, Pac Rim Cayman, Burlington, Electrabel, Occidental
Petroleum, Quiborax, Ulysseas), Ch. Tomuschat (aff. SAUR International) etc.
144. CIRDI, Teinver SA, Transportes de Cercanías SA and Autobuses Urbanos del Sur SA c. Argen-
tine, n° ARB/09/1, décision sur la compétence, 21 décembre 2012, § 110 (référence à l’arrêt Concessions
Mavrommatis en Palestine).
145. Id., § 119 (référence aux arrêts Concessions Mavrommatis en Palestine, Sud-Ouest africain,
Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête : 2002)).
146. Id., § 115 (référence aux affaires Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre
celui-ci et Application de la convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale).
147. Id., § 123 (référence à l’affaire de l’Application de la convention pour l’élimination de toutes les
formes de discrimination raciale).
148. Id., §§ 132-133 (référence à l’arrêt ELSI).
149. Id., § 135 (référence aux affaires sur l’Application de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide).
150. Id., § 255 (référence aux affaire du Mandat d’arrêt et Lockerbie).
151. CIRDI, Tethyan Copper Company Pty Ltd c. Pakistan, n° ARB/12/1, décision sur les mesures
conservatoires, 13 décembre 2012, §§ 119-120. Sur cette question, voy. cette chronique in cet Annuaire, 2009,
pp. 712 et s. ; 2011, pp. 582-583. En 2012, voy. aussi Comité ad hoc CIRDI, Victor Pey Casado and President
Allende Foundation c. Chili, n° ARB/98/2, 18 décembre 2012 (absence de contradiction entre la décision
sur les mesures conservatoires et la sentence du tribunal) ; Comité ad hoc CIRDI, Libananco Holdings Co.
Ltd c. Turquie, aff. n° ARB/06/8, décision la demande de mesures conservatoires, 7 mai 2012, §§ 15 et s.
152. CIRDI, Antoine Goetz e.a. et SA Affinage des métaux c. Burundi, aff. n° ARB/01/2, sentence du
21 juin 2012, §§ 267 et s.
153. Sur cette question, voy. W. Ben Hamida, « Les demandes reconventionnelles », Cahiers de l’arbi-
trage, 2012, p. 893 et cette chronique in cet Annuaire, 2011, pp. 584-585.
154. Sentence Goetz, § 287 ; CIRDI, Inmaris Perestroika Sailing Maritime Services GmbH e.a.
c. Ukraine, aff. n° ARB/08/8, sentence du 1er mars 2012, § 432. Voy. aussi CIRDI, Occidental Petroleum
Corporation and Occidental Exploration and Production Company c. Équateur, n° ARB/06/11, 5 octobre
2012, §§ 297 et s.
155. Voy. cette chronique in cet Annuaire, 2009, pp. 707 et s. ; 2011, p. 565 et s.
156. En 2012, sur cette question, voy. CPA (CNUDCI), Chevron Corp. and Texaco Petroleum Corp.
c. Équateur, aff. n° 2009-23, Troisième sentence intérimaire (compétence et recevabilité), 27 février 2012,

Livre_Afdi2012.indb 623 29/07/2013 15:46:12


624 arbitrage transnational et droit international général

Alors qu’il a été souvent reproché aux tribunaux d’investissement de négliger


les droits de l’État souverain au profit de ceux des investisseurs étrangers, la
diffusion dans l’arbitrage transnational de la jurisprudence de la Cour, laquelle se
caractérise par une déférence doucement conservatrice à l’égard de ses souverains
usagers, est de nature à opérer un certain rééquilibrage en faveur des États 157.
Ainsi peut être interprétée la sentence Daimler sur la question controversée du
champ d’application de la clause de la nation la plus favorisée 158. Comme le membre
français de la CDI l’a clairement expliqué, deux tendances jurisprudentielles
coexistent en la matière :
« l’une insiste sur l’aspect ‘traitement’ (deux États accordent à leurs nationaux
respectifs un traitement privilégié) pour fonder plus facilement l’application de
la clause NPF à la clause de règlement des différends ; l’autre insiste sur l’aspect
‘règlement des différends’ (la clause de règlement des différends constitue le fonde-
ment du consentement de l’État à l’arbitrage) en mettant en avant la nécessité de
respecter le principe du consentement de l’État à l’arbitrage » 159.
L’approche ostensiblement « publiciste » 160 (aspect « règlement des différends »)
retenue par la sentence Daimler se manifeste à travers la place importante réservée
aux arrêts de la Cour mondiale dans la motivation déployée. La sentence insiste en
particulier sur la jurisprudence de la Cour relative à l’existence nécessaire et non
présumée d’un consentement de l’État pour que les différends le concernant soient
soumis à un tribunal international 161. Plus loin, elle prend appui sur l’affaire de
l’Application de la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimina-
tion raciale (Géorgie c. Russie) pour considérer que la stipulation conventionnelle
imposant un délai de 18 mois de litige devant les juridictions nationales ne peut
être traitée comme une simple question procédurale ou de recevabilité, mais qu’elle

§§ 4.3 et s. (critère de l’affaire « décemment plaidable » plutôt que celui de la balance des probabilités ;
preuve définitive des faits relatifs à la compétence qui ne seront pas abordés au fond) ; CIRDI, Quiborax
SA, Non Metallic Minerals SA et Allan Fosh Kaplùn c. Bolivie, aff. n° ARB/06/2, décision sur la compétence,
27 septembre 2012, § 54 (recherche de l’équilibre entre un standard qui aboutirait à examiner les questions
de fond dès le stade de la compétence et un standard qui conférerait un poids excessif à la qualification
opérée par le demandeur) ; Trib. ad hoc CNUDCI, Jan Oostergetel et Theodora Laurentius c. Slovaquie,
sentence du 23 avril 2012, §§ 135, 150, 137 (distinction entre le caractère définitif des conclusions sur
la compétence et le caractère préliminaire des conclusions sur la violation prima facie du traité ; rejet,
au stade du fond, d’un argument sur la compétence) ; CIRDI, Pac Rim Cayman LLC c. El Salvador, aff.
n° ARB/09/12, décision sur les objections à la compétence, 1er juin 2012, §§ 2.5 et s. (le standard prima
facie, ne porte pas sur l’existence des faits, qui doivent être prouvés dès le stade de la compétence, mais
revient à « tester » le fond de l’affaire au stade préliminaire). Sur la distinction entre la compétence et le
fond, voy. aussi CIRDI, H&H Enterprises Investments, Inc. c. Égypte, aff. n° ARB 09/15, décision sur les
objections à la compétence, 5 juin 2012, § 87 et CIRDI, Bureau Veritas, Inspection, Valuation, Assessment
and Control, BIVAC BV c. Paraguay, n° ARB/07/9, décision supplémentaire sur la recevabilité, 9 octobre
2012, passim (décision supplémentaire sur des questions préliminaires alors que le fond est largement
entamé ; voy. comm. S. Manciaux in JDI, 2013, n° 2, pp. 526 et s.). À noter que l’opinion de R. Higgins a
fait l’objet d’une référence sur une autre question (le traitement juste et équitable envers les ressortissants
et les sociétés, et les mesures déraisonnables et discriminatoires) , in CIRDI, Marion Unglaube c. Costa
Rica, aff. n° ARB/08/1, sentence du 16 mai 2012, § 246.
157. Sur le rééquilibrage du droit international des investissements, voy. O. Danic, op. cit. note 71,
pp. 805 et s. Insistant sur l’équilibre des intérêts État-investisseur voy. CIRDI, Quiborax SA, Non Metallic
Minerals SA et Allan Fosh Kaplùn c. Bolivie, aff. n° ARB/06/2, décision sur la compétence, 27 septembre
2012, § 264.
158. Sur cette question, voy. cette chronique in cet Annuaire, 2009, pp. 710 et s. ; 2011, pp. 573 et s.
159. Résumé du document de travail présenté par M. Forteau sur l’effet de la nature mixte de
l’arbitrage en matière d’investissements sur l’application de la clause de la nation la plus favorisée aux
dispositions procédurales, in Rapport de la CDI, 2012, A/67/10, p. 133, § 256.
160. Id.
161. Sentence Daimler, §§ 174 et s. (référence aux arrêts des affaires Statut de la Carélie orientale,
Ambatielos, Or monétaire pris à Rome en 1943, Droits des minorités en Haute-Silésie polonaise, Lotus,
Timor oriental etc.).

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arbitrage transnational et droit international général 625

constitue une pré-condition conventionnelle du consentement étatique à la juri-


diction 162. Quelques paragraphes après, la sentence se réfère au raisonnement
de la CIJ dans l’affaire de l’Anglo-Iranian Oil Company selon lequel l’État doit
avoir consenti au mode de règlement des différends avant que le requérant puisse
soulever une clause de la nation la plus favorisée devant le forum désigné 163. Loin
de se perdre au milieu des nombreux autres arguments avancés par le tribunal
pour se déclarer incompétent sur le fondement d’un traité invoqué via le jeu de la
clause de la nation la plus favorisée, les références à la jurisprudence de la Cour, qui
ancrent les litiges transnationaux dans l’ordre juridique international, ­apparaissent
comme l’ossature du raisonnement déployé 164.
Dans d’autres cas de figure, la greffe de la jurisprudence de la CIJ connaît
des risques de rejet, en raison du caractère transnational du contentieux arbitral.
La question s’est posée au sujet de l’applicabilité à un litige État-investisseur
du « principe de l’Or monétaire », selon lequel un tribunal compétent pour tran-
cher un différend ne doit pas exercer sa juridiction si l’objet même de sa décision
concerne les intérêts juridiques d’un État tiers 165. Si la transposition du prin-
cipe à l’arbitrage transnational ne soulève guère d’interrogations métaphysiques
lorsque la tierce partie est un État 166, l’analogie peut-elle jouer lorsqu’il s’agit de
personnes privées ? Le principe de l’Or monétaire repose en effet sur un « principe
de droit international bien établi et incorporé dans le Statut, à savoir que la Cour
ne peut exercer sa juridiction à l’égard d’un État si ce n’est avec le consentement
de ce dernier » 167. Si le droit international public ne fournit aucune règle générale
analogue concernant les personnes privées, force est de constater que l’arbitrage
transnational repose aussi sur le principe du consentement 168, ce qui pourrait
permettre l’application par analogie du principe. Alors que les parties en litige
dans l’affaire Chevron se disputaient sur cette question 169, le tribunal a préféré
contourner l’obstacle, en estimant que même si le principe était applicable, il ne
lui interdirait pas d’exercer sa juridiction dans le cas d’espèce 170. On notera au

162. Sentence Daimler, § 194.


163. § 2010. Voy. aussi CPA (CNUDCI), ICS Inspection and Control Services Limited (United Kingdom)
c. Argentine, aff. n° 2010-9, sentence sur la compétence du 10 février 2012, §§ 291 et s.
164. Cf. l’approche radicalement différente in CIRDI, Teinver SA, Transportes de Cercanías SA and
Autobuses Urbanos del Sur SA c. Argentine, n° ARB/09/1, 21 décembre 2012, décision sur la compétence,
§§ 168 et s.
165. CIJ, Or monétaire pris à Rome en 1943 (Italie c. France e.a.), question préliminaire, arrêt du
15 juin 1954, CIJ Rec. 1954, p. 32. Concernant les autres questions de recevabilité abordées en 2012, voy.
CIRDI, Iberdrola Energía SA c. Guatemala, n° ARB/09/5, sentence du 17 août 2012, §§ 347, 408 (nouvelle
demande dans sa réplique ; irrecevabilité des modifications des demandes initiales au moment du dépôt
de ses conclusions) ; CIRDI, Swisslion DOO Skopje c. Ancienne République yougoslave de Macédoine, aff.
n° ARB/09/16, sentence du 6 juin 2012, §§ 133 et s. (éléments de la réclamation non contenus dans la requête
introductive d’instance). Sur la distinction entre compétence et recevabilité, voy. CIRDI, Pac Rim Cayman
LLC c. El Salvador, aff. n° ARB/09/12, décision sur les objections à la compétence, 1er juin 2012, § 2.107 ;
CIRDI, Daimler Financial Services AG c. Argentine, n° ARB/05/1, sentence du 22 août 2012, §192 et s. ;
CIRDI, Bosh International, Inc. et B&P Ltd Foreign Investments Entreprise c. Ukraine, aff. n° ARB/08/11,
sentence du 25 octobre 2012, § 136 ; CIRDI, Marion Unglaube c. Costa Rica, aff. n° ARB/08/1, sentence du
16 mai 2012 , § 293. Voy. aussi cette chronique in cet Annuaire, 2011, pp. 568 et s.
166. En ce sens, voy. CPA (CNUDCI), Larsen c. Royaume d’Hawaï, sentence du 5 février 2001, § 11.17
167. CIJ, Or monétaire pris à Rome en 1943 (Italie c. France e.a.), question préliminaire, arrêt du
15 juin 1954, CIJ Rec. 1954, p. 32.
168. Voy. notamment l’article 25 de la convention de Washington, inapplicable en l’espèce.
169. CPA (CNUDCI), Chevron Corp. and Texaco Petroleum Corp. c. Équateur, aff. n° 2009-23, Troi-
sième sentence intérimaire (compétence et recevabilité), 27 février 2012, §§ 3.83 et s.
170. Sentence Chevron, §§ 4.60 et s. L’Équateur soutenait en effet que le tribunal arbitral ne pouvait
se prononcer sur sa responsabilité pour violation du traité d’investissement (à raison du non respect d’un
accord de règlement amiable par lequel la société s’était engagée à réparer les dommages environnemen-
taux qu’elle avait causés en échange d’une exonération de responsabilité) sans se prononcer sur les droits
des plaignants de l’affaire Lago Agrio, lesquels demandent aux juridictions équatoriennes de condamner

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626 arbitrage transnational et droit international général

passage que le tribunal a considéré que le principe de l’Or monétaire dérivait de,
et mettait en œuvre, trois principes distincts : celui du consentement à la compé-
tence, celui de la tierce partie indispensable (auquel le principe de l’Or monétaire
est pourtant généralement assimilé), et le principe de « due process », relatif aux
droits procéduraux de la partie absente 171.

F. Doctrine

Les réticences qu’ont les cours internationales – à l’inverse des parties, ou des
juges dans leurs opinions séparées – à se référer à la doctrine dans leurs décisions
et, plus encore, à citer des auteurs particuliers 172, est considérablement atténuée
dans l’arbitrage transnational en matière d’investissement, où la confiance en la
parole doctrinale est grande. Sans doute la jeunesse de la discipline laisse-t-elle
aux arbitres une « soif de droit » que le recours aux auteurs permet d’étancher.
Il faut dire aussi que dans le « petit monde » de l’arbitrage transnational, les cas
sont nombreux de membres de la doctrine qui officient par ailleurs en tant qu’ar-
bitre, conseil ou expert sollicité par les parties pour délivrer des opinions 173. Il
y a sans doute là une explication sociologique à l’importance de la doctrine dans
l’arbitrage transnational, alors qu’en droit international général la plupart de ses
membres ne représentent « pas grand chose dans un contexte normatif dominé par
la ­prééminence étatique » 174.
Certains ouvrages, émanant de la « doctrine établie » (« established
doctrine » 175), s’apparentent même à des codifications du droit positif des inves-
tissements si l’on en croit la propension des arbitres à s’y référer les yeux fermés.
Tel est le cas du « leading treatise » 176 Principles of International Investment Law de
R. Dolzer et Ch. Schreuer, de l’« authoritative » 177 commentaire de la convention de
Washington du même Ch. Schreuer 178 et al. 179, de l’ouvrage du « leading commen-
tator » 180 (par ailleurs arbitre, avocat et expert) Jan Paulsson Denial of Justice in
International Law, ou encore de la monographie de Z. Douglas The International

l’entreprise pétrolière américaine à indemniser les dommages environnementaux subis. Le tribunal a


considéré que les conclusions qu’il ferait sur l’accord de règlement amiable n’auraient pas pour effet de
trancher le litige de l’affaire Lago Agrio ; qu’ainsi les plaignants n’avaient pas qualité de tierces parties
indispensables (§ 4.67).
171. Sentence Chevron, § 4.61.
172. D. Carreau/ F. Marrella, op. cit. note 110, p. 351.
173. En 2012, l’affaire interétatique CPA, Équateur c. États-Unis d’Amérique, n° 2012-5 (voy. supra
note 2), déclenchée sur le fondement du TBI entre les deux États, a été le cadre d’une profusion d’opinions
d’experts, sollicitées par l’une ou l’autre partie (opinions de Ch. Tomuschat, M. Reisman, C.F. Amerasinghe,
S. McCaffrey, A. Pellet etc.). Évoquant les risques de conflits d’intérêts des arbitres « multi-casquettes »
bien que ne mentionnant pas (à tort) celle de commentateur de la jurisprudence, voy. CIRDI, Standard
Chartered Bank c. Tanzanie, n° ARB/10/12, sentence du 2 novembre 2012, § 274.
174. P.-M. Dupuy/ Y. Kerbrat, op. cit. note 87, p. 394, n° 360.
175. Trib. ad hoc CNUDCI, Jan Oostergetel et Theodora Laurentius c. Slovaquie, sentence du 23 avril
2012, § 272 (référence à l’ouvrage de R. Dolzer et Ch. Schreuer, Principles of International Investment Law).
176. CIRDI, Marion Unglaube c. Costa Rica, aff. n° ARB/08/1, sentence du 16 mai 2012, § 203.
177. CIRDI, Teinver SA, Transportes de Cercanías SA and Autobuses Urbanos del Sur SA c. Argentine,
n° ARB/09/1, décision sur la compétence, 21 décembre 2012, § 223.
178. Auteur dont les articles sont aussi fréquemment cités (ex. : CIRDI, Deutsche Bank AG c. Sri
Lanka, n° ARB/09/2, sentence du 31 octobre 2012, § 418).
179. Décision Teinver, §§ 223, 255-256 ; Comité ad hoc CIRDI, Victor Pey Casado and President Allende
Foundation c. Chili, n° ARB/98/2, 18 décembre 2012, §§ 268, 348-350 ; CIRDI, Caratube International Oil
Company LLP c. Kazakhstan, aff. n° ARB/08/12, sentence du 5 juin 2012, §§ 365-366.
180. CIRDI, Marion Unglaube c. Costa Rica, aff. n° ARB/08/1, sentence du 16 mai 2012, §§ 273, 277.

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arbitrage transnational et droit international général 627

Law of Investment Claims 181. On relèvera au passage que la doctrine francophone


est absente des ouvrages de référence du droit des investissements.
Une doctrine plus vaste peut être néanmoins mobilisée pour indiquer quel est
le droit sur des questions autres que le droit des investissements, par exemple les
conflits entre traités dans le cadre de l’Union européenne 182 ou les règles du droit
de la responsabilité internationale concernant le lien de causalité 183 ou le calcul
de l’indemnisation 184.

II. – ARBITRAGE TRANSNATIONAL


ET RESPONSABILITÉ INTERNATIONALE

L’arbitrage transnational reste l’un des principaux champs dans lesquels les
Articles de la Commission du droit international sur la responsabilité de l’État
pour fait internationalement illicite 185 s’épanouissent. C’est le cas s’agissant non
seulement de l’engagement de la responsabilité mais aussi de son contenu, malgré
la réserve de la CDI qui avait pris le soin d’indiquer que la seconde partie de son
texte était « sans préjudice de tout droit que la responsabilité internationale de
l’État peut faire naître directement au profit d’une personne ou d’une entité autre
qu’un État » 186. Loin donc de se démarquer des solutions retenues dans un contexte
interétatique, la pratique des organes transnationaux pourrait même tendre à
les irriguer. La CIJ elle-même s’y est référée dans l’affaire Diallo, même si elle
s’est davantage inspirée de la pratique des juridictions régionales des droits de
l’homme que de celle des tribunaux arbitraux transnationaux 187. Ces croisements
ne garantissent toutefois pas la mise en place d’un droit général de la responsa-
bilité internationale. L’irruption dans le contentieux arbitral de la question de la
répartition de la responsabilité entre l’Union européenne et ses membres tendrait
plutôt à faire douter d’une unification prochaine.

181. CIRDI, Quiborax SA, Non Metallic Minerals SA et Allan Fosh Kaplùn c. Bolivie, aff. n° ARB/06/2,
décision sur la compétence, 27 septembre 2012, § 260 (au sujet de la preuve de l’illégalité de l’investisse-
ment) ; CIRDI, Bureau Veritas, Inspection, Valuation, Assessment and Control, BIVAC BV c. Paraguay,
n° ARB/07/9, décision supplémentaire sur la recevabilité, 9 octobre 2012, § 93 (treaty shopping et forum
shopping). Voy. aussi CIRDI, Marion Unglaube c. Costa Rica, aff. n° ARB/08/1, sentence du 16 mai 2012, § 33
(référence à l’ouvrage Law and Practice of International Commercial Arbitration de A. Redfern/ M. Hunter).
182. CIRDI, Electrabel SA c. Hongrie, n° ARB/07/19, décision sur la compétence, le droit applicable
et la responsabilité, 30 novembre 2012, §§ 4.184 et 4.187 (référence à l’ouvrage de J. Klabbers, Treaty
Conflict and the European Union).
183. CIRDI, Occidental Petroleum Corporation and Occidental Exploration and Production Company
c. Équateur, n° ARB/06/11, sentence du 5 octobre 2012, §§ 674 et s. (références extensives des parties à
la thèse de B. Stern, par ailleurs membre du tribunal arbitral, dont le chapitre II intitulé « Application
nuancée des règles normales de la causalité », jugé très instructif par le tribunal, « informs its decision
on this issue »).
184. Sentence Occidental Petroleum, § 794 (référence à l’ouvrage de I. Marboe, Calculation of Compen-
sation and Damages in International Investment Law).
185. Dont le texte et le commentaire sont reproduits in ACDI, 2001, vol. 2, partie 1, pp. 26 et s.
186. Deuxième partie, « Contenu de la responsabilité », article 33, § 2. Sur ce point, voy. M. Paparin-
skis, « Investment Treaty Arbitration and the (New) Law of State Responsibility », EJIL, 2013, pp. 635 et s.
187. CIJ, Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo),
indemnisation due par la RDC à la Guinée, arrêt du 19 juin 2012, notamment § 18.

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628 arbitrage transnational et droit international général

A. Engagement de la responsabilité

1. L’attribution

Les questions d’attribution ont encore largement occupé les tribunaux arbi-
traux en 2012. Elles peuvent être soulevées au stade de l’examen par le tribunal de
sa compétence ou au stade du fond. En effet, tout en considérant que l’attribution
à l’État des comportements en cause est une condition de leur compétence ratione
personae, les arbitres tendent à aborder cette question au stade du fond dès lors,
d’une part, que son traitement nécessite une analyse détaillée étroitement liée aux
questions de licéité et, d’autre part, que leur compétence est quoi qu’il en soit établie
à l’égard de certains des agissements en cause 188. Pour la traiter, ils s’appuient
largement sur les Articles, qu’ils considèrent sur ce point comme l’expression du
droit international coutumier 189.
La force d’attraction de ces règles est d’ailleurs telle qu’elles sont parfois utili-
sées dans un contexte fort différent de celui pour lequel elles ont été forgées. C’est
ainsi que les tribunaux des affaires EDF International et Bosh se sont appuyés sur
les règles d’attribution d’un fait à l’État aux fins de la responsabilité internationale
afin de déterminer s’il avait pris un engagement au sens des clauses « parapluie »
qui figuraient dans les TBI en cause ou y avaient été importées par le truchement
de la clause de la nation la plus favorisée 190. Cela a conduit le premier à juger,
sans s’en expliquer, que des engagements de l’Argentine étaient nés du contrat
de concession conclu par l’investisseur avec la province argentine de Mendoza 191,
tandis que le second a estimé que le contrat qui liait l’investisseur à l’Université
de Kiev n’avait pu faire naître d’engagements de l’État ukrainien dès lors que le
comportement de cette entité ne pouvait être attribué à cet État aux fins de la
responsabilité 192. Cette dernière solution est classique, mais le raisonnement qui
y conduit est discutable. Les arbitres tendent en effet à considérer que les engage-
ments pris par les démembrements de l’État à l’égard des investisseurs ne sauraient
être considérés comme des engagements de l’État au sens des clauses de respect
des engagements. Mais si tel est le cas, ce n’est pas parce que leur comportement
n’est pas attribuable à l’État aux fins de la responsabilité, mais parce que les règles
d’attribution d’un fait aux fins de la responsabilité diffèrent des règles d’attribution
d’un engagement au sens des clauses « parapluie ». Il est donc tout à fait envisa-
geable que les agissements d’une collectivité territoriale, telle que la province de

188. CIRDI, Electrabel SA c. Hongrie, aff. n° ARB/07/19, décision sur la compétence, le droit applicable
et la responsabilité du 30 novembre 2012, § 7.61 ; CIRDI, Teinver SA, Transportes de Cercanías SA and
Autobuses Urbanos del Sur SA c. Argentine, aff. n° ARB/09/1, décision sur la compétence du 21 décembre
2012, §§ 270-276.
189. CIRDI, Electrabel SA c. Hongrie, aff. n° ARB/07/19, décision sur la compétence, le droit appli-
cable et la responsabilité du 30 novembre 2012, § 7.60 ; Trib. ad hoc CNUDCI, Jan Oostergetel et Theodora
Laurentius c. Slovaquie, sentence du 23 avril 2012, § 150.
190. Tel était le cas dans l’affaire EDF, où le tribunal a admis d’étendre le bénéfice des clauses « para-
pluie », également appelées clauses de respect des engagements, contenues dans les TBI Argentine/Luxem-
bourg et Argentine/Allemagne aux investisseurs français. Ces clauses se lisaient comme suit : « Each of the
Contracting Parties shall respect at all times the commitments it has undertaken with respect to investors
of the other Party » (TBI Argentine/Luxembourg) ; « Each Contracting Party shall comply with any other
commitment undertaken in connection with the investments made by nationals or companies from the other
Contracting Party in the former’s territory » (TBI Argentine/Allemagne). CIRDI, EDF International SA,
SAUR International SA and León Participaciones Argentinas SA c. Argentine, aff. n° ARB/03/23, sentence
du 11 juin 2012, §§ 821 et s.
191. Id., § 938.
192. CIRDI, Bosh International, Inc and B&P Ltd Foreign Investments Enterprise c. Ukraine, aff.
n° ARB/08/11, sentence du 25 octobre 2012, §§ 241-246.

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arbitrage transnational et droit international général 629

Mendoza, puissent engager la responsabilité de l’État sans pour autant que les
engagements qu’elle prend soient considérés comme des engagements de l’État 193.
S’agissant de l’attribution aux fins de la responsabilité, la référence aux règles
codifiées par la CDI conduit les arbitres à attribuer sans difficulté à l’État les
comportements de ses organes exécutifs 194, de ses autorités juridictionnelles 195,
mais aussi de ses provinces 196. À l’inverse, elle leur permet d’écarter aisément les
agissements de personnes privées, dont ceux de liquidateurs judiciaires ou d’une
prétendue « mafia financière » 197. Les sentences rendues en 2012 confirment toute-
fois que toutes les difficultés ne sont pas réglées. Plusieurs tribunaux ont ainsi été
confrontés à la question récurrente du sort qui doit être réservé aux agissements des
entités paraétatiques (a), tandis que les arbitres de l’affaire Electrabel ont examiné
le problème complexe dans le contentieux arbitral transnational de l’attribution des
actes nationaux de mise en œuvre du droit de l’Union européenne (b).

a) Les agissements des entités paraétatiques

Les tribunaux arbitraux sont régulièrement confrontés aux agissements d’en-


tités paraétatiques, qui entrent bien souvent en relation directe avec les investis-
seurs. Ils les appréhendent alors soit comme des organes de l’État, dont tous les
comportements doivent lui être rapportés (article 4 des Articles), soit comme des
entités habilitées à l’exercice de prérogatives de puissance publique, dont seuls les
comportements accomplis dans l’exercice de telles prérogatives lui sont attribuables
(article 5), soit encore comme des entités non étatiques mais dont les comporte-
ments accomplis sur les instructions ou les directives ou sous le contrôle de l’État
peuvent être mis à sa charge (article 8).
L’existence d’une certaine autonomie vis-à-vis du pouvoir exécutif n’est pas
un obstacle à la qualification d’organe au sens de l’article 4. La Banque centrale
du Sri Lanka a ainsi été considérée comme un organe de cet État 198, tandis que
plusieurs tribunaux ont qualifié comme tels des entités dont le statut est proche de
celui d’autorités administratives indépendantes 199. L’existence d’une personnalité
morale distincte de celle de l’État dans l’ordre interne n’est pas non plus rédhibi-
toire. C’est ainsi que, pour les arbitres de l’affaire Deutsche Bank, une entreprise
publique en charge du secteur pétrolier pourrait être considérée comme un organe
du Sri Lanka car, bien qu’elle dispose d’une personnalité juridique propre, elle est

193. Voy. Y. Nouvel, « Les entités paraétatiques dans la jurisprudence du CIRDI », in Ch. Leben
(dir.), Le droit international des investissements. Nouveaux développements, Paris, Anthémis/LGDJ, 2006,
pp. 41 et s.
194. CIRDI, Inmaris Perestroika Sailing Maritime Services GmbH e.a. c. Ukraine, aff. n° ARB/08/8,
sentence du 1er mars 2012, 235 et s.
195. CIRDI, Swisslion DOO Skopje c. Ancienne République yougoslave de Macédoine, aff. n° ARB/09/16,
sentence du 6 juin 2012, § 261.
196. CIRDI, SAUR International SA c. Argentine, aff. n° ARB/04/4, décision sur la compétence et
la responsabilité, 6 juin 2012, § 384 ; CIRDI, EDF International SA, SAUR International SA and León
Participaciones Argentinas SA c. Argentine, aff. n° ARB/03/23, sentence du 11 juin 2012, § 4.
197. Trib. ad hoc CNUDCI, Jan Oostergetel et Theodora Laurentius c. Slovaquie, sentence du 23 avril
2012, §§ 150 et s.
198. CIRDI, Deutsche Bank AG c. Sri Lanka, aff. n° ARB/09/2, sentence du 31 octobre 2012, § 402.
199. CIRDI, Bosh International, Inc and B&P Ltd Foreign Investments Enterprise c. Ukraine,
aff. n° ARB/08/11, sentence du 25 octobre 2012, § 145, s’agissant du Control and revision office, entité
indépendante chargée du contrôle financier et rattachée au ministère des Finances ; CIRDI, Electrabel
SA c. Hongrie, aff. n° ARB/07/19, décision sur la compétence, le droit applicable et la responsabilité du
30 novembre 2012, § 7.62, s’agissant de l’Hungarian Energy Office, autorité en charge de la régulation
du secteur de l’énergie.

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630 arbitrage transnational et droit international général

étroitement contrôlée par cet État 200. Une telle personnalité fait toutefois naître
une forte présomption contre la qualification d’organe. Elle a conduit des tribunaux
à écarter cette qualification s’agissant non seulement d’entreprises publiques 201,
mais aussi de régulateurs nationaux du secteur de l’énergie 202 ou encore d’une
université 203.
Cette conception des organes de l’État apparaît restrictive, notamment au
regard de la pratique suivie dans d’autres domaines, y compris en droit écono-
mique 204. Toutefois, outre qu’elle peut s’expliquer par la position retenue en
première lecture par la CDI 205, elle traduit le souci des arbitres de se concentrer sur
les comportements spécifiquement étatiques, à l’exclusion de ceux qu’un contractant
ordinaire pourrait adopter. Ce souci se manifeste également à d’autres niveaux.
C’est ainsi que lorsque l’interprétation des règles d’attribution qu’ils retiennent
ne suffit pas à éviter cet écueil, les arbitres peuvent encore considérer que les
obligations primaires qui pèsent sur l’État ne peuvent être violées que lorsqu’il
exerce des prérogatives de puissance publique. Tel fut une nouvelle fois le cas dans
l’affaire Bureau Veritas, où, saisis du refus de l’État de payer ses dettes contrac-
tuelles, les arbitres ont recherché si ce comportement s’inscrivait dans l’exercice de
prérogatives de puissance publique. Ce n’est en effet selon eux qu’à cette condition
qu’il pourrait dépasser le cadre contractuel et violer le standard de traitement
juste et équitable 206. La distinction entre réclamations contractuelles et réclama-
tions conventionnelles ainsi opérée peut toutefois être remise en cause lorsque le
traité contient une clause de respect des engagements : en ce cas, il arrive que les
arbitres jugent que toute violation du contrat, qu’elle résulte ou non de l’exercice
d’une « governmental authority », emporte violation du traité 207. Hors de ces cas
particuliers, deux filtres, celui de l’attribution et celui de l’interprétation des obliga-
tions primaires, peuvent donc être utilisés par les arbitres afin de restreindre leur
examen aux comportements accomplis par l’État dans l’exercice de prérogatives de
puissance publique. Car l’approche stricte de la notion d’organe qu’ils retiennent
les conduit à poursuivre leur examen en vérifiant si les entités en cause n’ont pas
agi dans l’exercice de telles prérogatives ou sur les instructions, les directives ou
le contrôle de l’État.

200. CIRDI, Deutsche Bank AG c. Sri Lanka, aff. n° ARB/09/2, sentence du 31 octobre 2012, § 407,
même s’il s’agit là d’un obiter dictum, le tribunal n’ayant pas jugé nécessaire de trancher définitivement
cette question.
201. CPA (CNUDCI), Ulysseas c. Équateur, sentence du 12 juin 2012, §§ 124 et s., s’agissant de
Petroecuador et Petrocommercial, deux entreprises publiques en charge du secteur pétrolier en Équateur ;
CIRDI, Electrabel SA c. Hongrie, aff. n° ARB/07/19, décision sur la compétence, le droit applicable et la
responsabilité du 30 novembre 2012, §§ 7.95 et s., s’agissant de MVM, l’entreprise publique en charge de
la distribution d’électricité en Hongrie.
202. CPA (CNUDCI), Ulysseas c. Équateur, sentence du 12 juin 2012, §§ 124 et s., s’agissant de
CONELEC et de CENACE, deux entités chargées de la régulation du secteur de l’électricité en Équateur.
203. CIRDI, Bosh International, Inc and B&P Ltd Foreign Investments Enterprise c. Ukraine, aff.
n° ARB/08/11, sentence du 25 octobre 2012, § 163.
204. Pour une approche plus large, incluant dans la notion d’« organisme public » au sens du droit
de l’OMC toute « entité qui possède ou exerce un pouvoir gouvernemental, ou en est investi », voy. ORD,
États-Unis – Droits antidumping et droits compensateurs définitifs visant certains produits en provenance de
Chine, WT/DS379/AB/R, rapport de l’organe d’appel, 11 mars 2011, §§ 282 et s. Sur ce point, voy. P. Jacob,
« OMC et imputation. Les organes de l’État : de deux apparences trompeuses », in V. Tomkiewicz (dir.),
OMC et responsabilité, Paris, Pedone, à paraître.
205. Voy. cette chronique in cet Annuaire, 2011, p. 550.
206. CIRDI, Bureau Veritas, Inspection, Valuation, Assessment and Control, BIVAC BV c. Paraguay,
aff. n° ARB/07/9, décision supplémentaire sur la recevabilité du 9 octobre 2012, §§ 239 et s., sp. § 246 ;
voy. aussi CIRDI, Inmaris Perestroika Sailing Maritime Services GmbH e.a. c. Ukraine, aff. n° ARB/08/8,
sentence du 1er mars 2012, §§ 273, 282, 300.
207. CIRDI, SGS Société générale de surveillance SA c. Paraguay, aff. n° ARB/07/29, sentence du
10 février 2012, §§ 89-95.

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arbitrage transnational et droit international général 631

Sur le premier point, certains TBI contiennent des dispositions spécifiques


relatives aux entreprises d’État, qui prévoient généralement que « each Party shall
ensure that any State enterprise that it maintains or establishes acts in a manner
that is not inconsistent with the Party’s obligations under this Treaty wherever such
enterprise exercises any regulatory, administrative or other governmental authority
that the Party has delegated to it, such as the power to expropriate, grant licenses,
approve commercial transactions, or impose quotas, fees or other charges ». Les
arbitres de l’affaire Ulysseas ont estimé qu’il s’agissait là d’une autre manière
d’exprimer l’idée selon laquelle les comportements adoptés dans l’exercice de
prérogatives de puissance publique par des entités qui y sont habilitées doivent
être rapportés à l’État 208. Le tribunal de l’affaire Bosh n’y a toutefois pas vu une
règle d’attribution. Tout au contraire, il a estimé que cette disposition distinguait
nettement les Parties des entreprises d’État et ne prévoyait l’engagement de la
responsabilité des premières que si elles manquent à leur obligation de s’assurer
que les secondes ne violent pas les dispositions du traité 209. Cette position surprend
d’autant plus qu’elle n’est pas accompagnée d’une mise à l’écart de l’article 5 des
Articles. Le tribunal n’a abordé la question qu’après avoir constaté que l’université
en cause n’avait pas exercé en l’espèce de prérogatives de puissance publique. Or,
on voit mal comment les agissements pris dans l’exercice de telles prérogatives par
une entreprise d’État pourraient être attribuables à l’État en vertu de l’article 5
puis ne plus l’être en vertu du TBI. À défaut d’être pleinement convaincante, la
position adoptée par le tribunal de l’affaire UPS en 2007 avait le mérité d’être plus
cohérente : il avait vu dans la disposition du TBI relative aux entreprises d’État une
lex specialis qui avait pour effet d’écarter de telles entreprises de la catégorie des
organes pour ne rapporter leurs comportements à l’État que lorsqu’elles agissent
dans l’exercice de prérogatives de puissance publique 210.
Les tribunaux qui retiennent une conception restrictive de la notion d’organe
doivent encore rechercher si l’entité en cause n’a pas agi dans l’exercice de préroga-
tives de puissance publique (sovereign ou governmental authority). Ils doivent alors,
au même titre que ceux qui considèrent que les standards de protection ne peuvent
être violés qu’au cours de l’exercice de telles prérogatives, délimiter la notion.
Pour les uns, tout est alors question de moyens : les arbitres de l’affaire Ulysseas
ont ainsi rappelé la position déjà adoptée par certains d’entre eux (B. Stern) dans
l’affaire Jan de Nul selon laquelle « what matters is not the ‘service public’ element
but the use of ‘prérogatives de puissance publique’ or governmental authority »,
avant de juger que la plupart des comportements reprochés aux entités en cause
s’inscrivaient dans un cadre contractuel et ne pouvaient donc être attribués à
l’État 211. Cherchant quant à lui à déterminer si les organes de l’État au sens du
droit interne avaient exercé de telles prérogatives, le tribunal de l’affaire Bureau
Veritas a dans le même sens refusé de tenir compte du but de la mesure pour se
concentrer sur sa nature au stade de l’attribution 212. Il a toutefois reconnu que la
pratique arbitrale n’était pas constante. D’autres tribunaux retiennent en effet une
approche plus large tenant compte des fins poursuivies : au terme d’une analyse

208. CPA (CNUDCI), Ulysseas c. Équateur, sentence du 12 juin 2012, § 135.


209. CIRDI, Bosh International, Inc and B&P Ltd Foreign Investments Enterprise c. Ukraine, aff.
n° ARB/08/11, sentence du 25 octobre 2012, §§ 179 et s.
210. Trib. ad hoc CNUDCI, United Parcel Service c. Canada, sentence du 24 mai 2007, § 59, pt. 4
et §§ 72-79.
211. CPA (CNUDCI), Ulysseas c. Équateur, sentence du 12 juin 2012, § 138.
212. CIRDI, Bureau Veritas, Inspection, Valuation, Assessment and Control, BIVAC BV c. Paraguay,
aff. n° ARB/07/9, décision supplémentaire sur la recevabilité du 9 octobre 2012, §§ 254 et s., sp. § 270.
Voy. aussi CIRDI, Inmaris Perestroika Sailing Maritime Services GmbH e.a. c. Ukraine, aff. n° ARB/08/8,
sentence du 1er mars 2012, §§ 273 et 282, considérant que l’interdiction de quitter le port imposé au navire
en cause traduisait l’exercice de prérogatives de puissance publique.

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632 arbitrage transnational et droit international général

mettant l’accent sur les liens institutionnels qui existent entre l’État et l’université
de Kiev, les arbitres de l’affaire Bosh ont ainsi considéré que cette dernière était
bien habilitée à l’exercice de prérogatives de puissance publique puisqu’elle est en
charge de l’enseignement supérieur et gère à cette fin les biens de l’État qui lui sont
affectés. Le contrat passé avec l’investisseur ne traduisait toutefois pas l’exercice de
cette « governmental activity » (sic) puisqu’il visait à obtenir des bénéfices purement
commerciaux 213. Les frontières de la sphère publique restent donc mouvantes du
point de vue du droit international des investissements.
Lorsque le tribunal conclut que l’entité en cause n’est pas un organe ni n’a
exercé de prérogatives de puissance publique, il doit encore vérifier qu’elle n’a pas
agi sur les instructions, les directives ou sous le contrôle de l’État (article 8 des
Articles). La question est délicate. Les arbitres de l’affaire Electrabel ont tenté
une nouvelle fois d’en préciser les contours s’agissant d’entreprises publiques, en
rappelant le commentaire de la CDI selon lequel le comportement d’une telle entre-
prise n’est pas attribuable à l’État à moins qu’il puisse être établi que ce dernier
« utilisait sa position de propriétaire ou de contrôle de la société spécialement
pour parvenir à un résultat particulier » 214. Ce rappel faisait suite à une analyse
factuelle détaillée tenant compte notamment des lettres adressées par le régulateur
hongrois à l’entreprise publique ou de la présence de représentants du gouver-
nement lors de négociations tenues avec l’investisseur avant de conclure, par de
subtiles nuances, que si les organes hongrois avaient incité l’entreprise publique
en cause à agir d’une certaine manière, s’ils l’avaient influencée, ils ne lui avaient
pas adressé d’instructions 215. Cette approche a le mérite de remettre en lumière
le critère des instructions, qu’avaient fini par faire oublier les débats abondants
sur le critère alternatif du contrôle. En n’accordant toutefois qu’une valeur limitée
aux preuves indirectes de ces instructions, le tribunal n’en a pas moins maintenu
une approche très stricte de l’attribution du comportement d’entreprises publiques
à l’État, dont on peut douter qu’elle soit applicable en dehors de ce contentieux
spécifique 216.

b) Les actes nationaux de mise en œuvre du droit de l’Union européenne

Après avoir été abordée par l’Organe de règlement des différends de l’OMC
puis par la Cour européenne des droits de l’homme et avoir largement occupé
la CDI lors des travaux qu’elle a consacrés à la responsabilité des organisations
internationales, la question de l’attribution des actes étatiques pris pour la mise en
œuvre du droit de l’Union européenne a pénétré de manière explicite le contentieux
investisseur-État en 2012 217.
Les arbitres de l’affaire Electrabel ont en effet été saisis de la conformité au
traité sur la charte de l’énergie, et notamment au standard de traitement juste et

213. CIRDI, Bosh International, Inc and B&P Ltd Foreign Investments Enterprise c. Ukraine, aff.
n° ARB/08/11, sentence du 25 octobre 2012, §§ 164-178.
214. Commentaire de l’article 8, § 6.
215. CIRDI, Electrabel SA c. Hongrie, aff. n° ARB/07/19, décision sur la compétence, le droit applicable
et la responsabilité du 30 novembre 2012, §§ 7.60 et s., sp. § 7.137.
216. Voy. P. Jacob, L’imputation d’un fait à l’État en droit international de la responsabilité, thèse,
Rennes 1, 2010, pp. 103 et s.
217. Plusieurs tribunaux avaient déjà été confrontés à des actes dont les États prétendaient qu’ils
visaient à mettre en œuvre le droit de l’Union européenne, sans que la question soit véritablement posée en
termes d’attribution. Voy. CIRDI, ADC Affiliate Limited and ADC & ADMC Management Limited c. Hongrie,
aff. n° ARB/03/16, sentence du 2 octobre 2006 ; Chambre de commerce de Stockholm, Eastern Sugar BV
c. République tchèque, aff. n° 088/2004, sentence partielle du 27 mars 2007 ; CPA/CNUDCI, Eureko BV c.
Slovaquie, aff. n° 2008-13, sentence sur la compétence, l’arbitrabilité et la suspension, 26 octobre 2010 ;
CIRDI, AES Summit Generation c. Hongrie, aff. n° ARB/07/22, sentence du 23 septembre 2010.

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arbitrage transnational et droit international général 633

équitable, de la décision des autorités hongroises de mettre un terme au contrat qui


les liait à l’investisseur, décision prise pour se conformer aux constatations de la
Commission européenne qui avait estimé que ce contrat était contraire au régime
européen des aides d’État. La question a été abordée en deux temps, au stade de
la compétence puis au stade du fond. Dans un premier temps, les arbitres ont jugé,
contre l’avis de la Commission européenne intervenue en tant qu’amicus curiae,
qu’ils étaient compétents ratione personae car le demandeur mettait bien en cause
la responsabilité de la Hongrie pour son propre comportement, sans chercher à
mettre en cause ni la validité de la décision de la Commission, ni la responsabilité
de l’Union, ni même celle de la Hongrie du fait des actes de l’Union 218. Mais ils
ont ensuite considéré, au stade du fond, que le fait pour la Hongrie d’avoir mis un
terme au contrat qui la liait à l’investisseur afin de se conformer à une décision
obligatoire de la Commission européenne ne saurait engager sa responsabilité
en vertu du traité sur la charte de l’énergie, d’une part parce que ce traité admet
lui-même que les organisations économiques d’intégration puissent prendre des
décisions obligatoires pour leurs membres, d’autre part parce qu’il est possible
de considérer que les autorités hongroises se trouvaient alors à la disposition de
l’Union européenne au sens de l’article 6 des Articles de sorte que leurs comporte-
ments devraient lui être attribués 219. Deux lignes argumentatives se mêlent ainsi
et brouillent le raisonnement.
La seconde est la moins convaincante, et il n’est d’ailleurs pas certain qu’elle
ait véritablement motivé la décision des arbitres 220. En effet, si les autorités
hongroises se trouvent à la disposition de l’Union européenne au sens de l’article 6
des Articles 221 lorsqu’elles exécutent une décision obligatoire de la Commission,
alors leurs comportements devraient-ils cesser d’être attribuables à leur État d’ori-
gine. Le tribunal devrait donc se déclarer incompétent pour en connaître, sauf
à engager la responsabilité de l’État pour les actes de l’Union, ce qu’il se refuse
à faire. En outre, si elle peut se prévaloir de la position adoptée par l’ORD, qui
accepte de canaliser la responsabilité vers l’Union européenne en considérant que
les autorités de ses États membres agissent comme ses organes lorsqu’ils mettent
en œuvre son droit dans un domaine relevant de sa compétence exclusive 222, cette
solution ne trouve qu’un soutien fragile dans les travaux de la CDI. Celle-ci n’a pas
abordé la question au cours des travaux qu’elle a consacrés à la responsabilité des
États et ce n’est que par analogie que le tribunal propose d’appliquer ce texte aux
relations États/Union européenne. Elle a en revanche réservé un accueil très mitigé
à la thèse du fédéralisme exécutif au cours des discussions relatives à l’article 7
du texte consacré à la responsabilité des organisations internationales 223, que le
tribunal ignore. Le rapporteur spécial s’y est en effet régulièrement opposé 224 et

218. CIRDI, Electrabel SA c. Hongrie, aff. n° ARB/07/19, décision sur la compétence, le droit applicable
et la responsabilité du 30 novembre 2012, §§ 5.32-5.38.
219. Ibid., §§ 6.70-6.76.
220. On remarquera toutefois que les arbitres se réfèrent (§ 6.75) à un article en ce sens d’un membre
du service juridique de la Commission, F. Hoffmeister, « Litigating against the European Union and its
Member States – Who Responds under the ILC’s Draft Articles on International Responsibility of Inter-
national Organizations ? », EJIL, 2010, pp. 723-747.
221. Dont on rappelle qu’il prévoit que « le comportement d’un organe mis à la disposition de l’État
par un autre État, pour autant que cet organe agisse dans l’exercice de prérogatives de puissance publique
de l’État à la disposition duquel il se trouve, est considéré comme un fait du premier État d’après le droit
international ».
222. ORD, Communautés européennes – Certaines questions douanières, WT/DS315/R, 16 juin 2006,
§ 7.556.
223. Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa 63e session, A/66/10
(2011), pp. 68 et s.
224. Voy. la position exprimée par le rapporteur spécial G. Gaja, notamment in « Septième rapport
sur la responsabilité des organisations internationales », A/CN.4/510 (2009), §§ 31-33.

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634 arbitrage transnational et droit international général

le texte adopté en seconde lecture ne traite pas cette situation dans le chapitre
consacré à l’attribution mais dans celui portant sur la responsabilité du fait d’au-
trui, envisageant alors d’engager la responsabilité de l’organisation sans préjudice
de celle de l’État qui se conforme à ses décisions 225. Les revendications de l’Union
ont seulement conduit la CDI à admettre, à l’article 64 de son texte, la possibilité
qu’une lex specialis conduise à attribuer à cette organisation les comportements
adoptés par ses membres pour donner effet à ses décisions obligatoires 226. La source
potentielle de cette règle spéciale reste toutefois ambigüe, la CDI affirmant qu’elle
pourrait puiser aux « règles de l’organisation qui sont applicables aux relations
entre l’organisation et ses membres » 227 alors même que ces règles pourraient
être perçues comme internes à l’organisation et donc inopposables aux tiers 228. La
solution ici retenue pourrait toutefois l’alimenter, d’autant que l’Union continue
de son côté d’affirmer l’existence d’une telle règle. Une proposition de règlement
s’appuie d’ailleurs sur l’article 64 pour soutenir d’abord que « l’Union aura, en prin-
cipe, la charge de la défense en cas de réclamation fondée sur la violation de règles
inscrites dans un accord relevant de sa compétence exclusive, indépendamment de
la question de savoir si le traitement en question est accordé par l’Union elle-même
ou par un État membre », ensuite, s’agissant cette fois de la répartition interne de
la responsabilité entre l’Union et ses membres, que « dans le cas où l’État membre
agit d’une manière prescrite par le droit de l’Union (…) l’Union devrait assumer
la responsabilité financière dans la mesure où le traitement en cause est requis
par le droit de l’Union » 229. Il n’est toutefois pas certain que la sentence Electrabel
renforce cette position car elle use également d’une autre ligne argumentative,
pourtant peu compatible avec celle qui vient d’être présentée.
Celle-ci paraît plus cohérente. Elle consiste à retenir que les décisions prises par
les États membres pour mettre en œuvre les décisions obligatoires de l’Union restent
des actes de l’État, ce qui justifie la compétence du tribunal pour en connaître 230.
Ces actes seraient alors susceptibles d’engager la responsabilité de l’État pour
violation des obligations qui pèsent sur lui en vertu du traité sur la charte de
l’énergie. Mais puisque ce traité admet lui-même que les organisations économiques
d’intégration peuvent prendre des décisions obligatoires pour leurs membres dans
les domaines qu’il entend régir 231, alors « it would be absurd if Hungary could
be liable under the Energy Charter Treaty (ECT) for doing precisely that which
it was ordered to do by a supranational authority whose decisions the ECT itself
recognizes as legally binding on Hungary » 232. L’État ne serait ainsi pas pris dans
un conflit d’obligations puisque le traité sur la charte de l’énergie l’autoriserait

225. Voy. articles 17 et 19 des Articles sur la responsabilité des organisations internationales.
226. Commentaire de l’article 64 des Articles sur la responsabilité des organisations internationales,
§§ 2-6.
227. Article 64.
228. En ce sens, J. d’Aspremont, « A European Law of International Responsibility ? The Articles on
the Responsibility of International Organizations and the European Union », in V. Kosta/ N. Skoutaris/
V. Tzevelekos, The EU accession to the ECHR, à paraître (accessible depuis <papers.ssrn.com>).
229. Commission européenne, Proposition de règlement établissant un cadre pour la gestion de la
responsabilité financière liée aux tribunaux de règlement des différends investisseur-État mis en place
par les accords internationaux auxquels l’Union européenne est partie, COM(2012) 335, 21 juin 2012.
230. CIRDI, Electrabel SA c. Hongrie, aff. n° ARB/07/19, décision sur la compétence, le droit applicable
et la responsabilité du 30 novembre 2012, §§ 5.32-5.38 ; voy. aussi § 4.169, « in the tribunal’s view, the acts
of the Respondent implementing [legally binding decisions under UE law] have to be taken into account in
the evaluation of its conduct under the energy charter treaty ».
231. Le tribunal déduit cela de l’article 1, § 3 du traité, qui définit les organisations d’intégration
économique régionale comme « toute organisation constituée par des États à laquelle ils ont transféré des
compétences dans des domaines déterminés, dont certains sont régis par le présent traité, y compris le
pouvoir de prendre des décisions qui les lient dans ces domaines » (nous soulignons).
232. Décision Electrabel, § 6.72.

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arbitrage transnational et droit international général 635

en toute hypothèse à se conformer aux décisions de l’Union européenne qui ne lui


laissent aucune marge d’appréciation 233. En pareil cas, l’Union, qui est également
partie au traité, pourrait voir sa responsabilité engagée en cas de violation 234. En
revanche, lorsque l’État dispose d’une marge d’appréciation dans l’exécution du
droit de l’Union, il devrait en répondre s’il en use en violation des obligations qui
pèsent sur lui en vertu du droit international des investissements 235. Il semble
que ce soit là le raisonnement privilégié par le tribunal, qui a consacré d’amples
développements à démontrer qu’il n’y avait pas d’incompatibilité entre le traité
sur la charte de l’énergie et le droit de l’Union européenne de sorte que la Hongrie
n’était pas confrontée à un conflit d’obligations 236. Si tel est bien le raisonnement
des arbitres, il se rapproche de la position retenue par la Cour européenne des
droits de l’homme, qui considère que les actes de mise en œuvre des dispositions
inconditionnelles et précises du droit de l’Union européenne restent étatiques, de
sorte qu’elle est compétente pour en connaître, mais qu’ils sont compatibles avec la
convention aussi longtemps que les droits qu’elle garantit reçoivent une protection
équivalente dans l’ordre de l’Union 237. Les arbitres de l’affaire Electrabel vont
certes plus loin encore puisqu’ils considèrent que l’exécution du droit de l’Union
est toujours compatible avec le traité sur la charte de l’énergie. Mais leur raison-
nement ne diffère guère : il consiste à admettre le contrôle de ces actes, tenus pour
étatiques, mais à considérer que les obligations primaires qui pèsent sur les États
les autorise à se conformer au droit de l’Union européenne.
La sentence Electrabel oscille ainsi entre la volonté de maintenir un regard
sur les actes en cause afin de ne pas faire disparaître totalement la protection dont
bénéficient les investisseurs et le souci de ne pas faire obstacle à la construction
européenne en mettant les États membres de l’Union face à des obligations euro-
péennes et internationales contradictoires 238. Elle confirme que la réponse à la
question de l’attribution de tels comportements dépend pour partie du contexte
juridique dans lequel elle se pose. En effet, en admettant la thèse du fédéralisme
exécutif, l’ORD ne réduit pas la portée des obligations qui résultent des accords
OMC puisqu’il est en mesure d’engager indistinctement la responsabilité de l’Union
et celle de ses membres. Réciproquement, son rejet par la CEDH permet à cette
juridiction de maintenir un certain regard sur les actes en cause alors même que
l’Union n’est pas (encore) partie à la convention qu’elle a la charge d’appliquer. La
position intermédiaire ici retenue par les arbitres peut également s’expliquer par le
contexte dans lequel ils interviennent. L’Union étant partie au traité sur la charte
de l’énergie mais ne pouvant être attraite devant un tribunal CIRDI faute d’être
partie à la convention de Washington, les arbitres affirment pouvoir connaître des
actes étatiques de mise en œuvre du droit européen mais leur confèrent un brevet
de conventionnalité, compensé par le rappel des obligations pesant sur l’Union en

233. Ibid., §§ 4.130 et s., sp. § 4.133, voy. aussi infra, III, B.
234. Ibid., § 4.171.
235. Ibid., §§ 6.78 et s., où le tribunal consacre de substantiels développements à démontrer que la
Hongrie était tenue de mettre un terme au contrat qui la liait à l’investisseur pour appliquer la décision
de la Commission européenne, et §§ 6.94 et s., où il retient que cet État disposait en revanche d’une marge
d’appréciation concernant le calcul des coûts échoués nets, c’est-à-dire de la différence entre le coût initial
de l’investissement et les aides à récupérer.
236. Ibid., §§ 4.130 et s., sp. § 4.133, voy. aussi infra, III, B.
237. CEDH, Bosphorus Airlines c. Turquie, req. n° 45036/98, arrêt du 30 juin 2005, §§ 153 et s.
238. La manière dont le tribunal pose la difficulté mérite d’être citée : « Two important and potentially
competing values are here at stake : the substantive and procedural protections of the rights of a foreign
investor and the economic integration of EU Member States into the European Union operating under
the rule of law. The task of this Tribunal is to ascertain the correct legal balance between these values, as
required by the ECT, the ICSID Convention and the applicable rules and principles of international law »
(décision Electrabel, § 4.113).

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636 arbitrage transnational et droit international général

vertu du traité, lorsque l’État ne dispose d’aucune marge d’appréciation. Ainsi, le


demandeur, qui n’avait pas consulté au préalable l’Union et ses membres comme
il en avait la possibilité 239, se serait seulement partiellement trompé de défendeur
s’il entendait mettre en cause la décision de mettre un terme à son contrat. Il reste
toutefois que cette solution le prive d’accès au CIRDI pour contester cette décision
et, surtout, le contraint à engager des procédures parallèles selon que la violation
résulte de cette décision elle-même ou de la marge de manœuvre que conserve
l’État dans sa mise en œuvre.

2. Violation d’une obligation internationale

La responsabilité de l’État naît de la violation d’une obligation internationale


qui pèse sur lui. Cette responsabilité pour fait internationalement illicite ne doit
pas être confondue avec l’obligation, primaire, d’offrir à l’investisseur une juste et
préalable indemnité en cas d’expropriation justifiée par un motif d’utilité publique.
En effet, les tribunaux rappellent régulièrement « qu’un État souverain, pour cause
d’utilité publique et agissant en défense de ce qu’il estime être l’intérêt général, peut
décider à tout moment de nationaliser un service public essentiel » 240. Il n’est alors
tenu d’indemniser l’investisseur étranger que parce qu’il s’y est engagé par traité,
obligation dont le tribunal de l’affaire Renta 4 a tenté d’expliquer la ratio en affir-
mant qu’un investisseur étranger ne doit pas supporter la charge de décisions prises
pour le bénéfice d’une communauté nationale à laquelle il n’appartient pas 241. En ce
cas, l’État n’engage donc sa responsabilité pour fait internationalement illicite que
s’il manque à son obligation primaire d’indemniser les investisseurs qui subissent
une expropriation justifiée 242.
Pour le reste, le fait internationalement illicite de l’État peut résulter de la
violation du droit interne mais toute violation du droit interne n’emporte pas viola-
tion du droit international 243 tandis qu’un comportement dont la conformité au
droit interne a été constatée par les juridictions suprêmes de l’État peut fort bien
être contraire au droit international 244. Il peut se traduire par une action comme
par une omission. Certains tribunaux s’emploient d’ailleurs, à la suite de celui de
l’affaire El Paso 245, à démontrer que le standard de protection et de sécurité pleines
et entières vise spécifiquement à faire peser sur l’État une obligation de vigilance et
de due diligence qui ne serait violée que lorsqu’il échoue à prévenir ou réprimer les

239. En vertu d’une déclaration de l’UE relative à l’arbitrage investisseur-État dans le cadre du
traité sur la charte de l’énergie aux termes de laquelle « les Communautés européennes, d’une part, et
leurs États membres, d’autre part, ont signé le traité sur la Charte de l’énergie et doivent donc répondre
au niveau international de l’exécution des obligations qui y figurent, selon leurs compétences respectives.
Si nécessaire, les Communautés et les États membres concernés détermineront lequel d’entre eux est la
partie défenderesse dans une procédure d’arbitrage engagée par un investisseur ou par une autre Partie
contractante ».
240. CIRDI, SAUR International SA c. Argentine, aff. n° ARB/04/4, décision sur la compétence et la
responsabilité du 6 juin 2012, § 413 ; voy. aussi CIRDI, Marion Unglaube c. Costa Rica, aff. n° ARB/08/1,
sentence du 16 mai 2012, §§ 166, 304.
241. Chambre de commerce de Stockholm, Renta 4 SVSA et al. c. Russie, n° 24/2007, sentence du
20 juillet 2012, § 23.
242. Sur les conséquences de cette illégalité particulière en termes d’indemnisation, voy. infra, B, 2.
243. Trib. ad hoc CNUDCI, Jan Oostergetel et Theodora Laurentius c. Slovaquie, sentence du 23 avril
2012, § 228. Voy. aussi infra, III, A.
244. CIRDI, EDF International SA, SAUR International SA and León Participaciones Argentinas SA
c. Argentine, aff. n° ARB/03/23, sentence du 11 juin 2012, §§ 904-907.
245. CIRDI, El Paso Energy International Company c. Argentine, aff. n° ARB/03/15, sentence du
31 octobre 2011, §§ 522-523. Voy. cette chronique, in cet Annuaire, 2011, pp. 547 et s.

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arbitrage transnational et droit international général 637

agissements hostiles aux investisseurs d’entités non-étatiques 246. Seule cette inter-
prétation du standard lui donnerait un effet utile, en permettant de le distinguer
de celui de traitement juste et équitable. Ces tribunaux n’ont toutefois pas poussé
plus loin l’analyse, et n’ont notamment pas précisé le niveau de vigilance attendu
de l’État, le standard ainsi interprété n’étant pas en cause dans les affaires qui leur
étaient soumises. Les notions de fait illicite continu et composite ont en revanche
continué de connaître une certaine fortune dans la pratique arbitrale en 2012.
Elles peuvent être utilisées, comme la CDI l’avait envisagé en codifiant les
articles 14 et 15 des Articles, afin de traiter certaines difficultés temporelles en
relation avec l’engagement de la responsabilité. La sentence rendue en l’affaire Pac
Rim Cayman offre un nouvel exemple de cet usage 247. L’investisseur se plaignait du
refus systématique des autorités salvadoriennes de lui octroyer les permis miniers
nécessaires à son développement. Mais puisqu’il avait changé de nationalité entre
les premiers refus essuyés et la saisine du tribunal, ce dernier devait identifier le
tempus commissi delicti afin d’établir si les agissements en cause entraient dans le
champ de sa compétence ratione temporis. La question était d’autant plus complexe
qu’elle se doublait de celle de savoir si le demandeur n’avait pas commis un abus de
procédure en changeant de nationalité dans le but de soumettre un différend déjà
né à arbitrage 248. Au terme d’une reconstruction de l’argumentation du demandeur,
le tribunal estima que ce dernier ne se plaignait pas de faits illicites instantanés,
constitués par chacun des refus réitérés que lui opposaient les autorités salvado-
riennes 249, qu’il ne pouvait invoquer une pratique constitutive d’un fait illicite
composite, la multiplication de refus de même nature ne produisant pas un fait
illicite composite distinct 250, mais qu’il pouvait se plaindre d’un fait illicite continu.
En effet, l’investisseur se plaignait d’une pratique des autorités salvadoriennes qui
avait certes débuté avant son changement de nationalité mais qui avait perduré
au-delà alors que les négociations continuaient 251. En conséquence, le tribunal
pouvait s’estimer compétent ratione temporis pour connaître de la portion de cette
pratique postérieure au changement de nationalité 252. Cela ne réglait toutefois
pas le problème de l’abus de procédure. Le tribunal l’écarta en jugeant que la
date décisive pour apprécier l’abus de procédure n’était pas celle de naissance du
fait illicite mais celle à partir de laquelle le demandeur savait ou pouvait savoir
qu’un différend l’opposerait au défendeur. Or, bien que le fait illicite allégué soit
né avant le changement de nationalité du demandeur (avec les premiers refus),
le différend ne s’est cristallisé qu’après, lorsque le président salvadorien a mis
un terme définitif aux espoirs du premier d’obtenir un renversement de la situa-
tion 253. Le raisonnement est pour le moins complexe. Il mêle différentes notions
(fait illicite instantané, composite, continu ; différend) à différentes fins (limites
ratione temporis à l’application du traité ou à la compétence du tribunal, abus de
procédure). Du moins utilise-t-il la taxinomie des violations établies par la CDI
dans un contexte proche de celui pour lequel elle a été forgée.

246. CPA (CNUDCI), Ulysseas c. Équateur, sentence du 12 juin 2012, §§ 271-274 ; CIRDI, Elec-
trabel SA c. Hongrie, aff. n° ARB/07/19, décision sur la compétence, le droit applicable et la responsabilité
30 novembre 2012, § 7.83.
247. Voy. cette chronique, in cet Annuaire, 2011, pp. 548-549.
248. CIRDI, Pac Rim Cayman LLC c. El Salvador, aff. n° ARB/09/12, décision sur les objections à la
compétence du 1er juin 2012, §§ 2.52 et 2.66.
249. Ibid., §§ 2.79-2.85.
250. Ibid., §§ 2.87-2.88.
251. Ibid., §§ 2.89-2.94.
252. Ibid., § 2.104.
253. Ibid., §§ 2.107-2.109.

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638 arbitrage transnational et droit international général

Tel n’est pas le cas lorsque la notion de fait illicite composite est utilisée non
dans le but d’identifier précisément le tempus commissi delicti mais pour déter-
miner si une obligation a été violée. On le sait, régulièrement employée afin d’iden-
tifier une expropriation indirecte 254, la notion l’est également désormais s’agissant
de mettre en évidence une atteinte au standard de traitement juste et équitable 255.
Les arbitres considèrent alors que, quand bien même chacune des mesures prises
par l’État à l’encontre de l’investisseur serait licite, leur succession ou leur accu-
mulation conduirait ici à une expropriation indirecte, là à une violation, parfois
qualifiée de rampante, du standard de traitement juste et équitable. Même si les
tribunaux ne s’y réfèrent pas nécessairement, cette approche holiste est proche de
celle de la CDI, qui définit le fait illicite composite comme « la violation d’une obli-
gation internationale par l’État à raison d’une série d’actions ou d’omissions définie
dans son ensemble comme illicite » 256. Mais elle est utilisée par les arbitres dans
une autre perspective. Celle-ci peut d’abord être quantitative. Cette approche leur
permet alors de déterminer si l’atteinte portée à un investissement est à ce point
substantielle qu’elle constitue une expropriation ou que le cadre juridique qui lui
est appliqué a été bouleversé dans une mesure telle que le standard de traitement
juste et équitable s’en trouve affecté. Mais elle peut également s’inscrire dans une
perspective qualitative. L’examen des sentences qui s’appuient sur la notion de fait
illicite composite tend en effet à indiquer que les arbitres s’en servent également
afin de mettre au jour l’intention de l’État. Cela ressort nettement de la sentence
Renta 4. Les faits de l’espèce avaient déjà fait l’objet d’analyses divergentes de la
part de la CEDH et d’un tribunal arbitral, la première ayant conclu qu’il n’était
pas établi que les différentes mesures prises par les autorités russes contre l’entre-
prise Yukos visaient à détruire l’entreprise et se saisir de ses actifs 257 alors que le
premier y avait vu une expropriation indirecte 258. Le tribunal arbitral de l’affaire
Renta 4 s’est rangé aux conclusions de la sentence RosInvest, justifiant la différence
d’appréciation par une différence d’approche. Alors que la Cour a raisonné mesure
par mesure, l’approche globale retenue par les arbitres permettrait selon eux de
conclure que la procédure fiscale qui avait frappé Yukos n’était qu’un prétexte
pour se saisir de ses actifs et les transférer à une autre entreprise 259. La prise en
compte de l’ensemble des mesures en cause est alors utilisée par les arbitres afin
d’en inférer l’intention de l’État, son but réel 260. Elle présente alors des vertus
essentiellement probatoires 261, l’usage de ce moyen de preuve indirect étant justifié,

254. Chambre de commerce de Stockholm, Renta 4 SVSA et al. c. Russie, aff. n° 24/2007, sentence
du 20 juillet 2012, §§ 42-45 ; CIRDI, Burlington Resources Inc. c. Équateur, aff. n° ARB/08/5, décision sur
la responsabilité du 14 décembre 2012, § 348.
255. Voy., à la suite de la sentence El Paso (CIRDI, El Paso Energy International Company c. Argen-
tine, aff. n° ARB/03/15, sentence du 31 octobre 2011, § 518, cette chronique, in cet Annuaire, 2011, p. 548),
CIRDI, Swisslion DOO Skopje c. Ancienne République yougoslave de Macédoine, aff. n° ARB/09/16, sentence
du 6 juin 2012, § 275 et, mais avec une certaine réserve, Trib. ad hoc CNUDCI, Jan Oostergetel et Theodora
Laurentius c. Slovaquie, sentence du 23 avril 2012, § 304.
256. Article 15 des Articles.
257. CEDH, Yukos c. Russie, n° 14902/04, arrêt du 20 septembre 2011, §§ 663-666.
258. Chambre de commerce de Stockholm, RosInvestCo UK c. Russie, aff. n° V079/2005, sentence
finale du 12 septembre 2010, cette chronique in cet Annuaire, 2010, p. 638.
259. Chambre de commerce de Stockholm, Renta 4 SVSA et al. c. Russie, aff. n° 24/2007, sentence
du 20 juillet 2012, §§ 42-45 puis 158-177.
260. Ibid., § 177 ; voy. aussi CIRDI, Swisslion DOO Skopje c. Ancienne République yougoslave de
Macédoine, aff. n° ARB/09/16, sentence du 6 juin 2012, §§ 291 et s. Soulignant cette fonction de la notion
de fait composite, voy. G. Distefano, « Fait continu, fait composé et fait complexe dans le droit de la
responsabilité », cet Annuaire, 2006, pp. 14-15 ; J. Salmon, « Duration of the Breach », in J. Crawford/
A. Pellet/ S. Olleson, The Law of International Responsibility, Oxford, OUP, 2010, p. 391.
261. Voy. commentaire de l’article 15 des Articles, § 6, qui invite à distinguer, exemple de la discri-
mination raciale à l’appui, les éléments nécessaires d’un fait illicite et les preuves de l’existence d’un tel
fait, ces dernières pouvant passer par la mise en évidence d’une série de faits.

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arbitrage transnational et droit international général 639

de l’avis des arbitres, par la protection accrue octroyée aux investisseurs étrangers
en vertu des TBI par rapport à celle dont bénéficie tout un chacun en vertu des
instruments relatifs aux droits de l’homme 262.

3. Circonstances excluant l’illicéité

L’état de nécessité continue de constituer la principale circonstance excluant


l’illicéité envisagée dans le contentieux investisseur-État. Mais le flot des sentences
qui l’abordent tend à se tarir à mesure que les affaires argentines parviennent
à leur dénouement. Deux tribunaux l’ont toutefois encore abordé en 2012, l’un
comme l’autre pour le rejeter. Le premier l’a aisément écarté, en retenant que
les mesures contestées étaient en tout état de cause largement postérieures à la
situation de nécessité invoquée par l’Argentine et n’avaient donc pas été adoptées
pour y répondre 263. Le second a à peine consacré davantage de développements
pour juger, d’abord que l’article 5, § 3 du TBI Argentine/France 264 ne constitue
pas une clause de sauvegarde analogue à celle qui figure à l’article 11 du TBI
Argentine/États-Unis 265 mais uniquement une clause de non-discrimination qui ne
saurait exonérer l’État de sa responsabilité 266 ; ensuite que l’Argentine ne saurait
se prévaloir de l’état de nécessité tel que codifié à l’article 25 des Articles dès lors
qu’elle n’a pu démontrer qu’elle n’a pas contribué à la survenance de la situation,
que les mesures qu’elle a prises constituaient le seul moyen de préserver l’un de
ses intérêts essentiels, ni qu’elle a mis fin à ces mesures aussitôt la situation de
nécessité passée 267 ; enfin qu’en tout état de cause l’Argentine devait indemniser
l’investisseur des pertes subies du fait des mesures prises pour répondre à la situa-
tion de nécessité 268.
La solution n’étonne guère. La motivation synthétique retenue par les arbitres
surprend davantage, compte tenu des controverses juridiques et factuelles qui ont
entouré jusqu’ici l’appréciation par les tribunaux arbitraux de l’excuse de nécessité
dans le contexte argentin. Une seule déclaration de l’ancien président argentin
relayée par le Washington Post semble par exemple emporter la conviction du
tribunal de l’affaire EDF International quant à la contribution de l’Argentine à la
crise qui l’a frappée à partir de 2001 269. Cette économie de motivation peut s’expli-
quer par le fait que la solution retenue s’inscrit dans le droit fil de précédents qui,
malgré des motivations distinctes et parfois divergentes, ont tous rejeté l’excuse de
nécessité lorsqu’elle était invoquée par l’Argentine sur la base du droit international
coutumier 270. À moins qu’il ne s’agisse, ce qui serait plus gênant, d’une certaine

262. Chambre de commerce de Stockholm, Renta 4 SVSA et al. c. Russie, aff. n° 24/2007, sentence
du 20 juillet 2012, § 22.
263. CIRDI, SAUR International SA c. Argentine, aff. n° ARB/04/4, décision sur la compétence et la
responsabilité du 6 juin 2012, §§ 458-463.
264. Aux termes duquel « les investisseurs de l’une des Parties contractantes dont les investissements
auront subi des pertes dues à la guerre ou à tout autre conflit armé, révolution, état d’urgence national ou
révolte survenu sur le territoire ou dans la zone maritime de l’autre Partie contractante, bénéficieront, de
la part de cette dernière, d’un traitement non moins favorable que celui accordé à ses propres investisseurs
ou à ceux de la nation la plus favorisée ».
265. Aux termes duquel « this Treaty shall not preclude the application by either Party of measures
necessary for the maintenance of public order, the fulfilment of its obligations with respect to the maintenance
or restoration of international peace or security, or the protection of its own essential interests ».
266. CIRDI, EDF International SA, SAUR International SA and León Participaciones Argentinas SA
c. Argentine, aff. n° ARB/03/23, sentence du 11 juin 2012, §§ 1153-1162.
267. Ibid., §§ 1171-1177.
268. Ibid, §§ 1178-1179.
269. Ibid., § 1173.
270. Les sentences qui l’ont accueillie s’appuyaient en effet sur la lex specialis figurant à l’article XI
du TBI Argentine/États-Unis. Voy. cette chronique in cet Annuaire 2008, pp. 490 et s. ; 2010, pp. 644 et

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640 arbitrage transnational et droit international général

lassitude des arbitres confrontés depuis 2005 aux mêmes circonstances factuelles.
L’afflux d’affaires mettant en cause les mesures adoptées par différents États dans
le contexte de la crise économique mondiale qui sévit depuis 2008 pourrait conduire
à un renouvellement de l’analyse 271.

B. Le contenu de la responsabilité

1. Le principe de la réparation

a) Les dommages susceptibles d’être réparés


La réparation étant la principale obligation secondaire mise à la charge de
l’État responsable et celui-ci étant tenu de réparer intégralement le préjudice causé
par le fait internationalement illicite, le contenu de la responsabilité dépend large-
ment de l’existence d’un dommage, notion que la CDI assimile à celle de préju-
dice 272. Celle-ci doit toujours être démontrée à ce stade, alors même qu’il ne serait
pas nécessaire de l’établir pour engager la responsabilité de l’État. Ainsi, tandis que
certains arbitres tendent, à rebours de la CDI, à faire du dommage une condition
d’engagement de la responsabilité 273, le tribunal de l’affaire Deutsche Bank a tenu à
préciser qu’il n’est pas nécessaire d’établir l’existence d’un dommage pour constater
une expropriation illicite. La seule démonstration d’une privation substantielle de
droits suffit alors et ce n’est que pour statuer sur la réparation qu’il est nécessaire
d’établir que cette privation a causé au demandeur un dommage 274. Autrement
dit, les mesures étatiques doivent être reliées par un premier lien de causalité à la
perte de l’investissement pour pouvoir constater l’existence d’une expropriation et
engager la responsabilité de l’État, puis par un second lien de causalité au dommage
qui peut résulter de cette perte afin de statuer sur la réparation.
Ce dommage peut être matériel ou moral, même si les arbitres n’acceptent de
constater l’existence du second type de dommage que dans les cas les plus graves 275.
Il peut être actuel ou futur. À ce titre, si les tribunaux sont régulièrement conduits
à indemniser le manque à gagner résultant de la perte par le demandeur de son
investissement 276, celui de l’affaire Mobil Investments a été saisi d’une difficulté
particulière. Ayant vu un fait illicite continu dans l’édiction puis l’application d’une
directive canadienne imposant aux investisseurs des charges accrues en matière
de recherche et de développement, le tribunal était confronté aux prétentions du
demandeur tendant à obtenir l’indemnisation non seulement de son préjudice
actuel mais également de son préjudice futur. La directive en cause étant toujours
en vigueur et l’activité du demandeur n’ayant pas cessé, celle-ci allait en effet
être grevée de la charge supplémentaire induite par celle-là jusqu’en 2036, date
prévisionnelle d’épuisement du gisement en cause. Le tribunal a alors estimé que
l’article 1116 de l’ALENA, qui fonde sa compétence pour indemniser toutes « pertes
ou (…) dommages en raison ou par suite » d’un manquement à ses dispositions,

s. ; 2011, pp. 553 et s.


271. Voy. S. Manciaux, chronique précitée note 4, pp. 522 et s.
272. Article 31 des Articles.
273. Voy. cette chronique, in cet Annuaire, 2010, p. 635 ; 2011, p. 557.
274. CIRDI, Deutsche Bank AG c. Sri Lanka, aff. n° ARB/09/2, sentence du 31 octobre 2012, §§ 504-505.
275. Pour un nouveau rejet de prétentions en ce sens, voy. CIRDI, Inmaris Perestroika Sailing Mari-
time Services GmbH e.a. c. Ukraine, aff. n° ARB/08/8, sentence du 1er mars 2012, § 428. Voy, cette chronique,
in cet Annuaire, 2009, p. 705 ; 2011, p. 559.
276. Voy. infra, 2.

Livre_Afdi2012.indb 640 29/07/2013 15:46:13


arbitrage transnational et droit international général 641

incluait ces dommages futurs 277. Il a toutefois considéré que leur évaluation était
« extremely hazardous » et ne passait en tout état de cause pas le test de « reasonable
certainty » requis 278. Ce constat n’est toutefois pas irrémédiable dès lors qu’à la
différence du manque à gagner qui résulte d’une expropriation, ce dommage futur
n’a pas vocation à rester virtuel. Le tribunal s’est donc contenté de renvoyer les
parties à la négociation, tout en indiquant au demandeur qu’il pourrait toujours
entamer une nouvelle procédure lorsque son dommage se serait réalisé 279. La
frustration éprouvée à la lecture de cette sentence qui ne vide donc pas le différend
résulte moins de la prudence du tribunal dans l’évaluation de ce préjudice futur que
des limites mises à son pouvoir par l’article 1135 de l’ALENA. Celui-ci ne lui recon-
naissant que le pouvoir d’octroyer des « dommages pécuniaires » ou « la restitution
de biens », il s’est gardé de demander le retrait ou l’abrogation de la directive illicite.
Si l’on conçoit que les États aient souhaité canaliser le pouvoir des arbitres en les
empêchant d’ordonner une restitution juridique, du moins devraient-ils conserver
en tout état de cause la possibilité de demander la cessation de l’illicite, première
des conséquences normalement attachée au constat de l’existence d’un fait illicite
continu 280. En la leur déniant, les États contribuent à mettre en exergue, sans
doute de manière excessive, la logique indemnitaire de ce type de contentieux 281.

b) Le lien de causalité

On l’a dit, pour donner lieu à réparation, le fait illicite doit être uni au dommage
par un lien de causalité. Conséquence de sa volonté d’objectiver la responsabilité
internationale notamment en purgeant son engagement de toute référence au
dommage, cette question centrale a été largement négligée par la CDI. Cela n’em-
pêche pas les arbitres de se référer aux quelques commentaires qui accompagnent
l’article 31 de ses Articles pour la traiter. C’est par exemple sur cette base que le
tribunal de l’affaire Inmaris a jugé que la liquidation des entreprises du deman-
deur était une conséquence suffisamment proche et prévisible du refus illicite de
l’Ukraine de laisser le navire qu’elles exploitaient quitter les eaux territoriales
de ce pays pendant toute la saison de navigation 282 ou que le tribunal de l’affaire
Occidental Petroleum a accepté d’indemniser les dommages indirects subis par
cette entreprise en raison de son incapacité à honorer ses propres contrats après
son expropriation 283. Mais c’est la contribution de la victime au préjudice qui a
donné lieu aux débats les plus nourris en 2012. La prise en compte du fait de la
victime dans l’appréciation du lien de causalité peut en effet conduire à limiter la
réparation due par l’État responsable à deux égards, selon que le comportement de
la victime se situe en amont ou en aval du fait internationalement illicite.
En amont, il peut être pris en compte en tant qu’il a contribué, aux côtés du
fait illicite de l’État, à la réalisation du dommage. Les tribunaux des affaires Goetz
et Occidental Petroleum ont ainsi réduit respectivement d’un tiers et d’un quart

277. CIRDI, Mobil Investments Canada Inc. et Murphy Oil Corp. c. Canada, aff. n° ARB(AF)/07/4,
décision sur la responsabilité et sur les principes relatifs au quantum du 22 mai 2012, §§ 427-430.
278. Ibid., §§ 473-478.
279. Ibid., § 478.
280. Article 30 des Articles : « L’État responsable du fait internationalement illicite a l’obligation : a)
d’y mettre fin si ce fait continue (…) ».
281. Voy. Th. W. Wälde/ B. Sabahi, « Compensation, Damages, and Valuation » in P. Muchlinski/
F. Ortino/ Ch. Schreuer, The Oxford Handbook of International Investment Law, Oxford, OUP, 2008,
p. 1058.
282. CIRDI, Inmaris Perestroika Sailing Maritime Services GmbH e.a. c. Ukraine, aff. n° ARB/08/8,
sentence du 1er mars 2012, § 381.
283. CIRDI, Occidental Petroleum Corporation and Occidental Exploration and Production Company
c. Équateur, aff. n° ARB/06/11, sentence du 5 octobre 2012, §§ 790 et s.

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642 arbitrage transnational et droit international général

l’indemnisation octroyée aux demandeurs car le dommage qu’ils avaient subi était
pour partie dû à des « fautes » commises par les entreprises dans lesquelles ils
avaient investi 284. Si le premier n’a guère justifié sa position, le second a tenté de
s’en expliquer. La victime avait commis une négligence fautive en négociant avec
un tiers la cession d’une partie de sa concession sans en avertir l’État comme le lui
imposait les termes de son contrat. Pour le tribunal, cette négligence ne saurait
justifier que l’Équateur ait mis un terme à ce contrat, cette sanction pourtant prévue
contractuellement étant disproportionnée et constituant donc une expropriation
indirecte. Mais le tribunal, affirmant appliquer les articles 31 et 39 des Articles,
a jugé que cette négligence avait contribué de façon matérielle et significative au
dommage puisque, sans elle, le contrat de concession n’aurait pas été résilié. Cela
justifiait donc un partage de responsabilité. Usant de sa « wide discretion » dans la
tâche difficile consistant à apprécier le poids respectif des différentes causes ayant
contribué au dommage, la majorité jugea alors qu’elle était due pour 25 % à la faute
de la victime 285. L’opinion dissidente de B. Stern, pour qui le dommage aurait dû
être partagé à parts égales entre l’investisseur et l’État, ne fait que confirmer la
grande subjectivité qui s’attache à ce type d’évaluation 286. L’importance des sommes
en jeu la rend vertigineuse puisqu’il en résulte une différence de 700 millions de
dollars dans le montant finalement dû par l’Équateur au demandeur 287. Mais il est
vrai que l’article 39 du texte de la CDI n’apporte guère de précision sur ce point,
indiquant seulement qu’« il est tenu compte de la contribution au préjudice due à
l’action ou à l’omission, intentionnelle ou par négligence, de l’État lésé ou de toute
personne ou entité au titre de laquelle réparation est demandée ». Du moins voit-on
que les arbitres mobilisent encore une fois le texte de la Commission, alors même
que la disposition en cause s’inscrit dans un contexte interétatique en se référant
tout au plus à la personne « au titre de laquelle réparation est demandée ». Cela
tend à indiquer qu’ils perçoivent les règles qu’il contient comme des principes
généraux du droit de la responsabilité 288.
En aval, on peut également considérer que « la victime totalement innocente
d’un comportement illicite est censée agir raisonnablement face au préjudice » en
s’efforçant de l’atténuer 289. C’est la position des tribunaux arbitraux, qui perçoivent
comme « a well-established principle in investment arbitration » celui selon lequel
une victime ne doit pas obtenir réparation d’un dommage qu’elle aurait pu éviter en
prenant des mesures raisonnables 290. Leur pratique pourrait contribuer à renforcer
cette obligation d’atténuer le dommage dont l’assise est pour le moins fragile, la
CDI ne l’ayant exprimé dans son commentaire de l’article 31 que sur la base d’un
obiter dictum ambigü de la CIJ 291.

284. CIRDI, Antoine Goetz e.a. et SA Affinage des métaux c. Burundi, aff. n° ARB/01/2, sentence du
21 juin 2012, §§ 258 et 299 ; CIRDI, Occidental Petroleum Corporation and Occidental Exploration and
Production Company c. Équateur, aff. n° ARB/06/11, sentence du 5 octobre 2012, §§ 662 et s.
285. CIRDI, Occidental Petroleum Corporation and Occidental Exploration and Production Company
c. Équateur, aff. n° ARB/06/11, sentence du 5 octobre 2012, § 687.
286. Op. diss. Stern, §§ 7-8.
287. Voy. infra, 2.
288. Pour une discussion sur ce point, voy. M. Paparinskis, op. cit. note 186, p. 638.
289. Commentaire de l’article 31 des Articles, § 11.
290. CIRDI, EDF International SA, SAUR International SA and León Participaciones Argentinas SA
c. Argentine, aff. n° ARB/03/23, sentence du 11 juin 2012, §§ 1301 et s.
291. CIJ, Projet Gabcikovo-Nagymaros (Hongrie c. Slovaquie), arrêt du 25 septembre 1997, § 80, Rec.,
p. 55, retenant seulement que « si ledit principe pourrait ainsi fournir une base pour le calcul de dommages
et intérêts, en revanche, il ne saurait justifier ce qui constitue par ailleurs un fait illicite ».

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arbitrage transnational et droit international général 643

2. Les modalités de la réparation

a) L’indemnisation
1,7 milliards de dollars. C’est la somme record octroyée à Occidental Petroleum
par un tribunal CIRDI dans un différend qui opposait depuis fort longtemps cette
compagnie pétrolière à l’Équateur et qui avait conduit à la résiliation anticipée de
la concession dont elle bénéficiait 292. Rapportée à l’illégalité constatée (un usage
disproportionné du pouvoir de sanction contractuellement reconnu) et au produit
intérieur brut de l’Équateur (qui avoisine les 70 milliards de dollars 293), cette
somme devrait faire débat, d’autant que la décision de la majorité est accompa-
gnée d’une opinion fortement dissidente de B. Stern, pour qui le calcul de la majo-
rité repose sur de « grossly incorrect legal bases » 294. Selon l’arbitre française, non
seulement l’évaluation opérée aurait eu le tort d’écarter des taxes exceptionnelles
dont la mise en œuvre aurait affecté les revenus tirés de l’investissement, mais elle
aurait insuffisamment tenu compte de la contribution de la victime à son préjudice
et, surtout, fait fi du contrat conclu entre le demandeur et un tiers en vertu duquel
le premier avait cédé au second 40 % des revenus tirés de la concession expropriée
et, donc, de l’indemnisation 295.
Au-delà de ces particularités de l’espèce, c’est le débat autour du principe de
réparation intégrale, qui conduit les arbitres à tenter de replacer l’investisseur dans
la situation où il se serait trouvé en l’absence de fait internationalement illicite,
qui pourrait se trouver relancé. L’opinion individuelle de I. Brownlie en l’affaire
CME revient ainsi à l’esprit. Celui-ci contestait vivement la méthode d’évaluation
privilégiée dans le contentieux arbitral transnational notamment parce que, en
sus d’un aspect spéculatif marqué, elle ne tient pas suffisamment compte de la
nature particulière du débiteur 296. Bien qu’héritée de l’arbitrage commercial, cette
méthode d’évaluation trouve certes un soutien fort, que les arbitres ne manquent
jamais de rappeler, dans les principes posés par la CPJI dès l’affaire de l’Usine de
Chorzów 297 et repris à l’article 36 des Articles de la CDI 298. Elle prévient en outre
le risque que les États ne tirent profit de leurs faits illicites. Mais elle peut conduire
à faire peser sur eux une charge excessive. « It would be strange indeed, concluait
ainsi I. Brownlie, if the outcome of acceptance of a bilateral investment treaty took
the forms of liabilities ‘likely to entails catastrophic repercussions for the livelihood
and economic well-being of the population’ » 299. Ces conséquences seraient d’autant
plus gênantes que les efforts de pédagogie déployés par les arbitres pour tenter
de justifier leurs calculs ne masquent pas la large marge d’appréciation dont ils
disposent, et qu’ils admettent parfois 300, à ce stade. Cette marge pourrait être
employée afin d’opérer une nouvelle balance entre les intérêts des investisseurs

292. CIRDI, Occidental Petroleum Corporation and Occidental Exploration and Production Company
c. Équateur, aff. n° ARB/06/11, sentence du 5 octobre 2012.
293. <www.coface.fr>.
294. Op. diss. Stern, § 1.
295. Ibid., passim.
296. Voy. op. ind. Brownlie sur Trib. ad hoc CNUDCI, CME c. République tchèque, sentence du
14 mars 2003, sp. §§ 74 et s..
297. CPJI, Usine de Chorzów, fond, arrêt du 13 septembre 1928, série A, n° 17, p. 47.
298. Aux termes duquel « l’indemnité couvre tout dommage susceptible d’évaluation financière, y
compris le manque à gagner dans la mesure où celui-ci est établi ».
299. Loc. cit., § 78, citation omise.
300. CIRDI, Antoine Goetz e.a. et SA Affinage des métaux c. Burundi, aff. n° ARB/01/2, sentence
du 21 juin 2012, § 298 ; Chambre de commerce de Stockholm, Renta 4 SVSA et al. c. Russie, n° 24/2007,
sentence du 20 juillet 2012, § 215.

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644 arbitrage transnational et droit international général

et ceux des États au stade de l’indemnisation 301, pendant de celle qui s’opère
lors de l’établissement de la responsabilité 302. Cette piste semble d’autant plus
fructueuse que l’évaluation de l’indemnisation permet davantage de nuances que
­l’établissement de la responsabilité.
Par comparaison, les quelque trois millions de dollars octroyés à Marion
Unglaube paraissent bien modestes. Mais la sentence qui en a décidé contient
d’intéressants développements. Ayant estimé que le Costa Rica avait exproprié,
dans le but légitime de créer un parc naturel, les terrains qu’elle avait acquis dans
le cadre d’un projet écotouristique, il devait se prononcer sur le standard applicable
à l’indemnisation du préjudice subi du fait d’une expropriation qui n’est illicite
que parce qu’elle ne s’est pas accompagnée d’une juste et préalable indemnité.
Les arbitres ont alors jugé que la valeur de l’investissement exproprié à laquelle
se référait le TBI s’agissant des expropriations licites ne constituait pas l’étalon
pertinent car l’expropriation illicite doit faire l’objet d’une réparation intégrale. Ils
ont toutefois estimé que, « fortunately », les deux méthodes se rejoignaient autour
du standard de juste valeur du marché puisque le terrain en cause ne générait
pas de revenus 303. La seule difficulté tenait alors à la date à prendre en compte
pour l’évaluation du préjudice. La date exacte de l’expropriation étant difficile à
établir et le marché ayant évolué au cours de la période, les arbitres fixèrent une
date qu’ils jugèrent raisonnable, compte tenu de la situation de la demanderesse,
du droit du défendeur de l’exproprier et de l’illicéité commise en ne l’indemnisant
pas 304. Ceci tend à confirmer qu’une balance des intérêts reste envisageable au
stade de la réparation.
Lorsqu’ils octroient une indemnité au demandeur, les arbitres l’assortissent
d’intérêts dont le cru 2012 confirme qu’ils sont le plus souvent composés, l’essentiel
des discussions s’étant alors reporté sur leur taux 305. À ces sommes dues au titre de
l’indemnisation, peuvent encore s’ajouter les coûts de l’arbitrage. Ceux-ci peuvent
être mis à la charge de la partie défaite en application de l’idée selon laquelle « the
costs follow the event ». Mais il est souvent tenu compte de l’équilibre global de la
décision, du sérieux des prétentions des parties et de leur attitude au cours de la

301. Voy. Th. W. Wälde/ B. Sabahi, op. cit. note 281, passim ; I. Marboe, « State Responsibility
and Comparative State Liability for Administrative and Legislative Harm to Economic Interests », in
S. W. Schill, International Investment Law and Comparative public Law, Oxford, OUP, 2010, p. 722 ;
M. B. Devaney, « Leave it to the Valuation Experts ? The Remedies Stage of Investment Treaty Arbitra-
tion and the Balancing of Public and Private Interests », Society of International Economic Law, working
paper, 2012 n° 6.
302. CIRDI, Quiborax SA, Non Metallic Minerals SA et Allan Fosh Kaplùn c. Bolivie, aff. n° ARB/06/2,
décision sur la compétence du 27 septembre 2012, § 264.
303. CIRDI, Marion Unglaube c. Costa Rica, aff. n° ARB/08/1, sentence du 16 mai 2012, §§ 304-308.
304. Ibid., §§ 317-318.
305. CIRDI, Inmaris Perestroika Sailing Maritime Services GmbH e.a. c. Ukraine, aff. n° ARB/08/8,
sentence du 1er mars 2012, §§ 393, 399, 410, 429 ; CIRDI, Marion Unglaube c. Costa Rica, aff. n° ARB/08/1,
sentence du 16 mai 2012, §§ 319 et s. ; CIRDI, EDF International SA, SAUR International SA and León
Participaciones Argentinas SA c. Argentine, aff. n° ARB/03/23, sentence du 11 juin 2012, §§ 1324 et s. ;
CIRDI, Antoine Goetz e.a. et SA Affinage des métaux c. Burundi, aff. n° ARB/01/2, sentence du 21 juin
2012, §§ 300 et s. (refusant d’appliquer des intérêts pour une période au cours de laquelle les demandeurs
ont retardé la procédure) ; CIRDI, Swisslion DOO Skopje c. FYROM, aff. n° ARB/09/16, sentence du
6 juillet 2012, §§ 358 et s. ; Chambre de commerce de Stockholm, Renta 4 SVSA et al. c. Russie, n° 24/2007,
sentence du 20 juillet 2012, § 226 ; CIRDI, Occidental Petroleum Corporation and Occidental Exploration
and Production Company c. Équateur, aff. n° ARB/06/11, sentence du 5 octobre 2012, §§ 834 et s. ; CIRDI,
Deutsche Bank AG c. Sri Lanka, aff. n° ARB/09/2, sentence du 31 octobre 2012, § 575.

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arbitrage transnational et droit international général 645

procédure, voire de l’origine de leurs ressources 306, pour partager ou, au contraire,
concentrer la charge qu’elles doivent supporter à ce titre 307.

b) Les autres formes de réparation


L’indemnisation est, et de loin, la principale forme de réparation recherchée et
octroyée dans le contentieux investisseur-État. On a déjà souligné les limites que
peut revêtir, même en ce domaine, la conception patrimoniale de la responsabilité
lorsqu’elle est exclusive 308. Tel n’est toutefois pas toujours le cas. En effet, d’autres
formes de réparation sont parfois envisagées, dont la restitution 309 ou la satisfac-
tion. Cette dernière peut prendre plusieurs formes, au rang desquelles « la décla-
ration d’illicéité faite par une cour ou un tribunal compétent » 310. Certains arbitres
en sont conscients, qui rechignent davantage à indemniser le préjudice moral qu’à
le réparer sous forme de satisfaction 311. Cette idée se retrouve dans quelques déci-
sions rendues en 2012, qui montrent que les investisseurs voient parfois dans la
sentence déclaratoire elle-même une forme de réparation 312. Certains tribunaux
l’admettent, au point de poursuivre pour ce motif l’examen des violations invoquées
alors même que l’issue de cette analyse serait sans conséquence indemnitaire dès
lors qu’un premier fait internationalement illicite a déjà été constaté 313.

306. Chambre de commerce de Stockholm, Renta 4 SVSA et al. c. Russie, n° 24/2007, sentence du
20 juillet 2012, § 224, où le tribunal décide de faire « supporter » les coûts de l’arbitrage par le demandeur
victorieux au motif qu’il est en réalité financé par un tiers, qui n’a pas accès à l’arbitrage et qui est qualifié
par le tribunal de « bon samaritain ».
307. CPA (CNUDCI), ICS Inspection and Control Services Limited c. Argentine, aff. n° 2010-9, sentence
sur la compétence du 10 février 2012, §§ 328 et s. ; CIRDI, SGS Société générale de surveillance SA c.
Paraguay, aff. n° ARB/07/29, sentence du 10 février 2012, §§ 189 et s. ; CIRDI, Marion Unglaube c. Costa
Rica, aff. n° ARB/08/1, sentence du 16 mai 2012, §§ 327 et s. ; Trib. ad hoc CNUDCI, Jan Oostergetel et
Theodora Laurentius c. Slovaquie, sentence du 23 avril 2012, §§ 336 et s. ; CIRDI, Swisslion DOO Skopje
c. Ancienne République yougoslave de Macédoine, aff. n° ARB/09/16, sentence du 6 juin 2012, §§ 351 et s. ;
CPA (CNUDCI), Ulysseas c. Équateur, sentence du 12 juin 2012, §§ 362 et s. ; CIRDI, EDF International SA,
SAUR International SA and León Participaciones Argentinas SA c. Argentine, aff. n° ARB/03/23, sentence
du 11 juin 2012 ; §§ 1342 et s. ; CIRDI, Occidental Petroleum Corporation and Occidental Exploration
and Production Company c. Équateur, aff. n° ARB/06/11, sentence du 5 octobre 2012, §§ 870 et s. ; CIRDI,
Deutsche Bank AG c. Sri Lanka, aff. n° ARB/09/2, sentence du 31 octobre 2012, §§ 583 et s. ; CIRDI, Bosh
International, Inc. et B&P Ltd Foreign Investments Entreprise c. Ukraine, aff. n° ARB/08/11, sentence
du 25 octobre 2012, §§ 287 et s. ; CIRDI, Caratube International Oil Company LLP c. Kazakhstan, aff.
n° ARB/08/12, sentence du 5 juin 2012, §§ 472 et s. ; CIRDI, Antoine Goetz e.a. et SA Affinage des métaux
c. Burundi, aff. n° ARB/01/2, sentence du 21 juin 2012, §§ 304 s. ; CIRDI, Inmaris Perestroika Sailing
Maritime Services GmbH e.a. c. Ukraine, aff. n° ARB/08/8, sentence du 1er mars 2012, § 437 ; CNUDCI,
Carl A. Sax e.a. c. Ville de Saint-Pétersbourg, sentence finale du 30 mars 2012, §§ 794 et s. ; CIRDI, Brandes
Investment Partners, LP c. Venezuela, aff. n° ARB/08/3, sentence du 14 mai 2012, §§ 119 et s. ; CIRDI,
Iberdrola Energía SA c. Guatemala, aff. n° ARB/09/5, sentence du 17 août 2012, §§ 512 et s. ; CIRDI,
Toto Costruzioni Generali SpA c. Liban, aff. n° ARB/07/12, sentence du 7 juin 2012, §§ 256 et s. ; Comité
ad hoc CIRDI, Victor Pey Casado and President Allende Foundation c. Chili, aff. n° ARB/98/2, décision
du 18 décembre 2012, §§ 352 et s. ; CIRDI, Daimler Financial Services AG c. Argentine, aff. n° ARB/05/1,
sentence du 22 août 2012, §§ 283 et s.
308. Voy. supra, nos commentaires sur la sentence Mobil Investments Canada.
309. Voy. cette chronique, in cet Annuaire, 2010, p. 653.
310. Commentaire de l’article 37 des Articles, § 6.
311. Voy. cette chronique, in cet Annuaire, 2011, p. 564 ; P. Dumberry, « Satisfaction as a Form of
Reparation for Moral Damages Suffered by Investors and Respondent States in Investor-State Arbitra-
tion Disputes », Journal of International Dispute Settlement, 2012, pp. 1-38, qui conteste cette forme de
réparation lorsque c’est l’investisseur, non l’État, qui subit le dommage moral.
312. CIRDI, Quiborax SA, Non Metallic Minerals SA et Allan Fosh Kaplùn c. Bolivie, aff. n° ARB/06/2,
décision sur la compétence du 27 septembre 2012, §§ 299 et s.
313. CIRDI, SAUR International SA c. Argentine, aff. n° ARB/04/4, décision sur la compétence et la
responsabilité, sentence du 6 juin 2012, § 465. Sur ces questions, voy. aussi l’opinion (sollicitée par Chevron)
de Jan Paulsson, dans l’affaire CPA (CNUDCI), Chevron Corp. et Texaco Petroleum Corp. c. Équateur, aff.
n° 2009-23, 12 mars 2012, §§ 83 et s.

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646 arbitrage transnational et droit international général

III. – ARBITRAGE TRANSNATIONAL ET DROIT APPLICABLE

L’identification par les arbitres du droit applicable au différend qui leur est
soumis constitue un élément clef du contentieux arbitral transnational. Elle dépend
d’une part du texte qui fonde l’existence du tribunal 314, d’autre part de l’accord
des parties tel qu’il se manifeste dans la convention d’arbitrage 315. Les tribunaux
arbitraux sont ainsi conduits à préciser la manière dont le droit international des
investissements s’articule non seulement avec le droit interne (A) mais aussi avec
d’autres règles de droit international (B).

A. Le droit interne

L’autonomie des parties peut conduire les tribunaux arbitraux à être alterna-
tivement juges du droit interne, du droit international ou des deux. Les arbitrages
rendus en 2012 traduisent de manière assez classique la façon dont ces droits
s’articulent dans ce contentieux hybride 316. Deux d’entre eux méritent toutefois
d’être signalés, en ce qu’ils montrent que les tribunaux peuvent parfois être à la
fois juge interne et juge international.
Tel était clairement le cas du tribunal de l’affaire Goetz. Saisi de réclama-
tions conventionnelles mais aussi contractuelles sur le fondement d’un TBI qui
prévoyait l’application cumulative du droit burundais et du droit international, il a
pu s’appuyer sur cette clause de droit applicable largement rédigée pour admettre
la recevabilité de demandes reconventionnelles formulées par le Burundi contre
l’investisseur pour violation de ses obligations contractuelles 317.
Quant à la sentence Occidental Petroleum, elle met en lumière « la manière
même de procéder du juge CIRDI qui, de plus en plus fréquemment et en raison
de la dualité de son office, appréhende les relations entre droit interne et droit
international moins comme des relations d’ordre juridique à ordre juridique que
comme des relations de normes applicables à normes applicables à l’intérieur d’une
seule et même sphère normative » 318. En effet, droit interne et droit international

314. À titre d’exemple, l’article 42, § 1er, de la convention de Washington indique à cet égard que « [l]e
tribunal statue sur le différend conformément aux règles de droit adoptées par les parties. Faute d’accord
entre les parties, le tribunal applique le droit de l’État contractant partie au différend – y compris les règles
relatives aux conflits de lois – ainsi que les principes de droit international en la matière ».
315. Y. Banifatemi, « The Law Applicable in Investment Treaty Arbitration », in K. Yannaca-Small, Arbi-
tration Under International Investment Agreements. A Guide to the Key Issues, Oxford, OUP, 2010, pp. 193-195.
316. Trib. ad hoc CNUDCI, Jan Oostergetel et Theodora Laurentius c. Slovaquie, sentence du 23 avril
2012, §§ 138 et s. ; CIRDI, Marion Unglaube c. Costa Rica, aff. n° ARB/08/1, sentence du 16 mai 2012,
§§ 29 et s. ; CIRDI, Caratube International Oil Company LLP c. Kazakhstan, aff. n° ARB/08/12, sentence
du 5 juin 2012, §§ 227-230 ; CIRDI, SAUR International SA c. Argentine, aff. n° ARB/04/4, décision sur
la compétence et la responsabilité du 6 juin 2012, §§ 324 et s. ; CIRDI, Toto Costruzioni Generali SpA c.
Liban, aff. n° ARB/07/12, sentence du 7 juin 2012, §§ 55-57 ; CIRDI, Daimler Financial Services AG c.
Argentine, aff. n° ARB/05/1, sentence du 22 août 2012, §§ 45 et s., 136 et s., 146, 169 s. ; CIRDI, Quiborax
SA, Non Metallic Minerals SA et Allan Fosh Kaplùn c. Bolivie, aff. n° ARB/06/2, décision sur la compétence
du 27 septembre 2012, §§ 47 et s., 115 et s., 226 ; CIRDI, Bosh International, Inc. et B&P Ltd Foreign
Investments Entreprise c. Ukraine, aff. n° ARB/08/11, sentence du 25 octobre 2012, §§ 110 et s., 280 ; CIRDI,
Deutsche Bank AG c. Sri Lanka, aff. n° ARB/09/2, sentence du 31 octobre 2012, § 313 ; CIRDI, Burlington
Resources Inc. c. Équateur, aff. n° ARB/08/5, décision sur la responsabilité du 14 décembre 2012, §§ 179 et
s., 214-215, 276 et s., 410, 510 ; CIRDI, Teinver SA, Transportes de Cercanías SA and Autobuses Urbanos
del Sur SA c. Argentine, aff. n° ARB/09/1, décision sur la compétence du 21 décembre 2012, §§ 226-228.
317. CIRDI, Antoine Goetz e.a. et SA Affinage des métaux c. Burundi, aff. n° ARB/01/2, sentence du
21 juin 2012, §§ 141-147 pour le droit applicable, §§ 276-280 pour la demande reconventionnelle. Voy.
W. Ben Hamida, loc. cit. note 153, 2012, p. 893 et supra I, E.
318. M. Forteau, « Le juge CIRDI envisagé du point de vue de son office : juge interne, juge interna-
tional, ou l’un et l’autre à la fois ? », in Liber Amicorum Jean-Pierre Cot, Bruxelles, Bruylant, 2009, p. 113.

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arbitrage transnational et droit international général 647

s’entrelacent à ce point dans le raisonnement des arbitres qu’il en devient difficile


de distinguer si c’est la responsabilité contractuelle de l’État ou sa responsabilité
internationale qui a été engagée 319.

B. Les autres règles de droit international

Dans un « monde (…) irrémédiablement pluraliste » 320, le développement


exponentiel du contentieux investisseur-État ne pouvait manquer de mettre en
lumière les relations parfois tumultueuses que peuvent entretenir le droit inter-
national des investissements et les autres branches du droit international. Sans
doute ces relations devraient-elles être désormais davantage prises en compte par
les États au moment de négocier de nouveaux accords 321. Mais en attendant, les
arbitres doivent s’y confronter régulièrement, notamment lorsqu’ils déterminent
le droit applicable au différend qui leur est soumis. Les parties peuvent en effet
leur demander de mobiliser d’autres règles de droit international à titre principal
ou, plus souvent, de manière incidente ; ils peuvent s’en servir directement en
les appliquant ou indirectement, notamment en les prenant en compte au cours
du processus interprétatif. Si le cru 2012 n’apporte guère d’enseignements sur le
front des relations entre droit des investissements et droit de l’environnement 322,
celles qu’entretient le premier avec le droit international des droits de l’homme et,
surtout, le droit de l’Union européenne ont connu d’intéressants développements.

1. Le droit international des droits de l’homme

Initialement perçus comme deux ensembles hermétiquement séparés, le droit


international des investissements et le droit international des droits de l’homme
entrent désormais régulièrement en contact 323. Les sentences rendues en 2012
confirment ainsi que ce dernier peut être invoqué par les parties ou utilisé par les
arbitres de diverses manières.
Aucun demandeur ne s’est certes appuyé à titre principal sur des dispositions
relevant de cette branche du droit, comme avait pu le faire Spyridon Roussalis en
tentant, sans succès, de faire reconnaître par un tribunal arbitral la violation par
la Roumanie de dispositions de la convention européenne des droits de l’homme

319. CIRDI, Occidental Petroleum Corporation and Occidental Exploration and Production Company
c. Équateur, aff. n° ARB/06/11, sentence du 5 octobre 2012, passim. Au terme d’un raisonnement au cours
duquel il s’est régulièrement mis dans la peau d’un juge équatorien, le tribunal constate une violation aussi
bien du droit équatorien que du droit coutumier et du TBI (§ 452). La violation du TBI semble toutefois
dominer, puisqu’elle le conduit à privilégier les règles du droit international en matière de réparation
(§ 791) tout en prenant le soin de constater qu’elles ne diffèrent pas de celles du droit équatorien (§ 798).
320. Rapport du groupe d’étude de la CDI, Fragmentation du droit international : difficultés découlant
de la diversification et de l’expansion du droit international, doc. A/CN.4/L.682 (2006), § 488.
321. V. Prislan, « Non-Investment Obligations in Investment Treaty Arbitration - Towards a Greater
Role for States ? », in F. Baetens, Investment Law within International Law : An Integrationist Perspective,
Cambridge, CUP, à paraître, disponible sur <www.ssrn.com>.
322. Voy. J. Vinuales, Foreign Investment and the Environment in International Law, Cambridge,
CUP, 2012, 474 p. ; P.-M. Dupuy/ J. Vinuales, Harnessing Foreign Investment to Promote Environmental
Protection : Incentives and Safeguards, Cambridge, CUP, 2013, 493 p.
323. Voy., entre autres, P.-M. Dupuy, « Unification Rather than Fragmentation of International
Law ? The Case of International Investment Law and Human Rights Law’, in P.-M. Dupuy/ F. Fran-
cioni/ E.-U. Petersmann, Human Rights in International Investment Law and Arbitration, Oxford, OUP,
2009, pp. 45-62 ; B. Simma, « Foreign Investment Arbitration : a Place for Human Rights ? », ICLQ, 2011,
pp. 573-596 ; E. de Brabandere, « Human Rights Considerations in International Investment Arbitra-
tion », in M. Fitzmaurice/ P. Merkouris, The Interprétation and Application of the European Convention
of Human Rights : Legal and Practical Implications, Leiden, Nijhoff, 2013, pp. 183-215.

Livre_Afdi2012.indb 647 29/07/2013 15:46:14


648 arbitrage transnational et droit international général

en s’appuyant sur une clause particulière du TBI Grèce/Roumanie 324. Mais le


tribunal de l’affaire Occidental Petroleum s’est inspiré de la jurisprudence de la
Cour européenne des droits de l’homme pour soumettre l’Équateur au principe de
proportionnalité dans l’édiction de sanctions contractuelles 325.
Si le droit international des droits de l’homme peut ainsi contribuer indirecte-
ment à renforcer la protection dont bénéficie l’investisseur étranger, celui-ci n’est
toutefois pas un homme comme les autres. Ainsi, bien que certains tribunaux aient
pu s’inspirer de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg pour affirmer l’existence
d’une marge d’appréciation au profit des États 326, les arbitres de l’affaire Renta 4
ont tenu à s’en démarquer. Selon eux, les investisseurs étrangers bénéficient en
effet d’une protection accrue par rapport à celle qui est offerte à tout individu en
vertu des instruments de protection des droits de l’homme, d’une part parce que les
accords d’investissement contiennent des engagements destinés spécifiquement à les
inciter à investir, d’autre part parce qu’ils n’ont pas à supporter la charge de décisions
prises éventuellement dans l’intérêt d’une communauté à laquelle ils n’appartiennent
pas 327. La marge d’appréciation des États s’en trouverait réduite d’autant.
Il arrive pourtant que ceux-ci cherchent à justifier leurs agissements par des
considérations empruntées au droit international des droits de l’homme 328. C’est
en particulier le cas de l’Argentine, qui soutient régulièrement que les mesures qui
ont affecté les concessionnaires des services de distribution d’eau ou d’électricité
étaient nécessaires pour sauvegarder les droits fondamentaux de sa population.
Ceci conduit les arbitres à marquer une déférence de bon aloi à l’égard des normes
invoquées. Ils acceptent au moins de les prendre en compte dans l’interprétation
des obligations pesant sur l’État en vertu du droit des investissements 329, au plus
de les qualifier de normes de jus cogens susceptibles de prévaloir en cas de conflit
sur les dispositions des accords d’investissement 330. Mais ils écartent systémati-
quement tout conflit, affirmant que l’État pouvait fort bien les respecter sans porter
atteinte aux droits des investisseurs 331.
Le droit international des droits de l’homme ne joue donc encore qu’un rôle
limité dans le contentieux investisseur-État 332. Un mouvement de résistance à sa

324. CIRDI, Spyridon Roussalis c. Roumanie, aff. n° ARB/06/1, sentence du 7 décembre 2011,
§§ 306-312, cette chronique in cet Annuaire, 2011, p. 581.
325. CIRDI, Occidental Petroleum Corporation and Occidental Exploration and Production Company
c. Équateur, aff. n° ARB/06/11, sentence du 5 octobre 2012, §§ 402 et s., le tribunal mentionnant également
le droit de l’OMC et le droit de l’Union européenne. Voy. supra I, C.
326. CIRDI, Continental Casualty Company c. Argentine, aff. n° ARB/03/9, sentence du 5 septembre
2008, § 18. Voy. S. Manciaux, chronique précitée note 4, pp. 525 et s.
327. Chambre de commerce de Stockholm, Renta 4 SVSA et al. c. Russie, n° 24/2007, sentence du
20 juillet 2012, §§ 21-23. Vou. supra II, A.
328. On remarquera qu’il a pu arriver, réciproquement, qu’un État cherche à justifier une atteinte aux
droits des populations autochtones par le souci de respecter un accord d’investissement, sans davantage de
succès. Voy. Cour interaméricaine des droits de l’homme, Comunidad indigena Sawhoyamaxa c. Paraguay,
série C, n° 146, arrêt du 29 mars 2006, § 140 : « Moreover, the Court considers that the enforcement of bilat-
eral commercial treaties negates vindication of non-compliance with state obligations under the American
Convention; their enforcement should always be compatible with the American Convention, which is a
multilateral treaty on human rights that stands in a class of its own and that generates rights for individual
human beings and does not depend entirely on reciprocity among States ». Voy. J. Cazala, « Protection des
droits de l’homme et contentieux international de l’investissement », Cahiers de l’arbitrage, 2012, p. 893.
329. CIRDI, SAUR International SA c. Argentine, aff. n° ARB/04/4, décision sur la compétence et la
responsabilité du 6 juin 2012, §§ 328-332.
330. CIRDI, EDF International SA, SAUR International SA and León Participaciones Argentinas SA
c. Argentine, aff. n° ARB/03/23, sentence du 11 juin 2012, §§ 911-914.
331. Id. Voy. cette chronique in cet Annuaire, 2010, p. 647.
332. Pour certains, cette ignorance relative aurait des explications sociologiques qui tiendraient
à l’étanchéité des communautés professionnelles qui connaissent de chacune de ces branches du droit
international, voy. M. Hirsch « The Interaction between International Investment Law and Human Rights

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arbitrage transnational et droit international général 649

t­ransformation en contentieux des droits de l’homme pourrait même se lire dans


le rejet par les tribunaux des affaires Bernhard von Pezold et Border Timbers de
demandes d’amici curiae aux motifs que leurs prétendus amis « provided no evidence
or support for their assertion that international investment law and international
human rights law are interdependent such that any decision of these Arbitral Tribu-
nals which did not consider the content of international human rights norms would be
legally incomplete » 333. Il faut dire que le Zimbabwe n’avait jusqu’alors avancé aucun
argument tiré de la protection des peuples autochtones pour justifier les mesures
dont les demandeurs se plaignaient. D’autres tribunaux se sont d’ailleurs montrés
plus ouverts vis-à-vis d’amici curiae prétendant ­représenter la société civile 334.

2. Le droit de l’Union européenne

La question désormais récurrente 335 des relations entre le droit des investis-
sements et le droit de l’Union européenne a été abordée de manière extensive par
le tribunal de l’affaire Electrabel, sans qu’il soit certain que ­l’exhaustivité de son
raisonnement suffise à l’éclairer pleinement.
On le sait, ces relations se développent à mesure que l’Union s’élargit à de
nouveaux États préalablement liés à ses membres par des accords d’investisse-
ment et que ses compétences s’approfondissent pour inclure depuis le traité de
Lisbonne les investissements directs étrangers. Ces évolutions ont conduit l’Union
à revendiquer la disparition des traités intra-communautaires et un monopole sur
la conclusion et la modification des traités conclus avec les tiers 336. Mais les rela-
tions entre les traités préexistants et le droit de l’Union sont aussi à l’origine de
difficultés contentieuses. Les arbitres ont ainsi abordé le sort des traités devenus
intra-communautaires, dont l’Union et les États ont prétendu en vain que l’adhé-
sion de ceux-ci à celle-là avait conduit à leur extinction 337. Ils ont en revanche
contourné jusqu’ici l’argumentation des États selon laquelle leurs violations du
droit des investissements seraient justifiés par la volonté de se conformer au droit
de l’Union, en interprétant ici les obligations communautaires comme n’imposant

Treaties : A Sociological Perspective » in T. Broude / Y. Shany, Multi-Sourced Equivalent Norms in Inter-


national Law, Oxford, Hart, 2011, pp. 115-142.
333. CIRDI, Bernhard von Pezold e.a. c. Zimbabwe, aff. n° ARB/10/15, ordonnance procédurale n° 2,
26 juin 2012 et CIRDI, Border Timbers Ltd, Border Timbers International (Private) Ltd, et Hangani Develop-
ment Co. (Private) Ltd c. Zimbabwe, aff. n° ARB/10/25, ordonnance procédurale n° 2, 26 juin 2012, §§ 58-59.
334. CIRDI, Pac Rim Cayman LLC c. El Salvador, aff. n° ARB/09/12, décision sur les objections
à la compétence du 1er juin 2012, §§ 1.31 et s. et 2.36 et s. De son côté, le tribunal de l’affaire Philip
Morris a souligné, dans un autre contexte, que l’intérêt public qui s’attache aux questions soulevées dans
l’arbitrage d’investissement implique que des informations sur la procédure soient fournies à la société
civile (CPA (CNUDCI), Philip Morris Asia Limited c. Australie, n° 2012-12, ordonnance procédurale n° 5
(confidentialité) du 30 novembre 2012, § 51). Sur ces questions, voy. E de Brabandere, op. cit. note 323 ;
L. Bastin, « The Amicus Curiae in Investor-State Arbitration », Cambridge Journal of International and
Comparative Law, 2012, pp. 208-234.
335. S. Robert-Cuendet, « Les investissements intracommunautaires entre droit communautaire
et accords internationaux sur l’investissement : concilier l’inconciliable ? », RGDIP, 2011, pp. 853-893 ;
A. Giardina, « La question du droit applicable : l’application directe du droit européen et son influence
sur le droit et l’arbitrage des investissements », in C. Kessedjian, Le droit européen et l’arbitrage d’inves-
tissement, Paris, Panthéon-Assas, 2011, pp. 149-164 ; G. A. Berman, « Navigating EU Law and the Law
of International Arbitration », Arbitration International, 2012, pp. 397-445.
336. S. El Boudouhi, « L’avenir des traités bilatéraux d’investissement conclus par les États membres
de l’Union européenne avec des États tiers », RTDE, 2011, pp. 85-115.
337. Chambre de commerce de Stockholm, Eastern Sugar BV c. République tchèque, aff. n° 088/2004,
sentence partielle du 27 mars 2007, § 160 ; CPA/CNUDCI, Eureko BV c. Slovaquie, aff. n° 2008-13, sentence
sur la compétence, l’arbitrabilité et la suspension, 26 octobre 2010, §§ 231 et s. Voy cette chronique, in cet
Annuaire, 2010, pp. 621 et s.

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650 arbitrage transnational et droit international général

pas de telles violations 338, là les standards de protection issus du droit des investis-
sements comme ne garantissant pas contre des évolutions résultant de l’adhésion
programmée de l’État à l’Union 339.
La question se posait en des termes quelque peu différents au tribunal de l’af-
faire Electrabel. Le demandeur, de nationalité belge, se plaignait sur le fondement
du traité sur la charte de l’énergie de la terminaison anticipée de son contrat décidée
par la Hongrie pour se conformer à une décision de la Commission européenne qui
y avait vu une aide d’État. La place à réserver au droit de l’Union européenne pour
régler ce différend né d’un investissement devenu intra-communautaire mais fondé
sur un traité plurilatéral dépassant le cadre de l’Union se trouvait donc au cœur du
problème. À vrai dire, la question n’était pas inédite, le tribunal de l’affaire AES
ayant déjà été saisi de faits analogues. Il n’avait toutefois pas fait grand cas du
droit de l’Union, jugeant que, saisi sur la base du traité sur la charte de l’énergie, il
devait se prononcer sur son fondement. Il n’avait alors admis de prendre en compte
le droit de l’Union européenne qu’en tant qu’élément intégré au droit interne et
donc comme un fait dont il faut tenir compte pour déterminer si l’État a agi de
manière raisonnable au regard des standards protecteurs du traité, mais qui ne
saurait justifier leur violation 340. Les arbitres de l’affaire Electrabel ont développé
un raisonnement plus poussé qui, après bien des détours, finit par octroyer au droit
de l’Union une place de choix dans le contentieux investisseur-État.
Leur raisonnement semble pouvoir être reconstruit en ces termes. Il exigeait
d’abord une réduction de la spécificité du droit de l’Union européenne. Bien qu’il
ait pu être qualifié d’« ordre juridique interne d’origine internationale » 341, qu’il
s’agisse d’un « body of supra-national law within the EU » 342, les arbitres ont en
effet jugé que ce droit continuait de relever, dans son intégralité (qu’il soit origi-
naire ou dérivé) 343, de l’ordre juridique international, le principe d’immédiateté
n’en affectant pas fondamentalement la nature 344. Cela leur a permis de conclure
que le droit de l’Union était applicable au différend non seulement en tant qu’il
s’intègre au droit interne de l’État défendeur ou en tant que fait, mais aussi en
tant qu’il fait partie des « règles et principes applicables de droit international »
que mentionne l’article 26, § 6 du traité sur la charte de l’énergie 345. Le tribunal
a donc sollicité le droit de l’UE pour statuer aussi bien sur sa compétence que sur
le fond du différend.
Sur le premier point, les arguments avancés par la Commission à titre d’amicus
curiae ont été amplement examinés mais n’ont guère porté 346. Les arbitres ont ainsi

338. CIRDI, ADC Affiliate Limited and ADC & ADMC Management Limited c. Hongrie, aff.
n° ARB/03/16, sentence du 2 octobre 2006, §§ 268-272 ; Chambre de commerce de Stockholm, Eastern
Sugar BV c. République tchèque, aff. n° 088/2004, sentence partielle du 27 mars 2007, §§ 155-180.
339. CPA (CNUDCI), Saluka Investments BV c. République Tchèque, sentence partielle du 17 mars
2006, §§ 357-358.
340. CIRDI, AES Summit Generation c. Hongrie, aff. n° ARB/07/22, sentence du 23 septembre 2010,
§§ 7.6.6 et 7.6.9.
341. Opinion de l’avocat général Maduro sur CJCE, 3 septembre 2008, Kadi et al., aff. n° C-402/05
et C-415/05, § 21.
342. CIRDI, Electrabel SA c. Hongrie, aff. n° ARB/07/19, décision sur la compétence, le droit applicable
et la responsabilité du 30 novembre 2012, § 4.197.
343. Id., §§ 4.122-4.124.
344. Id., § 4.126 : « In the Tribunal’s view, there is no fundamental difference in nature between inter-
national law and EU law that could justify treating EU law, unlike other international rules, differently in
an international arbitration requiring the application of relevant rules and principles of international law ».
345. Id., § 4.195.
346. On remarquera que c’est l’intervention de la Commission qui a conduit le tribunal à examiner
si la Hongrie était bien le bon défendeur, alors même que cette dernière ne le contestait pas. Sur le rôle
de la Commission dans ce cadre, voy. S. Menetrey, « La participation ‘amicale’ de la Commission euro-
péenne dans les arbitrages liés aux investissements intracommunautaires », JDI, 2010, pp. 1127-1155.

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arbitrage transnational et droit international général 651

estimé qu’aucun principe de droit de l’UE ne s’opposait à ce qu’ils se déclarent compé-


tents ratione materiae, le prétendu monopole d’interprétation de la Cour de Justice de
l’Union européenne, qu’elle venait pourtant de réaffirmer avec force 347, n’étant selon
eux pas mis en cause par leur intervention 348. Leur compétence ratione personae
ne pouvait davantage être contestée dès lors que le demandeur contestait bien des
mesures étatiques sur le fondement du traité sur la charte de l’énergie 349.
Mais c’est au fond que les arbitres ont accordé une place prédominante au droit
de l’Union. Ils s’en sont d’abord servis afin d’interpréter les obligations résultant
pour l’État du traité sur la charte de l’énergie. Ce traité autoriserait en effet les
États membres de l’Union à mettre en œuvre ses décisions obligatoires, notam-
ment parce que celle-ci avait été à l’origine de celui-là, que les objectifs des deux
ensembles normatifs convergeaient vers l’élimination des pratiques anti-concur-
rentielles et que le premier admettait implicitement l’existence du droit produit
par la seconde 350. Un État membre ne saurait donc violer le traité sur la charte
de l’énergie lorsqu’il met en œuvre une décision de la Commission européenne ne
lui laissant aucune marge d’appréciation 351. Fort de ce constat, les arbitres se sont
mués en juges de l’Union afin de déterminer ce qui était requis de la Hongrie en
vertu de la décision de la Commission, principes d’interprétation du droit de l’Union
à l’appui 352. Cette décision ne laissant d’autre choix à la Hongrie que de mettre
un terme au contrat, on ne saurait lui reprocher sur le fondement du traité sur la
charte de l’énergie de s’y être conformée 353. Les arbitres n’ont donc décelé aucun
conflit d’obligations entre le droit de l’Union et le traité sur la charte de l’énergie.
Mieux, ils ont exclu qu’il puisse en exister.
Ils ne se sont toutefois pas arrêtés là. En effet, par égard pour l’argumenta-
tion des parties, ils ont accepté de s’avancer sur la question de la résolution d’un
éventuel conflit d’obligations, dans l’hypothèse où leur interprétation du traité sur
la charte de l’énergie serait erronée. La solution à ce problème serait à rechercher
dans les dispositions des traités en cause. L’article 16 du traité sur la charte de
l’énergie n’offrirait que peu de secours, en raison de la différence d’objet entre ce
dernier et le droit de l’Union 354. En revanche, alors que le tribunal de l’affaire
AES 355 puis les parties elles-mêmes l’avaient rapidement écarté, les arbitres ont
estimé que l’article 307 du traité sur la Communauté européenne (article 351
TFUE) pouvait offrir une solution. En prévoyant que « les droits et obligations

Son intervention en tant qu’amicus doit sans doute être distinguée matériellement de celle des ONG qui
peuvent également bénéficier de ce statut (voy. supra, 1). Elle se distingue également formellement de
la possibilité ouverte aux États parties à un traité multilatéral d’en défendre une interprétation dans le
cadre d’un différend ne les mettant pas en cause (voy. CIRDI, Mobil Investments Canada Inc. et Murphy
Oil Corp. c. Canada, aff. n° ARB(AF)/07/4, décision sur la responsabilité et sur les principes relatifs au
quantum du 22 mai 2012, §§ 249 et s. ; CIRDI, Pac Rim Cayman LLC c. El Salvador, aff. n° ARB/09/12,
décision sur les objections à la compétence du 1er juin 2012, §§ 1.31 et s., 2.36 et s.).
347. CJUE, avis 1/09 du 8 mars 2011, Juridiction européenne des brevets.
348. Id., §§ 4.146-4.166 : « In conclusion, the Tribunal has found no legal rule or principle of EU law
that would prevent this Tribunal from exercising its functions in this arbitration under Article 26 of the
ECT ».
349. Id., §§ 5.32-5.5.38. Voy. supra, II A.
350. Id., §§ 4.130 et s., sp. § 4.133. En ce sens, voy. S. Robert-Cuendet, op. cit. note 335, p. 883.
351. Id., §§ 6.72 et 6.76. Voy. supra, II A.
352. Id., §§ 6.76-6.93.
353. Id.
354. Id., §§ 4.174-4.177. L’article 16 prévoit que les dispositions des parties III et V (investissement)
du traité sur la charte de l’énergie doivent s’effacer « [l]orsque deux ou plusieurs parties contractantes
ont conclu un accord international antérieur ou concluent postérieurement un accord international dont
les dispositions portent dans les deux cas sur l’objet des parties III ou V du présent traité [et] sont plus
favorables pour l’investisseur ou l’investissement ».
355. CIRDI, AES Summit Generation c. Hongrie, aff. n° ARB/07/22, sentence du 23 septembre 2010,
§§ 7.6.10-7.6.11.s

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652 arbitrage transnational et droit international général

résultant de c­ onventions conclues antérieurement au 1er janvier 1958 ou, pour les
États adhérents, antérieurement à la date de leur adhésion, entre un ou plusieurs
États membres, d’une part, et un ou plusieurs États tiers, d’autre part, ne sont pas
affectés par les dispositions des traités », cette disposition signifierait, a contrario
et en accord avec les règles de conflit figurant dans la convention de Vienne, que
les droits et obligations résultant entre États membres des traités antérieurs à leur
adhésion doivent s’effacer au profit du droit de l’Union européenne en cas de conflit.
Tel était bien le cas en l’espèce, la Hongrie étant devenue partie au traité sur la
charte de l’énergie avant d’adhérer à l’Union européenne. Ni le fait que ce traité
dépasse le cadre de l’Union, ni l’éventualité qu’il ait fait naître des droits au profit
non seulement des États mais des investisseurs n’affecteraient cette solution 356.
Cette sentence est riche, trop peut-être puisqu’elle contient plusieurs affirma-
tions qui n’étaient pas nécessaires à la solution du litige. Elle montre que les arbitres
peuvent utiliser le droit de l’Union européenne de multiples manières. Ils en ont ainsi
tenu compte, d’abord de manière indirecte pour interpréter les obligations pesant sur
les États en vertu du traité sur la charte de l’énergie, ensuite en tant que fait afin de
déterminer si la Hongrie était bien tenue de mettre un terme au contrat en cause.
Mais ils l’ont également appliqué en tant que tel, aussi bien pour rejeter l’exception
d’incompétence tirée par la Commission du prétendu monopole d’interprétation de
la CJUE que pour régler, à titre subsidiaire, les hypothétiques conflits d’obligations.
Ainsi, à la différence du tribunal de l’affaire AES qui avait considéré devoir
appliquer uniquement les dispositions du traité sur la charte de l’énergie, le
tribunal de l’affaire Electrabel n’a pas hésité à considérer que l’accord qui fondait
sa compétence l’invitait, en se référant aux « règles et principes applicables de droit
international », à le dépasser. Ces règles et principes, au rang desquels le droit
de l’Union européenne, ne servent pas ici uniquement d’appui à l’application des
dispositions du traité à la manière des règles secondaires du droit international
auxquelles les tribunaux se réfèrent abondamment ; elles sont appliquées conjoin-
tement, voire concurremment, aux dispositions procédurales et substantielles qu’il
contient 357. Cette solution irritera peut-être la Commission et la Cour de justice de
l’Union européenne en ce qu’elle soumet le droit de l’Union européenne à un regard
extérieur ; mais elle conduit à en affirmer la primauté sur les règles applicables
entre États membres en vertu des accords d’investissement. Elle permet en tous cas
au contentieux arbitral transnational d’apporter une nouvelle pierre au « renouveau
constant de la question de l’articulation entre droit international et droit commu-
nautaire » 358. Il y a fort à parier que ce ne sera pas la dernière. L’édifice n’est en
effet pas achevé, ne serait-ce que parce que la place du droit de l’Union européenne
n’est pas réglée lorsque les investissements protégés proviennent d’États tiers.

356. Décision Electrabel, §§ 4.178-4.189.


357. Le raisonnement du tribunal fait ainsi écho à celui du comité ad hoc de l’affaire Wena, qui avait
conclu que l’article 42 de la convention de Washington ne conférait pas seulement un rôle complémentaire
au droit international par rapport au droit interne mais « allowed for both legal orders to have a role. The
law of the host State can indeed be applied in conjunction with international law if this is justified. So too
international law can be applied by itself if the appropriate rule is found in this other ambit » (Comité ad
hoc CIRDI, Wena Hotels c. Égypte, aff. n° ARB/98/4, décision du 5 février 2002, § 40). Voy. E. Gaillard/
Y. Banifatemi, « The Meaning of ‘and’ in Article 42(1), Second Sentence, of the Washington Convention :
the Role of International Law in the ICSID Choice of Law Process », ICSID Review, 2003, pp. 375-411.
358. S. Robert-Cuendet, op. cit. note 335, p. 893.

Livre_Afdi2012.indb 652 29/07/2013 15:46:14

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