Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
international
Leben Charles. La responsabilité internationale de l'État sur le fondement des traités de promotion et de protection des
investissements. In: Annuaire français de droit international, volume 50, 2004. pp. 683-714;
doi : https://doi.org/10.3406/afdi.2004.3816
https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_2004_num_50_1_3816
LA RESPONSABILITE INTERNATIONALE
DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS
DE PROMOTION ET DE PROTECTION
DES INVESTISSEMENTS
Charles LEBEN
(*) Charles LEBEN, professeur à l'Université Panthéon-Assas (Paris II), directeur de l'Institut des
hautes études internationales.
1. News from ICSID, 2004, n° 2, décembre 2004. On remarquera que les deux grandes conventions
multilatérales du droit international économique réunissent un nombre comparable (et important)
d'adhésions : OMC cent quarante-huit membres. Sur le CIRDI, voy. les ouvrages récents : E. GAILLARD,
La jurisprudence du CIRDI, Paris, Pedone, 2004 ; S. MANCIAUX, Investissements étrangers et arbitrage
entre États et ressortissants d'autres États, Dijon, CNRS et Litec, 2004 ; W. BEN HAMIDA, L'arbitrage
transnational unilatéral, Université Paris II, thèse, 2003, multigraphiée. Sur l'évolution du droit des
investissements au XXe siècle, voy. Ch. LEBEN, « La théorie du contrat d'État et l'évolution du droit
international des investissements », RCADI, 2003, vol. 302, pp. 197-386.
2. Dans la suite on parlera, pour faire court, de traités de protection ou de TBI.
3. Voy. World Investment Report, 2003, UNCTAD (Genève, New York), p. 89.
684 RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS D'INVESTISSEMENTS
11. J. CRAWFORD, Les articles de la C.D.I, sur la responsabilité de l'État, Paris, Pedone, 2003.
12. Voy. Ch. LEBEN, « La théorie du contrat d'Etat et l'évolution du droit international des
investissements », RCADI, 2003, vol. 302, pp. 197-386 et la bibliographie indiquée. Pour la première
grande synthèse sur la question, voy. P. WEIL, « Problèmes relatifs aux contrats passés entre un État et
un particulier », RCADI, tome 28 (1969), pp. 96-240. Adde A.F.M. Maniruzzaman, « The Relevance of
public International Law in Arbitrations Concerning International Economie Development Agreements »
J. of World Inv. & Trade, 2005, n° 2, pp. 263-296.
RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS D'INVESTISSEMENTS 687
13. Voy. Ch. LEBEN, « La théorie du contrat d'État et l'évolution du droit international des
investissements », op. cit., p. 264 et s.
688 RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS D'INVESTISSEMENTS
14. Article 11, § 2 du traité France/Chili : « Si dans un délai de six mois à partir du moment où il été
soulevé par l'une ou l'autre des Parties contractantes, le différend n'est pas réglé, il est soumis à la
demande de l'une ou l'autre Partie contractante, à un tribunal d'arbitrage ». De même, article 27, § 2 du
traité sur la charte de l'énergie : « Lorsqu'un différend n'a pas été réglé conformément au paragraphe 1
dans un délai raisonnable, chaque partie au différend peut [...] soumettre le différend à un tribunal
d'arbitrage ad hoc en vertu du présent article [...] ».
15. Cette hypothèse était prise en compte par le projet de l'OCDE d'accord multilatéral sur
l'investissement qui envisageait la suspension des droits tirés de l'AMI en réaction au non respect par l'une des
parties de ses obligations en matière de règlement des différends. Voy. J. KOKOTT, « Interim Report on
the Role of Diplomatie Protection in the Field of the Protection of Foreign Investment », ILA, Report of
the 70th Conference, New Dehli, 2000, pp. 259-290, p. 275.
RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS D'INVESTISSEMENTS 689
ou d'un droit interne, ou même d'un tiers ordre juridique ? Mais, quel intérêt y
a-t-il à poser cette question, pensera-t-on ? Elle nous paraît, en fait,
fondamentale. Situer une relation juridique au sein d'un certain ordre juridique, permet de
savoir quel est le contexte juridique général par rapport auquel les instances
juridictionnelles sont amenées à interpréter le droit. On n'interprète pas, en effet, le
droit de la même façon selon que l'on se trouve au sein d'un ordre étatique, ou
d'un ordre de droit international ou même encore, dans un tiers ordre (droit
transnational ou lex mercatoria, à condition de bien définir ce qu'on entend par
là). Par exemple, en cas de lacune ressentie par le juge ou l'arbitre, ceux-ci
peuvent vouloir se tourner vers la coutume ou vers les principes généraux de
droit. Mais ce faisant, le juge national ne raisonnera pas comme le juge
international, ne serait-ce que parce que le juge national peut être très réticent à faire
appel à la coutume, qui joue un rôle très limité dans un ordre étatique du type
français, alors que la coutume est une source majeure du droit international. Et
cette remarque vaut aussi pour le recours aux principes généraux de droit. Tout
dépend encore devant quel type de juge international on se trouve : juge d'une
cour permanente, arbitre institué par un traité international (CIRDI, ou accords
d'Alger de 1981 sur le règlement des différends entre les États-Unis et l'Iran),
arbitre CCI statuant sur le règlement d'arbitrage de la CNUDCI ou constitué
entièrement de façon ad hoc.
Pour répondre à cette question, il faut confronter cette responsabilité de
l'État à l'égard de l'investisseur sur le fondement des traités de protection, à ce
qui a été pendant plus d'un siècle le mécanisme le plus important de mise en jeu
de la responsabilité internationale d'un État d'accueil, à savoir l'exercice de la
protection diplomatique en faveur de l'investisseur par son État national 16.
2. Responsabilité sur le fondement d'un traité de protection de l'investissement
et responsabilité découlant de l'exercice de la protection diplomatique
18. Pour une étude récente, voy. G. COHEN-JONATHAN, « L'individu comme sujet de droit
international. Droit international des contrats et droit international des droits de l'homme », Mélanges Paul Amse-
lek, Bruxelles, Bruylant, 2005, pp. 223-260.
19. Voy. Ph. FOUCHARD, « La nature juridique de l'arbitrage du Tribunal des différends irano-
américains », Cahiers du CEDIN, « Le tribunal des différends irano-américains », Nanterre, 1984,
pp. 27-48, qui y voyait une institution sui generis, alors qu'il s'agissait pour M. VlRALLY, d'un arbitrage
de droit international public (p. 50).
20. Voy. la conclusion désenchantée à laquelle arrive J. KOKOTT dans son rapport sur la protection
diplomatique à l'ILA : «[...] in the context of foreign investment, the traditional law of DP [diplomatic
protection] has been to a large extent replaced by a number of treaty-based dispute settlement
procedures », op. cit. supra note 16.
21. Ceci, bien entendu, n'est qu'une obligation juridique et rien ne peut contraindre un État qui fait
défaut à venir s'expliquer devant le tribunal. Voy., par exemple, les sentences Texaco, BP et Liamco où la
Lybie avait fait défaut ; voy. B. Stern, « Trois arbitrages, un même problème, trois solutions », Rev. arb.,
1980, pp. 3-43. Il nous semble, mais c'est à vérifier, que cette hypothèse ne s'est pas produite dans le
cadre du CIRDI.
22. Voy. P. PETERS, « Dispute Settlement Agreements in Investment Treaties », NYBIL, 1991,
pp. 91-161, Z. DOUGLAS, op. cit. supra, note 17, pp. 178-179. La question de l'épuisement des voies de
recours interne a été discutée dans l'affaire Maffezini c I Espagne, décision sur la compétence du 25
janvier 2000, ICSID Rev. 2001, p. 212. L'article X, paragraphes 2 et 3a, du traité entre l'Espagne et
l'Argentine, prévoyait la nécessité, en cas de litige, de saisir d'abord les tribunaux de l'État avec la possibilité de
saisir un tribunal arbitral si au bout de dix-huit mois un jugement n'était pas rendu ou si, malgré ce
jugement, le litige persistait. Mais aussi et surtout l'affaire Loewen cl États-Unis, sentence du 26 juin 2003
RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS D'INVESTISSEMENTS 691
d'autre que la licéité d'une action de l'État au regard des règles établies dans le
traité de protection, c'est-à-dire des règles de droit international. Autrement dit,
c'est bien de la responsabilité internationale de l'État d'accueil dont il sera
question devant le tribunal arbitral, responsabilité du fait des traités de protection
des investissements et également responsabilité sur le fondement des règles
coutumières de la responsabilité en droit international public.
C'est à ce point que se manifeste un courant hostile à l'évolution en cours,
hostile à la multiplication des traités de protection perçus, au mieux, comme
inefficaces dans leur volonté affichée de permettre l'augmentation du flux des
investissements et, plus généralement hostile à une évolution du droit international
telle qu'elle se dessine à l'heure actuelle, évolution faisant place aux recours des
personnes privées, qui ne sont en réalité que des entreprises multinationales
cherchant à défendre leurs intérêts au détriment des États en développement 23.
des questions portant sur des droits privés pour lesquels le droit international ne
contient pas de règles.
C'est ainsi que Z. Douglas soutient que « the investment treaty regime for the
arbitration of investment disputes [...] cannot be adequately rationalised either as
a form of public international or private transnational dispute resolution » 26. Et,
en effet, du fait que le litige entre un État d'accueil et l'investisseur porterait
toujours sur les intérêts privés de celui-ci, le droit applicable à ce type de litige ne
pourrait être qu'un « hybride » de droit international et de droit interne et non
pas uniquement le droit international comme dans un arbitrage inter étatique 27.
Il découle de cette conception générale que les règles coutumières de la
responsabilité des États dans le domaine des investissements, règles qui ont été
dégagées dans le cadre des arbitrages inter étatiques mis en place à la suite de
l'exercice de la protection diplomatique, n'auraient aucune pertinence pour les
actions fondées sur les traités de protection des investissements. Les règles
coutumières, sur lesquelles les travaux de la Commission du droit international
ont porté, concerneraient les relations inter étatiques et non pas des rapports
mixtes entre une personne privée et un État, rapports se situant, par nature,
hors de la sphère du droit international public 28.
Cette exclusion de la pertinence du droit des gens, concerne non seulement le
droit applicable au fond du litige, mais tout aussi bien le droit applicable à la
procédure arbitrale (lex arbitri). L'affirmation paraît étonnante, à première vue,
s'agissant de la procédure devant des arbitres CIRDI, régie par la convention de
Washington. Certes, dit-on, l'arbitrage CIRDI est bien un arbitrage international
au sens où il est détaché de tout droit interne, mais cela ne signifie pas que sa lex
arbitri soit le droit international29. En effet, le droit international en matière
d'arbitrage s'est développé à partir de litiges inter étatiques et ses règles, celles,
par exemple, concernant la continuité de la nationalité, l'épuisement des voies de
recours internes, etc. ne peuvent être applicables à des arbitrages
États/investisseurs fondés sur les traités de protection. C'est ainsi, par exemple, qu'il critique
la sentence Loewen pour s'être référée, en dehors de toute base textuelle dans
26. Ibid., op. cit., p. 152. L'auteur appuie son avis sur une citation de J. PAULSSON, « l'inventeur » de
la notion d'« arbitration without privity » « [Tjhis is not a sub genre of an existing discipline. It is
dramatically different from anything previously known in the international sphere ».
:
27. Ibid., p. 195 et p. 197, où l'auteur note « Customary international law contains no substantive
rules of property law. [...] Nor do investment treaties purport to lay down rules for acquiring rights in rent
:
28. Un argument assez curieux a été encore avancé pour soustraire la responsabilité du fait des
traités de protection de la sphère du droit international public. On ne pourrait pas, selon Z. Douglas, se
reposer sur les règles de la responsabilité des Etats pour fait internationalement licite, du fait que ceux-
ci ont été dégagés, s'agissant de la responsabilité des États à l'égard des investisseurs, dans le cadre de
la protection diplomatique. Un des arguments utilisés est de dire que les règles codifiées par la CDI,
évacuent la condition du dommage, alors que cette condition est centrale pour le règlement les litiges sur le
fondement des traités de protection. Cependant, il y a un consensus de la doctrine la plus éminente pour
contester que cette condition puisse être éliminée du droit de la responsabilité internationale. Voy.
D. ALLAND, Droit international public, Paris, PUF, 2000, p. 411, n° 376 ; J. COMBACAU in J. COMBACAU/S
SUR, Droit international public, Paris, Monchrestien, 6ème éd. 2004, pp. 525 et s. ; P. DAILLIER/A.PELLET,
Droit international public, Paris, LGDJ, 7ème éd. 2002, n° 484 ; P.M. DUPUY, Droit international public,
Paris, Dalloz, 7ème éd. 2004, p. 481 et s. ; J. VERHOEVEN, Droit international public, Bruxelles, Larcier,
2000, p. 616 et s. En toute hypothèse, il n'y a là rien qui puisse exclure les règles régissant la
responsabilité des États sur le fondement des traités de protection des investissements, du corps principal des
règles sur la responsabilité internationale.
29. Z. DOUGLAS, op. cit., p. 225, où il écrit : «International procedural rules for admissibility of
daims, such as the rules on the nationality of claims and the exhaustion of local remedies, have develop-
ped in the context of diplomatic protection [...] there is no reason to import such concepts into investment
treaty arbitration. An analysis of the lex arbitri oflCSID arbitrations thus requires a far more nuanced
approach to reflect the complexities of this sui generis regime ».
RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS D'INVESTISSEMENTS 693
34. Voy. J. CRAWFORD, Les articles de la C.D.I, sur la responsabilité de l'État. Introduction, texte et
commentaires, Paris, Pedone, 2003, pp. 250-251.
35. Ibid., p. 252.
RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS D'INVESTISSEMENTS 695
b) La jurisprudence du CIRDI
Cette analyse est largement confirmée par l'examen de la jurisprudence des
tribunaux arbitraux CIRDI. Ceux-ci appliquent massivement et sans états d'âme
le droit international public, aussi bien conventionnel que coutumier, sans faire
aucune différence selon qu'ils ont à statuer dans des affaires qui opposent un
particulier à un État et non pas deux États entre eux. Dans une affaire au moins,
ils ont été amenés à se prononcer sur un argument invoquant la spécificité de ce
type d'arbitrage. Il s'agit de l'affaire Loewen cl États-Unis (sentence sur le fond du
26 juin 2003) 36, où l'investisseur avait été traité de façon particulièrement
scandaleuse, au dire-même des arbitres, par une juridiction du Mississipi. Une voie qui
aurait permis au tribunal de se déclarer compétent, bien que la société Loewen
n'eût pas épuisé les voies de recours interne, aurait été de considérer que la règle
coutumière de l'épuisement était « pour l'essentiel cantonnée à des cas de
protection diplomatique ». C'était là le sens d'une consultation signée par Sir Robert
Jennings (§ 150). Or cet argument a été explicitement rejeté par le tribunal en
invoquant une doctrine différente (§ 150, Garcia-Amador, Sohn and Baxter,
J. Crawford) puis en étudiant la jurisprudence arbitrale ancienne, constituée à
l'occasion de litiges opposant deux États et sur le fondement de la protection
diplomatique (§§ 151-153 et § 155 pour le tribunal des différends irano-américain).
On notera que, dès la première affaire de saisine d'un tribunal arbitral sur le
fondement d'un traité de protection (AAPL cl Sri Lanka, 1990), les arbitres
majoritaires se sont clairement situés au sein de l'ordre juridique du droit international.
C'est ainsi qu'après avoir constaté que les dommages causés à l'investisseur
n'étaient pas indemnisables sur la base du traité de protection qui excluait les
dommages causés par des actions de combat, le tribunal a recherché s'il existait
des règles coutumières en la matière. Pour cela il a examiné les précédents offerts
par des sentences arbitrales du début du XXe siècle, toutes, il va sans dire,
rendues dans des affaires opposant deux États37 (sentence, §73 et s.). Il en
36. The Loewen Group, Inc. and Raymond L. Loewen c IÉtats-Unis d'Amérique, sentence finale du
26 juin 2003, ILM, 2003, p. 811 ; JDI, 2004, p. 219 (avec observations E. GAILLARD) ; E. GAILLARD, La
jurisprudence du CIRDI, op. cit., p. 775.
37. Voy. AAPL cl Sri Lanka, sentence du 27 juin 1990, in E. GAILLARD, op. cit., pp. 322 et s., §§ 73-
74, où le tribunal cite les affaires des Biens britanniques au Maroc espagnol, Melilla-Ziat, Ben Kiran,
Sambiaggio, le tout assorti de la doctrine la plus classique du droit international public.
696 RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS D'INVESTISSEMENTS
38. De même, l'article 26 de la convention de Washington prévoit que « [c]omme condition à son
consentement à l'arbitrage dans le cadre de la présente Convention, un État contractant peut exiger que
les recours administratifs ou judiciaires internes soient épuisées ».
39. Voy. les commentaires critiques d'E. GAILLARD, La jurisprudence du CIRDI, op. cit. supra, note
1, pp. 787-790 ; M. MENDELSON, « The Runaway Train : The "Continuous Nationality Rule" from the
RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS D'INVESTISSEMENTS 697
importe ici, et on pourrait le vérifier sans doute sur d'autres exemples, c'est qu'en
l'absence de dispositions conventionnelles spécifiques, le tribunal a tout
naturellement examiné le droit international général, sans être le moins du monde gêné
par le fait qu'il ne se trouvait pas ici en présence d'une relation entre deux États.
41. Sur la place du droit international public dans les arbitrages portant sur des contrats d'État,
comp. Ch. Leben, « La théorie du contrat d'Etat... », op. cit., supra, note 1, pp. 264-321. Les conclusions
valent aussi pour les arbitrages sur le fondement des traités. Pour une étude détaillée des solutions
données par ceux-ci, voy. Cl. CRÉPET, « Investissements internationaux et arbitrage. La détermination du
droit applicable », Les cahiers de l'arbitrage (Gazette du palais), 2003/2, 2e partie, pp. 17-20. Pour un
exemple de clauses déterminant le droit applicable à un litige entre un investisseur et un État sur la
base d'un traitement de protection, voy. l'article 8, § 4 de l'accord France/Argentine du 3 juillet 1991 (JO
du 5 juin 1993) : « L'organe d'arbitrage statuera sur la base des dispositions du présent Accord, du droit
de la Partie contractante partie au différend - y compris les règles relatives aux conflits de lois - des
termes des accords particuliers éventuels qui auraient été conclus au sujet de l'investissement ainsi que des
principes de droit international en la matière ».
RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS D'INVESTISSEMENTS 699
Dans une partie des traités, le choix est laissé à l'investisseur de saisir un
parmi plusieurs modes de règlement des litiges énumérés dans le traité de
protection. Il mettra donc en œuvre la procédure qui lui semblera la meilleure et
ceci, on le rappelle, sans aucune nécessité d'épuiser les voies de recours
disponibles en droit interne s'il choisit d'aller en arbitrage, sauf disposition contraire
dans le traité. Mais, de très nombreux traités prévoient, comme le fait le traité
entre la France et l'Argentine qu'« [u]ne fois qu'un investisseur a soumis le différend
soit aux juridictions de la Partie contractante concernée, soit à l'arbitrage
international, le choix de l'une ou l'autre de ces procédures reste définitif» (article 8,
§ 2). Cette clause de choix irrévocable est dénommée fork in the road, dans la
doctrine de langue anglaise : l'investisseur se trouve à la croisée des chemins et
quand il s'est engagé dans l'un d'entre eux, il ne peut plus revenir en arrière 42.
Il existe cependant des cas où la saisine des tribunaux de l'Etat ne sera pas
considérée comme une renonciation à la procédure arbitrale. Ces cas peuvent être
prévus par les traités eux mêmes ou être établis par la jurisprudence arbitrale.
C'est ainsi que les tribunaux CIRDI ont considéré que les recours de
l'investisseur devant les tribunaux de l'État pour demander l'adoption de mesures
provisoires ou préventives ne constitue pas un choix irrévocable en faveur de
tribunaux internes 43.
De même l'investisseur, s'il a accepté les tribunaux de l'État pour un litige
bien spécifique, sera tout à fait libre, dans une autre affaire, de choisir un autre
mode de règlement des différends. Ceci va de soi, mais soulève en fait la question
de l'identité et de la différence de deux affaires. Ainsi, ne seront pas identiques, par
exemple, l'action intentée par une filiale dans l'État d'accueil et celle des
actionnaires étrangers de cette filiale (affaire Alex Genin cl Estonie, 2001) ou encore, ne
seront pas identiques l'action contre l'État sujet du droit international et un
démembrement territorial de l'État en droit interne (Compania de Aguas del Acon-
quija SA. et Compagnie générale des eaux clArgentine, 2000). C'est aussi dans
cette affaire que la distinction entre les fondements d'action de l'investisseur a été
clairement établie. L'entreprise peut avoir renoncé à l'arbitrage international pour
les litiges qui portent sur le contrat (mauvaise exécution, résiliation, etc.) mais non
pas pour les litiges qui portent sur le non respect par l'État de ses obligations
internationales au titre du traité de protection (violation du standard minimum de
traitement, de la clause de protection, interdiction de toute discrimination, clause
prévoyant une sécurité pleine et entière pour l'investissement, etc). (Voy. infra).
42. Sur toutes ces questions nous sommes redevables des analyses de W. BEN HAMIDA, L'arbitrage
transnational unilatéral, op. cit. supra note 1, p. 374 et s.
43. W. BEN HAMIDA, L'arbitrage transnational unilatéral, p. 375, n° 620. Ceci est expressément
prévu à l'article 26, § 3 dans le récent traité bilatéral conclu entre l'Uruguay et les États-Unis, le 25
octobre 2004, ILM, mars 2005, p. 286.
700 RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS D'INVESTISSEMENTS
44. Voy. Cl. CRÉPET, « Investissements internationaux et arbitrage. La concurrence des procédures »,
Les cahiers de l'arbitrage (Gazette du palais), 2003/2, 2e partie, pp. 15-17, qui donne des références aux
affaires Mondev International Ltd cl Etats-Unis, 2002 et Robert Azinian cl Mexique 1999.
45. Cité par W. BEN HAMIDA, op. cit., pp. 382-383.
46. Ibid.
RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS D'INVESTISSEMENTS 701
Cette hypothèse est sans doute la plus courante. D'un côté, le traité de
protection comporte une clause de règlement des différends renvoyant la plupart du
temps à l'arbitrage, tout particulièrement l'arbitrage CIRDI ; de l'autre le contrat
avec l'État, ou un organisme de l'État48 qui prévoit le recours aux tribunaux
internes de l'État d'accueil ou à un arbitrage de droit interne (c'était le cas dans
l'affaire SGSI Pakistan 2003) 49.
from the ICSID, NAFTA, Bilateral Treaties and Customary International Law, op. cit., supra, note 19,
pp. 17-45.
49. On exclut ici l'hypothèse que le contrat de l'investisseur avec l'État comporte une clause de
règlement des différends renvoyant à un tribunal international, comme les tribunaux CIRDI, car dans ce
cas, et si le droit applicable est en totalité ou en partie le droit international, on est en présence d'un
contrat d'État, c'est-à-dire d'un contrat internationalisé, situation qui est équivalente, selon nous, à celle
existant sur le fondement d'un traité de protection. Voy. Ch. LEBEN, « La théorie du contrat d'État et
l'évolution du droit international des investissements », RCADI, 2003, vol. 302, pp. 197-386, pp. 264 et s.
702 RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS D'INVESTISSEMENTS
La non coïncidence des clauses de juridiction peut être résolue par des
dispositions spéciales contenues dans l'un ou l'autre des instruments. C'est ainsi que
dans les traités bilatéraux de protection des États-Unis on peut trouver des
clauses qui donnent une priorité à la procédure de règlement des différends
prévue dans le contrat par rapport à celui prévu au traité 50. Il semble,
cependant, que les traités américains récents se prononcent plutôt pour le maintien de
la compétence des tribunaux arbitraux prévus au traité, même si l'investisseur a
accepté un contrat avec une clause exclusive de compétence pour d'autres
tribunaux, et en particulier les tribunaux de l'État d'accueil.
Une autre modalité d'articulation des compétences, est celle déjà vue de
l'article 1121, § 2 de l'ALENA qui demande aux investisseurs de renoncer à leur
droit d'engager ou de poursuivre une affaire devant un tribunal administratif ou
judiciaire aux termes de la législation interne d'une partie ou d'une autre
procédure de règlement des différends (Voy. supra). Inversement, est-il possible que
dans le contrat d'investissement, l'entreprise, renonce au bénéfice d'une clause
compromissoire prévue dans un traité de protection ? La question, déjà évoquée
lors des négociations de l'AMI, est délicate car les États d'accueil pourraient être
tentés de faire pression sur les entreprises, et en tout cas les entreprises les plus
faibles, pour vider un traité de protection de sa portée. Une telle attitude pourrait
donner lieu à un litige avec l'État d'origine, avec recours à l'instance arbitrale
prévue dans cette hypothèse.
Se pose ici le problème, déjà rencontré supra, de la possibilité de saisir la
juridiction arbitrale prévue par le traité de protection après avoir saisi les juridictions de
l'État d'accueil. Celui-ci peut considérer que la saisine de ses tribunaux implique le
renoncement à saisir la juridiction arbitrale prévue par le traité, encore plus,
d'ailleurs, si le traité comporte une clause de choix définitif (fork in the road. Voy.
supra). Cependant, et au moins à deux reprises (Lanco Int. c /Argentine, décision du 8
déc. 1998 51 et Salini cl Maroc, décision sur la compétence du 23 juillet 2001 52) les
tribunaux arbitraux CIRDI, ont considéré que l'acceptation dans un contrat de la
compétence exclusive de la juridiction administrative, impérativement compétente
selon le droit de l'État hôte, n'exprimait pas un choix véritable, c'est-à-dire d'un
commun accord, d'une juridiction pour le règlement des différends (a previously agreed
dispute-settlement procedure), rendant impossible la saisine d'un tribunal CIRDI.
Toutes ces hypothèses peuvent être complexes, mais on ne s'y attardera pas,
pour attirer plutôt l'attention sur une question qui soulève très directement le
problème de l'articulation des ordres juridiques interne et international. Il s'agit
de la fameuse umbrella clause ou clause de respect des engagements dont la
présence ou l'absence dans un traité de protection peut entraîner des
conséquences importantes 53. Il s'agit d'une clause ancienne, que l'on trouve déjà dans
le premier traité bilatéral entre la RFA et le Pakistan (25 novembre 1959), et qui
50. W. BEN HAMIDA, op. cit., p. 393 et du même auteur « L'arbitrage État-investisseur étranger :
regards sur les traités et projets récents », JDI, 2004, pp. 419-441, p. 432 avec une innovation importante
:
l'institution d'un « super » tribunal arbitral devant qui toutes les procédures portant sur un même litige
:
seraient consolidées.
51. ILM, 2001, pp. 457-473.
52. Voy. E. GAILLARD, La jurisprudence du CIRDI, op. cit., p. 627.
53. V. A. SINCLAIR, « The Origins of the Umbrella Clause in the International Law of Investment
Protection », Arbitration International, 2004 ; Th. WÀLDE, « The "Umbrella" Clause in Investment
Arbitration », J.of World Inv. & Trade (JWT), 2005, n° 2, pp. 183-236 ; W. BEN HAMIDA, « La clause
relative au respect des engagements dans les traités d'investissements », in Ch. Leben/J. VERHOEVEN (éd.),
Nouveaux développements dans le contentieux arbitral transnational relatif à l'investissement
international (à paraître, 2005) ; E. TEYNIER, « Les umbrella clauses », in Les cahiers de l'arbitrage (Gazette du
palais), 2004/2, 2e partie, pp. 29-35.
RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS D'INVESTISSEMENTS 703
est repris dans un grand nombre de traités de protection, même s'il semble qu'on
ne la trouve guère dans les traités bilatéraux conclus par la France. La Suisse, au
contraire, y recourt assez souvent, par exemple dans l'article 11 du traité
bilatéral avec l'Ukraine (1995) :
« Chacune des Parties contractantes assure en permanence le respect de ses
engagements à l'égard des investissements des investisseurs de l'autre Partie contractante ».
Ou encore l'article 11 du traité entre la Suisse et le Pakistan :
« chacune des Parties contractantes assure à tout moment le respect des
engagements assumés par elle à l'égard des investissements de l'autre Partie contractante ».
La clause est présente également dans certains traités multilatéraux de
protection comme le traité sur la charte de l'énergie, qui prévoit dans son article 10, § 1er :
« Chaque partie contractante respecte les obligations qu'elle a contractées vis-à-
vis d'un investisseur ou à l'égard des investissements d'un investisseur d'une
autre partie contractante ».
De même encore, l'article III du traité de protection des investissements de
pays membres de 1' ASEAN, énonce que
« Each Contracting Party shall observe any obligation arising from a particular
commitment it may have entered into with regard to a specific investments of
nationals or companies of the other Contracting Parties ».
La question majeure soulevée par cette clause est celle de
l'internationalisation de tous les engagements de l'État, et tout particulièrement de ses
engagements contractuels à l'égard d'un investisseur : faut-il considérer que du fait de
cette clause de respect (on la dénomme aussi clause de protection, clause de
couverture, clause parapluie, umbrella agreement, clause ascenseur, clause à effet
miroir), toutes les obligations assumées par l'État, au plan interne, deviennent des
obligations internationales ? Et, par conséquent, la responsabilité de l'État dans sa
relation avec l'investisseur sera-t-elle toujours, par l'effet de cette clause contenue
dans un traité de protection, une responsabilité ancrée dans l'ordre juridique
international, alors même que dans le droit international classique, la violation d'un
contrat n'est pas régie par le droit international, sauf si elle entraîne également la
violation d'une règle de droit international, comme l'interdiction du déni de justice
ou le non respect du standard minimun de traitement des étrangers.
Il faut donc distinguer, s'agissant de l'articulation des procédures de droit
interne et de droit international, selon que le traité de protection comporte ou ne
comporte pas une telle clause de respect des engagements.
demandes fondées sur le traité {treaty daims) de celles fondées sur le contrat
{contract daims). Cette réponse au problème, bien que confirmée par plusieurs
sentences arbitrales, soulève cependant des critiques doctrinales dont il faut
rendre compte.
54. Pour un commentaire de plusieurs de ces sentences, voy. F. YALA, « Fondement des demandes
des investisseurs {Treaty claims I Contract claims) », Cahiers de l'arbitrage, n° 2003/2, 2e partie, pp. 12-
15 et Cl. CRÉPET, « Treaty Claims I Contract Claims », Cahiers de l'arbitrage, nc 2004,/2, 2e partie,
pp. 23-29.
55. Voy. E. GAILLARD, La jurisprudence du CIRDI, op. cit., pp. 719 et s. ; Chr. SCHREUER,
« Investment Treaty Arbitration Over Contract Claims - The Vivendi I Case Considered », in
T. WEILER (éd.), International Investment Law and Arbitration : Leading Cases from the ICSID,
NAFTA, Bilateral Treaties and Customary International Law, Londres, Cameron May, 2005, pp. 281-
323.
RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS D'INVESTISSEMENTS 705
b) Critiques doctrinales
Cette jurisprudence des tribunaux CIRDI a fait l'objet de vives critiques dans
la doctrine française. Plusieurs auteurs ont remis en cause l'idée que le litige
entre un investisseur et un État d'accueil, puisse être décomposé en un litige
contractuel soumis au juge du contrat, le plus souvent les tribunaux de l'État
appliquant le droit de l'Etat, et un litige conventionnel de la compétence des
tribunaux prévus au traité, et le plus souvent un tribunal arbitral, CIRDI ou
autre appliquant le droit international58. I. Fadlallah, par exemple, écrit que
« [l]a distinction entre les demandes fondées sur le contrat et les demandes
fondées sur le traité, si elle peut avoir quelque intérêt dans l'examen du litige au
fond, apparaît radicalement artificielle au regard de la compétence » 59. Il
remarque, à cet égard, que le problème soulevé ici ne peut être résolu par
l'intermédiaire d'une clause de respect des engagements {umbrella agreement), car
celle-ci, si on le comprend bien, en haussant les violations du contrat au rang de
violation du traité, suppose au préalable que l'on ait accepté de scinder en deux le
litige, entre un litige qui serait purement contractuel et un autre purement
conventionnel .
Ce faisant on opère « un dépeçage artificiel », alors que l'on a affaire, comme
le remarque également P. Mayer, à « un litige en fait unique, puisqu'il a sa source
dans les mêmes faits, et que l'investisseur y émet la même prétention : l'octroi de
dommages et intérêts » 60. Seul le droit applicable diffère, droit international pour
le litige né du traité et droit interne (le plus souvent) pour le litige né du contrat
(sauf s'il s'agit d'un contrat d'État et donc internationalisé). Or constatent, les
deux auteurs, il est paradoxal de limiter la compétence des tribunaux arbitraux
CIRDI aux seuls conflits fondés sur les traités, pour réserver les conflits
contractuels aux juridictions étatiques, alors même que la convention de Washington de 18
mars 1965, avait précisément pour but de constituer une instance arbitrale pour
les litiges contractuels entre États et investisseurs.
En fait, la difficulté ici vient du fait que l'on se trouve dans une hypothèse qui
n'avait pas été vraiment envisagée en 1965. Le CIRDI devait effectivement servir
d'instance arbitrale pour régler les litiges contractuels entre les États et les
investisseurs. Il fallait donc qu'il y ait un contrat et que celui-ci comportât une
clause compromissoire CIRDI. Les arbitres devaient appliquer les règles de droit
adoptées par les parties (article 42, § 1, lère phrase) et, faute d'accord entre les
parties, le droit de l'État contractant « ainsi que les principes de droit
international en la matière » (article 42, § 1, 2Ème phrase). La jurisprudence arbitrale
allait donner à cette dernière source une place prééminente 61.
Autrement dit, le mécanisme du CIRDI ne visait pas à prendre en compte les
contrats qui ne renvoyaient pas à sa juridiction et encore moins les contrats qui
prévoyaient qu'en cas de litige, la compétence devait être celle des juridictions de
droit interne (tribunaux étatiques ou tribunaux arbitraux internes) statuant en
application du droit de l'État. Le problème est apparu du fait de la jurisprudence
AAPL/Sri Lanka (1990), qui a autorisé les investisseurs à saisir le CIRDI même en
l'absence de tout lien contractuel avec l'État d'accueil et sur la seule base d'un
traité de protection. Il n'a fallu que quelques années pour que les entreprises (ou
leurs conseils) comprennent quelle partie elles pouvaient tirer de cette
jurisprudence ainsi que des plus de deux mille traités bilatéraux qui pouvaient être
désormais actionnés. C'est ainsi qu'on a vu surgir, à la fin des années quatre-vingt dix et
au début des années deux mille, une majorité d'affaires où la saisine du tribunal
arbitral CIRDI, sur le fondement d'un de ces traités, renvoyait en fait, et au départ,
à un litige contractuel pour lequel une juridiction de droit interne était compétente.
L'attitude des arbitres CIRDI saisis, peut s'expliquer, pensons-nous, par une
volonté de se montrer respectueux de la compétence des juridictions internes, ce
qui les a conduits à cette distinction entre les litiges fondées sur le contrat et ceux
fondés sur le traité qui permettait de limiter leurs interventions au seul domaine
des traités, donnant ainsi une plus grande légitimité à leur action. Mais cette
distinction a fait naître des difficultés considérables, et en particulier des
difficultés concernant sa mise en œuvre lorsqu'il existe dans le contrat une clause de
60. Intervention lors de la journée consacrée aux Nouveaux développements dans le contentieux
arbitral transnational relatif à l'investissement international.
61. Voy. Ch. SCHREUER, The ICSID Convention Cambridge University Press, p. 608, §§ 103 et s.,
Ch. LEBEN, « La théorie du contrat d'État... », op. cit., pp. 276 et s.
RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS D'INVESTISSEMENTS 707
choix irrévocable, fork in the road ou une clause de respect des engagements,
umbrella clause. Tout ceci aboutit effectivement à « dépecer » les litiges relatifs
aux investissements de façon tout à fait artificielle.
Or, comme l'affirment encore I. Fadlallah et P. Mayer, rien ne s'oppose,
lorsqu'une affaire concernant un litige relatif à un investissement arrive devant
un tribunal CIRDI que celui-ci, sans se cantonner à l'aspect uniquement
conventionnel, puisse traiter du litige dans son double aspect conventionnel et contractuel,
puisque le CIRDI a bien été conçu pour régler les litiges contractuels. Simplement le
litige, au lieu d'arriver à lui par l'intermédiaire d'une clause compromissoire, lui
arrive par la voie d'un traité de protection. Il faut ajouter néanmoins, si on
accepte cette façon de voir, qu'il serait souhaitable que l'État qui accepte une
clause compromissoire dans le traité soit conscient qu'il accepte du même coup de
venir devant l'arbitre international, pour tous les litiges l'opposant aux
investisseurs de l'État avec lequel il a conclu un traité de protection, qu'il y ait un contrat
entre l'investisseur et l'État ou non. Une telle clause expresse en ce sens pourrait
être difficile à obtenir. Il est clair que tout dépend ici du rapport de forces entre
les États. On se sera pas étonné que dans deux traités de protection récents
auxquels les États-Unis sont partie (avec le Chili et avec Singapour) une clause a
été insérée, qui donne à un « super » tribunal arbitral la compétence de traiter de
toutes les procédures en cours pour un litige donné (voy. supra, note 50).
Que se passe-t-il, enfin, lorsqu'il existe bien un contrat avec l'État hôte de
l'investissement et l'investisseur mais que le contrat prévoit, en cas de litige, la
compétence des tribunaux internes de l'État avec une application du droit interne. Si
un tel contrat est passé après la conclusion du traité bilatéral, il risque de réduire à
néant l'avantage offert par le traité de protection, car l'investisseur pourrait être
réputé avoir renoncé de son plein gré, à la protection offerte par le traité. Mais
comme la possibilité de recourir à un tribunal arbitral international est en fait,
comme on l'a remarqué, le principal avantage que les investisseurs tirent du
traité 62, on peut se demander s'il ne faut pas soustraire les entreprises aux pressions
des États d'accueil, qui peuvent imposer à leurs partenaires privés de renoncer à la
protection conventionnelle 63. Là aussi on pourrait, suggère P. Mayer, insérer une
clause dans le traité, prévoyant que la juridiction prévue au traité (tribunal CIRDI,
par exemple) ne pourrait être écartée que par une clause expresse du contrat
d'investissement. Naturellement, cette clause, elle aussi, ne serait pas facile à obtenir.
Une autre façon de procéder serait, comme le montre W. Ben Hamida 64, de
définir plus largement, dans le traité de protection, le litige arbitrable de façon à
étendre la compétence ratione materiae, à tout ou partie des différends
contractuels. C'est l'orientation que prendrait la nouvelle génération de traités de protec-
62. Voy. la déclaration du professeur CRIVELLARO, annexée à la décision sur la compétence dans l'affaire
SGS cl Pakistan, in E. GAILLARD, La jurisprudence du CIRDI, op. cit. p. 894. Plus exactement, l'auteur, vise
« le droit de choisir, parmi les diverses juridictions alternatives rendues disponibles par le BIT ».
63. Th. WÀLDE (op. cit.) indique que quelques pays d'Asie centrale, après avoir perdu en arbitrage,
ont fait pression sur les investisseurs pour qu'ils renoncent par écrit au droit qu'ils tirent du TBI, de
saisir un tribunal arbitral. Peut-on considérer cette clause comme une forme moderne de clause Calvo, et
donc en tirer la conclusion que les investisseurs ne peuvent pas renoncer à la protection du traité. Mais
le raisonnement utilisé pour la protection diplomatique, que l'investisseur ne peut renoncer à un droit
qui n'est pas le sien, ne peut pas resservir ici, car il s'agit bien d'un droit que la personne privée tire
directement du traité de protection. La question est délicate. Cependant, s'il se trouvait un tribunal pour
dire qu'effectivement, l'investisseur avait pu renoncer à son droit, son État national pourrait entamer
une procédure pour reprocher à l'État hôte une attitude contraire au traité de protection et de promotion
des investissements. La question sera réglée par le tribunal arbitral interétatique prévu par le traité.
64. Voy. W. BEN HAMIDA, « La clause relative au respect des engagements dans le traité
d'investissement », op. cit., p. 260.
708 RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS D'INVESTISSEMENTS
tion conclus par les États-Unis. C'est ainsi que dans le traité bilatéral États-Unis/
Uruguay 65, l'investisseur pourra saisir le tribunal arbitral pour i) les litiges
relatifs aux violations du TBI, ii) les litiges concernant les autorisations
d'investissement et iii) les litiges relatifs aux contrats conclus entre l'un des États
contractants et les investisseurs de l'autre. En outre, le tribunal pourra appliquer le
droit international (et pas seulement le droit du traité), mais aussi, en cas de
besoin le droit interne choisi par les parties dans le contrat. Dans ce cas, il faut
ajouter que la logique internationaliste des tribunaux arbitraux, devrait les
pousser à donner la primauté au droit international sur le droit interne, comme
on le voit dans la jurisprudence des tribunaux CIRDI appliquant l'article 42 du
traité de Washington, dans l'hypothèse où il y aurait contradiction entre l'un et
l'autre de ces droits (voy. supra, note 61).
qui nous intéresse ici, cela couvre très certainement les engagements pris dans le
contrat conclu avec l'investisseur, de sorte que ce qui n'était, dans un premier
temps, que des engagements contractuels, se trouve élevé au rang du traité et
donc protégé par le droit international. Par conséquent, en cas de violation de la
parole donnée par l'Etat, on passe d'une mise en jeu incertaine de la
responsabilité de l'État sur le fondement de son droit et devant ses tribunaux internes, à
une responsabilité internationale, devant une juridiction arbitrale internationale
(CIRDI) et par application du droit international.
On passerait également de litiges portant quasi exclusivement sur des
questions d'expropriation, à des litiges contractuels comme il peut s'en produire entre
contractants ordinaires, litiges qui seront jugés par les arbitres prévus dans le
traité de protection, en appliquant le droit international, ce qui n'empêchera pas
le renvoi au droit interne quand cela est nécessaire.
Une autre conséquence de l'insertion des clauses de respect dans un traité
de protection, est le dépassement (mais non la fin) de la technique du contrat
d'État, au sens strict du terme, c'est-à-dire un certain type de contrat
internationalisé. Ce contrat se caractérise essentiellement, comme un contrat conclu
avec l'État d'accueil de l'investissement, en tant que personne de droit
international, et comportant des clauses renvoyant les litiges à un arbitre
international (CIRDI par exemple), qui tranchera par application, non pas du droit
interne seul, mais d'un droit interne stabilisé ou renvoyant d'une façon ou d'une
autre au droit international 68. L'obtention d'un contrat de ce type par
l'investisseur, suppose un pouvoir de négociation favorable à l'entreprise, car il y a peu
d'États qui acceptent de gaieté de cœur de renoncer à la maîtrise juridique des
contrats qu'ils concluent. Cela signifie en pratique, que des investisseurs petits
ou moyens ne peuvent jamais obtenir un contrat d'État, au sens indiqué ci-
dessus.
La clause de respect des engagements permet alors d'obtenir une situation
semblable à celle du contrat d'Etat. Et cette fois-ci tous les investisseurs,
grands et petits, pourront en profiter du fait que la clause a été négociée entre
les États et qu'elle aboutit à une stabilisation des engagements qui va même
plus loin que les clauses de ce type insérées dans un contrat 69. Mais ceci ne
peut être vrai que si on considère que la clause de respect transforme
effectivement les obligations contractuelles en obligations conventionnelles. Mais c'est
là que les avis divergent : alors qu'une partie de la doctrine continue à être
favorable à l'internationalisation des obligations contractuelles par
l'intermédiaire de la clause de respect des engagements, la jurisprudence récente des
tribunaux arbitraux CIRDI montre une forte réticence des arbitres à accepter
ce mécanisme.
68. Voy. Ch. Leben, « La théorie du contrat d'État et l'évolution du droit international des investissements »,
op. cit., p. 264 et s.
69. W. Ben Hamida, « La clause relative au respect des engagements. . », op. cit., p. 205.
.
710 RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS D'INVESTISSEMENTS
70. P. Weil, « Problèmes relatifs aux contrats passés entre un État et un particulier », RCADI,
1969/III, pp. 94-240, p. 130.
71. F. A. MANN, Further Studies in International Law, Oxford, Clarendon Press, 1990, pp. 234-251,
p. 240.
72. Voy. Th. WÀLDE « The umbrella clause in Investment Arbitration », op. cit., p. 215.
73. Décision sur la compétence du 29 novembre 2004, disponible sur le site du CIRDI ; Fedax c.
Venezuela, 11 juillet 1997, JDI, 1999, p. 278, /LM, 1998, p. 1378.
RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS D'INVESTISSEMENTS 711
c) La jurisprudence
Ce n'est que très récemment que des tribunaux CIRDI ont été amenés à se
prononcer sur les effets d'une clause de respect des engagements. Il s'agit des
affaires SGS cl Pakistan (6 août 2003) 74, SGS I Philippines (29 janvier 2004) 75, et
Joy Mining c I Egypte et dans les trois cas les arbitres se sont montrés très
réticents à reconnaître le mécanisme d'internationalisation que la doctrine assigne à
Yumbrella clause.
Les deux affaires les plus importantes sont celles qui concernent la société
suisse SGS opposée d'abord au Pakistan puis aux Philippines. Dans les deux cas
la Société générale de surveillance SA, saisissait le CIRDI sur la base du traité
bilatéral de protection entre la Suisse et, pour l'un le Pakistan, et pour l'autre les
Philippines. Dans le premier traité on trouvait un article 11 qui prévoyait que :
« Chacune des Paries contractantes assure à tout moment le respect des
engagements assumés par elle à l'égard des investissements des investisseurs de l'autre
Partie contractante ».
Dans le second, l'article X(2) énonçait :
« Chacune des Parties contractantes se conformera à toutes ses obligations à
l'égard d'un investissement effectué sur son territoire par un investisseur de
l'autre Partie contractante ».
Il n'est pas question ici de commenter ces deux importantes sentences. Il
suffira à notre propos de relever que, de façon assez étonnante, les deux
tribunaux, en suivant des raisonnements différents et même opposés, sont arrivés en
fait à paralyser l'effet de la clause de respect des engagements. Ainsi, dans
l'affaire SGS Cl Pakistan, le paragraphe 167 de la sentence révèle très bien dans
quel esprit le tribunal a examiné cette clause :
« Considérant le principe généralement reconnu [...] que la violation d'un contrat
passé par un État avec un investisseur d'un autre État, n'est pas en elle-même,
une violation du droit international, et considérant en outre que les conséquences
juridiques que la demanderesse nous demande de faire produire à l'article 11 du
BIT [TBI] sont d'une portée tellement large, d'une application tellement
automatique, inconditionnelle et radicale, et d'un impact potentiel si lourd pour une
Partie contractante, nous estimons qu'une preuve claire et convaincante doit être
rapportée par la demanderesse [...] que telle était effectivement l'intention
*
*
Cet article n'avait pour objectif, comme nous l'avons dit, que de rendre plus
familières aux internationalistes du droit des gens, les développements majeurs
du droit international des investissements qui se produisent à l'heure actuelle, à
la fois par l'intermédiaire des conventions bilatérales et multilatérales de
promotion et de protection des investissements et par celui d'une jurisprudence arbitrale
en expansion rapide. Il existe dans notre discipline une réticence à accepter dans
le « club » du droit international, des tribunaux qui ne sont pas inter étatiques au
sens strict et qui ne tranchent pas des litiges entre États mais entre ceux-ci et des
particuliers. On peut, évidemment discuter à l'infini, sur la nature profonde du
droit international, sur la possibilité pour des personnes privées d'y accéder ou sur
le caractère approprié de ce droit pour statuer des questions soulevées par les
litiges entre les États et les investisseurs étrangers. Mais la pratique n'attend pas.
Ignorant ces doutes, les tribunaux arbitraux appliquent, presque tout
naturellement, pour illustrer la chose, le droit international pour résoudre les litiges qui
leur sont soumis. Prenons deux exemples, les plus récents qu'il nous a été donné
de connaître, l'affaire CMS c /Argentine, sentence finale intervenu le 12 mai 2005
et l'affaire Impregilo cl Pakistan du 22 avril 2005.
La première affaire, portait sur les conséquences à tirer de la crise
économique argentine et des mesures prises par le gouvernement argentin dans les
années 1999-2002, et tout particulièrement de la dévaluation du peso. La société
CMS, comme une trentaine d'autres sociétés actuellement en litige avec
l'Argentine, soutenait que ces mesures aboutissaient en fait à l'exproprier sans
indemnité de son investissement. De quoi a-t-on parlé devant les arbitres ? Des
questions de nationalisation et d'indemnisation qui sont des questions classiques de
droit international, mais aussi de la force majeure et de l'état de nécessité, en
droit international coutumier, avec évocations de la jurisprudence arbitrale
ancienne (La Caroline 1905, Cie générale de VOrénoque, 1905, Indemnités de
guerre (Russie I Turquie 1912, Compagnie française des chemins de fer
Vénézuéliens 1905, Propriétés de minorités bulgares en Grèce. Les arbitres ont également
fait appel à des arrêts de la CPJI, (Société commerciale de Belgique 1939), de la
CIJ (Gabcikovo-Nagymaros 1997), ainsi que des travaux de la Commission du
droit international. In fine, la sentence consacre de longs développements à
établir les conditions du recours, en droit international, à la notion d'état de
nécessité et les conséquences de cet état de nécessité sur la réparation due en cas
de nationalisation.
Dans la deuxième affaire où il s'agissait d'une question qu'on pourrait
appeler purement commerciale, d'une entreprise commune pour la construction
d'un ensemble hydroélectrique, qui de façon très banale se termine mal, de quoi
a-t-il été question ? Principalement des arrêts de la Cour internationale de
Justice, affaires Ambatielos (1953), Plateformes pétrolières (Iran cl États-Unis,
1996, Légalité de l'usage de la force en Yougoslavie 1999), arrêts cités à égalité
714 RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS D'INVESTISSEMENTS