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Annuaire français de droit

international

La responsabilité internationale de l'État sur le fondement des


traités de promotion et de protection des investissements
M. le Professeur Charles Leben

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Leben Charles. La responsabilité internationale de l'État sur le fondement des traités de promotion et de protection des
investissements. In: Annuaire français de droit international, volume 50, 2004. pp. 683-714;

doi : https://doi.org/10.3406/afdi.2004.3816

https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_2004_num_50_1_3816

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ANNUAIRE FRANÇAIS DE DROIT INTERNATIONAL
L - 2004 - CNRS Éditions, Paris

LA RESPONSABILITE INTERNATIONALE
DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS
DE PROMOTION ET DE PROTECTION
DES INVESTISSEMENTS

Charles LEBEN

Les personnes qui s'intéressent au droit international des investissements,


savent qu'une évolution formidable s'est produite dans leur discipline, évolution
qui a des implications majeures sur la nature et le fonctionnement du droit
international, même si cela n'est pas encore connu ou reconnu par tous les
internationalistes.
Le droit international des investissements avait déjà connu une évolution
remarquable au cours du XXe siècle, évolution qui a conduit à l'invention de l'arbitrage
mixte (ou transnational) entre un État et une personne privée (l'investisseur), à
l'apparition d'un certain type de contrat internationalisé appelé contrat d'Etat, et
à la constitution d'un centre d'arbitrage instauré sur la base d'un traité
international, le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux
investissements, mis en place par la convention de Washington du 18 mars 1965,
aujourd'hui ratifiée par cent-quarante-deux États 1. Mais il est dommage que
cette évolution reste encore trop largement ignorée.
À ce premier mouvement s'est ajoutée, à partir de la dernière décennie du
XXe siècle, l'explosion du mouvement de conclusion de traités bilatéraux de
promotion et de protection des investissements 2. C'est ainsi que leur nombre est
passé de trois cent-quatre-vingt-cinq en 1989 à deux mille cent-quatre-vingt-un
en 2002, et on compte cent soixante-seize États qui sont parties contractantes
d'au moins un traité bilatéral 3. Les observateurs considèrent qu'il y aurait plus
de deux mille quatre cents de ces traités à l'heure actuelle. Il faut encore prendre
en compte l'apparition de plusieurs conventions multilatérales qui comportent
des dispositions du même type : accord de libre-échange latino américain (1994,
chapitre 11), traité sur la Charte de l'énergie (1994), protocole de Colonia pour la
promotion et la protection des investissements dans le MERCOSUR (1994), traité
sur l'investissement conclu entre pays membres de l'ASEAN (1987) sans parler

(*) Charles LEBEN, professeur à l'Université Panthéon-Assas (Paris II), directeur de l'Institut des
hautes études internationales.
1. News from ICSID, 2004, n° 2, décembre 2004. On remarquera que les deux grandes conventions
multilatérales du droit international économique réunissent un nombre comparable (et important)
d'adhésions : OMC cent quarante-huit membres. Sur le CIRDI, voy. les ouvrages récents : E. GAILLARD,
La jurisprudence du CIRDI, Paris, Pedone, 2004 ; S. MANCIAUX, Investissements étrangers et arbitrage
entre États et ressortissants d'autres États, Dijon, CNRS et Litec, 2004 ; W. BEN HAMIDA, L'arbitrage
transnational unilatéral, Université Paris II, thèse, 2003, multigraphiée. Sur l'évolution du droit des
investissements au XXe siècle, voy. Ch. LEBEN, « La théorie du contrat d'État et l'évolution du droit
international des investissements », RCADI, 2003, vol. 302, pp. 197-386.
2. Dans la suite on parlera, pour faire court, de traités de protection ou de TBI.
3. Voy. World Investment Report, 2003, UNCTAD (Genève, New York), p. 89.
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de la tentative mort-née d'élaborer, dans le cadre de l'OCDE, un accord


multilatéral sur l'investissement (1998) 4.
Ce mouvement dont on discute l'effet positif sur les investissements
internationaux du Nord vers le Sud5, a accompagné la faillite du courant du Nouvel
ordre économique international des années 75-85, et a consacré l'acceptation,
nolens volens, par pratiquement tous les États, qu'ils soient du Nord ou du Sud,
qu'ils soient des Etats anciennement communistes (pays de l'Est) ou qu'ils le
soient officiellement encore (Chine, Vietnam, Cuba), d'une règle du jeu libérale
(au sens économique du terme), pour le flux international des investissements.
Pour favoriser ceux-ci, des avantages sont offerts aux entreprises, avantages
économiques (par exemple, une fiscalité attrayante) mais aussi juridiques. Pour
ces derniers, il s'agira, la plupart du temps, de la possibilité donnée aux
entreprises, en cas de litige avec les Etats d'accueil de l'investissement, de mettre en
œuvre une procédure arbitrale leur assurant que le litige sera tranché par une
instance arbitrale neutre appliquant un droit qui ne sera pas sous la maîtrise de
l'État d'accueil.
Le mouvement s'est encore accéléré lorsque les tribunaux arbitraux du
CIRDI ont accepté leur compétence non plus seulement sur le fondement d'une
clause compromissoire insérée dans un contrat conclu entre l'investisseur et
l'État, mais sur le fondement d'une loi nationale (SPP/Égypte, 1988) ou d'un
traité bilatéral (AAPL/Sri Lanka, 1990) par lesquels les Etats expriment leur
intention de régler les litiges de ce type par arbitrage 6. À tort ou à raison, une
partie de la doctrine pensait que telle intention n'était pas suffisante en elle-
même pour donner compétence au tribunal arbitral, celui-ci ne pouvant être saisi
que sur la base d'une clause compromissoire contenue dans un contrat
d'investissement 7. L'apparition de ce qu'on a appelé arbitration without privity ou « arbitrage
transnational unilatéral », s'il a pu choquer, est aujourd'hui (une quinzaine
d'années plus tard) la figure maîtresse du règlement des litiges portant sur les
investissements internationaux8. Tout particulièrement, le CIRDI est devenu le

4. Le traité de Lisbonne sur la charte de l'énergie du 17 décembre 1994, regroupe cinquante et un


États et l'Union européenne, texte in JOCE, n° L 380/24, 31 décembre 1994 ; le protocole de Colonia du
17 janvier 1994, réunit l'Argentine, le Brésil, le Paraguay et l'Uruguay ; le traité ASEAN, entre Brunei,
l'Indonésie, la Malaisie, les Philippines, Singapour et la Thaïlande, 1987, ILM 1998, p. 612-615. Pour le
projet avorté de l'AMI, voy. SFDI, Un accord multilatéral sur l'investissement : d'un forum de négociation
à l'autre ?, Paris, Pedone, 1999.
5. Il existe une abondante littérature juridico-économique en langue anglaise sur l'efficacité des
traités bilatéraux pour attirer les investissements. Le ton est, en general, plutôt sceptique. Voy.
J. SALACUSE et N. SULLIVAN, « Do BITs Really work : An Evaluation of Bilateral Investment Treaties
and Their Grand Bargain », Harvard J. Int'l Law, pp. 67-130. Pour une réponse très négative, voy.
A.T. GUZMAN, « Why LDCs Sign Treaties That Hurt Them ? », Virginia J. of Int'l L. 1998, pp. 637-
688. Voy. aussi UNCTAD, Bilateral Investment Treaties in The Mid-1990s, United Nations, New
York, 1998.
6. Voy. les affaires Southern Pacific Properties (Middle East) Ltd (SPP) c/ République arabe
d'Egypte, décision du 14 avril 1988, 1CSID Rep. vol. 3, p. 131, JDI, 1994, p. 220 ; E. GAILLARD, La
jurisprudence du CIRDI, Paris, Pedone, 2004, p. 347 ; Asian Agricultural Products Limited (AAPL) cl
République démocratique socialiste de Sri Lanka, sentence du 27 juin 1990, JDI, 1992, E. GAILLARD, La
jurisprudence du CIRDI op. cit., p. 216 et ILM 1991, p. 577.
7. Voy. G. BURDEAU, « Nouvelles perspectives pour l'arbitrage dans le contentieux économique
intéressant les États », Rev. arb. 1995, pp. 3-37 ; B. STERN, « Le consentement à l'arbitrage CIRDI en
matière d'investissement international : que disent les travaux préparatoires ? », in Souveraineté
étatique et marchés internationaux à la fin du XX'. Mélanges en l'honneur de Philippe Kahn, Dijon, CNRS et
Litec, 2000, pp. 119-175.
8. Voy. Jan PAULSSON, « Arbitration Without Privity », ICSID Rev., 1995, pp. 232-257. On dispose
en français de deux bonnes études globales S. MANCIAUX, Investissements étrangers et arbitrage entre
États et ressortissants d'autres Etats, op. cit. supra note 1 ; W. BEN HAMIDA, L'arbitrage transnational
:

unilatéral, op cit. supra note 1.


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principal centre mondial de règlement de ce type de litiges, et traite un nombre


croissant d'affaires, dix-neuf en 2002, trente et un en 2003 dont dix-sept pour la
seule République d'Argentine, vingt-sept en 2004 9. Il s'agit de litiges portant sur
des sommes parfois extrêmement importantes, et opposant non pas seulement
des Etats du Sud à des entreprises multinationales mais des entreprises contre
les États-Unis et le Canada, dans le cadre de l'ALENA, il est vrai 10. Il faut noter
encore que d'autres centres d'arbitrage, comme celui de la Chambre de commerce
de Stockholm ou la Cour d'arbitrage de la CCI, profitent également du
mouvement, tout comme les arbitrages ad hoc sur la base du règlement d'arbitrage de la
CNUDCI.
Voilà, très brièvement, le paysage qui sert d'arrière plan à toute étude
juridique du droit des investissements internationaux. La question que l'on voudrait
poser ici est celle de la nature de la responsabilité de l'État quand elle est mise en
jeu par les investisseurs sur le fondement des traités de protection. Ces traités
entre États d'origine des investissements et États d'accueil appartiennent, bien
entendu, à la sphère du droit international. Mais qu'en est-il des rapports qui
s'établissent entre l'État d'accueil et l'investisseur, soit du fait d'un contrat, soit
(mais les deux peuvent se cumuler) du fait d'une saisine par la partie privée d'une
instance arbitrale prévue dans le traité de protection. L'action de l'investisseur se
situe-t-elle également dans l'ordre juridique international ? Certains en doutent
du fait que les personnes privées ne peuvent accéder au niveau de l'ordre
juridique international. On essaiera de montrer, au contraire, que c'est bien dans cet
ordre juridique international que se situe l'action de la personne privée, et qu'il
devient donc nécessaire d'ajouter un nouveau chapitre à l'étude de la
responsabilité internationale de l'État, ce à quoi la Commission du droit international a peut-
être fait allusion lorsqu'elle a déclaré dans son article 33, § 2 : « La présente partie
[la deuxième] est sans préjudice de tout droit que la responsabilité internationale
de l'État peut faire naître directement au profit d'une personne ou d'une entité
autre qu'un État ». On examinera ensuite comment cette responsabilité
internationale de l'État s'articule avec sa responsabilité dans l'ordre juridique interne.

I. - UNE RESPONSABILITE DE L'ETAT


DANS L'ORDRE JURIDIQUE INTERNATIONAL

Le fait, pour une personne quelconque, de ne pas respecter le droit et de


causer un dommage à autrui, entraîne à sa charge l'obligation de réparer le
dommage ainsi causé. Tel est le mécanisme de base de la responsabilité dite civile
(pour conserver la dénomination du droit de tradition française) dans tout ordre
juridique. L'obligation de réparer peut avoir un fondement contractuel quand il
existe un contrat entre les deux personnes, elle peut être délictuelle, lorsque, en
l'absence d'une telle convention, un fait illicite entraînant un dommage a été
commis. L'engagement de la responsabilité d'une personne se situe toujours à
l'intérieur d'un ordre juridique donné, qu'il soit national (un droit étatique quel-

9. Chronique E. GAILLARD, JDI, 2005, p. 135.


10. Il est assez ironique de constater que l'Amérique du Nord est la zone du monde où les
réclamations mettant en cause des expropriations sont, peut-être, les plus importantes à l'heure actuelle : une
dizaine d'affaires rien que contre les États-Unis, dont la responsabilité pour expropriation a été
recherchée pour la première fois de leur histoire sur la base d'un traité international, dans l'affaire Loewen cl
États-Unis, sentence du 26 juin 2003, E. GAILLARD, La jurisprundence du CIRDI, op. cit., p. 775 ; JDI,
2004, p. 219 ; ILM, 2003, p. 811.
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conque) ou international. Dans ce dernier cas, c'est le droit international public


qui régit la responsabilité des États pour des faits internationalement illicites.
Cette responsabilité concerne les actes d'un État à l'égard d'un autre État, et le
droit international coutumier sur lequel repose encore en grande partie cette
responsabilité a fait l'objet, comme on le sait, d'une très importante tentative de
codification, sur plus de quarante ans, de la part de la Commission du droit
international n.
Ces règles du droit international général ne concernent pas seulement les
relations inter étatiques qui sont le noyau dur des relations internationales. On
s'interroge aussi sur la vocation de ces règles à régir les autres sujets reconnus du droit des
gens, à savoir les organisations intergouvernementales dans leurs relations
réciproques ou dans leurs relations avec les États. Plus complexe est la question, apparue
depuis quelques décennies, de la responsabilité des États encourue dans leurs
relations avec des personnes privées, lorsque ces relations ne se situent pas dans un
ordre juridique interne. Mais une telle hypothèse est-elle même concevable ? Il
existe à ce sujet une controverse déjà ancienne quant à la possibilité d'inscrire dans
l'ordre juridique international une relation contractuelle, qu'on l'appelle contrat
d'État, contrat internationalisé ou accord de développement économique. Nous
avons traité ailleurs de cette question que nous ne reprendrons pas ici 12.
Plus récemment, le développement du réseau de traités bilatéraux ou
multilatéraux de promotion et de protection des investissements, a fait naître une
nouvelle interrogation : la responsabilité encourue par les État sur le fondement
de ces traités se situe-t-elle au sein du régime général de la responsabilité
internationale de l'État tel que celui-ci s'est construit au cours des cent ou cent
cinquante dernières années et tel qu'il ressort du travail de codification de la
CDI ? Il est vrai, en effet, que la responsabilité sur le fondement des traités de
protection comporte des caractéristiques propres qui la distinguent du droit de la
responsabilité tel qu'il s'est développé, dans le même domaine des
investissements internationaux, mais par l'intermédiaire du mécanisme de la protection
diplomatique. En réalité, rien dans ces caractéristiques propres n'empêche de
voir dans la responsabilité sur le fondement des traités un sous-système au sein
du système du droit international général de la responsabilité des États.

A. Caractéristiques de la responsabilité internationale


des États sur le fondement des traités de protection

On a, jusqu'ici, parlé de la responsabilité des États sur le fondement des


traités, comme si cette responsabilité ne couvrait qu'un seul type de rapports
entre l'État et un investisseur. Mais l'examen des clauses conventionnelles
montre qu'il existe en fait trois types de rapports distincts pouvant donner lieu à
trois types de litiges différents, entre l'Etat d'accueil, l'investisseur et l'État
d'origine. Ces trois litiges sont susceptibles d'engager la responsabilité
internationale de l'État, dans des conditions différentes de celles qui président à la mise
en œuvre classique de la protection diplomatique.

11. J. CRAWFORD, Les articles de la C.D.I, sur la responsabilité de l'État, Paris, Pedone, 2003.
12. Voy. Ch. LEBEN, « La théorie du contrat d'Etat et l'évolution du droit international des
investissements », RCADI, 2003, vol. 302, pp. 197-386 et la bibliographie indiquée. Pour la première
grande synthèse sur la question, voy. P. WEIL, « Problèmes relatifs aux contrats passés entre un État et
un particulier », RCADI, tome 28 (1969), pp. 96-240. Adde A.F.M. Maniruzzaman, « The Relevance of
public International Law in Arbitrations Concerning International Economie Development Agreements »
J. of World Inv. & Trade, 2005, n° 2, pp. 263-296.
RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS D'INVESTISSEMENTS 687

1. Trois types de litiges

II existe, s'agissant de la responsabilité d'un État sur le fondement d'un traité


de protection, deux niveaux de rapports qu'il faut bien distinguer, la distinction
ayant des conséquences sur la façon de traiter certaines questions complexes,
comme l'articulation des différentes procédures de mise en œuvre de la
responsabilité, ou bien encore, la détermination de la nature des litiges, litiges sur la base
d'un contrat ou sur la base d'un traité. Il y a donc, d'une part, et à un premier
niveau, les rapports entre l'investisseur et l'État d'accueil, et d'autre part, à un
deuxième et troisième niveau, les rapports entre l'État national de l'investisseur
et l'État d'accueil.

a) Le litige entre l'État d'accueil et un investisseur


II faut d'abord rappeler, qu'en dehors même de l'existence d'un traité de
protection des investissements, un investisseur peut mettre en jeu la
responsabilité de son partenaire étatique sur le fondement du contrat qu'il a conclu avec lui.
Si ce contrat prévoit le recours à un arbitrage international, et tout
particulièrement l'arbitrage CIRDI, et si le droit applicable est le droit international ou les
principes communs au droit interne et au droit international, ou tout autre
formule de ce type 13, on est en présence d'une situation qui ressemble en fait à
celle du litige sur le fondement d'un traité de protection. Ce qui est en cause dans
les deux cas c'est la responsabilité « conventionnelle » (au sens le plus général)
internationale de l'État, i.e. aussi bien sur la base d'un contrat que sur la base
d'un traité. Dans les deux cas, la personne privée reçoit pour elle-même la
capacité d'invoquer cette responsabilité devant une instance internationale. La
différence entre les deux cas est que dans le premier, celui du contrat d'État,
l'investisseur peut invoquer devant les arbitres la violation du contrat lui-même, alors
qu'en l'absence d'un tel contrat, il devra asseoir sa demande sur la violation du
traité de protection (Voy. infra).
Les traités de protection comportent toujours deux types de clauses de
règlement des différends : l'une entre l'investisseur et l'État d'accueil, l'autre entre les
deux États signataires du traité.
Le litige entre l'investisseur et l'État d'accueil peut faire l'objet d'une saisine
unilatérale, de la part de l'investisseur, d'une instance arbitrale internationale et
c'est même là, comme on le sait, le trait le plus révolutionnaire de tout le système.
Parfois également, une voie alternative est offerte à la personne privée. Ainsi,
pour ne citer que deux exemples en français s'agissant d'un traité bilatéral puis
multilatéral, l'article 8 du traité entre la France et le Chili du 14 juillet 1992 (JO,
8 novembre 1995) :
« 1. Tout différend relatif aux investissements entre l'une des Parties
contractantes et un national ou une société de l'autre Partie contractante est, autant que
possible, réglé à l'amiable entre les deux Parties concernées. 2. Si un tel différend
n'a pas pu être réglé dans un délai de six mois à partir du moment où il a été
soulevé par l'une ou l'autre des Parties au différend, il est soumis à la demande du
national ou de la société - soit au tribunal compétent de la Partie contractante sur
le territoire de laquelle l'investissement a été réalisé ; — soit à l'arbitrage du
Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements
(CIRDI) [...]. 3. La décision d'arbitrage est définitive et obligatoire ».

13. Voy. Ch. LEBEN, « La théorie du contrat d'État et l'évolution du droit international des
investissements », op. cit., p. 264 et s.
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L'article 26, § 3a du traité sur la charte de l'énergie :


« [Sous réserve du paragraphe 2 alinéas b et c] , chaque partie contractante donne
son consentement inconditionnel à la soumission de tout différend à une
procédure d'arbitrage ou de conciliation internationale, conformément aux dispositions
du présent article ».

b) Les deux niveaux de litige entre l'État d'accueil et l'État d'origine


de l'investisseur
Au premier niveau les traités de protection en ajoutent un deuxième, qui
concerne le règlement d'un litige entre les États eux-mêmes, litige qui peut
survenir tout particulièrement, si l'un d'eux ne respecte pas les engagements qu'il
a pris vis-à-vis des investisseurs, si par exemple, il refuse l'arbitrage ou s'il refuse
d'exécuter la sentence arbitrale. Dans ce cas, tous les traités comportent une
clause prévoyant que le différend sera soumis, à la demande de l'une des parties,
à un tribunal d'arbitrage 14.
De façon parallèle, la convention de Washington pour le règlement des
différends relatifs aux investissements entre États et ressortissants d'autres États
(1965), vise à permettre, sous certaines conditions, la saisine du CIRDI par des
investisseurs en litige avec l'État d'accueil. L'article 27, § 1er de la convention
prévoit qu'un État contractant n'exerce pas sa protection diplomatique à l'égard
d'un de ses nationaux ou ne formule aucune revendication internationale au sujet
d'un différend entre celui-ci et un autre État contractant. En revanche si celui-ci
ne se conforme pas à la sentence rendue à l'occasion du différend avec
l'investisseur, les procédures classiques de règlement des différends inter étatiques
peuvent être activées.
À cela il faut encore ajouter un troisième niveau qui est celui existant entre
les deux États, État national de l'investisseur et État d'accueil de
l'investissement, si celui-ci n'accepte pas la procédure arbitrale prévue dans le traité de
protection, ou se refuse à exécuter la sentence. Dans cette hypothèse, on en
revient au mécanisme traditionnel de la mise enjeu de la responsabilité
internationale, selon le schéma classique tel qu'il est présenté dans les articles de la CDI
sur la responsabilité de l'État, y compris la possibilité de déclencher des contre-
mesures proportionnées en réponse à la violation du droit international 15.
Les deuxième et troisième niveaux concernent des relations inter étatiques et
sont donc régis, sans conteste, par les règles de droit international public, tout
particulièrement les règles concernant la responsabilité internationale pour fait
internationalement illicite. Le premier niveau au contraire concerne les rapports
entre l'investisseur (personne privée) et l'État d'accueil de l'investissement. C'est
à son propos que la question se pose de la nature des liens qui s'établissent entre
l'État et l'investisseur. S'agit-il de liens qui relèvent du droit international public,

14. Article 11, § 2 du traité France/Chili : « Si dans un délai de six mois à partir du moment où il été
soulevé par l'une ou l'autre des Parties contractantes, le différend n'est pas réglé, il est soumis à la
demande de l'une ou l'autre Partie contractante, à un tribunal d'arbitrage ». De même, article 27, § 2 du
traité sur la charte de l'énergie : « Lorsqu'un différend n'a pas été réglé conformément au paragraphe 1
dans un délai raisonnable, chaque partie au différend peut [...] soumettre le différend à un tribunal
d'arbitrage ad hoc en vertu du présent article [...] ».
15. Cette hypothèse était prise en compte par le projet de l'OCDE d'accord multilatéral sur
l'investissement qui envisageait la suspension des droits tirés de l'AMI en réaction au non respect par l'une des
parties de ses obligations en matière de règlement des différends. Voy. J. KOKOTT, « Interim Report on
the Role of Diplomatie Protection in the Field of the Protection of Foreign Investment », ILA, Report of
the 70th Conference, New Dehli, 2000, pp. 259-290, p. 275.
RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS D'INVESTISSEMENTS 689

ou d'un droit interne, ou même d'un tiers ordre juridique ? Mais, quel intérêt y
a-t-il à poser cette question, pensera-t-on ? Elle nous paraît, en fait,
fondamentale. Situer une relation juridique au sein d'un certain ordre juridique, permet de
savoir quel est le contexte juridique général par rapport auquel les instances
juridictionnelles sont amenées à interpréter le droit. On n'interprète pas, en effet, le
droit de la même façon selon que l'on se trouve au sein d'un ordre étatique, ou
d'un ordre de droit international ou même encore, dans un tiers ordre (droit
transnational ou lex mercatoria, à condition de bien définir ce qu'on entend par
là). Par exemple, en cas de lacune ressentie par le juge ou l'arbitre, ceux-ci
peuvent vouloir se tourner vers la coutume ou vers les principes généraux de
droit. Mais ce faisant, le juge national ne raisonnera pas comme le juge
international, ne serait-ce que parce que le juge national peut être très réticent à faire
appel à la coutume, qui joue un rôle très limité dans un ordre étatique du type
français, alors que la coutume est une source majeure du droit international. Et
cette remarque vaut aussi pour le recours aux principes généraux de droit. Tout
dépend encore devant quel type de juge international on se trouve : juge d'une
cour permanente, arbitre institué par un traité international (CIRDI, ou accords
d'Alger de 1981 sur le règlement des différends entre les États-Unis et l'Iran),
arbitre CCI statuant sur le règlement d'arbitrage de la CNUDCI ou constitué
entièrement de façon ad hoc.
Pour répondre à cette question, il faut confronter cette responsabilité de
l'État à l'égard de l'investisseur sur le fondement des traités de protection, à ce
qui a été pendant plus d'un siècle le mécanisme le plus important de mise en jeu
de la responsabilité internationale d'un État d'accueil, à savoir l'exercice de la
protection diplomatique en faveur de l'investisseur par son État national 16.
2. Responsabilité sur le fondement d'un traité de protection de l'investissement
et responsabilité découlant de l'exercice de la protection diplomatique

La comparaison doit nécessairement être faite car, s'agissant de la


responsabilité des États dans le domaine des investissements, le droit international a été
développé par une longue suite d'arbitrages inter étatiques résultant de l'exercice
de la protection diplomatique des États d'origine des investisseurs. Les règles de
ce droit international qui, pour une bonne part, font partie du droit international
coutumier, sont-elles pertinentes s'agissant des arbitrages sur le fondement des
traités de protection ? Un auteur récent le nie, qui considère qu'il y a une
différence de nature entre les règles de la responsabilité des États pour fait
internationalement illicite dégagées dans le cadre de la protection diplomatique et celles
qui s'appliquent s'agissant de la mise en cause d'un État sur le fondement des
traités de protection 17.
Il est clair et indubitable, que le fondement des deux actions n'est pas le même.
D'un côté, s'agissant de la mise en œuvre de la protection diplomatique, le schéma
très généralement admis est que l'État qui prend fait et cause pour son national
ne défend pas le droit de celui-ci mais le droit, qui lui est propre, d'assurer le
respect des règles internationales concernant le traitement des étrangers que
l'État d'accueil aurait violé vis-à-vis d'un de ses nationaux. Il en découle la mise
en jeu de la responsabilité de ce dernier par l'État national de l'investisseur.

16. Voy. les travaux de J. KOKOTT, op. cit.


17. V. Z. DOUGLAS, « The Hybrid Foundations of Investment Treaty Arbitration », BYBIL, 2003,
pp.151-289.
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Comme l'exprime la Cour permanente de Justice internationale dans un dictum


fameux lors de l'affaire Mavromatis (CPJI, Recueil Série A n° 2, p. 12) :
« en prenant fait et cause pour l'un des siens, en mettant en mouvement, en sa
faveur, l'action diplomatique ou l'action judiciaire internationale, cet État fait, à
vrai dire, valoir son propre droit, le droit qu'il a de faire respecter en la personne
de ses ressortissants le droit international ».
Les inconvénients d'un tel mécanisme sont trop connus pour qu'on y insiste :
caractère discrétionnaire de l'action de l'État national, changement de caractère
du différend, non participation de la personne privée à la procédure, acceptation
par l'État d'une indemnisation forfaitaire inférieure à celle réclamée par
l'investisseur, etc.
Tout le progrès du droit international a consisté à établir des régimes
conventionnels permettant une action directe de l'individu contre l'État. C'est d'abord
dans le domaine des droits de l'homme qu'une telle avancée a été réalisée, puis
dans le domaine de la protection des investissements 18. Dans ce secteur,
l'importance du changement n'a pas été comprise dans un premier temps. C'est ainsi que
les accords d'Alger (1981) donnant naissance au Tribunal des différends irano-
américains, ont été perçus comme mettant en place un mécanisme ad hoc non
représentatif de l'état du droit international 19. Quant aux traités de protection
des investissements c'est seulement à la fin des années quatre-vingt dix, lorsque
leur croissance va s'accélérer de façon étonnante et que la jurisprudence AAPLI
Sri Lanka va ouvrir le for du CIRDI à tous les investisseurs se réclamant d'un
traité de protection entre leur État national et l'État d'accueil, que l'ampleur du
changement va apparaître au grand jour20.
Le point le plus important de tous est, naturellement, le fait que les traités de
protection créent un droit directement en faveur des investisseurs qui, en
fonction de leurs seuls intérêts et sans lien aucun avec leur État national, pourront
saisir un tribunal arbitral et obliger l'État d'accueil à se défendre devant lui21.
Cette saisine pourra être faite sans même la nécessité d'épuiser les voies de
recours interne à moins que cette obligation soit expressément prévue dans le
traité lui-même22. Et ce qui sera mis en cause devant ce tribunal n'est rien

18. Pour une étude récente, voy. G. COHEN-JONATHAN, « L'individu comme sujet de droit
international. Droit international des contrats et droit international des droits de l'homme », Mélanges Paul Amse-
lek, Bruxelles, Bruylant, 2005, pp. 223-260.
19. Voy. Ph. FOUCHARD, « La nature juridique de l'arbitrage du Tribunal des différends irano-
américains », Cahiers du CEDIN, « Le tribunal des différends irano-américains », Nanterre, 1984,
pp. 27-48, qui y voyait une institution sui generis, alors qu'il s'agissait pour M. VlRALLY, d'un arbitrage
de droit international public (p. 50).
20. Voy. la conclusion désenchantée à laquelle arrive J. KOKOTT dans son rapport sur la protection
diplomatique à l'ILA : «[...] in the context of foreign investment, the traditional law of DP [diplomatic
protection] has been to a large extent replaced by a number of treaty-based dispute settlement
procedures », op. cit. supra note 16.
21. Ceci, bien entendu, n'est qu'une obligation juridique et rien ne peut contraindre un État qui fait
défaut à venir s'expliquer devant le tribunal. Voy., par exemple, les sentences Texaco, BP et Liamco où la
Lybie avait fait défaut ; voy. B. Stern, « Trois arbitrages, un même problème, trois solutions », Rev. arb.,
1980, pp. 3-43. Il nous semble, mais c'est à vérifier, que cette hypothèse ne s'est pas produite dans le
cadre du CIRDI.
22. Voy. P. PETERS, « Dispute Settlement Agreements in Investment Treaties », NYBIL, 1991,
pp. 91-161, Z. DOUGLAS, op. cit. supra, note 17, pp. 178-179. La question de l'épuisement des voies de
recours interne a été discutée dans l'affaire Maffezini c I Espagne, décision sur la compétence du 25
janvier 2000, ICSID Rev. 2001, p. 212. L'article X, paragraphes 2 et 3a, du traité entre l'Espagne et
l'Argentine, prévoyait la nécessité, en cas de litige, de saisir d'abord les tribunaux de l'État avec la possibilité de
saisir un tribunal arbitral si au bout de dix-huit mois un jugement n'était pas rendu ou si, malgré ce
jugement, le litige persistait. Mais aussi et surtout l'affaire Loewen cl États-Unis, sentence du 26 juin 2003
RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS D'INVESTISSEMENTS 691

d'autre que la licéité d'une action de l'État au regard des règles établies dans le
traité de protection, c'est-à-dire des règles de droit international. Autrement dit,
c'est bien de la responsabilité internationale de l'État d'accueil dont il sera
question devant le tribunal arbitral, responsabilité du fait des traités de protection
des investissements et également responsabilité sur le fondement des règles
coutumières de la responsabilité en droit international public.
C'est à ce point que se manifeste un courant hostile à l'évolution en cours,
hostile à la multiplication des traités de protection perçus, au mieux, comme
inefficaces dans leur volonté affichée de permettre l'augmentation du flux des
investissements et, plus généralement hostile à une évolution du droit international
telle qu'elle se dessine à l'heure actuelle, évolution faisant place aux recours des
personnes privées, qui ne sont en réalité que des entreprises multinationales
cherchant à défendre leurs intérêts au détriment des États en développement 23.

B. Justification du recours au droit international

II y a toujours eu au sein de la doctrine, des courants favorables à l'expansion


du droit international au-delà de la sphère des relations inter étatiques, et
d'autres, au contraire, soucieux de cantonner ce droit à ces relations 24. S'agissant
plus spécialement de la responsabilité des États sur le fondement des traités de
protection, il est intéressant de rendre compte d'une très longue étude parue
récemment dans le British Yearbook of International Law, et qui illustre très bien
la position restrictive d'une partie de la doctrine, mais qui ne nous a guère
convaincu 25.
1. La critique de Z. Douglas

a) Une conception essentialiste du droit international


Si l'on pose comme point de départ de la réflexion, que les particuliers ne
peuvent jamais avoir un accès direct à l'ordre juridique international accessible
seulement aux États (ou aux organisations inter étatiques), le régime applicable
aux litiges portés à l'arbitrage sur le fondement des traités de protection des
investissements (bi- ou multilatéraux) ne pourrait être un régime de droit
international public. Et ceci tout particulièrement, si les arbitres doivent examiner

Suite de la note 22.


(E. GAILLARD, La jurisprudence du CIRDI, op. cit., p. 775). Le tribunal arbitral a rejeté l'idée, soutenue
par une consultation de Sir Robert Jennings, que « la règle de l'épuisement des voies de recours internes
est pour l'essentiel cantonnée à des cas de protection diplomatique ». (§ 150). Mais la situation était tout
à fait spéciale, dans cette affaire, car il s'agissait de savoir si une action sur le fondement de l'ALENA
était possible contre les États-Unis et ce sur la base du déni de justice alors même que des voies de
recours existaient, en droit américain, contre le jugement constitutif, pour Loewen, de ce déni. Sur cette
affaire, voy. les observations d'E. GAILLARD, La jurisprudence du CIRDI, op. cit., pp. 786-792 ; A. A.
BJORKLUND, « Waiver and the Exhaustion of Local Remedies Rule in NAFTA Jurisprudence », in
T. WEILER (éd.), NAFTA Investment Law and Arbitration : Past Issues, Current Practice, Future
Prospects, New York, Transnational Publishers, 2004.
23. Voy. supra note 5. Un auteur représentatif de ce courant hostile est M. SORNARAJAH : The
International Law on Foreign Investment, Cambrige University Press, 2004.
24. On trouve cette opposition par exemple, à propos de la question de la personnalité
internationale des personnes privées. KELSEN y est favorable (Théorie générale du droit et de l'Etat, Paris, LGDJ,
1996, pp. 391-395. L'école dualiste italienne y est opposée (D. ANZILOTTI, Cours de droit international,
Paris, Editions Panthéon-Assas, 1999, pp. 132-136).
25. Z. DOUGLAS, « The Hybrid Foundations of Investment Treaty Arbitration », op. cit., supra, note 17.
692 RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS D'INVESTISSEMENTS

des questions portant sur des droits privés pour lesquels le droit international ne
contient pas de règles.
C'est ainsi que Z. Douglas soutient que « the investment treaty regime for the
arbitration of investment disputes [...] cannot be adequately rationalised either as
a form of public international or private transnational dispute resolution » 26. Et,
en effet, du fait que le litige entre un État d'accueil et l'investisseur porterait
toujours sur les intérêts privés de celui-ci, le droit applicable à ce type de litige ne
pourrait être qu'un « hybride » de droit international et de droit interne et non
pas uniquement le droit international comme dans un arbitrage inter étatique 27.
Il découle de cette conception générale que les règles coutumières de la
responsabilité des États dans le domaine des investissements, règles qui ont été
dégagées dans le cadre des arbitrages inter étatiques mis en place à la suite de
l'exercice de la protection diplomatique, n'auraient aucune pertinence pour les
actions fondées sur les traités de protection des investissements. Les règles
coutumières, sur lesquelles les travaux de la Commission du droit international
ont porté, concerneraient les relations inter étatiques et non pas des rapports
mixtes entre une personne privée et un État, rapports se situant, par nature,
hors de la sphère du droit international public 28.
Cette exclusion de la pertinence du droit des gens, concerne non seulement le
droit applicable au fond du litige, mais tout aussi bien le droit applicable à la
procédure arbitrale (lex arbitri). L'affirmation paraît étonnante, à première vue,
s'agissant de la procédure devant des arbitres CIRDI, régie par la convention de
Washington. Certes, dit-on, l'arbitrage CIRDI est bien un arbitrage international
au sens où il est détaché de tout droit interne, mais cela ne signifie pas que sa lex
arbitri soit le droit international29. En effet, le droit international en matière
d'arbitrage s'est développé à partir de litiges inter étatiques et ses règles, celles,
par exemple, concernant la continuité de la nationalité, l'épuisement des voies de
recours internes, etc. ne peuvent être applicables à des arbitrages
États/investisseurs fondés sur les traités de protection. C'est ainsi, par exemple, qu'il critique
la sentence Loewen pour s'être référée, en dehors de toute base textuelle dans

26. Ibid., op. cit., p. 152. L'auteur appuie son avis sur une citation de J. PAULSSON, « l'inventeur » de
la notion d'« arbitration without privity » « [Tjhis is not a sub genre of an existing discipline. It is
dramatically different from anything previously known in the international sphere ».
:

27. Ibid., p. 195 et p. 197, où l'auteur note « Customary international law contains no substantive
rules of property law. [...] Nor do investment treaties purport to lay down rules for acquiring rights in rent
:

28. Un argument assez curieux a été encore avancé pour soustraire la responsabilité du fait des
traités de protection de la sphère du droit international public. On ne pourrait pas, selon Z. Douglas, se
reposer sur les règles de la responsabilité des Etats pour fait internationalement licite, du fait que ceux-
ci ont été dégagés, s'agissant de la responsabilité des États à l'égard des investisseurs, dans le cadre de
la protection diplomatique. Un des arguments utilisés est de dire que les règles codifiées par la CDI,
évacuent la condition du dommage, alors que cette condition est centrale pour le règlement les litiges sur le
fondement des traités de protection. Cependant, il y a un consensus de la doctrine la plus éminente pour
contester que cette condition puisse être éliminée du droit de la responsabilité internationale. Voy.
D. ALLAND, Droit international public, Paris, PUF, 2000, p. 411, n° 376 ; J. COMBACAU in J. COMBACAU/S
SUR, Droit international public, Paris, Monchrestien, 6ème éd. 2004, pp. 525 et s. ; P. DAILLIER/A.PELLET,
Droit international public, Paris, LGDJ, 7ème éd. 2002, n° 484 ; P.M. DUPUY, Droit international public,
Paris, Dalloz, 7ème éd. 2004, p. 481 et s. ; J. VERHOEVEN, Droit international public, Bruxelles, Larcier,
2000, p. 616 et s. En toute hypothèse, il n'y a là rien qui puisse exclure les règles régissant la
responsabilité des États sur le fondement des traités de protection des investissements, du corps principal des
règles sur la responsabilité internationale.
29. Z. DOUGLAS, op. cit., p. 225, où il écrit : «International procedural rules for admissibility of
daims, such as the rules on the nationality of claims and the exhaustion of local remedies, have develop-
ped in the context of diplomatic protection [...] there is no reason to import such concepts into investment
treaty arbitration. An analysis of the lex arbitri oflCSID arbitrations thus requires a far more nuanced
approach to reflect the complexities of this sui generis regime ».
RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS D'INVESTISSEMENTS 693

l'ALENA, à des règles coutumières sur la recevabilité des demandes « because it


[le tribunal] fails to ackowledge the distinct and independent nature of the
investment treaty regime for the resolution of investor I state disputes » 30. Sans doute le
tribunal ne partageait-il pas la conception de l'auteur sur le caractère spécifique
de l'arbitrage sur le fondement des traités.
Face à l'intrusion illégitime, à ses yeux, du droit international, l'auteur
invoque l'application d'un régime sui generis, qui correspondrait à la nature
hybride de la relation entre l'Etat et l'investisseur.

b) L'amour des hybrides


On remarquera, tout d'abord, que l'on trouve transplanté ici un type
d'arguments rencontrés dans certaines analyses consacrées au contrat d'État. Celui-ci,
en effet, constitue un objet qui d'une part, en tant que contrat se rattacherait à la
sphère du droit interne, mais qui d'autre part, du fait de sa clause de droit applicable
quand elle se réfère au droit international, semblerait relever de celui-ci.
Certains auteurs ont cru alors trouver la solution en rattachant ce contrat à un
droit transnational aux contours très vague, et au caractère hybride marqué 31.
Naturellement, il existe bien dans la nature et dans la pensée, des hybrides, mais
avant d'en arriver à cette qualification, il faut vérifier qu'elle est nécessaire. Ne
recourt-on pas trop vite à la facilité du sui generis parce que l'on saisit mal toute
l'extension des concepts dont on dispose, ainsi que leur capacité à couvrir des
champs nouveaux au fur et à mesure qu'ils se présentent ?
Dans notre cas, tout repose sur et tout renvoie à une conception « essentialiste »
du droit international comme droit uniquement inter étatique auquel le
particulier ne peut avoir accès. On ne se fatiguera pas de dire qu'il s'agit d'une conception
qui ne correspond pas à la réalité du droit international contemporain 32. Au lieu
donc de construire un régime « chauve-souris » de la responsabilité des États sur
le fondement des traités de protection des investissements, il vaut mieux, car cela
correspond à la réalité des choses, bien ancrer celle-ci dans la sphère du droit
international dont elle constitue un des développements majeurs des deux dernières
décennies.
Les défenseurs du caractère spécifique et hybride du droit de la
responsabilité des États sur le fondement des traités, renforcent leur argument en
soulignant que les litiges qui naissent entre les États d'accueil et les investisseurs
portent sur des droits privés, des droits de propriété le plus souvent, pour
lesquels le droit international ne possède pas de règles 33. Ici aussi, on constatera
la transposition d'un argument déjà rencontré dans la théorie du contrat d'État :
tout comme le droit international ne posséderait pas de règles en matière de
contrat, rendant ainsi impossible un droit international des contrats spécifique,
de même, dans le droit des investissements, il n'existerait pas de dispositions
portant sur le droit substantiel régissant les rapports entre le particulier et
l'État, rendant ainsi nécessaire l'intervention du droit interne. Mais sur le fond,
quelles sont donc les questions qui sont soumises à l'arbitrage sur le fondement
des traités de protection ? S'agit-il de trancher sur des droits privés ? Nullement.
Même dans les cas où le litige porte sur une expropriation, ce n'est pas le droit de
propriété en lui-même qui fait l'objet de l'examen, mais la licéité de l'action expro-

30. Ibid., p. 193


31. Voy. Ch. LEBEN, « La théorie du contrat et l'évolution du droit international des investissements
op. cit. supra note 1, pp. 314-321.
>

32. Ibid., p. 264 et s.


33. Z. Douglas, op. cit., p. 155.
694 RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS D'INVESTISSEMENTS

priatrice de l'État au regard de ses obligations internationales conventionnelles


ou coutumières, ou encore, la possibilité que des actes de législation d'intérêt
général puissent aboutir à une expropriation indirecte d'un investissement. Mais
en outre, les questions de nationalisation ne sont plus les plus courantes. Les
affaires portent sur l'application de la clause de la nation la plus favorisée, ou sur
le traitement national ou sur le traitement juste et équitable ou sur l'obligation
d'assurer une sécurité pleine et entière à l'investissement, ou sur le déni de
justice, etc., toutes choses vis-à-vis desquelles l'État s'est engagé par traité, et qui
entrent parfaitement dans la sphère du droit international.
2. La responsabilité des États sur le fondement des traités de protection : un sous-
système au sein du régime général de la responsabilité internationale des Etats

Que le régime de la responsabilité des États sur le fondement des traités de


protection constitue bien un sous-système dans l'ordre juridique international,
est confirmé par la jurisprudence des tribunaux arbitraux.

a) Un sous-système dans le droit international et non à côté de lui


II est bien clair qu'un traité international peut créer un système spécifique de
responsabilité internationale, tant en ce qui concerne les règles primaires (les
obligations substantielles souscrites par les parties) dont la violation entraîne la
responsabilité des États, qu'en ce qui concerne les règles secondaires de la mise en
jeu de la responsabilité de État. Ainsi toute organisation internationale, l'OMC par
exemple, ou l'Union européenne, met en place tout à la fois un système d'obligations
primaires que les membres doivent respecter et un système de règles secondaires
permettant de déterminer la réalité d'une violation des règles primaires et les
conséquences qu'elle entraîne. Ceci est tout aussi vrai pour des traités qui ne créent
pas une organisation internationale comportant un ensemble d'organes, mais qui
prévoient, cependant, des modes de résolution des conflits et des conséquences
spécifiques à tirer de la violation reconnue de leurs obligations par les parties.
C'est précisément le cas des traités de protection des investissements, traités
conclus entre États mais qui ont la particularité de permettre aux individus de
saisir une juridiction arbitrale afin de statuer sur l'éventuelle violation par un État
de ses obligations. Une telle hypothèse est couverte par l'article 33, § 2 des articles
de la CDI sur la responsabilité de l'État qui prévoit que « la présente partie [la
deuxième] est sans préjudice de tout droit que la responsabilité internationale de
l'État peut faire naître directement au profit d'une personne ou d'une entité autre
qu'un État ». Ceci est encore explicité par le commentaire qui souligne que « [d]ans
les cas où l'obligation primaire est due à une entité autre qu'un État, il peut exister
une procédure permettant à cette entité d'invoquer la responsabilité pour son
propre compte et sans intervention d'un État, il peut exister une procédure
permettant à cette entité d'invoquer la responsabilité pour son propre compte et
sans l'intervention d'un État » 34. Et le commentateur cite comme exemple, à côté
des traités relatifs aux droits de l'homme, « les accords bilatéraux ou régionaux de
protection des investissements ». Et il ajoute « C'est à la règle primaire particulière
qu'il incombe de déterminer si et dans quelle mesure des personnes ou des entités
autres que des États peuvent invoquer la responsabilité en leur nom propre » 35.

34. Voy. J. CRAWFORD, Les articles de la C.D.I, sur la responsabilité de l'État. Introduction, texte et
commentaires, Paris, Pedone, 2003, pp. 250-251.
35. Ibid., p. 252.
RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS D'INVESTISSEMENTS 695

Autrement dit, le fait de mettre en place un « sous-système de responsabilité »,


comme l'appelle Z. Douglas, ne nous fait pas sortir de la responsabilité du droit
international public, même lorsque la mise enjeu de cette responsabilité est accordée à un
particulier. Celui-ci invoque bien la responsabilité internationale de l'État dans la
relation qui le lie à celui-ci, même si cette relation n'est pas, par définition, une
relation inter étatique. Il faut en déduire aussi que les règles spécifiques de la
responsabilité mises en place par un traité, s'appliquent, en premier lieu, à la place des règles
coutumières de la responsabilité internationale telles que décrites par les articles de
la CDI. Cependant, en l'absence de règles spécifiques conventionnelles, ce sont les
règles générales qui ont vocation à s'appliquer. Et par exemple, si l'État refuse
d'appliquer une sentence rendue par un tribunal arbitral dans le litige qui l'oppose à
l'investisseur (premier niveau), l'Etat national de celui-ci pourra mettre en œuvre la
clause de règlement des différends et saisir le tribunal arbitral prévu par le traité de
protection (deuxième niveau). Si cette deuxième sentence est elle-même refusée, le
refus pourra donner lieu à la mise en jeu de sa responsabilité au niveau inter
étatique (troisième niveau), que ceci soit expressément prévu dans le traité ou non.

b) La jurisprudence du CIRDI
Cette analyse est largement confirmée par l'examen de la jurisprudence des
tribunaux arbitraux CIRDI. Ceux-ci appliquent massivement et sans états d'âme
le droit international public, aussi bien conventionnel que coutumier, sans faire
aucune différence selon qu'ils ont à statuer dans des affaires qui opposent un
particulier à un État et non pas deux États entre eux. Dans une affaire au moins,
ils ont été amenés à se prononcer sur un argument invoquant la spécificité de ce
type d'arbitrage. Il s'agit de l'affaire Loewen cl États-Unis (sentence sur le fond du
26 juin 2003) 36, où l'investisseur avait été traité de façon particulièrement
scandaleuse, au dire-même des arbitres, par une juridiction du Mississipi. Une voie qui
aurait permis au tribunal de se déclarer compétent, bien que la société Loewen
n'eût pas épuisé les voies de recours interne, aurait été de considérer que la règle
coutumière de l'épuisement était « pour l'essentiel cantonnée à des cas de
protection diplomatique ». C'était là le sens d'une consultation signée par Sir Robert
Jennings (§ 150). Or cet argument a été explicitement rejeté par le tribunal en
invoquant une doctrine différente (§ 150, Garcia-Amador, Sohn and Baxter,
J. Crawford) puis en étudiant la jurisprudence arbitrale ancienne, constituée à
l'occasion de litiges opposant deux États et sur le fondement de la protection
diplomatique (§§ 151-153 et § 155 pour le tribunal des différends irano-américain).
On notera que, dès la première affaire de saisine d'un tribunal arbitral sur le
fondement d'un traité de protection (AAPL cl Sri Lanka, 1990), les arbitres
majoritaires se sont clairement situés au sein de l'ordre juridique du droit international.
C'est ainsi qu'après avoir constaté que les dommages causés à l'investisseur
n'étaient pas indemnisables sur la base du traité de protection qui excluait les
dommages causés par des actions de combat, le tribunal a recherché s'il existait
des règles coutumières en la matière. Pour cela il a examiné les précédents offerts
par des sentences arbitrales du début du XXe siècle, toutes, il va sans dire,
rendues dans des affaires opposant deux États37 (sentence, §73 et s.). Il en

36. The Loewen Group, Inc. and Raymond L. Loewen c IÉtats-Unis d'Amérique, sentence finale du
26 juin 2003, ILM, 2003, p. 811 ; JDI, 2004, p. 219 (avec observations E. GAILLARD) ; E. GAILLARD, La
jurisprudence du CIRDI, op. cit., p. 775.
37. Voy. AAPL cl Sri Lanka, sentence du 27 juin 1990, in E. GAILLARD, op. cit., pp. 322 et s., §§ 73-
74, où le tribunal cite les affaires des Biens britanniques au Maroc espagnol, Melilla-Ziat, Ben Kiran,
Sambiaggio, le tout assorti de la doctrine la plus classique du droit international public.
696 RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS D'INVESTISSEMENTS

déduit l'existence d'une règle de droit international coutumier qui permet


d'engager la responsabilité internationale de l'État sur le fondement d'un
manquement à une obligation de diligence.
Ainsi, en l'absence de dispositions conventionnelles, le tribunal a tout
naturellement examiné le droit international général, sans être le moins du monde
gêné par le fait qu'il ne se trouvait pas ici en présence d'une relation entre deux
États.
Nulle part on ne constate que les tribunaux arbitraux auraient considéré
que les règles du droit international classique, régissant les relations inter
étatiques seraient distinctes de celles (hybrides) applicables aux relations entre
les États et les investisseurs. Nulle part on ne voit qu'il existerait des
différences selon que l'on se trouve en présence d'un arbitrage inter étatique ou d'un
arbitrage mixte, s'agissant par exemple, de l'interprétation à donner des
clauses de la nation la plus favorisée, ou du traitement national, ou de la
protection et de sécurité pleine et entière ou des règles en matière
d'expropriation, etc. Et là où la règle coutumière ancienne connaît une évolution, ce n'est
pas du fait d'une nature spécifique des arbitrages fondés sur les traités de
protection mais parce que la multiplication de ces traités vient modifier la règle
au sein même de l'ordre juridique international. Comme l'a noté le tribunal
dans l'affaire Pope & Talbot In. C. I Canada (sentence du 31 mai 2002, relative
à l'indemnisation) « le contenu de la règle coutumière de droit international est
aujourd'hui représenté par plus de 1800 traités bilatéraux d'investissements »
(§ 62 cité par Loewen § 131).
Ceci ne signifie pas qu'il n'existe aucune différence entre les règles générales
du droit international de la responsabilité régissant les rapports entre États et
celles régissant les relations entre un État et un investisseur sur la base d'un
traité de protection. Il est clair que la conséquence d'une violation d'une
obligation n'est pas la même dans les deux cas. Dans l'un, un État peut être
éventuellement habilité à recourir à des contre-mesures vis-à-vis de l'État responsable du
fait illicite (Voy. articles 49 à 54 des articles de la CDI). Cela ne peut-être le cas
dans les rapports État-investisseur où un litige doit être porté devant un tribunal
arbitral mixte ou un tribunal arbitral inter étatique, selon que l'on se trouve au
premier ou deuxième niveau du litige (Voy. supra). C'est seulement si ces actions
ne conduisent à aucune solution, que l'on retombera dans le régime général de la
responsabilité de l'État et que les règles sur les conséquences du fait
internationalement illicite pourraient trouver à s'appliquer.
De même, certaines règles formulées initialement dans le cadre de la
protection diplomatique, ne trouvent pas à s'appliquer comme c'est le cas de la règle sur
l'épuisement des voies de recours internes, sauf choix contraire des parties 38.
Dans d'autres cas, et en l'absence de toute indication conventionnelle, la
juridiction arbitrale appliquera la règle coutumière reçue. C'est ce qui s'est produit dans
l'affaire Loewen où le tribunal a appliqué la règle coutumière sur la continuité de
la nationalité, règle formulée dans la jurisprudence classique sur la protection
diplomatique. Il se peut, comme on l'a soutenu que le tribunal ait mal interprété
la règle coutumière, ou qu'il aurait dû l'écarter du fait du caractère spécifique de
la responsabilité sur le fondement des traités de protection 39. Mais ce qui

38. De même, l'article 26 de la convention de Washington prévoit que « [c]omme condition à son
consentement à l'arbitrage dans le cadre de la présente Convention, un État contractant peut exiger que
les recours administratifs ou judiciaires internes soient épuisées ».
39. Voy. les commentaires critiques d'E. GAILLARD, La jurisprudence du CIRDI, op. cit. supra, note
1, pp. 787-790 ; M. MENDELSON, « The Runaway Train : The "Continuous Nationality Rule" from the
RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS D'INVESTISSEMENTS 697

importe ici, et on pourrait le vérifier sans doute sur d'autres exemples, c'est qu'en
l'absence de dispositions conventionnelles spécifiques, le tribunal a tout
naturellement examiné le droit international général, sans être le moins du monde gêné
par le fait qu'il ne se trouvait pas ici en présence d'une relation entre deux États.

II. - RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS


DE PROTECTION ET RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT EN DROIT INTERNE

Le processus de mise en jeu de la responsabilité internationale de l'État sur


le fondement des traités de protection des investissements, soulève presque
toutes les questions qui sont étudiées à propos de la responsabilité en droit
international coutumier, que ce soit les questions de droit substantiel ou procédural
(Voy. l'importante jurisprudence concernant l'expropriation indirecte, le calcul du
montant des indemnités, le traitement national, le standard minimum de
traitement des étrangers, le déni de justice, la règle sur la continuité de la nationalité,
l'état de nécessité, etc. 40). Il est impossible à l'heure actuelle de traiter, en droit
international, une quelconque de ces questions sans prendre en compte les
sentences rendues, en application du droit international, par les tribunaux
arbitraux constitués sur le fondement des traités de protection, que ce soit les tribunaux
du CIRDI, ou des tribunaux d'autres instances arbitrales ou même de tribunaux
ad hoc (la plupart du temps utilisant le règlement d'arbitrage de la CNUDCI).
Signalons à titre d'exemple, qu'il existe une bonne trentaine de procédures
arbitrales intentées contre l'Argentine du fait des conséquences entraînées par sa
décision de dévaluer le peso en décembre 2001. Les entreprises étrangères,
souvent concessionnaires de services publics, se sont trouvées prisonnières des
prix prévus dans les contrats fixés à un moment où le peso était à parité avec le
dollar. Les sentences arbitrales commencent à être rendues et on trouvera dans
la toute récente décision du CIRDI du 20 avril 2005, un très long passage sur
l'état de nécessité invoqué par l'Argentine, du fait de la grave crise politique,
économique et sociale, dans lequel le pays s'est trouvé plongé. Ce passage de la
sentence comporte une longue discussion sur les conditions dans lesquelles un
État peut invoquer cette circonstance pour exclure sa responsabilité (§§ 304 à
331, avec une conclusion négative de la part du tribunal). Il est probable que dans
les autres affaires actuellement en examen, les moyens tirés de l'état de nécessité
mais aussi de la force majeure ou de la détresse seront discutés, et fourniront au
droit international public, pour toutes ces questions, un développement jurispru-
dentiel d'une grande importance.
Un examen complet de la responsabilité de l'État sur le fondement des traités
de protection, devrait donc prendre en considération l'ensemble de ces questions,
ce qui n'est pas l'objectif de cet article. On voudrait ici, plus simplement,
s'interroger sur l'articulation des procédures de droit international et de droit interne,
dans la mise en jeu de la responsabilité des États sur le fondement des traités de

Suite de la note 39.


Panevezys-Saldutiskis Railway Case to Loewen », in T. WEILER (éd.), International Investment Law and
Arbitration : Leading Cases from the ICSID, NAFTA, Bilateral Treaties ans Customary International
Law, Londres, Cameron, 2005, pp. 97-149 ; A. A. BJORKLUND, « Waiver and the Exhaustion of Local
Remedies Rule in NAFTA Jurisprudence », op. cit., supra, note 11 ; Z. DOUGLAS, op. cit., p. 193.
40. Pour une étude récente sur certains de ces problèmes, voy. Ch. LEBEN/J. VERHOEVEN (éd.),
Nouveaux développements dans le contentieux arbitral transnational relatif à l'investissement international,
Paris, Larder/ LGDJ, 2005 (à paraître).
698 RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS D'INVESTISSEMENTS

protection. En effet, tant que la garantie des investisseurs suivait la voie de la


protection diplomatique par l'État national, les procédures de droit international
et de droit interne, restaient parfaitement distinctes : d'un côté Faction
internationale régie par le droit international et mettant face à face deux États devant
une juridiction permanente internationale ou un arbitrage inter étatique, de
l'autre, une action de l'investisseur devant les tribunaux de l'État ou des arbitres
régis par un droit interne et statuant par application d'un droit interne.
L'arbitrage sur le fondement des traités va remettre en question cette
distinction. L'investisseur peut désormais intenter de lui-même une action
internationale contre l'État d'accueil, action qui sera régie par des règles de droit
international et qui sera tranchée, en définitive, par application du droit
international public41. Ceci signifie que les deux sphères du droit international et du
droit interne vont être mises en contact, ce qui, en principe ne se produisait pas,
ou de façon marginale, dans le cadre de la protection diplomatique. Ce
rapprochement des sphères va immanquablement soulever le problème de l'articulation des
règles de droit international avec les règles de droit interne. Tout
particulièrement le problème se posera à propos du règlement des différends. On peut ici
distinguer deux sortes de cas de figure : ou bien il existe un contrat entre
l'investisseur et l'État (ou parfois des personnes publiques) avec une clause
juridictionnelle prévoyant la compétence des tribunaux internes de l'État (B), ou bien un tel
lien contractuel n'existe pas et c'est le traité de protection qui, en général, mais
pas toujours, réglera la question des recours juridictionnels possibles et de leur
articulation (A).

A. En l'absence d'un lien contractuel entre l'investisseur et l'État

La plupart des traités de protection comportent une clause prévoyant


expressément que l'investisseur peut recourir, en cas de litige avec l'État, à différentes
juridictions qui sont offertes à son choix : arbitrage, CIRDI ou CNUDCI ou autres,
et tribunaux internes de l'État. Le traité bilatéral entre la France et l'Argentine
(cité supra note 41), prévoit dans son paragraphe 2 que le différend sera « soumis à
la demande de l'investisseur : i) soit aux juridictions nationales de la Partie
impliquée dans le différend, ii) soit à l'arbitrage international, dans les conditions
décrits au § 3... ». Ce paragraphe prévoit la possibilité de saisine d'un tribunal
CIRDI ou d'un arbitrage ad hoc constitué sur la base du règlement de la
CNUDCI.
Mais deux situations doivent être alors distinguées, selon que le choix d'une
procédure par l'investisseur est irrévocable ou, au contraire, si elle laisse la voie
ouverte à une autre procédure.

41. Sur la place du droit international public dans les arbitrages portant sur des contrats d'État,
comp. Ch. Leben, « La théorie du contrat d'Etat... », op. cit., supra, note 1, pp. 264-321. Les conclusions
valent aussi pour les arbitrages sur le fondement des traités. Pour une étude détaillée des solutions
données par ceux-ci, voy. Cl. CRÉPET, « Investissements internationaux et arbitrage. La détermination du
droit applicable », Les cahiers de l'arbitrage (Gazette du palais), 2003/2, 2e partie, pp. 17-20. Pour un
exemple de clauses déterminant le droit applicable à un litige entre un investisseur et un État sur la
base d'un traitement de protection, voy. l'article 8, § 4 de l'accord France/Argentine du 3 juillet 1991 (JO
du 5 juin 1993) : « L'organe d'arbitrage statuera sur la base des dispositions du présent Accord, du droit
de la Partie contractante partie au différend - y compris les règles relatives aux conflits de lois - des
termes des accords particuliers éventuels qui auraient été conclus au sujet de l'investissement ainsi que des
principes de droit international en la matière ».
RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS D'INVESTISSEMENTS 699

1. Choix irrévocable d'une procédure

Dans une partie des traités, le choix est laissé à l'investisseur de saisir un
parmi plusieurs modes de règlement des litiges énumérés dans le traité de
protection. Il mettra donc en œuvre la procédure qui lui semblera la meilleure et
ceci, on le rappelle, sans aucune nécessité d'épuiser les voies de recours
disponibles en droit interne s'il choisit d'aller en arbitrage, sauf disposition contraire
dans le traité. Mais, de très nombreux traités prévoient, comme le fait le traité
entre la France et l'Argentine qu'« [u]ne fois qu'un investisseur a soumis le différend
soit aux juridictions de la Partie contractante concernée, soit à l'arbitrage
international, le choix de l'une ou l'autre de ces procédures reste définitif» (article 8,
§ 2). Cette clause de choix irrévocable est dénommée fork in the road, dans la
doctrine de langue anglaise : l'investisseur se trouve à la croisée des chemins et
quand il s'est engagé dans l'un d'entre eux, il ne peut plus revenir en arrière 42.
Il existe cependant des cas où la saisine des tribunaux de l'Etat ne sera pas
considérée comme une renonciation à la procédure arbitrale. Ces cas peuvent être
prévus par les traités eux mêmes ou être établis par la jurisprudence arbitrale.
C'est ainsi que les tribunaux CIRDI ont considéré que les recours de
l'investisseur devant les tribunaux de l'État pour demander l'adoption de mesures
provisoires ou préventives ne constitue pas un choix irrévocable en faveur de
tribunaux internes 43.
De même l'investisseur, s'il a accepté les tribunaux de l'État pour un litige
bien spécifique, sera tout à fait libre, dans une autre affaire, de choisir un autre
mode de règlement des différends. Ceci va de soi, mais soulève en fait la question
de l'identité et de la différence de deux affaires. Ainsi, ne seront pas identiques, par
exemple, l'action intentée par une filiale dans l'État d'accueil et celle des
actionnaires étrangers de cette filiale (affaire Alex Genin cl Estonie, 2001) ou encore, ne
seront pas identiques l'action contre l'État sujet du droit international et un
démembrement territorial de l'État en droit interne (Compania de Aguas del Acon-
quija SA. et Compagnie générale des eaux clArgentine, 2000). C'est aussi dans
cette affaire que la distinction entre les fondements d'action de l'investisseur a été
clairement établie. L'entreprise peut avoir renoncé à l'arbitrage international pour
les litiges qui portent sur le contrat (mauvaise exécution, résiliation, etc.) mais non
pas pour les litiges qui portent sur le non respect par l'État de ses obligations
internationales au titre du traité de protection (violation du standard minimum de
traitement, de la clause de protection, interdiction de toute discrimination, clause
prévoyant une sécurité pleine et entière pour l'investissement, etc). (Voy. infra).

2. Cumul des procédures

Certains traités bilatéraux et deux grands traités multilatéraux prévoient un


« cumul » possible des recours devant les tribunaux internes et des recours
devant une instance arbitrale internationale. C'est ainsi que dans le traité sur la
charte de l'énergie, l'article 26 offre aux investisseurs, dans ses nombreux
alinéas, un choix de procédures allant des juridictions judiciaires ou
administratives, aux procédures arbitrales CIRDI, CNUDCI, ou Institut d'arbitrage de la
Chambre de commerce de Stockholm. Cependant, le paragraphe 3b de cet article

42. Sur toutes ces questions nous sommes redevables des analyses de W. BEN HAMIDA, L'arbitrage
transnational unilatéral, op. cit. supra note 1, p. 374 et s.
43. W. BEN HAMIDA, L'arbitrage transnational unilatéral, p. 375, n° 620. Ceci est expressément
prévu à l'article 26, § 3 dans le récent traité bilatéral conclu entre l'Uruguay et les États-Unis, le 25
octobre 2004, ILM, mars 2005, p. 286.
700 RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS D'INVESTISSEMENTS

donne la possibilité aux États de ne pas accepter l'arbitrage international si


l'investisseur a au préalable intenté une action devant ses tribunaux.
Cette générosité dans l'offre de règlement des différends soulève le problème
redoutable de la hiérarchisation éventuelle des sentences arbitrales
internationales et des décisions judiciaires internes. Et de fait, le contact entre les sphères
internes et internationale dans les arbitrages sur le fondement des traités de
protection, implique, et impliquera encore plus dans l'avenir, avec le
développement de ce type d'arbitrage, que le problème se posera dans de nombreuses
affaires. À l'heure actuelle, les arbitres font preuve d'une très grande prudence et
ont à plusieurs reprises déclaré qu'il ne pouvait agir comme une sorte d'ultime
cour d'appel par rapport aux décisions rendues par les juridictions de l'État 44.
L'ALENA comporte une clause plus complexe s'agissant des rapports entre
procédure interne et arbitrage international. Pour que la saisine d'un tribunal
arbitral prévu à l'article 1116 de l'accord soit possible, il faut - et cela est prévu à
l'article 1121, § 2b - que l'investisseur renonce expressément à son droit
« d'engager ou de poursuivre, devant un tribunal judiciaire ou administratif» des
procédures engagées contre l'État à propos de la mesure contestée devant le
tribunal arbitral. Le fait de « poursuivre » implique que l'investisseur a déjà
introduit l'affaire devant les tribunaux de l'État, puis a décidé de saisir une instance
arbitrale prévue par l'ALENA. La raison donnée, dans l'affaire Waste Management
c / Mexique (sentence du 2 juin 2000), à l'obligation de renoncer dans ce cas à la
procédure interne est qu'il faut éviter qu'une entreprise soit indemnisée deux fois,
une fois devant les tribunaux internes et une autre fois devant un tribunal
arbitral45. Quoi qu'il en soit, un investisseur peut, après avoir commencé une
procédure devant les tribunaux de l'État, se tourner vers la procédure arbitrale, en
renonçant à Faction interne. Mais, il y a (en outre) une exception pour les litiges
avec le Mexique. Celui-ci n'accepte pas ce mécanisme, et pour lui, si une affaire a
été commencée devant les tribunaux mexicains elle ne peut plus être continuée
devant un tribunal arbitral (Voy. annexe 1120.1 à l'ALENA).
Se pose ici le problème déjà signalé supra : la renonciation de l'investisseur
vaut-elle seulement pour les actions fondées sur le traité de protection (ici,
l'ALENA), ce qui laisserait intacte la possibilité de saisir les tribunaux internes
de l'État dans des actions fondées sur le droit interne de l'État, voire fondées sur
des sources internationales autres que l'ALENA. C'est ce que soutenait
l'entreprise dans l'affaire Waste Management c/ Mexique (2000). Le tribunal arbitral
refusa cet argument et déclara que « la renonciation doit s'étendre aux procédures
nationales engagées sur le seul fondement du droit interne [...] » 46.

3. Recours de la personne publique contre l'investisseur

Dans l'arbitrage transnational unilatéral il existe un déséquilibre entre les


possibilités d'action de l'État et celui de la partie privée. Celle-ci, en saisissant
l'instance arbitrale prévue au traité, accepte l'offre d'arbitrage faite par l'État et
« force » donc celui-ci à le suivre devant les arbitres. L'État, au contraire, ne peut
« forcer » l'investisseur tant que celui-ci n'a pas consenti à l'arbitrage. Cependant,
l'État est toujours libre de saisir ses propres tribunaux pour porter devant eux le

44. Voy. Cl. CRÉPET, « Investissements internationaux et arbitrage. La concurrence des procédures »,
Les cahiers de l'arbitrage (Gazette du palais), 2003/2, 2e partie, pp. 15-17, qui donne des références aux
affaires Mondev International Ltd cl Etats-Unis, 2002 et Robert Azinian cl Mexique 1999.
45. Cité par W. BEN HAMIDA, op. cit., pp. 382-383.
46. Ibid.
RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS D'INVESTISSEMENTS 701

litige qui l'oppose à l'investisseur. Celui-ci, pour se défendre, sera amené à


accepter l'instance arbitrale prévue par le traité de protection. On sera donc en
présence de deux actions parallèles, l'une devant les juridictions étatiques, l'autre
devant le tribunal arbitral prévu au traité.
On se trouve donc à nouveau en présence de deux procédures, interne et
internationale, traitant d'une même affaire. Il est logique, dans cette hypothèse,
que chaque juridiction se prononce en fonction des impératifs de son ordre. C'est
ainsi que les tribunaux internationaux seront enclins à considérer que l'action
opérée dans l'ordre international doit primer celle intentée dans l'ordre interne.
On en a un exemple dès la toute première affaire soumise au CIRDI, l'affaire
Holiday Inn cl Maroc (1973), le tribunal arbitral CIRDI, a invité les tribunaux
marocains à « surseoir à statuer jusqu'à ce que le tribunal arbitral ait tranché ces
questions [celles sur lesquelles le tribunal arbitral serait lui aussi amené à
statuer], et si ce dernier les avaient déjà tranchées, les tribunaux marocains
devaient se ranger à son opinion. Toute autre solution mettrait ou risquerait de
mettre en cause la responsabilité de l'Etat marocain, et menacerait le principe de
la primauté des procédures internationales par rapport aux procédures
internes » 47. Ce principe, confirmé dans l'affaire Victor Pey et Fondation Allende
cl Chili (2001), et que l'on retrouve aussi dans le cadre du Tribunal des différends
irano-américain, joue ici comme il joue, mutatis mutandis et toute proportion
gardée, dans l'ordre juridique communautaire pour justifier la primauté des
arrêts de la Cour de Justice des Communautés européennes sur les décisions
nationales. Naturellement, les tribunaux arbitraux ne disposent d'aucun des
moyens à la disposition de la Cour de Luxembourg pour assurer sa supériorité
face à des tribunaux étatiques réticents. Mais, in fine, et dans le cas ou les
tribunaux internes ne respectent pas cette primauté, c'est bien la responsabilité
internationale de l'État, du fait des décisions de ses tribunaux qui est en cause.

B. En présence d'un lien contractuel entre l'État et l'investisseur


et avec une clause de règlement des litiges différente
de celle prévue par le traité de protection

Cette hypothèse est sans doute la plus courante. D'un côté, le traité de
protection comporte une clause de règlement des différends renvoyant la plupart du
temps à l'arbitrage, tout particulièrement l'arbitrage CIRDI ; de l'autre le contrat
avec l'État, ou un organisme de l'État48 qui prévoit le recours aux tribunaux
internes de l'État d'accueil ou à un arbitrage de droit interne (c'était le cas dans
l'affaire SGSI Pakistan 2003) 49.

47. W. Ben Hamida, op. cit., p. 390.


48. Une des questions les plus importantes dans toutes ces affaires est celle de l'imputation à l'État
des actions de ses émanations ou démembrements territoriaux, voy. Y. NOUVEL, « L'arbitre à la
recherche du fait étatique », in Ch. LEBEN/J. VERHOEVEN, Nouveaux développements..., op. cit., (à paraître) ;
A. COHEN-SMUTNY, « State Responsibility and Attribution When Is a State Responsible for the Acts of
State Enterprises », in T. WEILER (éd.), International Investment Law and Arbitration : Leading Cases
:

from the ICSID, NAFTA, Bilateral Treaties and Customary International Law, op. cit., supra, note 19,
pp. 17-45.
49. On exclut ici l'hypothèse que le contrat de l'investisseur avec l'État comporte une clause de
règlement des différends renvoyant à un tribunal international, comme les tribunaux CIRDI, car dans ce
cas, et si le droit applicable est en totalité ou en partie le droit international, on est en présence d'un
contrat d'État, c'est-à-dire d'un contrat internationalisé, situation qui est équivalente, selon nous, à celle
existant sur le fondement d'un traité de protection. Voy. Ch. LEBEN, « La théorie du contrat d'État et
l'évolution du droit international des investissements », RCADI, 2003, vol. 302, pp. 197-386, pp. 264 et s.
702 RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS D'INVESTISSEMENTS

La non coïncidence des clauses de juridiction peut être résolue par des
dispositions spéciales contenues dans l'un ou l'autre des instruments. C'est ainsi que
dans les traités bilatéraux de protection des États-Unis on peut trouver des
clauses qui donnent une priorité à la procédure de règlement des différends
prévue dans le contrat par rapport à celui prévu au traité 50. Il semble,
cependant, que les traités américains récents se prononcent plutôt pour le maintien de
la compétence des tribunaux arbitraux prévus au traité, même si l'investisseur a
accepté un contrat avec une clause exclusive de compétence pour d'autres
tribunaux, et en particulier les tribunaux de l'État d'accueil.
Une autre modalité d'articulation des compétences, est celle déjà vue de
l'article 1121, § 2 de l'ALENA qui demande aux investisseurs de renoncer à leur
droit d'engager ou de poursuivre une affaire devant un tribunal administratif ou
judiciaire aux termes de la législation interne d'une partie ou d'une autre
procédure de règlement des différends (Voy. supra). Inversement, est-il possible que
dans le contrat d'investissement, l'entreprise, renonce au bénéfice d'une clause
compromissoire prévue dans un traité de protection ? La question, déjà évoquée
lors des négociations de l'AMI, est délicate car les États d'accueil pourraient être
tentés de faire pression sur les entreprises, et en tout cas les entreprises les plus
faibles, pour vider un traité de protection de sa portée. Une telle attitude pourrait
donner lieu à un litige avec l'État d'origine, avec recours à l'instance arbitrale
prévue dans cette hypothèse.
Se pose ici le problème, déjà rencontré supra, de la possibilité de saisir la
juridiction arbitrale prévue par le traité de protection après avoir saisi les juridictions de
l'État d'accueil. Celui-ci peut considérer que la saisine de ses tribunaux implique le
renoncement à saisir la juridiction arbitrale prévue par le traité, encore plus,
d'ailleurs, si le traité comporte une clause de choix définitif (fork in the road. Voy.
supra). Cependant, et au moins à deux reprises (Lanco Int. c /Argentine, décision du 8
déc. 1998 51 et Salini cl Maroc, décision sur la compétence du 23 juillet 2001 52) les
tribunaux arbitraux CIRDI, ont considéré que l'acceptation dans un contrat de la
compétence exclusive de la juridiction administrative, impérativement compétente
selon le droit de l'État hôte, n'exprimait pas un choix véritable, c'est-à-dire d'un
commun accord, d'une juridiction pour le règlement des différends (a previously agreed
dispute-settlement procedure), rendant impossible la saisine d'un tribunal CIRDI.
Toutes ces hypothèses peuvent être complexes, mais on ne s'y attardera pas,
pour attirer plutôt l'attention sur une question qui soulève très directement le
problème de l'articulation des ordres juridiques interne et international. Il s'agit
de la fameuse umbrella clause ou clause de respect des engagements dont la
présence ou l'absence dans un traité de protection peut entraîner des
conséquences importantes 53. Il s'agit d'une clause ancienne, que l'on trouve déjà dans
le premier traité bilatéral entre la RFA et le Pakistan (25 novembre 1959), et qui

50. W. BEN HAMIDA, op. cit., p. 393 et du même auteur « L'arbitrage État-investisseur étranger :
regards sur les traités et projets récents », JDI, 2004, pp. 419-441, p. 432 avec une innovation importante
:

l'institution d'un « super » tribunal arbitral devant qui toutes les procédures portant sur un même litige
:

seraient consolidées.
51. ILM, 2001, pp. 457-473.
52. Voy. E. GAILLARD, La jurisprudence du CIRDI, op. cit., p. 627.
53. V. A. SINCLAIR, « The Origins of the Umbrella Clause in the International Law of Investment
Protection », Arbitration International, 2004 ; Th. WÀLDE, « The "Umbrella" Clause in Investment
Arbitration », J.of World Inv. & Trade (JWT), 2005, n° 2, pp. 183-236 ; W. BEN HAMIDA, « La clause
relative au respect des engagements dans les traités d'investissements », in Ch. Leben/J. VERHOEVEN (éd.),
Nouveaux développements dans le contentieux arbitral transnational relatif à l'investissement
international (à paraître, 2005) ; E. TEYNIER, « Les umbrella clauses », in Les cahiers de l'arbitrage (Gazette du
palais), 2004/2, 2e partie, pp. 29-35.
RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS D'INVESTISSEMENTS 703

est repris dans un grand nombre de traités de protection, même s'il semble qu'on
ne la trouve guère dans les traités bilatéraux conclus par la France. La Suisse, au
contraire, y recourt assez souvent, par exemple dans l'article 11 du traité
bilatéral avec l'Ukraine (1995) :
« Chacune des Parties contractantes assure en permanence le respect de ses
engagements à l'égard des investissements des investisseurs de l'autre Partie contractante ».
Ou encore l'article 11 du traité entre la Suisse et le Pakistan :
« chacune des Parties contractantes assure à tout moment le respect des
engagements assumés par elle à l'égard des investissements de l'autre Partie contractante ».
La clause est présente également dans certains traités multilatéraux de
protection comme le traité sur la charte de l'énergie, qui prévoit dans son article 10, § 1er :
« Chaque partie contractante respecte les obligations qu'elle a contractées vis-à-
vis d'un investisseur ou à l'égard des investissements d'un investisseur d'une
autre partie contractante ».
De même encore, l'article III du traité de protection des investissements de
pays membres de 1' ASEAN, énonce que
« Each Contracting Party shall observe any obligation arising from a particular
commitment it may have entered into with regard to a specific investments of
nationals or companies of the other Contracting Parties ».
La question majeure soulevée par cette clause est celle de
l'internationalisation de tous les engagements de l'État, et tout particulièrement de ses
engagements contractuels à l'égard d'un investisseur : faut-il considérer que du fait de
cette clause de respect (on la dénomme aussi clause de protection, clause de
couverture, clause parapluie, umbrella agreement, clause ascenseur, clause à effet
miroir), toutes les obligations assumées par l'État, au plan interne, deviennent des
obligations internationales ? Et, par conséquent, la responsabilité de l'État dans sa
relation avec l'investisseur sera-t-elle toujours, par l'effet de cette clause contenue
dans un traité de protection, une responsabilité ancrée dans l'ordre juridique
international, alors même que dans le droit international classique, la violation d'un
contrat n'est pas régie par le droit international, sauf si elle entraîne également la
violation d'une règle de droit international, comme l'interdiction du déni de justice
ou le non respect du standard minimun de traitement des étrangers.
Il faut donc distinguer, s'agissant de l'articulation des procédures de droit
interne et de droit international, selon que le traité de protection comporte ou ne
comporte pas une telle clause de respect des engagements.

1. En l'absence, dans le traité, d'une clause spécifique de respect des engagements

La situation envisagée ici est celle où il existe d'un côté un traité de


protection comportant une clause de règlement des litiges entre l'État d'accueil et
l'investisseur, donnant compétence à une ou plusieurs instances arbitrales
internationales, et d'un autre côté un contrat entre l'investisseur et le même État
donnant compétence aux juridictions internes de celui-ci ou, plus rarement à des
tribunaux arbitraux de droit interne (Voy. l'affaire SGS cl Pakistan).
En cas de litige contractuel, l'investisseur peut-il porter l'affaire devant
l'instance arbitrale prévue par le traité, en invoquant la violation du contrat ou
du traité, ou les deux, alors même que le contrat prévoit le recours exclusif aux
juridictions internes et que le partenaire étatique récuse la compétence du
tribunal arbitral. La réponse des tribunaux du CIRDI passe par la distinction des
704 RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS D'INVESTISSEMENTS

demandes fondées sur le traité {treaty daims) de celles fondées sur le contrat
{contract daims). Cette réponse au problème, bien que confirmée par plusieurs
sentences arbitrales, soulève cependant des critiques doctrinales dont il faut
rendre compte.

a) La distinction treaty claims/contract claims

L'opposition entre une clause de compétence insérée dans un traité de


protection et une clause insérée dans le contrat d'investissement, s'est rencontrée dans
plusieurs affaires soumises au CIRDI. Citons, les affaires Salini cl Maroc
23 juillet 2001, Compania de Aguas cl Argentine du 21 novembre 2000,
partiellement annulée par décision du 3 juillet 2002, CMS cl Argentine du 17 juillet 2003,
SGS cl Pakistan du 6 août 2003, et SGS c I Philippines du 29 janvier 2004. Et
aussi, plus rapidement, Génération Ukraine cl Ukraine du 16 septembre 2003,
Azurix Corp. cl Argentine du 8 décembre 2003, Enron Corp. cl Argentine du
14 janvier 2004 et du 2 août 2004, Siemens AG cl Argentine du 3 août 2004 et
RFCC cl Maroc du 22 décembre 2003, Salini c /Jordanie, 15 novembre 2004, et
tout récemment encore CMS cl Argentine 20 avril 2005, Impregilano cl Pakistan,
22 avril 2005 54.
La décision qui est considérée comme faisant autorité en la matière, est celle
du comité ad hoc dans l'affaire Compania de Aguas del Aconquija SA & Vivendi
Universal cil Argentine décision du 3 juillet 2002, sur la demande d'annulation
contre une sentence CIRDI du 21 novembre 2000 55. Il s'agissait d'un litige entre
la province argentine de Tucuman et une filiale de la société française Vivendi, à
propos de la résiliation d'un contrat de concession d'eau. Le contrat comportait
une clause attributive de compétence exclusive aux tribunaux administratifs
argentins, alors que le traité bilatéral de protection des investissements entre la
France et l'Argentine (3 juillet 1991) permettait la saisine du CIRDI. À la suite de
la résiliation du contrat, l'investisseur invoque la clause compromissoire du traité
de protection et un tribunal arbitral est constitué.
Dans une sentence du 21 novembre 2000, le tribunal arbitral considère que
dans cette affaire il était impossible de séparer les violations du traité de
protection des violations alléguées du contrat de concession, que seules les juridictions
administratives de la province de Tucuman pouvaient apprécier. Il se refuse
également à considérer que l'Argentine pouvait être responsable internationalement sur
le seul fondement du traité de protection.
La société Vivendi introduit un recours en annulation de la sentence et le
comité ad hoc rend sa décision le 3 juillet 2002. Il annule partiellement la sentence
de novembre 2000 pour excès de pouvoir constitué par le refus de l'instance
arbitrale d'examiner au fond les demandes concernant les actes de la province de
Tucumân en vertu du BIT [TBI] (§ 119c). Le comité va énoncer de façon très claire
et systématique la distinction entre les litiges contractuels et les litiges fondés
sur la violation du traité. C'est ainsi qu'il déclare au § 96 :

54. Pour un commentaire de plusieurs de ces sentences, voy. F. YALA, « Fondement des demandes
des investisseurs {Treaty claims I Contract claims) », Cahiers de l'arbitrage, n° 2003/2, 2e partie, pp. 12-
15 et Cl. CRÉPET, « Treaty Claims I Contract Claims », Cahiers de l'arbitrage, nc 2004,/2, 2e partie,
pp. 23-29.
55. Voy. E. GAILLARD, La jurisprudence du CIRDI, op. cit., pp. 719 et s. ; Chr. SCHREUER,
« Investment Treaty Arbitration Over Contract Claims - The Vivendi I Case Considered », in
T. WEILER (éd.), International Investment Law and Arbitration : Leading Cases from the ICSID,
NAFTA, Bilateral Treaties and Customary International Law, Londres, Cameron May, 2005, pp. 281-
323.
RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS D'INVESTISSEMENTS 705

« la détermination de l'existence d'une violation du TBI et celle d'un manquement


au contrat sont deux questions distinctes. Chacune d'elle sera déterminée par
application du droit qui lui est applicable - dans le cas du BIT [TBI], le droit
international ; dans le cas du contrat de concession, le droit applicable au contrat,
en d'autres termes le droit de la province de Tucuman » 56.
Sur le fond, précise encore le comité, le fait que des actes soient conformes au
droit interne n'empêche nullement qu'ils soient contraires au droit international,
de sorte que l'Argentine ne peut « s'abriter derrière une clause attributive de
compétence exclusive d'un contrat pour éviter la qualification de son
comportement comme internationalement illicite en application d'un traité » (§ 103). Dans
le cas où une demande est exclusivement fondée sur le contrat, c'est le juge du
contrat qui doit se prononcer. En revanche, « lorsque le fondement essentiel de la
demande est un traité qui énonce une règle autonome à l'égard de laquelle le
comportement des parties doit être apprécié, l'existence d'une clause attributive
de compétence exclusive dans un contrat entre le demandeur et l'État défendeur
[...] ne peut avoir pour effet d'empêcher l'application de la règle du traité»
(§ 101).
Reste le problème le plus délicat : que se passe-t-il si la demande est à la fois
fondée sur le contrat et sur le traité, voire même si la violation du traité provient
de la violation même du contrat. Le premier tribunal arbitral CIRDI avait semblé
donner la primauté, dans ce cas au juge du contrat. Le comité ad hoc va s'opposer
à cette attitude et va réaffirmer que la compétence éventuelle d'une juridiction
nationale n'empêchait nullement le tribunal CIRDI de statuer sur l'affaire et
donc de se prononcer sur le contrat de concession « à tout le moins autant que
nécessaire pour déterminer s'il y avait eu une violation des règles matérielles du
TBI » (§ 110). C'est donc sur la totalité du litige, contractuel et conventionnel, que
le tribunal arbitral pourra se prononcer 57.

b) Critiques doctrinales
Cette jurisprudence des tribunaux CIRDI a fait l'objet de vives critiques dans
la doctrine française. Plusieurs auteurs ont remis en cause l'idée que le litige
entre un investisseur et un État d'accueil, puisse être décomposé en un litige
contractuel soumis au juge du contrat, le plus souvent les tribunaux de l'État
appliquant le droit de l'Etat, et un litige conventionnel de la compétence des
tribunaux prévus au traité, et le plus souvent un tribunal arbitral, CIRDI ou
autre appliquant le droit international58. I. Fadlallah, par exemple, écrit que
« [l]a distinction entre les demandes fondées sur le contrat et les demandes
fondées sur le traité, si elle peut avoir quelque intérêt dans l'examen du litige au
fond, apparaît radicalement artificielle au regard de la compétence » 59. Il

56. E. GAILLARD, La jurisprudence du CIRDI, op. cit., p. 222.


57. Voy., dans le même sens, I. FADLALLAH, « L'arbitre CIRDI peut connaître de toutes les de toutes
les violations du Traité, y compris celles qui résultent d'une violation du contrat », « La distinction
"Treaty claims - Contract claims" et compétence de l'arbitre (Cirdi : faisons-nous fausse route ?) », Les
cahiers de l'arbitrage, 2004/2, 2e partie, p. 6.
58. Th. WÀLDE semble favorable au maintien de la distinction. Il reproche au tribunal arbitral SGS/
Pakistan, d'avoir abandonné « the very useful distinction between contract disputes - to be decided under
applicable jurisdiction by the competent adjucatory body - and treaty disputes - distinct and separate, to be heard by
a treaty-based arbitration tribunal ». Voy. Th. WÀLDE, « The Umbrella Clause in Investment Arbitration »,
op. cit., p. 230. E. Gaillard semble aussi, à lire ses chroniques, favorable à cette distinction.Voy. E. GAILLARD,
La jurisprudence du CIRDI, op. cit., pp. 759 et s., 859 et s. et 892 et s. et, du même auteur, « L'arbitrage sur le
fondement des traités de protection des investissements », Rev. arb., 2003, pp. 853-875, pp. 864-872.
59. 1. FADLALLAH, « La distinction "Treaty claims - Contract claims"... », op. cit., p. 5.
706 RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS D'INVESTISSEMENTS

remarque, à cet égard, que le problème soulevé ici ne peut être résolu par
l'intermédiaire d'une clause de respect des engagements {umbrella agreement), car
celle-ci, si on le comprend bien, en haussant les violations du contrat au rang de
violation du traité, suppose au préalable que l'on ait accepté de scinder en deux le
litige, entre un litige qui serait purement contractuel et un autre purement
conventionnel .
Ce faisant on opère « un dépeçage artificiel », alors que l'on a affaire, comme
le remarque également P. Mayer, à « un litige en fait unique, puisqu'il a sa source
dans les mêmes faits, et que l'investisseur y émet la même prétention : l'octroi de
dommages et intérêts » 60. Seul le droit applicable diffère, droit international pour
le litige né du traité et droit interne (le plus souvent) pour le litige né du contrat
(sauf s'il s'agit d'un contrat d'État et donc internationalisé). Or constatent, les
deux auteurs, il est paradoxal de limiter la compétence des tribunaux arbitraux
CIRDI aux seuls conflits fondés sur les traités, pour réserver les conflits
contractuels aux juridictions étatiques, alors même que la convention de Washington de 18
mars 1965, avait précisément pour but de constituer une instance arbitrale pour
les litiges contractuels entre États et investisseurs.
En fait, la difficulté ici vient du fait que l'on se trouve dans une hypothèse qui
n'avait pas été vraiment envisagée en 1965. Le CIRDI devait effectivement servir
d'instance arbitrale pour régler les litiges contractuels entre les États et les
investisseurs. Il fallait donc qu'il y ait un contrat et que celui-ci comportât une
clause compromissoire CIRDI. Les arbitres devaient appliquer les règles de droit
adoptées par les parties (article 42, § 1, lère phrase) et, faute d'accord entre les
parties, le droit de l'État contractant « ainsi que les principes de droit
international en la matière » (article 42, § 1, 2Ème phrase). La jurisprudence arbitrale
allait donner à cette dernière source une place prééminente 61.
Autrement dit, le mécanisme du CIRDI ne visait pas à prendre en compte les
contrats qui ne renvoyaient pas à sa juridiction et encore moins les contrats qui
prévoyaient qu'en cas de litige, la compétence devait être celle des juridictions de
droit interne (tribunaux étatiques ou tribunaux arbitraux internes) statuant en
application du droit de l'État. Le problème est apparu du fait de la jurisprudence
AAPL/Sri Lanka (1990), qui a autorisé les investisseurs à saisir le CIRDI même en
l'absence de tout lien contractuel avec l'État d'accueil et sur la seule base d'un
traité de protection. Il n'a fallu que quelques années pour que les entreprises (ou
leurs conseils) comprennent quelle partie elles pouvaient tirer de cette
jurisprudence ainsi que des plus de deux mille traités bilatéraux qui pouvaient être
désormais actionnés. C'est ainsi qu'on a vu surgir, à la fin des années quatre-vingt dix et
au début des années deux mille, une majorité d'affaires où la saisine du tribunal
arbitral CIRDI, sur le fondement d'un de ces traités, renvoyait en fait, et au départ,
à un litige contractuel pour lequel une juridiction de droit interne était compétente.
L'attitude des arbitres CIRDI saisis, peut s'expliquer, pensons-nous, par une
volonté de se montrer respectueux de la compétence des juridictions internes, ce
qui les a conduits à cette distinction entre les litiges fondées sur le contrat et ceux
fondés sur le traité qui permettait de limiter leurs interventions au seul domaine
des traités, donnant ainsi une plus grande légitimité à leur action. Mais cette
distinction a fait naître des difficultés considérables, et en particulier des
difficultés concernant sa mise en œuvre lorsqu'il existe dans le contrat une clause de

60. Intervention lors de la journée consacrée aux Nouveaux développements dans le contentieux
arbitral transnational relatif à l'investissement international.
61. Voy. Ch. SCHREUER, The ICSID Convention Cambridge University Press, p. 608, §§ 103 et s.,
Ch. LEBEN, « La théorie du contrat d'État... », op. cit., pp. 276 et s.
RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS D'INVESTISSEMENTS 707

choix irrévocable, fork in the road ou une clause de respect des engagements,
umbrella clause. Tout ceci aboutit effectivement à « dépecer » les litiges relatifs
aux investissements de façon tout à fait artificielle.
Or, comme l'affirment encore I. Fadlallah et P. Mayer, rien ne s'oppose,
lorsqu'une affaire concernant un litige relatif à un investissement arrive devant
un tribunal CIRDI que celui-ci, sans se cantonner à l'aspect uniquement
conventionnel, puisse traiter du litige dans son double aspect conventionnel et contractuel,
puisque le CIRDI a bien été conçu pour régler les litiges contractuels. Simplement le
litige, au lieu d'arriver à lui par l'intermédiaire d'une clause compromissoire, lui
arrive par la voie d'un traité de protection. Il faut ajouter néanmoins, si on
accepte cette façon de voir, qu'il serait souhaitable que l'État qui accepte une
clause compromissoire dans le traité soit conscient qu'il accepte du même coup de
venir devant l'arbitre international, pour tous les litiges l'opposant aux
investisseurs de l'État avec lequel il a conclu un traité de protection, qu'il y ait un contrat
entre l'investisseur et l'État ou non. Une telle clause expresse en ce sens pourrait
être difficile à obtenir. Il est clair que tout dépend ici du rapport de forces entre
les États. On se sera pas étonné que dans deux traités de protection récents
auxquels les États-Unis sont partie (avec le Chili et avec Singapour) une clause a
été insérée, qui donne à un « super » tribunal arbitral la compétence de traiter de
toutes les procédures en cours pour un litige donné (voy. supra, note 50).
Que se passe-t-il, enfin, lorsqu'il existe bien un contrat avec l'État hôte de
l'investissement et l'investisseur mais que le contrat prévoit, en cas de litige, la
compétence des tribunaux internes de l'État avec une application du droit interne. Si
un tel contrat est passé après la conclusion du traité bilatéral, il risque de réduire à
néant l'avantage offert par le traité de protection, car l'investisseur pourrait être
réputé avoir renoncé de son plein gré, à la protection offerte par le traité. Mais
comme la possibilité de recourir à un tribunal arbitral international est en fait,
comme on l'a remarqué, le principal avantage que les investisseurs tirent du
traité 62, on peut se demander s'il ne faut pas soustraire les entreprises aux pressions
des États d'accueil, qui peuvent imposer à leurs partenaires privés de renoncer à la
protection conventionnelle 63. Là aussi on pourrait, suggère P. Mayer, insérer une
clause dans le traité, prévoyant que la juridiction prévue au traité (tribunal CIRDI,
par exemple) ne pourrait être écartée que par une clause expresse du contrat
d'investissement. Naturellement, cette clause, elle aussi, ne serait pas facile à obtenir.
Une autre façon de procéder serait, comme le montre W. Ben Hamida 64, de
définir plus largement, dans le traité de protection, le litige arbitrable de façon à
étendre la compétence ratione materiae, à tout ou partie des différends
contractuels. C'est l'orientation que prendrait la nouvelle génération de traités de protec-

62. Voy. la déclaration du professeur CRIVELLARO, annexée à la décision sur la compétence dans l'affaire
SGS cl Pakistan, in E. GAILLARD, La jurisprudence du CIRDI, op. cit. p. 894. Plus exactement, l'auteur, vise
« le droit de choisir, parmi les diverses juridictions alternatives rendues disponibles par le BIT ».
63. Th. WÀLDE (op. cit.) indique que quelques pays d'Asie centrale, après avoir perdu en arbitrage,
ont fait pression sur les investisseurs pour qu'ils renoncent par écrit au droit qu'ils tirent du TBI, de
saisir un tribunal arbitral. Peut-on considérer cette clause comme une forme moderne de clause Calvo, et
donc en tirer la conclusion que les investisseurs ne peuvent pas renoncer à la protection du traité. Mais
le raisonnement utilisé pour la protection diplomatique, que l'investisseur ne peut renoncer à un droit
qui n'est pas le sien, ne peut pas resservir ici, car il s'agit bien d'un droit que la personne privée tire
directement du traité de protection. La question est délicate. Cependant, s'il se trouvait un tribunal pour
dire qu'effectivement, l'investisseur avait pu renoncer à son droit, son État national pourrait entamer
une procédure pour reprocher à l'État hôte une attitude contraire au traité de protection et de promotion
des investissements. La question sera réglée par le tribunal arbitral interétatique prévu par le traité.
64. Voy. W. BEN HAMIDA, « La clause relative au respect des engagements dans le traité
d'investissement », op. cit., p. 260.
708 RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS D'INVESTISSEMENTS

tion conclus par les États-Unis. C'est ainsi que dans le traité bilatéral États-Unis/
Uruguay 65, l'investisseur pourra saisir le tribunal arbitral pour i) les litiges
relatifs aux violations du TBI, ii) les litiges concernant les autorisations
d'investissement et iii) les litiges relatifs aux contrats conclus entre l'un des États
contractants et les investisseurs de l'autre. En outre, le tribunal pourra appliquer le
droit international (et pas seulement le droit du traité), mais aussi, en cas de
besoin le droit interne choisi par les parties dans le contrat. Dans ce cas, il faut
ajouter que la logique internationaliste des tribunaux arbitraux, devrait les
pousser à donner la primauté au droit international sur le droit interne, comme
on le voit dans la jurisprudence des tribunaux CIRDI appliquant l'article 42 du
traité de Washington, dans l'hypothèse où il y aurait contradiction entre l'un et
l'autre de ces droits (voy. supra, note 61).

2. En présence d'une clause conventionnelle spécifique de respect des engagements

Cette question a fait récemment l'objet de vives discussions au sein de la


doctrine, à la suite de plusieurs affaires ayant eu un grand retentissement66. On
a déjà indiqué plus haut le sens de ce type d'articles qui, selon des formulations
diverses, se trouvent dans de nombreux traités de protection qu'ils soient
bilatéraux ou multilatéraux, et par lesquels les États déclarent vouloir respecter tous
leurs engagements énumérés dans le traité. La clause insérée dans le premier
des traités bilatéraux de protection, celui conclu entre la RFA et le Pakistan
(1959), peut servir ici d'exemple : « Either party shall observe any other obligation
it may have entered into with regard to investments by nationals or companies of
the other party ». Une telle clause sonne curieusement, comme une déclaration
redondante par laquelle l'État s'engage à respecter ses engagements
contractuels, c'est-à-dire qu'il réaffirme que pacta sunt servanda. Et de fait, pendant
longtemps, comme le remarque Th. Wâlde, cette clause souscrite par les États
parties au traité de protection et par laquelle ils s'obligeaient les uns envers les
autres, constituait une sorte d'exhortation, par laquelle les États disaient
expressément ce qui allait sans dire. Il est probable aussi, que dans les rapports Nord-
Sud, la disposition avait pour finalité d'écarter le spectre de la nationalisation, ou
du moins, des expropriations sans indemnisation appropriée. Mais, en fait, elle
n'avait que peu de conséquences juridiques effectives. C'est, encore une fois, la
jurisprudence AAPL/Sri Lanka, qui allait sortir la clause de sa léthargie et lui
donner des effets qui jusqu'alors n'étaient que potentiels.

a) Effets de la clause de respect des engagements


À partir du moment où un investisseur pouvait saisir de façon unilatérale le
tribunal arbitral prévu par le traité de protection, il pouvait aussi, devant le tribunal,
invoquer l'obligation spécifique que l'État avait souscrite dans le traité, de
respecter ses engagements. Mais lesquels ? Cela couvre-t-il ses dispositions
législatives au moment de la conclusion du contrat ou bien encore les dispositions des
traités conclus par l'État ? On en discute 67. En revanche, et c'est la seule chose

65. ILM, 2005, pp. 268-298.


66. Il existe une littérature abondante sur la question. Voy., entre autres, la chronique d'E. Gaillard au JD/
(textes repris dans La jurisprudence du CIRDI, op. cit., W. BEN HAMIDA, « La clause relative au respect des engagements
dans les traités d'investissements », op. cit., E. TEYNIER, « Les umbrella clauses », Les cahiers de l'arbitrage (Gazette
du palais), 2004/2, 2e partie, p. 29-35, A. SINCLAIR, « The Origins of the Umbrella Clause in the International Law of
Investment Protection », Arbitration International, 2004, pp. 41 1-434 ; Th. WÀLDE, « The "Umbrella" Clause in Inves-
tement Arbitration », op. cit., pp. 183-236. Et voy. aussi note 54 supra.
67. Voy. W. BEN HAMIDA, « La clause relative au respect des engagements. .. », op. cit.
RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS D'INVESTISSEMENTS 709

qui nous intéresse ici, cela couvre très certainement les engagements pris dans le
contrat conclu avec l'investisseur, de sorte que ce qui n'était, dans un premier
temps, que des engagements contractuels, se trouve élevé au rang du traité et
donc protégé par le droit international. Par conséquent, en cas de violation de la
parole donnée par l'Etat, on passe d'une mise en jeu incertaine de la
responsabilité de l'État sur le fondement de son droit et devant ses tribunaux internes, à
une responsabilité internationale, devant une juridiction arbitrale internationale
(CIRDI) et par application du droit international.
On passerait également de litiges portant quasi exclusivement sur des
questions d'expropriation, à des litiges contractuels comme il peut s'en produire entre
contractants ordinaires, litiges qui seront jugés par les arbitres prévus dans le
traité de protection, en appliquant le droit international, ce qui n'empêchera pas
le renvoi au droit interne quand cela est nécessaire.
Une autre conséquence de l'insertion des clauses de respect dans un traité
de protection, est le dépassement (mais non la fin) de la technique du contrat
d'État, au sens strict du terme, c'est-à-dire un certain type de contrat
internationalisé. Ce contrat se caractérise essentiellement, comme un contrat conclu
avec l'État d'accueil de l'investissement, en tant que personne de droit
international, et comportant des clauses renvoyant les litiges à un arbitre
international (CIRDI par exemple), qui tranchera par application, non pas du droit
interne seul, mais d'un droit interne stabilisé ou renvoyant d'une façon ou d'une
autre au droit international 68. L'obtention d'un contrat de ce type par
l'investisseur, suppose un pouvoir de négociation favorable à l'entreprise, car il y a peu
d'États qui acceptent de gaieté de cœur de renoncer à la maîtrise juridique des
contrats qu'ils concluent. Cela signifie en pratique, que des investisseurs petits
ou moyens ne peuvent jamais obtenir un contrat d'État, au sens indiqué ci-
dessus.
La clause de respect des engagements permet alors d'obtenir une situation
semblable à celle du contrat d'Etat. Et cette fois-ci tous les investisseurs,
grands et petits, pourront en profiter du fait que la clause a été négociée entre
les États et qu'elle aboutit à une stabilisation des engagements qui va même
plus loin que les clauses de ce type insérées dans un contrat 69. Mais ceci ne
peut être vrai que si on considère que la clause de respect transforme
effectivement les obligations contractuelles en obligations conventionnelles. Mais c'est
là que les avis divergent : alors qu'une partie de la doctrine continue à être
favorable à l'internationalisation des obligations contractuelles par
l'intermédiaire de la clause de respect des engagements, la jurisprudence récente des
tribunaux arbitraux CIRDI montre une forte réticence des arbitres à accepter
ce mécanisme.

b) La question de l'effet de la clause de respect en doctrine


L'idée qu'une clause de respect des engagements entraîne
l'internationalisation des engagements contractuels a été affirmée très tôt en doctrine. C'est ainsi
que dans son cours de 1969 à La Haye, P. Weil écrivait :
« L'intervention du traité de couverture transforme les obligations contractuelles
en obligations internationales et assure ainsi [...] l'intangibilité du contrat sous
peine de violer le traité ; toute inexécution du contrat, serait-elle même régulière

68. Voy. Ch. Leben, « La théorie du contrat d'État et l'évolution du droit international des investissements »,
op. cit., p. 264 et s.
69. W. Ben Hamida, « La clause relative au respect des engagements. . », op. cit., p. 205.
.
710 RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS D'INVESTISSEMENTS

au regard du droit interne de l'État contractant, engage dès lors la responsabilité


internationale de ce derniers envers l'État national du cocontractant » 70.
De même, F.A. Mann :
« This is a provision of particular importance in that it protects the investor again
any interference with his contractual rights, whether it results from a mere breach
of contract or a legislative or administrative act, and independtly of the question
whether or not such interference amounts to expropriation. The variation of the
terms of a contract or licence by legislative measures, the termination of the
contract or the failure to perform any of its terms, for instance, by non-payment, the
dissolution of the local company with which the investor may have contracted and
the transfer of its assets [...] these and similar acts the treaties render
wrongfull 71 ».
Th. Wàlde présente une opinion médiane en considérant que la clause
n'internationalise pas tout litige contractuel « merely commercial » mais
uniquement celui qui provient de l'usage par l'État hôte de ses « governmental powers ».
Si on regarde, écrit-il, l'histoire de l'umbrella clause, on constate que cette clause,
dans l'esprit de ses promoteurs avait été introduite, non pas pour couvrir
n'importe quel engagement commercial ordinaire mais seulement « a contract
dealing with matters iure imperil, a public concession or contrat administratif, i.e.
not a commercial contract outside the normal scope of international law but a
contract that involves the powers of government » 72.
Nous ne sommes pas convaincus qu'il s'agit là d'une distinction vraiment
utile. Ne serait-ce que parce qu'on introduit par là une distinction dont on sait
que dans d'autres domaines, celui des immunités souveraines, elle a donné lieu à
des jurisprudences extrêmement compliquées, ce qui n'est pas souhaitable si on
veut offrir aux investisseurs comme aux Etats une règle simple dont le
fonctionnement leur soit compréhensible et prévisible. En outre si on pense à la jurisprudence
des tribunaux CIRDI, on constate qu'elle a plusieurs fois porté sur des litiges
qu'on pourrait qualifier de « commerciaux » : pensons par exemple à l'affaire
Klôkner c I Cameroun (1983), où il s'agissait d'un différend courant dans le monde
des affaires, les deux parties s'accusant mutuellement du non respect de leurs
engagements ayant entraîné la faillite d'un projet de réalisation d'une grande
usine de production, ou de l'affaire Fedax c /Venezuela, où il s'agissait du non-
paiement de billets à ordres endossés, ou pour donner des exemples plus récents,
l'affaire Salini c/ Jordanie73 (2004, à ne pas confondre avec Salini cl Maroc, de
2001), où il s'agissait d'un litige portant sur des sommes réclamées par
l'entreprise du fait de travaux supplémentaires qui lui avaient été demandés. Le fait
qu'il ne s'agirait là que de litiges commerciaux n'a nullement empêché le tribunal
arbitral, certes prévu ici par la clause compromissoire du contrat entre l'État hôte
et l'investisseur, de statuer sur la question. On perçoit par là, nous semble-t-il
que ce type de litiges pourrait tout aussi bien profiter de l'internationalisation
opérée par une clause de respect des engagements. En fait, la seule limitation
valable serait celle portant sur la notion d'investissement : il s'agirait de donner,
par voie de traité ou de jurisprudence, une interprétation plus stricte de la notion

70. P. Weil, « Problèmes relatifs aux contrats passés entre un État et un particulier », RCADI,
1969/III, pp. 94-240, p. 130.
71. F. A. MANN, Further Studies in International Law, Oxford, Clarendon Press, 1990, pp. 234-251,
p. 240.
72. Voy. Th. WÀLDE « The umbrella clause in Investment Arbitration », op. cit., p. 215.
73. Décision sur la compétence du 29 novembre 2004, disponible sur le site du CIRDI ; Fedax c.
Venezuela, 11 juillet 1997, JDI, 1999, p. 278, /LM, 1998, p. 1378.
RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS D'INVESTISSEMENTS 711

d'investissement de façon à ce que n'importe quel type d'intérêt revendiqué par la


partie privée ne soit qualifié d'« investissement », et de ce fait protégé au plan
international, qui resterait réservé au contentieux de l'investissement et non pas
à celui de tout « litige commercial ordinaire ».
Quoi qu'il en soit, si on admet que la clause de respect des engagements
internationalise les obligations contractuelles de l'État, on aboutit à un régime de
droit qui va à l'encontre de la règle coutumière traditionnelle du droit
international qui considère que la violation d'un contrat par un Etat, n'engage pas sa
responsabilité si elle ne s'accompagne pas d'un délit international comme un déni
de justice, ou, plus largement comme la violation du standard minimum de
traitement des étrangers. La umbrella clause permettrait à tout coup de situer toute
violation contractuelle de l'État dans la sphère du droit international.

c) La jurisprudence
Ce n'est que très récemment que des tribunaux CIRDI ont été amenés à se
prononcer sur les effets d'une clause de respect des engagements. Il s'agit des
affaires SGS cl Pakistan (6 août 2003) 74, SGS I Philippines (29 janvier 2004) 75, et
Joy Mining c I Egypte et dans les trois cas les arbitres se sont montrés très
réticents à reconnaître le mécanisme d'internationalisation que la doctrine assigne à
Yumbrella clause.
Les deux affaires les plus importantes sont celles qui concernent la société
suisse SGS opposée d'abord au Pakistan puis aux Philippines. Dans les deux cas
la Société générale de surveillance SA, saisissait le CIRDI sur la base du traité
bilatéral de protection entre la Suisse et, pour l'un le Pakistan, et pour l'autre les
Philippines. Dans le premier traité on trouvait un article 11 qui prévoyait que :
« Chacune des Paries contractantes assure à tout moment le respect des
engagements assumés par elle à l'égard des investissements des investisseurs de l'autre
Partie contractante ».
Dans le second, l'article X(2) énonçait :
« Chacune des Parties contractantes se conformera à toutes ses obligations à
l'égard d'un investissement effectué sur son territoire par un investisseur de
l'autre Partie contractante ».
Il n'est pas question ici de commenter ces deux importantes sentences. Il
suffira à notre propos de relever que, de façon assez étonnante, les deux
tribunaux, en suivant des raisonnements différents et même opposés, sont arrivés en
fait à paralyser l'effet de la clause de respect des engagements. Ainsi, dans
l'affaire SGS Cl Pakistan, le paragraphe 167 de la sentence révèle très bien dans
quel esprit le tribunal a examiné cette clause :
« Considérant le principe généralement reconnu [...] que la violation d'un contrat
passé par un État avec un investisseur d'un autre État, n'est pas en elle-même,
une violation du droit international, et considérant en outre que les conséquences
juridiques que la demanderesse nous demande de faire produire à l'article 11 du
BIT [TBI] sont d'une portée tellement large, d'une application tellement
automatique, inconditionnelle et radicale, et d'un impact potentiel si lourd pour une
Partie contractante, nous estimons qu'une preuve claire et convaincante doit être
rapportée par la demanderesse [...] que telle était effectivement l'intention

74. E. GAILLARD, La jurisprudence du CIRDI, op. cit., p. 815 et s.


75. Ibid., p. 865 et s.
712 RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS D'INVESTISSEMENTS

partagée par les Parties contractantes au traité bilatéral de protection des


investissements [...] »76.
Le tribunal considéra qu'une telle preuve ne lui avait pas été apportée.
Ailleurs encore il souligne « la manière extraordinairement extensive » de
l'interprétation que donnait la société de l'article 11 (§ 171 de la sentence) et considère
pour sa part « que l'article 11 du BIT [TBI] doit être lu de manière à accroître le
caractère réciproque et l'équilibre des avantages dans les relations des différents
accords relevant d'ordres juridiques différents » (§ 168 de la sentence). La volonté
du tribunal arbitral de maintenir ce qu'il conçoit comme un équilibre des rapports
entre l'Etat d'accueil et l'investisseur est évident et toute l'argumentation
juridique est construite à partir de cette volonté.
Dans l'affaire SGS cl Philippines, le tribunal arbitral va, dans un premier
temps prendre le contre-pied de la sentence SGS c/Pakistan pour, dans un
retournement curieux, aboutir à une solution en fait pas très éloignée.
Dans son interprétation de l'article X(2) du traité Suisse-Philippines, le
tribunal dans un premier temps, arrive à la conclusion provisoire que « l'article
X(2) veut dire ce qu'il veut dire », autrement dit qu'il assure l'internationalisation
des obligations contractuelles (§ 119). Mais comme le défendeur, les Philippines,
invoquait la jurisprudence SGS I Pakistan, le tribunal allait reprendre les motifs
de la sentence précédente pour les réfuter un à un (§ 210-124). Il aboutit
finalement à la conclusion que « [n]on seulement les motifs retenus par le Tribunal
constitué dans l'affaire SGS c. Pakistan ne sont pas convaincants : [mais en
réalité] le Tribunal a omis de donner une signification claire à "l'umbrella clause" »
(§ 125). Et, en effet, celui-ci n'a reconnu à la clause qu'un effet positif implicite
alors qu'une compétence accordée à un tribunal international, si on doit lui
reconnaître un effet quelconque, doit donner compétence avec une certitude adéquate
(ibid.).
On pense alors que le tribunal, dans cette affaire SGS cl Philippines,
s'apprête à accorder son plein effet à la clause de respect des engagements. Mais
en examinant le dernier des motifs du tribunal précédent, le tribunal va opérer
une volte face inattendue. Le tribunal SGS cl Pakistan, redoutait qu'une
interprétation large de Yumbrella clause aboutisse à une « transformation instantanée » de
tous les contrats internes en contrats internationaux. Mais ce n'est pas le cas
explique le tribunal SGS I Philippines. La clause ne transforme pas les questions
contractuelles en questions de droit des traités (§ 126). Elle se contente de donner
une garantie internationale à la bonne exécution des obligations contractuelles. En
revanche, l'étendue de ces obligations reste de la détermination du juge du contrat.
Et pour citer encore ce tribunal :
« [...] l'article X(2) considère comme une violation du traité le fait, pour l'État
d'accueil, de ne pas respecter les engagements obligatoires, y compris les
violations contractuelles, qu'il a pris à l'égard d'investissements spécifiques. Il ne
transforme pas cependant la question de l'étendue ou du contenu de ces
obligations en une question de droit international [...] ».
Le tribunal arbitral SGS c. Philippines va donc, lui aussi, surseoir à statuer
et renvoyer l'affaire aux juridictions internes pour qu'elles déterminent s'il y
avait une violation du contrat et, dans ce cas, quelle indemnisation devrait être
accordée. Et c'est seulement le non respect par l'État de ce jugement qui pourrait
faire l'objet d'une saisine du tribunal arbitral prévu par le traité de protection.

76. Ibid., p. 820.


RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT SUR LE FONDEMENT DES TRAITÉS D'INVESTISSEMENTS 713

On peut discuter de la pertinence de cette jurisprudence SGS et de l'effet


qu'elle aura sur les affaires à venir. Tout ce qu'on peut constater, pour l'heure,
c'est que les arbitres hésitent à donner un plein effet international aux clauses de
respect des engagements. On remarquera à cet égard que le contrat d'État (au
sens strict de contrat internationalisé) conserve ici un avantage par rapport au
TBI, dans la mesure où il met la relation contractuelle dans l'orbite du droit
international, ce qui n'est pas assuré dans la mise enjeu des traités de protection.

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Cet article n'avait pour objectif, comme nous l'avons dit, que de rendre plus
familières aux internationalistes du droit des gens, les développements majeurs
du droit international des investissements qui se produisent à l'heure actuelle, à
la fois par l'intermédiaire des conventions bilatérales et multilatérales de
promotion et de protection des investissements et par celui d'une jurisprudence arbitrale
en expansion rapide. Il existe dans notre discipline une réticence à accepter dans
le « club » du droit international, des tribunaux qui ne sont pas inter étatiques au
sens strict et qui ne tranchent pas des litiges entre États mais entre ceux-ci et des
particuliers. On peut, évidemment discuter à l'infini, sur la nature profonde du
droit international, sur la possibilité pour des personnes privées d'y accéder ou sur
le caractère approprié de ce droit pour statuer des questions soulevées par les
litiges entre les États et les investisseurs étrangers. Mais la pratique n'attend pas.
Ignorant ces doutes, les tribunaux arbitraux appliquent, presque tout
naturellement, pour illustrer la chose, le droit international pour résoudre les litiges qui
leur sont soumis. Prenons deux exemples, les plus récents qu'il nous a été donné
de connaître, l'affaire CMS c /Argentine, sentence finale intervenu le 12 mai 2005
et l'affaire Impregilo cl Pakistan du 22 avril 2005.
La première affaire, portait sur les conséquences à tirer de la crise
économique argentine et des mesures prises par le gouvernement argentin dans les
années 1999-2002, et tout particulièrement de la dévaluation du peso. La société
CMS, comme une trentaine d'autres sociétés actuellement en litige avec
l'Argentine, soutenait que ces mesures aboutissaient en fait à l'exproprier sans
indemnité de son investissement. De quoi a-t-on parlé devant les arbitres ? Des
questions de nationalisation et d'indemnisation qui sont des questions classiques de
droit international, mais aussi de la force majeure et de l'état de nécessité, en
droit international coutumier, avec évocations de la jurisprudence arbitrale
ancienne (La Caroline 1905, Cie générale de VOrénoque, 1905, Indemnités de
guerre (Russie I Turquie 1912, Compagnie française des chemins de fer
Vénézuéliens 1905, Propriétés de minorités bulgares en Grèce. Les arbitres ont également
fait appel à des arrêts de la CPJI, (Société commerciale de Belgique 1939), de la
CIJ (Gabcikovo-Nagymaros 1997), ainsi que des travaux de la Commission du
droit international. In fine, la sentence consacre de longs développements à
établir les conditions du recours, en droit international, à la notion d'état de
nécessité et les conséquences de cet état de nécessité sur la réparation due en cas
de nationalisation.
Dans la deuxième affaire où il s'agissait d'une question qu'on pourrait
appeler purement commerciale, d'une entreprise commune pour la construction
d'un ensemble hydroélectrique, qui de façon très banale se termine mal, de quoi
a-t-il été question ? Principalement des arrêts de la Cour internationale de
Justice, affaires Ambatielos (1953), Plateformes pétrolières (Iran cl États-Unis,
1996, Légalité de l'usage de la force en Yougoslavie 1999), arrêts cités à égalité
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avec ceux des tribunaux CIRDI (S GS I Pakistan et SGS I Philippines, Wena cl


Egypte, Vivendi cl Argentine etc.) On peut remarquer d'ailleurs, dans les deux cas
comme dans d'autres récents (par exemple CMS l Argentine, mai 2005), la
participation aux tribunaux arbitraux CIRDI de juges de la Cour internationale de
Justice qui ne semblent pas être dépaysés et qui peut-être même, laissent leur
emprunte personnelle dans les décisions rendues (nous pensons par exemple, à
l'affaire Impregilo c I Pakistan du 22 avril 2005).
Nous sommes donc bel et bien en présence de questions qui appartiennent au
droit international public. On peut constater, dès lors, que les deux flux
économiques les plus importants de l'économie mondiale, le flux des échanges de biens et
de services, d'une part et le flux des investissements d'autre part font aujourd'hui
l'objet d'une réglementation internationale. Les échanges mondiaux sont sous
l'empire des règles de l'OMC, les flux d'investissements sous l'empire des règles
contenues dans les traités bilatéraux et multilatéraux de promotion et de
protection des investissements. En outre, dans les deux cas, et ce n'est pas le moins
important, le droit jurisprudentiel prend une importance considérable et inconnue
jusqu'alors en droit international : jurisprudence de l'Organe de règlement des
différends dans un cas, jurisprudence des tribunaux arbitraux, et d'abord des
tribunaux CIRDI, dans l'autre. On peut remarquer encore que chacun de ces
deux systèmes regarde avec une certaine convoitise les réussites de l'autre. Ainsi,
dans le cadre de l'OMC certains envient la possibilité donnée aux investisseurs
d'attraire directement un État devant une juridiction internationale ;
inversement, d'autres envient l'existence d'une voie d'appel au sein de l'Organe de
règlement des différends, ce qui manque actuellement dans le cadre du CIRDI qui ne
connaît qu'une procédure d'annulation.
En fin de compte, les évolutions actuelles ne sont que logiques : à un
phénomène international, il faut un droit international et non pas un droit interne, ni
un droit transnational, car où se trouvent les règles et la jurisprudence
constituant ce droit ? Nul ne le sait. Mais le droit international, lui, possède ses règles
coutumières telles qu'elles se révèlent à travers des jurisprudences arbitrales
depuis plus d'un siècle, il bénéficie du travail de codification de la CDI, il repose
sur un réseau de traités de protection de l'investissement presque inégalé dans
l'histoire. Oui, il est temps d'en prendre conscience le droit international, le vieux
droit des gens de Grotius, connaît un essor nouveau dans le domaine des
relations économiques internationales.

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