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I. – ARBITRAGE TRANSNATIONAL
ET SOURCES DU DROIT INTERNATIONAL
A. Traités
effectué sur le territoire argentin alors même que les bons en cause avaient été
acquis sur un marché secondaire ? Enin, les demandeurs pouvaient-ils s’adresser
directement à un tribunal CIRDI sans passer par les juridictions argentines quand
le traité en cause prévoyait leur saisine préalable ? Autant de questions complexes
et discutées, auxquelles la majorité répond par l’afirmative, directives d’inter-
prétation de la Convention de Vienne à l’appui. L’effet légitimant prêté à ce texte
apparaît en particulier s’agissant d’interpréter l’obligation de soumettre le différend
aux juridictions internes pendant dix-huit mois comme comprenant une exception
d’ineficacité du recours. C’est en effet pour répondre aux critiques adressées à la
majorité de l’affaire Abaclat, qui avait pris selon l’arbitre dissident « the liberty of
striking out a clear conventional requirement, on the basis of its purely subjective
judgment » 11 en limitant la portée de cette obligation, que les arbitres de l’affaire
Ambiente Uficio se sont placés sur le terrain de la Convention de Vienne :
« The present Tribunal has chosen a different path for its own reasoning on the matter
and has (…) laid out in detail how an interpretation strictly faithful to the require-
ments of Art. 31 of VCLT, notably including Art. 31(3)(c) of the Vienna Convention,
leads to identify a futility exception in the pertinent lex lata, i.e. Art. 8(2) and (3) of
the Argentina-Italy BIT » 12.
Toutefois, si le recours à la Convention de Vienne peut sans doute encadrer
le processus d’interprétation, il ne saurait masquer la liberté que les directives
qu’elle codiie laissent à l’interprète. Or, bien que la proposition de Vattel selon
laquelle « la première maxime générale sur l’interprétation est qu’il n’est pas permis
d’interpréter ce qui n’a pas besoin d’interprétation » 13 soit rappelée ici ou là par
les tribunaux arbitraux 14, tout ou presque semble matière à interprétation dans le
contentieux transnational relatif à l’investissement 15. Dès lors, l’issue de la plupart
des arbitrages dépend en grande partie de la manière dont les arbitres appliquent,
et donc interprètent, les directives d’interprétation.
La mise en œuvre de certaines de ces directives ne pose guère de dificulté.
Ainsi, confronté à un argument de la Russie selon lequel la version russe du traité
sur la charte de l’énergie ne prévoyait pas, à la différence des autres versions
authentiques, la possibilité de recourir à un arbitrage selon les règles de la chambre
de commerce de Stockholm, le tribunal de l’affaire Stati a pu s’appuyer sans peine
sur l’article 33, § 3, de la convention 16 pour rappeler que « although the ECT is
plurilingual, it is one single treaty with a single set of terms which should be inter-
preted as having one meaning » 17.
Mais l’application d’autres dispositions de la Convention de Vienne peut être
plus délicate, ainsi que l’illustre l’interprétation des clauses de la nation la plus
26. Sentence Kiliç, op. cit., §§ 7.4.1 et s. et 7.8.3 et s., où le tribunal souligne que la question n’a émergé
qu’à la suite de la décision Maffezini, de sorte qu’il est peu probable que les États parties aient entendu à
l’époque élargir le champ de la clause de la nation la plus favorisée aux dispositions procédurales ; décision
ST-AD GmbH op. cit., §§ 400 et s.
27. C. SantuLLi, « Rélexions générales sur les techniques d’interprétation normative », RGDIP,
2011, p. 304.
28. O. corten, « Les techniques reproduites aux articles 31 à 33 des conventions de Vienne : approche
objectiviste ou approche volontariste de l’interprétation ? », RGDIP, 2011, p. 365.
29. Décision Ambiente Uficio SpA op. cit., §§ 601 et s., sp. § 603.
30. CIRDI, Electrabel SA c. Hongrie, aff. n° ARB/07/19, 30 novembre 2012, décision sur la compétence,
le droit applicable et la responsabilité, § 4.83 (voy. cette chronique dans cet Annuaire 2012, pp. 611 et s.) :
dans cette affaire, le traité sur la charte de l’énergie renvoyait au droit international, lequel incluait selon
le tribunal le droit de l’Union européenne.
31. CIRDI, Ioan Micula e.a. c. Roumanie, aff. n° ARB/05/20, sentence du 11 décembre 2013, § 321.
32. Id., § 325.
B. Coutume
38. CIRDI, Emmis International Holding, BV, e.a. c. Hongrie, aff. n° ARB/12/2, décision sur l’exception
fondée sur l’art. 41, § 5, du règlement d’arbitrage, 11 mars 2013, §§ 73 et s. Les demandeurs s’appuyaient
sur un TBI Suisse/Hongrie, qui ne prévoyait le recours à l’arbitrage que pour les différends relatifs à son
article 6 (expropriation) mais aussi sur un TBI Pays-Bas/Hongrie qui, quant à lui, prévoyait le recours
à l’arbitrage pour tous les différends relatifs à l’expropriation ou la nationalisation d’un investissement,
sans référence particulière à son article 4 relatif aux « measures depriving, directly or indirectly, investors
of the other Contracting Party of their investments ».
39. CIRDI, Accession Mezzanine Capital LP e.a. c. Hongrie, aff. n° ARB/12/3, décision sur l’exception
soulevée par le défendeur sur le fondement de l’article 41(5) du règlement d’arbitrage, 16 janvier 2013,
§§ 63 et s., spéc. §§ 67 et 72.
40. CIRDI, Teco Guatemala Holdings LLC c. Guatemala, aff. n° ARB/10/17, sentence sur la compé-
tence et sur le fond, 19 décembre 2013, §§ 443 et s., l’accord de libre-échange Amérique centrale/États-
Unis/République dominicaine indiquant que « for greater certainty, paragraph 1 prescribes the customary
international law minimum standard of treatment of aliens as the minimum standard of treatment to be
afforded to covered investments ».
41. CIRDI, Franck Charles Arif c. Moldavie, aff. n° ARB/11/23, sentence du 8 avril 2013, § 529 ; CIRDI,
Rompetrol Group NV c. Roumanie, aff. n° ARB06/3, sentence, 6 mai 2013, § 197 ; CIRDI, Ioan Micula e.a.
c. Roumanie, aff. n° ARB/05/20, sentence, 11 décembre 2013, § 507.
en tenant compte du sens ordinaire des termes utilisés, dans leur contexte et à la
lumière de l’objet et du but du traité 42. Mais ils peuvent également se référer à
un droit coutumier qui serait alors distinct du standard minimum, à l’instar du
tribunal de l’affaire Micula qui a jugé que, sans se réduire au standard minimum,
le standard de traitement juste et équitable « must be disciplined by being based
upon state practice and judicial or arbitral case law or other sources of customary
or general international law » 43. La sentence Arif conirme la coexistence dans
le droit international des investissements de trois approches de ce standard : le
standard minimum coutumier de traitement des étrangers, un standard de trai-
tement juste et équitable coutumier ayant enregistré les évolutions de la pratique
conventionnelle et arbitrale, des standards de traitement juste et équitable propres
à chaque traité 44.
Les conséquences pratiques de l’approche retenue peuvent être plus ou moins
marquées. Lorsque le standard est cantonné au standard minimum, comme dans
le cas de l’affaire Teco, il ne peut être violé que si l’investisseur
« is infringed by conduct attributed to the State and harmful to the investor if the
conduct is arbitrary, grossly unfair or idiosyncratic, is discriminatory or involves
a lack of due process leading to an outcome which offends judicial propriety » 45.
En revanche, les tribunaux des affaires Micula et Arif ont tous deux élargi son
champ pour y inclure les attentes légitimes et la transparence, le premier en consi-
dération d’« an emerging standard of fair and equitable treatment in international
law » 46, le second sur la seule base de la clause de traitement juste et équitable du
traité dont il était saisi 47. Sans doute y a-t-il quelque artiice dans ces présentations
distinctes d’une question pourtant abordée dans les mêmes termes par les arbitres
de ces deux affaires. Sans doute aussi peut-on s’interroger sur les éléments pris en
compte par ceux qui cherchent à établir le droit coutumier, les arbitres de l’affaire
Micula n’hésitant pas à présenter les précédents arbitraux comme une source du
droit coutumier aux côtés de la pratique étatique. Pour le reste, le fait que des
dispositions conventionnelles puissent tout à la fois être interprétées à la lumière
du droit coutumier et nourrir son évolution ne fait que traduire l’un des nombreux
mystères de l’alchimie coutumière.
Le débat se présente en des termes légèrement différents s’agissant du déni
de justice, dont les arbitres de l’affaire Arif ont dû préciser l’articulation avec les
obligations conventionnelles. Le demandeur se plaignait en effet d’agissements
des juridictions moldaves, constitutifs selon lui non seulement d’une violation du
standard de traitement juste et équitable mais aussi d’un déni de justice au sens
du droit coutumier. De l’avis du tribunal, faute d’avoir été partie aux procédures
engagées devant les juridictions internes, le demandeur ne pouvait invoquer un
déni de justice mais demeurait fondé à se plaindre, en tant qu’actionnaire, d’une
atteinte au traitement juste et équitable liée aux agissements des autorités judi-
ciaires moldaves à l’encontre de son entreprise. Les deux griefs présentent donc
des points de contacts mais demeurent séparés :
« It is true that many of the terms to describe one or the other sphere of international
rights and obligations (denial of justice or fair and equitable treatment) – such as
n° ARB/12/3, décision sur l’exception soulevée par le défendeur sur le fondement de l’article 41(5) du
règlement d’arbitrage, 16 janvier 2013, §§ 67-68).
55. CIRDI, Mobil c. Venezuela, aff. n° ARB/07/27, décision sur la compétence, 10 juin 2010, § 169.
56. CIRDI, ConocoPhillips Petrozuata BV e.a. c. Venezuela, aff. n° ARB/07/30, décision sur la compé-
tence et le fond, 3 septembre 2013, §§ 273-274.
57. Voy. supra A.
58. Dans le même sens, mais à partir d’une interprétation de bonne foi du traité en cause, que vient
seulement appuyer la référence à la règle d’épuisement des recours internes dans le cadre de la protec-
tion diplomatique, CPA (CNUDCI), ST-AD GmbH c. Bulgarie, aff. n° 2011-06, décision sur la compétence,
18 juillet 2013, §§ 362 et s. Voy. aussi CIRDI, Kiliç Insaat Ithalat Ihracat Sanayi Ve Ticaret Anonim Sirketi
c. Turkmenistan, aff. n° ARB/10/1, sentence du 2 juillet 2013, §§ 8.1.1 et s., écartant en tout état de cause
l’argument dans la mesure où le demandeur n’a pu prouver l’ineficacité des recours internes.
59. Contra CPA (CNUDCI), ICS Inspection and Control Services Limited (United Kingdom) c. Argen-
tine, aff. n° 2010-9, sentence sur la compétence du 10 février 2012, §§ 263 et s.
60. CIRDI, Abaclat et al. (anciennement Giovanna a Beccara et al.) c. Argentine, aff. n° ARB/07/5,
décision sur la compétence et la recevabilité, 4 août 2011, op. diss., Abi-Saab. Voy. infra III.
61. Décision Ambiente Uficio op. cit., § 133.
plupart des systèmes internes qui les connaissent exigent un lien entre les récla-
mations jointes mais qu’il « would, however, caution against importing domestic
law standards in this respect » 62.
D. Actes unilatéraux
68. CIRDI, Tidewater Inc. e.a. c. Venezuela, aff. n° ARB/10/5, décision sur la compétence, 8 février
2013, §§ 82-86.
69. CDI, Principes directeurs applicables aux déclarations unilatérales des États susceptibles de créer
des obligations juridiques, 2006, principe n° 7, doc. A/61/10, p. 386 : « Une déclaration unilatérale n’entraîne
d’obligations pour l’État qui la formule que si elle a un objet clair et précis. En cas de doute sur la portée
des engagements résultant d’une telle déclaration, ceux-ci doivent être interprétés restrictivement. Pour
interpréter le contenu des engagements en question, il est tenu compte en priorité du texte de la déclara-
tion ainsi que du contexte et des circonstances dans lesquelles elle a été formulée ».
70. Décision Tidewater, op. cit., n. 68, § 92.
71. Id., §§ 98-99.
72. Id., § 102.
73. Id., §§ 103-107.
74. Id., § 141.
d’une garantie dans l’attente d’une décision déinitive sur la demande d’annulation
dont le comité est saisi. Estimant que certaines déclarations des autorités équato-
riennes critiquant, parfois de manière sévère, la sentence rendue par le tribunal
en 2012 n’avaient d’autre portée que politique et n’allaient pas jusqu’à remettre en
cause l’exécution de la sentence, le comité a en revanche insisté sur des déclarations
faites par le représentant de l’État au cours des audiences tenues ainsi que sur une
déclaration du Procurador general del Estado rappelant que l’Équateur ne soumet-
tait pas l’exécution des sentences CIRDI dans l’ordre interne à une procédure
d’exequatur. Ainsi, « the statements made by its Procurador General are binding
upon the Republic, and give Claimants full reassurance » 79. Bien que les arbitres
ne jugent cette fois pas utile de s’y référer, leur raisonnement fait ici écho à celui
de la Cour internationale de Justice lorsqu’elle s’appuie sur des déclarations du
défendeur pour refuser de prononcer certaines mesures, notamment conservatoires,
réclamées par le demandeur 80.
E. Jurisprudence
79. CIRDI, Occidental Petroleum Corporation e.a. c. Équateur, aff. n° ARB/06/11, décision sur la
suspension de l’exécution de la sentence, 30 septembre 2013, § 76 ; voy. aussi § 79.
80. Pour un exemple, voy. CIJ, Obligation de poursuivre et d’extrader (Belgique c. Sénégal), ordonnance
sur la demande en indication de mesures conservatoires, 28 mai 2009, §§ 70-73.
81. Voy. cette chronique, cet Annuaire, 2009, pp. 695 et s. ; 2010, pp. 628 et s. ; 2011, pp. 544 et s. ;
2012, pp. 619 s.
82. Voy. dernièrement les contributions de T. ScHuLtz, « Against Consistency in International Arbi-
tration », et J. mauPin, « Differenciating among International Investment Disputes », dans Z. dougLaS
/ J. PauweLyn / J. E. VinuaLeS (dir.), The Foundations of International Investment Law, Oxford, OUP,
2014, pp. 297-316 et 467-498.
83. « Aspects juridiques du recours à l’arbitrage par un investisseur contre les autorités de l’État
hôte en vertu d’un traité interétatique », résolution du 13 septembre 2013, Session de Tokyo, article 2.
84. Pour des exemples, voy. CIRDI, Ambiente Uficio SpA e.a. c. Argentine (anciennement Giordano
Alpi e.a. c. Argentine), aff. n° ARB/08/9, décision sur la compétence et la recevabilité, 8 février 2013, § 12 ;
CIRDI, SGS Société Générale de Surveillance SA c. Paraguay, aff. n° ARB/07/29, décision sur la demande
du Paraguay de maintien du sursis à exécution, 22 mars 2013, § 105 ; CIRDI, Kiliç Insaat Ithalat Ihracat
Sanayi Ve Ticaret Anonim Sirketi c. Turkmenistan, aff. n° ARB/10/1, sentence du 2 juillet 2013, § 7.6.2 ;
CIRDI, KT Asia Investment group BV c. Kazakhstan, aff. n° ARB/09/8, sentence du 17 octobre 2013, § 82.
85. CIRDI, Rompetrol Group NV c. Roumanie, aff. n° ARB06/3, sentence, 6 mai 2013, §§ 152 et 182,
regrettant de ne pas disposer d’une telle sagesse concernant le sort à réserver aux procédures criminelles
mais se réjouissant de pouvoir en faire usage s’agissant des standards de preuve.
86. CIRDI, Accession Mezzanine Capital LP et Danubius Kereskedöház Vagyonkezelö Zrt. c. Hongrie,
aff. n° ARB/12/3, décision sur la compétence et la demande de bifurcation, 8 août 2013, § 39, s’appuyant sur
la sentence Emmis, très proche et dont la solution « is sound and should serve as persuasive authority here ».
87. CIRDI, Tulip Real Estate and Development Netherlands c. Turquie, aff. n° ARB/11/28, décision
sur la compétence (bifurcation), 5 mars 2013, § 45.
88. CIRDI, Metal-Tech Ltd c. Ouzbékistan, aff. n° ARB/10/3, sentence du 4 octobre 2013, § 116 ;
sentence KT Asia op. cit., § 83.
89. Ch. Comm. Stockholm, Anatolie Stati e.a. c. Kazakhstan, n° 116/2010, sentence du 19 décembre
2013, §§ 774 et 1112.
90. CIRDI, Ioan Micula e.a. c. Roumanie, aff. n° ARB/05/20, sentence du 11 décembre 2013, §§ 507
et 517.
91. Trib. CNUDCI (ALENA), Apotex Inc. c. États-Unis, décision sur la compétence et la recevabilité,
14 juin 2013, § 238, écartant les précédents tranchés sur un fondement autre que l’ALENA ; sentence Kiliç
op. cit., § 7.6.3 et §§ 7.6.8 et s. et CIRDI, Garanti Koza LLP c. Turkménistan, aff. n° ARB/11/20, décision sur
la compétence, 3 juillet 2013, § 42 s’agissant d’apprécier la portée de clauses de la nation la plus favorisée ;
CIRDI, Philip Morris Brands SARL e.a. c. Uruguay, aff. n° ARB/10/7, décision sur la compétence, 2 juillet
2013, § 134, s’agissant d’apprécier la portée de la règle suivant laquelle 18 mois doivent s’écouler entre la
saisine des juridictions nationales et celle du tribunal arbitral.
92. Sentence Kiliç op. cit., §§ 6.3.6-6.3.9.
93. CIRDI, OPIC Karimun Corporation c. Venezuela, aff. n° ARB/10/14, sentence du 28 mai 2013,
§ 162, avant de classer les preuves présentées selon qu’elles sont nouvelles ou qu’elles ont déjà été exami-
nées par d’autres tribunaux.
94. CIRDI, Tidewater Inc. e.a. c. Venezuela, aff. n° ARB/10/5, décision sur la compétence, 8 février
2013, § 78, retenant que, bien que la question de la portée de l’article 22 de la loi vénézuélienne sur les
investissements ait déjà été tranchée par trois tribunaux, il « will determine the question afresh ».
95. Sentence Kiliç op. cit., §§ 7.1.2 et s., même si le tribunal évoque à plusieurs reprises des précédents,
insistant alors sur les raisons qui le poussent à les suivre ou au contraire à s’en séparer.
96. Décision Philip Morris op. cit., § 204. Voy. aussi CIRDI, Ambiente Uficio SpA e.a. c. Argen-
tine (anciennement Giordano Alpi e.a. c. Argentine), aff. n° ARB/08/9, décision sur la compétence et la
recevabilité, 8 février 2013, § 466, rangeant les précédents arbitraux au rang des moyens auxiliaires de
détermination de la règle de droit au sens de l’article 38 du statut de la CIJ ain de préciser le sens du
terme investissement.
97. Sentence Rompetrol, op. cit., § 152.
98. CIRDI, Burimi SRL et Eagle Games SH.A c. Albanie, aff. n° ARB/11/18, sentence du 29 mai 2013,
§ 121, usant d’un raisonnement a fortiori et inalement très bref pour exclure qu’une entreprise contrôlée
par un double national soit considérée comme contrôlée par un étranger alors que la question n’est tranchée
ni par la convention de Washington ni par aucun précédent.
99. CIRDI, Metal-Tech Ltd c. Ouzbékistan, aff. n° ARB/10/3, sentence du 4 octobre 2013, § 116 ;
Sentence KT Asia, op. cit., § 83.
100. Décision Philip Morris op. cit., § 134, s’agissant de la portée de la règle suivant laquelle 18 mois
doivent s’écouler entre la saisine des juridictions nationales et celle du tribunal arbitral.
101. CIRDI, Tulip Real Estate and Development Netherlands c. Turquie, aff. n° ARB/11/28, décision
sur la compétence (bifurcation), 5 mars 2013, § 57, relevant que la jurisprudence sur ce point « is very
much non constante ».
102. Voy. cette chronique, cet Annuaire, 2009, pp. 710 et s. ; 2011, pp. 573 et s. ; 2012, pp. 624 et s.
et supra A.
103. CIRDI, Garanti Koza LLP c. Turkménistan, aff. n° ARB/11/20, décision sur la compétence,
3 juillet 2013, §§ 40-42 ; voy. aussi Sentence Kiliç, op. cit., § 7.6.1.
104. CPA (CNUDCI), ST-AD GmbH c. Bulgarie, n° 2011-06, décision sur la compétence, 18 juillet
2013, §§ 386-387.
105. Id., alors que le tribunal a entendu se placer dans les pas de ses prédécesseurs sur les questions
moins débattues (voy. par ex. § 275).
106. Comité ad hoc CIRDI, Malicorp Limited c. Egypte, aff. n° ARB/08/18, décision sur la demande
en annulation, 3 juillet 2013, §§ 50 et s.
107. CIRDI, Rompetrol Group NV c. Roumanie, aff. n° ARB06/3, sentence, 6 mai 2013, § 271. Sur le
fait illicite composite, voy. infra II, A.
s’en démarquer. À cet égard, deux décisions occupent une place de premier plan
dans le cru 2013. L’une, ancienne, est le plus souvent évoquée pour s’en écarter
au motif qu’elle ne serait pas à l’origine d’une jurisprudence constante 108 ou, en
tout cas, s’éloigner de l’interprétation qui en a parfois été donnée 109. Il s’agit de la
décision Salini 110, dont il faudrait lire le « test » non comme posant un ensemble de
critères qu’une opération devrait nécessairement réunir pour pouvoir être qualiiée
d’investissement mais plutôt comme identiiant les indices qui peuvent être pris
en compte pour aboutir à cette qualiication. L’autre, plus récente, connaît des
fortunes diverses. Il s’agit de la décision Abaclat 111, souvent critiquée, mais qui
sert néanmoins de point de départ au raisonnement des arbitres confrontés à des
réclamations multiples ou, plus spéciiquement, à la question de la distinction entre
compétence et recevabilité. S’agissant des procédures multipartites 112, les arbitres
de l’affaire Ambiente Uficio sont parvenus pour l’essentiel aux mêmes conclusions
que la majorité dans l’affaire Abaclat, tout en afirmant se livrer à leur propre
interprétation après avoir relativisé la portée de celle de leurs prédécesseurs 113.
Cela n’a pas trompé l’arbitre dissident, S. Torres Bernardez, qui a tenu à dénoncer
l’attitude de la majorité en des termes assez vifs :
« The fact that members of different international arbitral tribunals seated in different
cases at different moments of time coincide essentially in conclusions, reasoning,
considerations and views to the extent indicated is indeed an extraordinary event,
a rare bird in the practice of international arbitration, deserving as such scrutiny.
[This] may be described prima facie as an attempt to establish rules of general
application through case-law independently of the ICSID Convention and Rules » 114.
La surprise exprimée par l’arbitre dissident quant au fait que deux tribu-
naux saisis de questions juridiques analogues parviennent pour l’essentiel aux
mêmes conclusions peut laisser songeur. Il n’en reste pas moins que la majorité
du tribunal de l’affaire Ambiente Uficio a sans doute entendu se placer « in the
shade of Abaclat case » 115, le tribunal de cette affaire étant même qualiié de « sister
tribunal » 116. Si ce suivisme suscite pareille réaction, c’est qu’il n’est pas partagé,
s’agissant au moins de la façon dont la majorité de l’affaire Abaclat a distingué les
questions de compétence et de recevabilité ain d’atténuer la portée d’exigences
telles que celles de consultation préalable, de saisine des juridictions internes ou
d’écoulement d’un certain délai entre cette saisine et celle du tribunal arbitral 117.
Le tribunal de l’affaire Kiliç n’a ainsi pas hésité à afirmer que « the majority in
Abaclat fell into legal error » 118 si elle a prétendu poser de manière générale que
de telles exigences ne limitaient pas le consentement de l’État mais seulement les
conditions de recevabilité d’une requête. Il s’agit d’ailleurs là d’un des rares points
sur lesquels la majorité de l’affaire Ambiente Uficio s’est séparée du raisonnement
108. CIRDI, Philip Morris Brands SARL e.a. c. Uruguay, aff. n° ARB/10/7, décision sur la compétence,
2 juillet 2013, §§ 204 et s.
109. CIRDI, Ambiente Uficio SpA e.a. c. Argentine (anciennement Giordano Alpi e.a. c. Argentine),
ARB/08/9, décision sur la compétence et la recevabilité, 8 février 2013, §§ 479 et s. Voy. aussi CIRDI,
KT Asia Investment group BV c. Kazakhstan, aff. n° ARB/09/8, sentence du 17 octobre 2013, §§ 171 et s.
110. CIRDI, Salini Costruttori SpA et Italstrade SpA c. Maroc, aff. n° ARB/00/4, décision sur la
compétence, 23 juillet 2001, § 52.
111. CIRDI, Abaclat et al. c. Argentine (anciennement Giovanna a Beccara et al. c. Argentine), aff.
n° ARB/07/5, décision sur la compétence et la recevabilité du 4 août 2011.
112. Sur ce point, voy. infra III, A, 3.
113. Décision Ambiente, §§ 7 et s.
114. Opinion dissidente de S. Torres Bernardez, § 45.
115. Id., § 40
116. Décision Ambiente Uficio op. cit., § 10.
117. Voy. cette chronique, cet Annuaire, 2011, pp. 570 et s.
118. Sentence Kiliç, op. cit., § 6.3.4.
suivi par la majorité dans l’affaire Abaclat tout en parvenant à une conclusion en
pratique assez proche 119.
Dans ce désordre, les opinions séparées ou dissidentes peuvent prendre une
place importante. Celle, forte, de G. Abi-Saab dans l’affaire Abaclat est ainsi
discutée comme celle de la majorité 120 et emporte parfois la conviction 121. Rien
d’étonnant dès lors à ce que les arbitres cherchent parfois par ce biais à « faire
jurisprudence ». L. Boisson de Chazournes a ainsi entendu marquer d’emblée sa
réticence face à l’extension des clauses de la nation la plus favorisée aux disposi-
tions relatives au règlement des différends, alors même que l’espèce ne s’y prêtait
pas d’évidence 122.
119. Décision Ambiente Uficio, op. cit., §§ 568 et s., spéc. §§ 624 et s., justiiant la différence d’approche
par rapport à la décision Abaclat.
120. Id., §§ 458 et s.
121. Sentence Kiliç, op. cit., § 6.3.4.
122. Opinion dissidente jointe à la décision Garanti Koza LLP op. cit., Voy. supra A.
123. Pour une approche sociologique de la matière, et spécialement de la question des précédents,
voy. M. HirScH, « The Sociology of International Investment Law », dans Z. dougLaS / J. PauweLyn /
J. E. VinuaLeS (dir.), The Foundations of International Investement Law, Oxford, OUP, 2014, op. cit.,
supra n. 82 pp. 143-168.
124. G. guiLLaume, « Le précédent dans la justice et l’arbitrage international », JDI, 2010, p. 698.
125. A. PeLLet, « La jurisprudence de la Cour internationale de Justice dans les sentences CIRDI –
Lalive Lecture, 5 juin 2013 », JDI, 2014, pp. 5-32, spéc. pp. 31-32.
126. CIRDI, Tulip Real Estate and Development Netherlands c. Turquie, aff. n° ARB/11/28, décision
sur la compétence (bifurcation), 5 mars 2013, §§ 45-47.
127. Pour une afirmation générale de l’importance du consentement appuyée par une référence à la
jurisprudence de la Cour mondiale, voy. CIRDI, Garanti Koza LLP c. Turkménistan, aff. n° ARB/11/20, déci-
sion sur la compétence, 3 juillet 2013, § 21, citant les affaires Ambatielos et du Statut de la Carélie orientale.
128. CIRDI, Ambiente Uficio SpA e.a. c. Argentine (anciennement Giordano Alpi e.a. c. Argentine),
aff. n° ARB/08/9, décision sur la compétence et la recevabilité, 8 février 2013, § 578 ; décision Tulip Real,
op. cit., §§ 61 et s. et 84 et s., citant les affaires de l’Application de la convention sur l’élimination de toutes
les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Russie), des Activités armées sur le territoire du Congo
(Congo c. Rwanda) ou encore de l’Usine de pâtes à papier sur le leuve Uruguay (Argentine c. Uruguay) pour
interpréter l’exigence de négociations préalables à la saisine du tribunal ; CIRDI, Philip Morris Brands
SARL e.a. c. Uruguay, aff. n° ARB/10/7, décision sur la compétence, 2 juillet 2013, §§ 141 et s. s’agissant
de l’obligation de saisir les juridictions internes avant d’avoir recours à l’arbitrage.
129. CIRDI, Tidewater Inc. e.a. c. Venezuela, aff. n° ARB/10/5, décision sur la compétence, 8 février
2013, §§ 93 et s. ; CIRDI, OPIC Karimun Corporation c. Venezuela, aff. n° ARB/10/14, sentence du 28 mai
2013, § 78 ; moins nettement CIRDI, ConocoPhillips Petrozuata BV e.a. c. Venezuela, aff. n° ARB/07/30,
décision sur la compétence et le fond, 3 sept. 2013, §§ 233 et s., spéc. § 254.
130. Décision Ambiente Uficio, op. cit., § 582, citant l’affaire de l’Application de la convention sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Russie).
131. Id., § 599, citant les affaires de Certains emprunts norvégiens et de la Barcelona Traction.
132. Décision Philip Morris, op. cit., §§ 144 et s. citant les affaires Mavrommatis et de l’Application
de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie).
133. Décision ConocoPhillips, op. cit., § 342 ; CIRDI, Ioan Micula e.a. c. Roumanie, aff. n° ARB/05/20,
sentence du 11 décembre 2013, § 917. Voy. infra II, B.
134. Décision Ambiente Uficio, op. cit., §§ 308 et s.
135. Décision Philip Morris Brands, op. cit., § 147.
136. Décision Ambiente Uficio, op. cit., §§ 537-540, aux côtés d’autres précédents. Voy. cette chronique
dans cet Annuaire, 2009, pp. 707 et s. ; 2011, pp. 565 et s. ; 2012, p. 623.
F. Doctrine
137. CIRDI, Emmis International Holding, BV e.a. c. Hongrie, aff. n° ARB/12/2, décision sur la
demande de bifurcation, 13 juin 2013, § 52 : « Where the Court has to decide, on the basis of a treaty whose
application and interpretation is contested, whether it has jurisdiction, that decision must be deinitive ».
138. CIRDI, Garanti Koza LLP c. Turkménistan, aff. n° ARB/11/20, décision sur la compétence,
3 juillet 2013, § 23, « It is clear from the jurisprudence of the Permanent Court and of the International
Court that there is no rule that requires a restrictive interpretation of compromissory clauses ».
139. CIRDI, Rompetrol Group NV c. Roumanie, aff. n° ARB06/3, sentence, 6 mai 2013, § 182, « the
graver the charge the more conidence must there be in the evidence relied on ».
140. A. PeLLet, op. cit. note 125, p. 32.
141. CIRDI, Mondev c. États-Unis, aff. n° ARB(AF)/99/2, sentence du 11 octobre 2002, §§ 143-144.
142. CIRDI, Saipem SpA c. Bangladesh, décision sur la compétence et les mesures conservatoires,
ARB/05/07, 21 mars 2007, § 130.
143. CIRDI, Occidental Petroleum c. Équateur, aff. n° ARB/06/11, sentence du 5 octobre 2012, § 403
(voy. cette chronique, cet Annuaire, 2012, pp. 617-618).
144. CIRDI, Rompetrol Group NV c. Roumanie, aff. n° ARB06/3, sentence, 6 mai 2013, §§ 168 et s.,
spéc. § 172. Voy. aussi, infra, III, B.
145. CIRDI, Ambiente Uficio SpA e.a. c. Argentine (anciennement Giordano Alpi e.a. c. Argentine),
ARB/08/9, décision sur la compétence et la recevabilité, 8 février 2013, §§ 466 et s.
146. CIRDI, Garanti Koza LLP c. Turkménistan, aff. n° ARB/11/20, décision sur la compétence,
3 juillet 2013, § 36 ; CIRDI, ConocoPhillips Petrozuata BV e.a. c. Venezuela, aff. n° ARB/07/30, décision
sur la compétence et le fond, 3 septembre 2013, § 285.
147. CIRDI, Kiliç Insaat Ithalat Ihracat Sanayi Ve Ticaret Anonim Sirketi c. Turkmenistan, ARB/10/1,
sentence du 2 juillet 2013, § 7.8.10.
148. CIRDI, Ioan Micula e.a. c. Roumanie, aff. n° ARB/05/20, sentence du 11 décembre 2013,
§§ 833-834.
149. CIRDI, Franck Charles Arif c. Moldavie, aff. n° ARB/11/23, sentence du 8 avril 2013, §§ 429
et s. ; Trib. CNUDCI (ALENA), Apotex Inc. c. États-Unis, décision sur la compétence et la recevabilité,
14 juin 2013, § 238.
150. Décision Ambiente Uficio, op. cit., §§ 142-143. Pour un autre exemple signiicatif, voy. Comité
ad hoc CIRDI, Malicorp Limited c. Egypte, aff. n° ARB/08/18, décision sur la demande en annulation,
3 juillet 2013, passim.
151. Décision Garanti Koza, op. cit., § 42.
152. Décision Ambiente Uficio, op. cit., § 603.
153. Sur cette porosité, voy. aussi infra III, E.
154. Décision Kiliç, op. cit., § 6.3.8, utilisant un article de J. Paulson s’agissant d’interpréter la déci-
sion Western NIS rendue par un tribunal dont cet auteur était membre.
155. Ch. Comm. Stockholm, Anatolie Stati e.a. c. Kazakhstan, n° 116/2010, sentence du 19 décembre
2013, § 1162.
156. Les travaux de la CNUCED sur le traitement de la nation la plus favorisée sont parfois
mentionnés (décision Garanti Koza, op. cit., §§ 51 et 88), ceux de l’International Bar Association sur la
preuve le sont régulièrement (voy. infra III, C).
157. Décision Kiliç, op. cit., § 5.2.3.
158. Voy. infra II.
159. CIRDI, Tidewater Inc. e.a. c. Venezuela, aff. n° ARB/10/5, décision sur la compétence, 8 février
2013, § 91.
160. Décision Ambiente Uficio, op. cit., §§ 608 et s.
Toutes les affaires dont l’examen au fond est soumis aux arbitres posent la
question de la responsabilité internationale de l’État. À ce titre, les Articles de
la Commission du droit international des Nations Unies sur la responsabilité de
l’État pour fait internationalement illicite 163, considérés sur maints aspects comme
l’expression de la coutume, occupent une place de choix dans les décisions arbi-
trales 164. Leur autorité paraît toutefois s’amenuiser lorsque, sur des questions
qu’ils embrassent pourtant, certains tribunaux omettent de s’y référer au béné-
ice de la jurisprudence arbitrale qui prend des allures de source reine pour les
arbitres 165. On notera par ailleurs que la sentence Rompetrol a ravalé le travail
de codiication de la CDI au rang de principes directeurs (« guidelines ») 166 – en
l’occurrence sur la question, il est vrai, encore controversée du rôle du dommage
dans la responsabilité 167. Le caractère interétatique des rapports de responsabilité
envisagés par la CDI n’est, en tout état de cause, pas un obstacle à leur transposi-
tion au contexte transnational des rapports État-investisseur étranger 168, même
si des nuances doivent parfois être introduites 169, comme l’illustreront la question
du dommage moral 170 et celle de la restitution 171.
Suivant l’approche conceptuelle retenue par la CDI dans ses Articles, que tend
à consolider la pratique arbitrale, à plus forte raison lorsqu’une bifurcation est
opérée entre ces deux questions 172, on distinguera les questions qui ressortissent
à l’engagement de la responsabilité (A) de celles qui concernent le contenu de la
responsabilité (B).
A. Engagement de la responsabilité
172. CIRDI, Apotex Holdings Inc. et Apotex Inc. c. États-Unis d’Amérique, aff. n° ARB(AF)/12/1,
ordonnance procédurale sur la bifurcation, 25 janvier 2013, § 6.
173. Art. 12 des Articles de la CDI.
174. CIRDI, Franck Charles Arif c. Moldavie, aff. n° ARB/11/23, sentence du 8 avril 2013, § 432.
175. Cf. Trib. ad hoc, affaire du Rainbow Warrior (Nouvelle-Zélande c. France), sentence du 30 avril
1990, RSA, vol. XX, p. 251, § 75 : « il n’y a pas, en droit international, de distinction entre la responsabilité
contractuelle et la responsabilité délictuelle ».
176. D. carreau / P. JuiLLard, Droit international économique, 5e éd., Paris, Dalloz, 2013, pp. 504 et s.
177. D. carreau, « Investissements », Rép. Internat. Dalloz, septembre 2013, n° 323.
178. Voy. notamment CIRDI, Ioan Micula e.a. c. Roumanie, aff. n° ARB/05/20, sentence du
11 décembre 2013, § 431.
188. CIRDI, Rompetrol Group NV c. Roumanie, aff. n° ARB06/3, sentence, 6 mai 2013, §§ 270-272.
Le tribunal a jugé que des actions contre des cadres dirigeants d’une société pouvaient être assimilées à
des actions contre la société dans deux cas de igure : lorsque l’action vise les cadres dirigeants à raison de
leur activité au nom de l’investisseur ou lorsque que l’action vise les cadres dirigeants personnellement
dans l’intention de nuire à l’investisseur (§ 200).
189. Id., § 271 et dans le même sens, § 278.
190. Voy. Ch. Comm. de Stockholm, RosInvestCo UK Ltd. c. Russie, aff. n° V079/2005, sentence inale
du 12 septembre 2010, § 410, voy. cette chronique, cet Annuaire, 2010, pp. 638-639.
191. Sentence Rompetrol, op. cit., § 273.
192. Voy. contra la sentence Renta 4 SVSA et al. c. Russie, du 20 juillet 2012, voy. dans cette chro-
nique, cet Annuaire, 2012, pp. 638-639.
193. Sentence Rompetrol, op. cit., § 278.
194. Voy. L. acHtouk-SPiVak, « Droit pénal et droit de l’investissement », Cah. Arb., 1er oct. 2013,
n° 4, pp. 1000 et s. Relevant que les attentes légitimes de l’investisseur doivent rester étrangères à la
question de savoir si un État s’est comporté ou non de manière arbitraire, voy. CIRDI, Teco Guatemala
Holdings LLC c. Guatemala, ARB/10/17, sentence sur la compétence et sur le fond, 19 décembre 2013, § 621.
195. En ce sens, voy. Ch. Comm. Stockholm, Anatolie Stati e.a. c. Kazakhstan, n° 116/2010, sentence
du 19 décembre 2013, § 1086 (« The Tribunal considers that it need not ind that there was a “playbook”
[…] to ind that the conduct presented in the above timeline constitutes a violation of the FET. Indeed, for
the tribunal, the evaluation of the objective timetable is suficient »).
196. Sur l’objectivisation de la responsabilité internationale, voy. notamment J. crawFord, State
Responsibility. The General Part, Cambridge, Cambridge UP, 2013, pp. 60 et s.
une loi iscale adoptée antérieurement à l’acquisition d’une participation dans une
société mais dont la mise en œuvre effective lui est postérieure 204. Pour parvenir
à ce résultat interprétatif, la décision ConocoPhilips n’a pas eu recours à la notion
de fait composite. Elle a préféré établir la compétence ratione temporis du tribunal
à partir du paragraphe 12 du commentaire de l’article 12 des Articles de la CDI,
qui traite de la date critique de la violation par la loi d’une obligation internatio-
nale 205. Elle aurait tout autant pu considérer que la loi vénézuélienne prenait la
forme d’un fait composite dont la matérialisation (sans préjudice de son illicéité
car la question ne se pose pas au moment de l’établissement de la compétence
temporelle) est intervenue au moment de son application concrète à l’investisseur.
Une telle interprétation ne dépareillerait pas la jurisprudence arbitrale en matière
d’investissement qui a considérablement élargi les déclinaisons possibles de la
notion de fait composite 206, alors que la CDI s’était limitée à donner des exemples
de faits découlant d’une politique systématique ou généralisée de l’État (génocide,
apartheid, crimes contre l’humanité, etc.) 207.
c) Violations multiples
204. CIRDI, ConocoPhillips Petrozuata BV e.a. c. Venezuela, aff. n° ARB/07/30, décision sur la compé-
tence et le fond, 3 septembre 2013, § 289.
205. Id. Dans son commentaire de l’article 12 (« Existence d’une violation d’une obligation internatio-
nale »), la CDI examine la question « de savoir si l’adoption d’une loi par un État peut violer une obligation,
dans les cas où il existe un conlit apparent entre le contenu de cette loi et ce qui est requis par l’obligation
internationale, ou si la loi en question doit avoir été appliquée en l’espèce avant que la violation soit réputée
s’être produite » (comm. reproduit in J. crawFord, Les Articles de la CDI sur la responsabilité de l’État,
Paris, Pedone, 2003, p. 156, § 12). En l’occurrence, la CDI constate qu’« aucune règle générale, qui soit
applicable dans tous les cas, ne peut être appliquée » (ibid.), la jurisprudence internationale admettant
les deux hypothèses. Sur l’absence de violation par la simple adoption d’une loi, tant qu’elle n’est pas
mise en œuvre, voy. CIJ, LaGrand (Allemagne c. États-Unis d’Amérique), arrêt du 27 juin 2001, §§ 90-91.
206. Utilisant la notion de fait composite au sens de l’article 15 des Articles pour qualiier une expro-
priation indirecte, voy. CIRDI, Siemens c. Argentine, aff. n° ARB/02/08, 6 février 2007, § 264.
207. Voy. le comm. de l’art. 15 in J. crawFord, Les Articles de la CDI…, op. cit., note 205, pp. 168 et s.
208. Voy. cette chronique, cet Annuaire, 2012, p. 622.
209. En ce sens, voy. CIRDI, Antoine Goetz e.a. et SA Afinage des métaux c. Burundi, aff. n° ARB/01/2,
sentence du 21 juin 2012, spéc. § 259.
210. Ch. Comm. Stockholm, Anatolie Stati e.a. c. Kazakhstan, n° 116/2010, sentence du 19 décembre
2013, §§ 1202-1208. Voy. aussi les §§ 1230-1232 (garantie de l’accès à des recours en droit interne), 1252
(protection pleine et entière), 1280 (mesures discriminatoires), 1313 (clause parapluie).
d’une expropriation licite 211. On éprouvera donc quelque réticence à ériger cette
sentence en modèle 212…
2. Attribution
Hormis quelques cas qui n’appellent guère de commentaires 213, les décisions
arbitrales qui ont abordé en 2013 les questions d’attribution se sont concentrées
sur les comportements du pouvoir judiciaire (a). On remarque par ailleurs une
utilisation récurrente des règles d’attribution à des ins autres que l’établissement
de la responsabilité de l’État (b).
Seule une sentence de 2013 rendue publique aborde la question des circons-
tances excluant l’illicéité, de manière il est vrai très ramassée. Après avoir jugé
que le droit de l’Union européenne rentrait dans la « matrice factuelle » de l’affaire
Micula (notamment pour évaluer au regard des attentes légitimes des investisseurs
les comportements de la Roumanie qui, dans le cadre de son adhésion à l’Union,
avait révoqué un système d’incitations iscales) 223, le tribunal arbitral compétent
a estimé que la suggestion de l’investisseur selon laquelle, en théorie, le droit de
l’Union européenne pouvait être envisagé à titre de circonstance excluant l’illicéité
n’était pas dénuée de pertinence 224. L’argument n’ayant toutefois pas été invoqué
par la Roumanie, le tribunal ne jugera pas pertinent d’analyser la chose plus en
avant.
L’existence de règles extérieures contradictoires n’est pas ici présentée comme
une circonstance autonome susceptible d’excuser une violation du traité d’inves-
tissement. Et pour cause, le droit de l’UE ne faisant pas partie du droit applicable
au différend ; au reste, si tel avait été le cas, d’autres outils auraient permis de
résoudre les éventuelles antinomies normatives (principes de lex specialis, posterior,
superior). Pour le tribunal, c’est dans le cadre des circonstances codiiées par la
Commission du droit international que le droit de l’Union européenne aurait voix
au chapitre. Sont à cet égard mentionnés la force majeure (art. 23 des Articles de
2001), la détresse (art. 24) et l’état de nécessité (art. 25).
Si l’on tente de mettre en œuvre l’afirmation expéditive du tribunal, force est
néanmoins de constater que les trois circonstances évoquées seraient rapidement
220. CIRDI, Churchill Mining PLC et Planet Mining Pty Ltd c. Indonésie, aff. n° ARB/12/14 et 12/40,
ordonnance procédurale n° 2, 5 février 2013, § 26. Voy. infra III, D, 1.
221. CIRDI, Tulip Real Estate and Development Netherlands c. Turquie, aff. n° ARB/11/28, décision
sur la compétence (bifurcation), 5 mars 2013, §§ 98-99.
222. CPA (CNUDCI), Mesa Power Group, LLC c. Canada, n° 2012-17, ordonnance procédurale n° 4,
12 juillet 2013, §§ 33-38.
223. CIRDI, Ioan Micula e.a. c. Roumanie, aff. n° ARB/05/20, sentence du 11 décembre 2013, § 328.
224. Id., § 329.
B. Le contenu de la responsabilité
Toute une série de questions autour des dommages subis par les investisseurs
soulevées par les sentences de 2013 intéressent plus généralement le droit de
la responsabilité internationale (1). D’autres éléments concernant les modes de
réparation seront par ailleurs relevés (2).
a) Le rôle du dommage
225. Selon le commentaire de l’article 24, la détresse vise la situation dans laquelle « un individu
dont les actes sont attribuables à l’État se trouve dans une situation de péril, soit personnellement, soit à
travers des personnes qu’il a la charge de protéger » (§ 1 du commentaire de l’article 24, in J. crawFord,
Les Articles de la CDI…, op. cit. note 205, p. 209).
226. Voy. cette chronique, cet Annuaire, 2008, pp. 490-493 ; 2009, p. 704 ; 2010, pp. 644-647 ; 2011,
pp. 553-556 ; 2012, pp. 639-640 ; et A. de nanteuiL, « L’application du droit international public dans
l’arbitrage transnational », RGDIP, 2014/1, pp. 36-38.
227. F. Paddeu, « A Genealogy of Force Majeure in International Law », BYBIL, 2011, vol. 82,
pp. 381 et s.
228. CIRDI, Enron Corporation and Ponderosa Assets, LP c. Argentine, aff. n° ARB/01/3, sentence
du 22 mai 2007, § 217 ; CIRDI, Sempra Energy International c. Argentine, sentence du 28 septembre
2007, § 246.
229. Art. 23 des Articles de la CDI. Voy. S. Szurek, « Circumstances Precluding Wrongfulness in the
ILC Articles on State Responsibility : Force majeure », dans J. crawFord / A. PeLLet / S. oLLeSon (ed.),
op. cit. note 31, p. 477 ; A. K. bJorLund, « Emergency Exceptions : State of Necessity and Force Majeure »,
dans P. mucHLinSki / F. ortino / Ch. ScHreuer (dir.), The Oxford Handbook of International Investment
Law, Oxford UP, 2008, pp. 498 et s.
230. Seuls des efforts puissants d’imagination permettraient d’envisager l’adhésion à l’UE comme une
« force irrésistible » (la notion visant plutôt des événements naturels ou humains de type catastrophique).
Les conditions d’imprévisibilité et d’extériorité ne seraient pas plus remplies dans la mesure où l’adhésion
de la Roumanie à l’UE, programmée de longue date, ne lui est évidemment pas étrangère. On notera, en
outre, qu’en décidant de rejoindre l’Union, la Roumanie « a assumé le risque que survienne une telle situ-
ation », ce qui selon l’article 23, § 2, des Articles de la CDI, prive d’application l’excuse de la force majeure.
231. CIRDI, Rompetrol Group NV c. Roumanie, aff. n° ARB06/3, sentence, 6 mai 2013, §§ 187 et s.
232. Id., § 189 : le tribunal relève que, pour la CDI, la condition de l’existence d’un dommage dépend
de la nature de l’obligation primaire dont la violation est alléguée (§ 9 du commentaire de l’article 2 et
§§ 6-7 du commentaire de l’article 31) et que la formulation de l’obligation de réparer en tant que corollaire
immédiat de la responsabilité (et non comme un droit de l’État lésé) permet de contrecarrer les dificultés
qui naîtraient de l’existence de plusieurs États spécialement affectés par la violation (§ 4 du commentaire
de l’art. 31). Pour les arbitres, les notions d’État spécialement affecté et d’État lésé ne sont qu’un moyen de
désigner les États victimes d’un préjudice les habilitant à invoquer la responsabilité de l’État. On notera
toutefois que la CDI a pris soin de supprimer toute référence au dommage dans l’identiication des États
lésés ou « autres que l’État lésé », préférant se fonder sur l’identiication des destinataires de l’obligation
violée (voy. les art. 42 et 48 des Articles et J. crawFord, State Responsibility, op. cit. note 196, pp. 542 et s.).
233. Sentence Rompetrol, op. cit., § 190.
234. Voy. supra A.
235. Sentence Rompetrol, op. cit., § 279. Le dommage ne sera abordé qu’une fois le fait illicite établi
(§§ 281 et s.).
236. P. daiLLier, m. Forteau, a. PeLLet, Droit international public (Nguyen Quoc Dinh), Paris,
LGDJ/Lextenso, 2009, p. 880, n° 483.
237. CIRDI, Rompetrol Group NV c. Roumanie, aff. n° ARB06/3, sentence, 6 mai 2013, §§ 289 et s.
On note tout d’abord que les arbitres peinent à concevoir qu’un investisseur
personne morale soit apte à souffrir d’un préjudice moral. Ils ont en effet considéré
que l’atteinte à la réputation de l’investisseur ne constituait un préjudice indemni-
sable qu’à la condition que ses effets économiques négatifs soient prouvés ; partant,
qu’elle ressortissait aux préjudices économiques et non moraux 238, que le tribunal
n’a pas indemnisés faute de preuve convaincante des pertes ou manques à gagner
subis par Rompetrol. Cette approche n’est cependant pas partagée par d’autres
tribunaux qui ont admis que l’atteinte à l’image ou à la réputation d’une société
était de nature à constituer un préjudice extrapatrimonial 239.
C’est surtout la question, mal distinguée de celle de son existence même, de la
réparation du préjudice moral par la voie de l’indemnisation qui a suscité les plus
grandes réticences du tribunal de l’affaire Rompetrol – alors même que l’absence de
préjudice moral prouvé le dispensera d’envisager son indemnisation. La sentence
constate en effet que la condamnation de l’État par des tribunaux d’investissement
à des « moral damages » demeure exceptionnelle 240 ; qu’elle laisse aux arbitres un
pouvoir discrétionnaire presque absolu pour ixer le montant de l’indemnisation ; et
que la prise en compte du dommage moral en droit international général se limite
aux atteintes à l’honneur ou à la dignité de l’État (réparées autrement que par
des dommages-intérêts) ou à la réparation, à travers la protection diplomatique,
des dommages économiques subis par les ressortissants de l’État – ce qui dénote,
au passage, une conception très « mavromatissienne » du préjudice médiat subi
par l’État, dont la CDI s’est quelque peu dégagée dans son projet de 2006 sur la
protection diplomatique 241. Mieux informé de la jurisprudence récente, le tribunal
de l’affaire Arif a discuté pour sa part les conditions d’octroi de dommages-intérêts
moraux dégagées dans la sentence Lemire de 2011 242, en nuançant leur portée eu
égard au fait qu’elles ont été formulées à partir de seulement trois affaires, dont
les circonstances particulières de l’une 243 ont pu être déterminantes concernant le
critère de la contrainte physique 244. Ainsi, pour le tribunal, des dommages-intérêts
pour préjudice moral ne doivent-ils être accordés que dans des cas exceptionnels,
238. Cf. B. rémy, chronique in JDI, 2014/1, pp. 342 et s., qui voit dans l’affaire Rompetrol une « invita-
tion à rechercher un critère permettant de faire le départ entre les atteintes à la réputation susceptibles
d’être réparées en tant que dommage moral et celles qui ne sont que des dommages économiques ».
239. CIRDI, Franck Charles Arif c. Moldavie, aff. n° ARB/11/23, sentence du 8 avril 2013, §§ 584 et s. ;
CIRDI, AHS Niger et Menzies Middle East and Africa SA c. Niger, aff. n° ARB/11/11, sentence du 15 juillet
2013, §§ 146 et s. Sur cette question, voy. le comm. de B. rémy, chronique in JDI, 2014/1, pp. 342 et s.
240. Sont recensées seulement deux sentences : CIRDI, SARL Benvenuti & Bonfant c. Congo, aff.
n° ARB/77/2, sentence du 8 août 1980 et CIRDI, Desert Line Projects LLC c. Yemen, ARB/05/17, sentence
du 6 février 2008. Le tribunal relève que trois tribunaux ont par ailleurs rejeté une demande de dommages-
intérêts moraux : CIRDI, Tecmed c. Mexique, aff. n° ARB(AF)/00/2, sentence du 29 mai 2003 ; Ch. Comm.
Stockholm, Yury Bogdanov c. Moldavie, n° V (114/2009), sentence du 30 mars 2010 ; CIRDI, Franck
Charles Arif c. Moldavie, aff. n° ARB/11/23, sentence du 8 avril 2013. Le recensement du tribunal demeure
néanmoins lacunaire : voy. les affaires commentées dans cette chronique, cet Annuaire, 2008, pp. 497-498 ;
2009, p. 705 ; 2011, pp. 559-561 ; 2012, p. 645.
241. Voy. A. PeLLet, « La seconde mort d’Euripide Mavrommatis ? Notes sur le projet de la CDI sur la
protection diplomatique », Droit du pouvoir, pouvoir du droit – Mélanges offerts à Jean Salmon, Bruxelles,
Bruylant, 2007, pp. 1359-1382.
242. « The conclusion which can be drawn from the above case law is that, as a general rule, moral
damages are not available to a party injured by the wrongful acts of a State, but that moral damages can
be awarded in exceptional cases, provided that : – the State’s actions imply physical threat, illegal deten-
tion or other analogous situations in which the ill-treatment contravenes the norms according to which
civilized nations are expected to act ; – the State’s actions cause a deterioration of health, stress, anxiety,
other mental suffering such as humiliation, shame and degradation, or loss of reputation, credit and social
position ; and – both cause and effect are grave or substantial » (CIRDI, Joseph Charles Lemire c. Ukraine,
aff. n° ARB/06/18, sentence du 28 mars 2011, § 333). Sur l’affaire Lemire et l’affaire Tza Yap Shum, voy.
cette chronique, cet Annuaire, 2011, pp. 559-561.
243. Affaire Desert Line, op. cit., 2008 (voy. cette chronique, cet Annuaire, 2008, pp. 497-498).
244. CIRDI, Franck Charles Arif c. Moldavie, aff. n° ARB/11/23, sentence du 8 avril 2013, §§ 584 et s.
« when both the conduct of the violator and the prejudice of the victim are grave and
substantial » 245, ce qui contribue à leur donner une dimension aflictive alors même
que les dommages-intérêts punitifs ont échappé à la codiication de la CDI 246. Ce
seuil de gravité et d’intensité n’étant pas atteint au vu des circonstances de l’espèce
(risque intrinsèque de l’investissement dans une économie post-soviétique ; relati-
vité des atteintes à la réputation économique dans ce contexte), le tribunal a rejeté
la demande de dommages-intérêts moraux de M. Arif 247.
La lecture de ces décisions pourra frustrer l’internationaliste « généraliste »
qui sait que la satisfaction est le mode de réparation privilégié des dommages
moraux 248. Il est vrai que, non lucrative pour eux, elle n’est guère recherchée par
les acteurs économiques 249, alors même que les Etats devraient la redouter au
regard de l’importance de l’image et de la réputation dans les relations d’investisse-
ment, qui a des répercussions sur l’attractivité du territoire pour les investisseurs.
Ainsi, des mesures telles qu’un prononcé arbitral stigmatisant ou la condamnation
de l’État au versement d’une somme symbolique pourraient contenter a minima un
investisseur ayant subi une atteinte qui se situerait en deçà des critères exigeants
d’octroi de dommages-intérêts moraux 250. D’ailleurs, si le tribunal de l’affaire
Rompetrol s’est refusé à rendre un « declaratory relief » 251, force est de constater
que les conclusions auxquelles il parvient (responsabilité purement symbolique de
la Roumanie 252) s’en rapprochent sensiblement.
Concernant enin, en miroir, le préjudice moral de l’État, on relèvera le refus
du tribunal de l’affaire ST-AD de condamner l’investisseur à indemniser le harcèle-
ment dont les autorités bulgares, saisies de centaines de plaintes, alléguaient avoir
été victimes. En relevant que toute personne, physique ou morale, est en droit de
faire valoir ce qu’elle croit être ses droits, le tribunal sous-entend que la Bulgarie
n’a souffert d’aucun préjudice moral de la part des demandeurs 253. Dans une pers-
pective de rééquilibrage du contentieux d’investissement en faveur des États, l’idée
des dommages moraux subis par la puissance publique (atteinte à la réputation par
exemple) à raison des recours, non plus internes mais arbitraux, manifestement
abusifs pourrait être creusée. Dans l’affaire évoquée, c’est néanmoins la forme de
préjudice économique subi par la Bulgarie du fait de la procédure arbitrale qui a
été indemnisée, dans la mesure où l’ensemble des frais, y compris ceux de repré-
sentation, induits par l’arbitrage ont été mis à la charge de l’investisseur 254.
L’exigence d’un lien de causalité entre les violations constatées et les préjudices
allégués a été rappelée par la sentence Micula, qui n’a pas hésité à citer in extenso
l’article 31 des Articles de la CDI et ses commentaires 255 pour aborder le problème
de la combinaison de facteurs dans la survenance du dommage. Dans la lignée du
travail de codiication, le tribunal a estimé que :
« an intervening event will only release the State from liability when that intervening
event is (i) the cause of a speciic, severable part of the damage, or (ii) makes the
original wrongful conduct of the State become too remote. Unless they fall under
either of these categories, cases of contributory fault by the injured party appear to
warrant solely a reduction in the amount of compensation » 256.
Sur ces bases, le tribunal a jugé que la révocation par la Roumanie du système
d’aides dont bénéiciaient les investisseurs avait bien eu un impact sur leurs coûts
de production de produits inis et donc sur leurs prix de vente, dont le manque à
gagner allégué était bien la conséquence 257. Ce lien de causalité n’a en revanche
pas été établi à satisfaction du tribunal pour le manque à gagner sur d’autres types
de produits 258, de même que le tribunal a refusé de voir un rapport de cause à effet
entre la violation de la Roumanie et les manquements iscaux des investisseurs 259.
Pour sa part, le tribunal de l’affaire Stati s’est appuyé sur les articles 36
(« Indemnisation ») et 39 (« Contribution au préjudice ») des Articles pour déduire
que le demandeur portait la charge de prouver que le montant de l’indemnisation
demandée était en lien direct avec le comportement de l’État d’accueil de l’investis-
sement, mais que le rôle de l’investisseur dans la chaîne d’événements ayant causé
ses pertes pouvait aboutir à une réduction des dommages-intérêts. Il revenait alors
à l’État d’apporter la preuve d’une intervention extérieure dans la survenance du
dommage 260.
a) La restitution
255. CIRDI, Ioan Micula e.a. c. Roumanie, aff. n° ARB/05/20, sentence du 11 décembre 2013, §§ 923 et
s. Sur le lien de causalité, voy. aussi CIRDI, Rompetrol Group NV c. Roumanie, aff. n° ARB06/3, sentence,
6 mai 2013, §§ 287-288.
256. Sentence Micula, op. cit., § 926.
257. Id., §§ 1019-1020.
258. Id., §§ 1034 et s.
259. Id., §§ 1135 et s. Le tribunal constate que le non-paiement de leurs dettes iscales par les inves-
tisseurs relevait d’un choix stratégique et non d’un manque de fonds causé par le comportement illicite
de la Roumanie (§ 1154).
260. Ch. Comm. Stockholm, Anatolie Stati e.a. c. Kazakhstan, n° 116/2010, sentence du 19 décembre
2013, §§ 1330-1332. Montrant une appréciation assez large de la chaîne de causalité, voy. §§ 1408 et s. :
les inspections à répétition n’ont certes pas causé directement la in de l’investissement mais ont contribué
au ralentissement de l’activité et ont donc participé au dommage. Voy. aussi §§ 1452 et s. (incapacité de
l’État défendeur à prouver que l’investisseur avait causé ou contribué à son dommage).
261. Concernant les rares cas de restitution et les dificultés qu’ils soulèvent, voy. cette chronique,
cet Annuaire, 2008, p. 499 ; 2010, pp. 653-654 ; 2011, pp. 663-664. Voy. aussi CIRDI, LG&E Energy Corp.
e.a. c. Argentine, sentence du 25 juillet 2007, § 87, où la mesure de restitution juridique demandée est
présentée comme une atteinte à la souveraineté de l’Argentine. À noter que le tribunal de l’affaire Rompetrol
a rappelé que la violation d’obligations primaires de type patrimonial pouvait générer des obligations
secondaires se matérialisant sous une forme autre que l’indemnisation : cessation des mesures illicites
de l’État, rétablissement du statu quo ante, voire simple prononcé arbitral de l’illicite (CIRDI, Rompetrol
Group NV c. Roumanie, aff. n° ARB06/3, sentence, 6 mai 2013, § 190). Constatant que la restitution ne peut
b) L’indemnisation
être décidée par le tribunal et qu’elle n’est pas réclamée par le demandeur, voy. Ch. Comm. Stockholm,
Anatolie Stati e.a. c. Kazakhstan, n° 116/2010, sentence du 19 décembre 2013, § 1531.
262. CIRDI, Franck Charles Arif c. Moldavie, aff. n° ARB/11/23, sentence du 8 avril 2013, §§ 566 et s.
263. Id., § 570, qui renvoie au commentaire de l’article 43 des Articles de 2001. L’art. 43, § 2, prévoit
en effet que dans sa notiication, l’État lésé peut préciser « [l]a forme que devrait prendre la réparation ».
Son commentaire ajoute que « l’État lésé est en droit d’opérer un choix entre les formes de réparation
disponibles. Il peut ainsi préférer l’indemnisation à la possibilité de restitution […] » (§ 6 du commentaire,
J. crawFord, Les Articles de la CDI…, op. cit. n. 205, p. 315.
264. Sentence Arif op. cit., § 570.
265. Id., § 571.
266. Voy. cette chronique, cet Annuaire, 2008, pp. 499-500 ; 2010, pp. 650-652 ; 2011, pp. 562-563.
267. Ch. Comm. Stockholm, Anatolie Stati e.a. c. Kazakhstan, n° 116/2010, sentence du 19 décembre
2013, § 1617.
268. CIRDI, Ioan Micula e.a. c. Roumanie, aff. n° ARB/05/20, sentence du 11 décembre 2013,
§§ 948-949. Voy. CPJI, Usine de Chorzów, fond, arrêt du 13 septembre 1928, CPJI, série A, n° 17, p. 47.
269. « L’indemnité couvre tout dommage susceptible d’évaluation inancière, y compris le manque à
gagner dans la mesure où celui-ci est établi » (cité dans la sentence Micula, op. cit., § 990).
270. Sentence Micula, op. cit., §§ 944 et 1006.
271. Id., §§ 1009-1010. Voy. aussi CIRDI, Railroad Development Corporation c. Guatemala, aff.
n° ARB/07/23, décision sur la demande de complément et de rectiication de sentence, 18 janvier 2013, § 41.
272. Ch. Comm. Stockholm, Anatolie Stati e.a. c. Kazakhstan, n° 116/2010, sentence du 19 décembre
2013, § 1688.
273. Voy. aussi CIRDI, Railroad Development Corporation c. Guatemala, aff. n° ARB/07/23, décision
sur la demande de complément et de rectiication de sentence, 18 janvier 2013, § 42.
274. CIRDI, Franck Charles Arif c. Moldavie, aff. n° ARB/11/23, sentence du 8 avril 2013, § 576.
275. Cette méthode est présentée ainsi par l’expert : « An event study is an empirical technique used
to measure the stock price impact of a speciic event, such as a company’s earnings announcement. The
technique examines stock price returns – the percentage change in stock prices from one day to the next – to
determine how much of the price movement on a particular day is due to the event being examined, and
how much is due to changes in conditions affecting the market in general » (cité dans la sentence CIRDI,
Rompetrol Group NV c. Roumanie, ARB06/3, sentence, 6 mai 2013, § 283).
276. Sentence Rompetrol, op. cit., § 286 : « the […] application of the event study method can offer
no means of differentiating between the market effects of a company’s coming under investigation by the
authorities for any legitimate purpose and the asserted incremental effects of illegalities that happened in
the course of such an investigation ».
a freely convertible currency » 286. La date de conversion ixée sera celle de la date
de paiement 287. C’est la leu, roumaine cette fois-ci, qui a été élue comme monnaie
d’indemnisation par le tribunal de l’affaire Micula, les demandeurs ayant formulé
leur réclamation en cette devise. Mais l’expert ayant initialement évalué le manque
à gagner en euros, le tribunal a estimé qu’il serait inapproprié de ne pas appliquer
le taux de change utilisé par l’expert lui-même à la date de son évaluation 288.
iv) Enin, même si la CDI, sous la houlette de James Crawford, a exprimé quelque
réticence envers les intérêts composés 289, force est de constater que la livraison
des sentences de 2013 penche en leur faveur au détriment des intérêts simples. La
sentence Micula considère ainsi que le commentaire de l’article 38 « does not relect
the recent tribunal practice » 290 et justiie ainsi l’octroi d’intérêt composés :
« The reason is that an award of damages (including interest) must place the claimant
in the position it would have been had it never been injured. As noted by the Wena
tribunal, “almost all inancing and investment vehicles involve compound interest.
[…] If the claimant could have received compound interest merely by placing its
money in a readily available and commonly used investment vehicle, it is neither
logical nor equitable to award the claimant only simple interest.” » 291
Dans l’affaire Arif, le tribunal a néanmoins considéré que l’absence d’argu-
mentation du demandeur sur l’octroi d’intérêts composés et les données de l’espèce
justiiaient l’octroi d’intérêts simples 292.
Pour toutes ces questions de « gros sous », les arbitres afirment généralement
qu’ils sont guidés par la « boussole » 293 de l’Usine de Chorzów qui, moins que
jamais, ne doit être rangée au rayon des antiquités. Pourtant, les itinéraires pour
le moins disparates qu’empruntent les sentences à partir des principes de 1928
tendent à laisser penser que la méthode d’orientation utilisée est davantage celle
du doigt mouillé levé au vent. Si des sentiers propres au droit des investissements
se dessinent, il est dificile de dégager de la pratique arbitrale transnationale des
éléments sufisamment constants pour espérer faire évoluer le droit international
général de l’indemnisation.
286. CIRDI, Franck Charles Arif c. Moldavie, aff. n° ARB/11/23, sentence du 8 avril 2013, § 624.
287. Id., § 627.
288. CIRDI, Ioan Micula e.a. c. Roumanie, aff. n° ARB/05/20, sentence du 11 décembre 2013, § 1033.
289. Voy. le commentaire de l’article 38 des Articles et sur ce point cette chronique, cet Annuaire,
2008, p. 500. La sentence Arif reconnaît que « the general view in international law is in favour of simple
and not compound interest, although other commentators suggest the trend in investment arbitration is in
favour of compound interest » (§ 617).
290. Sentence Micula, op. cit., § 1266.
291. Id. Voy. Ch. Comm. Stockholm, Anatolie Stati e.a. c. Kazakhstan, n° 116/2010, sentence du
19 décembre 2013, §§ 1852-1855 : le tribunal condamne l’État à des intérêts composés car les deman-
deurs auraient pu réinvestir le fruit des intérêts. Relevant que le défendeur ne s’oppose pas à des intérêts
composés, voy. CIRDI, Teco Guatemala Holdings LLC c. Guatemala, aff. n° ARB/10/17, sentence sur la
compétence et sur le fond, 19 décembre 2013, §§ 762 et s.
292. Sentence Ari, op. cit., § 619. Voy. aussi CIRDI, AHS Niger et Menzies Middle East and Africa
SA c. Niger, ARB/11/11, sentence du 15 juillet 2013, §§ 156 et s.
293. A. PeLLet, op. cit., supra n. 125, p. 32 (au sujet de la jurisprudence de la CIJ).
Les tribunaux font donc de plus en plus fréquemment face à des questions qui, parce
qu’elles sont communes à l’ensemble des mécanismes contentieux, intéressent en
réalité l’ensemble des juridictions internationales. On ne manquera pas à cet égard
de souligner une lourde tendance de l’arbitrage transnational à accorder à la procé-
dure une place de plus en plus prééminente. Les questions de cet ordre sont ainsi
de plus en plus nombreuses et complexes, au point de nuire parfois à la lisibilité
du système dans son ensemble. Pour plus de clarté, il est donc ici nécessaire de
les traiter successivement. Seront ainsi évoqués la question de la compétence (A),
celles du droit applicable (B), de la preuve (C) et divers problèmes ponctuels liés à
l’organisation de la procédure (D). Il semble, enin, que la question de la récusation
des arbitres prenne une importance croissante dans le contentieux, si bien que
quelques analyses devront lui être aussi consacrées (E).
A. Compétence
1. Quelques constantes
Sans entrer ici dans une discussion encore ouverte sur la nature exacte des
tribunaux arbitraux intervenant dans le droit de l’investissement, nul ne préten-
drait nier le fait qu’ils appliquent, en partie, le droit international public. Ceci est
vrai également du point de vue du contentieux, si bien qu’il n’est pas rare de rencon-
trer dans les sentences le rappel de quelques principes fondamentaux de procédure,
qui viennent au reste conirmer l’existence d’un véritable droit du contentieux
international. Puisqu’il ne s’agit, précisément, que de rappeler des principes dont
l’existence ne prête pas à controverse, il n’y a guère matière à commentaire.
i) On évoquera ainsi en premier lieu le fait que de très nombreux tribunaux
ont réafirmé le principe de « compétence – compétence », dont le caractère positif
ne fait guère de doute même si des critiques d’ordre théorique pourraient lui être
adressées 294. Ces critiques ayant été relevées et analysées dans une précédente
livraison de cette chronique, il ne paraît pas utile d’y revenir ici, d’autant qu’elles
ne sont pas de nature à nier l’existence et la positivité du principe 295.
ii) Moins couramment, certaines sentences opèrent une distinction, qui en soi
n’a rien de révolutionnaire, entre compétence et recevabilité 296. Il est vrai qu’une
telle distinction n’est nullement obligatoire, surtout lorsqu’elle n’est pas expres-
sément prévue par les textes applicables, et qu’elle est a priori sans conséquence
pratique d’importance puisque toute condition de compétence ou de recevabilité est
sanctionnée de la même manière, par l’impossibilité pour le tribunal de se prononcer
sur le fond 297. Ceci doit sans doute, toutefois, être relativisé puisque les questions
de compétence et de recevabilité pourraient être en réalité soumises à des régimes
juridiques différents, sous certains rapports. Il a ainsi été avancé que la méconnais-
sance d’une condition de compétence pouvait probablement s’analyser comme un
excès manifeste de pouvoir dans le cadre de la Convention de Washington – ouvrant
294. CIRDI, Tidewater Inc. e.a. c. Venezuela, aff. n° ARB/10/5, décision sur la compétence, 8 février
2013, § 74 ; CIRDI, Ambiente Uficio SpA e.a. c. Argentine (anciennement Giordano Alpi e.a. c. Argentine),
aff. n° ARB/08/9, décision sur la compétence et la recevabilité, 8 février 2013, § 443 ; Trib. ad hoc, Mohamed
Abdulmohsen Al-Kharai & Sons Co c. Libye e.a., sentence inale du 22 mars 2013, pp. 237-238 ; Tribunal
ad hoc CNUDCI, Ruby Roz Agricol LLP c. Kazakhstan, décision sur la compétence, 1er août 2013, § 146 ;
CIRDI, ConocoPhillips Petrozuata BV e.a. c. Venezuela, aff. n° ARB/07/30, décision sur la compétence et
le fond, 3 septembre 2013, § 227.
295. Pour la critique de ce principe, voy. cette chronique, cet Annuaire, 2011, p. 545.
296. Décision Ambiente Uficio SpA, op. cit., § 570 ; CIRDI, Teco Guatemala Holdings LLC c. Guate-
mala, aff. n° ARB/10/17, sentence sur la compétence et sur le fond, 19 décembre 2013, § 628.
297. Décision Ambiente Uficio SpA, op. cit., § 575.
2. Exceptions préliminaires
La compétence d’un tribunal arbitral n’est pas une chose facilement acquise.
Ceci d’autant moins qu’un certain nombre d’exceptions préalables de différentes
298. E. gaiLLard, obs. sous la sentence Salini c. Maroc, JDI, 2009, p. 215. Il est vrai que l’excès
de pouvoir manifeste se mesure à l’étendue du consentement des parties, et qu’il n’est constitué que si
ce consentement est ouvertement méconnu. Ce qui serait le cas d’un tribunal se déclarant compétent là
où il ne l’est pas (ou l’inverse) puisque la compétence est intrinsèquement et par essence dépendante du
consentement des parties. La recevabilité en semble en revanche plus éloignée, si bien que l’excès de pouvoir
manifeste ne serait pas nécessairement caractérisé si une condition de cet ordre devait être méconnue. La
distinction a pu en outre être utilisée pour aborder la condition d’attente de l’expiration d’un certain délai
avant la saisine du tribunal arbitral, considérée comme une condition de recevabilité mais susceptible de
faire l’objet d’une régularisation, voy. infra, D, 2°.
299. Voy. supra, II.
300. Voy. la discussion in CPA (CNUDCI), Mesa Power Group, LLC c. Canada, 2012-17, ordonnance
procédurale n° 3, 28 mars 2013, §§ 74 et s.
301. CIRDI, Rompetrol Group NV c. Roumanie, aff. n° ARB/06/3, sentence, 6 mai 2013, § 286. En
l’espèce, le défaut de bifurcation et l’absence de discussion entre les parties sur le montant du dommage
n’ont pas empêché le tribunal de statuer sur la question.
302. CPA (CNUDCI), Mesa Power Group, LLC c. Canada, aff. n° 2012-17, ordonnance procédurale
n° 2, 18 janvier 2013, §§ 18-19.
303. CIRDI, Apotex Holdings Inc. et Apotex Inc. c. États-Unis d’Amérique, aff. n° ARB(AF)/12/1,
ordonnance procédurale sur la bifurcation, 25 janvier 2013, § 11.
304. Voy. sur ce point CIRDI, Accession Mezzanine Capital LP et Danubius Kereskedöház Vagyonkezelö
Zrt. c. Hongrie, aff. n° ARB/12/3, décision sur la compétence et la demande de bifurcation, 8 août 2013.
natures peuvent être soulevées par les parties. Il y a là un outil redoutable dont
l’utilisation doit toutefois être étroitement encadrée, à défaut de quoi les exceptions
pourraient être détournées de leur but initial et être employées uniquement à des
ins dilatoires pour prolonger exagérément un contentieux qui n’en a assurément
pas besoin. La question est donc importante, et l’on comprend que les ordonnances
procédurales des tribunaux qui y sont consacrées appellent une attention parti-
culière. À cet égard, la troisième ordonnance rendue dans l’affaire Bernhard von
Pezold n’est pas sans intérêt. Le règlement d’arbitrage CIRDI prévoit en effet que
les exceptions préliminaires doivent être soulevées le plus tôt possible et en tout
état de cause pas après la limite ixée pour le dépôt du contre-mémoire – ou du
mémoire en duplique si l’exception porte sur une demande subsidiaire. Si bien
que la nature de l’exception est en réalité déterminante ain d’examiner si elle est
présentée à temps ou non : si elle porte sur une demande subsidiaire, il est évident
qu’une telle exception ne peut être soulevée qu’une fois la demande formulée. À
l’inverse, une exception portant sur une demande formulée dans le mémoire initial
ne saurait être soulevée après le dépôt du contre-mémoire 305. Ces solutions sont
certes adoptées dans le cadre du CIRDI, mais elles semblent surtout guidées par
le bon sens et devraient pouvoir être reprises dans d’autres contextes, sous réserve
naturellement d’une rédaction contraire du règlement de procédure applicable.
En l’espèce, il n’était pas discutable que des arguments nouveaux avaient été
soulevés par le défendeur dans son mémoire en duplique, en méconnaissance des
délais ixés par le tribunal. Le tribunal jugea donc que de tels arguments auraient
dû igurer dans le contre-mémoire puisqu’ils portaient sur des éléments du mémoire
initial. En étant mentionnés dans la duplique, ils devaient être réputés tardifs,
et donc irrecevables, sauf à ce que des circonstances spéciiques justiient une
présentation en dehors des délais 306. Or – et c’est sans doute sur ce point que cette
ordonnance est principalement digne d’intérêt – un certain nombre de facteurs
pouvaient en l’occurrence expliquer ce retard. D’abord, les arguments nouveaux
du défendeur portaient sur une réclamation subsidiaire du demandeur elle-même
présentée tardivement et reprenant des arguments du mémoire initial ; il serait
donc illogique que des arguments puissent être présentés contre une demande
subsidiaire mais pas contre la demande principale au motif qu’ils seraient tardifs.
Le mémoire en duplique ne contenait par ailleurs aucun fait ou document nouveau
et le défendeur avait donné son accord pour qu’un délai supplémentaire soit accordé
au requérant ain qu’il puisse présenter la totalité de son argumentation. Si bien
qu’aucun poids supplémentaire ne pesait sur le demandeur. Le tribunal considéra
donc que les exceptions soulevées tardivement devaient malgré tout être admises,
au regard de ces circonstances particulières 307.
Ce qui explique cette décision, qui n’admet rien de moins qu’une entorse aux
délais ixés par le tribunal, tient très probablement au principe fondamental de
l’égalité entre les parties. C’est bien en effet le contenu des exceptions préliminaires
qui emporte la conviction du tribunal, parce que ce contenu précisément ne place
pas une partie dans une situation défavorable. On ne manquera pas de souligner
que si les arguments soulevés tardivement avaient comporté le moindre élément
effectivement nouveau de nature à rendre nécessaire une réponse de l’autre partie,
sans doute l’irrecevabilité aurait été prononcée. Mais puisqu’en raison de leur
contenu ce n’était pas le cas, les arbitres ont admis un léger contournement des
305. CIRDI, Bernhard von Pezold e.a. c. Zimbabwe, aff. n° ARB/10/25, et Borders Timbers Ltd. e.a.
c. Zimbabwe, ordonnance procédurale n° 3, 11 janvier 2013, § 44.
306. Id., §§ 48-49.
307. Id., § 52.
délais initialement ixés, possibilité prévue, faut-il préciser, par l’article 26, § 3,
du règlement d’arbitrage.
3. Demandes multipartites
308. CIRDI, Abaclat et al. c. Argentine (anciennement Giovanna a Beccara et al. c. Argentine),
ARB/07/5, décision sur la compétence et la recevabilité du 4 août 2011, voy. cette chronique, cet Annuaire,
2011, pp. 537 et s. Le 30 mai 2014 a été rendue la vingt-septième ordonnance procédurale concernant
cette affaire. Il semble que le record précédent était détenu par l’affaire Fraport AG Frankfurt Airport
Services Worldwide c. Philippines, aff. n° ARB/03/25, dans le cadre de laquelle vingt-quatre ordonnances
avaient été rendues.
309. CIRDI, Abaclat et autres c. Argentine, aff. n° ARB/05/5, ordonnances n° 21 du 2 mai 2013 et
n° 22 du 31 juillet 2013 ; CIRDI, Ambiente Uficio SpA e.a. c. Argentine (anciennement Giordano Alpi e.a.
c. Argentine), aff. n° ARB/08/9, décision sur la compétence et la recevabilité, 8 février 2013.
310. Ord. Ambiente Uficio SpA, op. cit., §§ 7-13. Voy. supra, I, E.
311. Voy. J. cazaLa, « L’arbitrage multipartite devant les tribunaux CIRDI », Cah. Arb., n° 2013/4,
pp. 951-965, spéc. pp. 952-954.
312. Ord. Ambiente Uficio SpA op. cit., § 6.
313. Id., opinion dissidente de S. Torres Bernàrdez, § 40.
de procéder ainsi puisque les situations individuelles ne sont pas strictement les
mêmes, notamment parce que l’acquisition des bons du Trésor ne s’est pas faite
dans les mêmes conditions pour chacun. Le tribunal, néanmoins, n’est pas demeuré
silencieux sur cette question, en précisant avoir accordé la priorité aux éléments
de fait communs à l’ensemble des requérants plus qu’aux conditions d’acquisition
des titres qui relèvent pour lui de la relation contractuelle avec le défendeur et ne
sauraient en tant que telles être pertinentes dans le cadre d’un contentieux conven-
tionnel. Puisque le contexte factuel est donc le même, que les droits invoqués sont de
même nature et que les violations du droit international alléguées sont identiques,
rien ne s’opposait à ce que les demandes soient examinées en même temps 314.
Sur le plan strictement terminologique, on ne manquera pas de souligner un
certain malaise du tribunal qui refuse catégoriquement la qualiication de class
action ou de mass claim. Il s’agit donc pour lui d’un « arbitrage multipartite » en ce
sens que les requérants sont plusieurs, mais que la demande est la même 315. Cette
détermination n’est pas totalement sans conséquence puisqu’elle permet tout de
même de conserver une certaine singularité de chacun des requérants. Ceci peut
avoir des conséquences à différents points de vue.
D’abord, il est évident que le caractère multipartite de la demande n’efface
nullement l’exigence d’un lien de nationalité entre les requérants et l’État partie
au traité sur le fondement duquel la demande est présentée. Or l’examen de cette
nationalité ne peut être qu’individuel. Même si l’on sait que les tribunaux arbitraux
sont en règle générale assez timides sur cette question, ils n’en demeurent pas
moins tenus de vériier que les demandeurs sont bien tous, individuellement, ressor-
tissants de l’État partie – en l’occurrence l’Italie 316. Si des interrogations devaient
s’élever au sujet de la nationalité de certains d’entre eux (notamment, on sait que
la convention de Washington interdit les demandes présentées par des requérants
qui auraient la nationalité de l’État défendeur), elles devraient faire l’objet d’un
examen séparé supposant donc une individualisation des cas litigieux 317.
En second lieu, il faut souligner le fait qu’un désistement demeure pleinement
possible – de nombreux petits porteurs ont d’ailleurs renoncé à l’instance dans les
deux affaires en question. Le tribunal en charge de l’affaire Abaclat a dû ainsi
rendre plusieurs ordonnances relatives à l’actualisation de la base de données
recensant les noms de l’ensemble des demandeurs. À cette occasion, il a considéré
que chaque désistement devait faire l’objet d’une décision individuelle de sa part,
ce que l’on a peine à imaginer au regard du nombre de personnes considérées 318.
On comprend donc en déinitive que par delà les questions purement termino-
logiques, le recours à la notion d’arbitrage multipartite est important : il permet de
conserver à la fois la dimension unique de la demande et multiple des demandeurs.
Si la demande elle-même doit faire l’objet d’un seul et même examen et que les
demandeurs placés dans la même situation doivent être traités de la même manière,
ceux d’entre eux qui sont dans une position différente peuvent faire l’objet d’un
traitement distinct, ce que ne permettrait pas une class action. Derrière les mots,
il y a donc une réalité juridique que l’on ne saurait passer sous silence. Bien qu’ici
étroitement liée au contentieux de l’investissement, on n’éprouve aucune peine à
imaginer en quoi la problématique pourrait se trouver posée devant les juridic-
tions régionales compétentes en matière de droits de l’homme ou devant les autres
B. Droit applicable
La question du droit applicable est sans aucun doute l’une des plus « clas-
siques » de l’arbitrage transnational, puisque l’on sait que le droit international
public comme le droit interne peuvent trouver grâce aux yeux des tribunaux,
en fonction naturellement des instruments applicables 320. Mais si elle demeure
partiellement ouverte, c’est précisément parce que la jurisprudence continue de la
développer, et que les interrogations n’ont pas encore trouvé de réponse déinitive,
si tant est que celle-ci existe.
Il faut commencer par rappeler que, dans le cadre du CIRDI, la question du
droit applicable est en principe réglée par l’article 42 de la Convention de Wash-
ington, qui a lui-même fait l’objet de larges commentaires 321. La pratique arbitrale
s’oriente dans l’ensemble vers une application conjointe des deux ordres juridiques,
tout en réservant la primauté du droit international en cas de contradiction 322.
Mais cette disposition porte en réalité uniquement sur le droit qui est applicable
au fond du litige et non aux questions de compétence, comme il a été jugé de longue
date par les tribunaux arbitraux et récemment encore conirmé 323. Une telle posi-
tion est assez logique au regard de la rédaction des dispositions de l’article 42, qui
prévoit que le tribunal « statue sur le différend conformément aux règles, etc. ». Il
est donc clair que la disposition s’applique au fond et non aux questions relatives au
contentieux. Celles-ci sont ainsi pleinement soumises aux règles de la convention et
du règlement de procédure relatives au consentement des parties à la compétence
dont on connaît le caractère fondamental dans le droit de l’arbitrage. Il n’en reste
pas moins certaines dificultés, liées soit à l’application du droit international soit
à l’application du droit interne.
319. Il est fait écho à cette nécessité dans la résolution de l’Institut de droit international dont
l’article 7 dispose que « La possibilité pour les tribunaux arbitraux de statuer sur des réclamations de
masse devrait faire l’objet de dispositions appropriées dans les instruments régissant les procédures
arbitrales d’investissement ».
320. Sur les conséquences de ce double droit applicable devant les tribunaux, voy. M. Forteau, « Le
juge CIRDI envisagé du point de vue de son ofice : juge interne, juge international, ou l’un et l’autre à
la fois ? », in Liber Amicorum Jean-Pierre Cot, Bruxelles, Bruylant, 2009, pp. 111 et s. Sur l’application
du droit international public par les tribunaux arbitraux, voy. A. de nanteuiL, « L’application du droit
international public dans l’arbitrage transnational », op. cit. note 226, pp. 31-70.
321. Voy. par exemple E. gaiLLard / Y. baniFatemi, « The meaning of “and” in article 42(1), Second
sentence, of the Washington convention : the role of international law in the ICSID choice of law process »,
ICSID Rev., vol. 18, pp. 375-411.
322. La solution classique en présence d’un contrat a ainsi été conirmée récemment par Trib. ad
hoc, Mohamed Abdulmohsen Al-Kharai & Sons Co c. Libye e.a., sentence inale du 22 mars 2013, pp. 235
et s. et p. 272.
323. CIRDI, Philip Morris Brands SARL e.a. c. Uruguay, aff. n° ARB/10/7, décision sur la compétence,
2 juillet 2013, § 30.
Emmis : « the Tribunal has to apply international law as a whole to the claim, and
not the provisions of the BIT in isolation » 324. Ceci implique notamment l’applica-
bilité du droit international général au soutien des dispositions conventionnelles
si celles-ci appellent un complément 325. Un tribunal arbitral a même précisé qu’il
lui était possible de faire référence à des « broader considerations of equity » pour
interpréter l’attitude du demandeur vis-à-vis d’une clause de stabilisation 326. Il ne
s’agissait en l’espèce que de parachever un raisonnement en indiquant qu’au-delà
du droit, ces considérations d’équité allaient clairement au soutien de la décision
à laquelle menait l’application des règles de droit. Mais puisque l’équité ne change
rien sur le fond, la question de la pertinence d’une telle référence, qui n’est pas sans
poids symbolique, peut se poser. Lorsque l’on sait quelles critiques sont adressées à
l’arbitrage transnational, il faut insister sur la nécessité d’employer de tels concepts
avec la plus grande parcimonie.
Il importe en premier lieu de rappeler qu’un traité ne saurait bien entendu être
applicable qu’aux États parties et à leurs ressortissants. Or, il n’est pas toujours
inutile de revenir aux fondamentaux puisque le Mexique n’a pas hésité à invoquer
pour sa défense une note interprétative de l’ALENA dans un litige l’opposant à un
investisseur… espagnol ! C’est sans grande dificulté que le tribunal refusa d’appli-
quer un texte évidemment inapplicable en vertu du principe de l’effet relatif des
traités 327. Ce qui ne signiie pas qu’un tel texte ne pourrait pas servir d’inspiration
ou que les interprétations données sur son fondement ne sauraient être reprises
par analogie dans d’autres contextes : les sentences rendues sur le fondement de
l’ALENA sont très régulièrement citées par les tribunaux statuant sur le fondement
de traités bilatéraux lorsque le contenu des dispositions à appliquer sont sensible-
ment les mêmes. Mais il est évident que l’accord nord-américain ne saurait être
applicable comme tel.
Une question importante s’est toutefois posée au sujet de la Convention
européenne des droits de l’homme, qui s’est récemment invitée dans un conten-
tieux opposant une entreprise néerlandaise à l’État roumain. Un certain nombre
de poursuites pénales avaient été en effet diligentées contre les dirigeants de
l’entreprise dans des conditions contestées par les requérants. La question de la
pertinence de la convention européenne se posait en pareil contexte parce que
les dirigeants de la société avaient été soumis à des mesures particulièrement
attentatoires aux libertés (mises sur écoute, interception de communications,
interdictions de circuler) ne semblant pas de prime abord pleinement justiiées.
La question fut toutefois vite réglée, puisque les deux individus visés par les
mesures litigieuses n’étaient pas requérants : ce sont les conséquences de ces
mesures sur l’entreprise demanderesse qui relevaient donc de la compétence du
tribunal. Si bien que l’hypothèse d’une applicabilité directe de la convention a pu
être assez aisément écartée, malgré des considérations « intéressantes et lumi-
neuses » proposées par les parties à son sujet 328. Ceci n’excluait toutefois pas que
le tribunal s’en inspirât pour évaluer la licéité internationale du comportement
de l’État défendeur, surtout au regard de certaines normes qui ne sont pas sans
324. CIRDI, Emmis International Holding, BV, e.a. c. Hongrie, aff. n° ARB/12/2, décision sur l’excep-
tion fondée sur l’art. 41, § 5, du Règlement d’arbitrage, 11 mars 2013, § 78, italiques inclus.
325. CIRDI, Accession Mezzanine Capital LP e.a. c. Hongrie, aff. n° ARB/12/3, décision sur l’exception
soulevée par le défendeur sur le fondement de l’article 41(5) du règlement d’arbitrage, 16 janvier 2013,
§§ 50 et s., 66, 70 et s.
326. Trib. ad hoc CNUDCI, Ruby Roz Agricol LLP c. Kazakhstan, décision sur la compétence, 1er août
2013, § 167.
327. CIRDI, Telefónica SA c. Mexique, aff. n° ARB(AF)/12/4, ordonnance procédurale n° 1, 8 juillet
2013, § 17.1.3.
328. CIRDI, Rompetrol Group NV c. Roumanie, aff. n° ARB06/3, sentence, 6 mai 2013, § 172.
lien, sur le fond, avec des dispositions de la Convention européenne, ce qui est
assurément le cas du traitement juste et équitable 329. Ce n’était là, cependant,
qu’une posture de principe sans grand engagement puisque le même tribunal n’a
pas prêté de véritable attention à la convention dans la suite de la sentence et
notamment dans ses déterminations au fond.
Le recours à des normes a priori totalement inapplicables parce qu’elles appar-
tiennent à un ordre juridique autonome du droit international au titre de l’inter-
prétation des règles de protection des investissements ne concerne pas seulement
la Convention européenne des droits de l’homme. La question s’est naturellement
posée pour le droit de l’Union européenne, qui a fait à plusieurs reprises irruption
dans le contentieux transnational 330. Cette année encore, un État défendeur a
tenté de justiier un certain nombre de ses actions par ses obligations en tant que
membre de l’Union dans l’affaire Micula. Le tribunal, à cet égard, n’a pas manqué
de souligner que le TBI et le droit de l’Union étaient des instruments parfaitement
autonomes puisqu’ils ne faisaient aucune référence l’un à l’autre 331. Néanmoins les
engagements internationaux d’un État ne doivent pas être isolés cliniquement et il
n’est pas interdit, bien au contraire, de tenir compte de l’un dans l’interprétation
de l’autre comme y invite du reste la convention de Vienne 332.
i) Au-delà de l’hypothèse d’un droit national désigné comme applicable par les
parties, il faut commencer par rappeler que ce dernier n’est par nature pas exclu du
contentieux transnational. Il s’y applique même systématiquement dans plusieurs
hypothèses et peut à cet égard soulever des dificultés dans la mesure où il n’est
pas toujours aisé pour un tribunal arbitral de manier des concepts propres à un
ordre juridique étranger aux arbitres.
C’est d’abord le cas lorsque le traité applicable comporte une clause de respect
du droit de l’État d’accueil, c’est-à-dire qu’il subordonne l’octroi de sa protection
au respect du droit local par l’opération d’investissement. Le tribunal n’a guère
d’autre choix en pareille hypothèse que de se muer en juridiction interne en faisant
application des règles pertinentes. Plusieurs questions se posent toutefois au sujet
de cette condition, à commencer par l’identiication du « droit interne » qu’il s’agit
de respecter. Il semble que la pratique arbitrale soit plutôt restrictive à ce sujet,
notamment parce que les dispositions contractuelles en sont exclues : seules les
règles issues des normes unilatérales (lois, décrets, etc.) imposées par l’État sont
concernées 333. Cette solution semble en tout état de cause s’imposer : une violation
contractuelle relèverait d’un litige contractuel et donc de la compétence du juge
du contrat. Elle ne saurait avoir d’inluence sur l’applicabilité du traité qui reste
un instrument autonome, et la présence d’une clause de couverture ne changerait
sans doute rien à cette situation 334. Plus généralement, il se peut aussi que le
droit national soit appliqué sans dificulté par le tribunal au titre de l’examen de
la licéité interne de l’investissement, quitte à faire appel à des commentaires ou
analyses non obligatoires mais susceptibles d’éclairer les arbitres sur la signiica-
tion des dispositions du droit local 335. Le tribunal en pareille espèce se comporte
alors pleinement à la manière d’une juridiction nationale. C’est là un point impor-
tant car la pratique des comités ad hoc en termes d’annulation semble encline à
vériier l’application correcte du droit local par les tribunaux arbitraux lorsqu’elle
est possible : l’annulation ne peut alors pas être retenue à partir du moment où les
arbitres ont appliqué le droit local comme l’auraient fait les juges nationaux 336.
L’application du droit national s’impose également en partie aux arbitres à
partir du moment où l’instrument qui fonde le litige relève du droit national, notam-
ment si c’est un contrat 337. Il en va de même si le consentement de l’État à la
compétence du tribunal s’est exprimé non dans un instrument conventionnel mais
dans une loi nationale, qui relève naturellement de l’ordre juridique interne 338. Le
droit national est alors appelé à jouer un rôle essentiel dans l’interprétation de ce
consentement, même s’il ne sera probablement pas appliqué seul : le consentement
dans un instrument interne à la compétence d’un tribunal international demeure
un acte juridique relevant à la fois de l’ordre juridique interne et international, et
dont l’interprétation appelle donc l’application de ces deux corpus normatifs 339. Il
semble toutefois que la tendance générale de la jurisprudence soit à l’octroi d’une
certaine priorité au droit international pour interpréter ces actes unilatéraux,
voire à une exclusivité de ce dernier 340. Ce n’est pas la première fois que l’on aura
constaté un certain malaise des tribunaux arbitraux lorsqu’il leur a fallu appliquer
un droit interne 341.
ii) Dans l’hypothèse, d’ailleurs, où les arbitres disposent d’une certaine marge
de manœuvre dans l’application ou non du droit national, on ne manquera pas de
constater une très nette tendance à l’application du droit international au détri-
ment de celui-là. C’est d’abord le cas lorsque le consentement est exprimé dans un
traité : malgré la tentative du défendeur, le tribunal de l’affaire Ambiente Uficio
a clairement écarté la pertinence du droit national ain de trancher les questions
de consentement qui ne sauraient être examinées qu’au regard du droit interna-
tional 342. Cette solution semble toutefois imposée sur le plan juridique puisque
le droit interne est par principe écarté des questions conventionnelles en vertu
de la convention de Vienne. Mais il se peut que les arbitres fassent preuve d’un
334. La clause de couverture ne couvre en effet que les comportements de l’État et ne porte donc que
sur les violations contractuelles qui lui sont imputables. Elle n’a aucunement pour objet les éventuelles
violations contractuelles dont pourrait se rendre coupable l’investisseur.
335. CIRDI, Metal-Tech Ltd c. Ouzbékistan, aff. n° ARB/10/3, sentence du 4 octobre 2013, §§ 282 et s.
336. Comité ad hoc CIRDI, Malicorp Limited c. Egypte, aff. n° ARB/08/18, décision sur la demande
en annulation, 3 juillet 2013, § 155. On ne manquera pas de relever qu’une telle solution, séduisante en
théorie, est dificile à mettre en pratique puisqu’il n’est pas évident d’identiier la manière dont les tribu-
naux internes auraient pu faire application du droit national.
337. CPA (CNUDCI), Chevron Corporation & Texaco Petroleum Corporation c. Équateur, n° 2009/23,
sentence partielle du 17 septembre 2013, § 63.
338. Voy. l’analyse de B. remy, « Chronique des sentences arbitrales », JDI, n° 2014/1, pp. 250 et s.
339. CIRDI, Tidewater Inc. e.a. c. Venezuela, aff. n° ARB/10/5, décision sur la compétence, 8 février
2013, § 86.
340. Voy. supra I, D.
341. Voy. par exemple CIRDI, Inceysa Vallisoletana, SL c. République du Salvador, aff. n° ARB/03/26,
sentence du 2 août 2006, § 220, dans laquelle le tribunal parvint à éviter l’application du droit interne
en jugeant que ce dernier incluait notamment des normes internationales et qu’à elles revenait donc la
priorité d’application.
342. CIRDI, Ambiente Uficio SpA e.a. c. Argentine (anciennement Giordano Alpi e.a. c. Argentine),
aff. n° ARB/08/9, décision sur la compétence et la recevabilité, 8 février 2013, §§ 153, 241, 257.
volontarisme plus marqué. Dans la sentence AHS c. Niger, c’est ainsi le droit
nigérien qui semblait applicable au fond, et donc notamment à la question de la
réparation. Mais le tribunal s’appuya uniquement sur des références internatio-
nales sans aucun lien avec le droit local 343. Sans doute le défaut du défendeur à
la procédure justiiait-il en partie cette position. Mais elle n’en conirme pas moins
un phénomène observé sous divers angles : dès qu’ils le peuvent, les tribunaux
arbitraux s’écartent de l’application du droit interne.
Sur le fond, au demeurant, on ne manquera pas de constater une volonté
nette des tribunaux confrontés à la question de l’articulation entre droit interne
et droit international de se placer sous les auspices du second, même lorsque le
premier est en cause. Si, ainsi, des violations du droit interne sont alléguées, il est
entendu qu’elles ne peuvent relever de la compétence du tribunal sauf à consti-
tuer elles-mêmes des violations du droit international. Invoquer des violations
internes n’est donc pas un obstacle à la compétence des arbitres pour autant que
des méconnaissances de normes internationales le sont également : mais ce n’est
alors que sur ces dernières que portera la compétence du tribunal 344. Sur le fond,
d’ailleurs, il est évident que la violation du TBI ne peut se déduire des méconnais-
sances, fussent-elles multiples, du droit interne : il importe d’apporter la preuve
d’un élément supplémentaire, c’est-à-dire celle d’une violation directe et autonome
du droit international 345.
C. Preuve
343. CIRDI, AHS Niger et Menzies Middle East and Africa SA c. Niger, aff. n° ARB/11/11, sentence
du 15 juillet 2013, §§ 131 et s.
344. CIRDI, Teco Guatemala Holdings LLC c. Guatemala, aff. n° ARB/10/17, sentence sur la compé-
tence et sur le fond, 19 décembre 2013, §§ 467 et s.
345. CIRDI, Rompetrol Group NV c. Roumanie, aff. n° ARB06/3, sentence, 6 mai 2013, § 177.
346. CIRDI, Philip Morris Brands SARL et a. c. Uruguay, n° aff. n° ARB/10/7, décision sur la compé-
tence, 2 juillet 2013, § 29. Voy. également CIRDI, Tulip Real Estate and Development Netherlands c.
Turquie, ARB/11/28, décision sur la compétence (bifurcation), 5 mars 2013, § 48.
347. CIRDI, Metal-Tech Ltd c. Ouzbékistan, aff. n° ARB/10/3, sentence du 4 octobre 2013, § 237.
348. Trib. CNUDCI (ALENA), Apotex Inc. c. États-Unis, décision sur la compétence et la recevabilité,
14 juin 2013, § 150 ; CIRDI, Kiliç Insaat Ithalat Ihracat Sanayi Ve Ticaret Anonim Sirketi c. Turkmenistan,
aff. n° ARB/10/1, sentence du 2 juillet 2013, § 8.1.15.
la charge même si cette position n’est pas unanimement partagée 349. Quoi qu’il
en soit, il se peut que les questions de charge de la preuve soient dépassées par les
arbitres, qui cherchent avant tout à obtenir des éléments de nature à contribuer à
l’établissement de la vérité : seule importe au fond la combinaison des différents
éléments collectés, quelle que soit la partie qui les a apportés 350.
349. Voy. CIRDI, OPIC Karimun Corporation c. Venezuela, aff. n° ARB/10/14, sentence du 28 mai
2013, opinion dissidente de S. G. Tawil, § 26.
350. Sentence Metal-Tech Ltd, op. cit., § 243.
351. CIRDI, Apotex Holdings Inc. et Apotex Inc. c. États-Unis d’Amérique, aff. n° ARB(AF)/12/1,
ordonnance procédurale concernant la production de documents, 5 juillet 2013, § 13. Le règlement d’arbi-
trage du mécanisme supplémentaire prévoit en effet en son article 42 que « Le tribunal est juge de la
recevabilité de toute preuve invoquée et de sa valeur probatoire », si bien qu’il est relativement libre dans
l’administration des éléments de preuve.
352. Id., § 21.
353. Voy. ainsi l’étude annuelle du Conseil d’État français, Le droit souple, Paris, La Documentation
française, 2013, 200 p.
354. CIRDI, Mercer International Inc. c. Canada, aff. n° ARB(AF)/12/3, ordonnance procédurale n° 1,
24 janvier 2013, § 40.
pour être appliquées avec une grande souplesse, si bien que leur applicabilité
ne soulève pas de grande dificulté tant elles semblent inhérentes à l’arbitrage
international 355. Sans doute une partie à l’arbitrage pourrait-elle s’opposer à leur
application et neutraliserait-elle alors toute possibilité d’y avoir recours. Mais il ne
semble pas qu’une telle attitude aille dans l’intérêt des plaideurs.
En tout état de cause, l’importance de ces règles de l’IBA révèle ici une certaine
originalité du contentieux transnational qui, non content de transcender les ordres
juridiques, transcende assez largement les distinctions entre les différentes sources
du droit.
355. Voy. CPA (CNUDCI), Mesa Power Group, LLC c. Canada, aff. n° 2012-17, ordonnance procédu-
rale n° 3, 18 janvier 2013, § 65.
356. Sur cette condition spéciiquement et l’exception d’ineficacité dans la jurisprudence récente,
voy. B. remy, « Chronique des sentences arbitrales », JDI, n° 2014/1, pp. 291 et s.
357. CPA (CNUDCI), ST-AD GmbH c. Bulgarie, aff. n° 2011-06, décision sur la compétence, 18 juillet
2013, § 366. Dans le sens inverse, le tribunal tirera argument du fait que le requérant avait engagé de
multiples procédures internes pour établir la preuve de sa foi dans le système et donc une certaine contra-
diction dans son argumentation (id., § 367).
358. CIRDI, Kiliç Insaat Ithalat Ihracat Sanayi Ve Ticaret Anonim Sirketi c. Turkmenistan, aff.
n° n°ARB/10/1, sentence du 2 juillet 2013, §§ 8.1.1. et s.
359. C. SantuLLi, Droit du contentieux international, Paris, Montchrestien, 2005, p. 529.
360. Ord. Mesa Power Group, op. cit., §§ 63-68.
objective – si tant est que l’objectivité soit possible au sujet de l’évaluation – mais
elles entraînent également une forme de dépossession du tribunal arbitral qui ne
peut plus que prendre acte de données économiques auxquelles les juristes restent
pour l’essentiel, il faut le reconnaître, assez hermétiques.
D. Procédure arbitrale
On sait que la procédure arbitrale est déterminée pour l’essentiel par le règle-
ment applicable et que celui-ci, quel qu’il soit, a pour ambition de régler le plus
grand nombre de questions possibles. Mais certaines interrogations nouvelles appa-
raissent nécessairement, et laissent les tribunaux dans des situations plus ou
moins délicates en fonction de la précision des dispositions applicables à leur sujet.
369. Voy. cette chronique, cet Annuaire 2009, pp. 718 et s. ; 2011, p. 587 ; 2012, p. 649 ; ainsi que F.
griSeL / J. e. Vi ñuaLeS, « L’amicus curiae dans l’arbitrage d’investissement », ICSID Rev., vol. 22 (2),
2007, pp. 380-432.
370. Deux ordonnances ont été rendues le même jour dans la même affaire au sujet de la participation
de deux personnes extérieures à la procédure : CIRDI, Apotex Holdings Inc. et Apotex Inc. c. États-Unis
d’Amérique, ARB(AF)/12/1, ordonnance procédurale sur la participation de M. Barry Appleton en tant que
partie non contestante, et ordonnance procédurale sur la participation de BNM en tant que partie non
contestante, 4 mars 2013. De manière sans doute un peu surabondante, le tribunal indiqua également
que M. Appleton n’avait pas fait état de son implication dans de nombreuses affaires ALENA par le passé,
laissant peser un soupçon de conlit d’intérêt sur son intervention (§ 46).
371. Ordonnance procédurale sur la participation de M. Barry Appleton, § 32.
s’est aujourd’hui totalement détaché de la igure de l’expert dont il est plus ou moins
issu, puisque l’on doit pouvoir considérer que les connaissances des arbitres et des
conseils sont globalement sufisantes pour trancher une affaire. Une demande
d’intervention ne saurait donc être pertinente que si elle émane d’une personne ou
d’un organisme disposant de compétences supplémentaires, notamment dans des
secteurs techniques ou particulièrement sensibles, comme bien entendu le droit
de l’environnement.
Il en irait également ainsi, bien entendu, du droit de l’Union européenne. La
multiplication évoquée supra des points de contact entre ce dernier et le droit
de l’investissement a d’ailleurs donné à la Commission européenne l’occasion de
demander à participer à des procédures auxquelles elle n’était pas partie, jugeant
que son point de vue pouvait être éclairant et cherchant sans nul doute également
à préserver le droit de l’Union d’une trop forte incursion des tribunaux arbitraux.
On ne manquera pas à cet égard de souligner que les arguments développés par la
Commission européenne dans l’affaire Micula ont retenu partiellement l’attention
du tribunal, qui a pris soin de les mentionner systématiquement. Même si en déi-
nitive l’argument – commun au défendeur et à la Commission – suivant lequel le
constat d’une violation du TBI risquerait d’être qualiiée d’aide d’État prohibée par
le droit de l’Union n’a pas été retenu par le tribunal : le désaccord entre la « cour »
et son « ami » n’est donc pas une hypothèse à exclure.
– Une autre hypothèse doit être brièvement évoquée, qui est celle de l’affaire
Churchill Mining, dans laquelle une subdivision territoriale de l’État défendeur
n’était pas partie au litige et ne bénéiciait pas davantage du statut d’amicus curiae.
Ceci n’a aucunement empêché le tribunal d’accepter que participent des représen-
tants de la collectivité à l’équipe de conseils du défendeur, ni même qu’elle coopère
à la préparation de l’affaire et soumette des éléments de preuve 372. C’est là une
manière intéressante de reconnaître des droits aux collectivités territoriales, même
s’il s’agit d’une affaire CIRDI, dans le cadre duquel on sait que les collectivités
peuvent bénéicier directement de certaines prérogatives en vertu de l’article 25
de la convention de Washington. Sans qu’il s’agisse donc d’un amicus curiae, une
personne distincte du défendeur a pu participer à l’argumentation développée par
ce dernier et prendre directement part à la procédure. Cette solution paraît assez
discutable du point de vue du droit international, et sans doute se fonde-t-elle sur
le principe suivant lequel le défendeur est libre d’organiser sa défense comme il
l’entend, et de travailler en étroite collaboration avec la collectivité territoriale dont
les actes lui sont imputables en droit international. Mais il n’en reste pas moins
qu’une telle liberté ne permet pas généralement une participation directe de cette
collectivité à l’instance en principe et c’est la raison pour laquelle le tribunal a tenu
à préciser qu’il ne s’agissait aucunement d’une partie, en raison du principe d’unité
de l’État en droit international 373.
372. CIRDI, Churchill Mining PLC et Planet Mining Pty Ltd c. Indonésie, aff. n° ARB/12/14 et 12/40,
ordonnance procédurale n° 2, 5 février 2013, § 28.
373. Id. § 27.
transnational, et ceci demeure même lorsque sont en cause les comportements des
entités juridictionnelles de l’État d’accueil 374. La seule réserve tiendrait à l’hypo-
thèse dans laquelle c’est un déni de justice qui est recherché, puisqu’il s’agit alors
d’un comportement imputable exclusivement au pouvoir judiciaire 375. Mais en
pareil cas, l’épuisement des voies de recours n’est pas tant une question de receva-
bilité qu’une question de fond : c’est bien la manière dont les recours internes sont
accessibles et les conditions dans lesquelles ils peuvent être épuisés qui pourra
alors conduire à la qualiication, ou non, de déni de justice. Il importe donc de
ne pas écarter systématiquement la condition d’épuisement des voies de recours
internes de l’arbitrage d’investissement, même si elle semble changer légèrement
de signiication dans ce contexte.
Par-delà l’hypothèse du déni de justice, il semble que l’épuisement des voies
de recours s’impose à partir du moment où les actes reprochés à l’État émanent de
l’action de ses juridictions, dans la mesure où une possibilité de retour à la légalité
internationale demeure ouverte 376. Mais, à cet égard, il faut prendre garde au fait
que les tribunaux arbitraux n’ont aucunement vocation à se substituer aux juges
internes ou à jouer un rôle de juridiction d’appel ou de cassation des décisions
nationales : c’est la raison pour laquelle il importe qu’une décision déinitive ait
été rendue, ce qui ne peut être le cas que si les recours ont été épuisés, à moins
que l’inutilité de ceux-ci soit établie au regard des faiblesses du système judiciaire
interne. Sans doute, pourrait-on objecter, n’est-ce pas là une manière d’éviter qu’un
tribunal arbitral se comporte en juridiction d’appel d’un juge interne puisqu’il se
peut parfaitement qu’un acte juridictionnel (déinitif) engage la responsabilité
internationale de l’État. Mais une telle hypothèse ne se situe pas sur le même
plan. Si les voies internes ne sont pas épuisées, l’arbitre s’immisce dans un litige
interne et agit alors à la manière d’un échelon hiérarchique. Si en revanche les
recours – utiles – ont été exploités, le litige change de nature et il ne s’agit plus
que d’examiner la licéité internationale du comportement d’un État – quel que soit
l’organe qui en est à l’origine. On comprend donc que les tribunaux, soucieux sans
doute aussi de pédagogie et de neutralisation des critiques qui pourraient leur être
adressées, restent prudents sur ces questions.
Il importe simplement d’indiquer que la pratique conventionnelle, en règle
générale, consiste à imposer au requérant soit d’épuiser les recours internes, soit
de présenter un tel recours et d’attendre l’expiration d’un certain délai (variant
généralement entre un an et dix-huit mois) avant de pouvoir s’adresser au tribunal
arbitral. Il s’agit ici d’une forme de demi-mesure permettant de ne pas écarter
totalement le juge national en lui laissant la possibilité de statuer sur le litige,
tout en évitant de paralyser l’investisseur en lui offrant la possibilité d’une saisine
du tribunal arbitral à l’issue d’un délai dont la durée est raisonnable. Il faut alors
relever que la méconnaissance d’une telle condition n’est pas sanctionnée de
manière déinitive : si un investisseur devait saisir un tribunal sans avoir attendu
l’expiration du délai, celui-ci ne pourrait naturellement être compétent mais il
semble que la saisine d’un nouveau tribunal dans le respect des conditions ne
poserait pas de dificulté de ce point de vue 377.
374. CIRDI, Franck Charles Arif c. Moldavie, aff. n° ARB/11/23, sentence du 8 avril 2013, § 334.
375. Id., § 344. Dans le même sens, CIRDI, Rompetrol Group NV c. Roumanie, aff. n° ARB06/3,
sentence, 6 mai 2013, § 160.
376. Trib. CNUDCI (ALENA), Apotex Inc. c. États-Unis, décision sur la compétence et la recevabilité,
14 juin 2013, §§ 280 et s., spéc. § 282 et § 284. Cette position est différente de celle adoptée par le tribunal
dans l’affaire Arif, sentence op. cit., § 344, qui semble limiter l’application de la condition à la seule
hypothèse du déni de justice.
377. CIRDI, Ömer Dede et Serdar Elhüseyni c. Roumanie, aff. n° ARB/10/22, sentence du 5 septembre
2013, § 275.
378. CPA (CNUDCI), Detroit International Bridge Company c. Canada, aff. n° 2012-25, ordonnance
procédurale n° 2, 28 janvier 2013, §§ 25-27.
379. CPA (CNUDCI), Mesa Power Group, LLC c. Canada, aff. n° 2012-17, ordonnance procédurale
n° 3, 28 mars 2013, § 39.
380. Voy. cette chronique, cet Annuaire, 2012, p. 644, et, par exemple, N. rubinS, « The allocation
of costs and Attorney’s fees in investor-State arbitration », ICSID Rev., vol. 18, 2003, pp. 109-129 ; M.
raux, « La charge des coûts de l’arbitrage dans la jurisprudence CIRDI », Gaz. Pal. – Cah. Arb., n° 2007/4,
pp. 28-30.
381. CIRDI, Rompetrol Group NV c. Roumanie, aff. n° ARB06/3, sentence, 6 mai 2013, § 298.
382. CIRDI, Teco Guatemala Holdings LLC c. Guatemala, aff. n° ARB/10/17, sentence sur la compé-
tence et sur le fond, 19 décembre 2013, § 777.
383. CIRDI, Burimi SRL et Eagle Games SH.A c. Albanie, aff. n° ARB/11/18, sentence du 29 mai
2013, §§ 163 et s.
384. CIRDI, Metal-Tech Ltd c. Ouzbékistan, aff. n° ARB/10/3, sentence du 4 octobre 2013, §§ 389-390
et 421-422.
385. CIRDI, KT Asia Investment group BV c. Kazakhstan, aff. n° ARB/09/8, sentence du 17 octobre
2013, § 228.
386. Voy. cette chronique, cet Annuaire, 2011, pp. 589 et s.
387. Résolution préc. du 13 septembre 2013, art. 9.
388. Dans l’ordre, respectivement : CIRDI, Blue Bank International and Trust (Barbados) Ltd. c. Vene-
zuela, aff. n° ARB/12/20, décision sur la demande de récusation de la majorité du tribunal, 12 novembre
2013 ; CIRDI, Burlington Ressources, Inc. c. Équateur, aff. n° ARB/08/5, décision sur la demande de
récusation de F. Orrego Vicu ña, 13 décembre 2013 ; CPA (CNUDCI), CC/Devas (Mauritius), Ltd. e.a.
c. Inde, n° 2013-09, décision sur la demande de récusation Marc Lalonde (président) et F. Orrego Vicuna
(arbitre), 30 septembre 2013.
389. CIRDI, Burlington Ressources, Inc. c. Équateur, aff. n° ARB/08/5, décision sur la demande de
récusation de F. Orrego Vicuña, ibid., § 16.
390. Dans l’affaire Blue Bank, deux arbitres étaient visés : l’un d’entre eux fut récusé, l’autre avait
démissionné par anticipation. Dans l’affaire Burlington, un seul arbitre était visé et fut récusé. Dans
l’affaire CC/Devas, un arbitre sur les deux fut récusé. Sur cinq arbitres visés, trois furent récusés, l’un a
démissionné et un seul fut conirmé.
391. Décision Blue Bank International, op. cit., § 60.
392. Id., § 61.
393. Id., §§ 67-69.
394. CPA (CNUDCI), CC/Devas (Mauritius), Ltd. e.a. c. Inde, n° 2013-09, décision sur la demande
de récusation Marc Lalonde (président) et F. Orrego Vicuña (arbitre), § 64.
395. CIRDI, Burlington Ressources, Inc. c. Équateur, aff. n° ARB/08/5, décision sur la demande de
récusation de F. Orrego Vicuña, 13 décembre 2013.
risque était sufisamment élevé pour que l’on considère que l’impartialité pouvait
être menacée, justiiant une décision aussi radicale. On doit bien entendu se féli-
citer de ce que ces préoccupations soient aujourd’hui véritablement sanctionnées
dans l’arbitrage, tout en précisant que ce n’est aucunement la personnalité de
l’arbitre qui est en cause mais son positionnement au regard d’une affaire donnée.
Il importe en outre de mettre en garde les parties contre le risque d’une trop grande
multiplication de ces demandes pour l’intégrité du système. Il ne faudrait pas que
les succès récents des demandes conduisent les plaideurs à les multiplier jusqu’à
en faire un argument systématique. Il en va tout simplement de la crédibilité de
l’arbitrage et de son acceptation comme l’un des modes de règlement des litiges les
plus dynamiques et créatifs du droit international.