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DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE

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ANNUAIRE FRANÇAIS DE DROIT INTERNATIONAL
LIX – 2013 – CNRS Éditions, Paris

ARBITRAGE TRANSNATIONAL ET DROIT


INTERNATIONAL GÉNÉRAL (2013)
Patrick JACOB
Franck LATTY
arnaud de NANTEUIL

Les sentences, décisions et ordonnances rendues par les tribunaux arbitraux


d’investissement au cours de l’année 2013 1 semblent conirmer le désenclavement
toujours plus marqué du contentieux transnational : non seulement parce que son
ancrage dans le droit international général ne cesse de se conirmer, mais encore
parce que les débats relatifs au traité de libre échange transatlantique, si l’on met
à part la quantité d’informations erronées qui ont circulé à son sujet, ont permis
son évocation dans des forums peu habituels, même si ce ne fut pas toujours en
des termes élogieux 2. Néanmoins, les grandes tendances constatées à cet égard
ces dernières années se sont largement conirmées en 2013 : outre des apports
intéressants à différentes questions du droit international public, la jurisprudence
arbitrale a été de nouveau confrontée cette année à plusieurs reprises au droit de
l’Union européenne, avec lequel l’articulation n’est pas toujours simple. Les velléités
manifestées par Commission d’intervenir dans le cadre des procédures, soucieuse
sans doute de préserver ses compétences des intrusions d’un droit venu d’ailleurs,
révèle à cet égard toute l’importance acquise par le droit de l’investissement dans
l’économie internationale 3.
Ceci n’est qu’un des paramètres qui expliquent, avec bien d’autres, l’importance
croissante prise par les questions procédurales dans le contentieux transnational,
au détriment parfois du fond. Si cette évolution – qu’un simple coup d’œil sur les
décisions rendues cette année permet d’afirmer sans ambiguïté – n’est pas sans
intérêt du point de vue du droit international général ou à tout le moins de celui du
droit du contentieux, elle n’est sans doute pas réjouissante dans la seule perspective
des procédures arbitrales qu’elle contribue à allonger, à alourdir et dont le coût
ne cesse de s’aggraver. Le dynamisme du contentieux, toutefois, ne pâlit pas. Il se
traduit en particulier non seulement par le nombre de décisions arbitrales rendues
au cours de l’année mais également par la quantité de requêtes déposées, qui ne
tarit pas : ce sont ainsi cinquante-six nouvelles procédures qui ont été initiées cette
année, soit deux de moins qu’au cours de l’année 2012 qui représentait un record

(*) Patrick Jacob, maître de conférences à l’Université Paris Sud 11.


(**) Franck Latty, professeur à l’Université Paris 13, Sorbonne Paris Cité.
(***) Arnaud de nanteuiL, professeur à l’Université du Maine.
1. Les décisions arbitrales citées ci-après sont accessibles sur le site de la faculté de droit de l’Uni-
versité de Victoria (Canada) « Investment Treaty Arbitration » [http://ita.law.uvic.ca] ou sur le site du
CIRDI [icsid.worldbank.org].
2. Voy. le communiqué de la Commission européenne, « La Commission va consulter les citoyens
européens sur les dispositions de l’accord commercial UE-États-Unis relatives aux investissements et au
règlement des différends entre investisseurs et États », IP/14/56, 21 janvier 2014.
3. Voy. sur la question de la participation de la Commission aux procédures arbitrales infra, III, D, 1.

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absolu de ce point de vue 4. Quant au nombre de décisions rendues, il se situe


toujours autour d’une quarantaine. La tendance semble donc être à la stabilité.
Une telle richesse quantitative implique nécessairement une très grande
variété des questions abordées, qui sont autant de thématiques susceptibles de
retenir l’attention des internationalistes « généralistes ». Comme chaque année, à
travers l’étude des sources (I), de la responsabilité (II) et du droit du contentieux
(III), la présente chronique s’efforcera, en visant l’exhaustivité sans nécessairement
l’atteindre, de mettre en lumière les apports du contentieux transnational d’inves-
tissement au droit international général 5.

I. – ARBITRAGE TRANSNATIONAL
ET SOURCES DU DROIT INTERNATIONAL

A. Traités

« L’interprétation et l’application des instruments internationaux bilatéraux ou


multilatéraux de protection des investissements internationaux sont assurées
conformément aux règles générales du droit international telles que relétées par
la convention de Vienne sur le droit des traités ».
L’Institut du droit international a dû avoir d’autant moins de peine à formuler
l’article 1er de sa déclaration sur les « aspects juridiques du recours à l’arbitrage
par un investisseur contre les autorités de l’État hôte en vertu d’un traité inter-
étatique » 6 que la mention de la convention de Vienne est quasi-systématique dès
lors que l’interprétation d’un traité est en cause dans le contentieux transnational
relatif à l’investissement 7. Les règles qu’elle contient peuvent d’ailleurs être mises
en œuvre au titre du droit coutumier, les tribunaux n’ayant aucune peine à leur
reconnaître cette valeur notamment, mais pas uniquement 8, lorsque l’un des États
impliqués n’y est pas partie 9.
C’est que l’invocation de la convention apparaît comme un moyen pour les
arbitres de légitimer leurs décisions. Cela est particulièrement visible dans la déci-
sion Ambiente Uficio, dans laquelle le tribunal a admis la recevabilité, pourtant
très controversée depuis la décision Abaclat 10, d’une demande d’arbitrage multi-
partite adressée par des détenteurs de bons du Trésor argentin victimes collaté-
rales de la restructuration de la dette de cet État. L’Argentine avait-elle consenti
à semblable arbitrage multipartite ? L’acquisition de bons du trésor pouvait-elle
être considérée comme un investissement ? Si oui, cet investissement avait-il été

4. CNUCED, Word Investment Report 2014, UN Publications, 2014, p. 124.


5. La première partie a été rédigée par P. Jacob, la deuxième par F. Latty, la troisième par A. de
nanteuiL.
6. Session de Tokyo, résolution du 13 septembre 2013.
7. Au point qu’il est plus aisé de citer les décisions qui ne la mentionnent pas expressément au moment
de procéder à une interprétation, telles que les décisions CIRDI, Burimi SRL et Eagle Games SH.A c.
Albanie, ARB/11/18, sentence du 29 mai 2013, § 121 ou Trib. CNUDCI (ALENA), Apotex Inc. c. États-Unis,
décision sur la compétence et la recevabilité, 14 juin 2013, §§ 143-144.
8. CIRDI, KT Asia Investment group BV c. Kazakhstan, ARB/09/8, sentence du 17 octobre 2013, § 86.
9. CIRDI, Tulip Real Estate and Development Netherlands c. Turquie, ARB/11/28, décision sur la
compétence (bifurcation), 5 mars 2013, § 43 ; CIRDI, Franck Charles Arif c. Moldavie, ARB/11/23, sentence
du 8 avril 2013, § 387 ; CIRDI, Rompetrol Group NV c. Roumanie, aff. n° ARB06/3, sentence, 6 mai 2013,
§ 197 ; CIRDI, Ioan Micula e.a. c. Roumanie, ARB/05/20, sentence du 11 décembre 2013, § 503.
10. CIRDI, Abaclat et al. (anciennement Giovanna a Beccara et al.) c. Argentine, aff. n° ARB/07/5,
décision sur la compétence et la recevabilité, 4 août 2011, opinion dissidente de G. Abi-Saab.

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effectué sur le territoire argentin alors même que les bons en cause avaient été
acquis sur un marché secondaire ? Enin, les demandeurs pouvaient-ils s’adresser
directement à un tribunal CIRDI sans passer par les juridictions argentines quand
le traité en cause prévoyait leur saisine préalable ? Autant de questions complexes
et discutées, auxquelles la majorité répond par l’afirmative, directives d’inter-
prétation de la Convention de Vienne à l’appui. L’effet légitimant prêté à ce texte
apparaît en particulier s’agissant d’interpréter l’obligation de soumettre le différend
aux juridictions internes pendant dix-huit mois comme comprenant une exception
d’ineficacité du recours. C’est en effet pour répondre aux critiques adressées à la
majorité de l’affaire Abaclat, qui avait pris selon l’arbitre dissident « the liberty of
striking out a clear conventional requirement, on the basis of its purely subjective
judgment » 11 en limitant la portée de cette obligation, que les arbitres de l’affaire
Ambiente Uficio se sont placés sur le terrain de la Convention de Vienne :
« The present Tribunal has chosen a different path for its own reasoning on the matter
and has (…) laid out in detail how an interpretation strictly faithful to the require-
ments of Art. 31 of VCLT, notably including Art. 31(3)(c) of the Vienna Convention,
leads to identify a futility exception in the pertinent lex lata, i.e. Art. 8(2) and (3) of
the Argentina-Italy BIT » 12.
Toutefois, si le recours à la Convention de Vienne peut sans doute encadrer
le processus d’interprétation, il ne saurait masquer la liberté que les directives
qu’elle codiie laissent à l’interprète. Or, bien que la proposition de Vattel selon
laquelle « la première maxime générale sur l’interprétation est qu’il n’est pas permis
d’interpréter ce qui n’a pas besoin d’interprétation » 13 soit rappelée ici ou là par
les tribunaux arbitraux 14, tout ou presque semble matière à interprétation dans le
contentieux transnational relatif à l’investissement 15. Dès lors, l’issue de la plupart
des arbitrages dépend en grande partie de la manière dont les arbitres appliquent,
et donc interprètent, les directives d’interprétation.
La mise en œuvre de certaines de ces directives ne pose guère de dificulté.
Ainsi, confronté à un argument de la Russie selon lequel la version russe du traité
sur la charte de l’énergie ne prévoyait pas, à la différence des autres versions
authentiques, la possibilité de recourir à un arbitrage selon les règles de la chambre
de commerce de Stockholm, le tribunal de l’affaire Stati a pu s’appuyer sans peine
sur l’article 33, § 3, de la convention 16 pour rappeler que « although the ECT is
plurilingual, it is one single treaty with a single set of terms which should be inter-
preted as having one meaning » 17.
Mais l’application d’autres dispositions de la Convention de Vienne peut être
plus délicate, ainsi que l’illustre l’interprétation des clauses de la nation la plus

11. Opinion dissidente de G. Abi-Saab, § 30.


12. CIRDI, Ambiente Uficio SpA e.a. c. Argentine (anciennement Giordano Alpi e.a. c. Argentine),
ARB/08/9, décision sur la compétence et la recevabilité, 8 février 2013, § 626.
13. E. de VatteL, Le droit des gens ou Principes de la loi naturelle, Neuchâtel, t. 2, § 263.
14. CIRDI, Garanti Koza LLP c. Turkménistan, aff. n° ARB/11/20, décision sur la compétence, 3 juillet
2013, § 36 ; CIRDI, ConocoPhillips Petrozuata BV e.a. c. Venezuela, aff. n° ARB/07/30, décision sur la
compétence et le fond, 3 septembre 2013, § 285.
15. En ce sens, voy. S. Hamamoto, « Méthodologie extraordinaire pour trouver le sens ordinaire ? Le
sens ordinaire pour les tribunaux compétents en matière d’investissement », Unité et diversité du droit
international. Mélanges en l’honneur de Pierre-Marie Dupuy, Martinus Nijhoff, 2014, pp. 689-707, qui
estime que le « sens ordinaire » des termes n’existe pas a priori mais qu’il leur est attribué au terme d’une
opération d’interprétation formant un tout intégré.
16. Aux termes duquel « les termes d’un traité sont présumés avoir le même sens dans les divers
textes authentiques ».
17. Ch. Comm. Stockholm, Anatolie Stati e.a. c. Kazakhstan, n° 116/2010, sentence du 19 décembre
2013, § 708.

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favorisée, et en particulier la question disputée de l’extension de leur portée aux


dispositions procédurales, voire au consentement à l’arbitrage. Le jeu des présomp-
tions pourrait déjà affecter cette interprétation. Un tribunal a ainsi souligné que
dès lors que « consent is the cornerstone of all international treaty commitments
[…] in its interpretation and application there is an inertia against too expansive a
construction of the reach of the BIT » 18. Mais la majeure partie des arbitres afichent
une posture de neutralité à cet égard, estimant qu’aucne présomption, dans un
sens ou dans l’autre, ne peut être déduite ni de la convention de Vienne 19, ni du
contentieux arbitral en matière d’investissement 20. Comme les autres dispositions
des traités, les clauses de la nation la plus favorisée doivent donc simplement être
interprétées de bonne foi.
Le texte et le contexte jouent alors, conformément aux prescrits de l’article 31,
un rôle majeur. Ainsi, la formulation de la clause de la nation la plus favorisée
du traité Royaume-Uni/Turkménistan a-t-elle fortement pesé dans la décision de
la majorité du tribunal de l’affaire Garanti Koza d’en étendre la portée au point
d’importer le consentement de l’État défendeur à l’arbitrage CIRDI depuis un traité
Suisse/Turkménistan 21. À l’inverse, si les tribunaux des affaires Kiliç, ST-AD GmbH
et Metal-Tech Ltd ont exclu pareille extension, c’est aussi parce que le texte de
chacun des traités sur le fondement desquels ils étaient saisis inclinait moins nette-
ment dans cette direction. Dans un cas, parce que sa structure tendait à marquer
une césure nette entre les dispositions substantielles, dont la clause de la nation la
plus favorisée, et procédurales 22 ; dans l’autre parce que la clause ne s’appliquait
qu’au traitement sur le territoire de l’État d’accueil excluant ainsi l’arbitrage 23 ;
dans le troisième parce que le texte et le contexte de la clause ne permettaient pas
d’en étendre le bénéice à la déinition même de l’investissement 24.
Les variations textuelles n’expliquent toutefois pas tout. En effet, ces diffé-
rences d’appréciation traduisent également pour partie des modulations dans la
mise en œuvre des directives d’interprétation de la convention de Vienne. D’un
côté, la majorité de l’affaire Garanti Koza a entendu privilégier une interprétation
textuelle. Pour elle, « the best indication of the intentions of the State parties to the
UK-Turkmenistan BIT is the text of the treaty they signed » 25. Ainsi, seule la volonté
déclarée des parties devrait-elle être prise en compte aux ins de l’interprétation.
De l’autre, les tribunaux des affaires Kiliç et ST-AD ont complété l’interprétation
textuelle par une recherche de la volonté réelle des parties en remarquant qu’à
la date de la signature des traités, celles-ci ne pouvaient avoir voulu une telle
extension des clauses de la nation la plus favorisée, qui peut priver des disposi-
tions procédurales patiemment négociées de tout effet utile et/ou conduire à un

18. Décision Tulip Real Estate, op. cit., § 44.


19. CIRDI, Kiliç Insaat Ithalat Ihracat Sanayi Ve Ticaret Anonim Sirketi c. Turkmenistan, aff.
n° ARB/10/1, sentence du 2 juillet 2013, §§ 7.6.4-7.6.5 ; décision Garanti Koza LLP, op. cit., § 22.
20. CPA (CNUDCI), ST-AD GmbH c. Bulgarie, n° 2011-06, décision sur la compétence, 18 juillet 2013,
§§ 381 et s., rejetant le « recognised principle of the investor-friendly interpretation of the most favourable
treatment clause » invoqué par le demandeur.
21. Décision Garanti Koza LLP op. cit., § 79. En prévoyant que « for the avoidance of doubt it is
conirmed that the [most favourable nation treatment] shall apply to the provisions of Articles 1 to 11 of this
Agreement », cette clause semblait a priori couvrir l’article 8, qui prévoit la possibilité pour l’investisseur
de recourir à l’arbitrage mais privilégie l’arbitrage CNUDCI à moins que les parties s’entendent pour
soumettre leur différend à un tribunal CIRDI. Malgré l’absence d’un tel accord, la majorité a donc jugé
pouvoir se reconnaître compétente sur la base d’une clause d’arbitrage plus large igurant dans un traité
Suisse/Turkménistan.
22. Sentence Kiliç, op. cit., §§ 7.2.1 et s.
23. Décision ST-AD GmbH, op. cit., §§ 393 et s.
24. CIRDI, Metal-Tech Ltd c. Ouzbékistan, aff. n° ARB/10/3, sentence du 4 octobre 2013, §§ 143 et s.
25. CIRDI, Garanti Koza LLP c. Turkménistan, aff. n° ARB/11/20, décision sur la compétence, 3 juillet
2013, § 57.

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déséquilibre du traité 26. Cette approche pourrait sembler s’écarter de celle de la


Convention de Vienne, dont on sait qu’elle « choisit de baser l’interprétation des
traités sur des méthodes qui ne visent pas à rechercher ce que les auteurs du traité
ont vraiment voulu dire mais, à l’opposé, demandent de s’en tenir à ce qu’ils ont
effectivement dit » 27. Mais l’article 32 de la Convention, qui permet d’user des
travaux préparatoires ainsi que des circonstances dans lesquelles le traité a été
conclu, peut légitimer pareille recherche lorsque le sens du texte reste obscur ou
ambigu. La convention apparaît ainsi comme une boîte à outils mêlant approches
objective et subjective et permettant à l’interprète d’appuyer sur l’une ou l’autre
de ces dimensions selon le résultat auquel il entend parvenir ou l’interlocuteur
qu’il entend convaincre 28.
La même souplesse apparaît dans l’usage que font les arbitres de la possibi-
lité ouverte à l’article 31, § 3, litt. c, de la convention de Vienne de tenir compte
« de toute règle pertinente de droit international applicable dans les rela-
tions entre les parties ». Le choix fait par le tribunal de l’affaire Ambiente Uficio
de se placer sur ce terrain pour justiier l’importation depuis le droit de la protection
diplomatique d’une exception d’ineficacité dispensant le demandeur d’exercer les
recours internes surprend. On peut en effet ne pas être convaincu par les « strong
structural parallels » 29 que les arbitres décèlent entre ces deux corps de règles
et voir là un usage dévoyé de l’article 31, § 3, litt. c, qui devait principalement
permettre à l’interprète d’assurer une conciliation entre les diverses obligations
internationales d’un État.
Cette idée de conciliation se retrouve en revanche de manière détournée dans
la sentence Micula. Saisi sur le fondement d’un traité Suède/Roumanie, le tribunal
était une nouvelle fois confronté à la question de l’articulation entre accords d’in-
vestissement et droit de l’Union européenne, l’État défendeur tentant de justiier
ses agissements par son adhésion à l’Union. Toutefois, à la différence de l’affaire
Electrabel, le droit européen ne pouvait être appliqué en tant que tel au litige 30
et ne pouvait davantage être utilisé au titre de l’interprétation en tant que règle
pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties :
non seulement le TBI ne faisait pas référence à l’Union et à son droit, mais la
Roumanie n’y avait pas encore adhéré à la date des faits 31. Cela n’a pas empêché
le tribunal d’en tenir compte, cette fois via l’interprétation à partir du contexte et
de l’objet et du but du traité. De l’avis du tribunal en effet, le TBI, entré en vigueur
en 2003, constituait un élément de la stratégie de développement économique de
l’État en vue de son accession à l’Union 32. Il devenait donc indispensable de tenir
compte de cette perspective d’adhésion dans l’application du traité, notamment
ain de déterminer si les agissements de la Roumanie pouvaient être considérés
comme justes et équitables. Certains des propos du tribunal ne sont alors pas sans

26. Sentence Kiliç, op. cit., §§ 7.4.1 et s. et 7.8.3 et s., où le tribunal souligne que la question n’a émergé
qu’à la suite de la décision Maffezini, de sorte qu’il est peu probable que les États parties aient entendu à
l’époque élargir le champ de la clause de la nation la plus favorisée aux dispositions procédurales ; décision
ST-AD GmbH op. cit., §§ 400 et s.
27. C. SantuLLi, « Rélexions générales sur les techniques d’interprétation normative », RGDIP,
2011, p. 304.
28. O. corten, « Les techniques reproduites aux articles 31 à 33 des conventions de Vienne : approche
objectiviste ou approche volontariste de l’interprétation ? », RGDIP, 2011, p. 365.
29. Décision Ambiente Uficio SpA op. cit., §§ 601 et s., sp. § 603.
30. CIRDI, Electrabel SA c. Hongrie, aff. n° ARB/07/19, 30 novembre 2012, décision sur la compétence,
le droit applicable et la responsabilité, § 4.83 (voy. cette chronique dans cet Annuaire 2012, pp. 611 et s.) :
dans cette affaire, le traité sur la charte de l’énergie renvoyait au droit international, lequel incluait selon
le tribunal le droit de l’Union européenne.
31. CIRDI, Ioan Micula e.a. c. Roumanie, aff. n° ARB/05/20, sentence du 11 décembre 2013, § 321.
32. Id., § 325.

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rappeler le principe d’interprétation harmonieuse auquel le tribunal de l’affaire


Electrabel avait déjà fait allusion 33 :
« the Tribunal will interpret each of the various applicable treaties having due regard
to the other applicable treaties, assuming that the parties entered into each of those
treaties in full awareness of their legal obligations under all of them. In other words,
there is no reason to assume that Sweden and Romania had any intent to defeat their
obligations under any of the applicable treaties when they entered into each of them
and the Tribunal must interpret each treaty – in particular, the BIT – according to
that intent of the parties » 34.
Sans aller jusqu’à afirmer l’existence d’un tel principe, qui ne igure pas dans
la convention de Vienne, la sentence Ioan Micula tend ainsi à conirmer que l’inter-
prétation harmonieuse peut être un objectif qui doit servir de guide aux arbitres
confrontés à la question récurrente de l’articulation des traités. Toutefois, si le
tribunal a été jusqu’à envisager que le droit de l’Union puisse être invoqué en tant
que circonstance excluant l’illicéité 35, sa volonté conciliatrice n’est pas sans limite.
Il a en effet contourné l’argument de la Roumanie suivant lequel une sentence la
condamnant induirait automatiquement une violation du droit de l’Union (en ce
sens que l’État serait tenu d’adopter une attitude constitutive d’une aide d’État
prohibée), en relevant que « it is not desirable to embark on predictions as to the
possible conduct of various persons and authorities after the Award has been
rendered » avant de rappeler, tout de même, l’obligation d’exécuter les sentences 36.
Tout ceci ne fait que conirmer la malléabilité des articles 31 et suivants de la
convention de Vienne sur le droit des traités. Dificile dès lors de nier la part de
liberté que conserve l’interprète dans ses déterminations, même s’il ne peut que
faire mine de l’ignorer 37.

B. Coutume

i) Le droit international des investissements se présentant à certains égards


comme un avatar du droit relatif à la protection des étrangers, il est fréquent que la
question de l’articulation des règles conventionnelles et coutumières « primaires »
applicables en la matière se pose. C’est en particulier le cas s’agissant des obliga-
tions en matière d’expropriation, de traitement juste et équitable ou de déni de
justice.
Les tribunaux saisis ont tout d’abord rappelé les limites dans lesquelles un
investisseur peut invoquer la violation par l’État d’accueil de ses obligations
d’origine coutumière. Pour les arbitres de l’affaire Emmis, la compétence d’un
tribunal saisi sur le fondement d’un TBI étant limitée ratione materiae par ce
traité, un investisseur ne saurait se prévaloir de l’offre d’arbitrage qu’il contient
pour invoquer la violation de règles coutumières au seul motif que le droit inter-

33. Décision Electrabel, op. cit., § 4.83.


34. Sentence Micula, op. cit., § 326.
35. Id., § 329. Voy. infra II, A, 3.
36. Id., §§ 340-341. Sur le raisonnement du tribunal au sujet de l’articulation avec le droit de l’Union,
voy. l’analyse de B. remy, « Chronique des sentences arbitrales », JDI, n° 2014/1, pp. 234 et s.
37. Pour deux exemples, comp. décision Ambiente Uficio, op. cit. § 145, où le tribunal afirme ne
pas devoir se prononcer « in terms of eficiency considerations and policy goals » mais « on the basis of the
existing law and by applying the rules of treaty interpretation » et décision Garanti Koza LLP, op. cit. § 42,
soulignant que « fortunately, perhaps, the present case does not require this Tribunal to take a position
on the policy issues implicated in deciding whether an MFN clause ought to be applied to the investor-
state arbitration article of a BIT », manière de dire que les arbitres sont appelés à le faire lorsqu’ils sont
confrontés à un traité moins clair.

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national serait applicable au fond du litige. En conséquence, lorsque le traité ne


prévoit la compétence du tribunal que pour connaître des réclamations fondées
sur des mesures d’expropriation telles que déinies dans ce traité, l’investisseur ne
pourrait se plaindre, de manière autonome, d’une expropriation au sens du droit
international coutumier. En revanche, lorsque le traité prévoit la compétence du
tribunal pour connaître des réclamations pour expropriation sans autre précision,
l’investisseur serait fondé à invoquer non seulement les règles relatives à l’expro-
priation qu’il contient mais également celles qui résultent du droit coutumier 38.
C’est a priori faire produire bien des effets à de subtiles nuances de formula-
tion qui ne doivent sans doute qu’à la plume des rédacteurs du traité. Ces effets
devraient toutefois rester mesurés, la différence entre les règles conventionnelles
et coutumières en matière d’expropriation pouvant être ténue voire nulle. Ainsi,
initialement confrontés à un problème analogue, les arbitres de l’affaire Accession
Mezzanine ont constaté que les parties avaient ini par s’accorder sur le fondement,
conventionnel, de la réclamation pour expropriation dont ils étaient saisis. Mais
le traité ne précisant pas plus avant ce qu’il fallait entendre par expropriation, le
tribunal n’a pu que constater que
« it may not be possible to consider the scope and content of the term “expropriation”
in the BIT without considering customary and general principles of international
law, as well as any other sources of international law in this area. […] This is not
to say that customary international law is a distinct and separate basis of potential
liability in this case, which it is not, but rather that customary international law is
intertwined with expropriation law and cannot be treated separately » 39.
Autrement dit, même lorsque les investisseurs ne peuvent se prévaloir que des
dispositions conventionnelles relatives à l’expropriation, celles-ci doivent s’inter-
préter, dans le silence du traité, sur la base du droit international coutumier en
la matière.
Il peut en aller de même lorsque c’est une violation du standard de traitement
juste et équitable qui est en cause. Mais les dificultés s’accroissent encore. La
première concerne l’articulation entre le standard de traitement juste et équitable
et le standard minimum de traitement des étrangers reconnu en droit coutumier.
A l’exception des cas dans lesquels le traité sur le fondement duquel le tribunal est
saisi renvoie expressément à ce standard minimum, comme c’était encore le cas
dans l’affaire Teco 40, les arbitres tendent à s’en dégager 41. Ils peuvent le faire en
niant, comme le tribunal de l’affaire Rompetrol, toute pertinence du droit coutumier
en la matière pour isoler un standard autonome dont le contenu doit être établi

38. CIRDI, Emmis International Holding, BV, e.a. c. Hongrie, aff. n° ARB/12/2, décision sur l’exception
fondée sur l’art. 41, § 5, du règlement d’arbitrage, 11 mars 2013, §§ 73 et s. Les demandeurs s’appuyaient
sur un TBI Suisse/Hongrie, qui ne prévoyait le recours à l’arbitrage que pour les différends relatifs à son
article 6 (expropriation) mais aussi sur un TBI Pays-Bas/Hongrie qui, quant à lui, prévoyait le recours
à l’arbitrage pour tous les différends relatifs à l’expropriation ou la nationalisation d’un investissement,
sans référence particulière à son article 4 relatif aux « measures depriving, directly or indirectly, investors
of the other Contracting Party of their investments ».
39. CIRDI, Accession Mezzanine Capital LP e.a. c. Hongrie, aff. n° ARB/12/3, décision sur l’exception
soulevée par le défendeur sur le fondement de l’article 41(5) du règlement d’arbitrage, 16 janvier 2013,
§§ 63 et s., spéc. §§ 67 et 72.
40. CIRDI, Teco Guatemala Holdings LLC c. Guatemala, aff. n° ARB/10/17, sentence sur la compé-
tence et sur le fond, 19 décembre 2013, §§ 443 et s., l’accord de libre-échange Amérique centrale/États-
Unis/République dominicaine indiquant que « for greater certainty, paragraph 1 prescribes the customary
international law minimum standard of treatment of aliens as the minimum standard of treatment to be
afforded to covered investments ».
41. CIRDI, Franck Charles Arif c. Moldavie, aff. n° ARB/11/23, sentence du 8 avril 2013, § 529 ; CIRDI,
Rompetrol Group NV c. Roumanie, aff. n° ARB06/3, sentence, 6 mai 2013, § 197 ; CIRDI, Ioan Micula e.a.
c. Roumanie, aff. n° ARB/05/20, sentence, 11 décembre 2013, § 507.

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436 arbitrage transnational et droit international général

en tenant compte du sens ordinaire des termes utilisés, dans leur contexte et à la
lumière de l’objet et du but du traité 42. Mais ils peuvent également se référer à
un droit coutumier qui serait alors distinct du standard minimum, à l’instar du
tribunal de l’affaire Micula qui a jugé que, sans se réduire au standard minimum,
le standard de traitement juste et équitable « must be disciplined by being based
upon state practice and judicial or arbitral case law or other sources of customary
or general international law » 43. La sentence Arif conirme la coexistence dans
le droit international des investissements de trois approches de ce standard : le
standard minimum coutumier de traitement des étrangers, un standard de trai-
tement juste et équitable coutumier ayant enregistré les évolutions de la pratique
conventionnelle et arbitrale, des standards de traitement juste et équitable propres
à chaque traité 44.
Les conséquences pratiques de l’approche retenue peuvent être plus ou moins
marquées. Lorsque le standard est cantonné au standard minimum, comme dans
le cas de l’affaire Teco, il ne peut être violé que si l’investisseur
« is infringed by conduct attributed to the State and harmful to the investor if the
conduct is arbitrary, grossly unfair or idiosyncratic, is discriminatory or involves
a lack of due process leading to an outcome which offends judicial propriety » 45.
En revanche, les tribunaux des affaires Micula et Arif ont tous deux élargi son
champ pour y inclure les attentes légitimes et la transparence, le premier en consi-
dération d’« an emerging standard of fair and equitable treatment in international
law » 46, le second sur la seule base de la clause de traitement juste et équitable du
traité dont il était saisi 47. Sans doute y a-t-il quelque artiice dans ces présentations
distinctes d’une question pourtant abordée dans les mêmes termes par les arbitres
de ces deux affaires. Sans doute aussi peut-on s’interroger sur les éléments pris en
compte par ceux qui cherchent à établir le droit coutumier, les arbitres de l’affaire
Micula n’hésitant pas à présenter les précédents arbitraux comme une source du
droit coutumier aux côtés de la pratique étatique. Pour le reste, le fait que des
dispositions conventionnelles puissent tout à la fois être interprétées à la lumière
du droit coutumier et nourrir son évolution ne fait que traduire l’un des nombreux
mystères de l’alchimie coutumière.
Le débat se présente en des termes légèrement différents s’agissant du déni
de justice, dont les arbitres de l’affaire Arif ont dû préciser l’articulation avec les
obligations conventionnelles. Le demandeur se plaignait en effet d’agissements
des juridictions moldaves, constitutifs selon lui non seulement d’une violation du
standard de traitement juste et équitable mais aussi d’un déni de justice au sens
du droit coutumier. De l’avis du tribunal, faute d’avoir été partie aux procédures
engagées devant les juridictions internes, le demandeur ne pouvait invoquer un
déni de justice mais demeurait fondé à se plaindre, en tant qu’actionnaire, d’une
atteinte au traitement juste et équitable liée aux agissements des autorités judi-
ciaires moldaves à l’encontre de son entreprise. Les deux griefs présentent donc
des points de contacts mais demeurent séparés :
« It is true that many of the terms to describe one or the other sphere of international
rights and obligations (denial of justice or fair and equitable treatment) – such as

42. Sentence Rompetrol op. cit., § 197.


43. Sentence Micula op. cit., § 507.
44. Sentence Arif op. cit., § 529.
45. Sentence Teco op. cit., § 454.
46. Sentence Micula op. cit., § 528, citant la sentence LG&E c. Argentine.
47. Sentence Arif op. cit., §§ 537-538, bien que le tribunal se prononce à titre d’obiter dictum en faveur
d’une évolution du droit international coutumier en ce sens.

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arbitrage transnational et droit international général 437

“arbitrariness”, “discrimination” “unfairness” or “bias” – are used interchangeably.


This semantic overlap might contribute to certain confusion. It does not imply,
however, that both standards and principles have merged into one and that the
prerequisites as well as the consequences of a claim for denial of justice and for
the violation of a treaty standard of fair and equitable treatment have become
identical. Both types of claims are based in international law, there is certainly and
inevitably a continuous ‘cross-pollination’ between the two, but they remain distinct
and speciic » 48.
Ici encore, les dispositions substantielles des TBI, et l’interprétation qui en est
donnée par les arbitres, pourraient donc inluer sur l’évolution du droit interna-
tional coutumier bien que ce dernier ait émergé « long before international treaties
started to protect investors by establishing speciic and well deined responsibilities
of States » 49 et conserve une existence propre.
ii) Au-delà de ces règles substantielles, l’arbitrage transnational recèle égale-
ment l’application ou à tout le moins l’évocation d’autres règles coutumières, que
l’on pourrait qualiier de « secondaires ». Il en va ainsi, bien sûr, des règles relatives
à l’interprétation des traités codiiées dans la convention de Vienne, dont la valeur
coutumière est régulièrement rappelée 50, ou encore des règles en matière de respon-
sabilité internationale, dont celle de réparation intégrale en cas d’expropriation
illicite 51. De manière plus indirecte, certains tribunaux ont également identiié
des règles coutumières relatives à la protection diplomatique, que ce soit pour les
transposer, par analogie, au traité qu’ils ont la charge d’appliquer ou au contraire
pour s’en démarquer. C’est ainsi que le tribunal de l’affaire Ambiente a rappelé la
règle coutumière selon laquelle les recours internes préalables à la mise en œuvre
de la protection diplomatique n’ont pas à être épuisés lorsqu’ils ne sont pas effectifs
pour dégager une exception d’ineficacité analogue lorsque le traité exige le recours
aux juridictions nationales préalablement à la saisine du tribunal 52. À l’inverse, le
tribunal de l’affaire KT Asia a refusé d’appliquer le principe de nationalité effective
qui prévaut en cas de double nationalité dans le cadre de la protection diplomatique
en retenant, à la suite de plusieurs tribunaux, que « rules of customary international
law applicable in the context of diplomatic protection do not apply where they have
been varied by the lex specialis of an investment treaty » 53.

C. Principes généraux de/du droit international

Les décisions et sentences arbitrales évoquent régulièrement l’existence de


principes, parfois qualiiés de généraux, sans que l’on sache précisément s’ils
relèvent de la catégorie des « principes généraux de droit reconnus par les nations
civilisées » mentionnés à l’article 38, § 1, litt. c, du statut de la Cour internationale
de Justice ou s’il s’agit simplement de règles coutumières de portée générale 54.

48. Sentence Arif, op. cit., §§ 422 et s., spéc. § 433.


49. Id., § 432.
50. Voy. supra A.
51. CIRDI, ConocoPhillips Petrozuata BV e.a. c. Venezuela, aff. n° ARB/07/30, décision sur la compé-
tence et le fond, 3 septembre 2013, § 342 ; Ch. Comm. Stockholm, Anatolie Stati e.a. c. Kazakhstan,
n° 116/2010, sentence du 19 décembre 2013, §§ 1463, 1506.
52. CIRDI, Ambiente Uficio SpA e.a. c. Argentine (anciennement Giordano Alpi e.a. c. Argentine), aff.
n° ARB/08/9, décision sur la compétence et la recevabilité, 8 février 2013, §§ 601 et s. Voy. aussi infra C.
53. CIRDI, KT Asia Investment group BV c. Kazakhstan, aff. n° ARB/09/8, sentence du 17 octobre
2013, § 129.
54. Voy. cette chronique, cet Annuaire, 2010, p. 541. À titre d’exemple, le tribunal de l’affaire Acces-
sion Mezzanine ne semble pas distinguer les deux sources, parlant indistinctement de « customary and
general principles of international law » (CIRDI, Accession Mezzanine Capital LP e.a. c. Hongrie, aff.

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438 arbitrage transnational et droit international général

Il en va ainsi du principe de bonne foi, et de son corollaire l’interdiction de


l’abus de droit, que le tribunal de l’affaire ConocoPhillips a jugés opposables aux
investisseurs. Le tribunal de l’affaire Mobil s’était déjà engagé dans cette voie en
remarquant que « in all systems of law, whether domestic or international, there
are concepts framed in order to avoid misuse of the law » 55. Sensible au fait que
les précédents invoqués dans la sentence Mobil concernaient tous des différends
interétatiques, le tribunal de l’affaire ConocoPhillips a néanmoins considéré que
ce principe de bonne foi était également opposable à une société privée « seeking to
make use of a procedure of an international character to settle a dispute with a State,
set up by States which drafted, concluded and accepted the Convention » 56. Ainsi,
bien que le principe de bonne foi tienne initialement sa positivité de sa présence
dans tous les systèmes de droit, il s’agit d’un principe de droit international appli-
cable au contentieux CIRDI en tant qu’il est fondé sur le droit international.
Mais qu’en est-il de la règle selon laquelle les recours internes ne doivent
être exercés que pour autant qu’ils soient utiles ? Constatant que le traité sur le
fondement duquel il était saisi ne prévoyait pas pareille exception d’ineficacité,
le tribunal de l’affaire Ambiente Uficio l’a « importé » du droit de la protection
diplomatique via la règle d’interprétation de l’article 31, § 3, litt. c, de la convention
de Vienne qui invite à tenir compte « de toute règle pertinente de droit interna-
tional applicable dans les relations entre les parties ». Les réserves qu’inspire ce
raisonnement 57 laissent pourtant penser que cette importation traduit surtout
l’existence d’une règle générale, qui serait, de l’avis du tribunal, applicable aussi
bien au contentieux international qu’au contentieux transnational 58. Outre que cet
avis n’est pas partagé par tous 59, on peut remarquer qu’il eût quoi qu’il en soit été
dificile de qualiier de principe général de droit international un principe ignoré
par déinition des droits internes.
Sachant le rôle qu’elle a joué pour combler les lacunes du droit du contentieux
international, la technique des principes généraux de droit semblait enin devoir
trouver un terrain d’expression privilégié avec le développement des procédures
multipartites, dont le principe a été admis dans la décision Abaclat 60 alors même
que leur régime n’est guère précisé par les textes. Il n’en a rien été. S’agissant de
la possibilité même de les engager, le tribunal de l’affaire Ambiente Uficio a bien
rappelé que les demandeurs avaient signalé l’existence de telles procédures dans
les droits internes des États parties au traité en cause mais pour préciser aussitôt
que « this reference is not meant to establish the possibility to conduct multi-party
proceedings as a general principle of law in the sense of Art. 38 para. 1 lit. c of the
Statute of the International Court of Justice » 61. S’agissant ensuite de préciser
les conditions d’exercice de telles procédures, le même tribunal a souligné que la

n° ARB/12/3, décision sur l’exception soulevée par le défendeur sur le fondement de l’article 41(5) du
règlement d’arbitrage, 16 janvier 2013, §§ 67-68).
55. CIRDI, Mobil c. Venezuela, aff. n° ARB/07/27, décision sur la compétence, 10 juin 2010, § 169.
56. CIRDI, ConocoPhillips Petrozuata BV e.a. c. Venezuela, aff. n° ARB/07/30, décision sur la compé-
tence et le fond, 3 septembre 2013, §§ 273-274.
57. Voy. supra A.
58. Dans le même sens, mais à partir d’une interprétation de bonne foi du traité en cause, que vient
seulement appuyer la référence à la règle d’épuisement des recours internes dans le cadre de la protec-
tion diplomatique, CPA (CNUDCI), ST-AD GmbH c. Bulgarie, aff. n° 2011-06, décision sur la compétence,
18 juillet 2013, §§ 362 et s. Voy. aussi CIRDI, Kiliç Insaat Ithalat Ihracat Sanayi Ve Ticaret Anonim Sirketi
c. Turkmenistan, aff. n° ARB/10/1, sentence du 2 juillet 2013, §§ 8.1.1 et s., écartant en tout état de cause
l’argument dans la mesure où le demandeur n’a pu prouver l’ineficacité des recours internes.
59. Contra CPA (CNUDCI), ICS Inspection and Control Services Limited (United Kingdom) c. Argen-
tine, aff. n° 2010-9, sentence sur la compétence du 10 février 2012, §§ 263 et s.
60. CIRDI, Abaclat et al. (anciennement Giovanna a Beccara et al.) c. Argentine, aff. n° ARB/07/5,
décision sur la compétence et la recevabilité, 4 août 2011, op. diss., Abi-Saab. Voy. infra III.
61. Décision Ambiente Uficio op. cit., § 133.

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arbitrage transnational et droit international général 439

plupart des systèmes internes qui les connaissent exigent un lien entre les récla-
mations jointes mais qu’il « would, however, caution against importing domestic
law standards in this respect » 62.

D. Actes unilatéraux

i) Au cours de l’année 2013, le feuilleton de l’interprétation de l’article 22 de la


loi vénézuélienne relative aux investissements 63 a connu trois nouveaux épisodes,
qui devraient marquer la in de la série à moins d’un improbable rebondissement.
Les trois tribunaux saisis ont en effet conclu, comme leurs prédécesseurs, que cette
disposition ne constituait pas une offre unilatérale d’arbitrage susceptible, à elle
seule, de fonder leur compétence. À cette occasion, ils ont apporté quelques éclai-
rages sur la manière dont les actes unilatéraux de l’État peuvent être appréhendés
dans le contentieux arbitral relatif aux investissements.
C’est que les parties avaient fait de la question du droit à appliquer pour
interpréter cette disposition un enjeu important. Le Venezuela prétendait que
l’article 22 devait être interprété sur la base du droit interne, qui exige que le
consentement de l’État à l’arbitrage soit clair et non équivoque, ce qui avait conduit
la Cour suprême vénézuélienne à conclure que cette disposition ne contenait pas
d’offre d’arbitrage. Les investisseurs cherchaient quant à eux à se dégager de cette
approche en soutenant que cette disposition devait être interprétée en application
des principes du droit international, notamment de ceux dégagés par la CIJ s’agis-
sant de l’interprétation des déclarations d’acceptation de sa juridiction obligatoire,
selon lesquels l’interprétation doit se faire « d’une manière naturelle et raisonnable,
en tenant dûment compte de l’intention de l’État concerné » 64.
Le cadre avait été ixé par quelques précédents depuis l’affaire SPP 65, dont
certains concernaient déjà l’article 22 de la loi vénézuélienne. S’agissant de ces
derniers, les tribunaux saisis avaient tous jugé que cette disposition ne contenait
pas d’offre unilatérale d’arbitrage. Mais tandis que les tribunaux des affaires Mobil
et CEMEX y avaient vu un acte international à interpréter suivant les principes
propres à cet ordre 66, celui de l’affaire Brandes avait insisté sur sa nature d’abord
interne, qui impliquait de l’interpréter sur la base du droit national, même si les
conclusions résultant de cette première analyse devaient être lues à la lumière
des principes du droit international dans la mesure où elles ont des effets sur la
compétence du tribunal arbitral 67.

62. Id., § 153.


63. Dont la traduction anglaise utilisée par les tribunaux se lit ainsi : « Disputes arising between an
international investor whose country of origin has in effect with Venezuela a treaty or agreement on the
promotion and protection of investments, or disputes to which are applicable the provisions of the Convention
Establishing the Multilateral Investment Guarantee Agency (MIGA) or the Convention on the Settlement
of Investment Disputes between States and Nationals of Other States (ICSID), shall be submitted to inter-
national arbitration according to the terms of the respective treaty or agreement, if it so provides, without
prejudice to the possibility of making use, when appropriate, of the dispute resolution means provided for
under the Venezuela legislation in effect ».
64. CIJ, Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), arrêt du 4 décembre 1998, § 49.
65. CIRDI, SPP c. Egypte, aff. n° ARB/83/4, décision sur la compétence, 14 avril 1988.
66. CIRDI, Mobil c. Venezuela, aff. n° ARB/07/27, décision sur la compétence, 10 juin 2010 et CIRDI,
CEMEX c. Venezuela, aff. n° ARB/08/15, décision sur la compétence, 30 décembre 2010, commentées dans
cette chronique, cet Annuaire, 2010, p. 627. Voy. aussi CIRDI, Pac Rim Cayman LLC c. El Salvador,
aff. n° ARB/09/12, décision sur les objections à la compétence, 1er juin 2012, § 5.33, commentée dans cette
chronique, cet Annuaire, 2012, p. 618.
67. CIRDI, Brandes Investments Partners, LP c. Venezuela, aff. n° ARB/08/3, sentence du 14 mai
2012, commentée dans cette chronique, cet Annuaire, 2012, p. 618.

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440 arbitrage transnational et droit international général

Les arbitres de l’affaire Tidewater ont consacré de nouveaux développements


pédagogiques à cette question. Pour eux, l’article 22 de la loi vénézuélienne doit
être interprété à la lumière des principes applicables en droit interne et en droit
international mais, dans la mesure où ce texte conditionne leur compétence sur le
fondement de l’article 25 de la convention de Washington, les tribunaux arbitraux
doivent se prononcer avant tout sur la base du droit international 68. Cherchant
alors à identiier le régime qui leur est applicable en droit international, le tribunal
distingue non pas deux mais trois types d’actes unilatéraux internationaux. Les
actes unilatéraux « purs » ou stricto sensu, tout d’abord, adoptés en dehors de tout
contexte conventionnel dans l’exercice de la liberté des États d’agir au plan inter-
national et dont le régime a été ixé par les principes adoptés par la CDI en 2006,
dont celui d’interprétation restrictive 69. Les actes unilatéraux qui sont la cause ou
la conséquence d’un traité (comme les actes relatifs à sa formation ou à son exécu-
tion) ensuite, dont le régime est calqué sur celui applicable au traité lui-même. Les
actes unilatéraux qui sont adoptés librement mais dans le cadre d’un traité qui
reconnaît cette liberté d’action enin, qui sont soumis à un régime sui generis 70.
Les offres d’arbitrage contenues dans des lois nationales relèvent de cette
dernière catégorie : elles sont prévues par l’article 25 de la convention de Washington
mais l’État partie reste libre de se saisir de la possibilité qui lui est ainsi ouverte
d’exprimer son consentement de manière unilatérale. Le régime applicable à de
tels actes peut donc être dégagé par analogie à partir de celui appliqué par la CIJ
aux déclarations d’acceptation par un État de sa juridiction obligatoire. Il présente
des spéciicités : à la différence du régime applicable aux traités, l’interprétation
de ces actes doit reposer avant tout sur la recherche de l’intention réelle de leur
auteur en s’appuyant notamment sur une analyse du contexte ; mais à la différence
des actes unilatéraux « purs », cette interprétation n’a pas à être restrictive 71. En
conséquence, l’article 22 de la loi vénézuélienne doit être interprété de bonne foi,
sans a priori, en tenant compte de l’intention de l’État, celle-ci pouvant être déduite
du texte, du contexte, des circonstances de son adoption et des buts poursuivis par
cette adoption. Le droit interne n’est donc utile que dans la mesure où il permet
d’évaluer l’intention de l’État 72.
La qualiication en tant qu’acte international de l’article 22 permet ainsi
au tribunal de renforcer sa liberté à l’égard de l’interprétation retenue en droit
interne. Son incidence pratique demeure toutefois limitée en l’espèce : les arbitres
parviennent en effet à la même conclusion que la Cour suprême du Venezuela en
appliquant des principes d’interprétation analogues 73. Ainsi, tenant compte essen-
tiellement du texte de l’article 22 et du contexte textuel et normatif dans lequel il
s’insère, ils en concluent que cette disposition ne saurait s’interpréter comme une
offre unilatérale d’arbitrage émise au bénéice des investisseurs de l’ensemble des
États parties à la Convention de Washington 74.

68. CIRDI, Tidewater Inc. e.a. c. Venezuela, aff. n° ARB/10/5, décision sur la compétence, 8 février
2013, §§ 82-86.
69. CDI, Principes directeurs applicables aux déclarations unilatérales des États susceptibles de créer
des obligations juridiques, 2006, principe n° 7, doc. A/61/10, p. 386 : « Une déclaration unilatérale n’entraîne
d’obligations pour l’État qui la formule que si elle a un objet clair et précis. En cas de doute sur la portée
des engagements résultant d’une telle déclaration, ceux-ci doivent être interprétés restrictivement. Pour
interpréter le contenu des engagements en question, il est tenu compte en priorité du texte de la déclara-
tion ainsi que du contexte et des circonstances dans lesquelles elle a été formulée ».
70. Décision Tidewater, op. cit., n. 68, § 92.
71. Id., §§ 98-99.
72. Id., § 102.
73. Id., §§ 103-107.
74. Id., § 141.

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arbitrage transnational et droit international général 441

Les contorsions auxquelles ils se livrent s’agissant de déterminer le droit appli-


cable à l’interprétation de ce texte n’en sont que plus surprenantes. On a déjà pu
souligner que l’analogie avec les déclarations de juridiction obligatoire de la CIJ
n’allait pas de soi, ces dernières constituant des actes intrinsèquement et formel-
lement internationaux 75 dont l’objet unique est d’exprimer le consentement de
l’État à la compétence de la Cour et d’en tracer les limites 76. On ajoutera que la
solution retenue par le tribunal en affaiblit les prémisses : puisque les arbitres
concluent que l’article 22 ne contient pas d’offre unilatérale d’arbitrage, son lien
avec l’article 25 de la convention de Washington, qui a pourtant justiié sa quali-
ication en tant qu’acte international, n’en devient que plus ténu. Ainsi, alors que
la CIJ doit interpréter la portée d’un consentement dont l’existence est établie
par la seule existence de la déclaration de compétence obligatoire, les tribunaux
arbitraux doivent identiier l’existence même du consentement étatique avant,
éventuellement, d’en apprécier la portée.
Les autres tribunaux qui se sont prononcés sur la question en 2013 ont toute-
fois suivi le même raisonnement pour parvenir à une conclusion identique 77. Les
arbitres de l’affaire Opic Karimum Corporation ont toutefois été confrontés à une
dificulté supplémentaire, s’agissant d’identiier l’intention du Venezuela. À la
différence des autres tribunaux appelés à se prononcer sur ce point, ils bénéiciaient
en effet de l’opinion de l’un des rédacteurs de la disposition en cause, M. Corrales,
qui avait afirmé lors d’une audience organisée par le tribunal que son intention
avait bien été d’offrir aux investisseurs étrangers la possibilité de saisir un tribunal
CIRDI. Cette information semblait pouvoir aider le tribunal à se déterminer. Mais
le « cadeau » était empoisonné. Il a en effet confronté le tribunal à une nouvelle
dificulté, celle d’identiier le siège de la volonté de l’État dans ce type de situation.
Pour les arbitres majoritaires, bien qu’il soit établi que le rédacteur du texte avait
l’intention d’y insérer une offre d’arbitrage, cela ne sufit pas à prouver que le
Venezuela, en tant qu’État, a eu pareille intention. Seule l’intention du législateur
doit être prise en compte à cette in. Or, celle-ci ne serait pas établie, faute d’avoir pu
démontrer que l’intention du rédacteur de la loi avait été clairement communiquée
à l’exécutif, auquel le législateur pouvait être réduit dans le système vénézuélien,
et donc que ce dernier s’était prononcé en connaissance de cause 78.
ii) Les offres d’arbitrage ne sont pas les seuls actes unilatéraux étatiques pris
en compte dans le contentieux transnational. Ainsi, bien qu’aucun tribunal ne
se soit prononcé en 2013 sur l’existence d’engagements pris par un État vis-à-vis
des investisseurs étrangers, le comité ad hoc constitué dans l’affaire Occidental
Petroleum a dû apprécier l’attitude de l’Équateur ain de déterminer s’il existait un
risque que cet État n’exécute pas la sentence le condamnant à verser 1,7 milliard
de dollars à l’investisseur. Un tel risque aurait en effet pu justiier la mise en place

75. Cette chronique, cet Annuaire, 2010, p. 628.


76. Soulignant cette différence, CIRDI, ConocoPhillips Petrozuata BV e.a. c. Venezuela, aff.
n° ARB/07/30, décision sur la compétence et le fond, 3 septembre 2013, § 260.
77. CIRDI, OPIC Karimun Corporation c. Venezuela, aff. n° ARB/10/14, sentence du 28 mai 2013,
§§ 70-80 ; CIRDI, décision ConocoPhillips, op. cit., §§ 233-237. On remarquera qu’en dehors du contexte
vénézuélien d’autres tribunaux dont les investisseurs prétendaient établir la compétence sur le fondement
de lois nationales ne se sont pas lancés dans de telles discussions, soit parce que le texte législatif en ques-
tion ne soulevait pas de dificulté d’interprétation (CIRDI, Metal-Tech Ltd c. Ouzbékistan, aff. n° ARB/10/3,
sentence du 4 octobre 2013, §§ 381 et s.), soit semble-t-il parce qu’il ne devait pas être lu en lien avec la
convention de Washington (Trib. ad hoc CNUDCI, Ruby Roz Agricol LLP c. Kazakhstan, décision sur la
compétence, 1er août 2013, § 147).
78. Sentence OPIC Karimun op. cit., §§ 168 et s. On ne résiste pas à la tentation de reproduire l’incise
suivante du tribunal à propos du système constitutionnel vénézuélien : « The Tribunal notes that the
Respondent submits that the legislator was President Chavez, but accepts the submission of the Claimant
that President Chavez acted through the Council of Ministers ».

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442 arbitrage transnational et droit international général

d’une garantie dans l’attente d’une décision déinitive sur la demande d’annulation
dont le comité est saisi. Estimant que certaines déclarations des autorités équato-
riennes critiquant, parfois de manière sévère, la sentence rendue par le tribunal
en 2012 n’avaient d’autre portée que politique et n’allaient pas jusqu’à remettre en
cause l’exécution de la sentence, le comité a en revanche insisté sur des déclarations
faites par le représentant de l’État au cours des audiences tenues ainsi que sur une
déclaration du Procurador general del Estado rappelant que l’Équateur ne soumet-
tait pas l’exécution des sentences CIRDI dans l’ordre interne à une procédure
d’exequatur. Ainsi, « the statements made by its Procurador General are binding
upon the Republic, and give Claimants full reassurance » 79. Bien que les arbitres
ne jugent cette fois pas utile de s’y référer, leur raisonnement fait ici écho à celui
de la Cour internationale de Justice lorsqu’elle s’appuie sur des déclarations du
défendeur pour refuser de prononcer certaines mesures, notamment conservatoires,
réclamées par le demandeur 80.

E. Jurisprudence

1. Jurisprudence et valeur du précédent

La question de la valeur à accorder aux précédents arbitraux continue d’agiter


le contentieux transnational relatif aux investissements et chaque année apporte
son lot de prises de position sur ce point 81, la doctrine n’étant évidemment pas en
reste 82. L’Institut du droit international a d’ailleurs apporté sa contribution à ce
débat en considérant que
« la cohérence des solutions en matière d’arbitrage d’investissement contribue à la
sécurité juridique pour tous les acteurs impliqués. La quête de cohérence n’exige
pas l’application mécanique de solutions antérieures sans égard aux circonstances
particulières du cas ni ne constitue un obstacle à l’interprétation et au développe-
ment du droit ». 83
Cette formule entend ménager un équilibre entre les tendances qui s’opposent
sur la question, au-delà du constat unanimement partagé de l’absence de stare
decisis 84. Les uns font grand cas des précédents, qu’ils soient désireux de s’ap-
puyer sur la sagesse et l’expérience accumulées 85, s’afirment convaincus par le

79. CIRDI, Occidental Petroleum Corporation e.a. c. Équateur, aff. n° ARB/06/11, décision sur la
suspension de l’exécution de la sentence, 30 septembre 2013, § 76 ; voy. aussi § 79.
80. Pour un exemple, voy. CIJ, Obligation de poursuivre et d’extrader (Belgique c. Sénégal), ordonnance
sur la demande en indication de mesures conservatoires, 28 mai 2009, §§ 70-73.
81. Voy. cette chronique, cet Annuaire, 2009, pp. 695 et s. ; 2010, pp. 628 et s. ; 2011, pp. 544 et s. ;
2012, pp. 619 s.
82. Voy. dernièrement les contributions de T. ScHuLtz, « Against Consistency in International Arbi-
tration », et J. mauPin, « Differenciating among International Investment Disputes », dans Z. dougLaS
/ J. PauweLyn / J. E. VinuaLeS (dir.), The Foundations of International Investment Law, Oxford, OUP,
2014, pp. 297-316 et 467-498.
83. « Aspects juridiques du recours à l’arbitrage par un investisseur contre les autorités de l’État
hôte en vertu d’un traité interétatique », résolution du 13 septembre 2013, Session de Tokyo, article 2.
84. Pour des exemples, voy. CIRDI, Ambiente Uficio SpA e.a. c. Argentine (anciennement Giordano
Alpi e.a. c. Argentine), aff. n° ARB/08/9, décision sur la compétence et la recevabilité, 8 février 2013, § 12 ;
CIRDI, SGS Société Générale de Surveillance SA c. Paraguay, aff. n° ARB/07/29, décision sur la demande
du Paraguay de maintien du sursis à exécution, 22 mars 2013, § 105 ; CIRDI, Kiliç Insaat Ithalat Ihracat
Sanayi Ve Ticaret Anonim Sirketi c. Turkmenistan, aff. n° ARB/10/1, sentence du 2 juillet 2013, § 7.6.2 ;
CIRDI, KT Asia Investment group BV c. Kazakhstan, aff. n° ARB/09/8, sentence du 17 octobre 2013, § 82.
85. CIRDI, Rompetrol Group NV c. Roumanie, aff. n° ARB06/3, sentence, 6 mai 2013, §§ 152 et 182,
regrettant de ne pas disposer d’une telle sagesse concernant le sort à réserver aux procédures criminelles
mais se réjouissant de pouvoir en faire usage s’agissant des standards de preuve.

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arbitrage transnational et droit international général 443

raisonnement retenu 86, entendent faire preuve de comity 87 ou se sentent, suivant


une approche plus systémique, tenus par
« a duty to contribute to the harmonious development of investment law, with a
view to meeting the legitimate expectations of the community of States and investors
towards the certainty of the rule of law » 88.
Ce recours aux précédents leur permet par exemple d’indiquer ce qu’il faut
entendre, dans le silence du traité applicable, par expropriation indirecte 89 ou de
préciser le sens de standards largement indéterminés tels que le traitement juste
et équitable, dont le contenu ne saurait dépendre de l’approche idiosyncratique d’un
tribunal, sans qu’il faille pour autant le préciser au point d’en faire « a laundry
list of potential acts of misconduct » 90. L’attitude des arbitres qui insistent sur la
spéciicité du traité qu’ils ont la charge d’appliquer 91, de la question qui leur est
posée 92, des arguments qui sont soulevés devant eux ou encore des faits portés
à leur connaissance 93 pour se démarquer de solutions antérieures peut égale-
ment être rattachée à ce mouvement. D’autres tribunaux continuent en revanche
d’insister sur la nécessité d’examiner avec un œil nouveau les questions qui leur
sont soumises, quand bien même elles auraient déjà été abordées par d’autres 94.
Ils peuvent alors souligner que l’invocation de précédents ne saurait dispenser le
tribunal, et avant lui les parties, du travail d’interprétation 95.
Par-delà les positions de principe quant à la nécessité ou non d’assurer un
développement harmonieux du droit international des investissements, le contexte
jurisprudentiel dans lequel le tribunal saisi s’inscrit conditionne largement son
approche. Comme l’afirment les arbitres de l’affaire Philip Morris, « assuming
arbitral decisions and awards are “judicial decisions” within the meaning of
Article 38(d) of the Statute of the ICJ, which is far from being commonly accepted,
this would be on condition that they have attained a suficient degree of publicity
and are part of a “jurisprudence constante” » 96. Or, selon la question soulevée, le

86. CIRDI, Accession Mezzanine Capital LP et Danubius Kereskedöház Vagyonkezelö Zrt. c. Hongrie,
aff. n° ARB/12/3, décision sur la compétence et la demande de bifurcation, 8 août 2013, § 39, s’appuyant sur
la sentence Emmis, très proche et dont la solution « is sound and should serve as persuasive authority here ».
87. CIRDI, Tulip Real Estate and Development Netherlands c. Turquie, aff. n° ARB/11/28, décision
sur la compétence (bifurcation), 5 mars 2013, § 45.
88. CIRDI, Metal-Tech Ltd c. Ouzbékistan, aff. n° ARB/10/3, sentence du 4 octobre 2013, § 116 ;
sentence KT Asia op. cit., § 83.
89. Ch. Comm. Stockholm, Anatolie Stati e.a. c. Kazakhstan, n° 116/2010, sentence du 19 décembre
2013, §§ 774 et 1112.
90. CIRDI, Ioan Micula e.a. c. Roumanie, aff. n° ARB/05/20, sentence du 11 décembre 2013, §§ 507
et 517.
91. Trib. CNUDCI (ALENA), Apotex Inc. c. États-Unis, décision sur la compétence et la recevabilité,
14 juin 2013, § 238, écartant les précédents tranchés sur un fondement autre que l’ALENA ; sentence Kiliç
op. cit., § 7.6.3 et §§ 7.6.8 et s. et CIRDI, Garanti Koza LLP c. Turkménistan, aff. n° ARB/11/20, décision sur
la compétence, 3 juillet 2013, § 42 s’agissant d’apprécier la portée de clauses de la nation la plus favorisée ;
CIRDI, Philip Morris Brands SARL e.a. c. Uruguay, aff. n° ARB/10/7, décision sur la compétence, 2 juillet
2013, § 134, s’agissant d’apprécier la portée de la règle suivant laquelle 18 mois doivent s’écouler entre la
saisine des juridictions nationales et celle du tribunal arbitral.
92. Sentence Kiliç op. cit., §§ 6.3.6-6.3.9.
93. CIRDI, OPIC Karimun Corporation c. Venezuela, aff. n° ARB/10/14, sentence du 28 mai 2013,
§ 162, avant de classer les preuves présentées selon qu’elles sont nouvelles ou qu’elles ont déjà été exami-
nées par d’autres tribunaux.
94. CIRDI, Tidewater Inc. e.a. c. Venezuela, aff. n° ARB/10/5, décision sur la compétence, 8 février
2013, § 78, retenant que, bien que la question de la portée de l’article 22 de la loi vénézuélienne sur les
investissements ait déjà été tranchée par trois tribunaux, il « will determine the question afresh ».
95. Sentence Kiliç op. cit., §§ 7.1.2 et s., même si le tribunal évoque à plusieurs reprises des précédents,
insistant alors sur les raisons qui le poussent à les suivre ou au contraire à s’en séparer.
96. Décision Philip Morris op. cit., § 204. Voy. aussi CIRDI, Ambiente Uficio SpA e.a. c. Argen-
tine (anciennement Giordano Alpi e.a. c. Argentine), aff. n° ARB/08/9, décision sur la compétence et la

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444 arbitrage transnational et droit international général

paysage jurisprudentiel offre un dégradé qui, du vide au trop-plein, affecte la liberté


du tribunal. À une extrémité du spectre, il est des cas dans lesquels les arbitres ne
peuvent que constater l’absence de précédent sur la question qui leur est soumise, ce
vide pouvant d’ailleurs leur sembler vertigineux 97 sans pour autant qu’ils cherchent
nécessairement à le combler en faisant œuvre jurisprudentielle au-delà du cas dont
ils sont saisis 98. À l’autre, il arrive qu’ils se sentent « tenus » de se placer dans les
pas d’une jurisprudence constante 99. Entre les deux, certaines questions « rem[ain]
in the process of developing a jurisprudence constante » 100, l’existence de plusieurs
lignes jurisprudentielles pouvant ouvrir le champ des possibles.
C’est notamment le cas s’agissant d’apprécier la nature des conditions procé-
durales préalables à la saisine d’un tribunal 101 ou encore la portée des clauses de
la nation la plus favorisée, dont l’application aux dispositions relatives au règle-
ment des différends est âprement débattue en jurisprudence comme en doctrine 102.
Confronté à ce « iercely contested no-man’s land in international law » 103, ce
« complete lack of consistency, which results from a fundamental difference of
views between the various arbitrators » 104, le tribunal retrouve alors sa liberté 105.
Dans certains domaines, cette liberté peut d’ailleurs être utilisée ain d’opérer une
synthèse des courants jurisprudentiels. Tel est peut être le cas s’agissant du sens à
donner à la notion d’« excès de pouvoir manifeste » qui justiierait l’annulation d’une
sentence entachée de pareil vice selon l’article 52 de la convention de Washington.
Un tel excès de pouvoir ne devrait pas seulement être évident, comme le pensent
les uns, ou grave, comme le retiennent les autres, mais les deux à la fois 106.
De nouvelles lignes jurisprudentielles peuvent se développer, tantôt ex nihilo,
tantôt du fait de la remise en cause des précédents. L’approche tendant à voir une
violation du traitement juste et équitable dans un ensemble de comportements qui,
pris séparément, sont considérés comme licites constitue un exemple du premier
type. Le tribunal de l’affaire Rompetrol s’est ainsi déclaré prêt à suivre « recent
tribunals » dans cette voie 107. Mais de nouvelles lignes jurisprudentielles se consti-
tuent plus souvent par la remise en cause des précédents, dont certains constituent
des points de passages obligés, que ce soit au soutien de la solution adoptée ou pour

recevabilité, 8 février 2013, § 466, rangeant les précédents arbitraux au rang des moyens auxiliaires de
détermination de la règle de droit au sens de l’article 38 du statut de la CIJ ain de préciser le sens du
terme investissement.
97. Sentence Rompetrol, op. cit., § 152.
98. CIRDI, Burimi SRL et Eagle Games SH.A c. Albanie, aff. n° ARB/11/18, sentence du 29 mai 2013,
§ 121, usant d’un raisonnement a fortiori et inalement très bref pour exclure qu’une entreprise contrôlée
par un double national soit considérée comme contrôlée par un étranger alors que la question n’est tranchée
ni par la convention de Washington ni par aucun précédent.
99. CIRDI, Metal-Tech Ltd c. Ouzbékistan, aff. n° ARB/10/3, sentence du 4 octobre 2013, § 116 ;
Sentence KT Asia, op. cit., § 83.
100. Décision Philip Morris op. cit., § 134, s’agissant de la portée de la règle suivant laquelle 18 mois
doivent s’écouler entre la saisine des juridictions nationales et celle du tribunal arbitral.
101. CIRDI, Tulip Real Estate and Development Netherlands c. Turquie, aff. n° ARB/11/28, décision
sur la compétence (bifurcation), 5 mars 2013, § 57, relevant que la jurisprudence sur ce point « is very
much non constante ».
102. Voy. cette chronique, cet Annuaire, 2009, pp. 710 et s. ; 2011, pp. 573 et s. ; 2012, pp. 624 et s.
et supra A.
103. CIRDI, Garanti Koza LLP c. Turkménistan, aff. n° ARB/11/20, décision sur la compétence,
3 juillet 2013, §§ 40-42 ; voy. aussi Sentence Kiliç, op. cit., § 7.6.1.
104. CPA (CNUDCI), ST-AD GmbH c. Bulgarie, n° 2011-06, décision sur la compétence, 18 juillet
2013, §§ 386-387.
105. Id., alors que le tribunal a entendu se placer dans les pas de ses prédécesseurs sur les questions
moins débattues (voy. par ex. § 275).
106. Comité ad hoc CIRDI, Malicorp Limited c. Egypte, aff. n° ARB/08/18, décision sur la demande
en annulation, 3 juillet 2013, §§ 50 et s.
107. CIRDI, Rompetrol Group NV c. Roumanie, aff. n° ARB06/3, sentence, 6 mai 2013, § 271. Sur le
fait illicite composite, voy. infra II, A.

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arbitrage transnational et droit international général 445

s’en démarquer. À cet égard, deux décisions occupent une place de premier plan
dans le cru 2013. L’une, ancienne, est le plus souvent évoquée pour s’en écarter
au motif qu’elle ne serait pas à l’origine d’une jurisprudence constante 108 ou, en
tout cas, s’éloigner de l’interprétation qui en a parfois été donnée 109. Il s’agit de la
décision Salini 110, dont il faudrait lire le « test » non comme posant un ensemble de
critères qu’une opération devrait nécessairement réunir pour pouvoir être qualiiée
d’investissement mais plutôt comme identiiant les indices qui peuvent être pris
en compte pour aboutir à cette qualiication. L’autre, plus récente, connaît des
fortunes diverses. Il s’agit de la décision Abaclat 111, souvent critiquée, mais qui
sert néanmoins de point de départ au raisonnement des arbitres confrontés à des
réclamations multiples ou, plus spéciiquement, à la question de la distinction entre
compétence et recevabilité. S’agissant des procédures multipartites 112, les arbitres
de l’affaire Ambiente Uficio sont parvenus pour l’essentiel aux mêmes conclusions
que la majorité dans l’affaire Abaclat, tout en afirmant se livrer à leur propre
interprétation après avoir relativisé la portée de celle de leurs prédécesseurs 113.
Cela n’a pas trompé l’arbitre dissident, S. Torres Bernardez, qui a tenu à dénoncer
l’attitude de la majorité en des termes assez vifs :
« The fact that members of different international arbitral tribunals seated in different
cases at different moments of time coincide essentially in conclusions, reasoning,
considerations and views to the extent indicated is indeed an extraordinary event,
a rare bird in the practice of international arbitration, deserving as such scrutiny.
[This] may be described prima facie as an attempt to establish rules of general
application through case-law independently of the ICSID Convention and Rules » 114.
La surprise exprimée par l’arbitre dissident quant au fait que deux tribu-
naux saisis de questions juridiques analogues parviennent pour l’essentiel aux
mêmes conclusions peut laisser songeur. Il n’en reste pas moins que la majorité
du tribunal de l’affaire Ambiente Uficio a sans doute entendu se placer « in the
shade of Abaclat case » 115, le tribunal de cette affaire étant même qualiié de « sister
tribunal » 116. Si ce suivisme suscite pareille réaction, c’est qu’il n’est pas partagé,
s’agissant au moins de la façon dont la majorité de l’affaire Abaclat a distingué les
questions de compétence et de recevabilité ain d’atténuer la portée d’exigences
telles que celles de consultation préalable, de saisine des juridictions internes ou
d’écoulement d’un certain délai entre cette saisine et celle du tribunal arbitral 117.
Le tribunal de l’affaire Kiliç n’a ainsi pas hésité à afirmer que « the majority in
Abaclat fell into legal error » 118 si elle a prétendu poser de manière générale que
de telles exigences ne limitaient pas le consentement de l’État mais seulement les
conditions de recevabilité d’une requête. Il s’agit d’ailleurs là d’un des rares points
sur lesquels la majorité de l’affaire Ambiente Uficio s’est séparée du raisonnement

108. CIRDI, Philip Morris Brands SARL e.a. c. Uruguay, aff. n° ARB/10/7, décision sur la compétence,
2 juillet 2013, §§ 204 et s.
109. CIRDI, Ambiente Uficio SpA e.a. c. Argentine (anciennement Giordano Alpi e.a. c. Argentine),
ARB/08/9, décision sur la compétence et la recevabilité, 8 février 2013, §§ 479 et s. Voy. aussi CIRDI,
KT Asia Investment group BV c. Kazakhstan, aff. n° ARB/09/8, sentence du 17 octobre 2013, §§ 171 et s.
110. CIRDI, Salini Costruttori SpA et Italstrade SpA c. Maroc, aff. n° ARB/00/4, décision sur la
compétence, 23 juillet 2001, § 52.
111. CIRDI, Abaclat et al. c. Argentine (anciennement Giovanna a Beccara et al. c. Argentine), aff.
n° ARB/07/5, décision sur la compétence et la recevabilité du 4 août 2011.
112. Sur ce point, voy. infra III, A, 3.
113. Décision Ambiente, §§ 7 et s.
114. Opinion dissidente de S. Torres Bernardez, § 45.
115. Id., § 40
116. Décision Ambiente Uficio op. cit., § 10.
117. Voy. cette chronique, cet Annuaire, 2011, pp. 570 et s.
118. Sentence Kiliç, op. cit., § 6.3.4.

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446 arbitrage transnational et droit international général

suivi par la majorité dans l’affaire Abaclat tout en parvenant à une conclusion en
pratique assez proche 119.
Dans ce désordre, les opinions séparées ou dissidentes peuvent prendre une
place importante. Celle, forte, de G. Abi-Saab dans l’affaire Abaclat est ainsi
discutée comme celle de la majorité 120 et emporte parfois la conviction 121. Rien
d’étonnant dès lors à ce que les arbitres cherchent parfois par ce biais à « faire
jurisprudence ». L. Boisson de Chazournes a ainsi entendu marquer d’emblée sa
réticence face à l’extension des clauses de la nation la plus favorisée aux disposi-
tions relatives au règlement des différends, alors même que l’espèce ne s’y prêtait
pas d’évidence 122.

2. Jurisprudence des autres juridictions internationales

Les arbitres ont d’autant plus conscience de s’insérer dans un environnement


juridique international plus large qu’ils sont, pour une part non négligeable, issus
de la « communauté » du droit international public 123. Toutefois, s’ils recourent
fréquemment à la jurisprudence de la Cour internationale de Justice, les tribu-
naux marquent davantage de réticence à l’idée d’user d’autres « précédents exté-
rieurs » 124, dont ceux issus du système européen de protection des droits de l’homme.
i) La jurisprudence de la Cour internationale « exerce toujours une magistra-
ture d’inluence non négligeable, qui va sans doute au-delà de la simple recherche
par les tribunaux investissementaux (sic) du renforcement de leur légitimité » 125.
Cette autorité ne doit toutefois pas être surestimée, ainsi que l’a indiqué le tribunal
de l’affaire Tulip Real Estate. L’audience avait fait apparaître un désaccord entre
les parties sur la place respective à accorder à la jurisprudence de la Cour et aux
précédents arbitraux. Tandis que l’État défendeur soutenait que la première jouit
d’une autorité supérieure, les demandeurs entendaient que les arbitres privilégient
les seconds en tant qu’ils traduisent une lex specialis. Le tribunal a toutefois refusé
de poser le débat en termes hiérarchiques en rappelant que bien qu’il « accords defe-
rence to relevant statements by the ICJ of general principles as to the construction
of the terms of a treaty », cela ne le dispense nullement d’interpréter et d’appliquer
lui-même le traité sur le fondement duquel il est saisi. Pas plus que les précédents
arbitraux, la jurisprudence de la Cour ne s’impose donc aux arbitres 126.
Il reste qu’elle joue un rôle non négligeable pour le traitement (on n’ose écrire
le règlement) de certaines questions qui animent le contentieux transnational de
l’investissement. Ce rôle n’est pas nécessairement univoque, ainsi que l’indique
l’exemple de l’appréciation du consentement des États à l’arbitrage. On sait la
Cour mondiale soucieuse de ménager la souveraine susceptibilité de ses justiciables
en ce domaine. Sa jurisprudence est donc régulièrement invoquée par les États

119. Décision Ambiente Uficio, op. cit., §§ 568 et s., spéc. §§ 624 et s., justiiant la différence d’approche
par rapport à la décision Abaclat.
120. Id., §§ 458 et s.
121. Sentence Kiliç, op. cit., § 6.3.4.
122. Opinion dissidente jointe à la décision Garanti Koza LLP op. cit., Voy. supra A.
123. Pour une approche sociologique de la matière, et spécialement de la question des précédents,
voy. M. HirScH, « The Sociology of International Investment Law », dans Z. dougLaS / J. PauweLyn /
J. E. VinuaLeS (dir.), The Foundations of International Investement Law, Oxford, OUP, 2014, op. cit.,
supra n. 82 pp. 143-168.
124. G. guiLLaume, « Le précédent dans la justice et l’arbitrage international », JDI, 2010, p. 698.
125. A. PeLLet, « La jurisprudence de la Cour internationale de Justice dans les sentences CIRDI –
Lalive Lecture, 5 juin 2013 », JDI, 2014, pp. 5-32, spéc. pp. 31-32.
126. CIRDI, Tulip Real Estate and Development Netherlands c. Turquie, aff. n° ARB/11/28, décision
sur la compétence (bifurcation), 5 mars 2013, §§ 45-47.

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arbitrage transnational et droit international général 447

défendeurs au soutien d’une interprétation stricte de leur consentement 127 ou


par les arbitres pour afirmer le caractère obligatoire des conditions procédurales
préalables à l’arbitrage 128. Pourtant, l’usage de la jurisprudence de la Cour peut
également aller dans le sens d’un assouplissement. C’est ainsi qu’elle est utilisée
avec succès par les demandeurs pour contrer un prétendu principe d’interprétation
restrictive des lois nationales susceptibles de contenir le consentement de l’État
à l’arbitrage 129, défendre l’idée que des négociations préalables à la saisine d’un
tribunal ne doivent être menées que pour autant qu’elles présentent quelque chance
de succès 130, soutenir pareillement l’existence d’une exception d’ineficacité permet-
tant de contourner l’obligation d’exercer des recours internes préalablement à la
saisine du tribunal 131 et, même, convaincre les arbitres que le délai qui doit séparer
ces deux événements peut être épuisé postérieurement à la saisine du tribunal 132.
Pour le reste, les tribunaux arbitraux font largement référence à la jurispru-
dence de la Cour, ou à celle de son ancêtre, dès lors qu’ils sont confrontés à des
questions dont ils considèrent qu’elles relèvent du droit international général.
C’est classiquement le cas s’agissant d’afirmer l’existence et l’étendue de l’obli-
gation de réparer les conséquences d’un fait internationalement illicite, l’arrêt de
la CPJI dans l’affaire de l’Usine de Chorzów étant alors presque systématique-
ment convoqué 133. Ce peut également l’être, de façon plus originale, s’agissant de
partager la charge de la preuve en matière de nationalité à la manière de la Cour
dans l’affaire Avena 134.
Là encore, les opinions des juges ne sont pas négligées. Celle, dissidente, du
juge Abraham dans l’affaire de l’Application de la Convention pour la prévention et
la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie) a ainsi été mentionnée par le
tribunal dans l’affaire Philip Morris, qui n’a toutefois pas jugé utile, compte tenu
de l’espèce, de prendre position dans le débat qu’elle soulève 135. Quant à l’opinion
individuelle de la juge Higgins dans l’affaire des Plates-formes pétrolières, elle
tend presque à faire igure aux yeux des arbitres de manuel de contentieux inter-
national : non seulement elle indique, classiquement, la façon dont doivent être
appréciées, au stade de la compétence, les questions ressortissant au fond 136 mais
elle est également invoquée ain de régler la question, connexe, de l’autorité de la

127. Pour une afirmation générale de l’importance du consentement appuyée par une référence à la
jurisprudence de la Cour mondiale, voy. CIRDI, Garanti Koza LLP c. Turkménistan, aff. n° ARB/11/20, déci-
sion sur la compétence, 3 juillet 2013, § 21, citant les affaires Ambatielos et du Statut de la Carélie orientale.
128. CIRDI, Ambiente Uficio SpA e.a. c. Argentine (anciennement Giordano Alpi e.a. c. Argentine),
aff. n° ARB/08/9, décision sur la compétence et la recevabilité, 8 février 2013, § 578 ; décision Tulip Real,
op. cit., §§ 61 et s. et 84 et s., citant les affaires de l’Application de la convention sur l’élimination de toutes
les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Russie), des Activités armées sur le territoire du Congo
(Congo c. Rwanda) ou encore de l’Usine de pâtes à papier sur le leuve Uruguay (Argentine c. Uruguay) pour
interpréter l’exigence de négociations préalables à la saisine du tribunal ; CIRDI, Philip Morris Brands
SARL e.a. c. Uruguay, aff. n° ARB/10/7, décision sur la compétence, 2 juillet 2013, §§ 141 et s. s’agissant
de l’obligation de saisir les juridictions internes avant d’avoir recours à l’arbitrage.
129. CIRDI, Tidewater Inc. e.a. c. Venezuela, aff. n° ARB/10/5, décision sur la compétence, 8 février
2013, §§ 93 et s. ; CIRDI, OPIC Karimun Corporation c. Venezuela, aff. n° ARB/10/14, sentence du 28 mai
2013, § 78 ; moins nettement CIRDI, ConocoPhillips Petrozuata BV e.a. c. Venezuela, aff. n° ARB/07/30,
décision sur la compétence et le fond, 3 sept. 2013, §§ 233 et s., spéc. § 254.
130. Décision Ambiente Uficio, op. cit., § 582, citant l’affaire de l’Application de la convention sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Russie).
131. Id., § 599, citant les affaires de Certains emprunts norvégiens et de la Barcelona Traction.
132. Décision Philip Morris, op. cit., §§ 144 et s. citant les affaires Mavrommatis et de l’Application
de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie).
133. Décision ConocoPhillips, op. cit., § 342 ; CIRDI, Ioan Micula e.a. c. Roumanie, aff. n° ARB/05/20,
sentence du 11 décembre 2013, § 917. Voy. infra II, B.
134. Décision Ambiente Uficio, op. cit., §§ 308 et s.
135. Décision Philip Morris Brands, op. cit., § 147.
136. Décision Ambiente Uficio, op. cit., §§ 537-540, aux côtés d’autres précédents. Voy. cette chronique
dans cet Annuaire, 2009, pp. 707 et s. ; 2011, pp. 565 et s. ; 2012, p. 623.

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448 arbitrage transnational et droit international général

chose décidée au stade de la compétence 137, d’écarter tout principe d’interprétation


restrictive des clauses compromissoires 138 et, même, de déterminer le standard de
preuve applicable aux allégations les plus graves 139.
Cet usage de la jurisprudence de la Cour tendrait, selon certains, à conirmer
que le droit des investissements, en tout cas tel qu’appliqué dans le cadre du CIRDI,
constitue « “un nouvel ordre juridique de droit international” – ni self-contained
regime vivant en “isolation clinique”, ni réductible au droit international général,
dont il garde le nord grâce notamment (car il ne faut pas exagérer son rôle), à la
boussole que constitue la jurisprudence de la Cour mondiale » 140.
ii) On ne retrouve en revanche pas le même enthousiasme lorsque les parties
sollicitent des arbitres la prise en compte de la jurisprudence d’autres juridic-
tions, spécialement régionales. Certes, la jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l’homme n’est pas ignorée des arbitres, qui ont pu s’y référer par le
passé s’agissant par exemple d’apprécier si l’État défendeur n’avait pas restreint
l’accès des investisseurs à un tribunal au point de violer le standard de traitement
juste et équitable 141, de déterminer si un droit reconnu par un tribunal peut faire
l’objet d’une expropriation 142 ou encore pour importer le principe de proportionna-
lité dans le contentieux de l’investissement 143. On croit toutefois pouvoir déceler
une certaine réserve à l’égard de la jurisprudence de la Cour européenne dans la
sentence Rompetrol. Alors que les parties s’y étaient abondamment référées, la
Roumanie soutenant en particulier qu’elle devait servir de point de référence s’agis-
sant d’apprécier le traitement que cet État réserve aux investisseurs étrangers, le
tribunal a tenu à rappeler dans des développements spéciiques que
« speciic provisions of the ECHR in the jurisprudence of the European Court of
Human Rights, interesting and illuminating as it has been, is beside the point when
it comes to the issues under the Netherlands-Romania BIT which form the subject of
the dispute before the Tribunal » 144.

F. Doctrine

i) En sourdine dans les décisions de la plupart des juridictions internationales,


la doctrine apparaît explicitement en tant que moyen auxiliaire de détermination
de la règle de droit dans le contentieux arbitral transnational relatif à l’investisse-
ment 145. Elle joue ainsi un rôle de premier plan pour le traitement des questions
les plus discutées, notamment lorsque l’éclatement des précédents ne permet pas

137. CIRDI, Emmis International Holding, BV e.a. c. Hongrie, aff. n° ARB/12/2, décision sur la
demande de bifurcation, 13 juin 2013, § 52 : « Where the Court has to decide, on the basis of a treaty whose
application and interpretation is contested, whether it has jurisdiction, that decision must be deinitive ».
138. CIRDI, Garanti Koza LLP c. Turkménistan, aff. n° ARB/11/20, décision sur la compétence,
3 juillet 2013, § 23, « It is clear from the jurisprudence of the Permanent Court and of the International
Court that there is no rule that requires a restrictive interpretation of compromissory clauses ».
139. CIRDI, Rompetrol Group NV c. Roumanie, aff. n° ARB06/3, sentence, 6 mai 2013, § 182, « the
graver the charge the more conidence must there be in the evidence relied on ».
140. A. PeLLet, op. cit. note 125, p. 32.
141. CIRDI, Mondev c. États-Unis, aff. n° ARB(AF)/99/2, sentence du 11 octobre 2002, §§ 143-144.
142. CIRDI, Saipem SpA c. Bangladesh, décision sur la compétence et les mesures conservatoires,
ARB/05/07, 21 mars 2007, § 130.
143. CIRDI, Occidental Petroleum c. Équateur, aff. n° ARB/06/11, sentence du 5 octobre 2012, § 403
(voy. cette chronique, cet Annuaire, 2012, pp. 617-618).
144. CIRDI, Rompetrol Group NV c. Roumanie, aff. n° ARB06/3, sentence, 6 mai 2013, §§ 168 et s.,
spéc. § 172. Voy. aussi, infra, III, B.
145. CIRDI, Ambiente Uficio SpA e.a. c. Argentine (anciennement Giordano Alpi e.a. c. Argentine),
ARB/08/9, décision sur la compétence et la recevabilité, 8 février 2013, §§ 466 et s.

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arbitrage transnational et droit international général 449

de dégager une jurisprudence constante. De Vattel 146 à Z. Douglas 147 en passant


par B. Cheng 148 ou J. Paulson 149, un éventail signiicatif de travaux doctrinaux
est ainsi passé en revue par les arbitres ain de se déterminer. Certains auteurs,
écrivant toujours en anglais, occupent toutefois une place prééminente dans les
bibliothèques des arbitres. Il en va ainsi de Ch. Schreuer, dont on se prend à
discuter les évolutions perceptibles entre les deux éditions du commentaire de la
convention de Washington qu’il a publiées 150 quand on ne se réfère pas au manuel
qu’il a cosigné avec R. Dolzer 151 ou à ses articles plus spéciiques 152.
Sans doute la diversité des fonctions occupées par un même individu dans la
« communauté » du droit international des investissements renforce-t-elle cette
propension des arbitres à se référer expressément à la doctrine 153. Cette porosité
peut d’ailleurs être à l’origine de situations particulières. Ainsi permet-elle à des
arbitres d’utiliser un article publié par un auteur pour interpréter la décision qu’il
avait contribué à rendre précédemment 154 et même à un tribunal de se référer
à l’opinion doctrinale de « prominent scholars in international law », dont… son
propre président 155 !
ii) Une place particulière est réservée à la doctrine institutionnelle, spéciale-
ment, mais pas uniquement 156, à la Commission du droit international. Les travaux
de cette dernière sont régulièrement cités, qu’il s’agisse, évidemment, des textes
relatifs au droit des traités 157 ou au droit de la responsabilité internationale 158,
mais aussi de ceux portant sur les actes unilatéraux des Etats 159 ou la protection
diplomatique 160. L’œuvre de la Commission et des sociétés savantes peut ainsi
trouver dans le contentieux arbitral transnational un heureux débouché. Rien
d’étonnant dès lors à ce que des travaux spéciiquement consacrés à cette matière
se développent. Alors que l’Institut du droit international a conclu en 2013 son
examen des « aspects juridiques du recours à l’arbitrage par un investisseur contre
les autorités de l’État hôte en vertu d’un traité interétatique » par l’adoption d’une

146. CIRDI, Garanti Koza LLP c. Turkménistan, aff. n° ARB/11/20, décision sur la compétence,
3 juillet 2013, § 36 ; CIRDI, ConocoPhillips Petrozuata BV e.a. c. Venezuela, aff. n° ARB/07/30, décision
sur la compétence et le fond, 3 septembre 2013, § 285.
147. CIRDI, Kiliç Insaat Ithalat Ihracat Sanayi Ve Ticaret Anonim Sirketi c. Turkmenistan, ARB/10/1,
sentence du 2 juillet 2013, § 7.8.10.
148. CIRDI, Ioan Micula e.a. c. Roumanie, aff. n° ARB/05/20, sentence du 11 décembre 2013,
§§ 833-834.
149. CIRDI, Franck Charles Arif c. Moldavie, aff. n° ARB/11/23, sentence du 8 avril 2013, §§ 429
et s. ; Trib. CNUDCI (ALENA), Apotex Inc. c. États-Unis, décision sur la compétence et la recevabilité,
14 juin 2013, § 238.
150. Décision Ambiente Uficio, op. cit., §§ 142-143. Pour un autre exemple signiicatif, voy. Comité
ad hoc CIRDI, Malicorp Limited c. Egypte, aff. n° ARB/08/18, décision sur la demande en annulation,
3 juillet 2013, passim.
151. Décision Garanti Koza, op. cit., § 42.
152. Décision Ambiente Uficio, op. cit., § 603.
153. Sur cette porosité, voy. aussi infra III, E.
154. Décision Kiliç, op. cit., § 6.3.8, utilisant un article de J. Paulson s’agissant d’interpréter la déci-
sion Western NIS rendue par un tribunal dont cet auteur était membre.
155. Ch. Comm. Stockholm, Anatolie Stati e.a. c. Kazakhstan, n° 116/2010, sentence du 19 décembre
2013, § 1162.
156. Les travaux de la CNUCED sur le traitement de la nation la plus favorisée sont parfois
mentionnés (décision Garanti Koza, op. cit., §§ 51 et 88), ceux de l’International Bar Association sur la
preuve le sont régulièrement (voy. infra III, C).
157. Décision Kiliç, op. cit., § 5.2.3.
158. Voy. infra II.
159. CIRDI, Tidewater Inc. e.a. c. Venezuela, aff. n° ARB/10/5, décision sur la compétence, 8 février
2013, § 91.
160. Décision Ambiente Uficio, op. cit., §§ 608 et s.

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450 arbitrage transnational et droit international général

déclaration 161, la CDI a récemment relancé son étude de la clause de la nation la


plus favorisée, avec pour objectif
« de prévenir la fragmentation du droit international en faisant valoir l’importance
d’une cohérence accrue dans les décisions d’arbitrage en matière d’investissements
[ain de] contribuer à accroître la sécurité et la stabilité du droit des investisse-
ments » 162.
Reste à savoir si l’accueil que réserveront les arbitres à ces contributions spéci-
iquement consacrées à « leur » matière sera le même que celui dont ont bénéicié
des travaux portant sur le droit international général.

II. – ARBITRAGE TRANSNATIONAL


ET RESPONSABILITÉ INTERNATIONALE

Toutes les affaires dont l’examen au fond est soumis aux arbitres posent la
question de la responsabilité internationale de l’État. À ce titre, les Articles de
la Commission du droit international des Nations Unies sur la responsabilité de
l’État pour fait internationalement illicite 163, considérés sur maints aspects comme
l’expression de la coutume, occupent une place de choix dans les décisions arbi-
trales 164. Leur autorité paraît toutefois s’amenuiser lorsque, sur des questions
qu’ils embrassent pourtant, certains tribunaux omettent de s’y référer au béné-
ice de la jurisprudence arbitrale qui prend des allures de source reine pour les
arbitres 165. On notera par ailleurs que la sentence Rompetrol a ravalé le travail
de codiication de la CDI au rang de principes directeurs (« guidelines ») 166 – en
l’occurrence sur la question, il est vrai, encore controversée du rôle du dommage
dans la responsabilité 167. Le caractère interétatique des rapports de responsabilité
envisagés par la CDI n’est, en tout état de cause, pas un obstacle à leur transposi-
tion au contexte transnational des rapports État-investisseur étranger 168, même
si des nuances doivent parfois être introduites 169, comme l’illustreront la question
du dommage moral 170 et celle de la restitution 171.
Suivant l’approche conceptuelle retenue par la CDI dans ses Articles, que tend
à consolider la pratique arbitrale, à plus forte raison lorsqu’une bifurcation est

161. Session de Tokyo, résolution du 13 septembre 2013.


162. Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa 65e session, doc. A/68/10,
§ 154, p. 114.
163. Texte reproduit dans Ann. CDI, 2001, vol. 2, partie 1, pp. 26 et s. et annexé à la résolution 56/83
de l’Assemblée générale des Nations Unies.
164. Voy. par ex., au sujet de la réparation, CIRDI, Franck Charles Arif c. Moldavie, aff. n° ARB/11/23,
sentence du 8 avril 2013, §§ 559 et s.
165. Sur le fait composite, voy. CIRDI, Rompetrol Group NV c. Roumanie, aff. n° ARB06/3, sentence,
6 mai 2013, §§ 271 et s., où les arbitres n’esquissent aucune référence aux Articles de la CDI (§§ 271 et s.),
mais se réfèrent à la sentence RosinvestCo de 2010 (voy. cette chronique, cet Annuaire, 2010, pp. 638-639),
laquelle ignore tout autant la codiication de 2001. Voy. aussi Trib. CNUDCI (ALENA), Apotex Inc. c. États-
Unis, décision sur la compétence et la recevabilité, 14 juin 2013, §§ 325 et s. Concernant le fait illicite
composite, voy. infra A, 1.
166. CIRDI, Rompetrol Group NV c. Roumanie, aff. n° ARB06/3, sentence, 6 mai 2013, § 189 : la
sentence note que le statut du texte de la CDI est celui d’un projet d’articles, mais que son approbation par
l’Assemblée générale des Nations Unies (résolution 65/19 du 6 décembre 2010) et sa mise en œuvre dans
la pratique internationale justiient amplement de l’envisager à titre de principes directeurs.
167. Voy. infra B.
168. En ce sens, voy. sentence Rompetrol, § 190.
169. Sentence Rompetrol, op. cit., § 182.
170. Id., § 289, et infra B.
171. Sentence Arif, op. cit., §§ 570 et s. et infra B.

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arbitrage transnational et droit international général 451

opérée entre ces deux questions 172, on distinguera les questions qui ressortissent
à l’engagement de la responsabilité (A) de celles qui concernent le contenu de la
responsabilité (B).

A. Engagement de la responsabilité

1. Violation d’une obligation internationale

Les principes classiques du droit de la responsabilité concernant l’établisse-


ment de la violation d’une obligation internationale sont couramment appliqués
dans le contentieux transnational. En 2013, ils ont beaucoup concerné la source
de l’obligation (a), tandis que les notions de fait continu ou de fait composite ont
été mises en œuvre à plusieurs occasions (b). La question des violations multiples
sera enin évoquée (c).

a) Source de l’obligation (indifférence de l’origine,


non pertinence du droit interne)
C’est un principe fermement établi du droit de la responsabilité internationale
que l’État commet une violation lorsque son comportement n’est pas conforme à une
obligation internationale « quelle que soit l’origine […] de celle-ci » 173. Si dans le
domaine du droit des investissements, la violation de normes conventionnelles est
la plus fréquente, il n’est pas exclu que l’État engage sa responsabilité à la suite
du non-respect de règles coutumières. On notera à cet égard que la sentence Arif a
évoqué la distinction entre une responsabilité de type contractuel qui découlerait
de la violation du traité applicable et une responsabilité délictuelle à raison d’un
déni de justice 174. Inspiré du droit interne, ce départ entre les deux responsabilités
ne produit aucun effet en droit international 175. Au reste, l’interdiction du déni
de justice se rattache tout autant au droit coutumier qu’au droit conventionnel
(notamment à travers la notion de traitement juste et équitable 176).
La question de la source de l’obligation internationale connaît une déclinaison
particulière dans le domaine du droit des investissements, à travers la délicate
question de la clause de respect des engagements (dite encore clause de couverture,
« clause parapluie » ou « umbrella clause » dans le jargon) 177, par laquelle un État
s’engage à se conformer aux obligations prises envers des investisseurs ressortis-
sants de l’autre partie ou des autres parties au traité. La clause parapluie, contenue
dans de nombreux traités d’investissement, constitue une obligation dont la source
conventionnelle ne prête pas à débat. Mais à un niveau inférieur, se pose la question
de la source de l’obligation souscrite par l’État à l’égard de l’investisseur, dont le
non-respect sera de nature à constituer, par ricochet, une violation de la clause
parapluie. Interprétant la clause contenue dans le traité bilatéral entre la Suède et
la Roumanie qui visait « any obligation » souscrite par l’État, le tribunal de l’affaire
Micula a ainsi estimé que sa source (contractuelle, législative, administrative 178…)

172. CIRDI, Apotex Holdings Inc. et Apotex Inc. c. États-Unis d’Amérique, aff. n° ARB(AF)/12/1,
ordonnance procédurale sur la bifurcation, 25 janvier 2013, § 6.
173. Art. 12 des Articles de la CDI.
174. CIRDI, Franck Charles Arif c. Moldavie, aff. n° ARB/11/23, sentence du 8 avril 2013, § 432.
175. Cf. Trib. ad hoc, affaire du Rainbow Warrior (Nouvelle-Zélande c. France), sentence du 30 avril
1990, RSA, vol. XX, p. 251, § 75 : « il n’y a pas, en droit international, de distinction entre la responsabilité
contractuelle et la responsabilité délictuelle ».
176. D. carreau / P. JuiLLard, Droit international économique, 5e éd., Paris, Dalloz, 2013, pp. 504 et s.
177. D. carreau, « Investissements », Rép. Internat. Dalloz, septembre 2013, n° 323.
178. Voy. notamment CIRDI, Ioan Micula e.a. c. Roumanie, aff. n° ARB/05/20, sentence du
11 décembre 2013, § 431.

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452 arbitrage transnational et droit international général

n’était pas un facteur discriminant 179, mais que la naissance de l’engagement de


l’État devait être appréciée prioritairement au regard du droit régissant l’obligation
souscrite (le droit interne) et non au regard du droit international, qui gouverne
la clause parapluie 180. Par le truchement de la clause parapluie, la responsabilité
internationale de l’État peut in ine résulter de la violation par celui-ci d’une obli-
gation dont la source est interne.
Dans l’arbitrage en matière d’investissement, le droit interne revêt un poids
plus conséquent que dans le contentieux interétatique 181, y compris dans l’appré-
ciation de la violation d’obligations internationales. Ainsi les arbitres de l’affaire
Arif ont-ils fait montre d’une déférence marquée à l’égard de la manière dont les
tribunaux moldaves avaient appliqué, légitimement selon eux, le droit local pour
considérer que les droits dont l’investisseur invoquait l’expropriation étaient inva-
lides. L’argument selon lequel la qualiication illicite d’un fait de l’État « n’est pas
affectée par la qualiication du même fait comme licite par le droit interne » 182 a
été jugé inapplicable dans la mesure où, pour le tribunal, des droits invalides ne
sauraient faire l’objet d’une expropriation 183. La qualiication du droit interne
n’affectait donc pas immédiatement la qualiication du fait international ; elle
concernait en amont – mais de manière déterminante, doit-on constater – l’existence
des droits dont la violation était invoquée.
Cela étant, la règle selon laquelle un État ne peut s’abriter derrière son droit
interne pour échapper à ses obligations internationales n’a pas déserté le conten-
tieux d’investissement. Elle bénéicie aux obligations résultant non seulement
des normes de protection des investissements étrangers 184, mais également de
l’ensemble des obligations découlant de la participation à la procédure d’arbitrage.
À ce titre, le tribunal de l’affaire Chevron a rappelé à l’Équateur que les obligations
découlant des ordonnances et sentences du tribunal liaient tous les organes de
l’État, sans que des contraintes tirées du droit équatorien pussent excuser leur
non-respect 185.

b) Fait composite, fait continu

La notion de fait illicite composite 186 connaît dans l’arbitrage transnational


un succès qui ne se dément pas 187. Il faut dire que le droit des investissements
constitue un terrain propice à son invocation au moins à un double titre :
i) La première raison en est sans doute la conjonction astrale récurrente qui
confronte à des normes pour le moins vagues du droit des investissements (notam-
ment le standard du traitement juste et équitable ou l’interdiction de l’expropriation

179. Sentence Micula, op. cit., § 415.


180. Id., § 418.
181. Voy. infra III la question du droit applicable.
182. Voy. l’art. 3 des Articles de la CDI.
183. CIRDI, Franck Charles Arif c. Moldavie, aff. n° ARB/11/23, sentence du 8 avril 2013, § 420.
184. Id., § 547 : « a contradiction in the actions of the State cannot be resolved on the international
plane by reference to its internal legal order. It is well established that a State cannot rely on its internal
law to justify an internationally wrongful act ». Voy. aussi CIRDI, Rompetrol Group NV c. Roumanie, aff.
n° ARB06/3, sentence, 6 mai 2013, § 174.
185. CPA (CNUDCI), Chevron Corporation et Texaco Petroleum Corporation c. Équateur, n° 2009-23,
sentence partielle n° 4 sur les mesures provisoires, 7 février 2013, § 78.
186. Voy. l’art. 15 des Articles de la CDI sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement
illicite : « La violation d’une obligation internationale par l’État à raison d’une série d’actions ou d’omissions,
déinie dans son ensemble comme illicite, a lieu quand se produit l’action ou l’omission qui, conjuguée aux
autres actions ou omissions, sufit à constituer le fait illicite » (§ 1).
187. Voy. cette chronique, cet Annuaire, 2008, pp. 484-485 ; 2009, pp. 700-701 ; 2010, pp. 638-639 ;
2011, pp. 548-549 ; 2012, pp. 637-639.

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arbitrage transnational et droit international général 453

indirecte) des comportements étatiques multiples provenant de divers organes


sur des périodes couvrant plusieurs mois voire plusieurs années. L’affaire Rompe-
trol l’illustre. La société éponyme soutenait qu’une série d’actions des autorités
roumaines (enquêtes et arrestations de dirigeants de la société décidées par l’ofice
anticorruption roumain ou le bureau du procureur) étaient constitutives d’une
violation du traitement juste et équitable garanti par le traité applicable 188. Le
tribunal a admis que « the cumulative effect of a succession of impugned actions
by the State of the investment can together amount to a failure to accord fair and
equitable treatment even where the individual actions, taken on their own, would
not surmount the threshold for a Treaty breach » 189. À cet égard, le tribunal a
reconnu, dans la lignée de l’affaire Ioukos 190, qu’un harcèlement orchestré par
l’État dans le but de nuire à l’investisseur pouvait constituer un fait composite
illicite. Mais en l’absence de preuve que les actions menées « on different paths by
different actors are linked together by a common and coordinated purpose » 191, le
tribunal a rejeté le moyen, sans oser déduire la volonté de nuire à l’investisseur
de l’accumulation des actes d’enquête et de poursuite 192. En revanche, le fait que
ces actes d’enquête et de poursuite aient été menés sans égard pour les intérêts de
l’investisseur a été jugé constitutif d’une violation du traitement juste et équitable.
Ain de ne pas donner l’impression de brader facilement la souveraineté pénale de
l’État, le tribunal avait pris le soin de préciser en amont que le fait composite illicite
serait en l’espèce constitué à une triple condition : si les différents comportements
des autorités roumaines étaient sufisamment graves et sérieux ; si les intérêts de
l’investisseur en étaient affectés ; et si « there [were] a failure in these circumstances
to pay adequate regard to how those interests ought to be duly protected » 193. Cette
tentative d’objectivisation de l’atteinte au traitement juste et équitable en matière
pénale, tirée des attentes légitimes de l’investisseur, ne convainc guère 194. Elle
emporte une extension du standard en imposant aux autorités pénales de s’em-
ployer à préserver les intérêts économiques de l’investisseur lorsqu’elles enquêtent
ou poursuivent. Plutôt que de lui réserver ainsi un traitement pénal spéciique, une
manière alternative d’aborder la question aurait été d’apprécier les comportements
cumulés des autorités roumaines (constitutifs d’un fait composite) au regard des
exigences de l’État de droit et de l’interdiction de l’arbitraire, sans qu’intervienne
la recherche d’une intention étatique malicieuse 195, dont on sait qu’elle est démo-
nétisée en droit de la responsabilité internationale 196.

188. CIRDI, Rompetrol Group NV c. Roumanie, aff. n° ARB06/3, sentence, 6 mai 2013, §§ 270-272.
Le tribunal a jugé que des actions contre des cadres dirigeants d’une société pouvaient être assimilées à
des actions contre la société dans deux cas de igure : lorsque l’action vise les cadres dirigeants à raison de
leur activité au nom de l’investisseur ou lorsque que l’action vise les cadres dirigeants personnellement
dans l’intention de nuire à l’investisseur (§ 200).
189. Id., § 271 et dans le même sens, § 278.
190. Voy. Ch. Comm. de Stockholm, RosInvestCo UK Ltd. c. Russie, aff. n° V079/2005, sentence inale
du 12 septembre 2010, § 410, voy. cette chronique, cet Annuaire, 2010, pp. 638-639.
191. Sentence Rompetrol, op. cit., § 273.
192. Voy. contra la sentence Renta 4 SVSA et al. c. Russie, du 20 juillet 2012, voy. dans cette chro-
nique, cet Annuaire, 2012, pp. 638-639.
193. Sentence Rompetrol, op. cit., § 278.
194. Voy. L. acHtouk-SPiVak, « Droit pénal et droit de l’investissement », Cah. Arb., 1er oct. 2013,
n° 4, pp. 1000 et s. Relevant que les attentes légitimes de l’investisseur doivent rester étrangères à la
question de savoir si un État s’est comporté ou non de manière arbitraire, voy. CIRDI, Teco Guatemala
Holdings LLC c. Guatemala, ARB/10/17, sentence sur la compétence et sur le fond, 19 décembre 2013, § 621.
195. En ce sens, voy. Ch. Comm. Stockholm, Anatolie Stati e.a. c. Kazakhstan, n° 116/2010, sentence
du 19 décembre 2013, § 1086 (« The Tribunal considers that it need not ind that there was a “playbook”
[…] to ind that the conduct presented in the above timeline constitutes a violation of the FET. Indeed, for
the tribunal, the evaluation of the objective timetable is suficient »).
196. Sur l’objectivisation de la responsabilité internationale, voy. notamment J. crawFord, State
Responsibility. The General Part, Cambridge, Cambridge UP, 2013, pp. 60 et s.

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454 arbitrage transnational et droit international général

ii) Un autre facteur explique le succès de la notion de fait composite (comme


celle de fait continu 197) dans l’arbitrage transnational : elle constitue un strata-
gème pour les conseils des investisseurs permettant de déjouer les contraintes
temporelles provenant des instruments applicables, en faisant rentrer dans le
champ de compétence du tribunal des comportements étatiques antérieurs à l’en-
trée en vigueur du traité 198 ou à la réalisation de l’investissement 199, ou encore
bénéiciant en principe d’une prescription en application du traité invoqué. L’af-
faire Apotex, rendue sur le fondement de l’Accord de libre échange nord-américain,
illustre ce dernier cas de igure. L’article 1116, § 2, de l’ALENA interdit en effet
à l’investisseur de saisir un tribunal arbitral si plus de trois ans se sont écoulés
depuis la mesure étatique litigieuse 200. En l’espèce, la requête d’arbitrage ayant
été déposée trois ans et deux mois après une décision contestée de la Food and Drug
Administration (FDA) des États-Unis d’Amérique concernant les conditions de mise
sur le marché d’un médicament générique, Apotex essayait de repousser la date
de la mesure litigieuse en invoquant des décisions judiciaires rendues à son sujet
quelques semaines plus tard, dans le délai requis. Pour la irme pharmaceutique
canadienne, la décision de la FDA n’était dès lors qu’un élément d’une violation
continue de l’ALENA par les États-Unis d’Amérique 201. Le tribunal en a jugé diffé-
remment, en opérant une distinction étanche, et à vrai dire assez artiicielle, entre
la partie de la réclamation fondée sur la décision administrative de la FDA (hors
délais) et les autres aspects de la réclamation fondés sur le comportement des tribu-
naux américains, rejetés faute d’épuisement des voies de recours judiciaires 202.
En l’occurrence, le recours à la notion de fait composite (qui, contrairement au fait
continu, ne repose pas sur un comportement unique se prolongeant dans le temps
mais permet d’agréger plusieurs comportements épars provenant d’organes diffé-
rents) n’a probablement pas été développé par Apotex car il n’était pas de nature,
contrairement à celui du fait continu qui focalisait l’analyse sur la décision de la
FDA, à couvrir le non-épuisement des voies de recours internes.
Quoi qu’il en soit, la sentence ST-AD montre que l’introduction, dans les délais,
d’un recours judiciaire interne à l’encontre de mesures normalement hors du champ
de compétence ratione temporis du tribunal ne constitue pas un procédé miracle
pour s’assurer de l’examen d’un litige par les arbitres. Le tribunal a en effet refusé
de faire droit à l’argument de la société allemande qui consistait à faire rentrer
dans le champ de compétence temporelle du tribunal une série de comportements
étatiques antérieurs à la réalisation de l’investissement (donc à l’application du
traité de protection) par la simple réintroduction par le nouvel investisseur d’un
recours déjà rejeté par la cour de cassation bulgare. La icelle était trop grosse
pour le tribunal, qui a considéré que « it is not acceptable for a claimant to artii-
cially create a new act of the State allegedly interfering with its rights by simply
“mirroring” events that occurred before it became a protected investor » 203. En
revanche, pourra rentrer dans le champ de compétence temporelle d’un tribunal

197. Voy. l’art. 14 des Articles de la CDI.


198. Voy. cette chronique, cet Annuaire, 2008, pp. 484-485 et 2009, pp. 700-701 ; 2011, pp. 548-549 ;
2012, p. 637 et J. crawFord, « Investment Arbitration and the ILC Articles on State Responsibility »,
ICSID Rev., vol. 25, n° 1, Spring 2010, p. 131.
199. CPA (CNUDCI), ST-AD GmbH c. Bulgarie, aff. n° 2011-06, décision sur la compétence, 18 juillet
2013, § 300.
200. Article 1116, § 2, de l’ALENA : « Un investisseur ne pourra soumettre une plainte à l’arbitrage
si plus de trois ans se sont écoulés depuis la date à laquelle l’investisseur a eu ou aurait dû avoir connais-
sance du manquement allégué et de la perte ou du dommage subi »
201. Trib. CNUDCI (ALENA), Apotex Inc. c. États-Unis, décision sur la compétence et la recevabilité,
14 juin 2013, §§ 213, 325.
202. Voy. infra III
203. Décision ST-AD, op. cit., § 332.

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arbitrage transnational et droit international général 455

une loi iscale adoptée antérieurement à l’acquisition d’une participation dans une
société mais dont la mise en œuvre effective lui est postérieure 204. Pour parvenir
à ce résultat interprétatif, la décision ConocoPhilips n’a pas eu recours à la notion
de fait composite. Elle a préféré établir la compétence ratione temporis du tribunal
à partir du paragraphe 12 du commentaire de l’article 12 des Articles de la CDI,
qui traite de la date critique de la violation par la loi d’une obligation internatio-
nale 205. Elle aurait tout autant pu considérer que la loi vénézuélienne prenait la
forme d’un fait composite dont la matérialisation (sans préjudice de son illicéité
car la question ne se pose pas au moment de l’établissement de la compétence
temporelle) est intervenue au moment de son application concrète à l’investisseur.
Une telle interprétation ne dépareillerait pas la jurisprudence arbitrale en matière
d’investissement qui a considérablement élargi les déclinaisons possibles de la
notion de fait composite 206, alors que la CDI s’était limitée à donner des exemples
de faits découlant d’une politique systématique ou généralisée de l’État (génocide,
apartheid, crimes contre l’humanité, etc.) 207.

c) Violations multiples

De manière générale, les griefs soulevés par l’investisseur reposent sur la


violation de diverses stipulations conventionnelles. Il revient normalement au
tribunal d’examiner successivement les différentes violations alléguées avant
d’envisager leurs conséquences respectives en fonction des dommages subis – un
même dommage provenant de plusieurs violations n’étant évidemment réparé
qu’une seule fois. Il est toutefois concevable que, par économie de moyens (assez
rare il est vrai dans la pratique arbitrale…) 208, un tribunal se dispense d’examiner
toutes les violations, dès lors qu’elles résultent de mesures invoquées ayant déjà
été déclarées illicites sur un fondement autre 209 et pour autant que les dommages
allégués ne diffèrent pas. Dans cette optique, on signalera la sentence Stati dans
laquelle le tribunal, après avoir constaté que l’État avait violé l’obligation de trai-
tement juste et équitable, a jugé inutile de déterminer si d’autres violations du
traité sur la charte de l’énergie (notamment une expropriation illicite) avaient été
commises 210. Il n’en demeure pas moins que cette sentence particulièrement longue
(1885 paragraphes sur 415 pages !) et mal rédigée se caractérise paradoxalement
par une économie d’argumentation. C’est d’ailleurs sans la moindre justiication
que les arbitres évalueront le dommage résultant de la violation du traitement juste
et équitable en s’appuyant sur la disposition du traité relative à la compensation

204. CIRDI, ConocoPhillips Petrozuata BV e.a. c. Venezuela, aff. n° ARB/07/30, décision sur la compé-
tence et le fond, 3 septembre 2013, § 289.
205. Id. Dans son commentaire de l’article 12 (« Existence d’une violation d’une obligation internatio-
nale »), la CDI examine la question « de savoir si l’adoption d’une loi par un État peut violer une obligation,
dans les cas où il existe un conlit apparent entre le contenu de cette loi et ce qui est requis par l’obligation
internationale, ou si la loi en question doit avoir été appliquée en l’espèce avant que la violation soit réputée
s’être produite » (comm. reproduit in J. crawFord, Les Articles de la CDI sur la responsabilité de l’État,
Paris, Pedone, 2003, p. 156, § 12). En l’occurrence, la CDI constate qu’« aucune règle générale, qui soit
applicable dans tous les cas, ne peut être appliquée » (ibid.), la jurisprudence internationale admettant
les deux hypothèses. Sur l’absence de violation par la simple adoption d’une loi, tant qu’elle n’est pas
mise en œuvre, voy. CIJ, LaGrand (Allemagne c. États-Unis d’Amérique), arrêt du 27 juin 2001, §§ 90-91.
206. Utilisant la notion de fait composite au sens de l’article 15 des Articles pour qualiier une expro-
priation indirecte, voy. CIRDI, Siemens c. Argentine, aff. n° ARB/02/08, 6 février 2007, § 264.
207. Voy. le comm. de l’art. 15 in J. crawFord, Les Articles de la CDI…, op. cit., note 205, pp. 168 et s.
208. Voy. cette chronique, cet Annuaire, 2012, p. 622.
209. En ce sens, voy. CIRDI, Antoine Goetz e.a. et SA Afinage des métaux c. Burundi, aff. n° ARB/01/2,
sentence du 21 juin 2012, spéc. § 259.
210. Ch. Comm. Stockholm, Anatolie Stati e.a. c. Kazakhstan, n° 116/2010, sentence du 19 décembre
2013, §§ 1202-1208. Voy. aussi les §§ 1230-1232 (garantie de l’accès à des recours en droit interne), 1252
(protection pleine et entière), 1280 (mesures discriminatoires), 1313 (clause parapluie).

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456 arbitrage transnational et droit international général

d’une expropriation licite 211. On éprouvera donc quelque réticence à ériger cette
sentence en modèle 212…

2. Attribution

Hormis quelques cas qui n’appellent guère de commentaires 213, les décisions
arbitrales qui ont abordé en 2013 les questions d’attribution se sont concentrées
sur les comportements du pouvoir judiciaire (a). On remarque par ailleurs une
utilisation récurrente des règles d’attribution à des ins autres que l’établissement
de la responsabilité de l’État (b).

a) Attribution des actes du pouvoir judiciaire

La qualité d’organes de l’État des tribunaux, et partant l’attribution de


leurs comportements à la puissance publique conformément au principe d’unité
de l’État 214, ne prête guère à discussion 215. Même le comportement d’une cour
suprême peut donner lieu à une responsabilité étatique, ce qui n’exclut pas que les
arbitres examinent avec une certaine déférence la manière dont celle-ci a appliqué
le droit national 216. Toujours est-il que le tribunal de l’affaire Arif s’est clairement
démarqué de la conception obsolète « expressed in the Chattin award[ 217] that acts
of the judiciary had to be judged with more “delicacy” and circumscription than acts
committed by the other branches of government » 218. La situation des procureurs a
par ailleurs fait l’objet d’un examen particulier dans la sentence Rompetrol. Alors
que les parties disputaient la question de savoir si les activités d’un procureur
pouvaient engager la responsabilité de l’État dans le cadre d’un déni de justice,
le tribunal s’est appuyé sur l’absence de distinction, aux ins d’imputation, entre
les organes exécutif, législatif et judiciaire pour refuser de traiter différemment
les tribunaux, censés être indépendants du pouvoir politique, et les procureurs,
réputés l’être moins 219.

b) Détournement des fonctions des règles d’attribution

Plusieurs décisions arbitrales rendues en 2013, dont certaines ne touchaient


ni au fond de l’affaire, ni même à la compétence du tribunal, ont fait un usage
détourné des règles d’attribution du droit de la responsabilité.

211. Id., § 1460.


212. La sentence a d’ailleurs fait l’objet d’un recours en annulation de la part du Kazakhstan.
213. Concernant le comportement d’une autorité de régulation, voy. CIRDI, Teco Guatemala Holdings
LLC c. Guatemala, aff. n°ARB/10/17, sentence sur la compétence et sur le fond, 19 décembre 2013,
§§ 478-481 (voy. aussi §§ 714-715, au sujet de l’absence d’attribution à l’État, en l’absence de preuve, de
l’effraction d’une voiture et du vol d’un ordinateur portable). Concernant le comportement d’une entreprise
appartenant au gendre du président kazakh attribué à l’État, sur la base de la vraisemblance (« it is more
probable than not », sic) davantage qu’au terme d’une démonstration convaincante, voy. Ch. Comm. Stoc-
kholm, Anatolie Stati e.a. c. Kazakhstan, n° 116/2010, sentence du 19 décembre 2013, § 1094.
214. CIRDI, Franck Charles Arif c. Moldavie, aff. n° ARB/11/23, sentence du 8 avril 2013, § 439.
215. Voy. l’art. 4 des Articles de la CDI.
216. CIRDI, Teco Guatemala Holdings LLC c. Guatemala, aff. n° ARB/10/17, sentence sur la compé-
tence et sur le fond, 19 décembre 2013, §§ 482-483.
217. Sentence Chattin c. Mexique du 23 juillet 1927, RSA, vol. IV, pp. 282-312.
218. CIRDI, Franck Charles Arif c. Moldavie, aff. n° ARB/11/23, sentence du 8 avril 2013, § 439.
219. CIRDI, Rompetrol Group NV c. Roumanie, aff. n° ARB06/3, sentence, 6 mai 2013, § 164. Le
tribunal note cependant que les deux parties ont reconnu que les procureurs devaient exercer leurs fonc-
tions d’une manière qui préserve leur indépendance des interférences exécutives ou politiques (id.). Sur
l’attribution à l’État des actes du Bureau du procureur général, voy. aussi id., § 279.

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arbitrage transnational et droit international général 457

C’est tout d’abord le cas de l’ordonnance procédurale n° 2 dans l’affaire Chur-


chill Mining, par laquelle les arbitres ont refusé au gouvernement de la Régence
du Kutai oriental (province indonésienne directement impliquée dans le litige)
d’apparaître comme partie au différend, au motif que l’Indonésie répondait des
violations alléguées du traité commises par ses divers organes ou agents (et donc la
province en cause), conformément au principe fondamental de l’unité de l’État 220.
Dans un autre registre, on peut signaler la décision sur la compétence de
l’affaire Tulip, qui examinait si la notiication par l’investisseur de la survenance
du différend, à travers la transmission de griefs à une société contrôlée par l’État,
devait être considérée comme ayant été adressée à l’État. Tout en concluant qu’à
ce stade préliminaire de la procédure les comportements de la société ne devaient
pas être attribués à l’État selon l’article 8 des Articles de la CDI, le tribunal n’en
a pas moins déduit des connexions entre la société et l’État qu’il n’était pas dérai-
sonnable de juger que ce dernier avait bien été informé du différend de l’espèce 221.
Le déplacement comme l’assouplissement des règles d’attribution se manifestent
également en matière de production de documents. Le tribunal de l’affaire Mesa a
ainsi ordonné au Canada non seulement de produire tous les documents détenus
par les « entités gouvernementales », mais également de fournir les meilleurs efforts
pour que des entités qui lui sont extérieures (sans qu’elles soient nécessairement
contrôlées par lui au sens de l’article 8) fassent de même 222.

3. Circonstances excluant l’illicéité

Seule une sentence de 2013 rendue publique aborde la question des circons-
tances excluant l’illicéité, de manière il est vrai très ramassée. Après avoir jugé
que le droit de l’Union européenne rentrait dans la « matrice factuelle » de l’affaire
Micula (notamment pour évaluer au regard des attentes légitimes des investisseurs
les comportements de la Roumanie qui, dans le cadre de son adhésion à l’Union,
avait révoqué un système d’incitations iscales) 223, le tribunal arbitral compétent
a estimé que la suggestion de l’investisseur selon laquelle, en théorie, le droit de
l’Union européenne pouvait être envisagé à titre de circonstance excluant l’illicéité
n’était pas dénuée de pertinence 224. L’argument n’ayant toutefois pas été invoqué
par la Roumanie, le tribunal ne jugera pas pertinent d’analyser la chose plus en
avant.
L’existence de règles extérieures contradictoires n’est pas ici présentée comme
une circonstance autonome susceptible d’excuser une violation du traité d’inves-
tissement. Et pour cause, le droit de l’UE ne faisant pas partie du droit applicable
au différend ; au reste, si tel avait été le cas, d’autres outils auraient permis de
résoudre les éventuelles antinomies normatives (principes de lex specialis, posterior,
superior). Pour le tribunal, c’est dans le cadre des circonstances codiiées par la
Commission du droit international que le droit de l’Union européenne aurait voix
au chapitre. Sont à cet égard mentionnés la force majeure (art. 23 des Articles de
2001), la détresse (art. 24) et l’état de nécessité (art. 25).
Si l’on tente de mettre en œuvre l’afirmation expéditive du tribunal, force est
néanmoins de constater que les trois circonstances évoquées seraient rapidement

220. CIRDI, Churchill Mining PLC et Planet Mining Pty Ltd c. Indonésie, aff. n° ARB/12/14 et 12/40,
ordonnance procédurale n° 2, 5 février 2013, § 26. Voy. infra III, D, 1.
221. CIRDI, Tulip Real Estate and Development Netherlands c. Turquie, aff. n° ARB/11/28, décision
sur la compétence (bifurcation), 5 mars 2013, §§ 98-99.
222. CPA (CNUDCI), Mesa Power Group, LLC c. Canada, n° 2012-17, ordonnance procédurale n° 4,
12 juillet 2013, §§ 33-38.
223. CIRDI, Ioan Micula e.a. c. Roumanie, aff. n° ARB/05/20, sentence du 11 décembre 2013, § 328.
224. Id., § 329.

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458 arbitrage transnational et droit international général

disqualiiées. En effet, on peine à imaginer comment l’entrée en vigueur de règles


européennes incompatibles avec un traité d’investissement pourrait générer une
situation de détresse mettant en danger des vies humaines 225. De même, la rigueur
des conditions entourant l’excuse de nécessité constatée par de nombreux tribu-
naux arbitraux (inter alia protection d’un intérêt essentiel contre un péril grave et
imminent ; condition de non-contribution à la survenance de la situation) 226 rend
assez illusoire l’argument. L’hypothèse la moins farfelue serait peut-être celle de
la force majeure, pourtant codiiée elle aussi par la CDI de manière « étroite et
stricte » 227 sans que les tribunaux d’investissement aient jamais contesté cette
approche 228. Encore faudrait-il convaincre un tribunal que l’adoption de normes
par l’UE s’apparente à « la survenance d’une force irrésistible ou d’un événement
extérieur imprévu qui échappe au contrôle de l’État et fait qu’il est matériellement
impossible, étant donné les circonstances, d’exécuter l’obligation » 229. Dans le cas de
l’affaire Micula ces conditions n’étaient manifestement pas réunies 230, et on doute
à vrai dire qu’elles le soient un jour dans le cadre d’un banal conlit de normes. En
somme, l’incise de la sentence Micula restera probablement un coup d’épée dans l’eau.

B. Le contenu de la responsabilité

Toute une série de questions autour des dommages subis par les investisseurs
soulevées par les sentences de 2013 intéressent plus généralement le droit de
la responsabilité internationale (1). D’autres éléments concernant les modes de
réparation seront par ailleurs relevés (2).

1. Questions autour du dommage

a) Le rôle du dommage

La question du rôle du dommage dans la responsabilité (condition d’engage-


ment ou étalon de mesure de la réparation) demeure accidentellement soulevée
dans le contentieux transnational – même si dans la très grande majorité des
affaires, les tribunaux arbitraux s’alignent spontanément sur l’approche de la
CDI en s’abstenant d’examiner les dommages subis par l’investisseur au moment

225. Selon le commentaire de l’article 24, la détresse vise la situation dans laquelle « un individu
dont les actes sont attribuables à l’État se trouve dans une situation de péril, soit personnellement, soit à
travers des personnes qu’il a la charge de protéger » (§ 1 du commentaire de l’article 24, in J. crawFord,
Les Articles de la CDI…, op. cit. note 205, p. 209).
226. Voy. cette chronique, cet Annuaire, 2008, pp. 490-493 ; 2009, p. 704 ; 2010, pp. 644-647 ; 2011,
pp. 553-556 ; 2012, pp. 639-640 ; et A. de nanteuiL, « L’application du droit international public dans
l’arbitrage transnational », RGDIP, 2014/1, pp. 36-38.
227. F. Paddeu, « A Genealogy of Force Majeure in International Law », BYBIL, 2011, vol. 82,
pp. 381 et s.
228. CIRDI, Enron Corporation and Ponderosa Assets, LP c. Argentine, aff. n° ARB/01/3, sentence
du 22 mai 2007, § 217 ; CIRDI, Sempra Energy International c. Argentine, sentence du 28 septembre
2007, § 246.
229. Art. 23 des Articles de la CDI. Voy. S. Szurek, « Circumstances Precluding Wrongfulness in the
ILC Articles on State Responsibility : Force majeure », dans J. crawFord / A. PeLLet / S. oLLeSon (ed.),
op. cit. note 31, p. 477 ; A. K. bJorLund, « Emergency Exceptions : State of Necessity and Force Majeure »,
dans P. mucHLinSki / F. ortino / Ch. ScHreuer (dir.), The Oxford Handbook of International Investment
Law, Oxford UP, 2008, pp. 498 et s.
230. Seuls des efforts puissants d’imagination permettraient d’envisager l’adhésion à l’UE comme une
« force irrésistible » (la notion visant plutôt des événements naturels ou humains de type catastrophique).
Les conditions d’imprévisibilité et d’extériorité ne seraient pas plus remplies dans la mesure où l’adhésion
de la Roumanie à l’UE, programmée de longue date, ne lui est évidemment pas étrangère. On notera, en
outre, qu’en décidant de rejoindre l’Union, la Roumanie « a assumé le risque que survienne une telle situ-
ation », ce qui selon l’article 23, § 2, des Articles de la CDI, prive d’application l’excuse de la force majeure.

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arbitrage transnational et droit international général 459

d’établir le fait illicite de l’État. Dans l’affaire Rompetrol, la Roumanie soutenait


à l’inverse que le préjudice économique constituait une condition de la réclama-
tion de la société Rompetrol, alors que cette dernière, dans le il des Articles de la
Commission du droit international, soutenait que la responsabilité naissait de la
seule violation d’une obligation internationale, qu’elle soit ou non accompagnée de
la preuve de pertes économiques 231.
Dans cette nouvelle représentation de ce qui s’apparente à la controverse de
Valladolid de la responsabilité internationale, le tribunal a réconcilié les approches
des deux parties, tout en s’appuyant sur les Articles de la CDI. Ce texte, semble
dire le tribunal, ne néglige pas autant le dommage qu’on voudrait le croire, que
ce soit au stade de l’identiication de l’obligation primaire violée ou à celui de la
détermination des titulaires du droit d’invoquer la responsabilité de l’État 232. Dès
lors, les obligations tirées du traité d’investissement (traitement juste et équitable,
protection physique et sécurité, etc.) seraient principalement de celles dont la viola-
tion implique des dommages effectifs et quantiiables causés à l’investisseur qui
en demande l’indemnisation 233.
Il est, du coup, pour le moins paradoxal que la sentence établisse la violation du
traitement juste et équitable par la Roumanie à raison de la non-prise en compte
des intérêts de l’investisseur dans le cadre des procédures pénales diligentées 234
sans que le dommage subi soit considéré comme un élément du fait générateur 235.
Dès lors que l’établissement de la violation de l’obligation primaire requiert la
survenance d’un dommage, l’absence de dommage prouvé devrait logiquement
faire obstacle à l’engagement de la responsabilité de l’Etat. Or, les arbitres vont
considérer que la Roumanie a bien commis un fait internationalement illicite, mais
que l’absence de préjudice économique prive de réparation la société Rompetrol.
Le fait illicite ayant cessé, aucune conséquence juridique concrète ne naît donc
de la responsabilité. La sentence constitue un cas tout à fait extraordinaire de
responsabilité « platonique » 236. En dépit de la place importante qu’elle a semblé
reconnaître au dommage dans l’établissement du fait illicite en matière d’inves-
tissement, elle conforte l’approche d’objectivisation de la responsabilité initiée par
Ago au sein de la CDI.

b) Le dommage moral et sa réparation

L’examen de l’existence d’un préjudice moral et de ses conséquences par le


tribunal de l’affaire Rompetrol a donné lieu à des développements qui méritent
d’être relevés 237.

231. CIRDI, Rompetrol Group NV c. Roumanie, aff. n° ARB06/3, sentence, 6 mai 2013, §§ 187 et s.
232. Id., § 189 : le tribunal relève que, pour la CDI, la condition de l’existence d’un dommage dépend
de la nature de l’obligation primaire dont la violation est alléguée (§ 9 du commentaire de l’article 2 et
§§ 6-7 du commentaire de l’article 31) et que la formulation de l’obligation de réparer en tant que corollaire
immédiat de la responsabilité (et non comme un droit de l’État lésé) permet de contrecarrer les dificultés
qui naîtraient de l’existence de plusieurs États spécialement affectés par la violation (§ 4 du commentaire
de l’art. 31). Pour les arbitres, les notions d’État spécialement affecté et d’État lésé ne sont qu’un moyen de
désigner les États victimes d’un préjudice les habilitant à invoquer la responsabilité de l’État. On notera
toutefois que la CDI a pris soin de supprimer toute référence au dommage dans l’identiication des États
lésés ou « autres que l’État lésé », préférant se fonder sur l’identiication des destinataires de l’obligation
violée (voy. les art. 42 et 48 des Articles et J. crawFord, State Responsibility, op. cit. note 196, pp. 542 et s.).
233. Sentence Rompetrol, op. cit., § 190.
234. Voy. supra A.
235. Sentence Rompetrol, op. cit., § 279. Le dommage ne sera abordé qu’une fois le fait illicite établi
(§§ 281 et s.).
236. P. daiLLier, m. Forteau, a. PeLLet, Droit international public (Nguyen Quoc Dinh), Paris,
LGDJ/Lextenso, 2009, p. 880, n° 483.
237. CIRDI, Rompetrol Group NV c. Roumanie, aff. n° ARB06/3, sentence, 6 mai 2013, §§ 289 et s.

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460 arbitrage transnational et droit international général

On note tout d’abord que les arbitres peinent à concevoir qu’un investisseur
personne morale soit apte à souffrir d’un préjudice moral. Ils ont en effet considéré
que l’atteinte à la réputation de l’investisseur ne constituait un préjudice indemni-
sable qu’à la condition que ses effets économiques négatifs soient prouvés ; partant,
qu’elle ressortissait aux préjudices économiques et non moraux 238, que le tribunal
n’a pas indemnisés faute de preuve convaincante des pertes ou manques à gagner
subis par Rompetrol. Cette approche n’est cependant pas partagée par d’autres
tribunaux qui ont admis que l’atteinte à l’image ou à la réputation d’une société
était de nature à constituer un préjudice extrapatrimonial 239.
C’est surtout la question, mal distinguée de celle de son existence même, de la
réparation du préjudice moral par la voie de l’indemnisation qui a suscité les plus
grandes réticences du tribunal de l’affaire Rompetrol – alors même que l’absence de
préjudice moral prouvé le dispensera d’envisager son indemnisation. La sentence
constate en effet que la condamnation de l’État par des tribunaux d’investissement
à des « moral damages » demeure exceptionnelle 240 ; qu’elle laisse aux arbitres un
pouvoir discrétionnaire presque absolu pour ixer le montant de l’indemnisation ; et
que la prise en compte du dommage moral en droit international général se limite
aux atteintes à l’honneur ou à la dignité de l’État (réparées autrement que par
des dommages-intérêts) ou à la réparation, à travers la protection diplomatique,
des dommages économiques subis par les ressortissants de l’État – ce qui dénote,
au passage, une conception très « mavromatissienne » du préjudice médiat subi
par l’État, dont la CDI s’est quelque peu dégagée dans son projet de 2006 sur la
protection diplomatique 241. Mieux informé de la jurisprudence récente, le tribunal
de l’affaire Arif a discuté pour sa part les conditions d’octroi de dommages-intérêts
moraux dégagées dans la sentence Lemire de 2011 242, en nuançant leur portée eu
égard au fait qu’elles ont été formulées à partir de seulement trois affaires, dont
les circonstances particulières de l’une 243 ont pu être déterminantes concernant le
critère de la contrainte physique 244. Ainsi, pour le tribunal, des dommages-intérêts
pour préjudice moral ne doivent-ils être accordés que dans des cas exceptionnels,

238. Cf. B. rémy, chronique in JDI, 2014/1, pp. 342 et s., qui voit dans l’affaire Rompetrol une « invita-
tion à rechercher un critère permettant de faire le départ entre les atteintes à la réputation susceptibles
d’être réparées en tant que dommage moral et celles qui ne sont que des dommages économiques ».
239. CIRDI, Franck Charles Arif c. Moldavie, aff. n° ARB/11/23, sentence du 8 avril 2013, §§ 584 et s. ;
CIRDI, AHS Niger et Menzies Middle East and Africa SA c. Niger, aff. n° ARB/11/11, sentence du 15 juillet
2013, §§ 146 et s. Sur cette question, voy. le comm. de B. rémy, chronique in JDI, 2014/1, pp. 342 et s.
240. Sont recensées seulement deux sentences : CIRDI, SARL Benvenuti & Bonfant c. Congo, aff.
n° ARB/77/2, sentence du 8 août 1980 et CIRDI, Desert Line Projects LLC c. Yemen, ARB/05/17, sentence
du 6 février 2008. Le tribunal relève que trois tribunaux ont par ailleurs rejeté une demande de dommages-
intérêts moraux : CIRDI, Tecmed c. Mexique, aff. n° ARB(AF)/00/2, sentence du 29 mai 2003 ; Ch. Comm.
Stockholm, Yury Bogdanov c. Moldavie, n° V (114/2009), sentence du 30 mars 2010 ; CIRDI, Franck
Charles Arif c. Moldavie, aff. n° ARB/11/23, sentence du 8 avril 2013. Le recensement du tribunal demeure
néanmoins lacunaire : voy. les affaires commentées dans cette chronique, cet Annuaire, 2008, pp. 497-498 ;
2009, p. 705 ; 2011, pp. 559-561 ; 2012, p. 645.
241. Voy. A. PeLLet, « La seconde mort d’Euripide Mavrommatis ? Notes sur le projet de la CDI sur la
protection diplomatique », Droit du pouvoir, pouvoir du droit – Mélanges offerts à Jean Salmon, Bruxelles,
Bruylant, 2007, pp. 1359-1382.
242. « The conclusion which can be drawn from the above case law is that, as a general rule, moral
damages are not available to a party injured by the wrongful acts of a State, but that moral damages can
be awarded in exceptional cases, provided that : – the State’s actions imply physical threat, illegal deten-
tion or other analogous situations in which the ill-treatment contravenes the norms according to which
civilized nations are expected to act ; – the State’s actions cause a deterioration of health, stress, anxiety,
other mental suffering such as humiliation, shame and degradation, or loss of reputation, credit and social
position ; and – both cause and effect are grave or substantial » (CIRDI, Joseph Charles Lemire c. Ukraine,
aff. n° ARB/06/18, sentence du 28 mars 2011, § 333). Sur l’affaire Lemire et l’affaire Tza Yap Shum, voy.
cette chronique, cet Annuaire, 2011, pp. 559-561.
243. Affaire Desert Line, op. cit., 2008 (voy. cette chronique, cet Annuaire, 2008, pp. 497-498).
244. CIRDI, Franck Charles Arif c. Moldavie, aff. n° ARB/11/23, sentence du 8 avril 2013, §§ 584 et s.

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arbitrage transnational et droit international général 461

« when both the conduct of the violator and the prejudice of the victim are grave and
substantial » 245, ce qui contribue à leur donner une dimension aflictive alors même
que les dommages-intérêts punitifs ont échappé à la codiication de la CDI 246. Ce
seuil de gravité et d’intensité n’étant pas atteint au vu des circonstances de l’espèce
(risque intrinsèque de l’investissement dans une économie post-soviétique ; relati-
vité des atteintes à la réputation économique dans ce contexte), le tribunal a rejeté
la demande de dommages-intérêts moraux de M. Arif 247.
La lecture de ces décisions pourra frustrer l’internationaliste « généraliste »
qui sait que la satisfaction est le mode de réparation privilégié des dommages
moraux 248. Il est vrai que, non lucrative pour eux, elle n’est guère recherchée par
les acteurs économiques 249, alors même que les Etats devraient la redouter au
regard de l’importance de l’image et de la réputation dans les relations d’investisse-
ment, qui a des répercussions sur l’attractivité du territoire pour les investisseurs.
Ainsi, des mesures telles qu’un prononcé arbitral stigmatisant ou la condamnation
de l’État au versement d’une somme symbolique pourraient contenter a minima un
investisseur ayant subi une atteinte qui se situerait en deçà des critères exigeants
d’octroi de dommages-intérêts moraux 250. D’ailleurs, si le tribunal de l’affaire
Rompetrol s’est refusé à rendre un « declaratory relief » 251, force est de constater
que les conclusions auxquelles il parvient (responsabilité purement symbolique de
la Roumanie 252) s’en rapprochent sensiblement.
Concernant enin, en miroir, le préjudice moral de l’État, on relèvera le refus
du tribunal de l’affaire ST-AD de condamner l’investisseur à indemniser le harcèle-
ment dont les autorités bulgares, saisies de centaines de plaintes, alléguaient avoir
été victimes. En relevant que toute personne, physique ou morale, est en droit de
faire valoir ce qu’elle croit être ses droits, le tribunal sous-entend que la Bulgarie
n’a souffert d’aucun préjudice moral de la part des demandeurs 253. Dans une pers-
pective de rééquilibrage du contentieux d’investissement en faveur des États, l’idée
des dommages moraux subis par la puissance publique (atteinte à la réputation par
exemple) à raison des recours, non plus internes mais arbitraux, manifestement
abusifs pourrait être creusée. Dans l’affaire évoquée, c’est néanmoins la forme de
préjudice économique subi par la Bulgarie du fait de la procédure arbitrale qui a
été indemnisée, dans la mesure où l’ensemble des frais, y compris ceux de repré-
sentation, induits par l’arbitrage ont été mis à la charge de l’investisseur 254.

c) Le lien de causalité entre la violation et le dommage

L’exigence d’un lien de causalité entre les violations constatées et les préjudices
allégués a été rappelée par la sentence Micula, qui n’a pas hésité à citer in extenso

245. Id., § 592.


246. Voy. cette chronique, cet Annuaire, 2011, pp. 560-561.
247. Sentence Arif, op. cit., § 615. Voy. aussi CIRDI, AHS Niger et Menzies Middle East and Africa
SA c. Niger, ARB/11/11, sentence du 15 juillet 2013, §§ 146 et s.
248. Trib. ad hoc, affaire du Rainbow Warrior (Nouvelle-Zélande c. France), sentence du 30 avril
1990, RSA, vol. XX, pp. 272-273, § 122.
249. À l’inverse, il arrive qu’un État défendeur cherche à privilégier ce mode de réparation : v. sentence
Arif, op. cit., § 564.
250. Sur la satisfaction dans le contentieux transnational, voy. cette chronique, cet Annuaire, 2008,
pp. 501-502 ; 2009, p. 705 ; 2011, p. 564 ; 2012, p. 645 ; P. dumberry, « Satisfaction as a Form of Reparation
for Moral Damages Suffered by Investors and Respondent States in Investor-State Arbitration Disputes »,
Journal of International Dispute Settlement, 2012, pp. 1-38.
251. Sentence Rompetrol, op. cit., § 294.
252. Voy. supra B.1.
253. CPA (CNUDCI), ST-AD GmbH c. Bulgarie, aff. n° 2011-06, décision sur la compétence, 18 juillet
2013, § 430.
254. Sur le question des frais de l’arbitrage, voy. infra III.

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462 arbitrage transnational et droit international général

l’article 31 des Articles de la CDI et ses commentaires 255 pour aborder le problème
de la combinaison de facteurs dans la survenance du dommage. Dans la lignée du
travail de codiication, le tribunal a estimé que :
« an intervening event will only release the State from liability when that intervening
event is (i) the cause of a speciic, severable part of the damage, or (ii) makes the
original wrongful conduct of the State become too remote. Unless they fall under
either of these categories, cases of contributory fault by the injured party appear to
warrant solely a reduction in the amount of compensation » 256.
Sur ces bases, le tribunal a jugé que la révocation par la Roumanie du système
d’aides dont bénéiciaient les investisseurs avait bien eu un impact sur leurs coûts
de production de produits inis et donc sur leurs prix de vente, dont le manque à
gagner allégué était bien la conséquence 257. Ce lien de causalité n’a en revanche
pas été établi à satisfaction du tribunal pour le manque à gagner sur d’autres types
de produits 258, de même que le tribunal a refusé de voir un rapport de cause à effet
entre la violation de la Roumanie et les manquements iscaux des investisseurs 259.
Pour sa part, le tribunal de l’affaire Stati s’est appuyé sur les articles 36
(« Indemnisation ») et 39 (« Contribution au préjudice ») des Articles pour déduire
que le demandeur portait la charge de prouver que le montant de l’indemnisation
demandée était en lien direct avec le comportement de l’État d’accueil de l’investis-
sement, mais que le rôle de l’investisseur dans la chaîne d’événements ayant causé
ses pertes pouvait aboutir à une réduction des dommages-intérêts. Il revenait alors
à l’État d’apporter la preuve d’une intervention extérieure dans la survenance du
dommage 260.

2. Les modes de réparation

a) La restitution

Alors que l’indemnisation constitue le mode quasi systématique de réparation


dans le droit des investissements, la sentence Arif a fait montre d’une bienveillance
inhabituelle envers la restitution, que contribuent à expliquer les circonstances
de l’espèce 261. La frustration des attentes légitimes de l’investisseur concernant
l’ouverture d’un magasin « duty free » dans un aéroport était en effet de celles qui

255. CIRDI, Ioan Micula e.a. c. Roumanie, aff. n° ARB/05/20, sentence du 11 décembre 2013, §§ 923 et
s. Sur le lien de causalité, voy. aussi CIRDI, Rompetrol Group NV c. Roumanie, aff. n° ARB06/3, sentence,
6 mai 2013, §§ 287-288.
256. Sentence Micula, op. cit., § 926.
257. Id., §§ 1019-1020.
258. Id., §§ 1034 et s.
259. Id., §§ 1135 et s. Le tribunal constate que le non-paiement de leurs dettes iscales par les inves-
tisseurs relevait d’un choix stratégique et non d’un manque de fonds causé par le comportement illicite
de la Roumanie (§ 1154).
260. Ch. Comm. Stockholm, Anatolie Stati e.a. c. Kazakhstan, n° 116/2010, sentence du 19 décembre
2013, §§ 1330-1332. Montrant une appréciation assez large de la chaîne de causalité, voy. §§ 1408 et s. :
les inspections à répétition n’ont certes pas causé directement la in de l’investissement mais ont contribué
au ralentissement de l’activité et ont donc participé au dommage. Voy. aussi §§ 1452 et s. (incapacité de
l’État défendeur à prouver que l’investisseur avait causé ou contribué à son dommage).
261. Concernant les rares cas de restitution et les dificultés qu’ils soulèvent, voy. cette chronique,
cet Annuaire, 2008, p. 499 ; 2010, pp. 653-654 ; 2011, pp. 663-664. Voy. aussi CIRDI, LG&E Energy Corp.
e.a. c. Argentine, sentence du 25 juillet 2007, § 87, où la mesure de restitution juridique demandée est
présentée comme une atteinte à la souveraineté de l’Argentine. À noter que le tribunal de l’affaire Rompetrol
a rappelé que la violation d’obligations primaires de type patrimonial pouvait générer des obligations
secondaires se matérialisant sous une forme autre que l’indemnisation : cessation des mesures illicites
de l’État, rétablissement du statu quo ante, voire simple prononcé arbitral de l’illicite (CIRDI, Rompetrol
Group NV c. Roumanie, aff. n° ARB06/3, sentence, 6 mai 2013, § 190). Constatant que la restitution ne peut

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arbitrage transnational et droit international général 463

pouvaient être corrigées par la restitutio in integrum, mais le demandeur craignait


que l’État moldave ne montre pas la meilleure volonté pour délivrer les licences et
les autorisations nécessaires. Partant, une mesure d’indemnisation était réclamée,
tandis que la Moldavie privilégiait la restitution 262.
Le tribunal est parti de la position du droit international général, selon laquelle
l’État lésé est en droit de demander une mesure d’indemnisation plutôt que de
restitution 263, à laquelle il a opposé les objectifs des traités d’investissement, censés
être plus favorables à la restitutio in integrum : « restitution […] preserves both the
investment and the relationship between the investor and the Host State » 264. Même
si l’on pourrait objecter que la relation de coniance entre les deux est par hypo-
thèse entamée au terme d’une procédure arbitrale et que la volonté d’investir du
premier, qui a subi des violations du traité par le second, s’est peut-être émoussée,
le tribunal a considéré que la restitution devait être « the preferable remedy » 265.
Il a alors décidé d’une solution mixte condamnant la Moldavie à une indemnisa-
tion suspendue pendant une période de 90 jours, pendant laquelle l’État pourrait
proposer un mécanisme précis de restitution. Si la restitution s’avérait impossible
ou si ses termes n’étaient pas satisfaisants pour le demandeur, alors l’indemni-
sation interviendrait. Ce mécanisme bricolé par un tribunal animé par l’objectif
de préservation de l’investissement limite d’autant la marge de manœuvre que le
droit international général donne à la personne lésée quant au choix du mode de
réparation. Le texte de la CDI vise toutefois l’État lésé. Or, la partie III des Articles
sur l’invocation de la responsabilité, envisagée dans le contexte interétatique, n’est
assurément pas transposable telle quelle au cas de l’investisseur lésé – à l’inverse
des deux premières parties sur le fait internationalement illicite de l’État et le
contenu de la responsabilité, toutes deux globalement indifférentes à la qualité de
la victime du fait illicite. Dès lors, il n’y a rien de choquant à ce que les modalités
d’invocation de la responsabilité de l’État par l’investisseur protégé soient guidées
par l’objet et le but du traité qui lui offre le recours arbitral.

b) L’indemnisation

À partir du moment où l’indemnisation est retenue comme mode de réparation


– ce qui, encore une fois, est quasiment systématique dans les affaires d’investisse-
ment – se pose le délicat problème du calcul du montant censé réparer les préjudices
économiques directement subis.
i) Le choix d’une méthode de calcul de l’indemnisation fait partie des ques-
tions déterminantes que rencontrent les tribunaux arbitraux 266. La dificulté est
amoindrie lorsque les deux parties (et le tribunal) s’entendent sur une méthode
déterminée – dans l’affaire Stati celle des lux monétaires actualisés (méthode
DCF, pour discounted cash-low) 267. Mais il est courant que l’investisseur et l’État
présentent des méthodes adverses. Dans l’affaire Micula, les standards dégagés

être décidée par le tribunal et qu’elle n’est pas réclamée par le demandeur, voy. Ch. Comm. Stockholm,
Anatolie Stati e.a. c. Kazakhstan, n° 116/2010, sentence du 19 décembre 2013, § 1531.
262. CIRDI, Franck Charles Arif c. Moldavie, aff. n° ARB/11/23, sentence du 8 avril 2013, §§ 566 et s.
263. Id., § 570, qui renvoie au commentaire de l’article 43 des Articles de 2001. L’art. 43, § 2, prévoit
en effet que dans sa notiication, l’État lésé peut préciser « [l]a forme que devrait prendre la réparation ».
Son commentaire ajoute que « l’État lésé est en droit d’opérer un choix entre les formes de réparation
disponibles. Il peut ainsi préférer l’indemnisation à la possibilité de restitution […] » (§ 6 du commentaire,
J. crawFord, Les Articles de la CDI…, op. cit. n. 205, p. 315.
264. Sentence Arif op. cit., § 570.
265. Id., § 571.
266. Voy. cette chronique, cet Annuaire, 2008, pp. 499-500 ; 2010, pp. 650-652 ; 2011, pp. 562-563.
267. Ch. Comm. Stockholm, Anatolie Stati e.a. c. Kazakhstan, n° 116/2010, sentence du 19 décembre
2013, § 1617.

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464 arbitrage transnational et droit international général

par la Cour permanente de Justice internationale dans la vieille affaire de l’Usine


de Chorzów (indemnisation du damnum emergens et du lucrum cessans) 268 et
l’article 36, § 2, des Articles de 2001 269 servent alors à fonder le recours à une
méthode qui, à l’instar de la méthode DCF, permet de quantiier « the increased
costs and lost proits that the Claimants would have made had they been allowed
to develop their business the way they allege they had planned to do » 270. Pour
le tribunal de l’affaire Micula, la preuve de dommages futurs ne doit pas être
purement spéculative ; il doit être établi, au regard du standard de la certitude
sufisante, « (i) that the Claimants were engaged in a proit-making activity (or,
at the very least, that there is suficient certainty that they had engaged or would
have engaged in a proit-making activity […]), and (ii) that that activity would have
indeed been proitable (at the very least, that such proitability was probable) » 271.
Pour le tribunal de l’affaire Stati, qui s’appuie sur les commentaires de la CDI, la
preuve d’un manque à gagner requiert un « high standard of proof » :
« To meet this standard, an investor must show that their project either has a track
record of proitability rooted in a perennial history of operations, or has binding
contractual revenue obligations in place that establish the expectation of proit at a
certain level over a given number of years » 272.
La méthode DCF, courante dans le contentieux d’investissement, est en
revanche exclue par le tribunal de l’affaire Arif en raison de son caractère trop
spéculatif 273 alors que la boutique « duty free » au cœur du différend n’avait jamais
ouvert ni généré de revenu, et que la preuve des revenus projetés n’avait pas été
apportée sur une base convaincante. Dans ces conditions, le tribunal s’est fondé
sur la méthode, alternativement présentée par l’expert du demandeur, du calcul
du coût des dépenses engagées (« wasted costs calculation ») 274. Le tribunal de
l’affaire Rompetrol a pour sa part rejeté l’approche événementielle (« “event study”
method ») 275 développée par l’expert de la société parce qu’elle ne permettait pas
d’évaluer le préjudice subi à raison de la violation identiiée par le tribunal 276.
En effet, le tribunal avait jugé que le traitement juste et équitable avait été violé
dans la mesure où les autorités pénales roumaines avaient manqué de prendre en
compte les intérêts de l’investisseur. Or, l’évaluation présentée aux arbitres partait
du principe que l’intégralité des procédures pénales contre Rompetrol devait être

268. CIRDI, Ioan Micula e.a. c. Roumanie, aff. n° ARB/05/20, sentence du 11 décembre 2013,
§§ 948-949. Voy. CPJI, Usine de Chorzów, fond, arrêt du 13 septembre 1928, CPJI, série A, n° 17, p. 47.
269. « L’indemnité couvre tout dommage susceptible d’évaluation inancière, y compris le manque à
gagner dans la mesure où celui-ci est établi » (cité dans la sentence Micula, op. cit., § 990).
270. Sentence Micula, op. cit., §§ 944 et 1006.
271. Id., §§ 1009-1010. Voy. aussi CIRDI, Railroad Development Corporation c. Guatemala, aff.
n° ARB/07/23, décision sur la demande de complément et de rectiication de sentence, 18 janvier 2013, § 41.
272. Ch. Comm. Stockholm, Anatolie Stati e.a. c. Kazakhstan, n° 116/2010, sentence du 19 décembre
2013, § 1688.
273. Voy. aussi CIRDI, Railroad Development Corporation c. Guatemala, aff. n° ARB/07/23, décision
sur la demande de complément et de rectiication de sentence, 18 janvier 2013, § 42.
274. CIRDI, Franck Charles Arif c. Moldavie, aff. n° ARB/11/23, sentence du 8 avril 2013, § 576.
275. Cette méthode est présentée ainsi par l’expert : « An event study is an empirical technique used
to measure the stock price impact of a speciic event, such as a company’s earnings announcement. The
technique examines stock price returns – the percentage change in stock prices from one day to the next – to
determine how much of the price movement on a particular day is due to the event being examined, and
how much is due to changes in conditions affecting the market in general » (cité dans la sentence CIRDI,
Rompetrol Group NV c. Roumanie, ARB06/3, sentence, 6 mai 2013, § 283).
276. Sentence Rompetrol, op. cit., § 286 : « the […] application of the event study method can offer
no means of differentiating between the market effects of a company’s coming under investigation by the
authorities for any legitimate purpose and the asserted incremental effects of illegalities that happened in
the course of such an investigation ».

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arbitrage transnational et droit international général 465

considérée comme contraire au traité 277. Partant, le tribunal a rejeté l’expertise


fournie et, faute d’évaluation alternative, jugé que le préjudice économique de la
société n’était pas prouvé. La solution est sévère (pour ne pas dire potentiellement
contraire au droit de plaider sa cause) dès lors qu’en l’absence de bifurcation des
phases de responsabilité et de réparation 278, la société n’a pas été en mesure
d’anticiper le caractère très spéciique de la violation constatée et donc d’isoler les
préjudices directs en résultant 279. Plus généralement, ces affaires montrent que les
arbitres n’ayant pas nécessairement les compétences requises pour faire le calcul
des pertes et manques à gagner d’un investissement, leur mission consiste généra-
lement à choisir, parmi les expertises complexes fournies par les parties, celle qui
leur paraît la moins irréaliste 280, quitte à procéder aux ajustements nécessaires
à une évaluation censée être raisonnable 281.
ii) La date à laquelle la valeur de l’investissement doit être évaluée pour
calculer l’indemnisation est celle qui permet le rétablissement du statu quo ante,
conformément aux conclusions de la CPJI dans l’affaire de l’Usine de Chorzów 282.
Dans l’affaire Stati, alors que la société invoquait la date de la décision prési-
dentielle à l’origine des dommages, l’État voulait que le tribunal se base sur une
date plus tardive à laquelle l’investissement avait déjà perdu beaucoup de valeur.
Le tribunal retiendra inalement la date à laquelle les conséquences concrètes
de la décision présidentielle se font fait sentir, soit au jour du blocage des actifs
des entreprises 283. Concernant l’indemnisation d’une expropriation illicite, dans
l’affaire ConocoPhillips, la date d’évaluation des biens expropriés a en revanche
été ixée au jour du rendu de la sentence 284, ce qui permet de faire produire des
conséquences au départ entre le caractère licite ou non de l’expropriation, alors que
la jurisprudence tend à aligner le régime de la compensation en cas de dépossession
illicite sur celui de l’expropriation licite 285. Ainsi, l’indemnisation de la première,
évaluée au jour de la délivrance de la sentence, sera nécessairement plus élevée
que celle de la seconde évaluée au moment de la dépossession.
iii) La devise de l’indemnisation donne occasionnellement lieu à des développe-
ments. Dans l’affaire Arif, la question s’est posée de savoir si l’indemnisation devait
être accordée en leus moldaves – monnaie de l’investissement, monnaie utilisée par
l’expert pour quantiier les dommages et monnaie de l’État auteur du fait illicite.
Pour condamner la Moldavie à indemniser l’investisseur en euros (monnaie de la
nationalité de l’investisseur), le tribunal va néanmoins s’appuyer sur le fait que
« [t]he general position in international law is that compensation should be paid in

277. Sentence Rompetrol, op. cit., § 286.


278. Opérant une telle bifurcation, voy. CIRDI, Apotex Holdings Inc. et Apotex Inc. c. États-Unis
d’Amérique, aff. n° ARB(AF)/12/1, ordonnance procédurale sur la bifurcation, 25 janvier 2013, § 6.
279. Sentence Rompetrol, op. cit., § 286. Non sans légèreté, le tribunal déclare : « There seemed to
be a large measure of agreement between [the Parties] that the technically proper approach, for the event
of only a partial inding of illegality, would be to reconigure the experiment and run it again. This was
not of course done – if only for the simple reason that it would have required foreknowledge of what the
Tribunal was going to decide ».
280. En ce sens, sentence Stati, op. cit., § 1624.
281. Voy. sentence Micula, op. cit., § 1033, où le tribunal évalue le manque à gagner à 60 millions
d’euros alors que l’expert de l’investisseur le chiffrait à 100 millions. Voy. aussi sentence Stati, op. cit.,
§§ 1620 et s., où le tribunal va corriger la date d’évaluation des dommages utilisée par l’expert du deman-
deur.
282. Sentence Stati, op. cit., § 1527.
283. Id., § 1497.
284. CIRDI, ConocoPhillips Petrozuata BV e.a. c. Venezuela, aff. n° ARB/07/30, décision sur la compé-
tence et le fond, 3 septembre 2013, §§ 342-343.
285. Voy. A. de nanteuiL, L’expropriation indirecte en droit international de l’investissement, Paris,
Pedone, 2014, pp. 290 et s. et cette chronique, cet Annuaire, 2009, pp. 704-705.

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466 arbitrage transnational et droit international général

a freely convertible currency » 286. La date de conversion ixée sera celle de la date
de paiement 287. C’est la leu, roumaine cette fois-ci, qui a été élue comme monnaie
d’indemnisation par le tribunal de l’affaire Micula, les demandeurs ayant formulé
leur réclamation en cette devise. Mais l’expert ayant initialement évalué le manque
à gagner en euros, le tribunal a estimé qu’il serait inapproprié de ne pas appliquer
le taux de change utilisé par l’expert lui-même à la date de son évaluation 288.
iv) Enin, même si la CDI, sous la houlette de James Crawford, a exprimé quelque
réticence envers les intérêts composés 289, force est de constater que la livraison
des sentences de 2013 penche en leur faveur au détriment des intérêts simples. La
sentence Micula considère ainsi que le commentaire de l’article 38 « does not relect
the recent tribunal practice » 290 et justiie ainsi l’octroi d’intérêt composés :
« The reason is that an award of damages (including interest) must place the claimant
in the position it would have been had it never been injured. As noted by the Wena
tribunal, “almost all inancing and investment vehicles involve compound interest.
[…] If the claimant could have received compound interest merely by placing its
money in a readily available and commonly used investment vehicle, it is neither
logical nor equitable to award the claimant only simple interest.” » 291
Dans l’affaire Arif, le tribunal a néanmoins considéré que l’absence d’argu-
mentation du demandeur sur l’octroi d’intérêts composés et les données de l’espèce
justiiaient l’octroi d’intérêts simples 292.
Pour toutes ces questions de « gros sous », les arbitres afirment généralement
qu’ils sont guidés par la « boussole » 293 de l’Usine de Chorzów qui, moins que
jamais, ne doit être rangée au rayon des antiquités. Pourtant, les itinéraires pour
le moins disparates qu’empruntent les sentences à partir des principes de 1928
tendent à laisser penser que la méthode d’orientation utilisée est davantage celle
du doigt mouillé levé au vent. Si des sentiers propres au droit des investissements
se dessinent, il est dificile de dégager de la pratique arbitrale transnationale des
éléments sufisamment constants pour espérer faire évoluer le droit international
général de l’indemnisation.

III. – ARBITRAGE TRANSNATIONAL


ET DROIT DU CONTENTIEUX INTERNATIONAL

La contribution des tribunaux arbitraux au développement du droit interna-


tional passe aussi par l’apport qu’ils proposent au droit du contentieux. Ceci, au
fond, est assez logique : les procédures se multiplient, s’allongent, se complexiient.

286. CIRDI, Franck Charles Arif c. Moldavie, aff. n° ARB/11/23, sentence du 8 avril 2013, § 624.
287. Id., § 627.
288. CIRDI, Ioan Micula e.a. c. Roumanie, aff. n° ARB/05/20, sentence du 11 décembre 2013, § 1033.
289. Voy. le commentaire de l’article 38 des Articles et sur ce point cette chronique, cet Annuaire,
2008, p. 500. La sentence Arif reconnaît que « the general view in international law is in favour of simple
and not compound interest, although other commentators suggest the trend in investment arbitration is in
favour of compound interest » (§ 617).
290. Sentence Micula, op. cit., § 1266.
291. Id. Voy. Ch. Comm. Stockholm, Anatolie Stati e.a. c. Kazakhstan, n° 116/2010, sentence du
19 décembre 2013, §§ 1852-1855 : le tribunal condamne l’État à des intérêts composés car les deman-
deurs auraient pu réinvestir le fruit des intérêts. Relevant que le défendeur ne s’oppose pas à des intérêts
composés, voy. CIRDI, Teco Guatemala Holdings LLC c. Guatemala, aff. n° ARB/10/17, sentence sur la
compétence et sur le fond, 19 décembre 2013, §§ 762 et s.
292. Sentence Ari, op. cit., § 619. Voy. aussi CIRDI, AHS Niger et Menzies Middle East and Africa
SA c. Niger, ARB/11/11, sentence du 15 juillet 2013, §§ 156 et s.
293. A. PeLLet, op. cit., supra n. 125, p. 32 (au sujet de la jurisprudence de la CIJ).

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Les tribunaux font donc de plus en plus fréquemment face à des questions qui, parce
qu’elles sont communes à l’ensemble des mécanismes contentieux, intéressent en
réalité l’ensemble des juridictions internationales. On ne manquera pas à cet égard
de souligner une lourde tendance de l’arbitrage transnational à accorder à la procé-
dure une place de plus en plus prééminente. Les questions de cet ordre sont ainsi
de plus en plus nombreuses et complexes, au point de nuire parfois à la lisibilité
du système dans son ensemble. Pour plus de clarté, il est donc ici nécessaire de
les traiter successivement. Seront ainsi évoqués la question de la compétence (A),
celles du droit applicable (B), de la preuve (C) et divers problèmes ponctuels liés à
l’organisation de la procédure (D). Il semble, enin, que la question de la récusation
des arbitres prenne une importance croissante dans le contentieux, si bien que
quelques analyses devront lui être aussi consacrées (E).

A. Compétence

1. Quelques constantes

Sans entrer ici dans une discussion encore ouverte sur la nature exacte des
tribunaux arbitraux intervenant dans le droit de l’investissement, nul ne préten-
drait nier le fait qu’ils appliquent, en partie, le droit international public. Ceci est
vrai également du point de vue du contentieux, si bien qu’il n’est pas rare de rencon-
trer dans les sentences le rappel de quelques principes fondamentaux de procédure,
qui viennent au reste conirmer l’existence d’un véritable droit du contentieux
international. Puisqu’il ne s’agit, précisément, que de rappeler des principes dont
l’existence ne prête pas à controverse, il n’y a guère matière à commentaire.
i) On évoquera ainsi en premier lieu le fait que de très nombreux tribunaux
ont réafirmé le principe de « compétence – compétence », dont le caractère positif
ne fait guère de doute même si des critiques d’ordre théorique pourraient lui être
adressées 294. Ces critiques ayant été relevées et analysées dans une précédente
livraison de cette chronique, il ne paraît pas utile d’y revenir ici, d’autant qu’elles
ne sont pas de nature à nier l’existence et la positivité du principe 295.
ii) Moins couramment, certaines sentences opèrent une distinction, qui en soi
n’a rien de révolutionnaire, entre compétence et recevabilité 296. Il est vrai qu’une
telle distinction n’est nullement obligatoire, surtout lorsqu’elle n’est pas expres-
sément prévue par les textes applicables, et qu’elle est a priori sans conséquence
pratique d’importance puisque toute condition de compétence ou de recevabilité est
sanctionnée de la même manière, par l’impossibilité pour le tribunal de se prononcer
sur le fond 297. Ceci doit sans doute, toutefois, être relativisé puisque les questions
de compétence et de recevabilité pourraient être en réalité soumises à des régimes
juridiques différents, sous certains rapports. Il a ainsi été avancé que la méconnais-
sance d’une condition de compétence pouvait probablement s’analyser comme un
excès manifeste de pouvoir dans le cadre de la Convention de Washington – ouvrant

294. CIRDI, Tidewater Inc. e.a. c. Venezuela, aff. n° ARB/10/5, décision sur la compétence, 8 février
2013, § 74 ; CIRDI, Ambiente Uficio SpA e.a. c. Argentine (anciennement Giordano Alpi e.a. c. Argentine),
aff. n° ARB/08/9, décision sur la compétence et la recevabilité, 8 février 2013, § 443 ; Trib. ad hoc, Mohamed
Abdulmohsen Al-Kharai & Sons Co c. Libye e.a., sentence inale du 22 mars 2013, pp. 237-238 ; Tribunal
ad hoc CNUDCI, Ruby Roz Agricol LLP c. Kazakhstan, décision sur la compétence, 1er août 2013, § 146 ;
CIRDI, ConocoPhillips Petrozuata BV e.a. c. Venezuela, aff. n° ARB/07/30, décision sur la compétence et
le fond, 3 septembre 2013, § 227.
295. Pour la critique de ce principe, voy. cette chronique, cet Annuaire, 2011, p. 545.
296. Décision Ambiente Uficio SpA, op. cit., § 570 ; CIRDI, Teco Guatemala Holdings LLC c. Guate-
mala, aff. n° ARB/10/17, sentence sur la compétence et sur le fond, 19 décembre 2013, § 628.
297. Décision Ambiente Uficio SpA, op. cit., § 575.

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468 arbitrage transnational et droit international général

donc la voie au recours en annulation – contrairement à l’éventuelle violation d’une


condition de recevabilité 298.
iii) On évoquera en dernier lieu la pratique traditionnelle des tribunaux arbi-
traux – commune à la plupart des juridictions internationales lorsque les espèces
s’y prêtent – de la bifurcation des procédures entre une phase consacrée à la compé-
tence et à la recevabilité et l’autre consacrée aux questions de fond. Il est également
possible de procéder à une bifurcation entre l’établissement de la responsabilité et la
question de la réparation, qui peuvent donner lieu à des décisions distinctes 299. Ce
qui pourrait sembler une simple question d’administration de la procédure entière-
ment laissée à l’appréciation du tribunal a pu toutefois donner lieu à d’importantes
discussions entre les parties. La question dépend en règle générale des circons-
tances factuelles de chaque affaire, et des pièces nécessaires pour chaque phase : en
particulier, si des productions de documents spéciiques aux questions de fond sont
nécessaires et demandent du temps, la bifurcation peut être prononcée. Elle ne le
sera pas dans le cas inverse 300. La bifurcation peut encore être rendue nécessaire
pour laisser aux parties le temps d’échanger leurs vues sur certaines questions de
fond, à commencer par l’étendue du dommage 301. De manière plus générale, la
bifurcation peut être prononcée dès lors qu’il existe des doutes sur la compétence
du tribunal : l’idée est alors d’assurer une économie de moyens, en évitant que
les parties ne développent une argumentation au fond si les arbitres devaient se
déclarer incompétents 302. Il est vrai que la bifurcation ne doit pas être employée
ou invoquée à tort : elle vise à assurer une plus grande eficacité de la procédure
et ne doit donc pas être utilisée comme un moyen dilatoire de nature à allonger
démesurément l’instance 303. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le règlement
d’arbitrage du CIRDI impose que la demande de bifurcation soit déposée le plus
rapidement possible, ain qu’elle ne soit pas détournée de son objectif 304. Sans que
ces solutions puissent sans doute être transposées telles quelles à l’ensemble du
contentieux puisqu’il faut réserver l’hypothèse d’un règlement de procédure déci-
dant autrement, les éléments qui viennent d’être évoqués devraient probablement
pouvoir trouver un écho devant la plupart des juridictions internationales.

2. Exceptions préliminaires

La compétence d’un tribunal arbitral n’est pas une chose facilement acquise.
Ceci d’autant moins qu’un certain nombre d’exceptions préalables de différentes

298. E. gaiLLard, obs. sous la sentence Salini c. Maroc, JDI, 2009, p. 215. Il est vrai que l’excès
de pouvoir manifeste se mesure à l’étendue du consentement des parties, et qu’il n’est constitué que si
ce consentement est ouvertement méconnu. Ce qui serait le cas d’un tribunal se déclarant compétent là
où il ne l’est pas (ou l’inverse) puisque la compétence est intrinsèquement et par essence dépendante du
consentement des parties. La recevabilité en semble en revanche plus éloignée, si bien que l’excès de pouvoir
manifeste ne serait pas nécessairement caractérisé si une condition de cet ordre devait être méconnue. La
distinction a pu en outre être utilisée pour aborder la condition d’attente de l’expiration d’un certain délai
avant la saisine du tribunal arbitral, considérée comme une condition de recevabilité mais susceptible de
faire l’objet d’une régularisation, voy. infra, D, 2°.
299. Voy. supra, II.
300. Voy. la discussion in CPA (CNUDCI), Mesa Power Group, LLC c. Canada, 2012-17, ordonnance
procédurale n° 3, 28 mars 2013, §§ 74 et s.
301. CIRDI, Rompetrol Group NV c. Roumanie, aff. n° ARB/06/3, sentence, 6 mai 2013, § 286. En
l’espèce, le défaut de bifurcation et l’absence de discussion entre les parties sur le montant du dommage
n’ont pas empêché le tribunal de statuer sur la question.
302. CPA (CNUDCI), Mesa Power Group, LLC c. Canada, aff. n° 2012-17, ordonnance procédurale
n° 2, 18 janvier 2013, §§ 18-19.
303. CIRDI, Apotex Holdings Inc. et Apotex Inc. c. États-Unis d’Amérique, aff. n° ARB(AF)/12/1,
ordonnance procédurale sur la bifurcation, 25 janvier 2013, § 11.
304. Voy. sur ce point CIRDI, Accession Mezzanine Capital LP et Danubius Kereskedöház Vagyonkezelö
Zrt. c. Hongrie, aff. n° ARB/12/3, décision sur la compétence et la demande de bifurcation, 8 août 2013.

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arbitrage transnational et droit international général 469

natures peuvent être soulevées par les parties. Il y a là un outil redoutable dont
l’utilisation doit toutefois être étroitement encadrée, à défaut de quoi les exceptions
pourraient être détournées de leur but initial et être employées uniquement à des
ins dilatoires pour prolonger exagérément un contentieux qui n’en a assurément
pas besoin. La question est donc importante, et l’on comprend que les ordonnances
procédurales des tribunaux qui y sont consacrées appellent une attention parti-
culière. À cet égard, la troisième ordonnance rendue dans l’affaire Bernhard von
Pezold n’est pas sans intérêt. Le règlement d’arbitrage CIRDI prévoit en effet que
les exceptions préliminaires doivent être soulevées le plus tôt possible et en tout
état de cause pas après la limite ixée pour le dépôt du contre-mémoire – ou du
mémoire en duplique si l’exception porte sur une demande subsidiaire. Si bien
que la nature de l’exception est en réalité déterminante ain d’examiner si elle est
présentée à temps ou non : si elle porte sur une demande subsidiaire, il est évident
qu’une telle exception ne peut être soulevée qu’une fois la demande formulée. À
l’inverse, une exception portant sur une demande formulée dans le mémoire initial
ne saurait être soulevée après le dépôt du contre-mémoire 305. Ces solutions sont
certes adoptées dans le cadre du CIRDI, mais elles semblent surtout guidées par
le bon sens et devraient pouvoir être reprises dans d’autres contextes, sous réserve
naturellement d’une rédaction contraire du règlement de procédure applicable.
En l’espèce, il n’était pas discutable que des arguments nouveaux avaient été
soulevés par le défendeur dans son mémoire en duplique, en méconnaissance des
délais ixés par le tribunal. Le tribunal jugea donc que de tels arguments auraient
dû igurer dans le contre-mémoire puisqu’ils portaient sur des éléments du mémoire
initial. En étant mentionnés dans la duplique, ils devaient être réputés tardifs,
et donc irrecevables, sauf à ce que des circonstances spéciiques justiient une
présentation en dehors des délais 306. Or – et c’est sans doute sur ce point que cette
ordonnance est principalement digne d’intérêt – un certain nombre de facteurs
pouvaient en l’occurrence expliquer ce retard. D’abord, les arguments nouveaux
du défendeur portaient sur une réclamation subsidiaire du demandeur elle-même
présentée tardivement et reprenant des arguments du mémoire initial ; il serait
donc illogique que des arguments puissent être présentés contre une demande
subsidiaire mais pas contre la demande principale au motif qu’ils seraient tardifs.
Le mémoire en duplique ne contenait par ailleurs aucun fait ou document nouveau
et le défendeur avait donné son accord pour qu’un délai supplémentaire soit accordé
au requérant ain qu’il puisse présenter la totalité de son argumentation. Si bien
qu’aucun poids supplémentaire ne pesait sur le demandeur. Le tribunal considéra
donc que les exceptions soulevées tardivement devaient malgré tout être admises,
au regard de ces circonstances particulières 307.
Ce qui explique cette décision, qui n’admet rien de moins qu’une entorse aux
délais ixés par le tribunal, tient très probablement au principe fondamental de
l’égalité entre les parties. C’est bien en effet le contenu des exceptions préliminaires
qui emporte la conviction du tribunal, parce que ce contenu précisément ne place
pas une partie dans une situation défavorable. On ne manquera pas de souligner
que si les arguments soulevés tardivement avaient comporté le moindre élément
effectivement nouveau de nature à rendre nécessaire une réponse de l’autre partie,
sans doute l’irrecevabilité aurait été prononcée. Mais puisqu’en raison de leur
contenu ce n’était pas le cas, les arbitres ont admis un léger contournement des

305. CIRDI, Bernhard von Pezold e.a. c. Zimbabwe, aff. n° ARB/10/25, et Borders Timbers Ltd. e.a.
c. Zimbabwe, ordonnance procédurale n° 3, 11 janvier 2013, § 44.
306. Id., §§ 48-49.
307. Id., § 52.

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470 arbitrage transnational et droit international général

délais initialement ixés, possibilité prévue, faut-il préciser, par l’article 26, § 3,
du règlement d’arbitrage.

3. Demandes multipartites

Les dettes souveraines sont aujourd’hui au cœur de l’actualité la plus marquante


du droit de l’investissement, et soulèvent de grandes interrogations depuis qu’elles
ont fait l’objet des premiers contentieux. La décision Abaclat semble avoir ouvert
le bal, mais au regard du rythme des ordonnances procédurales qui s’accumulent
dans cette affaire, il est manifeste que de nombreuses interrogations demeurent :
en particulier, le fait que ces requêtes aient été présentées par une multiplicité de
demandeurs n’a pas manqué de soulever des dificultés sur le plan procédural 308.
Deux affaires très proches ayant donné lieu à plusieurs décisions cette année
abordent la question au sujet de l’Argentine 309. Dans un cas comme dans l’autre,
il était question de porteurs individuels de bons du Trésor argentin confrontés au
défaut de paiement de l’État et réclamant pour cela une réparation. Le contexte des
deux espèces est strictement identique mais le nombre de demandeurs est sensi-
blement différent : 90 dans l’affaire Ambiente Uficio, ils sont encore 60 000 dans le
contentieux Abaclat. Inutile de préciser qu’une telle situation est tout sauf usuelle
dans le contentieux transnational, et qu’elle n’était pas prévue par les textes appli-
cables. Les tribunaux saisis disposaient donc d’une certaine marge de manœuvre,
qu’ils ont tenté d’employer dans le plus grand respect des principes de la conven-
tion de Washington. On soulignera simplement que le tribunal saisi de l’affaire
Ambiente Uficio, qui avait la possibilité de se démarquer du précédent Abaclat, a
tenu à marquer la proximité des affaires et la nécessité d’en tenir compte 310. Ceci
explique que les solutions retenues soient assez proches l’une de l’autre.
Il a d’abord été souligné que les demandes dans ces deux affaires ne peuvent
être assimilées à des class actions : elles correspondent davantage à une agrégation
de demandes identiques, déposées parallèlement, et jointes dans la même procé-
dure 311. Ceci explique que le tribunal en charge de l’affaire Ambiente Uficio se
soit abstenu d’examiner les questions de compétence et de recevabilité au regard
de chacun des demandeurs, préférant les analyser dans leur ensemble 312. C’est
là sans doute une solution de bon sens, mais qui peut aussi s’analyser comme une
première conséquence perverse de la volonté exprimée par le tribunal de se placer
« dans l’ombre » de la sentence Abaclat 313. Dans cette dernière affaire en effet, les
requérants étaient au départ plusieurs dizaines de milliers. En pareille hypothèse,
l’examen individuel de la compétence et de la recevabilité représentait une tâche
tout simplement impossible à réaliser. Dans l’affaire Ambiente Uficio en revanche,
ils n’étaient plus en déinitive que quelques dizaines. En pareille hypothèse, même
si la tâche est lourde, elle n’est pas insurmontable. Il eût sans doute été préférable

308. CIRDI, Abaclat et al. c. Argentine (anciennement Giovanna a Beccara et al. c. Argentine),
ARB/07/5, décision sur la compétence et la recevabilité du 4 août 2011, voy. cette chronique, cet Annuaire,
2011, pp. 537 et s. Le 30 mai 2014 a été rendue la vingt-septième ordonnance procédurale concernant
cette affaire. Il semble que le record précédent était détenu par l’affaire Fraport AG Frankfurt Airport
Services Worldwide c. Philippines, aff. n° ARB/03/25, dans le cadre de laquelle vingt-quatre ordonnances
avaient été rendues.
309. CIRDI, Abaclat et autres c. Argentine, aff. n° ARB/05/5, ordonnances n° 21 du 2 mai 2013 et
n° 22 du 31 juillet 2013 ; CIRDI, Ambiente Uficio SpA e.a. c. Argentine (anciennement Giordano Alpi e.a.
c. Argentine), aff. n° ARB/08/9, décision sur la compétence et la recevabilité, 8 février 2013.
310. Ord. Ambiente Uficio SpA, op. cit., §§ 7-13. Voy. supra, I, E.
311. Voy. J. cazaLa, « L’arbitrage multipartite devant les tribunaux CIRDI », Cah. Arb., n° 2013/4,
pp. 951-965, spéc. pp. 952-954.
312. Ord. Ambiente Uficio SpA op. cit., § 6.
313. Id., opinion dissidente de S. Torres Bernàrdez, § 40.

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arbitrage transnational et droit international général 471

de procéder ainsi puisque les situations individuelles ne sont pas strictement les
mêmes, notamment parce que l’acquisition des bons du Trésor ne s’est pas faite
dans les mêmes conditions pour chacun. Le tribunal, néanmoins, n’est pas demeuré
silencieux sur cette question, en précisant avoir accordé la priorité aux éléments
de fait communs à l’ensemble des requérants plus qu’aux conditions d’acquisition
des titres qui relèvent pour lui de la relation contractuelle avec le défendeur et ne
sauraient en tant que telles être pertinentes dans le cadre d’un contentieux conven-
tionnel. Puisque le contexte factuel est donc le même, que les droits invoqués sont de
même nature et que les violations du droit international alléguées sont identiques,
rien ne s’opposait à ce que les demandes soient examinées en même temps 314.
Sur le plan strictement terminologique, on ne manquera pas de souligner un
certain malaise du tribunal qui refuse catégoriquement la qualiication de class
action ou de mass claim. Il s’agit donc pour lui d’un « arbitrage multipartite » en ce
sens que les requérants sont plusieurs, mais que la demande est la même 315. Cette
détermination n’est pas totalement sans conséquence puisqu’elle permet tout de
même de conserver une certaine singularité de chacun des requérants. Ceci peut
avoir des conséquences à différents points de vue.
D’abord, il est évident que le caractère multipartite de la demande n’efface
nullement l’exigence d’un lien de nationalité entre les requérants et l’État partie
au traité sur le fondement duquel la demande est présentée. Or l’examen de cette
nationalité ne peut être qu’individuel. Même si l’on sait que les tribunaux arbitraux
sont en règle générale assez timides sur cette question, ils n’en demeurent pas
moins tenus de vériier que les demandeurs sont bien tous, individuellement, ressor-
tissants de l’État partie – en l’occurrence l’Italie 316. Si des interrogations devaient
s’élever au sujet de la nationalité de certains d’entre eux (notamment, on sait que
la convention de Washington interdit les demandes présentées par des requérants
qui auraient la nationalité de l’État défendeur), elles devraient faire l’objet d’un
examen séparé supposant donc une individualisation des cas litigieux 317.
En second lieu, il faut souligner le fait qu’un désistement demeure pleinement
possible – de nombreux petits porteurs ont d’ailleurs renoncé à l’instance dans les
deux affaires en question. Le tribunal en charge de l’affaire Abaclat a dû ainsi
rendre plusieurs ordonnances relatives à l’actualisation de la base de données
recensant les noms de l’ensemble des demandeurs. À cette occasion, il a considéré
que chaque désistement devait faire l’objet d’une décision individuelle de sa part,
ce que l’on a peine à imaginer au regard du nombre de personnes considérées 318.
On comprend donc en déinitive que par delà les questions purement termino-
logiques, le recours à la notion d’arbitrage multipartite est important : il permet de
conserver à la fois la dimension unique de la demande et multiple des demandeurs.
Si la demande elle-même doit faire l’objet d’un seul et même examen et que les
demandeurs placés dans la même situation doivent être traités de la même manière,
ceux d’entre eux qui sont dans une position différente peuvent faire l’objet d’un
traitement distinct, ce que ne permettrait pas une class action. Derrière les mots,
il y a donc une réalité juridique que l’on ne saurait passer sous silence. Bien qu’ici
étroitement liée au contentieux de l’investissement, on n’éprouve aucune peine à
imaginer en quoi la problématique pourrait se trouver posée devant les juridic-
tions régionales compétentes en matière de droits de l’homme ou devant les autres

314. Ord. Ambiente Uficio SpA, op. cit., § 161.


315. Id., §§ 114 et s.
316. Id., §§ 313 et s.
317. Id., §§ 320-321.
318. CIRDI, Abaclat et autres c. Argentine, aff. n° ARB/05/5, ordonnance, op. cit., n° 22, 31 juillet
2013, § 31.

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472 arbitrage transnational et droit international général

juridictions économiques, notamment. En ce sens ces décisions ne doivent pas être


vues comme des épisodes isolés mais bien plutôt comme des apports importants au
droit du contentieux international. C’est la raison pour laquelle il semblerait plus
que souhaitable que la question soit abordée par les règlements de procédure, qui
n’avaient pas semble-t-il anticipé une telle évolution du contentieux 319.

B. Droit applicable

La question du droit applicable est sans aucun doute l’une des plus « clas-
siques » de l’arbitrage transnational, puisque l’on sait que le droit international
public comme le droit interne peuvent trouver grâce aux yeux des tribunaux,
en fonction naturellement des instruments applicables 320. Mais si elle demeure
partiellement ouverte, c’est précisément parce que la jurisprudence continue de la
développer, et que les interrogations n’ont pas encore trouvé de réponse déinitive,
si tant est que celle-ci existe.
Il faut commencer par rappeler que, dans le cadre du CIRDI, la question du
droit applicable est en principe réglée par l’article 42 de la Convention de Wash-
ington, qui a lui-même fait l’objet de larges commentaires 321. La pratique arbitrale
s’oriente dans l’ensemble vers une application conjointe des deux ordres juridiques,
tout en réservant la primauté du droit international en cas de contradiction 322.
Mais cette disposition porte en réalité uniquement sur le droit qui est applicable
au fond du litige et non aux questions de compétence, comme il a été jugé de longue
date par les tribunaux arbitraux et récemment encore conirmé 323. Une telle posi-
tion est assez logique au regard de la rédaction des dispositions de l’article 42, qui
prévoit que le tribunal « statue sur le différend conformément aux règles, etc. ». Il
est donc clair que la disposition s’applique au fond et non aux questions relatives au
contentieux. Celles-ci sont ainsi pleinement soumises aux règles de la convention et
du règlement de procédure relatives au consentement des parties à la compétence
dont on connaît le caractère fondamental dans le droit de l’arbitrage. Il n’en reste
pas moins certaines dificultés, liées soit à l’application du droit international soit
à l’application du droit interne.

1. L’application du droit international

Le principe de l’applicabilité de l’ensemble du droit international public n’est


pas contesté, au-delà du seul TBI qui demeure naturellement la première règle
internationale pertinente, comme le rappelle clairement le tribunal dans l’affaire

319. Il est fait écho à cette nécessité dans la résolution de l’Institut de droit international dont
l’article 7 dispose que « La possibilité pour les tribunaux arbitraux de statuer sur des réclamations de
masse devrait faire l’objet de dispositions appropriées dans les instruments régissant les procédures
arbitrales d’investissement ».
320. Sur les conséquences de ce double droit applicable devant les tribunaux, voy. M. Forteau, « Le
juge CIRDI envisagé du point de vue de son ofice : juge interne, juge international, ou l’un et l’autre à
la fois ? », in Liber Amicorum Jean-Pierre Cot, Bruxelles, Bruylant, 2009, pp. 111 et s. Sur l’application
du droit international public par les tribunaux arbitraux, voy. A. de nanteuiL, « L’application du droit
international public dans l’arbitrage transnational », op. cit. note 226, pp. 31-70.
321. Voy. par exemple E. gaiLLard / Y. baniFatemi, « The meaning of “and” in article 42(1), Second
sentence, of the Washington convention : the role of international law in the ICSID choice of law process »,
ICSID Rev., vol. 18, pp. 375-411.
322. La solution classique en présence d’un contrat a ainsi été conirmée récemment par Trib. ad
hoc, Mohamed Abdulmohsen Al-Kharai & Sons Co c. Libye e.a., sentence inale du 22 mars 2013, pp. 235
et s. et p. 272.
323. CIRDI, Philip Morris Brands SARL e.a. c. Uruguay, aff. n° ARB/10/7, décision sur la compétence,
2 juillet 2013, § 30.

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Emmis : « the Tribunal has to apply international law as a whole to the claim, and
not the provisions of the BIT in isolation » 324. Ceci implique notamment l’applica-
bilité du droit international général au soutien des dispositions conventionnelles
si celles-ci appellent un complément 325. Un tribunal arbitral a même précisé qu’il
lui était possible de faire référence à des « broader considerations of equity » pour
interpréter l’attitude du demandeur vis-à-vis d’une clause de stabilisation 326. Il ne
s’agissait en l’espèce que de parachever un raisonnement en indiquant qu’au-delà
du droit, ces considérations d’équité allaient clairement au soutien de la décision
à laquelle menait l’application des règles de droit. Mais puisque l’équité ne change
rien sur le fond, la question de la pertinence d’une telle référence, qui n’est pas sans
poids symbolique, peut se poser. Lorsque l’on sait quelles critiques sont adressées à
l’arbitrage transnational, il faut insister sur la nécessité d’employer de tels concepts
avec la plus grande parcimonie.
Il importe en premier lieu de rappeler qu’un traité ne saurait bien entendu être
applicable qu’aux États parties et à leurs ressortissants. Or, il n’est pas toujours
inutile de revenir aux fondamentaux puisque le Mexique n’a pas hésité à invoquer
pour sa défense une note interprétative de l’ALENA dans un litige l’opposant à un
investisseur… espagnol ! C’est sans grande dificulté que le tribunal refusa d’appli-
quer un texte évidemment inapplicable en vertu du principe de l’effet relatif des
traités 327. Ce qui ne signiie pas qu’un tel texte ne pourrait pas servir d’inspiration
ou que les interprétations données sur son fondement ne sauraient être reprises
par analogie dans d’autres contextes : les sentences rendues sur le fondement de
l’ALENA sont très régulièrement citées par les tribunaux statuant sur le fondement
de traités bilatéraux lorsque le contenu des dispositions à appliquer sont sensible-
ment les mêmes. Mais il est évident que l’accord nord-américain ne saurait être
applicable comme tel.
Une question importante s’est toutefois posée au sujet de la Convention
européenne des droits de l’homme, qui s’est récemment invitée dans un conten-
tieux opposant une entreprise néerlandaise à l’État roumain. Un certain nombre
de poursuites pénales avaient été en effet diligentées contre les dirigeants de
l’entreprise dans des conditions contestées par les requérants. La question de la
pertinence de la convention européenne se posait en pareil contexte parce que
les dirigeants de la société avaient été soumis à des mesures particulièrement
attentatoires aux libertés (mises sur écoute, interception de communications,
interdictions de circuler) ne semblant pas de prime abord pleinement justiiées.
La question fut toutefois vite réglée, puisque les deux individus visés par les
mesures litigieuses n’étaient pas requérants : ce sont les conséquences de ces
mesures sur l’entreprise demanderesse qui relevaient donc de la compétence du
tribunal. Si bien que l’hypothèse d’une applicabilité directe de la convention a pu
être assez aisément écartée, malgré des considérations « intéressantes et lumi-
neuses » proposées par les parties à son sujet 328. Ceci n’excluait toutefois pas que
le tribunal s’en inspirât pour évaluer la licéité internationale du comportement
de l’État défendeur, surtout au regard de certaines normes qui ne sont pas sans

324. CIRDI, Emmis International Holding, BV, e.a. c. Hongrie, aff. n° ARB/12/2, décision sur l’excep-
tion fondée sur l’art. 41, § 5, du Règlement d’arbitrage, 11 mars 2013, § 78, italiques inclus.
325. CIRDI, Accession Mezzanine Capital LP e.a. c. Hongrie, aff. n° ARB/12/3, décision sur l’exception
soulevée par le défendeur sur le fondement de l’article 41(5) du règlement d’arbitrage, 16 janvier 2013,
§§ 50 et s., 66, 70 et s.
326. Trib. ad hoc CNUDCI, Ruby Roz Agricol LLP c. Kazakhstan, décision sur la compétence, 1er août
2013, § 167.
327. CIRDI, Telefónica SA c. Mexique, aff. n° ARB(AF)/12/4, ordonnance procédurale n° 1, 8 juillet
2013, § 17.1.3.
328. CIRDI, Rompetrol Group NV c. Roumanie, aff. n° ARB06/3, sentence, 6 mai 2013, § 172.

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lien, sur le fond, avec des dispositions de la Convention européenne, ce qui est
assurément le cas du traitement juste et équitable 329. Ce n’était là, cependant,
qu’une posture de principe sans grand engagement puisque le même tribunal n’a
pas prêté de véritable attention à la convention dans la suite de la sentence et
notamment dans ses déterminations au fond.
Le recours à des normes a priori totalement inapplicables parce qu’elles appar-
tiennent à un ordre juridique autonome du droit international au titre de l’inter-
prétation des règles de protection des investissements ne concerne pas seulement
la Convention européenne des droits de l’homme. La question s’est naturellement
posée pour le droit de l’Union européenne, qui a fait à plusieurs reprises irruption
dans le contentieux transnational 330. Cette année encore, un État défendeur a
tenté de justiier un certain nombre de ses actions par ses obligations en tant que
membre de l’Union dans l’affaire Micula. Le tribunal, à cet égard, n’a pas manqué
de souligner que le TBI et le droit de l’Union étaient des instruments parfaitement
autonomes puisqu’ils ne faisaient aucune référence l’un à l’autre 331. Néanmoins les
engagements internationaux d’un État ne doivent pas être isolés cliniquement et il
n’est pas interdit, bien au contraire, de tenir compte de l’un dans l’interprétation
de l’autre comme y invite du reste la convention de Vienne 332.

2. L’application du droit interne

i) Au-delà de l’hypothèse d’un droit national désigné comme applicable par les
parties, il faut commencer par rappeler que ce dernier n’est par nature pas exclu du
contentieux transnational. Il s’y applique même systématiquement dans plusieurs
hypothèses et peut à cet égard soulever des dificultés dans la mesure où il n’est
pas toujours aisé pour un tribunal arbitral de manier des concepts propres à un
ordre juridique étranger aux arbitres.
C’est d’abord le cas lorsque le traité applicable comporte une clause de respect
du droit de l’État d’accueil, c’est-à-dire qu’il subordonne l’octroi de sa protection
au respect du droit local par l’opération d’investissement. Le tribunal n’a guère
d’autre choix en pareille hypothèse que de se muer en juridiction interne en faisant
application des règles pertinentes. Plusieurs questions se posent toutefois au sujet
de cette condition, à commencer par l’identiication du « droit interne » qu’il s’agit
de respecter. Il semble que la pratique arbitrale soit plutôt restrictive à ce sujet,
notamment parce que les dispositions contractuelles en sont exclues : seules les
règles issues des normes unilatérales (lois, décrets, etc.) imposées par l’État sont
concernées 333. Cette solution semble en tout état de cause s’imposer : une violation
contractuelle relèverait d’un litige contractuel et donc de la compétence du juge
du contrat. Elle ne saurait avoir d’inluence sur l’applicabilité du traité qui reste
un instrument autonome, et la présence d’une clause de couverture ne changerait

329. Id. § 173.


330. Voy. sur cette question cette chronique, cet Annuaire 2010, pp. 621 et s. ; 2012, pp. 632 et s.
Voy. également par exemple S. robert cuendet, « Les investissements intracommunautaires entre
droit communautaire et accords internationaux sur l’investissement : concilier l’inconciliable ? », RGDIP,
2011/4, pp. 853-893.
331. CIRDI, Ioan Micula et a. c. Roumanie, ARB/05/20, sentence du 11 décembre 2013, § 321. C’est
là une différence notable avec l’affaire CIRDI, Electrabel SA c. Hongrie, aff. n° ARB/07/19, 30 novembre
2012, décision sur la compétence, le droit applicable et la responsabilité, § 4.83, cet Annuaire 2012, pp. 611
et s., dans laquelle le traité applicable était le traité sur la Charte de l’énergie, qui renvoie au droit inter-
national, lequel incluait selon le tribunal le droit de l’Union européenne. Il semble donc que les TBI soient
plus « éloignés » du droit de l’Union que ne l’est le traité sur la charte de l’énergie.
332. Voy. supra, I. A.
333. CIRDI, Vannessa Ventures Ltd. c. Venezuela, aff. n° ARB(AF)/04/6, sentence du 16 janvier 2013,
§ 134.

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sans doute rien à cette situation 334. Plus généralement, il se peut aussi que le
droit national soit appliqué sans dificulté par le tribunal au titre de l’examen de
la licéité interne de l’investissement, quitte à faire appel à des commentaires ou
analyses non obligatoires mais susceptibles d’éclairer les arbitres sur la signiica-
tion des dispositions du droit local 335. Le tribunal en pareille espèce se comporte
alors pleinement à la manière d’une juridiction nationale. C’est là un point impor-
tant car la pratique des comités ad hoc en termes d’annulation semble encline à
vériier l’application correcte du droit local par les tribunaux arbitraux lorsqu’elle
est possible : l’annulation ne peut alors pas être retenue à partir du moment où les
arbitres ont appliqué le droit local comme l’auraient fait les juges nationaux 336.
L’application du droit national s’impose également en partie aux arbitres à
partir du moment où l’instrument qui fonde le litige relève du droit national, notam-
ment si c’est un contrat 337. Il en va de même si le consentement de l’État à la
compétence du tribunal s’est exprimé non dans un instrument conventionnel mais
dans une loi nationale, qui relève naturellement de l’ordre juridique interne 338. Le
droit national est alors appelé à jouer un rôle essentiel dans l’interprétation de ce
consentement, même s’il ne sera probablement pas appliqué seul : le consentement
dans un instrument interne à la compétence d’un tribunal international demeure
un acte juridique relevant à la fois de l’ordre juridique interne et international, et
dont l’interprétation appelle donc l’application de ces deux corpus normatifs 339. Il
semble toutefois que la tendance générale de la jurisprudence soit à l’octroi d’une
certaine priorité au droit international pour interpréter ces actes unilatéraux,
voire à une exclusivité de ce dernier 340. Ce n’est pas la première fois que l’on aura
constaté un certain malaise des tribunaux arbitraux lorsqu’il leur a fallu appliquer
un droit interne 341.
ii) Dans l’hypothèse, d’ailleurs, où les arbitres disposent d’une certaine marge
de manœuvre dans l’application ou non du droit national, on ne manquera pas de
constater une très nette tendance à l’application du droit international au détri-
ment de celui-là. C’est d’abord le cas lorsque le consentement est exprimé dans un
traité : malgré la tentative du défendeur, le tribunal de l’affaire Ambiente Uficio
a clairement écarté la pertinence du droit national ain de trancher les questions
de consentement qui ne sauraient être examinées qu’au regard du droit interna-
tional 342. Cette solution semble toutefois imposée sur le plan juridique puisque
le droit interne est par principe écarté des questions conventionnelles en vertu
de la convention de Vienne. Mais il se peut que les arbitres fassent preuve d’un

334. La clause de couverture ne couvre en effet que les comportements de l’État et ne porte donc que
sur les violations contractuelles qui lui sont imputables. Elle n’a aucunement pour objet les éventuelles
violations contractuelles dont pourrait se rendre coupable l’investisseur.
335. CIRDI, Metal-Tech Ltd c. Ouzbékistan, aff. n° ARB/10/3, sentence du 4 octobre 2013, §§ 282 et s.
336. Comité ad hoc CIRDI, Malicorp Limited c. Egypte, aff. n° ARB/08/18, décision sur la demande
en annulation, 3 juillet 2013, § 155. On ne manquera pas de relever qu’une telle solution, séduisante en
théorie, est dificile à mettre en pratique puisqu’il n’est pas évident d’identiier la manière dont les tribu-
naux internes auraient pu faire application du droit national.
337. CPA (CNUDCI), Chevron Corporation & Texaco Petroleum Corporation c. Équateur, n° 2009/23,
sentence partielle du 17 septembre 2013, § 63.
338. Voy. l’analyse de B. remy, « Chronique des sentences arbitrales », JDI, n° 2014/1, pp. 250 et s.
339. CIRDI, Tidewater Inc. e.a. c. Venezuela, aff. n° ARB/10/5, décision sur la compétence, 8 février
2013, § 86.
340. Voy. supra I, D.
341. Voy. par exemple CIRDI, Inceysa Vallisoletana, SL c. République du Salvador, aff. n° ARB/03/26,
sentence du 2 août 2006, § 220, dans laquelle le tribunal parvint à éviter l’application du droit interne
en jugeant que ce dernier incluait notamment des normes internationales et qu’à elles revenait donc la
priorité d’application.
342. CIRDI, Ambiente Uficio SpA e.a. c. Argentine (anciennement Giordano Alpi e.a. c. Argentine),
aff. n° ARB/08/9, décision sur la compétence et la recevabilité, 8 février 2013, §§ 153, 241, 257.

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volontarisme plus marqué. Dans la sentence AHS c. Niger, c’est ainsi le droit
nigérien qui semblait applicable au fond, et donc notamment à la question de la
réparation. Mais le tribunal s’appuya uniquement sur des références internatio-
nales sans aucun lien avec le droit local 343. Sans doute le défaut du défendeur à
la procédure justiiait-il en partie cette position. Mais elle n’en conirme pas moins
un phénomène observé sous divers angles : dès qu’ils le peuvent, les tribunaux
arbitraux s’écartent de l’application du droit interne.
Sur le fond, au demeurant, on ne manquera pas de constater une volonté
nette des tribunaux confrontés à la question de l’articulation entre droit interne
et droit international de se placer sous les auspices du second, même lorsque le
premier est en cause. Si, ainsi, des violations du droit interne sont alléguées, il est
entendu qu’elles ne peuvent relever de la compétence du tribunal sauf à consti-
tuer elles-mêmes des violations du droit international. Invoquer des violations
internes n’est donc pas un obstacle à la compétence des arbitres pour autant que
des méconnaissances de normes internationales le sont également : mais ce n’est
alors que sur ces dernières que portera la compétence du tribunal 344. Sur le fond,
d’ailleurs, il est évident que la violation du TBI ne peut se déduire des méconnais-
sances, fussent-elles multiples, du droit interne : il importe d’apporter la preuve
d’un élément supplémentaire, c’est-à-dire celle d’une violation directe et autonome
du droit international 345.

C. Preuve

La question de la preuve est naturellement l’une des plus importantes dans


tout contentieux. Dans le cadre de l’arbitrage transnational, elle gagne encore en
complexité en raison de la place qui peut être celle du droit interne, mais aussi
en raison de la pratique assez variable des tribunaux. Ces derniers temps, les
sentences rendues témoignent tout de même d’un réel apport de la pratique arbi-
trale au droit international de la preuve.
On précisera simplement à titre liminaire que, quelles que soient les règles
applicables, le principe fondamental de tout contentieux suivant lequel, d’une part,
la preuve incombe au demandeur (actori incumbit probatio) et, d’autre part, toute
personne alléguant un fait doit la prouver, est pleinement applicable à l’arbitrage
transnational 346. Ces principes ont du reste été sufisamment largement relayés
par la Cour internationale de Justice pour que les tribunaux arbitraux puissent s’y
référer sans dificulté 347. C’est ainsi par exemple qu’il revient très logiquement au
requérant d’apporter la preuve de l’existence de son investissement ou du caractère
non effectif des voies de recours offertes en droit interne ain de contourner l’exigence
d’épuisement 348. À l’inverse, il se pourrait que le défaut de coopération d’une partie
dans l’administration d’un élément de preuve puisse justiier un renversement de

343. CIRDI, AHS Niger et Menzies Middle East and Africa SA c. Niger, aff. n° ARB/11/11, sentence
du 15 juillet 2013, §§ 131 et s.
344. CIRDI, Teco Guatemala Holdings LLC c. Guatemala, aff. n° ARB/10/17, sentence sur la compé-
tence et sur le fond, 19 décembre 2013, §§ 467 et s.
345. CIRDI, Rompetrol Group NV c. Roumanie, aff. n° ARB06/3, sentence, 6 mai 2013, § 177.
346. CIRDI, Philip Morris Brands SARL et a. c. Uruguay, n° aff. n° ARB/10/7, décision sur la compé-
tence, 2 juillet 2013, § 29. Voy. également CIRDI, Tulip Real Estate and Development Netherlands c.
Turquie, ARB/11/28, décision sur la compétence (bifurcation), 5 mars 2013, § 48.
347. CIRDI, Metal-Tech Ltd c. Ouzbékistan, aff. n° ARB/10/3, sentence du 4 octobre 2013, § 237.
348. Trib. CNUDCI (ALENA), Apotex Inc. c. États-Unis, décision sur la compétence et la recevabilité,
14 juin 2013, § 150 ; CIRDI, Kiliç Insaat Ithalat Ihracat Sanayi Ve Ticaret Anonim Sirketi c. Turkmenistan,
aff. n° ARB/10/1, sentence du 2 juillet 2013, § 8.1.15.

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arbitrage transnational et droit international général 477

la charge même si cette position n’est pas unanimement partagée 349. Quoi qu’il
en soit, il se peut que les questions de charge de la preuve soient dépassées par les
arbitres, qui cherchent avant tout à obtenir des éléments de nature à contribuer à
l’établissement de la vérité : seule importe au fond la combinaison des différents
éléments collectés, quelle que soit la partie qui les a apportés 350.

1. Les règles applicables à la preuve

Les règles applicables à ces questions appellent d’abord quelques commen-


taires. Le principe, bien entendu, est celui de l’application des règles igurant dans
le règlement d’arbitrage en vertu duquel statue le tribunal. Mais il se peut que
celui-ci soit insufisant ou obscur, ce qui rend nécessaire le recours à des normes
complémentaires. À plusieurs reprises, les tribunaux arbitraux ont donc fait appel
en pareille hypothèse aux règles énoncées par l’International Bar Association (IBA
Rules on the taking of evidence in international arbitration). Il s’agit naturellement
d’un texte sans valeur juridique immédiate, mais qui peut être d’une grande portée
à l’instar des résolutions de l’Institut de droit international. Négociées et rédigées
par les plus grands spécialistes de l’arbitrage international, ces règles avaient été
initialement pensées pour l’arbitrage commercial et ont fait l’objet d’une importante
révision en 2010. Dans ce cadre, elles peuvent d’ailleurs être revêtues d’une pleine
autorité à partir du moment où les parties s’accordent sur leur applicabilité. Dans
l’arbitrage transnational, elles pourraient à tout le moins être considérées comme
un relet de la « doctrine » et constitueraient en cette qualité une source subsidiaire
du droit international. Les tribunaux, cependant, s’embarrassent assez peu de ces
considérations en règle générale. Dans l’affaire Apotex, les arbitres ont ainsi eu
recours aux règles de l’IBA à titre de guide général additionnel dans le cadre de
la compétence discrétionnaire qui leur est reconnue par le règlement d’arbitrage
CIRDI (mécanisme supplémentaire) 351. Cette position est parfaitement défendable,
mais le fait que le même tribunal ait écarté par la suite le recours au droit américain
au proit de ces règles de soft law en dit long sur l’importance qui leur est accordée
dans le monde de l’arbitrage 352. Il n’y a certes aucune raison d’appliquer le droit
des États-Unis aux questions de preuve devant un tribunal arbitral mais sur le
plan juridique et en faisant abstraction de la question des rapports de systèmes, la
dimension obligatoire d’un droit national est pleinement établie, contrairement à
celle des normes de soft law. C’est aussi la preuve de ce que le droit de l’arbitrage
apporte un grand soutien à cette notion dont on sait qu’elle commence à intéresser
des institutions qui semblaient jusque-là y être totalement hermétiques 353.
Le fondement juridique de l’application de ces normes peut être toutefois bien
plus clairement établi. Il se peut ainsi que les parties aient tout simplement exprimé
leur accord en ce sens, auquel cas toute dificulté de cet ordre se trouve levée 354.
Même sans accord formellement exprimé, il semble que ces règles aient été conçues

349. Voy. CIRDI, OPIC Karimun Corporation c. Venezuela, aff. n° ARB/10/14, sentence du 28 mai
2013, opinion dissidente de S. G. Tawil, § 26.
350. Sentence Metal-Tech Ltd, op. cit., § 243.
351. CIRDI, Apotex Holdings Inc. et Apotex Inc. c. États-Unis d’Amérique, aff. n° ARB(AF)/12/1,
ordonnance procédurale concernant la production de documents, 5 juillet 2013, § 13. Le règlement d’arbi-
trage du mécanisme supplémentaire prévoit en effet en son article 42 que « Le tribunal est juge de la
recevabilité de toute preuve invoquée et de sa valeur probatoire », si bien qu’il est relativement libre dans
l’administration des éléments de preuve.
352. Id., § 21.
353. Voy. ainsi l’étude annuelle du Conseil d’État français, Le droit souple, Paris, La Documentation
française, 2013, 200 p.
354. CIRDI, Mercer International Inc. c. Canada, aff. n° ARB(AF)/12/3, ordonnance procédurale n° 1,
24 janvier 2013, § 40.

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pour être appliquées avec une grande souplesse, si bien que leur applicabilité
ne soulève pas de grande dificulté tant elles semblent inhérentes à l’arbitrage
international 355. Sans doute une partie à l’arbitrage pourrait-elle s’opposer à leur
application et neutraliserait-elle alors toute possibilité d’y avoir recours. Mais il ne
semble pas qu’une telle attitude aille dans l’intérêt des plaideurs.
En tout état de cause, l’importance de ces règles de l’IBA révèle ici une certaine
originalité du contentieux transnational qui, non content de transcender les ordres
juridiques, transcende assez largement les distinctions entre les différentes sources
du droit.

2. Les moyens de preuve

Au-delà des règles applicables, la pratique des tribunaux arbitraux en termes


d’administration et de standard de la preuve révèle au fond une certaine continuité
dans les principes dégagés et appliqués.
i) Il faut d’abord signaler que la preuve « indirecte » ne peut assurément être
admise. On entendra par là une preuve d’ordre général qui ne porte pas spéciique-
ment sur les éléments de fait allégués par la partie qui l’invoque. On sait ainsi que
pour justiier un défaut d’épuisement des voies de recours internes (lorsque cette
condition s’applique), le demandeur doit apporter la preuve de ce que ces recours
seraient, soit indisponibles, soit trop peu sûrs pour être susceptibles d’aboutir
de manière satisfaisante 356. Mais cette preuve ne saurait se limiter à quelques
remarques générales sur le système juridictionnel interne et ses défauts 357. Elle
ne peut pas davantage découler du fait qu’aucun expert de la procédure natio-
nale n’aurait accepté de témoigner par crainte de représailles ou par des rapports
généraux attestant du manque d’indépendance des juges nationaux ou de leur
hostilité au regard des investisseurs de la nationalité du requérant 358. Dans ces
deux hypothèses, les preuves étaient aux yeux des arbitres trop éloignées du cas
d’espèce pour être admissibles. Les tribunaux ne faisaient alors qu’une application
de la très grande liberté qui leur est reconnue par le droit international : il semble
en effet que celui-ci leur accorde la possibilité de recevoir tout moyen de preuve,
y compris ce qui serait en règle générale irrecevable devant un juge interne, et ce
principe est assez largement relayé par les règlements d’arbitrage 359. Mais recon-
naître une liberté n’est pas créer une obligation de l’exercer et sans aucun doute les
arbitres conservent-ils légitimement un haut degré d’exigence quant au standard
de preuve exigé des parties.
L’importance du rôle du tribunal dans l’administration de la preuve a d’ail-
leurs fait l’objet de plusieurs rappels dans la jurisprudence récente : il est ainsi
loisible aux arbitres de refuser purement et simplement des preuves obtenues
sans leur agrément, par exemple lorsqu’elles ont été collectées à l’occasion d’une
procédure juridictionnelle interne n’impliquant pas le défendeur 360. Ce n’est pas là

355. Voy. CPA (CNUDCI), Mesa Power Group, LLC c. Canada, aff. n° 2012-17, ordonnance procédu-
rale n° 3, 18 janvier 2013, § 65.
356. Sur cette condition spéciiquement et l’exception d’ineficacité dans la jurisprudence récente,
voy. B. remy, « Chronique des sentences arbitrales », JDI, n° 2014/1, pp. 291 et s.
357. CPA (CNUDCI), ST-AD GmbH c. Bulgarie, aff. n° 2011-06, décision sur la compétence, 18 juillet
2013, § 366. Dans le sens inverse, le tribunal tirera argument du fait que le requérant avait engagé de
multiples procédures internes pour établir la preuve de sa foi dans le système et donc une certaine contra-
diction dans son argumentation (id., § 367).
358. CIRDI, Kiliç Insaat Ithalat Ihracat Sanayi Ve Ticaret Anonim Sirketi c. Turkmenistan, aff.
n° n°ARB/10/1, sentence du 2 juillet 2013, §§ 8.1.1. et s.
359. C. SantuLLi, Droit du contentieux international, Paris, Montchrestien, 2005, p. 529.
360. Ord. Mesa Power Group, op. cit., §§ 63-68.

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arbitrage transnational et droit international général 479

une singularité du contentieux transnational puisque le principe même du pouvoir


de direction et de contrôle de la juridiction semble largement acquis devant les
juridictions internationales 361. C’est précisément au regard de ce pouvoir exclusif
du tribunal sur l’administration de la preuve que certaines demandes qui peuvent
sembler tardives de prime abord doivent en réalité être examinées : si une alléga-
tion de corruption devait ainsi survenir au cours d’une audience, donc en principe
tardivement, le fait que le tribunal soit le seul à pouvoir décider de collecter des
preuves à ce sujet lui permet tout de même d’en connaître 362.
ii) Quant aux moyens de preuve à proprement parler, quelques traits marquants
peuvent être identiiés dans la pratique récente. D’abord, il semble établi que les
interrogatoires de témoins ne peuvent être organisés que pour clariier des éléments
de fait ou de droit pertinents pour l’espèce 363. Ils ne fournissent donc pas, à propre-
ment parler, des preuves. Il se peut cependant que certains témoignages aient plus
de poids que d’autres : un tribunal n’a ainsi pas hésité à entendre l’un des auteurs
de la loi nationale relative à l’investissement étranger ain de déterminer l’inten-
tion de l’État dans le cadre de l’examen de son consentement à la compétence du
CIRDI 364. Dans la même affaire, le tribunal considérera d’ailleurs que le refus de
l’État de fournir des documents semblant aller à l’encontre d’une acceptation de la
compétence du Centre ne peut en soi valoir preuve d’une telle acceptation, ce qui
semble parfaitement cohérent 365. La logique qui sous-tend une telle détermination
est bien entendu celle du consentement dont on sait le caractère fondamental dans
l’arbitrage et qui ne saurait être déduit d’un tel comportement étatique, au reste
limité au cadre d’une instance juridictionnelle.
Il semble par ailleurs que la méthode du faisceau d’indices ne soit pas totale-
ment étrangère à l’arbitrage, au titre de la preuve. Confronté ainsi à une allégation
de corruption, le tribunal en charge de l’affaire Metal Tech n’a pas eu d’autre choix
que de procéder à l’accumulation d’un certain nombre de signaux d’alerte (des « red
lags ») que la « communauté internationale » avait identiiés comme étant de nature
à dissimuler une corruption 366. C’est donc bien la méthode du faisceau d’indices
qui se trouve appliquée : aucun de ces éléments n’est en lui seul sufisant mais
leur combinaison et leur accumulation peut constituer une preuve sufisante. En
l’espèce c’est bien ce qui conduira le tribunal à identiier la corruption recherchée.
iii) On ne manquera pas, enin, de relever que « l’envahissement du droit des
investissements par les concepts économiques » n’est pas un phénomène sur le point
de se tarir et que la question de la preuve en apporte une illustration supplémen-
taire 367. Tenu d’évaluer l’impact d’une série de mesures étatiques sur la valeur
de certaines opérations économiques, un tribunal arbitral s’est ainsi référé aux
analyses de plusieurs agences de notation (Moody’s et Fitch) ain d’établir si leur
valeur économique s’était trouvée modiiée par les mesures en question 368. L’avan-
tage du recours à ce type de preuves tient à leur dimension tant soit peu plus

361. C. SantuLLi, op. cit., supra n. 359, pp. 521 et s.


362. CIRDI, Metal-Tech Ltd c. Ouzbékistan, aff. n° ARB/10/3, sentence du 4 octobre 2013, § 266.
363. CPA (CNUDCI), W. Clayton e.a. c. Canada, n° 2009-04, ordonnance procédurale n° 17, 23 janvier
2013, § 4.
364. CIRDI, OPIC Karimun Corporation c. Venezuela, aff. n° ARB/10/14, sentence du 28 mai 2013,
§§ 122 et s. Sur la qualiication de la loi comme acte unilatéral, voy. supra I, D.
365. Id., § 146. D. S. Tawil estime toutefois dans son opinion dissidente qu’un tel comportement de la
part de l’État devrait conduire à une inversion de la charge de la preuve, en ce sens qu’il devrait appartenir
désormais à l’État de prouver son défaut de consentement et non au demandeur de l’établir.
366. Sentence Metal-Tech op. cit., §§ 293 et s.
367. La formule est empruntée à Y. nouVeL, « Les mesures équivalant à une expropriation dans la
pratique récente des tribunaux arbitraux », RGDIP, 2002, p. 91.
368. Ch. Comm. Stockholm, Anatolie Stati e.a. c. Kazakhstan, n° 116/2010, sentence du 19 décembre
2013, § 1373.

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480 arbitrage transnational et droit international général

objective – si tant est que l’objectivité soit possible au sujet de l’évaluation – mais
elles entraînent également une forme de dépossession du tribunal arbitral qui ne
peut plus que prendre acte de données économiques auxquelles les juristes restent
pour l’essentiel, il faut le reconnaître, assez hermétiques.

D. Procédure arbitrale

On sait que la procédure arbitrale est déterminée pour l’essentiel par le règle-
ment applicable et que celui-ci, quel qu’il soit, a pour ambition de régler le plus
grand nombre de questions possibles. Mais certaines interrogations nouvelles appa-
raissent nécessairement, et laissent les tribunaux dans des situations plus ou
moins délicates en fonction de la précision des dispositions applicables à leur sujet.

1. La question de la participation des tiers à la procédure

– L’amicus curiae est une institution bien connue du contentieux international,


même si elle est loin d’être admise par tous les systèmes. Elle commence ainsi à
faire son apparition dans le contentieux transnational depuis quelques années,
même si des questions demeurent ouvertes à son sujet 369.
En premier lieu, les conditions dans lesquelles un tiers à la procédure est
susceptible de participer à l’instance ne sont pas pleinement ixées par les règle-
ments d’arbitrage, et les tribunaux doivent parfois faire avec les moyens du bord.
Le règlement d’arbitrage du mécanisme supplémentaire du CIRDI prévoit toutefois,
en son article 41, § 3, la possibilité pour le tribunal de faire appel à une personne
extérieure au litige, avec l’accord des parties, ain de proposer une opinion sur un
point litigieux dont il jugera l’admissibilité. Le problème tient à ce qu’une telle
disposition ne mentionne que quelques-uns des critères que les arbitres peuvent
prendre en compte pour accepter une telle intervention, en proposant une liste
clairement présentée comme non exhaustive. Il est donc souhaitable qu’un tribunal
arbitral confronté à la question puisse bénéicier d’éléments de soutien, comme par
exemple les travaux de la Commission du libre échange de l’ALENA, sur lesquels
s’est largement appuyé le tribunal en charge de l’affaire Apotex 370. Ces critères,
auxquels le recours avait recueilli l’assentiment des parties, tiennent pour l’essen-
tiel à l’intérêt signiicatif de la participation du tiers pour la procédure, à l’apport
véritable que ce dernier peut proposer et à la garantie de ce que son intervention ne
constitue pas une interférence injustiiée avec le cours normal de la procédure. Ces
critères seront examinés successivement, pour conclure au refus de l’intervention
à défaut d’un intérêt sufisamment important pour le bon déroulement de la procé-
dure arbitrale. Chose relativement rare, le tribunal dans cette affaire était saisi,
notamment, d’une demande d’intervention d’une personne physique : mais l’expé-
rience et le savoir d’un seul individu ne sauraient dépasser ceux des équipes de
conseils développés par les parties 371. Cette décision conirme que l’amicus curiae

369. Voy. cette chronique, cet Annuaire 2009, pp. 718 et s. ; 2011, p. 587 ; 2012, p. 649 ; ainsi que F.
griSeL / J. e. Vi ñuaLeS, « L’amicus curiae dans l’arbitrage d’investissement », ICSID Rev., vol. 22 (2),
2007, pp. 380-432.
370. Deux ordonnances ont été rendues le même jour dans la même affaire au sujet de la participation
de deux personnes extérieures à la procédure : CIRDI, Apotex Holdings Inc. et Apotex Inc. c. États-Unis
d’Amérique, ARB(AF)/12/1, ordonnance procédurale sur la participation de M. Barry Appleton en tant que
partie non contestante, et ordonnance procédurale sur la participation de BNM en tant que partie non
contestante, 4 mars 2013. De manière sans doute un peu surabondante, le tribunal indiqua également
que M. Appleton n’avait pas fait état de son implication dans de nombreuses affaires ALENA par le passé,
laissant peser un soupçon de conlit d’intérêt sur son intervention (§ 46).
371. Ordonnance procédurale sur la participation de M. Barry Appleton, § 32.

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arbitrage transnational et droit international général 481

s’est aujourd’hui totalement détaché de la igure de l’expert dont il est plus ou moins
issu, puisque l’on doit pouvoir considérer que les connaissances des arbitres et des
conseils sont globalement sufisantes pour trancher une affaire. Une demande
d’intervention ne saurait donc être pertinente que si elle émane d’une personne ou
d’un organisme disposant de compétences supplémentaires, notamment dans des
secteurs techniques ou particulièrement sensibles, comme bien entendu le droit
de l’environnement.
Il en irait également ainsi, bien entendu, du droit de l’Union européenne. La
multiplication évoquée supra des points de contact entre ce dernier et le droit
de l’investissement a d’ailleurs donné à la Commission européenne l’occasion de
demander à participer à des procédures auxquelles elle n’était pas partie, jugeant
que son point de vue pouvait être éclairant et cherchant sans nul doute également
à préserver le droit de l’Union d’une trop forte incursion des tribunaux arbitraux.
On ne manquera pas à cet égard de souligner que les arguments développés par la
Commission européenne dans l’affaire Micula ont retenu partiellement l’attention
du tribunal, qui a pris soin de les mentionner systématiquement. Même si en déi-
nitive l’argument – commun au défendeur et à la Commission – suivant lequel le
constat d’une violation du TBI risquerait d’être qualiiée d’aide d’État prohibée par
le droit de l’Union n’a pas été retenu par le tribunal : le désaccord entre la « cour »
et son « ami » n’est donc pas une hypothèse à exclure.
– Une autre hypothèse doit être brièvement évoquée, qui est celle de l’affaire
Churchill Mining, dans laquelle une subdivision territoriale de l’État défendeur
n’était pas partie au litige et ne bénéiciait pas davantage du statut d’amicus curiae.
Ceci n’a aucunement empêché le tribunal d’accepter que participent des représen-
tants de la collectivité à l’équipe de conseils du défendeur, ni même qu’elle coopère
à la préparation de l’affaire et soumette des éléments de preuve 372. C’est là une
manière intéressante de reconnaître des droits aux collectivités territoriales, même
s’il s’agit d’une affaire CIRDI, dans le cadre duquel on sait que les collectivités
peuvent bénéicier directement de certaines prérogatives en vertu de l’article 25
de la convention de Washington. Sans qu’il s’agisse donc d’un amicus curiae, une
personne distincte du défendeur a pu participer à l’argumentation développée par
ce dernier et prendre directement part à la procédure. Cette solution paraît assez
discutable du point de vue du droit international, et sans doute se fonde-t-elle sur
le principe suivant lequel le défendeur est libre d’organiser sa défense comme il
l’entend, et de travailler en étroite collaboration avec la collectivité territoriale dont
les actes lui sont imputables en droit international. Mais il n’en reste pas moins
qu’une telle liberté ne permet pas généralement une participation directe de cette
collectivité à l’instance en principe et c’est la raison pour laquelle le tribunal a tenu
à préciser qu’il ne s’agissait aucunement d’une partie, en raison du principe d’unité
de l’État en droit international 373.

2. La question du lien avec une procédure juridictionnelle de droit interne

L’internationalisation du contentieux de l’investissement n’a pas occulté tota-


lement le juge interne, loin s’en faut. Celui-ci est même encore assez largement
présent dans le contentieux transnational, au point que les liens avec l’arbitrage
mériteraient parfois une certaine clariication. Quelques éléments à cet égard ont
été apportés par la jurisprudence récente. En premier lieu, on sait que la condition
d’épuisement des voies de recours internes est en principe écartée du contentieux

372. CIRDI, Churchill Mining PLC et Planet Mining Pty Ltd c. Indonésie, aff. n° ARB/12/14 et 12/40,
ordonnance procédurale n° 2, 5 février 2013, § 28.
373. Id. § 27.

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482 arbitrage transnational et droit international général

transnational, et ceci demeure même lorsque sont en cause les comportements des
entités juridictionnelles de l’État d’accueil 374. La seule réserve tiendrait à l’hypo-
thèse dans laquelle c’est un déni de justice qui est recherché, puisqu’il s’agit alors
d’un comportement imputable exclusivement au pouvoir judiciaire 375. Mais en
pareil cas, l’épuisement des voies de recours n’est pas tant une question de receva-
bilité qu’une question de fond : c’est bien la manière dont les recours internes sont
accessibles et les conditions dans lesquelles ils peuvent être épuisés qui pourra
alors conduire à la qualiication, ou non, de déni de justice. Il importe donc de
ne pas écarter systématiquement la condition d’épuisement des voies de recours
internes de l’arbitrage d’investissement, même si elle semble changer légèrement
de signiication dans ce contexte.
Par-delà l’hypothèse du déni de justice, il semble que l’épuisement des voies
de recours s’impose à partir du moment où les actes reprochés à l’État émanent de
l’action de ses juridictions, dans la mesure où une possibilité de retour à la légalité
internationale demeure ouverte 376. Mais, à cet égard, il faut prendre garde au fait
que les tribunaux arbitraux n’ont aucunement vocation à se substituer aux juges
internes ou à jouer un rôle de juridiction d’appel ou de cassation des décisions
nationales : c’est la raison pour laquelle il importe qu’une décision déinitive ait
été rendue, ce qui ne peut être le cas que si les recours ont été épuisés, à moins
que l’inutilité de ceux-ci soit établie au regard des faiblesses du système judiciaire
interne. Sans doute, pourrait-on objecter, n’est-ce pas là une manière d’éviter qu’un
tribunal arbitral se comporte en juridiction d’appel d’un juge interne puisqu’il se
peut parfaitement qu’un acte juridictionnel (déinitif) engage la responsabilité
internationale de l’État. Mais une telle hypothèse ne se situe pas sur le même
plan. Si les voies internes ne sont pas épuisées, l’arbitre s’immisce dans un litige
interne et agit alors à la manière d’un échelon hiérarchique. Si en revanche les
recours – utiles – ont été exploités, le litige change de nature et il ne s’agit plus
que d’examiner la licéité internationale du comportement d’un État – quel que soit
l’organe qui en est à l’origine. On comprend donc que les tribunaux, soucieux sans
doute aussi de pédagogie et de neutralisation des critiques qui pourraient leur être
adressées, restent prudents sur ces questions.
Il importe simplement d’indiquer que la pratique conventionnelle, en règle
générale, consiste à imposer au requérant soit d’épuiser les recours internes, soit
de présenter un tel recours et d’attendre l’expiration d’un certain délai (variant
généralement entre un an et dix-huit mois) avant de pouvoir s’adresser au tribunal
arbitral. Il s’agit ici d’une forme de demi-mesure permettant de ne pas écarter
totalement le juge national en lui laissant la possibilité de statuer sur le litige,
tout en évitant de paralyser l’investisseur en lui offrant la possibilité d’une saisine
du tribunal arbitral à l’issue d’un délai dont la durée est raisonnable. Il faut alors
relever que la méconnaissance d’une telle condition n’est pas sanctionnée de
manière déinitive : si un investisseur devait saisir un tribunal sans avoir attendu
l’expiration du délai, celui-ci ne pourrait naturellement être compétent mais il
semble que la saisine d’un nouveau tribunal dans le respect des conditions ne
poserait pas de dificulté de ce point de vue 377.

374. CIRDI, Franck Charles Arif c. Moldavie, aff. n° ARB/11/23, sentence du 8 avril 2013, § 334.
375. Id., § 344. Dans le même sens, CIRDI, Rompetrol Group NV c. Roumanie, aff. n° ARB06/3,
sentence, 6 mai 2013, § 160.
376. Trib. CNUDCI (ALENA), Apotex Inc. c. États-Unis, décision sur la compétence et la recevabilité,
14 juin 2013, §§ 280 et s., spéc. § 282 et § 284. Cette position est différente de celle adoptée par le tribunal
dans l’affaire Arif, sentence op. cit., § 344, qui semble limiter l’application de la condition à la seule
hypothèse du déni de justice.
377. CIRDI, Ömer Dede et Serdar Elhüseyni c. Roumanie, aff. n° ARB/10/22, sentence du 5 septembre
2013, § 275.

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arbitrage transnational et droit international général 483

3. La question du lieu et des coûts de l’arbitrage

– L’une des caractéristiques principales de l’arbitrage tient, on le sait, à la


dimension non permanente de la juridiction. Ceci reste vrai même lorsque la procé-
dure est institutionnalisée dans un cadre existant comme celui du CIRDI, qui n’est
pas en soi une juridiction mais une structure administrative destinée à accueillir
des procédures. Si bien que la question du lieu de l’arbitrage peut se poser de
manière très pratique, et revêt toute son importance dans les affaires de plus
en plus longues rendant nécessaire des rencontres régulières des parties et des
arbitres dont la pratique s’enrichit quotidiennement. La position des tribunaux à
cet égard n’est pas univoque, mais elle permet de mettre en avant les enjeux d’une
telle détermination. Le critère de la proximité ne semble ainsi pas tellement mis en
avant, puisqu’il a déjà été écarté au proit du critère de la neutralité 378. Il se peut
cependant qu’en certains contextes le siège de l’arbitrage et le lieu des audiences
soient distingués. Le premier n’est pas sans conséquences juridiques puisque c’est
lui qui déterminera la loi applicable à la procédure et les juridictions compétentes en
termes de contrôle de la sentence. Mais il s’agit là de principes qui ne s’appliquent
pas dans le cadre du CIRDI, même si cela ne signiie pas que leur pertinence soit
déinitivement écartée pour le contentieux de l’investissement puisque le Centre
de Washington ne regroupe pas la totalité du contentieux 379.
– Quant aux coûts de l’arbitrage, on sait de longue date qu’ils sont généralement
utilisés par les arbitres comme variable d’ajustement leur permettant de tenir
compte globalement de l’attitude des parties dans le litige et au cours de la procé-
dure 380. Le principe reste toutefois, généralement, l’imputation des coûts à la partie
perdante, en vertu de la règle « costs follow the event » 381. Il se peut qu’en vertu de
ce principe toutefois, la partie qui succombe supporte une majeure partie des frais
mais pas la totalité 382. Mais l’utilisation des coûts comme élément de sanction d’un
certain comportement se conirme très largement : ainsi par exemple dans l’affaire
Burimi, le tribunal s’estima certes incompétent mais imputa l’ensemble des coûts
au demandeur qui avait multiplié les moyens sans fondement et avait présenté
sa requête en italien – qui n’est pas l’une des langues du CIRDI – avant de la
traduire par un logiciel, avec le résultat que l’on imagine 383. De la même manière,
le tribunal de l’affaire Metal-Tech n’a pu se prononcer puisque l’investissement,
impliquant des éléments de corruption, n’avait pas été réalisé conformément au
droit de l’État d’accueil. Mais compte tenu précisément des pratiques plus que
douteuses de l’investisseur, celui-ci fut condamné à assumer une partie des frais
au titre d’une sanction à peine déguisée. L’État lui-même n’étant pas totalement
innocent fut également condamné à en supporter une partie 384. À défaut de compor-
tements de cette nature, il se peut enin que les arbitres décident d’imputer les
coûts à égalité entre les parties, solution qui a pu être jugée la plus équitable et

378. CPA (CNUDCI), Detroit International Bridge Company c. Canada, aff. n° 2012-25, ordonnance
procédurale n° 2, 28 janvier 2013, §§ 25-27.
379. CPA (CNUDCI), Mesa Power Group, LLC c. Canada, aff. n° 2012-17, ordonnance procédurale
n° 3, 28 mars 2013, § 39.
380. Voy. cette chronique, cet Annuaire, 2012, p. 644, et, par exemple, N. rubinS, « The allocation
of costs and Attorney’s fees in investor-State arbitration », ICSID Rev., vol. 18, 2003, pp. 109-129 ; M.
raux, « La charge des coûts de l’arbitrage dans la jurisprudence CIRDI », Gaz. Pal. – Cah. Arb., n° 2007/4,
pp. 28-30.
381. CIRDI, Rompetrol Group NV c. Roumanie, aff. n° ARB06/3, sentence, 6 mai 2013, § 298.
382. CIRDI, Teco Guatemala Holdings LLC c. Guatemala, aff. n° ARB/10/17, sentence sur la compé-
tence et sur le fond, 19 décembre 2013, § 777.
383. CIRDI, Burimi SRL et Eagle Games SH.A c. Albanie, aff. n° ARB/11/18, sentence du 29 mai
2013, §§ 163 et s.
384. CIRDI, Metal-Tech Ltd c. Ouzbékistan, aff. n° ARB/10/3, sentence du 4 octobre 2013, §§ 389-390
et 421-422.

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484 arbitrage transnational et droit international général

raisonnable au regard des circonstances de l’espèce 385. On le voit donc, la question


des coûts demeure une arme importante aux mains des arbitres pour sanctionner
le comportement des parties. Au regard de l’importance des sommes qui peuvent
être en jeu, on ne manquera pas d’y voir un élément important, voire déterminant
dans certains cas, du contentieux transnational.

E. Demandes de récusation des arbitres

Compte tenu de sa souplesse et de l’importance qu’il accorde au consentement,


l’arbitrage se distingue des modes institutionnels de règlement des différends par
le fait que les membres de la formation de jugement sont désignés précisément par
les parties. Cette solution présente des avantages multiples, mais elle entraîne
de facto un certain nombre de dificultés tenant notamment au fait que certains
arbitres sont nommés très régulièrement par différentes parties, ce qui peut induire
des soupçons de partialité. Nombreuses sont alors les interrogations auxquelles
doivent répondre les tribunaux confrontés à un nombre de plus en plus élevé de
demandes de récusation 386.
Il faut souligner que la consanguinité constatée dans le monde de l’arbitrage
n’est pas nécessairement une mauvaise chose : après tout, ce qui est demandé à un
arbitre est d’avoir une compétence et une expertise reconnue en la matière – c’est
même la raison d’être de ce mode de résolution des litiges. Il n’est donc pas ques-
tion de cloisonner les différentes fonctions – de conseil, d’arbitre ou de professeur
– et de mettre un terme à la souplesse qui est l’essence de l’arbitrage. À cet égard,
l’Institut de droit international avait sobrement considéré que « [l]’acceptation
de rôles différents à titre de conseils, d’arbitres, de membres de comités ad hoc du
CIRDI ne doit pas avoir pour effet de compromettre l’impartialité et l’indépendance
des arbitres » 387. Il s’agit donc simplement de concilier le fait que des passerelles
existent, sans les remettre en cause, avec la nécessité d’une impartialité exemplaire.
Des rares décisions publiées en la matière, il est possible de tirer les enseignements
suivants.
Sur le plan de la procédure d’abord, on aura constaté cette année que deux
décisions ont été rendues par le président du conseil administratif du CIRDI et la
troisième, dans le cadre d’une procédure CNUDCI devant la Cour permanente d’ar-
bitrage, par le Président de la Cour internationale de Justice, le juge P. Tomka 388.
Dans la première affaire, une telle solution vient en réalité de l’article 9, § 2, 4) du
règlement d’arbitrage CIRDI, applicable lorsque la demande de récusation vise
une majorité (deux membres) du tribunal. Dans la deuxième, en revanche, un
seul arbitre était mis en cause, et c’est donc aux deux autres membres du tribunal
qu’il revenait au départ de se prononcer. Mais ces derniers n’étant pas parvenus
à une solution, c’est au président du Conseil administratif que revint la décision,
comme il est au reste prévu par l’article 58 de la convention de Washington 389.

385. CIRDI, KT Asia Investment group BV c. Kazakhstan, aff. n° ARB/09/8, sentence du 17 octobre
2013, § 228.
386. Voy. cette chronique, cet Annuaire, 2011, pp. 589 et s.
387. Résolution préc. du 13 septembre 2013, art. 9.
388. Dans l’ordre, respectivement : CIRDI, Blue Bank International and Trust (Barbados) Ltd. c. Vene-
zuela, aff. n° ARB/12/20, décision sur la demande de récusation de la majorité du tribunal, 12 novembre
2013 ; CIRDI, Burlington Ressources, Inc. c. Équateur, aff. n° ARB/08/5, décision sur la demande de
récusation de F. Orrego Vicu ña, 13 décembre 2013 ; CPA (CNUDCI), CC/Devas (Mauritius), Ltd. e.a.
c. Inde, n° 2013-09, décision sur la demande de récusation Marc Lalonde (président) et F. Orrego Vicuna
(arbitre), 30 septembre 2013.
389. CIRDI, Burlington Ressources, Inc. c. Équateur, aff. n° ARB/08/5, décision sur la demande de
récusation de F. Orrego Vicuña, ibid., § 16.

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arbitrage transnational et droit international général 485

Quant à la troisième procédure, le recours au président de la CIJ s’explique non


pas par l’application du règlement CNUDCI – qui est muet sur la question – mais
simplement par le traité bilatéral applicable (TBI entre Maurice et l’Inde), lequel
prévoit expressément une telle solution. Dans tous les cas, il semble que ces solu-
tions soient préférables à celle qui s’applique en principe dans le cadre du CIRDI,
consistant à faire appel aux arbitres non visés par la demande de récusation car
elles présentent à tout le moins l’apparence d’une plus grande objectivité. D’ailleurs,
on ne manquera pas de constater que ces trois décisions prononcent effectivement
une récusation 390. Ces résultats vont clairement dans le sens inverse de la tendance
majoritaire qui est au rejet des demandes. On est donc en droit de se demander si
le recours à des autorités plus « institutionnelles » n’entraîne pas un plus grand
nombre de récusations.
Sur le fond ensuite, la récusation ne peut être prononcée – dans le cadre du
CIRDI ou en dehors – que si des éléments objectifs de manque d’impartialité sont
pleinement établis. Ceci est une nécessité impérieuse, puisqu’une telle demande
ne doit pas être détournée de ses objectifs initiaux pour être employée à des ins
dilatoires. À cet égard, il n’est pas évident de déterminer les critères exacts qui
peuvent conduire à un constat de défaut d’impartialité, d’autant plus qu’encore
une fois la récusation doit être une possibilité mais doit demeurer rare pour ne pas
affecter la crédibilité du système dans son ensemble. Le critère essentiel dégagé
fonctionne donc à la manière d’un standard : il tient à ce qu’un tiers pourrait inférer
de la position de l’arbitre visé par la demande 391. Le manque d’impartialité doit
en outre être manifeste 392. En pratique, cela signiie notamment que la récusation
peut être prononcée contre un arbitre qui est en même temps membre d’un cabinet
d’avocats ayant conseillé le demandeur dans une affaire précédente : quand bien
même il serait établi qu’il n’avait pas personnellement participé à ce litige antérieur
et qu’il n’avait pas eu connaissance de l’affaire, le lien est trop important pour ne
pas laisser craindre un certain pré-jugement 393. Il en irait de même d’un arbitre
s’étant déjà prononcé à quatre reprises sur la même question dans le même sens :
c’est là une circonstance de nature à faire craindre son manque d’impartialité
justiiant une récusation 394. Ce qui importait dans cette dernière affaire n’était
pas tant le fait de s’être prononcé que la manière de l’avoir fait : il semble que son
opinion ait été exprimée avec une grande force, et de manière assez déinitive, ne
laissant donc guère de doute sur la manière dont il pourrait trancher la question
à l’avenir. Il est vrai qu’en pareilles circonstances, l’impartialité peut être mise en
doute. Enin, une récusation peut être prononcée sur le fondement de liens trop
étroits avec certains cabinets d’avocats : ainsi un arbitre ayant été nommé à de très
nombreuses reprises par le cabinet représentant le demandeur et ayant publié un
commentaire (écrit) sur certains comportements du cabinet représentant le défen-
deur peut être taxé d’une certaine partialité. En tout cas, le doute est sufisant
pour prononcer la récusation 395.
De tout ceci, on ne peut évidemment déduire qu’une seule constante : la récu-
sation est une affaire d’espèce. Dans les trois récusations qui ont été prononcées, le

390. Dans l’affaire Blue Bank, deux arbitres étaient visés : l’un d’entre eux fut récusé, l’autre avait
démissionné par anticipation. Dans l’affaire Burlington, un seul arbitre était visé et fut récusé. Dans
l’affaire CC/Devas, un arbitre sur les deux fut récusé. Sur cinq arbitres visés, trois furent récusés, l’un a
démissionné et un seul fut conirmé.
391. Décision Blue Bank International, op. cit., § 60.
392. Id., § 61.
393. Id., §§ 67-69.
394. CPA (CNUDCI), CC/Devas (Mauritius), Ltd. e.a. c. Inde, n° 2013-09, décision sur la demande
de récusation Marc Lalonde (président) et F. Orrego Vicuña (arbitre), § 64.
395. CIRDI, Burlington Ressources, Inc. c. Équateur, aff. n° ARB/08/5, décision sur la demande de
récusation de F. Orrego Vicuña, 13 décembre 2013.

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486 arbitrage transnational et droit international général

risque était sufisamment élevé pour que l’on considère que l’impartialité pouvait
être menacée, justiiant une décision aussi radicale. On doit bien entendu se féli-
citer de ce que ces préoccupations soient aujourd’hui véritablement sanctionnées
dans l’arbitrage, tout en précisant que ce n’est aucunement la personnalité de
l’arbitre qui est en cause mais son positionnement au regard d’une affaire donnée.
Il importe en outre de mettre en garde les parties contre le risque d’une trop grande
multiplication de ces demandes pour l’intégrité du système. Il ne faudrait pas que
les succès récents des demandes conduisent les plaideurs à les multiplier jusqu’à
en faire un argument systématique. Il en va tout simplement de la crédibilité de
l’arbitrage et de son acceptation comme l’un des modes de règlement des litiges les
plus dynamiques et créatifs du droit international.

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