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TD 2.

2 LES SOURCES DU DROIT ADMINISTRATIF


(Semestre 1)
Le principe de légalité
Le juge administratif et le droit international

LES ATTENDUS DU CM ET DU TD SUR CETTE THEMATIQUE :


JE SAIS QUE LE DEVELOPPEMENT DU CONTRÔLE JURIDICTIONNEL DE
L’ADMINISTRATION PAR LE JUGE ADMINISTRATIF A CONDUIT
L’ADMINISTRATION A SE SOUMETTRE AU PRINCIPE DE LEGALITE DONT LES
NORMES INTERNATIONALES. LE JUGE ADMINISTRATIF ET L’ADMINISTRATION
ONT RENCONTRE DES DIFFICULTE D’APPLICATION DE CES NORMES CAR ILS SE
SONT HEURTES A LEUR STATUT CONSTITUTIONNEL (ARTICLE 55 C°) ET TOUT
PARTICULIEREMENT AU DROIT DE L’UNION EUROPEENNE (ARTICLE 288 TFUE)
JE M’INITIE TOUJOURS AU COMMENTAIRE D’ARRET.
SOMMAIRE
Lectures reproduites
G. Odinet et S. Roussel - Renvoi préjudiciel : le dialogue des juges décomplexé –
AJDA 2017. 740
Les notes de bas de page ne sont pas reproduites

Documents reproduits
Les textes
Document 1 : Articles 52 à 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 – Des traités et
accords internationaux.
NB. Il ne fait aucun doute que les conventions internationales ont un effet direct en
droit interne, Conseil d'État, Assemblée, 11 avril 2012, Groupement d’information
et de soutien des immigrés et autre. Attention : L’assemblée confirme ainsi, par
ailleurs, que l’effet direct d’une convention internationale s’apprécie stipulation par
stipulation, comme cela résultait déjà de sa jurisprudence.
Cependant le droit de l’union européenne connaît un régime légèrement différent :
Le refus du CE de contrôler la conventionalité des lois
Document 2 : Conseil d'Etat, Sect., 1 mars 1968, Syndicat général des fabricants de
semoules de France
L’acceptation du contrôle de conventionnalité des lois
Document 3. CE, Ass., 20 octobre 1989, Nicolo
La supériorité de la Constitution dans l’ordre juridique interne sur les traités
© Béatrice BOISSARD, Maître de conférences de droit public, HDR.
Chargé(e)s de TD : Mme SAYEDOFF et Mrs. BARRE, VANGELE et SORHO.
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Document 4. CE, Ass., 30 octobre 1998, Sarran et Levacher.


Le contrôle de constitutionnalité des actes internes de transposition des
directives ou l’articulation entre l’ordre juridique interne national et celui de
l’ordre de l’Union euroépenne
Document 5. CE, Ass., 8 février 2007, Société Arcelor Atlantique Lorraine et
autres
Le cadre juridique des conditions d’invocation des directives communautaires
devant le juge administratif à l’égard des actes administratifs réglementaires
comme non réglementaires.
Document 6. CE, Ass. 30 octobre 2009, Mme Perreux ; a contario de CE Ass. 22
décembre 1978 Cohn-Bendit
La responsabilité de l’Etat du fait des lois inconventionnelles
Document 7. CE, Ass. 8 février 2007 Gardedieu
Le dialogue avec la CJUE, la question préjudicielle
Document 8. Article 267 TFUE.

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Lecture reproduite

G. Odinet, Maître des requêtes au Conseil d'Etat, responsable du centre de


recherches et de diffusion juridiques, Sophie Roussel, Maître des requêtes au
Conseil d'Etat, responsable du centre de recherches et de diffusion juridiques -
Renvoi préjudiciel : le dialogue des juges décomplexé - AJDA 2017 p.740

« Ni capitulation, ni rébellion : dialogue » : ainsi nos prédécesseurs dans ces


colonnes avaient-ils, à travers le titre de leur chronique de la décision rendue par
l'assemblée du contentieux du Conseil d'Etat le 11 décembre 2006, De Groot en
Slot Allium B. V. et autres (n° 234560, Lebon 512 ; AJDA 2007. 136, chron. C.
Landais et F. Lenica ; D. 2007. 994, note O. Steck ; RFDA 2007. 372, concl. F.
Séners ; RTD civ. 2007. 299, obs. P. Remy-Corlay ; RTD eur. 2007. 473, étude F.
Dieu ; ibid. 2008. 835, chron. D. Ritleng, A. Bouveresse et J.-P. Kovar), salué une
nouvelle étape de la relation de la juridiction administrative française avec la Cour
de justice de l'Union européenne (CJUE), appelée de ses voeux dès 1978 par la
formule visionnaire du président Genevois dans ses conclusions sur l'arrêt Cohn-
Bendit.
Dix ans après l'abandon de la jurisprudence ONIC (CE, sect., 26 juill. 1985, n°
42204, Office national interprofessionnel des céréales, Lebon 233)(1), ce dialogue
paraît avoir atteint une nouvelle maturité qu'illustre la décision rendue le 24 février
dernier, remarquable non pas à raison de la nouvelle attitude qu'y aurait adoptée le
juge administratif français vis-à-vis de la juridiction de Luxembourg mais parce
qu'elle est symptomatique des nouvelles modalités du renvoi préjudiciel telles que
le Conseil d'Etat le pratique désormais.

Google Spain et les données sensibles


Les quatre affaires portées devant l'assemblée du contentieux confrontaient pour la
première fois la juridiction administrative à la mise en oeuvre en droit interne du
droit au déréférencement consacré en 2014 par la CJUE, saisie à titre préjudiciel
par l'Audiencia nacional espagnole d'une question d'interprétation de la directive
95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la
protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère
personnel et à la libre circulation des données (CJUE 13 mai 2014, aff. C-131/12,
Google Spain c/ Agencia Española de Protección de Datos, AJDA 2014. 1147,
chron. M. Aubert, E. Broussy et H. Cassagnabère ; D. 2014. 1476, note V.-L.
Benabou et J. Rochfeld ; ibid. 1481, note N. Martial-Braz et J. Rochfeld ; ibid.
2317, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny ; AJCT 2014. 502, obs. O. Tambou
; Constitutions 2014. 218, chron. D. de Bellescize ; RTD eur. 2014. 283, édito. J.-P.

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Jacqué ; ibid. 879, étude B. Hardy ; ibid. 2016. 249, étude O. Tambou ; Rev. UE
2016. 597, étude R. Perray).
Cet arrêt, rendu - pour reprendre les termes du rapporteur public Aurélie
Bretonneau - « à la faveur d'un volontarisme assumé » est marqué d'une triple
audace mise au service de l'objectif de protection efficace et complète des
libertés et droits fondamentaux des personnes physiques, notamment du droit
à la vie privée, à l'égard des traitements de données à caractère personnel.
La première tient au fait d'avoir attrait dans le champ territorial de la directive
l'activité de moteur de recherche exercée par la société Google Inc. depuis les
Etats-Unis, alors que sa filiale Google Spain, présente sur le territoire européen, ne
réalise aucune activité directement liée à l'indexation ou au stockage des données
contenues dans les sites web de tiers et exerce uniquement une activité de
promotion et de vente d'espaces publicitaires. La Cour de justice, qui a relevé que
les activités publicitaires de la filiale servaient à rentabiliser le service offert par le
moteur de recherche exploité hors du territoire européen, a estimé que le traitement
de données exploité par Google Inc. devait être regardé comme effectué « dans le
cadre des activités » de son établissement européen.
La deuxième audace consiste à avoir fait entrer les moteurs de recherche tel celui
de Google dans le champ d'application matériel de la directive en estimant que
leurs exploitants doivent être regardés comme responsables d'un traitement de
données personnelles, c'est-à-dire ceux qui, en vertu du d) de l'article 2 de la
directive, « détermine[nt] les finalités et les moyens du traitement de données à
caractère personnel ». La solution était, en effet, loin d'être évidente, un moteur de
recherche se bornant à présenter en réponse à une requête par mots-clefs effectuée
par un internaute une liste de résultats produite grâce à des algorithmes permettant,
via des liens, l'accès à des contenus préexistants sur le web.
Enfin, par une troisième audace, la CJUE a dit pour droit que les droits de
rectification et d'opposition au traitement consacrés par les articles 12 et 14 de la
directive 95/46/CE incluaient celui d'obtenir de l'exploitant d'un moteur de
recherche qu'il supprime de la liste des résultats affichée à la suite d'une recherche
effectuée à partir du nom d'une personne des liens vers des pages web, publiées par
des tiers et contenant des informations relatives à cette personne. Interprétant les
droits de rectification et d'opposition à la lumière des articles 7 et 8 de la charte des
droits fondamentaux - qui garantissent respectivement le droit au respect de la vie
privée et le droit à la protection des données personnelles - la Cour de justice a ce
faisant consacré, de façon tout à fait prétorienne, un droit au déréférencement,
qualifié également de manière impropre mais parlante de droit à l'oubli. Selon son
arrêt, ce droit, qui n'est pas subordonné au fait que l'inclusion du nom d'une
personne dans une liste de résultats lui cause un préjudice, « préva[ut] en principe,
non seulement sur l'intérêt économique de l'exploitant du moteur de recherche,
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mais également sur l'intérêt de ce public à accéder à l'information lors d'une


recherche portant sur le nom de cette personne », sauf dans l'hypothèse où un
intérêt public prépondérant justifierait que le public ait accès à l'information en
question. En conférant, dans la balance des intérêts en présence, un poids
particulier à l'atteinte portée au droit à la vie privée par rapport aux intérêts de
l'exploitant et au droit à l'information, la CJUE s'écarte de la jurisprudence de la
Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), exprimée notamment dans son
arrêt von Hannover (n° 3) c/ Allemagne (19 sept. 2013, n° 8772/10). Cette
divergence d'approche s'explique pour partie par l'existence, dans l'ordre juridique
de l'Union, d'un droit à la protection des données personnelles garanti par l'article 8
de la charte des droits fondamentaux qui n'a d'équivalent ni dans la convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales
(Conv. EDH), ni dans la jurisprudence de la CEDH.
Forts de ce nouveau droit, les quatre requérants avaient chacun demandé à Google
Inc. de déréférencer certains liens menant vers des pages web, affichés par le
moteur de recherche à la suite d'une requête faite par un internaute à partir de leur
nom. Ces liens renvoyaient respectivement à un photomontage satirique laissant
entendre explicitement que la première requérante entretenait avec le maire dont
elle était alors directrice de cabinet une liaison profitable à sa carrière politique ; à
l'article d'un quotidien national relatif au suicide d'un adepte de l'Eglise de
scientologie et mentionnant l'ancienne qualité de responsable des relations
publiques de cette organisation du deuxième requérant ; à des articles de presse
faisant état d'une information judiciaire ouverte vingt ans auparavant à l'encontre du
troisième requérant sur le financement d'un parti politique, clôturée depuis par une
ordonnance de non-lieu ; à des articles de presse rendant compte de la
condamnation du quatrième requérant pour des faits d'agression sexuelle sur
mineur de 15 ans. A la suite du refus opposé par la société à leurs demandes,
chacun d'eux a saisi la Commission nationale de l'informatique et des libertés
(CNIL) afin que celle-ci mette la société en demeure de procéder aux
déréférencements demandés.
La CNIL, après avoir mis en balance l'atteinte portée à la vie personnelle des
requérants par les informations référencées et l'intérêt de l'accès à ces informations
pour le public, a refusé de procéder à ces mises en demeure. Les requérants ont
alors saisi la juridiction administrative de demandes tendant à l'annulation de ces
refus. Leurs requêtes posaient des questions différentes de celles auxquelles la
CJUE avait répondu dans son arrêt Google Spain, relatif uniquement aux
traitements licites de données personnelles. Les cas litigieux avaient en effet pour
point commun que les liens dont le déréférencement était demandé menaient vers
des pages sources recueillant des données sensibles au sens de l'article 8 de la
directive et de la loi du 6 janvier 1978, c'est-à-dire des données à caractère
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personnel faisant apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou


ethniques, les opinions philosophiques ou religieuses ou l'appartenance syndicale
des personnes ou relatives à la santé ou à la vie sexuelle de celles-ci ou encore des
données relatives à des infractions, condamnations et mesures de sûreté. Leur
traitement est soit interdit, soit strictement encadré. Ces données constituent
cependant une part importante des données référencées par les moteurs de
recherche tels que celui de Google.
Il était bien du niveau de l'assemblée du contentieux, compte tenu de l'ampleur des
enjeux en présence mais aussi des vives critiques qu'a suscitées l'arrêt Google
Spain, d'endosser, au regard de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique,
aux fichiers et aux libertés qui assure en droit interne, quasiment mot pour mot, la
transposition de la directive 95/46/CE, l'œuvre prétorienne triplement audacieuse
de la Cour de Luxembourg sur le droit à l'oubli. C'est ainsi que la décision du 24
février 2017, réitérant fidèlement au regard du droit interne ce que l'arrêt Google
Spain avait dit pour droit, attrait dans le champ territorial de la loi française une
société américaine exerçant ses activités hors du territoire national, fait de
l'exploitant d'un moteur de recherche le responsable d'un traitement de données à
caractère personnel au sens des articles 2 et 3 de la loi du 6 janvier 1978 et consacre
à son tour, sous le timbre des articles 38 et 40 de la même loi relatifs au droit
d'opposition et de rectification des données, l'existence d'un droit au
déréférencement.
L'assemblée tranche, ce faisant, deux importantes questions préalables, l'une sur la
compétence de la CNIL, l'autre sur les modalités du contrôle par le juge de la mise
en œuvre de sa compétence. En premier lieu, alors même que les personnes qui
s'estiment directement lésées dans leur droit peuvent assigner directement un
responsable de traitement de données devant le juge judiciaire, notamment en
référé, la décision du 24 février 2017 rappelle la compétence parallèle de la CNIL,
sur le fondement de l'article 11 de la loi du 6 janvier 1978, pour connaître des
plaintes formées à la suite d'une décision de refus de déréférencement opposée par
l'exploitant d'un moteur de recherche et, le cas échéant, pour mettre en demeure
celui-ci de faire droit à la demande de déréférencement. En second lieu, la décision
précise par une formule inhabituellement explicite à l'intention du public(2) mais
également très certainement à l'intention de la CJUE, que le pouvoir de la CNIL de
mettre en demeure l'exploitant d'un moteur de recherche de déréférencer un lien «
s'exerce, eu égard à la nature des droits individuels en cause, sous l'entier contrôle
du juge de l'excès de pouvoir ».
Alors que, pour obtenir la bonne application d'une réglementation sectorielle, une
autorité de régulation jouit d'une large marge d'appréciation et peut mettre en œuvre
toute une palette de pouvoirs à l'encontre des opérateurs soumis à son contrôle, la
CNIL n'a le choix, face à une demande de déréférencement d'un lien internet
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motivée par le respect d'un droit subjectif, qu'entre deux solutions : mettre en
demeure l'exploitant du moteur de recherche de déréférencer le lien en raison de
l'atteinte excessive portée au respect de la vie privée de l'intéressé ou bien rejeter la
demande. Cette configuration particulière justifie que, sans aller jusqu'à un contrôle
de pleine juridiction, le Conseil d'Etat ait retenu, dans cette hypothèse seulement,
un entier contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qui se distingue du contrôle
restreint habituellement exercé dans les autres cas (v., pour un refus de la CNIL de
saisir le procureur de la République sur le fondement de l'article 40 du code de
procédure pénale, CE 28 mars 1997, n° 182912, Solana ; pour un refus de mettre en
œuvre ses pouvoirs d'enquête, CE 5 déc. 2011, n° 319545, Laffont ; pour le refus de
donner suite à une plainte de l'Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles,
CE, sect., 30 nov. 2007, n° 293952, Tinez c/ Autorité de contrôle des assurances et
des mutuelles et Société Aviva Vie).
En revanche, pour ce qui est des modalités de mise en œuvre du droit à l'oubli issu
de la jurisprudence Google Spain, en particulier du sort à réserver aux demandes de
déréférencement lorsque sont en cause des données sensibles au sens de l'article 8
de la loi du 6 janvier 1978, l'assemblée du contentieux ne tranche rien et renvoie au
contraire la balle à la CJUE afin que celle-ci parachève son oeuvre prétorienne, et
ce alors au demeurant qu'aucune des parties n'avait demandé un tel renvoi.

Sur le seul plan juridique, l'assemblée aurait pu estimer que le cadre juridique
général du droit au déréférencement avait été suffisamment tracé par l'arrêt du 13
mai 2014 et qu'il lui revenait, en tant que juge de l'action, de statuer seule sur les
faits en cause devant elle. C'eût été conforme au partage des rôles rappelé par la
décision De Groot de 2006, selon laquelle il appartient à la juridiction nationale de
qualifier les faits en procédant, le cas échéant, aux investigations contradictoires
qu'elle est à même d'ordonner, sous l'éclairage de la jurisprudence de la Cour. Les
conclusions du rapporteur public, conformes en tout point au dispositif de renvoi
préjudiciel de la décision du 24 février dernier, montraient d'ailleurs que le juge
national aurait pu trancher lui-même toutes les questions et que la Cour
administrative suprême française n'était pas « tenue », au sens de l'article 267 du
traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), de saisir la Cour de
justice.
Plusieurs raisons rendaient cependant toute solution autre qu'un renvoi
préjudiciel inenvisageable.
Alors que le régime de protection des données à caractère personnel dans le cadre
de traitement de données a été défini au niveau européen à travers la directive
95/46/CE du 24 octobre 1995, l'encadrement de l'activité des moteurs de recherche
et le droit au déréférencement résultent exclusivement d'une création prétorienne.
En faisant rentrer aux forceps les moteurs de recherche dans le champ d'application
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matériel de la directive 95/46/CE, la Cour a certes donné un cadre à la protection de


la vie privée mais par une cote juridique taillée davantage pour les traitements
sources que pour les moteurs de recherche : si l'arrêt du 13 mai 2014 prend le soin
de préciser que l'exploitant d'un moteur de recherche doit satisfaire aux exigences
de la directive « dans le cadre de ses responsabilités, de ses compétences et de ses
possibilités », c'est bien que son application intégrale aux moteurs de recherche ne
va pas de soi.
Le règlement n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 7 avril 2016, qui
entrera en vigueur en 2018, a consacré depuis à son article 17, dans le sillage des
obligations déjà contenues dans la directive 95/46/CE qu'il abroge, un droit à
l'effacement de certaines données contenues dans un traitement. Mais il continue
d'ignorer la problématique spécifique des moteurs de recherche et, en ne codifiant
pas la jurisprudence Google Spain, laisse la main au juge pour définir, eu égard aux
responsabilités, aux compétences et aux possibilités des exploitants de moteur de
recherche, quelles sont les garanties qui s'appliquent et selon quelles modalités. En
interprétant les exigences de la directive en matière de données sensibles pour les
adapter aux singularités des exploitants de moteur de recherche, l'assemblée du
contentieux aurait nécessairement été conduite à prendre parti sur le champ
d'application matériel d'un cadre juridique - celui issu de l'article 8 relatif aux
données sensibles, dont le traitement est en principe interdit - qui, résultant de la
directive, a un champ d'application territorial européen. Plus que l'interprétation de
la directive, l'enjeu était d'inviter la Cour à compléter son oeuvre prétorienne, ce
pour quoi elle était évidemment la plus légitime.
Privilégiant la nécessaire uniformité de la formulation d'obligations aux effets
potentiellement vertigineux sur l'économie générale des moteurs de recherche,
l'assemblée du contentieux a choisi de ne trancher seule aucune des questions, y
compris celles sur lesquelles l'hésitation était faible. Ce parti est une marque de
déférence vis-à-vis de la souveraineté juridictionnelle de la Cour de justice et des
juridictions des autres Etats membres. C'est aussi celui de la prudence et de
l'efficacité. D'une part, il évite, à propos d'un contentieux potentiellement de masse,
le risque d'interprétations divergentes parmi les juridictions européennes qu'il
reviendrait de toute façon à la Cour de justice de trancher, sans doute après
plusieurs années de controverses. D'autre part, il a l'avantage de mettre la
juridiction française en position de formuler elle-même les questions, position à
certains égards préférable à celle d'intervenant sur la question préjudicielle posée
par un autre Etat membre.
Les modalités de rédaction de ce renvoi préjudiciel sont remarquables à trois
égards. Elles marquent, derrière l'apparence de dessaisissement que revêt
inévitablement un dispositif de renvoi aussi large que celui retenu, la discrète mais

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ferme volonté du juge national de prendre la main pour organiser la discussion avec
le juge de l'Union.
En premier lieu, la décision du 24 février 2017 est marquée par la volonté
d'incarner le plus possible les questions posées avec des cas concrets, au risque
d'ailleurs, une fois que la CJUE se sera prononcée, que le Conseil d'Etat n'ait plus
grand chose à juger(3). Le panel des quatre affaires portées par la 10e chambre de
la section du contentieux devant l'assemblée permettait d'aborder différents aspects
de l'application du droit au déréférencement. Si le dispositif de la décision énonce
comme il se doit les questions de façon abstraite, ses motifs se réfèrent, en
revanche, aux litiges concrets à plusieurs reprises, afin d'éclairer complètement la
Cour sur les ressorts des questions posées et de l'amener à y répondre de la façon la
plus concrète et opérationnelle possible.
On relèvera en deuxième lieu le nombre - huit, un record - et le degré de précision
des questions posées. De façon peu habituelle, l'assemblée du contentieux soumet à
la Cour de justice un arbre de décisions particulièrement touffu, organisé autour
d'un embranchement central dont les conséquences sont ensuite déclinées pour
chacun des cas de figure rencontré. Ce faisant, le Conseil d'Etat invite la Cour à ne
pas s'en tenir à une réponse globale à la question centrale posée par les litiges -
applicabilité ou non aux exploitants de moteur de recherche, en tant que
responsables de traitement, de l'article 8 de la directive, formulée en premier dans
la décision du Conseil d'Etat - et fait en sorte au contraire de guider la CJUE pour
que celle-ci tire toutes les conséquences de son interprétation très sollicitée de la
directive et aille au bout du raisonnement finaliste engagé.
Enfin, le Conseil d'Etat n'a pas hésité à faire connaître à la Cour de justice, au
travers d'un marqueur rédactionnel certes discret, sa préférence pour l'une des deux
solutions envisageables. Par une incise faisant mention des « conséquences
manifestement excessives qui s'attacheraient au fait de faire peser une telle
interdiction [interdiction de traitement de données sensibles énoncée à l'article 8 de
la directive] sur l'exploitant d'un moteur de recherche compte tenu de ses
responsabilités », l'assemblée du contentieux s'engage en faveur de la non-
applicabilité de l'article 8 et amorce un début de justification. Cette perche pourra
être d'autant plus facilement saisie par la Cour qu'elle marque l'adhésion de la
formation de jugement à la préférence exprimée de façon beaucoup plus nourrie par
le rapporteur public dans ses conclusions.

Les trois figures du renvoi préjudiciel


La décision Mme C. et autres, par les caractéristiques qui viennent d'être rappelées,
témoigne de la volonté du Conseil d'Etat d'utiliser l'intégralité des règles du jeu du
renvoi préjudiciel, désormais acceptées, depuis la décision De Groot, sans arrière-
pensées. Un temps révélateur de la posture de repli national adoptée par le juge
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administratif français vis-à-vis de la Cour de justice, le maniement de la question


préjudicielle a toujours été pour le Conseil d'Etat un instrument privilégié de la
politique des rapports entre juridictions. La perspective a toutefois été, depuis l'arrêt
De Groot, renversée. On ne peut, pour rendre compte de la nouvelle attitude «
décomplexée » du juge administratif français vis-à-vis de la Cour de justice, faire
complètement abstraction de la summa divisio de l'article 267 du TFUE entre les
renvois en interprétation et les renvois en appréciation de validité. Les enjeux sous-
jacents sont, en effet, très différents. Dans le premier cas, le renvoi préjudiciel naît
de l'interrogation du juge national sur la mesure dans laquelle le droit de l'Union «
saisit » ou doit saisir le droit interne, et sur les conséquences qu'il faut en tirer.
Dans le second, le renvoi est mis au service des principes d'effectivité et de
primauté, qui ne valent que sous réserve de la validité des actes de l'Union.
L'évolution est moins quantitative - le nombre de renvois préjudiciels par la France
n'a pas particulièrement augmenté depuis 2006(4) - que qualitative. Il est possible
d'en rendre compte autour des trois figures suivantes : celle de l'interlocuteur zélé,
celle de l'interlocuteur autonome et celle, enfin, de l'interlocuteur proactif.
La figure de l'interlocuteur zélé correspond aux hypothèses dans lesquelles le
Conseil d'Etat a, de sa propre initiative, cherché à travers le renvoi préjudiciel à
maximiser la portée des principes de primauté et d'effectivité du droit de l'Union.
On pense à la translation, sur le terrain communautaire, d'un litige mettant en cause
la constitutionnalité d'un décret et conduisant à saisir la Cour de justice d'une
question préjudicielle sur la validité de la directive transposée par le décret attaqué
au regard du principe général communautaire d'égalité, opéré par la jurisprudence
Arcelor (CE, ass., 8 févr. 2007, n° 287110, Société Arcelor Atlantique et Lorraine ;
v., pour une application dans un cas où était en cause le principe de précaution, CE
3 oct. 2016, n° 388649, Confédération paysanne). On pense encore à la solution
retenue par l'assemblée du contentieux lorsque l'appréciation du caractère sérieux
d'une question prioritaire de constitutionnalité dépend de l'interprétation préalable
d'une directive soulevant une difficulté sérieuse (CE, ass., 31 mai 2016, n° 393881 ;
CE 27 juin 2016, n° 398585, Société APSIS). On pense aussi au renvoi préjudiciel
en interprétation auquel le Conseil d'Etat a procédé par sa décision du 4 mars 2009
(n° 310979, Société fiduciaire nationale d'expertise comptable, Lebon T. 603-654-
929) « à titre préventif », pour interroger la Cour sur la portée d'une interdiction
issue d'une directive non encore transposée. Tantôt loué en raison de la complète
appropriation par le Conseil d'Etat de son office de juge de droit commun de
l'application du droit de l'Union dont il témoigne, ce zèle a aussi été dénoncé
comme une forme d'activisme dans l'abandon de la souveraineté juridictionnelle, en
particulier lorsque est en cause, comme dans les jurisprudences Arcelor ou Jacob,
l'articulation du mécanisme préjudiciel avec le contrôle de constitutionnalité.

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La figure de l'interlocuteur autonome fait référence aux cas dans lesquels le Conseil
d'Etat s'est reconnu une forme de légitimité à traiter seul certaines questions, y
compris dans des hypothèses où était en cause la validité d'actes de l'Union, en
s'appropriant les logiques de raisonnement de la Cour. Cette autonomie, qui est
aussi la marque du degré de maturité qu'a atteint la relation entre le Conseil d'Etat
et la CJUE, peut revêtir des formes plus ou moins coopératives. Par la décision
Conseil national des barreaux (CE, sect., 10 avr. 2008, n° 296845, Conseil national
des barreaux, Conseil des barreaux européens, Lebon 129, avec les concl.), le
Conseil d'Etat a admis, sans renvoyer la question à la CJUE, la validité d'une
directive au regard des exigences de l'article 8 de la Conv. EDH - alors attrait dans
le « bloc de communautarité » par le biais des principes généraux du droit
communautaire - en transposant le raisonnement qu'avait tenu la Cour de justice à
propos de la même directive sur renvoi d'une autre juridiction au regard de l'article
6. Plus récemment, le Conseil d'Etat ne s'est pas cru tenu, au vu de la jurisprudence
de la CEDH sur des droits de portée équivalente à ceux protégés dans la charte des
droits fondamentaux(5) et, jusqu'en 2009, incorporés dans les principes généraux
du droit de l'Union, de saisir la Cour d'un renvoi en appréciation de validité de la
disposition d'une directive dont il était soutenu qu'elle était contraire à la Conv.
EDH (CE 20 juin 2016, n° 383333). A l'inverse, par la décision Quintanel (CE,
ass., 27 mars 2015, n° 372426 ; RFDA 2015. 550, concl. B. Dacosta), le Conseil
d'Etat, assumant pleinement ses responsabilités, s'est senti légitime, à propos du
bénéfice systématiquement réservé aux femmes de la bonification pour enfant en
matière de pensions, à marquer une différence d'appréciation avec la jurisprudence
de la Cour de justice du 17 juillet 2014, Leone c/ France (aff. C-173/13, AJDA
2014. 1519, et2295).
La figure de l'interlocuteur proactif fait référence à toutes les occasions, de plus en
plus nombreuses, dans lesquelles le Conseil d'Etat a utilisé le renvoi préjudiciel,
tout particulièrement le renvoi en interprétation, pour chercher à orienter ou à faire
évoluer la jurisprudence de la Cour. Dans ce dialogue, la juridiction nationale est de
moins en moins le relais passif d'une interrogation sur la portée d'un acte de l'Union
ou d'une jurisprudence de la Cour de justice mais s'affirme véritablement comme
un partenaire, qui n'hésite plus à guider la Cour par des questions détaillées ou à
émettre un avis pour tenter de peser sur la réponse qui sera apportée à sa question.
La décision Mme C. et autres, en dépit des apparences et pour les raisons qui ont
été dites, en est une illustration. Il arrive également, dans le cadre de ce dialogue
proactif et itératif, que le Conseil d'Etat suggère à son partenaire européen de revoir
sa position. Par exemple, s'estimant en mesure d'inviter la CJUE à consentir une
évolution de jurisprudence, le Conseil d'Etat a, par la décision France nature
environnement du 26 juin 2015 (n° 360212, Lebon T.), interrogé la Cour sur la
question de savoir si, eu égard à son arrêt du 28 février 2012, Inter-Environnement
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Wallonie et autre (aff. C-41/11), le juge national doit dans tous les cas la saisir à
titre préjudiciel afin que celle-ci apprécie s'il y a lieu de maintenir provisoirement
en vigueur des dispositions jugées contraires au droit de l'Union par la juridiction
nationale. Le dialogue a été fructueux puisque la Cour a admis dans sa réponse
(CJUE 28 juill. 2016, aff. C-379/15, Association France nature environnement c/
Premier ministre et ministre de l'écologie, du développement durable et de
l'énergie,) qu'une juridiction nationale peut, lorsque le droit interne le permet,
exceptionnellement et au cas par cas, limiter dans le temps certains effets d'une
déclaration d'illégalité d'une disposition du droit national adoptée en
méconnaissance des obligations prévues par une directive et à la condition qu'une
telle limitation s'impose par une considération impérieuse et compte tenu des
circonstances spécifiques de l'affaire dont elle est saisie. Le Conseil d'Etat en a tiré
les conséquences dans une décision du 3 novembre 2016 (n° 360212).
Ces tentatives sont parfois plus incertaines : par ses décisions du 30 décembre 2015
(nos 374841, 378836, Société Holcim France, Société Enka, et n° 369311, Société
Euro Park Service, inédites au Lebon), le Conseil d'Etat a interrogé la Cour de
justice sur la question de savoir si, lorsqu'une législation nationale d'un Etat
membre utilise en droit interne la marge de manœuvre que lui laissent les
dispositions permissives d'une directive, il y a place pour un contrôle des actes ou
des accords pris pour la mise en œuvre de cette faculté au regard du droit primaire
de l'Union, en particulier la charte des droits fondamentaux. Alors qu'un certain
nombre de décisions de la CJUE ont retenu une acception extensive du champ
d'application du droit de l'Union, le Conseil d'Etat a posé ces questions afin d'offrir
à la Cour une occasion d'infléchir sa jurisprudence. La réponse apportée depuis lors
par la Cour de justice à une question préjudicielle du Royaume-Uni (CJUE, gr. ch.,
21 déc. 2016, aff. C-698/15, Post-och telstyrelsen et Secretary of State for the
Home Department c/ T. Watson et autres, § 71 et s.) ne laisse toutefois que peu
d'espoir sur l'issue de cette entreprise.

Le maniement de la question préjudicielle est autant une question de rapports entres


systèmes juridiques que de rapports entre juridictions. Les trois figures que nous
avons esquissées attestent du degré de maturité de ces relations. La juridiction
administrative suprême n'hésite plus, lorsqu'elle l'estime nécessaire ou simplement
opportun, à saisir la Cour de justice, sans crainte pour sa souveraineté
juridictionnelle. Elle n'hésite pas davantage, assumant ses responsabilités, à ne pas
la saisir lorsqu'elle estime un renvoi superflu. Ni dessaisissement dans l'exercice du
pouvoir juridictionnel, ni confiscation : dialogue.

(1) Sous l'empire de la jurisprudence ONIC du 26 juillet 1985, le Conseil d'Etat


jugeait que les appréciations portées à titre préjudiciel par la Cour de justice ne
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s'imposaient au juge qui l'avait saisie que dans la mesure où elles entraient dans les
limites de la question posée par le juge. (2) Dont la juridiction administrative a,
depuis plusieurs années, davantage le souci. (3) Ce qui, à une époque où le Conseil
d'Etat pratiquait parfois la question préjudicielle avec une forme de retenue, aurait
été plus difficilement concevable. (4) Cour de justice de l'Union européenne,
Rapport annuel 2015, Activité judiciaire, p. 99. (5) V. le paragraphe 3 de l'article 52
de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

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Documents reproduits.

Les textes
Document 1 : Articles 52 à 55 de la Constitution du 4 octobre 1958

TITRE VI
DES TRAITÉS ET ACCORDS INTERNATIONAUX
Article 52
Le Président de la République négocie et ratifie les traités.
Il est informé de toute négociation tendant à la conclusion d’un accord international
non soumis à ratification.
Article 53
Les traités de paix, les traités de commerce, les traités ou accords relatifs à
l’organisation internationale, ceux qui engagent les finances de l’État, ceux qui
modifient des dispositions de nature législative, ceux qui sont relatifs à l’état des
personnes, ceux qui comportent cession, échange ou adjonction de territoire, ne
peuvent être ratifiés ou approuvés qu’en vertu d’une loi.
Ils ne prennent effet qu’après avoir été ratifiés ou approuvés.
Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n’est valable sans le
consentement des populations intéressées.
Article 53-1
La République peut conclure avec les États européens qui sont liés par des
engagements identiques aux siens en matière d’asile et de protection des Droits de
l’Homme et des libertés fondamentales, des accords déterminant leurs compétences
respectives pour l’examen des demandes d’asile qui leur sont présentées.
Toutefois, même si la demande n’entre pas dans leur compétence en vertu de ces
accords, les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout
étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la
protection de la France pour un autre motif.
Article 53-2
La République peut reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale dans
les conditions prévues par le traité signé le 18 juillet 1998.
Article 54
Si le Conseil constitutionnel, saisi par le Président de la République, par le Premier
ministre, par le président de l’une ou l’autre assemblée ou par soixante députés ou
soixante sénateurs, a déclaré qu’un engagement international comporte une clause
contraire à la Constitution, l’autorisation de ratifier ou d’approuver l’engagement
international en cause ne peut intervenir qu’après la révision de la Constitution.
Article 55
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Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur


publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque
accord ou traité, de son application par l’autre partie.

Le refus du CE de contrôler la conventionalité des lois


Document 2 : Conseil d'Etat, Sect., 1 mars 1968, Syndicat général des
fabricants de semoules de France
Requête du syndicat général des fabricants de semoules de France, tendant a
l'annulation pour excès de pouvoir, des décisions du ministre de l'agriculture
autorisant en franchise du prélèvement prévu par le règlement n° 19 de la
communauté économique européenne, l'importation en France de 400 000 quintaux
de semoules en provenance d'Algérie entre le 1er novembre 1963 et le 31 octobre
1964 ;
Vu le règlement n° 19 du conseil de la communauté économique européenne en
date du 4 avril 1962 ; la loi du 13 avril 1962 ensemble l'article 50 de la loi du 15
janvier 1963 ; l'ordonnance du 19 septembre 1962 ; le décret du 27 janvier 1962 ; le
décret du 28 juillet 1962 ; l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30
septembre 1953 ; le code général des impôts ;
considérant que la requête susvisée du syndicat général des fabricants de semoules
de France doit être regardée comme dirigée non seulement contre la décision en
date du 20 décembre 1963 par laquelle le ministre de l'agriculture a autorisé
l'importation en France de 400 000 quintaux de semoules de blé en provenance
d'Algérie, mais aussi contre la décision du même ministre qui précise, le 23 janvier
1964, que cette importation n'est pas soumise au prélèvement prévu par le
règlement n° 19 de la communauté économique européenne ;
Sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre
des affaires étrangères et le ministre de l'agriculture : - cons. que l'article 1er de
l'ordonnance du 19 septembre 1962 relative au régime douanier des échanges entre
l'Algérie et la France, laquelle a été prise en vertu des pouvoirs conférés au
président de la république par la loi du 13 avril 1962, dispose : "jusqu'a la date de
mise en application du statut prévu par le titre ii de la déclaration de principes
relative à la coopération économique et financière du 19 mars 1962, les
marchandises en provenance d'Algérie demeurent soumises, dans les conditions
précédemment fixées, au régime douanier qui leur était applicable avant le 3 juillet
1962 en vertu des articles 1er, 303 et 304 du code des douanes" ; que ces
dispositions, qui ont valeur législative aux termes de l'article 50 de la loi du 15
janvier 1963, ont maintenu, a titre transitoire, en ce qui concerne l'entrée en
France de marchandises en provenance d'Algérie, le régime douanier en
vigueur avant l'accession de l'Algérie a l'indépendance ; que, sous ce régime,
l'entrée en France de produits céréaliers en provenance de l'Algérie, qui était
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alors incluse dans le territoire douanier français, n'était pas soumise ni aux
droits de douane, et ne l'aurait pas été au prélèvement que le décret du 28
juillet 1962 a substitue à ces droits en application du règlement n° 19 de la
communauté économique européenne ; que, par suite, les dispositions précitées
de l'ordonnance du 19 septembre 1962 font obstacle a ce que ce prélèvement soit
opéré et à ce que la possession du certificat prévu a l'article 8 du décret du 27
janvier 1962, pour l'importation des céréales sur le territoire douanier français,
puisse être exigée a l'occasion de l'entrée de ces marchandises sur le territoire
métropolitain de la France et sur celui des départements d'outre-mer ; que, des lors,
le syndicat requérant n'est pas fondé à soutenir qu'en prenant les décisions attaques,
le ministre de l'agriculture a excédé ses pouvoirs ;
Rejet avec dépens.

L’acceptation du contrôle de conventionnalité des lois


Document 3. Conseil d'Etat, Assemblée, 20 octobre 1989, Nicolo
Vu la requête, enregistrée le 27 juin 1989 au secrétariat du Contentieux du Conseil
d'Etat, présentée par M. Raoul Georges Z..., demeurant ..., et tendant à l'annulation
des opérations électorales qui se sont déroulées le 18 juin 1989 en vue de l'élection
des représentants au Parlement européen,
Vu les autres pièces du dossier ; (…)
Sur les conclusions de la requête de M. Z... :
Considérant qu'aux termes de l'article 4 de la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative
à l'élection des représentants à l'Assemblée des communautés européennes "le
territoire de la République forme une circonscription unique" pour l'élection des
représentants français au Parlement européen ; qu'en vertu de cette disposition
législative, combinée avec celles des articles 2 et 72 de la Constitution du 4 octobre
1958, desquelles il résulte que les départements et territoires d'outre-mer font partie
intégrante de la République française, lesdits départements et territoires sont
nécessairement inclus dans la circonscription unique à l'intérieur de laquelle il est
procédé à l'élection des représentants au Parlement européen ;
Considérant qu'aux termes de l'article 227-1 du traité en date du 25 mars 1957
instituant la Communauté Economique Européenne : "Le présent traité
s'applique ... à la République française" ; que les règles ci-dessus rappelées,
définies par la loi du 7 juillet 1977, ne sont pas incompatibles avec les stipulations
claires de l'article 227-1 précité du traité de Rome ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les personnes ayant, en vertu
des dispositions du chapitre 1er du titre 1er du livre 1er du code électoral, la
qualité d'électeur dans les départements et territoires d'outre-mer ont aussi
cette qualité pour l'élection des représentants au Parlement européen ; qu'elles
sont également éligibles, en vertu des dispositions de l'article L.O. 127 du code
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électoral, rendu applicable à l'élection au Parlement européen par l'article 5


de la loi susvisée du 7 juillet 1977 ; que, par suite, M. Z... n'est fondé à soutenir
ni que la participation des citoyens français des départements et territoires
d'outre-mer à l'élection des représentants au Parlement européen, ni que la
présence de certains d'entre-eux sur des listes de candidats auraient vicié
ladite élection ; que, dès lors, sa requête doit être rejetée ;
Sur les conclusions du ministre des départements et territoires d'outre-mer tendant à
ce que le Conseil d'Etat inflige une amende pour recours abusif à M. Z... :
Considérant que des conclusions ayant un tel objet ne sont pas recevables ;
Article 1er : La requête de M. Z... et les conclusions du ministre des départements
et des territoires d'outre-mer tendant à ce qu'une amende pour recours abusif lui
soit infligée sont rejetées. Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Z..., à
M. de X..., mandataire de la liste l'Union U.D.F.-R.P.R., aux mandataires de la liste
de rassemblement présentée par le Parti Communiste Français, de la liste du Centre
pour l'Europe, de la liste Majorité de Progrès pour l'Europe, de la liste Les Verts
Europe-Ecologie et de la liste Europe et Patrie et au ministre de l'intérieur.
Analyse du CE, https://www.conseil-etat.fr/decisions-de-justice/jurisprudence/les-
grandes-decisions-depuis-1873/conseil-d-etat-assemblee-20-octobre-1989-nicolo

La supériorité de la Constitution dans l’ordre juridique interne sur les traités


Document 4. CE, Ass., 30 octobre 1998, Sarran et Levacher, n° 200286
Vu 1°), sous le n° 200 286, la requête, enregistrée le 7 octobre 1998 au secrétariat
du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Claude Sarran, demeurant ... ;
M. Sarran demande au Conseil d'Etat : - d'annuler le décret en date du 20 août
1998 portant organisation de la consultation des populations de la Nouvelle-
Calédonie prévue par l'article 76 de la Constitution ; - de décider qu'il sera sursis à
l'exécution de ce décret ; - d'enjoindre à l'Etat, sous astreinte de 1 000 000 F par
jour de retard, de procéder à la rectification de la liste électorale et à sa publication
avant le 29 octobre 1998 ;
Vu 2°), sous le n° 200 287, la requête, enregistrée au secrétariat du Contentieux du
Conseil d'Etat le 7 octobre 1998, présentée par M. François Levacher,
demeurant ..., Mme Nadine AURIAC, demeurant ..., Mme Jocelyne BURET,
demeurant ..., M. Raymond BUSTON, demeurant ..., Mme Sophie BUSTON,
demeurant ..., M. Yves CORMIER, demeurant ..., M. Franck DELACHARLERY,
demeurant ..., Mme Charline FABRE, demeurant ..., Mme Marie-Hélène GILLOT,
demeurant ..., Mme Jacqueline LAMBINET, demeurant ..., M. Philippe LOUBET,
demeurant ..., Mme Marie-Christine MARIDAS, demeurant ..., Mme Colette
MEILLAC, demeurant ..., M. Jean PHILIZOT, demeurant ..., M. Gilles SAROTTE,
demeurant ..., M. Thierry SCHMIDT, demeurant ... ; M. Levacher et les autres
requérants demandent au Conseil d'Etat : - d'annuler le décret en date du 20 août
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1998 portant organisation de la consultation des populations de la Nouvelle-


Calédonie prévue par l'article 76 de la Constitution ; - de décider qu'il sera sursis à
l'exécution de ce décret ; - d'enjoindre à l'Etat, sous astreinte de 1 000 000 F par
jour de retard, de procéder à la rectification de la liste électorale et à sa publication
avant le 29 octobre 1998 ;
Vu les autres pièces des dossiers ; Vu la Constitution modifiée notamment par la loi
constitutionnelle du 20 juillet 1998 ; Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre
1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ; Vu le pacte international
relatif aux droits civils et politiques ; Vu la Convention européenne de sauvegarde
des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble le protocole
additionnel n° 1 à cette convention ; Vu le code civil ; Vu le code électoral ; Vu le
nouveau code de procédure civile ; Vu la loi n° 88-1028 du 9 novembre 1988 ; Vu
la loi n° 80-539 du 16 juillet 1980 modifiée notamment par la loi n° 95-125 du 8
février 1995 ; Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934
du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique : - le rapport de Mme Prada Bordenave,
Maître des Requêtes, - les conclusions de Mme Maugüé, Commissaire du
gouvernement ;
Considérant que la requête de M. Claude Sarran et celle de M. François Levacher
et des autres personnes dont il est le mandataire unique sont dirigées contre un
même décret ; qu'il y a lieu de les joindre pour qu'il soit statué par une même
décision ;
Sur les interventions de l'Association de défense du droit de vote et de Mme Tastet
et autres :
Considérant que l'Association de défense du droit de vote ainsi que Mme Tastet et
les autres personnes dont elle est le mandataire ont intérêt à l'annulation du décret
attaqué ; qu'ainsi, leurs interventions sont recevables ;
Sur les conclusions à fin d'annulation du décret attaqué :
Considérant que l'article 76 de la Constitution, dans la rédaction qui lui a été
donnée par l'article 2 de la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998 énonce, dans
son premier alinéa, que : Les populations de la Nouvelle-Calédonie sont appelées à
se prononcer avant le 31 décembre 1998 sur les dispositions de l'accord signé à
Nouméa le 5 mai 1998 et publié le 27 mai 1998 au Journal officiel de la
République française ; qu'en vertu du deuxième alinéa de l'article 76 : Sont admises
à participer au scrutin les personnes remplissant les conditions fixées à l'article 2
de la loi n° 88-1028 du 9 novembre 1988 ; qu'enfin, aux termes du troisième alinéa
de l'article 76 : Les mesures nécessaires à l'organisation du scrutin sont prises
par décret en Conseil d'Etat délibéré en Conseil des ministres ; que le décret du
20 juillet 1998 a été pris sur le fondement de ces dernières dispositions ; ->
Décret pris sur le fdm de la C°
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En ce qui concerne les moyens de légalité externe : (…)


En ce qui concerne les moyens de légalité interne :
Quant aux moyens dirigés contre les articles 3 et 8 du décret attaqué :
Considérant que l'article 3 du décret du 20 août 1998 dispose que : Conformément
à l'article 76 de la Constitution et à l'article 2 de la loi du 9 novembre 1988 (...)
sont admis à participer à la consultation du 8 novembre 1998 les électeurs inscrits
à cette date sur les listes électorales du territoire et qui ont leur domicile en
Nouvelle-Calédonie depuis le 6 novembre 1988 ; qu'il est spécifié que : Sont
réputées avoir leur domicile en Nouvelle-Calédonie alors même qu'elles
accomplissent le service national ou poursuivent un cycle d'études ou de formation
continue hors du territoire, les personnes qui avaient antérieurement leur domicile
dans le territoire ; que l'article 8 du décret précise dans son premier alinéa, que la
commission administrative chargée de l'établissement de la liste des personnes
admises à participer à la consultation, inscrit sur cette liste les électeurs
remplissant à la date de la consultation la condition de domicile exigée par
l'article 2 de la loi du 9 novembre 1988 ;
Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, le deuxième alinéa de l'article 76 de
la Constitution dispose que : Sont admises à participer au scrutin les personnes
remplissant les conditions fixées à l'article 2 de la loi n° 88-1028 du 9 novembre
1988 ; que ce dernier article exige que les intéressés soient domiciliés en Nouvelle-
Calédonie depuis le 6 novembre 1988, sous réserve des exceptions qu'il énumère
dans son second alinéa et qui sont reprises par l'article 3 du décret attaqué ; qu'ainsi,
les articles 3 et 8 dudit décret, loin de méconnaître l'article 76 de la
Constitution en ont fait une exacte application ;
Considérant que l'article 76 de la Constitution ayant entendu déroger aux autres
normes de valeur constitutionnelle relatives au droit de suffrage, le moyen tiré de ce
que les dispositions contestées du décret attaqué seraient contraires aux articles 1er
et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, à laquelle renvoie le
préambule de la Constitution ou à l'article 3 de la Constitution ne peut qu'être
écarté ;
Considérant que si l'article 55 de la Constitution dispose que les traités ou
accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une
autorité supérieure à celle des lois sous réserve, pour chaque accord ou traité,
de son application par l'autre partie, la suprématie ainsi conférée aux
engagements internationaux ne s'applique pas, dans l'ordre interne, aux
dispositions de nature constitutionnelle ; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que le
décret attaqué, en ce qu'il méconnaîtrait les stipulations d'engagements
internationaux régulièrement introduits dans l'ordre interne, serait par là
même contraire à l'article 55 de la Constitution, ne peut lui aussi qu'être
écarté ;
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Considérant que si les requérants invitent le Conseil d'Etat à faire prévaloir


les stipulations des articles 2, 25 et 26 du pacte des Nations unies sur les droits
civils et politiques, de l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde
des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3 du
protocole additionnel n° 1 à cette convention, sur les dispositions de l'article 2
de la loi du 9 novembre 1988, un tel moyen ne peut qu'être écarté dès lors que
par l'effet du renvoi opéré par l'article 76 de la Constitution aux dispositions
dudit article 2, ces dernières ont elles-mêmes valeur constitutionnelle ; JA
refuse de faire prévaloir des dispositions externes sur des dispositions interne s
prise sur le fdm de la constitution = Supériorité de la C° sur les T inter dans
ordre Interne -> Sup des T sur normes législative okay mais sur norme C°
donc
JA fait prévaloir son A.A. pris sur fmd C° au-dessus des NE
Considérant enfin que, dans la mesure où les articles 3 et 8 du décret attaqué ont
fait une exacte application des dispositions constitutionnelles qu'il incombait à
l'auteur de ce décret de mettre en oeuvre, ne sauraient être utilement invoquées à
leur encontre ni une méconnaissance des dispositions du code civil relatives aux
effets de l'acquisition de la nationalité française et de la majorité civile ni une
violation des dispositions du code électoral relatives aux conditions d'inscription
d'un électeur sur une liste électorale dans une commune déterminée ;
Quant aux moyens dirigés contre l'article 13 du décret attaqué :
Considérant que l'article 13 du décret attaqué rend applicables à la contestation de
l'établissement de la liste des personnes habilitées à participer au scrutin du 8
novembre 1998, les dispositions du code électoral relatives aux voies de recours
ouvertes en cas de révision annuelle des listes électorales, moyennant un
agencement particulier des délais ;
Considérant qu'il résulte du rapprochement des dispositions de l'article 13 du décret
attaqué et des autres dispositions de ce décret que la commission administrative
d'inscription créée auprès de chaque bureau de vote et présidée par un magistrat de
l'ordre judiciaire ne peut refuser d'inscrire un électeur sur la liste des personnes
admises à participer à la consultation sans avoir mis l'intéressé à même de présenter
ses observations ; qu'il y a lieu de relever également que la consultation des
populations intéressées vise un corps électoral défini dans son principe par l'article
2 de la loi du 9 novembre 1988 ; que, comme le prévoit l'article R. 15-2 du code
électoral dont l'application est prescrite par le décret attaqué, le pourvoi en
cassation contre le jugement du tribunal de première instance peut être formé par
une déclaration orale ou écrite que la partie ou tout mandataire a la faculté
d'adresser au secrétariat-greffe de ce tribunal ; qu'enfin, le décret attaqué ne fait pas
obstacle à ce que puissent recevoir application les dispositions du deuxième alinéa
de l'article 47 de l'ordonnance du 31 juillet 1945 sur le Conseil d'Etat qui
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21

permettent, en l'espèce, de présenter la requête d'appel au secrétariat-greffe du


tribunal administratif ;
Considérant qu'eu égard à ces divers éléments et compte tenu de la nature des
contestations susceptibles d'être portées devant les juridictions compétentes, les
délais de saisine de ces juridictions fixées par le décret attaqué n'ont pas,
nonobstant leur brièveté, porté atteinte au droit des personnes intéressées d'exercer
un recours effectif devant une juridiction conformément aux principes généraux du
droit ;
Considérant qu'en raison de la nature des questions soumises au tribunal de
première instance, le délai de cinq jours qui lui est imparti pour statuer ne
contrevient pas, par lui-même, au principe du caractère contradictoire de la
procédure ;
Considérant que les contestations des requérants, relatives à l'inscription sur la
liste des personnes admises à participer au scrutin, portent sur l'exercice de droits
politiques et non sur des droits et obligations de caractère civil au sens de la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales ; que, par suite, le moyen tiré de la violation des stipulations de
l'article 6 1 de cette convention ne peut qu'être écarté ;
Considérant que les règles fixées par le décret attaqué sont distinctes des règles
applicables à l'inscription sur la liste électorale d'une commune en dehors des
périodes de révision ; que, dès lors, le moyen tiré de la violation des dispositions du
code électoral applicables à cette dernière procédure et notamment de celles de son
article L. 35 sur le délai du recours en cassation, est inopérant à l'encontre du décret
attaqué ;
Considérant que l'institution en matière de procédure d'un délai de distance pour
saisir une juridiction applicable aux requérants domiciliés en dehors de la France
métropolitaine, ne procède pas d'un principe général du droit dont le respect
s'imposerait au pouvoir réglementaire, même en l'absence de texte ; que si l'article
643 du nouveau code de procédure civile annexé au décret en Conseil d'Etat du 5
décembre 1975 a institué un semblable délai, son application est, en tout état de
cause, exclue en matière d'élections, en vertu de l'article 645 du code, sauf
disposition expresse le prévoyant ; que, dans ces conditions, le décret attaqué, en
s'abstenant de prévoir un tel délai, n'est pas entaché d'illégalité ;
Considérant que de l'ensemble de ce qui précède, il résulte que les conclusions
tendant à l'annulation du décret doivent être rejetées ;
Sur les conclusions aux fins de sursis à exécution :
Considérant qu'il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions aux fins de sursis à
exécution ;
Sur les conclusions tendant à ce que le Conseil d'Etat prononce une injonction
assortie d'une astreinte :
© Béatrice BOISSARD, Maître de conférences de droit public, HDR.
Chargé(e)s de TD : Mme SAYEDOFF et Mrs. BARRE, VANGELE et SORHO.
22

Considérant que ces conclusions doivent être rejetées par voie de conséquence du
rejet des conclusions aux fins d'annulation ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article 75-I de la loi n° 91-647 du 10
juillet 1991 :
Considérant que les dispositions de l'article 75-I de la loi n° 91-647 du 10 juillet
1991 font obstacle à que l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie
perdante, soit condamné à verser aux requérants les sommes qu'ils réclament au
titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
DECIDE : Article 1er : Les interventions de l'Association de défense du droit de
vote et de Mme Tastet et autres sont admises. Article 2 : Les requêtes de M. Sarran
et de M. Levacher et autres sont rejetées. Article 3 : La présente décision sera
notifiée à…
Analyse du CE, https://www.conseil-etat.fr/decisions-de-justice/jurisprudence/les-
grandes-decisions-depuis-1873/conseil-d-etat-assemblee-30-octobre-1998-sarran-
et-levacher

Le contrôle de constitutionnalité des actes internes de transposition des


directives
Document 5. CE ass., 8 février 2007, Société Arcelor Atlantique Lorraine et
autres
[…] Considérant que si, aux termes de l'article 55 de la Constitution, " les traités ou
accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité
supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son
application par l'autre partie ", la suprématie ainsi conférée aux engagements
internationaux ne saurait s'imposer, dans l'ordre interne, aux principes et
dispositions à valeur constitutionnelle ; qu'eu égard aux dispositions de l'article 88-
1 de la Constitution, selon lesquelles " la République participe aux Communautés
européennes et à l'Union européenne, constituées d'Etats qui ont choisi librement,
en vertu des traités qui les ont instituées, d'exercer en commun certaines de leurs
compétences ", dont découle une obligation constitutionnelle de transposition des
directives, le contrôle de constitutionnalité des actes réglementaires assurant
directement cette transposition est appelé à s'exercer selon des modalités
particulières dans le cas où sont transposées des dispositions précises et
inconditionnelles ; qu'alors, si le contrôle des règles de compétence et de procédure
ne se trouve pas affecté, il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen
tiré de la méconnaissance d'une disposition ou d'un principe de valeur
constitutionnelle, de rechercher s'il existe une règle ou un principe général du
droit communautaire qui, eu égard à sa nature et à sa portée, tel qu'il est
interprété en l'état actuel de la jurisprudence du juge communautaire,
garantit par son application l'effectivité du respect de la disposition ou du
© Béatrice BOISSARD, Maître de conférences de droit public, HDR.
Chargé(e)s de TD : Mme SAYEDOFF et Mrs. BARRE, VANGELE et SORHO.
23

principe constitutionnel invoqué ; que, dans l'affirmative, il y a lieu pour le


juge administratif, afin de s'assurer de la constitutionnalité du décret, de
rechercher si la directive que ce décret transpose est conforme à cette règle ou
à ce principe général du droit communautaire ; qu'il lui revient, en l'absence
de difficulté sérieuse, d'écarter le moyen invoqué, ou, dans le cas contraire, de
saisir la Cour de justice des Communautés européennes d'une question
préjudicielle, dans les conditions prévues par l'article 234 du Traité instituant
la Communauté européenne ; qu'en revanche, s'il n'existe pas de règle ou de
principe général du droit communautaire garantissant l'effectivité du respect
de la disposition ou du principe constitutionnel invoqué, il revient au juge
administratif d'examiner directement la constitutionnalité des dispositions
réglementaires contestées ; […]
Analyse du CE, https://www.conseil-etat.fr/decisions-de-justice/jurisprudence/les-
grandes-decisions-depuis-1873/conseil-d-etat-8-fevrier-2007-societe-arcelor-
atlantique-et-lorraine-et-autres

Document 6. Conseil d’Etat, Assemblée, 30 octobre 2009, Mme Perreux


Vu la requête, enregistrée le 24 octobre 2006 au secrétariat du contentieux du
Conseil d'Etat, présentée pour Mme Emmanuelle A, épouse C, demeurant ... ; Mme
A, épouse C demande au Conseil d'Etat : 1°) d'annuler pour excès de pouvoir, d'une
part, le décret du 24 août 2006 portant nomination dans la magistrature en tant qu'il
la nomme vice-présidente chargée de l'application des peines au tribunal de grande
instance de Périgueux et qu'il nomme Mme Eva B, épouse D, à l'administration
centrale à compter du 1er septembre 2006, d'autre part, l'arrêté du 29 août 2006
portant nomination de Mme B, épouse D, juge de l'application des peines au
tribunal de grande instance de Périgueux, en qualité de chargée de formation à
l'Ecole nationale de la magistrature à compter du 1er septembre 2006 ; (…)
Vu les autres pièces du dossier ; (…)
Considérant que Mme A a demandé, dans sa requête introductive d'instance,
l'annulation, d'une part, du décret du 24 août 2006 portant nomination dans la
magistrature en tant qu'il la nomme vice-présidente, chargée de l'application des
peines, au tribunal de grande instance de Périgueux, et en tant que, selon elle, il
nommerait Mme B au sein de l'administration centrale, d'autre part de l'arrêté du 29
août 2006 du garde des sceaux, ministre de la justice, portant nomination de Mme
B, juge de l'application des peines au tribunal de grande instance de Périgueux, en
qualité de chargée de formation à l'Ecole nationale de la magistrature à compter du
1er septembre 2006 ;
Sur les conclusions de la requête dirigées contre le décret du 24 août 2006 en tant
qu'il nomme Mme A vice-présidente, chargée de l'application des peines, au
tribunal de grande instance de Périgueux :
© Béatrice BOISSARD, Maître de conférences de droit public, HDR.
Chargé(e)s de TD : Mme SAYEDOFF et Mrs. BARRE, VANGELE et SORHO.
24

Considérant que, par un mémoire enregistré le 17 janvier 2007, la requérante s'est


désistée de ces conclusions ; qu'il convient de lui en donner acte ;
Sur la recevabilité des autres conclusions de Mme A :
Considérant qu'à la suite de ce désistement, Mme A a limité ses autres conclusions
à l'encontre du décret du 24 août 2006 à la contestation de la nomination à
l'administration centrale de Mme B ; qu'en l'absence d'une telle mesure dans le
décret attaqué, que fait valoir à juste titre le garde des sceaux, ministre de la justice,
ces conclusions ne sont pas recevables ; qu'en revanche Mme A a intérêt à agir
contre l'arrêté du 29 août 2006, dès lors qu'elle est susceptible d'occuper la fonction
à laquelle Mme B a été nommée par cet arrêté ; qu'ainsi ses conclusions à fin
d'annulation de cet arrêté sont recevables ;
Sur l'intervention du Syndicat de la magistrature :
Considérant que le litige relatif à la nomination de Mme A comme vice-présidente
chargée de l'application des peines au tribunal de grande instance de Périgueux
prend fin par suite du désistement dont il est donné acte par la présente décision ;
que dès lors l'intervention du Syndicat de la magistrature au soutien des
conclusions dont Mme A s'est désistée est devenue sans objet ;
Considérant que, dès lors que les conclusions de Mme A dirigées contre le décret
du 24 août 2006 sont irrecevables, l'intervention du Syndicat de la magistrature au
soutien de ces conclusions est également irrecevable ;
Considérant, en revanche, que le Syndicat de la magistrature a un intérêt de nature à
justifier son intervention au soutien des conclusions de la requête de Mme A en tant
qu'elles sont dirigées contre l'arrêté du 29 août 2006 ; que, par suite, son
intervention est recevable dans cette mesure ;
Sur la légalité des décisions attaquées :
Considérant que Mme A soutient, à l'appui de sa requête, que le garde des sceaux,
ministre de la justice, aurait commis une erreur de droit en écartant sa candidature
au poste de chargé de formation à l'Ecole nationale de la magistrature en raison de
son engagement syndical et aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste
d'appréciation en préférant celle de Mme B ;
Considérant que la requérante invoque le bénéfice des règles relatives à la charge
de la preuve fixées par l'article 10 de la directive n° 2000/78/CE du Conseil du 27
novembre 2000, dont le délai de transposition expirait le 2 décembre 2003,
antérieurement à la date des décisions attaquées, alors que cette disposition n'a été
transposée de manière générale que par l'article 4 de la loi du 27 mai 2008 portant
diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la
lutte contre les discriminations ;
Considérant que la transposition en droit interne des directives
communautaires, qui est une obligation résultant du Traité instituant la
Communauté européenne, revêt, en outre, en vertu de l'article 88-1 de la
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Chargé(e)s de TD : Mme SAYEDOFF et Mrs. BARRE, VANGELE et SORHO.
25

Constitution, le caractère d'une obligation constitutionnelle ; que, pour chacun


de ces deux motifs, il appartient au juge national, juge de droit commun de
l'application du droit communautaire, de garantir l'effectivité des droits que
toute personne tient de cette obligation à l'égard des autorités publiques ; que
tout justiciable peut en conséquence demander l'annulation des dispositions
règlementaires qui seraient contraires aux objectifs définis par les directives
et, pour contester une décision administrative, faire valoir, par voie d'action
ou par voie d'exception, qu'après l'expiration des délais impartis, les autorités
nationales ne peuvent ni laisser subsister des dispositions réglementaires, ni
continuer de faire application des règles, écrites ou non écrites, de droit
national qui ne seraient pas compatibles avec les objectifs définis par les
directives ; qu'en outre, tout justiciable peut se prévaloir, à l'appui d'un
recours dirigé contre un acte administratif non réglementaire, des dispositions
précises et inconditionnelles d'une directive, lorsque l'Etat n'a pas pris, dans
les délais impartis par celle-ci, les mesures de transposition nécessaires ;
Considérant qu'aux termes de l'article 10 de la directive du 27 novembre 2000 : " 1.
Les Etats membres prennent les mesures nécessaires, conformément à leur système
judiciaire, afin que, dès lors qu'une personne s'estime lésée par le non-respect à son
égard du principe de l'égalité de traitement et établit, devant une juridiction ou une
autre instance compétente, des faits qui permettent de présumer l'existence d'une
discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de prouver
qu'il n'y a pas eu violation du principe de l'égalité de traitement. / 2. Le paragraphe
1 ne fait pas obstacle à l'adoption par les Etats membres de règles de la preuve plus
favorables aux plaignants. / 3. Le paragraphe 1 ne s'applique pas aux procédures
pénales. / 4. Les paragraphes 1, 2 et 3 s'appliquent également à toute procédure
engagée conformément à l'article 9, paragraphe 2. / 5. Les Etats membres peuvent
ne pas appliquer le paragraphe 1 aux procédures dans lesquelles l'instruction des
faits incombe à la juridiction ou à l'instance compétente. " ; qu'en vertu du
cinquième paragraphe de cet article, les dispositions précitées relatives à
l'aménagement de la charge de la preuve n'affectent pas la compétence laissée aux
Etats membres pour décider du régime applicable aux procédures dans lesquelles
l'instruction des faits incombe à la juridiction ; que tel est l'office du juge
administratif en droit public français ; qu'ainsi, eu égard à la réserve que comporte
le paragraphe 5 de l'article 10, les dispositions de ce dernier sont dépourvues d'effet
direct devant la juridiction administrative ;
Considérant toutefois que, de manière générale, il appartient au juge administratif,
dans la conduite de la procédure inquisitoire, de demander aux parties de lui fournir
tous les éléments d'appréciation de nature à établir sa conviction ; (…)
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier (…) ; que, dans ces conditions, ce
choix, même s'il n'était pas celui du directeur de l'école, dont l'avis était prescrit par
© Béatrice BOISSARD, Maître de conférences de droit public, HDR.
Chargé(e)s de TD : Mme SAYEDOFF et Mrs. BARRE, VANGELE et SORHO.
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l'article 10 du même décret, doit être regardé comme ne reposant pas sur des motifs
entachés de discrimination ; que, dès lors, il n'est pas entaché d'erreur de droit ;
Considérant que, contrairement à ce que soutient la requérante, il ne ressort pas des
pièces du dossier que le choix de Mme B est entaché d'erreur manifeste
d'appréciation ; ( …)
D E C I D E : Article 1er : Il est donné acte du désistement des conclusions de la
requête de Mme A dirigées contre le décret du 24 août 2006 en tant que ce décret la
nomme vice-présidente, chargée de l'application des peines, au tribunal de grande
instance de Périgueux. (…)
Analyse du CE, https://www.conseil-etat.fr/decisions-de-justice/jurisprudence/les-
grandes-decisions-depuis-1873/conseil-d-etat-assemblee-30-octobre-2009-mme-
perreux
Lire commentaire GAJA n° 109. Ne pas oublier CE Ass. 22 décembre 1978
Cohn-Bendit et CE Ass. 6 février 1998 Tête.

La responsabilité de l’Etat du fait des lois inconventionnelles


Document 7. Conseil d'Etat ass. 8 février 2007 Gardedieu
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 11 avril et 5
août 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Alain
A, demeurant Résidence Les Fontaines, 18, rue de Gouvieux à Chantilly (60500) ;
M. A demande au Conseil d'Etat : 1°) d'annuler les articles 2 et 3 de l'arrêt du 19
janvier 2005 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête
tendant, d'une part, à l'annulation du jugement du 9 avril 2002 du tribunal
administratif de Paris rejetant sa demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à
l'indemniser du préjudice subi du fait de l'intervention de la loi du 25 juillet 1994
relative à la sécurité sociale, d'autre part, à la condamnation de l'Etat à lui payer la
somme de 400 000 euros à titre de dommages et intérêts, majorée des intérêts de
droit à compter du jugement à intervenir ; 2°) statuant au fond, de faire droit à ses
conclusions de première instance et d'appel et d'assortir en outre la condamnation
de l'Etat du versement des intérêts légaux à compter de la demande préalable
d'indemnité, ainsi que de la capitalisation des intérêts ; (…) Vu les autres pièces du
dossier ; Vu la Constitution, notamment son préambule et son article 55 ; Vu la
convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales ; Vu le code de la sécurité sociale ; (…) ; (…)
Considérant que la responsabilité de l'Etat du fait des lois est susceptible
d'être engagée, d'une part, sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les
charges publiques, pour assurer la réparation de préjudices nés de l'adoption
d'une loi à la condition que cette loi n'ait pas entendu exclure toute
indemnisation et que le préjudice dont il est demandé réparation, revêtant un
caractère grave et spécial, ne puisse, dès lors, être regardé comme une charge
© Béatrice BOISSARD, Maître de conférences de droit public, HDR.
Chargé(e)s de TD : Mme SAYEDOFF et Mrs. BARRE, VANGELE et SORHO.
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incombant normalement aux intéressés, d'autre part, en raison des obligations


qui sont les siennes pour assurer le respect des conventions internationales par
les autorités publiques, pour réparer l'ensemble des préjudices qui résultent
de l'intervention d'une loi adoptée en méconnaissance des engagements
internationaux de la France ; Considérant que, saisi d'un litige opposant M. A à
la caisse de retraite des chirurgiens-dentistes et portant sur le paiement des
cotisations prévues par le décret du 27 février 1985 relatif au régime d'assurance
vieillesse complémentaire géré par cette caisse, dont l'intéressé contestait la
légalité, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Beauvais a sursis à statuer sur
la question préjudicielle dont dépendait l'instance portée devant lui ; que, par
décision du 18 février 1994, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a jugé que ce
décret était entaché d'illégalité ; que, toutefois, à la suite de l'intervention de la loi
du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale dont le IV de l'article 41 dispose
que : « sont validés, sous réserve des décisions de justice devenues définitives, les
appels de cotisations du régime d'assurance vieillesse complémentaire des
chirurgiens-dentistes effectués en application du décret n° 85-283 du 27 février
1985 (…) », le tribunal des affaires de sécurité sociale a en définitive écarté les
prétentions de M. A ; que, celui-ci ayant recherché la responsabilité de l'Etat, la
cour administrative d'appel de Paris a, par l'arrêt attaqué, confirmé le jugement du
tribunal administratif de Paris refusant de condamner l'Etat à l'indemniser du
préjudice qu'il imputait à l'intervention de cette loi ; que M. A demande au Conseil
d'Etat, à titre principal, d'annuler cet arrêt en tant qu'il a jugé que la responsabilité
de l'Etat n'était pas engagée à son égard en raison de la contrariété de la loi aux
engagements internationaux de la France et, à titre subsidiaire, en tant que la cour a
également rejeté ses conclusions fondées sur la rupture de l'égalité devant les
charges publiques ; Considérant qu'aux termes du § 1 de l'article 6 de la convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : «
Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement
et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial qui décidera
soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du
bienfondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle » ; Considérant
que, pour écarter le moyen tiré de ce que le IV de l'article 41 de la loi du 25 juillet
1994 était incompatible avec ces stipulations, la cour a jugé que la validation
litigieuse, qui avait eu pour objet de préserver l'équilibre financier de la caisse
autonome de retraite des chirurgiens-dentistes, était intervenue dans un but d'intérêt
général suffisant ; qu'en statuant ainsi, alors que l'Etat ne peut, sans méconnaître ces
stipulations, porter atteinte au droit de toute personne à un procès équitable en
prenant, au cours d'un procès, des mesures législatives à portée rétroactive dont la
conséquence est la validation des décisions objet du procès, sauf lorsque
l'intervention de ces mesures est justifiée par d'impérieux motifs d'intérêt général, la
© Béatrice BOISSARD, Maître de conférences de droit public, HDR.
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cour administrative d'appel a commis une erreur de droit ; que, dès lors, et sans qu'il
soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, M. A est fondé à demander
l'annulation des articles 2 et 3 de l'arrêt attaqué ; Considérant qu'il y a lieu, en
application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire
au fond ; Considérant, d'une part, que l'intérêt financier auquel ont entendu
répondre les dispositions de l'article 41 de la loi du 25 juillet 1994 ne peut suffire à
caractériser un motif impérieux d'intérêt général permettant de justifier la validation
législative des appels de cotisations intervenus sur la base du décret du 27 février
1985 ; que ces dispositions sont, dès lors, incompatibles avec les stipulations citées
plus haut du §1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits
de l'homme et des libertés fondamentales et que, par suite, leur intervention est
susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat ; que, d'autre part, la validation
litigieuse est directement à l'origine du rejet, par le tribunal des affaires de sécurité
sociale de Beauvais, des conclusions de M. A tendant à être déchargé des
cotisations qui lui étaient réclamées sur le fondement d'un décret jugé illégal par le
Conseil d'Etat ; qu'il suit de là que le requérant est fondé à demander la
condamnation de l'Etat à en réparer les conséquences dommageables ; que M. A
est, par suite, fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le
tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ; Considérant qu'il résulte de ce
qui a été dit ci-dessus que la réparation à laquelle M. A peut prétendre doit être
déterminée en tenant compte du montant des cotisations dont le bienfondé était en
cause dans l'instance l'opposant à sa caisse de retraite ; qu'en l'absence de tout autre
élément utile produit par l'intéressé, il y a lieu de retenir les indications figurant
dans le jugement avant dire droit du tribunal des affaires de sécurité sociale de
Beauvais et d'évaluer le préjudice indemnisable à la somme de 2 800 euros ; que M.
A a droit aux intérêts au taux légal de cette somme à compter du 24 décembre
1996, date de réception de sa demande préalable d'indemnité par le Premier
ministre ; Considérant, enfin, que M. A a demandé la capitalisation des intérêts le 5
août 2005 ; qu'à cette date, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, il
y a lieu de faire droit à cette demande, tant à cette date qu'à chaque échéance
annuelle à compter de cette date ; Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances
de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 7611 du code de
justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. A d'une
somme de 5 000 euros au titre des frais exposés par lui, tant en première instance
qu'en appel et en cassation ;
D E C I D E : Article 1er : Les articles 2 et 3 de l'arrêt de la cour administrative
d'appel de Paris en date du 19 janvier 2005 sont annulés. Article 2 : Le jugement du
tribunal administratif de Paris en date du 9 avril 2002 est annulé. Article 3 : L'Etat
est condamné à verser à M. A la somme de 2 800 euros, assortie des intérêts au
taux légal à compter du 24 décembre 1996. Les intérêts échus à la date du 5 août
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2005, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés
pour produire eux-mêmes intérêts. (…).

Le dialogue avec la CJUE, la question préjudicielle


Document 8 : Article 267 TFUE
La Cour de justice de l'Union européenne est compétente pour statuer, à titre
préjudiciel:
a) sur l'interprétation des traités,
b) sur la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions, organes ou
organismes de l'Union.
Lorsqu'une telle question est soulevée devant une juridiction d'un des États
membres, cette juridiction peut, si elle estime qu'une décision sur ce point est
nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette
question.
Lorsqu'une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une
juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours
juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour.
Si une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une
juridiction nationale concernant une personne détenue, la Cour statue dans les
plus brefs délais.

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