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Revue internationale de droit

comparé

L'exécution des décisions de justice en droit camerounais


M. Alexandre-Dieudonné Tjouen

Citer ce document / Cite this document :

Tjouen Alexandre-Dieudonné. L'exécution des décisions de justice en droit camerounais. In: Revue internationale de droit
comparé. Vol. 52 N°2, Avril-juin 2000. pp. 429-442;

doi : https://doi.org/10.3406/ridc.2000.18103

https://www.persee.fr/doc/ridc_0035-3337_2000_num_52_2_18103

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R.I.D.C. 2-2000

L'EXÉCUTION DES DÉCISIONS DE JUSTICE


EN DROIT CAMEROUNAIS

Alexandre-Dieudonné TJOUEN *

II y a vingt-trois ans, en 1974, le législateur camerounais fixait les


bases du nouveau régime de l'exécution des décisions judiciaires. Cette
louable initiative a été intégrée dans la loi n° 74/6 du 16 juillet 1974 portant
exécution provisoire des décisions judiciaires en matière non répressive.
Le système mis en place par ce texte semblait être l'aboutissement
d'une longue évolution vers la protection définitive des intérêts de la
partie demanderesse qui a gagné le procès civil en déjouant les manœuvres
dilatoires du défendeur perdant.
Le but visé par le législateur était, en réalité, la volonté politique
du gouvernement d'adapter ponctuellement la législation aux impératifs
de la gestion économique à partir de l'affaire des sociétés SOAEM et
SACIA qui, sévèrement condamnées en 1972 par la juridiction compétente,
menaçaient de licencier des milliers d'employés camerounais. Il fallait
rapidement, par cette loi de 1974, calmer les esprits. Ce qui a été, certes,
fait, mais la loi a alors été jugée comme une loi de circonstance, de
surcroît incomplète.
A cet égard, la mise en place du système n'est pas allée sans poser
beaucoup de problèmes, notamment dans la détermination claire et précise
du domaine de l'exécution provisoire de droit ou facultative des décisions
de justice. Nous avons pu dire (ce qui s'est avéré exact aujourd'hui) que
« ce qui aurait pu paraître comme un phénomène de circonstance, est
devenu une hydre à croissance inquiétante » l.
Loin de vouloir nous attarder sur des développements détaillés de
cet ensemble, nous avons plutôt trouvé la nécessité de faire des observa-

* Maître de conférences à la Faculté des sciences juridiques et politiques de l'Université


de Yaounde II, ancien avocat au Barreau de Paris.
1 V. A. D. TJOUEN, « L'exécution provisoire des décisions judiciaires en matière non
répressive en droit africain : l'exemple du Cameroun », in Rev. int. dr. comp. 1987, p. 111.
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tions sur les deux nouveaux et derniers textes : l'ordonnance n° 97/01 du


4 avril 1997 et la loi n° 97/018 du 7 août 1997 actuellement en vigueur
sur l'ensemble du territoire camerounais.
Ces observations permettront de mieux découvrir la notion du
« pourvoi d'ordre » qui semble être une notion distincte et propre au droit
camerounais, dans sa coexistence avec le pourvoi principal en cassation
et le pourvoi dans l'intérêt de la loi que l'on retrouve en droit français.

I. L'ORDONNANCE N° 97/018 DU 4 AVRIL 1997

Nous dégagerons d'abord les errements de la législation antérieure


à ce texte ; puis les nouvelles et graves ambiguïtés et lacunes de
l'ordonnance, laquelle a particulièrement visé la modification des articles 3 et
4 de la loi n° 92/008 du 14 août 1992 fixant certaines dispositions relatives
à l'exécution des décisions de justice.

A. — Les errementsn°de97/01
la législation
du 4 avrilantérieure
1997 à l'ordonnance

La loi de 1974 peut être baptisée de loi quinquennale parce que


jusqu'à l'heure actuelle (avec une fausse note exceptionnelle en 1992)
elle a été régulièrement modifiée tous les cinq ans : en 1979 (loi n° 79/03
du 29 juin 1979), 1984 (loi n° 84/14 du 5 déc. 1984), 1989 (loi n° 89/020
du 29 déc. 1989), 1992 (fausse note) (loi n° 92/008 du 14 août 1992),
1997 (ordonnance n° 97/01 du 4 avril 1997 et loi n° 97/018 du 7 août
1997) en attendant (sauf nouvelle fausse note entre temps) la nouvelle
loi de 2002.
La période antérieure à l'ordonnance du 14 avril 1997 a été marquée
par l'imprécision sur le domaine et les justes conséquences de l'exécution
provisoire de droit, des hésitations sur l'auteur de la décision de suspension
de l'exécution provisoire et les voies de recours pouvant frapper cette
décision.

1 . Les difficultés de détermination du domaine précis de l'exécution


provisoire de droit
L'exécution provisoire de droit est celle qui est imposée par la loi
comme une qualité inhérente à la décision elle-même dans la mesure où
elle serait accordée quand bien même elle n'aurait pas été expressément
demandée. Elle pourrait être poursuivie par le créancier, même en l'absence
d'une mention y faisant allusion dans le dispositif de la décision entreprise.
Alors que l'article 514, alinéas 1 et 2, nouveau du Code de procédure
civile français énumère les cas où intervient l'exécution provisoire de
droit, il n'existe dans le Code de procédure civile camerounais aucun
article qui en fasse une enumeration globale. Chaque cas fait l'objet d'un
ou de plusieurs articles isolés. Il s'agit notamment des ordonnances de
référé (art. 182-187 C.p.c), des ordonnances sur requête (art. 154 C.p.c. ;
art. 235 C. civ.), des décisions prescrivant des mesures provisoires pour
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le cours de l'instance (art. 238 et 307 C. civ.) telles que la résidence


séparée des époux, la garde des enfants, la pension alimentaire...
Aucun des textes législatifs subséquents organisant l'exécution des
décisions de justice n'a eu la préoccupation ni d'y faire allusion (avant
1997), ni de combler cette lacune qui coexiste avec cette autre qui est
l'absence de réponse à la question de savoir si l'exécution provisoire de
plein droit qui est imposée par la loi exclut d'office toute défense à sa
réalisation.
La très attendue loi n° 84/14 du 5 décembre 1984 complétant les
textes précédents, a déçu partiellement les justiciables puisqu'elle s'est
bornée à énumérer les seuls cas où « la suspension de l'exécution provisoire
ne peut être prononcée : créance alimentaire, provision en matière de
réparation du dommage résultant d'une atteinte à l'intégrité physique d'une
personne, loyers échus, expulsion fondée sur un bail ou sur l'occupation
d'un terrain objet d'un titre foncier, créance contractuelle exigible ».
Fallait-il en déduire qu'il s'agissait, enfin ici, en plus des cas isolés
ci-dessus cités, d'une liste complémentaire et définitive des cas formant
le domaine camerounais de l'exécution provisoire de plein droit ? La
réponse est plutôt négative puisqu'il risque d'être interprété que toute
demande de suspension d'une décision assortie de l'exécution provisoire
de droit est irrecevable, alors qu'à ce sujet le législateur est jusqu'ici resté
muet et flou en même temps qu'hésitant sur l'auteur de la décision de
suspension de l'exécution provisoire et les voies de recours éventuelles
à exercer contre elle.

2. Les hésitations du législateur sur l'auteur de la décision de suspension


de l'exécution provisoire et sur les voies de recours à exercer
Aux termes de l'article 1er nouveau (3) de la loi n° 79/03 du 29 juin
1979, « le certificat de dépôt de la requête aux fins de sursis à exécution
délivré par le greffier de la juridiction appelée à statuer arrête l'exécution
provisoire, même commencée jusqu'à la décision du magistrat saisi ». En
attendant la décision de ce magistrat (président de la Cour) une décision
partielle (suspension de l'exécution provisoire) est donc possible : elle
émane cette fois et indirectement du greffier près la Cour qui a délivré
le certificat de dépôt.
Selon le même article 1er nouveau (4), « le Président statue par
ordonnance sur réquisitions conformes du ministère public... ».
Juridiquement c'est le président de la cour (cour d'appel ou Cour suprême) qui
est l'auteur de la décision conforme du ministère public, le législateur
faisant comprendre que le président de la cour était lié par les réquisitions
du procureur général qui était donc l'auteur réel de cette décision définitive
que le président avait simplement le devoir de signer et de transmettre
aux parties intéressées.
Le système camerounais faisait ainsi intervenir deux décisions dont
l'une était une décision d'attente ayant pour auteur le greffier en chef,
et l'autre, la décision finale ayant un auteur juridique, le président de la
cour concernée et un auteur de fait et réel, le procureur général.
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La loi n° 89/020 du 29 décembre 1989 a supprimé un auteur, le


ministère public. Il n'est resté que le greffier en chef et le président de
la cour, les réquisitions du ministère public ne le liant plus. Il décide par
ordonnance.
La loi n° 92/008 du 14 août 1992 a maintenu le pouvoir du greffier
en chef comme par le passé, mais a retiré à son tour le pouvoir de décision
au président de la cour d'appel (celui du président de la Cour suprême
est maintenu) pour le reconnaître désormais à la cour d'appel elle-même :
de l'ordonnance du président de ladite cour la décision est devenue un
arrêt (art. 4, al. 5), cette transposition du centre de décision ayant été
instituée non principalement pour protéger les intérêts des justiciables,
mais sensiblement pour réduire la superpuissance du président de la cour
d'appel.
Suivant que cette décision était une ordonnance ou un arrêt, des
hésitations ont été observées quant à la détermination de la voie de recours
qui devait la frapper : l'ordonnance, une manifestation des pouvoirs
exorbitants du président de la cour d'appel, n'était susceptible que de pourvoi
d'ordre 2.
Tel est le décor des principaux errements du législateur qui ont
marqué l'histoire de l'exécution provisoire des décisions judiciaires,
laquelle semble avoir pris sa forme finale en 1992 et briller, tant en
ambiguïtés qu'en ce qui concerne les auteurs de la décision de suspension
(le greffier en chef et la cour) et les voies de recours (le pourvoi d'ordre).
Mais les dispositions salutaires en apparence des articles 3 et 4 de la loi
de 1992 restaient à la fois contradictoires et non révélatrices de l'esprit
du législateur. En voulant les modifier, l'ordonnance du 4 avril 1997 a
créé de nouvelles confusions.

B. — Les ambiguïtés et lacunes de l'ordonnance n° 97/01


du 4 avril 1997

n° 092/008
Cette du
ordonnance
14 août 1992
n'a dont
modifié
il faudrait
que cesd'abord
articles
dégager
3 et la
4 de la loi
contradiction et l'esprit du législateur afin de pouvoir mieux apprécier les critiques
formulées contre ladite ordonnance.
1. La contradiction et l'esprit du législateur dans la rédaction des articles
3 et 4 de la loi du 14 août 1992
a) La contradiction
L'article 2 de cette loi rappelle le principe de l'effet suspensif de
l'appel des décisions rendues en premier ressort par les juridictions
d'instance.
L'article 3, alinéa 1er, admet une exception à ce principe, selon laquelle
l'exécution provisoire des décisions contradictoires ou réputées
contradictoires (uniquement) est possible nonobstant appel, si et seulement s'il

Pourvoi d'ordre, v. de façon détaillée, II, 5.


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s'agit des cas précis énumérés plus haut par la loi de 1984 (salaire, loyer,
provision...) ; ce qui veut dire qu'en dehors de ces cas, le tribunal ne
peut ordonner l'exécution provisoire des décisions frappées d'appel.
La contradiction réside dans le fait que selon l' article 4 de la même
loi de 1992, l'exécution provisoire peut aussi être ordonnée en dehors de
ces cas de l'article 3, ce qui veut en définitive dire (art. 3 et 4 combinés)
que l'exécution provisoire peut être ordonnée, selon l'appréciation du juge
(d'où le verbe « peut » utilisé par le législateur), dans tous les cas !
Le législateur a-t-il en réalité écrit ce qu'il voulait dire ?
b) L'esprit du législateur
Le législateur a voulu au contraire dire que le tribunal peut
exceptionnellement ordonner l'exécution provisoire (nonobstant appel) de toutes
les décisions contradictoires ou réputées contradictoires, avec cette nuance
que l'exécution provisoire ordonnée dans les cas précis prévus à l'article
3 ne peut être suspendue, alors que dans tous les autres cas, elle peut
l'être (selon l'appréciation de la cour d'appel) à la demande de la partie
qui s'estime lésée.
A la veille de l'ordonnance de 1997, les justiciables, non seulement
attendaient toujours comme depuis 1984 que le législateur précise la nature
floue des cas énumérés par l'article 3 de la loi de 1992 pour dire clairement
s'ils complètent la liste des cas où l'exécution provisoire est de droit, ils
espéraient aussi la levée de cette contradiction, qui imposait ardemment
audit législateur une nouvelle formulation conforme à son esprit réel.
Ont-ils été enfin satisfaits ? L'on démontrera que pour ne pas être
applicable, l'ordonnance a plutôt suscité des critiques d'importance
indéniable après avoir négligé de répondre à la question posée.

2. Les critiques formulées contre l'ordonnance du 4 avril 1997


Elles portent essentiellement sur l'auteur de l'ordonnance, le domaine
confus de l'exécution provisoire de droit, l'auteur imprécis de la décision
aux fins de défenses à exécution, la suppression du pourvoi d'ordre comme
voie de recours contre cette décision, et celle de l'alinéa (c) de l'article
3 de la loi de 1992.
a) L'auteur de l'ordonnance de 1997
L'ordonnance en général est un texte ou une décision prise par
l'autorité compétente, seule dans son cabinet. En matière législative, elle
a valeur d'une loi sous réserve de sa ratification par le Parlement qui
devrait préalablement autoriser sa naissance. En l'espèce, il s'agit d'une
ordonnance du Président de la République non ratifiée modifiant la loi
du 14 août 1992.
L'on s'est posé la question juridique de savoir si une ordonnance
prise par le Président de la République peut valablement modifier une
loi votée par le Parlement ? Dans l'affirmative, peut-elle être applicable
avant sa ratification par le Parlement ?
Plutôt qu'une critique, il s'agit ici d'une inquiétude que l'ordonnance
a créée au milieu des justiciables.
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A notre avis, au moment où cette ordonnance a été prise, il n'existait


plus provisoirement de Parlement au Cameroun. Le Président de la
République pendant une telle période d'attente, a le pouvoir, à la place de
l'Assemblée nationale, de légiférer par ordonnances qui n'ont donc, dans
ces conditions, pas besoin de ratification pour être exécutoires.
b) Le domaine confus et les justes conséquences de V exécution
provisoire de droit
La question précise ici posée est celle de savoir si enfin les cas
prévus par l'article 3 nouveau sont assimilables à ceux qui forment le
domaine défini plus haut de l'exécution provisoire de droit ? La réponse
semble à la fois affirmative et négative.
La réponse semble affirmative : selon l'article 3 nouveau (1), « le
tribunal peut... ordonner l'exécution provisoire dans ces cas, nonobstant
appel » : la loi ne précisant pas si cette exécution provisoire doit être
demandée par la partie intéressée, l'on en déduit (en faveur du justiciable)
que comme dans l'exécution provisoire de droit, elle peut être ordonnée
par le tribunal, même si elle n'a pas été demandée. Selon l'article 4
nouveau (1), « lorsque l'exécution provisoire n'est pas de droit et qu'elle
a été prononcée en dehors de ces cas prévus à l'article 3 ci-dessus, le
président de cour d'appel, sur demande de la partie qui a succombé,
ordonne les défenses à exécution provisoire de la décision » : a contrario,
l'on dirait : « lorsque l'exécution provisoire est de droit et qu'elle a été
prononcée dans les cas prévus à l'article 3 ci-dessus, le président de la
cour d'appel... n'ordonne pas les défenses à exécution... : il y a similitude
de sort réservé à l'exécution provisoire dans les deux systèmes ».
La réponse semble négative : quand il s'agit des cas prévus par
l'article 3, la décision de l'exécution provisoire est une faculté pour le
tribunal saisi (« peut » ordonner) au moment où, quand il s'agit de
l'exécution provisoire de droit, cette décision est un devoir pour ledit tribunal.
Alors que selon l'article 4 nouveau (2), « lorsque l'exécution provisoire
est de droit, le président de la cour d'appel peut (faculté), sur demande
de la partie qui a succombé, ordonner les défenses à exécution, le législateur
est resté muet lorsqu'il s'agit de l'exécution provisoire ordonnée dans les
cas prévus par l'article 3 nouveau (1) : faute de précision, l'on peut
admettre que les défenses à exécution dans ces cas ne peuvent être
ordonnées par la cour d'appel. Raisonnement conforme à l'interprétation a
contrario ci-dessus au niveau de laquelle le législateur crée ici une grave
contradiction avec le cas de l'exécution provisoire de droit. A contrario,
la demande aux fins de défenses à exécution est irrecevable en cour
d'appel, alors que selon l'article 4 nouveau (2), elle est recevable à la
demande de la partie qui a succombé.
La difficulté de choix entre les deux réponses affirmative et négative
à la question posée est l'une des meilleures illustrations des ambiguïtés
du nouveau texte.
c) L'auteur imprécis et la nature de la décision aux fins de défenses
à exécution
Alors que l'on a cru devoir définitivement déterminer cet auteur de
la loi de 1992, le nouveau texte a créé ici une confusion totale incompatible
avec le souci d'une bonne administration de la justice.
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Hormis le cas du greffier en chef qui reste l'auteur de la décision


d'attente sous-tendue par le certificat de dépôt, la confusion réside au
niveau du partage de compétence en la matière par le président de cour
d'appel et la cour d'appel elle-même. Selon l'article 4 nouveau (2), «... le
président de la cour d'appel ordonne les défenses à exécution ». La nature
de la décision dont l'auteur choisi est le président de la cour d'appel, est
donc une ordonnance.
Selon l'article 4 nouveau (7), « la cour d'appel est tenue de statuer
dans les 15 jours »... ; l'article 4 nouveau (8) précise que « la notification
du certificat de dépôt à la partie adverse... suspend l'exécution jusqu'à
l'intervention de l'arrêt qui émane de la cour d'appel », de sorte qu'en
définitive, la cour d'appel et son président sont tous les deux compétents
pour décider des défenses à exécution. Comme c'est le président de la
cour qui est saisi de la requête et décide ou non de la saisine de la cour
aux fins de défenses à exécution, il est à prévoir que c'est lui qui décidera,
l'ordonnance de 1997 lui ayant indirectement donné l'occasion de
récupérer sa super-puissance douloureusement perdue en 1992. Tel était-il l'esprit
de l'auteur du nouveau texte ? Nous émettons de sérieuses réserves.
d) La suppression du pourvoi d'ordre comme voie de recours contre
la décision aux fins de défenses à exécution
Contrairement à la loi de 1992 (art. 4, al. 5) qui précise que « l'arrêt
de la cour d'appel ne peut faire l'objet que d'un pourvoi d'ordre », le
nouveau texte n'a prévu aucune voie de recours (même pas de pourvoi
d'ordre) contre « l'arrêt » de la cour ou « l'ordonnance » du président de
la cour. C'est le progrès à rebours, c'est-à-dire le retour au système
abandonné des lois de 1974-1989. S'agirait-il d'un oubli ou d'une autre
manière de réaffirmer l'ancienne super-puissance du président de la cour
dont la décision en la matière était inattaquable ? Il s'agit plutôt d'une
nouvelle forme des confusions de l'ordonnance qui n'a eu pour sort que
d'être d'une durée éphémère grâce à l'intervention de la loi du 7 août
1997.

II. LA LOI N° 97/018 DU 7 AOUT 1997

La nouvelle loi du 7 août 1997 emporte, à notre avis, des mérites


dignes d'éloges, mais aussi des critiques peu négligeables.

A. — La nouvelle loi a des mérites dignes d'éloges


Contrairement à la loi du 14 août 1992 et à l'ordonnance du 4 avril
1997, la nouvelle loi est claire. La plupart des graves ambiguïtés existantes
ont disparu. Il n'existe plus deux auteurs de la décision des défenses à
l'exécution en cour d'appel, c'est la cour d'appel seule qui décide sur
arrêt ; il existe une voie de recours contre ladite décision, le pourvoi
d'ordre ; la confusion entre les dispositions des articles 3 et 4 s'est
évaporée. Il est clair et précis que désormais, aux termes de l'article 3 nouveau
(1)... « le tribunal saisi peut, en cas de décision contradictoire ou réputée
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contradictoire, ordonner l'exécution provisoire, nonobstant appel dans les


cas ci-après : créance alimentaire, contractuelle exigible, expulsion fondée
sur un titre foncier conférant des droits non contestés ou sur un bail écrit,
assorti d'une clause résolutoire dont les conditions sont réunies, réparation
du dommage résultant d'une atteinte à l'intégrité physique d'une personne,
les frais et dépenses justifiés nécessités par les soins d'urgence et limités
exclusivement et d'hospitalisation, salaires non contestés ».
En dehors de ces cas et de ceux où l'exécution provisoire est de
droit, le juge d'instance n'est pas autorisé à ordonner l'exécution
provisoire ; sinon, sur la demande de la partie appelante, la cour d'appel
ordonnera les défenses à exécution de la décision attaquée (art. 4 nouveau
(1)). Mais lorsque l'exécution provisoire est de droit ou a été ordonnée
dans les cas prévus à l'article 3 nouveau (1), la partie lésée a le droit de
saisir le président de la cour d'appel du ressort d'une requête aux fins
de défenses à exécution que ladite cour ne pourrait rejeter qu'à
condition que la demande de sursis ait un caractère manifestement dilatoire
(art. 4 nouveau (2)).
Pour avoir mérité des éloges, la nouvelle loi n'est cependant pas
exempte de quelques critiques.

B. — La nouvelle loi est critiquable

1. Le domaine de l'exécution provisoire de droit et la frontière qui existe


entre celle-ci et les cas de l'article 3 nouveau (1), restent toujours mal
définis
Si le juge est censé connaître tous les cas classiques de l'exécution
provisoire de droit, 1' enumeration claire et précise desdits cas à l'instar
de celle de l'article 3 nouveau cité, reste nécessaire pour le justiciable
camerounais ignorant ou non praticien et les chercheurs étrangers. Comme
il a été dit plus haut, le législateur français a comblé cette lacune en
rédigeant l'article 514 nouveaux alinéas 1 et 2 du Code de procédure
civile.
Cette nouvelle loi camerounaise n'a pas non plus permis de choisir
entre les deux réponses affirmative et négative ci-dessus sur l'assimilation
ou non des cas de l'article 3 nouveau (1) à ceux de l'exécution provisoire
de droit, les similitudes positives et flagrantes des dispositions des alinéas 1
et 2 de l'article 4 nouveau et le mutisme du législateur sur l'auteur de
la demande de l'exécution provisoire (art. 3 nouveau (1)) ayant été détruites
par la faculté donnée au juge d'instance d'ordonner ou non l'exécution
provisoire dans les cas cités à l'article 3 nouveau, faculté qui lui est
refusée dans les cas d'exécution provisoire de droit. L'ambiguïté des textes
antérieurs est encore ici reconduite.

2. La condition du rejet de la demande de défenses à exécution provisoire


de la partie appelante est étonnante
L'article 4 nouveau (2) dispose qu'en cas « d'exécution provisoire
de droit ou fondée sur les matières énumérées à l'article 3 la cour d'appel
rejette la demande de défenses à exécution provisoire de la partie appelante
A.-D. TJOUEN : EXÉCUTION DES DÉCISIONS DE JUSTICE - CAMEROUN 437

si ladite demande a un caractère manifestement dilatoire ». A contrario,


dans tous les cas où ladite demande n'a pas ce caractère, la cour d'appel
ne rejette pas la demande, elle accorde le sursis, ce qui veut dire, en
d'autres termes, que cet accord est la règle, le rejet l'exception : grave
contradiction parce que l'exécution provisoire de droit se justifiant par
une présomption irréfragable d'urgence et attachée à une décision de
justice en raison de sa nature, a vocation à ne pas être suspendue. Elle
ne devrait donc exceptionnellement l'être en pratique, qu'en cas d'abus
ou de conséquences prévisibles et irréparables pour la victime.
Les rédacteurs de la nouvelle loi auraient ainsi écrit le contraire de
ce qu'ils auraient conçu.
Plus grave encore, par l'adverbe «manifestement» (dilatoire), le
législateur a donné à la cour d'appel le pouvoir absolu de décider du
rejet définitif de la demande de sursis, un éventuel pourvoi d'ordre étant
superflu et la Cour suprême, juge de droit, ne pouvant que le rejeter parce
que le degré du dilatoire est une question de fait qui relève de l'appréciation
souveraine de la cour d'appel, juridiction du fond.

3. La réapparition dans les cas prévus par l'article 3 nouveau, « des


salaires non contestés » est surprenante
L'ordonnance du 4 avril 1997 en modifiant la loi du 14 août 1992
qui, pour la première fois, les a inclus dans cette enumeration, les a
justement supprimés parce qu'une autre loi du même jour non abrogée
n° 92/007 du 14 août 1992 portant Code du travail, article 146, a prévu
l'exécution provisoire « nonobstant toute voie de recours et sans versement
de caution lorsqu'il s'agira de salaires et des accessoires de salaires non
contestés et reconnus comme dus ». Cette réintroduction crée un autre
problème de droit. Selon la nouvelle loi de 1997, l'on ne peut ordonner
l'exécution provisoire dans ce cas que nonobstant appel alors que le
Code du travail admet cette exécution provisoire nonobstant toute voie
de recours, notamment l'opposition qui frappe les décisions rendues par
défaut. Laquelle des deux lois faudrait-il appliquer ? La loi d'ordre spécial
certainement, qui est le Code du travail. Mais le juge peut-il valablement
avoir la liberté de choix alors que la loi du 7 août 1997 n'a pas été
abrogée sur ce point tout comme il est permis de se demander s'il a la
liberté de choisir une loi d'ordre général à la place de celle d'ordre
spécial ? La solution simple qui s'impose est une nouvelle suppression
de l'article 3 nouveau (1) (c) de la nouvelle loi.

4. L'application de la notion de délai prefix fait défaut


Aux termes de l'article 4 nouveau (7), « la cour d'appel est tenue
de statuer dans les trente jours de la saisine ; en cas de pourvoi d'ordre
la Cour suprême statue dans les deux mois de la saisine ». Il s'agit ici
des délais prefix dont le non-respect par les cours devrait être sanctionné
par le maintien de la décision rendue c'est-à-dire par le rejet d'office de
la demande de sursis ou du pourvoi d'ordre. Or la nouvelle loi n'a nulle
part prévu cette disposition, laissant ainsi les deux cours libres de statuer
même au-delà des délais précisés.
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5. La procédure spéciale du pourvoi d'ordre est à la fois mal comprise


et peu efficace
II existe en droit camerounais comme en droit français le pourvoi
principal ou classique dit pourvoi en cassation, le pourvoi dans l'intérêt
de la loi et le pourvoi d'ordre que le législateur français appelle « le
pourvoi pour excès de pouvoir ».
Le pourvoi en cassation est une voie de recours extraordinaire exercée
par les parties contre les décisions rendues en dernier ressort par les
juridictions du fond en vue d'obtenir devant la Cour suprême (ou de
cassation en France) leur cassation ou leur annulation.
Le pourvoi dans l'intérêt de la loi (art. 6 de la loi camerounaise
n° 76/28 du 14 déc. 1976 fixant l'organisation de la Cour suprême et art.
17 du nouveau C. proc. civ. français) est celui qui est uniquement formé
par le procureur général près la Cour suprême (ou de cassation) et à sa
seule initiative, « contre tout acte 3 juridictionnel devenu définitif 4 et
entaché de violation de la loi ». Dans ce cas, « les parties ne peuvent se
prévaloir d'un tel pourvoi ». En d'autres termes, la cassation éventuelle
ne profite ni ne nuit à aucune des parties ; la décision attaquée est exécutoire
parce qu'elle a acquis autorité de la chose jugée entre les parties.
Le pourvoi pour «excès de pouvoir» prévu par l'article 18 de la
loi n° 67-523 du 3 juillet 1967 introduit dans le nouveau Code de procédure
civile français est celui qui est exercé par le procureur général près la
Cour de cassation, mais uniquement sur l'ordre du ministre de la Justice
contre tout acte de procédure (article 52 nouveau Code de procédure
civile) conçu dans son sens large (jugement rendu en premier ou en dernier
ressort et toutes les autres catégories d'actes de procédure) constituant
un excès de pouvoir c'est-à-dire empiétant sur le pouvoir législatif ou le
pouvoir exécutif. Un tel pourvoi produit des effets à l'égard de toutes
les parties.
Le législateur camerounais (art. 6, loi précitée du 14 déc. 1976) n'a
pas utilisé les termes de « pourvoi pour excès de pouvoir » mais ceux de
« pourvoi sur ordre du ministre de la Justice » ou de « pourvoi d'ordre »
(art. 4 (7), loi du 7 août 1997 commentée). Mais l'on peut remarquer
qu'en réalité ces deux pourvois qui ont un auteur commun (le ministre
de la Justice), des effets communs (à l'égard de toutes les parties) diffèrent

3 Le nouveau Code de procédure civile français utilise plutôt le terme « décision »


(art. 17).
4 Par « définitif», le législateur camerounais vise, comme l'ancien Code de procédure
civile français, les décisions rendues en dernier ressort. Actuellement, en droit français, ce
pourvoi vise toutes les décisions rendues en premier ou en dernier ressort (art. 17 qui, en
disposant sans précision et simplement qu'« une décision »..., a ouvert ainsi une application
libre à toutes ces catégories de décisions). Les professeurs Jean VINCENT et Serge GUIN-
CHARD ont justement apprécié cette innovation en ces termes : « Cette innovation doit
permettre une meilleure utilisation du pourvoi dans l'intérêt de la loi. C'est là que se
manifeste de façon très caractéristique le rôle de régulateur de la jurisprudence dévolue à
la Cour de cassation, et que l'on trouve en même temps la preuve que le pourvoi en cassation
n'est pas une voie de recours exclusivement inspirée par la considération de l'intérêt des
parties » (Procédure civile, 24e éd., p. 914).
A.-D. TJOUEN : EXECUTION DES DÉCISIONS DE JUSTICE - CAMEROUN 439

fondamentalement quant aux actes visés : en droit camerounais il s'agit


encore comme dans le pourvoi dans l'intérêt de la loi, des « actes
juridictionnels définitifs entachés de violation de la loi » (art. 6 (b), loi du 14 déc.
1976), domaine imprécis et plus vaste que celui restreint et précis de la
législation française.
Sur le plan du droit interne, le système camerounais semble à
l'évidence non seulement flou (le Procureur général et le ministre de la Justice
interviennent tous les deux quand il y a violation de la loi dans les deux
pourvois, sans aucune détermination du domaine précis où chacun d'eux
devrait seul réagir) mais aussi difficile à comprendre par les justiciables 5.
Au lieu de décider laconiquement que « l'arrêt de la Cour d'appel
ne peut faire l'objet que d'un pourvoi d'ordre » (art. 4 (7)), le législateur
aurait dû, au même moment, indiquer la procédure à suivre pour mieux
éclairer les parties intéressées. Des précisions sur les personnes autorisées
à l'exercer, sur son déroulement et ses effets (puisque la procédure de
l'affaire sur le fond est pendante devant la Cour d'appel et menace d'aboutir
plus tôt, en rendant éventuellement illusoire la décision future à l'issue
de la procédure du pourvoi d'ordre) étaient indispensables et, cette fois,
très attendues du public camerounais. Elles constituent la grande originalité
de cette notion en droit camerounais par rapport à celle française du
pourvoi pour « excès de pouvoir ».
La rédaction en termes généraux de l'article 4 (7) a permis aux
parties intéressées de se croire autorisées à exercer le pourvoi d'ordre
jusqu'au moment où, pour y mettre de l'ordre, la Cour suprême a déclaré
l'irrecevabilité de tels pourvois 6 en précisant qu'ils ne peuvent être engagés
que par le procureur général près la Cour suprême 7 sur l'ordre du ministre
de la Justice.
En réalité, il ne s'est pas agi d'une lacune législative, mais d'une
erreur des législateurs de 1992 et 1997. Le pourvoi d'ordre classique de
la loi de 1976 a été défini comme en droit français en termes clairs et
précis. Mais le législateur camerounais semble, par erreur, l'avoir élargi ou
transposé aux données de la procédure des défenses à exécution provisoire,
laquelle au contraire vise un pourvoi d'ordre spécial qui méritait, de
ce fait, d'être détaillé dans le souci d'éviter toute confusion susceptible
d'entraîner d'éventuels égarements des parties.
En pratique, le ministre de la Justice saisit verbalement ou par écrit
le Procureur général près la Cour suprême pour lui demander de se pourvoir
en cassation contre un arrêt rendu par une cour d'appel saisie en défenses
à exécution provisoire quelle qu'en ait été l'issue (arrêt de rejet ou accor-

5 Le législateur a-t-il voulu mais sans le dire, suivre son homologue français c'est-à-
dire que le ministre de la Justice n'interviendrait qu'en cas d'empiétement commis par une
juridiction sur le pouvoir législatif ou sur le pouvoir exécutif et ajouter aussi, en innovant,
le cas des arrêts de la cour d'appel attaqués dans la procédure des défenses à exécution ?
6 CS n°633/cc du 22 juill. 1993.
7 Même le procureur général prèsy une cour d'appel n'en est pas autorisé :
H. TCHANTCHOU, auditeur de justice à l'École Nationale d'Administration et de
Magistrature (EN AM) du Cameroun, in L'exécution provisoire des décisions de justice au Cameroun,
Mémoire de fin de Formation, Yaounde, promotion 1997-1999, p. 69.
440 REVUE INTERNATIONALE DE DROIT COMPARÉ 2-2000

dant les défenses à exécution) et pour des motifs laissés au libre choix
du ministre mais visant la violation de la loi 8.
Le procureur général saisit à son tour le greffier en chef près la Cour
suprême qui dresse un procès verbal du pourvoi et met l'affaire en état
d'être jugée par ladite Cour (et non son président) qui, dans les deux
mois de sa saisine 9 devrait rendre un arrêt de cassation, d'annulation ou
non de l'arrêt de la cour d'appel attaqué. La Chambre civile de la Cour
suprême siège en audience publique ordinaire dans le respect de sa
composition fixée par l'article 23 de la loi n° 75/16 du 18 décembre 1975 visant
l'organisation et la procédure devant la Cour suprême 10.
En cas de cassation de la décision attaquée, elle rend un arrêt de
cassation sans renvoi n, ce qui a amené son auteur à dire que « la Cour
semble juger le fond de l'exécution provisoire ou se substituer au juge
de renvoi pour trancher... Cette situation est d'autant plus curieuse qu'en
matière de défenses à exécution, il n'existe pas de double examen devant
les juges du fond, le premier et le deuxième juges ayant connu l'affaire
étant l'unique cour d'appel compétente... » 12.
En réalité et à la décharge de la Cour suprême, il s'agit ici d'un
contentieux spécial, parasite 13, qui devrait revêtir une « procédure
d'urgence et subsidiaire dont l'efficacité suppose un dénouement rapide et
antérieur à la contestation principale pendante au fond devant la cour
d'appel » 14 et qui ne devrait être éternellement paralysé ou retardé, les
lenteurs et lourdeurs administratives camerounaises aidant, puisqu'on sait
que dès la saisine de la Cour suprême par voie de pourvoi d'ordre,
l'exécution de la décision de la cour d'appel est immédiatement suspendue,
même si elle était déjà commencée, en attendant la décision de la Cour
suprême 15.
La procédure du pourvoi d'ordre ainsi sommairement décrite, soulève
encore trois problèmes importants. Le problème de délais prefix déjà

8 Le ministre fait contrôler par la Cour suprême non seulement l'application des
dispositions légales visant le domaine de l'exécution provisoire de plein droit ou fondée sur les
matières énumérées à l'article 3, ou le domaine de l'exécution provisoire facultative (art.
4), mais aussi l'application de l'article 5 de l'ordonnance n°72/4 du 26 août 1972 selon
lequel9 La « toute
datedécision
de la saisine
de justice
de ladoitCour
êtren'a
motivée
pas étéenindiquée
fait et enpar
droit
la loi
sous; mais
peine l'on
de nullité
pourrait
».
faire courir le délai de deux mois (art. 4 (7)) à compter du jour où le greffier en chef aura
mis l'affaire en état d'être jugée.
10 Selon ce texte, les arrêts de la Cour suprême sont rendus par trois ou cinq magistrats
selon qu'elle siège en Assemblée ordinaire ou plénière : CS n° 633/cc du 22 juill. 1993 cité ;
CS n° 28/cc du 9 nov. 1995 (aff. Dzogang Albert).
n° 05/cc 11 CS
du n°10633/cc
oct. 1996,
du 22arrêts
juill. cités
1993 par
; n° H.
27/cc
TCHANTCHOU
du 9 nov. 1995op.; n°cit.28/cc
p. 76.du Cette
9 nov.manière
1995 ;
de juger de la Cour suprême depuis la loi de 1992 n'a pas changé jusqu'ici.
ß H.
13
14 A. TCHANTCHOU,
D. TJOUEN, supra,
op. note
cit.
cit. p.1.p. 76,
76.qui apaise lui-même ici ses premières inquiétudes
(V. note 10).
15 Art. 4 (8), loi de 1997 : « La notification du certificat de dépôt à la partie adverse
(dépôt de la requête aux fins de défenses à exécution adressée au président de la cour
d'appel concernée) et le pourvoi d'ordre suspendent immédiatement l'exécution, même
commencée, de la décision attaquée, jusqu'à l'intervention de l'arrêt de la juridiction saisie ».
A.-D. TJOUEN : EXÉCUTION DES DÉCISIONS DE JUSTICE - CAMEROUN 441

évoqué ; celui de savoir comment le ministre de la Justice, auteur unique


de l'unique voie de recours contre l'arrêt de la cour d'appel, avec ses
multiples occupations administratives et politiques devrait rapidement
apprendre et décider, dans l'énorme volume des arrêts rendus régulièrement
par semaine par les dix cours d'appel camerounaises, que tel ou tel arrêt
mérite d'être attaqué par le pourvoi d'ordre ; et enfin, le problème du
caractère administratif et confidentiel l6 de la procédure.
Dans la pratique, le ministre de la Justice apprendra l'existence de
certaines décisions soit par l'opinion publique, les mass média ou les
juges du fond quand il s'agit des affaires importantes menaçant par exemple
l'économie du pays ou visant de hautes personnalités ou de grandes sociétés
d'État 17, soit quelquefois par les parties elles-mêmes dans les autres cas 18,
ce qui est révélateur du peu d'efficacité de cette voie de recours qui, au
bout du compte semble avoir été détournée par la pratique de son noble
et vrai rôle que le législateur lui a pourtant imprimé dans l'intérêt des
parties, toutes catégories confondues.
Lorsque les parties elles-mêmes, par tous les moyens, ont pu informer
le ministre et provoquer le pourvoi d'ordre, la confidentialité de la
procédure s'affaiblit pour autant parce que ces parties suivent généralement de
façon assidue l'évolution de la procédure jusqu'au bout et au mieux de
leurs intérêts même bafoués. Mais le procureur général saisissant le greffier
en chef uniquement sur les instructions du ministre de la Justice, l'on en
déduit que la suspension immédiate de l'exécution de la décision de la
Cour d'appel qui s'ensuit est le fait non du procureur général, membre de
l'appareil judiciaire, mais du ministre, autorité administrative et politique.
M. Tchantchou s'étonne que le législateur ait par là permis l'empiétement
de l'exécutif sur le judiciaire quand il pose la question de savoir « comment
admettre que le pourvoi d'ordre, acte d'une autorité administrative, puisse
paralyser même momentanément l'exécution d'une décision de
justice » ? 19.

16 H. TCHANTCHOU, op. cit. p. 70. Administrative, la procédure l'est essentiellement,


pour être déclenchée par instruction du ministre de la Justice au Procureur général, lequel,
par le même procédé saisit le greffier en chef. La confidentialité s'explique par le fait que
tout s'accomplit dans l'ignorance théorique des parties concernées comme s'il s'agissait au
début d'une procédure pénale où l'instruction est en principe secrète.
17 Affaire B.G.C.S. et SEPA c. Dzogang Albert, CS, n° 28/cc du 9 nov. 1995, Tribune
du droit, n° 10 p. 13, Affaire Sonara c. Podie Luc suite au pourvoi du Procureur général
près la Cour Suprême n° 05/94-95 du 24 mars 1995 contre l'arrêt n° 86/DE du 14 déc. 1994
rendu par la Cour d'appel du Littoral (Douala).
18 II s'agit généralement de procès où soit les parties sont peu nanties, soit dont l'intérêt
est mineur pour qu'ils puissent être portés à la connaissance du ministre de la Justice par
d'autres moyens que les démarches personnelles des parties ou leurs avocats défenseurs,
en soulignant en passant que la constitution d'avocat elle-même devant les juridictions du
fond n'est pas obligatoire en droit camerounais.
19 H. TCHANTCHOU, op. cit. p. 7. Il explique cet empiétement exceptionnel et utile
par le fait que si cet effet suspensif n'était pas prévu, la plupart des recours seraient devenus
caducs ou sans objet parce que l'exécution aurait déjà eu lieu avant la décision de la Cour
suprême. Cette explication ne nous semble pas convaincante parce que pour éviter une
exécution jugée injuste ou nuisible, le législateur n'aurait pas dû procéder par la violation
du grand principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs, le ministre n'étant de surcroît
ni le Chef de l'État, ni partie au procès civil où même le ministère public, membre de
442 REVUE INTERNATIONALE DE DROIT COMPARÉ 2-2000

En conclusion, la loi commentée a été mieux rédigée que les textes


antérieurs qu'elle a abrogés. Elle serait davantage appréciée si le législateur
acceptait de prendre à profit le relais que lui tend l'auteur à travers les
quelques critiques formulées et les modestes améliorations proposées, sans
encore attendre 2002. Mais une ardente et plus profonde réflexion sur les
trois problèmes ci-dessus posés, en vue de solutions définitives, efficaces
et acceptables, est encore nécessaire. Elle interpelle le législateur
camerounais, les magistrats et tous les théoriciens du droit qui s'intéressent à ce
thème.

l'appareil judiciaire, n'est que partie jointe. V. l'arrêt classique, Honoré Bodin en Cochinchine,
Chambre civile de la Cour de cassation du 17 déc. 1913 (sur pourvoi du Procureur général
formé contre un arrêt de la Chambre civile de la Cour d'appel de Saigon), D. 1914. I. 26,
note BINET, S. 1914. I. 153, note RUBEN de COUDERC, Rev. trim. dr. civ. 1915. 207,
obs. JAPIOT.
L'on remarque comment, principalement mais justement préoccupée de retirer au
Président de la Cour d'appel sa superpuissance, la loi de 1992, qui a institué le pourvoi d'ordre,
a malheureusement omis d'étudier tous ses contours : d'où la nécessité d'une autre réforme
(notre article en cours de rédaction : Pour une nouvelle réforme de la loi sur l'exécution
des décisions de justice en droit camerounais).
Précisons qu'il faudrait éviter de confondre le « pourvoi d'ordre » qui frappe les
décisions de défenses à exécution dans l'intérêt des parties et le « pourvoi d'ordre dans l'intérêt
de la loi » qui ne frappait que les ordonnances du président de la cour d'appel en matière
de sursis à exécution rendues antérieurement à la loi du 14 août 1992 (mais non encore
exécutable), selon l'art. 6 de la loi n° 92/008 du 14 août 1992 qui renvoie à l'art. 6 de
l'ordonnance n° 76/18 du 14 déc. 1976 portant organisation de la Cour suprême, à l'initiative
du Procureur général près la Cour suprême auquel cas, dans le seul intérêt de la loi, aucune
des parties au procès ne pouvait se prévaloir de la cassation éventuelle des ordonnances
attaquées puisqu'elle n'intervenait dans l'intérêt d'aucune d'entre elles.
L'on regrette que, malgré cette différence bien établie, la pratique judiciaire, dans la
confusion, connaisse encore depuis ladite loi du 14 août 1992, des cas de pourvoi dans
l'intérêt de la loi contre les arrêts de la cour d'appel en défenses à exécution. V. aff. Sonara
c. Podie Luc (note 16) cité par H. TCHANTCHOU, op. cit. p. 72.

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