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Licence DROIT – Semestre 4

Année 2023-2024
Cours : Caroline DUPARC
Travaux dirigés : Nicolas JERUSALEMY – Paul LAURENT – Sarah VIRRION

DROIT PENAL GENERAL

Séance n°1 : Les sources du droit pénal

I. Lire les documents suivants et rédiger la fiche d’arrêt des décisions n° 5 à n° 9 :

A. Le principe de la légalité

- A travers l’exemple du harcèlement sexuel, l’obligation pour l’autorité normative de rédiger les textes
incriminateurs en des termes clairs et précis

• Document n° 1 : Crim. 29 fév. 2012 : n° 11-85.377.

• Document n° 2 : Cons. const., Décision n° 2012-240 QPC, 4 mai 2012 : JORF 5 mai 2012, p. 8015,
texte n° 150 – suivie du commentaire de Raphaële Parizot, « Exit le délit-tautologie de harcèlement
sexuel », LPA 24 mai 2012, p. 3.

• Document n° 3 : Exposé des motifs de la loi n° 2012-954 du 7 août 2012

• Document n° 4 : Article 222-33 du Code pénal dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-954 du 7
août 2012

- Le principe de l’interprétation stricte de la loi pénale

• Document n° 5 : Ass. plén. 26 juin 2001, n° 99-85.973

• Document n° 6 : Crim. 14 avril 2021, n° 20-81.196 : D. 2021. 937, note Dreyer (reproduit ; v.
seconde partie du commentaire) ; AJ pénal 2021. 257, note Darsonville

B. Le respect de la hiérarchie des normes

• Document n° 7 : Crim. 22 octobre 1970, Société « Les fils d’Henri Ramel » : Jean Pradel et André
Varinard, Les grands arrêts du droit pénal général, Dalloz, n°4 (consulter la dernière édition).

• Document n° 8 : Crim. 4 septembre 2001, Bull. crim. n°170.

• Document n° 9 : Ass. plén. 15 avril 2011 (4 arrêts), n° 10-30.316 (reproduit), n° 10-30.313, n° 10-
17.049 et n° 10-30.242 : RSC 2011, p. 410, obs. Giudicelli (reproduit).

• Document n° 10 : D. Mayer, « Vers un contrôle de la loi par le juge pénal ? », D. 2001, p. 1643.

II. Traiter le sujet suivant : Dissertation juridique

L’office du juge et la loi pénale


Il est conseillé de compléter le cours en consultant les différents traités et manuels de droit pénal général (cf.
bibliographie déposée sur l’espace Moodle du cours), ainsi que Les grands arrêts du droit pénal général des
professeurs Jean Pradel et André Varinard, afin d’avoir des points de vue divers sur le sujet (v. ég. R. Merle et A.
Vitu, Traité de droit criminel, tome 1, 7ème éd., Cujas, 1997, pp. 235-245).

L’introduction, les chapeaux, ainsi que les transitions, doivent être entièrement rédigés. Un plan pour le corps du
devoir est suffisant, à condition qu’il soit très détaillé.
Doc. n°1

Cour de cassation - chambre criminelle


29 février 2012

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de justice à
PARIS, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur la question prioritaire de constitutionnalité formulée par mémoire spécial reçu le 14 décembre 2011 et
présenté par :

- M. Gérard X...,

à l'occasion du pourvoi formé par lui contre l'arrêt de la cour d'appel de LYON, 4e chambre, en date du 15 mars
2011, qui, pour harcèlement sexuel, l'a condamné à trois mois d'emprisonnement avec sursis, 5 000 euros
d'amende, trois ans d'interdiction d'exercer une fonction ou un emploi public, et a prononcé sur les intérêts civils ;

(…)

Attendu que la question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :

" L'article 222-33 du code pénal est-il contraire aux articles 5, 8 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen de 1789, 34 de la Constitution ainsi qu'aux principes de clarté et de précision de la loi, de prévisibilité
juridique et de sécurité juridique, en ce qu'il punit « le fait de harceler autrui dans le but d'obtenir des faveurs de
nature sexuelle » sans définir les éléments constitutifs de ce délit ? ; "

Attendu que la disposition contestée est applicable à la procédure ;

Qu'elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil
constitutionnel ;

Qu'elle est sérieuse au regard du principe de légalité des délits et des peines, en ce que la définition du harcèlement
sexuel pourrait être considérée comme insuffisamment claire et précise, dès lors que le législateur s'est abstenu de
définir le ou les actes qui doivent être regardés, au sens de cette qualification, comme constitutifs de harcèlement
sexuel ;

D'où il suit qu'il y a lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel ;

Par ces motifs :

RENVOIE au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité ; (…)


Doc. n° 2
Décision n° 2012-240 QPC du 4 mai 2012
M. Gérard D. [Définition du délit de harcèlement sexuel]

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 29 février 2012 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 1365
du 29 février 2012), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de
constitutionnalité posée par M. Gérard D., relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit
de l'article 222-33 du code pénal.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu le code pénal ;

Vu la loi n° 92-684 du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions du code pénal relatives à la répression des
crimes et délits contre les personnes ;

Vu la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la
protection des mineurs ;

Vu la loi no 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale ;

Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions
prioritaires de constitutionnalité ;

Vu les observations en intervention produites pour l'Association européenne contre les violences faites aux femmes
au travail par Me Nadjette Guenatef, avocate au barreau de Créteil, enregistrées le 19 mars et le 12 avril 2012 ;

Vu les observations produites pour le requérant par la SCP Waquet-Farge-Hazan, Avocat au Conseil d'État et à la
Cour de cassation, enregistrées le 23 mars et le 6 avril 2012 ;

Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 23 mars 2012 ;

Vu les pièces produites et jointes au dossier ;

Me Claire Waquet, Me André Soulier, Me Nadjette Guenatef et M. Xavier Potier, ayant été entendus à l'audience
publique du 17 avril 2012 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant qu'aux termes de l'article 222-33 du code pénal « Le fait de harceler autrui dans le but d'obtenir des
faveurs de nature sexuelle est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende » ;

2. Considérant que, selon le requérant, en punissant « le fait de harceler autrui dans le but d'obtenir des faveurs de
nature sexuelle » sans définir précisément les éléments constitutifs de ce délit, la disposition contestée méconnaît le
principe de légalité des délits et des peines ainsi que les principes de clarté et de précision de la loi, de prévisibilité
juridique et de sécurité juridique ;

3. Considérant que le législateur tient de l'article 34 de la Constitution, ainsi que du principe de légalité des délits et
des peines qui résulte de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, l'obligation de
fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment
clairs et précis ;
4. Considérant que, dans sa rédaction résultant de la loi du 22 juillet 1992 susvisée, le harcèlement sexuel, prévu et
réprimé par l'article 222-33 du nouveau code pénal, était défini comme « Le fait de harceler autrui en usant
d'ordres, de menaces ou de contraintes, dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle, par une personne
abusant de l'autorité que lui confèrent ses fonctions » ; que l'article 11 de la loi du 17 juin 1998 susvisée a donné
une nouvelle définition de ce délit en substituant aux mots « en usant d'ordres, de menaces ou de contraintes », les
mots : « en donnant des ordres, proférant des menaces, imposant des contraintes ou exerçant des pressions graves »
; que l'article 179 de la loi du 17 janvier 2002 susvisée a de nouveau modifié la définition du délit de harcèlement
sexuel en conférant à l'article 222-33 du code pénal la rédaction contestée ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'article 222-33 du code pénal permet que le délit de harcèlement
sexuel soit punissable sans que les éléments constitutifs de l'infraction soient suffisamment définis ; qu'ainsi, ces
dispositions méconnaissent le principe de légalité des délits et des peines et doivent être déclarées contraires à la
Constitution ;

6. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée
inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du
Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les
conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause »
; que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de
constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en
cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l'article 62 de la
Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses effets
que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration ;

7. Considérant que l'abrogation de l'article 222-33 du code pénal prend effet à compter de la publication de la
présente décision ; qu'elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date,

DÉCIDE:
Article 1er.- L'article 222-33 du code pénal est contraire à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet à compter de la publication de la présente
décision dans les conditions fixées au considérant 7.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les
conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Exit le délit-tautologie de harcèlement sexuel


Issu de Petites affiches - n°104 - page 3

• Par Raphaële Parizot, Professeur à l'université de Poitiers

Par la décision no 2012-240 QPC, le Conseil constitutionnel a abrogé le délit de harcèlement sexuel
prévu par l’article 222-33 du Code pénal. Cette abrogation, parfaitement fondée au regard du principe de
légalité des délits et des peines, pose cependant plusieurs questions pratiques tant au plan judiciaire
qu’au plan législatif.

« Le fait de harceler autrui, dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle, est puni d'un an
d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende » disposait l'article 222-33 du Code pénal. Cette disposition
est abrogée par la décision no 2012-240 QPC du Conseil constitutionnel du 4 mai 2012 1.
Cette censure n'est pas une surprise tant le délit de harcèlement sexuel avait fait l'objet de critiques de
la part notamment de la doctrine 2. Pour autant, la disparition de l'article 222-33 du Code pénal suscite
un certain nombre de questions touchant à la portée de l'abrogation.

I. Le fondement de l'abrogation de l'article 222-33 du Code pénal


L'infraction a été introduite en droit français par le Code pénal de 1992. L'article 222-33 définissait alors
le harcèlement sexuel comme « Le fait de harceler autrui en usant d'ordres, de menaces ou de
contraintes, dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle, par une personne abusant de l'autorité
que lui confèrent ses fonctions ».
La loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la
protection des mineurs avait un peu modifié le texte en introduisant une palette de verbes et la notion de
« pressions graves » : « Le fait de harceler autrui en donnant des ordres, proférant des menaces,
imposant des contraintes ou exerçant des pressions graves, dans le but d'obtenir des faveurs de nature
sexuelle, par une personne abusant de l'autorité que lui confèrent ses fonctions ».
Considéré trop restrictif en ce qu'il était circonscrit aux relations verticales de travail, le texte a été «
déshabillé » 3 par la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale qui a, par ailleurs, créé le délit de
harcèlement moral. Disparu le rapport de hiérarchie, disparues les manifestations du harcèlement,
inexistantes les conséquences sur la victime (à la différence des infractions de violences 4 ou de
harcèlement moral 5) : le harcèlement sexuel se réduisait au fait de harceler sexuellement et constituait
donc une tautologie. Que veut dire harceler ? Le texte ne le disait pas. De manière générale, le
harcèlement se définit comme le fait de tourmenter de façon incessante quelqu'un.
On croit tenir alors une condition, celle de la répétition des actes : la réitération étant inhérente à la
notion de harcèlement, elle aurait été sous-entendue par l'article 222-33. En réalité, par confrontation
avec l'article 222-33-2 qui exige expressément la répétition pour caractériser le harcèlement moral,
l'article 222-33 ne requérait pas une telle condition pour le harcèlement sexuel.
Quant aux actes caractérisant à proprement parler le harcèlement, en quoi consistent-ils ? Où finit la
tentative de séduction un peu trop pressante et où commence le harcèlement sexuel ? Le texte n'en
disait rien non plus. Pas davantage le texte ne définissait précisément le but poursuivi par le
harcèlement.
L'article 222-33 évoquait de façon très floue la recherche de faveurs de nature sexuelle, sans spécifier
s'il s'agissait de relations sexuelles à proprement parler ou bien, plus largement, de contacts physiques
relevant de fantasmes d'ordre sexuel.
Certes la jurisprudence fait une application application plutôt sérieuse du texte loin de la démesure à
laquelle l'infraction exposait 6. Bon nombre de décisions motivent en effet le choix du harcèlement
sexuel au-delà de ce qu'exigeait (ou n'exigeait pas...) le texte. Mais une interprétation jurisprudentielle,
aussi raisonnable soit-elle, ne suffit pas à cautionner un texte ouvert aux quatre vents.
Contraire au principe constitutionnel de légalité (Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de
1789, art. 8) qui requiert clarté et précision de la loi pénale, l'infraction ne pouvait qu'être censurée par le
Conseil constitutionnel : « L'article 222-33 du Code pénal permet que le délit de harcèlement sexuel soit
punissable sans que les éléments constitutifs de l'infraction soient suffisamment définis ; (...) ainsi, ces
dispositions méconnaissent le principe de légalité des délits et des peines et doivent être déclarées
contraires à la Constitution » (cons. no 5).
Sur ce point, il n'y a rien à ajouter. Le Conseil constitutionnel s'est bien montré le garant du principe de
légalité 7.
Et maintenant ? Le harcèlement sexuel de l'article 222-33 du Code pénal a disparu de notre arsenal
juridique, soit. Mais si cette abrogation est simple à comprendre dans son fondement, elle est plus
complexe à appréhender dans ses conséquences.

II. La portée de l'abrogation de l'article 222-33 du Code pénal


Le sens de l'abrogation est clair : l'abrogation touche au seul article 222-33 du Code pénal et elle est
immédiate.
En premier lieu, l'abrogation ne vaut que pour l'article 222-33 du Code pénal, seul objet de la saisine du
Conseil constitutionnel.
Tout d'abord, cela signifie que l'article L. 1153-1 du Code du travail, tout en étant la reproduction
quasiment identique de l'article 222-33 du Code pénal 8, reste en vigueur.
Pour autant, il semble évident que, désormais, des poursuites pénales fondées sur les articles L. 1155-2
et L. 1153-1 du Code du travail ne sauraient aboutir dès lors qu'une question prioritaire de
constitutionnalité serait soulevée à propos de ces textes sur le fondement du principe de légalité. En
revanche, se pose la question du sort des actions civiles (art. L. 1154-1) en contestation d'un
licenciement ou d'une sanction pour avoir subi ou refusé de subir des agissements de harcèlement
sexuel (art. L. 1153-2) ou pour avoir dénoncé de tels agissements (art. L. 1153-3). Devraient-elles se
poursuivre, le principe de légalité ne valant qu'en matière pénale ?
Ou bien devrait-on considérer que ces dispositions ont vocation elles aussi à disparaître dans la mesure
où, par leur référence aux agissements de harcèlement sexuel tels que définis par l'article L. 1153-1,
elles méconnaissent l'exigence de clarté de la loi qui découle de l'article 34 de la Constitution 9? Sans
préjuger de l'autonomie du droit du travail par rapport au droit pénal ni de la rigueur sans doute moins
grande attachée au principe de clarté de la loi par rapport au principe de légalité, il semble que le
Conseil constitutionnel, s'il est saisi sur ce point, devrait abroger aussi l'ensemble des dispositions du
Code du travail — pénales évidemment mais aussi civiles — relatives au harcèlement sexuel.
Ensuite, dire que l'abrogation ne vaut que pour l'article 222-33 du Code pénal signifie qu'elle ne vaut que
pour l'article 222-33 du Code pénal issu de la loi du 17 janvier 2002 et pas pour la disposition antérieure
qui reste en vigueur, semble-t-il, dans certains territoires français. En effet, la Polynésie française, Saint-
Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna, la Nouvelle-Calédonie bénéficient du principe dit de la spécialité
législative qui requiert un texte spécifique pour promulguer les lois nouvelles. Or, la loi du 17 janvier
2002 n'a pas fait l'objet d'un tel texte en matière de harcèlement sexuel 10. Les dispositions en vigueur
dans ces territoires sont donc celles de l'ancien article 222-33, beaucoup plus précis 11.
En second lieu, l'abrogation est immédiate : « l'abrogation de l'article 222-33 du Code pénal prend effet à
compter de la publication de la présente décision ; (...) elle est applicable à toutes les affaires non jugées
définitivement à cette date » (cons. no 7).
Cette abrogation emporte tout d'abord inévitablement des conséquences au plan judiciaire. On peut
commencer par souligner le double effet positif de cette abrogation : pour les personnes poursuivies
bien évidemment qui gagnent en sécurité juridique puisque, depuis la décision, elles n'ont plus à
craindre l'application d'un texte non respectueux du principe de légalité ; pour les victimes aussi, dans la
mesure où cette abrogation rend désormais impossible la poursuite à la baisse d'agressions sexuelles
plus graves 12. Mais cette abrogation immédiate crée surtout des difficultés concernant les affaires en
cours 13.
Le texte cessant de s'appliquer, en théorie toute affaire en cours sur le fondement de l'article 222-33 du
Code pénal s'arrête et toute condamnation non définitive pour harcèlement sexuel doit forcément aboutir
à une relaxe. Mais cette crainte, relayée dans les médias à la suite de la décision du Conseil
constitutionnel, doit être doublement relativisée. Premièrement, dans l'hypothèse où les faits sont
poursuivis sous la seule qualification de harcèlement sexuel, il ne faut pas sous-estimer la possibilité
offerte au juge de requalifier les faits en cours de procédure. Le juge pénal, on le sait, est saisi in rem,
c'est-à-dire des faits visés à la prévention, et il n'est pas lié par la qualification donnée à ces faits par le
ministère public. La seule obligation faite au juge qui procède à une requalification en cours de
procédure — obligation, il est vrai, strictement contrôlée par la Cour de cassation et par la Cour
européenne des droits de l'homme — est de mettre le prévenu en mesure de présenter sa défense sur
la nouvelle qualification envisagée 14. Deuxièmement, à la lecture de la jurisprudence rendue en
matière de harcèlement sexuel, on se rend compte que les poursuites — voire la condamnation quand
elle est prononcée 15 — sont rarement fondées sur la seule qualification de harcèlement sexuel. C'est
qu'en effet les comportements qualifiés de harcèlement sexuel peuvent tomber sous le coup d'autres
qualifications : agressions sexuelles plus graves (C. pén., art. 222-27 et s.) 16, harcèlement moral (C.
pén., art. 222-33-2) 17, menaces (C. pén., art. 222-17 et s.) ou appels téléphoniques malveillants (C.
pén., art. 222-16) 18, violences (C. pén., art. 222-11 et s., et ce d'autant que les violences peuvent être
psychologiques) 19. Cela permet d'envisager assez sereinement les lendemains de l'abrogation de
l'article 222-33, par la poursuite des procédures engagées sur le fondement soit d'une nouvelle
qualification, soit d'une ou de plusieurs des autres qualifications envisagées ab initio.
Au-delà des affaires judiciaires en cours ou à venir, l'abrogation de l'article 222-33 porte ensuite à
s'interroger sur l'obligation ou l'opportunité d'adopter un nouveau texte en la matière et, le cas échéant,
sur la forme que devrait prendre ce nouvel article. Outre le fait que l'existence d'une infraction de
harcèlement sexuel revêt une trop forte dimension symbolique pour que l'on puisse imaginer s'en passer
en droit français, l'Union européenne, particulièrement attentive depuis plusieurs années au problème
des discriminations dans le cadre du travail, parmi lesquelles elle range le harcèlement sexuel, impose
aux États membres d'interdire de tels comportements et d'adopter en la matière des sanctions
effectives, proportionnées et dissuasives 20. Reste alors à réfléchir à la rédaction du nouveau texte.
Doit-on revenir à la rédaction antérieure de l'article 222-33 et donc limiter le champ d'application du texte
aux relations verticales de travail ? Doit-on s'inspirer de la définition du harcèlement sexuel donnée par
les directives européennes : « La situation dans laquelle un comportement non désiré à connotation
sexuelle, s'exprimant physiquement, verbalement ou non verbalement, survient avec pour objet ou pour
effet de porter atteinte à la dignité d'une personne et, en particulier, de créer un environnement
intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant » (art. 2-1 d) de la directive de 2006 et art. 3 d) de
la directive de 2010) ? En réalité, la question ne pourra être résolue en faisant l'économie d'une réflexion
sur le bien juridique protégé. Le harcèlement sexuel constitue-t-il, notamment comme forme de
discrimination au travail, une atteinte à la dignité, auquel cas il faudrait déplacer cette infraction parmi les
atteintes à la dignité prévues par les articles 225-1 et suivants du Code pénal 21? Ne constitue-t-il pas
plutôt une atteinte à l'intégrité physique et psychique de la personne, couplée à une atteinte à la liberté
sexuelle, ce qui justifie alors sa place au sein des agressions sexuelles ?
Plus largement, nous semble-t-il, l'abrogation de l'infraction de harcèlement sexuel, qui fait suite à celle
des dispositions relatives à l'inceste 22, devrait amener le législateur à réfléchir non pas seulement à la
nouvelle rédaction du délit de harcèlement sexuel mais, au-delà, à la construction des infractions
sexuelles dans le Code pénal 23.
1–
(1) Sur renvoi de la Cour de cassation : Cass. crim., 29 févr. 2012, no 11-85377, inédit.
2–
(2) V. notamment P. Conte, «Une nouvelle fleur de légistique : le crime en boutons. À propos de la
nouvelle définition du harcèlement sexuel» : JCP G 2002, act. no 320 ; D. Roets, «L'inquiétante
métamorphose du délit de harcèlement sexuel. À propos de la réécriture de l'article 222-33 du Code
pénal par la loi no 2002-73 du 17 janvier 2002 dite «de modernisation sociale»» : D. 2002, 2059.
3–
(3) Selon le mot de Me C. Waquet dans sa plaidoirie devant le Conseil constitutionnel.
4–
(4) Les infractions de violences sont graduées selon la gravité du dommage causé à la victime (C. pén.,
art. 222-7 et s.).
5–
(5) Même s'il faut nuancer pour le harcèlement moral dans la mesure où les conséquences du
comportement sont envisagées de façon très large, les agissements visés devant avoir «pour objet ou
pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa
dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel» (C. pén.,
art. 222-33-2).
6–
(6) Le nombre de condamnations par an en matière de harcèlement sexuel tourne autour de 50
(l'Annuaire statistique de la justice fait état de chiffres stables).
7–
(7) On peut d'ailleurs se demander si, après une période où il s'est montré assez peu enclin à censurer
des dispositions au regard du principe de légalité, et ce alors même qu'il aurait pu le faire (pour ne
donner qu'un exemple, l'article 222-14-2 du Code pénal relatif à la participation à une bande violente,
validé par le Conseil constitutionnel : v. notre article, «L'incrimination de participation à une bande ayant
des visées violentes, un nouvel exemple de mépris(e) à l'égard des principes du droit pénal» : D. 2009.
2701), le Conseil constitutionnel marque une simple pause dans sa politique jurisprudentielle ou bien s'il
amorce une nouvelle période. Dans cette dernière hypothèse, le Conseil constitutionnel a de quoi faire :
le harcèlement sexuel, même s'il en constitue un exemple incontestable, n'est pas la seule infraction
imprécise du Code pénal. On pense notamment aux violences (en particulier quand elles n'ont entraîné
aucune incapacité de travail) qui ne sont définies nulle part et dont le législateur, en 2010, a même
«précisé» (façon de parler...) qu'elles «sont réprimées quelle que soit leur nature, y compris s'il s'agit de
violences psychologiques» (C. pén., art. 222-14-3). On pense encore aux agressions sexuelles qui sont
à la fois un tout (le titre d'une section «Des agressions sexuelles») et une partie du tout («des autres
agressions sexuelles», titre d'un paragraphe dans la section ; «les agressions sexuelles autres que le
viol», comportement visé par les articles 222-27 et s.).
8–
(8) L'article L. 1153-1 du Code du travail dispose : «Les agissements de harcèlement de toute personne
dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d'un tiers sont interdits». En
application de l'article L. 1155-2, les faits de harcèlement sexuel sont punis d'un emprisonnement d'un
an et d'une amende de 15 000 €.
9–
(9) Cons. const., 12 janv. 2002, no 2001-455 DC, relative à la loi de modernisation sociale : dans cette
décision, le Conseil constitutionnel évalue (et valide) le harcèlement moral, tel que prévu dans le Code
du travail, à la fois dans son volet pénal à l'aune du principe de légalité et dans son volet civil à l'aune de
l'exigence de clarté de la loi (cons. no 76 et s.). Plus haut dans la décision, le Conseil constitutionnel
considère que : «Le principe de clarté de la loi, qui découle de l'article 34 de la Constitution, et l'objectif
de valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration
(de 1789), lui imposent, afin de prémunir les sujets de droits contre une interprétation contraire à la
Constitution ou contre le risque d'arbitraire, d'adopter des dispositions suffisamment précises et des
formules non équivoques» (cons. no 9).
10 –
(10) Pour le harcèlement moral, il a fallu attendre 2009 pour qu'il s'applique dans les collectivités d'outre-
mer. Selon l'article 225 de la loi de 2002 tel qu'issu de l'ordonnance no 2009-537 du 14 mai 2009,
«L'article 222-33-2 du Code pénal, tel qu'il résulte de l'article 170 de la (...) loi [de 2002], est applicable
dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie».
11 –
(11) Pour une référence au contexte polynésien, v. Cass. crim., 1er avr. 2009, no 08-86717, D.
12 –
(12) Dans un certain nombre de décisions, on voit en effet des poursuites du chef de harcèlement sexuel
alors que les faits tombent incontestablement sous la qualification d'agressions sexuelles (C. pén.,
art. 222-27 et s.). Par exemple, Cass. crim., 2 sept. 2009, no 09-80144, D – Cass. crim., 30 sept. 2009,
no 09-80971, D.
13 –
(13) Ce qui explique d'ailleurs que, dans les observations en intervention produites par l'Association
européenne contre les violences faites aux femmes au travail, pourtant favorable à l'abrogation de ce
texte, ait été demandée une abrogation différée à l'adoption d'un nouveau texte.
14 –
(14) V. F. Desportes et L. Lazerges-Cousquer, Traité de procédure pénale, Paris, Économica, 2009,
no 2907-2908.
15 –
(15) Et sans que l'argument, pourtant souvent opportun, de violation du principe ne bis in idem ait de
chance de prospérer devant la Cour de cassation.
16 –
(16) Par exemple, Cass. crim., 17 févr. 2010, no 09-84769, D – Cass. crim., 4 janv. 2011, no 10-84078,
D (condamnations pour agression et harcèlement sexuels).
17 –
(17) Par exemple, Cass. crim., 30 sept. 2009, no 09-80971, D (condamnation pour harcèlements moral
et sexuel) – Cass. crim., 21 juin 2011, no 10-87-053, D – Cass. crim., 28 févr. 2012, no 83-659, D
(condamnations sur le seul fondement du harcèlement moral alors même que la qualification de
harcèlement, voire d'agression sexuelle était envisageable).
18 –
(18) V. par exemple, Cass. crim., 17 févr. 2010, no 09-84769, D (condamnation pour harcèlement sexuel
et appels téléphoniques malveillants).
19 –
(19) Par exemple, Cass. crim., 21 sept. 2010, no 09-87579, D (condamnation pour violences volontaires
ayant entraîné une ITT inférieure à huit jours et harcèlement sexuel).
20 –
(20) Dir. no 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en
œuvre du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en
matière d'emploi et de travail et directive no 2010/41/UE du Parlement européen et du Conseil du
7 juillet 2010 concernant l'application du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes
exerçant une activité indépendante.
21 –
(21) Mais, comme d'autres (notamment, M. Fabre-Magnan, «Dignité humaine», in Dictionnaire des droits
de l'homme, dir. J. Andriantsimbazovina, H. Gaudin, J.-P. Marguénaud, S. Rials, F. Sudre, Paris, PUF,
2008), il nous semble très critiquable de faire de la dignité une valeur parmi d'autres, «coincée» entre les
atteintes aux libertés de la personne et les atteintes à la personnalité : est-il acceptable que, dans le
Code pénal, le bizutage, les atteintes au respect dû aux morts ou l'exploitation de la vente à la sauvette
par exemple constituent des atteintes à la dignité ? Et le clonage reproductif ? Et les actes de torture et
de barbarie ? Ne s'agit-il pas aussi d'atteintes à la dignité ?
22 –
(22) Déc. no 2011-163 QPC, 16 sept. 2011 et no 2011-222 QPC, 17 févr. 2012.
23 –
(23) V. le numéro 2012 à paraître des Archives de politique criminelle relatif aux violences sexuelles.
Doc. n°3
Exposé des motifs de la loi n° 2012-954 du 7 août 2012

Les agissements de harcèlement sexuel, dont les femmes sont le plus souvent les victimes, portent gravement
atteinte à la dignité des personnes et doivent être pénalement sanctionnés, comme l'avait prévu l'article 222-
33 du nouveau code pénal entré en vigueur le 1er mars 1994.

Il est dès lors de la responsabilité du Gouvernement, à la suite de la décision du Conseil constitutionnel n°


2012-240 QPC du 4 mai 2012, ayant déclaré cet article, dans sa rédaction issue de la loi de modernisation
sociale du 17 janvier 2002, contraire à la Constitution en raison de son imprécision, de proposer au
Parlement de rétablir sans délai cette incrimination et dans une rédaction appropriée.

La définition du délit de harcèlement sexuel doit, tout en respectant pleinement l'exigence constitutionnelle
de légalité des incriminations, permettre une répression plus efficace que celle qui résultait des dispositions
du code pénal en vigueur jusqu'à la loi de 2002.

Il est donc proposé une définition qui se rapproche de celles données par les directives 2002/73/CE,
2004/113/CE et 2006/54/CE, en incriminant des comportements imposés, répétés, qui présentent une
connotation sexuelle et qui, soit portent atteinte à la dignité de la personne en raison de leur caractère,
dégradant ou humiliant, soit créent pour elle un environnement intimidant, hostile ou offensant. Ces faits
seront ainsi punis d'un an d'emprisonnement et 15 000 € d'amende.

Il n'est plus exigé, comme par le passé, des pressions tendant à obtenir une relation de nature sexuelle.
Cependant, lorsque l'obtention de telles faveurs aura été recherchée, les faits seront punis de peines
aggravées, soit deux ans d'emprisonnement et 30 000 € d'amende, et ce même en l'absence de répétition des
agissements.

Des circonstances aggravantes similaires à celles prévues pour d'autres infractions contenues dans le code
pénal, comme l'abus d'autorité, la minorité ou la particulière vulnérabilité de la victime ou encore la
commission de l'infraction par plusieurs personnes porteront les peines jusqu'à trois ans d'emprisonnement et
45 000 € d'amende.

Des situations d'une réelle gravité seront ainsi désormais saisies par le droit pénal.

Par ailleurs, au delà de la répression du harcèlement sexuel proprement dit, il importe également de
sanctionner les discriminations qui peuvent résulter de ces faits de harcèlement.

Ces discriminations doivent être réprimées y compris lorsqu'elles interviennent dans des domaines autres que
les relations de travail, et y compris si elles font suite à un acte unique, et non à des actes répétés, comme
cela peut être le cas d'une personne qui, parce qu'elle a refusé une proposition de nature sexuelle, n'est pas
embauchée, est licenciée, n'obtient pas une promotion, ou se voit refuser un logement, ou n'importe quel bien
ou service.

Il est donc indispensable de compléter les dispositions du code pénal réprimant les discriminations, en y
ajoutant un article relatif aux discriminations intervenant en raison de l'acceptation ou du refus par une
personne de subir des agissements de harcèlement sexuel, y compris si ces agissements n'ont pas été commis
de façon répétée.

Ces faits seront ainsi punis, en application des articles 225-2 et 432-7 de ce code, de trois ans
d'emprisonnement s'ils sont commis par un particulier et de cinq d'emprisonnement s'ils sont commis par un
agent public ou dans un lieu accueillant du public ou aux fins d'en interdire l'accès (comme par exemple une
discothèque).

Le code du travail doit également être complété par coordination, afin de renvoyer à la nouvelle définition du
harcèlement sexuel figurant dans le code pénal, de préciser que les discriminations dans le travail faisant
suite à un harcèlement sexuel sont réprimées et d'aggraver les peines encourues.

Doc. n° 4
Article 222-33 du Code pénal dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-954 du 7 août 2012

I. - Le harcèlement sexuel est le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou
comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère
dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.

II. - Est assimilé au harcèlement sexuel le fait, même non répété, d'user de toute forme de pression grave
dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de
l'auteur des faits ou au profit d'un tiers.

III. - Les faits mentionnés aux I et II sont punis de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende.

Ces peines sont portées à trois ans d'emprisonnement et 45 000 € d'amende lorsque les faits sont commis :

1° Par une personne qui abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions ; 2° Sur un mineur de quinze ans ;

3° Sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une
déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de leur auteur ;

4° Sur une personne dont la particulière vulnérabilité ou dépendance résultant de la précarité de sa situation
économique ou sociale est apparente ou connue de leur auteur ;

5° Par plusieurs personnes agissant en qualité d'auteur ou de complice.

Doc. n° 5
Cour de cassation - Assemblée plénière
29 juin 2001

ASSEMBLEE PLENIERE.

LA COUR,

Sur les deux moyens réunis du procureur général près la cour d'appel de Metz et de Mme X... :

Attendu que le 29 juillet 1995 un véhicule conduit par M. Z... a heurté celui conduit par Mme X..., enceinte de
six mois, qui a été blessée et a perdu des suites du choc le foetus qu'elle portait ; que l'arrêt attaqué (Metz, 3
septembre 1998) a notamment condamné M. Z... du chef de blessures involontaires sur la personne de Mme X...,
avec circonstance aggravante de conduite sous l'empire d'un état alcoolique, mais l'a relaxé du chef d'atteinte
involontaire à la vie de l'enfant à naître ;

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir ainsi statué, alors que, d'une part, l'article 221-6 du Code pénal
réprimant le fait de causer la mort d'autrui n'exclut pas de son champ d'application l'enfant à naître et viable,
qu'en limitant la portée de ce texte à l'enfant dont le coeur battait à la naissance et qui a respiré, la cour d'appel a
ajouté une condition non prévue par la loi, et alors que, d'autre part, le fait de provoquer involontairement la
mort d'un enfant à naître constitue le délit d'homicide involontaire dès lors que celui-ci était viable au moment
des faits quand bien même il n'aurait pas respiré lorsqu'il a été séparé de la mère, de sorte qu'auraient été violés
les articles 111-3, 111-4 et 221-6 du Code pénal et 593 du Code de procédure pénale ;

Mais attendu que le principe de la légalité des délits et des peines, qui impose une interprétation stricte de la loi
pénale, s'oppose à ce que l'incrimination prévue par l'article 221-6 du Code pénal, réprimant l'homicide
involontaire d'autrui, soit étendue au cas de l'enfant à naître dont le régime juridique relève de textes particuliers

11
sur l'embryon ou le fœtus ;

D'où il suit que l'arrêt attaqué a fait une exacte application des textes visés par le moyen ;

Par ces motifs :

REJETTE le pourvoi.

Doc. n° 6
Cour de Cassation - Chambre criminelle
14 avril 2021

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

(…)
Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le 17 juillet 2014, M. [F] a écrit au directeur de cabinet de M. [C], archevêque de [Localité 1] depuis
2002, pour dénoncer des faits d'agressions sexuelles dont il avait été victime, au cours de son enfance,
avec d'autres jeunes gens, de la part de M. [U], prêtre du diocèse de [Localité 1], curé de paroisse,
aumônier d'un établissement catholique et aumônier d'unité scoute.

3. Plusieurs rencontres ont ensuite eu lieu entre M. [F], M. [C], et plusieurs de ses collaborateurs. M. [C]
a déchargé M. [U] de ses fonctions de curé, puis, le 29 juillet et le 31 août 2015, lui a interdit tout
ministère sacerdotal et toute activité comportant des contacts avec des mineurs.

4. Le 5 juin 2015, M. [F] a déposé plainte contre M. [U], pour agressions sexuelles sur mineurs de quinze
ans par personne ayant autorité, devant le procureur de la République à Lyon, lequel a ouvert une
information judiciaire, le 25 janvier 2016. D'autres victimes ont été identifiées. M. [U], qui a reconnu
avoir procédé à des attouchements sexuels sur de nombreux enfants, jusqu'en 1991, a été renvoyé devant
le tribunal correctionnel, par ordonnance du 29 octobre 2019.

5. Le 17 février 2016, MM. [S] et [B], tous deux victimes de M. [U], ont déposé, devant le juge
d'instruction saisi du dossier dans lequel M. [U] était mis en examen, une plainte pour non-dénonciation
d'agressions sexuelles sur des mineurs et omission de porter secours, afin que la responsabilité de certains
des membres du diocèse de [Localité 1] puisse être recherchée. Le juge d'instruction a communiqué la
plainte au procureur de la République, qui a décidé l'ouverture d'une enquête préliminaire, le 26 février
2016. A l'issue de celle-ci, il a procédé à un classement sans suite, le 1er août 2016.

6. Par actes des 23 mai, 1er juin et 17 juillet 2017, MM. [S], [F], [T], [B], [P] [P], [F] [P], [V], [I], [J],
indiquant avoir été victimes d'agressions sexuelles commises par M. [U], ont fait citer devant le tribunal
correctionnel de Lyon M. [C] et plusieurs de ses collaborateurs.

7. M. [C] a ainsi été cité pour omission de porter secours, de 2002 à 2015, pour avoir laissé des enfants et
adolescents être au contact de M. [U] et les avoir ainsi exposés à des agressions sexuelles, et pour non-
dénonciation d'agressions sexuelles sur mineurs, au cours de la même période.

8. Par jugement du 7 mars 2019, le tribunal correctionnel de Lyon a déclaré irrecevable l'action des
parties civiles, s'agissant de l'infraction d'omission de porter secours. Le tribunal a relaxé les
collaborateurs de M. [C], ou jugé que l'action publique était éteinte par prescription à leur égard. Le
tribunal correctionnel a retenu, en ce qui concerne M. [C], que l'infraction de non-dénonciation
d'agressions sexuelles n'était pas constituée pour la période antérieure à 2010, que l'action publique était
éteinte par prescription, depuis 2013, pour la non-révélation d'une agression dont il avait eu connaissance
en 2010, et l'a déclaré coupable des faits de non-dénonciation des agressions sexuelles qui lui avaient été

12
révélées à partir de juillet 2014 et jusqu'au 5 juin 2015. Le tribunal l'a condamné à six mois
d'emprisonnement avec sursis. Il a prononcé sur les intérêts civils.

9. Ce jugement a été frappé d'appel par M. [C] et par les parties civiles, ainsi que par le ministère public,
à titre incident.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

(…)

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

16. Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué en ce qu'il a relaxé M. [C] du chef de non-dénonciation d'atteintes
et d'agressions sexuelles commis sur mineurs s'agissant des faits postérieurs au 26 février 2013 et d'avoir
débouté les parties civiles de leurs demandes indemnitaires, alors :

« 1°/ que l'article 434-3 du code pénal, dans sa version applicable à l'époque des faits, et dès lors que la
loi n°2016-297 du 14 mars 2016, qui a précisé que l'obligation de dénonciation prévue par ce texte porte
également sur les agressions sexuelles, revêt sur ce point un caractère interprétatif, réprimait le fait, pour
quiconque ayant eu connaissance de privations, de mauvais traitements ou d'agressions ou atteintes
sexuelles infligés à un mineur de quinze ans ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en
raison de son âge, d'une maladie, d'une infirmité, d'une déficience physique ou psychique ou d'un état de
grossesse, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives ; que ce texte ne subordonne
pas l'obligation de dénonciation des faits infligés au mineur ou à une personne vulnérable à la possibilité
de poursuivre ces faits ; que, dès lors, en retenant, pour relaxer le prévenu et débouter certaines parties
civiles de leurs demandes indemnitaires, que le délit de non-dénonciation n'était pas constitué s'agissant
des faits d'atteintes et d'agressions sexuelles prescrits, la cour d'appel, qui a ajouté à la loi une condition
qu'elle ne comporte pas, a méconnu le texte susvisé et l'article 111-4 du code pénal ;

2°/ que l'article 434-3 du code pénal, qui incrimine la non-dénonciation d'infractions qui ont pour
caractéristique commune de présenter un risque élevé de réitération, n'a pas pour seule finalité de
permettre à la justice de poursuivre l'auteur de ces faits, mais aussi de lui offrir la possibilité de découvrir
des faits nouveaux et d'empêcher le renouvellement de l'infraction, sur la même victime ou sur d'autres
mineurs ou personnes vulnérables ; qu'il s'ensuit que l'obligation de dénonciation, à laquelle le texte
susvisé n'apporte aucune limitation temporelle, subsiste même lorsque les faits principaux ne peuvent
plus être poursuivis pour cause de prescription ; que, dès lors, en retenant, pour débouter de leurs
demandes indemnitaires les parties civiles ayant été victimes d'agressions sexuelles prescrites, que
l'obligation de dénonciation ne saurait être considérée comme juridiquement maintenue lorsque
l'infraction principale est prescrite et que l'intérêt protégé par l'article 434-3 du code pénal n'existe plus, la
cour d'appel a méconnu le sens et la portée de ce texte et violé l'article 111-4 du code pénal ;

3°/ qu'il résulte de l'article 434-3 du code pénal que la connaissance de faits de privations, de mauvais
traitements ou d'agressions ou atteintes sexuelles infligés à un mineur ou à une personne vulnérable
emporte l'obligation de les dénoncer aux autorités judiciaires ou administratives, y compris lorsque l'état
de minorité ou de vulnérabilité de la victime a cessé ; que, dès lors, en se fondant, pour relaxer le prévenu
et débouter les parties civiles de leurs demandes indemnitaires, sur le fait que celles-ci étaient majeures et
n'étaient atteintes ni d'une maladie, ni d'une infirmité, ni d'une déficience physique ou psychique au sens
de la loi lorsque les faits commis à leur encontre ont été portés à la connaissance du prévenu, la cour
d'appel, qui a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas, a méconnu le texte susvisé et l'article
111-4 du code pénal ;

4°/ qu'enfin, l'élément moral du délit de non-dénonciation prévu par l'article 434-3 du code pénal consiste
dans le fait de s'abstenir volontairement de dénoncer les mauvais traitements aux autorités judiciaires ou

13
administratives ; qu'en l'espèce, pour retenir que l'élément intentionnel faisait défaut et débouter les partes
civiles de leurs demandes indemnitaires, la cour d'appel énonce que le cardinal [C] n'a pas dissuadé M.
[F] de porter plainte à l'encontre du père [U] et que les démarches entreprises par MM. [F] et [S] auprès
de lui l'avaient été non pour que M. [C] porte plainte contre ce prêtre, mais dans le but qu'il le retire
immédiatement de l'exercice de son ministère et de toute activité impliquant des contacts avec des
enfants, ce qu'il avait fait même si cela avait pris près d'un an ; qu'en se déterminant ainsi par des motifs
inopérants, tenant, d'une part, à l'absence de volonté du prévenu de dissuader les victimes d'agir en justice
et, d'autre part, aux motifs ayant conduit celles-ci à l'informer des faits qu'elles avait subis enfants,
lorsque la volonté du prévenu de ne pas dénoncer les atteintes et agressions sexuelles commises sur les
parties civiles aux autorités judiciaires ou administratives se déduisait du seul fait que celui-ci avait
connaissance de ces violences sexuelles et qu'il ne les avait néanmoins jamais dénoncées à ces autorités,
la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 434-3 du code pénal. »

Réponse de la Cour

17. L'article 434-3 du code pénal, dans sa rédaction applicable au moment des faits, issue de l'ordonnance
n° 2000-916 du 16 septembre 2000, réprime le fait, pour quiconque ayant eu connaissance de privations,
de mauvais traitements ou d'atteintes sexuelles infligés à un mineur de quinze ans ou à une personne qui
n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d'une maladie, d'une infirmité, d'une déficience
physique ou psychique ou d'un état de grossesse, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou
administratives.

18. Cet article est inséré dans une section du code pénal intitulée « Des entraves à la saisine de la justice
». Or, loin de poser un principe général obligeant les particuliers à dénoncer tous les faits délictueux dont
ils ont connaissance, principe qui n'est énoncé nulle part ailleurs dans le code pénal, les dispositions
contenues dans cette section ne rendent la dénonciation obligatoire que lorsqu'elle est particulièrement
nécessaire en raison de certaines circonstances de fait. Comme tout texte d'incrimination, surtout s'il ne
découle pas d'un principe général, cette disposition doit être interprétée de manière stricte.

19. Cet article a pour but de lever l'obstacle aux poursuites pouvant résulter de ce que l'âge ou la fragilité
de la victime l'ont empêchée de dénoncer les faits. Il en résulte que, lorsque cet obstacle est levé,
l'obligation de dénonciation ainsi prévue disparaît.

20. Aussi, la condition, prévue par le texte en cause, tenant à la vulnérabilité de la victime, doit-elle être
remplie non seulement au moment où les faits ont été commis, mais encore lorsque la personne
poursuivie pour leur non-dénonciation en a pris connaissance.

21. En revanche, tant que l'obstacle ainsi prévu par la loi demeure, l'obligation de dénoncer persiste,
même s'il apparaît à celui qui prend connaissance des faits que ceux-ci ne pourraient plus être poursuivis,
compte tenu de la prescription de l'action publique. En effet, d'une part, la condition que la prescription
ne soit pas acquise ne figure pas à l'article 434-3 du code pénal, d'autre part, les règles relatives à la
prescription sont complexes et ne peuvent être laissées à l'appréciation d'une personne qui peut, en
particulier, ignorer l'existence d'un acte de nature à l'interrompre.

22. Pour prononcer la relaxe de M. [C], en ce qui concerne la non-dénonciation, par celui-ci, aux autorités
administratives et judiciaires, d'agressions sexuelles commises par M. [U], et qui sont parvenues à sa
connaissance en 2014 et en 2015, la cour d'appel énonce que son obligation de les dénoncer avait disparu,
d'une part, parce que la prescription de l'action publique était acquise quand il avait été informé de leur
existence, d'autre part, parce que leurs victimes, alors âgées de trente-quatre à trente-six ans, insérées au
plan familial, social et professionnel et ne souffrant pas d'une maladie ou d'une déficience les empêchant
de porter plainte, étaient en mesure de faire connaître elles-mêmes ces faits aux autorités administratives
et judiciaires.

23. C'est à tort que la cour d'appel a estimé que l'obligation de dénoncer ces agressions sexuelles
commises sur des mineurs avait disparu en raison de la prescription de l'action publique.

24. Cependant, la cassation n'est pas pour autant encourue, dès lors que, par des motifs relevant de son

14
appréciation souveraine, la cour d'appel énonce que les victimes étaient, au moment où les faits ont été
portés à la connaissance de M. [C], en état de les dénoncer elles-mêmes et que ce seul motif est de nature
à justifier la relaxe prononcée.

25. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Recueil Dalloz 2021 p.937

Aide-toi et l'archevêque t'aidera...

Emmanuel Dreyer, Professeur à l'École de droit de la Sorbonne (Université Paris 1)

Dès 2010, l'archevêque de Lyon a été informé d'abus sexuels commis par un prêtre de son diocèse à l'encontre de scouts
et d'enfants de choeur. Les faits étaient antérieurs à sa prise de fonctions en 2002. Il ne semble avoir donné aucune suite à
cette information. Aussi, en juillet 2014, l'une des victimes a-t-elle écrit au directeur de cabinet de cet archevêque pour
s'étonner que le prêtre soit toujours en fonction et dénoncer à nouveau les agressions sexuelles dont il s'est rendu coupable
sur des dizaines d'enfants. Cette fois-ci, après plusieurs rencontres, l'archevêque a fini par décharger le prêtre concerné de
ses fonctions de curé et par lui interdire, courant 2015, toute activité impliquant un contact avec des mineurs. Mais il n'a
pas signalé les faits à l'autorité administrative ou judiciaire. Aussi, après cette « mise à pied », une plainte a-t-elle été
déposée par les premières victimes identifiées. Une information judiciaire a été ouverte qui permit d'en identifier d'autres.
Même si les faits les plus anciens étaient prescrits, le prêtre a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour y être jugé.
Cette procédure se poursuit ; elle ne nous intéresse pas ici. En revanche, en parallèle une autre procédure a été engagée. À
l'initiative de certaines victimes, l'archevêque a été cité directement devant le tribunal correctionnel pour non-
dénonciation d'agressions sexuelles sur mineurs. Cette seconde procédure est à l'origine de l'arrêt commenté. En réponse,
le tribunal a distingué suivant l'ancienneté des faits : s'agissant des agressions sexuelles dont l'archevêque a été informé en
2010, le tribunal a déclaré l'action publique éteinte par la prescription ; s'agissant des agressions sexuelles révélées entre
juillet 2014 et juin 2015, le tribunal a au contraire déclaré l'archevêque coupable de non-dénonciation. Il l'a condamné à
six mois d'emprisonnement avec sursis ainsi qu'à des réparations civiles. Un appel a été interjeté par la plupart des parties
qui a conduit la cour de Lyon à confirmer le jugement sur la prescription du délit de non-dénonciation, s'agissant des faits
portés à la connaissance de l'archevêque en 2010, et à infirmer le jugement, s'agissant des faits portés à sa connaissance
en 2014-2015, au motif qu'il n'y avait plus alors obligation de dénoncer : parce que certaines des agressions sexuelles en
cause étaient prescrites et parce que les autres pouvaient être poursuivies à l'initiative des victimes. La relaxe a ainsi été
généralisée. Mais différentes parties civiles ont frappé l'arrêt de pourvois, ce qui amène la Cour de cassation à se
prononcer.

S'agissant des faits révélés en 2010, cette haute juridiction confirme que « le délit de non-dénonciation de mauvais
traitement sur mineur, prévu et puni par l'article 434-3 du code pénal, dans sa rédaction applicable en la cause, était un
délit instantané dont la prescription courait à compter du jour où le prévenu avait eu connaissance des faits qu'il devait
dénoncer ». Les poursuites engagées contre l'archevêque en 2015, soit plus de trois ans après les faits, étaient donc
nécessairement prescrites. Ce qui n'appellera guère d'observation. On se contentera de rappeler que la réforme de la
prescription de l'action publique opérée par une loi n° 2017-242 du 27 février 2017, qui a doublé sa durée en matière
correctionnelle, ne pouvait faire revivre un délai d'ores et déjà expiré. On rappellera également qu'à l'époque, ce délit
s'analysait bien comme une infraction instantanée, consommée dès que l'agent, informé, avait été mis en mesure de
dénoncer et ne l'avait pas fait (1). La modification ultérieure de l'incrimination, par une loi n° 2018-703 du 3 août 2018,
qui a élargi son champ d'application en assimilant au fait de ne pas dénoncer immédiatement le fait de continuer à ne pas
dénoncer alors que les faits se poursuivent (2), n'était, bien entendu, pas applicable rétroactivement. Ce n'est donc pas
cet aspect de l'affaire qui est le plus intéressant.

15
S'agissant, ensuite, des faits révélés entre 2014 et 2015, qui ont certes conduit à la suspension du prêtre mais pas à un
signalement aux autorités compétentes, la Cour de cassation approuve également la relaxe. Toutefois, elle ne retient que
l'un des deux motifs énoncés dans l'arrêt d'appel. Après avoir rappelé les termes de l'article 434-3 du code pénal, elle
souligne que les dispositions qui l'accompagnent « ne rendent la dénonciation obligatoire que lorsqu'elle est
particulièrement nécessaire en raison de certaines circonstances de fait ». Elle innove en jugeant que ce texte « a pour but
de lever l'obstacle aux poursuites pouvant résulter de ce que l'âge ou la fragilité de la victime l'ont empêchée de dénoncer
les faits ». Dès lors, « lorsque cet obstacle est levé, l'obligation de dénonciation ainsi prévue disparaît ». En revanche, «
tant que l'obstacle ainsi prévu par la loi demeure, l'obligation de dénoncer persiste, même s'il apparaît à celui qui prend
connaissance des faits que ceux-ci ne pourraient plus être poursuivis, compte tenu de la prescription de l'action publique
». La cour d'appel est donc approuvée pour avoir jugé que l'archevêque n'était pas tenu de signaler les agressions
sexuelles portées à sa connaissance dès lors que les victimes de ces agressions pouvaient s'en charger elles-mêmes. En
revanche, la cour d'appel est contredite en ce qu'elle a ajouté que cette obligation de dénonciation s'imposait d'autant
moins que les agressions sexuelles en cause étaient prescrites. Le premier motif suffisant à justifier la relaxe, les pourvois
critiquant l'arrêt sont écartés. L'archevêque est ainsi définitivement blanchi.

Le raisonnement tenu apporte deux précisions importantes. Pour la Cour de cassation, l'obligation de dénoncer subsiste
malgré la prescription des faits (I). Toutefois, il n'y a obligation de dénoncer qu'autant que la victime des faits n'est pas en
mesure de le faire elle-même (II).

I - L'obligation de dénoncer des faits prescrits


La question de savoir s'il existe une obligation de dénoncer des faits prescrits est une question délicate qui ne semblait pas
avoir été tranchée jusqu'alors. Il était permis d'hésiter sur ce point. L'obligation de signalement de faits, même prescrits,
pouvait se justifier en interprétant l'article 434-3 du code pénal dans le prolongement de l'article 434-1, et en soutenant
que le premier ne permet pas seulement à la justice de sanctionner les faits dénoncés, mais aussi de découvrir d'autres
faits plus récents, voire d'empêcher le renouvellement d'infractions car on sait que la délinquance sexuelle correspond
rarement à des faits isolés et qu'elle ne s'amenuise pas nécessairement avec l'âge. Mais on pouvait aussi opposer ces deux
textes et se fonder sur leur différence de rédaction pour soutenir que le signalement s'impose à l'article 434-3, même s'il
n'y a pas à craindre la réitération d'un fait unique, dans le seul but de juger son auteur. La Cour de cassation l'avait déjà
laissé entendre (3). Toutefois, elle n'estime pas nécessaire de le rappeler ici. Sa réponse surprend au regard de
l'économie générale de son arrêt. En effet, si l'objectif était de « sauver » l'archevêque de poursuites jugées par principe
excessives (ce qui semble résulter de la façon dont la relaxe est finalement approuvée), il y avait là un motif technique
assez simple permettant de clore la discussion.

Pour refuser de consacrer une obligation de signalement à l'égard de faits prescrits, il suffisait de relever la place occupée
par l'incrimination dans le code pénal. Elle apparaît dans une partie qui est consacrée non à la défense des personnes (a
fortiori mineures ou vulnérables), mais dans une partie consacrée à la défense de la chose publique, plus précisément dans
un chapitre intitulé « des atteintes à l'action de la justice », au sein d'une section qui prétend sanctionner « des entraves à
la saisine de la justice ». Ceux qui attachent une importance à la ratio legis des incriminations, et qui recherchent le bien
juridique protégé par le législateur à l'occasion d'une incrimination, pouvaient trouver ici des indications assez sûres quant
à sa volonté. D'autant que cette incrimination fait immédiatement suite à une autre qui permet de sanctionner le non-
obstacle à un crime ou certains délits en train de se commettre. On comprend bien à leur lecture que le législateur a voulu
sanctionner, d'abord, le fait de ne pas réagir à certaines infractions en cours, puis le fait de ne pas dénoncer certaines
infractions, certes consommées, mais qui ne peuvent être laissées sans suite judiciaire, compte tenu de leur gravité et de la
fragilité des victimes. Dans cette seconde hypothèse, il y a obligation d'avertir les autorités administratives ou judiciaires
pour leur permettre d'agir de façon adéquate. A contrario, si les faits sont prescrits, ils ne peuvent susciter de poursuites,
de sorte que leur signalement ne s'impose pas.

Or, ici, la Cour de cassation prend le contre-pied de ces arguments. Elle neutralise, tout d'abord, le raisonnement tiré de
l'intitulé de la section dans laquelle se trouve l'incrimination, au motif que, « loin de poser un principe général obligeant
les particuliers à dénoncer tous les faits délictueux dont ils ont connaissance, principe qui n'est énoncé nulle part ailleurs
dans le code pénal, les dispositions contenues dans cette section ne rendent la dénonciation obligatoire que lorsqu'elle est
particulièrement nécessaire en raison de certaines circonstances de fait. Comme tout texte d'incrimination, surtout s'il ne
découle pas d'un principe général, cette disposition doit être interprétée de manière stricte ». Ce qui peine à convaincre.

16
Qu'une incrimination soit d'interprétation stricte, c'est l'article 111-4 du code pénal qui le dit. Cette exigence dispose d'une
portée générale. Peu importe qu'il existe ou non un principe sous-jacent qui interdirait de se comporter comme le texte
d'incrimination le prévoit. Rappelons que le droit pénal est un droit discontinu de sorte que les incriminations doivent
s'envisager pour elles-mêmes et non les unes par rapport aux autres avec la volonté de combler d'éventuels vides
juridiques offensant une exigence morale implicite, car ces vides sont des espaces de liberté protégés par la Constitution :
« tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché » (DDHC, art. 5). Et, même dans les hypothèses où il
semble exister des prohibitions de principe, la rigueur dans l'interprétation des textes d'incrimination s'impose pour
respecter les qualifications propres à chaque comportement : la défense de la propriété ne peut justifier l'interprétation
extensive des notions de soustraction, détournement ou manoeuvre frauduleuse. Ce premier argument semble donc peu
déterminant. Aussi, la haute juridiction poursuit-elle. Elle ajoute que, « d'une part, la condition que la prescription ne soit
pas acquise ne figure pas à l'article 434-3 du code pénal, d'autre part, les règles relatives à la prescription sont complexes
et ne peuvent être laissées à l'appréciation d'une personne qui peut, en particulier, ignorer l'existence d'un acte de nature à
l'interrompre ». Que l'absence de prescription des faits concernés par le signalement ne figure pas à l'article 434-3 est
certaine mais l'argument ne convainc guère mieux car la prescription est un mécanisme qui existe en toute hypothèse et
qui s'applique sans qu'il soit besoin qu'un texte le rappelle comme limite à la poursuite de chaque infraction. La prudence
de la Cour de cassation sur ce point paraît d'autant plus étonnante que, on le verra, elle n'hésite pas - dans un second
temps - à ajouter au texte une condition qu'il ne prévoit pas. Enfin, elle relève qu'il peut sembler excessif de subordonner
l'existence d'une infraction à l'absence de prescription compte tenu de la complexité des règles qui régissent cette
dernière. Cependant, cet argument aussi peut être contredit, car, s'il est bien clair qu'un particulier peut ignorer que
l'action publique a été mise en mouvement à l'égard des faits qu'il est tenu de signaler et qu'un ou plusieurs actes
interruptifs ont été accomplis dans ce cadre, un particulier est fondé à computer un délai de prescription à partir de la
consommation de l'infraction dont il est averti et à invoquer une erreur de fait détruisant son intention coupable s'il
apparaît que son calcul n'a pas été exact à raison d'un événement (interruption de la prescription) qu'il a ignoré. Croyant
les faits prescrits et se dispensant en conséquence d'alerter les autorités administratives ou judiciaires, il n'agit pas avec
l'intention requise, même s'il s'avère qu'à la suite d'une interruption de la prescription dont il ne pouvait avoir
connaissance, l'action publique n'est pas éteinte. La solution retenue par la cour d'appel en l'espèce n'était donc pas
excessive ; elle pouvait sembler défendable. Elle aurait permis de fixer une limite objective au délit conforme à la
fonction qu'il est censé remplir. La Cour de cassation la condamne ici d'autant plus légèrement qu'une autre raison justifie
la relaxe et lui évite d'avoir à censurer l'arrêt. Mais cette autre raison semble encore plus discutable...

II - La liberté de se taire quand les victimes peuvent parler


Le second argument avancé par la cour d'appel pour justifier l'absence d'obligation de signalement est, lui, approuvé par
la Cour de cassation. Elle va même plus loin : le reprenant à son compte, elle l'étaye. Ainsi, après avoir rappelé les termes
de l'article 434-3, elle déclare que ce texte « a pour but de lever l'obstacle aux poursuites pouvant résulter de ce que l'âge
ou la fragilité de la victime l'ont empêchée de dénoncer les faits ». Elle en déduit donc « que, lorsque cet obstacle est levé,
l'obligation de dénonciation ainsi prévue disparaît ». Autrement dit, « la condition, prévue par le texte en cause, tenant à
la vulnérabilité de la victime, doit-elle être remplie non seulement au moment où les faits ont été commis, mais encore
lorsque la personne poursuivie pour leur non-dénonciation en a pris connaissance ». En statuant de la sorte, la Cour de
cassation procède à une véritable relecture de l'incrimination au mépris du principe d'interprétation stricte qu'elle vient
pourtant de réaffirmer, car elle impose, ni plus ni moins, une condition que ce texte ne prévoit pas, à savoir que l'exigence
de minorité ou vulnérabilité des victimes des agressions initiales subsiste au moment où le signalement doit être effectué.
C'est procéder à une interprétation non plus stricte mais restrictive du texte en question : en ajoutant cette condition, la
haute juridiction le prive d'une partie de son champ d'application.

Nous pourrions nous en féliciter dès lors que, en cas de doute, l'interprétation seule légitime d'un texte est celle qui lui fait
produire le moindre effet. Pour ne pas entraver la liberté de chacun au-delà de ce que le législateur a expressément voulu
sanctionner d'une peine, il faut réduire le champ d'une incrimination à ces seuls éléments certains. Toutefois, ici, le
procédé est utilisé de façon particulièrement contestable, car ce n'est pas en raisonnant sur la lettre du texte litigieux que
la Cour de cassation parvient à ce résultat, mais en modifiant l'intérêt protégé. C'est un raisonnement téléologique qui est
mis en oeuvre in favorem. Pour une fois, la prise en compte du « bien » que l'incrimination est censée défendre sert à
limiter la répression. Mais cette prise en compte procède d'une véritable subversion ; elle est typique du genre de
manipulations à laquelle conduit le raisonnement en termes de valeurs protégées : l'interprète y projette sa propre
conception de la légitimité d'une incrimination. Il vérifie dans quelle hypothèse la répression envisagée par le législateur

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est opportune ou non. Alors que toutes les conditions en sont réunies, il fait obstacle à la sanction d'une infraction quand
il estime que l'intérêt protégé (intérêt qu'il a lui-même identifié comme seul légitime) n'est pas en cause. Ce n'est pas a
posteriori que la qualification pénale des faits est neutralisée, dans une logique justificative dont il conviendrait d'établir
la pertinence, mais a priori : cette qualification pénale est empêchée de s'appliquer parce que, dans une hypothèse
factuelle déterminée, le juge n'estime pas juste de l'appliquer.

Or nous ne comprenons guère ce qui autorise ainsi le juge à se substituer au législateur pour mener une appréciation de
l'opportunité d'une incrimination qui est d'ordre politique. Pour le législateur, « quiconque » a connaissance notamment
d'agressions sexuelles commises sur mineur ou personne vulnérable est tenu d'en informer les autorités administratives ou
judiciaires. Un archevêque, plus encore que n'importe qui, est tenu de dénoncer compte tenu de ses fonctions et de ses
responsabilités. Dès lors que les faits ne sont pas couverts par le secret de la confession (secret professionnel), ils entrent
dans le périmètre de l'obligation de signalement qui s'impose à chacun et, plus encore, à ceux qui, tels les prélats, se
prévalent d'une dignité particulière. Quand ils savent, ils doivent eux aussi parler, sous peine de donner l'impression de
cautionner les faits. Eux, plus encore que n'importe qui d'autre, ont intérêt à transférer sur l'autorité administrative ou
judiciaire la question des suites à donner aux faits. Peu importe donc la situation des victimes au moment où ils prennent
connaissance des faits. L'application de l'article 434-3 ne peut dépendre de l'appréciation que la personne avertie des faits
aura portée sur la capacité des victimes à dénoncer ceux-ci. Imposer une telle appréciation semble aussi peu pertinent
qu'imposer de vérifier l'absence de prescription des faits. Comment peut-on tout à la fois juger que l'obligation de
signalement s'impose malgré la prescription des faits (ce qui laisse entendre que l'objectif n'est pas exclusivement de juger
ceux-ci), mais qu'elle disparaît lorsque les victimes peuvent directement porter plainte (ce qui concède que l'objectif est
principalement de juger les faits) ? Par souci de cohérence, la Cour de cassation aurait dû tenir le même raisonnement
dans les deux cas : pas plus qu'elle ne doit vérifier la prescription des faits, la personne avertie d'agressions sexuelles ne
doit vérifier si les victimes sont en mesure de les dénoncer. Peu importe que les victimes soient, ou ne soient pas, en
mesure de se protéger en raison de leur âge, de leur maladie, d'une infirmité, d'une déficience physique ou psychique ou
d'un état de grossesse. Ce caractère attendu des agressions sexuelles à dénoncer n'est pas une condition mise à l'obligation
de signalement. Ainsi, la voie choisie par la Cour de cassation semble dangereuse. Les choix politiques ne sont pas des
choix d'autorité. Ils sont soumis au débat public et à la contradiction. Or, ici, un esprit malveillant pourrait mettre en doute
la pertinence d'un choix fait au rebours d'une évolution générale de la conscience collective qui ne supporte plus le silence
gardé sur les agressions sexuelles, dans l'intérêt exclusif d'un ministre ecclésiastique dont l'attitude ne semble tout de
même pas à l'abri de la critique.

Mots clés :
AGRESSION SEXUELLE * Agression sexuelle aggravée * Mineur de quinze ans * Non-dénonciation * Prescription

(1) Crim. 7 avr. 2009, n° 09-80.655 , Bull. crim. n° 66 ; 17 nov. 1993, n° 93-80.466, Bull. crim. n° 347 ; RSC 1994.
332, obs. G. Levasseur .
(2) V., E. Dreyer, Droit pénal spécial, LGDJ, coll. Manuels, 2020, n° 1134, p. 633.
(3) V., Crim. 6 sept. 2006, Dr. pénal 2006. Comm. 149, obs. M. Véron.

Doc. n° 7

COUR DE CASSATION - CHAMBRE CRIMINELLE


22 octobre 1970

Société " Les Fils d'Henri Ramel "

Attendu que préalablement à l'examen des moyens produits, il convient d'exposer qu'il appert de l'arrêt
attaqué qu'en avril-mai 1966, la Société " Les Fils d'Henri Ramel " à Meximieux (Ain) a importé d'Italie 923
hectolitres de vins blancs italiens désignés sous le nom de " Moscato di Trani ", vin de qualité produit dans
une région déterminée (VQPRD) : que ces vins ont été admis en France dans le cadre de la décision du 4
avril 1962 du Conseil des ministres de la Commission économique européenne, approuvant le règlement no
24 relatif à l'application graduelle d'une organisation commune au marché vini-viticole ; que cette décision

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énonce en son article 2 qu'à compter du 1er janvier 1962, la République française et la République italienne
ouvrent à tous les États membres, un contingent de 150 000 hectolitres de vins de qualité (VQPRD) ; que
l'article 3 précise que sont admis à l'importation dans le cadre des contingents institués les vins originaires
d'Italie faisant l'objet de la liste annexée à l'accord franco-italien du 29 mai 1948, à condition qu'ils soient
accompagnés d'un certificat d'origine délivré par l'un des organismes énumérés à l'annexe II ; que le 1er juin
1966, le service de la répression des fraudes a effectué dans les chais de la Société " Les Fils d'Henri Ramel "
trois prélèvements qui, soumis à l'analyse des laboratoires officiels de Beaune, ont révélé respectivement une
teneur alcoolique de 13o7, 14o2 et 14o4, ainsi qu'une richesse en sucre de 86, 84 et 88 grammes par litre :
que le laboratoire a interprété ces résultats " comme révélant que le vin avait reçu une addition de moût muté
ou concentré, édulcoration représentant sensiblement 5o d'alcool en puissance ; qu'il était anormal que la
teneur en glucose soit légèrement supérieure à celle du levulose ; que les vins incriminés n'étaient pas
conformes aux dispositions de la loi française du 13 octobre 1941, reprises par l'article 4 du Code du vin,
selon lesquelles les vins blancs secs édulcorés ne doivent pas, après l'opération, titrer plus de 12o d'alcool
acquis, ni présenter une teneur en sucre non transformée, supérieure à 2o d'alcool en puissance ; que
l'information judiciaire a établi que la Société Ramel avait, sur la quantité des vins importés, déjà vendu à
divers clients 598,62 hectolitres de " Moscato di Trani " de même origine et consistance ;

Attendu qu'en raison de ces constatations Ramel Pierre, président-directeur général de la société, a été
renvoyé en police correctionnelle pour avoir exposé, mis en vente et vendu un vin qu'il savait être falsifié par
suite d'édulcoration excessive ; que le comité interprofessionnel des vins doux naturels s'est constitué partie
civile ; que l'administration des Contributions indirectes s'est portée partie jointe pour les infractions du Code
général des impôts, du chef de réception, vente et détention d'un produit ne répondant pas à la définition
légale du vin, sous couvert de titres de mouvements inapplicables ; que par un jugement du 6 novembre
1968, le tribunal correctionnel de Bourg-en-Bresse a prononcé la relaxe de Ramel et débouté la partie civile
et l'administration des Contributions indirectes de leurs demandes ; que par des motifs propres, la cour
d'appel de Lyon a, par l'arrêt attaqué, confirmé la décision entreprise ; que le Procureur général près ladite
cour ne s'est pas pourvu en cassation ;

Attendu d'une part, qu'aux termes de l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958, les traités ou accords
régulièrement ratifiés et approuvés ont dès leur publication une autorité supérieure à celle des lois, sous
réserve pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie ;

Attendu d'autre part, qu'aux termes des dispositions combinées des articles 520 et suivants du Code général
des impôts et 2 du décret 1001 du 4 octobre 1963, les alcools, vins, cidres, poirés et hydromels importés sont
soumis à toutes les dispositions prévues par la législation interne et doivent dès lors être conformes à la
réglementation française;

Attendu qu'en l'état de ces textes, c'est par l'exacte application de l'article 55 de la Constitution que les juges
d'appel ont estimé ne pas devoir faire application aux vins importés des dispositions de l'article 4 du Code du
vin, et à Ramel des pénalités prévues par les articles 3 de la loi du 1er août 1905 et 443, 444 et 445 du Code
général des impôts, la principe de territorialité de la loi fiscale ne pouvant tenir en échec la loi internationale
dont la puissance s'impose en vertu de la loi constitutionnelle ;

Attendu qu'en effet, en l'espèce, les vins incriminés ont été importés d'Italie dans le cadre du contingent
ouvert par la décision du 2 avril 1962 et du règlement no 24, instruments régulièrement publiés ayant acquis
la valeur de traités internationaux ; que ce règlement prévoit, à titre transitoire et jusqu'à ce que soit mise en
vigueur une législation communautaire définissant les vins de qualité, que les vins conformes aux
dispositions nationales en matière de qualité pourront être admis aux échanges sous certaines conditions ;
Attendu que les juges du fait, après avoir énoncé, pour répondre aux conclusions de la défense, que le litige
qui leur était soumis ne nécessitait pas l'interprétation de la décision du 4 avril 1962 et du règlement 24 et,
qu'il appartient aux gouvernements intéressés de dénoncer éventuellement les pratiques frauduleuses qui
peuvent se produire, constatent l'existence des conditions requises pour l'admission des vins incriminés, à
savoir : que la dénomination " Moscato di Trani " figure parmi celles des vins de qualité mentionnés à
l'annexe II de l'accord franco-italien de 1948 et que le certificat d'origine appuyant l'introduction avait été
délivré par la " Cantina Sperimentale di Barletto ", organisme agréé ; que les juges d'appel ont toutefois - et à
juste titre - estimé avoir compétence pour examiner si les vins importés étaient conformes aux dispositions
de la loi italienne et spécialement au décret présidentiel du 15 septembre 1962 régissant la matière ; qu'à cet

19
égard, ils énoncent qu'en ce qui concerne l'enrichissement, l'addition des moûts doit, aux termes de l'article 5
du texte précité, être limitée à la quantité nécessaire pour porter les vins à un degré alcoolique total normal
pour la zone de production - pourvu que l'augmentation du degré ne soit pas supérieure à 2o d'alcool et que
cette addition soit faite en vue de remettre en fermentation ; qu'en ce qui concerne l'édulcoration, celle-ci est
permise pourvu que l'addition du moût concentré n'ait pas pour effet de porter le degré final à plus de un
degré au-delà du degré total normal pour la zone de production de vin où l'édulcoration est autorisée ; qu'ils
constatent que pour la zone de production du Moscato di Trani (région de Bari, Pouilles) de type doux, le
produit présente une richesse alcoolique de 16°5-21o ; qu'en l'espèce, le vin contesté est un produit titrant au
départ 17o d'alcool total, qui, après adjonction du moût concentré à raison de 12 ?, est ramené à 14°5 acquis,
avec un sucre résiduel équivalant à 5o potentiels soit au total 19°5 ; qu'il s'ensuit que les vins importés
avaient été enrichis et édulcorés dans les limites légales admises par la réglementation italienne ;

Attendu en l'état de ces constatations de fait nonobstant tous motifs surabondants voire erronés, l'arrêt
attaqué a donné une base légale à sa décision ; qu'ainsi le moyen doit être écarté ;...

Par ces motifs, rejette.

Doc. n° 8

COUR DE CASSATION - CHAMBRE CRIMINELLE


4 septembre 2001

LA COUR,

Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle de ce jour prescrivant l'examen immédiat du


pourvoi :

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 1, 11 et 12 de la loi du 19 juillet 1977, des
articles 10 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, de l'article 90-1 du Code électoral et de
l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :

" en ce que, par l'arrêt infirmatif attaqué, la Cour a annulé le jugement du tribunal correctionnel de Paris
qui avait relaxé le prévenu des fins de la poursuite pour infraction aux articles 1, 11 et 12 de la loi du 19
juillet 1977 et 90-1 du Code électoral pour incompatibilité avec les articles 10 et 14 de la Convention
européenne des droits de l'homme ;

" aux motifs que les sondages réalisés dans la perspective d'un scrutin, s'ils participent à l'information des
citoyens, peuvent également avoir une influence sur leur choix, "que si le choix des électeurs doit être
éclairé, il doit pouvoir s'exercer librement, c'est-à-dire dans des conditions de nature à préserver la
réflexion personnelle, notamment dans les jours qui précèdent la consultation", "que les effets du sondage
relèvent ainsi de la protection des droits d'autrui au sens de l'article 10.2 de la Convention européenne",
"que le législateur a estimé, à juste titre, que la prohibition de la publication des sondages dans la semaine
précédant un scrutin était une condition nécessaire de l'expression du libre choix des électeurs", condition
valable en 1977 et "qui le demeure actuellement", "que la loi du 19 juillet 1977 ne comporte en elle-même
aucune discrimination puisqu'elle est d'application générale", que le fait que les techniques modernes ne
connaissent pas de frontière (internet minitel) "n'est pas de nature à caractériser une discrimination au sens
de l'article 14 de la Convention", "que les articles 11 et 12 de la loi du 19 juillet 1977 sont conformes aux
prescriptions des articles 10 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme", "qu'il y a lieu
d'annuler le jugement" ;

" alors qu'aux termes de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, "toute personne a
droit à la liberté d'expression ; ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de
communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence des autorités publiques et

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sans considération de frontière" ; que l'alinéa 2 de cet article dispose que l'exercice de cette liberté ne peut
être soumis à des restrictions qu'à condition qu'elles "constituent des mesures nécessaires, dans une société
démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre
et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou
des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et
l'impartialité du pouvoir judiciaire", que l'article 14 de la Convention européenne dispose que la jouissance
de cette liberté doit être assurée "sans distinction aucune", que la limitation de la liberté d'expression ne
peut être limitée que par des "mesures nécessaires", c'est-à-dire qui répondent à un besoin social impérieux,
dont les cas sont énoncés limitativement dans l'article 10, alinéa 2, de la Convention européenne, que
l'interdiction de publication des sondages d'opinion dans la semaine précédant un scrutin, telle qu'édictée
par les articles 11 et 12 de la loi du 19 juillet 1977, est incompatible avec les dispositions des articles 11 et
14 de la Déclaration européenne des droits de l'homme sur la liberté d'expression, qu'elle n'a ni pour but ni
pour objet une protection des droits d'autrui, qu'elle n'est pas de nature à protéger le libre choix des
électeurs, qu'elle est discriminatoire dans la mesure où les modes modernes de diffusion des nouvelles
(internet, minitel) permettent à des organes de presse situés hors du territoire national de diffuser des
résultats de sondages effectués dans la semaine précédant le scrutin, alors que les organes nationaux se le
voient interdire, que les restrictions imposées par la loi du 19 juillet 1977 ne constituent pas des "mesures
nécessaires" à un "besoin social impérieux", et que, dès lors, la Cour n'a pu refuser de constater
l'incompatibilité des articles 11 et 12 de la loi du 19 juillet 1977 avec les articles 11 et 14 de la Convention
européenne et renvoyer le prévenu devant la juridiction correctionnelle pour infraction aux articles 11 et 12
de la loi du 19 juillet 1977 qu'en violation des articles 11 et 14 de la Convention européenne des droits de
l'homme " ;

Vu l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;

Attendu que, selon ce texte, toute personne a droit à la liberté d'expression ; que l'exercice de ce droit, qui
comprend, notamment, la liberté de recevoir ou de communiquer des informations, ne peut comporter de
conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi que lorsque celles-ci constituent des mesures
nécessaires, dans une société démocratique, notamment à la protection de la réputation ou des droits d'autrui,
pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du
pouvoir judiciaire ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'entre les deux tours des élections législatives de 1997, tenus
respectivement les 25 mai et 1er juin, a été publié dans le journal " Le Parisien " daté du 26 mai 1997, sous le
titre " Législatives 1er tour ce que les Français ont voulu dire ", un sondage réalisé par l'institut CSA ainsi
qu'un article analysant ce sondage et des commentaires ; qu'à la suite d'une plainte déposée par la
commission des sondages, Philippe Amaury, directeur de publication du journal précité, a été poursuivi
devant le tribunal correctionnel, sur le fondement des articles 11 et 12 de la loi n° 77-808 du 19 juillet 1977
et 90-1 du Code électoral, pour avoir, au cours de la semaine précédant un scrutin, publié un sondage
d'opinion ayant un rapport avec l'élection ; que le tribunal a relaxé le prévenu après avoir fait droit à
l'exception soulevée par lui, prise de l'incompatibilité des textes précités avec les articles 10 et 14 de la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ; que le ministère public a interjeté appel du
jugement ;

Attendu que, pour dire les textes incriminés compatibles avec les dispositions conventionnelles, annuler le
jugement entrepris et évoquer, la cour d'appel se prononce par les motifs partiellement repris au moyen ;

Mais attendu qu'en interdisant la publication, la diffusion et le commentaire, par quelque moyen que ce soit,
de tout sondage d'opinion en relation avec l'une des consultations visées par l'article 1er de la loi du 19 juillet
1977, les textes fondant la poursuite instaurent une restriction à la liberté de recevoir et de communiquer des
informations qui n'est pas nécessaire à la protection des intérêts légitimes énumérés par l'article 10.2 de la
Convention susvisée ; qu'étant incompatibles avec ces dispositions conventionnelles, ils ne sauraient servir
de fondement à une condamnation pénale ;

D'où il suit que l'arrêt doit être annulé ;

Par ces motifs :

21
ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 29 juin 2000 ;
Et vu l'article L. 131-5 du Code de l'organisation judiciaire ;
DIT que les faits poursuivis ne peuvent faire l'objet d'aucune incrimination ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi.

Doc. n° 9
Cour de cassation – Assemblée plénière
15 avril 2011 (pourvoi n° 10-30.316)

Attendu, selon l'ordonnance attaquée (Rennes, 25 janvier 2010), rendue par le premier président d'une cour
d'appel et les pièces de la procédure, que Mme X..., de nationalité chinoise, en situation irrégulière en
France, a été placée en garde à vue le 19 janvier 2010 à 16 heures ; qu'elle a demandé à s'entretenir avec un
avocat commis d'office ; que l'avocat de permanence en a été informé à 16 heures 30 ; que Mme X... a été
entendue par les services de police de 16 heures 30 à 17 heures 10 ; qu'elle s'est entretenue avec un avocat de
17 heures 15 à 17 heures 45 ; que le préfet de la Vienne lui a notifié un arrêté de reconduite à la frontière et
une décision de placement en rétention administrative le 20 janvier 2010 ; que ce dernier a saisi un juge des
libertés et de la détention d'une demande de prolongation de la rétention ; que Mme X... a soutenu qu'elle
n'avait pas bénéficié de l'assistance d'un avocat dès le début de sa garde à vue et pendant son interrogatoire ;
que le procureur général près la cour d'appel a interjeté appel de la décision ayant constaté l'irrégularité de la
procédure ;

Attendu que le procureur général près la cour d'appel de Rennes fait grief à l'ordonnance de refuser la
prolongation de la rétention et d'ordonner la mise en liberté de Mme X..., alors, selon le moyen :

1°/ que par application de l'article 46 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales, un Etat n'est tenu que de se conformer aux décisions rendues dans les litiges auxquels il est
directement partie ;

2°/ que, de l'article 63-4 du code de procédure pénale, il résulte qu'en droit français, les personnes gardées
à vue pour une infraction de droit commun ont toutes accès à un avocat qui peut intervenir avant même le
premier interrogatoire réalisé par les enquêteurs puisque, aux termes de cet article, dès le début de la garde
à vue, la personne peut demander à s'entretenir avec un avocat, au besoin commis d'office par le bâtonnier ;
que s'il ne peut assister aux interrogatoires du mis en cause, l'avocat, qui est informé de la nature et de la
date présumée de l'infraction sur laquelle porte l'enquête, peut toutefois s'entretenir avec le gardé à vue dans
des conditions qui garantissent la confidentialité de l'entretien et qu'à l'issue de cet entretien, d'une durée
maximale de trente minutes, il peut présenter des observations écrites qui sont jointes à la procédure ;

3°/ qu'aucune disposition de procédure pénale, d'une part, n'impose à l'officier de police judiciaire de
différer l'audition d'une personne gardée à vue dans l'attente de l'arrivée de l'avocat assurant l'entretien
prévu, d'autre part, n'exige de l'avocat désigné pour assister le gardé-à-vue qu'il informe l'officier de police
judiciaire et le gardé-à-vue de sa décision d'intervenir ou non et de l'éventuel moment de son intervention ;

Mais attendu que les Etats adhérents à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l'homme, sans
attendre d'être attaqués devant elle ni d'avoir modifié leur législation ;

Et attendu qu'après avoir retenu qu'aux termes de ses arrêts Salduz c/ Turquie et Dayanan c/ Turquie, rendus
les 27 novembre 2008 et 13 octobre 2009, la Cour européenne des droits de l'homme a jugé que, pour que le
droit à un procès équitable, consacré par l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde, soit effectif et
concret, il fallait, en règle générale, que la personne placée en garde à vue puisse bénéficier de l'assistance
d'un avocat dès le début de la mesure et pendant ses interrogatoires, le premier président, qui a relevé que,
alors que Mme X... avait demandé à s'entretenir avec un avocat dès le début de la mesure, il avait été
procédé, immédiatement et sans attendre l'arrivée de l'avocat, à son interrogatoire, en a exactement déduit

22
que la procédure n'était pas régulière, et décidé qu'il n'y avait pas lieu de prolonger la rétention ; que le
moyen n'est pas fondé ;

(suite page suivante)

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur le second moyen qui ne serait pas de nature à permettre
l'admission du pourvoi ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

RSC 2011 p.410

Droit à l'assistance effective d'un avocat au cours de la garde à vue : l'Assemblée


plénière rappelle au respect des décisions de la Cour européenne des droits de l'homme
(Cass., ass. plén., 15 avr. 2011, 4 arrêts (n° P 10-17.049, F 10-30.313, J 10-30.316 et D 10-30.242), D. 2011. 1080, et
les obs. ; ibid. 1128, entretien G. Roujou de Boubée ; JCP 2011, n° 17, p. 483, S. Détraz)

André Giudicelli, Professeur des universités, Doyen de la Faculté de Droit, de Science politique et de Gestion,
Co-directeur du CEJEP (EA 3170), Université de La Rochelle

Le jour même de la publication de la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue, l'Assemblée plénière de la
Cour de cassation s'est prononcée, dans quatre arrêts, sur la régularité de mesures de garde à vue au regard de l'article 6 §
1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Rappelant expressément dans deux
de ses arrêts (nos 10-17.049 et 10-30.316) au respect des décisions de la Cour européenne des droits de l'homme, elle y
affirme, dans tous, que le droit à un procès équitable impose que, en règle générale, la personne placée en garde à vue
puisse bénéficier de l'assistance d'un avocat dès le début de la mesure et pendant ses interrogatoires.

L'Assemblée plénière était ici saisie d'affaires relatives à des étrangers en situation irrégulière et qui, au cours de la
procédure les concernant, avaient fait l'objet d'une garde à vue en amont de la décision préfectorale de placement en
rétention administrative. Dans chaque cas, les intéressés avaient contesté devant le juge des libertés, saisi par le préfet
d'une demande de prolongation de leur rétention, la régularité de leur garde à vue au motif qu'ils n'avaient pas bénéficié
de l'assistance d'un avocat dès le début de celle-ci et durant leur interrogatoire par les fonctionnaires de police. Statuant
sur l'appel interjeté contre les décisions du juge des libertés et de la détention qui avait soit ordonné, soit refusé
d'ordonner la prolongation de ces mesures de rétention, le premier président de la cour d'appel de Lyon avait considéré la
procédure de garde à vue régulière (n° 10-17.049), tandis que le premier président de la cour d'appel de Rennes l'avait
jugée irrégulière (nos 10-30.313, 10-30.316 et 10-30.242). Les pourvois, formés dans le premier dossier par la personne
retenue et dans les trois autres par le procureur général près la cour d'appel de Rennes, aboutissaient à poser à l'Assemblée
plénière, sur renvoi de la première chambre civile, deux questions, dont un communiqué de la Première présidence de la
Cour de cassation résume parfaitement les intérêts.

Tout d'abord, il lui appartenait de se prononcer sur la conventionnalité de l'article 63-4 du code de procédure pénale.
L'Assemblée plénière a jugé que les règles posées par ce texte relatives à l'entretien de la personne gardée à vue avec un
avocat ne satisfaisaient pas aux exigences de l'article 6 § 1 de la Convention européenne. Reprenant la solution retenue
par la chambre criminelle dans ses arrêts du 19 octobre 2010 (cette Revue 2010. 879, obs. E. Gindre ), elle a énoncé que
« pour que le droit à un procès équitable consacré par l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme
et des libertés fondamentales soit effectif et concret, il faut, en règle générale, que la personne placée en garde à vue
puisse bénéficier de l'assistance d'un avocat dès le début de la mesure et pendant ses interrogatoires ».

En revanche, la plus haute formation de la Cour de cassation a pris le contrepied de la chambre criminelle, qui sous

23
l'influence de la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010 (Cons. const., 30 juill. 2010, n° 2010-14/22 QPC,
AJDA 2010. 1556 ; D. 2010. 1928, entretien C. Charrière-Bournazel ; ibid. 1949, point de vue P. Cassia ; ibid.
2254, obs. J. Pradel ; ibid. 2696, entretien Y. Mayaud ; ibid. 2783, chron. J. Pradel ; AJ pénal 2010. 470, étude J.-
B. Perrier ; Constitutions 2010. 571, obs. E. Daoud et E. Mercinier ; ibid. 2011. 58, obs. S. De La Rosa ; cette
Revue 2011. 139, nos obs. ; ibid. 165, obs. B. de Lamy ; ibid. 193, chron. C. Lazerges ; RTD civ. 2010. 513, obs.
P. Puig ; ibid. 517, obs. P. Puig ), avait décidé de différer les effets de la non-conventionnalité qu'elle avait pourtant
prononcée, notamment de l'article 63-4 du code procédure pénale. En se référant « au principe de sécurité juridique et à la
bonne administration de la justice », la chambre criminelle avait décidé que les solutions qu'elle consacrait prendraient «
effet lors de l'entrée en vigueur de la loi devant, conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010,
modifier le régime juridique de la garde à vue, ou, au plus tard, le 1 er juillet 2011 ». En liant report d'inconstitutionnalité
et report d'inconventionnalité, la chambre criminelle avait fait un choix fort discutable : d'une part, parce qu'en faisant
prévaloir le principe de sécurité juridique et la bonne administration de la justice sur les droits de la défense, elle
sauvegardait, non les droits de l'homme, mais les intérêts d'un système pourtant vicié ; d'autre part, parce qu'elle
méconnaissait l'autorité des décisions de la Cour européenne en reportant le moment de leur prise en compte effective.
Comme par un fait exprès, quelques semaines plus tard, la Cour de Strasbourg, dans quatre arrêts relatifs à la détention de
sûreté allemande (CEDH, 13 janv. 2011, n° 17792/07, Kallweit c/ Allemagne, D. 2011. 379, obs. O. Bachelet ; n°
20008/07, Mautes c/ Allemagne ; n° 27360/04, Schummer c/ Allemagne et 42225/07 ; n° 6587/04, Haidn c/ Allemagne)
retint une violation de l'article 5 § 1 de la Convention de sauvegarde et ce parce que différentes juridictions allemandes
avaient notamment refusé de faire une application immédiate de la jurisprudence européenne, pour des considérations
touchant à « la nécessaire protection de l'ordre public ».

L'Assemblée plénière de la Cour de cassation, dans ses arrêts du 15 avril 2011, s'inscrit dans la même ligne. En posant
que « les États adhérents à [la] Convention [de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales] sont tenus
de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l'homme, sans attendre d'être attaqués devant elle ni d'avoir
modifié leur législation », elle rejette tout report d'inconventionnalité, appelant à la prise en compte immédiate des
apports de la jurisprudence européenne en matière de garde à vue. On ne peut que l'approuver et adhérer aux termes du
communiqué précité quand il affirme : « Les droits garantis par la Convention devant être effectifs et concrets, le principe
de sécurité juridique et les nécessités d'une bonne administration de la justice ne peuvent être invoqués pour priver un
justiciable de son droit à un procès équitable ».

La conjonction de ces arrêts et de la publication de la loi relative à la garde à vue ne pouvait pas ne pas être sans
conséquence. Le jour même, dans une circulaire adressée aux chefs de juridictions et pour application par les parquets
(CRIM-11-8-E6-15.04.2011), la chancellerie a demandé une prise en compte immédiate de la solution de l'Assemblée
plénière sans attendre l'entrée en vigueur de la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 fixée, par son article 46, au 1 er juin 2011.
Le garde des Sceaux, après avoir insisté sur le fait que, contrairement au Conseil constitutionnel et à la chambre
criminelle, la Cour de cassation, dans sa formation plénière, n'avait pas différé les effets de sa décision, a considéré que «
les principes de sécurité juridique et de bonne administration de la justice imposent d'appliquer dès maintenant et par
anticipation les seules dispositions de la loi nouvelle relatives à la notification du droit au silence et à l'intervention de
l'avocat lors des auditions, en mettant immédiatement en oeuvre les garanties créées par le législateur sans attendre la date
d'entrée en vigueur fixée par ce dernier ». Cette demande d'application anticipée de certaines dispositions d'une loi non
encore entrée en vigueur a suscité des confusions et surtout des inquiétudes. Ainsi dans certains barreaux, l'aptitude des
avocats, pourtant à la pointe du combat pour la réforme de la garde à vue, à faire face à l'évolution de leur mission, dans
un tel contexte, a fait débat (Ex. : « Garde à vue : le couac de Niort fait l'événement », La Nouvelle République, 18 avr.
2011). Ainsi encore, c'est la relation des droits de l'homme aux principes du droit transitoire qui a été interrogée, un
auteur se demandant « si la promotion des droits de l'homme doit justifier de s'affranchir des principes directeurs du droit
transitoire » (S. Pellé, La réforme de la garde à vue : problèmes de droit transitoire », AJ pénal 2011. 235).

Sans négliger les difficultés théoriques et pratiques des séquences qui se sont succédées depuis la décision du Conseil
constitutionnel du 30 juillet 2010, les constructions qui, avec les meilleures intentions, sont porteuses d'une neutralisation
des droits de l'homme au nom de « la sécurité juridique », de « la bonne administration de la justice » ou « des principes
du droit transitoire » nous laissent perplexes. Le contrôle de conventionnalité n'est tout de même pas une nouveauté en
droit français ; les conséquences qu'il convient d'en tirer non plus. La position claire de l'Assemblée plénière ne pouvait
que conduire la chancellerie à demander aux parquets de prendre les mesures nécessaires à une convergence avec la
jurisprudence européenne, les dispositions appelées à entrer en vigueur quelques semaines plus tard fournissant un

24
modèle, un support pour parvenir à cette fin. Si, de fait, cela a abouti à l'application anticipée de quelques dispositions de
la loi nouvelle, l'objectif était de répondre, de manière immédiate, à la non conventionnalité de l'article 63-4, et donc de
chercher à ce que soient respectées dans les procédures de garde à vue des garanties essentielles pour les suspects, qu'il
s'agisse du droit à l'assistance de l'avocat ou du droit de se taire.

Pour autant, les arrêts de l'Assemblée plénière ou l'initiative de la chancellerie ne sauraient occulter les difficultés qui
perdurent relativement à la garde à vue, même après l'entrée en vigueur de la loi la réformant le 1 er juin 2011. Si celle-ci a
pu être présentée dans la circulaire précitée comme modifiant « de façon substantielle les règles applicables en matière de
garde à vue afin de mettre celles-ci en conformité avec les exigences énoncées par le Conseil constitutionnel dans sa
décision du 30 juillet 2010 et les principes résultant de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et
des libertés fondamentales », l'écart avec la jurisprudence la plus récente de la Cour européenne des droits de l'homme
demeure significatif (V. H. Matsopoulou, Une réforme inachevée - À propos de la loi du 14 avril 2011, JCP 2011, n° 19,
p. 542). Même si la présence de l'avocat a gagné en consistance au cours de la garde à vue, elle ne s'accompagne pas d'un
accès à l'intégralité du dossier de la procédure et connaît toujours les mêmes restrictions dans le cadre de régimes
dérogatoires qui ont été maintenus. Et que dire du contrôle de la garde à vue toujours confié au cours des premières
heures au parquet (V. nos obs., cette Revue 2011. 142 ) ? L'ombre des arrêts Salduz et Moulin plane toujours sur la
procédure pénale française.

Doc. n° 10

Recueil Dalloz 2001 p.1643

Vers un contrôle du législateur par le juge pénal ?

Danièle Mayer, Professeur de droit pénal à l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)

L'essentiel

Deux événements récents, qui paraissent a priori n'avoir aucun rapport l'un avec l'autre, s'inscrivent pourtant dans un même
mouvement qui conduit à un contrôle du législateur par le juge pénal. Le premier de ces événements est l'apparition de décisions dans
lesquelles la Chambre criminelle de la Cour de cassation s'appuie sur l'article 7 de la Convention européenne portant sur le principe de
légalité pour écarter l'application d'incriminations qu'elle juge trop imprécises. Le second événement provient de l'introduction en tête
du code de procédure pénale de principes directeurs par la loi du 15 juin 2000. Il résulte de la fonction de ces principes, qui est
d'irradier l'ensemble de la procédure pénale, que les juges devront écarter l'application de toute disposition particulière qui serait
inconciliable avec ces principes, par elle-même ou par la façon dont elle serait appliquée.

Cette question peut paraître provocatrice dans une tradition juridique marquée par l'absence de contrôle de
constitutionnalité des lois par le juge. Il n'est pourtant pas exclu que l'on parvienne à un contrôle du législateur par le juge
pénal sans toucher à la traditionnelle absence de contrôle judiciaire de la constitutionnalité des lois. Deux événements,
d'ordre très différent, mais rapprochés dans le temps, permettent de le penser. Le premier est l'apparition de décisions de la
Chambre criminelle de la Cour de cassation qui refusent de faire application d'incriminations jugées trop larges ; c'est le
signe de ce que les autorités judiciaires tirent de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme les moyens
de contrôler le travail du législateur (I).

Le second événement, c'est la promulgation de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence
et les droits des victimes et comportant en tête des principes directeurs de procédure pénale. Ce texte conduit à se demander
si ce n'est pas le législateur lui-même qui vient de donner au juge judiciaire le moyen de devenir censeur de la loi, en

25
rendant possible une sorte de « contrôle de la légalité de la loi » (II).

I - Le contrôle de la conventionnalité de la loi


En lui-même, le contrôle judiciaire de conventionnalité de la loi n'est pas nouveau : il résulte de l'art. 55 de la Constitution
qu'en cas de contradiction entre les dispositions d'une loi interne et celles d'un traité international, les tribunaux doivent
écarter les premières, chaque fois du moins qu'ils considèrent le traité comme d'application directe (ce qui est
incontestablement le cas de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme). Et la similitude en matière
pénale des règles constitutionnelles issues de la Déclaration des droits de l'homme de 1789 et des règles conventionnelles
issues de la Convention européenne a déjà été constatée depuis bien longtemps. Mais peut-être les implications de l'énoncé
par l'art. 7 Conv. EDH du principe de légalité criminelle n'ont-elles pas encore été totalement mesurées ; car elles n'éclatent
en plein jour qu'à la suite de récents arrêts de la Chambre criminelle de la Cour de cassation qui se fondent notamment sur
ce texte pour écarter l'application d'incriminations qu'elle juge trop larges.

Le premier arrêt refuse d'appliquer les sanctions prévues par l'art. 2 de la loi du 2 juill. 1931 pour la publication
d'informations relatives aux constitutions de parties civiles avant jugement définitif au motif que l'interdiction est trop
générale (1). A lui seul, cet arrêt n'est pas suffisamment révélateur de la volonté de la Chambre criminelle de contrôler la
précision de rédaction de l'incrimination, pour deux raisons : d'abord, parce que la décision est intervenue sous la « pression
» de condamnations de la France par la Cour de Strasbourg pour des décisions faisant application de l'art. 2 de la loi du 2
juill. 1931 (2) ; ensuite, parce que l'arrêt de la Chambre criminelle est principalement fondé sur l'art. 10 Conv. EDH
relatif à la liberté d'expression.

Le second arrêt est plus révélateur en ce qu'il insiste principalement sur la méconnaissance du principe de légalité pénale
résultant de la présence d'incriminations évasives. C'est pourquoi il approuve les juges du fond d'avoir refusé de faire
application de l'art. 38, al. 3, de la loi du 29 juill. 1881, qui sanctionne la publication ou la reproduction de « tout ou partie
des circonstances d'un crime » (3). Pour écarter ce texte, les juges du fond s'étaient appuyés sur trois articles de la
Convention EDH : l'art. 6 sur le droit au procès équitable, l'art. 7 sur le principe de légalité et l'art. 10 sur la liberté
d'expression (4).

La Chambre criminelle reprend ces trois textes. Mais, dans sa motivation, elle insiste particulièrement sur le fait que toute
interdiction de publication assortie d'une sanction pénale dont les contours restent flous constitue une violation du principe
de légalité, dans la mesure où elle ignore l'impératif de prévisibilité des actions. A cet égard, certains attendus de l'arrêt de
la Chambre criminelle constituent un excellent outil pédagogique sur les fondements du principe de légalité criminelle. La
Chambre criminelle rappelle ainsi que : « la possibilité pour chacun d'apprécier par avance la légalité de son comportement
touchant, comme en l'espèce, à l'exercice de libertés essentielles implique une formulation particulièrement rigoureuse des
incriminations et ne saurait résulter que de définitions légales claires et précises ».

Dans ces conditions, il ne fait aucun doute que la Cour de cassation entend déduire du principe de légalité la « nécessité
pour le législateur de définir les infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l'arbitraire », comme l'avait
fait le Conseil constitutionnel vingt ans auparavant (5).

Cela signifie-t-il pour autant que la Cour de cassation s'apprête désormais à écarter toute incrimination dont la rédaction ne
lui paraîtrait pas suffisamment précise ? Cela n'est pas sûr, parce que jusqu'à présent la Cour de cassation ne s'est livrée à ce
type de raisonnement qu'à propos d'infractions de presse. Et même l'arrêt du 20 févr. 2001 qui insiste sur le principe de
légalité, précise que la violation de ce principe est particulièrement regrettable lorsque l'infraction concerne une publication,
parce que la connaissance précise des actes autorisés et de ceux qui sont interdits conditionne l'exercice de la liberté
d'expression. Il n'empêche que l'impératif de prévisibilité des conséquences de nos actes existe bien au-delà de la liberté
d'expression. Il n'est donc pas exclu que cette jurisprudence amorcée dans le domaine particulièrement sensible des délits
de presse s'étende à l'ensemble des infractions.

De fil en aiguille, la Cour de cassation deviendrait ainsi juge de la rédaction formelle de la loi pénale (sur le fondement de
l'art. 7 Conv. EDH) comme le Conseil constitutionnel l'est déjà (sur le fondement de l'art. 8 Décl. dr. homme de 1789).
Mais du coup le risque d'appréciations divergentes n'est pas exclu : que se passerait-il si la Cour de cassation jugeait non
conforme à la Convention européenne parce que trop imprécise une incrimination précédemment considérée par le Conseil

26
constitutionnel comme suffisamment précise pour répondre aux exigences de la déclaration des droits de l'homme ? Le seul
fait de poser cette question fait penser que la Cour de cassation utilisera avec prudence les pouvoirs que lui donne l'art. 7
Conv. EDH. Il n'empêche que ce texte lui donne en matière de contrôle des incriminations des pouvoirs sensiblement égaux
à ceux du Conseil constitutionnel.

Il ne paraît pas en être de même en matière de contrôle des sanctions car le Conseil constitutionnel dispose dans l'art. 8
Décl. dr. homme d'un texte précis sur le principe de la nécessité de la peine (6) dont on ne retrouve pas l'équivalent exact
dans la Convention européenne. En revanche, en matière de procédure, la Convention européenne contient, notamment en
son art. 6, des principes susceptibles de nombreuses applications, principes qui sont désormais relayés par ceux de la loi
interne. En introduisant en tête du code de procédure pénale des principes directeurs, le législateur n'a-t-il pas donné au juge
un nouvel instrument de contrôle ?

II - Le contrôle de « la légalité de la loi »


Les principes directeurs contenus dans l'article préliminaire du code de procédure pénale issu de la loi du 15 juin 2000
s'ordonnent autour de la procédure elle-même (équitable, contradictoire) et des droits des personnes (victimes et individus
impliqués) (7). Leur adoption « marque un progrès à la fois théorique et pratique » (8). Tant par leur contenu qui
repose sur quelques idées fortes que par leur place dans le code, les principes directeurs de procédure pénale remplissent
une fonction pédagogique (9). Et il faut vraiment se réjouir de ce que le législateur se soit préoccupé de pédagogie
citoyenne dans une des branches du droit qui est à la fois l'une des plus techniques et l'une des plus indispensables à chaque
citoyen.

Mais cette fonction pédagogique n'est pas la seule fonction des principes directeurs de procédure pénale. En ce que ces
principes ont vocation à « irradier » la procédure pénale (10), ils vont aussi pouvoir jouer un rôle interprétatif : les
tribunaux vont pouvoir se servir de l'article préliminaire du code de procédure pénale pour lever les ambiguïtés d'autres
articles plus précis et techniques ou pour combler les lacunes de la loi. A cet égard, les principes directeurs, d'origine
législative, pourraient remplir le rôle que remplissaient jusqu'à présent les principes généraux du droit, d'origine
jurisprudentielle. Et l'on ne peut que se réjouir de ce changement puisque le caractère écrit et prédéterminé des premiers les
rend préférables aux seconds du point de vue de la sécurité du droit.

Mais peut-être la comparaison de fonction entre principes directeurs et principes généraux du droit ne s'arrête pas là. En
effet, à quelques reprises, les tribunaux ont invoqué les principes généraux du droit à l'encontre de dispositions législatives
précises (11). Il faut dès lors s'interroger sur ce que pourrait être la position des tribunaux en cas de contradiction entre
l'article préliminaire du code de procédure pénale et un autre article du même code.

A priori, on pourrait être tenté de dire que la question ne se pose pas, les principes directeurs ne faisant que rappeler des
objectifs que le législateur s'est assignés à lui-même. Mais nul - pas même le législateur - ne parvient à respecter totalement
les objectifs qu'il s'assigne. Il n'est donc pas exclu que certains points de procédure réglementés dans le code ne respectent
pas les principes énoncés à l'article préliminaire. Par exemple, l'art. 175-3 c. pr. pén. qui oblige le juge d'instruction à
informer tous les six mois de l'avancement de l'instruction la seule partie civile et pas le mis en examen préserve-t-il «
l'équilibre des droits des parties » comme le prescrit l'article préliminaire (12) ?

Il peut aussi arriver que, sans entrer de front en contradiction avec les principes directeurs, une réglementation précise les
méconnaisse cependant en raison du contexte dans lequel elle est appliquée. Par exemple, tous reconnaissent que la
réglementation d'atteintes à la liberté, telles que la garde à vue ou la détention provisoire est de plus respectueuse des
garanties individuelles. Et le législateur se préoccupe également des conditions concrètes de détention dans un souci de
dignité humaine ; le contrôle périodique des locaux de garde à vue par le procureur de la République instauré par la loi du
15 juin 2000 en est une illustration (13). Il serait cependant naïf d'en déduire que toutes les conditions de rétention ou de
détention incompatibles avec le respect de la dignité humaine vont être aussitôt éradiquées. Jusqu'à présent, le juge
judiciaire refusait de contrôler les conditions de détention (14). Pourra-t-il maintenir cette position alors que le code de
procédure pénale prescrit en son article préliminaire (III, 3e al.) que les mesures de contrainte dont peut faire l'objet une
personne suspectée ou poursuivie ne doivent pas porter atteinte à la dignité de la personne ? Le juge ne sera-t-il pas obligé
de déclarer que la mesure de contrainte réglementée par la loi, garde à vue ou détention provisoire, ne respecte pas, dans les
conditions dans lesquelles elle est appliquée, l'impératif de dignité humaine prévu à l'article préliminaire ?

27
Ainsi, il n'est absolument pas exclu qu'une réglemention précise, par elle-même ou par la façon dont elle est appliquée,
entre en contradiction avec un principe directeur de procédure pénale. Quelle pourrait être l'attitude du juge dans une telle
situation ?

Il nous semble impossible qu'il refuse la confrontation entre l'article préliminaire et les articles suivants du code de
procédure pénale, sous prétexte que l'article préliminaire n'a pas la même fonction que les autres articles. En effet, à partir
du moment où une règle est insérée dans un texte législatif, elle ne peut pas servir uniquement d'outil pédagogique ; elle
devient principalement un instrument mis à la disposition du juge pour lui permettre de résoudre les cas qui lui sont soumis
: l'article préliminaire du code de procédure pénale est nécessairement d'application judiciaire, comme l'ensemble des textes
législatifs.

Lorsqu'il constatera qu'une réglementation particulière est inconciliable avec un principe directeur de procédure pénale, le
juge devra donc opérer un choix. Et il nous semble qu'en privilégiant la réglementation particulière, considérée en quelque
sorte comme une exception au principe directeur, le juge méconnaîtrait la volonté du législateur qui a voulu que les
principes directeurs « irriguent l'ensemble de la procédure » (15). Quelle serait au demeurant l'utilité de tels principes, qui
prennent la forme de garanties, s'il pouvait y être dérogé ? Dès lors, pour respecter la volonté même du législateur, le juge
pourra être amené à écarter une disposition législative au motif qu'elle ne respecte pas un principe législatif...

Ainsi, la Convention européenne des droits de l'homme donne au juge pénal des moyens de contrôler le respect des
garanties individuelles qui n'ont pas encore été tous complètement explorés. En promulguant dans la loi du 15 juin 2000 des
principes directeurs de procédure pénale, le législateur a encore renforcé ces possibilités de contrôle (16). Il faut
certainement s'en réjouir, puisque cela donne une plus grande effectivité à l'art. 66 de la Constitution aux termes duquel «
l'autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle ». L'autorité judiciaire devient gardienne de la liberté individuelle
même à l'encontre du législateur. L'équilibre des pouvoirs entre le juge et le législateur est en train de se modifier, au profit
du juge, parfois sous l'effet du droit européen, d'autres fois par le fait du législateur interne lui-même et toujours en des
mouvements incontrôlés.

(1) Cass. crim., 16 janv. 2001, D. 2001, p. 1067 , obs. J.-F. Renucci.
(2) Cf. notamment CEDH, 3 oct. 2000, D. 2001, p. 1064, obs. J. F. Renucci.
(3) Cass. crim., 20 févr. 2001, D. 2001, p. 908.
(4) TGI Paris, 10 sept. 1996, D. 1997, Somm. p. 91, obs. T. Hassler et V. Lapp, et 1998, Somm. p. 82 , obs J.-Y. Dupeux ; CA Paris, 18
sept. 1997, D. 1998, Somm. p. 82 , obs J.-Y. Dupeux.
(5) Cons. const., 19-20 janv. 1981, D. 1982, Jur. p. 441, note A. Dekeuwer ; JCP 1991, II, n° 19701, note C. Franck.
(6) L'art. 8 Décl. dr. homme est révélateur de la lucidité de ses rédacteurs qui se préoccupaient d'un risque de dérive législative dans le
même temps qu'ils faisaient de la « Loi » le fondement du régime qu'ils inauguraient.
(7) Cf. P. Couvrat et G. Giudicelli-Delage, Rapport de synthèse du colloque « Une nouvelle procédure pénale ? », Rev. science crim.
2001, p. 139 et 140 , et C. Lazerges, Le renforcement de la protection de la présomption d'innocence et des droits des victimes : histoire
d'une navette parlementaire, Rev. science crim. 2001, p. 9 et 10 .
(8) M. Delmas-Marty, présentation du colloque « Une nouvelle procédure pénale ? », Rev. science crim. 2001, p. 4 .
(9) Cf. M. Delmas-Marty, op et loc. cit., et C. Lazerges, op. et loc. cit.
(10) P. Couvrat et G. Giudicelli-Delage, op. et loc. cit.
(11) Cf. Cass. crim., 17 mai 1984, Doré, D. 1984, Jur. p. 536, note Jeandidier ; JCP 1985, II, n° 20332, note Borricand ; Gaz. Pal. 1984,
2, p. 779, rapport Cruvellié.
(12) Cf. B. Bouloc, La durée des procédures : un délai enfin raisonnable ?, Rev. science crim. 2001, p. 60 .
(13) Cf. J. Buisson, La garde à vue dans la loi du 15 juin 2000, Rev. science crim. 2001, p. 41 .
(14) Cass. crim., 28 nov. 1996, Dr. pénal 1997, Comm. p. 54.
(15) L'expression est de C. Lazerges, op. et loc. cit., p. 11.
(16) En ce sens, P. Couvrat et G. Giudicelli-Delage, op. et loc. cit., p. 146.

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