Vous êtes sur la page 1sur 46

UFR droit

Année universitaire 2021/2022

Travaux dirigés de droit administratif


Cours de M. Tourbe
Travaux dirigés de Mme Le Berre

Séances 4 à 6

1
2
UFR droit
Année universitaire 2021/2022
Droit administratif – Les principes et le juge
Cours de M. Tourbe
Documents de travaux dirigés

Séance n° 4 :
La Constitution

† DOCUMENTS

• Document 1a : Cass. Crim., 11 mai 1833, Paulin


• Document 1b : CE, sect., 6 novembre 1936, Arrighi ; concl. Roger Latournerie
(extrait)
• Document 2 : CE, 5 janvier 2005, Deprez et Baillard, n° 257341
• Document 3 : Loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à
l'application de l'article 61-1 de la Constitution (extrait)
• Document 4 : Cons. const., Décision n° 2019-809 QPC du 11 octobre 2019, Union
nationale des étudiants en droit, gestion, AES, sciences économiques, politiques et
sociales et autres
• Document 5 : CE, 1er juillet 2020, Union nationale des étudiants en droit, gestion,
A.E.S., sciences économiques, politiques et sociales et autres, n° 430121
• Document 6 : CAA Nancy, 8 avril 2020, SNESUP-FSU, n° 18NC0033

3
• Document 1a : Cass. Crim., 11 mai 1833, Paulin

Sur le premier moyen, tiré de la prétendue inconstitutionnalité de l'article 16 de la loi du 25 mars


1822 et de l'article 3 de la loi du 8 octobre 1830, et de la violation des articles 69 et 70 de la Charte :
Vu l'article 16 de la loi du 25 mars 1822 et l'article 3 de la loi du 8 octobre 1830 ;
Et attendu que l'article 69 de la Charte de 1830, en déclarant qu'il serait pourvu, dans le plus court
délai possible, à l'application du jury aux délits de la presse, a laissé provisoirement subsister la
législation antérieure relative à la poursuite desdits délits ;
Que l'article 70, qui annule et abroge dès à présent les lois et ordonnances en ce qu'elles ont de
contraire aux dispositions adoptées pour la réforme de la Charte, n'a pas dès lors annulé et abrogé
l'article ci-dessus cité de la loi du 25 mars, relatif au mode de poursuite spécialement autorisé en
cas de mauvaise foi ou d'infidélité dans le compte rendu des audiences des cours et tribunaux ;
Attendu que la loi du 8 octobre 1830, rendue pour l'exécution de l'article 69 de la Charte, tout en
attribuant par son article Ier la connaissance des délits commis par la voie de la presse aux cours
d'assises, a expressément maintenu dans son article 3 le droit conféré aux cours et tribunaux par
l'article 16 de la loi du 25 mars ;
Attendu que la loi du 8 octobre, délibérée et promulguée dans les formes constitutionnelles
prescrites par la Charte, fait la règle des tribunaux et ne peut être attaquée devant eux pour cause
d'inconstitutionnalité ; […]

• Document 1b : CE, sect., 6 novembre 1936, Arrighi, concl. Roger Latournerie


(extrait)

Conclusions de M. Roger Latournerie, commissaire du gouvernement (extrait)


Lorsqu’un régime juridique établit […] une hiérarchie entre les lois, c’est-à-dire lorsqu’il existe ce
qu’on a appelé une « super-légalité » ou encore une « loi des lois », le juge, dans cette […]
conception, ne fait rien que de conforme à sa mission – pourvu que sa décision n’ait d’effet que
sur le procès auquel elle s’applique – en faisant céder, le cas échéant à la loi supérieure celle du
degré inférieur. Il ne fait, en effet, en pareil cas, que statuer sur un conflit de lois qui ne diffère
guère par nature d’autres conflits qui se présentent devant lui entre lois égales : conflit dans le
temps (théories de l’abrogation et de la rétroactivité) ; conflits dans l’espace (théorie de la
personnalité ou de la territorialité des lois). Si le juge ne refusait pas, en pareil cas, à la loi inférieure
la sanction de son autorité, ne renverserait-il d’ailleurs pas l’ordre de la hiérarchie légale en
permettant à la loi inférieure d’offusquer la loi supérieure et en réglant la force exécutoire des
lois, non d’après leur nature, mais seulement d’après leur date ?
C’est par des raisonnements de ce genre, sans réplique en logique pure, que le contrôle de
constitutionnalité s’est établi en Amérique dès longtemps, par le célèbre arrêt Marbury c. Madison
et plus récemment en Roumanie, ainsi que dans divers autres États.

Mais ce n’est pas dans de telles considérations de logique pure qu’en France, tout au moins, la
solution doit être recherchée. Le principe de séparation des pouvoirs présente, chez nous, en
effet, un aspect spécial que lui ont imprimé les circonstances historiques particulières. Nous
devons les rappeler sommairement.

Affirmé par cet article 16 – qu’invoque expressément le sieur Arrighi – de la Déclaration des droits
de 1789, quel sens attache-t-on alors à ce principe ?
La conception en est entièrement dominée par la souveraineté de la loi.

4
Nous n’avons pas à examiner ici en détail le rôle que jouèrent sur ce point la doctrine d’alors, et
notamment les idées du philosophe de Genève.
On sait à quel degré d’absolutisme il portait cette souveraineté, au nom de la volonté générale, et
par quelles formules catégoriques il a présenté, à ce propos, comme des axiomes certaines
affirmations, dont la vérité a depuis paru un peu moins évidente : « Nul n’est injuste envers lui-
même », « La volonté générale ne peut errer », « Le souverain, par le seul fait qu’il est, est toujours
ce qu’il doit être ». Comment la notion d’une loi infaillible et conduite au juste, ainsi qu’on l’a dit,
par un « vrai déterminisme du bien », s’accommoderait-elle d’un contrôle de magistrats non élus ?
Un tel contrôle serait un « scandale ». Et telle est bien la réaction des assemblées révolutionnaires
devant l’idée d’un tel contrôle.
À cette considération de doctrine constitutionnelle s’ajoutaient, d’ailleurs, les préjugés qu’avaient
inspirés, comme on l’a maintes fois rappelé, à des assemblées novatrices des parlements hostiles
aux réformes.
C’est par cette adjonction d’influences que s’expliquent tant les interdictions portées par les
articles 10 et 11 de la loi des 16-24 août 1790 que le refus aux juges – par la procédure dite du
référé législatif – même du pouvoir d’interpréter la loi.
On ne saurait dès lors s’étonner que, par la décision du 11 fructidor an V, la Cour de cassation ait
interdit aux juges de faire « la critique de la loi » et qu’un autre arrêt du 18 fructidor an V, ait
formellement condamné tout contrôle. Le jugement censuré avait cru cependant pouvoir
s’appuyer sur l’article 377 de l’acte constitutionnel (5 fructidor an III), « où le Peuple français (avait)
remis la Constitution à la fidélité du corps législatif, du directoire exécutif, des administrateurs et
des juges, à la vigilance des pères de famille, aux épouses et aux mères, à l’affection des jeunes
citoyens et au courage de tous les Français ». Mais la Cour de cassation, implacablement, a vu là
« l’effet d’une erreur coupable ». « On ne peut voir, dit-elle, en effet, dans cette phrase touchante,
qu’une invitation faite aux fonctionnaires publics de bien remplir leurs devoirs, aux parents de faire
connaître la Constitution à leurs enfants, à ceux-ci de l’aimer et à tous de la défendre. »

Arrêt du Conseil d’État

Vu les lois constitutionnelles des 25 févr. et 16 juill. 1875 ; les lois des 7-14 oct. 1790 et 24 mai
1872 ; l’art. 36 de la loi du 28 févr. 1934 ; le décret du 10 mai 1934 ;

Sur le moyen tiré de ce que l’art. 36 de la loi du 28 févr. 1934, en vertu duquel ont été pris les
décrets des 4 avr. et 10 mai 1934, serait contraire aux lois constitutionnelles :
Considérant qu’en l’état actuel du droit public français, ce moyen n’est pas de nature à être
discuté devant le Conseil d’État statuant au contentieux ;

[…]

• Document 2 : CE, 5 janvier 2005, Deprez et Baillard, n° 257341

Sur la légalité interne :

En ce qui concerne le contrôle exercé par le Conseil d'État statuant au contentieux :


Considérant que l'article 61 de la Constitution du 4 octobre 1958 a confié au Conseil constitutionnel
le soin d'apprécier la conformité d'une loi à la Constitution ; que ce contrôle est susceptible de
s'exercer après le vote de la loi et avant sa promulgation ; qu'il ressort des débats tant du Comité
consultatif constitutionnel que du Conseil d'État lors de l'élaboration de la Constitution que les
modalités ainsi adoptées excluent un contrôle de constitutionnalité de la loi au stade de son
application ;
[...]

5
En ce qui concerne les articles 1er et 2 du décret attaqué :

Considérant qu'aux termes de l'article 529 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant
de l'article 9 de la loi du 23 juin 1999 : Pour les contraventions des quatre premières classes dont la
liste est fixée par décret en Conseil d'État l'action publique est éteinte par le paiement d'une amende
forfaitaire ; qu'aux termes de l'article R. 48-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction
résultant de l'article 1er du décret attaqué, Les contraventions des quatre premières classes pour
lesquelles l'action publique est éteinte par le paiement d'une amende forfaitaire sont les suivantes :
1° Contraventions réprimées par le code de la route qu'elles entraînent ou non un retrait des points
affectés au permis de conduire (…) ; que l'article 2 du décret attaqué assortit d'une peine
complémentaire de suspension du permis de conduire les conducteurs reconnus coupables des
infractions prévues aux articles R. 234-1, R. 412-8, R. 412-9, R. 412-10, R. 412-19, R. 414-4, R.
414-6, R. 414-7, R. 414-8, R. 414-10, R. 414-11, R. 414-16, R. 416-12, R. 417-9 et R. 421-5 du
code de la route ;

Considérant, en premier lieu, que le moyen tiré de ce que l'article 529 du code de procédure pénale,
dans la rédaction que lui a donnée la loi du 23 juin 1999, méconnaîtrait des règles et principes de
valeur constitutionnelle n'est pas, pour les motifs indiqués ci-dessus, de nature à être utilement
invoqué devant le juge administratif ;
[...]

• Document 3 : Loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application


de l'article 61-1 de la Constitution (extrait)

Après le chapitre II du titre II de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi


organique sur le Conseil constitutionnel, il est inséré un chapitre II bis ainsi rédigé :
« Chapitre II bis
« De la question prioritaire de constitutionnalité
« Section 1
« Dispositions applicables devant les juridictions relevant du Conseil d'État ou de la Cour de
cassation

« Art. 23-1. - Devant les juridictions relevant du Conseil d'État ou de la Cour de cassation, le
moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la
Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen
peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office.
« Devant une juridiction relevant de la Cour de cassation, lorsque le ministère public n'est pas
partie à l'instance, l'affaire lui est communiquée dès que le moyen est soulevé afin qu'il puisse
faire connaître son avis.
« Si le moyen est soulevé au cours de l'instruction pénale, la juridiction d'instruction du second
degré en est saisie.
« Le moyen ne peut être soulevé devant la cour d'assises. En cas d'appel d'un arrêt rendu par la
cour d'assises en premier ressort, il peut être soulevé dans un écrit accompagnant la déclaration
d'appel. Cet écrit est immédiatement transmis à la Cour de cassation.
« Art. 23-2. - La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la
question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé

6
à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies :
« 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement
des poursuites ;
« 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une
décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;
« 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.
« En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant la conformité
d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et,
d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la
transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation.
« La décision de transmettre la question est adressée au Conseil d'État ou à la Cour de cassation
dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou les conclusions des parties. Elle n'est
susceptible d'aucun recours. Le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu'à
l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige.
« Art. 23-3. - Lorsque la question est transmise, la juridiction sursoit à statuer jusqu'à réception de
la décision du Conseil d'État ou de la Cour de cassation ou, s'il a été saisi, du Conseil
constitutionnel. Le cours de l'instruction n'est pas suspendu et la juridiction peut prendre les
mesures provisoires ou conservatoires nécessaires.
« Toutefois, il n'est sursis à statuer ni lorsqu'une personne est privée de liberté à raison de
l'instance ni lorsque l'instance a pour objet de mettre fin à une mesure privative de liberté.
« La juridiction peut également statuer sans attendre la décision relative à la question prioritaire
de constitutionnalité si la loi ou le règlement prévoit qu'elle statue dans un délai déterminé ou en
urgence. Si la juridiction de première instance statue sans attendre et s'il est formé appel de sa
décision, la juridiction d'appel sursoit à statuer. Elle peut toutefois ne pas surseoir si elle est elle-
même tenue de se prononcer dans un délai déterminé ou en urgence.
« En outre, lorsque le sursis à statuer risquerait d'entraîner des conséquences irrémédiables ou
manifestement excessives pour les droits d'une partie, la juridiction qui décide de transmettre la
question peut statuer sur les points qui doivent être immédiatement tranchés.
« Si un pourvoi en cassation a été introduit alors que les juges du fond se sont prononcés sans
attendre la décision du Conseil d'État ou de la Cour de cassation ou, s'il a été saisi, celle du
Conseil constitutionnel, il est sursis à toute décision sur le pourvoi tant qu'il n'a pas été statué sur
la question prioritaire de constitutionnalité. Il en va autrement quand l'intéressé est privé de liberté
à raison de l'instance et que la loi prévoit que la Cour de cassation statue dans un délai déterminé.

« Section 2
« Dispositions applicables devant le Conseil d'État et la Cour de cassation
« Art. 23-4. - Dans un délai de trois mois à compter de la réception de la transmission prévue à
l'article 23-2 ou au dernier alinéa de l'article 23-1, le Conseil d'État ou la Cour de cassation se
prononce sur le renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. Il
est procédé à ce renvoi dès lors que les conditions prévues aux 1° et 2° de l'article 23-2 sont
remplies et que la question est nouvelle ou présente un caractère sérieux.
« Art. 23-5. - Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés
garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à
l'occasion d'une instance devant le Conseil d'État ou la Cour de cassation. Le moyen est présenté,
à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. Il ne peut être relevé d'office.

7
« En tout état de cause, le Conseil d'État ou la Cour de cassation doit, lorsqu'il est saisi de moyens
contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par
la Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par
priorité sur le renvoi de la question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.
« Le Conseil d'État ou la Cour de cassation dispose d'un délai de trois mois à compter de la
présentation du moyen pour rendre sa décision. Le Conseil constitutionnel est saisi de la question
prioritaire de constitutionnalité dès lors que les conditions prévues aux 1° et 2° de l'article 23-2
sont remplies et que la question est nouvelle ou présente un caractère sérieux.
« Lorsque le Conseil constitutionnel a été saisi, le Conseil d'État ou la Cour de cassation sursoit à
statuer jusqu'à ce qu'il se soit prononcé. Il en va autrement quand l'intéressé est privé de liberté à
raison de l'instance et que la loi prévoit que la Cour de cassation statue dans un délai déterminé. Si
le Conseil d'État ou la Cour de cassation est tenu de se prononcer en urgence, il peut n'être pas
sursis à statuer.
« Art. 23-6. - Le premier président de la Cour de cassation est destinataire des transmissions à la
Cour de cassation prévues à l'article 23-2 et au dernier alinéa de l'article 23-1. Le mémoire
mentionné à l'article 23-5, présenté dans le cadre d'une instance devant la Cour de cassation, lui
est également transmis.
« Le premier président avise immédiatement le procureur général.
« L'arrêt de la Cour de cassation est rendu par une formation présidée par le premier président et
composée des présidents des chambres et de deux conseillers appartenant à chaque chambre
spécialement concernée.
« Toutefois, le premier président peut, si la solution lui paraît s'imposer, renvoyer la question
devant une formation présidée par lui-même et composée du président de la chambre
spécialement concernée et d'un conseiller de cette chambre.
« Pour l'application des deux précédents alinéas, le premier président peut être suppléé par un
délégué qu'il désigne parmi les présidents de chambre de la Cour de cassation. Les présidents des
chambres peuvent être suppléés par des délégués qu'ils désignent parmi les conseillers de la
chambre.
« Art. 23-7. - La décision motivée du Conseil d'État ou de la Cour de cassation de saisir le Conseil
constitutionnel lui est transmise avec les mémoires ou les conclusions des parties. Le Conseil
constitutionnel reçoit une copie de la décision motivée par laquelle le Conseil d'État ou la Cour de
cassation décide de ne pas le saisir d'une question prioritaire de constitutionnalité. Si le Conseil
d'État ou la Cour de cassation ne s'est pas prononcé dans les délais prévus aux articles 23-4 et 23-
5, la question est transmise au Conseil constitutionnel.
« La décision du Conseil d'État ou de la Cour de cassation est communiquée à la juridiction qui a
transmis la question prioritaire de constitutionnalité et notifiée aux parties dans les huit jours de
son prononcé.

• Document 4 : Cons. const., Décision n° 2019-809 QPC du 11 octobre 2019, Union


nationale des étudiants en droit, gestion, AES, sciences économiques, politiques et sociales
et autres
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 25 juillet 2019 par le Conseil d'État
(décision n° 430121 du 24 juillet 2019), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la
Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour l'union
nationale des étudiants en droit, gestion, AES, sciences économiques, politiques et sociales, le
bureau national des élèves ingénieurs et la fédération nationale des étudiants en psychologie par Me
Florent Verdier, avocat au barreau de Bordeaux. Elle a été enregistrée au secrétariat général du
Conseil constitutionnel sous le n° 2019-809 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et

8
libertés que la Constitution garantit du troisième alinéa de l'article 48 de la loi n° 51-598 du 24 mai
1951 de finances pour l'exercice 1951.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- la loi n° 51-598 du 24 mai 1951 de finances pour l'exercice 1951 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les
questions prioritaires de constitutionnalité ;
[…]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :


1. Le troisième alinéa de l'article 48 de la loi du 24 mai 1951 mentionnée ci-dessus prévoit que sont
fixés par arrêté :
« Les taux et modalités de perception des droits d'inscription, de scolarité, d'examen, de concours
et de diplôme dans les établissements de l'État ».
2. Les associations requérantes soutiennent que ces dispositions méconnaîtraient le treizième alinéa
du Préambule de la Constitution de 1946. D'une part, le principe de gratuité de l'enseignement
public, qui découlerait selon elles de cet alinéa, ferait obstacle à la perception de droits d'inscription
pour l'accès à l'enseignement supérieur. D'autre part, en se bornant à habiliter le pouvoir
réglementaire à fixer les taux et modalités des droits d'inscription sans considération des ressources
des étudiants, le législateur n'aurait pas entouré cette habilitation de garanties suffisantes, en
violation du principe d'égal accès à l'instruction. Pour ces mêmes motifs, les dispositions renvoyées
seraient entachées d'incompétence négative dans des conditions affectant les exigences de gratuité
de l'enseignement public et d'égal accès à l'instruction.

- Sur les interventions :


3. Selon le deuxième alinéa de l'article 6 du règlement intérieur du 4 février 2010 mentionné ci-
dessus, seules les personnes justifiant d'un « intérêt spécial » sont admises à présenter une
intervention.
4. L'union confédérale des ingénieurs et cadres CFDT ne justifie pas, au regard de son objet social,
d'un intérêt spécial à intervenir dans la procédure de la présente question prioritaire de
constitutionnalité. Par conséquent, son intervention n'est pas admise.
5. Les autres parties intervenantes développent les mêmes griefs que les associations requérantes.

- Sur le fond :
6. Aux termes du treizième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : « La Nation
garantit l'égal accès … de l'adulte à l'instruction … L'organisation de l'enseignement public gratuit
… à tous les degrés est un devoir de l'État ». Il résulte de la combinaison de ces dispositions que
l'exigence constitutionnelle de gratuité s'applique à l'enseignement supérieur public. Cette exigence
ne fait pas obstacle, pour ce degré d'enseignement, à ce que des droits d'inscription modiques soient
perçus en tenant compte, le cas échéant, des capacités financières des étudiants.
7. Les dispositions contestées se limitent à prévoir que le pouvoir réglementaire fixe les montants
annuels des droits perçus par les établissements publics d'enseignement supérieur et acquittés par
les étudiants. Il appartient aux ministres compétents de fixer, sous le contrôle du juge, les montants
de ces droits dans le respect des exigences de gratuité de l'enseignement public et d'égal accès à
l'instruction.
8. Par conséquent, les griefs tirés de la méconnaissance de ces exigences constitutionnelles doivent
être écartés.
9. Le troisième alinéa de l'article 48 de la loi du 24 mai 1951, qui ne méconnaît aucun autre droit
ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.

9
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - L'intervention de l'union confédérale des ingénieurs et cadres CFDT n'est pas admise.
Article 2. - Le troisième alinéa de l'article 48 de la loi n° 51-598 du 24 mai 1951 de finances pour
l'exercice 1951 est conforme à la Constitution.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans
les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 10 octobre 2019, où siégeaient : M. Laurent
FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique
LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François
PILLET et Michel PINAULT.

• Document 5 : CE, 1er juillet 2020, Union nationale des étudiants en droit, gestion,
A.E.S., sciences économiques, politiques et sociales et autres, n° 430121
Vu :
- la Constitution ;
- le pacte international relatifs aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et
son premier protocole additionnel ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le code de l'éducation ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 51-598 du 24 mai 1951 ;
- la décision du Conseil constitutionnel n°2019-809 QPC du 11 octobre 2019 statuant sur la question
prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'U.N.E.D.E.S.E.P. et autres ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 12 juin 2020, présentée par l'UNEF et autres ;
[…]
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier que le Premier ministre a annoncé le 19 novembre 2018 la mise
en place d'une nouvelle stratégie, intitulée " Bienvenue en France/Choose France ", destinée à
accroître l'attractivité de la France auprès des étudiants internationaux et à renforcer le rayonnement
de l'enseignement supérieur français à l'étranger. Dans ce cadre, d'une part, un décret du 19 avril
2019 a fixé le régime d'exonération des droits d'inscription applicables aux étudiants étrangers
inscrits dans les établissements publics d'enseignement supérieur relevant du ministre chargé de
l'enseignement supérieur. D'autre part, un arrêté du 19 avril 2019 du ministre de l'action et des
comptes publics, de la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation et de
la ministre des outre-mer a fixé les montants annuels des droits d'inscription devant être acquittés à
compter de l'année universitaire 2019-2020 par les étudiants inscrits dans les établissements publics
d'enseignement supérieur relevant exclusivement du ministre chargé de l'enseignement supérieur
en vue de la préparation d'un diplôme national ou d'un titre d'ingénieur diplômé.
2. L'Union nationale des étudiants de France (UNEF), ainsi que d'autres associations d'étudiants et
des syndicats des personnels de l'enseignement supérieur, demandent au Conseil d'État l'annulation
pour excès de pouvoir du décret et de l'arrêté du 19 avril 2019. Par quatre autres requêtes, l'Union
Nationale des Étudiants en Droit, Gestion, AES, Sciences Économiques, Politique et Sociales et
d'autres associations d'étudiants, M. et Mme B..., Mme F... et Mme G..., la Ligue des droits de
l'Homme demandent également l'annulation de cet arrêté. L'ensemble de ces requêtes présentant à
juger des questions semblables, il y a lieu de les joindre pour y statuer par une seule décision.

10
3. La Conférence des Grandes Écoles, la Conférence des Directeurs des Écoles Françaises
d'Ingénieurs et la Conférence des Présidents d'Université justifient d'un intérêt suffisant au maintien
du décret et de l'arrêté attaqués. Leurs interventions sont donc recevables. En revanche, le Syndicat
des avocats de France ne justifie pas d'un intérêt suffisant à l'annulation de ces actes. Son
intervention n'est donc pas recevable.
[…]

Sur l'arrêté attaqué :


En ce qui concerne le cadre juridique :
8. Aux termes de l'article L. 719-4 du code de l'éducation, dont un extrait est cité au point 6 : " les
établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel disposent, pour
l'accomplissement de leurs missions, des équipements, personnels et crédits qui leur sont attribués
par l'État. Ils peuvent disposer des ressources provenant notamment de la vente des biens, des legs,
donations et fondations, rémunérations de services, droits de propriété intellectuelle, fonds de
concours, de la participation des employeurs au financement des premières formations
technologiques et professionnelles et de subventions diverses. Ils reçoivent des droits d'inscription
versés par les étudiants et les auditeurs. Ils peuvent recevoir des subventions d'équipement ou de
fonctionnement des régions, départements et communes et de leurs groupements (...) ". Aux termes
de l'article 48 de la loi du 24 mai 1951 de finances pour l'exercice 1951 : " Seront fixés par arrêtés
du ministre intéressé et du ministre du budget : / (...) Les taux et modalités de perception des droits
d'inscription, de scolarité, d'examen, de concours et de diplôme dans les établissements de l'État ".
Aux termes de l'article R. 719-48 du code de l'éducation : " Le produit des droits de scolarité versés
par les étudiants est affecté en recette au budget des établissements publics à caractère scientifique,
culturel et professionnel dans lesquels les intéressés s'inscrivent ". En application de l'article D. 714-
38 du même code, une part des droits annuels de scolarité payés par les étudiants est affectée au
budget propre du service des bibliothèques de l'établissement. Enfin, aux termes du second alinéa
de l'article D. 612-4 de ce code, dans sa rédaction issue du décret du 19 avril 2019 : " L'acquittement
de la totalité du montant des droits d'inscription conditionne la délivrance du diplôme et de tout ou
partie des crédits européens validés en vue de son obtention ".

En ce qui concerne l'économie générale de l'arrêté :


9. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté du 19 avril 2019 fixe les montants annuels des droits
d'inscription devant être acquittés à compter de l'année universitaire 2019-2020 par les étudiants
inscrits dans les établissements publics d'enseignement supérieur relevant exclusivement du
ministre chargé de l'enseignement supérieur en vue de la préparation d'un diplôme national ou d'un
titre d'ingénieur diplômé. A ce titre, il distingue deux catégories d'étudiants.
10. La première catégorie d'étudiants est définie par les articles 3 à 6 de cet arrêté. Il s'agit, en
premier lieu, des étudiants qui sont ressortissants de l'un des États membres de l'Union européenne,
d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse.
En deuxième lieu, en relèvent également les étudiants qui sont titulaires soit d'un titre de séjour
portant la mention " Carte de séjour de membre de la famille d'un citoyen de l'Union/EEE/Suisse ",
soit d'une carte de résident délivrée dans les conditions fixées au chapitre IV du titre Ier du livre III
du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, soit d'un titre de même nature délivré
dans le cadre d'un accord international applicable à la République française, les étudiants qui sont
mineurs et descendants directs ou à charge du bénéficiaire de l'une de ces cartes, les étudiants
bénéficiaires du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire ou ceux dont le père, la mère ou le
tuteur légal bénéficie de ce statut ou de cette protection. En troisième lieu, figurent dans cette
catégorie les étudiants fiscalement domiciliés en France ou rattachés à un foyer fiscal domicilié en
France depuis au moins deux ans. En quatrième lieu, sont aussi rattachés à cette catégorie les
étudiants ressortissants d'un État ayant conclu un accord international applicable à la République
française prévoyant l'acquittement de droits d'inscription identiques à ceux applicables aux
ressortissants français ou dispensant les ressortissants de cet État de l'obligation de détenir un titre
de séjour en France. En dernier lieu, relèvent de cette catégorie les étudiants qui sont inscrits en

11
classe préparatoire aux grandes écoles d'un lycée public et qui s'inscrivent parallèlement dans un
établissement d'enseignement supérieur, les étudiants inscrits en doctorat ou à l'habilitation à diriger
des recherches et les étudiants inscrits dans les formations du troisième cycle des études médicales,
odontologiques et pharmaceutiques, à l'exception des cycles courts. Pour l'ensemble des étudiants
de cette première catégorie, l'arrêté prévoit qu'ils acquittent les droits d'inscription mentionnés dans
le tableau 1 qui lui est annexé, lesquels s'élèvent, par exemple, à 170 euros pour le diplôme national
de la licence, à 243 euros pour le diplôme national de master et à 380 euros pour le diplôme national
du doctorat.
11. La seconde catégorie d'étudiants est définie, à l'article 8, comme l'ensemble des étudiants qui
ne remplissent pas l'une des conditions posées aux articles 3 à 6 de l'arrêté. L'arrêté qualifie cette
catégorie comme celle des " étudiants en mobilité internationale " relevant de l'article 8 de l'arrêté.
L'arrêté prévoit que ces étudiants acquittent les droits d'inscription mentionnés dans le tableau 2 qui
lui est annexé, lesquels s'élèvent, par exemple, à 2 770 euros pour le diplôme national de la licence
et à 3 770 euros pour le diplôme national de master.

En ce qui concerne les moyens tirés de l'inconstitutionnalité de la loi et de l'incompétence du


pouvoir réglementaire :
12. Ainsi qu'il a été indiqué au point 8, l'article 48 du 24 mai 1951 de finances pour l'exercice 1951
prévoit que sont fixés par arrêté du ministre intéressé et du ministre du budget " (...) Les taux et
modalités de perception des droits d'inscription, de scolarité, d'examen, de concours et de diplôme
dans les établissements de l'État ". Par sa décision n° 2019-809 QPC du 11 octobre 2019, le Conseil
constitutionnel a jugé que le troisième alinéa de l'article 48 de la loi du 24 mai 1951 ne méconnaît
aucun droit ou liberté que la Constitution garantit et doit être déclaré conforme à la Constitution.
Par suite, les requérants ne sont, en tout état de cause, pas fondés à soutenir qu'en fixant les montants
annuels des droits d'inscription perçus par certains établissements public d'enseignement supérieur
et acquittés par les étudiants sur le fondement de l'habilitation donnée par l'article 48 de la loi du 24
mai 1951, l'arrêté attaqué aurait été pris sur le fondement de dispositions législatives
inconstitutionnelles. En outre, compte tenu de cette habilitation législative, il ne saurait utilement
être soutenu que les ministres étaient incompétents pour édicter une telle réglementation, au motif
qu'elle affecterait les principes fondamentaux de l'enseignement.

En ce qui concerne les moyens tirés de la méconnaissance du treizième alinéa du Préambule de la


Constitution du 27 octobre 1946 :
13. Aux termes du treizième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se
réfère celui de la Constitution du 4 octobre 1958 : " La Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de
l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L'organisation de
l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'État ".
14. Aux termes de l'article L. 613-1 du code de l'éducation, dont la substance est issue de la loi du
18 mars 1880 relative à la liberté de l'enseignement supérieur et de la loi du 26 janvier 1984 sur
l'enseignement supérieur : " L'État a le monopole de la collation des grades et des titres
universitaires. / Les diplômes nationaux délivrés par les établissements sont ceux qui confèrent l'un
des grades ou titres universitaires dont la liste est établie par décret pris sur avis du Conseil national
de l'enseignement supérieur et de la recherche (...) ".
15. Il résulte des dispositions du treizième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre
1946 citées au point 13 et des dispositions législatives qui les mettent en œuvre, telles les
dispositions citées au point 14, que le principe d'égal accès à l'instruction et l'exigence
constitutionnelle de gratuité s'appliquent à l'enseignement supérieur public en ce qu'il a pour objet
la préparation et la délivrance de diplômes nationaux et non celle des diplômes propres délivrés en
application de l'article L. 613-2 du code de l'éducation ou des titres d'ingénieur diplômé. Toutefois,
ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2019-809 QPC du 11 octobre 2019,
l'exigence constitutionnelle de gratuité ne fait pas obstacle, pour ce degré d'enseignement, à ce que
des droits d'inscription modiques soient perçus en tenant compte, le cas échéant, des capacités
financières des étudiants. Il en résulte que le caractère modique des frais d'inscription exigés des

12
usagers suivant des formations dans l'enseignement supérieur public en vue de l'obtention de
diplômes nationaux doit être apprécié, au regard du coût de ces formations, compte tenu de
l'ensemble des dispositions en vertu desquelles les usagers peuvent être exonérés du paiement de
ces droits et percevoir des aides, de telle sorte que de ces frais ne fassent pas obstacle, par eux-
mêmes, à l'égal accès à l'instruction.
16. Au cas d'espèce, les requérants soutiennent que l'arrêté du 19 avril 2019 fixe pour les " étudiants
en mobilité internationale " relevant de son article 8, inscrits dans les établissements publics
d'enseignement supérieur relevant exclusivement du ministre chargé de l'enseignement supérieur
en vue de la préparation d'un diplôme national ou d'un titre d'ingénieur diplômé, des montants de
droits d'inscription qui, eu égard à leur niveau, méconnaissent l'exigence constitutionnelle de
gratuité et qui, par suite, sont de nature à compromettre l'égal accès à l'instruction. A ce titre, il est
notamment invoqué que les montants de ces droits d'inscription ne sont pas modiques, qu'ils soient
appréciés en valeur absolue ou relativement aux ressources dont disposent les étudiants et leurs
parents ou encore au regard du niveau de vie moyen de certains pays.
17. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que le " coût annuel moyen " de la formation
suivie par un étudiant en vue de l'obtention d'un diplôme de licence, de master, de doctorat ou d'un
titre d'ingénieur diplômé est évalué à la somme de 10 210 euros par la Cour des comptes, dans son
rapport sur les droits d'inscription dans l'enseignement supérieur public de novembre 2018 et à la
somme de 9 660 euros par le rapport d'information de l'Assemblée nationale sur l'accueil des
étudiants étrangers en France du 13 mars 2019. Dans ces conditions, les montants des frais
d'inscription à la charge des étudiants en mobilité internationale relevant de l'article 8 de l'arrêté,
prévus à son annexe 2, représentent, en ce qui concerne le diplôme national de la licence, près de
30% du coût de la formation dispensée, et en ce qui concerne le diplôme de master et, en tout état
de cause s'agissant du titre d'ingénieur diplômé pour lequel, ainsi qu'il a été dit au point 15,
l'exigence constitutionnelle de gratuité ne s'applique pas, près de 40% de celui-ci.
18. En second lieu, il résulte du cinquième alinéa de l'article L. 111-1 du code de l'éducation cité au
point 4 que pour garantir l'égal accès à l'instruction, des aides sont attribuées aux étudiants. A cet
égard, les étudiants en mobilité internationale peuvent être éligibles à certaines d'entre elles. En
outre, ainsi que le mentionnent les articles R. 719-49-1, R. 719-50 et R. 719-51 du même code, cités
au point 4, les étudiants en mobilité internationale relevant de l'article 8 de l'arrêté litigieux inscrits
dans les établissements publics d'enseignement supérieur relevant exclusivement du ministre chargé
de l'enseignement supérieur en vue de la préparation d'un diplôme national ou, en tout état de cause,
du titre d'ingénieur diplômé peuvent bénéficier d'une exonération totale ou partielle des droits
d'inscription mis à leur charge, soit sur décision du ministre des affaires étrangères, en considération
de la politique étrangère culturelle et scientifique de la France et de la situation personnelle des
étudiants, soit sur décision du président de l'établissement, en considération, outre de leur situation
personnelle, des orientations stratégiques de l'établissement, soit encore en application d'un accord
conclu entre l'établissement concerné et un autre établissement conformément à l'article L. 123-7-1
du code de l'éducation ou d'un programme international d'accueil d'étudiants en mobilité.
19. Par suite, eu égard à la fois à la part du coût des formations régies par l'arrêté attaqué susceptible
d'être mise à la charge des étudiants en mobilité internationale entrant dans le champ d'application
de son article 8 au titre des frais d'inscription dans ces formations et aux dispositifs d'aides et
d'exonération de ces frais dont ces mêmes étudiants peuvent bénéficier, les requérants ne sont pas
fondés à soutenir, sans qu'il soit besoin de rechercher si les exigences découlant du treizième alinéa
du Préambule de la Constitution de 1946 peuvent être utilement invoquées au bénéfice de ces
étudiants en mobilité internationale, que les montants des droits d'inscription susceptibles d'être
effectivement à leur charge, feraient, par eux-mêmes, obstacle à un égal accès à l'instruction et, par
suite, méconnaitraient ces exigences constitutionnelles.

En ce qui concerne les moyens tirés de la méconnaissance du principe d'égalité entre les usagers du
service public :
20. Il est soutenu par les requérants que l'arrêté du 19 avril 2019 a méconnu le principe d'égalité
entre les usagers du service public, dès lors qu'à l'exception des formations mentionnées à son article

13
5, il fixe des frais d'inscription différents, selon que les étudiants relèvent de la première ou de la
seconde des catégories d'étudiants qu'il définit, lesquelles seraient fondées sur l'origine
géographique des étudiants.
21. Le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle
de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons
d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte
soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement
disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.
22. Aux termes du quatrième alinéa de l'article L. 111-1 du code de l'éducation : " Le droit à
l'éducation est garanti à chacun afin de lui permettre de développer sa personnalité, d'élever son
niveau de formation initiale et continue, de s'insérer dans la vie sociale et professionnelle, d'exercer
sa citoyenneté ". En outre, l'article L. 123-2 du code de l'éducation dispose que : " Le service public
de l'enseignement supérieur contribue : (...) / 1° Au développement de la recherche, support
nécessaire des formations dispensées, à la diffusion des connaissances dans leur diversité et à
l'élévation du niveau scientifique, culturel et professionnel de la nation et des individus qui la
composent ; / 2° A la croissance et à la compétitivité de l'économie et à la réalisation d'une politique
de l'emploi prenant en compte les besoins économiques, sociaux, environnementaux et culturels et
leur évolution prévisible ; / 3° A la lutte contre les discriminations, à la réduction des inégalités
sociales ou culturelles et à la réalisation de l'égalité entre les hommes et les femmes en assurant à
toutes celles et à tous ceux qui en ont la volonté et la capacité l'accès aux formes les plus élevées de
la culture et de la recherche. (...) / 3° bis A la construction d'une société inclusive. A cette fin, il
veille à favoriser l'inclusion des individus, sans distinction d'origine, de milieu social et de condition
de santé ; / 4° A la construction de l'espace européen de la recherche et de l'enseignement supérieur ;
/ 5° A l'attractivité et au rayonnement des territoires aux niveaux local, régional et national ; (...) /7°
A la promotion et à la diffusion de la francophonie dans le monde (...) ".
23. Eu égard aux objectifs poursuivis par le service public de l'enseignement supérieur, parmi
lesquels figure celui de former les individus susceptibles de contribuer à la vie économique, sociale,
scientifique et culturelle de la nation et à son développement, il était loisible aux ministres de fixer
les montants des frais d'inscription applicables aux étudiants inscrits dans les établissements publics
d'enseignement supérieur en vue de la préparation d'un diplôme national ou d'un titre d'ingénieur
diplômé en distinguant la situation, d'une part, des étudiants ayant, quelle que soit leur origine
géographique, vocation à être durablement établis sur le territoire national, et d'autre part, des
étudiants venus en France spécialement pour s'y former. La différence de traitement qui en résulte
concernant les montants de frais d'inscription est en rapport avec cette différence de situation et
n'est pas manifestement disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi de formation de la
population appelée à contribuer à la vie économique, sociale, scientifique et culturelle de la Nation
et à son développement.
24. Enfin, l'arrêté a pu légalement prévoir que les montants des frais d'inscription fixés pour les
étudiants ayant vocation à résider durablement sur le territoire national sont aussi applicables, d'une
part, en vertu du droit de l'Union, de l'accord sur l'Espace économique européen et de l'Accord du
21 juin 1999 entre la Communauté européenne, ses États-membres et la Suisse sur la libre
circulation des personnes, aux ressortissants de ces États, aux membres de leur famille autorisés à
y séjourner et aux personnes titulaires d'un titre de résident délivré par l'un de ces États, d'autre part,
aux ressortissants des États ayant conclu avec la France des accords internationaux, comportant des
stipulations sur l'acquittement des droits d'inscription ou sur l'obligation de détenir un titre de
séjour.
25. Il s'ensuit que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'arrêté qu'ils attaquent a méconnu
le principe d'égalité entre les usagers du service public.
[…]

DECIDE:
Article 1er : Les interventions de la Conférence des Grandes Écoles, de la Conférence des
Directeurs des Écoles Françaises d'Ingénieurs et de la Conférence des Présidents d'Université sont

14
admises.
Article 2 : L'intervention du Syndicat des avocats de France à l'appui de la requête n°431688 de
l'UNEF et d'autres syndicats n'est pas admise.
Article 3 : Les requêtes de l'Union Nationale des Étudiants en Droit, Gestion, AES, Sciences
Économiques, Politique et Sociales et d'autres associations d'étudiants, de M. et Mme B..., de Mme
F... et Mme G..., de la Ligue des droits de l'Homme et de l'UNEF et autres sont rejetées. […]

• Document 6 : CAA Nancy, 8 avril 2020, SNESUP-FSU, n° 18NC00333

Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le syndicat national de l'enseignement supérieur SNESUP-FSU a demandé au tribunal administratif
de Strasbourg d'annuler la délibération du 13 décembre 2016 par laquelle le conseil d'administration
de l'université de Strasbourg a déclaré M. B... C... élu président de cette université ainsi que les
décisions par lesquelles le président de l'université de Strasbourg, le secrétaire d'État chargé de
l'enseignement supérieur et la rectrice de l'académie de Strasbourg ont implicitement rejeté les
recours gracieux et hiérarchiques formés le 10 février 2017 et tendant à l'annulation de cette
délibération.
Par un jugement n° 1703016 du 14 décembre 2017, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté
sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 9 février 2018, et un mémoire complémentaire, enregistré le 25
février 2019, le syndicat national de l'enseignement supérieur SNESUP - FSU, représenté par Me
A..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 14 décembre 2017 ;
2°) d'annuler la délibération du 13 décembre 2016 par laquelle le conseil d'administration de
l'université de Strasbourg a déclaré M. B... C... élu président de cette université, ainsi que les
décisions par lesquelles le président de l'université de Strasbourg, le secrétaire d'État chargé de
l'enseignement supérieur et la rectrice de l'académie de Strasbourg ont implicitement rejeté les
recours gracieux et hiérarchiques formés le 10 février 2017 et tendant à l'annulation de la
délibération du 13 décembre 2016 ;
3°) d'enjoindre à l'université de Strasbourg de procéder à de nouvelles élections ;
4°) de mettre à la charge de l'État et de l'université de Strasbourg une somme de 1 500 euros sur le
fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les moyens qu'il avait invoqués devant le tribunal administratif n'ont pas tous été examinés par les
premiers juges ;
- le tribunal administratif a commis une erreur de droit en se bornant à constater une absence
d'incompatibilité de principe, sans tenir compte des éléments factuels qu'il avait développés ;
- l'engagement ecclésiastique de M. C... est incompatible avec un mandat de représentant d'un
établissement public d'enseignement supérieur et de recherche ; l'élection de de M. C... porte atteinte
au principe de laïcité et de neutralité, méconnaît l'article L. 141-6 du code de l'éducation et
méconnaît le principe constitutionnel d'indépendance de la recherche.
Par un mémoire, enregistré le 24 juillet 2018, l'université de Strasbourg, représentée par la SELARL
CM. Affaires publiques, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit
mise à la charge du syndicat national de l'enseignement supérieur sur le fondement de l'article L.
761-1 du code de justice administrative.

15
Elle fait valoir qu'aucun des moyens invoqués par le syndicat national de l'enseignement supérieur
n'est fondé.
Par des mémoires, enregistrés le 30 août 2018 et le 19 juillet 2019, le ministre de l'éducation
nationale conclut au rejet de la requête.
Il indique qu'il se réfère aux écritures qu'il avait produites en première instance et fait valoir
qu'aucun des moyens invoqués par le syndicat national de l'enseignement supérieur n'est fondé.
Par un mémoire distinct, enregistré le 12 février 2018, le syndicat national de l'enseignement
supérieur a demandé à la cour, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7
novembre 1958 et à l'appui de sa requête, de transmettre au Conseil d'État, aux fins de transmission
au Conseil constitutionnel, la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la
Constitution des dispositions de l'article L. 712-2 du code de l'éducation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 mars 2018, la ministre de l'enseignement supérieur, de
la recherche et de l'innovation a présenté ses observations sur cette demande.
Par une ordonnance du 6 avril 2018, le président de la 3ème chambre de la cour administrative
d'appel de Nancy a transmis au Conseil d'État la question de la conformité à la Constitution de
l'article L. 712-2 du code de l'éducation.
Par une décision n° 419595 du 27 juin 2018, le Conseil d'État, statuant au contentieux, n'a pas
renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le
syndicat national de l'enseignement supérieur.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la Constitution ;
- le code de l'éducation ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;
- le code de justice administrative.
[…]

Considérant ce qui suit :


1. M. C..., professeur de théologie à l'université de Strasbourg et vice-président de cette université
depuis 2009, est également prêtre de l'église catholique. Par une délibération du 13 décembre 2016,
le conseil d'administration de l'université de Strasbourg l'a élu président de cet établissement. Le
syndicat national de l'enseignement supérieur SNESUP-FSU a demandé au tribunal administratif
de Strasbourg d'annuler cette délibération ainsi que les décisions par lesquelles le président de
l'université, le secrétaire d'État chargé de l'enseignement supérieur et la rectrice de l'académie de
Strasbourg ont implicitement rejeté les recours qu'il avait formés le 10 février 2017 à l'encontre de
la délibération du 13 décembre 2016. Le syndicat relève appel du jugement du 14 décembre 2017
par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces
décisions.
[…]

Sur le bien-fondé du jugement :


4. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 712-2 du code de l'éducation : " Le président de
l'université est élu à la majorité absolue des membres du conseil d'administration parmi les
enseignants-chercheurs, chercheurs, professeurs ou maîtres de conférences, associés ou invités, ou
tous autres personnels assimilés, sans condition de nationalité. Son mandat, d'une durée de quatre
ans, expire à l'échéance du mandat des représentants élus des personnels du conseil d'administration.
Il est renouvelable une fois ". Le troisième alinéa du même article dispose que les fonctions de
président d'université " sont incompatibles avec celles de membre élu du conseil académique, de
directeur de composante, d'école ou d'institut ou de toute autre structure interne de l'université et

16
avec celles de dirigeant exécutif de tout établissement public à caractère scientifique, culturel et
professionnel ou de l'une de ses composantes ou structures internes ".
5. Aux termes de l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " Nul
ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble
pas l'ordre public établi par la loi ". Aux termes de l'article 1er de la Constitution : " La France est
une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de
tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances
(...) ". Le principe de laïcité figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit. Il
en résulte notamment la neutralité de l'État, le respect de toutes les croyances et l'égalité de tous les
citoyens devant la loi sans distinction de religion.
6. Dans la décision n° 419595 du 27 juin 2018 le Conseil d'État, statuant au contentieux, n'a pas
renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le
syndicat national de l'enseignement supérieur et tirée de la non-conformité aux principes de laïcité
et de neutralité ainsi qu'à un " principe d'indépendance de la recherche et des enseignants-chercheurs
" des dispositions de l'article L. 712-2 du code de l'éducation en tant qu'elles ne prohibent pas
l'élection de ministres du culte à la présidence d'universités publiques.
7. En premier lieu, les dispositions de l'article L. 712-2 du code de l'éducation ne fixent pas
d'incompatibilités entre les fonctions de ministres du culte et celles de président d'université. Par
ailleurs, ainsi que l'a jugé le Conseil d'État dans sa décision du 27 juin 2018, il résulte du principe
constitutionnel de laïcité que l'accès aux fonctions publiques, dont l'accès aux fonctions de président
d'université, s'effectue sans distinction de croyance et de religion et que, par suite, il ne peut, en
principe, être fait obstacle à ce qu'une personne ayant la qualité de ministre d'un culte puisse être
élue aux fonctions de président d'université, celle-ci étant alors tenue, eu égard à la neutralité des
services publics qui découle également du principe de laïcité, à ne pas manifester ses opinions
religieuses dans l'exercice de ses fonctions ainsi qu'à un devoir de réserve en dehors de l'exercice
de ces fonctions. En outre, la circonstance que le président élu d'une université aurait la qualité de
ministre d'un culte est, par elle-même, sans rapport avec les garanties qui s'attachent au respect du
principe constitutionnel d'indépendance des enseignants-chercheurs. Enfin, les dispositions de
l'article L. 141-6 du code de l'éducation qui prévoient que " le service public de l'enseignement
supérieur est laïque et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou
idéologique ; il tend à l'objectivité du savoir ; il respecte la diversité des opinions. Il doit garantir à
l'enseignement et à la recherche leurs possibilités de libre développement scientifique, créateur et
critique ", ne peuvent pas davantage être regardées comme faisant par elles-mêmes obstacle à ce
qu'un ministre des cultes soit élu président d'une université.
8. En second lieu, le syndicat requérant ne peut utilement se prévaloir de ce que, postérieurement à
son élection, M. C... aurait manifesté ses opinions religieuses dans l'exercice de ses fonctions ou
qu'il n'aurait pas respecté le devoir de réserve auquel il était tenu en dehors de l'exercice de ces
fonctions. En outre, il ne peut pas davantage utilement se prévaloir, à l'appui de ses conclusions
dirigées contre l'élection de M. C..., d'un article de presse paru au mois de septembre 2016 relatant
les explications de l'intéressé sur la pratique de " la bénédiction des enfants avec leur cartable ".
9. Il résulte de tout ce qui précède que le syndicat national de l'enseignement supérieur SNESUP-
FSU n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif
de Strasbourg a rejeté sa demande. […]

DECIDE:
Article 1er : La requête du syndicat national de l'enseignement supérieur SNESUP-FSU est rejetée.
[…]

17
18
UFR droit
Année universitaire 2021/2022
Droit administratif – Les principes et le juge
Cours de M. Tourbe
Documents de travaux dirigés

Séance n° 5 :
Droit international et droits européens

† DOCUMENTS

• Document 1 : Constitution du 4 octobre 1958, art. 55 et 88-1


• Document 2 : CE, Ass., 22 avril 2012, GISTI et FAPIL, n° 322326
• Document 3 : CE, 19 novembre 2020, Commune de Grande-Synthe, n° 427301
• Document 4 : Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, art. 267 et 288
• Document 5 : CE, Ass., 21 avril 2021, French Data Network et autres, n° 393099 ;
obs. M.-C. de Montecler, AJDA 2021. 828
• Document 6 : CE, Ass., 23 décembre 2011, M. Kandyrine de Brito Paiva, n°
303678
• Document 7 : CE, 15 avril 2021, Fédération Forestiers privés de France, n°
439036

19
• Document 1 : Constitution du 4 octobre 1958, art. 55 et 88-1

Article 55
Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité
supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre
partie.

Article 88-1
La République participe à l'Union européenne constituée d'États qui ont choisi librement d'exercer
en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur
le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13
décembre 2007.

• Document 2 : CE, Ass., 22 avril 2012, GISTI et FAPIL, n° 322326

Vu la requête, enregistrée le 10 novembre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État,


présentée par le GROUPE D’INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRES (GISTI), dont
le siège est 3, villa Marcès à Paris (75011), désigné mandataire unique, et représenté par son
président en exercice, et la FEDERATION DES ASSOCIATIONS POUR LA PROMOTION ET
L’INSERTION PAR LE LOGEMENT (FAPIL), dont le siège est 221, boulevard Davout à Paris
(75020), représentée par son président en exercice ; le GROUPE D’INFORMATION ET DE
SOUTIEN DES IMMIGRES et la FEDERATION DES ASSOCIATIONS POUR LA
PROMOTION ET L’INSERTION PAR LE LOGEMENT demandent au Conseil d’État :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2008-908 du 8 septembre 2008 relatif aux
conditions de permanence de la résidence des bénéficiaires du droit à un logement décent et
indépendant et modifiant le code de la construction et de l’habitation (partie réglementaire) en tant
que l’article R. 300-2 qu’il insère dans le code de la construction et de l’habitation fixe les conditions
de la permanence de résidence mentionnées à l’article L. 300-1 du même code exigées des
personnes de nationalité étrangère autres que les détentrices d’une carte de résident ou d’un titre
conférant des droits équivalents et autres que les personnes relevant de l’article R. 300-1 du même
code pour se voir ouvrir un droit au logement opposable ;

2°) de mettre à la charge de l’État la somme de 3 000 euros à verser à chacune des associations
requérantes au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution ;
Vu le traité sur l’Union européenne et le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
Vu la convention internationale du travail n° 97 concernant les travailleurs migrants ;
Vu le code de la construction et de l’habitation ;
Vu le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
Vu la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 ;
Vu le décret n° 54-794 du 4 août 1954 portant publication de la convention internationale du
travail n° 97 concernant les travailleurs migrants ;
Vu le code de justice administrative ;
[…]

20
Sur la légalité du décret attaqué :

Considérant qu’aux termes de l’article L. 300-1 du code de la construction et de l’habitation : " Le


droit à un logement décent et indépendant (...) est garanti par l’État à toute personne qui, résidant
sur le territoire français de façon régulière et dans des conditions de permanence définies par décret
en Conseil d’État, n’est pas en mesure d’y accéder par ses propres moyens ou de s’y maintenir. /
Ce droit s’exerce par un recours amiable puis, le cas échéant, par un recours contentieux dans les
conditions et selon les modalités fixées par le présent article et les articles L. 441-2-3 et L. 441-2-
3-1. " ; que le décret attaqué n° 2008-908 du 8 septembre 2008 relatif aux conditions de permanence
de la résidence des bénéficiaires du droit à un logement décent et indépendant détermine, par
l’article R. 300-2 ajouté au code de la construction et de l’habitation, pour les personnes qui ne sont
ni de nationalité française ni ressortissantes d’un État membre de l’Union européenne et de l’Espace
économique européen ou de la Confédération suisse, les conditions de permanence du séjour en
France qui leur ouvrent un droit au logement opposable ; qu’en particulier, il établit, pour les
personnes autres que celles détenant une carte de résident ou un titre de séjour prévu par les traités
ou accords internationaux et conférant des droits équivalents à ceux de la carte de résident, une liste
de cinq catégories de titres de séjour permettant à leurs détenteurs de demander le bénéfice du droit
au logement opposable, sous la double condition d’une durée de résidence préalable de deux ans
sur le territoire national et d’au moins deux renouvellements du titre de séjour détenu ; que cette
liste ne comprend pas la carte de séjour temporaire portant la mention " étudiant " ou " salarié en
mission ", ni la carte de séjour " compétences et talents " ;

En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance du 1 de l’article 6 de la convention


internationale du travail n° 97 du 1er juillet 1949 concernant les travailleurs migrants :

Considérant que les stipulations d’un traité ou d’un accord régulièrement introduit dans l’ordre
juridique interne conformément à l’article 55 de la Constitution peuvent utilement être invoquées à
l’appui d’une demande tendant à ce que soit annulé un acte administratif ou écartée l’application
d’une loi ou d’un acte administratif incompatibles avec la norme juridique qu’elles contiennent, dès
lors qu’elles créent des droits dont les particuliers peuvent directement se prévaloir ; que, sous
réserve des cas où est en cause un traité pour lequel la Cour de justice de l’Union européenne dispose
d’une compétence exclusive pour déterminer s’il est d’effet direct, une stipulation doit être reconnue
d’effet direct par le juge administratif lorsque, eu égard à l’intention exprimée des parties et à
l’économie générale du traité invoqué, ainsi qu’à son contenu et à ses termes, elle n’a pas pour objet
exclusif de régir les relations entre États et ne requiert l’intervention d’aucun acte complémentaire
pour produire des effets à l’égard des particuliers ; que l’absence de tels effets ne saurait être déduite
de la seule circonstance que la stipulation désigne les États parties comme sujets de l’obligation
qu’elle définit ;

Considérant que l’article 6-1. de la convention internationale du travail n° 97 du 1er juillet 1949
concernant les travailleurs migrants, régulièrement ratifiée, et publiée par le décret du 4 août 1954,
publié au Journal officiel de la République française du 7 août 1954, stipule que : « Tout Membre
pour lequel la présente convention est en vigueur s’engage à appliquer, sans discrimination de
nationalité, de race, de religion ni de sexe, aux immigrants qui se trouvent légalement dans les
limites de son territoire, un traitement qui ne soit pas moins favorable que celui qu’il applique à ses
propres ressortissants en ce qui concerne les matières suivantes: / a) dans la mesure où ces questions
sont réglementées par la législation ou dépendent des autorités administratives : (...) / iii) le
logement (...) / d) les actions en justice concernant les questions mentionnées dans la convention »;
que l’article 11 de la convention définit le travailleur migrant comme la personne qui émigre d’un
pays vers un autre en vue d’occuper un emploi autrement que pour son propre compte ; que
l’engagement d’appliquer aux travailleurs migrants un traitement qui ne soit pas moins favorable
que celui appliqué aux ressortissants nationaux en matière de droit au logement et d’accès aux
procédures juridictionnelles permettant de faire valoir ce droit ne saurait être interprété comme se
bornant à régir les relations entre États et, ne requérant l’intervention d’aucun acte complémentaire
pour produire des effets, se suffit à lui-même ; que, par suite, les stipulations précitées peuvent

21
utilement être invoquées à l’encontre du décret attaqué ; que celui-ci n’est pas compatible avec ces
stipulations en tant, d’une part, qu’il subordonne le droit au logement opposable de certains
travailleurs migrants au sens de cette convention à une condition de résidence préalable de deux ans
sur le territoire national qui ne s’applique pas aux ressortissants nationaux, d’autre part, qu’il exclut
de son champ d’application des titres de séjour susceptibles d’être attribués à des personnes pouvant
avoir la qualité de travailleur migrant au sens de cette convention, tels que les travailleurs
temporaires ou les salariés en mission ;

En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance du principe d’égalité :

Considérant que le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que l’autorité investie du pouvoir
réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’elle déroge à l’égalité
pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un comme l’autre cas, la différence de
traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la norme qui l’établit et ne soit pas
manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier ;

Considérant que si le pouvoir réglementaire pouvait, dans les limites de l’habilitation donnée par le
législateur et sous réserve du respect des principes à valeur constitutionnelle ainsi que des
engagements internationaux de la France, fixer, s’agissant des ressortissants étrangers, des
conditions leur ouvrant un droit au logement opposable distinctes selon les titres de séjour détenus
par eux, il ne pouvait légalement le faire que pour autant que les personnes résidant en France sous
couvert de ces titres se trouvent dans une situation différente au regard de la condition de
permanence du séjour sur le territoire national posée par l’article L. 300-1 du code de la construction
et de l’habitation précité ou pour des motifs d’intérêt général en rapport avec cette même condition ;
que la différence de traitement qui résulte du décret attaqué ne se justifie ni par un motif d’intérêt
général, ni par une différence de situation au regard de la condition de permanence du séjour entre
les personnes détentrices d’une carte de séjour temporaire portant la mention " étudiant " ou " salarié
en mission ", ou d’une carte de séjour " compétences et talents ", d’une part, et les personnes
détentrices d’autres titres de séjour temporaires inclus dans le champ du décret attaqué, d’autre
part ; qu’il suit de là que le décret attaqué a méconnu le principe d’égalité en excluant du bénéfice
du droit au logement opposable les détenteurs de ces trois catégories de titres de séjour ;

Considérant que les dispositions ainsi entachées d’illégalité sont indivisibles de l’ensemble des
autres dispositions attaquées ; que, dès lors, le GROUPE D’INFORMATION ET DE SOUTIEN
DES IMMIGRES ET AUTRE sont fondés à demander l’annulation de ces dispositions ; […]

• Document 3 : CE, 19 novembre 2020, Commune de Grande-Synthe, n° 427301

Considérant ce qui suit :

1. Par trois courriers du 19 novembre 2018, la commune de Grande-Synthe, représentée par son
maire en exercice, M. A..., agissant également en son nom personnel en sa qualité de maire et de
citoyen, a demandé respectivement au Président de la République, au Premier ministre et au
ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, d'une part, de prendre toute mesure
utile permettant d'infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire
national de manière à respecter les obligations consenties par la France voire à aller au-delà, d'autre
part, de prendre toutes dispositions d'initiatives législative ou réglementaire pour " rendre
obligatoire la priorité climatique " et pour interdire toute mesure susceptible d'augmenter les
émissions de gaz à effet de serre, et enfin, de mettre en œuvre des mesures immédiates d'adaptation
au changement climatique de la France. Il a été accusé réception de ces demandes les 20 et 21
novembre 2018. La commune de Grande-Synthe et M. A... demandent l'annulation pour excès de
pouvoir des décisions de refus implicite nées du silence gardé pendant plus de deux mois sur ces
demandes.

22
[…]

9. D'une part, au niveau mondial, l'article 2 de la convention-cadre des Nations Unies sur les
changements climatiques (CCNUCC) du 9 mai 1992 stipule que : " L'objectif ultime de la présente
Convention et de tous instruments juridiques connexes que la Conférence des Parties pourrait
adopter est de stabiliser, conformément aux dispositions pertinentes de la Convention, les
concentrations de gaz à effet de serre dans l'atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation
anthropique dangereuse du système climatique. (...). ". A cet égard, le paragraphe 1 de l'article 3 de
la convention prévoit notamment que : " Il incombe aux Parties de préserver le système climatique
dans l'intérêt des générations présentes et futures, sur la base de l'équité et en fonction de leurs
responsabilités communes mais différenciées et de leurs capacités respectives. Il appartient, en
conséquence, aux pays développés parties d'être à l'avant-garde de la lutte contre les changements
climatiques et leurs effets néfastes. " Par ailleurs, aux termes de l'article 2 de l'accord de Paris du
12 décembre 2015, conclu dans le cadre de la conférence des parties mentionnée à l'article 7 de la
convention : " 1. Le présent Accord, en contribuant à la mise en œuvre de la Convention, notamment
de son objectif, vise à renforcer la riposte mondiale à la menace des changements climatiques, dans
le contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté, notamment en : / a) Contenant
l'élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2° C par rapport aux
niveaux préindustriels et en poursuivant l'action menée pour limiter l'élévation de la température à
1,5° C par rapport aux niveaux préindustriels, étant entendu que cela réduirait sensiblement les
risques et les effets des changements climatiques; b) Renforçant les capacités d'adaptation aux effets
néfastes des changements climatiques et en promouvant la résilience à ces changements et un
développement à faible émission de gaz à effet de serre, d'une manière qui ne menace pas la
production alimentaire ; / (...). / 2. Le présent Accord sera appliqué conformément à l'équité et au
principe des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives, eu égard aux
différentes situations nationales. " Aux termes des stipulations du paragraphe 1 de l'article 4 de cet
accord : " En vue d'atteindre l'objectif de température à long terme énoncé à l'article 2, les Parties
cherchent à parvenir au plafonnement mondial des émissions de gaz à effet de serre dans les
meilleurs délais, étant entendu que le plafonnement prendra davantage de temps pour les pays en
développement Parties, et à opérer des réductions rapidement par la suite conformément aux
meilleures données scientifiques disponibles de façon à parvenir à un équilibre entre les émissions
anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits de gaz à effet de serre au
cours de la deuxième moitié du siècle, sur la base de l'équité, et dans le contexte du développement
durable et de la lutte contre la pauvreté. " Aux termes du paragraphe 2 du même article : " Chaque
partie communique et actualise les contributions déterminées au niveau national successives qu'elle
prévoit de réaliser. Les Parties prennent des mesures internes pour l'atténuation en vue de réaliser
les objectifs desdites contributions. " Enfin, aux termes de son paragraphe 3 : " La contribution
déterminée au niveau national suivante de chaque Partie représentera une progression par rapport à
la contribution déterminée au niveau national antérieure et correspondra à son niveau d'ambition le
plus élevé possible, compte tenu de ses responsabilités communes mais différenciées et de ses
capacités respectives, eu égard aux différentes situations nationales. "

10. D'autre part, au niveau européen, par la décision 94/69/CE du 15 décembre 1993 concernant la
conclusion de la CCNUCC, le Conseil a approuvé la convention au nom de la Communauté
européenne, devenue l'Union européenne. Notamment aux fins de mise en œuvre des stipulations
précitées, l'Union européenne a adopté un premier " Paquet Énergie Climat 2020 ", composé en
particulier de la décision n° 406/2009/CE du 23 avril 2009 relative à l'effort à fournir par les États
membres pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre afin de respecter les engagements de
la Communauté en matière de réduction de ces émissions jusqu'en 2020, ayant notamment pour
objectif une réduction de 20 % des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990. Aux termes
de l'annexe II de la décision du 23 avril 2009, une limite d'émission de gaz à effet de serre de - 14
% par rapport aux niveaux d'émission de 2005 a été fixée à la France pour 2020. Par la suite, l'Union
européenne, qui a adhéré à l'accord de Paris, a notifié à la Conférence des États parties à la
CCNUCC, en application des stipulations de l'article 4 de cet accord, une " contribution déterminée
au niveau national " (CDN) pour l'Union et ses États membres correspondant à une réduction

23
minimum de 40 % des émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à leur niveau de 1990.
Elle a alors adopté un second " Paquet Énergie Climat " reposant notamment sur le règlement (UE)
2018/842 du 30 mai 2018 relatif aux réductions annuelles contraignantes des émissions de gaz à
effet de serre par les États membres de 2021 à 2030 contribuant à l'action pour le climat afin de
respecter les engagements pris dans le cadre de l'accord de Paris, qui, aux termes de son article 1er,
" établit pour les États membres des obligations relatives à leurs contributions minimales pour la
période 2021-2030, en vue d'atteindre l'objectif de l'Union de réduire, d'ici à 2030, ses émissions de
gaz à effet de serre de 30 % par rapport aux niveaux de 2005 dans les secteurs relevant de l'article
2 du présent règlement, et contribue à la réalisation des objectifs de l'accord de Paris. ". L'annexe I
du règlement, prévu par son article 4, fixe pour chaque État membre le niveau de cette contribution
minimale et a assigné à la France une obligation de réduction des émissions de gaz à effet de serre
de - 37 % en 2030 par rapport à leur niveau de 2005.

11. Enfin, au niveau national, les dispositions de l'article L. 100-4 du code de l'énergie, dans leur
rédaction issue de la loi du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat, précisent que : " I. -
Pour répondre à l'urgence écologique et climatique, la politique énergétique nationale a pour
objectifs : / 1° De réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % entre 1990 et 2030 et
d'atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050 en divisant les émissions de gaz à effet de serre
par un facteur supérieur à six entre 1990 et 2050. La trajectoire est précisée dans les budgets carbone
mentionnés à l'article L. 222-1 A du code de l'environnement. Pour l'application du présent 1°, la
neutralité carbone est entendue comme un équilibre, sur le territoire national, entre les émissions
anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits de gaz à effet de serre, tel
que mentionné à l'article 4 de l'accord de Paris ratifié le 5 octobre 2016. La comptabilisation de ces
émissions et absorptions est réalisée selon les mêmes modalités que celles applicables aux
inventaires nationaux de gaz à effet de serre notifiés à la Commission européenne et dans le cadre
de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, sans tenir compte des
crédits internationaux de compensation carbone ; / (...) ". En vue d'atteindre cet objectif de réduction
des émissions de gaz à effet de serre, l'article L. 222-1 A du code de l'environnement prévoit que :
" Pour la période 2015-2018, puis pour chaque période consécutive de cinq ans, un plafond national
des émissions de gaz à effet de serre dénommé " budget carbone " est fixé par décret. " et l'article
L. 222-1 B du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 8 novembre 2019 précitée, notamment
que : " I. - La stratégie nationale de développement à faible intensité de carbone, dénommée "
stratégie bas-carbone ", fixée par décret, définit la marche à suivre pour conduire la politique
d'atténuation des émissions de gaz à effet de serre dans des conditions soutenables sur le plan
économique à moyen et long termes (...) / II. - Le décret fixant la stratégie bas-carbone répartit le
budget carbone de chacune des périodes mentionnées à l'article L. 222-1 A par grands secteurs,
notamment ceux pour lesquels la France a pris des engagements européens ou internationaux, par
secteur d'activité ainsi que par catégorie de gaz à effet de serre. La répartition par période prend en
compte l'effet cumulatif des émissions considérées au regard des caractéristiques de chaque type de
gaz, notamment de la durée de son séjour dans la haute atmosphère. (...) / Il répartit également les
budgets carbone en tranches indicatives d'émissions annuelles. / III. - L'État, les collectivités
territoriales et leurs établissements publics respectifs prennent en compte la stratégie bas-carbone
dans leurs documents de planification et de programmation qui ont des incidences significatives sur
les émissions de gaz à effet de serre. / Dans le cadre de la stratégie bas-carbone, le niveau de soutien
financier des projets publics intègre, systématiquement et parmi d'autres critères, le critère de
contribution à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les principes et modalités de calcul
des émissions de gaz à effet de serre des projets publics sont définis par décret. " Aux termes de
l'article D. 222-1-A du code de l'environnement dans sa rédaction issue du décret du 18 novembre
2015 relatif aux budgets carbone nationaux et à la stratégie nationale bas-carbone : " I. - Les
émissions de gaz à effet de serre comptabilisées au titre des budgets carbone fixés en application de
l'article L. 222 1 A sont celles que la France notifie à la Commission européenne et dans le cadre
de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. / (...) " Aux termes de
l'article D. 222-1-B du même code : " I. - Le respect des budgets carbone est évalué sur la base des
inventaires annuels transmis à la Commission européenne ou dans le cadre de la convention-cadre
des Nations unies sur les changements climatiques les plus à jour. " Enfin, en vertu de l'article 2 de

24
ce décret du 18 novembre 2015 : " Les budgets carbone des périodes 2015-2018, 2019-2023 et
2024-2028 sont fixés respectivement à 442, 399 et 358 Mt de CO2eq par an, à comparer à des
émissions annuelles en 1990, 2005 et 2013 de, respectivement, 551, 556 et 492 Mt de CO2eq. "

12. Il résulte de ces stipulations et dispositions que l'Union européenne et la France, signataires de
la CCNUCC et de l'accord de Paris, se sont engagées à lutter contre les effets nocifs du changement
climatique induit notamment par l'augmentation, au cours de l'ère industrielle, des émissions de gaz
à effet de serre imputables aux activités humaines, en menant des politiques visant à réduire, par
étapes successives, le niveau de ces émissions, afin d'assumer, suivant le principe d'une contribution
équitable de l'ensemble des États parties à l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de
serre, leurs responsabilités communes mais différenciées en fonction de leur participation aux
émissions acquises et de leurs capacités et moyens à les réduire à l'avenir au regard de leur niveau
de développement économique et social. Si les stipulations de la CCNUCC et de l'accord de Paris
citées au point 9 requièrent l'intervention d'actes complémentaires pour produire des effets à l'égard
des particuliers et sont, par suite, dépourvues d'effet direct, elles doivent néanmoins être prises en
considération dans l'interprétation des dispositions de droit national, notamment celles citées au
point 11, qui, se référant aux objectifs qu'elles fixent, ont précisément pour objet de les mettre en
œuvre. […]

• Document 4 : TFUE, art. 267 et 288

Article 267 (ex-article 234 TCE)


La Cour de justice de l'Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel:
a) sur l'interprétation des traités,
b) sur la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes
de l'Union.
Lorsqu'une telle question est soulevée devant une juridiction d'un des États membres, cette
juridiction peut, si elle estime qu'une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son
jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question.
Lorsqu'une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction
nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit
interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour.
Si une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale
concernant une personne détenue, la Cour statue dans les plus brefs délais.
Article 288 (ex-article 249 TCE)
Pour exercer les compétences de l'Union, les institutions adoptent des règlements, des directives,
des décisions, des recommandations et des avis.
Le règlement a une portée générale. Il est obligatoire dans tous ses éléments et il est directement
applicable dans tout État membre.
La directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux
instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens.
La décision est obligatoire dans tous ses éléments. Lorsqu'elle désigne des destinataires, elle n'est
obligatoire que pour ceux-ci.

25
• Document 5 : CE, Ass., 21 avril 2021, French Data Network et autres, n° 393099

En ce qui concerne les exigences inhérentes à la hiérarchie des normes :

3. En vertu de l'article 88-1 de la Constitution : " La République participe à l'Union européenne


constituée d'États qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en
vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels
qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007 ". Selon le paragraphe 3 de l'article
4 du traité sur l'Union européenne : " En vertu du principe de coopération loyale, l'Union et les États
membres se respectent et s'assistent mutuellement dans l'accomplissement des missions découlant
des traités. / Les États membres prennent toute mesure générale ou particulière propre à assurer
l'exécution des obligations découlant des traités ou résultant des actes des institutions de l'Union. /
Les États membres facilitent l'accomplissement par l'Union de sa mission et s'abstiennent de toute
mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de l'Union ". La seconde phrase du
paragraphe 1 de l'article 19 du même traité assigne à la Cour de justice de l'Union européenne la
mission d'assurer " le respect du droit dans l'interprétation et l'application des traités ".

4. Le respect du droit de l'Union constitue une obligation tant en vertu du traité sur l'Union
européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qu'en application de l'article
88-1 de la Constitution. Il emporte l'obligation de transposer les directives et d'adapter le droit
interne aux règlements européens. En vertu des principes de primauté, d'unité et d'effectivité issus
des traités, tels qu'ils ont été interprétés par la Cour de justice de l'Union européenne, le juge
national, chargé d'appliquer les dispositions et principes généraux du droit de l'Union, a l'obligation
d'en assurer le plein effet en laissant au besoin inappliquée toute disposition contraire, qu'elle résulte
d'un engagement international de la France, d'une loi ou d'un acte administratif.

5. Toutefois, tout en consacrant l'existence d'un ordre juridique de l'Union européenne intégré à
l'ordre juridique interne, dans les conditions mentionnées au point précédent, l'article 88-1 confirme
la place de la Constitution au sommet de ce dernier. Il appartient au juge administratif, s'il y a lieu,
de retenir de l'interprétation que la Cour de justice de l'Union européenne a donnée des obligations
résultant du droit de l'Union la lecture la plus conforme aux exigences constitutionnelles autres que
celles qui découlent de l'article 88-1, dans la mesure où les énonciations des arrêts de la Cour le
permettent. Dans le cas où l'application d'une directive ou d'un règlement européen, tel qu'interprété
par la Cour de justice de l'Union européenne, aurait pour effet de priver de garanties effectives l'une
de ces exigences constitutionnelles, qui ne bénéficierait pas, en droit de l'Union, d'une protection
équivalente, le juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, doit l'écarter dans la stricte mesure
où le respect de la Constitution l'exige.

6. Il en résulte, d'une part, que, dans le cadre du contrôle de la légalité et de la constitutionnalité des
actes réglementaires assurant directement la transposition d'une directive européenne ou
l'adaptation du droit interne à un règlement et dont le contenu découle nécessairement des
obligations prévues par la directive ou le règlement, il appartient au juge administratif, saisi d'un
moyen tiré de la méconnaissance d'une disposition ou d'un principe de valeur constitutionnelle, de
rechercher s'il existe une règle ou un principe général du droit de l'Union européenne qui, eu égard
à sa nature et à sa portée, tel qu'il est interprété en l'état actuel de la jurisprudence du juge de l'Union,
garantit par son application l'effectivité du respect de la disposition ou du principe constitutionnel
invoqué. Dans l'affirmative, il y a lieu pour le juge administratif, afin de s'assurer de la
constitutionnalité de l'acte réglementaire contesté, de rechercher si la directive que cet acte
transpose ou le règlement auquel cet acte adapte le droit interne est conforme à cette règle ou à ce
principe général du droit de l'Union. Il lui revient, en l'absence de difficulté sérieuse, d'écarter le
moyen invoqué, ou, dans le cas contraire, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une
question préjudicielle, dans les conditions prévues par l'article 167 du traité sur le fonctionnement
de l'Union européenne. En revanche, s'il n'existe pas de règle ou de principe général du droit de
l'Union garantissant l'effectivité du respect de la disposition ou du principe constitutionnel invoqué,

26
il revient au juge administratif d'examiner directement la constitutionnalité des dispositions
réglementaires contestées.

7. D'autre part, lorsqu'il est saisi d'un recours contre un acte administratif relevant du champ
d'application du droit de l'Union et qu'est invoqué devant lui le moyen tiré de ce que cet acte, ou les
dispositions législatives qui en constituent la base légale ou pour l'application desquelles il a été
pris, sont contraires à une directive ou un règlement européen, il appartient au juge administratif,
après avoir saisi le cas échéant la Cour de justice d'une question préjudicielle portant sur
l'interprétation ou la validité de la disposition du droit de l'Union invoquée, d'écarter ce moyen ou
d'annuler l'acte attaqué, selon le cas. Toutefois, s'il est saisi par le défendeur d'un moyen, assorti des
précisions nécessaires pour en apprécier le bien-fondé, tiré de ce qu'une règle de droit national, alors
même qu'elle est contraire à la disposition du droit de l'Union européenne invoquée dans le litige,
ne saurait être écartée sans priver de garanties effectives une exigence constitutionnelle, il appartient
au juge administratif de rechercher s'il existe une règle ou un principe général du droit de l'Union
européenne qui, eu égard à sa nature et à sa portée, tel qu'il est interprété en l'état actuel de la
jurisprudence du juge de l'Union, garantit par son application l'effectivité de l'exigence
constitutionnelle invoquée. Dans l'affirmative, il lui revient, en l'absence de difficulté sérieuse
justifiant une question préjudicielle à la Cour de justice, d'écarter cette argumentation avant de faire
droit au moyen du requérant, le cas échéant. Si, à l'inverse, une telle disposition ou un tel principe
général du droit de l'Union n'existe pas ou que la portée qui lui est reconnue dans l'ordre juridique
européen n'est pas équivalente à celle que la Constitution garantit, il revient au juge administratif
d'examiner si, en écartant la règle de droit national au motif de sa contrariété avec le droit de l'Union
européenne, il priverait de garanties effectives l'exigence constitutionnelle dont le défendeur se
prévaut et, le cas échéant, d'écarter le moyen dont le requérant l'a saisi.

8. En revanche, et contrairement à ce que soutient le Premier ministre, il n'appartient pas au juge


administratif de s'assurer du respect, par le droit dérivé de l'Union européenne ou par la Cour de
justice elle-même, de la répartition des compétences entre l'Union européenne et les États membres.
Il ne saurait ainsi exercer un contrôle sur la conformité au droit de l'Union des décisions de la Cour
de justice et, notamment, priver de telles décisions de la force obligatoire dont elles sont revêtues,
rappelée par l'article 91 de son règlement de procédure, au motif que celle-ci aurait excédé sa
compétence en conférant à un principe ou à un acte du droit de l'Union une portée excédant le
champ d'application prévu par les traités. […]

AJDA 2021. 828, « Au fil de l’actualité », obs. M.-C. de Montecler, « Conservation des
données : la guerre des juges n’aura pas lieu »

Le système français de conservation généralisée des données de connexion a tremblé sur ses bases,
après l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne La Quadrature du net (CJUE 6 oct. 2020, aff. C-
511/18, AJDA 2020. 1880 ; D. 2021. 406, et les obs., note M. Lassalle ; et 2020. 2262, obs. J. Larrieu, C.
Le Stanc et P. Tréfigny ; AJ pénal 2020. 531 ; Dalloz IP/IT 2021. 46, obs. E. Daoud, I. Bello et O.
Pecriaux ; Légipresse 2020. 671, étude W. Maxwell ; RTD eur. 2021. 175, obs. Brunessen Bertrand ; et
181, obs. Brunessen Bertrand). Mais la décision rendue par l'assemblée du Conseil d'État le 21 avril,
par une habile interprétation de l'arrêt de la CJUE, en préserve l'essentiel.
Tout en évitant la guerre des juges qu'aurait été un contrôle ultra vires (v. encadré), la haute juridiction
affirme avec une force inédite la primauté de la Constitution. Elle considère que « tout en consacrant
l'existence d'un ordre juridique de l'Union européenne intégré à l'ordre juridique interne, [...] l'article
88-1 confirme la place de la Constitution au sommet de ce dernier. Il appartient au juge administratif,
s'il y a lieu, de retenir de l'interprétation que la Cour de justice de l'Union européenne a donnée des
obligations résultant du droit de l'Union la lecture la plus conforme aux exigences constitutionnelles
autres que celles qui découlent de l'article 88-1, dans la mesure où les énonciations des arrêts de la
Cour le permettent. Dans le cas où l'application d'une directive ou d'un règlement européen, tel

27
qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne, aurait pour effet de priver de garanties
effectives l'une de ces exigences constitutionnelles, qui ne bénéficierait pas, en droit de l'Union, d'une
protection équivalente, le juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, doit l'écarter dans la stricte
mesure où le respect de la Constitution l'exige ».

Objectifs à valeur constitutionnelle


En l'espèce, l'État invoquait la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation, la prévention des
atteintes à l'ordre public, notamment celle des atteintes à la sécurité des personnes et des biens, la
lutte contre le terrorisme, ainsi que la recherche des auteurs d'infractions pénales. Ceux-ci
« constituent des objectifs de valeur constitutionnelle, nécessaires à la sauvegarde de droits et de
principes de même valeur, qui doivent être conciliés avec l'exercice des libertés constitutionnellement
garanties, au nombre desquelles figurent la liberté individuelle, la liberté d'aller et venir et le respect
de la vie privée ».
Pour autant, le Conseil d'État n'active pas la clause de sauvegarde. Il s'appuie sur l'infléchissement de
la position de la Cour de justice qui, dans son arrêt La Quadrature du net, a admis la conservation
généralisée et indifférenciée des données de connexion autres que les adresses IP « aux seules fins de
sauvegarde de la sécurité nationale lorsqu'un État est confronté à une menace grave pour la sécurité
nationale qui s'avère réelle et actuelle ou prévisible, sur injonction d'une autorité publique, soumise à
un contrôle effectif d'une juridiction ou d'une autorité administrative indépendante, [...], pour une
période limitée au strict nécessaire, mais renouvelable en cas de persistance de la menace ». Or, la
France est confrontée, depuis 2015, au terrorisme, mais aussi au risque d'espionnage et d'ingérence
étrangère ainsi qu'à des menaces graves pour la paix publique. La conservation de ces données est
donc justifiée. Il est seulement enjoint au gouvernement de modifier, dans les six mois, les dispositions
réglementaires contestées pour prévoir le réexamen périodique de l'existence d'une menace réelle et
actuelle ou prévisible. Il devra également en limiter les finalités à la sauvegarde de la sécurité
nationale.
La conservation des adresses IP a été admise par la CJUE à des fins de lutte contre la criminalité grave
ou de prévention des menaces graves contre la sécurité publique. Mais, estime le Conseil d'État, cela
n'oblige pas le législateur à énumérer les infractions en cause. « Le rattachement d'une infraction
pénale à la criminalité grave a donc vocation à s'apprécier de façon concrète, sous le contrôle du juge
pénal, au regard de la nature de l'infraction commise et de l'ensemble des faits de l'espèce. Une
obligation de conservation généralisée et indifférenciée des adresses IP peut ainsi être imposée aux
opérateurs, dès lors que les conditions d'accès à ces données par les services d'enquête sont fixées en
fonction de la gravité des infractions susceptibles de le justifier, dans le respect du principe de
proportionnalité. »

La conservation ciblée est irréalisable


La CJUE a, par ailleurs, admis la possibilité d'une conservation ciblée des données de certaines
personnes ou recueillies dans certaines zones géographiques à risque. Une hypothèse que le Conseil
d'État écarte car techniquement à peu près irréalisable et d'un intérêt opérationnel incertain. En
revanche, l'hypothèse d'une « conservation rapide » des données sur injonction de l'autorité judiciaire
saisie d'une infraction suffisamment grave est, confirme l'arrêt, conforme au droit européen.

Était également contesté l'accès aux données de connexion des services de renseignement. Pour le
Conseil d'État, ces services concourant à la sauvegarde des intérêts de la Nation, cet accès est
compatible avec la directive du 12 juillet 2002. Toutefois, la jurisprudence de la CJUE exige un contrôle
préalable par une juridiction ou une autorité administrative indépendante. Tel n'est pas le cas de la
réglementation française dans la mesure où l'avis de la Commission nationale de contrôle des
techniques de renseignement n'est pas contraignant. Il est donc enjoint au Premier ministre de mettre
en place un tel contrôle.

28
Pas de contrôle ultra vires
C'est une première depuis la signature du traité de Rome, avait fait observer le rapporteur public
Alexandre Lallet. Le gouvernement, dans ses écritures, avait invité le Conseil d'État à juger que l'arrêt
de la Cour de justice La Quadrature du net ne respecte pas la répartition des compétences entre l'Union
européenne et ses États membres. Ce contrôle ultra vires, illustré avec fracas en mai 2020 par la Cour
constitutionnelle allemande, a été écarté par le Conseil d'État. En particulier, explique-t-on au Palais-
Royal, parce que « s'il y a un désaccord entre l'Union et ses États membres, ce n'est pas la guerre des
juges qui permettra de le résoudre ». C'est aux politiques « de se mettre autour d'une table et de
négocier un nouvel équilibre ». Équilibre qui, en matière de données, pourrait être trouvé dans le projet
de règlement e-privacy.

• Document 6 : CE, Ass., 23 décembre 2011, M. Kandyrine de Brito Paiva, n°


303678

Considérant que, lorsque le juge administratif est saisi d'un recours dirigé contre un acte portant
publication d'un traité ou d'un accord international, il ne lui appartient pas de se prononcer sur la
validité de ce traité ou de cet accord au regard d'autres engagements internationaux souscrits par la
France ; qu'en revanche, sous réserve des cas où serait en cause l'ordre juridique intégré que
constitue l'Union européenne, peut être utilement invoqué, à l'appui de conclusions dirigées contre
une décision administrative qui fait application des stipulations inconditionnelles d'un traité ou d'un
accord international, un moyen tiré de l'incompatibilité des stipulations, dont il a été fait application
par la décision en cause, avec celles d'un autre traité ou accord international ; qu'il incombe dans ce
cas au juge administratif, après avoir vérifié que les stipulations de cet autre traité ou accord sont
entrées en vigueur dans l'ordre juridique interne et sont invocables devant lui, de définir,
conformément aux principes du droit coutumier relatifs à la combinaison entre elles des conventions
internationales, les modalités d'application respectives des normes internationales en débat
conformément à leurs stipulations, de manière à assurer leur conciliation, en les interprétant, le cas
échéant, au regard des règles et principes à valeur constitutionnelle et des principes d'ordre public ;
que dans l'hypothèse où, au terme de cet examen, il n'apparaît possible ni d'assurer la conciliation
de ces stipulations entre elles, ni de déterminer lesquelles doivent dans le cas d'espèce être écartées,
il appartient au juge administratif de faire application de la norme internationale dans le champ de
laquelle la décision administrative contestée a entendu se placer et pour l'application de laquelle
cette décision a été prise et d'écarter, en conséquence, le moyen tiré de son incompatibilité avec
l'autre norme internationale invoquée, sans préjudice des conséquences qui pourraient en être tirées
en matière d'engagement de la responsabilité de l'État tant dans l'ordre international que dans l'ordre
interne ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en écartant le moyen tiré de la contrariété avec la
convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales de la
condition de nationalité prévue par le décret du 3 juillet 1998 en application de l'accord du 27 mai
1997 présenté devant elle par M. A, au seul motif qu'il n'appartient pas au juge administratif de se
prononcer sur la validité des stipulations d'un engagement international au regard d'autres
engagements internationaux souscrits par la France, sans rechercher, après s'être assuré que cette
convention était entrée en vigueur dans l'ordre juridique interne et était invocable devant lui, s'il
était possible de regarder comme conciliables les stipulations de cette convention et celles de
l'accord susmentionné du 27 mai 1997, la cour administrative d'appel de Paris a commis une erreur
de droit ; que, par suite, son arrêt du 18 octobre 2006 doit être annulé, sans qu'il soit besoin
d'examiner les autres moyens du pourvoi ; […]

29
• Document 7 : CE, 15 avril 2021, Fédération Forestiers privés de France, n°
439036

En ce qui concerne l'exception d'inconventionnalité soulevée contre les dispositions de l'article L.


422-18 du code de l'environnement :

10. Les associations communales de chasse agréées (ACCA), dont le principe a été établi par la loi
du 10 juillet 1964, visent à favoriser une gestion rationnelle de la chasse et du patrimoine
cynégétique notamment en encourageant la pratique de la chasse sur des territoires d'une superficie
suffisamment vaste. Il est ainsi prévu que les propriétaires de terrains d'une superficie inférieure à
un certain seuil, variable selon les départements, sont tenus de devenir membres de l'association
constituée dans leur commune et de lui faire apport de leur fonds pour créer ainsi un territoire de
chasse à l'échelle communale. L'article L. 422-10 du code de l'environnement a néanmoins prévu
que, lors de la constitution d'une ACCA, peuvent s'opposer à ce que leurs terrains y soient inclus
les propriétaires qui invoquent des convictions personnelles opposées à la pratique de la chasse ainsi
que les propriétaires ou détenteurs de droits de chasse sur des superficies d'un seul tenant
supérieures aux superficies minimales mentionnées à l'article L. 422-13 du même code. L'article L.
422-18 de ce code prévoit enfin que peuvent se retirer d'une ACCA déjà existante, à condition de
remplir l'une des conditions posées à l'article L. 422-10, les propriétaires ainsi que " les associations
de propriétaires ayant une existence reconnue lors de la création " de l'ACCA. La requérante
soutient que cette dernière disposition, issue de la loi du 24 juillet 2019, institue une discrimination
contraire aux articles 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des
libertés fondamentales et 1er du premier protocole additionnel à cette convention en tant qu'elle
prive du droit de se retirer d'une ACCA existante les associations de propriétaires créées après la
constitution de l'ACCA, alors même qu'elles rempliraient l'une des conditions de l'article L. 422-
10.

11. Selon l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des
libertés fondamentales : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention
doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la
langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale,
l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. " Aux
termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention : " Toute personne
physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour
cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit
international. / (...) ". Il en résulte, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l'homme que, en principe, une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue
est discriminatoire, au sens de ces stipulations, si elle n'est pas assortie de justifications objectives
et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique ou si elle n'est pas
fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi.

12. Selon l'article 1er du protocole n° 16 à la convention européenne de sauvegarde des droits de
l'homme et des libertés fondamentales, signé à Strasbourg le 2 octobre 2013 : " Les plus hautes
juridictions d'une Haute Partie contractante, telles que désignées conformément à l'article 10,
peuvent adresser à la Cour des demandes d'avis consultatifs sur des questions de principe relatives
à l'interprétation ou à l'application des droits et libertés définis par la Convention ou ses protocoles.
/ La juridiction qui procède à la demande ne peut solliciter un avis consultatif que dans le cadre
d'une affaire pendante devant elle. / La juridiction qui procède à la demande motive sa demande
d'avis et produit les éléments pertinents du contexte juridique et factuel de l'affaire pendante. " Par
déclaration faite conformément à l'article 10 de ce protocole, le Gouvernement français a indiqué
que les juridictions désignées aux fins de l'article 1er du protocole sont le Conseil constitutionnel,
le Conseil d'État et la Cour de cassation.

13. Il résulte de l'article L. 422-18 du code de l'environnement dans sa rédaction issue de la loi du
24 juillet 2019 que, outre les personnes propriétaires d'un terrain ou détenteurs des droits de chasse

30
d'une superficie d'un seul tenant supérieure au seuil résultant de l'article L. 422-13 de ce code, seules
les associations de propriétaires ayant une existence reconnue à la date de création de l'ACCA
disposent du droit de s'en retirer, à condition de réunir des terrains représentant une superficie totale
remplissant la condition prévue à l'article L. 422-13, les associations comparables créées
postérieurement à cette date étant privées de ce droit même lorsqu'elles réunissent des terrains
représentant une superficie totale remplissant la condition prévue à l'article L. 422-13.

14. La Cour européenne des droits de l'homme a jugé légitime, par son arrêt de grande chambre
Chabauty c. France (4 octobre 2012, n° 57412/08), l'objectif d'une meilleure organisation de la
chasse en évitant le morcellement d'espaces vastes par le retrait de petites entités. Ainsi a-t-elle
estimé que ne constituait pas une discrimination interdite par la combinaison des articles 14 de la
convention et 1er du protocole n° 1 la limitation du droit d'opposition et de retrait d'une ACCA
ouverts aux propriétaires ou détenteurs du droit de chasse à la condition que les terrains en cause
représentent une superficie d'un seul tenant supérieure au seuil pertinent résultant de l'article L. 422-
13 du code de l'environnement, à l'exclusion des propriétaires ou détenteurs du droit de chasse de
terrains d'une superficie inférieure, sous réserve, par ailleurs, du respect du droit d'opposition ou de
retrait dont doivent toujours disposer les propriétaires qui souhaitent affecter leur terrain à un usage
conforme à leur choix de conscience conformément à ce qu'avait jugé la Cour dans son arrêt de
grande chambre Chassagnou et a. c. France (29 avril 1999, n° 20588/94).

15. En l'espèce, l'objectif d'une meilleure organisation de la chasse en évitant l'affaiblissement des
ACCA, mises en place à cette fin par la loi, est invoqué pour justifier la limitation, introduite par
les dispositions contestées dans le cadre du présent litige, du droit des associations de propriétaires
de terrains de se retirer d'une ACCA existante. Si la fédération requérante soutient que le respect de
cet objectif est garanti par la condition de seuil posée par ces dispositions et qu'aucune raison
légitime ne justifie la distinction purement temporelle résultant de la loi, il est soutenu à l'inverse
que cette restriction répond à l'objectif légitime d'éviter l'émiettement des territoires de chasse déjà
organisés en ACCA en empêchant que la création impromptue d'associations dont le seul but serait
de démanteler le territoire de l'ACCA ne vienne y porter atteinte en privant notamment les membres
de l'ACCA non propriétaires de la possibilité de chasser sur des territoires suffisamment vastes que
permet l'existence et la stabilité de l'ACCA.

16. Le présent litige soulève donc la question de savoir selon quels critères doit être appréciée une
différence de traitement établie par la loi, telle que celle qui a été exposée au point 13, au regard
des interdictions posées par l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de
l'homme et des libertés fondamentales lorsque cet article est invoqué en combinaison avec l'article
1er du premier protocole additionnel à la convention protégeant le droit de propriété, afin
d'apprécier en particulier si le motif d'intérêt général visant à une meilleure organisation de la chasse
peut justifier de réserver la possibilité de retrait d'une association communale de chasse agréée,
s'agissant des propriétaires ou détenteurs de droit de chasse qui atteignent le seuil de superficie
exigée en se regroupant dans une association, aux seules associations existant à la date de création
de cette association communale de chasse agréée. Cette question constitue une question de principe,
relative à l'application de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de
l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette
convention, qui peut concerner d'autres États parties à la convention, plusieurs autres États ayant en
matière de chasse une législation comparable à celle en vigueur en France.

17. Il y a lieu, par suite, de formuler une demande d'avis consultatif à la Cour européenne des droits
de l'homme en application du protocole n° 16 à la convention européenne de sauvegarde des droits
de l'homme et des libertés fondamentales et, jusqu'à ce que celle-ci se soit prononcée, de surseoir à
statuer sur les conclusions de la fédération Forestiers privés de France tendant à l'annulation du
décret du 23 décembre 2019 en ce qu'il ne modifie pas les dispositions de l'article R. 422-53 du
code de l'environnement relatif au retrait de fonds du territoire d'une association communale de
chasse agréée.

31
32
UFR droit
Année universitaire 2020/2021
Droit administratif – Les principes et le juge
Cours de M. Tourbe

Séance n° 6 :
Les principes généraux du droit

† DOCUMENTS

• Document 1 : Conclusions du commissaire du gouvernement Romieu sous CE, 21


juin 1895, Cames (extrait)
• Document 2 : CE, Ass., 17 février 1950, Dame Lamotte, n° 86949
• Document 3 : CAA Versailles, 12 avril 2021, n° 19VE04128
• Document 4a : CE, Ass., 11 juillet 2001, FNSEA et autres ; concl. F. Séners, RFDA
2002, p. 33
• Document 4b : CE, Ass., 24 mars 2006, Société KPMG
• Document 4c : CE, Section, 13 décembre 2006, Mme Lacroix
• Document 5a : CC, déc. n° 2103-682 DC du 19 décembre 2013
• Document 5b : Benoît Delaunay, « La confiance légitime entre discrètement au
Conseil constitutionnel », AJDA 2014, p. 649
• Document 6 : CAA Nantes, 12 mars 2015, n° 13NT02183

33
• Document 1 : Conclusions du commissaire du gouvernement Romieu sous CE, 21
juin 1895, Cames (extrait)

Si donc l’État n’est pas lié par les textes du droit civil et par l’interprétation qu’en ont donnée
les tribunaux ordinaires, il appartient au juge administratif d’en examiner directement, d’après ses
propres lumières, d’après sa conscience, et conformément aux principes de l’équité, quels sont les
droits et les obligations réciproques de l’État et de ses ouvriers dans l’exécution des services publics,
et notamment si l’État doit garantir ses ouvriers contre le risque résultant des travaux qu’il leur fait
exécuter.
Nous estimons, quant à nous, qu’en l’absence d’un texte qui s’y oppose, la justice veut que
l’État soit responsable vis-à-vis de l’ouvrier des dangers que lui fait courir sa coopération au service
public.
L’État emploie des ouvriers à la confection des armes, des affûts, des canons, qui serviront à la
défense du pays, qui sont nécessaires pour la protection des intérêts directs et immédiats de
l’ensemble des citoyens ; il juge utile d’ériger ce travail industriel en un véritable service public.
C’est le service public qui embauche, qui fournit les matières, qui installe les machines, qui règle
les conditions de fonctionnement de l’atelier ; si un accident se produit dans le travail, et s’il n’y a
pas faute de l’ouvrier, le service public est responsable et doit indemniser la victime.
[…]
En résumé, la solution que nous vous proposons ne se heurte à aucune prohibition de la loi
écrite ; elle nous paraît, au contraire, découler des principes généraux de notre droit, en même temps
qu’elle se trouve conforme aux règles de l’équité et de l’humanité.
Nous concluons en conséquence à ce que le Conseil d’État, reconnaissant le droit du sieur
Cames à une indemnité, condamne l’État à lui payer une somme annuelle de 600 francs, et aux
dépens.

ARRÊT

Considérant que le sieur Cames, ouvrier à l’arsenal de Tarbes, a été blessé à la main gauche, le 8
juillet 1892, par un éclat de métal projeté sous le choc d’un marteau-pilon ; que, par suite de cet
accident, le sieur Cames se trouve d’une manière définitive dans l’impossibilité absolue de se servir
de sa main gauche et de pourvoir à sa subsistance ;
Considérant qu’il résulte de l’instruction et qu’il n’est pas contesté qu’aucune faute ne peut être
reprochée au sieur Cames, et que l’accident n’est imputable ni à la négligence, ni à l’imprudence
de cet ouvrier ; que, dans les circonstances où l’accident s’est produit, le ministre de la Guerre n’est
pas fondé à soutenir que l’État n’a encouru aucune responsabilité, et qu’il en sera fait une exacte
appréciation en fixant l’indemnité due au sieur Cames à 600 francs de rente viagère, dont les
arrérages courront à dater du 12 décembre 1893, date à laquelle, il a cessé de recevoir son salaire
quotidien ; que cette condamnation constituant une réparation suffisante, il y a lieu de rejeter les
conclusions du sieur Cames tendant à faire déclarer cette rente réversible sur la tête de sa femme et
de ses enfants ; … (Annulation de la décision du ministre de la Guerre et condamnation de l’État
au paiement d’une rente viagère au sieur Cames).

34
• Document 2 : CE, Ass., 17 février 1950, Dame Lamotte, n° 86949
Vu le recours et le mémoire ampliatif présentés pour le ministre de l'agriculture, enregistrés au
secrétariat du contentieux du Conseil d'État les 28 octobre 1946 et 23 février 1948 et tendant à ce
qu'il plaise au Conseil annuler un arrêté en date du 4 octobre 1946 par lequel le conseil de préfecture
de Lyon a annulé un arrêté en date du 10 août 1944 par lequel le préfet de l'Ain avait concédé au
sieur de Testa, en vertu de l'article 4 de la loi du 23 mai 1943, le domaine dit "du Sauberthier" sis
commune de Montluel appartenant à la dame X... née Y... ;

Vu les lois du 19 février 1942 et du 23 mai 1943 ;


Vu l'ordonnance du 9 août 1944 ;
Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 ;

Considérant que, par un arrêté du 29 janvier 1941, pris en exécution de la loi du 27 août 1940, le
préfet de l'Ain a concédé "pour une durée de neuf années entières et consécutives qui commenceront
à courir le 1er février 1941", au sieur de Testa le domaine de Sauberthier commune de Montluel ,
appartenant à la dame X..., née Y... ; que, par une décision du 24 juillet 1942, le Conseil d'État a
annulé cette concession par le motif que ce domaine "n'était pas abandonné et inculte depuis plus
de deux ans" ; que, par une décision ultérieure, du 9 avril 1943, le Conseil d'État a annulé, par voie
de conséquence, un second arrêté du préfet de l'Ain, du 20 août 1941, concédant au sieur de Testa
trois nouvelles parcelles de terre, attenantes au domaine ;
Considérant enfin que, par une décision du 29 décembre 1944, le Conseil d'État a annulé comme
entaché de détournement de pouvoir un troisième arrêté, en date du 2 novembre 1943, par lequel le
préfet de l'Ain "en vue de retarder l'exécution des deux décisions précitées du 24 juillet 1942 et du
9 avril 1943" avait "réquisitionné" au profit du même sieur de Testa le domaine de Sauberthier ;
Considérant que le ministre de l'Agriculture défère au Conseil d'État l'arrêté, en date du 4 octobre
1946, par lequel le conseil de préfecture interdépartemental de Lyon, saisi d'une réclamation formée
par la dame Lamotte contre un quatrième arrêté du préfet de l'Ain, du 10 août 1944, concédant une
fois de plus au sieur de Testa le domaine de Sauberthier, a prononcé l'annulation de ladite
concession ; que le ministre soutient que le conseil de préfecture aurait dû rejeter cette réclamation
comme non recevable en vertu de l'article 4 de la loi du 23 mai 1943 ;
Considérant que l'article 4, alinéa 2, de l'acte dit loi du 23 mai 1943 dispose : "L'octroi de la
concession ne peut faire l'objet d'aucun recours administratif ou judiciaire" ; que, si cette
disposition, tant que sa nullité n'aura pas été constatée conformément à l'ordonnance du 9 août 1944
relative au rétablissement de la légalité républicaine, a pour effet de supprimer le recours qui avait
été ouvert au propriétaire par l'article 29 de la loi du 19 février 1942 devant le conseil de préfecture
pour lui permettre de contester, notamment, la régularité de la concession, elle n'a pas exclu le
recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'État contre l'acte de concession, recours qui est
ouvert même sans texte contre tout acte administratif, et qui a pour effet d'assurer, conformément
aux principes généraux du droit, le respect de la légalité. Qu'il suit de là, d'une part, que le ministre
de l'Agriculture est fondé à demander l'annulation de l'arrêté susvisé du conseil de préfecture de
Lyon du 4 octobre 1946, mais qu'il y a lieu, d'autre part, pour le Conseil d'État, de statuer, comme
juge de l'excès de pouvoir, sur la demande en annulation de l'arrêté du préfet de l'Ain du 10 août
1944 formée par la dame X... ;
Considérant qu'il est établi par les pièces du dossier que ledit arrêté, maintenant purement et
simplement la concession antérieure, faite au profit du sieur de Testa, pour une durée de 9 ans "à
compter du 1er février 1941", ainsi qu'il a été dit ci-dessus, n'a eu d'autre but que de faire
délibérément échec aux décisions susmentionnées du Conseil d'État statuant au contentieux, et
qu'ainsi il est entaché de détournement de pouvoir ;

DECIDE :
Article 1er - L'arrêté susvisé du conseil de préfecture de Lyon du 4 octobre 1946 est annulé. Article
2 - L'arrêté du préfet de l'Ain du 10 août 1944 est annulé.

35
• Document 3 : CAA Versailles, 12 avril 2021, n° 19VE04128

Considérant ce qui suit :


1. A la suite d'un contrôle effectué le 2 février 2016 dans les locaux du restaurant Chicken Spot
situé à Osny (95), les services de police ont constaté la présence d'un ressortissant indien et d'un
ressortissant pakistanais non autorisés à travailler, non déclarés et non autorisés à séjourner en
France. Le procès-verbal d'audition dressé à l'issue de ce contrôle a été transmis à l'Office français
de l'immigration et de l'intégration (OFII) qui a informé l'employeur qu'il encourait l'application des
contributions spéciale et forfaitaire prévues par les dispositions du code du travail et du code de
l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'a invité à présenter ses observations. Par une
décision du 25 mai 2016, le directeur général de l'OFII a appliqué à la SARL NHT Chicken Spot la
contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail pour un montant de 35 200 €
au titre de l'emploi de deux salariés démunis de titre autorisant le travail, d'une part, et la
contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement des deux étrangers dans leurs
pays d'origine prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit
d'asile pour un montant de 4 618 €, d'autre part. L'OFII a émis les deux titres de perception afférents
le 8 août 2016. Par une décision du 17 août 2016, le directeur général de l'OFII a rejeté le recours
gracieux formé le 28 juin 2016 par la société à l'encontre de la décision du 25 mai 2016. L'OFII
relève appel du jugement du 5 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise
a, à la demande de SARL NHT Chicken Spot, annulé la décision du 25 mai 2016 du directeur de
l'OFII et les deux titres de perception du 8 août 2016, déchargé la société de l'obligation de payer
les sommes de 35 200 € au titre de la contribution spéciale et 4 618 € au titre de la contribution
forfaitaire. L'OFII relève appel de ce jugement.

Sur l'étendue du litige d'appel :


2. En appel, la discussion contentieuse ne porte plus sur la décharge des sommes dues au titre de
l'emploi, par la SARL NHT Chicken Spot, du salarié de nationalité indienne alors qu'il est constant
que ce dernier était, à la date du contrôle titulaire d'un titre de séjour l'autorisant à séjourner et à
travailler en France.

Sur les motifs retenus par le tribunal administratif pour prononcer d'annulation et de décharge des
sommes dues au titre de l'emploi de M. B, ressortissant de nationalité pakistanaise :
3. Aux termes de l'article L. 8251-1 du code du travail : « Nul ne peut, directement ou indirectement,
embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non
muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France. [...]. » Aux termes de l'article L.
8253-1 de ce même code : « Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son
encontre, l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du
premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger non autorisé à
travailler, une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans
des conditions fixées par décret en Conseil d'État. Il est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire
du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. Ce montant peut être minoré en cas de non-cumul
d'infractions ou en cas de paiement spontané par l'employeur des salaires et indemnités dus au
salarié étranger non autorisé à travailler mentionné à l'article R. 8252-6. Il est alors, au plus, égal à
2 000 fois ce même taux. Il peut être majoré en cas de réitération et est alors, au plus, égal à 15 000
fois ce même taux. / [...]. » Enfin, aux termes de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour
des étrangers et du droit d'asile : « Sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être
engagées à son encontre et de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail,
l'employeur qui aura occupé un travailleur étranger en situation de séjour irrégulier acquittera une
contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays
d'origine. / [...]. »

36
[…]
En ce qui concerne les moyens invoqués à l'encontre de la décision du 25 mai 2016 :
7. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et
l'administration : « Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des
motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet,
doivent être motivées les décisions qui : [...] 2° Infligent une sanction [...]. » Aux termes de l'article
L. 211-5 du même code : « La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter
l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. »
8. La décision du 25 mai 2016 du directeur général de l'Office français de l'immigration et de
l'intégration vise les articles L. 8251-1, L. 8253-1, R. 8253-2 et R. 8253-4 du code du travail, les
articles L. 626-1 et R. 626-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et fait
état du procès-verbal établi à la suite du contrôle du 2 février 2016 au cours duquel l'infraction aux
dispositions de l'article L. 8251-1 du code du travail a été constatée ainsi que la lettre du 21 mars
2016 par laquelle la société requérante a été informée des éléments retenus à son encontre et invitée
à présenter des observations. Cette décision précise également le montant des sommes dues et
mentionne en annexe le nom des travailleurs concernés. Ainsi, la décision du 25 mai 2016 comporte
les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Elle est donc suffisamment
motivée.
9. En deuxième lieu, s'agissant des mesures à caractère de sanction, le respect du principe général
des droits de la défense, applicable même sans texte, suppose que la personne concernée soit
informée, avec une précision suffisante et dans un délai raisonnable avant le prononcé de la
sanction, des griefs formulés à son encontre et puisse avoir accès aux pièces au vu desquelles les
manquements ont été retenus, à tout le moins lorsqu'elle en fait la demande. L'article L. 122-2 du
code des relations entre le public et l'administration précise d'ailleurs désormais que les sanctions «
n'interviennent qu'après que la personne en cause a été informée des griefs formulés à son encontre
et a été mise à même de demander la communication du dossier la concernant ». Le silence des
textes ne saurait donc faire obstacle à la communication du procès-verbal d'infraction à la personne
visée, en particulier lorsqu'elle en fait la demande, afin d'assurer le respect de la procédure
contradictoire préalable à la liquidation de la contribution spéciale, qui revêt le caractère d'une
sanction administrative. Il appartient seulement à l'administration, le cas échéant, d'occulter ou de
disjoindre, préalablement à la communication du procès-verbal, celles de ses mentions qui seraient
étrangères à la constatation de l'infraction sanctionnée par la liquidation de la contribution spéciale
et susceptibles de donner lieu à des poursuites pénales.
10. Si la société requérante soutient que le principe du contradictoire aurait été méconnu dès lors
qu'elle n'aurait pas eu communication de son « dossier » avant l'intervention de la décision attaquée,
elle n'assortit pas ce moyen des précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé. Si la
société requérante peut être regardée comme ayant entendu soutenir qu'elle n'aurait pas eu accès au
procès-verbal d'infraction dressé, le 2 février 2016, à l'issue du contrôle de police, elle n'établit pas,
ni même n'allègue avoir demandé en vain la communication de ce procès-verbal que
l'administration n'était pas, ainsi qu'il a été rappelé au point précédent, tenue de lui communiquer
spontanément.
11. En troisième lieu, la présomption d'innocence ne fait pas obstacle à ce que le directeur de l'Office
français de l'immigration et de l'intégration décide d'infliger les sanctions prévues par les articles
susmentionnés du code du travail et du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile
à l'employeur d'un étranger démuni de titre l'autorisant à exercer une activité salariée, sans attendre
l'issue d'éventuelles poursuites pénales, lorsqu'après avoir recueilli les observations de l'intéressé,
il estime que l'emploi par la personne qu'il sanctionne d'un étranger non autorisé à travailler est
établi.
12. En quatrième lieu, la circonstance que le procès-verbal de police n'aurait pas fait état de certains
faits, notamment d'un malaise subi par l'un des salariés auditionné après le contrôle, est sans
incidence sur la légalité de la décision attaquée. En outre, cette circonstance, à la supposer établie,
n'est pas de nature à remettre en cause la valeur probante des mentions que ce procès-verbal

37
comporte par ailleurs ni, en tout état de cause, à affecter les conditions dans lesquelles les
informations ont été recueillies. En l'espèce, ainsi qu'il a été dit au point 5 du présent arrêt, ces
mentions sont suffisantes pour établir la matérialité des faits à l'origine de la décision attaquée.
13. En cinquième lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 5 du présent arrêt, la
société, qui se prévaut à l'appui de ce moyen de l'absence de situation de travail de M. B, ne peut,
en tout état de cause, soutenir que la décision attaquée serait entachée d'une erreur manifeste
d'appréciation.
14. En sixième lieu, la requérante excipe de l'inconstitutionnalité de l'arrêté du 5 décembre 2006
relatif au montant de la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement des
étrangers dans leur pays d'origine. Toutefois, la seule circonstance que le texte détermine des zones
géographiques qui ne correspondraient pas à des États ou des continents ne le rend pas, par elle-
même, imprécis ou inapplicable, de sorte que le principe de clarté et d'intelligibilité de la loi ne
peut, de ce seul fait, être regardé comme méconnu. Si la requérante soutient également que ledit
arrêté méconnaitrait le principe d'égalité devant la loi dès lors qu'il ne prévoirait pas de tarif
applicable s'agissant spécifiquement de certains pays ou groupes de pays tels que les pays hors
Europe centrale, la Chine ou l'Australie qui ne pourraient être inclus dans aucune des zones de
destination définies, ce moyen n'est pas opérant en tant qu'il concerne les pays membres de l'Union
européenne. Par ailleurs, il n'est pas établi que la dénomination attribuée aux différentes zones de
destination ainsi définies, qui demeure générale et permet de désigner une zone géographique sans
correspondre à un État ou un continent précis ainsi qu'il a été dit, ne permettrait pas d'appréhender
les pays invoqués par la requérante de sorte que cet arrêté ne peut être regardé comme ayant pour
effet de créer des exemptions concernant lesdits pays, à la différence de celles qu'il prévoit au
demeurant explicitement, en son article 2, concernant les départements et régions d'outre-mer. En
conséquence, la société NHT Chicken Spot n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté méconnaitrait le
principe d'égalité devant la loi ou ajouterait à la loi en créant des exemptions qu'elle ne prévoit pas.
Par suite, le moyen doit être écarté.
[…]

• Document 4a : CE, Ass., 11 juillet 2001, FNSEA et autres ; concl. F. Séners,


RFDA 2002, p. 33

Extrait de la décision
Sur les moyens tirés de la méconnaissance des principes de confiance légitime et de non-
rétroactivité :
Considérant qu'il résulte des dispositions combinées des articles 4, 10, 11 et 12 du règlement (CE)
n° 1259/1999 susvisé que les États membres peuvent décider de réduire, à partir du 1er janvier
2000, l'ensemble des paiements dus aux agriculteurs pour une année civile donnée, c'est-à-dire "tous
les paiements au titre de l'année concernée, y compris ceux à accorder pour d'autres périodes
commençant au cours de cette année civile" ; que pour mettre en œuvre ce règlement, le
gouvernement pouvait décider la réduction des paiements accordés à raison des régimes de soutien
direct dans le cadre de la politique agricole commune pour l'ensemble de l'année en cours, à la
condition de respecter le principe de confiance légitime applicable en matière de droit
communautaire ; que le gouvernement a annoncé publiquement dès le mois de mai 1999 son
intention de mettre en place la modulation des aides permise par le règlement susmentionné et,
comme il a été dit ci-dessus, a consulté sur son projet de modulation le Conseil supérieur
d'orientation et de coordination de l'économie agricole et alimentaire, où sont représentées les
organisations syndicales d'agriculteurs ; que, dans ces conditions, les producteurs prudents et avisés
ont été mis en mesure dès avant le début de l'année 2000 de prévoir l'adoption de la mesure
litigieuse ; que, par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des principes de confiance légitime
et de non-rétroactivité doivent être écartés ;

38
Conclusions du commissaire du gouvernement F. Séners (extrait)
[...] vous devrez examiner la troisième difficulté, qui porte sur le caractère rétroactif du décret
attaqué : signé le 24 mars 2000 et publié au Journal officiel du 26 mars, il fixe en effet son entrée
en vigueur au 1er janvier 2000. Vous êtes saisis sur ce point de deux moyens assez étroitement liés,
tirés d'une part de ce que cette rétroactivité serait illégale et, d'autre part, de ce que le décret
méconnaîtrait, de ce fait notamment, le principe de confiance légitime.
C'est la réponse sur ce second point qui conditionne en l'espèce la solution et il n'est pas inutile de
rappeler brièvement la portée de ce principe de confiance légitime.
Situé au confluent des notions de sécurité juridique, de non rétroactivité et de respect des droits
légalement acquis, il trouve son origine dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale
allemande et s'est vu reconnaître, depuis plus de vingt ans, valeur de principe général du droit
communautaire (CJCE, 3 mai 1978, Töpfer, aff. 112/77, Rec. p. 1019). Il n'est garanti en France par
aucune norme de valeur constitutionnelle (Cons. const., décis. n° 97-391 DC du 7 nov. 1997,
décision relative à la loi portant mesures urgentes à caractère fiscal et financier, JO 11 nov. 1997,
p. 16390) et, selon votre jurisprudence constante, il ne trouve pas à s'appliquer dans les situations
qui ne sont régies que par le droit interne (16 mars 1998, Assoc. des élèves, parents d'élèves et
professeurs des classes préparatoires vétérinaires et Mlle Poujol, Rec. p. 84 ; Ass., 5 mars 1999,
M. Rouquette et autres, à paraître au Recueil ; 9 mai 2001, Entreprise personnelle Transports
Freymuth, à mentionner aux tables). Il trouve par contre à s'appliquer, dès lors que la situation
juridique soumise au juge administratif français est régie par le droit communautaire : vous l'avez
admis pour apprécier la conformité d'un règlement communautaire au Traité de Rome (19 juin 1992,
FDSEA des Côtes-du-Nord, CNJA et autres, Rec., tables, p. 783) et nous pensons que vous devez
l'admettre également s'agissant de la conformité d'un règlement de droit interne. Il n'y a pas de
doute, au cas d'espèce, que la situation juridique dont vous êtes saisis est régie par le droit
communautaire et que, par suite, le principe de confiance légitime peut être invoqué.
Le principe en lui-même est un compromis assez subtil entre l'exigence d'évolution et d'adaptabilité
des règles de droit, indispensable au bon exercice de l'autorité publique, et l'exigence de stabilité
des règles de droit au profit des administrés. Il tend essentiellement, tout particulièrement en matière
économique, à imposer au législateur ou au pouvoir réglementaire de ne pas tromper la confiance
que les administrés ont pu placer dans la stabilité d'une situation juridique en modifiant trop
brutalement les règles. Il impose, autrement dit, que l'action publique soit prévisible lorsqu'elle
remet en cause un dispositif créateur de droits. C'est ici que s'établit son lien très étroit avec le
principe de non-rétroactivité, mais il va plus loin en faisant obstacle, par exemple, à ce qu'une
réforme qui n'a pas été annoncée entre immédiatement en vigueur lorsqu'elle modifie
considérablement et sans période de transition les droits antérieurement acquis.
Le principe a trouvé un terrain de prédilection, dans la jurisprudence communautaire, en matière de
réglementation et d'interventionnisme agricoles : qu'il s'agisse des aides versés aux agriculteurs, des
quotas de production ou des montants compensatoires, la Cour de justice des Communautés
européennes a scrupuleusement veillé au respect du principe et il lui est arrivé, en de rares occasions
il est vrai, de sanctionner sa violation (notamment 14 mai 1975, CNTA c/ Commission, 74/74, Rec.
p. 533, pour une suppression avec effet immédiat et sans avertissement de montants compensatoires,
ou 28 avr. 1988, Mulder, aff. 120/86, Rec. p. 2321, pour une modification de la réglementation des
quotas laitiers).
Mais, ainsi qu'il a été dit, la Cour concilie avec réalisme le principe de confiance et les exigences
de l'adaptation des réglementations. Elle souligne tout particulièrement que la politique agricole
commune impose une constante adaptation en fonction des variations de la situation économique
des différents secteurs agricoles (arrêt Dürbeck du 5 mai 1981, aff. 112/80, Rec. p. 1095) et elle en
déduit que, face à ces variations, les opérateurs économiques ne sont pas fondés à placer leur
confiance dans le maintien d'une situation existante et, qu'au contraire, un opérateur économique
prudent et avisé doit prévoir l'adoption de règles nouvelles destinées à réagir à un changement de
contexte économique (16 oct. 1996, Efisol c/ Commission, Rec. p. II-1343 ; 24 oct. 1997, British
Steel c/ Commission, Rec. p. II-1887). Une modification d'un régime d'aide peut ainsi intervenir

39
sans que soit trompée la confiance légitime si les opérateurs « prudents et avisés » ont pu l'anticiper,
ce qui sera notamment le cas lorsque les autorités publiques auront préalablement fait connaître
publiquement leurs intentions.
Il est utile, enfin, de relever que la Cour européenne a déduit de cette construction qu'une
modification rétroactive d'un dispositif d'aide était légale dès lors qu'elle se justifiait par son objet
et, qu'ayant été annoncé avec un préavis suffisant, elle ne méconnaissait pas le principe de confiance
légitime (arrêts Racke et Decker du 25 janv. 1979, aff. 89/78 Rec. p. 69 et 98/78, Rec. p. 101, relatifs
aux montants compensatoires monétaires).

• Document 4b : CE, Ass., 24 mars 2006, Société KPMG

Vu 1°), sous le n° 288460, la requête, enregistrée le 23 décembre 2005 au secrétariat du contentieux


du Conseil d'État, présentée pour la société KPMG, dont le siège est 2 bis, rue de Villiers à
Levallois-Perret (92309), agissant poursuites et diligences de son représentant légal ; la société
KPMG demande au Conseil d'État :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2005-1412 du 16 novembre 2005 portant
approbation du code de déontologie de la profession de commissaire aux comptes ;
[...]
S'agissant des moyens relatifs à l'entrée en vigueur immédiate du décret :
Quant au moyen tiré de la méconnaissance du principe de confiance légitime :
Considérant que le principe de confiance légitime, qui fait partie des principes généraux du droit
communautaire, ne trouve à s'appliquer dans l'ordre juridique national que dans le cas où la situation
juridique dont a à connaître le juge administratif français est régie par le droit communautaire ; que
tel n'est pas le cas en l'espèce, dès lors que la directive du 10 avril 1984 relative à l'agrément des
personnes chargées du contrôle légal des documents comptables, si elle affirme le principe selon
lequel les personnes qui effectuent un contrôle légal doivent être indépendantes, se borne à renvoyer
aux États membres le soin de définir le contenu de cette obligation ; que le moyen tiré de la
méconnaissance du principe invoqué est, par suite, inopérant ;

Quant au moyen tiré de l'application du code de déontologie aux situations contractuelles en


cours :
Considérant qu'une disposition législative ou réglementaire nouvelle ne peut s'appliquer à des
situations contractuelles en cours à sa date d'entrée en vigueur, sans revêtir par là même un caractère
rétroactif ; qu'il suit de là que, sous réserve des règles générales applicables aux contrats
administratifs, seule une disposition législative peut, pour des raisons d'ordre public, fût-ce
implicitement, autoriser l'application de la norme nouvelle à de telles situations ;
Considérant qu'indépendamment du respect de cette exigence, il incombe à l'autorité investie du
pouvoir réglementaire d'édicter, pour des motifs de sécurité juridique, les mesures transitoires
qu'implique, s'il y a lieu, une réglementation nouvelle ; qu'il en va ainsi en particulier lorsque les
règles nouvelles sont susceptibles de porter une atteinte excessive à des situations contractuelles en
cours qui ont été légalement nouées ;
Considérant que les dispositions de la loi du 1er août 2003 de sécurité financière relatives à la
déontologie et à l'indépendance des commissaires aux comptes, dont la mise en œuvre est assurée
par le code de déontologie, ont, en raison des impératifs d'ordre public sur lesquelles elles reposent,
vocation à s'appliquer aux membres de la profession ainsi réglementée et organisée sans que leur
effet se trouve reporté à l'expiration du mandat dont les intéressés ont été contractuellement

40
investis ; que toutefois, à défaut de toute disposition transitoire dans le décret attaqué, les exigences
et interdictions qui résultent du code apporteraient, dans les relations contractuelles légalement
instituées avant son intervention, des perturbations qui, du fait de leur caractère excessif au regard
de l'objectif poursuivi, sont contraires au principe de sécurité juridique ; qu'il y a lieu, par suite,
d'annuler le décret attaqué en tant qu'il ne comporte pas de mesures transitoires relatives aux
mandats de commissaires aux comptes en cours à la date de son entrée en vigueur intervenue,
conformément aux règles de droit commun, le lendemain de sa publication au Journal officiel de la
République française du 17 novembre 2005 ;
[...]
Décide :
Art. 1er : Le décret du 16 novembre 2005 portant approbation du code de déontologie est annulé en
tant qu'il ne prévoit pas de mesures transitoires relatives aux mandats de commissaires aux comptes
en cours à la date de son entrée en vigueur. [...]

• Document 4c : CE, Section, 13 décembre 2006, Mme Lacroix

Considérant que l'exercice du pouvoir réglementaire implique pour son détenteur la possibilité de
modifier à tout moment les normes qu'il définit sans que les personnes auxquelles sont, le cas
échéant, imposées de nouvelles contraintes, puissent invoquer un droit au maintien de la
réglementation existante ; qu'en principe, les nouvelles normes ainsi édictées ont vocation à
s'appliquer immédiatement, dans le respect des exigences attachées au principe de non-rétroactivité
des actes administratifs ; que, toutefois, il incombe à l'autorité investie du pouvoir réglementaire,
agissant dans les limites de sa compétence et dans le respect des règles qui s'imposent à elle,
d'édicter, pour des motifs de sécurité juridique, les mesures transitoires qu'implique, s'il y a lieu,
cette réglementation nouvelle ; qu'il en va ainsi lorsque l'application immédiate de celle-ci entraîne,
au regard de l'objet et des effets de ses dispositions, une atteinte excessive aux intérêts publics ou
privés en cause ;

• Document 5a : CC, déc. n° 2103-682 DC du 19 décembre 2013

13. Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans
laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point
de Constitution » ;
14. Considérant qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa
compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas
échéant, d'autres dispositions ; que, ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des
exigences constitutionnelles ; qu'en particulier, il ne saurait, sans motif d'intérêt général suffisant,
ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui peuvent
légitimement être attendus de telles situations ;

• Document 5b : Benoît Delaunay, « La confiance légitime entre discrètement au


Conseil constitutionnel », AJDA 2014, p. 649

Au soir de l'année passée, de manière presque subreptice, en empruntant une porte technique, celle
du contentieux constitutionnel de la loi de financement de la sécurité sociale, le principe de
confiance légitime semble avoir fait une entrée - trop peu remarquée - dans les normes de références
du contrôle de constitutionnalité opéré par le Conseil constitutionnel. Dans sa décision du 19

41
décembre 2013, si ce dernier a maintenu sa jurisprudence selon laquelle « il est à tout moment
loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs
ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions », il a aussi poursuivi
l'évolution de sa jurisprudence relative à la garantie des droits et reconnu une protection
constitutionnelle non seulement aux « situations légalement acquises », comme il l'avait déjà fait
par le passé, mais aussi aux « effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations ».
Recourant à une réserve d'interprétation - qui a tout d'une censure - le Conseil ouvre la voie en droit
interne à la reconnaissance, sous un vocabulaire approprié, de la confiance légitime, y compris
lorsqu'il ne s'agit pas d'appliquer le droit de l'Union européenne.
Cette percée a été réalisée à l'occasion de l'examen d'un article de la loi modifiant les règles relatives
aux taux de prélèvements sociaux applicables à l'assurance-vie, aux modalités de recouvrement des
prélèvements sociaux sur les produits de placement et à la date de paiement de l'acompte d'impôt
sur le revenu dû sur certains produits de placement. Au-delà des protestations qui avaient
accompagné un tel projet dans un contexte de hausse d'impôts et d'un débat placé à tort sur le terrain
de la rétroactivité, la décision intéresse à plus d'un titre le droit public interne.
Elle complète d'abord harmonieusement à l'intention des justiciables - qui sont ici aussi des
contribuables - la protection offerte par les juridictions en matière de sécurité juridique et de sa face
plus subjective qu'est la confiance légitime. Ces notions, issues du droit européen et, plus
lointainement, du droit allemand s'acclimatent sans discontinuer et approfondissent leur empreinte
depuis une dizaine d'années en droit constitutionnel et administratif français. Sans doute l'édifice
n'est-il pas parachevé : ainsi, le Conseil constitutionnel ne reconnaît pas encore, contrairement au
Conseil d'État, un principe de sécurité juridique mais celui-ci est déjà une « référence implicite
majeure » du contrôle de constitutionnalité (O. Dutheillet de Lamothe).
Cette décision participe ensuite pleinement de l'enrichissement et même du dédoublement de la
confiance légitime qui découle directement du droit européen lequel fait voisiner la confiance
légitime stricto sensu en droit de l'Union et la théorie des espérances légitimes promue par la
Convention européenne des droits de l'homme. On se demandera ainsi si, en l'espèce, et de même
que dans l'arrêt Société EPI du Conseil d'État du 9 mai 2012 (CE 9 mai 2012, n° 308996, Ministre
du budget, des comptes publics et de la fonction publique c/ Société EPI, Lebon avec concl. ; AJDA
2012. 974 ; ibid. 1392, chron. X. Domino et A. Bretonneau ; RFDA 2013. 576, chron. H. Labayle,
F. Sudre, X. Dupré de Boulois et L. Milano), ce n'est pas tout autant et encore davantage cette
seconde branche, celle de l'espérance légitime, qui se trouve ainsi consacrée au travers des « effets
qui peuvent légitimement être attendus de telles situations ».
Enfin, le Conseil rappelle ainsi toute l'utilité, comme point d'ancrage juridique de la sécurité
juridique et de la confiance légitime, de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen aux termes duquel « toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la
séparation des pouvoirs déterminée n'a point de Constitution » et qui devait, avant qu'on lui ajoute
in extremis un ultime article 17, à la fois refermer le texte du 26 août 1789 et ouvrir sur la
Constitution annoncée.

• Document 6 : CAA de Versailles, 17 septembre 2019, n° 17VE01584

Vu la requête, enregistrée le 26 juillet 2013, présentée pour la société Saupiquet, dont le siège est
11 avenue Dubonnet à Courbevoie Cedex (92407), par Me Vannini, avocat au barreau des Hauts-
de-Seine ; la société Saupiquet demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 10-5431 du 24 mai 2013 par lequel le tribunal administratif de Rennes
a rejeté sa demande tendant à l'annulation du titre de perception émis à son encontre le 23 juin 2010
par le trésorier payeur général du Finistère pour un montant de 377 977,09 euros ;
2°) d'annuler le titre de perception litigieux et de la décharger de la somme de 377 977,09 euros ;

42
3°) d'ordonner le remboursement de cette somme assortie des intérêts au taux légal à compter de la
date de sa réclamation ;
4°) le cas échéant, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle
relative à la validité de la décision de la Commission européenne n° 2005/239/CE du 14 juillet 2004
et de surseoir à statuer dans l'attente de sa décision ;
[...]

Vu le Traité instituant la Communauté européenne ;


Vu le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et
notamment l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention ;
Vu la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et notamment ses articles 17 et 41 ;
Vu le règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil du 22 mars 1999 portant modalités d'application de
l'article 93 du Traité CE ;
Vu le règlement (CE) n° 794/2004 de la Commission du 21 avril 2004 concernant la mise en œuvre
du règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil portant modalités d'application de l'article 93 du Traité
CE ;
Vu le règlement (CE) n° 875/2007 de la Commission du 24 juillet 2007 relatif à l'application des
articles 87 et 88 du traité CE aux aides de minimis dans le secteur de la pêche et modifiant le
règlement (CE) n° 1860/2004 ;
Vu la décision n° 2005/239/CE de la Commission européenne du 14 juillet 2004 ;
Vu le code du commerce ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 ;
Vu le décret n° 92-1369 du 29 décembre 1992 ;
Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;


Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 19 février 2015 :
- le rapport de Mme Gélard, premier conseiller,
- les conclusions de M. Giraud, rapporteur public,
- et les observations de Me Moraïtou, avocat de la société Saupiquet ;

1. Considérant qu'à la suite de la pollution occasionnée par le naufrage de l'Erika le 12 décembre


1999 et de la tempête des 27 et 28 décembre de la même année, la France a mis en place un dispositif
d'aides exceptionnelles à destination des aquaculteurs et des pêcheurs des départements du
Finistère, du Morbihan, de la Loire-Atlantique, de la Vendée, de la Charente-Maritime et de la
Gironde ; que certaines de ces aides ont été étendues à tous les pêcheurs et aquaculteurs français ;
que ces mesures ont été notifiées le 21 juin 2000 à la Commission ; que celle-ci a, le 11 décembre
2001, informé la France de sa décision d'ouvrir pour certaines de ces aides la procédure formelle
d'examen prévue à l'article 88 du Traité instituant la Communauté européenne, devenu l'article 108
paragraphe 2 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, (TFUE) et par l'article 6 du
règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil du 22 mars 1999 ; que, par une décision n° 2005/239/CE
du 14 juillet 2004, elle a estimé notamment que l'allégement des charges sociales accordé aux
pêcheurs de France métropolitaine et des départements d'outre-mer pour la période du 15 avril au
15 octobre 2000 était incompatible avec le marché commun ; qu'en application de l'article 14 du
règlement (CE) susvisé n° 659/1999, elle a enjoint à la France de procéder à la récupération de ces
aides auprès de leurs bénéficiaires ; que la société Saupiquet, qui avait bénéficié de l'exonération de
ses charges sociales au titre de la période concernée, a reçu le 6 juillet 2010 un titre de perception
émis à son encontre le 23 juin 2010 par le trésorier payeur général du Finistère pour un montant de
377 977,09 euros ; que cette société a saisi le tribunal administratif de Rennes d'une demande
tendant à l'annulation de ce titre de perception ; qu'elle relève appel du jugement du 24 mai 2013
par lequel ce tribunal a rejeté sa demande ;
[...]

43
Sur la légalité du titre de perception contesté :
En ce qui concerne les droits de la défense :
4. Considérant qu'aux termes de l'article 14 du règlement susvisé (CE) n° 659/1999 : " (...) 3. (...)
la récupération s'effectue sans délai et conformément aux procédures prévues par le droit national
de l'État membre concerné, pour autant que ces dernières permettent l'exécution immédiate et
effective de la décision de la Commission. À cette fin et en cas de procédure devant les tribunaux
nationaux, les États membres concernés prennent toutes les mesures prévues par leurs systèmes
juridiques respectifs, y compris les mesures provisoires, sans préjudice du droit communautaire. " ;
que la société Saupiquet soutient que le titre de perception litigieux a été émis à l'issue d'une
procédure irrégulière, contraire au principe général de droit communautaire relatif au respect des
droits de la défense repris à l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux ; qu'il résulte toutefois
de l'instruction que, si la société requérante n'a pas eu connaissance des échanges qui ont débuté à
compter du 28 novembre 2000 entre la Commission et les autorités françaises à la suite de la
notification à la Commission le 21 juin 2000 des aides litigieuses, il est constant que la décision de
la Commission d'engager la procédure formelle d'examen, qui a été adressée à la France le 11
décembre 2001, a été publiée au journal officiel de l'Union européenne le 13 février 2002 ; que, par
ailleurs, la décision n° 2005/239/CE du 14 juillet 2004 de la Commission remettant en cause les
exonérations de charges sociales consenties aux pêcheurs de France métropolitaine et des
départements d'outre-mer pour la période du 15 avril au 15 octobre 2000 a été publiée au journal
officiel de l'Union européenne du 19 mars 2005 ; que son article 4 prévoyait expressément le
remboursement par leurs bénéficiaires des aides litigieuses jugées incompatibles avec le marché
commun ; qu'enfin, la société Saupiquet a elle-même été directement informée le 14 juin 2010, par
un courrier du directeur des pêches maritimes et de l'aquaculture qui faisait référence au dialogue
personnalisé dont l'intéressée avait bénéficié antérieurement, de la décision de la Commission du
14 juillet 2004 et invitée à prendre contact avec ses agents ou ceux de l'Établissement national des
invalides de la marine (Enim) pour tout renseignement qu'elle aurait jugé utile ; que par suite, la
société requérante, qui ne peut utilement se prévaloir des dispositions de l'article L. 123-22 du code
du commerce, qui ne font nullement obstacle à la conservation de documents et pièces comptables
ou de tout autre justificatif au-delà du délai de 10 ans, ni de celles de l'article L. 244-11 du code de
la sécurité sociale, qui ne concerne que la prescription des actions civiles, n'est pas fondée à soutenir
que le titre de perception litigieux aurait été émis en méconnaissance des dispositions de l'article 24
de la loi du 12 avril 2000, seules applicables en l'espèce ;
[...]

En ce qui concerne le principe de sécurité juridique et de confiance légitime :


6. Considérant que le principe de confiance légitime, qui fait partie des principes généraux du droit
de l'Union européenne, peut être invoqué par tout opérateur économique auprès duquel une autorité
nationale a fait naître à l'occasion de la mise en œuvre du droit de l'Union, des espérances fondées ;
que, toutefois, lorsqu'un opérateur économique prudent et avisé est en mesure de prévoir l'adoption
d'une mesure de nature à affecter ses intérêts, il ne peut invoquer le bénéfice d'un tel principe lorsque
cette mesure est finalement adoptée ; que la France a informé le 21 juin 2000 la Commission
européenne des mesures déjà adoptées en faveur des pêcheurs et des aquaculteurs ayant subi des
dommages à la suite de la pollution par hydrocarbures causée par le naufrage du navire Erika le 12
décembre 1999 et de la violente tempête survenue les 27 et 28 décembre 1999 ; que la Commission
a demandé à la France de lui apporter des renseignements complémentaires le 28 novembre 2000,
puis les 6 avril et 13 août 2001 puis a informé la France le 11 décembre 2001 qu'elle envisageait
d'ouvrir la procédure formelle d'examen prévue à l'article 6 du règlement (CE) n° 659/1999 dès lors
qu'elle n'était pas en mesure de vérifier, d'une part, s'il n'y avait pas surcompensation des dommages
subis à la suite du naufrage de l'Erika et à la tempête des 26 et 27 décembre 1999 et, d'autre part, si
les aides en cause, et notamment celle accordée aux pêcheurs, étaient destinées à compenser le
préjudice économique subi par les entreprises du secteur du fait de la dégradation du marché causé
par la mauvaise image qu'ont eu les produits de la mer après la pollution due à l'Erika ; que cette
décision d'ouverture d'enquête a été publiée au journal officiel de l'Union européenne le 13 février

44
2002, la France ayant fait connaître ses observations le 5 mars 2002 ; que la Commission a rendu
le 14 juillet 2004 une décision par laquelle elle estimait, notamment, que les aides octroyées par la
France aux pêcheurs sous forme d'allègements de charges sociales pour la période du 15 avril au 15
octobre 2000 constituaient des aides incompatibles avec le marché commun, et ordonnait à la France
de récupérer ces sommes auprès de leurs bénéficiaires ; que, par suite, à compter de la date du 13
février 2002 rappelée ci-dessus, la société Saupiquet ne pouvait ignorer le risque auquel elle était
exposée de devoir reverser les aides dont elle avait bénéficié ; que cette société, qui ne justifie
d'aucune circonstance exceptionnelle qui aurait pu légitimer sa confiance dans le caractère régulier
de l'aide perçue, n'est dès lors pas fondée à soutenir qu'en émettant un titre de perception dix ans
après le versement des aides litigieuses aux entreprises de pêche, l'État, dont il n'est pas établi qu'il
aurait apporté des garanties aux entreprises concernées sur l'absence de reversement des aides
litigieuses et qui a, d'ailleurs, été condamné dans le cadre d'un recours en manquement l'obligeant
à récupérer les sommes en cause, aurait méconnu les principes de sécurité juridique et de confiance
légitime ;
[...]

En ce qui concerne la validité de la décision de la Commission du 14 juillet 2004 :


8. Considérant que la société Saupiquet, qui n'était pas directement et individuellement mentionnée
dans la décision du 14 juillet 2004 de la Commission citée plus haut, conteste, ainsi qu'elle est en
droit de le faire par la voie de l'exception, la validité de cette décision et demande à la cour de saisir
la CJUE d'une question préjudicielle ;
9. Considérant qu'aux termes de l'article 87 du Traité instituant la Communauté européenne, devenu
l'article 107 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 1. Sauf dérogations prévues
par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les
échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État
sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant
certaines entreprises ou certaines productions. 2. Sont compatibles avec le marché intérieur : (...) b)
les aides destinées à remédier aux dommages causés par les calamités naturelles ou par d'autres
événements extraordinaires (...) " ;
[...]
12. Considérant, en troisième lieu, que la société Saupiquet soutient que la décision de la
Commission est également contraire à l'article 107 paragraphe 2 du Traité sur le fonctionnement de
l'Union européenne et au règlement (CE) n° 659/1999 dans la mesure où l'aide litigieuse, qui avait
un objectif légitime, aurait dû être déclarée compatible et que la Commission ne pouvait donc pas
enjoindre à la France de procéder à sa récupération ; qu'il est toutefois constant que, dans sa
première décision du 11 décembre 2001, la Commission a estimé que les aides accordées aux
aquaculteurs des départements du Finistère, du Morbihan, de la Loire-Atlantique, de la Vendée, de
la Charente-Maritime et de la Gironde consistant en la mise en œuvre du régime des calamités
agricoles, en une aide à la reconstitution des matériels et des stocks, et en des avances sur les
indemnités du Fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les
hydrocarbures (FIPOL), ainsi que celles accordées aux pêcheurs des mêmes départements, à savoir
l'aide pour la reconstitution des navires et matériels de pêche perdus ou endommagés lors de la
tempête, les avances sur les indemnités du FIPOL et l'aide forfaitaire pour perte de revenus résultant
de dommages subis lors de la tempête, étaient compatibles avec le marché commun ; que par
ailleurs, s'il est vrai que la Commission a mentionné certaines informations diffusées par l'Agence
France-Presse ou figurant dans la presse écrite selon lesquelles ces allégements de charges sociales
avaient en fait pour but de compenser la hausse du carburant, elle a clairement indiqué aux points
77 et suivants de sa décision du 14 juillet 2004 qu'elle s'était fondée sur des données diffusées par
l'Office national interprofessionnel des produits de la mer et de l'aquaculture (Ofimer), organisme
public placé sous la tutelle du ministère chargé de l'agriculture et de la pêche et dont l'une des
fonctions était de suivre au quotidien les évolutions du marché des produits de la mer et de
l'aquaculture, en ajoutant que les données officiellement communiquées par la France étaient trop
partielles et incomplètes ; que la Commission a même indiqué pour trois produits, la langoustine,

45
la baudroie et l'araignée, qu'il n'y avait pas d'éléments permettant de confirmer une dégradation du
marché consécutive soit au naufrage de l'Erika, soit à la tempête de décembre 1999, d'autant que
l'aide litigieuse concernait sans aucune distinction tous les pêcheurs de France métropolitaine et des
départements d'outre-mer ; que pour ce qui la concerne la société requérante n'apporte pas
d'éléments de nature à établir que l'aide dont elle a bénéficié aurait en réalité été compatible avec le
marché commun ; que par suite, ce moyen ne peut qu'être écarté ;
13. Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes de l'article 14 du règlement susvisé n° 659/1999 :
" 1. En cas de décision négative concernant une aide illégale, la Commission décide que l'État
membre concerné prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer l'aide auprès de son
bénéficiaire (ci-après dénommée "décision de récupération"). La Commission n'exige pas la
récupération de l'aide si, ce faisant, elle allait à l'encontre d'un principe général de droit
communautaire. 2. L'aide à récupérer en vertu d'une décision de récupération comprend des intérêts
qui sont calculés sur la base d'un taux approprié fixé par la Commission. Ces intérêts courent à
compter de la date à laquelle l'aide illégale a été mise à la disposition du bénéficiaire jusqu'à celle
de sa récupération. (...) " ; que la société Saupiquet soutient que les dispositions précitées font
obligation à la Commission, lorsqu'elle prend une décision en matière d'aides d'État, de ne pas
imposer à l'État-membre la récupération lorsque celle-ci irait à l'encontre d'un principe général du
droit communautaire ; que toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 6, la société requérante n'est pas
fondée à invoquer une violation du principe de sécurité juridique et de confiance légitime ; que, par
suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions rappelées ci-dessus par la Commission
européenne ne peut qu'être écarté ;
[...]
15. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il y ait lieu, en l'absence de difficulté
sérieuse quant à la validité de la décision de la Commission du 14 juillet 2004, de saisir, sur ce
point, la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, que la société Saupiquet
n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de
Rennes a rejeté sa demande ; que les conclusions de la société requérante tendant au remboursement
de la somme de 377 977,09 euros assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de sa
réclamation ne peuvent, dans ces conditions, qu'être rejetées ;

DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Saupiquet est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Saupiquet, au ministre de l'écologie, du
développement durable et de l'énergie, au ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la
forêt, porte-parole du Gouvernement et au ministre des finances et des comptes publics.

46

Vous aimerez peut-être aussi