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Année universitaire 2022-2023

Travaux Dirigés - Licence 1 Semestre 2 Groupe 4


Droit constitutionnel
Cours du Professeur Stéphane MOUTON
Équipe pédagogique : Adiouma BA, Clothilde COMBES, Matthieu RABAGLIA, Camille RICHARD, Claire
THURIES

THÈME 5 - POUVOIR JURIDICTIONNEL ET JUSTICE


CONSTITUTIONNELLE

DOCUMENTS

• Document 1 : Articles 61, 61-1et 62 de la Constitution du 4 octobre 1958


• Document 2 : Dominique ROUSSEAU, Droit du contentieux constitutionnel, Montchrestien, 9ème
édition, 2013, p. 16
• Document 3 : Louis FAVOREU (dir.), Droit constitutionnel, Dalloz, 16ème édition, 2014,
pp. 254-255
• Document 4 : Olivier JOUANJAN, « Modèles et représentations de la justice
constitutionnelle en France : un bilan critique », Jus Politicum, Droit, politique et justice
constitutionnelle, n° 2, mars 2009
• Document 5 : Louis FAVOREU, Wanda MASTOR, Les cours constitutionnelles, Dalloz, 8ème
édition, 2011, p. 3
• Document 6 : Dominique ROUSSEAU, « Le procès constitutionnel », Pouvoirs, 2011/2,
n° 137, p. 47
• Document 7 : Robert BADINTER, « Aux origines de la question prioritaire de
constitutionnalité », RFDC, 2014/4, n° 100, p. 777
• Document 8 : Julien BONNET, « Les contrôles a priori et a posteriori », Les Nouveaux Cahiers
du Conseil constitutionnel, n° 40, 01 juin 2013, p. 105

BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE

• Louis FAVOREU, Wanda MASTOR, Les cours constitutionnelles, Dalloz, 8ème éd., 2011
• Francis HAMON, Michel TROPER, Droit constitutionnel, LGDJ, 35ème édition, 2014
• Constance GREWE, Olivier JOUANJAN, Eric MAULIN, Patrick WACHSMANN (dir.), La
notion de « justice constitutionnelle », Thèmes et commentaires, Dalloz, 2005

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• Dominique ROUSSEAU, « De quoi le Conseil constitutionnel est-il le nom ? », Jus
Politicum, Le Conseil constitutionnel, gardien des libertés publiques ?, n° 7, mars 2012.
Disponible à l’adresse : http://www.juspoliticum.com/De-quoi-le-Conseil-
constitutionnel.html
• Hans KELSEN, « La garantie juridictionnelle de la Constitution (la justice
constitutionnelle) », RDP, 1928, pp. 185-257
• Robert BADINTER, « Une exception française : les anciens Présidents au Conseil
constitutionnel », Renouveau du droit constitutionnel. Mélanges en l’honneur de Louis Favoreu,
Dalloz, 2007, p. 513
• Xavier MAGNON, « La question prioritaire de constitutionnalité est-elle une ‘question
préjudicielle’ ? », AJDA, 2015, p. 254
• Xavier MAGNON, « Plaidoyer pour que le Conseil constitutionnel devienne une Cour
constitutionnelle », RFDC, 2014/4, n° 100, pp. 999-1009
• Stéphane MOUTON, « Quel avenir pour le contrôle a priori ? », in Xavier MAGNON,
Xavier BIOY, Wanda MASTOR et Stéphane MOUTON (dir.), Le réflexe constitutionnel -
Question sur la question prioritaire de constitutionnalité, Bruxelles, Bruylant, 2013.
• Stéphane MOUTON, « Les contrôles de constitutionnalité ‘à la française’ : les raisons
d’une continuité », in Hélène SIMONIAN-GINESTE (dir.), La (dis)continuité en droit, Institut
fédératif de recherche « Mutations des normes juridiques » - Université Toulouse I,
2014, pp. 299-309.

EXERCICE
COMMENTAIRE DE TEXTE : Vous commenterez le texte de Robert Badinter, « Aux origines
de la question prioritaire de constitutionnalité » présent au document 7.

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Document 1 : Articles 61, 61-1et 62 de la Constitution du 4 octobre 1958

ARTICLE 61

Les lois organiques, avant leur promulgation, les propositions de loi mentionnées à l'article
11 avant qu'elles ne soient soumises au référendum, et les règlements des assemblées
parlementaires, avant leur mise en application, doivent être soumis au Conseil constitutionnel,
qui se prononce sur leur conformité à la Constitution.
Aux mêmes fins, les lois peuvent être déférées au Conseil constitutionnel, avant leur
promulgation, par le Président de la République, le Premier ministre, le Président de
l'Assemblée nationale, le Président du Sénat ou soixante députés ou soixante sénateurs.
Dans les cas prévus aux deux alinéas précédents, le Conseil constitutionnel doit statuer dans le
délai d'un mois. Toutefois, à la demande du Gouvernement, s'il y a urgence, ce délai est ramené
à huit jours.
Dans ces mêmes cas, la saisine du Conseil constitutionnel suspend le délai de promulgation.

ARTICLE 61-1

Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une
disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil
constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de
cassation qui se prononce dans un délai déterminé.

Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article.

ARTICLE 62

Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61 ne peut être


promulguée ni mise en application.

Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à
compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure
fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans
lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause.
Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles s'imposent
aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles.

Document 2 : Dominique ROUSSEAU, Droit du contentieux constitutionnel,


Montchrestien, 9ème édition, 2013, p. 16

Le modèle américain d’abord se distingue par ses caractères diffus ou décentralisé, concret et
principalement incidentiel et a posteriori. Il tient ses qualités du fait qu’aux Etats-Unis, n’importe
quel tribunal est compétent pour apprécier et juger la constitutionnalité des lois. Elément
important souvent oublié, et paradoxe pour un système cité volontiers en modèle, le contrôle
de la constitutionnalité des lois n’est pas inscrit dans la Constitution des Etats-Unis d’Amérique.

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C’est la Cour Suprême qui, par sa décision Madison/Marbury1, s’est attribuée la compétence
du contrôle de la constitutionnalité des lois.

La procédure de contrôle est déclenchée par le citoyen selon trois modalités différentes. Il peut
d’abord, lorsqu’il est partie à un procès, contester la constitutionnalité de la oi qu’on veut lui
appliquer ; en soulevant comme moyen de défense, l’exception d’inconstitutionnalité, il oblige ainsi
le tribunal, avant de juger concrètement l’affaire au fond, à examiner la loi pour décider si elle
est ou non constitutionnelle et applicable au cas d’espèce ; le contrôle intervient donc
nécessairement après la promulgation et l’entrée en vigueur de la loi – contrôle a posteriori – et
la décision qui, par la voie des recours en appel, peut gravir tous les échelons de la hiérarchie
judiciaire, possède seulement l’autorité relative de la chose jugée, c’est-à-dire ne vaut que pour
l’affaire en cause.

Il peut ensuite, sans attendre l’occasion d’un procès né de l’application de la loi, contester
directement sa constitutionnalité ; s’il estime la requête fondée, le tribunal prononce une
injonction à l’encontre de l’administration lui interdisant d’appliquer la loi.

Le citoyen peut enfin, en cas de difficulté d’application d’une loi, demander au tribunal de se
prononcer, par un jugement déclaratoire, sur sa constitutionnalité.

Ainsi saisis, les tribunaux américains apprécient la constitutionnalité d’une loi au regard de
quatre clauses : celle « due process of law » définie dans le quatorzième amendement et qui
permet aux tribunaux d’invalider une loi qui, sans la garantie d’une procédure régulière
protectrice des droits naturels, porterait atteinte aux libertés fondamentales, aux droits
judiciaires ou aux biens des personnes ; la clause de la « rule of reasonableness » qui permet aux
tribunaux de vérifier si le législateur a réalisé un équilibre raisonnable entre l’intérêt général et
les intérêts des particuliers ou s’il leur a imposé des sacrifices déraisonnables, exagérés ; la clause
des contrats qui permet aux tribunaux d’invalider une loi qui porte atteinte aux obligations nées
d’un contrat, protégeant ainsi les rapports privés – économiques, sociaux… – contre
l’intervention des Etats ; la clause d’égalité, déduite du seizième amendement, qui permet aux
juges d’écarter toute loi qui n’assure pas à chaque citoyen, quelle que soit sa race, une égale
protection.

Dans ce mécanisme de contrôle de constitutionnalité des lois par les tribunaux ordinaires, la
Cour Suprême joue un rôle éminent, puisque, placée au sommet de la hiérarchie d’un système

1 John MARSHALL, Président de la Cour Suprême, fédéraliste convaincu nommé par un Président des Etats-Unis lui-
même fédéraliste – John ADAMS –, est confronté en 1803 au problème suivant : après la victoire de l’anti-fédéraliste
JEFFERSON, en 1800, ADAMS profite des derniers moments de sa présidence pour nommer à des postes de juges,
inamovibles, des hommes connus pour leurs convictions fédéralistes ; la précipitation est telle que la décision de
nomination de William MARBURY n’a pas le temps d’être envoyée à son destinataire ; le nouveau ministre jeffersonien
MADISON ayant refusé de donner suite à cette décision, MARBURY s’adresse à la Cour Suprême pour lui demander de
contraindre l’administration à l’installer dans ses fonctions, ainsi que la loi judiciaire de 1789 lui en donne le pouvoir.
Devant une situation mettant en conflit direct le nouveau Président et la Cour Suprême, John MARSHALL trouve
une issue particulièrement habile et astucieuse. Dans sa décision, il déclare que la loi de 1789 accordant à la Cour
Suprême le droit d’imposer la nomination de juges fédéraux est contraire à la Constitution et que la Cour ne peut en
conséquence examiner la demande de MARBURY.
Véritable chef-d’œuvre de stratégie constitutionnelle, cette décision est politique en ce que la Cour cède, habilement,
sur ce qui importe au Président JEFFERSON – le fédéraliste MARBURY n’obtient pas sa nomination – en posant le
principe du contrôle judiciaire de la constitutionnalité des lois, dont les jeffersoniens se soucient peu, satisfaits que
cette justification ait permis en l’espèce de leur donner raison. L’essentiel pour l’administration présidentielle était la
non-attribution du poste à MARBURY ; l’essentiel pour la Cour était de poser le principe du contrôle… dont la logique
est le renforcement du pouvoir fédéral.

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judiciaire particulièrement complexe, elle contrôle, régularise et unifie, notamment par la voie
d’appel, la jurisprudence des cours inférieures ; pour ce faire elle dispose d’une compétence
générale qui se manifeste par le pouvoir de statuer, pour chaque affaire, sur les faits et le droit.
[…]

A la différence du système américain de contrôle de constitutionnalité des lois, né de la pratique


et dans le silence des textes, le modèle européen est le fruit d’un travail théorique d’un grand juriste
autrichien, Hans Kelsen, qui s’est efforcé de fonder, en raison pure, la garantie juridictionnelle
de la Constitution. Selon Kelsen, « l’ordre juridique n’est pas un système de normes juridiques
placées toutes au même rang, mais un édifice à plusieurs étages superposés, une pyramide ou
hiérarchie formée d’un certain nombre d’étages ou couches de normes juridiques ». Autrement
dit, une règle n’a pas en elle-même et de manière isolée une valeur juridique ; elle n’acquiert une
telle qualité que dans la mesure où elle peut être mise en rapport avec une autre norme, qui
elle-même est dans une relation identique avec une norme supérieure, qui elle-même… etc.
Ainsi, la nature juridique d’une règle résulte de son insertion dans un ensemble hiérarchisé, de
la connexion entre elles des différentes couches de règles ; tout se tient par un système
particulier de communication où la règle supérieure transmet sa validité à la norme inférieure
– qui ne sera donc juridique que si elle peut être imputée à la règle supérieure – et qui, à son
tour, transmet et fonde la validité de la norme qui lui est subordonnée. « Chaque degré de
l’ordre juridique, écrit Kelsen, constitue donc ensemble et une production du droit vis-à-vis du
degré inférieur et une reproduction du droit vis-à-vis du degré supérieur ». Et, lorsque sont
gravis, règles après règles, tous les échelons de la pyramide, Kelsen, confronté au problème de
la source de validité du sommet – la Constitution – et de l’ensemble de l’édifice, pose comme
hypothèse épistémologique – et non affirme l’existence – la « Grundnorm », la norme
fondamentale de laquelle la Constitution tire sa validité et qui irradie l’ordre juridique tout
entier.

Dans un tel système fermé sur lui-même, où le droit s’explique par le droit, l’idée de régularité
est essentielle au fonctionnement de l’ensemble. En effet, dès lors que la validité juridique d’une
règle dépend de son rapport de correspondance avec le degré supérieur de l’ordre juridique, il
est d’une nécessité objective que soit contrôlée, à chaque échelon, l’existence de ce rapport de
correspondance et d’imputation : contrôle de la « réglementarité » des actes juridiques
individuels, contrôle de la légalité des règlements, et, au bout de la chaîne, le contrôle de la
constitutionnalité des lois se déduit logiquement du système juridique kelsénien, puisque la loi
trouvant son fondement dans la norme immédiatement supérieure ne peut être juridiquement
valide que si elle n’est pas contraire à la Constitution.

Pour la première fois, un auteur, Hans Kelsen, propose ainsi une théorie de l’ordre juridique
qui non seulement fonde et légitime en droit le contrôle de la constitutionnalité, mais encore
en fait le cœur et même le garant de la validité de l’ensemble du système juridique, puisque,
sans ce contrôle, la garantie de la régularité, c’est-à-dire de l’imputation d’une règle à une norme
supérieure, clef de voûte de la théorie kelsénienne, ne serait pas assurée ; sans le contrôle de
constitutionnalité, la pyramide s’effondre !

Confronté au problème de la forme de l’organisation du contrôle de constitutionnalité, Hans


Kelsen se trouve devant une alternative que son élève et disciple français, Charles Eisenmann,
présente de manière brutale mais claire : « contrôle remis à tous les juges ou à une instance
unique ».

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La création d’une instance unique et spécialisée dans le contentieux constitutionnel présente,
selon Kelsen, des avantages appréciables pour le bon déroulement de la vie juridique. Le
système évite d’une part les interprétations constitutionnelles divergentes qui peuvent
apparaître entre les tribunaux aux différents moments d’un procès obligé de gravir les échelons
complexes de la hiérarchie judiciaire ; une juridiction unique permet de donner,
immédiatement, « la vérité constitutionnelle » et assure, d’emblée, l’unité jurisprudentielle. Ce
système permet d’autre part de clarifier définitivement la situation puisque la décision de non-
conformité d’une loi à la Constitution a une valeur absolue qui conduit à son rejet définitif de
l’ordre juridique.

Document 3 : Louis FAVOREU (dir.), Droit constitutionnel, Dalloz, 16ème édition, 2014,
pp. 254-255

295. Le rapprochement des modèles américain et européen de justice constitutionnelle.


Comme un auteur le soulignait déjà il y a une vingtaine d’années, il n’existe guère de différences,
en termes de résultats, entre les systèmes américain et européen de justice constitutionnelle (E.
Mc Whinney, 1986).

Ces systèmes procèdent déjà d’éléments communs de mise en œuvre : parenté dans la
composition et l’organisation des juridictions, attributions comparables en vue notamment de
la protection des droits individuels, techniques de contrôle similaires (mise en œuvre fréquente,
par exemple, d’un contrôle de proportionnalité), exigences communes de légitimité
institutionnelle et sociale.

Ainsi, les systèmes de justice constitutionnelle aux Etats-Unis et en France qui correspondent
sans doute aux deux formes les plus pures des modèles américain ou kelsénien et paraissent
donc au demeurant les plus opposés, présentent pourtant des éléments de rapprochement : le
système américain fait place en effet à un certain contrôle abstrait des normes, par le biais des
jugements déclaratoires, des contestations directes de la constitutionnalité des lois (facial
challenges) ou du contrôle de l’ « excès de pouvoir législatif » (overbreadth) alors que, parallèlement,
des éléments de contrôle concret, à travers la prise en compte des résultats prévisibles de
l’application d’une loi, ne sont pas totalement exempts de la jurisprudence traditionnelle du
Conseil constitutionnel français… De même, la prééminence de la Cour Suprême, aux Etats-
Unis, régulant au sommet l’ensemble de l’activité normative, contribue à rapprocher les
systèmes. Ses décisions bénéficient, en effet, en pratique, d’une autorité relative « renforcée »
de chose jugée, peu éloignée de l’autorité « absolue » de chose jugée des décisions d’une Cour
constitutionnelle européenne.

Mais plus encore, les systèmes américain et européen produisent des effets comparables :
influences parallèles sur l’ordre juridique (constitutionnalité de l’ensemble des branches du
droit) et sur l’ordre politique (pacification du débat politique, régulation des alternances et
défense de la minorité politique), développement d’un catalogue des droits fondamentaux,
définis en des termes souvent proches : libertés d’expression, de religion, autonomie de la
personne (dépénalisation de l’avortement), garanties fondamentales de procédure, jeu du
principe d’égalité… Les systèmes de justice constitutionnelle contribuent ainsi à la constitution
d’un véritable fonds commun des démocraties occidentales en matière de droits et libertés.

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Document 4 : Olivier JOUANJAN, « Modèles et représentations de la justice
constitutionnelle en France : un bilan critique », Jus Politicum, Droit, politique et justice
constitutionnelle, n° 2, mars 2009

Tel que conçu en 1958, le Conseil constitutionnel français, par contraste, n’était il est vrai « que
bien peu de chose », comme l’écrivait Charles Eisenmann dans une réaction célèbre aux
premières nominations des membres de l’institution nouvelle. D’ailleurs, fixé aux seules
possibilités que lui donnait à l’époque la Constitution, il serait probablement resté fort peu de
chose. Comme le voyait parfaitement Eisenmann, le droit de saisine, en matière de contrôle de
constitutionnalité des lois, étant limité à quatre autorités politiques (président de la République,
président du Sénat, président de l’Assemblée nationale et premier Ministre), on avait « émasculé
» la principale fonction du Conseil. À elle seule, la célèbre décision Liberté d’association du 16
juillet 1971, par la- quelle le Conseil reconnaît la valeur juridique du préambule de la
Constitution et élargit, ce faisant, la base des textes de référence de son contrôle à la Déclaration
de 1789 et au préambule de 1946, cette décision n’eût pas fait à elle seule la révolution qu’a
effectivement connue le Conseil dans les années 1970. Il y fallait encore l’élargissement de la
saisine à la minorité parlementaire concédée en 1974 pour « parfaire l’État de droit » comme
disait alors le chef de l’État. Tout cela est bien connu : une fois terminée la phase gaullienne de
la Ve République, le Conseil constitutionnel prit une dimension qui, certainement, n’était pas
inscrite dans le texte initial. Qu’il ait fallu que l’homme du 18 juin ait quitté le pouvoir pour que
ce Conseil constitutionnel puisse prendre quelque ampleur dans le système institutionnel, on le
sait par l’aveu que fit, dans ses mémoires, Gaston Palewski, ancien directeur de cabinet du
Général de Gaulle et ancien ministre, président du Conseil constitutionnel de 1965 à 1974, au
moment donc de la décision Liberté d’association : tant que le Général de Gaulle était à la tête
de l’État, « il me semblait absurde, confie Palewski avec une confondante franchise, d’expliquer
à l’auteur de la Constitution de quelle manière celle-ci devait être appliquée ! ».

Il est donc entendu que le coup de force que fut la décision de 1971, en tant qu’elle permit au
Conseil constitutionnel de vérifier la conformité des lois aux principes matériels de la
Déclaration, du Préambule de 1946 ainsi qu’aux « principes fondamentaux reconnus par les lois
de la République » auxquels renvoyait ce dernier texte, ce coup de force modifia profondément
la fonction d’une institution qui, jusque là, concevait sa mission comme visant à s’assurer de la
régularité formelle de la loi et du respect, par le législateur, de la compétence limitée que lui
confiait la Constitution. Le droit de saisine accordé à l’opposition parlementaire renforça, à
partir de 1974, l’importance du contrôle de constitutionnalité dans le jeu institutionnel et, de
ce fait, la place et le rôle du Conseil dans le système politique. On peut ainsi célébrer,
aujourd’hui et selon le mot de l’actuel président du Conseil, la « réussite inattendue » que fut,
dans l’agencement institutionnel de la Ve République, ce qu’il est désormais convenu d’appeler
la « juridiction constitutionnelle » française.

Document 5 : Louis FAVOREU, Wanda MASTOR, Les cours constitutionnelles, Dalloz, 8ème
édition, 2011, p. 3

« Une cour constitutionnelle est une juridiction créée pour connaître spécialement et
exclusivement du contentieux constitutionnel, située hors de l’appareil juridictionnel ordinaire
et indépendante de celui-ci comme des pouvoirs publics. »

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Document 6 : Dominique ROUSSEAU, « Le procès constitutionnel », Pouvoirs, 2011/2,
n° 137, p. 47

Un « procès » ? ! Devant le Conseil constitutionnel ? ! Un « procès constitutionnel » ? ! Pourquoi


pas, le Conseil « Tribunal constitutionnel » ? ! Ou le Conseil « Cour suprême » ? ! Même avec
des guillemets, même avec des points d’interrogation, associer les mots « procès » et «
constitutionnel » est, au mieux, vouloir provoquer, au pis, manquer de savoir juridique. Ou
inversement. Car il est entendu que le Conseil n’est pas une vraie juridiction, qu’il n’y a pas de
litige ni davantage de parties devant le Conseil, qu’il statue sans code de procédure et que la
Constitution n’a pas accordé à ses décisions la formule consacrée de l’autorité de la chose jugée,
se contentant de disposer qu’elles « s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités
administratives et juridictionnelles ».

Cette représentation a, peut-être, un peu évolué […] Avant même la QPC, les éléments
constitutifs du procès étaient présents ; à l’état sommaire sans doute, mais présents. La révision
constitutionnelle de juillet 2008, en donnant à tout justiciable le droit de soulever devant toute
juridiction et à tout moment de la procédure la question de la constitutionnalité de la loi qui lui
est appliquée, a fait ressortir tous les éléments du procès, les a approfondis, développés,
consacrés. D’informel ou peu formalisé sous le contrôle a priori, le procès constitutionnel est
devenu constitué et formalisé avec le contrôle a posteriori. Le marqueur juridique de ce passage
est sans doute l’adoption par le Conseil, le 4 février 2010 – un mois avant l’entrée en vigueur
de la QPC – de la décision « portant règlement intérieur sur la procédure suivie devant le
Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ». Mais, il n’est pas
le seul. Sans prendre parti en faveur des définitions formelle ou matérielle du procès, les
éléments reconnus par l’une et l’autre école sont suffisamment réunis pour qu’il soit
juridiquement légitime de parler, aujourd’hui, de procès constitutionnel. D’abord, parce que la
décision du Conseil est rendue à l’occasion d’une contestation par une personne de l’application
qui lui est faite de la loi ; ensuite, parce que la décision du Conseil est prise en suivant une
procédure qui garantit les intérêts des parties ; enfin, parce que la décision du Conseil met fin
au litige avec l’autorité de la chose jugée.

Document 7 : Robert BADINTER, « Aux origines de la question prioritaire de


constitutionnalité », RFDC, 2014/4, n° 100, p. 777

Nous sommes héritiers d’une culture éminemment légicentriste qui fait de la loi l’expression de
la volonté générale. Le dogme républicain de la souveraineté populaire, s’incarnant dans le
Parlement issu d’élections libres et régulières, a classiquement fondé le refus du contrôle, par
des juges, de l’œuvre législative du Parlement.

Quelques très rares esprits s’étaient cependant dits partisans d’un contrôle de constitutionnalité
des lois. Le plus célèbre d’entre eux l’a fait dans un texte qui demeure le fondement le plus
lucide et la justification la plus éclairante de la raison d’être d’un tel contrôle dans une
démocratie. Dans De la démocratie en Amérique, Tocqueville écrivait :

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Resserré dans ses limites, le pouvoir accordé aux tribunaux américains de prononcer sur
l’inconstitutionnalité des lois forme encore une des plus puissantes barrières qu’on ait jamais
élevées contre la tyrannie des assemblées politiques.

Tout est dit et tranche avec la formule célèbre : non, on n’a pas juridiquement raison au seul
motif que l’on est politiquement majoritaire. Il a fallu attendre la Constitution de la Ve
République et la défiance de son fondateur à l’égard du Parlement pour que naisse le Conseil
constitutionnel.

Ce n’est pas trahir l’Histoire de dire que, dans l’esprit de son principal inspirateur, Michel
Debré, la fonction assignée au Conseil était de veiller à ce que le Parlement ne dépasse pas les
limites – étroites – de sa compétence fixées par la Constitution. On comptait sur ce « chien de
garde » pour, à la discrétion de la majorité incarnée par le président de la République, tenir
ferme- ment le Parlement dans les limites de l’article 34 de la Constitution. Le Conseil
constitutionnel a été conçu comme un rempart contre la souveraineté parlementaire. On
connaît les progrès successifs réalisés depuis : par le Conseil lui-même, avec l’inclusion de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et du Préambule de la Constitution
de 1946 au bloc de constitutionnalité ; par le constituant ensuite, avec l’ouverture de la saisine
du Conseil aux parlementaires en 1974, transformant l’institution en une juridiction
constitutionnelle produisant un corpus de décisions. La mise en oeuvre de la question
prioritaire de constitutionnalité par la réforme de 2008 marqua enfin le point d'orgue de
l'ascension de la Haute juridiction, par l'introduction tant attendue de l'initiative citoyenne,
impliquant de nouvelles relations entre les pouvoirs et plus particulièrement avec le Parlement.

Document 8 : Julien BONNET, « Les contrôles a priori et a posteriori », Les Nouveaux


Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 40, 01 juin 2013, p. 105

Si loin, si proche...
Comparer les contrôles a priori et a posteriori de la loi revient, à première vue, à mettre en
perspective le Moyen Âge et la Renaissance. Les temps maussades d'un contrôle de
constitutionnalité portant sur les mots secs d'un texte en devenir de norme sont désormais
révolus. Place aux Lumières de la vie juridique qui irriguent le contrôle de constitutionnalité
d'un fluide normatif tout en sécularisant le contentieux constitutionnel dont l'exercice et
l'apprentissage ne sont plus l'apanage d'un cercle restreint d'autorités politiques et d'initiés, mais
au contraire une source riche et ouverte au plus grand nombre et en tout premier lieu aux
justiciables.

La réforme de la QPC pallie ainsi le refus des juges ordinaires et des constituants successifs –
originaires et dérivés – de concrétiser l'idée pourtant présente dès 1789 du nécessaire contrôle
de la loi promulguée, en dépit de l'instauration et de la montée en puissance du Conseil
constitutionnel depuis 1958.

C'est donc seulement depuis le 23 juillet 2008 que le nouvel article 61-1 de la Constitution puis
la loi organique du 10 décembre 2009 ont placé le Conseil constitutionnel dans la vie juridique
en métamorphosant sa place et ses fonctions. Ouvert, juridictionnalisé, doté de l'immense
pouvoir d'abrogation des lois, le Conseil constitutionnel rendit par exemple 112 décisions QPC
en 2011, dans toutes les branches du droit, soit l'équivalent d'une dizaine d'années de saisines

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facultatives de lois ordinaires. Le contrôle a priori était destiné à rester dans l'ombre de la QPC
et un fossé infranchissable devait séparer les modalités et les résultats des deux contrôles.

Mais l'histoire est parfois malicieuse, bien que le hasard n'ait à la réflexion aucune responsabilité
dans l'affaire : le législateur organique, de par les modalités d'invocation et de filtrage de la QPC,
ainsi que le Conseil constitutionnel par sa volonté de calquer les modalités du contrôle a
posteriori sur le contrôle a priori, ont contribué à un rapprochement des deux contrôles.
Corrélativement, le contrôle a priori s'est redéployé de manière dynamique en investissant de
nouveaux champs et en rappelant à chacun ses avantages.

La seconde jeunesse du contrôle a priori, conjuguée à la perte de vitesse du nombre de QPC


renvoyées au Conseil constitutionnel, interroge voire inquiète. Mais l'histoire n'épouse que
rarement une trajectoire strictement linéaire et se comprend dans l'interaction des mouvements
de flux et de reflux. Dès lors, l'avenir du Conseil constitutionnel n'est pas dans son passé et les
ruptures indéniables provoquées par la QPC (I) ne sont pas comblées par la recherche de
cohérence entre les contrôles a priori et a posteriori qui oblige en revanche à envisager le futur
de la QPC avec un esprit réformateur (II).

I – Des ruptures indéniables

Les contrôles a priori et a posteriori se distinguent au niveau des règles juridiques utilisées (A)
et de l'environnement qui les entoure (B).

A - Des règles de contrôle spécifiques

La spécificité des contrôles a priori et a posteriori se constate au regard des normes de référence
utilisées par le Conseil constitutionnel. Certaines sont communes, à savoir les droits et libertés
constitutionnels invocables en QPC, même ceux nouvellement consacrés et en attente
d'application dans une décision DC. De même que la violation d'un engagement international
ou l'immixtion du législateur dans le domaine du pouvoir règlementaire seront communément
rejetées.

Néanmoins, de nombreuses règles constitutionnelles sont uniquement invocables a priori, et


tout particulièrement celles encadrant la procédure législative qui occupent une place
grandissante dans les décisions DC, comme l'illustre la chasse permanente aux cavaliers
législatifs. Seul le contrôle a priori garantit les normes relatives à l'organisation territoriale de
l'État, son caractère unitaire et décentralisé, ainsi que les modalités de consultation des électeurs
en cas de modification des limites d'une collectivité territoriale. Les relations de la France avec
le droit supranational ne relèvent pas non plus du contrôle de l'article 61-1, que ce soit l'alinéa
14 du Préambule de 1946 ou l'exigence constitutionnelle de transposition des directives. Le
pouvoir de nomination du Président de la République, le principe d'annualité budgétaire ou la
sincérité des lois de finances ne peuvent prospérer devant les juges de la QPC. Les principes
de normativité des lois, du consentement à l'impôt et l'appartenance des langues régionales au
patrimoine de la France n'ont pas été inclus au sein de la notion autonome de droits et libertés
constitutionnels au sens de l'article 61-1 de la Constitution.

Enfin, certaines règles constitutionnelles sont invocables de manière autonome a priori mais
seulement de manière indirecte dans le contrôle a posteriori. Outre l'incompétence négative, la

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méconnaissance de certains objectifs de valeur constitutionnelle, du principe de péréquation
financière entre collectivités territoriales et de l'article 6 de la Charte de l'environnement, ne
peut « en elle-même » être invoquée à l'appui d'une QPC.

En second lieu, l'objet de contrôle est spécifique à l'office du Conseil constitutionnel selon qu'il
juge a priori ou a posteriori la constitutionnalité de la loi. Les autorités de saisine soumettent
les mots d'un texte en devenir de norme et s'en remettent à l'imagination du Conseil
constitutionnel pour anticiper sur les applications futures de la loi votée – encadrée par les
réserves d'interprétation-, et en apprécier abstraitement la constitutionnalité, une fois pour
toutes, en fonction d'un contexte constitutionnel figé. En revanche, le contrôle a posteriori vise
une loi promulguée, confrontée aux réelles incidences de son environnement factuel et
juridique et envisagée dans la portée que lui confère l'interprétation constante du Conseil d'État
et de la Cour de cassation. Entre le texte de la loi et la loi vivante, des écarts de sens et de portée
sont fréquents, en plus des effets produits par l'application combinée d'autres textes en vigueur.
Fort d'un accès ouvert à tous les justiciables, quelle que soit la nature du litige ou la juridiction
saisie, le contrôle a posteriori fait émerger des vices insoupçonnés d'inconstitutionnalité,
notamment des griefs à front renversé de ceux examinés dans le contrôle a priori.
Ainsi, le contrôle a posteriori a d'ores et déjà permis au Conseil constitutionnel d'être saisi de
dispositions antérieures à 1958 ou déférées au contrôle a priori mais non spécialement
examinées, ou de dispositions réexaminées en présence d'un changement de circonstances et
déclarées contraires. Sans compter les décisions a posteriori sur des lois récentes et non déférées
au contrôle a priori qui aboutissent parfois à des abrogations ou au prononcé d'une réserve
d'interprétation.

B - Des environnements caractéristiques

En grossissant le trait, trois caractéristiques opposées permettent de distinguer les contrôles a


priori et a posteriori au regard de l'environnement qui les entoure : si le premier apparaît comme
fermé, politisé et monopolistique, le second se présente sous les signes de l'ouverture, la
dépolitisation et la concurrence.

L'opposition entre la fermeture du contrôle a priori et l'ouverture du contrôle a posteriori se


constate sur le plan procédural. En dépit de la publication des échanges entre la saisine et le
gouvernement, du dossier documentaire et du commentaire officiel, le secret reste la règle avant
la découverte de la décision finale. Le contrôle a posteriori crée une rupture en termes
d'ouverture et de transparence du jugement constitutionnel de la loi. Les prises de position des
juges du filtrage sont connues, l'audience est publique et accessible à tous, le contradictoire est
encore plus marqué. De plus, la QPC permet aux justiciables et aux avocats – interlocuteurs
absents du contrôle a priori – d'enfourcher une fonction d'entrepreneur constitutionnel, en
proposant des interprétations de la Constitution, en sollicitant des inflexions de jurisprudence.
Plusieurs recours en QPC ont ainsi été mis dans la lumière sociale, politique et médiatique,
produisant ainsi un nouvel espace de sécrétion de l'expression de la volonté générale.

L'ouverture se décèle également à un niveau plus global puisque le contentieux constitutionnel


a posteriori intéresse dans des proportions inédites l'ensemble des branches du droit, y compris
le contentieux électoral grâce à un coup d'éclat de droit. Le risque pour le contentieux
constitutionnel est de se banaliser et de dénaturer les concepts propres à une branche du droit.
Le contrôle a posteriori place en effet le Conseil constitutionnel devant un dilemme permanent,
entre la nécessité d'assurer une application autonome et transversale des droits et libertés

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constitutionnels et l'adaptation de son office aux spécificités des branches du droit, qui l'oblige
à dialoguer de manière intense avec les différents acteurs.

La seconde opposition de traits caractéristiques concerne le niveau de politisation des


contrôles. En dépit du mouvement de juridictionnalisation de l'institution, la perception des
décisions a priori est inévitablement politisée pour des raisons structurelles, à l'instar des
réactions aux décisions sur la rétention de sûreté ou la taxe carbone. « Nous ne devons pas
avoir d'illusion. Quelle que soit notre décision, elle sera condamnée selon les critères et le
langage de la politique » affirmait déjà le conseiller Georges Vedel en 1981.

Or, les décisions adoptées a posteriori donnent lieu à des débats publics mais peu de réactions
partisanes, hormis en cas de bousculement de l'agenda parlementaire. Juridictionnalisée,
désynchronisée du débat parlementaire, la décision QPC est imputée à un Législateur perpétuel
et impersonnel et non à un législateur actuel et politique. Le contrôle a posteriori amorce ainsi
un phénomène de dépersonnalisation politique de la figure du législateur dans le contentieux
constitutionnel. L'application des règles du procès équitable, la fin annoncée de la présence des
membres de droit ainsi que les choix opérés dans le profil professionnel des dernières
nominations accompagnent et confirment ce mouvement.

La tension entre l'idée de monopole dans le contrôle a priori et la concurrence dans le contrôle
a posteriori constitue la troisième opposition de traits caractéristiques. Par définition, le Conseil
constitutionnel agit seul dans le cadre du contrôle a priori et il exerçait un monopole du contrôle
de constitutionnalité des lois avant le 1er mars 2010. En consacrant un juge constitutionnel
ordinaire chargé du filtrage des QPC, les textes ont ouvert un espace concurrentiel dont
l'étendue est sans précédent en contentieux constitutionnel français. La mission d'interprète
constitutionnel du juge ordinaire est décuplée, grâce à la détermination des droits et libertés
constitutionnels invocables, et surtout l'examen du caractère sérieux qui conduit à concrétiser
et concilier les normes constitutionnelles entre elles en vertu du contrôle négatif de la
constitutionnalité des lois. Sans compter les changements d'interprétations de la loi qui
surviennent à l'occasion de l'examen du caractère sérieux, signes de la concurrence silencieuse
que le juge ordinaire oppose au Conseil constitutionnel.

En s'ouvrant à la vie juridique, le Conseil constitutionnel a conquis une compétence éminente


tout en perdant son monopole, bien qu'il lui revienne exclusivement le pouvoir d'abrogation.
Au sein de cet espace concurrentiel sans hiérarchies clairement établies, le Conseil
constitutionnel doit encore plus composer et dialoguer avec ses partenaires, comme l'illustre la
sage utilisation du contrôle de l'interprétation constante de la loi produite par les deux cours
suprêmes.

Un mouvement identique guide les relations entre le contrôle a posteriori et le droit


supranational bien que la rupture avec le contrôle a priori soit ici relative. Le Conseil
constitutionnel renforce et enrichit sa position dans le dialogue entre les juges du droit
européen des droits de l'homme, notamment en raison de l'augmentation des risques qu'une
disposition conforme à la Constitution soit déclarée contraire à un traité. Le contrôle a
posteriori engendre des scenarii inédits dans lesquels une disposition législative est abrogée
alors qu'elle avait été déclarée compatible avec une disposition conventionnelle, ou au contraire
validée après avoir donné lieu à une condamnation de la France devant la Cour de Strasbourg.
Ce qui atteste au passage de la proximité seulement relative des normes de référence

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constitutionnelles et conventionnelles, contrairement à l'idée trop longtemps défendue de
l'identité matérielle.
Au final, les ruptures entre les contrôles a priori et a posteriori ont globalement profité au
Conseil constitutionnel en termes de légitimité et de positionnement institutionnel. La
perception de l'institution s'est transformée, grâce à la vitalisation et la « fondamentalisation »
du procès constitutionnel fait à la loi. Cependant, les distinctions qui entourent l'exercice des
contrôles ne sauraient masquer la recherche de cohérence entre eux.

II – Une cohérence recherchée

La recherche de cohérence par le constituant, le législateur organique et le Conseil


constitutionnel a produit une continuité et une complémentarité entre les deux contrôles.
L'influence réciproque est évidente, tant le contrôle a priori influence le mode d'exercice du
contrôle a posteriori (A) et s'est redéployé de manière dynamique au contact de ce dernier (B).

A - La volonté de calquer le contrôle a posteriori sur le contrôle a priori

Dans la conduite de ses deux offices, le Conseil constitutionnel fait preuve d'une continuité en
privilégiant une approche plutôt abstraite et objective. Cette continuité juridique n'est pas
seulement « construite » par le Conseil, elle comporte une part de « donné » qui renvoie à la
poursuite par le constituant et le législateur organique d'un objectif d'ordre politique et
institutionnel visant à ne pas rompre définitivement avec l'esprit de 1958 qui a guidé
l'instauration du Conseil constitutionnel. En rejetant la dénomination de « Cour
constitutionnelle », l'accès direct au Conseil constitutionnel et la fin de la présence des membres
de droit, le constituant a délibérément compensé la montée en puissance du Conseil
constitutionnel par des freins institutionnels. Votée finalement à une voix près, la révision ne
pouvait faire table rase du passé. Le législateur organique a amplifié cette logique en instaurant
un filtrage des juges du fond, l'interdiction du relevé d'office, la protection de l'autorité des
décisions du Conseil constitutionnel en vertu de la règle non bis in idem, la création d'un
chemin processuel autonome pour la QPC ou l'intervention possible devant le Conseil du
Président de la République et des présidents des assemblées. Au final, les textes traduisent une
volonté affirmée de préserver la nature plutôt abstraite et objective du contrôle de
constitutionnalité des lois, et plus encore de maintenir une certaine ambiguïté sur la nature du
Conseil constitutionnel lui-même, comme si le pouvoir politique n'osait nommer et assumer
l'objet en voie de création. Telle une écluse juridique, la QPC dans son architecture actuelle a
finalement permis d'insérer sans heurts le contrôle a posteriori dans le droit positif alors qu'il
constitue un acte révolutionnaire sur le plan des principes.

Face à la continuité technique et politique établie par la Constitution et la loi organique, le


Conseil constitutionnel a prolongé le sillon en acceptant de soulever d'office en QPC un
nouveau grief ou en refusant qu'une disposition législative puisse être contestée à nouveau, sauf
changement de circonstances, pour un motif qui n'avait pas été expressément relevé. En dépit
de cette recherche de cohérence, il est évident que le contrôle de l'interprétation constante, les
changements de circonstances ou l'influence du fait dans l'esprit du juge et dans le choix de
moduler les effets de l'abrogation attestent de la part de concret et de subjectif dans le contrôle
a posteriori, comme la doctrine l'a démontré à maintes reprises.
La force attractive du caractère concret risque de l'emporter à l'avenir, conformément d'ailleurs
à l'appréciation subjective de la condition d'applicabilité au litige par la Cour de cassation. Le
Conseil constitutionnel semble néanmoins particulièrement attaché à la continuité des deux

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contrôles comme l'illustre le commentaire étonnant qui accompagne la décision 2011-
123 QPC : dès lors que le contrôle a priori n'aurait pas permis de censurer la loi in abstracto, le
Conseil constitutionnel devrait s'interdire de se fonder sur une inconstitutionnalité révélée in
concreto. Une telle option excessive renverserait la logique même du contrôle a posteriori
puisque la recherche de cohérence serait un but en soi, un impératif supérieur à la protection
des droits et libertés constitutionnels dont l'effectivité est pourtant l'objectif assigné par le
constituant.

Par ailleurs, la continuité entre les deux contrôles se traduit par l'importation de la plupart des
techniques contentieuses du contrôle a priori, bien que seuls les moyens et non les conclusions
puissent être relevés d'office en QPC. De même, l'intensité du contrôle exercé ne semble pas
varier selon que le respect d'un droit ou liberté constitutionnel est examiné a priori ou a
posteriori. Le Conseil constitutionnel utilise par exemple le nouveau triple test de
proportionnalité en QPC après l'avoir rodé en DC, ou emploie pareillement le « totem anti-
gouvernement des juges » que constitue la formulation de l'absence de pouvoir général
d'appréciation identique à celui du Parlement.

Néanmoins, les effets attachés aux décisions restent spécifiques à chacun des contrôles. Le
choix de la date d'abrogation et la possibilité d'en moduler les effets sont réservés au contrôle
a posteriori bien que le contrôle a priori ait innové sur cet aspect. L'usage des réserves
d'interprétation en QPC peut également se distinguer, notamment lorsqu'elles affectent une
interprétation constante de la Cour de cassation ou lorsque le Conseil module leurs effets dans
le temps.

B - Le contrôle a priori redéployé sous l'effet du contrôle a posteriori

Dépassant les funestes pronostics qui lui étaient adressés, le contrôle a priori s'est redéployé de
manière dynamique sous l'effet du contrôle a posteriori.

En premier lieu, l'utilisation du droit de saisine a muté. Le recours à la saisine facultative sur les
lois ordinaires par les autorités politiques a augmenté depuis l'entrée en vigueur de la QPC,
passant d'une petite dizaine à plus d'une quinzaine depuis 2008. Les censures du texte sur la
carte d'identité biométrique ou de la dernière loi de finances rectificatives pour 2012
démontrent l'impact potentiel du contrôle a priori, dont la vertu première est de purger en
amont et de manière globale les vices d'inconstitutionnalités qui affectent la loi. De plus, une
nouvelle pratique préventive de la saisine du Conseil constitutionnel est apparue. Cet objectif,
clairement affiché dans les travaux parlementaires, a notamment provoqué la saisine originale
par les présidents des deux assemblées sur la loi interdisant la dissimulation du visage dans
l'espace public, ou par des parlementaires de tout bord à propos du texte pénalisant la
contestation du génocide arménien.

En deuxième lieu, les modalités contentieuses du contrôle a priori se sont adaptées afin de
protéger le contrôle a posteriori. En amont, le Conseil constitutionnel avait sauvegardé la règle
de priorité d'examen en adoptant un célèbre obiter dictum en guise de réponse à la Cour de
cassation. Cependant, le caractère objectif du contrôle a priori permettant de soulever d'office
des moyens et conclusions pouvait amoindrir la réforme de la QPC. En prévoyant que seules
les dispositions validées dans les motifs et le dispositif ne pouvaient faire l'objet d'une QPC, la
loi organique avait privilégié l'effet utile de la réforme. Plus encore, le contrôle a priori a encadré

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la pratique de la « saisine blanche » afin d'endiguer l'engouement des autorités politiques de
saisine. Depuis la décision no 2011-630 DC, le Conseil constitutionnel refuse d' « examiner
spécialement » d'office les dispositions de la loi déférée dès lors que les travaux parlementaires
n'ont pas fait ressortir un grief particulier, à l'exception du respect de la procédure d'adoption
qui ne peut être invoquée en QPC. De plus, le Conseil constitutionnel veille à ne pas injurier
l'avenir en se gardant de soulever d'office des conclusions au-delà de celles figurant dans la
saisine parlementaire, comme l'illustre de manière éclatante la décision no 2013-665 DC sur les
contrats de génération.

En dernier lieu, depuis le lancement de la réforme du contrôle a posteriori, le Conseil


constitutionnel a fait preuve de plusieurs hardiesses contentieuses dans le contrôle a priori. Au
niveau du régime juridique des droits et libertés, c'est en DC que le triple test de
proportionnalité a émergé en matière de privation de liberté individuelle avant de s'étendre à la
liberté d'expression et de communication puis au droit au respect de la vie privée. Le Conseil
constitutionnel a également rehaussé le niveau d'exigence du respect des règles de la procédure
parlementaire en soulevant au besoin d'office ce type de moyen. Ce n'est certainement pas non
plus un hasard si la première décision DC procédant à un report dans le temps des effets d'une
déclaration de non-conformité a été rendue le 19 juin 2008 (no 2008-564 DC). Enfin, le
dynamisme du contrôle a priori sous l'effet du contrôle a posteriori est devenu une évidence
avec le recours intense, et selon des modalités inédites, à la jurisprudence État d'urgence en
Nouvelle-Calédonie permettant de connaître d'une disposition législative promulguée à
l'occasion de l'examen des dispositions d'une loi nouvelle qui la « modifient, la complètent ou
affectent son domaine ». Entre août et décembre 2012, le mécanisme a été utilisé à quatre
reprises, soit autant que sur les dix dernières années, avec trois censures prononcées au lieu
d'une seule auparavant dans la décision no 99-410 DC du 15 mars 1999, et une réserve
d'interprétation ce qui n'avait jamais été le cas. De plus, encore une fois de manière totalement
inédite, le Conseil constitutionnel affirme expressément dans le dispositif de la décision
no 2012-654 DC qu'une disposition législative promulguée est déclarée contraire à la
Constitution !

En dépit des nombreuses ruptures engendrées par l'entrée en scène de la QPC, les contrôles a
priori et a posteriori s'influencent réciproquement et s'articulent de manière complémentaire.
L'objectif de cohérence, affiché par le Congrès et le Parlement puis concrétisé par le Conseil
constitutionnel, a rapproché les deux contrôles. Peut-être même trop. Car les raisons qui ont
poussé à concevoir et exercer le contrôle a posteriori sur le modèle-juridique mais aussi
politique – du contrôle a priori sont certainement aujourd'hui responsables du tarissement
notable des renvois au Conseil constitutionnel. Le contrôle a posteriori peut paraître lointain
et complexe à de nombreux avocats en phase d'acculturation d'un réflexe constitutionnel
efficace. Le temps presse et si la volonté du constituant d'assurer l'effectivité des droits et
libertés constitutionnels doit conserver un sens, il est temps de franchir définitivement le cap
en consacrant une authentique Cour constitutionnelle, pleinement légitime, aisément accessible
et proche de la défense concrète des intérêts des justiciables.

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