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1KOKOROKO (D.), « L’idée de la constitution en Afrique », Afrique contemporaine, Repères, 2012/2 (n° 242), p. 117.
2CONSTANT (B.), Cours de politique constitutionnelle, 2ème éd., 1879, T. 1, p. 268, cite par KPODAR (A.), « Controverse
doctrinale – MM. Dodzi KOKOROKO et Adama KPODAR : Le point de vue de M. Adama KPODAR », in 21 Ans de jurisprudence
de la Cour constitutionnelle du Bénin (1991-2012), Dossier spécial, Annuaire béninois de justice constitutionnelle, OSIWA, Presses
Universitaires du Bénin, I-2013, p. 703.
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En effet, s’il est vrai que « les constitutions ne sont pas des tentes dressées pour le
sommeil »3 et que « la mutabilité de la constitution est donc une réalité qu’on ne
peut condamner au risque de figer la société politique dans une idée de droit qui ne
correspond plus à la réalité »4, il n’en demeure pas moins que « la révision de la
constitution ne doit pas déboucher sur la fraude à la constitution, ou à son
instrumentalisation »5, ainsi que nous mettait en garde le professeur KPODAR. Sur
ce point, le professeur KOKOROKO avait d’ailleurs déjà dressé un constat
implacable : « en Afrique, depuis les années 2000, les réformes des textes
fondamentaux participent, pour la plupart, de la volonté des gouvernants d’en faire
un usage instrumental tourné vers la pérennisation au pouvoir du chef de l’Etat et
le renforcement de ses prérogatives »6. Il nous semble utile de mentionner in extenso
la définition qu’il proposait s’agissant de la notion d’instrumentalisation de la
constitution. Selon lui, l’instrumentalisation de la constitution est « une pratique
consistant à procéder à la révision de la constitution non pas pour l’adapter à une
réalité à laquelle elle ne répondrait plus, mais plutôt à la conformer aux vœux du
prince ou d’un personnage résolument déterminé à rester au pouvoir, si possible,
jusqu’au retour annoncé de Jésus-Christ »7.
L’on ne peut alors s’étonner que la réforme constitutionnelle en cours au Togo fasse
polémique. Entre hantise et extase, l’initiative suscite bien de passion, de
spéculations, de réserves et d’antagonisme. Introduite en fin décembre 2023 par des
députés à l’Assemblée Nationale, ce nouveau contrat social, dont la véritable teneur
est pourtant méconnue du Peuple, a été voté dans la nuit du 25 mars 2024 à une forte
majorité (89 voix Pour ; 1 Contre ; 1 Abstention). Dès les premières heures de
l’annonce de cette délibération, la réforme fait l’objet d’une fronde de la part de
l’opposition non parlementaire et d’une levée de boucliers au sein de la jeunesse
togolaise sur les réseaux sociaux avec des slogans hashtag aussi explicite que
contestataires (#SansNousConsulter ; #TouchePasAmaConstitution). La principale
3 ROYER-COLLARD (P.-P.) cité par RAFSANDJANI (H. M.), Les révisions constitutionnelles en Afrique et la limitation des
mandats présidentiels Contribution à l’étude du pouvoir de révision, Thèse de doctorat, Droit public, Université de TOULON,
2022, p. 26.
4 KPODAR (A.), « Bilan sur un demi-siècle de constitutionnalisme en Afrique noire francophone », in La constitution béninois du
11 décembre 1990. Un modèle pour l’Afrique ? Mélanges en l’honneur de Maurice Ahanhanzo-Glèlè, Paris, L’Harmattan, 2014,
p. 8.
5 Ibidem, p. 9.
6 KOKOROKO (D.), « Controverse doctrinale – MM. Dodzi KOKOROKO et Adama KPODAR : Le point de vue de M.
KOKOROKO », in 21 Ans de jurisprudence de la Cour constitutionnelle du Bénin (1991-2012), op. cit., p. 719.
7 Idem.
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pomme de discorde porte sur la nécessité ou non d’un référendum pour procéder à
une telle réforme, avec en toile de fonds la sempiternelle problématique de la
limitation du nombre et de la durée du mandat présidentiel. La polémique prend des
proportions telles que dès réception du texte adopté, le président de la République,
demande, le 29 mars 2024, à l’Assemblée nationale de procéder à une nouvelle
délibération. Pendant ce temps – alors que l’exécutif et le législatif se renvoient la
patate chaude – les populations, qui n’ont toujours pas eu le privilège ou la grâce
d’accéder au contenu de leur probable prochaine Loi fondamentale, sont tenues à
l’écart du processus. Partant, l’on peut légitimement penser à une forme
d’instrumentalisation de la constitution.
Dans les lignes qui suivent, nous nous proposons de livrer notre analyse de cette
révision constitutionnelle sous l’angle de sa licéité ou de son illicéité. N’ayant pas
eu accès au texte adopté, mais uniquement à une ancienne mouture non officielle,
quelques bribes issues des infographies publiées sur les réseaux sociaux et des
entretiens réalisés par les députés, les membres du gouvernement et des professeurs
de droit, entre autres, notre analyse portera fondamentalement sur le processus choisi
pour réaliser cette réforme constitutionnelle.
8 RAFSANDJANI (H. M.), Les révisions constitutionnelles en Afrique et la limitation des mandats présidentiels Contribution à
l’étude du pouvoir de révision, op. cit., p. 20.
9 SY (P. M.), Le développement de la justice constitutionnelle en Afrique noire francophone : les exemples du
Bénin, du Gabon et du Sénégal, Thèse de doctorat, 1998, cité par DIALLO (I.), « Pour un examen minutieux de la question des
révisions de la Constitution dans les États africains francophones », Afrilex, p. 4, https://afrilex.u-bordeaux.fr/wp-
content/uploads/2021/03/POUR_UN_EXAMEN_MINUTIEUX_DE_LA_QUESTION_DES_REVISIONS_DE_LA_CONSTIT
UTION_DANS_LES_ETATS_AFRICAINS_FRANCOPHONES.pdf consulté le 10 avril 2024.
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la constitution selon le régime que cette dernière a elle-même prévu »10, tandis que
le changement de constitution, c’est l’opération qui « vise à en rédiger une
nouvelle » 11 . En ce sens, le pouvoir de rédiger une constitution – le pouvoir
constituant originaire – est en principe un pouvoir insubordonné, c’est-à-dire un
« pouvoir initial, autonome et inconditionné »12. Le constituant originaire agit et
existe « en dehors de toute habilitation constitutionnelle »13, là où, a contrario, le
constituant dérivé ne se déploie « qu’en vertu d’une constitution »14. Le premier, en
quelque sorte, s’auto-institue pendant que le second est institué15.
L’on peut noter que sur son site internet officiel, l’Assemblée nationale togolaise
parle d’une « révision constitutionnelle »16. On relèvera également que, dans son
communiqué de presse du 03 avril 2024, la Présidence de la République parle d’une
« loi de révision constitutionnelle »17. Ainsi donc, il s’agit bien d’une révision de la
constitution togolaise de 1992. En tant que telle, cette révision doit, comme nous
l’avons exposé précédemment, respecter les règles et procédures établies par la
Constitution, y compris les engagements internationaux auxquels le Togo a souscrit.
10 ARDANT (P.), « La révision constitutionnelle en France : problématique générale » In La révision de la Constitution, journées
d’études des 20 mars et 16 décembre 1992, Association française des constitutionnalistes, Economica, 1993, p. 80, cité par NAHM-
TCHOUGLI (M.), « La dernière vague du constitutionnalisme en Afrique noire francophone : la désacralisation de la Constitution
», RCC, 2020/4 Semestriel, p. 14.
11 NAHM-TCHOUGLI (M.), « La dernière vague du constitutionnalisme en Afrique noire francophone : la désacralisation de la
Constitution », préc.; voir aussi MODERNE (F.), « Réviser » la Constitution. Analyse comparative d’un concept indéterminé »,
Paris, Dalloz, 2006 p. 97.
12 BURDEAU (G.), Traité de Science politique, Tome VII : La démocratie gouvernante, son assise sociale et sa philosophie, Paris,
Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence, 1973. pp. 517 et s., cité par NAHM-TCHOUGLI (M.), « La dernière vague du
constitutionnalisme en Afrique noire francophone : la désacralisation de la Constitution », préc.; voir aussi LE PILLOUER (A.),
« Pouvoir constituent originaire et pouvoir constituent dérivé : à propos de l’émergence d’une distinction doctrinale », RHFD n°
25-26, 2006, 123-141.
13 BONNARD (R.), Les actes constitutionnels de 1940, Paris, LGDJ, 1942, p. 36, cité par RAFSANDJANI (H. M.), Les révisions
constitutionnelles en Afrique et la limitation des mandats présidentiels Contribution à l’étude du pouvoir de révision, op. cit., p.
75.
14 Idem.
15 Idem. RAFSANDJANI souligne dès lors qu’« il n’y a et ne saurait y avoir de pouvoir constituant qu’à titre originaire.
Logiquement, lorsqu’on est un constituant, on ne peut dériver d’aucune autre autorité. On est constituant parce qu’on est celui à
partir duquel toutes les autorités découlent. Être un pouvoir dérivé implique forcément le fait d’être habilité, donc celui d’être
institué. Nous sommes donc d’avis que le pouvoir de réviser la constitution n’est, en réalité, qu’un pouvoir constitué ».
16 Assemblée nationale, Révision constitutionnelle : le Togo passe à une Vème République avec un régime parlementaire, 26 mars
2024,https://assemblee-nationale.tg/revision-constitutionnelle-le-togo-passe-a-la-veme-republique-avec-un-regime-parlementaire/
consulté le 09 avril 2024.
17 Communiqué disponible sur : https://www.republiquetogolaise.com/politique/0404-9106-revision-constitutionnelle-le-chef-de-
révision constitutionnelle est licite si elle est opérée suivant la procédure prévue par
la constitution et à condition qu’elle aboutisse à une modification consolidante »18.
18 RAFSANDJANI (H. M.), Les révisions constitutionnelles en Afrique et la limitation des mandats présidentiels Contribution à
l’étude du pouvoir de révision, préc.
19 « Licéité », in Encyclopedia Universalis, disponible sur https://www.universalis.fr/dictionnaire/liceite/, cite par RAFSANDJANI
(H. M.), Les révisions constitutionnelles en Afrique et la limitation des mandats présidentiels Contribution à l’étude du pouvoir de
révision, op.cit., p. 29.
20 RAFSANDJANI (H. M.), Les révisions constitutionnelles en Afrique et la limitation des mandats présidentiels Contribution à
547, cité par RAFSANDJANI (H. M.), Les révisions constitutionnelles en Afrique et la limitation des mandats présidentiels
Contribution à l’étude du pouvoir de révision, op. cit., p. 30.
22 Idem.
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La problématique qui surgit dans ces conditions est assez claire. Il s’agit d’examiner
la mise en œuvre du pouvoir de révision constitutionnelle telle qu’elle a été effectuée
par l’Assemblée nationale le 25 mars 2024 et se poursuit. Plus précisément, nous
focaliserons notre réflexion sur la question de savoir si la révision constitutionnelle
en cours au Togo et visant à passer à une nouvelle République avec un régime
parlementaire est licite ?
Pour mener nos analyses, nous adopterons une approche, non pas seulement
positiviste ou normativiste, mais surtout politique et institutionnelle du droit
constitutionnel en prenant en considération « la disposition de la chose politique, les
enjeux de pouvoir ainsi que les intentions des constituants, des législateurs et des
gouvernants »23.
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de révision clairement identifiée (…). En effet, une comparaison suffit pour vérifier
si la clause de révision a été observée et si la bonne procédure a été empruntée.
Rapportée au cas africain, l’observation de la plupart des réformes
constitutionnelles engagées permet de constater que celles visant à neutraliser la
clause de limitation des mandats ne respectent pas le processus posé par la clause
de révision. Il apparaît en effet que, la plupart du temps, ces dernières suivent une
procédure différente de celle prévue par la clause de révision »26 . L’irrégularité
d’une révision constitutionnelle peut également résulter de la violation de certaines
interdictions spécifiques en la matière. L’encadrement du pouvoir de révision
constitutionnelle ayant pour but d’empêcher que soient adoptées des révisions
illicites 27 , la mise en branle de ce pouvoir en outrepassant les limitations ou
interdictions fixées la rend irrégulière.
Dans notre cas, la révision constitutionnelle en cours est irrégulière parce qu’elle
viole une interdiction régionale temporelle de modification des lois électorales (A),
et l’interdiction nationale circonstanciée de révision en période d’état d’urgence (B).
Le vice est encore plus prégnant lorsqu’on s’aperçoit qu’il s’agit d’un évitement
frauduleux de l’exigence de référendum en cas de révision touchant la clause
limitative encadrant le mandat présidentiel (C).
(…)
26 Ibidem, p. 49.
27 Ibidem, p. 352.
28 Protocole a/sp1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance additionnel au Protocole relatif au mécanisme de prévention,
(…) ».
2. Les élections à tous les niveaux doivent avoir lieu aux dates ou
périodes fixées par la Constitution ou les lois électorales ».
(…)
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2023, ont été reportées : d’abord au 13 avril 202429, ensuite au 20 avril 202430 ; et, à
présent, au 29 avril 2024 31 . Par ailleurs, les prochaines élections présidentielles
étaient censées avoir lieu en 2025.
Dans la nuit du 25 mars 2024, la proposition est votée à plus de 4/5 des députés au
Parlement. Dans un article intitulé « Révision constitutionnelle : le Togo passe à la
Vème République avec un régime parlementaire »32, publié sur le site internet de
l’Assemblée nationale, les togolais apprennent que « la révision consacre des
changements notables notamment, le passage de la IVe République à la Ve
République et du régime fort présidentialisé au régime parlementaire, la mise en
place d’un président du conseil des ministres élu par l’Assemblée nationale, la
consécration des droits et devoirs dans une déclaration solennelle des droits et
devoirs fondamentaux, l’érection de la Haute Autorité pour la transparence, la lutte
contre la corruption et l’intégrité de la vie publique, la refonte de la justice ordinaire
et des autorités constitutionnelles indépendantes, la suppression de la Cour suprême,
29 Voir Portail officiel de la République togolaise, « Les élections législatives et régionales fixées au 13 avril 2024 », disponible
sur https://www.republiquetogolaise.com/politique/0902-8891-les-elections-legislatives-et-regionales-fixees-au-13-avril-2024
consulté le 09 avril 2024.
30 Voir Portail officiel de la République togolaise, « Les élections législatives et régionales repoussées au 20 avril 2024»,
https://www.republiquetogolaise.com/politique/2502-8960-les-elections-legislatives-et-regionales-repoussees-au-20-avril-2024
disponible sur consulté le 10 avril 2024.
31 Voir Portail officiel de la République togolaise, « Les élections législatives et régionales fixées au lundi 29 avril 2024 »,
L’on peut y lire, par ailleurs, que « cette revue s’impose à plus d’un titre afin
de clarifier et renforcer la stabilité juridique, de garantir la stabilité et la continuité
de l’état de droit, de créer des bases solides pour la participation et l’inclusion
citoyenne aux politiques ainsi qu’à la gestion de la chose publique, d’organiser la
République et les pouvoirs en fonction de l’évolution et des réalités de l’intégration
sous régionale de notre pays et enfin de protéger et renforcer les droits et libertés
fondamentaux des citoyens ». Enfin, l’on y découvre que « l’article 102 de la
présente constitution dispose qu’elle est promulguée dans les 15 jours suivant son
adoption et elle sera exécutée comme loi fondamentale de la Vème République ».
33 Idem.
34 Idem.
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des élections législatives, et élu pour un mandat illimité de six ans, cette révision
constitutionnelle modifie complètement l’enjeu de ce scrutin repoussé au 29 avril.
35 FALL (I. M.), SALL (A.), « Une Constitution régionale pour l’espace CEDEAO : Le Protocole sur la démocratie et la bonne
gouvernance de la CEDEAO », p. 2., disponible sur https://jaga.afrique-
gouvernance.net/_docs/pr_sentation_et_analyse_du_protocole_sur_la_d_mocration_de_la_cedeao.pdf consulté le 10 avril 2024.
36 CONAC (G.), « Succès et crises du constitutionnalisme africain », in DU BOIS DE GAUDUSSON (J.), et al., Les Constitutions
institutionnelles et constitutionnelles au Togo ; décret n° 2015- 002/PR du 09 janvier 2015 portant nomination du président de la
Commission de réflexion sur les réformes politiques, institutionnelles et constitutionnelles au Togo; Décret n° 2017-002/PR du
03/01/17 portant nomination des membres de la Commission de réflexion sur les réformes politiques, institutionnelles et
constitutionnelles au Togo.
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Quand bien même, il serait vrai que l’opposition politique togolaise, y compris celle
non représentée actuellement au Parlement, aurait clairement manifesté son adhésion
au principe d’une nouvelle constitution et d’un régime parlementaire dans le cadre
de certains dialogues ou négociations antérieures, il n’en demeure pas moins que cet
assentiment fut donné il y a bien des années et dans une configuration politique
différente, et que, plus encore, plusieurs de ces partis de l’opposition n’étaient pas
informés du contenu de la proposition de révision constitutionnelle en cours, encore
moins de l’agenda arrêté pour son adoption et son entrée en vigueur.
(…) ».
Dans l’exposé des motifs de la loi du 12 mars 2024 autorisant la prorogation de l’état
d’urgence sécuritaire le Gouvernement rappelle explicitement que « notre pays a été
victime de plusieurs attaques terroristes enregistrées dans la région des Savanes
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visant non seulement les forces de défense et de sécurité déployées dans le cadre de
l'opération Koundjoaré mais aussi les paisibles populations de cette partie du
territoire national ainsi que leurs biens ». Le Gouvernement ajoutait que c’est « afin
de lutter efficacement contre cette menace et les atteintes graves à l'intégrité du
territoire national » que le président de la République a décrété en juin 2022,
conformément à l’article 94 de la Constitution, l’état d’urgence sécuritaire dans toute
la région des Savanes, d’une part, et que c’est dans le but de « maintenir la vigilance
des populations, de mettre les forces de défense et de sécurité dans les meilleures
dispositions et d’adapter la lutte suivant l’évolution de la situation » qu’il a sollicité
(et obtenu) la prorogation de ce dispositif sécuritaire dans cette région.
D’ailleurs, en termes de statu quo, si l’on s’en tenait à la teneur et à la rigueur des
textes dans ce qu’ils ont de plus protecteur et bloquant, il nous faudrait rappeler, en
plus de l’interdiction des révisions constitutionnelles en période d’état d’urgence,
que la tenue des élections est proscrite dans des contextes sécuritaires délétères.
En effet, avec une population de plus de 8.602 km²38 la région des Savanes située au
Nord du pays, qui ouvre sur la frontière Togo/Burkina-Faso, comporte sept
préfectures : Tône, Cinkassé, Kpendjal-Ouest, Kpendjal, Oti-Sud, Oti, Tandjouaré.
D’après les résultats du dernier recensement général de la population et de l’habitat39,
cette région concentre une population de 1.143.520 habitants. Non seulement, les
élections législatives et régionales projetées concernent tou.te.s les togolais.e.s, y
compris les concitoyen.ne.s de la région des Savanes, mais aussi et de surcroît une
révision constitutionnelle qui aboutit à un changement de constitution et de
République ne peut se faire sans que tou.te.s togolais.e.s aient été consultées. Ils
doivent pouvoir exprimer leur consentement en toute liberté, en toute quiétude, en
toute transparence, en toute connaissance de cause, des conséquences et des enjeux.
Or, il se trouve qu’une partie des populations de la région des Savanes a fui pour
trouver refuge dans d’autres localités, et, il va sans dire que celles qui n’ont pas fui
ne seraient pas dans la sérénité et la quiétude requise pour aller à des consultations
électorales quelles qu’elles soient. Quoi qu’il en soit, les prochaines élections
législatives et régionales devraient finalement se tenir le 29 avril 202440.
De ce point de vue, il faut s’interroger sur les raisons qui poussent le régime en place
à maintenir les élections dans des conditions sécuritaires délétères et à refuser
l’organisation de consultation référendaire. Si l’on considère que celui qui peut le
plus (ici, par l’organisation couplée des élections législatives et régionales) peut le
moins (l’organisation d’un débat national et d’une consultation du peuple par
référendum), l’on est en droit de penser que le refus d’organiser une véritable
consultation nationale libre, transparente, inclusive, sincère, débouchant sur un
élections législatives et régionales fixées au 29 avril, publié le 10 avril 2024, Les élections législatives et régionales fixées au lundi
29 avril - Site officiel du Togo, République Togolaise (republiquetogolaise.com) consulté le 11 avril 2024.
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Dans la constitution togolaise, l’article 144 est l’article unique du titre XIII intitulé
‘‘De la révision’’. Conformément aux dispositions de cet article :
41 SAUVE (J.-M.), Intervention lors du colloque organisé par la Société de législation comparée le 4 novembre 2011 sur le thème :
"théorie et pratiques du référendum", disponible sur https://www.conseil-etat.fr/publications-colloques/discours-et-
interventions/referendum-et-democratie consulté le 09 avril 2024.
42 GBEOU-KPAYILE (N. G.), « L’idée de Constitution en Afrique noire francophone », Afrilex, p. 14, disponible sur
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« En second lieu, la règle spéciale déroge à la règle générale »45, soit specialia
generalibus derogant. Dans la loi fondamentale, l’article 144 fait figure de régime
général des révisions constitutionnelles. L’alinéa 2 de l’article 59 représente un
régime spécial pensé pour s’appliquer pour les modifications qui toucheraient
l’alinéa 1er de cet article consacré au mode de désignation du président de la
République et à la durée de son mandat. Quoique l’article 144 réglait la question des
révisions constitutionnelles dans leur ensemble, le constituant a quand même jugé
nécessaire d’insérer, en 2019, un alinéa spécifique à l’article 59 pour indiquer que
cette disposition ne peut être modifiée que par voie référendaire. Il en ressort que le
constituant considère que le mode de désignation du président de la République et
la durée de son mandat qu’il vient de consacrer à l’article 59 sont d’une importance
telle qu’ils méritent une protection beaucoup plus forte en cas de révision
constitutionnelle. Cette protection différencie la révision de cette disposition
particulière par rapport aux procédures de révision pouvant être menées sur le
fondement de l’article 144. En tant que régime spécial, l’article 59 alinéa 2 l’emporte
face à l’article 144 de la Constitution.
L’application des dispositions de l’article 144 plutôt que celles de l’article 59, alors
que la révision remet en cause le mode de désignation du président de la République
et la clause limitative de son mandat, vicie la procédure et rend la réforme irrégulière.
Cette mise en œuvre viciée et vicieuse du pouvoir de révision participe à la
déconsolidation du système constitutionnel national.
43 BOUGRAB (J.) et MAUS (D.) (dir.), « De la méthode en droit constitutionnel », in François Luchaire, un républicain au service
de la République, De Republica, n°7, Edition de la Sorbonne, Paris, p. 307-359.
44 Idem.
45 Idem.
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46 ALTWEGG-BOUSSAC (M.), « Le droit politique, des concepts et des formes », Jus Politicum, n° 24, mars 2020, p. 58, cité par
RAFSANDJANI (H. M.), Les révisions constitutionnelles en Afrique et la limitation des mandats présidentiels - Contribution à
l’étude du pouvoir de révision, op. cit., p. 35.
47 Article 33 alinéa 1er de la Constitution togolaise du 9 avril 1961 : « Le président de la République est élu pour sept ans au
suffrage universel, direct et secret. Il est rééligible ».
48 Article 22 alinéa 1er de la Constitution togolaise du 5 mai 1963 : « Le président et le vice-président de la République sont élus
pour cinq ans au suffrage universel direct. Ils sont rééligibles une seule fois à l'un ou à l'autre de ces postes ».
49 Article 12 alinéa 1er de la Constitution togolaise du 9 janvier 1980 : « Le président de la République est élu pour 7 ans au suffrage
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qui supprime la clause de limitation de mandat52. C’est ainsi qu’il put se présenter et
remporta l’élection présidentielle de 2003. Malgré l’accentuation de la crise
politique que la suppression de la clause limitative et la réélection du Général
GNASSINGBE Eyadéma engendrèrent, ce dernier conserva le pouvoir jusqu’à son
décès le 5 février 2005.
52 Aux termes de l’article 59 issue de la révision de 2002 « Le président de la République est élu au suffrage universel direct et
secret pour un mandat de cinq (05) ans.
Il est rééligible.
Le président de la République reste en fonction jusqu'à la prise de fonction effective de son successeur élu ».
53 Loi de révision n° 2005-02 du 6 février 2005 modifiant les articles 65 et 144 de la Constitution; pour une analyse, voir BIKORO
(J.-M.), Le temps en droit constitutionnel africain. Cas des États africains d’expression française, Thèse de doctorat, Droit public,
Université de Yaoundé, 2018, p. 274 et s.
54 Loi de révision n° 2002-06 du 24 février 2005 modifiant les articles 65 et 144 de la Constitution (et rétablissant la version
Réconciliation (CVJR), Rapport final – Volume 1 : Activités, Investigations, recommandations, 2012, p. 54 et s., https://hcrrun-
tg.org/wp-content/uploads/2017/09/Rapport-Final-CVJR-TOGO-.pdf consulté le 11 avril 2024 ; voir aussi KOKOROKO (D.), «
Les élections disputées : réussites et échecs », Pouvoirs, 2009/2-n°129, pp.116 à 120.
56 ADIKOU (M.), « La révision constitutionnelle de 2002 et ses conséquences politiques au Togo de 2015 à 2020», Akofena, n°006,
57 Loi n° 2019-003 du 15 mai 2019 portant modification des dispositions des articles 13, 52, 54, 55, 59, 60, 65, 75, 94, 100, 101,
104, 106, 107, 108, 109, 110, 111, 115, 116, 117, 120, 125, 127, 128, 141, 145, 155 et 158 de la Constitution du 14 octobre 1992.
58 Article 59 issue de la révision constitutionnelle du 15 mai 2019: « Le président de la République est élu au suffrage universel,
libre, direct, égal et secret pour un mandat de cinq (05) ans renouvelable une seule fois.
Cette disposition ne peut être modifiée que par voie référendaire.
Le président de la République reste en fonction jusqu’à la prise de fonction effective de son successeur élu ».
59 RAFSANDJANI (H. M.), Les révisions constitutionnelles en Afrique et la limitation des mandats présidentiels - Contribution à
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61 Assemblée nationale, Rapport de l’étude au fond du projet de loi portant modification des articles 59, 60, et 100 de la constitution
du 14 octobre 1992, p. 12, disponible sur https://assemblee-nationale.tg/wp-content/uploads/2021/10/constitution-rapport.pdf,
consulté le 10 avril 2024.
62 KOKOROKO (D.), « Controverse doctrinale – MM. Dodzi KOKOROKO et Adama KPODAR : Le point de vue de M.
KOKOROKO », in 21 Ans de jurisprudence de la Cour constitutionnelle du Bénin (1991-2012), op. cit., p. 719.
63 LOADA (A.), « La limitation du nombre de mandats présidentiels en Afrique francophone », Afrilex, n° 03, 2003, p. 139-174,
https://afrilex.u-bordeaux.fr/2003/06/28/la-limitation-du-nombre-de-mandats-presidentiels-en-afrique-francophone/ consulté le 11
avril 2024.
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64 RAFSANDJANI (H. M.), Les révisions constitutionnelles en Afrique et la limitation des mandats présidentiels - Contribution à
l’étude du pouvoir de révision, préc.
65
66 Ibidem, p. 278-279.
67 Ibidem, p. 280.
68 Idem.
69 Centre d’études stratégique de l’Afrique, « Limites et durée de mandat des dirigeants africains liés à la
Il importe de dire que la révision constitutionnelle en cours est illicite parce qu’elle
porte atteinte à un élément fondamental de notre ordonnancement juridique. Il s’agit
de la clause de limitation de mandat, qu’elle contourne au profit du chef de l’État en
exercice depuis 2005, soit depuis le décès de son père qui régna pendant plus d’une
trentaine d’années. Dans ce mouvement de déconsolidation, l’état de droit lui-même
n’est pas épargné.
70 BADET (G.), « La rigidité de la Constitution béninoise de 1990 à l’épreuve des expériences de sa révision », Afrilex, Août 2020,
p. 31, https://afrilex.u-bordeaux.fr/2020/08/05/la-rigidite-de-la-constitution-beninoise-de-1990-a-lepreuve-des-experiences-de-sa-
revision/ consulté le 09 avril 2024. En outre, et quand bien même la Constitution en vigueur ne l’interdit pas, nous pensons qu’il y
a quelque chose de problématique, sur le plan éthique et démocratique, dans le fait pour des députés dont le mandat est, en principe,
expiré, mais qui sont maintenus en fonction en attendant l’élection d’une nouvelle législature, de proposer et de voter une révision
constitutionnelle alors qu’aucune circonstance particulière liée à l’intérêt général ne justifie cet empressement de dernières minutes.
Ceci est d’autant plus problématique et suspicieux que l’élection législative qui devrait permettre le renouvellement de l’hémicycle
et, partant la légitimité même de celle-ci, a été repoussée à maintes reprises à cause de cette révision constitutionnelle.
71 YOMBI (S. M.), « L’état de droit dans le renouveau démocratique en Afrique noire francophone », Revue RRC, n°002 / Octobre
2019, p. 1.
72 Ibidem, p. 1-2
73 Voir JACQUE (J.P.), Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, 11e éd., Paris, Dalloz, Les mémentos, 2016, p.11, cite
par YOMBI (S. M.), « L’état de droit dans le renouveau démocratique en Afrique noire francophone », op. cit., p. 2; voir aussi
HAMON (L.), « L’état de droit et son essence », RFDC, 1990/4, pp.699 et ss; DONFACK SOKENG (L.), « A la recherche de
l’état de droit. Notion. Acceptions. Application. », Communication au Colloque de la CIB, Yaoundé, Palais des Congrès, 07-12-
2016, p. 1 et s.
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est une norme impérative parce qu’elle comporte la formule d’une règle qui est
péremptoire par elle-même. Pour cela, elle organise des institutions, détermine des
compétences, formule des prohibitions, impose des obligations. À ce titre, pour
reprendre Henri Capitant, le respect de la Constitution est un impératif juridique
qui a vocation à être universel. Entendue comme patrimoine commun des États
modernes, la soumission à la loi fondamentale est requise à l’égard de l’ensemble
du corps social »74.
Sur les plateaux télés et sur les ondes des chaînes radios, les défenseurs de la réforme
constitutionnelle répondent aux critiques de l’opposition non parlementaire, qui
fustigent cette initiative, en paraphrasant la réponse du député André LAIGNEL, à
son collègue Jean FOYER, lors du débat sur la nationalisation, à l’Assemblée
nationale française, le 13 octobre 1981. À l’époque, la gauche venait d’arriver au
pouvoir avec MITTERRAND. Le débat faisait rage entre la majorité et l’opposition.
La droite soutenait que les nationalisations sont inconstitutionnelles et FOYER
défendait l’exception d’irrecevabilité. En réplique, LAIGNEL déclara : « Les
nationalisations sont-elles conformes à l’article 17 de la Déclaration des droits de
l’homme ? M. Foyer répond par la négative. C’est sa responsabilité. Mais, à ce
moment précis, son raisonnement bascule du juridique au politique. De ce fait, il a
juridiquement tort, car il est politiquement minoritaire ».
74 BITEG (A. G. E.), « L’obligation de respect de la Constitution dans le nouveau constitutionnalisme des États d’Afrique noire
francophone », Afrilex, octobre 2023, p. 1, disponible sur https://afrilex.u-bordeaux.fr/wp-
content/uploads/2023/10/Afrilex_Alain_Ghislain_Ewane_Biteg_Lobligation_de_respect_de_la_Constitution.pdf consulté le 09
avril 2024.
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Dans une démocratie qui se veut un État de droit76, le respect de la Constitution par
la majorité parlementaire ne peut pas être tributaire de la présence ou de l’absence
de l’opposition à l’Assemblée nationale. Non, il s’agit d’abord et avant tout d’un
devoir 77 et dont on ne peut se dérober en arguant l’absence ou le boycott des
élections par certains. La pensée de MENY n’est pourtant pas méconnue de certains
défenseurs de la réforme, à l’instar du professeur KPODAR qui, après l’avoir
rappelée78 précisait à juste titre : « au sens formel le constitutionnalisme est donc
cette adhésion à la Constitution comme loi fondamentale, particulièrement élaborée
en vue de limiter le pouvoir. Au sens substantiel, il recouvre une autre réalité selon
laquelle, cette norme fondamentale doit non seulement véhiculer une idée de droit
qui promette la réalisation du bonheur du peuple, mais également contenir des
mécanismes qui le réalisent effectivement, en limitant ce pouvoir. Le second devrait
être admis comme le baromètre à l’aune duquel il faudra mesurer la vitalité de la
démocratie »79 . Relevons qu’avant Yves MENY, la formule d’André LAIGNEL
avait été critiquée par Alexis TOCQUEVILLE qui l’a qualifiée de « tyrannie de la
majorité »80.
N’est-ce pas justement parce que le respect de la Constitution est un devoir et qu’il
faut éviter que la tyrannie n’impose son règne que notre constituant a pris le soin de
prescrire en son article 148 que :
75 MENY (Y.), In Dictionnaire constitutionnel, Paris, PUF, 1992, p. 213, cité par KPODAR (A.), « Bilan sur un demi-siècle de
constitutionnalisme en Afrique noire francophone », op. cit., p. 17.
76 Voir FAVOREU (L.), « De la démocratie à l'état de droit », Le Débat, 1991/2 (n° 64), p. 154-158; CHEVALLIER (J.), - « L’état
parlementaire : un contre-pouvoir politique saisi par le droit », Pouvoirs, 2010/2 (n° 133), p. 125-141.
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Il n’est pas surabondant de souligner que même s’il n’est pas surprenant qu’un texte
de loi soit voté tard la nuit dans un hémicycle, l’adoption d’une nouvelle constitution
par les représentants du peuple la nuit enlève à ce texte une partie non négligeable
de la solennité républicaine attendue en pareille matière dans un État démocratique.
Le 16 juin 1789, en France, n’est-ce pas la remarque de M. BIAUZAT, qui déclara :
« Messieurs, nous allons nous constituer. Un acte aussi important et aussi solennel
doit être fait en plein jour, avec tous les membres, en présence de la nation. Mes
sentiments vous sont connus, je déclare que je vote pour qu'on se constitue en
Assemblée nationale, non pas dans le moment actuel, mais demain je le signerai de
mon sang »84, qui entraina la levée de la séance ? Il s’agit là d’un fait assez évocateur
et révélateur de l’importance de la symbolique du moment où est censé intervenir
une décision de constitution.
81 KPODAR (A.), « Bilan sur un demi-siècle de constitutionnalisme en Afrique noire francophone », op. cit., p. 23.
82 Idem.
83 Idem.
84 GAULTIER DE BIAUZAT (J.-F.), Communes : ajournement de la décision de se constituer en Assemblée nationale, suite à une
remarque de M. de Biauzat, lors de la séance du 16 juin 1789. In Archives Parlementaires de 1787 à 1860 - Première série (1787-
1799), Tome VIII - Du 5 mai 1789 au 15 septembre 1789, Paris, Librairie Administrative P. Dupont, 1875. p. 126.
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Cette tournée, qui a lieu du 8 au 9 avril 202486, mobilise les chefs traditionnels et les
« groupes organisés » sur toute l’étendue du territoire, est une manœuvre visant à
masquer le déficit d’inclusion, de participation et de consultation du peuple en amont.
En paraphrasant HERMAN et CHOMSKY, auteurs de ‘‘La Fabrication du
consentement : De la propagande médiatique en démocratie’’, nous pourrions dire
que le régime de Faure E. GNASSINGBE conceptualise sur le tas et dans le vif, sous
le regard stupéfait de l’opposition, de la société civile (et particulièrement de la
jeunesse contestataire sur les réseaux sociaux), un modèle inédit de « fabrication du
consensus » pour tenter de rendre crédible un processus vicié en amont et décriée en
aval par une partie significative de la classe socio-politique avisée.
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et de façon sibylline, pour décourager les jeunes qui souhaiteraient manifester leur
mécontentement à son encontre.
87 Voir par exemple le communiqué du Garde des sceaux ministre de la justice et de la législation et du ministre de la sécurité et de
la protection civile, du 7 avril 2024, disponible sur https://icilome.com/2024/04/togo-modification-constitutionnelle-le-
gouvernement-met-en-garde-les-internautes-togolais/ consulté le 09 avril 2024. Voir aussi IciLomé.com, « Togo – Modification
constitutionnelle : Des forces de l’ordre empêchent une conférence de presse de l’opposition », https://icilome.com/2024/03/togo-
modification-constitutionnelle-des-forces-de-lordre-empechent-une-conference-de-presse-de-lopposition/ consulté le 10 avril
2024.
88 Voir Communiqué du Gouvernement togolais du 09 avril 2024, disponible sur https://icilome.com/2024/04/togo-maintien-des-
Lomé, dépités par ces manœuvres, ont fini par vider la salle dans leur grande
majorité, mettant fin par ricochet à la pseudo conférence débat »90.
Le 26 mars 2024, interrogé par certains concitoyen.ne.s sur le réseau social X (ex-
twitter) à propos de l’indisponibilité du texte officiel de la proposition de loi de
révision en question, le Ministère de la communication a répondu que « le texte
adopté sera mis à votre disposition une fois promulgué et publiée au journal officiel
de la République ». Or, sitôt après le vote d’une loi et avant même sa promulgation
par le président de la République, l’Assemblée nationale avait coutume de rendre
publics sur son site non seulement la loi adoptée, mais aussi le projet et la proposition,
l’exposé des motifs, le rapport au fond et les amendements. Le secret et la
confidentialité dont est entouré le texte proposé, discuté, adopté, appelé à une
nouvelle délibération, et qui fait l’objet de conférence-débat, d’émission, d’interview,
de tournée d’information et d’écoute auxquelles participent des ministres et
universitaires, qui affirment n’avoir pas vu le texte, est un marqueur du recul
démocratique et de l’état de droit dans notre pays.
90 Communiqué Réf. N°010/SEET/BE/P/SG/2024 de la Synergie des Élèves et Étudiants du Togo (SEET) relative à la tentation de
manipulation de l’opinion estudiantine en faveur d’un changement de constitution, 10 avril 2024.
91 AIVO (F. J.), « La crise de normativité de la Constitution en Afrique », RDP, N°1-2012, p. 166.
92 GBEOU-KPAYILE (N. G.), « L’idée de Constitution en Afrique noire francophone », op. cit., p. 26. Concernant la notion de
“rébellion du politique”, voir AHADZI-NONOU (K.), « Constitution, démocratie et pouvoir politique en Afrique », in La
constitution béninoise du 11 décembre 1990 : un modèle pour l’Afrique ? Mélanges en l’honneur de Maurice Ahanhanzo-Glélé,
L‟Harmattan, 2014, p. 70.
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Au fond, la finalité de toutes ces manœuvres est aussi d’éviter de soumettre le texte
au référendum alors qu’il s’agit d’une nouvelle constitution. Le professeur
KPODAR soulignait, à propos de cette technique, que « par cette pirouette,
caractéristique d’une inflation du réformisme constitutionnel, que les gouvernants
d’Afrique noire francophone, ont malheureusement dénaturé l’idée de droit
contenue dans la constitution, en ce qui concerne particulièrement la séparation des
pouvoirs »94.
Le professeur KPODAR avait bien mis en exergue cette technique qu’il qualifiait de
« pirouette »97 et qui consiste, entre autres, à utiliser le pouvoir de révision pour
aboutir subrepticement à l’écriture d’une nouvelle constitution (tout en écartant le
Italie, Allemagne, France», RDP 1943, pp. 116-151; KAMTO (M.), « Révision constitutionnelle ou écriture d’une nouvelle
constitution », Lex Lata, n° 023-024, février-mars 1996, pp. 17-20; OUEDRAOGO (S.-M.), La lutte contre la fraude à la
Constitution en Afrique noire francophone, Thèse de doctorat, Université Montesquieu-Bordeaux IV, 2011, p. 111 et s; voir aussi
ECK (L.), L’abus de droit en droit constitutionnel, Thèse de droit, Université Jean Moulin Lyon III, décembre, 2006 ; KAMTO
(M.), « Révision constitutionnelle ou écriture d’une nouvelle constitution », Lex Lata, n° 023-024, février-mars 1996, pp. 17-20 ;
LAVROFF (D-G.), « De l’abus des réformes : réflexions sur le révisionnisme constitutionnel », RFDC (HS n°2), 2008, p. 55 et s.
97 KPODAR (A.), « Bilan sur un demi-siècle de constitutionnalisme en Afrique noire francophone », préc.
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Peuple ou en se jouant de lui). Dans le cas qui nous concerne, il s’agit plus
précisément d’une manœuvre illicite que le professeur FALL nomme l’« évitement
frauduleux du référendum »98 à travers l’instrumentalisation du pouvoir de révision
constitutionnelle99 par le régime en place.
En effet, l’histoire enseigne que la coutume est la source primitive du droit103. Dans
notre contexte, le recours au référendum, en tant qu’instrument privilégié de la
démocratie directe104, constitue une véritable coutume constitutionnelle solidement
ancrée dans notre système constitutionnel. Certes, classiquement la notion de
98 FALL (I. M.), « La révision de la Constitution au Sénégal », Afrilex, disponible sur https://afrilex.u-bordeaux.fr/wp-
content/uploads/2021/03/La_revision_de_la_Constitution_au_Senegal_Ismaila.pdf consulté le 09 avril 2024.
99 DIALLO (I.), « Pour un examen minutieux de la question des révisions de la Constitution dans les États africains francophones
», op. cit., p. 8 et s.; voir aussi MELEDJE (D. F.), « La révision des constitutions africaines dans les États africains francophones.
Esquisse de bilan », RDP 1992, n° 1, p. 111 et s.; ATANGANA-AMOUGOU (J-L.), « Les révisions constitutionnelles dans le
nouveau constitutionnalisme africain », Politeia, n° 7, Printemps 2007, p. 583.
100 BEAUD (O.), « La souveraineté de l’Etat, le pouvoir constituant et le Traité de Maastricht », in Rev. fr. Droit adm., 9 (6), nov.-
déc. 1993, p. 1063, cite par DUMONT (H.), « Réflexions sur la légitimité du referendum constituent », in Variations sur l’éthique,
Hélène Ackermans, p. 338.
101 RIVERO (J.), « Introduction », in La participation directe du citoyen à la vie politique et administrative, Travaux des XIIe
Journées d’études juridiques Jean Dabin sous la direction de Francis Delpéréé, BRUYLANT, Bruxelles, 1986, p. 8.
102 LADRIERE (J.), « Le citoyen, le pouvoir politique et l’administration. Réflexions sur la démocratie », in La participation du
citoyen à la vie politique et administrative, Travaux des XIIe Journées d’études juridiques Jean Dabin sous la direction de Francis
Delpéréé, BRUYLANT, Bruxelles, 1986, p. 22.
103 MAGED (E. H.), La coutume constitutionnelle en droit public français, op. cit., p. 4.
104 CARRÉ DE MALBERG (R.), « Considérations théoriques sur la question de la combinaison du référendum avec le
105 MAGED (E.-H.), La coutume constitutionnelle en droit public français, Libr. Duchemin, A. Chauny et P. Quinsac, Paris, 1976,
p. 2-4 ; voir aussi GICQUEL (J.), Essai sur la pratique de la Ve République, 1968, p. 30 et ss.; VEDEL (G.), « Le droit, le fait, la
coutume », Le Monde, 27 juillet 1968 ; PRELOT (M.), « Sur une interprétation coutumière « de l'article 11 », Le Monda, 15 mars
1969 ; CHEVALLIER (J.), « La coutume et le droit constitutionnel français », RDP, 1970. p. 1413; CAPITANT (R.), « La coutume
constitutionnelle », RDP, 1979, p. 968 ; LEVY (D.), « De l’idée de coutume constitutionnelle à l’esquisse d’une théorie des sources
du droit constitutionnel et de leur sanction », in Mélanges Charles Eisenmann, Paris Cujas, 1975, pp. 81 et ss. ; TROPER (M.), «
Nécessité fait loi. Réflexions sur la coutume constitutionnelle », in Mélanges offerts au professeur Charlier, Paris, Éd. de
l’université et de l’enseignement moderne, Paris, 1981, p. 319.
106 Voir par ex. LAFERRIÈRE (J.), « La coutume constitutionnelle, son rôle et sa valeur en France », RDP, 1944, p. 23
107 LAINE (J.), Empirisme et conceptualisme en droit constitutionnel, Thèse de doctorat, Droit public, Université de Lille 2, 2011,
p. 74 ; voir aussi LAURANS (Y.), Recherches sur la catégorie juridique de Constitution et son adaptation aux mutations du droit
contemporain, Thèse de doctorat, Droit public, Université Nancy 2, 2009, p. 154.
108 LAINE (J.), Empirisme et conceptualisme en droit constitutionnel, op. cit., p. 122.
109 DUPRAT (J.-P.), « Le référendum constitutionnel dans un système français dominé par une logique représentative », RIDC.
Vol. 58 N°2, 2006, p. 558 ; voir aussi DUMONT (H.), « Réflexions sur la légitimité du referendum constituent », in Variations sur
l’éthique, Hélène Ackermans, p. 331 et s.
110 KPODAR (A.), « Bilan sur un demi-siècle de constitutionnalisme en Afrique noire francophone », op. cit., p. 17.
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111 HOUNAKE (K.), « La théorie Kelsenienne de la hiérarchie des normes juridiques à l’épreuve de la doctrine constitutionnaliste »,
Annales de l’Université Marien NGAOUBI, Sciences juridiques et politiques, Vo. 19, N° 2 – Année 2019, p. 148.
112 TRIMUA (C. E.), « L’idée républicaine de la constitution en Afrique francophone », Afrilex, p. 4, disponible https://afrilex.u-
bordeaux.fr/wp-content/uploads/2021/03/L_idee_republicaine_de_la_constitution_en_Afrique_franco_phone.pdf consulté le 10
avril 2024.
113 Ibidem, p. 10.
114 RIALS (S), « Réflexions sur la notion de coutume constitutionnelle: A propos du dixième anniversaire du referendum de 1969 »,
La Revue administrative, PUF, 32e Année, No. 189, Mai Juin 1979, p. 265.
115 Ibidem, p. 266.
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116 Journal officiel de la République togolaise, 6e année, n° 155, 13 avril 1961, p. 1 ; numéro spécial, n° 157, 17 avril 1961, p. 293.
117 Journal officiel de la République togolaise, 8e année, n° 220, 12 mai 1963, p. 305 ; n° 342 du 31 décembre 1966, p. 13.
118 Journal officiel de la République togolaise, 25e année, n° 2, 12 janvier 1980, p. 3 et 7-11.
119 Journal officiel de la République togolaise, 37e année, numéro spécial, n° 36, 19 octobre1992.
120 Un Histoire togolaise : 6 Juin 1991: Retour d'Eyadema d'Abuja, disponible sur Youtube,
https://www.youtube.com/watch?v=UAQMH43-7so consulté le 11 avril 2024.
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« Les juridictions constitutionnelles et la régulation des systèmes politiques en Afrique », in Mélanges en l’honneur de Jean Gicquel,
Constitutions et pouvoirs, Paris, Montchrestien, 2008, pp. 265-276.
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126 CONAC (G.), « Le juge dans la construction de l’Etat de droit en Afrique francophone », L’Etat de droit, Mélanges en l’honneur
de Guy Braibant, RFDA, 1996, p. 16 et s; SALAMI (A.I.), La protection de l’Etat de droit par les cours constitutionnelles africaines.
Analyse comparative des cas béninois, ivoirien, sénégalais et togolais, Thèse de doctorat, Droit public, Université de Tours, 2005.
127 KOKOROKO (D.), « L’apport de la jurisprudence constitutionnelle africaine à la consolidation des acquis démocratiques. Les
cas du Bénin, du Mali, du Sénégal et du Togo », RBSJA, n° 18, juin 2007, pp. 87-128.
128 MASSINA (P.), « Le juge constitutionnel africain francophone: entre politique et droit », RFDC, 2017/3 (N°111), pp. 641 à
670.
129 KPEDU (Y. A.), « La limitation du pouvoir constituant en Afrique francophone », RTSJ n°7, Janv.-Juin 2015, p. 165. Voir aussi
MASSINA (P.), « Le juge constitutionnel africain francophone: entre politique et droit », RFDC, 2017/3 (N°111), p. 668 ; l’auteur
souligne que : « lorsque la Constitution est intervenue dans des clivages politiques opposés, ou lorsque le pouvoir est aux mains
d’une autorité forte, le juge constitutionnel a du mal à faire preuve d’audace, comme pour ne pas gêner le pouvoir ».
130 KPODAR (A.), « Bilan sur un demi-siècle de constitutionnalisme en Afrique noire francophone », op. cit., p. 11-12; DIALLO
(I.), « A la recherche d’un modèle africain de justice constitutionnelle », Annuaire International de Justice Constitutionnelle, XX,
Economica, PUAM, Paris, 2004, pp. 93-120; SOGLOHOUN (C.P.T.), Le rôle du juge constitutionnel dans le processus de
démocratisation en Afrique. Les cas du Bénin, du Mali, du Sénégal et du Togo, Thèse de doctorat, Droit public, Université
d’Abomey-Calavi, 2011; HOUNAKE (K.), Les juridictions constitutionnelles dans les démocraties émergentes de l’Afrique noire
francophone : Les cas du Bénin, du Gabon, du Niger, du Sénégal et du Togo, Thèse de doctorat, Droit public, Université de Lomé,
2012.
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De l’illicéité de la révision constitutionnelle du 25 mars 2024 au Togo | Bibi Pacôme MOUGUE
africain. Celui-ci s'il connaît l'institution d'un primus inter pares parmi ses notables
au sein de la cour royale, n'admet pas l'idée d'un partage et d'un exercice concurrent
des pouvoirs exécutifs. Les propositions de régime parlementaire et leurs dérivés
était congénitalement déjà en échec face à cette conception des pouvoirs exécutifs
opposée à un bicéphalisme exécutif. Le premier ministre, par sa dépendance à
l'égard du Parlement, devenait une taupe parlementaire au sein de l'exécutif et
inaugurait ainsi une relation faite de conflictualité avec le Chef de l'Etat. De même
la soumission à l'élection et donc à une concurrence dont l'électeur était l'arbitre, et
non à une détermination intitu personae, introduisait un autre élément de
conflictualité entre le Chef de l'État et le premier ministre, mais également à l'égard
de toute prétention à l'élévation. La limitation recherchée du pouvoir du chef d’Etat
africain est dans un tel système une gageure »131.
TRIMUA (C. E.), « L’idée républicaine de la constitution en Afrique francophone », op. cit., p. 22.
131
132
BAWARA (G.), Intervention lors de la conférence débat organisée par le CACIT le 26 mai 2015, disponible sur la chaîne
YouTube du CACIT, https://www.youtube.com/watch?v=ByV_Yj4PooU consulté le 11 avril 2024.
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toute prise de position pourrait être interprétée en fonction des intérêts personnels,
égoïstes et divergents des protagonistes »133.
133 KOUPOKPA (E. T.), « Quel régime politique pour les états Africains : le cas du Togo », Afrika focus — Vol. 27, n° 1, 2014, p.
34.
134 KPODAR (A.), « Controverse doctrinale – MM. Dodzi KOKOROKO et Adama KPODAR : Le point de vue de M. Adama
de Constitution, n° 3-2009, pp. 1-20, cite par KPODAR (A.), « Controverse doctrinale – MM. Dodzi KOKOROKO et Adama
KPODAR : Le point de vue de M. Adama KPODAR », op. cit., p. 708.
137 KPODAR (A.), « Controverse doctrinale – MM. Dodzi KOKOROKO et Adama KPODAR : Le point de vue de M. Adama
KPODAR », préc.
138 Cour constitutionnelle du Bénin, Déc. DCC 11-067, 20 oct. 2011 relative à la Loi organique portant conditions de recours au
KOKOROKO », in 21 Ans de jurisprudence de la Cour constitutionnelle du Bénin (1991-2012), op. cit., p. 728.
140 SIEYES (E.), Qu’est-ce que le Tiers Etat ?, Champion, 1888, p.111, cite par KOKOROKO (D. K.), « Controverse doctrinale –
MM. Dodzi KOKOROKO et Adama KPODAR : Le point de vue de M. KOKOROKO », in 21 Ans de jurisprudence de la Cour
constitutionnelle du Bénin (1991-2012), op. cit., p. 722.
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Même si cela peut paraître décevant, notamment pour certains de leurs étudiants,
voir que des constitutionnalistes soutiennent cette réforme constitutionnelle illicite
n’est pas très surprenant. Les accointances entre les constitutionnalistes et le pouvoir
politique en Afrique sont connues et étudiées. Le professeur AIVO expliquait à ce
sujet que « les difficultés des constitutionnalistes au contact du pouvoir politique
tiennent principalement à deux facteurs. La doctrine est desservie par elle-même et
asservie par le politique. Elle est desservie par son accointance avec le pouvoir
politique, car cette promiscuité abolit sa distance axiologique d’avec celui-ci. Sûre
de son savoir, la doctrine s’insère imprudemment dans une relation privilégiée avec
le pouvoir politique dont elle ne maîtrise pas toujours l’irrationalité et les
contraintes. Une lecture goffmanienne de ce face-à-face suggère que, sous l’effet de
sirènes politiciennes, certains parmi ces « manieurs d’idées » baissent la garde à
l’égard du politique et s’exposent à la critique de la compromission »141.
Pour finir, on rappellera que, dans son article cité in limine, le professeur
KOKOROKO reconnaissait que « si on admet qu’on ne change pas les habitudes
politiques avec des mécanismes tous aussi sophistiqués que rudimentaires, redorer
la grandeur des textes constitutionnels passe indubitablement par une révolution des
141 AIVO (F.-J.), « Les constitutionnalistes et le pouvoir politique en Afrique », RFDC 2015/4 (N°104), Éditions PUF, p. 789.
142 Une saisine de cette Cour pourrait d’ailleurs être une occasion pour elle de faire évoluer son contrôle sur les lois de révisions
constitutionnelles. Pour quelques précédents et des analyses, voir par exemple : CJ-CEDEAO, Arrêt n°ECW/CCJ/JUD/06/10 du
18 novembre 2010, Affaire Hissein Habré c/République du Sénégal ; CJ-CEDEAO, Arrêt n°ECW/CCJ/APP/19/15, Affaire Congrès
pour la Démocratie et le Progrès (CDP) contre l’État du Burkina Faso, 13 juillet 2015 ; AKANDJI-KOMBÉ (J.-F.), « Le juge de
la CEDEAO et la révolution démocratique burkinabè. Brèves remarques préoccupées sur une décision inquiétante », Les notes de
l’IAM, 2015 ; OUEDRAOGO (Y.), « Retour sur une décision controversée : l’arrêt de la Cour de justice de la CEDEAO du 13
juillet 2015, CDP et autres c/ État du Burkina », Les annales de droit, n° 10, 2016, pp. 197-232.
143 Celle-ci se montre plus accueillante et disposée à procéder à un contrôle du pouvoir de révision. Voir CADH, Arrêt Tanganyika
Law Society et Legal and Human Rights Centre c. République-Unie de Tanzanie et (2) Reverend Christopher R. Mtikila c.
République-Unie de Tanzanie, 14 juin 2013, RJCA, vol 1, 2006-2016 ; ODINGA (A. D.), « La première décision au fond de la
Cour africaine des droits de l’homme et des peuples », RDH, n° 6, 2014 ; BOUKRIF (H.), « La Cour africaine des droits de l’homme
et des peuples : un organe judiciaire au service des droits de l’homme et des peuples en Afrique », RADIC, vol. 6, 1998, pp. 60-8 ;
NTOLO NZEKO (A. D.), « La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples et la Constitution », RFDC, n° 121, 2020 ;
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mentalités, mettant en jeu des institutions fortes »144. Peut-être qu’avant de mener
une révolution des mentalités pour redorer la grandeur du constitutionnalisme
togolais, les initiateurs et les défenseurs de la révision constitutionnelle en cours
devraient, après introspection, procéder à la catharsis de leur compromission.