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Il assigne d’abord aux pouvoirs publics ivoiriens de mettre en œuvre dans "les
meilleurs délais" un certain nombre de réformes dont il précise les orientations ;
elles concernent des législations politiquement sensibles, critiquées par
l’opposition et les rebelles, dont on considère qu’elles ont fortement contribué
au déclenchement de la crise, non pas tant, du moins pour certaines d’entre
elles, en raison de leur contenu que de leur méconnaissance et mauvaise
compréhension par les populations ainsi que de la réticence du pouvoir à les
appliquer.
Il convient de rendre compte des controverses auxquelles ont donné lieu les 7
conclusions de la table ronde et qui ont pour une large part dominé les négociations
et incidents qui ont suivi la signature de l’accord. Celles-ci n’ont pas véritablement
porté sur le contenu du programme défini à l’intention du futur gouvernement et du
Parlement ; sa mise en œuvre ne manquera pas de rencontrer des di ficultés, mais
elles ne sont pas nouvelles et ont déjà alimenté l’agenda politique de la Côte d’Ivoire
dans le passé et surtout elles ne surgiront que plus tard. Pour l’essentiel, les critiques
se sont focalisées sur la nature de l’accord, sur la constitutionnalité de ses dispositions,
sur les modalités de son application, et en définitive sur sa force obligatoire pour les
parties.
Le débat d’ordre juridique a été essentiellement, pour des raisons évidentes, lancé 8
par le président ivoirien et ses ministres – appuyés par un certain nombre de juristes
ivoiriens et étrangers comme en témoignent par exemple les déclarations d’un
porte-parole des juristes de Côte d’Ivoire publiées dans Fraternité Matin le 7 février
2003 ou le manifeste de quelques juristes français publié dans le même quotidien le
17 février 2003 – assurés de leur bon droit et ne voyant dans les événements qu’une
rébellion organisée contre un gouvernement constitutionnel régulièrement élu.
Deux séries de critiques furent adressées à l’accord : d’une part, il ne saurait engager 9
l’Etat ivoirien et son gouvernement faute pour ces derniers d’en avoir été signataires
– seuls les partis politiques l’ont été – ; d’autre part, il sou fre d’une faiblesse
rédhibitoire, celle d’être incompatible avec la Constitution et, s’il était appliqué,
d’entraîner des di ficultés insurmontables dans un Etat de droit. En première
analyse, il apparaît en e fet que plusieurs dispositions ne sont pas conformes à la
Constitution, dont il est pourtant rappelé que ses institutions doivent être
respectées : en réduisant les prérogatives présidentielles, elles vident de sa
signification la formule de l’article 41 de la Constitution selon laquelle le président de
la République est "le détenteur exclusif du pouvoir exécutif" ; quant au Parlement,
destinataire d’une véritable "feuille de route", il se trouve en quelque sorte investi
d’un mandant impératif condamné par la Constitution.
Ces arguments ne sont pas sans appeler eux-mêmes une réplique ; on pourrait 10
considérer que, moyennant l’adoption d’une approche compréhensive des textes, les
modifications recommandées par l’accord ne sont pas incompatibles avec la
Constitution, tant en ce qui concerne les délégations consenties que la nomination
du Premier ministre. Les constitutionnalistes reconnaissent l’existence de plusieurs
lectures de la Constitution ou la possibilité de voir s’établir des "conventions de la
Constitution" ; ils savent utiliser le principe d’interprétation de l’e fet utile pour
donner leur sens aux textes, les rendre compatibles et assurer la cohérence dans leur
application. Le texte issu de la table ronde de Marcoussis peut se comprendre
comme une grille d’interprétation des dispositions concernées de la loi
fondamentale de 2000.
Il reste, cependant, que cet exercice de juristes, quels que soient le talent et la
capacité d’imagination de ces derniers, se heurte à des limites qui épuisent les
vertus de sa poursuite sur le plan politique.
Elles tiennent au fait que l’accord de Marcoussis définit en réalité une nouvelle
Constitution et que son objectif est précisément de réviser le dispositif institutionnel
et de contenir des recommandations nouvelles non conformes à celle toujours en
vigueur. Sur le plan strictement juridique, la conciliation des deux textes passe par…
la révision de la Constitution de la Côte d’Ivoire ; cela suppose, outre une volonté
politique, l’obtention de l’accord du Parlement et, pour certaines réformes,
l’organisation d’un référendum, di ficile à envisager dans la situation actuelle d’un
pays en crise. En l’absence de telles modifications de la Constitution et de toute
possibilité de sanctions juridiques organisées, ne subsiste que celle de la Cour
constitutionnelle en place qui, quelles que soient ses possibilités d interprétation, ne
peut statuer qu’au regard du texte fondamental existant. On devine les di ficultés à
venir ; il su fit d’imaginer, par exemple, le cas où le Premier ministre de consensus
déciderait de se porter candidat à la future élection présidentielle, passant outre
l’interdiction qui lui en est faite par l’accord…
On ne saurait aller plus loin dans l’examen des controverses juridiques, en définitive 11
sans issue ; les arguments échangés combinent, selon les protagonistes, la lettre et
l’esprit de la Constitution, la lettre et l’esprit de l’accord, l’analyse formelle et
exégétique et l’analyse compréhensive et téléogénique. En toute hypothèse, aucune
des approches ne permet de résoudre la question essentielle de l’intégration d’un
accord, dont on attend que les dispositions soient respectées, dans un ordre
juridique existant et qui doit être modifié, sans pouvoir suivre les procédures
prévues à cet e fet…
Ces questions méritent au moins d’être posées à une époque d’interrogations sur la
portée des changements constitutionnels opérés depuis le début des années 1990
dans le sens du respect en toute circonstance des règles et des sources du droit. La
présence de "gouvernements constitutionnels" considérés comme illégitimes, soit
"par la naissance", en raison par exemple de manipulations électorales sauvegardant
les apparences, soit en cours d’exercice de leurs mandats, ouvre aujourd’hui un
débat, ancien, qui oppose légalité et légitimité et qui surgit parce que l’on dissocie ou
que se dissocient l’une et l’autre.
Depuis quelques années, on observe une tendance où, pour justifier le non-respect 13
des règles constitutionnelles, fondé sur des motifs jugés légitimes, on en vient à
proposer un nouveau droit constitutionnel, comme cela avait été fait dans le passé à
propos du droit à l’insurrection et à la désobéissance civile. On demande au droit,
quitte à le "revisiter" ou à en modifier la nature et les principes fondamentaux, les
moyens de surmonter la contradiction, nouvelle, consistant à remettre en cause, en
dehors des procédures légales et des règles constitutionnelles d’essence
démocratique, des gouvernants désignés conformément aux dispositions textuelles
dont l’Etat de droit impose le respect, quitte à faire perdurer des régimes éloignés et
s’éloignant des valeurs démocratiques. Ce fut un des arguments souvent employés
lors de la dernière crise malgache. On connaît les impasses de l’alternative ainsi
posée et les dangers de constructions juridiques e fectuées à partir des périodes de
crise ; pour justifier les solutions ivoiriennes n’a-t-on pas invoqué l’existence d’"un
droit public de circonstances" ? Le risque est alors grand de voir se développer, pour
résoudre cette di ficulté, des théories consacrant des conceptions loues et
subjectives de la légalité et amoindrissant le rôle du droit constitutionnel en tant que
norme fondamentale et obligatoire, dans la réalité comme dans l’imaginaire des
populations, des élus et des autres acteurs du jeu politique.
Dans ces conditions, il reste au droit et aux juristes à reconnaître, plutôt que de se 14
livrer à une course poursuite avec les faits, vouée à l’échec, qu’ils rencontrent des
bornes, que tout ne saurait se régler en pure logique du droit et sur son seul terrain,
et qu’il est des épisodes, souvent les plus dramatiques, de la vie politique qui leur
échappent. Si leur objet est juridique, l’accord de Marcoussis comme ses homologues
sont d’abord des accords politiques dont la force ne tient que par la volonté et le
consensus de leurs auteurs et de ceux qui ont facilité sa conclusion Mais c’est en fin
de compte au droit que reviendra le dernier mot lorsque la situation de non-droit et
la crise à la résolution de laquelle il peut contribuer seront surmontées et que sera
venu, revenu, le temps des accords juridiques à contenu politique.
L’accord de Linas-Marcoussis
Nous reproduisons ci-dessous le texte intégral de l’Accord de Marcoussis du 24 janvier 2003 15
entre di férentes parties au con lit intérieur ivoirien et son annexe, tels que publiés par le
ministère français des A faires étrangères (notamment sur le site internet http:// www.
diplomatie. gouv. fr).
b- Il préparera les échéances électorales aux fins d'avoir des élections crédibles et 21
transparentes et en fixera les dates.
g- Afin de contribuer à rétablir la sécurité des personnes et des biens sur l'ensemble 26
du territoire national, le gouvernement de réconciliation nationale organisera le
regroupement des forces en présence puis leur désarmement. Il s'assurera qu'aucun
mercenaire ne séjourne plus sur le territoire national.
4) La Table Ronde décide de la mise en place d'un comité de suivi de l'application des 29
accords de Paris sur la Côte d'Ivoire chargé d'assurer le respect des engagements
pris. Ce comité saisira les instances nationales, régionales et internationales de tous
les cas d'obstruction ou de défaillance dans la mise en œuvre des accords afin que les
mesures de redressement appropriées soient prises.
La Table Ronde recommande à la Conférence de Chefs d'Etat que le comité de suivi 30
soit établi à Abidjan et composé des représentants des pays et des organisations
appelés à garantir l'exécution des accords de Paris, notamment
le représentant de la France 38
1) La Table Ronde estime que la loi 61-415 du 14 décembre 1961 portant code de la 54
nationalité ivoirienne modifiée par la loi 72-852 du 21 décembre 1972, fondée sur une
complémentarité entre le droit du sang et le droit du sol, et qui comporte des
dispositions ouvertes en matière de naturalisation par un acte des pouvoirs publics,
constitue un texte libéral et bien rédigé.
La Table Ronde a constaté une di ficulté juridique certaine à appliquer les articles 6 56
et 7 du code de la nationalité. Cette di ficulté est aggravée par le fait que, dans la
pratique, le certificat de nationalité n'est valable que pendant 3 mois et que,
l'impétrant doit chaque fois faire la preuve de sa nationalité en produisant certaines
pièces. Toutefois, le code a été appliqué jusqu'à maintenant.
c. La Table Ronde demande par ailleurs à tous les Etats membres de la CEDEAO de 66
ratifier dans les meilleurs délais les protocoles existant relatifs à la libre circulation
des personnes et des biens, de pratiquer une coopération renforcée dans la maîtrise
des lux migratoires, de respecter les droits fondamentaux des immigrants et de
diversifier les pôles de développement. Ces actions pourront être mises en œuvre
avec le soutien des partenaires de développement internationaux.
1) La Table Ronde estime que la loi 2000-514 du 1er août 2000 portant Code électoral 68
ne soulève pas de di ficultés et s'inscrit dans le cadre d'un processus d'amélioration
des textes et que la loi 2001-634 du 9 janvier 2001 portant création de la Commission
Electorale Indépendante constitue un progrès significatif pour l'organisation
d'élections transparentes.
Le Président de la République est élu pour cinq ans au su frage universel direct. Il n 77
'est rééligible qu’une fois.
Le candidat doit jouir de ses droits civils et politiques et être âgé de trente-cinq ans 78
au moins. Il doit être exclusivement de nationalité ivoirienne né de père ou de mère
Ivoirien d'origine.
1) La Table Ronde estime que la loi 98-750 du 23 décembre 1998 relative au domaine 82
foncier rural votée à l'unanimité par l'Assemblée nationale constitue un texte de
référence dans un domaine juridiquement délicat et économiquement crucial.
1) La Table Ronde condamne les incitations à la haine et à la xénophobie qui ont été 87
propagées par certains médias.
Notes
[1] Voir R. Decottignies, "Les nouvelles nationalités africaines", Penant, Revue de droit
des pays d’Afrique, 1964, p. 10 ; Ouraga Obou, Requiem pour un code électoral, Temps
nouveau, Abidjan, Presses de l’université de la Côte d’Ivoire (PUCI), 2000 ;
"Manifeste des intellectuels ivoiriens", présenté à la rencontre des intellectuels
africains pour la paix, Cotonou, 20-23 décembre 2002.
[2] Jean-Pierre Chauveau, "La question foncière en Côte d’Ivoire et le coup d’Etat",
Politique africaine, n° 7, 2000.
[3] Fanny Pigeaud, "Qui peut être candidat à la présidence de la République ?", L’Autre
Afrique, n° 6, 2001.
[4] Interview à la télévision Première Chaîne publié dans La Voie du 30 janvier 2003.
[8] Accord du 8 mars 2003 présenté dans Marchés tropicaux, 14 mars 2003.
[9] Ouraga Obou, Requiem pour un code électoral, op. cit. [1], p.29.
Résumé
Auteur
Jean du Bois de Gaudusson
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