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Introduction générale :

Déjà les romains croyaient au principe sacro-saint, pacta sunt servanda1,une


expression qui constituait une maxime d’ordre moral mais n’était pas véritablement un
principe juridique ; puis cette règle qui formait la force obligatoire du contrat va réapparaître
au grand jour avec le Code civil français par une loi du 21 mars 1804. En effet,cette règle est
consacrée par le Code napoléon à l’article 1134 qui est la première source du D.O.C2. De nos
jours ce principe est consacré par des dispositions codifiées, c’est le cas de l’article 230 du
D.O.C,le prétendu principe qui s’est développé dans le cadre des rapports contractuels est
devenu par la suite l’un des piliersdu droit marocain des contrats3.

Le D.O.C marocain adopté par le Dahir du 12 août 1913 constitue alors, le siége des
règles régissant les principaux contrats que se soiten matière de droit privé ou en droit
administratif4 ;se procurer des biens pour son usage personnel, ou sa profession, est un
besoin que l’homme a ressenti de tout temps ;le droit adû, très tôt, lui donner les moyens d’y
5
pourvoir :cela s’est fait par le biais de contrats .

Le contrat est un accord entre deux ou plusieurs personnes, auquel la loi donne force
juridique en sanctionnant les engagements qu’il inclut. Le contrat est, sans doute, le
phénomène juridique le plus notable de la période contemporaine. Autrefois réservé à
certaines personnes « les commerçants entre autres », il s’est progressivement étendu à de
nouvelles catégories économiques et sociales notamment les salariés, et les entreprises.

1
Le mot pactum venant du latin pascisco qui signifie passer un contrat, un accord, un pacte, un traité…et les
mots sunt servanda sont la conjugaison latine du verbe servo mis à l’adjectif verbal, ce qui correspond à
l’obligation au passif. L’expression pouvant être traduite de la manière suivante :les pactes devant être observés,
tenus ou encore respectés, c’est le respect de la parole donnée. Le respect de la parole donnée est devenu le socle
de la matière contractuelle. Voir sur ce point Whitton J.B., « La règle Pacta sunt servanda », Académie de droit
international. Recueil des cours, tome III, 1934,p.165 à 167.
ٙ‫ب ف‬ٛ‫م صثهٕو انضعاؿبد انؼه‬ُٛ‫عؿبنخ ن‬،‫خ انؼمض‬ٚ‫ َظغ‬ٙ‫ أؿـّ ٔيظبْغِ ف‬:‫ ػٕء لبٌَٕ االنزؼايبد ٔانؼمٕص‬ٙ‫ ؿهطبٌ االعاصح ف‬،‫خ‬ٛ‫ اَظغ يذًض شه‬-
.‫ ٔيبثؼضْب‬74.‫ ص‬،1983 ،‫ جبيؼخ يذًض انشبيؾ انغثبؽ‬،‫انمبٌَٕ انشبص‬
2
Le Code des obligations et des contrats, publié au B.O. n°46 du 12 septembre 1913,pp :78-172.
3
L’environnement du droit marocain est traversé par des mutations profondes en matière de réformes juridiques
depuis 1913 , dans le souci de donner plus de sécurité juridique aux parties contractuelles et d’améliorer le
fonctionnement de la justice et de simplifier la procédure au niveau des tribunaux de commerce,tribunaux
administratifs et autres juridictions.
4
On distingue d’une part les règles du droit privé qui sont applicables aux principaux contrats qui trouvent leur
siège dans le D.O.C et les dispositions particulières qui sont fixées par le droit spécial des contrats (le droit
commercial- le droit de la concurrence- le droit de la consommation- le droit bancaire -le droit d’assurance - le
droit des sociétés Ŕle droit de travail..),et d’autre part les règles qui organisent aussi bien les relations
contractuelles passées par l’administration publique pour la satisfaction des besoins d’intérêt général .Ces règles
relèvent du droit public et en particulier du droit administratif, constituées par des textes législatifs et
réglementaires.
5
Jaques Ghestin, la formation du contrat ,3e éd.1993,p.39 ;Saad Moummi,Droit civil, éd El Badii,2000,19 et s.
1
L’extension quantitative du phénomène contractuel est remarquable, du point de vue
qualitatif, l’évolution est encore marquante ; les contrats se sont considérablement diversifiés,
alors qu’en XIX siècle on dénombrait plusieurs types de contrat6.De meme, on recense
plusieurs sortes de contrat de transport7…De surcroît, de nouveaux contrats sont apparus
notamment le contrat de crédit -bail, franchisage..etc.

L’administration elle-même recourt de plus en plus à la technique du contrat


8
notamment les contrats de programme, de plan d’aménagement, ces contrats sont qualifiés
d’administratifs, il s’agit des contrats dotés d’une nature de droit public. En cela, ils
s’opposent aux contrats de droit privé. Cette opposition s’explique aussi bien dans le cadre du
droit marocain que français par l’existence d’un principe de dualité des juridictions qui
conduit à se poser la question de la nature d’un acte pour déterminer le juge compétent en cas
de litige et par conséquent le droit qui lui est applicable. Les contrats administratifs relèvent
ainsi de la compétence du juge administratif, alors que les contrats de droit privé relèvent de
9
la compétence du juge judiciaire .

Les contrats administratifs revêtent une importance déterminante pour la puissance


publique, en particulier en tant que moyen de ses interventions dans l’économie. Cette
importance se mesure, d’une part, au nombre des contrats passés quotidiennement par les
administrations nationales ou locales10.Cette importance se mesure également sur le plan
qualitatif.

Ainsi,l’usage du contrat est devenu si fréquent qu’il a profondément transformé les


méthodes de l’administration elle-même, à tel point qu’il est désormais convenu de parler
d’« administration contractuelle » pour designer une nouvelle forme de gestion des intérêts
collectifs, moins autoritaire et plus consensuelle11.Cela ne signifie pas pour autant que
l’administration recourt systématiquement aux contrats, un grand nombre de ses actes restent
fondamentalement des actes administratifs unilatéraux.

6
Il s’agit du contrat de vente civile, vente commerciale, vente nationale ou vente internationale.
7
Contrat de transport routier, contrat de transport ferroviaire, contrat de transport maritime, contrat de transport
aérien, contrat de transport fluvial.
8
Philippe Delebecque, Fréderic-Jérôme Pansier « droit des obligations : contrat et quasi-contrat », éd Lexis
Nexis, 4éme édition, 2006,paris, p.9.
9
Christophe Guettier « droit des contrats administratifs », », éd .presses universitaires de France,2émé édition,
2008,p.1.
10
Voir. M.GuibaL ET L.Rapp. « contrat des collectivités locales », Ed .F. Lefebvre,1995,p.94 et s.
11
Christophe Guettier ,op, cit, p 1et s.
2
Le phénomène contractuel comme instrument de l’action des personnes publiques
s’est constamment développé tout au long du XXe siècle, et certains catalogues dressés par
la doctrine au début des années 1980 attestent la variété du recours à ce procédé avant l’essor
12
de la décentralisation .

La notion générale du contrat ne peut être, que la même en droit public et en droit
privé. Si tel n’était pas le cas, on voit mal comment il serait possible d’identifier le
contrat dans l’une ou l’autre branche du droit. Que la notion soit identique n’implique
cependant pas que des régimes juridiques le soient : le contrat administratif est régi par des
règles particulières dont les plusimportantes sont caractérisées par l’inégalité des parties, sous
13
prétexte de préserver l’intérêt général .

Ainsi, la technique contractuelle repose sur un accord de volonté, entre deux ou


plusieurs parties, destiné à produire des effets de droit. Le contrat fait la loi des parties. Il
s’impose à elles, il n’est applicable qu’à elles, le problème principal posé par le recours
fréquent à la technique contractuelle concerne la qualification juridique des procédures
employées. S’agit-il d’un simple aménagement de l’action unilatérale ou d’un contrat
véritable ? Ce qui revient à se demander si les contrats administratifs sont vraiment des
contrats, puisque la notion de contrat suppose la création de droits et d’obligations14.

En droit privé, les éléments constitutifs du contrat sont édictés par l’article 2 du
D.O.C et l’article 1108 du code civil français ; il s’agit de la capacité de s’obliger, l’échange
des consentements des parties qui se manifeste à travers une déclaration valable de volonté
portant sur les éléments essentiels de l’obligation, d’un objet certain pouvant former objet de
l’obligation et d’une cause licite de s’obliger15.

Il est traditionnellement admis, tant par la doctrine que par la jurisprudence, que quatre
conditions constituent les conditions de formation de tous les contrats privés et publics, bien
que ces derniers soient soumis, au surplus, à des règles de fond spéciales pour être qualifiés de
contrats administratifs16.Au Ŕdelà des éléments constitutifs du contrat, la doctrine civiliste a
depuis longtemps dégagé un certain nombre de classifications des contrats ; ces classifications

12
Voir.A.de Laubadéle ,F. Moderne et P .Delvolvé,« traité des contrats administratifs.1,2e éd.,LGDJ ,1983,p.244
13
Nicolas Fouilleul, Le contrat administratif électronique,éd presses universitaires d’aix-marseille,t.1,2007,p.24.
-Voir sur le sujet,Boiteau (C1.), « contrats administratifs »,J.C1.Administratif, vol.8,fasc.605,pp.1-7.
14
Nicolas Fouilleul, Op, Cit, p.25.
15
Voir. L’article 2 du D.O.C.
16
Une des parties doit en principe être une personne publique, et le contrat doit être en relation avec une activité
publique.
3
sont bien connues et plusieurs d’entre elles sont consacrées par le D.O.C et le code civil
napoléon . Elles font, essentiellement, partie de la théorie générale du contrat, car elles
reposent sur une analyse de l’acte contractuel envisagé dans ses éléments substantiels. Il en
résulte que ces classifications sont applicables aux contrats de l’administration et, parmi ceux-
ci, aux contrats administratifs comme aux contrats de droit privé.

Ainsi, les définitions auxquelles elles donnent lieu ne peuvent, par ailleurs, être
qu’identiques17.Les seules particularités que l’on puisse relever sont d’une part, que certaines
catégories peuvent se rencontrer, en fait, plus fréquemment ou, au contraire, moins
fréquemment dans les contrats administratifs que dans les contrats entre particuliers et
,d’autres part, que certaines règles de fond applicables en droit civil à telle ou telle catégorie
peuvent ne pas l’être en droit administratif ; cela peut rendre différente l’importance même de
ces classifications18.

Le contrat administratif étant, par définition, conclu en vue d’un service public19.La
position des parties dans le contrat n’est pas cette position strictement égalitaire qui définit
les rapports des particuliers dans les contrats civils20. Le contrat administratif proprement dit,
suppose essentiellement deux contractants qui se reconnaissent placés sur un pied d’égalité :
l’un représente l’intérêt général, le service public, l’autre l’intérêt privé du contractant 21. La
primauté de l’intérêt général, la continuité du service public, telles sont essentiellement les
idées qui impriment au contrat administratif son particularisme. Mais c’est dans les
prérogatives reconnues à apercevoir la manifestation.

Le particularisme juridique du contrat administratif conduit à se demander si, malgré


leurs caractères profondément originaux, les contrats administratifs demeurent bien de
véritables contrats.
17
On se contentera de rappeler ici les principales :1 .la distinction des contrats synallagmatiques et des contrats
unilatéraux trouve application dans les contrats administratifs comme dans les contrats civils .Le contrat est
synallagmatique lorsque les contractants s’engagent réciproquement l’un envers l’autre, unilatéral lorsqu’il ne
fait naitre d’engagements qu’à la charge de l’un des deux. La définition est naturellement la même dans le droit
administratif, et celui-ci connait des exemples dans chacune des deux catégories : les marchés fournissent, entre
autres, une illustration de la première ; les offres de concours, du moins la plupart d’entre elles, constituent
certainement l’application la plus typique de la notion du contrat administratif unilatéral.2.De même ,les
contrats administratifs peuvent être des contrats à titre onéreux ,lorsque chacune des parties reçoit un avantage
qui est la contrepartie de celui qu’elle procure à l’autre, ou des contrats à titre gratuit, lorsqu’une des parties
procure à l’autre un avantage sans rien recevoir en échange.
18
Nicolas Fouilleul, Op, Cit, p.26.
19
Même s’il demeure, aujourd’hui, excessivement délicat de se risquer à donner une définition de la notion de
service public, on s’accordera, à tout le moins, à reconnaitre que ,dans une conception fonctionnelle, il s’agit
d’un « service répondant à un besoin éprouvé par la population et auquel les pouvoirs publics reconnaissent une
dimension d’intérêt général ,au point d’y pouvoir ».
20
Nicolas Fouilleul,Op, Cit, p.26 et s.
21
Jéze Gaston, « les principes généraux du droit administratif », Paris Tome 3,3éme éd, 1926, p.279.
4
De l’avis de la doctrine majoritaire, il convient de répondre par l’affirmative à cette
question : les contrats administratives sont bien des contrats .Les raisons que l’on pourrait
avoir d’en douter tiennent, d’une part, aux modes de conclusion de ces contrats, qui,
comportant en général une rédaction unilatérale et préalable par l’administration, paraissent
exclure la libre détermination des clauses contractuelles par les contractants et, d’autre part
,aux règles d’exécution de ces contrats, qui, comportant entre les mains de l’administration
contractante certains pouvoirs exorbitants d’intervention et même de modification unilatérale
des stipulations contractuelles, paraissent mettre en échec le principe selon lequel le contrat
fait la loi des parties. En effet, c’est à propos du pouvoir de modification unilatérale du
contrat par l’autorité administrative qu’un auteur a posé la question : « les contrats
administratifs tiennent-ils lieu de loi à l’administration ? »22.Selon cet auteur si
l’administration a le pouvoir de modification unilatéral, il faut en déduire que les contrats
administratifs ne tiennent pas « lieu de loi » à l’une des parties, ce qui amène logiquement à
douter du caractère obligatoire de ce contrat23.Jean L’Huillier concluait, cependant, à
l’inexistence du pouvoir de modification unilatérale, ce dont on déduisait que le principe
fondamental du droit des contrats s’applique bien aux contrats administratifs. Mais, dans la
jurisprudence actuelle, on le verra, l’existence du pouvoir de modification unilatérale est
expressément admise24 .La question reste donc posée. Elle l’avait déjà été, avant L’huillier,
par Georges Péquignot qui relevait que « la théorie de la mutabilité suggère un doute envers
le contrat administratif ».

Ce doute se retrouve dans la conclusion de la thèse de ce dernier : « si le contrat


administratif est un acte volontaire (…) la volonté dont il est issu n’a pas entièrement le
caractère de la volonté contractuelle »25.L’auteur estime que le contrat administratif donne

22
L’Huillier (J.), « les contrats administratifs tiennent-ils lieu de loi à l’administration? », 1953, chron, p 87et s
23
Certains auteurs, Drago en tété, vont même jusqu’à réclamer le transfert de l’ensemble du contentieux des
contrats publics à la juridiction judiciaire. Cf. en ce sens, Drago (R.), « paradoxes sur les contrats
administratifs »,in Etudes offertes Flour, Defrénois,1979,p151.
24
Le pouvoir de modification unilatérale du contrat déroge au principe civiliste selon lequel le contrat est la loi
des parties .Il s’agit de l’une des principales manifestations du pouvoir exorbitant qui est accordé à
l’administration dans le cadre des contrats.La justification théorique de ce pouvoir se trouve dans la notion
d’intérêt général qui est en principe poursuivi chaque fois que l’administration conclu un contrat.Or l’intérêt
général est une notion évolutive si l’intérêt général évolue,le contrat devra également évoluer.Le CE dans un
arrêt du 02/02/83,union des transports urbains et régionaux,considére que le pouvoir de modification unilatérale
« est une régle générale applicable au contrat administratif ».En d’autres termes,l’administration peut exercer ce
pouvoir même s’il n’est pas prévu dans les stipulations du contrat.L’existance de ce principe n’empêche pas les
parties d’aménager dans le contrat les conditions dans lesquelles la personne publique contractante pourra
utiliser ce pouvoir de modification.
25
PEQUIGNOT (G.), « théorie générale du contrat administratif », Paris, Pedone, 1945, p.606.
5
naissance à une situation intermédiaire entre la situation purement contractuelle et la situation
statutaire.

Ces remises en cause prennent leur source dans la conception selon laquelle le contrat
tire sa force obligatoire du principe d’autonomie de la volonté : les obligations sont fondées
sur la rencontre de deux volontés égales et, si l’une des deux volontés peut les remettre en
cause, tout le mécanisme est faussé. Mais d’autres conceptions de la force obligatoire du
contrat qui font notamment appel aux idées de but et d’équilibre des intérêts en présence,
peuvent être admises. Il en résulte que la remise en cause de l’autonomie de la volonté
n’équivaut pas à une remise en cause du contrat. Et il apparait bien que si le contrat
administratif n’est pas un contrat égalitaire (les deux parties n’y sont pas placées sur un pied
d’égalité en ce qui concerne le principe de l’intangibilité des effets du contrat), cela ne
signifie pas que l’administration ne soit pas liée par le contrat, que celui-ci ne soit pas force
obligatoire pour elle. Le pouvoir de modification dont elle dispose ne peut exercer en effet
que dans des conditions et en vue d’un but précis26.Il n’est pas synonyme de faculté pour
l’administration de soustraire aux obligations qu’elle a librement consenties27.

En un mot, écrivait André de Laubadére,« le pouvoir modificateur de l’administration


constitue (…) une dérogation certaine au principe de l’immutabilité des clauses
contractuelles ;il ne constitue nullement la négation de la force obligatoire du contrat à l’égard
de l’administration »28.Même si l’équilibre des droits et obligations résultant du contrat
administratif ne procède pas entièrement de la volonté des parties, il n’en demeure pas moins,
selon le professeur Laurent Richer, que « cette volonté reste fondamentale, quelle que soit
l’importance des notions de service public et d’intérêt général ;c’est à l’intention des parties
que le juge se réfère le plus souvent pour déterminer le contenu des obligations et il est
certain que, dans la pratique, les parties à un contrat administratif perçoivent bien celui-ci
comme un contrat qui lie au même titre qu’un contrat de droit privé »29.Le contrat

26
Il constitue un moyen pour l’administration de réaliser l’adaptation du contrat aux exigences de l’intérêt
général.
27
En dehors des cas ou l’administration a pu user dans des conditions légitimes de son pouvoir modificateur, ses
manquements à ses obligations contractuelles sont sanctionnés par le juge comme violation des contrats et
engagent sa responsabilité.
28
LAUBADERE (A.de), Traité théorique et pratique des contrats administratifs, Paris, LGDJ ,3éme vol, 1996 ;
l’ouvrage mis à jour par F.MODERNE ETP. DEVOLVE, a été réédité en 2 volumes, t. I, 1983,t,
II ,1984.Cf.2également sur ce sujet, LAUBADERE (A.de), « du pouvoir de l’administration d’imposer
unilatéralement des changements aux dispositions des contrats administratifs »,RDP,1954,p.36 et s.
29
RICHER (L.),droit des contrats administratif, Paris, LGDJ ,5éme éd,2006,p.40-41.
6
administratif est en somme un « accord de volontés entre deux personnes inégales »30.le droit
positif confirme cette allégation31.

Alors, il ne faut pas s’en laisser accroire. Le contrat a beau être un des « des piliers
du droit »32, ce pilier repose sur des fondations qui bougent de plus en plus tellement que
l’édifice se lézarde au point de menacer ruine ; et puis la loi n’est pas tout le droit33. Mais,
cela aussi a été écrit !

Le contrat est donc un concept à géométrie variable 34 qui depuis quelques temps a
pris dans tous les pays une place prépondérante dans l’organisation de la société, qu’il
s’agisse des relations publiques ou privées. Le phénomène de la contractualisation du droit
n’est pas si récent, mais certainement l’un des points de rencontre des différents systèmes, il
consiste à déplacer le centre de l’organisation de la société de la loi vers le contrat. La part des
liens prescrits diminue au profit des liens consentis. On glisse du droit imposé au droit
librement négocié35.

Or ,il a déjà écrit que le contrat, aujourd’hui, n’est plus celui qu’il était hier, en
1804.Il a minutieusement décrit, par le détail, ces phénomènes de multiplication et de
spécialisation des contrats ,de socialisation, de collectivisation, de publication des contrats,
d’agglomération des contrats en groupe, chaines ou ensemble, plus ou moins dépendants, plus
ou moins complexes. Cela fait déjà quelques décennies qu’on a dit des contrats qu’ils
devenaient imposés, dirigés, forcés ; on a même parlé de contrat légal36.

Ainsi, bien qu’il ait survécu à tous les régimes politiques, le droit privé, le droit public
et le droit des obligations en particulier, ont subi bien des transformations. Le législateur,
devenu sensible aux besoins sociaux, soumet les relations contractuelles à une
réglementation croissante. On assiste à l’encadrement croissant des relations contractuelles et

30
L’expression est de Marcel WALINE cité par LICHERE (F.), droit des contrats publics,
L.G.D.J.1974,Tome2 p.13.
31 Les règles de prévalence de la responsabilité contractuelle sur les autres régimes de responsabilité, les règles
d’irrecevabilité du recours pour excès de pouvoir contre les contrats, d’absence de contrôle des clauses
contractuelles par le juge de cassation sont d’autant de preuves de la nature contractuelle des contrats
administratifs.
32
Selon l’expression de M. le Doyen Carbonier :flexible droit (texte pour une sociologie du droit sans
rigueur),L.G.D.J,5 éd.1983,368p,spéc.p.253 à 283.
33
Loic Cadiet, le droit contemporain des contrats :bilan et perspectives ,éd, economica, Paris,1987,p 8.
34
Le comparatiste sait qu’il existe une approche économique du contrat, une approche sociologique, une
approche individualiste, moraliste, solidariste, qu’on peut appliquer l’analyse économique du droit.
35
Voir dans ce sens art. Camille JAUFFRET-SPINOSI,prof. Emérite à l’Université Panthéon-Assas ,Paris II ,le
contrat ,p. 3 et s.
36
L. Josserand, les dernières étapes du dirigisme contractuel : le contrat forcé et le contrat légal,
D.H.1940,chron.,p.5ets.
7
au déclin du principe de l’autonomie de la volonté. Le législateur est intervenu pour
réglementer les contrats spéciaux. Devant une telle prolifération de contrat spécial, la doctrine
s’est interrogée sur les mutations du droit contractuel37 et sur la réalité de la théorie générale
des contrats : est Ŕelle en train de disparaitre ou de s’enrichir ?

Le XXe siècle, période de l’intervention des gouvernements, va borner la liberté


individuelle et opposer à l’individu, le groupe, la liberté collective, l’intérêt général. La
liberté contractuelle subit de telles restrictions qu’elle devient l’exception alors qu’elle est
toujours consacrée comme principe officiel38.

Ces bouleversements du paysage contractuel napoléonien, marqué par


l’individualisme libéral39, vivant sous le règne de l’autonomie de la volonté, ont été perçus
relativement tôt par la doctrine40.Mais, il a fallu attendre encore quelques années pour que la
portée de ces transformations soit pleinement appréhendée et que la doctrine civiliste en
vienne à parler de « l’éclatement de la notion traditionnelle de contrat »41 ou, carrément, de
la « crise du contrat »42,dans laquelle Ripert voyait une des lignes de déclin du droit43 sans
que l’on s’ache à vrai dire exactement s’il s’agissait d’une crise de croissance ou d’une crise
de vieillesse44.Le trouble justifiait qu’en 1968 le comité de direction des archives de
philosophie du droit consacrât un volume de sa collection aux notions du contrat 45.Il y a peu
de temps encore, deux auteurs titraient leur article : « le contrat déstabilisé »46.

L’opinion dominante, devenue commune - c’est une antienne du droit des contrats-
est qu’à l’ombre de l’Etat-Moloch (ou Cyclope, selon l’expression de Paul Valéry), le droit
s’est publicisé, entrainant dans son sillage une socialisation du contrat dont les
manifestations les plus claires sont les nombreuses restrictions apportées à la liberté
37
Quelques synthèses permettent de jalonner l’évolution du droit contractuel depuis 1950.Se reporter en
particulier à études en l’honneur de Roger Houin,1985,in Mélanges pierre Rayaund,1985. Voir. Marie-Hélène
Renaut, Histoire du droit des obligations, Ellipses Ed.Marketin, 2008,p.113.
38
Marie-Hélène Renaut,op.cit.p.8.
39
C’est, du moins, l’opinion dominante, émise, du reste, à l’endroit du code civil dans son ensemble : v.p. ex .j.
Ghestin et Goubeaux, traité de droit civil, t. I : introduction générale, L.G.D.J.2e éd.1983, 757p. spec.p .96
n°137.
40
Notamment, avec la thèse de E.Gounot, le principe de l’autonomie de la volonté en droit privé-contribution à
l’étude critique de l’individualisme juridique, A. Rousseau, Paris, 1912,470 p.
41
R.Savatier, les métamorphoses économiques et sociales du droit civil d’aujourd’hui, Dalloz,
2eéd.1952,314p.,spéc.p.19 à 105.
42
H.Batiffol, la crise du contrat et sa portée, in archives de philosophie du droit,t. XIII, sur les notions du
contrat, Sirey,1968,p.13 à 30.
43
G. Ripert ,le déclin du droit-études sur la législation contemporaine,L.G.D.J.,1949,225p.,spéc. Le chapitre
2 :Tout devient droit public, p.37 à 66.
44
F. Terre ,sur la sociologie du contrat ,in Arth.Philo.Dr.pré.,p.71 à 88,spéc.p71.
45
T.XIII préc. : sur les notions du contrat.
46
M.Armand-prevost et D. Richard,le contrat déstabilisé ( de l’autonomie de la volonté au dirigisme
contractuel ), J.C.P.1979.I.2952.
8
contractuelle, sur le fond47,comme sur la forme48, et les multiples atteintes portées à la force
obligatoire du contrat, à l’égard des contractants49,autant que s’agissant des tiers, à l’effet
relatif des conventions50.

Du coup, on en est venu à douter que les contrats aient jamais été « les registres de
nos volontés libres et joyeuses »51, que la volonté individuelle soit le principe du contrat, la
source de sa force obligatoire .Ce ne serait là qu’une vue de l’esprit, « un produit de la pensée
moderne, un cadeau fait aux juristes par un certain groupe de philosophes de l’Europe
moderne (…) parfaitement ignorants du droit »52. A la lecture volontariste ou spiritualiste de
l’article 1134 du Code Civil français, quelques auteurs, retrouvant en quelques sortes le
système romain des pactes vêtus, ont substitué une lecture objectiviste ou positiviste faisant
découler la force obligatoire de la sanction qui lui garantit le droit objectif53.Le « solo
consensus obligat » n’aurait jamais été reçu dans la pratique. La volonté des contractants
aiderait seulement à créer une situation de fait dont le droit ferait dériver la force obligatoire
du contrat en ouvrant une action au créancier54.

Selon l’image suggestive d’un auteur, « le contact des volontés individuelles formant
le contrat ne crée pas plus d’énergie juridique que le doigt actionnant le commutateur ne crée
d’énergie électrique : dans les deux cas, l’énergie vient d’ailleurs55.En définitive, « on
contracterait des dettes comme on contracte les fièvres : par un décret d’une puissance
supérieure »56.

Le contrat, loi des parties, est sans doute, le phénomène juridique le plus notable de la
période contemporaine .Ainsi le contrat est un instrument juridique d’échange des richesses

47
Atteintes à la liberté contractuelle qui consistent, au nom de l’ordre public, dans la multiplication des contrats
interdits ou imposés, contrôlés, si ce n’est réglementés .V.J .Ghestin , traité de droit civil, t.2 :le
contrat,L.G.D.J. ,1980,846p., spéc. p. 93 à105, n°129 0 147.v.Loic Cadiet .op.cit. p. 8et s.
48
Avec le développement du formalisme. V.not.Ph.le Tourneau, ,Quelques aspects de l’évolution des contrats
,in mélanges offerts à Pierre Raynaud,Dalloz-Sirey,1985,p.349 à 380,spéc.p.361 à 368,n°27 à 39.
49
Le contrat est modifié par la loi ou par les tribunaux :v.J.Ghestin ,op.cit.,n°148 à 154,p.105 à 112.
50
V.J.Ghestin,op.cit.,n°155p.112 et 113.Ce sont surtout les accords collectifs et les groupes de contrats qui
mettent à mal le principe de l’effet relatif des conventions : sur le premier point, v.not.G.Rouhette,l’extension à
des tiers des effets d’un accord de volonté ( les accords collectifs en droit français),Rev .Intern. dr.
comp.1979,n°spéc.,p.55 à 82 ; sur le second, v.p.ex.J.Mestre,l’évolution du contrat en droit privé français
,rapport aux Journées René Savatier, l’évolution contemporaine du droit des contrats, Poitiers,24 et 25 octobre
1985,P.U.F. ,1986,p.40 à 60.
51
G.Rouhette,Encyclopedia Universalis,V° Contrat ,in fine.
52
M.Villey, Préface historique à l’étude des notions de contrat ,in Arch.Phili.Dr.pré.,p.1 à 11,spéc.p.3 et 4.
53
V.not.G.Rouhette,op.cit. ;v., surtout de cet auteur, sa these, v.J.Ghestin, op.cit.,n°131à192,p.131 à149.
54
V.J. Ghestin, n°173,p131 à132.
55
X.Martin,Anthropologie et Code Napoléon,Bull.Soc. Franç.Hist.Idées et
Hist.Relig.,n°1,1984,p.39à62,spec.p.43.Une version condensée de cet article a paru sous le titre : Nature
humaine et Code Napoléon,in Droits,n°2 ,1985,p.117 à 128,spéc.p.120.
56
G.Rouhette,op.cit.in Encucl.univ.,in fine. Voir.Loic Cadiet,op.cit,p. 8 et s.
9
au centre de la vie économique. C’est la norme juridique dominante qui permet aux personnes
physiques ou morales, publiques ou privées de créer librement, en principe, leurs relations
économiques et sociales. Le contrat est donc un lien nécessaire qui permet d’organiser la vie
des affaires soumise aux aléas de la conjoncture économique, susceptibles d’affecter la
situation des parties au contrat.

En droit romain ,le contrat était présenté comme « contractus ».Ce mot est constitué de
deux parties : la première, ‘ con’, a pour origine ‘cum’,et signifie ‘avec’ ;la seconde partie
‘tractus’ représente l’échange57.En réalité, le Dahir des Obligations et des Contrats Marocains
n’a pas donné une définition du contrat que l’article 1101 du Code civil français, qui dispose
que « le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s’obligent, envers
une ou plusieurs autres, à donner, à faire, ou à ne pas faire quelque chose. ». Il fait naitre une
ou plusieurs obligations à la charge des contractants, mais contrairement à cette dernière
convention qui génère un effet de droit quelconque, le contrat a un effet créateur.

Le contrat constitue de ce fait la loi des parties en ce qu’il constitue un accord de leurs
volontés -ces volontés poursuivent des intérêts opposés- à travers lesquels chacun des
contractants trouve un avantage.

Le prototype de l’acte juridique bilatéral c’est évidemment le contrat ou accord de


volontés destiné à créer des obligations. Mais l’acte juridique bilatéral peut avoir une portée
plus large. Par un acte juridique bilatéral on peut chercher non seulement à créer des
obligations mais à produire d’autres effets de droit : transférer des obligations (cession de
créance), éteindre des obligations (remise de dette)58.

Selon la terminologie généralement adoptée, on se trouve alors en présence d’une


convention dont le contrat constitue une catégorie particulière. Dans les deux situations, il
s’agit de l’accord de volontés et donc d’actes juridiques bilatéraux. Mais dans le cas du
contrat, l’accord est destiné à créer des obligations alors que dans le cas de la convention,
l’accord vise à produire un effet de droit quelconque (créer, transférer ou éteindre une
obligation).La convention désigne donc l’ensemble des actes bilatéraux alors que le contrat ne
désigne que ceux qui sont générateurs d’obligations59.

57
Le Grand Robert de la langue Française,tome2,éd., dictionnaire le Robert,Paris,1992,9.878 ;F.GAFFIOT,
Dictionnaire Latin Français,éd.,HACHETTE ,Paris,1934,p.420.
58
Omar Aziman,le contrat ,VI ,éd le Fennec,1995,p49..
59
Ibid ,p 49.
10
Reste que cette distinction ne porte pas tellement à conséquence du fait que la
convention est passible de la théorie générale du contrat. Les rédacteurs du D.O.C., comme
ceux du code civil français utilisent indifféremment le terme convention60 et contrat61 .

Le contrat est un accord de volontés librement consenties. Le D.O.C.marocain, comme


le Code civil français fait reposer la force obligatoire du contrat sur le principe de
62
l’autonomie de la volonté . Ce principe signifie que le contrat tire sa force obligatoire des
volontés des parties qui sont souveraines. Souveraineté qui se retrouve au moment de la
formation du contrat, de son exécution, de ses effets. La souveraineté implique qu’il n’y a
contrat que si les parties l’ont voulu. C’est le principe de la liberté contractuelle.

A partir de la seconde moitié du 19éme siècle, la théorie de l’autonomie de la volonté


affirme que la volonté est la source des droits subjectifs, qu’elle est « l’organe créateur du
droit »63, « la cause première du droit ».Cette théorie est issue de la philosophie
individualiste des Lumières mais surtout de la conception kantienne de la volonté, fondée64
sur les idées de morale et de devoir. La volonté est « le principe suprême de la moralité »,
non pas une détermination notionnelle mais une obligation, entendue comme une contrainte
dans l’expérience humaine du devoir65.L’autonomie de la volonté désignerait le pouvoir
qu’elle a de se donner sa propre loi, elle serait à la fois l’élément essentiel du contrat et la
justification de sa force obligatoire parce que conforme au bien universel.

Le libéralisme économique a largement contribué à fortifier cette théorie, en


prônant que le libre jeu des volontés individuelles assure l’équilibre économique et la

60
Art. 19 du D.O.C., dispose que « la convention n’est par faite que par l’accord des parties sur les éléments
essentiels de l’obligation, ainsi que sur toute les autres clauses licites que les parties considèrent comme
essentielles.
La modification que les parties apportent d’un commun accord à la convention, aussitôt après sa conclusion,
ne constituent pas un nouveau contrat ,mais sont censés faire partie de la convention primitive ,si le
contraire n’est exprimé. »
61
Art.20 du D.O.C.,dispose que « le contrat n’est point parfait, lorsque les parties ont expressément réservé
certaines clauses comme devant former objet d’un accord ultérieur ; l’accord intervenu, dans ces conditions,
sur une ou plusieurs clauses ,ne constitue pas engagement, alors même que les préliminaires de la convention
auraient été rédigés par écrit. »
.‫ ٔيبثؼضْب‬90 ‫ انظفذخ‬، ‫يغجغ ؿبثك‬،‫ ػٕء لبٌَٕ االنزؼايبد ٔانؼمٕص‬ٙ‫ ؿهطبٌ االعاصح ف‬،‫خ‬ٛ‫ اَظغ يذًض شه‬62
63
Gounot, le principe de l’autonomie de la volonté en droit privé, thèse ,Paris,1912,p.3.
64
E.KANT ,critiques de la raison pratique, GF Flammarion 2003.
65
La conception kantienne de la volonté se détache de celle de Descartes (v. « médiations métaphasiques »,4émé
médiation, GF 1992), pour qui la volonté « consiste seulement en ce que nous pouvant faire une chose ou ne
pas la faire ( c’est-à-dire affirmer ou nier, poursuivre ou fuir),ce que l’entendement nous propose. Descartes
dégage ici un concept de volonté solidaire fondée sur la réflexion et la raison.
11
prospérité générale, ce que A. Fouillée traduisait par la formule « qui dit contractuel, dit
juste »66.

Ainsi, la théorie classique de l’autonomie de la volonté a permis de cristalliser


pendant des siècles l’idée selon laquelle la volonté de l’individu constitue la source des
obligations qui vont s’imposer à lui. En ce sens, cette théorie défend une vision classique du
contrat, axée sur des conceptions individualistes et libérales. Puisque la seule volonté des
contractants permet de créer un acte juridiquement contraignant, alors l’obligation issue du
contrat est contraignante non pas du fait de la loi, mais du fait de cette volonté, source de droit
autonome .La theorie de l’autonomie de la volonté qui scelle la vision traditionnelle du
contrat s’exprime elle-même à travers deux principes essentiels que sont la liberté
contractuelle et la force obligatoire du contrat67.

La liberté contractuelle suppose que les individus doivent être libres de contracter ou
de ne pas contracter, mais aussi de choisir le contenu de leur contrat. Le deuxième principe
qui est la force obligatoire du contrat, semble aussi vieux que l’humanité68, ce qui n’est pas
étonnant quand on sait qu’il est souvent assimilé à une loi naturelle69.La force obligatoire du
contrat signifie en effet qu’ « une obligation née du contrat s’impose aux contractants avec la
même force qu’une obligation légale »70, il impose le respect des stipulations, des personnes
des parties, résultant du contrat71. Dés l’époque romaine, le contrat est assimilé à une loi
régissant les rapports entre les parties72,mais le principe de la force obligatoire du contrat,
conformément au formalisme qui domine à l’époque, ne s’applique qu’aux contrats revêtus
des formes prescrites par la loi73.Le principe voit son domaine s’étendre sous l’ère féodale, le
respect de la parole donnée ayant pris de l’importance dans le cadre de la vassalité74.A la suite

66
A. Fouillée, la science sociale contemporaine, Paris 1880.
67
Clémentine CAUMES, « l’interprétation du contrat au regard des droits fondamentaux », thèse en droit privé,
2010, Université d’AVIGON, p 9ets.
68
V.J.B.WHITTON, la régle pacta sunt servanda ,art.cit., n°5,p.164.
69
V. notamment, H.CAPITANT, le régime de la violation des contrats :D.H.1934,chron.p.1. : « le respect de la
signature, c’est Ŕà Ŕdire de l’obligation de tenir ce qu’on a promis (…) relève de la morale aussi que du droit.
C’est un principe aussi vieux que la société ».
70
H.et L.MAZEAU,J.MAZEAU et F.CHABAS ,Leçons de droit civil, tome 2,1er volume :Obligation, théorie
générale :9éme éd par .F.Chabas : Montchrestien,1995,n°721
71
Pour une critique de la définition de la force obligatoire limitée aux obligations des parties :V.P.ANCEL,
Force obligatoire et contenu obligationnel du contrat :RTD civ.1999,9771 et s.
72
V.D.DEROUSSIN, Hstoire du droit des obligations : Economica,coll. « Corpus histoire du droit »,2e éd.,
2012, p.473.
73
En vertu de la maxime Ex mudo pacto actio non nascitur (du pacte nu na nait pas
d’action).V.J.GAUDEMENT et E. CHEFREAU, Droit privé romain : Montchrestien, coll. « Domat droit
privé »,3e éd., 2009, p.274.
74
V.J.B.WHITTON, la régle pacta sunt servanda : Recueil des cours de l’Academie de droit international
(RCADI), 1994, III, n°5,p.171 .
12
du déclin du droit à l’époque franque et celui de la féodalité, le respect de la parole donnée
connait au XIIIe siècle une recrudescence sous l’influence des glossateurs canonistes et des
théologiens, auxquels on doit le développement de la maxime « pacta sunt
servanda »,d’ailleurs attribuée au Pape Grégoire IX (1155-1241)75.

Les rédacteurs du code civil français et ceux du D.O.C marocain n’avaient plus qu’a
reprendre le principe qui avait été formulé par Domat dans son traité des lois (XII,19) et dans
les lois civiles (I ,II , ,VII) : « les conventions étant formées, tout ce qui a été convenu tient
lieu de loi à ceux qui les ont faites :elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement
commun ou par les autres voies… »,76formule que l’on retrouve à l’article 1134 du code civil
français, et à l’article 230 du D.O.C, qui a été inspiré de ce code.

Ces rédacteurs étaient fortement marqués par l’idée du respect de la parole donnée77. Il
est assez largement admis que les deux articles précités dispose que ,d’une part, le lien qui
existe entre les parties ne puisse faire l’objet d’aucune modification 78,et que d’autre part, ce
lien ne puisse être rompu unilatéralement par l’une des parties79.La force obligatoire du
contrat se traduit ainsi par l’intangibilité et l’irrévocabilité du contrat80.

Le triptyque contractuel composé des principes de l’autonomie de la volonté, de la


force obligatoire et de l’effet relatif des conventions endure donc des atteintes répétées. Cette
pluralité d’atteintes revêt essentiellement deux formes touchant à la fois aux prérogatives
contractuelles et à la conception même du contrat. Ces atteintes, qui sont autant de reculs des
droits des cocontractants, se révèlent diversifiées. Ainsi, les cocontractants sont parfois privés
du droit d’exprimer leur volonté, de se prévaloir des clauses du contrat, d’exiger l’exécution
du contrat ou de la possibilité de mettre fin à l’accord contractuel.

Les grands principes du droit des contrats tels que la liberté contractuelle et la force
obligatoire des contrats se heurtent à la modification unilatérale des contrats de
consommation, les questions fusent quant à la protection dont disposent les cocontractants

75
V.H ROLAND et R.BOYER, Adages du droit francais : Litec, 4e éd., 1999,n°308.
76
V.Marie-Héléne Renaut, Histoire du droit des obligations, op.cit.p.91 et s.
77
V.J.-E.-M.PORTALIS, Présentation au Corps législatif et exposé des motifs du chapitre VI : des nullités et de
la résolution de la vente : « A Dieu ne plaise que nous voulions affaiblir le respect qui est du à la fois des
contrat !Mais il est des règles de justice qui sont antérieures aux contrats eux-mêmes, et des quels les contrats
tirent leur principale force ».
78
Ce qui se déduit notamment de l’alinéa 1er de l’article 1134 : « Les conventions légalement formées tiennent
lieu de la loi à ceux qui les ont faites ».
79
Ce qui se déduit davantage de l’alinéa 2 de l’article 1134 : « Elles ne peuvent être révoquées que de leur
consentement mutuel ,ou pour les causes que la loi autorise ».
80
Voir, Karl LAFAURIE, la force obligatoire du contrat au regard des procédures d’insolvabilité, master,
Montesquieu-Bordeaux IV ,2013,p 1et s.
13
contre les effets de ces clauses de modification unilatérale et quant à l’encadrement d’un tel
unilatéralisme favorisant les commerçants. Influencé par plusieurs facteurs : Mondialisation,
demande de services croissants, standardisation des contrats, l’usage des clauses de
modification unilatérale est désormais la norme dans la majorité des domaines de
consommation81. Une telle clause permet à une partie de procéder à la modification de
modalités convenues sans le consentement préalable spécifique de la partie cocontractante.

La théorie de l’autonomie de la volonté convient à une société de libre concurrence.


De la fin du XVIIIe siècle à la fin du XIXe siècle le libéralisme économique à effectivement
développé la production et les progrès sociaux. L’autonomie de la volonté correspond, du fait
de l’opposition des intérêts, à l’exigence d’utilité économique. Pourtant, au fil du temps, la
concentration économique et commerciale a engendré des disparités considérables au plan
économique82.Dans les rapports contractuels déséquilibrés, tel que ceux entre l’employeur et
ses salariés, entre le consommateur et le professionnel, ou entre le fournisseur et l’acheteur,
l’autonomie de la volonté favorise seulement le fort aux dépens du faible.

Sous la forme qui vient d’être décrite, cette théorie est en déclin constant 83. Elle a été
progressivement mise à l’écart pour des raisons tenant essentiellement à des facteurs
économiques et sociaux. Que signifie, en effet, l’autonomie de la volonté face à l’inégalité des
contractants ? Une illusion dangereuse, vide de sens. A l’opposé de la formule de Fouillée,
s’est imposée celle de Lacordaire « Entre le fort et le faible,…, c’est la liberté qui asservit, la
loi qui affranchit »84.Comme le disait fort justement Etienne Pivert de Senancour dans ses
Rêveries sur la nature primitive de l’homme, « le faible est toujours faible, il ne varie que
dans faiblesse, mais le fort est faible quelquefois ».

La faiblesse n’est pas une notion univoque et s’avère d’un maniement délicat.
Désignant l’état de ce qui est faible85, la faiblesse tout d’abord prise en elle-même, s’attache

81
Le législateur s’est préoccupé tout particulièrement de protéger le consommateur contre les clauses relatives
à la modification du prix convenu (la clause ayant pour objet de faire varier le prix en fonction d’éléments
dépendant de la seule volonté du vendeur,la clause permettant de modifier le taux du crédit à la consommation,la
variabilité du taux du crédit hypothécaire ,la révision du prix du voyage..). Sur ce point v. La protection de la
partie faible dans les rapports contractuels, Comparaisons franco-belges, LGDJ,1996,p.232 et s.
82
Liwei QIN, « L’interprétation du contrat : étude comparative en droits français et chinois », thèse, université
Panthéon -Assas,2012. p.24.
83
Le conseil constitutionnel français a considéré ,dans une décision du 20 mars 1997,que ni l’article 4 de la
déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ni aucune norme de valeur constitutionnelle, ne fondait un
principe constitutionnel dit de l’autonomie de la volonté (JCP 97,I ,4039,n°1et2 obs.M.Fabre-Magnan).On
notera que le conseil d’Etat avait jugé auparavant que la liberté contractuelle est un principe fondamental au
sens de l’article 34 de la constitution (décision du 5 mai 1967,Rec,CE ,p 348).
84
J.B.H Lacordaire,52éme conférence de notre Dame ,1948.
85
Dictionnaire encyclopédique Larousse 1980,p.374.
14
à dépeindre des réalités aussi diverses que le manque de vigueur, de force physique ou
morale, ou bien encore de capacités intellectuelle, de savoir. Mais cette notion ne se borne pas
à exprimer l’état d’une personne que celle Ŕci posséderait de manière en quelque sorte
intrinsèque, sans référence à un modèle immédiat et déterminé de comparaison.

La faiblesse, en effet, peut également caractériser l’état d’un individu par


comparaison à celui d’un autre individu avec lequel le premier se trouve être en
relation86.Lorsque l’article 2 du D.O.C et son équivalent l’article 1180 du Code civil français
,exige parmi les conditions essentielles de validité d’une convention la capacité de s’obliger,
il entend protéger l’incapable contre sa propre faiblesse résidant dans son manque de
discernement ou dans l’altération de ses capacités mentales ou corporelles87.Par cette règle, le
législateur vise à sanctionner un état de faiblesse attaché à la personne de l’une des parties au
contrat ,sans qu’il soit en principe tenu compte dans l’appréciation de cet état de la
personnalité de l’autre contractant. La situation de faiblesse traduit une rupture de l’égalité
entre parties au contrat, une disparité de puissance des forces en présence au sein du rapport
contractuel.

La constatation d’une telle disparité invite à s’interroger d’une part, sur les raisons
pour lesquelles l’une des parties peut se voir ainsi placée en position de faiblesse ou
d’infériorité face à son contractant, et d’autre part à préciser les conséquences qui en
découlent88.Les facteurs susceptibles de conduire à un déséquilibre du rapport des forces en
présence sont de plusieurs ordres.

En premier lieu, une personne pourtant réputée juridiquement capable peut en raison
de son grand âge ou de son état physique être considérée comme placée dans une position
d’infériorité et donc qualifiée de faible. L’affaiblissement des facultés physiques ou
psychiques de la personne la rendant vulnérable face à tout contractant ou presque.

La faiblesse de l’une des parties au contrat peut être ensuite le résultat de son
incompétence technique. Lorsque le contrat porte sur l’acquisition d’un produit d’une
technologie sophistiquée ou sur une prestation de services complexes, l’acquéreur ou le
créancier de la prestation, simples profanes, seront étroitement tributaires des informations,
renseignements et conseils que leur prodiguera le spécialiste professionnel. A n’en pas

86
Frédéric LECLERC,La protection de la partie faible dans les contrats internationaux,
Bruylant,Bruxelles,1995,p.1.
87
Article 490 du C.civ.Voir sur ce point B.Starck,Droit civil. Obligation. II. Contrats.4 é éd.par H.Roland et
L.Boyer.Litec,Paris 1993,n°385,p.160.
88
Frédéric LECLERC ,op.cit.p.2.
15
douter, ce dernier jouit d’une supériorité d’ordre technique fragilisant la position de son
partenaire, qu’il soit profane ou professionnel d’une spécialité complètement différente.

La disparité de puissance enfin, puise son origine dans des facteurs d’ordre
économique ou social. L’avènement de la production et de la distribution de masse a en effet
entrainé une évolution du rapport producteur-distributeur-acheteur et modifié profondément la
pratique contractuelle. Au contrat librement négocié entre partenaires de force égale est venu
se substituer ce qu’on a appelé le contrat d’adhésion89 lequel est devenu le type le plus
courant de contrat à l’époque moderne.

Ces transformations économiques ont donc pour conséquence un déséquilibre de la


force contractuelle90, du « bargaining power » (pouvoir de négociation)91.Cette inégalité
flagrante entre les contractants dénature le rôle du contrat. Au lieu d’être, comme, dans la
théorie libérale, le moyen de concilier les intérêts divergents des parties92 et de libérer les
individus des contractantes inutiles93, le contrat devient le moyen par lequel une partie dicte
ses conditions et fait prévaloir ses intérêts égoïstes.

Le contrat d’adhésion reste formé par un accord de volonté. Malgré l’absence de


négociation, qui n’est pas essentielle, le contrat pré-rédigé n’acquiert force obligatoire, à
l’égard de l’adhérent qu’à partir du moment où ce dernier a donné son consentement. Avant
son intégration dans le contrat individuel, ce n’est qu’un projet94. « Les consentements
distincts feront les contrats distincts »95.C’est évident puisque, en lui-même, le projet de
contrat type pré-rédigé n’a aucune force obligatoire.

Le contrat d’adhésion est donc à juste titre considéré comme un contrat par la doctrine
civiliste et la jurisprudence dans leur ensemble96.Il est rédigé entièrement ou presque par l’un

89
Sur cette notion, voir ,G.BERLIOZ ,le contrat d’adhésion,2 é éd.,L.G.D.J.,Paris,1976.G.DEREUX, de la nature
juridique des contrats d’adhésion,R.T.D.C.,1910,p.503 et s. DEMERGUE ,les contrats d’adhésion, Thèse
Toulouse ,1936.voir également SALEILLES, De la déclaration de volonté ;contribution à l’étude de l’acte
juridique dans le code civil allemand ;E.GOUNOT ,le principe de l’autonomie de la volonté en droit privé,
Dijon,1912,p.14 à19.,183 et 227 à231 ;A.RIEG, contrat type et contrat d’adhésion, Trav,Rech.inst.dr.comp.de
Paris, t XXXIII,1970,Etudes de droit contemporain.Frédéric LECLERC ,op.cit.p.2 et s.
90
Barre ,(Economie politique, t. ,p.492) distingue dans la force contractuelle les facteurs techniques, financiers et
psychologiques.Voir, Georges BERLIOZ, le contrat d’adhésion,2 é éd, Paris ,1976,p.16.
91
J.Marchal,Cours d’économie politique, Paris,1950,p104.Voir, Georges BERLIOZ, le contrat d’adhésion,2 é
éd,op.cit.,p.16.
92
Perroux,L’Economiste du XX Siecle,p.137.Voir, Georges BERLIOZ, le contrat d’adhésion,2 é éd, op.cit.p.16.
93
Bentham,Trutch against Ashurst,1823,p.8. Voir, Georges BERLIOZ, le contrat d’adhésion,2 é éd, op.cit.p.16.
94
V.en ce sens ,not. J.CARBONNIER ,obligations §17.
95
J.CARBONNIER ,obligations ,op,cit., §17.
96
A.RIEG, op.cit.,p.111.voir.Jacques GHESTIN et Marecl Fontaine, la protection de lafaible dans les rapports
contractuelles, université de Paris,L.G.D.J.,1996,p.7.
16
des contractants, fixe par le menu toutes les clauses auxquelles l’adhérent, qu’il soit
consommateur, assuré ou salarié, ne peut qu’adhérer en bloc sans discussion possible.

Ce passage en matière contractuelle du « sur mesure au prêt-à Ŕporter »97 traduit la


puissance économique dont jouit l’offrant qui le met en mesure de dicter sa loi à l’adhérent
isolé, pieds et poings liés à la merci du plus puissant titulaire souvent d’un monopole de droit
( Eau, Electricité) ou d’un monopole de fait (assurance, transport, vente d’automobiles
neuves)98.

Le Doyen Carbonnier a observé que la partie la plus faible reprendrait un certain


avantage en fait lors de l’exécution du contrat99 en raison de son contact direct avec l’objet.
Mais le versement des acomptes, le jeu des clauses pénales et les limitations de responsabilité
se conjuguent pour maintenir, à ce moment, les rédacteurs des contrats d’adhésion dans une
situation privilégiée. Il a ajouté que dans nombre de cas ces derniers « ne poussent pas à
l’extrême le droit qu’ils auraient de se prévaloir » de ces clauses draconiennes100.Il est permis
cependant de contester ce paternalisme commercial qui, de toute façon, aggrave l’infériorité
de la partie de la plus faible lors de la discussion d’un règlement amiable et qui, au surplus,
ne joue guère lorsque les intérêts en jeu sont vraiment importants. Ces abus sont d’autant
plus graves que le consentement apparent de celui qui donne son adhésion au contrat
s’applique fréquemment à des conditions générales dont il n’a pas une connaissance, ou tout
au moins une compréhension, réelle.

Le contrat type ne figue souvent dans la convention que sous forme de références à
des documents dont il faut demander la communication, ou sur des affiches ou au verso de
bons de commande ou de livraison dont l’intéressé ne peut pratiquement prendre
101
connaissance, ou qu’il ne peut en tout cas étudier, avant de s’engager .La longueur du texte,
sa présentation peu lisible et sa rédaction souvent obscure pour les non-initiés accentuent
encore le caractère illusoire du consentement102.

Si l’utilisation des contrat type est ainsi imposée par la production de masse, leur
rédaction unilatérale est une source de graves abus. Comme l’observe un rapport de la

97
M.ARMAND-PREVOST, D.RICHARD, le contrat déstabilisé (de l’autonomie de la volonté au dirigisme
contractuel),J.C.P. ,1979,I ,2952,n°1.
98
B.VRASSAMY, les contrats de dépendance, L.G.D.J., Paris, 1986.
99
J.CARBONNIER, Flexible droit,3é éd.,1976,p.221.Voir Jacques GHESTIN et Marcel Fontaine, op.cit.,p.9.
100100
J.CARBONNIER, op.cit, p.222.Voir Jacques GHESTIN et Marcel Fontaine, op.cit., p.9.
101
V. Rapport de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris sa séance générale du 08 avril 1976, p.3.
102
A.SEUBE, Les conditions générales des contrats, Mélanges .Jauffret, p.628.
17
Chambre de commerce et d’industrie de Paris103 « il peut se faire, dès lors, que le rédacteur
d’un contrat uniformément applicable à un grand nombre de contractants en profite pour
insérer les clauses qui allègent ses propres obligations et alourdissent sans contrepartie celles
de ses contractants ».Ce même rapport cite quelques-unes des clauses les plus courantes104 :
« le vendeur fixe le prix de vente selon son propre tarif au jour de la livraison ;il se réserve la
possibilité de modifier les caractéristiques de la chose commandée sans rédaction de prix ;il
s’exonère en tout ou partie de la garantie légale en matière de vices cachés, la date de
livraison est donnée à titre purement indicatif et le retard n’engage aucune responsabilité…,le
transport de la fourniture s’effectue aux risques exclusifs de l’acheteur ;…des clauses pénales
sévères à sens unique sont prévues ;des clauses de prorogation tacite ou automatique lient le
client pour une très longue durée ;l’insertion de clauses compromissoires ou attributives de
compétence favorise une seule partie.105

Toutefois, cette situation d’infériorité de l’une des parties au plan économique et


social n’affecte pas seulement les contrats les plus usuels que sont les contrats conclus par
les consommateurs, les contrats de travail, de transport ou d’assurance. Une autre catégorie
de contrats, mettant cette fois en présence des commerçants, des agriculteurs ou des petites et
moyennes entreprises a ,à une époque relativement récente, attiré l’attention de la doctrine en
raison de la dépendance économique106 qui caractérise la position de l’une des parties que
l’on peut à ce titre légitimement qualifier de faible107.

Les efforts entrepris par la doctrine pendant la première moitié du XXe siècle pour
protéger la partie faible se tournent automatiquement vers la loi. Alors même que l’on se
plaint d’un affaiblissement contractuel dû à l’interventionnisme législatif, on cherche ainsi à

103
Le rapport précise que cette liste est extraite de l’article de MM.PRELLE et ALESS, les contrats
d’adhésion et la défense du consommateur, in Gaz.Pal.,1973,doctr .9713.
104
Les clauses abusives dans les contrats de consommation, p.3, rapport présenté au nom de la commission du
commerce intérieur par M.GIBERGUES, dont les conclusions ont été adoptées par Rapport de la Chambre de
Commerce et d’Industrie de Paris sa séance générale du 08 avril 1976. Voir .A.RIEG, op.cit.,
p.111.voir.Jacques GHESTIN et Marcel Fontaine. Op.cit.p.8-9.
105
Cf.G.BERLIOZ, le contrat d’adhésion ,p.37,n°59.-A.RIEG, contrat type et contrat d’adhésion,
op.cit.p.169et171.Adde :Rapport du comité d’experts auprés du conseil de l’Europe sur la protection des
consommateurs contre les clauses abusives des contrats,C.C.J.(76) 8,31 mars 1976, qui comporte une liste et
une analyse détaillée des clauses abusives les plus courantes en Europe,-G.PAISANT, Dix ans d’application de
la reforme des articles 1152 et 1231 du code civil relative à la clause pénale ( loi du 9 juillet 1975), Rev.
.trim.dr.civ. ;1985,p.648,n°2.
106
Ce terme de « dépendance économique » vise à faire ressortir le trait dominant des contrats « régissant une
activité professionnel dans laquelle l’un des contractants, l’assujetti, se trouve tributaire pour son existence ou sa
survie ,de la relation régulière privilégiée ou exclusive qu’il a établie avec son contractant, le partenaire
privilégie ce qui a pour effet de le placer dans sa dépendance économique et sous sa domination », Voir.G.
Virassamy, les contrats de dépendance, L.G.D.J., Paris, 1986, n°2, p.10.
107
G. Virassamy, op.cit.,, n°2. p.1-10.
18
remédier à ce qui est considéré comme une dégénérescence contractuelle108par un nouvel
affaiblissement contractuel. Imbue des concepts de la société libérale, la doctrine, même dans
ses efforts de protection sociale, cherche surtout à rétablir l’équilibre dans le contrat, elle fait
appel à un interventionnisme néolibéral : « Quand le législateur empêche l’adhésion
irréfléchie, interdit la lésion, arrête l’abus de droit, il défend au fond l’idée de force
contractuelle, et il peut se flatter de parachever l’œuvre du Code civil »109.

L’équilibre contractuel cherche à agir, non sur la personne des contractants ou pré-
contractants, mais sur le contenu du contrat et sur les clauses qui confèrent à l’une des parties
un avantage sans contrepartie, n’ayant d’autre justification qu’un rapport de force
égalitaire110.En ce sens, il participe grandement à l’idée de justice contractuelle. La volonté
du contractant dépendant ne peut tout accepter et celle du contractant en situation de force ne
peut tout imposer et doit faire preuve de « décence »111.En découlent les notions de
proportionnalité et de justification qui constituent aujourd’hui des valeurs de juste mesure, de
raisonnable dans la formation et dans l’exécution du contrat.

Le respect d’un équilibre contractuel peut être renforcé par une exigence, à la fois
réciproque et proportionnée, de solidarité contractuelle112en vue de pérenniser le contrat. Les
obligations de loyauté, de coopération, de collaboration113,même si elles sont loin
d’imprégner l’ensemble de la réalité contractuelle, se déploient dans le droit des contrats «
grâce aux auteurs et aux juges, en un souci d’altérité et de générosité apte à rendre l’humain
vraiment humain »114.Ainsi l’exigence de solidarité contractuelle vont-elles se renforçant et
se diversifiant ( exigence de bonne foi, obligation de renseigner, devoir de conseil, obligation
d’adaptation, délai de réflexion avant toute décision..).

108
Rieg ,contrats types et contrats d’adhésion, Etudes de Droit contemporain, t.XXXIII,p.108.
109
Ripert ,Le régime démocratique et le droit civil moderne, Paris 1935.
Si le concept de contrat d’adhésion a été reconnu expressément à cette date, les problèmes posés par le
contrat d’adhésion avaient déjà été reconnus par la doctrine. Dans son Traité du Contrat d’Assurance (1767)
Pothier soulignait déjà la situation désavantageuse des assurés. Voir, Georges BERLIOZ, le contrat
d’adhésion,2é éd, Paris 1976,p.9.
110
F.X.Testu, le juge et le contrat d’adhésion, JCP, 1993, I3676, spé n°9. Voir.Martine GOURVES, op.cit.,
p.11.
111
D.MAZEAUD, loyauté, solidarité, fraternité :la nouvelle devise contractuelle, in Les obligations, Mélanges
Terré, éd. Dalloz 1999,p.603.
112
R. Demogue, le contrat est responsable en fonction de la solidarité humaine, RTD civ.1907 ,p.207.Y. Picod,
l’obligation de coopération dans l’exécution du contrat, JCP.1988.I.3318.
113
J.MESTRE, d’une exigence de bonne fois à un esprit de collaboration, RTD civ.1986.101 et s.
114
A propos de R.DEMOGUE, mentionné par C.Thiebierge- Guelfucci, comme un des précurseurs isolés, d’une
certaine aspiration fraternelle, V.préc « Libres propos sur la transformation du droit des contrats, p384. ; Martine
GOURVES.la volonté du salarié dans le rapport de travail, thèse, Lyon 2, 2010, p.12.
19
A partir du XXe siècle, la justice et l’utilité de l’autonomie de la volonté ont été
contestées .Certaines auteurs ont parlé de « crise de contrat »115.C’est, en effet, une crise de
la philosophie individualiste et du libéralisme du contrat. Il est nécessaire d’analyser cette
crise et dégager la direction vers laquelle évolue le droit du contrat. Selon le marxisme,
certains auteurs ont affirmé que, « superstructure juridique d’une économie capitaliste, le
contrat disparait lorsque l’échange économique serait remplacé par une distribution selon les
besoins »116.

D’autres auteurs ont soutenu que la solidarité organique de la société est plus
profonde que le contrat libre entre individus »117.Ils demandent, à la lumière de la théorie
sociale du droit, de faire prévaloir l’échange des services sur l’opposition des intérêts entre
individus ou groupes sociaux. En plus, ils préconisent de nouvelles valeurs pour le contrat :
équité118, loyauté119, solidarité120, proportionnalité121, et fraternité122.Ce changement de
perception du contrat correspond au passage du paradigme de l’intérêt individuel à celui de
l’intérêt social.

La prolifération des relations contractuelles estdue à l’influence des pays de common


law, qui sont traditionnellement non interventionnistes, la montée du libéralisme économique
incontestable, et l’apparition de nouvelles situations concrètes, maitrisées rapidement par la
pratique, qui imagine des ingénieries contractuelles, l’évolution des relations sociales entre
employeurs et salariés et l’évolution de la gestion et de l’administration des biens et services
publics, suscitée par la décentralisation. Cependant, cette prolifération des contrats, dans
toutes les branches du droit, parait aussi justifiée par le but recherché aussi bien par les
personnes publiques que privées : organiser des relations dans le temps, des relations qui sont
appelées à durer et pour lesquelles la conception classique du contrat, conception statique et
abstraite, au temps linéaire, fondée sur la force obligatoire rendant le contrat intangible,
semble mal adaptée.

115
H.BATTIFOL, La « crise du contrat » et sa portée, Archives de philosophie du droit, t. XIII, 1968, p.13-30.
116
K.STONOVITCH, La théorie du contrat selon E.B Pachoukanis, Archives de philosophie du droit, t XIII,
1968, p.89.
117
J.DONZELOT, L’intervention du social : essai sur le déclin des passions politiques, éd. Fayard, 1984, éd.
Points-Seuil, 1994, p.81.
118
Ch.ALBIGES, de l’équité en droit privé, éd. LGDJ, 2000.
119
R.DESGORCES, La bonne foi dans le droit des contrats : rôle actuel et perspective, thèse dactyl, Paris
II ,1992 ;D.MAZEAU, loyauté, solidarité, fraternité :la nouvelle devise contractuelle ?,in mélanges.
F TERRE,Dalloz,PUF ,Juris-Classeur,1999,p.603.
120
Ch. JAMIN, Plaidoyer pour le solidarisme contractuel, in Mélanges J.Ghestin, LGDJ, 2001, p.441.
121
S.PECH-LE.GAC, la proportionnalité en droit privé, thèse Paris XI, éd.2000.
122
D.MAZEAU,loyauté, solidarité, fraternité :la nouvelle devise contractuelle ?,op.cit. p.603et s.
20
L’étude du principe de la force obligatoire du contrat suppose que l’on envisage des
contrats régulièrement formés et que l’on se situe au stade de leur exécution. En effet,
lorsque le contrat est valablement conclu, il doit être exécuté. Et c’est pour cela qu’on dit
qu’il est doté d’une force obligatoire.

La force obligatoire du contrat est effectivement le caractère contraignant dont il est


revêtu et en vertu duquel son exécution s’impose. Il s’agit d’une règle essentielle des
contrats123. Le contrat valablement formé tient lieu de loi aux parties contractantes qui
sont tenues d’exécuter leurs obligations contractuelles sous peine d’y être contraintes
par la force. Tel est le principe de la force obligatoire. Ce principe est énergiquement posé
par l’article 230 du D.O.C , qui dispose que : « les obligations contractuelles valablement
formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.. ». La formule de l’article 230 signifie
donc que l’obligation née du contrat s’impose aux contractants avec force qu’une
obligation légale .L’intangibilité du contrat s’oppose à toute modification unilatérale des
clauses du contrat. La révocation unilatérale du contrat est possible « pour les causes que la
loi autorise »124.

La formule édictée par l’article 230 du D.O.C qui correspond à l’article 1134 du
code civil français qui dispose que « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à
ceux qui les ont faites ». Les articles 1134 et 230 précités affirment avec beaucoup de
rigueur que les parties sont liées de façon absolue par les engagements qu’elles ont pris.
Aussi le législateur marocain que français exprime ainsi l’intérêt qu’il porte aux obligations
contractuelles et son intention de veiller à leur respect. Ainsi, le principe de la force
obligatoire du contrat formalisé dans les articles cités s’impose aux parties elle- mêmes, mais
aussi au juge. La question du fondement de la force obligatoire du contrat n’est peut -être
pas juridique. Elle pourrait n’être pas correctement posée parce qu’elle suppose résolue celle
de savoir ce qu’il s’agit de fonder125.

Les discussions sur la source de la force obligatoire du contrat sont anciennes et


complexes. Elles se sont développées, dès l’origine et par la suite, autant sur les traités et
autres conventions entre Etats que sur les contrats privés. La concurrence ou la hiérarchie à
reconnaitre entre la volonté des parties et un pouvoir extérieur ou supérieur ont ainsi été
analysées en termes généraux et abstraits. L’idéologie et les objectifs politiques ont encombré

123
Rafik Ouelhazi,le juge et la force obligatoire du contrat ,thèse , université, Rob.Schu.de Strasbo. Fac. De
droit.1997, p1 et s.
124
Yannick PAGNERRE ,l’extinction unilatéral des engagements, thèse paris II,2008, p.20 et s..
125
Christophe JAMIN, Droit et économie des contrats, éd Alhpa,2009,p.7.
21
la réflexion. Il ne fallait guère espérer qu’elle parvienne à éclairer la réalité des lieux entre
contractants privés126.

L’intensité des rapports entre loi et contrat127 est manifestement variable. Elle dépend
des objectifs poursuivis par le législateur et des moyens qu’il met en œuvre. Ces rapports ne
peuvent disparaitre ; mais chaque contrat peut se former et s’exécuter sous l’égide d’une loi
qui demeure discrète et modeste. Pour parler comme Durkheim128, la loi n’est plus le
complément utile des conventions particulières, elle en devient la norme fondamentale. Sans
même encore passer par Kelsen, et pour des raisons qui sont ici sociologiques, c’est la loi qui
fonde la force obligatoire du contrat.

La force obligatoire du contrat, qu’elle la fonde sur l’autonomie de la volonté ou sur


l’autorité donnée par la loi à la volonté129,la doctrine a toujours eu et continue dans sa
majorité à avoir une conception idéalisée du principe de la force obligatoire du contrat ,dont il
ressort que ce principe a valeur absolue et qu’une fois que le contrat est formé, il doit et ne
peut que produire tous ses effets.

Si l’on part d’abord du fondement, encore très présent aujourd’hui, de l’autonomie de


la volonté, la force obligatoire du contrat est fondée sur une donnée extra-juridique, une
donnée morale qui est le respect de la morale donnée. On est donc sur un fondement
obligatoire du contrat qui est antérieur au droit. A partir de là,si le droit récupère purement et
simple cette idée pour fonder le principe, la force obligatoire du contrat devient une donnée de
façon satisfaisante, que le consentement est libre et éclairé, il n’y a plus matière à discuter, le
contrat doit produire tous ses effets et aucune dérogation n’est acceptable. Si le fondement
de la force obligatoire procédant de la théorie positiviste est différent, le résultat est le
même :c’est la loi qui donne à la volonté un pouvoir créateur de droit, mais elle ne fait que «
concrétiser la norme pacta sunt servanda »130 .Aussi, par sa vision purement formelle du
phénomène juridique, le cloisonnement du fait et du droit qu’elle établit131,et la séparation

126
Christophe JAMIN,op.cit,p.7.
127
J.DE ROMILLY, Loi dans la pensée grecque des origines à Aristote, Paris, Les Belles Lettres, 1971, p.125
à128.
128
V.E. Durkheim, De la division du travail social,11 e éd.,PUF,coll.Quadrige,1986,p.207.
129
Pour une présentation complète et critique des fondements données par la doctrine au principe de la force
obligatoire, V.G.WICKER, Les fictions juridiques, - contribution à l’analyse de l’acte juridique ,thèse
Perpignan : LGDJ ,Coll. « bibliothèque de droit privé »,tome 253,1997, n°13et s. ;V. Aussi : A.SIRI,
L’évolution des interprétations du principe de la force obligatoire du contrat de 1804 à l’heure présente :RRJ
2008,2,p.1339 et s.
130
G.WICKER, Les fictions juridiques, op.cit., n°34.
131
Ibid.,n°37.
22
absolue entre la procédure et la norme qui en résultent132,la force obligatoire du contrat ne
peut être envisagée aussi que de façon absolue, et formelle.

Une telle conception qui cantonne les conditions d’établissement de la force


obligatoire du contrat ne peut que déboucher sur une vision statique de la force obligatoire
du contrat133.Quel que soit le fondement donné à la force obligatoire du contrat, ce principe
est présenté comme inébranlable, une fois que les conditions de son édification : la volonté et
la présupposition légale sont présentes.

Dans une vision dynamique de la force obligatoire du contrat, La volonté individuelle


n’est plus perçue, en elle-même, comme créatrice de droit. Autrement dit, la force obligatoire
des conventions légalement formées est issue d’une norme extérieure supérieure, la loi, seule
capable de leur conférer le caractère obligatoire et de terminer leurs effets134.

Cette vision a été soutenue par Hans Kelsen qui a montré que l’autonomie de la
volonté ne pouvait constituer une explication suffisante de la force obligatoire du contrat. Elle
n’explique pas pourquoi c’est la volonté passée, volonté morte, qui devrait prévaloir sur la
volonté présente, volonté vivante, de celui qui refuse d’exécuter le contrat. Pour expliquer ce
phénomène, il faut faire intervenir une norme supérieure à la volonté, source véritable des
effets produits. L’idée est donc aujourd’hui largement admise que le contrat tire sa force
obligatoire non pas de la volonté, mais du droit objectif qui la lui confère. « Contracter, ce
n’est pas seulement vouloir, c’est aussi employer un instrument forgé par le droit »135.

La question que posent alors les auteurs contemporains est de savoir pourquoi le
droit confère cette force obligatoire du contrat.Pourtant, ils ne se contentent pas d’invoquer la
règle de droit qui l’affirme136.Mais tentent de rechercher de définir les valeurs supérieurs qui
la justifient.

Pour le professeur J. Ghestin, il s’est opéré « une substitution de l’utile et du juste au


dogme de l’autonomie de la volonté »137.Cela ne signifie pas que la volonté n’a plus de rôle à
jouer dans le contrat. Son expression et sa qualité sont toujours essentielles, notamment pour

132
Ibid.,n°38..
133
Ibid., critiquant la théorie positiviste : « une fois créée, la norme, quittant le monde des faits, échappe à son
auteur pour intégrer l’ordre juridique ». v.Voir, Karl LAFAURIE, la force obligatoire du contrat au regard des
procédures d’insolvabilité, op.cit,p9.
134
Martine GOURVES, la volonté du salarié dans le rapport de travail, thèse,prec, p.10.
135
F.Terré,Ph.Simler,Y Lequette, « Droit civil, :les obligations »,Dalloz 9éme éd..2005,p.32.(citation Ancel et
Lequette, Grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé,3 éme éd.1997,p 174 et s).
136
En l’occurrence l’article 1134 du code civil français et l’article 230 du D.O.C.
137
J.Ghestin, « L’utile et le juste dans les contrats »,Recueil Dalloz,Sirez 1982,1er cahier,Chr.p.1-10.
23
la formation de l’acte ou comme élément d’interprétation. Mais elle devient, en quelque sorte,
un « instrument » au service d’un droit contractuel animé de valeurs supérieures. L’utilité et
la justice contractuelle participent ainsi de celles-ci.

Ainsi les valeurs d’égalité, d’équilibre et de solidarité contractuelles semblent émerger


tout particulièrement du droit positif et innerver l’ensemble des rapports contractuels. La
volonté, dans ses manifestations et ses effets, est dont nécessairement irriguée par celles.ci138.
La mise en œuvre de ces principes relève de la compétence du juge dans le cadre de la
résolution des litiges surgit en matière contractuelle.

Le juge, et en vertu des disposions énoncées par l’article 230 du D.O.C veille au
respect du principe de la force obligatoire du contrat notamment dans les cas ou les parties
contractuelles exécutent les obligations engagées dans le rapport contractuel sans difficulté.
C’est ainsi que dans une telle hypothèse, les contrats peuvent être nés et morts paisiblement,
sans recours au juge compétent.

Sur le plan pratique, de nombreuses exécutions de conventions correspondant


effectivement à ce schéma, cependant, beaucoup d’autres y sont réfractaires. C’est que le
contrat peut surgir à des difficultés d’exécution. Les parties qui parviennent parfois à
surmonter ces difficultés se muent en conflit qui persiste, entravant l’exécution ou la
parfaite exécution de la convention, et conduisant l’un ou l’autre des contractants à saisir
l’autorité compétente pour connaitre des différends. C’est alors qu’une tierce personne
apparait dans la vie du contrat : le juge et alors que se pose la question de la relation entre le
juge et la force obligatoire du contrat, du fait que les dispositions de l’article 230 du
D.O.C., que celles de l’article 1134 du code civil français, ne s’imposent pas seulement aux
parties contractuelles ,il sert aussi de directive aux juges qui vont interpréter les contrats.
Cette relation ne présente aucune particularité : il se rattache au rôle général des juges qui
consiste à trancher les litiges en les soumettant aux règles de droit appropriés139.

Or, le principe de la force obligatoire du contrat étant une règle juridique, le juge
doit lui donner son plein d’effet et assurer l’exécution de l’accord dont il est saisi. Cela
implique-t-il qu’il impose aux parties l’exécution littérale du contrat ?quels sont les moyens

138
Martine GOURVES,op.cit.p.11.
139
Rafik OULEHAZI ,le juge judiciaire et la force obligatoire du contrat, thèse , Strasbourg, 1997 ,p 1 et s.
24
dont dispose le juge, notamment en présence d’un contrat manifestement injuste, à en
modifier la teneur140 ?

La réponse apportée par la conception classique du contrat est catégoriquement


négative .Cela se traduit par le fait que le juge ne peut s’immiscer dans le contrat que dans le
cas où il est saisi par l’une des parties contractuelles à la suite d’une difficulté d’exécution du
rapport contractuel, son rôle est précisément de les contraindre à respecter la parole donnée
que d’aider à son reniement.

Toutefois, la réalité contractuelle a révélé que le contrat peut être le siège de beaucoup
d’excès et beaucoup d’injustices peuvent en dériver. Cela se vérifie à travers le constat établi
qui a montré l’existence d’un déséquilibre des rapports contractuels en présence des
contractants puissants ou plus expérimentés qui édictent des clauses trop favorables à leurs
intérêts, au détriment de ceux de leurs partenaires qualifiés de faibles ou profanes. Ces excès
affectant l’équilibre contractuel ont provoqué le vent de moralisation qui souffle aujourd’hui
sur les relations d’échange.

La moralisation qui a commencé à dominer le mode des affaires, c’est-à-dire les


contrats ne peut être observés seulement par les parties elles- mêmes, du fait que « chacun
des contractants cherche à atteindre des fins propres »141 et « bien loin d’être toujours le
produit d’une entente cordiale, le contrat apparait souvent comme le résultat d’une tension
entre des intérêts antagonistes »142.L’opposition des intérêts fait que chacune des parties
cherche à tirer le meilleur profit. Par conséquent, il serait illusoire d’attendre que tous les
contractants fassent, spontanément, régner la bonne foi et la justice dans les rapports
contractuels.

La concrétisation des principes de la moralisation de la vie contractuelle ne peut être


observée que par le législateur, à travers l’instauration des règles de nature à rétablir le
déséquilibre des relations contractuelles. Mais la diversité du phénomène contractuel ne lui
permet pas au législateur d’envisager ou d’imaginer toutes les éventuelles hypothèses qui
conduisent au déséquilibre contractuel. Cette réalité a permis de confier au juge le soin de
déterminer le caractère abusif de certaines clauses insérées dans les contrats de
consommation et les en retrancher.

140
V,dans ce sens ,Rafik OULEHAZI,op.cit.
141
CARBONNIER, Droit civil, t, 4,Les obligations,20me éd,1996,n°114.
142
TERRE, SIMLER et LEQUETTE, Les obligations, pré.,n°414 ,p.348.
25
Aujourd’hui, le contrat semble perçu encore davantage comme un acte susceptible de
provoquer des déséquilibres évidents entre les parties, qu’il est nécessaire de corriger 143 .D’où
l’intervention du juge dans le contrat pour des besoins édictés par l’équité et la justice
contractuelle144. La difficulté est alors de savoir si l’intervention du juge est possible au
regard de la conception classique du contrat consacrant le principe de la force obligatoire du
contrat qui considère que le respect de la volonté des parties contractuelles et la parole donnée
priment toutes les considérations145.

La réponse apportée à cette question constituera une réflexion juridique, doctrinale et


jurisprudentielle, compte tenu de l’évolution contemporaine du droit des contrats. Cette
évolution se focalise autour de deux axes qui permettent de donner une actualité particulière
au sujet qu’il s’agit de traiter. Le premier aspect concerne le souci de la justice dans les
rapports contractuels146, conjugué par le dirigisme contractuel .Quant au deuxième aspect, il a
trait à l’immixtion du juge147 dans le contrat aussi bien en matière de droit privé qu’en droit
administratif. Ces deux aspects constituent-ils une nouvelle tendance de la force obligatoire
du contrat ?

Dés lors, notre thèse consiste à étudier, la problématique suscitée par la conception
classique du principe de la force obligatoire du contrat et celle renouvelée par le droit
contemporain du contrat, selon une approche comparative, en vue de retirer les spécificités
du principe de la force obligatoire du contrat qui se rapportent à son fondement, sa portée vis-
à-vis des parties contractuelles et du juge , et de ses lacunes.

Dans ce contexte, notre réflexion sera portée également sur le traitement de la


nouvelle tendance de la force obligatoire du contrat en droit comparé, dans un environnement
contractuel, marqué par une prolifération des contrats d’adhésion, l’apparition des clauses
abusives. Cette situation peut entrainer au regard de la partie faible du contrat une sorte
d’injustice et une forme de déséquilibre contractuelle, ce qui donne naissance à l’émergence
de nouveaux principes conçus par la doctrine et inspirés par le droit contemporain favorisant

143
Clémentine CAUMES, l’interprétation du contrat au regard des droits fondamentaux, thèse
,Marseille,2010,p.9.
144
GHESTIN, Traité de droit civil, La formation du contrat,3 me éd ,n°255.
145
V, dans ce sens ,Rafik OULEHAZI,op.cit.
146
GHESTIN, Traité de droit civil,pré.,n°254.
147
G.CORNU,REGARDS sur le titre III du Code civil,Des contrats et les obligations conventionnelles en
géneral,les cours de droit, Paris 1976,n°273.Adde :J.MESTRE ,L’évolution du contrat en droit privé francais,
PU ,Aix-Marseille,1992,p.42 ;Le juge et l’exécution du contrat, Colloque I.D.A. Aix-En Provence,28 mai
1993 ;dans ce sens ,Rafik OULEHAZI,op.cit.
26
le dirigisme contractuel et l’interventionnisme judiciaire dans la vie du contrat, en vue de
satisfaire l’équité et la justice contractuelle.

Toute étude de droit comparé « (…) nait avant de l’étonnement que suscitent (…) des
différences »148 entre les solutions applicables dans les divers systèmes juridiques. Cependant,
il n’existe pas d’accord des auteurs sur les fonctions du droit comparé, apparu en tant que
discipline juridique à compter du XXe siècle sous l’impulsion décisive de Saleilles149 et de
Lambert150, mais qui a une origine plus lointaine151. On peut, en effet, en recenser plusieurs152.

Pour certains le droit comparé serait un moyen de compréhension du droit national


par sa confrontation avec des systèmes juridiques étrangers153 ; de manière plus précise, il
permet de rendre intelligible les liens et rapports peu visibles qui existent entre les divers
institutions d’un système et met en évidence tant les qualités que les insuffisances du droit
interne. Pour d’autres, les « investigations » menées au sein des législations étrangères
rendent possible l’amélioration du droit national154 .Si à l’origine, il s’agissait de s’inspirer de
types idéaux de sagesse155, la circulation des modèles a désormais pour ambition de permette
une concurrence sur le plan du commerce extérieur. D’autres, encore, estiment que la

148
K. Zweigert,« Méthodologie du droit comparé »,Mélanges offerts à Jacques Maury,t.1,Dalloz,1960,p.591.
149
R.Saleilles, Droit civil comparé, Les cours de droit,1910-1911 ;du même auteur ,v.De la possession des
meubles :étude du droit allemand et de droit français,LGDJ ,1970 ; « Conception et objet de la science du droit
comparé »,in Procès-verbaux et documents du congrès de droit comparé, Paris 1900,LGDJ
1905 ,t.1,p.171. ; « Droit civil et droit comparé »,Rev.intern.de l’enseignement 1991.p.20 ;v. également
C.lonescu, L’oeuvre de Raymond Saleilles endroit civil comparé, thèse Paris,Jouve,1919 ;H.Capitant,
« Conception, méthode et fonction du droit comparé d’après R.Saleilles » ,in L’œuvre juridique de Raymond
Saleilles,A.Rousseau,1994.
150
E.Lambert, « Conception générale, définition, méthode et histoire du droit comparé. Le droit comparé, Paris
1900,LGDJ ,1905,t.1,p.26 ;Etude de droit commun législatif. La fonction du droit civil comparé, LGDJ,1903.v.
également,Charles-Edouard BUCHER ,l’inexécution du contrat de droit privé et du contrat administratif, étude
de droit comparé interne, thèse, Paris II 2011,p.8 et s.
151
La comparaison des droits est en effet relativement ancienne. Cependant, avant le Code civil, tout le droit est
généralement appréhendé sans frontières et les solutions passent d’un pays à l’autre sans difficulté car les
systèmes-excepté la Common Law- sont fondés sur le droit romain. Mais des études restées célèbres ont été
rédigées à cette époque. On songe en particulier à l’Esprit des lois de Montesquieu paru en 1748.L’auteur étudie
en effet des législations étrangères ( à la lumière de l’environnement dans lequel elles s’inscrivent).
152
Sur les finalités du droit comparé « classique »,v.R.Rodiére, Introduction au droit comparé ,Dalloz,1979,n°20
et s.,p.32. ;X.Blanc ŔJouvan, « Prologue »,in L’avenir du droit comparé, un defi pour les juristes du nouveau
millénaire, Société de législation comparé,2000,p.7 et s. ;E.Picard, « L’état du droit comparé en France, en
1999 »,in L’avenir du droit comparé, un defi pour les juristes du nouveau millénaire, op.cit.,p.149 et s. ;v.aussi
R.David,Cjauffret-Spinosi,Les grands systemes de droit contemporains,11 e éd.,Dalloz,2002,n°5 ,p.4,Y.-
M.Laithier, Etude comparative des sanctions de l’inexécution du contrat, préf.H. Muir Watt, LGDJ,
« Bibl.dr.pr. »,t.419,2004,n°5 ,p.11 et s .
153
V à ce propos X.Blan-Jouvan. « Prologue »,in L’avenir du droit comparé, un défi pour les juristes du nouveau
millénaire, société de législation comparée,2000,p.7et s ;v. aussi R.David,C.Jauffret-Spinosi,Les grands
systèmes de droit contemporains,11e éd.,Dalloz,2002,n°5 ,p.4.v. également. Charles-Edouard BUCHER,
l’inexécution du contrat de droit privé et du contrat administratif, étude de droit comparé interne, op.cit.
154
H.,I.,J.Mazeaud,F. Chabas ,Leçons de droit civil, t.11 er vol., introduction à l’etude du droit, 12e éd.par
F.Chabas,Montchrestien,2000,Lect.II ,4e lecon,p.112.
155
Tel le Code Napolén et le rayonnement qui a été le sien.
27
fonction du droit comparé est l’unification du droit156.Elle tend à la sécurité juridique du
commerce international157 permettant de dépasser la diversité des systèmes de droit et les
conflits de lois qu’elle engendre.

Cette ambition est partagée à une moindre mesure par d’autres auteurs qui considèrent
que le droit comparé doit tendre à l’harmonisation des systèmes juridiques. Il ne s’agit plus
d’élaborer des règles identiques appartenant à un droit commun unique mais de rapprocher
les règles autour de principes communs.158La compréhension du droit national apparait à la
réflexion la fonction essentielle du droit comparé. Sa finalité est en effet de mettre en
évidence les analogies ou les similitudes des droits comparés dans toute leur dimension.

Dans le cadre de notre étude, il ne s’agit pas de rechercher une unification des deux
branches du droit interne. Cette finalité est d’ailleurs rarement mise en avant en droit
comparé. Cela tient essentiellement à l’existence d’une dualité de juridictions car toute
unification des règles juridiques porterait atteinte aux prérogatives de l’un ou de l’autre ordre
juridictionnel.

Les finalités essentielles de notre étude seront donc de permettre la compréhension du


droit interne à travers une comparaison à des ordres juridiques qui représentent une famille
de droit ,fut pendant longtemps ,un moyen efficace pour réduire le nombre de droits
nationaux à étudier sans pour autant que cette restriction n’influence le résultat de la
recherche .

En suivant cette approche, l’analyse comparative aurait pu être limitée aux droits
français, anglais et allemand. Les recherches effectuées dans chaque branche de droit sur le
thème de la force obligatoire du contrat, si elles Ŕ mêmes ont une valeur scientifique
indiscutable, s’enrichiront inévitablement d’une étude comparative. Selon Esmein, « on
compare pour mieux comprendre »159 .

156
En sens,v.R. Rodiére ;l’auteur précise que l’unification du droit constitue la fonction du droit comparé .
157
R.Rodiére, Introduction au droit comparé, op.cit., n°46, p.82.
158
Sur cette distinction, v..M.Delmas-Marty, « Le phénomène de l’harmonisation, l’expérience
contemporaine »,in L’harmonisation du droit des contrats en Europep.23,spec.p.28,1960, et v.aussi Delmas-
Marty,Vers un droit commun de l’humanité, Textuel,1996,p.12.
159
A.Esmein,Rapport fait au Congrès international de droit comparé (1900),cité par R.Rodiére,
op.cit.,n°30,p.52.v.aussi K.Zweigert, article ,p.581 ;l’auteur précise que « la connaissance de la solution
supérieure ou la meilleure possible servira (…) à l’interprétation des règles de droit, à la législation national, à
l’uniformisation internationale du droit : c’est là le fruit des recherches de droit comparé, mais le but de ces
recherches demeure la connaissance » ;v. auusi E.Picard, « L’état du droit comparé en France ,en 1999 » ,in
L’avenir du droit comparé, un défi pour les juristes du nouveau millénaire, Société de législation
comparée,2000,p.149 : « le droit comparé permet de mieux comprendre non pas seulement les autres droit, mais
28
L’originalité du droit comparé interne par rapport au droit comparé entendu
classiquement repose sur le fait que les références au droit privé sont fréquentes en droit
administratif-la réciproque étant moins vraie- précisément pour souligner la profonde
spécificité de cette discipline. A ce titre, l’approche comparative sera portée à l’étude de la
particularité de force obligatoire du contrat en droit privé et en droit administratif.

L’objet de notre recherche vise à étudier le principe de la force obligatoire du contrat


en droit privé et en droit administratif, dans sa conception statique fondée sur la théorie
classique du contrat et dans sa conception dynamique soutenue par la théorie contemporaine
dite renouvelée. A ce titre il convient de s’interroger sur le fondement du principe de la force
obligatoire du contrat, sa portée vis à vis des parties contractuelles et au juge, notamment,
l’exécution du contrat, la modification unilatérale, la résiliation unilatérale, la révision du
contrat pour cause d’imprévision pour le rétablissement de l’équilibre financier du contrat, la
résolution du contrat en cas d’inexécution, l’initiative de la nullité du contrat, ce sont les
grands principes de la force obligatoire du contrat qui vont constituer la ligne directrice de
notre champs de réflexion. Dans cette optique, il convient d’analyser les règles juridiques
conçues par le droit privé et celles prévues par le droit administratif, régissant le contrat en
matière de droit privé et administratif. Ainsi la jurisprudence et les travaux entrepris par la
doctrine seront mis en exergue, pour nous permettre de relever les lacunes, les divergences et
les convergences, qui existent selon la méthode comparative adoptée.

Dans ce sens, les prérogatives exorbitantes du droit commun dont dispose


l’administration publique qui lui permettent de faire prévaloir l’intérêt général aux dépens des
intérêts privés, le pouvoir de contrôle, le pouvoir de modification unilatérale, le pouvoir de
sanction, et le pouvoir de résiliation unilatérale, ce sont également les grands principes qui
dominent le droit administratif. Ces principes qui seront confrontés avec ceux du droit privé,
dans le cadre de notre étude comparative.

La réalité contractuelle qui se traduit par la prolifération des contrats d’adhésion et


l’apparition des clauses abusives, créant des inégalités de fait entre les parties du contrat a
poussé l’autorité publique à intervenir dans la vie contractuelle dans le souci de limiter et de
corriger les injustes contractuelles et de garantir l’équilibre contractuel. Le dirigisme
contractuel et l’immixtion du juge dans le contrat se sont les deux manifestations de la
nouvelle tendance de la force obligatoire du contrat illustrant que ce principe n’est pas absolu

bien son propre droit, et même le droit en général, Et, au fond, il semble bien qu’il s’agisse là de l’intérêt
essentiel du droit comparé (…) »,op.cit.,p.161.
29
.Dans le cadre de cette réflexion , il apparait donc nécessaire de s’interroger sur le point de
savoir comment l’émergence de nouveaux principes, pourrait favoriser le dirigisme
contractuel et l’interventionnisme judiciaire dans la vie contractuelle160, peut-il être
considéré, en tant qu’une esquisse d’une nouvelle tendance de la force obligatoire du
contrat ?Cette tendance édictée par les impératifs de l’égalité contractuelle et la justice
contractuelle, tend vers la consécration ou la régression du principe de la force obligatoire du
contrat?

Dans ce sillage, il convient d’aborder les nouveaux principes immergés par le droit
contemporain du contrat, favorisant le dirigisme contractuel en tant que mécanisme pour
protéger la partie faible contre toutes les formes d’infériorités et d’inégalité dans le processus
contractuel, dans un monde contractuel qui était dépourvu d’égalité, marqué par le
développement des contrats d’adhésion, des contrats standardisés161 donnant naissance à
l’apparition des clauses abusives ( le contrat de transport-le contrat d’assurance-le contrat de
consommation, le contrat de travail…).Cette situation qui s’est traduite par
l’interventionnisme du pouvoir législatif162 à travers le développement d’un ordre public de
direction et de protection restreignant le rôle de la volonté individuelle et cherchant à
garantir le bien de tous et l’équilibre contractuel.

L’interventionnisme ou l’immixtion du juge dans le contrat163 en phase d’exécution,


qu’il s’agit d’un contrat en matière de droit privé ou d’un contrat enmatière de droit public,
peut-il être considéré comme une autre forme de manifestation de la nouvelle tendance de la
force obligatoire du contrat ? ,fruit de la conception moderne du droit des contrats, un moyen
immergé par la jurisprudence et la réalité contractuelle, pour rétablir l’équilibre contractuel, et
satisfaire l’impératif de la justice contractuelle, en se fondant d’une part, sur les principes
prévus par la théorie classique du contrat et les pouvoirs qui lui sont reconnus par la loi, et
d’autre part sur les nouveaux principes développés par la théorie moderne du contrat

160
L’évolution des relations contractuelles contempraines révèle que la vision moderne du libéralisme est
inadaptée à la réalité ;il faudra désormais aller au-delà du postulat libéral du D.O.C.D’ou l’intervention constante
du législateur et du juge,où ces derniers n’hésitent pas à s’immiscer dans les contrats susceptible d’être
déséquilibrés dans un souci de justice contractuel.Le legislateur va jouer dans certains cas le rôle de prévention
contre les déséquilibres,notamment en matiére de droit de la consommation et en droit de la concurrence.Le
juge,quant à lui,va réviser certains contrats,voir annuler dans des cas exceptionnelles,annuler certaines clauses,en
imposer d’autres.Sur ce point v.Lasbordes,Les contrats déséquilibrés,Thèse Aix-en-Provence,Presses
universitaire d’Aix-Marseille,2000.
161
Voir. Marie-Hélène Renaut, Histoire. Op.cit.
162
A ce point v. Marie-Hélène Renaut, Histoire, op.cit.p114.
163
A ce point v. Marie-Hélène Renaut, Histoire, op.cit.p113 et s. v. également, Adeline VILLAIN, l’immixtion
du juge dans le contrat, mémoire ,Grenoble,2013 ;Anne LAUDE,pre.Jacques MESTRE, La reconnaissance par
le juge de l’existence d’un contrat,pres,unive,D’Aix-Marseille 1992.
30
notamment, l’égalité, l’équilibre contractuel, la solidarité. L’intervention du juge dans le
contrat qui est devenu de plus en plus présente et soutenue dans la présence de la force
obligatoire du contrat peut-il amener à une insécurité juridique164 ? Ou au contraire, aider les
parties à mieux coopérer165 ?

A coté de ces principes, des obligations de loyauté, de coopération, de collaboration,


se sont développées dans la vie contractuelle, même si elles sont loin d’imprégner l’ensemble
de la réalité contractuelle. Elles se déploient dans les contrats qui visent à renforcer le
fondement et la consolidation du principe de la force obligatoire du contrat dans sa conception
classique.

Pour mener à bien notre recherche et répondre aux différentes questions soulevées
auparavant, nous avons opté pour un plan bipartie :

Il s’agit donc de rechercher et de mesurer l’évolution qu’a connue le principe de la


force obligatoire du contrat, à travers une réflexion sur ses fondements et sa portée en
passant sans cesse du « donné » : constitué des grands principes fondés par la conception
classique du droit du contrat » au « construit » : qui se compose par de nouveaux principes
contractuels immergés par la réalité contractuelle, fruit du droit contemporain du contrat
(Première partie).

Ensuite, il convient de découvrir les manifestations ayant marqué le bouleversement


qu’a connu l’absolutisme du principe de la force obligatoire du contrat dans sa conception
traditionnelle, expliquant sa déclinaison et sa relativité, en donnant naissance à une nouvelle
tendance qui passe « de la rigidité à la souplesse ». Une souplesse qui s’est traduite par le
dirigisme contractuel et l’immixtion judiciaire dans le contrat dont l’objectif est de satisfaire
l’équilibre et la justice contractuels et l’adaptation de la force obligatoire du contrat à la
réalité contractuelle .(Deuxième partie).

Première partie : La théorie classique de la force obligatoire du contrat.


Deuxième partie : l’interventionnisme étatique et l’immixtion du juge face à la
forceobligatoire du contrat.

164
Adeline VILLAIN, op.cit.p.3.
165
Pour ce point, v. Etudes offertes à Gestion, le contrat au début XXI siècle,L.G.D.J.,2001,p.181.
31
PREMIERE PARTIE

32
Partie 1: La théorie classique de la force obligatoire du contrat

L’étude de la théorie de la force obligatoire du contrat est une entreprise délicate à


mener tant il est vrai que cette théorie est extrêmement riche. Le principe de la force
obligatoire s’est traduit par l’intangibilité du contrat qui trouve son fondement dans l’article
230 du D.O.C.Ainsi, le contrat une fois valablement formé, il se révèle la loi des parties. Au
nom de la sécurité normative et contractuelle, la convention est intangible dans les termes
stipulés et tout au long de l’exécution de la convention jusqu’à sa terme. Cette immutabilité
contractuelle s’impose tant aux parties qu’au juge, qui se trouve le garant de l’exécution des
obligations convenues dans le contrat. Cependant, l’évolution de la vie contractuelle marquée
par la prolifération des contrats déséquilibrés révèle une limité certaine de cette théorie
classique de la force obligatoire pour faire face aux injustices contractuelles qui peuvent être
dues à l’inégalité des parties ou à l’existence d’un déséquilibre économique du contrat.

Dès lors, il convient d’envisager, dans cette première partie, le principe de la force
obligatoire du contrat en droit marocain comparé, dans sa conception classique ,donnant un
caractère tangible au contrat valablement formé et interdisant l’intervention judiciaire dans le
contrat, pour cette fin , Nous tenterons à évoquer dans un 1er chapitre les fondements du
principe de la force obligatoire du contrat, tout en abordant la portée de ce principe en droit
marocain comparé, vis-à-vis aux parties contractuelles et au juge, puis,on va se pencher dans
le second chapitre, surl’analysedes lacunes et insuffisances du principe de la force
obligatoire du contrat, tout en mettant en exergue les conséquences déplorables de
l’exclusion des pouvoirs du juge pour le redressement de l’équilibre contractuel, justifiée par
le maintien du principe absolu de la force obligatoire qui lui interdisant d’intervenir dans le
contrat.

33
Chapitre 1 : les fondements de la force obligatoire du contrat

Le principe de force obligatoire du contrat se caractérise par une diversification de


sources de fondements, résultant de l’évolution de l’environnement contractuel. Une réflexion
profonde sera portée sur le fondement subjectif de ce principe dans son acceptation tant
philosophique que juridique166, tout en évoquant les causes du déclin de la théorie de
l’autonomie de la volonté en tant que fondement classique du droit des contrats et ses
manifestations sur le plan pratique (section 1).La volonté individuelle n’est plus perçue, en
elle-même comme créatrice de droit, elle ne suffit plus, à elle- seule, pour fonder la force
obligatoire du contrat167 ,elle a encore néanmoins un rôle à jouer. L’acte de volonté demeure
à la base du contrat, mais elle est dépourvue de toute puissance, elle est forcément encadrée
par la loi. La force obligatoire du contrat légalement formé est issue d’une norme extérieure
supérieure168, la loi qui constitue le fondement objectif de ce principe qui lui confère le
caractère obligatoire à côté de certains principes émergés par la doctrine en tant que sources
de la force obligatoire du contrat (section 2).

166
Sur l’approche philosophique. la remarque de G.ROUHETTE., la force obligatoire du contrat ,rapport
français, in Le contrat aujourd’hui, comparaisons franco-anglaises, LGDJ,1987,Bibl de dr. privé ,n°17,p.42 : «
les idées de bonne foi (art 231 du DOC et 1134 alinéa 3 du code civil français ),de justice objective, voire de
confiance légitime, c’est-à-dire, en définitive, d’équilibre des intérêts en présence sont plus appropriées, et aussi
responsables, qu’une doctrine pseudo-philosophique impraticable ».
167
Marie- Helene DE LAEDER et Franck Petit, Droit des contrats,5 émeéd 2010-2011,Editions Archétype 82
,Paris,p.24.
168
Martine GOURVES, la volonté du salarié dans le rapport de travail, thèse, Université Lumière Lyon 2, p.9.
34
Section 1 : Le fondement subjectif de la force obligatoire du contrat

Le contrat, source première d’obligations, sa force obligatoire est fondée sur la


volonté des parties. D’après la théorie classique de l’autonomie de la volonté169, c’est la
volonté des parties qui crée à elle seule le contrat et tous les effets qui en découlent. La
volonté est à la fois la justification de la force obligatoire du contrat et son élément
essentiel170, elle nourrit la pensée des juristes, mais ne fait pas l’objet de leur réflexion. C’est
pourquoi, on a cherché à étudier le fondement subjectif classique de la force obligatoire du
contrat : il s’agit de l’autonomie de la volonté forgée au cours du XIX éme siècle qui a
connu un déclin très sensibles dans le droit contemporain (paragraphe1), tout en appréciant
les limites au principe de consensualisme et à la liberté contractuelle qui constituent les deux
composantes du principe de l’autonomie de la volonté. A ce titre on assiste à une renaissance
du formalisme. Force est de constater que de nombreux contrats ne sont, en droit positif,
obligatoires que s’ils répondent à certaines formes (mentions obligatoires…).Les restrictions
qu’a connu la liberté contractuelle ne sont pas moins sensibles .La liberté contractuelle
suppose l’égalité des parties au contrat conformément à la théorie de l’autonomie de la
volonté. Or la réalité confirme que cette égalité est une égalité virtuelle. Depuis l’époque du
D.O.C (1913) et du code civil français (1804), les rapports entre les contractants ont en effet
évolué et revêtent aujourd’hui un caractère inégalitaire. Des disparités économiques,
techniques ou juridiques se sont créés et entrainent souvent la dépendance de l’un des
contractants vis-à-vis de l’autre. D’où la soumission des relations contractuelles à des règles
d’ordre public de direction et de protection restreignant la volonté individuelle dans le souci
de garantir le jeu normal de la concurrence et de protéger l’intérêt des particuliers contre les
inégalités contractuelles (paragraphe 2).

169
L’analyse la plus profonde en est faite par Gounot ( le principe de l’autonomie de la volonté en droit privé
,thèse, Paris 1912) .Parmi les ouvrages récents, voir Marty et Raynaud, droit civil, t. II, 1 er vol., Les
obligations, Paris 1962,p.30 et s. ;Carbonnier, droit civil, t. IV, Les obligations, Paris 1972,p.33 et s. ;Mazeaud,
Leçons de droit civil,t.II,1er vol., Les obligations, 2e éd .par de Juglart, Paris 1972,p.92 et s. ;surtout Flour et
Aubert, droit civil, les obligations, vol. I, L’acte juridique,p.69 et s., dont les développements ultérieurs
s’inspirent souvent.
170
Véronique RANOUIL, L’autonomie de la volonté naissance et évolution d’un concept, Presse
Universitaires de France, Paris,1980,p71.
35
Paragraphe 1 :Le fondement volontariste

L’autonomie de la volonté est le pouvoir de la volonté d’être un organe producteur de


règles171 .Elle est une théorie du fondement de la force obligatoire du contrat. D’après la
théorie classique de l’autonomie de la volonté, c’est la volonté des parties qui justifie le
fondement volontarisme de ce principe selon lequel « l’homme est un être libre, capable de se
lier lui Ŕmême, mais seulement par un acte souverain de volonté »172. C’est l’idée selon
laquelle « seule la propre volonté d’une personne serait susceptible de l’engager de façon
légitime »173(A).Le postulat philosophique qui repose sur l’idée de la liberté individuelle
est totale et erroné dans la mesure où l’homme vit nécessairement en société 174. Il en résulte
des liens d’obligations interdépendants, inhérents à toute vie sociale. Autrement dit, sans nier
le rôle de la volonté, on peut admettre qu’elle aménage ces rapports d’interdépendance
nécessaire mais elle ne peut le faire que dans le cadre de la loi et dans les limites de ce que
la loi autorise, ce qui traduit le déclin de la théorie de l’autonomie de la volonté (B).

A-La théorie de l’autonomie de la volonté

Retracer l’évolution du principe de l’autonomie de la volonté et les études doctrinales


s’y rapportant175 , nous a conduit à évoquer sa naissance (1) et sa portée (2) dans son
acceptation tant philosophique que juridique .

1- L’apparition du principe de l’autonomie de la volonté

C’est à partir de la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle que le principe
de la liberté de l’individu et, partant, celui de l’autonomie de la volonté ont été affirmés. Le
vaste élan humaniste drainé par la pensée chrétienne a pesé sur la mise en œuvre du
principe de l’autonomie de la volonté. Grotius, dans son ouvrage « De jure belli ac pactis »,

171
Véronique RANOUIL, op.cit., p.17.
172
G.ROUHETTE, contribution à l’étude critique de la notion du contrat, thèse. Paris, 1965, spéc.n°4, p.47.
173
J.GHESTIN, L’utile et le juste dans les contrats, D.1982, chron., p.1 et s.,spec.p.3.Mais on sait que l’auteur a
largement remis en question cette théorie. Voir dans ce sens Youssef GUENZAOUI, La notion d’accord en droit
.privé,LGDJ,Paris,2009,p.126 et s .
174
Marie- Helene DE LAEDER et Franck Petit, Droit des contrats,op,cit,p.20.
175
Sur ce point voir notamment ,E.GOUNOT, Le principe de l’autonomie de la volonté en droit privé,
contribution à l’étude critique de l’individualisme juridique,th.Dijon,1912 ;P.LOUIS ŔLUCAS, L’autonomie
de la volonté en droit interne et en droit international privé, Mélanges Capitant,1939,p.469 et s ;voir
également ,Stéphane DAMAISIN, Le contrat moral, préf, Bernard Teyssié,LGDJ,Paris,2000,p.87.
36
jette les bases du principe en faisant de la nécessité de tenir ses engagements la clef de voute
de son système176.

L’homme va lentement se concevoir comme un être autonome ; aucune autre volonté


que la sienne ne saurait l’obliger177.Ainsi la volonté individuelle est conçue comme la seule
source de toute obligation juridique de justice, c’est ce que les philosophes du XVIIIe siècle
soulignaient en avançant que les droits des individus doivent être sauvegardés, non seulement
contre l’Etat mais aussi contre tout groupement susceptible de réduire la liberté contractuelle.
La société ne doit plus être constituée que d’individus entre lesquels les relations sociales ne
peuvent être organisées que sur le fondement volontaire, c’est à -dire contractuel. C’est à la
même inspiration que se rattache, sur le plan des institutions politiques, la fameuse théorie du
contrat social de Hobbes et Jean Jacques Rousseau qui a mis en évidence que les rapports
sociaux sont organisés en vertu d’un accord entre les hommes qui acceptent des contraintes
pour vivre en société.

Dans le sillage de la philosophie du droit naturel et volontaire dans lequel la théorie


de l’autonome de la volonté s’est élaborée, Kant soutient que la volonté individuelle est la
source unique de toute obligation juridique et la seule source de justice. Ainsi, « quand
quelqu’un décide quelque chose à l’égard d’un autre, il est toujours possible qu’il lui fasse
quel qu’injustice ; mais toute injuste est impossible dans ce qu’il décide pour lui-même »178.
La célèbre formule de Fouillé179, auteur de la fin du XIXe siècle, trouve ici son origine : «
qui dit contractuel, dit juste ».Ainsi, cette conception dominante repose sur cette idée que le
principe de l’autonomie de la volonté représenterait le fondement de la force obligatoire du
contrat. C’est l’idée selon laquelle seule la propre volonté d’une personne serait
susceptible de l’engager de façon légitime. L’autonomie de la volonté signifie que la volonté
humaine tire d’elle Ŕmême toute sa force créatrice d’obligations.

Traditionnellement le principe de l’autonomie de la volonté a été évoqué selon


plusieurs acceptions qui sont d’ordre philosophique et juridique. Il convient donc d’étudier

176
G.AUGE, Le contrat et l’évolution du consensualisme chez Grotius,Arch.Phil.du.dr.,1968,p.99 et s
;G.ROUHETTE, Contribution à l’étude critique de la notion du contrat,op.cit,p590;Stéphane DAMAISIN, Le
contrat moral, préf, Bernard Teyssié,op.cit,p.87 et s .
-2005 ،َٙ‫جبيؼخ انذـٍ انضب‬،‫ انمبٌَٕ انشبص‬ٙ‫م انضكزٕعاِ ف‬ُٛ‫ اؽغٔدخ ن‬،‫خ’ صعاؿخ يمبعَخ‬ٛ‫خ انًزؼبلض يٍ انشغٔؽ انزؼـف‬ٚ‫ دًب‬،َٙ‫اَظغ يذًض ثذًب‬
.‫ ٔيبثؼضْب‬21‫ص‬،2006
177
E.GOUNOT, Le principe de l’autonomie de la volonté en droit privé, contribution à l’étude critique de
l’individualisme juridique ,op.cit. ,p 33 et s.
178
Kant, doctrine du droit ,trad.Barni,p.169 .
179
Voir dans ce sens Youssef GUENZAOUI, La notion d’accord en droit .privé,op.cit,p.126.
37
les significations philosophique et juridique de ce principe (a) avant de l’aborder en tant que
source dont le contrat tire sa force obligatoire (b).

a- Le principe selon l’explication philosophique et juridique

L’approche philosophique du concept d’autonomie de la volonté nécessite que soit


rappelé le postulat qui a présidé à sa mise en évidence : l’homme est libre par essence180.Cela
signifie philosophiquement, que l’autonomie de la volonté repose sur la croyance en la
liberté naturelle de l’homme181. Par-là, la règle juridique est en lien étroit avec la
philosophie du XVIIIe siècle qui, projetée sur le plan des idées politiques, s’est résumée
dans l’affirmation des droits individuels contre l’Etat : affirmation qui devait elle-même
aboutir à la déclaration des droits de l’homme de 1789 : en substance ,l’Homme est
naturellement libre et ne peut être obligé que s’il l’a voulu ;être libre ,c’est accepter de
restreindre soi-même sa liberté ;aussi toutes les obligations que l’individu a volontairement
consenties s’imposent à lui182.

Selon l’acceptation du principe qui rejoint le contrat social de Jean Ŕjacques Rousseau,
on trouve que la société a reconnu à l’homme les droits les plus possiblement étendus qu’il est
possible ; elle doit consacrer la liberté qui lui appartient « naturellement ».183 L’autonomie
de la volonté n’est qu’un aspect particulier de cette thèse générale. De la liberté posée
comme principe premier découlent, en effet, deux conséquences.184D’une part, l’homme ne
doit pas être assujetti à des obligations auxquelles il n’a pas consenti 185.Mais d’autre part et
à l’inverse, toutes les obligations qu’il a voulues s’imposent à lui. Etre libre, c’est être admis

180
Marie- Helene DE LAEDER et Franck Petit, Droit des contrats, op.cit.p17.
.50-49 ‫انظفذخ‬،2011 ‫ؽجؼخ‬،ٙ‫ انمبٌَٕ انًغغث‬ٙ‫خ انؼبيخ نالرؼايبد ف‬ٚ‫ انُظغ‬،‫اَظغ ثشظٕص ْظِ انُمطخ انًشزبع ثٍ ادًض انؼطبع‬
،٘‫ضح نهمبٌَٕ االلزظبص‬ٚ‫ى انجض‬ْٛ‫خ انؼبيخ نالنزؼاو ػهٗ ػٕء ربصغْب ثبنًفب‬ٚ‫ضخ نهُظغ‬ٚ‫ صعاؿخ دض‬،َٙ‫ انمبٌَٕ انًض‬،٘ٔ‫اَظغ كظنك ػجض انغدًبٌ انشغلب‬
،‫انجؼء االٔل‬،َٙ‫ انمبٌَٕ انًض‬،ٙ‫يظطفٗ انؼٕج‬-. 42‫انظفذخ‬،2014 ‫خ‬َٛ‫ؼبءـبنطجؼخ انضب‬ٛ‫ضح انضاع انج‬ٚ‫ يطجؼخ انًؼبعف انجض‬،‫انجؼء االٔل‬
.110-109 ‫انظفذخ‬،2011 ‫انطجؼخ‬،‫خ‬ٛ‫ انذمٕل‬ٙ‫يُشٕعاد انذهج‬،‫انؼمض‬
181
Kant, fondements de la métaphysique des mœurs, Trad.V. DELBOS,DELGRAVE,1976,p.180 : « une
volonté soumise à des lois morales (…) sont une seule et même chose » ;voir sur ce point E.PUTMAN, Kant et
la théorie du contrat ,RRJ 1996,p.685 : « l’autonomie ( de volonté) que vise Kant est celle de la volonté
absolument bonne » ,celle dont la maxime peut toujours enfermer en elle-même la loi universelle qu’elle est
capable d’être ».L’autonomie de la volonté que visent les juristes est celle d’une volonté que ses désirs et ses
inclinations peuvent rendre mauvaise et à qui ,dans la pensée de Kant, il est nécessaire ,pour se contraindre, de
reconnaitre la loi morale comme un devoir » .L’auteur en conclut que « ce serait (…) une erreur de perspective,
que d’assimiler la conception kantienne de l’autonomie de la volonté à l’aphorisme de Fouillée, » qui dit
contractuel dit juste »à ce postulat de la doctrine juridique de l’autonomie de la volonté, selon lequel la liberté
contractuelle serait la condition nécessaire de la justice contractuelle, ou tout ou moins suffirait à produire dans
la majorité des cas sans intervention extérieure ».
182
Marie- Helene DE LAEDER et Franck Petit, Droit des contrats, op.cit.p17.
183
Flour et Aubert, droit civil, les obligations, vol. I, L’acte juridique, op.cit p.75
184
Voir.Gounot,op.cit.p.61 et s.
185
« une personne, a dit Kant ,ne peut être soumise à d’autres lois que celles se donne à elle Ŕmême. Toute
obligation dont elle ne serait pas elle Ŕmême la source serait contraire à la dignité de l’individu » (doctrine du
droit ,passage cité par GOUNOT,op.cit.,pp 45 et s .,et p.320.
38
à restreindre soi-même sa liberté ,spécialement par les contrats que l’on conclut .Il n’est de
liberté vraie que ne comporte un pouvoir d’auto Ŕlimitation186.

Partant du postulat qui suppose que la majorité des domaines de la vie sociale sont
réglementés. Entre l’élevage de poules et le stationnement des véhicules, il y a aujourd’hui un
point commun : l’existence des normes légales limitant la liberté des individus. Dès lors,
affirmer que « l’homme est libre » peut être considéré comme une provocation.

Ce postulat signifie que l’individu n’est pas libre dans les faits. C’est sa nature
profonde qui dicte qu’il doit être libre d’agir à sa guise. Cette proposition ne signifie
nullement qu’il est impossible de soumettre l’individu à un certain nombre d’obligations. Au
contraire, l’action normative, et donc contraignante, doit être regardée comme garante de cette
liberté en ce qu’elle interdit aux individus d’empiéter sur les libertés des autres187.Une logique
acceptation du postulat selon lequel l’homme est libre par essence nécessite de rappeler que
des contraintes, destinées à protéger cette liberté, peuvent être imposées.

S’agissant de l’explication juridique du principe de l’autonomie de la volonté, cela


signifie que la volonté peut être la source de droit et par conséquent le fondement de la force
obligatoire du contrat. Bien que le concept semble dater de plus de trois cents ans, sa
formulation est plus récente, diffusé par les études du droit international privé188.L’usage ,en
droit international privé ,du mot d’autonomie, employé seul ,ou attribué aux citoyens ,à
l’homme ou aux parties ,est né en Allemagne :Foelix189, Savigny190 et de nombreux

186
,Flour et Aubert,op.cit.,p.75.
187
Voir .F.HAYEK (Droit, législation et liberté, t.I, Règles et ordre TRAD .R.AUDOUM , PUF
995,Coll.Quadige,p.42) : « Vivant comme membres de la société et cependant ,pour la satisfaction de la plupart
de nos besoins, de diverses formes de collaboration avec autrui, il est clair que nous ne pouvons suivre
efficacement nos objectifs que si les prévisions que nous pouvons faire des actions des autres, sur lesquelles
reposent nos plans, correspondent à ce que ces actions seront effectivement ».Adde, pour une confirmation de
la nécessité de limiter les droits individuels dans un souci d’organisation sociale, P.VINOGRDOFF, Common-
Sense inlaw,Londres,1994,p.45 ets. : « The problem consists in allowing such an exercice of each personnel will
as is compatible with the exercice of others (…) In social life,as we know,men have not only to avaoid
collisions,but to arrange co-operation in all sorts of ways,and the one common feature of all these forms of co-
peration is the limitation of individuals wills in to archiieve a common purpose ».Voir . Stéphane DAMAISIN,
Le contrat moral, préf, Bernard Teyssié,op.cit.,p.89.
188
Il semble cependant que l’expression « autonomie de la volonté » soit apparue dans la doctrine
internationaliste. Voir en ce sens. V.RANOUIL, l’autonomie de la volonté, naissance et évolution du concept
,,presse univer.de France,paris,1980,,p.9 et s.
189
Les internationalistes les premiers ,utilisent à partir de 1843,date de publication par Foelix du premier traité
de droit international privé depuis l’ancien droit, les expressions synonymes d’autonomie .De même, c’est dans
le vocabulaire internationaliste qu’apparait d’abord, en 1883,avec Brocher, et surtout, en 1996,avec Weiss,la
formule d’autonomie de la volonté.
190
Savigny, système de droit romain, traduit par Guenoux,t.VIII,p112.
39
auteurs191,après eux le disent. Pareille origine est peu surprenante. Cette formule a été
introduite en France par Foelix .

Le terme d’autonomie a une double signification juridique, dont Gény192a évoqué


l’histoire : l’une est fort ancienne, l’autre récente. La première sert à désigner en droit
germanique, le privilège appartenant à la noblesse et à certaines corporations de régler elles-
mêmes leurs rapports par une sorte de législation domestique193. Mais le deuxième sens est
employé à propos de la solution à donner aux conflits de lois en matière contractuelle. Cette
utilisation, selon Savigny est récente.

L’autorité de Kant est certainement à écarter. Sans doute sa philosophie était-elle


connue des juristes allemands, en raison de l’organisation des études qu’ils avaient suivies.
Mais l’expression qu’il a inventée est celle de l’autonomie de la volonté, dont le sens est
purement éthique194.Le terme d’autonomie, lui, est comme l’indique son étymologie, utilisé
depuis l’antiquité : il désignait alors le droit que les romains avaient laissé à certaines cités
grecques de se gouverner selon leurs propres lois.

Sa signification éthologique invite ainsi à l’utiliser dans toutes les circonstances ou


des individus se donnent leurs propres règles. Il a donc été d’abord employé dans le
vocabulaire juridique allemand à propos de groupes sociaux élaborant eux Ŕmêmes leur
règlementation interne ce qui donne une justification au fondement de la force obligatoire du
contrat qui tire sa force du principe de l’autonomie de la volonté. Ce principe a rapidement
trouvé un vaste écho auprès des plus grands civilistes. Puis les internationalistes ont cherché
à qualifier la règle permettant de résoudre les conflits de lois en matière contractuelle195.

b- Le principe conçu comme source de la force obligatoire du contrat

Dans la pensée juridique, l’autonomie de la volonté, concept purement doctrinal,


signifie que la volonté est la source et la mesure des droits subjectifs ; qu’elle est « un organe

191
Laurent ,le droit civil international ,Bruxelles et Paris 1880,1882,t,II,p.383 ;Aubry, le domaine de la loi
d’autonomie en droit international privé, journal du droit international privé,1986,p465.
192
L’expression même de l’autonomie de la volonté ,empruntée aux internationalises, n’apparait dans la
doctrine civiliste qu’en 1891 avec Worms : « de la volonté unilatérale considérée comme source d’obligations,
thèse paris,p.191 ». et surtout en 1899 avec Geny : « méthodes d’interprétation et sources en droit
positif,p.144.voir en ce sens,V.RANOUIL, p17.
193
Savigny, système de droit romain, traduit par Guenoux,t.VIII,p113.
194
En philosophie. c’est avec Kant que s’impose l’expression d’autonomie de la volonté .La signification qui lui
donne est exclusivement morale. ;tous les auteurs le soulignent, notamment .M.Villey (Leçons d’histoire de la
philosophie du droit,Paris 1962,p.266,in Kant dans l’histoire de droit),A. Rieg ( le contrat dans les doctrines
allemandes du XIXe siécle,Arch.Philo.Droit,1968,p.33).
195
V.RANOUIL,op.cit., 21 et s.
40
créateur de doit »196Elle est la pièce maitresse de la philosophie de droit qui a dominé le XIXe
siècle : celle de l’individualisme juridique. Celui-ci entendu dans son sens classique, fait de
l’individu considéré comme une volonté libre, isolée du milieu social, le seul objet, le seul
fondement, et la seule fin du droit197. Cela signifie que l’individu étant naturellement libre,
n’est soumis à aucune autre obligation extérieure de sa propre volonté, c’est-à-dire que toute
obligation juridique qui pèse sur l’homme a nécessairement un fondement volontariste qui
émane de celui-ci.

L’autonomie de la volonté constitue la base d’une liberté à laquelle notre société est
profondément attachée198.La volonté n’étant soumise à aucune contrainte, l’individu est libre
de contracter ou de ne pas contracter, de choisir la personne de son contractant et de décider
les termes de la relation contractuelle.

La liberté contractuelle à une double signification : la première précise que les


individus, pourvu qu’ils ne contreviennent pas aux lois, sont investis d’une liberté de
contracter ou pas avec les contractants qu’ils désirent. Le deuxième sens signifie que les
parties contractuelles expriment leurs volontés selon le mode qui leur convient 199, pour
conclure le contrat dont elles déterminent elles-mêmes et librement le contenu200.

Le concept de l’autonomie de la volonté représente une philosophie de l’homme, une


théorie du fondement du droit et une théorie du but du droit .En effet, il accorde à l’homme
des droits naturels antérieurs à ceux de la société, dont l’essentiel est la liberté ; il fait de

196
E.Gounot, le principe de l’autonomie de la volonté en droit privé,op.cit.p.3.
197
V.RANOUIL,op.cit., 10 et s.
198
Le conseil constitutionnel français semble peu à peu s’orienter vers une protection-à défaut de véritable
reconnaissance d’un principe constitutionnel- de la liberté contractuelle. La formule retenue dans une décision
du 3 aout 1994 (RTD civ.1996,151,obs.J.MESRE) est sans ambiguïté : « aucune norme de valeur
constitutionnelle ne garantit le principe de la liberté contractuelle ».Dans une décision plus récente (C.Const.,30
déc.1996 ;RTD civ.1997,p.416,obs.J.MESTRE), il a pu sembler que l’on assistait à un assouplissement de cette
position, le Conseil Constitutionnel préférant la formule selon laquelle « aucune norme constitutionnelle ne
garantit (…) un principe dit de « confiance légitime» .Dans une décision n°97-338 du 20 mars 1197 (JCP
1997,éd.G,I,4039,n°1 ,obs. M.FBRE-MAGNAN),il semble lever les dernières hésitations : « le principe de
liberté contractuelle n’a pas en lui- même de valeur constitutionnelle ».Une décision rendue le 10 juin 1998
(RTD civ.1999,p.78,obs.J.MESTRE ;RTD civ.1998,p.798,obs.N.MOLFESSIS) contribue à nuancer la position
du conseil constitutionnel : « le législateur ne saurait porter à l’économie des conventions et contrats légalement
conclus une atteinte d’une gravité telle qu’il méconnaisse manifestement la liberté découlant de l’article 4 de la
Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen ».voir en ce point Stéphane DAMAISIN, Le contrat moral,
préf, Bernard Teyssié,op.cit.p.90 et s.
199
Il arrive toutefois que la loi impose un certain formalise qui se traduit soit par l’exigence d’un écrit ( article
2-1,du DOC) ,soit, à un degré supérieur de formalisme, par l’obligation d’adopter des modèles types prévues par
les textes. Un exemple ces modèles est fournis par la loi 31-08 relative à la protection du consommateur
(article 37) ,et en droit comparé français ,le décret du 24 mars 1978 pris pour l’application de la loi du 10 janvier
1978 relative à l’information et à la protection des consommateurs dans le domaine du crédit à la
consommation..
200
Voir également , Rafik Ouelhazi,le juge et la force obligatoire du contrat ,thèse ,op.cit.,p12
41
l’individu la source du droit, ce que l’on désigne par la doctrine de l’autonomie de la
volonté ;il assigne pour fin au droit la coexistence des volontés individuelles201.

Selon Planiol202, « dans le contrat c’est la volonté des parties qui forme l’obligation ;
c’est elle qui en est véritablement la cause-créatrice, c’est elle qui en détermine l’objet,
l’étendue et les modalités ».La volonté dispose d’une énergie juridique qui s’exprime par un
pouvoir absolu203 à travers le lien contractuel qui prend la forme du contrat. Cette théorie
implique qu’en matière contractuelle, c’est la volonté des parties qui fixe le droit, « le
législateur n’a donc ici, le plus généralement qu’à préciser les effets plus ou moins
distinctement aperçus par les parties…et dont le fondement se trouve dans l’autonomie de la
volonté »204.La volonté qui ne dépend que d’elle Ŕmême représente le fondement de la force
obligatoire du contrat, car « dire que la volonté est autonome, c’est affirmer qu’elle tire
d’elle-même ses lois »205.

La conséquence logique de la théorie de l’autonomie de la volonté signifie que la


souveraineté de l’individu, ne peut être soumise qu’aux obligations émanant de sa volonté.
Autrement dit, sa « souveraineté ne peut être limitée que elle Ŕmême, que sa volonté
s’exprimant dans le contrat »206.Mais dans la mesure où l’individu qui se lie par sa propre et
autonome volonté ne peut être se délié de l’accord conclu : « dans le contrat, c’est l’homme
qui s’est enchainé lui - même, mais c’est l’homme enchainé »207.D’où l’importance que revêt
la théorie de l’autonomie de la volonté en tant que fondement subjectif de la force obligatoire
du contrat, en lui attribuant un caractère contraignant et avec lequel le débiteur se trouve dans
l’obligation de respecter son engagement qui est librement exprimé et consenti sans aucune
contrainte extérieure.

Le principe d’autonomie de la volonté traduit très exactement la réalité concrète du


droit positif. Fournissant une base de règles légales en matière de contrats comme celles, par

201
V.RANOUIL,op.cit., 10 .
202
M. Planiol, Classification des sources des obligations,Rev.crit.législ.jurip.,1904,p.224 et s.,spec.p.226.
203
Un exemple de l’engouement que certains auteurs ont eu pour la théorie de l’autonomie de la volonté. Ainsi
,l’article 1832 C.cil. français disposant que la société est un contrat, un auteur, faisant surement allusion au fait
que la société est une personne morale, a pu exprimer cette idée quelque peu curieuse : « la force de la liberté
individuelle, dit-il, est telle que non seulement en contractant elle crée le droit, mais les êtres » E.Bertrand, De
l’ordre économique à l’ordre collectif, Mélanges G.Ripert,t.1,p.164.Comp.G.Renard,La théorie de
l’institution,1er vol,1930,pp.363-365 : « le contrat n’engendre point un être ».
204
Colin et Capitant, Cours élémentaire de droit civil francais,4 me éd,Paris,Dalloz,1923/1925,t.1,p.3.
205
A.Weill et F.Terré, Les obligations,1986,4me éd.,n°58,p.55-adde :Flour et Aubert, les obligations, l’acte
juridique,7me éd.,1996,n°95,p.61 « c’est donc elle Ŕmême que la volonté tire sa force contraignante ».
206
G .Morin, Vers la révision de la technique juridique : le concept d’institution ,Arch. Phil.dr et socio.jur.,n°1-
2,1931,p73 et s,spec.p.78.
207
Morin ,La loi et le contrat :la décadence de leur souverainté,Paris,1927,p.54.
42
exemple de la liberté contractuelle, du consensualisme, du respect de la volonté des parties
dans la conclusion, l’exécution et l’interprétation du contrat.

C’est pourquoi, il apparait nécessaire de déterminer la portée du principe de


l’autonomie de la volonté, envers la personne partie du contrat et aux autorités extérieures,
soit qu’il s’agit du législateur ou du juge.

2- La portée du principe de l’autonomie de la volonté

Suivant la doctrine de l’autonomie de la volonté, chaque personne doit se donner sa


propre loi. Elle est, ensuite, liée par cette loi qui résulte de sa volonté. Les lois individuelles
sont ainsi distinguées de la loi de l’Etat qui traduit la volonté collective et les lois
individuelles doivent l’emporter sur la loi de l’Etat208.

Sur le plan économique, l’autonomie de la volonté suppose que la libre négociation


entre les individus, la volonté d’entreprendre, sans entrave -ou presque- sont le meilleur
moteur de l’économie, selon la formule suivante « L’Etat doit laisser faire et laisser
aller ».Les individus doivent pouvoir aménager leurs échanges économiques librement, ce
qui constitue la meilleure garantie de l’existence de rapports naturellement plus équitables,
et socialement plus utiles. Un homme raisonnable ne peut donner, pensait-on assez
naïvement, son consentement à un acte qui lui porterait préjudice209.
La loi de l’Etat doit, en principe, se contenter de suppléer les volontés individuelles
lorsqu’elles sont défaillantes (par des règles de droit supplétives de volonté).Elle ne doit
intervenir d’une façon autoritaire (par des règles de droit impératives),dans la mesure où cela
est strictement nécessaire pour sauvegarder l’ordre public. Ces idées ont prévalu au XIXe
siècle, en même temps que le libéralisme économique (opposé à l’interventionnisme
étatique)210.

Partant du postulat que la volonté soit autonome, cela signifie que toute personne est
libre de conclure ou de ne pas conclure, tel ou tel contrat, avec tel ou tel personne. Cette règle
implique que les personnes choisissent librement le contenu de leur contrat sans que cette
liberté de déterminations des obligations que les parties seront tenues de les respecter ne doit
être heurtée à un formalisme.

208
Lucienne Topor, Les contrats, éditions Litec,Paris,1998,p.7.
209
Marie- Helene DE LAEDER et Franck Petit, Droit des contrats ,op.cit.,p18.
210
Lucienne Topor, Les contrats,op.cit.,p.7.
43
Les conséquences juridiques de l’autonomie de la volonté se manifestent à travers
des principes juridiques : le consensualisme, la liberté contractuelle (liberté de contracter ou
de ne pas contracter, liberté de choisir son partenaire contractuel, liberté de déterminer le
contenu du contrat) ; la force obligatoire du contrat, l’effet relatif du contrat211. Ces principes
ont eu une influence sur le code civil français et le DOC marocain qui demeure très proche de
la théorie classique du contrat qui accorde au consentement une importance de premier ordre
et y voit l’une des principales applications du principe de l’autonomie de la volonté212.

Le principe de la liberté contractuelle Ŕqu’aucune norme constitutionnelle ne


garantit- est l’un des principes essentiels du droit des contrats. Il signifie que les parties
peuvent fixer comme elles l’entendent le contenu de leur contrat213. Partant de ce principe,
l’individu peut se concevoir sa propre loi, à travers la conclusion des actes juridiques et plus
particulièrement, par les contrats. Ces actes créent, en effet, les conséquences juridiques
voulues par les intéressés. La doctrine de l’autonomie de la volonté conduit donc
logiquement à consacrer la règle de la liberté contractuelle214.

La conclusion des contrats est dominée par le principe du consensualisme selon lequel
le seul échange des consentements suffit pour créer des obligations à la charge des parties et
ce, même en l’absence d’écrit. Pour qu’existe un engagement juridique, il suffit qu’il y ait eu
rencontre de deux volontés concordantes librement exprimées215. Le seul garde-fou mis en
place par les rédacteurs du DOC marocain ou du code civil français réside dans l’exigence
d’un consentement « libre et éclairé », autrement dit, exempt de tout vice-ce qui renvoie à la
théorie des vices du consentement216.En matière contractuelle, le terme « consentement »
revêt une double acception. Il désigne d’abord la manifestation de volonté de chacune des
parties, l’acquiescement qu’elle donne aux conditions du contrat projeté. C’est avec cette
signification que le mot consentement est employé lorsqu’on parle de « l’échange des
consentements » ou encore lorsqu’on dit d’une personne qu’ « elle a donné son
consentement »217.

Le mot consentement dans le sens étymologique signifie l’accord, le concours de


deux volontés, celle du débiteur qui s’oblige, celle du créancier envers lequel il s’oblige. Une

211
Christophe Lachiéze, Droit des contrats ,3e éd,, Ellipses Edition,Paris,2012,p.150.
212
Omar Aziman,le contrat,op.cit,p.91.
213
Delebecque, Fréderic-Jérôme Pansier « droit des obligations : contrat et quasi-contrat », op.cit.,p145.
214
Lucienne Topor, Les contrats,op.cit.,p.7.
215
Marie- Helene DE LAEDER et Franck Petit, Droit des contrats, op.cit.p.19.
216
Voir article 39 à 56 du DOC et en droit comparé français l’article 1109 et s du Code Civil.
217
Francois Terré,Philippe Simler,Yves Lequette,Les obligations,10é éd,2009,Dalloz,Paris II ,p111.
44
thèse, d’inspiration germanique, voit dans le contrat une simple juxtaposition de deux
déclarations unilatérales de volonté, obligatoire chacune par elle-même218. Dans l’analyse
qu’en fait la doctrine allemande, la déclaration de volonté apparaît elle Ŕmême comme
un concept dualiste. Elle implique d’une part la volonté interne du déclarant 219 :c’est son
aspect subjectif- d’autre part une manifestation de cette volonté extérieure et perceptible
aux autres :c’est son aspect objectif. Cette manifestation extérieure peut être, comme en
France, expresse ou consister en une attitude, un comportement qui révèle la volonté de son
auteur. Mais ce n’est que manière exceptionnelle, si les parties l’ont voulu ou si la loi en
dispose ainsi, qu’elle peut résulter du silence220.

Aussi bien dans la conception marocaine que française, le contrat naît non de la
juxtaposition de deux déclarations dont chacune serait isolément obligatoire, mais de la
rencontre des volontés qui fait naitre une volonté nouvelle, celle de réaliser une opération
commune qui est l’objet du contrat221.C’est la nœud des volontés, le courant de confiance
qui passe entre les parties qui forme le contrat.

Il est important d’aborder la portée du principe de l’autonomie de la volonté en tant


que principe générateur de l’obligation selon ses deux manifestations: la volonté actualisée et

218
Worms ,De la volonté unilatérale considéré comme source d’obligations,thése,Paris,1891,p.93 in fine : « ce
qui un contrat nous apparaitra essentiel, ce n’est plus la rencontre et l’échange des volontés, c’est chacune
des volontés considérée isolément. Car chacune d’elles à son effet propre, et chacune d’elles suffit à lier à son
auteur ».Sur les rapports entre cette thèse et les idées de Siegel, auteur autrichien qui a donné, en 1973,sa
première expression scientifique à la théorie de l’engagement unilatéral ,v. A. Rieg, Le rôle de la volonté dans
l’acte juridique en droit civil français et allemand ,thèse strasbourg,éd.1961.n°430 et s.p.430.Pour une analyse
apparentée à celle de Worms ,v. C. Grimaldi, Quasi-engagement et engagement en droit privé, thèse, Paris
II ,éd.2007.Pour une analyse renouvelée des rapports de la volonté et du consentement ,v. M.- A .Frison- Roche,
Remarques sur la distinction de la volonté et du consentement en droit des contrats, RTD civ,1995,p,573.
219
La doctrine allemande pousse plus loin l’analyse et elle distingue 3 niveaux dans la volonté interne du
déclarant : d’abord la volonté, c’est-à-dire la conscience d’agir en l’absence de cette volonté, il n’y a pas d’acte
juridique-ensuite la volonté de déclarer, c’est-à-dire la conscience que son agissement constitue une déclaration
assortie d’effets juridiques. L’hypothèse d’école sur laquelle raisonnent les auteurs est relative à une vente de
vin aux enchères à Trêves au cours de laquelle une personne présente ,étrangère à la région ,lève le bras pour
saluer un de ses amis ,alors que ce geste représente, ce qu’elle ignore, une enchère de 100 Euro et se voit
attribuer en conséquence le tonneau par le commissaire-priseur. Il y a controverse en Allemagne sur le point de
savoir quelles sont les conséquences de cette situation :nullité ou annulabilité de la déclaration litigieuse ; sous
réserve cependant d’un large accord pour admettre que le déclarant doit réparer le préjudice causé au destinataire
de la déclaration qui a cru à sa validité ( § 122 al 1er du BGB)-enfin la volonté d’effectuer un acte juridique
déterminé c’est-à-dire la conscience d’engendrer un effet juridique bien précis :le déclarant par exemple vent
vendre sa voiture pour 1000 Euro mais par inadvertance il laisse tomber un zéro dans la lettre qu’il adresse à un
acheteur éventuel. Ici les auteurs s’accordent pour considérer qu’il y a erreur qui rend la déclaration annulable
aux conditions du §119,al 1er, avec obligation pour le déclarant de réparer le préjudice causé au destinataire de la
déclaration qui a cru à sa validité ( §122,al.1er ).Sur toutes ces questions v.Musielak,Grundkurs.BGB,8 e
éd,n°54 et s., 61 et s. ;Medicus ,AT,8e éd, n°605 et s. ;Larenz/Wolf,AT,8e éd,§19III ;Wrrz, Droit privé
allemand,t.1 :actes juridiques, Droits subectifs,1992,n°79 et s.
220
Michel Pédamon, le contrat en droit allemand,2 e ed, Paris, LGDJ ,p. 2et s.
221
Sur cet accord, v.G. Rouhette, contribution à l’étude critique de la notion du contrat,1965,n° 98 et s.
45
la volonté déclarée, et en tant qu’obstacle insurmontable s’opposant à l’immixtion du juge
dans le contrat librement voulu et consenti.

a- Les manifestations de la volonté

La volonté interne, révèle ainsi son importance en ce qu’elle est, à elle seule, le point
de départ de l’énergie juridique222. C’est elle qui génère les substrats nécessaires à une telle
énergie. En effet, au regard de la théorie de l’acte juridique, la conscience et l’intention,
tracent un « trait d’union » entre la volonté et l’effet juridique, dans la mesure où celui qui est
conscient sait qu’il peut produire un effet juridique. Cela signifie que la volonté demeure
fondamentale dans l’analyse de la formation du contrat, car l’effet juridique est, bien que de
manière médiate, relié à elle. Le rôle de la volonté est essentiel, certes, mais ses tares qui sont
l’invisibilité, l’intériorité et l’inconstance incitent à désacraliser, voir à l’écarter du débat
juridique.

L’invisibilité de la volonté223 est un des vices premiers et indélébiles de la volonté.


En effet, comment prouver une volonté si elle n’est pas matérialisée ? Vouloir ne peut être
le fondement de la force obligatoire du contrat. Si celle -ci ne s’est pas manifestée, donc si
elle n’a pas traversé le prisme du consentement, elle ne vaudra rien. De la même manière
qu’il s’agit de ramener la volonté interne à la volonté déclarée, comme si le droit était «
fatalement conduit à ramener l’essence à l’existence »224 .Seule compte l’extériorisation, la
déclaration, la manifestation : le droit ne prodigue d’effets qu’à ce qui se voit, se montre, se
manifeste. Le sentiment, abstraction à l’état pur, ne peut être appréhendé par le droit.
Consentement et sentiment n’appartiennent pas à des mêmes sphères, du fait que le premier
relève du for externe et le second du for interne. Si le sentiment reste sentiment, il échappe
au droit, celui-ci exigeant une certaine maturation pour s’en emparer. Ainsi, « le droit ne
saisit jamais le sentiment lui-même, en tant que tel, isolement, indépendamment d’un acte
qui en est la manifestation extérieure. Si le sentiment reste sentiment, il échappe au droit .Il ne
naît à la vie juridique que s’il passe en acte et c’est l’acte que connait le droit, non le mode

222
M.Th.Calais-Auloy, « L’importance de la volonté en droit »PA, 7 décembre 1999,n°243 ,p.14 et s., spéc.p.15
«nous pensons qu’il revient et qu’il reviendra toujours à la volonté des individus une part irréductible dans la
création des effets de droit et, que cette part, parce qu’irréductible,est qualitativement plus importante ... ».
223
Youssef GUENZAOUI, La notion d’accord en droit, op.cit., p.129.
224
F.Terré, Introduction générale au droit, spéc.p.447.
46
intérieur, in mente retentum »225.le sentiment contrairement au consentement, est donc
incapable à produire une obligation.

Ainsi, un risque pouvait naitre entre la volonté interne et la volonté déclarée226.Car la


volonté intérieure, en s’extériorisant, engendre un consentement qui peut lui être diffèrent, le
canal du consentement ne présentant, comme tout instrument, qu’une fiabilité relative. A son
défaut, aucune rencontre des volontés ne serait concevable. Car le consentement présente une
dualité, il est à la fois quelque chose qui se pense - c’est la volonté interne - et quelque chose
qui s’exprime - c’est la volonté déclarée. Cette dualité ne soulève évidemment aucune
difficulté lorsque la volonté interne et volonté déclarée concordent parfaitement. En
revanche, le risque se déclenche dans le cas où la volonté interne présente une distorsion avec
celle déclarée227.La volonté interne ne suffit pas à elle- seule si elle n’est pas exprimée en
dehors228.Le concept de volonté est considérée dans cette optique comme inanalysable,
comme terme primitif, et somme toute assez mystérieux du système229.Comment la volonté
peut être considérée comme le fondement de la force obligatoire du contrat, si elle n’est pas
extériorisée ? L’analyse de l’inconstance de celle-ci ne la rend que plus défaillante.

Cette inconstance est peut- être la faille la plus vulnérable, qui vient, à elle seule,
dénier toute force à la volonté. En effet, cette théorie n’explique pas « pourquoi (...) c’est la
volonté passée, volonté morte, qui devrait prévaloir sur la volonté présente, volonté vivante,
de celui qui refuse d’exécuter le contrat. Certains auteurs remarquent avec justesse que
l’article 1134 du C.Civ. français a été instauré pour contrer la folie naturelle des hommes,
enclins à l’indiscipline230 et, donc à l’irrespect du contrat.

225
G.Cornu, « Du sentiment en droit civil », Annales de la faculté de Droit de Liége, 1963, p 200 à202 : « les
bonnes intentions demeurées à l’état de virtualité ne sont juridiquement rien.Le droit nous juge à nos œuvres. ».
226
J.BOULANGER, « Volonté réelle et volonté déclarée),Liber amicorum Professor Baron Louiis
Fredericq,t.1,éd.Wetenschappelijke Uitgeverij (E.Story- Sciena),Gent,1966,p.199 et s. ;J.-J.BIENVENU, « De
la volonté interne à la volonté déclarée : un moment de la doctrine française »,Droits,n°28 ,1999,p. 3 et s.
227
Par exemple, par suite d’une erreur d’écriture une personne indique qu’elle propose pour le prix de 100
euros un objet qu’elle complait vendre 1000 euros .dans ce cas la question se pose sur la volonté qui de
fondement à l’acte ( la volonté interne ou la volonté déclarée ).La conception individualiste, dominée par la
théorie de l’autonomie de la volonté, enseigne que la volonté interne doit dans ce cas, l’emporter.
228
F.CHABAS,th.pré.,spéc.p.47 ;Voir dans ce sens Youssef GUENZAOUI, La notion d’accord en droit
.privé,p.131.
229
C.GRZEGORCZYK, « L’acte juridique dans la perspective de la philosophie du droit »,Droit,1988,p.47 et s
.spéc.p.48.
230
M.DURANTON, Cours de Droit français suivant le Code civil, Alex Gobelet,t.10,1830,n°2 et s : « il ne
suffisait pas que cette utilité fût reconnue ,il fallait encore établir des règles positives pour que la force et la
mauvaise foi pussent se jouer des conventions, pour que le droit de ceux qui les formeraient put être apprécié et
déterminé ; en un mot, il fallait mettre les conventions sous la protection de la société (…) » ;MERLIN DE
DOUAI, Répertoire universel et raisonné de Jurisprudence,Tarlier,t.6,5éme éd.,1826 V.contrat,p.230 et s. : «
Dans l’état de nature,…..
47
La volonté manifestée signifie, que l’accord, dans le contrat, va s’identifier dans la
rencontre de ces deux volontés déclarées et concordantes 231: c’est ici que les anneaux
s’échangent et que la procédure est enclenchée. C’est ici que la « photographie » de la
rencontre des consentements est prise. C’est ici que l’accord de volontés va donner prise aux
effets juridiques232. Ainsi, si le consentement est une volonté déclarée, c’est parce que «
volonté et consentement ne peuvent se réduire l’un à l’autre (…). La volonté est au cœur de
l’humanisme et marque l’intériorité incommensurable de l’homme tandis que le
consentement est un objet, conséquence de la volonté, symbole et extériorisation de la
volonté, mais distinct de la volonté233». Or, pour qu’une volonté se lie à une autre, « elle
doit produire un objet, qu’on désigne comme le consentement »234.

Au sens philosophique, la volonté désigne la volonté interne, alors que la volonté


déclarée s’identifie au consentement au sens juridique. De l’intentionnel, du subjectif, la
volonté, la volonté devient consentement, élément matériel appréhendé objectivement. De la
volonté déclarée, la déclaration vient masquer la volonté pour n’être que déclaration. Le
consentement est une manifestation de volonté.

En droit comparé Allemand, à la notion du « consentement » est préférée la notion


de « déclaration de volonté »235, en Suisse, il a été admis pour l’expression
« manifestation ou déclaration de volonté individuelle »236.

Le consentement est donc l’expression, la manifestation ou la déclaration de


volonté, il permet à la volonté de s’extérioriser et de poser sa trace, tant dans le temps que
dans l’espace237. Mais le consentement n’est effectif et efficace que si la volonté sur lequel il
porte justifie deux conditions : la question de la conscience238 et celle de l’intention239.

231
L’image d’une concorde semble nettement plus évocatrice que des consentements parallèles, tels
qu’évoqués par KELSEN : « les parties doivent (…) vouloir la même chose, leurs actes de volonté exprimés
doivent être parallèles » (KELSEN, « La théorie juridique de la convention »,préc.,spéc.p.39).
232
Youssef GUENZAOUI, La notion d’accord en droit .privé,op.,cit,p.133.
233
M.-A.FRISON-ROCHE, « Remarques sur la distinction de la volonté et du consentement en droit des
contrats »,péc.
234
Ibid.
235
§116 du BGB. Le seul moment où la notion du consentement est utilisée réside dans le chapitre relatif aux
autorisations et ratifications (art. 182 et s.).V° F LIMBACH. Le consentement contractuel à l’épreuve des
conditions générales. De l’utilité du concept de déclaration de volonté, LGDJ, 2004 ,n°47 et s.
236
Art.1 du Code des obligations .V° Commentaire romand du Code des obligations, sous la dir. de L.
Thevenoz et F.Werro,Helbing et Lichtenhahn,2003,art 1 et s.
237
Youssef GUENZAOUI, La notion d’accord en droit .privé,op.cit.,p134.
238
La conscience est considérée comme « la faculté premiére de l’homme »,voir dans ce sens D.LASZLO-
FENOUILLET,La conscience,LGDJ,1993,spéc.n°10 ;Youssef GUENZAOUI, La notion d’accord en droit
.privé,op.cit.,p136 et s .
48
Le principe de l’autonomie de la volonté exprime une doctrine de philosophie
juridique, suivant laquelle la force obligatoire du contrat repose sur la volonté des parties.
Car, dit-on « respectueux de la liberté, le législateur ne doit pas intervenir dans les rapports
des contractants. L’individu qui n’est qu’exceptionnellement tenu contre son gré, peut
s’obliger comme il l’entend. C’est le principe essentiel pour les rédacteurs du code civil, de
l’autonomie de la volonté »240. La portée de ce principe s’est traduite par une interdiction
au législateur d’intervenir dans le contrat, qui constitue une forte raison pour s’opposer à
l’immixtion du juge dans le contrat.

b- L’autonomie de la volonté s’oppose à l’immixtion du juge dans le contrat

Le contrat ne peut provenir que des individus eux-mêmes. Rousseau disait alors dans
le fameux contrat social que : « la convention est la base de toute autorité parmi les
hommes ».Kant soulignait ensuite qu’une personne ne peut être soumise à d’autres lois que
celles qu’elle se donne elle - même. Ainsi, lorsque le contrat émane de la liberté des parties,
les obligations qui en résultent doivent être comme loi pour les parties qui doivent s’y
conformer. Ceci se justifie, par la nécessité pour les parties contractuelle de maintenir leur
engagement, fruit de leur volonté et de leur consentement libre et éclairé. L’accord de volonté
est créateur d’obligations. Il est le fondement de la force obligatoire du contrat. Le principe
de l’autonomie de la volonté s’impose aussi bien aux parties du contrat qu’au juge.

Pour ce qui est du juge ,personne étrangère du contrat, il doit être « la bouche qui
prononce les paroles du contrat ».Ainsi ,dans l’arrêt Canal de Craponne241,la cour de
cassation affirme que : « dans aucun cas il n’appartient aux tribunaux, quelque équitable que
puisse paraitre leur décision, de prendre en considération des parties et substituer des clauses
nouvelles à ceux qui ont été librement acceptées par les contractants ».Ainsi, pour que le
contrat ait force obligatoire et représente par conséquent l’autonomie de la volonté, il doit
s’opposer à l’immixtion des tiers.

239
Youssef GUENZAOUI, La notion d’accord en droit .privé,op.cit.,p140. : « l’intention contractuelle est donc
appréhendée dans l’orientation suivie par la volonté : celle de créer des effets de droit ; voir dans ce sens
.R.SALEILLES, De la déclaration de la volonté,n°1 et s : « pour que la volonté soit de nature à produire un effet
de droit, il ne faut pas seulement qu’elle soit érigée vers ce résultat juridique et qu’elle l’ait eu pour objectif. Il ne
faut pas, seulement, en outre, qu’elle se soit révélée par un effet ou par une attitude extérieure ; il faut qu’elle ait
voulu se produire extérieurement comme volonté constitutive de Droit ».
240
H.I.et J .Mazeaud, Leçons du droit civil,t.2,vol.I ,obligations, théorie générale,8me éd, par
F.Chabas,n°28.Cependant,d’autres auteurs tempèrent cette assertion en observant que les règles du code civil
français qui régissent la matière des contrats constituent « une adhésion partielle au postulat de l’autonomie de
la volonté » : (TERRE,SIMLER ET LEQUETTE, droit civil, les obligations,6 me ,n°27).
241
Voir. l’arrêtCanal de Craponne.
49
La non immixtion du juge dans le contrat est justifiée par le principe de l’autonomie
de la volonté .L’accord des parties constitue pour le juge « une petite loi »242 qu’il doit
appliquer en observant un respect scrupuleux de la volonté qui l’a « édictée ».Le principe
selon lequel le contrat est doté d’une force obligatoire qui trouve son fondement dans la
volonté des parties qui se traduit, ainsi, par la soumission du juge à la décision de cette
volonté en lui donnant son plein effet et en ordonnant l’exécution littérale du contrat.

Il arrive souvent qu’un contrat emploie, de termes sans signification juridique, de


clauses ambigües, inconciliables ou contradictoires243, ce qui rend les termes de l’accord
obscurs, de sorte que le juge ne soit pas en mesure de l’appliquer aux parties sans
l’interpréter. Interpréter le contrat, c’est en déterminer le sens : plus précisément, déterminer
les obligations qu’il a fait naitre244. Dans cette hypothèse, il appartient au juge d’en percer
l’ambigüité en cherchant quel est le sens exact que les parties ont voulu donner aux
obligations qu’elles ont créées et qu’elles n’ont exprimées qu’imparfaitement. Autrement- dit,
le juge est tenu de donner à la clause litigieuse ou qui fait objet d’un désaccord des parties
contractuelles, la signification et la portée qui lui paraissent s’imposer. D’après la théorie de
l’autonomie de la volonté, la découverte de la volonté profonde des parties doit être à la fois
le but du juge et le cadre qui oriente son interprétation subjective qu’ objective.

Le juge doit rechercher la commune intention des parties contractants, et ne doit pas
se limiter au sens littéral des termes du contrat, c’est l’idée qui révèle la consécration de
l’autonomie de la volonté245 et la condamnation de la théorie de la déclaration de
volonté246.Ce qui a été dit importe peu compte seul ce qui a été voulu le juge est chargé de
découvrir une psychologie. Aussi, le droit français, connu par son attachement au système dit
de la volonté interne impose-t-il au juge de « rechercher quelle a été la commune intention
des parties contractantes, plutôt que s’arrêter au sens littéral des termes »247 .Cette position est
conforme au principe de l’autonomie de la volonté et fidèle au volontarisme juridique248.

242
Well et TERRE,Les obligations,préc.,n°58,p.55.
243
Omar Aziman,op.cit ,p 248 et s.
244
DEREUX,L’interpretation des actes juridiques privés,th.Paris 1905.Marty,La distinction du fait et du
droit,th.Toulouse 1929 ,spéc.n° 144 et s ;TERRE,L’influence des volontés individuelles sur les qualifications,
th.Paris,L.G.D.J.1957,préface Le BALLE ;MARTY,Le role du juge dans l’interpretation des contrats,Travaux
Association Henri Capitant,t.V,1949,pp.85 et s. ;BORE ,Un centenaire :le contrôle par la cour de cassation de la
dénaturation des actes,Rev.trim.dr.civ.1972 .249 ;LOPEZ SANTA MARIA, Les systémes d’interpretation du
contrat,th.Paris 1968,éd.espagnole,Valparaiso 1971,préface Flour. ;voir dans ce sens,Lucienne Topor, Les
contrats,op.cit.p.321.
245
CARBONNIER,n°66,p.214 : « L’interprétation est un hommage rendu à l’autonomie de la volonté ».
246
Lucienne Topor, Les contrats,op.cit.p.321
247
Voir. L’article 1156 du code civil .
248
Omar Aziman,op.cit ,p 249 et s.
50
La position du droit marocain se caractérise par la consécration à la fois des règles
qui se rattache à la théorie de la déclaration de volonté et d’autres qui relèvent de la théorie
de la volonté interne. Ainsi ,l’article 461 du D.O.C .dispose clairement que « lorsque les
termes de l’acte sont formels, il n’y a pas lieu de rechercher quelle a été la volonté de son
auteur ».Cela signifie que lorsque les termes du contrat sont claires et ne sont pas obscures ,
ambiguës ou contradictoires ,la loi interdit au juge de passer outre pour rechercher la volonté
interne249.La jurisprudence veille à ce que la règle soit correctement appliquée : « s’il
appartient aux juges du fond d’interpréter les conventions, ils ne peuvent, sous prétexte
d’interprétation dénaturer le sens et la portée des clauses claires et précises »250.Mais, les
rédacteurs du D.O.C. n’ont pas écarté le recours à la volonté interne .Ainsi ,l’article 462
ordonne au juge de « rechercher quelle a été la volonté des parties, sans s’arrêter au sens
littéral des termes ou à la construction des phrases ».Le juge devra donc rechercher la
volonté réelle et profondes des parties. Il devra assurer la primauté de la volonté interne sur la
volonté déclarée.

Aussi, le principe de l’autonomie de la volonté est-il invoqué comme étant un obstacle


insurmontable qui s’oppose à l’immixtion du juge dans le contrat251. Le pouvoir du juge doit
donc être limité et orienté, dans la mesure où son rôle consiste à garantir de l’exécution du
contrat conformément à la volonté réelle des parties. A ce titre, les tribunaux ne sont pas tenus
de prendre compte de considération se rapportant à l’équité, l’utilité, l’intérêt général, ou
autres impératifs qui se placeraient au rang supérieur sur le plan des valeurs sociales.

En vertu du principe de l’autonomie de la volonté, « la force obligatoire de la


promesse, au lieu de reposer sur une règle supérieure à la volonté de l’homme, est considérée
comme immanente en cette volonté »252. La volonté de l’homme est souveraine et « la force
obligatoire du contrat … n’est …. Qu’un aspect particulier du principe plus général de
l’autonomie de la volonté »253.

Ainsi, le principe de l’autonomie de la volonté, considéré comme étant le fondement


de la force obligatoire du contrat, est invoqué pour s’opposer à l’immixtion du juge dans les

249
Omar Aziman,op.cit ,p 253 et s.
250
Cour Suprême 26 mars 1964,Recueil des Arrêts de la Cour Suprême T.II.,p.224.
251
Rafik Ouelhazi,le juge et la force obligatoire du contrat,op.cit.p.14.
252
Morin,La désagrégation de la théorie contractuelle du code,Arch.Phil.dr.,1940,p.7 et s,spéc.,p.19.
253
Flour et Aubert,L’acte juridique,préc.n°385.
51
contrats. L’idée est que les parties ayant exprimé leur volonté dans le cadre d’un accord, il
n’appartient pas aux tribunaux de refaire celui-ci254.

Cette théorie de l’autonomie de la volonté est critiquée depuis fort longtemps et c’est
un lieu commun de dire qu’elle est en déclin. Elle a fait l’objet des critiques doctrinales et
philosophiques255. Il n’en demeure pas moins qu’elle est soutenue aujourd’hui par d’éminents
auteurs qui affirment que si elle « n’est plus absolue ; elle demeure la règle »256, ou encore
que malgré son déclin, « l’autonomie de la volonté n’en conserve pas moins, même
aujourd’hui, valeur de principe »257.Un auteur soutient également qu’en dépit d’un « certain
nombre de critiques » dont elle a fait l’objet, ou du « dirigisme et l’interventionnisme de plus
en plus poussé de l’Etat, la conception traditionnelle n’a pas réellement été atteinte en elle-
même… on peut en examinant de nos jours les motivations de la doctrine et de la
jurisprudence se demander s’il y a réellement eu une évolution »258. La théorie de l’autonomie
de la volonté conserve donc de fervents défenseurs.

B- Le déclin du principe de l’autonomie de la volonté

Quant aux enjeux qui ont engendré le déclin du principe de l’autonomie de la volonté,
il convient de noter le recul de l’idée de la liberté contractuelle en tant qu’un principe
philosophique. Dès lors, la liberté ne peut pas être un absolu259.Tout en devant être orientées
vers son bien, certaines obligations peuvent être imposées à l’individu.

La liberté individuelle, considérée comme le moteur de l’économie est là aussi


inexact. Car, pour dire que le contrat est forcément juste, il faut supposer en réalité qu’il
existe, dans la négociation, une égalité absolue entre les individus260. Or, il n’en est rien en
pratique les hommes sont devenus très inégaux et le sont, en particulier, devant la perspective
du contrat. L’un est, par exemple, contraint de le conclure par une nécessité matérielle.
L’autre peut attendre. Le plus fort ou le plus habile dicte sa loi au plus faible ou au plus
maladroit261.

La multiplication des situations d’inégalité se sont devenues plus profondes et ont


pris un caractère nouveau au XIXe siècle, et particulièrement en raison de la concentration
254
Rafik Ouelhazi,le juge et la force obligatoire du contrat,op.cit.p.16.
255
Flour et Aubert,L’acte juridique,vol.1, Armand,Colin ,Paris,1975,p.77.
256
Rafik Ouelhazi,op.cit,p.14.
257
Flour et Aubert,L’acte juridique,préc.n°128.
258
M.Contamine-Raynaud,L’intuitus personae dans les contrats,th,Paris II ,1974,n°13 ,p 16 et 17.
259
Flour et Aubert, L’acte juridique,op.cit,p.79.
260
. Marie-Hélène Renault, Histoire du droit des obligations, op.cit,p.20.
261
Flour et Aubert, L’acte juridique,vol.1. op.cit,p.80
52
industrielle et commerciale. Il s’est agi désormais d’inégalités de puissance économique entre
groupes sociaux, entre catégories de contractants. Il n’est pas plus exact que, selon le postulat
de la thèse libérale, la liberté contractuelle conduise toujours à des résultats conformes à
l’utilité sociale. On avait cru que l’intérêt général était la somme des intérêts particuliers262.

Or, la pratique a permis de constater que, laissés à eux Ŕmêmes, les hommes ne
s’orientent pas nécessairement vers les activités les plus utiles, mais vers les plus rentables. Il
est concevable que le principe de l’autonomie de la volonté ait connu une déclinaison de point
de vue philosophique et économique (1).Le déclin du principe de l’autonomie de la volonté
s’est traduit par diverses manifestations d’ordres doctrinal, jurisprudentiel et législatif (2).

1- Les facteurs du déclin du principe de l’autonomie de la volonté

Le déclin du principe de l’autonomie de la volonté263 est justifié par la critique des


idées de philosophie politique et des idées économiques, constituant les principaux enjeux
favorisant la déclinaison de cette théorie.

Partant du postulat philosophique qui repose sur l’idée selon laquelle, la liberté
contractuelle est totale est devenue erronée dans la mesure où l’homme vit nécessairement en
société. La thèse du contrat social est fausse, en tant qu’elle affirme la réalité historique de
ce contrat. Elle l’est aussi, en tant que, pour fonder a posteriori la légitimité du pouvoir, elle
prétend expliquer les rapports de l’individu et de la société264.Si l’on admit que la société
préexiste à l’individu considéré de façon « isolée », c’est bien la société qui va déterminer
les droits de l’individu. Le bien de celui-là ne peut être atteint que dans celle-ci et par celle-ci.
C’est un lieu commun d’observer que la société est naturelle à l’homme : que, sans elle,
chacun ne pourrait pas faire respecter l’essentiel de ses intérêts matériels et moraux265.
Autrement dit, sans nier le rôle de la volonté, on peut admettre qu’elle aménage ces rapports
d’interdépendances nécessaire mais elle ne peut le faire que dans la loi et dans les limites de
ce que la loi autorise266.L’acte de volonté ne doit donc pas être efficace en tant que tel, et
sans considération de son contenu : ce qui exprimait l’essentiel de la doctrine d’autonomie.
L’homme n’a pas le droit de vouloir n’importe quoi et dans n’importe quel dessein, mais celui
seulement de vouloir la satisfaction d’intérêts légitimes267. Ainsi le législateur et le juge

262
Idem, p.81 et s.
.‫ ٔو اثؼضْب‬69 ‫ انظفذخ‬،‫ يغجغ ؿبثك‬،‫خ’ صعاؿخ يمبعَخ‬ٛ‫خ انًزؼبلض يٍ انشغٔؽ انزؼـف‬ٚ‫ دًب‬،َٙ‫اَظغ يذًض ثذًب‬263
264
Idem, p.79et s.
265
Idem, p.79 et s.
266
Idem, p.79 et s.
267
Flour et Aubert, L’acte juridique,vil.1, op.cit,p.80
53
doivent-ils pouvoir vérifier que le contrat est en harmonie avec l’intérêt général tout en
ménageant les intérêts particuliers.

Selon le second postulat, la liberté individuelle est le moteur de l’économie est


devenue inexact. La seule question est de savoir si, sur ce plan l’expérience confirme ou non
les postulats de la thèse libérale : la liberté contractuelle et la justice ; la liberté contractuelle
et l’utilité sociale. Que la liberté contractuelle doive automatiquement assurer l’équilibre
légitime des prestations, cela présuppose entre les contractants un jeu de concession
réciproques, c’est -à- dire une égalité qui permet précisément la discussion. A cette condition
seulement, celui qui n’obtient pas les clauses qu’il estime équitables peut rompre les
pourparlers et chercher mieux ailleurs268 .Dans ce premier postulat, est donc incluse la
croyance à une égalité naturelle entre les hommes. Telle était bien la position des juristes
classiques. Plus ou moins consciemment, ils raisonnaient sur l’homme en soi : sur des
contractants toujours et partout identiques. Pour eux il a eu un « homo jurisdicus », comme il
y avait alors, pour les économistes, un « homo aeconomicus » : l’un et l’autre se ressemblant
d’ailleurs comme des frères269.

Ce n’était encore qu’une abstraction. Concrètement considérés, les hommes sont très
inégaux. L’inégalité exclut discussion et concessions .L’absence de discussion empêche, à
son tour, que les rapports contractuels soient légitimement équilibrés. En pratique les parties
contractuelles n’ont pas même force économique et sociale : l’une des parties se trouve en
position de faiblesse par rapport à l’autre de sorte qu’elle sera plus ou moins obligée, dans
les faits, d’accepter de conclure un contrat par nécessité matérielle270. Ces inégalités se sont
révélées avec le développement industriel, spécialement en droit de travail. Une des
illustrations les plus significatives de ce phénomène matérialise dans le contrat d’adhésion
forgé par la doctrine. Dans ce type de contrats, il n’y pas de réelle discussion, puisque le
contrat est presque entièrement pré rédigé. L’un des contractants n’a que le choix d’accepter
en bloc toutes les clauses proposées du contrat ou s’abstenir de conclure271.

Dans de telles situations, que reste-t-il du premier postulat libéral ? Là où l’égalité


nominale entre les contractants ne fait plus que dissimuler une immense inégalité réelle, la
présente liberté contractuelle n’est plus que le pouvoir, pour l’un, d’imposer à l’autre des
conditions draconiennes : ainsi une journée de travail trop longue, pour un salaire trop bas.

268
Gounot.op.cit.pp.382 et s.
269
Flour et Aubert, L’acte juridique,vol.1,,op.cit,p.80
270
Idem, p.80 ..
271
Marie-Hélène Renault, Histoire du droit des obligations, op.cit,p.21.
54
Il n’y a pas de liberté vraie là où il n’y a pas égalité272. Rappelons ce que Fouillé affirmait :
« Qui dit contractuel dit juste ».De façon plus complexe, mais plus exacte, Ihering a écrit :
« Dire que l’accord de volontés est nécessairement juste, c’est délivrer un permis de chasse
aux pirates et aux brigands, avec droit de prise sur tous ceux qui leur tombent entre les
mains »273. Et Lacodaire faisait remarquer dés le XIX éme siécle : « Entre le fort et le faible,
c’est la liberté qui asservit ,la loi qui libère ».

S’agissant du second postulat qui présuppose que la liberté contractuelle conduite


toujours à des résultats conforme à l’utilité sociale. La pratique révèle que cette hypothèse
n’est pas exacte. Étant donné que l’intérêt général était la somme des intérêts particuliers. Or
la réalité nous a permis de dire que les contractants ne se dirigent pas vers les activités les
plus utiles mais vers celles les plus rentables. Etant ainsi acquis que la liberté économique
se détruit elle-même, elle ne peut plus assurer ce que l’on attendait d’elle :le développement
harmonieux et la production et des échanges274.

Les remarques à ressortir des deux postulats développés- sur le plan de la justice et
de l’utilité- nous a permis de conclure que les libres volontés ont eu un rôle à jouer , mais
ils ont perdu leur souveraineté absolue. Le principe de l’autonomie de la volonté demeure un
principe malgré son déclin, qui a un rôle à jouer, mais il doit être restreint par une
réglementation impérative.

2- La réaction doctrinale et jurisprudentielle contre l’autonomie de la volonté


Contre l’autonomie de la volonté, la réaction doctrinale (a) et jurisprudentielle (b) ne
pouvait être que peu profonde :il est souvent possible de faire dire aux textes autre chose que
ce qu’ils disent, rarement le contraire, néanmoins cette réaction a été très générale et
superficielle .Contrairement à la réaction législative qui a été plus profonde, car un texte
nouveau peu toujours renverser l’état antérieur du droit .

a- La réaction doctrinale contre l’autonomie de la volonté


La manifestation du déclin du principe de l’autonomie de la volonté 275 s’est traduite
par une réaction soutenue par un nombre d’auteurs avec l’apparition d’une théorie nouvelle :
celle de la déclaration de volonté276.C’est une théorie d’origine allemande,consacrée par le

272
Flour et Aubert, L’acte juridique,vol.1, op.cit,p.81.
273
La lutte pour le droit, citée par Gounot,op.,cit.,p.371.
274
Flour et Aubert, L’acte juridique, op.cit,p.82.
.‫ ٔو اثؼضْب‬74 ‫ انظفذخ‬،‫ يغجغ ؿبثك‬،‫خ’ صعاؿخ يمبعَخ‬ٛ‫خ انًزؼبلض يٍ انشغٔؽ انزؼـف‬ٚ‫ دًب‬،َٙ‫اَظغ يذًض ثذًب‬275
276
Sur cette théorie,v.,parmi les ouvrages généraux, Marty et Raynaud,n°42,p.35 ;Weill et Térré,n°76 et s.pour
une étude spéciale :Saleilles,De la déclaration de volonté.1901 ;Rieg,Le rôle de la volonté dans l’acte juridique
en droit civil français et allemand,1961.
55
code civil allemand, et que Saleilles entendait substituer à la théorie classique française :celle
dite ,par opposition, théorie de la volonté interne.
Selon la théorie de la volonté interne, conformément à ce qui a été vu, c’est à la
naissance et les effets du contrat qui se rattachent à la volonté réelle que les parties ont eu
dans le for interne., non à celle de la déclaration de la volonté ,extérieurement manifestée.
Certes cette extériorisation est nécessaire et représente un rôle probatoire : faute de quoi il
n’existerait aucune preuve de ce qui a été voulu, mais elle n’a pas de valeur propre277. Pour
la théorie de la déclaration de volonté, c’est la volonté exprimée d’une manière extérieure
qui compte. Le contrat est pris en considération ,en tant que fait social :cette manifestation
extérieure donne plus de sécurité aussi bien aux tiers qui ne connaissent que cette
déclaration qu’aux parties ,dont chacune ne connait que la déclaration et non pas la volonté
interne de l’autre278.

Ainsi, on note un faible intérêt pratique à l’opposition qui existe entre les deux
théories : la déclaration de volonté et celle de la volonté interne. Des différences peuvent
être resautées de cette opposition qui ne concerne que des points limités. Si l’on adopte la
première théorie, l’interprétation des contrats doit suivre la logique de la volonté réelle, au
besoin contre les termes mêmes qui ont été employés. Si l’on applique la seconde, les
contrats doivent l’être littéralement et en cas d’ambigüité, d’après le sens de l’équité et les
nécessités sociales que donnent à la déclaration279.
Dans l’hypothèse de la nullité pour vice de consentement, celle-ci doit être admise
dans le cas de la première théorie. Or, elle doit être exceptionnellement dans la seconde
théorie. Mais, en tant qu’il s’agit de provoquer une réaction contre l’autonomie de la volonté,
de limiter en particulier la liberté contractuelle, l’opposition ne va pas au fond du problème.
Les deux théories conduisent à la même conclusion libérale. Pour les uns, la volonté interne
est souveraine : tout ce que l’on voulu produire effet. Pour les autres, la volonté déclarée est
pareillement souveraine : tout ce que l’on a déclaré produira effet280.

Cette réaction a un aspect pratique qui s’est traduite à travers la formation du contrat,
sous l’influence de l’évolution qu’a connue la théorie de la déclaration de volonté en tenant
277
Du moins est-ce le principe généralement applicable aux contrats. En revanche, cette extériorisation constitue
parfois une véritable condition d’existance pour certains actes juridiques autres que le contrat. Ainsi en est-il
pour de nombreux actes juridiques unilatéraux, et, notamment, pour le congé, dont la validité et l’efficacité
juridique supposent une notification. V.Martin de la Moutte,L’acte juridique unilatéral, n°180 et s.,pp.175 et s
.,J.-L.Aubert,Notions et rôles de l’offre et de l’acceptation dans la formation du contrat ,n°177,p.168.
278
Flour et Aubert, L’acte juridique,vol.1, op.cit,p.83 et s.
279
Idem,op.cit,p.84 .
280
Idem,op.cit,p.84.
56
compte de certaines données morales ou économiques. Ainsi, les problèmes relatifs à
l’échange des consentements (offre de contracter ; formation du contrat par correspondance)
étaient autrefois résolus de façon abstraite. Aujourd’hui, on recherche la solution qui apparait
comme le plus juste et comme apportant la plus grande sécurité aux relations d’affaires. Ces
mêmes éléments entrent en ligne de compte dans l’appréciation des vices du consentement.
Plutôt que de rechercher la mesure précise dans laquelle la volonté a été libre et éclairée, on
a le souci d’annuler le contrat dans tous les cas- mais dans ceux -seulement- ou l’une des
parties a agi de façon déloyale ou a bénéficié d’un avantage injuste281.

b- La réaction jurisprudentielle contre l’autonomie de la volonté


Le déclin de l’autonomie de la volonté s’est traduit par une réaction jurisprudentielle
qui se concrétise en matière d’interprétation du contrat, ainsi les tribunaux ont souvent
tendance à lui faire produire les effets qu’ils estiment souhaitables, plutôt qu’à rechercher
ceux que les parties ont le plus vraisemblablement envisagés. Que celles-ci se soient mal
exprimées ou l’aient fait de façon incomplète : il est facile de leur « faire dire », a posteriori,
ce que, selon le juge, elles auraient dû vouloir dire pour que le contrat fût plus juste ou plus
utile282.
La réaction doctrinale et jurisprudentielle contre l’autonomie de la volonté -limiter
davantage la liberté contractuelle- s’est concrétisée selon deux méthodes. La première se
base sur un sens plus large à donner aux notions d’ordre public et de bonnes moeurs puisque
la loi ne définit pas ces termes. La seconde se base sur l’application de ces mêmes notions
contrairement à ce qui était admis, non seulement à l’objet, mais aussi à la cause du contrat,
entendue des motifs qui ont déterminé les parties. La seule illicéité ou immoralité de la fin
poursuivie par celles-ci permet désormais d’annuler leur accord, alors même que les
prestations convenues seraient objectivement régulières ce qui constitue l’une des
innovations majeures du droit contemporain283.

La réaction doctrinale et jurisprudentielle contre l’autonomie de la volonté a été


moins profonde, car seul le législateur pouvait lui apporter des dérogations. On assiste ainsi à
des exceptions importantes au principe du consensualisme et à la liberté contractuelle ce qui
engendre une réaction profonde.

281
Flour et Aubert, L’acte juridique, vol.1.op.cit,p.84 et s.
282
Idem, op.cit.,p.85.
283
On observera, incidemment, que cette innovation va directement à l’encontre de la théorie de la déclaration de
volonté .Seule, en effet, l’analyse de la volonté interne permet de prendre les motifs déterminants en
considération pour juger de la validité ou de la nullité du contrat.
57
Paragraphe 2 : les restrictions du fondement volontariste

De point de vue économique, le consensualisme est indéniablement facteur de


simplicité, de rapidité et d’économie .Sans lui, la conclusion de contrats entre absents aurait
été difficile, sinon impossible ; et toute manifestation tacite de volonté aurait été sans valeur.
Effectivement, ce sont bien les besoins du commerce qui ont conduit le droit romain à
admettre certains contrats consensuels. Puis l’ancien droit à en généraliser le
principe284.Economiquement, l’inconvénient majeur du contrat consensuel est qu’il ne laisse
pas de traces. Les parties risquent ainsi de se heurter à des difficultés insurmontables de
preuve. Les tiers sont tenus dans l’ignorance d’une situation nouvelle qu’ils auraient souvent
intérêt à connaitre285.

Ces considérations -non exemptes de contradiction- expliquent la réaction législative


qui a atteint les trois principaux corolaires de l’autonomie de la volonté : le consensualisme ;
liberté contractuelle, force obligatoire du contrat. Ce triple impact se retrouve dans le
mouvement législatif moderne de protection des consommateurs, mouvement qui, à la
différence de la réaction antérieure, ne se limite pas toujours à la réglementation de certains
contrats.

L’étude de cette réaction sera focalisée en particulier sur les restrictions apportées au
consensualisme (A) et à la liberté contractuelle (B) constituant des exceptions au principe de
l’autonomie de la volonté.

A- Les restrictions apportées au consensualisme


Parmi les limites du principe du consensualisme, il y a de véritables exceptions: la
loi imposant des formalités à défaut desquelles le contrat est nul. On est alors en présence
d’un formalisme proprement dit ou direct (1).Il y a aussi de simples atténuations :
l’inobservation des formalités prescrites n’étant pas sanctionnée par la nullité du contrat.
C’est un formalisme atténué ou indirect (2).

Le constat établi a révélé qu’il y a une « renaissance du formalisme »286 dans la


législation contemporaine qui se traduit à travers le mouvement législatif sensiblement

284
Flour et Aubert et Eric, L’acte juridique,13 e éd, Ed.Dalloz, 2008 ;op.cit,p.261.
285
Idem, op.cit.,p261
286
X.Lagarde, « Observation critique sur la reconnaissance du formalisme »,JCP,1999.I.170 ;J.Flour,«Quelques
remarques sur l’évolution du formalisme »,in Etudes Ripert,t.1,93 ;Rouxel,L’évolution du formalisme, thèse,
Caen,1953 ;Moeneclay,De la renaissance du formalisme dans les contrats en droit civil et commercial français,
thése, Lille,1994.
58
renforcé287 pour assurer la protection des consommateurs. L’étude des limites apportées au
consensualisme consiste à évoquer l’évolution des règles de forme dans leur substance et
leur finalité, tout en mettant en exergue les attitudes variées de la jurisprudence à l’égard du
formalisme.

1- Le formalisme direct

Le formalisme, contrairement au consensualisme, implique des exigences particulières


de forme pour la validité du contrat. Tout consentement nécessite l’emprunt d’une forme
dans laquelle le contrat existe. On parle de formalisme direct lorsque la loi impose des
formalités à peines de nullité, consacrant ainsi un contrat solennel288.Le formalisme direct
est bien souvent utilisé par le législateur contemporain dans le but d’assurer l’information du
consommateur289. Pour certains contrats, la forme exigée est l’authenticité de l’acte. Pour
d’autres, la rédaction d’un acte écrit sous seing privé ou de certaines mentions précisément
énoncées par la loi est suffisante290.

Comme en matière de preuve291,le législateur a pris en compte le développement de


l’informatique en précisant ( art.2-1 du D.O.C)292 et en droit comparé français ( art.1108-1
C.civ) que lorsqu’un écrit est exigé pour la validité d’un acte juridique, il peut être établi et
conservé sous forme électronique dans les conditions fixées pour la preuve prévue aux
articles 417-1 et 417-2 du D.O.C et en droit comparé par les articles 1316-1 et 1316-4 , et
1317 si un acte authentique est nécessaire293. A ce propos deux conditions doivent être
remplie : l’exigence d’un acte authentique (a) et d’un acte écrit (b).

a- L’exigence d’un acte authentique.

Les actes du droit des personnes et de la famille sont soumis à cette exigence 294.Cela
met bien en lumière les avantages de la solennité : dans l’intérêt, général, celle-ci assure une
constatation officielle de l’acte et permet à l’autorité publique d’en contrôler la régularité ;

287
Flour et Aubert et Eric, L’acte juridique, 13 e éd,op.cit,p.261et spec.p.145.
288
Christophe Lachiéze,Droit des contrats,3éme éd,Ellipses éd.,Paris,2012,p153.
289
Flour et Aubert, L’acte juridique, 13e Ed,op.cit,p.263.
290
Idem, op.cit.,p263.
291
J.Flour,Aubert,Y.Flour et Savaux, vol.3-Le rapport d’obligation-n°23 et s.
292
Voir. l’article.2-1 du D.O.C.Sur ce point v. également l’article 2 de la loi 53-05 relative à l’échange
électronique des données juridiques.
293
Voir J.Flour,Aubert,Y.Flour et Savaux,op.cit.,n°25 et s.
294
Les modalités de l’authenticité sont alors de trois sortes : acte de l’état civil ( ce qui est la règle habituelle,
applicable notamment au mariage) ;acte notarié (en option avec l’acte de l’état civil pour la reconnaissance
d’enfant naturel) ;jugement ou déclaration reçue par le juge (adoption, émancipation).
59
dans l’intérêt des parties, elle constitue la meilleure garantie de la liberté du consentement.
Les mêmes raisons conduisent le législateur à soumettre certains contrats à la forme
solennelle et de les faire constater par acte notarié. D’après le D.O.Cet le droit comparé
français (le code civil): la donation (Art. 931)295, le contrat de mariage (Arti.1394)296 ; la
constitution d’hypothèque (C.civ. Art.2416,anc.art.2127 ,Ord.23 mars 2006 portant réforme
des suretés)297 ;la subrogation conventionnelle consentie par le débiteur (art.1250)298.

La forme solennelle a pour finalité de protéger les contractants. Elle est envisagée
comme un instrument légal destiné à renforcer le consentement en attirant leur attention sur
la gravité de certains contrats ayant une importance considérable, tel que le cas de la
donation et l’acte de mariage : la première ,parce qu’elle appauvrit le donateur ;le second,
parce qu’il engage tout le statut patrimonial du ménage et dont le législateur veut, en
conséquence, éviter qu’ils soient consentis à la légère ou sous la pression de manœuvres
frauduleuses. La forme y est protectrice de la volonté des parties ou de l’une d’elles ; et
cette protection est d’autant plus efficace que le notaire, en vertu de son « devoir de
conseil »,doit éclairer ses clients sur les conséquences de leur engagement299.En régime
consensuel, le donateur, tout particulièrement, serait laissé sans défense contre lui-même et
contre autrui : contre un entrainement irréfléchi et contre les tentatives de captation, de la
part du donataire ; la solennité lui assure cette double défense. Une explication du même
ordre est d’ailleurs transposable à la « solennisation » récente de la vente d’immeuble à
construire300 : opération dont l’acheteur, réduit à ses seules lumières, comprendrait souvent
mal la complexité.

295
La nullité de conditions stipulées par acte sous-seing privé entraîne celle de la donation avec charges dés que
celle-ci faisait référence à ces conditions.
296
En droit marocain l’acte de mariage est réglementé par les dispositions des articles de 65à 69 du code de la
famille adopté par la loi 70-03 (B.O.n°5358 du 6/10/2005).
297
En droit marocain, le nantissement est réglementé par les dispositions des articles 1170 à 1240 du D.O.C.
298
En droit marocain la subrogation conventionnelle est réglementée par les dispositions de l’article 213 du
D.O.C.Il s’agit d’une opération par laquelle un débiteur, empruntant de l’argent pour rembourser sa dette,
transfère à son préteur tous les droits et toutes les sûretés qui appartenaient jusque-là à son créancier primitif,
ainsi désintéressé. Le caractère solennel de cette subrogation est cependant contesté. V.Savaux,Rép.civ.,Dalloz,v
Subrogation personnelle, n°72.
299
Sur ce devoir, dont la méconnaissance engage la responsabilité du notaire, v.De Poulpiquet,La responsabilité
civile et disciplinaire des notaires, thèse ,Nice,1974,préf.Sigalas (spéc.n°75 et s) ;Aubert,La responsabilité civile
des notaires,4e éd.,2002 spéc.n°81 et s).
300
C’est une vente par laquelle le vendeur s’oblige à édifier un immeuble dans un immeuble dans un délai
déterminé par le contrat, elle est définie par l’article 1601-1 du code civil et L 261-1 du CCH.Cette vente qui
peut être soit ‘ à terme’,soit en ‘l’état futur d’achevement’ est régie en France par la loi du 03 janvier 1967.Au
maroc,la vente d’immeuble en l’état futur d’achèvement (VEFA) est issue du dahir n°1-02-309 du 03 octobre
2002 portant promulgation de la loi n°44-00 complétant le dahir du 12 août 1913 formant code des obligations et
des contrats.Cette vente est définie par l’article 618-1 de la loi n°44-00,qui dispose « Est considérée comme
vente d’immeuble en l’état futur d’achèvement,toute convention par laquelle le vendeur s’oblige à édifier un
60
Pour la constitution d’hypothèque et pour la subrogation, la forme apparait, au
contraire, comme protectrice des tiers. La constatation officielle de l’acte et de sa date met
ceux -ci à l’abri des fraudes dont, autrement, ils risqueraient d’être victimes. C’est,
d’ailleurs, une considération d’une fraude d’un moindre poids ; car, dans la mesure où le but
poursuivi est de défendre les tiers, les formalités de publicité sont plus efficaces que
l’authenticité, en soi301.

Toute fois, une réaction anti- formaliste de la jurisprudence contre le caractère


solennel a été constatée , pour les promesses de contrat solennel et les donations sans forme.
Le principe est ,bien évidemment ,que l’inobservation de la solennité prescrite entraine
nullité du contrat .Mais la jurisprudence a parfois atténué ,voire supprimé, cette sanction.

Ainsi, dans certains cas, il arrive que les parties, se mettant probablement d’accord
sur les conditions d’un contrat formaliste, conviennent par un acte sous seing privé, de faire
dresser plus tard l’acte notarié qui régularisera leur situation. Ce sont les promesses de
contrat solennel : par exemple, la promesse, par un débiteur, de constituer une hypothèque au
profit de son créancier. Or, au moins lorsque l’authenticité n’est exigée que dans l’intérêt
des tiers, une telle promesse n’est pas totalement dénuée de valeur ; le refus de s’y
confronter est sanctionné par des dommages et intérêts302.A défaut de signature de l’acte
notarié, l’hypothèque, certes, n’existera pas ; mais le créancier percevra une indemnité.

La réaction est aussi significative contre le caractère solennel de la donation. Celle


qui est faite sans acte notarié est validée dans deux circonstances principales303.La première
concerne le don manuel ou donation de la main à la main. L’opération est valable s’il y a eu
remise effective de la chose au donataire, dessaisissement du donateur. Compte tenu de la

immeuble dans un délai déterminé et l’acquéreur s’engage à en payer le prix au fur et à mesure de l’avancement
des travaux. ». La vente d’immeuble en l’état futur d’achèvement permet donc aux promoteurs de financer les
travaux de construction par les avances versées par les clients tout en gardant la propriété des constructions
puissque celle-ci n’est transférée à l’acheteur qu’à l’inscription du contrat définitif de vente sur les registres
fonciers dans le cas d’un immeuble immatriculé et lors de la conclusion du contrat définitif de vente pour un bien
non immatriculé ou encours d’immatriculation.
301
Cela est si vrai que le législateur soumet certains contrats à des formalités de publicité dont l’inobservation
est sanctionnée par leur inopposabilité aux tiers, tout en leur laissant le caractère consensuel quand à leur
efficacité dans les rapports entre les paries.
302
V.,pour une promesse d’hypothèque, Civ.3e ,7.avr.1993, Bull.civ.III, n°55, Defrénois, 1993, art.35617, n°104,
obs.Aynes.La jurisprudence admet aussi que l’irrégularité formelle d’un acte constitutif d’hypothèque fait
obstacle à la validité de cet acte, mais peut laisser subsister à la charge du constituant une promesse
d’hypothèque, analysée comme un engagement « créateur d’une d’une simple obligation de faire » (Civ.3e ,7
janv.1987,Bull.civ.III.,n°4).
303
Il ne saurait être question de citer ici les très nombreux arrêts rendus en cette matière, qui ressortit au droit des
libéralités (v.Flour et Souleau,Les libéralités,1982,n°78 et s.et Grimaldi,Droit civil-Libéralités-Partages
d’ascendants,2000,n°1277 et s.).Il impose seulement de montrer, à travers l’une de ses manifestations
particulières, l’esprit dont témoigne la jurisprudence sur un problème général.
61
valeur de certains meubles, y inclus les chèques, on peut donner de cette manière une
fortune considérable304. La deuxième circonstance, se manifeste à travers la donation
déguisée, c’est-à-dire cachée sous la fausse apparence d’un contrat à titre onéreux. Par
exemple, on signe une vente, en convenant secrètement que le prix n’en sera jamais
réclamé. L’acte reste valable, même si cette simulation vient à être prouvée305.

Il se trouve ainsi qu’une donation réalisée sans acte notarié n’est annulée qu’autant
qu’elle est ostensible : qu’autant que les parties l’ont expressément déclarée telle. Or, cette
imprudence est rarement commise. Lorsqu’il s’agit de meubles, on fait une donation
déguisée ; et, dans l’un et l’autre cas, le tour est joué.

Pour ingénieuse qu’elle soit, cette analyse ne peut convaincre pleinement306 : elle
dispense trop facilement de formes légales qui assure une parfaite intégrité du consentement
exprimé par le donateur. On peut voir là, de la part des tribunaux, la manifestation d’une
hostilité certaine au formalisme. Aussi bien cette tendance se retrouve-t-elle dans
l’interprétation des textes qui se prescrivent que la rédaction d’un acte écrit quelconque307.

b- L’exigence d’un acte écrit

Le législateur a prévu une sanction de nullité dans le cas du non observation de cette
exigence, plusieurs exemples non limitatifs, de contrats illustrent cette position. Ainsi la loi
dispose expressément qu’ils doivent, à peine de nullité, être constatés par écrit et, souvent,
par un écrit contenant certaines formalités obligatoires :convention collective de
travail308 ;engagement maritime309 ;vente de fonds de commerce310 ;contrat de promotion
immobilière, lorsqu’il est relatif à un immeuble à usage d’agitation ou à usage professionnel
et d’habitation311 ; transmission ou licence de brevet d’invention312,contrat de construction
d’une maison individuelle313.Largement postérieure du D.O.C et du Code civil français, ces

304
Flour et Aubert, L’acte juridique, op.cit, p.265.
305
Idem, op.cit.,p265.
306
Sur cette explication, que Ripert a développée dans son enseignement avec plus d’insistance que dans œuvre
écriture, et sur les limites qu’elle comporte, v.Flour, op.cit.,n°17.
307
Flour et Aubert, L’acte juridique, 13e Ed,op.cit, p.266.
308
C.tra., art.L.2231-3.et en droit marocain l’article 104 et s.du code du travail marocain.
309
C.trav.maritime (L.13 déc.1926),art.4.
310
C.com., art.L.141-1.Mais la nullité est alors facultative et subordonnée à diverses conditions, de préjudice
notamment.
311
C.ch, art.L.222-3.
312
C.prop.intel.,art.L.613-8.Pour cette cession, la loi du 5 juillet 1844,article 20,exigeait un acte authentique.
C’est l’un des rares cas ou le législateur a atténué le formalisme .
313
CCH,art.L.231-1 et 231-2, et art.L.232-1 (L-19 déc.1990).
62
textes permettent de vérifier que ,sur le plan législatif, la tendance du droit contemporain est
bien à un renouveau du formalisme314.

A vrai dire, la forme verbale serait ici inconcevable, alors que théoriquement au
moins, on pourrait l’imaginer pour les contrats précédemment énumérés. Le formalisme ne
réside donc pas tant dans l’exigence même de l’écrit que dans l’obligation d’y insérer un
certain nombre d’énonciations, spécialement la dénomination du titre dont il s’agit :
« Veuillez payer par cette lettre de change…Payer contre ce chèque… » A défaut, le titre
considéré ne vaudra pas comme lettre de change ou comme chèque 315,c’est -à Ŕdire qu’il
n’en produira pas les effets spécifiques. Il ne sera pas, pour autant, privé de toute valeur :
par exemple ; un chèque irrégulier pourra valoir reconnaissance de dette.

Le fondement légal de l’exigence d’un acte écrit, se concrétise dans le but poursuivi
qui vise à protéger la volonté de l’une des parties :un engagement écrit est plus précis
qu’un engagement oral, il risque moins d’être pris à la légère ou d’être frauduleusement
capté. Le législateur a voulu, par exemple, que le marin, l’apprenti fussent bien informés de
leurs droits et de leurs obligations. A un moindre degré seulement, la technique employée est
de la même nature que l’exigence d’un acte notarié : ralentir et compliquer la conclusion du
contrat, pour prévenir l’irréflexion ou la fraude.

Les formes de commerce et du chèque sont, au contraire, aussi simples que possible.
Reposant sur une idée différente, elles sont la manifestation d’un formalisme souple qui, lui,
est facteur de rapidité316 : reproduire les formules imposées prend moins de temps que
d’imaginer, pour décrire les effets de l’opération, un mode personnel d’expression. L’un des
avantages traditionnels du formalisme -assurer la sécurité- s’y retrouve pourtant. La seule
apparence extérieure de l’acte en révèle la nature et, par conséquent, les effets. Toute
équivoque sur les engagements assumés est ainsi évitée : la forme emporte le fond317. Dans
un certains cas ,le législateur a prescrit la rédaction d’un écrit, sans énoncer la sanction
attachée à l’inobservation de la règle ainsi édictée318.On peut alors hésiter sur le point de

314
Voir l’article 2-1 du D.O.C. ( ajouté par l’article 2 de la loi 53-05 relatif à l’échange électronique de données
juridiques promulguée par le dahir n°1-07-129 du 30 novembre 2007 ).
315
C.com.,art.L.511-1 ;art.L.131-3,C.mon.et fin.sur le chéque ; v.également l’article 239 et s. du code de
commerce marocain ( loi n°15-95 portant code de commerce promulguée par le dahir du 1 re Aout 1996 modifié
et complété par la loi n°24-04 promulguée par le dahir du 22 novembre 2006).
316
Flour,op.cit.,n°5 et 9,avec les références .Rappr.Levy-Bruhl,Aspects sociologiques du droit 1995,p.91,qui
relève le caractère fréquemment « pragmatique et utilitaire » du formalisme moderne.
317
Flour et Aubert et Eric, L’acte juridique, 13 e Ed,op.cit, p.267.
318
Principaux exemples :transaction (art.2044) ;compromis, c’est -à-dire convention par laquelle on soumet un
litige à des arbitres (NCPC,art.1449) ;contrat d’assurance (C.assur.L.112-3,al.1er ) ;bail d’habitation (L.6
juill.1989,art.3) ; voir l’article 629 du D.O.C et l’article 3 de la loi 67-12 du 28 février 2014.
63
savoir si cet écrit est exigé à titre solennel ou, simplement, à titre de mode de preuve. Si l’on
adopte la première interprétation, la sanction sera la nullité. Si l’on suit la seconde
319
interprétation le contrat ne pourra pas, sauf exceptions , être prouvé par témoins, mais il ne
pourra l’être par l’aveu ou par le serment, auquel cas il produira tous ses effets.

Or, la Cour de cassation statue souvent en ce dernier sens320.C’est une décision


singulière ; car, en vertu d’une disposition du principe énoncée par l’article 1341 du code civil
français, la preuve testimoniale est écartée, pour tout acte juridique, dés que l’intérêt en cause
321
dépasse 1500 euros et en droit marocain excède 10.000 dhs .Dés lors, le sens donné aux
textes considérés revient simplement à dire que, dans les cas ou ils s’appliquent, cette
preuve est exclue, même lorsque le taux du litige est inferieur à ce chiffre. Il est fort douteux
que le législateur ait édicté des règles particulières pour n’apporter à la règle générale
qu’une dérogation de portée aussi minime. Son intention était, beaucoup plus
vraisemblablement de sanctionner l’absence d’écrit par la nullité322.

La jurisprudence s’explique, ici encore, par une volonté de minimiser les exceptions
au consensualisme323.Cette volonté se retrouve, quelque peu atténuée, dans la jurisprudence
relative à l’exigence légal d’une indication écrite du taux d’intérêt conventionnel dans les
prêts d’argent324.La cour de cassation, en effet ,tout en admettant que l’écrit est une
condition de validité de la stipulation d’intérêts conventionnels325, considère, d’une part, que
le défaut d’écrit n’affecte pas la validité du prêt, qui doit alors être soumis au taux d’intérêt
légal326,et d’autre part, qu’aucune forme particulière ne s’impose à l’énonciation du taux

319
Ces exceptions concernent le cas ou il existe un commencement de preuve par écrit (art.1347) et le cas ou il
été impossible de rédiger un écrit (art.1348) et en droit marocain 443 du D.O.C qui dispose que « Les
conventions et autres faits juridiques ayant pour but de créer, de transférer, de modifier ou d’éteindre des
obligations ou des droits et excédent la somme ou la valeur de dix mille dirhams ne peuvent être prouvés par
témoins. Il doit en être passé acte authentique ou sous seing privé, éventuellement établi sous forme électronique
ou transmis par voie électronique ».; Flour et Aubert, L’acte juridique,13e Ed, op.cit, p.267.
320
Pour la transaction : (Civ.28 nov.1973.somm.96.Pour l’assurance :Req.1erjuill.1941,DC 1943.57,note
Besson ;Civ.22 janv..1947 et Soc.27 fév.1947,JCP 1947.II.3724,note Besson. Comp. Pour le bail d’habitation,
civ.3e,7 fév.1990,Bull.civ.III,n°40 ,RTD civ.1990.679,obs.Remy ;Defrénois 1991,art,35030,note Aubert.
321
Voir l’article 443 du D.O.C.
322
Flour,op.cit.,n°14.
323
Une justification technique de cette jurisprudence a été proposée :savoir que le formalisme, en tant qu’il
constitue une exception au principe du consensualisme, doit rester d’interprétation étroite.
(Gurriero,op.cit.,p.201).Mais c’est trop prouver :l’interprétation restrictive limite le champ d’application de la
règle considéré ;elle ne l’ élimine pas.
324
Art.1907,al.2,pour le taux d’intérêt conventionnel, et art.4,L.28 déc.1966,pour le taux effectif global
(C.consm.,art.L.313-2).
325
Le taux maximum des intérêts conventionnels des établissements de crédit au maroc est fixé par les
dispositions de l’arrêtè du ministère de l’Economie et des Finances du 29 septembre 2006 ( le taux est fixè à
14,39 pc pour la periode allant du 1er avril 2014 au 31 mars 2015 ).
326
Civ.1er,24 juin 1981 (3 arrêts),Bull.viv.I,n°233 à 235,p.190 et s.,397,note Boisard.V.aussi, pour un compte
courant, IV.1er ,6 mai 1997,Bull.civ.I,n°142.La nullité est relative, qui ne peut être invoquée que par
64
d’intérêt327.Il n’y pas lieu de s’étonner, dans ces conditions, que la jurisprudence ait suivi
la même politique à propos des atténuations que comporte ce même principe, c’est Ŕà-dire
des hypothèses ou la loi impose des formalités dont ,à coup sûr cette fois, l’inobservation,
n’emporte pas nullité du contrat.

2- Le formalisme indirect

La plupart des contrats sont soumis à la formalité dite de l’enregistrement. Or,


lorsque le contrat n’a pas été constaté par un acte authentique, l’accomplissement de cette
formalité constitue, pratiquement, le seul moyen de lui donner date certaine, opposable aux
tiers328 ; à défaut de quoi il ne sera pas frappé de nullité, mais n’aura pas la pleine
efficacité qu’en escomptaient les parties. Par exemple, un bail non enregistré pourra être
méconnu par un acheteur ultérieur de l’immeuble loué (Arti.1743 du C.civ français) et en
droit marocain (Art 629 alinéa 2 du D.O.C)329.

De façon exceptionnelle, la formalité de l’enregistrement est plus sévèrement


sanctionnée dans le cas des promesses unilatérales de vente portant sur un immeuble, un
fonds de commerce ou différents autres biens. Faute d’être enregistrée dans les dix jours
de son acceptation par le bénéficiaire Ŕ et sauf constatation-la promesse est frappée de
nullité (C.civ.,art.1582-2 anc., CGI , art.1840-A),ce qui revient à faire de l’enregistrement,
dans ce cas, une exigence de formalisme direct.

Hormis ces formalités de nature fiscale, il existe aussi diverses autres formalités
administratifs, Celles-ci restent cependant exceptionnelles pour les contrats qui relèvent du
droit civil, réserve faite, toutefois, de celles du droit de l’urbanisme qui pèsent, souvent
lourdement, sur les contrats du secteur immobilier (droits de préemption, certificats
d’urbanisme, autorisation de lotir, permis de construire, attestation de conformité…)330.

Le formalisme indirect s’est concrétisé sur le plan pratique par des règles de publicité
(a) et des règles de preuve (b).

l’emprunteur, IV.1er ,21 fév.1995,Bull.civ.I,n°97 ;Civ.1er,21 janv.1992,Bull.civ.I,n°22.Le taux d’intérêt légal est
utilsé pour calculer les pénalités en cas de retard de paiement d’une somme d’argent notamment en matière
bancaire,de surendettement,de crédit,de fiscalité,de divorce,de marchés publics ou entre professionnels.
327
Civ .1er9 janv.1985,Defrénois 1985,oct.33580,rapp.Sargos,note Salats.V.aussi, Com.18
févr.1997,Bull.civ.IV,n°52.Cependant,une mention sur le relevé de compte, sans accord écrit sur ce point, ne
satisfait pas aux exigences légales, IV.1er ,17 janv.1995,Bull.civ.I,n°36,D.1995.213,note Martin.
328
Art.1328 (v.vol.3-Le rapport d’obligation-n°38 et s.).Sans doute, aux termes de ce texte, y’a-t-il deux autres
circonstances ou un acte sous seing privé acquiert date certaine : la relation de cet acte dans un acte authentique
et la mort de l’un des signatures. Mais il est fort imprudent d’escompter la réalisation de telles éventualités.
329
L’article 629 alinéa 2 du D.O.C. dispose que « Les baux d’immeuble excédant une année n’ont d’effet au
regard des tiers que s’ils sont enregistrés dans conditions déterminées par la loi ».
330
Voir.J.-B.Auby et Perinet-Marquet,Droit de l’urbanisme et de la construction,5 e éd.,1998.
65
a- Les règles de publicité
Les règles de publicité les plus importantes sont celles de la publicité foncière,
applicables aux actes translatifs de propriété immobilière ou constitutifs de droits
immobiliers. Le mécanisme de la publicité sert à informer les tiers de l’existence d’un acte
juridique et dont l’inobservation est sanctionnée par l’inefficacité de cet acte ;il n’est pas une
condition de validité, mais seulement une condition de son efficacité dans la mesure ou le
défaut d’accomplissement des formalités requises prive l’acte juridique de certains de ses
effets331.Le défaut de forme de publicité n’est pas sanctionné par la nullité de l’acte juridique,
ce dernier souffre seulement d’inefficacité juridique332.Pour en décrire le mécanisme général
d’une façon très schématique, la méthode la plus concrète est de raisonner sur la vente
d’immeuble .

La vente d’immeuble est un contrat consensuel, elle est parfaitement formée par le
seul échange des consentements des parties sur le prix et l’objet 333. L’acheteur devient
propriétaire de l’immeuble dés le moment de la conclusion du contrat de vente. Mais pour
rendre cet effet translatif de propriété opposable aux tiers, il est nécessaire que les formalités
de publicité foncière soient accomplies conformément à la loi en vigueur334.Le vendeur
demeure le propriétaire au regard des tiers tant qu’il n’a pas effectué les démarches relatives
à la publicité foncière. Ce système serait fort dangereux pour les tiers notamment le cas ou le
propriétaire d’immeuble a procédé à la vente deux fois l’immeuble. Or, le deuxième
acquéreur s’il publie son titre d’acquissions le premier, celui-ci l’emportera335. La publicité a
pour finalité de trancher le conflit de propriété sur un même immeuble. Un régime
purement consensuel détruirait donc toute sécurité dans les transactions immobilières. La
conséquence en est qu’en cas de ventes successives, l’acquission efficace n’est forcément
la première en date, mais celle qui a été publiée la première : le second acheteur évince le
premier s’il a publié son titre avant celui-ci336.

331
Nguyen Tien Dien,Le formalisme en matière contractuelle dans les droits français et vietnamien, thèse,
Univer. Panthéon- Assas,p.227 ;Voir. J.Ghestin,Traité de droit civil,La formation du contrat,3 e
éd.,L.G.D.J,1993,n°457.
332
S.Corneloup,La publicité des situations juridiques,Une approche franco-allemande du droit interne et droit
intenational privé,éd.,L.G.D.J ,2003,n°21. ;Idem.op.cit,p227 et s.
333
Ph. Simler,Ph. Delebecque, Droit civil, Les sûretés, La publicité foncière,5 e éd.,Dalloz,2009,n°852 et s.
334
Voir l’article 489 du D.O.C qui dispose que « Lorsque la vente a pour objet des immeubles, des droits
immobiliers ou autres choses susceptibles d’hypothèque, elle doit être faite par écriture ayant date certaine et
elle n’a d’effet au regard des tiers que si elle est enregistrée en la forme déterminée par la loi ».
335
Fr.Terré,Ph.Simler,Y.Lequette,Droit civil,Les obligations,10 e ,éd., D,n°163 ;Nguyen Tien Dien,Le
formalisme en matière contractuelle dans les droits français et vietnamien, thèse, Univer. Panthéon- Assas,p.233.
336
S.Lamiaux,Conflit entre acquéreurs successifs d’un immeuble, Retour au purisme de la publicité foncière,
JCP ,éd.,N.et I,n°13,2 avril 2010,p.1146 .
66
La sécurité des transactions immobilières est ainsi assurée. Pour ne pas courir de
risques, tout acheteur n’a qu’à vérifier qu’aucune publicité n’a encore été faite Ŕce dont il
lui est facile de s’informer auprès de la conservation des hypothèques-et non pas qu’aucune
vente n’a encore eu lieu :ce dont il ne pourrait jamais avoir la certitude337.

Ainsi, la doctrine a longtemps soutenu que ces mécanismes de publicité ne portaient


pas atteinte au consensualisme. Et certes, il est bien exact qu’un contrat dont la publicité a
été omise demeure valable dans les rapports entre les parties : ce qui est une différence
sensible avec la sanction attachée, en principe du moins, à l’inobservation d’une solennité
proprement dite338.Mais ce même contrat n’en est pas moins frappé d’inefficacité partielle.
Le propre du droit de propriété est être opposable à tous. Dire qu’un acheteur est devenu
propriétaire, mais qu’il ne peut pas opposer son droit aux tiers. Evincé par un autre acheteur,
qui aura accompli la formalité avant lui, le premier acquéreur a le droit de procéder à un
recours contre son vendeur pour percevoir des dommages et intérêts et non d’obtenir le
résultat escompté du contrat conclu : exercer les prérogatives attachées à la propriété. Un
contrat solennel, que l’on a conclu sans observer les formes légales, ne produit aucun
effet339.Un contrat légalement soumis à publicité, et que l’on n’a pas publié, ne produit pas
tous les effets que les parties avaient recherchés. Par définition, le consentement est atteint dés
que le seul échange des consentements ne suffit pas à rendre l’accord des parties pleinement
efficace340.

S’agissant de la réaction jurisprudentielle contre les règles de formalité, cette réaction


s’est manifestée dans le cas de publicité frauduleuse. Partant de l’hypothèse d’un individu
qui achète un immeuble, ayant connaissance qu’il a fait l’objet d’une vente antérieure non
publiée, en publiant sa propre acquisition. En cette occurrence, la Cour de cassation juge que
le premier acquéreur l’emporte néanmoins sur le second : ce qui constitue une dérogation
absolue au principe selon lequel le conflit entre acquéreurs successifs se règle non d’après la
date à laquelle ceux-ci ont respectivement acheté, mais d’après la date à laquelle ils ont
respectivement accompli les formalités341.

337
Flour et Aubert, L’acte juridique,13e Ed, op.cit, p.269.
338
V. notamment sur ce point :Mazeaud et F.Chabas,n°75,p.64.
339
La solution est imposée par le fait que le contrat, irrégulier en la forme, n’est formé. Elle n’est pas contredire
par cette autre solution, admise par la jurisprudence, que du moins l’acte irrégulier peut, le cas échéant,
engendrer une promesse de contrat :il s’agit alors d’une autre convention, qui produit des effets d’une autre
nature.
340
Sur cette analyse, v.Flour,op.cit.,n°4 et 10.
341
Pour admettre cette dérogation, la jurisprudence, après avoir exigé qu’il y ait eu une entente frauduleuse entre
le vendeur et le second acquéreur, estime suffisant que le second acquéreur ait connu la première
67
Cette dérogation à la règle du formalise, représente un retour au consensualisme, du
fait que la première vente à sa pleine efficacité et demeure opposable au second acquéreur,
bien que n’ayant pas procédé à l’accomplissement des formalités de publicité. Il se déduit que
si la loi n’avait pas imposé cette publication, en tant que condition d’opposabilité. Certes,
cette solution n’est admise que dans une situation très exceptionnelle, ou elle s’explique par
la volonté de sanctionner la mauvaise foi de l’individu qui achète un immeuble, en sachant
qu’il a précédemment vendu à autrui. Elle n’en révèle pas moins une réticence des tribunaux
à appliquer dans toute leur rigueur les dispositions de caractère formaliste. L’observation
de formalités dictées par la loi en matière de publication foncière, conduit à juger que la
connaissance que le deuxième acheteur aeue, d’une vente antérieure non publiée ne suffit pas
à la lui rendre opposable342.

La publicité est une condition d’opposabilité343 d’ordre en droit marocain et droit


français, permettant aux assujettis de mettre en œuvre l’opposabilité aux tiers en établissant
un ordre de priorité, en tranchant le conflit des droits subjectifs portant sur la même chose en
se référant à la date d’exécution des formalités de publicité, et non d’après la date
d’acquisition des droits en concurrence. Cette formalité édictée par l’exigence de la sécurité
des transactions immobilières, révèle une limite de l’efficacité du principe du
consensualisme.

b- Les règles de preuve

En droit marocain commeen droit comparé français, il existe des dispositions (article
448 du D.O.C -article 1341 du Code civil ) qui impose de reconstituer la preuve par écrit de
tout acte juridique, dés que l’intérêt en cause dépasse un chiffre bien déterminé ( 10.000
dhs-1500 euros) : ce qui a pour effet de rendre irrecevable, du moins en règle générale, la
preuve d’un tel acte par témoins344.

Entre cette exigence de preuve écrite et les exigences de forme, la doctrine classique
établissait encore une séparation radicale. L’inobservation des solennités légales entraine la

vente :Civ.3e,22 mars 1968,D.1968.412 ,note J.Mazeaud ;30 janv.1974,Defrénois 1974,art.30631 ;sur l’ensemble
de la question, v.Gobert, « La publicité foncière française, cette mal-aimé»,in Etudes J.Flour,spéc.p.224.et s.,et
sur la situation d’un sous-acquéreur tenant ses droits du second aqcuéreur,p.230.et s.
342
V.cep.Civ.3e,17 juill.1986,Bull.civ.III,n°118 ;Civ.3e,19 juill.1995,Bull.civ.III,n°205 ,RTD
civ.1997.467,obs.Crocq.Ces arrêts semblent revenir à une application stricte des exigences de publicité.
343
Nguyen Tien Dien,Le formalisme en matière contractuelle dans les droits français et vietnamien, op.cit.p.232.
344
L’article 1341 édicte une seconde règle, dont l’importance pratique est égale, mais dont l’intérêt est moindre
pour une réflexion générale sur le formalisme. Lorsqu’un écrit a été rédigé- et quel que soit, cette fois, l’intérêt
en cause Ŕil est interdit de prouver par témoins « outre » ou « contre » cet écrit, c’est-à-dire de prétendre en
compléter ou en combattre ainsi les énonciations. V.vol.3-Le rapport d’obligation-n°53 et s.
68
nullité du contrat, alors même que ni l’une ni l’autre des parties n’en contesterait l’existence.
Le simple défaut d’écrit, lorsque le contrat est consensuel, n’en paralyse pas, au contraire,
l’efficacité si l’on parvient néanmoins à le prouver d’une autre manière. Or, la preuve par
l’aveu ou par le serment est toujours admise ;et la preuve par témoins ou par présomptions
l’est elle-même à titre exceptionnel, dans les cas prévus par les articles 1347 et 1348 :soit
qu’il existe un commencement de preuve par écrit, qu’il ne reste qu’à compléter ; soit qu’il
ait été impossible de rédiger un écrit.

Cette analyse est indiscutablement exacte345 ; mais encore faut-il ne pas en exagérer
la portée. Si les règles de preuve et les règles de forme ne sont pas identiques, du moins
sont Ŕelles analogues346.

Sur le plan pratique, un contrat que l’on ne parvient pas à prouver est un contrat
inefficace : suivant un vieil adage, plus réaliste que la pensée des auteurs classiques, idem est
non esse aut non probari Ŕ il revient au même de ne pas exister ou de ne pas prouver. Or, il
serait vain d’espérerétablir son droit avec sécurité par l’aveu ou par le serment, qui mettent
l’une des parties à la discrétion de l’autre347.Pour des contractants prudents, la liberté
d’exprimer leur consentement comme ils l’entendent n’est donc qu’apparente : les choses se
passent comme si l’écrit était une condition, sinon de validité, du moins d’efficacité348.

Sur le plan de l’analyse théorique, le fondement en est très proche. D’une part, les
formes proprement dites assurent, elles aussi, la preuve du contrat. D’autre part, la rédaction
d’un écrit à titre de mode de preuve fait prendre conscience des obligations que l’on
assume : comme la solennité, elle est protectrice de la volonté contre un engagement
irréfléchi ou frauduleusement capté349.

Des différents fondements assignés aux exceptions traditionnelles apportées au


consensualisme, c’est en effet celui de la protection de la volonté contractuelle qui a

345
C’est elle qui donne notamment son intérêt à la question de savoir si, dans tel ou tel cas, l’écrit exigé par la loi
est requis ad validatatem ou seulement ad probationem ;supra,n°311.
346
Flour,op.cit.,n°6 et les références ;Levy-Bruhl,op.cit.,p.92 et s.
347
Encore faut-il observer que si l’aveu ou le serment peuvent suppléer l’absence d’écrit exigé à fin de preuve,
ils ne peuvent remédier à l’absence d’un écrit exigé pour la validité de l’acte (Civ.1 er,26 mai
1993,Bull.civ.I,n°190,D.1993.Somm.312,obs.Aynes).
348
Sur l’incertitude résultant de ce qu’un contrat n’a pas été constaté par écrit,v.Civ.1 er,15 juill.1975,JCP
1976.II.18414,note Ivainer,et Civ.1er ,27 avr.1977,D.1977.413,
note Gaury,On pourrait, de prime abord, penser que la rédaction d’un écrit est superflue lorsque le contrat est
exécuté instantanément :ainsi, une vente au camptant, avec livraison immédiate. Mais cela même serait
inexact ;car ,une fois exécutées les obligations principales, il peut en subsister d’accessoires. Si, par exemple, la
chose vendue a des vives cachés, l’acheteur a droit à garantie (art.1641).Or, à défaut d’écrit, un vendeur de
mauvaise foi pourra prétendre que ce n’est pas lui qui a vendu cet objet défectueux.
349
Flour et Aubert, L’acte juridique, op.cit, p.272.
69
bénéficié d’une consécration législative croissante. Cela s’est manifesté, par une
multiplication des contrats solennels350.Mais cela s’est traduit, surtout, par l’apparition de
nouveaux textes relatifs à l’exigence d’un écrit, ont imposé, parfois, un processus de
formation du contrat comportant des éléments d’information précis au bénéfice du
contractant faible351, et plus généralement l’observation dans le contrat, de certaines
mentions stipulées par la loi352.

Ces diverses exigences d’informations ont donné lieu à une jurisprudence le plus
souvent sévère353, qui a sanctionné strictement les manquements aux règles ainsi posées,
marquant ainsi une évolution par comparaison avec ses réactions antérieures au formalisme.

La jurisprudence avait souvent manifesté une certaine réticence à l’encontre des


exceptions apportées par la loi au principe du consensualisme. En particulier, des réactions
anti- formalistes à l’encontre des exigences de solennité354 et vis-à-vis des règles de
preuve355.Ces réactions étaient à l’époque où elle a été formulée356.Il ne semble pas qu’elle
corresponde, en son second élément, notamment, à la réalité d’aujourd’hui.

La jurisprudence contemporaine donne, le plus souvent, leur plein effet aux règles de
forme modernes : celles que la loi pose afin de garantir l’information au profit des
différentes catégories de contractants. Cette rigueur nouvelle parait se fonder sur une
sensibilité accrue du juge : moins soucieux que par le passé des exigences de la morale
individuelle- qui incline à empêcher que le contractant de mauvaise foi profite de la règle de
forme pour échapper au contrat qu’il a certainement conclu- les juges sont aujourd’hui
davantage préoccupés des besoins d’une morale collective qui appelle à la moralisation des
transactions357.Le formalisme informatif en est un moyen ;il convient donc de lui donnée

350
Idem., op.cit, p.273.
351
V.G.Couturier, « Les finalités et les sanctions du formalisme »,in n°spécial,Jacques Flour-Le
formalisme,Defrénois 15-30 août 2000,n°15-16 ;Lepage « Les paradoxes du formalisme informatif »,Mélanges
Calais-Auloy.
352
Ce qui inclut parfois des mentions concernant la faculté donnée par la loi au contractant, de renoncer au
contrat, lequel doit alors comporter un projet de lettre de renonciation (C.assur.,art.L.132-5-1,en matière
d’assurance-vie) ou un formulaire détachable de rétractation (C.consom.art.L.311-15,creédit à la consommation).
353
Pour une réflexion sur un système de sanction cohérent du formalisme informatif, v.Magnier, «Les sanctions
du formalisme informatif »,JCP 2004.I.106.
354
Flour et Aubert et Eric, L’acte juridique,13 e Ed , op.cit, p.265et s.
355
Idem,op.cit.p.272.
356
Voir.Flour.,spéc.n°20.
357
Couturier et Aubert, rapports precités.
70
toute sa portée358.Le juge et le législateur se retrouvent ainsi pour veiller à des engagements
contractuels plus lucides359.

B- Les restrictions apportées à la liberté contractuelle


La liberté contractuelle peut parfois être source d’injustice, et aussi nuire à l’intérêt
général, lequel n’est pas forcément la somme des intérêts particuliers. De fait le libéralisme
dans sa forme la plus pure ne favorise par nécessairement le développement harmonieux des
échanges et la distribution des richesses. De sorte qu’une organisation plus rationnelle de
l’économie s’est rapidement imposée, avec la mise en place d’une économie dirigée. Aussi
l’avènement d’un certain interventionnisme étatique est-il apparu comme une nécessité en
vue de canaliser la liberté contractuelle. Juridiquement, cela s’est traduit par un
développement de la notion « d’ordre public économique », de direction (1) et de protection
(2) .La première régit l’activité économique en limitant le champ d’action individuelle ; la
seconde vise à protéger la partie qualifiée comme profane ou faible, dans les rapports
contractuels360.Cet ensemble compose l’ordre public économique.

1- L’ordre public de direction

L’ordre public classique est un ordre public politique qui a pour mission la défense
des institutions essentielles de la société contre les atteintes que pourraient leur porter les
initiatives, non contrôlées, des contractants. Dés lors, il suffit au législateur- et, plus souvent,
au juge361-d’interdire certains contrats ou d’interdire certaines clauses dans ceux qui
demeurent licites. Point n’est besoin de rien ordonner de positif. Alors que l’ordre public
nouveau qui constitue un ordre public économique a pour fin d’intervenir à travers le
législateur dans l’organisation des échanges de richesses et des services entre les
hommes :soit pour rendre ces échanges plus équitables, soit pour les mieux ordonner en
considération de l’intérêt général, parfois en imposant leur liberté. Dés lors, il ne suffit plus
d’interdire ; il faut aussi commander. On aboutit fréquemment à des dispositions de caractère
positif par lesquelles le législateur fixe, d’autorité, les effets de tel ou tel contrat362.Les

358
V.par.,ex.Civ.1er ,7 déc.2004,Bull.civ.I,n°303,JCP 2005.II.101160,note Rzepecki,RDC
2005.323,obs.Fenouillet…Dans la limite du raisonnable,toutefois,v.Civ.1 er ,9
nov.2004,Bull.civ.I.n°254,D.2005.2840,obs.Amrani-Mekki (une erreur matérielle secondaire dans la
reproduction d’une clause impérative ne peut emporter la nullité d’un cautionnement).
359
Cette convergence est, du reste, également attestée par la consécration législative (C.consm,art.L.313-7) de
l’interprétation déformante de l’article 1326 que la jurisprudence avait adoptée en matière de cautionnement.
360
Marie- Helene DE LAEDER et Franck Petit, Droit des contrats,5émeéd 2010-2011,Editions Archétype 82
,Paris,p.21.
361
Flour et Aubert et Eric, L’acte juridique, 13 e Ed,op.cit, p.241et s
362
Idem,op.cit.p.242.
71
différentes conséquences du principe de la liberté contractuelle ont été affectées par des
dispositions toujours plus nombreuses destinées à orienter l’activité dans une direction
conforme à l’utilité sociale :l’ordre public de direction.

Ainsi, les dispositions d’ordre public de direction qui sont prises dans une
préoccupation différente qui n’est pas d’assurer la protection d’un contractant mais
d’organiser, de diriger l’économie.

La taxation de certains produits ou services et plus généralement les mesures


d’encadrement des prix363,les rationnements en période de pénurie (à l’issue de la seconde
guerre mondiale, par exemple),ou encore les mesures d’ordre monétaire, relèvent de cette
autre catégorie. Il s’agit d’atteintes brutales à la liberté de contracter imposées par un
véritable dirigisme étatique. Mais il y a lieu d’observer que la plus part d’entre elles ont
aujourd’hui disparu, soit qu’elles aient répondu à des besoins temporaires, soit qu’elles
aient été la manifestation d’une idéologie plus ou moins étatiste qui a ,à la fin du XXe siècle
,cédé à une renaissance du libéralisme364.

Il est vrai que, sous la pression des institutions européennes, d’abord, du fait de ce
qu’il est convenu d’appeler la « mondialisation »,ensuite, un vent libéral nouveau souffle
sur le droit français et par conséquent le droit marocain de la fin du XXe siècle et du début
XXIe. Paradoxalement -mais comme pour le D.O.C de 1913 et le Code civil de 1804, le
paradoxe n’est qu’apparent- ce libéralisme engendre son propre ordre public et son lot de
dispositions impératives. Il s’est ainsi instauré, dans le cadre de ce néo-libéralisme, une sorte
d’interventionnisme libéral qui, par des dispositions impératives et souvent prohibitives, tend
à assurer la sauvegarde de la liberté de la concurrence et du commerce. On se bornera à en
évoquer quelques manifestations365.

La première se trouve dans le droit de l’Union européenne et, dés l’origine, dans le
Traité de Rome (Traité CEE) de 1957, lequel a pour objectif d’instaurer, notamment, un
régime de libre concurrence dans l’espace qu’il régit. Les articles 81 et 82 sont
particulièrement significatifs366, qui, d’une part, prohibent les pratiques concertées, ou

363
V. notamment Ord.30 juin 1945, relative au ravitaillement et au contrôle des prix et en droit marocain la loi
n°06-99 du 05 juin 2000 sur la liberté des prix et de la concurrence, telle qu’elle a étémodifiée et complétée par
la loi n°104-12 du 30 Juin 2014 .
364
Flour et Aubert et Eric, L’acte juridique, 13 e Ed,op.cit, p.253.
365
Flour et Aubert et Eric, L’acte juridique,13e Ed. op.cit, p.253.
366
V. aussi les articles 53 et 54 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) du 2 mai 1992.La nouvelle
numérotation des articles du Traité CEE résulte du Traité d’Amsterdam du 2 octobre 1997-ratifié par la loi
n°99-229 du 23 mars 1999 et entré en vigueur le 1 er mai 1999.
72
ententes, qui ont pour objet ou pour effet de fausser le jeu de la concurrence, et, d’autre part,
sanctionnent les abus de positions dominantes, lesquelles sont mêmes parfois condamnées.
On retrouve donc ici ce mécanisme qui, par le moyen d’une entrave à la liberté contractuelle,
tend en réalité à assurer la sauvegarde d’une véritable concurrence et, partant, d’une certaine
manière, à garantir cette liberté367.

La seconde manifestation de cet « interventionnisme libéral » est constituée par


l’ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986, relative à la liberté des prix et de la concurrence
(C.com., art. L.410-2 et s)368, modifiée, notamment par la loi du 1er juillet 1996.Condamnant
les pratiques anticoncurrentielles et imposant la loyauté de la concurrence, ce texte assure
encore, par le biais d’une entrave affirmée à la liberté contractuelle Ŕon ne peut pas convenir
n’importe quoi, n’importe comment-une liberté de la concurrence plus réelle. L’article L.420-
2 C.com. en fournit une illustration claire en prohibant l’abus de position dominante ou de
l’état de dépendance du partenaire contractuel (client ou fournisseur), visant en particulier les
pratiques de refus de vente ou de conditions de vente discriminatoires369.

L’ordre public économique est souvent d’une mobilité qui constate avec la stabilité
de l’ordre public politique. C’est que celui-ci a des principes d’organisation sociale et de
civilisation, qui n’évoluent que lentement. Celui-là tend, au contraire, à adapter les contrats à
une conjoncture économique changeante, et par référence à des doctrines également plus
discutées. Suivant les conjonctures économiques et les majorités politiques, on sera plus ou
moins favorable à telle ou telle catégorie de contractants ; parmi les objectifs à atteindre, on
mettre la stabilité monétaire au-dessus de l’expansion, ou inversement.

De cette mobilité, les variations incessantes de la législation des baux sont un bon
exemple. Encore ne faut-il rien exagérer. Beaucoup de dispositions d’ordre public
économique sont « irréversibles » : on ne revient pas sur les conquêtes sociales, sinon très
difficilement, et sous la pression d’exigences économiques incontournables. C’en quoi il y a
mobilité, c’est qu’une première réforme en provoque très généralement d’autres ; mais
l’évolution amorcée se poursuit presque toujours dans le même sens, au profit des mêmes
catégories de contractants.

367
Sur ces questions, v.Gavalda et Parleani, Droit des affaires de l’union européenne,3 eéd,1999,spéc.n°434 et
n°566 et s. ;Le Mire, Droit de l’union européenne et politiques communes,1998.
368
En droit marocain,voir l’article 2 de la loi n°06-99 -08 sur la liberté des prix et de la concurrence qui dispose
que « les prix des biens,des produits,et services sont determinés par le jeu de la libre concurrence…. ».
369
Sur l’ensemble de la question, v.Houtcieff,Droit commercial,2 e éd.,2008,n°1092 et s ;Malaurie-Vig nal,Droit
de la concurrence interne et communautaire,4e éd.,2008.En ce sens voir l’article 6 et s. de de la loi n°06-99 -08
sur la liberté des prix et de la concurrence.
73
La deuxième composante de l’ordre public économique : l’ordre public économique
de protection qui se compose de l’ensemble des dispositions prévues par le législateur en vue
d’assurer la protection de la partie faible, représente une autre forme de manifestation de la
liberté contractuelle.

2- L’ordre public de protection


L’ordre public ancien, celui du D.O.C de 1913 et du Code civil français de 1804, ne se
préoccupait guère que de trois choses : d’abord, la protection des libertés individuelles,
ensuite, la sauvegarde de la souveraineté de l’Etat et de la solidarité de la famille, enfin, le
respect de la morale généralement admise. Depuis lors, par une extension des droits de police
de la puissance publique, sont apparus, pour l’ordre public, deux terrains nouveaux : l’ordre
public social ou l’ordre public économique de protection freinant les inégalités de classes
sociales, et l’ordre public économique assumant une économie dirigée370.

La liberté contractuelle n’était ainsi limitée que pour mieux garantir la liberté
individuelle. De manière plus concrète, la seule liberté qui fût alors déniée à l’homme était
celle, précisément, de renoncer à sa liberté : nul n’était admis, par l’exercice de sa liberté
présente aliéner sa liberté future. L’idée est de nature à fonder la consécration d’un principe
général de prohibition des engagements perpétuels qui n’apparait que dans certaines
dispositions particulières du D.O.C et du Code civil371.Il n’y a aucun paradoxe à dire qu’en
prohibant toute association professionnelle elle consacrait un régime de libéralisme
obligatoire : c’est la liberté même qui était d’ordre public. En forçant à peine les termes, on
verrait là l’équivalent, en économie, de ce que fut, en politique, la formule fameuse selon
laquelle il n’y a pas de liberté pour les ennemis de la liberté.

L’ordre public économique372 d’aujourd’hui s’est en effet nettement diversifié : d’un


coté, la loi entrave la liberté contractuelle, mais, de l’autre, elle en assure parfois la

370
René Savatier,La théorie des obligations en droit privé économique,4 e éd,Précis Dalloz,p.102.
371
Voir.l’article 1780 du Code civil français prohibe l’engagement qu’une personne ferait des ses services pour
sa vie entière, ce qui ressusciterait le servage : le louage de services sans détermination de durée est donc
toujours révocable. De même, l’article 1911 du Code civil permet, à celui qui s’est engagé à fournir
perpétuellement une rente à une autre personne, de mettre fin, à tout moment, au contrat, en « rattachant » la
rente. La jurisprudence ,généralisant la nullité des engagements perpétuels, interdit, notamment, de faire un bail
pour plus de 99 ans, l’écoulement d’un siècle étant assimilé à la perpétuité.
372
Pour Farjat,l’ordre public économique est « l’ensemble des règles obligatoires dans les rapports ;contractuels,
relatives à l’organisation économique, aux rapports sociaux et à l’économie interne du
contrat » ;V.Farjat,Gérard,L’ordre public économique, Revue international de droit comparé, Vol.19 n°2 Avril-
Juin,p.522 ;On s’en tiendra ici à ce type d’intervention. Il faut savoir, cependant, que l’intervention dans l’ordre
économique a utilisé d’autres procédés, tel celui de l’autorisation administrative, qui permet d’apprécier
l’opportunité du contrat envisagé-par exemple en matière de contrôle des changes.
74
sauvegarde. La loi est intervenue, d’abord, pour détruire directement la liberté contractuelle,
en soumettant de nombreux contrats à des réglementations impératives373.

Les individus ont la liberté de contracter ou de ne pas contracter à l’exception ce


certains cas dont les contrats sont imposés. Mais c’est en tant que la faculté d’aménagement
de la relation contractuelle que la liberté se trouve atteinte : les parties doivent se soumettre
au régime défini par la loi ; ils ne peuvent fixer librement, par exemple, le montant du loyer
et la durée du bail, le montant du salaire et la durée du contrat de travail. Contracter se réduit
alors au fait de se placer volontairement dans un cadre légale374. En principe les règles de la
375
liberté contractuelle sont respectées. Cependant, certaines dérogations existent .

Ces dérogations se sont manifestées à travers certains contrats imposés, tel que le
contrat de responsabilité civile-responsabilité civile qui est obligatoire pour les automobilistes
afin de les protéger contre les conséquences des accidents qu’ils causent à autrui, et surtout
,pour protéger les victimes de ces accidents. Une autre exception à la règle de la liberté
contractuelle : possibilité de refuser de contracter par le fait d’imposer aux propriétaires de
locaux le maintien du locataire dans les lieux à l’expiration du contrat de bail ( baux à usage
d’habitation ou baux commerciaux).De même on peut envisager dans certaines hypothèses
parfois que le choix du contactant est limité en vertu d’une règle de non -discrimination, du
fait qu’un employeur ne peut pas refuser de passer un contrat de travail avec une personne
376
en raison de son sexe, de sa race ou sa religion .

S’agissant des exceptions apportées à la liberté de déterminer le contenu du contrat, en


principe les parties à un contrat ont la liberté de fixer les clauses de leur contrat, d’un
commun accord, en étant placées sur un pied d’égalité. Mais pour des raisons d’économie
dirigée, de préservation de la moralité ou de la santé publique, ou encore de politique sociale,
le législateur intervient, de plus en plus dans les règles qui régissent le contenu du contrat.
Dans certains cas, C’est l’opération juridique réalisée par le contrat qui est prohibé. Par
exemple, le contrat de proxénétisme est nul. D’autres fois, l’opération réalisée est licite, mais
le contrat est contraire à l’ordre public par l’objet des obligations auxquelles il donne
naissance ou par la cause de l’engagement des contractants, tel le cas de la vente (opération

373
Il existe de nombreuses lois d’ordre public qui imposent le contenu du contrat, avec l’insertion de clauses
obligatoires ; certains contrats sont presque entièrement prérédigé par le législateur comme le contrat
d’assurance, ou le contrat de bail commercial, ou encore, le contrat de travail. Voir. Farajat, op.cit.,n°71 et s.
374
Flour et Aubert, L’acte juridique, 13e Ed.op.cit, p.253.
375
Lucienne Topor, Les contrats, éditions Litec,op.cit ,p.8.
376
Idem,op.cit,p.8.
75
juridique) est parfaitement autorisé, mais la vente de certains biens est interdite, notamment
la vente de la drogue ou des jouets dangereux.

Par ailleurs, en ce qui concerne les contrats les plus connus, comme le contrat de
travail377,le contrat de bail378 ( à usage d’habitation, commercial),le contrat d’assurance379,il
existe un cadre légale impératif380 dans lequel les volontés individuelles ne peuvent que se
couler. La loi fixe les obligations qui naissent de ces contrats et, dans une certaine mesure, le
contenu de ces obligations, par exemple, la durée du temps de travail ou le montant du
382
loyer381. Ces contrats sont nommés par la loi et dirigés par la loi . Il faut enfin, bien sûr,
évoquer les lois de protection des consommateurs qui ont multiplié, dans le dernier quart du
XXe siècle, les dispositions impératives établissant un encadrement strict des contrats de
consommation, notamment en matière de crédit383.

Sous la forme qui vient d’être décrite, la théorie de l’autonomie de la volonté est en
déclin constant.384Elle a été progressivement mise à l’écart pour des facteurs économiques et
sociaux. Que signifie, en effet, l’autonomie de la volonté face à l’inégalité des contractants ?
Une illusion dangereuse, vide de sens. A l’opposé de la formule de Fouillée, s’est imposée
celle de Lacodaire « Entre le fort et le faible,…, c’est la liberté qui asservi, la loi qui
affranchit »385.L’orientation de l’économie, le dirigisme économique, se sont construits aux
dépens de l’autotomie de la volonté. L’Etat devient le garant d’une certaine vision de l’utilité

377
Le contrat de travail est pareillement soumis à des dispositions impératives, par exemple, en matière de repos
hebdomadaire et de congés payés. La liberté contractuelle devient ici, par une inversion totale du principe,
l’exception : tout ce qui n’est pas permis et défendu ;pour le repos hebdomadaire voir les articles 205 et 206 et
en ce qui concerne de la durée du congé annuel payé voir les articles 231 à 243 du code de travail marocain
adopté par la loi n°65-99.
378
Le louage d’immeuble échappe largement à la liberté contractuelle, qu’il porte sur des locaux à usage
d’habitation ou professionnel, ou sur des locaux à usage commercial, ou qu’il s’agisse de baux ruraux. Pour le
contrat bail voir l’article 627 du D.O.C.Pour les dispositions organisant les rapports contractuels entre les
bailleurs et les locataires des locaux à usage commercial,industriel ou artisanal (v. loi n°07-03),en ce qui
concerne les rapports contractuels entre les bailleurs et les locataires des locaux d’habitation ou à usage
professionnel (v.loi n° 67-12 ).Les règles prévues par les deux lois précitées précisent que seule la volonté des
parties qui détermine les conditions du loyer.
379
Le contrat d’assurance, depuis une loi du 13 juillet 1930, dont l’article 2 énumérait limitativement celles de
ses dispositions susceptibles de dérogation conventionnelle et en droit d’assurance marocain, voir l’article
l’article du code d’assurance marocain ,adoptée par la loi 17-99 du 3 octobre 2002.
380
Lucienne Topor, Les contrats, éditions Litec,op.cit ,p.9.
381
En droit marocain,l’article 3 de la loi 67-12 régisant les rapports contractuels entre bailleur et locataire du 28
février 2014,prévoit que le montant du loyer doit être impérativement fixé dans le contrat debail ainsi que le
momment ou le paiement doit intervenir :ex :le 1 de chaque mois.
382
L.Josserand,Les derniéres étapes du dirigisme contractuel :le contrat forcé et le contrat
légal,D.H.1940,chron.,p.5 et 6.
383
Flour- Aubert et Eric, L’acte juridique,13e éd. op.cit, p.85.
384
Marie- Helene DE LAEDER et Franck Petit, Droit des contrats,op.cit.20 ;Loic Cadiet, le droit contemporain
des contrats :bilan et perspectives ;p.8.
385
Flour et Aubert, L’acte juridique, vol.1, op.cit, p.81.
76
sociale visant à limiter l’initiative individuelle privée économique. Cette transformation est
marquée par l’accroissement considérable des lois impératives destinées à compenser
l’inégalité et à protéger le contractant le plus faible .On parle ainsi d’ordre public de
direction et de protection que l’on a abordé.

Les restrictions qui sont ainsi apportées en droit positif aux principes découlant de
l’autonomie de la volonté ont conduit la doctrine à essayer de trouver d’autres fondements à
la force obligatoire du contrat386.

On se rappelle que, selon la doctrine classique, la volonté est à l’origine des


droits et des obligations et explique toute la théorie du contrat auquel elle donne force
obligatoire. Selon cette doctrine, la volonté trouve en elle l’énergie créatrice de droit. Elle
dispose d’un pouvoir autonome et initial. On pourrait parfaitement ajouter qu’elle dispose
d’un pouvoir absolu.

Comme on le sait, cette théorie philosophique a rencontré un grand succès chez


beaucoup de juristes. Il faut remarquer toutefois qu’elle enthousiasme beaucoup moins
qu’avant les esprits et qu’on est revenu de l’engouement qu’elle a suscité. C’est que la
théorie de l’autonomie de la volonté n’est jamais parvenue à expliquer rationnellement le
pouvoir juridique inhérent à la volonté. Elle n’est jamais parvenue non plus à expliquer l’idée
qui a fait son succès et selon laquelle la force obligatoire du contrat a son fondement dans la
volonté. La conception pure de cette doctrine qui soutient l’idée d’un pouvoir initial et
autonome de la volonté semble aujourd’hui abandonnée387. Mme Ranouil affirme pourtant
que l’autonomie de la volonté était la doctrine de tout le XIXe siècle, mais qu’elle n’a été
nommée que lorsque « l’exaspération de l’individualisme juridique atteint … son extrême »388
face au développement des conceptions socialistes.

En tout cas, la question essentielle demeure celle de savoir où les juristes ont puisé
cette idée de l’autonomie de la volonté créatrice de droit ? A ce propos, un auteur relève une
coïncidence de temps entre l’expansion des idées de Kant et l’apparition de la théorie de
l’autonomie de la volonté. M.Rouhette montre ,en effet, que si les ouvrages de ce
philosophe sont traduites en français depuis la moitié du siècle dernier, la propagation de ses
idées n’a pris de l’ampleur que vers les années de 1870 389.En effet ,on a vu que, dans la
philosophie de Kant, l’autonomie de la volonté signifie que l’obligation doit avoir sa source
386
Christophe Lachiéze, Droit des contrats , op.,cit,p.156.
387
Rafik Oulehazi ,le juge judiciaire et la force obligatoire du contrat, op.cit,p.146.
388
Véronique Ranouil, L’autonomie de la volonté naissance et évolution d’un concept, op. cit,p.151.
389
Sur l’approche philosophique. La remarque de G. Rouhétte., la force obligatoire du contrat, op.cit.n°14.
77
dans la volonté de l’individu. Mais on a constaté aussi que pour les juristes du XIXe siècle
l’obligation a sa source dans la loi. Et Demolombe,par exemple, écrit toujours en 1882,en
traitant des obligations, que « c’est la loi civile qui les consacre et qui peut seule leur
imprimer la force juridique »390.A ce propos, c’est la thèse de Gounot, en 1912,dont l’objet
déclaré était une critique de l’individualisme et du principe de l’autonomie de la volonté, qui
a présenté pour la première fois celui-ci comme un système cohérent »391.C’est ce système,
qui a été adopté par beaucoup d’auteurs qui en fait le principe essentiel qui explique le
régime juridique des contrats, dont on souligne aujourd’hui le déclin. L’idée d’un pouvoir
inhérent à la volonté des contractants pour créer du droit semble abandonnée et des auteurs
observent qu’ « aujourd’hui », cette analyse n’est plus admise par personne »392.Des partisans
de cette théorie admettent, d’ailleurs, que « la volonté n’est pas, comme le voulaient les
tenants de la théorie pure de l’autonomie de la volonté, un pouvoir créateur de droit à la fois
autonome et initial »393.

La volonté des contractants est en effet l’une des pièces maitresses du mécanisme
contractuel. Il reste que la volonté n’est pas à l’origine du caractère contraignant du contrat et
l’idée selon laquelle la force obligatoire du contrat est un aspect du principe de l’autonomie
de la volonté est devenu contestable. La force obligatoire du contrat n’est pas un sous
principe de la théorie de l’autonomie de la volonté et celle-ci n’en constitue pas le fondement.
Il s’agit d’établir que la force obligatoire du contrat est issue du droit objectif disons de la
loi entendue au sens large394.Une vive réaction « anti -volontariste » s’est manifestée
notamment par la plume d’H. KELSEN, puis quelques auteurs contemporains ont avancé des
thèses moins radicales bien encore profondément imprégnées de l’empreinte positiviste395.

Section 2 : Les fondements objectif et doctrinal


La volonté individuelle n’est plus perçue, en elle -même, comme créatrice de droit. Le
contrat est contraignant. Réalisé normalement par de simples particuliers, d’où vient cette
force obligatoire ? La théorie de l’autonomie de la volonté ne peut répondre à cette question.

390
G.Rouhette,op.,cit.,n°15,p.41 ;Rafik Oulehazi,op.,cit.,p.154.
391
Ghestin ,La formation du contrat, op.cit.,n°45,p.35.
392
Malaurie et Aynes,les obligations, op.cit,n°609 ;Ghestin,La formation..,op.cit.,n°184 : « La théorie de
l’autonomie de la volonté n’est plus affirmée aujourd’hui que par la doctrine civiliste la plus
traditionnelle » ;Rafik Oulehazi,op.,cit.,p.157.
393
Flour et Aubert,L’acte juridique, op.cit.,n°128 ,p.78.
394
Voir,Rafik Oulehazi,op.,cit.,p.169.
395
Catherine Thibierge,Les modes d’évolution de la théorie générale du contrat, thèse,
Université,d’Orleans,2004,p.298.
78
L’analyse positiviste a montré que le droit positif qui confère au contrat sa force
obligatoire du contrat .Plusieurs auteurs écartent expressément le dogme de l’autonomie de la
volonté au profit d’une norme extérieure .La question que pose alors les auteurs
contemporains est de savoir pourquoi le droit confère cette force obligatoire. Ainsi, le
professeur J.Ghestin, propose t-il sa célèbre théorie de l’utile et le juste396,à travers de
laquelle, il s’est opéré « une substitution de l’utile et du juste au dogme de l’autonomie de la
volonté »397.Cela signifie que la volonté n’a plus de rôle à jouer dans le contrat. Son
expression et sa qualité sont toujours essentielles notamment pour la formation de l’acte ou
comme élément d’interprétation. Mais elle devient, en quelque sorte, un « instrument » au
service d’un droit contractuel animé de valeurs supérieures. Ce fort courant doctrinal qui tout
en connaissant que l’accord de volontés est bien le critère de l’acte juridique, se propose de
rechercher dans les valeurs premières de la société. M.Ghestin suggère de rechercher le
fondement de la force obligatoire dans les idées d’utilité et de justice et, dans le prolongement
de cette idée, certains auteurs défendent la théorie du solidarisme contractuel. Pendant toute la
période classique caractérisée par l’importance accordée à l’autonomie de la volonté en tant
que source qui confère au contrat sa force obligatoire, ce fondement volontariste a connu un
déclin énorme et a donné lieu à certains auteurs l’occasion de se pencher sur un autre
fondement solide pour expliquer l’énergie dont dispose le contrat qui en a donné le caractère
contraignant398.

Il convient de rechercher le fondement de la force obligatoire du contrat dans le droit


objectif (paragraphe1).Or un tel pouvoir ne peut être reconnu au législateur. Le droit
objectif399 recherche de la solution concrète conforme à la justice, dépasse le droit positif,
qui doit tendre à en être l’expression la plus parfaite possible. Ce n’est pas le législateur qui
donne force obligatoire au contrat. Celui ci- n’a pas attendu l’article 230 du D.O.C pour être
sanctionné par les tribunaux. Le contrat a force obligatoire par ce que le droit objectif lui
confère un tel effet juridique, et il ne peut le faire que parce que l’intérêt général, d’autres
diront le bien commun, impose en matière contractuelle, au premier degré, l’utilité sociale du

396
J.Ghestin,L’utile et le juste,op.,cit.,p.10 ;Thibierge,Les modes d’évolution de la théorie générale du
contrat,op.cit.p.298.
397
J.Ghestin,La notion du contrat,Droits,n°12 ,1990,p.13 et s.
398
L’évolution des relations contractuelles et du droit positif a d’ailleurs incité tous les auteurs à admettre que
l’autonomie de la volonté ne pouvait être absolue. ;voir sur ce point ;Jacques Ghestin,Le contrat en tant
qu’échange économique, in :Revue d’économie industrielle. Vol.92.2e et 3e trimestres, 2000,p.87.
399
J.Ghestin et G.Goubeaux,avec le concours de M.Fabre-Magnan,«Introduction générale »,4e éd.,1994,n°32 et s.
79
contrat, et en second degré, la justice contractuelle, facteur d’harmonie sociale400. Cela nous a
conduit à aborder les fondements développés par la doctrine moderne, qui justifient et
expliquent la source de la force obligatoire du contrat. A ce propos, il est utile d’envisager un
nouveau fondement dynamique dit pluraliste à portée socioéconomique, conçu en tant que
fondement dynamique de la force obligatoire du contrat (paragraphe2).

Paragraphe 1: Le fondement objectif


En réalité, la difficulté relative à l’origine du caractère contraignant des conventions
vient du fait que, comme le soulignait Kelsen, « la raison de la force obligatoire du contrat
peut avoir des sens différents et recevoir aussi des réponses différentes »401.Or il est clair que
le contrat n’a de force obligatoire que parce que la loi lui attribue ce caractère. Ainsi
M.Rouhette a rejeté catégoriquement la théorie de l’autonomie de la volonté .Pour lui, le droit
objectif n’a jamais admis que l’individu puisse s’obliger par sa seule volonté. Selon le
même auteur, le contrat n’oblige que parce que la loi l’autorise et dans la mesure où elle
prévoit. Il s’agit donc d’entreprendre à travers cette analyse de vérifier cette affirmation , en
se référant sur les travaux développés autour de la théorie de Hans Kelsen et la thèse de
George Rouhette (A) et ce en vue de démontrer le caractère normatif de la force obligatoire
du contrat qui sert à assurer l’exécution du contrat .Le caractère contraignant du contrat
signifie que « le débiteur est tenu d’exécuter ses obligations et qu’il y sera éventuellement
contraint par l’autorité publique qui veille au respect des contrats »402 .Cela peut être expliqué
par le fait que le contrat ne tire pas sa vertu contraignante de la volonté des parties c’est - à-
dire que la force de l’obligation contractuel émane de la volonté de l’autorité qui est en
mesure de lui accorder ou de lui refuser ce caractère et donc de la loi (B).

A-Les thèses positivistes


L’article 230 du D.O.C et en droit comparé l’article 1134 du code civil
403
français ,longtemps tenu pour une affirmation de la théorie de l’autonomie de la volonté,
exprime uniquement ,en vérité, que le pouvoir reconnu aux volontés individuelles n’est pas
originaire de celles-ci mais dérivé. Autrement dit, la force obligatoire des conventions
valablement formées est issue d’une norme extérieure supérieure, la loi, seule capable de leur
400
V. pour une conception rationnelle des relations entre utilité et justice ,Ch.Perleman,« Droit, morale et
philosophie »,LGDJ,1968,préf.M.Villey,pp.11-12.-Surl’utilité de la justice pour la cohésion sociale,W.Baranés
et S.A.Frison-Roche,préf. à « La justice, l’obligation impossible »,Autrement, Série
morale,1994,préf,p.13 ;Jacques Ghestin,Le contrat en tant qu’échange économique,p.90.
401
Kelsen .H.,« La théorie juridique de la convention»,Archives de philosophie du droit, 1940,p.47. ;Voir,Rafik
Oulehazi,op.,cit.,p.191.
402
Ibi,op.cit.,p169.
403
V. l’article 230 du D.O.C et l’article 1134 du Code civil français.
80
conférer le caractère obligatoire et de déterminer leurs effets. Selon la théorie de M. Hans
Kelsen l’autonomie de la volonté ne pouvait constituer une explication suffisante de la force
obligatoire du contrat404. Elle n’explique pas pourquoi c’est la volonté passée, volonté morte,
qui devait prévaloir sur la volonté présente, volonté vivante, de celui qui refuse d’exécuter le
contrat. Pour expliquer ce phénomène, il faut faire intervenir une norme supérieure à la
volonté, source véritable des effets produits.

Cependant, comme il a été observé, la théorie de l’autonomie de la volonté porte en


elle Ŕmême l’argument de sa réfutation. En effet, si la volonté souveraine n’obéit qu’à sa
propre loi, comment alors « ma volonté d’aujourd’hui peut- elle lier ma volonté de demain…
et, ce que se comprend encore moins, comment ma volonté d’aujourd’hui peut-elle lier la
volonté de demain d’une autre personne ? »405.En bref, le bon sens veut que si la volonté est
capable de se lier, elle doit être aussi capable de se délier. Autant dire, que le contrat repose
sur un terrain mouvant. Ainsi , il a été souligné la réfutation de la thèse d’un pouvoir
juridique délégué à la volonté des contractants pour des règles de droit. Cette thèse qui était
défendue par l’allemand Windscheid406 pour justifier le pouvoir de la volonté individuelle
des contractants pour créer des droits subjectifs, Kelsen s’y référait précisément pour nier la
réalité de ces droits et pour expliquer que les parties à un contrat créent des règles juridiques,
ou encore des normes, en vertu d’un pouvoir délégué par la loi407.

La conception de Windscheid a été vivement critiquée par Kelsen408.Celui-ci pensait que


la volonté des contractants dispose d’un pouvoir délégué non pas pour créer des droits subjectifs
dont il niait l’existence, mais pour créer des règles juridiques ou encore ,selon le terme préféré de

404
Cette théorie de la force obligatoire du contrat a pour intérêt de monter la portée relative de l’autonomie de la
volonté comme fondement de la force obligatoire du contrat.
405
Dereux, Etudes des diverses conceptions actuelles du contrat, Rev,crti.législ,1902,p.105 et s.,spec.p.107. (
une première partie de cet article est publiée à la même revue,1901,p.513, et s.) .Add,Gounot,Le principe de
l’autonomie de la volonté,pré.,p.345 : « ne serais-je pas plus libre,si aujourd’hui il dependait de moi d’exécuter
ma promesse ou de ne pas exécuter ?-Mais c’est votre volonté d’hier qu’on vous impose ! ŔEt ma volonté
d’aujourd’hui n’est elle pas aussi respectable et sacrée ? » ;G.Rouhette, Contribution à l’etude critique de la
notion de contrat ,thése Paris,1965,§.113,p.407 et s ;Terré, Sociologie du
contrat,Arch.Philos.Dr.1968,p87 ;Ghestin,la formation du contrat,3 me éd,1993,n°224 ,p.201 ;Terré,Simler et
Lequette,Les obligations, préc.n°27 ,p. 25 et 26. ;v.égal.Rafik OULEHAZI,op.cit.p.156.
406
L’origine de cette thése se trouve dans la doctrine allemande du XIXe siécle et plus particulièrement chez
Windscheid.Celui ci n’est pas partisan d’une théorie pure de l’autonomie de la volonté ; Windsched-
Kipp,Lebrbuch des pandektenrechs,t.1, §69,et note I a,cité par N.Coumaros,Le rôle de la volonté dans l’acte
juridique,thése, Bordereaux,sirey,1931,p.51. ;v. à ce point,Rafik OULEHAZI,op.cit.p.158.
407
Kelsen n’admet pas l’existance des droits subjectifs,et s’il en parle c’est pour preciser que « si le droit
ubjectif fait partie du droit,il faut qu’il soit une norme » (la théorie de la convention, Arch.Philos.Dr.1940,p.33.
408
V.La discussion relative à lathése de Windscheid et aux critiques de Kelsen dans Diguit,Traité de droit
constitutionnel, prec.§25.spéc.p.278 et s ;v. à ce point,Rafik OULEHAZI,op.cit.p.158 et s.
81
Kelsen des normes. En réalité, la volonté ne crée ni des règles objectives409, ni des droits
subjectifs410.

Ainsi, selon M.Rouhette, le contrat ne serait par un accord de volontés ;l’offre est sans
doute un acte volontaire, mais dont le contenu échappe à la volonté :il est constitué par des
intérêts, des nécessités pratiques et des « comportements »411 ;de même, on a parfois dit que la
force obligatoire du contrat n’aurait pas été fondée chez les rédacteurs du Code sur le respect de
la volonté mais plutôt sur la nécessité sociale de la stabilité des engagements contractuels412.Soit
plus classiquement, en s’attachant à l’évolution ,depuis 1804 date de la rédaction du Code civil et
1913,date de l’adoption du D.O.C, le monde a changé, l’individualisme s’efface, la volonté
n’oblige que parce qu’elle est sous la dépendance de la loi ; à l’individualisme, on oppose le «
normative »413.La volonté ne créerait pas les obligations contractuelles ;son rôle serait
exclusivement d’accepter ou de refuser de se soumettre aux différents statuts qui organisent la loi,
les usages ou les contrats types414.

Le fondement positiviste a été soutenu par d’autres auteurs, en l’occurrence, Boris


Starck,Roland H.,Boyer L.,qui affirment, de façon radicale, que « l’autonomie de la volonté est un
mythe périmé »415A ce propos, ils soutiennent que : « le déclin de l’autonomie de la volonté a sa
cause notamment dans la méconnaissance de la règle élémentaire selon laquelle, la loi ,donc
l’Etat, se trouve à l’origine de nos droits subjectifs, y compris celui de contracter »416 et le rôle
de la volonté est de créer des rapports d’interdépendance entre les membres de la société « dans le
cadre de la loi et dans la mesure où la loi permet417 . Terré,Simler et Lequette expriment de leur
côté une évolution418 remarquable de la doctrine419.Pour eux, « la force obligatoire ne vient donc
pas de la promesse, mais de la valeur que le droit attribue à la promesse…Le Code civil,
n’échappe pas à la règle. Contracter, ce n’est pas seulement vouloir, c’est aussi employer un
instrument forgé par le droit »420.

409
Le droit objectif designe l’ensemble des régles qui organisent la vie en société.
410
Les droits subjectifs se sont les prérogatives dont disposent les individus et qu’ils peuvent exececer.
411
G.Rouette,Contribution à l’étude critique de la notion de contrat,th.Paris,ronéo,1965.
412
X.Marin, « Nature humaine et Code Napoléon »,Droits,2,p.117 et s.,sp.p.120.
413
J.Hauser,Objectivisme et subjectivisme dans l’acte juridique, th.Paris,LGDJ,1971,préf.P.Raynaud,n°47,p.62.
414
P. Malaurie,L.Aynés et P.Stoffel-Munck,Les obligations,5e éd, Defrénois-Lextenso éd.Paris,2011,363 et s.
415
Strack ,Roland et Boyer, « Obligations »,t.2,6e éd.,1998,n°23,p.8.
416
Boris Starck,Roland H.,Boyer L., « Le droit civil,obligations »,Litec,t.II ,le contrat ,4e
éd,1993,spéc.p.12,n°35.
417
Boris Starck,Roland H.,Boyer L,op.cit. spéc.p. 7 à 9 ,n°18-22.
418
Well et Terré, « Obligations »,n°24.-Adde :Fr.Terré, « Sosiologie du contrat »,Arch.philosophie du
droit,1968,p.1968,p.77 : « Ecartée l’orgueilleuse autonomie, la liberté contractuelle est restée ,semble-t-il,un
postulat fondamental ».
419
Terré,Simler et Lequette, « Les obligations »,7e éd.1999,n°27.
420
J.Ghestin , « L’utile et le juste dans les contrats »,D.1982.chron.pp.4 et 5,les développements figurant sous
les propositions suivantes : « Le contrat n’est qu’un instrument que le droit sanctionne parce qu’il permet des
82
Il s’agit d’entreprendre une étude sur le fondement positiviste de la force
obligatoire du contrat. Sur cette question, plusieurs théories doctrinales se sont affrontées. Le
point de raisonnement suivi par cette thèse consiste à chercher les explications de ce
principe dans la théorie de Kelsen421 (1) et dans la théorie de Rouhete422 (2) et ce pour
démontrer que le contrat tire sa la force obligatoire du droit objectif qui est la loi et non de
l’autonomie de la volonté, en s’appuiant sur les travaux de certains auteurs ayant soutenu le
même raisonnement.

1- La théorie de Kelsen

Conformément à sa théorie pure du droit, Kelsen considère que le contrat ne se


borne pas à l’application individuelle de règles générales, il est lui -même créateur de règles,
c’est une norme juridique qui est constituée par l’accord des volontés de deux ou plusieurs
sujets de droits. Les sujets de droit sont autorisés à régler eux-mêmes leurs intérêts
économiques parce que cette solution est la plus adéquate et la plus juste et parce qu’elle est
conforme à la conception individuelle et libérale de la vie423 .

La volonté des contractants n’est pas créatrice de règles de droit. Pour Kelsen la loi a
donné délégation aux particuliers pour créer des règles juridiques par voie de contrats. Le
comportement prévu par un contrat donné constitue une règle objective qui s’intègre à l’ordre
juridique. Les volontés des contractants ne disposent à cet effet ni d’un pouvoir inhérent à
leur nature, ni d’un pouvoir délégué. Kelsen lui-même admettait qu’il « est certain que la
volonté individuelle ne peut pas par elle-même créer de droit. Son expression n’est un état de
fait créateur de droit que lorsque et dans la mesure ou l’ordre juridique, c’est -à-dire, les
normes juridiques générales le stipulent »424.

En réalité, en contractant, plutôt que créer des règles de droit, les parties ne font
qu’exercer un droit qui leur est attribué par la loi. Or la nature même de ce droit implique
l’incapacité des contractants de créer des règles juridiques425.

La loi a attribué aux individus le droit de conclure les conventions 426.Ce droit est
évidemment organisé en ce sens qu’il ne peut s’exercer que dans le cadre de la loi. Le droit

operations socialement utiles » ; « Le contrat est tout d’abord l’instrument indispensable des prévisions
individuelles » et « Le contrat est aussi l’instrument priviligié de la liberté et de la responsabilité des
individus ».
421
Kelsen .H.,« La théorie juridique de la convention»,Arch. de philosophie du droit,Sirez,n°.Spé,1940,p.33 à 76
422
Rouette .G. , « Contribution à l étude critique de la notion du contrat »,thé.,Paris,1965.
423
Kelsen .H.,op.cit.,n°.Spé,1940,p.33 à 76 spéc.p.48,n°13.
424
Kelsen ,La théorie juridique de la convention,préc., §13,p48,note1.
425
Rafik Ouelhazi,op,cit.p 165.
83
de contracter427 est donc un droit subjectif. Or, dire que lorsqu’elles contractent, les parties
créent des règles juridiques, c’est dire que le droit objectif émane du droit subjectif. Ainsi,
lors de l’exercice des droits subjectifs, les individus créent des règles de droit. Cette
conception qui se ramène, concrètement, à faire dériver le droit objectif du droit subjectif est,
en tous cas, en contradiction avec le principe affirmé par la doctrine. Celle-ci enseigne en
effet l’idée exactement contraire : les droits subjectifs émanent du droit objectif ou, si l’on
préfère, de la loi428.Par conséquent la volonté n’est plus en mesure de créer des règles de droit.

La volonté des contractants n’est pas créatrice de droits subjectifs. En réalité les
droits subjectifs sont issus du droit objectif. Les individus ne peuvent donc pas créer des
droits par la seule expression de leur volonté. Et quelle que soit l’étendue et le nombre des
prérogatives qu’une personne peut exercer, celles-ci - lui sont nécessairement attribuées par
les règles objectives, car « nous n’avons des droits subjectifs que dans la mesure oùle droit
objectif veut bien nous les accorder »429.En effet, ces prérogatives ne sont qualifiés ‘droits’
que parce qu’elles sont protégés par la loi, or celle-ci ne prête son concours que pour
préserver les droits qu’elle attribue. Un auteur rappelle qu’ « en pratique d’ailleurs…les
individus n’ont pas d’autres droits que ceux qui leur sont accordés par la règle juridique
objective » et que « nul ne peut invoquer devant un tribunal un droit qui ne serait pas
consacré par le droit objectif »430.Le droit subjectif apparaît donc comme étant «l’attribution
par la règle de droit, d’un pouvoir d’imposer, d’exiger ou d’interdire considéré comme utile à
la personne prise à la fois comme individu et comme acteur de la vie sociale »431.Et la
doctrine affirme « La coexistence des droits subjectifs et du droit objectif et la subordination
des premiers au second »432.Il apparaît donc que les droits subjectifs ne sont pas crées par la
volonté de l’individu, mais qu’ils sont attribués par les règles de droit objectif433.Par
conséquent, il se révèle , que l’accord des volontés n’est pas en mesure de créer du droit, ni
dans son aspect objectif ni dans son aspect subjectif. En réalité la thèse d’une délégation de

426
Art .1123 C civ.Adde,art.2. Premier projet du Code civil,Fenet,t.1,17 « La législation régle leurs droits civils
( ceux des personnes) :ces droits sont la faculté de contracter,d’acquérir,d’aliéner et de disposer de ses biens par
tous les actes que la loi autorise ».
427
Le droit de conclure les contrats est une prerogative dont dispose chaque sujet de droit et qu’il peut exercer.
428
Rafik Ouelhazi,op.cit.p.166.
429
Coulombel.,Introduction à l’etude du droit et du droit civil,L.G.D.J.1969,p.225.
430
Ghestin,La formation du contrat,pré.,n°224,p.201.
431
Aubert,Introduction…,préc.,n°187,p.188.
432
B.Stark,Introduction au droit,2e éd.,par Roland et Boyer,n°889.
433
Rafik Ouelhazi,op.cit.p.167.
84
pouvoir au profit de la volonté des parties pour créer le droit n’est pas convaincante. Et elle
l’est d’autant moins qu’il n’existe pas de texte qui serait de nature à fonder cette délégation434.

Selon Kelsen « la convention est obligatoire dans la mesure ou l’ordre juridique la


considère comme un état créateur de droit ; ou, en d’autres termes, dans la mesure où une
norme d’un degré supérieur ‘loi’ autorise les sujets de droit à créer ‘par délégation’ une
norme d’un degré inferieur »435 .

La norme conventionnelle n’est édictée que par la collaboration des parties


contractantes et non par une partie seule, la liberté des parties est limitée parce qu’une seule
partie ne peut se libérer unilatéralement du lien crée « en cessant de vouloir, en ne voulant
plus ce qu’elle a voulu au moment de la conclusion de la convention »436.En somme ,dans la
mesureoù l’accord des volontés « subsiste même si un sujet n’a plus de volonté manifestée
lors de la conclusion »437.Cela signifie que la convention est une règle à laquelle les sujets
sont soumis au même titre qu’une autre règle ‘loi’,parce que c’est le droit positif qui confère
au contrat sa force obligatoire du contrat. Autrement dit, les parties se trouvent sous
l’emprise d’une force juridique supérieure.

Cette théorie de la force obligatoire du contrat a pour intérêt de monter la portée


relative de l’autonomie de la volonté comme fondement de la force obligatoire du contrat
puisque ce fondement doit être trouvé dans la norme supérieure. Il reste que la volonté n’est
pas à l’origine du caractère contraignant du contrat et celle-ci n’en constitue pas le
fondement. Kelsen rejette donc l’autonomie de la volonté comme fondement de la force
obligatoire du contrat mais cela ne veut pas dire pour autant que les conventions peuvent se
former indépendamment des volontés des parties.

L’accord des volontés demeure nécessaire pour créer des normes contractuelles mais
les parties agissent de façon plus ou moins autonome en vertu d’une délégation de pouvoir
consentie par le législateur. Mais on ne trouve pas cette « délégation expresse » à laquelle un
autre auteur renvoie et, à plus forte raison, on ne trouve pas le texte qu’l’accorde438. Dans

434
Certains auteurs soutiennent d’ailleurs l’idée du pouvoir délégue sans se référer à l’article 1134 du Code
civil qui ne peut pas être à la base de cette délégation.
435
Ibid,p.33 à 76 spéc.p.47,n°13.
436
Ibid.p.63-64,n°21
437
Ibid,p.33 à 76 spéc.p.63-64,n°13
438
Aubert ,op.cit , n°240.p.249.Du reste voici le passage auquel renvoie M.Aubert : « le consentement se définit
comme l’accord de volontés des parties à la convention, accord de volontés destiné à produire un effet de droit
déterminé :donner naissance à des obligations (celles du vendeur et de l’acheteur par exemple),transférer une
créance…Le consentement apparaît ainsi comme le principe essentiel de la convention, ce qu’a souligné la
théorie de l’autonomie de la volonté. Aujourd’hui en déclin, cette théorie, qui a dominé tout le XIX e siècle,
85
cette optique, « le choix de l’autonomie de la volonté est métaphysique ou politique, au sens
le plus large, il n’est donc pas imposé par la nature des relations contractuelles »439. D’où le
caractère contraignant qui repose sur le droit objectif et qui en impose l’exécution.

2- La thèse de Rouhete

Pour contester le fondement de la force obligatoire du contrat, Rouhette se réfère à


une conception ‘ normative’ de l’acte juridique, reposant sur l’accord des volontés ou sur la
volonté du débiteur, c’est-à-dire selon laquelle seule la propre volonté d’une personne serait
susceptible de l’engager de façon légitime. Il ne voit pas, en effet, comment l’acceptation
que ne modifie pas la volonté du débiteur pourrait cristalliser en une obligation une volonté
libre et mobile, « pourquoi la volonté passée, morte, l’emporte sur la volonté vivante actuelle
du débiteur qui ne vent plus ce qu’il a voulu »440. Selon la théorie de Rouhette,le respect de
la parole donnée n’est qu’une obligation morale de conscience, non juridique441.

C’est que « la volonté des parties ne s’est portée réellement que sur le résultat
économique qu’elles avaient en vue »442.Saleilles,qui observait cela, précisait que, dans le
contrat, les parties « arrêtent les quelques points principaux qui dépendent forcément d’elles,
et pour tout le reste elles s’en remettent à la loi »443. « C’est ainsi que des milliers de ventes se
font, sans que les parties aient fixé autre chose que le prix et l’objet, et sans que leur volonté
ait été, le moins du monde, attirée sur les conséquences juridiques qui devaient ressortir de
leur convention »444.

En effet, l’obligation née à l’occasion du contrat, est légale. « L’autorité de la loi est
la cause d’où proviennent définitivement toutes les obligations, aussi bien celles attribuées
aux contrats, quasi-contrats, etc., que celles qui sont dites venir de la loi seule »445.Considérée
sous le rapport du droit comparé, la même idée se trouve énoncée solennellement par la
nouvelle constitution brésilienne. Son article 5.Il affirme en effet que « nul ne peut être

attribuait aux volontés individuelles un pouvoir autonome de création d’effets de droit. L’excès manifeste de
cette conception-la volonté reste soumise à la loi qui détermine librement les conditions de ses effets juridiques-
ne saurait faire oublier le rôle déterminent de la volonté individuelle dans le mécanisme contractuel ».
439
Ghestin J.,Jamin C.et Billiau M.,«Traité de droit civil. La formation du contrat »,L.G.D.J.,3e
éd.,1993,p.171,n°191.
440
G.Rouette,op.cit.,thé.,Paris,1965,spéc.,p.405-408,n°113.
441
Ibid .p.401,n°112.
442
R.Saleilles,De la déclaration de volonté, Paris, 1929,p196,n°6.
443
Ibid.
444
Ibid.
445
Marcade,Eléments de droit civil françcais,Paris,1949,t.5,p.255.
86
contraint à faire ou empêcher de faire que ce soit sinon en vertu de la loi »446.Et c’est sur la
base de texte que « le suprême tribunal fédéral brésilien…considère que c’est seulement en
vertu d’une loi que n’importe quelle personne peut être obligée à faire ou de ne pas faire
quelque chose »447.

C’est ce même point de vue qui ressort de l’étude du droit positif marocain que
français et qui traduit la réalité de l’ordre juridique. Dans la pratique, on saisit le juge pour
réclamer un droit sur la base d’une règle objective,448 et on est sanctionné par le juge devant
lequel on est assigné, également sur la base d’une règle objective449.Par conséquent, les droits
et les obligations sont d’origine légale. Aussi, est-ce par la volonté de celle-ci qu’ils
s’imposent et, c’est de l’autorité de la loi que le contrat tire sa force obligatoire.

Sur le plan juridique, c’est le droit objectif qui est le fondement de la force obligatoire
du contrat parce qu’il interdit toute rétractation de l’engagement du débiteur par nature libre et
mobile lorsqu’il a été accepté450.Ainsi le droit ne tient pas compte d’une volonté ou d’un
accord de volonté mais il tient compte de l’intérêt des individus à la base du contrat. Le
contrat est donc « un acte productif de normes bilatérales liant deux centres d’intérêt »451 dont
la force obligatoire trouve son fondement dans le droit objectif. En réalité, c’est dans la loi
que réside le fondement de la force du contrat. C’est ce qu’il s’agit de développer dans ce qui
suit.

B- Source légale de la force obligatoire du contrat

L’étude du régime juridique du contrat révèle que c’est la loi qui attribue la force
obligatoire au contrat. Ce caractère ne peut se conférer qu’aux contrats conclus conformément
à ses prescriptions. C’est ce qui ressort nettement de l’article 230 du D.O.C et en droit
comparé l’article 1134 du Code civil français.

La difficulté relative à l’origine de la force obligatoire du contrat vient du fait que,


comme le soulignait Kelsen, « la raison de la force obligatoire du contrat peut avoir des sens

446
La nouvelle république brésilienne,Etudes sur la constitution du 5 octobre 1988,suivies de la traduction de la
constitution,Collection Droit public positif,Economica ,1991,p.282.
447
A.Wald ,Rapport brésilien,in La bonne foi,Trav.Ass.H.Capitant,t.XLIII,1992,p.251 et s.,spéc.n°44.
448
Ghestin,La formation…,pré.,n°224.Rappr.Demogue,Traité des obligations en général,1923,t.1,n°17,p.45 : «
en un sens,toutes les obligations sont légales,car si la loi ne les consacrait pas,elles ne pourraient être invoquées
en justice ».
449
Rafik Ouelhazi,op.cit.p.190.
450
Ibed.p.408-409,n°113.
451
G.Rouette,op.cit.,thé.,Paris,1965,spéc.,p.636,n°224.
87
différents et recevoir aussi des réponses différentes »452.Or il est claire que le contrat n’a de
force obligatoire que parce que la loi lui confère ce caractère. Il convient donc de montrer
que la force obligatoire du contrat émane de la loi. Pour cela, les développements à
entreprendre seront focalisés d’une part sur l’autorité dont dispose la loi pour refuser
d’accorder force obligatoire à l’accord des parties (1) et d’autre part sur celle de nature à
donner ou de retirer ce caractère obligatoire au contrat (2).

1- Le refus de la loi de conférer force obligatoire à l’accord des parties

L’analyse du régime du contrat montre que le caractère obligatoire du contrat est


issu de la loi et non de la volonté des parties contractuelles. C’est celle-ci qui a l’autorité pour
refuser le caractère contraignant à l’accord des parties.

Le contrat valablement formé est investi d’un caractère contraignant, en vertu duquel
le créancier est en droit d’exiger du débiteur l’exécution de sa promesse à travers le recours à
la loi. Il en résulte que la force obligatoire du contrat ne dépend pas de la volonté des
contractants, mais plutôt de sa conformité à la loi et donc de son efficacité juridique. Dans le
cas contraire, si l’accord des parties ne se conforme pas à la loi, celui-ci est dépourvu de
force obligatoire. C’est pour cette raison que le juge qui a constaté la non-conformité de
l’accord dont il est saisi l’a déclaré nul. D’où la loi ignore de tout acte qui ne bénéficie
d’aucune efficacité juridique, en lui refusant de lui appliquer les règles qu’elle a prévues pour
le contrat. Autrement-dit, la relation contractuelle n’aura aucune valeur juridique que si la loi
la qualifie conforme à celle-ci et intervient pour la sanctionner. Dans cette situation, l’accord
des contractants constitue un fait dont la réalité ne peut pas être contestée. De ce point de
vue, on ne peut pas parler de nullité.

Dans la pratique, des accords juridiquement nuls sont dits contrats et exécutés en tant
que tels par les parties. Il se peut en effet que la cause de nullité soit demeurée ignorée. Mais
il est possible aussi que les contractants se soient entendus pour conclure et exécuter un
accord contraire à la loi. Dans le cas d’inexécution, la partie défaillante peut tenter une action
en justice de la nullité de l’engagement pour s’y soustraire. Et, par conséquent, l’autre partie
ne peut pas se prévaloir d’un tel accord devant le juge pour lui demander d’en ordonner
l’exécution. Dans cette situation, la loi ne confère aucune force obligatoire à cet accord et,
par voie de conséquence, elle n’apporte pas son appui à son exécution453.Le D.O.C et en droit

452
Kelsen ,La théorie juridique de la covention ,Arch.Philos.Dr.1940. §13,p.47.
453
Rafik Ouelhazi,op.cit.p.192.
88
comparé le Code civil français, fournit un exemple qui montre que la force obligatoire du
contrat de la promesse dépend de la volonté de la loi454.

Le pouvoir des volontés contractuelles demeure du domaine de fait, alors que le


contrat oblige en vertu du droit. « La force obligatoire ne vient donc pas de la promesse,
mais de la valeur que le droit attribue à la promesse »455.Le caractère contraignant de l’accord
des parties ne peut être reconnu que lorsqu’il est approuvé par la loi qui ne cautionne pas
tous les accords mais seulement ceux qui sont conformes avec ses prescriptions. Selon un
auteur, dans certains cas « l’organisation technique du droit du contrat empêche la promesse
de valoir comme obligation »456.D’où la promesse ne vaut comme obligation civile que si la
loi revêt de ce caractère. Car seule la loi qui a l’autorité pour la doter ou de lui retirer la
force obligatoire.

2- La loi peut octroyer ou retirer de la force obligatoire au contrat

En vertu du principe de la libre conclusion des contrats posé par la loi, les particuliers
peuvent fixer le contenu, agencer selon leur volonté leurs engagements par le moyen d’un
acte matériel qui détermine les comportements à adopter dans le cadre de leur relation, mais
qui ne préjuge pas du caractère obligatoire de leur accord. Ainsi, « la commune intention des
parties…ne propose qu’un programme qui ne (les) lierait pas…s’il n’était fixé, entériné au
jour du contrat par quelque autorité extérieure à celle-ci »457.Les parties ne font en effet que
préciser le contenu d’une promesse qu’elles déférent à l’appréciation de loi, en vue qu’elle lui
donne un caractère obligatoire458.

Aussi, les parties ne disposent d’aucune garantie à propos du caractère obligatoire de


la promesse, celle-ci ne prend la qualification d’obligation que lorsqu’elle franchit avec
succès l’épreuve de ‘contrôle de conformité’ et ne devient contraignante que moment oùla loi

454
La volonté de la loi, refuse l’efficacité juridique à l’accord portant sur le jeu de hasard en avertissant qu’elle
« n’accorde aucune action pour une dette du jeu ou pour le paiement d’un pari » ;voir,Art.1965,du Code civil ; le
législateur estime que « la loi civile doit…le dédaigner, le méconnaître (et) lui refuser son
appui » ;voir,Duveyrier,Fenet,t.14,p.559.
455
Terré,Simler et Lequette,Les obligations,pré.,n°27,p.26.
456
G.Ripert,La régle morale dans les obligations civiles,4e éd.,Paris,1940,n°197 ;v. à ce point Rafik
Ouelhazi,op.cit.p.193.
457
Terré,Simler et Lequette,op,cit,,pré.,n°27,p.26
458
Merlin, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence, Bruxelles,1826,5 e éd,t.6.p.33.,1er col.,§4et5 : « Les
hommes,en se réunissant,ont volu avoir un appui commun pour soutenir leur faiblesse particuliére.Ils ont mis
leurs conventions sous la protection de la société, et elle emploie sa force à les maintenir… », « Dans ce nouvel
ordre des choses,les hommes ne traitent plus entre eux sans l’influence de la société.Quand ils se sont liés entre
eux,ils le sont encore bien davantage par la société, qui serre le lien et le couvre de son
sceau »;Portalis,Fenet,t.14.p.110 : « Comment doit-il constater de cet accord pour qu’il puisse devenir
obligatoire aux yeux de la société ? Ici commence l’empire de la loi civile »
89
s’en saisit pour lui donner un caractère juridique et l’imposer. Il en résulte que les parties ont
seulement la faculté de fixer le contenu d’« engagement que la loi vient approuver,
459
sanctionner et transformer en obligation civile » pour les lier. Autrement- dit, le contrat est
plus exactement l’obligation devient obligatoire qu’à partir de ce moment .L’obligation civile
s’impose par la volonté de l’autorité de la loi qu’il a créée et qui mis en œuvre ses moyens
pour la sanctionner, et non de la volonté des parités, c’est par la volonté de la loi « qui peut
seule ( lui) imprimer la force obligatoire »460.

Ainsi, l’exécution du contrat, en vertu de son caractère contraignant, ne trouve pas


son fondement dans la volonté des contractants, mais dans un rapport de droit qui est une
émanation de la loi. Celle-ci donne le droit au créancier d’invoquer une action en justice pour
demander devant les tribunaux pour en garantir l’exécution de l’obligation qui est à la charge
de son débiteur. Ce dernier est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et
immobiliers, présents et à venir461.Ainsi, que la force publique peut être mise à contribution
pour assurer l’exécution de cette obligation, et ce conformément à l’esprit et la teneur de
l’article 230 du D.O.C et en droit comparé l’article 1134 du Code civil français. Il en résulte
que le débiteur n’obéit ni à sa volonté ni à celle de son créancier. Il obéit à la volonté de la
loi et en vertu de laquelle il est tenu d’exécuter l’obligation pour éviter sa sanction.

Il se révèle selon le raisonnement entrepris, que le contrat tire sa force obligatoire de


la volonté de l’autorité de la loi qui est en mesure de lui accorder ou de lui refuser ce
caractère et non de la volonté des parties. Autrement-dit, la force obligatoire du contrat s’est
traduite par l’exécution de l’obligation tel qu’il est organisé et imposé par la loi qu’on décrit
et qui, selon une expression de Saleilles, se ramène à « un seul mot : l’exécution »462.

Il convient de montrer, par la suite que si loi à une autorité de refuser, de donner le
caractère obligatoire au contrat, peut-elle en mesure pour l’éteindre et de lui retirer alors que
le contrat n’a pas été exécuté et que le créancier n’a pas reçu satisfaction. A ce propos, le
raisonnement à mener consiste à évoquer les modes d’extinction des obligations nées des
contrats valablement formés, c’est par conséquent le paiement représente le mode normale de
l’extinction du lien obligatoire entre les contractants. Selon une expression du Portalis « On
est libre de prendre un engagement ou de ne pas le prendre, mais on n’est pas libre de

459
Marcade,Eléments du droit civil français, Paris,1849,3 e éd,t.5.p.54 .
460
Demolombe,Traité des engagements, Paris,1982,t,8,n°15 ; à ce point v.Rafik Ouelhazi,op.cit.p.194.
461
Voir.Art.2092et 2093 du C.civ.français.
462
R.Saleilles,Etude sur la théorie générale de l’obligation d’après le premier projet du Code civil de l’empire
allemand, Paris,1925,3e éd,n°14 « Tous les effets de l’obligation se résument en un seul mot :l’exécution ».
90
l’exécuter ou de ne pas l’exécuter quand on l’a pris »463. La loi protège le droit du créancier,
à travers la garantie de l’exécution des conventions, en mettant en œuvre dans le cas échéant
la force publique pour obliger le débiteur à accomplir son engagement.

Or, si la loi veille sur le maintien du lien juridique, en conservant sa force obligatoire,
elle peut dans certains cas lui retirer ce caractère avant qu’il ne soit exécuté. Selon une
formule de Demante, « la loi qui forme le lien peut le relâcher ou le dissoudre »464.En effet, il
peut s’agir de la survenance d’un cas de force majeure465qui empêche le débiteur d’exécuter
son engagement. L’hypothèse de la déchéance qui consiste dans la perte d’un droit par son
extinction466.Dans certains cas, « la loi sanctionne par une déchéance de certains droits un
créancier n’ayant pas satisfait à certains prescriptions »467.A défaut d’une telle déclaration de
créance après mise en redressement du débiteur dans le délai fixé, la loi décide que « les
créanciers qui n’ont pas été déclarées et n’ont pas donné lieu à un relevé de forclusion
sontéteintes »468.

Cependant, la loi peut retirer au contrat sa force obligatoire en raison de l’écoulement


du temps, c’est le cas de la prescription. La prescription ayant entrainé la dissolution du lien
de droit, le créancier ne dispose plus d’aucun droit ni d’aucun recours juridique contre son
débiteur. D’où le créancier doit réclamer l’exécution du contrat dans les limites d’un délai dit
‘délai de prescription’.Il s’agit de la prescription extinctive469qui est définie comme étant le
« mode d’extinction des obligations résultant du défaut d’exercice des droits pendant un
certain laps de temps »470.

Il en résulte d’après le raisonnement entrepris sur le fondement objectif de la force


obligatoire du contrat, que la volonté des contractants demeure nécessaire pour la formation
du contrat, mais il n’est pas en mesure de créer les effets de droit. Cette fonction relève du
droit positif qui est la loi au sens large, dans laquelle le caractère contraignant des
conventions trouve son origine. La loi est donc possède toute la volonté pour refuser,
accorder ou retirer la force obligatoire au contrat.

463
Portalis,Fnet,t.14.p.110.
464
Demante,Cours analytique du Code civil,2e éd,t.5,n°50,p.64.
465
Voir l’article 338 du D.O.C. et en droit comparé les articles 1147 et 1148 du Code civil français.
466
Sallé De La Marniére,La déchéance comme mode d’extinction d’un droit,R.T.D.Civ.1993,p.1037 et s.
467
Terré,Simler et Lequette, Les obligations,préc.,n°1408.
468
La loi du 25 janvier 1885,art.53 al 4 ; voir l’article 628 du code de commerce marocain .
469
M.Bandrac,La nature juridique de la prescription extinctive ,préf.P.Raynaud,Economica,1986 ;
S.Fournier,Essai sur la notion de prescription en matière civile, thèse, Grenoble,1992 ; J.Carbonnier,Note sur la
prescription extinctive, R.T.D.Civ.1952,p.171 ;voir à ce point ,Rafik Ouelhazi,op.cit.p.196 et s.
470
Terré,Simler et Lequette, Les obligations, préc.,n°1372.
91
Paragraphe 2: Fondement doctrinal et vison de conciliation

Après avoir évoqué le fondement objectif de la force obligatoire du contrat, qui révèle
à son tour qu’il a besoin des autres valeurs issues de la réalité contractuelle contemporaine
telle que l’utilité sociale et la justice contractuelle. Ainsi, M.Ghestin propose t-il sa célèbre
théorie de l’utile et le juste. A travers cette thèse, il parvient à harmoniser le fondement
objectif. Selon lui, c’est la recherche par le droit objectif de l’utile et du juste qui justifie la
force obligatoire. L’utile et le juste constituent donc les fondements de la force obligatoire du
contrat471.

A ce propos, il convient d’évoquer les deux principes de la thèse du Ghestin : l’utile


et le juste en tant que des fondement de la force obligatoire du contrat soutenus par la
doctrine contemporaine (A) .Cependant, la portée socio-économique des deux fondements de
la force obligatoire du contrat, présente une certaine insuffisante sur le plan pratique ,en
présence des forces inégalitaires et des intérêts antagonistes dans les relations contractuelles.
A cette question, et dans le souci de concevoir une doctrine solidariste constituant une
justification de la force obligatoire du contrat, certains auteurs proposent une conception ou
les impératifs de loyauté et de solidarité prennent une ampleur plus grande encore. Cette
doctrine, rencontre de fortes oppositions, et dont le bilan sur le plan pratique demeure très
limité, ce qui nous a motivé selon la même démarche adoptée, qui s’articule sur une analyse
dialectique des fondements envisagés ,en vue de concevoir une nouvelle conception qui sera
basée sur un fondement mobile à caractère économique qui a pour fonction de faire
modeler et lier la force obligatoire du contrat à la réalité contractuelle à travers une parfaite
conciliation entre la pratique et la théorie, en tenant compte de deux considérations
fondamentales : le facteur du temps et les standards socio-économiques à préconiser ,dans les
rapports contractuels (B).

A- L’utile et le juste

L’idée fondamentale conçue par Jacques Ghestin dans son essai sur « L’utile et le
juste dans les contrats » est que le contrat aujourd’hui repose non pas sur le principe
d’autonomie de la volonté, mais sur ce lui d’utilité sociale et de justice (commutative).En
partant de l’histoire du principe de l’autonomie de la volonté, l’auteur souligne qu’il était
fonctionnel à l’économie libérale du XIXe siècle : « Le principe d’autonomie de la volonté

471
Ghestin J., «L’utile et le juste dans les contrats »,Dalloz,1982,p.1 à 10,spéc.p.3 ;Ghestin J. ,Jamin C. et Billiau
M., « Traité de droit civil.La formation du contrat »,L.G.D.J.,3e éd,1993,p.202,n°224-225.
92
s’impose alors par son utilité sociale ». La notion de justice contractuelle, entendue comme
renforcement du « libre jeu » des parties dans le cadre de l’opération économique, pénètre,
avec Domat et Pothier, dans le code civil472.

A ce propos,Ghestin procède à la formulation des principes normatifs du contrat. Ce


n’est plus l’autonomie de la volonté, mais « la recherche, par le droit objectif, de l’utile et
du juste, qui justifie la force obligatoire du contrat ,et qui du même coup,en fixe les
conditions et les limites, autrement dit le régime du contrat, dans son ensemble ».On trouve
le fondement de cette idée chez Kelsen473.Les sources de ce caractère obligatoire se trouvent
donc hors du contrat même, hors de la promesse ; elles reposent sur le concept d’utilité
contractuelle et la justice contractuelle.

L’analyse de la force obligatoire fondée sur le juste et l’utile a été mise en exergue
par Jacques Ghestin.Elle dépasse largement le cadre de l’étude de la force obligatoire du
contrat puisqu’il s’agit véritablement d’une théorie générale du contrat fondée sur deux
éléments : l’utile et le juste. Ces deux éléments proposés comme des principes directeurs du
droit commun des contrats. L’accord des volontés est l’élément subjectif essentiel du contrat,
mais il s’intègre dans l’utilité sociale de ce dernier comme instrument des échanges sociaux
qui doivent se réaliser selon la justice. Terré,Simler et Lequette soumettent de leur côté le
régime du contrat, dont le contrat reste le moteur, à la justice et l’utilité sociale474.En
Belgique, M.Coipel,a récemment adopté de façon expresse « l’utile et le juste comme
fondement de la force obligatoire du contrat »475.

Si une minorité d’auteurs affiche aujourd’hui une hostilité sans réserve à l’égard de
cette théorie476, force est de constater qu’au sein de la doctrine, elle fit, dans l’ensemble,
l’objet d’un accueil largement favorable477.Le contrat tire sa force obligatoire du contrat.

472
Voir ,Alpa Guido ,L’avenir du contrat :aperçu d’une recherche bibliographique. In : Revue Internationale de
droit comparé. Vol.37.n°1,janvier-mars 1985 p. 10.
473
Dans un essai conçu par Kelsen sur la notion de « convention » publié dans les « Archives de philosophie du
droit » de 1940. « le juste et l’utile » sont les raisons de la force obligatoire de l’accord, ce n’est plus la
volonté des parties ;voir également ,Alpa Guido ,L’avenir du contrat ,op.cit, p. 11.
474
Terré,Simler et Lequette,Les obligations,7e éd.,1999,n°28 ,p.32.
475
M.Coipel, « Eléments de la théorie générale des contrats », préface P.van Ommeslaghe,Stroy
Scientia,1999,n°37,p.28.
476
Parmi ces auteurs, Flour et Aubert écartent énergiquement l’utile el juste au motif qu’’ils ne sont pas le
fondement de la force obligatoire du contrat ;ils en fixent l cadre et définissent par la même les conditions de la
mise en œuvre de l’autonomie de la volonté conservée comme principe’,Traité de droit civil préc.n°128 p.78 ;
dans un même esprit, Ch.Larroumet pour qui ‘il n’est pas possible de justifier le contrat en faisant appel à
l’équité ou à la justice’,Droit civil,t.III,1986,Economica,n°135, p.125.
477
Certains auteurs, pourtant fervent défenseurs de l’autonomie de la volonté ne rejettent pas pour autant l’utilité
d’une telle théorie ainsi Mazeaud et Chabas,qui en prônant la volonté toute puissante comme fondement de la
93
Cette substitution de l’utile et du juste à l’autonomie de la volonté fait apparaître une
difficulté qui est celle de la conciliation possible entre ces deux impératifs, ce qui nous a
conduit à préciser que le fondement de l’utilitarisme ne peut expliquer seul le caractère
contraignant du contrat, et que le juste constitue ,à juste titre le deuxième pôle sur lequel
s’articule le fondement de la force obligatoire du contrat. L’utile et le juste doivent être
combinés. Ainsi, il convient d’évoquer à travers une analyste dialectique ces deux notions : le
fondement de « l’utile » (1) et sa conciliation avec celui du « juste » (2).

1- L’utile

L’utilité sociale du contrat se manifeste à travers les besoins concrets que le contrat
permet de satisfaire. Elle est à la base de tout l’édifice. L’utilité représente à la fois un
avantage pour les parties du contrat, mais aussi et surtout pour la société dans laquelle les
parties évoluent478.Le contrat est un échangeoù chacun cède l’inutile pour acquérir l’utile,
c’est -à- dire la jouissance individuelle.

Si la volonté n’est pas la source du contrat, sur quoi donc se base-t- il ? A cette
question, le professeur Ghestin propose le concept « du juste et de l’utile »479.Cette notion

force obligatoire du contrat admettent que l’article 1134 du Code Civil ‘ne repose pas uniquement sur des
considérations individualistes ;elle (la force obligatoire du contrat) a également un fondement moral,
économique et social’ parmi lesquels l’auteur précise que l’utile et le juste permette probablement l’immixtion
de plus en plus grande dans l’exécution des contrats, notamment pour veiller à ce qu’elle se fasse de bonne foi
‘Leçon de droit civil,Montchrestien,1998,n°721 ;voir également la thèse de N.Chardin,le contrat de
consommation de crédit et l’autonomie de la volonté,1988,p.223 à 227 où, après avoir avancé l’idée d’une
volonté renouvelée au travers des lois relatives au contrat de consommation de crédit, met cette nouvelle
volonté rationnelle à l’épreuve de l’utile et du juste, même si ces fondements seront pas la suite critiqués pour
leur caractère insuffisamment général ;Y.Buffelan-Lanore,quand à elle à elle juge que si l’autonomie de la
volonté demeure une principe valable, la liberté contractuelle qui la soud-tend ‘doit tenir compte de l’utilité
sociale et de la justice contractuelle’,Droit civil,Masson,p.20 à 22 ;Ph.Malinvaud, retenant l’autonomie de la
volonté comme ‘ligne directrice du droit des contrats ‘malgré les atteintes qui lui ont été portées, observe que la’
glorification de la volonté individuelle risquait de conduire à des excès et que la liberté ne devait pas être
considérée comme une fin en soit, mais comme un moyen au service de la justice et de l’utilité sociale’,Droit
des obligations-Les mécanismes juridiques des relations économiques,1992,Litec,p.30 ;G.Marty et P.Raynaud
admettent que le contrat est un accord de volonté mais celui Ŕci s’avère insuffisant pour former le contrat, ‘la
valeur de la volonté est subordonnée aux exigences de la justice et de la bonne foi’,t.22,1989,Sirey,p.39. ;Mme
C.Thibierge affirme, quant à elle que c’est le droit objectif qui confère la force obligatoire et que celle-ci ne doit
pas être regardée comme une fin en soi ‘ mais comme un moyen au service de l’utilité et de la justice
contractuelle’,in Libres propos sur la transformation du droit des contrats, RTDCiv.1997,p.367.D’une manière
moins directe mais tout aussi révélatrice, on peut relever l’influence de la théorie de l’utile et du juste chez
nombre d’auteurs contemporains.Ainsi,J.Mestre,L’évolution du contrat en droit français in L’évolution
contemporain du droit des contrats, Journées R.Savatier,1985,p.51.Il propose de considérer le contrat comme un
instrument juridique de ‘collaboration, un lieu paisible de coopération’ et comme un ‘ instrument de stratégie de
l’entreprise’ : si la notion d’utilité et de justice ne sont pas avancées, on en devine l’influence ou tout au moins
la proximité. A rapprocher D.Mazeau ‘Loyauté, solidarité, fraternité : la nouvelle devise contractuelle’,pour qui
ces trois principes constituent la nouvelle éthique du contrat, loc.cit.,p.603 ; voir également la thsé de
Véronique Cheritat,les modes d’évolution de la théorie générale du contrat,Unive.D’Orléans,2004,.p.299 .
478
Rafik Ouelhazi,le juge et la force obligatoire du contrat, op.,cit,p.203.
479
J.Ghestin,Traité de droit civil,Le contrat,-Formation,2e éd,Paris,LGDJ,1988,pp.178-214.
94
passe dans un premier temps par la reconnaissance de l’ordre juridique objectif dans lequel le
contrat évolue480.Le contrat n’est droit que parce que le cadre normatif qui l’accueille le
considère comme tel. Autrement- dit, le contrat ne tire cette reconnaissance « que parce qu’il
est utile et à la condition qu’il soit juste »481.L’utilité correspond à l’idée selon laquelle « le
contrat doit être socialement utile c’est-à-dire conforme à l’intérêt général »482. Le propos
est maintenant de vérifier l’idée conçue par Ghetin selon laquelle que le contrat est
obligatoire par ce qu’il est utile, c’est- à - dire, il s’agit de démontrer que c’est le fondement
d’utilitarisme qui dote le contrat d’un caractère contraignant.

Selon Portalis, qui se fondait à la fois sur le principe d’utilité pour désapprouver
l’accord portant sur le jeu de hasard et pour approuver celui qui porte sur le jeu d’adresse,
précisait que « les obligations contractées au jeu, n’étant fondées sur aucun motif utile ni
raisonnable, ne peuvent appeler sur elles la protection du législateur »483.Ces accords, disait-
il, interviennent « au détriment des mœurs publiques et de la société en général »484.Mais,
ajoutait-il, ceux portant sur un jeu d’adresse ou d’exercice doivent être exceptés car « ces
sortes de jeu sont utiles »485.

Ce raisonnement, révèle que c’est sur la base du critère de l’utilité que la loi se fonde
pour donner la force obligatoire au contrat et que les pouvoirs publics interviennent s’il est
nécessaire, pour en assurer l’exécution. « Le contrat est un instrument que le droit sanctionne
parce qu’il permet des opérations socialement utiles »486.

L’utilité sociale des opérations effectuées par le moyen du contrat, constitue la base
légitime pour que la loi assure sa protection et son exécution en garantissant sa fiabilité en
tant qu’instrument d’échange. Le D.O.C comme le Code civil français prévoit des
dispositions assorties des sanctions qui imposent aux parties du contrat son exécution .Il

480
Mais c’est surtout H.Kelsen, op.,cit.,note 33,44,maitre à penser du positivisme moderne, qui va s’appuie sur
l’importance des normes objectives dans la confection des contrats. Selon lui, « la convention est obligatoire
dans la mesure ou l’ordre juridique la considère comme un état de fait créateur de droit :ou, en d’autres termes,
dans la mesure ou une norme d’un degré supérieur (la loi) autorise les sujets à créer ( par délégation) une norme
d’un degré inferieur ».Cette légitimité, toute relative, justifiant l’autonomie n’est, selon Kelsen, guère explicable
et repose sur un individualisme inhérent à nos sociétés modernes, « qu’il n’est pas possible de justifier par voie
objective et rationnelle de la connaissance scientifique » (p.48).Cette normativité crée donc un effet obligatoire
des contrats, ce qui, sur ce point de vue, la rapproche de la volonté. Par contre, et la différence réside ici, la
volonté n’est pas la source de cette obligation : c’est la norme supérieure qui autorise la création de règles par la
procédure contractuelle.
481
J.Ghestin,op.,cit.,note 141.
482
Rafik Ouelhazi,le juge et la force obligatoire du contrat, op.,cit,p.203.
483
Finet ,t.14,p.539 ;Rafik Ouelhazi,le juge et la force obligatoire du contrat, op.,cit,p.204.
484
Ibid .,p.540.
485
Ibid,p.541 .
486
J.Ghestin,La formation…. ;op.,cit.,n°229,p.205 ;Rafik Ouelhazi,op.,cit.p.205.
95
contraint les contractants à respecter la parole donnée et ce en vue de satisfaire l’impératif
de sécurité juridique. Certains auteurs, soulignent que : « Le code apporte sa sanction au
contrat en raison de l’utilité qu’il y a, pour la paix publique et le commerce, à ce que les
hommes respectent la parole qu’ils se sont donnée »487 .En raison de l’utilité individuelle
mais aussi de l’utilité sociale, que le législateur couvre les contrats de la force obligatoire et
en impose le respect.

La conséquence essentielle de conformité des échanges à l’utilité sociale est « la


légitimité du principe de la subordination de la volonté des parties à l’intérêt général »488.La
préoccupation principale du législateur est l’intérêt général qui représente l’assise de la force
obligatoire du contrat.

La force obligatoire se justifie donc par l’utilité de l’accord des volontés pour les
contractants mais aussi pour la société dans la mesure où l’utilité sociale se traduit par la
sécurité juridique. Ainsi, l’utile pourrait être regardé de deux manières : il peut en effet se
mesurer par rapport à la bonne marche du commerce à travers l’instauration d’une
atmosphère de confiance et le développement du crédit qui constitue l’élément indispensable
pour l’essor des transactions et des opérations commerciales. Il est aussi possible de
l’apprécier par rapport au droit, cela regroupe l’aspect prévisible et déterminable du droit.

La force obligatoire du contrat assure une emprise sur l’avenir, elle fait du contrat
un acte de prévision qui est nécessaire à la confiance du créancier et au crédit .Cette
confiance est utile à la fois pour les contractants eux-mêmes et pour la société en général.

Ainsi, Friedrik Hayer, a démontré que le contrat est l’instrument d’un ordre libéral.
Cette utilité se traduit par deux principes : la sécurité juridique et de coopération.

a- Le principe de sécurité juridique

Le contrat est l’instrument indispensable des prévisions individuelles. Sa force


obligatoire est nécessaire à la confiance du créancier. C’est en raison de sa fonction
principale d’échange par la création d’obligations qu’apparaît cette utilité du contrat.
« Jamais un vendeur ne se dessaisirait de sa chose ,un prêteur de ses deniers, jamais un
propriétaire ne livrerait la jouissance de son immeuble ou une personne quelconque ses

487
Terré,Simler et Lequette,Les obligations,op.,cité.,n°413 ;Rafik Ouelhazi,op.,cit.p.205.
488
J.Ghestin., « L’utilité et le juste dans les contrats »,Dalloz,1982,p.1à 10,spéc.p.4.
96
services, si le phénomène juridique de l’obligation ne leur garantissait la réception en retour
de l’équivalent escompté et promis »489.

On rejoint ici la confiance légitime du créancier dont Gorla, en Italie, M.Atiyah, en


Grande Bretagne, avec la notion de detrimental reliance, et le doyen Dieux490, en Belgique,
avec celle d’attente légitime, ont fait le fondement de la force obligatoire du contrat 491.Cette
confiance n’est toutefois qu’un élément de l’utilité du contrat, mais d’une particulière
importance. Toute restriction à la force obligatoire du contrat diminue la confiance du
créancier et porte atteinte au crédit dont dépendent de nombreuses opérations d’une utilité
sociale incontestable492.Pour l’utilitariste Stuart Mill493, tout « acte capable d’influer sur la
confiance réciproque que les hommes doivent accorder à leur parole » est un mal en soi.

Sur le plan moral, la confiance du créancier représente l’aspect positif du respect de


la parole donnée. Cette règle morale peut être ainsi justifiée, non seulement par référence à
la justice contractuelle, mais aussi par son utilité sociale. L’utilité dans son rôle aussi bien
individuel que social nécessite une conciliation entre le principe de sécurité juridique avec
celui de coopération.

b- Le principe de coopération

L’analyse économique du contrat reflète cette coopération. «Coopérer signifie


préférer un résultat collectif à un gain individuel »494.Cette coopération est la caractéristique
typique de contrats. De la fraternité qui anime les contrats à titre gratuit, à la solidarité,
caractérisant les sociétés, à la nécessité d’une simple coordination. Selon certains
économistes, « Les mécanismes contractuels fondamentaux sont des réponses aux grandes
catégories de problèmes de coordination identifiés : la rationalité limitée des agents, leur
opportunisme, le risque »495.

489
E.Gounot,th .précité, p.355.
490
Le respect dû aux anticipations légitimes d’autrui,Bruylant et LGDJ.1995 ;M.Coipel, Eléments de théorie
générale des contrats,préf.P.van Ommeslaghe,Story Scientia,1999,n°36,p.27.
491
Voir .,A.Chirez., « De la confiance en droit contractuel »,th.Nice,1977.
492
Voir .A.von Mehren,in « International Encyclopedia of comparative law,A general view of
contract »,n°25 ;Jacques Ghestin,Le contrat en tant qu’échange économique, in :Revue d’économie
industrielle.op.cit.,p.81.
493
J.S.Mill, « L’utilitarisme »,Champs Flammarion,trad.G.Tanesse,1988,pp.76-77.
494
E.Brousseau, « Contrats et comportements coopératifs :le cas des relations interentreprises »,in, Coopération
entre les entreprises et organisation industrielle, sous la direction de J.L.Ravix,CNRT éd.1996,p.23.
495
E.Brousseau, « L’économie des contrats, Technologie de l’information et de coordination
interentreprises »,L’économie en liberté, PUF,1993,p.74.
97
Dans le souci de limiter les conséquences de la rationalité limitée des agents
économiques, les contrats vont mettre en œuvre des « routines et des règles de comportement
qui vont les dispenser de calculer ou d’imaginer les actions qu’ils doivent entreprendre à
chaque instant ».Les coûts de transaction engendrés toutefois par la rédaction et l’exécution
de contrats complets envisageant toutes les situations prévisibles peuvent être dissuasives.
En outre en situation d’incertitude radicale, lorsqu’il n’est même pas possible d’envisager
diverses hypothèses, la complétude des contrats est impossible » Il faut alors recourir à
l’autorité, c’est -à- dire reconnaître contractuellement à l’une des parties un droit
normalement résiduel, de « décider de l’usage effectif des facteurs apportés par chacun »496.

D’autres mécanismes peuvent être envisagés par les contractants, en vue de lutter
contre l’opportunisme, lorsque l’avenir est prévisible. Ainsi, ils peuvent le prévenir à travers
des incitations particulières, telles que les modes de rémunération choisis, de façon à ce que
chaque partie ait intérêt à respecter sa parole. C’est dans cette logique que des théories
économiques des incitations et de l’agence ont été conçues. Dans le cas ou l’incertitude est
radicale, le recours au complètement des modes d’incitation s’avère nécessaire, bien qu’ils
demeurent en toute hypothèse utiles, à deux moyens de mesures : la surveillance et la
punition corrélative qui visent à dissuader les formes d’opportunisme et les procédures
efficaces de négociation ou de médiation, en tant que modalités entrepris pour le règlement
des conflits ayant un rapport au partage de la quasi rente organisationnelle.497

Les cahiers des charges des contrats d’entreprise, illustrent de fonçon concrète ces
formes de coopération antagoniste. En matière de délais et de coûts, des primes ou des
pénalités seront appliquées à l’entrepreneur. En outre un maitre d’œuvre, expert choisi par le
maitre de l’ouvrage mais doté d’une certaine indépendance, exercera une surveillance sur
l’exécution du contrat et sanctionnera les défaillances, un recours devant un comité mixte ad
hoc ou devant un arbitre indépendant restant possible. Enfin une procédure contractuellement
définie permettra l’adaptation constante du contrat aux circonstances, notamment par
l’adjonction de travaux supplémentaires et l’ajustement corrélatif des délais et du prix498.

S’agissant du risque, de nombreux contrats, notamment de travail, sont caractérisés par


une répartition des pertes et des gains prenant en consécration l’aversion au risque de l’une
des parties, le salarié par exemple par rapport à l’entrepreneur.

496
E.Brousseau,op.,cit.,p.75.
497
Idid,pp.75 et s.
498
Jacques Ghestin,Le contrat en tant qu’échange économique, in :Revue d’économie industrielle,op.cit,p.93.
98
Les mécanismes contractuels conçus pour résoudre certains problèmes de
coordination, présentent deux caractéristiques : ils sont à la fois concurrents, comme par
exemple les incitations et l’assurance, et complémentaires, comme les routines et l’autorité. «
La complexité des contrats résulte de l’articulation de ces divers types de solutions aux
problèmes de coordination »499 .

La coopération antagoniste, qui caractérise le contrat et son utilité comme mode


d’organisation de celle-ci, se distingue d’abord de la conception idyllique d’un monde sans
conflits, dans lequel aucune des parties ne serait en mesure d’imposer à l’autre des choix
contraires à ses intérêts de telle sorte que les échanges seraient nécessairement au bénéfice de
tous. Elle se distingue ensuite d’une perception du contrat comme un mode conflictuel de
domination et d’exploitation de l’une des parties par l’autre.500

De point de vue juridique, l’idée moderne de coopération dans le contrat se situe


entre le classique modèle de la recherche égoïstede l’utilité maximale et le pur altruisme. La
coopération n’est pas seulement l’exécution de sa part de l’échange, ou le fait de rendre
possible l’exécution de la part de l’autre partie (ou l’obligation du bénéfice du
contrat).Inversement, la coopération ne consiste pas non plus dans l’adhésion à n’importe
quelle demande faite par l’autre partie. La coopération se situe entre la poursuite sans
retenue de son propre intérêt et la subordination sans restriction de cet intérêt501.

Il est de l’essence de coopération de faire une communauté d’intérêt entre les parties.
Comme l’observait déjà Dukheim502, l’échange ne se réduit pas à un bref instantoù la chose
passe d’une main à l’autre, il produit d’importantes relations entre les parties au cours
desquelles leur solidarité ne doit pas être troublée. Cette communauté n’élimine pas l’intérêt
propre de chacune, mais elle vise à restreindre le caractère, autrement exclusivement
prioritaire, de celui-ci. D’une manière concrète, la coopération suppose que l’action tournée
vers l’intérêt propre de chaque partie soit cependant compatible avec la communauté
contractuelle d’intérêts. Une telle exigence, susceptible de se concilier avec une vision
purement utilitaire du contrat, du moins dans des relations contractuelles marquées par la
durée et la personnalisation corrélative, semble toutefois inséparable d’une certaine

499
E.Brousseau,op.,cit.,p.78.
500
E.Brousseau,op.,cit.,p.340.
501
Jacques Ghestin,Le contrat en tant qu’échange économique, in :Revue d’économie industrielle, op.cit,p.95.
502
« La division du travail dans la société »,1933,pp.215.217.
99
conception morale de celui-ci503 supposant la prise en compte des intérêts d’autrui504.Mais la
force obligatoire vient également de ce qui est juste.

2- Le juste

Longtemps évincée des grandes questions juridiques, la justice semble resurgir de


nouveau depuis quelques années, en tant que fondement des nouvelles solutions du droit
positif. L’utilité sociale du contrat ; en même temps qu’elle suppose la sécurité juridique,
implique une certaine équité dans les rapports d’échange.

L’utilitarisme tel qu’il était envisagé au XIXe siècle, c’est-à-dire un fondement dénué
de toute considération morale et penché exclusivement sur l’intérêt économique du contrat,
accuse depuis quelques années un certains retrait. En effet, un nombre de solutions tant en
matière législative que jurisprudentielle marque la renaissance d’un droit du contrat plus
altruiste. C’est en effet sous l’impulsion de quelques philosophes tels Aristote ou Kant et plus
récemment M.Paul Ricoeur,et certains auteurs505 ,qu’a été progressivement réintroduite
l’importance de la justice en tant que fondement de la force obligatoire du contrat.

En France, le législateur et le juge ont montré leur vif intérêt pour plus de justice dans
le cadre des relations contractuelles. On citera à cet effet, la prohibition des clauses abusives,
l’élargissement de la définition du dol à la simple réticence, la prise en compte de plus en plus
fréquente de la violence en tant que vice du consentement susceptible d’entraîner la nullité du
contrat, l’émergence des obligations de sécurité et d’information au profit du contractant le
plus faible, autant d’indices permettant d’affirmer un certain renouveau du juste dans le
droit du contrat. Non pas que la justice faisait totalement défaut dans le droit du contrat du
XIXe siècle mais elle paraissait moins importante et surtout présumée506. De sorte que l’on ne
s’intéressait pas de savoir si les parties se plaçaient sur un pied d’égalité ; la question était
censée avoir été réglée par la consécration de l’égalité des citoyens dans la Déclaration des
Droits de l’homme. Désormais, la justice n’est plus simplement présumée, l’importance des
inégalités de fait ayant largement interrogé les juristes, elle doit être recherchée chaque fois
qu’un risque de déséquilibre se fait jour. Aussi, en France le législateur et le juge découvrent

503
Voir R.Broxnsword, « From Cooperation Contracting to contract of Co-operation ». in Contract and
Economic Organisation.Socio-légal Initiatives,éd.par D.Campbell et P.Vincent-Jonnes,Darmouth,1996,pp.18 et
s.
504
D.Mazeaud, « Loyauté, solidarité, fraternité, la nouvelle devise contractuelle »,in Mélanges
Terré,1999,pp.603 à 634.
505
Voir ,J.Ghestin,avec le fondement de l’utile et le juste ,p,169 ;N.Dion,Le juge et le désir du
juste,D.chr.1999,p.196,n°3.
506
Cette idée développée par Mme Catherine Thibierge dans son cours de D.E.A .le droit économique et des
affaires,1996,non publié.
100
des règles de droit non plus fondées exclusivement sur l’utilité du contrat mais sur le
juste507 .

Ainsi, le juste peut être défini comme ce qui est conforme au droit positif .Mais le
droit positif n’exprime pas la totalité du droit objectif. Le juste c’est ce qui est conforme au
droit positif pour les positivistes ou au droit naturel pour l’Ecole du droit naturel. Alors que
pour les économistes libéraux ce sont les conventions elles-mêmes, par le libre jeu de l’offre
et de la demande, qui créent le juste.

En matière contractuelle, le juste correspond essentiellement à la justice commutative


ou corrective qui consiste à maintenir ou à rétablir en valeur l’état des choses préexistant
entre créancier et le débiteur sur une base d’égalité, par opposition à la justice distributive
laquelle consiste à remettre à chacun la part qui lui revient ou à attribuer des avantages en
fonction de justes causes d’inégalité.

De l’exigence de justice-fidélité508 peut se déduire, parallèlement à son utilité sociale,


l’obligation morale et juridique de respecter la parole donnée. Parallèlement la prise en
compte de la justice-solidarité justifie un devoir de coopération, qui, lui aussi, peut être relié à
l’utilité sociale du contrat. C’est dans un sens plus spécifique de la justice contractuelle, la
justice commutative apparaissait à partir de la distinction classique, depuis Aristote et Saint
Thomas d’Aquin, entre justice distributive et justice commutative. De l’application de la
justice commutative se déduit la recherche de l’égalité des prestations.

a- L’égalité des prestations

Sur le plan moral, dans l’échange, chacune des parties doit recevoir l’équivalent de
ce qu’elle donne. C’est essentiellement en ce sens qu’est comprise aujourd’hui la justice
contractuelle. Elle conduit à exiger que le contrat, en tant qu’un instrument des échanges de
biens et de services, ne détruise pas l’équilibre qui existait antérieurement entre les
patrimoines, ce qui implique que chacune des parties reçoivent de l’équivalent objectif de ce
qu’elle donne509.

Ainsi, Georges Rouhette, a observé que sur le plan sociologique le contrat en tant
qu’acte commutatif « établissant normalement des obligations réciproques » qui « doivent

507
Véronique Cheritat,les modes d’evolution de la théorie générale du contrat,op.,cit.,.294 et s.
508
J.M.Trigeaud, « justice et fidélité dans les contrats », Arch.philo.dr.Philo.Pénale, t.28, 1983, pp.207 et s.
509
Voir sur ce point, C.Thibierge-Gelfucci,« Libres propos sur la transformation du droit des
contrats, »,dr.civ.1997,pp.370 et s.
101
être égales de part et d’autres »510. Historiquement, James Gordley511 a montré comment ,à
travers les scolastiques tardifs du 16e siècle, notamment Molina512,Soto513 et Lessius514,qui
avaient élaboré une construction doctrinale du contrat, la philosophie morale d’Arisote et de
Saint Thomas d’Aquin fondée sur la justice commutative avait inspiré, malgré son déclin aux
17 et 18e siècles, les solutions concrètement adoptées par Grotius,Pufendorf515,Barbeyrac,puis
par l’intermédiaire de Domat et Pothier, les rédacteurs du Code civil français.

La philosophie morale fondée sur la justice commutative, s’accommode d’une simple


équivalence relative des prestations échangées. Sur le plan de la justice commutative, on
trouve la prise en considération du caractère subjectif de la valeur d’échange et de la difficulté
concrète de déterminer la valeur objective de chaque prestation. On y trouve également la
nécessité de tenir compte, pour fixer les règles proprement juridiques, de la sécurité des
conventions, qui ne peuvent être remises en cause, sur le fondement de la justice
commutative, que si le déséquilibre a dépassé certaines limites ou s’il y a eu fraude516.

La difficulté de déterminer objectivement le juste prix conduit à s’accommoder d’une


certaine équivalence objective des prestations. Le fonctionnement naturel du marché ne
permet pas de déterminer spontanément le « juste » prix des biens fongibles, comme le
reconnaît d’ailleurs, Friedrich Hayek517, cependant chantre du libéralisme. Dans le cas de
l’existence d’une lésion considérable et objectivement constatée, elle sera prise en compte
afin de rétablir l’équilibre contractuel, en l’absence d’une objective détermination du juste
prix.

La recherche de l’égalité des prestations consiste d’une manière générale, à ce que


chaque partie ait un intérêt effectif, à contracter, cet intérêt, cette utilité particulière étant
considérée comme le moteur même de sa volonté. Il faut et il suffit, a priori, que chaque
partie puisse rationnellement considérer qu’elle reçoit davantage, ou en tout cas quelque
chose de plus utile pour elle, que ce dont elle dessaisit. Dans cette logique le contrat va

510
G.Rouhette, « Contribution à l’étude critique de la notion du contrat »th.Paris,1965,p.331.
511
« The Philosophical Origin of Modern contract Doctrine »,1991,Clarendon Press Oxford.
512
De justicia et jure tractatus.Venise,1654.
513
Ibid ,1553.
514
De justicia et jure,ceterisque virtutibus cardinalis libri quatuor,Paris,3éme éd.1608,spéc.Section tertia de
contrctibus.chapitre XVII,De contractibus in genere.
515
Voir.P.Laurent, «Pufendort et la loi naturelle »,p.136 ;
516
Jacques Ghestin,Le contrat en tant qu’échange économique, in :Revue d’économie industrielle,op.,cit,.p.97.
517
« Droit ,législation et liberté »,t.3 « L’ordre politique d’un peuple libre»,1979,trad.R.Audouin.Puf.1995.pp.78
et s
102
permettre de donner à chacune des prestations une valeur supérieure, enrichissant du même
coup chaque partie et la communauté.

S’agissant du rôle que revêt la procédure contractuelle dans la concrétisation de la


justice procédurale, John Rawls a montré qu’une procédure équitable transmet son
caractère au résultat, mais seulement à la condition d’être réellement appliquée 518.A ce
point, l’auteur insiste sur la nécessité d’une procédure effectivement correcte et équitable. 519.
La garantie de la justice commutative ne peut être assurée que par un contrôle de la rectitude
effective de la procédure contractuelle520.Cette rectitude ne peut être assurée que par un
consentement effectif dont la protection constitue ainsi la pierre angulaire de la justice
procédurale.

L’instrument essentiel de ce contrôle, en droit positif tant au Maroc qu’en dans la


plupart des pays521 notamment en France ,est la bonne foi ,et à un moindre degré ,son
complément ,l’abus de droit522 La bonne foi est d’abord requise lors de la formation du
contrat523,pour imposer la loyauté dans la négociation ,avant et après l’émission de l’offre,
l’obligation de na pas tromper l’autre partie ni d’abuser de sa faiblesse et surtout de
l’informer loyalement. Elle est également exigée par l’article 1134,alinéa 2,du Code civil
français, comme l’article 231524 du D.O.C, au stade de l’exécution du contrat525,pour inspirer
son interprétation en faisant prévaloir l’esprit sur la lettre, compléter les obligations
contractuelles par référence aux effets légitiment attendus des parties, réviser ces obligations,

518
« Theory of Justice », traduction française Théorie de la justice, par C.Audard,éd.du Seuil,1987,p.118.
519
C.Audard, « Principes de justice et principes du libéralisme :la neutralité de la théorie de Rawls »,in,
« Individu et justice sociale, autour de John Rawls »,1988,p.172.
520
La rectitude de la procédure contractuelle suppose donc l’absence d’un vice du consentement, mais aussi, plus
largement un contrôle des comportements.
521
V.en droit comparé,Y.Loussouarn,« Rapport de synthése »,in,La bonne foi,Trav.Ass.Capitant,1992,pp.7 et
s ;J.F.Romain, «Théorie critique du principe de la bonne foi en droit privé,des attentes à la bonne foi,en
général,et de la fraude en particulier »,Bruxelles,1998 ;En droit suisse, H.Deschenaux, « traité de droit civil
suisse,t.II,1,Le titre préliminaire du Code civil »,Ed. Universitaires Fribourg,1969 ; Jacques Ghestin,Le contrat
en tant qu’échange économique, in :Revue d’économie industrielle,op.cit,p.98 et s.
522
L.Josserand, « De l’esprit des droits et de leur relativité, théorie dite de l’Abus des Droits »,Dalloz,2éme
éd.1939.Ph.Stoffel-Munck, « L’abus dans le contrat »,essai d’une théorie, th.Aix- Marseille III,1999 ;S.Stijns,
« Abus, mais de quel (s) droit (s),Journal des tribunaux,20 janvier 1999,pp.33 à 44.
523
P.Jourdain, « Rapport français, la bonne fois dans la formation du contrat »,in La bonne
foi,Trav.Ass.Capitant,1992,pp,.121 et s. ;V. en droit comparé »,in La bonne foi,Trav.Ass.Capitant,1992,pp.25 et
s. ;R.Sacco, « Rapport Italien,la bonne foi dans la formation du contrat »,in La bonne foi,
Trav.Ass.Capitant,1992,pp.131 et s. ;D.Philippe, « Rapport Belge,la bonne foi dans la formation du contrat »,in
La bonne foi,Trav.Ass.Capitant,1992,pp.61 et s ;Jacques Ghestin,Le contrat en tant qu’échange économique,
in :Revue d’économie industrielle,op.,cit,.p.99.
524
Voir arti.310 du D.O.C qui dispose que « tout engagement doit être de bonne foi et oblige ,non seulement à
ce qui y est exprimé, mais encore à toute les suites que la loi, l’usage ou l’équité donnent à l’obligation
d’après sa nature ».
525
A.Benabent,« Rapport français, la bonne foi dans l’exécution du contrat »,in La bonne
foi,Trav.Ass.Capitant,1992,pp.291 et s.
103
malgré le refus de tenir compte de la théorie de l’imprévision, prendre en considération de la
bonne foi du débiteur et de celle du créancier dans un but modérateur de ses prérogatives. La
bonne foi concourt ainsi à l’utilité économique du contrat526.

La procédure contractuelle peut conduire dans certains cas à une situation d’infériorité,
notamment dans le contrat d’adhésion. Cela nécessitera une intervention du droit pour écarter
les clauses qualifiées abusives527, imposées par l’une des parties à l’autre. La recherche de
l’équilibre des prestations implique également la recherche, de l’ égalité des parties.

b- L’égalité des parties

L’inégalité des parties peut être causée soit du fait que le consentement d’une
personne déterminée a été vicié par l’erreur ou la crainte, ou suite à des informations
inexactes ou insuffisantes ou d’une situation d’infériorité dont souffre une catégorie des
contractants par l’effet de la contrainte ou de l’ignorance notamment les consommateurs ou
les salariés. En partant du deuxième postulat, la protection du consentement de ces catégories
de contractants est devenue légitime. L’appréciation de ce qui est conforme à la justice
distributive est faite par le droit positif, c’est -à-dire concrètement par les autorités
compétentes pour édicter celui-ci. La justice distributive qui consiste à remettre à chacun
des parties contractuelles la part qui lui revient, soit selon la nature pour certains d’auteurs
ou selon les impératifs sociologiques et économiques pour d’autres auteurs. L’objectif ne
consiste pas à maitriser le jeu du processus contractuel d’une manière équitable et correcte,
mais de substituer à celui-ci un résultat tenu objectivement pour juste.

Il reste en conséquence un accord de volontés destiné à produire des effets de droit


dont la force obligatoire dépend de sa conformité au droit objectif. A ce propos il doit être
conforme à ses finalités objectives, l’utile et le juste à travers la concrétisations de certains
principes qui se traduisent par la sécurité juridique, la coopération, l’égalité des prestations et
l’égalité des parties du contrat avec le respect de la procédure contractuelle en matière
d’équité et de justice.

« Le juste et l’utile » sont donc deux notions tout aussi subjectives l’une que l’autre .Il
est même pertinent de considérer qu’elles constituent un seul et même concept, l’utile ayant
simplement pour effet de réorienter la portée du juste dans le cadre d’une relation entre

526
S.Jamet-Le Gac, « De l’utilité de la bonne foi,une analyse économique de la bonne foi dans et pour
l’exécution des contrats »,mémoire DEA droit des contrats Lille II ,sous la direction de Ch.Jamin,1998.
527
Voir les articles 15 à 20 de la loi 31-08 relative à la protection du consommateur au Maroc.
104
particuliers.528C’est au juge de faire respecter la justice contractuelle529, mais elle n’autorise
par le recours à l’équité, ce n’est pas l’équité530.

Ainsi, Jacques Ghestin, souligne que «le contrat n’est obligatoire que parce qu’il est
utile et à la condition d’être juste, c’est-à-dire conforme à la justice contractuelle .L’utile et le
juste apparaissent comme les principes fondamentaux de la théorie générale du
531
contrat » .Mais un équilibre doit exister entre le juste et l’utile. Se référer à l’utile et au
juste semble plus féconde que l’application du principe de l’autonomie lequel ne permet plus
aujourd’hui, selon Jacques Ghestin, « de rendre compte du droit positif et à la différence de
l’utile et du juste ne contient pas les éléments de recherche et de progrès qu’impliquent ces
deux notions »532 dans la mesureoù « la conciliation de l’utile et du juste est l’exigence clé en
matière de contrat alors que l’autonomie de la volonté dissimule les problèmes en affirmant
comme principe général et abstrait de se référer à la volonté des parties alors que celle-ci
n’est pas une fin en soi mais au service du droit objectif »533.

Ainsi, Ghestin est l’auteur d’une réflexion de grande ampleur sur les fondements de la
force obligatoire du contrat. Pour cet auteur, le contrat n’est obligatoire que s’il est
respectueux de l’utile et du juste534.Il admet que l’accord des volontés est « la procédure

528
Cela amène certains auteurs à considérer que la notion de bonne foi est restreinte en droit commercial. Voir à
ce propos G.Ripert et R.Roblot,Traité élémentaire de droit commercial,14 e éd.,t.1,Paris,
LGDJ ,1991,p.42,n°70 ;V.Delapporte, « Recherche sur la forme des actes juridiques en droit international
privé »,thèse de doctorat, Paris, Thèses française,1974,p.8 : « La bonne foi qui joue un si grand rôle en droit civil
n’existe plus ou plutôt est comprise différemment ;ce n’est plus un état d’âme, une conception subjective, mais
au contraire une conception objective ;elle n’exprime que la régularité d’une situation. » Cette portée objective
nous semble être en effet une nécessité liée à la sécurité des transactions qui est davantage marquée en droit
commercial qu’en droit civil mais aussi à l’utilité commercial qui exige un efficacité dans la connaissance des
données engagées dans la transaction. La notion de la bonne foi est interprétée par certains auteurs selon des
critères subjectifs, liant morale et équité. La conséquence directe est que le code de commerce français tient peu
du concept ( art.120, al et 121 ),alors que l’Uniforme Commercial Code américain emploie largement la
terminologie ; voir art. Vincent Gautrais,« Une approche théorique des contrats :application à l’échange de
documents informatisé», Les cahiers de droit, vol.37,n°1 ?1996,p.121-173.
529
Dion N., « Le juge et le désir du juste »,Dalloz,1999,p.195,spéc.195n°2 « Face à une intervention législative
désordonnée, une jurisprudence parfois, lacunaire, le juge a le devoir de rechercher (…) la décision la meilleure
possible, voir la plus juste ».
530
Ghestin J.,Jamin C et Billiau M., « Traité de droit civil. La formation du contrat »,L.G.D.G.,3e
éd.,1993,p.228-231,n°252-254 : « l’équité est contraire à la justice car la justice,la morale et l’odre social
veulent que l’homme tiennent la parole donnée » ; contra Dion N., « Le juge et le désir du
juste »,Dalloz,1999,p.195 à 199,spec.p.198,n°15 : « Pour ce faire le juge peut recourir à l’équité laquelle évoque
une justice à l’état pur indépendante du droit et des juges et supérieure à eux. L’équité permet au juge de rendre
en conscience une décision plus juste en dépassant la lettre.
531
Ghestin J.,Jamin C et Billiau M., « Traité de droit civil.La formation du contrat »,op.cit,p.239.;Ghestin J.,
« L’utile et le juste dans les contrats »,Dalloz,19982,p.1 -10,spéc.p.3.
532
Ghestin J.,Jamin C et Billiau M., « Traité de droit civil.La formation du contrat »,op.cit,p.254-255. ;
533
J.Ghestin,n°223 ; « L’utile et le juste dans les contrats »,D.1982,op.,cit.,p-10,spec.p.3.
534
Ibid.p.1.
105
nécessaire et spécifique de la formation du contrat »535.Mais pour cet auteur le contrat n’a
d’effet obligatoire que s’il socialement utile et économiquement juste »536.L’utile et le juste
doivent alors guider tout le régime juridique du contrat537. Dans cette conception, le
législateur ne doit prêter force obligatoire qu’aux contrats qui permettent un échange
économique équilibré. Cette conception rend bien de l’évolution contemporaine du droit des
contrats, marquée notamment par un recul du consensualisme et de la liberté contractuelle et
par le développement de l’ordre public économique538.

Dés lors, la bonne foi semble répondre fondamentalement à un souci de justice. Selon
cet auteur,« La loyauté dans les contrats est le complément nécessaire de la justice
contractuelle »539.Ainsi, justice et loyauté paraissent répondre aux mêmes objectifs, pourtant il
ne semble pas possible d’affirmer que pour J.Ghestin,la justice se situe en amont de la bonne
foi. Bonne foi et justice paraissent davantage se situer à un même niveau, puisque l’une est le
complément de l’autre540.La bonne foi vise à réaliser un idéal de justice, dont son fondement
n’existerait pas à proprement parler dans l’idée de justice.541.

En effet, un auteur a mis en relief le lien qui existait entre les idées solidaristes et
l’exigence de bonne foi dans les contrats542.Evoquant la pensé de Demogue, il a ainsi pu
écrire : « Si l’on quitte Saleilles pour Demogue,c’est un autre pan considérable du droit des
contrats que le solidarisme bouleverse :celui de la formation et de l’exécution des contrats de
bonne foi qui prend aujourd’hui une place considérable »543.

B- Le solidarisme contractuel et la vision de conciliation de fondements

Dans l’objectif de concevoir une doctrine solidariste constituant une justification de la


force obligatoire du contrat ,certains auteurs proposent une conception où les impératifs de
loyauté et de solidarité prennent une ampleur plus grande encore .Ces auteurs se réclament de
la philosophie du « solidarisme contractuel »qui conçoit le contrat non plus comme le produit
de la conciliation d’intérêts antagonistes mais comme un instrument de promotion de l’intérêt

535
Ibid. ;voir également, Christophe Lachiéze, « Droit des contrats », Ellipses Ed,2e éd,2007.
536
J.Ghestin,n°226 s. ; « L’utile et le juste dans les contrats », ,chron.préc.
537
Idid.
538
Christophe Lachiéze, « Droit des contrats »,op.cit,p.129 et s.
539
Ibid.
540
Romain Loir,Les fondements de l’exigence de bonne foi en droit français des contrats, mémoire de DEA ,Lile
2,p.84 .
541
Ibid.p.85
542
C.Jamin, « plaidoyer pour le solidarisme contractuel »,in Le contrat au début du XXIe siècle, études offertes à
Jaques Ghestin,paris :LGDJ ,2001,p.341.
543
Id.,p.451.
106
commun des parties544.Le solidarisme contractuel se traduirait en droit positif par le
développement de la bonne foi au stade de la formation et de l’exécution du contrat, Le
solidarisme contractuel pourrait favoriser l’émergence d’obligations nouvelles pour les
parties ( obligations de motivation de certaines décisions des contractants, obligation
d’entraide…) et de nouveaux pouvoirs pour le juge (pouvoir de révision du contrat)545.

Tout en suivant la même démarche à travers une analyse dialectique des fondements
évoqués en vue de concevoir une nouvelle vision d’un fondement mobile à caractère
économique qui a pour fonction de faire adapter la force obligatoire du contrat à la réalité
contractuelle, en garantissant l’équilibre contractuel et la stabilité des transactions
contractuelles. Cette idée qu’on va développer va constituer une conception novatrice,
émanant d’une vision scientifique et purement technique, projetée sur le plan contractuel en
tant qu’une construction qui nécessite une fondation bien solide pour prévenir contre tout
facteur imprévisible étranger de la volonté des parties, susceptible de menacer ruine la
stabilité de cet ouvrage qui est le contrat.

Il s’agit d’évoquer la doctrine solidariste telle qu’elle est apparue à la fin du 19e
siècle et au début 20 é siècle ,sa perception ,sa liaison avec la bonne foi, et sa critique de
l’autonomie de la volonté (1),il faut ensuite apporter une réponse à la question qui se pose en
matière de conciliation entre le fondement positif et le fondement économique, à travers une
réflexion qui tient compte les lacunes des fondements évoqués et les exigences à satisfaire
pour donner une explication efficace à la force obligatoire du contrat dans la mesure , pour
être plus flexibilité et facile à s’adapter avec l’évolution et les changements des circonstances
économiques et qui reflète la réalité contractuelle (2).

544
Inspiré des idées sociales de Léon Bourgeois, le solidarisme est apparu dans la doctrine civiliste sous la plume
d’un éminent auteur :R.Demogue,Traité des obligations en général, Arthur Rousseau,t.VI,1932,spéc.n°3,le
contrat serait « une petite société où chacun doit travailler dans but commun qui est la somme des buts
individuels poursuivis, absolument comme la société civile ou commerciale ».Cette théorie est aujourd’hui
développée par une doctrine importante :v.not.C.Thibierge-Guelfucci, «Libres propos sur la transformation du
droit des contrats »,RTD civ.1997,p357s.,spéc.p.384 ;D.Mazeaud,« Loyauté, solidarité, fraternité :la nouvelle
devise contractuelle ? »Mélanges Terré,éd.Dalloz,PUF et Jurisclasseur,1999,p.603 s. ;C.Jamin, «Plaidoyer pour
le solidarisme contractuel »,Etudes Ghestin,LGDJ 2001,p 441 s.Sur le solidarisme,v. Jamin et D.Mazeaud
(dir.),La nouvelle crise du contrat,Dalloz 2003 ;L.Grynbaum et M.Nicod (dir.),Le solidarisme
contractuel ;Economica 2004.
545
Christophe Lachiéze, Droit des contrats ,2e éd,, op cit,p.131.
107
1- L’émergence et la perception de la doctrine solidariste

Sur le plan morphologique d’abord, le terme « solidarisme » doit être perçu comme
dérivation546 du mot « solidarité » par l’ajout du suffixe « -isme ».Il s’ensuit que le repérage
de l’étymon Ŕ le terme le plus ancien dont le terme dérivé est né Ŕ doit se faire à partir du
terme « solidarité ».C’est dans le fonds latin que ce terme puise sa source. Il provient du
neutre de l’adjectif « solidus ». A dire vrai cependant, le mot « solidarité » est apparu
tardivement dans la langue française.

Sur le plan de la sémantique547 ensuite, il faut effectivement remarquer que la plupart


des dictionnaires et encyclopédies antérieurs au XVIIIe siècle ignorent le terme
« solidarité » :ils ne connaissent que l’adjectif « solidaire » défini comme « un terme
pratique » qui « se dit des obligations que passent plusieurs personnes ensemble, lorsque
chacune promet de payer la somme totale »548 .Il faut attendre, semble-t-il, la fin du XVIIe
siècle pour voir apparaître le substantif « solidarité » dans les propos d’un magistrat et
homme politique, François Isambert, et la fin XVIIIe siècle pour le découvrir dans le
Dictionnaire de l’Académie française .En 1835 la sixième édition du Dictionnaire ,précise en
effet que le terme « se dit quelquefois, dans le langage ordinaire, de la responsabilité
mutuelle qui s’établit entre deux ou plusieurs personnes ».Cette évolution résulte en réalité de
celle des mots « solidaire » et « solidairement »549.Dés le XVIIIe siècle, ces mots
s’emploient « pour désigner non plus une dette collective proprement dite, mais un lien de
dépendance mutuelle, d’un caractère moins rigoureusement déterminé, entre deux ou
plusieurs personnes »550 .

L’idée de solidarité sociale a traversé les siècles pendant lesquels elle a fait l’objet de
diverses utilisations551.Comme le relève en ce sens M.Borgetto, « la prise de conscience d’une
solidarité étroite liant entre eux tous les hommes ou tous les citoyens ne constituait (…) pas,

546
Selon la définition donnée par Monsieur Comu, « la dérivation est la formation d’un mot nouveau à partir
d’un mot préexistant »,coll.Domat droit privé,2e éd.,Paris,Montchrestien,2000,n°30,p.160.
547
Anne-Sylvie Courdier-Cuisinier, préface de Eric Loquin, Le solidarisme contractuel, éd du juris-Classeur,
Paris, vol.26,p27,2006,p.1. ;M.Borgetto,La notion de fraternité en droit public.17,Paris ,LGDJ,1993,p.7.
548
P.Richelet, Dictionnaire de la langue française ancienne et moderne.3,V°solidaire, Lyon,Bruset,1728,Est
également connu l’adverbe solidairement défini comme un « terme de pratique » signifiant « d’une manière
solidaire, l’une pour l’autre » .
549
Anne-Sylvie Courdier-Cuisinier ,op.,cit.,p.2.
550
E.D’eichtal, « Solidarité sociale, solidarisme et dévouement social »,in Pages sociales, Alcan ;1909,p.121,cité
par M.Borgetto,La notion de fraternité en droit public, Le passé, le présent et l’avenir de la solidarité,
op.cit.,p.8,note 1.
551
Au Moyen Age est ainsi apparue la conception, reprise d’ailleurs sous l’antiquité, que chaque homme est à lui
seul un microsome dont les parties sont aussi interdépendantes que celle de l’univers ;voir également
M.David,La solidarité comme contrat et comme éthique, coll. Mondes en devenir, Série points
chauds,Paris,Berger-Levraut,1982,p.18.
108
au début du XIXe siècle, une réelle nouveauté, il reste cependant que ce fut bel et bien à cette
époque qu’elle commença à déboucher sur des commentaires de plus en plus spécifiques et
approfondis de la part des philosophes, des moralistes et des théoriciens politiques »552.

Ainsi une tradition organiciste de la solidarité sociale apparaît-elle chez Auguste


Comte. Avec lui, «la solidarité sociale commence à prendre forme dans le cadre ‘organiciste’
qui assimile l’organisation sociale à un organisme vivant et les individus à ses organes et
cellules »553 .Il met en avant une double forme de solidarité : l’une, horizontale, unit dans
l’espace tous les membres d’une société donnée ; l’autre, verticale, unit ces derniers dans le
temps, compte tenu que chaque état social est le résultat nécessaire du précédent et le
moteur indispensable du suivant. En cela, pour Comte, l’homme n’a aucun droit à l’égard de
la société ;il n’a que des devoirs. En outre, l’auteur pose la division du travail en tant que
principe constitutif de la solidarité. A ce propos, on trouve Durkheim qui sera toutefois plus
modéré que Comte en admettant notamment l’existence de droits au profit des individus554.

Ainsi, la solidarité plus humaniste voit le jour avec Pierre Leroux. Il défend
ardemment, entre autres, l’idée d’une solidarité naturelle découlant d’une interdépendance
objective entre les hommes. Pour lui, cette solidarité naturelle, d’ordre spatial et temporel,
fonde un devoir général de solidarité. La conceptualisation par Léon Bourgeois de l’idée de
solidarité sociale, ou « solidarisme », apparaît comme l’aboutissement des multiples
réflexions précédentes sur cette notion. Il préconise de partir, non pas de l’individu titulaire
des droits abstraits, mais des rapports entre les hommes « qui lient solidairement les uns aux
autres dans l’espace et dans le temps »555.Dans ce sens, l’auteur a démontré que le solidarisme
en tant que philosophie sociale se présente comme le juste milieu entre la philosophie
individualiste et la philosophie socialiste. En cela, elle a connu un vif succès au début du XXe
siècle et s’est ainsi substituée à l’individualisme. Le solidarisme sociale, appliquée par la suite
au contrat a été développée par Demogue qui se démarque de la plupart de ses contemporains
par sa méthode plus pragmatique qu’exégétique »556.En ce sens, il convient d’évoquer
l’évolution du solidarisme contractuel (a)et sa perception doctrinale en tant que fondement de
la force obligatoire du contrat (b).

552
Sur l’idée de solidarité chez Comte v. notamment, P.Cingolani, « l’idée d’humanité chez Auguste
Comte :solidarité et continuité »,in La solidarité : un sentimen républicain ?;Paris,PUF,1992,pp.42 et s.
553
Anne-Sylvie Courdier-Cuisinier ,op.,cit.,p.3et s.
554
Ibid,p4 et s.
555
L.Bourgeois,Solidarité, Paris,Armand Colin,1986 ,réed,en 1998 aux Presse universitaires de Septentrion.
556
Ch.Jamin, « L’oubli et la science. Regard partiel sur l’évolution de la doctrine privatiste à la charnière des
XIXe et XXe siècles »RTD civ.,1994,p.815.Demogue était donc l’un des partisans de ce nouveau courant.
109
a- L’émergence du solidarisme contractuel

L’histoire révèle que la doctrine du solidarisme est née pendant le XIXe


siècle.557Prônée par un courant militant pour réorganisation sociale fondée sur la solidarité, la
doctrine a réussi à pénétrer le droit en général et le droit des contrats n’a pas été en reste.
Selon Demogue ,l’un des auteurs de ce courant, considère en effet que le contrat est une
sorte de « microsome, une petite société oùchacun doit travailler dans un but
commun »558.Ce dernier considère en effet que , « le créancier a plusieurs obligations. Il ne
doit pas par sa conduite surcharger le débiteur, il doit par des actes positifs faciliter à celui-
ci l’exécution de l’obligation et notamment se prêter à exécution (…).Tout ceci se rattache à
l’idée de solidarité entre créancier et débiteur dans l’intérêt social, et au point de vue des
textes cela découle de l’article 1134,alinéa 3 du code civil français,(…).Ceci vise le
créancier comme débiteur »559.La collaboration entre contractant signifie que chacun des
contractants ne doit pas abuser de son droit en matière contractuelle à travers l’absence
d’abus dans l’exécution du contrat. Les prérogatives nées du contrat ne doivent être utilisées
qu’avec mesure560.

Ainsi, Josserand, défend une théorie novatrice de l’abus des droits561que la


jurisprudence de la fin du XIXe siècle a porté sur les fonds baptismaux en matière de contrat
de louage d’ouvrage562 selon lui, l’individu doit s’accorder à la formidable machine sociale
dont il n’est qu’un rouages. Dans cet esprit, les droits subjectifs qu’il exerce ne lui sont
accordés qu’en raison d’une certaine finalité sociale dont il ne saurait s’affranchir, à moins de
commettre un abus. L’abus de droit en matière contractuelle, c’est s’écarter à l’excès d’un
idéal commun d’équilibre. Aussi défend-il l’admission de la révision du contrat pour
imprévision, l’instauration d’un délai de grâce au profit du débiteur ou l’obligation pour
l’employeur de motiver la réalisation du contrat de travail de son ouvrier.

557
V.sur le genése :Ph.Rémy, « la genése du solidarisme »,in :Le solidarisme contractuel, sous la direction de
L.Grynbau et M.Nicod,Economica 2004,p.3 ets ;P,Mazet, « Le courant socialiste »,in :Le solidarisme
contractuel,préc.,p.13 et s ; voir sur ce point ,Hobinavalona Ramparany-Ravololomiarana,Le raisonnable en
droit des contrat,préf,Jean Beauchard et Ramarolanto-Ratiaray,Unive. De Poitiers,Colle.de la Faculté de Droit et
des sciences sociales.,p.380 et s.
558
R.Demogue,Traité des obligations en général,t.VI,1931,n°3.
559
Ibid .
560
Ibid.
561
Louis Josserand, De l’abus des droits,Paris,Rousseau,1905 ;De l’esprit des droits et de leur
relativité,Paris,Dalloz,1927 ; « Sur la relativité des droits »,(1927-28),Revue internationale de la théorie du
droit,143 ;V.Sur ce point ,Christophe Jamin, «Le solidarisme contractuel :un regard Franco- Québécois »9e
conférence Albert Mayrand 2005,Montréal, Ed. Thémis inc ;p.14.
562
V.de manière générale, Pascal Ancel et Claude Didry, « de l’abus de droit :une notion sans histoire?
L’apparition de la notion d’abus de droit en droit français au début du XXe siécle »,dans l’abus de droit-
Comparaison franco-suices,Saint-Etienne,PU Saint-Etienne,2001,p.51.
110
Certains auteurs ont essayé de définir le solidarisme contractuel comme étant
« l’affirmation selon laquelle il est nécessaire d’ériger en principe du droit des contrats les
exigences de loyauté, de solidarité et de bonne foi qui doivent conduire les contractants à
collaborer entre eux »563.La doctrine du solidarisme contractuel est donc une doctrine qui
« prône la coopération, la loyauté ou la collaboration contractuelle »564 ayant comme source la
bonne foi de l’article 1134 alinéa 3 du Code civil français. Selon J.Mestre « de cette exigence
de bonne foi, qui permet très opportunément de sanctionner les déloyautés manifestes, la
pratique contractuelle et la jurisprudence passent insensiblement (…) à un devoir positif de
collaboration, qui est à la foi plus exigeant et (…) plus formateur des caractères »565. Les
aspects de coopération constitueraient alors « des conséquences neuves à tirer de l’idée de
bonne foi »566.Pour s’affirmer avec toute la force nécessaire, elle a besoin de s’appuyer sur un
fondement sérieux et précis »567 .Selon l’auteur, ce fondement serait la loyauté.

Pour Mazeau,le solidarisme contractuel trouverait naturellement son domaine dans les
relations contractuelles de dépendance et qu’au nom de la bonne foi, vecteur du solidarisme
contractuel, l’intérêt du contractant dépendant doit être pris en compte »568.Ainsi le
solidarisme serait-il « une exigence de civisme contractuel qui se traduit ,pour chaque
contractant ,par la prise en considération et par le rspect de l’intérêt légitime de son
contractant »569.

Ainsi, une partie de la doctrine reconnaît- elle que la solidarité constitue un


prolongement de la bonne foi. Plus encore, selon certains, elle impose la fraternité. Selon
Thibierge -Guelfucci, « une nouvelle approche du contrat,(…) permettrait de parvenir à des
rapports équilibrés et égalitaires, empreints de plus de fraternité et de justice »570 et qu’ « en
vertu de ce principe de fraternité contractuelle, chacun des contractants est tenu de prendre en
compte, par delà son propre intérêt, l’intérêt du contrat et celui de l’autre partie ,en se
déployant à leur service, voire en acceptant certains sacrifices, afin de favoriser la

563
L.Grynbaum, « La notion de solidarisme contractuel »,in :Le solidarisme contractuel,préc.,p.25.
564
Ibid.,p.31.
565
J.Mestre, « L’evolution du contrat en droit privé français »,in :L’evolution contemporaine du droit des
contrats,Journées René Savatier,Poitiers,24-25 octobre 1985,PUF,Coll.de la Faculté de Droit et des Sciences
sociales de l’Université de Poitiers,1986,p.53.
566
Ph.Rémy « La genése du solidarisme »,in :Le solidarisme contractuel,op.cit.p.9
567
Y.Picod,Le devoir de loyauté dans l’exécution du contrat,pré.,n°89,p.cit,p107.
568
D.Mazeau, « Le solidarisme contractuel et réalisation du contrat »,in Le solidarisme contractuel, p.43 et
s.,spéc.,p.49 et s.
569
Ibid.,p.62.
570
C.Thibierge-Guelfucci,« Libres propos sur la transformation du droit des contrats »,RTD civ.1997,p.358.
111
conclusion, l’exécution et le maintien du contrat compris comme la base du
collaboration »571.

La reconnaissance de la bonne Ŕfoi solidarité conduit nécessairement à la


reconnaissance de la bonne Ŕfoi fraternité. Selon F.Diesse,la solidarité se définit par
« l’entraide, la fraternité contractuelle »572 et que « la solidarité et la fédération des intérêts
des parties (…) donnent aux rapports contractuels les caractères d’une relation plus étroite et
plus fraternelle »573.Dés lors , « le souci n’est plus d’être juste :il est aussi d’être
altruiste »574.Dans le même sens, selon Mazeaud,«creuset de l’intérêt commun, le contrat
serait dés lors animé par un esprit de collaboration, de coopération qui intégrerait même, dans
les cas extrêmes, une certaine morale de renoncement »575 .

b- L’autonomie de la solidarité et sa perception

Partant des développements exposés ci-dessus, certains auteurs prônent une


conception idyllique de la solidarité fondée sur une bonne foi très exigeante. Cependant,
d’autres soutiennent des approches différentes du solidarisme contractuel. Ainsi, existe-il des
auteurs qui défendent une sorte de solidarité d’inspiration sociale. Pour Ch.Jamin,« le
solidarisme ne traduit pas une vision naïve de la société destinée à promouvoir un
quelconque amour fraternel »576 .Il s’agirait plutôt de contrer la « philosophie contractualiste »
qui serait « purement et simplement tromperie lorsque les parties ne sont de force
égale »577,autrement dit,le solidarisme « repose sur le constat lucide (quasi-marxiste) de
profondes inégalités des classes, qui ne permettent pas à tous les individus-pourtant réputés
semblables- d’exercer des droits dont ils sont virtuellement les titulaires »578.En effet ,même
si « l’objectif n’est pas de placer les deux contractants sur le même plan pour les rendre
solidaires l’un de l’autre »579 ,il n’en demeure pas moins qu’il cherche à « faire en sorte que le
plus puissant d’entre eux ne puisse pas priver l’autre de ses droits issus du contrat »580 .

571
Ibid.,p.382.
572
F.Diesse,Le devoir de coopération dans le contrat,thése Lille II,1998,n°216 ,p.189.
573
F.Diesse « La bonne foi,la coopération,le raisonnable dans la CVIM » JDI 2002-1,n°13,p.67.
574
C.Thibierge-Guelfuccl, « Libres propos sur la transformation du droit des contrats »,RTD
civ,1997,n°31,p.382.
575
D.Mazeud, « Loyauté,solidarité,fraternité »,p.617 ;F .Terré, « Loyauté,solidarité,fraternité :la nouvelle devise
contractuelle ? »,in :L’avenir du droit, art.,Dalloz,PUF,Editions du Jurisclasseur,1999,p.603 et s.
576
Ch.Jmain, « Le procès du solidarisme contractuel :brève réplique »,in :Le solidarisme contractuel,op.cit.,p159
et spéc.p.162.
577
Ibid.,p.442 et 471 ;Voir également Hobinavalona Ramparany-Ravololomiarana,Le raisonable en droit des
contrat,op.cit,p. 388 et s.
578
Ibid.,p.162.
579
Ibid.,Ch.Jamin,« le procés du solidarisme contractuel : Le procés du solidarisme contractuel :bréve
réplique »,in :Le solidarisme contractuel, op.cit.,n°4 ,.p.162.
112
Le solidarisme contractuel se distingue de la bonne foi par le fait que cette dernière
est la prise en compte de l’intérêt de l’autre Ŕ c’est -à- dire qu’elle « impose aux parties de
tenir compte dans leur comportement de l’intérêt de l’autre » 581 ,tandis que le premier est
la prise en charge réciproque des intérêts, c’est-à-dire qu’il « consiste à ériger l’intérêt d’une
partie dans l’objet du comportement de l’autre 582».Selon Ch.Jamin,les deux notions ne
peuvent pas se confondre. Ainsi, le devoir de coopération « traduit l’idée d’agir conjointement
avec quelqu’un, l’action de participer à une telle idée. Elle implique de la part de chaque
contractant qu’il agisse de telle ou telle manière vis-à-vis583 de l’autre, et non qu’il agisse de
telle manière avec584l’autre585.

Le solidarisme contractuel se traduit par des différentes manifestations. Tantôt, il


impose aux parties d’informer leur partenaire586, tantôt il impose de renégocier le contrat. Il
s’exprime également par le devoir de minimiser le dommage et il ne s’agit pas là d’une liste
exhaustive de ses manifestations. Mais en réalité la coopération en matière contractuelle ne
se limite pas à un comportement loyal »587 de même qu’elle n’est pas animé par un
quelconque sentiment de bienfaisance588 mais plutôt par la recherche de la satisfaction de
l’objectif contractuel poursuivi.

La satisfaction de l’objectif contractuel poursuivi se traduit par une conciliation de


l’intérêt du créancier avec celui du débiteur. Ainsi, selon Courdier-Cuisinier « les gestes de
tolérance que doit accomplir le créancier ne doivent pas porter atteinte à la réalité de son
intérêt au contrat, sinon la conciliation des intérêts sera détruite. Sa tolérance n’a donc pas
pour synonyme la dénégation de son propre intérêt au contrat »589.Plus loin, l’auteur ajoute
« qu’en définitive ,les conditions d’existence du devoir de tolérance sont au nombre de

580
Ibid,n°4 ,p.162.
581
A.-S.Courdier-Cuisinier ,Le solidarisme contractuel,préf de E.Loquin,Litec,2006,n°503 ,p.316.
582
Ibid.,n°503,p.306.
583
Ibid.,Ch.Jamin,« le procès du solidarisme contractuel : Le procès du solidarisme contractuel :bréve
réplique »,in :Le solidarisme contractuel,op.cit.,n°4 ,.p.162.
584
Ibid.,n°4 ,.p.162.
585
A.-S.Courdier-Cuisinier ,Le solidarisme contractuel, thèse préc.,n°510,p.319.
586
V.F.Terré,Ph.Simler,Y.Lequette,Droit civil,Les obligations, op.cit,n°455.
587
B.Mercadal, « Les caractéristiques juridiques des contrats internationaux de coopération industrielle »,DPCI
1984,t.10,n°3 ,p.319 : « coopérer c’est accepter d’agir uni,c’est avouer que l’on est lié par des intérêts communs
ou convergents.Ce n’est donc pas, comme l’exige le droit commun de la loyauté, simplement s’obliger à ne pas
nuire aux intérêts du partenaire ;C’est plus encore :c’est obliger à prendre en compte ses intérêts en compte, à les
respecter et à agir en vue de leur développement ».V. également, C.Witz,note sous CA Grenoble,ch.com.,21
octobre 2000,JDI 2000,p.1016 et s.,spéc..p.1024 :l’auteur propose de « voir dans l’obligation de coopération un
principe autonome ».
588
V.Dans le même sens Stoffel-Munck,L’abus dans le contrat ,thèse préc.,n°85,p.84 : « L’obligation de
coopération contractuelle ne nous paraît donc pas née d’un ferment moral ».
589
A.-S.Courdier-Cuisinier ,Le solidarisme contractuel, thèse préc.,n°775,p.521.
113
trois :le débiteur doit avoir des difficultés économiques mettant en péril la réalisation de
l’intérêt du créancier, la situation financière de ce dernier doit être telle qu’elle lui permet de
supporter un délai de grâce ou une réduction de la dette et sa tolérance ne doit pas avoir pour
conséquence d’atteindre la réalité de son intérêt au contrat et donc la conciliation des
intérêts »590.

Les idées développées ci Ŕdessus, trouvent leur illustration dans certaines décisions de
justice qui mettent en évidence le rôle que revêt l’exigence de coopération dans la
recherche d’utilité. En France la cour de cassation a par exemple décidé, en vertu de l’article
1615 du Code civil ,que le vendeur doit délivrer « la chose vendue avec toutes les suites qui
en sont inséparables et qui sont indispensables pour procurer à l’acheteur l’utilité qu’il
entend »591.La coopération impose ainsi au vendeur de communiquer, par exemple, certains
documents592 permettant à son contractant de jouir complètement de l’utilité de la chose.
Selon cette logique, ce comportement conduit à la conciliation des intérêts des deux parties
contractuelles et par la suite à la satisfaction de l’objectif escompté du contrat.

A ce propos, et en matière de mandat, il a été décidé que le mandat doit « mettre


l’agent commercial en mesure d’exécuter son mandat »593.Cette décision judiciaire visée sous
l’article 4 de la loi 25 juin 1991 sur les agents commerciaux stipulant que les « rapports entre
l’agent commercial et la mandat sont régis par une obligation de loyauté »,elle oblige en effet
les commentateurs à faire observer une manifestation de la bonne foi-solidarité dans le
contrat de mandat. Or, la coopération du mandant qui révèle une aspiration plus économique
que morale est nécessaire pour la réalisation de l’opération contractuelle poursuivie par les
parties ; l’opération ne pouvant être réalisée si le mandataire n’exécute pas son mandat.
L’obligation d’information notamment en matière de vente est introduite par la jurisprudence.
L’exigence d’information dans les contrats de vente est liée au développement d’un
mouvement consumériste. Elle a été adoptée aussi bien par le législateur marocain594 que
français en obligeant aux vendeurs d’informer les consommateurs sur les caractéristiques du
bien vendu595 ainsi que les risques inhérents au bien596.

590
Ibid.,n°776,p.521.
591
V .notamment, Cass.civ.1er ,26 mars 1963,Bull.civ.I,n°187 ;Cass.com.,29 octobre 1968,Bull.civ.IV,n°295.
592
V.par exemple,Cass.com., 31 mai 1994,Bull.civ.IV,n°195 ;Cass.civ.1er,10 octobre 1995,Bull.civ.I,n°361.
593
Cass.com.,24 novembre 1998,Contrats,conc.consom.1999,comm.,n°56,note M.Malaurie-
Vignal ;D.1998,IR,p.9 ;JCP 1999,I,n°143,obs.Ch.Jamin ;Defrénois 1999,p.371,note D.Mazeaud ;RTD
civ.1999,p.98,obs.J.Mestre et p.446,obs.P.-Y Gautier.
594
Voir l’article 3 et s. de la loi 31-08 édictant des mesures de protection du consommateur.
595
Article L.111-1 du Code de la consommation français : « Tout professionnel vendeur de biens ou prestataire
de services doit, avant la conclusion du contrat ,mettre le consommateur en mesure de connaître les
114
Il convient d’admettre que le solidarisme contractuel, en se détachant de la bonne foi,
retrouve son autonomie et se présente comme fondement solidariste de la force obligatoire du
contrat. Il se traduit effectivement parce que :Courdier Ŕ Cuisinier appelle « l’entraide
contractuelle » entre les parties qui ne s’impose pas « nom d’une certaine morale ,mais au
nom du respect du contrat »597 .Selon Grynbaum ,le solidarisme contractuel signifie que « les
contractants sont tenus de collaborer afin de réaliser l’objectif du contrat ou d’atteindre le but
de l’opération, c’est -à- dire la cause du contrat »598.La solidarité contractuelle est alors une
exigence de coopération inhérente au contrat599 ; elle traduit « l’exigence (…) des attitudes,
des comportements convergents au service d’un intérêt commun »600.

Il nous semble de dire que, le contrat n’est obligatoire que parce qu’il est à la fois une
relation humaine et opération économique, qui impose de reconnaître l’existence de deux
valeurs auxquelles l’appréhension du comportement doit respecter. Il s’agit de celle d’ordre
économique qui vise prioritairement la réalisation efficace de l’opération contractuelle et de
celle d’ordre moral qui concerne la perfection de la relation personnelle qui lie les parties.
La force obligatoire du contrat trouve sa justification dans l’existence des comportements en
adéquation avec le résultat escompté du contrat. Le solidarisme contractuel autorise le juge à
combler les lacunes et de déterminer les suites nécessaires du contrat, c’est-à-dire, les suites
nécessaires à la réalisation du résultat attendu.

Ainsi, l’auteur de la thèse « le raisonnable en droit du contrat », a souligné, qu’il est


intéressant de proposer une autre rédaction plus simplifiée de l’article 1135 du Code civil
français601.Cette rédaction pourrait être la suivante : « Le conventions obligent non seulement
à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites nécessaires à la satisfaction des attentes
raisonnables des parties ». La rationalisation du contrôle de la matière du contrat autorise le
juge à corriger ou à supprimer certaines clauses contractuelles qui ne sont pas en adéquation
avec l’objectif poursuivi par le contrat ou qui ne sont pas immédiatement conforme à la
fonction qu’elle entend occuper dans le contrat.

caractéristiques essentielles du bien ou du service. En cas de litige,il appartient au vendeur de prouver qu’il a
exécuté cette obligation ».
596
Article 5-1 de la directive européenne du 3 décembre 2001 relative à la sécurité des produits.
597
A.-S.Courdier-Cuisinier ,Le solidarisme contractuel, thèse préc.,n°151,p.86.
598
L.Grynbaum, « La notion de solidarisme contractuel »,in :Le solidarisme contractuel,op.cit.,p.39.
599
V.J.-M.Mousseron, Technique contractuelle,2e éd.F.Lefebvre,1999,n°35,p.42 et s. : « Dans le mot
« contrat »,la syllabe la plus importante est la première qui n’a jamais voulu dire « contre » mais bien l’inverse
« avec ».Il ne faut pas en effet, oubliger l’étymologie du contrat « cumtrahere » (tirer avec) et si la notion du
contrat a souvent été illustrée par l’image du joug qui lie deux bœufs,on n’a jamais posé un joug sur deux
bœufs opposés muflle à mufle,ni imaginé qu’en cette position, ils puissent tirer une charrue bien longtemps ».
600
J.Mestre, « D’une exigence de bonne foi vers un esprit de collaboration »,RTD civ.1986,p.100.
601
voir sur ce point ,Hobinavalona Ramparany-Ravololomiarana,Le raisonnable en droit des contrats,op.cit.
115
La doctrine solidariste affirme que les individus ne sont libres et égaux par nature. Il
n’est pas normal qu’un individu en position de force considère l’autre non comme une fin,
mais comme un moyen lui permettant d’atteindre ses objectifs. Le solidarisme contractuel
ignore le monde de la métaphysique pour s’occuper concrètement de l’individu dans sa
vulnérabilité. Les parties au contrat ne sont pas des êtres désincarnés. Il est nécessaire de les
considérer comme des être incarnés, et donc susceptibles de vulnérabilités qui, elles-mêmes,
lancent un appel à la protection de la partie en position de faiblesse au contrat602gage de la
nécessaire conciliation des intérêts respectifs des contractants. L’individu et le sujet de droit
ne sont pas séparés comme dans le volontarisme individualiste. La volonté demeure la base
du contrat, mais soumise au droit social603.

En vertu du lien de solidarité, l’univers contractuel devrait faire plus de cas des
devoirs positifs comportementaux. Ainsi, à partir des obligations de coopération, de conseil et
autre mise en garde, de dialogue, parvenir à l’établissement des relations contractuelles
inégalitaires604.La lisibilité contractuelle devient la condition idoine de l’autonomisation de la
volonté, le moyen par lequel le lien obligation accède à la légitimité. Il s’agit d’une légitimité
concertée, c’est -à- dire reconnue et acceptée des deux parties. Le solidarisme contractuel
constitue un événement remarquable à la lisière des XXe et XXIe siècles605.Des auteurs lui
reconnaissent la paternité de certains progrès en droit des contrats. Il peut s’agir de la
naissance de certains droits spécifiques tels que le droit du travail, le droit de la
consommation, le contrat d’assurance. Aussi, l’on estime que les obligations de
renseignement et de conseil, la réticence dolosive ou encore l’obligation de sécurité
proviennent de son influence.606

La doctrine solidariste fondée sur la philosophie sociale a remis en cause le dogme de


l’autonomie de la volonté. Ainsi Durkheim exprime très clairement en 1893, ce n’est plus la
volonté qui fonde la force obligatoire du contrat, mais la réglementation du contrat qui est
602
Frédéric LECLERC,La protection de la partie faible dans les contrats internationaux, op.cit.p.494 et s.
Bruylant,Bruxelles,1995,p.1.
603
Ibid.Sur ce point Boudali Mohammed, en langue arabe « les clauses abusives dans les contrats en droit
algérien », étude comparative en droit français, allemand et égyptien, éd,Dar Houma, Alger,2007.
604
Ch.Jamin,op.cit.note 7.p.472. « Le succès des doctrines de la solidarité tient à ce qu’elles (…) montraient
comment la liberté pouvait générer une obligation positive de faire, et qui la préserve. Mieux encore, que cette
obligation n’était pas seulement compatible avec la liberté, mais qu’elle était aussi sa condition. Cela supposait
une transformation de la manière dont on posait le problème. C’est-à-dire une mutation épistémologique. Celle
même que manque l’avènement du schéma de la solidarité » :F.Ewald.op.cit.note 12,p.359.
605
« En droit des contrats, la doctrine solidariste constitue, sans exagération, l’événement, intellectuel de ces
dernières années » : M Mignot,op.cit, note 239,p.2513 ;voir, également, Hicham Rassafi, Solidarité et
solidarisme en droit des contrats administratifs, Master II, Droit des contrats publics, sous la direction de
Stéphane de la ROSA ,Université de Valenciennes, p122.
606
Ch.Jamin ,op.,cit. note 19,p.16.
116
d’origine sociale607.Il ne s’agit donc pas d’en finir avec la liberté contractuelle en déniant
tout rôle à la volonté individuelle ;il s’agit simplement de contester son autonomie en la
soumettant à certaines exigences sociales censées lui être supérieures. Et ces exigences
tiennent le plus souvent à l’existence de solidarité qui unit les individus. La critique
adressée par Gounot au dogme de l’autonomie de la volonté s’appuie donc sur une exigence
de solidarité. Il s’agit bien pour lui « de faire du contrat individuel, au lieu du choc
désordonné de deux égoïsmes, un principe d’union et de solidarité »608.Le solidarisme
contractuel pourrait favoriser l’émergence d’obligations nouvelles pour les parties (obligation
de motivation de certaines décisions des contractants, obligation d’entraide…) et de nouveaux
pouvoirs pour le juge (pouvoir de révision du contrat).

Cette doctrine rencontre de fortes oppositions609 : elle serait utopique et risquerait de


développer excessivement les pouvoirs d’intervention du juge, jusqu’a créer un danger pour la
sécurité juridique610.Il paraît cependant possible de nuancer ces critiques, en distinguant les
contrats-échange et les contrats-organisation. Les contrats-échange, dont la vente est
l’archétype, visent uniquement à opérer la fourniture de biens ou de services : l’un y gagne ce
que l’autre y perd et chacun doit pouvoir défendre son propre intérêt. Il semble que la
conception solidariste s’applique mal dans ce type de contrat. Au contraire les contrats-
organisation créent une véritable relation contractuelle. Ils visent à organiser une coopération
entre les parties dans la poursuite d’un objectif commun : les intérêts des parties sont
« structurellement convergents »611.Il en va ainsi dans les contrats de la distribution qui
organisent les relations entre les fournisseurs et les distributeurs : le cas du contrat de
franchise ou du contrat de concession. Dans ces contrats, la jurisprudence a notamment
consacré un devoir d’entraide et de coopération que la doctrine autonomiste ne permet pas
d’expliquer, et que l’on peut interpréter comme un point d’émergence de la doctrine
solidariste.

607
Voir de manière générale,I.Dkoff, « L’évolution de la notion de contrat »,dans Etudes de droit civil à la
mémoire de Henri Capitant,Dalloz,1938,p.201 et s., Spéc.III.
608
Th.precitée,p.376.
609
V.F.Térré,P.Simler et Y.Lequette,n°41 s.,les auteurs raillent cette doctrine qui annonce « l’avènement d’un
monde contractuel meilleur »,V.égal.L .Leveneur, « Le solidarisme contractuel :un mythe »,in.L.Grynbaum et
M.Nicord (dir.),Le solidarisme contractuel, Economica,2004,p.173 et s. ;J.Cedras, « Liberté, égalité, contrat, le
solidarisme contractuel en doctrine et devant la cour de cassation »,Rapport 2003,Cour de cassation, La
documentation française,2004 ;Y.Lequette, « Bilan des solidarismes contractuels »,Mélanges offerts à
P.Didier,Economica,2008,p.247.
610
V.not.F.Térré,P.Simler et Y.Lequette,n°42 ;J.Flour, J..-L.Aubert et E.Savaux,n°119 et 120.
611
P.Didier, « Brèves notes sur le contrat Ŕorganisation »,cité infra,n°344.Voir égal.Christophe Lachiéze, Droit
des contrats ,3e éd .op.cit.,,p.160.
117
Par ailleurs, le solidarisme contractuel parait tout à fait apte à gérer et à surmonter
les difficultés liées aux contrats de longue durée résidant dans la modification des
circonstances économiques ou dans la révocation des contrats à exécution successive 612.Ces
difficultés s’expliquent parce qu’en 1804 les rédacteurs du Code civil français n’ont envisagé
le temps que d’une manière statique613.

L’autonomie de la volonté, paradigme de l’ordre juridique classique, fait l’objet de


critiques de la part des auteurs contemporaines614.Certains le regrettent ; d’autres
l’approuvent, mais la plupart en dénonce les excès. Les opinions divergent quant à la place
qui doit être réservée à la volonté, dans cette théorie générale. De nouveaux fondements,
apparaissent pour compléter cette théorie jugée utopique. Cette relecture autorise également
une souplesse plus importante des principes subséquents, la liberté contractuelle se
relativisant et la force obligatoire devenant moins rigide615.

Le déclin de l’autonome de la volonté en tant que fondement classique de la force


obligatoire du contrat a conduit la doctrine à chercher de nouvelles explications au caractère
contraignant du lien contractuel. Dans ce sens, différentes théories contemporaines ont été
conçues pour apporter une réponse logique et légitime au fondement de cette force. Ainsi la
théorie normativiste soutient que le contrat tire sa force obligatoire de sa conformité à la
norme supérieure qui est la loi. Pour la doctrine sociale développée par Ghestin qui admet que
le contrat n’a d’effet obligatoire que s’il est socialement utile et économiquement juste. Une
autre explication de la force obligatoire du contrat a été fondée par la doctrine solidariste
émanant de la philosophie sociale qui conçoit le contrat non plus comme le produit de la

612
Jamin Ch. « Révision et intangibilité du contrat ou la double philosophie de l’article 1134 du Code
civil »,extrait du Colloque de Chambéry intitulé : « Que reste t-il de l’intangibilité du contrat ? »,Droit et
patrimoine, mars 1998,p.49 à57,spéc.p.59 . Où l’auteur considère que le solidarisme contractuel devait pouvoir
s’imposer car il me parait beaucoup mieux correspondre que l’individualisme à un droit des contrats, qui intègre
une vision non linéaire du temps et une conception moins abstraite de la liberté. Autrement dit, le concept de
solidarisme contractuel me parait devoir assurer une plus grande souplesse d’exécution du contrat lorsque celui-
ci est conclu pour une longue durée, en permettant d’atteindre le résultat minimum qui visait chacune des parties
au moment de sa formation, alors que les conditions de son exécution ont modifié leurs prévisions ».
613
Jamin Ch. « Révision et intangibilité du contrat ou la double philosophie de l’article 1134 du Code
civil »,extrait du Colloque de Chambéry intitulé : « Que reste t-il de l’intangibilité du
contrat ?,op.cit,p.52. ;Rouhette G. « La révision conventionnelle du contrat »R.T.D.comp.1986,p.369 et
s.,spec.,n°3,selon lequel :les codificateurs ont traité du temps « abstraitement, comme le cadre homogènes,
indifférencié et vide dans lequel les événements naissent et se continuent dans la stabilité ou altèrent par
rupture. ».
614
G.Marty et P.Raynaud,Droit civil,Les obligations,2 e éd,T.I ,Les sources,n°34 et s. ;J.Ghestin,Traité de droit
civil,La formation du contrat,3e éd.,n°52 et s ;J.Flour et J.LAubert,Les obligations, L’acte juridique,8 e éd,n°104
et s ;Laurence Fin-Langer, L’équilibre contractuel, thèse, Université d’Orléans, 2000, p 71et s.
615
Laurence Fin-Langer, L’équilibre contractuel ,op.cit.,p.71.
118
conciliation d’intérêts antagonistes mais comme un instrument de promotion de l’intérêt
commun des deux parties.

Les théories avancées ont fait l’objet de certaines oppositions par certains auteurs et
qui proposent d’autres conceptions combinées entre deux théories pour constituer un
fondement solide qui semble utile pour expliquer le contrat et son régime, puisque la
volonté a perdu son rôle d’idée directrice exclusive. Il convient de présenter une nouvelle
vision de conciliation entre le fondement normatif et le fondement économique pour bâtir un
fondement dynamique et évolutif visant l’assouplissement de la force obligatoire du contrat
et l’adaptation da sa portée avec la réalité contractuelle du milieu dans lequel s’exécute le
contrat en cas de changement des circonstances rendant cette dernière très onéreuse en tenant
compte de deux facteurs :le facteur du temps et l’équilibre économique des rapports
contractuels.

2- Une vision pour concilier entre le fondement normatif et le fondement économique


Il s’agit de concevoir une nouvelle conception adéquate du fondement de la force
obligatoire du contrat qui sera appuyée sur deux considérations essentielles : le facteur
temps616 et les données économiques617.

L’analyse dialectique des fondements volontariste, objectif et doctrinal de la force


obligatoire du contrat déjà évoqués, révèle une certaine insuffisance pour modérer la portée
socio-économique de la force obligatoire du contrat. Dans le souci de palier à ces lacunes, une
tentative de conciliation entre le fondement normatif et le fondement économique sera
entreprise, en vue de concevoir un fondement constituant une nouvelle donnée de la théorie
générale dite renouvelée618 et une explication souple de la force obligatoire du contrat en
droit contemporain, permettant ainsi de modérer sa portée à la réalité contractuelle actuelle
en conservant la stabilité et l’équilibre des liens contractuels.

En droit, les travaux de Hébraud tentent de concilier dans le droit du contrat


l’autonomie de l’individu et le monde extérieur dans lequel il vit. Il considère qu’il ne faut

616
Le temps est donc l’un des facteurs qui a contribué à la contractualisation du droit, c’est aussi le temps qui
impose la solidarité, la collaboration. c’est toujours le temps qui peut justifier la révision ou sa renégociation. Le
temps explique les nouvelles approches du contrat, aussi bien l’approche économique, que l’approche morale ou
sociale. Le contrat dans la conception classique était « hors du temps »,il semble retrouver aujourd’hui le fil du
temps. Un temps plus souple apparaît pour que survive un contrat adapté, rééquilibré. Pour sauver le contrat, le
rendre juste, il faut pouvoir le modifier.
617
Ali Zerrouk, L’implicite et le contenu contractuel, Etude de droit comparé : droit français et droit
tunisien.op,cit.p.60.
618
Pourtant aujourd’hui, cet ordre juridique connaît un profond renouvellement notamment en raison d’une
remise en cause sérieuse du dogme de l’autonomie de la volonté et ses conséquences.; Voir sur ce point
,Laurence Fin-Langer, L’équilibre contractuel, thèse,op.cit.,, 2000, p 69et s.
119
pas oublier d’une part, la force d’impulsion de la volonté et, d’autre part, le monde
extérieur619.La volonté conserve un rôle déterminant, mais non exclusif comme dans la
doctrine classique.

Emmanuel Gounot est l’un des auteurs qui a remis en cause la volonté, comme fin du
droit et source du droit. Il considère que « C’est la volonté qui est au service du droit, et non
pas le droit au service de la volonté »620.Par ailleurs, le droit se donne pour mission de réaliser
la justice et la solidarité : « si donc il faut, pour le bien général de la vie sociale, que l’on
respecte les contrats, il faut aussi, il faut d’abord que les contrats respectent la justice »621.Le
professeur Jacques Ghestin reprend cette analyse en systématisant cette idée initial 622.Il
substitue l’utile et le juste à l’autonomie de la volonté, pour leur donner la place de principes
directeurs de la théorie générale du contrat. En effet, il semble que la théorie du juste et de
l’utile « ignore, de façon tout à fait excessive, l’acte de volonté qui se trouve irréductiblement,
à la base du contrat (…) L’utile et le juste ne sont pas le fondement de la force obligatoire
du contrat ;ils en fixent le cadre et définissent, par là même, les conditions de la mise en
œuvre de l’autonomie de la volonté conservée comme principe »623.L’utile et le juste ne sont
pas des justifications mais des limites.624

A travers ce débat doctrinal, la conciliation des différents fondements semble donc


difficile et constitue un obstacle majeur à de telles théories reposant sur une pluralité de
fondements. Cette conciliation s’avère nécessaire et permet de donner l’explication réelle à
chaque mesure sans déformer un concept, une idée.L’idée de justice doit se cumuler avec
celle de la volonté subordonnée au droit. La volonté reste le processus majeur de création des
droits et des obligations625, mais elle n’est pas autonome. Si elle conserve cette faculté, c’est
parce que le droit positif le lui reconnait. L’idée de volonté reste utile pour expliquer les vices
du consentement, l’interprétation subjective du contrat. La notion de justice, symbole du droit,
complète la volonté et ne s’y substitue pas.

619
P.Hebraud,Rôle respectif de la volonté et des éléments objectifs dans les actes juridiques, in Mélanges offerts
à J.Maury,T.II,1960,p.423 ;Laurence Fin-Langer, L’équilibre contractuel, thèse, op.cit.p.79.
620
E.Gounot,Le principe de l’autonomie de la volonté en droit privé,Th.Dijon,1912,p.450. ;Laurence Fin-
Langer, L’équilibre contractuel,Th.préc.p.80.
621
E.Gounot,op.cit.,p.450 et 366.
622
J.Ghestin,Traité de droit civil,La formation du contrat,3 e éd.,LGDJ ,n°225 : «celle-ci (la volonté des parties)
n’est pas une fin en -.soi .Elle est un instrument au service du droit objectif et à ce titre, elle n’est qu’un simple
élément, important certes, mais non essentiel, dont le droit tient compte ».
623
Flour J.et Aubert J.L.Les obligations,L’acte juridique,8 e éd,n°128.
624
Laurence Fin-Langer, L’équilibre contractuel,Th.préc.p.81.
625
A.Benabent,Droit civil,Les obligations,7émeéd.,n°54 :il présente la volonté comme « l’élément essentiel du
contrat », « l’élément moteur de la formation du contrat » ;H.L.Mazeaud,J.Mazeaud et F.Chabas,Leçons de droit
civil,Obligations,n°47 ;G.Marty et Paynaud,Droit civil,Les obligations,T.I,Les sources,n°101.
120
Or, le fondement de la volonté toute puissante ne constitue en réalité qu’un mythe.626
Le maintien d’une liberté absolue apparaît critiquable car elle devient instrument
d’oppression par le plus fort, source d’injustice, et aliénation de la liberté par l’autre partie.
Enfin, il apparaît nécessaire de relativiser la liberté contractuelle en raison de développement
considérable des exceptions apportées à ce principe. La relativisation de la liberté favorise
l’innovation contractuelle et donne de la souplesse dans les relations juridiques627 .Cette
liberté permet aux contractants de trouver l’instrument juridique le plus adéquat pour
répondre à leurs besoins, répondant ainsi à la diversité des relations contractuelles, loin d’être
toutes prévisibles par le législateur628.La liberté contractuelle doit donc être conservée, mais
avec une lecture plus souple qu’auparavant. Il faut d’ailleurs remarquer que la liberté
contractuelle peut être utile à la recherche de l’équilibre contractuel.

En réalité, le concept d’équilibre contractuel est nécessaire car il précise la conception


renouvelée de la liberté contractuelle. L’équilibre permettra d’analyser les techniques de
conciliation possible629 puisque la relativisation de la liberté autorise le juge ou le législateur à
intervenir dans les relations contractuelles pour protéger une partie ou l’équilibre630. Il
convient de présenter l’analyse du fondement dit pluraliste permettant l’assouplissement de la
force obligatoire du contrat et ouvrant les voies sur les mécanismes de rééquilibrage des liens
contractuels à la suite d’un changement imprévu des circonstances et indépendamment de la
volonté des contractants.

A ce propos, il convient d’évoquer la notion du temps dans laquelle évolue le contrat,


puis on va décortiquer les standards socio-économiques qui ne sont pas de nature originale,
constituant le fruit de la doctrine contemporaine qui vise à assurer un équilibre contractuel
idéal entre les deux parties contractuelles depuis la formation jusqu’au l’exécution du contrat.
Cette vision est conçue selon une conception novatrice dont l’objectif est de concilier entre

626
B.Starck,H.Roland et L.Boyer,Droit civil,Obligations,T II,Contrat,n°22.
627
E.Gounot,Le principe de l’autonomie de la volonté en droit privé,Th.Dijon,1912,p.380 ;E.Guigou,Introduction
au 94 éme Congrés des notaires de France,Lyon,17-20 mai 1998,Le contrat :liberté contractuelle et sécurité
juridique,Les Petites Affiches.6 mai 1998,n°54 ,p.3 ;F.Terré,Ph.Simler et Y.Lequette,Droit civil,Les
obligations,7éme éd.,n°44 ;A.Benbent,Droit civil,Les obligations,7éme éd.,n°56.
628
J.Pailuseau,Les contrats d’affaires,in Le droit contemporain des contrats,Bilan et perspectives
,1985,p.179 :n°27 à 31.Il montre l’importance de la liberté contractuelle dans les relations d’affaires,permettant
une adaptation plus rapide à l’évolution de la société ;J.M.Gueguen,Le renouveau de la cause en tant
qu’instrument de justice contractuelle,D.1999,chr.357,n°32.
629
Laurence Fin-Langer, L’équilibre contractuel, Th. 2000,préc.p.87. ;Voir également L.Grynbaum,Le contrat
contingent, L’adaptation du contrat par le juge sur habilitation du législateur, Th. Paris II,1998,n°83 à 88.
630
;P.Remy,Droit, des contrats :questions, positions, propositions, in Le droit contemporain des contrats, Bilan et
perspectives,1985,p.274,n°10 : «On peut faire raisonnablement confiance au contrat (…) le retour à la liberté
contractuelle implique un changement profond dans le rôle du juge ». ;Laurence Fin-Langer, L’équilibre
contractuel, op.cit.p.102.
121
deux impératifs : la sécurité juridique et l’équilibre économique du contrat dont la révision
apparaîtra alors dans une perspective de pérennité contractuelle, comme un remède contre
l’instabilité, et, dans une optique de solidarité sociale631.

Ainsi, il nécessaire d’aménager une plate-forme juridique permettant la concrétisation


du fondement dynamique à caractère économique dit pluraliste. Cette mission relève de la
compétence législative. L’immixtion judiciaire dans le contrat pour rétablir l’équilibre
contractuel se fait à travers la mise en œuvre de certains mécanismes classiques prévus par
le D.O.C632 .Cependant, le recours à la théorie de l’imprévision rejetée par le législateur
marocain et dont la réalité contractuelle exige son admission, implique une reforme de
certaines dispositions du D.O.C, et ce en raison que la vision économique du contrat qui
s’oppose à la conception classique du contrat qui a poussé presque tous les pays qui ont
admis l’imprévision selon des conceptions différentes633 qui conduit à la survie du contrat et
par conséquent à l’équilibre contractuel et à la sécurité en matière contractuelle. Cette
tendance a été soutenue par la doctrine moderne et reconnue par la jurisprudence et reconnue
par certains systèmes juridiques de plusieurs pays634.

 Les assises du fondement pluralise :

Le contrat est de plus en plus inséré dans le temps. Il existe bien des contrats
instantanés mais ce ne sont pas eux qui posent problèmes et qui suscitent l’évolution du
contrat. Un nombre de contrats, mettant en jeu des activités économiques sont des contrats de
longue durée, contrat de travail, de société, de concession, de partenariat, de distribution, de
transfert de technologie, de construction d’usine…Les contrats sont conçus pour le temps,
pour essayer de maîtriser la portée de celui-ci. Mais qui peut prévoir l’avenir, le changement
dans le changement de circonstances économiques, le comportement dans le futur des parties.
Le contrat ne peut tout prévoir, alors n’est -ce pas au juge, plus tard, de s’intéresser au
contenu du contrat que les circonstances ont rendu déséquilibré voir injuste ?

631
Voir .Denis Mazeaud,Rap, La révision du contrat, Université Panthéon-Assas, Paris II. P.577.
632
Voir l’article 331 du D.O.C qui dispose que : « Tout engagement doit être exécuté de bonne foi et oblige, non
seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que la loi, l’usage ou l’équité donnent à
l’obligation d’après sa nature ».
633
Il n’y a pas une conception unique de l’imprévision, ni de ses effets. Dans certains cas elle permet de
demander la résiliation du contrat, dans d’autres cas sa révision, d’autres fois elle permet le versement d’une
indemnité. Voir sur ce point,Camille Jauffret-Spinosi, Rap.de synthèse ,Le contrat, Université Panthéon-Assas,
Paris II, p.17.
634
Pour un panorame des solutions en droit comparé, v.B.Fauvarque-Cosson,Les contrats du commerce
international, une approche nouvelle :les principes d’Unidroit relatifs aux contrats du commerce
international »,RTD ,1998.,spéc.n°13 et s.
122
Dans les relations contractuelles, le facteur temps revêt donc une importance majeure
dans l’équation économique du contrat, notamment de longue durée, du fait de son impact
direct sur l’équilibre économique du contrat. Dans cette logique, le fondement conçu peut
constituer une base solide en tant que fondement de la force obligatoire du contrat, donnant
la possibilité à une adaptation de sa portée aux changements de circonstances imprévus
notamment économiques.

Le développement entrepris de cette idée est issue de la conception d’équilibre635


maintenue dans divers domaine. D’abord en mécanique, on dit qu’un système est en équilibre
sous l’action de forces déterminées lorsqu’il est susceptible de rester indéfiniment en repos
sous l’action de ces forces ; ensuite en physique, quand sous des actions extérieures données,
ce système peut rester indéfiniment dans cet état en présence de ces actions636 ; de même en
thermodynamique, il désigne l’état d’un système thermodynamique caractérisé par la
coexistence de trois équilibres thermique, chimique et dynamique. Ces trois équilibres
représentent des états de repos sous l’action de certaines forces ou certaines données 637.Dans
le domaine du génie civil et du bâtiment, les fondations constituent la base sur laquelle les
charges de la structure (permanente et d’exploitation) seront appuyées. Pour cette raison, les
ingénieurs établissent des plans du béton armé de l’ouvrage à bâtir en fonction de la nature du
sol (la contrainte du bon sol),l’environnement (site d’implantation : sèche, humide…).
L’impact de ces conditions climatiques dû à l’écoulement du temps a eu des incidences
nuisibles affectant l’équilibre de l’ouvrage. La projection de cette idée d’équilibre sur le
domaine contractuel, nous a permis de dire que l’environnement dans lequel le contrat vit et la
dimension du temps, représentent deux considérations qui peuvent ruiner l’exécution normale
des transactions contractuelles et peuvent même causées leur effondrement du fait de la
rupture de l’équation d’équilibre économique initiale. Le rétablissement de la situation

635
Le mot équilibre désigne donc sur la plan étymologique l’exactitude des balances. L’équilibre suppose la
comparaison entre deux éléments, entre deux poids posés sur les plateaux de la balance. Il se rattache ainsi à la
balance grecque et non à celle romaine, composée uniquement d’un plateau. Il est intéressent de remarquer que
cette origine étymologique se trouve dans la traduction anglaise du mot équilibre qui peut être soit equilibrium
soit balance. Or la balance, si elle est un instrument de mesure, est également utilisée comme symbole de la
justice. Comme la balance, le droit se donne pour mission de mesurer les rapports humains et de rétablir la
justice. Le droit « établi avec mesure et il rétablit l’équilibre ».Voir sur ce point, A.Rey, Dictionnaire historique
de la langue française, 1998 ; J.Maury, Essai sur le rôle de la notion d’équivalence en droit civil français, Th.
Toulouse, 1920, p.III, D.Andronesco, L’inégalité des prestations dans les contrats. Th. Paris, 1922, p.19 ;
Laurence Fin-Langer, L’équilibre contractuel, thèse, Université d’Orléans, 2000, p 2et s.
636
A.Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, PUF, 1991,17e éd ;Laurence Fin-Langer,
L’équilibre contractuel, thèse, Université d’Orléans, 2000, p 1et s.
637
Encyclopédie des Sciences, Le livre de Proche, Collection Encyclopédie d’aujourd’hui.
123
d’instabilité638 envisagée a besoin d’un remède adéquat639 pour maintenir l’équilibre
économique du contrat et par conséquent la survie du lien contractuel.

Pour apporter une réponse à cette problématique, la conception du fondement


envisagée reposant sur des facteurs objectifs (circonstances et éléments extérieurs) et des
facteurs normatifs (données économiques640), exige la mise en œuvre de certains mécanismes
législatifs et des règles prédéfinies pour assurer la conciliation entre l’équilibre contractuel et
la stabilité des relations contractuelles.

 Le facteur temps dans l’équation économique du contrat

Le contrat est un lien vivant, qui s’étire dans le temps, il en est dépendant. Le temps
dans le contrat, ainsi que l’a suggéré un auteur belge peut avoir une force consolidatrice mais
aussi une force destructrice641. Le facteur temps est décisif dans l’équation contractuelle, il
permet avec l’écoulement du temps à l’une des parties contractuelles d’attirer certains intérêts
au détriment de l’autre contractant. Cette situation cause un déséquilibre du contrat et consiste
un rééquilibrage économique et juridique pour assurer la stabilité contractuelle.

L’appréciation du déséquilibre par les pouvoirs judiciaires demeure nécessaire. Cette


mission n’est pas facile à concrétiser sur le plan pratique, en tenant compte du souci de la
sécurité contractuelle des échanges économiques à travers l’outil du contrat dans la présence
d’une position hostile à l’admission de la théorie de l’imprévision 642. Comme le droit français
et la plupart des systèmes qui ont subi son influence, le droit marocain adopte sur la question
de la révision pour cause d’imprévision une position très classique. Le droit marocain ne fait
donc aucune place à la théorie de l’imprévision et interdit la révision du contrat par le juge643.
Ainsi, l’aménagement du pouvoir du juge s’avère primordial, mais cela n’est pas suffisant
sans concevoir des nouveaux outils juridiques donnant droit à une immixtion judiciaire dans
les rapports contractuels déséquilibrés pour adopter la révision judiciaire à la suite d’un
changement imprévu des circonstances et indépendant de la volonté des contractants. Le

638
Le mot équilibre se rapproche ainsi de celui de la stabilité. Voir sur ce point
639
Laurence Fin-Langer, L’équilibre contractuel, thèse, université d’Orléans, op.cit,p.1.
640
Les données économiques sur les quelles repose le contrat.
641
VoirCamille Jauffret-Spinosi,op.cit,p.15.
642
Voir ,Larombiére M.L.,Théorie et pratique des obligations, ou Commentaire aux titre III et IV du Code
Napoléon, art.1101 à 1386,T.III,éd.1.,Paris,1858,art1234,n°24 . Il a souligné que « Au milieu du XIXe siécle,
Larombiére admettait que « Les obligations s’éteignent encore par la survenance de circonstances telles que les
parties n’auraient pas contracté, si elles les avaient prévues » ;voir également,Dgmara Planutis,Le déséquilibre
contractuel dû au changement imprévisible ,des circonstances et ses remèdes :Etude de droit comparé Espagne-
Pologne-France,Université Pris II Panthéon ŔAssas,Mém.Master 2,dirigé par.Laurent Convert,2013,p.13 et s.
643
Omar Aziman,Le contrat, volume 1,éd Le Fennec,1995,244.
124
droit marocain et en droit comparé le droit français apporte aujourd’hui une réponse
exceptionnelle, laquelle malgré une impressionnante charge doctrinale notamment en droit
français, paraît vouée, en tout cas à court terme, à demeurer une réponse immuable644.

« (…) le contexte n’a jamais été aussi propice au renversement de l’interdiction de la


révision pour imprévision »645 ; tel est le diagnostic fait par Bénédicte Fauvarque-Cosson et
dans un récent et stimulant article. La tendance du premier mouvement en France constitue
une forte tentative vers la chute prochaine du Canal de Craponne, tant la Cour de cassation est
soumise à une impressionnante pression doctrinale646.S’il semble que la révision soit
favorable économiquement, c’est aussi un contrat plus juste qui doit survivre. Selon un auteur
belge, « une temporalité plus continue, plus souple, plus solidaire…qui serait le temps de
l’alliance ouverte, évolutive entre partenaires que rapproche une bonne foi partagée ».C’est
cette vision, peut être optimiste, que soutient une partie de la doctrine moderne aujourd’hui
dans tous les pays647.

La force obligatoire du contrat fondée sur la théorie de l’autonomie de la volonté


consacrée par le droit marocain a été marquée par son déclin, du fait de sa rigidité et sa
rigueur excessive contre toute immixtion judiciaire dans le contrat, même en présence des
situations et des circonstances qui implique une intervention judiciaire pour garantir
l’équilibre économique des rapports contractuels. L’obstacle devant toute possibilité
d’intervention du juge pour rétablir l’équation économique est de nature juridique, se
manifeste à travers l’article 230 du D.O.C considéré comme un obstacle légal qui empêche
toute modification unilatérale sans le consentement préalable des deux parties contractuelles.
De même, il empêche toute immixtion dans le contrat pour adopter une révision judiciaire
pour imprévision en cas de la survenance de certaines circonstances imprévues causant un
déséquilibre dans la relation contractuelle sous prétexte de l’intangibilité du contrat.

La position du législateur marocain qui demeure hostile à l’admission de la théorie de


l’imprévision constitue également une entrave pour permettre au juge de modeler la portée
économique du contrat, et de la rendre en harmonie avec les exigences des droits
fondamentaux648 reconnus par la déclaration universelle des droits de l’homme, notamment

644
Voir, Denis Mazeaud,Rap, op, cit, p.578.
645
B.Fauvarque-Cosson, « Le changement de circonstances »,eod.loc.,spéc.n°7.
646
Denis Mazeaud, Rap, op, cit, p.582.
647
Ibid,p.583.
648
Ce sont des pures considérations d’équité qui ont conduit la Cour européenne des droits de l’homme, dans
l’arrêt Pla et Puncerneau cl Andore,à soumettre l’interprétation d’un acte juridique privé, un testament, au
principe d’interprétation évolutive. Aussi, se référant aux affaires Pla et Puncerneau cl Andore et Velcea et
125
l’article 4, et également avec certains systèmes juridiques au niveau international qui
adoptent une conception souple de la force obligatoire du contrat649.

La concrétisation du fondement économique sur le plan pratique, suppose une mise en


place de mécanismes juridiques et des règles économiques pour permettre au juge de
rééquilibrer le contrat par la connaissance de la nouvelle réforme de certains théories et droits
reconnus par le droit comparé : la théorie de l’imprévision, la modification unilatérale, la
résiliation unilatérale. L’adoption des règles économiques pour adapter la portée de la force
obligatoire du contrat à la réalité contractuelle dans une conception plus flexible et réaliste
s’avère indispensable et ce pour d’une part concilier entre l’équilibre contractuel avec la
justice contractuelle et la stabilité juridique avec et l’équité contractuelle d’autre part.

 Les règles du fondement économique

Maintenir les circonstances inchangées, c’est maintenir en fait les mêmes données
économiques ayant gouverné la conclusion du contrat. Dans les profondeurs de tout contrat,
gît une opération économique qui détermine, dans une large mesure, sa physionomie
extérieure et anime ses parties. Tout contrat repose donc sur un certain nombre de données
économiques. Quand ces données se trouvent bouleversées, le contrat sera, lui-même,
bouleversé et ébranlé650.Ainsi, la règle rebus sic stantibus repose essentiellement sur un
fondement économique651.Un auteur a récemment précisé : « l’économie du contrat est
devenu un instrument de contrôle ou de redressement du contrat, là où certains outils
essentiels, la cause notamment, paraissent insuffisants, ou ne permettaient pas d’aboutir à la

Mazare cl Roumanie precités,M.Marguénaud considère que ces arrêts pourraient engendrer « un bouleversement
radical des principes interprétatifs dont les contrats relèvent et dépendent ».Plus précisément, selon l’arrêt Velcea
et Mazare cl Roumnie,l’application mécanique d’une disposition législative, dés lors qu’elle aboutit à un résultat
contraire à celui escompté,se doit d’être prohibé. Combinée à l’interprétation évolutive de l’arrêt Pla et
Puncerneau cl Andorre,elle pourrait permettre de remettre en cause le rejet en droit interne de la théorie de
l’imprévision. ;voir J.-P.Marguénaud, « La stigmatisation européenne de l’application mécanique des principes
d’interprétation d’un Code civil (CEDH ,1er décembre 2009,64301/01. ;voir également Lucien Maurin, contrat et
droits fondamentaux, préf. de Emmanuel Putman,LGDJ.Université Paris II,p.195 et s.
649
Laurence Fin-Langer, L’équilibre contractuel, op.cit.p.102.
650
Voir à ce propos :Pimont,S. ,L’économie du contrat, éd.Puam 2004 ;Zelcevic-Duhamel,A.,La notion
d’économie du contrat en droit privé, JCP.Ed.G.,n°9 du 28 février2001,p.423 ;Moury,J.,Une embarrassante
notion :L’économie du contrat ,recueil Dalloz 2000,n°24,doctrine, p.382 ;Rodiere.,P.,Le juge et les appréciations
économiques :opposition de deux approches In Le droit du travail confronté à l’économie, acte de colloque
organisé sous la direction de M.Antoine Jeammaud,éd.Dalloz 2005,p.125 ;Antoine Lyon-Cean, A propos de
l’adjectif « économique » dans la langue du droit, In le droit du travail confronté à l’économie éd. Dalloz
2005,p.137 ;Waquet,Ph.,Le droit du travail et l’économie à la cour de cassation. L’exemple de licenciement pour
motif économique, In Le droit du travail confronté à l’économie, Dalloz 2005, p.115 ;Ali Zerrouk,L’implicite et
le contenu contractuel,Etude de droit comparé :droit français et droit tunisien, Pré .de Philippe Delebecque,
éd,L’Harmattan,2002,Paris,p 61.
651
Zine,M.,Théorie générale des obligations, I-Le contrat, éd.1997,p.274,n°274.L’auteur souligne en fait que la
question de l’imprévision est essentiellement une question économique.
126
solution la plus équitable »652.Dans ce contexte, il s’agit de la question d’une révision
implicite du contrat, basée sur des données économiques. Par conséquent, le problème de la
justification économique de la règle rebus sic stantibus est posé.

L’idée est simple : les contractants, lors de la conclusion de leur contrat, ont envisagé
la réalisation d’une opération économique et ont compté sur la stabilité du contexte entourant
sa réalisation. Une fois le contexte bouleversé, leur contrat le sera aussi, devenant ainsi
incapable de réaliser l’opération assignée par les parties. Il apparaît alors qu’une analyse
économique du contrat favorise la prise en compte du changement des circonstances dans
l’exécution d’un contrat afin de préserver son utilité économique. Par l’entremise de cette
conception, on passe, comme le disait M.Pimont, du « contrat-obligation » au « contrat-
opération »653.Le même auteur a ajouté que l’analyse économique du contrat favorisait sa
mutabilité plutôt que son intangibilité. L’économie du contrat permet de « redéfinir le
principe de l’intangibilité du contrat sans pour autant recourir à des principes extérieurs au
contrat »654.

L’adoption de la théorie d’imprévision en droit marocain, nécessite une nouvelle


réforme du D.O.C, pour répondre aux attentes contractuelles actuelles en harmonie avec
l’arsenal juridique international. La modernisation des dispositions du Dahir des obligations et
du contrat qui date de 1913 est devenue une préoccupation dans le domaine des affaires.
Ainsi, en droit comparé, notamment le Code civil italien prévoit l’imprévision « dans les
contrats qui prévoient l’exécution continue, périodique ou différée ».La théorie de
l’imprévision qui peut être admise par la loi ou par la jurisprudence consiste à reconnaitre au
juge la possibilité d’intervenir dans le contrat au cours de son exécution lorsque certaines
circonstances l’ont déséquilibré. Il ne s’agit pas de n’importe quelles circonstances, ainsi en
Italie la prestation de l’une des parties, doit être devenue, à la suite d’événements
exceptionnels et imprévisibles, « d’une excessive onérosité ».Ces mêmes circonstances sont
retenues en Argentine en Colombie et au Brésil. Cette réforme constituera un nouveau cadre
légal renforcé et élargi aux différentes situations et hypothèses conçues sur le plan théorique
et pratique et celles imaginées par l’ingénierie contractuelle, en tenant en considération les
droits catégoriels prévues par les lois spéciales instaurées par le législateur marocain655 et

652
J.Beauchard, Préface de la thèse de Pimont,S.,L’économie du contrat, op.cit,éd.Puam,2004.
653
Pimont.S., L’économie du contrat, éd.Puam,2004,p.23-24,n°15 .
654
Pimont,S.,L’économie du contrat,op.cit.p.27,n°19.
655
Notamment le droit de consommation (loi 31-08), droit sur la liberté des prix et de la concurrence (loi n°06-
99) , droit bancaire (34-03 ), droit commercial (loi 15-95 ), droit du travail (loi n°08-05 ) , droit des sociétés (5-
96 et 17-95 ).
127
l’évolution du droit comparé et en particulier en matière de clauses d’adaptation656 du contrat
aux événements imprévisibles.

Cependant, pour qu’un changement des circonstances soit pris en compte, il faut que
certaines conditions soient tout d’abord réalisées. La première concerne l’effet du changement
sur le contrat. Les auteurs parlent à cet égard d’un bouleversement de l’économie du contrat
produit par le changement des circonstances657.Un changement de faible portée ne produirait
rien sur le contenu du contrat. M.Pimont définit le bouleversement requis pour qu’un contrat
puisse être modifié en déclarant que « le mot bouleversement signifie, comme les termes
excessif, substantiel, ou fondamental, que l’altération est importante et que la fonction
économique du contrat est devenue irréalisable »658.Le bouleversement de l’économie du
contrat signifie la ruine du contrat. Ce dernier ne satisfait plus les attentes légitimes des
parties, ni l’objectif qu’elles ont exprimé lors de la conclusion du contrat. Dans ce cas le
contrat devrait être révisé afin de restaurer son utilité et son équilibre bafoué.

L’analyse économique du contrat paraît ainsi au service de la finalité du contrat,


délimitée non seulement sur la base des éléments objectifs, mais également subjectifs on se
référant aux intentions des parties. Muriel Fabre-Magnan a précisé dans ce
cadre : « l’économie du contrat sert à identifier la finalité du contrat dans l’esprit et donc dans
l’accord des parties »659.Il apparaît, dés lors que les analyses morale et économique du contrat
convergent en vue d’assurer un objectif commun, celui de sa pleine exécution ou de ce que
certains auteurs appellent l’exécution « à fond du contrat »660.Cette convergence de ces deux
analyses a été démontrée par certains auteurs. Le professeur Jacques Ghestin l’a bien affirmé
en précisant qu’une analyse économique du contrat permet aux mêmes résultats qu’une
analyse morale du contrat661.

656
La clause d’avenant ou d’adaptation marque la convergence de deux principes en apparence
contradictoires :pacta sevanda et rebus sic stanbus.Le premier renvoie à la force obligatoire des contrats, au fait
que les parties sont inévitablement liées par leurs stipulations. Le second, manifesté à travers, la clause tacite
éponyme, admet la possibilité pour les parties de se décharges de leur engagement en cas de survenance d’un
événement imprévisible venant ruiner les prévisions contractuelles. voir sur ce point, Jacques Mestre,Les
principales clauses, les contrats d’affaires, éd,Point DELTA,2011,p.51 et s.
657
Voir à cet égard : D.-M. Philippe, Changement de circonstances et bouleversement de l’économie
contractuelle, thèse Bruxelles, éd. Bruylant,1986 ;Pimont,S.,L’économie du contrat, op.cit,n°374 et s.
658
Pimont,S.,L’économie du contrat, op.cit,n°388,p.257.
659
Fabre ŔMagnan,M.,Les obligations, éd.Puf,2004,p.387,n°148 ;Ali Zerrouk,L’implicite et le contenu
contractuel, Etude de droit comparé ,op.cit,p.63.
660
Fabre ŔMagnan,M.,De l’ obligation d’information dans les contrats, Essai d’une
théorie,éd.L.G.D.J,1992,n°,74.
661
Ghestin,J.,Traité de droit civil, la formation du contrat,éd.L.G.D.J/DELTA,1996,p.188-189,n°211 ;Ali
Zerrouk,L’implicite et le contenu contractuel, Etude de droit comparé ,op.cit,p.63.
128
Cette analyse consiste à rechercher plusieurs fondements à la force obligatoire du
contrat. Cette conception permet ainsi de prendre en compte un plus grand nombre de règles,
d’application ou d’exceptions à la force obligatoire classique. Deux thèses apparaissent : en
premier lieu, celle du cumul du fondement économique, moral et juridique et en second lieu,
celle conçue sur une conciliation entre les deux fondements objectif et subjectif.

La force obligatoire du contrat peut s’expliquer par un fondement pluraliste. L’analyse


du Thibierge permet de monter qu’au fondement rigide que constituait l’autonomie de la
volonté, un triolet de fondement souple s’est substitué, permettant une application souple du
principe662.Ainsi, il faut rappeler que le respect de la parole donnée n’était pas absolu. En
effet, pour Saint Thomas d’Aquin, si les conditions ont changé, et que le débiteur n’exécute
663
pas son obligation, il ne sera pas jugé comme infidèle, mais un pécher .De plus, la sécurité
économique peut parfois exiger une souplesse du lien contractuel et non sa rigidité664.Enfin, la
volonté n’est autonome, elle est au contraire subordonnée au droit positif. Par conséquent, le
droit peut autoriser les parties à modifier leur parole et à ne pas la respecter 665.Cette
présentation permet d’expliquer la souplesse de la force obligatoire par la souplesse du
fondement. En ce sens, elle autorise l’intervention du législateur ou du juge pour rétablir
l’équilibre du contrat.

Jusqu’à présent la doctrine s’est évertuée, dans le domaine précis du fondement de la


force obligatoire du contrat, à concevoir les deux fondements de manière exclusive, de sorte
que si l’un était reconnu comme satisfaisant, l’autre devait automatiquement disparaître. Mais
la dialectique propose une autre façon le problème. Désormais, l’on pourrait envisager la
reconnaissance simultanée des deux fondements antinomiques de la force obligatoire du
contrat.

La tentative de conciliation entre objectivisme et subjectivisme ne relève pas d’un


simple fantasme et d’éminents auteurs s’y sont attachés. Ainsi en 1971, M.Hauriou s’attache à
démontrer, dans le domaine plus vaste de l’acte juridique, la nécessaire conciliation de
l’objectivisme et du subjectivisme. L’auteur fustige les thèses positivistes ; selon lui « l’erreur
est exactement symétrique de la thèse classique qui donnait à la volonté le rôle essentiel et
662
C.Thibierge,Cours de droit des contrats, DEA de droit économique, Orléans,1994-1995;L.Grynbaum,Le
contrat contingent,L’adaptation du contrat par le juge sur habitation du législateur, Th.Paris II,1998,n°89 à100,et
spé.n°100.
663
P.Stoffel-Munck,Regards sur la théorie de l’imprévision, Mém.DEA,Aix-
arseille,1994,n°52 ;C.Thibierge,Libres propos sur les transformations du droit des contrats, RTD
civ.1997,p.367,n°12.
664
P.Stoffel-Munck,op.cit.,n°58 ;64.
665
Laurence Fin-Langer, L’équilibre contractuel, thèse,2000,op.cit.p.93.
129
unique de l’action juridique »666.Certes le droit objectif sanctionne l’inexécution d’un acte
juridique en se préoccupant non pas de la volonté des parties mais de l’intérêt de la société, il
reste que la volonté conserve « par des moyens parfois détournés, le pouvoir de s’imposer par
elle-même quand bien même le droit objectif ne se soucierait pas de protéger tel ou tel
intérêt ».Dés lors poursuit-il, « il n’y a rien de choquant à ce que l’ordre juridique conserve
d’un côté le pouvoir de modifier l’acte individuel, de s’y intégrer, de le repousser, mais il n’y
a non plus rien d’anormal à ce que la volonté du sujet conserve une possibilité d’action
positive supérieure au simple rôle de catalyseur et soit juge, au moins en partie, de son propre
intérêt »667. Ainsi, l’idée d’une combinaison des fondements objectif et subjectif n’est pas
nouvelle, certains auteurs s’étant déjà essayés à en démontrer l’intérêt668.

La volonté ne saurait raisonnablement être totalement évincée du fondement de la


force obligatoire du contrat. En effet, « même si la volonté ne remplit plus totalement le rôle
qu’on lui attribuait dans la conception classique, il n’empêche qu’il n’y a pas de contrat sans
volonté de contracter et que, par conséquent, il est difficile de nier que le contrat repose sur
acte de volonté »669 .Certes le droit objectif donne force obligatoire au contrat, mais c’est
d’abord parce que les parties l’on voulu contrat n’aurait pas de force contraignante si à
l’origine, les parties refusaient de lui donner un tel effet. La loi et la volonté constituent donc
les deux fondements à la fois opposés mais aussi inséparables de la force obligatoire du
contrat. Or cette voie de conciliation entre les deux fondements semble tout à fait opportune
en ce que, loin de rejeter en bloc une théorie ancienne, elle permet au contraire d’en conserver
les acquis tout en l’associant à une nouvelle thèse afin d’en corriger les défauts et lacunes. La
recherche du fondement de la force obligatoire du contrat qui donne une explication plus
juste à la réalité implique que l’exclusivité d’un fondement n’apparait plus comme un gage
de véritable temps est aujourd’hui à la complexité. Il faut en cette matière abandonner l’idée
selon laquelle un seul fondement permet de tout expliquer670.

Conclusion du premier chapitre :


La recherche d’un fondement unique à la force obligatoire du contrat présente un
inconvénient majeur : celui de ne pas intégrer de manière satisfaisante le concept d’équilibre
contractuel. Ainsi il a été démontré d’après les analyses menées dans ce sens que ni le
fondement volontariste, ni le fondement objectif ou doctrinal basé sur l’utile et le juste, la
666
J.Hauser,Objectivisme et subjectivisme dans l’acte juridique.117,th.1971,Paris ;LGDJ,p.62,n°48.
667
Ibid.,p.63,n°48.
668
Véronique Cheritat, les modes d’évolution de la théorie générale du contrat ?th.,2004,,op.cit, ,.p.301 et s .
669
Ch .Larroumet,Droit civil-Les obligations,1986,Economica,p.99,n°107.
670
Véronique Cheritat, ,op.cit, ,.p.305 .
130
solidarité ou la bonne foi ne peut amener le contrat à l’idéal édicté par la théorise moderne des
contrats ,du fait que le fondement se singularise par sa fonction justificative, sa création
doctrinale, et s’apprécie non pas en fonction de sa validité mais de son efficacité et qui ne
peut être concrétisé qu’à travers une compatibilité entre la force obligatoire du contrat et le
concept d’équilibre contractuel.

A travers l’étude de ces fondements de la force obligatoire du contrat, et la tentative


de conciliation de deux ou plusieurs fondements, on retiendra que le fondement volontariste
ne serait pleinement satisfaisant en droit contemporain. L’adoption du fondement économique
dit pluraliste explique que la force obligatoire du contrat doit être analysée selon une
conception dynamique pour rendre sa portée plus flexible, en fonction des changements de
circonstances ce qui donne la possibilité à l’immixtion législative ou judiciaire dans le
contrat dans le cas de la survenance d’un déséquilibre contractuel excessif. Cette conception
présente un avantage dans la mesure où il permet d’adapter la portée de la force obligatoire à
la réalité contractuelle, car la souplesse de sa portée ne peut être expliquée que par la
souplesse du fondement.

Cependant, une difficulté persiste devant toute concrétisation de cette conception


réaliste et légitime sur le plan pratique et en particulier en droit privé marocain, du fait que la
doctrine marocaine que celle française raisonne à partir d’un modèle classique, qui aurait été
forgé, sur le fondement des dispositions du D.O.C qui date de 1913 et du Code civil, qui date
de 1804 :la théorie de l’autonomie de la volonté, selon laquelle, en substance, la force
obligatoire du contrat serait fondée exclusivement sur la volonté des parties671. Cela nécessite
un réaménagement de l’article 230672, dans la mesure où il autorise la révision du contrat en
cas de déséquilibre excessif privant le contrat de toute cohérence ou intérêt. Ainsi, il convient
de préciser dans quel sens la portée de la force obligatoire évolue-t-elle en droit marocain
comparé ? Est-elle influencée par les évolutions majeures du droit contemporain des
contrats ?

671
Le professeur Denis Mazeau propose une nouvelle rédaction de l’article 1134 du Code civil : « Les
conventions légalement, loyalement et équitablement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Elles peuvent être révoquées ou révisées de leur consentement mutuel, pour les causes que la loi autorise et
lorsqu’un déséquilibre excessif prive le contrat de toute cohérence ou tout intérêt pour l’un des contractants.
Elles doivent être négociées, conclues, exécutées et rompues de bonne foi »,voir,D.Mazeau,La rédaction des
obligations contractuelles, intervention dans un Colloque tenu à Chambéry,le 28 avril 1997,sur le thème :Que
reste-il de l’intangibilité du contrat ?Dr.et Pat.,n°58,mars 1998,p.68. ;Laurence Fin-Langer, L’équilibre
contractuel, thèse,2000,op.cit.p.89.
672
Le parlement a été saisi en 1978 d’un projet de réforme de l’article 230 du D.O.C qui ajoutait au texte actuel
un paragraphe largement emprunté du code civil égyptien. Mais ce projet n’a jamais été adopté et le droit
marocain a donc maintenu son hostilité de principe à la révision pour cause d’imprévision. ;voir Omar Aziman,le
contrat ,VI ,éd le Fennec,1995,p.245.
131
Chapitre 2 : La portée de la force obligatoire du contrat

Un contrat a pour effet la création à la charge des uns d’obligations ou dettes qui sont
autant de droits ou créances au profit des autres. Ces deux aspects-créance-dette- sont
indissociables : ce qui est une créance pour l’un est une dette pour l’autre. Ainsi peut-on
définir le contrat comme une convention génératrice d’obligations de donner, ou de faire, ou
de ne pas faire. Ces obligations, et donc les créances, naissent en principe à la date de
l’accord de volonté673. Le contrat est donc de nature à faire naître des obligations à la charge
ou au profit des seules parties. En principe, il ne produit pas d’effet à l’égard des tiers et le
juge n’a pas le pouvoir d’en atténuer la portée de force obligatoire, en modifiant par exemple
contre l’accord des parties674.

Les obligations nées d’un contrat constituent la loi individuelle des parties, la loi
qu’elles ont voulu de donner conformément à l’idée de l’autonomie de la volonté qui est
présentée comme étant le principal fondement de la force obligatoire selon la conception
classique du contrat675. Il s’agit d’une véritable loi. La loi du contrat à la même force que la
loi émanant des autorités publiques. C’est ce qu’exprime très clairement l’article 230 du
D.O.C.Cette article a une portée considérable pour le fonctionnement d’ensemble de
l’économie. C’est grâce à cette disposition qu’une régulation des activités de production, de
distribution, d’investissement et /ou de consommation peut se concevoir676 (section1).

Dire, en effet, que le contrat fait la loi des parties, à supposer qu’il ait été valablement
conclu, c’est poser un principe avec une portée absolue qui s’impose aux parties qui ont pris
l’engagement de l’exécuter, et au juge chargé d’appliquer cette disposition, mais aussi au
législateur qui l’édicte, aux administrations en charge de veiller, pour ce qui les concerne, au
respect de la loi. Le contrat a donc la force obligatoire de la loi selon sa conception classique.
Il s’impose avec cette force obligatoire particulière tant à l’égard des parties qu’à l’égard du
juge habilité de le faire observer son exécution en cas de litige677.Cette conception qui exclut
rigoureusement toute intervention du juge dans le contrat donne à réfléchir678. Il arrive dans
certains circonstances que cette immixtion dans le contrat pour remédier l’injustice à l’égard

673
Philippe Malinvaud et Dominique Fenouillet, Droit des obligations,11 e éd, Paris, p.321. ;voir également,
N.Thomassin,La date de naissance des créances contractuelles :RTD com.2007,p.655.
674
Marie-Héléne De Laender et Franck Petit,Droit des obligations,5 e éd 2010-2011,Paris,103.
245 ‫ انظفذخ‬، ‫انجؼء االٔل‬، ٙ‫ ػٕء لبٌَٕ االنزؼايبد ٔانؼمٕص انًغغث‬ٙ‫خ االنزؼايبد ف‬ٚ‫ َظغ‬،٘‫ ثشظٕص ْظِ انُمطخ اَظغ يبيٌٕ انكؼثغ‬675
.‫ٔيبثؼضْب‬
676
Ali Bencheneb,Le droit algérien des contrats, éd.Univer.de Dijon,2011,p.182.
677
Lucienne Topor,Les contrats, éd.Litec,1998,Paris,p.85.
678
Rafik Oulhazi,Le juge judiciaire et la force obligatoire du contrat,Th.Univer.Rob.Sch.De
Strasbourg,1997,p.52.
132
de l’une des parties s’avère souhaitable. La rigueur de la portée de la force obligatoire a
souvent pour effet de consolider des injustices contractuelles (section2). Dans ce contexte,
comment apprécier la portée de la force obligatoire du lien contractuel ? Cette portée
présente-elle une singularité en droit privé et administratif marocain comparé ?

Section 1 : La force obligatoire du contrat à l’égard des intervenants


En vertu du principe de la force obligatoire posé par l’article 230 du D.O.C, qui
dispose que : « Les obligations contractuelles valablement formées tiennent lieu de loi à ceux
qui les ont faites.. ».Cette règle est consacrée également par le législateur français. Ainsi,
dans une formule aussi célèbre qu’elle est énergétique679, l’article 1134, alinéa 1er, dispose
« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. En droit
allemand680 le contrat générateur d’obligations ne fait d’aucune réglementation d’ensemble
analogue à celle qu’édictent le D.O.C marocain et le Code civil français.

Le BGB qui ne contient aucune disposition générale sur les effets du contrat
analogues aux articles 230 du D.O.C et 1134 du Code civil français n’en consacre pas moins
implicitement les principes qui résultent de ces textes : à savoir le principe de la force
obligatoire - son irrévocabilité-son effet relatif. En droit anglais, un contrat est « une promesse
ou un ensemble de promesses que le droit rendra exécutoires »681.Dans le système de common
law, c’est la promesse682, qui constitue le fondement de la théorie du contrat. Ce système
régissant le droit des obligations est pour l’essentiel un droit jurisprudentiel fondé sur les
précédents683.Mais le droit anglais n’a pas admis le principe juridique pacta sunt servanda

679
Jacques Flour,Jean-Luc Aubert et Eric Savaux,Les obligations, L’acte juridique,13 e éd, éd.Dalloz,2008,p.339.
680
Michel Pédamon,Le contrat en droit allemand,2e éd,L.G.D.J ,Paris, p.1.
681
A promise or set of promises that the law will enforce (Pollock).v.sur ce point, Jean-Claude Montanier,
Geoffrey Samuel,Le contrat en droit anglais, Prés.,Univer. De Grenoble,1999,p.11.
682
Pour qu’une promesse donne naissance à une obligation juridique, il faut que trois conditions essentielles
soient réunies : (1) une offre (offer) et une acceptation (acceptance), (2) la considération, et (3) une intention de
s’engager dans des relations juridiques (intention to create legal relations).
683
Chaque précédent dépend de la situation de fait soumise au juge,de telle sorte qu’on pourrait le dire enraciné
dans ses faits,ce qui donne au droit des contrats son grand caractère empirique. ;v.sur ce point
G.Samuel,1995,RIDC,p.509.
133
parce qu’il en droit anglais des pactes nus non sanctionnés par le droit684. Ne sont sanctionnés
par le droit que les engagements fondés sur une « valuable consideration »685.

Le droit anglais, en raison de l’absence de la notion de bonne foi exigée dans


l’exécution de tout engagement contractuel686, adopte une approche inverse qui fait primer la
lettre du contrat sur son esprit687. Le droit marocain, le droit français et les projets européens
adoptent une solution inverse qui tient compte de l’esprit du contrat au lieu de sa lettre. Quant
à la bonne foi en droit allemand qui doit présider à l’exécution de toute obligation,
contractuelle ou non, elle fait l’objet du fameux §242 qui a contribué plus que tout autre à
l’évolution de la matière avant la loi du 26 novembre 2001 n’entérine les solutions que la
jurisprudence a fondées sur lui688.

Il en résulte que les parties sont tenues par les obligations nées du contrat comme elles
sont tenues par les obligations qui découlent de la loi étatique. Cela signifie, tout d’abord
qu’elles doivent exécuter ces obligations689. C’est pourquoi l’inexécution des obligations
contractuelles engendre des sanctions690. Aussi les parties au contrat ne peuvent
691
unilatéralement, ni modifier les clauses du contrat ni se délier des obligations qui leur
incombent. La portée de la force obligatoire à l’égard des parties entraine comme
conséquence l’irrévocabilité ou encore l’intangibilité du contrat692 (paragraphe 1).Le contrat
a également la force obligatoire de la loi à l’égard du juge. Celui ci, lorsqu’il est saisi d’un
litige concernant le contrat, doit l’appliquer comme il le ferait pour la loi. Le juge doit donc
appliquer le contrat. Il ne peut modifier le contrat, même dans le cas où il ne lui semble pas
684
Une autre illustration de la non admission du principe pacta sunt servanda en droit anglais peut être trouvée
en ce que le droit anglais, sur le fondement de l’equité met l’accent sur la condamnation à payer des dommages
et intérêts pour celui qui n’exécute pas ses obligations alors qu’en droit français la règle de l’article 1134 du
Code civil et celle de l’article 230 du D.O.C fait de l’exécution forcée le principe en cas d’inexécution de ses
obligations par un contractant (article 1184 du Code civil et 258 du D.O.C ).Voir David R. et Pugsley D. ,2e
éd.,1985,spéc.p.94-95,n°127. Voir également, Aurélien Siri, , Regards sur la force obligatoire du contrat à
l’épreuvede la résiliation unilatérale du contrat ,mémoire D.E.A.,Univer.d’Aix-Marseil III,2003 p.23 .
685
Le dytique marocain et français (offre et acceptation). Est remplacé en droit anglais par un triptyque (offre,
acceptation et considération. La considération correspond « au fait ou à l’engagement de l’autre, de donner, de
faire ou de pas faire quelque chose en contrepartie.
686
Voir l’article 231 du D.O.C.voir arrêt en matière civile en° 2144 de la chambre civile de la Cour de suprême,
rendu le 20/07/2005 publié dans la revue Almorafaa n°17,p.106 et s ;arrêt n° 2144 du tribunal de première
instance Rabat, rendu le 22/10/2008, publié dans la revue des droits marocaine n°8,p.222 et s ;arrêt n° 1023 du
tribunal de première instance Marrakech , rendu le 28/92009, publié dans la revue Almalk n°8,p.300 et s ;
687
Cela ne signifie pas pour autant que les juges sont privés de tout pouvoir d’appréciation.
688
Michel Pédamon,op.cit,p116.
689
Omar Azziman,Le contrat, volume 1,éd Le Fenenec,1995,p236.
‫خ‬ٚ‫ اصغ َظغ‬،‫ عشٕاٌ دـٍ ادًض‬-.‫ ٔيبثؼضْب‬265 ‫انظفذخ‬،ٙ‫ انمبٌَٕ انًغغث‬ٙ‫خ انؼبيخ النزؼايبد ف‬ٚ‫ انُظغ‬،‫اَظغ انًشزبع ثٍ ادًض انؼطبع‬-
‫ يظبصع‬،٘‫ ػجض انمبصع انؼغػبع‬-.25 ‫انظفذخ‬، 1994 ٗ‫ انطجؼخ االٔن‬،‫ نهطجبػخ‬َٙ‫ صاع انٓب‬،‫خ ػهٗ انمٕح انًهؼيخ نهؼمض‬ٚ‫انظغٔف االلزظبص‬
.255‫ انظفذخ‬،2005 ‫خ‬َٛ‫ انطجؼخ انضب‬،‫يطجؼخ انكغايخ انغثبؽ‬،‫خ انؼمض‬ٚ‫ َظغ‬،‫ انكزبة االٔل‬،‫االنزؼايبد‬
690
Ibid,p236.
691
Voir article 19 du D.O.C.
692
Ibid,p.236.
134
équitable693 (paragraphe 2).Si la notion même du contrat est commune au droit administratif
et au droit privé, leur régime est partiellement différent694.Qu’en est-il de la règle pacta sunt
servanda en droit administratif comparé? Sa portée connait-elle une singularité en droit
privé ?

Paragraphe 1: La force obligatoire du contrat à l’égard des parties et du juge

La force obligatoire du contrat en droit comparé ne signifie pas seulement que le


débiteur est tenu d’exécuter ses obligations et qu’il y sera éventuellement contraint par
l’autorité publique, qui veille au respect des contrats comme à l’observation de la loi. Elle
signifie, en outre, que les obligations qui doivent être ainsi exécutées sont, en principe, toutes
celles, mais celles seulement, qu’ont voulues les parties695.

Qu’il crée des obligations ou transfère la propriété, le contrat produit ses effets entre
les parties, qui seules seront créancières ou débitrices. Mais, en outre, la situation
contractuelle ainsi établie aura à coup sûr des effets à l’égard des tiers qui, sans être ni
créanciers ni débiteurs, ne pourront méconnaître le nouvel état de droit créé par le
contrat696.Puisque le contrat légalement formé a force de loi entre les parties, son
intangibilité s’oppose à toute modification unilatérale des clauses du contrat, et, a fortiori ,à
toute révocation unilatérale du contrat697. Mais le contractant peut se délier de ses
engagements en vertu d’une clause du contrat. La volonté commune des parties qui a façonné
le contrat peut permettre à l’une des parties d’y mettre fin698. A l’exception de cette
hypothèse, l’irrévocabilité joue pleinement au point que la révocation n’est possible que par le
consentement mutuel des parties et dans les cas stipulés par la loi (A).De fait, à suivre la
théorie de l’autonomie de la volonté, le contrat est revêtu d’une force obligatoire
extrêmement rigoureuse. Le contrat doit être exécuté tel quel. Ni le juge, ni même le
législateur n’ont le pouvoir d’intervenir dans la vie contractuelle. Le juge ne peut réviser les
contrats en cours : c’est la théorie de l’imprévision, rejetée par le droit civil marocain et
français, et admis par le droit anglais et allemand en matière de droit des obligations ,pas plus
que ceux Ŕci ne peuvent être affectés par les changements législatifs .La portée de la force

693
Lucienne Topor,Les contrats,op.,cit.,.89.
694
P.25 memoire
695
Jacques Flour,Jean-Luc Aubert et Eric Savaux,Les obligations,op.cit.,p.339.
696
Philippe Malinvaud et Dominique Fenouillet, Droit des obligations,op.,cit.,p.322.
697
Voir arrêt en matière sociale n° 1473 de la Cour de cassation rendu en date du 27/10/2011,publié dans la
revue de la justice de la Cour de cassation.3 2014-2015 ,p53 et s.2
698
Omar Azziman,Le contrat,op.,cit.,p.236 et s.
135
obligatoire du contrat sera mesurée en matière de droit privé et administratif selon une
approche comparative (B).

A- Le contrat : loi des parties

Le contrat, valablement formé s’impose avec toute sa rigueur aux parties


contractuelles. Les parties contractantes sont celles qui, par leurs déclarations de volontés
concordantes, s’engagent à exécuter toutes les obligations du contrat. Peu importe que la
déclaration de la volonté soit le fait de la partie elle-même ou de son représentant. Dés lors, il
va de soi que les parties contractantes ne sont jamais celles qui, à un titre ou à un autre,
interviennent pour authentifier le contrat,l’autoriser ou l’enregistrer699.

En vertu du principe de la force obligatoire du contrat, les paries contractuelles


doivent exécuter le contrat de bonne foi700. Le contrat s’impose aux parties comme la règle
de droit s’impose à l’ensemble des citoyens. Aussi bien a-t- on parfois présenté ce texte
comme l’expression même de l’autonomie de la volonté. Or, il y aurait entre la loi et le
contrat unedifférence non de nature mais de degré. De même que la loi, expression de la
volonté générale, serait le grand contrat que passent tous les hommes vivant en société, de
même le contrat serait la loi que les volontés particulières se donnent à elles-mêmes701.
L’existence du contrat présuppose sa conformité à la loi702.

Pour des raisons évidentes de sécurité juridique et en référence à la liberté


individuelle703, l’engagement contractuel dispose en principe d’une force obligatoire imposant
son immutabilité, son intangibilité et son irrévocabilité. Il apparaît que la force obligatoire soit
le fondement de l’irrévocabilité des engagements704.Ainsi, « si dans la convention de
Vienne,le principe de la force obligatoire du contrat de vente (internationale de
marchandises) n’est pas formellement exprimé », « il s’induit néanmoins de l’interdiction de
la résiliation unilatérale du contrat (v.art.29,le contrat « ne peut être modifié ou résilié que par

699
Ali Bencheneb,Le droit algérien des contrats,op.cit.,p.182.
ٌَٕ‫ انمب‬،ٙ‫ػجض انذك طبف‬-.‫ ٔيبثؼضْب‬252 ‫انظفذخ‬،‫يغجغ ؿبثك‬،‫خ انؼبيخ نالنزؼاو‬ٚ‫ضخ نهُظغ‬ٚ‫ صعاؿخ دض‬،َٙ‫ انمبٌَٕ انًض‬،٘ٔ‫ ػجض انغدًبٌ انشغلب‬700
،2007 ،‫ؼبء‬ٛ‫ يطجؼخ انُجبح انضاع انج‬، ٗ‫انطجؼخ االٔن‬،‫ اصبع انؼمض‬،َٙ‫ انكزبة انضب‬،‫ انًظضعاالعاص٘ نالرؼايبد‬:‫انجؼء االٔل‬، َٙ‫انًض‬
v.également l’artcile 231 du D.O.C..78‫انظفذخ‬
701
François Terré, Philippe Simler et Yves Lequette, Les obligations,10 e éd,Dalloz,Dalloz,2009,p.435.
702
Samir Tanagho,De l’obligation judiciaire Etude morale et technique de la révision du contrat par le
juge,pref.Pierre Raynaud,Librai.Géner.de Droit et de la jurisprudence, Paris,1965.p.130.
703
A.Poch. de Caviedes,De la clause rebus sic stantibus à la clause de révision dans les conventions
internationales, in Recueil des cours de l’Académie de droit international de la Haye,Publié par Martinus
Nijhorff Publishers,éd.Kluwer Law International,1969,p.105 et s.,spé.p.165, « Sans obligation juridique
d’accomplir ce qui a été convenu, toute la securité juridique des contrats (…) s’effondrerait ;et avec elle,tout le
systéme juridique (in toto) ».
704
V.not.,en droit allemand,M.Pédamon,Le contrat en droit allemand,p.116,n°150.
136
accord amiable des parties ») »705.Dans ce contexte, il convient de mesurer l’influence de la
portée de la force obligatoire du contrat sur l’obligation de l’exécution du contrat (1) et son
irrévocabilité (2) en droit marocain comparé.

1- L’obligation d’exécuter le contrat

Le contrat est une norme juridique qui s’impose aux parties. Et la création
d’obligations, la constitution de droits réels, ou bien encore la transmission des droits réels ou
personnels ne sont que des effets de cette norme juridique contractuelle 706 à portée
obligatoire.

De la portée de la force obligatoire du contrat il résulte que les contractants sont liés
par les obligations qu’ils ont voulues. Ce principe a été consacré par le droit marocain à
travers les dispositions de l’article 230 du D.O.C, qui proclame que les obligations
contractuelles constituent la loi des parties, ajoute dans l’article 231 que tout engagement doit
être exécuté de bonne foi707. De même, le fondement de cette règle se trouve dans l’article
1134 du Code civil français, qui dispose : « les conventions légalement formées tiennent lieu
de loi à ceux qui les ont faites… ».L’adage pacta sunt servanda (« les pactes doivent être
respectés ») vient ajouter à l’importance du principe. La force obligatoire du contrat est
universelle708 ; elle n’est propre au droit marocain ou français.

Le droit anglais des contrats exige, outre la rencontre des deux volontés, d’une offre et
d’une acceptation, deux conditions supplémentaires : l’intention des parties de créer un lien
juridique ayant force obligatoire et susceptible d’exécution 709,et la contrepartie
‘consideration’ à l’engagement souscrit, qui équivaut à la notion de la cause en droit marocain
et droit français.Par exemple, dans un contrat710de vente portant sur une automobile,
l’obligation du vendeur de transférer la propriété est tellement fondamentale que ,si elle n’est

705
Yannick Pagnerre, L’extinction unilatérale des engagements, éd. Panthéon Assas, LGDJ, Thèse, 2008, Paris
II,p.479.
706
Philippe Delebecque et Frédéric-Jérôme Pansier,Droit des obligations,4e éd.Litec,ParisI ,2006,p.171.
707
Sur ce point voir,François-Paul Blan, le code annoté des obligations et des contrats,préf.Me Maâti
Bouabid,Tome 1,ed.Al Madariss-casablanca,1981,p 229 à 240.
708
Cette idée est exprimée en des termes différents selon les auteurs. M.Aubert oppose l’effet de contrainte (que
nous appelons effet normatif) à la force obligatoire (que nous appelons la production d’obligations) :J.-
L.Aubert,Le contrat,coll.Connaissance du droit,1er éd.,Dalloz,1996,p.130 et s. ;J.Flour,J.-L.Aubert et
E.Savaux,n°376.M.Ancel réserve l’expression « force obligatoire » à l’effet normatif et qualifie la production
d’obligations « d’effet obligation el » :P.Ancel, «Force obligatoire et contenu obligation el du contrat »,RTD
civ.1999,p.771 et s. ;voir sur point, Christophe Lachiéze, Droit des contrats,2 e éd.,ellipses,2007,p.133.
709
Dans le cas contraire, la convention conclue n’aura que la valeur gentlemen’s agreement,ce qui empêchera
les parties de saisir le juge en cas de violation de l’accord.
710
Au Royaume ŔUni, Le contrat naît avec un échange économique qualifié de « Bargain »les où les parties
vont d’un commun accord subir un préjudice qualifié de « detriment » avec la considération d’un profit
« benefit ».
137
pas remplie-le vendeur n’étant pas lui Ŕmême propriétaire du véhicule, par exemple-on sera
en présence d’un défaut total de considération (total failure of consideration) qui permettra à
l’acheteur de recouvrer le prix de vente par le moyen d’une action de debt, même s’il a utilisé
l’automobile pendant quelques mois711.L’action appelée debt est souvent employée pour
obtenir, par exemple ,le prix d’une chose vendue ou d’un service rendu. Mais le mot debt a un
double sens, il vise à la fois l’action et la somme d’argent due712.La règle générale semble
claire : un créancier ne peut demander l’exécution du contrat par le débiteur que lorsqu’il a
lui-même exécuté ses promesses contractuelles et que cette exécution est exactement en
conformité avec le contrat713. Une exécution partielle ne donne lieu à aucun droit de réclamer
le prix dans une action de debt714.

A la différence des droits marocain et français, le droit anglais ne reconnait pas le


principe de bonne foi des contrats, c’est pour cela que le juge en Angleterre adopte une
approche objective dans l’interprétation du contrat715.Ainsi, la teneur du rapport contractuel
d’obligation dépend d’abord en droit allemand de la volonté des parties716. Mais cette teneur
dépend aussi de la loi et notamment du principe de la bonne foi qu’énonce le §242 stipulant
« Le débiteur est tenu d’effectuer la prestation, comme l’exige la bonne foi eu égard aux
usages admis en affaires ».ainsi que l’adaptation aux changements des circonstances
qu’organise à son égard le §313.L’adaptation de la portée du contrat face à un déséquilibre
contractuel, constitue un point commun avec le droit anglais qui accepte la théorie de
frustration. Cette théorie n’a pas de place en droit privé marocain et français.

Le principe de la bonne foi reconnue par les deux systèmes juridiques comparés à
l’exception du droit anglais, impose un devoir de loyauté aux contractants, dans l’exécution
de leurs obligations c’est -à- dire d’observer, l’un vis-à-vis de l’autre, un comportement
loyale et honnête, dépourvu de malice717.Dans certaines hypothèses, débiteur et créancier sont

711
Rowland v Divall,1932,2 KB 500. ;Jean-Claude Montanier, Geoffrey Samuel,Le contrat en droit anglais,
op.cit.,p.78.
712
V.Millet L.J dans Jevis v Harris, 1996, 2 WLR,p.220 à 226. ;Jean-Claude Montanier, Geoffrey Samuel,Le
contrat en droit anglais, op.cit.,p.15.
713
The Liddesdale (1900) AC 190.
714
Jean-Claude Montanier, Geoffrey Samuel,Le contrat en droit anglais, op.cit.,p.113.
715
Ibid.,p.78.
716
Michel Pédamon,Le contrat en droit allemand, op.cit.,p.126.
717
Cf.Picod,Le devoir de loyauté dans l’exécution du contrat ,pref.Couturier,LGDJ ,1989.V. aussi, pour le droit
du Québec,Baudouin et Jobin,n°89.Selon l’observation de ces auteurs, le nouveau Code civil du Québec
consacre cette exigence de bonne foi « devenue éthique de comportement »,non seulement pour le contrat, mais
en toutes matières, en vertu des articles 6 (« toute personne est tenue d’exercer ses droits civils selon les
exigences de la bonne foi ») et 7 (« aucun droit ne peut être exercée en vue de nuire à autrui d’une manière
excessive et déraisonnable, allant ainsi à l’encontre des exigences de la bonne foi »).
.727 ‫ انظفذخ‬، ‫انًغجغ ؿبثك‬،‫ انؼمض‬،‫انجؼء االٔل‬،َٙ‫ انمبٌَٕ انًض‬،ٙ‫ يظطفٗ انؼٕج‬-
138
astreints aux mêmes devoirs :toutefois, leur position contractuelle se révèle bien souvent
déterminante du contenu de leurs devoirs. Aussi apprécions d’abord les hypothèses dans les
quelles la mauvaise foi du débiteur est sanctionnée (a), puis celles dans lesquelles la mauvaise
foi du créancier est punie(b).

a- La sanction de la mauvaise foi du débiteur lors de l’exécution du contrat

La mauvaise foi du débiteur est sanctionnée dans le cas d’un manquement contractuel
qui se manifeste par la fraude718 .La fraude et la mauvaise foi ont été rapprochées par la
jurisprudence719.Une hypothèse très classique de fraude, en droit des obligations, est celle de
l’organisation volontaire par le débiteur de son insolvabilité. L’action paulienne permet aux
créanciers d’agir en justice afin de se protéger : « ils peuvent (…), en leur nom personnel,
attaquer, les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits »720.Faisant exception au
caractère relatif des conventions, la fraude paulienne permet au créancier de contester un acte
auquel il n’est pas partie721.Elle est composée de deux éléments, l’un objectif et l’autre
subjectif. Le premier s’apparente à un acte d’appauvrissement 722.Le second renvoie aux
intentions ou à l’état d’esprit du débiteur. L’intention de nuire n’a pas à être démontrée. « La
fraude (..) résulte de la seule connaissance qu’a le débiteur du préjudice qu’il cause au
créancier en se rendant insolvable ou en augmentant son insolvabilité »723.

Cependant, ce droit ne doit être accordé que dans des cas exceptionnels car il serait
intolérable de permettre aux créanciers de s’immiscer dans la gestion du patrimoine de leur
débiteur lorsque celui-ci est solvable. C’est ainsi que le tribunal de première instance de

718
La fraude que l’on nomme parfois la fraus alterius,c’est -à-dire la fraude dirigée contre une personne et qui
implique une mauvaise foi du débiteur et une conscience de nuire son créancier.
719
En ce sens. :L.Sautonie-Laguione,La fraude paulienne, préf.G.Wicker,LGDJ,2008,not.n°140,p.89.
720
Voir l’article 77 du D.O.Cet l’article 1241 du D.O.C , qui dispose que : « les biens du débiteur sont le gage
commun de ses créanciers… » et en droit comparé Art.1167 C.civ français, al.1 er .L’action paulienne peut en
principe être exercée contre tout type d’actes juridiques. Néanmoins, certains extrapatrimoniaux, à la personne,
ceux régis par les règles des successions, du mariage et régimes matrimoniaux, ainsi que le mentionne le
dernier alinéa de l’article 1167 C.civ.En ce sens :F.Terré,Ph.Simler et Y.Lequette,op.cit.,n°1160 et s.,p.1151et s.
721
Si l’acte est conclu à titre onéreux, le succès de l’action est conditionné à la preuve de la complicité du tiers.
Cette complicité n’a pas à être recherchée lorsqu’il s’agit d’un acte à titre gratuit. Cette règle vise à protéger le
tiers qui a conclu de bonne foi l’acte à titre onéreux ; elle prend ici le sens qu’elle possède en droit des
biens :Y.Picod,Le devoir de loyauté dans l’exécution du contrat, préf.G.Couturier,LGDJ ,1989,n°51 et s.p.67 .
722
Initialement, la jurisprudence exigeait que l’acte d’appauvrissement conduise le débiteur à l’insolvabilité.
Ceci se comprend puisque le droit d’intervention du créancier dans les affaires du débiteur ne se justifie que si
le paiement de sa créance est compromis. La jurisprudence a néanmoins fait preuve de souplesse. Elle a admis
ces dernières années que l’appauvrissement pouvait être constitué bien que le débiteur ne soit insolvable si
l’acte entraîne une modification de la structure du patrimoine, rendant plus difficile le recours du créancier.
723
Cass .1ére civ.,17 octobre 1979,Bull.civ.I ,n°249 ;GAJC,t.II,op.cit.,n°250 ;JCP G ,1981,II,19627,note
J.Ghestin ;Rép.Defrénois,1980,p.906,note J.-L.Aubert ;RTD civ.,1980,p.706,note F.Chabas. Voir
également :Cass.1ére civ.,29 mai 1985,Bull.civ.I,n°163 ;Cass.1ére civ.,14 février 1995,D.1996,p.391,note
E.Agostin.
139
Casablanca a jugé le 21/03/2000, à bon droit, qu’un débiteur ne peut être empêché de disposer
de son patrimoine sauf si son insolvabilité est déclarée ou bien si son immeuble est grevé724.
En droit comparé différentes législations magrébines, arabes ont réglementé l’action
paulienne à travers ces conditions et ses effets. C’est ainsi que le législateur algérien a
consacré à cette action certaines dispositions dans le code civil algérien725 et en droit
tunisien celles énoncées par l’article 306 alinéa 1er du code des obligations et des contrats
tunisiens726. Le droit marocain n’a pas repris les dispositions relatives à l’action paulienne en
reprenant le code napoléon de 1804 alors mêmes que toutes les législations maghrébines,
voire arabes prévoient cette action727. Bien que l’action paulienne ,telle qu’elle résulte des
dispositions de l’article 1167 du Code civil français, ne soit pas mentionnée dans le D.O.C,
on ne peut dire qu’il n’existe ,d’après ce Dahir ,aucun recours pour les créanciers contre le
débiteur qui volontairement a cherché à s’appauvrir728 ;En effet, les créanciers peuvent
toujours agir contre cet appauvrissement qui leur porte préjudice, en s’appuyant sur le
principe général édicté par l’article 77 du D.O.C.

La mauvaise foi du débiteur lors de l’exécution ne se limite cependant pas aux


hypothèses d’actes frauduleux ; l’inexécution volontaire des obligations est également
sanctionnée. Le débiteur commet une faute s’il manque à ses obligations d’une manière
volontaire. La simple inexécution volontaire de l’obligation suffit. En somme, dés que le
débiteur aurait dû avoir conscience que la situation dans laquelle il s’est placé le conduirait à
ne pas honorer son engagement, il commet une faute dolosive729. Cette faute consciente
témoigne de sa mauvaise foi730.La faute dolosive est sanctionnée, par un accroissement de la
responsabilité du débiteur. Le dommage réparable en matière contractuelle se limite en
principe au dommage prévisible, conformément à l’article 77 du D.O.C .Or, l’article 1150 du
Code civil français pose in fine une exception qui n’existe pas en droit marocain : en cas

724
T.P.I.Hay hassani,Ain Chock,jugement n°805 du 21/03/2000-dossier civil-jurisprudence non publiéé. Voir sur
ce point,Youssef Fassi-Fihri,L’action paulienne, Univer.de Perpignan-DESS,2003,p.11.
725
In « Al Wajiz FI Nadariat Al Iltizam »,(précis dans la doctrine de l’obligation par Dr.mohamed Hassanine
professeur à l’université d’Alger.
726
« les créanciers peuvent, en leur nom personnel, attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs
droits , sans toutefois qu’il soit dérogé aux règles de statut personnel et successoral ».
727
Article 306 alinéa 1er du C.O.C Tunisien ;articles 191 et 192 du C.O.D Algerien ;Articles 238,239 et 240 du
C.O.C. Egyptien ;articles 238 et 240 du C.O.C.Syrien ;Articles 263,265,268,et 269 du C.O.C Irakien,Articles
240,242,et 245,du C.O.C.Lybien ;articles 278 du C.O.C.Libanais.
728
Youssef Fassi-Fihri, L’action paulienne, op.cit., p.28.
729
Voir l’article 233 du D.O.C qui stipule que : « le débiteur répond du fait et de la faute de son représentant et
des personnes dont il se sert pour exécuter son obligation, dans les mêmes conditions où il devait répondre de sa
propre faute… ».
730
Sandrine Tisseyré,Le rôle de la bonne foi en droit des contrats, Essai d’analyse à la lumière du droit anglais et
du droit européen,pref.Muriel Fabre-Magnan,Presse Univer.D’Aix-Marseille,2012,p.62 et s.
140
d’inexécution volontaire, le débiteur doit réparer l’intégralité du dommage, et non plus le seul
dommage prévisible731.

En droit de travail, il a pu être jugé que « l’employeur, qui avait cessé de payer les
salaires de mai et juin 2003, n’avait pas exécuté de bonne foi le contrat de travail »732.Un tel
comportement « était constitutif d’une faute grave rendant la rupture du contrat à durée
déterminée abusive »733.La chambre sociale française a en conséquence admis que,
conformément à ce qu’avait décidé la cour d’appel, le comportement de l’employeur avait
amené le salarié à démissionner. Bien que dans les faits le salarié soit à l’origine de la rupture,
celle-ci est juridiquement imputée à l’employeur. Derrière l’apparente démission se cache, en
réalité, un licenciement.

La mauvaise foi du débiteur peut néanmoins emporter une autre conséquence. En


raison de sa situation financière précaire, le débiteur, peut demander à bénéficier, à condition
qu’il ne soit pas de mauvaise de foi, d’un délai de paiement ou d’une procédure de
surendettement pour exécuter son engagement734.Si le devoir de bonne foi, lors de l’exécution
du contrat, pèse avant tout sur le débiteur, il serait erroné d’en déduire que le seul le débiteur
est tenu à l’exigence de loyauté. La mauvaise foi du créancier735 est elle aussi sanctionnée736.

b- La sanction de la mauvaise foi du créancier lors de l’exécution du contrat

Le créancier peut être sanctionné pour une mauvaise foi lorsqu’il entrave l’exécution
du contrat. Il manque au devoir de loyauté s’il se retranche derrière une lecture exégétique du
contrat afin d’imposer à son partenaire une exécution fidèle, mais préjudiciable, de
731
Sandrine Tisseyré,Le rôle de la bonne foi en droit des contrats,op.cit.,p.64.
732
Cass.soc., 9 janvier 2008,D.2009,p.148,note J.-P.Karquillo.
733
Ibid.
734
Voir l’article 243 alinéa 2 du D.O.C marocain dispose que : « …Les juges peuvent néanmoins, en
considération de la position du débiteur, et en usant de ce pouvoir avec une grande réserve, accorder des délais
modérés pour le paiement, et surseoir à l’exécution des poursuites, toutes choses demeurant en état. » et en droit
comparé l’article 1244-1, alinéa premier du code civil français ; en droit de consommation ,voir l’article 111 du
la loi de la consommation marocaine 31-08 alinéa 4,et en droit comparé l’article L.330-1 du Code de la
consommation français dispose que « la situation de surendettement des personnes physiques est caractérisée
par l’impossibilité manifeste pour le débiteur de bonne foi de faire face à l’ensemble de ses dettes non-
professionnelles exigibles ou à échoir ».Cet article trouve leur application à deux conditions. La première, de
nature objective, tient à la situation du débiteur : celui -ci ne peut honorer l’ensemble de ses dettes. La seconde,
de nature subjective, limite le champ d’application de la mesure : seul le débiteur de bonne foi peut
éventuellement bénéficier de celle-ci. Si le débiteur ne rencontre pas une impossibilité de faire face à ses dettes,
mais simplement des difficultés, ou si les dispositions de ce texte sont inapplicables, celui-ci peut solliciter des
délais de paiement, conformément au droit commun.
735
Le législateur allemand ne s’adresse que débiteur, il lui impose de faire preuve de loyauté (Treue) dans
l’exécution de son obligation, de respecter la confiance (Glauben) qui a été placée en lui, en bref de tenir
compte des intérêts légismes du créancier. Parallèlement d’ailleurs et de l’avis unanime le texte s’adresse aussi
au créancier qui en retour faire valoir sa créance en portant attention aux intérêts légitimes du débiteur. ; voir sur
ce point,Michel Pédamon,Le contrat en droit allemand, op.cit.,p.131.
736
Sandrine Tisseyré,Le rôle de la bonne foi en droit des contrats, op.cit.,p.69.
141
l’engagement737.Il doit s’abstenir de rendre l’exécution du contrat impossible ou plus
difficile738.En droit marocain comme en droit français, l’esprit du contrat prime sur sa lettre.
En effet, en droit allemand, le §133 se rattache assurément à une conception subjective- à la
Willenstheorie, il semble ne concerner que les déclarations de volonté isolées739 ; le §157 ne
se rattache à une conception objectif-à l’Erklarungstheorie, il vise expressément que les
contrats. En fait ce partage n’est pas praticable pour la simple et bonne raison que le contrat
est formé de deux déclarations de volonté… qui se rencontrent. Le contrat est réputé
correctement exécuté dés lors que le but poursuivi par le créancier est atteint, et cela, même si
les modalités d’exécution ne sont pas strictement conformes aux stipulations contractuelles.
L’article 5 :101 alinéa premier des Principes de droit européen du contrat dispose que « le
contrat s’interprète selon la commune intention des parties, même si cette interprétation
s’écarte de la lettre ».Cette règle est reprise à l’article II-8 :101 du projet de Cadre commun de
référence740.La prévalence de l’esprit sur la lettre est souhaitable. Elle permet aux juges
d’effectuer un réel contrôle de bonne foi du créancier, lorsqu’il invoque le manquement
contractuel du débiteur. Elle conduit à distinguer les hypothèses dans lesquelles l’exécution
du contrat nécessite une certaine souplesse par rapport à sa lettre, et celles lesquelles le
manquement du débiteur est sanctionné.

En droit anglais, la lettre du contrat prime son esprit pour des raisons liées à la sécurité
juridique. Un retard de dix minutes dans la délivrance de documents nécessaires à la vente
permet au vendeur d’être délié de son engagement741.Dans la décision Eagle Limited
v.Golden Achievment, l’acheteur avait pourtant fait valoir qu’au regard de règles de
l’équity,le vendeur ne pouvait invoquer ce court retard. En d’autres termes, il prétendait
qu’eu égard de devoir de bonne foi, le vendeur ne pouvait pas invoquer strictement la lettre
du contrat, la remise des documents ayant eu lieu seulement dix minutes après le délai
imparti742.Lord Hoffmann ne fut pas sensible à cet argument. Même en recourant en droit de
l’equity, l’acheteur ne disposait d’aucun fondement d’action qui obligerait le vendeur à faire
preuve de tolérance et à accepter le bref retard. L’absence d’un devoir général de bonne foi
737
Y.Picod,th.préc.n°144 et s.,p.167. et s.( pour le rattachement de l’interprétation au devoir de tolérance) ;CA
Pau,15 fevrier 1973,JCP G ,1973,II ,17584,note J.Bigot ;Cass.3éme civ.,Ph.Simler, « L’article 1134 du code civil
et la résiliation anticipé des contrats à durée déterminée ».JCP,1971,I,2413.
738
F.Terré,Ph.Simler et Y.Lequette,op.cit.,n°440,p.457.
739
Michel Pédamon,Le contrat en droit allemand, op.cit.,p.127.
740
Art. II-8 :101 (I) DCFR : « (a) contract is to interpreted according to common intention, of the parties even
if this differs from the litteral meaning of de words » : (I) le contrat s’interprète selon la commune intention des
parties, même si cette interprétation s’écarte de sa lettre ».
741
Eagle Limited v Golden Achievment Limited (Hong Kong),1997,UKPC 5.
742
Pour le rapprochement avec la notion de bonne foi,voir H. Collin, « Lord Hoffman and the Common Law of
Contract »,(2009) 5 ERCL 474,precis.p.476.
142
conduit les juges à faire primer la lettre du contrat sur son esprit. L’interprétation s’effectue à
la lumière de l’esprit du contrat. Cette obligation d’observer de bonne foi qui pèse sur le
créancier : ce dernier doit s’abstenir de tout comportement de nature à empêcher l’exécution
du contrat .Le créancier ne doit pas agir dans le sens qui rendrait l’exécution du contrat plus
difficile, voire impossible pour le débiteur. Il ne peut exiger que son contractant réalise des
dépenses importantes et inutiles, qui feraient obstacle à l’utilité du contrat.743

La jurisprudence a considéré que le contractant est de mauvaise de foi lorsqu’il refuse


de fournir son distributeur auquel il est lié par un contrat d’approvisionnement exclusif. Un
tel comportement entrave l’exécution du contrat, puisque le partenaire se retrouve dans
l’impossibilité de s’approvisionner744.Le manquement du devoir de confiance qui pèse à
l’égard du contractant est de nature à causer un préjudice à son cocontractant. Ainsi l’éditeur
qui dénigre publiquement un auteur manque à l’exigence de loyauté dans l’exécution du
contrat qui le lie à ce dernier. Le mandataire quiémet publiquement des doutes sur
l’honnêteté de son mandant agit de mauvaise foi745. Il nuit à l’exécution du contrat de
mandat en le décrédibilisant dans son activité.

Les juges anglais ont également sanctionné le comportement du contractant qui dessert
son cocontractant. La cour d’appel, dont la solution a été confirmée par la plus haute
juridiction, avait admis, dans l’affaire Malik et Mahmud v.BCCI, que le contrat de travail
faisait naître un devoir de bonne foi746 .Dans cette décision, les fraudes effectuées par une
banque avaient discrédité ses salariés, bien qu’ils n’y aient pas participé. Deux anciens
employés demandaient réparation du préjudice subi : en raison de la mauvaise foi réputation
da la banque dans laquelle ils avaient travaillé, ceux-ci rencontraient des sérieuses difficultés
d’embauche. Les juges ont réparé le préjudice découlant de la faute de l’employeur qui avait
jeté un discrédit sur les employés. Ce manquement contractuel s’apparente à une violation
d’une obligation implicite. La cour d’appel, en suivant les prétentions des salariés, avait fondé

743
Cass.req.,23 1909,s.1909,1,552 ( la réfaction du contrat a été refusée. Les juges avaient estimé qu’elle aurait
nécessité la démolition de l’immeuble et aurait causé un préjudice plus important que celui lié à l’inadéquation
des travaux) ;Cass.req.,19 janvier 1925,DH,1925,77 (l’installation d’électricité doit rechercher le trajet le plus
court pour l’installation) ; (Cass.civ.,28 novembre 1905,S.1909,1,269 (le transport doit choisir l’itinéraire le plus
court).
744
Sandrine Tisseyré,Le rôle de la bonne foi en droit des contrats, op.cit.,p.71.
745
Cass.com.,17 mars 1998,n°95-16-507 ( la Cour de cassation a jugé qu’un tel comportement était contraire à
l’obligation de loyauté) ;Cass.soc.,25 juin 2002,Bull.civ.V,n°211 ( un salarié manque à la bonne foi lorsqu’il
dénigre publiquement les services et les salariés de l’entreprise.
746
Malik Appellant v.Bank of Crédit and Commercial International SA,Mahmud v.Same respondent ,1998 AC
20 (HL).
143
cette obligation implicite sur la notion de bonne foi747.En agissant frauduleusement,
l’employeur avait rendu la poursuite du lien contractuel impossible, la confiance nécessaire au
maintien de la relation contractuelle avait été réduite à néant, il avait en outre discrédité ses
employés auprès des tiers. Il avait manqué à la bonne foi. Il était obligé de réparer le préjudice
causé par cet agissement. L’exécution loyale du contrat aussi en droit marocain que dans les
systèmes juridiques comparés, suppose que le débiteur et le créancier sont tenus d’observer le
principe de bonne foi exigé dans l’exécution du contrat . Le droit anglais bien qu’il soit
traditionnellement hostile à la notion de bonne foi, a également reconnu une espèce
l’existence d’un tel devoir.

La portée de la force obligatoire à l’égard des parties contractuelles qui s’est traduite
également par le principe d’irrévocabilité du contrat en dehors des hypothèses prévues par la
loi. Cette règle est-elle respectée avec la même rigueur dans les systèmes juridiques
comparés ?

2- L’irrévocabilité du contrat
Il résulte de l’article 230 du D.O.C qui dispose : « les obligations…..et ne peuvent
être révoquées que de leur consentement mutuel ou dans les cas prévus par la loi » et en droit
comparé, l’article 1134, alinéa2 du Code civil français, que le contrat ne peut être révoqué
unilatéralement par l’une des parties, sauf pour les causes que la loi autorise. En application
de cette règle le contrat né du concours de deux volontés peut donc être anéanti par un
nouvel accord de volontés. L’irrévocabilité apparaît comme un corollaire de la force
obligatoire.

La question de la révocation par un consentement mutuel du contrat ne présente pas


de différence en comparaison avec le droit marocain et français et droit allemand. Ainsi, l’acte
contractuel est irrévocable (unwiderruflich) par la volonté unilatérale de l’un des
contractants ; seul le consentement mutuel des deux intéressés peut l’anéantir ou la
modifier748. Bien qu’elle ne soit pas affirmée à la manière de l’article 230 du D.O.C
marocain et de l’article 1134, al.2 du Code civil français, cette solution de l’irrévocabilité ne
fait pas de doute en droit allemand. En effet, en droit anglais, une telle dissolution ou

747
Ibid.,p.23 : « (a) operating the business in a corrupt and dishnnest manner B.C.C.I.acted in breach of the
implied obligation of good faith » : « (e) n’agissant,dans leurs affaires professionnelles,de maniére déloyale et
corrompue,B.C.C.I. avait manqué à son obligation implicite de bonne foi ».Adde « (t) the applicant only seek to
recover damages for the pecuniary losses which fow from an anterior breach of the implied term of good
faith » : « (I) les documents souhaitaient obtenir des dommages-intérêts pour les préjudices patrimoniaux qui
découlaient de la violation de l’obligation implicite de bonne foi ».La House of Lords n’a pas expressément
visé le devoir de bonne foi,ibid.p.35.
748
Michel Pédamon,Le contrat en droit allemand, op.cit.,p.127.
144
modification du contrat suppose un consentement mutuel. Or, cette option ne soulèvera que
peu de problèmes si le contrat d’origine n’a pas été exécuté ni par l’une ni par l’autre des
parties. Le nouvel accord aura sa propre considération et, en tant que nouveau contrat il se
substituera au contrat d’origine749.

L’effet obligatoire à l’égard des contractants interdit donc à chacune des parties de se
dégager des liens du contrat par sa seule volonté750. Ainsi, l’article 230 du D.O.C marocain et
en droit comparé l’article 1134, al2.du Code civil français ne prévoit que deux cas de
révocation ; la révocation amiable et la révocation unilatérale quand la loi, prévoit cette
possibilité.

a- La révocation amiable ou conventionnelle

La révocation par consentement mutuel est traitée par le D.O.C. sous le titre de la
résiliation volontaire (de l’article 393 à 398).Les parties peuvent, d’un commun accord,
résilier le contrat751. Cette résiliation amiable ou conventionnelle opère seulement pour
l’avenir. Elle n’efface pas l’existence du contrat dans le passé752. Cette faculté de résiliation
consensuelle doit obéir à certaines conditions de fond et de forme.

S’agissant des conditions de fond, la révocation du contrat par un consentement


mutuel que la plupart des auteurs, préfèrent de la traiter sous l’appellation de la résiliation
amiable ou de la résiliation conventionnelle, n’est rien qu’une convention, qui doit remplir
les conditions générales de la validité prévues à l’article 395 753 du D.O.C. et en droit
comparé celles posées par l’article 1108 du Code civilfrançais. Elle suppose une volonté
commune de rompre. C’est ce que l’on nomme habituellement le mutuus dissensus et qu’il
serait peut-être plus exact d’appeler le contrarius consensus754.

Quant aux conditions de forme, en application du principe du consensualisme, le droit


marocain755 comme le droit français n’impose pas le parallélisme des formes entre la

749
Jean-Claude Montanier, Geoffrey Samuel,Le contrat en droit anglais, op.cit.,p.112.
750
Lucienne Topor,Les contrats,Cours de droit-Litec,1998,Paris,p.88.
751
L’article 393 du D.O.C. Prévoit que : « les obligations contractuelles s’éteignent lorsque, aussitôt après la
conclusion, les parties conviennent d’un commun accord de s’en départir… ».
752
Lucienne Topor,op.cit. ,p.88.
753
L’article 395 al1 du D.O.C. dispose que : « la résiliation est soumise, quand à sa validité, aux règles
générales des obligations contractuelles ».
754
V.Vatinet, «Le mutus dissensus »,RTD civ.1987.252.Le consentement contraire à la convention initiale peut
être regardé comme constitutif d’un nouveau contrat, inverse du premier, ce qui présente des inconvénients
évidents sur le plan fiscal.Cf.Com.10 janv.1989,Bull.civ.IV,n°15.
755
L’article 394 dispose que : « la résiliation peut être tacite, tel est le cas où, après une vente conclue, les
parties se restituent réciproquement la chose et le prix ».
145
conclusion du contrat et sa révocation, sauf pour les actes solennels qui doivent être conclus
et révoqués en la forme authentique. La jurisprudence admet la liberté de la preuve du
mutuus dissensus dans les contrats pour lesquels la preuve écrite est exigée756.

La résiliation amiable peut porter sur un contrat dont l’exécution n’est pas
commencée et dans ce cas, on parle plus volontiers de révocation. La résiliation amiable peut
porter également sur un contrat en cours d’exécution et dans cette hypothèse on parle plutôt
de résiliation757.Cependant cette faculté peut se heurter sur le plan pratique à des obstacles.
Ainsi, dans le cas de la vente d’un corps certain qui a été consommé ou détruit constitue une
situation dans laquelle l’acheteur se trouve dans l’impossibilité de restituer la chose vendue.
C’est pour cette raison que l’article 396 du D.O.C énonce que la résiliation ne peut avoir
effet si le corps certain objet du contrat a péri, a été détérioré ou s’il a été dénaturé par le
travail de l’homme. Dans l’impossibilité de la restitution réciproque à l’identique, les parties
pourraient résilier mais pour l’avenir sans revenir sur les effets déjà réalisés (résiliation
amiable d’un bail en cours qui produit effet pour l’avenir et n’entraine aucune restitution ;
résiliation d’un contrat de travail avec effet pour l’avenir sans retourner au point de
départ).Les parties pourraient aussi se mettre d’accord pour compenser l’absence de
758
restitution à l’identique .

La jurisprudence décide que, devant le silence des parties, la convention révocatoire


produit un effet rétroactif759, ce qui suppose que les choses soient remises dans le même état
que si le contrat n’avait pas existé760.Mais cette rétroactivité ne porte pas atteinte aux intérêts
des tiers761.Il en résulte de cet effet rétroactif attaché à un accord de volonté que cette
possibilité parait bien artificiel et inopportun762. Il est généralement écarté par les parties qui
cherchent simplement à faire cesser le contrat sans toucher aux effets antérieurement produits
qui paraît logiquement possible en tant que option assortie d’une compensation de l’utilisation
ou la dérogation de la chose. Si, par principe, tout engagement à force obligatoire qu’il soit
révocable d’un commun accord ou pour des causes que la loi autorise, il n’est pas écrit que les
seuls engagements non révocables unilatéralement ont force obligatoire. Toutes autres
lectures de l’article 230 du D.O.C et en droit comparé français des alinéas 1 et 2 de l’article

756
L’écrit n’est exigé par l’article 1341 du Code civil que pour les contrats qui mettent en jeu des intérêts
d’une certaine importance (le seuil est aujourd’hui de 1500£).et en droit marocain l’article 417 du D.O.C.
757
Voir l’article 393 du D.O.C.
758
Omar Azziman, Le contrat, p.cit,P.238 et s.
759
Voir l’article 397 du D.O.C.
760
Com.30 nov.1993,Bull.civ.IV,n°337 ,RTD civ.1985,p.166,obs.J.Mestre.
761
Voir l’article 398 du D.O.C.
762
Christophe Lachiéze, Droit des contrats,2e é,op,cit,p.13.
146
1134 du Code civil serait un contre sens. Or, il est difficile de considérer que le législateur
marocain de 1913 que celui français de 1804, ait affirmé un principe pour se contredire
auxdites dispositions763, surtout, lors de ces dates, le mandat, le contrat de bail à durée
indéterminée, le contrat de société à durée illimitée, la donation entre époux étaient des
contrats ont force de loi, en dépérit des facultés d’extinction unilatérale offertes par le
législateur. Ainsi, à côté des cas de la révocation amiable, il en est ou est reconnu soit à
chacune des parties, soit à l’une d’elles, la faculté de mettre fin unilatéralement au contrat.

b- La révocation du contrat dans les cas prévus par la loi.

Pour les facultés d’origine légale, il faut s’appuyer sur une distinction suivant que le
contrat conclu à exécution successive, à durée indéterminée, et à durée déterminée764. Pour les
engagements à exécution instantanée, les obligations principales sont d’ores et déjà nées et
actuelles. Comme la notion d’engagement à exécution instantanée se conçoit seulement par
des obligations de donner qui sont des obligations de résultat, ces dernières sont assimilables
à des « droits acquis »765 qui ne peuvent être librement révocables, sauf rares exceptions
légalement prévues.

Dans le cas du contrat à exécution successive, et lorsque aucun terme n’a été prévu, le
contrat est à durée indéterminée. La loi autorise, dans cette hypothèse, la résiliation
unilatérale, car les engagements à vie sont prohibés et contraire à la liberté individuelle. Cette
option donne le droit aux parties766 de mettre fin au contrat pour l’avenir à travers l’arrêt des
prestations en cours d’exécution sans la remise en cause de celles déjà exécutées (contrat de
bail767, contrat de travail, contrat de société..).

Ainsi, l’article 230 du D.O.C. comme l’article 1134 alinéa 2 du Code civil français,
précise que les obligations contractuelles peuvent être révoquées dans les cas prévus par la
loi. La soumission du contrat de travail à durée indéterminée à cette règle, intervenant en
qualité de règle du droit commun , aurait permis à l’employeur de résilier unilatéralement le
contrat de travail à durée indéterminée, donc de licencier le travailleur salarié sans avoir à

763
L’article 1134 alinéa 2 du Code civil français, précise que le contrat est révocable pour les causes que la loi
autorise. ; voir sur ce point, Yannik Pagnerre, L’extinction unilatérale des engagements, Thése, Panthéon
Assas,LGDJ,Paris,2012,p 488 et s.
764
Omar Azziman,Le contrat,op.cit.,p.239 et s.
765
Yannik Pagnerre, L’extinction unilatérale des engagements, op.cit.,p.488.
766
V.l’étude fondamentale de Houin,La rupture unilatérale des contrats, synallagmatiques, thèse dactyl, Paris
II ,1973. ;Jacques Flour,Jean-Luc Aubert et Eric Savaux,Les obligations, L’acte juridique, op.cit.,p.345 et s.
767
Voir l’article 647 alinéa 1 du D.O.C.qui dispose que : « dans les cas prévus aux articles 644 et 645 ….le
preneur peut poursuivre la résolution du contrat ou demander une diminution du prix de louage, selon les cas ».
147
donner aucune justification. Pour protéger les salariés, certaines règles particulaires 768 prévues
par loi 65-99 relative au code de travail marocain et en droit du travail comparé769 ont imposé
à l’employeur de respecter la procédure de licenciement, notamment l’observation d’un
certain délai de préavis, dit délai- congé, s’impose770. La résiliation par le salarié ouvre droit à
une indemnité au profit de l’employeur si elle est abusive771. Plus sévèrement, le licenciement
par l’employeur ouvre le même droit au salarié s’il ne repose pas sur une « cause réelle et
sérieuse »772.

En vertu de l’article 754 du D.O.C, le contrat de travail à durée indéterminée peut être
résilié unilatéralement. Cette règle a donc été écartée. Mais, elle continue de jouer pour les
autres contrats successifs à durée indéterminée. La faculté de révocation joue également dans
les contrats de société (article 1051 ali7 du D.O.C.) et dans les contrats où la confiance
constitue le fondement de la relation contractuelle. C’est le cas du mandat qui peut être
révoqué d’une manière unilatérale par le mandant (article 931 du D.O.C) et avec certaines
conditions pour le mandataire (article 929 du D.O.C).

Pour la résiliation unilatérale de certains contrats à exécution successive, à durée


déterminée, c’est-à-dire le cas dont le terme du contrat ayant été fixé, la loi prévoit et confère
cette possibilité à chacune des deux parties, ou bien, à l’inverse, à l’une seulement des
parties. Ainsi, en ce qui concerne le mandant et le mandataire peuvent l’un et l’autre, résilier
unilatéralement le contrat (article 942 du D.O.C). L’article 1944 du Code civil français relatif au
contrat de dépôt admet la possibilité d’une résiliation unilatérale du contrat par le déposant773.

768
Voir l’article 61 de la loi 65-99 relative au code de travail marocain qui dispose que : « En cas de faute
grave, le salarié peut être licencié sans préavis ni indemnité ni versement de dommages-intérêts.
-L’article 34 alinéa 1 de la loi 65-99 relative au code du travail dispose que « le contrat de travail à durée
indéterminée peut cesser par la volonté de l’employeur sous réserve des dispositions ….relatives au délai de
prévis.
- L’article 34 alinéa 2 de la loi 65-99 relative au code du travail dispose que : « le contrat de travail à durée
indéterminée peut cesser par la volonté du salarié au moyen d’une démission portant la signature légalisée par
l’autorité compétente. Le salarié n’est tenu à cet effet que par les dispositions…..relatives au délai de préavis ».
- L’article 43 alinéa de la loi 65-99 relative au codedu travail dispose que : « la rupture unilatérale du contrat
de travail à durée indéterminée est subordonnée, en l’absence de faute grave de l’autre partie, au respect du délai
de préavis. ».
769
Contrat de travail (article L.1231-1 C.trav français) ;
770
Voir les articles 33 à 42 relatifs aux modes de cession du contrat de travail du code de travail marocain, et
les articles 43 à 48 relatifs su délai de préavis du même code et en droit comparé Article L.1237-1 et L.1234-1
C.trav. français.
771
Voire l’article 59 de la 65-99 relative au code de travail et en droit comparé, l’article L.1237-2, du C.trav.
français.
772
Voirel’article 66 et s de la loi 65-99 relative au code de travail et en droit comparé l’article L.1231-1 et s.,du
C.trav. français. Sur la procédure à suivre pour prévenir au licenciement, v.l’article 62 de la loi 65-99 relative
au code de travail et en droit comparé français l’article L.1232-2, etL.1234-3 du C.trav.
773
Ce texte énonce, en effet que « le dépôt doit être remis au déposant aussitôt qu’il le réclame, lors même que le
contrat aurait fixé un délai déterminé pour la restitution ».
148
A côté de ces facultés d’origine légale de résiliation unilatérale, il existe certaines
possibilités conventionnelles de rupture supposant que, dés la conclusion du contrat une telle
faculté d’y mettre fin par volonté unilatérale doit être accordée soit à l’une des parties, soit à
l’une et à l’autre. Ce principe est très généralement admis, au motif qu’il n’y a là qu’une sorte
de mutuus dissensus anticipée. En principe, tout engagement est doté d’une force obligatoire,
malgré sa révocabilité. Cette règle, résulte, de la force obligatoire des obligations à exécution
instantanée et de la force obligatoire du terme extinctif. Certes, l’extinction unilatérale des
engagements se présente, au premier abord, comme un phénomène exceptionnel ; toutefois, le
droit positif offre de plus en plus d’exemples d’extinction unilatérale. Cette multiplication des
droits d’extinction unilatérale se constate particulièrement dans les droits spéciaux,
représentatifs d’un droit vivant proche des considérations économiques et sociales. Il est alors
primordial de réviser les liens qui unissent la théorie générale du contrat et le droit des
contrats, la doctrine ayant donné au « droit commun » des contrats un aspect figé774.Toute
vision dogmatique du principe d’irrévocabilité des engagements doit être rejetée. Les valeurs
économiques et sociales protégées par le droit positif entrainant inéluctablement une
émancipation de l’extinction unilatérale775. Le contrat à également la force obligatoire de la
loi à l’égard du juge. Le juge doit donc appliquer le contrat. Il n’aurait pas à intervenir ou à
modifier tel ou tel élément du contrat pour ne pas favoriser son exécution, même dans le cas
où il ne lui semble pas équitable. Cette règle paraît essentielle pour la sécurité contractuelle.
Cependant le juge peut intervenir dans le contrat dans certains cas en vertu du droit qui lui a
été reconnu par le législateur. Quelles sont les hypothèses dans lesquelles n’est pas admise
une telle immixtion du juge ? Cette immixtion présente-t-elle une telle controverse ou
singularité en droit marocain comparé tant privé qu’administratif ?

B- La prohibition de l’immixtion du juge dans le contrat


L’exclusion du pouvoir modérateur du juge est justifiée par deux considérations : la
première s’appuie sur l’idée que le contrat traduit des intérêts purement et exclusivement
individuels et que par essence, il tire sa force de la volonté de ceux qui l’ont conclu, et la
seconde invoque l’impératif de sécurité juridique dans les relations contractuelles. Ces deux
considérations, constituent un obstacle devant toute intervention du juge dans les contrats.
L’immixtion du juge dans le contrat serait donc de nature à favoriser son inexécution. A ce
propos, il convient, d’évoquer les différentes manifestations de l’exclusion du pouvoir du juge

774
V.sur ces relations en droit commun des droits spéciaux, E.Savaux, La théorie générale du contrat, mythe ou
réalité, op.cit.,p.4-5 .
775
Yannik Pagnerre, L’extinction unilatérale des engagements, op.cit., p.489 et s .
149
dans le contrat, même dans les cas des rapports contractuels déséquilibrés en raison d’une
évolution imprévisible justifiées par l’impératif de sécurité juridique (1) , tout en mettant en
exergue selon l’approche comparative adoptée ,les particularités du droit marocain : droit
privé ou public (2). Quant est-il de la portée de la force obligatoire du contrat à l’égard du
juge administratif et sa position envers l’admission de la théorie de l’imprévision en droit
marocain comparé ?

1- Les manifestations de prohibition d’intervention du juge dans le contrat

L’exigence d’une sécurité juridique dans les transactions, améne à poser le principe de
l’intangibilité des contrats même à l’encontre du juge. Une telle intervention apparaît de
nature à saper le caractère astreignant des conventions et à troubler les relations contractuelles
et constituait une source de dangers. Elle pourrait encourager le manquement aux
engagements réciproques des parties contractuelles, et aider l’un des contractants à revenir sur
son engagement. C’est pourquoi la loi avertit que la convention fait la loi des parties. Cette
règle constitue un point commun entre le droit privé marocain et le droit français que le droit
allemand. En effet, Tout contractant doit pouvoir compter sur l’exécution de ses obligations
par le contractant »776.

Mais sur le plan pratique, l’exécution du contrat ne s’effectue pas toujours sans heurt.
Il arrive souvent qu’un débiteur tarde à payer, qu’il conteste l’étendue de ses obligations ou
encore, estimant qu’elles sont excessives, prétendre les réduire. Dans cette hypothèse, le
créancier se trouve dans l’obligation de faire saisir le juge pour lui demander d’enjoindre au
débiteur de procéder à l’exécution de sa promesse telle qu’elle a été prescrite initialement.
C’est alors au juge qu’il revient d’assurer l’exécution du contrat. Son rôle est de rappeler aux
parties l’accord qu’elles ont convenu et de le faire appliquer selon la teneur prévue qu’elles lui
ont donnée, même si une exécution rigoureuse de cet accord lui paraîtrait très injuste 777. Il lui
incombe donc de préserver les droits du créancier contre la défaillance de son débiteur. Il doit
refuser toute sollicitation de ce dernier qui chercherait à modifier ses obligations, afin de
donner au principe de la force obligatoire toute sa portée et faire obstacle à toute tentative de
la part des débiteurs qui vise à revenir sur leurs engagements. Car, la modification judiciaire
du contrat pourrait conduire à l’inexécution des contrats et, par conséquent à en miner la
force obligatoire.

776
A.Rieg,Le rôle de la volonté dans l’acte juridique en droit civil français, et allemand, Paris,1961,p.11.
777
Rafik Ouelhazi,Le juge judiciaire et le force obligatoire du contrat, thèse, Unive .Robert Schman de
Strasbourg,1997,p.18.
150
En raison du besoin de sécurité juridique dans les rapports d’échange, le juge doit
s’abstenir de toute immixtion dans la relation contractuelle des parties778. Aussi, le fait que le
contrat présente un avantage excessif pour une partie au point de léser gravement l’autre ne
doit pas retenir l’attention du juge qui n’est pas fondé d’en rétablir l’équilibre. Son rôle n’est
pas de corriger les injustices contractuelles mais, plutôt de forcer les contractants à respecter
leurs engagements indiqués dans l’accord779. Selon un auteur, « le juge n’est pas
essentiellement ‘le censeur du contrat’, car « il ne faut pas substituer le mal de l’insécurité au
mal de l’abus », ni en arriver à ce point que « par la voie d’un contrôle systématique de
l’abus, une telle intervention judiciaire devait s’étendre sur les contrats »780.

L’impératif de sécurité qui s’appuie sur la théorie de l’autonomie de la volonté pour


justifier la soumission du juge à la force obligatoire des conventions est évoqué pour
s’opposer à toute nature d’intervention du juge dans le contrat par voie d’ajouter, de
retrancher (a) ou de modifier la teneur d’une clause du contrat (b). Ainsi, il est utile de
donner des illustrations des différents aspects pratiques de cette exclusion du pouvoir du juge
dans le contrat.

a- L’exclusion d’ajouter ou de retrancher une clause du contrat

Le contrat est un acte de prévision. Au moyen du contrat les parties fixent leurs
engagements et organisent leur relation future. La stabilité juridique de la relation
contractuelle s’oppose à toute immixtion dans le lien contractuel. Le principe d’interdiction
d’ajouter aux obligations prévues par le contrat est exprimé depuis longtemps par la Cour de
cassation française qui veille scrupuleusement à son respect en invoquant la lettre de l’article
1334 du Code civil pour cesser la décision du juge qui se livre à de telles adjonctions.

En vertu du même principe d’interdiction que la Haute Juridiction rappelle au juge


qui impose au locataire l’obligation de consentir, au profit du bailleur, un droit de passage
dont les parties n’ont pas convenu lors de la conclusion du contrat de bail781.L’idée est donc

778
Voir en matière civile arrêt n° 1968 de la Cour Suprême , rendu le 21/9/1987, publié dans la revue de la
justice de la Cour Suprême n°41,p.81 et s ; en matière administrative arrêt n° 304 de la Cour Suprême , rendu
le 16/4/1998, publié dans la revue Al Miayar n°29,p.174 et s ;en matière de bail arrêt n° 5655 de la Cour
Suprême , rendu le 24/1/1999, publié dans le rapport annuel de la Cour Suprême en 1999,p.78 ;en matière
sociale arrêt n° 688 de la Cour Suprême , rendu le 17/9/2002, publié dans la revue de la justice de la Cour
Suprême sous n°59-60 ,p.335 ;
779
Voir arrêt n° 48 de la Cour Suprême , rendu le 17/1/2007, publié dans le rapport annuel de la Cour Suprême
en 2007 ,p.157 ;en matière de vente arrêt n° 3562 de la Cour Suprême , rendu le 14/10/2009, publié dans la
revue de la justice de la Cour de cassation n°74,p.144 et s
780
J.-M.Mousseron, Rapport de synthèse, in Les principales clauses des contrats conclus entre professionnels,
colloque I.D.A.Aix-En-Provence,17-18 mai 1990,P.U d’Aix-Marseille,p.225 et s.,spéc.p.232.
781
Civ.3me ,13 nov.1979, Bull.civ.,III,n°201,p.157 ;J.C.P.1980,éd.G.,IV,p.32.
151
que l’adjonction par le juge d’une obligation à la charge de l’une des parties contrevient au
principe de la force obligatoire dont les tribunaux doivent observer le respect et constitue une
violation à ce principe comme l’illustre l’espèce rapportée782.

En application de la règle de l’article 230 du D.O.C et en droit comparé l’article 1134


du Code civil français, le juge n’est pas autorisé à ajouter de nouvelles clauses à l’accord des
paries quelle que soit la justification invoquée. Le principe de la force obligatoire postule que
dés que les parties ont déterminé leurs engagements réciproques, le contrat se trouve fixé.
C’est l’intangibilité du contrat qui impose au juge d’en retrancher certaines clauses. Cette
règle s’applique à tous les contrats et à toutes les clauses. Aussi la Cour de cassation
française à indiqué que le contrat, même s’il est à exécution successive, est pourvu d’une
force obligatoire qui interdit au juge d’en modifier les clauses et, à plus forte raison, d’en
écarter une783

La jurisprudence offre diverses illustrations de cette idée. C’est le cas par exemple
d’un contrat de bail, en vertu duquel un fermier exploite une terre et qui doit se poursuivre
encore pendant treize ans et qui contient une clause résolutoire prévoyant la résiliation du
bail pour le cas où toutes les pailles récoltées n’auraient pas été converties en fumiers. Ayant
récolté environ 240.000 bottes de paille, il en vend environ 16000 pour les remplacer par des
engrais chimiques et autres éléments fertilisants. Le propriétaire se prévaut alors de la clause
résolutoire et saisit le juge pour lui demander de constater et dire que le bail est résilié. La
Cour de Paris rejette sa demande et affirme, pour écarter la clause résolutoire, que « les
tribunaux ne sont pas liés par la lettre des contrats, lorsqu’il s’agit surtout d’un contrat de bail
dont l’exécution est successive »784.Mais la cour de cassation invoque l’article 1134 du Code
civil pour censurer cette décision en indiquant qu’il « n’appartient pas au juge de ne pas point
faire application…de clauses formelles et précises ; (et) qu’il en est ainsi même pour les
contrats, comme le bail, dont l’exécution s’étend à des époques successives »785.

Il résulte de cette jurisprudence que le principe de l’exclusion du pouvoir du juge de


s’immiscer dans les conventions est général. L’article 230 du D.O.C. et en droit comparé
français l’article 1134 du Code civil impose au juge le respect de tous les contrats 786.

782
Cf. Le cas ou la décision du juge est censurée pour avoir ajouté « une telle clause (qui) n’était pas prévue au
contrat » :Com.4 déc.1979, Bull.civ.IV, n°323, p.255.
783
Civ.10 mars, 1919, s.1920, I, p.105, note NAQUET.
784
Ibid., p.106, 1er col.
785
Civ.10 mars, 1919, préc.
786
C’est le motif de principe de l’arrêt Canal de Craponne.
152
Cette règle est générale, absolue et s’applique à toutes les clauses des contrats. Ainsi
en matière de contrats de baux commerciaux, certains juges du fond ont affirmé leur pouvoir
de modifier, voire de supprimer une clause accessoire. C’est le cas dans cet arrêt où, pour
écarter la clause qui restreint le droit du bailleur de jouir la cour d’un immeuble loué à usage
commercial et instituer un droit de passage au profit de ce bailleur, le juge du second degré
« énonce que la restriction à la jouissance de la cour présentait le caractère d’une condition
accessoire »787.Toutefois, cette décision est censurée par la Cour de cassation qui leur oppose
la lettre de l’article 1134 du Code civil français.

Ainsi la Cour de cassation française a affirmé que : « La clause accessoire fait


certainement partie du contrat, (et) elle participe de sa force obligatoire »788.Elle a rappelé
également dans une affaire plus récente en affirmant, à l’appui de sa censure, « qu’aucune
juridiction n’à le pouvoir de modifier les clauses mêmes accessoires du bail
commercial »789.La portée de la force obligatoire à l’égard du juge lui impose également de
tenir compte de toutes les clauses du contrat et de les appliquer dans la teneur fixée par les
parties contractuelles sans apporter aucune modification.

b- L’exclusion de modifier la portée d’une clause du contrat

En raison du principe de la force obligatoire du contrat, le juge n’est pas fondé


d’amplifier les stipulations d’une de ses clauses en rajoutant à ce qui a été
conventionnellement prévu par les contractants et fixé par le lettre de la clause qu’elles ont
établie. A défaut d’un tel respect de la teneur des clauses stipulées par les parties, le juge
encourt de violation de l’article 230 du D.O.C.

La Cour de cassation française, n’hésite pas à censurer les décisions qui opèrent de
telles adjonctions, là où ils interviennent. Ainsi, s’agit-il d’un bail commercial, les objets
vendus doivent être conformes aux stipulations de la clause qui détermine la nature du
commerce à exercer dans les lieux objet du contrat de bail. Par conséquent, lorsqu’il est
constaté que le preneur vend des objets non prévus par cette clause, le juge n’est pas fondé à
rejeter la demande de résiliation du contrat introduite par le bailleur, en retenant que la vente
de ces objets « constitue le prolongement habituel et normal de l’activité exercée,…alors que

787
Civ.3me 13 nov.1979,Bull.civ.,III,n°201,p.157 ;J.C.P.1980,éd.G.,IV,p.32 (cassation).
788
Sur le rapport entre les clauses principales et accessoires :G.Goubeaux,La règle de l’accessoire en droit privé,
thèse Nancy,L.G.D.J.1969 ,préface D.Tallon,n°132 et s. Sur la difficulté en cas de désaccord des parties sur un
élément accessoire du contrat :A.Rieg,Le rôle de la volonté dans l’acte juridique en droit civil français et
allemand, thèse Strasbourg1961 ,n°79.
789
Civ.3me ,14 octobre 1987, Bull.civ.III ,n°169 ,p.98 ;D.1987,I.R,p.207 ;A.J.P.I. ,1988,p.87.n°17.
153
la destination des lieux était définie par les stipulations du bail »790.En matière de contrat de
travail, lorsque la clause de non concurrence fixe la date de sa prise d’effet à compter de la
rupture du contrat de travail, le juge ne peut « ajouter aux conventions des parties…reporter à
une date ultérieure le point de départ imparti par ladite clause »791.

Il résulte de cette illustration, que si une stipulation n’est pas prévue par la clause
litigieuse, le juge ne peut pas l’imposer en modifiant ladite clause par voie d’adjonction.
Ainsi en matière de contrat d’assurance, une compagnie d’assurance a refusé sa garantie à un
assuré parce qu’il a souscrit un contrat d’assurance uniquement pour un véhicule tracteur,
alors qu’au moment de l’accident ce véhicule tractait une remorque non déclarée à l’assureur.
La cour d’appel de Bordeaux décide que dés lors que l’adjonction d’une remorque n’est pas
prohibée par la police d’assurance, la compagnie doit sa garantie à l’assuré, peu importe que
la déclaration de la remorque n’est pas été faite. Toutefois, la Cour de cassation désapprouve
ce point de vue et, lui opposant l’article 1134, elle censure l’arrêt de la Cour de Bordeaux qui
l’adopte792.

Il se déduit de cette jurisprudence, que le juge doit veiller à ce que les clauses du
contrat soient exécutées tel que les parties ont fixé les termes. Cette position qui lui interdit
de subordonner l’exécution d’une clause à une condition qui n’est stipulée. Une telle
opération constituerait une adjonction à la convention des parties et donc une violation du
principe de la force obligatoire des contrats.

Dans une affaire où le juge, animé probablement par un sentiment d’équité,


subordonne ouvertement l’exécution d’une clause à une condition qui n’est pas prévue par les
parties. Il s’agit qui, conclu pour une durée déterminée, prévoit que si le locataire quitte les
lieux avant l’expiration du contrat, le bailleur serait en droit d’exiger le montant des loyers
et charges jusqu’à la dernière échéance. En outre, ce dernier aurait à une indemnité de 1000
francs pour le cas où il serait amené à demander en justice le paiement des sommes dues. En
l’état de ces stipulations, le juge n’est pas fondé à refuser cette indemnité au bailleur en
retenant que celui-ci ayant reloué immédiatement les lieux, n’a subi aucun préjudice. La Cour
de cassation censure, en effet, sa décision car, en statuant ainsi, il a « subordonné le paiement

790
Civ.3me,1 juin 1994,Pourvoi n°91-18.671,Perie c/Giroux.
791
Soc.6 mais 1982,Bull.civ,V,n°279,p.206 ;J.C.P.1982,éd.G. ,IV,p.245.
792
Civ.1er ,30 mai 1995,D.1995,I.R.,p.157 ;J.C.P..1995,éd.G.,IV,p.227,n°1783.Adde,30 mai
1995,D.1995,I.R.,p.157;J.C.P.1995,éd.G.,IV,p.227,n°1784 :La clause de la police prévoit l’assurance d’une
remorque d’une marque précise, le juge décide que l’assureur doit garantir l’assuré même si la remorque attelée
au moment de la survenance de l’accident est d’une marque différente (cassation).
154
de l’indemnité forfaitaire stipulée par les parties à la justification d’un préjudice non prévue
par le bail »793.

Les arrêts évoqués donnent une illustration précise et montrent qu’il est interdit au
juge d’ajouter ou de retrancher à la clause fixée par les parties. Cette solution lui interdit
d’appliquer une telle clause hors de son champ. Pourtant, parfois la Cour de cassation
française intervient parce que le juge, au lieu de contenir la mise en œuvre d’une clause dans
le cadre convenu par les parties, le dépasse.

Ainsi, lorsqu’une clause prévoit la résolution du contrat de vente d’un immeuble si


l’autorisation administrative requise n’est pas accordée, le juge viole l’article 1134 du Code
civil en appliquant cette clause pour le cas où cette autorisation est délivrée avec retard. En
effet, « le refus de l’autorisation était le seul cas de résolution de la vente envisagée
expressément par les contractants »794.Dans une autre hypothèse, le juge n’est pas fondé de
transformer le contenu d’une clause pour lui donner un contenu différent. Ce cas de figure
n’est pas fréquent. Il arrive qu’un tribunal procède à une conversion judiciaire parce qu’il la
juge utile ou parfois dictée par un sentiment d’équité.

Il résulte que le rôle du juge consiste à assurer l’exécution des conventions en


enjoignant aux parties de respecter leur accord tel qu’il a été convenu .Aussi il n’est pas
permis au juge d’intervenir dans le contrat ou de procéder à une telle modification quelle que
soit les modalités et les motivations qu’il invoque pour changer la teneur des ses clauses.
Cette position défendue par la conception classique du contrat même en présence d’une
convention formée entre des parties de forces inégales ou dans des situations injustes, a fait
l’objet d’une controverse juridique et doctrinale, ce qui a donné lieu à la naissance d’une
nouvelle tendance de la force obligatoire du contrat plus souple et moins rigoureux, facile de
s’adapter avec la réalité contractuelle qui s’appuie sur la justice contractuelle et l’équité
contractuelle.

793
Civ.3me,5fév.1975,D.1975 ,I.R.,p.91.
Adde,Civ.1er,15.oct.1985,Bull.civ.I.n°258 ,p.231 ;R.T.D.Civ.1986,p.343.obs.Mestre.Une clause d’un contrat de
location de voiture stipule qu’en cas de sinistre entraînant la totale destruction du véhicule, le preneur devra au
loueur « une indemnité dont le montant serait de la valeur de la cote argus ».Le juge qui était saisi d’un litige
relatif à cette indemnité suite à la destruction de la voiture, en déduit le montant de la T.V.A.au motif que celui-
ci, ayant été déjà récupéré par le loueur, « ne constituait par un élément de son préjudice ».La décision est
censurée au visa de l’article 1134 car « Les parties ont conclu un contrat d’indemnité, et le juge, qui devait
appliquer la loi contractuelle, n’avait pas à se prononcer en considération du montant du préjudice réellement
subi par la société E.I.S. »v.cep.le revirement dans une affaire similaire, mettant en cause exactement la même
clause :Civ.1er ,16 fév.1988,Bull.civ.I ,n°44 ,p.28 ;R.T.D.Civ.1989,p.71,obs.Mestre.La cour de cassation
approuve le juge d’avoir déduit le montant de la T.V.A. (dans ses observations sous l’arrêt de 1988,M.le
professeur Mestre pense, pourtant, que les deux arrêts ont le même sens).
794
Cass.1er sect.civ.,11 mai 1954,Bull.civ.I ,n°147 ,p.125.
155
L’intangibilité du contrat valablement formé s’impose non seulement aux parties mais
au juge qui n’est pas fondé d’en modifier les termes795. Le contrat est élaboré en considération
des circonstances économiques du moment et des évolutions prévisibles. Or le
bouleversement des circonstances économiques peut avoir pour effet de déjouer les prévisions
des parties et de déséquilibrer gravement le contrat ; la question qui se pose alors est de
savoir si le contractant qui est désavantagé par le bouleversement économique peut obtenir la
révision du contrat796 et le juge peut-il réajuster le contrat en vue de rétablir l’équilibre
rompu ? C’est le délicat problème de l’imprévision contractuelle.

2- La prohibition de réviser le contrat pour imprévision

Lorsque les parties concluent un contrat dont l’exécution se déroule dans le temps, ce
que l’on appelle un contrat successif, elles tiennent compte à la fois des circonstances
existant lors de sa conclusion et des événements futurs qu’elles peuvent prévoir. Or ces
données peuvent changer797.Si les circonstances initiales qui avaient présidé à la conclusion
du contrat se transforment profondément (crise pétrolière, découverte technologique,
fermeture d’une source d’approvisionnement ou d’une voie de transport), faut-il en modifier
les conditions d’exécution ?

Après avoir donné les solutions qui lui apportent le droit privé marocain hostile à
toute révision pour imprévision et les positions du droit comparé (a), on exposera les
évolutions apportées à l’admission de la théorie de l’imprévision en droit administratif et en
droit civil de certains systèmes juridiques comparés tout en mettant en exergue les principaux
termes du débat auquel il donne lieu (b).

a- En droit privé comparé


Les contrats dont l’exécution s’échelonne dans le temps sont à l’origine d’un
problème particulier, comme les contrats de fourniture et d’approvisionnement (fournitures
régulières de marchandises, approvisionnement en matière premières…), les contrats de
concession (minières, pétrolières…), certains baux de longue durée (baux ruraux),certains
contrats de longue durée portant sur la réalisation de grands ouvrages (barrages- aéroports,-

795
Omar Azziman,Le contrat,op.cit.p.240.
796
Christophe Lachiéze, Droit des contrats,op.cit. ;145 et s.
797
L.Aynés, « l’imprévision en droit privé »,RJ com.2005,n°5 ,p.397-406 ;Ph.STtoffel-Munck, Regard sur la
théorie de l’imprévision,Aix,PUAM, 1994.Sur la comparaison entre les droits français et anglais :I.DE
Lamberterie et J.Bell,in Le contrat aujourd’hui ,comparaison fronco- anglaises, sous la dir. de D.Tallon et
D.Harris,LGDJ,1987,p.217-267.Que reste- t-il de l’intangibilité du contrat ?Colloque de Chambéry,1997,Dr. Et
patrimoine,1998,p.41 et s. ;Philippe Malaurie,Laurent Aynés et Philipe Stoffel-Munck,Les
obligations,op.cit0.,p.372.
156
autoroutes, ponts…)798.Le contrat, normal au moment de la conclusion ,peut devenir
déséquilibré au cours de son exécution (l’une des prestations étant manifestement exagérée
par rapport à l’autre),ceci en raison d’une évolution économique imprévisible pour les parties.
La question se pose, alors, de savoir si, dans un souci de justice, le juge doit réviser le contrat.
C’est le délicat problème de l’imprévision contractuelle799 pour cause d’imprévision.800Le
règlement du problème évoqué divise la doctrine, depuis longtemps, en deux courants
opposés : un courant qui s’oppose à toute révision pour cause d’imprévision et un courant qui
admet la révision du contrat par le juge. Cette divergence quant à l’admission de la théorie de
l’imprévision se trouve en matière de droit privé et en droit administratif.

Le premier courant classique hostile à la révision pour cause d’imprévision s’appuie


sur le principe de la force obligatoire du contrat posée par l’article 230 du D.O.C et en droit
comparé l’article 1134 du Code civil français. Cette règle interdit au juge de modifier le
contrat. Le juge est soumis à la loi contractuelle, la loi individuelle que se sont données les
parties, comme il l’est à la loi étatique. D’autres arguments avancés par ce courant ayant trait
à la sécurité dans les relations contractuelles à travers l’observation du principe de la force
obligatoire en tenant compte de la finalité socioéconomique du contrat en tant qu’un
instrument de prévision et des considérations morales supposant le respect de la parole
donnée801.

Le principe de l’impossibilité d’une révision du contrat par le juge a été posé dans le
célèbre arrêt Canal de Craponne802 qui a donné l’occasion à la Cour de cassation de fixer
fermement sa jurisprudence. En 1560 et 1567, un certain Adam de Craponne s’était
contractuellement engagé à alimenter perpétuellement les canaux d’irrigation dans la plaine

798
Omar Azziman,Le contrat,op.cit.p.241.
799
Sur la théorie de l’imprévision ,v.P.Voirin ,De l’imprévision dans les rapports de droit privé, thèse Nancy
1992 ;E.de Gaudin de Lagrange,La crise du contrat et le rôle du juge, thèse Montpellier 1935 ;A.Rieg,thése
préc.,p.532 et s. ;P.Azard,L’instabilité monétaire et la notion d’équivalence dans les contrats, JCP
1953.I.1092 ;M.EL Gammal,L’adaptation du contrat aux circonstances économiques, Paris,1967 ;Le rôle du juge
en présence des problèmes économiques, Travaux Ass.H.Capitant,t.XXII 1970 avec notamment le rapport sur
le rôle du juge en présence des problèmes économiques en droit civil français par B.Oppetit,p.185 et s., et le
rapport général par R.Perrot,p.260 et s.,Lés effets de la dépréciation monétaire sur les rapports juridiques
contractuels en droit civil français, rapport de Pierre Catala,in Travaux Ass.H.Capitant,t.XXIII,1971,p.439 et
s. ;Ghestin et Billiau,Le prix dans les contrats de longue durée,1990 ;J.-L.Delvové,L’imprévision dans les
contrats internationaux, Travaux comité fr.DIP 1988-1990 ,p.147 ;L.Grynbaum,Le contrat contingent, thèse
multigr.Paris II,1998 ;C.Jamin, Révision et intangibilités ou la double philosophie de l’article.1134 du Code
civil,Droit et patrimoine, mars 1998,n°58,p.46 et s. ;H.Lécuyer,Le contrat,acte de prévision, Mélanges
F.Terré,1999,p.643 ;D.Mazeaud,La révision du contrat, LPA 30 juin 2005,p.4 et s. ;L.Aynés,L’imprévision en
droit privé,RJcom.2005.397 et s. ; François Térré,Philippe Simler et Yve Lequette,Les obligations,10e
éd.Dalloz,2009,Paris II,p.481 et s.
800
Lucienne Topor,Les contrats,op.ci.,p.93 et s.
801
Omar Azziman,Le contrat,op.cit.p.242.
802
Civ.,6 mars 1876,D.1876,1,193 ;S.1876,1,161 ;G.A. ,vol.2 ,n°163.
157
d’Arles, moyennant une contrepartie de sols par carteirade (190 ares).Au cours du XIXe siècle
ses héritiers qui exploitaient le canal, demandèrent une réévaluation de cette somme devenue
largement insuffisante803.La Cour d’Aix ayant élevé cette redevance à soixante centimes, sa
décision fut cassée au visa de l’article 1134 alinéa 1. Aucune considération de temps où
d’équité ne peut, en effet, selon la Cour de cassation, ne permettra au juge de modifier la
convention des parties. La Cour de cassation a plusieurs fois réaffirmé sa position804, au cours
d’XXe siécle marqué par plusieurs événements qui eurent pour effet de bouleverser le
contexte économique (guerres, crises économiques et financières…).

Certains arrêts de la jurisprudence donnent une illustration claire de cette position


aussi bien en droit marocain805 que français. A l’occasion des contrats de remplacement
militaire rendus plus onéreux par la survenance de la guerre de Crimée, la Cour de cassation
avait déjà censuré les décisions des cours d’appel qui avaient admis leur résiliation806.La
période d’inflation consécutive à la première guerre mondiale aurait pu être l’occasion pour la
jurisprudence de reconsidérer sa position807.Mais la Cour de cassation ne s’est pas départie de
son attitude rigide808.Elle l’a fait, de la manière la plus nette, à l’occasion d’une question
célèbre (C.civ.art.1821 à 1826) :il s’agit d’un contrat par lequel le bailleur fournit au fermier
un certain nombre de têtes de bétail estimées au jour du contrat, à charge, pour le fermier, de

803
L’entreprise qui exploitait le canal, faisant état, de la baisse de la valeur de la monnaie et de la hausse du
coût de la main-d’œuvre, demanda un relèvement de la taxe qui n’était plus en rapport avec les frais d’entretien.
804
V.not.com.,18 janv.1950,p.227 ;Com.18 déc.1979,Bull.civ.IV ,n°339.
805
Arrêt de la Cour de cassation en date du 24/10/1957 non publié. 230 ‫" ثًمزؼٗ انفظم‬: ٌ‫ ارشبص ْظا انمغاع ػهىب‬ٙ‫يغركؼا ف‬
.‫ًكٍ ثب٘ دبل يٍ االدٕال سغق انمٕح انًهؼيخ نهؼمض ثضػٕٖ اٌ االنزؼايبد انُبرجخ ػٍ انؼمض لض اطجذذ اكضغ اعْبلب الدض االؽغاف‬ٚ‫ ع ال‬.‫ل‬.‫يٍ ق‬
806
Des jeunes conscrits avaient passé des contrats d’assurance avec des agences qui, moyennant le versement
d’une prime, les avaient assurés contre les risques du tirage au sort et s’étaient obligées à procurer des
remplacements à ceux qui tiraient un mauvais numéro. Or, postérieurement à la conclusion de ces contrats, les
charges incombant aux assureurs avaient été considérablement aggravées étant donné l’augmentation du
contingent et l’imminence de la guerre de Crimée ;et les agences s’étaient trouvées dans l’obligation de trouver
davantage de remplaçants et de les payer plus cher en raison du risque de guerre. Elles demandèrent et obtinrent
de diverses cours d’appel la résiliation des contrats, celle-ci étant justifiée, d’après elles, soit par la force
majeure (Douai,3 mai 1851,DP54.2.130 ;Grenoble,18 août 1854,DP 55.2.78),soit par le changement des
circonstances imprévisibles pour les parties (Paris,26 mai 1854,3 arrêts, DP 54.2.129 ;Rouen,3 juin 1854,DP
54.2.131.).La Cour de cassation censure les arrêts qui lui furent déférés : l’augmentation du contingent n’était
pas un cas de force majeur, car elle ne rendait nullement impossible l’exécution de l’obligation de
l’assureur ;pas davantage l’augmentation du contingent par une loi nouvelle ne constituait un événement
imprévisible, car elle relevait du domaine du pouvoir législatif (Civ.,9 janv.1856, 3 arrêts, DP 56.1.33 ;11 mars
1856 DP 56.1.100).
807
Effectivement ,certaines juridictions de fond furent incitées à accueillir la théorie de l’imprévision en
assouplissant la notion de la force majeure, une impossibilité relative d’exécution étant considérée comme
suffisante ;v. ainsi sur la résiliation de contrats dont l’exécution était simplement devenue plus onéreuse pour
des contractants,T.com.Toulouse,1er juin 1915,DP 1916.2.112,S.1916.2.29 ;T.com.Rouen,18 déc.1919,DP
1920.2.33.,2e esp.Mais la plupart des juridictions du fond ont rejeté la notion d’imprévision. V.ains Orléans,24
juin 1915,DP 1916.2.104 ;Paris,8 janv.1916,S.1916.2.39. ;Caen,24 févr.1916,DP. 1916.2.22 (imposant aux
vendeurs de livrer leurs marchandises dans les conditions fixées par le contrat malgré l’augmentation
considérable du prix de revient).-V.encore Paris,21 déc.1916,DP 1917.2.33,note H.Capitant.
808
La Cour de cassation a ainsi jugé…p.482.
158
les restituer en nature ou en valeur lors de l’expiration du bail. D’après l’article 1821, le
fermier devait laisser des bestiaux « d’une valeur égale au prix de l’estimation de ceux qu’il
aura reçus », et l’article 1826 précisait que, « s’il y a du déficit, il doit le payer ; et c’est
seulement l’excédent qui lui appartient ».

Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt déféré à la Cour de cassation809,le contrat de
bail comportait la clause suivante : « le pied de capital qui a été pris en charge par le fermier
s’élève à la somme de 3000 F pour le bétail et 2425 pour le troupeau, et c’est de cette valeur
en espèce ou en nature ,au choix du propriétaire, qu’il rendra compte à sa sortie ».Le prix des
bestiaux ayant considérablement augmenté en raison de la dépréciation monétaire et de la
raréfaction du bétail après la guerre de 1914-1918- en l’espèce l’expiration du bail en
1919,le fermier avait pu vendre le troupeau de moutons à 9 550 F ; quant au bétail gardé par
le fermier, un expert l’avait estimé à 15 000 F- ,le fermier pouvait-il être tenu quitte en ne
restituant au bailleur qu’un cheptel d’égale valeur pécuniaire, mais de bien moindre
importance numérique (ou une somme d’argent correspondant à la valeur d’estimation portée
au contrat),ou bien devait-il restituer un cheptel représentant en quantité et qualité l’équivalent
de celui qu’il avait reçu (ou une somme d’argent correspondant à la valeur de cheptel estimé à
l’expiration du bail) ? En d’autres termes, qui du bailleur ou du fermier devait supporter les
conséquences de l’augmentation du prix des bestiaux ?

Le fermier prétendait conserver en entier le profit du cheptel, l’article 1825 ne faisant


aucune distinction entre la plus-value apportée au cheptel par les soins du fermier et celle
qui proviendrait de circonstances accidentelles, par exemple la cherté du bétail pour une
cause quelconque .Cette prétention aboutissait à permettre au fermier de s’assurer un
enrichissement considérable au détriment du propriétaire. La Cour de cassation a déclaré que
le raisonnement du fermier était correct :le cheptel avait été estimé à 5 425 F ;c’est cette
somme ou bien du cheptel valant cette somme qu’il fallait restituer, le propriétaire était tenu
de se contenter de la somme portée au contrat, sans qu’il pût alléguer l’augmentation
extraordinaire des prix du bétail810. La jurisprudence a ultérieurement maintenu sa position
dans les circonstances les plus variés.

809
Toulouse,8 juil.1920,DP 1920.2.105,S.1920.2.97.
810
Civ.,6 juin 1921,DP 1921.1.73,rappr.Collin,S.1921.1.1.193,note I.Huguerney.-Le refus de l’admission de
l’imprévision bénéficiait au bailleur en période de baisse des prix (V. ainsi Civ., 28 nov.1938,DH
1939.51,S.1939.1.43.).-Le législateur est intervenu au cours de la guerre de 1939 :la solution consacrée par la
Cour de cassation risquait d’aboutir à mettre les propriétaires- qui, par suite de la hausse des prix de bétail ;ne
recevaient plus du fermier à l’expiration du bail qu’un nombre de bêtes bien inferieur à celui qui existait lors de
l’entrée en jouissance-dans l’impossibilité de reconstituer leur cheptel. Aussi une loi du 9 juin 1941, modifiant
159
Le droit marocain, comme la plupart des systèmes qui ont subi l’influence du droit
français, adopte une position hostile à la question de la révision du contrat pour cause
d’imprévision811. Le droit marocain ne fait aucune place à la théorie de l’imprévision et
interdit la révision du contrat par le juge812. La jurisprudence marocaine qui est similaire à
celle française considère que le principe de la force obligatoire du contrat interdit la révision
du contrat pour cause d’imprévision et les juridictions affirment l’intangibilité du contrat en
dépit d’un changement imprévu des circonstances économiques. « Il ne saurait être fait échec
à la force obligatoire du contrat énoncée par l’article 230 du D.O.C. sous prétexte que les
obligations stipulées sont devenues plus onéreuses par l’effet de circonstances
exceptionnelles813.La position du droit marocain demeure ferme quant au toute révision par le
juge du contrat pour cause d’imprévision quelle que soit la portée excessive des charges dont
le débiteur se trouve dans l’obligation de la supporter814.Cette position s’explique par le
respect de l’intangibilité du contrat et derrière cette intangibilité se cache sa force obligatoire
,la crainte de mauvaise foi des contractants cherchant à se dérober de leur engagement et de
l’instabilité du contrat.

Or, la révision du contrat par le juge en vue d’un réajustement des prestations des
parties, en tant que solution soutenue par le deuxième courant favorable à l’admission de la
théorie de l’imprévision, obéit à des préoccupations d’équité et de bonne foi. Cette révision
peut reposer aussi bien sur une interprétation de la volonté réelle des parties que sur une
intervention du juge en matière contractuelle dans un souci de justice. Dans le cas où les
parties ont implicitement voulu cette révision suite à l’évolution économique, cela signifie
qu’elles auraient admis la révision du contrat par le juge. Mais, en laissant de côté
l’hypothétique volonté des parties, la révision du contrat peut être également fondée sur des

les art.1821 et1826 C.civ., n’a disposé expressément que le preneur, à l’expiration de son bail, doit laisser des
animaux de même espèce, formant le même fonds de bétail qui celui qu’il a reçu, en nombre, poids, âge, qualité,
race. Dorénavant, la question de l’imprévision ne se pose plus en matière de bétail à cheptel. Sur l’application de
la loi du 9 juin 1941,V.Civ.,sect.soc.13 janv.1950,D.1950.189,note R. Savatier.
811
Selon la définition donnée par le droit français, l’imprévision est un changement de circonstances, survenu
après la conclusion du contrat qui ne pouvait pas être raisonnablement pris en considération par les parties lors
de la conclusion de celui-ci. Ce changement affecte l’exécution du contrat initial en la rendant excessivement
onéreuse ou très difficile, mais ne la rend pas impossible. La survenance d’une guerre ou d’une dévaluation de la
monnaie en sont les meilleurs exemples.
812
Cour d’Appel de Rabat,13 janvier 1950,R.A.C.A.R.,T.XVI,p.105 ;Tribunal 1ere instance de Casablanca,
décision 19/04/1962,1313,p.72. ; v. plus de détail sur ce point :
.112 : ‫انًغجغ انـبثك ص‬،‫ انًغغة‬ٙ‫ٍ االسظ ٔانغص ف‬ٛ‫خ انظغٔف انطبعئخ ث‬ٚ‫َظغ‬،ٙ‫ى انؼبن‬ٛ‫ اؿزبط انزؼه‬،‫ يذًض ثَٕجبد‬-
813
Cour d’Appel de Rabat,13 janvier 1950,R.A.C.R.,T.XVI,p.105.
814
Omar Azziman,Le contrat,op.cit.p.245.
160
considérations de justice contractuelle : le déséquilibre heurtant l’ordre social, le juge doit
intervenir et modifier le contrat, ceci sans rechercher la commune intention des parties 815.

L’adaptation du rapport contractuel d’obligation en droit allemand suppose la réunion


de certaines conditions de la disparition de l’absence du fondement contractuel. Le contractant
défavorisé par la situation nouvelle peut prétendre à la révision du contrat. Le §313 al.1 er du
BGB lui confère expressément un droit à l’adaptation du contrat (Anspruch auf Anpassung
der Vertrags).Cette adaptation ne se produit pas automatiquement, par l’effet de la loi (Kraft
Gesetzes) comme cela a été admis autrefois816, elle se réalise sur la base d’un droit qui
permet à l’intéressé d’engager une négociation avec son partenaire et, si cette négociation
échoue, d’agir en justice contre lui.

L’adaptation contractuelle ou judiciaire peut revêtir deux aspects : elle peut consister à
réduire la prestation principale en nature ou à augmenter le prix de cette prestation, à accorder
au débiteur un report d’échéance ou une exécution échelonnée dans le temps, voir à répartir
la perte entre les parties comme dans l’affaire des contrats d’épargne conclus avant 1945 en
vue de la livraison d’une Volkswagen aux épargnants817.Dans le cas de l’impossibilité
d’adapter le rapport contractuel par l’une des parties, le contractant défavorisé peut
provoquer la résolution du contrat par une déclaration de volonté ou bien la résiliation pour
motif grave818 s’il s’agit d’un contrat à exécution successive (Dauerschuldverhaltnis).Mais
dans l’esprit du législateur, cette résolution ou cette résiliation ne présente qu’un caractère
subsidiaire819.

En droit anglais, la théorie de l’imprévision est une notion qui trouve une place dans la
théorie de frustration820.Les deux notions se distingue par le fait que l’imprévision est un
événement extérieur à la volonté du débiteur qui n’entraine pas forcement une impossibilité
d’exécution mais rend l’exécution plus difficile ou plus onéreuse alors que dans la frustration
il y a plutôt une impossibilité d’exécution et se rapportant davantage au concept de force

815
Lucienne Topor, Les contrats, op.ci.,p.94 .
816
Mai.contra :BGH,4 juill.1996,BGHZ.133,281,291.
817
BGH,23 otc.1951,NJW,1952,137.
818
Voir §313,al.3,§314 du BGB.
819
Michel Pédamon, Le contrat en droit allemand, op.cit.,p137et s.
820
En droit anglais la théorie de la frustration a été consacrée dans un arrêt Caldwel vs Taylor 1863.Il reconnait
au juge le pouvoir de constater la disparition du contrat dans le cas d’une impossibilité de réalisation d’une
obligation contractuelle par l’une des parties provenant d’une cause étrangères. Elle est compatible à la théorie
de l’imprévision de droit français.
161
majeure821. Cependant, son champ d’application est plus large que celui de la force
majeure822 puisque l’événement inclut une exécution très difficile du contrat et non pas
uniquement impossible. En 1956, dans l’affaire Davis v Fareham UDC (‘1956 AC 696’, la
Chambre des Lords a abandonné le fondement de la condition implicite pour le remplacer
par l’hypothèse objective de « l’homme raisonnable ».En l’occurrence, un constructeur avait
conclu un contrat avec une municipalité qui portait sur la construction de 78 maisons pour un
prix de £92 425 et dans un délai de huit mois. Cependant, à cause d’une crise de personnel et
de matériaux, et sans qu’il y eût de faute, le constructeur ne peut pas respecter le délai et les
travaux durèrent vingt-deux mois, ce qui eu pour effet d’augmenter considérablement le coût
de l’opération. Le constructeur, estimant que le contrat n’existait plus en raison de la
frustration, a réclamé comme une debt quasi contractuelle, le montant du dépassement du prix
convenu.

La chambre des Lords a rejeté cette prétention. Certes l’exécution du contrat s’était
révélée plus onéreuse que prévu, mais la simple augmentation des frais n’équivalait pas à la
frustration. Selon un juge, il n’avait pas un nouvel état de chose dont la prévision était
impossible, puisque le risque de retard existe toujours dans le bâtiment. Le constructeur devait
supporter ses propres difficultés, dans la mesure où il était censé avoir prévu toutes les
circonstances économiques. La question principale soulevée par la frustration, est de savoir
dans quelles circonstances un événement met fin aux obligations contractuelles. Selon l’arrêt
de principe David v Fareham, la règle générale est que l’événement doit donner naissance à
une situation fondamentalement différente de celle visée par le contrat. Un simple
accroissement de coût ne sera pas suffisant, pas plus que le cas ou l’exécution du contrat
deviendrait plus pénible. Il faut constater l’existence d’une situation nouvelle, totalement hors
des clauses contractuelles et qu’il serait injuste d’imposer au débiteur l’exécution des
obligations (The Eugenia (1964) 2QB 226).Mais si une clause du contrat peut trouver à
s’appliquer à la situation, la théorie de la frustration sera écartée823.Le problème de
l’imprévision a donné lieu à une opposition entre le droit civil et le droit administratif.

821
Voir. l’article269 alinéa 1 du .D.O.C. dispose que : « la force majeure est tout fait que l’homme ne peut
prévenir, tel que les phénomènes naturels (inondations, sécheresses, orages, incendies, sauterelles), l’invasion
ennemie ,le fait du prince ;et qui rend impossible l’exécution de l’obligation.
822
Jean-Claude Montanier, Geoffrey Samuel,Le contrat en droit anglais, op.cit.,p.120.
823
Ibid., p.120 et s.
162
b- En droit administratif comparé

Le droit marocain comme le droit français, demeure hostile à l’admission de la théorie


de l’imprévision notamment en matière de droit privé au contraire du droit administratif. En
1916, la jurisprudence administrative française a indirectement adopté la théorie de
l’imprévision. Le principe a été posé par le Conseil d’Etat dans l’affaire Gaz de Bordeaux824.
Constatant qu’une hausse imprévisible du charbon825 avait bouleversé l’économie du contrat
de concession, la haute juridiction reconnaît au concessionnaire un droit à indemnité contre
l’autorité concédante826.Encore faut-il que le bouleversement du contrat827 soit dû à un
événement imprévisible, extérieur aux parties contractantes et qu’il ne présente qu’un
caractère temporaire ;si le déséquilibre est définitif, il y a lieu de résilier le contrat 828.La
consécration de la théorie de l’imprévision est justifiée par une donnée spéciale au droit
administratif :la nécessité d’assurer la continuité du service public ;la ruine du
concessionnaire l’empêcherait de faire fonctionner le service. C’est d’ailleurs pour éviter
l’interruption du service public que la jurisprudence administrative a accueilli la révision pour
imprévision. Selon la formule d’Hauriou, la rigidité du service public est assurée par la
flexibilité du contrat .Or en droit privé, il existe aussi des situations qui ressemblent à des

824
CE, 30 mars 1916,DP.III.25 ;S.,1916 III.17,n.M.Hauriou. En l’espèce, le concessionnaire du Gaz de la ville
de Bordeaux ne pouvait plus fournir de gaz aux usagers en appliquant les tarifs prévus par l’acte de concession, à
la suite de la hausse du prix du charbon consécutive à la guerre. Le Conseil d’Etat obligea le concédant (la ville
de Bordeaux) à augmenter les tarifs. En apparence, l’arrêt n’a pas directement révisé le contrat et les tarifs :il
s’est borné à obliger l’autorité concédante à payer une indemnité au concessionnaire si les tarifs antérieurement
convenus n’étaient pas modifiés ;mais c’était, indirectement, le contraindre à modifier les tarifs. ;Philippe
Malaurie,Laurent Aynés et Philipe Stoffel-Munck,Les obligations,op.cit0.,p.373. Parmi les contrats
administratifs, la concession est le domaine principal de la théorie de l’imprévision. Celle-ci peut s’appliquer à
d’autres contrats, comme les marchés de transport, travaux publics, de fourniture, mais elle ne peut jouer pour les
marchés à livraison unique, comportant un bref délai d’exécution.
825
Au moment de la signature du contrat (23-28 F) avec la hausse réelle (23-116 F).
826
CE 30 mars 1916,DP 1916.3.25,S.1916.3.17,Les grands arrêts de la jurisprudence administratives,19
éd.Dalloz,,2013,n°30.
827
Les événements affectant l’exécution du contrat doivent être imprévisibles et extérieurs aux parties (hausse
des prix du charbon dans l’affaire du Gaz de Bordeaux). Ces événements doivent déjouer toutes les prévisions
qu’avaient raisonnablement pu faire les parties lors de la conclusion du contrat. C’est la raison pour laquelle la
théorie de l’imprévision ne peut jouer lorsque les délais d’exécution sont brefs. L’événement doit être étranger
aux parties contractantes. Si la perte subie par l’entrepreneur est du au fait de l’administration contractante, c’est
la jurisprudence du « fait du prince » qui s’applique ; si elle est due à une faute commise par le contractant lui-
même, il n’a droit à aucune indemnité. Enfin l’événement doit entrainer un bouleversement de l’économie du
contrat. Le bouleversement de l’économie du contrat comporte deux éléments. Le premier est le dépassement du
pris-limite que les parties avaient pu envisager au sujet de l’évolution des couts, voir des recettes d’exploitation.
En second lieu, l’exécution du contrat doit comporter un déficit réellement important, et non un simple manque à
gagner :ainsi l’augmentation de diverses charges sociales spécifiques à la Martinique représentant une charge
supplémentaire de l’ordre de 2% du montant définitif d’un marché ne « saurait être regardée comme ayant
entraîné un bouleversement de l’équilibre financier ».La notion de déficit important est appréciée par le juge eu
égard à l’ensemble des circonstances de la cause. ;voir.sur ce point
M.Long,P.Weil,G.Braibant,P.Delvové,B.Genevois,Les grands arrêts de la jurisprudence administrative,19
éd.,2013,Dalloz,p.186 et s.
828
CE 9 déc.1932,1932,Cie des Tramways de Cherbourg,DP 1933.17.
163
services publics829.En outre, la privatisation croissante des contrats administratifs fait de
l’arrêt Gaz de Bordeaux un symbole, plus qu’une réalité contemporaine.

Ainsi, la jurisprudence anglaise est plus équivoque en ce qui concerne l’inflation,


puisque cela ressortit à la question de l’imprévision. Or selon Davis v Fareham, les risques
économiques pèsent sur les parties contractantes, bien qu’il soit toujours possible d’interpréter
le contrat. Dans une affaire de 1978830, la cour d’appel a déclaré qu’une société de distribution
d’eau avait le droit de mettre fin au contrat qui la liait à un hôpital, le fondement économique
de cette convention ayant été anéanti par l’inflation. En l’espèce, cependant, le droit de
résolution ne se rapportait pas à la théorie de frustration831, mais à l’interprétation des clauses
écrites. On peut noter que les parties étaient des organismes publics, ce qui laisse à penser que
l’intérêt public joua un rôle pour assurer la continuité du service public.

Si l’exécution est la finalité du lien d’obligations, l’exécution volontaire, à plus forte


raison, confère à ce lien ses attributs juridiques les plus complets. Car par l’exécution
volontaire, le respect de la règle de droit se manifeste. En effet, la chance de sanction dont est
dotée la norme a pour conséquence première et immédiate d’inspirer le respect d’une telle
norme832. Une norme produit ainsi ses effets juridiques lorsque le comportement qu’elle vise
est suivi. A ce titre, le lien d’obligation ne doit pas être appréhendé d’un point de vue
abstrait833, mais fonctionnel834, car ce lien ne naît que pour obtenir un résultat convenable
pour le créancier. L’exécution de l’obligation est en effet le but et la destination naturelle de

829
Carbonnier, «Droit civile »t.4. « Les obligations »,22éd,2005, n°149. ;Philippe Malaurie,Laurent Aynés et
Philipe Stoffel-Munck,Les obligations,op.cit0.,p.374.
830
Staffordshire AHA v S Staffordshire Waterworks (1978) WLR 1387.
831
Le caractère définit du bouleversement de l’économie du contrat, transforme l’imprévision en un cas de force
majeure justifiant la résiliation du contrat. ;voir.sur ce point
M.Long,P.Weil,G.Braibant,P.Delvové,B.Genevois,Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, op.cit.
,p.189 et s.
832
Dans ce sens,V.J.Rivero, « Sur l’effet dissuasif de la sanction juridique »,Mélanges offerts à Pierre
Raynoud,Dalloz,1985,p,.675 et s.,spéc.p.678. : « les mécanismes (de la dissuasion) sont d’une extrême
simplicité. Leur seul ressort, c’est la crainte de la sanction. On attend, de la peur du gendarme et du juge, quelle
suffise à maintenir dans les sentiers du Droit ceux qu’effectue la tentation de s’en écarter ».
833
Conception moniste ou dualiste, v. entre autres, Ghestin et Goubeaux,op.cit.,n°191.
834
Y.-M.Laithier, « La prétendue primauté de l’exécution en nature », RDC, 2005, p.161 : « L’obligation n’est
pas un soi. Elle n’est pas seulement un lien de droit unissant le créancier au débiteur : elle est un lien de droit
finalisé. S’il est vrai que la notion d’obligation est le fruit d’une réflexion abstraite, l’obligation elle-même n’est
au fond qu’un instrument, un «instrument d’architecture sociale » selon le mot d’un auteur italien. L’obligation
est un moyen .Ce moyen étant conçu afin d’atteindre un résultat, le vinculum juris établi entre le créancier et le
débiteur importe moins en lui Ŕmême qu’a travers la fonction qu’il rempli. En d’autres termes, l’existence du
lien de droit n’a d’intérêt qu’en vue de procurer un avantage au créancier ; c’est bien dans la satisfaction du
créancier par le débiteur que se situe l’un des traits essentiels de l’obligation. Or, une fois reconnu et admis que
l’obligation est un lien fonctionnel, il est vain de souligner l’importance de son exécution ».
164
cette obligation835.C’est alors qu’elle constitue l’esprit de l’article 230 du D.O.C. Qui édicte
un principe dénommé (…) ‘force obligatoire ‘.Ce texte signifie que le lien établi entre le
débiteur et le créancier est juridiquement sanctionné. Le débiteur qui ne respecte pas
l’obligation contractuelle est sanctionné comme l’est toute personne qui ne respecte pas la
loi. La force obligatoire postulerait uniquement que le contrat soit sanctionné, qu’il s’agisse
d’une exécution forcée ou de dommages et intérêts836.Le lien entre force obligatoire et
exécution forcée, ne serait donc pas aussi intime qu’il pourrait le paraître. La question est de
savoir comment le créancier va obtenir satisfaction en cas d’inexécution du contrat ?

Paragraphe 2 : L’exécution forcée du contrat

L’une des questions que tous les systèmes de droit ont à traiter est celle de
l’inexécution de ses obligations par le débiteur. Le créancier peut alors agir soit en exécution
forcée soit en responsabilité837. L’obligation contractuelle comme son étymologie l’indique
(ligare : lier), est un lien de droit qui unit un créancier à un débiteur. Dire que c’est un lien
juridique signifie que l’Etat, en particulier le juge, contrôle la validité de l’obligation et rend
possible de son exécution forcée. Si le débiteur n’exécute pas son obligation, le créancier
pourra demander au juge l’aide de la force publique. En d’autres termes, l’obligation est une
notion fonctionnelle. Cette fonction consiste à donner une satisfaction au créancier. Par
exemple, le vendeur conclut un contrat de vente pour obtenir une somme d’argent (un
prix).On peut donc affirmer que l’exécution de l’obligation est la raison d’être de
838
l’obligation contractuelle. C’est dire son importance .

En matière contractuelle, la règle est clairement énoncée par l’article 259 du D.O.C. :
« lorsque le débiteur est en demeure, le créancier a le droit de contraindre le débiteur à
accomplir l’obligation, si l’exécution en est possible… », et en droit comparé l’article 1139 du
Code civil. Le débiteur qui n’exécute pas la prestation promise manque à sa parole et trahit la
confiance légitime que le créancier lui a accordée, ce que le droit ne peut manquer de
sanctionner. A la différence du droit allemand qui prévoit le mécanisme de la réparation du

835
L.Aynés, « Rapport introductif »,spéc.p.9 : « Dans un monde idéal, l’exécution succède naturellement à la
promesse, de manière plus ou moins proche ;mais dans tous les cas, ce qui se trouve in solutione est identique à
ce qui était in obligation » ;G.Viney, « Exécution de l’obligation, faculté de remplacement et réparation en
nature en droit français »,Les sanctions de l’inexécution des obligations contractuelles, Etudes de droit
comparé,(sous ladir.de M.Fontaine et G.Viney),LGDJ,Bruylant,2001,p.167 et s.,spéc.p.182 : « le droit à
l’exécution est l’effet le plus direct du principe du principe de la force obligatoire du contrat ».
836
Y.-M.Laithier, Etude comparative des sanctions de l’inexécution du contrat, LGDJ,2004,spéc.p.58 et s. ;v.
également, Youssef Guenzoui,La notion d’accord en droit privé,LGDJ,2009,p.178 et s.
837
Jean-Claude Montanier, Geoffrey Samuel,Le contrat en droit anglais, op.cit.,p.80.
.196 ‫انظفذخ‬،‫ يغجغ ؿبثك‬،‫انجؼء االٔل‬، َٙ‫ انمبٌَٕ انًض‬،ٙ‫اَظغ ػجض انذك طبف‬
838
L.Aynés, « Rapport introductif »,RDC 2005,p.9.
165
préjudice qui en découle de la violation de l’obligation contractuelle. Ainsi la norme
fondamentale839 du §280 al.1er du BGB qui dispose : « Lorsque le débiteur viole une
obligation découlant du rapport d’obligation, le créancier peut exiger la réparation du
préjudice qui en résulte. La règle ne joue pas si le débiteur n’a pas à répondre de violation ».

Cette règle est consacrée également par le droit anglais, ainsi une personne qui se
plaint de l’inexécution ou de la mauvaise exécution d’un contrat synallagmatique, agit de
deux manières. Le créancier peut exercer la résolution du contrat à partir du moment où le
débiteur a fait connaître sa position et demander réparation (damages) pour le préjudice subi.
En revanche, le créancier peut choisir de maintenir le contrat et, s’il n’a pas besoin de la
coopération du débiteur, exécuter ses propres obligations ; il a ainsi le droit de demander en
debt le prix contractuel. Cette règle peut aboutir à des abus, c’est pourquoi que dans
l’hypothèse où un créancier n’a aucun intérêt légitime de ne pas demander la résolution du
contrat et des dommages- intérêts, les règles d’equity pourraient entrer en jeu840. Ainsi, un
juge a déclaré qu’il s’agit d’un choix parmi les remèdes : si une réparation par le moyen de
dommages-intérêts est la solution adéquate, on ne devrait pas pouvoir exercer l’action de debt
pour parvenir à l’exécution en nature841.De façon plus générale, il convient de garder à l’esprit
cette opposition entre d’une part le droit marocain et le droit français privilégiant l’exécution
en nature et d’autre part le droit allemand et le droit anglais dont le créancier n’aura droit qu’a
des dommages et intérêts.

Il s’agit de s’interroger sur la fonctionnalité du contrat : conclure un contrat, est-ce


promettre un avantage ou est-ce seulement promettre la valeur économique de cet avantage ?
La réponse de cette question varie selon les systèmes juridiques et, même au sein d’un
système juridique donné, selon les situations. Dans ce sillage, il convient d’envisager en
premier lieu les modalités d’exécution des obligations contractuelles (A) avant de se pencher
sur la question de savoir si l’exécution par équivalent au même titre que l’exécution en
nature respectueuse de force obligatoire du contrat (B).

A- Le choix entre exécution en nature et exécution par équivalent

La mise en œuvre des sanctions de l’inexécution contrat est tributaire à l’existence de


deux conditions. La première de ces conditions consiste en une mise en demeure préalable
afin d’avertir le débiteur. La mise en demeure est l’acte par lequel le créancier exige
839
Michel Pédamon,Le contrat en droit allemand,op.cit.,p 161.
840
Jean-Claude Montanier, Geoffrey Samuel,Le contrat en droit anglais, op.cit.,p.115.
841
Attica Sea Carriers v Ferrostaal (1976) 1 L1 Rep 250.
166
solennellement du débiteur l’exécution de la prestation contractuelle initialement promise ;
elle constitue le point de départ des intérêts moratoires. Cette exigence relève de l’article de
255 du D.O.C et en droit comparé l’article 1139 du Code civil français et le §281 alinéa 3
du.BGB allemand qui subordonne le droit d’indemnisation du créancier à des conditions
supplémentaires.

La mise en demeure n’est pas soumise à une forme particulière. L’article 255 alinéa 3
du D.O.C.précise que l’interpellation : «…doit être faite par écrit ; elle peut résulter même
d’un télégramme, d’une lettre recommandée, d’une citation en justice, même devant un juge
incompétent.».Dans certains cas, la mise en demeure est écartée. Il en est ainsi lorsqu’une
clause du contrat prévoit que l’arrivée du terme vaut mise en demeure. 842De même une telle
mise en demeure sera écartée quand elle ne présente aucune utilité pratique843.C’est
notamment le cas en présence de l’inexécution d’une obligation de ne pas faire844.

La seconde condition à la mise en œuvre de sanctions consiste dans l’obtention d’un


titre exécutoire, c’est-à-dire d’un titre délivré par l’autorité publique conformément à l’adage
« Nul ne peut se faire justice soi-même ».En principe, il faut que le créancier obtienne en
justice la condamnation du débiteur pour obtenir l’exécution en nature du contrat, ou par
équivalent dans le cas échéant. Les sanctions en cas d’inexécution du contrat peuvent être
rangées en deux modes : l’exécution forcée en nature (1) et l’exécution par équivalent (2).

1- l’exécution forcée en nature

La règle qui confère au créancier le droit de réclamer l’exécution en nature 845, au


besoin par la force publique si elle est nécessaire, peut être justifiée juridiquement,
moralement et économiquement.

La justification juridique se manifeste dans le droit de demander l’exécution en


nature qui est une conséquence normale de la force obligatoire du contrat. Dire d’un contrat
qu’il a force obligatoire, c’est dire que son inexécution est sanctionnée en droit. Bien
évidemment, l’exécution forcée en nature fait partie des sanctions applicables846.Ce principe
peut être, ensuite justifié moralement. Il est fréquent, à tort ou à raison, d’analyser le contrat

842
Art.255 du D.O.C. et en droit comparé l’art.1139 in fine C.civ.français.
843
Cass.chbre mixte,6juill.2007 :D.2007,actu,jur.
844
Art.256 du D.O.C qui énonce : « L’interpellation du créancier n’est pas requise :
1-Lorsque le débiteur a refusé formellement d’exécuter son obligation ;
2-Lorsque l’exécution est devenue impossible. »
.‫ ٔيبثؼضْب‬559 ‫ انظفذخ‬، ‫انًغجغ ؿبثك‬،‫ انؼمض‬،‫انجؼء االٔل‬،َٙ‫ انمبٌَٕ انًض‬،ٙ‫ططفٗ انؼٕج‬845
846
Sur ce que la force obligatoire du contrat commande la sanction de son inexécution, V. Etude comparative des
sanctions de l’inexécution du contrat, pref.H.Muir Wett, LGDJ, 2004, p.58 et s.
167
comme un échange de promesses. Or l’un des préceptes moraux les plus connus est qu’il faut
respecter la parole donnée ; il faut tenir ses promesses. C’est un commandement moral. Enfin,
la troisième justification est économique qui se traduit par le droit de réclamer l’exécution en
nature.

L’étude de cette modalité d’exécution, consiste à circonscrire son domaine


d’application. On envisagera cette sanction selon une approche comparative en fonction de la
nature de l’obligation inexécutée pour savoir l’efficacité de tel mécanisme en matière de
l’exécution des obligations contractuelles , qu’elles soit de faire ou de ne pas faire (a) et de
donner (b).

a- Exécution forcée des obligations de faire ou de ne pas faire.

Le principe de l’effet obligatoire implique que chaque contractant est tenu d’honorer
ses engagements par le fait d’obtenir ce qui a été promis. La jurisprudence marocaine que
française847 préconise l’exécution forcée en nature en tant que sanction privilégiée, allant
même jusqu’à être considérée comme la sanction « idéale »848. Cette primauté se fonde
notamment sur la conception classique du contrat qui s’appuie sur le volontarisme
contractuel. Cette sanction est ardemment défendue parce qu’elle incarne le mieux la volonté
des parties et, en somme, l’exécution forcée en nature est la manifestation contentieuse du
respect de la parole donnée. Ainsi, par exemple, la 3éme chambre civile de la Cour de
cassation française dans un arrêt en date du 11 mai 2005 a affirmé que « la partie envers
laquelle l’engagement n’a point été exécuté peut forcer l’autre à l’exécution de la
convention lorsqu’elle est possible849. En l’espèce pour 33 centimètres manquants, un
constructeur français a été condamné à démolir et à reconstruire une maison tout juste
achevée. La primauté du procédé de l’exécution forcée en nature n’implique que la
847
Dans un arrêt rendu le 16 janvier 2007,la première Chambre civile de la Cour de cassation
(Bull.civ.I,n°19,RDC 2007,p.719,obs.D.Mazeaud,RTD civ.2007 ,p.342,obs.JMestre et B.Fages), énonce le
principe selon lequel « la partie envers laquelle un engagement contractuel n’a point été exécuté, la faculté de
forcer l’autre à l’exécution de la convention lorsque celle-ci est possible ».Ce principe est d’ailleurs repris par le
projet de réforme du droit des contrats du Ministère de la justice (Art.162 al 1 er :le créancier d’une obligation de
faire peut en poursuivre l’exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou si son coût est
manifestement déraisonnable. « Version décembre 2007 »).
848
J.Carbonnier,Les obligations,PUF,2000 ,p.653.
849
Cass.Civ.3éme,11mai2005,pourvoi n°03-21-
36,Contrats,conc.consom.2005,comm.N°187,obs.L.Leveneur ;Revue des contrats
2006,p.323,obs.D.Mazeaud.RTD Civ.2005,596,obs.J.Mestre et B.Fages.Et dans le même sens ,Cass.civ.3e ,17
janvier 1984,RTD civ .1984,p.711 obs.J.Mestre,à propos d’une piscine ne comportant que 3 marches pour
accéder dans l’eau au lieu des 4 prévues contractuellement.
-En Espagne,la « accion de cumplimiento » est un système similaire. Elle se fonde sur l’article 1182 du
Codige Civil et la doctrine affirme aussi qu’elle découle de la notion même de contrat et de sa force obligatoire
du contrat. L’exécution par octroi de dommages-intérêts sera rarement accordée par le juge (uniquement lorsque
la prestation est devenue impossible).
168
responsabilité contractuelle n’intervenant qu’à titre dérogatoire. Or, l’efficacité du procédé de
l’exécution forcée en nature est remise en cause.

Le mécanisme d’indemnisation, constitue le moyen le plus fréquent dans plusieurs


pays850. Le droit allemand851 ainsi que le droit anglais, retiennent l’approche donnant droit à
des dommages-intérêts au lieu de l’exécution forcée en nature qui est considérée en tant que
sanction subsidiaire, justifiée par une analyse économique du contrat. Le cœur de la
justification d’un tel mécanisme est donc le caractère adéquat des dommages-intérêts. En
effet, dés lors que les dommages-intérêts sont une sanction adéquate, alors il n’y a pas lieu
d’ordonner l’exécution forcée en nature. Par exemple, deux parties ont conclu un contrat de
construction d’une piscine privée. Il était spécifié une profondeur particulière. L’ouvrage
achevé, la profondeur réalisée n’était pas la même que la profondeur spécifiée. Les juges ont
considéré qu’ordonner l’exécution forcée en nature (soit la démolition puis la construction
d’une nouvelle) procurerait un bénéfice au créancier, alors que les dommages-intérêts étaient
adéquat en la matière852.

Une limite peut être apportée au procédé d’exécution forcée en nature. Ainsi L’article
261 du D.O.C. exclut l’exécution forcée du domaine des obligations de faire853, de même
l’article 262 écarte également l’exécution forcée du domaine des obligations de ne pas
faire854.Cette solution est consacrée par le droit français. L’exclusion de principe dans les
obligations de faire ou de ne pas faire est envisagée par l’article 1142855 du Code civil
français.

On enseigne habituellement que cette règle qui trouve sa justification dans un souci de
protection des libertés individuelles n’est que l’illustration du fameux adage : « Nemo
praecise cogi potest ad factum » selon lequel nul ne peut être obligé d’accomplir la prestation
promise sous la contrainte physique ou morale. Le créancier doit donc se contenter de
dommages et intérêts, faute de pouvoir contraindre le débiteur à exécuter l’obligation
promise856.Le respect dû à la personne implique de convertir l’exécution en nature en

850
Notamment les Etats-Unies,les pays Scandinaves et l’Angleterre.
851
R.Wintgen, Regards sur le droit allemand de la responsabilité contractuelle, RDC,2005,p.205 et s.
852
Nicolas Brunet,L’exécution forcée, Master, sous la dir.Grégoire Loiseau,Univer.Paris1,Ecole de droit de la
Sorbonne,2013,p.49 et s.
853
Arti.261 alinéa 1. du D.O.C. prévoit que : « L’obligation de faire se résout en dommages-intérêts en cas
d’inexécution. ».
854
Art.262 du D.O.C.prévoit que : « Lorsque l’obligation consiste à ne pas faire, le débiteur est tenu des
dommages-intérêts par le seul fait de la contravention. ».
855
Art.1143 du Code civil français qui dispose que : «Toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en
dommages et intérêts en cas d’inexécution de la part du débiteur ».
856
Marie-Héléne De Laender et Franck Petit,Droit des obligations, op.cit.,130.
169
exécution en équivalent toutes les fois que l’exécution forcée impliquerait une contrainte sur
la personne même du débiteur857. Or, la plupart du temps, les obligations ne sont pas
purement personnelles car ce que le créancier recherche c’est avant tout un résultat
économique. Généralement les prestations sont fongibles, sauf fort intuitus personae qui
« réifie la personne dans la prestation »858.

Dans certaines hypothèses, l’exécution forcée peut avoir lieu dans les obligations de
faire ou de ne pas faire sans porter atteinte à la liberté du débiteur. Ainsi, on peut faire
exécuter des travaux par un professionnel autre que celui qui s’est engagé à les accomplir
(travaux de construction, installations électriques...) .Cette solution est consacrée par l’article
261 du D.O.C. qui prévoit que : « Cependant, si l’obligation consiste en un fait dont
l’accomplissement n’exige pas l’action personnelle du débiteur, le créancier peut être autorisé
à faire exécuter lui-même aux dépens de ce dernier »859 .De même cette possibilité est prévue
dans le cas des obligations de ne pas faire par l’article 262 du D.O.C.qui dispose que « Le
créancier peut, en outre, se faire autoriser à supprimer, aux dépens du débiteur, ce qui aurait
été fait contrairement à l’engagement ».Ainsi, peuvent être détruites les constructions faites en
violation d’une servitude ou d’une obligation contractuelle. Le créancier d’une obligation de
non-concurrence peut également obtenir la fermeture du fonds de commerce ouvert en
violation de la clause de non concurrence860.

Cette faculté de remplacement qui permet au créancier de faire exécuter par un autre la
prestation due, aux frais du débiteur est consacrée en droit comparé par l’article 1144 du
Code civil français. Par conséquent une nette différence existe entre les droits comparés
notamment les droits de common law dans lesquels la « specific performance » (exécution
forcée) n’est ordonnée que si les dommages-intérêts ne sont pas adéquats. Or il est rare
qu’ils ne le soient pas.

857
Sur la notion d’obligation personnelle ou non personnelle au débiteur, délicate à mettre en œuvre, voir
not.P.Wéry,L’exécution forcée en nature des obligations contractuelles non pécuniaires (Essai).Une relecture
des articles1142 et 1144 du Code civil,Kluwer,Editions juridiques, collection scientifique de la faculté de droit
de liége.1993,n°155,p.214 ( a propos de la difficulté d’interpréter l’arrêt de civ.,20 janvier 1953,JCP 1953
II.7677,obs.P.Esmein, déclarant en termes généraux que l’article 1142 du Code civil « ne peut trouver son
application qu’au cas d’inexécution d’une obligation personnelle de faire ou de ne pas faire »).
858
Sur les rapports entre caractère personnel de l’obligation et intuitus personae ( a props du remplacement
judicaire).voir P.Wéry,L’exécution forcée, op.cit.,n°251 et s,p.311 et s. ;voir également, Jacques Ghestin,Le
contrat au début XXI siécle,LGDJ,p.91 et s.
859
Aux termes de l’article 261, lorsque la dépense dépasse la somme de 100 francs, le créancier devra se faire
autoriser par le juge. Cette disposition pose le problème de la conversion du franc de 1913 au dirham
d’aujourd’hui.
860
Christophe Lachiéze, Droit des contrats, op.cit., p.150.En droit allemand, une simple mise en garde
(Abmahnung) suffit sans fixation de délai, si l’inexécution litigieuse consiste dans la violation d’une obligation
de ne pas faire,par exemple d’un engagement de non concurrence (§281,al.3).
170
Dans les pays de Common Law, les juges effectuent en cas de l’inexécution d’une
obligation contractuelle, un « adequacy test », c’est -à-dire une évaluation du caractère
adéquat de la sanction. Le principe est le système des « damages », des dommages-intérêts, et
l’exception celui « specific performance », exécution forcée. L’exécution de l’obligation en
nature est donc accordée lorsque l’octroi de dommages-intérêts risquerait de léser le créancier
de l’obligation, cependant lorsque le procédé par équivalent est qualifié en tant que sanction
adéquate et efficace en termes économiques, le créancier de l’obligation devra se contenter de
dommages-intérêts.

Cependant, en matière de vente immobilière, le droit anglais considére que l’acheteur,


en signant un contrat de vente immobilière s’engage à payer le prix dans un certain délai
tandis que le vendeur s’engage à donner le bien. Or, si le vendeur n’exécute pas son
obligation, alors l’acheteur pourra demander l’exécution forcée861. Cette limite tient à ce que
le droit anglais considère que l’acheteur est titulaire, depuis la formation du contrat, de
l’ « equitable title »,sorte de droit moral de propriété. Si le droit anglais ne reconnaît à
l’exécution forcée en nature qu’une application subsidiaire, la justification se trouve dans la
conception économique du contrat.

Le mécanisme de sanctions dans la Common Law, qui est guidé par l’efficacité
économique du contrat862, se fonde sur la compensation économique pour le dédommagent de
la partie qui est créditeur de l’obligation. Cette logique s’inscrit dans la vision plus libérale du
droit anglais, qui donne une large possibilité aux parties du contrat pour s’arranger entre
elles, en tenant compte des précautions nécessaires à la sauvegarde de l’intérêt général et non
l’ordre social comme le faire le droit marocain ou français. La conception du droit dans la
Common Law est certainement plus pragmatique et pratique : Un système de
dédommagement plutôt que le procédé d’exécution forcée est plus facile à mettre en œuvre,
et tient en considération le cas d’impossibilité d’exécution.

En droit allemand, et au sens du § 280 , l’octroi au créancier des dommages-intérêts


implique d’abord que sa créance soit échue et réalisable (durchsetzbar) c’est -à-dire qu’elle
ne se heurte à aucune exception (Einrede),que la fourniture de la prestation soit possible et

861
« Union Eagle Ltd vGolden Achivement Ltd,PC,UKPC,5.Dans la promesse de vente, la jurisprudence
française décide que promettant est tenu d’une obligation de passer l’acte authentique et elle considère que cette
obligation de faire n’est susceptible d’exécution forcée. En s’engageant dans les termes de la promesse de vente,
le promettant ne s’est pas obligé à consentir : ce consentement est inscrit dans le contrat de promesse (dans la
norme contractuelle) et il est irrévocable en vertu de l’article 1134 alinéa 2 du Code civil. Il suffirait au juge de
constater le consentement du promettant.
862
it
Nicolas Brunet, L’exécution forcée, op.cit.,p.49 et s.
171
cependant que le débiteur, pour des raisons dont il doit répondre, n’exécute pas ou qu’il
exécute de manière imparfaite. L’indemnisation pour défaut d’exécution en lieu et place de la
prestation (§280,al.1) est tributaire de deux conditions.

Ainsi, le §281, al.3 du Code civil allemand subordonne l’indemnisation du créancier


par des dommages-intérêts à des conditions supplémentaires .Le créancier doit d’abord
impartir au débiteur un délai raisonnable (angemessence Frist) pour exécuter ou réparer en
nature (fourniture des manquants, élimination du vice, rectification de fausses déclarations sur
les propriétés du matériel livré…).Il doit lui accorder une dernière chance d’honorer et de
sauver le contrat. Priorité est en effet donnée à l’exécution. L’octroi de ce « Nachfrist » doit
s’accompagner d’une injonction ferme adressée à l’intéressé de remplir son obligation
contractuelle et sa durée doit être suffisante pour lui permettre d’y parvenir863.

La deuxième condition s’est réunie au moment où le débiteur n’a pas mis à profit le
délai supplémentaire pour exécuter ou réparer en nature (ne pas avoir fourni la prestation
promise, ne l’avoir pas remise en état, ne pas l’avoir remplacé par une autre exempte de vice
ou ne pas avoir communiqué les informations nécessaires…).

Si entre la date d’échéance de l’obligation et le délai accordé supplémentaire s’est


produit un événement qui libère de sa prestation (vol de la chose vendue en dépit des
précautions prises) il échappe à sa responsabilité864.Cependant le §281,al.2 dispense le
créancier d’accorder au débiteur un délai supplémentaire, dans l’hypothèse du refus du
débiteur d’une manière sérieuse et définitive à exécuter ou dans le cas des circonstances
particulières justifient, eu égard aux intérêts des deux parties, l’exercice immédiat de l’action
en dommages-intérêts ( contrat qualifié de Just-in-tim Vertrag dans lequel un fournisseur doit
livrer à un moment déterminé pour que la production de son client puisse se poursuivre)865.

Le droit marocain et le droit français adoptent en priorité le procédé de l’exécution


forcée en nature en matière des obligations de faire ou de ne pas faire. Cette approche se
trouve justifier par une conception moraliste « la parole donnée ». Certaines dérogations
illustrent une limite au mécanisme de l’exécution forcée .Dans le cas ou cette exécution peut
porter atteinte à la liberté individuelle du débiteur, l’exécution forcée est à écarter. Or, dans le
droit allemand et le droit anglais, l’exécution forcée en nature ne représente qu’une sanction
subsidiaire dont la primauté est donnée au mécanisme de dédommagement. Cette approche

863
Michel Pédamon,Le contrat en droit allemand, op.cit., p.172 et s.
864
Palandt/Heinrichs,§281,n°16.
865
Michel Pédamon,Le contrat en droit allemand, op.cit., p.173.
172
qui trouve sa justification dans l’analyse économique du contrat, considérée par la doctrine
contemporaine, en tant que bon ménage et nouvel outil qui vient bousculer les préceptes
traditionnels866 de l’exécution forcée en nature dépourvue de toute efficacité économique.

b-Exécution des obligations de donner.

En droit marocain, l’obligation de donner est une obligation de transférer la propriété


et le transfert de la propriété est susceptible d’exécution forcée867. En France ,le juge peut
contraindre le vendeur à transférer effectivement la propriété du bien à l’acquéreur en vertu
d’une promesse synallagmatique de vente, dont les conditions sont réalisées, en constatant
que l’existence de l’acte notarié vaut vente868. L’exécution forcée en nature est simple faculté
en droit anglais qu’en droit allemand. En droit anglais, c’est dans les cas relatifs à une
demande de transfert de propriété immobilière que l’application de la specific performance est
reconnue de façon plus ferme. La raison donnée est sous-tendue par une analyse économique :
c’est l’unicité du bien qui justifie l’application exceptionnelle de ce remède 869.En effet, les
dommages et intérêts ne compensent pas de façon adéquate la déception de l’acheteur privé
de son droit de se voir livrer la maison de ses rêves.

Or, l’exécution forcée en nature, ne constitue que l’exception870 à la règle de


compensation monétaire. Un exemple concret des jurisprudences illustre l’application de cette
règle. Un acheteur n’ayant pas donné à temps les fonds au vendeur, au stade final de
l’opération immobilière, avait demandé la specific performance du contrat de vente. Le
contrat partiellement translatif de propriété avait été conclu celui-ci stipulait que le terme
avait le droit de garder le dédit en vertu d’une clause pénale légalement admise. Le Privy
council871 jugera que conformément à la clause contractuelle -« time is of the essence »-le
vendeur avait le droit de refuser de vendre et de garder le dédit. L’acheteur fut donc débouté
de sa demande en specific performance. Prenons comme exemple la vente d’un miroir. La
comparaison entre les droits marocain et anglais est-elle fructueuse à cet égard ? Supposons
que le vendeur ne livre pas l’objet à la date convenue : l’acheteur peut-il demander en nature
de cette obligation ? En droit marocain, la réponse, est positive selon l’interprétation classique
de l’article 259 du D.O.C.et en droit comparé l’article 1142 du Code civil français,

866
La parole donnée, la liberté contractuelle et la force obligatoire sont les trois piliers de l’exécution forcée en
nature en droit marocain et en droit français.
867
Omar Azziman,Le contrat,op.cit,p.266.Sur ce point v.l’article 491 du D.O.C.
868
Marie-Héléne De Laender et Franck Petit,Droit des obligations,op.cit.,p130 et s.
869
A.T.Kronman, « Specific Performance »,University of Chicago Law Review,1978,p 351-382.
870
Union Eagle LTD,v.Golden Achivement LTD (1997) 2 All ER,215.
871
La plus haute juridiction en dernier ressort pour les pays du Commonwealth.
173
l’obligation ne touchant pas à une liberté personnelle du débiteur. De la même manière, selon
l’article 52 de la Sale of Goods Act (1979),le créancier d’une obligation, par hypothèse
inexécutée, concernant la livraison d’un bien déterminé, peut demander aux tribunaux
l’exécution en nature par le débiteur défaillant. Cette disposition ne fait que confirmer
l’existence d’un remède facultatif appartenant aux règles d’Equity872. Mais à par la différence
d’appréciation judiciaire de l’opportunité du remède, il semblerait ainsi que les solutions des
droits marocain et anglais se rapprochent sensiblement.

Aux obligations de donner on peut assimiler les obligations de payer une somme
d’argent. L’exécution forcée des dettes d’argent est toujours possible873 .Il existe différents
procédés qui permettant au créancier d’extraire du patrimoine de son débiteur les sommes qui
lui sont dues. Il s’agit de saisies qui placent les biens du débiteur sous contrôle judiciaire. Ce
moyen permet au créancier de se faire payer sur le produit de la vente. Le créancier peut agir
préventivement en vue d’éviter l’insolvabilité du débiteur et donc de préserver son gage. Dans
cette hypothèse, il peut s’appuyer sur le droit de gage général prévu par l’article 1241 du
D.O.C. pour accomplir des actes conservatoires sur le patrimoine de son débiteur.

En droit français, le créancier est autorisé à poursuivre le recouvrement d’une créance


du débiteur. Cette action est connue sous le nom d’action oblique qui est consacrée par
l’article 1116 du Code civil français, elle est inconnue du D.O.C. et déclarée irrecevable par la
jurisprudence marocaine874.De même l’action paulienne prévue par l’article 1167 du Code
civil français permet au créancier d’obtenir l’annulation des actes transférés par le débiteur à
un tiers d’une manière frauduleuse pour prévenir son insolvabilité .Cette action n’est pas
stipulée par le D.O.C.Or la jurisprudence marocaine a admis cette approche qui permet aux
créanciers d’attaquer les actes accomplis frauduleusement par leurs débiteurs en les plaçant
sous le coup de l’application des règles de la responsabilité civile délictuelle en s’appuyant
sur le principe général édicté par l’article 77 du D.O.C875.

Il existe différents moyens pour assurer l’exécution forcée. Ils permettent d’exercer
sur le débiteur récalcitrant une pression pour le contraindre à l’exécution. Ces moyens se

872
L’appréciation de l’opportunité du remède reste à la discrétion du juge, comme la rédaction du texte le
révèle : « Section 52 (1) :In action for breach of contract to deliver specific or ascertained goods the court may,if
it thinks,on the plaintiffs application,by its judgment or decree,direct that the contract be performed
specifically,without giving the defendant the option of retaining the goods on payment of damages ».Cependant,
le remède ne sera pas accordé si le bien est un article ordinaire de commerce, contrairement à l’exemple donné
dans le texte, ce qui veut dire que les juges ont une conception large de la fongibilité des biens.
873
Omar Azziman,Le contrat,op.cit,p.267.
874
Trib.1er instance, Rabat,15 mars,1937,G.T.M.,p.145.
875
Tib.1er instance, Rabat,1er mars,1933,G.T.M.,p.119.,sur ce point voir,Omar Azziman,Le contrat,op.cit,p.268.
174
concrétisent soit à travers l’astreinte876 qui affecte le patrimoine du débiteur et qui vise à
assurer d’une décision de la justice877.Elle se présente sous la forme d’une condamnation à
payer une somme déterminée pour chaque jour d’inexécution. L’astreinte prononcée par le
juge a donc pour but de vaincre la résistance d’un débiteur et de l’amener à exécuter en nature
des obligations inexécutées contractuelles ou non contractuelles. Elle constitue une peine
privée sanctionnant la mauvaise volonté du débiteur et non la réparation du préjudice subi par
le créancier878.

Le deuxième procédé qui vise à assurer l’exécution d’une obligation judiciairement


constatée au moyen de l’incarcération du débiteur récalcitrant. Ce procédé peut être efficace
mais il est brutal et attentatoire au respect dû à la personne humaine879. C’est pour cette
raison, que ce moyen a été aboli dans plusieurs pays880. Au Maroc, la contrainte par corps ne
pouvait jouer qu’en matière pénale pour assurer le recouvrement des amendes et des
restitutions. Dans la pratique marocaine, la contrainte par corps est souvent demandée par les
créanciers et accordée par les tribunaux881.

Pour le droit français, il y a deux types de contraintes directe et indirecte formant


deux voies d’exécution : l’injonction de faire et l’astreinte. Le premier moyen consiste à
signifier solennellement au débiteur, par voie judiciaire, qu’il est tenu d’exécuter son
obligation882.C’est une mesure d’intimidation qui n’a ni force exécutoire ni autorité de la
chose jugée. L’injonction de faire ne concerne, que les litiges entre consommateurs et
professionnels dont la valeur ne peut excéder le taux de compétence du tribunal d’instance883.
Le second procédé est l’astreinte884 qui vise à condamner le débiteur tant qu’il refuse de
s’exécuter à payer au créancier une somme d’argent par jour de retard en cas d’obligation de
faire, ou par infraction constatée, en cas d’obligation de ne pas faire885.Ce moyen sert à inciter

876
Voir l’article 448 du code de procédure civil.
877
Un entrepreneur peut être condamné à reprendre les travaux interrompus et la condamnation peut être
assortie d’une astreinte de tant pour chaque jour ou chaque semaine.
878
Sur l’autonomie de l’astreinte vis-à-vis de la responsabilité civile et l’état de droit marocain sur la question
voir F.Elbacha, L’astreinte en droit marocain, thèse 3 e cycle, Rabat, 1984.
879
Voir.Marie-Héléne Renaut, Histoire du droit des obligations, éd. Ellipses, Paris, 2008, p.91 et s.
880
En France, la contrainte par corps (prison pour dette), a été abolie par la loi du 22 juillet 1867.
881
Pour une interrogation sur la légitimité et l’utilité du maintien de la contrainte par corps en matière civile,
voir,A.Esserkassi,La contrainte par corps en matière civile, thèse 3 e cycle, Rabat,1985. Voir sur ce point,Omar
Azziman,Le contrat, op.cit,p.269et s.
882
Art.1425-1 à 1425-9 NCPC français.
883
Marie-Héléne De Laender et Franck Petit,Droit des obligations, op.cit.,p.131 et s.
884
Il existe deux modalités de l’astreinte qui n’ont pas le même impact sur le débiteur .L’une est provisoire et
l’autre est définitive. La première est révisable et doit faire l’objet d’une liquidation, et la deuxième est efficace
et ne peut être modifiée au moment da sa liquidation. L’astreinte est donc un moyen de coercition d’une
efficacité certaine, dés qu’elle devient définitive.
885
Art.33 à 37 de la loi du 9 juill. ; pour une application récente, Cass.1er civ.2007 :CCC juin 2007,Leveneur.
175
le débiteur à opter pour l’exécution que de s’exposer à une condamnation pécuniaire
indéfiniment croissante. Elle constitue une sorte de mesure de contrainte à caractère
personnel886.

Il en résulte, qu’en droit marocain comme en droit français, l’exécution en nature


l’emporte sur celle par équivalent. Cette position classique s’explique par le respect du
principe de la force obligatoire du contrat qui s’est traduit par l’obligation du débiteur de
fournir l’avantage précis qu’l promis au créancier. Alors qu’en droit anglais, l’exécution par
équivalent est une modalité de remède, donnant droit à des dommages-intérêts
compensatoires de l’obligation non fournie en nature. Cette solution s’inspire de la notion
économique du contrat sur lequel s’appuiele droit du contrat anglais, c’est-à-dire que
l’avantage économique que le créancier peut tirer du contrat constitue une sorte de satisfaction
convenable. Cette tendance semble très proche du droit allemand, qui ne favorise pas l’option
du recours à l’exécution forcée pour obtenir l’exécution en nature.

2- l’exécution par équivalent

Le contractant qui n’a pas obtenu la satisfaction attendu peut réclamer des
dommages et intérêts. Il pourra alors agir en justice pour faire condamner le débiteur à lui
verser une somme d’argent constituant une forme d’exécution par équivalent887 ,c’est-à-dire
une sorte de réparation du préjudice résultant de l’inexécution du contrat .Ce glissement d’un
système d’exécution paréquivalent vers un système de réparation du dommage résultant de
l’inexécution, a été favorisé par l’essor du système de responsabilité délictuelle. Il fut
entériné par la doctrine, qui a élaboré le concept de « responsabilité
contractuelle »888.L’engagement de la responsabilité contractuelle du débiteur défaillant
suppose la réunion de trois conditions : un préjudice, un fait générateur de responsabilité et un
lieu de causalité .Cette action suppose également l’absence des causes d’exonération (a).Dés
lors que les conditions de la responsabilité contractuelle sont remplies, la réparation par
équivalent sera appréciée par le juge qui lui appartient de fixer le montant des dommages et
intérêts à allouer à la victime de l’inexécution du contrat (b).Le procédé de l’exécution par
équivalent présente - t-il des exceptions en droit marocain comparé ?

886
Cass.civ.2e 30 avril 2002.II,n°83.
‫ ٔيبثؼضْب‬166 ‫ انظفذخ‬، ‫انًغجغ ؿبثك‬،‫ انؼمض‬،‫انجؼء االٔل‬،َٙ‫ انمبٌَٕ انًض‬،ٙ‫ططفٗ انؼٕج‬887
888
Pour un exposé (critique) de cette évolution, v.not.D.Tallon, « Pourquoi parler de faute contractuelle ?»Ecrits
en l’honneur de G.Cornu, PUF 1994,p.429 s ; « L’inexécution du contrat :pour une autre présentation »RTD
cic..1994 ,p.223 ;P.Rémy, « Critique du système français de responsabilité civile »,Droit et culture,1996,p.31 ;
« La « responsabilité contractuelle » : histoire d’un faux concept »,RTD cic.1997,p.323 ;P.Le Tourneau,Droit de
la responsabilité et des contrats, Dalloz,2004,n°802 et s.
176
a-Les conditions de la responsabilité contractuelle
La responsabilité contractuelle suppose l’existence de trois éléments traditionnels pour
déclencher toute action de responsabilité à des fins d’indemnisation : un préjudice, un fait
générateur de responsabilité et un lien de causalité. Une telle action en responsabilité
contractuelle trouve son fondement dans l’existence d’un lien contractuel entre l’auteur du
dommage et la victime de l’inexécution. En droit marocain, La responsabilité contractuelle est
régit par les dispositions contenues dans les articles 261 à 274 du D.O.C et en droit français
par les articles 1142 et 1146 du Code civil. Dans le système juridique français, la réclamation
des dommages et intérêts au débiteur a pour fonction de conférer au créancier une forme
d’exécution par équivalence889.

En droit allemand la responsabilité contractuelle du débiteur est subordonnée aux


conditions qu’énonce le § 280, al.1er du BGB et aux règles générales relatives aux dommages
réparables prévues par le §249 et s. La mise en œuvre de la responsabilité suppose que le
débiteur ait violé l’une des obligations résultant du contrat. Cette violation doit être illicite
mais en matière contractuelle l’illicéité est en général déduite du non respect des termes du
contrat890.

En vertu de l’article 263 du D.O.C. « les dommages-intérêts sont dues soit à raison de
l’inexécution de l’obligation, soit en raison du retard dans l’exécution… ».Le créancier peut
réclamer réparation du préjudice qui lui subit suite à l’inexécution totale 891 ou partielle892. Le
retard dans l’exécution peut donner lieu à des dommages -intérêts. Ainsi, tout paiement tardif
prive le créancier de l’utilisation de la somme d’argent durant la période du retard,
constituant un gain manqué et exige donc une réparation. Dans ce cas le juge devra
rechercher la perte effective que le créancier a éprouvée et le gain dont il a été privé893. Or, en
droit français, et selon les stipulations de l’article 1153 du Code civil français, le créancier
n’est pas obligé d’apporter la preuve du préjudice subi et qu’il a droit aux intérêts fixés par
la loi.

A la différence du droit marocain, il existe plusieurs classifications des dommages


réparables en droit allemand, la première oppose le dommage matériel et le dommage

889
Christophe Lachiéze, Droit des contrats,3e éd.,op.cit., ,p.189.
890
Michel Pédamon,Le contrat en droit allemand, op.cit.,p.171.
891
Si l’ouvrage réalisé n’est apte à l’usage auquel il était destiné, le juge fera qualifié l’inexécution comme
totale.
892
La livraison d’oranges d’une qualité inferieure à la qualité convenue sera assimilée à une inexécution
partielle.
893
Cour d’Appel Rabat 29 novembre 1920, R.A.C.A.R.,T.I,p.16 ;C.A.R.3 juin 1924 ;G.T.M.,1924,n°139,p.250.
177
immatériel894, la deuxième distingue le dommage direct et le dommage indirect ou
consécutif895 et la troisième met en présence le dommage pour inexécution en lieu et place de
la prestation et le dommage pour retard dans l’exécution. Les indemnisations auxquelles ils
donnent lieu évoquent aussi bien pour les juristes marocains que français la distinction des
dommages-intérêts compensatoires et dommages-intérêts moratoires. Tous les types de
dommages cités tombent sous le coup du premier principe qu’énonce le §249,al.1er :le
principe de la réparation intégrale ‘Totalreparation’.Quelle que soit la légèreté de la violation
imputable au créancier, quelle que soit l’ampleur des conséquence dommageables, la
condamnation doit réparer l’entier dommage. C’est le principe du « Tout ou rien » ‘Alles oder
nichts -Prinzips’896.Le montant de la réparation ne peut être réduit qu’autant que la victime a
participé par sa faute à la production du dommage897.

Comme en droit français et en droit allemand, le préjudice consiste selon l’article 264
du D.O.C dans « la perte effective que le créancier a éprouvée » mais aussi dans « le gain
dont il a été privé ».Il y a perte pour le créancier quant ce dernier n’a rien reçu en contrepartie
du prix payé ou qu’il reçoit des services d’une qualité inferieure à la celle convenue. Il y a
également perte pour le créancier dans l’hypothèse de l’exécution tardive qui l’oblige à
engager des frais. De même, l’inexécution du contrat peut placer le créancier dans
l’impossibilité provisoire ou durable d’exercer ses activités ou d’exécuter ses engagements
envers ses partenaires d’une manière normale. Ainsi, le retard apporté dans la livraison d’une
machine peut provoquer un disfonctionnement du déroulement normale de l’activité de
l’unité industrielle et donc priver la société des profits qu’elle aurait réalisés constituant un

894
Le dommage matériel (materieller Schadn) ou dommage patrimonial représente la différence entre la valeur
actuelle du patrimoine de la victime et la valeur qu’il aurait si l’événement dommageable ne s’était pas produit.
Il consiste en une perte éprouvée : détérioration d’un bien, coût de remplacement d’un produit, disparition d’une
créance…ou en un gain manqué : privation d’un bénéfice de revente, impossibilité d’exploiter une clientèle. Le
dommage immatériel (immaterieller Shaden) ou dommage moral n’a pas d’incidence sur le patrimoine, il affecte
la personne dans son intégrité physique ou dans ses sentiments. Jusqu’a une époque récente, il n’était réparable
en argent (la réparation en nature est toujours possible, dés lors que les circonstances s’y prêtent), selon le §253,
que dans les situations expressément prévues par la loi, mais aujourd’hui ce type de dommage est réparable
également, depuis la loi du 19 juillet 20020 (entrée en vigueur le 1 er aout 2002).La règle de réparation est prévue
par le §253 al.1er .Il y a lieu à la réparation dés lors qu’il y a « atteinte au corps, à la santé, à la liberté ou … »
d’autrui. De telles atteintes justifient « une équitable indemnisation » (§253,al.2).
895
Le dommage direct (unmittebarer Schaden) qui frappe le bien juridiquement protégé et le dommage indirect
(mittelbarer Schaden) qui est causé à d’autres biens ou d’autres intérêts. Les dommages consécutifs
(Folgeschaden : dommages corporels ou matériel provoqués par exemple par l’explosion d’une chaudiére mal
construite) relévent exclusivement du §280,al.1er .
896
Medicus,AT ,8e éd. n°585 et s ;voir. sur ce point, Michel Pédamon,Le contrat en droit allemand, op.cit.,p.170
897
Voir le §254 du BGB.
178
manque à gagner. Dans ces cas, et dans bien d’autres, le créancier sera fondé à réclamer une
indemnisation équivalente au préjudice subi898.

Le deuxième élément qui est le fait générateur de la responsabilité réside dans


l’inexécution du contrat, voire sa mauvaise exécution. La question reste cependant posée de
savoir si cette inexécution est fautive ou non fautive. Les dispositions apportées par le D.O.C
et celles prévues par le Code civil français sont peu implicites sur cette question. Ainsi,
l’article 263 précise que la responsabilité contractuelle peut être retenue en dehors de la
mauvaise foi du débiteur et que sa faute intentionnelle n’est pas exigée. Le droit allemand de
la responsabilité reste fondé sur le principe de culpabilité ‘Verschldensprinzinp’ .Cela
implique que le débiteur est tenu de répondre de la violation fautive. Ce dernier est
responsable en premier lieu de sa faute personnelle. Selon le §276 cette faute peut être
intentionnelle899 ‘Vorsatz’ ou de négligence900 ‘Fahrlassigkeit’ énoncée par le §276, al.2, celle
-ci faisant l’objet d’une appréciation objective.

Or, l’article 268 stipule que toute inexécution n’est pas génératrice de responsabilité si
le débiteur justifie que l’inexécution ou le retard provient d’une cause étrangère qui ne peut
lui être imputée, notamment le cas de la force majeure, le cas de fortuit ou la demeure du
créancier. Mais les deux articles précités ne disent pas que l’inexécution génératrice de
responsabilité doit consister dans l’existence de faute ou non du débiteur. Cette question du
fondement de la responsabilité contractuelle a donné lieu à des controverses doctrinales en
France qui ont connu quelques prolongements au Maroc901 mais la discussion semble peu
révolue au moment que les tribunaux français et marocains ont adopté un régime de
responsabilité qui varie en fonction de l’étendue de l’obligation à laquelle était tenue le
débiteur et qui n’a pas été exécutée. On distingue traditionnellement l’obligation de moyens et
celle de résultat.

Dans le cas d’une obligation de moyens, le débiteur est tenu de mettre en œuvre les
moyens nécessaires pour parvenir à un certain résultat. Il doit compléter son obligation avec
prudence et diligence : ainsi le médecin est Ŕil tenu d’une obligation de moyens902 par
exemple. Il en résulte que la responsabilité du débiteur n’est pas engagée du seul fait qu’il n’a

898
Omar Azziman,Le contrat, op.cit,p.275 et s. ;Le dommage peut être aussi bien matériel que moral ou bien
corporel.
899
La faute intentionnelle implique que le débiteur ait eu pleinement conscience qu’en s’abstenant d’exécuter ou
en exécutant de manière imparfaite il violait son obligation.
900
La faute de négligence suppose qu’il n’a pas apporté à l’exécution toute la diligence nécessaire en affaires.
901
Dghimer S.,L’exécution de l’obligation par équivalent…Th.Droit,Rabat 1982,p.97 et s.
902
Cass.civ.20 mai 1936 :Grands arrêts, vol.2,n°161 ;confirmé par Cass.civ.1ére 18 nov.2000 :JCP 2001,II,10493.
179
pas obtenu le résultat espéré. Le débiteur peut engager sa responsabilité dans l’hypothèse
qu’il n’est pas accompli sa prestation comme « un bon père de famille ».Le créancier d’une
obligation de moyens doit donc prouver que son contractant a commis une faute et que
l’inexécution est fautive. On dit que la charge de la preuve pèse sur le créancier. Mais si ce
dernier ne parvient pas à prouver la faute du débiteur et que celui réussit à prouver qu’il n’a
pas commis aucune faute sera exonéréde toute responsabilité. En droit allemand, le §280,
al.1er est venu en aide au créancier qui s’est trouvé en situation très défavorable dans l’ancien
BGB, en renversant la charge de la preuve, il fait peser sur le débiteur une présomption de
faute. S’il veut s’exonérer, c’est donc à lui démonter qu’aucune faute ne peut lui être
imputée903.

Au contraire de l’obligation de moyens, le débiteur d’une obligation de résultat


inexécutée peut engager sa responsabilité contractuelle dés que le résultat promis ne soit pas
obtenu. Ainsi le transporteur se trouve responsable si le voyageur n’est pas parvenu sauf et
sain à destination. La charge de la preuve est donc renversée : elle pèse alors sur le débiteur
qui dans ce cas d’espèce le transporteur de voyageurs. Ce dernier peut s’exonérer de sa
responsabilité en démontrant qu’il s’est heurté à un cas de force majeure rendant impossible
l’exécution de son obligation904.

La qualification d’obligation de moyens ou de résultat dépend du pouvoir souverain du


juge. Pour ce faire, le juge va tenir en considération deux critères principaux : l’intensité de
l’engagement pris par le débiteur et l’aléa. Les obligations de donner et de ne pas faire
peuvent être situées dans la catégorie des obligations de résultat, tandis que les obligations de
faire n’obéissent à aucune qualification unitaire. Enfin, entre l’obligation de moyens et
l’obligation de résultat, il existe une autre catégorie d’obligations reposant sur une
présomption de faute. En droit marocain, la distinction entre la faute ordinaire et le dol
pressente un autre intérêt dans l’évaluation du montant de la réparation. Ainsi l’article 264 du
D.O.C.précise que le juge doit « évaluer différemment la mesure des dommages- intérêts,
selon qu’il s’agit de la faute du débiteur ou de son dol », en autorisant également le juge à
établir une réparation qui dépasse l’étendue du préjudice notamment dans le cas de la faute
grave. En droit comparé français, le juge et par référence à la faute dolosive mentionnées aux
articles 1150 et 1151 du Code civil est tenu d’évaluer le préjudice subi en tenant compte de la
gravité de la faute.

903
Michel Pédamon,Le contrat en droit allemand,op.cit.,p.169.
904
Marie-Héléne De Laender et Franck Petit,Droit des obligations,op.cit.,p134 et s.
180
Le troisième élément nécessaire pour le déclenchement de la responsabilité
contractuelle est le lien de causalité, constituant une relation de cause à effet entre
l’inexécution et le préjudice subi par le créancier. La responsabilité suppose que le dommage
constitue « la conséquence directe de l’inexécution de l’obligation ».Cette règle est posée
également par le §280, al.1er du droit allemand qui énonce que la violation fautive doit
causer un dommage au créancier, ce qui implique un lien de causalité entre le dommage et la
violation litigieuse905. Une première difficulté se pose dans le cas ou le préjudice subi par le
créancier est dû non seulement au fait du débiteur mais aussi à un concours de circonstances
étrangères au débiteur. La seconde difficulté réside dans l’existence d’une cascade de
préjudices comme conséquence de l’inexécution d’un contrat.

Deux théories sont conçues par la doctrine pour pallier les difficultés précitées : la
théorie de l’équivalence des conditions qui retient uniquement les facteurs contribuant à la
réalisation du dommage avec un degré d’importance égale et la théorie de la causalité
adéquate qui donne au juge le pouvoir de sélectionner et de retenir seulement les facteurs qui
ont concouru à la réalisation du dommage avec l’exclusion des autres. Mais dans la pratique
le juge s’appuie sur certaines règles pour la réparation du dommage .Ainsi, l’article 1150 du
Code civil français dispose que seules les suites prévisibles de l’inexécution du contrat
peuvent donner lieu à réparation. Il ajoute dans ce sens que le débiteur est tenu de réparer
l’intégralité du préjudice si l’inexécution est imputable au dol de ce dernier. Cette règle
énoncée par l’article précité n’a pas été prévue par l e D.O.C,mais la jurisprudence marocaine
s’appuie sur l’existence d’une causalité directe en se basant sur l’article 264 du D.O.C.La
deuxième règle consacrée en droit marocain qu’en droit français consiste dans le partage de la
responsabilité si le dommage est dû en partie égale à la faute du débiteur et créancier.
Cependant, le débiteur peut être exonéré de sa responsabilité si l’inexécution du contrat est
imputable au fait exclusif du créancier906.

Or, le débiteur peut être échappé de toute responsabilité en invoquant des causes
d’exonératios en justifiant qu’elles remplissent les conditions d’imprévisibilité,
d’irrésistibilité et d’extériorité. L’article 268 du D.O.C.donne les causes qui peuvent dispenser
le débiteur de l’exécution du contrat, à savoir la force majeure et le cas de fortuit. L’article
269 du D.O.C. précise que la force majeure est considérée comme « tout fait que l’homme ne
peut prévenir, tel que les phénomènes naturels… ».L’événement invoqué doit être

905
Michel Pédamon,Le contrat en droit allemand,op.cit.,p170.
906
Omar Azziman,Le contrat, op.cit,p.283 et s.
181
imprévisible et irrésistible c’est -à- dire qui rend l’exécution impossible et non plus difficile
ou plus onéreuse907.La force majeure suppose selon l’article 269 du D.O.C.que l’événement
doit être extérieur du débiteur. Il cite enfin le fait de prince en tant qu’événement qui peut
faire obstacle à l’exécution du contrat, telle que la décision de mobilisation908 ou de
réquisition909 prise par l’autorité publique. De même, le débiteur peut être se libérer de
l’exécution du contrat en invoquant la mise en demeure du créancier en tant cause
d’exonération. Cette hypothèse stipulée par l’article 270 du D.O.C qui est très rare en
pratique .Elle s’est traduite par le refus sans motif valable de la prestation convenue offerte
par le débiteur910.

Comme en droit marocain, la principale cause d’exonération de responsabilité pour le


débiteur réside dans la cause étrangère plus connu sous le nom de force majeure 911. Ce
dernier peut échapper à sa responsabilité lorsqu’il s’est trouvé empêché d’accomplir la
prestation convenue. La force obligatoire du contrat cède devant des événements
insurmontables qui en ont rendu impossible l’exécution. Il existe trois types de causes
étrangers : la force majeure912, le fait du tiers et celui du créancier. Pour qu’une cause revête
le caractère d’exonération, elle doit remplir trois conditions essentielles, traditionnellement
cumulatifs : être irrésistible, imprévisible et extérieure913. La Cour de cassation semble à
nouveau prendre en considération deux critères : l’imprévisibilité et l’irrésistibilité pour
caractériser la force majeur en matière contractuelle, en énonçant sans ambigüité, « Seul un
événement présentant un caractère imprévisible, lors de la conclusion du contrat, et irrésistible
dans son exécution, est constitutif d’un cas de force majeure »914. Il s’agit de savoir les
modalités de réparation par équivalent du préjudice subi par le créancier dans le cas où les
conditions de la responsabilité contractuelles évoquées sont remplies.

b-La réparation par équivalent


Le débiteur est tenu de l’obligation de verser de dommages et intérêts, à réparer par
équivalent, le préjudice causé au créancier, une fois les conditions de la responsabilité

907
Trib.1ere Inst Casa,4 mars 1920,R.J.L.M.,1921,p.146 ;Cass.26 mars 1946,R.A.C.A.R.,T.XIV,p.62.
908
C.A.R.,18 décembre 1916,R.L.J.M.,1919,p.35
909
C.A.R.17 juillet 1942,G.T.M.,1943,p.30 ;Cass.5 janvier 1949,RTD.,1949,p.13.
910
Omar Azziman,Le contrat, op.cit,p.285 et s.
911
Art.1147 et 1148 du Code civil français.
-. 31 ‫ انظفذخ‬،2008 ‫خ‬َٛ‫ انطجؼخ انضب‬، ‫خ يمبعَخ‬ٛ‫م‬ٛ‫خ رطج‬ٛ‫ه‬ٛ‫ صعاؿخ ربط‬،‫ لبٌَٕ انًغافؼبد‬ٙ‫انمٕح انمبْغح ف‬،ًٍ‫ض ػجض انغد‬ٛ‫ اَظغ يذًض ؿؼ‬912
322 ‫ انظفذخ‬، ‫ يغجغ ؿبثك‬، ‫ آَبء انمٕح انًهؼيخ نهؼمض‬،ِ‫ ػجض انذكى فٕص‬-.321 ‫ انظفذخ‬، ‫ يغجغ ؿبثك‬،َٙ‫ انمبٌَٕ انًض‬،٘ٔ‫ػجض انغدًبٌ انشغلب‬
- ‫ ٔيبثؼضْب‬502 ‫ انظفذخ‬،‫ يغجغ ؿبثك‬،َٙ‫انجؼء اانضب‬، ٙ‫ ػٕء لبٌَٕ االنزؼايبد ٔانؼمٕص انًغغث‬ٙ‫خ االنزؼايبد ف‬ٚ‫ َظغ‬،٘‫ يبيٌٕ انكؼثغ‬-.‫ٔيبثؼٓب‬
.354ٔ 133 ‫انظفذخ‬،‫ يغجغ ؿبثك‬،‫انجؼء االٔل‬، َٙ‫ انمبٌَٕ انًض‬،ٙ‫ػجض انذك طبف‬
913
Marie-Héléne De Laender et Franck Petit,Droit des obligations,5 e éd,op.cit.,p137et s.
914
Cass.civ.1ére 30 oct.2008 :RDC 2009/1,p.62.CCC 2009,comm.3.Leveneur.
182
contractuelles sont justifiées. Il appartient donc au juge de fixer le montant alloué à la
victime, dont son évaluation se fait au jour du jugement définitif pour tenir compte de
l’évolution monétaire915. Deux types de dommages et intérêts peuvent être distingués : les
dommages et intérêts compensatoires et les dommages et intérêts moratoires.

Le premier principe est destiné à compenser complètement le préjudice subi par le


créancier en contrepartie de l’inexécution du contrat. Ce type de compensation s’est traduit
par une réparation intégrale916.Le deuxième mode est destiné à compenser le retard dans
l’exécution de l’obligation causé par le débiteur917, notamment dans le cas d’une obligation de
somme d’argent à compter de la mise en demeure faite à ce dernier918.

En droit allemand, les types de dommages réparables919 tombent sous le coup du


premier principe énoncé par le §249, al.1er : le principe de la réparation intégrale
(Totalereparation). En vertu de cette règle, le créancier à droit à une réparation de l’entier du
dommage sans tenir compte de l’ampleur des conséquences dommageables920. Ainsi, le retard
dans l’exécution est une manifestation parmi d’autres, de violation de l’obligation. Selon les
conditions énoncées par le §286 du BGB du 26 novembre 2001, ce type de violation est une
source de responsabilité pour le débiteur921, il l’oblige à verser au créancier des dommages -
intérêts moratoires en réparation du préjudice qui lui cause l’absence de l’exécution
ponctuelle922.L’indemnisation à laquelle donne lieu le dommage pour inexécution et le
dommage pour retard dans l’exécution évoque pour le droit français une distinction de deux
types de compensation923.

Le régime légal de la responsabilité contractuelle s’applique dans l’absence des


aménagements conventionnels régissant l’étendue des obligations contractuelles 924. Les
parties du contrat peuvent aménager les conséquences de l’inexécution du rapport contractuel

915
Marie-Héléne De Laender et Franck Petit, Droit des obligations, op.cit., 140 et s.
916
Le juge doit tenir compte non seulement de la perte subie par le créancier, mais aussi du gain manqué, de
l’atteinte morale voire corporelle. Voir sur ce point l’article 264 du D.O.C.
917
Voir l’article 263 du D.O.C.
918
Voir l’article 254 du D.O.C. et en droit comparé l’article 1153 al2 du Code civil français.
919
Les dommages réparables :le dommage matériel et le dommage immatériel (ou dommage morale) ;le
dommage direct et le dommage indirect ;le dommage pour inexécution et le dommage pour retard dans
l’exécution.
920
C’est le principe du « Tout ou rien ».Le montant de la réparation peut réduit si le dommage est du à une faute
de victime.
921
Le retard du créancier à accepter l’exécution que lui offre le débiteur ne constitue pas une violation de
l’obligation au sens du §280 al.1er ;il entraine des conséquences particulières .
922
Michel Pédamon,Le contrat en droit allemand,,op.cit., p.168.
923
les dommages et intérêts compensatoires et les dommages et intérêts moratoires.
924924
Omar Azziman, Le contrat, op.cit.,p.288 et s.
183
moyennant des clauses exclusives925 ou limitatives de responsabilité926. Elles peuvent
convenir à l’avance le montant des dommages-intérêts927 à verser en cas d’inexécution du
contrat, sans faire recours au juge, en y insérant une clause pénale928 qui permet d’éviter les
difficultés d’évaluation du dommage .Elle est aussi un instrument de prévisibilité
contractuelle puisque les parties savent la portée de leur engagement en matière de réparation
du préjudice en cas d’inexécution.

Les clauses pénales929 peuvent donner lieu à des abus, notamment dans les contrats
d’adhésion qui contiennent souvent des clauses pénales excessives930. Afin d’éviter ces abus,
le législateur moderne est intervenu dans certains domaines pour réglementer et dans certains
cas interdire ce type de clauses. Il en est ainsi pour le contrat de transport, le contrat de travail
ou encore pour le contrat d’assurance. De même, dans les relations contractuelles entre
professionnels et consommateurs, le législateur marocain et à l’instar des législations
étudiées est intervenu au travers de la nouvelle loi 31-08 édictant des mesures pour la
protection du consommateur contre les clauses abusives931.

En droit marocain932 comme en droit français933, les parties peuvent demander au juge
de réduire une clause pénale en raison de son caractère excessif ou augmenter sa valeur s’il
est dérisoire. Ainsi, l’article 264 alinéa3 précise que « le tribunal peut réduire le montant des
dommages-intérêts convenu s’il est excessif ou augmenter sa valeur s’il est minoré ». Cette
position a été admise par la jurisprudence marocaine avant de la mise en place de disposition

925
Les clauses exclusives de responsabilité permettent à une partie d’exclure complètement sa responsabilité
contractuelle en prévoyant qu’elle ne devra aucun dommage et intérêt en cas d’inexécution : c’est là clause
exonératoire de responsabilité au sens strict. Elles peuvent modifier la teneur de l’obligation dans un sens plus
favorable au débiteur en substituant à une obligation de résultat une obligation de moyens.
926
Les clauses limitatives de responsabilité modifient indirectement les conséquences de la responsabilité
encourue en permettant de fixer le montant maximum des dommages et intérêts à verser en cas d’inexécution.
Dans ce sens, le législateur marocain est intervenu pour interdire ce type de clauses dans le cas de contrat
d’hôtellerie (article 743 du D.O.C) ou pour les réglementer dans le cas de contrat aérien. En droit comparé, le
contrat du transport est réglementé (l’article 1386 -15) du Code civil français. La clause limitative de
responsabilité cesse de produire effet, si le préjudice est la conséquence du dol de la faute lourde du débiteur
et en droit comparé l’article 1131 du Code civil français.
927
Voir l’article 264 alinéa 2 du D.O.C.
928
La clause pénale est la stipulation par laquelle les parties fixent à l’avance et forfaitisent le montant des
dommages et intérêts dus en cas d’inexécution du contrat.
929
Voir arrêt n° 528 de la Cour d’appel Rabat , rendu le 20/10/2006, publié dans la revue de la justice de la
Cour d’appel Rabar n°5,p.63 et s.
930
Les contrats de prêt, les ventes à crédit.
931
Voir de l’article 15 à 19 de la loi 31-08 et en droit comparé le nouveau article R.132- 1 6° Code de
consommation français.
932
L’article 264 modifié et complété par le dahir n°1-95-157 du 11 août 1995 portant promulgation de la loi
n°27-95 publié au Bulletin Officiel n°4323 du 6 septembre 1995,pp :602-603.
933
La loi du 9 juillet 1975 qui confère au juge un large pouvoir modérateur à l’égard des clauses pénale.
184
légale934. A ce propos, la Cour Suprême a récemment admis le droit pour le juge de réduire le
montant d’une clause pénale qualifiée excessive.935

Ainsi, l’analyse des deux modalités d’exécution en droit marocain et en droit


comparé a permis de mettre en lumière la pertinence contestable du critère de l’efficacité
économique. La continuation à considérer l’exécution en nature comme un impératif absolu
en se basant sur une lecture stricte et très ferme n’est plus utile en droit contemporain du fait
que le résultat abouti est au fond le même : ce sont des considérations d’opportunité qui
devaient présider l’une des deux options d’exécution. Reste à savoir si l’exécution par
équivalent est au même titre que celle en nature respectueuse de la force obligatoire du
contrat936.

B- Les vertus de la déconnexion entre force obligatoire et exécution en nature

Le droit marocain comme le droit français s’attache à l’exécution en nature. Cette


position s’appuie sur une considération classique qui prend sa source dans l’existence d’un
rapport unissant fermement force obligatoire du contrat et exécution en nature .Il convient de
montrer que ce lien n’est pas nécessaire (1), avant de préciser que la déconnexion entre force
obligatoire et exécution en nature est une approche qui semble répondre à certaines des
caractéristiques modernes du contrat (2).

1-Force obligatoire du contrat et exécution en nature : un lien non nécessaire.


En droit marocain comme en droit comparé, la conception du contrat reste caractérisée
par un échange de consentements. Le principe du consensualisme restant la base du contrat937,
l’accord de volontés suffit pour produire les effets de droit escomptés. Ce principe est le
même pour les législations étudiées à l’exception du droit anglais, qui parle lui aussi d’un
échange de promesses938, exige en outre la présence d’une considération pour la formation du
contrat. A la différence de la théorie générale du contrat du droit marocain, la capacité n’est
pas en droit anglais, une condition essentielle, la théorie générale anglaise s’attache
effectivement plus à la promesse qu’a la personne. Dans le contrat synallagmatique, les
promesses de chaque partie contractante agissent en tant que considération les unes envers les
autres. La considération sert de preuve à l’enforceability du contrat, c’est -à- dire à son

934934
Omar Azziman,Le contrat, op.cit.,p.292 et s.
935
Cour Suprême, Ch.Civ.,10 avril 1991,décision n°977.
936
Jacques Ghestin,Le contrat au début XXI siècle ,op.cit.p.105 .
937
Voir.Jacques Ghestin, Traité de droit civil, La formation du contrat,3e éd.,LGDJ,1993,p.36.
938
La signification d’un accord créateur d’obligations n’est pas identique à celle d’un échange de promesses.
Voir, P.Legrand, Fragments, on law Ŕas-culture,Wej Tjennk Willink,1999,p.3-4.
185
caractère exécutoire939.Pour que l’une des parties du contrat assigne l’autre devant la
justice, en vue de l’octroi des dommages et intérêts, la specific performance ou pour la
résolution, il suffit de prouver que l’échange de promesses est complété par la
considération940.

En droit marocain, la force obligatoire est déduite de l’article 230 du D.O C.,
consacrant le principe de l’autonomie de la volonté, comme fondement de cette règle 941.En se
référant sur l’idée selon laquelle, le créancier d’une obligation méconnue a le droit d’exiger
l’exécution en nature de ladite obligation à partir du moment où le contrat a force obligatoire.
En vertu du caractère contraignant du contrat, le débiteur se trouve dans l’obligation
d’accomplir l’engagement que ce dernier a consenti942. A contrario, l’exécution par un
simple équivalent constitue une forme de réduction des engagements réciproques et un
changement du sens même du consentement.

Le raisonnement adopté quant à la liaison entre la force obligatoire du contrat et


l’exécution en nature, révèle que la défaillance dans l’exécution de l’obligation ne signifie
pas que le contrat n’a pas de force obligatoire. Ce principe provient de l’échange des
consentements sur un objet donné. Elle ne résulte pas de la façon dont le contrat sera
finalement exécuté. Pourtant, c’est à ce type de renversement que conduit l’analyse vers
l’idée selon laquelle, que l’exécution en nature, est considérée en tant qu’un critère de la
force obligatoire.

Or, il apparait que loin de malmener la force obligatoire, l’exécution par équivalent
pourrait au contraire, en de nombreux cas, venir l’affermir. L’exécution du contrat par
équivalent est considérée dans tel ou tel cas inopportune mais ce n’est pas parce qu’elle
porterait atteinte à la force obligatoire de ce dernier. A ce stade du raisonnement, on peut
réintroduire la question des fondements de la force obligatoire du contrat en suggérant l’idée
selon laquelle l’exécution par équivalent ne viendrait contredire par principe aucune des
principales théories avancées pour expliquer la force obligatoire, qu’il s’agisse de celle de la

939
La considération, l’une des trois conditions d’existence du contrat, constitue l’équivalent ou la contrepartie,
pas nécessairement économique, du contrat, autrement dit le procédé qui donne au contrat son caractère
« enforceable ».
940
Jacques Ghestin,Le contrat au début XXI siècle ,op.cit.p.106 et s. .
941
Jacques Ghestin,Traité de droit civil, La formation du contrat,op.cit.,p107 .
942
Voir par exemple, F.Terré, Ph.Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Précis Dalloz,7 e
éd,1999,p.929 : « Le principe de l’exécution en nature vaut quel que soit l’objet de l’obligation, dés lors que
cette exécution reste possible. Il est le corolaire de la force obligatoire qui caractérise toute obligation ».
186
confiance du créancier943, ou de celle fondée sur le juste et l’utile944.En réalité, il faut
simplement dire qu’un échange de consentements destiné à produire des effets de droit est
pleinement obligatoire et dissocier cette question de celle de l’exécution, celle ci devant être
ordonnée en nature ou par équivalent en fonction du résultat, principalement économique à
atteindre.

Il en résulte, que cette conception de l’alternative entre exécution en nature et


exécution par équivalent n’est pas attentatoire à la force obligatoire du contrat, de surcroit,
elle nous paraît correspondre à un certains nombre de traits marquants de la physionomie du
contrat en début de XXIe siècle945.

2-L’adéquation de l’exécution par équivalent aux caractéristiques modernes du


contrat.

L’exécution par équivalent n’est pas compatible avec la force obligatoire du contrat,
mais elle est utile dans la perspective d’une conception moderne du contrat. Deux avantages
peuvent être mis en exergue de l’exécution par équivalent par rapport à l’exécution en
nature : elle épouse aussi bien une vision objective et économique du contrat qu’une vision
personnalisante de ce dernier. Ainsi cette option paraît conforme au rôle qu’il convient de
donner au juge dans la vie du contrat pour l’adapter à la conception moderne de la théorie
contemporaine. Afin d’apprécier l’utilité de l’exécution par équivalent, il faut la resituer dans
un contexte plus vaste, celui de l’analyse économique du contrat. A cet égard, le droit
marocain et le droit français demeurent hostiles quant à l’exécution par équivalent avec une
sorte de perméabilité de cette option aux thèses de l’analyse économique.

En droit allemand comme en droit anglais, le contrat est conçu en tant qu’un objet de
valeur économique ou comme un rapport d’obligations entre deux personnes, alors il est
possible de considérer que les dommages et intérêts reflètent fidèlement les attentes légitimes
des contractants :le débiteur peut refuser d’exécuter l’obligation consenti si elle estime qu’elle
est dépourvue de toute avantage946, alors que le créancier peut recevoir en contrepartie de
cette défaillance une réparation financière compatible avec le préjudice subi par l’inexécution

943
Voir.J.Ghestin,La formation du contrat, op.cit.,p.172 et s.
944
Idem,p.201 et s.
945
Jacques Ghestin,Le contrat au début XXI siècle ,op.cit.p.108 .
946
On pense notamment à la théorie de l’efficient breach exposée d’abord par R.Posner,Economic Analysis of
Law,Lttele Brown and Co,3e éd.,1986,p.12.Voir B.Rudden et P.Juihard, « La théorie de la violation
efficace,Rev,int.dr.comp.1986,p.1015 et s. Selon l’exposé de M.Posner, tiré de « The bad man » de
O.W.J.Hlmes,in « The path of the law »,10 Harvard Law Review,1897,p.457 et s.,c’est la raison pour laquelle le
droit contractuel américain donne priorité à l’exécution par équivalent, par rapport à l’exécution en nature, car
celle-là est conforme à l’ « efficient brech »,
187
d’une obligation donnée. Par contre, l’exécution forcée, peut entraver les parties dans un
contrat dont l’une ne veut plus et les empêcher de réaménager l’utilisation de leurs
ressources947. Il en résulte que le droit marocain comme le droit français 948 des contrats est
moins réceptif quant à l’analyse économique du contrat que le droit anglais des contrats.

Ainsi, dans une obligation issue d’une promesse unilatérale de vente, l’octroi au
bénéficiaire de la promesse des dommages et intérêts et non l’exécution forcée en nature,
peut expliquer une nouvelle tendance qui s’appuie sur une conception économique du contrat.
Cependant, les dommages et intérêts n’étaient pas forcément satisfactoires. Le bénéficiaire
d’une promesse de vente cherche à acquérir le bien immeuble précis en faisant des choix en
fonction de cet objectif. Dans une hypothèse semblable, le droit anglais accorderait la specific
performance.

A ce propos, le refus de specific performance en droit anglais est une solution très
ancienne, et il y aurait quelque anachronisme à le faire dériver d’une analyse économique du
contrat, au sens des diverses écoles se réclamant de l’analyse économique du droit 949. Il
résulte du raisonnement adopté, que la conception anglaise du contrat justifie le rejet de
l’exécution forcée et se prête à une analyse de type économique.

En réaction à la théorie classique qui hisse au rang suprême l’exécution par équivalent,
une théorie subversive a tenté de démontrer l’aspect économiquement utile de l’exécution en
nature en attribuant à cette option le statut d’une sanction dotée d’une utilité
économique950.Dans ce sens, le droit anglo-américain cherche à promouvoir l’exécution en
nature, pour des raisons tirées de l’analyse économique, en tant que remède et une faculté
pour son titulaire, au moment ou le droit français comme le droit marocain, tributaire du
principe de l’exécution en nature commence à douter de la primauté de cette modalité
d’exécution. Or il se révèle, que plus le contrat à un aspect personnalisé, plus l’argent, serait
un étalon acceptable et satisfactoire, en cas d’inexécution par l’une des parties, de ses
obligations. En effet, plus un rapport humain est fin et compliqué, moins il est raisonnable de
947
G.Jones et W.Goodhart,Specific performance, Butterworths,1986,p.3.
948
Mais moins que le droit américain.
949
On pourrait élargir le débat en reliant la question des critères de la specific performance au problème des
frontières entre propriété et contrat. On pourrait alors suggérer que si la specific performance est
exceptionnellement accordée dans l’hypothèse de la vente immobilière, c’est parce que n’est pas seulement en
jeu un rapport d’obligation personnelle mais un rapport qui dépasse cette catégorie. Autrement dit, ce serait par
ce que l’objet de l’obligation contenue au contrat porte sur la propriété d’une chose que la specific performance
trouverait sa place, la règle des remèdes contractuels du common law révélant alors ses insuffisances.
950
On notera à cet égard une pratique intéressante des cabinets anglo-américains consistant à opter pour le droit
anglais (même s’il n’avait pas vocation à s’appliquer dans telle ou telle affaire) afin d’obtenir la certitude de la
specific performance en cas de vente d’un portefeuille d’actions.
188
maintenir les parties, contre leur gré, dans des liens qu’elles ont voulu complexes. Ainsi la
fongibilité de l’argent paraît-elle devoir satisfaire tout le monde, tant le créancier lésé que le
juge951.

La question de l’exécution par équivalent est dominée par deux critères : la pertinence
économique et l’absence d’incompatibilité entre force obligatoire et exécution par équivalent.
Dans le cas de transfert de la propriété d’un bien, des considérations techniques relatives au
transfert de propriété, et celles relatives à l’unicité du bien qui constituent des facteurs décisifs
dans le sens d’une exécution en nature.

Pour les autres hypothèses, des considérations psychologiques952, économiques953 et


de politique juridique954 seront mises en balance pour adopter la solution la plus adéquate955 et
en harmonie avec la nouvelle tendance de la doctrine contemporaine, venue pour remédier
aux lacunes de la rigueur de la conception classique de la force obligatoire du contrat.

Section 2 : Les limites de la force obligatoire du contrat


La conception volontariste de la force obligatoire du contrat est justifiée par deux
956
raisons : la première, est d’ordre moral qui s’est traduite par le respect de la parole donnée.
La fidélité implique de payer ce que l’on a promis et celui qui n’exécute pas sa promesse
commet ainsi un pêché957, et la seconde, est d’ordre économique et social et qui s’est traduite
par le respect de la sécurité juridique. Le développement des rapports contractuels est
intimement lié à la question de la sécurité. Car le crédit peut être disparu avec la confiance qui
le fonde958.

Le principe de la force obligatoire a été pensé à partir des contrats égalitaires conçus
selon le schéma classique qui repose sur deux postulas : le premier est que les parties ont
expressément ou tacitement déterminé le détail de leurs obligations et le second postulat est

951
Sous réserve, bien entendu, de la stabilité de la monnaie.
952
Les relations présentes et futures entre les parties.
953
Le rapport contractuel privé et l’intérêt général.
954
Les coûts de la justice, le rôle du juge dans le contrat .
955
Jacques Ghestin,Le contrat au début XXI siècle ,op.cit.p.110 et s.
956
Bee Receveur,La force obligatoire du contrat de société :contribution à l’etude des relations entre droits des
contrats et droit des société,Thése 2013,Université de Cergy-Pontoise,p.11.
957
A.Rouast, « Le respect des engagements librement consentis et le contrat dirigé », Semaine sociale de France
1938,p.342 ;T.Genicon, La résolution du contrat pour inexécution, LGDJ,préf.L.Leveneur,n°360 et s.,p.261. et
s.,spéc.n°362,p.262 : « Dans la tradition française, la force obligatoire est fortement pénétrée d’une conception
morale qui conduit à la concevoir comme la nécessité de respecter une promesse ».
958
Y.Picod, Fasc.unique : contrats et obligations. Effet obligatoire des conventions. Exécution de bonne foi des
conventions, in J.-C1.civ., 2007, n°2 : « il y va de l’intérêt social comme de l’intérêt des contractants :le contrat
perdrait sa raison d’être et les rapports économiques et sociaux seraient inévitablement perturbés si le certitude
de sa réalisation n’était pas acquise ».
189
qu’un débat a eu lieu, ou, du moins aurait pu avoir lieu. L’existence de ces deux postulats est
de nature à permettre aux parties d’exprimer librement leur volonté et défendre efficacement
leurs intérêts. Or, ni l’un ni l’autre de ces deux postulats n’est toujours conforme à la
réalité959.

Le postulat d’égalité contractuelle a été fortement remis en cause par une réalité
économique qui fait du contrat le produit de force inégalitaire. Le contrat, étant souvent
injuste, car les contractants ne sont libres ni égaux : leur égalité nominale dissimule leur
inégalité réelle. Il arrive souvent que les obligations ne soient pas librement consenties, mais
imposés par le plus fort au plus faible. Cette situation d’inégalité se manifeste dans le
domaine des contrats d’adhésion, des contrats types, et des contrats de consommation. La
justice n’est donc pas un des automatismes du contrat et qu’une telle affirmation n’est pas
exacte960 ; elle doit être garantie par la loi et le juge961.

La doctrine classique qui faisait de la volonté l’élément essentiel du contrat et le


fondement de sa force obligatoire en considérant que le contrat est juste a suscité des critiques
et par rapport à la pratique962, elle a même été désignée comme « doctrine inféconde »963. La
critique de cette conception commence dés la fin du XIXe et se développe au début du XXe
siècle avec la croissance des contrats prérédigés et exclusifs de toute négociation véhiculant
964
l’essentiel des produits et services proposés par les professionnels au grand public et
contiennent des stipulations contractuelles avantageuses à leurs rédacteurs. La conception
volontariste de la force obligatoire du contrat, et sa connaissance dans le sens strict du terme a
donné lieu à des vives critiques. En bref, avec sa rigueur qui s’oppose à toute sorte
d’immixtion du juge dans le contrat même en présence des situations les plus injustes, il
arrive que cette conception classique va conduire à des profondes insuffisances 965 en matière
de la justice contractuelle et de l’équité contractuelle.

959
PJacques Flour,Jean-Luc Aubert et Eric Savaux,Les obligations,13 éd.Dalloz,2008,p.136.
960
Voir Noomen Rekik,Les clauses abusives et la protection du consommateur, Revue des Etudes Juridiques,
n°7,2000,Faculté de Droit de Sfax,p.111.
961
Véronique Ranouil, L’autonomie de la volonté : Naissance et évolution d’un concept, Presses Universitaires
de France, Paris,1980,p.133.
962
Hobinavalona Ramparany-Ravololomiarana,Le raisonnable en droit des contrats, thèse 2009,LGDJ,
Université de Poitiers, p.184 et s.
963
G.Rouhette, « La force obligatoire du contrat », rapport français, in :Le contrat d’aujourd’hui :comparaisons
franco-anglaises, LGDJ,1987,p.27 et s.spéc.p.37,n°11.
964
Guesmi Jamal Abdelkader,Le contrôle des clauses abusives dans les relations contractuelles, thèse
1997,ANTR,Université de Droit de Toulon et du Var, Faculté de Droit de Toulon,p.8.
965
Rafik Ouelhazi,Le juge et la force obligatoire du contrat, thèse 1997,Université Robert Schuman de
Strasbourg,Faculté de Droit des Sciences Politiques et de Gestion, p.51.
190
Dans la conception classique de la force obligatoire du contrat, le contrat était conçu
comme égalitaire, la volonté suffit à justifier les obligations réciproques des contractants966.
Selon Gounot, lorsque les rédacteurs du Code civil « parlaient de contrat, l’opération type
dont la réalité leur offrait le modèle et à la quelle ils pensaient sans cesse, c’était le vieux
contrat traditionnel, où deux personnes d’identique situation juridique et de puissance
économique égale exposent et discutent en un libre débat leurs prétentions opposées, font des
concessions réciproques et finissent par conclure un accord dont ils ont pesé tous les termes et
qui est véritablement l’expression de leur commune volonté »967.

Ce contrat, qualifié en tant que contrat « classique »968 n’a pas disparu, mais il est
cependant concurrencé, voir même dominé depuis le début du siècle dernier par une autre
figure, celle du contrat d’adhésion constituant ainsi un nouveau mode contractuel marqué par
la prolifération des contrats pré-rédigés. Ce model de contrat est devenu un usage courant
dans une société de consommation d’autant plus inégalitaire, dominé par l’économie de
marché, qui favorise plutôt les entreprises et autres professionnels969.Or, le risque inhérent à
l’adhésion est de porter sur des clauses qui déséquilibrent les droits et obligations des
parties970 (paragraphe1).

Selon la conception classique le juge n’est pas fondé à s’immiscer dans le contrat.
Cette conception est bâtie sur le contrat-échange égalitaire dans lequel les contractants
supposés être libres et égaux et par voie de conséquence sont présumés les meilleurs juges de
leurs intérêts. Le contrat est conçu par la doctrine volontarisme en tant que moyen efficace
pour assurer les relations d’échange honnêtes et équitable. Le contrat bénéficie donc d’une
présomption d’équilibre et de justice que Fouillée affirmait dans sa célèbre formule : « qui dit
contractuel, dit juste »971.

Or, ce postulat, ne correspond plus à la réalité contractuelle dans la mesure où, les
hommes ne sont pas égaux, il y a des forts et des faibles et le contrat peut être un instrument

966
Pascal Lokiec, Contrat et pouvoir, Essai sur les transformations du droit privé des rapports contractuels,
préf.Antoine Lyon-Caen, LGDJ, 2004, p.59.
967
E.Gounot,Le principe de l’autonomie de la volonté en Droit privé, thèse Dijon,1912,p.13.
968
La conception ‘classique ‘ du contrat fait écho à ce qui a parfois été qualifié de ‘droit classique’ des
contrats ;Ripert voyait en ce sens dans le ‘droit classique ‘le droit qui tient le contrat’ pour juste parce qu’il est
débattu et consenti’ ;G.Ripert,Aspect juridiques du capitalisme moderne,2 e éd.,LGDJ,1951,p.39-40 ;cf
not.D.Mazeaud, Loyauté, solidarité, fraternité :la nouvelle devise contractuelle ?,in L’avenir du droit, Mélanges
en l’honneur de François Térré,Dalloz,PUF,éd.du juris-classeur,1999.p.633 :l’auteur fait référence à une
‘conception classique ‘ du droit contractuel.
969
Abdellah Boudahrain,Le droit de la consommation au Maroc, éd.Al Madariss,1999 ,p.114.
970
Clair ŔMarie Peglion-Zika,La notion de la clause abusive au sens de l’article L.132-1 du Code de la
consommation, thèse 2013,Université Panthéon-Assas,Ecole doctorale de droit privé, p.2.
971
Alfred Fouillée,La science sociale contemporaine,2é ed.Paris,1885,p.410.
191
d’exploitation972. L’idée qui veut établir en axiome l’adéquation entre la justice et le contrat
est erronée. En effet, usant de leur supériorité économique, les professionnels rédigent
unilatéralement les contrats en insérant des stipulations qui satisfont leur intérêt excessif et
rendant les prestations économiquement déséquilibrées. Ce mode contractuel imposé par des
facteurs économiques modernes constitue une réalité sur le plan pratique et le schéma
classique du contrat consacrant de la toute puissance de la volonté, n’est plus qu’un mythe et
que le « sacro-saint principe de la force obligatoire du contrat ne fait l’objet d’un culte
dévot »973.L’attachement de la doctrine classique à sa position ferme qui s’est traduite par
l’exclusion absolue de l’intervention du juge dans le processus contractuel est de nature à
conduire à des conséquences déplorables en consolidant l’injustice contractuelle
(paragraphe2).

Paragraphe 1 : Les limites du principe dues à l’émergence d’un nouveau mode


contractuel

L’analyse et la pratique contractuelles ont connu depuis quelques années un nouvel


974
essor .Pourtant on note une crise de contrat qui traduit une distorsion entre la théorie et
les faits du droit contractuel975. La puissance économique, en créant chez certains le désir
d’exploiter leur situation de force pour tirer des profits abusifs et imposer des conditions
draconiennes, a donné lieu à la naissance des contrats pré-rédigés constituant un nouvel mode
contractuel.Le développement industriel s’accompagne donc d’un processus de concentration
en même temps que de standardisation(A).

972
A rapprocher de G.Ripert,La règle morale dans les obligations civiles, prec.p.126 : « A supposer la
convention irréprochable par son objet et par son but, les deux parties sont-elles sur le pied d’égalité et leur
inégalité n’est-elle pas justement de celles que la loi doit s’efforcer de corriger parce qu’elle est mère
d’injustice ?Est-il permis d’exploiter la faiblesse physique et morale du prochain, le besoin où il est de conclure,
la perversion temporaire de son intelligence ou de sa volonté ? Le contrat, instrument d’échange des richesses et
des services, peut-il servir à l’exploitation de l’homme par l’homme, consacrer l’enrichissement injuste de l’un
des contractants et la lésion de l’autre ? Ne faut-il pas au contraire maintenir à la fois l’égalité des parties et
l’égalité des prestations pour satisfaire un idéal de justice que nous enfermons volontiers dans une conception
d’égalité ? ».
973
D.Mazeaud, «Les nouveaux instruments de l’équilibre contractuel. Ne risque-t-on pas d’aller trop
loin ? »,in :La nouvelle crise du contrat, sous la direction de Ch.Jamin et D.Mazeaud,Actes de colloque organisé
le 14 mai 2001 par le centre René Demogue de l’Université de Lille II,Dalloz,p.135 et s.spéc.p.136.
974
Pour le renouveau de l’analyse contractuelle, voir par exemple les thèses de Rieg, Le rôle de la volonté dans
l’acte juridique, Paris, 1961 ;Rouhette, Contribution à l’étude critique du contrat, thèse, Paris,1965 ;J.L.Aubert,
Notion et rôle de l’offre et de l’acceptation dans la formation du contrat, Paris,1970,les études telles que Gorla,Il
Contracto,Milano ,1954 ;Schlesinger, Formation of Contracts,London,1968.
Sur le nouvel essor du concept contractuel, Recueil d’étude en l’honneur de François
Gény,t.II,p.333. ;Vasseur,Un nouvel essor du concept contractuel, R.T.D.C.1964,4 .
975
V.Batiffol,La « crise du contrat » et sa portée, in Sur les notions du contat,op.cit.,p.13.
192
L’individu se trouve confronté à des entreprises qui l’écrasent. La perte de son
individualité dans les contrats qu’il passe, sa situation soumise, sont les caractères de cette
transformation. Ainsi, les transformations économiques ont donc pour conséquence un
déséquilibre de la force contractuelle du pouvoir de négociation976.L’exploitation du faible par
le fort moyennant des contrats d’adhésion non négociés977 est devenue un aspect marquant
l’avènement de la consommation de masse. Cette inégalité flagrante entre les contractants
dénature le rôle du contrat en bouleversant l’équilibre contractuel et ont conduit à une
recherche des moyens permettant de protéger la partie faible (B).

A- L’apparition des contrats pré-rédigés

L’usage des contrats pré-rédigés s’est proliféré dans la société moderne sous l’effet de
certaines données d’ordres économiques, juridiques, sociologiques et matérielles978. Ainsi, la
croissance économique, l’industrialisation, la fabrication à la chaine, l’augmentation de la
taille des firmes, la multiplication des produits et des services, l’essor de la publicité et du
marketing, la distribution de grande surface et le besoin de la célérité dans la conclusion des
conventions ont modifié d’une manière profonde les techniques contractuelles et ont
concouru à l’émergence d’un mode contractuel nouvel. Ainsi, le contrat classique marqué par
sa rigidité d’exécution est devenu complètement inadapté au volume et à la rapidité des
opérations commerciales. L’adhésion à un contrat standardisé et pré-rédigé sans pouvoir de
négociation a dominé la vie courante et la vie des affaires. Ce mode contractuel considéré,
comme conséquence de la standardisation des rapports, crées par les professionnels, s’est
traduit par l’utilisation du contrat d’adhésion, du contrat- type (1) ou encore du contrat de
consommation (2).

1- Le contrat d’adhésion et le contrat - type

Ce qui caractérise vraiment le droit contemporain, c’est que les « modèles » s’y sont
multipliés, sous la forme nouvelle de contrats d’adhésion (a) et de contrats types. Cette
expression de contrat type est d’ailleurs équivoque ; elle recouvre des réalités diverses979 (b).

976
Georges Berlioz,Le contrat d’adhésion, 2e éd.,LGDJ,1976,pref.Berthold Goldman,p 7 et s.
977
Ph.Stoffel-Munck, Regards sur la théorie de l’imprévision, Mém.DEA,Aix,1994,n° 34 à
37 ;A.Benabent,Droit civil,Les obligations,7éme édition, n°26.
.‫ ٔو اثؼضْب‬80 ‫ انظفذخ‬،‫ يغجغ ؿبثك‬،‫خ’ صعاؿخ يمبعَخ‬ٛ‫خ انًزؼبلض يٍ انشغٔؽ انزؼـف‬ٚ‫ دًب‬،َٙ‫اَظغ يذًض ثذًب‬978
979 os
Cf.Ghestin,n 79 et s.(qui place ses développements sous un intitulé évocateur : « La standardisation des
contrats ») V. aussi Léauté, « Les contrats types » RTD civ.1953.429.
193
a- Le contrat d’adhésion
Il semble que l’expression de contrat d’adhésion ait été pour la première utilisée par
Saleilles dans son ouvrage980 publié en 1902. Il écrit qu’il existe « de prétendus contrats qui
n’ont du contrat que le nom (…) et que l’on pourrait appeler, faute de mieux, les contrats
d’adhésion ».Un de leurs critères est l’impossibilité pour l’une des parties d’un choix
véritable, d’un débat préalable des clauses : « autant vaudrait discuter avec des
981
phonographes » selon l’expression célèbre de Dereux .Car l’offre, générale, détaillée et
permanente est adressée par un fort à un faible qui ne peut la refuser982. Le contrat d’adhésion
est défini comme « un contrat dont le contenu contractuel a été fixé, totalement ou
partiellement, de façon abstraite et générale avant la période contractuelle983. Ainsi, les
« disparités de puissance »984, l’« inégalité de fait »985, la puissance économique »986 qui
caractérise l’élément principal de ce genre de contrat.

Au début du XXe siècle, Saleilles,Dollat987 et Dereux988 s’accordèrent à voir dans le


contrat d’adhésion quelque chose de plus proche de la décision de l’autorité publique que de
l’accord de volonté :il « revêt comme un caractère de la loi collective »989 dit Saleilles. Dans
le contrat d’adhésion l’accord de volonté cède la place à l’«unilatéralisme ».Rédigé
« unilatéralement par l’une des parties »990 il est défini par une « volonté unilatérale »991 qui
« fixe l’économie du contrat où l’un de ses éléments, la volonté de l’adhérent, n’intervient que
pour donner une efficacité juridique à cette volonté unilatérale »992.La volonté perd dans le
contrat d’adhésion toute valeur justificative. Le contrat est menacé par ce qui s’apparente à un

980
De la déclaration de volonté ; contribution à l’étude de l’acte juridique dans le Code allemand, 1901.
981
« De la nature juridique des contrats d’adhésion », Revue trimestrielle de droit civil, 1910, p.503.
.‫ ٔو اثؼضْب‬82 ‫ انظفذخ‬،‫ يغجغ ؿبثك‬،‫خ’ صعاؿخ يمبعَخ‬ٛ‫خ انًزؼبلض يٍ انشغٔؽ انزؼـف‬ٚ‫ دًب‬،َٙ‫اَظغ يذًض ثذًب‬-
982
L’inégalité économique des contractants est particulièrement bien soulignée par Dollat.Les contrats
d’adhésion, thèse, Paris, 1905.
983
Comp.Saleilles,De la déclaration de volonté ; contribution à l’étude de l’acte juridique dans le Code
allemand, nouveau tirage, Paris,1929,art.133,n.89 et s.,p.229 et s. : « les contrats d’adhésion, dans lesquels il y a
la dicte sa loi, non plus à un individu ,mais à une collectivité indéterminée, et qui s’engage déjà par avance,
unilatéralement, sauf adhésion de ceux qui voudraient accepter la loi du contrat, et s’emparer de cet engagement
déjà crée sur soi-même ».
984
Georges Berlioz,Le contrat d’adhésion, op.cit.,p.13.
985
J.Ghestin, Traité de droit civil, La formation du contrat,3e éd.,LGDJ,1993,p.77 ;cf.égalt J.L.Aubert,Les
relations entre bailleurs et locataires en droit français, in La protection de la partie faible dans les rapports
contractuels, Le Centre de droit des obligations de l’Université de Paris I et le Centre de droit des obligations de
l’Université catholique de Louvain,LGDJ op.cit.,n°8,p.169.
986
J.Flour,J.L.Aubert,E.Savaux,Les obligations, l’acte juridique,tome,Armand Colin,2000,n°178,p.116.
987
Les contrats d’adhésion ,thèse, Paris,1905.
988
Dereux,De l’interprétation des actes juridiques privés, thèse, Paris,1905,p.198 et s. ; « De la nature juridique
des contrats d’adhésion »,Revue trimestrielle de droit civil,1910,p.503.
989
De la déclaration de volonté, op.cit.,p.230,n°89.
990
J.Ghestin,op.cit.,p.77.
991
G.Berlioz,op.cit,n°12 ,p.13.
992
Ibid, n°42 ,p.28.
194
acte unilatéral.« Qu’y a-t-il de contractuel dans cet acte juridique ? » se demandait Ripert,
voyant dans le contrat d’adhésion « l’expression d’une autorité privée »993.

Le contenu typique du contrat d’adhésion qui a fait l’objet d’un certain nombre
d’études a permis de relever les abus de ce type d’engagement. Si ce genre de contrat qui fait
partie des contrats pré-rédigés est essentiellement écrit, il est loin d’être certain 994,dans la
mesure où les clauses utilisées par ses rédacteurs, peuvent être entachées de vices multiples.
Les abus du contrat d’adhésion se manifestent notamment à travers, le manque de lisibilité995,
l’ambigüité en matière de formation et de contenu996, l’existence des lacunes997, les
imprécisions998, et les clauses inacceptables999.

Les contrats nommés ou innommés peuvent se présenter sous la forme de contrat


d’adhésion. Ainsi, les formes d’assurance, les variétés de contrat de transport, par terre, par
eau, ou par air, les variétés de contrats de service offertes aux consommateurs, la plupart des
baux, les contrats de vente et les contrats bancaires, peuvent se présenter sous la forme de
contrat d’adhésion1000.Le régime de ce type de contrat se distingue de la doctrine classique du
contrat qui suppose la fusion de deux volontés, exprimées par deux personnes libres et égales,
du fait que, dés la fin du XIXe siècle, les postulats nécessaires à la liberté individuelle et de la
l’égalité des hommes se sont trouvés contredits par la réalité1001. L’autonomie de la volonté

993
G.Ripert, La règle morale dans les obligations civiles, LGDJ, 1949, p.99.voir également sur ce point,Pascal
Lokiec, Contrat et pouvoir, Essai sur les transformations du droit privé des rapports contractuels, op.cit., p.60 .
994
Abdellah Boudahrain,Le droit de la consommation au Maroc,op.cit.,p115 et s.
995
Le stipulant est souvent tenté d’imposer des conditions extrêmement onéreuses dans un « magma
typographique de lecture malaisée », voir. Josserand L., Cours de droit civil positif français, t. II,3 e
éd.,1939,p.24,n°33.
996
Le contrat est ainsi rédigé qu’une lecture superficielle ne révèle pas que la situation constituera un
engagement ferme. Le stipulant maquille la terminologie afin de présenter des clauses qui sont en sa faveur
comme des stipulations protégeant l’adhérent. Ainsi les clauses de limitation de garantie, conçues pour avantager
le stipulant, se cachent sous le couvert de « clauses de garanties ».
997
Les conditions déterminantes sont souvent contenues dans des documents qui ne sont pas mis à la disposition
de l’adhérent. D’autre part le contrat est accompagné de documents qui déterminent souvent la décision de
l’adhérent (catalogues, fiches techniques et autres dépliants publicitaires) mais dont la valeur contractuelle est
douteuse.
998
Le contrat fait référence à des spécifications sans qu’il y ait une garantie qu’elles soient respectées. Ainsi
dans les contrats de construction, des matériaux sont indiqués dans le catalogue de la maison que les matériaux
prévus seront véritablement utilisés.
999
« dans les contrats d’adhésion on ne recule devant aucune contradiction :le propriétaire impose à un
cocontractant les frais de garde de sa propre chose, le coût des améliorations qu’il décide seul de faire ,la
différence entre le prix de revente qu’il acceptera à son bon plaisir et le solde du prix de la vente antérieurs ».
voir Trudel, Lésion et contrat, Montréal,1965,p.162 ;voir. égal.G.Berlioz,op.cit, ,p.37et s.
1000
voir. égal.G.Berlioz,op.cit, ,p.39et s.
1001
Laurence Fin-Langer,L’équilibre contractuel, pref.Catherine Thibierge,LGDJ,2002,p.88 .
195
peut permettre au fort d’opprimer le faible1002 en raison du postulat de l’égalité parfaite entre
les contractants1003.

Dans le schéma classique du contrat, les clauses sont débattues, la détermination du


domaine contractuel qui se fait par un accord de volonté libre ne pose pas de problème. On
est dans l’hypothèse de relations d’affaires entre parties de puissance et de connaissance
sensiblement égales, discutant en pleine libérté et connaissance de cause et aboutissant à un
accord. Les clauses acceptées sont celles contenues dans le document contractuel et les autres
sont exclues. Le consentement, nécessaire à la conclusion du contrat, donne vie à chacune de
ces clauses1004.

Or, dans le nouvel mode contractuel qui s’est traduit par l’usage du contrat
d’adhésion, il n’y a plus d’égalité entre les parties, plus de négociation, les clauses sont
préétablies par l’une des paries. L’absence de débat et le consentement en bloc excluant la
discussion des clauses qui est demandé à l’adhérent, le consentement aux clauses de la
stipulation ne peut être en fait supposé. Ces clauses peuvent se trouver en dehors du document
contractuel sans être forcément exclues du domaine contractuel. A ce propos, la question peut
se porter essentiellement sur l’efficacité de la portée et de l’étendue de l’adhésion de toutes
les clauses de la stipulation.

L’efficacité des clauses contractuelles dans la théorie classique est fondée sur
l’existence du consentement et résulte de l’article 230 du D.O.C et en droit comparé de
l’article 1134 du Code civil français. Ainsi le consentement en bloc permet la conclusion du
contrat mais, celle-ci, à la différence du contrat formé par un accord des volontés, ne résout
pas automatiquement le problème de la détermination du domaine contractuel. Dans le cas du
contrat d’adhésion il y a un contrôle de la réalisation du lien contractuel pour en délimiter
l’étendue qui remet en cause l’opposabilité de certaines clauses1005.Si l’adhésion à la
stipulation conclut le contrat, elle ne rend pas forcement la stipulation entièrement efficace.

1002
D.Terré-Fornacciari,L’autonomie de la volonté, i n Revue des Sciences morales et politiques,1995,p.264.Elle
cite cet argument souvent invoqué contre le volontarisme juridique.
1003
V.Ranouil,L’autonomie de la volonté, Naissance et évolution d’un concept, op.cit.,p133 à 135.J.Flour et
J.L.Aubert,op.cit,n°114,et 115 ;C.Stoyanovith,De l’intervention du juge dans le contrat en cas de survenance de
circonstances imprévues, Théorie de l’imprévision, Th.Aix,1941,p.325 à 328.
1004
G.Berlioz,op.cit, ,p.50.
1005
« Dans les contrats dits d’adhésion de nombreuses décisions font abstraction de certaines clauses au motif
que le contractant adhérent à une convention prérédigée ne les a pas lues, donc n’y a pas consenti ».Stark, Droit
civil, t.II (Obligations),1972,n°1157,p.373.Cf. en droit québécois : « On peut exposer ainsi le principe du
contrôle judiciaire sur les contrats d’adhésion :les tribunaux ont la possibilité et le devoir, en présence d’un
contrat d’adhésion, de s’assurer du sens et de la portée du consentement donné par l’adhérent » ( Azard, Le
contrat d’adhésion,1960,20 R. du Barreau,p.344).
196
De l’analyse de la jurisprudence des juges du fond1006 il ressort inopposable que ceux-
ci utilisent le contrôle de la connaissance pour rendre inopposable, sans risquer la cassation,
une clause qui leur paraît inéquitable. Ainsi la Cour de cassation française a-t-elle-rejeté le
pourvoi lorsque les juges du fond avaient déterminé que les mentions imprimées sur les
factures postérieures étaient insuffisantes pour modifier les règles de compétence qui
s’imposaient dés l’origine1007.Dans une espèce typique la Cour de Poitiers déclare une clause
abusive en affirmant que « vainement pour échapper à sa responsabilité la banque
invoquerait-elle un règlement général imposé à ses clients, par lequel elle se dispenserait de
tout détail de présentation et de protêt et conserve son recours dans tous les cas, alors qu’elle
ne prouve pas que son client ait connu de telles clauses dérogatoires du droit commun (…) La
mention portée sur le bordereau de remise des chèques « le déposant est soumis à l’ensemble
des conditions de recouvrement de la banque qu’il déclare bien connaitre » est unilatérale et
ne comporte aucune acceptation du client et le fait par celui-ci d’avoir reçu le bordereau
n’emporte pas renonciation aux droits qu’il tient de la loi ».1008

Dans les cas de clauses d’exonération, la jurisprudence cherche à protéger l’adhérent


et utilise l’absence d’acceptation. On partant de la théorie classique du contrat, qui est conçue
dans l’optique d’un accord de volontés se formant à l’issue d’une négociation faite en
connaissance de cause entre parties supposées égales. Selon ce postulat, la force obligatoire
du contrat s’étend à toutes les clauses contenues dans le document contractuel. La signature
concrétise l’acceptation de tous les termes1009.Cette analyse a été longtemps appliquée au
contrat d’adhésion. La signature du souscripteur d’une police d’assurance était considérée
comme impliquant acceptation de toutes les clauses, la stipulation était entièrement opposable
à l’adhérent1010. Cette position qui marque la rigueur de la force obligatoire du contrat dans sa
conception classique, est devenue inadapté avec la réalité du nouvel mode contractuel, en
présentant certaines lacunes se rapportant à la consolidation de l’injustice contractuelle et
exige une double intervention législative et judiciaire pour garantir l’équilibre contractuel.

1006
Aix, 2 mars 1929, Gaz.Pal.1929.1.704.Angers, 12 mai 1931, D.H.1939.387-Paris, 25 novembre 1952,
D.P.1953.43, Riom 16 déc.1966, D.1967.J.335.
1007
Cass.Com.16 oct.1967, D.1968.193 n.Plaisant.
1008
Poitiers, 18 mai 1954,D.1955.365 (n.Goré).Pour une espèce similaire en droit américain.cf.Los Angeles
Investment Go.v.Home Savings Bank 180 Cal.601 :122 P.393 ,1929 ou la Cour constate que « l’obligation
usuelle de la banque est modifiée par une clause contenue dans le carnet de chèques quant aux délais de
contestation des endossements et que cette clause, en l’absence de preuve expresse de l’acceptation de
l’adhérent, ne peut lui être opposée,cf.Galif.L.Rev.(1967).1277.
1009
G.Berlioz,op.cit, ,p.66 et s.
1010
Civ .1er février 1853.D.53.1.77.et 30 mars 1892.S.93.1.13.
197
Ainsi, un effort de protection de l’adhérent consistant à contrôler le contenu
contractuel. A ce propos, la délimitation de l’efficacité du contenu contractuel passe par un
contrôle du consentement en détail mené par les tribunaux pour identifier les clauses
irraisonnables qui peuvent être frappées de l’inopposabilité. Cette attitude est partagée par
une partie de la jurisprudence et de la doctrine étrangère.

Dans Fricke v.Isbrandon1011Judge Palmieri,de l’U.S. District Court of. The New
York, se fondant d’ailleurs sur l’exemple allemand, a refusé d’appliquer une clause accordant
compétence aux tribunaux américains et une clause frappant de déchéance les actions pour
blessures après un an. Le contrat se présentait sous l’aspect d’un long formulaire rédigé en
anglais : il avait été conclu en Allemagne, pour un voyage aller et retour par la demanderesse,
une dame allemande domiciliée en Allemagne, et ignorant l’anglais. Contrairement à Juge
Harlan qui dans le Siegelman Case1012 avait considéré que l’adhésion valait consentement en
bloc, Judge Palmieri a distingué ce cas de contrat d’adhésion des contrats classiques. La
clause relative à la loi applicable étant unilatéralement imposée et son application
déraisonnable, elle ne pouvait être opposée à l’autre partie.

La doctrine a soutenu cette attitude, en considérant que l’adhésion ne rendrait pas


opposable que les clauses qu’un homme raisonnable s’attendrait à trouver le contrat 1013 :le
critère devait être les termes auxquels aurait consenti un homme raisonnable dans des
conditions de négociations équilibrées1014 ou même les termes qui seraient acceptés dans une
« situation idéale »1015.Ainsi de façon générale lorsque dans les contrats d’adhésion le
stipulant a cherché à transférer les risques au consommateur ou a cherché à limiter ses
obligations, les tribunaux en particulier en Californie, ont refusé d’appliquer les clauses qui

1011
Fricke v.Isbrandson Co.,151 F.Supp.465 (S.D.N.Y.1957).
1012
Siegelman v.Cunard White Star.221.F.2 d 189 (2d Cir.1955).
1013
Llelwyn.Book Review,52 Harv.L.Rev.700 (1939) :Kessler : « Dans les contrats standardisés les tribunaux
doivent déterminer ce que le cocontractant qui est dans la position de faiblesse pouvait d’une manière légitime
espérer comme prestation en fonction de la « vocation » (calling) de l’entrepreneur, et dans quelle mesure la
partie puissante a déçu cette attente raisonnable fondée sur les situations typiques de la vie » (Contracts of
Adhesion-Some Thought about Freedom of Contract,43 Col.L.Rev.629,637 :cf.Note,Issurance :The Meaning of
the Contract in the Light of the Insured’s Reasonable Expectations.2.Lin.L.Rev.158.n°7.
1014
Contract Clauses in Fine Print (1950) 63 Harv.L.Rev.494.504.
1015
Lukes ,Grund Problem der allegmeinen Geschaftsbedingungen,1Juristishe Schulung,Zeitschrift fur Studium
und Ausbildung (1961,301,308).En droit suisse les clauses inhabituelles, en particulier celles étrangères au but
du contrat (geschaftsfremde Klausen),c’est-à-dire les clauses avec lesquelles le commerçant pouvait savoir que
son client ne compterait ni ne devrait compter, ne sont pas considérées comme voulues par les deux parties,
donc elles ne valent pas, c’est la règle dite de l’inhabituel (Uugewohnlichkeit-regel) :cf.Jaggi.Obligationsrecht,3e
éd.n°.498 .
198
détruisaient l’attente raisonnable et ont défini le domaine contractuel en fonction de l’attente
raisonnable de l’adhérent1016.

La délimitation du domaine contractuel s’est traduite par un contrôle des clauses


typiques du contrat d’adhésion qui d’autant plus rigoureux que la clause paraît onéreuse et
déroge au droit commun. Ainsi les clauses d’exonérations de responsabilité qui sont souvent
insérées dans les contrats d’adhésion. Cachées dans un texte long et complexe, déguisées sous
l’apparence de clauses de garantie, ces clauses de non responsabilité passent généralement
inaperçues de l’adhérent qui de toute façon ne saurait guère s’y opposer. Difficile à faire
accepter dans un contrat négocié sans une pression considérable elles trouvent dans les
techniques d’adhésion un support idéal1017.

La jurisprudence française n’a écarté les clauses d’exonération au stade de la


formation que dans le cas de leur existence dans des affiches, bordereaux, billets et reçus, et
non pas reproduites dans le document contractuel.

En droit allemand le Bundesgerichtshop a souligné la différence de traitement à


appliquer à une clause d’exonération suivant que le contrat est conclu par négociation ou par
adhésion. Le Bundesgerichtshop a affirmé1018 que l’on devait nettement distinguer, en cas
d’exclusion d’une telle règle que celle des garanties du vendeur, entre les cas oùle contrat a
été formé par accord des volontés et ceux où prédomine celle de l’une des parties. Il a insisté
sur le fait que les lois du 19e siècle, lorsqu’elles ont permis cette exclusion, prévoyaient son
élimination dans des cas individuels par des parties traitant sur un pied d’égalité. Au contraire
le formulaire standardisé de masse, tel qu’il s’est développé en particulier pendant ce siècle,
représente un ordre juridique établi à l’avance par une partie des milieux d’affaires. En raison
de cette absence de négociation individuelle le Bundesgerichtshop a considéré qu’il n’y avait
pas consentement à la clause.

Dans d’autres décisions les plus hauts tribunaux allemands ont insisté sur le fait que
l’utilisation par un individu d’un formulaire standardisé auquel on lui demande d’adhérer ne

1016
V.The Idividual and de Public Service Entreprise in the New Idustrial State,Tobriner and Grodin,55
Calif.L.Rev.1247,1272 (1967).
1017
V.Paul-J-Durant,Des conventions d’irresponsabilité.Thése,Paris,1931,p.34 et s.V.aussi Domergue,Etude
d’ensemble sur le contrat d’adhésion,Thése,Toulouse,1935,p.155.Carbonnier,op.cit.p.261 ;Storno,Conditions et
Warranties,Lausanne,1963,p.210 et s ;G.Berlioz,op.cit, ,p.71 et s.
1018
Jugement du 29 oct.1959,Bundesgerichtsthof (II.Zivilsenat) 22 BGHZ 90,96.
199
saurait constituer un contrat1019.Il en résulte donc que les clauses insérées dans ce document
contractuel ne jouissent pas du caractère obligatoire conféré par le consentement contractuel.

La jurisprudence anglaise a considéré comme inopposable une clause d’exonération


imprimée. Les tribunaux anglais ont décidé que dans un contrat d’adhésion il faut que l’on
puisse raisonnablement penser que l’adhérent a connu la clause et y a consenti1020. C’est pour
ces clauses que les tribunaux américains ont développé la doctrine du « knowledgeable
assent », réservée au contrat d’adhésion1021.

La diversité des motifs pouvant la provoquer, l’inégalité des parties au contrat, peut
conduire à un même résultat : un contrat au contenu abusif, ouvertement contraire à l’équité et
consacrant l’exploitation du faible par le fort sans que le premier puisse réagir aux
agissements du second. Le déséquilibre préexistant au contrat trouve de la sorte un
prolongement au sein du rapport contractuel, favorisé par le jeu du principe d’autonomie de la
volonté1022.Aussi son interprétation ne peut être guidée par la recherche de la volonté des
parties. Elle doit être animée par le souci de garantir la bonne foi, l’équité, la protection de la
partie faible contre le fort1023. Pour cette raison, le juge doit être investi d’un pouvoir de
contrôle lui permettant de neutraliser tout effet aux clauses iniques imposées par la volonté
unilatéral de l’auteur de l’offre, à côté du mécanisme du dirigisme contractuel qui s’est traduit
par une intervention législative moyennant des dispositions impératives limitant la liberté
contractuelle dans le but d’assurer la protection de la partie faible contre l’injustice

1019
Jugement du 13 oct. 1942,Reichsgericht (II.Zivilsenat) 170 RGZ 233.Jugement du 31 janv.1941,D.R.1941
Ausg.A.S.1210,n.12.
1020
Klar.v.H. et M.Parcel Room,270 App.Div.53. ; G.Berlioz,op.cit, ,p.72 et s.
1021
Henningsen v.Bloomfield Motors,Inc.,32 N.J.358 ,361 A.2d 69 (1960).
-Il y a prés de cent ans que la Cour Suprême des Etats-Unis a décidé de ne pas tenir compte du prétendu
consentement de l’expéditeur à une clause de limitation de responsabilité dans un contrat formulaire de transport
soumis à son adhésion par un transporteur. La Cour a considéré qu’en raison « de l’inégalité des parties, de la
contrainte qui s’exerce sur le client qui ne peut se permettre de se débattre ou de tenir tête et de recourir aux
tribunaux (…) il préfére plutôt accepter n’importe quel connaissement, ou signer n’importe quel papier qui est
présenté par le transporteur,souvent sans le consulter et sans connaître ce qu’il contient ».V. sur ce
point,N.Y.Railroad Co.v.Lockwood,17 Wall.(84 U.S.357,381,1873) ;l’opinion en « dissent » de Judge Frank
dans Lichten v.Eastern 179 U.S.69,71,21 S. Ct 30 :300 (1900).De la même façon une limitation de responsabilité
a été considérée comme inopposable parce qu’elle était contenue dans un document ou « en toute probabilité le
passager n’allait pas lire ou chercher une clause de limitation de responsabilité ».V. sur ce point,Lawlor v. Incres
Nassau S.S.Line,161 F.Sup.764 (D.C.Mass.1958).
-En droit belge la jurisprudence tend actuellement à une plus grande sévérité dans l’admission de la preuve de
l’acceptation des clauses de limitation de responsabilité qui se présentent sous la forme des conditions générales
imprimées. Elle vérifie que la clause exonératoire de responsabilité ait été effectivement portée à la
connaissance de l’adhérent au moment de la conclusion du contrat. V.sur ce point, Bruxelles,25 février
1963,Pas.1963,II,221 :Bruxelles,4 décembre 1964,Pas.1965,II,273 ;Limpens et Kruithof,Chronique de
jurisprudence,Rev.Crit.Jur.Belge (1969),p.233 .
1022
Frédéric Leclerc,La protection de la partie faible dans les contrats internationaux, Bruylant
Bruxelles,1995,p.6 .
1023
Véronique Ranouil, L’autonomie de la volonté : Naissance et évolution d’un concept, op.cit.,p.134.
200
contractuelle et de rétablir l’équilibre des droits et des obligations dans le contrat d’adhésion.
La standardisation des rapports contractuels a contribué également à la multiplication des
« modèles » de contrats sous la forme nouvelle de contrats types.

b- Le contrat - type
Le contrat type est proche du contrat d’adhésion, du fait que son contenu est lui aussi,
très largement préétabli. Il est défini comme « une simple formule (…) destinée à servir de
modèle pour de futurs contrats que des sujets de droits concluront éventuellement plus
tard »1024.Mais le contrat type1025 se distingue du contrat -cadre, en ce qu’il, comme le
souligne un auteur , « est un modèle du contrat complet, comportant à la fois les éléments
essentiels à la validité de l’accord et les obligations mises à la charge des parties »1026 ;le
contrat cadre1027 se bornant quant à lui, à préciser les conditions d’exécution du futur contrat .

Le cadre dans ce contrat type impose ainsi aux parties de se soumettre à l’ensemble du
contenu contractuel, abstrait et concret ; en principe librement débattu par les parties, mais qui
est rédigé unilatéralement par l’un des contractants, ou bien souvent par un organisme
professionnel ou un organisme administratif auquel appartient l’un des contractants. Il existe
des contrats types administratifs et privés1028.

Le contrat type administratif est parfois établi par un organisme officiel et mis en
vigueur par l’administration1029. En droit français, le contrat portant sur des baux ruraux est
censé conclu pour neuf ans aux clauses et conditions fixées par le contrat type établi par la
commission consultative des baux ruraux1030.Cette sorte de contrat type s’apparente à un

1024
J.Leaute, « Les contrats- types »,R.T.D.Civ.1953,p.430,n°1.
.‫ ٔو اثؼضْب‬86 ‫ انظفذخ‬،‫ يغجغ ؿبثك‬،‫خ’ صعاؿخ يمبعَخ‬ٛ‫خ انًزؼبلض يٍ انشغٔؽ انزؼـف‬ٚ‫ دًب‬،َٙ‫اَظغ يذًض ثذًب‬1025
1026
A.Seube,« Les conditions générales des contrats »,in Etudes offertes à Alfred Jauffret.,op.cit.,p.629 ;Nélia
Cardoso-Roulot,Les obligations essentielles en droit privé des contrats, préf.de Eric Loquin, Thèse, Université de
Bourgogne,L’Harmattan,p.214 et s.
1027
Les contrats-cadres sont utilisés lors de relations contractuelles qui s’inscrivent dans la durée notamment en
matière d’approvisionnement, de fournitures de prestations de service pour éviter d’avoir à renégocier les
conditions de base du contrat. Ils sont issus d’une première négociation qui va constituer un moule dans lequel
seront conclus les accords définitifs, les contrats d’application. V.sur ce point, J.Gatsi, Le contrat-cadre
,thése,LGDJ,1996.
1028
Nélia Cardoso-Roulot,Les obligations essentielles en droit privé des contrats, op.cit.215.
1029
En droit marocain,l’aricle 1 de la loi n° 86-12 du 24/12/2014 relative aux contrats de partenariat public-privé
dispose que « le contrat de partenariat public-privé est un contrat de durée déterminée, par lequel une personne
publique confie à un partenaire privé la responsabilité de réaliser une mission globale de conception, de
financement de tout ou partie, de construction ou de réhabilitation, de maintenance et/ou d’exploitation d’un
ouvrage ou infrastructure ou de prestation de services nécessaires à la fourniture d’un service public ».
1030
Voir l’article L.411-4.du Code rural français.
201
règlement1031. Le contrat d’apprentissage fournit un exemple d’une contrainte beaucoup plus
stricte1032 : la convention des parties doit contenir les stipulations et indications obligatoires
contenues dans le contrat type annexé aux dispositions réglementaires1033.Le contrat type
emprunte alors directement au texte qui y porte référence, la nature et l’autorité du règlement.
Ces différents contrats types, dits administratifs, ont pour finalité d’organiser une protection
des intérêts de l’une des parties jugée, à tort ou à raison, trop faible pour se défendre seule1034.
En cela, cette première catégorie de contrats types se différencie radicalement de la
seconde1035.

S’agissant du contrat type privé, il est établi par les grandes entreprises -assurances,
banques, sociétés de transport …- pour régir les contrats individuels à conclure avec chacun
de leurs clients en prenant souvent la forme de « conditions générales »1036. A la différence
des lois interprétatives et des contrats types administratifs, ne sont pas applicables de plein
droit aux contrats individuels. Il faut, pour cela, que les parties procèdent à une formalité de
négociation pour les adopter. Théoriquement, rien ne s’oppose à ce que tel client obtienne des
« conditions particulières » dérogeant à son profit aux conditions générales : par exemple, un
tarif plus favorable. En ce sens, la situation est analogue à celle qui résulte de l’existence des
lois interprétatives, et elle paraît même laisser aux individus une liberté plus grande ; le
contrat type privé ne s’applique qu’à ceux qui s’y sont formellement référés 1037.Mais, les
contrats types privés sont souvent un lieu d’abus de pouvoir de l’unilatéralisme en particulier
le pouvoir -savoir. En raison de l’inégalité de fait, et de la puissance économique, l’entreprise
refuse le plus souvent d’apporter aucun changement à ses conditions préétablies1038.C’est
alors cette situation qui peut engendrer une sorte de déséquilibre dans la relation contractuelle
que le schéma classique est déformé, dans la mesure où le postulat présupposé par les
classiques est exclu dans ce genre d’engagement.

1031
V. aussi les contrats collectifs types en droit français qui peuvent, sous certaines conditions, être substitués
aux contrats d’intégration conclus entre les producteurs agricoles et une entreprise industrielle ou commerciale
(C.rur., ar.L.326-4 et s.).
1032
Voir l’article R.6222-5 du Code du travail français.
1033
Ce contrat type fixe, notamment, les obligations réciproques des parties et le mode de calcul de la
rémunération de l’apprenti (D.1977.Lég.111).
1034
De ce point de vue, on en rapproche parfois certaines conventions, conclues entre les établissements publics
et des organisations professionnelles pour améliorer les conditions de conclusion de certains contrats.
Cf.Ghestin,n°72.
1035
Jacques Flour,Jean-Luc Aubert et Eric Savaux,Les obligations, L’acte juridique, op.cit., p.137 et s.
1036
Ces contrats types sont rédigés tantôt par une entreprise déterminée (telle banque, telle compagnie
d’assurances…), tantôt par un organisme professionnel, syndical ou autre (exemple : connaissement type établi
par le Comité des armateurs).
1037
Jacques Flour,Jean-Luc Aubert et Eric Savaux,op.cit.p.137.
1038
Ce refus est certain lorsqu’il existe, comme souvent, des accords professionnels en vertu desquels chaque
entreprise s’est engagée à ne pas modifier les conditions arrêtées en commun.
202
L’évolution spectaculaire, voire effrayante des progrès techniques et industriels a
modelé les sociétés du XXIe siècle en favorisant la multiplication et surtout l’accélération des
échanges1039. Or, avec le développement de l’économie de marché aux XIX e et XXe siècles,
sont apparus de nouveaux produits de consommation exigeant une certaine rapidité dans la
conclusion des opérations contractuelles pour assurer leur circulation dans le circuit
économique ce qui a contribué par voie de conséquence, à l émergence de nouveaux types de
contrats de consommation dont le choix du consommateur se réduit à conclure ou ne pas
conclure le contrat dans la mesure ou son contenu pré-rédigé par le professionnel échappe à sa
volonté. Cette disproportion entre les deux parties du contrat de consommation a fait
apparaitre l’idée équitable de la protection accrue du consommateur1040en tant que partie
faible dans l’équation contractuelle.

2- Le contrat de consommation
Le contrat de consommation comporte une spécificité, justifiant sa confrontation au
droit des contrats préexistant1041. Il n’appartient pas à une catégorie homogène clairement
définie, contrairement aux contrats nommés connus dans le D.O.C et les codes civils des
systèmesjuridiques étudiés. Il est de nature hybride. Un contrat de consommation peut porter
sur une vente ou une prestation de service et pour cause la satisfaction des besoins
personnels1042. Il appartient à la catégorie des contrats d’adhésion, ce qui signifie qu’il ne fait
l’objet d’aucune négociation visant à déterminer son contenu. Le consommateur est
généralement tenu de l’accepter en bloc ou de refuser de contracter.

Ainsi, le contrat de consommation est empreint de spécialité dans le sens où le contrat


conclu entre un professionnel et un consommateur1043. « Le contrat de consommation : c’est
évidement un néologisme .Mais c’est avant tout pour les juristes une notion nouvelle, dont
il est encore difficile de préciser les contours et les caractères dominants. Image grossie et
parfois déformée du contrat d’adhésion, il contient par nature, et à lui intimement liée, une
force contraignante quasi insurmontable émanant des agents économiques intervenant au
contrat. Cette pesanteur juridique s’exerce sur le dernier maillon de la chaîne économique, à

1039
Rabih Chendeb, Le régime juridique du contrat de consommateur, étude comparative (droits français,
libanais et égyptien),préf.Hervé Lécuyer,LGDJ,éd.Alpha,2010,p13.
1040
J.Alisse, « L’obligation de renseignement dans les contrats »,thése,Paris 2,1975,p.41 .
1041
Rabih Chendeb, Le régime juridique du contrat de consommateur, étude comparative,op.cit.,p.16.
1042
Voir G.Raymond, « Une catégorie juridique nouvelle : Les contrats de consommation », in Les contrats de
consommation, PUF,coll. «Publications de la faculté de droit et des sciences sociales de Poitiers »,2002,p.9 et
s.,spéc.,p.18.
1043
D.Pombielh, « L’incident du contrat de consommation sur l’évolution du droit des contrats » thèse, Pau et
des pays de l’Adour, 2002, n°8 , p.10-11.
203
la quelle est lié le consommateur »1044.Avec le droit contractuel de la consommation, les
termes « débiteur » et « créancier » disparaissaient, remplacés par ceux de consommateur et
de professionnel. Le sujet du contrat « interchangeable »1045, abstrait est devenu un « sujet
catégoriel »1046, concret.

Selon M.Fages, « depuis l’essor du droit de la consommation à partir des années 1970,
il est de plus en plus souvent nécessaire de faire une distinction quant à la qualité des parties
au contrat. En effet, un contrat peut être soumis à des règles juridiques différentes selon qu’il
est conclu entre : un professionnel et un consommateur (business to consumer :B to C),deux
professionnels (business to business :B to B) ou deux consommateurs (consumer to
consumer :C to C)1047.

La différenciation par la qualité des parties permet d’octroyer un statut protecteur à


l’une des parties du contrat1048. A ce propos, M.Noblot a souligné que la qualité de
consommateur est considérée comme un « critère légal de protection »1049, c’est en sa qualité
de partie faible qu’il est protégé. Comme l’explique MM.Lucas de Leyssac et Parléani, « la
faiblesse du consommateur dans l’acte de consommation appelle sa protection par le droit
(…).L’infériorité juridique du consommateur aggrave sa faiblesse1050. Il a pour origine un
déséquilibre profond entre l’entreprise et le consommateur. Cette situation de faiblesse
présente deux variétés. Tantôt la faiblesse résulte de la puissance économique du partenaire,
de sa dominance sur le marché qui lui permet de dicter les termes du contrat1051.Tantôt le
contractant est faible en raison de son propre état de besoin qui le rend vulnérable1052.
L’ouvrage conçu par une volonté unilatérale de la partie puissante fait ainsi ressortir la variété
des situations de faiblesse contractuelle qui toutes donnent lieu à des contrats inégalitaires
qu’il s’agisse des contrats d’adhésion, des rapports entre professionnels et consommateurs,

1044
M.Trochu,H.Groutel,B.Jadaud et P.Pacastaing, « Le contrat de la consommation :Contribution à l’étude de la
condition juridique du consommateur »,Congrès national des Huissiers de justice Tours,12-16 juin 1974,Paris,
librairie générale de droit et de la jurisprudence, p.12-13.
1045
R.Martin, «Personne et sujet de droit », RTD civ.1981, p.785 et s.,spéc.,p.792.
1046
Ibid.
1047
B.Fages,Droit des obligations,LGDJ,coll. «Manuel »,3e éd.,2011,n°23.
1048
Jacques Ghestin,Les contrats de consommation ,Règles communes, Traité de droit civil,LGDJ,2011,p.92.
1049
Titre éponyme de la thèse de C.Noblot : La qualité du contractant comme critère légal de protection. Essai de
méthodologie législative, op.cit.
1050
J.Lucas de Leyssac et G.Parléani,Droit du marché,PUF,coll. « Thémis »,2002,p.79.
1051
Monopole,restriction de concurrence consistant dans l’application de conditions contractuelles uniformisée.
1052
Besoin de travail (…), besoin d’un logement, besoin d’une assistance urgente. V. sur ce point M. Fontaine
« Rapport de synthése »,in La protection de la partie faible dans les rapports contractuels. Comparaisons franco-
belges,op.cit.p.616.;Jacques Ghestin,Les contrats de consommation, op.cit.,p.93.
204
employeurs et travailleurs, assureurs et assurés ,bailleurs et locataires, services publics et
usagers1053.

Le contrat de consommation est un contrat d’adhésion, au sens où l’entendait Saleilles,


à savoir un contrat dont le contenu est imposé par l’une des parties à l’autre qui y adhère1054,
ou d’un modèle« type par contrainte » selon l’expression de Mme Rochfeld1055, qu’il est
inégalitaire. Comme l’avait souligné M.Ghestin, même si « la protection des consommateurs
ne se limite pas aux contrats d’adhésion »1056elle est en grande partie, notamment s’agissant
des clauses abusives, suscitée, par cette forme de contrat. M.Berlioz avait quant à lui suggéré
de cantonner le droit de la consommation à une réglementation des contrats d’adhésion1057.

Le problème des clauses abusives se pose donc dans tous les secteurs où existent des
contrats d’adhésion1058. Ce problème est ressenti avec une particulière acuité en matière de
contrats entre professionnels et consommateurs. Le mouvement consumériste a fait prendre
conscience à l’opinion publique du caractère abusif de clauses noyées dans les contrats de la
vie courante : achats, assurances, crédit, construction, réparation, voyages, etc. Le
professionnel, par exemple introduit dans le contrat une clause qui supprime ou allège sa
responsabilité ou une clause attribuant compétence au tribunal du siège du vendeur.

L’article 230 du D.O.C énonce que les obligations contractuelles valablement formées
tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. C’est le principe de l’autonomie de la volonté. Il
en résulte que le contrat proposé par une partie et globalement accepté par l’autre s’applique
dans toutes ses clauses, sans qu’il y ait à considérer le déséquilibre que celles- ci pourraient
engendrer. Selon ce principe, toutes les clauses abusives sont valables ; plus exactement il
faut de les qualifier d’abusives, puisqu’elles ont été acceptées. «Qui dit contractuel dit
juste ».Le principe de l’autonomie de la volonté entraine d’excellents résultats dans
l’hypothèse ou les deux contractants ont une puissance égale et ont une possibilité de négocier
les clauses du contrat. Mais en réalité, il conduit à des conséquences injustes quand l’un des
contractants, disposant de la puissance économique, peut dicter ses volontés à l’autre. C’est
notamment le cas des contrats de consommation. Devant les lacunes du principe volontariste
1053
Jacques Ghestin,Les contrats de consommation, op.cit.,p.93 et s.
1054
Saleilles,De la déclaration. Contribution à l’étude de l’acte juridique dans le Code civil allemand, 1901.V.
ensuite parmi les travaux consacrés à la question :G.Berlioz,Le contrat d’adhésion,th.2e éd.1976.
1055
J.Rochfel, Cause et type de contrat,préf.J.Ghestin,LGDJ,bibl.dr.pr.,t.311,n°24,V.ég.Sur le contrat d’adhésion
J.Rochfel,Les grandes notions du droit privé, PUF,p.441 -479.
1056
Traité de droit civil,J.Ghestin (dir.),La formation du contrat,par J.Ghestin,LGDJ,3 e éd.1993,n°98.
1057
G.Berlioz, « Droit de la consommation et droit des contrats »JCP G 1979 ,I,2954.
1058
Voir arrêt en matière sociale n°1611 de la Cour de cassation ,rendu en date du 17/11/2011 et arrêt n°1291
de la Cour de cassation ,rendu en date du 13/10/2011 ,publiés dans la revue de la justice de la Cour de cassation
2014-2015,p78 et s.
205
de la force obligatoire, qui sont dues à la rigueur quant à l’exclusion de toute immixtion du
juge dans le contrat de nature à remédier les injustices contractuelles, le législateur marocain
est intervenu, comme dans la plupart des pays d’économie libérale, pour tempérer les effets
pervers du principe de l’autonomie de la volonté à travers l’instauration de certains
mécanisques par la loi 31-08 relative à la protection du consommateur.L’octroi d’un délai de
reflexion1059 et le droit de rétractation1060 sont deux moyens destinés à la protection du
consommateur.

La vague du consumérisme qui frappait les Etats-Unis d’Amérique et l’Europe avait


provoqué une prise conscience politique à la question des clauses abusives. C’est ainsi qu’en
1962,l’Uniform Commercial Code, consacrant et clarifiant une jurisprudence de Common
law,a permis au juge américain d’annuler toute clause qualifiée comme abusive
(uniconscionable clause).De même, en Europe, la protection légale contre les clauses abusives
s’organisa progressivement par des lois en Suède (1971),au Danemark (1974),au Royaume-
Uni (Unfair contract tems Act de 1977) . En allemand, le législateur a choisi au contraire
d’instaurer une protection générale contre les clauses abusives, indépendante de la qualité des
contractants1061.C’est le cas notamment de la loi allemande portant réglementation des

1059
En matiére de crédit à la consommation,le délai de réflexion s’est imposé comme moyen de combattre le
plus efficacement le développement des contrats d’adhésion,et l’impossibilité grandissante pour le
consommateur de jouer un rôle significatif dans les débats contractuels .le meilleur mécanisme pour rétablir le
déséquilibre contractuel est de forcer la partie faible du contrat à réfléchir en lui interdisant d’exprimer son
consentement avant une date prédéfinie et en contre partie d’obliger la partie forte du contrat de respecter le
délai prescrit.L’article 77,al.3 de la loi 31-08 dispose que « la remise de l’offre préalable oblige le prêteur à
maintenir les conditions qu’elle indique pendant une durée minimum de sept jours à compter de sa remise à
l’emprunteur ».En droit français,le prêteur doit formuler une offre de prêt ou de crédit (art.L.311-12 et L.312-
7).Pour que l’acceptation de l’emprunteur devienne définitive,l’écoulement d’un délai est necessaire.Il s’agit
d’un délai de rétractation de 7 jours pour la loi de 1978 et d’un délai de réflexion de 10 jours pour la loi de 1979.
Sur ce poin v.Georges Vermelle,Les contrats spéciaux,4° éd.2.Dalloz,.2003,p.58.
1060
Dans le but de renforcer l’équilibre contractuel dans les contrats conclus par les consommateurs,le législateur
marocain intervient à travers des régles spéciales prévues par la loi 31-08,en octroyant au consommateur un
droit de revenir sur son engagement précipité,appelé droit de rétractation.Ce nouveau mécanisme consiste à
permettre au consommateur après la signature d’un contrat de revenir sur son acceptation pendant un certain
délai.L’article 36 de la loi 31-08 précise que le consommateur dispose d’un délai de sept jours pour exercer son
droit de rétractation.En droit comparé,le legislateur français prévoit la faculté de rétractation dans de nombreux
contrats.Ainsi,dans le contrat de crédit à la consommation, le délai est de sept jours à compter de la signature de
l’offre de crédit par l’emprunteur (arti L311-15.c.consomm.),dans les contrats d’assurance vie ,le délai est de
trente jours en vertu de la loi du 7 janvier 1981 (art.L132-1c assur.),dans les contrats de réservation d’immeuble
à construire,le délai est sept jours également (art.L.271.1.c.const et hab.).Pour le régime du droit de rétractation
dans les opérations de ventes à distances,v. Jacques Ghestin,Les contrats de consommation ,op.cit.,p.92.
1061
D’autres législations européennes réservent, comme le droit français, le bénéfice de la protection contre les
clauses abusives aux consommateurs : c’est, par exemple, le cas des législations italiennes et finlandaises.
206
conditions générales des contrats du 9 décembre 19761062 qui permet de lutter contre les
clauses abusives introduites dans ces documents quelle que soit la qualité des parties1063.

En France, la loi du 10 janvier 1978, dite loi Scrivener, est adoptée pour traiter le
problème des clauses abusives dans les contrats de consommation, suite à la résolution du
Conseil de l’Europe1064qui recommandait aux Etats membres de « créer des instruments
efficaces, juridiques ou autres, afin de protéger les consommateurs contre les clauses
abusives » dans les contrats qu’ils concluent1065. L’arsenal juridique français de la lutte contre
les clauses abusives a été complété par une loi du 5 janvier 1988, dite loi Arhuis. De même au
Maroc et à l’instar des autres pays, le législateur est intervenu à travers l’adoption de la loi
31-08 du 18 février 2011, édictant des mesures de protection du consommateur .Cette loi est
venue pour renforcer et remédier les insuffisances du droit commun notamment en matière
de protection du consommateur marocain contre les effets des clauses abusives qui perturbent
l’équilibre du contrat au détriment des consommateurs.

L’examen de ces contrats pré-rédigés nous permet de constater qu’ils sont par essence
déséquilibrés et qu’il suffit d’étudier les techniques de qualification des clauses abusives
noyées dans les contrats proposés aux consommateurs.

B- L’apparition du déséquilibre contractuel

Les contrats pré-rédigés constituant l’œuvre d’une volonté unilatérale de la partie


puissante dans l’équation contractuelle, sont par essence déséquilibrés1066. Ainsi, on peut
avancer, à juste titre, que « la relation entre professionnel et consommateur est
naturellement déséquilibré. Eu égard à de sa compétence et aux informations dont dispose le
professionnel, et souvent à sa dimension financière, lui donnant un pouvoir exclusif de dicter

1062
Sur ce texte, v.F.Ferrand,Droit privé allemand, Dalloz, coll. Précis droit privé,1997,n os 661 et
s.;M.Fromont,Droit allemand des affaires-Droit des biens et des obligations, Droit commercial et du travail,
Montchrestien, coll. Domat droit privé,2001,nos 164 à 169 et nos 183 et s. ;M.Pedamon,Le contrat en droit
allemand,2e éd.,LGDJ,coll.Droit des affaires 2004,nos63 et s et nos 112 et s. ;G.Lardeux,Les clauses standardisées
en droit français et en droit allemand, th.Paris II,1999.
Les dispositions relatives aux clauses abusives issues de la loi du 9 décembre 1976 figurent aux §350 et
s.BGB (code civil allemand) de puis la loi de modernisation du droit des obligations du 26 novembre 2001.
1063
En revanche, les listes grise et noire de clauses abusives (respectivement § 308 et 309 BGB) ne peuvent pas
bénéficier au commerçant concluant un contrat ayant trait à son activité commerciale.
1064
Résolution (76) 47 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus par des consommateurs ainsi
que les méthodes de contrôle appropriées, Conseil de l’Europe (Affaire juridiques), Strasbourg,1977.
1065
Clair ŔMarie Peglion-Zika,La notion de la clause abusive au sens de l’article L.132-1 du Code de la
consommation, op.cit.p.3et s.
.‫ ٔو اثؼضْب‬93 ‫ انظفذخ‬،‫ يغجغ ؿبثك‬،‫خ’ صعاؿخ يمبعَخ‬ٛ‫خ انًزؼبلض يٍ انشغٔؽ انزؼـف‬ٚ‫ دًب‬،َٙ‫اَظغ يذًض ثذًب‬1066
207
sa loi au consommateur »1067.L’inégalité entre professionnels et consommateurs est
provoquée par le pouvoir -savoir permettant la rédaction unilatérale du contrat et cristallisée
par l’absence de toute possibilité de négociation des clauses du contrat (1).En effet, le
professionnel connaît tout ou presque tout du contrat, alors que le consommateur ignore
presque tout de ce qu’il vient d’acquérir. En raison de sa puissance économique et de sa
connaissance des affaires, le professionnel dicte souvent les clauses au consommateur moins
bien armé. Ces clauses qualifiées abusives peuvent conduire à un déséquilibre significatif de
la relation contractuelle (2).

1-Le déséquilibre dû à l’inégalité des parties du contrat

La position de force de l’un des parties de contrat, s’est traduite par une situation qui
est de nature à situer le consommateur dans une position de faiblesse relative. Pour reprendre
les propos de Josserand, ici la faiblesse « n’est point permanente et continue ; elle se présente
comme intermittente et discontinue ; elle est professionnelle ou contractuelle ou fonctionnelle,
elle est fonction d’une situation déterminée, elle ne se manifeste que dans les moments où le
patient se trouve dans l’engrenage d’un ordre économique ou social déterminé et pour lui
oppressif ; il l’éprouve et il la subit, en tant que travailleur, ou en tant qu’industriel ou
commerçant, ou en qualité de client d’une grande compagnie »1068. Cette distinction a été
utilisée en droit des contrats. La faiblesse relative concerne la situation où le contractant faible
« peut être parfaitement conscient de ce à quoi il s’engage mais il doit accepter les conditions
que son partenaire lui impose car il n’a pas le choix.

Dans ce sens, le même auteur a souligné que « la technique du contrat est transposé
sur un plan nouveau et une inégalité flagrante éclate entre les rôles joués par les deux parties,
dont l’une a l’initiative de la formule, de la rédaction, dont l’autre se borne à entrer dans la
combinaison qui a été établie en dehors de sa participation, de sorte que l’autonomie de la
volonté est réduite, au choix entre la conclusion et la non -conclusion du contrat, comme il
advient fréquemment, l’auteur de la pré-rédaction, du cliché contractuel, bénéficie d’un
monopole qui fait obstacle au libre jeu de la concurrence »1069.L’inégalité créée par la
rédaction unilatérale du contrat (a) et l’absence de négociation sont les aspects de la
supériorité du professionnel dans le contrat pré-rédigé (b).

1067
Voir J.Calais-Auloy et F.Steinmetz,Droit de la consommation,4e éd,Dalloz,n°1,V.aussi,J.Ghestin « l’utile et
le juste ».D.1982,chron.p.1.
1068
L.Josserand, « La protection des faibles par le droit »,in Evolution et actualités, Sirey,1936,p.167.
1069
L.Josserand, « Aperçu général des tendances actuelles de la théorie des contrats »,R.T.D.civ.,1937,p.9
208
a-L’unilatéralisme rédactionnel comme caractéristique des contrats pré-rédigés

Le contrat est un outil juridique, conçu « sur mesure » par le professionnel pour
véhiculer un produit ou un service, en profitant de sa supériorité, pour édicter des clauses qui
lui permettent de soutirer un avantage excessif au détriment du consommateur, sans aucune
conciliation avec de ce dernier. A l’époque du D.O.C ou du Code civil français, le contrat
était bel et bien la traduction quasi fidèle de la volonté des parties. A une époque où les
échanges n’avaient pas l’ampleur que connaissent actuellement plusieurs pays d’économies
libérales dont le Maroc fait parti, les contractants avaient leurs temps pour négocier, affiner la
relation contractuelle et la traduire, une fois mûrie, dans l’ouvrage qui représente l’exacte
projection des attentes des parties contractantes. C’est le contrat classique, aboutissement
juridique de l’opération1070.

Or, la réalité contractuelle s’est traduite aujourd’hui par un souci de satisfaire aux
besoins de plus en plus nombreux et de moins en moins identiques à travers une production
et une distribution massives. Le consommateur se trouve complètement écarté du processus
contractuel. Le support contractuel est bâti en son absence et il se voit proposer le contenant
et le contenu. Le contrat n’est plus le couronnement d’une opération, il devient sa plate-
forme, la fondation ou l’assise sur laquelle s’appuie.

Le processus contractuel est influencé par d’autres paramètres, notamment la


mondialisation des échanges et l’évolution phénoménale des techniques de production, de
transport et de communication. Cette situation nécessite une rapidité étonnante marginalisant
le lien contractuel et une spécialisation à l’origine de l’émergence d’une nouvelle génération
d’acteurs économiques rendant le contrat plus complexe du fait de la diversité des produits et
des prestations de services. Le recours à des contrats standardisés conçus par les
professionnels pour réduire les coûts et assurer une diffusion rapide qui s’adaptent aux
exigences de l’économie de masse dont les procédés contractuels classiques se trouvent
dépasser dans l’existence de nouvelles technologies permettant aux professionnels de garantir
un traitement rationnel ,rapide et systématique.

Les contrats standardisés sont conçus par les professionnels autour de considérations
purement commerciales et qui ne tient compte du consommateur que comme source de profit,
fait du contrat un outil au service de son rédacteur. Le professionnel cherche toujours par le
biais du contrat pré-rédigé, à protéger ses propres intérêts, à travers l’usage de certaines

1070
Jamel Abdelkader Gusmi,Le contrôle des clauses abusives dans les relationscontractuelles, Thèse,1997
,Faculté de droit de Toulon,ANRT,p110.
209
clauses de renouvellement par tacite reconduction, de fixation des délais à titre approximatif
de livraisons, ou d’allégement de ses engagements, lui permettant de tirer le meilleur profit du
futur accord.

L’unilatéralisme permet au professionnel de confectionner le contrat en fonction de


ses besoins et de ses intérêts en anticipant aux éventuelles réactions ou instabilité du
comportement du consommateur. Ainsi, le banquier en profitant de son expérience et de son
pouvoir-savoir et de la pratique qu’il a personnellement vécue, pour déterminer les conditions
des concours financiers dans le cadre d’un contrat de compte courant. Il en fixe les seuils, les
intérêts, les taux et les services annexes, en présentant par la suite à son futur client le
nouveau produit en tant qu’ «une potion » toute prête qu’il doit avaler en un seul coup, ou
refuser1071. Les contrats pré-rédigés offrent le monopole de la rédaction de leurs contenus au
professionnel, en excluant le consommateur de tout rôle dans la phase d’élaboration.
L’inégalité inhérente à la rédaction unilatérale du contrat se trouve cristalliser par
l’inexistence de toute possibilité de discision au moment d’élaboration du rapport
contractuel.

b- L’absence de négociation comme caractéristique des contrats pré-rédigés

Sous couverts de conventions d’adhésion banalisées, la relation commerciale devient


parfois rapidement déséquilibrée. Le consommateur, évincé de la négociation des conditions
fixées préalablement par son partenaire, n’a aucunement la possibilité de faire valoir ses
intérêts, aucune marge ne lui étant accordée pour obtenir ses propres conditions qui lui
assurant ses intérêts. La négociation représente un intérêt particulier dans la mesure où elle
permet au consommateur d’atténuer la rigueur d’une clause par l’insertion d’une clause voire
dans le cas échéant son écartement du champ contractuel. Sous cet angle, la négociation est
considérée comme un moyen régulateur de la symétrie des droits et des obligations du lien
contractuel, voire même un procédé correcteur du déséquilibre du contrat désavantageux pour
le consommateur, inhérent à sa rédaction unilatérale et intégrale par le professionnel.

Or, la technique de négociation exige l’existence de certaines qualités et de


compétences pour permettre au consommateur de conclure un contrat équilibré en
connaissance de cause. L’inexpérience du consommateur, la complexité des produits
constituent des barrières infranchissables, car pour négocier les termes d’un contrat, il faut

1071
Jamel Abdelkader Gusmi,Le contrôle des clauses abusives dans les relationscontractuelles,op.cit.,p.111.
210
connaître parfaitement les détails et les caractéristiques d’une manière précise du produit ou
du service offert en vue de comprendre la portée juridique et économique de ses clauses.

La négociation peut être plus difficile en présence d’un montage purement technique
du contrat en raison de son vocabulaire, des termes choisis et des modalités de calcul des
primes, des capitaux, des taux d’intérêts notamment dans les domaines d’assurance et
bancaire. En réalité, n’importe quel profane qui reçoit régulièrement son relevé de compte
meublé de chiffres, de pourcentage sans être en mesure de comprendre la signification les
techniques de calcul du taux effectif global.

Le procédé de négociation peut être sans aucune utilité notamment dans le cas des
contrats pré-rédigés saturés et dosés par des informations conçus par les professionnels pour
se donner bonne conscience et n’entrent pas dans les détails. Le manquement des petites
informations positionne le consommateur dans une situation vague ce qui ne favorise pas non
plus la négociation. Cette technique est utilisée par certains professionnels qui préfèrent de ne
pas à avoir recours à leur puissance économique pour imposer leur loi contractuel
ouvertement à leurs contractants. La négociation peut être fictive dans l’hypothèse ou certains
professionnels prévoient lors de la conception du contrat un espace de négociation pour leurs
futurs cocontractants, mais un espace n’est en réalité, qu’une parcelle imaginaire de liberté,
dépourvue de toute efficacité de nature à rééquilibrer le contrat.

Dans les contrats d’assurance les conditions générales contiennent une clause de style
dite de prise d’effet de la garantie qui, relie la prise d’effet du contrat à la condition de
paiement intégral de la prime ou la cotisation fixée à l’avance par les assureurs.
Logiquement, la garantie demeure suspendue et les sinistres enregistrés ne seront pas pris en
charge, dans l’intervalle du temps, ou le paiement intégral n’a pas été effectué. Il s’agit d’un
cas de non-assurance dont l’impact est très mal ressenti par les victimes assurées. Pour des
raisons d’équité, les juges considèrent que la perception d’un acompte suivi d’une exécution
directe ou indirecte de ses obligations par l’assureur, notamment lorsqu’il enregistre la
déclaration du sinistre et mandate un expert sans réserves1072, équivaut renonciation au
bénéfice de la clause en question (…) Les assureurs, sans entrer dans ces détails, incitent les
souscripteurs à amorcer la négociation et leur consentement un paiement fractionné.

1072
Cass.civ.1ére 3 janvier 1984,RGAT 85-235 note Bigot ;Rev.de droit Immobilier 84-436
obs.G.Duroy,D.85,IR,obs.Berr et Groutel ;Cass.civ.1ére 30 janvier 1985,D.86,IR,293,note Berr et
Groutel ;Cass.civ.1ére 8 novembre 1988,RGAT 88-800 note J.Kullmann.
211
Le caractère fictif de la négociation ne concerne pas le domaine d’assurance, mais il
s’étend à de nombreux domaines dans lesquels une marge de négociation demeure très
réduite, portant souvent sur éléments secondaires du contrat. Les professionnels exploitent de
leur position unilatérale en matière d’imagination et d’élaboration des contrats pré-rédigés
pour détourner l’attention du consommateur des vrais dangers des clauses noyées dans ce
genre d’engagement. Ils n’ont nullement l’intention de faires des conditions particulières une
plate-forme de rééquilibrage des rapports contractuels préconçus dans des conditions
générales. En pratique, les consommateurs n’ont pas toujours l’occasion d’étudier même ces
conditions générales, lesquelles ne sont pas matériellement remises, ou lesquelles figurent sur
un document consultable mais séparé du contrat. Il arrive que ces conditions contiennent des
clauses affectant l’équilibre contractuel, c’est pour cette raison qu’il est utile d’identifier les
critères de qualification des clauses abusives.

2-Le déséquilibre significatif dû aux clauses abusives insérées dans le contrat


En sciences physiques, la notion d’équilibre désigne l’état d’un corps au repos,
sollicité par des forces qui se contrebalancent, elle signifie aussi l’état d’une chose ou d’une
personne qui se maintient sans tomber. Il s’agit donc d’une disposition, ou d’une situation
stable résultant de compensation entre divers éléments ; à contrario le déséquilibre signifie
l’absence de toute stabilité. C’est la situation caractérisée par l’inégalité des rapports de force
en présence1073.

Le droit utilise de différentes façons la notion d’équilibre contractuel. En effet, cette


dernière permet de définir d’autres notions juridiques comme la lésion1074 ou la clause
abusive. L’équilibre contractuel devient un élément constitutif de ces notions par
l’intermédiaire du déséquilibre. En outre, elle délimite le champ d’intervention du juge en
matière de qualification de la clause litigieuse en vue de déceler son éventuel caractère abusif.
1073
Idem,p.159 et s.
1074
Le déséquilibre contractuel peut servir de manière exceptionnelle à la définition d’autres notions. A la
différence de l’étude de clause abusive, cette fonction explicative de l’équilibre contractuel apparaît en
jurisprudence et non dans la loi. La lésion illustre cette seconde hypothèse. Pendant, très longtemps, la lésion a
été définie par la jurisprudence comme étant un vice de consentement .En droit musulman, la lésion est
considérée comme un vice du consentement. Dans ce sens, voir l’article 55 du D.O.C et l’article 75 du Code des
obligations et des contrats mauritanien. ;M.Yahya Ould Abdel Wedoud, Le régime des nullités des contrats en
droit mauritanien des obligations et contrats, Th. Orléans,2000,n°9 et surtout ,n°246 et s. Cela correspond à la
doctrine de l’Ecole hanafite ;qui ne sanctionne la lésion qu’en cas de cumul avec un dol. Dans les autres écoles,
ce fondement est beaucoup plus crtiqué :Y.Linant de Bellefonds, Traité de droit musulman comparé, Théorie
générale de l’acte juridique,1965,n°482 et s.
La jurisprudence fondait cette institution sur un vice du consentement de manière souvent implicite .Cette
jurisprudence a connu un revirement important en 1932.Désormais, « la lésion légalement constaté est par elle
Ŕmême et à elle seule une cause de rescision, indépendamment des circonstances qui ont pu l’accompagner ou
lui donner naissance » voirReq.28 décembre 1932,Gaz.Pal.1933,I,287,S.1933 ,I,377,note
R.Tortat,D,.1933,I,87,rapport P.Dumas). Paris,8 juin 1963,D.1964,Somm.19.
212
Une telle entreprise suppose l’identification du critère du déséquilibre significatif pour
qualifier une telle clause comme abusive (a).L’appréciation de la notion de déséquilibre
significatif implique un recours à d’autres indications prévues par la loi permettant de
déceler le caractère abusif d’une stipulation (b).

a- Le critère du déséquilibre significatif en droit comparé


L’introduction de la notion d’équilibre dans le domaine du contrat est significative, car
la divergence des intérêts des contractants est souvent source de lutte. L’équilibre contractuel
suppose une conciliation entre le profit, inhérent à toute opération contractuelle qualifiée
d’onéreuse, et la justice contractuelle au regard de laquelle, ce profit doit être raisonnable et
respectueux de la volonté de certains contractants en tant que des consommateurs profanes
qui s’engagent sans mesurer la portée de leurs engagements et sans être en mesure de
défendre d’une manière adéquate leurs intérêts. C’est pourquoi le législateur tient à protéger
l’équilibre contractuel en procédant à travers une qualification à l’élimination des stipulations
contractuelles qui le mettent en cause, au détriment des contractants en situation d’infériorité.
Le but visé n’est pas la protection d’un équilibre contractuel absolu, qui est difficile à obtenir,
mais la réalisation d’un équilibre relatif.

La notion de déséquilibre significatif est précisée par le législateur marocain à travers


l’alinéa 1 de l’article 15 de la loi 31-08 du 18 février 2011, édictant des mesures de protection
du consommateur. Dans l’ esprit de cet article ,elle est qualifiée comme abusive toute clause
stipulée dans un contrat, proposé par un professionnel, vendeur ou prestataire de service, à
l’un de ses contractants non professionnel ou consommateur ,réputé à ce tire nulle et de nul
effet qu’il ait « pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un
déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat ».

En droit comparé, la notion de déséquilibre significatif n’est apparue en droit positif


français qu’avec la loi du 1er février 1995.Elle est consacrée par le paragraphe 1er de l’article
3 de la directive du 5 avril 1993.Selon ce texte « une clause d’un contrat n’ayant pas fait
l’objet d’une négociation individuelle est considéré comme abusive lorsque, en dépit de
l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif
entre les droits et obligations des parties découlant du contrat ».Le législateur a introduit cette
nouvelle notion dans l’alinéa 2 de l’article L.132-1 du Code de la consommation afin
qu’elle remplace la notion d’avantage excessif retenue dans la version originaire, par son
prédécesseur du 10 janvier 1978 et restée inchangée avec la codification. En droit européen, le

213
critère du déséquilibre significatif ne suffit pas à qualifier la clause abusive, il est en
revanche complété par celui de la bonne foi1075.

Aux termes de l’alinéa 1er de l’article L.132-1du code de la consommation français


comme au regard de l’article 15 alinéa 1er du droit de la consommation marocain, il est
seulement question de constater un déséquilibre ; rien ne fait dépendre la qualification d’une
appréciation relative au comportement du défendeur1076.La notion d’équilibre devra donc être
définie pour donner une certaine sécurité juridique. De nombreux pays de la communauté
européenne utilisent déjà cette notion pour définir notamment la clause abusive1077.

Ainsi, la clause abusive est définie dans les mêmes termes par la loi Belge dans
l’article 31 de la loi du 14 juillet 1991 comme étant « toute clause ou condition qui, à elle
seule ou combinée avec une ou plusieurs autres clauses ou conditions, crée un déséquilibre
manifeste entre les droits et les obligations des parties »1078.De même, en Espagne, la loi
générale du 19 juillet 1984, pour la défense des consommateurs et usagers, modifiée par celle
du 13 avril 1998 ,précise dans son article 10,l’interdiction des clauses abusives et indique que
« l’on entend par là celles qui lèsent le consommateur de manière disproportionnée ou non
équitable ou qui entraînent un déséquilibre entre les droits et les obligations des parties au
préjudices des consommateurs ou usagers ».Par ailleurs, la loi Italienne du 6 février
1996,transposant la directive 93/13 et ajoutant les articles 1469 bis et suivant au Code civil,
indique comme critère de la clause abusive le déséquilibre significatif entre les droits et les
obligations des parties. Enfin, certaines décisions rendues par les tribunaux Grecs utilisent ce
critère de déséquilibre pour sanctionner des clauses abusives1079.

En français, le terme « significatif » à pour sens : « qui signifie nettement, exprime


clairement ; indispensable à la représentation d’une grandeur numérique ; qui renseigne sur
quelque chose ou confirme une opinion »1080.Il a été montré que la difficulté à concevoir un
déséquilibre dont la caractéristique correspondrait à ces définitions pouvait être en partie
surmontée grâce à la consultation des autres versions linguistiques de la directive. Si la

1075
Dans la directive 93/13 que dans la proposition de directive relative aux droits des consommateurs du 8
octobre 2008 (Com (2008),614/4,art.32.).La clause abusive repose, comme dans la directive, sur un
binôme :d’une part,un élément objectif, le déséquilibre contractuel significatif, et d’autre part par un élément
subjectif : la mauvaise foi et la déloyauté du professionnel.
1076
Ph.Stoffel-Munck,L’abus dans le contrat, Essai d’une théorie, Th.Aixe-Marseille III,1999,n°381.
1077
E.Hondius,La directive du 05 avril 1993 sur les clauses abusives et les états membres de l’Union européenne,
in La protection de la partie faible dans les rapports contractuels, Comparaisons franco-belges, op.cit.,p.596.
1078
P.H Delvaux,Les contrats d’adhésion et les clauses abusives en droit belge, in La protection de la partie
faible dans les rapports contractuels, Comparaisons franco-belges, LGDJ,1996,p.96.
1079
Jugements du TGI d’Athéne n°2411/1997 et 2438/1997,REDC 1998,p.137 et 138,note E.Alexandridou.
1080
Le nouveau petit Robert, Dictionnaire de la langue française, V° Significatif.
214
version italienne de la directive n’est pas d’une grande aide en ce qu’elle utilise un terme
analogue, «significativo », « significatif » en italien, en revanche les versions anglaise et
espagnole ont eu respectivement recours aux termes « significant » et « importante » qui
veulent tous deux dire « important ».Surtout la version allemande indique qu’une clause peut
être déclarée abusive en cas de « erhebliches und ungeerechfertigtes Miberhaltnis »,c’est -à-
dire de disproportion considérable et non justifiée entre les droits et obligations des
parties1081.Cette formulation éclaire davantage sur ce que présuppose l’équilibre contractuel
qui a été ainsi rompu par la clause abusive. Il s’entend d’une « proportion entre les droits et
obligations des parties »1082.La proportionnalité est d’ailleurs, est considérée comme l’une des
conceptualisations proposées du déséquilibre significatif1083.

Le déséquilibre à mesurer est celui qui affecte les «droits et obligations ».Or, comme
l’observe M.Stoffel-Munk, « évaluer, même approximativement, l’équilibre entre deux choses
suppose qu’existe au moins entre des objets un étalon de comparaison. Autrement dit,
l’existence d’une unité commune de mesure est indispensable : on compare ainsi des Kilos
aves Kilos, des mètres avec des mètres, etc. (…). Concernant les droits et obligations des
parties, on ne voit pas qu’existe d’autre étalon de mesure que la monnaie (…).Une telle
comparaison est possible pour les clauses pénales, par exemple, car l’avantage procuré est
déjà chiffré- c’est le forfait- et l’autre terme de la comparaison (le préjudice) peut l’être
facilement (…).Comment, en revanche chiffrer, avec un minimum d’objectivité, l’avantage
que procurent des clauses moins immédiatement pécuniaires ? (…).La situation peut être plus
simple lorsqu’il s’agit de contrôler l’équilibre d’une convention particulière dont les effets se
sont déjà déployés (…).Il semble qu’en réalité la difficulté demeure (…) parce que la loi
prescrit d’apprécier le déséquilibre à la date de la conclusion du contrat1084.

b- Les indications utilisées pour apprécier le déséquilibre significatif en droit comparé


Pour rendre le critère du déséquilibre significatif plus praticable, le législateur
marocain a donné des indications pour apprécier le caractère abusif d’une clause. Ainsi,
l’article 16 alinéa 1 de la loi 31-08 énonce que « Sans préjudice des règles d’interprétation
prévues aux articles 461 à 473 du dahir du 9 ramadan 1331 (12 août 1913) formant code des
obligations et des contrats, le caractère abusif d’une clause s’apprécie en se référant, au
1081
E.Poillot,Droit européen de la consommation et uniformisation du droit des contrats,préf,P.de Vareilles-
Sommeres,LGDJ,bibl.dr.pr.,t.463,n°280.
1082
Ibid,n°281.
1083
Jacques Ghestin,Les contrats de consommation, op.cit.,p.558.
1084
Ph.Stoffel-Munck,L’abus dans le contrat, préf.R.Bout,LGDJ,bibl.dr.pr.t.n°419 et 420.
‫يطجؼخ‬،‫ب ٔيظغ‬َٛ‫ٍ فغَـب ٔانًب‬َٛ‫ صعاؿخ يمبعَخ يغ لٕا‬،٘‫ انمبٌَٕ انجؼائغ‬ٙ‫ انؼمٕص ف‬ٙ‫خ ف‬ٛ‫انشغٔؽ انزؼـف‬،ٗٛ‫ يذًض ثٕصان‬-
.‫ ٔيبثؼضْب‬28‫انظفذخ‬،2007،‫انجؼائغ‬،‫صاعْٕيخ‬
215
moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de
même qu’à toutes les autres clauses du contrat. Il s’apprécie également au regard de celles
contenues dans un autre contrat lorsque la conclusion ou l’exécution de ces contrats
dépendent juridiquement l’un de l’autre. ». En droit comparé, l’article L.132.1 du Code de la
consommation français1085 indique les mêmes indications citées par l’article 16 du droit de la
consommation marocain, pour apprécier le caractère abusif.

L’appréciation du déséquilibre significatif qui varie en fonction du contrat conclu et


au moment de sa formation s’effectue selon une démarche méthodique globale. Ce
raisonnement invite à apprécier une telle clause au regard de l’ensemble du contrat pour
déceler son aspect abusif et non d’une manière isolée. L’appréciation doit se limiter aux
clauses abusives intégrées lors de la formation du contrat. Cela implique qu’il « ne saurait
être considéré comme abusive une clause ayant entraîné une rupture de l’équilibre contractuel
en raison de la survenance lors de l’exécution du contrat d’un événement imprévisible rendant
cette exécution plus difficile »1086.

A ce propos,M.Stoffel-Munck avait dans sa thèse montré qu’en pratique la


jurisprudence interne apprécie le plus souvent la clause « en elle même de manière
isolée »1087 ou l’analyse de telle façon que l’ « on est bien en peine de dire si l’appréciation du
déséquilibre est faite isolément ou globalement »1088 .Depuis cet ouvrage, des décisions
intéressantes révèlent l’adoption d’une analyse d’ensemble de l’économie du contrat pour
considérer une clause abusive1089.

1085
Contrairement à l’article 4 de la directive du 5 avril 1993, l’article L.132-1 ne mentionne pas qu’il importe
de tenir compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat.
1086
E.Poillot,Droit européen de la consommation et uniformisation du droit des contrats, op.cit.n°283,note4.
1087
Ph.Stoffel-Munck,L’abus dans le contrat,op.cit.,n°414.
1088
Ibid.
1089
Dans un arrêt de la première chambre civile française du 2 avril 2009, un couple avait inscrit ses enfants
dans une école privée bilingue. Six mois après la rentrée, des difficultés financières les contraignent à
déménager et retirer les enfants de l’école. Ils sont assignés en paiement de la somme de 8000 euros,
représentant le solde des frais de scolarité. Certes, le remboursement des frais était prévu, en cas de force
majeur. Cependant, il s’agissait ici d’un « départ volontaire », justifiant le paiement du solde du prix, ce qui
selon les juges de fond n’avait rien d’abusif. Leur décision est cassé sous le visa de l’article L.132.-1 du Code de
la consommation .La Cour de cassation a confronté la clause litigieuse à la stipulation permettant à
l’établissement d’annuler en cas d’effectif d’élèves insuffisant l’inscription, moyennant le remboursement des
sommes perçues, pour juger que « le professionnel pouvait retenir des sommes versées par le consommateur
lorsque celui-ci renonçait (…) à exécuter le contrat, sans que soit prévu le droit, pour le consommateur, de
percevoir une indemnité d’un montant équivalent de la part du professionnel lorsque c’était celui-ci qui
renonçait ». (Cass.civ.1er ,2avr.2009,n°08-11596,RDC 2009,p.1426,obs.D.Fenouillet,LEDC juin
2009,p.7,obs.N.Sauphnor-Brououillaud.).Ce défaut de réciprocité désormais présumé abusif
(C.consom.,art.R.132-2,2°) ne pouvait se révéler que par comparaison des stipulations. C’est également une
analyse d’ensemble qui permet à la Cour de cassation, toujours dans cette décision, d’en déduire que le
paiement du solde du prix soumet la résolution du contrat à des conditions plus sévères pour le consommateur
que pour le professionnel (V. désormais, C.Consom.R.132-2,8°),libre d’annuler son engagement pour un motif
216
L’article 17 de la loi 31-08 édictant des mesures de protection du consommateur,
précise que « L’appréciation du caractère abusif d’une clause, (…) ne porte ni sur la définition
de l’objet principal du contrat, ni sur l’adéquation du prix ou de la rémunération au bien
vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et
compréhensible ».En droit comparé, l’article L.132-1,alinéa7 du Code de la consommation
français, énonce que «l’appréciation du caractère abusif des clauses (…) ne porte ni sur la
définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix ou de rémunération au
bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et
compréhensible ».

Les droits marocains et français adoptent deux approches similaires pour apprécier le
caractère abusif d’une telle stipulation : le juge doit d’abord s’assurer qu’elle est claire et
compréhensible. Si tel est le cas, le juge ne saurait pousser plus loin son contrôle. En
revanche, s’il estime que la clause est critiquable sous l’angle de sa forme ou de son style,
deux hypothèses peuvent se concevoir : Le juge doit se tourner vers l’alinéa 2 de l’article 19
de la loi 31-08 qui stipule que « Le contrat restera applicable dans toutes ses autres
dispositions, s’il peut subsister sans la clause abusive (..) ».En droit français, l’alinéa 8 de la
l’article L.132-1 prévoit la même solution, en précisant que « Le contrat restera applicable
dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s’il peut subsister sans les dites
clauses ».Cela revient à considérer que le contrat ne doit être annulé que « dans les cas
exceptionnels où la clause abusive (…) ne pourrait être remplacée par des dispositions
impératives ou supplétives »1090. Dans la seconde hypothèse, le juge devrait se tourner vers
l’interprétation in favorem de l’article 17 de la loi 31-08 et en droit comparé français, l’article
L.133-2, alinéa 2, laquelle vient sanctionner le défaut de clarté et de compréhensibilité des
clauses. Une telle interprétation pourrait là encore inciter le juge à maintenir le contrat qui a
été conclu par le consommateur, en fixant un prix conforme au marché1091.Sur ce fondement,
M.Lachieze a donc proposé d’autoriser le juge à corriger le déséquilibre en se référant au
prix courant ou aux usages1092.

laissé à son appréciation- l’effectif insuffisant- .De même ;le juge semble sociaux de la prescription qui lui est
faite d’adapter son appréciation du déséquilibre significatif en présence d’une indivisibilité contractuelle. ; voir
sur ce point,Jacques Ghestin,Les contrats de consommation, op.cit.,p.561 et s.
1090
J.Ghestin et I.Marchessaux-Van Melle, «L’application en France de la directive visant à éliminer les clauses
abusives après l’adoption de la loi n°95-96 du 1er février 1995 », JCPG 1995, I, 3854, spéc. n°15.
1091
Voir sur ce pointJacques Ghestin,Les contrats de consommation, op.cit.,p.568.
1092
Ch.Lachiéz, « Clauses abusives et lésion : la légalisation d’une relation controversée », LPA 2002, n°131,
p.4 et s.,spec.,p.7.
217
A la différence des droits français et marocain, le droit espagnol, prévoit que les
clauses portant sur la définition de l’objet principal du contrat et sur l’adéquation du prix ou
de la rémunération au bien vendu ou au service offert « échappent seulement à l’appréciation
de leur caractère abusif, dans la mesure ou la juridiction nationale compétente devait estimer,
à la suite d’un examen au cas pas, qu’elles ont été rédigées par le professionnel de façon claire
et compréhensible »1093.

De nombreux pays utilisent donc le critère de l’équilibre contractuel pour définir et


apprécier la clause abusive. Il en résulte d’après les législations spéciales étudiées, que la
qualification de la clause abusive en droit positif marocain comme de nombreux pays, se fait
grâce à la notion d’équilibre contractuel1094en se référant aux indications d’appréciation
précitées pour déceler le caractère abusive d’une clause .De même, l’adoption de l’adjectif
« significatif » en tant facteur révélateur de l’infériorité de l’une des parties du contrat
marquant la distorsion flagrante entre les droits et les obligations des parties du contrat, que le
législateur est intervenu pour corriger la clause abusive, faute de pouvoir l’empêcher , ou de la
naturaliser.

L’émergence d’un nouveau ordre contractuel1095 qui est dominé par la prolifération
des contrats pré-rédiges, reconnaissant un pouvoir unilatéral dans la rédaction et la conception
du contrat .Ce genre d’engagement qui ne donne aucune possibilité au consommateur pour
négocier les clauses préétablies, conçues d’une grande technicité par le professionnel en
profitant de sa supériorité économique et de son pouvoir Ŕsavoir, le rendant fragile du fait de
sa situation d’infériorité et de sa nécessité du produit ou du service proposé. En présence de
l’inégalité des forces des parties des contrats1096, et avec l’usage des clauses abusives rendant
le déséquilibre significatif, l’exclusion du pouvoir du juge judiciaire ou administratif
d’intervenir dans le contrat a pour conséquence de consolider l’injustice contractuelle. Cette
position non adaptée à la réalité contractuelle qui s’appuie sur le principe classique de la force
obligatoire du contrat dans sa conception absolue, révèle certaines lacunes au regard du droit
contemporain du contrat.

1093
CJUE,3 juin 2010,aff.C-484/08 ,pt 32 (la Cour de justice était saisie de questions préjudiciables concernant
la possibilité pour un Etat membre de contrôler le caractère abusif des clauses claires et compréhensibles portant
sur l’objet principal du contrat) . Voir sur ce point,Jacques Ghestin,Les contrats de consommation, op.cit.,p.566.
1094
Laurence Fin ŔLanger, L’équilibre contractuel, thèse 2000, Université d’Orléans, p.117.du contrat.
1095
V. D.Mazeaud, « Le nouvel ordre contractuel »,RDC 2003,p.295 ;G.Morin,La révolte des faits contre le
Code,Grasset,Paris,1920.
1096
Le postulat d’égalité contractuelle à été fortement remis en cause par une réalité économique qui fait du
contrat le produit d’un rapport de force inégalitaire.
218
Paragraphe 2 : Les conséquences de la rigidité de la force obligatoire du contrat

Le principe de la force obligatoire du contrat a été pensé par le législateur marocain


de 1913 à partir des contrats égalitaires donnant un droit à une négociation libre aux parties
contractuelles. Selon cette conception volontariste le contrat est considéré en tant que moyen
efficace pour assurer des relations contractuelles équitables et garantir la justice et l’utilité du
contrat. Le contrat bénéficie donc d’une présomption d’équilibre et de justice que Fouillé, en
formule qui est restée célèbre, irréfragable : « qui dit contractuel, dit juste ».

Toutefois, au début du 20éme, cette vision idyllique du contrat ne correspond pas à la


réalité contractuelle et une telle affirmation n’est pas exacte1097. Le principe de la liberté
contractuelle et le principe de l’égalité permettaient à la partie forte d’introduire dans son
contrat des clauses qui lui apportent un avantage excessif. Le constat révèle que certains
contractants sont souvent contraints par la nécessité d’accepter l’adhésion au contrat pré-
rédigé qui lui présentait son contractant qu’il n’aurait pas accepté dans des circonstances
heureuses ;les clauses du contrat ne sont pas négociées et constituent l’œuvre du pouvoir
unilatéral de la partie puissante et qu’ainsi le contrat de gré à gré tel qu’il a été façonné par le
principe volontariste de la force obligatoire peut se révéler une illusion. En bref, dans la
pratique les hommes ne sont pas égaux, il y a des forts et des faibles et le contrat peut être un
instrument d’exploitation1098.

L’adéquation entre la justice et le contrat n’est pas exacte. Le contrat est devenu
économiquement déséquilibré, un instrument de disproportion entre les droits et obligations
des parties, ce qui peut conduire d’une part, devant l’exclusion absolue de l’immixtion du
juge dans le contrat, à la consolidation de l’injuste résultant de l’inégalité des forces des
parties (A) et d’autre part, à la consolidation de l’injustice causant par le déséquilibre
économique des prestations objet du lien contractuel (B).

1097
E.Gounot, Le principe de l’autonomie de la volonté, thèse, 1912. ;V.Ranouil, l’autonomie de la
volonté :naissance et évolution d’un concept, P.U.F.Paris,1980.
1098
A rapprocher de G.Ripert, La règle morale dans les obligations préc. p.126 : « A supposer la convention
irréprochable par son objet et par son but, les deux parties sont-elles sur le pied d’égalité et leur inégalité n’est-
elle pas justement de celles que la loi doit s’efforcer de corriger parce qu’elle est mère d’injuste ?Est-il permis
d’exploiter la faiblesse physique et morale du prochain, le besoin où il est de conclure, là préservation temporaire
de son intelligence ou de sa volonté ? Le contrat, instrument d’échange des richesses et des services, peut-il
servir à l’exploitation de l’homme par l’homme, consacrer l’enrichissement injuste de l’un des contractants et la
lésion de l’autre ? Ne faut-il pas au contraire maintenir à la fois l’égalité des parties et l’égalité des prestations
pour satisfaire un idéal de justice que nous enfermons volontiers dans conception d’égalité ? ».
219
A- La consolidation de l’injustice due au pouvoir - savoir et à l’inégalité des parties

L’interdiction rigoureuse que fait la conception classique du principe de la force


obligatoire du contrat, présente une lacune au regard du droit contemporain du contrat et de la
pratique, dans la mesure où cette lacune s’est traduite par une consolidation de l’injustice
dans l’ignorance de toutes les considérations qui sont liées à l’inégalité des parties en terme
de pouvoir- savoir se manifestant à travers la rédaction unilatéral du contrat ,stipulant souvent
des clauses imposées par la partie forte apportant à ce dernier un avantage excessif et lésant
ainsi les intérêts de la partie faible qui s’est trouvée devant l’acception en bloc ou le refus du
contenu du contrat sans aucune marge de négociation. Cette exclusion, peut interdire au juge
de neutraliser certaines clauses abusives du contrat (1) et ne pas apprécier le mode d’insertion
de la clause imposée à portée sévère (2).

1-L’exclusion du pouvoir du juge pour neutraliser une clause abusive

L’essor du commerce et surtout l’avènement de l’ère industrielle ont montré que la


conception du contrat de gré à gré telle qu’elle a été imaginée au moment de la rédaction du
Code des obligations et des contrats en date du 1913 et en droit comparé, le Code civile
français depuis 1804, ne correspond pas toujours à la réalité. La pratique révèle que les
contrats se forment entre parties de forces économiques inégales dont la partie
puissante1099déteint le pouvoir unilatéral de rédiger les clauses du contrat et que la partie
faible n’a le choix qu’accepter certaines sinon la totalité des clauses préétablies.

Ce genre de contrat appelé contrat d’adhésion est devenu le plus rependu. Ce qui est
essentiel dans le contrat d’adhésion c’est l’absence de débat préalable, la détermination
unilatérale du contenu contractuel, qu’elle que soit le fait de l’une des parties où l’un des
éléments, la volonté de l’adhérent n’intervient que pour donner une efficacité juridique à cette
volonté unilatérale1100. Saleilles a alors soutenu que, en raison de l’inégalité des parties à ce
type d’engagement, et du fait que le contractant fort tire profit de sa position de force en
imposant à son partenaire des clauses iniques le juge devrait pouvoir intervenir dans le

1099
Voir,A.Barreyre,L’évolution et la crise du contrat, thèse, Bordeaux,1937,spec.p.23 et s. ;H.Battiffol,La crise
du contrat et sa portée, Arch.Philos.Dr.1968,p.13 et s..
1100
Il est d’ailleurs typique de constater que les formules de contrat ne sont présentées qu’au moment de la
signature du contrat. Il est impossible d’obtenir à l’avance par exemple d’une banque, une formule de contrat,
même lorsque l’on est client de cette banque et que l’on indique le désir effectif de contracter. L’adhérent ne
dispose donc le texte exact du contrat que lorsqu’il n’a ni le loisir, ni psychologiquement la possibilité d’en
faire un examen détaillé. En revanche lorsqu’un pouvoir effectif de négociation existe parce que l’opération est
individualisée, le contractant par l’intermédiaire de son service juridique ou son avocat, se fait communiquer un
projet de contrat, il est alors, grâce à ses conseils, à même de participer à la détermination finale du contenu
contractuel.
220
contrat en vue d’y rétablir un minimum de justice1101.Or, cette idée n’a pas été accueillie avec
faveur par la doctrine classique1102 qui soutient notamment que le contrat d’adhésion n’est pas
rigoureusement définissable afin d’en rejeter la théorie1103 et de s’opposer à l’immixtion du
juge dans le contrat au nom de l’impératif de sécurité juridique.

L’inégalité entre cocontractants n’apparaît pas uniquement entre professionnels et


particuliers. Le déséquilibre peut se manifester entre certaines catégories de cocontractants
permettant aux uns de tirer profit de leur supériorité, essentiellement économique, à laquelle
s’ajoute souvent le besoin de contracter où se trouvent souvent les autres, pour leur imposer
des conditions injustes. C’est l’hypothèse des contrats de travail et d’assurance qui illustrent
ce cas de figure.

En partant de la position ferme de la doctrine classique, le juge ne peut retrancher ou


écarter une clause sous aucun autre prétexte. Ainsi dans le cas d’un contrat de travail qui
contient une clause de non concurrence sans contrepartie financière au profit du salarié. Une
cour d’appel ne peut éluder cette clause, car elle n’est « pas fondée à substituer des
considérations d’équité à la force obligatoire de la convention des parties, en imputant à faute
à (l’employeur) le fait de ne pas avoir renoncé à se prévaloir de la clause ».

En matière de contrat d’assurance ,le juge ne peut pas écarter une clause d’exclusion
de garantie en énonçant qu’elle « s’assimile à une clause léonine »1104.Le principe demeure le
même pour le juge qui signifie que toutes les clauses du contrat sont dotées d’une force
obligatoire qui lui interdit de les écarter. Or une difficulté surgie dans le cas de la clause de
style. C’est le cas lorsque le contrat est rédigé par un tiers, par exemple un notaire ou aussi
l’hypothèse dans laquelle les clauses sont entièrement déterminées par l’une des parties et que
l’autre ne fait qu’adopter. La clause de style rejoint alors le contrat d’adhésion1105.

En bref, l’inégalité des contractants et les abus auxquels elle conduit n’est pas de
nature à émouvoir les partisans de la conception classique du contrat. En d’autres termes, elle

1101
Salleilles,De la déclaration de volonté, contribution à l’étude de l’acte juridique dans le droit civil allemand,
nouveau tirage, Aris 1929,art.133.n°89 et s. Sur le contrat d’adhésion.
1102
Dans ce sens, J.Mestre, souligne, « qu’un contrat de prêt, de vente, de concession ou d’entreprise ne soit
pas toujours, ni même souvent le fruit d’une libre négociation entre deux parties d’égale importance, nul n’en
doute plus aujourd’hui.. ».Face à cette situation poursuit-il, « on peut (alors)…’faire comme si’, comme si le
contrat avait été librement conclu et égalitairement composé ; telle a été pendant longtemps, pour des raisons au
demeurant très compréhensibles et centrées sur un impératif de sécurité, l’attitude essentielle de notre
droit ».Cf J.Mestre, L’évolution contemporaine du droit des contrats, Journées R. Savatier, Poitiers 1985,
P.U.F.1986, p.41 et s.
1103
E. Meynlal,La déclaration de volonté,R.T.D.Civ.1902,p.545 et s.
1104
Civ.1er ,8 déc.1987, Pourvoi n°86-14-620 ,G.A.N.c/Assier.
1105
Rafik Ouelhazi,Le juge judiciaire et le force obligatoire du contrat, op.cit.,p.33.
221
refuse de tenir compte les injustices contractuelles et s’oppose contre l’idée d’une intervention
du juge pour remédier aux excès sous prétexte, qu’ « il ne faut pas substituer le mal de
l’insécurité au mal de l’abus »1106.La rigueur de la conception classique qui s’oppose à toute
considération pour neutraliser une clause abusive1107, refuse catégoriquement de tenir compte
du mode d’insertion d’une telle stipulation abusive, en vue de l’éradiquer1108.

2- Le refus de tenir en considération le mode d’insertion de la clause pour l’éradiquer


Le juge se trouve dans certains cas face à une clause à portée rigoureuse ou d’un
caractère très sévère. Une telle appréciation du mode d’insertion de la clause qui peut être
initiée par le juge en raison de l’injustice qu’elle recèle se heurte à la censure de la Cour de
cassation. Celle-ci bâtie sa position sur le principe de la force obligatoire du contrat énoncé
par l’article 230 du D.O.C, en vertu duquel, décide que le juge n’est pas fondé d’apprécier la
clause en tenant compte de l’indifférence du mode de son insertion ou de son aspect sévère.

La jurisprudence française donne une illustration à cette tendance. Ainsi le juge qui
écarte une clause d’une police d’assurance1109 ou d’un connaissement1110 en estimant qu’elle
est imposée par la partie puissante sur l’autre considérée comme faible, voit sa décision
désapprouvée par la Cour de cassation. Celle-ci réaffirme sa position à propos des contrats
d’adhésion en leurs reconnaissant d’une force obligatoire qui couvre toutes leurs clauses,
interdisant au juge de n’en éradiquer aucune. A propos d’un contrat d’abonnement de
fourniture d’eau, le tribunal d’instance estime, « pour écarter une clause de ce règlement1111,
que cette clause, et le système de renvoi à d’autres dispositions ne figurant pas le contrat,
n’établissaient pas clairement la connaissance par l’usager de telles mentions ».Mais le
jugement est cassé sous le visa de l’article 1134 du Code civil au motif qu’aucune disposition

1106
J.-M.Mousseron, Rapport de synthèse, in Les principales clauses des contrats conclues entre professionnels,
P.U.Aix-Marseille,1990,p.225 et s.
1107
Selon M.Karimi,une clause abusive est l’expression d’un abus de droit. La thèse de l’auteur est axée autour
d’une conception large de la notion de clause abusive qu’il entend comme recouvrant à la fois les stipulations
de nature abusives, relatives à la formation du contrat, réglementées par le Code de la consommation, et celles
qui sont potentiellement abusives, au sens ou elles le deviennent lors de l’exécution du contrat. ;voir sur ce
point,A.Karimi, Les clauses abusives et la théorie de l’abus de droit, préf.Ph.Simler,LGDJ,bibl.dr.pr.,t.306 et
même auteur : « L’application du droit commun en matière de clauses après la loi n°95-96 du premier 1er
février 1995 »,JCP G 1996 ,I ,3918 ;Essai de systématisation sur l’application de la théorie de l’abus de droit en
matière contractuelle »,in Etudes offertes du doyen Philippe Simler,Dalloz,Litec,2006,p.587. ;Jacques
Ghestin,Les contrats de consommation ,Règles communes, op.cit.,.572 et s..
1108
Voir en matière de crédit arrêt n° 1277 de la Cour d’appel commercial Fès , rendu le 20/11/2004, publié
dans la revue Al Miayar n°34 ,p.194 et s ;en matière d’assurance arrêt n° 159 de la Cour d’appel Rabat ,
rendu le 5/3/2009, publié dans la revuede la Cour d’appel Rabat n°2 ,p.92 et s ;
1109
Civ.30 mars 1892,S.1893,I ,p.13 ;14 fév.1921,S.1922,I,p.102 ;26 oct.1926,D.H.1926,p.547,S.
1926 ,I,p.373,GAZ.pal.1931,II,p.782 ;23 avr.1945,D.1945,I,p.261,note P.L.P ;29 juin 1948,D.1948,p.554.
1110
Civ.1er ,10 mai 1987,S.1887,I, p.121,note Lyon-Caen ;14 fév.1922,S.1922,I ,p.353 (2 arrêts).
1111
Règlement du service des eaux.
222
légale n’impose qu’une telle clause figure dans le contrat d’abonnement et que, par
conséquent, « le tribunal d’instance ne pouvait en écarter l’application »1112.

Sous le même visa, un jugement est cassé en matière de contrat de fourniture de gaz,
écarte une clause des conditions générales1113 de fourniture, au motif qu’elle « constitue une
disposition unilatérale d’un contrat d’adhésion que l’abonné n’aurait pas été en mesure de
discuter ».La première Chambre civile censure une telle décision car « en refusant de faire
application de cette clause, au seul motif qu’elle était insérée dans un contrat d’adhésion dont
les stipulations n’avaient pas été discutées par l’abonné signature de ce contrat, le tribunal
d’instance a privé sa décision de base légale ».1114

Le problème des clauses imposées va souvent de pair avec celui des clauses dites de
style. La difficulté que pose la clause de style a trait au point de savoir si le contractant a
connu cette clause qu’on lui oppose ou s’il l’a ignorée au moment de la formation du contrat.
En cas de litige sur une telle clause, chaque partie peut demander au juge soit de l’écarter ou
de la connaitre pour la voir produire effet. Ceci suppose une preuve à charge du demandeur
qui est pratiquement impossible à rapporter. A ce propos, il convient d’étudier le sort que la
jurisprudence réserve à la clause de style.

La clause de style n’a pas de force obligatoire, de sorte que le juge peut l’écarter sans
encourir la censure de la cour de cassation. Ainsi les décisions de justice affirment sans détour
qu’une clause du contrat, par cela seul qu’elle est de style, se trouve dépourvue de force
obligatoire et l’écartent. Cette position reconnue aussi bien par les juges du premier 1115 ou du
second degré1116 que par les arrêts de la Cour de cassation française 1117. C’est, en effet, cette

1112
Civ.1er, 10 mai 1988, Bull.civ.I, n°136, p.95.Cette clause litigieuse est dite clause de référence parce qu’une
partie, généralement un professionnel, fait signer au contractant un contrat qui se réfère, au moyen d’une clause
particulière des dispositions que ne contient pas l’écrit signé. Le décret du 24 mars 1978 pris en application de la
loi Scrivener relative à la protection des consommateurs contenait une disposition interdisant comme abusives
les clauses de référence. Mais le Conseil d’Etat a considéré que cette clause ne rentre pas dans le cadre des
clauses visées par l’article 35 de la loi du 10 janvier 1978 et a annulé la dite disposition du décret (CE.3
déc.1980, D.1981, p.228, note Larroumet,J.C.P.1981,éd.G,II,11502,concl.Hageslsteen).Aujourd’hui,la liste
annexée à l’article L.132-1 du Code de la consommation considère comme abusive la clause qui a pour effet « de
constater de manière irréfragable l’adhésion du consommateur à des clauses dont il n’a pas eu, effectivement,
l’occasion de prendre connaissance avant la conclusion du contrat ».
1113
Sur ces conditions, A. Seube, Les conditions générales des contrats, Mélanges A.Jauffert,1974,p.621. et s.
1114
Civ.1er ,22 nov.1988,Pourvoi n°87-13-999,Gaz de Strasbourg c/Lagas.CF.Civ.1er,4 juin
1991,Bull.civ.I ,n°181,p.119.
1115
Trib.civ.Meulin,5 juin 1924,D.P.1924 ,II ,p.97 ;Trib.civ.La Seine,6 avr.1927,D.H.1927,p.296 ;Trib.civ.de
l’Aube,21 fév.1927,D.H.1927 ,p.216 ;Trib.civ.Havre,27 avr.1929,Gaz.Pal.1929,II,p.207.
1116
Grnoble,8 déc.1845,S.1846,II,p.463 ;Bordeaux,19 fév.1857,S.1857,II,p.673 ;Limoges,4 mars
1858,S.1858,II,p.316. ;Rennes,17 juil.1893,D.P.1894,II ,p.214.Douai,9 déc.1889,D.P.1891,II,p.69 ;12 mars
1900,S.1904,II,p.130,Paris,20 mais 1927,D.P.1927,p.131.
223
position que la jurisprudence avait adoptée pendant plus d’un siècle et jusqu’à ce que la Cour
de cassation française renverse le principe par un arrêt de 1968.

Si la jurisprudence déniait la force obligatoire de la clause de style admettant ainsi le


pouvoir du juge de l’écarter, la doctrine à toujours soutenu, au contraire, qu’une telle clause
doit être appliquée par les tribunaux. A ce point on relève deux tendances en doctrine. Une
opinion soutient que le juge doit appliquer cette clause aux contractants en raison de son
efficacité juridique. L’idée est que « les clauses dites de style ne devraient avoir ni plus ni
moins de force obligatoire que les autres clauses ».1118La deuxième tendance doctrinale
soutient également que le juge ne doit pas écarter la clause de style, mais elle justifie son
point de vue par une idée selon laquelle la clause de style est dépourvue de toute efficacité
juridique, mais le juge doit l’appliquer. Ce sont là les deux tendances doctrinales quant aux
effets de la clause de style. Opposées quand à son efficacité juridique, elles se rejoignent tout
de même quant à son application de portée par le juge. La Cour de cassation, réussit par un
arrêt de 19681119 le tour de force de satisfaire, en même temps, les adversaires et les partisans
de cette clause. Par cet arrêt, elle élève la clause de style au rang d’une clause pourvue de la
force obligatoire et ayant la vertu de s’imposer au juge. Ce dernier doit donc en tenir compte
et s’interdire de l’écarter, sous peine de voir sa décision censurée par la Cour de cassation. Il
y a lieu d’observer, du reste, que hormis de l’arrêt de 1968 et peut être un arrêt de 19711120la
troisième Chambre civile n’a plus rappelé le principe.

L’analyse de la jurisprudence française révèle que la Cour de cassation a repris


l’ancien principe selon lequel la clause de style est dépourvue de force obligatoire. Ce qui
implique que le juge est fondé à écarter une telle clause. Ainsi, le principe d’une clause de
style ayant la vertu de s’imposer au juge paraît, aujourd’hui, une coquille vide même de son

1117
Req.16 juin 1925,D.H.1925 ,p.486 ;D.P.1926,I,p.181. ;Com.sup.de cassation,13
janv.1927,D.H.1927,p.152. ;Civ.26 avr.1932 ,D.H.1932 ,p.315 ;21nov.1932,D.H.1933,p.19.
1118
Rafik Ouelhazi,Le juge judiciaire et le force obligatoire du contrat, op.cit.,p.36.
1119
Civ.3me,3 mai 1968,Bull.civ.III,n°184,p.146. Cet arrêt fait l’objet de l’affaire dans laquelle un vendeur
d’immeuble se prévaut d’une clause de non-garantie pour faire échec à l’action de ses acquéreurs qui lui
demandent d’effectuer les enduits d’une façade de l’immeuble qui aurait dû être couverte. La cour d’appel de
Nimes ayant écarté cette clause, il attaque sa décision. Et la Cour de cassation qui, jusque-là, approuve le juge
lorsqu’il écarte une clause qu’il qualifie de style, change de position. En effet après avoir relevé « que pour
refuser de faire jouer la clause de non garantie…la cour d’appel constate qu’il ne s’agit en l’espèce que d’une
clause de style » elle censure son arrêt sous le visa de l’article 1134 du Code civil, au motif que « toute clause
d’un contrat quoique usuelle ou de style n’en produit pas moins son effet normal ».
1120
Civ.3me,8 juil.1971,Bull.civ.III,n°442 ,p.336.L’arrêt de la cour d’appel de Pau, après avoir reproduit les
clauses litigieuses, les qualifie de clauses de style et les écarte. Cet arrêt est cassé car en « statuant ainsi, alors
que les dites clauses ne pouvaient être privées de leur effet, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa
décision », La difficulté est de savoir si en évoquant « les dites clauses » la troisième chambre vise les clauses de
style, ou si, sans se soucier de cette qualification, elle vise les clauses litigieuses qu’elle reproduit elle-même
dans son arrêt.
224
auteur, la troisième chambre civile, n’en tient plus compte. Il s’agit en quelque sorte d’un
hiatus dans la jurisprudence relative à cette clause1121.Cependant, des auteurs pensent que le
principe est toujours celui de l’interdiction pour le juge d’écarter la clause de style. Certains
affirment, en effet, « qu’il lui incombe…de respecter toutes les clauses du contrat, et (que)
cette exigence concerne, au demeurant, aussi bien les clauses réellement discutées par les
parties que celles préétablies par l’une d’entre elles, ou encore les fameuses clauses dites de
style.. »1122.

Or, le droit marocain en matière de consommation, comme le droit français a conçu


des dispositions spéciales à travers l’adoption de la loi 31-08 du 18 février 2011pour remédier
les lacunes du droit commun notamment en matière d’appréciation des clause abusives. Dans
ce sens, le législateur français qui avait subordonné initialement la protection contre les
clauses abusives par une impossibilité de négocier a finalement écarté le texte initial pour
éviter la difficulté qu’auraient rencontrée des consommateurs, à prouver, à défaut, que le
contrat répondait à la qualification de contrat d’adhésion1123. La protection du consommateur
contre le déséquilibre manifeste s’est consolidée à travers d’une législation sur les clauses
abusives qui s’appliquent donc aux contrats « contenant des stipulations négociées librement
ou non des références à des conditions générales préétablies ».Dans la majorité des cas, le
contrat conclu est d’adhésion1124. La protection contre les clauses abusives englobe aussi bien
les clauses négociées que celles non négociées.

En bref, la position ferme de la conception classique du contrat, constitue un obstacle


devant le juge, sous le visa de l’article 230 du D.O.C, pour tenir compte l’abus1125 de
l’inégalité des parties en matière d’appréciation du mode d’insertion de la clause. Le caractère
injuste de la clause qui provient soit de l’absence de négociation ou de sa portée qualifiée
sévère se trouve donc écarter par la doctrine classique. L’interdiction pour le juge de

1121
Rafik Ouelhazi,Le juge judiciaire et le force obligatoire du contrat, op.cit.,p.43
1122
J.Mestre et A.Laude, L’interprétation active du contrat par le juge, in Le juge et l’exécution du contrat,
Colloque I.D.A Aix-en-Provence, P.U.d’Aix-Marseille 1993, p.9.Ces auteurs ne citent que l’arrêt rendu par la
3me Chambre civile en 1968.
1123
J.Ghestin, Traité de droit civil, Les obligations. Le contrat : formation, op.cit., n°596.
1124
L’abus de puissance économique qui était l’un des critères initiaux de la législation renvoyait à
l’impossibilité factuelle de négocier .V.F.X.Testu, « Le juge et le contrat d’adhésion »,JCP G
1993,I,3673.L’auteur relevé, en note 66,que Colin et Capitant, dans un passage de leur traité utilisaient
l’expression d’abus de puissance économique pour caractériser le contrat d’adhésion.
1125
Dans sa thése,M.Stoffel-Munck distingue l’abus, faute de comportement reprochable au titulaire du droit, de
l’abus qui constitue une limite de la force obligatoire d’une clause. Les clauses abusives appartiennent à cette
seconde catégorie. ; voir sur ce point Ph.Stoffel-Munck,L’abus dans le contrat,op.n°347.
225
considérer la sévérité des clauses de déchéance1126 dans les contrats d’assurance ou celles
exonératoires1127 de responsabilité en cas d’inexécution totale ou d’imparfaite des obligations
qui sont mises à la charge du débiteur qui illustrent particulièrement l’iniquité de certaines
stipulations imposées par le contractant le plus puissant, s’appuie sur le respect du principe de
la force obligatoire du contrat. Le refus de donner au juge le pouvoir de prendre en
considération l’inégalité des contractants est l’une des manifestations de la rigueur de la
conception volontariste de la force obligatoire du contrat de nature à consolider l’injustice
contractuelle. Cette rigueur ne s’arrête pas uniquement sur ce point, mais elle s’étende
jusqu’au l’interdiction faite aux juges de réviser le contrat pour établir un certain équilibre
entre les prestations réciproques au travers soit d’un redressement intrinsèque ou extrinsèque
du rapport contractuel1128.

B- La consolidation de l’injustice due au déséquilibre économique du contrat

La réalité contractuelle a démenti l’hypothèse de Fouillé, énoncée dans sa formule


célèbre « qui dit contractuel, dit juste ».L’auteur a exclu le postulat du contrat déséquilibré et
de nature à favoriser l’une des parties sur l’autre .Or, la pratique révèle que le contrat peut
être injustice dont l’équilibre a été bouleversé , occasionnée par l’exécution d’un contrat à la
suite des circonstances imprévisibles. Le déséquilibre de l’économie du contrat au détriment
de l’un des contractants peut être exploité par l’autre partie, en exigeant l’exécution
ponctuelle et rigoureuse même dans le cas où elle est consciente que la lettre de l’accord n’est
plus adéquate. Un contrat pourrait être injuste dés sa conclusion comme il pourrait le devenir

1126
La déchéance étant définie comme la perte d’un droit par son extinction, elle consiste en matière
d’assurance, en une sanction prévue par le contrat à l’encontre de l’assuré qui n’a pas exécuté ses obligations en
cas de sinistre, et qui se traduit par la perte de son droit à la garantie de l’assuré .Les clauses de déchéances
sanctionnent des irrégularités comme celle du retard dans la déclaration de l’aggravation de risque ou encore
de la surélévation des pertes. ;voir sur ce point Y.Lambert-Faivre, Droit des assurances,1992,8eme
éd.,n°489,A.Favre-Rochex ,Assurances terrestres ,J.Cl.civ. annexes, 1993,assurances :fasc.5-5,n°1.
Le législateur marocain est intervenu dans ce sens pour protéger l’assuré contre la sévérité des clauses de
déchéance à travers les dispositions du code d’assurance marocain notamment les articles14 et 35 et en droit
comparéle législateur français est intervenu à travers l’adoption de la loi du 13 juillet 1930 relative au contrat
d’assurance en vuede poser des règles qui soient de nature à protéger l’assuré. Cependant cette loi n’a pas
véritablement mis fin au problème des clauses de déchéance. En effet, la loi de 1930 puis celles du 30
novembre 1966 et 7 janvier 1981, posent en principe que si, dix jour après son échéance, le paiement de la
prime n’est pas intervenu, l’assureur doit mettre son client en demeure de s’acquitter. ;voir l’article L .113-3 al.2
du Code d’assurance.Voir sur ce point 184‫ انظفذخ‬،2003 ،ٗ‫ انطجؼخ األٔن‬،ٙ‫غ انًغغث‬ٚ‫ انزشغ‬ٙ‫ٍ انجغ٘ ف‬ٛ‫أدكبو انزبي‬,، ‫ؾ‬ٚ‫يذًض أغغ‬
1127
Le refus de tenir compte les clauses limitatives de responsabilité pour le motif que leur insertion est de
nature à encourager le débiteur à la violation. La Cour de cassation française n’a pas cessé de rappeler au juge
que le respect de la force obligatoire du contrat, qu’il est tenu d’observer, l’appelle à leur donner leur plein effet.
Par conséquent et en vertu de l’article 1134 du Code civil français, doit être cassé le jugement qui écarte un
article du règlement des chemins de fer prévoyant une limitation de la responsabilité du transporteur car, « en
refusant dans ces circonstances d’appliquer ledit article… » (ce) jugement a violé la disposions ci-dessus
visée ».voir Civ.4 déc.1894, S.1895, I, p.142.
1128
Rafik Ouelhazi,Le juge judiciaire et le force obligatoire du contrat, op.cit.,p.78.
226
par la suite. Il s’agit de s’interroger sur la possibilité de tel redressement de la distorsion entre
les prestations des contractants par le juge dans l’hypothèse du déséquilibre du contrat.
Cependant, cette possibilité d’immixtion du juge pour redresser le contrat déséquilibré se
trouve écarter par la doctrine classique, aussi bien, dans le cas d’un déséquilibre originel (1)
que durant la période de l’exécution du liencontractuel (2).

1- L’interdiction de redressement judiciaire du déséquilibre originel du contrat

Le déséquilibre du contrat peut être né au moment de la conclusion du contrat,


constituant ainsi, un préjudice à l’un des contractants du fait de la distorsion des prestations
réciproques. Ce préjudice se manifeste selon le cas par le caractère trop important ou trop
modique du prix, est connu en droit sous l’appellation de la lésion. Plusieurs définitions
semblent donc se dégager de la jurisprudence. La lésion peut se définir comme étant une
disproportion effective entre les prestations réciproques des parties1129. Elle peut également
représenter un déséquilibre entre les droits et les obligations réciproques des parties. Ainsi,
certaines décisions utilisent le critère de déséquilibre. La cour d’appel de Paris indique ainsi
« le déséquilibre objectif entre la valeur de l’immeuble et le prix étant le seul fondement de la
rescision pour cause de lésion »1130.La lésion représente donc un défaut d’équilibre
contractuel. Derrière ces différents attendus, les juges définissent la lésion comme étant un
déséquilibre entre les droits et les obligations réciproques des parties ou comme l’absence
d’équilibre. A ce propos, il s’agit de sa voir si, le juge est investi du pouvoir pour rétablir le
déséquilibre des prestations réciproques au cours de l’exécution de l’accord contractuel et
d’illustrer l’opposition des tenants de la conception classique du contrat envers toue tentative
d’immixtion du juge dans ce sens.

Ainsi, Pothier souligne que, « l’équité doit régner dans les conventions, d’où il suit
que, dans les contrats intéressées dans lesquels l’un des contractants donne ou fait quelque
chose pour recevoir quelque autre chose, comme le prix de ce qu’il donne ou de ce qu’il fait,
la lésion que souffre l’un des contractants, quand même l’autre n’aurait recours à aucun
artifice pour le tromper, est seule suffisante par elle-même pour rendre ces contrats vicieux.
Car l’équité, en fait de commerce, consistant dans l’égalité, dés que cette égalité est blessée, et

1129
Paris,25 avril 1928,D.P.1928,II ,113,note H.Lalou,Gaz,Pal.1928,I,773 :la cour d’appel exige un vice du
consentement pour admettre l’action en rescision ;sur la lésion voir les articles 55 et 56 du D.O.C.
1130
Paris,8 juin 1963,D.1964,Somm.19.
227
que l’un des contractants donne plus qu’il reçoit, le contrat est vicieux parce qu’il pèche
contre l’équité qui doit y régner »1131.

Le législateur marocain a précisé dans l’article 55 du D.O.C que la lésion n’est prise
en compte, et sanctionnée, que de façon, exceptionnelle1132. En droit comparé français, cette
règle est énoncé par l’article 1118 du Code civil. Or, l’exclusion de l’application de la
sanction de la lésion sur les conventions est justifiée par le besoin de sécurité dans les
relations commerciales. Le souci de sécurité juridique constitue l’une des justifications
avancées par la doctrine classique pour rejeter de toute tentative du juge de s’immiscer dans la
relation contractuelle et de la redresser.

La jurisprudence française en matière commerciale donne une illustration de cette


position à travers un arrêt de la Chambre commerciale du 9 octobre 1990.Ainsi dans une
affaire relative à un litige ayant opposé une société à un client à qui elle réclame le solde
d’une facture correspondant à des matériaux qu’elle lui a vendus. Un tribunal de commerce
estimant que « les prix pratiqués par la société L paraissent trop élevés par rapport aux
normes en vigueur », énonce « qu’il semble (…) conforme à des considérations d’équité de
pratiquer une réfaction de 30 % sur la demande formée par cette société ».Saisi d’un pourvoi
contre cette décision, la Cour de cassation vise l’article 12 du nouveau Code de procédure
civile et l’article 1134 du Code civil pour indique que « le juge tranche le litige conformément
aux règles de droit qui lui sont applicables et qu’il ne lui appartient pas, pour des motifs
d’équité, de modifier les conventions légalement formées entre les parties »1133.

L’inégalité des parties de contrat peut conduire à une inégalité de prestations. Le


maintien de la position classique de la Haute juridiction constitue un obstacle devant le juge
pour rétablir l’équilibre du rapport contractuel, en cas de distorsion entre les prestations
réciproques des parties. L’exemple des contrats de travail du siècle dernier donne une parfaite
illustration dans de ce sens. Le contrat de travail qui est formé entre deux parties de forces
économiques inégales sans aucune marge de négociation, est devenu un outil aux mains des
employeurs pour exploiter les ouvriers, qui se trouvent isolés devant un contrat imposé, du

1131
M.Bugnet, Traité des obligations, Paris,1861,t.2.n°33.
1132
L’article 55 du D.O.C dispose que « La lésion ne donne lieu à la rescision,à moins qu’elle ne soit causée par
le dol de l’autre partie, ou de celui qui la représente ou qui a traité pour elle,et sauf l’exception ci-
après. ».L’article 56 précise que « la lésion donne ouverture à la rescision,lorsque la partie lésée est un mineur
ou un incapable,…..Est réputée lésion toute différence au Ŕdelà du tiers entre le prix porté au contrat et la valeur
effective de la chose .».
1133
Com.9 oct.1990.Civ.1991,p.113,obs.Mestre ;Lamy, Droit économique,1994,n°4207,p.1405.
228
fait de la loi le Chapelier des 14-17 juin 1891 qui interdit toute association professionnelle1134.
Cette situation qui marquait l’époque de la première moitié du XXIe siècle en France a poussé
certains conseils de prud’hommes, lorsqu’ils se sont trouvés en présence d’ouvriers qui
montrent que la nécessité et la misère les ont conduits à accepter un salaire modique, de fixer
celui-ci à un prix élevé, de prononcer l’annulation de la convention lorsqu’elle est
demandée1135. Un conseil de prud’hommes opte plutôt pour la révision du contrat en
redressant le montant du salaire. La Cour de cassation n’a cependant pas admis une telle
solution à laquelle elle oppose l’article 1134 du Code civil français. Et c’est au visa de ce
texte qu’elle censure le jugement du conseil de prud’hommes car, décide-t-elle « il n’est
permis à aucune juridiction du méconnaitre une convention…pour substituer un prix fixé par
le juge à celui formellement arrêté par les parties ; (et) qu’une décision aussi arbitraire
est…la violation la plus formelle de l’article 1134 »1136.

Dans le même sens, la Cour de cassation décide que le fait pour le juge de modifier le
salaire, revient à « exposer le règlement du prix du travail à des rétractations et incertitudes
aussi périlleuses pour les ouvriers que pour le maître ».Et elle censure le jugement du conseil
de prud’hommes en visant l’article 11341137.

Cette position ferme de la Cour de cassation1138 est relayée par les tenants de la
doctrine classique qui estiment que l’impératif essentiel, primant toute considération, est celui
de la sécurité juridique qu’il faut protéger et faire prévaloir. L’opposition des partisans de la
théorie classique du contrat au redressement de l’éventuel équilibre économique par le juge ne
concerne pas le contrat de travail mais toutes les conventions. Face à cette hostilité et en vue
de permettre au juge d’intervenir dans le contrat pour établir un minimum de justice entre les
prestations réciproques des parties, une tentative a été exprimée au début du XXIe siècle
visant à modifier l’article 1118 du Code civil français pour admettre la lésion 1139 dans tous les
contrats. La proposition de la loi, déposée à la chambre des députés le 20 juin 1920, ayant
prévu que « le contrat pourra être maintenu si le lésé obtient une réduction de ces obligations
ou une augmentation des obligations de l’autre. En droit marocain, l’article 56 du D.O.C

1134
Cette loi est abrogée par celle du 21 mars 1884qui rétablit la liberté d’association professionnelle.
1135
Sous Civ.20 déc.1852,S.1853,I.p.101 ;D.1853,I,p.95.
1136
Civ.20 déc.1852,pré.Add,Civ.20 nov.1906,D.1907,I ,p.80.
1137
Civ.12 déc.1853,préc. Un siècle plus tard, la Cour de cassation admettra l’annulation d’un contrat de travail
désavantageux conclu par une personne sous l’influence d’un besoin pressant d’argent (Soc.5 juillet
1965,Bull.civ.IV,n°545,p.460).
1138
Rafik Ouelhazi,Le juge judiciaire et le force obligatoire du contrat, op.cit.,p.82.
1139
Naturellement, ce n’est là que la théorie. On ne voit pas, en effet, qui pourrait vivre sans contracter.
229
énonce que « La lésion donne ouverture à la rescision (….) Est réputée lésion toute différence
au- delà du tiers entre le prix porté au contrat et la valeur effective de la chose ».

En bref, la doctrine classique soutient la solution qui est de nature à ne pas chercher à
remédier une telle éventuelle lésion par le juge, en précisant que sa mission consiste à
rappeler aux parties leurs engagements en veillant sur l’exécution littérale. Il revient aux
contractants de défendre leurs intérêts sous prétexte que nul n’est contraint de contracter1140.
Cette position qui est hostile à toute considération de lésion qui vise à assurer une asymétrie
entre les droits et les obligations des parties du contrat, ne se limite pas à ce stade, mais, elle
s’étende jusqu’au point de rejeter l’idée d’une révision judicaire du contrat déséquilibré en
cas de la survenance de certaines circonstances extérieures rendant son exécution plus
onéreuse1141. La question de l’imprévision n’a jamais perdu son importance ; elle est toujours
à la une des événements juridiques et préoccupe les commentateurs1142 et les tribunaux, au
point qu’un auteur la qualifie comme étant un « serpent des mers du droit des contrats »1143.Se
pose ainsi la question de l’évolution de ce problème de l’imprévision :y a-t-il un changement
de position, que se soit des tribunaux, du législateur ou des contractants ou le problème garde-
t-il toujours ses anciennes caractéristiques ?

2- L’interdiction de redressement du déséquilibre survenu lors de l’exécution du contrat

Dans les faits, l’imprévision s’apparente à la lésion en termes d’incidence négative sur
l’équilibre contractuel ; dans les deux cas, l’un des contractants subit un préjudice provoqué
par le déséquilibre des prestations réciproques objet du rapport contractuel. En droit, une
distinction s’appuyant sur trois points est conçue pour distinguer l’imprévision de la lésion.
Contrairement à la lésion qui correspond à l’existence d’une asymétrie entre les prestations
dés la conclusion du contrat, l’imprévision se distingue par la disproportion qui se
déclenchait au cours de l’exécution du contrat, notamment en matière de contrats successif ou

1140
Cf.la discussion de la proposition de la loi de MM.Gubal et Dupin sur la lésion,
Bull.Soc.étud.législ.1922,p.25 et s. Cette proposition qui s’inspire du droit suisse et surtout du droit allemand
prévoit de compléter l’article 1118 en ces termes : « La lésion est une cause de rescision des conventions, si la
disproportion des obligations qui en résultent est énorme et a été déterminée par l’exploitation de la gêne, de la
légèreté ou de l’inexpérience du lésé ».Comp.Le §138 du Code civil allemand : « Est nul en particulier, l’acte
par lequel quelqu’un, en exploitant le besoin, la légèreté ou l’inexpérience d’autrui, obtient…qu’en échange
d’une prestation on promette ou on fournisse des avantages patrimoniaux qui excédent de telle sorte la valeur de
la prestation qu’en tenant compte des circonstances, ces avantages soient, par rapport à la prestation, dans une
disproportion choquante ».Sur l’analyse de ce texte et sur la lésion en droit français et allemand :A.Rieg, Le
rôle de la volonté dans l’acte juridique en droit français et allemand, Paris, thèse,1961, n°173 et s.
.734 ‫ انظفذخ‬، ‫انًغجغ ؿبثك‬،‫ انؼمض‬،‫انجؼء االٔل‬،َٙ‫ انمبٌَٕ انًض‬،ٙ‫ يظطفٗ انؼٕج‬1141
1142
A ce titre d’exemple voir les interventions récentes sur la question publiées à la rubrique : Réflexions
croisées, Les contrats à l’épreuve de la crise, RLDC n°62, Juillet août 2008,p.51.
1143
Jacques ,PH., Regards sur l’article 1135 du Code civil, éd.Dalloz 2005,p.325,n°169.
230
à exécution échelonnée dans le temps. Cette clarification initiale est utile dans la mesure où
elle aide à déterminer la première, on se plaçant à l’époque de la conclusion du contrat pour
apprécier l’équilibre des prestations, pour établir la deuxième, il suffit d’évaluer ce
déséquilibre au moment de l’exécution de l’accord. Autrement-dit, « La lésion doit avoir son
germe dans le contrat lui-même, dans une inégalité interne des prestations, tandis qu’ici on a
affaire à un bouleversement survenu du dehors, par un événement casuel et imprévu »1144.
Comme en droit marocain, l’article 1118 du Code civil français écarte expressément l’idée
que la lésion puisse vicier de façon générale les conventions, le D.O.C et le Code civil
français ne contiennent pas de texte similaire en ce qui concerne l’imprévision.

L’imprévision ne concerne que les contrats dont l’exécution s’étale dans le temps. Ces
contrats s’insérant « dans un environnement politique et économique en perpétuelle
évolution », sont plus vulnérables que les autres. En revanche, ceux instantanés, dont
l’exécution est concomitante à la formation, ne sont pas concernés par la question de
changement des circonstances ; le temps n’y exerce pas un grand effet.

La théorie de l’imprévision a été reconnue par plusieurs pays, soit expressément dans
leur loi (Italie, Grèce, Pays-Bas,Danemark,Algérie, Egypte) soit par leur jurisprudence
(Suisse, Allemagne, Grande ŔBretagne)1145.De même, les Principes relatifs aux contrats du
commerce international (UNIDROIT,1994) et les Principes de droit européen des contrats
(1997),s’ils interdisent une révision autoritaire du contrat, obligent les parties à négocier en
vue d’adapter le contrat, ou à y mettre fin, si l’exécution devient excessivement onéreuse pour
l’une des parties (art.6-2-2 et 6-2-3 ;art.2-117)1146 ;ce qui est à peu prés le mécanisme de la
clause de sauvegarde, qui serait donc implicite1147. Au regard de l’évolution extrinsèque au
droit marocain qui tend vers l’adoption de la révision pour imprévision, En examinant la
position de la jurisprudence marocaine selon une approche comparative sur la question de

1144
Carbonnier, Les obligations, op.cit.,p.263. ;Rippert et Boulanger, Traité élémentaire de droit civil d’après le
traité de Planiol,t.2,1957,n°471.C.-M.Popescu, Essai d’une théorie de l’imprévision en droit français et comparé,
thèse, Paris,1937,p.71 ;P.Voirin,De l’imprévision dans les rapports de droit privé, thèse ,Nancy,1922,p.70 et s.
1145
D.Tallon, la révision pour imprévision au regard des enseignements récents du droit comparé, Mél.Sayag,
1998.403 et s. ;pour le droit allemand :M.Fromont et A.Rieg, Introduction au droit allemand,
Cujas,t.III,1991,p.97.
1146
L’article 2-117 desdits principes dispose dans le second paragraphe que « les parties sont tenus de remplir
leurs obligations, quand bien même l’exécution ne serait devenue plus onéreuse, sous révère des dispositions
suivantes relatives au hardchip ».Ensuite, les articles 6-2-2 et 6-2-3 précisent les conditions du hardichp et les
effets qu’elle produit, ou l’on trouve essentiellement la possibilité de demander au tribunal saisi d’ouvrir une
période de renégociation du contrat.
1147
CL.Witz, « Force obligatoire et durée du contrat »,in Les concepts contractuels français à l’heure des
principes du droit européen des contrats, Dalloz,Actes,2004,p.175 et s. ;B.Fauvarque-Cosson, « Le changement
de circonstance »,RTD 2004,p.67-92.;Philippe Malaurie,Laurent Aynés et Philipe Stoffel-Munck,Les
obligations,op.cit0.,p.372.
231
l’affirmation du refus de la théorie de l’imprévision dans les cas des contrats bouleversés à la
suite d’un changement de circonstances imprévisibles pour les parties.

La jurisprudence marocaine que celle française a dit son mot de puis longtemps ; le
juge n’a pas le droit de réviser le contrat bouleversé par un changement1148. La question
remonte à l’année 1876, année au cours de laquelle la Cour de cassation française s’est
opposée à toute modification du contrat par le juge fut-elle légère et au nom de l’équité.
Ladite Cour précisait dans l’arrêt de Canal de Craponne que « dans aucun cas, ils n’apparient
aux tribunaux, quelque équitable que puisse leur paraître leur décision, de prendre en
considération le temps et les circonstances pour modifier les conventions des parties et
substituer des clauses nouvelles à celles qui ont été librement acceptées »1149. Cet arrêt trouve
l’écho jusque dans les pays influencés par le système juridique français, dont le Maroc et la
Tunisie. Cette position de la Cour de cassation française a été confirmée à plusieurs
reprises1150 à tel point qu’elle est devenue, pour certains auteurs, une des caractéristiques du
droit français. Au vu de cette jurisprudence, un contrat qui ne contient pas une clause de
révision n’est pas révisable. Il n’est pas question de dévoiler une clause implicite de révision.
La Cour de cassation exclut toute possibilité de révision du contrat par le juge, qu’une telle
révision soit fondée sur une volonté implicite ou sur des valeurs morales telles que l’équité.

Certains auteurs précisent que le refus objecté par la Cour de cassation contre
l’admission de la révision des contrats pour imprévision est doublement fondé. D’un point de
vue juridique, les tribunaux ne craignent que les contractants de mauvaise foi se retranchent
derrière cette possibilité pour éluder à leurs obligations. Ils ont aussi peur que cette admission
« favorise l’arbitraire du juge »1151 et que « l’instabilité du contrat se retourne contre la
sécurité juridique »1152.D’un point de vue économique, accepter la révision d’un contrat
déséquilibré par l’imprévision, c’est généraliser ce déséquilibre. La révision du contrat, si elle
est « moralement souhaitable », est « économiquement dangereuse » puisque l’imprévision
appelle la révision1153.D’autres précisent que l’admission de l’imprévision est une question

1148
Ali Zarrouk,L’implicite et le contenu contractuel, Etude de droit comparé :droit français et droit tunisien,
préf.de Philippe Delebecque,L’Harmattan,2012,Paris,p 64 et s.
1149
Cass.civ.6 mars 1876,De Galliffet c/Commune de Pelissanne.1876,1,193,note Giboult.
1150
Civ.15.11.1933, G.P.1934.1.50 ; Com.18.1.1950, Dalloz1950, 227, Com.3.janvier 1979,
G.P.1979.1.Somm.214 ;Y.Picod confirme lui aussi cette stabilité de la position jurisprudentielle envers
l’admission de l’imprévision en précisant que « la Cour de cassation a constamment réaffirmé son hostilité au
pouvoir judiciaire de révision du contrat »,le devoir de loyauté dans l’exécution du contrat, thèse
Dijon,éd.LGDJ,1989,p.203,n°180.
1151
Terré.,Simler,Ph.et Lequette,Y.,op.cit,p.474,n°470.
1152
Ibid.
1153
J.Flour et J.-L.Aubert,Les obligations, L’acte juridique, éd.A.Colin 2006,n°410,p.336.
232
qui revient au législateur et non aux juges1154. D’autres auteurs sont pour le maintien de cette
position, exprimant ainsi la nécessité de maintenir la loi contractuelle coûte que coûte, ne
voyant dans cela « rien d’injuste »1155.Par contre, une partie de la doctrine décrie cette
position et réclame l’admission de la révision du contrat en cas d’imprévision dont la
reconnaissance est une nécessité1156 .

Au rebours de cette position de la jurisprudence, le conseil d’Etat français avait admis


la révision du contrat conclu avec l’administration en cas de changement des
circonstances1157. Dans l’affaire Gaz de Bordeaux du 30 mars 1916, le conseil d’Etat a
appliqué la théorie de l’imprévision sur les contrats administratifs. Il a justifié sa position par
les idées d’intérêt général et de continuité de service public. Pour le doyen Carbonnier,
certains contrats de droit privé peuvent aussi servir un intérêt général, dans la mesure où ils
constituent un outil indispensable au fonctionnement du service public, il était donc possible
d’admettre l’imprévision sur cette base de droit privé et ce, par analogie à la solution du
Conseil d’Etat. Cette différence de position envers la théorie de l’imprévision, entre le droit
civil et droit administratif, crée ce que certains appellent « la caractère boiteux du droit
français »1158.

L’opposition des points de vue entre la juridiction judiciaire et la juridiction


administrative atteste la difficulté du problème à résoudre. La Cour de cassation maintient sa
position classique1159 contre l’admission de l’imprévision en droit privé. De fait, il n’y pas de
force majeure car l’exécution des prestations est certes devenue difficile mais non
impossible ; il n’y a pas non plus lésion, car le déséquilibre ne prend pas sa source dans une
inégalité initiale des prestations, mais dans un bouleversement extérieur et postérieur à la
conclusion du contrat1160. Néanmoins, les moyens juridiques susceptibles de fonder une
révision du contrat ne font pas défaut. Ainsi il a été invoqué l’idée selon laquelle la théorie de

1154
J.Flour et J.-L.Aubert,Les obligations, L’acte juridique, op.cit.,n°412-429 ;Ph.Malaurie et Aynes,L. ,Droit
civil, les obligations, éd.Cujas 1995-1196,n°615-621.C’est aussi l’idée d’un auteur tunisien qui la déduit de la
formulation de l’article 243 in fine du Coc.Voir ici :Mahfoud,M.,Théorie des suites du contrat,
RJL,2008,n°6,p.99,spéc.p.104.
1155
Seriaux,A.,Droit des obligations,éd.PUF,1992,n°46.
1156
Ph.Stoffel-Munck, Regards sur la théorie de l’imprévision, op.cit.,p.20,n°11.
1157
Voir sur ce point : R.Noguellou, L’imprévision en droit public, RDC 2010,n°1,p.494.
1158
Voir sur ce point Tallon,D.,Réflexions comparatives In coloque « Les modifications du contrat au cours de
son exécution en raison des circonstances »,sous la direction de R.Rodiére et Tallon,D.,éd.Pedone
1986,p.186,spéc.p.188.n°3.
‫ انًُظًخ نذكى انمٕح انمبْغح‬1148 ‫خ انظغٔف انطبعئخ اؿزُبصا انٗ انًبصح‬ٚ‫ َظغ‬ُٙ‫ ثشظٕص رج‬ٙ‫ عافؼب نهفمّ انفغَـ‬َٙ‫ ظم انمؼبء انًض‬1159
‫ى‬ٛ‫ اؿزبط انزؼه‬،‫ اَظغ يذًض ثَٕجبد‬-.ٙ‫ انفغَـ‬َٙ‫ يٍ انمبٌَٕ انًض‬1134 ‫ٍ دـت انًبصح‬ٚ‫ؼخ انًزؼبلض‬ٚ‫خ انؼمٕص ٔاالرفبلبد الٌ انؼمض شغ‬ٛ‫ٔيزًـكب ثمضؿ‬
.2000-1999، "3 " ٌَٕ‫ؿهـهخ افبق انمب‬،‫ انًغغة‬ٙ‫ٍ االسظ ٔانغص ف‬ٛ‫خ انظغٔف انطبعئخ ث‬ٚ‫َظغ‬،ٙ‫انؼبن‬
1160
Sur la corrélation entre lésion et imprévision v.G.Cornu, Regards sur le titre III du livre III du C.civ.,Les
cours de droit, Cours de doctorat 1977,p.77.
233
la cause1161 ne doit pas jouer seulement au moment de la formation du contrat, mais aussi lors
de son exécution, ce qui obligerait au maintien d’une certaine équivalence entre les
prestations des contractants. Encore il a été fait appel à la règle qui veut que les conventions
soient exécutées de bonne foi (Arti.1134 al.3 du Code civil français et art.231 du D.O.C
marocain)1162.En effet, méconnaitre celle-ci donne lieu à exiger la stricte exécution d’un
contrat ce qui rend écrasante la charge de l’un et dérisoire la prestation de l’autre.

De même la possibilité d’une révision peut être déduite de l’article 231 du D.O.C et
en droit comparé français l’article 1135 qui dispose que « les conventions obligent non
seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi
donnent à l’obligation d’après sa nature »1163.Mais, la Cour de cassation récuse dans son arrêt
relatif au Canal de Craponne toute référence à l’équité. Enfin, il est possible de sous-entendre
dans tout contrat de logue durée, une clause particulière dite clause1164 rebus sic stantibus, en
vertu de laquelle le consentement est subordonné à la persistance de l’état de fait qui existait
au jour où il a été exprimé. Devant le refus de donner pouvoir au juge judiciaire de réviser le
contrat pour cause d’imprévision, c’est au législateur, mieux armé pour apprécier les
conséquences économiques de tel ou tel choix, d’y remédier, lorsque l’injustice contractuelle
est trop, criante et qu’une catégorie de personnes risque d’être ruinée.

Le droit comparé montre, en effet, que, très largement admise au XIX e siècle dans
autres pays d’Europe, cette position a été abandonnée depuis lors, tantôt à la suite d’une
évolution jurisprudentielle1165, tantôt du fait d’une intervention du législateur1166, sans que

1161
La théorie de la cause débouche sur la caducité du contrat, et non sur sa révision judiciaire.
1162
L’article 231 du D.O.C.dispose que : «Tout engagement doit être exécuté de bonne foi et oblige, non
seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que la loi, l’usage ou l’équité donnent à
l’obligation d’après sa nature ».
1163
Sur les mérites respectifs des art.1134,al.3 et 1135 du Code civil français pour fonder une telle solution,
v,Ph.Jacques, Regards sur l’article 1135,thèse Paris XII,2003,n°169-1 et s.
1164
Cette clause abouti à la caducité, et non à la modification du contrat.
1165
Grande-Bretagne,Allemagne,Espagne,Suisse.
1166
Itali, Grèce, Portugal, Algérie, Egypte. Le droit algérien des contrats consacre la théorie de l’imprévision
dans des termes qui reprennent à l’identique le droit égyptien lui Ŕmême fortement influencé sur ce point par le
droit italien. Si l’article 107 alinéa 3 du code civil reprend dans les mêmes termes l’article 147 du code égyptien,
on remarquera que leur positionnement n’est pas le même. En droit égyptien, l’imprévision vient à la suite de
l’énoncé du principe de la force obligatoire, sans lien apparent avec le principe de la bonne foi alors qu’en droit
algérien, un lien plus fort est établi avec ce principe. Les principes de la force obligatoire du contrat et de son
exécution de bonne foi étant posés respectivement par les articles 106 et 107 du code civil, le troisième alinéa de
ce dernier dispose « Toutefois, lorsque, par suite d’événement exceptionnel, imprévisibles et ayant un caractère
de généralité, l’exécution de l’obligation contractuelle, sans devenir impossible, devient excessivement onéreuse,
de façon à menacer le débiteur d’une perte exorbitante, le juge peut, suivant les circonstances et après avoir pris
en considération les intérêts des parties, réduire, dans une mesure raisonnable, l’obligation devenue excessive.
Toute convention contraire est nulle ».Une adaptation particulière de cette disposition concerne les contrats
d’entreprise conclus à prix forfaitaire (art.561).Les différences sont sensibles avec la situation visée par l’article
234
l’admission de la révision pour imprévision ait engendré l’insécurité redoutée. 1167Or notre
temps, impose des engagements contractuels à longue durée soit que la complexité de la tâche
à accomplir appelle d’importants délais d’exécution, soit encore que l’insécurité du monde
environnant incite à s’assurer par des accords durables un approvisionnement en matières
premières ou en énergies, milite également en faveur d’une évolutive de
jurisprudence1168.Certes, instruits par l’expérience, les contractants s’efforcent de parer aux
conséquences désastreuses de l’instabilité économique ou monétaire au moyen de clauses
divers notamment les clauses d’adaptation automatique :la clause d’indexation qui fait varier
le prix à payer par référence à la valeur de tel produit ou tel service et les clauses de
renégociation1169 qui obligent les parties à négocier de nouveau le contrat si des données
essentielles à son équilibre viennent à changer. La clause de hardiship1170, encore nommée
clause de sauvegarde, illustre le mieux cette réalité. Elle permet à l’une ou à l’autre des parties
de demander un « réaménagement du contrat qui les lie si un changement intervenu dans les
données initiales au regard desquelles elles s’étaient engagées vient à rigueur (« hardship »)
insiste »1171.Mais on a fait valoir qu’il serait préférable ,plutôt que d’inviter les parties à
insérer elles-mêmes dans le contrat des clauses destinées à répudier les solutions actuelles de
notre droit, de renverser le principe et d’admettre la révision pour imprévision. Les arguments
les plus récents soutiennent cette solution. Une nette tendance se dessine en faveur de la

107 du code civil, à raison du caractère particulier du forfait. Si en effet les caractéristiques tenant à l’événement
sont les mêmes, dans le cadre de l’application de l’article 561, le juge ne prend pas en considération « la perte
exorbitante du débiteur » mais seulement l’équilibre financier du contrat. De surcroit, il a la possibilité de résilier
le contrat, ce que l’article 107 alinéa 3 du code civil ne lui permet pas. v. sur ce point,Ali Bencheneb,Le droit
algérien des contrats, op.cit.,p.208 et s.
1167
R.David, L’imprévision dans les droits européens, Mélanges Jauffret,1974,p.211 ;Les contrats en droit
anglais,2e éd.,n°432,p.316 ;D.Tallon,La révision pour imprévision du contrat pour imprévision au regard des
enseignements récents du droit comparé. Mélanges Sayag,1997,p.403 et s.sp.406 ;D.Mazeaud,La politique
contractuelle de la Cour de cassation, Mélanges Jeztaz,2006,p.370 et s.,sp.p.395-396.
1168
Ghestin et Billiau,Le prix dans les contrats de longue durée,n°128,p.172.
1169
Ch.Jarrosson,Les clauses de renégociation, de conciliation et de médiation, in Les principales clauses des
contrats conclus entre professionnels, p.141.François Terré, Philippe Simler et Yves Lequette, Les obligations,
op.cit., ,p.491.
1170
La clause de hardshib est apparue initialement dans les contrats du commerce international, elle se rencontre
aussi aujourd’hui dans certains contrats internes, notamment les conventions collectives de travail. Autres
exemple de ces clauses de renégociation, les clauses dites de « force majeure » .Cherchant à éviter que la
survenance d’un tel événement n’aboutissent, comme le voudrait le droit commun, à la fin du contrat, elles
prévoient que des négociations doivent se nouer entre les parties afin d’adapter la convention à la survenance de
l’événement exonératoire. Ces clauses font naître à la charge des parties une double obligation : celle d’entrer en
discussion, l’obligation est de résultat ; celle de négocier de bonne foi avec la volonté d’aboutir, l’obligation est
de moyens. Dans la pratique, certains juges du fond n’hésitent pas à exercer une pression sur les parties afin
qu’elles explorent toutes les possibilités de réaménagement de leur contrat et parviennent à nouveau accord. ;
v.sur ce point, Paris, 28 sept.1976,JCP 1978.II.18810 note J.Robert.
1171
B.Oppetit,L’adaptation des contrats internationaux aux changements de circonstances :la clause de
hardship,JDI 1974.794.et s. ;v. aussi Droit et pratique du commerce international,1972,p.512 et 1976,p.7
Y.Lequette,De l’efficacité des clauses de hardiship, Mélanges C.Larroumet,2009.
235
souplesse1172 visant à reposer l’admission de la révision pour imprévision non pas sur la seule
continuité du service public, mais aussi sur le droit du contractant à un certains équilibre
financier ce qui va mettre fin à la distorsion entre la jurisprudence civile et la jurisprudence
administrative1173.

Dans ce sillage, la jurisprudence française a donné à certaines occasions des signes qui
ont été interprétés par une partie de la doctrine comme des signes avant-coureurs à une
admission de la théorie de l’imprévision. À ce propos, un auteur a précisé que l’arrêt du Canal
de Craponne avait crée un « particularisme de façade car, dans la réalité, les occasions de
rappeler l’interdiction de la révision pour imprévision ne sont pas nombreuses, tandis
qu’abondent les assouplissements ou les exceptions au principe »1174.L’infléchissement de la
rigidité du contrat et l’accueil de l’imprévision dans le contrat ont commencé par un arrêt
isolé rendu par la cour d’Appel de Paris en 1976.Elle a imposé au contractant une obligation
de renégociation du contrat1175. Deux arrêts plus ou moins récents confirment également un
tel changement : l’affaire BP contre Huard du 3 novembre 1992 et de l’affaire du 25 février
19921176 .Malgré de ce changement de la jurisprudence favorable à l’admission de
l’imprévision, un arrêt de 10 juillet 2007, rendu par la Chambre commerciale de la Cour de
cassation, a repris pratiquement la même philosophie de l’arrêt Canal de Craponne de
18761177. Cet arrêt, même s’il ne touche pas directement à la question de la révision du
contrat pour imprévision en produira certains effets. Pour une frange de la doctrine française,
cette nouvelle position constitue un pas en arrière, là ou tout le monde attend un accueil de la
théorie de l’imprévision, le juge fait encore preuve de servilité au contrat et à sa force
obligatoire1178.

Le droit français, même s’il a adopté certaines idées pouvant fonder une révision du
contrat en cas de changement des circonstances, n’a pas pour autant admis de façon expresse
de la théorie de l’imprévision dans le contrat. Cette position, qui fait de la spécificité du droit
français par rapport à plusieurs pays européen dont les législations admettent de façon

1172
Philippe Malaurie,Laurent Aynés et Philipe Stoffel-Munck,Les obligations,op.cit0.,p.374.
1173
François Terré, Philippe Simler et Yves Lequette, Les obligations, op.cit., ,p.489.
1174
Fauvarque-Cosson,B.,Le changement des circonstances, RDC janvier,2004,p.67.
1175
Paris,1re Ch.A,28 septembre 1976 ;EDF c/Shell,JCP 1978,II ,18810,note J.Robert.
1176
Il y a en effet d’autres arrêts qui consacrent une nouvelle approche du contrat, ; à titre d’exemple,
voir :Cass.Com.24 novembre 1998,JCP 1999,I ,143,n°5,note Ch.Jamin ;II 10210,note Y.Picod.
1177
La Cour de cassation a souligné que la mauvaise foi du contractant ne permettait pas aux tribunaux
d’attaquer la matière du contrat. Seuls les prérogatives contractuelles pouvaient être bloquées.RDC 2007
n°4,p.1107,note L.Aynés ;RDC 2007 n°4 ,p.1110,note D.Mazeaud ( La mauvaise foi du créancier ne permet pas
au juge de réviser le contenu obligationnel du contrat) ;F.Rome,Contrat et bonne foi :l’été sera froid (note sous
l’arrêt du 10 juillet 2007).
1178
Zarrouk, L’implicite et le contenu contractuel, Etude de droit comparé, op.cit,p.73.
236
explicite la théorie de l’imprévision, est menacée par les exigences du droit européen. A ce
propos, l’avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription souvent dit
« avant-projet Catala »,autorise « la partie qui perd son intérêt dans le contrat » à demander au
Président du tribunal de grande instance « d’ordonner une nouvelle négociation »1179.Dans le
même sens, le projet de réforme du Code civil proposé par la chancellerie en septembre
20081180 adopte une position médiane. L’article 136 dudit projet oblige les parties à
renégocier le contrat dont l’exécution est devenue très onéreuse. A défaut de cette
négociation spontanée, le même article offre au juge la possibilité de procéder lui-même à
l’adaptation du contrat. En cas d’un refus de leur part, le juge n’a qu’à mettre fin au contrat.
Un auteur en a déduit un accueil pur et simple de l’imprévision qui permet au droit français de
rejoindre le cortège des autres pays1181.

En somme, le législateur marocain à la manière de son homologue français, n’a pas


admis l’imprévision de façon expresse et n’a pas organisé non plus la révision du contrat par
le juge ce qui constitue un aspect négatif de la législation marocaine. Une telle position est
une exception par rapport aux législations des pays arabes et musulmans1182. Dans ce
contexte, deux explications peuvent être retenue pour admettre la révision pour imprévision
pour faire ressortie le code des obligations et des contrats de son état statique, à l’exception
récente modifications. D’un coté, le législateur marocain, a senti la nécessité de s’actualiser et
de s’adapter à l’évolution de la société marocaine. Certaines modifications législatives
répondent parfaitement à des exigences de la vie sociale ou économique. De l’autre, le Maroc
fait partie d’une société internationale qui tend à rapprocher autant que faire se peut ses
législations. Pour cela la disparition de la divergence entre les deux positions en matière de
droit administratif et privé ne peut être écartée qu’à travers un réaménagement de l’article 230
du D.O.C. pour assurer la consécration de la théorie de l’imprévision 1183.Dans ce sens, le

1179
Article 1135-2 du projet de reforme
1180
Consulter à cet égard les interventions publiées sur le titre « Le réforme du droit français des contrats en
droit français en droit positif »,RTD 2009,n°1,p.265 et s. Voir également :F.Terré (direction),Pour une reforme
du droit des contrats,éd.Dalloz,2009.
1181
Witz,C.,Effets, interprétation et qualification du contrat, RDC 2009,n°1,p.318,spéc.p.321.
1182
Plusieurs pays arabes ont admis de façon explicite l’imprévision en particulier ; le Code algérien consacre
expressément dans son article 107 le pouvoir du juge de réviser le contrat en cas de changement des
circonstances. Le Code civil égyptien admet la révision pour imprévision (art.147).Le droit libyen adopte aussi
la révision pour imprévision (article 147 du Code civil libyen).Voir sur ce point :Mezghani,A.,Le cadre juridique
des relations commerciales internationales de la Tunisie, éd. Imprimerie Officielle de la Tunisie ,1981,p.338 et s.
1183
Le parlement a été saisi en 1978 d’un projet de reforme de l’article 230 du D.O.C.qui ajoutait au texte actuel
les dispositions proposées inspirées du code civil égyptien qui lui-même influencé sur ce point par le droit
italien :
237
‫‪courant doctrinal marocain1184 a conçu une nouvelle proposition de cet article en s’inspirant‬‬
‫‪du coran, du rite malékiteet du rite hanafiteet du droit comparé, en vue d’instaurer une base‬‬
‫‪juridique de ladite théorie, donnant droit à la révision ou à la résiliation du contrat‬‬
‫‪déséquilibré ce qui est compatible avec le principe de la justice. Cette solution législative est‬‬
‫‪de nature à remédier les fâcheuses conséquences de la conception classique, qui s’oppose à‬‬
‫‪toute immixtion du juge dans la vie contractuelle ,sous prétexte, qu’une telle intervention dans‬‬
‫‪le contrat peut porter atteinte au principe sacro-saint selon lequel la convention fait la loi des‬‬
‫‪parties1185.En réalité le passage par le juge ou l’arbitre demeure envisageable pour remédier‬‬
‫‪l’injustice contractuelle et assurer l’équilibre contractuel. La rigueur de cette conception‬‬
‫‪volontariste de la force obligatoire a incité la doctrine contemporaine à concevoir certains‬‬
‫‪instruments raisonnables pour adapter le contrat à l’évolution des conditions économiques et‬‬
‫‪rétablir son équilibre.‬‬

‫" ٔيغ طنك اطا ؽغأد دٕاصس اؿزضُبئ‪ٛ‬خ ػبيخ نى ‪ٚ‬كى ف‪ ٙ‬انٕؿغ رٕلؼٓب ٔرغرت ػهٗ دضٔصٓب اٌ رُف‪ٛ‬ظ االنزؼاو انزؼبلض٘ ٔاٌ نى ‪ٚ‬ظجخ يـزذ‪ٛ‬ال طبع‬
‫يغْمب نهًض‪ ٍٚ‬ثذ‪ٛ‬ش ‪ٓٚ‬ضصِ ثشـبعح فبصدخ‪ ،‬جبػ نهمبػ‪ ٙ‬رجؼب نهظغٔف ٔثؼض انًٕاػَخ ث‪ ٍٛ‬يظهذخ انطغف‪ ٍٛ‬اٌ ‪ٚ‬غص االنزؼاو انًغْك انٗ انذض‬
‫انًؼمٕل‪ٚٔ ،‬مغ ثبؽال كم ارفبق ػهٗ سالف طنك"‪V. sur ce pointOmar Azziman,Le contrat,op.cit.p245 .‬‬
‫‪ -‬اٌ اؿزذبنخ يغاجؼخ انؼمض انؼيُ‪ ٙ‬ثـت انظغف انطبعب ف‪ ٙ‬انمبٌَٕ انًغغث‪ ٙ‬ال ‪ٚ‬ذٕل يطهمب صٌٔ يغاجؼخ ثؼض انؼمٕص َز‪ٛ‬جخ نزغ‪ٛ‬غ انٕػغ‬
‫االلزظبص٘‪ ،‬كًب ْٕ انشبٌ ثبنُـجخ نًغاجؼخ ؿٕيخ انكغاء كم صالس ؿُٕاد‪ ،‬أ انًطبنجخ ثبنؼ‪ٚ‬بصح ف‪ ٙ‬اجٕع انؼًبل ثـت انؼ‪ٚ‬بصح انز‪ ٙ‬رٕاكت اؿؼبع‬
‫انًٕاص انغضائ‪ٛ‬خ‪ .‬ثبنغغى يٍ انٕػغ انًبنٕف ف‪ ٙ‬ي‪ٛ‬ضاٌ انكغاء ْٕ يطبنجخ انًكغ٘ ثبنؼ‪ٚ‬بصح ف‪ٔ ٙ‬ج‪ٛ‬جخ انكغاء‪،‬ئال أٌ انًكزغ٘ ثضٔعِ ‪ًٚ‬كٍ نّ انًطبنجخ‬
‫ثزشف‪ٛ‬غ ْظِ انٕج‪ٛ‬جخ ئطا رٕافغد شغٔؽ انفظم االٔل يٍ انًغؿٕو انًإعر ف‪ )1980/10/8 ( ٙ‬انظ٘ ‪ٚ‬ؼزجغ ثًضبثخ لبٌَٕ انزشف‪ٛ‬غ يٍ يجهغ كغاء‬
‫االيبكٍ انًؼضح نهـكُٗ نفبئضح ثؼغ فئبد انًكزغ‪ ( .ٍٚ‬انجغ‪ٚ‬ضح انغؿً‪ٛ‬خ ػضص ‪ 3545 :‬ثزبع‪ٚ‬ز ‪ .)1980/10/8‬اَظغ ثذش نفبئؼح ثهؼـغ٘ دٕل ايكبَ‪ٛ‬خ‬
‫‪ 1980-3‬ص‪ٔ 94 :‬يب‪ٚ‬ه‪ٓٛ‬ب‪.‬اَظغ ثشظٕص ْظِ انُمطخ ‪،‬ػجض انمبصع‬ ‫الغاع َظغ‪ٚ‬خ انظغٔف انطبعئخ ثبنًغغة‪-‬يجهخ انًهذك انمؼبئ‪ ٙ‬انؼضص‪:‬‬
‫انؼغػبع٘‪ ،‬اؿزبط انمبٌَٕ انًضَ‪،ٙ‬يظبصع االنزؼايبد ‪َ،‬ظغ‪ٚ‬خ انؼمض‪ .‬صعاؿخ ػهٗ ػٕء انزؼض‪ٚ‬الد انجض‪ٚ‬ضح انز‪ ٙ‬ػغفٓب لبٌَٕ االنزؼايبد ٔانؼمٕص‬
‫انًغغث‪،ٙ‬انطجؼخ انضبَ‪ٛ‬خ ‪، 2005‬ص‪ٔ 36 :‬يب‪ٚ‬ه‪ٓٛ‬ب‪ -.‬اَظغ يذًض ثَٕجبد‪ ،‬أؿزبط انزؼه‪ٛ‬ى انؼبن‪َ،ٙ‬ظغ‪ٚ‬خ انظغٔف انطبعئخ ث‪ ٍٛ‬األسظ ٔانغص ف‪ٙ‬‬
‫انًغغة‪،‬انًغجغ انـبثك ص ‪.102 :‬‬
‫‪ٚ1184‬غٖ االؿزبط سبنض ػجض هللا ػ‪ٛ‬ض ثؼغٔعح ئػبصح انُظغ ف‪ ٙ‬انفظم ‪ 230‬يٍ لبٌَٕ االنزؼايبد ٔانؼمٕص ػهٗ َذٕ ‪ٚ‬إص٘ انٗ انزشف‪ٛ‬ف يٍ دضح‬
‫ٔطالثخ " انمٕح انًهؼيخ نهؼمض" ف‪ ٙ‬انذبالد انز‪ ٙ‬رطغأ ف‪ٓٛ‬ب ظغٔف نى ‪ٚ‬كٍ ثايكبٌ انًض‪ ٍٚ‬رٕلٓب ػُض ئثغاو انؼمض‪ٚٔ ،‬إص٘ ئنٗ ئعْبلّ ٔرٓض‪ٚ‬ضِ‬
‫ثشـبعح جـ‪ًٛ‬خ ن‪ٛ‬ؾ يٍ انؼضل اٌ ‪ٚ‬زذًهٓب‪ ،‬كًب ‪ٚ‬غٖ األؿزبط أٌ ‪ٚ‬كٌٕ رؼض‪ٚ‬م ْظا انُض يُطهمب يٍ يٕلف اططفبئ‪ٕٚ ٙ‬فك ث‪ ٍٛ‬يؼب‪ٛٚ‬غ َظغ‪ٚ‬خ‬
‫انؼظع» ‪ٔ « excuse‬انجٕائخ » ‪ « pandémies‬ف‪ ٙ‬انفّٓ اإلؿالي‪ ٔ ٙ‬ث‪ ٍٛ‬أدكبو َظغ‪ٚ‬خ انظغٔف انطبعئخ انز‪ ٙ‬أسظد ثٓب انزشغ‪ٚ‬ؼبد انذض‪ٚ‬ضخ‬
‫ثذ‪ٛ‬ش رظجخ ط‪ٛ‬بغخ أدكبو انفظم ثؼض انزؼض‪ٚ‬م ػهٗ انُذٕ انزبن‪:ٙ‬‬
‫انفظم ‪ " :230‬ا‪ -‬االنزؼايبد انزؼبلض‪ٚ‬خ انًُشبح ػهٗ ٔجّ طذ‪ٛ‬خ رمٕو يمبو انمبٌَٕ ثبنُـجخ ئنٗ يُشئ‪ٓٛ‬ب ٔال ‪ٚ‬جٕ ػ ئنغبؤْب ئال ثغػبًْب يؼب أٔ ف‪ٙ‬‬
‫انذبالد انًُظٕص ػه‪ٓٛ‬ب ف‪ ٙ‬انمبٌَٕ‪.‬‬
‫"ة‪ٔ -‬يغ طنك ئطا ؽغأد دٕاصس اؿزضُبئ‪ٛ‬خ نى ‪ٚ‬كٍ ثايكبٌ انًزؼبلض‪ ٍٚ‬رٕلؼٓب ػُض ئثغاو انؼمض‪ ،‬ثذ‪ٛ‬ش ‪ٚ‬ظجخ رُف‪ٛ‬ظ االنزؼاو ثـججٓب ‪ٓٚ‬ضص انًزؼبلض‪ٍٚ‬‬
‫ثشـبعح فبصدخ‪ ،‬جبػ نهًذكًخ ػُضئظ ٔثؼض انًٕاػَخ ث‪ ٍٛ‬يظهذخ انطغف‪ ٍٛ‬أٌ رغص االنزؼاو انًغْك ئنٗ انذض انًؼمٕل أٔ أٌ رمؼ‪ ٙ‬ثفـز انؼمض يبنى‬
‫‪ٚ‬ضعا ْظا انفـز ثؼغػّ رؼض‪ٚ‬ال نشغٔؽ انؼمض ‪ٚ‬زفك يغ يجضأ انؼضانخ ‪ٚٔ ،‬مغ ثبؽال كم ارفبق ػهٗ سالف طنك ( سبنض ػجض هللا رأيالد ص ‪َٔ.)72‬غٖ اٌ‬
‫ْظا االلزغاح نى ‪ٚ‬زطغق ئنٗ شغؽ انذبصس االؿزضُبئ‪ ٙ‬انؼبو ‪ْٔ ،‬ظا انذبصس انؼبو لض ‪ٚ‬كٌٕ كبعصخ اجزًبػ‪ٛ‬خ أٔ الزظبص‪ٚ‬خ رظ‪ٛ‬ت انُبؽ كبفخ ‪ ،‬فؼال‬
‫ػهٗ اٌ رشغ‪ٚ‬غ َظغ‪ٚ‬خ انظغف انطبعئخ يمظٕص ثٓب انذفبظ ػهٗ ؿ‪ٛ‬غ انًغافك انؼبيخ‪ ،‬فاطا كبٌ انذبصس سبطب ثبنًض‪ ٍٚ‬نى ‪ٚ‬كٍ ثبنٕؿغ رطج‪ٛ‬ك انُظغ‪ٚ‬خ‬
‫نزشهف انشغؽ االؿزضُبئ‪ٔ ٙ‬انؼًٕي‪ٛ‬خ‪ ،‬ف‪ ٙ‬يضم ْظا رُض انًبصح ‪ 147‬يضَ‪ ٙ‬يظغ٘ ػهٗ أَّ " اطا ؽغأد دٕاصس اؿزضُبئ‪ٛ‬خ ػبيخ نى ‪ٚ‬كٍ ف‪ ٙ‬انٕؿغ‬
‫رٕلؼٓب‪ . "...‬فبنشغؽ ثبٌ ‪ٚ‬كٌٕ انذبصس ػبيب ْٕ جْٕغ َظغ‪ٚ‬خ انظغٔف انطبعئخ‪ٔ ،‬أيب ئطاكبٌ انذبصس ششظ‪ٛ‬ب سبطب ثبنًض‪ ٍٚ‬أيكٍ رطج‪ٛ‬ك َظغ‪ٚ‬خ‬
‫انؼظع ْٔ‪ ٙ‬رإص٘ انٗ فـز انؼمض ال ئنٗ رؼض‪ٚ‬هّ صى ْ‪ ٙ‬ال رزطهت أٌ ‪ٚ‬كٌٕ انذبصس اؿزضُبئ‪ٛ‬ب ٔاليـزذ‪ٛ‬م انضفغ‪ُٚٔ .‬طجك الزغاح األؿزبط سبنض ػجض هللا يغ‬
‫‪" 230‬انؼمض شغ‪ٚ‬ؼخ انًزؼبلض‪ "ٍٚ‬ثاثطبل‬ ‫الزغاح نألؿزبط انشًه‪ٛ‬ش‪ ٙ‬عاٖ يٍ سالنّ ثٕاجت انزشف‪ٛ‬ف يٍ طالثخ انًجضأ انًُظٕص ػه‪ ّٛ‬ف‪ ٙ‬انفظم‬
‫انشغٔؽ انًجذفخ ثبدض انًزؼبلض‪ٔ ٍٚ‬انز‪ ٙ‬رزؼبعع يغ انؼضل انظ٘ أيغ ثّ اإلؿالو أ رـبػض ػهٗ أكم أيٕال انُبؽ ‪ٚ‬بنجبؽم انًًُٕع ف‪ ٙ‬كزبة هللا كًب‬
‫‪ًٚ‬كٍ كظنك ػٍ ؽغ‪ٚ‬ك االسظ ثبنجٕائخ يٍ انًظْت انًبنك‪ٔ ،ٙ‬انؼظع يٍ انًظْت انذُف‪ ٙ‬رمغ‪ٚ‬غ َظغ‪ٚ‬خ انظغٔف انطبعئخ كًب ربسض ثٓب كض‪ٛ‬غ يٍ‬
‫انمٕاَ‪ ٍٛ‬انًمبعَخ ‪" (.‬انًبصح ‪ "148‬يٍ انمبٌَٕ انًضَ‪ ٙ‬انـٕع٘‪ ،‬انًبصح ‪ 269‬ثٕنَٕ‪– ٙ‬انًبصح ‪ 1467‬ا‪ٚ‬طبن‪ٔ ٙ‬انًبصح ‪ 205‬يٍ انمبٌَٕ انًضَ‪ٙ‬‬
‫األعصَ‪ .ٙ‬اَظغ يذًض ثَٕجبد‪ ،‬أؿزبط انزؼه‪ٛ‬ى انؼبن‪َ،ٙ‬ظغ‪ٚ‬خ انظغٔف انطبعئخ ث‪ ٍٛ‬االسظ ٔانغص ف‪ ٙ‬انًغغة‪،‬انًغجغ انـبثك ص ‪ٔ 115 :‬يب‪ٚ‬ه‪ٓٛ‬ب‪.‬‬
‫‪1185‬‬
‫‪Starck,Roland et Boyer, Contrat, préc.,n°1227.Ces auteurs ajoutent cette phrase :Mais, un principe qui‬‬
‫‪conduit à de semblables résultats mérite-t-il vraiment d’être considéré comme sacro-saint ? ».‬‬
‫‪238‬‬
Conclusion du deuxième chapitre
Le contrat était examiné uniquement sur la base de la volonté des parties ; c’est la
règle pacta sunt servanda qui régnait sans partage, elle était déduite de l’article 230 du
D.O.C.et en droit comparé de l’alinéa 1er de l’article 1134 du Code civil français. Au nom de
cette règle, le contenu du contrat est immuable, il est fixé une fois pour toutes les parties
contractantes n’était envisagé pour tenir compte du changement des circonstances. Le
contrat, comme l’a démontré Thibierge, était présenté comme « un îlot sorti du flux du temps
et du changement »1186 ou encore comme un « bloc cristallisé de droits et des obligations
constitué une fois pour toutes indifférent à ses propres déséquilibres internes qu’ils soient
concomitants ou postérieurs à sa conclusion »1187.

Les inconvénients d’une analyse individualiste et purement volontariste du contrat


sont indéniables ; essentiellement celui-ci devient anachronique par rapport au milieu où il est
implanté1188.L’évolution de la vie sociale et de ses exigences ont indiqué la faillite d’un déni
absolu de changement des circonstances. L’intangibilité absolue du contrat n’est plus utile au
contrat ni aux parties. Une évolution vers sa souplesse est bien affirmée. Un passage est
alors accompli « de l’intangibilité absolue à la possible adaptation des termes des
contrats »1189.Celui-ci n’a été possible que parce que le principe de l’intangibilité du contrat a
déposé son bilan, comme le souligne un auteur1190.Cette évolution de la société moderne, qui
requiert autant de souplesse que de rigidité permet d’accueillir plus facilement l’intervention
du juge. Il est le sauveteur de la société1191.La mondialisation et le partenariat avec l’Europe
ne riment pas avec idées d’intangibilité du contrat et de rigidité. Ils riment en revanche, avec
la révision et la souplesse du contrat. L’admission de la théorie de l’imprévision par des
systèmes juridiques démontre, selon certains auteurs1192, l’inexactitude des fondements
soutenus autrefois pour son refus. «L’insécurité redoutée »1193 n’était qu’une illusion.
L’expérience en droit comparé le démontre très bien, l’admission de la révision du contrat
pour imprévision n’a pas engendré l’insécurité qui inquiète aussi bien le législateur marocain

1186
Thibierge ŔGullfucci,C.,Libres propos sur la transformation du droit des contrats,RTD
civ.1997.2.357,spéc.360.
1187
Ibideme,p.360.
1188
G.Ripert,Le régime démocratique et le droit civil moderne,Paris,LGDJ,1936,p.304.
1189
Thibierge ŔGullfucci,C.,Libres propos sur la transformation du droit des contrats,
op.cit.,n°2 ,p.357,spéc.p.366.
1190
Paisant,G.,introduction au colloque :Que reste-il du principe de l’intangibilité des contrats ?Droit et
Patrimoine n°58,mars,1998,p.42.
1191
Consulter :Ben Ammou,N.,Cours de droit commercial pour la troisième année de la maîtrise en droit,
tome2,cours polycopiés, faculté de droit et des sciences politiques de Tunis 2005-2006.
1192
Terré,F.,Simler,Ph. et Lequette,Y.,Droit civil, les obligations, éd.Dalloz,2005,n°471,p.475.
1193
Ibid,p.475
239
que français. D’un autre côté, l’instabilité qui secoue aujourd’hui le monde incite non pas à
s’enfermer dans un contrat immuable mais à choisir un moyen d’adaptation et de mutabilité
car « dans l’instabilité générale le contrat cesse d’être un îlot de stabilité »1194.

Conclusion de la première partie


La stabilité contractuelle, exige une intervention en amont par le législateur marocain
à travers un dirigisme contractuel pour assurer la moralisation et la rationalisation des
transactions contractuelles. Cela ne peut être concrétisé qu’à travers un contrôle de la relation
contractuelle, en vue d’assurer une conciliation de l’utilité sociale, la justice contractuelle et
de la stabilité contractuelle. Cette finalité relève du pouvoir judiciaire qui suppose une
instauration des moyens juridiques adéquats et flexibles pour garantir l’exécution du contrat
d’une manière équitable, et par voie de conséquence , faire adapter la portée de la force
obligatoire du contrat à la réalité contractuelle, une réalité qui trouve son fondement dans la
conception flexible reconnue et conçue par, le droit contemporain ,la jurisprudence et
soutenue par le courant doctrinal moderne .

Cette tendance moderne qui consacre la souplesse contractuelle au lieu de la


rigidité s’oppose à la rigueur de la conception classique dite volontariste qui est devenue
aujourd’hui obsolète du fait des lacunes qu’elle présente sur le plan pratique. D’autant plus
qu’elle aboutit à appuyer l’injustice contractuelle et amène le juge à cautionner cette injustice.
En réalité, il convient d’admettre comme l’a justement remarqué Tercier que « la
réglementation du contrat ne peut répondre à un fondement unique ; la vie n’est faite pas du
tout ou rien ; le contrat ne peut être laissé à la seule liberté des parties, pas plus qu’il ne doit
être unilatéralement figé. La solution est faite d’un équilibre, d’un savant dosage entre
libéralisme et interventionnisme »1195.Le recours au régime de l’équilibre contractuel, au
raisonnable et au principe de la proportionnalité, en tant qu’instruments régulateurs de la
matière du contrat constituera une réponse conçue par la nouvelle tendance du droit
contemporain des contrats pour pallier des lacunes de la conception classique du contrat.
Cette conception peut-elle ouvrir la voie à une immixtion encadrée du juge dans la vie du
contrat pour garantir une conciliation entre la sécurité contractuelle et la justice contractuelle ?
Nous avons l’opportunité de mettre au grand jour cette vision dynamique de la force
obligatoire du contrat dans la partie subséquente.
1194
Malaurie,Ph.,Aynes,L.et Stoffel-Munck,Ph.,Les obligations,éd.Défrenois,2005,p.370.
1195
P.Tercier, « Quels fondements pour le contrat au 21éme s ? »in :Le contrat dans tous ses états, Publication de
la Société Genevoise de Droit et de Législation à l’occasion du 125 e anniversaire de la Semaine Judiciaire, sous
la direction de F.Ballanger,Fr.Chaix,Ch.Chappuis,A.Heritier Lachat,Staempfli ,Edition
SA,Berne,2004/Genéve,2005,p.2009 et s,spéc.p.221.
240
DEUXIEME PARTIE

241
Partie 2: l’interventionnisme étatique et l’immixtion du juge face à la
force obligatoire du contrat
Le contrat qui est chose vivante ne peut être absolument rigide.
Vivre, c’est se transformer en restant dans une certaine direction générale1196.

La conception classique de la force obligatoire du contrat axée traditionnellement et


exclusivement sur le dogme de l’autonomie de la volonté a révélé son inadéquation aux
réalités contractuelles contemporaines. Cette conception fondée sur la liberté et l’égalité qui
n’a jamais fait l’unanimité est devenue aujourd’hui utopique et obsolète. Une partie de la
doctrine soutient que l’autonomie de la volonté est une donnée relative. En effet, le principe
de l’intangibilité du contrat a connu des atténuations au cours du XXe siècle et jusqu’à nos
jours, qui n’ont cessé de se multiplier de sorte qu’on pourrait se demander s’il reste encore
quelque chose de celui-ci1197.Révélatrice de « crise »1198, nous dit-on, en ce qu’elle transforme
la force obligatoire du contrat en un « sable mouvant »1199.Aujourd’hui encore ,en
contestation de cette vision libérale du lien obligationnel, des auteurs affirment l’existence
d’une nouvelle crise du contrat1200.

Cette évolution vers le sens de la flexibilité de la force obligatoire du contrat est


néanmoins jugée nécessaire et serait légitimée par l’idée de justice, de moralité ou de
solidarisme. Cette transformation vers une conception moderne et dynamique se trouve dictée
encore par le bon sens lié à la considération de l’opération économique poursuivie par le
contrat1201. En effet, dans certaines hypothèses le respect aveugle de la rigidité du contrat
empêche celui-ci d’atteindre efficacement le but visé. Comme disait Demogue, les buts visés
par les parties « ne peuvent pas toujours être atteints par voie rectiligne que les contractants

1196
René Demogue, Les notions fondamentales du droit privé. Essai critique pour servir d’introduction à l’étude
des obligations, Paris, Editions La mémoire du Droit,2001,note 30,n°637,p.696.
1197
V.Les contributions issues du colloque organisé le 28 novembre 1997 par la Faculté de droit et d’économie
de Chabéry, le Centre de droit de la consommation et des obligations et l’ordre des avocats prés de la cour
d’appel de Chambéry sur ce thème :Que reste-t-il de l’intangibilité du contrat ?,Dr. Et patr.1998,n°58,p.42-82 et
n°60,p.78-98 ;V.égal.D. Mazeau, « Le contrat, liberté contractuelle et sécurité juridique »,Rapport de synthèse
présenté au 34e congrès des notaires, Derénois 1998,p.1137 et s .spéc.p.1141 : « Sérieusement, au regard de
toutes les atteintes, de tous les tempéraments et de toutes les exceptions à la règle énoncée par l’article
1134,alinéa 1er ,on peut se demander si le principe de l’intangibilité des contrats ne fait pas désormais partie
d’une méthodologie contractuelle et s’il n’est pas condamné, le pauvre, à une assignation à résidence dans les
amphithéâtres de nos facultés de droits ».En citant quelques exemples d’atteintes, l’auteur conclut que « le
principe de l’intangibilité se vide ».
1198
H.Batiffol, « La crise du contrat » et sa portée, Archives de philosophie du droit, t. XIII ,1968,p.13-30.
1199
L.Josserand, « Aperçu général des tendances actuelles de la théorie des contrats »,RTD civ.1937,note
12,n°18.
1200
Christophe Jamin et Denis Mazeau (dir.),La nouvelle crise du contrat ,Paris, Dalloz,p.7 et s.
ٙ‫صعٔؽ ف‬، ‫م جًؼخ‬ٛ‫َؼًبٌ يذًض سه‬-.96 ‫ انظفذخ‬.‫ ٔيبثؼضْب‬96 ‫ص‬،‫خ’ يغجغ ؿبثك‬ٛ‫خ انًزؼبلض يٍ انشغٔؽ انزؼـف‬ٚ‫ دًب‬،َٙ‫اَظغ يذًض ثذًب‬1201
.553 ‫انظفذخ‬،1978 ‫خ‬ٛ‫ صاع انُٓؼخ انؼغث‬،‫خ‬ََٕٛ‫انًضسم نهؼهٕو انمب‬
242
avaient conçues »1202.Ainsi, le contrat ne peut Ŕil rester figé dés lors que sa fonction
économique en commande la souplesse. Il faut en effet retenir l’idée générale selon laquelle :
« chaque contrat représente une valeur économique, dont il faut à l’occasion modifier le
contenu pour assurer le maintien de ses utilités essentielles »1203.

Dans le même sens, Demogue ajoute que le contrat est respectable en fonction de la
solidarité humaine. Une convention qui ne peut plus aboutir qu’a des conséquences en
contradiction certaine avec l’intérêt général cesse qu’elle est de mériter une force obligatoire.
Sans doute, toute inharmonie entre une convention et des circonstances nouvelles ne fait pas
mériter au contrat un pareil sort. Car par cela seul que des personnes ont compté sur un
certain état de fait devant résulter d’un contrat passé, il est de l’avantage de tous que cet état
se réalise. Mais l’intérêt général à l’exécution d’un contrat peut exceptionnellement se trouver
plus faible que cet autre intérêt général qui ne veut pas qu’un contrat mal adapté aux
circonstances nouvelles s’exécute. Tout cela appel à un assouplissement aux circonstances,
mais un assouplissement relatif, car autrement on irait à la destruction de la notion même de
contrat qui implique celle de sécurité1204.Cela étant, cette flexibilité ne doit pas être source
d’instabilité, elle doit être encadrée.

Ainsi, notre analyse nous conduit à considérer, le raisonnable, le solidarisme


contractuel, la proportionnalité des obligations, la considération économique du contrat, en
tant que nouveaux instruments et facteurs de souplesse sécurisant, conçus par le droit
contemporain sous l’influence de la doctrine et de la jurisprudence qui visent à optimiser la
recherche de l’équilibre contractuel. Dans cette perspective, le socle de notre recherche de
cette seconde partie constitue un tremplin qui vise à conjurer les défaillances et combler les
lacunes de la conception classique de la force obligatoire du contrat, qui est mal adaptée aux
réalités contractuelles contemporaines qui se caractérisent par l’unilatéralisme et les pouvoirs
contractuels. Cela sera possible qu’à travers une consécration de la nouvelle tendance de ce
principe, qui constitue une réponse appropriée, justifiée par le besoin de la justice
contractuelle en conciliation avec l’impératif de la sécurité des transactions, favorisant ainsi
son passage de la rigidité à sa souplesse .Les nouveaux instruments contemporains viennent
donc consacrer la flexibilité du lien obligationnel, en optant pour une protection renouvelée de
l’équilibre contractuel. En ce sens, comment le droit contemporain réagit-il face à l’existence

1202
René Demogue, Traité des obligations en général, t,VI,1931,p.9.
1203
Ph.Rémy, « Droit des contrats, questions, positions, propositions »,in :Le droit contemporain des contrats,
sous la direction de L.Cadiet,Economica 1987,p.277,spec.n°24.
1204
René Demogue et Christophe Jamin,Des modifications aux contrats par volonté unilatérale, Dalloz,2013,p.1.
243
des relations contractuelles inégalitaires ? Comment a-t-il su concilier la justice contractuelle
et le principe de sécurité juridique ?

Pour cela, le 1er chapitre sera consacré à l’étude de la nouvelle conception du principe
de la force obligatoire du contrat, c’est -à- dire la mutation du principe de sa conception
statique à une conception dynamique, consacrée par le passage du volontarisme contractuel
rigide au volontarisme contractuel flexible, le raisonnable, est appelé à jouer la fonction de la
recherche de l’équilibre selon une conception renouvelée. Dans ce sens, notre réflexion
portera sur l’étude de l’équilibre économique en matière de droit administratif à partir de
l’exemple des marchés publics1205en se limitant aux règles régissant leurs exécutions avec des
illustrations tirées de la doctrine et de la jurisprudence en droit marocain comparé. Quant au
second chapitre, il vise à étudier les moyens d’intervention judiciaire dans le contrat à travers
la qualification et l’interprétation, justifiés par l’apparition des nouveaux principes tels que :
l’égalité, la justice contractuelle, et d’autres principes classiques qui existent dans le code
civil renouvelés sous l’influence de la doctrine et de la jurisprudence, notamment le principe
de la bonne foi et le principe d’équité, la cause, tout en analysant le rôle de l’intervention du
juge dans le contrat pour rétablir l’égalité et l’équité contractuelles et de satisfaire de la justice
contractuelle, en tenant compte du souci de la sécurité juridique dans les transactions
contractuelles (….).

1205
En France, les marchés publics sont aujourd’hui définis par le Code des marchés publics annexé au décret
n°2006-975 du 1er aout 2006 portant Code des marchés publics. Aux termes de l’article 1 er ŔI alinéa 2 du Code,
les marchés publics sont les « contrats conclus à titre onéreux entre les pouvoirs adjudicateurs définis à l’article
2 et des operateurs économiques publics ou privés, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de
fournitures ou de services ».v. dans ce sens, Nicolas Fouilleul,« le contrat administratif électronique :l’exemple
des marchés public »,op.cit.p.44 et s.
244
Chapitre 1 : Vers une nouvelle conception de la force obligatoire du contrat
« la rigueur technique est plus que jamais nécessaire, mais elle ne suffit pas sans
effort d’imagination qui seul peut ouvrir la voie de l’innovation, face aux nouveaux
défis »1206

Par la force obligatoire, le contrat conserve sa stabilité. Le maintien d’un tel principe
est donc nécessaire1207, à condition d’une modification qui peut édictée par le besoin de la
justice contractuelle. Désormais, la force obligatoire, entendue comme le respect absolu de la
volonté contractuelle sans aucune limite, n’est plus une fin en soi1208.La plupart des auteurs
acceptent une certaine souplesse, comme pour la liberté contractuelle.

Le contrat ne peut plus s’expliquer uniquement par la rencontre des volontés. Le droit
relativise d’ailleurs cette condition et la doctrine propose une autre analyse. De ce point de
vue, le contrat possède une double nature. Il se définit à la fois comme une relation entre les
parties contractantes appelée lien contractuel et comme échange de prestations réalisé entre
deux patrimoines, qui se détache du lien personnel1209.Cette analyse se rapproche de celle
défendue dans les pays anglo-saxons. « La volonté, comme telle, ne se voit reconnaître des
effets juridiques, en Angleterre, que lorsqu’elle vise à réaliser une opération qui intéresse le
commerce, un bargain »1210.Le droit anglais a traduit cette double analyse du contrat dans
son droit positif.

Devant l’immobilise apparent du quatrième titre du Code des obligations et des


contrats marocain qui reste inchangé depuis sa rédaction en 1913, des modifications
profondes sont intervenues en dehors du Code à travers la multiplication des textes à propos
des contrats spéciaux .Cette évolution vise à tenir compte des nouvelles données
économiques et sociales dans l’appréciation de l’équilibre contractuel, considéré en tant que
moyen permettant d’expliquer le contrat et de guider son évolution. Ce constat est similaire
également pour le Code civil français.

Selon la doctrine classique, la force obligatoire du contrat repose directement et


exclusivement sur la volonté du contractant. Cette prépondérance accordée à la volonté des

1206
M.Delmas-Marty,Vers un droit commun de l’humanité, Textuel,1996,p.12.
1207
L.Grynbaum, Le contrat contingent, L’adaptation du contrat par le juge sur habilitation du législateur, Th.
Paris II, 1998, n°89 à 100 :ce principe doit être maintenu en raison de la nécessité politique, sociale et
économique.
1208
C.Atias, Restaurer le droit des contrats.1998, chr.137, n°13.
1209
R.Marty,De l’absence partielle de cause de l’obligation et de son rôle dans les contrats à titre onéreux
,Th.Paris II,1995,p.5.Ph.Stoffel-Munck,L’abus dans le contrat, Essai d’une théorie,Th.Aix-Marseille
III ,1999,n°7 et 235 .
1210
R.David,Les contrats en droit anglais,1985,2éme édition,LGDJ ,n°140.
245
parties est certes l’une des expressions de l’idéal de la liberté avancée avec force par les
philosophes des lumières, mais surtout envisagée comme le meilleur moyen de réaliser des
opérations socialement utiles et justes. Ainsi, c’est parce que les hommes sont libres, libres
de contracter ou non, de déterminer le contenu et de choisir de leur contrat et de choisir leur
contractant. Donc, ils ne peuvent être qu’égaux et leur contrat ne peut être qu’équitable,
juste et équilibré1211.

Cette conception très libérale et individualiste du contrat semble exercer une


influence1212 aussi bien sur les rédacteurs du Code des obligations et des contrats marocain
de 1913 que ceux du Code civil français de 1804. Au regard du principe de la force
obligatoire tel qu’il était conçu par la doctrine classique, le contenu du contrat ne saurait être
modifié, en dépit de l’apparition de circonstances nouvelles, c’est le principe de l’intangibilité
des conventions qu’impliquent le respect de la parole donnée et la nécessaire sécuritaire des
transactions. En ce sens, le principe est que du juge ne peut pas intervenir dans le contrat. Sa
mission se borne alors à une police de la formation et de l’exécution du contrat .En partant du
postulat que les parties contractent en toute liberté et sur un pied d’égalité, donc ils sont les
meilleurs juges de leurs propres intérêts. L’équilibre contractuel fait l’objet d’une appréciation
plus procédurale que substantielle.

L’autonomie de la volonté, paradigme de l’ordre juridique classique, fait l’objet de


critiques de la part de la plupart des auteurs contemporains1213.Certains le regrettent ; d’autres
l’approuvent, mais la plupart en dénonce les excès. L’avènement et l’intensification de
relations sociales déséquilibrées où les contractants en matière de droit privé que public ne se
trouvent pas dans une situation économique équivalente- entre professionnels et
consommateurs d’une part mais aussi entre une administration publique et un entrepreneur Ŕ
ont mis les limites de cet idéal contractuel. L’article premier de la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen du 26 août 1789 précise que « les hommes naissent et demeurent libres
et égaux (…) ».Il ne s’agit pas de l’égalité matérielle ou réelle. Il s’agit simplement de
l’égalité en droits.

1211
Sereivathanak Soan,La place du juge dans l’avant Ŕprojet Catala,Mém.Univer.Lumiére Lyon II,2007-
2008,p.1.
1212
La force obligatoire du contrat consacrée par les rédacteurs du Code civil semble plutôt reposer sur un devoir
de conscience-le respect de la parole donnée-que le liberté individuelle et le pouvoir de la
volonté :F.Terré,Ph.Simler,Y.Lequette,Droit civil,Les obligations,9 e éd.,Dalloz 2005,n°232,p.37.
1213
G.Marty et P.Raynaud, Droit civil, Les obligations,2éme éd.T.I,Les sources,n°34 et s.F.Terré,Ph.Simler et
Y.Lequette,Droit civil,Les obligations,7éme éd.n°35 et s. ;J.Ghestin,Traité de droit civil,La formation du
contrat,3éme éd.,n°52 et s. ;J.Flour et J.L.Aubert, Les obligations, L’acte juridique,8 éme,n°104 et
s ;C.Larroumet,Droit civil,Les obligations, Le contrat,T.3,4éme éd.,n°117 et s.Voir égal.sur ce point,Laurence
Fin-Langer,L’équilibre contractuel, LGDJ,Paris,2002,p.83.
246
Or, dans les faits, le contrat n’est que rarement, comme l’exprimait pourtant Demogue
au début du 20éme siècle, un microsome au sein duquel il y a convergence d’intérêts faisant
naître un véritable commun contractuel. Il s’agit avant tout d’intérêts antagonistes et des
équilibres contractuels sont à prévoir, du fait que les hommes en général et les contractants en
particuliers ne sont pas toujours égaux. Avec en particulier la révolution industrielle, le
déséquilibre économique entre les parties se traduisait par une disproportion qui interdit la
négociation1214.La réalité contractuelle montre qu’il y a des contractants qui sont
économiquement plus puissants que d’autres, des contractants qui ont plus de connaissances
techniques que d’autres,…etc. Cette inégalité économique, matérielle ou de savoir technique
risque de favoriser des abus, des excès, des injustes et des déséquilibres dans le contrat. Le
contrat qui a priori ne concerne que les contractants devient alors objet d’intervention du
législateur et aussi du juge en vue de remédier à cette inégalité. Des nouveaux
fondements1215, comme l’utile et le juste, le solidarisme contractuel, la notion d’économie du
contrat et le fondement pluralise apparaissent pour compléter la conception classique du
contrat jugée utopique1216. Ces fondements permettent une nouvelle lecture des principes
subséquents, la liberté contractuelle se relativisant et la force obligatoire devenant moins
rigide. Face à cette remise en cause, des nouveaux instruments sont conçus et émergés dans
un ordre juridique renouvelé1217 pour instaurer l’équilibre contractuel dans les relations
contractuelles .Dés lors, on conçoit à quel point le droit contemporain, à cause de l’existence
potentielle de déséquilibres contractuels, a besoin des instruments efficaces de gestion du
processus contractuel pour rendre le principe la force obligatoire du contrat plus flexible,
adapté aux circonstances de l’espèce, autrement dit rendre le contrat plus vivant, voire même
plus juste (Section1). Pour démontrer l’opportunité du principe d’équilibre contractuel et sa
mise en application en droit administratif, il convient d’étudier le particularisme de la force
obligatoire du contrat à travers l’identification des critères des contrats administratifs et les
limites de la force du contrat notamment dans le cas des marchés publics (section 2).

1214
D.Ferrier,La protection du consommateur ,éd.Dalloz,1996,p.21.
1215
Laurence Fin-Langer,L’équilibre contractuel ,op.cit.p.104.
1216
La place de l’autonomie de la volonté dans la théorie générale comme fondement exclusif de la force
obligatoire apparait remise en cause par la doctrine majoritaire.
1217
Laurence Fin-Langer,L’équilibre contractuel ,op.cit.p.80.
247
Section 1 :L’émergence des nouveaux instruments d’équilibre contractuel
dynamique

Selon la théorie classique des contrats, la stabilité est assurée par l’immutabilité et la
menace de la sanction ; selon la nouvelle physionomie des échanges aujourd’hui, la stabilité
est obtenue par la flexibilité du lien contractuel, à travers la modification d’un élément
contractuel en réponse à une perturbation interne ou externe au rapport contractuel ou par
l’adaptation de la relation contractuelle, donnant au droit contractuel existant une image plus
pragmatique, « répudiant l’abstraction et l’utopie »1218.L’évolution du droit des contrats a
transformé la conception classique de la force obligatoire du contrat à une conception
moderne dite renouvelée qui a pour fonction d’assurer non seulement la meilleure exécution
du contrat en présence d’un élément venant déséquilibrer le rapport contractuel ,mais aussi
l’efficacité économique1219.De sorte, les concepts philosophiques et économiques de la
1220
théorie classique des contrats ont été bouleversés . En effet, les relations contemporaines
exigent que l’on tienne compte des particularités des partenaires1221, des attentes des parties,
du comportement des contractants1222, et de la conjoncture économique.

La conception moderne de la force obligatoire du contrat est le résultat de la


désacralisation du principe de l’autonomie de la volonté. De sorte que la théorie de la volonté
ne permet pas d’expliquer la conception renouvelée de la force obligatoire du contrat
empreinte de justice contractuelle1223. Dans des circonstances mettant en exergue un
déséquilibre entre les parties, la force obligatoire issue de l’analyse traditionnelle ne peut
s’imposer. Le respect de la parole donnée doit se concilier avec d’autres préoccupations du
droit, notamment avec des considérations de justice et d’équilibre1224. Or, la remise en cause
des instruments classiques de l’équilibre contractuel par le droit contemporain (paragraphe1)
a permis à l’émergence de nouveaux outils pour la gestion du processus contractuel,
transformant l’équilibre du contrat de sa situation statique à une situation plus dynamique

1218
D.Mazeaud,Constats sur le contrat, sa vie, son droit, les petites affiches,1998,n°54,p.8 et s.p.12,l’auteur
relève que le législateur et la jurisprudence ouvrent de concert pour substituer aux utopies d’hier un pragmatisme
de bon aloi… ».
1219
Voir à ce titre ,J.Zaksas,Les transformations du contrat et leur loi, Essai sur la vie du contrat en tant
qu’institution juridique, th.Toulouse,Sirey,1939,spéc.p.55.L’auteur remarque que « quant les conditions de la vie
sociale changent, le contrat se transforme en vue d’adapter les instruments juridiques de la fabrication, de la
circulation et de la réparation des biens aux besoins de l’économie nouvelle, aux exigences de l’idéal moral
dominant et à l’équilibre de la nouvelle structure sociale ».
1220
V.Ranouil.L’autonomie de la volonté, naissance et évolution d’un concept, préf.J.P.Levy,Puf,1980.
1221
V.Lasbordes,Les contrats déséquilibrés, PUAM,2000.
1222
B.Fages,Le comportement du contractant, PUAM,1997.
1223
Karine de la Asuncion Planes,La réfaction du contrat,LGDJ ,Paris,p.283.
1224
Ibid.
248
pour rétablir l’égalité contractuelle, dans la mesure où le contenu obligatoire du contrat ne
peut s’appliquer que pour autant que le contrat présente un certain équilibre et soit conforme
à la loi. Cette transformation est compatible avec la conception nouvelle de la force
obligatoire du contrat. Elle admet l’assouplissement et l’aménagement du contenu contractuel
pour une meilleure et équitable exécution de la convention contractuelle, et s’accommode
avec la recherche de l’équilibre contractuel (paragraphe 2).

Paragraphe 1: la remise en cause des instruments classiques de l’équilibre contractuel


statique
La vie économique a entrainé des incidences sur notre système juridique .L’équilibre
exigé dans les relations économiques implique un régime juridique des contrats qui soit lui-
même équilibré, stable et cohérent. Or, figer la force obligatoire des contrats quelles que
soient les parties en présence dans une relation contractuelle, constitue la négation de
l’évolution des relations entre les contractants. Le développement d’un système juridique doit
suivre les évolutions économiques. Comme le souligne Monsieur Chaineau, « le Droit n’est ni
au-dessus, ni en dessous de l’Economie. Le Droit est dans l’Economie comme l’Economie est
dans le Droit »1225.Il convient de parler de « conception nouvelle de la force obligatoire du
contrat », conception nouvelle qui a pour objectif de préserver l’équilibre dans un monde
économique et contractuel nouveau. Cette nouvelle conception vise à donner au contrat une
force obligatoire juste et atténuer la rigidité de la loi contractuelle parfois injuste1226.

Dans ce sillage, la recherche de l’équilibre contractuel qui préoccupe les esprits en


droit marocain comme en droit comparé est commandée par la justice contractuelle ou par la
considération économique de l’opération contractuelle en tant qu’objectif de la nouvelle
conception de la force obligatoire du contrat. En droit privé du contrat, l’expression
d’équilibre contractuel semble récente puisqu’elle date surtout du XXème siècle et tend à
substituer à une autre expression ancienne : l’équivalence des prestations ou encore la
théorie du juste prix. De même, en droit des contrats administratif, la jurisprudence utilise
l’expression d’équilibre financier et exige son maintien pendant l’exécution du contrat1227.
L’origine de ces idées doit être recherchée dans la doctrine canonique du moyen-âge1228. En
sciences physiques, la notion d’équilibre désigne l’état d’un corps au repos, sollicité par des

1225
A.Chaineau, Crise économique, crise juridique, crise de société :1975-1995,dans Droit de la crise :crise de
droit, Les incidences de la crise économique sur l’évolution du système juridique, Cinquièmes journées René
Savatier,Poitiers,5 et 6 octobre 1995,p.3 et s,spec.p.14.
1226
Karine de la Asuncion Planes,La réfaction du contrat, op.cit.p293
1227
Laurence Fin-Langer,L’équilibre contractuel, op.cit.,p.5.
1228
Ibid,,p.8.
249
forces qui se contrebalancent, elle signifie aussi l’état d’une chose ou d’une personne qui se
maintient sans tomber. Il s’agit donc d’une disposition, ou d’une situation stable résultant de
compensation entre divers éléments. Le déséquilibre implique l’absence de toute stabilité.
C’est la situation caractérisée par l’inégalité des rapports des forces1229.

Son introduction dans le domaine des contrats est significative, car la divergence des
intérêts des contractants est souvent source de lutte. Ainsi l’équilibre contractuel pourrait être
défini d’une manière assez vague comme représentant « l’idée selon laquelle le contenu
juridique et économique du contrat se trouve dans un état de repos et/ ou d’harmonie et le
reste malgré l’influence de forces extérieurs sur ce contenu »1230. « Le déséquilibre
contractuel s’exprime sous deux formes principales. Il est potentiel s’il est le produit d’une
stipulation contractuelle. (…).A l’inverse, il peut affecter la relation dans son ensemble s’il
porte sur l’objet principal du contrat. Il concerne alors le rapport des prestations »1231 .Or,
pour trouver l’équilibre contractuel ou le maintenir, l’ordre juridique classique dominé par
l’idée d’autonomie de la volonté, telle qu’elle a été présenté au XIX siècle, a conçu certains
instruments que l’on qualifie volontiers d’instruments usuels en ce que leur utilisation
devienne de plus en plus fréquents et ancrée en droit positif. Ces instruments prévus par le
législateur que découverts par le juge ou par la doctrine, ne permettent pas de satisfaire
amplement cette quête d’équilibre ce qu’il convient de les remettre en cause. La critique de
ces moyens statiques que sont la lésion, la morale et l’abus de droit sur lesquels le paradigme
de l’autonomie de la volonté s’est appuyé ne vise pas leur rejet (A). L’utilité de ce nouveau
concept se trouve renforcée dans la mesure où l’immobilisme du contrat, est également remis
en cause (B). Notre démarche cherche plutôt à démontrer l’impossibilité de ces mécanismes
traditionnels à satisfaire, en l’état le besoin d’équilibre contemporain. La finalité consiste à
mieux expliquer l’émergence d’instruments nouveaux pour assurer cette fonction d’un point
de vue statique et dynamique. C’est ce que nous proposons dans le second paragraphe de cette
première section.

A- La remise en cause des instruments usuels de l’équilibre contractuel

Il existe en droit marocain des mécanismes d’origines textuelle et jurisprudentielle


utilisés par les juges afin de maintenir et de rétablir l’équilibre contractuel : la lésion (1), la

1229
Jamel Abdelkader Guesmi,Le contrôle des clauses abusives dans la relations contractuelle,
thèse,1997,Faculté de Toulon,p.159.
1230
Laurence Fin-Langer,L’équilibre contractuel, op.cit.,p.30.
1231
S.Le Gac-Pech, La proportionnalité en droit privé des contrats ,préf.H.Muir-Watt,BDP,tome 335,LGDJ,p.9
250
cause (2) la morale (3), et l’abus de droit (4). Ces instruments statiques sont devenus
inefficaces dans la pratique pour satisfaire le souci d’équilibre contractuel. Il s’agit de
démonter la valeur juridique de ces moyens au regard de la conception moderne de la force
obligatoire du contrat et les lacunes qui en présentent pour la lutte contre le déséquilibre
contractuel.

1-La remise en cause du recours au mécanisme de la lésion

Plusieurs définitions semblent se dégager de la jurisprudence .La lésion peut se définir


comme étant une disproportion de valeur1232 ou un défaut effectif d’équivalence entre les
prestations réciproques des parties1233. La lésion est une manifestation d’un déséquilibre au
sein du contrat. Il vise un défaut d’équivalence quantitative entre les prestations des parties.
Dans sa thèse, monsieur Chantepie affirme que « sur le strict plan d’une définition, la
qualification des contrats lésionnaires ne nécessite pas la démonstration d’un déséquilibre
particulièrement choquant ou manifeste. Tout déséquilibre, toute atteinte à l’intégrité des
patrimoines est constitutive d’une lésion »1234. L’auteur ajoute néanmoins plus loin, en
réitérèrent l’idée largement admise issue de l’interprétation de l’article 1118 du Code civil
français et de l’article 56 du D.O.C marocain que « rattacher la lésion à la catégorie globale de
déséquilibre contractuel ne permet pourtant pas de mettre en lumière toute son originalité.
(…) La lésion est un déséquilibre contractuel spécifique. Elle ne se révèle que dans
l’inadéquation du prix à la prestation principale »1235. Le même auteur souligne qu’ « elle
résulte de l’inadéquation du prix stipulé à la valeur objective des prestations fournies » et
« s’identifie ainsi un déséquilibre en valeur »1236 .Partant, « en tant que déséquilibre en
valeur, la lésion rompt l’état de justice crée par le contrat1237.

Le mécanisme de la lésion a révélé son insuffisance pour appréhender toutes les


formes de déséquilibre dans toutes les phases du processus contractuel. C’est là que réside
l’une de ses principales faiblesses. Il ne permet que de sanctionner le déséquilibre principal,
c’est-à-dire celui lié au prix, à la prestation principale. Dés lors, elle n’autorise pas la sanction
du déséquilibre résultant des clauses accessoires au contrat qui, pourtant, peut s’avérer très
1232
Serge Guinchard et Thierry Debard,Lexique des termes juridiques,21 e édition 2014,Dalloz, V. lésion
.p.557 ;V. également G.Cornu,Vocabulaire juridique,V.lésion.
1233
A.Benabent, Droit civil, Les prestations,10e éd.Montchrestien 2005,p.120.
1234
Chantepie G.,La lésion préf.G.Viney,BDP,tome 467,LGDJ ,thése,Paris,2006,p.64.
1235
G.Chantepie,La lésion, thèse preci.p.65 ;V.dans ce sens,J.Guestin,Traité de droit civil,la formation du
contrat, op.cit.,n°760 ;B.Starck,H.Roland,L.Boyer,Droit civil,Les obligations.2 Contrats,6e éd.1998.n°904 : « la
lésion résulte d’un prix insuffisant d’un prix excessif. Si le déséquilibre provient d’une insuffisance portant sur
une prestation aure que le prix, on se trouve en présence d’une absence partielle de cause, non de lésion ».
1236
G.Chantepie,La lésion, thèse preci.p.133.
1237
Ibid.p.236.
251
important1238. On explique alors qu’en tant que « disproportion de valeur, la lésion ne
correspond pas parfaitement au déséquilibre crée par ces clauses, disproportion de
1239
pouvoir » .

La restriction du domaine d’application de la lésion à certains contrats et à l’égard de


certaines personnes, constitue également une forme d’insuffisance. Telle est, en effet, la
disposition de principe de l’article 56 du D.O.C1240 et en droit comparé l’article 1118 du Code
civil français.

A la différence du droit allemand qui admet de manière très générale la lésion, le droit
marocain comme le droit français restreint le domaine de la lésion, ce qui rend ce mécanisme
insatisfaisant au niveau de la pratique. Pour palier à cette restriction du D.O.C marocain ou du
Code civil français, la jurisprudence à fait recours à d’autres modalités pour la contourner en
vue de rétablir des déséquilibrés très manifestes. L’exemple de l’admission de la révision des
honoraires au profit de certains professionnels, constitue une illustration jurisprudentielle en
ce sens. La réalité démontre alors qu’a cause de la rigidité du cadre légal du mécanisme de la
lésion instauré par le D.O.C et en droit comparé le Code civil français, les juges sont amenés
à concevoir un « nouveau cas de lésion »1241 ou d’une manière plus claire, en tenant compte
de l’analyse de la jurisprudence contemporaine, des nouveaux cas de lésion, et ce pour
remédier les lacunes de cette rigidité en matière d’équilibre contractuel.

Les exceptions multipliées à la règle tant par la jurisprudence que par la loi elle-même
confirme indéniablement l’insuffisance du recours à la lésion, telle qu’elle est conçue
actuellement par le D.O.C, pour sanctionner efficacement les déséquilibres contractuels qui
touchent pourtant la prestation principale. La lésion en tant que moyen de gestion d’équilibre
contractuel statique ne permet pas de rétablir l’équilibre survenu en cours d’exécution du
contrat. Cette limite temporelle fixe son efficacité de son domaine et l’entrave de gérer le
déséquilibre tout au long du processus contractuel. L’analyse de ce marqueur traditionnel
d’équilibre contractuel montre son impossibilité à satisfaire d’une manière dynamique le
besoin d’équilibre contractuel contemporain.

1238
Hobinavalona Ramparany -Ravololomiarana, Le raisonnable en droit des contrats, op.cit.p.201.
1239
G.Chantepie,La lésion, thèse preci.p.124..
1240
L’article 56 du D.O.C qui dispose que « la lésion donne ouverture à la rescision, lorsque la partie lésée est un
mineur ou un incapable, alors même qu’il aurait contacté avec l’assistance de son tuteur ou conseil judiciaire
dans les formes déterminées par la loi, et bien qu’il n’y ait pas dol de l’autre partie. Est réputée lésion toute
différence au- delà du tiers entre le prix porté au contrat et la valeur effective de la chose ».
1241
B.Starck,H.Roland,L.Boyer,Les obligations, Contrat,Litec,4 e éd,n°985.
252
2-La remise en cause du recours au mécanisme de la cause

Le recours à la cause en tant mécanisme d’équilibre contractuel n’est guère nouveau.


Classiquement, la cause dite objective est considérée comme essentiellement économique.
Selon Goudemet,la cause est « la valeur économique, créance ou prestation, qui accroit l’actif
du débiteur, en compensant l’accroissement du passif produit par la naissance de
l’obligation »1242.Il se déduit, de cette définition doctrinale que l’exigence d’une cause
objective est tributaire à l’exigence d’un certain équilibre du contrat moyennant la
vérification de l’existence d’une contrepartie aux prestations réciproques fournies par les
deux parties contractuelles. Or, le contrôle de l’équivalence, par le biais de l’utilisation
classique de cause objective, se trouve limiter au domaine de la constatation de l’existence
d’une contrepartie. L’équilibre se conçoit alors d’une manière abstraite ; l’existence de la
cause suffit à la garantir et il ne devait en aucun cas être question d’un contrôle d’ordre
quantitatif. D’où, l’existence de la cause objective est donc considérée en tant que condition
de validité du contrat dont la sanction est logiquement l’annulation du contrat1243.

La conception classique de la fonction de la cause dans le domaine de rétablissement


de l’équilibre contractuel n’est pas restée figée. La jurisprudence contemporaine en la matière
confirme que cette conception influencée par une partie de la doctrine, ne se contente plus
« de confier à la cause son rôle traditionnel de garantie abstraite et désincarnée contre les
engagements dénuées de toute contrepartie »1244, mais au contraire, l’érige en un véritable
d’équilibre destiné à garantir la justice contractuelle. Il se transforme alors en un
« remarquable instrument de moralisation »1245, et à travers l’adoption d’une nouvelle
conception subjective de la cause, et le rattachement de nouvelles sanctions à cette dernière
autres que la sanction traditionnelle : la nullité du contrat.

La jurisprudence contemporaine donne une illustration claire de l’évolution de la


conception de la cause. Ainsi des arrêts incontournables émanant de la Cour de cassation
française présentent deux illustrations en ce sens : sont l’arrêt de la première chambre civile
en date du 3 juillet 19961246 et l’arrêt de la chambre commerciale en date du 22 octobre

1242
E.Gaudemet, Théorie générale des obligations, réimp. de l’éd.de 1937 par H.Desbois et
J.Gaudemet,Sirey,1965,p.117.
1243
Article 62 du D.O.C : « L’obligation sans cause ou fondée sur cause illicite est non avenue. ».En droit
comparé, l’article 1131 du Code civil français : « l’obligation sans cause ou sur une fausse cause, ou sur une
cause illicite, ne peut voir aucun effet ».
1244
D.Mazeaud,note sous Cass.civ.1er ,10 février 1998,D.1998,Juripr.,p.539,spé.p.541.
1245
G.Wicker, « Force obligatoire et contenu du contrat »,in :Les concepts contractuels à l’heures des Principes
du doit européen des contrats, sous la direction de P.Rémy-Corlay et D.Fenouillet,Dalloz,2004,p.156.
1246
Arrêt point vidéoclub.
253
19961247.Le premier épouse une conception renouvelée de la cause en intégrant le mobile
déterminant dans le contrôle de son existence, le deuxième portant sur une forme
d’innovation par la sanction. En effet, au nom de la cause, elle répute non écrite une clause
dans le but de rétablir l’équilibre des prestations des parties. Dans ce sillage, une partie de la
doctrine a déduit de cette évolution importante que « la cause est appelée à la rescousse pour
protéger le créancier contre un engagement du débiteur qui n’est pas qu’une illusion, parce
que disproportionné à celui qu’il avait souscrit en contrepartie ; dans d’autres hypothèses, la
cause est exploitée pour protéger le débiteur contre le créancier afin de le libérer d’un
changement disproportionné au regard de l’intérêt légitime de ce dernier, incarné par la clause
litigieuse. La cause permet donc de sanctionner la disproportion, non seulement entre les
engagements respectifs des contractants, mais encore entre l’obligation souscrite par le
débiteur et la protection des intérêts légitimes du créancier »1248.

La jurisprudence française a fournît une autre illustration sur l’exigence de


proportionnalité sur la cause. Ainsi, dans une décision de la chambre civile en date du 11 mai
19991249, la Cour fonde le contrôle de la proportionnalité sur la cause. En l’espèce, un contrat
d’association provisoire a été conclu entre des médecins permettant à l’un d’entres eux de
devenir à terme un associé. Le contrat d’association prévoyait une obligation de non
concurrence qui limitait la possibilité de réinstallation pour le médecin pendant une durée de
deux ans et dans la limite de 100 km du cabinet faisant l’objet du contrat d’association
provisoire. Au bout de six mois d’association, le médecin se réinstalla à proximité du cabinet.
La cour d’appel a exigé la fermeture du nouveau cabinet pour violation de la clause de non -
concurrence jugée par cette dernière comme applicable. Mais selon la Cour de cassation, la
cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard de l’article 1131 du Code
civil dés lors qu’elle n’a pas recherché « si cette clause était proportionnée aux intérêts
légitimes à protéger compte tenu de la durée du contrat et du lieu d’exercice de la
profession ».L’arrêt marque « une étape importante (….) dans la rénovation de la cause que
la jurisprudence et la doctrine ont entrepris de concert ».

La consécration de la cause comme instrument d’équilibre contractuel s’est encore


cristallisée quelques années plus tard lorsque dans un attendu de principe, la première
chambre civile de la Cour de cassation française énonce que la fausseté partielle de la cause

1247
Arrêt chronopost.
1248
D.Mazeaud,note sous Cass.civ.1re,11 mai 1999,Defrénois 1999,art.37041,p.992 et s.
1249
Cass.civ.1remai. 1999,Defrénois 1999,art.37041,n°71,note
D.Mazeau ;Contrats,conc.consom.1999,comm.n°13,note L.Leveneur.
254
n’entraîne pas l’annulation de la convention, mais sa réduction à la mesure de la fraction
subsistante »1250.Seule la référence à la cause est, en effet, novatrice puisque la sanction qui
consiste à réduire les honoraires de certains membres des professions libérales était déjà de
droit positif dés la fin du XIXe siècle .L’arrêt suit donc l’évolution de la jurisprudence en
désignant d’une manière plus explicite la cause en tant qu’un instrument d’équilibre
contractuel. Dans ce sens, un auteur déduit que, «avec cet arrêt ,la Cour de cassation érige la
cause en instrument de contrôle de la proportionnalité des prestations contractuelles et confie
au juge la mise en œuvre de ce contrôle lui donnant le pouvoir de réviser le contrat
économiquement déséquilibré, en cas de fausseté partielle de cause »1251.

Cette redécouverte de la cause en tant qu’instrument d’équilibre contractuel est


soutenue par une partie de la doctrine. En ce sens, un auteur souligne que cette évolution met
« à la disposition des tribunaux, non plus seulement des contingents et ponctuels, mais de
réels instruments de droit commun, à même de faciliter le respect de l’idée de justice
contractuelle »1252 .Ces affirmations qui demeurent justes, coïncident avec l’objectif d’avoir
une vision unitaire pour le traitement des déséquilibres contractuels. Cependant, l’utilisation
de l’instrument renouvelé de la cause pour assurer la gestion du processus contractuel a fait
l’objet de certaines critiques qui concerne, comme celle déjà évoquée à l’endroit de la lésion,
son domaine temporel.

La première critique de la cause en tant que moyen d’équilibre contractuel, concerne


son insuffisance de rétablir l’équilibre économique au cours de l’exécution du contrat 1253. La
cause est un élément de rééquilibrage du contrat, mais elle n’intervient qu’au seul stade de la
formation du contrat1254. Cette affirmation est réfutée par certains auteurs qui soutiennent la
permanence de la cause. Ils considèrent la cause comme une condition de validité du contrat,

1250
Cass.civ.1re ,11 mars 2003,Bull.civ.2003,I,n°67 ,p.51 ;JCP 2003,I,n°67,p.51 ;JCP 2003,I.142
obs.J.Rochfeld ;JCP E.10 juillet 2003,Jurisp.1075,p.1200 et s.,note,J.Rochfeld ;RTD civ.2003,p.287 et
s.,obs.J.Mestre et B.Fages ;RDC 2003,p.39,obs.D.Mazeaud.
1251
D.Mazeaud,obs.préc.p.41 et 42.
1252
J.-M.Gueguen,« Le renouveau de la cause en tant, qu’instrument de justice
contractuelle »,D.1999,chr.,p.352 ;dans le même sens, J.Mestre, « L’article 1131 du Code civil au service de la
lutte contre les clauses abusives dans les relations entre professionnels »,RTD civ.1997,p.418.
1253
J.-L.Aubert,Le contrat,Dalloz,Coll. Connaissance du droit,1996,p.75.
1254
A rapprocher de M.Billou,note sous Cass.civ.1re ,13 décembre 1994,JCP 1995.I.3843 : « Certes il est
indéniable que, dans les contrats synallagmatiques, l’interdépendance entre les obligations réciproques doit être
vérifiée tant lors de la formation que lors de l’exécution. Mais si la notion de cause s’explique par cette
nécessaire interdépendance, pourquoi en déduire pour autant que toute interdépendance, par exemple pendant
l’exécution, est une application de la notion de la cause ? Il paraît préférable de réserver au concept de cause son
sens technique de condition de formation des contrats, la liaison entre les obligations d’un contrat pouvant
s’exprimer par plusieurs autres termes équivalents tels que l’interdépendance, ou encore la corrélation des
obligations réciproques ».
255
mais son rôle ne serait en être réduit1255. Dans ce sens, et pour démontrer la pertinence du
recours à la notion de cause pendant l’exécution du contrat, monsieur Piette affirme par
exemple l’opportunité du recours à la cause pour admettre la révision du déséquilibre
contractuel à la suite d’une imprévision1256.

Or, si la cause est jugée inféconde dans son rôle initial et si sa fonction originelle ne
permet pas de gérer efficacement le déséquilibre contractuel dans tous ses états, la question
qu’elle convient de poser concerne plutôt son utilité et non sa mutation forcée 1257. Ainsi, la
conception de la cause telle qu’elle a été conçue par le D.O.C qui est similaire à celle prévue
par le Code civil français ne permet pas cette mutation. A ce propos, l’avant projet de
réforme du droit des obligations et de la prescription destinée à reformer le Code civil
français, retient l’idée du cantonnement de la cause au stade de formation du contrat. La
cause1258 constitue l’une des conditions pour la validité des obligations. A ce point, l’énoncé
de l’article 1125 alinéa 1er du projet de reforme du Code civil français est très clair, en
disposant que : « l’engagement est sans justification réelle, lorsque, dés l’origine, la
contrepartie convenue est illusoire ou dérisoire ».Monsieur Ghestin affirme cette idée en
soutenant que l’article « précise (…) que l’appréciation de la réalité de la cause doit se faire
au moment de la formation du contrat. La cause condition de validité, est expressément
cantonnée à celle-ci, à l’exclusion de l’exécution du contrat, dont l’équilibre est préservé par
d’autres voies »1259. D’où, il convient d’admettre l’inefficacité du recours à la cause comme
mécanisme de gestion du processus d’équilibre contractuel. Son efficacité se trouve incarner
au point de la formation du contrat mais sans aucune opportunité pour remédier les autres
formes de déséquilibres survenues postérieurement au stade initial1260.

1255
V. entre autres, Capitant, De la cause des obligations,6e éd. Dalloz, Paris,1927,p.259 et s. ;A.Cermolacce,
Cause et exécution du contrat, thèse ,PUAM,2001,n°102 et s :selon l’auteur, la cause serait à la fois un « élément
constitutif du contrat » et « un élément permanent » du contrat. ;V. également, J.Rochfeld, Cause et type de
contrat, thèse, LGDJ,1999,n°312,p.277 .
1256
G.Piette, La correction du contrat ,thèse,préf.M.Menjucq,Puam,200, n°705,p.370-371.
1257
Hobinavalona Ramparany -Ravololomiarana, Le raisonnable en droit des contrats, op.cit.p.207.
1258
Voir l’article 2 du D.O.C qui dispose que : « Les éléments nécessaires pour la validité des obligations qui
dérivent d’une déclaration de volonté sont : 1-la capacité de s’obliger ;2-une déclaration valable de volonté
portant sur les éléments essentiels de l’obligation ;3-un objet certain pouvant former objet d’obligation ;4-une
cause licite de s’obliger ».
1259
Avant - projet de réforme du droit des obligations et de la prescription, Pierre Cattala,La documentation
française,2006,p.38.
1260
Le recours à la cause comme instrument permettant de corriger le déséquilibre contractuel, même initial,
peut également être critiqué en raison de la contradiction et le désordre qu’il occasionne. L’utilisation de la cause
pour remplir cette fonction perturbe la théorie de la lésion et la rend inutile. Deux raisons peuvent être
avancées :la première se rapporte au point que les deux notions se trouvent dévolues de la même fonction et le
second motif concerne le domaine d’action de la cause qui est général, et rend de telles restrictions textuelles ,
256
De même, l’utilisation de la cause en tant que moyen d’équilibre est critiquable, dans
la mesure où elle ne permet ni au rétablissement d’un déséquilibre affectant la poursuite du
résultat escompté du contrat, ni de sanctionner purement d’un comportement qualifié déloyal
ou de protéger une partie considérée comme profane. Généralement, la cause objective a pour
fonction de contrôler l’existence de contrepartie aux prestations fournies par les deux parties
du contrat, sans tenir compte du comportement ou de la qualité des contractants. C’est-à-dire
que le regard doit automatiquement orienté vers l’opération et non vers les contractants.
Cependant, la conception subjective de la cause intègre certains motifs pour englober la
dimension humaine qui vise la protection de la partie faible du contrat, à condition que les
motifs retenus doivent faire partie de l’économie du contrat. Force est de constater que la
jurisprudence actuelle, « utilise la cause comme instrument de protection d’un contractant
contre la déloyauté de l’autre ou la position de force de celui-ci »1261.Or, il se révèle que « de
telles applications sont contestables dans la mesure où elles entraînent la dénaturation de la
cause, alors que d’autres moyens peuvent être utilisés pour sanctionner la déloyauté d’un
contractant »1262.

3-La remise en cause du recours au mécanisme de la morale

La bonne foi ou l’équité, se sont les deux manifestations représentatives de la morale


dans la sphère contractuelle, constituant, selon certains auteurs, les instruments les plus
efficaces pour rétablir ou maintenir l’équilibre contractuel. Selon Ghestin, « sans être une clé
universelle, la bonne foi reste un instrument utile et souple de contrôle des
comportements »1263. La bonne foi est considérée sur le plan éthique comme étant
représentative des règles de conduite qui s’imposent de manière impérative à toute personne
raisonnable, c’est-à-dire dotée naturellement de raison.1264

Selon un auteur, La bonne foi est « synonyme de sincérité, de franchise et plus


largement de loyauté. Elle s’oppose à la mauvaise foi, le dol, la tromperie ou la
fraude »1265.Pour Fabre-Magnan, « la bonne foi est une forme d’honnêteté, de loyauté dans

prévues par le D.O.C, inutiles. A ce point,v.G.Chantepie,La lésion, pref.G.Viney, thèse ,LGDJ,BDP,tome


467,n°76,p-54 et 55.
1261
Ch.Larroumet,Droit civil,Tome III,Les obligations,Le contrat,1 re partie, Conditions de
formation,Economica,2007,n°139 bis,p.120.
1262
Ibid,n°139 bis,p.120.
1263
Jacques Ghestin, « Avant-propos »,dans Ch.Jamin et D.Mazeaud (dir.), La nouvelle crise du contrat
Dalloz,2003,.p.3.
1264
Philippe Fontaine, « Moralisme »,dans J.-P.Zarader,p.384 ;sur ce point v.Ghislain Tabi Tabi, Les nouveaux
instruments de gestion du processus contractuel, thèse, op.cit .
1265
Jacques Ghestin, op.cit.p.200.
257
un état d’esprit ou dans un comportement. Elle permet au juge de sanctionner certains actes
des contractants. Il s’agit d’un moyen de contrôle très général »1266.Elle est considérée selon
un autre auteur comme l’un des moyens utilisés par le législateur et les tribunaux pour faire
pénétrer la règle morale dans le droit positif1267.La bonne foi est exprimée encore par Ghestin
comme « la consécration générale d’une exigence de loyauté dont le degré, mais non le
principe, peut être défini par le législateur ou, à défaut, déterminé par la jurisprudence à partir
des usagers et, plus généralement, des bonnes pratiques contractuelles ».

A ce propos, la professeure Brigitte Lefebvre, parlant de la réforme du Code civil du


Québec de 1994, souligne que : « L’équité contractuelle prend donc une place très importante
dans la réforme du Code civil. À cet effet, la bonne foi est introduite comme principe général
qui doit sous-tendre l’exercice de tous les droits civils, particulièrement dans le domaine
contractuel »1268.Cette réflexion de la professeure Lefevre se retrouve aussi en substance chez
d’autres auteurs québécois1269. Dans son étude comparative des droits français, allemand et
japonais, Béatrice Jaluzot écrit : Ainsi, la définition japonaise la plus répandue est la
suivante : « le principe de bonne foi est un principe selon lequel, dans une relation juridique
concrète, on doit agir sincèrement afin de ne pas trahir la confiance qu’attend justement
l’autre » (…) Cette définition est proche de certains auteurs allemands selon lesquels « ce
principe n’interdit pas seulement que la prestation soit effectuée de manière qui n’est pas
souhaitable, (…) mais il protège aussi la confiance de l’autre partie en une relation juridique
loyale, en interdisant tout exercice abusif de droit ».Les auteurs français évoquent « une
conduite loyale et honnête » (…)1270.

Dans ce sillage, un auteur a entrepris à une synthèse des définitions conçues par la
doctrine et la jurisprudence pour donner une définition à la morale. Ainsi, il écrit, « c’est
donc en renvoyant à la morale par le biais de certains termes non juridiques - « fidélité »,
« sincérité », « franchise », « honnêteté » et surtout « loyauté » - que la doctrine a tenté
d’approcher plus concrètement ce que la bonne foi représente. Quant à la jurisprudence, elle

1266
Muriel Fabre-Magnan, « L’obligation en droit des contrats »,dans G.Goubeaux etJ.Ghestin
(dir.).Paris.P.U.F.2008 ,p.320.
1267
G.Ripert et J.Boulanger,Traité de droit civil,tome II ,1957, p.298.
1268
Brigitte.Lefebvre ,La bonne foi dans la formation du contrat, Cowansville,Yvon Blais,1998, p.34 ;Ghislain
Tabi Tabi, Les nouveaux instruments de gestion du processus contractuel, thèse, op.cit ,p.1 et s.
1269
Ghislain Tabi Tabi, Les nouveaux instruments de gestion du processus contractuel, thèse, faculté de droit,
université Laval Québec,2011,p.149.
1270
B.Jaluzot, La bonne foi dans les contrats. Etude comparative de droit français, allemand et japonais, Paris,
Dalloz,2001.p.59-60 .
258
s’est servie de cette conception pour sanctionner les comportements contraires à la bonne
foi »1271.

L’étude critique de l’efficacité concrète de la bonne foi, au titre de principe directeur


des relations contractuelles ou encore d’instrument de protection de l’équilibre obligationnel,
vise à procéder au renforcement de sa légitimité pratique, par le biais de l’émergence de
nouveaux mécanismes pour une bonne gouvernance de l’équilibre contractuel.

La bonne foi en tant que notion est entrée dans l’ère des codifications et est devenue
une norme juridique1272, une règle de droit à laquelle le droit n’arrive pas à trouver une
définition juridique. Le droit écrit, tout comme la doctrine, cantonne ce mécanisme
d’équilibre à un rôle moralisateur des comportements contractuels. L’introduction de la
morale dans le domaine contractuel vise alors à rendre les deux parties du contrat
responsables par eux-mêmes, en interpellant chacun des contractants à une relation
obligationnel de respecter, d’être digne ou encore de mériter la confiance que son contractant
place en elle1273. Dans une thèse récente consacrée à « la réfaction du contrat », l’auteur des
travaux affirme qu’il existe nécessairement un rapport entre les considérations morales et la
recherche d’équilibre. Selon l’auteur, « la formation du contrat fait naître entre les parties une
obligation de bonne foi. Par conséquent, chaque partie a pour obligation d’adopter un
comportement de nature à ce que le contrat s’exécute de manière licite et équilibrée »1274.

Dans le même contexte, monsieur Mazeaud écrit que « cette exigence d’équilibre
contractuel, fruit d’une nouvelle culture contractuelle et formant d’un nouvel ordre
contractuel, se traduit en général par des devoirs de modération et de coopération qui
s’imposent au contractant, bénéficiant de sa position dominante, lui permettant d’exercer un
pouvoir unilatéral sur le sort du contrat (son élaboration, sa détermination, ses sanctions, sa
prolongation, son expiration), et conduit, par ailleurs, à un contrôle concret, continu et
décloisonné de l’économie de la convention »1275 .De même, un auteur a précisé que le juge
pourrait fonder, selon une démarche de rééquilibrage d’obligations, un pouvoir de révision
dans l’hypothèse de rupture de l’équilibre contractuel à la suite d’un événement imprévu, en

1271
A.S.Courdier-Cuisinier,Le solidarisme contractuel, préf.E.Loquin,Centre de recherche sur le droit des
marchés et des investissement internationaux, Litec,2006, p.300.
1272
L’article 231 du D.OC ,dispose que « Tout engagement doit être exécuté de bonne foi ( ….) ».
1273
Ghislain Tabi Tabi, Les nouveaux instruments de gestion du processus contractuel,op.cit,p.150.
1274
Karine de la Asuncion Planes,pref.Yves Picod, La réfaction du contrat ,thèse, LGDJ ,2006.p.263.
1275
D.Mazeaud, « Les nouveaux instruments de l’équilibre contractuel. Ne risque-t-on pas d’aller trop
loin ? »,in :La nouvelle crise du contrat, sous la direction de Ch.Jamin et D.Mazeaud,Actes du colloque organisé
le 14 mai 2001 par le centre René Demogue de l’Université de Lille II ,Dalloz,2003,n°5,p.137.
259
se référant sur l’équité1276. Dans ce sens, un auteur affirme « qu’il ne fait aucun doute qu’une
interprétation plus libre des dispositions de l’article 1135 du Code civil pourrait permettre
cet exercice d’un pouvoir modérateur. Il suffirait pour cela d’estimer que les suites de
l’équité donne à l’obligation d’après sa nature obligent, tout particulièrement en cas
d’imprévision, à accepter une révision du contrat manifestement déséquilibré »1277.

La jurisprudence ne s’éloigne guère de la doctrine et de la réalité du droit positif en


ce qui concerne les affirmations vues précédemment. Ainsi, un nombre important d’arrêts qui
visent à rétablir l’équilibre du contrat, sur la base textuelle des articles 1134 alinéa 3 et 1335
du Code civil français, révèle clairement le rôle qu’accorde la jurisprudence aux
considérations morales dans la recherche de l’équilibre contractuel, qui constitue
indiscutablement le reflet de la mutation fondamentale des postulats sur lesquels repose la
théorie du contrat, ainsi que du nouveau regard avec lequel on appréhende le lien 1278 et le
droit contractuel. Cette tendance jurisprudentielle n’est pas constante sur le point de
sanctionner le déséquilibre contractuel par référence au comportement ou à la qualité des
parties au contrat. Ainsi, un arrêt de la Cour de cassation française en date du 10 juillet 2007
donne une illustration de cette variabilité de clarté de position. Selon la Cour, « la règle selon
laquelle les conventions doivent être exécutées de bonne foi permet au juge de sanctionner
l’usage déloyal d’une prérogative contractuelle, mais elle ne l’autorise pas à porter atteinte à
la substance même des droits et des obligations légalement convenues entre les parties »1279.

En droit marocain, comme en droit français, l’aspiration moralisatrice n’est pourtant


qu’implicite, contrairement au droit allemand qui consacre d’une manière explicite cette
considération morale. Ainsi, le §138 al.2 du B.G.B dispose « qu’est notamment nul tout acte
juridique par lequel une personne, en exploitant le besoin, la légèreté ou l’inexpérience
d’autrui, se fait promettre ou accorder, soit à elle-même, soit à une autre personne, en
contrepartie d’une prestation, des avantages patrimoniaux qui excédent la valeur de cette
prestation à un point tel que, compte tenu des circonstances, ces avantages patrimoniaux sont
disproportionnés avec la prestation d’une manière choquante ».Les mêmes aspirations se
trouvent évoquer par les dispositions aussi bien par l’article 4 :109 des Principes du droit
européen du contrat1280 que par l’article 3.10 des Principes Unidroit1281.La dimension morale

1276
Y.Picod, Commentaire des articles 1134 et 1135 du Code civil, J.CI.1999,fasc.11,n°60,p.17.
1277
F.Cherigny,La révision, judiciaire des conventions en droit privé,thése Poitiers,1994,p.234.
1278
Sur cette notion, v.,O.Flipo-Bouchaara,Le lien contractuel, thèse dactyl.,Orléans,2001.
1279
Cass.com.,10 juillet 2007,RDC 2007/4,p.1107 et s. notes successives de L.Aynés et D.Mazeaud.
1280
Article 4 :109 « (1) Une partie peut provoquer la nullité du contrat si, lors de la conclusion du contrat, (a)
elle était dans un état de dépendance à l’égard de l’autre partie ou une relation de confiance avec elle, en état de
260
retient la faiblesse et le comportement déloyal des parties en tant que conditions essentielles
de la sanction du déséquilibre, en se référant d’une manière expresse à l’exigence de bonne
foi comme base du rétablissement de l’équilibre contractuel. Aussi, le groupe de travail du
projet français pour la réforme du droit des contrats, dirigé récemment par monsieur Terré
affirme dans le cadre de ses propositions, « le défaut d’équivalence ne devrait (…) pas être
pris en compte Ŕ sauf disposition particulière, notamment en droit de la consommation Ŕ que
dans la mesure où d’autres éléments s’y ajoute, attestant d’un défaut de consentement, de
l’inégalité des parties, ou bien encore de l’existence d’une déloyauté »1282.

L’utilisation de l’aspiration morale dans le domaine contractuel en tant qu’un


instrument d’équilibre, se trouve justifier par l’existence d’un fondement textuel permettant
au juge d’asseoir sa décision sur une base légale, en droit marocain, les articles 230 et 231 du
D.O.C et en droit comparé les articles 1134 et 1135 du Code civil français. La deuxième
justification se rapporte au caractère général de ce mécanisme, et ce à travers l’obligation
d’exécuter le contrat de bonne foi par tous les contractants, contrairement à la lésion qui
limite son domaine uniquement à certains contrats et à l’égard de certaines personnes. De
même, la bonne foi et l’équité qui forment les deux manifestations de la morale ne
connaissent pas de limites temporelles en matière de sanction de déséquilibre que celle-ci soit
initial ou survenu après le stade de formation du contrat. Malgré ces justifications en faveur
de l’aspiration moralisatrice qui paraît très séduisant, mais face à des réalités contractuelles
nouvelles, le mécanisme de la morale, ne constitue pas d’une manière satisfaisante un
instrument d’équilibre contractuel. L’équilibre contractuel dépasse alors les simples

détresse économique ou de besoins urgents, ou était imprévoyante, ignorante, inexpérimentée ou inapte à la


négociation ,(b) alors que l’autre partie en avait ou aurait dû en avoir connaissance et que, étant donnés les
circonstances et le but de contrat, elle a pris avantage de la situation de la première avec une déloyauté évidente
ou en a retiré un profit excessif . (2) A la requête de la partie lésée, le tribunal peut, s’il le juge approprié, adapter
le contrat de façon à le mettre en accord avec ce qui aurait pu être convenu conformément aux exigences de
la bonne foi ».
1281
Article 3.10 : « 1) La nullité du contrat ou de l’une des ses clauses pour cause de lésion peut être invoquée
par une partie lorsqu’au moment de sa conclusion, le contrat ou la clause accorde injustement un avantage
excessif à l’autre partie. On doit notamment, prendre en considération :a) le fait que l’autre partie a profité
d’une manière déloyale de l’état de dépendance, de la détresse économique, de l’urgence des besoins, de
l’imprévoyance, de l’ignorance, de l’inexpérience ou de l’inaptitude à la négociation de la première ; et b) la
nature et le but du contrat.2) Le tribunal peut, à la demande de la partie lésée, adapter le contrat ou la clause
afin de le rendre conforme aux exigences de la bonne foi en matière commerciale ».
1282
L’article 66 du projet dispose alors que : « lorsqu’un contractant, en exploitant l’état de nécessité ou de
dépendance de l’autre partie ou sa situation de vulnérabilité caractérisée, retire du contrat un avantage
manifestement excessif, la victime peut demander au juge de rétablir l’équilibre contractuel ».Pour ce point
v.D.Houtcief, « Le contenu du contrat. Commentaire des articles 57 à 67 des propositions de réforme du droit
des contrats de l’Académie des sciences morales et politiques »,in : Pour une réforme du droit des contrats,
Coll. Thèmes et commentaires, Dalloz-Sirey 2008 p.183 et s.,spéc.p.214.
261
considérations morales1283.Le mécanise de bonne foi est alors au service d’une force
obligatoire statique : le respect de la parole donnée1284.Fortement sollicitée par la
jurisprudence1285, la bonne foi, lorsqu’elle n’arrive pas à justifier l’équilibre contractuel, cède
la place à l’abus de droit, qui représente un autre instrument traditionnel d’équilibre. Le
mécanisme de l’abus de droit est d’ailleurs de plus en plus privilégié pour assurer cette
dernière fonction1286.

4-La remise en cause du recours au mécanisme de l’abus de droit

Le recours à la notion d’abus dans le contrat n’a été admis qu’à la suite d’un grand
débat qui a divisé la doctrine française1287.Cette notion est étroitement liée à la notion de
bonne foi. Elle est pour certains auteurs, synonyme d’intolérance1288 sauf qu’elle est
relativement stérile puisque le devoir de loyauté remplit le même rôle pouvant être joué par le
mécanisme de l’abus de droit1289. Cette notion est admise en droit des contrats sans aucun
conteste1290.

L’abus se rapporte à l’invocation d’une prérogative contractuelle ou à l’application


d’une sanction contractuelle. Un auteur a pu le dire « la notion d’abus n’aurait ainsi qu’en
présence (…) des prérogatives nettement définies »1291.Dans ce sens, un autre souligne que
l’abus est « l’usage excessif d’une prérogative juridique ou encore l’exercice d’un droit dans
son intérêt personnel et en méconnaissance de ses devoirs sociaux, en méconnaissance de sa
finalité »1292.

1283
Hobinavalona Ramparany -Ravololomiarana, Le raisonnable en droit des contrats, op.cit.p.213.
1284
Tabi Tabi, Les nouveaux instruments de gestion du processus contractuel, thèse, op.cit.,p.20.2.
1285
Ibid , op.cit.,p.163.
1286
Pascal Lokiec, Contrat et pouvoir : Essai sur les transformations du droit privé, Des rapports contractuels,
LGDJ,2004,p.181.
1287
Karimi,A., Essai de systématisation sur l’application de la théorie de l’abus de droit en matière contractuelle
In Mélanges Simler,Ph.,éd. Dalloz 2006,p.587.
1288
Picod ,Y.,Le devoir de loyauté dans l’exécution du contrat, LGDJ,1989,p.165.,n°142. ; sur ce point, v.,Ali
Zarrouk, L’implicite et le contenu contractuel, Etude de droit comparé :droit français et droit tunisien,
op.cit.p.101.
1289
Picod,Y. ,op.cit.,p.37,n°22 qui précise que « là encore la théorie de l’abus de droit s’avère relativement
stérile pour notre étude ».
1290
Plusieurs études traites de cette notion ,consulter notamment :Stoffel-Munck,Ph.,L’abus dans les
contrats :essai d’une théorie,LGDJ,2000 ;Karimi,A.,Essai de systématisation sur l’application de la théorie de
l’abus de droit en matiére contractuelle In Mélanges Simler,Ph., éd.Dalloz ,2006,p.587.
1291
G.Blanc,L’abus de droit dans les contrats en droit français In L’abus de droit ;comparaisons franco-suisses,
publications de l’université de Saint-Etienne,2001,p.117.
1292
Voir le colloque :Existe-t-il un principe de proportionnalité en droit français ? LPA3 30 septembre 1998,n°3
et l’ensemble des interventions qui y sont publiées notamment Bechar-Touchais,M.,rapport introductif,p.3.
262
L’abus consiste alors en l’utilisation démesurée des pouvoirs mis à la disposition du
contractant en situation de force1293. Il s’agit des clauses qui donnent à l’un des contractants
le pouvoir de fixation ou de modification unilatérale du contenu du contrat, la fixation des
clauses pénales, et même le pouvoir de résiliation unilatérale du lien obligationnel. Les
hypothèses d’abus se rencontrent dans des situations assez variées1294.Le recours à l’abus de
droit en tant mécanisme d’équilibre vise alors à limiter et à sanctionner l’exercice
abusifd’une prérogative contractuelle que lui reconnaît le contrat1295. A ce propos ; Deux
questions sont invoquées, les manifestations de l’abus dans la sphère contractuelle (a), et la
pertinence de ce marqueur dans la gestion de l’équilibre contractuel influencé par certaines
situations d’abus (b).

a-Les manifestations de l’abus de droit dans la sphère contractuelle

La tendance contemporaine de la sphère contractuelle consiste à octroyer des pouvoirs


au contractant en position de force. Le pouvoir de la partie contractante qualifiée comme
profane se réduit dans l’exécution des décisions contractuelles conçues et prises d’une
manière unilatérale1296. La logique des pouvoirs contractuels reconnait au contractant en
situation de force un certain nombre de prérogatives qui mettent à mal le principe d’égalité
contractuelle.

Le contrat n’est en fait qu’un lacis de prérogatives accordées à chacune des


contractants, parmi lesquelles on cite, le pouvoir de modification1297, ou celui de la résiliation
unilatérale du contrat. La clause pénale aussi parmi celles pouvant être entachées d’un abus
dans l’hypothèse où son exercice par son titulaire s’oriente vers le sens de nuire son
cocontractant ou de lui causer un préjudice1298.

A ce propos, le contrat de franchise constitue un exemple concret de l’unilatéralisme


des pouvoirs contractuels. Dans ce type de contrat, le franchiseur jouit d’un pouvoir
substantiel vis-à-vis de son contractant, le franchisé. Ce pouvoir se manifeste à travers

1293
Philipe Stoffel-Munck.,L’abus dans les contrats :essai d’une théorie, op.cit.
1294
Il s’agit par exemple d’abus de position dominante dans le domaine de la concurrence.
1295
Pour un auteur l’abus de droit se définit ainsi : « Fait de jouir d’un droit et de l’exercer d’une façon
excessive, anormale, malveillante, et qui peut entrainer un préjudice à un tiers » :Jean-Pierre Scrano,
Dictionnaire de droit des obligations, Paris,Elipses,2004,p.5.
1296
« Bref, aujourd’hui ,pas de doute ,le contrat n’est plus la ’chose’ des parties, Adieu usus, fructus, abusus :de
nouveaux pouvoirs s’invitent dan le champ contractuel : Qui dit contractuel, dit crise ! » : Bertrand Fages,
« Nouveaux pouvoirs :Le contrat est-il encore la chose des parties ? »,dans Ch.Jamin et D.Mazeaud
(dir.),op.cit.note 6,p.155.
1297
Philipe Stoffel-Munck, « révision unilatérale du prix »,2005,RDC,p.272.
1298
Ali Zarrouk, L’implicite et le contenu contractuel, Etude de droit comparé :droit français et droit tunisien,
op.cit.p.104.
263
l’unilatéralisme dans la conception du contenu du lien contractuel, il est donc qualifié
d’adhésion. En ce sens que le franchisé, hormis quelques clauses sur lesquelles il peut
négocier-à l’exemple du pourcentage de marchandise qu’il peut être autorisé à se procurer
en dehors de la commande centrale - n’a en réalité aucune possibilité de discuter les termes
de l’accord préalablement rédigé. Le franchisé n’a qu’une faculté d’accepter ou de refuser la
proposition unilatérale d’accords de volonté. De même, lorsqu’il peut lui être reconnue une
alternative de céder son commerce à un autre opérateur de son choix, le droit revient
exclusivement au créancier qui est le franchiseur d’accepter ou de refuser la mise en œuvre de
la clause d’agrément. Un refus parfois injustifié, ce qui est caractéristique de l’abus de
droit1299.

L’abus de droit se rapporte généralement à un dépassement du droit dont dispose la


partie en position de force .Ce comportement s’est traduit, par le fait, de l’utilisation de
manière incohérente ou disproportionnée du droit reconnu à son détenteur, ce qui s’assimile à
un passage en force ou encore une réalisation démesurée de droit dont dispose la partie forte.
Il est donc inconcevable que l’on puisse souhaiter sanctionner de tels manquements par le
moyen de bonne foi, sous prétexte qu’elle irrigue la relation contractuelle en son entier. Elle
est éloignée de l’intelligibilité qu’offre la notion bien définie d’abus de droit. Dans la
gradation des deux mécanismes d’équilibre que sont la bonne foi et l’abus de droit, il serait
indiqué de quitter le domaine de la morale contractuelle pour renforcer davantage l’abus de
droit, dont la mise en œuvre semble mieux contrôler par les juges1300. Ainsi, La Cour suprême
du Canada a consacré ce mécanisme dans l’arrêt Houle, qui est qualifié d’arrêt de principe, en
l’érigeant au rang d’instrument général de contrôle des comportements des parties,
principalement dans la phase d’exécution des prestations contractuelles1301.

L’abus de droit peut donc consister en une mise en œuvre de la prérogative que l’une
des parties détient conformément au contrat, et ceci dans l’intention réelle de nuire à autrui. Il
peut se manifester par le fait d’exercer le droit en question dans un but ou pour une finalité
opposée à celle qui a été convenue par les contractants, ou encore par la démonstration d’un
comportement inadmissible dans la mise en application de ce privilège1302.Les hypothèses

1299
Ph.Stoffel-Munck,op.cit.note 487,p.288.
1300
Jacques Ghestin, « Contrats et obligations »,1996,J.C.P.G.,p.21,31.
1301
Jean.-Louis .Baudouin et Pierre.-Gabriel.Jobin,Les obligations,6e éd.par P.-G.Jobin avec la collab. De
Nathalie Vézina,Cowansville,Yvon Bliais,2005,note 94,n°123,p.173-174.
1302
« L’abus de droit désigne la théorie par laquelle une personne, alors qu’elle exerce une prérogative qui lui
été reconnue par le droit, devra, lorsqu’elle cause un préjudice à autrui, le réparer » :M.-H.Monserie-Bon et
J.Julien,Droits des obligations,Paris,Ellipses,2002,p.142.
264
d’abus se réalisent par le fait du contractant qui se trouve en position de force de réviser à la
baisse ses propres obligations en mettant à la charge de la partie vulnérable plus d’obligations
que de droits. La constatation de l’abus1303 résulte par exemple, d’un éventuel retard dans
l’exécution de l’obligation essentielle1304 de la partie en position de force, ce dernier ayant
pris préalablement le soin de rendre sa responsabilité insignifiante vis-à-vis son contractant,
en profitant, de sa compétence technique, son expérience et de son pouvoir économique dans
un domaine contractuel donné.

Œuvrant dans le sens de la responsabilisation des parties au contrat, l’application


traditionnelle de l’abus de droit ne permet pas de mettre en évidence le maximum des
situations réelles d’abus1305, pour une meilleure prise en considération du souci d’équilibre
contractuel, le mécanisme d’abus devrait justement s’arrimer à la configuration
contemporaine des rapports de pouvoirs. Le passage d’une application objective de l’abus de
droit à une application subjective vise à établir ou rétablir de manière discursive
substantiellement un minimum d’équilibre dans les rapports d’obligations1306.

b-L’opérationnalité objective et subjective du mécanisme de l’abus de droit

L’opérationnalité objective du mécanisme de l’abus de droit consiste pour le juge à


vérifier si, dans les agissements de la partie en cause, se trouve justifiée l’hypothèse d’un
dépassement objectif d’une ou de plusieurs prérogatives que lui confère le rapport
d’obligations1307. L’essor de l’unilatéralisme dans les rapports d’intérêts a largement
contribué au développement du contrôle de l’équilibre contractuel dont la théorie des clauses
abusives est une illustration. Le contenu contractuel étant préparé et rédigé par et pour le
compte de l’une des parties, il est donc indiqué de développer un mécanisme de préservation
de l’égalité contractuelle en extirpant du contrat les prérogatives jugées inadmissibles1308.

Les situations d’inégalités qui militent en faveur d’une redéfinition de la protection


attendue du mécanisme de l’abus de droit sont nombreuses. La violence économique constitue
1303
Christian Larroumet, « Obligation essentielle et clause limitative de responsabilité »,1997,D.S.Chron.p.145.
1304
Voir la théorie des clauses abusives prévue par le Code civil du Québec :Arti.1437 ; « Au Québec, la
réception de la théorie de l’abus de droit en matière contractuelle fut d’abord le fruit d’une initiative doctrinale,
qui fut suivie d’un important développement jurisprudentiel. La Cour suprême a rendu une décision de principe
sur la question dans Banque Nationale du Canada c.Houle ,elle a expressément reconnu que la théorie de l’abus
de droit s’appliquait en matière contractuelle (…) Ce jugement de la Cour suprême du Canada et sa
codification sont l’aboutissement d’un mouvement pour instaurer dans notre droit un mécanisme général de
contrôle du comportement des parties, en particulier dans l’exécution des contrats » :J.-L.Baudouin et P.-
G.Jobin,….note 94,n°123,p.173-174.
1305
Ghislain Tabi Tabi, Les nouveaux instruments de gestion du processus contractuel, thèse, op.cit .p.172.
1306
Jacques Azéma,La durée des contrats successifs,Paris,LGDJ,1969,p.261 et s.
1307
Christine Lassalas, « Les critères de l’abus dans la rupture des relations contractuelles »,1997,p.61.
1308
Marc Bruschi, « Clauses abusives »,2006, 2 RDC,p.359.
265
une illustration en la matière, elle consiste pour la partie privilégiée à imposer à son
cocontractant en situation de contrainte économique des stipulations conçues unilatéralement,
que celui-ci même en toute connaissance de leur caractère abusif, n’a pas d’autres options
que d’accepter. Le juge doit relever de tels cas d’inégalité en évitant que des situations
pareilles ne dégénèrent en déséquilibres inadmissibles1309.

La matière de travail est propice à l’abus. L’inégalité manifeste entre les parties au
sein du contrat de travail en apporte une explication satisfaisante. Ceci demeure vrai, même
si certains auteurs ont constaté « un recul certain »1310 de l’abus dans les relations de travail.
La réglementation du licenciement en France en est l’illustration1311 .

D’une façon générale, l’abus de droit rime davantage avec les droits discrétionnaires,
là où la prérogative contractuelle est inconditionnée et où l’abus est plus manifeste. Le
mécanisme d’abus de droit a connu un développement impressionnant en droit du travail1312
avec la notion de préavis. Ainsi, et dans l’objectif de protéger les salariés contre l’abus dans
l’exercice de droit de licenciement par leurs employeurs, puisque le licenciement risque
d’être abusif lorsqu’il manque une cause réelle et sérieuse1313,le contrat de travail a connu
une grande évolution avec la naissance dans le droit de travail de la notion de préavis. Le
préavis, qui s’insère selon certains auteurs dans le cadre d’un devoir de patience1314,
permettra à l’employé de préparer son départ et d’éviter que la résiliation soit brusque et
intempestive. Cette règle de courtoisie qui est le préavis et qui s’insère, comme le disaient
certains auteurs, dans le cadre d’un « devoir de patience », est exigée en droit marocain dans
certains cas, tel celui pour le contrat de travail à durée indéterminée et ce conformément aux
termes des articles 43 à 51 du code de travail1315 .

1309
D.Mazeaud,op.cit.,note 210,p.139.
1310
N.Aliprantis,L’abus de droit dans les relations du travail In L’abus de droit et les concepts
équivalents :principe et applications actuelles, Luxembourg,6-9 novembre 1989,p.1.sepéc.p.2.
1311
Ibidem.
1312
Pierre-Yves Verkindt, « Le contrat de travail modèle ou anti-modèle du droit civil des contrats ?,dans
Ch.Jamin et D.Mazeaud (dir.),op.cit.,note 6,p.197.
1313
En droit français, l’article L.1232-1 du Code de travail exige que tout licenciement pour motif personnel doit
être justifié par une cause réelle et sérieuse sans citer les cas constituant un motif sérieux, légitime de
licenciement. En effet, une telle condition témoigne d’une évolution avérée en droit du travail ou l’on passé
d’un contrat dominé par l’employeur comme étant le propriétaire de l’entreprise à un autre qui limite les
pouvoirs de l’employeur et qui prend en compte d’autres intérêts qui ne sont pas forcément ceux de
l’employeur. En droit tunisien l’amendement de 1994 a repris la même philosophie en exigeant une cause
sérieuse et réelle pour que le licenciement ne soit pas abusif. Voir à cet égard l’article 14 du Code de travail
tunisien.
1314
Mazeaud,D.,Faut-il avoir peur d’un droit européen des contrats ?,In Mélanges Malinvaud,Ph.,éd.Litec
2007,p.397,spéc.p.422.
1315
L’article 43 alinéa 1 du code travail dispose que « La rupture unilatérale du contrat de travail à durée
indéterminée est subordonnée, en l’absence de faute grave de l’autre partie, au respect du délai de préavis ».
266
En droit français, le préavis est exigé dans plusieurs hypothèses. Ainsi le code de
commerce l’exige en matière de relations commerciales établies et ce, conformément à
l’article L.442-6 ,5° qui le prévoit depuis la modification opérée par la loi NRE du 15 mai
2001.En vertu des dispositions de cet article le législateur tend à éviter l’abus lié à l’exercice
de la prérogative de résiliation unilatérale du contrat. En droit de travail, le préavis est exigé
dans le cas du contrat à durée indéterminée et ce, en application de l’article L.1232-2 du
Code de travail français tel que réécrit par l’ordonnance n°2004-602 du 24 juin 20041316.Ces
prérogatives doivent être utilisées pour servir leurs finalités exactes sans dévoiement ni
détournement. Ce délai de congé prévu par l’article L.1234-1 n’est en fait que pour assurer
que les deux parties ne soient pas surprises par la rupture du contrat. Le salarié aura la
possibilité durant cette période de trouver un autre emploi, mais le préavis ne constitue pas le
seul moyen de permettre à celle-ci de lutter contre sa vulnérabilité. En matière de
licenciement sans cause, une indemnité de congédiement est souvent octroyée au salarié pour
compenser les désagréments découlant de sa situation de licencié. Au Québec, la
jurisprudence œuvre davantage à la protection de l’employé en lui attribuant des dommages
moraux. Le licenciement unilatéral, caractéristique de l’abus, est susceptible de l’octroi de
dommages et intérêts moraux au profit du salarié licencié1317.L’abus ne consiste pas alors
uniquement à ne pas respecter le délai de préavis, mais aussi à ne pas justifier
victorieusement la décision de licenciement ou la manière de congédier1318.

Encore en matière de droit de travail, la résiliation du contrat est l’un des secteurs du
lien obligationnel qui peut être liée dans sa mise en œuvre à des situations d’abus. Ce droit de
résiliation unilatérale des relations d’affaires se trouve borné par le souci de prendre
considération les attentes légitimes du contractant. C’est ainsi qu’il est difficilement
concevable que dans une relation d’affaire où les parties travaillent afin d’attirer une clientèle
commune, le contractant privilégié décide de mettre fin au contrat au détriment des attentes
légitimes de l’autre partie.

Aussi pour le compte à vue ,il peut être clôturé par le titulaire sans préavis,et avec un préavis (minimum 60
jours) lorsque la rupture est décidée par la banquier.Sur ce point v.l’article unique de la loi n°134-12 du 1re août
1996 abrogeant et remplaçant les dispositions de l’article 503 de la loi 15-95 formant Code de commerce
marocain. En matiére de contrat de crédit,et à l’instar de l’article 60 de la loi française du 24 janvier 1984,le
texte marocain prévoit deux conditions à la rupture de crédit à durée indétreminée :le respect d’un délai de
préavis fixé lors de l’octroi du crédit,et la notification écrite de la rupture à l’expiration du délai de préavis.
1316
Pour ce point consulter :F.J.Pansier, Droit du travail, relations individuelles et collectives,
éd.Litec,2005,n°457,p.194.
1317
J.-L.Baudouin et P.G.Jobin,op.cit.,note 94,n°125,p.178-178.
1318
Ghislain Tabi Tabi, Les nouveaux instruments de gestion du processus contractuel, thèse, op.cit.p.175.
267
Le principe de la liberté contractuelle interdit les engagements perpétuels. Il en résulte
que les parties conservent la faculté de quitter le lien contractuel lorsqu’il ne reflète plus leurs
intérêts. Or, La mise en œuvre de ce principe devait être contrôlée par le but social poursuivi
du contrat. Le recours à une application subjective de l’abus de droit serait souhaitable, du fait
que sa conception objective demeure réductrice de la protection des intérêts des parties qui se
trouvent en situation de vulnérabilité au lien obligationnel, puisqu’elle priorise la
responsabilisation des parties.

L’adoption d’une conception subjective de l’abus de droit a pour but principal de


faire des pouvoirs que détient la partie en position de force des droits causés, c’est-à-dire
finalisés. La mise en œuvre d’un tel pouvoir par le contractant en position de force doit être
conditionnée par la nécessité de justification de la pertinence de ses agissements envers son
cocontractant qui se trouve en situation de vulnérabilité1319.Selon cette nouvelle orientation, la
coexistence des droits et intérêts, se limite au simple respect des intérêts de la partie faible. Le
contractant qui détient d’un tel droit en vertu du rapport d’obligations est tenu de ne pas poser
des actes susceptibles de nuire à l’intérêt obligationnel de son partenaire.

Dans la relation contractuelle, l’exercice d’un tel droit doit tenir compte de deux
composantes essentielles, qui sont la solidarité horizontale, matérialisée par le souci des
intérêts du contractant en difficulté, et la solidarité verticale caractérisée par la finalité
sociale du contrat1320.Le souci de coopération des intérêts, peut être constitué un contrepoids
à la mise en œuvre brutale d’un droit contractuel. Cela signifie que la brusquerie ou la
manière cavalière avec laquelle ce droit est mis en application par son titulaire qui se trouve
en position de force, qui représente la source d’abus de droit. D’ou le besoin d’émergence
d’un droit précisant les modalités de la mise en œuvre des prérogatives contractuelles, dans le
but de préserver les attentes légitimes du contractant.

Le recours au mécanise de l’abus de droit en tant que moyen régulateur de l’équilibre


contractuel, à travers la satisfaction des attentes légitimes de chacune des parties
contractuelles, et l’éradication des déséquilibres abusivement introduits1321, ne peut remplir
son rôle avec l’efficacité comme il a été conçu par la conception dynamique de la force
obligatoire du contrat, une conception qui s’oriente vers la recherche d’une relation
contractuelle relativement équilibrée. Dans ce sens, il convient avant d’envisager d’autres

1319
Art.7 C.c.Q. ;Ch.Jamin,op.cit.,note 19,p.15.
1320
A-S.Courdier-Cuisiner,op.cit.,note7,n°4,p.4.
1321
Gwendoline Lardeux,Droit positif et droit prospectif de l’unilatéralisme dans le contrat, Dalloz,2011,p.56.
268
instruments pour assurer une gestion dynamique de l’équilibre contractuel et qui sont
compatibles avec la vision de cette nouvelle conception de la force obligatoire du contrat en
tant qu’une chose vivante, de démonter que la conception classique du contrat semble peut-
être dépassée et nécessite une vision plus réaliste du contrat1322. Cette nouvelle orientation se
trouve justifier, dans la mesure où l’immobilisme du contrat est également remis en cause.

B- La remise en cause du caractère immuable de l’accord de la volonté

Le contrat ne peut plus s’expliquer uniquement par la rencontre des volontés. Le


droit relativise d’ailleurs cette condition et la doctrine moderne propose une autre analyse qui
répond aux attentes légitimes en matière contractuelle. De ce point de vue, le contrat possède
une double nature. Il se définit à la fois comme une relation entre des parties contractantes
appelé lien contractuel et comme un échange de prestations réalisé entre deux patrimoines,
qui se détache du lien personnel1323. Cette analyse se rapproche de celle défendue dans les
pays anglo-saxons1324. L’accord de volonté, produit de la rencontre des volontés des parties, et
donc le contrat qui en découle ne semblent plusfigé. « La volonté comme telle, ne se voit
reconnaître des effets juridiques, en Angleterre, que lorsqu’elle vise à réaliser une opération
qui intéresse le commerce, un bargain »1325. Au contraire, une certaine souplesse se révèle
parfois nécessaire pour maintenir un contrat utile pour les parties contractantes. La sécurité
n’est plus synonyme de fixité. Il s’agit d’évoquer tout d’abord, les raisons qui expliquent la
remise en cause du caractère immuable de l’accord de volontés (1), puis de montrer que la
stabilité du contenu obligationnel est dépend de l’évolution de l’environnement contractuel
qui se trouve influencer par des facteurs d’évolution extérieurs aux parties qui reflète la
vision dynamique de l’équilibre contractuel sur laquelle repose la conception moderne de la
force obligatoire du contrat (2).

1-Les raisons de remise en cause du caractère immuable de l’accord de volontés

L’utilité du contrat et son efficacité, nécessitent une certaine flexibilité. Cette


caractéristique permet d’expliquer une certaine stabilité du contrat tout en lui permettant à une
adaptation avec l’évolution dans l’environnement contractuel ou il vit. l. Ainsi, le sacro-saint
principe de la force obligatoire du contrat tel qu’il a été conçu par la théorie classique du
contrat, ne fait plus l’objet d’un culte dévot. En particulier, la règle de l’intangibilité du

1322
Laurence Fin-Langer, L’équilibre contractuel, thèse, 2000, p.101.
1323
Ph.Stoffel-Munck,L’abus dans le contrat, Essai d’une théorie, Th.Aix-Marseille III,1999,n°7 et 235.
1324
R.David,Les contrats en droit anglais,1985,2émeéd.,LGDJ,n°133,D.Pugsley,Les contrats en droit
anglais,2émeéd,1985,n°134.
1325
R.David,op.cit.,n°140 ;E.Errante,Le droit Anglo-américain des contrats, LGDJ,1995,p.14 et 15.
269
contrat n’est plus appréhendée comme une loi d’airain qui légitime tous les abus et les excès
ou comme une immunité pour ceux des contractants qui entendent tirer profit de la rigidité de
la loi contractuelle1326.Or, L’efficacité de la conception moderne de la force obligatoire du
contrat ne peut être démontrée qu’à travers la remise en cause de l’immobilisme du contenu
obligationnel. Deux raisons expliquent cette remise en cause : la conception réelle du temps
(a) et la conception vivante du contrat (b).

a- La conception plus réelle du temps

D’abord, il s’agit d’une conception plus réelle du temps. Il apparait de moins en


moins homogène, moins linéaire. Le présent n’est plus la simple reproduction du passé :
« l’insuffisance de cette conception absolue et passive éclate dans tous les secteurs, sous
l’effort de la pensée moderne, qui fait apparaître les aspects protéiformes de la réalité, où se
découvert à la fois la variabilité du temps et sa liaison intime aux phénomènes qu’il
supporte »1327.Ainsi, le temps biologique présente non pas un aspect linéaire, fléché et orienté,
mais au contraire se caractérise par ses cycles, rythmes1328.Le droit doit renoncer à l’artifice
de l’unité du temps. De plus, il se caractérise par une accélération1329 .Ce constat rend plus
difficile le rôle consistant à stabiliser les situations. Dans ce sens, une question peut se poser
se rapportant à la relation qui existe entre la stabilité du contrat et la sécurité juridique. Donc,
comment ne pas perdre cette stabilité nécessaire à une certaine sécurité juridique tout en
évitant le décalage avec des faits toujours plus rapides dans leur évolution ? Le droit a
répondu partiellement à cette question en développant de nouveaux instruments comme le
valorisme remettant en cause le nominalisme.

Les conséquences pratiques présentent un intérêt non négligeable comme les clauses
d’indexation ou encore les dettes de valeur1330.Derrière la mobilité de l’expression monétaire
cette notion de dette de valeur permet de garantir la stabilité de la valeur de la chose elle-
même en réévaluant le montant de la dette due au jour de son exécution. Cette théorie encore

1326
Denis Mazeaud, Les nouveaux instruments de l’équilibre contractuel, Ne risque-t-on pas d’aller trop
loin ? Dans, Christophe Jamin et Denis Mazeaud (s.dir),La nouvelle crise du contrat, Dalloz,2003,p.136.
1327
P.Hebraud, Observations sur la notion du temps dans le droit civil, in Etudes offertes à
P.Kayser,T.II,1979,p.3,n°3.
1328
M.Chemillier-Gendreau,Droit international 3,Le rôle du temps dans la formation du droit international,
Pédone,1987,p.16 : « cela fait partie de la variété des temps que nous examinons, qu’il y ait à la fois un temps
fléché, orienté, qui est le temps historique, le temps social, et une autre réalité du temps qui est rythmique,
cyclique, c’est la réalité biologique ou culturel qui fait alterner les jours et les nuits, les saisons, les périodes de
dépression et d’enthousiasme ».
1329
M.Chemillier-Gendreau,op.cit.,p.21 à 23 ;M.Delmas-Marty, Trois défis pour un droit mondial,1998,p.100.
1330
P.Hebraud, Observations sur la notion du temps dans le droit civil, in Etude offertes à
P.Kayser,T.II,1979,p.56 et 57.
270
appelée valorisme est mise en œuvre aussi bien par le législateur marocain que par les
systèmes juridiques étudiés, en autorisant des révisions de rentes viagères, des loyers….1331.
Cette théorie remet en cause le principe du nominalisme qui apparaît comme « une fiction,
(…) un artifice commode par lequel il est possible aux gouvernements de toute nature de
régler leurs dettes en une monnaie dévaluée »1332.De plus en plus le droit prend en
considération la possibilité d’une évolution de la valeur de la monnaie et donc d’une
conception moins figée du temps. Cette conception flexible du facteur temps, qui rend le
contenu contractuel facile à s’adapter avec la réalité contractuelle s’appuie sur deux piliers :la
stabilité contractuelle et la sécurité juridique .Cela reflète alors l’importance de la conception
moderne de la force obligatoire du contrat, exigée par un nouvel ordre contractuel qui
s’oriente vers la lutte contre les déséquilibres contractuels inadmissibles, parce qu’ils tendent
à confisquer le contrat dans l’intérêt exclusif d’un contractant bénéficiant de sa position de
force. L’utilité de cette conception nouvelle dite dynamique, telle qu’elle a été imaginée par le
droit contemporain, la doctrine et la jurisprudence se trouve renforcer dans la mesure où la
rigidité du contrat est également remise en cause.

b- La conception plus vivante du contrat

Le contrat perd son caractère immuable grâce à une conception plus vivante du
contrat. Cette idée trouve ses racines dans des ouvrages des années 1930.Ainsi, Demogue
affirmait dés 1931 que « le contrat qui est une chose vivante ne peut être absolument rigide.
Vivre c’est transformer en restant dans une direction générale »1333. De même Ripert
considérait qu’ « à une époque où les circonstances économiques changent si vite
l’immutabilité du contrat apparaît comme un anachronisme »1334. De même, Lartigolle
écrivait en 1957 : « il ne faut pas croire, en effet, que le contrat forme une entité qui se suffise
à elle-même, qui vive dans un monde à part, une tour d’ivoire où elle se trouverait à l’abri
des contingences du monde extérieur ».

Le contrat trouve sa raison d’être dans la nouvelle culture contractuelle et son


efficacité dans son aspect dynamique qui lui offert la souplesse nécessaire pour s’adapter aux
variations de l’environnement contractuel dans lequel il vit, puisque cet environnement se
caractérise, en ce début du XXe siècle, par une accélération du temps et une modification plus

1331
L.Boyer,A propos des clauses d’indexation :du nominalisme monétaire à la justice contractuelle, inMélanges
dédiés à Gabriel Marty,1978,p.96,n°8.
1332
L.Boyer,op.cit.p.98,n°9.
1333
R.Demogue,Traité des obligations,T.1931,n°637.
1334
G.Ripert,Le régime démocratique et le droit civil moderne, LGDJ,1936,n°154,p.305.
271
rapide des événements1335. Pour cette raison qu’il faut permettre à la loi des parties de
s’adapter à son environnement afin d’être en harmonie avec lui, une possibilité d’adaptabilité
du contenu contractuel qui n’existe pas dans la conception volontarisme du contrat qui fige les
situations au détriment parfois de la justice et du bien1336.

Or, le rapport contractuel, sous prétexte que la volonté des parties s’y trouve figée
dans une expression définitive, ne constitue pas un bloc inerte, isolé, coupé du mouvement
de la vie économique et sociale. Il baigne dans ce monde extrêmement vivant, fluctuant, de
l’ensemble de l’économie. Celle-ci représente le milieu dont il subit l’action, le contexte
dont il reçoit un sens »1337.Cet aspect dynamique du contrat revient aujourd’hui dans de
nombreux écrits, dénonçant par la même l’inadaptation de la rigidité absolue du contrat1338.

Le contrat se trouve alors sous l’influence du monde extérieur dans lequel il évolue,
tire son synergie et s’insère. Désormais les liens établis avec l’environnement sont pris en
compte1339 : « ainsi, tout en conservant sa figure juridique propre, le contrat n’apparaît plus
comme un phénomène absolument à part, sans aucun lien avec le reste des institutions
juridiques »1340.Une des explications réside dans le fait que le contrat se détache des parties
contractantes et devient autonome. La doctrine parle « d’objectivation du contrat »1341 ou de
« dépersonnalisation »1342. Cette conception dynamique du contrat rejoint celle de l’ordre
juridique, lui aussi considéré comme étant ouvert sur l’extérieur et subissant les influences de
cet environnement mobile1343.Il en résulte que la conception plus réelle du temps et la
conception plus vivante du contrat jouent un rôle important sur le plan pratique, en matière de
stabilité, de justice contractuelle et de sécurité juridique. En tenant compte de ces deux

1335
Christophe Jamin et Réné Domogue,Des modifications aux contrats par la volonté unilatérale, Dalloz,
2013,p.30 et s.
1336
Ibidem,p.31 et s.
1337
J.Lartigolle, Justice commutative et droit positif,Th.Bordeau,1957,p.109.
1338
M.Vasseur,Un nouvel essor du concept contractuel, Les aspects juridiques de l’économie concertée et
contractuelle,RTD civ.1964,p.11,n°5;G.Rouhette,The New Social Contract,in JDI,1983,p.961 :il résume la
pensée de Iam R.Macneil : « ce qui a pour conséquence nécessaire que le contrat est conçu en terme
essentiellement dynamiques comme une relation inscrite dans la durée qui vit, se développe, s’adapte ».
1339
L.Dikoff,L’évolution de la notion de contrat, in Etudes de droit civil à la mémoire de Henri
Capitant,1939,p.210 et 211 : « on ne pourra plus désormais considérer le contrat comme une chose détachée de
l’ensemble de la réalité juridique, comme un rapport entre deux individus, isolés de la communauté ;par contre,
il faudra l’étudier comme un élément de la structure totale du droit national, comme un instrument de l’ordre
juridique national » ;C.Thibierge ,Libres propos sur la transformation du droit des contrats, RTD
civ,1997,p.364,n°9 : « Bien plus qu’au siècle passé, le contrat s’avère relié au monde juridique qui l’accueille et
le façonne, où il rayonne ses effets et développe des interactions croissantes sur différents plans ».
1340
E.Gounot,Le principe de l’autonomie de la volonté en droit privé,Th.Dijon,1912,p.366.
1341
C.Thibierge ,Libres propos sur la transformation du droit des contrats, RTD civ,1997,p.364,n°8.
1342
F.Terre, Le contrat à la fin du XXème siècle, Revue des sciences morales et politiques 1995,p.307 à 314.
1343
J.Chevallier,L’ordre juridique, in Le droit en procès,1984,p.19 et s.L’analyse systémique permet de
comprendre et d’expliquer cette nécessaire interaction entre l’ordre juridique et la réalité sociale.
272
considérations, le contrat peut changer et son contenu peut évoluer en raison de la
transformation permanente du contexte et de sa perméabilité reconnue au monde extérieur. La
stabilité du contrat peut être mesurée par sa capacité de résistance dans le temps à l’influence
qu’il subit de l’environnement externe. Toute la question se pose sur la relation qui existe
entre la stabilité du contrat et son monde extérieur, le milieu dans lequel il vit et évolue.

2- L’influence de l’environnement externe sur la stabilité du contenu du contrat

En général l’équilibre semble signifié la stabilité d’un corps dans son environnement.
Ainsi lorsque l’on décrit un équilibriste sur son fil, il semble en position de stabilité. Il
s’adapte en permanence pour garder son équilibre, sa stabilité. Pourtant, équilibre peut
signifier instabilité. Ainsi en mécanique, les physiciens distinguent plusieurs types
d’équilibre. Ils admettent l’existence d’équilibre stable mais aussi celle d’équilibre
instable1344.Le premier représente la situation à laquelle un corps revient spontanément pour
se remettre en équilibre lorsqu’on l’écarte de sa position initiale. Le second désigne au
contraire une position différente de celle initiale dans laquelle se place un corps, venant à être
détourné de cette dernière. Un instant donné, le corps, en position de déséquilibre, peut donc
soit retrouver sa situation d’équilibre initiale, comme pour pendule après avoir été mis en
mouvement, soit placer dans une autre position1345.

Cette règle d’équilibre s’applique également en matière contractuelle. Deux situations


d’équilibre du contrat peuvent être envisagées. Dans le premier cas, l’équilibre global du
contrat peut être maintenu par certaines clauses ayant comme fonction de garantir la valeur du
bien reçu en contre partie. Dans cette hypothèse, la position de l’équilibre est dite stable. Dans
le second cas, le contrat peut retrouver son équilibre à une nouvelle position autre que celle
initiale, à travers l’usage des clauses de hardship ou la révision pour imprévision lorsqu’elle
est admise. Cette nouvelle situation d’équilibre est dite instable. D’où, l’équilibre du contrat
dépend du contexte externe dans lequel évolue, sa stabilité suppose des aménagements et des
adaptations. Cette stabilité dépend du résultat, du fait que le contrat peut aboutir à une
nouvelle position d’équilibre ou celle initiale. Dans ce sens, deux types d’équilibre peuvent
être distingués. L’équilibre statique représente l’état initial du contrat si la composition
harmonieuse demeure exister. L’équilibre dynamique, se caractérise par relative stabilité, en

1344
N.G.Indjessiloglou, L’apport de l’analyse systémique dans le domaine juridique, Th.Paris II, 1980,p.515 et
516 :il utilise des expressions différentes mais synonymes. Il s’agit de l’équilibre statique et de l’équilibre
dynamique.
1345
Laurence Fin-Langer, L’équilibre contractuel, thèse, op.cit, p.154.
273
raison de l’évolution du contexte. Le contrat ne représente plus un monde clos et figé en
raison d’une part d’une conception hétérogène et évolutive du temps et d’autre part de
l’influence du monde extérieur sur le contrat lui-même1346. Il convient donc d’évoquer les
facteurs qui peuvent influencer et fragiliser l’équilibre du contrat, en se focalisant en
particulier sur l’évolution du contexte juridique (a) et économique dans lequel vit le contrat,
bouge et évolue (b).

a-L’influence du changement du contexte juridique

Le contrat ne représente plus un monde clos, refermé sur lui-même. Au contraire, il


s’ouvre sur l’extérieur et subit l’influence de l’environnement dans lequel il évolue. Or ce
contexte change sous l’effet de l’évolution du contexte juridique. En application de cette
logique, et dans l’impossibilité d’imaginer la réalité du futur en matière contractuelle, le
contexte législatif ne demeure plus immobile. Ainsi, « une loi (…) n’est, en effet, que
l’expression de la pensée, de l’idée et de l’intelligence d’un ou plusieurs hommes, qui
observent la réalité du passé et du présent, ils ne peuvent envisager que les cas qui sont
fréquents, ordinaires ou du moins accessibles à leurs esprit. Ils omettent obligatoirement les
cas extraordinaires et inconnus, qui ne se sont pas encore présentés dans la pratique ou qui
échappent à leur pensée. Quant à la réalité du futur, ils ne peuvent que l’imaginer,
l’expérience leur manque forcément »1347. Portalis, lors de la rédaction du Code civil français
connaissait ces réserves et savait pertinemment que ce code devrait nécessairement évoluer
avec la société. Il se demandait d’ailleurs « comment enchainer l’action du temps ? Comment
s’opposer au cours des événements ou à la pente insensible des mœurs ? Comment connaître
et calculer d’avance ce que l’expérience seule peut nous révéler ? La prévoyance peut-elle
jamais s’étendre à des objets que la pensée ne peut atteindre ? »1348.

Cette limite au caractère définitif du droit datant au Maroc de 1913 et en France de


1804 s’est révélée exacte et aujourd’hui, la doctrine utilise des expressions comme « d’une
inflation des lois »1349ou « d’une prolifération des lois »1350 voire « d’une crise de la loi »1351,
pour désigner cette évolution. Cette évolution dans l’environnement législatif concerne
également le droit du contrat, malgré la stabilité apparente des articles des D.O.C relatifs au
1346
Ibidem,p.155.
1347
C.Stoyanovith,De l’intervention du juge dans le contrat en cas de survenance de circonstances
imprévues,Th.Aix-Marseille,1941,p.282.
1348
Portalis, Discours préliminaire au 1er projet de Code civil, Coll. Voix de la cité, édition Confluences, 1999,
p.18.
1349
J.Carbonnier,L’inflation des lois, in Essais sur les lois,1979,p.271.
1350
G.Ripert,Le régime démocratique et le droit civil moderne,LGDJ,1936,n°14.
1351
F.Terre,La crise de la loi,in Archives de philosophie du droit,1980,T.25,La loi,p.17.
274
contrat. Des règles spéciales se dégagent, modifiant sur le fond le droit du contrat. A ce
propos, un auteur français a fait ressortir le même constat du Code civil et a souligné que :
« le droit du contrat de notre siècle vieillissant n’est plus qu’en apparence celui de 1804 ; sous
la lettre à peu prés immobile du Code, est apparu et s’est développé, sous l’influence
conjuguée de lois spéciales, de la jurisprudence et de la pratique contractuelle, commerciale
ou notariale, un droit vivant différent du droit écrit, un droit des contrats en dehors de la lettre
figée du Code »1352.La modification du droit du contrat peut avoir des conséquences sur
l’équilibre du contrat.

Ainsi, certaines lois nouvelles peuvent modifier le montant de la prestation en


numéraire du contrat. En droit comparé français, on peut citer, la loi du 11 mars 1957 relative
aux contrats d’édition impose désormais la rémunération proportionnelle et interdit la
rémunération forfaitaire. Cette loi a suscité un certain nombre de conflits, du fait que l’artiste
peut demander d’en bénéficier en vue de retirer un profit par le biais d’une rémunération plus
importante que celle fixée par le contrat. Il en résulte, que l’application immédiate et
rétroactive de cette loi est de nature à porter atteinte aux intérêts des éditeurs et de bouleverser
par voie de conséquence l’équilibre du contrat. D’autres dispositions du contrat peuvent être
modifiées par la loi nouvelle et bouleverser l’équilibre du contrat. On peut citer la durée du
contrat. Dans ce contexte, certaines lois ont allongé la durée du bail commercial de 3 ans à 9
ans ou imposé un délai minimal. L’application immédiate aux contrats en cours aurait soulevé
un bouleversement important de l’équilibre contractuel1353. La plupart des lois qui viennent
réglementer un contrat, imposer des obligations nouvelles ou interdire certaines clauses
modifient l’équilibre du contrat, considéré comme « un bloc de clauses indivisibles »1354 et
immuable.

Cependant, la modification du contexte législative ne représente qu’une menace assez


faible sur l’équilibre contractuel, dans la mesure où la jurisprudence applique les principes de
non rétroactivité et de la survie de la loi ancienne. Cela implique que le conflit des lois dans le
temps en matière de contrats, est réglé exceptionnellement par le principe de la survie de la loi
ancienne sous laquelle le contrat en cours a été conclu. L’effet immédiat de la loi nouvelle est

1352
L.Cadiet, Interrogations sur le droit contemporain des contrats, in Le droit contemporain des contrats, Bilan
et perspectives,1985,p.10,n°3 ;L.Josserand,Aperçu général des tendances actuelles de la théorie des contrats,
RTD civ.1937,p.1,n°1 ;Ph.Le Tourneau, Quelques aspects de l’évolution des contrats en France,in Les journées
de la société de législation comparée, RIDC 1979,p.447,n°1.
1353
Civ.1ére ,5 juillet 1995,Bull.I,n°170.
1354
P.Roubier,Le droit transitoire, Conflits des lois dans le temps, Dalloz et Sirey,1960,p.392.
275
écarté, comme l’effet rétroactif1355. Et le principe de la survie de la loi ancienne s’applique
même quand les dispositions de la loi nouvelle sont impératives. Que le principe de la non-
rétroactivité de la loi nouvelle constitue « une règle supérieur »1356, ou « une règle de la
technique fondamentale », selon l’expression de G.Ripert1357, dont le non respect signifie « le
non droit absolu, la destruction de l’idée de droit »1358.Que le principe de la survie de la loi
ancienne en matière de contrats soit considérée comme « plus ample de protection »1359, cela
n’empêche pas le législateur de déroger quelquefois à l’un ou à l’autre des deux principes.
Cette dérogation serait recommandée par des considérations de justice plus hautes que toute
autre chose. «En tout cas, le législateur a tout pouvoir pour détruire les contrats dont il estime
l’exécution impossible ou injuste »1360.

Dans ce contexte, les cas, dans lesquels la jurisprudence applique immédiatement la


loi nouvelle, restent rares1361. En effet, certaines lois pourraient donner la flexibilité à
l’équilibre contractuel qui, figé au jour de la conclusion du contrat, pourrait très bien se
trouver en décalage avec le contexte juridique dans lequel il doit vivre. Il convient de montrer
que si l’évolution du contexte juridique demeure encore un peu influant, celle de
l’environnement peut entrainer à une mobilité plus importante de cet équilibre.

b- L’influence du changement de l’environnement économique

L’équilibre du contrat se trouve menacer par l’évolution de la conjoncture


économique. En réalité, « le désir des contractants de se prémunir contre les effets des
modifications de la conjoncture est fort ancien », puisque le droit romain s’en préoccupait
déjà1362.Ce n’est qu’avec la Première guerre mondiale que l’instabilité économique et
monétaire est devenue durable »1363.Notamment la monnaie qui a cessé de remplir de ces trois

1355
P.Roubier,Le droit transitoire,2e éd.,1960,pp.360 et s.
1356
P.Roubier,Le droit transitoire, op.cit.,p.322.
1357
G.Ripert,Les forces créatrices du droit,Paris,1935,p.322.
1358
G.Ripert,Le déclin du droit. Etudes sur les législations contemporaines, Paris,1949,p.179.
1359
P.Roubier,Le droit transitoire, op.cit.,p.392.
1360
G.Ripert,Le régime démocratique,et le droit civil moderne,Paris,1935,p.289.
1361
Dans certains cas la jurisprudence applique immédiatement la loi nouvelle bouleversant l’équilibre du
contrat comme en matière de taux d’intérêt. Pour ce point voir Paris,21 octobre
1935,Gaz.Pal.1935,II,854 ;Trib.civ.Seine,19 novembre 1936,Gaz.Pal.1937,I,127 ;Angers,12 janviers
1937,Gaz.Pal.1937,I.433.
1362
J.P.Delmas-Saint-Hilaire,L’adaptation du contrat aux circonstances économiques, in La tendance à la
stabilité du rapport contractuel,1960,p.209,n°29 ;P.Laloux, Etude critique des moyens de se prémunir contre les
répercussions de l’instabilité monétaires dans les contrats à long terme,1925,p.7 et 25.
1363
A.Trasbot,La dévaluation monétaire et les contrats de droit privé, in Le droit privé français au milieu du
XXème siècle, Etudes offertes à G.Ripert,T.II,1950,p.159 : « Ceux qui ont vécu la belle époque antérieure à
1914 ne peuvent se défendre presque chaque jour d’une comparaison (…) Mais, si la sécurité sociale n’existait
pas, on possédait la sécurité économique et juridique avec une monnaie saine assurant la stabilité » ;M.M.El-
276
fonctions, permettant à la fois la mesure, le paiement et la conservation des valeurs, elle n’en
remplit plus qu’une seule :le paiement1364.Cette insécurité monétaire s’explique par le fait que
la monnaie ne représente plus nécessairement une quantité définie et fixe de métal
précieux1365. Ce contexte monétaire s’accompagne de difficultés économiques fréquentes. Les
crises de 1929, de 1970, fin du siècle, et de 2007, confirment cette instabilité chronique
caractérisant le XXème siècle1366et début du XXIème siècle.

L’équilibre contractuel est influencé non seulement par ces crises particulières mais
aussi par des modifications moins brutales de l’environnement économique, monétaire et
technique. « Des mouvements imprévus des prix, des perturbations des taux de change ou
encore une évolution technologique peuvent obliger les parties à une exécution beaucoup plus
onéreuse »1367.Il existe aussi, d’autres causes de bouleversement de l’équilibre du contrat. On
peut citer à titre d’exemple la hausse du coût des matières premières ou des coûts de
production1368.

L’évolution des événements économiques, politiques ou techniques peut avoir des


conséquences importantes et plus rapides sur le contrat et qui est encore plus difficilement
maîtrisable au plan international qu’au plan national en raison de la mondialisation
irréversible de l’économie1369. Cette évolution internationale a des répercussions sur le
contrat, que ne pouvaient pas deviner les rédacteurs du D.O.C : « Au point de vue juridique,
la grande victime de l’instabilité est le contrat. Le déséquilibre entraîne, pour les contrats en
cours, des avantages inespérés pour les uns, des pertes injustes pour les autres »1370.La rupture
de la règle d’équivalence entre les prestations réciproques fixées par le rapport contractuel
peut être atténuée par un premier moyen qui a été longtemps défendu : refuser d’admettre que
le contexte évolue et que le contrat en subit les conséquences. Cependant, ce remède a été

Gammal,L’adaptation du contrat aux circonstances économiques, LGDJ,1967,n°274 et 245 ;M.Billiau et


J.Ghestin,Le prix dans les contrats de longue durée,1990,n°42.
1364
A.Toulemon,Les étapes de la jurisprudence en matière d’échelle mobile, RTDcom,1958,p.697.
1365
P.Laloux,Etude critique des moyens de se prémunir contre les répercussions de l’instabilité monétaire dans
les contrats à long terme,1925,p.8.Il montre la distinction entre la valeur interne d’une monnaie et sa valeur
nominale, facile, qui peuvent ne pas correspondre.
1366
Les mécanismes de la crise économique mondiale, in L’histoire, décembre 1953,p.37 et
s ;C.Stoyanovitch,De l’intervention du juge dans le contrat en cas de survenance de circonstances imprévues,
Th.Aix-Marseille,1941,p.336 à 342.Il décrit les évolutions importantes dans le domaine politique, économique et
sociale survenues depuis le Code civil jusqu’en 1941.
1367
A.S.Lavefve,Les clauses d’adaptation, Vers une pérennité contractuelle, Mem.DEA. de Droit économique
d’Orléans,1997,n °2.
1368
D.M.Philippe, Changements de circonstances et bouleversement de l’économie
contractuelle,Th.Bruxelles,1986,p.148.
1369
M.Van Camelbeke,L’adaptation du contrat international aux circonstances économiques nouvelles, in Les
modifications du contrat au cours de son exécution en raison de circonstances nouvelles,p.169.
1370
A.Trasbot,La dévaluation monétaire et les contrats de droit privé,op.cit.,p.160.
277
remis en cause par le droit contemporain, bâti sur l’équilibre contractuel et donnant lieu à la
naissance de la nouvelle conception de la force obligatoire du contrat. Une nouvelle tendance
conçue sur une souplesse contractuelle. Il existe d’autres techniques : pour se protéger contre
tout éventuel déséquilibre dans le contrat. Il permet au contrat de s’adapter et de se
transformer en fonction de l’influence du contexte économique où il vit, d’une vision statique
à une vision dynamique à travers le recours à des clauses ayant pour fonction l’adaptation de
l’équilibre contractuel1371.

Dés lors, il convient de dire que le contenu du contrat est en relative stabilité. Si le
contexte change, le contenu du contrat évolue selon une vision dynamique. En effet, il s’agit
de rechercher quels sont les mécanismes permettant de la mise en œuvre de la nouvelle
conception moderne de la force obligatoire .Cela consiste à rechercher l’équilibre dynamique
du contrat et d’exposer la perception de la notion d’équilibre par le droit administratif
notamment en matière des marchés publics.

Paragraphe 2: Le recours aux nouveaux instruments d’équilibre contractuel


dynamique
La nouvelle conception de la force obligatoire du contrat dans sa perspective
dynamique, vise l’institution d’un contrôle dynamique de l’équilibre contractuel. Les
mécanismes classiques paraient alors incapables d’assurer la protection de cet équilibre dans
toutes les hypothèses de déséquilibre qui peuvent se manifester. Ces moyens sont donc au
service d’une force obligatoire statique : le respect de la parole donnée. Or, il a été démontré
que le contenu du contrat évolue selon une vision dynamique en fonction de l’évolution du
contexte économique où il vit. La mise en œuvre de la nouvelle tendance de la force
obligatoire du contrat exige à concevoir des nouveaux instruments pour suppléer aux
défaillances des mécanismes d’équilibre statique. Dans ce sens, il est approprié de traiter
l’opportunité du recours au raisonnable1372 (A) et à la proportionnalité1373 (B) en tant que
moyens de mesure de l’équilibre contractuel qui rompent avec une conception figée du
contenu obligationnel, et contribuent à la limitation des situations de vulnérabilités en
produisant un contrepouvoir à la rigidité originelle de l’autonomie de la volonté qui

1371
Ph.Stoffel-Munck, Regards sur la théorie de l’imprévision, Vers une souplesse contractuelle en droit privé
français contemporain,Mém.DEA.Aix-Marseille,1994,n°104 à 112.
1372
L.Fin-Langer,L’équilibre contractuel,pref.C.Thiegierge,BDP,366, thèse, LGDJ , Paris,2002,n°130 ;Dans le
même sens, V.S.Lebreton,L’exclusivité contractuelle et les comportement opportunistes, thèse, Paris,
II,1998,n°133 : « L’équilibre contractuel s’entend aujourd’hui, non de la personne des contractants, mais du
contrat lui-même, du contenu des droits et des obligations des parties au sein de celui-ci ».
1373
V.par ex.S.Le Gac-Pech,La proportionnalité en droit privé des contrat, thèse, p.49 et s. ;D.Bakouche,L’excès
en droit civil,pref.M.Gobert,BDP, thèse,tome 432,Paris,LGDJ,2005,p.38 et s.
278
constituait classiquement le fondement de la force obligatoire du contrat dont sa
fonctionnalité n’est plus adaptée avec la réalité du contrat contemporain.

A- La recherche de l’équilibre contractuel par l’instrument du raisonnable

L’idée d’équilibre contractuel peut renvoyer à l’idée de justice, cette forme de justice
ne concerne pas les contractants mais le contrat. Autrement dit, « l’équilibre contractuel
s’entend (…) non de la personne des contractants, mais du contrat lui-même, du contenu des
droits et obligations des parties au sein de celui-ci »1374.Cela s’explique, par le fait que le but
de l’équilibre contractuel « consiste à réaliser la justice à l’intérieur même de la relation
entre les deux patrimoines. Le recours au raisonnable comme instrument d’équilibre
contractuel participe à cette approche plus économique et utilitaire et concrétise le but de la
conception moderne de la force obligatoire du contrat. Le raisonnable en tant que moyen de
régulation est très présent en droit comparé (1), ce qui révèle sa valeur important en ce qu’il
contribue à un équilibre dynamique et explique la réalité du contrat vivant qui s’oppose par
sa conception flexible adaptée aux circonstances de l’espèce à la fixité et àla rigidité qui
caractérise le contratclassique (2).

1- Le raisonnable en droit comparé

Le raisonnable est un standard juridique1375. Cela signifie qu’il « instaure un dialogue


entre l’extra-juridique et le juridique »1376. Son existence en droit comparé1377 reflète
clairement son utilité en matière contractuelle. Il en est ainsi en droit anglais, généralement
présenté comme le « berceau » de la notion. A l’appui d’une telle affirmation, on peut
évoquer l’idée selon laquelle « le droit anglais, dans sa conception originelle et profonde, est
tout entier construit sur la raison, sur la reasonableness sur l’exigence d’être
raisonnable »1378.On situe la référence à la notion de reasonableness au droit médiéval du

1374
S.Lebreton, L’exclusivité contractuelle et les comportements opportunistes,
pref.M.Pedamon,Litec,Paris,p.132.
1375
Sur la notion de standard. V. entre autres :M.O.Stati :Le standard juridique, thèse, Paris,Librairie de
jurisprudence ancienne et moderne,1929 ;Les restrictions contractuelles à la liberté individuelle du travail dans la
jurisprudence anglaise. Contribution à l’étude comparative de la règle de droit et du standard, thèse, Giard,1925 ;
« Le standard juridique »,Mélanges F.Gény,tome II,Paris Duchemin,1977,p.144 ;Les standards dans les divers
systèmes juridiques, Actes du premier congrès de l’Association Internationale de Méthodologie juridique,
organisé à Aix Ŕen Provence le 5,6 et 7 septembre 1988,RRJ 1988-4,p.805 et s. ;S.Rials,Le juge administratif
français et la technique du standard (essai sur le traitement juridictionnel de l’idée de
normalité),préf.P.Well,BDP,tome 135,LGDJ,Paris,1980 ; « Les standards, notion critique du droit »,in :Les
notions à contenu variable en droit, Etudes Perelman, Bruxelles,1984,p.39 et s.
1376
L.-M.Duong,Le raisonnable en droit économique ,thése Nice,2004,n°161,p.162.
1377
G.Weisberg,Le raisonnable en droit du commerce international, thèse, Paris,2003,n°30 et s.
1378
V.H.A.Schwartz-Liebermann : « Les notions de right reason et de reasonable man en droit anglais »,in :Les
formes de rationalité en droit APD,t.23,1978,p.45.
279
XIIe siècle, et son développement pendant les deux siècles suivants1379. L’omniprésence du
raisonnable en droit anglais s’expliquerait également par le fait qu’il s’agit d’un système
pragmatique. A ce propos, un auteur anglais souligne que « le droit anglais est le reflet d’une
appréhension pragmatique et expérimentale des choses »1380.Or, le raisonnable s’identifie
exactement à cette « raison expérimentale (…) qui compare les phénomènes et en tire des
conclusions »1381.On peut affirmer même qu’on est là en présence d’un critère permettant
d’identifier les droits faisant partie de la Common law »1382.Il est également utilisé en droit
néerlandais1383, québécois1384, allemand1385 et en droit belge.

Le recours au raisonnable est plus important .En droit du commerce international1386,à


titre d’exemple, un auteur anglais constate que, dans les sources formelles et en matière de
droit matériel, « c’est (…) le trop plein qui caractérise le raisonnable »1387.Le même auteur
recense alors, dans la Convention de Vienne du 11 avril 1980,une quarantaine de références
au raisonnable1388. De même, certains auteurs affirment que le raisonnable fait partie de ces
notions sur lesquelles « dépend le succès futur de la convention »1389 et qu’il y a là « volonté
d’ériger le « ‘raisonnable’ en règle générale de droit »1390.Consacré comme un principe, il y
serait même reconnu comme « un principe dominant »1391.

La référence au raisonnable s’accentue davantage dans les Principes Unidroit et les


Principes du droit européen du contrat. Dans les premiers, on retrouve le raisonnable à 53

1379
G.Weisberg,Le raisonnable en droit du commerce international, thèse préc.,n°33.Ce développement serait lié
« au cours, à partir du XIVe siècle (XVe siècle pour d’autres),aux jugements en équité, prononcés par les Courts
of Equity-plus précisément, la Court of Chancery ».
1380
O.Moréteau,Droit anglais des affaires,1re éd.Dalloz,2000,n°15,p.9.
1381
V.H.A.Schwartz-Liebermann von Wahlendore: « Les notions de right reason et de reasonable man en droit
anglais »,art.pré.p.44.
1382
Pour ce point, v.G.Tixier : « La règle de reasonableness dans la jurisprudence anglo-américaine »,RDP
1956,p.276 : « La rule of reasonableness a une importance telle qu’elle pourrait servir de critère pour reconnaître
si un droit déterminé s’apparente à la common law ».
1383
Voir l’article 6-248 du nouveau Code civil : « un lien juridique n’est pas exécutoire dans la mesure où, dans
les circonstances de l’espèce, ce lien est inacceptable selon les critères du raisonnable ».
1384
Voir l’article 7 du Code civil québécois : « aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d’une
manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l’encontre des exigences de la bonne foi ».
1385
V.en ce sens ,les développements de W.Joachim, ‘The ‘Reasonale Man’ in United States and German
Commercial Law’,The Comparative Law Yearbook of International Business,1992,p.341 et s.
1386
V. entre autres, F.Diesse, « La bonne foi, la coopération et le raisonnable dans la convention des Nations
Unies relative à la vente internationale de marchandises »,(CVIM),JDI 2006 ,p.55 et s ;V.Fortier, « Le contrat du
commerce international à l’aune du raisonnable »,JDI,1996,p.315 et s ; S.Reifegerste et G.Weisberg :
« Obligation de minimiser le dommage et « raisonnable » en droit du commerce international »,RDAI
n°2,2004,p.182 ;G.Weisberg,Le raisonnable en droit du commerce international, thèse préc.
1387
G.Weisberg,Le raisonnable en droit du commerce international, thèse préc.n°110.
1388
Ibid.,n°248.
1389
C.Wittz, « CVIM : interprétation et questions non couvertes », RDAI, 2001, n°3-4, p.254.
1390
F.Diesse, « La bonne foi, la coopération et le raisonnable dans la convention des Nations Unies relative à la
vente internationale de marchandises »,art.préc.p.80.
1391
Ibid.,p.82.
280
reprises tandis que dans les seconds, on peut compter jusqu’aux 82 renvois à la
notion1392.L’utilisation du raisonnable en droit international trouve sa justification dans la
fonction qu’il assure : « il permet le consensus »1393.Dans le même d’ordre d’idée, on
reconnaît plus spécialement que « souvent le recours au « raisonnable » dans les principes
unidroit et européens, vient que l’on n’arrive pas se mettre d’accord sur quelque chose de
plus précis. On met le « raisonnable tout en sachant que ce « raisonnable »- « sera interprété »
par le juge ou l’arbitre anglais qui n’appréciera pas le « raisonnable » comme le juge ou à
l’arbitre français ou allemand » 1394.

L’utilisation du raisonnable en droit marocain comme en droit français n’est pas


consacrée de manière expresse. On affirme que le raisonnable est une notion d’origine
étrangère et qu’il ne s’associe pas nécessairement avec la tradition juridique marocaine que
celle française1395. A ce propos, un auteur français, a donné une explication de cette réticence
et a écrit que « le législateur français tient à formuler des règles précises et ne veut pas
laisser aux juges le pouvoir que discrétion et reasonable attribuent si largement aux juges
anglais »1396.Or, Delebecque souligne que « plus profondément, le concept du ‘raisonnable
peut parfaitement s’intégrer dans le système romano- germanique. Il suffit de s’entendre sur
les mots »1397.En ce sens, Max Weber a montré que « l’idée de rationalité était une des
marques profondes de l’Occident, qu’elle nous venait du droit romain et du droit canon et
caractérisait les codifications contemporaines »1398.Ainsi, un auteur affirme que « le droit
romain était raisonnable, imprégné de philosophie dés Cicéron, et tout au long de son histoire,
formé par la sagesse et l’expérience »1399. Il se déduit que le raisonnable a toujours été présent
en droit français mais que son développement est encore récent1400. Ce développement

1392
Selon G.Weisberg,Le raisonnable en droit du commerce international, thèse préc.n°320.
1393
L.Flament,Le raisonnable en droit du travail, Droit social, n°1,janvier 2007, n°9,p.18.
1394
D.Tallon,cité par Weisberg,Le raisonnable en droit du commerce international, thèse préc. n°302, note 704 à
l’occasion d’un entretien avec l’auteur.
1395
V.sur ce point, H.Seillan, « Sécurité du travail et ordre public », Dr.soc.1989, p.371, n°10 : « Des concepts
nouveaux apparaissent. Des catégories juridiques inconnues jusqu’ici de notre droit, modifient déjà certains de
ces caractères. Des difficultés d’interprétation vont naître, car notre culture juridique est étrangère à certaines
d’entre elles. Ainsi des « valeurs limites vont-elles inonder la prévention. Ainsi le concept de ‘raisonnable
acceptable ou possible’ va -t-il pénétrer nos règlements ».
1396
L.-Ph.Pigeon, « La tradition juridique- l’équivalence fonctionnelle »,in :Langage du droit et traduction.
Essais de jurilinguistique, sous la direction de J.CI.Gemar,Montréal,Linguatech et Conseil de la langue
française,1982,p.281.
1397
Ph.Delebecque, « Les standards dans les droits romano-germaniques »,RTJ 1988-4,n°15,p.884.
1398
Ph.Malaurie, « Conclusion »,in :Le contrat :questions d’actualité, LPA 5 mai 2000,n°90,p.74 et s.
1399
A.-J.Arnaud,Les origines doctrinales du Code civil français, Paris,1969,p.70-71.
1400
V.G.Khairallah, « Le ‘raisonnable’ en droit privé français, développements récents »,RTD civ.,1984,p.446 et
s.
281
s’accentue et se matérialise essentiellement par le biais de la notion de délai raisonnable qui
innerve actuellement le droit processuel et le droit du contrat.

De cette démonstration, on peut confirmer que le raisonnable n’est pas étranger ni au


droit français des contrats ni au droit marocain. De même, il convient de dire que « le contrat
raisonnable ‘constitue’ pour le droit un objectif à atteindre »1401.Le Code civil français se
réfère expressément à la notion dans son article 1112 relatif à la violence1402 et de manière
implicite à l’article 1152 qui vise la peine « manifestement excessive ou dérisoire ».Aussi, le
raisonnable trouve sa place en droit des contrats par le biais de certains textes internationaux,
en vigueur au Maroc qu’en France, à l’instar de la Convention de Vienne sur la vente
internationale de marchandises. La référence expresse à la « raison » dans l’avant projet de
reforme du droit des obligations et de prescription présenté par Catala1403 constitue une
illustration révélatrice de cette tendance. Mais actuellement, force est de constater que la
notion n’y pas encore consacrée de manière expresse comme un principe ou un simple thème
du droit français des contrats, contrairement à certaines notions voisines1404. Il en est ainsi par
exemple de la bonne foi dont la place importante est reconnue au stade de la formation que
de l’exécution du contrat.

Même si la notion n’est utilisée expressément que de façon marginale en droit


positif1405, Une telle réflexion se justifie par le fait que le droit contemporain a besoin des
nouveaux mécanismes pour jouer le rôle de régulateur en matière de l’équilibre contractuel
selon une vision dynamique. Pour cette fin, il est utile de mettre en évidence les apports réels
et potentiels du raisonnable au droit des contrats et plus particulièrement sa contribution dans
la mise en œuvre de la nouvelle conception de la force obligatoire du contrat, conçue sur la
souplesse et l’équité contractuelle, à travers la recherche de l’équilibre contractuel dans sa
perspective dynamique.

2- L’opportunité du raisonnable dans la recherche de l’équilibre dynamique

Le droit positif avait largement opté pour une approche subjective en matière de
recherche d’équilibre contractuel. Le recours au raisonnable permet alors de consacrer,

1401
P.Markhoff,Le droit entre raison et déraison. Contribution à l’étude du rôle de la raison dans la pratique
judiciaire, thèse Toulouse,2006,n°546,p.332 (sur le développement de l’idée v.p.327 et s.).
1402
Le principe est ici entendu comme : « une idée générale, ne visant pas, comme la règle, des faits précis ; il est
dégagé d’un ensemble des règles liées entre elles par une certaine relation logique, et c’est l’idée commune qui
est à la base de toutes ces règles qu’on formule en « principe ».
1403
Article 1139 : « Le contrat s’interprète en raison et en équité ».
1404
Ramparany -Ravololomiarana, Le raisonnable en droit des contrats, op.cit.p.18.
1405
Ibid,p18.
282
exclusivement, une approche objective, une approche focalisée sur le déséquilibre du contenu
du contrat sans se référer systématiquement aux comportements des parties. Le contenu
contractuel présente un caractère raisonnable dans le cas où il permet de satisfaire la finalité
poursuivie. Cela implique que l’appréciation du caractère de déséquilibre se fait en fonction
de l’opération économique poursuivie et n’oblige pas à remonter vers les sources de ce
déséquilibre.

Selon cette approche, le comportement des parties et leur qualité constituent un peu
d’importance aussi bien dans la détermination du déséquilibre que dans sa sanction ; seule
l’adéquation des moyens à la finalité poursuivie est prise en considération. Une telle
approche est inconcevable dés lors qu’on a recours à la bonne foi ou à « l’équité des
contractants, c’est-à-dire celle qui se confond avec la bonne foi »1406.Le renvoi aux
comportements et aux qualités des parties est nécessaire dans l’appréciation du déséquilibre
comme dans la mise en œuvre de sa sanction1407.Cependant, l’appréciation objective du
déséquilibre présente une double avantage .Ainsi ,il permet le respect de la fonction
économique du contrat et la sanction du déséquilibre même en dehors d’une faute
comportementale dans l’hypothèse où la finalité attendue par le contrat l’exige. Le recours au
raisonnable, comme instrument de recherche d’équilibre contractuel vise alors l’appréciation
de l’excès et non l’abus, de la dérision et non de la faiblesse.

La doctrine soutient l’idée selon laquelle, la recherche de l’équilibre contractuel est


dictée par la justice contractuelle. Cela implique que « chacune des parties doit recevoir
l’équivalent de ce qu’elle donne »1408 .Ainsi, affirme-t- on que « considéré dans sa fonction
principale d’instrument d’échange de biens et de services, le contrat est (…) soumis au
principe de justice commutative. Il ne faut pas qu’il détruise l’équilibre qui existait
antérieurement entre les patrimoines »1409. Cela peut s’exprimer par le fait que chacune des
parties renvoie l’équivalent de ce qu’elle donne. Cependant, il convient d’affirmer que la
recherche de l’équilibre ne se limite uniquement à cette simple approche purement

1406
Karine de la Asuncion Planes,La réfaction du contrat,préf.Y.Picod,op.cit., p.247.
1407
A rapprocher de Y.Picod, Commentaire des articles 1134 et 1135 du Code civil français n°7,p.5 : pour qui,
le recours à l’équité permet « au juge une double possibilité d’immixtion dans le contrat : elle lui permet tout
d’abord d’évaluer une conduite individuelle lors de l’exécution de la convention et de la sanctionner : sa
fonction est alors évaluatrice ; elle lui (permettrait) ensuite de déterminer le contenu contractuel en se référant à
une éthique de solidarité et de communauté d’intérêts :sa fonction est alors soit complétive soit éventuellement
adaptatrice, ce qui la place ici dans une double perspective par rapport au principe de la force obligatoire du
contrat ».
1408
J.Ghestin, « La justice contractuelle »,in : Exigences chrétiennes et le droit de l’entreprise, Actes du 7 e
colloque national des juristes catholiques, Paris,13-14 décembre 1986,p.34 à 40.
1409
J.Ghestin, Traité de droit civil,La formation du contrat,3e éd,LGDJ,Paris,1993,n°253.
283
quantitative, il vise également la recherche d’un équilibre quantitative. Le raisonnable n’est
pas limité par la distinction classique formation-exécution du contrat. Pourtant, il permet de
traiter aussi bien un déséquilibre initial qu’un déséquilibre survenu en cours d’exécution du
contrat dés lors que ceux-ci font obstacle à l’efficacité de l’opération contractuelle poursuivie
par les parties. De même, il est utilisé pour sanctionner un déséquilibre qui mine l’opération
contractuelle indépendamment de la qualité des parties au contrat.

Le recours au raisonnable contribue également à la recherche maitrisée de l’équilibre


contractuel. Il est évident que la recherche d’un équilibre parfait entre les prestations et entre
les droits et les obligations des parties au contrat n’est qu’une illusion et ne correspond ni à la
nature ni à la fonction économique du contrat1410. En réalité les parties du contrat ne cherchent
pas une égalité parfaite des prestations, « c’est au contraire une différence de valeur entre les
prestations que chaque partie escompte »1411.Ainsi, le respect de la fonction économique du
contrat nécessite, dans le cas de déséquilibre avéré, le rétablissement de celui-ci qui doit
s’orienter vers la recherche d’une efficacité optimale, même si cela se traduit par un
déséquilibre mathématique1412.

La recherche de l’équilibre contractuel par le biais du raisonnable correspond donc


uniquement à la recherche d’une simple proportion si l’on admet « qu’en voulant imposer la
proportionnalité du contrat, on ne poursuit pas pour autant une stricte équivalence »1413. Selon
Carbonnier, il s’agit d’un principe « ramené à une exigence un peu vague d’équilibre
raisonnable »1414.L’équilibre raisonnable s’explique par le fait que tous les éléments de la
matière du contrat se trouvent en état de proportionnalité, d’adaptabilité en fonction de
l’objectif escompté sans qu’il soit nécessaire de parvenir à une égalité parfaite des prestations
ou des droits et obligations des parties. L’utilisation du raisonnable en tant que moyen
dynamique d’adaptation du processus contractuel est « orientée vers un équilibre global qui

1410
Hobinavalona Ramparany -Ravololomiarana, Le raisonnable en droit des contrats, op.cit.p.219.
1411
A.Brusin, Essai sur la notion d’imprévision et sur son rôle en matière contractuelle, thèse Bordeaux, 1922,
P.328.
1412
A rapprocher avec la conception purement économique de l’équilibre contractuel. Par
exemple :L.Grynbaum,Le contrat contingent, L’adaptation du contrat par le juge sur habilitation du législateur
,thése II,1986,n°56 : le contrat est « objectivement équilibré, dés lors que l’une des parties au moins voit sa
richesse augmenter, sans que la situation de l’autre soit altérée. On peut encore l’exprimer par une autre
formule, en estimant qu’il y a équilibre contractuel lorsque le contrat permet de réaliser un optimum de création
de richesses par un échange donné. L’optimum sera considéré comme réalisé quand bien même une des parties
perd une chance de s’enrichir, mais ne s’appauvrit pas. En effet, il est essentiel que la richesse globale des
contractants augmente, sans que la situation de l’un d’entre eux ne se dégrade ».
1413
Sophie LE Gac-Pech, La proportionnalité en droit privé des contrats, Paris, L.G.D.J., 2000, n°83, p.46.
1414
J.Carbonnier,Droit civil, Introduction, Coll. Thémis,25 e éd.1997,n°53.
284
admet alors la disproportion dans la mesure où celle-ci ne perturbe pas l’équilibre
global »1415.

Ainsi, la référence au raisonnable est exigée dans l’hypothèse du déséquilibre qualifié


inadmissible en imposant un rééquilibrage. Un déséquilibre déraisonnable correspond donc à
ce qui est « manifestement excessif ou dérisoire »1416 , à ce qui « manifestement exagéré »1417
ou « manifestement disproportionné »1418, ou encore à ce qui est « significatif »1419.Le
déséquilibre donne donc lieu à une sanction mais à condition qu’il soit manifestement
excessif, dérisoire, exagéré, ou « choquant », c’est le sens de l’esprit de l’article 3.10 des
principes Unidroit1420.

Le recours au raisonnable, en tant que moyen pour rechercher l’équilibre contractuel


selon une approche purement objective et dynamique, implique l’existence d’un déséquilibre
inacceptable qui dépasse le seuil de ce qui est tolérable pour la poursuite du rapport
contractuel. Il en résulte que le rétablissement de l’équilibre par le biais du raisonnable se
résume à la recherche d’une juste proportion entre la finalité de l’opération contractuelle et les
moyens utilisés en vue de la satisfaire. La particularité du raisonnable est d’introduire dans le
droit rigide une toute flexibilité ainsi que de mettre à la disposition du juge le pouvoir de
s’immiscer dans le contrat telle la tendance de la conception moderne de la force obligatoire
du contrat. Or la faiblesse du raisonnable réside donc dans les risques d’insécurité
juridique1421. La sécurité juridique, en matière contractuelle, se traduirait donc par la

1415
L.- M.Doung,Le raisonnable en droit économique, thèse , Nice 2004,n°365,p.370.
1416
En droit comparé français, v.l’article 1152 du Code civil : « Lorsque la convention porte que celui qui
manquera de l’exécuter payera une certaine somme à titre de dommages-intérêts, il ne peut être alloué à
l’autre partie une somme plus forte ni moindre. Néanmoins, le juge peut, même d’office, modérer ou augmenter
la peine qui avait été convenue, si elle est manifestement excessive ou dérisoire ».
1417
En droit comparé français, v. par exemple l’article L.132-13 du Code des assurances : « Le capital ou la rente
payables au décès du contractant à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni (…) ni à celles de l’atteinte à la
réserve des héritiers du contractant. Ces règles ne s’appliquent pas (…),à moins que celles Ŕ ci n’aient été
manifestement exagérées eu égard à ses facultés ».
1418
En droit comparé français, v. par exemple l’article L.313.10 du Code de la consommation : « Un
établissement de crédit ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement d’une opération de crédit (…), conclu
par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses
biens et revenus » :article L.341-4 du Code de la consommation : « Un créancier professionnel ne peut se
prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa
conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus » ; Cass.civ.1er ,22 octobre
1996,Bull.civ.I,n°362,p.254.
1419
En droit comparé français, v. par exemple l’article L.132-1 du code de la consommation : « Dans les
contrats conclus entre professionnels et non Ŕ professionnels ou consommateurs, un déséquilibre significatif
entre les droits et les obligations des parties au contrat ».
1420
Selon le commentaire, « Comme le terme « excessif » la dénote, même une disparité considérable dans la
valeur et le prix ou tout autre élément qui bouscule l’équilibre des prestations ne suffit pas à permettre
l’annulation ou l’adaptation du contrat en vertu du présent article. Ce que l’on exige, c’est que le déséquilibre
soit si grand dans les circonstances qu’il choque la conscience d’une personne raisonnable ».
1421
Hobinavalona Ramparany -Ravololomiarana, Le raisonnable en droit des contrats, op.cit.p.223.
285
prévisibilité et la stabilité. La sécurité juridique impose de refuser tout changement et toute
intervention extérieure au contrat qui est souvent considéré comme « l’avenir anticipé ».Dans
ce sens, il faut admettre, comme l’affirmait Demogue que « pour avoir la sécurité complète, il
faut l’immobilité indéfinie de la société »1422.L’auteur continue que « cette sécurité si
importante, dont on fait volontiers la base de droit, est un idéal utopique dans une certaine
mesure (…).Ainsi tout sacrifier à la sécurité, c’est ne viser qu’a un but qu’il est impossible
d’atteindre complètement »1423.Il convient donc de concilier ce besoin de sécurité avec le
nécessaire mouvement qui affecte ou qui entoure le contrat1424 ,c’est-à- dire concevoir une
telle adaptabilité du contrat aux transformations de l’environnement où il vit. Le recours au
raisonnable en droit des contrats nous semble soucieux de cette conciliation1425. La nouvelle
conception de la force obligatoire du contrat peut être mise en œuvre également par le biais du
principe de proportionnalité qui constitue un nouveau marqueur d’équilibre et un outil pour
suppléer aux défaillances des mécanismes classiques.

B- La recherche de l’équilibre contractuel par l’instrument de proportionnalité

Le contrat contemporain peut-il considéré comme étant la conception et la propriété


des paries ? Le recours aux nouveaux instruments de gestion du processus contractuel, axés
sur une mise en œuvre fonctionnelle, adaptée à la nouvelle configuration du contrat, pourrait
donner une réponse affirmative et concrète. Par le moyen de proportionnalité utilisé

1422
René Demogue, Les notions fondamentales du droit privé,op.cit.p.86.
1423
Ibid. Dans le même sens,V.A.-A.AL-Sanhoury, « Le standard juridique »,in :Recueil d’études sur les sources
du droit en l’honneur de F.Gény,Les sources générales des systèmes juridiques actuels, Paris 1934,p.144 : « On
commence maintenant à reconnaître que la stabilité est une chimère ; elle ne peut pas résister aux
transformations de la vie ,et c’est une autre besoin, plus impérieux et moins facile à réaliser, qu’il faut
satisfaire : le besoin d’adaptabilité ».
1424
Voir sur la règle du droit en général :V.Fortier, « La fonction normative des notions flous »,RRJ 1991-
3,n°1 ,p.756 : « La règle de droit doit alors répondre à deux exigences essentiellement contradictoires : d’une
part- pour remplir la fonction sociale du droit c’est -à- dire assurer l’ordre et la paix dans la sécurité-la règle
devra être ferme et rigide ;d’autre part, régir les rapports économiques et sociaux implique une certaine
souplesse de la norme exprimée ».
1425
Voir en ce sens concernant le recours aux standards en général : V.A.-A.AL-Sanhoury, « Le standard
juridique » art.préc.p.155. : « La stabilité absolue des relations juridiques est donc un idéal qu’on ne pourra
jamais atteindre ;on doit se contenter d’une stabilité relative. Et cette stabilité relative, on pourrait l’obtenir au
moyen d’un système de standards et de sous-standards, (…).On arriverait par là au maximum de précision
possible sans perdre la souplesse inhérente à la nature même du standard. C’est ainsi qu’on pourra réaliser la
conciliation entre les deux besoins en conflit de tout système juridique :le besoin de stabilité et celui
d’adaptabilité »,V.Fortier, « La fonction normative des notions floues » ,art.préc.,n°2,p.756 : « A cette antinomie
naturelle que renferme le droit, à cette dialectique de la stabilité et changement, de la sécurité et de la nécessaire
mobilité du droit, répondent les notions floues à contenu variable et les standards : notions dont l’expression, le
signifiant reste constant mais dont le domaine, le champs, le signifié est mouvant, et évolue notamment en
fonction de facteurs spatio-temporels »,Contra Ph.Delebecque, « Les standards dans les droits romano -
germaniques »,RRJ 1988-4 ,n°14.884 : « La vie des affaires a besoin de souplesse, mais aussi de sécurité. Les
standards ne parviennent pas toujours à concilier les deux objectifs, du moins dans les droits romano-
germaniques, car dans la common law,la règle du précédent évite les débordements ».
286
récemment en droit privé pour adapter l’équilibre du contrat selon une nouvelle conception.
Ce mécanisme qui rompe avec une conception classique figée du contenu obligationnel, a
pour finalité de limiter les situations de vulnérabilités en constituant un contrepouvoir à la
rigidité originelle de l’autonomie de la volonté. Ainsi, que le principe de proportionnalité est
mis à contribution pour assurer l’opération de conciliation des intérêts légitimes des parties et
garantir la sécurité juridique. Dans ce sens, l’étude sera focalisée sur la finalité du principe de
proportionnalité en matière de réparation du déséquilibre contractuel (1), tout en mettant en
exergue les sanctions envisagées dans l’hypothèse de violation de l’exigence de
proportionnalité (2).

1-La finalité de la proportionnalité en droit comparé

Le principe de la proportionnalité caractérise le contrôle fonctionnel ou encore


dynamique des comportements ou des actes des parties au lien contractuel1426. Ce principe fait
l’objet de discussions récentes en droit du contrat. Si la notion depuis fort longtemps connue
en droit public, son apparition en droit du contrat suscite des interrogations. Dans ce sens, un
colloque organisé en 1998 et ayant pour thème « existe-t-il un principe de proportionnalité en
droit privé ? », n’a pu apporter de réponse définitive tant la question semble
controversée1427.Une des difficultés majeures réside dans la définition même de la
proportionnalité.

Le principe de la proportionnalité qui fait partie de la catégorie des instruments


d’équilibre, est aujourd’hui timidement évoqué dans les analyses relatives à la recherche de
l’équilibre contractuel1428.La proportionnalité peut désigner un simple rapport mathématique
constant entre deux éléments1429. Selon Gérard Cornu, la proportionnalité revêt deux sens.
Elle caractérise un rapport mathématique constant et est, par extension, la juste mesure, un
principe de modération ou encore d’adéquation1430.Cette première définition peut se résumer
à l’utilisation d’une proportion. Cette solution est fréquente en droit, y compris en droit du
contrat. Ainsi, le taux d’intérêt dans un contrat de prêt représente une proportion calculée à

1426
Sur ce point v.Ghislain Tabi Tabi, Les nouveaux instruments de gestion du processus contractuel, thèse,
op.cit., p.179 ; Voir également, Laurence Fin-Langer,L’équilibre contractuel, op.cit.p.191.
1427
Colloque organisé par la CEDAG, Paris V, le 20 mars 1998 et publié aux Petites Affiches, le 30 septembre
1998.
1428
Sophie LE Gac-Pech, La proportionnalité en droit privé des contrats, Paris, L.G.D.J., 2000, n°7, p.13.
1429
M.Behar-Touchais,Rapport,introductif,Colloque « Existe-t-il un principe de proportionnalité en droit
privé ? »,Les petites Affiches,30 septembre 1998,p.5.n°6.A.Benabent, Rapport de synthèse, non publié.
1430
G.Cornu, « L’évolution du droit des contrats en France »,in :L’évolution du droit des contrats, Journées de la
société de législation comparée, RIDC 1979,numéro special vol.1.note 276, p.733.
287
partir de la somme prêtée et de la durée du prêt. Aussi, le montant d’une clause pénale
représente bien souvent un pourcentage avec les sommes restant dues.

Ce premier sens de la proportionnalité doit être rejeté pour deux raisons : D’abord il ne
semble pas correspondre à l’essence même de la proportionnalité1431 .La seconde cause se
réside dans le fait qu’un contrat peut très bien prévoir une proportion sans qu’il soit pour
autant équilibré. Tout dépend en réalité de la proportion retenue. Ainsi, un taux d’intérêt
particulièrement élevé dans un prêt, par exemple 90% de la somme prêtée, démontre à
l’évidence un déséquilibre du contrat. La jurisprudence française offre une illustration à ce
point, notamment celle antérieure à la loi du 9 juillet 1975, prévoyant la réduction des clauses
pénales pour ajuster l’équilibre dans les contrats qui prévoient un pourcentage énorme.

La proportionnalité peut prendre une deuxième conception se rapportant à la qualité de


raisonnable par rapport à ses facultés, son patrimoine1432 .Son utilisation concerne uniquement
le rapport entre l’obligation contractée et les possibilités d’exécution par le débiteur. Ainsi la
loi 31-08 relative à la protection du consommateur, et en droit comparé le code de la
consommation français, impose au préteur de vérifier que l’engagement de la caution est bien
proportionné à ses revenus1433 et la jurisprudence applique ce texte protecteur des
consommateurs. En matière de distribution, un contrat de distribution sélective avait été
conclu avec une clause d’approvisionnement minimum constitue une hypothèse assez récente.
Le distributeur malheureusement trop petit ne pouvait pas faire face à cet engagement et le
contrat a été résilié par le fournisseur. Cette clause a été annulée, sur le fondement du droit de
la concurrence mais avec un motif particulier : elle était disproportionnée avec le
pourcentage des ventes du fournisseur sur l’ensemble du marché.

Il en résulte, de cet exemple, que la disproportion peut exister non pas entre les
obligations réciproques des parties conformément au critère de l’équilibre contractuel mais
également entre engagement et facultés du débiteur1434.L’utilisation de la seconde conception
du principe de la proportionnalité n’est donc pas propre à la mesure de l’équilibre contractuel
ce qui explique que certaines de ces utilisations peuvent même porter confusion. Dans ce
1431
M.Behar-Touchais,op.cit.,p.5,n°6.
1432
A.Benabent, Rapport de synthèse, non publiéColloque « Existe-t-il un principe de proportionnalité en droit
privé ? »
1433
V. l’’artcile 147 de la loi 31-08 relative à la protection du consommateur .Ainsi, en droit français,un
établissement de crédit ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement d’une opération de crédit (à la
consommation ou immobilier) conclu par une personne physique dont l’engagement était,lors de sa
conclusion,disproportionné à ses biens et revenus,à moins que le patrimoine de cette caution,au moment où
celle-ci est appelée,en lui permettre de faire face à son obligation (art.L.3313-10).Sur ce poin v.Georges
Vermelle,Les contrats spéciaux,op.cit,p.58..
1434
Com.13 mai 1997,JCP 1999,éd.G,I,1114,note M.Fabre-Magnan.
288
sillage, assimiler proportionnalité et caractère raisonnable avec ses facultés ne caractérise pas
nécessairement l’équilibre contractuel et doit donc être aussi exclu de l’analyse de l’équilibre
en matière contractuelle.

Le principe de la proportionnalité est conçu en dernier lieu pour caractériser un


rapport de convenance, d’adéquation entre deux éléments. Cette conception semble retenue en
matière de droit public1435 et dans la doctrine majoritaire de droit privé1436.L’appréciation de
la proportionnalité suppose une démarche qui se déroule en deux phases. D’abord, il faut que
la clause soit nécessaire et qu’elle ne soit pas démesurée par rapport à sa fonction. On parle de
l’existence de l’équilibre contractuel dans le cas où l’utilisation de la clause est nécessaire à
l’efficacité du contrat et dans la mesure qu’elle n’est pas démesurée. Ce raisonnement a été
confirmé par plusieurs décisions, notamment pour les clauses de restitution en nature des
cuves1437, ainsi que pour les clauses de non concurrence1438.Ce contrôle de la proportionnalité
de la clause a pour finalité de préserver les intérêts respectifs des parties1439.

Le principe de proportionnalité n’a donc pour finalité d’instaurer dans la relation


contractuelle une égalité absolue c’est-à-dire parfaite des droits et des obligations des parties.
En adaptation à un contexte donné, il se considère en tant que moyen de contrôle adéquat
des pouvoirs de la partie qui se trouve en position de force. Ainsi, ce mécanisme a pour
mission de réaliser un minimum d’équilibre contractuel qui dénie toute atteinte démesurée

1435
S.Pech-Le-Gac,La proportionnalité en droit privé des contrats, Th. Paris XI,1997,n°29.
1436
S.Pech-Le-Gac,op.cit.,p.8,p.549,n°1150 ;M.Behar-Touchais, Rapport, introductif, Colloque « Existe-t-il un
principe de proportionnalité en droit privé ? »,Les petites Affiches,30 septembre 1998,p.5.n°6 : « la
proportionnalité requise est le signe de la juste mesure, de l’adéquation, voire de la modération. Dans ce cas il
s’agit d’une proportionnalité finalisée, qui correspond, à mon sens, au principe de proportionnalité » ; N.
Molfessis,Le principe de proportionnalité et l’exécution du contrat, Les Petits Affiches,30 septembre
1998,p.21 : « une exigence d’adéquation entre deux termes qu’il reste à identifier » ;A.Benabent, Rapport de
synthèse, non publiéColloque « Existe-t-il un principe de proportionnalité en droit privé ? »
1437
Cette clause oblige le revendeur du carburant à rendre la cuve mise à disposition par le fournisseur en cas de
résiliation du contrat. La jurisprudence les a annulées en estimant qu’elles étaient disproportionnées. Non
seulement elles ne sont pas nécessaires pour faire respecter l’exclusivité prévue par le contrat mais aussi elles
imposent des obligations trop lourdes :Com.26 mai 1992 et Com.18 février 1992,D.1993,57,note Ch.Hannoun :
« l’obligation de restitution en nature du matériel impose des travaux coûteux au revendeur de carburant, non
justifiés par des nécessités techniques en raison de la durée de vie des cuves, qu’elle est de nature à dissuader de
traiter pour un autre fournisseur, qu’elle est ainsi disproportionnée avec la fonction qui lui a fixée de faire
respecter l’exclusivité d’achat de carburant » ;Com.8 juin 1993,RTDciv.1994,p.349,note J.Mestre ;Lamy Droit
Economique,2000,n°3969 et 3970.
1438
Com.4 janvier 1994,RTDciv.1994,p.349,note J.Mestre ;Com.16 décembre 1997,Cont.Conc.Cons.mars
1998,n°39,note L.Leveneur ;Soc.25 mars 1998,Juridique Lamy,Pourquoi n°94-20.780,Bull.V,n°176 ;Civ.1ére ,11
mai 1999,Const.conc.conc.octobre 1999,p.8,note L.Leveneur :la cour d’appel a violé l’article 1131 du Code civil
français en se déterminant « sans rechercher si cette clause était proportionnée aux intérêts légitimes à
protéger, compte tenu de la durée du contrat et du lien d’exercice de la profession ».Il ne suffit plus que cette
clause soit limitée dans le temps et dans l’espace .Une clause même limitée doit rester proportionnée aux intérêts
légitimes à proteger ;Lamy Droit Economique,2000,n°1505.
1439
Laurence Fin-Langer,L’équilibre contractuel, op.cit.p.193.
289
aux attentes légitimes de la partie en situation de vulnérabilité, telle la tendance de la
conception moderne de la force obligatoire du contrat qui tient en considération du maintien
et de la flexibilité du rapport contractuel. Une flexibilité qui se concrétise à travers une
conciliation entre la sécurité de la relation contractuelle et la justice contractuelle.

La finalité du principe de la proportionnalité consiste à intègrer le principe de


tolérance dans la relation contractuelle. Ainsi, dans l’appréciation des pouvoirs et des
obligations des parties, ce n’est pas tant le déséquilibre qu’il est question d’éradiquer mais
bien plus son caractère excessif. Dés lors ce mécanisme a pour principale fonction da faire
exiger aux parties d’introduire dans le lien obligationnel uniquement les clauses qui sont
nécessaires à la satisfaction de leurs attentes légitimes. Il s’agit de rechercher l’adéquation
entre le but visé et les moyens conçus pour l’atteindre1440.

Le principe de proportionnalité selon cette dernière conception aurait alors un


double rôle :constituer un instrument de mesure et de sanction de l’équilibre
contractuel1441.L’application de ce principe dans le domaine contractuel a pris donc une
dimension particulière dans le contexte contemporain d’unilatéralisme. Cependant son
efficacité suppose une adéquation entre pouvoirs et obligations des parties du contrat. Le
contrôle de cette équation de proportionnalité qui relève du pouvoir du juge consistera en la
protection des intérêts de la partie en situation de vulnérabilité1442 telle l’esprit et la finalité de
la nouvelle conception de la force obligatoire du contrat.

2- L’application du principe de proportionnalité en droit comparé

Le principe de la proportionnalité est conçu initialement pour lutter contre les excès
de pouvoir des interventions de la puissance publique face aux particuliers. Le concept de
proportionnalité a connu une large exploitation dans certains pays qui lui ont accordé valeur
de principe. Parmi ces pays on peut noter : l’Allemagne dont la loi fondamentale de 1949 a
étendu l’application de la proportionnalité à tous les domaines de compétence de
l’administration publique et du pouvoir législatif ; la Suisse qui l’applique aussi bien aux

1440
« Aujourd’hui le juge du contrat, donc le juge civil, commence à subir la contagion de cette expansive notion
Ŕla proportionnalité-,dont chacun imagine déjà qu’elle remplacerait avantageusement le recours tous azimuts à la
bonne foi » :Philippe Jestaz, « Rapport de synthése,Quel contrat pour demain ? » dans Ch.Jamin et D.Mazeaud
(dir),.note 385,p.257. « Le levier du solidarisme contre la lettre du contrat, c’est naturellement le juge, partout où
la loi n’a rien prévu » :Jean.Cedras, « Le solidarisme contractuel en doctrine et devant la Cour de cassation »,
Publications de la cour, note17. « (….) le bras armé du solidarisme contractuel est le juge » :D.Mazeaud,
« Loyauté, solidarité, fraternité ; la nouvelle devise contractuelle ? » ,op.cit.,note 108,p.59.
1441
S.Pech-Le-Gac-,La proportionnalité en droit privé des contrats, Th. Paris, XI,1997.
1442
D.Mazeaud,op.cit.,note 210,p.140

290
actes législatives qu’aux décisions administratives ; l’Autriche qui lui reconnait valeur de
principe constitutionnel dont la finalité consiste à réguler les actes de la puissance
publique1443.

Le principe de la proportionnalité est appliqué dans des domaines variés du droit. Dans
ce sens, l’exploitation de ce principe se manifeste clairement en droit public notamment en
matière de police administrative dont en redoute généralement l’arbitraire, ou encore en droit
pénal sous l’appellation de principe de la proportionnalité des délits et des peines. La
proportionnalité constitue un mécanisme approprié pour arriver à une situation d’équilibre
entre l’objectif envisagé et les moyens mis en œuvre pour y parvenir. Elle trace dans le
domaine contractuel la ligne de démarcation entre l’abstraction de l’autonomie de la volonté
en tant que fondement classique de la force obligatoire du contrat qui est devenu aujourd’hui
obsolète et le pragmatisme des solutions qu’elle apporte dans la gestion du rapport
d’obligations1444.

La proportionnalité en tant qu’instrument de contrôle dynamique de la relation


contractuelle se caractérise par son aspect moins figé que flexible. Le contrôle de
proportionnalité se définit comme étant la vérification de la commutativité du contrat 1445.La
mise en œuvre de ce moyen exige donc l’examen de l’agencement des clauses contractuelles
entre elles, ainsi que la vérification harmonieuse du contenu obligationnel par les parties. Il
s’agit d’envisager l’apport du principe de proportionnalité au niveau de l’exécution des
prestations contractuelles dont l’objectif est de faire observer une protection de la partie
faible et réaliser un équilibre relatif entre droits et obligations conçus par le lien contractuel.

Le contrôle de proportionnalité en matière d’exécution contractuelle suppose une


adéquation entre les actes conçus et les attentes légitimes envisagées par les parties. On parle
alors du devoir de proportionnalité ou du devoir de juste mesure1446. Les deux parties
contractuelles se trouvent alors en pleine phase d’exécution du contrat en poursuivant
ensemblela réalisation de leurs attentes légitimes. Cela consistera à concevoir des actes qui
tiennent compte la réalisation réciproque des intérêts contractuels de l’une des parties.

Le devoir objectif de juste mesure s’occupe de la relation contractuelle en dehors du


comportement des parties. Il devient un moyen efficace pour éliminer l’émission de

1443
Sophie.Pech-Le-Gac-,La proportionnalité en droit privé des contrats, op.cit.,p.27.
1444
sur ce point v.Ghislain Tabi Tabi, Les nouveaux instruments de gestion du processus contractuel, thèse,
op.cit.,p.181.
1445
Sophie.Pech-Le-Gac-,La proportionnalité en droit privé des contrats, op.cit.,p.34.
1446
A.-S-Courdier-Cuisinier,op.cit.,note 7,n°909,p.605.
291
décisions arbitraires1447.A ce titre, l’étude d’une décision de la cour suprême du Canada
rendue en matière de suspension administrative nous offre un exemple concret de la
1448
jurisprudence justifiant la nécessité de l’émergence du devoir de juste mesure .

Il s’agit d’un cas de recrutement suivi par une décision de suspension sans salaire, en
août 1995, Cabiakman est recruté par une compagnie d’assurance au poste de directeur des
ventes. Une accusation est formulée contre lui pour tentative d’extorsion contre son courtier
en valeurs mobilières. La compagnie a procédé à sa suspension sans solde, eu égard de la
position stratégique qu’il occupe en s’articulant en matière de motivation sur le motif de
préservation des intérêts respectifs de la structure et des clients.

Acquitté au criminel pour le motif avancé par la compagnie, Cabiakman est réintégré
dans son poste deux ans après la décision de suspension. Au civil, la Cour suprême déclare
injustifié le manque de rémunération. Ce jugement est confirmé en appel. La bonne foi et le
devoir d’agir avec équité doivent orienter l’employeur dans sa décision. La suspension
administrative est imposée en principe avec solde. La Cour suprême déclare que Cabiakman
ne devait pas subir la suspension de solde alors qu’il demeurait à la disposition de
l’employeur, le contrat étant à durée indéterminée.

A ce propos, la haute juridiction a fait recours aux instruments de bonne foi et d’équité
pour faire observer droit à la partie considérée en situation de vulnérabilité. Il peut paraître
difficile dans ces circonstances de trouver une distance ou une ligne de démarcation entre ces
deux marqueurs, et l’exigence de proportionnalité. La bonne foi ou encore l’équité ne permet
pas de détecter adéquatement l’excès décrié et de fixer convenablement les proportions en
fonction du déséquilibre des prestations contractuelles. Comme l’affirme une auteure :
« L’équité apparaît comme un art de justice sociale sous la forme d’une égalité
proportionnelle externe. (…) Reposant sur une appréciation subjective, cette faculté judiciaire
conduit inéluctablement à des errements. Or, le règlement de l’équilibre contractuel ne saurait
se contenter d’une simple faculté, intuitive, tatillonne. De là ressort la supériorité
incontestable du concept de proportionnalité, lequel contribue justement à élaborer une
équation équilibrée du contrat. A l’inverse de la notion d’équité, ce concept sert une
dialectique et trouve application au sein de la défense de l’équilibre interne du contrat »1449.

1447
A.-S-Courdier-Cuisinier,Le solidarisme contractuel ,Paris,Litec 2006,note 7,n°909,p.630.
1448
Cabiakman c.Industrielle-Alliance Compagnie d’assurance sur la Vie,(2004) 3 R.C.S.195.
1449
Sophie.Pech-Le-Gac-,La proportionnalité en droit privé des contrats, op.cit.,p.45.
292
Il en résulte, que la proportionnalité constitue un moyen de détection et d’évaluation
de l’excès en matière contractuelle en permettant au rééquilibrage d’une façon adéquate du
contrat. Ainsi, elle sert de manière concrète d’instrument de détection, de mesure et de
réparation du déséquilibre contractuel. La proportionnalité permet de contrôler le caractère
décisif du déséquilibre observé dans la mesure où elle assure de façon dynamique la sécurité
juridique et la prévisibilité du contrat1450.

Force est de constater, qu’il existe pour l’heure un manque de volonté de la


philosophie politique libérale du contrat à promouvoir l’émergence du principe de la
proportionnalité1451.Pourtant, le principe de proportionnalité est aujourd’hui l’une des plus
grandes découvertes en matière de préservation de l’équilibre contractuel, d’analyse des actes
des parties au lien obligationnel. Au titre de nouveau paradigme de gestion de l’équilibre
obligationnel, ce principe a pour fonction l’élimination des déséquilibres excessifs. De ce
fait, il participe à l’établissement d’un minimum d’équilibre dans la relation contractuelle. De
concert avec d’autres mécanismes récents, le principe de proportionnalité contribue à
l’instauration d’un droit des relations contractuelles inégalitaires1452.

Ainsi, il convient de relever que la mise en œuvre de la conception moderne de la


force obligatoire du contrat suppose le recours à des nouveaux instruments de gestion du
processus contractuel de façon dynamique. Ces mécanismes participent à l’instauration de
l’équilibre contractuel tout en assurant une sécurité juridique indispensable aux relations
contractuelles. Cette conception qui se caractérise par son aspect souple autorise ainsi
l’utilisation de la notion d’équilibre contractuel pour expliquer certaines notions comme les
clauses abusives ou pour déterminer le champ d’application de plusieurs règles comme le
mécanisme de la révision pour imprévision.

La nouvelle conception de la force obligatoire du contrat autorise la recherche de


l’équilibre contractuel de point de vue dynamique dont la finalité est la satisfaction de la
justice contractuelle. Le concept d’équilibre contractuel est considéré en tant qu’un instrument
de compréhension du contrat et de certains règles de droit et ce grâce à un renouvellement de
la théorie générale du contrat et à une remise en cause partielle voire totale de l’autonomie de
la volonté en tant que fondement de la force obligatoire du contrat. Ce dogme volontariste ne
représente plus le paradigme de cette théorie générale et autorise l’apparition de nouveaux

1450
Sophie.Pech-Le-Gac-,La proportionnalité en droit privé des contrats, op.cit.,p.45.
1451
Ducan.Kennedy et Marie-Claire.Belleau, « La place de René Demogue dans la généalogie de la pensée
juridique contemporaine », (2006) 56 R.I.E.J. p.166.
1452
Ghislain Tabi Tabi, Les nouveaux instruments de gestion du processus contractuel, thèse, op.cit.,p.181.
293
fondements de ce principe qui répondent à la question de la nature juridique de l’équilibre
contractuel. Il convient maintenant de se demander sur la place de la conception moderne de
la force obligatoire du contrat dans le droit administratif. Si « la notion même du contrat est
commune au droit administratif et au droit privé, leur régime est partiellement
différent »1453.Quant est-il de la vision moderne de la règle pacta sunt servanda en droit
administratif ? Autrement-dit, les contrats administratifs confèrent à l’administration des
prérogatives spéciales, ce qui nous conduit à nous interroger sur le point de savoir si le contrat
administratif est un contrat déséquilibré.

Section2 : Le particularisme de la force obligatoire du contrat administratif

Le contrat administratif a quelque chose d’étrange, et même de paradoxal1454 : il


introduit dans l’action administrative, tout imprégnée d’unilatéralité en raison des
prérogatives dont dispose l’administration. Alors que l’administration dispose de moyens
d’action qui lui sont propres et qui sont souvent extrêmement énergétiques (décisions
exécutoires), elle préfère recourir dans certains cas à des formes juridiques plus proches du
droit privé. C’est ainsi que les personnes publiques concluent des contrats dans le cadre de la
gestion des affaires publiques notamment en matière économique1455.

A ce propos, de nombreux auteurs se sont demandés si les contrats conclus par


l’administration ne constituaient pas une catégorie spéciale de contrats, du fait que les
rapports entre l’administration et les administrés sont en principe toujours caractérisés par
une inégalité importante. En effet, une partie agit au nom de l’intérêt général, l’autre au nom
de l’intérêt personnel1456. Ainsi, la jurisprudence n’a cependant pas déduit ce qui précède que
les contrats conclus par l’administration échappent totalement à l’application des règles du
D.O.C et en droit comparé du Code civil.

La question de l’applicabilité complète des règles conçues par le D.O.C se pose en des
termes tout à fait différents en ce qui concerne la plupart des autres conventions dont le
caractère administratif est généralement admis, tels les marchés publics ou les concessions de
service public, qui souffrent de dérogations parfois importantes aux règles du D.O.C.
1453
Gaudemet Y., « Traité de droit administratif »,L.G.D.J.,tome II, « Droit administratif général »,16e
édition,2001,spéc.p.672,n°1407.
1454
Selon l’expression de M.R.Drago-Paradoxes sur le contrat administratif,
Mél.Flour,Rép.Not.Defrénois,1979,p.151.
1455
Dedier Batselé-Tony Mortier et Martine Scarcez, Manuel de droit administratif, pref. Philippe
Quertainmont,Bruylant,2010,p.515.
1456
Mais il existe des contrats, notamment des marchés publics en matière de haute technologie
(télécommunication, informatique,…),pour lesquels c’est l’entreprise privée qui dans une position forte par
rapport à l’administration, en raison de sa maitrise technique et de position sur le marché économique.
294
Le régime juridique particulier des contrats administratifs est fondé sur différentes
caractéristiques1457 au niveau de la formation et d’exécution .En matière de la formation des
contrats, des mesures d’habilitation et des formalités particulières, par exemple des
autorisations budgétaires, des autorisations de contracter, des consultations préalables, doivent
être respectées. Il convient de noter que l’inaccomplissement de l’une de l’autre formalité est
susceptible de vicier l’acte administratif qui précède la conclusion du contrat (par exemple la
décision d’attribution du marché public de travaux), mais ne porte atteinte pas à la validité du
contrat (par exemple le contrat conclu à la suite de la décision d’attribution du marché)1458.

Par ailleurs, certains contrats administratifs, comme les marchés publics, sont soumis à
des règles et des conditions particulières (et en partie distinctes comme pour l’appel d’offres,
l’adjudication, la procédure négociée).En ce qui concerne de l’exécution du contrat, il existe
des mécanismes spécifiques, dérogatoires à l’article 230 du D.O.C et en droit comparé
français à l’article 1134 du Code civil, lequel énonce « Les conventions légalement formées
tiennent lieu de la loi à ceux qui les ont faites » et qu’elles ne peuvent être révoquées que de
leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise » (principe de la convention-
loi).

Ainsi limité, le procédé contractuel reste néanmoins d’usage très courant dans l’action
administrative1459. Ainsi pour fonctionner, l’administration a le droit de recourir au procédé
contractuel notamment pour acheter des fournitures ou encore pour déterminer les modalités
d’exécution du service public par une personne privée ou publique. De plus en plus la
contractualisation s’est développée et les raisons en sont diverses, ce qui suppose d’identifier
ses différentes formes et de distinguer la diversité desdits contrats administratifs avant
d’évoquer les critères de la qualification administrative de l’accord contractuel de volonté
(paragraphe1).Les contrats administratifs sont en effet, soumis à des règles qui présentent
des spécificités par rapport au contrat de droit privé. Pour des raisons intimement liées au
service public, l’exécution du contrat peut supposer des transformations pour assurer en toute
hypothèse le bon déroulement de cette mission. La réalisation de cette mission d’intérêt
général conduit à une certaine inégalité dans les rapports contractuels. Les prérogatives de la
puissance publique, dont dispose l’administration pour garantir la pérennité du service public,
constituent donc une source du déséquilibre financier du contrat administratif, ces

1457
M.-A.Flamme,Droit administratif.2,Bruxelles, Bruylant,1989,n°466,pp.777 et s.
1458
Dédier Batselé-Tony Mortier et Martine Scarcez, Manuel de droit administratif, op.cit., p.518.
1459
Pierre-Laurent Frier et Jacques Petit, Précis de droit administratif, 6éme édition, Montchrestien, 2010, p.344.
295
prérogatives sont cependant limitées par des droits reconnus au contractant, essentiellement
en matière financière (paragraphe2).

Paragraphe 1: L’intérêt d’identification des contrats administratifs

L’intérêt d’identification des contrats de l’administration semble évident, tant


l’utilisation du procédé contractuel par l’administration a connu un essor sans précédent dans
les dernières années1460. Ainsi, depuis que l’interventionnisme gagne du terrain dans les
différentes formes d’organisation administrative, l’Etat et les autres personnes de droit public
agissent à travers deux modalités soit par actes unilatéraux soit par contrats 1461.Ce genre de
contrat qui peut revêtir d’un caractère spécial ( contrat administratif) est devenu l’instrument
le plus dominant dans la sphère publique et le plus privilégié de la relation entre personnes
publiques et personnes privées1462 .

L’administration recourt à de nombreux contrats, qui peuvent relever selon le cas du


droit public ou privé. Il s’agit donc de savoir les principaux types de contrat de
l’administration (A) avant d’évoquer les critères qui sont pris en compte pour qualifier les
contrats administratifs (B).

A- La typologie de contrats de l’administration

Le procédé contractuel, en raison de sa souplesse, permet à l’administration de


conclure des conventions dans de très nombreux domaines. Ainsi l’accroissement des taches
de la puissance publique, la diversification des services dotés de la personnalité morale,
l’évolution des compétences locales, l’introduction des notions de concertation et de
conciliation au sein de l’administration ont contribué au changement du paysage public. Cela
se manifeste à travers la place importante qu’occupe en droit contemporain le mode
contractuel dans la relation entre l’Etat et ses partenaires privés.

Dans la ligne de sa fonction et plus précisément les actions, qui relèvent de sa


compétence notamment en matière des services publics industriels et commerciaux, la
puissance publique conclut avec ses usagers divers contrats de distribution de l’eau, du gaz,
de l’ électricité, comme les institutions spécialisées signent ,par exemple des contrats de prêt
(sociétés de financement-agences bancaires..Etc.).L’administration est aussi à même, dans

1460
Laure Marcus,L’unité des contrats publics, Thèse du 8 décembre 2008,Préface de Pierre
Delvolvé,Dalloz,2010,p.8.
1461
Fidi Mohamed, Le contrat en droit administratif, Master, Université Hassan II Ain Chok-
Casablanca,2011,p.5.
1462
Mounia Benlamlih,Le contentieux contractuel en droit administratif marocain, REMALD,n°87,2010,p.20.
296
une logique comparable, de gérer ses propriétés en autorisant l’occupation du domaine public
ou en louant, voire en vendant le domaine privé.

Le procédé contractuel permet à l’administration d’organiser le service public, en


confiant l’exécution à des particuliers. Le procédé tend à se développer, en s’accordant avec
d’autres collectivités publiques pour l’exercice de leurs compétences. Or, et en raison de
l’existence d’une masse de contrats et formes d’actes administratifs unilatéraux, on
s’attachera ici à essayer d’abord de distinguer en particulier le contrat de l’acte unilatéral (1)
avant de procéder à la classification de certains contrats qui jouent un rôle particulier en
raison de leur fréquence et de leur encadrement par les textes ou la jurisprudence (2).

1- La distinction entre contrat et acte unilatéral

Il n’y pas d’opposition fondamentale dans la situation de fait de l’administration et


des personnes privées selon que leur accord est formalisé unilatéralement ou
contractuellement1463. Pourtant, la distinction s’impose, bien qu’elle soit effectivement
difficile à faire dans certaines situations1464.

La distinction entre contrat et acte unilatéral semble a priori claire : le premier est
supposé régir les relations réciproques de ses auteurs, alors que le second confère des droits
ou impose des obligations à des tiers par rapport à son édiction. Mais la pratique se révèle
beaucoup plus complexe. Les éléments distinctifs entre ces deux procédés se rapportent,
d’une part, à la liberté contractuelle dont dispose l’administration pour accomplir ses
fonctions, à la nature des effets juridiques qui en résulte qui ne sont les mêmes dans et les
deux cas, et au régime contentieux applicable qui se diffère du contrat à l’acte unilatéral
d’autre part.

S’agissant du premier élément distinctif, on constate qu’au regard des pratiques


administratives réalisables le choix entre l’acte unilatéral et le contrat n’est toujours libre,
mais il est guidé par l’environnement juridique : Ainsi, en dépit du principe de la liberté
contractuelle qui lui permet, a priori, d’opter pour une démarche contractuelle à la place de
l’édiction d’un acte unilatéral d’autorité, l’administration n’est pas toujours libre de conférer à
son action la forme qu’elle désire.

1463
Loïc Cadiet,Le droit contemporain des contrats, Bilan et perspectives, préf.,Gérard Cornu, Ed. Economica,
Paris, 1987, p.187.
1464
Christophe Guettier, Droit des contrats administratifs, Presses Universitaires de France, 2 éme édition,
2008,p.60.
297
Or, dans certaines hypothèses, il se peut que le recours au mode contractuel soit
nécessaire. C’est le cas lorsque la conclusion d’un contrat est imposée à l’administration par
des textes spéciaux, l’exemple des contrats d’assurances1465constitue une illustration en ce
sens. A l’inverse, il se peut que le recours au procédé contractuel soit interdit. C’est le cas par
exemple, lorsque des textes imposent l’édiction de réglementation dans un domaine
considéré, l’exemple des conditions imposées aux établissements classés pour le traitement
des pollutions donne une explication claire à cette logique qui incarne le champ d’action
administratif1466.De façon plus générale, pour agir dans l’intérêt général à travers
l’accomplissement de certaines opérations, l’autorité administrative ne peut parfois
concrétiser son action sur le plan pratique qu’a travers le recours à la voie de la décision
unilatérale à caractère individuel ou réglementaire car telle est la nature de la compétence qui
lui a été conférée et qu’elle ne saurait méconnaitre. C’est ainsi que s’explique l’interdiction
parfois faite à l’autorité de police d’utiliser une technique d’ordre contractuel dés lors que
l’autorité signataire n’a pas reçu compétence1467.

Pour le second élément distinctif ayant trait aux conséquences juridiques


envisageables qui sont différentes, il importe de distinguer entre l’acte unilatéral et le contrat.
D’abord, les contrats lient les parties qui les ont signés et tiennent lieu de « loi », entre elles.
Par voie de conséquence, le juge est tenu de respecter les clauses conçues par ces contrats et
doit les interpréter dans commune intention des parties et ce en vertu du principe de la force
obligatoire du contrat prévu par l’article 230 du D.O.C 1468.De même, les contrats sont
marqués par un « effet relatif ».Cela s’explique par le fait que les contrats ne valent qu’entre
les parties qui les ont signés et n’engagent pas, sauf cas particulier, les tiers. De plus, les
contrats sont marqués par une certaines intangibilité de leurs dispositions qui empêche l’une
des parties au contrat de les modifier unilatéralement. Cependant, les contrats en droit
administratif peuvent être concernés par l’exercice d’un pouvoir de modification unilatéral
reconnue au bénéfice de l’administration, mais qui ne s’exercice toutefois qu’à l’égard de
certaines dispositions du contrat.

1465
V.art.L.1142-2 du Code de la santé publique française sur l’obligation d’assurance des établissements de
santé.
1466
V.CE,8 mars 1985,Association Les Amis de la Terre,AJDA,1985,p.382,obs.J.Moreau.
1467
V.CE ,sect.,23 mai 1958,Consorts Amoudruz,AJDA,1958,2,p.309,chron.J.Fournier et M.Combarnous :le fait
pour une commune de concéder l’exploitation d’une place ne peut avoir pour conséquence de transférer de
l’autorité communale de police au concessionnaire le pouvoir d’assurer l’ordre public sur la plage.
1468
Voire les disposions édictées par l’article 230 du D.O.C et en droit comparé français, l’article 1134 du Code
civil.
298
Enfin, le dernier élément de distinction se limite au régime contentieux applicable sur
le contrat et l’acte unilatéral qui n’est le même dans les deux cas. Ainsi, le contentieux
contractuel est doublement étranger au recours en excès de pouvoir : celui n’est pas recevable
contre un contrat, la violation de stipulations contractuelles ne peut être invoquée à l’appui
d’un recours contre un acte unilatéral1469.

Les textes et la pratique rendent parfois la distinction entre les deux catégories d’actes
un peu délicate. Ainsi, le caractère incertain de la distinction entre contrat et acte unilatéral
peut tenir de deux facteurs : soit à leur proximité, soit à leur confusion.

Pour la question de la proximité entre les deux procédés, il est nécessaire d’observer
que l’acte unilatéral est déjà présent à la périphérie du contrat. D’abord, au stade de la
conclusion du contrat, des actes détachables émanant de l’autorité compétente interviennent
pour conclure le contrat ou de l’autorité éventuellement chargée d’approuver le contrat. Les
actes détachables sont des actes, comme leur nom l’indique, sont détachés d’une procédure
contractuelle et sont considérés comme unilatéraux, donc susceptibles de recours1470. Or la
théorie de l’acte détachable ne cesse de s’étendre, et a gagné aujourd’hui l’exécution ou la
résiliation du contrat ; même si le phénomène reste limité, il est instructif : des mesures
contractuelles sont de moins rarement considérées comme présentant un aspect unilatéral.

Que le tiers ait bénéficié de cette extension1471 s’explique aisément : dans l’hypothèse
où le contrat porte atteinte à ses intérêts, le recours en excès de pouvoir dirigé contre l’acte
détachable est le seul moyen dont il dispose pour le déférer au juge compétant.

En outre, au stade de l’exécution du contrat, l’administration dispose du pouvoir


d’émettre des actes unilatéraux (sanctions, modifications unilatérales de certaines clauses,

1469
Loïc Cadiet,Le droit contemporain des contrats, op.cit,p.193.
1470
Il y a là une bonne vielle théorie qui remonte à l’arrêt Martin de 1905 et qu’il utile d’en rappeler les trois
points suivants :
- Elle ne concerne classiquement que les actes intervenus dans la procédure de passation du contrat, ainsi, que la
décision (ou le refus) de passer le contrat ;
-Les tiers intéressés peuvent s’en prévaloir, mais aussi les contractants, ce qui est plus surprenant.
-La possibilité d’invoquer, à l’appui du recours contre l’acte détachable ( par exemple, une mesure
d’approbation),l’illégalité du contrat lui-même.
1471
« La Communauté urbaine, la Ville de Strasbourg, le Département du Bas-Rhin et le Département du Haut-
Rhin, en leur qualité de tiers par rapport au contrat de plan, sont recevables à déférer au juge de l’excès de
pouvoir les actes qui peuvent être regardés comme détachables de ce contrat ». (T.A.Strasbourg,5 décembre
1985,Communauté Urbaine de Strasbourg et a. précité) : en l’espèce ,il s’agissait d’une décision unilatérale du
Premier Ministre qui contredisait une des stipulations du contrat ;même solution pour la décision d’un maire
contraire au contrat de solidarité liant la commune de l’Etat, et attaquée en excès de pouvoir par un agent
communal, tiers au contrat :T.A,Nice,24 février 1986,D,1986,J.403 concl. Calderaro.Voir pour le refus de
résilier un contrat : C.E., 24 avril 1964, S.A.de livraisons industrielle et commerciale, p.239,A.J.D.A.1964 308
concl. Combarnous et chron, 293, D.1964 J.665 note Ch.Debbasch ;fixation des emplacements de mobilier
urbain :C.E.Sect.9.décembre 1983 ;Ville de Paris et a.,p.499 concl. Genevois, A.J.D.A.1984,102 et chron.82.
299
etc.)1472.En réalité, la recevabilité du recours en excès de pouvoir du co-contractant contre
une mesure d’exécution ou de résiliation du contrat n’a été admise que pour des contrats dont
la qualification était assez factice, et ne correspondait pas à la véritable nature - en réalité
statutaire- de la situation du cocontractant : refus de modifier le contrat d’un agent public1473,
résiliation1474 ou modification1475 d’un abonnement téléphonique par l’administration.

L’acte unilatéral s’immisce parfois dans les clauses du contrat. Ainsi, il est admis
qu’un contrat puisse contenir des clauses réglementaires. L’exemple des contrats de
concession de services publics constitue une illustration dans ce sens, dans la mesure où les
cahiers des charges qui font corps avec eux, certains clauses ayant un caractère réglementaire.
Ce sont celles qui fixent les conditions dans lesquelles le concessionnaire doit s’acquitter de
sa mission1476, et notamment les modalités de ses rapports avec les usagers, comme le tarif
des redevances à percevoir. Les clauses ayant un caractère réglementaire peuvent être
modifiées par l’autorité concédante en fonction des exigences de l’intérêt des usagers. Elles
obéissent largement au régime de l’acte unilatéral, notamment du fait de l’ouverture d’un
recours pour excès de pouvoir à leur encontre1477.

Enfin, il convient d’observer que l’acte unilatéral s’immisce éventuellement dans les
effets du contrat. Certains documents contractuels produisent parfois des effets
réglementaires, comme le cahier des charges dans un contrat de concession. Les usagers, entre
autres, peuvent s’en prévaloir tant à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir dirigé
contre les actes des autorités de tutelle du concessionnaire, qu’à l’appui d’un recours
contractuel dirigé contre le concessionnaire lui-même .

La pratique révèle, également qu’il existe une confusion entre l’acte unilatéral et le
contrat notamment dans le cas de l’acte unilatéral négocié1478.En matière de réglementation
économique, professionnelle, c’est l’exemple des activités du secteur privé et aussi
relativement au statut, aux conditions de travail et à la rémunération des agents de

1472
Loïc Cadiet,Le droit contemporain des contrats, op.cit,p.194.
1473
C.E.Sect., 25 mais 1979, Madame Rabut,p.233.concl.Genevois,D.1979,I.R.,557,obs.P.Delvolé.
1474
C.E.Sect., 9 juin 1979,Mme Bourgeois,p.293,D.1979 I.R.557 obs.P.Delvolvé, et 1981,J.,74 note
Lebreton,A.J.D.A.1980,304 note Y.Brad.
1475
C.E.Sect., 6 mai 1985,P.T.T.c.Ricard,p.144, ,A.J.D.A.1985,736 note J.L.Gauroy,R.F.D.A.1985,697,note
J.C.B.
1476
C.E 24 janv.1990,Mme Martinetti,RDP,1991,P.288 :présente un caractère réglementaire la clause prévoyant
que le concessionnaire pourra sous-traiter l’exploitation de cératines installations.
1477
Voire C.E,ass.,10 juill.1996,Cayzeele,AJDA,1996,p.732,chron.D.Chauvaux et T.-X.Girardot.
1478
F.Moderne, Autour de la nature juridique des accords conclus entre l’administration et les organisations
professionnelles en matière de prix,Dr.soc.,1975,p.505 ;R.Romi, La requalification par le juge des actes négociés
en actes unilatéraux, AJDA,1989,p.9.
300
l’administration, une nouvelle pratique s’est développée qui consiste à faire en sorte que le
contenu d’un acte unilatéral ,notamment d’un règlement, soit des obligations. On parle alors
de « politique contractuelle » ou encore de « contractualisation des rapports » de
l’administration avec les administrés ou avec ses agents. En l’espèce, il convient de souligner
que c’est seulement l’élaboration de l’acte unilatéral (décret, arrêté ministériel) qui a été
négociée. En tout état de cause, l’acte en question conservera la nature et les effets d’un acte
unilatéral.

S’agissant du résultat de la négociation désigné comme « protocole d’accord », il peut


ne s’agir que d’une simple « déclaration d’intention dépourvue de valeur juridique et de force
contraignante »1479 .Il peut également s’agir d’un acte réglementaire comme dans le cas des
« protocoles d’accord intervenant entre l’Etat et des syndicats de praticiens, qui sont appréciés
comme ayant le caractère d’actes réglementaires1480.

Au terme de cette démarche, il a été montré de l’existence d’une difficulté de la


distinction entre les deux catégories d’actes, cette distinction qui n’a pas toujours la force de
l’évidence. Il s’agit maintenant de procéder à la délimitation de certains contrats de
l’administration qui sont fréquents dans la mesure où ils présentent un intérêt particulier pour
assurer le bon fonctionnement du service public.

2- La classification des contrats de l’administration

Les contrats administratifs sont conclus entre des personnes morales de droit public
avec d’autres personnes, de droit public ou de droit privé (personnes morales ou personnes
physiques).On distingue essentiellement :

-Marchés publics : Pour acquérir différentes sortes de moyens nécessaires à


l’accomplissement de ses missions, l’administration passe des contrats dont certains,
prennent la forme de marchés publics1481. Il s’agit d’un classique contrat synallagmatique
entre fournisseur et un client qui concerne trois domaines. Par l’expression « marché »,
l’article 4 du nouveau code des marchés publics1482 du 20 Mars 2015, entend le contrat à titre

1479
Voir le cas des « conventions » intervenant entre le conseil supérieur français de l’audiovisuel et les sociétés
de radiodiffusion autorisées à mettre :C.E ,ass.,8 avr.1998,Société Serc Fun
Radio,Leb.,p.138,concl.Hubac ;C.E,25 nov.1998,Compagnie luxembourgeoise de télédiffusion,
AJDA,1999,p.54,concl. Chauvaux : ces « conventions » ne sont pas que l’accessoire de la décision individuelle
unilatérale dont elles empruntent par conséquent le régime, elles constituent en réalités des autorisations
unilatérales assorties de conditions débattues entre le CSA et les demandeurs).
1480
V.C.E ,10 juin 1994, Confédération française des syndicats de biologistes, Dr.adm., 1994, n°424,
obs.X.Prétot et G.L.C. ; RFDA, 1995, p.645, concl.Le Chatelier.
1481
Christophe Guettier, Droit des contrats administratifs,op.,cit.,p.192.
1482
Décret n°2-12-349 du 20 Mars 2013.
301
onéreux conclu entre, d’une part, un maître d’ouvrage et, d’autre part, une personne physique
ou morale appelée entrepreneur, fournisseur ou prestataire de services ayant pour objet
l’exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la réalisation de prestations de services.
Le législateur français donne une définition similaire à celle retenue par le code marocain des
marchés publics. Ainsi le nouveau code des marchés publics, adopté par le décret du 1er août
20061483,définit dans son article 1er ,les marchés publics comme « les contrats conclus à titre
onéreux entre les pouvoirs adjudicateurs définis à l’article 2 (Etat et ses établissements
publics autres que ceux présentant un caractère industriel et commercial, collectivités
territoriales et leurs établissements publics) et des opérateurs économiques publics ou privés
pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures et de services »1484.

Les marchés de travaux1485 sont des contrats ayant pour objet soit l’exécution, soit à la
fois l’exécution et la conception d’un ouvrage ou de travaux de génie civil et de bâtiment
(édification et entretien de routes, ponts, bâtiments administratif, etc.). Autrement dit, le
marché de travaux constitue, pour reprendre la terminologie du droit civil, un contrat appelé
« louage d’ouvrage »1486- ou encore « contrat d’entreprise »- ayant pour objet la conception,
la construction, l’entretien (impliquant des travaux importants), la modification ou la
réparation de biens immobiliers. Il vise plus particulièrement la construction (ou la
démolition, transformation ou aménagement) d’ouvrages, d’infrastructures ou de biens
immobiliers dans lesquels la livraison de fourniture n’est qu’accessoire1487.

Par les marchés de fournitures1488, l’administration achète différents produits ou


matériels (matériaux de construction, meubles et équipements, denrées alimentaires, ct.). A la
base d’un marché de fournitures, il peut y avoir soit un contrat d’achat, soit un contrat

1483
N°2006-975, JO 4 Août, p.11 627 et cric. 3 Août 2006, portant manuel d’application dudit Code, JO 4 Août,
p.11665.
1484
Pour un exemple topique et toujours valable sous l’empire du code de 2006,v.CE Ass.2 nov.2005,Sté J-
C.Decaux : JCP A 2005,1381,note F.Linditch ;AJDA 2006 ,p.120 étude par A. Ménéménis, RFDA
2005,p.1083,concl. Casas (à propos des contrats de mobilier urbain) ; voir à ce propos,Pierre-Laurent Frier et
Jacques Petit, Précis de droit administratif, op.cit.,346.
1485
L’article 4 Ŕa du nouveau code des marchés publics définit les Marchés de travaux comme: Contrats ayant
pour objet l’exécution de travaux relatifs notamment à la reconstruction, à la démolition, à la réparation ou à la
rénovation, à l’aménagement et à l’entretien d’un bâtiment, d’un ouvrage ou d’une structure ainsi que les
travaux de reboisements.
1486
L’article 723 alinéa 2 du D.O.C. dispose que : Le louage d’ouvrage est celui par lequel une personne
s’engage à exécuter un ouvrage détermine, moyennant un prix que l’autre partie s’engage a lui payer. Le louage
d’ouvrage est régi par les dispositions générales des articles 723 à 729. Voir dans ce sens, l’article 759 du D.O.C.
1487
Voir en droit comparé, l’annexe 1 à la loi du 24 décembre 1993 régissant les marchés publics en Belgique,
remplacée par l’arrêté royal du 29 septembre 2009, énumère l’ensemble des travaux visés par la loi.
1488
L’article 4 -b du nouveau code des marchés publics définit les Marchés de fournitures comme: Contrats
ayant pour objet l’achat ou la location avec option d’achat de produits ou de matériel. Ces marchés englobent
également à titre accessoire des travaux de pose et d’installation nécessaires à la réalisation de la prestation.
302
d’entreprise (produits réalisés selon les spécifications de l’administration ou livraison
accompagnée de travaux de pose ou d’installation accessoires),voir une location ou une
location-financement (par exemple, le crédit-bail (leasing) de matériel informatique).Les
marchés de fournitures peuvent éventuellement être accompagnés d’un travail de pose ou
d’installation, nécessaire pour que les fournitures soient utilisables, mais un tel travail doit
présenter le caractère accessoire par rapport à la totalité du marché1489.

La troisième catégorie de marchés se caractérise par sa grande variété. Ainsi, les


marchés de services portent sur la réalisation de différentes prestations de ce type 1490. Il s’agit
notamment des marchés d’ingénierie, d’architecture, d’études et autres similaires. Outre de
telles prestations intellectuelles, sont également considérés comme marchés de services les
contrats portant notamment sur les domaines (de transport terrestre ou aérien, d’enlèvement
des immondices, de nettoyage, de désinfection et de dératisation, de gardiennage, d’entretien
et de maintenance d’installation ou d’équipements, d’assurance, de transport, de publication et
d’impression, de formation, ct.).Certains de ces marchés exigent une haute spécialisation en
particulier dans les secteurs de l’informatique, des télécommunications, les contrats de
recherches et de développement1491.

Le marché de fourniture constitue en matière de droit civil, un contrat appelé « louage


de service ».L’article 723 du D.O.C, précise que : « Le louage de service ou de travail est un
contrat par lequel l’une des parties s’engage, moyennant un prix que l’autre partie s’oblige à
lui payer, à fournir à cette dernière ses services personnels pour un certain temps ou à
accomplir un fait déterminé. L’article 4-c du nouveau code des marchés publics, définit les
marchés de services comme des « contrats ayant pour objet la réalisation de prestations de
services qui ne peuvent être qualifiés ni de travaux ni de fournitures1492.

- Délégation de service public : Une seconde catégorie de contrats de l’administration


recouvre ce que l’on appelle les délégations de service public. L’administration confie, sous
son étroit contrôle, à un particulier ou une entreprise, voire à une autre administration
publique, le soin de prendre en charge l’exécution même du service public, et non de fournir
simplement une prestation. Ce transfert concerne en général des services industriels et
commerciaux mais de telles délégations existent aussi pour certains services administratifs

1489
Dédier Batselé-Tony Mortier et Martine Scarcez, Manuel de droit administratif, op.cit., p.528.
1490
Pierre-Laurent Frier et Jacques Petit, Précis de droit administratif, op.cit.,347.
1491
Dédier Batselé-Tony Mortier et Martine Scarcez, Manuel de droit administratif, op.cit., p.529.
1492
Voir l’article 4-c du nouveau code marchés publics objet décret n°2-12-349 du 8 joumada I 1434 ( 20 Mars
2013) relatif aux marchés publics.
303
(gestion des autoroutes, transports scolaires et universitaires, concession hospitalière).Ce
contrat présente des spécialités car, outre les liens contractuels entre les deux parties, il a des
incidences pour les tiers, les usagers du service public.

L’objet du contrat portant sur la délégation du service public se distingue du marché


public en particulier de son mode de rémunération. Le concessionnaire a le droit d’exploiter
du service public en percevant des redevances sur les usagers1493 en contrepartie du
préfinancement qu’il a assuré. Autrement dit, le pouvoir adjudicateur ne verse pas un prix
même s’il est capable d’assurer lui-même le financement de l’ouvrage ou du service concédé
mais le contractant est, au contraire, rémunéré pour l’essentiel par les résultats de
l’exploitation. Des subventions peuvent être octroyées au concessionnaire pour assurer
l’équilibre dans les domaines où la rentabilité est faible.

Les délégations de services publics peuvent porter sur plusieurs domaines1494, la plus
connue et la plus importante est la concession de travaux publics et/ou de service public. Dans
le premier cas, l’administration délègue au concessionnaire le soin de construire à ses frais
l’ouvrage puis de le gérer, dans le cadre d’un service public, pendant une certaine durée assez
longue, pour qu’il puisse récupérer le montant des ses investissements et faire des bénéfices,
grâce aux recettes perçues, en principe les usagers. La concession de service public « pure »
est fondée sur le même principe, mais n’est pas liée à la construction d’un ouvrage public.
Ainsi est relégable la gestion du service public des transports, de la propreté et la collecte des
ordures ménagers.

S’agissant de la distinction entre marchés publics-délégations de service public1495, il


existe deux points liés à l’objet du contrat et à la modalité de rémunération constituant ainsi
les principaux traits distinctifs entre ces deux catégories. Cette distinction s’exilique par les
deux idées maitresses suivantes :

-Elle repose en premier lieu sur l’objet propre de chaque contrat. Le marché public
est un procédé contractuel qui consiste à offrir aux collectivités publiques les moyens
d’assurer l’exécution des services publics dont elles ont la charge. Dans le cas de la

1493
Le cas échéant, ce droit d’exploitation consenti au concessionnaire est assorti d’un prix à payer au pouvoir
adjudicateur concédant.
1494
La gestion déléguée est régie au Maroc par le Dahir n°1-06-15 du 14 février 2006 portant promulgation de la
loi 54-05 relative à la gestion déléguée des services publics ,qui est venu réglementer minutieusement ce mode
de gestion suite aux différends nés de concessions accordées sans aucun cadre légal.On distingue quatre types
de contrat de gestion déléguée : la concession,le contrat d’affermage,le contrat de gérance et la régie intéressée.
1495
Pierre-Laurent Frier et Jacques Petit, Précis de droit administratif, op.cit., 347.
304
délégation, comme son non l’indique, la responsabilité du service relève du cocontractant qui
est en relation directe avec l’usager.

- Le second trait distinctif se rapporte à la modalité de la rémunération. N’appartient


pas au domaine des délégations les contrats dont la rémunération du contractant de
l’administration n’est pas substantiellement assurée par résultats de l’exploitation. Il y a
délégation si celui - ci assume les risques, quant le contrat ne peut être en équilibre financier
sans les recettes liées directement à l’exploitation, alors même que la collectivité publique
contribuerait à une part importante de celles-ci.

En France, la loi du 11 décembre 2001, dite loi MURCEF reprend cette


définition ; constitue une délégation de service public le contrat par lequel une personne
morale de droit public »confie la gestion d’un service public (…), à un délégataire public ou
privé, dont la rémunération est substantiellement liée aux résultats d’exploitation du
service »1496.

-Partenariats publics-privés : Divers facteurs ont participé à la naissance de cette


nouvelle forme de partenariat entre le secteur public et le secteur privé qui date de 1980.Il
s’agit en particulier de la pression de nécessités financières et l’influence d’exemples
étrangers notamment celui du Royaume-Uni avec les contrats de Private Finance Initiative.
Le besoin accru à des modes de financement aussi bien en France qu’au Maroc pour la
réalisation des projets à caractère public ont poussé les pouvoirs publics d’imaginer de
nouveaux montages contractuels destinés à la satisfaction de cet objectif. Ces nouveaux
instruments présentent des points communs qui les ont fait réunir sous la notion générale de
partenariat ou de contrat global1497.

En France, plusieurs textes ont permis le recours à des contrats globaux dans certains
secteurs et selon des modalités variables ; ainsi pour la construction de bâtiments destinés au
service pénitentiaire1498, à la police et à la gendarmerie1499 ou dans le secteur de la santé1500.

1496
Pierre-Laurent Frier et Jacques Petit, Précis de droit administratif, op.cit., 347 et s.
1497
Au Maroc,L’opération de partenariat public-privé (PPP) autour des terres agricoles relevant du domaine
privé de l’Etat consiste en location de longue durée (17 à 40 ans selon le type de projet ) de ces terrains au profit
de promoteurs qui s’engagent,dans un cadre contractuel avec l’Etat,à entreprendre des projets d’investissements
agricoles permettant une valorisation de ces terres tout en créant de l’emploi en milieur rural.Un bilan
d’évaluation de cette opération depuis son lancement à fin 2015, a été présenté le 8/6/2016 devant la commission
interministérielle chargée de son suivi sous la présidence du ministre de l’agriculture et de la pêche maritime.Le
total des opérations du PPP ont porté sur une superficie de 111.000 Ha répartie sur 835 projets attribués avec un
investissement de 14 milliars de DH jusqu’à fin2015.Ces investissements concernent principalement la
production végétale,l’élevage et les unités de valorisation et les aménagements hydro-agricoles et fonciers.
1498
Lois des 22 juin 1987 et 9 septembre 2002.
1499
Loi du 20 août 2002.
305
Ce mode contractuel est connu sous l’appellation de « partenariat sectoriels ».Le second
instrument qui prend la forme du contrat de partenariat a pour objet de confier à l’entreprise
partenaire une mission globale, composée de tous les aspects d’opérations complexes :
financer, construire ou transformer, entretenir et exploiter des équipements publics, au
minimum ; concevoir ces derniers et fournir certaines prestations de services, éventuellement.
S’agissant de la rémunération du partenariat privé, elle est principalement orientée vers le
sens de préfinancement privé des équipements publics : au lieu de payer intégralement le
prix de l’ouvrage construit par l’entreprise dés son achèvement, comme dans un marché de
travaux, l’administration verse au partenaire une rémunération sur toute la durée du contrat
qui couvre les deux aspects de l’opération réalisée : le fonctionnement et le financement de
l’équipement public objet du contrat de partenariat public-privé. Il existe aussi des contrats
entre personnes publiques qui ne présentent parfois guère de spécificités au regard des
catégories de contrats publics-privés. Ils portent sur la fourniture de prestation (marchés
publics ou délégations de services publics)1501.

Devant une notion aussi complexe que le contrat administratif, il y a lieu de cerner
certaines signes distinctifs qui doivent apparaitre afin de ne pas confondre ce type de contrat
avec les autres notions liées au droit administratif en générale les autres actes administratifs
en particuliers. C’est pour cette raison que l’on parle des critères 1502 de qualification à aspect
organique ou matériel1503.

B- Les critères de qualification du contrat administratif

Parmi les contrats abordés, seuls certains constituent de véritables contrats. En effet,
comme pour l’ensemble des actes juridiques, il faut qu’il y ait un véritable contenu
normateur. Le contrat doit exprimer l’accord des parties (au moins deux), par lequel elles
s’engagent par des dispositions suffisamment précises. Elles leur confèrent donc force
obligatoire comme le droit les y autorise. Le contrat devient la « loi des parties »1504 et sa
violation est sanctionnée, notamment par la mise en cause de la responsabilité contractuelle.
Toutefois, la force obligatoire du contrat administratif, sans être supprimée, est atténuée par

1500
Ordonnance du 4 septembre 2003.
1501
V.par ex. CE 20 mai 1998, préc. (marché de services entre une communauté de communes et un syndicat
mixte).
1502
Remald n°18,1997,p. 9 et s.
1503
Fidi Mohamed, Le contrat en droit administratif, op.cit.,p.8.
1504
Pour les parties, le contrat administratif est bien la loi pendant toute sa durée d’exécution car, en droit
administratif, comme en droit civil « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont
faites », dans ce sens V.,CE ,12 décembre 1902,Orcibal.
306
l’existence du pouvoir de modification unilatéral et de pouvoir de résiliation unilatérale dont
dispose l’administration.

La nature administrative du contrat commande l’application d’un régime juridique


spécifique et la compétence du juge administratif en cas de contentieux 1505. La distinction
entre contrat administratif et contrat de droit privé n’avait d’intérêt que pour la détermination
du droit applicable, matière administrative ou matière civile, et n’avait trait en aucune façon à
la question de répartition des compétences entre deux ordres de juridiction1506.

Au Maroc, le problème du critère des contrats administratifs est relativement récent,


les bases juridiques qui servent d’appui remontent à bien plus loin. Son évolution a été
marquée par quelques éclipses dues au système d’unité de juridiction où sa résolution ne se
posait véritablement que lorsqu’il s’agissait du recours pour excès de pouvoir, jusqu’à la
création des tribunaux administratifs, en premier et dernier ressort devant la Cour suprême.
Aujourd’hui, la situation a radicalement changé avec la dualité de juridictions, conséquence
naturelle de l’institution des tribunaux administratifs, compétents, entre autres, en matière de
responsabilité contractuelle et extracontractuelle de l’administration, la recherche et la
précision du critère du contrat deviennent impératives.

La question de la distinction entre le contrat administratif et le contrat de droit privé se


pose en termes de répartition des compétences entre le juge administratif et le juge
judicaire1507 de la même manière qu’elle se pose en France et ce depuis, la création de la
juridiction administrative et l’institution de la dualité de juridictions1508. D’où l’intérêt de
savoir les critères qui nous aident à identifier les contrats administratifs des contrats de droit
commun. La qualification administrative du contrat peut être soit législative soit
jurisprudentielle. C’est pour cette raison que notre réflexion sera focalisée sur deux critères :
organique (1) et matériel(2).

1- Le critère organique

Le critère organique sert à la qualification administrative du contrat, en se référant


sur les personnes qui sont partie au contrat, c’est-à-dire l’organisme qui a eu lieu l’initiative

1505
Christophe Guettier, Droit des contrats administratifs,op.,cit.,p71 et s.
1507
Arrêtés récents : CSA,12 octobre 1995,Société nationale d’aménagement de la baie de Tanger, CSA, 9
novembre 1995,Chaalali,La jurisprudence de la Cour suprême, n°49-50,p.9 et 15 ;CSA,20 février 1996 Agent
judiciaire c/ Fabiane,Remald,infra,note 22.
1508
En application de la loi 41-90, les tribunaux administratifs sont compétents pour connaitre des litiges relatifs
aux contrats administratifs.
307
de contracter. Ce type d’indice qui est considéré depuis longtemps comme la principale base
de toute distinction de droit privé et de contrat de droit administratif a été mis en évidence
aussi bien par la jurisprudence que par la doctrine. Ainsi, un contrat est qualifié administratif
une fois le critère organique se trouve justifiée. Cela s’explique par l’existence d’un au moins
des contractants une personne publique, sauf exception1509.

Les contrats administratifs sont les contrats d’occupation du domaine public, passés
par l’Etat, les collectivités locales, les établissements publics. Cela s’applique aussi aux
contrats passés par les concessionnaires privés de travaux ou de service public qui utilisent le
domaine public. Ainsi, par dérogation au critère organique, cette convention est
administrative, alors même qu’elle est passée entre deux personnes privées1510.De même,
l’ensemble des contrats relatifs aux travaux publics, et notamment les marchés publics 1511, à
condition que le critère organique soit rempli. Les contrats de partenariat constituent
également des contrats administratifs.

La qualification d’un contrat est parfois simple du fait que le législateur détermine si
le contrat est administratif ou privé, on parle alors, de contrats administratifs en vertu de la
loi. C’est le cas de la loi M.U.R.C.E.F du 11 décembre 2001 en France1512, qui a fait des
contrats soumis au code des marchés publics des contrats administratifs en vertu de la loi.
Mais, le plus souvent, cette qualification législative n’existe pas. Il faut donc se tourner vers
les critères dégagés par la jurisprudence.

Dans la jurisprudence marocaine en matière administrative, il existe certains


jugements dont la lecture incline à penser que trois critères doivent être cumulés pour que le
contrat soit administratif. Ainsi, dans l’affaire Bouarsa1513 , il est précisé :

« Attendu que la jurisprudence de cette juridiction considère avec constance que le


contrat est administratif, lorsque trois conditions sont réunies :

1. que l’un des contractants soit une personne publique ;

1509
Un contrat passé entre deux personnes privées peut être administratif lorsque l’une d’elles agit pour le
compte d’une personne publique en vertu d’un mandat soit express soit implicite (voir l’article 1984 et s. du
code civil français).En France, le tribunal des conflits (TC) a aussi admis que les contrats conclus entre une
société d’économie mixte concessionnaire d’une autoroute c’est -à- dire d’un ouvrage public et des
entrepreneurs, tous deux personnes de droit privé, étaient des contrats de droit public (TC 8 juillet 1963
Entreprise Peyrot).
1510
Par ex.TC 23 févr.1981,Soc.Socamex R.501 ( à propos du contrat de « sous-location » passé entre la société
privée, concessionnaire d’une autoroute l’entreprise de restauration ) ;TC 15 mars 1999,Schmitt,R.443 , (absence
de contrat administratif, le locataire du domaine public n’étant pas concessionnaire).
1511
Art. 4, loi 28 pluviôse au VIII.
1512
V.l’article 2 de la loi MURCEF du 11 décembre 2001.
1513
T.A.,Agadir,19 octobre 1995,Bouarsa,REMALD, série « Thémes actuels »,n°9,p.169.
308
2. que le contrat concerne la gestion d’un service public ou la réalisation d’un intérêt
général ;

3. que la personne publique recoure à l’utilisation d’un procédé public dans le contrat ».

Puis, pour conclure au caractère administratif du contrat, le Tribunal se livre à une


vérification des trois critères un à un, comme s’ils devaient être cumulés pour jouer un rôle
commun. Cela lui avait d’ailleurs été suggéré par le commissaire royal concluant sur
l’affaire : « Si les deux conditions du contrat administratif sont réunies dans l’espèce, comme
ceci a été dit, il y a lieu de relever que conformément à la doctrine et à la jurisprudence, elles
ne sont pas suffisantes pour donner la qualité administrative au contrat objet du recours. Il
faut que le contrat contienne une clause exorbitante du droit commun »1514.

Dans une autre affaire, le même Tribunal, suivant les conclusions du même
commissaire royal, retient les mêmes conditions. Dans le même contexte, il est également
précisé dans un jugement du Tribunal de Rabat : « Attendu qu’il n’est pas possible de
considérer le contrat comme administratif et que la juridiction administratif est compétente
que sont réunies trois conditions cumulées, à savoir : (…)1515.

Or, force est de constater que les trois exemples précités ne permettent pas de soutenir
que la jurisprudence se dirige vers le cumul des trois conditions, mais ils invitent à
s’interroger tant sur l’utilité que sur l’efficacité d’une telle orientation même si elle n’est pas
générale et qu’elle constitue une tendance plutôt isolée si l’on considère l’ensemble des
tribunaux du Royaume.

S’il est incontestable que pour être administratif, un contrat doit nécessairement
comprendre une personne morale du droit public, sinon, mais uniquement lorsque cela
concerne certains domaines, une personne privée agissant en tant que mandataire de
l’administration1516, il n’est pas nécessaire que deux conditions cumulatives soient réalisées.

Le critère de l’existence d’une personne publique1517 dans la relation contractuelle


peut permettre de qualifier le contrat en tant que contrat administratif. Dans le même sens,

1514
M.Laalej,Concl.sur T.A.,Agadir,19 octobre 1995,Bouarsa,REMALD, série « Thémes actuels »,n°9,p.174.
1515
T.A.,Rabat,28 mai 1995,Ouahbi.
1516
A notre connaissance, cette seconde hypothèse n’a jamais eu d’application dans la jurisprudence marocaine ;
cependant, rien ne semble s’y opposer, d’autant plus que nos juges se référent souvent à la jurisprudence
française qui a déjà considéré, sans se déjuger plus tard, qu’un contrat passé par une personne morale de droit
privé et portant sur des travaux publics est un contrat administratif, TC 8 juillet 1963, Sté Entreprise
Peyrot,GAJA,Sitrey 1990,p.615.
1517
F.Moderne, L’évolution récente du droit des contrats administratifs : les conventions entre personnes
publiques.R.F.D.A.1984, 1.
309
lorsque le contractant de l’administration « participe directement au fonctionnement d’un
service public » comme l’avait déjà exigé la Cour suprême1518, la condition de la clause
exorbitante devient superfétatoire. Elle n’a plus qu’un rôle de second plan. Il est vrai que dans
ses arrêts, la haute juridiction s’était fondée sur les deux critères, mais on doit relever qu’à
aucun moment, elle n’avait laissé entendre qu’ils devaient se cumuler pour se compléter. Cela
est d’autant plus soutenable que le juge n’avait pas posé les critères devant être réunis pour
ensuite vérifier leur existence et s’assurer qu’ils étaient réunis.

Bien plus cette présomption d’administrativité dans l’opération contractuelle en raison


du critère organique a été enraciné dans la pratique du juge administratif. C’est ce qui est
manifesté à l’occasion de la jurisprudence «Société INTERLAIT du 3 mars 1969 ».Dans cette
affaire le juge a affirmé la présomption d’administrativité pour les contrats conclus entre deux
personnes publiques. Cette présomption cède si le contrat en cause et met en jeux que des
rapports entre particuliers.

Dans une autre affaire, « un contrat conclu entre deux personnes publiques revêt en
principe un caractère administratif (…), sauf dans le cas où, eu égard à son objet, il ne ferait
naître entre les parties que des rapports de droit privé »1519.Cette nouvelle présomption- qui
s’appliquent notamment aux contrats de plus en plus nombreux entre l’Etat et les collectivités
locales- renforce le poids de l’élément organique de qualification :elle vise à mettre en accord
le caractère public des parties et la nature administrative de leurs relations contractuelles.

Dans un autre cas tiré de la jurisprudence française, à propos d’un accident survenu
sur une voie ferrée qui connaissant des travaux publics de rénovations, il se révèle que la force
du critère organique était encore plus forte que la force des institutions. La qualification de
travaux publics donne au contrat une nature particulière qui le fait pencher du coté public.
Dans cette affaire, le tribunal des conflits va infirmer cette idée1520 puisqu’il va considérer
que ce contrat de travail devait relever de la compétence de la juridiction judiciaire1521.

Le critère organique, malgré sa simplicité et sa rapidité juridique, il se caractérise par


son aspect stagnant qui n’est évolue pas avec la conjoncture national et international. Cela

1518
CSA,9 juillet 1959,Ben Youssef,R.p.62 (1er attendu) ;10 juin 1960,Skoba,R.p.125 (3e attendu).
1519
Loïc Cadiet, Le droit contemporain des contrats, Bilan et perspectives, pref. Gérard Cornu,éd.
Economica,1987,p196.
1520
TC,17 janvier 1972,Société SNCF c/Entreprise Solon.
1521
Aujourd’hui, la SNCF est devenue depuis 1980 un établissement public et avant cette date, la SNCF, était
une société de droit privé donc la SNCF passe des contrats administratifs car le critère organique était présent et
donc le juge administratif sera compétent.
310
nous permettons à démonter que ce critère n’est pas suffisant pour rechercher et identifier
l’administrativité du contrat.

L’existence d’une personne publique au contrat est considérée comme une condition
minimale et nécessaire, mais elle est insuffisante et non déterminante. Il en résulte que le
critère organique exigé par le droit administratif marocain pour reconnaitre à un contrat le
caractère administratif,1522 est devenu insuffisant devant un interventionnisme grandissant. La
puissance publique a commencé à agir indirectement faisant ainsi intervenir les particuliers
dans la gestion de la chose publique pour le compte de l’Etat. Dans ce cas, l’administration
peut passer des contrats avec des personnes privées, mais qu’elles agissent au non de celle-ci.

La théorie de critère organique ne suffit pas pour reconnaitre aux contrats conclus le
caractère administratif. Il en résulte de cette idée, que le contrat passé entre deux personnes
de droit privé demeure un contrat de droit privé, même s’il contient une clause exorbitante.
La jurisprudence française en matière administrative a donné une illustration dans ce
1523
sens .

Dans la gestion moderne de service public, l’Etat se fait de plus en plus représenté, ce
qui a conduit la jurisprudence à chercher d’autres critères alternatifs autres que le critère
organique pour qualifié les contrats administratifs. Cette réalité s’est manifestée et confirmée,
notamment en matière de contrats de travaux publics1524.Ainsi, dans un arrêt rendu par la
Cour de cassation1525 se rapportant à la question de qualification du contrat conclu entre deux
personnes publiques, la logique du résonnement adoptée est la suivante :pour pouvoir affirmer
qu’un contrat conclu entre deux personnes publiques ne revêt pas un caractère administratif,
il ne suffit pas de démontrer que ce contrat ne remplit pas les autres critères jurisprudentiels
nécessaires à la qualification de contrat administratif, il faut, de surcroît, démontrer que ce
contrat, égard à son objet, ne fait naître entre les parties que des rapports de droit privé. Cette
position de la Cour de cassation Ŕqui ne semble malheureusement pas être celle du Conseil
d’Etat-donne tout son sens à la présomption selon laquelle un contrat conclu entre deux
personnes publiques revêt un caractère administratif.

1522
Mounia Benlamlih, Le contentieux contractuel en droit administratif marocain, n°87-2010, p.2010, p.60.
1523
Il s’agit du CE du 20/12/961, Société Autoroute Esterel Cote d’Azur, un contrat entre un concessionnaire
d’autoroute et une entreprise privée.
1524
Le tribunal des conflits en date du 8 juillet 1963 a opté pour une solution beaucoup plus large en étendant à
l’ensemble des contrats passé par des personnes privées pour le compte de l’Etat et portant sur des travaux
publics, un caractère administratif.
1525
Cass .1e civ.,16 mars 1999,Chambre de commerce et d’industrie de Valence c/ crédit local de France,n°97-
13359.
311
Faute de textes définissant une bonne fois pour tout le contrat administratif, il est
revenu à la jurisprudence de dégager les indices permettant de l’identifier. Ce qui frappe en
l’espèce, c’est la diversité des critères mis en œuvre. Même s’ils se ramènent tous à l’idée
d’« exorbitance », ils ne réduisent pas l’unité1526. Mais, il en résulte que les critères
classiques mis en œuvre par la jurisprudence ont atteint leurs limites et cela devient très
difficile de qualifier le contrat administratif en se référant au seul critère organique, c’est pour
cette raison que la qualification administrative du contrat a été dirigée vers la recherche d’un
autre critère que la jurisprudence a mis en place pour combler les lacunes du critère
organique.

2- Le critère matériel
Le critère matériel se définit comme un moyen alternatif de qualification juridique du
contrat qui ne concerne pas les parties du contrat. Il se compose de deux éléments qui non pas
cumulatifs suivants : la présence dans le contrat d’au moins une clause exorbitante du droit
commun et la participation directe du cocontractant à l’exercice d’un service public 1527. Ce
qui nous intéresse, alors est de savoir comment la jurisprudence s’est elle basée sur ces
nouveaux critères pour distinguer les contrats de l’administration soumis au droit public de
ceux relevant du droit privé ? Comme le montre l’histoire, plusieurs approches sont
envisageables. Soit prendre en compte l’objet du contrat, son rôle dans l’exercice de sa
mission de service public par l’administration, soit se fonder sur son contenu, soit, enfin
s’interroger sur la rédaction même de ses clauses au regard des contrats de droit privé1528.

Pour qualifier le caractère du contrat, le juge s’est fondé sur la finalité de l’opération ;
est administratif le contrat qui confie à une personne privée le ramassage des chiens errants,
en vue de l’hygiène et de la sécurité car il « a eu pour but d’assurer l’exécution du service
public1529 ».Mais, recourir à ce critère matériel revenait à conférer un caractère administratif à
la grande majorité des contrats de l’administration qui agit, le plus souvent ,dans le cadre de
sa mission de service public.

Aussi, dés 1912, un autre critère est-il mis en avant, celui de « la clause exorbitante du
droit commun ».Relève du droit privé le contrat conclu entre une commune et une société de
matériaux pour la fourniture de pavés « à livrer selon les règles et conditions des contrats

1526
Christophe Guettier, Droit des contrats administratifs,op.,cit.,p.93 et s.
1527
Loïc Cadiet, Le droit contemporain des contrats, Bilan et perspectives,op.cit.,p.202.
1528
Pierre ŔLaurent Frier et Jacques Petit, Précis de droit administratif, 6 éme édition,Montchrestien,2010,p.352.
1529
CE 4 mars 1910,Thérond,R.193 ,concl.Pichat.
312
intervenus entre particuliers »1530. Ce critère formel devint prédominant, celui du service
public ne subsistant que dans certains cas particuliers, avant de ressusciter dans les années
1950 implicitement1531, puis explicitement1532. Bien que conclu oralement, et donc
insusceptible par définition de comporter des clauses exorbitantes du droit commun, relève
du droit administratif un contrat dont l’objet est « de confier (…) aux intéressés l’exécution
même du service public chargé d’assurer le rapatriement des réfugiés, (…) cette circonstance
suffit, à elle seule, à imprimer au contrat le caractère d’un contrat administratif ».Le critère du
service public revenait donc au premier plan. L’on put même croire qu’il allait prendre la
première place et reléguer celui de la clause exorbitante à un rang secondaire. En fait le juge
s’est fondé attentivement et, sans hiérarchie, sur les deux critères envisagés. C’est ainsi, qu’il
convient d’évoquer en premier lieu le critère relatif à l’exécution du service public (a) et en
second lieu celui qui se rapporte à l’existence de la clause exorbitante du droit commun (b).

a-Le critère du service public

La notion du service public désigne juridiquement l’ensemble des activités, exercées


par ou pour le compte de la puissance publique, dans le but de satisfaire une demande sociale
considérée comme devant être disponible pour tous. Par extension, elle est devenue un mythe
doté d’une dimension idéologique qui a ainsi légitimé la construction de l’Etat-providence ou
diverses institutions sociales. En réaction sont apparues des dénonciations de coût budgétaire
excessif, de service rendu insuffisant ou inadapté aux besoins réels, d’atteintes aux libertés et
concurrence déloyale, etc. qui ont nourri le libéralisme et des évolutions institutionnels depuis
la fin du XXe siècle :fin des monopoles, évolution des entités responsables d’un service public
(autonomie, indépendance, changement de statut juridique),extension du principe
d’adaptation des politiques publiques aux zones géographiques ou aux publics variés par
application du principe de subsidiarité et en France les lois de décentralisation1533.

Le critère tiré de la relation du contrat avec le service public 1534 qui a été consacré
par la décision Epoux Berlin, est aujourd’hui considéré par certains comme le critère principal

1530
CE 31 juillet 1912,Soc. Des granits porphyroïdes des Vosges.909,concl. Blum (cet arrêt est le plus célébrée
raison notamment des conclusions Blum. Une solution semblable avait déjà été retenue dans l’arrêt du 4 juin
1910,Cie d’ass.Le Soleil.466,concl. Feuilloley).
1531
CE Sect. 4 juin 1954,Affortit et Vingtain,R.342,concl.Chardeau (sont considérés comme contractuels de
droit public ceux qui participent à l’exécution même du service public).
1532
CE Sect.20 avr.1956,Epoux Bertin,R.167,AJ 1956. II.272 concl.Long.
1533
Fidi Mohamed, Le contrat en droit administratif,op.cit.,p.22 et s.
1534
Yves Gaudemet, Traité de droit administratif, Tome1,16 e éd.L.G.D.J.2002,p.678.
313
tandis que le critère tiré des clauses exorbitantes1535, sans être abandonné, serait passé au
second plan. Le critère du service public dont l’avènement a naturellement contribué
puissamment à la « revalorisation de la notion de service public » en droit administratif
français, a reçu lui-même une signification et un contenu de plus en plus larges1536.

Ainsi, la notion de service public a ici un rôle qui est en fait limité. En effet, ce n’est
pas parce qu’un contrat a un lien quelconque avec le service public qu’il est pour autant un
contrat administratif. Ce ne sera vraiment le cas que lorsque le contrat entretiendra avec le
service public un lien suffisamment fort1537.Autrement dit que ça soit une personne publique
ou une personne privée, une fois que le contrat porte sur l’exécution d’une mission de service
public, le juge est devenu plus souple, et déclare administratif ce contrat .

Le critère du service public, « remis à l’honneur », recouvre plusieurs situations. Celle


dans laquelle le contractant de l’administration prend en charge le service public. Dans cette
première hypothèse le contrat confie l’exécution même du service public au contractant, dont
le rôle est primordial. Le service public, une fois son organisation définie par la puissance
publique, peut tout d’abord être confié à la personne qui le prend en charge. Ceci se manifeste
clairement dans le cas des délégations de service public où le cahier des charges détermine les
conditions d’exécution du service public, ou pour certains marchés de service1538.

Dans la deuxième situation, la personne publique joue un rôle majeur, le contrat


devenant un moyen privilégié pour elle de remplir sa mission. Illustre ce cas de figure
notamment la jurisprudence relative à une affaire tranchée par le Conseil d’Etat en 19561539.
L’approche adoptée est particulièrement nette dans l’exemple suivant.

Par un contrat de décentralisation industrielle, la commune s’engageait, en échange du


transfert du siège social d’une société, à lui accorder diverses aides. La société n’intervient
nullement dans le service public. C’est la commune qui a « a pris en charge dans l’intérêt
public, la réalisation de l’ensemble des conditions matérielles d’une opération de

1535
A. de Laubadére,Les critères du contrat administratif sont-ils hiérarchisés ?
A.J.D.A.1981,p.40 ;P.Amselek,La qualification des contrats de l’administration,A.J.D.A.1983,p.3. ; selon
l’expression de M.P. Weil, Le critère du contrat du contrat administratif en
crise,Mél.Waline,L.G.D.J.1974,Tome2,p.849.
1536
J.-M.Rainaud,Le contrat administratif :volonté des parties ou lois de service public ?,R.D.P.1985 ,p.1183.
1537
Christophe Guettier, Droit des contrats administratifs,op.,cit.,p.94 et s.
1538
Par ex.,TC 28 sept.1998,Soc. Grands moulins italiens de Vienise,R.544 (contrat par lequel l’ONIC charge
une société de meunerie de l’exécution même du service public d’aide alimentaire à l’Egypte),TC 5
juill.1999,Soc. International Management Group,R.463 (prise en charge par le contractant des opérations de
communication destinées à promouvoir l’image d’un département).
1539
CE Sect.20 avr.1956,Cts Grimouard,R.168,AJDA 1956.2.187 ,concl. Long (opération de reboisement
effectué par l’Etat sur des terrains privés, après contrat conclu avec les propriétaires).
314
décentralisation industrielle (…),ce faisant elle a assuré l’exécution même d’une mission de
service public »1540.

Mais les effets d’un tel renversement de perspective risquent d’être considérables.
La plus part des contrats signés par l’administration se rattachent à sa mission de service
public et il serait presque toujours possible de considérer que, par ce moyen privilégié, la
puissance publique remplit celle-ci. Ce sous-critère, reste cependant cantonné car, il ne
concerne pas les « contrats conclus pour procurer des moyens au service (personnel, achat de
matériel, construction)1541 et ne joue dans les autres cas, que pour les services qui remplissent
l’essentiel de leur mission en concluant ces contrats.

Enfin dans la troisième situation, les personnes gestionnaires en commun d’un service
public contractent pour l’organiser. Dans ce cas, certains contrats sont passés entre des
personnes qui, toutes deux, accomplissent un service public. Il n’y a donc pas délégation de
l’une à l’autre, mais organisation du service selon des modalités de la convention1542. Ce
critère du contrat administratif se distingue des deux critères que nous avons évoqués
précédemment. Le juge administratif ne l’utilise effectivement que dans l’hypothèse où la
personne publique reste gestionnaire à part entière du service public. Elle se contente d’un
acte d’administration dans le cadre d’un contrat constituant une modalité d’exécution du
service public. Ainsi, comme à chaque fois qu’est en cause le service public, il a pu être
considéré comme indispensable de maintenir de tels contrats dans l’orbite du juge
administratif puisque leur finalité réside dans la réalisation d’objectifs de service public. Leur
objet invite à retenir une telle solution. Cette approche a été confirmée dans un arrêt de
référence rendu le 20 avril 1956,ayant à déterminer la nature juridique des contrats passés par
l’administration des Eaux et Forêts en vue de la réalisation d’opérations de reboisement sur
des terrains privés, le Conseil d’Etat s’était estimé compétent au motif que lesdits contrats
constituaient l’une des modalités de l’exécution même du service public de la préservation
des forêts1543.

1540
CE Sect.26 juin 1974,Soc.La Maison des Isolants- France.365.V. aussi CE Sect.18 juin 1976, Dame
Culard,R.319 ( exécution même par le crédit foncier du service public d’aide aux rapatriés en leur accordant des
prêts).
1541
Pierre ŔLaurent Frier et Jacques Petit, Précis de droit administratif, op.cit.,p.355.
1542
Ibid,p.355.
1543
CE Sect.20 avr.1956,Ministère de l’agriculture c/ Grimouard,,GAJA Dalloz,16 eéd.,2007,n°74 ; v.sur ce point
Christophe Guettier, Droit des contrats administratifs,op.,cit.,p.95 et s.
315
La jurisprudence a permis de développer un autre critère tiré de clauses exorbitantes
ou d’éléments exorbitants1544. Le recours à la clause exorbitante pour identifier la nature
juridique du contrat, s’explique par l’insuffisance du critère du service public en matière de
qualification administrative.

b- le critère de la clause exorbitante en droit commun

Le contrat administratif s’identifie aussi grâce aux éléments exorbitants qu’il


contient. Ces derniers qui mettent l’administration en position dominante par rapport à ses
contractants ce sont les clauses exorbitantes de droit commun.

Le critère tiré de la présence dans le contrat de « clauses exorbitantes de droit


commun » est apparu le premier, avec l’arrêt du Conseil d’Etat du 31 juillet 1912, Société des
granits porphyroïdes des Vosges1545. Dans des conclusions prononcées sur ledit arrêt, le
commissaire du gouvernement Blum avait indiqué qu’un contrat pouvait parfaitement relever
de la compétence administrative alors même qu’il ne portait pas sur l’exécution d’un service
public (comme un contrat relatif à la gestion du domaine privé) ou lorsqu’il n’entretenait pas
des rapports suffisamment étroits avec une telle mission (comme un contrat conclu
simplement pour les besoins du service).En effet, dans ces deux hypothèses, la compétence
administrative renaît dés lors que la personne publique manifeste la volonté d’utiliser des
prérogatives exorbitantes du droit commun. L’étude minutieuse des stipulations
contractuelles permet alors de fixer la nature juridique du contrat.

Le caractère exorbitant d’une clause, en tant que critère du contrat administratif, ne


peut se définir lui-même que par des traits dont certains ont une valeur simplement relative
ou ont donné lieu à des variations de jurisprudence. La notion de clause exorbitante est
difficile à définir avec précision. Elle serait simple si, l’expression étant prise à la lettre, la
clause exorbitante du droit commun était nécessairement celle qui ne pourrait figurer dans
un contrat de droit privé parce qu’elle y serait illégale. Effectivement de telles clauses,
« comportant des obligations qui ne sont pas susceptibles d’être librement consenties dans le
cadre des lois civiles et commerciales » sont reconnues exorbitantes1546.

La jurisprudence reconnaît également le caractère exorbitant à des clauses qui, sans


être insusceptibles d’insertion dans un contrat civil comme contraires à l’ordre public, y sont
1544
Yves Gaudemet, Traité de droit administratif,op.,cit.,p.680.
1545
C.E ,31 juill.1912,GAJA,Dalloz,16 éd.,2007,n°26.
1546
C.E.,15 fév.1935,Sté fr.de construction,Rec.Lebon,p.201-29 juin 1951,Sté minière du Cap
Corse,Rec.Lebon,p.383.-T.C.20 avril 1959,Sté nouvelle d’exploitation des plages, Rec.Lebon,p.866-C.E.,30
juillet 1949,Gluckberg,Rec.Lebon,p.387.
316
seulement très inhabituelles. La détermination de la clause exorbitante devient alors, dans
beaucoup de cas, plus difficile et plus relative. C’est le cas notamment des stipulations qui,
d’une manière générale, comportent l’octroi de prérogatives, soit à l’administration vis-à-vis
de son cocontractant sous la forme de pouvoirs d’action d’office, de résiliation
discrétionnaire1547, de contrôle exorbitant1548, soit au cocontractant vis-à-vis des tiers, sous la
forme du droit de percevoir des taxes, de privilèges d’exclusivité, etc.1549.

Le conseil d’Etat a encore regardé comme des clauses exorbitantes les clauses qui
« portent la marque administrative », en ce sens qu’elles apparaissent comme inspirées par
des considérations d’intérêt général étrangères aux contrats conclus entre
particuliers1550.Ainsi en matière d’exécution du contrat en droit privé, le contractant exécute
ses prestations avec une certaine indépendance et une certaine liberté, au contraire, en droit
administratif, l’administration dispose d’un droit de contrôle et de direction dans l’exécution
du contrat. L’administration a le pouvoir de vérifier en cours d’exécution que le cocontractant
exécute les dispositions du contrat.

De même, la référence à un cahier des charges est considérée comme une clause
exorbitante. A ce propos, le Conseil d’Etat a longtemps répondu qu’il n’en allait ainsi qu’a la
condition que le renvoi ait un « effet utile »,c’est-à-dire que les dispositions du cahier des
charges auxquelles il est renvoyé soient elles mêmes exorbitantes, puis il a abandonné cette
exigence1551.

Le conseil d’Etat a repris ultérieurement la première solution dans certaines affaires


qui exige la présence des clauses exorbitantes dans le cahier des charges auquel il était
renvoyé. Ainsi un contrat de vente de bois passé avec une commune est un contrat de droit
privé « en l’absence, dans le cahier des charges…auquel il est fait référence, de clauses
portant un caractère exorbitant du droit commun »1552.Récemment le tribunal des conflits a
jugé clairement qu’un marché (…) peut avoir le caractère d’un contrat administratif s’il

1547
C.A.A.Paris,24 oct.1995 ,Cne de Lamoreau,C.J.E.G.1997,p.26,note R.Savignat.
1548
V.p.ex.C.E., 3 juillet 1925,de Mestral,D.1926,3,17-27 juillet 1950,Peulabeuf,Rec.Lebon,p.668- 10 mai
1963,Sté « la prospérité fermière »,R.D.P.,1963,p.584,concl. Braibant-T.C.14 novembre 1960,3
arrêts,A.J.D.A.,1961,p.89 note A.de Laubadére-C.E.,30 janv.1980,Ville de Paris,R.D.P. ,1981,p.518.
1549
C.E.,de Mestral,Peulabeuf, précités - 26 février 1965,Sté du Vélodrome du Parc des
Princes,R.D.P.,1965,p.506,concl.Bertrand.
1550
18 janvier 1924,Ville de Paris,Rec.Lebon,p.58-23 décembre 1953, Dame Vue
Lillo,Rec.Lebon,p.573,concl.Tricot-V. aussi, pour le juge judiciaire,cass.civ.1er ,16 mars 1999,soc.Hôteliers
Griyannaise,J.C.P.1969,IV,1872.
1551
Le C.E a jugé que la référence à un cahier des charges équivaut en elle Ŕmême à une clause exorbitante :17
novembre 1967,Roudier de la Brille,A.J.D.A.,1968,p.98-24 nov,Sté Atelier de nettoyage de
Fontainebleau,Rec.Lebon,p.753.
1552
T.C.10 mai,1971,Sté des laboratoire Derveaux,D.A.1971,n°181.
317
comporte une clause exorbitante du droit commun, qu’il en va ainsi au cas où le marché se
réfère à un cahier des charges qui lui-même comprend une clause exorbitante du droit
commun1553. En principe, les contrats conclus par l’administration et portant sur son
domaine privé sont des contrats de droit commun en raison de l’application générale du droit
privé et de la compétence judiciaire à l’ensemble de la gestion du domaine privé. Cette règle
est considérée très longtemps comme absolue, mais aujourd’hui la jurisprudence admet que
les contrats passés par l’administration et qui sont afférents au domaine privé, peuvent être
qualifiés des contrats administratifs du fait de la présence de clauses exorbitantes1554.

L’identification du contrat administratif, présente un intérêt primordial, dans la mesure


où elle permet de délimiter la règle de droit applicable et la juridiction compétente en matière
de contentieux et d’ouvrir la voie de recherche pour mesurer la portée de la force de ce type
du lien contractuel. Les contrats administratifs Ŕcomme tous les contrats- se forment par la
rencontre des volontés des contractants, et ces volontés contractantes doivent être exactes et
libres1555.L’accord de volonté est une condition généralement suffisante à la naissance d’un
contrat en droit public. La seule rencontre des volontés des parties peut créer entre elles un
lien contractuel sans que, dans le silence des textes, aucune forme ne soit requise1556.

Cependant le particularisme de ces contrats se réside dans la procédure du choix du


contractant et aussi dans la phase d’exécution du contrat. Le régime de conclusion et
d’exécution qui offre le plus de particularisme et mérité d’être étudiée est celle des marchés
publics. Il s’agit donc d’orienter la recherche vers le sens des limites que présente la force du
contrat en droit administratif et qui se manifestent notamment à travers les assouplissements
et dérogations apportés au principe selon lequel le contrat constitue, dans les termes stricts
ou il été conclu, la loi immuable des parties1557 dont la finalité est de relever le particularisme
de ce principe qui existe entre le droit administratif et le droit privé.

Paragraphe 2: Les limites de la force du contrat en droit administratif : cas des marchés
publics
Tout contrat a pour effet de faire naître des obligations, en d’autres termes, tout
contrat à une force obligatoire à laquelle, faut-il rappeler, le droit administratif admet des
aménagements que ne connaît pas le droit privé. Aussi, l’exécution des contrats administratifs

1553
T.C.5 juillet 1999,U.G.A.P.,A.J.D.A.2000 ,p.115.comm.C.Fardet.
1554
C.E.,17 décembre 1954,Grosy,Rec.Lebon,p.674-T.C.2 juillet 1962,Consorts Cazautet,Rec.Lebon,p.823- 22
novembre 1965,Calmette,D.1966,p.258,note Lenoir.
1555
Voir Y.Weber, La théorie des vices du consentement dans les contrats administratifs, Mél.R.Drago,p.315. ;
1556
Laure Marcus,L’unité des contrats publics, Thèse du 8 décembre 2008,op.cit.,p.60.
1557
Gaudemet Y., « Traité de droit administratif »,op.cit.,p.696.
318
se trouve marquer par un corps de règles spécifiques manifestant davantage d’originalité par
rapport aux contrats de droit privé. Si leur exécution Ŕ comme celle de tout contrat Ŕ est
soumise au principe affirmé à l’article 230 du D.O.C, selon lequel « les obligations
contractuelles valablement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites » et en droit
comparé l’article 1134 du code civil français qui dispose que « les conventions légalement
formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites »1558 ,il est admis traditionnellement
qu’en la matière ce principe connaît d’importants assouplissements et dérogations. En effet,
les contrats administratifs sont soumis à un régime de droit administratif, exorbitant du droit
commun, en ce qu’il est notamment possible pour l’administration contractante de modifier,
voire de résilier unilatéralement le contrat, sous certaines conditions et moyennant certaines
contreparties. La doctrine bien pensante considère que « ce régime exorbitant trouve son
fondement dans la notion d’intérêt général qui anime l’action des personnes
publiques »1559.Dans le cadre du périmètre conçu pour délimiter notre recherche qui vise à
relever le particularisme de la force du contrat en droit administratif au stade d’exécution et
plus précisément dans le cas du contrat des marchés publics1560 , il conviendra alors, en
premier lieu d’appréhender l’influence des prérogatives de l’administration sur l’équilibre
financier du contrat (A), avant de chercher en second lieu ,les droits qui sont reconnus au
contractant essentiellement en matière financière et en particulier son droit à un certain
équilibre financier du contrat (B).

A- Les prérogatives de l’administration, sources du déséquilibre ou facteurs de souplesse


du contrat ?

Le contrat administratif a généralement pour but de permettre ou de faciliter le


fonctionnement d’un service public. Il en résulte que, dans l’intérêt du service public,
l’administration détient à l’égard de l’exécution du contrat des prérogatives exorbitantes qui
permettent non seulement d’exercer sur l’exécution du contrat un contrôle de portée
exceptionnelle, mais même, dans certaines conditions, de modifier unilatéralement ses
stipulations1561.

1558
CE, 12 décembre 1902, « Orcibal »,Rec.,p.750 ;CE.,9 février 2005, « Sté Canal Calédonie et Canal
Polynésie »,req.265869,consultable sur le site « legifrance.gov.fr. » :dans cette affaire, le CSA a pu légalement
imposer, dans la convention conclue avec la société Canal Calédonie, des règles particulières pour les
programmes de catégorie afin de protéger le jeune public .
1559
Guettier (Ch.),Droit des contrats administratifs, Paris, Thémis,2005,n°533,p.325.
1560
Le choix de l’exemple du contrat de marchés publics, trouve son intérêt dans les multiples réformes qu’a
connu ce procédé contractuel, et aussi qu’il reflète clairement les prérogatives de l’administration à travers les
pouvoirs dont Ŕelle dispose pour protéger l’intérêt général et assurer la continuité du service public.
1561
Gaudemet Y., « Traité de droit administratif »,op.cit.,p.696.
319
Le contrat administratif est un outil qui permet à l’administration de concrétiser et
mettre en œuvre de ses actions dont l’objectif de réaliser le bien commun. Pour cette fin, le
législateur l’a doté d’une multitude de pouvoirs qui se cristallisent essentiellement dans les
pouvoirs de direction, de contrôle et de sanction (1) et les pouvoirs de modification
unilatérale et de résiliation (2).

1-Les pouvoirs de contrôle, de direction, et de sanction.

L’administration dispose d’un pouvoir de contrôle et de direction sur l’exécution du


contrat. Mais ce pouvoir est variable selon les catégories de contrats. En principe, le
contractant a le choix des moyens d’exécution de ses obligations. Mais dans certains contrats
il doit se plier aux directives de l’administration en sa qualité de maitre de l’ouvrage »,
notamment dans le cas du marché de travaux publics1562.

Dans l’exécution des travaux, l’administration exerce un droit de direction sur


l’entrepreneur qui est tenu de respecter les ordres de service obligatoires et le délai fixé pour
l’accomplissement des obligations objet du contrat administratif. Il en résulte que l’autorité
publique exerce de plein droit ces pouvoirs qui sont toujours prévus dans tous les
contrats1563.Mais dans les marchés de travaux publics, les pouvoirs de contrôle et
d’intervention sont particulièrement développés en raison du caractère d’intérêt général que
présente la prestation publique et de la qualité de « maitre d’ouvrage » qui relève de
l’administration publique.

Le pouvoir de contrôle permet à la personne publique de procéder à la surveillance des


chantiers lors de l’exécution mais aussi lors de la réception de la prestation réalisée. Pour la
mise en œuvre de ce pouvoir, l’administration confie à des architectes ou des ingénieurs la
mission de suivi et de contrôle de l’exécution des marchés de travaux publics. Le contrôle
porte généralement sur la conformité des travaux aux plans d’architecture et de béton armé
approuvés par l’autorité publique, sur la qualité des matériaux utilisés, sur la main d’œuvre
déployée, sur le respect des conditions de sécurité requises dans le chantier.

L’administration a le droit de contrôler les autres types de marchés .Le pouvoir de


contrôle porte particulièrement sur la qualité et la quantité des fournitures livrées, la
conformité des produits fournis aux stipulations du marché. Dans ce contexte, l’article 47 du

1562
C.E.,22 févr.1952,Sté pour l’exploitation des procédés Ingrand,Rec.Lebon.p.130.
1563
Abderrahim WAHIDI,Le contrat des marchés publics :vers une bonne gouvernance dans la gestion publique,
mémoire, Master en droit public, faculté des sciences juridiques économiques et sociales, Casablanca,2011-
2013,p.14.
320
Cahier des Clauses Administratives Générales applicables aux marchés de services portant les
prestations d’études et de maîtrise d’œuvre passés pour le compte de l’Etat (CCAG-
EMO)1564,stipule que : « les prestations faisant l’objet du marché sont soumises à des
vérifications destinées à constater qu’elles répondent aux stipulations prévues dans le
marché. Ces vérifications sont effectuées par le maître d’ouvrage suivant les modalités
prévues au présent cahier des clauses administratives générales, au cahier des prescriptions
communes ou au cahier des prescriptions spéciales ».

Le deuxième alinéa de cet article, précise que : « le titulaire avise par écrit le maître
d’ouvrage de la date à la quelle les prestations seront présentées en vue de ces vérifications ».

En ce qui concerne le contrôle et le suivi de l’exécution des marchés des travaux


publics, l’établissement public peut confier par convention à une administration publique
habilitée conformément à la réglementation en vigueur soit, par décision du premier ministre
prise après avis du ministre chargé des finances, à un organisme public 1565. Dans ce sens,
l’article 161 du nouveau code des marchés publics marocain précise les missions de maitre
d’ouvrage à déléguer et peuvent porter notamment sur : « Le suivi et la coordination des
études, l’examen des avants projets et des projets, l’agrément des avants projets et des projets,
la préparation des dossiers de consultation, la passation des marchés conformément aux
dispositions du présent décret, la gestion du marché après son approbation par l’autorité
compétente, le suivi, la coordination et le contrôle des travaux, la réception de l’ouvrage ».

Le maître d’ouvrage délégué n’est tenu envers le maître d’ouvrage que de la bonne
exécution des attributions dont il a personnellement été chargé par celui-ci. Il représente le
maître d’ouvrage à l’égard des tiers dans l’exercice des attributions qui lui sont confiées
jusqu’à ce que le maître d’ouvrage ait constaté l’achèvement de sa mission dans les conditions
définies par la convention.

Le même article souligne que la convention précitée prévoit notamment 1566 : « Le ou


les ouvrages qui font l’objet de la délégation de maîtrise d’ouvrage, les attributions confiées
au maître d’ouvrage délégué, les conditions dans lesquelles le maître d’ouvrage constate
l’achèvement de la mission du maître d’ouvrage délégué, (…..), les modalités du contrôle
technique, financier et comptable exercé par le maitre d’ouvrage aux différentes phases de
l’opération, (….),les obligations de l’administration ou de l’organisme public vis-à-vis du

1564
Approuvé par le décret n°2-01-2332 du 04/06/2002 (publié au B.O.n°5010 du 06/06/2002).
1565
Article 161 du décret n°2-12-349 du 20 mars 2013.
1566
Voire l’article 161 precité.
321
maître d’ouvrage en cas d’un litige né de l’exécution de la mission de maîtrise d’ouvrage
déléguée ou d’un dommage causé aux tiers ».

Il faut souligner, par ailleurs que le contrôle effectué par l’administration ou par le
maître d’ouvrage délégué sur l’exécution du marché n’exonère pas l’entrepreneur de la
responsabilité issue des ses malfaçons. Ainsi, l’entrepreneur peut être mis en demeure pour se
conformer aux stipulations du marché dans un délai qui ne doit pas être inferieur à 15 jours à
dater de la notification de la mise en demeure.

L’administration dispose aussi d’un pouvoir de sanction1567 dans l’hypothèse de


manquement du contractant à ses obligations. Les manquements en matière contractuelle qui
se manifestent sous forme de l’inexécution, du retard dans l’exécution, de l’existence des
anomalies dans la prestation réalisée donnent à l’administration le droit de mettre en œuvre le
pouvoir des sanctions.

Le pouvoir de sanction constitue ainsi une prérogative exorbitante de l’administration


dans l’exécution des contrats administratifs. La raison du recours au régime de sanctions
administratives1568 s’explique par le fait, que les voies de droit privé peuvent se révéler
insuffisantes ou inappropriées, n’ont pas seulement pour but de réprimer des manquements
contractuels mais aussi pour assurer la satisfaction de l’intérêt général.

L’application des sanctions relève de la compétence de l’administration publique. Elle


n’a pas besoin de s’adresser au juge pour prononcer des sanctions dans le cadre du contrat,
elle peut les mettre en œuvre d’office. Mais, par dérogation au principe général selon lequel
l’administration ne peut renoncer à employer le privilège du préalable, lorsqu’elle en dispose
elle peut, en matière contractuelle s’adresser de préférence au juge du contrat, par exemple
pour lui demander de prononcer une condamnation pécuniaire au lieu de la prononcer elle-
même1569.

Le régime des sanctions en matière de contrats administratifs constitue pour


l’administration un privilège qui n’est pas absolu. Autrement-dit, ce privilège connaît
certaines limites. Les types de sanctions possibles en matière de droit administratif ne sont
pas illimités, en particulier l’exécution du cahier des charges n’est pas sanctionnée
pénalement. Cette règle signifie que l’autorité administrative ne peut faire usage du pouvoir

1567
Gaudemet Y., « Traité de droit administratif »,op.cit.,p.700.
1568
La gamme des sanctions est très développée ; à coté des sanctions pécuniaires (dommages-intérêts et
pénalités) l’administration dispose d’une part, de divers moyens de coercition, d’autre part, du droit de
résiliation.
1569
C.E.,26 décembre 1924,Ville de Paris,S.1925,3,25,note Houriou.
322
de police dont elle dispose éventuellement. Cependant, elle peut agir dans l’intérêt général en
vue d’édicter dans certaines hypothèses un règlement de police assorti de sanction pénale
pour contraindre le contractant à exécuter ses obligations contractuelles.

Pour la mise en œuvre de sanctions, l’administration se trouve dans l’obligation


d’observer certaines règles de forme et de procédure. De ce fait, l’autorité administrative ne
peut prononcer de sanctions qu’après avoir respecter la procédure de la mise en demeure1570
du contractant pour remplir ses obligations et que l’application de la sanction est exigée par
l’urgence d’exécution1571.

L’exercice du droit de sanction est contrôlé par le juge. Le contrôle du juge est très
pausé : il s’étend à l’adaptation de la sanction prononcée à la gravité de la faute1572. Selon une
jurisprudence traditionnelle et constante, le juge ne peut pas annuler les sanctions prises par
l’administration1573mais seulement condamner l’administration, au cas de sanction irrégulière
des dommages-intérêts1574.Le pouvoir de sanction qui est clairement reconnu à
l’administration en tant que moyen exorbitant afin d’assurer en toutes circonstances la
protection de l’intérêt général1575 peut prendre deux sortes : les sanctions pécuniaires et les
sanctions coercitives.

Dans le cas, de constatation du retard dans l’exécution du contrat, le contractant fautif


est obligé de payer des pénalités qui sont fixées à l’avance contractuellement et qui se
présentent ainsi comme des dommages Ŕ intérêts forfaitaires1576. Le pouvoir exorbitant que
détient ainsi la personne publique de sanctionner l’exécution du contrat en mettant des
dommages-intérêts ou des pénalités à la charge du contractant défaillant remplace
avantageusement pour elle l’institution privatiste des astreintes prononcées par le juge contre
le débiteur fautif1577. La jurisprudence estime-t-elle que le juge ne peut prononcer d’astreinte

1570
C.E.,10 juin 1932,Bigot,Rec.Lebon,p.572.
1571
C.E.,5 févr.1919,Lévy,Rec.Lebon,p.119.
1572
Le juge contrôle la nécessité des sanctions, leur adéquation tant avec l’objet du contrat qu’avec la gravité des
faits reprochés. Il se réserve également le pouvoir de moduler le montant des pénalités de retard si celui-ci est
manifestement excessif ou dérisoire eu égard au montant du marché. ;C.E.29 déc.2008,Office public d’habitation
à loyer modéré (OPHLM) de Puteaux, RFDA 2009.165.
1573
L’interdiction au juge d’annuler les mesures prises par l’administration ne concerne pas la concession de
service mais elle s’applique à tous les autres contrats administratifs, notamment aux marchés de travaux et aux
marchés de fourniture.
1574
C.E.20 janv.1905,Cie gén.des eaux, Rec.Lebon,p.56,concl.Romieu-17 mars 1976,Leclert,D.1978,11,note
J.Roche.
1575
Pierre-Laurent Frier et Jacques Petit, Précis de droit administratif, op.cit.,, p.371.
1576
Le contractant fautif doit verser des dommages et intérêts pour réparer le préjudice causé de son fait.
1577
Gaudemet Y., « Traité de droit administratif »,op.cit.,p.701.
323
contre le contractant que dans le cas où l’administration ne dispose pas de mécanismes de
contrainte dont elle mise en œuvre sans un jugement préalable1578.

Ainsi, l’administration déteint à coté du droit de prononcer des sanctions pécuniaires,


un pouvoir d’édicter des mesures coercitives qui sont destinées à surmener la défaillance
provisoire du contractant. Cette catégorie de sanctions est fondée sur l’idée que le contrat doit
être exécuté par ce que le service publique en a besoin1579.La poursuite de la réalisation du
contrat se fait soit par la substitution de l’administration au contractant ou par le recours à un
tiers. L’’application de ces mesures suppose une faute grave du contractant 1580, aussi la
mesure de substitution forcée ne met fin au contrat. Il en résulte que le contractant
demeurant titulaire du marché, l’exécution forcée par substitution s’opère à ses frais et
risques1581.

2-Les pouvoirs de modification unilatérale et de résiliation.

Le pouvoir de modification unilatéral s’explique par le fait que l’administration peut,


en cours d’exécution, modifier l’étendue des prestations à effectuer par le contractant et
exiger des augmentations ou diminutions de ces prestations1582. Cela constitue l’une des
particularités les plus remarquables du contrat administratif notamment à la régle de la force
obligatoire qui s’oppose au principe de modification unilatérale. Appliquée au contrat, la
définition de la modification telle que définie par le professeur Ghozi peut-être « l’opération
survenue en cours d’exécution du contrat qui, sans y mettre fin, introduit un changement dans
l’un quelconque de ses éléments »1583.

Le pouvoir de l’administration de modifier unilatéralement les contrats administratifs,


qui a pu faire l’objet de controverses doctrinales1584 est clairement affirmé par le conseil
d’Etat français1585. Or, en droit privé, l’article 230 du D.O.C .prévoit que les « obligations

1578
C.E.,13 juil.1956,Office H.L.M. Seine,A.J.D.A.1956,II,312,concl.Chardeau.
1579
Raymond Odent : « contentieux administratifs »,fascicule III, éd. Dalloz 1978,p.101.
1580
C.E.,22 janv.1919.Cuyot,Rec.Lebon,p.55.
1581
C.E.,3 fév.1937,Lesage,Rec.Lebon,p.150.
ًٙ‫ االطضاع انغل‬-ٗ‫انًُشٕع ثًجهخ لؼبء انًجهؾ االػه‬،1967 ٘‫ يب‬12 ‫ز‬ٚ‫ انظبصع ػًٍ انًجهؾ االػهٗ ثزبع‬66 ‫ انذكى االصاع٘ ػضص‬1582
‫م‬ٚ‫ ثشبٌ دك انزؼض‬1966 ‫غ‬ٚ‫ُب‬ٚ 8 ٙ‫خ انًإعر ف‬ٛ‫غ االشغبل انؼًٕي‬ٚ‫ش لؼذ انًذكًخ ثبنغبء انمغاع انظبصع ػٍ ٔػ‬ٛ‫ ج‬-3‫انؼضص‬-2000‫صجُجغ‬
‫بػاد انًزؼهمخ‬ٛ‫شض االيز‬ٚ ‫ًب‬ٛ‫خ ف‬ٚ‫م ثظفخ اَفغاص‬ٚ‫ انزؼض‬ٙ‫ش ػههذ انًذكًخ دكًٓب ثكٌٕ االصاعح نٓب انذك ف‬ٛ‫ د‬.‫بػ يغفك ػبو‬ٛ‫االَفغاص٘ سبص ثبيز‬
‫زًزغ ثٓب ْإالء الَٓب رضسم‬ٚ ٙ‫خ انز‬ٛ‫ب انًبن‬ٚ‫غ آَب ال رًهك ْظا انذك ثبنُـجخ نهًؼا‬ٛ‫ٓب اطذبثٓب انٗ انجًٕٓع غ‬ٚ‫إص‬ٚ ٙ‫غ انًغفك انؼبو ٔثبنشضيخ انز‬ٛ‫ثـ‬
.‫بػ‬ٛ‫خ ناليز‬ٚ‫ َطبق انجُٕص انزؼبلض‬ٙ‫ف‬
1583
A.Ghozi,La modification de l’obligation par la volonté des parties, préf.D.Talon,L.G.D.J.1980.
1584
L’Huillier,Les contrats administratifs tiennent Ŕils lieu de la loi à l’administration dans les contrats
administratifs, J.C.P.1963,I.1755.
1585
C.E. ,2 février 1983,Union des transports publics urbains et régionaux, R.T.D.1984,p.212,note J.-M.
Auby ;R.F.D.A.1984 ,p.45,note F.Llorens-6 mai 1985,Min.dél .auprès du ministre de l’industrie et de la
recherche c/Ricard,A.J.D.A.1985,p.736,note J.-L.Gauroy.
324
légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites », ce qui interdit Ŕ dans la
logique d’une relation contractuelle fondée sur l’égalité des parties Ŕ toute modification des
termes du contrat par l’une d’entre elles sans l’accord de l’autre. L’application d’une telle
règle en droit administratif soulève cependant de réels problèmes. La question qui se pose
dans ce sens, c’est comment faire évoluer, faute d’accord concrétisé dans un avenant, le
contrat en fonction des nécessités de l’intérêt général ?
1586
Deux arrêts donnent une illustration à cette difficulté qui se rapporte à la théorie
de la mutabilité du contrat administratif .Le premier arrêt fait un pas vers l’admission de la
mutabilité des contrats administratifs1587.La commune de Deville-lés-Rouen avait concédé en
1874 à la Compagnie nouvelle de gaz de Deville-lés-Rouen,le privilège exclusif de
l’éclairage par le gaz. La compagnie du Gaz garde ce privilège par tous les moyens, mais en
cas de refus de recourir à l’électricité, la commune est en droit de conclure une nouvelle
concession avec un tiers à cet effet. Cette solution est adoptée par la commune qui a tenté de
persuader la compagnie d’assurer le service d’éclairage. Face à son refus, la commune se
trouve dans l’obligation de concéder cette prestation à une autre compagnie. La première
compagnie avait alors réclamé une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de la
concession accordée en violation du monopole dont elle disposait.

Saisi du litige relatif au contrat liant la compagnie du gaz et la commune, le conseil


d’Etat français, a considéré que la commune avait la faculté s’assurer ce service en moyen de
l’électricité, y compris en le concédant à un tiers si la compagnie du gaz, mise en demeure,
refusait de s’engager. Il en résulte, que le fondement du pouvoir de modification unilatérale se
trouve dans les exigences du service public et plus précisément dans les principes
d’adaptation constante et de continuité du service public ; l’intérêt général peut, à un moment
donné, exiger que soient imposées au prestataire des obligations qui n’avaient pas été prévus
au moment du contrat1588.

A ce propos,le second arrêt relatif à la compagnie général française des tramways du


21 mars 1910 constitue un exemple concret de l’exercice du pouvoir de modification
unilatéral dont détient l’administration, ainsi le Conseil d’Etat a consacré plus nettement ce
pouvoir et a jugé à cette occasion que la personne publique avait le droit d’imposer à son
concessionnaire d’augmenter le nombre de rames de tramways en service, alors même que ce

1586
C.E,10 janvier 1902,Compagnie nouvelle du gaz de Delville-lés-Rouen,et C.E.21 mars Compagnie française
des tramawyas.
1587
André de Laubadére, traité de droit administratif, L.G.D.J , 1999,p.356
1588
Mohammed Anwar : « l’action administratif »,publication REMALD n°91.2012.p.72.
325
nombre résultait du cahier des charges. Cela se justifie donc par l’exigence du bon
fonctionnement du service public1589.Cette faculté de modification unilatérale a été réaffirmée
dans l’arrêt du Conseil d’Etat en date du 2 février 19831590.

Aussi, la jurisprudence égyptienne en droit administratif a réaffirmé le pouvoir de


modification unilatéral du contrat. Dans contexte, le tribunal administratif estimait que « le
pouvoir de l’administration relatif à la modification du contrat ou la manière de l’exécution du
contrat, présente un caractère principal des contrats administratifs. Il est même, parmi les
caractères qui différencient les contrats du droit public de ceux du droit privé. S’ajoute à cela,
que l’administration peut augmenter ou diminuer les charges de l’autre partie sans que le
contractant puisse protester ; sous prétexte de droit acquis ou le principe de pacta sunt
servanda »1591.

Or, l’étendue du pouvoir de modification unilatéral du contrat administratif n’est pas


cependant pas illimitée. Ce droit dont détient l’administration concerne les clauses du contrat
et non pas la modification de l’objet du contrat, autrement dit la modification se rapporte en
particulier aux clauses afférentes à la bonne gestion du service public.

Dans ce contexte, la jurisprudence égyptienne en droit administratif a affirmé que le


pouvoir de modification unilatéral n’est absolu. Ainsi, le tribunal administratif égyptien avait
décidé que « le pouvoir unilatéral de l’administration de modifier le contrat n’est pas absolu,
mais il est limité aux clauses relatives à la bonne gestion du service public »1592.

Cette position demeure la même pour la jurisprudence marocaine. Ainsi, l’arrêt n°66
du 12/05/1965 de la chambre administrative de la cour suprême donne une illustration dans
ce sens, en confirmant que « si l’administration a le pouvoir unilatéral de modifier les clauses
du contrat relatives à la bonne gestion du service public, elle n’a pas le pouvoir de modifier
les clauses qui touchent les avantages financiers, parce que ceux-ci entre dans les clauses
contractuelles de privilège »1593.Cette décision a été confirmée par ladite instance dans un

1589
L’exercice du pouvoir de modification unilatéral du contrat par l’administration exige le respect de certaines
conditions qui sont précitées par le commissaire du gouvernement français Léon Blum notamment : les
nécessités du service public, les modifications n’excédent par certaines limites, l’équilibre financier du contrat
doit être respecté. L’arrêt du CE français en date du 12/05/1933,donne une illustration en ce sens, en confirmant
alors le droit de l’administration de demander au concessionnaire d’eau potable, d’augmenter sa production
d’eau potable pour satisfaire les besoins suite à l’augmentation de la consommation de la consommation d’eau
par les habitants. Voir sur ce point, Jean Reviro, droit administratif, ed,Dalloz,2006,p.118.
1590
CE 2 février 1983 Union des Transports publics.
1591
Arrêt n° 83 du 30/06/1957,cité par M.Basiouni in :le droit administratif ,p.186.
238‫ ص‬1975 ،‫م انؼمض اإلصاع٘ جبيؼخ شًؾ‬ٚ‫ رؼض‬ٙ‫ انفذبو "صٔع االصاعح ف‬ٙ‫ ػه‬،22/03/1970 ‫ز‬ٚ‫ ثزبع‬741 ‫ اَظغ دكى‬1592
60 ‫ص‬،2000، ‫خ" يطجؼخ صاع انـالو‬ٚ‫ انؼمٕص اإلصاع‬ٙ‫"ف‬: ٙ‫ؾ انذالث‬ٚ‫ئصع‬1593
326
autre arrêt n°29 du 03/07/1988,en précisant que le cocontractant a un droit d’une
contrepartie1594 du pouvoir de modification. Ainsi, elle avait estimée que : « le pouvoir
unilatéral de modification, ne fait pas obstacle au droit du contractant de saisir le tribunal
compétent, pour prévaloir son droit à l’indemnité convenable pour rétablir l’équilibre
financier du contrat »1595.

Le législateur marocain en matière des marchés des travaux a édicté certaines


dispositions dans le CCAG-T régissant le pouvoir de modification du contrat. Les
modifications qui peuvent intervenir en cours d’exécution du marché se rapportant soit à
l’augmentation, ou la diminution dans la masse des travaux, ou du changement dans les
diverses natures d’ouvrages.

Ainsi, l’article 52 du CCAG-T1596, précise que « l’entrepreneur est tenu de mener à


son terme la réalisation des ouvrages faisant l’objet du marché, tant que l’augmentation de la
masse des travaux qui peut être résultée de sujétions techniques ou d’insuffisance des
quantités prévues dans le marché n’excède pas dix pour cent (10%) de la masse initiale des
travaux ».Les dispositions de cet article prévoient également que « Dans les quinze (15) jours
qui suivent tout ordre de service ayant pour effet d’entrainer une modification de la masse
des travaux, le maître d’ouvrage fait part à l’entrepreneur de l’estimation prévisionnelle qu’il
fait de cette modification. Si l’ordre de service prescrit des travaux, l’estimation précédente
indique la part correspondant à ces travaux ».

Par ailleurs, il existe une règle générale qui encadre la diminution de la masse des
travaux .Ainsi, l’article 53 du CCAG-T1597, indique dans l’alinéa premier que « si la
diminution dans la masse des travaux est supérieure à vingt-cinq pour cent (25%) de la masse
initiale, dûment constaté, qu’il a subi du fait de cette diminution au Ŕdelà de la diminution

1594
La théorie des modifications unilatérales est un compromis entre l’intérêt du service public et l’intérêt privé
du cocontractant ;cet intérêt est Ŕil ménagé par la règle essentielle du droit du cocontractant à une
indemnisation pour les obligations nouvelles qui lui sont imposées et qui rompraient l’équilibre financier du
contrat. La situation est donc très différente de la modification d’un acte unilatéral réglementaire, voir individuel,
elle, toujours possible sans aucun droit à indemnisation. V.sur ce point, Gaudemet Y., « Traité de droit
administratif »,op.cit.,p.703 et s.
"‫خ‬ٚ‫ انؼمٕص اإلصاع‬ٙ‫"ف‬: ٙ‫ؾ انذالث‬ٚ‫ئصع‬60 ‫ص‬،2000، ‫ؽجؼخ صاع انـالو‬1595
.Dans le cadre des conventions passés entre collectivités publiques qui portent sur l’organisation du service
public, les contractants sont à même de saisir le juge du contrat afin qu’il annule les modifications irrégulières.
Sans interdire ce pouvoir de modification, nécessaire pour garantir le cas échéant, l’exécution du service public,
les pouvoirs du juge renforcent les garanties de bonne exécution du contrat.V.sur ce point,CE Sect.31 mars
1989,Départ.Moselle (annulation de la décision de l’Etat et le département) ;CE 13 mai 1992,Cne Ivry-s-
Seine,R.197 (annulation de la décision de l’Etat refusant de prendre en charge des dépenses de maintenance
informatique prévues par un contrat passé avec une commune).
1596
Voir l’article 52 du CCAG-T (décret n°2-99-1087 du 04/05/2000).
1597
Voir l’article 53 du CCAG-T.
327
limite de vingt-cinq pour cent (25 %) ».Dans l’alinéa 2, il a été souligné que « si le fait
générateur ayant entrainé une diminution supérieure à vingt-cinq pour cent (25%) est connu
avant le commencement des travaux, le marché peut être résilié à la demande de
l’entrepreneur. Dans le cas où l’entrepreneur ne demande pas la résiliation du marché, il
doit, s’il est en requis par le maître d’ouvrage, signer un avenant fixant le nouveau montant du
marché et modifiant éventuellement le délai d’exécution.

S’agissant de l’hypothèse de la modification de la nature des travaux prévus


initialement dans le CPS1598, l’article 541599du CCAG-T dans son alinéa premier, précise que
« dans le cas des travaux réglés sur la base de prix unitaires, lorsque par suite d’ordres de
services ou de circonstances qui ne sont ni de la faute ni du fait de l’entrepreneur,
l’importance de certaines natures d’ouvrages est modifiée de telle sorte que les quantités
exécutées différent de plus de trente pour cent (30%) en plus, ou de plus, ou de plus de vingt-
cinq pour cent (25%) en moins des quantités portées au détail estimatif1600 du marché,
l’entrepreneur a droit à être indemnisé en fin de compte de préjudice, dûment constaté, que lui
ont causé ces changements ».

L’alinéa 3 de l’article 54 du CCAG-T prévoit également que « dans le cas des travaux
réglés sur la base de prix globaux, lorsque des changements sont ordonnés par le maître
d’ouvrage dans la consistance des travaux, le prix nouveau, fixé suivant les modalités prévus
à l’article 51,tient compte des charges supplémentaires éventuellement supportées par
l’entrepreneur du fait de ces changements »1601.

La particularité du contrat administratif existe encore dans le pouvoir que détient


l’administration d’y mettre fin à tout instant. Le pouvoir de résiliation qui trouve son
fondement dans les nécessités d’intérêt général1602 est strictement réglementé par la loi. Dans
ce sens, plusieurs cas de résiliation peuvent être distingués :

1598
Le cahier des prescriptions spéciales définit la consistance et le prix formant chaque nature d’ouvrage.
1599
Voir l’article 54 du CCAG-T
1600
Le détail estimatif est un document qui, pour un marché à prix unitaires, contient une décomposition des
prestations à exécuter par poste et indique, pour chaque poste, la quantité présumée et le prix unitaire
correspondant du bordereau des prix ; le détail estimatif et le bordereau des prix peuvent constituer un document
unique dit « bordereau des prix-détail estimatif ». Voir sur ce point article 4, alinéa 9 du nouveau code des
marchés publics (décret n°2-12-349 du 20/03/2013).
1601
Les trois alinéas de l’article 54 du CCAG-T ne s’appliquent pas aux marchés- cadre. Pour plus de détail sur
le point concernant les marchés- cadre, voir l’article 6 du nouveau code des marchés publics.
1602
Raymond Odent : « contentieux administratifs », fascicule III,éd,Dalloz,1978,p.101.
328
-La résiliation en cas de non respect des clauses du CCAG-T et du CPS.L’autorité
compétente peut prononcer la décision de la résiliation pure et simple du marché au tort de
l’entrepreneur1603.

-La résiliation en cas de la diminution dans la masse des travaux supérieure à 25% de
la masse initiale de la prestation fixée par le CPS. Le marché peut être résilié à la demande de
l’entrepreneur1604.

-La résiliation à cause de la révision des prix avec une augmentation ou une
diminution de plus de 50 % par rapport au montant des travaux établi sur la base des prix
initiaux du marché. Dans cette hypothèse, l’autorité compétente peut résilier le marché
d’office1605.

- La résiliation suite à l’ajournement des travaux pour moins d’année ou pour plus
d’une année. Les demandes de l’entrepreneur en ce qui concerne aussi bien la résiliation que
l’indemnisation ne sont recevables que si elles sont présentées par écrit dans un délai de 40
jours à partir de la date de notification de l’ordre de service prescrivant l’ajournement des
travaux1606.

- La résiliation à cause de la cessation des travaux. Dans ce cas, le marché est


immédiatement résilié et indemnité est allouée à l’entrepreneur si un préjudice est dûment
constaté1607.

-La résiliation en application des mesures coercitives. Le maitre d’ouvrage peut


prononcer la résiliation pure et simple du marché assortie ou non de la confiscation du
cautionnement définitif et de la retenue de garantie dans un délai n’est pas inférieur à 15 jours
à dater de la notification de la mise en demeure. Cette mesure peut être déclenchée dans le cas
ou l’entrepreneur n’a pas respecté soit les stipulations du marché ou les ordres des services
qui lui sont donnés par le maître d’ouvrage1608.

A coté des cas de résiliation envisagés, il existe d’autres hypothèses qui donnent lieu
à la résiliation du marché. Ainsi lorsque le marché est confié à une personne physique, il est
résilié de plein droit et sans indemnité si celle-ci vient de décéder1609. La possibilité de la

1603
Voir l’article 28 du CCAG-T, notamment alinéa a du paragraphe 1 et alinéa e du paragraphe 2.
1604
Voir l’article 53 préc. du CCAG-T.
1605
Voir l’article 50 du CCAG-T.
1606
Voir l’article 44 (parag.A et parag.B) du CCAG-T.
1607
Voir l’article 45 du CCAG-T.
1608
Voir l’article 70 du CCAG-T.
1609
Voir l’article 46 du CCAG-T.
329
continuation du marché par les héritiers ou les ayants droit peut être étudiée par l’autorité
compétente. Aussi, la résiliation est prononcée de plein droit sans indemnité par
l’administration dans le cas de la liquidation judiciaire des biens de l’entrepreneur ou dans
l’hypothèse de redressement judiciaire1610 s’il n’est pas autorisé à continuer l’exploitation de
son entreprise.

Il en résulte que le droit administratif en comparaison avec le droit privé en particulier


en ce qui concerne les pouvoirs exorbitants élargis dont détient l’administration, constitue
ainsi une plate forme des prérogatives permettant à celle-ci d’assurer le service public et de
veiller au respect de l’ordre public. Cependant, le législateur et dans le souci de préserver la
continuation du service public et les droits du cocontractant, a instauré une législation visant
le rétablissement de l’équilibre financier, contrepartie de la mutabilité du contrat dans l’intérêt
du service public1611. Pour cette finalité le législateur a reconnu le droit du cocontractant à un
certain équilibre de l’équation financière du contrat.

B- Le droit du contractant à l’équilibre financier du contrat

En principe le contractant cherche dans le contrat administratif son intérêt financier.


Ces droits consistent essentiellement dans les avantages contenus dans le contrat à son profit
et qui constituent sa rémunération. Aussi les droits du cocontractant peuvent porter sur des
indemnités justifiées par certaines causes survenues au cours de l’exécution du contrat.
Autrement dit, l’exécution du contrat peut se dérouler dans des hypothèses qui n’avaient pas
été prises en compte au moment de sa conclusion. Cela implique qu’en cas de changement
de circonstances, le contractant se trouve dans l’obligation de continuer à exécuter le contrat.
Il n’a pas le droit de suspendre sur sa propre initiative ses prestations, et opposer à
l’administration l’exception « non adimpleti contractus » en invoquant les manquements de
celle-ci1612. Cependant, une impossibilité absolue, force majeur ou fait de la personne
publique, est admise comme cause de non-exécution1613.

Si l’administration dispose une plate forme de prérogatives qui a été conçue par le
droit administratif pour permettre à celle-ci d’accomplir sa mission d’intérêt général, le
législateur a reconnu également en contre partie au cocontractant un certains nombre de

1610
Voir l’article 48 du CCAG-T.
1611
Pierre-Laurent Frier et Jacques Petit, Précis de droit administratif, op.cit., p.372.
1612
CE 7 janv.1976,Ville d’Amiens,R.11.
1613
CE 18 juin 1982,SARL Sud-Pacifique Navigation, R.Tan.667, a contr. (troubles à l’ordre public dans une île
ne « mettant pas le concessionnaire dans l’impossibilité d’assurer la desserte maritime »).
330
droits1614 qui vise à rétablir l’équilibre financier du contrat. Les droits du cocontractant sont
de nature pécuniaire (1) et d’autres droits à indemnité qui sont développés par la
jurisprudence visant le rétablissement de l’équation financière du contrat .Ces droits
consistent en principe à allouer des indemnités au contractant à la suite des faits nouveaux
influençant l’exécution du contrat administratif (2).

1-Les droits pécuniaires du cocontractant

Au sens juridique, la rémunération pécuniaire1615 est l’un des droits importants dont
dispose le cocontractant titulaire du marché et couvre l’ensemble des dépenses et charges de
la prestation contractuelle y compris les profits. Le régime juridique du paiement du prix
donne lieu à un compromis entre la nécessité pratique de faciliter pour le cocontractant le
financement de son activité et la règle fondamentale en matière de comptabilité publique, du
paiement après service fait.

Cette règle a été consacrée par la jurisprudence marocaine. Ainsi le tribunal


administratif de Marrakech avait décidé que « la société demanderesse a le droit, après la
réalisation des travaux auxquels elle s’était engagée selon le contrat, de revendiquer les
rémunérations qui en découlent ; et que celles-ci restent dues par la municipalité
contractante »1616.

Le principe de rémunération après service fait se trouve appliquer dans un autre


jugement similaire. Selon cette règle le tribunal administratif de Rabat, avait déclaré que :
« s’il parvient que la demanderesse à réaliser, de façon valide, les travaux comme prévu
d’avance ; elle a le droit de revendiquer immédiatement ses rémunérations »1617. Cependant,
ledit principe présente des exceptions notamment dans les marchés publics qui exigent de la
part du cocontractant, des prestations importantes et souvent échelonnées sur une longue
durée, que la trésorerie des particuliers pourrait parfois supporter difficilement. C’est pour
cette raison qu’il existe une option donnant à l’administration le droit de verser des avances
au cocontractant en fonction de l’état d’avancement des travaux1618.

1614
Gaudemet Y., « Traité de droit administratif »,op.cit.,p.705 et s.
1615
Le dictionnaire Larousse définit la rémunération ainsi « prix d’un travail fourni,d’un service rendu ».
1616
Jugement n° 4 du 28/01/1999,rapporté par Mohamed Najjari dans sons article « ‫ اؽبع‬ٙ‫يُبػػبد انؼمض االصاع٘ ف‬
30‫ ص‬2006 َٕٕٛٚ 35 ‫بع انؼضص‬ٛ‫ يجهخ انًؼ‬، ‫»انمؼبء انشبيم‬
1617
Jugement n°60 du 01/12/2001,rapporté par Mohamed Laaraj in « le régime des contrats administratifs
suivant les arrêts de la justice administrative marocaine » en arabe,p.95.
1618
Les procédés de paiement anticipé que l’on peut concevoir à cet égard sont deux ordres : les acomptes sont
les paiements partiels, effectués au fur et à mesure des prestations pour des tranches de prestations déjà
réalisées ; les avances sont des sommes versées par l’administration à son cocontractant à valoir sur le prix
définitif et avant que la prestation ait été réalisée.
331
Le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de travaux
stipule que « aucune avance ne peut être consentie à l’entrepreneur, sauf si le cahier des
prescriptions communes ou le cahier des prescriptions spéciales en prévoit. Dans ce cas, les
avances ne peuvent être faites à l’entrepreneur que dans les conditions fixées par la
réglementation en vigueur »1619. En droit comparé, l’article 96 du nouveau code des marchés
publics du 7 mars 2001 pose le principe de la détermination des délais de paiement dans le
marché lui-même et dans la limite d’un délai maximum fixé par voie réglementaire1620.

Le règlement de prix est fait sur la base de la constatation de la prestation effectuée.


Dans le cas des marchés de travaux publics le prix est fixé selon des modes variables ; on
distingue notamment le forfait ou devis (travaux simples), les séries de prix (travaux
complexes de natures différentes), l’unité de mesure (très fréquent).Le principe qui caractérise
la rémunération de la quantité des travaux réalisés est l’irrévocabilité du prix. Cela s’est
traduit par le fait qu’aucune des parties ne peut remettre en cause unilatéralement le prix
stipulé ; en particulier l’administration ne peut utiliser dans ce domaine son pouvoir de
modification unilatérale1621.L’adoption de la formule des prix fixes est recommandée
notamment dans le cas ou le délai d’exécution de la prestation contractuelle est inferieur à 4
mois1622.

La révision des prix peut avoir des incidences sur l’équilibre de l’équation financière.
Il est considéré en tant que moyen de régulation du rapport contractuel dans la mesure où il
offre la possibilité au cocontractant titulaire du marché d’assurer une juste et équitable
compensation pour toute éventuelle hausse des prix intervenant après la conclusion du
contrat. Dans les marchés publics, le contrat contient une clause de révision ou de variation
du prix. Dans certaines hypothèses, le cocontractant a droit, lorsque certaines conditions
fixées par le contrat sont réalisées (augmentation des prix des matières premières atteignant
un niveau déterminité) à une augmentation corrélative du prix du marché1623.

En outre du droit a la rémunération de la prestation réalisée, le cocontractant peut


avoir droit à des indemnités pour des causes diverses liées à des incidents en relation avec
l’exécution du contrat. L’indemnité varie en fonction de la nature de la situation envisagée ;

1619
Voir l’article 58 du CCAG-T.
1620
J.-P. Chevalier, Les nouvelles mesures prises pour accélérer les paiements publics,A.J.D.A.1979,p.3.
1621
CE .,20 mars 1946,Michelin,Rec.Lebon,p.89.
1622
L’article 12 du décret sur les marchés publics (30 mars 2013) prévoit que les marchés de fournitures et de
services autres que les études, sont passés à prix ferme.
1623
Gaudemet Y., « Traité de droit administratif »,op.cit.,p.707et s.
332
on distingue, la responsabilité de l’administration, les difficultés matérielles imprévues et
l’enrichissement sans cause.

S’agissant de l’indemnité à cause de la responsabilité de l’administration, cette


situation qui résulte de non exécution de ses obligations contractuelles, donne le droit au
cocontractant d’être indemnisé suite au préjudice qu’il a subi. Cette hypothèse est illustrée
par le cas où le maître d’ouvrage ne met pas à la disposition du titulaire du marché des
facilités nécessaires pour lui permettre d’entamer la réalisation de la prestation contractuelle ;
par exemple l’administration ne désigne pas le lieu de travail qui va abriter le projet. Cela est
de nature à engendrer un retard considérable dans l’exécution de l’opération et peut conduire
dans le cas échéant à sa suspension, ceci présente alors un manquement lourd aux obligations
de l’administration, c’est -à-dire une responsabilité contractuelle1624, donnant lieu à la
résiliation du contrat avec une indemnisation du cocontractant de façon intégrale1625.

Le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de travaux


dispose dans ce sens que : « les lieux des travaux sont mis gratuitement à la disposition de
l’entrepreneur avant tout commencement des travaux »1626.

En matière de la responsabilité de l’administration, le tribunal administratif de


Marrakech, avait décidé que : « si l’administration dispose, vis-à-vis de l’entrepreneur, d’un
pouvoir de direction et de contrôle pour la bonne exécution des travaux ; ceci ne lui permet
pas d’ordonner l’arrêt des travaux et la non exécution de ses engagements qu’elle a accordé
dans une réunion entre eux ; et en conséquence, le demandeur mérite les sommes qui
équivalent aux travaux réalisés ainsi que l’indemnité intégrale de la perte qu’il a subi en vue
d’assurer l’équilibre financier légal »1627.

A ce propos, le Conseil d’Etat a établi un mécanisme jurisprudentiel allant dans le


même sens de la jurisprudence marocaine. Il s’agit d’un mécanisme qui a été conçu sur la
base de la théorie de l’équation financière1628, et qui consiste à rechercher et de réaliser dans
tout contrat, dans la mesure du possible, une égalité entre avantages accordés du cocontractant
et les charges qui lui sont imposées.

1624
E.S.Chasseriau,Les rapports de la responsabilités contractuelle et la responsabilité extra-contractuelle en
droit administratif, th.Paris,1952 ;A.de Laubadére,Les éléments d’originalité de la responsabilité contractuelle de
l’administration, Mél.Mestre,p.383.
1625
.205‫ " انمبٌَٕ االصاع٘" ص‬ٙ‫ ػجض هللا ف‬َٕٙٛ‫ ثـ‬ُٙ‫ أعصِ ػجض انغ‬1976/06/03 ‫ز‬ٚ‫ ثزبع‬86 ‫خ على‬ٛ‫ انمؼ‬ٙ‫ب ف‬ٛ‫خ انؼه‬ٚ‫دكى انًذكًخ اإلصاع‬
1626
Voir l’article 35 du CCAG-T.
1627
T.A.jugement n°109 du 02/05/2001.
1628
Ibrahim Réfaat Mohamed El-Béhérry « théorie des contrats administratifs et marchés publics.
internationaux »,thèse pour le doctorat en droit, université de Nice Sophia-Antipolis,mars 2004.
333
Aussi le cocontractant a le droit d’être indemnisé lorsqu’il rencontre des difficultés
d’ordre matériel d’un caractère absolument anormal et imprévisible. Ce droit a été développé
à partir d’une théorie initiée par la jurisprudence administrative française pour faire face aux
éventuelles contraintes rencontrées par une telle entreprise contractante. La difficulté se
manifeste à travers une augmentation des charges de l’entrepreneur ce qui rend par
conséquent, l’exécution du contrat plus couteux1629. Dans ce cas, l’administration est tenue
d’accorder une indemnité au cocontractant de la totalité des dommages qu’il a subi.

La jurisprudence égyptienne1630 a exigé dans ce sens, des conditions pour la mise en


œuvre de la théorie d’équation financière. Ainsi, elle a imposé, qu’une telle indemnisation est
conditionnée par l’existence des difficultés matérielles et exceptionnelles, la présence du
caractère d’accidentalité et d’imprévisibilité et l’augmentation des charges du cocontractant
résultant de l’exécution du contrat. Dans ce cas, le cocontractant a le droit à une indemnité
intégrale sur tous les préjudices qu’il subit.

En dehors des deux cas abordés, une autre indemnisation fondée sur la théorie
d’enrichissement sans cause. Ainsi, la doctrine définit l’enrichissement sans cause comme
« toute utilité matérielle ou morale mesurable par l’argent, comme l’acquisition d’un nouveau
bien mobilier ou immobilier, ou d’en profiter pendant certain temps (…). »1631.Une telle
action de l’enrichissement sans cause exige trois conditions. D’abord, il faut qu’il y ait un
enrichissement chez l’un et un appauvrissement corrélatif chez l’autre. Ensuite, il faut qu’il y
ait absence de cause au transfert de valeur d’un patrimoine à l’autre qui s’explique par le fait
de l’absence d’un mécanisme juridique, c’est-à-dire ni contrat, ni disposition légale, ne peut
justifier ce déplacement de valeur1632.Enfin, il doit y avoir l’inexistence d’une autre action que
pourrait exercer l’appauvri.

La jurisprudence a admis le droit de réclamation de l’indemnisation pour des travaux


supplémentaires exécutés spontanément par le cocontractant. Deux hypothèses peuvent être
envisagées : soit lorsque ces travaux se sont révélés indispensable pour la bonne exécution de
la prestation contractuelle, soit lorsque ayant procuré un profit à l’administration, ils se
révèlent lui avoir été utiles. L’indemnisation sera évaluée sur le fondement de la théorie de
l’enrichissement sans cause1633.

.14 .‫ظ انؼمض االصاع٘" ص‬ٛ‫ رطغأ اصُبء رُف‬ٙ‫ " انظغٔف انز‬:ٗ‫ ػجض انًٕن‬ٙ‫ يذًض ػه‬ٙ‫ ػه‬1629
.480 .‫انؼمض االصاع٘" ص‬،٘‫ انمغاع اإلصاع‬،‫خ‬ٚ‫ " اػًبل انـهطخ اإلصاع‬: ‫يذًض فإاص ػجض انجبؿؾ‬1630
1631
Mohamed Laaraj,op.cit.p.27.
1632
Cf. Arrêt de la 1ére Chambre civile de la Cour de cassation, Novembre 2009,Dalloz 2009,p.2749.
1633
Gaudemet Y., « Traité de droit administratif »,op.cit.,p.709et s.
334
La jurisprudence marocaine a reconnu au cocontractant le droit à l’indemnité sur les
prestations supplémentaires réalisées sans aucun ordre écrit de l’administration, mais à
condition que ces travaux présentent une utilité au profit de cette dernière, en se fondant sur la
même théorie énoncée dans le code civil. Ainsi, le tribunal administratif de Fès, avait
décidé : « considérant que la réalisation de l’administration d’un intérêt provenant des
travaux exécutés pour elle et par son accord qui engendre l’enrichissement au détriment des
tiers (…) n’est jugée que par le reversement de la valeur du coût des travaux et services
exécutés exempte de tout bénéfice ou indemnité »1634.

L’exigence du service public, impose dans certaines hypothèses à laisser subsister à la


charge du cocontractant l’obligation de poursuivre l’exécution du contrat malgré les obstacles
auxquels il peut se heurter, mais en revanche à faire reconnaitre à son profit des droits à
indemnité de nature à rétablir l’équilibre financier du contrat. Il y a lieu de rechercher dans
quels cas le cocontractant peut invoquer le droit à indemnisation ?

2-Le rétablissement de l’équilibre financier du contrat

L’équilibre financier en droit administratif comme en droit privé est ancré


profondément1635 au cœur des rapports entre mutabilité et stabilité du contrat1636, entre
dynamique contractuelle et sécurité juridique et plus globalement, entre justice et
liberté1637.L’injustice en effet peut naître de l’inégalité des obligations contractuelles et n’est
plus possible de soutenir, selon l’assertion bien connue de Fouillée, que ce qui est contractuel
est nécessairement juste1638.Mais l’équilibre parfait des prestations n’étant presque jamais

1634
TA, jugement n°239 du 30/04/2002.
1635
En dépit des nouveautés indéniables qu’elle est susceptible d’apporter en droit public.
1636
Rapports que le professeur Well qualifie de « problème fondamental » et de « dialectique
fondamentale »,Un nouveau champ d’influence pour le droit administratif français :le droit international des
contrats,E.D.C.E.,1970,n°23,La documentation Française, Paris,1971,pp.13 et s.et spés. P.22.
1637
Le professeur Richer, dans L’évolution du contentieux des contrats en droit administratif français, Institut
d’études procédurales.25,Ant.N.Sakkoulas Publishers,Athens,1998,p.20,note que « sous l’influence de (…)
causes les règles classiques du contentieux des contrats ont été profondément modifiées. Mais, pour autant,
elles n’ont pas été subverties. Il n’ y a pas eu subversion pour la raison suivante :la jurisprudence a défini depuis
le début du 20e siècle un ensemble de règles contentieuses qui reposent sur un certains équilibre entre légalité et
stabilité du contrat ;cet équilibre initial subsiste pour l’essentiel. En effet, les changements les plus importants ne
l’ont pas remis en cause ; mais il ne subsiste que pour l’essentiel parce que certains changements sont porteurs
d’une évolution vers un nouvel équilibre. ».Et l’auteur de conclure son étude, p.42 : « On constate que le
contentieux du contrat participe d’une évolution plus général qui tend à rapprocher le contentieux de l’excès de
pouvoir et le plein contentieux et à renforcer l’efficacité du recours juridictionnel. Une fraction de la doctrine
souhaite que la spécificité du contrat par rapport à l’acte administratif soit abandonnée et que le recours pour
excès de pouvoir soit recevable contre les contrats. Il paraît peu probable que le juge accepte d’aller jusque -là,
car, en dépit des progrès réalisés dans la protection de la légalité contractuelle, l’exigence de stabilité demeure.
Cependant, il est assez probable que de nouvelles ouvertures seront consenties… ».
1638
« Qui dit contractuel, dit juste », A. Fouillée, La science sociale contemporaine, Paris, 1880, p.410.On notera
incidemment qu’en dépit de l’accent très « libéral » de cet aphorisme, Fouillée demeure l’un des pères du
335
réalisé, décider que la correction du déséquilibre doit nécessairement l’emporter sur la valeur
de l’engagement librement consenti aboutirait à remplacer une forme d’injustice par une
autre. Ainsi s’est en contrepoint une tendance forte à la stabilité du rapport contractuel1639.

Pourtant, idéal de justice et besoin de sécurité ne paraissent pas irréconciliables1640.


S’il est conforme à la morale de tenir son engagement1641, il est juste aussi d’admettre le
rétablissement del’équilibre du contrat altéré, voire son établissement, si cet équilibre est ab
initio compromis. Aussi, si le respect des engagements librement consentis satisfait le besoin
de sécurité, inversement, l’injustice résultant d’une disproportion trop grande entre les
prestations imposées par le contrat- qu’elles soient dés l’origine ou par un changement des
circonstances-crée inévitablement le désordre ; or la justice est le plus sûr fondement de la
sécurité1642. Dés lors, cette interaction entre justice et liberté doit aboutir à une perception
rénovée des relations contractuelles et des concepts qui les fondent. Ainsi de l’autonomie de
la volonté, de la force obligatoire du contrat, de l’aléa, de l’arbitraire, de la liberté, etc.

L’équilibre contractuel en droit privé, incontestablement, est marqué par la fin de la


primauté de la volonté individuelle. Ainsi le mouvement s’est effectué dans le sens d’une
perception du contrat selon une logique individualiste et psychologique vers une
appréhension plus objective et plus dirigiste.1643 « La volonté individuelle classiquement
considérée comme force créatrice d’obligations, n’est plus (…) aujourd’hui l’explication
unique du contrat. Elle se conjugue avec des considérations d’ordre moral, qui tendent à
imposer le respect de la bonne foi et des impératifs d’ordre socio-économique, qui tendent à

solidarisme juridique. Cf. L’Idée moderne du droit, paris,1878.Voir pour le cas du droit spécial de la
consommation, G.Virassamy,Les contrats de dépendance :essai sur les activités professionnelles exercées dans
une dépendance économique, thèse, Paris I,L.G.D.J. , « Bibliothèque de droit privé »,Paris,1986 : « le droit
positif se devait de dépasser la vision archaïque des contractants libres, égaux et souverains dans leurs
discussions contractuelles »,n°1.p.6.
1639
Cf .La tendance à la stabilité du rapport contractuel. Etudes de Droit privé,s.l.d. de Paul
Durant,L.G.D.J.,Paris,1960.
1640
Bien au contraire. Là flexibilité du principe de l’intangibilité du contrat, parce qu’elle a pour dessein de
restaurer l’équilibre des prestations, contribue de ce fait à la stabilité du lien contractuel et à sa vitalité.
1641
Pour un contempteur illustre de cette approche jugée parfois réductrice, cf.Johann Gottlieb Fichte,J.G.Fichte-
Gesamtausgobe der Bayerischen Akademie der Wissenschaften,I e Reihe,Werke,Bd. ;IIe Reihe,Nachlassband
1 ,ainsi que Théorie et praxis dans la pensée morale et politique de Kant et Fichte en
1793,A.Philonenko,Vrin.1988.
1642
Saint ŔJohn Perse : « Prenez garde qu’il peut y avoir une servitude aussi de la liberté, comme il y a une
servitude de la malice et de la contradiction. »,Lettre à Jean Paulhan du 3 mai 1949,Correspondance,
Gallimard,2001.Voir également P.Grimal, Les erreurs de la liberté, Les Belles Lettres,1990.
1643
E.H.Perreau, « une évolution vers un statut légal des contrats »,in Mélanges
Gény,t.II,p.354 ;J.Mestre, «l’evolution du contrat en droit privé français »,in l’évolution contemporaine du droit
des contrats,Journée R.Savatier,Poitiers,24-25 octobre 1985,P.U.F. ,1986 ;G.Rouhette, « la force obligatoire du
contrat, rapport français »,in le contrat aujourd’hui :comparaison franco-anglaise, sous la direction de D.Tallon
et D.Harris,L.G.D.J.Paris,1987,p.27 ; A.Portmann-Joby,L’évolution des fondements du droit des contrats dans la
doctrine contemporaine, Mémoire de D.E.A.,Orléans,1996-1997.
336
assurer la sécurité des relations juridiques, voire à réaliser une politique législative. Ces
raisons ont conduit à une ‘socialisation du droit du contrat’, se traduisant par la multiplication
des limites légales à la liberté contractuelle »1644. Ainsi, le principe de la force obligatoire du
contrat doit être concilié avec d’autres règles : la liberté contractuelle des parties, la
prohibition des engagements perpétuels, la bonne foi dans l’exécution du contrat ou encore la
protection de l’intérêt général pris en charge par l’administration.

En droit public, on distingue entre déséquilibres en valeur1645 et déséquilibre en


pouvoir1646.Ainsi, le droit administratif des contrats connaît essentiellement des déséquilibres
en valeur. En ceci, il est à l’exact opposé du droit privé au sein duquel, tandis « que les
contrats déséquilibrés en valeur n’ont qu’une faible place en droit positif, en raison de
l’impératif de sécurité juridique, la place reconnue aux contrats déséquilibrés en pouvoirs
exprime la sensibilité du législateur et du juge à l’exigence de justice contractuelle. »1647 Cette
particularité est simple à expliquer : parce que le contrat administratif est par nature
déséquilibré en pouvoir, l’accent est mis sur l’équilibre en valeur. À défaut de garantir un
semblant d’égalité des pouvoirs entre les parties, le droit public privilégie le pôle financier et
économique1648 du contrat. La dimension supplémentaire d’incertitude qu’introduit ce
déséquilibre initial est compensée par l’introduction de mécanismes destinés non pas
seulement à rétablir un équilibre rompu, mais à instaurer un environnement contractuel aussi
stable que possible, financièrement et économiquement.

La stabilité de l’équation financière suppose toujours à préserver et à rétablir le


rapport de proportion conçu par les termes du contrat administratif. En réalité le contrat
administratif est-il fondé sur une stratégie de flexibilité dans l’exécution des obligations
qualifiable de « flexibilité au-delà du contrat »1649. La flexibilité dans l’exécution « prend
appui sur le contrat pour combler ses lacunes ou établir des éléments additionnels relatifs à

1644
Pech-Le-Gac, « côtoie son spectre après sa gloire », cf. La proportionnalité en droit privé des contrats, thèse,
Paris XI,1997,p.1 ;B.Fages,Le comportement du contractant,P.U.A.M.,1997;S.Lebreton, L’exclusivité
contractuelle et les comportements opportunistes, thèse, Paris II,1998.Pour une anticipation de ce mouvement,
cf.J.Carbonnier, «Sociologie de la vente »,in Flexible droit,8éme édition ,L.G.D.J.Paris,1995,p.149 ;voir
également, Laurent Vidal,L’équilibre financier du contrat dans la jurisprudence administrative,
pref.Christine,Bréchon -Moulénes, éd.Bruylant Bruxelle,2005,p.21.
1645
A l’exception notable du droit de la concurrence qui consacre l’existence de déséquilibres en pouvoirs.
1646
Ceci, très net pour le déséquilibre en pouvoir juridique, l’est moins aujourd’hui pour le déséquilibre en
pouvoir économique.
1647
V.Lasbordes, Les contrats déséquilibrés, thèse, Toulouse,P.U.A.M.,2002,p37.
1648
L’équilibre économique plus large que l’équilibre financier est également au centre des préoccupations du
juge.Dans ce sens, voir, Laurent Vidal,L’équilibre financier du contrat dans la jurisprudence administrative,
op.cit.,p39.
1649
S.Deakin et F.Wilkinson, « Coopération, droit des contrats et performances économiques », in Le droit dans
l’action économique, sous la direction de T.Kirat et E.Serverin,CNRS éd,Paris,2000,171.
337
l’exécution des obligations. »1650 En somme, si l’équilibre du contrat en droit privé a été
longtemps cultivé sur le type de l’équation a=b, les prestations a et b contractuellement
assumées devant rester immuables, l’équilibre du contrat administratif ressortit au type de la
proportion que décrit l’équation suivante : a/b=a’/b’.1651Dans ce dernier cas, si les prestations
peuvent varier, leur rapport doit demeurer constant.

Il faut plutôt souligner, en s’inspirant du vocabulaire de la thermodynamique, que le


droit privé accorde une place particulière pour le traitement de l’équilibre à caractère
stable1652 et diachronique1653. Le droit public, quand à lui, privilège davantage le traitement
d’un équilibre instable1654 et synchrone1655 dont le mécanisme doit permettre théoriquement
à l’établissement et au maintien de l’équilibre1656.La différence dépasse largement
l’opposition classique entre équilibre prétendument statique Ŕ en droit privé Ŕ et un équilibre
plus dynamique1657 Ŕ en droit public Ŕ1658.En droit public, l’équilibre est l’état vers lequel
tend constamment le contrat1659 dans un environnement contractuel marqué par un

1650
Ibid,
1651
Voir, l’article « Analogie » dans Encyclopaedia Universalis.Il y est souligné que dans « son acception
ancienne, venue des mathématiques, l’analogie était une identité de rapports. Si a/b = c/d, on peut dire que a est
à b ce que c est à d. Ainsi, deux objets dont certaines dimensions homologues sont dans le même rapport
peuvent être dits, en vertu de cette définition, analogues. Le fait que les grandeurs à comparer doivent être
homologues n’est pas sans importance .L’idée d’homologie impose que l’on ne mette en correspondance, par
leurs dimensions, que des parties qui jouent, dans les objets auxquels elles appartiennent, des rôles »C’est nous
qui soulignons.
1652
La figure du pendule auquel on imprime un mouvement et qui revient à sa position d’origine, position qu’on
peut caractériser dans un espace galiléen, permet d’approcher le processus à l’œuvre dans l’équilibre stable.
1653
Equilibre de type contraint : l’état d’équilibre contraint est un état d’équilibre local transformé en état
d’équilibre thermodynamique par l’introduction de contraintes macroscopiques empêchant l’évolution ultérieure
du système.
1654
Puisque, ainsi qu’on l’a noté, l’équilibre contractuel en droit public se meut au sein d’un déséquilibre
originel.
1655
Equilibre de type non contraint.
1656
Ce mécanisme de filtre n’est pas sans limites. Il permet notamment de jouer sur les notions de prévisibilité
et de volonté des parties.
1657
Par souci de rigueur, cf. l’article « Dynamique » dans Encyclopaedia Universalis.
1658
Pour une approche dynamique de l’équilibre contractuel en droit public.cf.l’etude du prof Well, un nouveau
champ d’influence pour le droit administratif français, :le droit international des contrats, op.cit.24 : l’atteinte au
principe de la force obligatoire du contrat par la personne publique « n’est licite que dans la mesure où elle
est accompagnée d’une compensation adéquate, qui revêt dés lors le caractère d’une condition de licéité de
l’action de l’Etat et non pas celui d’une réparation d’un acte illicite. Le principe pacta suntservanda est donc
conçu une forme dynamique et globale : comme en droit français l’intérêt général l’emporte, mais l’équilibre
financier demeure un élément irréductible. Les prérogatives de souveraineté sont sauvegardées, mais les intérêts
financiers essentiels du cocontractant sont protégés. Ce qui est contractuel, c’est l’adéquation des relations
contractuelles aux nécessités supérieures de l’Etat et sa population. Changement et stabilité se voient l’un et
l’autre assurés, grâce à une technique que le droit français connaît bien » ; voir également sur ce point, voir
également, Laurent Vidal,L’équilibre financier du contrat dans la jurisprudence administrative, op.cit.,p.41.
1659
Georges Pequignot, dans sa thèse sur la théorie générale du contrat administratif, ne dit pas autre chose.
Certains aspects de son analyse, passés inaperçus lors des premières lectures sont apparus fondamentaux à
mesure que la présente étude progressait. Ainsi l’auteur écrit-il : « Le contrat administratif, c’est un système qui
tend constamment à l’équilibre. », Imprévision et économie dirigée,J.C.P.,1950.p.817.Comment d’ailleurs ne
pas entrevoir dans la jurisprudence du Conseil d’Etat cette constante recherche de l’équilibre ? La théorie de
338
déséquilibre en pouvoirs1660 des parties. L’idée qui structure la démarche du juge administratif
est donc simple : le rapport de force est bénéficie lorsqu’il est équilibré.1661En revanche, le
juge privé a multiplié les remèdes au déséquilibre qui frappe une ou plusieurs clauses du
contrat1662 et a accru son pouvoir d’intervention en créant ou découvrant un certains nombre
d’obligations essentielles1663.

Ainsi, et alors que la jurisprudence du Conseil d’Etat français tend à encadrer plus
strictement l’inégalité structurelle entre parties au contrat administratif, il est remarquable de
constater la consécration de l’unilatéralisme au sein du contrat de droit privé. Celui-ci «
traduit une évolution de la notion du contrat, qui était traditionnellement le lieu de l’égalité
entre les parties, égalité naturelle ou ‘aidée’ par l’attitude protectrice du juge ou du législateur.
Le droit civil admet aujourd’hui l’existence d’une relation de dépendance ou plus exactement
en réalité, d’inégalité et de pouvoir entre les parties, mais que les juges accompagnent de mise
en place d’une multiplication de mécanismes correcteurs, et en particulier de certaines
obligations de motivation. »1664 En droit privé, le contrat est devenu une forme d’organisation
du pouvoir1665.Ainsi, « Le contrat qui organise de plus en plus souvent une relation à long
terme entre les individus, admet désormais certaines prérogatives unilatérales et donc une
certaine forme de pouvoir d’un contractant sur l’autre, mais qui demeure effectivement un
pouvoir fonctionnel, destiné principalement à permettre la survie du contrat et donc son

l’imprévision, en constitue un exemple marquant. L’impossibilité qui vient frapper l’exécution d’une obligation
est envisagée en premier lieu, dans le cadre de la théorie de l’imprévision, comme un obstacle temporaire qu’il
va s’agir de surmonter, op.cit.,p.451.
1660
Déséquilibre en pouvoir juridique très certainement, en pouvoir économique assurément, mais dans une
moindre mesure et sur la base d’une tendance qui, dans le cas des firmes très puissantes, tend à s’inverser.
1661
On notera que cette démarche dépasse le simple ordonnancement de la vie du contrat autour d’un but-en ce
dernier sens,cf.M.-A.Frison-Roche, «Bréves observations comparatives sur la considération des situations
économiques dans la jurisprudence administrative, mise en regard de la jurisprudence
judiciaire »,R.I.D.E,n°3,2001,p.403 : « C’est donc parce que le but du contrat est premier que les effets
recherchés par le contrat sont en son cœur, que l’adaptation s’impose, que les effets obtenus et les effets
recherchés coïncident, au besoin par la modification des engagements, et dans la limite où le but du service
public l’implique. »,- ordonnancement qui, en droit privé, apparaît déjà comme novateur. Il conduit en effet à
infirmer la thése qui consiste à mettre l’exécution du contrat sur le même plan que sa formation par le
truchement de la force obligatoire des volontés contractuelles- ;M.-J.Rustan,Le fondement de la force obligatoire
du contrat, thèse, Montpellier,1949,pp.185 et 189.
1662
Pour les clauses pénales abusives, cf, par exemple, p.Gerbay,Le contrôle du juge sur les clauses pénales
abusives, Mémoire, Dijon,1971,ainsi que Talal Mohtar,La clause pénale en matière civile, thèse, Paris
II,1974.Pour les clauses abusives, cf.H.Bricks, Les clauses abusives, thèse, Montpellier I,L.G.D.J.
« Bibliothèque de droit privé »,t.175,Paris,1982.
1663
Cf .L.Bizouarne,Les obligations greffées au contrat par la jurisprudence, Mémoire de D.E.A.Orléans,1997.
1664
M.Fabre-Magnan, « L’obligation de motivation en droit des contrats »,in Etudes offertes à Jacques
Ghestin.Le contrat au début XXI éme siècle, op.cit.,p.327 et s.
1665
Cf A.Supiot, « La relativité du contrat en question », colloque organisé à Nantes en 1999 par l’association
Henri. Capitant sur la relativité du contrat. Pour l’auteur, il faut distinguer des autres contrats ceux dont « l’objet
premier n’est pas d’échanger des biens déterminés, in de sceller une alliance entre égaux, mais d’organiser
l’exercice du pouvoir. » Du même auteur, et dans le même veine, cf. « Les nouveaux visages de la
subordination ».Droit social, 2000, p.132.
339
adaptation, et qui se traduit exactement dans les termes cités plus haut :accroissement des
contrôles a priori et a posteriori, des obligations de motivation et du rôle du juge. »1666

Ainsi, se rapprochant du droit des contrats administratifs, le droit privé contemporain


est marqué par une nette tendance à « la personnalisation du rapport contractuels »1667. La
force obligatoire du contrat paraît elle-même un principe « parfois à ‘géométrie variable’
selon les contrats et la qualité des parties »1668. Aussi, dans le cadre du contrôle des clauses de
non Ŕconcurrence en droit du travail, la Chambre sociale de la Cour de cassation française
invite « Les juges du fond à s’affranchir du contrat en substituant leur appréciation à celle de
l’employeur quant à l’utilité de la clause pour la protection des intérêts de l’entreprise. »1669
.De même, en matière de droit administratif, elle autorise en certaines hypothèses le juge du
fond à faire prévaloir leur propre vision de l’équilibre. A ce titre la Cour de cassation invite le
juge « à substituer à l’appréciation des parties sa propre appréciation quant à l’équilibre
contractuel voulu en l’absence de tout vice de consentement. La force obligatoire n’apparaît
plus comme la conséquence de la rencontre des volontés des parties mais de la volonté d’un
tiers, le juge, même si son pouvoir ne va pas encore jusqu’à modifier les stipulations qu’il
déclare obligatoires sur la base d’autres dispositions. »1670

En droit public, l’administration dispose d’une série de prérogatives dont l’usage


demeure conditionné par une motivation. Ainsi, « en droit public, où le contrat a toujours été
perçu comme une relation inégalitaire par nature1671, l’administration contractante a toute une
série de prérogatives dont l’usage doit être motivé. Pour prendre les deux droits unilatéraux
dont elle dispose-celui de résilier à tout moment le contrat, ou celui d’en modifier les
conditions d’exécution quitte à en rompre l’équilibre financier1672-l’administration ne peut en
faire usage qu’a condition de motiver sa décision par des exigences d’intérêt général ou par

1666
M.Fabre-Magnan, « L’obligation de motivation en droit des contrats »,in Etudes offertes à Jacques
Ghestin,Le contrat au début du XXIéme siècle ,op.cit.p.329.
1667
F.Bellivier et R.Sefton-Green, « Force obligatoire et exécution en nature du contrat, en droits français et
anglais :bonnes et mauvaises surprises du comparatisme »,in études offertes à Jacques Ghestin,Le contrat au
début du XXIéme siècle,L.G.D.J.,2001,p.104.
1668
M.Biliau, « Regards sur l’application par la Cour de cassation française de quelques principes du droit des
contrats à l’aube du XXIéme siècle »,in Etudes offertes à Jacques Ghestin. Le contrat au début du XXI éme
siècle,op.cit.,p129.
1669
Ibid ., p.130.
1670
Ibid ., p.131 ;voir également sur ce point, voir également, Laurent Vidal,L’équilibre financier du contrat
dans la jurisprudence administrative, op.cit.,p.55.
1671
On sait en particulier que la présence de clauses exorbitantes du droit commun est un des critères du contrat
administratif.
1672
La théorie du fait du prince. En ce sens voir,S.Badaoui,Le fait de prince dans les contrats
administratifs,L.G.D.J.Paris,1954,speci.p.129.
340
les besoins du service public. »1673 Le principe de l’équilibre financier des contrats
administratifs est la contrepartie des prérogatives de l’administration.

Il faut toutefois préciser que le droit administratif a connu un énorme développement


dans une atmosphère intellectuelle multidisciplinaire à forte connotation économique ce qui
lui a permis de forger un certains outils pour le traitement des déséquilibres financiers. Il a
conçu des mécanismes régulateurs pour le rétablissement de l’équilibre menacé ou perturbé
sur la base de deux théories jurisprudentielles : la théorie du fait du prince et la théorie de
l’imprévision.

Les solutions conçues par le droit administratif pour le rétablissement de l’équilibre


contractuel ne sont pas les mêmes comme celles du droit privé ; la raison se réside dans les
exigences du service public. La satisfaction de l’intérêt général constitue alors l’extrême
limite de la force obligatoire du contrat administratif, cela s’est traduit par le fait de laisser
subsister à la charge du cocontractant l’obligation d’exécuter malgré les obstacles auxquels il
se heurte, mais en contrepartie, il a été admis plus largement à son profit des droits à
indemnité1674.

Le « fait de prince » désigne dans un sens général, toute mesure1675 prise par les
pouvoirs publics et ayant pour conséquence de rendre plus difficile et plus onéreuse
l’exécution du contrat par le cocontractant. De telles dispositions introduisent dans cette
exécution un aléa administratif1676.La théorie « du fait de prince » ouvre dans certaines
conditions1677 au profit du cocontractant à l’encontre de l’administration contractante, un
droit à être intégralement couvert de l’aléa administratif1678. Le droit à indemnité est ouvert
pour toute aggravation de la situation du cocontractant d’une manière intégrale, alors dans la
théorie de l’imprévision, la situation peut conduire à un véritable « bouleversement » et à un
partage des charges nouvelles. Cette délimitation du fait du prince par rapport à l’imprévision

1673
M.Fabre-Magnan, « L’obligation de motivation en droit des contrats »,in Etudes offertes à Jacques
Ghestin,Le contrat au début du XXIéme siècle ,op.cit.p.328.
1674
Yves Gaudemet, Traité de droit administratif, op.cit.,p.711.
1675
Le caractère de ces mesures peut être divers : lois ou règlements (modification des lois fiscales ou des lois
sociales aggravant la situation du cocontractant) ou mesures portant sur l’objet du contrat (sujétions nouvelles
imposées par l’administration en vertu de son pouvoir de modification unilatérale).
1676
Par opposition à l’idée d’aléa économique, que l’on rencontre dans la théorie de l’imprévision.
1677
La théorie du fait du prince joue dans les conditions suivantes : l’existence d’un contrat administratif ;les
mesures édictées par l’administration doivent être imprévues lors la conclusion du contrat ;les mesures prises
doivent être la cause directe du préjudice subit par le cocontractant, l’acte constitutif du fait du prince doit être
émané de l’administration contractante et non pas par une autre administration.sur ce point voir,Abderrahim
WAHIDI,Le contrat des marchés publics :vers une bonne gouvernance dans la gestion publique, op.cit.,p.59 et s.
1678
C.E., 6 juin 1913,Delpon,Rec.Lebon,p.641.
341
a été précisée par le conseil d’Etat français dans les arrêts du 4 mars 1949,Ville de Toulon et
du 15 juillet 1949, Ville d’Elbeuf.

La théorie du fait du prince est destinée à rétablir l’équilibre financier du contrat, à


travers l’application du principe de l’indemnisation intégrale de la totalité de l’aléa
administratif à l’exception du cas ou une indemnisation forfaitaire est déjà fixée par le
contrat. Le montant de l’indemnisation est calculé sur la base des prix des travaux du
marché1679.

Aussi, Le rétablissement de l’équilibre contractuel peut être réalisé sur la base d’une
autre solution notamment celle qu’offre la théorie de l’imprévision ; elle constitue une
construction jurisprudentielle pour modifier le contrat de manière à soulager le contractant
surchargé par les circonstances et d’établir l’équilibre contractuel rompu. En droit public,
l’idée du service public et de ses exigences prédomine ; elle donne naissance à la théorie de
l’imprévision. Ainsi le droit public français a dans son arrêt dit de la Compagnie gaz de
Bordeaux reconnu, dans le cadre d’un contrat administratif, la possibilité pour un
cocontractant d’obtenir, sous certaines conditions1680, la révision de son contrat1681.Cette
position constituait l’un des traits les plus remarquables du particularisme des contrats
administratifs. En effet, le contrat de droit public, objet du litige de 1917, mettait en jeu la
continuité du service public.

En Egypte, la cour administrative suprême a conçu une définition de la théorie de


l’imprévision ainsi que ses fondements et ses effets sur l’équilibre financier du contrat, ainsi
« la théorie de l’imprévision se fonde sur l’idée de la justice objective qui constitue le socle
du droit administratif. Son objectif est la réalisation de l’intérêt général. Par conséquent,
l’administration vise la bonne gestion du service public de façon continue (…).Et d’autre
part, le cocontractant s’intéresse aux bénéfices qu’il va gagner en contrepartie d’un

1679
C.E.,5 nov.1918,Biguet,Rec.Lebon,p.959.
1680
L’application de la théorie de l’imprévision suppose la réunion des conditions suivantes :
-l’événement invoqué doit avoir été anormal et imprévisibles ;il doit intervenir après la conclusion du
contrat et pendant son exécution. L’événement peut être de nature économique (crise économique/variations de
prix), naturel (tremblement de terre, sécheresse, inondation),ou politique ( déclaration de la guerre).
- l’événement invoqué doit avoir été indépendant de la volonté des deux parties du contrat.
-l’événement doit en résulter un bouleversement dans l’équilibre financier du contrat, entrainant à des pertes
dépassant « le seuil d’imprévision » ; c’est-à-dire au-delà du risque normal que le cocontractant est en tenu de
prendre en compte au moment de la conclusion du contrat.
Pour plus de détail.CF : 139ٗ‫ ان‬133 .‫ ص‬: "‫زب انمٕح انمبْغح ٔانظغٔف انطبعئخ‬ٚ‫يذًض انكشجٕع " َظبو انزؼبلض َٔظغ‬
1681
CE 30 mars 1916, Cie générale d’éclairage de bordeaux.1916, jur.3, p.25 ; S.1916.3.17.
342
partenariat n’écartant pas l’intérêt public. Ceci exige des deux parties de s’entretenir en vue
de confronter tous les écueils pouvant entraver l’exécution du contrat »1682.

Les conséquences juridiques de l’état d’imprévision1683 se manifestent clairement à


travers le fait de laisser subsister à la charge du cocontractant son obligation d’exécuter1684 en
lui reconnaissant à son profit un droit à compensation pécuniaire1685. Mais l’indemnité
d’imprévision ne couvre pas la totalité du déficit subi par le cocontractant ; c’est la différence
essentielle qui sépare les conséquences de l’imprévision de celles du « fait du prince » ; dans
l’imprévision, la charge extracontractuelle est partagée entre l’administration et son
cocontractant ; c’est le juge qui, a défaut d’accord, établit ainsi un règlement financier selon
« une interprétation raisonnable du contrat » ; en pratique, la plus grande partie du déficit est
mise à la charge de la collectivité publique1686.

Ces deux idées fondamentales relatives d’une part à la continuité de l’exécution du


contrat malgré l’existence de l’état d’imprévision en vue d’assurer le fonctionnent normal du
service public et la reconnaissance d’une indemnité d’imprévision au cocontractant pour
couvrir le déficit qu’il a subi, sont complétées par une troisième : les conséquences juridiques
de l’état d’imprévision ne peuvent être que temporaires. Cela signifie que la théorie juridique
de l’imprévision est en effet destinée à permettre aux parties, par un modus vivendi
provisoire, de sortir d’une situation difficile et onéreuse à une autre situation contractuelle
normale ; il en résulte que la période contractuelle ne doit pas devenir permanente et que, du
jour où le déséquilibre financier s’avère définitif, l’effet juridique de l’état d’imprévision
cessent de se produire :l’administration n’est plus tenue de compenser les pertes de son
cocontractant. Dans l’hypothèse de l’existence d’un évènement permanent, rendant
l’exécution de l’obligation impossible, les deux paries contractuelles ont droit à conclure un

1682
CAS, Jugement n°46 du 17/6/1972,in"‫خ‬ٚ‫ ص " اػًبل انـهطخ االصاع‬427
1683
Yves Gaudemet, Traité de droit administratif, op.cit.,p.715.
1684
Malgré l’état d’imprévision, le cocontractant est intégralement tenu d’exécuter ses obligations, car la théorie
de l’imprévision a été précisément adoptée pour assurer le fonctionnement continu du service public malgré les
obstacles auxquels il se heurte.
1685
Le cocontractant a droit à une compensation pécuniaire dite indemnité d’imprévision. L’indemnité
d’imprévision doit tenir compte uniquement des pertes subies, c’est Ŕà-dire du déficit provoqué par les charges
extracontractuelles depuis le moment où s’est produit le dépassement du prix-limite (lequel marqué l’ouverture
de la période extracontractuelle).
1686
CE.,15 juill.1949,Ville d’Elbeuf,2 espèces.1950,3,61,note Mestre .
343
nouveau contrat ou de demander au juge de prononcer la résiliation du contrat1687 en se
fondant sur l’idée de la force majeure1688.

En droit marocain comme en droit français1689, la théorie de l’imprévision ne s’est


imposée que dans le domaine administratif. Mais actuellement la doctrine marocaine que
française insiste sur la nécessité de l’adoption de cette théorie et de l’introduction dans les
règles régissant le droit civil. La jurisprudence marocaine que celle française se trouve
également à l’écart des solutions admises à l’étranger. A l’exception de la Belgique,
l’Europe1690 défend la théorie de l’imprévision. Le droit comparé révèle cette réalité, ainsi, le
droit allemand1691 par le biais de l’idée de « Geschaftsgrundlagen », le droit anglais avec la
théorie de la « frustration »1692.

La reconnaissance de la théorie de l’imprévision par plusieurs systèmes juridiques


dans leur code civil, constitue une manifestation claire de la conception moderne de la force
obligatoire du contrat, une conception qui s’articule sur deux piliers : la justice contractuelle
et la stabilité contractuelle. La conciliation entre ces deux impératifs reste possible dans
l’hypothèse ou le droit civil marocain s’aligne dans la nouvelle tendance conçue par le droit
contemporain. En France d’importants efforts doctrinaux ont été déployés pour contourner la
règle posée par l’arrêt, de 1876, ou pour remettre en cause le principe de la force obligatoire
du contrat énoncé par l’article 1134 alinéa 1 sur le quel la révision pour imprévision est
fondé1693.

Dans la vie actuelle, la majorité des contrats sont devenus des contrats déséquilibrés,
ainsi, la notion d’équilibre contractuel est conçue pour remédier et corriger l’équilibre
contractuel tout en assurant la survie et pérennité du contrat. En effet, les parties demeurent
capables de déterminer avec précision leurs intérêts respectifs. Le dogme de l’autonomie de la
1687
Jean Reviro, droit administratif, Dalloz 2006,p 124 et s.
1688
La force majeure est un évènement extérieur, indépendant de la volonté des contractants et empêchant
l’exécution du contrat. Lorsqu’un tel événement se produit, il a pour effet de libérer le contractant de son
obligation. Pour que la force majeure entraine ces conséquences, il faut que soient réunies trois conditions.
1-le fait invoqué comme cas de force majeure doit avoir été absolument indépendant de la volonté du
cocontractant, n’avoir été ni voulu, ni suscité à aucun degré par lui.
2-le fait invoqué doit avoir été imprévu et imprévisible.
3-le fait invoqué doit avoir rendu radicalement impossible l’exécution du contrat ;le cocontractant n’est pas
libéré par de simple difficultés, mais par une impossibilité insurmontable.
1689
Cette position ferme résulte d’un arrêt de principe déjà évoqué ci-haut « canal de crapone » du 06 mars
1876.
1690
Art.1467, 1468, c.civ.IT, Art.312 c.civ.Por. Art.6.258.C.Civ.P.B.Art.388.c.civ.G., Art.969, 970,
C.Civ.Roum. et Art.2.c.civ.Sui.
1691
Art.313.BGB,c.civ.All.
1692
Véronique Cheritat,Les modes d’évolution de la théorie générale du contrat, thése,precit,p.296 et s .
1693
Mohamed Lachachi, L’équilibre du contrat de consommation : étude comparative, mémoire, 2013,
Université d’Oran,p.144.et s.
344
volonté et la liberté contractuelle subséquente étaient critiquable en raison du postulat d’une
capacité absolue de chaque partie à déterminer son intérêt en présence d’une partie forte et
une autre faible. Or, même si cette capacité existe le plus souvent, elle peut aussi faire défaut.
Notre droit se doit d’être plus réaliste et suppose donc une approche plus pragmatique des
relations contractuelle. En ce sens, un auteur a avancé que : « la recherche s’oriente vers une
harmonisation de cette règle, qu’il ne s’agit pas de renier, mais de sortir de son abstraction
trop absolue et de nuancer pour qu’il soit plus utile ou moins nuisibles »1694. Une
uniformisation des contrats par la loi supprimerait la nécessaire adaptabilité du contrat à la
réalité économique et aux besoins des parties contractantes1695. La loi ne peut se substituer
aux parties et une marge de la liberté doit exister dans la détermination du contenu du contrat.

Conclusion du premier chapitre de la seconde partie

La vision dynamique de l’équilibre contractuel représente alors l’élément central sur


lequel se fonde le principe assouplie de la force obligatoire du contrat ; un principe à
caractère évolutif conçu à partir d’une conception dynamique dite moderne pour combler les
lacunes de la conception classique du principe de la force obligatoire du contrat, qui imposent
au juge un devoir de respecter la volonté des parties de tout contrat même déséquilibré.
Aucune adaptation n’est possible en dehors des hypothèses prévues par la loi. La vision
volontariste rendant ainsi l’intervention du juge sur l’équilibre contractuel inutile et
impossible, dans la mesure où elle considérée comme immuable et le temps comme
homogène.

L’actualité nous démontre les lacunes de cette conception classique en matière


d’équilibre contractuel et son adaptation en fonction de l’évolution du contexte externe dans
lequel vit le contrat. L’existence des clauses abusives ou des clauses pénales excessives, la
dominance du pouvoir unilatéral dans la rédaction et la détermination du contenu contractuel,
le maintien du caractère immuable du contrat et l’impossibilité pour le juge de le modifier
sous prétexte de la sécurité juridique, ont contribué largement au renforcement des lacunes de
la conception classique de la force obligatoire du contrat notamment en droit privé. Or, la
stabilité du droit est un besoin mais stabilité ne signifie pas immobilisme ; le droit comparé
nous offre une grande illustration en ce sens. Le droit évolue mais l’essentiel demeure. Il
convient donc de s’interroger sur la contribution de la nouvelle conception de la force

1694
G.Trudel,Lésion et contrat,1965,p.142 : « la liberté de l’homme doit bien rester la dominante ;elle le geste
qui dessine et engendre la convention ».
1695
J.Paillusseau, Les contrats d’affaires, in Le droit contemporain des contrats, Bilan et perspectives, 1985,
p.180,n°27.
345
obligatoire du contrat dans l’évolution du système juridique grâce à l’apparition de nouvelles
règles découlant de la cohérence avec d’autres principes reconnus par le droit civil, et veillant
à conserver une certaine permanence ou continuité1696, à quel point, la souplesse dans
l’application du principe de la force obligatoire du contrat telle qu’elle a été conçue par le
droit contemporain contribuera à la concrétisation de la justice contractuelle et à la stabilité
des transactions contractuelles ?

1696
G.Ripert,Les forces créatrices du droit, LGDJ,1995,n°1 à10 ;J.Chevallier,L’ordre juridique, in le droit en
procès,1984,p.26 : « l’ordre juridique est, en raison de sa configuration propre, prédisposé à ce type de
régulation :tenu d’adhérer à la réalité sociale, puisque sa validité dépend de son efficacité, il est relié à elle par
de multiples réseaux (…) L’instabilité des normes dissimule en fait la continuité de la logique profonde sur
laquelle repose la cohésion de l’ordre juridique ».
346
Chapitre 2 : La conception renouvelée de la force obligatoire du contrat
autorise l’immixtion du juge

La règle rigoureuse de l’article 230 du D.O.C se justifie par un double motif1697 : le


premier s’explique par le rôle social du contrat. Ainsi, le contrat est un instrument de
progrès humain qui permet les échanges de services, de choses entre les hommes ; il assure
une meilleure répartition des biens terrestres ; il permet encore de prévoir et de prendre des
garanties contre les incertitudes de l’avenir. Il est, en un mot créateur de sécurité, c’est-à-dire
pour que le contrat remplisse son but, il faut qu’il soit solide et stable. L’autre raison de la
rigidité du principe de la force obligatoire du contrat est d’ordre moral et religieux ; il est
indispensable que la parole donnée ne puisse remise en question. Et pour que cette règle, qui
repose sur un devoir de conscience, et crainte des sanctions, conserve sous un régime
individualiste toute son efficacité, il est nécessaire que la conscience ne s’obscurcisse pas, que
la notion de la responsabilité et des sanctions nécessaires ne reçoive aucune atteinte.

Le contrat envisagé par la loi, en quelque sorte idéale, puisqu’il « suppose des volontés
indépendantes, égales, débattant librement les conditions de leur accord ».Or, constatent fort
judicieusement deux éminents auteurs qui passent, avec raison, pour les plus vigilants
défenseurs du lien contractuel1698, « une telle situation se trouve rarement réalisée dans la
pratique. Même dans les contrats qui interviennent entre deux parties seulement, il y en a
presque toujours une qui se trouve dans une situation économique plus forte que celle de
l’autre et qui fait la loi du contrat. Ainsi, en général au moins, dans le prêt c’est le prêteur,
dans la vente c’est l’acheteur ».

Force est de constater, que le contrat se trouve aujourd’hui soumis à une politique
sociale et une économie dirigée ; une influence qui se manifeste par le mouvement du
dirigisme contractuel s’expliquant par la soumission de cet instrument juridique à un cadre
stricte contraignant. Ainsi, une politique libérale laissera tout loisir aux individus de
s’organiser à leur guise, ce qui a conduit à des équilibres contractuels ; une conséquence des
pressions et des inégalités sociales qui étaient moins fortes à l’époque de la rédaction du
D.O.C.La pratique révèle cette réalité qui se caractérise alors par la dominance du contrat à
contenu pré rédigé, imposé à la partie faible et une inégalité marquée par un mode contractuel
où la volonté de l’un n’était ni libre ni indépendant. Cette inégalité économique se trouve
notamment en matière du contrat du travail, d’assurances, de fournitures du service public,
1697
Gaston Roussel,Le contrat : de l’intervention du juge et du législateur dans son exécution,
thèses,1936,Paris,LGDJ,p.55 et s.
1698
Colin et Capitant : Cours élémentaire de droit français, éd.1921.p.258.
347
contrats d’adhésion (dans lesquels la volonté du plus faible des co-contractants joue un rôle si
effacé).

Ainsi et selon ce constat, on ne peut nier aujourd’hui que pour la majorité de la


doctrine1699, la force obligatoire du contrat ne produit plus les effets qu’on pouvait lui
attribuer. « La recherche et le respect de la volonté, n’apparaissent plus comme une priorité
absolue dans le régime du contrat, mais comme une quête subordonnée au respect des valeurs
subjectives supérieures »1700.

L’évolution du droit des contrats, a transformé la conception de la force obligatoire du


contrat à une conception nouvelle conçue pour faire face aux lacunes de la désacralisation de
la conception classique de ce principe et de répondre à deux ordres de préoccupations
majeures : d’abord au souci de ne pas laisser affaiblir la force du lien contractuel en tant
qu’une nécessité pour le droit moderne. L’autre préoccupation, ç’a été de concilier le principe
de la force obligatoire du contrat, qui est comme le clef de voûte du droit des obligations, - et
d’ailleurs inscrit en termes particulièrement énergétiques dans l’article 230 du D.O.C et en
droit comparé français dans l’article 1134 du Code civil- avec le souci légitime d’éviter que
son application trop rigide froisse à l’excès, cette vielle règle d’équité sans le respect de
laquelle il n’y a pas de véritable justice. Ne nous dissimulons pas que, c’est là, une délicate
question et qui pose celle de savoir si le principe de la force obligatoire du contrat dans sa
nouvelle conception comporte une application mesurée et dans ce cas, quelles sont les
justifications de cette mesure ? Quel en est la finalité recherchée ?

Dans une époque, marquée par l’inégalité des parties, l’abus de pouvoirs, dans laquelle
nous vivons, a paru des plus propices à l’étude d’un difficile problème qui consiste à concilier
entre l’immixtion judiciaire et la stabilité contractuelle. Pour arriver à une telle résolution de
cette question, nous avons pensé qu’il est utile d’étudier les justifications avancées par le droit
contemporain pour le maintien de la conception moderne de la force obligatoire du contrat
(section 1), et de rechercher par la suite des meilleurs moyens techniques qu’offre aujourd’hui
cette nouvelle physionomie telle qu’elle a été conçue par le droit contemporain, qui autorise
l’intervention judiciaire dont l’objectif est de satisfaire l’équilibre contractuel et de réaliser
cette conciliation entre la justice contractuelle et la sécurité contractuelle (section 2).

1699
J.Ghestin, Traité de droit civil, Les obligations, le contrat :Formation,2é
éd.préc.n°147,p.140 ;F.Terré,Ph.Slimer et Y.Lequette,Droit civil,Les obligations,7é éd,Dalloz,1999,n°32,p.35.
1700
Ibid.
348
Section 1 : Les justifications de la conception moderne de la force
obligatoire du contrat
La conception moderne de la force obligatoire du contrat trouve sa légitimité dans le
respect de valeurs subjectives supérieures avec la désacralisation du principe de l’autonomie
de la volonté. Cette conception loin de porter atteinte à la force obligatoire du contrat, en
renforce son exécution en adaptant les effets du contrat à la nouvelle conjoncture économique
et juridique1701 aux exigences de la justice contractuelle et au souci de la sécurité
contractuelle.

Il est donc bien certain que les auteurs du D.O.C que ceux du Code civil français,
quoique ayant admis le principe de l’autonomie de la volonté, principe qui souffre
l’exception du respect de l’ordre public et des bonnes mœurs, n’en ont pas moins voulu que
le contrat librement consenti, put être apprécié, contrôlé par le juge et son exécution arrêtée
par lui lorsqu’elle n’est celle qu’avait voulue la volonté commune des parties, ou bien lorsque
l’on prétend faire produire au contrat un effet qui n’est pas conforme à sa destination et à son
but1702.

Le contrat moderne ne demeure pas le produit pur de la volonté subjective des


parties1703. La doctrine classique a nié cependant que la volonté est une faculté qui, comme
toute chose humaine, est imparfaite et d’autant plus portée à abuser de ses prérogatives en la
matière des contrats, qu’elle y poursuit la réalisation de fins égoïstes sans l’aiguillon si
puissant de l’intérêt individuel1704.

A ce propos, Il a été démontré dans la première partie de cette thèse que l’autonomie
de la volonté, ne constitue plus le fondement de la force obligatoire du contrat et ne permet
plus d’expliquer la tendance contemporaine favorable à l’assouplissement et l’aménagement
du contenu contractuel. La désacralisation du principe de l’autonomie de la volonté et son
incapacité de répondre à l’impératif de la justice contractuelle1705, ont entrainé à l’émergence
d’une conception renouvelée de la force obligatoire du contrat, une conception fondée sur une

1701
Ph.Kahn et alii, « La vente internationale de gaz »,in Les hydrocarbures gazeux et le développement des
pays producteurs, Librairies techniques,1974,p.468 ; voir sur ce point également, Rochfelaire
Ibara,L’aménagement de la force majeure dans le contrat, thèse, Université de Poitiers,2012,p.177 et s.
1702
Gaston Roussel, Le contrat de l’intervention du juge et du législateur dans son exécution, thèse, Université
de Paris, LGDJ, 1936 p.63.
1703
Paul Alain Fortiers,Pacta sunt servanda (portée et limites),in Le droit des affaires en évolution, la
modification unilatérale du contrat, préf. Philippe Marchandise,Bruylant Bruxelles,2003,p.7 et s.
1704
Gaston Roussel, Le contrat de l’intervention du juge et du législateur dans son exécution, op.cit.
1705
J.Ghestin,L’utile et le juste dans les contrats, Arch.Philo. Du droit,p.1981,p.35 et s.
349
approche dynamique de l’équilibre contractuel avec la promotion de la sécurité dynamique du
contrat1706 (paragraphe1).

Ainsi, si l’autonomie de la volonté a pu constituer un obstacle majeur à l’adaptation de


l’économie du contrat, à la quelle les paries doivent rester fidèles, qui constitue la base
tangible du contrat et qui a force obligatoire, son déclin offre aujourd’hui à la force
obligatoire une nouvelle perspective qui autorise l’immixtion judiciaire dans le contrat, une
immixtion qui se trouve justifiée par des considérations à bases législative et arbitrale
(paragraphe 2).

Paragraphe 1: La conception renouvelée de la force obligatoire du contrat

La rigidité dans l’application du principe de la force obligatoire du contrat à une


époque où les déséquilibres contractuels émanent de la nature même de la relation
contractuelle, l’affaiblissement de son fondement déontologique et l’éclatement de nouveaux
fondements conçus par la doctrine moderne : moral ou religieux, juridique et économique,
révèle une nouvelle conception de la force obligatoire du contrat. Ainsi, la conception
moderne, présente deux caractéristiques tout à fait opportunes en matière de théorie générale
du contrat. D’une part elle se fonde sur un fondement souple qui permet d’expliquer la
flexibilité de la force obligatoire1707, d’autre part, elle s’accorde avec l’immixtion du juge
dans le contrat. Il s’agit de montrer comment cette conception moderne permet à l’évolution
du droit du contrat, tout en garantissant la justice contractuelle et la stabilité contractuelle.
Cette conception présente une opportunité qui permet de concilier ces deux principes
contradictoires (A) et de combler les lacunes indéniables du droit du contrat à travers
l’opportunité de l’intervention du juge dans le contrat pour restaurer l’équilibre contractuel
par le biais de la technique de la réfaction du contrat (B).

1706
V. désormais, §313 du BGB allemand qui codifie la théorie de la « disparition du fondement contractuel »
consacrée par les tribunaux allemand depuis la fin de la première guerre mondiale. Ledit article donne la
priorité à l’adaptation du contrat aux nouvelles données par une renégociation du contrat plutôt qu’à sa
résiliation, donc au sauvetage plutôt qu’au naufrage. V.W.-T.Scheider,« La codification des institutions
prétoriennes »,R.D.I.C.2002,vol.54,n°4,p.964. ; V. également sur ce point, Hanns Ulrich, La sécurité juridique
en droit économique allemand : observations d’un privatiste, in Sécurité juridique et droit économique, Editions
Larcier,2008,p.85.
1707
C.Thibierge, Cours de droit des contrats, DEA de droit économique, Orléans,1994-1995.
350
A- L’opportunité de la conception moderne de la force obligatoire du contrat

Sans doute avec le libéralisme, le concept d’autonomie de la volonté a ŔtŔ il connu


au cours du XIXe siècle, un développement considérable et, avec lui, une approche purement
volontariste du contrat qui, si on la pousse à ses extrémités, justifie la force obligatoire du
contrat, produit pur de la volonté subjective des parties contractuelles1708.Mais personne
aujourd’hui ne saurait sérieusement soutenir que cette philosophie coïncide avec l’état du
droit positif. Le principe de l’autonomie de la volonté s’est d’ailleurs réduit au cours du siècle
dernier à un régime de liberté contractuelle surveillée1709.

La réalité du nouveau mode contractuel a révélé l’inopportunité de l’application de la


conception classique du principe de la force obligatoire du contrat, une conception qui
s’oppose à toute intervention dans le contrat même s’il devenu déséquilibré. Une fois fixé, il
est immuable et doit être exécuté comme prévu initialement par les parties1710. Aucune
adaptation n’est possible en dehors des hypothèses prévues par la loi. En effet, l’égalité
contractuelle1711 n’est plus seulement présumée, elle fait l’objet aujourd’hui d’une attention
particulière de la part des juristes et du législateur, qui, après avoir constaté l’inégalité de fait
entre les contractants tente, par le biais d’un rééquilibrage du contrat de mettre en place une
véritable égalité. Dés lors, l’égalité n’est plus présumée, elle est recherchée.

Or, la conception renouvelée de la force obligatoire du contrat présente une cohérence


qui se caractérise par sa souplesse. A ce propos, la souplesse du droit a fait l’objet d’une
étude générale sous la plume de Madame Thibierge1712.Partant d’une hypothèse, selon
laquelle, le droit ne peut être que « dur », l’auteur constate qu’une telle assertion vient en fait
de ce que la règle de droit répond, dans une conception traditionnelle du droit, à des critères
eux-mêmes durs et rigides. Or, l’apparition et le développement d’un droit mou, plus doux et
plus flou marque un nécessaire changement en profondeur de cette conception de la règle de
droit1713.La doctrine s’est en partie étonnée de voir une telle rigidité au sein du droit des

1708
V. G.Goubeaux, Introduction générale, Traité de droit civil, sous la direction de J.Ghestin,T.I,2e
éd.,Paris,L.G.D.J.,1983,n°315.
1709
Paul Alain Fortiers,Pacta sunt servanda (portée et limites),op.cit.,p.7.
1710
Laurence Fin-Langer, L’équilibre contractuel, op.cit.p.398.
1711
Véronique Cheritat,Les modes d’évolution de la théorie générale du contrat, thèse, precit, p. 350 et s
1712
C.Thibierge,Le droit souple-Réflexion sur les textures du droit, RTD Civ.,2003,p.599 et s.
1713
Ibid.,p.607.
351
contrats, estimant à nos jours, ce « n’est plus l’immutabilité qui donne au contrat sa vertu,
c’est plutôt la souplesse qui participe à la vigueur de l’accord conclu »1714.

L’opportunité de la conception moderne de la force obligatoire du contrat réside alors


dans la souplesse qu’elle offre en matière d’adaptation des prestations contractuelles. Elle
permet donc de faire face à l’évolution de plus en plus rapide de la société, d’affronter la
nouveauté1715. Le but recherché par l’application de cette conception au principe de
l’intangibilité du contrat consiste à favoriser une plus grande justice en matière de contrat, sa
finalité étant désormais de favoriser un contrat égalitaire, plus équilibré et plus juste, il en
ressortira une plus grande force contractuelle dans la mesure où les parties ressentiront dans
une moindre mesure le besoin de rompre le contrat lors de son exécution1716. Ainsi, le contrat
qui remplit les exigences d’égalité, d’équilibre…etc, se trouve sans doute sécurisé mais cette
sécurité prend un sens peu différent de celui adopté par la doctrine du XIXème siècle. En effet,
comme soulignait Madame Thibierge, le « souci de sécurité, jadis attaché aux effets du
contrat, à sa force obligatoire, se reporte sur la phase de formation de l’acte. Ce faisant, la
sécurité recherchée change de nature : d’objective et source de protection de la partie la plus
forte, créancière, elle devient subjective et permet la protection du plus faible, du futur
débiteur »1717. Cet objectif cohabite donc avec la conception moderne de la force obligatoire
du contrat, une conception qui trouve sa raison d’être dans la promotion de la sécurité
dynamique du contrat (1) et de la justice contractuelle (2) dans les contrats de longue durée ou
à exécution successive.

1-L’opportunité réside dans la promotion de la sécurité dynamique du contrat

L’adaptation du contrat en cours d’exécution est traditionnellement perçue dans la


plus part des systèmes juridiques comme une atteinte au principe de l’intangibilité des
conventions. En droit interne, la position du juge judiciaire à la différence de celle du juge
administratif demeure notoirement hostile à la reconnaissance du droit à la renégociation
judiciaire du contrat dans l’absence d’une stipulation expresse édictant cette option. Cette

1714
J.J.Barbieri, Vers un nouvel équilibre ŔRecherche d’un nouvel équilibre des prestations dans la formation et
l’exécution du contrat,op.cit.p.403.
1715
E.Garaud,La transparence en matière contractuelle, Th.Limoges,1995,n°344 ;M.Virally,Le rôle des principes
dans le développement du droit international, in Recueil d’études de droit international en l’hommage à Paul
Guggenhein,1968,p.542 et 543.
1716
Cette idée a déjà été soulevée notamment par J.J.Barbieri : « la stabilité des contrats est liée au maintien de
l’équilibre des prestations, c’est -à-dire à une projection in futuro de l’harmonie conçue au départ »,op.cit.p.602.
1717
C.Thibierge,Le droit souple-Réflexion sur les textures du droit, op.cit.
352
position reste similaire en droit comparé français aussi bien pour le juge judiciaire1718 que
pour le juge administratif1719.

La position du juge judiciaire marocain est devenue alors inadaptable avec


l’existence d’un nouveau mode contractuel qui se manifeste à travers des contrats modernes
révélant ainsi une inégalité contractuelle et un déséquilibre contractuel significatif. Elle est
fondée sur une conception statique de l’équilibre contractuel qui isole le droit marocain par
rapport aux nombreux autres systèmes juridiques comparés qui consacrent la théorie de
l’imprévision. Or, l’adaptation du contrat pour sauvegarder l’acquis contractuel en cas de
bouleversement radical des circonstances ayant perturbé l’équilibre contractuel initial est
considéré en tant que modalité utile et possible dans la nouvelle conception de la force
obligatoire du contrat ; une conception moderne permettant une instauration d’une sécurité
juridique selon une approche dynamique et évolutive.

Le besoin de sécurité juridique est le plus souvent envisagé dans le cadre d’une
vision systémique ou normative du droit, de type « kelsenein » : la sécurité juridique serait
inhérente au système juridique ; elle structurerait celui-ci. En faire un principe structurant
n’est innocent : il s’agit de maintenir la cohérence de l’édifice afin qu’il assure sa fonction
sociale. Roubier n’écrivait-il pas que « la sécurité juridique est la première valeur sociale à
atteindre »1720,peut- être parce que comme l’exprimait Carbonier, « c’est le besoin juridique
élémentaire, et si l’on ose dire, animal »1721 ?.En réalité la sécurité juridique renvoie
classiquement aux idées de prévisibilité et de stabilité.

Dans une perspective classique, la sécurité juridique, c’est la prévisibilité1722 de la


règle juridique applicable et de sa sanction. D’où les objectifs à valeur constitutionnelle
d’intelligibilité de la norme et d’accessibilité du droit. A travers cette idée de prévisibilité de
la règle et de ses effets, la sécurité juridique rejoint à certains égards le principe de légalité du
droit pénal. Ainsi la cohérence du système juridique aurait pour objet et pour effet une
prévisibilité du droit applicable.

La deuxième idée à laquelle revoie la sécurité juridique se rapporte à la stabilité. La


prévisibilité implique une certaine stabilité de la norme : sa permanence temporelle. Mais

1718
Civ.6 mars 1876, « Canal de Craponne »,S.1.161.
1719
CE,30 mars 1916, « Gaz de Bordeaux »,Rec.,p.125.
1720
Théorie générale du droit, éd, Sirey, 1946, p.269 (reprint, Dalloz, 2005).
1721
Flexible droit, LGDJ,7e éd.1992,p.172.
1722
V.P.Muzny, « Quelques considérations en faveur d’une meilleure prévisibilité de la loi »,D.2006,p.2214.
353
stabilité et permanence ne signifient pas pour autant rigidité de la règle de droit. La stabilité
est nécessairement relative. Tout le monde s’accorde pour dire que le droit doit évoluer, doit
être flexible. L’important résidant dans le fait que cette évolution soit elle Ŕmême prévisible,
encadrée, procéduralisée …Savoir et prévoir1723. La prévisibilité et la stabilité doivent
composer avec la nécessaire évolution de la norme : d’où l’idée de « confidence
légitime ».La notion de confiance légitime, connue du droit allemand avec l’arrêt Algera de la
CJCE en date du 12 juillet 19571724 et a été érigée en « principe fondamental de la
communauté » par l’arrêt Dürbek du 5 mai 19811725.

L’opportunité de la nouvelle conception de la force obligatoire du contrat réside dans


la possibilité de l’adaptation du contrat avec le souci de garantir la promotion de la sécurité
dynamique du contrat. Cela donne lieu à une controverse non apaisée en doctrine en deux
philosophies du contrat ou paradigmes de l’équilibre contractuel. Cette controverse oppose les
auteurs qui soutiennent une conception statique de la sécurité juridique à d’autres qui sont
favorables à une approche dynamique de la sécurité juridique du contrat. L’article 230 du
DOC et en droit comparé l’article 1134 al.1er du code civil français pose formellement le
principe de l’intangibilité des conventions. Ce principe demeure le pilier central qui
charpente tout le dispositif du droit des contrats dans la plupart des systèmes juridiques
contemporains. Il impose aux contractants d’observer les pactes qu’ils se sont
volontairement imposés pour que la paix soit conservée dans les transactions, « paix servetur,
pacta custodiantur »1726.Ainsi, sauf cas de force majeur, la norme contractuelle est réputée
quasiment immuable et intangible. Les obligations contractuelles ne peuvent être modifiées
qu’avec le consentement mutuel des parties qui en sont l’origine1727.Ce raisonnement
implique que l’adaptation du contrat avec cette conception rigoureuse de la force obligatoire

1723
Jean Ŕ Baptiste Racine et Fabrice Siiriainen, Sécurité juridique et droit économique propos introductifs,in
Sécurité juridique et droit économique, Editions Larcier,2008,p.13.
1724
Cour de Justice des Communautés Européennes ( CJCE) ,Affaire 7/56,12 juillet 1957,Algera c/Assemblée
commune de la CECA : « Sauvegarde de la confiance légitime dans la stabilité » des situations juridiques,
Rec.,p.81 ; Voir en ce sens également, la décision de la Cour européenne des droits de l’homme du 13 juin 1979
qui au nom du principe de sécurité juridique s’autorise à moduler dans le temps les effets de ses décisions, afin
de préserver des situations juridiques acquises des justiciables.
1725
CJCE,Affaire 112/80,5 mai 1981,Dürbeck/Hauptzollant Frankfurt Am Main-Flughafen.
1726
Cette sentence est reproduite dans le Canon d’Antigonus à propos d’un litige ponctuel entre évêques, par
un concile tenu à Carthage en 348,qui illustre qu’à la base de la doctrine pacta sunt servanda se trouve bien
évidemment des préoccupations de sécurité juridique et de maintien de la paix sociale : « que la paix soit
conservée, que les pactes soient observés ».V.J.-Ph.Levy et A.Castaldo,.n°531,p.781.
1727
C’est cette analyse que conteste le professeur Barbiéri, car si l’on admettait que la force obligatoire du
contrat « signifie que l’obligation est insusceptible de transformations, il faut en déduire que toute loi est
immuable, ce qui est loin d’être le cas, à une époque où l’inflation, loin se spécialiser dans l’économie, atteint
aussi les matières juridiques »,V.Ibid,p.495.
354
des obligations conventionnelles n’est plus possible dans la mesure où elle tend à « défaire »
la teneur de l’accord initial des contractants1728.

Or, cette exigence du respect de la force obligatoire du contrat que la jurisprudence


malmène à l’occasion ne justifie pas en soi la réprobation qu’elle adopte à l’égard de la
reconnaissance du droit d’adaptation judiciaire des conventions. A l’heure où ce principe est
consacré dans la plupart des systèmes juridiques étrangers et dans les instruments
internationaux, la réticence du droit marocain comme du droit français à reconnaître le droit
d’adaptation du contrat est au fond un hommage rendu par les tribunaux de l’ordre judiciaire à
la loi des paries1729.En ce sens, le professeur Mousseron estime que le refus d’adaptation
judicaire du contrat « tient à ce que, pour eux (les juges de l’ordre judiciaire) le traitement
des risques contractuels dans son principe même et, a fortiori, ses modalités appartient aux
parties et leur est réservé »1730.

La pleine validité des mécanismes conventionnels d’adaptation1731 par le juge


judicaire et son opposition quant à la révision judiciaire ne justifie pas pourquoi les
tribunaux de l’ordre administratif consacrent le droit à l’adaptation des contrats même dans le
silence de la convention des parties. L’argument traditionnel tenant au particularisme du
contrat administratif n’explique pas cette permissivité du juge administratif à l’égard de la
gestion contractuelle du risque d’imprévision.

Contrairement à l’opinion doctrinale traditionnelle, la nouvelle conception de la force


obligatoire du contrat ne doit plus être perçue « non pas comme une atteinte à la force
obligatoire du contrat, mais comme une affirmation de celle-ci »1732.La sécurité à laquelle
répond la nouvelle conception de la force obligatoire du contrat est en premier lieu
économique avant d’être juridique1733. Pace qu’elle a pour fonction de limiter les incidences

1728
R.Fabre,art.préc.,n°79,p.29.: « L’insertion dans le contrat des clauses d’adaptation va en modifier l’aspect et
peut en modifier l’aspect et peut même l’affaiblir par l’introduction d’éléments incertains et souples ».D’autres
auteurs vont plus loin et estiment que la force majeure à la différence de l’imprévision ne peut justifier
l’adaptation du contrat qui reste du seul domaine de la théorie de l’imprévision. V.not.,Y.Picod, th. préc.,n°189.
1729
Sur l’ensemble de cette question, v.E.Savaux, « L’introduction de la révision ou la résiliation pour
imprévision-Rapport français »,in Les mutations du droit des contrats (Actes du Colloque de Rennes les 5 et 6
nov.2009),RDC 2010.1057 et s.
1730
J.M.Mousseron, « Rapport de synthèse » in Les principales clauses des contrats conclus entre professionnels,
PUAM 1990 in fine.
1731
B.Fauvarque-Cosson, « Le changement de circonstances »,préc.p.67 et s. ; Terré,Simler,Lequette,Les
obligations, op.cit.,note 51,n°471,p.467.Pour ces auteurs le rejet de l’imprévision est une invitation tacite faite
aux parties de prendre en main la gestion des risques pour laquelle le juge n’a pas la compétence nécessaire.
1732
J.- P.Delmas Saint-Hilaire, « L’adaptation du contrat aux circonstances économiques »,préc.,12.
1733
S.Chille De Nere,th.préc.préc.,n°459.Comp.C.Thibierge-Guelfuci, « Libres propos sur la transformation du
droit des contrats »,R.T.D.civ.,1997,p.357-385,spéc.,p.359 : « Traditionnellement le contrat apparait comme un
moyen donné aux parties d’exercer une certaine emprise sur l’avenir, de prévenir le surgissement de
355
sur l’exécution des prestations contractuelles à travers les mécanismes novateurs d’adaptation
qu’elle met en place au maintien de l’équilibre des prestations dans les contrats de longue
durée1734. Cette nouvelle conception adapte la force obligatoire du contrat au dynamisme de
son environnement économique et juridique.

La conception moderne de la force obligatoire du contrat participe à la préservation du


lien contractuel et des attentes légitimes des contractants. Elle est donc utile au maintien de la
sécurité juridique des conventions dans la durée. « Plutôt que voir disparaître le contrat sous
les coups de boutoir des modifications de son environnement, ils (les contractants) préfèrent
utiliser cette évolution pour en faire une des composantes de l’accord »1735. L’évolution du
droit contemporain a contribué à la modification de la conception classique de l’équilibre
contractuelle en distinguant la formation du contrat de son exécution. En ce sens, le
professeur Fontaine observe que : « le contrat (de longue durée notamment » n’exprime plus
le point d’équilibre définitif résultant d’une confrontation d’intérêts opposés, mais il traduit,
par ses modifications successives, l’évolution de la communauté d’intérêts qui s’est instaurée
entre les parties, liées à long terme par des relations qui ne peuvent échouer »1736.

Il en résulte qu’avec la nouvelle conception de la force obligatoire du contrat,


l’équilibre contractuel s’est transformé d’un état statique à une approche dynamique de la
sécurité juridique des conventions. D’un contrat fixé et figé « ne varietur » dans l’esprit des
auteurs du code civil français de 1804, un code qui constitue la source d’inspiration du DOC
marocain de 1913,à travers cette nouvelle mutation, on passerait en droit contemporain des
contrats, vers un modèle du contrat évolutif et « vivant »1737.Nul ne doute que cette évolution
de la conception de l’équilibre contractuel est souhaitable pour le droit marocain à l’heure de

l’imprévisible ou même le simple changement de volonté. Instrument au service de la sécurité, il constitue une
belle protégée des influences extérieures, un monde clos sur la stabilité duquel les parties peuvent
compter ».Pour notre part, nous estimons que la force obligatoire du contrat dans sa conception classique est
désuète et ne reflète pas le dynamisme de la pratique contractuelle contemporaine comme en témoigne l’essor
des clauses d’adaptation du contrat, de hardship, d’offre concurrente, dans les contrats internationaux
notamment.
1734
A notre analyse le principe d’intangibilité des conventions doit être interprété dans le sens de
l’intangibilité de l’équilibre des prestations pendant la durée d’exécution du contrat. Dans les contrats
internationaux, les arbitres affirment que le contrat international est fondé sur « l’équilibre des prestations
réciproques » lequel est une règle de la lex mercatoria,v.Décision C.C.I,n°2291,J.D.I.1976,p.989,obs.Y.Derains.-
Adde,P.-J.Durand-Barthez, « La durée des accords de coopérations et les clauses gouvernant leur
adaptation »,D.P.C.I 1984,t.10,p.357.
1735
J.J.Barbiéri,th.préc.,p.494 ;S.Chaille De Nere,,th.préc.,n°286 ;V. aussi à propos de l’analyse de la clause de
force majeure comme une clause d’adaptation du contrat, M.Mekki,art.préc.,p.1060 : « Les clauses
contractuelles de prévention des risques contribuent essentiellement à la protection de la pérennité du lien
contractuel. Cette stabilité est particulièrement recherchée pour une catégorie de contrats, ceux de longue durée.
1736
M.Fontaine, art.préc., D.P.C.I.1976,pp.7-49,spéc.,p.42.
1737
Demogue,cité par A.Tunc,in préface à la thèse citée par M.El Gammal.V.aussi,R.Fabre,art.préc.n°30,p.80.
356
l’harmonisation et de la codification du droit européen des contrats. Elle est propre à
permettre la consécration du droit à l’adaptation judiciaire du contrat afin de rompre
l’isolement du droit marocain par rapport au droit comparé1738 en matière du contrat. D’où, la
nécessité de la consécration de l’obligation de renégociation des conventions dans le cadre de
la réforme du droit des obligations contractuelles, elle est plus que souhaitable1739 .
L’opportunité de la nouvelle conception de la force obligatoire du contrat ne se limite pas à
promouvoir la sécurité juridique mais également la justice contractuelle dans les contrats
conclus pour une longue durée.

2- L’opportunité réside dans la promotion de la justice contractuelle

La sécurité juridique n’est pas la seule valeur dont le droit ait à se préoccuper, son
art consistant au contraire en une recherche d’harmonie entre diverses finalités plus ou moins
contradictoires1740.Dans la littérature juridique contemporaine le principe de la sécurité
juridique est souvent opposé à celui de la justice contractuelle. La sécurité juridique dans sa
conception statique peut heurter l’idée de progrès. Ainsi, on peut formuler le souhait que le
droit soit simple, qu’il soit toujours prévisible et d’une grande stabilité…Mais pas plus que le
droit ne peut rendre simple la société. Il faut donc intégrer les données de complexité et de
mouvance dans le système juridique. C’est notamment ce qui tente de faire le droit
économique et depuis longtemps1741.Elle utilise souvent des notions cadres comme l’abus ou
le raisonnable pour laisser une respiration au systéme et dans le même temps lui imposer des
limites. Cette tendance qui se dirige vers la promotion de la sécurité juridique selon une
nouvelle approche dynamique, s’exprime de manière privilégiée à l’heure de la
mondialisation1742.

Ce processus introduit nécessairement un nouveau besoin de la justice contractuelle


qui doit être conciliable avec la sécurité juridique dynamique. Ce besoin, vient du fait du
bouleversement du système juridique sous l’influence d’un certain nombre de mutations qui

1738
V.not.l’article 1467 du c.civ.Italien ;Le nouveau §313 du BGG allemand ;l’article 451 de la c.civil de la
Fédération de Russie ;art.97 du C.O suisse ;art.1135-1 du Projet Cata.
1739
En ce sens,v.C.Witz, « Force obligatoire et durée du contrat »,in Les concepts contractuels français à l’heure
des Principes du droit contemporain des contrats, p.186,Dalloz,2003.V.aussi,P.Catala, « La renégociation des
contrats »,in Etudes de droit privé offertes à Paul Didier,Economica 2008,p.92 et s.Ces auteurs soutiennent la
codification de l’obligation de renégocier le contrat sur le modèle du droit allemand.V.not. §313.V.aussi,W.-
T.Schneider,art.préc.,R.I.D.C.2002,pp.964 et s.
1740
Thomas Piazzon,La sécurité juridique, préf. de Laurent Leveneur,éd.Defrénois,Lextenso
éd.LGDJ ,2009,p.464.
1741
Elle intègre l’analyse économique dans le raisonnement juridique (comme par exemple dans le cadre du droit
de la concurrence pour déterminer le marché pertinent).
1742
M.Rainelli, « A propos du règlement européen n°139/2004 relatif au contrôle des concentrations entre
entreprises :une vision sceptique de la prise en compte des gains d’efficacité »,RID.éco.2006,p.44,spéc.,p.47
357
mettent à mal ses fondements classiques et la prédominance des droits de l’homme et des
libertés fondamentales qui certes créent du désordre mais assurent parallèlement un progrès
du droit par l’affirmation de valeurs1743.

Or, la nouvelle conception de la force obligatoire du contrat assure aussi bien la


promotion de la sécurité juridique que la justice contractuelle. Sous sa perspective dynamique
potentiellement plus novatrice, le principe de la force obligatoire du contrat met en avant
l’équité, la justice contractuelle comme valeur et correspond inévitablement à une
« promotion du rôle du juge »1744. En dépit de certaines solutions législatives ou
jurisprudentielles destinées à promouvoir l’idée de la justice contractuelle à l’encontre du
respect de la parole donnée, il est toujours bon nombre d’arrêts qui permettent à une partie
de la doctrine de saluer régulièrement une « embellie pour la sécurité des affaires »1745 ou le
retour du « printemps contractuel »1746.Si bien qu’en droit des contrats, c’est une autre partie
de la doctrine contemporaine, certainement de manière plus appliquée que la jurisprudence,
qui tente de remettre en cause l’équilibre, toujours un peu précaire, entre les valeurs de justice
et de sécurité, au profit de la première et, par voie de conséquence nécessaire, au détriment
corrélatif de la seconde1747.

En droit interne comme en droit comparé français1748, cette opposition entre les
valeurs de justice et de sécurité trouve son origine dans la double philosophie de l’article 230
du DOC. La doctrine y voit parfois l’affirmation de deux principes antagonistes voir
contradictoires qui ont chacun un domaine d’application spécifique. La sécurité juridique se
rapporte à la formation du contrat tandis que la justice contractuelle évoque l’exécution des
prestations qui doit se faire suivant le principe de la bonne foi1749.La pratique contractuelle

1743
Voir B.Begnier, « Hiérarchie des normes et hiérarchie des valeurs. Les principes généraux du droit et la
procédure civile », in Le droit privé français à la fin du XXe siècle, Etudes offertes à P.Catala, Litec, 2001,
p.153 ; P.Puig, « Hiérarchie des normes : du système au principe », RTD.Civ., 2001, p.749.
1744
G.Ripert,Le déclin du droit,t.1,LGDJ ,1950,n°51,p.155.Et Ripert, citant Hauriou,d’évoquer dans Les forces
créatrices du droit, « La beauté d’un champ juridique « tracé au cordeau comme un jardin à la française dans
lequel les jurisconsultes et les hommes de science peuvent se promener sinon sans surprises, du moins sans
risque d’accidents graves »,préc.,n°143,p.348.
1745
L.Aynés et Ph.Stoffel-Munk, « Décembre 2004-juin 2005 : embellie pour la sécurité des affaires », Droit et
patrimoine octobre 2005, n°141, p.90 et s.
1746
Selon le titre d’un éditorial de M. Mestre, Droit et patrimoine juin 1999, n°72, p.3.
1747
Thomas Piazzon, La sécurité juridique, op.cit.p.544.
1748
Ch.Jamin, « Révision et intangibilité du contrat, la double philosophie de l’article 1134 du Code civil »,in
« Que rest-il de l’intangibilité du contrat ? »,colloque organisé à la faculté de Chambéry,Rev.dr.et patr,n°58,mars
1998,p.46.
1749
C.Thibierge-Guelfuci, art.préc.p.376.Cet auteur relève qu’ « après la conclusion du contrat, au contraire, la
sécurité contractuelle n’apparait plus comme le seul impératif. L’irrévocabilité et l’intangibilité refluent laissant
place à l’impératif de justice contractuelle. Et corrélativement, cela réintroduit plus de liberté et de volonté dans
les effets du contrat : l’accroissement de la liberté de chacune des parties de sortir unilatéralement de l’acte ou
358
dément catégoriquement ce semblant d’opposition qui sépare arbitrairement la formation et
de l’exécution du contrat1750 dans l’appréciation de la sécurité juridique.

Ce raisonnement révèle que la question du conflit qui existe entre la sécurité et la


justice contractuelle n’est point technique, mais philosophique. Elle revient à réfléchir sur les
fins du droit. Selon que l’on donne au droit pour finalité la sécurité de la justice, la conception
du contrat qui en découle restreint ou favorise l’intervention du juge, sacralise ou relativise le
rôle de la volonté des parties, rigidifie ou assouplit la loi contractuelle 1751. Or, l’objectif du
droit contemporain s’oriente vers une conciliation entre les deux impératifs de la théorie
générale du contrat : la sécurité et la justice contractuelle à travers la nouvelle conception du
principe de la force obligatoire du contrat. Mais la question qu’il convient ici de se poser
peut être formulée de la manière suivante: de qu’elle sécurité parle-t-on1752 ? Est-ce au sens où
l’entendait Ripert, dans certains de ses écrits ? Alors la sécurité est synonyme d’intangibilité
des conventions1753.Cependant dans ce cas, n’est Ŕce pas la sécurité de quelques-uns qui est
assurée, privilégiée ? Ceux dont la position sociale, la situation professionnelle ou la
puissance économique leur permettent de faire prévaloir exclusivement leurs propres intérêts,
au détriment de ceux de leur partenaire.

La sécurité change sa facette dans les rapports contractuels inégalitaires ; elle est en
réalité, une sécurité des économiquement puissants construite sur l’insécurité des
économiquement faibles. Demogue l’avais compris : « Il y a donc fatalement des cas où la loi

d’en demander la modification, se double de celle du législateur ou du juge d’intervenir sur le contrat si des
impératifs supérieurs le commandent ».
1750
Nous notons que le fait que la jurisprudence applique uniquement la théorie de l’erreur, de la lésion et de la
cause, pour la résorption des déséquilibres contractuels pendant la formation du contrat n’est une pas une preuve
irréfutable qu’elle ne confond pas la formation et l’exécution du contrat. La preuve en est que l’utilisation de la
théorie de la cause ou de la permanence de la cause pour rétablir les déséquilibres nés pendant l’exécution du
contrat est à notre opinion la preuve que la distinction formation-exécution n’est pas pertinente sous l’angle de
l’appréciation des déséquilibres contractuels. Qu’ils soient structurels ou conjoncturels, les déséquilibres
contractuels appellent une correction pour préserver les attentes légitimes des contractants et par voie de
conséquence la justice contractuelle qui trouve sa promotion de la conception moderne de la force obligatoire du
contrat. Comp.Civ.1ére ,16 mars 2004,RDC,2004/3,642,obs.O.Mazeaud, qui écarte l’efficacité de l’obligation de
renégocier en raison d’un déséquilibre structurel présent à la formation du contrat.
1751
Jean-Pascal Chazal, Les nouveaux devoirs des contractants. Est Ŕon allé trop loin ? in Christophe Jamin et
Denis Mazeaud,La nouvelle crise du contrat, Dalloz,2003,p.123.
1752
Sur les soubassements philosophiques qui conditionnent le sens de ce mot, voir Dictionnaire encyclopédique
de théorie et de sociologie du droit, LGDJ,2e éd.1993,V° Sécurité juridique, par A.-J.Arnaud.
1753
G.Ripert, Le déclin du droitop.cit.,n°59.A l’époque, Ripert voyait dans le législateur, et non dans le juge ,la
cause de l’insécurité juridique. Au surplus, sa pensée est plus complexe qu’il y paraît puisqu’il refuse que la
liberté contractuelle serve de prétexte à un contractant pour abuser de sa supériorité (la règle morale dans les
obligations civiles, n°40).La pensée de Josserand suit un cheminement analogue. Il dénonce l’insécurité
juridique engendrée par les lois modernes qui affaiblissent la force obligatoire des contrats (Le contrat dirigé, art.
Pré.), mais il approuve la jurisprudence qui enrichit le contrat en réant des obligations d’information, de
surveillance, de garantie, sur le fondement de la bonne foi et de l’équité (L’essor moderne du concept
contractuel, art.préc.,p.344 et 345).
359
et le juge doivent choisir entre la sécurité des uns et des autres. »1754 La liberté des
conventions est alors considérée comme source d’une « fausse sécurité »1755 .Pour ceux qui
n’ont pas de pouvoir de négociation, la sécurité-intangibilité est un asservissement qui rend
leur situation précaire, instable et parfois profondément désavantageuse. À leurs yeux, la
sécurité juridique provient de l’intervention du législateur ou du juge qui a pour finalité la
justice contractuelle et donc, sinon l’équilibre des obligations et droits réciproques, du moins
la sanction des déséquilibres manifestes et injustes. Non que le législateur ou le juge doivent
se substituer aux parties dans l’écriture des stipulations contractuelles, non qu’il faille espérer
atteindre l’équilibre parfait dans tous les contrats Ŕ ces prétentions pèchent par utopie Ŕ ,il
s’agit plus modestement ,mais aussi plus efficacement ,de ne pas, sous prétexte d’appliquer le
principe de la force obligatoire des conventions, tolérer l’exécution forcée d’un contrat
manifestement déséquilibré ou l’application d’une clause abusive, ni accepter les
conséquences parfois économiquement désastreuses d’une résiliation d’un contrat à durée
indéterminée ou de refus de renouvellement d’un contrat à durée déterminée1756.

A ce propos, Demogue avait, au début du XXe siècle, finement analysé le conflit entre
la sécurité souhaitée et l’évolution nécessaire : « Pour avoir la sécurité complète, il faudrait
l’immobilité indéfinie de la société. »1757 La sécurité n’étant pas un principe absolu, les autres
valeurs, dont le droit contemporain assure la promotion, ne doivent pas être sacrifiées sur
son autel, sous peine de provoquer une très grave « congélation du droit » auteur de ce seul
principe. Le conflit n’est donc tant entre la sécurité statique (protection des droits acquis) et la
sécurité dynamique (protection de l’acquisition des droits) comme le pensait le même
auteur1758, qu’entre la sécurité absolue, intransigeante, qui relève du fantasme, et la sécurité
relative, flexible, qui est une conciliation. Conciliation difficile mais nécessaire entre des
intérêts contradictoires, ce qui implique des choix, une hiérarchie de valeurs. La seule
sécurité juridique admissible est donc celle qui se fond harmonieusement dans la justice.

Enfin la nouvelle conception de la force obligatoire tente de privilégier la recherche


d’une cohérence du droit et du fait, des droits et de leur fonction économique et sociale. Une
conception destinée à promouvoir la justice contractuelle, en adaptant les attentes

1754
Demogue,Les notions fondamentales du droit privé,1911,réimpression La Mémoire du droit,2001,p.78.
1755
Ibid,p.79 :Il en est ainsi dans les contrats d’assurance dont les polices contiennent « tant d’embûches à
l’assuré » qui se croit en sécurité alors qu’il ne l’est point.
1756
Jean-Pascal Chazal, Les nouveaux devoirs des contractants. Est Ŕon allé trop loin ?, op.cit.p.125.
1757
Voir Ost, Temps et contrat : critique du pacte faustien,in La relativité du
contrat,Trav.Ass.H.Capitant,LGDJ,1999,t.IV,p.86.
1758
Sur les rapports entre l’autonomie de la volonté et les sécurités statique et dynamique, voir traité des
obligations en général, t.1,1923,n°30.
360
raisonnables des contractants à la nouvelle donne. La conception classique de la sécurité
juridique est devenue inefficace. Autrement dit trop de sécurité juridique tue l’innovation et le
progrès économique. En effet, un droit inadapté à la réalité économique est aussi un « frein »
à l’activité économique. Dans le même temps qu’elles dénoncent l’insécurité juridique, les
entreprises ne cessent, au gré de l’évolution de leur activité, de demander des évolutions du
système juridique. Cette banale réalité est à méditer sur le terrain des enjeux de la sécurité
juridique1759.

La détermination d’un intérêt à protéger, créancier ou investisseur, consommateur ou


professionnel, salarié ou employeur, conduit à affirmer que la sécurité juridique semble donc
une notion relative1760. Cette sécurité doit être conciliée avec ces autres impératifs que sont
l’adaptabilité, l’efficacité, la recherche de la promotion de la justice contractuelle et l’équité.
En adaptant en permanence la force obligatoire du contrat à la nouvelle donne économique et
juridique, cette adaptation n’est possible que dans la conception moderne de ce principe qui
est conçue en réalité par le droit contemporain pour être au service de la promotion de la
justice contractuelle et de la sécurité juridique des conventions. Il convient, pour démontrer
l’opportunité de cette conception moderne, de mettre en évidence le rôle du juge dans la
concrétisation de l’adaptation du contrat à travers la réfaction pour éviter de son
bouleversement dans un environnement contractuel à risque1761 où le risque zéro1762 n’existe
pas, en tenant compte les multiples intérêts à protéger et la conciliation entre l’impératif de la
justice contractuelle et celui de la sécurité juridique.

B- La conception moderne offre une conciliation raisonnée à l’immixtion judiciaire

Le contrat n’est pas une structure autonome .Il est l’élément d’un « ordre juridique et
social au sein duquel il s’insère »1763.Le contrat n’est pas une structure statique. Il est en

1759
Jean Ŕ Baptiste Racine et Fabrice Siiriainen, Sécurité juridique et droit économique, propos
introductifs,op.cit.p.20 et s.
1760
Mazeaud A., « La sécurité juridique et les décisions du juge », Droit social, n°7/8, 2006, p.744.
1761
Beck U., La société du risque, sur la voie d’une autre modernité, Flammarion, 2003.
1762
En cela, elle rejoint les réflexions engagées notamment par le CREDECO sur le principe de précaution, voir
notamment Martin G.J « Principe de précaution, prévention des risques et responsabilité : Quelle novation, quel
avenir ? », AJDA, 2005, p.2222 : Boy L., Charlier C., Rainelli M.et Reis P., « La mise en œuvre du principe de
précaution dans l’accord SPS de l’OMC : les enseignements des différends commerciaux »,Revue
économique,2003,n°6 ,1291 ;Boy L., « La place du principe de précaution dans la directive U.E. du 12 mars
2001 relative à la dissémination volontaire d’OGM dans l’environnement, Revue juridique de
l’environnement,2002 ;voir également sur ce point, Patrice Reis, Les méthodes d’interprétation, analyse
formelle, analyse substantielle et sécurité juridique, in sécurité juridique et droit économique,
Larcier,2008,p.205.
1763
M.Mekki, L’intérêt général et le contrat. Contribution à une étude de la hiérarchie des intérêts en droit privé,
op.cit., p.4 ; adde J.Ghestin, « La notion de contrat au regard de la diversité de ses éléments variables », in La
361
mouvement, en équilibre parfois instable entre les univers économique et moral autour
duquel il gravite1764. Eu égard à l’univers moral, il permet de déterminer une certaine
« éthique » contractuelle. C’est cette même finalité qui justifie le détour par la conception
moderne de la force obligatoire du contrat. Cette conception novatrice conçue par le droit
contemporain peut donc contribuer à l’essor d’un certain civisme contractuel et promouvoir
un certain « humanisme contractuel » à travers l’adoption de la technique de la réfaction du
contrat. Il s’agit en effet pour le juge, lorsqu’il use de la réfaction dans le silence des textes,
de sauvegarder l’existence d’un contrat en procédant de son initiative au réaménagement du
contenu de l’acte juridique par la modification d’une ou plusieurs de ses dispositions illégales
et donc annulables. Le recours à cette entreprise audacieuse est l’une des manifestations de
l’adaptation du contrat (1) .Elle est conçue par le droit contemporain pour être compatible
avec la force obligatoire du contrat dans sa nouvelle physionomie (2).

1- L’adaptation du contrat par la technique de la réfaction


L’adaptation du contrat avec l’intervention d’un tiers est d’autant plus aisée à mettre
en œuvre que les modalités techniques d’ajustement des prestations sont formellement
prévues dans le contrat1765.Or ,la conception traditionnelle du juge enfermé dans un procès de
type accusatoire, strictement lié par les limités tracées par la loi des parties est en recul. Loin
d’être un spectateur impassible, un arbitre attentif à un débat auquel il est étranger, le juge
tend à s’intégrer plus activement dans la matière litigieuse. Il cherche à faire la lumière sur le
dossier qu’on lui soumet dans le but de rendre une solution adéquate à l’affaire qu’il juge.
Les travaux entrepris au début du XXème siècle pour repenser le principe de la force
obligatoire du contrat vont néanmoins largement renouveler la conception du rôle du juge.
De façon tout aussi audacieuse, le juge s’est autorisé par le procédé de la réfaction à
perfectionner l’œuvre des contractants lorsque celle-ci était imparfaite. Cette initiative
s’inscrit dans le cadre d’une nouvelle tendance de protection judiciaire du lien contractuel et
par voie de conséquence l’équilibre contractuel, qui est une condition indispensable à la
survie du contrat.

relativité du contrat, Travaux de l’Association Henri Capitant, Journées nationales, tome IV, 1999, LGDJ, 2000,
pp.223-256, spéc.p.241.
1764
Ph.Stoffel-Munck,L’abus dans le contrat. Essai d’une théorie, op.cit.spéc.p.165 : « Qu’on ne se méprenne
pas, il n’est certainement pas dans notre propos de vouloir présenter l’univers moral et l’univers économique
comme deux sphères alternatives. Le microsome dans lequel évoluent les contractants est régi par ces deux
sortes de normes. Elles agissent l’une et l’autre, interagissent l’une sur l’autre mais n’ont pas le même objet ni la
même structure. Le contrat n’est en équilibre que s’il repose sur deux piliers, sur ces deux blocs normatifs, l’un à
finalité éthique, l’autre à finalité économique ».
1765
R.Fabre,art.préc.,RTD civ.1983,p.18.n°48.
362
Le dispositif d’adaptation du contrat issu de la technique de réfaction dans les contrats
successifs de longue durée n’est pas conçue comme une fatalité ou un « (…) moyen
d’échapper à ses obligations, mais un répit provisoire, permettant de reprendre plus tard leurs
relations normales »1766. Que l’économie du contrat soit bouleversée par variation de
circonstances économiques ou par la survenance intempestive d’un cas de force majeur,
l’essentiel pour les contractants est que l’impact de ces événements perturbateurs soit fixé1767
pour sauvegarder l’acquis contractuel, l’appel à la technique de la réfaction est plus
souhaitable1768.

La coexistence de la réfaction avec la nouvelle conception de la force obligatoire du


contrat1769 s’explique par divers arguments. Ainsi, une convention n’aura force obligatoire
que si elle est légalement formée. Par conséquent, lorsque le juge intervient pour sanctionner
une illicéité, cette immixtion ne porte pas atteinte à la force obligatoire du contrat qui par
hypothèse n’existe pas, le contrat n’ayant pas été légalement formée. La réfaction, sanction
des illicéités se justifie, dés lors que le législateur impose le respect de certaines règles comme
des maxima ou des minima dans la durée du contrat ou dans le respect d’un certain prix. Le
recours à la technique de réfaction par le juge vise à redonner une nouvelle force obligatoire
au contrat en lui assignant un contenu licite1770.

Ainsi, la substitution de clauses d’indexation donne une illustration de réfaction.


D’abord la clause d’indexation est définie comme étant « la clause accessoire à la fixation
contractuelle d’origine d’une dette de somme d’argent payable à terme ou par prestations
échelonnées ayant pour objet d’assurer la variation automatique, proportionnelle aux
variations futures d’un paramètre objectif convenu : l’indice »1771.Dans certaines hypothèses,
l’existence d’une clause d’indexation non conforme à la légalité implique le recours au
procédé de la substitution de l’indice inutile ou illicite pour sauvegarder l’économie du
contrat.

Les clauses d’indexation peuvent être entachées d’inefficacité ou d’irrégularité pour


des différentes causes. Ainsi, on peut concevoir que l’indice retenu par les parties soit le

1766
M.Fontaine, art.préc.D.P.C.I.1979,n°4,p.499.
1767
V.G.Ripert et J.Boulanger,op.cit.T.II,LGDJ,1957,n°471.
1768
Olivier Gout,Le juge et l’annulation du contrat, préf.Pascal Ancel,Presses Universitaire D’Aix-
Marseille,1999,p.427 et s.
1769
Karine de la Asuncion Planes,La réfaction du contrat, op.cit.,p.288 et s.
1770
Certains auteurs parlent de redéfinition de la force obligatoire du contrat. H.Lecuyer, Redéfinir la force
obligatoire du contrat, Les petites affiches, 1998,n°54 ,p.44.
1771
G.Rouhete, « La révision conventionnelle du contrat »,RID comp.1986,n°22,p.395,V. aussi, B.Fages,Lamy
Droit des contrats, Lamy 2009,Etudes 335, « Les clauses relatives au prix et à la monnaie »,spec.n°335.
363
résultat d’une erreur. L’indice peut provenir d’une rédaction maladroite, comme il peut en
réalité s’avérer inexistant, dans le cas où il ne serait répertorié nulle part. L’indice convenu
peut également devenir inutile, s’il cesse d’être publié sans être remplacé, ou parce que la
denrée choisie comme référence a disparu du marché. Dans ces hypothèses l’inefficacité de la
clause d’indexation déborde à la vérité de la sphère des nullités, car l’indice n’est pas
proprement parler nul mais inapplicable en raison des causés évoquées. Il est possible
également que l’indice soit purement et simplement illicite à cause de sa généralité, ou de son
absence de lien avec le contrat1772. Il existe trois solutions devant le juge dans le cas d’un
indice inefficace si les paries ne parviennent pas à s’entendre sur le choix d’un nouvel
indice1773.

La première consiste à prononcer purement et simplement l’anéantissement du


contrat. Partant du principe que le prix est un élément essentiel d’une convention, l’absence
d’indice ne permettant pas son réajustement, celle-ci devient intégralement inopérante pour
indétermination du prix1774.En effet, l’économie de l’acte juridique, telle qu’elle avait été
convenue, se trouve fondamentalement bouleversée, ce qui implique en toute logique la
disparition de l’acte.

La seconde solution vise à ne pas faire disparaître que la clause d’indexation, seule en
réalité entachée d’irrégularité. Cette solution n’est toujours pas satisfaisante. Il risque de
porter atteinte à un mécanisme qui contribuait à l’équilibre que les parties avaient recherché
et accepté1775. Aussi, il peut paraître excessif d’infliger au créancier de bonne foi une lourde
perte alors que le choix de l’indice pouvait provenir d’une concertation effective entre les
deux parties contractantes.

Dans le souci de ne pas ruiner l’équilibre contractuel arrêté par les paries, certains
tribunaux français se sont engagés sur une autre piste qui s’article sur la technique de la

1772
Voir par exemple Cass.com.,3 novembre 1988,D.1989 ,93 note Ph.Malaurie ;D.89,Somm.234,observ.J.-
L.Aubert.La clause était indexée sur le salaire horaire des ouvriers France entiére,et donc trop général pour ne
pas être prohibé par l’article 79 de l’ordonnance de 1958 qui dispose que sont interdites les clauses prévoyant
des indexations fondées sur le niveau général des prix, ou des salaires, ou sur le prix des biens ,produits ou
services n’ayant pas de relation directe avec l’objet de la convention ou de l’activité de l’une des paries.
1773
Les contractants pourraient en effet de leur propre chef substituer un indice nouveau à celui qui, pour une
raison ou pour une autre, était inopérant (voir sur ce point J.Duperyron,La régularisation des actes nuls, thèse
L.G.D.J.,1973,p15 et s.).Mais il y a toujours lieu de redouter que les contractants ne parviennent pas à un tel
accord, où que l’un d’entre eux profite de l’aubine pour se dégager de ses obligations.
1774
Pour une application de ce raisonnement voir Cass.civ.26 octobre 1948,S.1949,1,89,note B.Starck ;Paris,24
janvier 1978,Gaz.Pal.1931,1,57 ;TGI Soissons,5 janvier 1966,D.67,p.704, note B.Edelman ;Cass.civ.1ére,24 juin
1971,JCP 72,II,17191.
1775
J.-J.Barbieri, Vers un nouvel équilibre contractuel ? Recherche d’un nouvel équilibre des prestations dans la
formation et l’exécution des contrats, thèse Toulouse, 1981,p.416.
364
substitution d’indice et ont été approuvés par la Cour de cassation. Ce pouvoir de substitution
trouve à s’appliquer quelle que soit la cause de la défaillance de l’indice1776.Bon nombre
d’auteurs considèrent que c’est la formule la plus satisfaisante1777. Le remplacement de
l’indice reste donc la meilleure solution juridique que la disparition de l’acte, ou la destruction
du seul indice. Cette solution donne alors une illustration de la technique de la réfaction.

En réalité la réfaction judiciaire redonne une nouvelle force obligatoire à un rapport


inégalitaire ou illicite. Un auteur s’est demandé si « le processus de réfaction ne doit pas
primer celui de la force obligatoire, à partir du moment où il s’inscrit dans une lignée
d’objectifs particulièrement dignes d’intérêts, c’est-à-dire reconnus et défendus par le
Droit »1778.Il n’est pas question de primauté mais de conciliation. Ainsi l’immixtion judiciaire
est nécessaire pour redonner au contrat sa légalité et l’équilibre auxquels chaque partie doit
pouvoir espérer en concluant un contrat, acte de prévision sur l’avenir. La réfaction ne
constitue pas une atteinte à la force obligatoire, elle est compatible avec la nouvelle
conception de la force obligatoire du contrat.

La conception moderne de la force obligatoire du contrat s’explique aussi par le


changement de la physionomie dans les relations contractuelles. Ainsi, Dans des
circonstances mettant en exergue un déséquilibre entre les parties, la force obligatoire du
contrat issue de l’analyse traditionnelle ne peut s’imposer. La conception traditionnelle de ce
principe pouvait se comprendre dans une hypothèse, théorique aujourd’hui de contractants
libres et égaux. Cette image contractuelle ne correspond plus à la réalité ; elle est
définitivement perdue dans une société où chaque partie contractante œuvre pour son propre
intérêt. Les rapports économiques et commerciaux font apparaître des inégalités dans une

1776
Pour un indice inexistant, voir Cass.civ.3éme,15 février 1972,Rep.Defrénois 1973,article 30290 note
Ph.Malaurie ;RTD civ.1972,P.616,observ.G.Cornu ;D.73,417,note J.Ghestin ;JCP 72,II,17094,note J.CI.Levy.
-Pour une indice non publié ou cessant d’être publié voir Cass.civ.1ére,6 mars 1974,D.74, rapport de
Voulet ;Rep.Defrénois 74,art.30630,note Dumas ;Cass.com,8 octobre
1958,Bull.civ.,III,n°334,p.28 ;Cass.com.,25 février 1963,JCP 63,II,13231,note
Boccara ;D.63.Somm.93 ;Cass.civ.2éme,29 octobre 1964,Bull.civ.,II,n°268 p.192 ; Cass.civ.3éme,18 juillet
1985,Bull.civ.,III,n°113.
- Pour un indice illicite voir Cass.com.,7 janvier 1975,Bull.civ.,IV,n°3 ;D.75,516,note Ph.Malaurie ;JCP
75,II,18167,noteJ.Ghestin ;RTDciv.75,observ.Y.Loussouarn ;Cass.civ.3éme,29juin1977,Bull.civ.,III,n°294 ;Cass
.civ.3 éme,16 juillet 1974,D.74,681,note Ph. Malaurie. (Dans cette affaire toutefois, il convient de signaler que la
clause d’indexation combinait un indice licite et des indices illicites. Or, dans la mesure où les juges du fond,
approuvés par la Cour de cassation, se sont contentés d’éliminer les indices irréguliers, on se trouve davantage
dans le domaine de la nullité partielle que dans celui de la substitution.
1777
J.Ghestin,note au JCP 1972,II,17094 ;Y.Lobin,note au D.1973,417 ;Picard, note au JCP
1973,II,17579 ;Ph.Malaurie,note au D.1975,516 et Rep.Défrénois 1974,30808 ;A.Bousiges,Les restitutions après
annulation ou résolution d’un contrat, thèse, Poitiers,1982,p.288 et s. ;J.Ghestin et B.Desche,Traité des contrats,
La vente, L.G.D.J.,1990,n°385 p.429 et s. ; M.-E.Pancrazi-Tian,La protection judicaire du lien contractuel, thèse
précitée,n°186,p.162.
1778
O.Gout,Le juge et l’annulation du contrat,th.préc.n°689.
365
économie de marché où les disparités entre contractants s’institutionnalisent dans le mesure
que le seul contractant bénéficiant de sa position de force pourra tirer les avantages du contrat
standardisé.

Le droit des contrats ne peut rester indifférent aux inégalités entre les parties. Il doit
appréhender la puissance économique de l’un des contractants1779 pour rétablir l’égalité à
travers la technique de la réfaction judiciaire du contrat. En effet, exécuter un contrat mettant
en évidence un déséquilibre dans les rapports contractuels confinerait à l’abus1780.L’exécution
du contrat à la lettre s’impose pour autant que le contrat soit équilibré et conforme à la loi. Il a
ainsi été relevé que « l’abandon du dogme de l’autonomie de la volonté en tant que fondement
de la théorie générale du contrat ne signifie pas pour autant un refoulement du rôle de la
volonté dans le droit des contrats »1781.La volonté trouve sa raison d’être dans l’hypothèse où
le contrat apparaît juste et équilibré. Dans le cas contraire, le strict respect du contrat,
procurerait à l’une des parties une situation favorable que si le contrat avait été refait
conformément à un équilibre contractuel commun. Le droit doit donc prendre compte les
abus de puissance économiques en vue de restaurer l’équilibre contractuel et de redonner une
nouvelle force obligatoire du contrat qui se conçoit dés lors avec l’intervention judiciaire.

Ainsi, un auteur a précisé que « le contrat n’est plus conçu comme la chose des
parties. De plus en plus, que ce soit au stade de sa conclusion ou de son exécution, il se
présente comme un ménage à trois, voire plus si nécessité… »1782 .L’intervention du juge a
pour but d’inciter les parties à plus de solidarité, à une prise en considération de l’intérêt de
l’autre et ceci ne peut être concrétisé qu’a travers le recours à la technique de la réfaction
judiciaire du contrat lorsque les circonstances rendent le rapport inégal ou illicite. La force
obligatoire du contrat ne peut s’exprimer que dés lors que le contenu contractuel s’avère
équilibré et ne lèse pas l’une des parties.

Le développement d’un système juridique doit suivre les évolutions économiques.


Comme le souligne un auteur, « le Droit n’est ni au- dessus, ni en dessous de l’Economie
.Le droit est dans l’économie comme l’Economie est dans le Droit »1783.Pour cette raison, il
est utile de parler de « conception nouvelle de la force obligatoire du contrat », conception

1779
J.-P.Chazai,De la puissance économique en droit des obligations, th.Grenoble II,1996.
1780
J.Ghestin,L’abus dans les contrats,Gas.Pal.1981.2.p.379,spéc.p.3813
1781
C.Thibierge-Guelgucci,Libres propos sur la transformation du droit des contrats,RTD Civ,1997,n°23,p.374.
1782
D.Mazeaud, Constats sur le contrat, sa vie, son droit, Les petites affiches,1998,n°54,p.8 et s.
1783
A.Chaineau,Crise économique, crise juridique, crise de société :1975-1995,dans Droit de la crise :crise du
droit, Les incidences de la crise économique sur l’évolution du système juridique, Cinquièmes journées René
Savatier,Poitiers,5 et 6 octobre 1995,p.3 et s.spéc.p.14.
366
qui a pour finalité de préserver l’équilibre dans un environnement économique et contractuel
nouveau. D’ou l’intérêt que présente cette conception moderne qui cohabite avec la réfaction
du contrat dans la mesure ou elle permet au juge à venir au secours d’un contrat à l’origine
inégalitaire ou illicite pour le rendre équilibré et conforme à la légalité. Cette intervention
s’avère nécessaire pour donner au contrat une force obligatoire juste et atténuer la rigidité de
la loi contractuelle parfois injuste. Il s’agit par conséquent, dans le cadre de cette étude, de
déterminer dans quelle mesure la technique de réfaction est compatible avec la force
obligatoire du contrat.

2- La coexistence de la réfaction avec la nouvelle conception de la force obligatoire du


contrat

L’observation de la force obligatoire du contrat est sans conteste d’un intérêt


considérable, car elle permet de « responsabiliser » les contractants et de garantir la prévision
et la sécurité des rapports contractuels dans une économie libérale, où le contrat est
l’instrument privilégié pour mener à bien les échanges. La mutation structurelle du mode
contractuel dont la liberté affirmée des individus et l’égalité présupposée des contractants sont
loin de trouver de leurs places dans un monde contractuel marqué par la multiplication des
contrats d’adhésion. Ce mode contractuel concrétise les disparités entre les contractants aussi
bien techniquement que juridiquement, coupant ainsi souvent court à toute négociation. Face
à cette mutation, un nouveau courant doctrinal s’est développé, et a démontré de façon
pertinente les insuffisances des dogmes posés par la théorie classique des contrats1784. Ainsi la
remise en cause du postulat de l’autonomie de la volonté a permis aux auteurs de repenser les
fondements de la force obligatoire du contrat.

Si les rédacteurs du DOC comme ceux du Code civil français avaient dés l’origine
forgé les outils facilitant le contrôle de l’autonomie de la volonté, le législateur moderne n’a
eu de cesse de poursuivre cette entreprise en développant l’ordre public dirigiste afin
d’intervenir directement dans les conventions quant le besoin s’en fait sentir. Il en résulte que
si la force obligatoire du contrat constitue une règle essentielle du droit des obligations, son
principe peut être fragilité dés lors qu’un acte juridique ne se plie à d’autres exigences
fondamentales liées à la formation des actes juridiques tels que l’utilité de l’opération
économique, le respect de la justice contractuelle ou l’existence de la bonne foi des parties
contractantes.

1784
Voir notamment G.Rouhete, Contribution à l’étude critique de la notion de contrat, thèse Paris, 1965.
367
Il convient d’admettre aujourd’hui que la majorité de la doctrine, quelle que soit la
posture adoptée1785, reconnaît que le principe de la force obligatoire du contrat ne produit plus
les effets incontournable qu’on lui attribuait auparavant. Le postulat du respect de la parole
donnée ne trouvera à s’appliquer que si cette parole a été obtenue dans des conditions
légitimes. « La recherche et le respect de la volonté, affirme un auteur n’apparaissent plus
comme une priorité absolue dans le régime du contrat, mais comme une quête subordonnée au
respect de valeurs objectives supérieures »1786.Cette évolution des mentalités a contribué à
l’émergence de d’autres fondements plus souples permettant d’expliquer la flexibilité de la
force obligatoire du contrat qui s’accorde dés lors avec l’intervention du juge dans le contrat.

Cette souplesse contractuelle a permis d’expliquer la nouvelle conception de la force


obligatoire du contrat, dans la mesure où elle permet à l’acte de s’adapter pour survivre. C’est
dans ce contexte moins hostile à l’immixtion judicaire, qu’il convient de se demander si le
processus de la réfaction ne heurte pas forcement le principe de la force obligatoire du contrat
et que le juge est en mesure d’y recourir pour rétablir l’ordre juridique transgressé.

La portée de l’article 230 du DOC semble dresser un obstacle quasi insurmontable à


l’idée que le juge substitue de son propre chef une sorte d’obligation judiciaire nouvelle à
l’obligation contractuelle originelle. Or, cette portée est devenue inadaptable avec les
exigences du droit contemporain. Il convient en effet de constater, que les incursions du juge
dans le contrat, afin de rendre conforme au droit, se manifestent le plus souvent dans le
secteur de l’ordre public économique et social. Il faut admettre alors que la portée de
l’autonomie de la volonté est ici des plus modestes, puisque pas essence cette dernière ne
saurait contredire les dispositions d’une législation qui se veut impérative et positive, et qui,
somme toute, se substitue aux volontés individuelles. Comme l’a écrit fort opportunément un
auteur « l’ordre public pénétrera objectivement l’acte juridique en limitant le pouvoir
d’action de la volonté »1787 .C’est devenu un lieu commun, après les travaux entrepris par
Josserand sur « le contrat dirigé »1788, de souligner le dirigisme et l’interventionnisme des
pouvoirs publics dans le domaine contractuel.

1785
Pour les auteurs qui semblent toujours déduire le principe de la force obligatoire de l’autonomie de la volonté
voir.J.Floiur et J.-L.Aubert,op.cit.,n°128.Pour les auteurs qui estiment que celle-ci provient de la volonté de la
loi,voir J.Ghestin,op.cit.,n°224 et s. ;F.Terré,Ph.Simler et Y.Lequette,n°34 et s. Pour d’autres auteurs qui ne
prennent pas véritablement parti sur la question, voir Ph.Malaurie et L.Aynés,op.cit.,n°611.
1786
C.Thibierge-Guelgucci,Libres propos sur la transformation du droit des contrats,op.cit. ,p.375.
1787
J.Hauser, Objectivisme et subjectivisme dans l’acte juridique, L.G.D.J., 1971, n°89, p.135.
1788
Voir Morel, Les contrats imposés, in Le droit privé français au milieu du XXé siècle, études offertes à
G.Ripert, 1954, T.II, p.116.
368
Ainsi, quand Josserand évoque le « forçage du contrat contractuel », il renvoie
implicitement à une vision volontariste et individualiste du contrat : « de plus en plus, les
pouvoirs publics interviennent dans la naissance, dans la vie et dans la mort du contrat, tandis
qu’à l’inverse le rôle joué par les volontés des parties devient de plus en plus secondaire et
effacé ; par un paradoxe singulier, le contrat devient de moins en moins contractuel ;en lui, le
coté social tend à prédominer sur le tempérament individuel (…) »1789.A ce propos, Ripert
voyait dans le « contrat moderne » la soumission des parties à un ensemble de règles
obligatoires »1790 et en dénonçait le caractère « rigide »1791.

L’évolution des relations contractuelles contemporaines révèle que la vision moderne


du libéralisme est inadaptée à la réalité ; il faudra désormais aller au-delà du postulat libéral
du DOC. D’ou l’intervention croissante du législateur et juge, où ces derniers n’hésitent pas à
s’immiscer dans les contrats susceptible d’être déséquilibrés1792 dans un souci de justice
contractuel. L’idée de justice objective, de confiance légitime, de loyauté et de bonne foi, et
même d’efficacité économique, sont autant de moyens justifiant les incursions du juge dans le
contrat et légitimant parallèlement le relâchement du principe de la force obligatoire du
contrat1793. Le législateur n’a, en effet jamais entendu accorder toute puissance à l’autonomie
de la volonté et au caractère impératif des actes juridiques. Les rapports contractuels ne
peuvent s’exprimer pleinement qu’à la condition que certains principes fondamentaux
régissant le bon fonctionnement d’une société soient remplis.

Il convient d’admettre plus généralement, que le principe du respect de la promesse


donnée s’assouplit lorsque le législateur a pris les devants en imposant la teneur des
obligations respectives des parties, ou s’il est manifeste que le contenu d’une convention
contrevient à certaines valeurs dont le Droit ne peut se désintéresser. En admettant également

1789
Les dernières étapes du dirigisme contractuel : Le contrat forcé et le contrat légal, DH.1940.Chron.5.La
pensée de Josserand est nuancée. Il parle de « forçage du contenu contractuel » à propos de l’obligation de
sécurité, car il critique cette jurisprudence hypocrite et artificielle (note sous Req.1 er août 1929, DP.1930, p.1et
25 ; L’essor moderne…art.préc.).En revanche, il utilise les expressions d’enrichissement du contenu contractuel
obligatoire, de dynamisme contractuel et de regain de vitalité pour approuver les obligations découvertes par le
juge en application de l’article 1135 c.civ. Français.
1790
G.Ripert, Le régime démocratique et le droit civil moderne,2 é éd,LGDJ,1948,n°153.
1791
Expression employée par Ripert, critiquant notamment l’intervention du législateur à propos des contrats
d’assurance ;G.Ripert,La règle morale dans les obligations civiles, LGDJ,1949,p.104.
1792
Les contrats déséquilibrés :les contrats déséquilibrés par nature et ceux déséquilibrés en pouvoir. Sur ce
point, voir,Lasbordes,Les contrats déséquilibrés, Thèse Aixe-en-Provence,Presses universitaire d’Aix-
Marseille,2000 ;Nordine Allaoui,Les contrats déséquilibrés, Mémoire, Montpellier,2011,p.3.
1793
Dans le même ordre d’idée voir G.Rouette, « La force obligatoire du contrat »,,in Le contrat
aujourd’hui :comparaisons franco-anglais,L.G.D.J.1987,p.27 et s.spéc.n°17,p.42.On a par ailleurs tenté de
démontrer que le juge dispose d’un véritable pouvoir modérateur lui permettant de modifier les stipulations
contractuelles excessives ou injustes. Voir C.Brunet,Le pouvoir modérateur du juge civil en droit français, thèse
Paris,1973 ;E.Gaudin De La Grance,L’intervention du juge dans le contrat, thèse Montpellier,1935.
369
que le droit objectif poursuit des finalités supérieures tel le juste et l’utile, la force obligatoire
n’apparaît plus comme une fin en soi, mais comme un moyen au service de l’utilité et la
justice contractuelle, valeurs objectives supérieures. Or, la réfaction du contrat 1794 présente
alors l’avantage d’assurer le maintien d’un contrat utile économiquement, tout en remédiant
au déséquilibre pour observer la justice contractuelle, considérée comme impératif fondé sur
la protection de la partie faible. Les possibilités de révision du contrat, la réduction des
clauses pénales manifestement excessives, l’annulation des clauses abusives, la révision des
clauses de non concurrence. Toutes ces dispositions montrent que la finalité de la nouvelle
conception de la force obligatoire est d’assurer une plus grande protection du plus faible : le
débiteur.

On peut donc admettre que la technique de réfaction du contrat, constitue


indubitablement un moyen parmi d’autres de réaliser une plus grande justice contractuelle,
elle est animée par un esprit de pragmatisme et de souplesse, et manifeste ainsi une
conception d’un droit plus flexible et plus adaptable1795. Une conception considérée comme la
plus adaptable à la réalité contractuelle, c’est dans cet esprit qu’un auteur a confirmé que les
exigences qualitatives qui s’attachent à la formation des actes juridiques autoriseraient le juge
à modifier le contrat afin qu’il soit conforme aux aspirations supérieures de la théorie
générale du contrat1796. Il convient cependant de rechercher les raisons des manifestations
croissantes du juge dans le prononcé de la réfaction.

Paragraphe 2: Les principales raisons justifiant l’immixtion du juge dans le contrat

Le déclin doctrinal et jurisprudentiel de la conception traditionnelle de la force


obligatoire du contrat et la compatibilité de la force obligatoire du contrat avec le mécanisme
de la réfaction contractuelle, représentent les principales raisons dans les temps modernes qui
sont favorables à l’élargissement des prérogatives des magistrats1797.La possibilité d’un
recours au juge en vue d’adapter le contrat à l’évolution des conditions économiques se
trouve justifier par des textes législatives qui autorisent cette intervention dans le contrat (A)

1794
On peut noter que la technique de la réfaction en cas d’inexécution de peu d’importance est consacrée de
manière bien plus générale par le législateur québécois. L’article 1604 al.2 du Code civil québécois prévoit en
effet qu’en principe le créancier n’a pas droit à la résolution du contrat « lorsque le défaut du débiteur est de peu
d’importance », mais qu’ « il a droit, alors, à la réduction proportionnelle de son obligation
corrélative ».Lorsqu’une telle réduction ne peut avoir lieu, « le créancier n’a droit qu’à des dommages-intérêts »
(art.1604 al3, in fine).
1795
Olivier Gout, Le juge et l’annulation du contrat, op.cit., p.470.
1796
C.Thibierge-Guelgucci,Libres propos sur la transformation du droit des contrats, art.préc. ,n°.13.
1797
Voir cependant, le Rapport Coulon, « Réflexions et propositions sur la procédure civile », La Documentation
française, 1997, qui paraît favorable à un réajustement des pouvoirs du juge dans le procès.
370
et par les solutions rendus en matière d’arbitrage qui consacrent cet pourvoir d’immixtion
dans les rapports contractuels (B).

A- Les raisons législatives déterminant cette aptitude

L’intervention du juge dans le droit des contrats s’explique par la transformation


économique et sociale de notre société. Elle puise sa source dans une conception renouvelée
du contrat à laquelle le législateur a consacré des textes législatifs qui constituent une base
juridique autorisant le juge à intervenir dans la sphère contractuelle. On peut donc considérer
que l’élargissement de l’office du juge en matière du contrat est d’abord d’origine législative
ce qui permet aux magistrats d’intervenir en dehors de toute autorisation par un texte pour
satisfaire les principes fondamentaux régissant le bon fonctionnent d’une société et répondre
aux aspirations de la réalité contractuelle. A ce propos, un auteur souligne que « la loi fait du
juge son bras armé pour intervenir dans les contrats et notamment alléger les obligations de
l’une des parties »1798 .L’immixtion du juge dans le contrat a pour finalité soit de sauvegarder
la survie du contrat (1) soit de remodeler l’équilibre contractuel (2).

1-L’immixtion du juge justifiée par des textes législatifs pour la survie du contrat

Le législateur a formellement admis et organisé la possibilité d’un recours au juge en


vue d’adapter le contrat à l’évolution des conditions économiques et d’assurer la survie du
contrat. En droit civil, l’article 2431799 du D.O.C offre la possibilité au juge d’accorder des
délais modérés pour le paiement et surseoir à l’exécution des poursuites, en tenant compte de
la position du débiteur.

En matière de crédit de consommation, le législateur marocain a consacré certaines


dispositions dans la loi 31-08 relative à la protection du consommateur qui autorise le juge
pour déterminer les modalités de paiement des sommes dues en cas de licenciement ou de
situation sociale imprévisible du débiteur. Ainsi, l’article 149 de la loi 31-08, dispose que « le
juge peut déterminer dans son ordonnance les modalités de paiement des sommes qui seront
exigibles au terme du délai de suspension, sans que le dernier versement puisse excéder de
plus de deux ans le terme initialement prévu pour le remboursement du prêt ; il peut
cependant surseoir à statuer sur ces modalités jusqu’au terme du délai de suspension »1800.

1798
G.Paisant, Que reste -t-il de l’intangibilité du contrat, Droit et Patrimoine, n°58, mars, 1998, p.43.
1799
L’article 243 de la loi n°31-08 dispose que « s’il n’y qu’un seul débiteur, le créancier ne peut être tenu de
recevoir l’exécution de l’obligation par prestations partielles, même lorsqu’elle est divisible, s’il n’en est
autrement convenu, et sauf s’il s’agit de lettres de change.
1800
Voir l’article 149 de la loi n°31-08.
371
En droit comparé, le législateur français a instauré certaines textes législatives en vue
da garantir la survie du rapport contractuel et de prévenir sa résiliation. En ce sens, l’article
1244-11801 du Code civil précise que le juge peut, dans la limite de deux années, reporter ou
échelonner le paiement des sommes dues par le débiteur en raison de sa situation et en
considération des besoins du créancier1802. Le délai de grâce est une mesure permettant au
débiteur de bonne foi d’obtenir un délai supplémentaire. Il est accordé par le juge qui le
décide de manière discrétionnaire sans avoir besoin du consentement du créancier. Il s’agit
encore d’un mécanisme permettant d’assouplir la force obligatoire du contrat1803.

Les contours du délai de grâce ont été précisés par la jurisprudence. Dans un arrêt de
20061804 la Cour de cassation française définit assez clairement les contours de ce procédé. En
l’espèce, le débiteur reprochait aux juges de fond de ne pas lui avoir accordé un délai de grâce
en ajournant une condition à l’article 1244-1 du Code civil français qui n’existe pas. La Cour
de cassation a rejeté le pourvoi au motif qu’ « en refusant d’accorder un délai de paiement au
débiteur, la Cour d’appel n’a fait qu’exercer le pouvoir discrétionnaire qu’elle tient de l’article
1244-1 du code civil, sans avoir à motiver sa décision. ».Dans la loi 31 décembre 1989
relative au surendettement des ménages et des particuliers, des procédures de reports de dette
et de rééchelonnements étaient déjà possible. Les juges utilisaient alors les outils de cette loi
dans l’objectif d’assurer le rétablissement de la situation du débiteur surendetté1805.

En droit de consommation, l’article L.331-7 du Code de la consommation français


autorise un report ou un rééchelonnement de la dette, une imputation du paiement sur le
capital, un taux réduit pour les intérêts des sommes dont le paiement est reporté ou
rééchelonné. Il s’agit d’une immixtion autorisée par la loi dans le contrat qui permet au juge
ou à des commissions de surendettement des particuliers1806 de maintenir le contrat au lieu de
sa résiliation en casdu non Ŕexécution d’une obligation essentielle.

En matière de libéralités, le législateur français a consacré l’article 900-4 du Code


civil qui accorde au juge d’un pouvoir de réduire les prestations grevant les libéralités,
modifier leur objet ou autoriser sous certaines conditions l’aliénation d’une partie ou de
1801
L’article 1244-1 du Code civil dispose que « compte tenu de la situation du débiteur et en considération des
besoins du créancier, le juge peut dans la limite de deux années, reporter ou échelonner le paiement des sommes
dues ».
1802
Le législateur français a consacré avec la loi du 9 juillet 1991, le caractère d’ordre public des dispositions
de l’article 1244-1 du Code civil. Toute stipulation contraire audit article serait réputée non écrite.
1803
Denis Mazeaud, Nature et régime du pouvoir du juge en matière de délai de grâce, RDC, 2007/2, p.263 et s.
1804
Cass.Civ.1ére,24 octobre 2006,n°05-16-517.
1805
Pauline Castelot,Le juge face au contrat, Université de Montpellier 1,p2011,p.15 et s.
1806
Selon la loi NERTZ du 8 février 1995 relative à l’organisation judiciaire et à la procédure civile, pénale et
administratif, Art.27 et s.JO 9 février 1995, p.2175.
372
l’ensemble des biens faisant l’objet de la libéralité lorsque l’exécution de la condition ou de la
charge est devenue pour le débiteur extrêmement difficile ou sérieusement dommageable à
cause de l’évolution des circonstances.

Aussi, le juge peut encore intervenir dans le contrat de vente1807 pour réduire
l’obligation du créancier à l’égard du débiteur dans le cas de l’inexécution partielle 1808. Il
s’agit de la mise en œuvre de la réfaction judiciaire par le juge en vue de maintenir le contrat
au lieu de prononcer de sa résolution. Ainsi, le juge qui estime que l’inexécution n’est
suffisamment grave pour justifier la résolution du contrat de vente, au motif notamment que la
livraison partielle n’a pas fait perdre au créancier tout intérêt au maintien du contrat, peut Ŕil
écarter le prononcé de la résolution du contrat et décider néanmoins d’une baisse dans le
montant du prix dû par l’acheteur proportionnellement à la livraison qui n’a pas été
effectuée ? Inversement, lorsque le prix n’a pas été intégralement payé par l’acheteur, le juge
peut-il écarter le prononcé de la résolution et décider que le vendeur sera autorisé à reprendre
une partie des marchandises livrées, chaque fois du moins que l’objet livré est divisible ?
Rappelons qu’une telle solution, comparée à celle qui consisterait à décider du maintien du
contrat et à condamner simplement le débiteur à des dommages-intérêts peut présenter des
avantages pour le créancier lésé par une inexécution partielle. Il faut en envisager ne serait-ce
que l’hypothèse dans laquelle la partie qui manque à l’exécution parfaite de ses obligations
serait insolvable1809.

Le législateur autorise parfois le juge à baisser le montant du prix par la partie qui se
heurte à un manquement de la part de son cocontractant. Cette solution a été consacrée par
l’article 17261810 du Code civil français disposant que lorsque « le locataire ou le fermier ont
été troublés dans leur jouissance par suite d’une action concernant la propriété du fonds, ils

1807
Pour le contrat de vente et le transfert de la propriété ,v. les articles 478, et 491 du D.O.C.En droit
musulman,la vente est formée de l’émission de deux déclarations concordantes.
1808
V. cependant, P.Grosser,Les remèdes à l’inexécution du contrat :essai de classification, thèse précitée, n°529
et suiv.,p.675 et suiv.et n°584 et suiv.,p.755 et suiv. Selon cet auteur (n°582,p.680), « la prise en compte de la
distinction essentielle entre les remèdes relatifs au lien contractuel et les remèdes relatifs au débiteur défaillant
rend beaucoup plus délicate la justification de la possibilité pour le juge de n’allouer au créancier que des
dommages-intérêts alors que ce dernier demandait soit l’exécution soit la résolution du contrat. En effet, il
semble étonnant que le juge puisse régler le sort du débiteur défaillant alors qu’il était saisit d’une demande
tendant au règlement du sort du contrat ». « (…) si l’on peut comprendre que le juge dispose d’une certaine
liberté pour choisir à l’intérieur d’un même groupe de remèdes celui qui lui paraît le plus adéquat, il est
beaucoup plus difficile d’admettre qu’il ait la possibilité d’accorder un remède appartenant à un groupe différent
de celui du remède qui avait été sollicité par le demandeur ».En outre, selon cet auteur (n°533,p.681), « en
opérant d’office une telle substitution, le juge modifie très largement la matière litigieuse car, non seulement les
dommages-intérêts n’ont pas pour fonction de remédier au même « désordre » que l’exécution ou la résolution,
mais ils sont de plus soumis à des conditions différentes de ces remèdes relatifs au lien contractuel.
1809
Zakaria Laouani,Le juge et la résolution du contrat ,thèse, Université Lille II,ANRT,2001,p.137 et s.
1810
Voir l’article 1726 du Code civil français.
373
ont droit à une diminution proportionnée sur le prix du bail à loyer ou à ferme, pourvu que le
trouble et l’empêchement aient été dénoncés au propriétaire ».

De même, toujours en matière de bail, l’article 17221811 du Code civil français prévoit
la possibilité pour le preneur de demander une réduction des loyers lorsque, pendant la durée
du bail, la chose louée a été détruite en partie et par cas fortuit. D’autres dispositions
prévoient d’ailleurs des solutions semblables et ouvrent le droit, à la partie au contrat qui n’a
obtenu qu’une exécution imparfaite, d’obtenir une réduction du prix dû. C’est ainsi que
l’article 16441812 du Code civil français donne à l’acheteur qui a acquis une chose affectée
d’un défaut caché la possibilité de demander, plutôt que l’anéantissement du contrat, la
restitution d’une partie du prix qu’il a versé.

Il en résulte que, la finalité recherchée aussi bien par le législateur marocain que
français à travers la consécration législative du pouvoir d’immixtion consiste à préserver
l’acte contractuel en éliminant les perturbations qui entravent son exécution. L’intervention
du juge dans le contrat peut aussi permettre son rééquilibrage.

2-L’immixtion du juge justifiée par des textes législatifs et de la jurisprudence pour


rééquilibrer le contrat

Dans la pratique des affaires, il est également reconnu au juge un pouvoir


d’intervention dans la loi contractuelle pour assurer l’équilibre contractuel en s’appuyant sur
des textes législatifs. Cette intervention du juge a pour objectif, d’apporter plus d’égalité,
dans un monde qui en était dépourvu. Ainsi comme a pu l’énoncer Monsieur Cadiet « Le
juge du contrat n’est plus le spectateur passif de la querelle contractuelle, prisonnier d’un
prétendu principe de l’autonomie de la volonté qui lui impose de respecter les termes de la
convention en lui interdit de modifier le contenu, fût-ce, pour rétablir entre les parties, un
équilibre injustement rompu. »1813. A ce propos, il existe certaines dispositions légales qui
autorisent le juge pour rééquilibrer le rapport contractuel. Ainsi, le Dahir n°1-07-134 du 30
novembre 2007 portant promulgation de la loi n°07-03 relative à la révision du montant du
loyer à usage d’habitation ou à usage professionnel,commercial,industriel ou artisanal a été
instauré par le législateur marocain en vue de la réglementation de la révision périodique des
prix de location des locaux selon l’usage. Auparavant et en vertu des dispositions de ladite loi,
le bailleur et le locataire peuvent convenir,d’un commun accord,de la fixation du montant du

1811
Voir l’article 1722 du Code civil français.
1812
Voir l’article 1644 du Code civil français.
1813
In, Etudes offertes à Jacques Ghestin,le contrat au début du XXI iéme siècle,L.G.D.J.,2001,p.181.
374
loyer,des conditions de sa révision et du taux de son augmentation ou sa diminution1814 ;cela
signifie que son champ d’application s’étale aux baux des locaux d’habitation ou à usage
professionnel.Aprés l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation du bail civil
(loi 67-12)1815 les dispositions de la n°07-03 s’apliquent seulement aux baux à usage
commercial,industriel ou artisanal.

La nouvelle loi n°67-12 organisant les rapports contractuels entre les bailleurs et les
locataires des locaux à usage d’habitation ou professionnel octroi la liberté aux parties du
contrat du bail civil pour en définir les modalités de révision du loyer en commun accord,tout
en respectant,les régles impératives relatives à la périodicité de la révision du loyer et le
plafond d’augmentation du montant et une éventuelle réduction1816. Aux termes des articles
31 à 38 de la loi n°67-12, le droit de la révision est accordé au propriétaire et au locataire, les
deux parties doivent se mettre d’accord sur les conditions de la révision qui peut amener soit
à une augmentation ou à une réduction du loyer. L’augmentation ne peut avoir lieu avant un
délai de 3 ans à compter de la date de conclusion de contrat ou de celle de la dernière révision
judiciaire. Les seuils d’augmentation en doivent pas dépasser 8 % pour les locaux à usage
d’habitation et 10% pour les locaux à usage professionnel. Le juge dispose d’un pouvoir
discrétionnaire pour décider de l’augmentation jusqu’à 50% des loyers dont le montant ne
dépasse pas 400 DH par mois1817.

Aussi, en vertu des dispositions de l’article 2641818 du D.O.C alinéa 3, le juge peut
« réduire le montant des dommages-intérêts convenu s’il est excessif ou augmenter sa
valeur s’il est minoré comme il peut réduire le montant des dommages-intérêts convenu,
compte tenu du profit que le créancier en aurait retiré du fait de l’exécution partielle de
l’obligation ».

1814
V.l’article premier de la loi 07-03.L’article 4 de la même loi fixe le taux d’augmentation du montant du
loyer .Il dispose que : « Le taux d’augmentation du montant du loyer est fixé ainsi qu’il suit : 80 % pour les
locaux à usage d’habitation ;10 % pour les autres locaux ».Par dérogation aux deux taux indiqués à l’article 4
ci-desus,il appartient au tribunal d’apprécier le taux d’augmentation du loyer si son montant n’excède pas quatre
cent dirhams par mois sans que le taux d’augmentation fixé par le tribunal soit supérieur à 50% (voir l’article 5).
1815
Le premier article de la loi 67-12 promulguée par le Dahir n°1-13-111 du 19 novembre 2013, délimite avec
plus de précision le champ d’application de cette nouvelle réglementation des baux civils en édictant que « les
dispositions de la presente loi s’appliquent aux baux des locaux d’habitation ou à usage professionnel,meublés
ou non,et dans la durée du bail dépasse 30 jours… ».
1816
Cette nouvelle législation est venue pour instaurer plus d’équilibre entre les parties.
1817
V. l’article 35 de la loi n°67-12organisant les rapports contractuels entre les bailleurs et les locataires des
locaux à usage d’habitation ou professionnel.
1818
L’article 264 du D.O.C a été modifié et complété par le dahir n°1-95-157 du 11 août 1995 portant
promulgation de la loi n° 27-95,publié au Bulletin Officiel n°4323 du 10 septembre 1995.
375
En droit de consommation, le législateur marocain a instauré la loi n°31-08 pour
protéger le consommateur contre le déséquilibre significatif dans les relations
1819
contractuelles .Ainsi, l’article 19, alinéa1 dispose que « sont nulles et de nul effet les
clauses abusives contenues dans les contrats conclus entre fournisseur et consommateur »1820.

En droit comparé, le législateur français a consacré certaines lois pour permettre au


juge de remodeler le contrat. En matière de baux d’habitation, le juge a un pouvoir
d’intervenir dans le contrat de bail depuis 1989.En cas de contestation par le locataire du
mode d’établissement du loyer retenu par le bailleur, le juge peut procéder à la fixation du
loyer.

En matière maritime il en est ainsi, l’article 7 de la loi française, du 29 avril 1919


modifié par la loi du 7 juillet 1967 sur l’assistance et le sauvetage maritime .Il dispose que
« toute convention d’assistance peut, à la requête de l’une des parties, être modifiée ou
annulée par le tribunal, s’il estime que les conditions convenus ne sont pas équitables compte
tenu du service rendu… »1821.Cette solution a été étendue à navigation aérienne par l’article
7 de la loi du 31 mai 1924 remplacé par l’article 142-1 du Code d’aviation civile.

Le législateur français a reconnu au juge en vertu de la loi du 9 juillet 1975, le pouvoir


de modérer les clauses pénales excessives ou dérisoires1822. Cette loi consacre un pouvoir
général de certaines clauses qui offre au juge la possibilité d’immixtion dans rapport
contractuel de manière croissante. Lorsqu’il y a excès dans le montant de la clause pénale, le
juge peut augmenter ou diminuer la peine convenue. Toutefois, ce pouvoir ne peut s’exercer
que lorsque le montant est manifestement excessif ou dérisoire. Le juge ne peut modérer une
clause seulement parce qu’il estime trop élevée. Il doit rechercher l’aspect manifestement
excessif du montant par rapport à l’inexécution des obligations, et donc au préjudice qu’il en
découle1823.

L’intervention du juge dans le contrat, a été reconnue également par la loi française
er
du 1 février 1995 relative à l’élimination des clauses abusives. En vertu de cette loi, le juge

1819
Voir l’article 15 de la loi n°31-08 relative à la protection du consommateur marocain.
1820
Voir l’article 19de la loi n°31-08 relative à la protection du consommateur marocain.
1821
Voir l’article 15 de la loi du 7 juillet 1967.
1822
La clause pénale est une clause contractuelle fixant un forfait de dommages-intérêts afin de prévenir ou de
sanctionner une éventuelle inexécution des obligations contractuelles.
1823
Cass.Ch.Mixte,20 janvier 1978,D.1978.349.
376
peut déclarer une clause abusive1824 et de la priver d’application, sans qu’un décret l’ait
préalablement interdite. L’article L132-1 du code de la consommation précise dans ce sens
que « Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs,
sont abusives les clauses qui ont pour objet un déséquilibre significatif entre les droits et
obligations des parties au contrat ».Certaines clauses peuvent être abusives en raison de leur
caractère menaçant pour l’économie du contrat. A travers cela, c’est l’équilibre du contrat qui
est en jeu. La clause peut également être abusive car elle vise à procurer à l’un des
contractants un avantage excessif au détriment de la partie faible .Le pouvoir du juge
d’identifier une clause abusive n’est pas d’une simple faculté, mais d’une véritable
obligation1825.

La Cour de Justice de l’Union Européenne1826 a décidé à plusieurs reprises qu’il était


du devoir du juge d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle des lors
qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaire à cet effet. La jurisprudence
communautaire a donc imposé au juge un nouveau contrôle sur les clauses contractuelles.
Pour faciliter cette faculté, la Cour de cassation1827 a autorisé le juge à relever d’office des
moyens de droit de la consommation. Le juge voit donc son pouvoir d’intervention dans le
contrat pour relever les clauses abusives être renforcé avec cette compétence spéciale en
droit de la consommation.

Si le juge a le souci de maintenir les contrats afin de satisfaire l’impératif de sécurité


juridique, ce souci demeure attaché à celui de satisfaire l’équilibre contractuel. La
concrétisation de cette double finalité a conduit le législateur d’instaurer des prescriptions
législatives pour permettre au juge de s’immiscer dans le contrat en vue d’assurer son
rééquilibrage. La multiplication des textes législatifs a élargi le pouvoir d’intervention du juge
au contrat ce qui traduit une volonté du législateur de vouloir conférer au juge une mission
plus étendue de correcteur du contrat1828. Les textes législatifs révèlent que le juge se
transforme parfois en expert économique du contrat dans la mesure où il peut se prononcer

1824
Voir G.Cornu, Vocabulaire juridique, 4éme édition, 2003, PUF.D’après cet auteur, la clause abusive se
retrouve dans les contrats entre non-professionnel et professionnel .Elle serait une stipulation imposée par le
professionnel, lui conférant un avantage excessif au détriment du non professionnel.
1825
Borghetti J-S.,Carval S.,Desahyes O.et Viney G.,L’obligation pour le juge de relever d’office le caractère
abusif d’une clause,RDC.2010/1.
1826
CJCE.Civ.4 juin 2009,Pamon GSM Zrt.c/Erzserbet Sustikne Gyorfi,aff.C-243/08 et CJCE,6 octobre 2009.
1827
Cass.Civ,1ére,22 janvier 2009,n°03-11-775.
1828
Voir à ce sujet la thèse de G.Piette,La correction du contrat, sous la direction de M.Menjucq, Université de
Pau et des Pays de l’Adour,2002.
377
sur l’existence d’une évolution des « facteurs locaux de commercialité » dans le cadre de son
intervention pour réviser

La jurisprudence autorise d’une manière générale le juge à procéder ainsi et à pallier


l’inexécution partielle de faible gravité par une simple baisse du prix ou de la prestation due
par le créancier au lieu et place de la résolution du contrat1829.En matière civile, le juge peut
intervenir dans le contrat de bail en dehors des cas prévus par le législateur et décider d’une
simple baisse du montant des loyers dus par le locataire en cas de manquement partiel par le
bailleur à l’exécution de ses obligations1830. Cette pratique s’est développée1831 en matière de
vente commerciale .Parce que la vente commerciale « n’est presque toujours qu’un stade dans
la circulation de la marchandise, procédé et suivi d’autres ventes »1832, la résolution est très
vite apparue comme une sanction trop brutale et de nature à perturber l’ensemble du marché.
Aussi le juge a-t-il très vite eu recours à la réfaction du contrat pour sanctionner les
« légères inexécutions partielles de l’obligation de délivrance »1833.

1829
Il existerait cependant une exception en matière de garantie de vices cachés. En effet, lorsque la chose
achetée est atteinte d’un vice caché, on sait que l’acquéreur a, en application de l’article 1644 du code civil
français, le choix entre l’exercice de l’action rédhibitoire et celui de l’action estimatoire tendant à la réduction
du prix de la chose atteinte du défaut. Cependant, à la différence de la solution retenue lorsqu’il s’agit du droit
commun et de l’application de l’article 1184 du Code civil, il semble résulter de plusieurs arrêts rendus par la
Cour de cassation que le choix entre ses deux actions appartient à l’acquéreur et lui seul et que le juge ne peut lui
imposer une simple réduction du prix lorsqu’il a demandé la résolution du contrat ;sur cette question et la portée
de la distinction entre l’application de l’article 1184 et 1644 du Code civil, v.P.Grosser, Les remèdes à
l’inexécution du contrat :essai de classification, thèse ,précitée, n°590 et suiv.,p.762 et suiv. ;Y.-M.Serinet,Les
régimes comparés des sanctions de l’erreur, des vices cachés et de l’obligation de délivrance dans la vente, thèse
Paris I,1996,n°449 et suiv.,p.482 et suiv.
1830
Voir CA Paris,13 novembre 1943,Gaz. Pal., 1943, 2, p.260 (réduction de 20 % du prix d’un
abonnement) ;CA Paris,12 mars 1987,D.1988,p.219 (réduction de la rémunération des entrepreneurs dans
l’hypothèse de prestations défectueuses) ;Cass.com.,12 novembre 1991,Bull.civ.,IV,n°345,p.240 (obligation
pour les juges du fond d’examiner la demande en réduction du prix formulée par les acquéreurs insatisfaits d’un
fonds de commerce, avant d’accueillir la demande en résolution formulée par les vendeurs) ;Cass.com.,2
mars1993,D.1994,somm.p.11,note J. Kullmann (réduction du montant des honoraires réclamés par une société
de conseil en gestion d’entreprise à sa cliente en raison de la mauvaise qualité de la prestation effectuée).
Sur la généralisation de la réfaction, v.Ch.Albiges,Le développement discret de la réfaction du contrat, dans
Mélanges M.Cabrillac,Paris,Litec-Dalloz,1999,p.3 et suiv.,spéc.n°3 et suiv.,p.5 et suiv.,qui démontre
« l’élargissement du domaine de la réfaction » ;v.not.Cass.civ.1ére,5 mai
1998,I,177,n°1,obs.F.Labarthe ;R.T.D.civ.,1998,p.901,obs.J.Mestre (réduction des honoraires d’un
généalogiste).
1831
V.J.Martin De La Moutte,Les sanctions de l’obligation de délivrance, dans la vente commerciale de
marchandises, Etudes de droit commercial sous la direction de J.Hamel,Paris,Dalloz,1951,p.187 et suiv.,spec.n°5
et suiv.,p193 et suiv. ;J.Deprez,Les sanctions qui s’attachent à l’inexécution des obligation contractuelles en droit
civil et commercial français, rapport dans les sanctions attachées à l’inexécution des obligations, Travaux de
l’association H.Capitant,1964,t.XVII,Dalloz,1968,p.51 et 52. M.Alter, L’obligation de délivrance dans la vente
de meubles corporels, thèse Grenoble,Préf.de P.Catala,Paris,L.G.D.J.,1972,p.321 et
suiv.D.Ledouble,L’entreprise et le contrat,Paris,Litec,1980,p.214 et suiv.J.Ghestin, Conformité et et garanties
dans la vente,Paris,L.G.D.J.,1983,n°183,p.160 et 161 ;Y.-M.Serinet,Les régimes comparés des sanctions de
l’erreur,des vices cachés et de l’obligation de délivrance dans la vente,thése,Paris, I,1996,n°353,p.392.
1832
J.Martin De La Moutte,Les sanctions de l’obligation de délivrance,op.cit.n°3,p.191.
1833
J.Martin De La Moutte,Les sanctions de l’obligation de délivrance,n°5,p.193.
378
L’objectif que le juge poursuivit à travers le procédé de la réfaction est souvent
souligné par la doctrine qui observe que « animé par la volonté de pérenniser le contrat, le
juge utilise de plus en plus la technique de la réfaction »1834 « pour esquiver la disproportion
qui résulterait de la destruction totale du contrat à la suite d’une inexécution de faible
importance »1835. Et on sait que « le juge y a fait appel parce qu’elle lui semblait concilier au
mieux les intérêts en présence »1836.La technique de la réfaction est retenue chaque fois que
le vendeur ne fournit pas exactement la quantité de marchandises prévue ou une marchandise
de qualité inférieure à celle prévue et que la différence constatée, que l’on suppose ici
minime, ne rend pas impropre à l’usage commercial auquel elle était destinée1837.

La réfaction présente alors l’avantage d’assurer le maintien d’un contrat encore utile
économiquement, tout en remédiant au déséquilibre né de l’inexécution partielle par l’une des
parties de ses obligations. Ainsi, la Cour de cassation française a décidé dans un arrêt de sa
première chambre civile du 11 mars 2003 la réduction du montant de la dette au lieu de la
nullité. Selon le professeur Denis Mazeaud, la révision représente une alternative à
l’anéantissement ou la rupture du contrat irrégulier, ou déséquilibré à un point tel que son
exécution n’est plus concevable ; l’illicéité qui affecte le contenu du contrat ou l’instabilité
qui perturbe son environnement économique et social ne sonnent plus fatalement le glas du
contrat1838.La révision apparaît donc comme un facteur de stabilité, de continuité dans la
mesure où elle permet de sauver un contrat promis, dans une vision classique, à une
disparition certaine1839. La révision se présente donc comme un facteur de sauvegarde du
contrat menacé de disparition. « Réviser, c’est durer ».

En matière sociétaire, ce qui importe n’est donc plus tant le respect rigoureux de la
volonté initiale des parties que la perpétuation du contrat sur lequel repose la situation des
parties. Il faut autant que possible rechercher sa pérennité pour que soit préservé l’ensemble

1834
Antonmattei,obs.sous Com.15 déc.1992,J.C.P.1993,éd.E ,I,234,n°13 ,p.158.
1835
M.Alter, L’obligation de délivrance dans la vente de meubles corporels,op.cit.n°195.
1836
J.Martin De La Moutte,Les sanctions de l’obligation de délivrance,n°26,p.219.
1837
V.les très intéressants développements consacrés par M.J.Martin de la Moutte aux conditions de la réfaction
(Les sanctions de l’obligation de délivrance,op.cit.,spéc.n°13 et suiv.p.201 et suiv.).V.également J.Deprez,Les
sanctions qui s’attachent à l’inexécution des obligations contractuelles en droit civil et commercial
français,op.cit.,p.51 et 52 ;M.Alter,L’obligation de délivrance dans la vente de meubles corporels,op.cit.,n°191 et
suiv.,p.323 et suiv.Parmis les décisions ayant écarté la résolution et retenu la réfaction du contrat.
Voir .par exemple : Cass.soc.,6 avril 1951,D.1951,p.505, note R.Savatier ;Cass.com.,17 janvier
1962,Bull.civ.,III,n°40 ,p.33 ;Cass.com.,6 mars 1990,Gaz.Pal.,1990,pan.,p.201 ; Cass.com.,15décembre
1992,J.C.P.éd.E.,1993,I,p.234,obs.P.H.Antonmattei ;J.C.P.éd.E.,1993,II ,p.436,note M.Poulnais.
1838
Denis Mazeaud, « La révision du contrat »,Petites affiches,30 juin, n°129,p.4
1839
Nordine Allaoui,Les contrats déséquilibrés, op.cit,p.22.
379
des intérêts qui en dépendent1840.Ce changement de paradigme n’est pas sans conséquence
sur l’office du juge. Comme en matière de société, le juge cesse d’être au seul service des
parties pour se mettre à celui du contrat. Loin d’être destructrice, l’immixtion du juge permet
en effet bien souvent de garantir la durabilité du contrat et la réalisation de son objet 1841.Dans
l’objectif de protéger l’intérêt contractuel, le juge a progressivement accepté de s’immiscer
dans la loi des parties en droit des sociétés, et en droit commun des contrats.

Selon la conception volontariste, la société a une nature contractuelle qui empêche le


juge de se mêler de la gestion sociale et de se substituer aux organes sociaux1842. Or, la
reconnaissance de l’existence d’un intérêt propre de la société distinct de celui des associés
permet de revisiter la fonction traditionnelle du juge1843.Deux constructions prétoriennes
donnent une illustration claire de l’importance du rôle du juge dans la protection de l’intérêt
de la société à travers l’octroi du droit d’intervenir dans la vie sociale aux fins de préserver
cet intérêt. Il s’agit de la nomination d’un administrateur provisoire et la sanction de l’abus de
pouvoir.

L’une des formes d’intervention du juge dans la vie sociale1844 se manifeste à travers
son pouvoir de nommer un administrateur provisoire1845 en cas de conflits sociaux internes, en
l’absence de tout fondement légal, investi de la mission de gérer le groupement social
jusqu’au rétablissement d’un certain équilibre. Le juge qui a le souci de veiller sur la
continuation de la société dans des conditions idoines a circonscrit très précisément son
champ d’action1846.

1840
J.Treillard, « De la suspension des contrats »,in La tendance à la stabilité du rapport contractuel, sous la dir.et
préf. de P.Durand,LGDJ,1960,p.59,spéc.p.60 : « Malgré le principe de l’effet relatif des conventions, il
n’empêche que souvent les relations contractuelles ont des prolongements qui intéressent les tiers, plus ou moins
directement. Tout contrat a un certain retentissement social. Sa disparition risque donc de provoquer des effets
qui franchissent le cercle étroit des contractants pour frapper les tiers ».
1841
En ce sens,v.J.-B.Seube, « La relativité de la distinction des contrats organisation et contrats échange »,in
Société et contrat,Journ.soc.2008,p.38,spéc.p.41.
1842
C.Gerschel, « Le principe de non-immixtion en droit des affaires »,LPA,30 août 1995,n°104,p.8.
1843
J.Mestre, « Réflexions sur les pouvoirs du juge dans la vie des sociétés »,RTC 1985,p.81.spéc.p.81.
1844
V.not.B.Lyonnet, « L’administration judiciaire »,RJC 1991,p.241,spéc.p.241-242.
1845
En droit civil, l’administrateur provisoire peut être défini comme étant « un mandataire chargé par
décision de justice, à titre provisoire, d’administrer les biens d’autrui, de gérer ou administrer un fonds de
commerce, une entreprise ou une personne morale de droit privé. Une telle désignation intervient en cas de décés
ou d’incapacité d’une personne physique ou lorsque les organes de la personne morale ont disparu ou bien ne
fonctionnent plus normalement en raison d’un conflit ».Sur ce point voir,A.Leinhard, « Accord amiable »,Dalloz
2013,p.13.Cette notion, transposée au droit des sociétés, désigne , « une personne nommée par l’autorité
judiciaire en vue d’assurer, à titre temporaire, la gestion d’une personne morale, civile ou commerciale, et,
parallèlement, de s’efforcer de résoudre la crise ayant motivé sa désignation ».Sur ce point voir B.Lecourt,
« Administrateur provisoire »,Répertoire de droit des sociétés,Dalloz octobre 2010,p.2.
1846
C.A Paris,27 octobre,JCPE 1999 ,pan.1995 ;CAToulouse,13septembre,
1999,Dr.soc.2000,comm.44,comm.D.Vidal ;CA Paris,22 novembre 1996,Dr.soc.1997,comm.47,note D.Vidal.
380
L’institution de l’administration provisoire n’est pas propre au droit des sociétés. Elle
peut être fréquentée en droit commercial1847.Ainsi, dans un arrêt ancien de la cour d’appel de
Casablanca, il a été fait référence expresse à cette notion en matière commerciale en
déclarant que, « L’exécution poursuivie sur des éléments du fonds de commerce peut faire
l’objet d’un arrêt d’exécution si elle porte sur des éléments déterminants à l’exploitation du
fonds de commerce afin que le fonds de commerce puisse être vendu dans sa globalité et
préserver ainsi les droits des créanciers et du propriétaire du fonds. Le président du tribunal
peut procéder à la désignation d’un administrateur provisoire chargé de gérer le fonds de
commerce dans l’attente de l’exécution de la décision ordonnant la vente globale dudit
fonds »1848.

L’institution d’administrateur provisoire vise la sauvegarde des intérêts d’une société


dans la survie est en péril en raison du conflit. Cette affirmation a été défendue par la
jurisprudence marocaine. Ainsi, dans une ordonnance du tribunal de commerce d’Agadir en
date du 07/02/2007, le vice président de ladite instance a laissé au dirigeant de la société, le
choix d’opter soit pour la désignation d’un administrateur provisoire soit, pour la nomination
d’un séquestre1849.

Dans un arrêt récent de la cour de cassation française, il a été décédée que « la


désamination judiciaire d’un administrateur provisoire de la société est une mesure
exceptionnelle qui suppose rapportée la preuve de circonstance rendant impossible le
fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d’un péril imminent »1850.La
jurisprudence subordonne en principe la désignation d’un administrateur à l’existence d’une

1847
En droit successoral français, les héritiers peuvent désigner un tiers ou l’un d’entre eux pour gérer les biens
du défunt (mandat conventionnel).En cas de blocage de la succession, il est possible de demander au juge de
nommer un mandataire (mandat successoral judiciaire).Cette solution ne reçoit pas d’application en droit
marocain, le juge doit choisir le liquidateur par les héritiers, c’est ce qui résulte expressément des dispositions
de l’article 243 du code de procédure civile, « Le juge désigne, pour liquider la succession, la personne sur le
choix de laquelle les héritiers se sont mis d’accord. Faute d’accord, et s’il estime nécessaire le choix d’un
liquidateur, le juge le leur impose, sauf à le choisir parmi les héritiers dans la mesure du possible et ce, après
avoir entendu leurs observations, et leurs réserves », (Dahir portant loi n°1-74-447 (11 ramada n 1394)
approuvant le texte du Code de procédure civile, Bulletin Officiel du 30 septembre 1974).
1848
Arrêt de la cour d’appel de Casablanca, en date du 03/12/1985, décision n°1982,in Cabinet Bassamat et
Associée.
1849
Ordonnance sur référé, n°291/07 en date du 07/02/2007, dossier n°2093/06,non publié. Sur le point du
séquestre, voir, l’article 818 du DOC qui dispose à cet égard que, « Le dépôt d’une chose litigieuse entre les
mains d’un tiers s’appelle séquestre ;il peut avoir pour objet des meubles ou des immeubles ».
1850
A.Lienhard, « Administrateur provisoire : condition de nomination : (Com.18 mai 2010,F-D,n°09-
14.838,Cassation),Revue des sociétés 2010,p.303.
381
circonstance entravant le fonctionnement normal des organes sociaux1851 et l’extension de
cette condition au péril imminent1852 de nature à porter atteinte aux intérêts sociaux.

Si la nomination d’un administrateur provisoire représente l’une des illustrations de la


protection de l’intérêt social, la sanction de l’abus de pouvoir constitue également la seconde
forme d’intervention du juge dans la vie de la société. Ainsi, la possibilité que s’est octroyé le
juge de sanctionner l’abus de majorité a pour dessein principal de protéger les intérêts
minoritaires1853. La préservation de la pérennité de la société fonde donc autant l’immixtion
judiciaire dans vie sociale. La protection de l’intérêt social peut conduire le juge à prononcer
l’annulation de la décision constituant un abus au détriment des minorités1854. Ainsi, dans un
arrêt récent1855 de la chambre commerciale, il a été admis que la décision de mettre fin de
manière anticipée à la société était constitutive d’un abus de majorité car elle avait été prise
par le majoritaire dans l’unique dessin de porter atteinte à l’intérêt du minoritaire auquel il
avait promis de racheter ses titres. Toutefois, le nombre dérisoire d’arrêts ayant retenu la
contrariété de la décision à l’intérêt social témoigne de la sagesse des juges dans l’usage de
leur pouvoir d’appréciation1856.

La volonté de s’immiscer dans la vie de la société pour assurer la protection de


l’intérêt social peut être envisagée dans l’hypothèse de la constatation de l’abus de
minorité1857.En réalité l’abus de minorité réside dans « l’attitude des minoritaires contraire à
l’intérêt général de la société en ce qu’ils auraient interdit la réalisation d’une opération
essentielle pour celle-ci, et dans l’unique dessein de favoriser leurs propres intérêts au
1851
Plusieurs situations peuvent être envisagées qui peuvent causer un dysfonctionnent de la société, on peut
noter notamment : l’absence ou la défaillance des organes sociaux ;la disparition de l’affection societatis, les
conflits sociaux ;le droit de regard des associés. Sur ce point voir, Yassine Dourhani,La liberté contractuelle à
l’épreuve du droit des société, thèse, Marrakech, université Cadi Ayyad,2014/2015,p,361 et s.
1852
C’est dans ce même sens que s’inscrit un arrêt rendu par la Cour de cassation française qui rappelle l’une
de ses conditions puisqu’elle précise « La désignation judiciaire d’un administrateur provisoire de la société est
une mesure exceptionnelle qui suppose rapportée la preuve de circonstances rendant impossible le
fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d’un péril imminent ». (Cass.com.,18 mai 2010,n°09-
14.838,F-D,Scetbun c/Bectarte :Juris-Data n°2010-006636). Il résulte de cet arrêt que la condition relative à la
mise en péril imminent de l’intérêt social permet finalement d’encadrer strictement l’intervention du juge dans
la vie sociale et de remédier à l’absence de base légale.
1853
P.Merle, Droit commercial, Sociétés commerciales,17e éd.,Dalloz,2014,n°664 : « L’élément essentiel de
l’abus de majorité est la rupture intentionnelle d’égalité entre les actionnaires ».
1854
C’est ce qu’avait laissé penser un arrêt rendu par la chambre commerciale le 22 avril 1976 (Cass.com.,22
avril 1976,Caz.Pal.1977,doc.p.157,note M.Germain,RJC 1977,p.93,note P.Merle,Rev.soc.1976,p.479,note
D.Schmidt).La Cour de cassation avait considéré que l’atteinte à l’intérêt social était nécessaire sinon suffisait à
caractériser l’abus.
1855
Cass.com.,8 février 2000,n°10-11788,Bull.Joly soc.2011,p.288,note F.-X.Lucas.
1856
J.Mestre, « Réflexions sur les pouvoirs du juge dans la vie des sociétés »,RJC
1985,p.81,spéc.p.84 ;M.Germain, « Les moyens de l’égalité des associés dans les sociétés par actions non
cotées »,in Mél.P.Didier,Econominca,2008,p.189,spéc..p.198 :l’auteur constate qu’entre 2000 et 2006,l’abus de
majorité a fait objet de 13 arrêt de la chambre commerciale mais n’a été retenu que dans trois seulement.
1857
Il peut lui être assimilé l’abus d’égalité.
382
détriment de l’ensemble des autres associés »1858.L’abus de minorité de nature négatif ou
positif est invoqué le plus souvent dans certaines situations dont les minoritaires peuvent
s’opposer à une modification des statuts portant soit sur une prorogation de la société ou sur
une augmentation de capital, prétendument indispensable à la société1859 .Aussi, l’attitude
égoïste des minoritaires peut être déduite du refus de voter la résolution indispensable à la
survie de la société1860. La sanction de l’abus de minorité vise davantage la protection des
intérêts majoritaires, mais son ultime objectif consiste dans la garantie de la pérennité de la
société.

La conception renouvelée du contrat par la reconnaissance d’un intérêt qui est propre
a cependant bouleversé le rôle classique du juge1861.Le droit positif témoigne de ce que le
temps où le juge n’était que le garant de l’exécution fidèle du contrat est définitivement
révolu. Aujourd’hui, le juge est devenu coauteur du contrat à travers la technique de la
réfaction1862, de nombreuses manifestations qui témoignent cette tendance1863. Ainsi,
l’immixtion du juge en droit commun des contrats se justifie par le souci de la protection de
l’intérêt social. La réduction ou la suppression d’une obligation contractuelle jugée
disproportionnée ou excessive, affiche explicitement la volonté du juge pour le rétablissement
de l’équilibre contractuel et la sanction de la partie qui n’a eu égard qu’à ses seuls

1858
Cass.com.,15 juillet 1992,Bull.civ.IV,n°279,Rev.soc.1993,p.400,note P.Merle,D.1993,p.279,note H.Le
Diascron,RTD com.1993,p.note Y.Reinhard,Bull.Joly soc.1992,p.1083, §353,note P. Le Cannu.
1859
En matière d’abus de minorité, les abus sont en effet essentiellement négatifs, ils empêchent une décision
d’être votée. Les abus positifs sont plus rares. Ils consistent à recourir à des stratagèmes pour faire prendre « par
surprise »,par l’organe compétent, une décision qui ne reflète pas la volonté des majoritaires.
1860
V.M.Boizard, « Regards sur l’abus de minorité »,note sous Cass.com.,5 mai
1998,Rev.soc.1999,p.344,spéc.p.348 ;v.par exemple CA Lyon,20 décembre 1984,D.1986,p.506,note
Y.Reinhard : « Les actionnaires minoritaires en s’opposant à ce qu’il soit procédé à une augmentation de
capital, alors qu’ils s’avaient celle-ci nécessaire à la survie de la société (…) et qu’une telle augmentation n’était
pas susceptible de préjudicier à leurs intérêts ,ont poursuivi un but personnel directement contraire aux intérêts
de la société et ont ainsi commis un abus de nature à engager leur responsabilité » ;Contra :Cass.com.,4
décembre 2012,pourvoi n°11-25408.Rev.soc.2013,p.150,note A.Viandier :la Cour de cassation a cassé l’arrêt
d’appel qui pour retenir l’abus de minorité ne s’était fondée que sur la seule atteinte à l’intérêt social sans avoir
caractérisé la rupture d’égalité.
1861
Classiquement le juge est considéré comme l’exécutant de la volonté des parties telle qui sont librement
exprimées.
1862
De manière courante, la réfaction est définie stricto sensu comme « un mécanisme qui permet non seulement
au juge mais aussi aux parties, sans anéantir le contrat de tenir compte du manquement pour diminuer
l’obligation corrélative de l’autre »V.C.Albiges, « Le développement discret de la réfaction du contrat » in,
Mél.M.Cabrillac,Litec,1999,p.3. Le domaine traditionnel de la réfaction est la vente commerciale. Cependant,
dans le cadre de l’étude la réfaction est entendue lato sensu comme « un procédé permettant au juge de modifier
le contenu d’une obligation contractuelle pour le rendre équilibré ou licite ».V.K.de la Asuncion Planes, La
réfaction du contrat, LGDJ,2006,préf.Y.Picod,n°710,p.435.
1863
Le juge peut intervenir dans le contrat pour rétablir l’équilibre contractuel à travers, la réduction de la
rémunération excessive des mandataires, d’une pénalité excessive, du prix d’une prestation imparfaitement
exécutée et la suppression des clauses jugées abusives dans les contrats non consuméristes.
383
intérêts1864.D’où ,la réécriture judiciaire du contrat intervient bien souvent en réponse à une
mauvaise exécution de l’obligation de coopération1865.Toutefois, la réfaction judiciaire du
contrat dissimile en réalité cet autre objectif qu’est la sauvegarde de la pérennité
contractuelle1866.En effet, lorsque le juge substitue un indice légal à un indice illicite ou
disparu1867,répute non écrite une clause abusive1868, ou réduit une durée ou un prix excessif,
c’est pour sauver le contrat d’une issue fatale :une nullité pour illicéité1869 ou une résolution
pour inexécution1870.

La technique de la réfaction a pour but d’améliorer la qualité du contenu


contractuel1871 et de lui permettre de réaliser son objectif1872.Pour cette raison, la protection de
l’intérêt contractuel devrait seule pouvoir justifier le remodelage judiciaire sans qu’il soit
nécessaire de recourir à d’autres fondements. Le juge est d’autant plus légitime à s’y référer
directement que la réfaction se révèle conforme à la lecture renouvelée du principe de la
force obligatoire du contrat édicté par l’article 230 du D.O.C et en droit comparé l’article
1134 du Code civil français. Or, le procédé de la réfaction permet au juge de réaliser
l’opération économique envisagée par les parties et de préserver de la sorte la force
obligatoire du contrat.

1864
N.Dion, « Le juge et le désir du juste »,D.1999,chron.,p.195 ;C.Thibierge ŔGuelfucci, « Libres propos sur la
transformation du droit des contrats »,RTD civ.1997,p.357,spéc.p.371.
1865
V.K.de la Asuncion Planes,th.préc. :l’auteur propose de fonder le pouvoir de réfaction du juge sur les
articles 1135 et 1134,alinéa 3,du code civil français.
1866
C.Albiges,art.préc.spéci.p.20 ;R.Ouelhazi,Le juge judiciaire et la force obligatoire du contrat,op.cit,p.228.
1867
Cass.civ.1ére,9 novembre 1981,Bull.civ.I,n°322 ;RTD civ.1982,p.601,obs.F.Chabas ;Cass.civ.3e,22 juillet
1987,Bull.civ.III,n°151 ;v. également Cass.civ.3e,9 juillet 2003,Bull.civ III,n°152 :la Cour de cassation procède
au sauvetage de clauses de pénalités de retard qui excédaient le maximum légal par réduction à un taux légal
autorisé.
1868
Cass.com,22 octobre 1996,Bull.civ.IV,n°1997,p.121.,note A.Sériaux,JCP G1997,II,22881,note
D.Cohen ;Cass.com,30 mai 2006,Bull.civ.IV,n°132,D.2006,p.2288,note D.Mazeaud ;Cass.com.,5 juin
2007,Bull.civ.IV,n°157 ;JCP G 2007,II,10145,note D.Houtcieff,Cass.com.,29 juin 2010,Bull.civ.IV,n°115 ;CCC
2010 ?N)220 ?OBS.L.Leveneur.
1869
Y.-M.Serinet, « Le juge et l’illicéité du contrat »,in Le renouveau de sanctions contractuelles, sous la dir. de
F.Collart-Dutilleul et C.Coulon,Economica,2007,p.85 :l’auteur confirme et illustre la tendance jurisprudentielle
à préferer la nullité partielle à la nullité absolue en cas d’illicéité.
1870
P.Jourdain, « A la recherche de la réfaction, sanction méconnue de l’inexécution »,in Mél.P.Le
Tourneau,Dalloz,2008,p.449,spé.p.451 ;K.de la Asuncion Planes,th.préc.,spéc.n°13,p.8 et n°21,p.18 ;F.Eudier,
« Modèles et anti modèles dans le rôle du juge en matière contractuelle »,in Code civil et modèles, Des modèles
du Code au Code comme modèle, sous la dir.T.Revet,LGDJ,2005,p.225,spéc.p.273 ;M.-E.Pancrazi-
Tian,th.préc.n°424 et s.,p.344 et s. ;C.Albiges, « Le développement discret de la réfaction du contrat »,in
Mél.M.Cabrillac,Litec,1999,p.3,spéc.p.18 ;P.Ancel, « Le juge et l’inexécution du contrat »,in Le renouveau de
sanctions contractuelles, sous la dir.de F.Collart-Dutilleul et Coulon,Economica,2007,p.103,spéc.p.104 ;
C.Thibierge ŔGuelfucci, « Libres propos sur la transformation du droit des contrats »,RTD
civ.1997,p.357,spéc.p.363.
1871
A.S.Lavefve Laborderie,La pérennité contractuelle, LGDJ,2005,préf.C.Thibierge,p.468.
1872
P.-H.Antomattei,obs.sous Cass.com,15 décembre 1992,JCP E 1993,I,234,p.158 : « animé par la volonté de
pérenniser le contrat, le juge utilise de plus en plus la technique de la réfaction »,Sur la généralisation du procédé
de réfaction, v.K.de la Asuncion Planes,th.préc. ;M.-E.Pancrazi-Tian,th.préc.,n°432 et s .,p.349 et s.
384
En parallèle à l’extension législative et jurisprudentielle de leur rôle, les juges
développent de leur propre initiative afin de restaurer l’équilibre du contrat entre les parties.
Ainsi le juge peut intervenir sans texte en s’inspirant de certaines solutions arbitrales pour
procéder à la réfaction du contrat.

B – Les raisons dues au développement de la jurisprudence arbitrale et les remèdes de la


justice privée.

L’évolution de la notion du marché, telle qu’elle s’est formée depuis le XVIIIe siècle
avec Adam Smith, résume l’histoire de la modernité. La complexité du phénomène juridique
dans les sociétés de marché fait apparaitre la coexistence tantôt pacifique tantôt conflictuelle,
entre, d’une part, un ‘ordre spontané’, ou ‘auto-généré’ issu de la pratique des marchands et
faisant constamment appel à des modes flexibles de production normative et de règlement
des litiges et dont l’arbitrage est une expression parlante et, d’autre part, un ‘ordre
organisé’1873 de contrôle social qui vise à maintenir l’équilibre global du marché et à corriger
les comportements déviants des agents économiques, et duquel relève le droit de la
concurrence1874.

Selon un auteur, « l’arbitrage est l’institution par laquelle un tiers, règle le différend
qui oppose deux ou plusieurs parties, en exerçant la mission juridictionnelle qui lui a été
confiée par celle-ci »1875.L’arbitrage évoque généralement l’idée de l’intervention d’un tiers
impartial ; son essence est fondamentalement tributaire de la justice privée. L’arbitre est une
personne privée investie par les parties du pouvoir de dire le droit.de trancher la contestation
qui lui est soumise et de rendre une décision.

L’arbitrage est une justice ; il a comme toute justice, une fonction juridictionnelle,
mais à l’opposé de la justice étatique, la justice arbitrale à une origine contractuelle 1876.Dans

1873
Sur Pour une approche mettant l’accent sur l’opposition ordre spontané et ordre organisé, Hayek
(F.A),Droit, législation et liberté. Une nouvelle formulation des principes libéraux de justice et d’économie
politique, T.1.Règles et ordre, traduit de l’anglais par Audouin (R),1ére éd,Paris,Puf-
Quadrige,1995,p.34.Rapp.Crozier (M), ‘Le probléme de la régulation dans les sociétés complexes modernes’,in
Normes juridiques et régulation sociale, (sous la dir) Chazai. (F) et Commaille (J),Paris, LGDJ,Droit et
société,1991,p.131,spéc.p.132. ‘La société actuelle est en fait déjà très éloignée du modèle hiérarchique clair du
control social. Elle est faite d’organisations structurées de plus en plus nombreuses et interdépendantes, mais
aussi et en même temps d’organisation non structurées, de groupes et de …systèmes d’action concrètes plus
flous mais néanmoins opératoires’.
1874
Voir Walid abdelgawad, Arbitrage et droit de la concurrence, contribution à l’étude des rapports entre ordre
spontané et ordre organisé, pref.Eric Loquin, LGDJ,1998,p.1 et s.
1875
C.Jarrosson,La notion d’arbitrage,préf.B.Oppetit,Paris,LGDJ,1987,Bibil,Dr.privé,t.198,n°785,p.372.
1876
La nature mixte de l’arbitrage est aujourd’hui confirmée par la doctrine française dominante. Pour une
analyse des incidences des composantes contractuelles et juridictionnelles sur le pouvoir de l’arbitre,Motulsky
(H),Écrits,T.II. Etudes et notes sur l’arbitrage, réf. de Goldman (B) et de Fouchard (ph), Dalloz, 1974, p.6 et s ;
385
l’ordre interne, les Etats ne ressente pas la nécessité de favoriser le développement d’une
justice concurrente à la justice publique. Inversement, sur le plan international, l’arbitrage ne
se pose pas en rival des juridictions étatiques, mais comme un remède à leur incapacité à
répondre à la complexité de la situation internationale et à s’adapter aux impératifs sans cesse
renouvelés du commerce international.

Les arbitres internationaux sont plus libres que les juges étatiques1877 dans le choix du
mode de répartition dans le cadre d’une inexécution du contrat ou dans la fixation d’une
clause contractuelle telle la clause d’indexation. Ce qui cherche les parties d’un contrat dans
l’arbitrage international, ce n’est pas de s’affranchir de l’obligation de comparaître devant une
juridiction étatique, ni d’échapper à la loi de l’État, mais plutôt de soumettre leurs litiges à des
règles particulières et spécialement adaptées à leurs transactions. Selon un auteur, les deux
contractants cherchent à être jugés autrement que ne le feraient les juges étatiques1878 ; elles
peuvent espérer l’application d’un droit autre que le droit étatique, d’un droit international
corporatif, ou d’une lex mercatoria1879, et accorder ainsi à leur litige une solution différente de
celle à laquelle le juge étatique pu aboutir. C’est la raison pour laquelle les parties n’hésitent
pas à se soumettre à l’arbitrage.

Le recours à l’arbitrage pour trancher un litige, suppose la rédaction d’une convention


d’arbitrage. La convention d’arbitrage est la convention par laquelle les parties décident de
soumettre leur différend à l’arbitrage. Ainsi, l’article 307 du code de procédure civil1880
dispose que : « la convention d’arbitrage est l’engagement des parties de recourir à l’arbitrage
pour régler un litige né ou susceptible de naître concernant un rapport de droit déterminé, de
nature contractuelle ou non contractuelle ». On distingue alors deux types de conventions1881.

.Lalive (P),Poudret (J-F) et Reymond (C),Le droit de l’arbitrage interne et international en Suisse, Editions Payot
Lausane,1989,p.26 et s.
1877
Voir à ce sujet la thèse de A.-M.Whitesll Djordjijev,sous la dir.de J. Beguin,La liberté des arbitres
internationaux dans la réparation de l’inexécution du contrat, Paris, I.1996.
1878
David (R), L’arbitrage dans le commerce international, op.cit.n°13,p.20 ;même auteur, ‘Arbitrage du XIXe
siècle et arbitrage du XXe siècle’,Mélanges offerts à Savatier (R),Dalloz,1965,p.219,spéc.p.225.
1879
La lex mecrcatoria prévoit que « toute transaction commerciale est fondée sur l’équilibre des prestations et
nier ce principe reviendrait à faire du contrat commercial un contrat aléatoire fondé sur la spéculation ou le
hasard ».
1880
Le Dahir de 1913 a connu une première modification en 1928 à propos de la désignation d’arbitres à
l’avance dans une clause compromissoire. En 1974, dans le cadre de la réforme de la procédure civile, le
législateur marocain a remanié et complété l’ensemble des textes précédents dans le but de simplifier le système
des procédures dilatoires, mais par delà l’institution des procédures simplifiées. Au Maroc, la procédure
d’arbitrage est règlementée par le code de procédure civile tel quel a été modifié (le chapitre VIII portant le titre
de l’arbitrage et de la médiation conventionnelle), en vertu de la loi n°08-05 promulguée par le Dahir
n°1.07.169 du 30 novembre 2007.Bulletin Officiel n°5584 du 6 décembre 2007.p.1369.
1881
Voir alinéa 2 de l’article 307 du code de procédure civil qui stipule que : « la convention d’arbitrage revêt la
forme d’un compromis d’arbitrage ou d’une clause d’arbitrage.
386
Le premier type porte le nom de la clause compromissoire1882 lorsqu’il est rédigé en vue d’un
litige éventuel. L’article 316 implique que « la clause d’arbitrage est la convention par
laquelle les parties à un contrat s’engagent à soumettre à l’arbitre les litiges qui pourraient
naître relativement à ce contrat ».L’objectif consiste à soustraire par avance un litige éventuel
à la connaissance des juridictions étatiques. En droit comparé, l’article 1442 du Code de
procédure civil français prévoit que : la clause compromissoire est « la convention par
laquelle les parties à un contrat s’engagent à soumettre à l’arbitrage les litiges qui pourraient
naître relativement à ce contrat ».

La convention d’arbitrage étant un contrat est soumise aux conditions générales de


validité des contrats. Elle doit être conclue par un capable et pour un litige arbitral. La clause
compromissoire doit être stipulée par écrit1883. En cas de non respect de cette finalité la
sanction prononcée est la nullité de la clause compromissoire. Cette clause est interdite en
matière civile. En vertu de l’article 2061 du Code civil français, la clause compromissoire est
nulle s’il n’est disposé autrement par la loi. Cependant, les litiges relevant de la compétence
des tribunaux de commerce, peuvent faire l’objet d’une convention d’arbitrage, en application
des dispositions de l’article 5 de la loi n°53-95 instituant des juridictions de commerce1884. En
droit commercial français, l’article L.411-4 du nouveau Code de commerce autorise la clause
compromissoire. Cette option est valable entre commerçants sous la condition du respect de
l’ordre public.

S’agissant de la deuxième modalité qui revêt la forme d’un compromis d’arbitrage,


Elle est considérée en tant que convention établie par écrit1885, par laquelle les parties à un
litige déjà né soumettent celui-ci à un tribunal arbitral1886.Cet écrit est exigé comme moyen de
preuve et non pas comme condition de validité, tel que c’est le cas pour la clause
compromissoire. La preuve écrite du compromis peut résulter d’un procès verbal signé par
l’arbitre et les parties. Elle peut également être constatée par un acte notarié, ou par acte sous
seing privé.

La convention d’arbitrage, clause compromissoire ou compromis, est la source de


pouvoir juridictionnel des arbitres. Elle est l’expression de la volonté des parties qui se
transforme en véritable source de compétence juridictionnelle. Les effets de l’arbitrage sont

1882
La clause d’arbitrage .
1883
Voir articles 313 et 317 du code de procédure civil.
1884
Voir alinéa 2 de l’article 308 du code de procédure civile.
1885
Voir l’article 313 du code de procédure civile.
1886
Voir alinéa 1 de l’article 314 du code de procédure civile et en droit comparé voir l’article 1447 du code de
procédure civile.
387
donc d’ordre juridictionnel bien que l’origine de l’arbitrage soit contractuelle. C’est ŔàŔ dire
que la décision rendue par l’arbitre1887 aura les même effets qu’un jugement. Les sentences
rendues dans l’arbitrage ont été à l’origine du développement des manifestations du juge dans
le prononcé de la réfaction. Une réflexion sur la mission de l’arbitre nous permettra de
démontrer comment l’arbitrage en droit interne et international a pu insuffler un nouvel
aspect à la technique de la réfaction judiciaire. Aussi les solutions arbitrales révèlent
clairement d’une réelle volonté de refaire le contrat pour assurer l’équilibre des prestations en
adaptant la solution aux besoins spécifiques des parties contractuelles (1).Si l’intervention
d’un juge pour régler un litige est souvent considérée comme un moyen de protéger la partie
faible contre les éventuels abus de la partie au plus fort pouvoir économique ou de
négociation, elle est parfois conçue par les parties comme une irruption brutale au sein d’une
relation contractuelle. Dans cette perspective, les contractants peuvent préférer eux-mêmes les
conséquences de la défaillance du débiteur à travers des remèdes de la justice privée 1888 et
issus de la structure du contrat synallagmatique. Il en est ainsi du droit pour le créancier de
réduire sa propre exécution lorsqu’il fait face à l’inexécution du débiteur. Ce procédé qui
implique une réfaction du contrat permet une mise en œuvre souple et évolutive, graduée en
fonction du degré d’inexécution du débiteur et de la dégradation des relations entre les deux
contractants, en permettant au créancier de préserver la force obligatoire dans sa conception
dynamique (2).

1- L’extension du pouvoir de l’arbitre de la forme juridictionnelle à la fonction


créatrice

La convention d’arbitrage suppose la détermination de l’objet du litige et la définition


d’une mission juridictionnelle confiée à l’arbitre1889.L’arbitre tient son pouvoir de cette
convention, celle-ci fixe également les limites de ce pouvoir. Il appartient donc à l’arbitre de
vérifier que son investiture est conforme à l’objet du litige tel qu’il résulte de cette
convention. L’arbitre est tenu de rendre la sentence arbitrale tout en respectant une procédure
précise et les principes directeurs du procès1890. « L’arbitre est un juge et l’on ne se trouve en
présence d’un arbitrage au sens propre du terme que la mesure où les personnes instituées

1887
Voir l’alinéa 1 de l’article 327-26 qui dispose que « la sentence arbitrale a la force de la chose jugée
relativement à la contestation qu’elle tranche ».
1888
Voir Catherine Popineau-Dehaullon,Les remèdes de justice privé à l’inexécution du contrat ,Etude
comparative, préf. Marie Goré,éd.Alpha-LGDJ,2009,p.127 et s.
1889
Paris,17 mars 1989,Rev.Arb.1990,p.727 note Jarrosson.
1890
Voir articles 327-9 à 327-21 du code de procédure civile.
388
ont à accomplir la fonction du juger »1891.La question qui se pose est de savoir comment,
alors la fonction de l’arbitre est identique à celle du juge, l’arbitre est-il parvenu plus
facilement à refaire le contrat de telle sorte que les décisions rendues dans l’arbitrage ont pu
constituer un exemple pour les juridictions judiciaires. La réponse se trouve dans la nature la
mission confiée à l’arbitre.

La mission classique de l’arbitre consiste à trancher le litige. Cependant les parties


peuvent conférer toute autre mission à l’arbitre, une mission qui est d’origine contractuelle.
Ainsi, selon un auteur « la fixation d’un prix par des tiers ne constitue pas, en principe, un
acte juridictionnel ; (les parties) invitent un tiers non pas à opter pour l’une des prétentions
antagonistes, mais bien à procéder à une fixation donc, à un acte exclusivement
créateur »1892.Dans ce cas, l’arbitre se trouve investi d’un mandat commun : celui de fixer un
prix. Or, l’adaptation du contrat par l’arbitre ne constitue pas selon une partie de la doctrine
un acte créateur et relève de la mission juridictionnelle. En ce sens, un autre auteur a souligné
que « la révision du contrat ne doit pas être confondue avec la création du
contrat »1893.Redonner au contrat son efficacité perdue ne fait que respecter la volonté des
parties. L’accord des parties préexiste et subsiste à la révision1894.

Dans ce sillage, un autre courant doctrinal souligne que la diversification des missions
de l’arbitre ou du juge montre que le litige pris au sens strict n’est pas le seul objet de la
sentence ou du jugement et que la fonction juridictionnelle inclut la possibilité de faire des
actes créateurs. A ce propos, un auteur constate « une altération de la pureté de la fonction
juridictionnelle 1895».Ceci s’explique par la possibilité de l’arbitre de procéder plus facilement
à la réfaction que le juge, dans la mesure où sa mission juridictionnelle inclut la possibilité de
remanier l’acte. Dans un colloque, «le juge et l’arbitre », Fouchard souligne que « le juge
prend conscience de la nécessité de jouer pleinement son rôle dans la vie économique et
constate que son rôle n’est simplement de sanctionner ou d’annuler ».Le rôle du juge consiste
également à parfaire l’acte en vue de permettre son exécution malgré la survenance de
certaines circonstances qui pourraient handicaper le processus d’exécution.

1891
H.Motulsky,Ecrits,T.II,p.32.
1892
Ibid.p.47.
1893
E.Loquin,L’amiable composition en droit comparé et international,Paris,LGJD,1980,p.297.
1894
E.Loquin,note sous Paris,6 mai 1988,Rev.Arb.1989,p.89.
1895
B.Oppetit,L’arbitre et les contrats commerciaux à long terme,Rev.Arb.,1976.
389
La jurisprudence reconnaîtà l’arbitre une double fonction : la fonction juridictionnelle
et la fonction créatrice. Ainsi, il est difficile de distinguer les différents types d’arbitrage 1896 :
celui où l’arbitre est appelé à exercer une mission juridictionnelle, et celui où il joue un rôle
d’intervenant dans la relation contractuelle. L’arbitre saisi d’une contestation juridique peut
intervenir pour rééquilibrer le contrat, sans que les parties l’aient mandaté à ce sujet. Car, si
les parties ont eu recours à l’arbitrage en tant que mode alternatif pour le règlement du litige,
c’est dans une grande mesure pour prévenir les inconvénients de l’application stricte de la loi
qui peut, si le juge suit le syllogisme juridique, ruiner leur relation .Les parties acceptent ce
rééquilibrage, elles le suggèrent dans la mesure où l’arbitre intervient pour régler le différend
de la manière la plus juste possible. Dans ce cas l’arbitre a la faculté d’écarter les règles de
droit qui s’imposent normalement et de statuer en équité. La jurisprudence reconnait
également à l’amiable compositeur un pouvoir modérateur du contrat1897.

A ce titre, certains pays comme les Pays-Bas, ont consacré par un texte législatif, la
loi du 2 juillet 1986, la jurisprudence arbitrale qui tend à procéder à la réfaction du contrat.
Cette possibilité est prévue par l’article 1020 du Code de procédure civile en disposant que
« les parties peuvent également convenir de soumettre à l’arbitrage les questions consistant
à : (….) déterminer seulement le quantum d’un dommage ou d’une dette de somme d’argent,
combler les lacunes du rapport du droit (….) ou modifier ce rapport de droit ».Les principes
d’Unidroit prévoient aussi la possibilité pour le tribunal, lorsqu’il a conclu à l’existence d’un
cas de hardship et s’il estime raisonnable, d’adapter le contrat pour assurer le rétablissement
de l’équilibre des prestations conformément aux dispositions des articles (6-2-3)1898.

La reconnaissance par la jurisprudence arbitrale d’un pouvoir élargi à l’arbitre qui


s’est étendu de la fonction juridictionnelle à la fonction créatrice a lui permis de procéder
facilement à la réfaction du contrat pour rétablir son équilibre, une extension similaire
n’existe pas dans la justice étatique ;les juridictions étatiques ne connaissent que la fonction
juridictionnelle. Cependant, la pratique arbitrale s’est révélée si riche en termes de sauvetage
de contrat que les tribunaux judiciaires étatiques n’hésitent pas à trancher à la manière de
l’arbitrage en recouvrant les casquettes, juridictionnelle et juridique, en vue d’équilibrer le
contrat et trouver une solution adéquate au litige opposant les parties du contrat. En droit
marocain comme en droit français, peu de textes autorisent l’immixtion du juge dans le

1896
R.David, L’arbitrage dans le commerce international, Economica, 1982,p.452.
1897
Voir l’article 327-45 du code de procédure civile.
1898
J.P.Beraudo,Les principes d’Unidroit relatifs au droit du commerce international, JCP
éd.G.1995.I.3842 ;Textes,GCP éd.G.,1995.III.67399.
390
rapport contractuel, malgré l’instauration d’une multiplication des dispositions légales ces
dernières années. Bien qu’il n’existe aucune disposition générale à ce sujet, la justice
étatique s’inspire aujourd’hui des solutions qui sont rendues par l’arbitrage pour trancher
certains différends en matière contractuelle d’une manière rapide et souple en garantissant la
survie du contrat et son équilibre.

La justice, doit, outre sa crédibilité, garantir la rapidité et la souplesse dans le


traitement des litiges et dans l’exécution des jugements y afférents 1899. Le facteur temps est un
élément précieux chez les hommes d’affaires pour la rentabilisation de leurs capitaux. Ainsi,
Les relations économiques, si elles deviennent conflictuelles, exigent la plupart du temps,
d’être traitées avec rapidité, discrétion, souplesse, économie du temps et d’argent1900 à coté
de la garantie de la pérennité de l’acte contractuel.

Aujourd’hui, on constate d’une grande souplesse dans le traitement des litiges en


matière commerciale1901. C’est pour cette raison que les arbitres manifestent une certaine
réticence à l’égard des sanctions plus rigoureuses que la réfaction, pour sanctionner une
inégalité ou une illicéité dans le contrat. Le même objectif a incité les juges à privilégier la
réfaction et d’éviter des sanctions telles que l’annulation ou la résiliation du contrat. Dans le
même sillage, une étude réalisée par Madame Crepin sur « Les sentences arbitrales devant le
juge français »prouve que « la continuation du contrat est le sort principalement réservé aux
différents contrats »1902.Les arbitres sont animés par le souci de préserver le contrat car les
parties saisissent l’arbitre non pour qu’il mette fin au lien contractuel mais pour qu’il règle le

1899
Selon les statistiques de 2005, 3128 juges ont traité chacun prés de 3000 affaires. Alors que la norme dans les
pays développés avoisine 800 dossiers par magistrat. Pour pallier cette situation, le Maroc est à l’instar d’un
nombre de pays a développé un système alternatif pour le règlement des différents basé sur l’arbitragela et
médiation. L’arbitrage a été réglementé par le chapitre VIII du titre V du code de procédure civile, par des
conventions internationales concernant l’arbitrage international, et par des lois spéciales contenant des
dispositions relatives à l’arbitrage judiciaire. Pour la médiation elle ne faisait l’objet que de certaines lois
spéciales contenant des dispositions concernant la médiation judiciaire.
1900
Voir Boudahraïn,Abdellah, « L’arbitrage commercial interne et international au regard du Maroc ».1999.
1901
L’introduction de l’arbitrage commercial au Maroc remonte à l’époque du règne du sultan My Ismail et
précisément à l’an 1693 ou a été conclu l’accord de sain germain avec la France contenant la possibilité de
trancher certains litiges spéciaux en faisant recours à l’arbitrage.
- La première organisation juridique de l’arbitrage a été entreprise par le législateur marocain à travers le
Dahir de procédure civile, abrogé, paru le 12 Aout 1913 (articles 527 à 543).
-Le code de procédure civile du 28 septembre 1974 a consacré certains articles (306 à 327).
-D’autres articles éparpillés, dont l’article 1099 du D.O.C.
- L’article 5 de la loi n°53-95 instituant les juridictions de commerce qui dispose dans l’alinéa dernier que
« les parties pourront convenir de soumettre leurs différends (…) à la procédure d’arbitrage ( …) ».
- La loi n°08-05 du 30 novembre 2007,abrogeant et remplaçant le chapitre VIII du titre V du code de
procédure civile.
1902
S.Crepin,Les sentences arbitrales devant le juge français, Pratique de l’exécution et du contrôle depuis les
réformes de 1980-1981,préf.P.Fouchard,Paris,LGDJ,1995,Bibl.dr.privé,T.249,p.85,n°99.
391
litige. Ainsi, si l’arbitre ne peut modifier l’économie du contrat1903, il lui est tout à fait
permis de le refaire pour en assurer l’exécution. Il en résulte que le règlement des litiges passe
alors par la réfaction du contrat dans la mesure où cette technique conduit à la pérennité du
rapport contractuel1904.

La réfaction du contrat par l’arbitre se manifeste à travers certains exemples issus du


commerce international. L’arbitre tire son pouvoir de statuer de la convention d’arbitrage, des
conventions internationales, de la lex mercatoria1905 et des principes d’Unidroit qui admettent
la réfaction du contrat1906 en tant que mécanisme d’adaptation des obligations contractuelles
conciliable avec la conception moderne de la force obligatoire du contrat ; une conception qui
tient compte aussi bien les intérêts des parties du contrat que la survie du lien contractuel.
L’arbitre intervient dans le contrat en interprétant la volonté des parties dans l’objectif de
pérenniser le contrat et maintenir l’équilibre contractuel. A ce propos, certains pays comme
l’Allemagne, l’Autriche, la Grèce et l’Italie, ont instauré dans leur Code civil une disposition
générale, rendant certain le recours à l’arbitrage d’un tiers dans n’importe quelle espèce du
contrat, et pour préciser n’importe quelle clause du contrat, l’arbitre pouvant ainsi, compléter
un contrat ou en réviser certaines clauses1907.

Le juge peut s’engager dans la réfaction du contrat par sollicitation tacite des
contractants. A ce titre, il élude la solution de droit strict au profit de la réfaction contractuelle
qu’il demande aux contractants d’appliquer. Ainsi, la cour d’appel1908 refusa de retenir la
nullité d’un contrat, et « trouvant un support dans la volonté des contractants » qui avaient
contractuellement rédigé une clause de sauvegarde pour éviter la ruine du contrat, imposa aux
contractants après l’échec de leur négociation, la désignation d’un tiers chargé d’adapter le
contrat. Cette solution « porte témoignage d’un souci nouveau des juridictions étatiques de ne

1903
CA Paris,6 mai 1988,Rev.Arb.1989,p.93,note E.Loquin.
1904
Sur ce point une étude élaborée en France démontre que « devant la Cour d’appel de Paris, les sentences se
prononçant en faveur de la continuation du contrat s’inscrivent à 81% dans le cadre d’un arbitrage
institutionnel ».Ceci constitue indéniablement un exemple que les juridictions judiciaires suivent dans la
résolution des litiges, les sanctions aboutissant à l’annulation du contrat tendant à disparaître au profit de
l’exécution.
1905
Sur ce point voir ;Olivier Caprasse,Les sociétés et l’arbitrage,préf.de Guy Keutgen,éd.Delta,2002.
1906
L’arbitre dispose d’un pouvoir large émanant de certains textes qui l’y autorisent en matière d’intervention
dans le contrat.
1907
R.David, La technique de l’arbitrage comme procédé de révision des contrats, Extrait de rapport général du
10é congrès international de droit comparé. Ed.Budapest :Akadeliai Kiado.
1908
Affaire EDF rendue par la Cour d’appel de Paris le 28 septembre 1976.Monsieur Robert soulignait en
commentant cet arrêt que la Cour d’appel de Paris rendit cette solution en « empruntant tous les aspects majeurs
de l’arbitrage : désignation d’un homme de bonne volonté, utilisation maxima de l’aspect volontariste du contrat,
recherche d’une solution équitable et économiquement fondée, menace de la sanction par usage de pouvoir
délégué ».Sur ce point, voir J.Robert,note sous CA Paris,28 sept.1976,JCP éd.G.,1978.II.18810.
392
plus statuer en droit strict, mais de dégager des solutions d’équilibre et d’aménager des
situations contractuelles de manière à donner effet à la volonté des parties tout en provoquant
l’adaptation, au lieu de se borner à constater la caducité des conventions en cause »1909.

Il reste à démontrer que le recours à la justice privée moderne en matière de résolution


des conflits par les parties contractuelles, peut constituer une source pour le juge afin de
s’engager davantage dans le système de réfaction du contrat, à travers la compensation des
dettes et la réduction des obligations, en s’inspirant des remèdes conçus à l’inexécution du
contrat en droit comparé.

2- De la compensation des dettes à la réfaction du contrat en droit comparé


La justice privée, telle qu’elle est conçue en droit contemporain, constitue une
exception au monopole de la justice étatique. M.Demogue souligne, en effet, que « on parle
de la justice privée au cas où une personne poursuit elle-même l’exécution de son droit, sans
l’intervention des autorités »1910. M. Béguin retient ainsi quatre critères pour la justice
privée : l’auteur doit avoir agi de sa propre autorité, en s’estimant titulaire d’un droit, qu’il
estime violé par autrui, afin de rétablir un ordre juridique plus conforme au droit de son
auteur. Les mécanismes d’adaptation conçus par le droit contemporain en tant que remèdes de
justice privée aux hypothèses de l’inexécution du contrat incitent fortement le débiteur à
exécuter ses obligations d’une manière souple et graduée sans recours à la justice étatique. Il
existe deux instruments en matière de justice privée conçues en fonction de l’inexécution du
débiteur, instruments qui peuvent être mis en œuvre par le juge moderne pour faire adapter la
force obligatoire du contrat à la conception dynamique.

La compensation est l’un des instruments de la justice privée par lequel deux
obligations réciproques conclues entre les mêmes personnes s’éteignent totalement ou
partiellement lorsqu’elles ont pour objet une somme d’argent ou une certaine quantité de
choses fongibles de même espèce1911.Elle permet de simplifier considérablement les
paiements et évite les multiplications inutiles d’actions en justice pour obtenir un paiement.
Fondée sur la connexité des créances réciproques, elle constitue un remède à l’inexécution du
contrat puisqu’elle permet au créancier d’être satisfait alors que son débiteur ne l’a pas payé,
au sens strict. La compensation qui permet de rééquilibrer les prestations suite à l’inexécution

1909
B.Oppetit, « Arbitrage juridictionnel et arbitrage contractuel : à propos d’une jurisprudence
récente »,Rev.Arb.1977,p.322.
1910
V.R.Demogue,Les notions fondamentales du droit privé. Essai critique.1991.Ed. La mémoire du Droit,
Paris :2001.p.622 et s.,spéc.p.622.
1911
V.G.Cornu, Vocabulaire juridique, op.cit.,V° Compensation.
393
peut être conçue comme un véritable remède à l’inexécution du contrat. En droit comparé on
distingue entre le systéme anglais où la compensation est judiciaire et non Ŕrétroactive et le
système allemand où la compensation qui opère par voie de déclaration à l’autre partie est de
nature rétroactive.

En droit anglais, la compensation (set-off) s’est développée lentement, notamment en


cas de faillite1912 (insolvency set-off), pour éviter la multiplication des actions en justice et,
par souci d’équité, pour éviter qu’un créancier ait à payer le montant total de sa dette à un
débiteur en faillite qui verrait, au contraire ,le paiement de sa propre dette suspendu, voire
réduite en fonction des autres créances, du fait de la procédure du faillite1913.Cet model de
compensation a connu par la suite un essor important ,en tant que remède d’équity sur des
fondements de justice naturelle et d’équité1914. Ainsi, le droit anglais connaît l’insolvency set-
off, l’équitable set-off ainsi que le set-off by agreement (compensation conventionnelle).

Le mécanisme de compensation était un remède purement procédural. Il doit être


demandé en justice pour être efficace car il prend effet au jour du jugement et n’opère pas
rétroactivement au jour où les conditions de la compensation sont réunies1915.Ainsi, la
position du droit anglais, repose non seulement sur la nécessaire constatation de la
compensation par un juge, mais aussi sur son effet-rétroactif : l’effet extinctif de la
compensation doit être constaté par un juge. Cependant, la nature de ce mécanisme est abordé
autre - manche, car un courant doctrinal contemporain admet que la compensation n’est pas
purement procédurale et pourrait être mise en œuvre d’une façon unilatérale par les parties1916
en se fondant sur l’équité et la justice naturelle. Or la compensation conventionnelle opère par
la volonté des parties et la compensation en matière de faillite produit ses effets
automatiquement lors de l’ouverture de la procédure. Cette position est d’ailleurs suivie par

1912
V.Insolvent Debtors Relief Act 1729,s.13 :lorsque le défendeur et le demandeur ont des demandes
réciproques. « one debt may be set against the other ».V.R.Z.immermann. Comparative Foundations of a
European Law of Set-Off and Prescription,Cambridge :Cambridge University Press.2002,p.26 et s.
1913
Voir Catherine Popineau-Dehaullon,Les remèdes de justice privé à l’inexécution du contrat,op.cit.p.128.
1914
V.Green v.Farmer (1768) 98 ER 154,per Lord Mansield : « Natural equity says, that cross-demands should
compensate each other,by deducting the lesser sun from the greater :and that the difference is the only sun whith
can be justly due (…) But positive law,for the sake of the forms of proceedings and convenience of trial,has said
that each must sue and recover separately ».
1915
V.R.Z.immermann. Comparative Foundations of a European Law of Set-Off and Prescription, op.cit.,
p.23.La compensation se déroule selon la procédure suivante : Dans un premier temps, le tribunal doit
déterminer, au fond, l’existence de la créance du demandeur envers le débiteur pour prouver que la demande en
paiement du créancier est justifiée. Dans un second temps, le débiteur peut invoquer la compensation de sa dette
avec une créance qu’il aurait contre le créancier, mais jusqu’au jour du jugement le débiteur doit payer à ce
dernier le montant total de sa dette.
1916
V.Ph.R.Wood,English and International Set-Off,Londres :Sweet &Maxwell,1989,p.24 et s.
394
les tribunaux qui déduisent souvent l’équitable set-off d’un accord tacite entre les parties
visant à compenser leurs créances réciproques1917.

Force est de constater, que le droit anglais n’est pas aussi ouvert qu’il n’y paraît à la
justice privée. En revanche, le droit allemand est considéré comme un droit souple dans la
mesure où il permet la compensation extrajudiciaire fondée sur la déclaration unilatérale du
créancier.

La compensation (Aufrechnung) en droit allemand est mise en œuvre de manière


extrajudiciaire par une déclaration unilatérale à l’autre partie aux termes du §388 du BGB1918,
sur le fondement d’un Gestaltungsrecht1919.Dés le début du XIXe siècle, le BGB allemand
décidait ainsi qu’une simple déclaration (Erkärug) à l’autre partie suffisait à donner effet à la
compensation1920. Mais, jusqu’à la fin du XIXe, certains auteurs allemands ont voulu apporter
une exception à cette règle de compensation, par le fait d’être invoquée devant un juge pour
produire ses effets1921.

Le droit allemand est plus souple, du fait qu’il permet d’intervenir le mécanisme de la
compensation sans recourir à l’office du juge contrairement au droit anglais. Aux termes
du §389 du BGB, la compensation produit un effet rétroactive le jour où les conditions de sa
mise en œuvre sont justifiées. Elle doit être constatée par l’une des parties du contrat dans
une déclaration envoyée à son contractant. Le droit allemand donne sa véritable efficacité à la
compensation en n’obligeant pas les parties à recourir à l’office du juge alors que la
compensation est utile dans la mesure où elle conduit à la satisfaction rapide des parties, sans
passer par la voie judiciaire pour arriver à cette finalité.

Cette conception de compensation est retenue par les principes du droit européen du
contrat. Ainsi, l’article 13 :101 admet que la compensation est un droit que chacune des
parties peut mettre en œuvre et l’article 13 :104 reprend le mécanisme allemand de la
notification par le moyen d’une déclaration unilatérale pour opérer la compensation.
1917
V.R.Derham,Set-off, p.8 : « In the absence of insolvency,equity at that time would look for
évidence,however slight,of an agreement for a set-off ».
1918
Voir §388 du BGB :« Die Aufrechnung erfolgt durch Erklärung gegenüber dem anderen Teil.Die Erklärung
ist unwirksam,wenn sie unter einer Bedingung oder einer Zeitbestininung abgegeben wird ».
1919
La doctrine allemande a ainsi développé le concept de « droit formateur » (Gestatltungsrecht).Cette notion
originale concerne les droits subjectifs qui confèrent à leur titulaire le pouvoir unilatéral soit de faire naître ou
de déterminer plus précisément un rapport juridique, soit le plus souvent, de le modifier ou d’y mettre un terme.
1920
Cette position doit être rapprochée de la tendance du BGB à privilégier la justice privée lorsqu’elle est
possible par le biais des déclarations de volonté.
1921
V.R.Z.immermann. Comparative Foundations of a European Law of Set-Off and Prescription, op.cit.,
p.26.Cette position résulte de l’école de pensée du glossateur AZO qui insistait sur la nécessité d’une déclaration
du débiteur, après le déclenchement de la procédure de demande en paiement ouverte par son
créancier.V.Ibid.citant P.AZO,Sununa Codiciis,Lib.IV.De compensationnibus rubrica,Lugduni,1552,p.140.
395
Contrairement au droit allemand, la compensation produit ses effets à partir du moment de sa
notification et non pas au jour où les conditions de celle-ci étaient réunies.

En droit français comme en droit marocain, la compensation ne peut être invoquée que
devant un juge, chargé de constater la réunion de ses conditions. A ce propos l’article 1290 du
Code civil français dispose que « la compensation s’opère de plein droit par la seule force de
la loi, même à l’insu des débiteurs. Le jugement qui constate la compensation est purement
déclaratif et le juge n’a aucun pouvoir d’appréciation. Son intervention se justifie seulement
par l’information des parties. Or, l’effet extinctif de la compensation peut intervenir à l’insu
des débiteurs, à un moment où ils ignoraient de leurs droits réciproques1922, il n’est donc pas
sûr que les parties soient mieux protégés à cet égard par la constatation judiciaire de la
compensation. Il paraît donc cohèrent d’admettre que cette constatation pourrait être faite par
l’une des parties selon le modèle du droit allemand. Ce mécanisme extrajudiciaire est conçu
pour faire face à l’inexécution du débiteur, ;issu de la structure du contrat et justifie la
dispense de l’immixtion du juge. Il est donc souhaitable que le droit marocain évolue dans ce
sens, conforment au droit allemand, en admettant la simple déclaration de compensation1923
adressée par le créancier à son débiteur.

A coté du mécanisme de la compensation, la justice privée a conçu un autre


instrument : la réduction unilatérale des obligations et ce dans la logique de permettre au
créancier1924 de réduire directement ses obligations proportionnellement à l’inexécution du
débiteur. Cette possibilité est connue en droit français sous le nom « de réfaction du contrat »,
en permettant à une des partie de réduire ses obligations dans le cas de l’inexécution de son
contractant, en particulier son obligation de payer le prix. La réfaction conduit donc à réduire

1922
V.F.Terré.Ph.Simler et Y.Lequette.Droit civil.Les obligations. Op.cit.,n°1408,p.1332.
1923
La compensation a un vaste domaine d’application car elle a une vocation générale de par son fondement
sur l’essence du contrat synallagmatique. Elle est utilisée en particulier dans le cadre des conventions de compte
courant par lesquelles le banquier peut se payer lui-même en cas de faillite du client et ce contrairement aux
règles du concours, en vertu desquelles elle clôt le compte. De même en matière de crédit- bail immobilier, la
Cour de cassation française a admis la compensation entre les créances de restitution d’un dépôt de garantie et
l’indemnité de résiliation fixée par une clause résolutoire, dans le cadre d’un contrat de crédit-bail immobilier.
V.Civ.3e,4 janv.2006.Bull. civ.III.n°6.Cette compensation permet en l’espèce au crédit-bailleur d’être satisfait,
pour une partie au moins de ses créances, alors même que le crédit-preneur a été mis en redressement judiciaire
après la résiliation du contrat et que tout paiement est donc interdit, car les conditions de la compensation étaient
remplies avant l’ouverture de la procédure collective.
1924
Le créancier peut refuser d’exécuter ses obligations en cas de défaillance de son partenaire, ce refus se
manifeste par une réduction unilatérale d’une manière proportionnelle de ses obligations.
396
le prix stipulé au contrat du fait de l’insuffisance de la prestation délivrée par le
contractant1925.

La réduction des obligations est admise dans de nombreux systèmes étrangers, mais
elle n’a pas partout la même portée ni le même mode de mise en œuvre. En droit anglais cette
pratique est largement admise par les professionnels1926 et validée par la jurisprudence. Elle
a ; en outre officialisée par la transposition de la directive du 25 mai 1999 par les Sale and
Supply of Consumer Goods to Consumers Regulations 2002, insérées à la Partie 5 du Sale of
Goods Act 1979.En instituant un véritable droit légal du consommateur à la réparation, au
remplacement ou à la réduction du prix, la transposition de la Directive ne bouleverse donc
pas réellement le droit anglais des remedies1927. La règle de la réduction unilatérale des
obligations est parfois appliquée en matière de contrats d’entreprise du fait de la doctrine de
substantial performance1928. Les juges anglais autorisent le client à réduire le prix à payer dans
le cas où l’entrepreneur n’a exécuté correctement toutes ses obligations mais a exécuté de
manière « substantielle »1929.

En droit québécois, la réduction de l’obligation est désormais un principe général. Le


Code civil du Bas-Canada admettait que la réduction de l’obligation soit une sanction de
l’inexécution et était permise dans certains cas1930.Ainsi l’article 1604, alinéa 2 dispose que,
lorsque la violation du contrat est de peu d’importance, le créancier ne peut obtenir la
résolution et qu’il doit se contenter de la réduction de sa propre obligation corrélative, ou
bien des dommages et intérêts notamment dans le cas où l’obligation du créancier est de
nature non pécuniaire, comme l’obligation de remise d’un bien1931.Le législateur Québécois a

1925
De manière plus restreinte, c’est « la réduction sur le prix des marchandises au moment de livraison,
lorsqu’elles ne sont pas livrées dans les conditions convenues ».Sur ce point, voir,G.Cornu, Vocabulaire
juridique, op.cit.,p.750,v° Réfaction.
1926
Dans les contrats entre professionnels et consommateurs, l’acheteur a le choix de résoudre le contrat ou de
réduire le prix en cas de livraison non conforme, si la réparation ou le remplacement ne sont pas possibles aux
termes de la s.48A.
1927
V.S.Singleton,Sale and Supply. (2003) 11 IT Law Today 11.1.
1928
La subtantial performance est un mécanisme de réduction proportionnelle du prix, qui peut être opérée par le
juge, ce dernier pouvant alors intervenir a posteriori pour vérifier que le créancier pouvait réduire le prix prévu
et pour apprécier le montant de la réduction.
1929
V.l’arrêt de principe,Hoenigs v.Isaacs, (1952) 2 All.ER 176 : en l’espèce, le contrat d’entreprise portait sur la
redécoration et l’ameublement d’un appartement pour un montant de £750.L’entrepreneur avait mené les
travaux à bien mais il existait des défauts de construction concernant une bibliothèque et une penderie ,dont la
réparation coûtait environ £55.Le client avait emménagé dans l’apparentement mais refusait de payer le prix
prévu. Les juges ont décidé que l’entrepreneur avait exécuté substantiellement le contrat et avait donc le droit
d’être payé le prix prévu mais réduit du montant des dommages et intérêts du fait de son inexécution.
1930
Voir articles 1501,1505,1518,1608,1609 et 1656 du Code civil du Bas-Canada.
1931
V.Rouleau c.Gagnon (1995) R.L.311 (C.Q).V.aussi J.-L.Baudouin et P.-G.Jobin,Les
obligations,op.cit.,p.597-598.
397
consacré à travers l’article 1590 du Code civil la possibilité au créancier de choisir entre la
résolution et la réduction des prix.

La réduction semble devoir être judiciaire, notamment en matière d’entreprise où


l’évaluation de la réduction pose le problème de l’évaluation de la qualité du travail de
l’entrepreneur1932. L’article 1604 alinéa 3, confère au juge un pouvoir discrétionnaire dans la
détermination de la réduction des prix. La réduction des obligations serait ainsi élevée au
rang de remède général à l’inexécution, favorisant par-là la stabilité des contrats, puisque en
pratique le créancier optera pour une réduction de son obligation au lieu de recourir à la
résolution.

Le droit allemand ne connaît pas de principe général de réduction du prix. Si le BGB


n’admet pas ce mécanisme dans sa portée générale, il prévoit cependant cette possibilité
dans sa partie spéciale relative aux contrats spéciaux notamment dans le contrat de vente ou
d’échange (§441) ou de contrat d’entreprise (§638).Dans les deux cas cette faculté s’effectue
par déclaration unilatérale au contractant sans recourir à l’office du juge. Le contractant peut
cependant contester la réduction a posteriori, le juge devra procéder à l’estimation du prix1933.

Le principe général de la réduction du prix a été consacré par les principes du droit
européen du contrat. La mise en œuvre de cette faculté s’effectue d’une manière unilatérale,
elle est offerte généralement à tous les créanciers subissant une exécution non conforme du
contrat. Cela s’illustre à travers un exemple d’un producteur qui vend 50 tonnes de café à
un grossiste au prix de 2400£ la tonne et ne lui livre que 30 tonnes, l’acheteur pourra choisir
d’accepter la livraison partielle et réduire proportionnellement le prix de 120 000£ à 72 000
£.Cette solution est admise comme un principe général de l’inexécution, dans le chapitre 9
sur « Divers moyens en cas d’inexécution »,au même titre que la résolution ou l’octroi des
dommages et intérêts. Les exemples de réduction unilatérale du prix montre que ce
mécanisme permet un rééquilibrage du contrat après l’inexécution du débiteur, sans
l’intervention du juge soit nécessaire a priori. Le recours au juge s’avère nécessaire
notamment en matière de contrats d’entreprise dont l’évaluation de la qualité du travail
pourra poser problème.

En droit marocain comme en droit français, il n’existe pas à proprement parler de


principe général de réduction du prix .Du fait du principe de l’intangibilité de la loi

1932
V.Exavation André Laliberté Inc.c.Hanitations Consultans H.L.Inc.,J.E.96-1160 (C.Q.) (réduction du prix
payé à un entrepreneur du fait de sa surélévation des travaux additionnels qu’il avait conduits).
1933
§ 441 (3) et 638 (3).
398
contractuelle, les modifications des stipulations initiales des parties ne peuvent
traditionnellement avoir lieu que sur le fondement de leur accord mutuel ou sur
l’intervention du juge, lorsque l’équité l’exige, dans des conditions strictement
définies1934.Cependant, la technique de la réfaction constitue une véritable « tradition
judiciaire »,elle a été développée en matière de vente commerciale1935, en tant que sanction
du non respect de l’obligation de délivrance :l’acheteur pouvait préférer la réduction
proportionnelle du prix de la chose livrée ,bien que non conforme aux prévisions du contrat,
était toujours commercialisable. Les usages commerciaux l’envisagent souvent1936.

La réduction du prix est consacrée par l’article 3, alinéa 2 de la Directive


n°1999/44/CE du 25 mai 1999 sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de
consommation. Aux termes de cet article et en cas de non-conformité des marchandises
livrées, le consommateur devra pouvoir choisir entre la mise en conformité du bien- par
remplacement ou réparation- la résolution du contrat ou la réduction proportionnelle du
prix1937. Aussi, l’article L.211-10 du code la consommation français1938 dispose qu’en cas de
non Ŕconformité du bien vendu, et si la réparation ou le remplacement sont impossibles, le
consommateur a le choix entre « rendre le bien et se faire restituer le prix ou garder le bien et
se faire rendre une partie du prix » .La réfaction du contrat est ainsi considérée comme un
remède à part entière à l’inexécution du contrat.

La Convention de Vienne retienne cette solution de réduction unilatérale du prix dans


le domaine de la vente internationale de marchandise1939. Elle est le fruit d’un compromis
entre de nombreux systèmes étrangers, qui comme nous l’avons vu, sont plus souple que le
droit français et le droit marocain vis-à-vis la mise en œuvre du remède .Il nous semble donc
cohérent de recommander l’instauration de ce mécanisme en tant que principe générale de la

1934
V.le rejet de la théorie de l’imprévision dans le fameux arrêt Canal de Craponne,Civ.6 mars 1876,
D.1876.1,p. 193,note A.Giboulot.
1935
En droit marocain ,v. l’article 543 du D.O.C qui dispose que : « lorsque la vente a pour objet plusieurs
choses mobiliéres achetées en bloc et pour un prix unique,l’acheteur qui est évincé d’une partie de ces objets
peut,à son choix, résilier le contrat et se faire restituer le prix,ou bien demander une réduction proportionnelle »
et en droit comparé l’article 1644 du Code civil français.
1936
La chambre commerciale a, par exemple, autorisé la réfaction du prix dans le cadre d’une vente de bois
d’une quantité non conforme à celle prévue au contrat ,au motif que « d’après un usage constamment suivi dans
la colonie, les marchés de bois ne sont pas annulés par suite de la présentation d’une marchandise ne remplissant
pas les conditions prévues au contrat ».V.Com.1er avril 1924,Grands arrêts de la jurisprudence commerciale,
op.cit.,n°119.
1937
L’article 3,alinéa 2 dispose ainsi que « en cas de défaut de conformité, le consommateur a droit soit à la
mise du bien dans un état conforme, sans frais, par réparation ou remplacement (…) soit à une réduction
adéquate du prix ou à la résolution du contrat en ce qui concerne ce bien ».
1938
Le code de la consommation modifié par l’ordonnance n°2005-136 du 17 février 2005 relative à la garantie
de la conformité du bien au contrat due par le vendeur au consommateur.
1939
Voir l’article 50 de la Convention de Vienne.
399
réduction unilatérale du prix en droit marocain à la manière du droit allemand dont la
réduction s’opère par voie de déclaration à l’autre partie. Ce support permettrait d’informer le
débiteur de la mise en œuvre du remède mais servirait aussi de support à un éventuel
contrôle judiciaire a posteriori1940.

Les remèdes de la justice privée proposent une alternative aux remèdes judiciaires. Le
mécanisme de la compensation ou de la réduction est intrinsèque au contrat synallagmatique
et qu’il est souvent constaté par le juge. La justice privée permet de mettre en œuvre
rapidement et efficacement le droit du créancier pour réduire sa propre exécution dans
l’hypothèse de l’exécution incorrecte des engagements de son partenaire, grâce à la
procédure ordinaire (mise en demeure et notification) qui s’articule sur une déclaration
adressée par le créancier lui notifiant la mise en œuvre du remède. Un contrôle à posteriori
par le juge est nécessaire pour sanctionner d’éventuels abus dans la concrétisation de droit. Il
en résulte que la survie du contrat passe par le développement d’une politique juridique
moderne qui constitue une assurance pour la force obligatoire du contrat.

Il importe d’encourager ces mécanismes issus de la justice privée et de les introduire


dans le droit marocain pour qu’il soit un droit souple et efficace favorisant ainsi, la pérennité
et l’équilibre contractuel à travers la mise en place de la nouvelle conception de la force
obligatoire du contrat.

L’immixtion du juge dans le contrat est considérée par une partie de la doctrine
comme une source d’insécurité juridique dans l’hypothèse d’éventuels abus de pouvoir.
L’atténuation de ces risques consiste à respecter les principes juridiques et de mettre en
œuvre par le juge de la technique de la réfaction judiciaire qui coexiste avec la conception
nouvelle de la force obligatoire née du fait du déclin du principe de l’autonomie de la volonté
et du besoin d’un contrat social et équitable. Ainsi, le législateur a conçu des procèdes
d’intervention qui sont mises à la disposition du juge aboutissant à la mise en œuvre de la
réfaction judiciaire, pour garantir la pérennité du contrat et de satisfaire l’équilibre
contractuel. Or, pour asseoir légalement le pouvoir du juge en vue d’équilibrer ou de rendre
légale le rapport obligatoire, une harmonisation du système juridique marocain avec les
ordres juridiques privés modernes est devenue une nécessité, en intégrant les pratiques
contractuelles et jurisprudentielles, au droit commun du contrat notamment la consécration de
la théorie de l’imprévision et l’admission de la réfaction. Pour cette fin, le droit comparé

1940
Voir Catherine Popineau-Dehaullon, Les remèdes de justice privé à l’inexécution du contrat ,Etude
comparative, op.cit., p.144 .
400
constitue une source d’inspirant dans toutes éventuelles reformes judiciaires du D.O.C.La
conciliation entre la justice contractuelle et le respect des conventions consiste à adapter
l’ordre juridique étatique avec le droit européen et le droit international, pour permettre
d’introduire dans notre droit, les mécanismes aboutissant à la mise en œuvre d’une conception
nouvelle de la force obligatoire du contrat à travers le renforcement d’un pouvoir légal
permettant au juge d’une manière claire d’équilibrer les rapports contractuels et de satisfaire
la justice contractuelle. Tous ces points doivent à présent faire l’objet de notre démonstration
dans le cadre de l’étude sur l’évolution du pouvoir du juge pour satisfaire l’équilibre
contractuel à travers deux procédés : l’interprétation et la qualification.

Section 2 : L’intervention du juge dans le contrat pour satisfaire


l’équilibre: cas de la réfaction

Il y a une quarantaine d’années, le doyen Cornu signalait que « l’évolution est au


renforcement des pouvoirs de contrôle du juge, dans le domaine des
contrats »1941.Aujourd’hui, on relève souvent l’importance que revêt le rôle du juge dans le
domaine des contrats et, notamment son immixtion dans les rapports contractuels pour en
corriger les excès. Ainsi, le juge est bel et bien doté de larges pouvoirs pour remettre en cause
le contrat ou pour sanctionner un comportement contractuel. Il peut, par exemple, réduire à
néant le contrat ou l’une de ses clauses s’il constate une atteinte à l’ordre public, à une
obligation essentielle, à l’économie du contrat, aux droits fondamentaux 1942, et encore bien

1941
G.Cornu, ‘Regards sur le titre III du livre III du Code civil’ Des contrats et des obligations
conventionnelles en général, Les cours de droit, Paris 1976, n°273.
1942
Le sens de l’expression « droits fondamentaux » peut se présenter selon une double approche : L’approche
structurelle et l’approche fonctionnelle. La première permet de donner une définition à cette expression. Ainsi
au sens commun, est fondamental ce qui est essentiel, déterminant mais aussi ce qui est fondement, qui sert de
base. Pour reprendre une métaphore architecturale dans architecturale dans le prolongement de ce second
sens, les droits fondamentaux sont comparables « aux fondations d’un édifice ».Au niveau juridique, cette
ambivalence se retrouve dans les définitions données aux droits fondamentaux. Une distinction est généralement
opérée entre une définition formaliste et une définition matérielle, ou « essentialiste » des droits fondamentaux.
En ce sens, voir, M.Mekki, L’intérêt général et le contrat. Contribution à une étude de la hiérarchie des intérêts
en droit privé, LGDJ, coll.Bibl.de droit privé, tome 411,2004,spéc.n°397,pp.241-242 ;Pour une présentation
complète, voir,D.Ribes,L’Etat protecteur des droits fondamentaux. Recherche en droit comparé sur les effets des
droits fondamentaux entre personnes privées, thèse préc., n°45,p.54 : « Certains auteurs évoquent dans des
acceptations similaires, la fondamentalité interne ou juridique, d’une part ,la fondamentalité externe ou
métajuridique, d’autre part » ;adde B.Mathieu et M.Verpeux, Contentieux constitutionnel des droits
fondamentaux, LGDJ,coll.Manuel,2002,spéc.p.12. Selon la définition formaliste, le droit est fondamental en
raison de la position hiérarchique de la norme qui le consacre. Selon la seconde, le droit est fondamental en
raison de l’importance des valeurs portées par le droit », « des valeurs éthiques et politiques qui régissent la
structure sociale ».Ces définitions ne sont pas forcément opposées et peuvent même être complémentaires,
comme le souligne M.Peces-Baba Martinez : « Les droits fondamentaux peuvent comprendre aussi bien des
présupposés éthiques que des composantes juridiques ».Sur ce point, voir,G.Peces-Barba Martinez, Théorie
générale des droits fondamentaux, LGDJ,coll.Droit et société,2004,spéc.p.35. Selon La seconde approche, les
droits fondamentaux, sont un instrument rhétorique pour les plaideurs dés lors qu’ils sont invoqués, notamment
par celui qui se prétend victime d’une violation, pour obtenir un traitement en faveur, comme l’inexécution de
401
d’autres notions dont les juges ont développé l’usage pour opérer, un contrôle serré, du
contrat et des clauses contractuelles1943.

A ce titre, certains auteurs soulignent alors, que « le rôle du juge n’est plus tant de
dire la norme abstraite que de sanctionner des attitudes. On le voit bien, poursuivent-ils, avec
le formidable développement du principe de bonne foi : il ne s’agit pas d’appliquer la loi mais
de tempérer la force que confère au créancier sa qualité juridique, puisée dans la loi »1944.

L’intervention du juge dans le contrat n’est pas non plus à l’abri de tout risque
d’arbitraire, du fait du son de pouvoir large d’appréciation dans le domaine des conventions.
M. Denis Mazeaud a avancé que cette intervention fragilise le contrat qui est un instrument
de gestion de risque dont les vertus essentielles sont la prévisibilité et la stabilité1945.Selon un
auteur, le juge peut avoir un pouvoir créateur en matière contractuelle où on admet que la
jurisprudence est une source de droit. Le juge peut alors inclure au contrat des obligations
non prévues par les parties, il crée « une règle de droit impérative au nom de l’ordre public
contractuel »1946.Mais l’octroi d’un tel pouvoir peut laisser l’observateur perplexe1947.Il est
alors possible qu’au nom de la réfaction, le juge reçoive la possibilité d’intervenir dans le
contrat pour modifier incorrectement le contrat « abusant » de ce pouvoir.

La quête d’une sécurité juridique absolue ainsi que la mise en place d’une barrière
contre toute intervention du juge relève de l’utopie1948.On peut soutenir que l’intervention du
juge ne portant pas atteinte à la sécurité juridique est opportune, elle est aussi juridiquement
défendable1949. Pour limiter les risques d’arbitraire et d’insécurité juridique, il faut que

certaines obligations contractuelles voire même une repture contractuelle à moins frais. Sur ce point, voir
C.Pérés, « Anéantissement du contrat et restitutions sous l’emprise de l’effectivité des droits
fondamentaux »,RDC 2010,pp.1185 et s ;Lucien Maurin,Contrat et drois fondamentaux, réf de Emmanuel
Putman,LGDJ,2013,p.8 et s.
1943
Voir Marie Lamoureux,Le contrôle des pouvoirs du juge par le contrat, in, L’efficacité du contrat, sous la
Direction de Gwendoline Lardeux,Dalloz,2011,p.57 et s.
1944
Malaurie et Aynés,Les contrats spéciaux,10 me éd,1997,avant propos.
1945
D.Mazeaud,Le juge face aux clauses abusives, in le juge et l’exécution du contrat, presse universitaire d’Aix-
Marseille,1993,p23 et s.
1946
Ch.Larroumet, Droit civil, Tome III, Les obligations, Le contrat, op.cit.,n°141,p.121.
1947
V.en ce sens :A.-A.AL-Sanhoury, « Le standard juridique » ;art.préc.,p.154-155 : « On peut prévoir
l’objection la plus commune qu’on pourrait adresser au système des standards :en donnant au juge le pouvoir
discrétionnaire nécessaire pour l’application du standard, on risque de tomber dans l’arbitraire du juge ;le juge
donnerait libre essor à ses tendances personnelles, et appliquerait ses propres doctrines sociales et
économiques ».
1948
En ce sens,V.M.Perelman, « Les notions à contenu variable en droit »,in : Ethique et droit, éditions de
l’université de Bruxelles,1990,p.788 : « un système de droit conçu en fonction du seul idéal de sécurité
éliminerait l’intervention de tout jugement, en remplaçant les juges par des ordinateurs dans l’administration de
la justice ».
1949
La loi Allemand de 9 décembre 1976 dispose que toute clause pré-rédigée par l’une des parties et
défavorable à l’autre est nulle si elle est contraire au principe de la bonne foi. Les législations suédoise et
danoise se référent au caractère raisonnable ou déraisonnable de la stipulation contractuelle eu égard au contenu
402
l’intervention du juge fasse l’objet d’un double encadrement1950 : le premier, relève de la
compétence des parties1951 visant à limiter la marge de manœuvre du juge et le second aspect
d’encadrement de la mission du juge passe par le respect des principes juridiques et des
pratiques de droit processuels qui déterminent l’aptitude du juge à intervenir pour satisfaire
les exigences de la justice.

Le souci de satisfaire la justice contractuelle et l’accroissement de l’intervention du


juge dans le contrat à cet effet constituent deux traits qui caractérisent l’évolution du droit des
contrats et donnent une importance particulière aux articles 230 et 231 du D.O.C, et en droit
comparé les articles 1134 et 1135 du Code civil français. Le droit positif offre divers
exemples qui montrent que la satisfaction de la justice contractuelle est poursuivie sur
d’autres fondements. Parfois l’intervention du juge dans le contrat pour satisfaire l’équilibre
contractuel se traduit par la révision pour imprévision1952. L’examen de la jurisprudence et du
droit comparé montre qu’il y a une tendance, qui se précise de plus en plus, vers l’abandon
du principe que rejette la révision pour imprévision. La consécration de cette théorie
d’imprévision par un texte législatif doit ainsi traduire les mutations contractuelles et les
pratiques judiciaires qui en découlent.

Aussi, le recours à la technique de la réfaction par le juge et par les parties en cas d’un
déséquilibre contractuel ou d’une illicéité contractuelle, prouvent la place croissante de cette
sanction dans notre droit positif. Le législateur est uniquement intervenu pour corriger des
déséquilibres dans des domaines aussi divers que disparates dans notre législation, sans
donner une certaine cohérence en la matière à notre système juridique. Ainsi, il serait
souhaitable que le législateur, dans le cadre d’une modernisation du droit commun des
contrats, accorde au juge la possibilité d’intervenir dans le contrat mais sans passer par des

du contrat, aux circonstances ayant entouré sa formation, aux événements subséquents ou à d’autres
circonstances. Sur ce point voir,Noomen Rekik,Les clauses abusives et la protection du consommateur, in Etudes
Juridiques, Revue de la Faculté de Droit de Sfax,n°7 ,2000,p.121.
1950
D.Berthiau,Le principe d’égalité en droit civil des contrats ,préf.J.-
L.Sourioux,BDP,tome,320,LGDJ,1999,n°648 et s.,p.342 et s.
1951
Les parties aménagent désormais fréquemment la mission du juge du contrat et tendent à restreindre par
leur convention le pouvoir judiciaire d’interprétation .Elles s’accordent en effet de manière croissante, en
anticipation des différends, sur des clauses relatives au mode d’interprétation de l’accord écrit, à la qualification
de celui-ci ou encore au traitement de la preuve. Les dispositions de droit commun se trouvent écartées par cette
« contractualisation » du pouvoir judiciaire d’interprétation. La contractualisation du pouvoir judiciaire
d’interprétation se manifeste par différentes clauses contractuelles qui peuvent regroupés dans une typologie. Sur
ce point voir,Gregory Lewkowiecz et Mikhaïl Xifaras, Repenser le contrat, Dalloz,2009,p.276 et s ;
.v.Ancel,P.,in Cadiet,L. (dir.),Dictionnaire de la Justice, Paris,PUF,2004 v° « contractualisation ».
1952
Bureau et Molfessies,Les arrêts de l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation en matière de
détermination du prix dans les contrats, P.Aff.n°155 du 27 décembre 1995,n°13,p.15.
403
subterfuges1953.Ce pouvoir d’immixtion doit être légalement encadré par un texte législatif à
l’exemple de certains systèmes juridiques européens et ce pour prévenir aux risques
d’insécurité juridiques et inquiétudes liées à l’éventualité d’un abus de droit résultant de la
mise en œuvre de la réfaction par le juge ou par les parties , un mécanisme qui coexiste avec
la conception moderne de la force obligatoire du contrat. Ainsi, le justiciable moderne cherche
la sécurité juridique d’un texte législatif détaillé qui lui permet néanmoins toute flexibilité
dans un monde économique en constante évolution.

Le besoin de la souplesse, de la stabilité des rapports contractuels et de la rapidité dans


la résolution des litiges en matière contractuelle constituant les aspects de la conception
moderne de la force obligatoire du contrat, se conçoivent alors sur un droit des obligations
moderne qui permet de donner une explication aux entorses1954 que connait le droit
contemporain des contrats. Aujourd’hui, la pérennité1955 du lien contractuel1956,la sauvetage
du contrat1957 et la recherche constance d’un équilibre contractuel1958 passent par l’adaptation
des règles classiques du droit civil des obligations qui ne correspondent plus aux exigences
particulières de certains contrats et aussi, par la consécration d’un pouvoir judiciaire encadré
fondé par texte législatif définissant les limites d’intervention du juge dans la sphère
contractuelle. A ce titre, notre réflexion sera menée autour de la portée des techniques
d’immixtion dont dispose le juge pour satisfaire l’équilibre contractuel et la justice
contractuelle à travers le moyen d’interprétation (paragrahe1) et de le procédé de la
qualification du contrat (paragrahe2).

Paragraphe 1:L’interprétation comme procédé d’intervention judiciaire dans le contrat

Le recul de l’autonomie de la volonté s’est traduit par le rôle de plus en plus étendu
du juge. En effet, sous l’empire de l’autonomie de la volonté, le juge se voyait opposer la
force obligatoire du contrat. Avec la naissance d’une conception nouvelle de la force
obligatoire, il se voit la possibilité d’intervenir dans le contrat pour instaurer un certain

1953
Parfois, pour procéder à la réfaction du contrat, et donner une justification à sa décision, le juge use de
subterfuges tels que l’interprétation ou la qualification.
1954
L’une de ces entorses est constituée par l’absence de subordination de la mise en œuvre de la réfaction à
l’intervention préalable du juge. Sur ce point, Ch.Albiges,Le développent discret de la réfaction,
art.préc.p.3,n°1.L’auteur débute son article en présentant la réfaction « comme un mécanisme qui permet non
seulement au juge mais aussi aux parties, sans anéantir le contrat de tenir compte du manquement d’une partie
pour diminuer l’obligation corrélative de l’autre ».
1955
A.S.Lavefve Laborderie,la pérennité contractuelle ,th.préc.
1956
O.Flipo-Bouchaara,Le lien contractuel,th.Orléans,2001.
1957
M.-P.Lamour,Le sauvetage du contrat ,th.Grenoble.2001.
1958
L.Fin-Langer,L’équilibre contractuel,pref.C.Guelfucci-Thibierege,th.préc.
404
équilibre et diminuer les inégalités. Toutefois, l’immixtion judiciaire dans le contrat a fait
l’objet de certaines critiques en raison des risques d’insécurité juridique qu’elle peut
provoquer, pour les atténuer, le juge doit respecter des principes juridiques déterminant
l’aptitude d’intervention dans le contrat pour satisfaire les exigences de la justice qui font
partie ainsi du rôle du juge (A), tout en s’appuyant selon une approche comparative sur les
règles régissant le procédé d’interprétation du contrat, qui lui sont mises à sa disposition par
le droit commun pour réaliser la justice contractuelle et faire face aux litiges faisant apparaître
un rapport déséquilibré ou illicite (B).

A- Les atténuations des risques d’intervention judiciaire dans le contrat

L’intervention du juge dans le contrat a fait l’objet de nombreuses critiques par une
partie de la doctrine, dans la mesure où elle peut engendrer de réels risques d’abus de droit et
d’insécurité juridique (1).Toutefois, il est possible de démonter que ces mêmes risques
peuvent être atténués par le respect de principes juridiques et des principes de droit
processuels (2).

1-Les risques liés au pouvoir d’immixtion judiciaire dans le contrat

Le pouvoir juge en matière de réfaction du contrat a été critiqué car il ferait naître
un sentiment « d’impressionnisme judiciaire »1959 . Selon une partie de la doctrine, la mise à
la disposition du juge le pouvoir de s’immiscer dans le contrat peut être source d’abus du
d’arbitraire. Pour le Doyen Gney, il s’agit là « d’une méthode largement humaine, qui sacrifie
les abstractions et les formules, pour mieux découvrir les réalités…pour adoucir le raideur
impitoyable du droit strict »1960. Or, l’intervention du juge dans le contrat consiste à
appliquer et respecter la loi bien qu’elle lui paraisse stricte : dura lex,sed lex. A ce titre,
Blackstone ne relevait que « la loi, sans équité, quelque dure qu’elle puisse être, est infiniment
préférable, pour le bien public, à l’équité sans loi : ce qui rendait tout juge législateur, et ne
produirait qu’une confusion infinie »1961.

A ce propos, la doctrine a relevé les dangers de l’immixtion du juge dans le contrat,


en brandissant le « spectre de l’arbitraire » et en profitant pour souligner les risques
d’insécurité que feraient courir aux plaideurs les jugements d’équité1962 si l’on acceptait

1959
F.Geny, Méthodes d’interprétation et sources en droit positif, LGDJ, 1954,Tome II,p.287 et s.
1960
Ibid .n°167.
1961
Blackstone, Commentaires sur les lois anglaises, traduction de Gomicourt (Bruxelles 1774),t.1 : Discours
préliminaire, p.90.
1962
C.Brunet,Le pouvoir modérateur du juge en droit civil français,Th.Paris,1973,p.436.
405
l’application d’une « loi casuelle ».Il a été avancé, que les considérations d’équité en matière
de résolution des litiges sont de nature à influencer la solution judiciaire, ce qui peut
engendrer un risque d’insécurité pour les plaideurs et menacer la cohérence
jurisprudentielle1963.Une autre partie de la doctrine a pu relever que le juge « en refusant de
se plier à la discipline des règles abstraites, se retrouve ainsi marcher main dans la main avec
l’irrationalisme »1964.

Or, « nier les concepts abstraits tel que la loi reviendrait à adhérer au rationalisme
constructive »1965 et à avoir une vision sociale du droit en fonction de la qualité des
contractants, de leur appartenance à tel groupe social, ce qui nuit indéniablement à la sécurité
juridique. Par ailleurs, la reconnaissance d’un pouvoir élargi au juge en matière de réfaction
du contrat est susceptible de multiplier les cas de non-respect de la loi. L’application de la loi
selon les cas d’espèces et les considérations d’équité est de nature à inciter les juges à se
délier de la règle de droit et à « instaurer un nouvel ordre économique »1966.

Dans la pratique, le raisonnement du juge n’est pas forcement guidé par le syllogisme
juridique qui exige que le juge applique la règle juridique à la situation du fait envisagé 1967.
Le juge doit prendre en considération la situation des parties et le contexte dans lequel le
contrat se développe afin de rendre sa décision. Le syllogisme juridique se trouve renversé par
un tel raisonnement, animé par la conception idéelle du contrat parfait. Sur la base de cette
conception, le juge a décidé de protéger la partie faible, victime du déséquilibre ou de
l’illicéité contractuelle à travers la technique de la réfaction du contrat dans le cas de
l’existence des relations déséquilibrées. Cependant, si le juge est le serviteur du contrat, il ne
peut devenir le serviteur de cette conception idéelle du contrat car les parties consentent de
leur propre chef au déséquilibre contractuel. Le juge ne doit pas intervenir dans des cas de
déséquilibre accepté.

Selon cette doctrine, c’est le pouvoir de création dont dispose le juge en matière de
réfaction judicaire qui est remis en cause. Il a été avancé que le juge reste sous l’indépendance
de la loi et cette infériorité irréductible tend à lui dénier toute capacité de création, et par voie
de conséquence, le juge n’aurait pas la compétence de refaire le contrat en absence d’une

1963
Ibid.
1964
F.A.Hayek,Droit,législation et liberté, Tome I,p,39,PUF,1992.
1965
Ibid,p.6.
1966
D.Schmidt, « Les réactions de la doctrine à la réaction du droit par les juges », Travaux de l’association
H.Capitant,t.XXXI,1980,Economica.
1967
Ch.ATias,D.Linotte,Le mythe de l’adaptation du droit au fait,D.1977,Chron.p.251.
406
autorisation reconnue par la loi. Cette attitude peut être porteur de danger pour les justiciables.
En ce sens, un auteur relève « l’interprétation jurisprudentielle, à l’encontre de la loi,
représente un facteur de régression de la démocratie et de progrès de la
technocratie »1968.Ainsi, il a été soutenu par la doctrine, que le déséquilibre ou l’illicéité du
contrat doivent être appréhendés par le législateur, dans la mesure ou il a le seul le pouvoir
d’immixtion sur la force obligatoire du contrat. L’intervention du juge dans le contrat peut
être alors source d’abus de droit comme il peut être un facteur de nature à porter atteinte à la
sécurité juridique.

En matière contractuelle, la sécurité juridique ou sécurité des transactions, se confond


dans une large mesure avec l’intangibilité des droits et obligations nés du contrat1969.Le
respect des prévisions juridiques justifie donc l’intangibilité de la loi contractuelle. Force
obligatoire du contrat de l’article 230 du D.O.C, rejet corrélatif de la théorie de l’imprévision
qui constitue « la négation même » de l’idée de domination du temps par le droit 1970, non-
rétroactivité de la loi et même survie de la loi ancienne en matière contractuelle1971, sont
autant d’applications particulières de l’impératif de sécurité juridique, au nom du respect des
prévisions juridiques bâties par les parties. Prévisibilité et sécurité juridique se confondent
ici1972.

La notion de sécurité juridique a pour corollaire celle de prévisibilité. Le contrat étant


par nature un exercice de prévision-La prévisibilité est « le seul élément non discutable du
contrat », écrit M.Hauser1973.La prévisibilité joue un rôle crucial dans l’acte contractuel.
Celui-ci représente en effet un acte de prévision sur l’avenir et l’article 230 du D.O.C est
garant de ce que les parties ont pu prévoir dans le contrat. Selon Hauriaux le contrat est défini
comme « la tentative la plus hardie qui se puisse concevoir, pour rétablir la domination de la

1968
O.Dupeyroux,La jurisprudence,source abusive du droit,dans Mélanges Maury,Dalloz,Paris,1960.
1969
Comp.A.Cristau, « L’exigence de sécurité juridique »,D.2002,p.2814 et s.,spéc.n°14,p.2815.L’auteur, dont
l’opinion rejoint celle de M.Chzal, estime que « la théorie de l’imprévision peut, tout à la fois, être justifiée ou
rejetée sur le fondement de la sécurité juridique (…).Il apparaît ainsi que dans certains situations la sécurité des
uns fait l’insécurité des autres, ce qui peut priver de pertinence le recours à cette notion ».
1970
J.Hauser, « Temps et liberté dans la théorie générale de l’acte juridique »,in Religion, société et politique,
Mélanges en hommage à Jacques Ellul,PUF,1983,p.503 et s.,spéc.p.507.
1971
Selon l’article 2 du Code civil français, « la loi ne dispose que pour l’avenir ;elle n’a point d’effet
rétroactif ».Cette règle est fondée sur de « puissantes considérations de sécurité juridique, devant lesquelles les
préoccupations d’opportunité, d’égalité, et même de progrès social doivent ,en règle générale, s’incliner »
,explique Jean-Luc Aubert.Voir,Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil,Armand Colin,10 e
éd.,2004,n°104,p.98 et n°103,p.95 ;Ph.Malinvaud,Introduction à l’étude du droit, Litec,10e
éd.,2004,n°153,p.97 ;Thomas Piazzon,La sécurité juridique, op.cit.p.313.
1972
Thomas Piazzon,La sécurité juridique, op.cit.p.48.
1973
« Le solidarisme contractuelle :mythe ou réalité ? » Le solidarisme contractuel, sous la dir.de L.Grynbaum
et M.Nicord, Economica, coll. Etudes Juridiques.18.2004,p.193 et s.,spéc.n°12,p.200.
407
volonté humaine sur les faits, en les intégrant d’avance dans un acte de
prévision »1974.Cependant, le recours à la technique de réfaction du contrat pour rétablir
l’équilibre contractuel ou de sanctionner une inégalité contractuelle, peut être porteur
d’insécurité pour l’une des parties, dans la mesure où cette technique peut conduire à déjouer
les prévisions contractuelles en portant atteinte à la force obligatoire du contrat et par
conséquent à la sécurité juridique. L’insécurité peut être se déclenchée au moment de la
perturbation de la fonction sociale d’instrument de prévisibilité et sa disparition en raison de
l’immixtion du juge a posteriori dans le contrat, qui redéfinit les clauses contractuelles déjà
bâties par les paries.

A ce titre, la doctrine a avancé que l’insécurité juridique se manifeste à travers


l’intervention du juge dans le contrat qui risque de satisfaire ceux qui ne respectent pas les
engagements contractuels consentis. Le pouvoir de réfaction judiciaire des clauses
contractuelles constitue dans certaines hypothèses, un catalyseur pour inciter les débiteurs
de mauvaise foi à « tenter d’arracher à la fantaisie ou à la pitié des juges, un allégement de
leurs obligations en entraînant ainsi une incohérence des décisions judiciaires, un flottement
des opinions et une agitation des passions humaines »1975.La crainte des risques de
l’intervention judiciaire dans le contrat qui se justifiait à une époque, elle ne se conçoit plus
aujourd’hui dont assiste à une promotion de certains principes de droits fondamentaux et à un
respect strict des règles juridiques fixant les limites du pouvoir du juge 1976. L’atténuation des
critiques avancés par la doctrine au pouvoir du juge dans la réfaction du contrat, s’appuie sur
l’application des principes juridiques et la considération de certaines règles de droit
processuel.

1974
M.Haurioux, Principes du droit public,1er éd.,1906,p.106.
1975
C.Brunet, Le pouvoir modérateur du juge en droit civil français, Th. Paris, 1973, p.435.
1976
Quelques arrêts récents et déjà célèbres ont bien montré que cet interventionnisme judiciaire comportait
malgré tout limites. Ainsi par exemple de l’arrêt du 10 juillet 2007 par lequel la Cour de cassation française a
énoncé que « si la règle selon laquelle les conventions doivent être exécutées de bonne foi permet au juge de
sanctionner l’usage déloyal d’une prérogative contractuelle, elle ne l’autorise pas à porter atteinte à la substance
même des droits et obligations légalement convenus par les parties ».Mais il reste que le juge conserve une
multitude de moyens pour remettre en cause certaines prévisions des parties.Voir,com.10 juillet
2007,Bull.civ.IV,n°188 ;D.2007.2839,notes Stoffel-Munck et Gautier ;JCP G 2007.II.10154,note Houtcieff ;JCP
E 2007.2394,note Mainguy ;RDC 2007.1107,obs.Aynés,et 1110,obs.Mazeaud ;RTD civ.2007.773,obs.Fages ;
Voir Marie Lamoureux,Le contrôle des pouvoirs du juge par le contrat, in, L’efficacité du contrat, sous la
Direction de Gwendoline Lardeux,Dalloz,2011,p.58 et s.
408
2-Les moyens d’atténuation des risques d’intervention judiciaire dans le contrat

L’intervention judiciaire dans le contrat ne ruine pas les prévisions légitimes


élaborées. Les « extensions du contenu obligatoire du contrat »1977 ne perturbent pas la
sécurité juridique, en raison du respect de certains principes édictés par le législateur, conçus
pour encadrer le pouvoir d’immixtion du juge dans l’acte contractuel1978. Ainsi, la réfaction
du contrat ne constitue pas une dérogation à la règle de droit, mais une adaptation de la loi
afin de permettre au contrat de poursuivre son objectif initial tout en évitant qu’une illicéité
ou une inégalité contractuelle ne viennent perturber la relation.

L’intervention du juge dans le contrat dans le cadre de la réfaction pour sanctionner


une illicéité contractuelle ou d’une inégalité contractuelle se fait en conformité avec la loi, en
mettant en œuvre de deux principes qui tendent à la moralisation du lien contractuel : la bonne
foi et l’équité1979. Aucun risque d’arbitraire ne peut émaner de son immixtion dans le contrat.
L’objectif poursuivit du juge dans le cadre du traitement d’un litige mettant en exergue un
déséquilibre contractuel consiste à trouver une conciliation entre les parties contractuelles à
travers la recherche d’une solution qui équilibre leur rapport.

L’immixtion judiciaire en matière du contrat qui représente un pouvoir disciplinaire et


éducatif est nécessaire dans la mesure où il incite les contractants à conclure des conventions
équilibrées et à agir de manière loyale. En ce sens, il a été souligné que « la discipline
fabrique les individus ; elle est la technique spécifique que se donnent les individus à la fois
pour objet et instrument de son exercice. (…) Le succès du pouvoir disciplinaire tient sans
doute à l’usage d’instruments simples : le regard hiérarchique, la sanction normalisatrice et
leur combinaison dans une procédure qui lui est spécifique, l’examen »1980.

L’intervention du juge dans le contrat semble alors plus modératrice qu’arbitraire et


comme le précise un auteur « d’un juge modérateur, on est en droit d’attendre de la
mesure »1981.L’innombrable panoplie des contrats qui se concluent aujourd’hui requiert
cette immixtion judiciaire. A ce propos, un autre auteur souligne que « le libéralisme

1977
Leveneur L., Situations de faits et droit privé, préface M.Gobert, LGDJ, coll.Bibliothèque de droit privé,
t.212, 1990,p.71.
1978
Comme le soulignait Portalis dans son discours préliminaire, « …La science du législateur consiste à
trouver dans chaque matière, les principes les plus favorables au bien commun : la science du magistrat est de
mettre ces principes en action, de les ramifier, de les étendre, par une application sage et raisonnée, aux
hypothèses privées… » Portalis, Discours préliminaire, n°6, 9, 16, 17,18.
1979
M.Foucault.T, Surveiller et punir, Naissance de la prison, Gallimard, NRF, 1975, p.172-173.
1980
Ibid.p.193.
1981
J.Mestre,RTD Civ.1985,p.372 et s.
409
généralisé en période de crise n’offre pas d’autre solution que l’intervention du juge. Il n’y a
pas de raison de douter a priori du juge étatique ou conventionnel s’il accepte de se frotter à
la réalité »1982.

L’intervention du juge dans le contrat est nécessaire pour satisfaire le vœu de la loi qui
impose les exigences de l’équité et la bonne foi. En réalité, ces deux principes énoncés par
l’article 231 du D.O.C et en droit comparé par les articles 1134 alinéa 3 et 1135 du Code civil
français, sont complémentaires, dans la mesure qu’ils concourent à la satisfaction de la
règle de la force obligatoire du contrat. Cette règle qui trouve son fondement dans le principe
d’utilité sociale se traduit concrètement par les principes de sécurité juridique et de justice
contractuelle.

Or, il revient au juge de satisfaire le respect du principe de la justice contractuelle


lorsque, saisi d’un contrat, il s’aperçoit qu’il n’est pas satisfait. C’est dans cet esprit que
certains auteurs, soulignent que « si l’on fonde le contrat sur l’utilité sociale, la force
obligatoire de celui-ci subsiste. Mais étant alors subordonnée aux nécessités sociales qui la
justifient, elle s’impose avec une rigueur moindre, spécialement à l’encontre de la loi et du
juge qui sont les interprètes naturels de ces nécessités »1983.

L’intervention dans le contrat constitue donc l’une des méthodes à la disposition du


juge pour protéger la sécurité juridique à travers le maintien du contrat sujet à des difficultés
d’exécution et assurer la satisfaction de l’impératif de la justice. Cette immixtion judiciaire est
compatible avec la nouvelle conception de la force obligatoire du contrat. A ce propos, la
doctrine classique soutient que la force obligatoire du contrat signifie que les parties sont
tenues à l’exécution de tout ce qu’elles ont expressément promis, mais uniquement et
strictement à l’exécution de cela. Partant, elle en tire cette conséquence qu’aucune personne,
pas même le juge, ne peut apporter une quelconque modification à l’accord des conventions.
Cette conception statique n’est cependant pas exacte1984.

L’étendue de la force obligatoire du contrat ne se ramène pas à ce que les parties ont
expressément exprimé. En effet, cette force obligatoire ne recouvre pas toujours tout ce que
les parties ont convenu, et le droit positif témoigne d’une multitude d’hypothèses où le juge
écarte une ou certaines stipulations du contrat. En même temps, le juge peut intervenir dans
le contrat pour y ajouter des obligations qu’il impose aux parties en vue satisfaire
1982
L.Aynes, Crise économique et rapports de droit privé in Droit de la crise :crise du droit, Journées
Savatier,1995.
1983
F.Terré,Ph.Simler,Y.Lequette, Droit civil, Les obligations, op.cit.,n°413,p.347.
1984
Rafik Ouelhazi, Le juge judiciaire et la force obligatoire du contrat, thèse précitée, p.332 et s.
410
l’impératif de la justice contractuelle. Voici un cas concret qui illustre le respect de
l’obligation de sécurité que les contractants sont tenues d’assumer quand bien même leur
accord ne le prévoit pas. Un élève ayant été blessé par un cerceau en jouant dans la cour de
l’école privée où il est inscrit, ses parents assignent cette école en réparation. Mais ils sont
déboutés par le juge du fond au motif « qu’il n’est pas démontré que l’accident ait été la
conséquence d’une faute commise par cet établissement dans l’exécution de son obligation
contractuelle ».Pour censurer cette décision, la Cour de cassation française vise les articles
1135 et 11471985 du Code civil avant d’énoncer que « contractuellement tenu d’assurer la
sécurité des élèves qui lui sont confiés, un établissement d’enseignant est responsable des
dommages qui leur sont causés non seulement par sa faute mais encore par le fait des choses
qu’il met en œuvre pour l’exécution de son obligation contractuelle »1986 .L’école étant, en
vertu de l’article 1135, « contractuellement tenue d’assurer la sécurité des élèves »,elle
assume donc une obligation qui tombe sous l’emprise de la force obligatoire du contrat.

La conception moderne de la force obligatoire du contrat qui est bâtie sur la sécurité
subjective vise la protection de la partie faible. Pour concevoir autrement, la sécurité, un
auteur remarque que « la sécurité recherchée change de nature : d’objective et source de
protection de la partie forte, le créancier, elle devient subjective et permet la protection du
plus faible, du futur débiteur »1987 A cela on ajoute que « la seule sécurité juridique
admissible est donc celle qui se fond harmonieusement dans la justice »1988.Pour limiter les
risques d’arbitraire et d’insécurité juridique, il faut que l’intervention du juge soit confronté
à certains principes de droit processuel qu’il doit respecter, constituant ainsi l’assurance de
bonne justice.

L’atténuation du risque d’arbitraire du juge en matière contractuelle, se fait à travers


l’obligation de motiver sa décision. Cette obligation représente un principe d’ordre public
garant de l’égalité des citoyens devant la justice et garantit le justiciable contre l’arbitraire du
juge1989.La motivation permet ainsi, aux parties de connaître les raisons qui ont permis au
juge de statuer et de contester la décision des premiers juges. La motivation permet en outre
au juge de sanctionner de manière plus claire, dans la mesure où le juge met en évidence ce

1985
Voir les articles 1135 et 1147 du Code civil français.
1986
Civ.1er, 17 janv.1995, D.1195, p.350, note Jourdain.
1987
C.Thibierge-Guelfuccl, « Libres propos sur la transformation du droit des contrats »,RTD civ.1997,p.376.
1988
J.P.Chazal, « Les nouveaux devoirs des contractants. Est-on allé trop loin ? »,in :La nouvelle crise du
contrat,sous la direction de Ch.Jamin et de D.Mazeaud,Actes du Colloque organisé le 14 mai 2001 par le centre
René Demogue de L’Université de Lille II,Dalloz,2003,p.99 et s.spéc.p.126.
1989
T.Sauvel, Histoire du jugement motivé, Revue de droit public, 1995, p.5.
411
qu’il reproche aux contractants. L’obligation de motiver1990 les décisions de justice permet au
juge d’inciter les parties contractuelles à agir de bonne foi. L’exigence de motivation permet
ainsi à la Cour de cassation d’assurer l’unité du droit, de sorte qu’on ne puisse reprocher aux
décisions qui prononcent la réfaction du contrat une absence de prévisibilité.

Le juge peut imposer la réfaction en tant que sanction de l’illicéité d’un acte, et ne
droit pas limiter son pouvoir aux strictes sollicitations de l’une des parties qui visent
l’exécution forcée du contrat ou la résolution du contrat1991.Cette décision trouve son
fondement dans la recherche de la sanction la plus apte pour sanctionner l’instigateur de
l’illicéité, en l’obligeant à persister dans les liens du contrat refait. Il convient de relever que
le juge doit mêler « la recherche de l’efficacité de la sanction, la volonté de promouvoir la
stabilité du contrat et la prise en considération de l’équité et de la bonne foi contractuelle qui
sont autant de raisons susceptibles de commander l’évolution des litiges »1992. Il en résulte
que le risque d’arbitraire du juge en matière de réfaction judiciaire est exclu à travers le
respect par le juge de certains principes juridiques et de l’obligation de motiver sa décision.

L’immixtion du juge dans le contrat est admissible avec la nouvelle conception de la


force obligatoire du contrat, elle est devenue accrue en l’absence d’un rapport égal et
équilibré. Pour redresser le déséquilibre d’un rapport contractuel ou de le rendre en
conformité avec la loi, le juge fait recours à des techniques qui sont mises à sa disposition lui
permettant de satisfaire l’équilibre contractuel et de garantir la pérennité du contrat à travers
la technique de la réfaction judiciaire.

B- La portée des modalités d’interprétation du contrat

Dans certaines hypothèses, il arrive que la réglementation issue d’un contrat ne


dévoile pas suffisamment la volonté des parties, il faut alors l’interpréter1993 .Interpréter1994
le contrat, c’est en déterminer le sens : plus précisément, déterminer les obligations qu’il a fait
naître1995.En ce sens, Demolombe a consacré de longs développements aux préceptes

1990
« Motiver, c’est répondre à une seule question, pourquoi ? »,G.Giudicelli-Delage,La motivation des
décisions de justice,th.Poitiers,1979,p.6.
1991
Cass .Com.17 janvier 1962,Bull civ,III,n°40.
1992
Olivier Gout,Le juge et l’annulation du contrat,th.prec.,n°698.
1993
Michel Pédamon,Le contrat en droit allmand,op.cit.,p.127.,Jean-Claude Montanier,Geoffrey Samuel,Le
contrat en droit anglais,op.cit.,p.77 et s ;
1994
Etymologie :du latin interpretes,etis = intermédiaire, courtier, puis chargé d’expliquer, truchement,
interprète ; sur ce point v.Philipe Malaurie,Laurent Aynés et Philippe Stoffel-Munck,Les obligations,5éme
éd.,Défrénois,Lextenso éditions,p.389,2011.
1995
Dereux, L’interprétation des actes juridiques privés, thèse, Paris,1905 ;Marty,La distinction du fait et du
droit, thèse, Toulouse,1929,spéc. n°144 et s. ;Terré, L’influence des volontés individuelles sur les qualifications,
thèse, Paris, LGDJ,1957,préf.Le Balle ;Marty,Le rôle du juge dans l’interprétation des contrats, Travaux
412
d’interprétation, mais, il ne s’est pas de préoccupé de définir la notion d’interprétation. Il s’est
borné à retenir que « l’interprétation des conventions est surtout une œuvre de discernement et
d’expérience, de bon sens et de bonne foi »1996.Plus didactique, M.Boré retient aujourd’hui
que l’interprétation du contrat consiste à déterminer l’existence et le contenu des obligations
respectivement assumés par les contractants1997. S’il elle peut être acceptée, cette définition
doit être complétée.
La démarche interprétative a en effet un caractère ambivalent. D’une part, elle est une
opération destinée à retrouver un sens qui préexiste, mais dont la formule -sa révélation au
monde extérieur- est défectueuse, qu’elle soit obscure ou ambiguë, ou qu’elle soit absurde.
D’autre part, l’interprétation a pour fonction d’élaborer une solution juridique appropriée
compte tenu des besoins et des intérêts à satisfaire, car la pensée exprimée comporte soit des
défectuosités (l’interprétation est corrective), soit des lacunes (l’interprétation est
constructive)1998.
La défectuosité du contrat1999 et l’emploi des clauses lacunaires engendrent des
difficultés et souvent des litiges ou chaque partie cherche à faire prévaloir le point de vue le
plus conforme à ses propres intérêts. Il appartient donc au juge de trancher c’est- à-dire de
donner à la clause objet de désaccord la signification et la portée qui lui paraissent
raisonnablement s’imposer. Ainsi, le juge se trouve souvent contraint d’interpréter le contrat
pour faire à un litige faisant apparaître un rapport déséquilibré ou illicite à travers la
détermination des obligations qui en découlent2000.
Le recours à l’interprétation explicative ou celle créatrice permet au juge de satisfaire
l’équilibre contractuel dans la meure où de sa propre mission consiste à rechercher non

Association Henri Capitant,t.V.1949,p.85 et s. ;Boré, « Un centenaire :le contrôle par la Cour de cassation de la
dénaturation des actes »,RTD civ.1972.249 ;Lopez Santa Maria, Les systèmes d’interprétation du
contrat,thése,Paris,1968,éd.espagnole,Valparaiso,1971,préf.Flour ;Gelot, Finalités et méthodes objectives
d’interprétation des actes juridiques,préf.Y.Flour,2003.
1996
Traité des contrats ou des obligations conventionnelles en général, Durand &Hachette et
Cie,t.2.1869,n°1,p.3.
1997
La cassation en matière civile,Dalloz,1997,préf.P.Raynaud,n°1115,p.268.-V. pour une définition
voisine,G.Marty et P.Raynaud,Les obligations.1,Les sources, Sirey,2 e éd.,1988,n°240,p.249. : « Interpréter un
contrat, son existence et sa teneur établies, c’est, dans le cadre de cette teneur, préciser son sens et sa portée et
les obligations qu’il fait naître »,-V. également, plus volontariste, Ph.Simler,Juris- classeur
civil,Fasc.30,V.art.1156 à 1164 (1992),n°6 : « Interpréter un contrat, par hypothèse obscur, c’est, plus
précisément, rechercher le sens exact que les parties ont entendu donner aux dispositions contractuelles qu’elles
ont souscrit ».- V. aussi, plus objectif, A.Sériaux,Droit des obligations,P.U.F.,2 e éd.1998,n°43 :
« L’interprétation est …l’opération juridique qui consiste à définir quels sont exactement les droits et les
obligations des parties au contrat ».
1998
V.Y.Paclot, Recherches sur l’interprétation juridique, th. Paris II, dactyl, 1988,n°417 et s.
1999
La rédaction du contrat peut souvent apparaître maladroite ou incomplète à cause de l’emploi des termes
impropres ou sans signification juridique, clauses ambiguës, inconciliables ou contradictoires, formulations
confuses…
2000
P.-Y.Gahdoun, Les apports de la théorie réaliste de l’interrelation à la notion de contrat,D.2005,p.1517.
413
seulement le sens exact des termes ou formules employées par les parties au contrat, mais
aussi en l’absence de spécifications contractuelles, de déterminer le sens et la portée générale
des obligations contractées par les parties. C’est ainsi, que l’interprétation représente pour le
juge un procédé lui permettant la mise en œuvre de la technique de la réfaction du contrat.
Le juge doit alors interpréter, contrôler, modifier et parfois imposer aux parties des
obligations qui lui paraissent nécessaires pour satisfaire la justice contractuelle et rétablir
l’équilibre contractuel. Ainsi, le juge dispose de deux modalités d’interprétation : une
méthode d’interprétation subjective, qui est purement volontariste (1), et une méthode
d’interprétation objective, extérieur à la volonté2001 (2).

1-L’interprétation subjective

Lapremière méthode, qualifiée de subjective, est directement inspirée par la théorie de


l’autonomie de la volonté. Elle fait du juge le serviteur de la volonté des parties. En vertu de
cette méthode, le juge doit rechercher par tous les moyens la volonté profonde des parties. Il
convient de dépasser la lettre du contrat, pour découvrir leur volonté réelle. Ainsi, dans une
thèse écrite en 1905 consacrée à l’interprétation des actes juridiques 2002, l’auteur a souligné
que : « L’interprète d’un acte juridique privé doit rechercher avec le plus de soins possible
l’intention véritable de l’auteur ou des auteurs de cet acte, et s’y conformer »2003.

En droit marocain, il existe des règles de base régissant l’interprétation subjective


permettant au juge de rechercher de la volonté réelle des parties contractuelles 2004. Le Dahir
formant code des obligations et contrat prévoit un certains nombres de règles d’interprétation,
dans les articles 461 à 477.Il en est de même en ce qui concerne le droit français qui donne
certaines dispositions consacrées par le Code civil dans les articles 1156 à 1164.Elles sont,
inspirées pour la plupart de l’œuvre de Pothier.

Le droit marocain comme le droit français, est connu par son attachement au système
dit de la volonté interne imposant au juge de « rechercher la commune intention des
parties »2005.Selon, l’article 462 alinéa 4 du D.O.C, « Lorsqu’il y a lieu à interprétation, on
doit rechercher quelle a été la volonté des parties, sans s’arrêter au sens littéral des termes ou
à la construction des phrases ».En droit comparé, l’office du juge est déterminé par l’article
2001
Jacques Ghestin,Christophe Jamin et Marc Billiau,Traité de droit civil,Les effets du contrat,3 e
éd.L.G.D.J.2001,p.16.
2002
G. Dereux, De l’interprétation des actes juridiques privés, th. Paris, 1905.
2003
Th. Précitée, p.12.
2004
O.Azziman, op.cit., p.248 et s.
‫ يغجغ ؿبثك‬،‫ انجؼء االٔل‬، َٙ‫ انمبٌَٕ انًض‬،ٙ‫ يظطفٗ انؼٕج‬-.‫ ٔيبثؼضْب‬231 ‫ انظفذخ‬،‫ يغجغ ؿبثك‬،َٙ‫ انمبٌَٕ انًض‬،٘ٔ‫ ػجض انغدًبٌ انشغلب‬2005
.‫ ٔيبثؼضْب‬705‫ انظفذخ‬،
414
1156 du Code civil qui dispose : « On doit …rechercher la commune intention des parties
contractantes, plutôt que s’arrêter au sens littéral des termes »2006.Ainsi, la mission du juge
consiste à déceler la volonté interne des contractants laquelle doit d’abord être recherchée
dans les termes du contrat. L’interprétation subjective apparaît ainsi comme « un hommage
rendu à l’autonomie de la volonté ».

Le pouvoir souverain ainsi reconnu au juge du fond est cependant enfermé dans
certaines limites, car la Cour de cassation contrôle les conditions d’exercices de
l’interprétation. L’exercice du pouvoir d’interprétation est subordonné à une ambigüité de
l’acte. Le juge doit interpréter le contrat, selon la volonté commune des parties ; et si dans le
cas contraire il ne respectait pas cette volonté en arguant du fait que la volonté des parties
est contraire à ce qui est exprimé dans le contrat, sa décision serait contraire à la loi, et
pourrait être censurée2007.

A ce propos, la Chambre civile de Cour suprême marocaine, avait confirmait cette


décision dans un arrêt en date du 13/11/1962, et a prononcé que : « les juges du fond sont
chargés d’interpréter et d’appliquer les contrats passés par les parties, et ne peuvent procéder
à leur modification, lorsque les termes du contrat sont clairs et ne prêtent pas à équivoque.
Ainsi, s’il existe dans l’acte passé entre le propriétaire-bailleur et le locataire une clause qui
prévoit expressément que le bailleur ne supporte que la taxe immobilière due par les
propriétaires, il en résulte que le locataire est obligé de supporter la taxe d’édilité »2008.Mais,

2006
Rapport Aix-en ŔProvence ,26 juin 2002, JCP 2004.II.10222,note EGEA (aux termes de cet arrêt ,les
dispositions de l’article 1162 sont « supplétives » de celles de l’article 1156).
2007
Cour Suprême,17.7 1985,Revue de droit et jurisprudence n°137,1987,pp 129 et s. Voir également
A.Weill,droit civil,les obligations,Dalloz,1985,pp.328.et s. Terré,l’influence de la volonté individuelle sur les
qualifications, thèse Paris,1955.Il est inadmissible, dit la cour de Cassation française que les juges du fond
puissent destituer de leurs effets légaux et de leurs conséquences nécessaires les conventions dont ils sont eux-
mêmes constaté l’existence. La dénaturation peut encore correspondre à une insuffisance de motifs, les juges du
fond n’ayant pas suffisamment motivé leur propre interprétation en présence d’une clause apparente claire et
précise (cf.Marty et Raynaud,Droit civil, les obligations, sirey, tome II,1volume, n°220 ?1988).
2008
Arrêt de la Chambre civile de la Cour Suprême (Cour de cassation actuellement), rendu le 13/11/1962,publié
à la revue de droit et jurisprudence n°38/39 avril, Mai 1962 à la page 379 et s ; arrêt en matière de bail n° 1165
de la chambre civile de la Cour de cassation ,rendu le 15/05/1985,publié dans la revue marocaine du droit
n°87/11,p.44 et s ;arrêt en matière sociale n° 496 de la chambre civile de la Cour de cassation ,rendu le
17/05/1994,publié dans la revue des arrêts de la Cour de cassation n° 62-92 ,p.111 et s ;arrêt en matière bail civil
n° 313 de la chambre civile de la Cour de cassation ,rendu le 23/01/2002,publié dans le livre de la justice de la
Cour de cassation ,p.405 et s ;arrêt en matière de bail n° 614 de la chambre civile de la Cour de cassation ,rendu
le 14/02/2002,publié dans la revue de la justice e du droit n°59 et 60 ,p.52 et s ;arrêt en matière de bail n° 2645
de la chambre civile de la Cour de cassation ,rendu le 13/09/2005,publié dans la revue de la justice civile
n°1,p.213 ; arrêt en matière de bail n° 1023 de la chambre civile de la Cour de cassation, rendu le
29/03/2006,publié dans la revue de la justice civile n°1,p.218 ;arrêt en matière de bail n° 3377 de la chambre
civile de la Cour de cassation ,rendu le 24/10/2007,publié dans la revue de la justice civile n°69,p.39 et s;arrêt en
matière de vente n° 4276 de la chambre civile de la Cour de cassation ,rendu le 02/10/2012,publié dans la revue
al milf n°22,p.214 et s;
415
si les termes du contrat sont ambigus, le juge doit cette fois-ci les interpréter, pour aboutir à la
commune volonté des parties2009.
Aussi, les tribunaux français décident, depuis longtemps, que le juge n’est en droit
d’interpréter et donc de rechercher la commune intention des parties que si les termes du
contrat ne sont pas clairs. Et si, sous prétexte d’interpréter une clause claire et précise, le juge
la modifie ou la dénature, il expose sa décision à la censure de la Cour de Cassation. Cette
position se trouve illustrer dans un arrêt de principe du 15 avril 18722010, la Cour de cassation
a jugé qu’il « n’est pas permis aux juges lorsque les termes des conventions sont clairs et
précis, de dénaturer les obligations qui en résulte et modifier les stipulations qu’elles
renferment »2011.
La dénaturation peut se définir comme la méconnaissance par le juge du fond du sens
clair et précis d’un écrit2012- car son domaine est plus vaste que le simple contrat2013- mais
seulement d’un écrit2014 .La clarté du contrat marque ainsi la limite infranchissable du pouvoir
d’interprétation du juge du fond2015. C’est ce qu’a encore rappelé la Cour de cassation, le 29
mai 19962016, en jugeant que « les juges du fond ne peuvent interpréter les conventions que si
celles Ŕci sont obscures ou ambigües ». En présence d’un contrat dépourvu d’obscurité ou
d’ambigüité, le juge du fait ne peut donc qu’appliquer purement et simplement la loi des
parties sans modification, adjonction ou amputation2017.La théorie de dénaturation fait ainsi

2009
Voir l’article 462 du D.O.C.La jurisprudence marocaine donne une grande illustration en ce sens : arrêt en
matière bancaire n° 226 de la chambre civile de la Cour de cassation, rendu le 30/03/1965,publié dans la revue
de la justice de la Cour de Cassation n°68 p.401 ;arrêt n° 1813 de la chambre civile de la Cour de cassation
,rendu le 17/07/1985,publié dans la revue de la justice et du droit n°137 p.129 ;arrêt n° 387 de la chambre
commerciale de la Cour de cassation ,rendu le 17/03/2011 ,publié dans le bulletin des arrêts de la Cour de
Cassation T.1 n°61 et s.
2010
D.P 1872, 1, p.176 ;S..1873,1,.p232 ;H. Capitant, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, Dalloz,10e.par
F.Terré et Y.Lequette,1994,§92.-Com.Reg.,31 janvier 1887,S.1887,1,p.420,jugeant qu’il ne faut pas s’en tenir
aux indications littérales d’une transaction mais prendre en considération le but que les contractants s’étaient
proposés.
2011
Comp.G.Marty,th. Précitée, n°149,p.308-09,qui relève quelques arrêts antérieurs qui avaient statué dans le
même sens à propos de l’interprétation des testaments.
2012
J.Boré,La cassation en matière civile,Dalloz,1997,préf.p.Raynaud,n°6,p.254.
2013
V.J.Boré,op.cit.,n°1302,p.312.-V.s’agissant de la dénaturation d’un testament, Cass.civ.1 re,29 mai
1953,J.C.P.1954 ,éd.G.,II ,7730,note A.P.
2014
V.Cass.civ.1re,2 novembre 1994,Bull.civ.,I,n°164,p.118,qui, après avoir affirmé que « seule l’interprétation
d’un écrit peut faire l’objet d’un grief de dénaturation »,en déduit qu’on ne peut reprocher à une cour d’appel
d’avoir dénaturé un document, alors qu’elles ne s’est pas livrée à son analyse.-Cass.civ.2e,3 décembre
1969,Bull.civ.,II,n°329 ,p.244,qui retient que le grief de dénaturation ne peut être appliquée à une convention
verbale.
.‫ ٔيبثؼضْب‬80 ‫يغجغ ؿبثك‬،‫ انجؼء االٔل‬،٘‫انمبٌَٕ انًض‬، ٙ‫ثشظٕص ْظِ انُمطخ اَظغ ػجض انذك انظبف‬2015
2016
Bull.civ.,I,n°223,p.155.
2017
V.J.Boré,op.cit.,n°1127,p.270.-V.pour des exemples de dénaturation par adjonction, Cass.civ.1 re,2 novembre
1994,Bull.civ.,I ,n°318,p.230.-Cass.civ.1re ,4 juin 1991,Bull.civ.,I.n°175,p.115.-Cass.civ.2e ,13 mai
1991,Bull.civ.,II,n°145,p.78.-Cass.com.,13 février 1990,Bull.civ.,IV,n°39,p.26.
324 ٔ 27 ‫ انظفذخ‬،‫ يغجغ ؿبثف‬،‫خ ػهٗ انمٕح انًهؼيخ نهؼمض‬ٚ‫خ انظغٔف االلزظبص‬ٚ‫اصغ َظغ‬،‫اَظغ ثشظٕص ْظِ انُمطخ عشٕاٌ دـٍ ادًض‬
.‫ًٓب‬ٛ‫ه‬ٚ‫ٔيب‬
416
prévaloir l’idée que la déclaration de volonté prime sur la volonté interne2018.Or, L’ambigüité
d’un acte, et mutatis mutandis sa clarté, se traduit de différentes manières2019.Une clause peut
être intrinsèquement ou extrinsèquement ambigüe.

L’ambigüité intrinsèque résulte de la pluralité de sens possible pour un mot ou une


expression, ce qui suppose qu’il ne soit par défini par les contractants 2020. C’est ainsi qu’il a
été jugé qu’un contrat d’assurance est ambigu en ce qu’il ne définit pas le mot « propriétaire »
et en ce qu’il ne prévoit, ni n’exclut, pour la garantie immobilière, le cas où le souscripteur
n’est ni propriétaire, ni locataire de l’immeuble mais porteur de 449 parts sur 450 de la
société civile immobilière, elle-même propriétaire de l’immeuble2021.Un contrat est également
imprécis quand il ne prévoit pas les modalités de son exécution2022.

S’agissant de l’ambigüité extrinsèque, elle se manifeste de différentes façons, de sorte


que toute tentative de synthèse paraît vouée à l’échec. Une énumération des principaux cas
paraît préférable. Ainsi, une clause d’un acte, en elle Ŕmême claire et précise, peut être
ambigüe dés lors qu’elle est confrontée aux autres stipulations adoptées par les parties2023. Un
arrêt du 15 avril 19262024 est très net en ce sens. Pour la Cour de cassation française « l’arrêt
attaqué a considéré à bon droit que malgré leur clarté, les termes invoqués pris dans leur sens
littéral étaient inconciliables avec l’ensemble du contrat et l’intention évidente des parties »,
d’où, il résultait qu’il appartenait à la Cour d’appel d’interpréter la convention. L’ambigüité
d’une stipulation peut ainsi résulter de son rapprochement avec une autre qui l’a contredit2025.

Est encore « ambigu tout terme investi dans la loi des parties et confronté à une
réalité post-contractuelle vécue par celles-ci, auquel la Cour de cassation refuse une

2018
V.A.Rieg, th. précitée, n°394 et s
2019
V.T.Ivainer,L’ambigüité dans les contrats,D.S.1976,Chron.,p.153 et s.-Comp.M.-H.Maleville,Pratique de
l’interprétation des contrats,P.U.Rouen,1991,n os 41 et s.
2020
Voir arrêt en matière commerciale n° 1101 de Cour d’appel commercial Fès ,rendu le 15/10/2002,publié
dans la revue Al Miayar n°30 p.235 et s.
2021
Cass.civ.1re,7 février 1989,Bull.civ.,I,n°63,p.41.-Cass.civ.3e,6 octobre 1993,Bull.civ.,I,n°119,p.77,l’absence
de définition créant l’ambigüité.
2022
Cass.civ.1re,31 janvier 1989,Bull.civ.,I,n°44,p.28,s’agissant de l’absence de précision des modalités d’une
« reconnaissance médicale ».-Adde, pour une application du principe, Cass.soc.,24 février 1988,Bull.civ.,V,
n°131,p.86.
2023
V.J.Boré,Une centenaire :le contrôle par la Cour de cassation de la dénaturation des actes,
Rev.trim.dr.civ.,1972,nos 2179 et s. L’auteur observe qu’une clause intrinsèquement ambigüe peut être rendue
claire par l’examen de l’ensemble de l’acte, c’est -à-dire son contexte.
2024
Req.,15 avril 1926,S.1926 ,I,p.151 ;D.H.1926,p.317.
2025
Cass.com.,5 mai 1970,Bull.civ.,IV,n°147,p.133.-Cass.civ.1re ,15 novembre 1988,Bull.civ.,I,n°318,p.216
(ambigüité résultant du caractère contradictoire de certaines stipulations).-Cass.civ.1re,4 juin
1985,Bull.civ.,I,n°175,p.159 : « En présence de clauses enchevêtrées dont les unes paraissent accorder sans
restriction ce que les autres refusaient, la Cour d’appel n’a fait qu’utiliser le pouvoir lui appartenant d’interpréter
des dispositions ambigües qu’elle ne pouvait donc dénaturer »,-V. également infra,n°35,sur la dénaturation par
omission et sur l’obligation faite aux juges d’interpréter les clauses d’un contrat les unes par les autres.
417
dénotation précise en affirmant son inadéquation à ces contingences singulières »2026.
L’ambigüité résulte de la confrontation de l’acte, dont les termes sont pourtant clairs, avec
un contexte dans lequel les parties sont placées volontairement ou non lors de l’exécution de
leurs obligations.

Cette dernière forme d’ambigüité peut être illustrée par plusieurs arrêts. Ainsi, un arrêt
du 11 mars 1923 est très clair en ce sens, Il s’agit d’une société qui décidait de servir à son
président démissionnaire une pension annuelle de 150000 francs réversible par moitié sur la
tête de sa femme. Ultérieurement, l’épouse décédait et le bénéficiaire de la rente se remariait,
puis décédait. La veuve en seconde noce sollicitait le bénéfice de la pension sans l’obtenir.
Les juges du fond estimaient que dans l’intention des parties la rente promise ne devait
bénéficier qu’à l’épouse vivant à la date de promesse. La Cour de cassation approuvait les
juges de fond d’avoir usé de leur pouvoir d’interprétation et rejetait le pourvoi2027. La
stipulation était en elle-même parfaitement claire, mais elle devenait ambigüe par suite d’une
modification du contexte dans lequel elle devait s’appliquer.

Par ailleurs, le recours à la volonté commune n’est d’aucun secours tant il est vrai
qu’elle est contradictoire devant l’instance, chacun des contractants cherchant son propre
intérêt. Le doyen Carbonnier le remarquait lorsqu’il écrivait « qu’il fallait avoir le courage de
reconnaitre que l’interprétation du contrat, comme celle de la loi, à des limites, et qu’à un
certain point d’obscurité et de contradiction, la commune intension des parties (s’il y en une)
ne pourra être retrouvée : c’est un pouvoir de réfection qu’exerce alors le juge. Il essaie de
refaire le contrat tel qu’un homme raisonnable et équitable, meilleur peut-être que l’étaient
les contractants, sans doute plus civique, ne fût-ce que parce qu’il est sous le feu de
l’opinion »2028.

En matière d’interprétation du contrat de travail, le juge tend à se déplacer de la


recherche d’une intention commune vers celle d’une intention individuelle, c’est -à-dire de
l’une seule des parties. En effet, dans certaines hypothèses où l’employeur apporte des
modifications au contrat de travail, le problème se pose lorsqu’elles ne sont pas acceptées
par le salarié, de savoir s’il s’agit de modifications substantielles ou non du contrat de travail.
Ainsi, la modification du lieu de travail ou de l’horaire peuvent, selon la volonté des
parties, être substantielles ou non substantielles. En l’absence de stipulation expresse, le juge

2026
T.Ivainer,La lettre et l’esprit de la loi des parties,J.C.P.1981,éd.,G. ,I ,3023,n°48.
2027
Req.31 octobre 1934,S.1935 ,1,p.7.
2028
Carbonnier,Droit Civil,t.IV,Les obligations,22e éd. Refondue, PUF,2000,n°146,p.284.
418
devra se livrer à une interprétation de la volonté des parties pour rechercher ce qui a pu être
considéré par elles comme essentiel2029. Toutefois, l’analyse de la jurisprudence montre
qu’au lieu de se référer à la commune intention des parties lors de la conclusion du contrat
pour déterminer l’ampleur du contrat, les juges recherchent ‘l’essentialité’ du contrat pour le
salarié2030. C’est ainsi que la Cour de cassation française casse la décision de la Cour d’appel
qui « n’a pas recherché si la proximité du lieu de travail avait été ou non pour la salariée lors
de la conclusion du contrat une condition essentielle que la société qui l’employait ne pouvait
modifier unilatéralement »2031.Ou encore qu’elle adopte la même solution lorsque les juges
du fond n’ont pas recherché si l’horaire de la salariée ne constituait pas un élément substantiel
de son contrat, dont la modification par l’employeur rendait imputable à celui-ci la rupture
dudit contrat2032.

Le juge dispose donc de la possibilité de fonder le caractère essentiel d’un élément du


cadre de vie tel que la durée du travail ou le lieu du travail à partir de la recherche de la seule
intention du salarié2033. Aussi, le besoin d’interpréter le contrat peut se manifester en dehors
de la présence d’intentions obscures, incohérentes ou contradictoires, face à une intention
valablement exprimée mais privée d’efficacité en raison du comportement d’un contractant.
Dans ce cas, le juge oriente son appréciation du contrat de telle façon à ce que l’interprétation
qu’il donne de la convention, lui permette de fonder la solution équitable qu’il souhaite
rendre. L’interprétation subjective constitue un moyen qui permet au juge d’imposer aux
parties un contrat équitable basé sur la bonne foi lors de la conclusion du contrat mais aussi
lors de son exécution, notamment dans l’hypothèse de la survenance d’un événement qui
déséquilibre l’acte contractuel.

En droit marocain, les règles d’interprétation issues des articles 461 à 477 du D.O.C,
et en droit français les articles 1156 à 1164 du Code civil, sont généralement considérées

2029
Anne Laude,La reconnaissance par le juge de l’existence du contrat ,pref. Jacques Mestre, Presses
Universitaires d’Aixe-Marseille,1992,p.282 et s.
2030
Voir G.Lyon-Caen et J.Pélissier,Droit du travail,15° éd.1990,spéc.n°271,p.318 ;voir également Marie-
Héléne Maleville, thèse, op.cit.,spec.n°504,p.250 où elle souligne que « le contrat de travail s’interprète contre
l’employeur parce que sa qualité de chef d’entreprise dans la rédaction de l’accord et dans son exécution l’oblige
à en supporter les ambigüités ».
2031
Cass.soc.8 décembre 1971,D.1972,Juris.p.177,note B.R..A propos du lieu également voir,Cass.soc.27 janvier
1972,Bull.civ.V,n°74 ,p.68.
2032
Cass.soc.21 mars 1985,Bull.civ.V.n°201,p.144.A propos de l’horaire également et dans le même sens
voir,Cass.soc.22 mai 1975,Bull.civ.V,n°264,p.232.
2033
Anne Laude,La reconnaissance par le juge de l’existence du contrat,op.cit.,p.284.
419
comme des conseils donnés aux juges et non pas comme des règles de droit2034.Selon la Cour
de cassation française, les directives d’interprétation sont de simples conseils donnés au
juge :autrement dit, le juge peut y recourir, mais il n’est pas tenu de s’y conformer. La
doctrine de la Cour de cassation n’a pas varié depuis 18072035.La Chambre sociale a
réaffirmé en 1981 cette solution de principe en jugeant que les articles 1156 et 1161 du Code
civil formulent, pour l’interprétation des conventions, des règles qui ne présentent pas un
caractère impératif et dont une éventuelle méconnaissance, ne peut, à elle seule, donner
ouverture à cassation2036.La même année, la Chambre commerciale a jugé que les articles
1161,1162 et 1163 du Code civil ne présentent pas un caractère impératif 2037. Plus récemment
encore, la 1re Chambre civile a jugé « que l’article 1156 du Code civil ne formulant pas,
l’interprétation des conventions, une règle à caractère impératif, sa méconnaissance ne peut, à
elle seule, donner à cassation »2038.

Cette absence de force obligatoire des directives subjectives prévues par les articles
1156 et suivants du Code civil et articles 461 et suivants du D.O. C a pour conséquence de
permettre au juge, pour éclairer sa décision, de rechercher dans des actes étrangers à l’une des
parties en cause des renseignements, sans puisse lui être opposé le principe de l’effet relatif
des contrats2039.Ce principe connaît cependant trois exceptions importantes2040.

En revanche, il est d’autres directives d’interprétation qui marquent un glissement


vers une approche plus objective. Cette méthode permet au juge de combler certaines lacunes
du contrat en faisant appel à la bonne foi, à l’équité contractuelle et aux usages des affaires.
Alors que, pour la doctrine classique, ces notions constituent un simple prolongement de la
volonté des contractants, qui sont censés s’y être référés tacitement, elles acquirent avec la

2034
Saad Moummi, Droit civil ,droit des obligations en droit comparé français et marocain, éd.El
Badii,2000,p.176 et s ;Jacques Ghestin,Christophe Jamin et Marc Billiau,Traité de droit civil,Les effets du
contrat, op.cit,p.43 et s.
2035
Req.,18 mars 1807,S.1807 ,I,p.361 ;D.P.1807,I,p.241.- 24 février 1868,D.P.1868,I,p.308 : « les dispositions
des articles précités (celle des articles 1156 et suivants) n’ont pas un caractère impératif : que par leur nature
même, elles constituent des conseils donnés aux juges par le législateur pour l’interprétation des conventions, et
non des règles absolues dont l’inobservation entraînerait l’annulation de la décision qui l’aurait consacrée ».-13
février 1962,Bull.civ.,I,n°96,p.84 (article 1162).-Cass.soc.,20 février
1975,Bull.civ.,V,n°93,p.85 ;D.S.1976 ,p.142,note J.Serra (à propos de l’article 1162,mais la Cour d’appel avait
fait application des articles 1156 et 1157).-Cass civ.1ere,6 mars 1979,Bull.civ.,I , n°81,p.66.
2036
3 juin 1981,Bull.civ.,V,n°490,p.369.
2037
19 janvier 1981,Bull.civ.,IV,n°34,p.25.
2038
19 décembre 1995,Bull.civ.,I,n°466,p.324.
2039
Cass.com., 8 mai 1972,J.C.P.1972 ,éd.G. ,II ,17193,obs.P.L.- V.infra,n°921.
2040
La Cour de Cassation française impose aux juges du fond de se référer à la commune intention des parties,
de tenir compte de toutes les clauses du contrat, et d’interpréter le contrat de vente obscur contre le vendeur. Sur
ce point voir Jacques Ghestin,Christophe Jamin et Marc Billiau,Traité de droit civil,Les effets du contrat,
op.cit,p.50 et s.
420
doctrine moderne une existence propre2041. Dans le même sens, lorsque le juge ne peut
découvrir ce que les parties ont réellement voulu, la loi l’invite à interpréter contre le
créancier et en faveur du débiteur2042. Le D.O.C marocain et le Code civil français ont fait
une place à certaines directives objectives sur lesquelles s’appuie l’interprétation objective.

2- L’interprétation objective
La recherche de l’intention des parties ne signifie pas que les juges se limitent à une
appréciation purement subjective du contrat2043. Ainsi, le juge peut délaisser la méthode
subjective en faisant appel à des éléments objectifs afin d’éclairer les volontés des parties.
Cette méthode, qualifiée d’objective permet au juge d’apprécier la volonté des parties ayant
été extériorisée d’une façon défectueuse. Pour connaître le véritable sens du contrat, sa
véritable ampleur, le juge va puiser dans des éléments extérieurs aux volontés des parties en
vue de pouvoir éclairer ces volontés.
La prise en considération d’éléments objectifs n’est contraire aux directives
d’interprétation des articles 461 et suivants du D.O.C et 1156 et suivants pour le droit
français. Le droit marocain comme le droit français consacre des dispositions qui évoquent
une méthode d’interprétation objective. L’article 231 du D.O.C retient que « tout engagement
doit être exécuté de bonne foi, non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les
suites que la loi, l’usage ou l’équité donnent à l’obligation d’après sa nature ».Le Code civil
français prévoit les mêmes stipulations dans les articles 11342044 et 1135 2045 .L’article 463 qui
constitue une règle importante en matière d’interprétation objective, dispose que « on doit
suppléer les clauses qui sont d’usage dans le lieu où l’acte a été fait ou qui résultent de sa
nature ».
Il en est de même en ce qui concerne le droit français, qui consacre également les
mêmes stipulations dans l’article 1160 du Code civil en précisant qu’« on doit suppléer dans
le contrat les clauses qui y sont d’usage, quoiqu’elles n’y soient pas exprimées ».Cette
dernière disposition est d’ailleurs plus restrictive que la précédente ,puisqu’elle ne se réfère

2041
François Terré, Philippe Simler et Yves Lequette, Droit civil,Les obligations,10e éd.Dalloz,2009,p.465.
2042
Voir l’article 473 du D.O.C et en droit comparé l’article 1162 du Code civil français.
2043
Anne Laude,La reconnaissance par le juge de l’existence du contrat ,op.cit.,p286.
،‫انجؼء االٔل يظبصع االنزؼايبد‬، ٙ‫ ػٕء لبٌَٕ االنزؼايبد ٔانؼمٕص انًغغث‬ٙ‫خ االنزؼايبد ف‬ٚ‫ َظغ‬،٘‫ثشظٕص ْظِ انُمطخ اَظغ يبيٌٕ انكؼثغ‬
.‫ ٔيبثؼضْب‬236 ‫ انظفذخ‬،1970، ٌ‫يطبثغ صاع انمهى نجُب‬
2044
L’article 1134 alinéas 3 du Code civil français enseigne que les conventions « doivent être exécutées de
bonne foi ».
2045
L’article 1135 du Code civil français dispose que « les conventions obligent non seulement à ce qui y est
exprimé, mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature ».
421
qu’à l’usage. Le contenu obligatoire du contrat n’est donc pas nécessairement et uniquement
déterminé par la commune volonté des parties.
Il semble que les directives d’interprétations objectives prévues par le D.O.C (231 et
463) et en droit comparé, par le Code civil français (1135 et 1160), comme celles
d’inspiration subjective, ne sont que de simples conseils pour le juge. Ainsi, dans un arrêt du 2
décembre 19472046, la Chambre civile de la Cour de cassation française retient ainsi « que si
l’équité ou l’usage doivent être pris en considération dans l’interprétation des contrats et des
suites qu’ils comportent, le juge n’en saurait faire état pour soustraire l’un des contractants à
l’accomplissement des engagements clairs et précis, qu’il a librement assumés ».L’équité et
l’usage n’apparaissent donc pas comme de « simples conseils ».Dés lors qu’il a ambigüité et
donc nécessité d’une interprétation, l’usage et l’équité doivent, selon cet arrêt, être pris en
considération, de la même façon que la commune volonté des parties doit être recherchée dans
le domaine de l’interprétation déclarative. En revanche, un autre arrêt, plus récent, semble
indiquer que l’article 1135 du Code civil français n’est pas obligatoire pour le juge. La Cour
de cassation y juge en effet qu’une cour d’appel, qui détermine le sens et la portée d’une
clause obscure en fonction de l’intention communes des parties, n’est pas tenue de répondre à
des conclusions invoquant des usages professionnels2047.
En dépit des doutes qui peuvent subsister sur l’interprétation de ces arrêts, on peut
donc admettre le principe ‘minimum’ selon lequel le juge peut se référer aux suites que
l’équité, la loi où l’usage donnent à l’obligation d’après sa nature, mais qu’il ne s’agit pas
d’un devoir pour le magistrat : il peut, mais il ne doit pas2048.
L’utilisation de la méthode objective d’interprétation conduit généralement à une
précision de l’étendu des obligations particulières souscrites dans certains contrats. La Cour
de cassation française a utilisé ce procédé dans le domaine de l’assurance de dommages pour
préciser le sens qu’il convenait de donner à la clause d’introduction clandestine du voleur
c’est ŔàŔ dire à l’insu de l’assuré, dans l’assurance Ŕvol. Un individu se disant réparateur de
téléphone se présentait au domicile d’une dame G. pour réparer son appareil effectivement en
panne. L’individu éloignait la dame G. quelques instants et en profitait pour dérober des
bijoux. La compagnie d’assurance déclinait sa garantie, au motif qu’elle ne couvrait les
risques de vol qu’en cas d’introduction clandestine ou de maintien clandestin dans les locaux
renfermant les objets assurés. Cette argumentation n’emportait pas la conviction des juges du

2046
Gaz .Pal.148,I,p.36.
2047
Cass.com.,20 fevrier 1980,Bull.civ.,IV,n°91,p.70.
2048
Jacques Ghestin,Christophe Jamin et Marc Billiau,Traité de droit civil,Les effets du contrat, op.cit,p.59 et s
422
fond. La compagnie d’assurance formait un pourvoi. Elle reprochait notamment à la cour
d’appel d’avoir dénaturé le contrat en retenant que la prise d’une fausse qualité serait
assimilable à l’introduction clandestine. La Cour de cassation, le 20 mars 19892049, a rejeté le
pourvoi, mais sans se trancher derrière une interprétation souveraine des juges du fait. Dans
une motivation de principe, elle a estimé « qu’à l’entrée clandestine, qui s’entend de toute
entrée réalisée à l’insu de l’assuré et dans un but illicite, doit s’assimiler toute manœuvre
crédible de nature à tromper l’assuré sur l’identité et les intentions véritables de celui auquel
il ouvre éventuellement sa porte ».
Ainsi qu’on peut le constater, la Cour de cassation procède une interprétation objective
de la clause. Elle marque ainsi sa volonté d’opérer un contrôle direct sur l’interprétation
d’une clause particulière qui n’est pas nécessairement claire et précise. Il n’y a évidemment
aucune référence à la commune volonté des parties, de sorte que le principe de non
ingérence du juge de cassation dans le domaine du fait est parfaitement respecté2050.
En matière de contrat, les considérations objectives permettent également au juge
d’apprécier le caractère essentiel d’un élément de la convention. Ainsi, la nature de l’activité
du salarié peut imprimer ou contraire enlever au lieu de travail tout caractère essentiel. En
effet, « pour le salarié dont les fonctions nécessitent une disponibilité géographique constante,
le lieu d’exécution n’est pas un élément substantiel du contrat de travail »2051.De même la
nature des activités de l’entreprise peut impliquer une mobilité du personnel qui enlève au lieu
de travail son caractère d’élément essentiel du contrat de travail : il en a été jugé ainsi pour
une entreprise de nettoyage industriel2052 ou pour une entreprise dont l’activité se situe
exclusivement sur les chantiers2053. Enfin, le lieu de travail ne peut également pas constituer

2049
Bull.civ.,I.n°124 ,p.80.-Adde,sur la définition de « l’introduction clandestine à l’insu du voleur »,Cass.civ.1re
,29 novembre 1988,Bull.civ.,I,n°337,p.228.-19 juillet 1988,Bull.civ.,I,n°243,p.169 : « le rôle respectif joué par
auteurs et complices et sans incidence sur la notion d’introduction clandestine qui suppose seulement, ainsi que
l’a relevé la Cour d’appel, une entrée qui s’effectue dans un but illicite à l’insu et contre la volonté de
l’assuré ».V. également, sur la notion « d’introduction clandestine ».Cass.civ.1re,12 juin
1990,Bull.civ.,I,n°154,p.109.
2050
Cette méthode a encore été utilisée le 2 mai 1990 par la 1 re Chambre civile de la Cour de cassation
(Bull.civ.,I,n°89,p.67).Sous le double visa des articles 1134 et 1135 du code civil français, elle a jugé que « le
fait d’obtenir sous la menace d’une arme l’ouverture d’un coffre-fort équivaut à une effraction ».La notion
« d’effraction » était visée par l’article 51 des conditions générales du contrat d’assurance en France, mais elle
n’était pas précisée.- V. également, Cass.civ.1re ,25 mars 1991,Bull.civ.,I. n°106,p.70,pour la définition de la
notion d’ « accident » au sens de l’article 2.F des conditions générales d’une police d’assurance responsabilité.
2051
Cass.soc.8 juillet 1985,inédit, cité in Lamy social 1991,n°359,p.166.
2052
Cass.soc.6 juillet 1983,Cahiers prud’homaux,1983,n°10,jurisprudence, p.161.
2053
Cass.soc.8 octobre 1987,Bull.civ.V,n°542,p.345.
423
un élément essentiel du contrat dans l’hypothèse où l’éventualité de déplacement est prévue
dans la convention collective2054.
Par l’interprétation constructive, le juge substitue sa volonté à celle des parties, pour
compléter le contrat ou pour le corriger. La correction du contrat permet d’aboutir à la
réfaction. Or, ce qui caractérise la réfaction, réside dans la possibilité donnée au juge de
modifier un élément du contrat qui existe déjà mais qui, du fait d’une mauvaise exécution ou
de mauvaise fixation, rend le contrat inéquitable ou illicite. Dans l’hypothèse de la réfaction,
le juge intervient pour restaurer l’égalité entre contractants, et de la sorte, sauver le contrat. Il
ne renforce pas le contenu du contrat en imposant aux parties des obligations supplémentaires
tel que l’on a pu le rencontrer par exemple dans les contrats de transport où l’obligation de
sécurité a été imposée par la jurisprudence2055.
La possibilité donnée au juge de corriger un indice ou de réviser un prix est
caractéristique de l’interprétation corrective et non pas complétive. En procédant à la réfaction
du contrat, le juge ne complète pas le contrat, il le corrige dans leur formulation illicite ou
inégale. L’objectif recherché par le juge consiste à rétablir l’équilibre du contrat. La méthode
constrictive se concrétise à travers deux procédés : la substitution par l’interprétation et
l’évaluation des prestations.
Le procédé de substitution se manifeste à travers trois situations : soit par le
remplacement d’une disposition illicite par une disposition licite ou la substitution d’une
disposition impérative à une disposition illicite ou même la substitution d’un indice licite à un
indice indéterminable2056.
Face à un déséquilibre contractuel le juge procède également à une évaluation des
prestations monétaires en suivant deux étapes2057. La première consiste pour le juge à
appliquer les critères de réciprocité et de la commutativité et la seconde consiste à considérer
l’étendue de la réfaction des prestations monétaires. L’objectif que doit suivre le juge réside
dans la réduction de l’obligation en présence d’un déséquilibre résultant de l’absence de

2054
Cass.soc.14 octobre 1987, Bull.civ.V,n°554,p.407.Bien évidemment, si le contrat de travail comporte une
clause de mobilité par laquelle le salarié accepte de se soumettre au changement du lieu de travail, une telle
clause écarte toute intention d’avoir pu considérer la mutation comme une modification substantielle du contrat,
puisqu’elle se rattache à l’exécution d’une clause de ce contrat. Voir en sens Lamy social 1991,spéc.n°359-
b,p.166.
2055
La jurisprudence a aussi étendu cette obligation de sécurité à d’autres contrats : cf.G.Viney, P.Jourdain,
Traité de droit civil, sous la direction de J.Ghestin,Les effets de la responsabilité,2e éd.
Conditions.Paris,LGDJ,2001,p.363 et s. ;M.H.Maleville-Costeodat,L’interprétation des contrats,
th.Rouen,1990,n°520,p.522.
2056
Karine de la Asuncion Planes,La réfaction du contrat, op.cit.p.317 et s.
2057
Ibid.p.320 et s.
424
réciprocité, de commutativité, d’équivalence et de proportionnalité des obligations
contractuelles.
Le procédé d’évaluation peut aussi porter sur des prestations non monétaires, bien que
délicate pour le juge, permet de mettre en exergue son pouvoir d’interprétation. Le travail du
juge consiste à évaluer la qualité de la prestation non monétaire. L’exemple de la réfaction des
honoraires de l’avocat donne une illustration en ce sens. Le juge évalue la prestation non-
monétaire, c’est -à-dire le service rendu par l’avocat pour le proportionner à l’obligation
monétaire, c’est -à-dire à l’honoraire facturé. Dans l’affirmative, le juge appliquera la
réfaction à l’obligation non-monétaire en réduisant « l’honoraire exagéré au regard du service
rendu ».Pour cette fin, le juge utilise de divers éléments pour mesurer l’étendue de la
réfaction. Il procèdera à la réduction de l’honoraire en fonction des usages, de la situation de
fortune du client, de la difficulté de l’affaire, des frais exposés par l’avocat, de sa notoriété
ainsi que des diligences de celui-ci2058. C’est donc la disproportion entre le montant des
honoraires et le service rendu en contrepartie qui autorise le juge à réduire la prestation
monétaire.
L’interprétation ne peut être mise en œuvre que si les termes du contrat présentent
quelque équivoque, obscurité ou contradiction ou bien lorsque les parties ont omis de
s’exprimer sur certains points2059. Dans ces cas le juge doit reconnaitre aux termes et aux
expressions utilisées leur contexte de l’émission de la déclaration, comme il peut combler les
lacunes du contrat non par référence à la volonté interne2060 mais par référence à des critères
objectifs tels que le but de l’opération, principe de la bonne foi, la pratique des affaires, les
usages2061.

2058
Article 10 de la loi n°71-11-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et
juridiques en France, modifiée par la loi du 10 juillet 1991.
2059
Le juge doit renoncer à toute investigation psychologique pour s’en tenir aux termes formes du contrat
exprimés de manière non équivoque et la jurisprudence veille à ce que la règle soit correctement appliquée :
« S’il appartient aux juges du fond d’interpréter les conventions, ils ne peuvent, sous prétexte d’interprétation
dénaturer le sens et la portée des clauses claires et précises ». (Cour Suprême, 26 mars 1964,Recueil des Arrêts
de la Cour Suprême T.II,p.224 Ŕ Cour Suprême du 13 /02/1962Recueil des Arrêts de la Cour Suprême,2006,p.69
et s-Cour Suprême du 24 /01/1968Recueil des Arrêts de la Cour Suprême,2006,p.71 et s.-Cour Suprême du 26
/02/1969Recueil des Arrêts de la Cour Suprême,2006,p.77 et s) ; « Lorsqu’une police d’assurance indique
clairement que l’assureur garantit le paiement des sommes susceptibles d’être mises à la charge de l’assuré par
suite d’accidents du travail survenus au Maroc, le juge n’a pas à rechercher la commune intention des parties
pour étendre la garantie à un accident du travail survenu hors du Maroc ». (Cour Suprême, 10 juillet
1962,R.A.C.S.,T.II, p.53 et R.M.D. 1963,p.169).
.‫ ٔيبثؼضْب‬86 ‫يغجغ ؿبثك‬،‫ انجؼء االٔل‬،٘‫انمبٌَٕ انًض‬، ٙ‫ثشظٕص ْظِ انُمطخ اَظغ ػجض انذك انظبف‬-
2060
La volonté interne s’explique par le fait de ce que les parties auraient décidé si elles avaient songé à la
question.
2061
O.Azziman, op.cit., p.252 .
.‫ ٔيبثؼضْب‬212 ‫انظفذخ‬،1993 ، ‫خ‬ٛ‫ صاع انًطجٕػبد انجبيؼ‬، ‫ آَبء انمٕح انًهؼيخ نهؼمض‬،‫ ػجض انذك فٕصح‬،‫اَظغ ثشظٕص ْظِ انُمطخ‬
425
Dans la pratique, la jurisprudence allemande cherche à dégager le sens objectif des
déclarations de volonté sans pour autant rejeter tout recours à la volonté interne. Pour
interpréter les contrats le juge allemand s’appuie ainsi sur des éléments à caractère objectif
tels que les intérêts en présence, le but de l’opération, la nature de l’acte, les usages. En ce
sens Saleilles relevait qu’il n’était pas toujours possible de connaître la volonté réelle des
contractants, ceux-ci pouvant avoir des intentions divergentes. S’inspirant plus spécialement
de deux dispositions en droit allemand que le BGB consacre à la matière d’interprétation du
contrat : le §133 dispose en effet, « Pour l’interprétation d’une déclaration de volonté il faut
rechercher la volonté réelle et ne pas s’en tenir au sens littéral de l’expression » ; il se
rattache assurément à une conception subjective, et le §157,lui dispose : « Les contrats
doivent être interprétés comme l’exige la bonne foi, eu égard aux usages admis en
affaires »,il incitait alors le juge à « se former un idéal ,de caractère objectif, d’après lequel il
appréciera, conformément aux circonstances personnelles des parties, ce que devait être le
contrat, pour répondre au but social du droit »2062. Aussi, est d’après le but social de ce
procédé de solidarité juridique, et non d’après la fantaisie individuelle de chacun de ceux qui
y prennent part, que le contrat doit être interprété et appliqué »2063.Quant il s’agit donc de
combler les lacunes de la réglementation contractuelle, c’est sur le §157 seule que s’appuient
les tribunaux2064.
En présence d’une telle lacune ce sont normalement les dispositions légales
supplétives qui ont vocation à s’appliquer surtout si le contrat lacunaire est très proche d’un
type contractuel réglementé par la loi. Un arrêt de la Cour fédérale de justice en date du 18
décembre 1954 fournit à cet égard un exemple significatif. En l’espèce deux médecins avaient
conclu et exécuté un contrat par lequel ils échangeaient leurs cabinets implantés dans des
villes différentes à l’occasion d’un litige qui devait les opposer quelques moins plus tard,
l’un d’entre eux fit part de son intention de se réinstaller comme médecin prés de son
ancienne résidence. L’autre engagea alors une action tendant à lui interdire la réalisation de ce
projet. La Cour fédérale de justice fit droit à sa demande bien que le contrat qui était valable
ne contînt aucune clause de non rétablissement. A cette occasion la haute juridiction devait
observer : « Certes l’interprétation (des contrats) doit partir des représentations
reconnaissables des parties eu égard au but contractuel, aux principes de la bonne foi et des
usagers admis en affaires. Mais il entre dans la mission du juge de déterminer en vertu du

2062
R.Saleilles,De la déclaration de volonté, Contribution à ,l’étude de l’acte juridique dans le Code civil
allemand Pichon,1901,p.228,n°86.
2063
Ibid.p.229,n°88.
2064
Michel Pédamon,Le contrat en droit allemand,op.cit.,p.130.
426
§157 le contenu complet du contrat selon des critères objectifs…(il lui appartient dés lors) de
dégager et d’arrêter par voie d’interprétation complétive le cas échéant de ce que les parties
n’ont pas décidé mais ce qu’elles auraient décidé en considération du but contractuel si elles
avaient réglé dans leurs accords le point en suspens et si elles avaient en même temps tenu
compte des préceptes de la bonne foi et des usages admis en affaires ;la condition étant pour
cela qu’il s’agisse d’une lacune à combler c’est -à-dire d’une lacune essentielle pour la
sauvegarde du but contractuel à l’intérieur du cadre du contrat »2065.L’arrêt en conclu que la
réinstallation du défendeur prés de son ancienne pratique peu de temps après l’exécution de
l’échange litigieux auraient compromis gravement la finalité du contrat et que dans certain
délai, d’environ 2 ou 3 ans d’une clause d’interdiction correspondante. En conséquence une
telle interdiction devait être considérée comme faisant partie du contrat2066.
Cet exemple illustre le pouvoir important que confère au juge à l’interprétation
complétive2067. Elle lui permet d’inclure dans l’accord des parties des éléments qui n’y
figurent pas, des interdictions ou des obligations qui n’ont pas été expressément convenues
lors de l’échange des consentements, au nom des exigences de la bonne foi et des usages
admis en affaires2068.
En pratique, le rôle du juge, lorsque le contrat est imprécis, est de découvrir l’intention
de parties contractantes dans le texte du document contractuel. En droit français comme en
droit marocain le juge ne doit pas s’arrêter au sens littéral des termes et peut rechercher - et
même, doit -, au-delà du texte, la vraie volonté des parties2069.En revanche, en Angleterre, le
juge ne doit regarder que les termes du contrat afin d’y trouver l’intention des parties. Il s’agit
d’une approche objective où l’on s’en tient au sens du texte, même s’il ne devait pas refléter
la vraie intention des parties2070.

2065
L’interprétation complétive ne doit jamais déborder le cadre contractuel non plus qu’aboutir à étendre l’objet
du contrat et par exemple attribuer à l’une des parties ce qu’elle désirait mais n’avait pas obtenir lors de la
négociation avec son partenaire
2066
Michel Pédamon,Le contrat en droit allemand, op.cit.,p.131.
.‫ ٔيبثؼضْب‬239 ‫ انظفذخ‬،‫ يغجغ ؿبثك‬،َٙ‫ انمبٌَٕ انًض‬،٘ٔ‫ ػجض انغدًبٌ انشغلب‬2067
2068
Le même fondement et le même critère se retrouvent dans le §242 du BGB qui dispose : « Le débiteur est
tenu d’effectuer la prestation, comme l’exige la bonne foi eu égard aux usages admis en affaires ». Ce texte ne
s’adresse qu’au débiteur, il lui impose de faire preuve de loyauté (Treue) dans l’exécution de son obligation, de
respecter la confiance (Glauven) qui a été placée en lui, en bref de tenir compte des intérêts légitimes du
créancier. De l’avis unanime le texte s’adresse au créancier qui doit en retour faire valoir sa créance en portant
attention aux intérêts légitimes du débiteur. Le §242 qui a été qualifié de « paragraphe royal » par un auteur a
acquis une portée beaucoup plus considérable. Il a été érigé en « clause générale » et en principe supérieur
d’éthique juridique. A ce titre il vise à assurer le respect de la justice et de l’équité non seulement dans le
domaine des obligations mais aussi dans toute la vie juridique allemande, partout où s’établissent des rapports de
droit entre des personnes. Sur ce point voir Jauernig,Buserliches Gesetzbuch,11 e ,§157 ,n°4.
2069
Voir l’article 1156 du Code civil français et en droit comparé l’article 461 du DOC marocain.
2070
Genossenschaftsbank v Burnchope (1995) 1 WLR,p.1580 à 1587.
427
Or, il arrive dans certaines hypothèses, qu’il faut recourir aux bonnes mœurs et aux
usages du monde commercial pour découvrir le sens précis d’une clause contractuelle. Les
tribunaux emploient des notions telles que « l’homme d’affaires raisonnable » ( reasonable
businessman) ou « le bon sens commercial » (commercial common sense),lorsqu’ils ont à
interpréter une clause. L’affaire Schuler AG v Wichman Tool Sales Ltd ( ‘1974’ AC 235)
montre parfaitement que déterminer la nature d’une clause est bien une question
d’interprétation. En l’espèce, il s’agissait d’un contrat passé entre une entreprise allemande et
un établissement anglais par lequel celui-ci devait promouvoir les produits de celle-là. Une
clause contractuelle présentée par le contrat comme une condition, mettait à la charge de la
société anglaise l’obligation de rendre un certain nombre de visites aux clients de l’entreprise
allemande. Toutefois, l’établissement anglais a rendu moins de visites que prévu, c’est
pourquoi la société allemande a décidé de résoudre le contrant pour rupture de cette
« condition » .De son coté, l’entreprise anglaise a réclamé des dommages-intérêts pour
rupture du contrat.
La chambre des Lords,à la majorité ,a tranché en faveur de l’établissement anglais.
Selon le raisonnement adopté par elle, on ne doit pas se fonder seulement sur le mot condition
puisqu’il est susceptible de sens différents. Il convient de la comprendre dans le contexte du
contrat pris comme un tout et ceci demande qu’on recherche la vraie intention des parties.
Elle a estimé que la résolution pour rupture de la clause en question était déraisonnable dans
le contexte du contrat et en conséquence qu’elle allait contre l’intention des parties2071.
Il en résulte, que malgré l’influence du droit allemand sur le plan de la terminologie
de certains articles2072 du D.O.C et les emprunts faits du B.G.B,le droit marocain reste très
proche du droit français en matière d’interprétation des contrats. Le contrat clair et précis
s’impose au juge dans les termes où il a été rédigé2073. Par contre, lorsque les clauses du
contrat présentent une certaine obscurité ou ambigüité, le juge doit recourir au moyen de
l’interprétation pour découvrir la volonté réelle des parties. Dans l’interprétation du contrat, il
n’y a donc pas place aux considérations de justice ou d’équité2074.
L’interprétation créatrice a connu une certaine évolution sous l’influence de la
jurisprudence en prenant appui sur des considérations de la justice2075 et de l’équité2076 .Mais

2071
Jean-Claude Montanier,Geoffrey Samuel,Le droit anglais, op.cit.,p.81 et s.
2072
Voir l’article 2 du D.O.C.
2073
Voir les articles 2,21 et 461 du D.O.C.Voir en ce sens ,arrêt n° 231 de la Cour de cassation ,rendu le
31/01/2001,publié dans la revue de la justice de la Cour de Cassation n°59 -60 p.238 et s.
2074
O.Azziman, op.cit., p.255 et s.
2075
Req.30 oct.1934,DH 1934.572 (bail prévoyant la faculté de donner congé à la fin des périodes indiquées sans
préciser quelle partie à cette faculté ; l’équité commande d’attribuer cette faculté aux deux parties).
428
ce phénomène n’a pas la même ampleur en France et au Maroc. Le juge français a créé
certaines obligations contractuelles sans que les parties les aient prévues pour renforcer le
contenu obligatoire du contrat.
La satisfaction de l’impératif de la justice, consiste pour le juge à intervenir au
moyen d’interprétation créatrice ou d’interprétation par adjonction pour y ajouter des
obligations nouvelles qu’il impose aux parties en sus de celles qu’elles ont prévues. La
jurisprudence attache donc à de nombreux contrats des suites diverses 2077.Parmi les
principales obligations2078 ajoutées par le juge, on peut citer l’obligation de sécurité2079 et
l’obligation d’information.
-L’obligation de sécurité : découverte dans le contrat de transport au début du 20e
siècle2080 par voie d’interprétation du contrat2081. La Cour de cassation française a
récemment rappelé que « l’obligation de sécurité consistant à conduire le voyageur sain et
sauf à destination, résultant de l’article 1147 du Code civil n’existe à la charge du
transporteur que pendant l’exécution du contrat de transport, c’est-à-dire à partir du moment
où le voyageur commence à monter dans le véhicule et jusqu’au moment où il achève d’en
descendre »2082.Pour mettre en œuvre la responsabilité du transporteur ,le voyageur n’a pas à
prouver une faute que celui-ci aurait commise ;il lui suffit d’établir l’inexécution de
l’obligation de sécurité. Bien qu’on justifie parfois cette solution par l’intention des parties,
c’est le souci d’équité qui a commandé la décision des magistrats. Ceux-ci ont cherché à
affranchir le voyageur de la charge d’une preuve souvent impossible à apporter, lorsqu’il est
victime d’un accident dont il ne peut que difficilement contrôler les causes2083.

2076
En revanche, il ne serait évidemment être question de soustraire, au nom de l’équité, un contractant à un
engagement clair et précis (Civ.,2 déc.1947,Gaz.Pal.1948.1.36 ;Soc.,12 mai 1965,D.1965.562).
2077
L.Leveneur,Le forçage du contrat,Droit et patrimoine mars 1998,p.69 ,sur ce point l’auteur souligne que
« dans les mots, les tribunaux feignent toujours de rechercher la volonté des parties. Dans la réalité, ils se
fondent sur l’équité ;et ce, au mépris parfois de ce qui a été le plus préalablement voulu » ;R.Blough,Le forçage,
du contrat à. » théorie générale ,thése Paris XI,2008.
.‫ ٔيبثؼضْب‬109 ‫يغجغ ؿبثك‬،‫ انجؼء االٔل‬،٘‫انمبٌَٕ انًض‬، ٙ‫ثشظٕص ْظِ انُمطخ اَظغ ػجض انذك انظبف‬2078
2079
Avec le développement des accidents dus à l’industrialisation en France, les différentes dispositions
extracontractuelles du Code civil ne parurent pas assez efficaces pour régler les conséquences de ces accidents.
C’est ainsi qu’a pu être créée en 1911 l’obligation de sécurité en matière de contrat de transport.
2080
Cass.civ.21 novembre 1911,27 janvier et 21 avril 1913,D.P.1913,1,p.249,note L.Sarrut ; S.1912,1,p.73,note
Ch.Lyon-Caen ; H. Capitant, Les grands arrêts de la jurisprudence civile,10 e éd.par F.Terré et Y.Lequette,
Dalloz,1994, §188.-Adde,J.-L.Halperin,La naissance de l’obligation de sécurité, Gaz.Pal.1997,2,Doctr.,p.1176 et
s.
2081
V.A.Rieg,th. précitée ,n°406,p.403,qui parle « d’adjonction aux actes par voie d’interprétation ».
2082
Cass. civ.1re ,7 mars 1989,Bull.civ.,I,n°118,p.77 ;Rev.trim.dr.civ.,1989,p.548,n°1,obs.,P.Jourdain.-V.dans le
même sens,Cass.civ.1re février 1991,Bull.civ.,I,n°72,p.46.
2083
François Terré, Philippe Simler et Yves Lequette, Les obligations,10 e édition,2009,Dalloz,p.417 et s.
429
Toutefois la jurisprudence n’a pas limité l’obligation de sécurité au contrat de
transport2084 .Cette obligation essaime dans divers autres contrats. Elle est introduite dans les
contrats d’entreprise .Ainsi l’obligation de sécurité s’impose-t-elle aux contractants
organisateurs d’un stage de ski2085, de voyage2086 ou de colonies de vacances2087. De même,
une obligation de sécurité pèse sur l’entrepreneur de spectacle ou encore sur l’exploitant
d’un manège d’autos- tamponneuses, d’une piscine, etc. Elle pèse également sur le
garagiste2088, le médecin, quant au matériel qu’il utilise2089, la clinique2090, le laboratoire
médical2091, l’institut de beauté2092, etc. Cette obligation dans le contrat de vente consiste pour
le vendeur « à ne livrer que des produits exempts de tout vice ou tout défaut de fabrication de
nature à créer un danger pour les personnes ou les biens »2093.Le pouvoir du juge ne se limite
pas à l’adjonction d’une obligation de sécurité, il met aussi à la charge de certains contractants
d’autres obligations telles les obligations d’information et de conseil.
-L’obligation d’information: elle intéresse aussi bien la formation du contrat2094 que
son exécution. S’agissant des effets du contrat, la jurisprudence découvre dans de nombreux
contrats, l’obligation pour l’une des parties de fournir à son contractant les informations

2084
Il faut souligner d’ailleurs qu’en matière de contrat de transport terrestre de personnes, l’importance de la
solution jurisprudentielle ajoutant l’obligation de sécurité est aujourd’hui réduite. Cela est dû essentiellement au
fait que les voyageurs, omis ceux qui voyagent par « chemins de fer (ou) tramways circulant sur des voies qui
leurs sont propres »,sont indemnisés sur la base de la loi du 5 juillet 1995 relative à l’indemnisation des victimes
d’accidents de la circulation qui a crée un système de réparation.
2085
Civ.1re ,9 févr. 1994,Bull,civ.I,n°61.V. aussi pour un stage d’initiation au vol :Civ.1er,29
nov.1994,Bull,civ.I ,n°351.
2086
Civ.1re,29 mai 1990,Bull.civ.I,n°128.
2087
Civ.1re,2 déc.1975,J.C.P.1976,IV,p.33,10 juil.1979,D.1980,inf.rap.p.47.
2088
Civ.1re ,9 juin 1993,Bull,civ.I,n°209,R.T.D.Civ.1993,p.828,obs,Jourdain.
2089
Paris,12 janv.1989,D.1989 ,somm.p.317,obs.Penneau.
2090
Civ.1re ,29 juin 1982,Bull.civ.I,n°245.
2091
Civ.1re ,6 déc 1972,Bull.civ.I,n°277.
2092
Douai,3 juin 1993,Bull Inf.C.cass.,15 mai 1994,n°570.
2093
Civ.1re,11 juin 1991,Bull.civ.I,n°201,R.T.D.Civ.1992,obs.p.114,obs.Jourdain,J.C.P.1992,éd.G.I,3572,p.158-
159,obs.Viney,D.1993,somm.p.241,obs.Tournafond.Adde :Civ.1re ,20 mars
1989,R.T.D.Civ.1989,p.756,obs.Jourdain,D.1989 ,p.381,note Malaurie,27
janv.1993,Bull.civ.I.n°44,R.T.D.Civ.1993,p.592,obs.Jourdain ;17 janv.1995,D.1995,p.350,note Jourdain.
2094
Les candidats au contrat doivent être s’informer mutuellement des faits susceptibles de déterminer leur
consentement, la violation d’une e telle obligation étant sanctionnée par l’appel à la théorie des vices du
consentement et à la responsabilité contractuelle. Le D.O.C réglemente certains vices du consentement qui,
lorque certaines conditions se trouvent réunies, sont sanctionnés par l’annulation du contrat. L’article 39 du
D.O.C.déclare « est annulable le consentement donné par erreur, surpris par dol, ou extorqué par
violence ».Aussi l’article 54 précise que « les motifs logiques, sont abandonnés à l’appréciation des juges ».Il en
résulte de ces deux articles que le D.O.C.prévoit quatre vices du consentement : l’erreur, le dol, la violence, la
maladie et les cas analogues. En ce sens voir, O.Azziman, op.cit., p119 et s. En matière de consommation, voir
l’article 3 de la loi 31-08 édictant des mesures de protection du consommateur et en droit comparé l’article
L.111-1 du Code de la consommation qui dispose que « tout professionnel vendeur de biens ou prestataire de
services doit, avant la conclusion du contrat, mettre le consommateur en mesure de connaître les caractéristiques
essentielles du bien ou service ».
430
utiles à la bonne exécution du contrat2095.Les magistrats se fondent le plus souvent sur
l’équité2096, mais pourraient s’appuyer sur l’exigence de bonne foi. La violation de
l’obligation d’information relative à l’exécution du contrat est sanctionnée au moyen des
règles de la responsabilité contractuelle.
En réalité, le cocontractant sur ce qui pèse cette obligation est tenu de délivrer à son
partenaire « des informations à l’état brut »2097.L’existence d’une obligation dépend de la
nature du contrat et de la qualité des contractants. Celle-ci se manifeste essentiellement dans
les rapports professionnels- consommateurs2098. L’obligation d’information est appelée à
jouer chaque fois que l’une des parties du contrat « ignore légitimement des informations qui
lui étaient utiles et que l’autre connaissait ou devait de connaître »2099.
L’obligation d’information se rencontre dans de nombreux contrats. Le vendeur est
tenu de mettre en garde l’acheteur contre les risques d’utilisation du produit vendu lorsque
celui-ci présente un danger mais encore, plus généralement, de lui fournir des indications
suffisamment détaillées pour lui permettre de retirer de celui-ci les avantages qu’il est en doit
d’en attendre »2100. Mais c’est surtout dans le domaine des contrats ayant pour objet une
prestation de services, que l’obligation d’information a connu ces dernières années un essor
considérable : notaire, avocat, banquier, architecte, entre preneur, assureur, agent immobilier,
garagiste sont parmi d’autres, tenus de renseigner, de mettre en garde et même de conseiller
leur client2101.Selon la haute juridiction française, celui qui est légalement ou
conventionnellement tenu d’une obligation particulière d’information doit rapporter la preuve
de l’exécution de cette obligation2102.

2095
V.not.M.Fabre-Magnan,De l’obligation d’information dans les contrats, thèse ParisI,éd.1992,n°410 et
s.,p.332et s.
2096
Voir l’article 231 du D.O.C et en droit comparé, l’article 1135 du Code civil français.
2097
Cette obligation consiste pour celui qui en est débiteur à attirer l’attention de son cocontractant sur les
risques encourus du fait de certaines situations, de certains actes ou certaines omissions. Sur ce point voir,
Terré,Simler et Lequette,Les obligations, ob.cit.,p.430.
2098
V. également, P.Mistretta, L’obligation d’information dans la théorie contractuelle : applications et
implications d’une jurisprudence évolutive, Petites Affiches,5 juin 1998,n°67,p.4 et s.
2099
V.de manière générale, G.Viney et P.Jourdain,Les conditions de la responsabilité,2 e
éd.,L.G.D.J.,1998,n°512.
2100
Com.4 janv.2005,CCC 2005,n°108,obs.L.Leveneur.
2101
V.par.exemple :Civ.1re ,11 juin 1996,Bull.civ.,n°245,p.173,Defrénois 1996.1007,obs.D.Mazeaud,RTD
civ.1997.425,obs.J.Mestre (La société chargée par ses clients d’exploiter leur installation de chauffage est tenue
de le faire au mieux de leurs intérêts et, en conséquence, de les informer de toute possibilité favorable de
modification des tarifs de Gaz de France).
2102
Civ.1re ,25 fév.1997,Bull.civ.I,n°75,p.49,CCC.1997
n°76,obs.Leveneur,Defrénois,1997.751,obs.Aubert,Gaz.Pal.1997.1.22 rapp.Sargos,RTD
civ.1997.924,obs.Mestre,Grands arrêts,t.1,n°16 ;9 déc.1997,Bull.civ.I,n°356,p.240,RTD civ.1999.83,obs.Mestre.
431
Il convient de soutenir que la jurisprudence marocaine n’exerce que très
imparfaitement sa fonction normative et créatrice de droit 2103.En matière d’interprétation, le
juge marocain se montre très attaché aux méthodes classiques et reste peu novatrice. La
jurisprudence française révèle que les obligations de sécurité et d’information ont connu un
essor dans de nombreux contrats dont l’objectif consiste à protéger les non professionnels
contre la disparité des forces qui existent entre les deux parties2104. Au Maroc, la
jurisprudence trouve son fondement pour l’obligation de sécurité dans l’article 106 du code
de commerce, et dans les articles 3 à 11 de la loi 31-08 relative à la protection du
consommateur en qui concerne l’obligation d’information2105.

Le droit positif ne retient ni la méthode d’interprétation subjective, ni la méthode


objective à titre exclusif. Il les combine. Et de fait, elles sont complémentaires 2106. Car, si le
procédé subjectif tend à préserver la force obligatoire du contrat, le respect de la décision du
juge et même la paix sociale2107, il n’est plus alors d’aucun secours, à défaut de commune
volonté décelable. Et le rétablissement de la confiance dans le droit au sens large ne peut plus
alors être réalisé que par le rétablissement objectif d’un certain équilibre des obligations,

2103
O.Azziman, op.cit., p.258 .
2104
Civ.1èere 27 juin 1995,(D.1995,J.621,note Piedelievre ;JCP.éd.E,1996,II.772,note LEGEAIS) : « la
présentation d’une offre préalable conforme aux exigences de la loi ne dispense pas l’établissement de crédit de
son devoir de conseil à l’égard de l’empunteur ».
2105
L’origine de l’obligation d’information contractuelle vient de l’écart de connaissances entre les
professionnels ou producteurs d’un côté et les consommateurs de l’autre.Les produits ansi que les moyens de
production eux-mêmes étant d’une grande complexité,ils nécessitent une expérience technique chez
l’acheteur,expérience lui faisant généralement défaut.Cette faiblesse du consommateur exige du professionnel ou
le producteur qu’il informe son contractant sur les différentes spécificités et sur l’usage de l’article ou des
marchandises.Sur ce point v. Rabih Chendeb, Le régime juridique du contrat de consommateur, étude
comparative (droits français, libanais et égyptien),op.cit.p.166 ;Cass.civ,française,3éme,21 février
2002,D.,2002,J.,p.932 ;Cass.civ.française,15 mai 2002,Bull.civ.,I,n°132,p.101, « le vendeur professionnel est
tenu d’une obligation de renseignement à l’égard de l’acheteur » ;Aussi le manquement à l’obligation
d’information permet de rendre la tromperie palpable,qui ne résulte pas de manœuvres positives,Ainsi
comprend-on qu’en l’absence d’obligation d’information,la réticence dolosive ne se puise concevoir,ce qu’a
feremement rappelé un fameux arrêt dit « Balus » (Civ.1re ,3 mai
2000,Bull.1,n°131,Contrats,conc.consom.2000,comm.140,note L.L.Les faits de cet arrêt rendu par la première
Chambre civile de la Cour de cassation le 3 mai 2000 sont bien connus.Cinquante photographies de Baldus
avaient été vendues aux enchères publiques au prix de 1000 francs chacune.Sans doute ravie de la somme
obtenue,l’heureuse venderesse mit la main,trois ans plus tard,sur un autre lot de photographies du même
artiste.Aussi retrouvat-elle l’amateur qui lui avait acheté les premières et proposa de lui vendre quatre-vingh cinq
autres photographies pour le même prix unitaire :l’affaire fut conclue.Or,quelques temps après,le venderesse fut
marrie d’approche que Baldus était un photographe fort célèbre et que les photographies avaient été sous
évaluées…ce que n’ignorait pas l’acheteur.La venderesse invoqua la réticence dolosive de l’acheteur
coupable,selon elle,d’un manquement à son obligation de contracter de bonne foi,en qu’il n’avait pas révélé la
véritable valeur des photographies.Les juges du fond entendirent cette argumentation et la Cour régulatrice
censura leur décision par une formule cinglante :aucune obligation d’information ne pesait sur l’acheteur,il ne
pouvait donc lui être reproché une quelconque réticence dolosive.Sur ce point v. Christophe JAMIN, Droit et
économie des contrats,op.cit.p.51 et s.
2106
:F.Terré,Ph.Simler,Y.Lequette,Droit civil,Les obligations,op.cit.,p.465.
2107
Demogue, traité des obligations en général, Rousseau.6.1931,spéc.n°32,p.46, qui présentait ces règles
comme les conséquences de l’idée de sécurité.
432
conformément à la justice. C’est la raison pour laquelle on dénombre de plus en plus d’arrêts
de la Cour de cassation française qui invoquent sans détours l’article 1135 du Code civil, soit
pour préciser les obligations des parties, soit pour renforcer le contenu obligatoire du
contrat2108. Cependant ce rééquilibrage du contrat doit être manié avec prudence, car, à force
de vouloir rééquilibrer, on pourrait aboutir à un déséquilibre inverse et à un dirigisme
jurisprudentiel trop pesant de nature à perturber la confiance instaurée par le contrat et,
finalement, une inefficacité des solutions théoriques dégagées. Il est permis de penser que
c’est la raison pour laquelle la Cour de cassation contrôle directement l’interprétation
objective du contrat, dont le principe est désormais acquis, et censure les juges du fond
lorsqu’ils mettent à la charge de l’une des parties contractuelles une telle obligation que ni
l’utilité sociale du contrat, ni la justice commutative n’imposent2109.

Aussi, La qualification est un autre procédé qui permet au juge de qualifier et de


refaire le contrat. La qualification du contrat est capitale en raison des conséquences
importantes sur l’équilibre des obligations contractuelles.

Paragraphe 2- La qualification comme moyen d’intervention dans le contrat


La qualification est une opération qui consiste à « identifier une situation de fait à
une notion légale » afin de lui appliquer son régime juridique propre. En ce sens, le doyen
Batiffol soulignait que « le travail quotidien du juriste consiste à déterminer la catégorie
juridique applicable à un cas concret ; c’est qualifier le cas concret »2110.La qualification
apparait comme un outil, une méthode dont se sert le juriste qui peut être définie d’une façon
générale comme le procédé intellectuel consistant à rattacher un cas concret à un concept
juridique abstrait reconnu par une autorité normative2111 afin de lui appliquer son régime2112.

2108
Jacques Ghestin,Christophe Jamin et Marc Billiau,Traité de droit civil,Les effets du contrat, op.cit.,p76.
2109
Cass.civ.1re 20 mars 1989.
2110
Traité élémentaire de droit international privé,2e éd.,1955,n°298,p.351 ;
2111
Cf.G.Marty et P.Raynaud,Droit civil,t.I, Introduction générale à l’étude du droit,2 e éd,Sitrey,1972,n°131 bis,
qui retiennent : « pour que le fait devienne du droit il faut le seau normatif que l’on retrouve même dans les
sources extra-légales avec le pouvoir et la cohérence judiciaire, l’opinion juris ou l’acceptation comme droit ».
2112
V.par.ex.pour des définitions avoisinantes : H.Capitant, Vocabulaire juridique,1936,p.397 : « La
détermination précise de la nature juridique d’un rapport de droit à l’effet de classer ce rapport dans l’une des
catégories juridiques existantes ».Fr.Terré, L’influence de la volonté individuelle sur les qualifications,
th.Paris,L.G.D.J.,1957,préface, R.Le Balle,n°11,p.9-10 : « …il ne faut jamais perdre de vue que toute
qualification contribue à traduire en terme de droit des données concrètes, dans le dessein de leur appliquer un
régime juridique déterminé ».J.Boré,La cassation en matière civile, Dalloz,1997,préface
P.Raynaud,n°1330 ,P.318 : « La qualification des faits ou des actes consiste à identifier une situation de fait à
une notion légale, à déterminer dans quelle categorie légale rentre le fait ou l’acte dont l’existence a été
constaté,et par suite,à apprécier quelle régle juridique lui est applicable »..-Adde,R.Martin,La règle de droit
adéquate dans le procès civil, D.1990, chron.XXIX,p.163-164 : « la qualification est la technique générale de la
réalisation du droit »,n°2.
433
Ainsi, définie, l’opération de qualification par du fait pour y revenir à l’effet de le
réglementer2113.

La qualification du contrat est une démarche qui comporte plusieurs étapes


successives. Confronté à un accord de volonté, le juge, l’avocat ou le notaire, s’interroge
d’abord sur sa valeur en se demandant s’il a été conclu en vue de produire des effets de
droit2114.Si la réponse est positive, il devra pousser ses investigations plus avant et se poser la
question de savoir dans quelle catégorie juridique générale cette convention trouve ses
éléments de rattachement2115 ,pour lui appliquer le régime juridique correspondant2116.

Il est clair, que l’équité occupe une grande place dans la détermination du contenu du
contrat, comme le reconnait l’article 231 du D.O.C.Bien qu’une définition de l’équité soit
difficile à établir, il est généralement admis que l’équité a pour objet de corriger un
déséquilibre contractuel qui existe en fonction de la situation personnelle des parties 2117.Le
juge utilise ainsi l’équité pour combler une lacune contractuelle en faveur d’une partie,
fondant par exemple de renseignement du contractant2118.Dans cette hypothèse, un
déséquilibre est créé par le fait qu’une information cruciale en vue du consentement est
connue par une seule des parties.

Or, il paraît un peu difficile de voir comment pourrait se matérialiser un tel


déséquilibre dans la situation des parties au stade de la qualification du contrat et comment le
redresser sans provoquer aucune forme d’arbitraire. Le juge devrait donc suivre un
raisonnement juridique qui lui permet justement d’observer l’équité dans le rapport
contractuel et d’écarter une qualification basée sur un résultat décidé à l’avance. Ainsi, il
convient d’analyser le processus technique de l’opération de qualification du contrat (A) et sa
finalité en matière de correction de l’équilibre des obligations contractuelles (B).

2113
Cf.H.Moutulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé ( la théorie des éléments générateurs
des droits subjectifs ),th.Lyon,1947,n°62,p.61 : « Il s’opère donc, à un moment donné, un retour du juridique au
social : à force d’analyse,le Droit devient,ou plus exactement redevient du fait ».
2114
V.J.Ghestin,La formation du contrat,3e éd.,n°10.
2115
V.J.Ghestin,La formation du contrat,3e éd.,n°12 et s.-Adde,J.-CI.Brault,L’intention libérale dans les relations
familiales,Rép.not.Défrénois,1998,art.36900,p.1425 et s.
2116
Cf.Bénabent,Les contrats spéciaux civils et commerciaux,3 e éd.,Montchrestien,1997,n°8,p.4-5.
2117
Jean ŔLouis Boudouin et Pierre ŔGabriel Jobin,Les obligations,6e éd.par P.-G..Jobin avec la collaboration de
Nathalie Vézina, Cowansville, Editions Yvon Blais, 2005, note 14, p.133 ; François Héleine, « Le droit des
obligations. Une double préoccupation des tribunaux : contrôler les comportements ; s’adapter au droit
nouveau », dans Gil Rémillard et autres (dir), Le nouveau Code civil du Québec :un bilan. Colloque organisé par
l’Institut Wilson & Lafleur, tenu à Montréal le 17 février 1995,Montréal,&,Wilson & Lafleur,1995,p.27.
2118
Didier Lluelles et Benoît Moore, Droit des obligations, Montréal, Editions Thémis, 2006, note, 12, p.812 et s.
434
A- Le processus de l’opération de qualification du contrat

Tout raisonnement juridique implique habituellement un syllogisme, lequel écarte


l’arbitraire et limite la liberté de l’interprète. Le recours à la qualification constitue alors l’une
des étapes du syllogisme juridique que doit suivre le juge pour appliquer la règle de droit.
L’opération de qualification du contrat dans les principales branches du droit2119 est un
procédé intellectuel qui prend la forme d’un syllogisme2120.En droit privé interne, il s’agit
d’identifier la convention en déterminant la catégorie juridique à laquelle elle appartient, pour
lui appliquer son régime juridique, et en droit international privé, la qualification règle
certains conflits de lois, sans avoir, cependant à s’attacher directement, du moins de façon
générale, à la spécificité du contrat, c’est -à-dire, par exemple ,sans avoir à se prononcer sur le
caractère de vente ou de louage d’ouvrage de l’acte. Seule la qualification du contrat importe.

En effet, pour rendre sa décision le juge doit prendre en considération la règle de


droit et constater que les conditions de fait correspond à la règle de droit. Mais le juge ne peut
pas se contenter d’une simple déductive logique à partir de textes légaux ou de faits établis.
L’opération de qualification apparaît ainsi parfaitement objective et d’une mise en œuvre
presque mécanique2121. Elle n’est pas complètement rigide, car le juge dispose de certains
moyens d’action. C’est ainsi qu’une option s’offre à lui lorsqu’il veut appliquer un régime
juridique à un contrat pour lequel il n’a pas été initialement prévu. Il peut procéder par voie
d’extension analogique, sans agir sur la qualification, ou agir directement sur la qualification,
plus précisément sur la catégorie préexistante2122.

Le fait d’agir sur la qualification, afin d’obtenir par l’application du régime


correspondant un résultat jugé opportun, peut conduire à une dénaturation dangereuse des
concepts. La jurisprudence française offre une illustration dans le cas où le syllogisme n’est
pas respecté, comme le relève un auteur, « la qualification retenue par le juge est parfois
fonction des résultats à atteindre »2123. Ainsi, la 3e Chambre civile de la Cour de cassation a eu
à connaître, le 9 décembre 19862124, d’un litige opposant le vendeur d’un terrain à un acheteur
qui s’obligeait en contrepartie à édifier des constructions sur une parcelle demeurant la

2119
En ce qui concerne la qualification du contrat en droit administratif, on se bornera à renvoyer aux
développement de M.D. Truchet,Le contrat administratif, qualification juridique d’un accord de volonté.in Le
droit contemporain des contrats,Economica,1987,p.185 et s.
2120
J.Ghestin et G.Goubeaux, Introduction générale,4e éd.1994,avec le concours de M.Fabre-Magnan,n°46 et
s.sur le syllogisme judicaire.
2121
Karine de la Asuncion Planes,La réfaction du contrat,op.cit.,p.323.
2122
Jacques Ghestin,Christophe Jamin et Marc Billiau,Traité de droit civil,Les effets du contrat, op.cit.,p81.
2123
L.Boyer,Repert,Daloz,v° Contrats et conventions,1993,n°95.
2124
Bull.civ.III.n°177,p.139.
435
propriété du vendeur. Le vendeur refusait de satisfaire à certaines de ses obligations et
assignait l’acheteur en nullité de la convention. L’acheteur de son coté assignait le vendeur en
réalisation de la vente. Les juges du fond ayant prononcé la nullité du contrat, l’acheteur
formait un pourvoi en cassation. Il reprochait à la cour d’appel d’avoir annulé le contrat pour
défaut de prix déterminable cependant que la convention « devait s’analyser soit en une
dation en payement soit en un contrat d’entreprise à forfait mais non une vente supposant le
paiement d’un prix en argent qu’elle que soit l’appellation retenue par les parties ».La Cour de
cassation rejetait le pourvoi au motif que « la vente d’une chose pouvant réalisée moyennant
une contrepartie autre qu’un versement de somme d’argent, la cour d’appel n’a pas violé
l’article 1582 du Code civil en retenant, conformément aux termes de leur convention, que
les parties avaient entendu conclure une vente ».

Le but recherché était d’appliquer le régime de la nullité pour indétermination du prix


en la fondant sur l’article 1591 du Code civil2125 et en droit marocain l’article 306 e du
D.O.C. Mais en l’absence de prix convenu en argent la qualification de vente ne pouvait en
principe être retenue, puisque c’est l’un des éléments essentiels de ce contrat2126.L’absence de
prix impliquait en outre une impossibilité matérielle d’étendre à la convention les règles
relatives à l’indétermination du prix. Selon ces prémisses la seule voie dans laquelle le prix
convenu pouvait être un objet quelconque, et non pas nécessairement une somme d’argent. De
ce fait, la qualification de vente devenait possible et, de même coup, l’application de l’article
1591du Code civil2127.

Dans l’opération de qualification du contrat, trois éléments peuvent être retenus : la


qualité des parties, la forme de la convention et la nature des obligations nées du contrat. Les
deux premiers éléments sont considérés comme accidentels de la qualification du contrat.
Aussi, la recherche des obligations à caractère accessoire ou principale du contrat s’est opérée
à l’aide de différents critères dont la volonté .Cependant cette recherche s’avère parfois

2125
Sur le régime actuel de l’indétermination du prix, v.J.Ghestin,JCP.1996,II.22565,note sous
Ass.plén.1redécembre 1995. ; l’article 478 du D.O.C.,dispose que « la vente est un contrat par lequel l’une des
parties transmet la propriété d’une chose ou d’un droit à l’autre contractant contre un prix que ce dernier
s’oblige à lui payer ».Aussi l’article 487 du D.O.C.,précise que « le prix de la vente doit être déterminé. (…) ».
2126
M.Planiol et G.Ripert,Traité pratique de droit civil français, t.X,LGDJ,2e éd.,1956,par J.Hamel,Fr.Givord et
A.Tunc,n°35,p.34.-V.Cass.1re ,12 octobre 1967,Bull.civ.,I.n°292 ,p.219 ;D.1968,somm.9.29.qui a jugé que le
contrat imposant à une partie le transfert de la nue propriété de son bien et à l’autre le service de prestation
déterminées ne constitue pas une vente mais un contrat innomé à titre onéreux, car le service ne pouvait être
considéré comme un prix, en dépit d’une évaluation requise à des fins fiscales-Cass.civ.3e ,17 mars
1981,Bull.civ.,III. n°56, p.442,obs.Ch.Larroumet.
2127
V., pour un autre exemple, en matière d’indexation, J.Ghestin et M.Billiau,Le prix dans les contrats de
longue durée,L.G.D.J.,1990,n°42, s’agissant de la distinction entre la clause d’indexation et la clause de
détermination du prix.
436
insuffisante pour déterminer la qualification. Pour cette raison, il devient nécessaire de se
baser sur la structure du contrat pour procéder à cette opération. Selon cette démarche, la
qualification du contrat peut être exclusive (1) ou distributive (2).

1-La qualification exclusive


Un contrat n’est seulement constitué d’éléments. Ceux qui sont retenus sont unis par
un lien, une structure, qui détermine avec clarté la nature de l’acte. « C’est ce lien qui assure
la cohésion de l’ensemble »2128.La structure du contrat peut conduire à une qualification
exclusive.

La qualification unitaire a pour caractéristique d’être exclusive. Ainsi la


reconnaissance du caractère accessoire d’une obligation conduit-elle à reconnaître une
qualification unitaire, parce qu’elle occulte l’une des obligations issues du contrat. Le rapport
de principal à accessoire fait ainsi apparaître, dans une certaine mesure, une structure
fondamentalement unitaire de la qualification.

Le contrat peut être l’origine de plusieurs obligations, sans que leur nombre puisse être
réduit par élimination2129, dont la réunion est de nature à assurer l’originalité. Cela s’explique
par l’existence d’un lien qui créé la cohésion entre ces obligation qui n’est autre que
l’indivisibilité. Ainsi, l’indivisibilité est considérée en tant que moyen d’unité. « Un lien
d’indivisibilité étant établi entre plusieurs éléments, une telle combinaison entraîne une
qualification déterminée de l’ensemble : l’établissement d’un lien d’indivisibilité entraîne
une nouvelle qualification de l’ensemble »2130.Il en résulte l’application d’un régime
juridique unique.

La fonction de l’indivisibilité est double. Boulanger soulignait que « tantôt (donc)


l’indivisibilité tient à l’objet ou à la nature d’une opération ; elle sert à en déterminer les
effets. Tantôt elle est une certaine manière d’être de ce qui a été voulu par les parties : elle sert
alors à déterminer l’étendue d’une nullité »2131. L’indivisibilité qui permet de reconnaitre au
contrat une qualification unitaire peut être objective ou subjective.

2128
Fr. Terré, Volonté et qualification, in arch. Philosophie du droit, 1957, p.114.L’auteur observe que « dans le
cas d’une vente, il ne suffit pas que l’on soit en présence d’un objet, d’un prix et d’un transfert de propriété.
Encore faut-il que le prix serve de contre partie à cet objet » ; L’influence de la volonté individuelle sur les
qualifications, n°353 et s.
2129
V.Fr. Terré,th.précité,n°485 et s.,p.390 et s.
2130
Ibid.,p.390 et s.
2131
Fr. Terré, th.précité,n°4.L’auteur adopte ainsi, au moins sur ce point, l’analyse de Boulanger in Usage et
abus de la notion d’indivisibilité dans les actes juridiques, Rev.trim.dr.civ.,1950.
437
L’indivisibilité objective retenue en tant que critère de qualification, peut être établie
abstraction faite de la volonté des parties. Cela peut être illustré en matière fiscale par la
formule d’un arrêt, certes ancien, de la Chambre française des requêtes du 5 mars 19072132,
selon laquelle « il ne suffit pas que les diverses dispositions de l’acte aient été liées entre elles
dans l’intention des parties contractantes ; il faut encore que ces diverses dispositions, prises
abstractivement, concourent à la formation d’un contrat principal et en constituent les
éléments corrélatifs nécessaires »2133.L’indivisibilité objective, comme en matière de nullité,
résulte en quelque sorte de la nature des choses.

S’agissant de l’indivisibilité subjective, elle résulte de la volonté des parties. Elle


opère une « contraction »2134 entre diverses obligations ou conventions distinctes vers un
contrat simple nommé. Elle produit donc des effets sensiblement équivalents à ceux résultant
de l’application de la règle de l’accessoire2135. L’indivisibilité ne présume pas du fait qu’elle
dépond de la volonté des parties et non de la nature de l’acte. Dans un arrêt de principe, la
Cour de cassation française, avait jugé le 30 avril 1941, « que, lorsque la donation forme un
tout indivisible avec l’acte destiné, dans la commune intention des parties, à la déguiser, celui-
ci est également frappé de nullité dans les rapports entre époux »2136.il en résultait que la
donation avait pour objet l’immeuble. Le contrat de vente était occulté au profit d’une
qualification exclusive fondée sur l’idée d’indivisibilité, en sorte qu’en cas d’annulation de
la donation c’était l’immeuble qui réintégrait le patrimoine de donateur. L’indivisibilité
subjective2137 reste donc le critère de la qualification exclusive « donation déguisée ».

2132
D.1908.1.209. ;S.1909.1.46 ;journ.not et av.,1908,art.29194,p.104.
2133
J.Boulanger observait que cette solution, adoptée sous le visa de l’article 11 de la loi du 22 frimaire an 7
(devenu aujourd’hui l’article 671 C.G.I. Selon le quel « lorsque dans un acte quelconque, soit civil, soit
judiciaire ou extrajudiciaire, il y a plusieurs dispositions indépendantes ou ne dérivant pas nécessairement les
unes des autres, il est dû pour chacune d’elles, et selon son espèce, une texte ou un droit
particulier »),s’expliquait sans doute par des considérations fiscales, mais reconnaissait que l’enseignement du
droit fiscal n’était pas à négliger.
2134
L’expression est de Voirin, notes J.C.P.1941, II.1727,sous civ.30 avril 1941 et J.C.P.1947.II.3719,sous
Cass.req.,18 février 1947.
2135
Il n’existe cependant aucune corrélation entre la notion d’accessoire et celle d’indivisibilité .M. Terré
souligné qu’ « il peut y avoir indivisibilité sans lien d’accession. Inversement, le caractère accessoire ne
suppose pas nécessairement l’existence d’un lien d’indivisibilité » (th. précitée,n°485,p.391).
2136
Cas.civ.,30 avril 1941,J.C.P..1941.II.1727.
2137
Les manifestations de l’indivisibilité subjective sont relativement rares en ce qui concerne la qualification du
contrat car il est souvent impossible de méconnaitre l’une des obligations nées du contrat et d’écarter une
convention qui fait partie d’un ensemble plus vaste. Sur ce point voir cependant, Cass.soc.8 décembre
1966,Bull.civ.,IV.n°935,p.783,qualification unitaire de bail à usage d’habitation en ce qui concerne un local à
usage d’habitation et un garage fondée sur la commune intention des parties,excluant la qualification de
commodat en ce qui concernait l’occupation du seul garage.
438
En présence d’un contrat composé de plusieurs obligations principales, la
qualification sur le fondement de l’indivisibilité est devenue impossible. C’est donc vers une
qualification distributive que le juge s’orientera.

2-La qualification distributive


Dans l’hypothèse de l’existence d’un contrat qui se compose de plusieurs obligations,
relevant de différentes qualifications nommées, sans qu’il y a une possibilité de procéder par
voie de réduction ou d’adjonction et d’adopter une qualification unitaire ; il y a qualification
mixte nommée. La qualification du contrat sera donc distributive2138 car une qualification ne
peut être jamais cumulative, et ce n’est que si ce type de qualification s’avère irréalisable que
se justifiera le recours à l’innomé2139.

La qualification distributive, ou mixte dépend seulement une réelle autonomie de ses


éléments et se justifie, en l’absence de volonté contraire des contractants, par la richesse des
faits qu’il s’agit de qualifier, comme le soulignait Planiol. Ainsi, dans le cas de l’échange avec
soulte, la convention révèle deux obligations qui sont intellectuellement et économiquement
distinctes, ce qui permet de retenir, en l’absence de disproportion flagrante, deux
qualifications applicables : l’acte est pour partie une vente, pour partie un échange2140.Le
conflit de qualification n’est ici possible qu’en raison de l’autonomie de chaque élément du
contrat qui relève d’un contrat spécial déjà nommé. D’une façon plus générale, cette
autonomie n’implique naturellement que les obligations essentielles pour l’adoption de
chaque qualification soient réunies, ce qui exclut toute influence des obligations accessoires
ou le refus d’user de ce critère, même si cela est techniquement possible.

En matière de qualification, la divisibilité des obligations nées du contrat est le


principe, l’indivisibilité ou le rapport de principal à accessoire l’exception. C’est affirmer que
la qualification mixte d’un contrat complexe est le principe, et que seule une manifestation de
volonté expresse ou tacite contraire des contractants peut conduire à l’adoption d’une
qualification unitaire, sous réserve du respect des règles d’ordre public2141.

La qualification distributive repose sur la richesse des faits à qualifier et la diversité


des obligations assumées par chaque partie. En principe, c’est la volonté des parties qu’il

.‫ ٔيبثؼضْب‬245 ‫ انظفذخ‬،‫ يغجغ ؿبثك‬،َٙ‫ انمبٌَٕ انًض‬،٘ٔ‫ ػجض انغدًبٌ انشغلب‬2138


2139
V. en ce sens, Cass.soc.,19 décembre 1952,D.1953 ,p.333,note R.Savatier.
2140
Cf.J.Huet, Les principaux contrats spéciaux,1966,n°11122,p.67-68.-C’est ainsi que dans un arrêt du 30
octobre 1950,la Chambre civile de la Cour de cassation a retenu pour une part la qualification de vente et pour
une autre part celle d’échange.
2141
V.contra.A.Bénabent, L’hybridation dans les contrats,Dialogues avec M.Jeantin,Dalloz,1999,p.27 et s.
439
s’agit d’appréhender, ce qui présente un inconvénient notable dans le débat contentieux. En
ce sens, le juge dispose du pouvoir d’interpréter les conventions et son appréciation de
l’intention des parties est souveraine, sous le réserve cependant de ne pas dénaturer les
stipulations claires et précises. Ce pouvoir dévolu aux juridictions du fond présente
incontestablement un risque d’arbitraire, comme l’a souligné un auteur2142, et fait obstacle
au contrôle de la qualification par la Cour de cassation.

La qualification peut ne paraître qu’un prétexte à l’intervention du juge dans la


mesure où le juge oriente son raisonnement vers une démonstration qui lui permette de
qualifier le contrat dans une catégorie juridique qui autorise son intervention. C’est sous
couvert d’interprétation, le juge pourra réduire à néant certaines obligations et retenir une
qualification unique pour le tout. A ce titre, Monsieur Jestaz a pu relever que « les auteurs
de décisions, toutes juridictions confondues, ont triché avec la qualification pour des raisons
d’équité, afin de soustraire le cas au régime normalement applicable et devenu injuste en
l’espèce »2143.En effet, si la qualification unitaire peut être une source de réduction exagérée
de la réalité, une qualification mixte est toutefois préférable, du fait qu’elle permet d’abriter
une solution juste répondant aux intérêts des parties du contrat.

Un arrêt rendu le 25 janvier 1989 par la Chambre civile de la Cour de cassation en


donne une bonne illustration. Dans une affaire relative à la vente d’un film par la société
Kodak, la Cour de cassation française a dû se prononcer sur la qualification, vente ou contrat
d’entreprise, de la vente de films dont le prix comprend expressément le traitement et le
montage des vues. La société Kodak, condamnée à réparer le préjudice réel, estimé à six cents
francs, a soutenu que le contrat « s’analysant, non comme un contrat de vente, mais comme
un contrat d’entreprise » auquel l’article 2 du décret du 24 mars 1978 n’est pas applicable2144.

La 1re Chambre civile a constaté que le tribunal « a relevé que l’offre faite par la
société Kodak Pathé de traiter le film a été connu et acceptée de M.Robin, non pas au moment
du dépôt du film pour son développement, mais au moment de l’achat du film, et que le prix
global ne distinguait pas entre le coût de la pellicule et le coût de son traitement ; que la
juridiction a ensuite énoncé, par une appréciation souveraine, que, par la volonté des parties,
l’acte juridique passé par M.Robin était indivisible ».Elle en conclu « que, dés lors, le

2142
Fr. Terré, th. précité.
2143
Ph.Jestaz,La qualification en droit civil,Rev. Droits, Puf,1993,n°18,p.45 et s.,spéc.p.49.
2144
L’article 2 du décret du 24 mars 1978 (devenu l’article L-132-1 du code de la consommation.
440
caractère de vente qu’il présentait, fût-ce de manière, entraînait l’application de l’article 2 du
décret du 24 mars 1978 ».

Dans l’objectif d’adopter une solution jugée équitable, la 1re Chambre civile a reconnu
le caractère mixte à cette convention unique qui se compose de deux opérations de vente de
pellicules et de traitement de celles-ci en admettant que ‘ l’acte juridique’ pouvait n’être que
partiellement une vente. La convention comportait à la fois les obligations résultant d’une
vente, dans sa première phase, et celles résultant d’un contrat d’entreprise, dans sa seconde. Il
était alors plus conforme à la réalité, s’agissant plus précisément de sanctionner l’inexécution
des obligations de Kodak,d’appliquer de façon distributive et successive le régime de la vente
à celles qui se rattachaient à cette dernière et celui du contrat d’entreprise aux obligations
dépendant des opérations de traitement et de montage. La qualification doit être une opération
neutre et non le moyen d’appliquer un régime jugé meilleur qu’un autre2145. Aussi, le recours
à la qualification peut constituer un moyen pour refaire le contrat en vue d’équilibrer ou de
rendre légal le rapport obligatoire.

B- La finalité de la qualification du contrat en matière d’équilibre contractuel

Le raisonnement pragmatique du juge l’oblige à rechercher le fondement légal le


plus opportun eu égard à la situation qu’il est emmené à apprécier2146. Cette manière de juger
n’est pas censurée par la Haute juridiction qui « tente de sauver les arrêts équitables », bien
que le fondement avancé par les magistrats du fond soit parfois malheureux. La qualification
permet ainsi d’autant d’abriter une solution juste sous une règle formelle que d’éviter que
cette solution se heurte à une règle formelle inopportune ».Le juge peut donc dans le cas
extrême prononcer en présence d’une illicéité l’annulation du contrat, comme il peut
procéder à la réfaction de certaines stipulations contractuelles jugées excessives pour garantir
la survie du contrat, un prétexte qui lui permet de justifier son intervention en matière
contractuelle. Il s’agit d’un pouvoir qui permet au juge de refaire le contrat à travers le
procédé de la conversion par réduction (1), cette intervention dans le rapport contractuel qui
vise à satisfaire l’équilibre des obligations nées d’un lien obligatoire a fait l’objet des critiques
de certains auteurs qui demeurent relatives dans la mesure où la Cour de cassation contrôle la
qualification du contrat (2).
2145
La solution adoptée par la Cour de cassation a été orientée vers le sens de la déclaration abusive de la clause
litigieuse, plutôt que d’agir en déformant les catégories juridiques. C’est dans cette voie que ladite Cour a
autorisé les juges du fond à annuler une clause abusive, même en l’absence d’un décret d’application. La
nouvelle rédaction de l’article L.132-1 du Code de la consommation consacre implicitement, la reconnaissance
du pouvoir judiciaire en cette matière.
.‫ ٔيبثؼضْب‬99 ‫يغجغ ؿبثك‬،‫ انجؼء االٔل‬،٘‫انمبٌَٕ انًض‬، ٙ‫ ثشظٕص ْظِ انُمطخ اَظغ ػجض انذك انظبف‬2146
441
1- La qualification comme moyen pour équilibrer le rapport contractuel

La jurisprudence a eu recours à des qualifications erronées ce qui constituait un


prétexte au juge de refaire le contrat. La qualification du contrat conclu avec professionnel
comme un contrat de mandat pour constituer un fondement légal pour procéder à la
réfaction des honoraires des professionnels considérés comme des mandataires, donne une
illustration significative en ce sens. En effet, les premiers arrêts affirmant un pouvoir de
réfaction des honoraires se bornaient à constater que la rémunération stipulée était hors
proportion avec le service rendu et invoquant le pouvoir souverain des tribunaux pour
réduire en pareil cas les obligations excessives2147.

Cette jurisprudence a fait l’objet de vives critiques de la doctrine en ce qu’elle violait


le principe posé par l’article 230 du D.O.C., et en droit comparé par l’article 1134 du Code
civil français. Les juges français durent donc chercher une motivation convaincante à leur
décision et c’est dans la qualification du mandat de la relation entre le client et le
professionnel que cette jurisprudence trouva un écho. C’est donc son caractère de gratuité
que la Cour de cassation a pu trouver dans le contrat du mandat un fondement à sa
jurisprudence2148.Généralement, le mandat procède d’un service gratuit, rendu par pure
amitié. Mais le développement de la représentation a transformé l’institution du mandat.
D’ailleurs l’article 888 du D.O.C. comme l’article 1986 du Code civil français, ne prévoit pas
la gratuité du mandat de manière absolue dans la mesure où il est précisé que « Le mandat est
gratuit, à moins de convention contraire ».Cette gratuité n’est pas présumée ce qui résulte des
2149
cas prévus par l’article 888 alinéa 1er in fine du D.O.C.Néanmoins, le principe étant la
gratuité du mandat, les juges ont cru pouvoir justifier leur contrôle sur les honoraires 2150.Ce
raisonnement a été étendu pour englober la réfaction des engagements qualifiés excessifs.
Ainsi cette jurisprudence a été étendue aux honoraires des architectes 2151, des experts Ŕ
comptables, des conseils en gestion. La Cour de cassation française se contente d’affirmer que

2147
Req.,11 mars 1824,s.S.1825.1.133 ;Req.,17 fév.1855,S.1855.1.527 ;Req.18 avril 1855,S.1855.1.257 ;Req.14
juill.1856,S.1856.1.464 ;Req.18 avril 1872,D.1873.1.259.
2148
Civ.29 janv.1867,D.1867,I.p.53.
2149
L’article 888 du D.O.C.dispose que « Le mandat est gratuite, à moins de convention contraire. Cependant, la
gratuité n’est pas présumée :
1-Lorsque le mandataire se charge par état ou profession des services qui font l’objet du mandat ;
2-Entre commerçants pour affaires de commerce ;
3-Lorsque, d’après l’usage, les actes qui font l’objet du mandat sont rétribués. ».En droit comparé, l’article 1999
alinéa 1re du Code civil français qui prévoit que « le mandant doit payer au mandataire ses salaires lorsqu’ils
sont stipulés ».
2150
Req.12 janvier.1863,DP.1863.1.302.
2151
Civ.5 nov.1923,S.1924.1.215.
442
« les tribunaux peuvent, quand une convention a été passé en vue de l’exécution de travaux
donnant lieu à honoraires, réduire ces derniers lorsqu’ils paraissent exagérés »2152.

Si dans le cas du mandat, la qualification, n’a pu prospérer car elle paraissait douteuse,
dans certaines hypothèses, les juges n’ont pas hésité à mettre en œuvre ce moyen pour
justifier la réduction des honoraires excessifs. Le cas de la jurisprudence en matière de
réduction des indemnités d’immobilisation donne un exemple significatif de l’utilité du
subterfuge qui consiste à ramener la stipulation prévoyant un engagement excessif.

La qualification de l’indemnité d’immobilisation2153 permet au juge de chercher un


moyen lui permettant de jouir d’un fondement sur lequel elle puisse s’appuyer pour procéder
à la révision de l’indemnité exagérée. Le premier raisonnement adopté par la jurisprudence
française, a précisé que l’arrêt du 5 décembre 1984, retient à bon droit que la stipulation
d’une indemnité d’immobilisation au profit du promettant ne constitue pas une clause pénale.
Cependant, la qualification de clause pénale a été retenue par les juges pour asseoir leur
intervention sur un texte légal. Ainsi, la stipulation d’indemnité d’immobilisation est qualifiée
de clause pénale ce qui permet sa réduction en vertu de l’article 1152 du Code civil français.
Ce raisonnement a été approuvé par la Cour de cassation qui a retenu que « par son
importance, l’indemnité ne constituait pas simplement la compensation de l’immobilisation
du fonds… et qu’elle traduisait l’engagement de l’acheteur de prendre possession à la date
convenue »2154.Ce raisonnement a été aussi soutenu par une partie de la doctrine pour qui, le
caractère excessif de certaines indemnités d’immobilisation « manifeste incontestablement un
abus de puissance économique d’un contractant qui a pu imposer à l’autre dans le contrat une
clause manifestement défavorable.2155

En réalité, l’indemnité d’immobilisation vise principalement à assurer l’équilibre


contractuel voulu par les parties. La justification du pouvoir du juge dans le domaine de
révision de cette indemnité se trouve soutenue non pas par une conception réparatrice mais
par une conception rémunératrice qui vise à assurer l’équilibre conventionnel voulu par les
parties à traves le versement d’un prix en contrepartie du délai d’option.

2152
Civ.1re ,3 juin 1986,JCP.éd.N.1988.II.91.
2153
L’indemnité d’immobilisation désigne la somme due ou versée par le bénéficiaire d’une promesse unilatérale
de vente pour le cas où il ne lèverait pas l’option. Cette indemnité ne peut être qualifiée de clause pénale.
2154
Com.13 fév.1978,Bull.civ.IV ,n°60,p.49.
2155
A.Sinay-Cytermann,Clauses pénales et clauses abusives :vers un rapprochement,in Les clauses abusives dans
les contrats types en France et en Europe, Actes de la table ronde du 12 décembre
1990,dir.J.Ghestin,LGDJ,Droit des affaires,1991,p.169 et s.
443
Dans l’hypothèse où le bénéficiaire renonce à la vente avant le délai d’option, la
contrepartie de l’indemnité d’immobilisation, le service procuré par le promettant, s’en
trouve réduit et le contrat devient déséquilibré. La réfaction qui se concilie avec la
conception moderne de la force obligatoire vise à corriger une inégalité dans les prestations
réciproques, source de déséquilibre entre l’obligation de payer le prix de l’option2156 et
l’obligation de maintenir le bien immobilisé. La qualification est un moyen qui permet au juge
de refaire le contrat dès lors de la clause contractuelle manifeste un déséquilibre2157.
Toutefois, le pouvoir élargi donné au juge de refaire toute stipulation créant un déséquilibre
entre les parties à travers le recours à certains subterfuges tels que la qualification, a fait
l’objet des critiques par une partie de la doctrine.

2- La relativité des critiques du recours à la qualification comme procédé de réfaction

Certains auteurs ont avancé que le recours à la qualification des stipulations


contractuelles pour les refaire ne constitue qu’un prétexte pour permettre au juge
d’intervenir dans le contrat en relevant que « la jurisprudence pratique un détournement de la
loi qui aboutit à une dénaturation dangereuse des concepts »2158.En ce sens, d’autres auteurs
ont souligné que le recours à des qualifications stratégiques a pour effet indirect de permettre
d’imposer une interprétation déviante des textes légaux »2159.Il n’en reste pas moins vrai que
la qualification qu’elle constitue un argument détourné de parvenir à la réfaction ou pas, a
permis au juge à une poque qui était marquée par la dominance de la conception statique de la
force obligatoire du contrat où l’équilibre contractuel ne semblait pas être pris en
considération par la jurisprudence, d’instaurer une base légale de son pouvoir pour modérer
et refaire une clause en vue de rendre un rapport contractuel légal et équilibré.

En réalité les critiques soulevées demeurent relatives dans la mesure où le pouvoir


donné au juge en matière de qualification est soumis au contrôle de la Cour de cassation2160.
Le juge de cassation n’agit pas sur le fait, il vérifie la qualification opérée par le juge de
fond de sorte que les cas de dénaturation sont bien peu nombreux. Le juge maitrise ainsi les
techniques qui lui permettent d’intervenir dans le contrat pour satisfaire de l’équilibre
contractuel qu’il s’agisse de l’interprétation ou de la qualification.
2156
Le prix de l’option est fixé en fonction de la durée de l’immobilisation et peut donc être révisé afin de faire
cesser l’inégalité des obligations contractuelles qui émane du déséquilibre entre la durée de l’option et le prix de
celle-ci.
‫ضح انضاع‬ٚ‫ يطجؼخ انُجبح انجض‬،‫آَبء ػمض انشغم‬،‫ يذًض انكشجٕع‬-.‫ ٔيبثؼضْب‬243 ‫ انظفذخ‬،‫ يغجغ ؿبثك‬،َٙ‫ انمبٌَٕ انًض‬،٘ٔ‫ ػجض انغدًبٌ انشغلب‬2157
.40 ‫ انظفذخ‬،‫ؼبء‬ٛ‫انج‬
2158
J.Ghestin,C.Jamin et M.Billiau,Traité de droit civil,Les effets du contrat,3 éd.,p.176.
2159
F.Cherigny,La révision judiciaire des conventions en droit privé français,th.préc.p.142.
.‫ ٔيبثؼضْب‬250 ‫ انظفذخ‬،‫ يغجغ ؿبثك‬،َٙ‫ انمبٌَٕ انًض‬،٘ٔ‫ ػجض انغدًبٌ انشغلب‬2160
444
Conclusion du deuxième chapitre de la seconde partie

Si la conception classique de la force obligatoire constitue un obstacle devant


l’immixtion du juge dans le contrat, nous avons pu démontrer que la désacralisation du
principe de l’autonomie de la volonté, a permis la naissance d’une conception nouvelle de la
force obligatoire du contrat. L’opportunité de cette nouvelle conception réside dans la
promotion de la justice contractuelle et de la sécurité juridique. En ce sens qu’elle autorise le
juge à intervenir dans le contrat, soit pour le rééquilibrer, soit pour le rendre en conformité
avec la loi. Le juge dispose alors de deux procédés : l’interprétation et la qualification pour la
mise en œuvre de la réfaction du contrat.

Force est de soutenir que la satisfaction de l’équilibre contractuel par le juge, l’un des
objectifs de la nouvelle force obligatoire du contrat, passe d’une part, par la maitrise de
certains moyens tels que l’interprétation et la qualification, et d’autre part par la nécessité de
la modernisation des procédés classiques de règlement des différends qui sont prévus par le
D.O.C., et ce à travers une harmonisation du droit marocain des contrats avec le droit
européen et international.

Conclusion de la seconde partie

La conception moderne de la force obligatoire du contrat se fonde sur deux principes :


la sécurité contractuelle et la justice contractuelle. Ces deux principes se trouvent conciliables,
dans la mesure où cette nouvelle conception cohabite avec l’immixtion du juge dans le contrat
pour le rendre légal et équilibré. Cet objectif ne peut être concrétisé dans la pratique que si le
contrat est maintenu.

En droit public, la stabilité de l’équation financière nécessite de préserver et de


rétablir le rapport contractuel qui est par nature déséquilibré en pouvoir. En réalité, le contrat
administratif est marqué par sa flexibilité dans l’exécution des obligations, édictée par l’idée
de la nécessité de la continuité du service public .Cette flexibilité qui cohabite avec la
conception moderne de la force obligatoire, visant à permettre la survie du contrat et donc
son adaptation avec l’évolution de son environnement contractuel. La satisfaction du principe
de l’équilibre financier dans le domaine des contrats administratifs est la contrepartie des
prérogatives de l’administration. En ce sens, l’adoption de la théorie de l’imprévision en droit
administratif constitue une illustration claire de la flexibilité de la force obligatoire du
contrat administratif, motivée par des exigences d’intérêt général ou par les besoins du
service public.

445
En droit privé, l’opportunité de la mise en œuvre de la conception assouplie de la force
obligatoire du contrat réside dans la possibilité de l’instauration ou la réhabilitation d’un
équilibre économique minimum par le juge. Longtemps perçu comme le fruit d’un compromis
qu’avaient su façonner deux volontés antagonistes, libres et égales, le contrat est devenu
progressivement avec la naissance d’un nouveau mode contractuel le lieu d’un nécessaire
équilibre, que législateurs et juges n’hésitent pas, dans certains cas, à rétablir après coup, en
gommant les éventuels abus liés à une inégalité des conditions économiques et techniques2161.

Aussi, la conception moderne de la force obligatoire du contrat qui cohabite également


avec la technique de la réfaction présente un intérêt crucial en matière du maintien du contrat.
Ce procédé permet au juge de satisfaire l’intérêt économique des parties 2162 et par
conséquent l’intérêt général. Il représente alors une sorte de stabilité dans les rapports
contractuels, véritable technique au service de la force moderne obligatoire du contrat dans la
mesure où il conduit à son adaptation en fonction de la réalité contractuelle et par voie de
conséquence à son exécution qui demeure l’objectif poursuivi par le droit des contrats en
général.

2161
J.Mestre,note dans RTD civ.1986,p.100 .
2162
D.Tallon, L’inexécution du contrat : pour une autre présentation, RTD Civ.1994,n°38,p.235 ;voir également,
D.Tallon,Le contrat aujourd’hui : comparaisons franco-anglais, sous la direction de D.Tallon et D.Harris,Paris,
LGDJ,1987,Bibl.de droit privé. T.196,n°48,p.288.
446
Conclusion générale

Il est une vérité reconnue de tout temps selon laquelle aucune société et aucun
régime juridique ne sont possibles sans la certitude que la parole donnée sera respectée. Le
respect de la parole donnée a été imposé en vue d’atteindre une certaine stabilité dans les
rapports contractuels aussi bien sur le plan interne qu’international. Le respect de la parole
donnée est de l’essence même du contrat qui donne naissance à des obligations.

L’obligation de respecter la parole donnée trouve sa référence dans le principe de la


force obligatoire du contrat consacré par l’article 230 du D.O.C., mais l’affirmation de ce
principe dans un nouvel mode contractuel marqué par l’existence des déséquilibres sur les
plans techniques et financiers, révèle certaines lacunes, dans la mesure où il peut conduire à la
consolidation de l’injustice contractuelle. D’où la nécessité de la recherche d’une conception
flexible de la force obligatoire favorable pour protéger le faible contre le fort.

L’objectif de cette étude, n’est pas d’effacer d’un trait une conception pour la
remplacer arbitrairement par une autre. Son propos est plutôt de rechercher, au moyen d’une
analyse juridique, et de défendre, dans le cadre du droit selon une approche comparative, la
conception qui satisfait la justice contractuelle. C’est dans cet esprit que nous avons démontré
que le fondement de la force obligatoire du contrat ne réside pas dans l’autonomie de la
volonté. Faire dériver la force obligatoire du contrat d’une volonté qui ne régirait que pas
ses propres lois, cela permet tous les excès et ouvre la voie à tous les abus. La réalité
contractuelle l’a montré. Les contrats d’adhésion, sans parler des clauses abusives, donnent
une illustration en ce sens.

La conception classique de la force obligatoire qui était conçue sur la base d’un
rapport égal et équilibré où chaque contractant agit à armes égales et dans un cadre
contractuel stable est devenue obsolète et ne reflète plus aujourd’hui la réalité contractuelle.
D’où, l’étude a été poussée vers la recherche de nombreux fondements de la force obligatoire
du contrat (volontariste, objectif, doctrinal, économique) pour trouver de nouvelles
explications au caractère contraignant du lien contractuel. L’objectif était d’apporter alors
une réponse logique et légitime au fondement de cette force, dans la mesure où le fondement
de la volonté ne constitue en réalité qu’un mythe.

L’analyse de ces fondements a révélé que l’adoption du fondement économique dit


pluraliste est utile pour donner une explication efficace au principe de la force obligatoire du
contrat, dans la mesure où il permet d’analyser ce principe selon une conception dynamique et
447
souple et d’adapter sa portée à la réalité contractuelle. Le fondement économique représente
alors une réponse aux lacunes du fondement classique de la force obligatoire du contrat dit
volontariste, car il permet de rendre la portée de ce principe plus souple et plus efficace. Cette
souplesse ne peut être expliquée que par la flexibilité du fondement.

L’étude de la portée de la force obligatoire du contrat en droit marocain comparé selon


sa conception classique a permis de montrer, que cette conception rigide présente des lacunes
certaines sur le plan pratique. Dans la pratique les hommes ne sont pas égaux, il y a des forts
et des faibles et le contrat peut être un instrument d’exploitation. C’est pourquoi l’adéquation
entre la justice et le contrat n’est pas exacte.

Cette conception qui s’oppose à l’immixtion du juge dans le contrat qui est devenu
économiquement déséquilibré présente une insuffisance qui s’est traduite par la
consolidation de l’injustice résultant soit de l’inégalité des forces des parties, soit des
déséquilibres des prestations nées du lien contractuel. La réalité contractuelle a permis alors
de démentir l’hypothèse de Fouillé ,énoncée dans sa formule célèbre « qui dit contractuel dit
juste ».L’auteur a exclu le postulat du contrat déséquilibré favorisant l’une des parties sur
l’autre, du fait que le principe de la liberté contractuelle et le principe de l’égalité sont
devenus relatifs, en permettant à la partie forte d’introduire dans son contrat des clauses qui
lui apportent un avantage excessif.

Le refus de donner au juge le pouvoir de prendre en considération l’inégalité des


contractants qui est l’une des manifestations de la rigueur de la conception volontariste de la
force obligatoire du contrat est de nature à consolider l’injustice contractuelle. Cette position
ferme, constitue un obstacle devant le juge, sous le visa de l’article 230 du D.O.C., pour
procéder à la révision du contrat dont l’équilibre a été bouleversé, à la suite des circonstances
imprévisibles. En droit privé, la jurisprudence marocaine comme celle française est hostile à
toute modification du contrat par le juge, en se fondant sur le fait que l’admission de la
révision du contrat pour imprévision peut être source de mauvaise foi pour les contractants en
se retranchant derrière cette possibilité pour se dérober à leurs obligations et que
l’instabilité du contrat peut se retourner sur la sécurité juridique.

Le droit comparé révèle que cette position a été abandonnée à la suite d’une
évolution jurisprudentielle ou du fait d’une intervention du législateur sans que l’admission de
la révision pour imprévision ait engendré l’insécurité redoutée. Le législateur marocain
comme son homologue français n’a pas admis d’une manière expresse l’imprévision et n’a

448
pas organisé la révision du contrat par le juge ce qui constitue un aspect négatif de la
législation marocaine. Cette position qui s’oppose à l’admission de la théorie de l’imprévision
constitue aujourd’hui une exception par rapport aux législations des pays d’Europe, arabes et
musulmans. D’ou la nécessité de faire ressortir le D.O.C., de son état statique et de l’adapter
à l’évolution de la société marocaine en vue de répondre parfaitement aux exigences de la
vie sociale ou économique.

Le droit du contrat doit nécessairement évoluer pour combler les lacunes. Une
première solution consisterait dans la recherche de mesures ponctuelles, par le législateur,
notamment par la réforme de l’article 230 du D.O.C.,.Ainsi, la révision pour imprévision
pourrait très bien exister. Une telle reforme peut être utile, dans la mesure où elle peut
conduire à la disparition de la divergence qui existe entre le droit privé et le droit
administratif quant à l’admission de la théorie de l’imprévision. Cette solution législative est
de nature à remédier les fâcheuses conséquences de la conception classique sous prétexte
qu’une telle intervention dans le contrat peut porter atteinte au principe sacro-saint selon
lequel le contrat fait la loi des parties. L’intangibilité absolue du contrat n’est plus utile au
contrat ni aux parties. Une évolution vers sa souplesse est bien affirmée. La stabilité du droit
est un besoin mais stabilité ne signifie pas immobilisme.

La mondialisation et le partenariat avec l’Europe et les pays arabes ne riment pas


avec la rigidité du contrat. Ils nécessitent en revanche, avec la révision et la souplesse du
contrat, une flexibilité qui permet d’accueillir facilement l’immixtion du juge dans le
processus contractuel, dans la mesure où le juge est considéré comme le sauveteur de la
société. Cette tendance vers la souplesse du rapport contractuel a incité la doctrine
contemporaine à concevoir une nouvelle conception de la force obligatoire du contrat et à la
recherche de certains mécanismes régulateurs pour assurer l’adaptation et la mutabilité des
obligations contractuelles au lieu de s’enfermer dans un contrat figé et immuable.

L’étude de la conception moderne de la force obligatoire du contrat a révélé que cette


conception dite dynamique est bâtie sur deux piliers : la justice contractuelle et la sécurité
juridique des rapports contractuels. La conciliation entre ces deux principes, a fait appel à la
recherche de certains instruments tels que : le raisonnable, le solidarisme contractuel, la
proportionnalité des obligations, la considération économique du contrat, conçus par le droit
contemporain sous l’influence de la doctrine et de la jurisprudence pour satisfaire l’équilibre
contractuel de point de vue statique et dynamique. Ces instruments viennent donc consacrer
la flexibilité du lien obligationnel .Le recours à ces nouveaux outils s’explique par la remise
449
en cause des instruments traditionnels de l’équilibre contractuel tels que : la lésion, la morale,
et l’abus de droit, qui se manifestent dans la pratique à travers l’impossibilité de satisfaire en
l’état le besoin d’équilibre contemporain.

La conception moderne du principe de la force obligatoire du contrat, constitue une


réponse appropriée, justifiée par le besoin de la justice contractuelle en conciliation avec
l’impératif de la sécurité des rapports contractuels, favorisant ainsi la mutation du principe
de sa conception statique source des lacunes, à une conception dynamique opportune pour la
consécration du passage du volontarisme contractuel rigide au volontarisme contractuel
flexible. Le contrat trouve donc sa raison d’être dans la nouvelle culture contractuelle et son
efficacité dans son aspect dynamique qui lui offert la souplesse nécessaire pour s’adapter aux
variations de l’environnement contractuel afin d’être en harmonie avec lui. Cet aspect
dynamique n’existe que dans la conception moderne de la force obligatoire du contrat.

En droit administratif, les contrats sont soumis à un régime exorbitant du droit


commun qui s’est traduit par la possibilité de l’administration contractante de modifier, de
résilier unilatéralement le contrat sous certaines conditions et moyennant des contreparties.
Les pouvoirs exorbitants détenus par l’administration permettent à celle-ci d’assurer le
service public et de veiller au respect de l’ordre public. Dans le souci de garantir la
continuation du service public et les droits du cocontractant, le législateur marocain est
intervenu pour rétablir l’équilibre financier, contrepartie de la mutabilité du contrat justifiée
par l’intérêt du service public. En droit administratif, l’équilibre financier est ancré au cœur
des rapports entre mutabilité et stabilité du contrat, entre dynamique contractuelle et sécurité
juridique.

L’exécution du contrat administratif marquée par des aménagements et des


assouplissements dont l’objectif est de permettre ou de faciliter le fonctionnement du service
public. Cette souplesse dans l’exécution des contrats administratifs notamment dans le cas des
marchés publics trouve son fondement dans la conception moderne de la force obligatoire du
contrat qui favorise l’équilibre dynamique du rapport contractuel, ainsi que l’admission de la
révision du contrat pour imprévision, permettant par voie de conséquence la survie du contrat
et qui dit continuité du contrat dit la continuité du service public. Ces manifestations
constituent alors le particularisme de la force obligatoire du contrat en droit administratif qui
s’explique par sa souplesse et sa flexibilité exigées par les besoins de l’intérêt général.

450
L’application du principe de la force obligatoire dans sa conception souple représente
alors une opportunité certaine à deux niveaux : la promotion de la justice contractuelle et la
promotion de la sécurité juridique dynamique. Cette conception moderne présente deux
caractéristiques, tous à fait opportuns en matière de théorie générale du contrat. D’une part,
elle trouve sa source légitime dans un fondement souple qui permet d’expliquer la flexibilité
de la force obligatoire, d’autre part, elle cohabite avec l’intervention du juge dans le contrat.

La conception moderne de la force obligatoire du contrat est utile dans la mesure


où elle permet de concilier les deux principes contradictoires : la justice contractuelle et la
stabilité contractuelle et de combler les lacunes indéniables du droit du contrat à travers la
possibilité de l’intervention du juge dans le contrat pour satisfaire l’équilibre contractuel.
L’objectif recherché par l’adoption de cette conception au principe de l’intangibilité du
contrat consiste principalement à favoriser une plus grande justice en matière contractuelle,
sa finalité vise à favoriser un contrat égalitaire, plus équilibré et plus juste. Sans doute, un
contrat, qui satisfait les exigences d’égalité et d’équilibre, se trouve sécurisé. L’opportunité
de la nouvelle conception réside dans la possibilité de l’adaptation du contrat avec le souci de
garantir la promotion de la sécurité dynamique du contrat. D’où, la nécessité de la
consécration de l’obligation de renégociation des conventions dans le cadre de la réforme des
droits des obligations contractuelles.

Cette étude a permis de montrer que l’objectif du droit contemporain s’oriente vers
une conciliation entre les deux impératifs de la théorie du contrat : la sécurité et la justice
contractuelle à travers l’adoption de la nouvelle conception du principe de la force obligatoire
du contrat. La conception classique de la sécurité juridique est devenue inadaptable avec la
réalité contractuelle. Autrement dit trop de sécurité tue l’innovation et le progrès
économique. En effet, un droit inadapté à la réalité économique est aussi un « frein » à
l’activité économique qui exige une grande flexibilité dans les transactions. Or la satisfaction
de ces impératifs passe souvent par l’immixtion du juge dans le contrat à travers la technique
de réfaction, qui se révèle conforme au principe conçu par la conception moderne et de nature
à le servir.

Il convient de soutenir, que le recours à la technique de la réfaction du contrat par


le juge, constitue sans doute un moyen parmi d’autres qui permet de réaliser une plus grande
justice contractuelle, elle manifeste ainsi une conception d’un droit plus flexible et plus
adaptable aux aspirations issues de la réalité contractuelle. La possibilité d’un recours au
juge en vue d’assurer la survie du contrat ou de rééquilibrer le contrat, se trouve
451
formellement justifier en droit comparé marocain dans plusieurs domaines par des textes
législatifs, de la jurisprudence des solutions rendues en matière d’arbitrage et les remèdes de
la justice privée qui constituent sans doute une alternative aux remèdes judiciaires. Il en
résulte que la survie du contrat passe par le développement d’une politique juridique
moderne qui constitue une assurance pour la force obligatoire du contrat. Ainsi, il est
souhaitable d’encourager le recours aux mécanismes développés par la justice privée et de les
introduire dans le droit marocain pour qu’il soit un droit souple et efficace favorisant
l’adoption de la conception moderne de la force obligatoire du contrat.

Intervenant pour satisfaire l’équilibre contractuel, le législateur a conçu deux


procédés : l’interprétation et la qualification, qui sont mis à la disposition du juge .Ces
moyens ont abouti à la mise en œuvre de la réfaction judiciaire par le juge dont la finalité est
la garantie de la pérennité du contrat et la satisfaction de l’équilibre contractuel. Le souci
d’atténuer les risques liés au pouvoir d’immixtion judiciaire dans le contrat passe forcement
par la maitrise des techniques régissant les modalités d’interprétation et le processus de la
qualification.

Le renforcement d’un pouvoir légal permettant au juge d’une manière claire


d’équilibrer les rapports contractuels et de satisfaire la justice contractuelle consiste à adapter
l’ordre juridique étatique avec le droit européen et le droit international2163, dans le mesure
où cette harmonisation va permettre d’introduire dans notre droit les mécanismes
aboutissant à la mise en œuvre d’une conception nouvelle de la force obligatoire du contrat.

Il convient de soutenir, que malgré que le D.O.C., contient assez de ressources pour
que le juge, en disant le droit, rende la solution juste, pour que le fort n’abuse pas
irrémédiablement de sa puissance, et que le faible ne désespère pas du droit, la nécessité
d’une modernisation des procédés classiques de règlement des différends est plus que
souhaitable. Pour atteindre cet objectif, le droit comparé2164 notamment anglais2165 et

2163
La Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur la vente internationale de marchandises prévoit la réfaction
dans son article 50.Ce texte consacre la mise en œuvre de la réfaction de manière unilatérale par l’une des parties
sans l’intervention du juge. Les principes d’UNIDROIT prévoient dans leurs articles 5,7 2° la possibilité pour
l’arbitre de refaire le contrat lorsque le prix est fixé unilatéralement. L’article 4.401 alinéas 1 du droit européen
prévoit la réfaction comme un «moyen » en cas d’inexécution. La réfaction judiciaire est consacrée par l’article
2.102.
2164
La méthode comparatiste permet de mettre en évidence les avantages de l’utilisation de cette technique par le
droit des autres pays, de rapprocher les droits des pays voisins dans l’objectif d’améliorer notre droit, le droit
comparé étant une source d’inspiration à l’occasion de reformes législatives. Sur ce point, voir, R.David et
C.Jauffret-Spinosi, Les grands systèmes de droit contemporains, 1992.
2165
Le droit anglais connaît le principe de la réfaction par la technique de la « substantial performance »., La
décision rendue par KB dans l’affaire Dakin (H) et Co.Itd v.Lee.donne une illustration en ce sens. Il s’agit d’un
contrat conclu entre les parties avait pour objet la décoration d’une maison pour un paiement global.La
452
allemand2166 et français constitue une source d’inspiration pour rendre le système juridique
marocain compatible avec les ordres juridiques modernes, à travers l’adoption des pratiques
contractuelles et jurisprudentielles les plus efficaces.

In fine, nous soutenons que la conception moderne de la force obligatoire du contrat


représente ainsi un gage pour assurer une parfaite conciliation entre la justice contractuelle
et la sécurité juridique, dans la mesure où cette conception est compatible avec la
consécration de la théorie de l’imprévision2167 et l’admission de la technique de la réfaction en
matière contractuelle. Les nouvelles orientations et les réformes entreprises par le législateur
marocain constituent alors des avancées sur la voie de la modernisation de l’arsenal juridique
marocain et la prise en compte du nouveau contexte contractuel aussi bien au niveau interne
qu’international.

Cependant, il reste devant le législateur marocain beaucoup d’efforts à entreprendre


pour instaurer une législation moderne et efficace en matière contractuelle, favorable à
l’amélioration de l’environnement contractuel. Un environnement qui doit être bâti sur deux
impératifs antagonistes à savoir, la sécurité juridique et le besoin vital de la flexibilité dans le
monde des affaires. Ce besoin de flexibilité est utile en vue de concevoir une liberté
contractuelle de manière raisonnée et en conformité avec l’ordre public et l’intérêt social,
assurant de ce fait la conciliation de ces deux impératifs.

prestation consistait à enduire quatre pans de murs de peinture, mais une des piéce ne comportait que trois pans
de murs enduits.Les juges décidérent que le contrat fut « substantially performed » c’est -à-dire
substantiellement exécuté et l’entrepreneur obtint le paiement diminué en fonction du travail défectueux.
2166
Le droit allemand est le plus significatif et doit constituer un modèle pour notre système de droit à plusieurs
égards. En premier lieu, le droit allemand constitue une référence car la réforme du 1 er janvier 2002 relative au
BGB a modifié le droit dit « des troubles dans l’exécution des obligations ».En second lieu, le BGB contient
deux textes qui permettent au juge d’utiliser la technique de la réfaction. ( le §242 du BGB qui laisse la
possibilité au juge d’équilibrer le contrat ;c’est le texte qui permet en Allemagne de réviser les contrats en cas de
circonstances exceptionnelles venant bouleverser l’équilibre des prestations et le second texte qui permet la
réfaction est §441 du BGB qui prévoit le « Minderung,Herbsetzung des Kaufpreises »,c’est -à- dire une
diminution du prix de vente. Ce texte prévoit que la réfaction « peut être réclamée de la même façon que la
résolution ».
2167
Dans certains pays, c’est la jurisprudence qui a admis le principe de la révision pour imprévision. On connait
l’exemple du droit anglais. Mais le droit comparé offre d’autres exemples qui illustrent la consécration de
l’imprévision par les juges. Tel est le cas du droit brésilien. Dans d’autres pays, la jurisprudence s’est fondée sur
un texte général pour admettre la révision pour imprévision. C’est le cas du droit allemand (le § 242 du Code
civil).Enfin pour d’autres pays, la consécration de la révision pour imprévision a nécessité l’intervention du
législateur. C’est la voie qui a été choisie par le droit argentin, polonais, ou encore portugais. Et c’est également
en faveur de cette solution qu’ont opté les droits italien, grec, égyptien et algérien. Et c’est la voie qui serait
souhaitable pour la consécration de la théorie de l’imprévision pour rendre le droit marocain en harmonie avec
le droit international.
453
BIBLIOGHRAPHIE

LES OUVRAGES

OUVRAGES GENERAUX

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- Arrêt en matière de vente n° 4276 de la chambre civile de la Cour de cassation ,rendu le
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LES OUVRAGES DES GRANDS ARRÊTS DE LA JURISPRUDENCE
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‫‪.2013/2013‬‬
‫‪ -‬الزٌنة الزروالً ‪ :‬مبدأالشكلٌة فً العقود التجارٌة ‪ -‬العقود الواردة على األصل التجاري‪ -‬رسالة‬
‫لنٌل دبلوم الماستر فً القانون الخاص تخصص المقاولة والقانون‪ ،‬جامعة الحسن األول‪ ،‬كلٌة‬
‫العلوم القانونٌة واالقتصادٌة واالجتماعٌة سطات ‪.2013/2012‬‬
‫‪ -‬سٌدي علً ماء العنٌن ‪ :‬التوازن العقدي لطرفً عالقة الشغل فً براءة االختراع‪،‬ماستر قانون‬
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‫واالقتصادٌة واالجتماعٌة سطات ‪.2011/2010‬‬
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‫‪ -‬لبنى فاسً‪ :‬حماٌة المستهلك فً العقود النموذجٌة‪ ،‬رسالة لنٌل دبلوم الماستر فً القانون الخاص‬
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‫‪ -‬محمد شلٌح ‪ :‬سلطان اإلرادة فً ضوء قانون االلتزامات والعقود المغربً أسسه ومظاهره فً‬
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‫العلوم القانونٌة واالقتصادٌة واالجتماعٌة الرباط‪،‬السنة الجامعٌة ‪.1983‬‬
‫‪ -‬نادٌة الحسناوي‪ :‬توازن االلتزامات وأثره على عقد الترخٌص التجاري‪ -‬دراسة مقارنة‪ ،-‬رسالة‬
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‫مطبعة طوب برٌس الرباط العدد األول ٌناٌر ‪.2012‬‬
‫‪ -‬سلسلة "دراسات و أبحاث" مجلة القضاء المدنً قضاٌا األسرة اشكاالت راهنة و مقاربات‬
‫متعددة الجزء األول ‪.2013‬‬
‫‪ -‬سلسلة الالمركزٌة و اإلدارة الترابٌة مستجدات المرسوم الجدٌد للصفقات العمومٌة‪ ،‬مطبعة‬
‫طوب برٌس الطبعة األولى ‪.2014‬‬
‫‪ -‬سلسلة الالمركزٌة و اإلدارة المحلٌة القانون اإلداري المغربً‪ ،‬مطبعة طوب برٌس الطبعة‬
‫الثانٌة‪.‬‬
‫‪ -‬سلسلة الالمركزٌة و اإلدارة المحلٌة‪ ،‬منازعات الصفقات العمومٌة على ضوء النص القانونً‬
‫ووقائع االجتهاد القضائً المغربً طوب برٌس ‪،‬الطبعة األولى ‪.2010‬‬
‫‪ -‬عصام الوراري‪ ،‬تعدٌل عقد الشغل على ضوء العمل القضائً‪ .‬منشورات مجلة القضاء المدنً ‪،‬‬
‫سلسلة أعمال جامعٌة دار النشر المعرفة‪ ،‬الرباط الطبعة األولى ‪.2013‬‬
‫‪ -‬العقود اإلدارٌة ما بٌن اإللزام القانونً و الواقع العملً دراسة مقارنة محلٌة و دولٌة‪ ،‬دار الفكر‬
‫و القانون للنشر و التوزٌع طبعة ‪.2014‬‬
‫‪ -‬المجلة الجزائرٌة للعلوم القانونٌة و االقتصادٌة و السٌاسٌة‪ ،‬طبع الدٌوان الوطنً لألشغال‬
‫التربوٌة ‪،‬الجزء ‪.2000 ، 38‬‬
‫‪ -‬مجلة األبحاث و الدراسات القانونٌة دار العلم‪ ،‬العدد الثانً ٌونٌو‪ -‬دجنبر ‪.2013‬‬
‫‪ -‬المجلة الجزائرٌة للعلوم القانونٌة االقتصادٌة و السٌاسٌة عدد ‪ 02‬سنة ‪.2010‬‬
‫‪ٌ - 2013‬ناٌر‬ ‫‪ -‬مجلة الحقوق مطبعة المعارف الجدٌدة ‪،‬الرباط‪ ،‬العدد الخامس عشر ‪ٌ ،‬ونٌو‬
‫‪.2014‬‬
‫‪ -‬مجلة العلوم القانونٌة و القضائٌة‪ ،‬مطبعة األمنٌة‪ ،‬الرباط ‪.2015،‬‬
‫‪ -‬مجلة القانون المدنً مطبعة األمنٌة ‪،‬الرباط‪ ،‬العدد األول ‪.2014‬‬
‫‪ -‬المجلة المغربٌة لقانون و اقتصاد التنمٌة مطبعة النجاح الحدٌثة الدارالبٌضاء العدد ‪.1990، 22‬‬
‫‪ -‬المجلة المغربٌة لالقتصاد و القانون المقارن العدد ‪.1994 ، 22‬‬
‫‪ -‬المرافعة‪ ،‬فصٌلة تصدرها هٌئة المحامٌن بأكادٌر‪ ،‬مارس ‪.2000‬‬
‫‪485‬‬
‫‪ -‬منشورات المجلة المغربٌة لإلدارة المحلٌة و التنمٌة‪ ،‬سلسلة مؤلفات و أعمال جامعٌة‪ ،‬نظام‬
‫العقود اإلدارٌة و الصفقات العمومٌة وفق قرارات و احكام الفضاء اإلداري المغربً‪ ،‬مطبعة‬
‫المعارف الجدٌدة‪ ،‬طبعة ‪.2011‬‬
‫‪ -‬منشورات مجلة الحقوق المغربٌة سلسلة الدراسات و األبحاث‪ ،‬عقد االٌجار التموٌلً رٌاض‬
‫فخري مطبعة األمنٌة الرباط ا‪،‬إلصدار السادس دجنبر ‪.2011‬‬
‫‪ -‬منشورات مجلة الحقوق‪ ،‬إصالح القانون التنظٌمً للمالٌة مطبعة المعارف الحدٌثة الرباط‪،‬‬
‫سلسلة االعداد الخاصة‪ ،‬العدد السادس مارس ‪.2013‬‬
‫مجالت بخصىص االجتهاد القضائي المغربي‬

‫‪ -‬مجلة المحاكم اإلدارٌة‪ :‬منشورات جمعٌة نشر المعلومة القانونٌة‪ ،‬مطبعة فضالة المحمدٌة‪ ،‬العدد‬
‫الثانً أكتوبر ‪.2005‬‬
‫‪ -‬قانون االلتزامات و العقود و العمل القضائً المغربً‪ ،‬الكتاب األول االلتزام بوجع عام‪.‬‬
‫منشورات دراسات قضائٌة سلسلة القانون و العمل القضائً المغربٌن‪ ،‬العدد السادس الطبعة‬
‫الرابعة ‪.2015‬‬
‫‪ -‬قانون االلتزامات و العقود و العمل القضائً المغربً‪ ،‬الكتاب الثانً فً مختلف العقود المسماة‬
‫و فً اشباه العقود التً ترتبط بها‪ ،‬منشورات دراسات قضائٌة سلسلة القانون و العمل القضائً‬
‫المغربٌن العدد السادس الطبعة الرابعة ‪ 2015‬مطبعة النجاح الجدٌدة الدارالبٌضاء‪.‬‬
‫‪ -‬قرارات الغرفة المدنٌة المتعلقة بقانون العقود و االلتزامات‪ ،‬مطبعة االمنٌة طبعة ‪.2006‬‬
‫‪ -‬قضاء محكمة النقض فً مدونة الشغل الجزء األول – الثانً – الثالث – الرابع‪ ،‬مطبعة النجاح‬
‫الجدٌدة طبعة ‪.2013 – 2014‬‬
‫‪ -‬قرارات الغرفة التجارٌة مطبعة األمنٌة طبعة ‪.2007‬‬
‫‪ -‬العمل القضائً و التحكٌم التجاري سلسلة دفاتر المجلس األعلى‪ ،‬مطبعة األمنٌة عدد ‪.2005 -7‬‬

‫‪486‬‬
LA TABLE DES MATIERES
Introduction générale : .................................................................................................................................... 1
PREMIERE PARTIE .......................................................................................................................................... 32
Partie 1: La théorie classique de la force obligatoire du contrat .................................................................... 33
Chapitre 1 : les fondements de la force obligatoire du contrat ................................................................... 34
Section 1 : Le fondement subjectif de la force obligatoire du contrat ................................................... 35
Paragraphe 1 :Le fondement volontariste ...................................................................................... 36
A -La théorie de l’autonomie de la volonté .................................................................................. 36
1- L’apparition du principe de l’autonomie de la volonté .......................................................... 36
a- Le principe selon l’explication philosophique et juridique ............................................ 38
b- Le principe conçu comme source de la force obligatoire du contrat .............................. 40
2- La portée du principe de l’autonomie de la volonté .............................................................. 43
a- Les manifestations de la volonté .................................................................................. 46
b- L’autonomie de la volonté s’oppose à l’immixtion du juge dans le contrat .................. 49
B- Le déclin du principe de l’autonomie de la volonté ............................................................. 52
1- Les facteurs du déclin du principe de l’autonomie de la volonté ........................................ 53
2- La réaction doctrinale et jurisprudentielle contre l’autonomie de la volonté ........................ 55
a- La réaction doctrinale contre l’autonomie de la volonté........................................... 55
b- La réaction jurisprudentielle contre l’autonomie de la volonté ................................ 57
Paragraphe 2 : les restrictions du fondement volontariste................................................................ 58
A- Les restrictions apportées au consensualisme ...................................................................... 58
1- Le formalisme direct ................................................................................................................. 59
a- L’exigence d’un acte authentique. ............................................................................... 59
b- L’exigence d’un acte écrit ........................................................................................... 62
2- Le formalisme indirect ............................................................................................................... 65
a- Les règles de publicité ................................................................................................... 66
b- Les règles de preuve ..................................................................................................... 68
B- Les restrictions apportées à la liberté contractuelle .............................................................. 71
1- L’ordre public de direction ........................................................................................................ 71
2- L’ordre public de protection.......................................................................................... 74
Section 2 : Les fondements objectif et doctrinal .................................................................................... 78
Paragraphe 1: Le fondement objectif ................................................................................................ 80
A- Les thèses positivistes .......................................................................................................... 80
1- La théorie de Kelsen .................................................................................................................. 83
2- La thèse de Rouhete.................................................................................................................... 86
B- Source légale de la force obligatoire du contrat ................................................................... 87

487
1- Le refus de la loi de conférer force obligatoire à l’accord des parties .................................... 88
2- La loi peut octroyer ou retirer de la force obligatoire au contrat ............................... 89
Paragraphe 2: Fondement doctrinal et vison de conciliation ............................................................ 92
A- L’utile et le juste .................................................................................................................... 92
1- L’utile ............................................................................................................................................ 94
a- Le principe de sécurité juridique ................................................................................... 96
b- Le principe de coopération ........................................................................................... 97
2- Le juste ....................................................................................................................................... 100
a- L’égalité des prestations ............................................................................................. 101
b- L’égalité des parties .................................................................................................... 104
B- Le solidarisme contractuel et la vision de conciliation de fondements ............................... 106
1- L’émergence et la perception de la doctrine solidariste ......................................................... 108
a- L’émergence du solidarisme contractuel .................................................................... 110
b- L’autonomie de la solidarité et sa perception ............................................................ 112
2- Une vision pour concilier entre le fondement normatif et le fondement économique ........ 119
Conclusion du premier chapitre : ............................................................................................................... 130
Chapitre 2 : La portée de la force obligatoire du contrat .......................................................................... 132
Section 1 : La force obligatoire du contrat à l’égard des intervenants .................................................. 133
Paragraphe 1: La force obligatoire du contrat à l’égard des parties et du juge ................................. 135
A- Le contrat : loi des parties ............................................................................................ 136
1- L’obligation d’exécuter le contrat ........................................................................................... 137
a- La sanction de la mauvaise foi du débiteur lors de l’exécution du contrat .................. 139
b- La sanction de la mauvaise foi du créancier lors de l’exécution du contrat ................. 141
2- L’irrévocabilité du contrat ...................................................................................................... 144
a- La révocation amiable ou conventionnelle ................................................................. 145
b- La révocation du contrat dans les cas prévus par la loi. ............................................... 147
B- La prohibition de l’immixtion du juge dans le contrat ....................................................... 149
1- Les manifestations de prohibition d’intervention du juge dans le contrat ......................... 150
a- L’exclusion d’ajouter ou de retrancher une clause du contrat ..................................... 151
b- L’exclusion de modifier la portée d’une clause du contrat .......................................... 153
2- La prohibition de réviser le contrat pour imprévision ......................................................... 156
a- En droit privé comparé ............................................................................................... 156
b- En droit administratif comparé ................................................................................... 163
Paragraphe 2 : L’exécution forcée du contrat.................................................................................. 165
A- Le choix entre exécution en nature et exécution par équivalent ........................................ 166
1- l’exécution forcée en nature ..................................................................................................... 167
a- Exécution forcée des obligations de faire ou de ne pas faire. ...................................... 168
488
b-Exécution des obligations de donner............................................................................... 173
2- l’exécution par équivalent ........................................................................................................ 176
a-Les conditions de la responsabilité contractuelle ............................................................ 177
b-La réparation par équivalent ............................................................................................ 182
B- Les vertus de la déconnexion entre force obligatoire et exécution en nature..................... 185
1- Force obligatoire du contrat et exécution en nature : un lien non nécessaire. ............ 185
2- L’adéquation de l’exécution par équivalent aux caractéristiques modernes du contrat.
187
Section 2 : Les limites de la force obligatoire du contrat ..................................................................... 189
Paragraphe 1 : Les limites du principe dues à l’émergence d’un nouveau mode contractuel ........ 192
A- L’apparition des contrats pré-rédigés .................................................................................. 193
1- Le contrat d’adhésion et le contrat - type.................................................................. 193
a- Le contrat d’adhésion ................................................................................................. 194
b- Le contrat - type.......................................................................................................... 201
2- Le contrat de consommation ...................................................................................... 203
B- L’apparition du déséquilibre contractuel ............................................................................ 207
1- Le déséquilibre dû à l’inégalité des parties du contrat .............................................. 208
a- L’unilatéralisme rédactionnel comme caractéristique des contrats pré-rédigés.......... 209
b- L’absence de négociation comme caractéristique des contrats pré-rédigés ............... 210
2- Le déséquilibre significatif dû aux clauses abusives insérées dans le contrat ............ 212
a- Le critère du déséquilibre significatif en droit comparé .............................................. 213
b- Les indications utilisées pour apprécier le déséquilibre significatif en droit comparé . 215
Paragraphe 2 : Les conséquences du la rigidité de la force obligatoire du contrat ........................... 219
A- La consolidation de l’injustice due au pouvoir - savoir et à l’inégalité des parties ............ 220
1- L’exclusion du pouvoir du juge pour neutraliser une clause abusive ......................... 220
2- Le refus de tenir en considération le mode d’insertion de la clause pour l’éradiquer . 222
B- La consolidation de l’injustice due au déséquilibre économique du contrat ...................... 226
1-L’interdiction de redressement judiciaire du déséquilibre originel du contrat ................. 227
2-L’interdiction de redressement du déséquilibre survenu lors de l’exécution du contrat .. 230
Conclusion du deuxième chapitre ............................................................................................................... 239
Conclusion de la première partie ............................................................................................................... 240
Partie 2: l’interventionnisme étatique et l’immixtion du juge face à la force obligatoire du contrat.......... 242
Chapitre 1 : Vers une nouvelle conception de la force obligatoire du contrat .......................................... 245
Section 1 :L’émergence des nouveaux instruments d’équilibre contractuel dynamique ...................... 248
Paragraphe 1: la remise en cause des instruments classiques de l’équilibre contractuel statique ... 249
A- La remise en cause des instruments usuels de l’équilibre contractuel ................................. 250
1-La remise en cause du recours au mécanisme de la lésion ............................................... 251

489
2- La remise en cause du recours au mécanisme de la cause .............................................. 253
3-La remise en cause du recours au mécanisme de la morale ............................................. 257
4- La remise en cause du recours au mécanisme de l’abus de droit ..................................... 262
a-Les manifestations de l’abus de droit dans la sphère contractuelle .......................................... 263
b-L’opérationnalité objective et subjective du mécanisme de l’abus de droit ............................. 265
B- La remise en cause du caractère immuable de l’accord de la volonté ..................................... 269
1- Les raisons de remise en cause du caractère immuable de l’accord de volontés ......... 269
a- La conception plus réelle du temps ........................................................................................ 270
b- La conception plus vivante du contrat .................................................................................... 271
2- L’influence de l’environnement externe sur la stabilité du contenu du contrat .......... 273
a- L’influence du changement du contexte juridique ................................................................ 274
b- L’influence du changement de l’environnement économique ............................................. 276
Paragraphe 2: Le recours aux nouveaux instruments d’équilibre contractuel dynamique .............. 278
A- La recherche de l’équilibre contractuel par l’instrument du raisonnable ........................... 279
1- Le raisonnable en droit comparé ............................................................................................ 279
2- L’opportunité du raisonnable dans la recherche de l’équilibre dynamique ............................ 282
B- La recherche de l’équilibre contractuel par l’instrument de proportionnalité .................... 286
1-La finalité de la proportionnalité en droit comparé .................................................................... 287
2- L’application du principe de proportionnalité en droit comparé ............................................. 290
Section2 : Le particularisme de la force obligatoire du contrat administratif ....................................... 294
Paragraphe 1: L’intérêt d’identification des contrats administratifs ................................................ 296
A- La typologie de contrats de l’administration ....................................................................... 296
1- La distinction entre contrat et acte unilatéral ........................................................................ 297
2- La classification des contrats de l’administration ................................................................. 301
B- Les critères de qualification du contrat administratif .......................................................... 306
1- Le critère organique ................................................................................................................. 307
2- Le critère matériel .................................................................................................................... 312
a- Le critère du service public...................................................................................................... 313
b- le critère de la clause exorbitante en droit commun .............................................................. 316
Paragraphe 2: Les limites de la force du contrat en droit administratif : cas des marchés publics .... 318
A- Les prérogatives de l’administration, sources du déséquilibre ou facteurs de souplesse du
contrat ? ...................................................................................................................................... 319
1-Les pouvoirs de contrôle, de direction, et de sanction. ............................................................... 320
2-Les pouvoirs de modification unilatérale et de résiliation. ......................................................... 324
B- Le droit du contractant à l’équilibre financier du contrat .................................................... 330
1-Les droits pécuniaires du cocontractant ...................................................................................... 331
2-Le rétablissement de l’équilibre financier du contrat ................................................................. 335
Conclusion du premier chapitre de la seconde partie ................................................................................. 345
490
Chapitre 2 : La conception renouvelée de la force obligatoire du contrat autorise l’immixtion du juge.. 347
Section 1 : Les justifications de la conception moderne de la force obligatoire du contrat ................... 349
Paragraphe 1: La conception renouvelée de la force obligatoire du contrat ................................... 350
A- L’opportunité de la conception moderne de la force obligatoire du contrat ....................... 351
1-L’opportunité réside dans la promotion de la sécurité dynamique du contrat ....................... 352
2- L’opportunité réside dans la promotion de la justice contractuelle ........................................ 357
B- La conception moderne offre une conciliation raisonnée à l’immixtion judiciaire ................. 361
1- L’adaptation du contrat par la technique de la réfaction ..................................................... 362
2- La coexistence de la réfaction avec la nouvelle conception de la force obligatoire du
contrat ................................................................................................................................................ 367
Paragraphe 2: Les principales raisons justifiant l’immixtion du juge dans le contrat ........................ 370
A- Les raisons législatives déterminant cette aptitude ............................................................ 371
1-L’immixtion du juge justifiée par des textes législatifs pour la survie du contrat ................... 371
2-L’immixtion du juge justifiée par des textes législatifs et de la jurisprudence pour
rééquilibrer le contrat ....................................................................................................................... 374
B – Les raisons dues au développement de la jurisprudence arbitrale et les remèdes de la justice
privée. ......................................................................................................................................... 385
1- L’extension du pouvoir de l’arbitre de la forme juridictionnelle à la fonction créatrice ... 388
2- De la compensation des dettes à la réfaction du contrat en droit comparé ............................. 393
Section 2 : L’intervention du juge dans le contrat pour satisfaire l’équilibre: cas de la réfaction ......... 401
Paragraphe 1: L’interprétation comme procédé d’intervention judiciaire dans le contrat ............... 404
A- Les atténuations des risques d’intervention judiciaire dans le contrat .............................. 405
1-Les risques liés au pouvoir d’immixtion judiciaire dans le contrat ........................................... 405
2-Les moyens d’atténuation des risques d’intervention judiciaire dans le contrat ..................... 409
B- La portée des modalités d’interprétation du contrat ............................................................ 412
1-L’interprétation subjective............................................................................................................ 414
2- L’interprétation objective ........................................................................................................... 421
Paragraphe 2- La qualification comme moyen d’intervention dans le contrat ............................. 433
A- Le processus de l’opération de qualification du contrat ...................................................... 435
1-La qualification exclusive .............................................................................................................. 437
2-La qualification distributive .......................................................................................................... 439
B- La finalité de la qualification du contrat en matière d’équilibre contractuel ....................... 441
1- La qualification comme moyen pour équilibrer le rapport contractuel ........................... 442
2- La relativité des critiques du recours à la qualification comme procédé de réfaction ....... 444
Conclusion générale ................................................................................................................................... 447
BIBLIOGHRAPHIE................................................................................................................................... 454
LA TABLE DES MATIERES ................................................................................................................... 487.

491

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