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DROIT DES CONTRATS SPECIAUX

Cours de M. Samuel FRANÇOIS


2021-2022
INTRODUCTION

L’intitulé « Droit des contrats civils et commerciaux » ne se retrouve pas dans toutes les
plaquettes des universités françaises. D’autres l’appellent « droit des contrats spéciaux ».

Ce dernier est un intitulé plus exact car ce cours a pour objet l’étude des règles spéciales
régissant des types de contrats particuliers : la vente, le mandat, le dépôt, etc. Une vente pourra être
de nature commerciale ou civile, en fonction de ses parties, mais restera toujours une vente.

L’intitulé « contrats spéciaux » est plus expressif, car l’adjectif « spécial » évoque l’articulation
entre deux types de règles :
- D’une part, les règles générales ;
- D’autre part, les règles spéciales qui régissent chaque type de contrats particuliers.

Le droit des contrats est composé des règles communes à tous les contrats. Celui-ci se
caractérise par un haut niveau d’abstraction (vices du consentement, nullité, bonne foi, effet relatif…).
Ce droit constitue une sorte de théorie générale du contrat.

C’est grâce à ce haut niveau d’abstraction que le droit des contrats peut aller régir tous les
contrats dans la pratique, par-delà toute leur particularité. Mais c’est aussi la faiblesse, car dans la
pratique on ne rencontre jamais ce contrat pur, ce contrat abstrait.

En effet, on ne rencontre que des contrats particuliers. Et c’est là que le droit des contrats
spéciaux prend le relais en posant des règles pour encadrer spécifiquement certains types de contrats
particuliers.

En vérité, un contrat est toujours une technique destinée à servir, à structurer, à sécuriser une
opération économique sous-jacente. Cette opération peut être la plus basique, celle de tous les jours
(acheter une baguette de pain), ou celle la plus complexe.

Le droit des contrats spéciaux part toujours de l’opération économique pour réglementer une
série de contrats servant ces opérations économiques. Ce droit vient donc compléter le droit des
contrats.

Cette complémentarité des règles se trouve exprimée à l’art. 1105 Cciv :

« Les contrats, qu'ils aient ou non une dénomination propre, sont soumis à des règles générales, qui
sont l'objet du présent sous-titre.
Les règles particulières à certains contrats sont établies dans les dispositions propres à chacun d'eux.
Les règles générales s'appliquent sous réserve de ces règles particulières. »

Pour prétendre à une parfaite maitrise du droit des contrats, une parfaite connaissance des
règles générales ne suffit pas. Quelles règles appliquer ? Les règles spéciales ou générales ?

Ex : un contrat de vente portant sur un système d’alarme. Cette alarme est défectueuse. Ce n’est pas
dans le droit des contrats que l’on trouvera l’action pertinente, mais dans le droit de la vente.

I. LA NOTION DE CONTRATS SPECIAUX

Par définition, chaque contrat est particulier, singulier, inédit.

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La liberté contractuelle permet aux praticiens d’élaborer des contrats sur-mesure pour chaque
opération économique. Tout contrat est spécial en somme.

Mais le droit des contrats spéciaux, lui, s’intéresse à des types de contrats qui constituent des
modèles régis par des règles spécifiques.

A. DES TYPES DE CONTRATS

Art. 1101 Cciv : « Le contrat est un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destiné à
créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations. »

Cette conception abstraite telle qu’elle résulte de cet article était en réalité inconnue du droit
romain. Ce droit romain ne connaissait pas cette forme de contrat, mais ne connaissait que des types
de contrats, un nombre limité de contrats, qui étaient des contrats nommés ; nommés parce qu’ils
avaient un nom (vente, dépôt, etc).

Ces contrats nommés en droit romain étaient sanctionnés par une action spécifique. En droit
romain, le pacte nu n’avait pas force obligatoire, n’ouvrait droit à aucune action.

En réalité, ce n’est qu’à partir du 12ème siècle, et très progressivement, que seul l’échange des
consentements est devenu obligatoire. C’est à partir de là qu’une théorie générale du contrat a pu
être élaborée. Le droit des contrats spéciaux est en vérité plus ancien que la théorie générale du
contrats. En somme, les contrats nommés ont précédé les contrats innomés.

QUELS SONT DONC CES CONTRATS SPECIAUX EN 2022 ?


La liste est si longue qu’il serait fastidieux de la dérouler. Il faut donc retenir qu’un contrat
spécial est un contrat identifié par le législateur et soumis à des règles spéciales.

B. DES REGLES SPECIALES

Le droit des contrats spéciaux vient s’ajouter au droit commun des contrats. Il en constitue le
prolongement destiné à préciser, à enrichir, à compléter la réglementation de certains types de
contrats. C’est l’idée qui est exprimée à l’art. 1105 Cciv.

Ex : un contrat de vente sera soumis d’une part, aux dispositions générales du contrat, et d’autre part,
aux règles spéciales régissant spécifiquement la vente.

D’une façon générale, il ne faut pas avoir une vision antagoniste de ces deux formes de règles,
car le droit spécial vient compléter le droit commun sans le contredire. Ces règles forment donc un
tout cohérent.

Ex : en matière de vente, le régime des garanties légales apporte un complément aux règles générales,
sans porter de contradiction à ces règles générales.

Par ailleurs, là où il n’y a pas de règles particulières en droit des contrats pour tel ou tel type
de contrat, c’est alors le droit commun qui a vocation à s’appliquer.

Ex : la vente a été conclue à un prix dérisoire. En l’absence de texte spécial relatif à la vente, c’est dans
les règles générales que le vendeur pourra trouver des ressources pour faire annuler cette vente. Plus
précisément, l’art. 1128 Cciv pose l’exigence d’une contrepartie.

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Cette harmonisation des règles n’a rien d’absolu. Le rapport entre ces règles peut parfois être
conflictuel. Dans certaines hypothèses, le droit spécial peut entrer en contradiction avec les règles
générales. En cas de conflit de règles, c’est le principe specialia generalibus derogant (les règles
spéciales dérogent aux règles générales).

Par conséquent, c’est toujours le droit des contrats spéciaux qui en cas de conflit doit
l’emporter sur le droit commun.

II. L’EVOLUTION DU DROIT DES CONTRATS SPECIAUX

L’évolution de la matière se caractérise par deux grands mouvements :


- D’une part, un éclatement des règles (A) ;
- D’autre part, une spécialisation des règles (B).

A. UN ECLATEMENT DES REGLES

1. LA LOI

La loi constitue la principale source du droit des contrats spéciaux. C’est dans le Code civil
que l’on retrouve les régimes de ces contrats spéciaux. Ces textes n’ont pas beaucoup évolué depuis
1804. Cette image de stabilité ne doit pas tromper, car en marge du Code civil, les règles légales n’ont
cessé de se multiplier.

Tout d’abord, de nombreux contrats voient leur régime posé dans d’autres codes.
Ex : le contrat d’assurance entre dans le Code des assurances ; le bail commercial entre dans le Code
de commerce.

Par ailleurs, un grand nombre de règles n’ont jamais été codifiées. Tel est le cas de la L. 6 juillet
1989 relatif aux baux d’habitation, ou la L. 31 décembre 1975 relatif à la sous-traitance.

En définitive, le Code civil est aujourd’hui une source dépassée du droit des contrats spéciaux.
Par ailleurs, à côté de la loi, d’autres sources concourent à fixer le régime des contrats spéciaux. Parmi
ces sources :
- La jurisprudence (2) ;
- Le droit international (3) ;
- Le droit de l’Union européenne (4).

2. LA JURISPRUDENCE

La JP constitue une source incontournable du droit des contrats spéciaux. Par son
interprétation des textes, elle clarifie les règles légales.

Mais elle va parfois plus loin encore en exerçant une véritable fonction créatrice. Face au
vieillissement des textes, c’est la JP qui a contribué à faire évoluer le régime d’un grand nombre de
contrats. Ex : le contrat d’entreprise.

3. LE DROIT INTERNATIONAL

Le droit international apporte également son lot de règles spéciales pour des contrats
particuliers (les contrats internationaux).
Ex : la Convention de Vienne sur la vente internationale des marchandises.

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4. LE DROIT DE L’UNION EUROPEENNE

Le droit de l’UE produit également des normes relatives aux contrats spéciaux. L’idée avait
germé, au sein des institutions de l’UE, dans les années 2000-2010, d’un Code européen des contrats.
Ce projet n’a jamais abouti faute de consensus entre les états membres.

Aujourd’hui, le droit de l’UE affiche une volonté d’une réglementation sectorielle du droit des
contrats. Ce phénomène est assez récent.

Ex :
- Directive du 25 octobre 2011 relative aux contrats à distance et au démarchage ;
- 2 directives du 20 mai 2019 sur les contrats de fourniture et de services numériques et sur la
vente de biens ;
- Directive du 27 décembre 2019 relative à la vente en ligne, au courtage en ligne
- Règlement du 20 juin 2019 sur les plateformes d’intermédiation en ligne.

Ces différentes sources des contrats spéciaux prouvent ce phénomène d’éclatement des
règles. Il témoigne du désordre qui règne dans cette matière. Ce désordre est aussi le résultat d’un
autre phénomène : le phénomène de la spécialisation des règles (B).

B. LA SPECIALISATION DES REGLES

Les contrats spéciaux régis par le Code civil ont fait preuve d’une grande résistance. Depuis
1804, ce sont toujours les mêmes contrats qui sont mobilisés par la pratique pour structurer
juridiquement les opérations économiques (ex : vente, dépôt, etc). Ces contrats sont utilisés par la
pratique depuis le droit romain.

Mais cette image ne doit pas tromper, car ces contrats spéciaux font eux-mêmes l’objet d’un
mouvement de spécialisation. Cela donne lieu à des contrats ultra-spéciaux, dotés chacun de leur
régime propre.

ILLUSTRATION N°1 : LE BAIL CIVIL

Le bail est régi de façon générale aux art. 1713 et s. Cciv. Ce bail civil n’épuise pas les multiples
types de baux qui sont conclus chaque jour. Le bail du Code civil a quasiment disparu de la pratique
contractuelle. En effet, le législateur a posé une réglementation spécifique pour le bail d’habitation.

QUATRE GRANDES LOIS sont venues réglementer : L. 1946 ; L. 1982 ; L. 1986 ; L. 1989. A chaque fois,
l’objectif était d’octroyer aux preneurs une plus grande protection.

Mais, le bail d’habitation n’est pas la seule variante que le contrat de bail connaisse. Il existe
une législation spéciale très importante relatif aux baux commerciaux. Cette réglementation se
retrouve dans le Code de commerce, et se caractérise par la forte protection dont elle fait bénéficier
le preneur. Il y a également une législation spécifique pour les baux ruraux.

En droit français, il n’y a pas un bail en général, mais il y a des baux spéciaux.

ILLUSTRATION N°2 : LE CONTRAT D’ENTREPRISE

A l’origine, le contrat de transport était un contrat d’entreprise. Ce contrat de transport tend


à se spécialiser, faisant l’objet d’une réglementation spécifique dans le Code des transports.

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Ces contrats de transport se subdivisent eux-mêmes (contrats maritimes, aériens ; transports
des personnes, des marchandises…). Le contrat d’entreprise est celui qui a connu le plus de
ramification.

On assiste à un phénomène de pulvérisation de contrats spéciaux par des contrats ultra


spéciaux. Le doyen Cornu avait dit que « la fresque des contrats spéciaux est devant nous comme une
voie lactée ».

Il faut aussi constater le désordre qui règne dans cette matière, matière qui semble guidée par
aucune logique, matière qui se dilue, qui s’éparpille et qui peut-être se perd. Ainsi, se pose
naturellement la question de l’avenir des contrats spéciaux (III).

III. L’AVENIR DES CONTRATS SPECIAUX

L’avenir du droit des contrats spéciaux ne peut aujourd’hui qu’être envisagé par sa nécessaire
réforme. L’ordonnance du 10 février 2016 a réformé le droit des contrats, le régime du droit des
obligations et de la preuve. Le regard se porte aujourd’hui sur les contrats spéciaux.

L’enjeu de la réforme est de taille : remettre de l’ordre, rendre la matière plus intelligible, lui
redonner de la cohérence, la moderniser, l’adapter aux nouveaux enjeux économiques et aux
nouvelles formes d’échanges (notamment numériques).

A cet égard, l’association Henri Capitant a publié en 2020 un avant-projet de réforme qui
adopte une démarche originale. Cet avant-projet ne se contente pas d’empiler les règles propres à
chaque contrat, mais distingue DEUX TYPES DE REGLES :

- D’un côté, il y a les règles relatives à des obligations transversales, qui seraient partagées par
plusieurs types de contrats spéciaux. Ex : les règles relatives au transfert de propriété (qui
concernent aussi bien l’échange, la vente, l’apport en société...).

- D’un autre côté, les règles particulières relatives aux contrats spéciaux.

Une deuxième version de ce projet a été publiée en juillet 2021.

Parallèlement à cette initiative doctrinale, la chancellerie a constitué l’année dernière une


commission qui à ce jour poursuit ses travaux.

Ce qu’on peut espérer, c’est que la réforme des contrats spéciaux est en bonne voie.

IV. LES PRINCIPALES OPERATIONS EN DROIT DES CONTRATS SPECIAUX

Le droit des contrats spéciaux est l’ensemble des règles spécifiques qui régissent les contrats
nommés, et qui font l’objet d’un régime particulier. Ces contrats sont multiples, nombreux et variés,
et les règles qui gouvernent ces contrats ne cessent de s’accroitre, de s’éparpiller.

L’un des enjeux fondamental de ces contrats spéciaux est de maitriser cette diversité. Pour ce
faire, deux opérations apparaissent particulièrement essentielles :
- L’opération de qualification (A) ;
- L’opération de classification (B).

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A. LA QUALIFICATION

La qualification est le procédé intellectuel qui consiste à rattacher un cas concret à une
catégorie juridique afin de lui appliquer le régime juridique correspondant à cette catégorie de
rattachement.

Le pouvoir de qualification appartient au juge. Plus qu’un pouvoir, c’est même un devoir mis
à la charge du juge. Ce devoir est exprimé à l’art. 12 du Code de procédure civile : « Le juge doit donner
ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les
parties en auraient proposé ».

La qualification constitue toujours une étape préalable essentielle à l’application d’une règle.
C’est même une étape dont peut dépendre l’issue du litige.

Cass. soc., 4 mars 2020, n°19.13-3016 : a requalifié le statut d’un chauffeur Uber indépendant en
salarié. Si le juge a pu opérer cette requalification, c’est parce que le juge n’est jamais tenu, lié, par la
qualification retenue par les parties.

Tout l’enjeu de la qualification est précisément de faire coïncider la réalité des faits et la
catégorie juridique. Le juge prendra en compte la volonté des parties, mais si la réalité économique
ne correspond pas à la qualification retenue par les parties, alors il appartient au juge de requalifier le
contrat.

L’opération de qualification requiert de connaitre les caractéristiques du contrat pour les


appliquer aux faits de l’espèce.
Ex : si on constate que la propriété d’une chose a été transférée en contrepartie d’un prix, alors la
qualification adéquate de ce transfert sera la vente, peu importe que les parties aient nommé ce
contrat autrement.

Cet exemple de qualification est trop simple pour rendre compte de toute la qualification de
cette opération de qualification. Il y a complexité lorsque le contrat est, soit susceptible de se rattacher
à plusieurs catégories, soit ne se rattache à aucune catégorie existante.

Ex : une location de maison par une plateforme en ligne (Airbnb). On perçoit d’abord dans ce contrat
un contrat de location meublée entre un bailleur et un preneur. Mais il faut tenir compte de
l’intervention de la plateforme, de ce tiers. Cette plateforme agit comme un mandataire.

COMMENT QUALIFIER CE CONTRAT ? Dans cette hypothèse, l’opération de qualification peut


aboutir à trois résultats :
- Une qualification exclusive : on rattachera l’opération contractuelle à un seul type de contrat ;
- Une qualification mixte ou distributive : on appliquera à l’opération plusieurs régimes.
- Aucune qualification : lorsque le contrat n’est pas rattachable à une quelconque catégorie. On
parlera de contrat sui generis.

1. LA QUALIFICATION EXCLUSIVE

La qualification exclusive est celle qui va rechercher la prestation caractéristique, l’élément le


plus important du contrat, afin d’en faire dépendre toute la qualification.

Ex : le contrat de garagiste. Celui-ci contient une part de contrat d’entreprise (le garagiste va réparer
le véhicule), mais aussi une part de contrat de dépôt (il va garder le véhicule). Le régime du contrat

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d’entreprise et le régime du contrat de dépôt pourraient tous deux trouver à s’appliquer. La prestation
de réparation apparait ici essentielle, tandis ce que la prestation de garde du véhicule est secondaire,
accessoire. Je ne me rends pas chez le garagiste pour qu’il garde mon véhicule. C’est donc le régime
du contrat d’entreprise qui trouvera ici à s’appliquer.

Cette qualification exclusive trouve l’avantage de la simplicité. Un seul régime, bien identifié
sera applicable à l’ensemble de l’opération contractuelle. Mais cette simplicité n’est obtenue qu’au
prix d’une réduction artificielle de la complexité de l’opération. Il n’est pas toujours facile de distinguer
ce qui est essentiel et ce qui est accessoire.

Ce risque comporte toujours un risque d’arbitraire. Alors une autre forme de qualification
s’avère plus respectueuse de la complexité du contrat : la qualification mixte ou distributive (2).

2. LA QUALIFICATION MIXTE OU DISTRIBUTIVE

Si le contrat comporte des éléments qui empruntent à plusieurs types de contrats, et s’il n’est
pas possible de hiérarchiser, de faire ressortir la caractéristique essentielle du contrat, alors deux
régimes seront applicables pour chacun des aspects du contrat.

Ex : le contrat de vente d’immeubles à construire. Sur le plan chronologique, il y a d’abord un contrat


d’entreprise (la construction d’un immeuble) et une fois l’immeuble achevé, on a un contrat de vente
(la vente de l’immeuble construit). Difficile de dire ici qu’un contrat prévaut sur l’autre. On appliquera
alors les règles du contrat d’entreprise tant que l’immeuble est en construction, et les règles du contrat
de vente une fois que l’immeuble est construit.

Cette qualification mixte est plus respectueuse de la volonté commune des parties, plus fidèle
à l’opération qu’ont voulu les parties. De ce fait, cette qualification s’avère complexe à mettre en
œuvre. Elle peut même parfois soulever des confits de régimes ou des incompatibilités de régimes qu’il
faut alors trancher.

3. LE CONTRAT SUI GENERIS

Cette qualification est d’abord un constat d’échec de la qualification, puisque face à la


complexité de l’opération contractuelle, le juge n’a pas pu rattacher ce contrat à une catégorie
existante. A défaut de catégorie de rattachement, ces contrats dits sui generis ne seront donc soumis
qu’au droit commun des contrats, et à aucune règle spéciale du droit des contrats spéciaux.

En pratique, le juge aboutit soumis à ce résultat, notamment lorsqu’il a à connaitre de contrats


particulièrement complexes, ceux issus de la pratique des affaires.

Cette qualification peut susciter DEUX REACTIONS CONTRADICTOIRES :

- Certains esprits vont se désoler que l’effort de qualification ne permette pas de saisir
juridiquement ces contrats complexes ;

- D’autres au contraire y voient le témoignage de la vitalité de notre pratique contractuelle. La


manifestation de ce que les praticiens savent user de leur liberté contractuelle, sans se laisser
enfermer dans des règles imposées, dans des cadres prédéfinis, dans des modèles figés, la
contrat sui generis est la voix de l’imagination des praticiens.

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B. LA CLASSIFICATION

Les enjeux pratiques de la classification sont moins importants que ceux de la qualification.
L’opération de classification n’a aucun effet normatif. Elle ne permet pas de déduire un régime
applicable, des règles spécifiques à appliquer.

L’intérêt de la classification est surtout théorique. Le but est de tenter une systématisation de
la matière pour mieux la comprendre, et mieux la faire comprendre, en faisant ressortir les lignes de
force.

La doctrine a proposé un grand nombre de classifications. Une des classifications les plus
pertinentes aujourd’hui est celle qui se fonde sur l’objet caractéristique de l’opération économique.

Selon cette logique de rationalité économique, il est possible de distinguer 4 grandes


catégories de contrats spéciaux :

- Les contrats dont l’objet est de transférer la propriété d’un bien : la vente, l’échange, la dation
en paiement, etc ;

- Les contrats dont l’objet est de transférer la jouissance ou les utilités de la chose : le contrat de
prêt, le contrat de bail, etc ;

- Les contrats dont l’objet est une prestation de service portant sur une chose : le dépôt, etc ;

- Les contrats dont l’objet est une prestation de service ne portant pas sur une chose : le contrat
de mandat, le contrat d’entreprise, etc.

Il serait illusoire de chercher à faire entrer dans ces catégories l’ensemble des contrats
spéciaux. Certains contrats sont et seront toujours à cheval entre plusieurs catégories. Le point fort de
cette classification est qu’elle donne une grille de lecture dans cette nébuleuse que constitue le droit
des contrats spéciaux.

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PARTIE I. LES CONTRATS TRANSLATIFS DE PROPRIETE
L’étude de cette première catégorie de contrats se concentrera principalement sur celui qui
en constitue le modèle, celui qui en constitue la figure la plus importante : la vente. Puis nous verrons
les autres contrats.

TITRE I. LA VENTE, MODELE DES CONTRATS TRANSLATIFS DE PROPRIETE

La vente est une des opérations les plus banales, les plus simples, les plus courantes dans la
vie quotidienne. Mais la vente est aussi une opération importante et fréquente dans la pratique des
affaires. La vente constitue le contrat modèle par excellence.

C’est ce que Carbonnier avait résumé en disant que « la vente permet d’atteindre l’essentiel
d’un comportement plusieurs fois millénaire de l’humanité, donner de l’argent et acquérir une chose,
recevoir de l’argent abdiquer une chose ».

La vente ne constitue pas seulement l’archétype des contrats translatifs de propriété. Elle a
été aussi le contrat servant de modèle pour tout le droit commun des contrats. En effet, les rédacteurs
du Code civil de 1804 ont posé des règles générales en ayant à l’esprit ce contrat de vente. C’est la
raison pour laquelle, pendant longtemps, les règles communes n’intégraient pas la dimension de durée
du lien contractuel.

Alors, le régime juridique de la vente est posé aux art. 1582 et s. Cciv. Mais là encore, le droit
de la vente est lui aussi victime d’un phénomène d’éclatement et de spécialisation des règles, de sorte
qu’un grand nombre de dispositions se retrouvent hors du Code civil.

L’art. 1582 Cciv définit la vente comme « la convention par laquelle l’un s’oblige à livrer une
chose et l’autre à la payer ». Cette définition légale pose donc DEUX ELEMENTS CARACTERISTIQUES DE LA
VENTE :
- L’obligation de livraison d’une chose pour le vendeur ;
- L’obligation de payer le prix pour l’autre partie, l’acheteur.

Cette définition n’est pas une bonne définition légale car elle ne met pas l’accent sur ce qui
caractérise la vente. Ce n’est pas l’obligation de livraison qui caractérise la chose, mais c’est le transfert
de propriété. L’obligation de livraison n’est qu’une conséquence de ce transfert de propriété.

C’est la raison pour laquelle une autre définition peut être proposée : la vente est le contrat
qui emporte transfert de propriété d’une chose en contrepartie de l’obligation de payer un prix. Ici,
l’accent est mis sur le transfert de propriété.

Le régime juridique de la vente va être examiné en trois chapitres :


- La notion de vente (CHAPITRE 1) ;
- La formation de la vente (CHAPITRE 2) ;
- Les effets de la vente (CHAPITRE 3).

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CHAPITRE I. LA NOTION DE VENTE

La vente est un contrat qui possède 5 caractéristiques :

- C’est un contrat consensuel, ce qui veut dire qu’il se forme par la simple expression des
consentements. Sauf disposition contraire, le consentement à la vente peut s’exprimer de toutes
formes, y compris oralement. Il suffit en somme que les parties s’accordent sur la chose et sur le
prix, comme l’énonce l’art. 1582 Cciv. Toutefois, certaines ventes spéciales obéissent à un
formalisme spécifique.

- C’est un contrat synallagmatique. Les deux parties s’engagent à des prestations réciproques ;
l’une à transférer la chose vendue, l’autre à payer le prix convenu.

- C’est un contrat translatif de propriété.

- C’est un contrat à titre onéreux. Une vente conclue sans prix ou à prix dérisoire encourt la nullité
ou la requalification en donation.

- C’est un contrat commutatif, c’est-à-dire que les prestations réciproques des parties sont
regardées par elles comme strictement équivalentes.

SECTION I. LE TRANSFERT DE PROPRIETE

Le transfert de propriété de la chose qui caractérise la vente et permet d’opérer une distinction
avec d’autres contrats qui eux n’opèrent aucun transfert de propriété.

Ainsi, la vente se distingue du bail : le preneur à bail ne se voyant conférer aucun droit réel sur
la chose, mais seulement un droit personnel contre le bailleur ; le bailleur ayant une obligation de
garantir la jouissance du bien. Dans le contrat de bail, le droit du preneur s’exerce donc contre le
bailleur, et jamais sur la chose.

Ce transfert de propriété peut porter sur des choses corporelles, comme sur des choses
incorporelles (ex : un fonds de commerce). De manière générale, tous les droits patrimoniaux peuvent
faire l’objet d’un transfert (ex : cession de créances). La seule limite est que ces choses doivent être
dans le commerce, ce qui exclut les droits extrapatrimoniaux.

I. UN TRANSFERT DE PROPRIETE IMMEDIAT

A. PRINCIPE

Ce transfert de propriété en droit français a la particularité d’être immédiat. Il a lieu par le seul
effet de la loi. C’est un effet légal du contrat de vente.

On dit que le transfert de propriété opère solo consensu, par le seul échange des
consentements. C’est ce qu’exprime l’art. 1583 Cciv. C’est là une spécificité du droit de français qui
jure avec d’autres systèmes juridiques, et en particulier avec le droit allemand.

En droit allemand en effet, après que la vente a été conclue, le vendeur doit transmettre la
chose vendue à l’acheteur et les parties doivent convenir d’un nouvel acte juridique pour consentir au
transfert. Rien de tel en droit français.

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Le transfert de propriété n’est pas le résultat d’une obligation du vendeur, mais est un effet
légal du contrat dès lors que le consentement à la vente a été exprimé.

B. EXCEPTIONS

Cet effet légal du contrat connait cependant quelques exceptions tenant principalement :
- D’abord, à la spécificité de la chose vendue ;
- Ensuite, à la possibilité pour les parties de déroger contractuellement au principe de transfert
immédiat de propriété.

EN CAS DE VENTE D’UNE CHOSE FONGIBLE (sans individualité propre), le transfert de propriété sera
retardé jusqu’à l’individualisation complète de la chose. Cette individualisation de la chose peut
résulter de différentes opérations : le pesage, le comptage, le mesurage.

EN CAS DE VENTE D’UNE CHOSE FUTURE, le transfert de propriété sera pareillement retardé jusqu’à
l’apparition de la chose dans le patrimoine du vendeur.

La règle du transfert immédiat de propriété n’est que supplétive de volonté, de sorte que les
parties peuvent y déroger afin de retarder ce transfert. A cet effet, la technique contractuelle ouvre
plusieurs ressources. IL EST POSSIBLE DE :
- Stipuler un terme suspensif (vente à terme) ;
- Stipuler une condition suspensive (pourvue qu’elle soit licite) ;
- Introduire une clause de réserve de propriété (CRP).

LA CLAUSE DE RESERVE DE PROPRIETE

Cette CRP est la clause qui permet au vendeur de conserver la propriété du bien vendu jusqu’à
ce qu’il soit entièrement désintéressé par l’acheteur.

La validité de cette clause a été consacrée par le Code civil en 2006 ; on la retrouve aux art.
2367 et s. en matière mobilière et aux 2373 et s. en matière immobilière.

Cette CRP doit être rédigée par écrit ; cela résulte de l’art. 2368 Cciv. Ex : « le vendeur se
réserve la propriété du matériel vendeur jusqu’à paiement intégral du prix… ».

La CRP joue comme une sureté pour le vendeur, véritablement redoutable. En effet, dès lors
que le bien vendu jusqu’au paiement complet du prix n’a jamais quitté le patrimoine du vendeur, en
cas de défaillance de l’acheteur et en cas de procédure collective ouverte contre l’acheteur, alors le
vendeur n’aura qu’à agir en revendication pour faire valoir son droit de propriété sur le bien et le
reprendre, le soustraite du gage commun des créanciers de l’acheteur. En droit de procédure
collective, la CRP est la sureté la plus efficace. En matière de droit des contrats spéciaux, la CRP reste
toutefois modulable comme une obligation.

II. LE TRANSFERT DE LA CHARGE DES RISQUES

Il n’y a pas que la propriété de la chose qui est transférer immédiatement à l’acheteur. Il se
voit aussi transférer la charge des risques. Si la chose périt, la perte en est pour le nouveau
propriétaire, c’est-à-dire l’acheteur (res perit domino).

En droit de commerce international, le transfert des risques est lié à la délivrance effective de
la chose. En effet, la Convention de Vienne sur la vente internationale des marchandises prévoit que

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le transfert des risques opère à la délivrance de la chose, lorsque l’acheteur est mis en possession de
la chose. En réalité, ce principe de transfert immédiat des risques sur la tête de l’acheteur est un des
inconvénients du droit français.

Toutefois, cette règle n’est pas d’ordre public, de sorte que la dissociation peut être stipulée
par une clause. Il est ainsi possible de prévoir que :
- Le transfert des risques de la chose sera retardé au transfert de propriété de la chose. Ce cas de
figure se retrouve généralement dans les CRP. Les cocontractants auront prévu que certes le
vendeur conserve la propriété de la chose, mais que les risques sont transférés à l’acquéreur
puisque c’est lui qui a l’usage de la chose.
- Il est aussi possible de stipuler que les risques seront transférés lors de la délivrance de la chose.

SECTION II. LE PAIEMENT DU PRIX

Il est de l’essence de la vente d’être un contrat à titre onéreux. L’exigence de prix, contrepartie
du transfert de propriété, doit ici être entendue strictement, c’est-à-dire dans sa dimension monétaire.
Le prix c’est au moins en partie une somme d’argent.

C’est ainsi que l’on peut distinguer la vente de l’apport en société.

LES VENTES CONCLUES PAR LES CRYPTOMONNAIES, S’AGIT-IL D’UNE VENTE ? Si on considère que cette
monnaie virtuelle n’est pas une monnaie (position française aujourd’hui), alors il n’y a pas de prix à ces
ventes, et il ne peut donc y avoir de vente au sens juridique. Est-ce donc un contrat d’échange ?

QUID DES VENTES CONSENTIES SANS PRIX ? En principe, elles encourent la nullité. Mais il peut y avoir
des qualifications de rattrapage (ex : dation en paiement, donation, échange).

Il en va de même lorsque les charges dont la chose vendue est grevée s’avèrent supérieures
au prix payé par l’acheteur. Ex : un fonds de commerce grevé d’un passif plus lourd que le prix payé.

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CHAPITRE II. LA FORMATION DE LA VENTE

La formation de la vente doit s’analyser sous deux aspects :

- D’une part, il y a le processus de formation de la vente, c’est-à-dire les étapes nécessaires à la


conclusion définitive du contrat par les parties (SECTION I).

- D’autre part, les conditions de validité de la vente, c’est-à-dire les éléments requis valent en tant
que vente (SECTION II).

SECTION I. LE PROCESSUS DE FORMATION DE LA VENTE

Parler du processus de formation de la vente, c’est déjà amener l’idée que la vente n’est pas
nécessairement un contrat instantané, qui se forme par le seul échange des consentements.

Les rédacteurs de 1804 envisageaient en effet la vente comme un contrat doublement


instantané, dans sa formation (accord sur la chose et sur le prix) et dans son exécution (transfert
immédiat de propriété). Il n’y avait pas de place dans la durée de la formation de la vente.

Il est apparu que la vente pourrait être formée pendant un temps de négociations
contractuelles. Celles-ci sont longtemps restées dans l’angle mort de la législation, jusqu’à l’entrée en
vigueur de l’ordonnance de 2016. Cette ordonnance est venue encadrer ces négociations
contractuelles et a fixé le régime des avant-contrats. Elle a également établi un régime pour l’obligation
précontractuelle d’information.

I. LES CONTRATS PREPARATOIRES A LA VENTE

En raison du besoin d’anticipation qui caractérise la vie des affaires, un opérateur économique
peut souhaiter se réserver l’exclusivité d’une vente avant de pouvoir la conclure définitivement. C’est
pour répondre à ce besoin concret que la pratique a imaginé les avant-contrats. Ce sont des contrats
conclus en vue de poser les jalons d’un contrat futur et réserver les bénéfices de ce contrat à une partie
déterminée.

Le terme avant-contrat rend bien compte de la nature de ces actes juridiques. Ce sont d’abord
des contrats mettant à la charge des parties des obligations contractuelles pleinement contraignantes.
Ce sont des avant-contrats car ces obligations contractuelles visent la conclusion du contrat définitif.

La liste de ces avant-contrats n’est pas figée mais 2 FORMES PARTICULIERES doivent être
distinguées car elles sont en pratique les plus rencontrées :

- LA PROMESSE DE VENTE (promesse unilatérale de vente) : l’avant-contrat cible la vente du bien en


question. C’est la convention par laquelle une partie promet à l’autre de conclure une vente dont
tous les éléments sont déjà complètement déterminés. Le bénéficiaire de cette promesse, qui
dispose d’une option se ménage alors un temps de réflexion et conserve l’entière liberté de
conclure ou non la vente.

- LE PACTE DE PREFERENCE : il s’avère moins engageant pour le promettant. L’idée est si on vend le
bien alors on se tourne vers le bénéficiaire de ce pacte en priorité pour la vente ; mais aucune
décision de vendre n’a été pris par le propriétaire de la chose. Aucune des parties n’a donné son
consentement définitif à la vente, pas plus le promettant qui peut décider de ne jamais vendre,
que le bénéficiaire qui demeurera libre de refuser l’offre faite.

13
A. LE PACTE DE PREFERENCE

Le pacte de préférence est un avant-contrat qui n’est pas réservé à la vente. Il peut porter sur
tout contrat (ex : sur un bail). En pratique, c’est toujours en projection d’une vente que les parties
concluent un pacte de préférence.

L’intérêt du procédé consiste à réserver au bénéficiaire la cession d’un actif qui appartient au
promettant et qui pour le bénéficiaire a un intérêt stratégique. Le bénéficiaire tient à se réserver
l’exclusivité d’une éventuelle cession si le bien venait à être cédé.

Ex :

- En matière immobilière, on fera signer un pacte de préférence par le propriétaire du bien pour
se réserver l’éventuelle cession de ce bien immobilier. Le bénéficiaire sera assuré dans sa position
de pré-acquéreur.

- En matière de cession de titre sociaux, pour réserver l’éventuelle cession de part ou action à une
personne déterminée. En arrière-plan, ici l’intérêt stratégique est le contrôle de la société.

- En matière de propriété littéraire et artistique, un droit de préférence est spécifiquement prévu


par la loi à l’art. L123-4 du code de la propriété intellectuelle. L’éditeur qui investit des sommes
importantes pour publier un auteur va demander en contrepartie qu’il s’engage dès maintenant
à lui réserver l’exclusivité de ses œuvres futures.

- En matière de franchise et de concession, supposons une enseigne nationale connue qui


contracte avec un distributeur local, couvrant une zone territoriale sur laquelle cette enseigne
nationale n’était pas implantée. Ce concessionnaire va développer une clientèle. L’enseigne
nationale a tout intérêt à ce que le fonds de commerce du concessionnaire reste sous son
enseigne. L’enseigne a alors un intérêt à ce que dans le contrat de concession, il soit indiqué au
cocontractant qu’il devra proposer prioritairement l’acquisition de son fonds de commerce à
celui-ci dans le cas où il souhaiterait vendre.

Ce dernier exemple illustre alors que le pacte de préférence peut être contenu dans un contrat
principal où il est une clause de ce contrat principal ou être le contrat lui-même.

Le pacte de préférence est issu de la pratique contractuelle. Pendant longtemps il n’a été régi
que par la jurisprudence. Ce n’est qu’avec la réforme de l’ordonnance du 10 février 2016 que la pacte
de préférence a fait son entrée dans le Code civil.

1. DEFINITION DU PACTE DE PREFERENCE

Selon l’art. 1123 Cciv, « le pacte de préférence est le contrat par lequel une partie s'engage à
proposer prioritairement à son bénéficiaire de traiter avec lui pour le cas où elle déciderait de
contracter. »

C’est un définition incorrecte. D’un côté, il y a une partie, et de l’autre son bénéficiaire. En
disant que le promettant s’engage à traiter avec le bénéficiaire, l’art. 1123 Cciv de préciser que le pacte
de préférence porte nécessairement sur un contrat déterminé.

14
B . FAGES, Droit des obligations, LGDJ, 11e éd., 2021, n°58 : « Le pacte de préférence est l'avant-contrat
par lequel un promettant s'oblige envers un bénéficiaire à lui accorder une préférence dans
l'éventualité où il déciderait de conclure un contrat déterminé. »

Ce contrat déterminé sera presque toujours une vente. De cette définition il est possible de
tirer 3 ENSEIGNEMENTS :

- Par ce pacte, aucune des deux parties ne donne son consentement définitif à la vente : Le
promettant ne donne pas son consentement définitif à la vente, il n’est donc pas nécessaire qu’il
ait la capacité et le pouvoir de disposer de la chose, ce qui compte c’est que cette capacité se
trouve au jour il effectuera la vente.

- Par ce pacte, le bénéficiaire n’est investi d’aucun droit réel sur la chose : Le droit de préférence
dont le bénéficiaire est titulaire est seulement un droit personnel contre le promettant. Il s’agit
d’une créance que le bénéficiaire détient contre le promettant.

- Le pacte de préférence est un contrat unilatéral : Seul le promettant s’engage, lui seul est tenu
d’une prestation, prestation qui consiste à proposer la vente prioritairement au bénéficiaire le
jour où il décide de vendre s’il décide de vendre.

2. FORMATION DU PACTE DE PREFERENCE

Les conditions de validité du pacte de préférence sont celles requises par le droit commun du
contrat. Toutefois, par définition, le pacte de préférence porte sur un contrat futur et hypothétique
dont tous les éléments n’ont pas à être déterminé ni déterminable.

La JP considère que « ni la détermination du prix, ni la stipulation d’un délai, ne sont des


conditions de validité du pacte de préférence ». Un pacte de préférence peut être consenti sans prix et
sans délai, une grande place est laissée à la liberté contractuelle mais il est recommandé aux parties
de préciser un certain nombre de choses et particulièrement de préciser un délai et déterminer la
portée de l’engagement du promettant (ce à quoi il s’engage réellement).

La fixation du délai au pacte de préférence est importante car à défaut de délai conventionnel
ce pacte confère un droit de préférence perpétuel au bénéficiaire, d’autant que la JP considère que
« le pacte de préférence consentit sans délai ne prend pas fin par la prescription quinquennal ». Le
pacte de préférence s’analyse comme un CDI, ces CDI peuvent être résiliés unilatéralement moyennant
un délai raisonnable (Civ. 6 novembre 2007).

La portée de l’engagement du promettant, l’idée de priorité peut faire l’objet de 3


INTERPRETATIONS DIFFERENTES (de la plus faible à la plus forte) :

- A minima : le droit de préférence sera perçu comme une simple priorité d’entrer dans des
pourparlers pour déterminer les conditions de la vente.

- In medio : le droit de préférence sera perçu comme un mécanisme de préemption obligeant le


promettant à communiquer au bénéficiaire toute offre d’achat émanent d’un tiers afin que le
bénéficiaire puisse acheter dans les mêmes conditions que cette offre.

- A maxima : le droit de préférence sera une obligation faite au promettant de vendre le bien à
des conditions prédéterminées ou objectivement déterminables.

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Les parties ont donc intérêt à préciser l’objet exact de l’engagement du promettant car la
formule a minima est très peu favorable au bénéficiaire, les pourparlers sont libres.

La formule intermédiaire est plus protectrice des intérêts du bénéficiaire mais peut être
exposée à une fraude (ex : demander à un ami de faire une offre à prix déraisonnable).

C’est la formule maximale qui est la plus sûre pour le bénéficiaire mais c’est également la moins
aisée à négocier. En figeant le prix cette formule expose le promettant au risque de réaliser une moins-
value. Dans le cas où le bien aurait pris de la valeur, il reste tenu par le prix fixé dans le pacte de
préférence.

3. EFFETS DU PACTE DE PREFERENCE

a. L’EXTINCTION DE L’ENGAGEMENT

2 CAS DE FIGURE : la préférence va s’éteindre...


- Soit par l’effet de l’écoulement du temps (si assortie d’un délai) ;
- Soit par l’effet de la purge du droit du bénéficiaire.

Le droit du bénéficiaire est un droit de préférence. C’est la décision de vendre du promettant


qui déclenche l’obligation d’accorder au bénéficiaire la promesse de la vente. Une fois le promettant
tourné vers le bénéficiaire le droit de préférence s’éteint instantanément quand bien même le
bénéficiaire n’aurait pas donné suite à la vente.

A partir de quand est-il possible de considérer que le promettant a décidé de vendre un bien
et aurait donc dû de se tourner vers le bénéficiaire ?

Cass. Civ 3ème, 6 décembre 2018, n°17-23.321 :

- En l’espèce, un pacte de préférence a été conclu. Alors que ce pacte courrait toujours, le
promettant a consenti une promesse unilatérale de vente sur le bien à un tiers.

- Y-a-t-il eu inexécution du pacte de préférence préalablement conclu ? La Cour de cassation


répond oui, le fait de consentir à un tiers une promesse unilatérale de vente portant sur un
bien objet d’un pacte de préférence constitue une violation du pacte.

- Cette solution se comprend dans une logique implacable, la promesse unilatérale de vente est
un avant-contrat qui implique le consentement définitif du promettant à la vente. En
conséquence de quoi, le promettant s’était mis volontairement dans l’impossibilité d’exécuter
son obligation d’accorder la préférence au bénéficiaire du pacte.

Le pacte de préférence s’éteint soit par expiration du délai, soit par exécution de son
engagement par le promettant, exécution de l’engagement qui purge ce droit de préférence avec
parfois une marge d’incertitude sur le moment où il décide de vendre.

b. LA SANCTION DE L’ENGAGEMENT

La sanction de l’engagement renvoie à l’hypothèse d’inexécution dans laquelle le promettant,


alors qu’il aurait décidé de vendre ce bien, ce serait tourné vers un tiers plutôt que le bénéficiaire du
pacte.

16
La sanction d’une telle inexécution est posée à l’art. 1123 Cciv :

- Le bénéficiaire d’une inexécution peut « obtenir la réparation du préjudice subi ». Pour ce faire,
il peut exercer une action en responsabilité contractuelle contre le promettant.

- Le bénéficiaire peut agir en responsabilité contre le tiers si ce dernier a contracté alors qu’il avait
connaissance du pacte. Le tiers doit être de mauvaise foi. C’est une action extracontractuelle.

L’indemnisation sur ce fondement sera le plus souvent décevante car il s’agira d’une réparation
de perte de chance. Il sera difficile pour le bénéficiaire de prouver que si le promettant avait
respecté son droit de préférence alors la vente aurait été conclue.

D’autre part, l’art. 1123 Cciv prévoit que « Lorsque le tiers connaissait l'existence du pacte et
l'intention du bénéficiaire de s'en prévaloir, ce dernier peut également agir en nullité ou demander au
juge de le substituer au tiers dans le contrat conclu ». Cette possibilité est une réception d’une solution
de la chambre mixte du26 mai 2006, n° 03-19.376, qui consacre cette solution.
- La nullité est l’annulation rétroactive du contrat.
- La substitution laisse le contrat en vie mais on remplace le tiers acquéreur par le bénéficiaire.

PROBLEME : La substitution dans le contrat est une sanction qui n’est pas toujours possible de mettre
en œuvre.

- Dans la quasi-totalité des hypothèses, les obligations du tiers-acquéreur auront consisté à


payer le prix de vente et dans ce cas la substitution ne posera pas de difficulté.

- En revanche, dans une situation plus complexe, si l’acquéreur a contractuellement pris


d’autres engagements que lui seul peut assurer et qui sont des engagement corollaires au
paiement du prix, la substitution devient plus complexe à mettre en œuvre.

• Ex : un actionnaire cède ses actions mais s’engage auprès de l’acquéreur à rester


membre du conseil d’administration pendant 5 ans afin que la société continue de
bénéficier de ses compétences. Dans cette hypothèse la substitution n’est pas possible.
Le bénéficiaire du pacte devra ici se tourner vers la nullité de la vente.

Autant la responsabilité et la nullité sont des sanctions pertinentes et cohérentes qui viennent
sanctionner le manquement à ses obligations du promettant, autant la substitution peut apparaître
légèrement excessive et radicale car c’est seulement la préférence qui a été violée, non l’obligation de
conclure le contrat avec le bénéficiaire du pacte. Le bénéficiaire peut recouvrer plus de droits qu’il n’en
avait grâce au pacte.

La sanction de la substitution est assez théorique et très difficile à obtenir car elle requiert la
preuve de la connaissance par le tiers de l’intention du bénéficiaire de se prévaloir du pacte. Or, il s’agit
d’une preuve presque impossible à rapporter. Comment prouver que le bénéficiaire avait l’intention de
se prévaloir du pacte alors que cette intention est un fait purement psychologique ?

C’est pour parer à ces difficultés probatoires que l’ordonnance du 10 février 2016 a institué
une action interrogatoire aux al. 3 et 4 de l’art. 1123 CCiv. Ces actions interrogatoires consistent à
demander au bénéficiaire du pacte de confirmer par écrit l’existence du pacte et son intention de s’en
prévaloir. A défaut de réponse dans le délai prévu par cet acte interrogatoire le bénéficiaire est
présumé avoir renoncé au bénéfice du pacte.

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Cette action interrogatoire a été créée dans le but de renforcer la sécurité des tiers acquéreurs
en évitant que le bénéficiaire ne vienne après-coup solliciter la substitution d’un contrat. Eu égard à la
difficulté, à l’impossibilité, qu’il y a à solliciter la substitution du fait de cette preuve impossible à
rapporter (l’intention de se prévaloir), le tiers qui souhaite acquérir le bien va-t-il vraiment intérêt à
interroger le bénéficiaire du pacte ? S’il ne l’interroge pas alors le pacte de préférence sera bien
inexécuté mais aucune substitution ne pourra intervenir.

B. LES PROMESSES DE VENTE

La promesse de vente est un contrat qui se décline en 2 FORMES :


- La promesse unilatérale (1) ;
- La promesse synallagmatique (2).

1. LA PROMESSE UNILATERALE DE VENTE

La promesse unilatérale de contrat peut porter sur tout type de contrat, pas uniquement de vente.

a. DEFINITION DE LA PROMESSE UNILATERALE DE VENTE

Selon l’art. 1124 Cciv, « la promesse unilatérale est le contrat par lequel une partie, le
promettant, accorde à l'autre, le bénéficiaire, le droit d'opter pour la conclusion d'un contrat dont les
éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du
bénéficiaire. »

La promesse unilatérale de vente n’est pas un engagement unilatéral de volonté, c’est un


contrat qui requiert l’accord des deux parties. Les deux parties expriment un consentement mais seule
l’une d’elle souscrit un engagement, il s’agit du promettant qui s’engage à vendre la chose. Le
bénéficiaire, lui, n’est obligé à rien.

La nature unilatérale de ce contrat peut poser question lorsque le bénéficiaire de la promesse


est tenu de verser une indemnité « indemnité d’indemnisation », le bénéficiaire verse cette indemnité
pour indemniser l’immobilisation du bien pendant toute la durée de la promesse. Cette indemnité
d’indemnisation reste acquise au promettant même si le bénéficiaire ne lève pas l’option.

Le versement d’une telle indemnité d’indemnisation n’a pas pour effet de rendre le contrat
synallagmatique, il reste unilatéral.

Le bénéficiaire de la promesse unilatérale de vente n’est titulaire que d’un droit personnel,
que d’une créance contre le promettant.

Si le promettant a de son côté définitivement consenti à la vente, le bénéficiaire, quant à lui,


se voit octroyer une option. C’est ce droit d’option qui structure la promesse unilatérale de vente. Ce
droit discrétionnaire, ou droit potestatif, exprime que le bénéficiaire a toute liberté pour lever ou ne
pas lever l’option.
- S’il lève l’option, la vente est formée.
- S’il ne lève pas l’option, la promesse est caduque.

b. FORMATION DE LA PROMESSE UNILATERALE DE VENTE

Les conditions de validité de la promesse unilatérale de vente sont celles du droit commun.
Dans la mesure où le promettant consent définitivement à la vente, il est nécessaire que la chose et le

18
prix soient déterminées ou objectivement déterminables ; sans quoi la levée d’option du bénéficiaire
ne suffira pas à la vente.

Le promettant doit disposer de la capacité et du pouvoir de disposer de la chose. Peu importe


que le promettant, par la suite, perd ce pouvoir ou cette capacité. Ce qui compte, c’est la capacité et
le pouvoir, apprécié au jour de la conclusion de la promesse unilatérale.

Les parties peuvent prévoir un délai d’option, un délai pour opter au-delà duquel la promesse
deviendra caduque. La stipulation d’un tel délai n’est pas une condition de validité de la promesse,
mais les parties ont intérêt à prévoir un tel délai car la question de la durée des promesses unilatérale
de vente sans délai reste une question largement ouverte en droit français. Cette question est un point
aveugle du régime des promesses unilatérales.

En présence d’une promesse unilatérale de vente sans délai 3 POSSIBILITES sont ouvertes :

- La PUV est un CDI qui peut être résilié par l’un ou l’autre des parties. C’est une solution appliquée
par certains arrêts de la Cour de cassation.
- Certains auteurs considèrent que des promesses de vente sans délai ont une durée de validité
de 5 ans (durée de la prescription civile).
- D’autres auteurs considèrent que si les parties n’ont pas stipulé de délai, il convient de leur
appliquer un délai raisonnable.

Ce délai d’option est librement déterminé par les parties sauf dans l’hypothèse visée à l’art.
L2390-1 du code de la construction et de l’habitation « une personne physique ne peut pas être
promettant dans une promesse de vente immobilière pour plus de 18 mois ». Ceci est pour éviter un
engagement trop long à un prix fixé et subir une moins-value du fait de l’appréciation de son bien qu’il
ne pourra répercuter sur la vente.

Il n’y a en principe pas de conditions de formes. Le consensualisme prévaut sauf dans


l’hypothèse où la loi impose un formalisme. HYPOTHESE :

Il s’agit du cas de figure prévu à l’art. 1589-2 Cciv. Ce texte existe depuis 1963 mais figurait
dans le code général des impôts.

Il impose, à peine de nullité, que les PUV portant sur un immeuble ou un commerce soient
constatés dans un acte authentique ou qu’ils fassent l’objet d’un enregistrement fiscal et ce dans un
délai de 10 jours (à compter de l’acceptation de la promesse par le bénéficiaire). La cession de ces
promesses est soumise au même formalisme (acte authentique ou enregistrement fiscal). Ce
formalisme répond à un objectif purement fiscal de lutte contre la fraude.

L’objectif était la lutte contre la fraude qui consistait à se faire consentir une promesse
unilatérale de vente pour le prix de 10. Le bénéficiaire de cette promesse cédait cette promesse
pour un prix de 10 officiellement mais en ajoutant 20 occultes. Ce faisant le fisc ne voyait que 10 et
non 30.

c. EFFETS DE LA PROMESSE UNILATERALE DE VENTE

Pendant toute la durée de la validité de la promesse, les parties se trouvent dans une situation
d’attente : attente de l’expiration du délai d’option, attente de la levée de l’option par le bénéficiaire.

19
§ LA SITUATION DU BENEFICIAIRE :

Ce bénéficiaire n’est tenu à aucune obligation.

Néanmoins, dans la mesure où le promettant lui rend un service en immobilisant son bien, il
est d’usage que le promettant lui fasse payer ce service en mettant à sa charge le paiement d’une
somme d’argent qui représente un pourcentage du prix de vente et qui pourra le cas échéant s’imputer
au prix de vente si le bénéficiaire décide de lever l’option (indemnité d’immobilisation).

Il ne s’agit pas d’un acompte car la vente n’est pas encore formée au moment du versement
de l’indemnité. Ce ne sont pas non plus des arrhes qui réservent le droit de se rétracter, elles
n’instituent pas une faculté de dédit puisque le bénéficiaire n’est tenu à rien, il ne peut donc se dédire
de rien.

Certains auteurs ont pris la qualification de clause pénale, ce qui n’a pas marché car la clause
pénale est une somme que l’on doit verser en conséquence de l’inexécution de l’obligation.
L’indemnité d’immobilisation est le prix de l’option, on paie le service rendu par le promettant.

Pour éviter les abus à l’égard des non professionnels, la loi pose à l’art. L272-2 du code de la
construction et de l’habitation une interdiction de stipuler des indemnités d’immobilisation pour les
promesses portant sur un immeuble bâti à usage d’habitation.

Ce qui caractérise sa situation est qu’il bénéficie d’une option. Il s’agit d’un droit octroyé dans
son seul intérêt, droit discrétionnaire, droit potestatif. Il peut en user à sa guise et sans motif. Il suffit
au bénéficiaire de lever l’option pour la vente soit immédiatement formée.

En pratique, les options sont toujours enfermées dans un délai. La levée de l’option hors délai
est nécessairement inefficace. Le PROBLEME est que les bénéficiaires des PUV hésitent et lèvent l’option
in extremis. Cette précipitation à la fin du délai d’option est parfois source de contentieux. Il est donc
utile de prévoir comment l’option doit s’exercer et à quel moment l’option est considérée comme
efficace.

Le bénéficiaire est dans une position très avantageuse puisqu’il bénéficie seulement d’un droit,
cette option qu’il est absolument libre de lever ou non selon son intérêt.

Cette option est un droit qui peut être transmis à un tiers par le biais d’une substitution. Cela
se rencontre fréquemment lorsque le bénéficiaire est une personne physique et il souhaite
transmettre le bénéfice à la société qu’il a constitué. Cette substitution n’est pas une cession de
créance. La substitution vient ajouter une partie au contrat mais n’emporte pas transfert de la créance
au nouveau contractant.

L’option est en pratique toujours enserrée dans un délai d’exercice. Dès lors, si le bénéficiaire
lève l’option dans le délai aucune formalité supplémentaire n’est nécessaire pour former la vente, sauf
à ce que les parties aient prévu que des formalités supplémentaires devront être accomplies. Si le
bénéficiaire laisse passer le délai sans lever l’option, la promesse est frappée de caducité et le
promettant est libéré.

Le sort de la promesse est entièrement entre les mains du bénéficiaire, la vente finale ne
dépend que du consentement du bénéficiaire.

20
§ LA SITUATION DU PROMETTANT :

Dans une PUV, le promettant donne son consentement définitif à la vente, il n’attend que la
levée d’option par le bénéficiaire.

La question posée est la sanction de l’inexécution de son engagement. On distingue 2 HYPOTHESES :

- Le bénéficiaire a valablement levé l’option dans le délai imparti à la suite de quoi le promettant
se rétracte, il ne veut plus vendre. Par construction, la vente a déjà été formée au moment de la
levée d’option. La rétractation du promettant est inefficace.

- Le promettant se rétracte avant l’expiration du délai pour opter et alors que le bénéficiaire n’a
pas encore opté. Le promettant peut exprimer sa rétractation au bénéficiaire ou directement
conclure une vente avec un tiers au mépris de sa promesse. Pour déterminer la sanction d’une
telle inexécution l’analyse de l’engagement du promettant est obligatoire.

La sanction a radicalement été modifiée par l’ordonnance de 2016.

AVANT LA REFORME, la JP a défini cette sanction. Une telle rétractation, quoique fautive,
empêchait toute formation de la vente, même si le bénéficiaire levait l’option.
Du fait de la rétractation du promettant, il ne pouvait y avoir aucune rencontre des volontés.
Selon cette JP, le bénéficiaire ne pouvait obtenir que des dommages et intérêts mais pas la conclusion
forcée de la vente (Civ 3ème, 15 décembre 1993 n°91-10.199, arrêt Consorts Cruz).

Les CRITIQUES DOCTRINALES étaient largement fondées parce que ces effets pratiques étaient
désastreux. Quelle valeur accordée à une promesse sur laquelle on peut revenir ? Cette JP ne tenait pas
compte de la nature de l’engagement du promettant, qui a déjà donné son consentement définitif à
la vente. Ce consentement ne peut normalement être rétracté.

La JP s’est obstinée dans sa solution, c’est LE LEGISLATEUR qui a fait évoluer la sanction de la
rétractation fautive de la PUV par le promettant.

La sanction est prévue aujourd’hui à l’art. 1124 al.2 Cciv « La révocation de la promesse
pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n'empêche pas la formation du contrat promis ».

Cette modification de la sanction a posé DIFFICULTE en termes de droit transitoire. Le droit des
contrats issu de la réforme ne s’applique qu’aux contrats conclus à compter du 1 octobre 2016 (art. 9
ordonnance 10 février 2016). Après le 1er octobre 2016, les sanctions sont celles de l’art. 1124 Cciv.

Dans un premier temps la Cour de cassation a refusé de s’aligner avec le nouveau régime. Elle
a jugé que pour les promesses conclu avant le 1 octobre 2016, la sanction d’une rétractation fautive
ne pouvait toujours pas être sanctionnée par la conclusion forcée de la vente (Civ 3ème, 6 décembre
2018 n°17-21.170).

Cette obstination avait pour effet de créer une distinction des régimes selon la date de la promesse.

La Cour de cassation a enfin opéré le REVIREMENT attendu dans Civ 3ème, 3 juin 2021, n°20-
12.353 dans lequel elle aligne sa position pour les contrats conclus antérieurement au 1 octobre 2016.
Désormais, pour toutes les promesses, quelle que soit leur date de conclusion, la rétractation du
promettant intervenu avant l’expiration du délai n’empêche pas la vente de se former. Le bénéficiaire
peut passer outre cette rétractation, il peut lever l’option et ainsi former la vente.

21
2. LA PROMESSE SYNALLAGMATIQUE DE VENTE

Les promesses synallagmatique de vente sont des compromis de vente.

Cette PSV est un consentement réciproque des parties : l’une s’engage à vendre un bien
déterminé ou déterminable et l’autre s’engage à acheter à un prix déterminé ou déterminable. Il n’y a
pas d’option ici.

On ne perçoit pas très bien ce qui permet de les DISTINGUER D’UNE VENTE PARFAITE. La vente est
un contrat consensuel, et aux termes de l’art. 1583 Cciv cette vente est parfaite dès lors que l’on a
convenu de la chose et du prix. Cette assimilation est renforcée par l’art. 1589 Cciv selon lequel « la
promesse de vente vaut vente lorsqu’il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et le
prix ».

Cette assimilation de l’avant contrat et du contrat cible, de la promesse et de la vente, est une
assimilation assez grossière et gênante dans la mesure où elle supprime du paysage juridique une
nuance contractuelle qui peut avoir son utilité. Cette assimilation aboutit à refuser que des parties
puissent s’accorder sur les éléments essentiels de la vente (chose et prix) tout en décidant que la vente
se formera ultérieurement par une réitération des consentements.

Le but recherché par tout contractant, tout agent économique, est d’avoir la possibilité de
s’engager sans s’engager définitivement et de conserver pour un temps au moins une certaine maîtrise
de la perfection de son engagement. Ce besoin est contrarié par l’art. 1589 Cciv même si la règle posée
(PSV vaut vente) doit être nuancée.

La règle de l’art. 1589 doit être nuancée par la pratique contractuelle qui est parvenue à le
contourner. En droit français, il existe des PSV qui ne valent pas vente. Il s’agit de conclure un avant-
contrat synallagmatique qui va préciser que la formation du contrat cible ne pourra résulter que de
l’accomplissement d’une formalité supplémentaire (ex : réitération des consentement sous forme
authentique).

Cette formalité supplémentaire formera une condition de validité de la vente. Si les parties ont
érigé cette condition au titre de validité du contrat alors si l’une des parties refuse de réitérer l’acte
devant notaire elle ne pourra y être contrainte par voie judiciaire. Cette réitération est constitutive de
la perfection de l’acte définitif de vente. Tout au plus la partie pourra être condamnée au versement
de dommages et intérêts.

A l’inverse, si le passage devant notaire n’a pas été essentialisé par les parties, dans ce cas en
vertu de l’art. 1589 la vente est parfaite dès la conclusion de la promesse, d’où l’intérêt pour les parties
de bien préciser dans leur contrat si elles entendent faire de la réitération des consentements par acte
authentique un élément constitutif de la vente.

Les avant-contrats sont des figures contractuelles tirés du droit commun et permet en matière
de vente d’encadrer tout le processus de formation de la vente dans le temps. Mais le droit de la vente
connaît d’autres mécanismes qui lui sont propres et qui permettent de la même façon d’encadrer une
formation progressive des consentements.

II. LA FORMATION PROGRESSIVE DU CONSENTEMENT A LA VENTE

Lorsque la vente porte sur des objets simples, l’échange des consentements est le plus souvent
immédiat. Lorsque les objets sont plus complexes ou des actifs de grande valeur, le processus devient

22
plus complexe ou lorsque le législateur vient protéger des personnes. Dans ces hypothèses, le droit
prévoit des mécanismes qui vont retarder l’efficacité du consentement en permettant à l’une des
parties (le plus souvent l’acheteur) de revenir sur son consentement.

A. LA VENTE CONDITIONNELLE

1. LA CONDITION SUSPENSIVE

La condition suspensive est définie à l’art. 1304 Cciv comme étant « un évènement futur et
incertain dont l’accomplissement rend l’obligation pure et simple ». Ex. vente d’un terrain conclu sous
la condition suspensive de l’obtention d’une autorisation de construire.

Lorsque la vente est conditionnée à une condition suspensive, sa réalisation est régie par la
réalisation de cette condition. Si cette condition défaille, la vente ne sera pas formée.

AVANT LA REFORME DE 2016, cette condition suspensive avait une caractéristique particulière,
elle rétroagissait au jour de la conclusion du contrat.
DEPUIS 2016, les parties peuvent décider de faire produire cet effet rétroactif.

La condition suspensive ne doit pas être potestative (art. 1304-2 Cciv) ! La condition dont la
réalisation dépend de la seule volonté du débiteur.

2. LES VENTES A L’ESSAI

La vente à l’essai est prévue à l’art. 1988 Cciv : « la vente faite à l’essai est toujours présumée
faite sous une condition suspensive. »

La condition suspensive est de trouver l’essai satisfaisant. Cette condition n’est pas
potestative, car la condition est l’essai. Cet essai peut être objectivement contrôlé, il peut faire l’objet
d’une appréciation objective.

Ex. On achète un cheval de course avec un beau pedigree mais les examens cliniques font ressortir des
faiblesses physiques chez le cheval. On conclut une vente à l’essai : si l’essai est concluant, on conclut
la vente.

La vente à l’essai doit être DISTINGUEE DE LA VENTE A LA DEGUSTATION prévue à l’art. 1587 Cciv : « Il
n’y a point de vente tant que l’acheteur ne les a pas goûté et agréer ». L’acheteur avant d’avoir goûté
à la chose n’a consenti à rien, la dégustation est préalable à toute vente. Cette vente à la dégustation
n’est pas une vente conditionnelle mais en une promesse unilatérale de vente. C’est une fois la chose
goûtée que le bénéficiaire lève l’option ou non.

B. LA VENTE AVEC FACULTE DE REPENTIR

Lorsque les consentements ont été régulièrement échangés, lorsqu’il y a eu accord sur la chose
et le prix, on est en présence d’une vente formée, c’est le principe de la force obligatoire du contrat.

Ce principe n’a pas une valeur absolue. Il existe une série d’hypothèses dans lesquelles les
parties disposeront d’une faculté de rétraction de leur consentement, une faculté de repentir. Cette
faculté peut avoir 2 SOURCES : SOURCE LEGALE OU SOURCE CONVENTIONNELLE.

23
Qu’elle soit légale ou conventionnelle, cette faculté de repentir demeure une exception. Ces
exceptions sont de plus en plus nombreuses.

Ces facultés sont le témoignage d’une prise en compte par le droit de cette formation
progressive du consentement à la vente. C’est aussi le signe d’un affaiblissement de la force obligatoire
du contrat.

1. LES FACULTES DE REPENTIR EN DROIT COMMUN DE LA VENTE

Cette faculté de repentir en droit commun de la vente prend 2 FORMES :


- La vente avec faculté de dédit (a) ;
- La vente avec faculté de rachat (b).

a. LES VENTES AVEC FACULTE DE DEDIT

La vente avec faculté de dédit est un mécanisme qui permet à son bénéficiaire de se dédier
de son engagement de façon discrétionnaire. Le Code civil prévoit expressément une faculté de dédit
à l’art. 1590 Cciv : « Si la promesse de vendre a été faite avec des arrhes chacun des contractants est
maître de s'en départir. Celui qui les a données, en les perdant, et celui qui les a reçues, en restituant le
double. ».

Cet article vise l’hypothèse d’une vente dans laquelle une somme d’argent a été versée,
somme qui aurait été qualifiée d’arrhes par les parties. Ce versement de somme d’argent emporte
pour les deux parties la faculté de se dédire du contrat :
- Soit en abandonnant les arrhes pour celui qui les a versées ;
- Soit en en restituant le double pour celui qui les a reçues.

Le particularisme de CE DEDIT EST DOUBLE ;


- C’est un dédit qui d’abord est réciproque (ouvert aux 2 parties).
- C’est un dédit qui est égalitaire (il coûtera la même somme à l’un ou l’autre des contractants).

Ex : Si le vendeur a reçu 50 au titre d’arrhes et qu’il entend se dédier, s’il ne restituait que les 50 cela
ne lui coûterait rien, c’est pourquoi il doit rendre le double (100).

Pour que la qualification d’arrhes soit retenue et s’applique, il faut non seulement qu’une
somme ait été versée, mais il faut encore que l’intention des parties ait été de considérer que cette
somme constituait des arrhes et non un simple acompte. C’est le mot « arrhes » qui déclenche la
qualification. Une somme non qualifiée d’arrhes sera généralement considérée comme un acompte
par le juge.

En matière de droit de la consommation, il est présumé que toute somme versée au vendeur
par l’acheteur constitue des arrhes (art. L214-1 C.Conso).

Si l’art. 1590 Cciv prévoit cette faculté de dédit, rien n’interdit aux parties de prévoir d’autres
sortes de dédit (principe de liberté contractuelle).
- Les parties peuvent contractuellement prévoir une clause de dédit unilatérale (qui ne bénéficie
qu’à une partie).
- Elles peuvent prévoir un dédit inégalitaire (qui coûte plus à une partie).

PEUVENT-ELLES PREVOIR UNE CLAUSE DE DEDIT GRATUIT, UN DEDIT SANS COUT ?

24
La Cour de cassation a admis dans un arrêt de la chambre commerciale du 30 octobre 2000
que « rien n’interdit qu’une partie s’engage envers une autres avec une faculté de dédit gratuit ».

b. LA VENTE AVEC FACULTE DE RACHAT

La vente avec faculté de rachat (autrefois « vente à réméré ») est envisagée à l’art. 1673 Cciv.
Il s’agit du contrat par lequel le vendeur se réserve la faculté de reprendre la chose moyennant la
restitution du prix principal et le remboursement de diverses sommes énumérées par l’article.

Cette vente avec faculté de rachat présente DIFFERENTS INTERETS PRATIQUES. Elle permet au
vendeur qui est en manque de trésorerie d’avoir de la trésorerie immédiatement tout en récupérant
son bien si sa situation devient meilleure. Pour l’acquéreur rien ne change.

POURQUOI NE PAS FAIRE UNE VENTE AVEC PROMESSE DE RETROCESSION ? Dans ce cas, il y a une double
mutation, chaque mutation fera l’objet d’une taxe, donc double taxe. La vente avec faculté de rachat
n’a qu’une mutation.

Cette technique plonge l’acquéreur dans une situation précaire. C’est pour éviter que cette
situation ne perdure trop longtemps que la loi a limité à 5 ans le délai maximum pour exercer cette
faculté de rachat. Si jamais le contrat prévoyait un délai supérieur l’art. 1660 Cciv prévoit que le délai
sera ramené à 5 ans.

2. LES FACULTES DE REPENTIR EN DROIT DE LA CONSOMMATION

Le droit de la consommation instaure des facultés de repentir pour les acquéreurs


consommateurs non-professionnels. Ceux-ci peuvent être poussés à la consommation, peuvent être
en proie à des achats impulsifs, achats qu’ils peuvent par la suite regretter.

Le droit permet de revenir sur son consentement après avoir recouvré son esprit. Ces facultés
de repentir sont NOMBREUSES EN DROIT DE LA CONSOMMATIN :

- Art. L.312-51 C.Conso : en cas de vente ou démarchage à domicile, l’acquéreur dispose d’un délai
de rétractation de 14 jours.

- Art. L.221-18 C.Conso : délai de 14 jours pour les contrats conclus à distance.

- Art. L.271-1 Code de la construction et de l’habitation : concerne l’acquisition d’un immeuble à


usage d’habitation, l’acquéreur non-professionnel dispose d’un délai de rétractation de 10 jours
après la lettre notifiant l’acte de vente ou promesse de vente. Cet art. pose également un délai
de réflexion de 10 jours avant la signature de l’acte authentique.

Ces délais de réflexion sont plus rares que les facultés de rétractation mais ils poursuivent au
fond le MEME OBJECTIF : mettre l’acquéreur non-professionnel en position de peser la portée exacte de
son engagement.

III. LES OBLIGATIONS PRECONTRACTUELLES D’INFORMATION

Que les parties à la vente soient tenues l’une envers l’autre d’une obligation d’information est
une idée qui ne va pas de soi.

25
Pendant longtemps cette obligation précontractuelle d’information était inconnue du droit
français. Le droit français était fidèle à l’adage « Emptor curiosus esse debet » (l’acheteur doit être
curieux). Il n’y avait pas lieu de fournir à l’autre partie de fournir des informations qu’elle ne réclamait
pas.

L’art. 1602 al.1 Cciv prévoit que « le vendeur est tenu d’expliquer clairement ce à quoi il
s’oblige ». Ce texte avait été pensé comme une simple directive d’interprétation du contrat.

Al. 2 énonçant que « tout pacte obscure ou ambigu s’interprète contre le vendeur ».

Cet article impose seulement que le vendeur donne une explication claire de la nature de
son obligation, la portée de son engagement. Il n’impose pas au vendeur de délivrer des éléments
sur la vente.

A L’ORIGINE EN 1804, il n’y avait pas d’obligation d’information véritable. Le droit français a
évolué pour s’adapter à la complexité de certaines choses vendues mais également pour prendre en
compte l’asymétrie d’information qui caractérise la relation professionnelle-consommateur.

Le législateur a multiplié des obligations spéciales d’information mises à la charge du vendeur


spécifiquement dans les relations professionnelle-non professionnel.

La JP a dégagé une obligation générale d’information mise à la charge des 2 parties et valable
dans tous les contrats. L’ordonnance de 2016 a réceptionné cette obligation d’information à l’art.
1112-1 Cciv.

A. DES OBLIGATIONS SPECIALES D’INFORMATION A LA CHARGE DU VENTE

Pour certains contrats de vente et pour protéger certains consommateurs, le législateur a


prévu une obligation spéciale d’information spécifique en listant les éléments qui doivent être
obligatoirement portés à la connaissance de l’acquéreur. C’est principalement en droit de la
consommation qu’on rencontre ces obligations spéciales d’information.

Ex :

- Art. L.111-1 C.Conso : institut dans le cadre d’une vente entre consommateur et professionnel
une obligation d’information sur plusieurs éléments précis et listés du contrat.

- Art. L.221-5 C.Conso : pour les contrats conclus à distance, on ajoute en plus des éléments listés
par l’art. L.111-1 C.Conso d’autres renseignements spécifiques.

Par ailleurs, le législateur prévoit parfois des obligations spéciales d’information qui ne sont
pas justifiés par la présence d’une partie faible du contrat qu’il faut protéger mais par la nature
particulière du bien vendu.

- Art. L.125-1 Code environnement : les acquéreurs de biens immobiliers situés dans des zones
sismiques ou à potentiel radon doivent être informés par le vendeur de l’existence de ces risques.

- Art. L.141-1 C.Com : met à la charge du cédant d’un fonds de commerce une obligation
d’information sur les principales caractéristiques de ce fonds.

26
B. UNE OBLIGATION GENERALE D’INFORMATION MISE A LA CHARGE DES DEUX PARTIES

§ LA SOURCE :

C’est une construction à l’origine jurisprudentielle réceptionnée à l’occasion de la réforme de


2016 et qui se trouve aujourd’hui à l’art. 1112-1 Cciv : obligation de donner une information
légitimement inconnue.

L’obligation générale d’information ne porte que sur les informations importantes, celles
déterminantes du consentement et légitimement ignorée par l’autre partie. Cela signifie que
l’obligation précontractuelle d’information va de pair avec un devoir de se renseigner soi-même.

§ L’ETENDUE :

L’art. 1112-1 al.2 Cciv précise que ce devoir d’information ne porte pas sur l’estimation de la
valeur de la prestation.

C’est la reprise pure et simple de la solution jurisprudentielle constante posée par Civ 1ère, 3
mai 2000, arrêt Baldus, n° 98-11.381. Cet arrêt exclut que l’acheteur a une obligation d’information à
l’égard du vendeur sur l’estimation du bien.

§ LA SANCTION :

La partie qui se dit victime d’un manquement à l’obligation précontractuelle d’information de


la part de son cocontractant pourra :
- Agir en réparation de son préjudice ;
- Ou demander la nullité du contrat à la condition que ce défaut d’information ait suscité chez elle
un vice du consentement.

SECTION II. LES CONDITIONS DE VALIDITE DE LA VENTE

Pour être valablement formée la vente doit remplir les conditions de validité de tout contrat
tel que posé par l’art. 1128 Cciv : consentement des parties, capacité des parties et un contenu licite
et certain.

On laisse tomber la condition de capacité des parties. La capacité requise pour vendre et
acheter est la capacité de droit commun, la capacité de disposer.

Des REGLES SPECIALES viennent parfois prescrire des incapacités ponctuelles. Ex :


- Art. 215 Cciv : en matière de régimes matrimoniaux, le logement du domicile familial peut
appartenir qu’à un époux il ne peut toutefois pas le vendre seul.
- Art. 1424 Cciv : en matière familiale, les actes les plus graves sont soumis à consentement
conjoint.

Certaines incapacités d’acquérir sont prévues pour prévenir les conflits d’intérêt.
Ex. Art. 1596 Cciv : le tuteur ne peut pas acquérir les biens qu’il est chargé d’administrer au nom et
pour le compte de la personne qu’il représente.
La même interdiction d’acquérir est prévu pour le mandataire chargé de vendre un bien.

27
I. LE CONSENTEMENT DES PARTIES

Le consentement des parties doit exister, pour cela les parties doivent être saine d’esprit (art.
1129 Cciv). Ce consentement pour être valable doit remplir certaines qualités. Il doit être libre et
éclairé.

A. UN CONSENTEMENT LIBRE

La liberté du consentement est un principe à valeur constitutionnelle (Conseil constitutionnel,


13 juin 2013, n° 2013-672).

La liberté contractuelle implique :


- DANS SA DIMENSION POSITIVE : la liberté de choisir son cocontractant et la liberté de déterminer le
contenu du contrat.
- DANS SA DIMENSION NEGATIVE : la liberté de ne pas consentir.

Cette liberté contractuelle trouve une traduction spécifique en droit de la vente à l’art. 1594
Cciv : « tout ceux auxquels la loi ne l’interdit pas peuvent acheter ou vendre ». Néanmoins, cette liberté
contractuelle connaît en droit de la vente PLUSIEURS TEMPERAMENTS qui se traduisent par des restrictions
à la liberté de vendre et des restrictions à la liberté de choisir son cocontractant.

1. LES RESTRICTIONS APPORTEES A LA LIBERTE DE VENDRE OU DE NE PAS VENDRE

a. LES LIMITES APPORTEES A LA LIBERTE DE VENDRE

La liberté de vendre peut être entravée, restreinte, si la chose que l’on souhaite vendre se
trouve frappée d’une inaliénabilité.

Ces inaliénabilités sont de 2 ORDRES :

§ IL PEUT S’AGIR D’UNE INALIENABILITE CONVENTIONNELLE :

Ces clauses d’inaliénabilité posent un problème de principe évident, car elles semblent
remettre en cause le droit de propriété dans un de ses éléments essentiels.

EST-ON VERITABLEMENT PROPRIETAIRE D’UNE CHOSE SI ON EST EMPECHE DE LA CEDER ? alors même que
cette cession est un moyen banale voire nécessaire pour extraire la valeur de cette chose. Il faut mettre
ces clauses d’inaliénabilité au regard de la propriété. C’est ce qui explique que la JP a toujours regarder
ces clauses avec défaveur.

Dans un arrêt Civ, 6 juin 1853, la Cour de cassation avait d’abord prohibé purement et
simplement ces clauses d’inaliénabilité, car contraire au droit fondamental de propriété.

PROGRESSIVEMENT, la Cour de cassation est venue admettre la validité de ces clauses


d’inaliénabilité dans un domaine très strict : les libéralités (donation avec charge) et sous de strictes
conditions (il fallait que cette clause d’inaliénabilité insérée dans une libéralité réponde à un intérêt
sérieux et légitime et limitée dans le temps). Le législateur en 1971 a réceptionné cette jp en insérant
l’art. 900-1 Cciv.

La Cour de cassation a procédé à une lecture amplifiante de cet article. Elle a étendu la validité
de ces clauses d’inaliénabilité aux actes à titre onéreux. Elle l’a fait dans Civ 1ère, 31 octobre 2007, n°

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05-14.238. Ainsi, sous réserve que la clause d’inaliénabilité réponde bien à ces conditions de validité,
le propriétaire du bien visé par la clause grevée d’inaliénabilité se verra empêcher la possibilité de
vendre ce bien.

§ IL PEUT S’AGIR D’UNE INALIENABILITE LEGALE :


Ces cas de figure sont rares. Ex. les biens appartenant au domaine public, biens classés monument
historique.

b. LES LIMITES APPORTEES A LA LIBERTE DE NE PAS VENDRE

En droit français, le principe reste celui du droit au refus de vendre son bien. Selon l’art. 545
Cciv « nul ne peut être contraint à céder sa propriété ».

Il y a pourtant 3 HYPOTHESES DANS LESQUELLES LE DROIT VA PERMETTRE UNE VENTE FORCEE DU BIEN :

- Expropriation pour cause d’utilité publique moyennant le versement par la puissance publique
d’une juste indemnité. Le Conseil constitutionnel, le 30 décembre 1982, n°82-150, valide
l’utilisation de ces expropriations.

- Procédure collective ouverte contre le débiteur : ce redressement ou liquidation peuvent aboutir


à la cession forcée de l’entreprise ou à une vente des actifs de l’entreprise (en cas de liquidation)
et ce dans le but d’en partager les bénéfices, partager le prix de vente, entre les créanciers.

- Saisie-vente : elle consiste à appréhender les biens d’un débiteur défaillant, à mettre en vente
ces biens et à distribuer le produit de cette vente entre les créanciers.

Il existe par ailleurs des cas de figure où le refus de vente s’avère illicite. C’est le cas lorsque
le refus de vente est fondé sur un motif discriminatoire, ce sont les droits fondamentaux de la personne
qui viennent entraver la liberté de ne pas vendre. La prohibition des discriminations doit en même
temps respecter le libre jeu de la concurrence et la liberté contractuelle.

C’est précisément pour prévenir cette discrimination, tout en maintenant cet équilibre avec la
liberté contractuelle et la concurrence, que le législateur a posé en matière de refus de vente 2 REGIMES
DISTINCTS :

- Régime pour la vente conclue entre professionnels : le refus de vente peut être sanctionné
civilement mais uniquement s’il est constitutif d’une pratique anti-concurrentielle.

- Régime pour la vente entre professionnels et consommateurs : le refus de vente constitue une
infraction pénale (art. L.121-11 C.Conso) sauf motif légitime (ex : indisponibilité de la chose,
rupture de stock).

2. LES RESTRICTIONS APPORTEES A LA LIBERTE DE CHOISIR SON COCONTRACTANT

En droit de la vente il existe principalement 2 MECANISMES qui viennent entraver cette liberté
de choisir son cocontractant :

- D’une part, les retraits et préemptions qui vont permettre à un tiers de se substituer à l’acquéreur
choisit par le vendeur.

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- D’autre part, les clauses d’exclusivité qui vont obliger le vendeur à vendre à une personne
déterminée et plus exceptionnellement obliger l’acheteur à acheter à une personne déterminée.

a. LES RETRAITS ET PREEMPTIONS

Les retraits et préemptions vont modifier le lien contractuel en évinçant une partie
(l’acheteur, celui qui avait vocation à acquérir) au profit d’un tiers qui acquerra à sa place.

Ils doivent être distinguées sur un plan théorique :


- La préemption à vocation à jouer avant la vente. Le vendeur a trouvé son acquéreur mais il faut
encore purger un droit de préemption.
- Le retrait opère une substitution de partie alors que la vente est déjà formée.

i. LES RETRAITS

Les retraits étaient très nombreux dans l’ancien droit. Aujourd’hui, ils sont très rares.

Le retrait litigieux, en matière de cession de créance, est un mécanisme très important et


purement français qui est prévu à l’art. 1699 Cciv. Ce qui est visé c’est l’hypothèse d’une cession de
créance litigieuse, la cession d’une créance dont le débiteur conteste judiciairement le bien fondé.
Cette créance fait l’objet d’une procédure.

Cette créance est cédée à un tiers, le créancier cède cette créance à un moindre coût.

Le retrait litigieux permet au débiteur cédé (celui qui conteste l’existence de la créance) de
racheter sa propre dette. Si le débiteur cédé exerce son droit de retrait litigieux, il réunit sur sa tête la
qualité de débiteur et de créancier, il y a donc confusion, donc extinction de la créance. Le débiteur
éteint immédiatement sa dette à moindre coût sans attendre l’issue d’un procès aléatoire.

D’autres retraits existent (ex : le droit qui appartient aux musées nationaux, l’État a le droit
d’évincer les adjudicataires).

ii. LES PREEMPTIONS

EN MATIERE IMMOBILIERE, il y a le droit de préemption urbain (art. L.213-1 et s. Code de


l’urbanisme) qui profite aux communes pour les ventes immobilière en zone habitée

EN DROIT RURAL, il y a une préemption des champs (art. L.143 et s. Code rural). Toute cession
d’intérêt agricole peut faire l’objet d’un droit de préemption de la part de société d’aménagement
foncier et d’établissement rural (SAFER).

Beaucoup de droits de préemption existent au profit du preneur à bail. Par exemple, l’art.
L.412-1 et s. du Code rural prévoit que le preneur à bail rural bénéficie d’un droit de préemption
lorsque son bailleur envisage de céder le bien.

Ce droit de préemption se retrouve également EN MATIERE DE DROIT D’HABITATION (art. 12 II de la


L. 6 juillet 1989). Lorsque le bailleur donne congé à son locataire pour vendre son bien alors ce dernier
bénéficie d’un droit de préemption.

En outre, il est toujours possible d’organiser contractuellement un droit de préemption (pacte


de préférence).

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b. LES CLAUSES D’EXCLUSIVITE

Cette clause d’exclusivité est utile et fréquente dans les contrats qui organisent et structurent
les réseaux de distribution.

L’exclusivité stipulée peut :


- Soit imposer à un cocontractant de se fournir exclusivement auprès d’un vendeur déterminé
(clause d’approvisionnement exclusif) ;
- Soit imposer à un contractant de vendre à un acheteur déterminé (clause de fourniture
exclusive).

Ces clauses d’exclusivité ont pour effet de restreindre le libre jeu de la concurrence, de
restreindre la liberté du commerce et de l’industrie de la partie débitrice de l’engagement d’exclusivité.
C’est pour cela que la clause d’exclusivité n’est valable que si elle est limitée dans le temps (art. L.330-
1 Com fixe une durée max de 10 ans).

B. UN CONSENTEMENT INTEGRE

Le consentement des parties doit être donné en toute connaissance de cause. L’intégrité du
consentent des parties à la vente s’analyse à travers les vices du consentement (art. 1130 Cciv : erreur,
dol et violence), vices du consentement qui sanctionnent par la nullité relative encadrée dans un délai
de 5 ans.

Cette nullité du consentement peut être parfois plus avantageuse que les actions en garanties
spécifiquement prévues dans le cadre de la vente.

La qualité de l’intégrité du consentement à la vente se trouve renforcé par tous ce qui a été vu
auparavant (délai de réflexion, obligation d’information).

II. LE CONTENU DU CONTRAT

L’art. 1126 Cciv pose la condition d’un contenu licite et certain.

Cette exigence renvoie à une DOUBLE EXIGENCE :

- D’UN POINT DE VUE SUBJECTIF, cela renvoie à la prohibition générale des contrats dont les
stipulations dérogent à l’OP (art. 1162 Cciv).

- D’UN POINT DE VUE OBJECTIF, cela renvoie à la nécessité que les prestations auxquelles s’engagent
les parties soient déterminées ou déterminables (art. 1163 Cciv).

Les art. 1582 et 1583 Cciv indiquent que la vente est le contrat par lequel l’un s’oblige à livrer
une chose et l’autre à en payer le prix. Ces deux prestations (la chose et le prix) sont les éléments
essentiels qui forment le contenu de tout contrat de vente.

A. LA CHOSE

La chose vendue doit répondre à un certain nombre de condition :


- La chose doit être aliénable (1) ;
- La chose doit être déterminée ou déterminable (2).

31
1. UNE CHOSE ALIENABLE

La vente ayant pour effet de transférer la propriété d’une chose d’un patrimoine à un autre, il
faut nécessairement que cette chose soit susceptible d’être aliénée. Cette condition d’une chose
susceptible d’être aliénée renvoie à 2 EXIGENCES :
- La chose doit exister (a) ;
- Le vendeur doit disposer des droits sur la chose (b).

a. L’EXISTENCE DE LA CHOSE

Dès lors que la chose est dans le commerce, et qu’elle n’est pas frappée d’une inaliénabilité,
la chose par principe peut faire l’objet d’une vente. Il peut s’agir de toute sorte de bien (bien corporel,
incorporel, simple, complexe, etc.).

L’art. 1598 Cciv rappelle cette règle de base « tout ce qui est dans le commerce peut être vendu
lorsque des lois particulières n’en ont pas prohibé l’aliénation ».
Les choses hors commerce sont tout ce qui renvoie à l’indisponibilité de la personne humaine
et de l’état civil, tout ce qui est constitutif de l’ordre politique.

La loi peut déclarer indisponible certains biens dont la personne est pourtant propriétaire (ex.
les objets contrefaits).

Ces hypothèses sont exceptionnelles car l’incessibilité est une négation de la patrimonialité, le
principe reste la libre cessibilité de toute chose. Encore faut-il que cette chose existe. Cette exigence
peut poser DIFFICULTE DANS 2 HYPOTHESES :
- La vente de la chose périe (détruite)
- La vente de la chose future

i. LA VENTE DE CHOSES PERIES

L’hypothèse visée est qu’une vente a été valablement conclue, seulement la chose a péri, c’est-
à-dire a été détruite, a disparu, au moment de la conclusion de la vente, car toute perte postérieure
de la chose sera de la responsabilité du vendeur. Si la chose a disparu au moment de la vente c’est
qu’elle n’existe plus, ce qui devrait en principe entraîner la nullité du contrat pour faute d’objet.

Il faut distinguer 2 SITUATIONS :

- L’acheteur avait été correctement informé des risques de perte de la chose (ex. la chose achetée
allait être acheminée par voie maritime) : dans ce cas on considère le contrat valable car il est
devenu un contrat aléatoire (dont les avantages et les pertes de chaque partie dépendra d’un
évènement incertain : art. 1108 Cciv). La perte de la chose en est donc pour l’acheteur.

- L’acheteur n’était pas informé de ces risques : selon l’art. 1601 Cciv :
• Si la perte de la chose est totale la vente est nulle ;
• Si la perte est partielle l’acquéreur dispose d’une option : demander la nullité de la vente
ou conserver ce qu’il reste de la chose en réclamant une réduction du prix de vente

ii. LA VENTE DE CHOSES FUTURES

Conformément au droit commun des contrats, qui accepte que la prestation puisse avoir un
objet futur (art. 1163 Cciv), la vente peut porter sur une chose future.

32
Ce qu’on transfère dans une vente n’est pas la chose matérielle mais un droit réel sur la
chose. Ce droit réel sur la chose passe par un patrimoine à un autre par le seul effet de la loi.

Il est donc possible de vendre un droit futur, vendre une chose future. La chose future par
définition n’existe pas, pas encore, mais l’existence prochaine de la chose est envisagée par les parties
comme certaine, ou hautement probable.

Si les parties considèrent avec certitude que la chose viendra à exister dans le futur, la vente
conclue est un contrat commutatif par lequel le vendeur s’engage à faire que la chose existera. Dans
ce cas de figure, le prix sera payé au jour de l’apparition de la chose dans le patrimoine du vendeur.

Si les parties considèrent que l’existence de la chose future est incertaine, le contrat est alors
aléatoire, l’acheteur doit payer le prix en tout état de cause même si la chose devait ne jamais exister.
Ex :
- Vente au coup de filet : acheter le coup de filet du pêcheur, on paie le prix même si le filet n’a
pas apporté de poisson.
- Vente d’une récolte sur pied : on ne sait pas si la récolte sera bonne.

b. LA TITULARITE DES DROITS SUR LA CHOSE

Le vendeur doit nécessairement être le propriétaire de la chose, ou au moins vocation à l’être


pour une chose future. Il ne saurait vendre la chose d’autrui.

2 HYPOTHESES :
- La fraude ;
- Le vendeur croyait être propriétaire mais perd cette qualité rétroactivement.

Le sort de cette vente d’une chose d’autrui est réglée par l’art. 1599 Cciv : « la vente de la
chose d’autrui est nulle, elle peut donner lieu à des dommages-intérêts lorsque l’acheteur a ignoré que
la chose fût à autrui. ».

La vente oblige le vendeur à transférer le droit de propriété à l’acheteur, hors « Nemo plus juris
ad alium transferre potest quam ipse habet » : Nul ne peut transférer plus de droit qu’il n’en a lui-
même.

La JP a constamment jugé que cette nullité de la vente de la chose d’autrui était une nullité
relative offerte qu’à l’acheteur. La doctrine cherche encore le fondement de cette solution.
Puisque c’est une nullité relative, le tiers véritable propriétaire du bien vendu, ne dispose pas
de la faculté d’agir en nullité. Cette sanction de la nullité relative est peu protectrice du véritable
propriétaire. Le but de cette nullité est de simplifier, clarifier, la situation de l’acheteur qui est une
situation ambiguë, inconfortable.

Si l’acheteur estime que les droits de son vendeur sont contestables alors l’art. 1599 Cciv lui
donne la possibilité de sortir de cet inconfort et de demander la nullité de la vente.
Ex : en matière d’indivision on ne sait pas qu’il y a indivision, l’indivisaire vend la chose, il n’a pas le
pouvoir de vendre plus que sa quote-part, cette vente pourra être annulée à la demande de l’acheteur.

Le véritable propriétaire ne peut agir en nullité, mais il pourra agir en revendication. Cette
action en revendication peut se heurter à l’art. 2276 Cciv (en fait de meuble la possession vaut titre)
qui protège le possesseur de bonne foi.

33
Le droit français privilégie l’apparence et ne confère pas une protection maximale au véritable
propriétaire.

2. UNE CHOSE DETERMINEE OU DETERMINABLE

L’exigence de détermination répond à l’exigence posée à l’art. 1163 Cciv. Dans tous les
contrats, la prestation doit être déterminée ou déterminable. En matière de vente, la chose peut être
valablement désignée selon TROIS MODALITES :

§ LA CHOSE EST UN CORPS CERTAIN PRECISEMENT IDENTIFIE

Elle est donc précisément déterminée par les parties dans le contrat. Les parties savent
précisément quelle est la chose vendue. Ex : j’achète sept immeubles.

§ LA CHOSE PEUT ETRE DETERMINEE ABSTRAITEMENT DANS LE CONTRAT

Ici, dans ce cas de figure, la chose ne sera déterminée qu’en référence à son genre. Cette
détermination ne renvoie pas encore à la réalité tangible, à la chose concrète. Le transfert de
propriété opèrera au moment où la chose existera.

Ce mode de détermination vaut pour les choses mobilières, mais peut valoir plus rarement
pour les choses immobilières.
Ex : pour la vente d’une surface, la chose n’est pas concrètement déterminée.

Cette méthode abstraite suppose obligatoirement que l’espèce et la quantité soit fixée. Il faut
savoir quel genre de choses j’achète et de quelle étendue.

Si on ne dit rien sur la qualité de cette chose, la question est réglée par l’art. 1166 Cciv :
« Lorsque la qualité de la prestation n'est pas déterminée ou déterminable en vertu du contrat, le
débiteur doit offrir une prestation de qualité conforme aux attentes légitimes des parties en
considération de sa nature, des usages et du montant de la contrepartie. »

§ LA CHOSE PEUT ETRE DANS LE CONTRAT SIMPLEMENT DETERMINABLE

Les parties peuvent définir des critères de détermination de la chose. Il faut, et il suffit, que
ces critères doivent objectifs d’une part, et fonctionnels d’autre part. Cette modalité se rencontre
dans deux formes de vente particulières relatives aux choses de genre, qui sont la vente à la mesure
et la vente en bloc.

- LA VENTE A LA MESURE est visée par l’art. 1585 Cciv. La chose de genre est déterminée (ex : du
blé, du carburant). Ce qui n’est pas encore déterminée est la quantité de la chose vendue.

• Il y a plusieurs types de mesures envisageables (ex : unité de poids, unité de volume,


unité matérielle).

• Dans la vente à la mesure, le genre et la quotité de la chose sont connues. Il restera


à individualiser la chose, et c’est à ce moment que le transfert de propriété se fera.

- LA VENTE EN BLOC est prévue à l’art. 1586 Cciv. Dans cette vente, les parties vont envisager la
vente d’un ensemble de choses, sans se référer à la mesure, mais au lieu où se trouvent ces
choses vendues. Ex : le hangar dans lequel se trouve le blé.

34
• Le transfert de propriété, ainsi que le transfert des risques, se feront lorsque le bloc
sera déterminé par les parties, c’est-à-dire dès la rencontre des volontés.

• Dans cette vente, on effectuera des mesures mais uniquement pour déterminer le
prix et pas déterminer ce qui est vendu, puisque ce qui est vendu est le bloc en tant
que bloc, en tant que corps certain.

B. LE PRIX

TROIS TRAITS FONDAMENTAUX :


- Le prix doit être déterminé ou déterminable (1) ;
- Le prix doit être réel et sérieux (2) ;
- Le prix doit être librement déterminé par les parties (3).

1. UN PRIX DETERMINE OU DETERMINABLE

Aux termes de l’art. 1591 Cciv, le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties.
Il faut donc que ce prix soit fixé par les parties dès l’échange des consentements.

Pour autant, cet article ne doit pas être interprété littéralement. Il n’est pas exigé en effet que
le prix soit déterminé : il suffit que ce prix soit déterminable. Cette lecture de l’article est confirmée
par l’art. 1592 Cciv qui autorise qu’un tiers désigné par les parties puisse déterminer le prix.

Quoiqu’il en soit, au moment où le prix devient exigible, il faut que le prix soit précisément déterminé.

S’AGISSANT DE LA DETERMINATION DU PRIX, DEUX HYPOTHESES :


- Un prix a été nominalement déterminé (ex. 100 euros), mais les parties conviennent que ce prix
pourra varier (a) ;
- Les parties n’ont fixé que des critères de détermination du prix (b).

a. LES VARIATIONS DU PRIX NOMINAL

Ex : j’achète un micro 100 euros. Vais-je payer 100 euros ? On peut être amené à payer éventuellement
des intérêts de retard, ou la TVA. Ce surcoût n’enlève rien au caractère déterminé du prix ; ce sont
seulement des accessoires. Le prix nominal est resté à 100 euros.

En revanche, il est possible par diverses techniques de faire varier ce prix nominal. A cet effet,
DEUX TECHNIQUES sont fréquemment utilisées dans les contrats de vente :

§ LES CLAUSES D’INDEXATION

Les parties peuvent prévoir un prix nominal de base, en prévoyant que ce prix variera en
fonction d’un indice. C’est ce à quoi précisément pourvoi la clause d’indexation.

Cette clause peut répondre à DEUX OBJECTIFS :


- Elle peut être stipulée pour lutter contre l’érosion monétaire.
- Elle peut être convenue afin de répercuter l’évolution des coûts de l’acheteur si celui-ci a besoin
lui-même d’acheter pour vendre ou de fabriquer pour vendre.

Ex : un contrat de fourniture de longue durée. Le fournisseur devra au fur et à mesure lui-même


acquérir ou produire les biens qu’il vend. Si ces coûts d’acquisition ou de production venaient à

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augmenter, il faudra que cette augmentation des coûts soit répercutée sur l’acheteur. Cet emploi-là
de la clause d’indexation n’est pas gênant dans ce cas.

La lutte contre l’érosion monétaire se heurte un problème. Ces clauses d’indexation aboutissent à
neutraliser une politique de dévalorisation monétaire qui aurait été décidée par la puissance
publique. L’UE peut souhaiter que la valeur de sa monnaie diminue, pour alléger le poids de sa dette.
Plus généralement, l’inflation est considérée comme un instrument de politique disponible.

Or, si les particuliers se mettent à prévoir des clauses d’indexation pour se préserver contre ces
politiques monétaires, ils sont à même de porter atteinte à la politique économique des états,
aujourd’hui de l’UE.

QU’EN EST-IL DE LA VALIDITE DE CES CLAUSES ? En 1957, la Cour de cassation, dans un arrêt Guyot
du 27 juin 1957, a posé un principe de licéité absolu des clauses d’indexation. La réaction du pouvoir
politique ne s’est pas fait attendre.

Par une ordonnance du 30 décembre 1958, le législateur est venu renverser cette
jurisprudence Guyot. On en retrouve aujourd’hui les dispositions aux art. 112-1 et s. du Code
monétaire et financier qui prohibe par principe toute clause d’indexation automatique des prix. Cet
article prévoit néanmoins des réserves, des exceptions.

Parmi ces exceptions, l’une d’elles se déduit d’une lecture a contrario de l’art. 112-2 du même
code. Cet article dispose qu’est interdite l’indexation du prix sur les prix des biens, produits et services
n’ayant pas de relation directe avec l’objet de la convention ou avec l’activité de l’une des parties. A
contrario, est donc licite l’indice qui a un rapport soit par l’objet de la convention, soit avec l’activité
d’une des parties. Ex : un fournisseur pourra indexer le prix de sa farine sur l’évolution du court du blé.

Sous réserve que l’indice retenu par les parties ait un rapport avec l’objet de la convention ou
avec l’activité des parties, la clause d’indexation est licite et permet une variation du prix nominal dans
le temps.

§ LES CLAUSES DE COMPLEMENT OU DE DIMINUTION DU PRIX

Dans un contrat de vente, les parties peuvent convenir d’un prix déterminé et prévoir, qu’après
l’expiration d’un certain délai, ce prix nominal fixé sera rétroactivement révisé en fonction de ce que
la chose vendue aura révélé de sa valeur, en fonction de sa rentabilité, de son gain.

Ex. les loyers retirés de la chose achetée en vue d’être louée :


- Si la chose est rentable, le prix est vu à la hausse et l’acquéreur versera ce complément de prix.
- Si la rentabilité est médiocre, le prix sera diminué et l’acquéreur aura un remboursement partiel.

Cette clause est très fréquente dans les contrats de cessions de droits sociaux. La pratique l’appelle
« clause d’earn out ». Les contractants fixent un prix d’acquisition des parts sociales ou des actions
mais prévoient qu’il pourra être révisé en fonction de ce que sera la situation financière de la société.

b. UN PRIX SIMPLEMENT DETERMINABLE

Lorsque les parties n’ont pas déterminé de prix nominal, ce prix doit néanmoins être
déterminable pour que le contrat soit valable.

TROIS MODES DE DETERMINATION S’OUVRENT AUX PARTIES :

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§ Il s’agit de rendre le prix objectivement déterminable à partir de paramètres qui permettront sa
détermination au jour où il sera exigible.

La JP pose toutefois DEUX LIMITES IMPORTANTES :


- Il n’est pas possible de fixer une fourchette de prix ;
- Il n’est pas possible de se référer au prix de marché.

Mais la Cour de cassation a admis la détermination objective du prix en précisant seulement


que ces éléments n’ont pas nécessairement à être extérieur aux parties, mais doivent être soustraits
à l’arbitraire des parties. Les parties commettraient une faute, un abus, si elles usaient de leur pouvoir
pour influer ces paramètres.

§ Le prix, dans les contrats cadres, peut être fixé unilatéralement par une des parties.

Cette fixation est permise par l’art. 1164 Cciv. Celle-ci n’est pas discrétionnaire, et est toujours
susceptible d’abus. Elle est donc contrôlée par le juge.

§ Le prix déterminé par un tiers (dit « prix à dire d’expert »).

C’est une figure envisagée spécifiquement par l’art. 1592 Cciv. Ce tiers doit être désigné par
les parties elles-mêmes dans le contrat. Il n’y a pas de risque puisque ce tiers est désintéressé.

La décision de ce tiers s’imposera aux parties et ne pourra être remise en cause qu’en cas
d’erreur grossière. La simple erreur ne suffit pas.

Dans ces trois cas de figure, les parties s’exposent au risque qu’à la date d’exigibilité du prix,
ce prix ne puisse être déterminé (ex : en cas de carence du tiers). Dans ce cas, le juge n’a pas le
pouvoir de fixer lui-même le prix de vente. La détermination du prix reste une prérogative des
parties au contrat.

EN CAS DE NON-DETERMINATION DU PRIX A LA DATE D’EXIGIBILITE :


- Soit les parties s’accordent à nouveau sur un prix ;
- Soit elles ne s’accordent pas, et le contrat est nul faute de prix.

2. UN PRIX REEL ET SERIEUX

a. UN PRIX REEL

L’exigence d’un prix réel évoque la question de la sincérité du prix. Elle vise plus précisément
la question du prix fictif avec dessous de table. Ex : je vends cette chose 60, mais par acte séparé, je
stipule que vous me devrez 20 en complément.

Cette vente avec prix fictif n’est pas nulle. Seulement, seront appliqués à cette vente les règles
de la simulation. Si bien, les tiers (en l’occurrence le fisc) pourront se prévaloir selon leurs intérêts, soit
de l’acte apparent, soit de l’acte occulte (le complément).

b. UN PRIX SERIEUX

Cette exigence touche à la nature même du contrat de vente (synallagmatique, commutatif, à


titre onéreux…). Poser l’exigence d’un prix sérieux, c’est à contrario stigmatiser la vente à prix dérisoire

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qui est assimilée à des ventes sans prix. C’est l’absence de prix qui est stigmatisé à travers cette
exigence de prix sérieux.

Elle pose difficulté dans DEUX HYPOTHESES :

§ LA VENTE A PRIX DERISOIRE

Il n’est pas toujours évident de savoir à partir de quand on franchit le seuil du dérisoire. En
réalité, la question est redoutable, car même si on dispose de références objectives, cette valeur
objective n’est pas forcément une information pertinente du point de vue de l’analyse économique et
juridique.

En effet, dans une économie libérale, en principe la valeur d’une chose est éminemment
subjective. La valeur d’une chose est avant tout fonction de l’intérêt que lui porte son propriétaire et
de la valeur que lui porte celui qui souhaite l’acquérir. La valeur est avant tout une affaire de désir, est
empreinte de subjectivité, parfois même d’irrationalité.

Ex : j’achète une toute petite action qui va me permettre de devenir majoritaire dans une société. Pour
moi, la valeur est énorme car j’obtiens la majorité dans une société. Pour un investisseur lambda, il
s’agit juste d’une petite action.

C’est parce que les gens ne prêtent pas la même valeur aux choses que la création de richesse
peut opérer. Si on raisonne ainsi, il n’y a plus de place pour l’idée d’un prix dérisoire. Apprécier le
caractère dérisoire d’un prix requiert un minimum d’objectivité, où on comprend que même en droit
français, marcher par des concessions subjectives de la valeur, il faut pouvoir donner une valeur aux
choses. Le fait est que pour certains biens, une valeur objective peut être déterminée (ex : les choses
immobilières).

Quoi qu’il en soit, l’exigence d’un prix sérieux requiert de s’avoir pour chaque chose un ordre
de grandeur de référence. En sorte que le prix sera considéré comme dérisoire, non pas seulement
parce qu’il est très faible, mais parce qu’il est tellement faible qu’il sort de cet ordre de grandeur.
Autrement dit, le prix dérisoire est autre chose que le prix faible. C’est une affaire d’incohérence
objective, flagrante, manifeste, avec l’ordre de grandeur de référence de la chose. C’est un prix qui
dénature la valeur de la chose.

§ LA VENTE A PRIX SYMBOLIQUE

La vente à 1 euro symbolique est-elle valable en droit français ? A priori cette vente semble
consentie pour un prix dérisoire. Et pourtant, celle-ci n’encourt pas systématiquement la nullité. En
effet, elle peut constituer une donation déguisée qui sera requalifiée comme telle par la juge.

Cette vente est admise par la JP :

- Lorsqu’il apparait que la chose vendue est en réalité sans valeur. Ex : une entreprise grevée d’un
passif largement supérieur à l’actif.

- Lorsque l’achat de la chose expose l’acheteur à des coûts considérables. Ex : la vente d’un terrain
pollué dont l’acheteur procédera à sa dépollution. La doctrine parle de « biens à valeur
négative ».

Il ne s’agit là que d’exceptions car en cas de prix dérisoire, il y a absence de prix, ce qui implique la
nullité de la vente.

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Pendant longtemps, la JP avait sanctionné la vente à prix dérisoire par une nullité absolue qu’elle
fondait sur un élément essentiel du contrat. Progressivement, les différentes chambres de la Cour
de cassation se sont reportées vers la nullité relative. Seule la chambre commerciale sanctionnait
par la nullité absolue, puis a fini par rentrer dans le rang en faisant un revirement de JP (Cass. com.,
22 mars 2016).

3. UN PRIX LIBREMENT DETERMINE

Dans notre système, le prix ne fait l’objet d’aucune régulation. Il est donc, par voie de
conséquence, déterminé librement par les parties. Le prix est le résultat de l’offre et de la demande.
Notre droit français est tiraillé par cette philosophie libérale selon laquelle un prix librement convenu
est par définition un juste prix (« qui dit contractuel dit juste » - Fouillet).

Ce principe de libre détermination du prix se caractérise en droit français par une indifférence
de principe à l’égard de la lésion, avec quelques exceptions.

a. LE PRINCIPE D’INDIFFERENCE A L’EGARD DE LA LESION

L’art. 1168 Cciv est sans équivoque. Dans les contrats synallagmatiques, le défaut
d’équivalence des prestations n’est pas une cause de nullité du contrat, à moins que la loi n’en dispose
autrement.

Ce qu’on appelle la lésion n’est pas, en droit français, une cause de nullité du contrat, sauf
exceptions légales. La lésion ne produit d’effet que de manière exceptionnelle. Le principe est donc
celui d’une indifférence du droit français à l’égard de la lésion.

Ce principe est cohérent avec une appréciation subjective de la valeur, avec le principe de la
liberté contractuelle.

AVANT L’ADOPTION DU CODE CIVIL EN 1804, les canonistes avaient développé cette notion de
« juste prix ». Ces canonistes avaient prévu une sanction lorsque ce juste prix n’était pas respecté : la
rescision pour lésion. Ce juste prix contractuel s’est avéré peu propice aux échanges économiques.

EN 1804, s’est posée la question du maintien de cette lésion en droit français. Cette question
a reçu une réponse nette : la lésion ne sera plus une cause de nullité des contrats.

b. L’ACTION EN RESCISION POUR LESION DANS LES VENTES IMMOBILIERES

L’art. 1674 Cciv admet la rescision pour lésion dans les ventes immobilières lorsque la lésion
est de plus de 7/12ème.

Ex. un bien vaut 12 000 euros. Ce bien est vendu 4 000 euros. Le vendeur pourra dire qu’il est victime
d’une lésion. On soustrait les 7/12ème de la valeur du bien.

S’il apparait qu’il y a bien eu lésion a plus des 7/12ème, alors cette lésion emportera une sanction
particulière : la rescision pour lésion.

POURQUOI EN MATIERE IMMOBILIERE LE LEGISLATEUR A-T-IL ADMIS CETTE ACTION ALORS MEME QU’IL LA
REFUSE EN 1804 DANS LE CODE CIVIL ?
- Les immeubles sont des biens capitalistiques d’une importance particulière.

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- Les immeubles sont suffisamment rares, identifiés dans un marché, qu’il est aisé de recueillir les
éléments d’information permettant de valoriser ces biens de façon objective.

Pour autant, le droit français s’est entouré de multiples précautions tendant à limiter cette
action en rescision pour lésion en matière immobilière.

Ces précautions touchent aux CONDITIONS de l’action en rescision pour lésion.

- Le DOMAINE est étroit, strictement interprété par la jurisprudence.


• La lésion ne s’applique pas aux ventes ayant pris un caractère aléatoire. On dit que
l’aléa chasse la lésion.
• La lésion n’est pas applicable à la cession de titres sociaux d’une SCI qui serait
propriétaire d’un immeuble. Il s’agit là d’une vente mobilière portant sur des titres
sociaux portant sur un immeuble.

- Le DELAI est très court. Le vendeur doit agir dans les deux ans à compter de la vente. C’est un
délai qui n’est pas susceptible d’être suspendu.

- La PROCEDURE est lourde et fastidieuse. L’action ne sera recevable que si la lésion apparait
vraisemblable. Pour prouver la lésion, le vendeur devra recourir à trois experts. Ceux-ci
rendront un avis, et il faut que deux sur les trois caractérisent la lésion.

Les EFFETS de l’action vont offrir à l’acquéreur une option :

- Soit l’acquéreur restitue au vendeur la chose et ce dernier lui restitue réciproquement le prix :
il y a anéantissement rétroactif de la vente. Cela opère comme une nullité.

- Soit l’acquéreur conserve la chose et va racheter la lésion en payant au vendeur un supplément


de prix : ce supplément de prix est cependant calculé afin de laisser une petite marge
bénéficiaire à l’acquéreur, puisqu’il va être déduit de ce complément 1/10ème de la valeur
actuelle du bien.

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CHAPITRE III. LES EFFETS DE LA VENTE

Dès lors qu’elle a été formée, la vente emporte DEUX TYPES D’EFFETS :

§ LA VENTE EMPORTE UN EFFET LEGAL

C’est le transfert immédiat de la propriété de la chose dans le patrimoine de l’acquéreur.

Ce transfert opère solo consensu, c’est-à-dire par le seul échange des consentements, même
s’il peut être différé dans le temps (par la volonté des parties ou par la particularité de la chose).

L’opposabilité aux tiers de ce transfert se trouve soumise à des formalités comme c’est le
cas en matière immobilière. En matière immobilière, le transfert de propriété n’est rendu opposable
aux tiers qu’à compter de la publication de l’acte authentique constatant la vente.

La Cour de cassation l’a rappelé dans un arrêt Civ 3ème, 1er octobre 2020 :

- En l’espèce, une société vend un bien immeuble à un particulier et accorde à cet acheteur un
délai pour payer le prix. Un an plus tard, cet acquéreur devenu propriétaire de l’immeuble
consent une promesse synallagmatique de vente sous signature privée. Mais il refuse de
réitérer l’acte sous forme authentique, si bien que son cocontractant à la promesse l’assigne
en exécution forcée de la vente. Ce cocontractant prend soin de publier au fichier immobilier
son assignation en exécution forcée. Après cela, le vendeur initial (la société) assigne son
acquéreur afin de voir prononcer la résolution de la vente pour défaut de paiement du prix.

- La question posée était de savoir si le sous-acquéreur peut-il faire valoir la publication de son
assignation en exécution forcée de la vente pour faire obstacle à cette action en résolution
intentée par le vendeur initial ?

- La Cour de cassation le lui refuse et approuve les juges du fond d’avoir prononcée la résolution
de la vente au motif que la publication de l’assignation en réitération de la vente n’avait pas
eu pour effet de lui conférer des droits sur l’immeuble.

§ LA VENTE FAIT NAITRE DES OBLIGATIONS CONTRACTUELLES A CHARGE DE CHAQUE PARTIE.

SECTION I. LES OBLIGATIONS DU VENDEUR

I. L’OBLIGATION DE DELIVRANCE

Pour que l’acquéreur puisse jouir de toutes les utilités de la chose, il ne suffit pas qu’il jouisse
du titre de propriété, de la qualité de propriétaire, car le transfert de propriété n’est un transfert
qu’abstrait. Il faut donc encore que l’acheteur entre en possession de la chose, qu’il puisse
l’appréhender concrètement. C’est précisément à cette exigence que répond l’obligation de délivrance
mise à la charge du vendeur.

A. DEFINITION DE L’OBLIGATION DE DELIVRANCE

L’obligation de délivrance est réglementée aux art. 1604 et s. Cciv.

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L’art. 1604 Cciv dispose que la délivrance est le transport de la chose vendue en la puissance
et possession de l’acheteur. Dès lors que la chose a été vendue, le vendeur devient un détenteur
précaire de cette chose.

Il est précaire car il a l’obligation de mettre la chose à disposition immédiate de l’acquéreur


afin que ce dernier puisse en jouir pleinement en exerçant sur elle toutes les prérogatives attachées
au droit de propriété (usus, fructus, abusus).

B. LE CONTENU DE L’OBLIGATION DE DELIVRANCE

L’obligation de délivrance porte sur trois éléments :


- Sur la chose elle-même (1) ;
- Sur les accessoires de la chose (2) ;
- Sur les informations de la chose (3).

1. LA CHOSE

Les parties s’étant entendues sur la chose objet de la vente, le vendeur doit délivrer à
l’acheteur une chose conforme à ce qui a été stipulé, à l’intention des parties. Cette conformité est
une conformité matérielle (a) et non plus une conformité fonctionnelle (b).

a. L’EXIGENCE D’UNE CONFORMITE MATERIELLE

Cette obligation de délivrance dont le vendeur est débiteur à l’égard de l’acheteur, il faut
l’entendre comme une exigence de conformité matérielle avec ce qui a été convenu. Cela revient à
dire que le vendeur ne peut valablement se libérer de cette obligation en remettant à l’acheteur une
chose d’une autre nature que ce qui a été contractuellement déterminé.

La DIFFICULTE surgit lorsqu’il y a bien identité de nature et même de genre, mais il y a une
différence qualitative ou quantitative.

- LA DIFFERENCE QUANTITATIVE est prévue par l’art. 1616 Cciv qui dispose que le vendeur est tenu de
délivrer la contenance telle qu’elle est portée au contrat.
• En matière mobilière, la différence quantitative peut se retrouver lorsque la vente de
marchandise s’est faite à partir d’un catalogue, d’un site internet marchand.
• En matière immobilière, ce sont les art. 1617 à 1623 Cciv qui prévoient des régimes
différents relativement à la contenance des choses selon les types de vente.

- LA DIFFERENCE QUALITATIVE entre la chose livrée et la chose convenue est envisagée aux art. 1666
et s. Cciv. Il s’agit ici de comparer les qualités de la chose sur lesquelles les parties s’étaient
effectivement entendues et les qualités de la chose effectivement livrées.

Comment s’apprécie cette différence qualitative ?


• Soit les parties ont précisément déterminé les qualités de la chose dans le contrat et la
comparaison s’effectuera en fonction de ces qualifications.
• Soit les parties n’ont rien prévu, et dans ce cas on va comparer la chose concrète avec
un standard abstrait.

La conformité reçoit en droit français une acception matérielle. La seule question à se poser
est si la chose livrée répond, en termes d’identité, de quantité et de qualité, à la chose déterminée
par les parties dans le contrat.

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b. LE REJET DE LA CONFORMITE FONCTIONNELLE

En JP, la question s’est posée de savoir si cette conception matérielle de la conformité pouvait
être complétée par une conception fonctionnelle. Doit-elle également s’entendre par la finalité de la
chose ?

A priori, cette conformité au but recherché ne relève pas strictement de la délivrance mais de
la garantie des vices cachés. Celle-ci est prévue par l’art. 1641 Cciv.

Pourquoi vouloir agir sur le fondement de l’obligation de délivrance si l’acquéreur dispose de


cette garantie des vices cachés ?

A L’ORIGINE, ET JUSQU’EN 2005, la JP enserrait la garantie des vices cachées dans un bref délai à
compter de l’apparition des vices (art. 1648 Cciv jusqu’en 2005). Par conséquent, si la chose
fonctionnait mal mais que l’acquéreur manquait d’agir dans ce bref délai, il se retrouvait sans action.
C’est cette situation qui est apparue choquante, inéquitable. Pour ce faire, il suffisait d’adopter une
conception fonctionnelle de la conformité.

DANS UN PREMIER TEMPS, la Cour de cassation a accepté cette conception fonctionnelle (Civ 1ère,
20 mars 1989) : « l'obligation de délivrance ne consiste pas seulement à livrer ce qui a été convenu,
mais à mettre à la disposition de l'acquéreur une chose qui corresponde en tous points au but par lui
recherché ».

Cette approche n’était néanmoins pas retenue par la Civ. 3ème qui restait attachée à l’approche
matérielle de la conformité. Cette conception extensive de cette obligation de délivrance qui implique
la finalité de la chose était certes verbalement tenable, mais elle vidait la garantie des vices cachées
de sa substance.

La Civ. 1ère est alors revenue à l’unique conception matérielle (Civ 1ère, 8 décembre 1993). Dans
cet arrêt, la Cour de cassation a retenu que le défaut de conformité de la chose vendue à sa destination
finale constituait un vice caché qui ne relève pas de l’obligation de délivrance.

En somme, l’action en délivrance conforme ne couvre plus que la seule hypothèse de la


chose qui ne répond pas à ce qui a été contractuellement prévu.

Ex : j’achète une maison individuelle, et après la vente je me rends compte qu’elle n’est pas reliée
au réseau public d’assainissement. S’il a été stipulé dans le contrat que la maison était raccordée,
alors c’est sur le fondement de l’obligation de délivrance qu’on agit. Si rien n’a été stipulé, l’action
en garantie des vices cachées peut-elle être portée ?

2. LES ACCESSOIRES DE LA CHOSE

L’art. 1615 Cciv précise que l’obligation de délivrer la chose comprend ses accessoires. Il s’agit
là d’une déclinaison concrète selon laquelle l’accessoire suit le principal (accessorium sequitur
principale).

Il peut s’agir :
- D’accessoires matériels. Ex : une roue de secours.
- D’accessoires juridiques (ex : documents administratifs

43
Pour que la qualification d’accessoires soit retenue, la jurisprudence exige que l’élément en
question soit nécessaire à l’utilisation de la chose.

Cass. com., 17 février 2021 :

• En l’espèce, il s’agit d’une vente de bateaux. Le moteur avait dû être adapté par le vendeur
pour en réduire la puissance. Ce moteur devait encore faire l’objet de travaux après la vente.
Celui-ci avait été essayé par un professionnel qui avait dressé un procès-verbal d’essai sur
vente. Le vendeur n’a pas transmis ce PV à l’acquéreur.

• Les juges du fond ont alors considéré que le vendeur avait manqué à son obligation de
délivrance en ne remettant pas un accessoire.

• La Cour de cassation censure cette décision, car elle estime que pour constituer un
accessoire, le document ne doit pas être seulement de nature à informer l’acquéreur sur les
qualités de la chose mais il doit être indispensable à l’utilisation normale de la chose.

3. L’INFORMATION SUR LA CHOSE

L’obligation d’information existe au stade précontractuel mais se prolonge au cours de


l’exécution du contrat sur le fondement de l’obligation de délivrance. Il s’agit pour le vendeur de
renseigné l’acquéreur sur le bon usage de la chose, son utilisation correcte.

C. MODALITES D’EXECUTION

Il s’agit de voir comment le vendeur peut se libérer de son obligation de délivrance.

1. ACTES DE DELIVRANCE

Ces actes de délivrance peuvent être de tout ordre :

- Pour un immeuble, il s’agira de la remise du titre de propriété ainsi que des moyens d’accès à cet
immeuble.
- Pour un meuble corporel, la délivrance passera par la remise effective de la chose, en tout cas par
un accès rendu possible de cette chose.
- Pour un meuble incorporel, il s’agira de donner à l’acheteur un titre de propriété.

Il s’agit donc de toutes les diligences nécessaires pour que l’acquéreur puisse jouir pleinement
de la chose.

2. LIEU DE DELIVRANCE

Le lieu de délivrance est en principe le lieu où se trouve la chose au jour de la vente. Cette règle
est posée à l’art. 1609 Cciv. Elle n’est que supplétive de volonté, en sorte qu’il est tout à fait possible
aux parties d’y déroger et de prévoir une livraison.

3. DATE DE DELIVRANCE

La délivrance de la chose est exigible immédiatement à compter de la conclusion du contrat.


Elle nait au moment de l’échange des consentements. La jurisprudence admet néanmoins un délai
raisonnable en raison du type de chose, de la complexité de la chose.

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D. SANCTIONS DE L’INEXECUTION

L’action fondée sur l’inexécution du vendeur doit être exercée par l’acheteur dans le délai de
prescription de droit commun (5 ans).

Il s’agit de toutes les sanctions possibles de l’inexécution en droit des contrats : exécution
forcée, résolution pour inexécution, responsabilité contractuelle, et le cas échéant, réduction du prix,
voire exception d’inexécution (art. 712 Cciv, passé dans le droit commun des contrats à raison de la
réforme de 2016).

II. LES GARANTIES

L’art. 1625 Cciv dispose que « La garantie que le vendeur doit à l'acquéreur a deux objets : le
premier est la possession paisible de la chose vendue ; le second, les défauts cachés de cette chose ou
les vices rédhibitoires ».

C’est un régime de garantie qui est institué, et non un régime de responsabilité. La nuance a
toute son importance, car les garanties renvoient à une idée d’automaticité que ne connaît pas la
responsabilité civile.

En effet, l’art. 1625 exprime cette idée que le vendeur doit couvrir les dommages du seul fait
que ceux-ci aient été subi par l’acheteur. Si on résonnait en termes de responsabilité, le vendeur ne
devrait répondre de ces dommages que s’il était avéré que ceux-ci lui étaient imputables. Avec ce
système de garantie, le vendeur en répondra automatiquement, par le seul effet de la loi, par sa seule
qualité de vendeur.

Au fond, on peut dire que la garantie due par le vendeur emprunte davantage au régime des
sûretés qu’au régime de la responsabilité. Cette garantie due par le vendeur concerne DEUX DOMAINES :
- D’une part, la possession paisible de la chose vendue, ce qui renvoie à la garantie d’éviction (A).
- D’autre part, les vices rédhibitoires qui eux renvoient à la garantie des vices cachés (B).

Il faudra évoquer une TROISIEME GARANTIE qui ne s’applique elle qu’aux contrats de
consommation : la garantie de conformité.

A. LA GARANTIE D’EVICTION

L’idée générale de cette garantie d’éviction est que le vendeur doit éviter que l’acquéreur ne
soit troublé dans la plénitude de sa propriété.

Il y a trois questions à poser sur ces troubles couverts par la garantie d’éviction :
- La question de la nature de ces troubles ;
- La question de l’amplitude de ces troubles ;
- La question des auteurs de ces troubles.

§ LA NATURE DES TROUBLES :

D’une part, il peut s’agir des troubles de droit. L’acheteur sera troublé dans sa propriété :
- Si un tiers élève une prétention juridique sur le bien,
- Si le tiers revendique un droit concurrent sur le bien,
- Si le tiers, en somme, menace d’évincer l’acheteur de sa pleine propriété.

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D’autre part, il peut s’agir de troubles de fait. L’acheteur sera troublé dans sa propriété par
des actes matériels qui perturberont concrètement la jouissance du bien par l’acheteur.

§ L’AMPLITUDE DES TROUBLES :

Ces troubles peuvent conduire à une éviction partielle ou totale de l’acquéreur :

- L’éviction sera TOTALE lorsque l’acquéreur se verra totalement privé de l’usage du bien.

- L’éviction ne sera que PARTIELLE lorsque l’acheteur subira seulement une diminution de l’usage
de la chose, lorsque seulement quelques prérogatives de propriété seront affectées. Ex. un
propriétaire voit une servitude de passage sur son terrain.

§ LES AUTEURS DE CES TROUBLES :

Ces troubles peuvent être faits de deux types de personnes : le vendeur lui-même ou un tiers.
A ces deux hypothèses répondent deux garanties spécifiques :

- La garantie du fait personnel par laquelle le vendeur s’engage à ne pas venir troubler, ni en droit,
ni en fait, la propriété qu’il a transférée.

- La garantie du fait du tiers par laquelle le vendeur s’engage à ce qu’aucune tiers ne vienne
remettre en cause le droit de propriété de l’acquéreur.

1. LA GARANTIE DU FAIT PERSONNEL

La garantie du fait personnel répond à une idée qui se conçoit presqu’intuitivement : « qui doit
garantir ne peut évincer ».

C’est parce qu’elle va de soi que le Code civil ne mentionne pas directement cette garantie du
fait personnel. En effet, il n’est fait allusion que dans une seul hypothèse : celle où le vendeur aurait
institué une clause de non-garantie du fait personnel. Cette seule mention indirecte se retrouve à l’art.
1628 Cciv.

Cette garantie du fait personnel couvre tant les troubles de fait que les troubles de droit.

a. LES TROUBLES DE FAIT

Le vendeur doit s’abstenir de commettre des faits qui viendraient troubler le propriété de
l’acquéreur. Les exemples jurisprudentiels se trouvent surtout dans les cas de ventes de choses
immatérielles.

A cet égard, l’exemple classique est la vente de fonds de commerce : le vendeur viendrait se
réinstaller à proximité du fonds qu’il a vendu. Par sa réinstallation, le vendeur va troubler l’acquéreur,
va parasiter sa jouissance du fonds en détournant sa clientèle.

Mais la garantie du fait personnel joue aussi dans le cadre de la cession de droits sociaux (parts
sociales et actions). Le cédant doit garantir le cessionnaire qu’il s’abstiendra de tout acte qui pourrait
le troubler dans la jouissance des parts et actions qu’il a acquises.

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Cass. Civ 1ère, 24 janvier 2006 :

- En l’espèce, deux médecins associés dans une SCP avaient signé une promesse
synallagmatique de cession dont l’un s’engagaient à vendre ses parts et l’autre s’engageait à
les acheter. Il était stipulé une clause de concurrence par laquelle le cédant s’interdisait
d’exercer pendant 5 ans une activité médicale dans une zone proche du cabinet médical du
cessionnaire. Le cédant a usé de manœuvres pour attirer à lui la clientèle de la société dont il
avait cessé les parts.

- En conséquence de quoi la CA a prononcé la résolution de la promesse aux torts du cédant.

- La Cour de cassation approuve la CA en relevant qu’en l’espèce, il avait été caractérisé par les
juges une violation de la garantie d’éviction due par le cédant. Cette violation était caractérisée
« tant envers la personne morale (SCP) qu’envers l’associé (le cessionnaire) ».

Cet arrêt suscite un certain nombre de CRITIQUES :

- En vertu des principes de l’effet relatif des contrats et de l’autonomie des personnes morales,
l’ancien associé est le créancier de la garantie d’éviction, mais il est contestable que la
personne morale qui n’a rien signé soit créancière de cette garantie d’éviction.

- Il s’agit d’une réinstallation « antérieurement » à la date de la clause de non-concurrence. N’y


avait-il pas une possibilité ici de condamner le cédant sur le fondement de la clause de non-
concurrence ? Pourquoi passer par la garantie d’éviction ?

- La 1ère chambre civile confère une portée particulièrement large à la garantie d’éviction. Par
comparaison, la chambre commerciale adopte une conception plus restrictive et donc plus
respectueuse de la liberté d’entreprendre. A plusieurs reprises, la Cour a jugé que la garantie
personnelle due par le cédant n’entraine pour ce dernier l’interdiction de se rétablir que si « ce
rétablissement est de nature à empêcher les acquéreurs de ces actions de poursuivre l’activité
économique de la société et de réaliser l’objet social » (Cass. com., 21 janv. 1997).

b. LES TROUBLES DE DROIT

Un cas emblématique de ces troubles de droit entrant dans le champ de la garantie du fait
personnel est le cas dans lequel le vendeur d’un bien immobilier est resté possesseur de la chose. Étant
possesseur, il entend faire valoir la possession acquisitive (usucapion).

La Cour de cassation a fait usage de cette garantie pour repousser le jeu de la prescription
acquisitive soulevée par le vendeur dans un arrêt du 30 juin 2021.
- En l’espèce, il était question d’un terrain dont le vendeur était resté en possession depuis plus
de 30 ans et il entendait faire jouer la prescription acquisitive.
- La Cour de cassation dit que ce ne peut pas jouer car le vendeur doit garantie à l’acheteur.

Un autre exemple célèbre a été donné par l’affaire de La Fréchange.


- En l’espèce, il s’agissait d’un mannequin célèbre qui contestait, depuis son licenciement, la
validité des contrats qu’elle avait conclu avec son employeur concernant l’exploitation des
marques faites à partir de son nom.
- Arrêt du 30 janv. 2006 : non recevable en une action tendant à l’éviction de l’acquéreur.

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2. LA GARANTIE DU FAIT DU TIERS

Cette garantie est d’une plus faible intensité. En effet, la garantie du fait du tiers ne comprend
pas les troubles de fait. Elle ne concerne donc que les troubles de droit, et encore, les seuls troubles
de droit qui auraient leur cause antérieurement à la vente.

L’éviction qui en résulte pour l’acquéreur peut être totale (ex. un tiers lève une hypothèque
sur le bien) ou partielle (ex. un tiers fait valoir une servitude de passage sur le terrain vendu).

a. LES CONDITIONS

Pour être invoquée avec succès, la garantie du fait du tiers requiert 4 CONDITIONS CUMULATIVES :

- Le droit du tiers doit exister antérieurement à la vente.

- L’acheteur doit ignorer le droit du tiers au jour de la vente. S’il apparait que l’acheteur avait
connaissance de ce droit du tiers, ou que ce droit du tiers était manifestement apparent, alors
l’acheteur sera considéré comme étant de mauvaise foi. Il ne pourra donc pas invoquer la
garantie du fait du tiers.

- Le trouble ne doit pas être imputable à l’acheteur. Ex. une prescription acquisitive invoquée par
un tiers ne sera pas couverte par la garantie du fait du tiers si l’acheteur n’a rien fait pour mettre
fin à cette prescription acquisitive.

- Le trouble doit être actuel. Il ne suffit pas d’un risque de trouble, d’un trouble éventuel.

Cette garantie est-elle aménageable contractuellement ?

Contrairement à la garantie personnelle qui est d’ordre public, la garantie du fait du tiers peut
faire l’objet d’un aménagement.

Toutefois, l’art. 1629 Cciv dispose que dans le cas d’une stipulation de non-garantie, le vendeur
reste tenu à la restitution du prix à moins que l’acquéreur ait connu les risques d’éviction ou qu’il ait
acheté à ses risques et périls.

La clause de vente aux risques et périls de l’acheteur ou la clause de risque d’éviction fait
que la vente devient aléatoire. C’est la raison pour laquelle la clause de non-garantie peut déployer
tous ses effets. Mais cela ne vaut que dans l’hypothèse où l’acquéreur a eu connaissance du risque et
a accepté ce risque.

En revanche, si la clause de non-garantie ne montre pas qu’il y a eu prise de risque volontaire


par l’acquéreur, l’art. 1629 dit que la clause est valable mais que le vendeur sera néanmoins de
restituer le prix.

En réalité, ce que cette clause permet de faire est de limiter la garantie à la restitution du prix
et d’exclure les éventuels DI pour la perte subie du fait de l’éviction. En somme, c’est une clause de
non-responsabilité.

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b. LES EFFETS

i. LA MISE EN ŒUVRE DE LA GARANTIE

Dès lors que les conditions de la garantie se trouvent réunies, celles-ci peuvent être mises en
œuvre de deux façons par l’acquéreur :
- Soit de façon incidente ;
- Soit de façon principale.

EN PREMIER LIEU, le vendeur peut être appelé en garantie par l’acheteur dans l’instance qui
oppose l’acheteur et le tiers. Le vendeur est alors obligé de répondre à cet appel en garantie et il devra
défendre lui-même les droits de l’acquéreur puisqu’en cas de succès du tiers, l’acquéreur exercera sur
lui un recours afin qu’il prenne en charge la réparation intégrale du préjudice subi. Ce mécanisme est
le mécanisme de la garantie incidente.

EN SECOND LIEU, l’acquéreur peut exercer une action en garantie contre le vendeur à titre
principal, c’est-à-dire indépendamment de tout procès avec le tiers :
- Soit parce que le tiers n’a pas encore fait valoir son droit en justice ;
- Soit parce que l’acquéreur n’avait pas appelé en garantie le vendeur dans son instance contre le
tiers et qu’il a été condamné. Dans ce cas de figure, on parle de garantie principale.

Mais dans cette dernière hypothèse, l’acquéreur s’expose à un risque : c’est le risque que le
vendeur fasse valoir contre l’acquéreur des moyens de défense que l’acquéreur a négligé, que
l’acquéreur aurait dû, aurait pu opposer au tiers, et qu’il n’a pas pensé à faire valoir. Mieux vaut donc
appeler en garantie le vendeur dans l’instance pour qu’il se débrouille avec ses moyens de défense.

Cette garantie à titre principal fait perdre beaucoup de temps. Mieux vaut tout concentrer
dans une action.

iii. LES SANCTIONS DE LA GARANTIE

Il convient de distinguer selon que l’éviction a été totale ou partielle.

EN CAS D’EVICTION TOTALE, l’art. 1630 Cciv prévoit que l’acquéreur peut prétendre :
- Au remboursement du prix du bien ;
- A l’indemnisation des fruits du bien lorsqu’il a été obligé de remettre ses fruits au tiers évincé ;
- A l’indemnisation des frais subis (notamment les frais de justice) ;
- Au versement de DI en réparation de tout préjudice résultant de l’éviction subi par l’acquéreur
(ex. préjudice de perte de chiffres d’affaires).

L’art. 1631 Cciv précise que si au jour de l’éviction la chose a perdu de sa valeur, du fait de la
négligence de l’acheteur ou du fait d’un cas de force majeure, le vendeur reste néanmoins tenu de
restituer la totalement du prix. Il n’en va autrement selon l’art. 1632 Cciv que si l’acquéreur a tiré profit
de la chose.

Si à l’inverse la valeur du bien a augmenté, alors le vendeur est tenu de restituer au tiers la
valeur de cette plus-value (art. 1633 Cciv) et il doit de surcroit l’indemniser de toutes les réparations,
toutes les améliorations que l’acquéreur aurait faites sur le bien (art. 1635 Cciv).

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Par ailleurs, si le vendeur a vendu le bien de mauvaise foi, c’est-à-dire en connaissance du
trouble, alors il devra rembourser à l’acquéreur toutes les dépenses sur le bien, qu’elles soient utiles
ou non (art. 1635 Cciv).

EN CAS D’EVICTION PARTIELLE, les art. 1636 et 1637 prévoient la résolution de la vente ou la
restitution du prix.

B. LA GARANTIE DES VICES CACHES

La garantie des vices cachés peut être regardée comme le prolongement de l’obligation de
délivrance. Une fois que la chose a été délivrée par le vendeur, le droit considère que l’acheteur doit
pouvoir l’utiliser conformément à son usage normal.

Il faut donc, pour entrer dans le champ de la garantie des vices cachés, que le vice stigmatisé
empêche la chose de produire son utilité normale, d’accomplir sa fonctionnalité ordinaire.

Cette garantie des vices cachés est régie par l’art. 1641 Cciv qui dispose que « le vendeur est
tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage
auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou
n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus. »

Cette garantie ne s’applique pas à certains biens particuliers, tels que les ventes faites sur
autorité de justice (art. 1649 Cciv). De même pour les ventes d’immeubles à construire pour les vices
de construction (art. 1642-1 Cciv).

1. LE REGIME LEGAL

a. LES CONDITIONS

La garantie des vices cachés requiert des conditions de fond tenant aux vices qui affectent la
chose, et des conditions procédurales tenant à l’exercice de l’action.

§ LES CONDITIONS TENANT AUX VICES DE LA CHOSE :

Une chose présente un vice lorsqu’elle est affectée d’un défaut. Ce vice sera généralement
facilement identifiable pour les biens corporels. Ex. un dysfonctionnement du freinage d’une voiture
ne peut être identifié qu’à l’usage de la voiture.

Mais il pourra être plus délicat de déceler ce vice dans un bien incorporel. Par ex., en matière
de cession, un lourd passé découvert après coup constitue-t-il un vice caché ?

Dans une espèce où il était question d’un passif fiscal qui avait été caché au cessionnaire, la
chambre commerciale a refusé de caractériser un vice caché (Cass. com., 23 janv. 1990). En effet, ce
passif fiscal n’empêchait pas la société de fonctionner, et donc n’empêchait pas la société de
poursuivre la réalisation de son objet social, d’où le développement des clauses de garantie de passif.

Pour que le vendeur en réponde sur le fondement de l’art. 1641, le vice doit présenter 4 CARACTERES :

- 1ER CARACTERE : Il faut que le vice prive l’acquéreur de tout ou partie de l’usage normal de la
chose. Chaque chose a un usage normalement attendu. Ex. une machine à laver est destinée à
laver le linge normalement. Si l’usage fait de la chose est extraordinaire, anormal, alors il n’y a

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pas de vice caché au sens de l’art. 1641. Lorsque le vice est un vice pertinent relié à l’usage normal
de la chose, encore faut-il qu’il soit rédhibitoire, qu’il soit tel que si l’acheteur avait eu
connaissance du vice, il n’aurait pas acquis la chose ou l’aurait acheté à un moindre prix.

Le vice rédhibitoire recouvre le même domaine que l’erreur déterminante du vice de


consentement, que ce soit l’erreur spontanée ou l’erreur provoquée. Cette identité des domaines
est susceptible de créer entre ces deux actions un conflit.

Quelle articulation de ces deux actions ? L’acquéreur a-t-il le choix de l’action ? Ces actions sont-elles
cumulatives ou alternatives ?

Cette question n’est pas anecdotique car il peut être préférable de se placer sur le terrain
des vices du consentement qui offre un délai de prescription plus long (5 ans).

A PROPOS DE L’ERREUR, dans un arrêt du 14 mai 1995, la Cour de cassation a, pour le première fois,
refusé le cumul des actions. C’est un revirement de jurisprudence. Lorsque l’action exercée par
l’acheteur vise un défaut de la chose rendant cette chose impropre à son usage, à sa destination
normale, la garantie des vices cachés constitue « l’unique fondement possible de l’action exercée ».

A PROPOS DU DOL, la Cour de cassation admet le cumul des actions. Dans un arrêt du 6 nov. 2002, la
Cour de cassation a admis que « l’action en garantie des vices cachés n’est pas exclusive de l’action
en vice pour dol ».

Dans un arrêt rendu le 23 sept. 2020, la Cour a réitéré cette position en l’appliquant ici dans l’action
en responsabilité.

La victime a donc le choix selon son intérêt. Cet admission du cumul tient au fait que le dol est un
vice du consentement plus grave que l’erreur.

- 2EME CARACTERE : Le vice doit être inhérent à la chose. La chose ne doit pas pouvoir, à cause du
vice, déployer d’utilité qu’elle est censée produire par elle-même. Ce vice s’apprécie
intrinsèquement par rapport à l’usage normal de la chose. Le vendeur garantie l’utilité objective
et intrinsèque de la chose.

- 3EME CARACTERE : Le vice doit être caché, c’est-à-dire non apparent. Le caractère non apparent du
vice s’apprécie in abstracto en référence au standard de la personne raisonnable. On se réfère à
ce qu’un acquéreur de même qualité, placé dans le même contexte, aurait dû voir ou n’aurait
pas pu voir.

Mais ce caractère apparent ou non apparent du vice ne s’apprécie pas uniquement dans sa
manifestation ostensible. Ce n’est pas parce qu’un vice est visible qu’il est nécessairement un
vice apparent. La JP considère en effet que le vice, pour rentrer dans le champ de l’art. 1641 Cciv,
doit être caché dans sa cause et dans son amplitude. Si le défait était apparent, mais que les
conséquences de ce défaut ne pouvaient pas être suspectées par l’acheteur, si l’ampleur de ce
défaut n’était pas décelable par l’acheteur, alors il y aura tout de même vice caché.

- 4EME CARACTERE : Le vice doit être antérieur à la vente. Le vendeur ne garantit par les défauts qui
trouveraient leur origine postérieurement à la vente. Cette condition d’antériorité du vice peut
susciter d’ordre probatoire, mais ces difficultés ne sont pas insurmontables en cas de recours à
l’expertise.

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§ LES CONDITIONS QUI TIENNENT A L’EXERCICE DE L’ACTION

Contre qui exercer cette action ?

L’acheteur peut exercer son action contre son vendeur, mais il peut également diriger cette
action contre le vendeur de son vendeur, c’est-à-dire contre le vendeur initial dans le cadre d’une
chaîne de ventes successives.

La Cour de cassation a admis cette action directe du sous acquéreur contre le vendeur initial
dans un arrêt très célèbre « Lamborghini » du 9 octobre 1979. La garantie des vices cachés se
transmet comme un accessoire de la chose. C’est cette transmission qui permet au sous acquéreur
d’exercer une action contre le vendeur initial.

Dans quel délai exercer cette action ?

A L’ORIGINE, l’art. 1648 Cciv imposait à l’acquéreur d’agir dans un bref délai. Concrètement, la
JP considérait que ce délai allait de 6 mois à 1 an. Le problème est que beaucoup d’acquéreurs se
réveillaient trop tard et se retrouvaient forclos sur le fondement de la garantie des vices cachés.

MAIS EN 2005, le législateur a remplacé ce bref délai par un délai de 2 ans à compter de la
découverte du vice. Le législateur a doublement étendu ce délai d’action, non seulement par sa durée,
mais en instituant un point de départ flottant.

La garantie des vices cachés doit être engagée avant l’expiration du délai de prescription de
droit commun. Dans un arrêt du 8 décembre 2021, la Cour de cassation a jugé une fois encore que
l’action en garantie des vices cachés doit être exercée dans les 2 ans à compter de la découverte du
vice sans pouvoir déplacer un délai butoir de 20 ans à compter du jour de la vente.

Ce délai butoir est le délai de prescription de droit commun que l’on retrouve à l’art. 2232 Cciv.

b. LES EFFETS

Dès lors que les conditions sont réunies, alors l’art. 1644 Cciv offre à l’acquéreur une option
entre deux types d’action : l’action estimatoire et l’action rédhibitoire. Tout en réservant la possibilité
pour l’acheteur de solliciter des DI.

La JP considère avec constance que l’acheteur est libre de choisir entre l’action estimatoire et
l’action rédhibitoire. L’acheteur n’a pas à justifier son choix, puisque c’est un choix discrétionnaire qui
s’impose au vendeur et au juge. Un arrêt de la chambre commerciale rendu le 14 nov. 2019 rappelle
que « le choix entre l’action estimatoire et l’action rédhibitoire appartient à l’acheteur et non au juge ».

En outre, le juge ne peut écarter le choix de l’acheteur au motif qu’une réparation serait
possible pour un faible coût. Si l’acheteur décide de rendre la chose, le juge doit lui permettre de
rendre la chose (Cass. com., 15 décembre 2015).

§ L’ACTION REDHIBITOIRE :

Par cette action rédhibitoire, il s’agit de remettre le vendeur dans la situation qui aurait été
la sienne s’il n’avait pas acheté. Pour ce faire, le juge procèdera à la restitution de la chose, ainsi qu’à
la restitution du prix et des frais de la vente. Au fond, il s’agit d’une forme d’anéantissement rétroactif
de la vente. C’est une variété de résolution de la vente.

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En revanche, et malgré l’effet rétroactif attaché à l’action rédhibitoire, aucune indemnité n’est
due à l’acquéreur pour la période où il a pu profiter de la chose.

§ L’ACTION ESTIMATOIRE :

Avec l’action estimatoire, il s’agit de remettre l’acheteur dans la situation qui aurait été la
sienne s’il avait connu le vice et avait malgré tout souhaité acquérir la chose, mais en n’en donnant
qu’un moindre prix.

Avec cette action, il convient de procéder à une réfaction du contrat, et plus précisément à
une réfaction du prix de la vente. Une réduction du prix qui doit correspondre à la valeur réelle de la
chose, valeur réelle qui sera estimée par un expert.

Elle ne peut correspondre au coût nécessaire pour remédier au vice. De la même façon, il n’est
pas possible de réduire le prix à 0, car à partir du moment où l’acheteur a souhaité conserver la chose,
c’est que cette chose conserve pour lui un intérêt, nonobstant son vice.

Cette réduction du prix est par ailleurs cumulable avec le versement des éventuels DI. En
matière de garantie des vices cachés, le vendeur n’est pas responsable mais garant. Il garantit
automatiquement à la manière d’un assureur.

Comment concilier cette garantie des vices cachés avec d’éventuels DI ?

L’art. 1646 Cciv prévoit que les frais occasionnés par la vente peuvent être dus à l’acquéreur
(frais d’actes, honoraires d’avocats, de notaire). Mais cet art. 1646 ne permet pas de condamner le
vendeur à prendre en charge d’autres frais que ceux occasionnés par la vente elle-même.

Ainsi par ex. dans un arrêt du 6 avril 2016, la Cour de cassation a censuré l’arrêt d’une CA qui
avait condamné le vendeur à payer les frais de réparation du bien vendu (un navire) que l’acquéreur
avait décidé de faire. Ces frais de réparation ne sont pas à la charge du vendeur.

Il en va autrement dans une hypothèse : lorsque le vendeur est de mauvaise foi. Ainsi, l’art.
1645 Cciv prévoit que si le vendeur connaissait les vices de la chose, alors il est tenu, outre la restitution
du prix, au paiement de tous les DI. En somme, des DI additionnels peuvent être réclamés au vendeur
de mauvaise foi, selon une logique de responsabilité civile. Ils peuvent être demandés pour tous les
préjudices nés de la chose (ex. préjudice commercial, défaut des machines achetées).

Pour autant, cette logique de responsabilité civile a été considérablement altérée par la
Cour de cassation lorsqu’elle a décidé que le vendeur professionnel est nécessairement de
mauvaise foi. C’est dans un arrêt du 19 janvier 1965 (à propos du Pont Saint Esprit) que la Cour de
cassation a posé cette présomption de mauvaise foi, qui était susceptible d’être renversée.

La Cour a précisé par la suite que cette présomption de mauvaise foi était une présomption
irréfragable ce qui permet de considérer que le vendeur professionnel aurait toujours connaissance
du vice alors même qu’il n’aurait jamais eu la chose entre les mains.

La JP montre que la tendance est à considérer que le vendeur est un professionnel au sens
de l’art. 1645 Cciv lorsqu’il a l’habitude de vendre ce genre de choses, ou lorsqu’il détient un savoir
particulier à l’égard de ce genre de choses. Il n’est pas nécessaire que la vente en cause se rattache
à son activité professionnelle. Ce qui compte c’est l’habitude ou la connaissance.

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Ainsi par ex. un marin pécheur qui vend son chalutier ne sera pas considéré comme un
professionnel.

2. LES AMENAGEMENTS CONVENTIONNELS

Les clauses par lesquelles les parties aménagent la garantie des vices cachés sont relativement
fréquentes dans les contrats de vente. Elles peuvent soit renforcer cette garantie, soit limiter cette
garantie. Le renforcement de la garantie sera souvent utilisé par le vendeur comme un argument de
vente.

Un contrat de vente pourra contenir les deux aménagements à la fois.

a. L’EXTENSION CONVENTIONNELLE DE LA GARANTIE

Pour des raisons essentiellement commerciales, il est fréquent que le vendeur étende cette
garantie des vices cachés, quitte à augmenter le prix de vente.
- Il peut s’agir d’une garantie couvrant les défauts apparents, couvrant les défauts minimes.
- Le vendeur peut également s’engager à remplacer la chose.
- Il peut allonger le délai.
- Etc.

Bien évidemment, toutes ces extensions sont licites et profitent à l’acheteur, mais le risque
existe. Sous couvert d’extension de la garantie, ces clauses peuvent restreindre les droits de
l’acquéreur.

Ex :
- En imposant le remplacement de la chose et en excluant la possibilité d’anéantir la vente (action
rédhibitoire). Ce qui peut être présenté comme une faveur peut parfois se retourner contre
l’acquéreur.
- En faisant faussement croire à l’acquéreur qu’on a donné un avantage à l’acquéreur. On
augmente le délai mais on prévoit un point de départ fixe (ex. le jour de la vente).

b. LA REDUCTION CONVENTIONNELLE DE LA GARANTIE

L’art. 1643 Cciv laisse entendre que les parties peuvent librement, et en tout état de cause,
limiter ou exclure la garantie des vices cachés.

Mais cet article ne reflète plus l’état du droit positif puisqu’on a dû s’adapter au
développement de la consumérisation de la société, en sorte qu’il a fallu distinguer les ventes
consenties entre professionnels et les ventes consenties entre professionnels et consommateurs.

Dès lors, DEUX HYPOTHESES :

- SI LE VENDEUR N’EST PAS UN PROFESSIONNEL, l’art. 1643 Cciv s’applique pleinement. Cela équivaut à
une liberté totale de réduire ou exclure la garantie des vices cachés. Il est presque systématique
que dans les ventes immobilières, le vendeur exclut la garantie des vices cachés.

• Cette liberté connait une LIMITE : la mauvaise foi du vendeur. Si le vendeur a eu


connaissance du vice, alors la clause de réduction ou d’exclusion de garantie des vices
cachés sera inefficace.

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- SI LE VENDEUR EST UN PROFESSIONNEL, la Cour de cassation a posé une présomption irréfragable de
la connaissance du vice. En sorte que pour juger de l’efficacité d’une clause limitative ou exclusive
de la garantie des vices cachés, lorsque le vendeur est un professionnel, il faut s’intéresser à la
qualité de l’acquéreur :

• Si l’acquéreur est un non-professionnel, toute limitation de la garantie est impossible,


interdite.

• Si l’acquéreur est lui aussi un professionnel, alors la JP a introduit une sous-distinction


entre deux catégories d’acheteurs professionnels.

o Lorsque l’acheteur est un professionnel de même spécialité que le vendeur, la


clause est licite et produit tous ses effets. On considère que la connaissance est
présumée tant sur le vendeur que sur l’acheteur.

o Lorsque l’acheteur est un professionnel qui n’a pas la même spécialité que le
vendeur, alors la clause limitative est inefficace.

RESUME :
- La vente est conclue entre un non-professionnel et un particulier : clause valable sauf
mauvaise foi.
- La vente est conclue entre un professionnel et un non-professionnel : inefficacité de la clause.
- La vente est conclue entre professionnels de spécialité différente : inefficacité de la clause.
- La vente est conclue entre professionnels de même spécialité : clause valable sauf si le vendeur
avait connaissance des vices.

En apparence, ce système élaboré par la Cour de cassation préserve un tout petit peu la liberté
contractuelle des parties. En réalité, cette liberté est largement illusoire. La Cour de cassation n’admet
que très rarement et très difficilement l’identité d’activités de spécialité des professionnels concernés.

Il ne suffit pas pour la Cour de cassation que les parties exercent dans le même secteur
d’activité pour relever une identité d’activités.

Cass. com., 13 mars 2013 :

- En l’espèce, une société éditrice de journaux qui chaque matin imprimait ses journaux. Cette
société doit acheter des imprimantes. Les imprimantes souffrent d’un vice caché. Il y avait dans
le contrat de vente une clause limitative des vices cachés.

- Les juges considèrent que la société qui imprime des journaux et la société qui vend des
imprimantes sont des professionnels qui ne partagent pas la même spécialité. La clause était ici
inefficace.

La conséquence pratique voulue par la Cour de cassation est qu’il est quasiment impossible
pour un professionnel de se prévaloir de cette garantir des vices cachés.

Les règles du Code civil applicables à la garantie des vices cachés ne sont plus en réalité les
règles applicables aux vendeurs. Il existe une garantie prévue par le droit de la consommation : la
garantie de conformité (3).

55
3. LA GARANTIE DE CONFORMITE

Cette garantie est issue d’une directive européenne du 25 mai 1999. Celle-ci a été transposée
en droit interne par une ordonnance du 17 février 2005. Tout récemment, la garantie de conformité a
été refondue par une ordonnance du 29 septembre 2021.

Ce régime de la garantie de conformité se retrouve dans le Code de la consommation.

a. LE DOMAINE DE LA GARANTIE DE CONFORMITE

§ LES VENTES CONCERNEES :

Ce sont les ventes conclues entre un vendeur professionnel et un acheteur consommateur


(personne physique en droit européen).

En cas de ventes successives d’un même bien, d’abord entre deux professionnels et ensuite
entre un vendeur professionnel et un acquéreur non-professionnel, l’acheteur ne pourra pas invoquer
la garantie de conformité contre son vendeur. Dans le contrat de vente initial, le vendeur n’était pas
tenu à cette garantie de conformité.

La vente peut porter aussi bien sur des biens meubles corporels que des biens meubles
incorporels. Quelques exceptions : les biens vendus par autorité de justice, les ventes d’animaux
domestiques, etc.

La qualité de vendeur doit s’entendre largement de l’art. L.217-1 CConso puisqu’elle


s’applique non seulement au vendeur stricto sensu mais encore au vendeur qui aurait fabriqué le bien
vendu, alors qu’en résonnant dans la logique française, on aurait eu tendance à aller vers le contrat
d’entreprise.

§ LES DEFAUTS CONCERNES :

A la lecture de l’art. L.217-4 CConso, la garantie couvre aussi bien les vices cachés que les
obligations de délivrance. On a ici une conception moniste du défaut. Le défaut doit être antérieur à
la vente.

Mais pour faciliter la vente, l’art. L.217-7 CConso pose une présomption d’antériorité du défaut.

b. LE REGIME DE LA GARANTIE DE CONFORMITE

C’est une garantie d’ordre public. Le consommateur peut renoncer à cette garantie car tout le
monde peut renoncer à un droit. Mais il est impossible d’y renoncer par avance, tant que le droit n’est
pas encore né.

Les délais pour agir en garantie sont de 2 ans à compter de la délivrance du bien. Il est
indifférent que le vendeur ait eu connaissance du défaut. Il est même indifférent que le vendeur ait
lui-même introduit le défaut.

En réalité, le législateur a souhaité que du point de vue de la garantie de conformité, le vendeur


n’ait plus rien à craindre une fois ce délai de 2 ans passé. Mais cela ne diminue en rien les droits de
l’acheteur non professionnel puisque c’est une garantie optionnelle.

56
c. LES EFFETS DE LA GARANTIE

Les sanctions de la garantie sont hiérarchisées.

On a d’abord une SANCTION PRINCIPALE : le consommateur est en droit d’obtenir la mise en


conformité du bien en choisissant entre la réparation et le remplacement (art. L.217-9 CConso). Cette
mise en conformité doit être effectuée dans un délai de 30 jours par le vendeur.

La DEUXIEME SANCTION (subsidiaire) posée par l’art. L217-14 CConso, si le remplacement est
impossible ou si le vendeur n’a toujours pas effectué la mise en conformité après les 30 jours,
l’acheteur va avoir une nouvelle option : la résolution du contrat ou la réduction du prix. Il est tout de
même précisé que le droit à la résolution ne vaut que lorsque le défaut est majeur ; en cas de défaut
mineur, l’acquéreur ne peut solliciter la résolution et devra se tourner vers la réduction du prix.

La TROISIEME SANCTION (auxiliaire) qui est valable en tout état de cause est prévue par l’art.
L.217-8 CConso. Il est toujours possible pour l’acquéreur de solliciter l’allocation de DI en cas de
préjudice né de la non-conformité de la chose.

Des aménagements conventionnels peuvent être apportés. Dans ce cas, elle devient une
garantie commerciale. Ces aménagements sont enfermés dans un formalisme très exigeant. Il est exigé
que le vendeur rappelle par écrit que le consommateur peut toujours privilégier la garantie de
conformité. Il faut de surcroit que les aménagements conventionnels renforcent la protection légale.
La garantie commerciale ne peut en aucune façon diminuer les droits légalement prévus pour
l’acquéreur. On ne peut qu’augmenter.

En définitive, la garantie de conformité offre une hiérarchie des sanctions très appréciables.
Le consommateur sait où il va. C’est une garantie offerte à l’acquéreur non professionnel.

SECTION II. LES OBLIGATIONS DE L’ACHETEUR

Les obligations de l’acheteur sont prévues aux art. 1650 et s. Cciv. Il est mis à la charge de
l’acheteur deux obligations :
- LA PRINCIPALE : payer le prix.
- LA SECONDAIRE : retirer la chose.

I. L’OBLIGATION PRINCIPALE : L’OBLIGATION DE PAYER LE PRIX

L’acheteur doit payer le prix convenu à la date convenue. Il peut arriver que l’acheteur doive
payer des frais supplémentaires, des intérêts, par ex. si le contrat le prévoit.

Selon l’art. 1593 Cciv, les frais de la vente sont à la charge de l’acheteur.

A. LES MODALITES DU PAIEMENT

1. LE LIEU DU PAIEMENT

Dans le silence du contrat, le paiement doit se faire au lieu où se trouve la chose au moment
de la vente (art. 1651 Cciv). On peut y déroger, par ex. dans les ventes immobilières.

57
2. LE MOMENT DU PAIEMENT

Dans le silence du contrat, le paiement doit avoir lieu au comptant au moment de la délivrance,
et non au moment du transfert de propriété (art. 1651 Cciv).

Il existe une règle prévue à l’art. 1653 Cciv qui permet à l’acheteur troublé ou qui a des raisons
de craindre qu’il sera troublé (ex. action hypothécaire) de suspendre son paiement (ex. jusqu’à la
radiation de l’hypothèse).

Les parties peuvent déroger à la règle en prévoyant un paiement différé ou différé.

B. LES SANCTIONS DE L’INEXECUTION

Le paiement est une obligation. Son manquement est donc juridiquement sanctionné.

D’ABORD, le vendeur peut mettre en œuvre l’exception d’inexécution en refusant de délivrer


le bien tant que l’acheteur ne s’exécute pas lui-même. Cette possibilité est offerte par l’art. 1612 Cciv.

Elle peut être mise en œuvre que si l’acquéreur ne possède pas de délai de paiement, même
si c’est moins vrai depuis la réforme de 2016.

L’art. 1220 Cciv autorise désormais l’exception d’inexécution anticipé ; le vendeur peut donc,
sur le fondement du droit commun (art. 1220), mettre en œuvre l’exception d’inexécution s’il est
certain qu’à terme l’acheteur ne le paiera pas.

ENSUITE, le vendeur peut réclamer l’exécution forcée de cette obligation. Cette exécution
forcée ne posera aucun problème puisqu’il s’agit d’une obligation par construction monétaire. Il est
donc très facile de la forcer.

Pour accroitre cette sanction, le Code civil prévoit des garanties propres qui vont conférer au
vendeur une préférence par rapport aux autres créanciers de l’acheteur. C’est ce qu’on appelle le
privilège du vendeur. Il existe un privilège mobilier et un privilège immobilier :

- PRIVILEGE MOBILIER : il permet au vendeur impayé de revendiquer le bien meuble vendu au


comptant afin d’éviter que ce bien ne soit revendu à un tiers. Cela suppose pour sa mise en
œuvre que :
• La chose soit encore en possession de l’acheteur ;
• La chose soit dans le même état que celui dans lequel elle était au jour de la vente ;
• Il n’y ait pas de procédure collective ouverte contre l’acheteur.

- PRIVILEGE IMMOBILIER : il va permettre d’obtenir la vente forcée de l’immeuble et d’être payé sur
ce prix de vente de façon prioritaire sur les autres créanciers. DEUX CONDITIONS :
• Il ne doit pas y avoir de procédure collective ouverte contre l’acheteur.
• Pour être opposable aux autres créanciers, ce privilège immobilier doit avoir été publié.

ENFIN, la résolution du contrat est prévue à l’art. 1654 Cciv. C’est une sanction dont l’efficacité
n’est pas si redoutable, puisque celle-ci ne sera pas opposable aux tiers qui auront acquis un droit
opposable sur la chose (typiquement, le sous-acquéreur).

58
II. L’OBLIGATION DE RETIREMENT

L’obligation de retirement constitue au fond le pendant de l’obligation de délivrance. Le


vendeur doit mettre la chose à disposition de l’acheteur. L’acheteur en conséquence a l’obligation de
s’en saisir. C’est à lui qu’il appartient de venir retirer la chose.

Le refus de retirer la chose ou le retard peuvent être préjudiciables au vendeur (ex. le vendeur
n’a pas la place pour stocker la chose vendue). En conséquence de quoi, l’acheteur négligeant risque
une action en préjudice.

A. CONTENU DE L’OBLIGATION

EN MATIERE IMMOBILIERE, l’obligation de retirement ne pose aucune difficulté. Il suffit que


l’acheteur prenne les clés et entre dans les lieux.

C’est EN MATIERE MOBILIERE que des problèmes peuvent se poser. Le refus de retirement peut
être préjudiciable. Puisque le retirement est le corollaire de l’obligation de délivrance, cette obligation
de retirement s’exécute au même moment que l’obligation de délivrance, ce qui implique que
l’acheteur doit se déplacer au lieu où se trouve la chose. S’il ne se déplace pas, les frais de transport
notamment seront à sa charge.

B. SANCTION DE L’OBLIGATION

Si l’acheteur manque à son obligation de retirement, il existe PLUSIEURS SANCTIONS


ENVISAGEABLES :

- Tout d’abord, le vendeur peut faire condamner l’acheteur a une exécution forcée, l’obliger à
retirer sa chose (le cas échéant, sous astreinte).

- La résolution du contrat. Pour les biens mobiliers, cette sanction est prévue par l’art. 1657 Cciv
qui pose une règle dérogatoire au droit commun des contrats : la résolution a lieu de plein droit
sans sommation. C’est un régime plus radical que celui en droit commun (où il suppose une mise
en demeure). Cela permet au vendeur de revendre la chose sans perdre le temps de la mise en
demeure.

59
TITRE II. L’ECHANGE

L’échange est certainement le premier contrat que les hommes ont pratiqué dans l’histoire.
C’est le modèle du troc : échanger une chose contre une autre chose.

C’est finalement l’art. 1702 Cciv :


« L'échange est un contrat par lequel les parties se donnent respectivement une chose pour une autre. »

Ex. une parcelle de terrain contre une autre parcelle.

Tout est envisagé dès lors qu’il y a commutation de deux choses.

Avec l’apparition de la monnaie, c’est la vente qui a progressivement pris le dessus. La


fongibilité de la monnaie fait qu’elle est un équivalent universel.

I. QUALIFICATION DE L’ECHANGE

La qualification du contrat d’échange pose parfois certaines difficultés.

§ 1ERE OBSERVATION :

Au sens juridique du terme, ce contrat porte sur des biens non monétaires. Ce contrat ne porte
donc pas sur des services. C’est toujours un contrat translatif de propriété.

Ex. un contrat par lequel une personne s’engage à fournir des données personnelles en contrepartie
de l’utilisation d’un réseau social, ce ne sera pas un contrat d’échange mais un contrat de fourniture.

§ 2EME OBSERVATION :

Lorsque la valeur respective des biens échangés est différente, alors une somme d’argent peut
être versée pour compenser cet écart.

Ex. un contrat d’échange conclu contre un bien qui en vaut 40 et un bien qui en vaut 50, si les personnes
le souhaitent, elles peuvent rétablir l’équilibre par le paiement d’une soult. Ici, la soult sera de 10. Mais
si le montant de la soult est supérieur à la valeur d’un des deux biens, alors on requalifie le contrat en
contrat de vente. Ex : un bien vaut 50. Il est échangé contre un bien qui vaut 10. Si on ajoute une soult
de 40, il y a une vente car 40 > 10. Le transfert apparait accessoire.

II. REGIME JURIDIQUE DE L’ECHANGE

L’art. 707 Cciv procède à un renvoi général au régime de la vente. On trouve pour autant
quelques petites différences : la principale est que la lésion n’est pas admise dans le contrat d’échange,
même pour les biens immobiliers.

60
PARTIE II. LES CONTRATS TRANSFERANT LES UTILITES D’UNE CHOSE
Ces contrats répondent à une configuration tout autre que les contrats translatifs de propriété.
Il s’agit par ces contrats de faire que le bénéficiaire de ces contrats puisse temporairement bénéficier
de la chose sans pour autant que son propriétaire ne s’en dépossède juridiquement. Le bail et le prêt
consistent assurément les deux figures de proues de ces contrats transférant les utilités de la chose.

Dans ces deux contrats, le preneur à bail et l’emprunteur vont pouvoir jouir de la chose que
pourtant ils ne possèdent pas. Ils peuvent en jouir non en raison d’un droit réel sur cette chose, mais
en vertu d’un droit personnel contre leur cocontractant (le bailleur, le prêteur).

Ces contrats ont donc pour spécificité de ne mettre en jeu que des droit personnels, des créances.

TITRE I. LE BAIL
Que l’on parle de « bail », que l’on parle de location, ou que l’on parle de « louage de chose »,
c’est toujours à une même opération juridique que l’on renvoie : celle qui permet en présence deux
parties, le bailleur et le preneur. Le premier s’engageant à garantir au second la jouissance d’une
chose en contrepartie d’un prix (généralement, un loyer).

Cette opération contractuelle est celle qui est définie à l’art. 1709 Cciv :
« Le louage des choses est un contrat par lequel l'une des parties s'oblige à faire jouir l'autre d'une
chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s'oblige de lui payer. »

Le bailleur s’oblige donc à mettre à disposition du preneur cette chose et de lui en faire jouir
pendant un certain temps. Le bailleur doit donc assurer la jouissance de cette chose, le loyer étant la
contrepartie de cette jouissance. En somme, le bail est la mise à disposition à titre onéreux et à titre
temporaire des utilités de la chose.

Par construction, un bail a vocation à prendre fin à un moment ou à un autre. Le bail est conclu
pour un « certain temps ». Il arrive le moment de l’extinction du bail, extinction qui donne lieu à la
restitution de la chose.

Le bail octroie donc un droit personnel de jouissance au preneur, et non un droit réel sur la
chose. L’art. 1709 Cciv semble clair sur ce point, ce qui n’empêche pas la doctrine de se déchirer sur la
nature réelle ou personnelle du droit du preneur. C’est la Cour de cassation qui a tranché ce débat
dans un arrêt de la chambre des requêtes du 6 mars 1861 : elle prend le parti du droit personnel.

Cette spécificité du bail va permettre de distinguer le bail de l’usufruit. L’usufruit résultant d’un
démembrement de la propriété de la chose, qui va permettre à l’usufruitier de jouir de la chose sans
que le nu-propriétaire ait à accomplir quoique ce soit. C’est ce droit personnel qui empêche de qualifier
le contrat de coffre-fort de bail. Dans ce dernier, le banquier n’a pas la jouissance des choses que
contient le coffret fort.

Le Code civil règlemente le bail aux art. 1713 au 1718 Cciv, contenus dans un chapitre « Louage
de choses ».

Les textes du Code civil relatifs au bail n’ont presque pas évolué depuis 1804. Mais cette
apparente stabilité ne doit pas tromper car le bail fait partie de ces contrats qui ont été profondément
affectés par le phénomène de spécialisation des contrats.

61
En marge du Code civil où siège le régime général du bail se sont développés un grand nombre
de statuts spéciaux pour des biens immobiliers particuliers : les baux ruraux, les baux d’habitation et
les baux commerciaux.

Ces baux spéciaux constituent aujourd’hui l’immense majorité des baux conclus quotidiennement.

CHAPITRE I. LE DROIT COMMUN DU BAIL

Le fait que les baux soient de plus en plus spéciaux, cette réalité ne doit pas faire oublier
l’importance du droit commun du bail. PLUSIEURS RAISONS :

- D’abord, parce que les baux de choses mobilières sont en réalité très fréquemment conclus. Ex.
location de paires de ski.

- Ensuite, parce que certains baux immobiliers ne font pas l’objet d’un statut spécial et sont donc
soumis au régime général. Ex. location d’une salle de mariage.

- Enfin, parce que les statuts spéciaux s’inspirent tous du régime général. Ils apportent quelques
aménagements, dérogations, spécifiquement pour assurer une meilleure protection du preneur.

SECTION I. LA FORMATION DU BAIL

Pour être valablement formé, le bail doit réunir un certain nombre de conditions : des
conditions de fond et des conditions de forme.

I. LES CONDITIONS DE FOND

A. LES CONDITIONS OBJECTIVES

Trois conditions :

1. LA DETERMINATION DE LA CHOSE

De la même façon que pour la vente, toute chose est a priori susceptible d’être donnée à bail.
Dès lors qu’elle est dans le commerce, dès lors qu’elle existe au jour de la prise d’effet du bail, et dès
lors qu’elle est déterminée dans le contrat.

L’art. 1713 Cciv vise de façon très large les biens meubles ou immeubles.

EN PREMIER LIEU, il peut s’agir d’un bail immobilier dès lors que ce bien immeuble ne fait pas
l’objet d’un statut spécial (ex. commercial). Mais il reste des immeubles qui peuvent faire l’objet d’un
bail de droit commun (ex. local pour une réunion, une place de parking).

EN SECOND LIEU, il peut s’agit d’un bail mobilier portant soit sur un bien meuble corporel (ex.
équipements de ski), soit sur un bien meuble incorporel (ex. fonds de commerce, actions).

Toutefois, la chose, pour être donnée à bail, ne doit pas être un bien consomptible pour la
seule raison qu’elle disparaîtrait par le seul usage qu’en ferait le preneur rendant ainsi impossible sa
restitution à terme.

62
2. LA DETERMINATION DU PRIX

Le bail est nécessairement un contrat à titre onéreux. C’est ce caractère onéreux qui distingue
le bail du prêt à usage. La jouissance du bien toujours consentie par le bailleur en contrepartie d’un
versement d’un prix par le preneur. Ce prix doit être déterminé ou du moins déterminable dans le
contrat.

Contrairement à la vente, ce prix n’a pas nécessairement une nature monétaire. Il peut s’agir
d’une somme d’argent (loyer) mais aussi une prestation quelconque que s’engage à fournir le preneur
(ex. je loue une chambre moyennant quelques heures de services à domicile).

Ce prix peut faire l’objet de paiements périodiques (auquel cas il pourra être indexé) ou
déterminé de façon forfaitaire et payé en une seule fois au comptant.

3. LA DETERMINATION DE LA DUREE

Contrairement à la vente qui dans la quasi-totalité des hypothèses est un contrat instantané
qui produit tous ses effets au moment de la rencontre des volontés, le bail lui est un contrat à
exécution successive.

Le bail est un contrat qui s’enracine dans la durée. Le droit de jouissance est accordé au
preneur pour « un certain temps », en sorte que le bail doit présenter une certaine stabilité. En cela,
le bail se distingue d’une autre convention qui est la convention d’occupation précaire.

COMMENT DISTINGUER LE BAIL DE LA CONVENTION D’OCCUPATION PRECAIRE ?

A L’ORIGINE, c’était la courte durée prévue par les parties qui permettait au juge de reconnaitre
une convention d’occupation précaire.

MAIS PROGRESSIVEMENT, ce critère de la courte durée a été délaissé par la jurisprudence qui s’est
focalisée davantage sur le caractère provisoire du droit de jouissance octroyé au preneur. Ainsi, s’il est
prévu que le contrat prendra fin à tout moment, par la seule volonté du bailleur, sans préavis, sans
indemnité, alors cette jouissance deviendra précaire et on sera face à une convention d’occupation
précaire.

Cass. 16 février 2000 : bail commercial consenti pour 5 ans. Cette durée de 5 ans ne retire rien à la
précarité de cette convention qui ne se caractérisait pas la possibilité pour le propriétaire de mettre
fin à tout moment et sans préavis à la jouissance des lieux.

Mais si le bail ne doit pas être précaire, il ne doit pas non plus être trop long. Il ne doit pas
être perpétuel. La prohibition du bail perpétuel n’est qu’une application particulière de la prohibition
générale des engagements perpétuels.

Ainsi, dans un arrêt du 15 décembre 1999, la Cour de cassation a pu juger qu’un bail consenti
pour 99 ans et renouvelable au gré du preneur était entaché d’un vice de perpétuité.

En revanche, la Cour de cassation considère qu’un bail qui a pour terme le décès du preneur
ou de ses enfants n’est pas un bail perpétuel.

En réalité, la perpétuité du bail se caractérise par DEUX CRITERES :


- Un terme certain trop loin par rapport à la durée de vie du bailleur ;

63
- Des mécanismes qui rendent le bail renouvelable à la seule discrétion du preneur.

La sanction du bail perpétuel a longtemps été la nullité absolue. Avec l’ordonnance du 10


février 2016, le législateur a privilégié une autre sanction : la requalification en CDI, résiliable à tout
moment par les parties moyennant le respect d’un préavis raisonnable.

B. LES CONDITIONS SUBJECTIVES

On se tourne vers la personne du bailleur, et plus précisément à sa capacité et à ses droits dont
il dispose sur la chose.

1. LA CAPACITE DU BAILLEUR

Consentir un bail relève d’un acte d’administration. En conséquence, c’est la capacité


d’administrer et non de disposer qui est requise à l’égard du bailleur.

Néanmoins, la conclusion d’un bail peut devenir un acte de disposition si le bail est conclu pour
une longue durée ou bien si le bail conclu prévoit un droit au renouvellement pour le preneur. Dans
ces deux cas-là, qui correspondent au régime spéciaux (baux commerciaux, ruraux, d’habitation), alors
c’est la capacité de disposer qui est requise.

2. LES DROITS DU BAILLEUR SUR LA CHOSE

Le bailleur doit être en mesure de conférer effectivement la jouissance de la chose au preneur.


Cette aptitude ne pose guère de difficulté lorsque le bailleur est propriétaire de la chose. Dans ce cas
de figure, le bailleur propriétaire dispose de toutes ses prérogatives de propriétaire qui lui permettront
de garantir au preneur la jouissance de la chose.

La question devient plus délicate, plus complexe, dans trois cas de figure particuliers :
- Le cas où le bailleur n’est qu’un usufruitier de la chose ;
- Le cas où le bailleur n’est qu’un copropriétaire de la chose ;
- Le cas où le bailleur n’a aucun droit sur la chose.

a. LE BAILLEUR USUFRUITIER

Le bail étant en principe un acte d’administration, il rentre tout à fait dans les prérogatives de
l’usufruitier. Le bail permet à l’usufruitier de retirer les fruits de la chose. Seulement, si le bail est
consenti sur une longue durée, alors ce bail peut affecter la valeur de la chose. Cette diminution de la
valeur de la chose, du fait d’un bail de longue durée, affectera directement le nu-propriétaire.

Voilà pourquoi l’art. 1595 Cciv fixe une limite : le bail consenti par un usufruitier ne peut
excéder une durée de 9 années. Au-delà des 9 ans, ce bail est inopposable au nu-propriétaire.

Par ailleurs, lorsque le bail contient un droit au renouvellement, ce bail doit être conclu avec
l’accord du nu-propriétaire. Ici, la sanction est que la nullité du bail en son entier.

b. LE BAILLEUR COPROPRIETAIRE

Il y a en matière de copropriétaire, deux cas de figure :


- L’indivision ;
- La communauté entre époux.

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i. LE BAIL D’UN BIEN INDIVIS

Lorsque le bailleur est indivisaire, il doit respecter les règles propres à l’indivision concernant
les actes d’administration du bien. A cet égard, l’art. 815-3 4° Cciv impose une majorité des 2/3 des
coïndivisaires pour ces actes et singulièrement pour les baux, sauf pour les baux portant sur des
immeubles à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal. Pour ces baux-là, c’est l’unanimité qui
est requise, car on retrouve dans ces baux le droit à renouvellement.

Si le bien est donné à bail sans respecter ces règles de l’indivision, le bail n’est pas nul pour
autant mais il sera inopposable aux indivisaires.

ii. LE BAIL DE LA COMMUNAUTE

L’art. 1425 Cciv pose à cet égard DEUX REGLES :

- L’accord des deux époux est requis pour donner à bail un fonds rural ou un immeuble à usage
commercial, industriel ou artisanal.

- Pour tous les autres baux, ils peuvent être consentis par l’un seulement des deux époux, mais
suivant la règle applicable en matière d’usufruit, c’est-à-dire pour une durée n’excédant par 9
ans.

c. LE BAIL DE LA CHOSE D’AUTRUI

Le bail confère au preneur un droit personnel à l’encontre du bailleur, et non un droit réel sur
la chose. C’est la raison pour laquelle le bail de la chose d’autrui n’est pas nul. Il est tout à fait possible
de donner à bail un bien dont on n’est pas propriétaire (ex. chose qu’on nous a prêtée).

Seulement, ce bail de la chose d’autrui n’est pas opposable au véritable propriétaire, lequel
pourra toujours intervenir et troubler la jouissance du preneur, preneur qui pourra agir en
responsabilité en réparation des préjudices causés par ces troubles.

Il existe toutefois DEUX HYPOTHESES dans lesquels le bail sera opposable au véritable propriétaire
qui devra reconnaître et respecter ce bail consenti sur sa chose :

- La théorie de l’apparence : si le preneur pouvait légitimement croire que son bailleur était le
propriétaire de la chose, alors l’apparence trouvera à s’appliquer et le bail sera opposable au
véritable propriétaire. C’est une application spécifique de la théorie de l’apparence.

- Le bailleur était propriétaire ad initio (tous ses titres), mais rétroactivement, par accident
juridique, il a perdu son titre (ex. l’acte de vente a été annulé). Dans cette hypothèse, le bail sera
opposable au véritable propriétaire.

3. LE BAIL DE LA CHOSE D’AUTRUI

Il résulte de l’art. 1714 Cciv que le bail est un contrat consensuel. Cela signifie qu’aucune forme
particulière n’est exigée à titre de validité. Seul le consentement des parties suffit à former le contrat.
Ce consentement peut être exprimé sous quelque forme que ce soit : par écrit, verbalement,
tacitement… Il suffit que les parties s’entendent sur la chose et sur le prix.

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Il n’est même pas besoin qu’elles conviennent d’une durée précise puisqu’à défaut de durée,
le bail sera réputé consenti pour une durée indéterminée. Il n’est pas non plus nécessaire de remettre
la chose au preneur puisque le bail n’est pas un contrat réel.

II. LES CONDITIONS DE FORME

A. LE FORMALISME DE PREUVE

Les art. 1715 et 1716 Cciv procèdent à un renforcement des règles probatoires du droit
commun. Il convient de distinguer la preuve de l’existence du bail et la preuve du contenu du bail.

1. LA PREUVE DE L’EXISTENCE DU BAIL

Cette règle est posée par l’art. 1715 Cciv et concerne le bail qui n’aurait pas été conclu par
écrit, c’est-à-dire le bail verbal. Cet article énonce en effet que si le bail verbal, n’a pas reçu de
commencement d’exécution, la preuve testimoniale (par témoin) est exclue quel que soit le montant
du bail. Peu importe donc qu’il soit supérieur ou inférieur à 1500 euros.

Pour le bail verbal, si la preuve par témoin est systématiquement exclue, cela signifie que les
deux seuls modes de preuves recevables sont ceux dont la force probante est supérieure à la preuve
par témoin, c’est-à-dire qu’il reste seulement le serment décisoire et l’aveu.

A contrario, la JP considère que si le bail oral a reçu un commencement d’exécution, la preuve


par témoins ou par présomption est recevable.

POURQUOI REFUSER QUE LES PARTIES PROUVENT L’EXISTENCE D’UN BAIL PAR LE RECOURS DE TEMOINS ? En
réalité, cette règle est incitative. Il s’agit d’éviter que les parties engagent des procès qui s’enliseraient
dans des recherches hasardeuses de témoins. C’est la raison pour laquelle le législateur incite les
parties à sécuriser leur accord par un écrit.

2. LA PREUVE DU CONTENU DU BAIL

La preuve du contenu du bail répond aux conditions du droit commun : un écrit pour un bail
supérieur à 1500 euros, preuve par tous moyens si inférieur à 1500 euros.

Toutefois, il y a une règle particulière pour la preuve du montant du loyer. En effet, cette
preuve s’établit par quittance du bailleur, ou à défaut, par serment du bailleur, ou en cas de
contestation, par estimation d’expert.

B. LE FORMALISME D’OPPOSABILITE

Le bail n’est soumis en principe à aucun formalisme d’opposabilité. Pour cause, le bail est un
contrat. Comme tout contrat, il est par lui-même opposable aux tiers en tant que fait juridique.

EXCEPTION pour un cas particulier spécifique aux baux immobiliers consentis pour une durée
supérieure à 12 ans :

- L’art. 30-3 du décret du 4 janvier 1955 impose que ce bail de plus de 12 ans soit publié au service
de la publicité foncière. Sans quoi, la Cour de cassation a jugé que ce bail non publié était
inopposable aux tiers revendiquant un droit concurrent (ex. nouvel acquéreur du bien).

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- MAIS, la Cour de cassation a précisé dans un arrêt du 7 mars 2007, que cette inopposabilité ne
valait que pour la période excédant les 12 ans.

SECTION II. L’EXECUTION DU BAIL

Le bail, ayant cette particularité d’être à exécution successive, son exécution implique que les
parties remplissent chacune leurs obligations réciproques.

I. LES OBLIGATIONS NEES DU BAIL

Le bail étant un contrat synallagmatique, chacune des parties doit exécuter en continu ses
obligations.

A. OBLIGATIONS DU BAILLEUR

Les obligations du bailleur sont très précisément énumérées à l’art. 1719 et s. Cciv. Toutes ces
obligations concourent en réalité à la réalisation d’une obligation générale : garantir au preneur la
jouissance paisible de la chose pendant toute la durée du bail.

Concrètement, cette obligation peut se décliner en deux obligations distinctes :


- L’obligation de délivrer la chose ;
- L’obligation de maintenir la jouissance paisible de la chose.

1. LA DELIVRANCE

L’art. 1720 al.1er dispose que le bailleur est tenu de délivrer la chose en bon état de réparation
de toute espèce. L’obligation de délivrance constitue une obligation essentielle du bail. Sans
délivrance, il n’y a pas de jouissance possible.

C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation a jugé que cette obligation de délivrance ne
pouvait être écartée par avance par les parties. En somme, cette obligation de délivrance est d’ordre
public (Cass. Civ 1ère, 11 octobre 1989).

Cette obligation de délivrance est semblable à celle qui existe dans le cadre de la vente. Il s’agit
pour le bailleur, à l’instar du vendeur, de mettre la chose à la disposition du preneur, de faire en sorte
que le preneur puisse effectivement détenir la chose.

L’obligation de délivrance se caractérise ici, non pas au regard de la destination normale de la


chose, mais au regard de sa destination convenue par les parties.

- POUR UN BIEN IMMOBILIER, cette obligation de délivrance s’exécutera par la remise des clés. En tout
état de cause, il appartient au bailleur de prouver qu’il a exécuter son obligation de délivrance,
ce qui impliquera une remise contre signature par ex.

- POUR UN BIEN MOBILIER, la délivrance se concrétisera par la remise de la chose au preneur ou à sa


mise à disposition au preneur.

Le preneur qui ferait face à une inexécution de l’obligation de délivrance par le bailleur dispose
d’un large panel de sanctions : l’exécution forcée, l’exception d’inexécution retenant le paiement du
loyer jusqu’à ce que le bailleur s’exécute.

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L’obligation de délivrance en matière de bail présente une spécificité par rapport à celle de la
vente, spécificité qui résulte de l’art. 1720 Cciv : la chose doit être délivrée en bon état de réparation
de toute espèce.

Ce n’est donc pas un excellent état qui est exigé, mais un état d’usage. Le preneur doit pouvoir
jouir de la chose conformément à l’usage convenu, sans avoir à effectuer quelques réparations que ce
soit pour le faire.

Cette règle n’est cependant pas d’ordre public, en sorte que les parties peuvent valablement
stipuler une clause de location en l’état. Le preneur louera le bien en l’état. Néanmoins, il faut savoir
que la JP interprète ces clauses de location en l’état d’une façon très restrictive en jugeant
singulièrement que de telles clauses ne doivent en aucune façon vider de sa substance l’obligation de
délivrance du bailleur.

Dans un arrêt rendu le 18 mars 1992, la Cour de cassation a jugé qu’une telle clause de location
en l’état « ne décharge pas le bailleur de son obligation de maintenir le bien en l’état, de servir à l’usage
auquel le bien est destiné ». Cette clause permet donc seulement aux parties de jouer sur le seuil de
la normalité attendue. En aucune façon cette clause ne permet au bailleur de délivrer un bien hors
d’usage.

2. LE MAINTIEN DE LA JOUISSANCE PAISIBLE

Il ne suffit pas pour garantir la jouissance paisible d’avoir délivrer la chose au preneur. Il faut
encore que sur la durée le bailleur maintienne cette jouissance paisible. Ce qui en droit, se traduit par
une obligation d’entretien ainsi que par des garanties.

a. L’OBLIGATION D’ENTRETIEN DE LA CHOSE

Aux termes de l’art. 1719 2° Cciv, le bailleur a l’obligation d’entretenir cette chose en état de
servir à l’usage pour lequel elle a été louée.

En outre, l’art. 1720 al.2 Cciv précise que le bailleur doit faire sur la chose, et ce durant toute
la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaire autres que locatives.

Pour résumer, au moment de la délivrance, le bailleur est tenu de toutes les réparations
nécessaires à garantir un usage conforme à la destination de la chose. Ensuite, il reste tenu de
certaines réparations : les réparations autres que locatives.

§ QUELLES SONT CES REPARATIONS LOCATIVES ?

Elles correspondent aux petites réparations qui résultent de l’usage prolongé de la chose par
le preneur. Il est normal que la charge de ces réparations incombe en principe au preneur puisqu’elles
sont du fait de son usage. Le bailleur quant à lui est tenu de procéder aux grosses réparations, c’est-
dire les réparations qui affectent la structure de la chose (ex. toiture d’une maison, moteur d’une
voiture).

Toutefois, l’art. 1722 Cciv précise que le bailleur est déchargé de ces grosses réparations autres
que locatives si ces réparations sont rendues nécessaires en raison d’un cas fortuit ayant causé la
destruction partielle ou totale de la chose. Dans ce cas-là, le bailleur est déchargé de son obligation
d’entretien et le bail pourra être résilié en cas de disparition totale, ou pourra être maintenu en cas de
disparition partielle mais avec réduction du prix.

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Cette répartition légale n’est pas d’ordre public. Les parties peuvent aménager la charge de
ces réparations et mettre par ex. toutes les réparations à la charge du preneur.

Il y a toujours une limite : la répartition contractuelle de ces réparations ne doit pas vider l’obligation
de délivrance de sa substance (la Cour de cassation retient donc une interprétation très restrictive).

§ QU’EN EST-IL DES SANCTIONS ?

Si le bailleur ne procède pas aux réparations qui sont à sa charge, malgré les demandes, le
preneur dispose d’un panel de sanctions. Ce sont toutes les sanctions de l’inexécution en droit
commun des contrats, avec une sanction particulièrement adaptée qui résulte de la réforme de 2016 :
c’est la sanction posée à l’art. 1222 Cciv qui prévoit la faculté pour le créancier de faire exécuter la
prestation par un tiers aux frais du débiteur.

b. LES GARANTIES

Les garanties dues par le bailleur sont en réalité assez similaires aux garanties dues par le
vendeur en matière de vente. Il y a :
- D’une part, la garantie des vices cachés ;
- D’autre part, la garantie contre les troubles de jouissance.

i. LA GARANTIE DES VICES CACHES

Aux termes de l’art. 1721 Cciv, le bailleur doit garantie au preneur de tous les défauts de la
chose louée qui en empêche l’usage. Le défaut doit ici répondre à 4 CONDITIONS :
- Un défaut inhérent à la chose ;
- Un défaut non apparent ;
- Un défaut qui empêche d’user de la chose conformément à la destination convenue ;
- Un défaut inconnu du preneur lors de la conclusion du bail.

Néanmoins, cette garantie des vices cachés est sensiblement différente de celle qui est mise à
la charge du vendeur. DEUX DIFFERENCES NOTABLES :

- Le bail est un contrat à exécution successive : il est parfaitement indifférent que le défaut soit
antérieur ou non à la conclusion du bail. Toutefois, la Cour de cassation a précisé dans un arrêt
rendu le 13 octobre 2021 que le bailleur n’est responsable qu’à la condition que le preneur l’ait
informé de l’apparition de ce défaut en cours d’exécution du bail.

- Le bailleur est tenu de garantir les vices cachés de la chose même s’il n’en avait pas eu
connaissance. Peu importe que le bailleur soit de bonne ou mauvaise foi, il ne peut s’exonérer
de cette garantie qu’en apportant la preuve d’une cause étrangère ou d’un cas de force majeure.
On est davantage vers une logique de responsabilité.

La garantie des vices cachés est toujours susceptible d’être contractuellement restreinte,
limitée, en tout état de cause. Une telle clause limitative de la garantie des vices cachés a été jugée
valable à la condition toutefois qu’elle ne prive pas de sa substance l’obligation du bailleur.

Cela veut dire qu’il est possible de diminuer l’intensité de cette garantie des vices cachés,
mais qu’il n’est pas possible de la supprimer.

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ii. LA GARANTIE CONTRE LES TROUBLES DE JOUISSANCE

L’art. 1719 3° Cciv dit que le bailleur doit faire jouir paisiblement le preneur de la chose
pendant la durée du bail. Concrètement, le bailleur doit garantir que le preneur ne sera pas troublé
dans sa jouissance paisible ni par son propre fait (fait du bailleur), ni par le fait d’un tiers.

EN PREMIER LIEU, le bailleur lui-même qui doit garantie ne peut par ses actes troubler la
jouissance paisible de son preneur. A cet égard, l’art. 1723 Cciv précise déjà que le bailleur ne peut
pendant la durée du bail, changer la forme de la chose louée.

Mais cette obligation en réalité va plus loin que cela, puisque la JP tend à la rattacher à une
obligation de respect, de discrétion du bailleur, bailleur qui doit donc s’abstenir de tout acte qui
compromettrait la tranquillité du preneur, la vie privée du preneur. La bailleur n’a pas à être intrusif à
l’égard de son preneur.

Ainsi, la Cour de cassation considère qu’une clause qui interdirait au preneur d’héberger un
membre de sa famille dans le bien loué est illicite, car contraire à l’art. 8 de la ConvEDH (vie privée et
vie familiale) : Cass. Civ 3ème, 6 mars 1996.

EN SECOND LIEU, le bailleur doit garantie le preneur des troubles causés par des tiers. L’art.
1725 Cciv opère une distinction entre les troubles de droit et les troubles de fait : le bailleur ne répond
que des troubles de droit causés par des tiers. Ex. la revendication du bien par un propriétaire véritable.
Le bailleur ne répond pas des troubles de fait (ex. vol, dégât des eaux).

Mais, cette exclusion des troubles de fait causés par des tiers n’est pas totale pour autant
puisque le bailleur répond des troubles de fait qui seraient causés par des tiers avec qui il serait
contractuellement lié. Ex : le colocataire, la gardienne.
Illustration : Cass. Civ 3ème, 8 mars 2018.

B. OBLIGATIONS DU PRENEUR

Aux termes de l’art. 1528 Cciv, le preneur est tenu de deux obligations principales :
- User de la chose louée raisonnablement, suivant la destination qui lui a été donnée par le bail, ou
suivant celle présumée d’après les circonstances ou à défaut de convention ;
- Payer le prix du bail aux termes convenus.

A ces deux obligations principales, il convient d’en ajouter une troisième qui tient au caractère
provisoire de la jouissance de la chose et qui s’évince implicitement, mais nécessairement, de l’art.
1730 Cciv.

Cet art. 1730 Cciv dispose que « S'il a été fait un état des lieux entre le bailleur et le preneur,
celui-ci doit rendre la chose telle qu'il l'a reçue, suivant cet état, excepté ce qui a péri ou a été dégradé
par vétusté ou force majeure » .

Le preneur a l’obligation de la chose afin de la restituer au bailleur à la fin du bail.

1. LE PAIEMENT DU LOYER

Les modalités du paiement sont généralement définies dans le contrat : lieu, date, etc. Si le
lieu du paiement n’est pas fixé dans le contrat, c’est le droit commun qui s’applique, c’est-à-dire que
c’est au lieu du preneur que ce paiement doit s’effectuer (art. 1342-6 Cciv).

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En cas de non-respect des obligations, le preneur s’expose aux sanctions de droit commun de
l’inexécution du contrat.

LE PRENEUR PEUT-IL SUSPENDRE LE PAIEMENT DE SES LOYERS SI LE BAILLEUR A MANQUE A SES OBLIGATIONS ?

En principe oui, mais c’est une stratégie risquée. Dans la mesure où la Cour de cassation
considère que les manquements du bailleur à ses obligations doivent rendre la chose totalement
inutilisable pour justifier une exception d’inexécution.

Illustration en matière de baux commerciaux : Cass. Civ 3ème, 5 octobre 2017.

2. L’USAGE RAISONNABLE DE LA CHOSE LOUEE CONFORMEMENT A SA DESTINATION

La façon dont le preneur peut user de la chose s’apprécie à la fois objectivement et


subjectivement.

- D’UN POINT DE VUE OBJECTIF, le preneur doit user de la chose raisonnablement. Autrefois,
l’expression était « en bon père de famille ». Cela veut dire que le preneur ne doit pas commettre
d’abus de jouissance qui nuirait aux tiers (ex. tapages nocturnes). Il ne doit pas non plus effectuer
un usage qui détériorerait la chose.

- D’UN POINT DE VUE SUBJECTIF, le preneur doit s’en tenir à un usage de la chose conforme à la
destination qui lui a été donnée par le bail ou à défaut à sa destination naturelle eu égard des
circonstances. Ex. une soirée organisée dans une salle de réunion.

La clause d’habitation bourgeoise interdit au preneur d’exercer toute activité professionnelle


(commerciale, artisanale, libérale) dans les locaux loués à usage d’habitation.

3. CONSERVATION DE LA CHOSE

La conservation de la chose implique pour le preneur non seulement une obligation d’entretien
de la chose mais encore une responsabilité pour les dégradations subies par la chose.

§ L’OBLIGATION D’ENTRETIEN :

Pour que la conservation de la chose ait une réelle portée, il faut que l’usage courant de cette
chose reste neutre pour le bailleur, qu’elle n’affecte pas le bailleur.

Voilà pourquoi l’art. 1720 Cciv met à la charge du preneur les réparations locatives
correspondant à ce que l’art. 1554 Cciv appelle « le menu entretien ». Le preneur, toutefois, n’est pas
tenu des réparations locatives lorsqu’elles sont rendues nécessaires par la vétusté de la chose, ou
encore en cas de force majeure. Dans ces cas-là, les réparations locatives ne pèsent plus sur le preneur.

§ RESPONSABILITE POUR LES DEGRADATIONS DE LA CHOSE :

Le preneur doit restituer la chose dans l’état dans laquelle elle lui avait été remise. Autrement
dit, il doit restituer la chose sans dégradation, sans modification. Tous travaux modifiant la chose
doivent être acceptés préalablement par le bailleur, même si ces travaux visent à améliorer la chose.

La comparaison entre l’état initial et l’état actuel de la chose au moment de la restitution peut
s’effectuer de DEUX FAÇONS :

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- D’une part, s’il a été fait un état des lieux, la chose doit être rendu suivant cet état (art. 1730).
- D’autre part, s’il n’a pas été fait d’état des lieux, il est présumé que la chose a été louée en bon
état (art. 1731 Cciv). La chose doit alors être restituée en bon état.

La conséquence de cette restitution en l’état qui pèse sur le preneur est une responsabilité du
preneur pour toutes les dégradations dont il ne peut s’exonérer qu’en apportant la preuve d’une
absence de faute. C’est une réelle présomption de faute qui pèse sur le preneur.

Þ L’art. 1732 Cciv dispose en effet que : « Il répond des dégradations ou des pertes qui arrivent
pendant sa jouissance, à moins qu'il ne prouve qu'elles ont eu lieu sans sa faute. »

Autrement dit, le preneur doit établir que les dégradations constatées relèvent de l’usure
normale de la chose ou d’un cas de force majeure.

L’art. 1735 Cciv rend par ailleurs le preneur responsable des dégradations qui seraient le fait
des personnes de sa maison ou de ses sous-locataires.

Þ La JP a précisé quelles étaient ces « personnes de la maison ». Il s’agit des personnes qui
résident dans les lieux loués (ex. la famille, les proches hébergés) ou les personnes qui
interviennent dans les lieux loués à la demande du preneur (ex. un entrepreneur). On exclut
du champ des personnes de la maison les invités, les clients.

Un régime spécial de responsabilité est institué à l’art. 1733 Cciv pour le cas où les
dégradations résulteraient d’un incendie. Alors, le preneur doit prouver pour s’exonérer que
l’incendie :
- Soit est dû à une force majeure ;
- Soit est dû à un vice de construction ;
- Soit est dû à une communication d’un feu extérieur.

II. LA TRANSMISSION ET L’EXTINCTION DU BAIL

La question de la transmission et de l’extinction du bail est particulière puisque le bail est un


contrat à exécution successive.

A. LA TRANSMISSION DU BAIL

Ici, il s’agit d’évoquer ni plus ni moins qu’un changement de partie au contrat.

1. LE CHANGEMENT DU BAILLEUR

Le bailleur peut changer dans DIVERSES CIRCONSTANCES :

- En cas de décès du bailleur, la qualité de bailleur passera à ses héritiers par voie de successions.
C’est le principe même de la transmission du patrimoine par voie successorale qui commande ici
la succession de la qualité du bailleur.

- En cas de vente de la chose louée, l’art. 1743 Cciv prévoit que le bail est alors rendu opposable
à l’acquéreur. Le bail se transmet ici comme un accessoire de la chose, et ce alors que le droit du
preneur n’est pas un droit réel sur la chose, mais un droit personnel contre le bailleur. Mais ce
droit personnel se transmet assez curieusement comme un accessoire de la chose. Cet art. 1743
Cciv est en réalité une cession forcée du contrat de bail. Cet article précise néanmoins que la

72
transmission du bail n’opère qu’à la condition que le bail ait une date certaine. Le but est d’éviter
la fraude. La JP a considérablement assoupli cette condition en exigeant seulement la preuve que
l’acquéreur ait eu connaissance du bail en cours d’exécution.

Cette transmission automatique du bail en cas de cession n’est pas d’ordre public. L’art. 1744
Cciv réserve en effet aux parties la faculté d’y déroger par avance moyennant toutefois une
indemnisation du preneur. Cette clause de renonciation par avance à l’opposabilité du bail en cas de
cession du bien doit être stipulée dans le contrat de bail lui-même et non dans le contrat de vente.

2. LE CHANGEMENT DE PRENEUR

L’art. 1717 Cciv autorise le preneur à sous-louer le bien, voire à céder son bail à autrui, et ce
sauf clause contraire.

La plupart des baux spéciaux renversent cette règle en empêchant le locataire à procéder à
une cession de bail ou une sous-location sans avoir l’accord du bailleur (art. 8 L. 7 juillet 1989).

EN PREMIER LIEU, le bail peut être cédé à un tiers. La cession de bail n’est qu’un variante de la
cession de contrat prévue aux art. 1216 et s. Cciv. La cession de bail suit le régime de la cession de
contrat.

EN SECOND LIEU, la sous-location est l’opération par laquelle le preneur va lui-même consentir
un bail à un sous-locataire. Sauf clause contraire, cette location n’a pas à être notifiée ou autorisée par
le bailleur. Pour cause, cette sous-location ne modifie en rien la relation contractuelle entre le bailleur
et le preneur. Le preneur reste tenu à l’égard du bailleur de l’intégrité de ses obligations. C’est en ça
que la sous-location se différencie de la cession.

Þ Un tempérament : en cas de non-paiement des loyers par son preneur, le bailleur


peut exercer une action directe contre le sous-locataire dans la limite des loyers que
le sous-preneur doit au preneur. Par cette action, le bailleur peut profiter de la sous-
location.

Il faut savoir que dans les baux spéciaux, cette faculté de sous-location est interdite ou soumise
à l’autorisation du bailleur.

B. L’EXTINCTION DU BAIL

Le bail est un contrat temporaire, le bailleur s’engageant à assurer la jouissance de la chose


pendant un certain temps (art. 1709 Cciv). C’est dire que le bail est nécessairement appelé à un
moment à prendre fin.

1. LES CAUSES ACCIDENTELLES D’EXTINCTION DU BAIL

Le bail, comme tout contrat, peut s’éteindre de façon accidentelle par une résolution anticipée
du contrat. Cette résolution peut se fonder sur plusieurs motifs :

- EN CAS DE PERTE DE LA CHOSE : l’art. 1722 Cciv prévoit expressément cette possibilité, par cas fortuit.
Il faut que la perte de la chose soit totale. On vise ici la disparition matérielle de la chose mais
aussi la disparition des usages de la chose.

73
• En effet, la Cour de cassation a précisé dans un arrêt du 8 mars 2018, que cette perte de
la chose, cause de résolution du bail, doit également s’entendre de « l’impossibilité
absolue et définitive d’en user conformément à sa destination ».

• En revanche, si la perte de la chose n’est que partielle, alors le preneur dispose d’une
option : soit demander une réduction du loyer, soit demander une résolution du bail.

- EN CAS DE FAUTE DE L’UNE DES PARTIES : selon l’art. 1224 Cciv, il faut que l’inexécution soit
suffisamment grave, sauf si les parties ont stipulé une clause résolutoire spécifiant les
manquements qui seront sanctionnés.

2. LES CAUSES NORMALES D’EXTINCTION DU BAIL

§ LE BAIL A DUREE DETERMINEE :

L’art. 1737 Cciv énonce que le bail à durée déterminée prend fin par l’arrivée du terme.

L’art. 1738 Cciv précise que si le preneur reste en possession de la chose, après l’échéance du
terme, alors il s’opère un nouveau bail. Dans l’hypothèse d’un maintien dans les lieux, il y a tacite
reconduction du bail pour une durée indéterminée.

Cette tacite reconduction peut être écartée par une clause contraire du bail. En outre, cette
tacite reconduction n’opère que si le bailleur autorise le preneur à rester dans les lieux. Par
conséquent, si le bailleur ne souhaite pas reconduire le bail, il devra concrètement et positivement
faire connaître sa volonté au preneur en lui délivrant un congé.

§ LE BAIL A DUREE INDETERMINEE :

Chacune des deux parties est en droit d’y mettre fin à tout moment en délivrant un congé et
ce à condition de respecter un préavis (contractuel ou raisonnable).

C’est une application particulière de la règle de droit commun ; l’art. 1736 Cciv rappelle que le
contrat est résiliable unilatéralement par chacune des parties.

74
CHAPITRE 2. LES BAUX SPECIAUX

Le droit commun du bail n’est plus le seul droit applicable aux baux. Pour un certain nombre
de biens immobiliers particuliers, c’est un régime spécial qui trouve à s’appliquer.

D’un point de vue de politique juridique, ces statuts spéciaux d’ordre public répondent à un
seul et même objectif : garantir une meilleure protection au locataire, en lui assurant une certaine
stabilité dans sa jouissance des lieux loués et/ou en contrôler le montant des loyers.

I. LE BAIL D’HABITATION

Les baux d’habitation ont fait l’objet de 4 GRANDES LOIS :


- L. 1er septembre 1948 ;
- L. 22 juin 1982 ;
- L. 23 décembre 1986 ;
- L. 6 juillet 1989.

La loi applicable au bail d’habitation dépend de la date de conclusion du bail. Il existe encore
des baux qui dépendent de la L. 1948.

L’une des caractéristiques de ce statut spécial des baux d’habitation (L. 1989) est qu’il impose
la tacite reconduction. Par ailleurs, la L. 1989 encadre la révision des loyers.

II. LE BAIL COMMERCIAL

Le bail commercial est réglementé aux art. L141 et s. Code de commerce. L’objectif est
d’assurer une protection maximale au preneur.

Le preneur est surprotégé par des règles qui prévoient un quasi-droit au renouvellement
puisqu’arrivé à échéance, le bailleur qui refuserait de renouveler le bail commercial devra verser à son
locataire une indemnité d’éviction tendant à réparer le préjudice subi par le locataire.

Cette indemnité d’éviction, conformément à l’art. 145-14 Code de commerce, est déterminée
en fonction de la valeur du fonds de commerce.

III. LES BAUX RURAUX

Plusieurs types de baux ruraux sont spécialement encadrés par des dispositions que l’on
retrouve généralement dans le Code rural.

- Ainsi, la bail à ferme est régi aux art. 411-1 et s. Code rural. Il s’agit du bail par lequel un bailleur
donne à bail un terrain agricole moyennant le versement d’un prix.

- Le métayage prévu à l’art. 417 et s. Code rural est un bail sur un terrain rural qui va être loué à
un preneur qui va l’exploiter et qui va partager les produits de l’exploitation avec le bailleur.

75
TITRE II. LES PRETS

En première approche, le prêt est un contrat par lequel un prêteur remet une chose à un
emprunteur afin que ce dernier en ait l’usage pendant un certain temps à charge pour elle de
restituer la chose prêter à l’échéance.

Cette forme de prêt là est la plus banale qui soi : c’est le prêt à usage. On l’appelait autrement
fois le commodat.

Il existe une autre forme de prêt qui porte sur des choses consomptibles, ces choses qu’on ne
peut utiliser qu’en les consommant. Par définition, on ne peut restituer que l’équivalent. Ces prêts-là
sont des prêts de consommation. En réalité, ils ne transmettent pas que l’usage de la chose prêtée
mais aussi la propriété de la chose prêter.

CHAPITRE I. LE PRET A USAGE (COMMODAT)

Le prêt à usage est régi par les art. 1875 et s. Cciv.

L’art. 1875 Cciv en donne une définition : le prêt à usage est un contrat par lequel une des parties livre
une chose à l’autre pour s’en servir à la charge par le preneur de la rendre après s’en être servi.

Les art. 1876 et 1877 Cciv sont très importants pour saisir cette notion de prêt à usage :
- Art. 1876 Cciv : ce prêt est essentiellement gratuit.
- Art. 1877 Cciv : le prêteur demeure propriétaire de la chose prêtée.

SECTION I. NOTION DE PRET A USAGE

Le prêt à usage se reconnaît à 4 caractéristiques principales :


- Son unilatéralité (I) ;
- Sa finalité (II) ;
- Sa durée (III) ;
- Sa gratuité (IV).

I. UNILATERALITE DU PRET A USAGE

En principe, le prêt à usage est un contrat unilatéral par lequel seul l’emprunteur s’engager
à l’égard du prêteur. Le prêteur lui n’est débiteur d’aucune obligation à l’égard de l’emprunteur.

Néanmoins, ce caractère unilatéral affirmé du prêt à usage est discutable. En effet, sont mises
à la charge du prêteur certaines obligations minimes qui empêchent la qualification de véritable
contrat unilatéral.

II. FINALITE DU PRET A USAGE

Le prêt à usage vise à permettre à l’emprunter d’user de la chose que lui a remise son
prêteur, le commodant. La finalité du contrat de prêt est d’offrir un usage facultatif d’une chose à
l’emprunteur.

C’est au regard de cette finalité particulière, entièrement tournée au service de l’emprunteur,


qu’il est possible de distinguer le prêt à usage du dépôt qui est conclu dans l’intérêt exclusif du
déposant, le dépositaire ayant l’obligation de la garde de la chose et de la restituer.

76
La chose prêtée peut être de toute nature : mobilière, immobilière, corporelle, incorporelle…
La seule contrainte est qu’elle puisse être restituée en nature.

On pourrait penser que seuls les corps certains sont concernés par le prêt à usage, mais tel n’est pas
le cas en réalité. Ex. un stylo est une chose de genre et pourtant il peut être restitué en nature.

Dès lors, on serait tenté de dire que seules les choses non consomptibles sont susceptibles de
faire l’objet d’un prêt à usage. Mais là encore, la conclusion serait trop rapide car en réalité, tout
dépend de l’usage auquel les parties vont destiner la chose.
Ex. une pièce de monnaie (bien consomptible) peut être prêtée pour être exposée dans un musée et
être restituée en nature par la suite.

Ce n’est donc en définitive que si la chose est un bien consomptible ou fongible, avec une
liberté de l’emprunteur de disposer de cette chose, que l’on passera de la qualification de contrat
de prêt à usage à la qualification de prêt de consommation.

III. LA DUREE DU PRET A USAGE

L’art. 1877 Cciv précise bien que le prêteur demeure propriétaire de la chose prêtée, de sorte
que le prêt à usage est nécessairement temporaire. La restitution de la chose est de l’essence du prêt
à usage.

IV. LA GRATUITE DU PRET A USAGE

La gratuité du prêt à usage est posée à l’art. 1876 Cciv. C’est parce que ce prêt est à titre gratuit
qu’il se distingue du bail.

Mais ce n’est pas parce qu’il est gratuit que le prêt à usage est nécessairement désintéressé.
A l’origine en droit romain, le prêt à usage était considéré comme le contrat d’ami, le contrat de
bienfaisance. Aujourd’hui, le prêt à usage est devenu l’appendice de nombreuses opérations très
intéressées.

L’utilisation de cette technique du prêt à usage s’est notamment développée pour transférer
les utilités d’une chose à titre gratuit tout en s’épargnant la création d’un flux financier.

Ex. le prêt de logement de fonction ; le véhicule de courtoisie prêtée par le garagiste ; le prêt de
matériel d’exploitation : un commerçant ouvre un débit de boisson et un fournisseur de bières lui
propose de lui prêter son matériel. En échange, le commerçant s’engage à mettre le logo du
distributeur.

Ce qui est gratuit ne veut pas dire désintéressé.

Par ailleurs, la gratuité du prêt à usage n’empêche pas qu’il soit mis à la charge de l’emprunteur
une contrepartie, dès lors que celle-ci est liée à l’utilisation du bien ou dès lors que cette contrepartie
n’enrichie pas le prêteur.

Ex. Cass. Civ 3ème, 14 novembre 2004 : un terrain agricole avait été prêté et une clause mettant à la
charge de l’emprunteur toutes les charges afférentes à l’exploitation du bien, notamment la taxe
foncière. Or, la taxe foncière, contrairement à la taxe d’habitation, est directement liée à la qualité de
propriétaire. C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation a procédé à une requalification en bail
rural.

77
SECTION II. REGIME DU PRET A USAGE

I. FORMATION DU PRET A USAGE

Le prêt à usage a cette particularité d’être un contrat réel (un des derniers). Cela veut dire que
la formation du prêt à usage ne dépend pas seulement du consentement des parties. Cette formation
requiert également la remise de la chose.

La gratuité de ce contrat rend ce contrat de prêt à usage suspect pour le droit.


DANS LE PROJET DE REFORME, il est prévu de transformer le contrat de prêt à usage en un contrat
consensuel. Cela tient à l’idée de renforcer les promesses de prêt.

En effet, du fait de son caractère réel, le prêt à usage peut sans difficulté faire l’objet d’une
promesse consensuelle. Mais en cas d’inexécution de cette promesse, seuls des DI pourront être
réclamés par les bénéficiaires de la promesse. Le promettant ne pourra pas être condamné à une
exécution forcée qui impliquerait la remise de la chose (puisque c’est un élément de validité du
contrat).

II. EFFETS DU PRET A USAGE

A. OBLIGATIONS DE L’EMPRUNTEUR

L’art. 1880 Cciv dispose que « l’emprunteur est tenu de veiller raisonnablement à la garde et à
la conservation de la chose prêtée. Il ne peut s’en servir qu’à l’usage déterminé par sa nature ou par la
convention, le tout à peine de DI s’il y a lieu ».

Les obligations de l’emprunteur sont donc de deux ordres :


- L’emprunteur doit user de la chose raisonnablement et conformément à sa destination ;
- L’emprunter doit conserver, garder la chose.

Arrivé au terme du contrat, l’emprunteur aura une obligation de restituer la chose.

1. USAGE DE LA CHOSE

L’emprunteur ne peut se servir de la chose que pour l’usage déterminé par sa nature ou pas
le contrat. En cas d’usage abusif de la chose, l’art. 1881 Cciv prévoit que l’emprunteur supportera les
risques de la perte de la chose en lieu et place du propriétaire.

En outre, l’emprunteur faisant un usage abusif de la chose pourra engager sa responsabilité


contractuelle à l’égard du prêteur pour tout préjudice que ce dernier aurait dû supporter du fait de
l’usage abusif.

Un tel détournement de l’usage va exposer l’emprunteur à des poursuites pénales (art. 314-1
CP, l’abus de confiance). L’abus de confiance est le fait pour une personne à qui a été remise une chose
ou une somme d’argent de détourner l’usage à des fins frauduleuses ou à son profit.

Par ailleurs, l’usage de la chose doit en outre être personnelle. Le prêt est un contrat conclu
intuitu personae. La Cour de cassation a jugé notamment dans un arrêt du 3 novembre 1988 que
l’emprunteur ne pouvait lui-même prêter la chose à un tiers. Le sous-prêt est prohibé.

78
Enfin, l’art. 1886 prévoit que les dépenses nécessaires à l’usage de la chose (ex. carburant)
sont à la charge exclusive de l’emprunteur. Il ne peut donc pas en réclamer le remboursement au
prêteur.

2. OBLIGATION DE GARDE ET DE CONSERVATION

L’obligation de garde est en réalité reliée à l’obligation de restituer la chose à la fin du


contrat. La jurisprudence fait peser sur l’emprunteur une présomption de faute en cas de mauvaise
conservation de la chose.

Cette présomption pourra être renversée par l’emprunteur en prouvant qu’il a effectué toutes
les réparations ordinaires s’avérant nécessaires à l’entretien de la chose. Ces réparations restent à la
charge de l’emprunteur.

L’art. 1890 Cciv n’autorise le remboursement que de la seule dépense extraordinaire


nécessaire et tellement urgente qu’il n’ait pas pu en prévenir le prêteur. Dans cette hypothèse, une
dette de remboursement nait à la charge du prêteur, de sorte que c’est là qu’on fait que l’unilatéralité
du prêt à usage s’efface (plutôt ici dans un contrat synallagmatique imparfait).

QUELLES SANCTIONS APPLIQUER A UN MANQUEMENT PAR L’EMPRUNTEUR A SON OBLIGATION DE GARDE ET DE


CONSERVATION DE LA CHOSE ?

Lorsque l’emprunteur en cours d’exécution du contrat manque à ses obligations, c’est la


résolution du prêt qui pourrait être envisagée. Mais la résolution est une sanction qu’on applique avant
tout aux contrats synallagmatiques, de sorte que la sanction qui apparait la plus pertinente sur le plan
juridique est la déchéance du terme (résiliation anticipée du contrat et restitution corrélative de la
chose).

3. OBLIGATION DE RESTITUTION

Lorsque le prêt prend fin, l’emprunteur a l’obligation de restituer la chose. La restitution est
de l’essence du contrat de prêt.

3 QUESTIONS :
- Quelle chose restituer ?
- Dans quel état restituer cette chose ?
- Quand restituer cette chose ?

a. L’OBJET DE LA RESTITUTION

En principe, c’est la restitution de la chose en nature qui est exigée. Autrement dit,
l’emprunteur doit rendre exactement la même chose que celle qui a été prêtée. Il ne saurait se libérer
en restituant une chose du même genre.

A travers le prêt, le prêteur n’a jamais perdu sa qualité de propriétaire, donc il est en droit de
se faire restituer sa chose.

Mais cette exigence de restitution en nature a pu soulever quelques difficultés dans l’affaire
des pompistes :

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- En l’espèce, une société pétrolière prêtait des cuves pour la distribution de son carburant aux
pompistes. Cette société avait enfoui les cuves prêtées. Il était stipulé dans le contrat que tout
changement d’enseignes équivaudrait à une prise de fin de contrat. Or, qui dit fin de contrat dit
obligation de restitution. Les pompistes se trouvèrent en difficulté puisque les cuves étaient
enfouies et ils devaient à leurs frais procéder au désenfouissement des cuves, ce qui représentait
un coût considérable. Ils ne pouvaient pas restituer des cuves similaires. En somme, ce montage
était un moyen assez ingénieux de dissuader les pompistes de changer d’enseigner (cela leur
couterait trop cher).

- La Cour de cassation a rendu un arrêt le 18 février 1992 : elle a finalement jugé que l’obligation
de restitution en nature des cuves enfouies était illicite, en ce qu’elle constituait un frein à la
concurrence d’autres fournisseurs.

- Quelques temps auparavant, l’autorité de la concurrence avait décidé le 29 septembre 1987 que
ces clauses constituaient une entrave au libre-jeu de la concurrence.

- C’est donc le droit de la concurrence qui est venu contrarier la logique du droit civil. Mais le droit
civil a fini par s’adapter puisque le nouvel art. 1227 Cciv prévoit une exception au droit à
l’exécution forcée si celle-ci est impossible ou s’il existe une disproportion manifeste entre son
cout au débiteur de bonne foi et son intérêt.

Par ailleurs, l’art. 1352-3 Cciv impose à l’emprunteur de restituer les fruits de la chose.

b. L’ETAT DE LA RESTITUTION

La restitution de la chose doit être faite dans un état normal compte tenu de son état
d’origine. Cela revient à dire que l’emprunteur ne répond pas de l’usure résultant du temps, de la
vétusté de la chose, ni de toutes les dégradations résultant de l’usage raisonnable de la chose
conformément à sa destination.

L’emprunteur ayant le droit de jouir de la chose, il est normal qu’il puisse la restituer avec la
moins-value résultant de cet usage, sous réserve que cet usage ne soit pas fautif.

Si le prêteur parvient à convaincre le juge que la chose lui a été restitué dans un état anormal,
alors l’emprunteur a manqué à son obligation de restituer une chose en son état normal. En somme,
la restitution dans un état normal constitue pour l’emprunteur un résultat à obtenir. Il suffira d’établir
que l’état de la chose n’est pas normal au regard de ce qu’il aurait dû être selon un usage normal.

Il n’est pas nécessaire au prêteur de prouver quelle faute aurait commise l’emprunteur. C’est
dire que même si les dégradations anormales proviennent d’une cause inconnue, l’emprunteur en
répondra. Alors certes, en cas de perte ou de dégradation anormale de la chose, l’emprunteur pourra
toujours bénéficier de l’exonération pour cas de force majeure, cette règle est commandée par l’adage
res perit domino.

3 RESERVES AU CAS D’EXONERATION PAR LA FORCE MAJEURE :

- La force majeure est interprétée de manière étroite et singulièrement le caractère


d’irrésistibilité.

• Art. 1882 Cciv : « Si la chose prêtée périt par cas fortuit dont l'emprunteur aurait pu la
garantir en employant la sienne propre, ou si, ne pouvant conserver que l'une des deux,

80
il a préféré la sienne, il est tenu de la perte de l'autre. Un emprunteur doit toujours
sacrifier sa propre chose que la chose prêtée. ».

- La force majeure n’exonère pas l’emprunteur en cas de faute préalable.

• Art. 1881 Cciv dispose en effet que si l’emprunteur emploie la chose à un autre usage ou
pour un temps pour long qu’il ne le devrait, il sera tenu de la perte arrivée même par cas
fortuit. L’idée est que la perte ou la dégradation de la chose n’est pas liée à la force
majeure mais à la faute préalable de l’emprunteur.

- La force majeure n’emportera aucune exonération de l’emprunteur en cas d’estimation


préalable de la chose.

• Art. 1883 Cciv : « si la chose a été estimée en la prêtant, la perte qui arrive, même par
cas fortuit est pour l’emprunteur, s’il y a convention contraire ». L’estimation de la chose
conduit à présumer que les parties ont entendu transférer les risques sur l’emprunteur.
Si la chose périt, l’emprunteur devra néanmoins restituer la chose en valeur.

c. LE MOMENT DE LA RESTITUTION

La restitution a lieu lors de la prise de fin du contrat de prêt.

DEUX SITUATIONS :

- Le prêt à durée déterminée qui ne pose en réalité aucune difficulté lorsqu’un terme contractuel
a été stipulé, SAUF à ce que l’emprunteur ait au cours du contrat manqué à ses obligations
(déchéance du terme) ;

- Le prêt consenti pour un usage ponctuel de la chose : l’art. 1888 Cciv dispose que si aucun terme
contractuel n’a été prévu, le prêteur ne peut réclamer la restitution de la chose qu’après qu’elle
ait servi à l’usage pour lequel elle a été empruntée. On peut parler ici de « terme naturel ». Le
prêteur doit donc atteindre que l’usage de la chose cesse pour demander à l’emprunteur la
restitution de la chose.

Toutefois, l’art. 1889 Cciv précise que si pendant ce délai ou avant que le besoin de
l’emprunteur ait cessé, s’il survient au prêteur un besoin pressant et imprévu de sa chose, le juge peut,
suivant les circonstances, obligé l’emprunteur à la lui rendre (« terme accidentel »).

Une autre situation que le Code civil na pas envisagé : QUE FAIRE LORSQUE LE PRET A ETE CONSENTI
POUR UN USAGE PERMANENT ? Ex. un immeuble pour loger.

Intuitivement, on aurait tendance à considérer que ce serait un CDI. Mais non, ce n’est pas
stricto sensu un CDI mais un CDD car il est consenti pour le temps de l’usage (même s’il est permanent).

La Cour de cassation a finalement appliqué à ce prêt là le régime de rupture des CDI. La Cour
a considéré que de tels prêts consentis de manière permanente puissent être rompus de manière
unilatérale (Cass. Civ 1ère, 4 février 2004).

Pour résumer, 4 modes d’extinction :


- Un terme contractuel ;
- Un terme « naturel » : fin de l’usage ponctuel de la chose ;

81
- Un terme « judiciaire », « accidentel » : restitution immédiate ;
- Une faculté de résiliation unilatérale moyennait un préavis raisonnable.

B. OBLIGATIONS DU PRETEUR

En principe, le prêteur n’est tenu à aucune obligation. La seule obligation qui soit mise à sa
charge, au-delà de rembourser certains frais, est la garantie des vices cachés (art. 1891 Cciv).

Le prêteur n’est tenu que des vices non apparents qu’il ignorait qu’en cas de mauvaise foi.

EST-CE QUE LE PRETEUR INTERESSE PEUT ETRE PRESUME DE MAUVAISE FOI ? La JP est rare pour trancher
la question de manière définitive. Quand le prêt est un accessoire d’une opération commerciale, on
peut penser que le prêteur est tenu de connaître les vices et donc de les réparer en tout état de cause.

DEUX ARRETS :

- Cass. com., 24 novembre 1980 :

• En l’espèce, une société souhaitait vendre des cuves à vin à une coopérative agricole.
Cette dernière, avant de s’engager, a demandé qu’une cuve lui soit prêtée pour l’essayer.
Durant l’essai, la cuve s’est renversée et le vin a été perdu. Elle était affectée d’un vice
de construction.

• La Cour de cassation a considéré que la société prêteuse ne pourrait ignorer le vice, sans
preuve (donc présomption).

- Cass. Civ 1ère, 8 janvier 1985 :

• En l’espèce, un fournisseur de gaz liquide prête à une entreprise une installation de


circulation du gaz et équipe cette usine à titre gratuit, et ce afin que l’entreprise puisse
essayer cette installation. Il manquait un filtre dans l’installation et une explosion s’est
produite.

• Le prêteur ignorait les vices de l’installation mais il est ici tenu responsable en tant que
fournisseur de matériel. Il avait « le devoir de s’assurer que le matériel était exempt de
défaut ».

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CHAPITRE II. LE PRET A CONSOMMATION (MUTUUM)

En toute rigueur, le prêt à consommation ne devrait pas être inclus dans une partie relative
aux contrats transférant les utilités d’une chose. En effet, les prêts de consommation sont des prêts
qui vont rendre l’emprunteur propriétaire de la chose, qu’il devra néanmoins restituer. Mais la
restitution n’opèrera non en nature mais nécessairement en équivalent.

Ainsi, le préteur n’a plus de droit réel sur la chose. Le voilà devenu créancier d’une obligation
de restitution par équivalent ; un droit personnel qu’il exerce contre l’emprunteur.

L’art. 1892 Cciv définit ce prêt à consommation comme « le contrat par lequel l’une des parties
livre à l’autre une certaine quantité de choses qui se consomme par l’usage, à la charge pour cette
dernière de lui en rendre autant, de mêmes espèce et qualité ».

Le prêt a consommation porte bien son nom. Son appellation insiste sur le fait que l’objet du
contrat n’est pas l’usage de la chose, c’est la consommation de la chose. Dans la quasi-totalité des
hypothèses, le prêt de consommation porte sur des choses fongibles et consomptibles dont le seul
usage implique nécessairement la disparition de la chose (ex. carburant, denrées alimentaires, unité
monétaire).

Mais cela n’est pas une règle absolue. Plus rarement, le prêt à consommation peut porter sur
des choses fongibles non consomptibles. Dès lors que les parties ont prévu dans le contrat que
l’emprunteur pourrait disposer de ces choses (ex. assiette).

Peuvent également faire l’objet d’un prêt à consommation des choses non consomptibles, dès
lors que c’est prévu par la loi. Ex. l’art. L211-22 Code monétaire et financier porte sur les prêts de titres
financiers. Ces prêts sont soumis au régime des prêts de consommation, alors pourtant qu’une
obligation ne se consomme pas par son usage.

Ce n’est pas tant la nature de la chose qui importe pour distinguer le prêt à usage du prêt à
consommation, que la faculté qu’a l’emprunteur de disposer de la chose prêtée et de la restituer in
fine par équivalent. C’est précisément parce que le chose à restituer doit être identique que le prêt
à consommation se distingue de l’échange.

Ce prêt a donc particularité d’emporter la chose du patrimoine du prêteur vers le patrimoine


de l’emprunteur. Cela permet notamment de stipuler un intérêt transformant ainsi le contrat de prêt
en contrat à titre onéreux.

SECTION I. LES REGLES COMMUNES

I. LES ELEMENTS CARACTERISTIQUES DU PRET DE CONSOMMATION

Fondamentalement, le prêt de consommation se caractérise par deux éléments :


- Le transfert de propriété (A) ;
- La faculté de stipuler un intérêt (B).

A. LE TRANSFERT DE PROPRIETE

Ce transfert de propriété est prévu par l’art. 1893 Cciv : « Par l'effet de ce prêt, l'emprunteur
devient le propriétaire de la chose prêtée ; et c'est pour lui qu'elle périt, de quelque manière que cette
perte arrive ».

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Si le Code civil admet que s’opère ici un véritable transfert de propriété, ce n’est pas pour
respecter une quelconque volonté des parties. La finalité de ce prêt n’est pas fondamentalement le
transfert de propriété. C’est la jouissance de la chose prêtée qui implique par construction la
destruction de la chose.

En vérité, le législateur est conduit à acter un transfert de propriété par la force des choses.
Pour jouir d’une chose consomptible, il faut nécessairement la consommer. Consommer une chose
c’est disposer de la chose ; l’emprunteur exerce donc sur cette chose l’abusus, pouvoir étroitement
corrélé à la propriété.

Voilà pourquoi un transfert de propriété opère dès la formation du prêt de consommation.


D’ailleurs, l’art. 1444 de l’avant-projet de réforme propose de réintituler ce prêt en « prêt translatif ».

Ce transfert dès la formation du prêt emporte 4 CONSEQUENCES PRINCIPALES :

- 1ERE CONSEQUENCE. L’emprunteur n’a pas l’obligation de conserver la chose (puisqu’il peut la
détruire en la consommant) ;

- 2EME CONSEQUENCE. La chose périt aux risques de l’emprunteur puisque ce dernier en est devenu
le propriétaire (res perit domino) ;

- 3EME CONSEQUENCE. L’obligation de restitution mise à la charge de l’emprunteur opèrera par


équivalent. L’emprunteur devra remettre au prêteur une chose du même genre et de même
qualité que celle qu’il a reçu. Cela emporte DEUX CONSEQUENCES :

• Les plus-values que ce genre de chose a pu connaître vont profiter au prêteur dans la
mesure où celui-ci se verra restituer une chose plus chère que ce qu’il avait prêté.

• A l’inverse, les moins-values tournent au profit de l’emprunteur.

L’art. 1895 Cciv exprime bien cette idée en affirmant que :

« L'obligation qui résulte d'un prêt en argent n'est toujours que de la somme énoncée au contrat. S’il y
a eu augmentation ou diminution d'espèces avant l'époque du paiement, le débiteur doit rendre la
somme prêtée, et ne doit rendre que cette somme dans les espèces ayant cours au moment du
paiement. »

En outre, cette règle traduit le principe du nominalisme monétaire. L’emprunteur est libéré
par la remise exacte du même nombre d’unité monétaire. Ex. 1 euro en 2022 = 1 euro en 2040.

C’est ce qu’indique l’art. 1895 al.1er Cciv. Cette règle n’est pas d’ordre public, puisqu’il est tout
à fait possible aux parties d’indexer ce prêt dans le respect des conditions posées aux art. L112-1 et
L112-2 du CMF.

Il est même possible d’indexer le prêt sur la valeur d’une monnaie étrangère. La Cour de
cassation, dans un arrêt rendu le 20 février 2020, a jugé qu’une telle clause d’indexation d’un prêt sur
la valeur d’une monnaie étrangère ne constituait pas une clause abusive, pour autant que ces clauses
aient été rédigées de façon suffisamment claire et compréhensible pour l’emprunteur.

- 4EME CONSEQUENCE. Dès lors que le prêt a été conclu et donc que la propriété a été transférée, les
créanciers du prêteur ne peuvent plus revendiquer le bien. Par ailleurs, le prêteur lui-même ne

84
peut plus revendiquer ce bien. Si une procédure collective devait être ouverte, il serait traité
comme un créancier chirographaire.

B. LA FACULTE DE STIPULER UN INTERET

La notion d’intérêt joue un rôle fondamental dans la genèse de la pensée capitaliste. L’intérêt
parait aujourd’hui aller de soi. Mais historiquement, la mission de l’onérosité du prêt, donc la
stipulation d’un intérêt, s’est heurtée à de nombreuses réticences rationnelles d’abord : QUELLE EST LA
CAUSE DE CET INTERET ?

§ OBJECTIONS PHILOSOPHIQUES :

Déjà Aristote s’opposait à ce que de la monnaie puisse produire de la monnaie (c’était


contraire à la nature des choses). De fait, l’intérêt rémunère l’argent. Ce n’est pas la rémunération
d’user de la chose puisque par définition la propriété de la chose a été transférée.

On peut répondre à cela que cet intérêt vient indemniser le prêteur des opportunités qu’il a
manqués et qu’il aurait pu saisir s’il avait conservé sa chose, conservé son argent.

§ OBJECTIONS RELIGIEUSES :

Ensuite, la religion chrétienne prohibe le prêt à intérêt. Saint-Thomas d’Aquin : « La monnaie


a été principalement inventée pour les échanges, ainsi son usage propre et premier est d'être
consommée, dépensée dans les échanges. Par suite, il est injuste en soi de recevoir un prix pour l'usage
de l'argent prêté ».

Ce sont les protestants qui les premiers ont admis le prêt à intérêt, raison pour laquelle ce prêt
s’est d’abord développé dans les pays protestants.

§ OBJECTIONS SOCIALES :

Le prêt à intérêt conduit à l’endettement, qui lui conduit au surendettement. Pour rembourser
ses dettes, on emprunte. Cette préoccupation est au cœur de toute législation contemporaine.

Toutes ces raisons conjuguées ont conduit à ce que pendant longtemps, le prêt à intérêt soit
purement prohibé. La pratique contournait cette interdiction.

Le Code napoléon va pour la première fois reconnaître la validité du prêt à intérêt car ces
rédacteurs avaient bien saisi l’utilité économique du prêt. A la lecture du Code, on constate qu’il y a
tout de même une réserve (art. 1905 Cciv). L’intérêt n’est donc pas de droit, mais doit être stipulé au
contrat. En sorte que le mutuum est en principe un contrat conclu à titre gratuit qui ne devient
onéreux que par la volonté des parties.

En somme, l’onérosité peut être prévue mais l’onérosité doit être prévue.

Toutefois, l’art. 1906 Cciv pose un tempérament à cette règle : « L’emprunteur qui a payé des
intérêts qui n’étaient pas stipulés ne peut ni les répéter (rembourser), ni les imputer sur le capital ». En
cas de paiement spontané d’intérêt par l’emprunteur qui ne figure pas au contrat, cet emprunteur ne
peut en obtenir le remboursement.

L’intérêt représente pour le prêteur une rémunération semblable à un loyer. Pourtant, cette
onérosité facultative du prêt ne transforme pas ce prêt en bail, pour la simple et bonne raison que

85
dans un bail, le locataire ne se voit pas transférer la propriété de la chose. C’est ce qui explique qu’en
principe le bail peut porter que sur des choses non consomptibles.

Le prêteur n’est pas tenu de fournir à l’emprunteur la jouissance paisible de la chose dans la
mesure où l’emprunteur en est devenu le propriétaire. C’est à lui d’assurer la jouissance de sa chose.

En définitive, le prêt de consommation, même consenti à titre onéreux, demeure une figure
contractuelle propre, autonome, distincte du bail. Alors, DEUX QUESTIONS SE POSENT AU SUJET DE L’INTERET :
- Sa nature juridique ;
- L’anatocisme.

1. LA NATURE JURIDIQUE DE L’INTERET

Pour comprendre la nature juridique de l’intérêt, il faut se référer à l’art. 1907 al.1er Cciv :
« L’intérêt est légal ou conventionnel. Il est fixé par la loi. L’intérêt conventionnel peut excéder celui de
la loi toutes les fois que la loi ne le prohibe pas ».

DEUX HYPOTHESES :

- 1ERE HYPOTHESE. Un prêt est conclu avec stipulation d’intérêt sans que le taux ne soit fixé. Dans cette
hypothèse, le taux de référence sera le taux légal. Cet intérêt au taux légal n’est pas exactement
une rémunération. Il renvoie davantage à une indemnité forfaitaire qui vient compenser, réparer
le fait pour le prêteur de ne pas avoir pu disposer de sa chose, de son argent.
Mais comme ce préjudice est difficile à évaluer, la loi a prévu des taux pour tous les contrats qui
n’auraient pas prévu de taux.

- 2EME HYPOTHESE. Un prêt a été conclu avec un intérêt. Cet intérêt peut être supérieur au taux légal.
Il prend alors la nature d’une rémunération. Cet intérêt viendrait rémunérer le service que
l’argent prêté a rendu à l’emprunteur. Pour autant, cette façon de raisonner n’est pas sans
soulever certaines difficultés :

• Que se passe-t-il si l’emprunteur n’a pas employé les fonds à quoique ce soit ?

Ex. l’emprunteur a emprunté une somme d’argent pour acheter un bien. Par la suite, le
vente est annulée. L’emprunteur doit-il toujours au prêteur les intérêts conventionnels alors
que le prêt ne lui a servi à rien ? Si les intérêts représentent la rémunération d’un service
rendu par le prêteur, alors il faudrait en conclure que l’emprunteur ne doit plus ces intérêts.

Cependant, la Cour de cassation a fait barrage à cet argument dans un arrêt rendu le 20
novembre 1974 : il a été jugé que la cause de l’obligation de l’emprunteur résidait dans la
mise à disposition des fonds nécessaires à l’acquisition qu’il allait effectuer. Dans cette
optique, les intérêts représentent purement et simplement de l’argent dormant.

2. L’ENCADREMENT DE L’ANATOCISME

L’anatocisme est une technique qui consiste à faire produire des intérêts aux intérêts.

En principe, les intérêts sont calculés à partir du capital, de la valeur de ce qui a été remis et
en fonction d’un pourcentage. L’anatocisme va consister à ajouter au capital, pour le calcul des
intérêts, les intérêts qui n’auraient pas été payés (ex. emprunteur défaillant, autorisation du prêteur).

86
Ces intérêts vont donc augmenter le capital de référence pour le calcul des intérêts futurs.
L’anatocisme est donc une merveilleuse technique pour accélérer la spirale de l’endettement.

C’est la raison pour laquelle le droit a toujours été extrêmement méfiant à l’égard de
l’anatocisme. L’art. 1343-2 Cciv ne le prohibe pas mais il l’encadre. L’anatocisme d’une part, doit être
stipulé au contrat, et d’autre part, ne peut pas jouer avec une périodicité inférieur à un an.

II. LE REGIME GENERAL DU PRET DE CONSOMMATION

A. LES CONDITIONS DE FORMATION

Les conditions de formation sont classiques :


- Un objet déterminé ou déterminable qui soit dans le commerce juridique ;
- Le consentement intègre des parties ;
- Des parties capables de disposer de la chose.

A l’instar du prêt à usage, le prêt de consommation est un contrat réel de sorte que la remise
de la chose constitue une condition de formation du contrat, et non une exécution d’une obligation
contractuelle.

Voilà pourquoi la promesse consensuelle de prêt à consommation, quoique valable, n’est pas
pleinement engageante pour le contractant puisqu’en cas d’inexécution, ce ne sera qu’une sanction
de simples DI.
Ex. Civ 1ère, 20 juillet 1981.

B. LES EFFETS

1. LES OBLIGATIONS DE L’EMPRUNTEUR

Fondamentalement, l’emprunteur est tenu à DEUX OBLIGATIONS :


- Restituer l’équivalent de la chose à m’échéance ;
- Payer, le cas échéant, les intérêts (si consenti à titre onéreux).

a. L’OBLIGATION DE RESTITUTION

L’emprunteur a l’obligation de restituer la chose par équivalent aux termes convenus.


Contrairement à ce qu’il faut en matière de prêt à usage, la restitution opère en équivalent, ce qui
explique que l’emprunteur ne puisse pas s’exonérer en apportant la preuve d’un cas de force majeure.
Le transfert de propriété implique le transfert des risques sur la tête de l’emprunteur.

A QUEL MOMENT CETTE OBLIGATION DE RESTITUTION EST-ELLE EXIGIBLE ?

En matière de prêt de consommation, le terme est conventionnel ou judiciaire.

Dans le cas du TERME JUDICIAIRE, le juge ne va pas intervenir dans les mêmes circonstances que
celles dans lesquelles il intervient en matière de prêt à usage.

L’art. 1899 Cciv envisage le TERME CONVENTIONNEL : le prêteur ne peut réclamer la restitution de
la chose qu’à l’arrivée du terme convenu. Cela veut dire que le juge ne peut pas ici intervenir dans
l’hypothèse d’un besoin urgent du prêteur.

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La règle qui existe en matière de commodat n’existe pas en matière de mutuum. Il y a une
volonté de protéger l’emprunteur qui est devenu pleinement propriétaire et qui a pu consommer
cette chose. On veut éviter de mettre cet emprunteur en difficulté.

Si le prêt à consommation est à durée très lointaine, alors le juge peut fixer un terme. DEUX TEXTES :

- Art. 1900 Cciv : « S’il n’a pas été fixé de terme pour la restitution, le juge peut accorder à
l’emprunteur un délai suivant les circonstances. »

- Art. 1901 Cciv : « S’il a été seulement convenu que l’emprunteur paierait quand il le pourrait ou
quand il aurait les moyens, le juge lui fixera un terme de paiement suivant les circonstances. »

• Ici, c’est la clause de retour à meilleure fortune. C’est un terme futur et certain. Or, en
l’espèce, il n’est pas certain que dans le futur l’emprunteur aura la possibilité de payer. Cela
devrait donc relever du régime de la condition et non du terme. On le traite comme un terme
car la fonction donnée à cet évènement est de suspendre son exigibilité. Mais ce terme peut
être très lointain et purement incertain. C’est pour cela que la loi permet au juge d’intervenir
pour fixer un terme judiciaire.

b. LE PAIEMENT DES INTERETS

Le paiement des intérêts doit être effectué par l’emprunteur à chaque terme convenu. A
défaut de précision dans le contrat de cette périodicité, le paiement des intérêts interviendra chaque
année.

Lorsque des intérêts sont stipulés, il faut bien avoir conscience que le terme prévu pour leur
paiement est stipulé dans l’intérêt du prêteur. Plus le terme est lointain, plus il touchera d’intérêts.
C’est la raison pour laquelle, si l’emprunteur souhaite rembourser son prêt avant l’échéance, il doit
obtenir, conformément à l’art 1305-3 Cciv, le consentement du prêteur.

2. LES OBLIGATIONS DU PRETEUR

Le prêt de consommation opère un transfert de propriété de la chose. En conséquence de quoi,


le prêteur n’a pas à rembourser à l’emprunteur les dépenses qui seraient liées à la conservation de la
chose, même les dépenses extraordinaires. C’est un titre distinctif avec le prêt à usage. Il n’y a pas lieu
d’entretenir une chose qui a vocation à être détruite.

En revanche, aux termes de l’art. 1898 Cciv, le prêteur reste tenu d’une garantie des vices
cachés telle qu’elle est prévue à l’art. 1891 Cciv régissant le prêt à usage.

SECTION II. LES REGLES PROPRES AU PRET D’ARGENT

Le prêt d’argent constitue l’épure du prêt de consommation car la monnaie est le bien fongible
consomptible par excellente. Elle est utilisée partout, par tous et de tous temps.

Mais le prêt d’argent n’a pas toujours été regardé avec faveur dans nos sociétés. S’il a fini par
être largement accepté dans nos sociétés, c’est uniquement en raison de son utilité économique
incontestable. Pour autant, notre droit contemporain conserve certain stigmate de cette méfiance
originaire à l’égard de ce prêt d’argent. Notre droit s’occupe de la situation de l’emprunteur, à lui
assurer une certaine protection.

88
De fait, le prêt d’argent a été assorti d’un appareillage particulier, notamment lorsqu’il est
consenti à titre professionnel ; on parle d’opérations de crédit.

En somme, le prêt d’argent est une figure particulière du prêt de consommation, raison pour
laquelle il en suit son régime. Toutefois, les prêts d’argent rémunérés connaissent un certain nombre
de règles spécifiques.

ATTENTION ! Le prêt rémunéré, lorsqu’il est consenti par un professionnel, prend la forme d’un crédit.
Mais le crédit désigne en réalité des opérations plus larges que le simple prêt. Un crédit peut résulter
par ex. d’une opération de découvert, d’une facilitation de paiement.

I. LES REGLES COMMUNES AUX PRETS D’ARGENT REMUNERES

A. DU PRET D’AMI AU PRET PROFESSIONNEL

Sur le plan théorique, on passait du prêt au crédit, on bascule de la sphère amicale à l’activité
financière. Le développement de l’économie repose sur le crédit. C’est un des leviers les plus
importants de la croissance économique. Ce crédit est organisé par des professionnels spécialisés : les
établissements de crédit (= les banques).

Par une grande L. 1984, le législateur a réservé à ces établissements de crédit, ce qu’on appelle
le monopole bancaire (art. L511-5 CMF). Du fait de ce monopole, les établissements de crédit sont en
principe les seuls à pouvoir effectuer à titre habituel les opérations de banque qui sont définies à l’art.
L311-1 CMF. Ces opérations de banque sont au nombre de 3 :
- Effectuer des opérations de crédit à titre habituel ;
- Recevoir à titre habituel des fonds remboursables du public ;
- Fournir des services bancaires de paiement.

La violation du monopole bancaire est sanctionnée lourdement :


- Sur le plan pénal : 375 000 euros d’amende et 3 ans d’emprisonnement ;
- Sur le plan civil : la nullité du contrat (AP, 4 mars 2005).

Ce monopole bancaire sur le crédit tend à se réduire à mesure que le législateur vient poser
des exceptions à ce monopole bancaire. 3 EXCEPTIONS :
- L’art. L511-7 CMF précise que le monopole bancaire ne fait pas obstacle aux conventions de
trésorerie intragroupes.
- L’art. L511-6 CMF admet le crédit inter-entreprises qui va permettre à certaines entreprises
d’accorder des crédits rémunérés à d’autres entreprises avec lesquelles elles entretiennent des
liens économiques.
- L’art. L511-6 CMF a levé ce monopole pour admettre le prêt participatif.

En dehors de ces trois exceptions, le monopole s’applique pleinement, tant et si bien que le
prêt d’argent qui relève du seul Code civil est nécessairement marginal. Le Code civil n’est appelé qu’à
régir que le prêt d’argent quelconque.

B. DU CONTRAT REEL AU CONTRAT CONSENSUEL

Le simple prêt d’argent demeure un contrat réel, et ce même s’il est consenti à titre onéreux.
Il en va autrement pour le prêt d’argent consenti par un professionnel du crédit puisque la Cour de
cassation a jugé qu’il s’agissait d’un contrat consensuel (Cass. 28 mars 2000).

89
Ce contrat consensuel se forme par le seul échange des consentements. A ce moment-là, le
prêteur devient immédiatement débiteur d’une obligation de transmettre les fonds. Cette obligation
est susceptible d’exécution forcée.

En outre, le caractère consensuel de ce prêt conduit à affirmer que le terme de ce prêt court à
compter de l’accord et non de la remise des fonds.

3 REMARQUES :

- C’est en fonction de la qualité des parties, et plus particulièrement de la qualité du prêteur,


que va dépendre la qualification du contrat (réel / consensuel), ce qui suscite une certaine
perplexité. Fondamentalement, le contrat reste le même, mais il devient consensuel par la
simple qualité des parties.

- La qualification de contrat consensuel attaché au prêt d’argent a une influence directe sur la
force de la promesse de prêt. Le professionnel du crédit sera forcé d’exécuter sa promesse.

- En revanche, la Cour de cassation a bien précisé que le prêt non consenti par un établissement
de crédit demeure un contrat réel (Civ 1ère, 7 mars 2006).

La Cour de cassation adopte une conception assez large du professionnel du crédit puisqu’elle
a appliqué cette qualification à une caisse d’allocation familiale (Civ 1ère, 27 juin 2006).

II. LES REGLES APPLICABLES AU PRET D’ARGENT

A. L’ENCADREMENT DU TAUX CONVENTIONNEL

Le taux conventionnel doit répondre à DEUX EXIGENCES :

1. LA FORME

Le prêt d’argent étant un prêt de consommation, la stipulation d’un intérêt suit le régime de
l’art. 1907 Cciv. Ce taux doit donc être écrit (formalisme ad validitatem).

2. LE QUANTUM

Le quantum est en réalité plafonné ; au-delà d’un certain seuil, ce taux devient usuraire.

a. NOTION DE L’USURE

L’intérêt conventionnel est en effet encadré par ses règles relatives à l’usure. C’est la
prohibition des taux usuraires. Cette défiance à l’égard de l’usure remonte à très loin, au moins à la
Rome antique, même si dès celle-ci les praticiens contournaient cette prohibition. En 1804, le Code
civil a introduit cette notion de « taux d’usure », c’est-à-dire ce taux conventionnel au-delà duquel est
interdit à de fixer (à cette époque, 5%).

Cette interdiction du taux usuraire a été suspendue à la fin du 19ème siècle puis est revenue
dans notre droit par la L. 28 décembre 1966. Cette loi a prévu un taux maximal régulièrement revu par
décret et a assorti la stipulation des taux usuraires à des sanctions civiles et pénales.

90
- LES SANCTIONS CIVILES frappent sans excès. Elles consistent en une réduction du taux usuraire au
taux maximum autorisé. En conséquence de quoi, les sommes versées indument au prêteur
devront être restituées à l’emprunteur eu égard à ce nouveau temps.

- LES SANCTIONS PENALES sont particulièrement lourdes puisque l’usure est passible de 2 ans
d’emprisonnement et/ou d’une amende de 300 000 euros.

b. DOMAINE DE LA PROHIBITION DE L’USURE

D’UN POINT DE VUE MATERIEL, la législation sur l’usure s’applique aux prêts d’argent mais
s’applique également à d’autres opérations qui posent la même problématique parce qu’elle crée une
illusion dangereuse. Ce sont d’une part la vente à tempérament (intégralement financée par le
vendeur) et d’autre part les découverts en comptes.

D’UN POINT DE VUE DES PERSONNES, il y a eu des évolutions. Autant, en 1966 concernait tout le
monde, autant aujourd’hui des restrictions sont apparues. D’abord, la législation sur l’usure a été
versée dans le Code de la consommation lors de l’adoption de ce code en 1993 (art. L214-6). Cette
codification a posé un problème concernant la délimitation des personnes concernées par l’usure.

Du fait de son intégration dans le Code de la consommation, la législation sur l’usure ne


s’appliquait-elle plus qu’aux prêts consentis entre professionnels et consommateurs. Le législateur
n’avait jamais entendu le restriction du champ d’application de la législation sur l’usure. Le législateur
a donc doublé cette difficulté en codifiant dans le Code monétaire et financière.

Ce champ d’application a été restreint par une L. 2003 dite « Loi Dutreil », qui a supprimé le
délit d’usure pour les prêts consentit à des personnes morales exerçant une activité commerciale,
industriel ou financière. En somme, la loi cantonnait le domaine de l’usure au seul prêt consenti à des
consommateurs.

Une L. 2005 a étendu cette suppression du délit d’usure aux personnes physiques agissant
pour leurs besoins professionnels.

Au résultat, la prohibition de l’usure a été maintenue dans les rapports entre professionnels
mais uniquement pour les découverts en compte (art. L313-5-1 CMF). En revanche, le législateur a
supprimé la sanction pénale.

SYNTHETIQUEMENT :

- Depuis 2003 et 2005, la réglementation relative à l’usure ne s’applique pas aux prêts consentis
par des personnes physiques ou morales exerçant une activité professionnelle, sauf pour les
découverts en compte (mais pas de sanction pénale).

- C’est donc dans les rapports entre consommateurs et professionnels que le taux usuraire reste
prohibé de façon générale, et sanctionné civilement et pénalement.

c. CALCUL DE L’USURE

La détermination du taux usuraire est précisée à l’art. L.314-6 du Code de la consommation.


Il y a usure lorsque le taux effectif global excède le taux effectif moyen de plus d’un tiers.

91
Le taux effectif global est un taux reconstitué qui vise à faire apparaître le coût total du crédit
que devra obligatoirement assumer l’emprunteur s’il s’engage. Ce taux donne donc une
compréhension synthétique, immédiate de la totalité des charges financières qui pèseront sur
l’emprunteur.

C’est la raison pour laquelle la mention de taux effectif global est obligatoire dans les crédits à
la consommation et les crédits immobiliers.

EN SOMME, le taux effectif global va comprendre non seulement les intérêts, mais également le
coût de l’assurance, les frais de dossiers, les frais de gestion, etc., tous les coûts auxquels l’emprunteur
s’expose. Si tous ces coûts additionnés qui vont faire ressortir ce taux effectif global, excèdent de plus
d’un tiers le taux effectif moyen consenti par les banques, alors il y a usure.

B. LES OBLIGATIONS RENFORCEES DU PRETEUR

Par-delà les obligations d’information auxquelles il est tenu, le prêteur de deniers est
également débiteur d’une obligation de mise en garde de l’emprunteur. Cette obligation se
déclenche à l’égard d’un emprunteur non averti et a été posé par un arrêt de la chambre mixte du 27
juin 2007. Un emprunteur non averti est un emprunteur non professionnel.

L’obligation de mise en garde s’étend également à la caution non avertie. Concrètement, cela
veut dire que le prêteur doit se renseigner sur les compétences, sur les connaissances dont disposent
l’emprunteur.

Le caractère averti ou non de l’emprunteur ou de sa caution demeure une source de


contentieux où il se dégage une certaine casuistique (cas par cas) de la profession exercée par
l’emprunteur.

L’obligation de mise en garde est une obligation qui va plus loin que la simple obligation
d’information. C’est une obligation de plus forte intensité (c’est même la plus forte). Il s’agit pour le
prêteur (en pratique la banque) de présenter à son client les risques spécifiques qu’il court en réalisant
cette opération, et singulièrement au regard du risque d’endettement.

C’est dire en somme que le prêteur doit alerter l’emprunteur lorsqu’il apparait que le prêt
n’est pas adapté aux capacités financières de l’emprunteur, en sorte qu’il risque de faire supporter
un endettement excessif au regard de sa solvabilité.

De surcroît, il doit mettre en garde sa caution s’agissant des risques d’un défaut de paiement
du débiteur principal, et donc du risque créé pour la caution d’un endettement (Com., 23 septembre
2014 : application du devoir de mise en garde à la caution de l’emprunteur).

92
PARTIE III. LES CONTRATS DE SERVICE
Les contrats portant sur les services ont connu une expansion fulgurante à la faveur du
mouvement de tertiarisation de notre économique post-industrielle. A priori, la notion de services est
une notion assez insaisissable, difficile à délimiter.

D’une façon générale, le service consiste dans la mise à disposition d’une prestation
manuelle, intellectuelle, artistique, etc., bref une prestation humaine au sens large. Cette prestation
humaine va produire de la valeur ou du moins conserver une valeur.

TITRE I. LE CONTRAT D’ENTREPRISE


Parmi tous les contrats de prestation de services, c’est assurément le contrat d’entreprise qui
occupe la place la plus importante. Dans le Code civil, ce contrat d’entreprise est appelé « contrat de
louage d’ouvrages ». C’est la doctrine qui lui a donné l’appellation de contrat d’entreprise.

Il s’agit en somme d’un contrat par lequel une personne s’oblige, moyennant rémunération,
à exécuter un travail déterminé à titre personnel et de façon indépendante.
- A TITRE PERSONNEL : le contrat d’entreprise n’emporte pas de représentation. L’entrepreneur agit
en son nom et pour son compte.
- A TITRE INDEPENDANT : l’entrepreneur n’est pas subordonné au maître d’ouvrage.

La définition donnée est une définition très générale qui va de pair avec l’extraordinaire
diversité des prestations qui peuvent être l’objet d’un contrat d’entreprise. Ex. construire un bien
immobilier, le rénover. Mais les services peuvent porter sur des biens immobiliers, ou sur aucun bien
en particulier (ex. conseil, formation). Les prestations de service ne sont bornées que par l’imaginaire
des Hommes.

Cela ressort très clairement de l’art. 1710 Cciv qui dispose que « Le louage d'ouvrage est un
contrat par lequel l'une des parties s'engage à faire quelque chose pour l'autre, moyennant un prix
convenu entre elles ».

Si on prend cette définition à la lettre, le contrat d’entreprise sera in fine au fondement de tout
contrat. Mais résonner ainsi de tout contrat un contrat d’entreprise serait un résonnement fautif d’un
point de vue historique, car cet art. 1710 Cciv a été élaboré à une époque où l’obligation de faire n’avait
pas la même dimension que celle qu’elle revêt aujourd’hui. A l’époque romaine, c’était une prestation
de service qu’une personne pouvait rendre car cette personne disposait de telle ou telle qualité.

C’est ce qui explique que le Code civil ait fait de ce contrat un contrat intuitu personae. Le
Code civil a situé le contrat d’entreprise comme une sous espèce du contrat de louage. Il a développé
son régime aux art. 1779 à 1799 Cciv.

Pour désigner le débiteur du contrat d’entreprise, on parle de locateur, d’ouvrier, ou plus


généralement d’entrepreneur. L’autre partie, celle qui commande la prestation, est appelée le client,
le donneur d’ordre, ou encore le maître d’ouvrage.

Ce contrat d’entreprise a connu une formidable ramification. A mesure que de nombreux


services se sont développés, ces derniers sont ressortis du contrat d’entreprise. Seulement, 21 articles
dans le Code civil, c’est assez court pour réglementer un contrat aussi important.

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La JP a développé un corps de règles assez substantiels pour donner au régime général du
contrat d’entreprise une épaisseur.

CHAPITRE I. NOTION DE CONTRAT D’ENTREPRISE

Compte tenu du caractère vieilli du Code civil, les contours de la notion de contrat d’entreprise
ont été faits par la JP. L’enjeu de la qualification est de pouvoir distinguer le contrat d’entreprise des
autres contrats, et de ce fait appliquer le régime correct. Mais toute la difficulté est de tracer la
frontière avec les contrats voisins.

SECTION I. LES TRAITS DISTINCTIFS DU CONTRAT D’ENTREPRISE

Le contrat d’entreprise est un contrat synallagmatique avec :


- D’un côté, un entrepreneur qui doit fournir une prestation de service ;
- Et de l’autre, un client qui bénéficie de cette prestation et qui doit rémunérer l’entrepreneur.

I. L’OBLIGATION DE FOURNIR UNE PRESTATION

L’obligation de fournir une prestation constitue l’obligation distinctive parmi tous les autres
contrats. L’art. 1710 Cciv évoque le fait de faire quelque chose. Cela porte donc sur une prestation qui
peut être entendue comme un travail à réaliser.

Plus précisément, cela doit consister en des actes matériels (A), et doit être fournie de façon
personnelle (C) et indépendante (B) par l’entrepreneur.

A. DES ACTES MATERIELS

ATTENTION ! Dire que la prestation doit porter sur des actes matériels ne signifie pas que la prestation
doit porter sur une chose corporelle, matérielle. La prestation peut être intellectuelle. Lorsqu’on dit
qu’elle porte sur des actes matériels, on entend par là que l’entrepreneur s’engage à effectuer à
des actes matériels par opposition aux actes juridiques qui ressortissent au contrat de mandat.

- La prestation matérielle peut consister en un travail sur une chose matérielle. Ex. construction,
réparation, entretien de la chose. Toute intervention sur une chose matérielle peut en somme
relever du contrat d’entreprise.

- La prestation matérielle peut consister en une prestation purement intellectuelle. Ex. réalisation
d’une œuvre artistique.

- La prestation matérielle peut consister en la mise en œuvre de tous les moyens nécessaires pour
atteindre un but précis. Ex. lorsque le but est de surveiller la chose, un contrat de surveillance ;
lorsque le but est de transporter les personnes, un contrat de transport.

L’obligation de fournir une prestation à laquelle est tenue un entrepreneur doit donc
s’entendre sous toutes ses formes, pourvu qu’il s’agisse d’actes matériels et non d’actes juridiques.

B. UNE PRESTATION INDEPENDANTE

L’indépendance est un caractère essentiel du contrat d’entreprise. Cette indépendance dans


la réalisation de la prestation permet de distinguer le contrat d’entreprise du contrat de travail.

94
En effet, dans un contrat de travail, la mission du salarié est toujours définie abstraitement, et
c’est ce qui justifie que l’employeur a sur ce dernier un pouvoir permettant de caractériser un lien de
subordination.

A l’inverse, dans le contrat d’entreprise, l’entrepreneur se voir octroyer une mission précise,
définie. L’entrepreneur a le choix des moyens pour réaliser sa mission. Il peut même sous-traiter la
réalisation de tout ou partie de la prestation.

C’est cette indépendance qui explique que le maitre d’ouvrage ne soit pas responsable des
dommages causés par l’entrepreneur. Il n’y a pas de lien de préposition dans le contrat d’entreprise.

On considère que l’entrepreneur à qui on a eu recours dispose des compétences, du savoir-


faire pour réaliser la prestation. Par conséquent, il n’a pas de conseils et encore moins de directives à
recevoir du maître d’ouvrage.

Cela soulève un problème épineux lorsque le maître d’ouvrage a tendance à s’immiscer un peu
trop dans la réalisation de la prestation. Il est naturel que le maître d’ouvrage s’immisce un peu (ex.
définit le contenu de l’ouvrage), donc la question qui se posera est la suivante :

A PARTIR DE QUAND CETTE IMMISCION FAIT PERDRE A L’ENTREPRENEUR SON INDEPENDANCE ?

Cass. 3ème Civ., 5 juin 1968 (arrêt Giraudy) :

- En l’espèce, un panneau d’affichage de la société Giraudy avait été apposé sur un immeuble
en construction. Il s’est déchiré et a blessé un passant. Ce passant agit en responsabilité contre
la société Giraudy et cette dernière appelle en garantie son entrepreneur qui avait procédé à
l’affichage du panneau.

- La question était de savoir si l’entrepreneur devait être considéré comme le seul responsable.
C’est donc bien sur l’indépendance de l’entrepreneur que le débat a porté. En l’espèce, la
société Giraudy avait soumis à l’entrepreneur certaines instructions. L’entrepreneur avait
refusé d’exécuter ces directives.

- De ce refus, la Cour de cassation a considéré que l’entrepreneur avait gardé toute son
indépendance et était tout à fait libre d’assurer comme il l’entendait l’exécution de son travail.

C. UNE PRESTATION PERSONNELLE

En réalité, tous les actes de l’entrepreneur sont exécutés en son nom et pour son compte. Il
agit pour son client, dans l’intérêt de son client, mais ne représente pas juridiquement ce client. La
représentation relève du mandat et non du contrat d’entreprise.

II. L’OBLIGATION DE REMUNERER LA PRESTATION

L’art. 1710 Cciv indique clairement sur cette onérosité du contrat d’entreprise, puisqu’il est
conclu moyennant un prix.

Autrement dit, le caractère onéreux du contrat d’entreprise est présumé. A la seule lecture du
texte, il semblerait que l’onérosité participe de l’essence du contrat d’entreprise. Il serait impossible
pour les parties de conclure un contrat d’entreprise à titre gratuit.

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POSITIONS DE LA DOCTRINE :
- La doctrine majoritaire relaye les hypothèses d’une prestation de service exécutée sans aucune
contrepartie à des contrats d’assistance bénévole.
- D’autres auteurs considèrent que l’onérosité n’est pas une caractéristique essentielle du contrat
d’entreprise, de sorte qu’il est envisageable de conclure des contrats d’entreprise à titre gratuit.

POSITION DE LA JURISPRUDENCE :
- Les rares arrêts qui ont eu à traiter de la question semblent accepter l’idée que le contrat
d’entreprise puisse être conclu à titre gratuit.
- Ex. Cass. 3ème Civ., 20 juin 1972 : elle juge qu’un architecte qui a avait exécuté sa prestation à
titre gratuit devait être considéré comme un entrepreneur. Il avait manqué à ses obligations
« fusse à titre gracieux ».

SECTION II. LA DISTINCTION ENTRE LE CONTRAT D’ENTREPRISE ET LES AUTRES CONTRATS SPECIAUX

I. CONTRAT D’ENTREPRISE ET CONTRAT DE TRAVAIL

La confusion est possible dans la mesure où l’entrepreneur et le salarié sont tous deux chargés
d’accomplir des actes matériels pour le compte de leur cocontractant. D’un point de vue historique,
dans le Code civil, le contrat de travail et le contrat d’entreprise constituaient des contrats de louage.

Pourtant, ces deux contrats sont bien distincts. C’est Pascal PUIG qui a bien défini la distinction :

- La salarié est celui qui travaille pour le compte de son employeur, lequel assure les risques de
l’activité. Le salarié est donc subordonné à son employeur, en contrepartie de cette protection
économique et juridique.

- L’entrepreneur travaille certes pour le compte du maître d’ouvrage, mais il travaille


personnellement en toute indépendance. En quelque sorte, il travaille à ses risques et périls.

Le critère de distinction du contrat de travail est le lien de subordination juridique. Ce lien a


été défini par la Cour de cassation dans un arrêt Société générale (Cass. soc., 13 nov. 1996).

La qualification de contrat de travail est d’ordre public. Les parties ne peuvent échapper à
cette qualification. Elle dépend donc des conditions de faits et la preuve peut être apportée par tous
moyens.

Par conséquent :
- Le prestataire qui est tenu de respecter les instructions de son donneur d’ordre quant au contenu
de la mission, aux moyens de la réaliser, etc., sera un salarié.
- A l’inverse, s’il n’est pas obligé d’obéir aux instructions, il s’agira d’un contrat d’entreprise.

Ex :

- Cass. soc., 28 novembre 2018 (Take it easy) : Il s’agissait d’un livreur qui avait vu son contrat
requalifié en contrat de travail. Il avait saisi le juridiction prud’homale après deux accidents de
vélo. La Cour de cassation a procédé à la requalification en contrat de travail, qu’elle motive de
façon suivante : elle relève l’existence d’un pouvoir de contrôle qui résidait dans la mise en place
par la plateforme d’un système de géolocalisation du livreur et de comptabiliser les kilomètres
effectués. Il y avait un système de sanctions instauré sous forme de pénalités.

96
- Cass. soc., 4 mars 2020 (Uber) : La Cour de cassation a procédé à une requalification. L’arrêt
prend le soin de relever tous les éléments qui éloignent le chauffeur de l’indépendance.

II. CONTRAT D’ENTREPRISE ET MANDAT

Deux éléments permettent d’opérer le partage entre le contrat d’entreprise et le contrat de mandat :

- La nature de la prestation elle-même est différente. La prestation du contrat d’entreprise porte


sur des actes matériels, tandis que celle due par le contrat de mandat porte sur des actes
juridiques.

- Le pouvoir de représentation est absent dans le contrat d’entreprise, tandis que le mandat est
rattaché à un pouvoir de représentation.

Pour autant, la confusion reste possible car les mandataires doivent effectuer des actes
matériels pour leur mandant. Ex. le mandataire doit rechercher des cocontractants pour son mandat
(contrat d’entremise commerciale). Les actes de prospection peuvent être considérés comme une
prestation de service. Autrement dit, dans la plupart des mandats il y a aussi des prestations de service
qui sont attendues du mandataire.

La JP s’est attachée à un critère de distinction unique. C’est le critère de la représentation


juridique. Autrement dit, pour que la qualification de mandat soit envisageable, il faut nécessairement
que l’agent ait reçu le pouvoir de conclure des actes juridiques susceptibles d’engager son donneur
d’ordres. Si le contractant doit réaliser des actes matériels et juridiques, alors une qualification
distributive est possible.

III. CONTRAT D’ENTREPRISE ET BAIL

La confusion est rare mais reste possible, car l’obligation d’assurer la jouissance paisible d’une
chose implique parfois l’accomplissement de certaines prestations matérielles (ex. maintenance
technique, entretien).

Ainsi par ex. dans un contrat d’hôtellerie, les prestations ne se résument pas à la location d’une
chambre mais il y également des prestations de nettoyage, de blanchisserie, etc. On considère donc
qu’il y a un contrat d’entreprise et un contrat de bail. Mais cela ne correspondrait pas à la volonté des
parties qui elles souhaitent un contrat unique.

On applique donc la major pars. Qu’est-ce que le client attend le plus ? La jouissance de la
chose ou les prestations de services ?

La JP se réfère parfois à un autre critère : celui de l’indépendance.

La question s’est posée à propos d’un contrat de location de véhicule avec chauffeur : Cass.
2ème Civ., 11 mai 1956. Il s’agissait de savoir s’il s’agissait d’un contrat de bail ou d’un contrat
d’entreprise. Le juge a recherché si le client était libre ou non de fixer l’activité du véhicule. Si tel n’est
pas le cas, alors on aura tendance à considérer qu’il y aura contrat d’entreprise.

IV. CONTRAT D’ENTREPRISE ET VENTE

Cette distinction n’a a priori pas à soulever de problèmes. Dans le contrat de vente, il n’y a
aucune prestation. Lorsque la chose transmise par vente existe déjà, on n’a aucun problème pour

97
distinguer la vente du contrat d’entreprise. Mais lorsque la chose n’existe pas encore (chose future),
c’est là qu’il peut y avoir confusion.

La qualification pose difficulté porte sur la fabrication d’un bien. EST-CE UNE VENTE D’UN BIEN A
FABRIQUER OU EST-CE UN CONTRAT D’ENTREPRISE TENDANT SUR LA FABRICATION DE CE BIEN ?

Il y a donc des enjeux. La vente sans prix est nulle, tandis que l’entreprise sans prix est
valable. Dans le contrat d’entreprise, la relation d’entreprise peut être rompue à tout moment. La
garantie des vices cachées afférent à la vente ne trouve pas d’équivalent au contrat d’entreprise.

Si le client est déjà lui-même propriétaire de la chose (ex. un propriétaire d’une voiture qu’il
dépose au garagiste), alors il y a contrat d’entreprise.

Dans ce domaine, la Cour de cassation préfère une qualification exclusive. Il y a donc la


recherche d’un critère pour rattacher en bloc toute la qualification. Ce critère a évolué.

- 1ER TEMPS. La Cour de cassation a appliqué un critère portant sur l’origine des matériaux. S’ils
appartiennent au client, contrat d’entreprise ; s’ils appartiennent au fabricant, vente.

• Cela entrait en contradiction avec les art. 1787 et 1788 Cciv qui disposent que le contrat
d’entreprise peut exister même lorsque la matière est fournie par l’entrepreneur. Cela tient
à l’adage qui dispose que l’accessoire suit le principal.

• La part la plus importante est le travail fournie par le prestataire (= contrat d’entreprise) ou
la matière nécessaire à la réalisation de la chose (= vente).

• Si la valeur des matériaux excédait la valeur du travail fourni, alors il y avait vente. Dans le
cas inverse, il y avait contrat d’entreprise. Cela est très flou.

- 2ND TEMPS. La Cour de cassation a posé un nouveau critère dans un arrêt Cass. com., 4 juill. 1989 :
c’est le critère de la spécificité du travail, c’est-à-dire son adéquation spécifique aux besoins
exprimés par le donneur d’ordres.

• Cette spécification du travail va permettre de distinguer l’entreprise de la vente.


Autrement dit, la qualification regroupe ce qui distingue le prêt à porter et le sur-mesure.
La chose est fabriquée pour le cocontractant en raison de ses exigences = contrat
d’entreprise.

• Ce critère est plus pertinent, mais n’est pas simple à pratiquer. La question se pose dans
la situation où le client demanderait une modification mineure. Il y a des hypothèses où
cette modification est si mineure qu’elle n’est pas déterminante. Il faut que le travail soit
vraiment spécifique, il faut que le bien cédé in fine soit vraiment un bien individualisé car
il a été construit pour répondre aux exigences du client.
Þ Il y a donc un second critère : si les spécificités sont déterminantes ou négligeables.

V. CONTRAT D’ENTREPRISE ET DEPOT

Comment qualifier un contrat qui, parmi les obligations qu’il met à la charge du cocontractant,
va contenir diverses prestations annexes à la garde de la chose ?

La JP n’est pas très arrêtée :

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- Un grand nombre d’arrêts appliquent le critère de la major pars. En réalité, cela va dépendre de
la prééminence ou non de la garde qui caractérise le dépôt.
- Mais il arrive relativement souvent que la Cour de cassation préfère appliquer une qualification
distributive.

Ex. Cass. 1ère Civ., 3 juill. 2001 : En l’espèce, il cheval confié à un entraîneur afin qu’il le garde et
l’entraîne. La Cour de cassation a admis que ce contrat s’analysait « pour partie en un contrat
d’entreprise et pour partie en un contrat de dépôt ».

99
CHAPITRE II. REGIME GENERAL DU CONTRAT D’ENTREPRISE

A partir des quelques articles du Code civil et de la JP, il est possible de dégager les grandes
règles communes qui s’appliquent à la formation, à l’exécution et à la fin du contrat d’entreprise.

SECTION I. FORMATION DU CONTRAT D’ENTREPRISE

I. REGLES DE FOND

Sur le fond, le contrat d’entreprise est un contrat consensuel. Sauf texte spécial imposant un
écrit (notamment en droit de la construction), c’est un contrat qui se forme par la seule rencontre des
volontés, peu importe son mode d’expression.

La seule spécificité concerne le contenu du contrat d’entreprise, et plus précisément la


détermination du prix. TROIS TECHNIQUES DE FIXATION DU PRIX SONT ENVISAGEABLES :

- Le marché du forfait : cela va permettre aux parties d’arrêter définitivement ce prix. Le prix est
convenu initialement et sera payé quoiqu’il arrive. Cette technique du forfait vise à faire que le
maître de l’ouvrage sache dès la conclusion du contrat combien lui coûtera la prestation, quelles
sont les charges financières qu’il devra assumer. Tous les aléas, les surcouts seront à la charge de
l’entrepreneur à ses risques et périls.

- Le marché sur série de prix (ou marché sur devis) : cette technique va permettre de fixer un prix
en fonction du coût précis d’exécution de chaque prestation (ex. X euros la fenêtre). Les parties
vont déterminer toutes ces choses dont l’entrepreneur aura besoin pour exécuter sa prestation
et va fixer précisément le prix de chacune de ces choses à l’unité en projetant un prix final qui
sera égal à la totalité de quantité de choses utilisée par l’entrepreneur.

- Le tarif horaire : cela va permettre de calculer un prix en fonction du nombre d’heures passées
pour réaliser la prestation.

Il a toujours été admis par la JP que le prix n’avait pas à être déterminé ni même à être
déterminable au jour de la conclusion du contrat. Il est donc tout à fait possible de conclure des
contrats d’entreprise sans fixer de prix : les marchés sans prix (ou sur facture).

Cette règle qui permet à l’entrepreneur de fixer son prix a été réceptionnée par l’ordonnance
de 2016 avec l’art. 1165 Cciv qui dispose que :
« Dans les contrats de prestation de service, à défaut d'accord des parties avant leur exécution, le prix
peut être fixé par le créancier, à charge pour lui d'en motiver le montant en cas de contestation. »

Par ailleurs, la prestation de l’entrepreneur n’a pas à être définie précisément. Néanmoins, eu
égard à la complexité de certaines prestations, les parties ont tendance à fixer les choses par avance
dans le détail. C’est ce qu’on appelle un devis.

Sur le plan de la théorie générale, la nature juridique du devis n’est pas facile à déterminer. En
réalité, cette nature juridique relève du cas par cas. Il peut s’agir d’une simple déclaration d’intention,
d’une offre de contracter qui n’attend plus que l’acceptation du client, d’une véritable promesse de
contrat s’il apparaît par les termes que l’entrepreneur s’est irrévocablement engagé et a fourni au
client une option.

100
II. REGLES DE PREUVE

La preuve du contrat d’entreprise obéit aux règles générales de la preuve. Selon l’art. 1359
Cciv, le contrat se prouvera par tous moyens et par écrit au-delà de 1500 euros.

PRECISIONS IMPORTANTES :

- S’il apparaît que le contrat d’entreprise a une nature commerciale, le contrat peut être prouvé
par tous moyens, quel que soit le montant (art. L. 110-3 Ccom).

- Même si la valeur excède 1500 euros, il est toujours possible d’apporter un commencement
de preuve par écrit (ex. un devis), ce qui ouvrira la porte de la preuve par tous moyens.

- Lorsque les parties n’ont pas fixé de prix, il appartiendra au juge d’évaluer en premier lieu ce
prix, pour en second lieu déterminer les modes de preuve recevables.

SECTION II. EFFETS DU CONTRAT D’ENTREPRISE

I. OBLIGATIONS DE L’ENTREPRENEUR

A. L’OBLIGATION PRINCIPALE : L’EXECUTION DE LA PRESTATION

1. CONTENU DE L’OBLIGATION

Dans un contrat d’entreprise, l’entrepreneur s’oblige à exécuter un travail, une prestation :


- L’entrepreneur doit-il exécuter personnellement cette prestation ?
- Quelle est la qualité de cette prestation ?
- Quel est le délai de réalisation de cette prestation ?

a. EXECUTION PERSONNELLE OU NON DE LA PRESTATION

Fondamentalement, le contrat d’entreprise a toujours été regardé comme un contrat intuitu


personae. C’est au regard des qualités personnelles de l’entrepreneur que le client a décidé de se
tourner vers lui.

Ce caractère intuitu personae s’évince de l’art. 1795 Cciv aux termes duquel le contrat
d’entreprise est dissous par cause de mort de l’entrepreneur.

Pour autant, si on comprend l’intuitu personae de cette façon, il faut en conclure que celui-ci
n’a pas la même intensité dans tous les contrats d’entreprise. Il est variable d’un contrat à l’autre.

- Il est possible que l’ouvrage demandé requière des compétences que seul dispose
l’entrepreneur. Dans ces cas-là, l’intuitu personae est maximale.

- Si l’ouvrage demandé est un ouvrage rudimentaire, qu’il ne requiert pas un art particulier dont
seul disposerait l’entrepreneur, alors cette obligation d’exécution personnelle s’atténue
largement.

L’entrepreneur pourra confier tout ou partie de l’ouvrage à des tiers qu’il choisira, recourir à
la sous-traitance organisée par la L. 31 décembre 1975.

101
EN DEFINITIVE, il faut relativiser cette exigence personnelle de la prestation. Elle ne vaut que
pour certains contrats, eu égard à la nature de la prestation qui requiert ce savoir-faire particulier
de l’entrepreneur.

b. LA QUALITE ATTENDUE DE LA PRESTATION

Le contrat peut avoir prévu la qualité attendue de cette prestation. Dans ce cas-là, l’exécution
doit se conformer aux stipulations contractuelles.

Mais il se peut également que le contrat ait des lacunes sur la qualité de la prestation. Dans ce
cas, c’est l’art. 1166 Cciv qui fixe les critères qualitatifs pour juger de cette prestation :

« Lorsque la qualité de la prestation n'est pas déterminée ou déterminable en vertu du contrat, le


débiteur doit offrir une prestation de qualité conforme aux attentes légitimes des parties en
considération de sa nature, des usages et du montant de la contrepartie. »

La JP se réfère aussi à un autre standard juridique : la conformité aux règles de l’art. C’est en
réalité la conformité à toutes ces règles objectives relatives à telle ou telle prestation.

c. LE DELAI DE REALISATION DE LA PRESTATION

Le délai d’exécution peut être fixé par le contrat. Cette stipulation du délai est rendue
obligatoire lorsque le maître d’ouvrage est un consommateur (art. L. 111-1 Cconso). Si un délai a été
initialement conclu par le contrat et que le maître d’ouvrage a demandé des changements, alors le
juge considère que le délai a été tacitement prorogé.

Dans l’hypothèse où aucun délai n’a été prévu par les parties, alors le juge fixe lui-même un
délai raisonnable qui tient compte de la nature de la prestation et des usages.

2. SANCTIONS DE L’INEXECUTION

Le maître d’ouvrage qui se heurte à un refus d’exécution, ou à une mauvaise exécution de la


prestation, dispose en réalité de toutes les sanctions du droit commun de l’inexécution.

a. EXECUTION FORCEE

L’exécution forcée du contrat est une sanction envisageable. Elle peut être prononcée par le
juge le cas échéant sous astreinte. Il faut que DEUX CONDITIONS soient réunies (art. 1121 Cciv) :
- Il faut que l’exécution forcée soit possible ;
- Qu’il n’existe pas de disproportion manifeste entre son coût d’exécution et son intérêt pour le
créancier.

Par ailleurs, l’art. 1222 Cciv autorise le maître d’ouvrage, après mise en demeure, à faire
exécuter lui-même l’obligation dans un délai et un coût raisonnable, voire sur autorisation du juge à
détruire ce qui a été fait en violation de cette obligation.

b. REDUCTION DU PRIX

En cas d’obligation imparfaite, l’art. 1223 Cciv offre une sanction intéressante pour le maître
d’ouvrage : il peut, après mise en demeure infructueuse, solliciter une réduction proportionnelle du
prix. S’il a déjà payé, il sera obligé de passer par le juge.

102
c. RESPONSABILITE

En cas d’inexécution, la responsabilité contractuelle de l’entrepreneur peut être recherchée.


La question qui se pose est de savoir si le maitre d’ouvrage doit prouver une faute de l’entrepreneur.
C’est là qu’on en revient à la distinction entre obligation de moyen et obligation de résultat.

S’agissant de l’obligation d’exécuter la prestation, la JP est pragmatique mais il en sort des


tendances générales :

- POUR LES PRESTATIONS INTELLECTUELLES (ex. conseil, médical, activité d’organisation), l’obligation
sera généralement considérée comme de moyen. Ex. l’avocat ne sera pas responsable en cas
d’échec de la procédure. Pour engager leur responsabilité, il faudra prouver qu’ils ont commis
une faute.

- POUR LES PRESTATIONS SUR UNE CHOSE CORPORELLE, l’obligation est généralement considérée de
résultat. La JP considère que l’entrepreneur a la maîtrise de la chose. Il s’agit néanmoins d’une
obligation de résultat atténuée car l’entrepreneur peut toujours s’exonérer de sa responsabilité
en prouvant qu’il n’a pas commis de faute.

• Ex. le garagiste est tenu d’une obligation de résultat pour les réparations qu’il effectue, en
sorte qu’il engagera sa responsabilité pour toute réparation inefficace, sauf s’il parvient à
prouver qu’il n’a commis aucune faute.

• Cass. 1ère Civ., 25 févr. 2016 : un véhicule avait été confié à un garagiste. Celui-ci avait vu
bon de changer une pièce mais cela n’a pas suffi car le véhicule est de nouveau tombé en
panne. Le garagiste a alors dit qu’il fallait changer le moteur, ce que le client a refusé.

Þ La Cour de cassation a considéré que le garagiste avait failli à l’obligation de résultat


auquel il était tenu, peu important que le client ait refusé cette nouvelle
intervention.

Þ La Cour de cassation exige tout de même que le client prouve que le


dysfonctionnement de son véhicule est imputable à un dysfonctionnement qui
existait au moment de l’intervention du garagiste.

• De la même façon, le teinturier est tenu d’une obligation de résultat pour les choses qu’on
lui remet. Il engage sa responsabilité, sauf à prouver qu’il n’a commis aucune faute.

B. OBLIGATIONS ACCESSOIRES

1. OBLIGATION DE SECURITE

Il faut entendre l’obligation de sécurité comme une obligation de sécurité corporelle, de


prévenir les dommages corporels. Sous ce prisme, on comprend pourquoi le contrat d’entreprise a été
le premier contrat à voir émerger une obligation de sécurité.

Plus précisément, c’est dans le contrat de transport de personnes que l’obligation de sécurité
a été découverte pour la premier fois, dans un arrêt du 21 novembre 1911.

POURQUOI CONTRACTUALISER CETTE OBLIGATION DE SECURITE ?

103
C’est pour pouvoir faire varier l’intensité de cette obligation selon les contrats, tantôt comme
une obligation de moyen, tantôt comme une obligation de résultat.

1ERE REMARQUE : l’intensité de cette obligation de sécurité va varier selon le critère classique du rôle actif
du cocontractant créancier de cette obligation de sécurité. Ex.
- L’obligation de sécurité d’un centre sportif, d’un centre de loisirs, sont des obligations de moyens
car le maître d’ouvrage joue un rôle important dans la réalisation de la prestation.
- L’obligation de sécurité d’un réparateur d’ascenseur est une obligation de résultat.

2EME REMARQUE : Pour les contrats portant sur une chose corporelle, l’obligation de sécurité ne devrait
plus être appliquée puisqu’elle se trouve dans le périmètre de la responsabilité spéciale du fait des
produits défectueux (art. 1245 et s. Cciv).

2. OBLIGATION DE CONSEIL

L’obligation de conseil est une obligation plus exigeante que l’obligation d’information :
- Conseiller c’est donner un avis sur l’opportunité de l’opération.
- Informer, c’est seulement donner des éléments objectifs sur la réflexion personnelle du client.

L’intensité de cette obligation de conseil va varier selon la nature de la prestation et de la


compétence du maître d’ouvrage :

- Plus l’ouvrage à réaliser sera technique, plus l’entrepreneur se verra chargé d’un devoir de
conseil (sur les risques que présente l’opération, sur les différentes options alternatives
envisageables).

- De même, moins le maitre d’ouvrage est compétent, plus l’obligation de conseil se renforce. Si
le maitre d’ouvrage ignorant est conseillé et ne choisit pas la solution préconisé par son
entrepreneur, alors il le fait à ses risques et périls.

L’idée est que, parce que l’entrepreneur dispose d’une expertise, il doit éclairer le maitre
d’ouvrage sur l’opportunité du projet et sur les options qui se présentent. Ex. un garagiste est censé
conseiller le client sur l’utilité de la réparation envisagée, et aussi sur les risques de cette réparation.

Au plus haut degré, cette obligation de conseil peut aller jusqu’à un devoir de ne pas contracter.

Puisque l’entrepreneur est débiteur de cette obligation, c’est à lui de prouver en cas de
contestation qu’il a bien conseillé le maitre d’ouvrage. Une pratique s’est développée consistant à faire
signer le maitre d’ouvrage pour affirmer le niveau d’information.

II. OBLIGATIONS DU MAITRE D’OUVRAGE

A. OBLIGATION DE PAYER LE PRIX

Dès lors que la prestation de l’entrepreneur est achevée, le maitre d’ouvrage doit payer le prix
dans son intégralité. Les parties peuvent prévoir un paiement progressif.

DEUX REGLES IMPORTANTES :

104
- DANS L’HYPOTHESE D’UN MARCHE SUR FACTURE (sans prix déterminé), c’est à l’entrepreneur de fixer
unilatéralement le prix. En cas d’abus dans cette fixation du prix, l’entrepreneur peut être
condamné à verser des DI. Cela revient à une réduction du prix avec la compensation des DI.

- DANS L’HYPOTHESE OU UN PRIX A ETE CONVENU MAIS OU SE PRIX APPARAITRAIT EXCESSIF, la Cour de
cassation a admis que le juge puisse réduire le prix (réduction judiciaire).

• Mais cette JP en réalité s’applique à certains contrats d’entreprise seulement : aux


professions libérales, dont le prix prend la forme d’honoraires. On parle de réduction des
honoraires. Cette faculté vaut quel que soit le mode de fixation du prix retenu (marché sur
honoraires, marché sur forfait).

• La question qui se pose aujourd’hui est celle de savoir s’il convient d’étendre cette faculté
de révision judiciaire du prix à tous les contrats d’entreprise. En réalité, ces arrêts qui
statuent sur la réduction des honoraires ont été rendu dans une situation historique
particulière.

Ex. les avocats étaient des prestataires bénévoles (honoraires = liés à l’honneur). Ce n’est
qu’au milieu du 20ème siècle que les avocats ont eu le pouvoir de réclamer en justice le
paiement de leurs honoraires. Ces honoraires sont devenus une obligation civile au sens
strict. On pourrait voir un stigmate de l’histoire particulière de ces sommes.

Mais les honoraires d’aujourd’hui n’ont plus rien à voir avec ceux qu’ils étaient auparavant.
Ce ne sont plus des honoraires mais sont le prix d’un service rendu. Cela conduirait à
admettre cette solution pour tous les contrats d’entreprise. Une telle solution a été
proposée par l’avant-projet de réforme à l’art. 72.

B. OBLIGATION DE COOPERER

L’obligation de coopérer est plutôt un devoir comportemental qu’une obligation au sens strict
du terme. Ce devoir de coopérer relève de l’art. 1124 Cciv (bonne foi contractuelle).

Ce devoir doit être entendu négativement, une obligation de laisser faire, de ne pas entraver
l’exécution de la prestation. Le maitre d’ouvrage n’a pas à faciliter l’exécution de la prestation, mais il
n’a pas à l’entraver.

Ex. manquerait à son devoir de coopération le maître d’ouvrage qui refuserait l’accès à l’entrepreneur
l’empêchant de travailler ; ou celui qui donnerait des ordres intempestifs à son entrepreneur.

Ce maître d’ouvrage engagerait sa responsabilité pour le préjudice qui pourra en résulter.


Cette responsabilité est importante car lorsqu’on est en présence d’un marché à forfait, dans ce cas
l’entrepreneur assure les risques.

Mais dans l’hypothèse où le maître d’ouvrage a tellement compliqué la tâche de


l’entrepreneur et où des coûts supplémentaires se sont accumulés, dans ce cas le maitre d’ouvrage
pourra être condamné à verser des DI, ce qui permettra de parvenir à une réduction indirecte du prix.

III. LES EFFETS SPECIFIQUES DU CONTRAT D’ENTREPRISE PORTANT SUR UNE CHOSE

Lorsque la prestation à réaliser porte sur une chose, plusieurs règles spécifiques vont s’appliquer.

105
A. LES OBLIGATIONS DES PARTIES

1. OBLIGATIONS DE L’ENTREPRENEUR

Lorsque la chose a été remise par le maître d’ouvrage à l’entrepreneur, ce dernier doit alors
une obligation de conservation de la chose. Cette obligation dépend en réalité de la nature de la
prestation à réalisation. L’entrepreneur aura une obligation de conservation tant que la chose subsiste.

Ensuite, la chose qui lui a été confiée peut avoir vocation à s’incorporer dans une autre car
justement l’ouvrage consiste en cette incorporation. L’incorporation va détruire la chose confiée,
mais cette incorporation est programmée dans le contrat.

Si en revanche l’ouvrage à réaliser ne requiert pas une incorporation mais seulement une
réparation, alors l’opération de garde se transformera en une obligation de transformation.

Lorsque l’entrepreneur fournit la chose (ex. il fabrique le bien), la question est de savoir si
l’entrepreneur est tenu à une garantie des vices cachées. Après tout, dans cette hypothèse,
l’entrepreneur est placé dans la même situation (ou presque) que celle du vendeur.

Une telle garantie des vices cachés n’est prévue qu’en matière de construction (art. 1792 Cciv).
Pour le reste, la Cour de cassation ne fait pas référence à la garantie des vices cachés mais parvient au
même résultant avec l’obligation de sécurité de résultat, qui fait que si un vice venait affecter la chose,
alors la faute de l’entrepreneur serait constituée.

2. OBLIGATIONS DU MAITRE D’OUVRAGE

En plus de ses obligations classiques, le maître d’ouvrage a DEUX OBLIGATIONS SUPPLEMENTAIRES


lorsque l’ouvrage porte sur une chose :
- Prendre livraison de la chose ;
- Prendre réception de la chose.

a. OBLIGATION DE PRENDRE LIVRAISON

Lorsque le service porte sur une chose, le maître d’ouvrage doit prendre livraison de la chose.
Cette obligation est similaire à l’obligation de retirement qui existe en matière de vente. C’est là une
simple application particulière de la règle générale selon laquelle les dettes sont quérables et non
portables (art. 1342-6 Cciv). Le créancier doit aller chercher ce que l’entrepreneur lui doit.

QUE SE PASSE-T-IL SI UNE FOIS LE TRAVAIL REALISE LE MAITRE D’OUVRAGE SE DESINTERESSE DE LA CHOSE ET
NE VA PAS LA CHERCHER ?

En général, le maître d’ouvrage qui négligera d’aller chercher la chose ne paiera pas le prix de
la prestation. Une L. 31 décembre 1903 relative à la vente de certains objets abandonnés affirme que
si la chose n’est pas retirée dans un délai d’un an par la maître d’ouvrage, alors l’entrepreneur peut
demander l’autorisation au juge de vendre cette chose aux enchères publiques afin de se payer sur le
prix de vente.

b. OBLIGATION DE PRENDRE RECEPTION

La prise de livraison est un fait juridique, un acte purement matériel qui consiste en la prise en
main de la chose par le maître d’ouvrage. Tandis que la réception est un acte juridique, une

106
manifestation de volonté , plus précisément, c’est un acte unilatéral du maître d’ouvrage établi
contractuellement par lequel le maître d’ouvrage déclare approuver l’ouvrage à l’exception des
éventuelles réserves qu’il pourrait exprimer.

Pour l’entrepreneur, cette réception est extrêmement importante eu égard aux effets qu’elle
produit. 3 EFFETS PRINCIPAUX :

- La réception rend exigible le solde du prix de l’ouvrage. Si aucune somme n’a été versée de
manière intercalaire, c’est la totalité du prix qui est rendu exigible par la réception.

- La réception emporte transfert des risques de la chose au maître d’ouvrage. L’entrepreneur


n’en répond plus.

- La réception emporte purge des vices apparents, sauf les vices qui ont été réservé par le maître
d’ouvrage. D’où la nécessité d’organiser dans le contrat cette réception de l’ouvrage.

En tout état de cause, la réception est une obligation pour le maître d’ouvrage. S’il refuse de
réceptionner, il pourrait y être contraint judiciairement : réception judiciaire.

Si aucune réception n’a formellement été effectuée mais que le maître d’ouvrage n’a pas
manifesté d’opposition au paiement, la JP considère qu’il y a réception tacite de l’ouvrage.

B. LE TRANSFERT DE PROPRIETE DE LA CHOSE

QUI EST PROPRIETAIRE DE L’OUVRAGE REALISE PAR L’ENTREPRENEUR UNE FOIS LE CONTRAT ACHEVE ?

La réponse instinctive est de dire que c’est le maître d’ouvrage. Mais c’est insuffisant car une
autre question se pose : à partir de quand le maître d’ouvrage peut-il être considéré comme
propriétaire ? Par quel mécanisme acquiert-il la propriété ?

Pour traiter de cette question, il faut distinguer selon la nature de l’ouvrage.

1. LA PROPRIETE DE L’OUVRAGE MOBILIER

Les choses se présentent différemment selon que le maître d’ouvrage va fournir ou non la matière.

a. LA MATIERE APPORTEE PAR LE MAITRE D’OUVRAGE

Cette hypothèse avait déjà été envisagée par Pottier en prenant l’exemple du tailleur.

- L’étoffe était fournie par le maître d’ouvrage tandis que le tailleur apportait le fil à coudre, les
boutons et son travail.

- Traditionnellement dans cet exemple, on justifie la propriété du maître d’ouvrage sur le


vêtement en la justifiant par la théorie de l’accession. L’idée générale est de dire que le fil, les
boutons, à partir du moment où ils ont été apportés à l’étoffe, ils ont cessé d’exister en tant
que tels. Ces choses sont devenues une chose et ont disparu. Il n’y a plus de droit réel sur l’une
ou sur l’autre, car elles sont devenues autre chose.

- Il n’y a plus qu’une chose nouvelle dont il convient de savoir qui est le propriétaire. Pour le
savoir, on va regarder de quoi cette chose est faite. Comme elle est principalement faite de

107
l’étoffe, le chose dans son entier devient la propriété du maître d’ouvrage par le biais de
l’accession. Il n’y a donc pas de transfert de propriété.

Cela traduit un principe d’équité naturelle : la plus grosse part attire à elle la plus petite. En
conséquence de quoi, il n’y a pas lieu de mettre à la charge de l’entrepreneur une garantie des vices
cachés puisque dans cette hypothèse, l’entrepreneur n’a jamais été propriétaire de la chose.

De même, il n’y a pas de possibilité pour l’entrepreneur de stipuler une clause de réserve de
propriété car l’assiette de sa propriété a disparu par l’incorporation.

Enfin, l’acquisition de la propriété n’est pas un effet direct du contrat mais c’est un effet de la
réalité des choses : l’accession.

Cette théorie de l’accession soulève un certain nombre de critiques. Faute de mieux, c’est
aujourd’hui la théorie qui fait consensus pour justifier la propriété du maître d’ouvrage.

b. LA MATIERE APPORTEE PAR L’ENTREPRENEUR

Dans ce cas-là, on ne peut plus fonder la propriété du maître d’ouvrage sur la théorie de
l’accessoire. L’art. 1788 Cciv confirme cette idée lorsqu’il dispose que « Si, dans le cas où l'ouvrier
fournit la matière, la chose vient à périr, de quelque manière que ce soit, avant d'être livrée, la perte
en est pour l'ouvrier, à moins que le maître ne fût en demeure de recevoir la chose. ». Les risques
passent au maître d’ouvrage au moment où ce dernier doit réceptionner l’ouvrage. Tant est si bien
que c’est à la réception de l’ouvrage qu’il y a transfert de propriété.

Dans un cas comme celui-ci, l’entrepreneur devrait être tenu de la garantie des vices cachés de la
même façon que l’est le vendeur. Si la Cour de cassation ne vise pas de garantie de vices cachés, elle
parvient au même résultat grâce à l’obligation de sécurité de résultat.

2. LA PROPRIETE DE L’OUVRAGE IMMOBILIER

C’est la règle de l’accession qui est l’explication traditionnellement retenue pour justifier la
propriété du maître d’ouvrage sur la construction immobilière.

Si l’ouvrage est immobilier, il faut toujours considérer l’élément du sol. Le sol acquiert ce qui
est au-dessus de lui (art. 552 Cciv).

2 HYPOTHESES :

- Si l’entrepreneur est propriétaire du terrain où il fait construire, le maitre d’ouvrage ne deviendra


propriétaire que par la vente du terrain à son profit.

- Si le maître d’ouvrage est propriétaire du terrain, les constructions vont lui appartenir au fur et à
mesure de leur édification. On est en présente d’un transfert progressif et continu de la propriété
de l’ouvrage, à mesure de sa réalisation.

SECTION II. LA PRISE DU FIN DU CONTRAT D’ENTREPRISE

Le contrat d’entreprise peut prendre de fin de façon anticipée (I) ou s’éteindre normalement (II).

108
I. LA PRISE DE FIN ANTICIPEE DU CONTRAT

A. L’EXTINCTION DE PLEIN DROIT PAR LE DECES DE L’ENTREPRENEUR

Cette cause anticipée de l’extinction des contrats d’entreprise est prévue à l’art. 1795 Cciv.
Cette cause se justifie par le caractère intuitu personae que le contrat d’entreprise peut prendre.

Il y a des cas où l’intuitu personae est faible, si faible que le décès de l’entrepreneur serait
totalement indifférent. Dans ces contrats, le décès de l’entrepreneur ne provoque pas de plein droit
l’extinction du contrat.

L’art. 1796 Cciv vient régler la question de la liquidation du contrat en opérant une répartition
équitable.

B. LA RUPTURE UNILATERALE ANTICIPEE PAR LE MAITRE D’OUVRAGE

Cette cause d’extinction est prévue à l’art. 1794 Cciv. La résiliation unilatérale s’impose ici au
juge, c’est un droit pour le maître d’ouvrage. La loi impose simplement une indemnisation de
l’entrepreneur à hauteur de l’intérêt positif du contrat.

Le texte indique s’appliquer aux marchés à forfait. Est-ce que cela veut dire qu’il ne s’applique
qu’aux marchés à forfait ? La jurisprudence n’est pas assez claire pour le savoir.

II. LA PRISE DE FIN NORMALE DU CONTRAT

Le contrat prend normalement fin par la réception. On aurait pu penser que seule une
réception sans réserve mettait immédiatement fin au contrat et qu’il faudrait attendre, dans
l’hypothèse où la réception serait faite, que les réserves soient levées par l’entrepreneur.

MAIS, Civ 3ème, 6 septembre 2018 : le contrat d’entreprise prend fin à la réception de l’ouvrage avec
ou sans réserve.

109
CHAPITRE III. LES REGLES SPECIALES DU CONTRAT D’ENTREPRISE

Bien des contrats d’entreprise particuliers auraient pu être étudiés (ex. contrat de transport),
mais seulement deux vont être retenus :
- Le contrat de construction immobilière (SECTION I) ;
- Le contrat de sous-traitance (SECTION II).

SECTION I. LE CONTRAT DE CONSTRUCTION IMMOBILIERE

Il y a une grande diversité des sources. Pour l’essentiel, ce contrat reste un contrat d’entreprise
dont il suit son régime. A sa marge, il existe des règles particulières (ex. normes NPF 03 011).

I. LES INTERVENANTS AU CONTRAT

Plusieurs contrats d’entreprise vont se combiner pour l’exécution d’un ouvrage unique.

A. LE MAITRE D’OUVRAGE

C’est le maître d’ouvrage qui va commander la construction de l’immeuble. Mais derrière ce


mot, il peut y avoir PLUSIEURS REALITES :
- Un maître d’ouvrage qui a vocation à jouir de l’immeuble une fois réalisé ;
- Un maître d’ouvrage qui commande la construction mais pour revendre aussitôt la construction
dès qu’elle sera achevée. Dans ce cas-là, le maitre d’ouvrage est aussi un promoteur immobilier.

Juridiquement, cela ne change rien, mais leur intérêt dans l’opération est différent :
- Le promoteur est animé par une dimension spéculative ;
- Le second poursuit un intérêt personnel : il veut habiter le bien.

On rencontre également souvent un deuxième personnage important : le maître d’œuvre


(maître d’ouvrage délégué). Celui-ci a pour mission de suivre le déroulement du chantier et de
coordonner les travaux, des divers corps de métiers, et ce dans l’intérêt exclusif du maître d’ouvrage
qu’il représente. En somme, le maître d’œuvre agit en qualité de mandataire et représente le maitre
d’ouvrage vis-à-vis des entrepreneurs et se fait rémunérer pour sa maîtrise d’œuvre par le maitre
d’ouvrage.

B. LES ENTREPRENEURS

Dans un contrat de construction, ce n’est pas un mais plusieurs entrepreneurs qui


interviennent soit conjointement, soit distinctement. A cet égard, il faut distinguer les prestataires de
services intellectuels et les prestataires de services matériels.

- PARMI LES INTELLECTUELS :

• L’architecte : son service est rendu obligatoire pour toute construction ou modification
d’immeuble, sauf lorsque le maitre d’ouvrage est une personne physique et que la
construction est inférieure à 150 m2.
o L’architecte est une profession qui a acquis un monopole légal pour la
construction des plans de construction.
o Mais il peut également intervenir en tant que maître d’œuvre sur le chantier si
le maitre d’ouvrage décide de lui confier cette maîtrise.

110
• Les bureaux d’études techniques : constitués d’ingénieurs et techniciens pour conseiller
le maitre d’ouvrage sur les réalisations techniques de la construction.

- PARMI LES SERVICES MATERIELS : en principe, chaque entrepreneur va intervenir en vertu d’un
contrat distinct le liant au maître d’ouvrage. Ce sera au maître d’ouvrage, et plus généralement
au maître d’œuvre, de coordonner au mieux l’action de ces différents entrepreneurs. Il se peut
également que les entreprises s’organisent elles-mêmes en sous-traitant une partie de leurs
ouvrages à une entreprise tierce.

§ CONCERNANT LE CONSTRUCTEUR :

La qualité de constructeur implique de nombreuses conséquences en termes de


responsabilité, tenus de certaines garanties et devant contracter obligatoirement une assurance.

Tous les entrepreneurs ont la qualité de constructeur. Le maître d’œuvre a également la


qualité de constructeur. Si le maître d’ouvrage est un promoteur immobilier, il aura lui aussi la qualité
de constructeur dans ses qualités avec l’acquéreur final.

Tous ces constructeurs, parce qu’ils sont tenus de garanties lourdes, doivent souscrire des
assurances obligatoires afin que le maître d’ouvrage n’ait pas à payer les reprises toujours nécessaires
en raison des malfaçons.

Eu égard à la complexité de l’opération de construction immobilière qui réserve toujours de


mauvaises surprises, et pour garantir effectivement ces malfaçons, le législateur a mis à la charge du
constructeur cette assurance obligatoire qui permet d’accélérer le processus des malfaçons en
s’économisant les aléas d’une longue procédure judiciaire, mais qui permet aussi à l’acquéreur final
d’avoir nécessairement un débiteur vers qui se tourner. L’acquéreur final ne pourra plus agir contre le
constructeur, mais pourra toujours agir contre son assureur.

II. L’INTANGIBILITE DU MARCHE A FORFAIT

Le marché à forfait est un contrat passé aux risques et périls de l’entrepreneur. Le prix est
fixé une fois pour toute. Si des coûts supplémentaires venaient à s’ajouter au cours de l’exécution du
contrat, ces coûts seront pour l’entrepreneur, le maître d’ouvrage bénéficiant de l’intangibilité du prix.

L’art. 1793 Cciv renforce ce principe d’intangibilité du marché à forfait en matière immobilière.

- En résumé, pour assurer la meilleure protection possible au maître d’ouvrage, le législateur a


imposé, pour tout avenant au contrat qui conduirait à alourdir le prix, l’exigence d’un écrit. Tout
coût supplémentaire doit être acté par écrit : c’est une règle de preuve.

- Le législateur interdit de prouver qu’il y a eu un avenant tacite en cours d’exécution du contrat.


Si des travaux supplémentaires sont effectués sans accord écrit du maître d’ouvrage, ces travaux
resteront à charge de l’entrepreneur qui ne dispose d’aucun moyen de se les faire rembourser
(pas même l’enrichissement sans cause).

Hypothèse où l’augmentation du prix résulte d’un bouleversement économique du contrat :


Civ 1ère, 24 janvier 1990 : pas d’écrit nécessaire en cas de bouleversement du prix du contrat.

111
III. RESPONSABILITE DES CONSTRUCTEURS

En la matière, il convient de distinguer les garanties spéciales mises à la charge des


constructeurs et la responsabilité contractuelle de droit commun.

A. LES GARANTIES DUES PAR LES CONSTRUCTEURS

Elles sont au nombre de 3. Elles n’ont ni le même délai, ni le même objet, en sorte qu’elles se
complètent pour couvrir les risques principaux de dommages pouvant naître de la construction d’un
ouvrage immobilier.

1. LA GARANTIE DE PARFAIT ACHEVEMENT

La garantie de parfait achèvement est prévue à l’art. 1792-6 Cciv. Cette garantie implique
pour l’entrepreneur l’obligation de purger les vices apparents qui ont été réservé par le maître
d’ouvrage.

Ces réserves peuvent avoir été formulés dans le procès-verbal de réception, ou formulés
postérieurement par voie de notification.

Concrètement, cette garantie de parfait achèvement fait obligation à l’entrepreneur de


reprendre le chantier pour lever toutes les réserves, et dans un délai fixé amiablement avec le maître
d’ouvrage.

QUID SI L’ENTREPRENEUR NE S’EXECUTE PAS DANS CE DELAI ? Dans cette hypothèse, le maître
d’ouvrage peut faire exécuter ces travaux par un tiers aux frais et risques de l’entrepreneur défaillant.

Cette garantie est d’ordre public. L’art. 1792-5 Cciv prévoyant que toute clause ayant pour effet
d’exclure cette garantie de parfait achèvement doit être réputée non écrite.

2. LA GARANTIE BIENNALE

Elle est prévue à l’art. 1792-3 Cciv et dure 3 ans. Elle concerne tous les éléments de l’ouvrage
qui dysfonctionnent sans pour autant rendre l’ouvrage impropre à sa destination ou sans
compromettre la solidité de l’ouvrage. En somme, ce sont les équipements de l’ouvrage qui sont visés
par cette garantie (ex. porte du garage qui ne fonctionne pas).

Cette garantie est d’ordre public, ce qui exclue toute possibilité d’en exclure le jeu ou la portée.

3. LA GARANTIE DECENNALE

Elle est visée à l’art. 1792 Cciv et rend le constructeur responsable de plein droit pendant 10
ans à compter de la réception de tous les dommages même résultant d’un vice du sol qui compromette
la solidité de l’ouvrage ou le rende impropre à sa destination. Seule la force majeure exonère le
constructeur de cette garantie décennale qui elle-aussi est d’ordre public.

Ces garanties s’articulent pour couvrir le plus grand nombre de dommages, mais
s’articulent aussi avec la responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs.

112
B. RESPONSABILITE CONTRACTUELLE DES CONSTRUCTEURS

Lorsque le dommage invoqué par le maître d’ouvrage se trouve couvert pas une garantie
spéciale, alors le maître d’ouvrage doit exercer son action en se fondant sur cette garantie. Il ne dispose
d’aucune option. La responsabilité contractuelle lui est fermée.

Là où la responsabilité contractuelle va retrouver son empire, c’est pour tous les dommages
qui n’entrent pas dans le champ des différentes garanties énumérées. C’est ce qu’on appelle les vices
intermédiaires.

Cela va concerner :
- Tous les dommages touchant à la construction elle-même (et non aux équipements) ;
- Tous les dommages non apparents lors de la réception ;
- Tous les dommages qui ne compromettent pas la solidité de l’ouvrage.

Pour ces dommages, le maître d’ouvrage peut agir en responsabilité contractuelle contre le
constructeur, à charge pour lui de prouver une faute.

Cette action en responsabilité a une seule spécificité. Elle concerne son délai de prescription
posé à l’art. 1792-4-3 Cciv : délai de prescription de 10 ans à compter de la réception.

SECTION II. LA SOUS-TRAITANCE

La sous-traitance est une espèce particulière du contrat d’entreprise qui est de l’espèce des
sous-contrats. C’est un sous-contrat d’entreprise qui vient se greffer à un contrat d’entreprise
principal. Le sous-traitant avec qui l’entrepreneur principal va conclure est en effet un tiers au contrat
d’entreprise principal, qui lie le maître d’ouvrage et l’entrepreneur.

La sous-traitance est au contrat d’entreprise ce que la sous-location est au bail.

La richesse de ce contrat spécial tient à son importance considérable, et au fait qu’une loi
spéciale est venue réglementer ce recours à la sous-traitance : L. 31 décembre 1975. Cette loi a été
adoptée avec UN OBJECTIF : protéger le sous-traitant contre le risque de ne pas être payé.

DEFINITION DE LA SOUS-TRAITANCE. Art. 1er de la L. 1975 : « Au sens de la présente loi, la sous-traitance


est l'opération par laquelle un entrepreneur confie par un sous- traité, et sous sa responsabilité,́ à
une autre personne appelée sous-traitant l'exécution de tout ou partie du contrat d'entreprise ou
d'une partie du marché́ public conclu avec le maitre de l'ouvrage. »

La L. 1975 pose deux grandes règles :


- L’agrément du sous-traitant par le maître d’ouvrage ;
- La possibilité d’une action directe en paiement.

I. L’AGREMENT DU SOUS-TRAITANT

A. CONDITIONS DE L’AGREMENT

L’art. 3 de la L. 1975 impose à l’entrepreneur qui souhaite recourir à la sous-traitance pour la


réalisation de tout ou partie de l’ouvrage de soumettre le sous-traitant à l’agrément du maître
d’ouvrage.

113
Cet agrément a un DOUBLE OBJET : il porte à la fois sur l’identité du sous-traitant et sur les
conditions de paiement de cette sous-traitance.

Si le maitre d’ouvrage le réclame, l’entrepreneur doit transmettre le contrat de sous-traitance


au maître d’ouvrage. La JP considère que le maître d’ouvrage qui est informé de l’intervention d’un
sous-traitant, qui ne s’y oppose pas, a alors agréé tacitement ce sous-traitant, pourvu que cette non-
opposition résulte d’acte positif non équivoque.

En tout état de cause, le maître d’ouvrage est libre de refuser l’agrément mais il doit le motiver.

B. SANCTIONS DU DEFAUT D’AGREMENT

La sanction va varier selon les rapports considérés :

- DANS LES RAPPORTS ENTRE LE MAITRE D’OUVRAGE ET L’ENTREPRENEUR PRINCIPAL : le défaut d’agrément va
constituer une faute susceptible d’engager la responsabilité contractuelle de l’entrepreneur.

- DANS LES RAPPORTS ENTRE L’ENTREPRENEUR PRINCIPAL ET SON SOUS-TRAITANT : le défaut d’agrément va
consister une faute susceptible d’engager sa responsabilité.
• En outre, l’art. 3 de la L. 1975 ouvre au sous-traitant non agréé la faculté de résilier
unilatéralement le contrat de sous-traitance. S’il exerce cette faculté de résiliation
unilatérale, le sous-traitant ne doit alors livrer plus que les travaux qui ont fait l’objet
d’un paiement.

- DANS LES RAPPORTS ENTRE LE MAITRE D’OUVRAGE ET LE SOUS-TRAITANT : la sanction tient à ce que le sous-
traitant sera privé de son action directe en paiement à l’égard du maître d’ouvrage.

II. L’ACTION DIRECTE EN PAIEMENT

En principe, le sous-traitant est un tiers au contrat d’entreprise. Il ne dispose donc d’aucune


action directe en paiement contre le maître d’ouvrage avec qui il n’entretient aucun rapport
contractuel.

Seul son cocontractant, l’entrepreneur principal, est débiteur du prix. C’est donc vers que le
sous-traitant doit se tourner pour obtenir le paiement du prix.

Toutefois, dans le but affiché par la L. 1975 de protéger ce sous-traitant, le législateur a


institué une action directe en paiement exerçable contre le maître d’ouvrage, et a posé les conditions
de mise en œuvre de cette action directe.

Ainsi, si le sous-traitant a été agréé, c’est une condition. S’il a été agréé et que l’entrepreneur
ne le paye pas après mise en demeure restée infructueuse pendant 1 mois, alors le sous-traitant
peut exercer une action directe en paiement contre le maître d’ouvrage. Le maître d’ouvrage n’est
tenu qu’à hauteur de ce qu’il doit encore à l’entrepreneur principal, uniquement pour les travaux déjà
réalisés.

III. LES RESPONSABILITES

Pour déterminer les responsabilités en jeu, il faut distinguer très nettement les différentes
relations contractuelles :

114
§ DANS LES RAPPORTS ENTRE LE MAITRE D’OUVRAGE ET L’ENTREPRENEUR PRINCIPAL :

L’entrepreneur principal est responsable à l’égard du maitre d’ouvrage pour tout le travail y
compris la part réalisée par son sous-traitant. Le maître d’ouvrage ne connaît qu’un seul débiteur (son
entrepreneur) et n’a rien à voir avec le sous-traitant.

Toutefois, si le maître d’ouvrage agit contre l’entrepreneur principal pour une partie qui a été
sous-traitée par ce dernier, alors l’entrepreneur principal pourra appeler en garantie son sous-traitant.

§ DANS LES RAPPORTS ENTRE L’ENTREPRENEUR PRINCIPAL ET LE SOUS-TRAITANT :

C’est la responsabilité de droit commun du contrat d’entreprise qui s’applique dans son
intégralité. Le contrat de sous-traitance est un nouveau contrat d’entreprise.

§ DANS LES RAPPORTS ENTRE LE SOUS-TRAITANT ET LE MAITRE D’OUVRAGE :

L’AP de la Cour de cassation, dans un arrêt du 12 juillet 1991 (arrêt Besse) a refusé d’étendre
la transmission de l’action contractuelle aux chaînes non translatives de propriété. En conséquence de
quoi, le maître d’ouvrage qui voudra obtenir réparation d’un dommage auprès du sous-traitant
devra fonder son action sur l’art. 1240 Cciv.

Toutefois, cette preuve de la faute a largement été facilitée depuis que la Cour de cassation a
décidé que toute faute contractuelle constituait nécessairement une faute de nature
extracontractuelle à l’égard des tiers (JP Bishop).

115
TITRE II – LE MANDAT

L’art. 1984 Cciv est le premier article consacré au mandat. Cet article donne une définition du
mandat : « Le mandat est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque
chose pour mandant et en son nom. »

Cette technique du mandat présente une DOUBLE UTILITE PRATIQUE :

- D’UNE PART, elle va permettre à plusieurs volontés de s’exprimer par une seule voix. Ex. des
copropriétaires donnent mandat à l’un d’entre eux pour les représenter en AG.

- D’AUTRE PART, elle va permettre à une volonté de s’exprimer simultanément par l’expression de
plusieurs mandataires.

Le mandat est une technique juridique qui permet de consentir sans être là. En cela, le mandat
apporte une grande simplification des actes de la vie civile et de la vie des affaires. Le mandat réduit
les distances et le temps.

Il permet donc à une ou plusieurs entreprises d’être représentés par une ou plusieurs
personnes. Le mandant va distribuer des biens sur l’ensemble du territoire tout en restant le seul
contractant du client. Il a des intermédiaires transparents pour les clients.

TROIS POINTS IMPORTANTS :

- L’intérêt du mandat est de permettre à une personne d’être présente à divers endroits
simultanément par l’intermédiaire d’une volonté intelligente. La volonté du mandataire
constituera en droit la volonté du mandant.

• Cass. com., 13 décembre 2016 : si le mandataire a commis un dol, le contrat conclu entre
le mandataire et le tiers pourra être annulé pour vice du consentement, comme si c’était
le mandant qui avait commis ce dol.

• De même, si le mandataire a commis une erreur d’appréciation, le mandant pourra se


prévaloir de cette erreur comme si elle avait été la sienne.

• En somme, le mandat met en jeu la volonté d’une personne avec ses vices et ses qualités.
Cela permet de comprendre que le mandataire est révocable ad nutum par le mandant,
parce que précisément le mandataire n’est pas un automate, un porte-voix ; il représente
la volonté du mandant.

• Ce mandant ne peut pas accepter de voir la personne qui n’agrée plus d’exprimer sa
volonté à l’égard des tiers. En somme, le mandat permet donc une représentation
intelligente du mandant par une volonté même à travers un mandataire qui se présente
aux tiers comme exprimant la volonté du mandant.

- Le contrat conclu avec les tiers ne crée pas de droits, ni d’obligations, dans le patrimoine du
mandataire. Les effets patrimoniaux du contrat conclu par le mandataire avec le cocontractant
ne transitent pas par le patrimoine du mandataire. Ils ont lieu directement entre le mandant et
le cocontractant. Voilà pourquoi les mandataires ne peuvent pas développer de clientèle propre.
Ex. un agent commercial sera un intermédiaire de distribution ; il est transparent.

116
- Il faut que les tiers puissent valablement considérer le mandataire comme étant le plein
représentant du mandant. Le mandat implique une exigence de sécurité juridique à l’égard des
tiers. Cette exigence vient légitimer l’idée de mandat apparent. Ex. si je contracte avec le salarié
d’une entreprise, je contracte avec un préposé de l’entreprise (ce n’est pas un mandataire).

Cet exemple fait apparaitre que la problématique du mandat s’articule sur une distinction entre
les rapports internes (mandant – mandataire) et les rapports externes (mandataires – tiers).
• Les rapports internes sont régis par les règles spéciales du mandant.
• Les rapports externes sont régis par les règles relatives à la représentation. Depuis
l’ordonnance de 2016, ces règles figurent aux art. 1153 et s. Cciv.

Le législateur, pour réformer le droit commun de la représentation, s’est essentiellement


inspiré des règles du mandat.

Si le contrat était à l’origine pensé comme un contrat d’ami, désintéressé, il est aujourd’hui un
contrat clé dans les relations économiques. Le mandat est donc gagné par une phénomène de sur-
spécialisation.

CHAPITRE I – LES ELEMENTS CARACTERISTIQUES DU MANDAT

Le régime juridique du mandat doit s’articuler autour des relations internes (SECTION II) et
externes (SECTION II).

SECTION I. LES ELEMENTS ESSENTIELS A TITRE EXTERNE

Il s’agit des relations entre le mandataire et les tiers.

Pour qu’il y ait mandat, il faut la réunion de DEUX CONDITIONS :


- Que le mandataire opère une représentation (I) ;
- Que le mandataire soit investi du pouvoir de conclure des actes juridiques (II).

I. UNE REPRESENTATION

La représentation est le mécanisme par lequel une personne conclut un acte juridique pour
le compte d’une autre personne en vertu d’un pouvoir que lui confère, soit la loi, soit une décision
de justice, soit un contrat.

La représentation peut être parfaite (A) ou imparfaite (B).

A. LA REPRESENTATION PARFAITE

Dans la représentation parfaite, une personne agit au nom et pour le compte d’une autre
personne. Dès lors qu’une personne prétend agir au nom d’autrui, et que le tiers est fondé à croire en
cette affirmation, alors l’effet de la représentation se produit.

La représentation parfaite n’est pas tant attachée à l’idée d’un mandat véritable, mais attachée
à un pouvoir d’agir au nom et pour le compte d’autrui, et donc d’engager autrui dans un rapport
juridique avec des tiers.

Ces personnes qui peuvent juridiquement représenter autrui sont de TROIS TYPES :

117
- Les vrais mandataires ;

- Les organes sociaux d’une personne morale ;

- Les mandataires apparents : il s’agit de ceux qui ne sont pas des mandataires contractuels mais
qui agissent comme s’ils étaient des mandataires, ou ceux qui sont mandataires mais qui
excèdent les pouvoirs qui leurs sont confier.
• Lorsque le tiers pouvait croire légitimement dans la réalité des pouvoirs de ce faux
mandataire, le droit offrira un effet de représentation parfaite au nom du mandat
apparent.

En somme, le mandat est le contrat le plus typique du pouvoir de représentation parfaite.


Mais dans d’autres situations, le pouvoir de représentation ne sera qu’un pouvoir de représentation
imparfaite (B).

B. LA REPRESENTATION IMPARFAITE

La représentation imparfaite intervient lorsqu’une personne ne parle pas au nom d’autrui,


mais agit néanmoins pour le compte d’autrui. Il agit en son nom propre mais pour le compte d’autrui.

1. LE CONTRAT DE COMMISSION

Le contrat de commission est le plus connu des contrats qui emportent représentation
imparfaite. Il est visé aux art. L212-1 et s. Ccom. C’est le contrat par lequel une personne, le
commettant, charge une autre personne, le commissionnaire, de passer un ou plusieurs actes
juridiques pour son compte, mais pas en son nom.

Il existe beaucoup de contrats spéciaux dont la naissance a été organisée par le biais d’une
commission. Ex. la commission de transports de marchandises ; le contrat de commission à la vente ou
à l’achat (« achetez ou vendez cela pour moi mais en votre nom »).

Dans cette situation, les tiers qui contractent avec un commissionnaire savent PLUSIEURS CHOSES :

- Le commissionnaire agit pour le compte d’autrui. Cela produit un effet dans le cas des contrats
translatifs de droits réels (ex. commission à la vente). Le tiers sait que le commissionnaire n’est
pas propriétaire de la chose à vendre. Dans cette hypothèse, les effets réels du contrat vont se
produire directement du patrimoine du commettant au patrimoine du tiers acquéreur. Le bien
ne va pas transiter par le patrimoine du commissionnaire. Cela évoque la figure du mandat.

• Dans une commission à la vente, le contrat ne se forme pas directement entre le


commettant et le tiers acquéreur ; c’est la raison pour laquelle les effets personnels du
contrat vont quant à eux buter sur le patrimoine du commissionnaire.

- Comme il a contracté en son nom, il va faire écran. Cela a des répercussions sur la situation du
tiers impayé. Sa créance de prix, il ne la tient que contre le commissionnaire qui est son seul
contractant, tant et si bien que le tiers acquéreur ne disposera d’aucune action personnelle
contre le commettant.

• De façon tout à fait réciproque, si c’est le commettant qui est resté impayé, il n’aurait
pas d’action contre le tiers acquéreur, mais contre le commissionnaire qui fait écran.

118
Il n’y a que les effets réels qui, par la force des choses, transitent, sans passer par le
patrimoine du commissionnaire. Pour les effets personnels, eux ne jouent qu’entre commettant et
commissionnaire d’une part, et commissionnaire et tiers d’autre part.

La règle vaut même dans l’hypothèse où le tiers connaissait l’identité du commettant. Même
dans cette hypothèse, le commissionnaire n’est qu’un écran car la volonté des parties s’est concentrée
sur la commission et non sur un mandat.

2. LA DECLARATION DE COMMAND

C’est un contrat que l’on rencontre dans les ventes aux enchères. Une personne physiquement
présente à la vente surenchérie pour une personne dont elle garde l’identité. Dans cette situation,
l’enchérisseur est le commandé et tout le monde sait qu’il prend les ordres d’autrui, mais il ne dit pas
pour qui. L’identité du commandant reste opaque jusqu’au bout.

Si l’enchère du commandé finit par l’emporter :

- Si le commandé révèle dans un bref délai le nom de son commandant, cette révélation transforme
rétroactivement l’opération en mandat. Rétroactivement, le commandé devient un mandataire ;

- Si le commandé ne déclare pas l’identité de son commandant, l’opération devient une


commission.

La déclaration de commande est une opération intéressante. En effet, c’est une opération qui
dans les besoins de l’opération est une opération transitoire, intermédiaire. Elle a vocation à basculer
soit vers un mandat, soit vers la commission.

3. LA CONVENTION DE PRETE-NOM

La convention de prête-nom ne relève même pas de la représentation imparfaite. Par


hypothèse, on ne sait, dans une convention de prête-nom, que l’interlocuteur agit pour le compte
d’autrui. Il agit en son nom et le tiers l’ignore.

A mes yeux, il s’agit d’une vente pure et simple. Si j’apprends qu’il existait une convention
entre mon cocontractant et une autre personne, on est dans une hypothèse de simulation. Il s’agit
d’un mandat caché. Il y a DEUX ACTES DISTINCTS :
- Un acte apparent (une vente) ;
- Un acte occulte.

En l’espèce, le droit commun doit s’appliquer à la lettre. Je pourrais me prévaloir soit de l’acte
occulte, soit de l’acte apparent.

Une convention de prête-nom est bien souvent utilisée dans la pratique du droit des affaires
par soucis de discrétion.

II. LA CONCLUSION D’UN ACTE JURIDIQUE

La représentation caractéristique du mandat doit se concrétiser dans un pouvoir donné au


mandataire en vue de conclure des actes juridiques.

119
Si l’agent se borde à accomplir des actes matériels pour le compte d’autrui, ce ne sera pas un
mandat mais un contrat d’entreprise.

Si l’agent, par l’effet de la mission qui lui a été donnée dans son contrat, doit à la fois conclure
des actes juridiques et réaliser des actes matériels, on se heurte à la question de la qualification. Le
juge étudiera si les opérations sont divisibles ou pas.

- Si dans le contrat unique donnant des opérations plurielles, il est possible de dissocier les aspects,
on appliquera le régime du mandat pour la partie relative à la conclusion d’actes juridiques, et le
régime du contrat d’entreprise pour la partie relative prestations matériels.

- En second lieu, le juge peut décider d’appliquer la major pars, c’est-à-dire la part prépondérante.

Ex. Cass. 9 mars 1970 : retient la qualification de mandat pour un contrat par lequel une personne
s’était vu confier la garde de deux enfants afin de les élever et de les entretenir. La mission assignée à
cette personne impliquait de passer un grand nombre d’actes juridiques.

SECTION II. LES ELEMENTS CARACTERISTIQUES A TITRE INTERNE

I. LE CARACTERE VOLONTAIRE DE LA PROCURATION

Le pouvoir donné au mandataire par le mandant doit être d’origine volontaire. Mais cette
exigence élémentaire garante de nos libertés doit se combiner avec un impératif de sécurité juridique
des tiers.

La problématique est celle dans laquelle les tiers ont pu croire en toute bonne foi que la
personne avec qui ils ont contracté était bien titulaire d’un pouvoir de représentation d’autrui.

Dans certaines situations extrêmes, ce soucis de protection des tiers va primer sur la volonté
du mandat. C’est la théorie du mandat apparent.

D’une façon générale, lorsqu’une situation crée objectivement une situation de confiance
légitime de la part d’un tiers intéressé, la théorie de l’apparence s’emploie à consolider cette
apparence erronée en lui faisant produire des effets. Le mandat apparent est une technique dérivée
de cette théorie générale de l’apparence qui consiste à obliger contractuellement une personne
comme si elle avait été un mandant, alors même que son prétendu mandataire n’avait pas le pouvoir
de contracter en son nom.

Le mandat apparent consiste donc dans un mécanisme dérogatoire d’imputation à autrui.


Celui-ci, par la gravité des effets qu’il produit, suppose un contractant digne de protection. Il faut que
le contractant ait légitimement pu croire dans la réalité des pouvoirs de son interlocuteur. C’est la
raison pour laquelle la JP soumet le mandat apparent à des conditions strictes.

A priori, la Cour de cassation a très tôt admis que le cocontractant trompé ou qui s’est trompé
de bonne foi puisse bénéficier d’une action directe contre le prétendu mandat. Elle l’a fait d’abord
timidement dans des arrêts dispersés qui parfois se basaient sur la responsabilité civile, ou sur la
théorie de l’apparence.

C’est dans un célèbre arrêt de l’AP le 13 décembre 1962 que la Cour de cassation a admis pour
la première fois de fonder l’engagement du prétendu mandant sur un mandat apparent même en
l’absence d’une faute susceptible de lui être reprochée. En 1962, le mandat apparent était totalement

120
affranchi de la responsabilité civile ; il n’était plus soumis qu’à une seule condition : la croyance
légitime du tiers dans la réalité des pouvoirs du pseudo mandataire.

CONSECRATION : Plus de 50 ans après, l’art. 1156 al. 1er Cciv, issu de l’ordonnance de 2016 a
opéré une réception de la théorie du mandat apparent. Cet article dispose que :
« L’acte accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs est inopposable au
représenté, sauf si le tiers contractant a légitimement cru en la réalité des pouvoirs du représentant,
notamment en raison du comportement ou des déclarations du représenté.»

II. L’ABSENCE DE LIEN DE SUBORDINATION ENTRE LES PARTIES

L’idée de dire que le mandataire doit effectuer sa mission en toute indépendance, sans lien de
subordination avec son mandat, ne pose aucune difficulté lorsque le mandat porte sur la conclusion
d’un acte particulier. Le mandataire a reçu de conclure tel acte, il se bordera à conclure cet acte.

Cette indépendance est un peu moins claire lorsque le mandataire a reçu l’ordre de conclure
plusieurs actes juridiques, ou lorsque le mandataire se voit confier une mission qui ne s’épuise pas
dans la conclusion ponctuelle d’un ou plusieurs actes mais dans une gestion de longue durée.

Ex. je donne mandat d’administrer un bien pendant 4 ans ; je donne des instructions au mandataire en
cours d’exécution (doit-il les respecter ?).

C’est ici que la question est rendue compliquée car la frontière est floue. Toute la question est
de savoir si le mandataire est tenu ou non de respecter les directives de son mandant. En somme, il
convient de livrer une appréciation globale de la relation.

Si les fondamentaux de la mission du mandataire ne peuvent pas être valablement modifiés


en cours d’exécution à l’initiative du mandant, on reste dans le mandat, et ce même si le mandataire
doit écouter le mandant, écouter ses demandes.
Cela explique au demeurant qu’un certain nombre d’intermédiaires en distribution oscillent
entre mandat, statut d’indépendant, contrat de travail.

III. LA GRATUITE (TRAIT FACULTATIF)

Aux termes de l’art. 1986 Cciv : « Le mandat est gratuit s’il n’y a de convention contraire ».
Cette disposition pose donc une présomption en faveur de la gratuité du mandat. C’est donc la
situation inverse à celle du contrat d’entreprise qui prévaut une présomption d’onérosité.

Cette présomption de gratuité cadre plutôt bien avec l’idée traditionnelle du mandat (contrat
d’ami). Toutefois, pour les mandats d’affaires, cette présomption apparaît clairement irréaliste.
L’agent commercial n’exerce pas son activité de façon désintéressée.

C’est ce qui explique que la Cour de cassation a remodelé cet art. 1986 et a inversé la règle
dans les rapports d’affaires (Cass. Civ 1ère, 19 décembre 1989) : la Cour a jugé que le mandat est
présumé salarié lorsqu’il est conféré à une personne dont la profession habituelle consiste à s’occuper
des affaires d’autrui.

Il s’agit là d’une présomption importante car il est fréquent que la mission du mandataire soit
donnée sans que la rémunération ait été fixée dans son quantum, et même sans qu’un principe
d’onérosité ait été acté. Cela arrive spécifiquement dans les hypothèses où le mandat a été donné
verbalement. La présomption est donc une règle de preuve.

121
CHAPITRE II. LA FORMATION DU MANDAT

SECTION I. LES CONDITIONS DE FOND

I. LA CAPACITE DES PARTIES

La capacité du mandant s’apprécie par rapport à l’acte qu’il est envisagé de conclure par le
mandataire. Quelqu’un qui n’a pas la capacité de disposer ne peut pas donner mandat à une
personne de disposer en son nom.

PRECISION :
La capacité du mandat s’apprécie de façon retardée au regard de l’acte projeté. En somme, c’est
au moment de la réalisation de l’acte par le mandataire que s’apprécie la capacité du mandant.
Entre la conclusion du mandat et la conclusion de l’acte, le mandant peut avoir perdu ou gagné la
capacité.

La capacité du mandataire est la capacité contractuelle classique. La conclusion d’un mandat


n’est en rien un acte de disposition. C’est donc seulement une capacité d’administration qui est
requise.

II. UNE MISSION DETERMINEE

La mission doit être déterminée, c’est-à-dire que l’on doit savoir au moins quelle est la nature
de l’acte qu’il est envisagé de conclure. PLUSIEURS CAS peuvent se présenter :

- On peut donner mandat à quelqu’un de faire un type d’acte pour un objet déterminé ou sur une
série abstraite de choses. L’essentiel est que ce type d’acte à conclure soit déterminé. C’est ce
qu’énonce l’art. 1987 Cciv qui dispose que le mandat est spécial pour une affaire ou certaines
affaires seulement, ou générale pour toutes les affaires du mandat.

- L’art. 1988 Cciv restreint le jeu de cette disposition en précisant que le mandat conclu en termes
généraux n’embrasse que les actes d’administration.

Un mandat général est un mandat de gérer ou un mandat de gestion. Ex. mandat de gérer un
bien immobilier. Gérer ne vise pas la conclusion d’actes juridiques de disposition. Gérer, cela vise tous
les actes rendus nécessaires à la gestion du bien, c’est-à-dire tous les actes d’administration.

SECTION II. LES CONDITIONS DE FORME

I. LE FORMALISME AD VALIDITATEM

Selon l’art. 1985 Cciv, le mandat peut être donné par acte authentique, sous seing privé,
lettres, ou verbalement. Il n’y a pas de formalisme requis en matière de mandat. Le principe du
consensualisme s’impose ici ; le contrat peut tout à fait être verbal, ou même tacite (exécution sans
contestation par le mandataire de sa mission).

L’absence d’écrit, si elle ne pose pas de problème au stade de la formation, posera des
difficultés en matière de preuve.

En somme, le principe du consensualisme prévaut en matière de formation du contrat. Mais,


quelques cas existent où il faut que le mandat résulte d’un écrit. Ex. en matière immobilière, si l’agent

122
immobilier reçoit le pouvoir d’engager son client, le contrat doit être écrit (art. 6 de la L. 10 janvier
1970).

II. LE FORMALISME AD PROBATIONEM

La preuve du mandat obéit aux règles du droit commun de la preuve. Cependant, il y a une
petite particularité : pour protéger le mandant, la JP retient une interprétation stricte des termes du
mandat, et par conséquent, des pouvoirs du mandataire.

Ainsi, dans un mandat rédigé dans des termes généraux, le pouvoir de conclure des actes de
disposition doit être stipulé expressément dans l’acte, sans quoi il sera considéré que le mandataire
n’a reçu qu’un pouvoir de conclure des actes d’administration.

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CHAPITRE III. LES EFFETS DU MANDAT

SECTION I. LES OBLIGATIONS DU MANDATAIRE

Envers les tiers, le mandataire n’a aucune obligation. Il n’est pas tenu de la bonne exécution
du contrat qu’il fait se former, car il n’est pas partie au contrat (ni débiteur, ni créancier). Il est
transparent.

Mais on peut modifier cette situation normale par la convention, par ex. en demandant au
mandataire de s’engager personnellement aux côtés du mandant ; ou encore que le mandataire
garantisse la bonne exécution du contrat.

Par ailleurs, dans les relations internes (mandant – mandataire), le mandant peut vouloir
inciter son mandataire à bien choisir son contractant. La manière de procéder est assez classique : elle
consiste à convenir, dans le mandat lui-même, que le mandataire répondra de la bonne exécution du
contrat qu’il fera se former. On dit alors le mandataire est ducroire.

La clause ducroire entre dans la catégorie des sûretés personnelles. Elle a pour objet de
faire garantir par le mandataire la bonne exécution de l’opération contractuelle envisagée. Les
clauses ducroire ne figurent pas que dans les mandats (ex. contrats de courtage).

Les obligations du mandataires existent à l’égard du mandant.

I. L’EXECUTION DE LA MISSION

L’exécution de la mission doit remplir trois exigences :


- Une exécution personnelle (A) ;
- Une exécution diligente (B) ;
- Une exécution loyale (C).

A. UNE EXECUTION PERSONNELLE

Le mandataire est désigné par principe par le mandant en raison de ses qualités propres. Il
existe en matière de mandat un fort intuitu personae qui s’exprime dans la révocation du mandat.

Cependant, en raison de l’indépendance dont il dispose, le mandataire en principe doit être


aussi libre des moyens d’exécuter sa mission. C’est la même problématique que pour le contrat
d’entreprise. S’il décide, dans le cadre de son indépendance, de donner lui-même mandat à un tiers
pour passer l’acte qu’il est chargé de conclure, alors il devrait être absolument libre de le faire. Il s’avère
que le sous-mandat est de droit.

Ce sous-mandat jure avec le caractère intuitu personae mais en même temps est cohérent
avec l’indépendance du mandataire.

L’art. 1994 Cciv qui reconnaît implicitement que le sous-mandat est de droit, organise les
relations en termes de responsabilité.

- D’UNE PART, si la substitution du mandataire n’a pas été autorisée par le mandant, alors le
mandataire initial est responsable à l’égard du mandant de toutes les fautes commises par le
mandataire substitué.

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- D’AUTRE PART, si la substitution a été autorisée par le mandant, le mandataire initial n’est pas
responsable à l’égard de son mandant à moins qu’il ait choisi une personne notoirement
incapable ou insolvable.

Par ailleurs, que la substitution ait été autorisée ou non, le mandant dispose toujours d’une
action directe en paiement contre le sous-mandataire.

Alors que l’art. 1994 Cciv ne le prévoit pas, la Cour de cassation a bilatéralisé cette règle en
ouvrant une action directe au sous-mandataire contre le mandant en cas de défaut de paiement. Dans
ce cas de figure, la Cour a précisé que le mandant peut opposer au sous-mandataire qui agit contre lui,
le paiement qu’il a déjà effectué entre les mains du mandataire initial : Cass. com., 3 décembre 2002.

B. L’EXECUTION DILIGENTE

Il résulte de l’art. 1991 Cciv que l’exécution du mandat doit être diligente, ce qui signifie que
le mandataire doit agir avec rapidité, efficacité et toujours dans l’intérêt du mandant.

En outre, l’art. 1992 Cciv précise que le mandataire est tenu d’exécuter le mandat tant qu’il
est en cours d’exécution.

La JP a articulé ces articles pour retenir que si le mandataire est, sauf cas fortuit, présumé en
faute du seul fait de l’inexécution de son mandat, cette présomption ne saurait être étendue à
l’hypothèse d’une mauvaise exécution du mandat.

Comme l’entrepreneur, le mandataire doit réaliser quelque chose (ici, accomplir des actes
juridiques). S’il n’accomplit pas sa mission déterminée, il est responsable. C’est à lui de prouver le cas
fortuit qui aurait pu l’empêcher de réaliser sa mission.

Si le mandataire exécute mal sa mission, alors l’inexécution doit être prouvée par le mandant.

Au fond, le degré de diligence attendu du mandataire dans le cas d’une mauvaise exécution va
dépendre de plusieurs facteurs contraires (ex. sa spécialisation, la difficulté de la tâche, etc.). C’est
toujours une appréciation in concreto.

C. L’EXECUTION LOYALE

Le mandataire agit toujours dans l’intérêt du mandant. Il ne peut donc trahir cet intérêt. Ex.
le mandataire qui utiliserait les informations dont il dispose au profit de concurrents du mandant
n’exécuterait pas loyalement sa mission.

Par ailleurs, le mandataire doit notifier à son mandant tout conflit d’intérêts qui viendrait à
naître pour l’exécution de sa mission, à défaut de quoi il engagerait sa responsabilité.

Ex. selon l’art. 1596 Cciv, les mandataires et autres représentants ne peuvent pas se rendre
adjudicataires ni par eux-mêmes, ni par personnes interposées, d’un bien qu’ils sont chargés de vendre
aux enchères pour le compte d’autrui.

II. LA REDDITION DES COMPTES

Aux termes de l’art. 1993 Cciv, tout mandataire est tenu de rendre compte de sa mission. Cette
obligation de reddition des comptes à laquelle est soumise le mandataire se caractérise par trois traits :

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- Le mandataire doit informer le mandant du déroulement de sa mission, de façon continue ;

- Le mandataire doit informer le mandant du mauvais déroulement de la mission le cas échéant


(ex. un débiteur ne paie pas). Le mandant doit être en mesure de prendre toutes les décisions
nécessaires en temps utile ;

- A la fin de la mission, un bilan doit être établi par le mandataire. Il doit faire un compte-rendu
global de l’exécution de sa mission. Il doit faire le compte de tout ce qu’il a reçu ainsi que tout ce
qu’il a déboursé, car il a droit à remboursement de tous ces frais.

Le mandant peut dispenser le mandataire de reddition des comptes. En réalité, pour les petits
mandats (ex. aller chercher la CNI à la mairie), le mandataire peut être déchargé de cette reddition.

SECTION II. LES OBLIGATIONS DU MANDANT

I. LES OBLIGATIONS ENVERS LE MANDATAIRE

L’idée générale est que le mandataire doit sortir indemne du mandat, sans perte de ce mandat.

A. L’OBLIGATION D’INDEMNISER LE MANDATAIRE

Cette idée est exprimée dans trois articles du Code civil : art. 1999 ; art. 2000 ; art. 2001 Cciv.

Le mandataire peut obtenir remboursement des frais et des avances qu’il a dû consentir, et ce
même si ces avances ont été exposés en vain (c’est-à-dire même les dépenses inutiles).

Les frais remboursables sont les frais du mandataire pour exécuter sa mission, tous les
dommages subis par le mandataire.

A la lettre de ces articles, il apparaît que le remboursement de ces frais et avances peut se
cumuler avec la rémunération du mandataire. Dans l’hypothèse où le mandat est salarié, cela n’exclue
pas le remboursement.

L’obligation de remboursement est une obligation d’ordre public dans les mandats gratuits,
alors qu’elle peut être écartée par la volonté des parties dans les mandats salariés. Si les parties en
décident ainsi, le mandataire n’aura droit qu’à sa rémunération.

B. LA REMUNERATION DU MANDATAIRE

En matière de mandat, il n’y a pas de nécessité de fixer une rémunération. Il faut déterminer
si le mandat est gratuit ou onéreux.

Si le principe même de la rémunération est acquis (en faisant jouer la présomption en matière
de mandats consentis entre professionnels), le juge viendra lui-même évaluer le montant de cette
rémunération.

II. LES OBLIGATIONS DU MANDATAIRE ENVERS LES TIERS

En principe, le mandant va être engagé par tous les actes que son mandataire aura accompli
en sa qualité. Il faut distinguer le cas normal du cas pathologique.

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A. LE CAS NORMAL

C’est le cas où le mandataire reste dans le cadre de ses pouvoirs.

Par le jeu de la représentation, dès lors que le mandataire est resté dans le cadre de ses
pouvoirs, le mandant sera engagé par les actes conclus par son mandataire. Autrement dit, le mandant
est tenu de considérer tous les actes du mandataire comme s’il les avait effectués personnellement. Il
est directement obligé par ces actes passés par son mandataire.

Du reste, il peut même résulter des obligations pour le mandant pour les faits du mandataire,
que ce soient les faits passifs ou les faits actifs.

- LES FAITS PASSIFS : tout ce qui a été reçu par le mandataire est réputé avoir reçu par le mandant.
Ex. un paiement effectué entre les mains du mandataire est censé avoir été fait entre les mains
du mandant. Il est libératoire pour le débiteur.

- LES FAITS ACTIFS : ils peuvent également s’imposer au mandant, du moins lorsqu’ils ont été commis
par le mandataire dans sa qualité. Ex :

• Le dol du mandataire est réputé émaner du mandant lui-même, en sorte qu’il engage la
responsabilité du mandant. Cass. 29 octobre 2021 : en cas de dol du mandataire, la
responsabilité du mandat n’est engagée que si sa faute personnelle était établie.

• L’erreur spontanée du mandataire sera réputée être l’erreur commise par le mandant
lui-même.

B. LE CAS PATHOLOGIQUE

C’est le droit commun qui règle ces difficultés.

1. LE MANDATAIRE EXCEDANT SES POUVOIRS

En cas d’excès de pouvoirs, l’acte accompli par le mandataire sera en principe inopposable au
mandant. Le mandat ne sera pas engagé. Cela résulte de l’art. 1156 al. 1er Cciv.

Il en va autrement dans l’hypothèse d’un mandat apparent, lorsque le tiers a légitimement pu


croire aux pouvoirs du mandataire. Il est ici possible de garder engagé le mandant.

2. LE MANDANT DETOURNANT SES POUVOIRS

Les pouvoirs existent contractuellement mais le mandataire en a abusé dans son intérêt personnel.

Lorsque le mandataire a agi en détournant ses pouvoirs mais en restant dans la limite de ses
pouvoirs, il peut agir en nullité relative. Le tiers dispose d’une action interrogatoire prévue à l’art. 1158
Cciv.

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CHAPITRE IV. L’EXTINCTION DU MANDAT

Le législateur a prévu des modes spéciaux d’extinction pour le mandat, visés à l’art. 2003 Cciv.
Le mandat finit par la mort, la tutelle des majeurs ou la déconfiture.

SECTION I. L’EXTINCTION PAR UN FAIT JURIDIQUE

I. LA FAILLITE D’UNE PARTIE

Ce que le Code civil appelle la déconfiture renvoie à la faillite d’une des parties, et plus
précisément aux procédures collectives du Livre VI du Code de commerce.

En réalité, le Livre VI du code de commerce tient en échec l’art. 2003 Cciv car l’ouverture d’une
procédure collective (ex. sauvegarde, liquidation) n’emporte pas résiliation automatique des contrats
en cours et n’emporte donc pas résiliation des mandats en cours.

C’est le principe de continuation des contrats en cours, selon lequel l’administrateur juridique
désigné dans cette procédure collective dispose d’une option :
- Soit la poursuite du contrat ;
- Soit la résiliation.

II. L’INCAPACITE DES PARTIES

On vise ici la capacité civile. C’est l’hypothèse dans laquelle une des parties deviendrait
incapable en cours d’exécution du mandat, que s’ouvrirait donc une mesure de protection (ex. tutelle).
Le contrat disparaît.

III. LA MORT D’UNE DES PARTIES

La mort du mandataire va étendre son pouvoir de représentation du mandant. Les obligations


qui incombaient au mandataire décédé ne passent pas aux héritiers.

En cas de décès du mandat, le mandataire est tenu d’achever sa mission s’il y a, selon l’art.
1991 Cciv, péril en la demeure.

Il existe une autre hypothèse où le mandataire doit poursuivre sa mission : le mandataire qui
a ignoré le décès passé a continué de conclure des actes au nom de ce mandat, les actes conclus
engageront les héritiers comme si le contrat s’était poursuivi.

AUTRE HYPOTHESE : les héritiers du mandant demandent au mandataire qu’il poursuive sa mission.

SECTION II. L’EXTINCTION PAR UN MODE UNILATERAL DE VOLONTE

Il peut y avoir extinction prématurée libre du mandat. Le mandant peut mettre fin à tout
moment à ce mandat, sous réserve d’indemnisation du mandataire.

- L’art. 2004 Cciv vise la révocation du mandataire par le mandant.


- L’art. 2007 Cciv vise la révocation du mandat par le mandataire (il démissionne).

Cette bilatéralité est propre au mandat. En matière de contrat d’entreprise, seul le maître
d’ouvrage peut mettre fin au contrat. Ici, ce sont les deux parties.

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I. LA REVOCATION DU MANDANT

La Cour de cassation confère à cette révocation ad nutum une portée inégalée absolue en
jugeant que même la stipulation d’une irrévocabilité du mandat ne prive pas le mandant du droit à
renoncer à l’opération projetée par le mandataire. Cela résulte d’un arrêt Civ 1ère, 5 février 2002.

De fait, cette solution s’explique par la particularité du mandat, dans ce sens où le mandataire
représente le mandant. Il est inconcevable que l’on soit représenté contre son gré. Seule la loi peut
organiser des représentations légales malgré la volonté de la personne, mais en aucun cas le contrat.

C’est donc un objectif de protection individuelle qui explique la révocation ad nutum mais qui
explique également la portée que lui donne la Cour de cassation.

Cette révocation, en principe, ne nuit pas au mandataire puisque celui-ci aura été indemnisé
des frais et avances dans l’exercice de sa mission.

Seulement, la manière dont la révocation intervient peut constituer un fait générateur de


responsabilité pour le mandant. Le mandataire, lorsqu’il considèrera que les circonstances de la
rupture lui sont dommageables, ira demander en justice pourquoi il a été révoqué (les motifs de sa
révocation). Selon la qualité des motifs présentés par le mandant, le juge décidera si cette rupture
était fautive ou non.

II. LA REVOCATION PAR LE MANDATAIRE

Le mandataire peut renoncer lui-même à sa mission (art. 2007 Cciv). Il doit motiver sa
renonciation. C’est une possibilité de résiliation unilatérale qui est offerte, éventuellement payante (si
le contrat le prévoit).

Si la renonciation devait préjudicier au mandant, alors le mandataire devra l’indemniser de son


préjudice, à moins que le mandataire ne se trouve dans l’impossibilité de continuer son mandat et sans
que le mandant n’en éprouve un préjudice considérable.

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