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UNIVERSITE DE YAOUNDE II

Faculté des Sciences Juridiques et Politiques


Année académique 2021/2022
L 2-DPU/DPR

COURS

DE

DROIT ADMINISTRATIF II

I - PLAN DETAILLE
II - BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE
III- COURS DEVELOPPE

Par

Bernard-Raymond GUIMDO D.
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur Titulaire
Mars 2022

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I- PLAN DETAILLE

INTRODUCTION

1ère PARTIE : L’ACTIVITE DE L’ADMINISTRATION

TITRE I : L’ACTIVITE JURIDIQUE

SOUS/TITRE I : L’ACTIVITE UNILATERALE : L’ACTE ADMINISTRATIF DECISOIRE

Chapitre 1 : Le pouvoir réglementaire


Section 1 : Les fondements juridiques
Section 2 : Les autorités habilitées
Chapitre 2 : Le régime juridique
Section 1 : Les caractères généraux
Section 2 : L’élaboration
Section 3 : La temporalité

SOUS/TITRE II : L’ACTIVITE CONTRACTUELLE : LE CONTRAT ADMINISTRATIF

Chapitre 1 : L’identification
Section 1 : La qualification
Section 2 : La typologie
Chapitre 2 : Le régime juridique
Section 1 : La formation
Section 2 : L’exécution
Section 3 : L’extinction

TITRE II : L’ACTIVITE MATERIELLE

Chapitre 1 : Les services publics


Section 1 : L’être juridique
Section 2 : La vie juridique
Chapitre 2 : La police administrative
Section 1 : La consistance
Section 2 : Le régime

2nde PARTIE : LA SOUMISSION DE L’ADMINISTRATION AU DROIT

TITRE I : LES PRINCIPES

Chapitre 1 : La légalité administrative


Section1 : La consistance du principe
Section 2 : L’aménagement du principe
Chapitre 2 : La responsabilité administrative
Section 1 : Les conditions de possibilité
Section 2 : L’application du principe
Section 3 : Les régimes spéciaux

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TITRE II: L’APPLICATION (Cf. Cours de Contentieux administratif, L3)

Chapitre 1 : La structure de la justice administrative


Section 1 : L’anatomie
Section 2 : La physiologie
Chapitre 2 : L’instance administrative contentieuse
Section 1 : Les types de recours contentieux
Section 2 : L’introduction des recours contentieux
Section 3 : L’examen des recours contentieux
Chapitre 3: Le sort des décisions de la juridiction administrative
Section 1 : Les voies de recours
Section 2 : L’exécution des décisions

II - BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE
A- Ouvrages :

1- Ouvrages généraux :

- ABANE ENGOLO (Patrick Edgar), Traité de droit administratif du Cameroun, Théorie


générale et droit administratif spécial, L’Harmattan, Paris, 2019.
- AUTIN (Jean-Louis) et RIBOT (Catherine), Droit administratif général, 5ème éd., Litec,
Paris, 2007.
- BONNARD (Roger), Précis de droit administratif, 4ème éd., L.G.D.J, Paris, 1943.
- BURDEAU (François), Histoire du droit administratif (de la Révolution au début des
années 1970), P.U.F, Paris, 1995.
- CHAPUS (René), Droit administratif général, t.1, 15ème éd., Montchrestien, Paris, 2001.
- CHRETIEN(Patrick), CHIFFLOT(Nicolas), TOURBE (Maxime), Droit administratif,
17ème éd., Sirey, Paris, 2020.
- DELVOLVE (Pierre), Droit administratif, 7ème éd., Dalloz, Connaissance du droit, Paris,
2018.
- DUGUIT (Léon), Traité de droit constitutionnel, 3ème éd., t.1, Fontemoing et Compagnies,
Ed. E. Boccard, Paris, 1927.
- GAUDEMET (Yves), Droit administratif, 23ème édition, L.G.D.J, Paris, 2020.
- GONOD (Pascale), MELLERAY (Fabrice) et YOLKA (Philippe), Traité de droit
administratif, tome I, Dalloz, Paris, 2011.
- GONOD (Pascal), MELLERAY (Fabrice) et YOLKA (Philippe), Traité de droit
administratif, tome II, Dalloz, Paris, 2011.
- HAURIOU (Maurice), Précis de droit administratif et de droit public, 12ème éd., Sirey,
Paris, 1933.
- LOMBARD (Martine), DUMONT (Gilles) et SIRINELLI (Jean), Droit administratif, 14ème
éd., Dalloz, Paris, 2021.
- MORAND-DEVILLER (Jacqueline), Cours de droit administratif, 17ème éd.,
Montchrestien, Paris, 2021.
- PEISER (Gustave), Droit administratif général, 26ème éd. Dalloz, Mémentos, Paris, 2014.
- PETIT (Jacques) et FRIER et (Pierre-Laurent), Droit administratif, 15ème éd., Précis
DOMAT droit public, LGDJ, Paris, 2021.
- TRUCHET (Didier), Droit administratif, 9ème éd., PUF, Paris, 2021.
- VEDEL (Georges) et DELVOLVE (Pierre), Droit administratif, T.1, 13ème éd., P.U.F, Paris,
1997.
- WALINE (Jean), Droit administratif, 28ème éd., Paris, Dalloz-Sirey, 2020.

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2- Ouvrages spécialisés :

- KAMTO (Maurice), Droit administratif processuel du Cameroun, P.U.C, Yaoundé, 1990.


- MESCHERIAKOFF (Alain-Serges), Le droit administratif ivoirien, Économica, Paris, 1982.
- MOUDOUDOU (Placide), Droit administratif congolais, L'Harmattan, Paris, 2003.
- NLEP (Roger Gabriel), l’Administration publique camerounaise : Contribution à l’étude
des systèmes africains d’administration publique, LGDJ, Paris, 1986.
- OWONA (Joseph), Doit administratif spécial de la République du Cameroun, Edicef,
Paris, 1985.
- OWONA (Joseph), Le contentieux administratif de la République du Cameroun,
L’Harmattan, Paris, 2011.

B-Thèses :

- ESSOMBA NTSAMA (Jean), Le juge des droits et libertés au Cameroun, Thèse de doctorat
Ph. D. en droit public, Université de Yaoundé II, 2017.
- MAKOUGOUM (Agnès), Ordre public et libertés publiques en droit public camerounais.
Contribution à l’étude de la construction de l’Etat de droit au Cameroun depuis 1990, Thèse
de doctorat Ph. D. en droit public, Université de Yaoundé II, 2015.
- NTIBANE (Joseph Martial), Le juge administratif camerounais et la connaissance acquise,
Thèse de doctorat Ph. D. en droit public, Université de Yaoundé II, 2017.
- OBAMA EBOLO (Franck Yanick), Les notions de dommage et de préjudice en droit
administratif camerounais de la responsabilité, Thèse de doctorat Ph. D. en droit public,
Université de Yaoundé II, 2021.
- OWONA OMGBA (Bernard Junior), La publicité des actes juridiques en droit public
camerounais. Recherches sur l’accès au droit au Cameroun, Thèse de doctorat Ph. D. en droit
public, Université de Yaoundé II, 2015.
- SANDIO KAMGA (Armel Habib), L’établissement public en droit administratif
camerounais, Thèse de doctorat/Ph. D. de droit public, Université de Yaoundé II, 2014.

C- Articles et communication :

1-Articles :

- GUIMDO DONGMO (B.-R.), « Le droit d’accès à la justice administrative au Cameroun.


Contribution à l’étude d’un droit fondamental », Droit prospectif-Revue de la Recherche
Juridique, 2008-1, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, pp. 453-498.
- GUIMDO DONGMO (Bernard-Raymond), « Contrats de délégation de service public et
harmonisation dans le cadre de l’OHADA : cas de la régie intéressée, de la concession et de
l’affermage », Actes du Colloque international de Libreville sur Les pratiques contractuelles
d’affaires et les processus d’harmonisation dans les espaces régionaux, organisé par
l’ERSUMA du 26au 28 octobre 2011, publication de l’ERSUMA, 1 ère éd., juin 2012, pp.168-
178.
- GUIMDO DONGMO (Bernard-Raymond), «Les figures du juge administratif dans les Etats
d’Afrique noire francophone», Revue RAMReS/S.J.P (Revue Africaine et Malgache de
Recherches Scientifiques/Sciences Juridiques et politiques, n°spécial, Janvier 2021, pp.217-
251.
- GUIMDO DONGMO (Bernard-Raymond), «L’accès aux juridictions administratives dans
les Etats d’Afrique noire francophone: réflexions sur son évolution récente à partir du cas du
Cameroun», Revue africaine de Droit et de Science politique (RADSP), Vol. IX, n°20, Spécial
2021-1er semestre, pp.7-40.

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- GUIMDO DONGMO (Bernard-Raymond), « La région en droit public camerounais : quel
Janus juridique ?, Revue électronique Afrilex, Décembre 2021, 21p.

2-Communication :

- GUIMDO DONGMO (Bernard-Raymond), « Initiation à la compréhension des contrats de


partenariat public-privé », Séminaire de formation délocalisée des avocats et avocats
stagiaires, organisé par le CIFAF et autres, du 5 au 6 décembre 2016 à Yaoundé, 17p.

D- Revues, périodiques, recueils d’arrêts commentés et lexique :

1- Revues et Périodiques :

- Actualité Juridique. Droit Administratif (A.J.D.A)


- Juridis Périodique
- Lex Lata
- Revue Française de Droit Administratif (RFDA)
- Revue de Droit Administratif (RDA)
- Revue du Droit Public et de la Science Politique en France et à l’étranger (RDP)
- Revue Africaine de Sciences Juridiques (R.A.S.J).

2- Recueils d’arrêts commentés :

- BILONG (Salomon), Mémento de la jurisprudence camerounaise, 1ère éd., PUD, 2014.


- KEUTCHA TCHAPNGA (Célestin), Les grandes décisions annotées de la juridiction
administrative du Cameroun, Paris, L’Harmattan, 2017.
- LACHAUME (Jean-François), PAULIAT (Hélène), BRACONNIER (Stéphane) et
DEFFIGIER (Clotilde), Droit administratif. Les grandes décisions de la jurisprudence,
17ème éd., PUF, Paris, 2020.
- LONG (Marceau), WEIL (Prosper), BRAIBANT (Guy), DELVOLVE (Pierre) et
GENEVOIS (Bruno), Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, Dalloz, 22ème
éd., Dalloz, Paris, 2019.
- PAMBOU TCHIVOUNDA (Guillaume), Les grandes décisions de la jurisprudence
administrative du Gabon, A. Pedone, Paris, 1994.

3- Lexique :

- GUINCHARD (Serge) et DEBARD (Thierry), sous la dir. , Lexique des termes juridiques,
28ème éd., Dalloz, Paris, 2020.

Yaoundé, le 08 mars 2022

Bernard-Raymond GUIMDO DONGMO


Agrégé des Facultés de Droit
Professeur Titulaire

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III- COURS DEVELOPPE

INTRODUCTION

Pour le Doyen Maurice Hauriou le droit administratif est un droit vivant. Des auteurs
contemporains se sont demandés, pour certains, s’il s’agit d’un droit des privilèges, et, pour
d’autres, si c’est un rempart contre l’arbitraire. Ce que l’on peut dire est que le droit
administratif met en rapport l’administration est les administrés et qu’il peut constituer, selon
les cas, soit un privilège pour l’administration, soit un rempart de l’administré contre
l’arbitraire administratif.
A la différence du droit civil, le droit administratif s’est construit sur la base de
considérations a-juridiques. A l’origine, il est essentiellement composé de standards de
comportements et non d’un ensemble de règles de droit comme le droit civil. Au plan
juridique, le droit administratif est né (en France) d'un principe textuel et l'arrêt Blanco (T.C,
08 février 1873) lui a donné sa consistance normative.
Le droit administratif introduit au Cameroun n'a pas dérogé, pour l'essentiel, aux
principes consacrés en France, que ce soit avant ou après l'indépendance, mais davantage
avant qu’après. Il est donc, pour une bonne part, tributaire du droit administratif français.
Le droit administratif a pour objet l’administration. Il s’agit plus précisément de
l’administration publique, c’est-à-dire de l’ensemble des organes par lesquels sont conduites
et exécutées les taches publiques. Cette administration peut être appréhendée à un double
point de vue : matériel et organique.
L’établissement ou la conception du droit administratif repose sur ses critères
(éléments permettant de l’identifier ou de le qualifier), et ses sources (techniques ou
modalités d’élaboration).
Relativement aux critères, on en distingue de deux types, à savoir les critères
théoriques (service public, puissance publique et utilité publique) et les critères juridiques
(bases constitutionnelles et autonomie) de ce droit.
Pour ce qui est des sources, certaines sont nationales (Constitution, loi, jurisprudence
administrative, actes administratifs unilatéraux et plurilatéraux), tandis que d’autres sont
internationales (Conventions internationales et complémentairement les actes unilatéraux
internationaux).
Le droit administratif a un caractère dual : c’est un droit essentiellement inégalitaire
et fondamentalement jurisprudentiel. Son inégalité s’explique et se traduit par la prééminence
de l’administration sur l’administré. En effet, c’est l’administration qui dispose du pouvoir
d’organisation générale, du pouvoir de réglementation ; c’est elle qui détient le pouvoir
d’ordre, le pouvoir de régulation en matière de police administrative ainsi que le pouvoir de
contrôle et de sanction. Quant à son caractère jurisprudentiel, il est lié au fait que les grands
principes et règles qui le régissent ont été énoncés, pour l’essentiel, par le juge. Cela dit, il
convient de préciser que le juge administratif a une double fonction : une fonction
jurisprudentielle et une fonction juridictionnelle. La première consiste à « créer » le droit en
formulant des principes généraux du droit et en énonçant des règles générales. La seconde,
quant à elle, consiste à trancher les litiges dont il est saisi en appliquant on en disant le droit.
Au Cameroun, le juge administratif, du fait de l’importance de l’armature textuelle et
de sa formation, exerce davantage la fonction juridictionnelle ; ce faisant, il est moins
jurislateur (créateur de normes jurisprudentielles) que le juge administratif français.
Le DAG2 (2nd semestre), qui est la suite du DAG1 (1er semestre), s’intéresse d’une
part à l’activité de l’administration (1ère partie), et, d’autre part, à la soumission de ladite
administration au droit (2nde partie).

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1ère PARTIE

L’ACTIVITE DE L 'ADMINISTRATION

En tant que sujet de droit, l'administration participe à la vie et au commerce juridiques


dans l’Etat. C'est un acteur juridique dont le rôle et la contribution dans la construction de
l’ordre juridique et matériel sont d’une importance indéniable.
L’administration intervient dans la vie juridique essentiellement pour satisfaire
l’intérêt général et/ou prévenir la survenance d’un événement susceptible de remettre en
cause l’harmonie ou la paix sociale. Ainsi, son activité est à la fois juridique et matérielle.

TITRE I

L'ACTIVITE JURIDIQUE

L’activité juridique de l’administration est double. Elle consiste d’une part à édicter
des actes administratifs dits unilatéraux qui sont la manifestation de sa seule volonté, et,
d’autre part, à conclure des actes administratifs plurilatéraux ou contrats administratifs,
lesquels constituent la rencontre de deux ou plusieurs volontés, celle de l’administration et
celle d'un ou des tiers.

SOUS/TITRE I

L’ACTIVITE UNILATERALE : L’ACTE ADMINISTRATIF DECISOIRE

De toutes les prérogatives de puissance dont dispose l’administration, la plus


importante est indiscutablement celle qui consiste à prendre des actes décisoires, c’est à dire
des actes qui font naître unilatéralement des obligations à la charge des tiers et/ ou des droits
à leur profit, sans leur consentement.
L’acte administratif décisoire se manifeste, pour l'essentiel, à travers le pouvoir
réglementaire ; par ailleurs, il et est régi par un ensemble de règles juridiques.

CHAPITRE I

LE POUVOIR REGLEMENTAIRE

Jean Rivero définit le pouvoir réglementaire comme « le pouvoir de statuer par voie
générale accordé à des autorités autres que le parlement soit nationale soit locale » (v. Droit
administratif, Dalloz , Paris , 1987, p. 80; voir également, Jean Rivero et Jean Waline , Droit
administratif ,18ème édition, Dalloz , Paris, 2000 ,p. 65).
C'est une définition sommaire et imprécise quant à l’identification de l’autorité
compétente pour exercer le pouvoir réglementaire. Cette autorité, insuffisamment identifiée,
n’est opposée qu’au Parlement. Est-ce à dire qu’elle peut être aussi juridictionnelle ou
diplomatique ? Par ailleurs, l’auteur n’indique pas l’acte par lequel l’autorité en question
statue « par voie générale ».
La définition proposée par Georges Vedel est plus précise mais est relativement
incomplète. D’après l’éminent auteur, « le pouvoir réglementaire est le pouvoir de faire des
règlements. C’est-à-dire de prendre des décisions exécutoires de caractère général et
impersonnel » (G.Vedel et P. Delvolvé, Droit administratif, 10 éd., Paris, PUF, 1988, p.288).
C’est une définition incomplète parce que l’auteur n’indique pas l’organe habilité à exercer un
tel pouvoir.

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Au regard de ce qui précède, on peut appréhender le pouvoir réglementaire comme le
pouvoir reconnu aux autorités administratives (ou non) de faire des règlements ou des actes
réglementaires, c’est à dire des actes exécutoires ayant un caractère général et impersonnel.
Il se dégage de cette définition que le pouvoir réglementaire ne s’exerce pas ex nihilo
(à partir de rien) mais qu’il a des bases juridiques à partir desquels on peut identifier les
autorités qui en sont investies.

SECTION 1 : LES FONDEMENTS JURIDIQUES

En règle générale, le pouvoir réglementaire est exercé par le pouvoir exécutif. Ce


dernier, qui a pour mission d'exécuter les lois votées par le parlement, veille à la bonne
marche de l’administration. Il assure ses différentes missions au moyen de l'acte administratif
unilatéral dont l'une des composantes essentielles est l’acte réglementaire (l’autre
composante étant l’acte non réglementaire).
Au Cameroun, le pouvoir réglementaire à une base juridique ternaire (une triple
base). Celle-ci est constitutionnelle, législative et réglementaire (en France, le pouvoir
réglementaire a, en plus de ces trois bases, une base jurisprudentielle depuis l’arrêt Jamart
rendu par le Conseil d'Etat le 07février 1936, à propos du pouvoir réglementaire des
ministres. Dans cet arrêt, le Conseil d'Etat pose que, « même dans le cas où les ministres ne
tiennent d’aucune disposition même législative un pouvoir réglementaire, il leur appartient,
comme à tout chef de service, de prendre les mesures nécessaires au bon fonctionnement de
l’administration placée sous leur autorité » (Dans le même sens, CE, Sect., 8 janvier 1982,
Sarl Chocolat de Dardenne).

§ 1 – Le fondement constitutionnel

C’est la Constitution qui organise la séparation des pouvoirs dans l’Etat. C’est elle qui
détermine les attributions des organes qu’elle a institués soit directement, soit indirectement
(par renvoi à la loi ou au règlement).
La base constitutionnelle du pouvoir réglementaire n’est pas indissociable de celle du
droit administratif, car c’est la Constitution qui institue organiquement et fonctionnellement le
pouvoir réglementaire et en indique les limites. On peut la considérer comme la base
juridique originaire du pouvoir réglementaire.
Le pouvoir réglementaire consacré par la Constitution à deux dimensions. La première
est intimement liée à la loi : c’est le pouvoir réglementaire d’application des lois. Quant à la
seconde, elle ne dépend pas de la loi : c’est le pouvoir réglementaire autonome. L’un est
restreint et dépendant ou subordonné, tandis que l'autre est étendu, non dépendant et non
subordonné.
La Constitution camerounaise du 18 janvier 1996 a consacré ces deux dimensions du
pouvoir réglementaire (la loi n°96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la constitution
du 2 juin 1972).

A- Le fondement constitutionnel du pouvoir réglementaire subordonné

La mise en œuvre du pouvoir réglementaire subordonné consiste à édicter des


règlements d’application ou d’exécution des lois. De tels règlements sont nécessaires, car
grâce à eux, le législateur peut se contenter, comme il convient, à n’inclure dans les lois que
des dispositions de premier rang et ayant vocation à la permanence; les autres étant prises par
acte réglementaire.
Il convient, pour cerner l’étendue du pouvoir réglementaire, de rappeler le domaine
de la loi tel que consacré par l’article 26 de la Constitution du 18 janvier 1996. Il s’agit, « in

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globo », des droits, garanties et obligations fondamentaux du citoyen ; du statut des
personnes et du régime des biens; de l’organisation politique, administrative et judiciaire; des
questions financières et patrimoniales ; du programme des objectifs de l’action économique et
sociale et du régime de l’éducation.
Dans certaines de ces matières, le législateur peut, à volonté, descendre aussi loin qu’il
lui plaît dans les détails des mesures qu’il juge utile, ou laisser à l’exécutif le soin de prendre
des mesures d’application.
Dans d’autres, par contre, il peut se contenter d’énoncer des principes fondamentaux et
il revient à l’exécutif de prendre des mesures d’application ou d’organisation y afférentes.
Dans le premier cas, le pouvoir réglementaire dispose d’un "domaine résiduel" qui est celui
de prendre des mesures d’application que le législateur n’a pas prises et lui demande de le
faire. Dans le second cas, le pouvoir réglementaire dispose d’un "domaine propre ", moins
dépendant, mais qui se limite à toutes les mesures qui ne mettent pas en cause les principes
fondamentaux énoncés par le législateur.
Quoiqu’il en soit, dans un cas comme dans l’autre, il y a place pour des règlements
d’application. L’exécutif ne devrait donc pas, parce que déposant d’un domaine moins
dépendant, prendre des règlements contraires aux principes énoncés par le législateur. De tels
règlements seraient illégaux et susceptibles de recours pour excès de pouvoir.

B- Le fondement constitutionnel du pouvoir réglementaire autonome

L'exercice du pouvoir réglementaire autonome ne dépend pas du législateur;


autrement dit, il ne nécessite nullement une habilitation législative.
Il se dégage de cette considération que dans les domaines qui ne font l’objet d’aucune
réserve au profit du législateur, le pouvoir réglementaire se déploie dans toute son étendue,
sous réserve du respect des principes généraux du droit, et peut arrêter librement toute
mesure de principe ou d’application que l’on nomme règlement autonome.
La Constitution du 18 janvier 1996, en son article 27, énonce à ce sujet que « les
matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ressortissent au pouvoir
réglementaire ».
Cette disposition constitutionnelle consacre un domaine d’action propre au pouvoir
réglementaire. Cela signifie-t-il que les règlements autonomes, qui sont l’expression
normative du pouvoir réglementaire, ont le même niveau ou la même valeur que la loi ? Rien
dans le texte constitutionnel ne permet de l’affirmer ou de l’infirmer. Par ailleurs, il n’existe
pas de jurisprudence administrative au Cameroun qui règle cette question. Il convient par
conséquent de se référer au droit positif français en la matière pour esquisser des éléments de
réponse.
Le Conseil d’Etat a, dès 1959 (CE, 28 Janvier 1959, Syndicat général des Ingénieurs
conseils) imposé la soumission des règlements autonomes aux principes du droit. Pour le
Doyen Georges Vedel, cette position du Conseil d’Etat « condamnait la thèse de l’égalité de
la loi et du règlement autonome ». Le Pr René Chapus en déduit, quant à lui, que « loi et
règlement autonome ont chacun leur rang, ils sont séparés et inégaux ». Cette position a été
confortée par la reconnaissance des principes généraux du droit par le Conseil d’Etat français
dont certains ont d'ailleurs valeur constitutionnelle.
Il se dégage de ces considérations que le règlement, même autonome, n’est qu’une
variété de décisions administratives susceptibles de recours pour excès de pouvoir, à la
différence de la loi, qui est insusceptible d’un tel recours et qui ne peut être appréciée que
par rapport à la Constitution, en principe, avant sa promulgation (certains auteurs parlent d’un
acte incontestable ou inattaquable par opposition au règlement qui est contestable ou
attaquable).

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Il faut relever que la Constitution française protège les matières réservées au pouvoir
réglementaire contre les intrusions du pouvoir législatif (voir articles 37 (2) et 41 de la
Constitution du 4 octobre 1958).
Un tel mécanisme de protection n’existe pas dans la constitution camerounaise du 18
janvier 1996. Seulement, sur cette question, le Conseil constitutionnel français a jugé que
les lois votées dans les matières réglementaires ne sont pas de ce fait même contraires à la
Constitution; simplement n’étant pas à leur place, elles pourront être délégalisées (CE, 30
Juillet 1982, Blocage des Prix et des Revenus).

§ 2 – Le fondement législatif

Il s’agit d’une base juridique dérivée on secondaire, car elle tire sa légitimité de la
Constitution. Celle- ci énonce, en effet, dans certaines de ses dispositions que telle ou telle
matière sera fixée par la loi. Il en est ainsi, par exemple, du régime de l’élection à la
Présidence de la République (art. 6. 6) ; du régime de l’état d’urgence (art. 9.1) ; du régime de
l'élection à l’Assemblée nationale et au Sénat (art. 14. 6) ; de l’organisation, du
fonctionnement et du régime financier des collectivités territoriales décentralisées (art. 55. 5) ;
du régime des associations et des partis politiques (art. 26.2 ; c2) ; du régime du travail, du
droit syndical et du régime de la protection sociale (art 26. 2 a .3) ; enfin du statut général des
établissements publics (loi n°2017/010 du 12 juillet 2017) et du statut général des entreprises
publiques (loi n°2017/011 du 12 juillet 2017).
Tous les règlements pris en application des lois régissant ces matières ont ainsi un
fondement législatif; par conséquent, ils ne peuvent pas remettre en cause ou violer les
dispositions desdites lois.
Il y a lieu d'indiquer, cependant, que le fondement ou la base législative du pouvoir
réglementaire ne concerne pas les règlements autonomes, qui ont un fondement
exclusivement constitutionnel. Ces règlements constituent ou peuvent constitués des bases
juridiques d’autres règlements dits dérivés.

§ 3 – Le fondement réglementaire

Un règlement peut être pris en application d’un autre règlement qui lui est supérieur.
Pour cette raison, il doit se conformer à ce dernier, puisque c'est de lui qu'il tire sa légitimité
juridique A titre d’exemple, les statuts particuliers dans la Fonction publique sont des
règlements qui tirent leur légitimité juridique du Statut général de la Fonction publique de
l’Etat. Il existe d’autres règlements qui sont ou qui peuvent constituer la base juridique
d'autres règlements. Il en ainsi du décret précisant les attributions du Premier Ministre
(décret n°92/089 du 4 mai 1992 modifié et complété par le décret n°95/145-bis du 4 août
1995), du décret portant réorganisation de la Présidence de la République (décret n° 2011/412
du 09 décembre 2011), du décret portant organisation du gouvernement (décret n°2011/408
du 09 décembre 2011, complété par le décret n°2018/190 du 02 mars 2018).
En somme, à la différence de Constitution, qui fonde le pouvoir réglementaire général
et initial, le règlement, comme la loi, fonde le pouvoir réglementaire dérivé ou délégué. Mais,
toutes ces normes déterminent les autorités investies du pouvoir réglementaire.

SECTION 2 : LES AUTORITES HABILITEES

Les autorités investies du pouvoir réglementaire au Cameroun sont nombreuses. Les


textes et la pratique montrent d’ailleurs, qu’il y a une tendance à la dispersion des
compétences. Il faut aussi dire que cette dispersion se justifie par la recherche de la célébrité,
de l’efficacité et le souci de rapprocher l’administration de l’administré. Mais une telle

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dispersion peut ouvrir de voies à des interprétations variables et à une pratique assez
incertaine. Certes, cette dispersion connaît des garde-fous que sont, en particulier le contrôle
hiérarchique (dans le cas de la déconcentration) et le contrôle de tutelle (dans le cas de la
décentralisation), mais ils sont mis en œuvre avec plus ou moins de bonheur, de rigueur, de
précision et d’objectivité.
On peut distinguer, « in globo », deux catégories d’autorités investies ou détentrices
du pouvoir réglementaire. La première concerne les autorités investies directement par la
Constitution : ce sont les autorités détentrices du pouvoir réglementaire initial ou général. La
seconde concerne les autorités investies soit par la loi, soit par le règlement : ce sont les
autorités détentrices du pouvoir réglementaire délégué ou spécifique.

§ 1- Les autorités investies du pouvoir réglementaire général

Les autorités dont il s’agit sont : le Président de la République et le Premier Ministre.


Il faut dire que ces derniers ne sont pas investis de ce pouvoir de la même manière. Par
ailleurs, leurs pouvoirs réglementaires respectifs n’ont pas la même autorité. En réalité, le
Premier Ministre jouit d’un pouvoir réglementaire initial limité voire dégradé. Il reste que la
Constitution du 18 janvier 1996 et bien avant elle, la révision constitutionnelle du 23 avril
1991, a instauré un bicéphalisme administratif au niveau du pouvoir réglementaire initial.

A– Le pouvoir réglementaire du président de la République

Le Président de la République détient un pouvoir réglementaire qu’il exerce en période


normale et en période de crise (pouvoir réglementaire de crise ou exceptionnel).
1- Le pouvoir réglementaire du Président de la République en période normale
L’article 8 de la Constitution du 18 janvier 1996 dispose que le Président de la
République exerce le pouvoir réglementaire et qu’il crée et organise les services publics de
l’Etat. Il faut préciser que le Président de la République agit ici dans le cadre du pouvoir
réglementaire autonome, c’est-à-dire dans les matières autres que celles qui sont du domaine
de la loi. Il en résulte que le champ compétenciel du Président de la République est très large.
Mais est-ce à dire qu’il est sans limite ? Il y a lieu de répondre par la négative, d’abord parce
qu’il ne peut agir au-delà et contre la Constitution, ensuite parce qu’il ne doit ou ne devrait
pas empiéter dans le domaine de la loi, enfin parce qu’il doit ou devrait se conformer aux
principes généraux du droit.
Les règlements autonomes pris par le Président de la République peuvent faire l’objet
« d’un contrôle indirect de constitutionnalité ». La procédure peut être la suivante :
- dépôt d’une proposition de loi tendant à abroger le décret litigieux ou motif qu’il
excéderait la compétence réglementaire ;
- opposition du gouvernement à la recevabilité de cette proposition de loi, qui excipe la
compétence du pouvoir réglementaire en la matière. Ce désaccord sera alors tranché par le
juge constitutionnel saisie par le Président de l’Assemblée intéressé ou le tiers des
membres de cette assemblée - art. 18.3 (b)) pour l’Assemblée et art 23.3 (b) pour le Sénat-
ou même par le Président de la République (voir les mêmes articles).
Si la solution du juge constitutionnel est favorable à la proposition de loi, le règlement
querellé sort de l’ordonnancement juridique. Dans le cas contraire, c’est la proposition de loi
qui est retirée.
Les règlements autonomes pris par le Président de la République peuvent aussi faire
l’objet d’un contrôle de légalité (puisqu’il s’agit d’une variété de décisions administratives)
devant le juge administratif, voire devant le juge répressif si l’on excipe l’exception
d’illégalité, qui va apprécier la régularité du règlement querellé, mais si c’est devant le juge

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civil, celui-ci doit surseoir à statuer et sur renvoi devant le juge administratif, celui-ci peut
déclarer le règlement illégal.
Le Président de la République peut-il exercer aussi le pouvoir d’application ou
d’exécution des lois ? La question vaut son pesant juridique dans la mesure où la Constitution
du 18 janvier 1996 a confié cette prérogative au Premier Ministre. En effet, l’article 12.2 de la
Constitution dispose que le Premier Ministre « est chargé de l’exécution des lois ».
Si l’on s’en tient à cette disposition constitutionnelle, il ne le peut. Il s’agit d’une
compétence attribuée au Premier Ministre depuis la révision constitutionnelle du 23 avril
1991 - v. art. 9.5 (nouveau) de la loi n°91/001 du 23 avril 1991-. Celle-ci a transféré
explicitement le pouvoir d’exécution des lois du Président de la République - l’article 9.8
(ancien) constitution du 02 juin 1972 disposait que le Président de la République est chargé de
l’exécution des lois - au Premier Ministre - art. 9.5 nouveau sus-cité-.
Un partage de compétence dans ce domaine ne serait-il pas contraire à la constitution ?
Et quel peut être le fondement de l’intervention du Président de la République en la matière ?
Est-ce l’article 10 (1) de la Constitution d’après lequel le Président de la République fixe les
attributions du Premier Ministre ? Est-ce l’adage « qui peut le plus peut le moins » ? Est-ce
l’article 8 de la Constitution, qui donne au Président de la République un pouvoir
réglementaire général, ou le fait que constitutionnellement c’est le Président de la République
qui dépose les projets de loi au bureau de l’Assemblée et qu’en vertu du principe du
parallélisme des compétences, c’est lui qui devrait exécuter les lois qui en sont issues ?
L’exécution des lois par le Président de la République a peut-être un fondement, sinon
on ne comprendrait et n’expliquerait pas qu’il ait continué à intervenir dans ce domaine
depuis la révision constitutionnelle du 23 avril 1991 et, par suite, depuis l’avènement de la
Constitution du 18 janvier 1996 (exemple : décret n°99/193 du 8 septembre 1999 portant
organisation et fonctionnement de l’Agence d’Electrification rurale créée par la loi n°98/022
du 24 décembre 1998 régissant le secteur de l’électricité ; idem décret n°99/125 du
15/06/1999 portant organisation et fonctionnement de l’Agence de Régulation du Secteur de
l’Electricité créée par la même loi ; décret n°99/126 du 15 juin 1999 portant organisation et
fonctionnement de l’Autorité portuaire instituée par la loi n°98/021 du 24 décembre 1998
portant organisation du secteur portuaire).
Le pouvoir réglementaire du Président de la République en période normale connaît
une extension en application de l’article 28 de la Constitution. En effet, d’après cet
article « dans les matières énumérées à l’article 26 al 2 (…), le parlement peut autoriser le
Président de la République pendant un délai limité et sur des objets déterminés à prendre des
ordonnances ».
Le même article dispose que ces ordonnances entrent en vigueur dès leur publication,
qu’elles sont déposées sur le bureau de l’Assemblée nationale et sur celui du Sénat aux fins de
ratification dans le délai fixé par la loi d’habilitation. Il précise, par ailleurs, que ces
ordonnances « ont un caractère réglementaire tant qu’elles n’ont pas été ratifiées » et
qu’ « elles demeurent en vigueur tant que le Parlement n’a pas refusé de les ratifier ».
Il se dégage de ce qui précède un certain nombre de conséquences juridiques :
- premièrement, tant que la loi de ratification n’est pas intervenue, les ordonnances
relèvent des divers contrôles juridictionnels pesant sur les actes administratifs unilatéraux,
notamment du contrôle du juge de l’excès de pouvoir.
- deuxièmement, tant que le délai pendant lequel le Président de la République est
autorisé à prendre des ordonnances n’est pas expiré, seul le Président de la République et le
gouvernement peuvent intervenir dans les matières qui ont fait l’objet de l’autorisation
législative ; ainsi, ce n’est que par voie d’ordonnance que pourrait être modifiée une
ordonnance tant que la délégation n’a pas pris fin ;
- troisièmement, a contrario, une fois le délai d’autorisation expiré, les ordonnances ne
peuvent plus être modifiées que par la loi dans les matières qui sont du domaine législatif, pas

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parce que ces ordonnances ont désormais acquis un caractère législatif, mais tout simplement
parce que les matières qui étaient temporairement soustraites au domaine législatif lui sont
retournées ou lui font retour. Autrement dit, ce n’est pas l’ordonnance qui prend valeur
législative par l’effet de l’expiration du délai d’habilitation, c’est la matière qui retourne dans
le domaine législatif.
Au plan contentieux, le juge administratif ne devrait opposer aucune irrecevabilité
aux recours dirigés contre les ordonnances alors même que le recours doit être jugé après
l’expiration du délai d’habilitation.
2– Le pouvoir réglementaire du Président de la République en période de crise
C’est l’article 9 de la Constitution qui consacre le pouvoir réglementaire de crise du
Président de la République. Cet article institue l’état d’urgence (al.1 er) et l’état d’exception
(al. 2) ; deux situations totalement différentes au regard de leur régime juridique. Il dispose,
d’une part (al.1 er) que, « le Président de la République peut, lorsque les situations l’exigent,
proclamer par décret l’état d’urgence qui lui confère des pouvoirs spéciaux dans les
conditions fixées par la loi » (en l’espèce, la loi n°90/047 du 19 décembre 1990 sur l’état
d’urgence), et, d’autre part, que (al. 2), « le Président de la République, en cas de péril grave
menaçant l’intégrité du territoire, la vie, l’indépendance ou les institutions de la République
proclamer par décret l’état d’exception et prendre toutes mesures qu’il juge nécessaire. Il en
informe la nation par voie de message ».
a)-L’hypothèse de l’état d’urgence
La Constitution prévoit qu’une loi détermine les conditions dans lesquelles le
Président de la République exerce les pouvoirs spéciaux. Cela signifie que le décret
proclamant l’état d’urgence doit se conformer à cette loi. Par ailleurs, la Constitution laisse au
législateur le soin d’indiquer les circonstances pouvant justifier la proclamation de l’état
d’urgence par le Président de la République (sur ce point, voir article 1er de la loi sur l’état
d’urgence). L’état d’urgence est proclamé par le Président de la République lorsque les
circonstances l’exigent. Il s’agit des circonstances de lieu et de temps : où et quand ?
(exemple : en 1992, après la proclamation des résultats de l’élection présidentielle, des
contestations violentes ont eu lieu dans la province du Nord-Ouest, en particulier à Bamenda,
l’état d’urgence a été proclamé par le Président de la République).
L’état d’urgence peut être renouvelé (voir art.3 loi 90/047) et l’Assemblée nationale
n’est obligatoirement consultée que si la situation qui la motivait persiste (voir art 3 (b) de
même loi). L’état d’urgence prend fin soit automatiquement à l’expiration du délai fixé par le
décret qui l’a institué ou prorogé, soit par décret, lorsque les circonstances ayant entraîné sa
proclamation ont cessé (article 4 de la loi 90/047).
La loi sur l’état d’urgence n’organise pas le contentieux relatif aux mesures prises dans
ce cadre, est-ce à dire qu’aucun contentieux ou recours n’est possible ? Quelle est la nature du
décret qui proclame l’état d’urgence ? Un acte administratif unilatéral ou un acte de
gouvernement ? En l’absence d’une jurisprudence camerounaise appropriée en la matière, on
peut dire ceci : le décret est, certes prévu par la constitution mais, c’est une loi qui indique les
conditions et les modalités de son édiction. Cela signifie mutatis mutandis que le décret
proclamant l’état d’urgence doit être pris dans le respect des dispositions de cette loi. Il en
résulte que sa légalité peut être contrôlée par le juge administratif. La loi sur l’état d’urgence
dispose par ailleurs, en son article 9 que « les modalités » de son « application (…) seront en
tant que de besoin fixées par voie réglementaire ». Il se dégage de cette disposition que non
seulement le décret proclamant l’état d’urgence doit être conforme à la loi, mais qu’il devrait
aussi être pris dans le respect du décret d’application de cette loi. Il en est de même de toutes
les mesures que le Président de la République, le Ministre en charge de l’administration
territoriale et les autorités administratives de la localité où l’état d’urgence a été proclamé
prendront dans ce cadre.

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b)-L’hypothèse de l’état d’exception
La Constitution ne renvoie pas la détermination des conditions et des modalités de la
proclamation de l’état d’exception à une loi. Il suffit qu’il y ait « un péril grave (…) » pour
qu’il soit proclamé par le Président de la République et qu’il prenne « toutes mesures qu’il
juge nécessaires ». Le Président de la République dans ce cas concentre dans ses mains
l’ensemble des compétences étatiques et par suite devient l’autorité administrative suprême et
unique. Ni l’Assemblé Nationale, ni le Conseil Constitutionnel ne sont consultés.
Il se dégage de cette considération que le Président de la République sera amené à
assumer des fonctions de « dictateur » au sens romain du mot, car au-delà du décret qu’il
prend pour proclamer l’état d’exception, il édicte seul « les mesures qu’il juge nécessaires »
pour la circonstance.
D’un point de vue du droit administratif, on peut s’interroger sur la nature juridique de
l’ensemble des actes pris par le Président de la République dans le cadre de l’état d’exception.
A ce niveau, il faut faire un distinguo entre le décret par lequel il proclame l’état d’exception
et les mesures qu’il prend dans ce cadre.
Le décret que prend le Président de la République pour proclamer l’état d’exception
conformément à l’article 9.2 de la Constitution n’est pas en lui-même un acte de nature
administrative. Il est soustrait de tout contrôle juridictionnel, tant de la part des juges
administratif et judiciaire en raison de sa nature non administrative que de la part du Conseil
constitutionnel qui n’a pas de juridiction sur les actes du Président de la République et
auxquels d’ailleurs l’article 9.2 de la Constitution ne fait pas référence, même pas à titre
consultatif.
La jurisprudence française en la matière peut trouver son application ici (v. CE, 02
mars 1962, Ruben de Servens). On peut donc dire que le décret de mise en application de
l’état d’exception présente le caractère d’un acte de gouvernement dont il n’appartient au juge
administratif, ni d’apprécier la légalité, ni de contrôler la durée d’application. Il est à noter,
par ailleurs, que cette décision permet au Président de la République de prendre des mesures
qu’il juge nécessaires, lesquelles, vu les circonstances, sont relatives tant au domaine législatif
qu’à celui du règlement.
Si l’on s’inspire de la jurisprudence française Ruben De Servens, celles des mesures
prises par le Président de la République dans le domaine législatif présenteront le caractère
d’actes législatifs et, à ce titre, échapperont au contrôle du juge administratif, à l’instar des
ordonnances prises par le Président de la République et ratifiées par le parlement (article 28
de la Constitution). A contrario, celles des mesures prises dans le domaine réglementaire
auront le caractère d’actes administratifs (unilatéraux) et demeureront par conséquent soumis
au contrôle du juge administratif.

B- Le pouvoir réglementaire du Premier ministre

D’après l’article 27 de la Constitution « les matières autres que celles qui sont du
domaine de la loi ressortissent au pouvoir réglementaire ». Organiquement ces matières sont
de la compétence du Président de la République (art. 8.8) et du Premier Ministre (art. 12.3) et
matériellement, ce sont actes réglementaires (l’article 37.1 de la Constitution française a,
quant à lui, une approche matérielle. Il ne dispose que « les matières autres que celles qui sont
du domaine de la loi ont un caractère réglementaire »).
Ainsi, au regard de la Constitution, le Président de la République et le Premier
Ministre constituent organiquement le pouvoir réglementaire et se partagent le pouvoir
réglementaire. Mais la Constitution précise que le Premier Ministre « exerce le pouvoir
réglementaire … sous réserve de prérogatives reconnues au Président de la République dans
ce domaine ».

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A la différence du Président de la République qui crée et organise les services publics
de l’Etat, le Premier ministre dirige tous les services administratifs nécessaires à
l’accomplissement de sa mission.
Ce ceci démontre à suffisance que, bien que ces autorités soient toutes deux
détentrices du pouvoir réglementaire initial, le champ d’action du Président de la République
est plus vaste et son autorité plus grande que ceux du Premier ministre, car les services
administratifs que dirige le Premier Ministre sont des services crées par le Président de la
République.
La Constitution ne dit pas en quoi consiste l’exercice par le Premier Ministre du
pouvoir réglementaire. Elle n’énonce que le Président de la République, qui nomme le
Premier Ministre, fixe ses attributions (art. 10). Cette disposition, concrétisée par décret
présidentiel, favorise l’institution d’un pouvoir réglementaire édulcoré (atténué) au profil du
Premier Ministre. En effet, ce dernier n’exerce plus son pouvoir réglementaire sur le
fondement de la constitution, mais sur celui d’un règlement. On peut subodorer que le
constituant a voulu, par cette disposition, marquer l’infériorité et la dépendance du Premier
Ministre vis-à-vis du Président de la République. En conséquence, le bicéphalisme
administratif qu’il a institué est essentiellement déséquilibré au profil du Président de la
République.
C’est le décret n°92/089 du 04 mai 1992, modifié et complété par le décret n°95/145-
bis du 04 août 1995, qui précise les attributions du Premier Ministre (la constitution dit, plutôt
que le Président de la République « fixe… »). D’après l’article 1 er dudit décret, le « Premier
Ministre, chef du gouvernement, dirige l’action de celui-ci. A ce titre, sous réserve des
pouvoirs dévolus par la Constitution au chef de l’Etat :
a) Il est chargé suivant l’orientation donnée par le Président de la République de l’impulsion,
de l’animation, de la coordination et de la supervision des services placés sous son autorité ;
b) Il veille à la réalisation des programmes d’action des ministères approuvés par lui et
impartis aux chefs des départements ministériels ;
c) Il coordonne la préparation des actes législatifs et réglementaires à soumettre à la
sanction du Président de la République ;
d) Il veille au respect de la légalité des décisions gouvernementales ;
e) Il préside les conseils de cabinet, les réunions interministériels ainsi que les comités et
conseils spéciaux quand le texte organique créant le dit comité ou conseil en dispose ainsi ;
f) Il anime et coordonne les politiques de communication des départements ministériels ».
L’article 2.1 de ce décret précise que :
« Sous réserve des prérogatives du Président de la République en matière
d’organisation du gouvernement, de fixation des attributions des membres du gouvernement,
de création et d’organisation des services publics de l’Etat, le Premier Ministre exerce le
pouvoir réglementaire par voie de décret, d’arrêté, de circulaire, d’instruction générale ou de
directive dans les domaines de sa compétence ».
En précisant les attributions du Premier Ministre, le décret n°92/089 a, pour
l’essentiel, réduit sa marge de manœuvre, notamment dans le domaine réglementaire qu’il
partage constitutionnellement avec le Président de la République. C’est ce dernier qui édicte
l’essentiel des règlements autonomes, le Premier Ministre étant chargé, en général, de prendre
les actes d’application de certains d’entre eux (exemple, le décret n°2000/698/PM du 13
septembre 2000 fixant les modalités d’organisation et de fonctionnement du conseil supérieur
de la fonction publique ; décret n°2000/697/PM du 13 septembre 2000 fixant le régime de la
formation permanente des fonctionnaires ; le décret n°2000/689/PM du 13 septembre 2000
fixant le régime du congé administratif annuel des fonctionnaires et décret n°2001/116/PM du
27/03/01 fixant le statut juridique du fonctionnaire stagiaire et conditions du stage probatoire
à la titularisation). Par ailleurs, ce décret restreint le champ de compétence du Premier
Ministre en matière d’exécution des lois. Il énonce (art. 3), en effet, que, « le Premier ministre

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dispose en tant que de besoin du pouvoir de signer les décrets d’application des lois votées
par l’Assemblée Nationale ». Cette disposition ne signifie-t-elle pas que l’exécution des lois
par le Premier Ministre est davantage une dérogation qu’un principe ? Dans tous les cas, elle
pose problème relativement à sa comptabilité avec l’article 12.2 de la Constitution qui dispose
que le Premier Ministre est « chargé de l’exécution des lois ».
Au regard de cette disposition décrétale, c’est finalement le Président de la République
qui détiendrait de façon principielle le pouvoir d’appliquer les lois. Le problème ne se pose
pas maintenant du fait de l’identité entre la majorité présidentielle et la majoritaire
parlementaire, mais qu’adviendrait-il si le Président de la République et le Premier Ministre
appartiennent à des majorités différentes ?
Au demeurant, le pouvoir d’exécution des lois au Cameroun est donc partagé entre le
Président de la République et le Premier Ministre (exemple de décrets d’application pris par le
Premier ministre : décret n°95/531/PM du 23 août 1995 fixant les modalités d’application du
régime des forêts déterminé par la loi n°94/01 du 20 janvier 1994 portant régime des forêts,
de la faune et de la pêche complété par l’Ordonnance n°99/001 du 30 août 1999, modifié par
le décret n°2000/092/PM du 27 mars 2000 ; décret n°2000/158/PM du 03 août 2000 fixant les
conditions et les modalités de création et d’exploitation des entreprises privées de
communication audio-visuelle pris en application de la loi n°90/052 du 19 décembre sur la
communication sociale modifiée par la loi n°96/04 du 04 janvier 1996 ; enfin, décret
n°2001/832/PM du 19 septembre 2001 fixant les règles communes applicables aux
institutions privées d’enseignement supérieur en application de la loi n°2001/005 du 16 avril
2001 relative à l’Enseignement supérieur.
Le problème est de savoir dans quel domaine et qui du Président de la République ou
du Premier Ministre est habilité ou compétent pour prendre les règlements d’application de
telle ou telle loi. La Constitution n’apporte aucune précision sur ce point. Les différentes lois
édictées n’en disent rien aussi ; quant au décret n°92/089, il est imprécis sur ce point. Il se
pourrait que c’est le Président de la République (qui nomme le Premier Ministre), qui exerce
avec le parlement l’autorité de l’Etat (article 4 de la Constitution) et qui « définit la politique
de la nation, assure par son arbitrage le fonctionnement régulier des pouvoirs publics »
(article 5.2 paragraphes 3 et 4) qui, en définitive, indique dans quel domaine le Premier
Ministre prend ou peut prendre de tels règlements d’application des lois. Est-ce à dire que le
Premier ministre ne peut pas décider de lui-même d’exécuter les lois comme le prescrit la
constitution ? La nature et la réalité du régime politique et administratif camerounais
permettent d’en douter, voire de répondre par la négative. Ainsi, le Premier Ministre se
rapproche des autres autorités investies du pouvoir réglementaire délégué ou dérivé.
D’ailleurs, l’article 10.2 de la Constitution dispose que le Président de la République peut lui
déléguer certains de ses pouvoirs.

§ 2- Les autorités investies du pouvoir réglementaire délégué

La détention et l’exercice du pouvoir réglementaire par des autorités autres que le


Président de la République et le Premier Ministre sont non seulement une nécessité mais
également une réalité.
Au niveau de l’Etat, les autorités investies du pouvoir réglementaire délégué existent
aussi bien au sein de l’administration centrale qu’au sein de l’administration déconcentrée.
Au niveau de l’administration décentralisée, il existe aussi des autorités investies du
pouvoir réglementaire délégué. On en trouve dans les collectivités territoriales décentralisées
et dans les institutions spécialisées, notamment les établissements publics (il est à noter que
dans certains cas, les personnes ou organismes privés peuvent être investis du pouvoir
réglementaire délégué).

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Le pouvoir réglementaire dont sont investies ces autorités est dit délégué ou dérivé
parce que son fondement n’est pas directement constitutionnel. Il est soit réglementaire (cas
des autorités administratives étatiques), soit législatif (cas des autorités des collectivités
territoriales décentralisées et des établissements publics).

A- Les autorités investies du pouvoir réglementaire au niveau de l’administration


centrale

L’article 10.1 de la Constitution dispose, entre autres, que le Président de la


République nomme, sur proposition du Premier Ministre, les autres membres du
gouvernement et fixe leurs attributions. Par ailleurs, l’article 8.10 énonce que le Président de
la République nomme aux emplois civils et militaires. C’est à ce titre, par exemple, qu’il
nomme le Secrétaire général de la Présidence de République, le Secrétaire général des
Services du Premier ministre et les Secrétaires généraux des ministères.
Par ailleurs, toutes ces autorités exercent par délégation le pouvoir réglementaire
dérivé. Il faut à ce sujet préciser que les articles 10.2 et 12.5 de la Constitution disposent,
respectivement, que « le Président de la République peut déléguer certains de ses pouvoirs
(…) aux autres membres du gouvernement et à certains hauts responsables de
l’administration de l’Etat dans le cadre de leurs attributions » et que le Premier Ministre
« peut déléguer certains de ses pouvoirs aux membres du gouvernement et à des hauts
responsables de l’administration de l’Etat » ( l’article 8 du décret 92/089 du 04 mai 1992
énonce la même possibilité mais prend soin de dire « en tant que de besoin »).
Au total, les autorités administratives centrales exercent des attributions propres et
peuvent exercer en d’autres par délégation.
1- Le pouvoir réglementaire des membres du gouvernement
Outre le Premier Ministre, le gouvernement comprend : les vice-premiers ministres le
cas échéant ; les ministres d’Etat, le cas échéant ; les ministres ; les ministres sans
portefeuille, les ministres chargés de missions, les ministres délégués et les secrétaires d’Etat.
Si l’on exclut les ministres sans portefeuille les ministres chargés de missions, les
ministres délégués et les secrétaires d’Etat, on peut appréhender le pouvoir réglementaire des
ministres en tenant compte de la nature de leurs départements ministériels.
Selon ce critère, on peut distinguer les ministres en charge des départements
ministériels de souveraineté, les ministres en charge des départements ministériels à vocation
économique et les ministres en charge des départements ministériels techniques.
Dans l’exercice de son pouvoir réglementaire, le Ministre peut agir seul ou
conjointement avec un ou plusieurs de ses collègues. La portée de ce pouvoir réglementaire
est, cependant limitée.
En effet, le pouvoir réglementaire du Ministre est spécial quant à son objet. Il renvoie
au département dont il a la charge. Par ailleurs, la mission dont il est investi lui permet de
faire des règlements touchant uniquement à l’organisation de son administration (département
ministériel, mesures s’appliquant à ses agents et dans certains cas aux usagers du service
public dont il a la charge).
Ce pouvoir ne s’applique pas, sauf texte spécial, à l’ensemble des citoyens (ou public).
Le ministre peut-il se voir conférer par le législateur un pouvoir réglementaire dans les
matières qui relèvent de ses attributions ?
La question est posée parce qu’il existe des lois qui prévoient assez souvent que des
arrêtés ministériels indiqueront leurs modalités d’application ou celles de certaines de leurs
dispositions. Il en est ainsi, par exemple, de la loi n°92/007 du 14 août 1992 portant Code du
Travai,l qui confère au ministre du Travail et de la Sécurité Sociale, un pouvoir réglementaire
qui relève de ses attributions (voir par exemple, l’article 28.6 relatif aux modalités de
l’engagement à l’essai, l’article 33.3 relatif à la fixation des conditions d’indemnisation en cas

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de chômage technique, l’article 34.3 relatif à la détermination des conditions et de la durée du
préavis).
On peut bien se demander si cette habilitation législative n’est pas contraire à l’article
12.2 de la Constitution. On peut le penser, stricto sensu, si on considère que l’exécution des
lois comme ressortit à la compétence exclusive du Premier ministre. Mais le contrôle d’un tel
arrêté est difficile voire difficultueux en application de la théorie de l’écran législatif (la loi
fera écran entre le juge administratif et la Constitution).
Mais, est-ce que l’article 12.2 fait réellement obstacle ou interdit au législateur de
confier à une autorité publique autre que le Premier ministre le soin de déterminer ou fixer des
normes permettant de mettre en œuvre une loi ?
En France, le Conseil constitutionnel a jugé sur cette question qu’il n’y a pas
d’obstacle, que le législateur peut le faire « à la condition que cette habilitation ne concerne
que des mesures à portée limitée tant par leur champ d’application que par leur contenu ». Il
a rappelé que les décisions du Premier Ministre ne peuvent être subordonnées aux règles
générales fixées par les autorités habilitées par le législateur à émettre des règlements
d’application des lois (v. CC, 18 septembre 1986 et CC, 22 juillet 1996).
En attendant que le Conseil constitutionnel camerounais nous éclaire un jour sur cette
question, il y a lieu de remarquer que la compréhension de la Constitution, comme celle tout
texte juridique est liée à la fois à la lettre, à l’esprit, à la pratique et surtout à l’interprétation
qui en est faite, notamment par le juge… constitutionnel.
Le Ministre exerce son pouvoir réglementaire en principe par voie d’arrêté. Il en est de
même des hauts responsables de l’Etat.
2- Le pouvoir réglementaire de certains hauts responsables de l’Etat
On abordera ici uniquement le pouvoir réglementaire du Secrétaire général de la
Présidence de la République, du Secrétaire général des services du Premier ministre et du
Secrétaire Général de ministère.
- D’après l’article 3.1 du décret n°2011/412 du 09 décembre 2011 portant
réorganisation de la Présidence de la République, le Secrétaire Général assiste le Président de
la République dans l’accomplissement de sa mission.
A ce titre, il reçoit du Président de la République toutes directives relatives à la
définition de la politique de la nation. Il suit l’exécution des décisions prises par le Président
de la République ; il coordonne l’action des administrations rattachées à la Présidence de la
République (les services du Contrôle supérieur de l’Etat dirigés par un ministre délégué, la
Grande Chancellerie des Ordres nationaux, la Délégation Générale à la Sûreté Nationale, en
ce qui concerne son administration, la Direction générale de la Recherche extérieure, en ce
qui concerne son administration) ; il instruit les dossiers que lui confie le Président de la
République et suit l’exécution de ses instructions ; il veille à la réalisation des programmes
d’actions approuvés par le Président de la République et impartis aux chefs des départements
ministériels et aux services relevant de la Présidence de la République .
L’alinéa 2 du même article précise que, « dans l’exercice de ses attributions, le
Secrétaire Général reçoit une délégation de signature ».
- Le décret n°92/088 du 04 mai 1992 portant organisation des services du Premier
ministre énonce, en son article 4.1, que le Secrétaire général (qui a rang de ministre) assure la
direction générale du secrétariat général des services du Premier ministre, la supervision et la
coordination des services rattachés (notamment la Haute Autorité de la Fonction Publique, la
Commission des Droits de l’Homme du Cameroun, le Conseil National de la
Communication), l’instruction des affaires soumises à la sanction du Premier ministre,
l’efficacité de l’action gouvernementale et plus particulièrement la préparation des conseils de
cabinet, des réunions interministérielles, de certains conseils et comités placés sous l’autorité
du Premier ministre.

18
Pour exercer ces attributions, le secrétaire général reçoit une délégation de signature
du Premier ministre (article 4.2).
- Dans l’exercice de leurs fonctions, les ministres disposent d’un secrétariat général
dirigé par un secrétaire général. Celui-ci est le principal collaborateur du Ministre. Il suit
l’instruction des affaires du département et reçoit du Ministre des délégations de signature
nécessaires. Le Secrétaire général coordonne l’action des services centraux et extérieurs du
ministère et tient à cet effet des réunions de coordination dont il adresse le procès-verbal au
Ministre. Par ailleurs, il définit et codifie les procédures internes au ministère, veille à la
formation du personnel, organise, sous l’autorité du Ministre, des séminaires et des stages de
recyclage de perfectionnement ou de spécialisation. Enfin, il veille à la célérité dans le
traitement des dossiers, centralise les archives et gère la documentation du ministère.
Au demeurant, comme le disait Napoléon, si on peut gouverner de loin, on ne peut
administrer que de près. C’est pour cette raison qu’il existe au sein de l’administration d’Etat
une administration déconcentrée. Celle-ci permet de décongestionner l’administration centrale
et de rapprocher l’administration de l’administré. Mais, comme le disait le publiciste français
Odilon Barrot, « c’est le même marteau qui frappe mais on en a raccourci le manche ».

B- Les autorités investies du pouvoir réglementaire au niveau de l’administration


déconcentrée

Il existe deux formes d’administration déconcentrée, à savoir la forme technique ou


verticale ou par service, ou l’administration déconcentrée techniquement (cas des services
extérieurs des ministères) et la forme géographique ou territoriale ou horizontale, ou
l’administration déconcentrée territorialement (cas des circonscriptions administratives).
Toutes les deux formes sont soumises au contrôle hiérarchique.
La détention et l’exercice du pouvoir réglementaire par l’administration techniquement
déconcentrée dépend des textes qui organisent les ministères dont elle dépend.
Quant à l’administration territorialement déconcentrée, incarnée par le Gouverneur
dans la Région, le Préfet dans le Département, le Sous-préfet dans l’Arrondissement, son
pouvoir réglementaire est contenu dans le décret n°2008/377 du 12 novembre 2008 fixant les
attributions des chefs des circonscriptions administratives et portant organisation et
fonctionnement de leurs services1. Elle est placée sous l’autorité hiérarchique du Ministre en
charge de l’Administration territoriale et de la Décentralisation. C’est d’elle qu’il sera
question dans les développements qui vont suivre.
1- Le pouvoir réglementaire du Gouverneur
Le gouverneur exerce son pouvoir réglementaire dans la Région. Il s’agit d’un pouvoir
exercé uniquement dans les limites territoriales de la Région.
Haut fonctionnaire, le Gouverneur est nommé par décret du Président de la
République. Dépositaire de l’autorité de l’Etat dans la Région, il est à la fois le représentant
du gouvernement et de chacun des Ministres.
L’exercice par le Gouverneur du pouvoir réglementaire consiste à exécuter ou faire
exécuter les lois, règlements et décisions du gouvernement ; à veiller à la mise en œuvre du
plan et des programmes de développement économique et social ; maintenir l’ordre en
application des lois et règlements en vigueur et, de façon générale, exécuter toutes les
missions qui lui sont confiées par l’autorité centrale.
Par ailleurs, le Gouverneur assure, sous l’autorité des ministres compétents, la
supervision générale, la coordination et le contrôle de l’activité des services déconcentrés de

1
Ce décret abroge le décret n°78/485 du 9 novembre 1978 fixant les attributions des chefs de circonscriptions
administratives, des organismes et personnel chargé de les assister dans l’exercice de leurs fonctions modifiées
par le décret n°79/024 du 18 janvier 1979. Ce même décret supprime les districts et précise que ceux existent
actuellement vont continuer de fonctionner jusqu’à leur érection en arrondissement.

19
l’Etat dans la Région, à l’exception de ceux relevant de la Justice (cf. article 5 al.1 du décret
n°2008/377). A ce titre, il peut procéder à tous contrôles et investigations ou prendre toutes
mesures de coordination qu’il juge nécessaire. Il peut demander à tous les services publics
installés dans la Région les informations nécessaires à l’accomplissement de sa mission. I l
rend compte de façon périodique au Président de la République, par voie hiérarchique, de son
action de coordination.
Dans l’exercice de son pouvoir réglementaire, le Gouverneur dispose des forces de
police, de la gendarmerie et de l’armée dans le cadre des règlements fixant les modalités
d’emploi de ces forces. Il dispose également de tous les pouvoirs qui pourraient lui être
attribué par les lois et règlements ainsi que par le gouvernement. C’est ainsi qu’il exerce les
pouvoirs de tutelle de l’Etat sur la Région et les établissements publics régionaux,
conformément à la législation à la réglementation en vigueur.
Le Gouverneur exerce son pouvoir réglementaire par voie d’arrêtés et de décisions. Il
est assisté d’un secrétariat particulier dirigé par un secrétaire particulier nommé par lui-même,
d’un cabinet placé sous l’autorité d’un Chef de Cabinet nommé par arrêté du Président de la
République, d’un Secrétariat général dirigé par un haut fonctionnaire nommé par décret du
Président de la République qui prend le titre de Secrétaire général de la Région, qui sont tous
placés sous son autorité. Que dire du pouvoir réglementaire du Préfet ?
2 – Le pouvoir réglementaire du Préfet
Le Préfet exerce son pouvoir réglementaire dans les limites territoriales du
Département. Haut fonctionnaire nommé par décret du Président de la République, il est
dépositaire de l’autorité de l’Etat dans le Département où il est à la fois représentant du
gouvernement et de chacun des ministres.
Placé sous l’autorité directe du gouverneur, le Préfet est investi, pour le compte du
gouvernement, d’une mission permanente et générale d’information et de coordination en
matière économique et sociale. Il veille au maintien de l’ordre, à l’exécution du plan et des
programmes de développement économique et social. Sous l’autorité des Ministres
compétents et du Gouverneur, il assure la supervision générale des services déconcentrés de
l’Etat dans le Département, à l’exception de ceux relevant de la Justice. A ce titre, il peut
procéder à tous les contrôles, investigations et mesures de coordination qu’il juge nécessaires,
donner des instructions écrites, à charge pour lui d’en rendre compte au Ministre compétent et
au Gouverneur.
Le Préfet dispose, comme le Gouverneur dans la Région, des forces de police, de la
gendarmerie et de l’armée, dans les conditions fixées par les textes en vigueur. Il exerce
également tout pouvoir qui pourrait lui être délégué par le gouvernement ou par le
Gouverneur ainsi que les pouvoirs de tutelle sur les communes et les établissements publics
communaux, conformément aux textes en vigueur.
Enfin, le Préfet exerce le pouvoir réglementaire dans le cadre des attributions et
missions qui lui sont confiées par le gouvernement. Il en est de même du Sous-préfet dans
l’Arrondissement.
3 – Le pouvoir réglementaire du Sous-préfet
Le Sous-préfet, placé à la tête de l’Arrondissement, est nommé par décret du Président
de la République. Il est sous l’autorité directe du Préfet.
Le Sous-préfet est chargé du maintien de l’ordre, de l’exécution des lois, règlements et
décisions du gouvernement ainsi que du contrôle et de la coordination de l’activité des
services publics installés dans sa circonscription.
Pour l’accomplissement de ses missions, le Sous-préfet dispose de la force publique,
réglemente et décide conformément aux textes en vigueur ou par délégation de ses supérieurs
hiérarchiques. C’est par voie de décisions qu’ils exercent le pouvoir réglementaire.
Qu’en est-il des autorités investies du pouvoir réglementaire au niveau de
l’administration décentralisée ?

20
C- Les autorités investies du pouvoir réglementaire au niveau de l’administration
décentralisée

L’administration décentralisée dont il s’agit est, à certains égards, territoriale ou


géographique (c’est le cas des collectivités territoriales décentralisées) et, à d’autres égards,
fonctionnelle ou par service (c’est le cas des institutions spécialisées que sont les
établissements publics).
A la différence des autorités de l’administration déconcentrée, les autorités de
l’administration décentralisées exercent un pouvoir réglementaire dont le fondement est
essentiellement législatif et sous le contrôle de tutelle des organes de l’Etat.
1-Les autorités détentrices du pouvoir réglementaire au sein des collectivités
territoriales décentralisées
A la différence du pouvoir réglementaire des Ministres, le pouvoir réglementaire des
autorités des collectivités territoriales décentralisées (CTD) est spécial, quant à son aire
géographique, et général, quant à son objet.
Le législateur qui fixe, conformément à la Constitution les principes de la libre
administration locale et les compétences des collectivités décentralisées, attribue à ses
autorités un pouvoir réglementaire dans la limite de leurs attributions. D’après l’art 55 de la
Constitution, les collectivités territoriales décentralisées sont les communes et les régions.
A côté des communes, il existe un autre type de collectivité territoriale décentralisée, à
savoir les communautés urbaines qui sont des structures supra communales dont la
constitutionnalité ne pose pas problème, dans la mesure où l’article 55 suscité énonce que
« tout autre type de collectivité territoriale décentralisée est créée par la loi ». La
communauté urbaine est divisée en communes urbaines d’arrondissement.
Au sein des collectivités territoriales décentralisées, les autorités investies du pouvoir
réglementaire sont essentiellement au nombre de deux : l’organe délibérant et l’organe
exécutif.
L’organe délibérant au niveau de la commune c’est le conseil municipal, tandis qu’au
niveau de la communauté urbaine c’est le conseil de la communauté Les membres de ces
conseils sont élus. Pour la région, l’organe délibérant c’est le conseil régional dont les
membres sont aussi élus.
Les décisions du conseil municipal, du conseil de la communauté et du conseil
régional sont prises sous forme de délibération.
Les délibérations du conseil municipal des communes urbaines d’arrondissement ne
peuvent être contraires aux délibérations du conseil de la communauté.
Au sein de la commune, l’organe exécutif est incarné par le Maire, élu par et au sein
du conseil municipal, assisté d’adjoints. Au niveau de la communauté urbaine, l’organe
exécutif est représenté par le Maire de la ville (précédemment Délégué du Gouvernement),
assisté d’adjoints. Enfin, au sein de la région, l’organe exécutif est incarné par le président du
conseil régional, assisté d’adjoints.
Ces différentes figures de l’Exécutif des collectivités territoriales décentralisées ont un
pouvoir réglementaire similaire et surtout distinct de celui de l’organe délibérant. Elles sont
chargées, entre autres :
- d’ordonner les dépenses ;
- de gérer les revenus de leur collectivité ;
- de diriger les travaux de leur collectivité;
- de pourvoir aux mesures de voirie ou de salubrité;
- d’établir chaque année en liaison avec le représentant local des Travaux publics, un plan
de campagne pour les travaux d’intérêt local;
- de conserver et d’administrer les propriétés de leur collectivité ;

21
- et, d’une façon générale, d’exécuter les décisions de l’organe délibérant et de lui en
rendre compte.
Toujours dans le cadre de l’exercice de leur pouvoir réglementaire, ces organes
exécutifs sont chargés de publier à nouveau en cas de besoin les lois et règlements de police et
d’amener les populations à les observer, de veiller à l’application générale des lois et
règlements dans leur collrectivité, d’exécuter les instructions gouvernementales ou de prendre
des mesures permettant de leur donner application dans leur localité.
Plus spécifiquement, le pouvoir réglementaire du Maire se déploie en matière de
police. C’est ainsi qu’il est chargé de la police municipale et de l’exécution des actes y
relatifs. Cette police a pour but d’assurer, en relation avec les autorités administratives
compétentes, l’ordre, la tranquillité et la salubrité publics. Il est également chargé d’assurer la
police des voies communales ou de la communauté.
Pour l’application des mesures de police qu’il est amené à prendre, le Maire peut faire
requérir l’intervention des forces de police et de gendarmerie.
Le concours ou la concurrence qui existe entre les autorités de police administrative
amène à se demander si les mesures de police prises par les autorités municipales ou de la
communauté peuvent faire obstacle à celles prises par les autorités administratives de l’Etat
(S/préfet, Préfet, Gouverneur, par exemple).
De jure, les pouvoirs de police municipale conférés au Maire ne font pas obstacle aux
pouvoirs de police générale des autorités administratives compétentes. Cela signifie qu’en la
matière, les autorités communales ou de la communauté ne peuvent pas remettre en cause une
mesure de police prise par les autorités administratives étatiques compétentes, notamment
celles détentrices du pouvoir de police générale (dans ce sens, voir CE, Commune de Néris-
les-Bains le 18 avril 1902).
Qu’adviendrait-il si l’autorité administrative étatique compétente est détentrice du
pouvoir de police spéciale (exemple, le Ministre des Arts et de la Culture, pour ce qui est de la
projection des films ou le Ministre du Tourisme, pour ce qui est de la protection des sites) ?
En règle générale, le Maire peut, pour des raisons liées aux circonstances locales, prendre des
mesures restrictives par rapport à celles des autorités de police spéciale. Ainsi, il peut, par
exemple, refuser la projection dans sa commune, pour des raisons d’éthique ou de morale,
d’un film, pourtant autorisé au niveau national par l’autorité administrative compétente (la
jurisprudence française est sans équivoque à ce sujet : CE, 18 décembre 1959, Sociétés des
films Lutetia et Syndicat français des producteurs et exportateurs de films).
2- Les autorités investies du pouvoir réglementaire au sein des établissements publics
Les établissements publics sont des organismes dotés de la personnalité morale et
chargés d’une mission spéciale de service public. Ils peuvent détenir un pouvoir
réglementaire. C’est ainsi que leurs organes dirigeants édictent une réglementation pour
préciser l’organisation et assurer le bon fonctionnement des services.
La loi n°2017/010 du 12 juillet 2017 portant statut général des établissements
publics (qui abroge la loi n°99/016 du 22 décembre 1999 portant statut général des
établissements publics et entreprises du secteur public et parapublic) a institué plusieurs
formes (catégories ?) d’établissement public (V. article 2), à savoir l’établissement public
administratif, social, hospitalier, culturel, scientifique, professionnel, technique, économique
et financier et spécial). Elle a créé en lieu et place de l’établissement public à caractère
industriel et commercial la société à capital public.
L’établissement public peut être créé par l’Etat ou par une collectivité territoriale
décentralisée dans les conditions et modalités fixées par la loi.
Les organes dirigeants exerçant le pouvoir réglementaire au sien des établissements
publics sont essentiellement au nombre de deux :
- l’organe délibérant, qui est le conseil d’administration ou tout organe en tenant lieu ;

22
- l’organe exécutif, qui est la direction générale ou le Recteur dans le cas des universités
d’Etat.
L’organe délibérant a les pouvoirs les plus étendus pour agir au nom de
l’établissement public, définir et orienter sa politique générale et évaluer sa gestion dans les
limites fixées par son objet social et sous réserve des dispositions de la loi régissant les
établissements publics. Il a ainsi le pouvoir, entre autres :
- de fixer les objectifs et d’approuver les programmes d’action conformément aux
objectifs globaux du secteur concerné ;
- d’approuver le budget et d’arrêter de manière définitive les comptes et les états
financiers annuels ;
- d’adopter l’organigramme, le règlement intérieur et le barème de salaires et les
avantages du personnel proposé par le Directeur général (cf. articles 41 et 67).
Quant à l’organe exécutif, il est chargé de la gestion et de l’exécution de la politique
générale de l’établissement public sous le contrôle du Conseil d’administration à qui il rend
compte de sa gestion. A ce titre, il est chargé, entre autres :
- d’assurer la direction technique et administrative de l’établissement,
- de gérer les biens meubles et immeubles, corporels et incorporels de l’établissement,
dans le respect de son objet social et des dispositions législatives relatives aux
compétences du conseil d’administration ;
Il convient de dire, pour terminer qu’en dehors des personnes publiques, les textes et la
jurisprudence peuvent admettre que les organes dirigeants des organismes privés puissent
exercer le pouvoir réglementaire. Il en est ainsi lorsque ces organismes assurent une des
missions de service public ou détiennent des prérogatives de puissance publique qui
s’expriment, pour l’essentiel au moyen de l’acte administratif unilatéral dont il sied à présent
d’examiner le régime juridique.

CHAPITRE II

LE REGIME JURIDIQUE

L’étude du régime des actes administratifs décisoires concerne l’ensemble des règles
qui régissent ces actes. Ces règles sont relatives à leurs caractères généraux, à leur élaboration
et à leur application ou temporalité.

SECTION 1 : LES CARACTERES GENERAUX

Les caractères généraux de l’acte administratif décisoire peuvent être appréhendés à


travers sa définition et sa classification.

§ 1 – La notion d’acte administratif décisoire

La notion d’AAD n’est pas aisée à définir. D’ailleurs la plupart des auteurs ne la
définissent pas, se contentant d’en préciser le contenu ou les éléments constitutifs.
D’après la Cour constitutionnelle béninoise dans sa décision 16-TC du 03 juin 1993,
l’acte administratif, du point de vue formel, « est toute décision prise par une autorité
administrative ». C’est une définition non seulement laconique mais insuffisante.
Pour Pierre Delvolvé, « l’acte administratif est un acte juridique adopté
unilatéralement par une autorité administrative portant sur l’ordonnance juridique et
affectant les droits et les obligations des tiers sans leur consentement » (DELVOLVE
(Pierre), Droit administratif, 7ème éd., Dalloz, Connaissance du droit, Paris, 2018). C’est une
définition suffisamment précise. Elle a simplement deux défauts : le premier défaut c’est

23
qu’elle évoque l’autorité administrative sans préciser que celle-ci exerce un pouvoir
administratif. Le second est qu’il s’agit d’une définition essentiellement organique. Quoi qu’il
en soit, elle contient les principaux caractères de l’acte administratif unilatéral ou décisoire.
Enfin, selon le juge administratif camerounais, l’acte administratif est « un acte
juridique unilatéral pris par une autorité administrative dans l’exercice d’un pouvoir
administratif et créant des droits et des obligations pour des particuliers » (CFJ/CAY, arrêt
n°20 du 20 mars 1968, Ngongang Njanké Martin c/Etat du Cameroun).
La définition de Pierre Delvolvé se rapproche de celle du juge camerounais, à la
différence que cette dernière évoque le pouvoir administratif mais ne fait pas allusion à
l’absente de consentement. Mais parce qu’elle participe du droit positif, c’est elle qui sera
retenue ici et analyse en tenant compte des apports jurisprudentiels, et possiblement textuels,
ultérieurs. Il se dégage de cette définition, trois propositions ou idées forces : - l’acte
administratif est un acte juridique unilatéral ;- l’acte administratif est un acte pris par une
autorité administrative dans l’exercice d’un pouvoir administratif ;- l’acte administratif est un
acte créateur de droits et d’obligations ou qui affecte l’ordonnancement juridique.

A – L’acte administratif, un acte juridique édicté unilatéralement

Il se dégage de cette proposition que l’acte administratif est, d’une part un acte
juridique, et, d’autre part, qu’il est édicté unilatéralement.
1- L’acte administratif, un acte juridique
L’acte administratif est un acte juridique parce qu’il participe d’une manifestation de
volonté en vue de produire des effets de droit. Il peut être soit explicite, soit implicite. Comme
acte explicite, il peut s’agir d’un instrumentum ou d’un negotium.
L’instrumentum est un document écrit. La jurisprudence ne s’attache pas au
formalisme. Ainsi, l’acte administratif peut être une lettre. C’est le cas d’une lettre adressée
par le Ministre en Charge de l’Administration territoriale à un administré et portant refus de
législation d’un parti politique. Il peut s’agir aussi d’un fax. Ainsi, dans une espèce en date du
27 juillet 2000 (v. CS/CA, jugement n°63/99-2000 du 27 juillet 2000, Les établissements Le
paysan c/Etat du Cameroun), le juge de céans déclare : « Attendu que sur les fax (…), il y est
expressément mentionné « seule la lettre commande signée par le ministre de tutelle est
valable … Toute autre pièce attribuant le marché à un quelconque cocontractant est nulle… »
(…) ; Attendu que les fax (…) du 17 mars 1997 du MINEDUC qui constituent des décisions
administratives sont entachés d’excès de pouvoir en ce qu’ils violent la loi ou les dispositions
réglementaires (…) ».
Le negotium, en tant qu’acte administratif, peut être une action, une œuvre qui peut
être orale ou résulter de simples agissements (CS/AP, arrêt n°26/A du 27 juin 1996, Onana
Adolphe c/communauté urbaine de Yaoundé. Le juge, en l’espèce déclare : « attendu qu’il
est vrai que l’acte administratif n’est en principe soumis à aucun formalisme ; Que, bien qu’il
soit le plus souvent un écrit, il peut être oral ou résulter de simples agissements ».
Comme acte implicite, l’acte administratif peut constituer soit un refus ; c’est ce qu’on
appelle le silence-refus ou « silence normateur de sens négatif » (Maurice Kamto et Bernard-
Raymond Guimdo, « Le silence de l’administration en droit administratif camerounais », Lex
Lata n°005, 1994, p.12); soit une acceptation, c’est ce qu’on appelle le silence-acception ou
« silence normateur de sens positif » (M. Kamto et B-R Guimdo, ibid., p.13)
Il y a silence-refus constitutif d’acte administratif lorsque saisie par un administré au
moyen d’une requête, l’autorité administrative garde le silence ou ne lui répond pas dans les
délais déterminés par les textes. C’est le cas lorsque, saisi d’un recours gracieux, le Ministre
compétent ou l’autorité habilitée à représenter la collectivité territoriale décentralisée ou
l’établissement public en cause garde le silence pendant 3 mois. Ce silence est susceptible de
recours pour excès de pouvoir.

24
Quant au silence-acceptation, il intervient lorsque l’autorité administrative ne répond
pas à une demande formulée par un administré dans les délais prescrits par les textes. Le
dépassement ou l’expiration de ces délais constitue un silence normateur de sens positif ou
une acceptation de la part de cette autorité.
Le droit camerounais a prévu plusieurs cas de figure à ce sujet. L’article 7 al. 3 de la
loi n°90/053 du 19 décembre 1990 sur la liberté d’association dispose que l’autorité
préfectorale a deux mois pour répondre à la demande de légalisation d’une association et que
passé ce délai, l’association est réputée exister légalement. L’article 7.2 de la loi n°90/056 du
19 décembre 1990 sur les partis politiques précise que le Ministre de l’Administration
territoriale a trois mois pour répondre à une demande de légalisation d’un parti politique et
qu’au-delà de ce délai, le parti en question est considéré comme ayant une existence légale.
Enfin, l’article 117.3 du décret n°94/119 du 07 octobre 1994 portant Statut général de la
fonction publique de l’Etat dispose que l’autorité compétente a trois mois pour répondre à une
demande de démission d’un fonctionnaire et que passé ce délai, la démission devient effective
(sur l’ensemble de la question, lire M. Kamto et B-R Guimdo, ibid., pp. 10-14).
2- L’acte administratif, un acte unilatéral
L’unilatéralité de l’acte administratif s’explique par le fait qu’il a pour objet de régler
la conduite des personnes autres que ses auteurs. Mais, elle n’implique pas que l’acte
administratif émane d’une seule personne. C’est dire que ce n’est pas le nombre d’auteurs qui
permet de distinguer l’acte unilatéral de l’acte plurilatéral. Ainsi, sont des actes administratifs
unilatéraux les délibérations des conseils municipaux et des conseils d’administration (des
établissements publics).
Pour le juge administratif, cette unilatéralité de l’acte administratif est l’une des
conditions de forme exigées pour qu’il soit déféré devant lui (CS/CA, jugement n°38/04-05 du
29 décembre 2004, Association « LE TABERNACLE DES AIGLES » c/ Etat du Cameroun).

B- L’acte administratif, un acte émanant d’une autorité administrative exerçant un


pouvoir administratif

Pour analyser cette proposition, il faut prendre en considération, d’une part ce qui en
constitue le principe, et, d’autre part, ce qui peut être considéré comme inflexions à ce
principe.
1– Le principe
L’autorité administrative dont il s’agit appartient à l’administration publique (Etat,
collectivité territoriale, établissement public …). Elle doit, non seulement agir dans le cadre
administratif, mais également être « habilitée » à édicter l’acte administratif (CS/CA,
jugement n°38/04-05 du 29 décembre 2004 suscité).
Il se dégage de cette considération une double exclusion. La première exclusion
concerne les actes des autorités étatiques non administratives; la seconde exclusion concerne
les actes des autorités de l’exécutif n’exerçant pas un pouvoir administratif.
a)- En ce qui concerne la première exclusion, on peut citer le cas des actes des
autorités législatives qui participent de l’exercice de la fonction législative du Parlement ( v.
CFJ/AP, arrêt n°4 du 28 octobre 1970, Société des Grands Travaux c/ Etat du
Cameroun : « Attendu(…) qu’au regard de la constitutionnalité ou de l’inconstitutionnalité de
la modification législative litigieuse, aucun contrôle de la constitutionnalité des lois par voie
d’exception, comme en l’espèce, n’est prévu par le droit camerounais ») et le cas des actes
des autorités juridictionnelles qui ont trait au fonctionnement de la justice (v. CFJ/AP, arrêt
du 16 mars 1967, Tagny Mathieu c/ Etat du Cameroun : « Attendu que les actes intervenus au
cours d’une procédure judiciaire ne peuvent être appréciés soit en eux-mêmes, soit dans leurs
conséquences par l’autorité judiciaire » ; CFJ/ CAY, arrêt n°213 du 18 août 1972, Aoua
Hadja c/ Etat du Cameroun : « Considérant qu’il ressort du dossier que dame Aoua Hadja se

25
plaint de ce que les autorités judiciaires auraient catégoriquement refusé de recevoir son
action ; un tel grief, qui met en cause le fonctionnement du service judiciaire ne peut être
interprété comme une violation de la loi par l’Etat ; au surplus, le principe de la séparation
des pouvoirs interdit au juge administratif de statuer sur des actions qui mettent en cause le
fonctionnement des tribunaux judiciaires »).
b)- En ce qui concerne la seconde exclusion, il s’agit des actes des autorités de
l’exécutif n’exerçant pas un pouvoir administratif. On peut citer les actes de gouvernement et
les actes constitutifs de voie de fait.
L’acte de gouvernement est une notion fonctionnelle et non conceptuelle. Elle a été
forgée par la jurisprudence administrative française dans l’affaire Duc d’Aumale (CE, 09 mai
1867, Duc d’Aumale). Dans cette affaire, le Conseil d’Etat avait refusé de contrôler les actes
de l’administration parce qu’il estimait qu’ils étaient fondés sur des mobiles politiques.
Quelques années après, tout en maintenant la notion d’acte de gouvernement, il va rejeter
l’idée de mobile politique dans l’affaire Prince Napoléon (CE, 18 février 1875, Prince
Napoléon), rejet confirmé par le Tribunal des Conflits le 05 novembre 1880 dans l’arrêt
Marquiguy et lui-même (v. CE, 20 mai 1887, Duc d’Aumale et Prince Murat).
Consacré au Cameroun par des textes (voir l’ordonnance n°72/06 du 26 août 1972
fixant l’organisation de la Cour suprême, en son article 9, puis la loi n°2006/022 du 29
décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des tribunaux administratifs, en son
article 4 : « Aucune juridiction ne peut connaître des actes de Gouvernement), l’acte de
gouvernement a fait l’objet de plusieurs appréciations par le juge camerounais.
Les actes de gouvernement sont des actes du gouvernement ou des actes émanant des
autorités du pouvoir exécutif lorsque ces dernières n’agissent pas en tant qu’autorités
administratives. Plus concrètement, ce sont des actes du pouvoir exécutif ou du gouvernement
qui apparaissent comme des actes politiques à raison des matières dans lesquelles ils sont
accomplis et qu’on pourrait qualifier de matières de gouvernement. A raison de cette nature,
ils échappent, sur le terrain contentieux, à la compétence des juges administratif et judiciaire,
jouissant de ce fait d’une immunité juridictionnelle.
L’analyse juridique impose donc de reconnaître que l’activité gouvernementale peut
ne pas avoir un caractère administratif. Ainsi, les actes de gouvernement ne sont pas des actes
administratifs. Ils concrétisent ce qu’est l’activité gouvernementale en tant qu’activité
distincte de l’activité administrative.
Il existe des domaines classiques d’application des actes de gouvernement et d’autres
domaines qui révèlent l’élargissement, voire la versatilité de cette notion. Selon la formule
usuelle de la jurisprudence française, reprise par la jurisprudence camerounaise, les actes de
gouvernement classiquement appréhendés sont d’une part les actes du pouvoir exécutif
concernant ses rapports avec le parlement, et, d’autre part, les actes du gouvernement dans ses
rapports avec les organisations internationales et les Etats étrangers (CS/CA, jugement ADD
n°66/78-79 du 31mai 1979, Kouang Guillaume Charles c/Etat du Cameroun ; CS/CA ,
jugement n°7 du 29 novembre 1979 , Essomba Marc Antoine c/Etat du Cameroun).
Les actes de gouvernement qui participent de l’activité du pouvoir exécutif dans ses
rapports avec le parlement sont, entre autres : l’acte par lequel le Président de la République
convoque ou clôture des sessions extraordinaires du parlement ; l’acte par lequel il prononce
la dissolution de l’Assemblée Nationale ; les mesures prises par l’exécutif dans l’exercice de
son droit d’initiative des lois (dépôt ou retrait des projets de loi, comportement des membres
du gouvernement dans les débats parlementaires) ; le décret portant promulgation d’une loi
(dans son arrêt d’assemblée du 08 février 1974, Commune de Montory, le Conseil d’Etat
français définit la promulgation comme l’ « acte par lequel le Chef de l’Etat atteste
l’existence d’une loi et donne l’ordre aux autorités publiques d’observer et de faire observer
la loi ») ; le décret du Président de la République décidant de soumettre un projet de loi au

26
référendum ; enfin, la décision du Président de la République de mettre en application l’article
9.2 de la Constitution relatif à l’état d’exception.
Quant aux actes de gouvernement qui participent de l’activité de l’exécutif étatique
dans ses rapports internationaux et diplomatiques, on peut citer, entre autres : les mesures
prises et comportements suivis par le gouvernement et ses membres au cours d’une
négociation ou en ce qui concerne l’exécution des accords internationaux ; plus largement, les
mesures prises et les comportements adoptés par les autorités exécutives dans la conduite des
relations internationales (exemple : le refus du Ministre des Affaires étrangères opposé à un
étranger de séjourner sur le territoire national en qualité de personnel diplomatique ( CE 16
novembre 1998, M. Lombo) ; enfin, les mesures prises et comportements adoptés par les
autorités de l’exécutif dans ses rapports avec les organisations internationales (ex. : le fait
pour un Etat de refuser de présenter une candidature à un poste dans une organisation
internationale).
Que dire des autres domaines qui participent de l’extension ou de la versatilité de la
notion d’actes de gouvernement ?
En droit camerounais, on peut citer :
- les actes ayant un mobile politique. Il en est ainsi dans le jugement n°34/CA/CS du
24 avril 1980, Essougou Benoît c/Etat du Cameroun où le juge déclare, en substance : « (…)
on entend par actes de gouvernement, des actes ayant un caractère essentiellement politique
dont la décision appartient exclusivement au gouvernement ; qu’il s’agit encore d’actes se
rattachant à l’exercice de la puissance exécutive dans les matières de gouvernement ». Par
cette formulation ambiguë, voire brumeuse, le juge administratif camerounais fait renaître la
théorie du mobile politique abandonnée en France depuis 1875. Mais, le jugement Essougou
Benoit est resté unique sur le point.
- les actes portant convocation du corps électoral aux élections politiques
(présidentielles et législatives). En effet, statuant en référée sur des requêtes introduites par
certains partis politiques contre ces actes, le juge administratif a clairement indiqué que de
tels actes étaient des actes de gouvernement, citant un vieil arrêt du Conseil d’Etat français du
06 août 1912 ( v. ordonnance de référé n°01/OR/CS/PCA/92-93 du 02 oct. 1992, Affaire UDC
contre Etat du Cameroun, observations de B. Guimdo in Juridis info n°14 avril-mai-juin
1993, p.60 ; ordonnance de référé n°02/OR/CS/PCA/92-93 du 02 octobre 1992, affaire SDF
c/ Etat du Cameroun ; ordonnance de référé n°03/OR/CS/PCA/92-93 du 02 octobre 1992,
affaire SDF et UFDC c/ Etat du Cameroun) ;
Il existe une autre catégorie d’actes qui ne sont pas considérés comme des actes
administratifs. Il s’agit des actes constitutifs de voie de fait administratif. Ce sont des actes
pris par les autorités administratives dont le caractère manifestement irrégulier en fait des
actes insusceptibles d’être rattachés à l’exercice d’un pouvoir administratif ou à un acte
législatif ou réglementaire 2 (il est à noter que la voie de fait peut être soit un acte juridique,
soit une opération matérielle. Elle se rencontre dans le domaine des libertés fondamentales et
du droit de propriété). Il peut y avoir voie de fait lorsque les vices qui entachent la décision
litigieuse sont d’une gravité exceptionnelle. Il en est ainsi d’une décision prise par l’autorité
militaire refusant à un officier d’être autorisé à pénétrer dans son logement (T.C, 22 juin 1965,

2
La voie de fait peut être soit un acte juridique, soit une opération matérielle ; A ce sujet, le juge administratif
camerounais, dans un jugement rendu le 29 décembre 2004 affirme, non sans quelque amalgame, que « (…) de
jurisprudence constante, on entend par voie de fait administrative tout acte administratif (sic !) ou tout
agissement de l’administration dont l’irrégularité porte une atteinte grave à un droit fondamental de la
personne » (CS/CA, jugement n°31/ADD/04-05 du 29 décembre 2004, YIKAM Jérémy c/Etat du Cameroun).
Dans ce jugement, la voie cde fait en question est à la fois un acte juridique (résiliation du contrat) et une
opération matérielle (continuation d’occupation de l’immeuble par l’administration, notamment le ministère de
la Défense : « (…) il ressort des pièces du dossier que le Ministre de la défense a résilié le contrat dont s’agit
tout en continuant son occupation de l’immeuble à travers l’un de ses officiers (…).ce faisant, le Ministre de la
Défense a commis une voie de fait administrative »).

27
Guigon). Il en est de même de la décision portant rupture d’un contrat administratif prise par
une autorité qui n’en est pas légalement inhabile ( CS/CA, jugement n°31/ADD/04-05 du 29
décembre 2004, Yikam Jérémy c/ Etat du Cameroun : « La résiliation dudit contrat par un
ministère autre que celui chargé de l’Urbanisme et de l’habitat, même si c’est le Ministère de
la Défense, qui en est le bénéficiaire, constituerait une voie de fait administrative comme
violant le droit à la propriété et à l’effet relatif des contrats tous deux étant des droits
fondamentaux de la personne ».
Il faut savoir que si tout acte engendrant une voie de fait est nécessairement illégal, en
revanche, tout acte illégal ne donne pas nécessairement lieu à une voie de fait (C.E, 18
novembre 1949, Carlier).
Au total, c’est l’autorité administrative exerçant un pouvoir administratif qui édicte ou
peut édicter des actes administratifs. Mais il s’agit d’un principe qui connaît de bémols.
2- Les limites du principe
Ces limites sont pour l’essentiel, au nombre de deux.
D’une part, les autorités administratives peuvent édicter des actes de gestion privée
qui sont soumis aux règles de droit privé et dont le contentieux relève de la juridiction
judiciaire. Il en est ainsi des actes par lesquels l’administration procède au recrutement des
agents décisionnaires (agents des catégories 1 à 6 relevant du Code du travail), à leur
affectation ( telle une note de service faite en la forme administrative : v. CS/CA, jugement
n°15/89-90 du 23 novembre 1989, Njihim Lot c/ Etat du Cameroun) ou la suspension
(abusive) de leur salaire ( CS/CA, jugement n°10/89-90 du 23 novembre 1989, Fotso Emile c/
Etat du Cameroun); des actes de conclusion ou de résiliation des contrats de droit commun de
l’administration tel que les contrats de gérance-libre dont le contentieux relève de la
compétence du juge judiciaire et non du juge administratif. Ce dernier l’a clairement affirmé
dans un jugement en date du 31 mars 1999 (CS/A, jugement n°20/98-99 du 31 mars 1999,
Sogethore c/Etat du Cameroun).
D’autre part, les organes ou personnes privées peuvent édicter des actes unilatéraux
ayant un caractère administratif. De tels actes peuvent concerner soit le service public, soit
l’exercice de prérogatives de puissance publique. Par exemple, un acte unilatéral pris par une
personne privée peut être administratif lorsqu’il porte sur l’organisation du service public (TC,
15 janvier 1968, Compagnie Air France c/ Epoux Barbier : « Considérant que si la
compagnie nationale Air France, chargée de l’exploitation de transports aériens est une
société anonyme signifie une personne morale de droit privé (…), les juridictions
administratives demeurent (…) compétentes pour apprécier par voie de question préjudicielle
la légalité du règlement émanant du conseil d’administration qui, touchant à l’organisation
du service public, présente un caractère administratif » ; v. aussi : CE 31 mars
1995,DESAUNAY) . De même, un acte unilatéral pris par une personne privée peut être
administratif lorsque cette personne est associée par le législateur à l’exécution d’un service
public administratif (CE 11 mai 1984, Elie PEBEYRE), ou lorsque cette personne détient ou
exerce des prérogatives de puissance publique (CFJ/SCAY, arrêt n°50 du 27 janvier 1968,
Bernard Auteroche c/Conseil de l’Ordre des médecins et arrêt du 31 mars 1977, Feumi
Njantou Jacques c/ Etat du Cameroun).

C- L’acte administratif, un acte affectant l’ordonnancement juridique

Cette proposition pose deux problèmes. Le premier problème est relatif aux critères de
l’acte administratif unilatéral, tandis que le second concerne les actes qui ne constituent pas
des actes administratifs unilatéraux, mais qui sont des actes de l’administration.
1- Les critères de l’acte administratif unilatéral ou décisoire
Ces critères sont au nombre de trois.

28
D’abord, l’acte administratif est un acte obligatoire, cela signifie qu’il s’impose ou
doit s’imposer aux administrés (CS/CA, jugement n°28 du 25 février 1982, Mbarga Richard
contre Etat du Cameroun).
Ensuite, c’est un acte exécutoire. D’après le Doyen Georges Vedel, les décisions
exécutoires sont « des actes juridiques émis unilatéralement par l’administration en vue de
modifier l’ordonnancement juridique par les obligations qu’ils imposent ou par des droits
qu’ils confèrent ». Le juge administratif camerounais a eu dans plusieurs espèces à consacrer
le caractère exécutoire de l’acte administratif unilatéral. Dans le jugement n°40/CS/CA du 22
février1979,Ndjofang Frédéric c/Etat du Cameroun il affirme : « Considérant qu’il y a lieu de
faire remarquer à Ndjofang qu’un recours pour excès de pouvoir est toujours dirigé contre un
acte émanant d’une autorité administrative, qu’il faut donc que cet acte ait un caractère
exécutoire, qu’il puisse s’imposer aux administrés ; que l’on ne peut affirmer qu’un bulletin
de notes qui ne constitue qu’une preuve(…) du travail fourni, constitue un acte
administratif ». Il rejette donc toute demande formée contre un acte de l’administration qui
n’a pas un caractère exécutoire (CS/CA, jugement n°95/84-85 du 30 mai 1985, Gnidjeo contre
Etat du Cameroun).Le caractère exécutoire des actes administratifs a été défini par le Conseil
d’Etat français comme « la règle fondamentale de droit public »(CE, 2 juillet 1982,Huglo et
autres).
Enfin, l’acte administratif est un acte qui fait grief. L’acte faisant grief peut être défini
comme un acte qui produit des effets juridiques (CE, 26 novembre 1976, Soldani) ou qui
« porte atteinte aux droits et intérêts légaux du recourant » entant qu’ « acte décisoire »
(CS/CA, jugement n°38/04-05 du 29 décembre 2004, Ass. « Le TABERNACLE DES AIGLES
c/ Etat du Cameroun). Il en est ainsi de l’acte par lequel le Ministre des Finances effectue des
retenues (ordre de recettes) sur le salaire d’un fonctionnaire à due concurrence du montant des
dégâts occasionnés par lui à l’administration (perte ou endommagement d’un véhicule
administratif : CS/CA, jugement n°39/93/94 du 28 avril 1994, Ondo Ovono Charles c/ Etat du
Cameroun).
Il convient de préciser que l’acte portant suspension d’un fonctionnaire de ses
fonctions n’est pas un acte faisant grief bien que l’on puisse le considérer comme étant une
décision exécutoire. Le juge camerounais l’a clairement dit dans un jugement en date du 28
janvier 1982(CS/CA, Dame Binam née Ngo Njom Fidèle c/Etat du Cameroun). En l’espèce, il
déclare que la suspension de la requérante est une « mesure (…) « annonciatrice » (…) ; qu’il
ne s’agit donc pas d’une mesure d’instruction proprement dite » ; qu’ « une telle mesure ne
peut donner lieu à un recours pour excès de pouvoir ».
La suspension fait partie des mesures dites conservatoires, qui constituent
l’antichambre des mesures faisant grief (sur la question, lire Roger Gabriel Nlep, note sous le
jugement Dame Binam in Recueil Penant n°791, 1986 pp 354-360). Elle doit prendre fin
automatiquement à l’issue de la durée réglementaire de trois (03) mois prévue par le SGFP
(CS/CA, jugement n°5/90/91 du 29 novembre 1990, Amougou Linus c/ Etat du Cameroun).
Ainsi, le juge administratif camerounais rejette toute demande formée contre des actes qui ne
font pas grief (v. CS/CA, jugement n°01/ 84-85 du 25 octobre 1984, Otélé Biyidi Dieudonné
c/ Etat du Cameroun).
Il faut dire que la définition de l’acte administratif ne repose pas ici sur un critère
formel, mais sur un critère matériel lequel prend en compte le contenu et les effets de l’acte. Il
en résulte qu’un arrêté de notification pris par une administration ne constitue pas un acte
administratif au sens matériel (CE, 6 mars 1936, Nathan).
2 - Les actes ne constituant pas des actes administratifs décisoires
Tous les actes de l’administration ne sont pas considérés juridiquement comme des
actes administratifs unilatéraux. Il en est ainsi de tous les actes de l’administration qui
n’emportent aucune conséquence juridique.

29
Le droit administratif en connaît de très nombreuses variétés que l’on peut regrouper
en quatre catégories :
- Les actes conservatoires, préparatoires et autres ;
- Les mesures d’ordre intérieur ;
- Les circulaires ;
- Les directives.
a)-Les actes conservatoires, préparatoires et autres actes non décisoires
Ce sont des actes qui ne constituent pas de décisions administratives en ce sens qu’ils
n’ont aucun effet juridique et ne sont pas par conséquent susceptible de recours pour excès de
pouvoir. C’est le cas, par exemple, des mesures prises au cours d’une procédure
administrative pour préparer la décision terminale; des réponses d’attente; des déclarations
d’intentions; des renseignements donnés par l’administration; des communiqués des Conseils
ministériels ou de cabinet; des réponses faites par des autorités administratives aux
interventions des élus. Mais, dès lors que l’un de ces actes produit des effets juridiques, il
acquiert la qualité d’acte administratif. C’est le cas, par exemple, du certificat d’urbanisme,
simple constat du droit applicable qui est un acte administratif en tant qu’il produit des effets
juridiques à l’égard des demandes de permis de construire (CE, 24 juin 1977, Ministre de
l’Equipement c/ Laot), et d’une mise en demeure formulée en des termes impératifs (CE, 8
janvier 1982, SARL chocolat Dardenne).
b)- Les mesures d’ordre intérieur
Elles ont un caractère purement interne à l’administration et sont prises par elle dans
l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’organisation du service. Lorsqu’elles n’ont aucun
effet juridique sur la situation de ceux qui les subissent, elles ne constituent pas des actes
administratifs. Elles ne seront pas susceptibles de recours contentieux dès lors qu’elles ne
portent pas atteinte ni aux droits que les fonctionnaires tiennent de leur statut, ni aux
prérogatives du corps auquel ils appartiennent (CE, 26 octobre1956, Association générale des
administrateurs civils) et qu’elles n’auraient pour eux aucune conséquence pécuniaire (CE, 04
juillet 1958, Commune d’Anglet).
Les mesures d’ordre intérieur peuvent aussi avoir pour objet d’assurer le maintien de
la discipline dans le service. Dès lors qu’elles n’ont pas d’effet juridique sur leur destinataire,
elles ne leur font pas grief. Tel est le cas des mesures de discipline intérieures au service
infligées aux militaires, aux détenus et aux élèves. Il en est ainsi des refus de permission ( CE,
18 octobre 1918, Voltine) ; de l’interdiction de porter des insignes dans les établissements
d’enseignement( CE, 21 octobre 1938, Lote) ; de la décision mutant un étudiant d’un groupe
de travaux dirigés à un autre (CE, 11 janvier 1967, Bricq) et de la décision plaçant un détenu
dans un quartier de plus grande sécurité (CE, Ass., 27 janvier 1984, Caillol, RDP, 1984,
p.483, concl. Contraires B. Genevois).
Cette solution s’explique par la volonté du juge de limiter les sources de contentieux
dans les domaines où le maintien de la discipline apparaît nécessaire.
Mais, dès lors que de telles mesures portent atteinte aux droits des intéressés, elles sont
considérées comme des actes administratifs susceptibles de recours. Tel est le cas des mesures
d’organisation du service qui mettent en cause le statut des fonctionnaires auxquels elles
s’appliquent ou les possibilités d’accès des usagers (CE, 07 février 1936, Jamart).Il en est de
même des mesures de discipline qui portent atteinte aux droits des intéressés ; par exemple, la
décision excluant un élève d’une école ou d’une classe ( CE, 6 juillet 1949, Andrade) ou
infligeant une sanction inscrite au dossier à un fonctionnaire ( CE, sect., 1er septembre 1972,
Obrego). Ainsi, le juge administratif peut contrôler la légalité des règlements intérieurs des
lycées et des collèges et sanctions prononcées pour leur violation (pour une expulsion fondée
sur le port du foulard islamique, voir, par exemple : CE, 10 mars 1995, Aoukili, AJDA, 1995,
p.332).

30
La tendance jurisprudentielle aujourd’hui est de restreindre le champ des mesures
d’ordre intérieur considérées comme ne produisant pas d’effets juridiques afin de réduire le
domaine de l’activité administrative soustraite à tout contrôle contentieux. L’exemple nous est
fourni par la jurisprudence administrative française. Ainsi, le C.E a accepté de connaître des
décisions prises par les arbitres des compétitions sportives et par les fédérations organisatrices
(CE, 25 janvier1991, Vigier) ; il en est de même des règlements intérieurs des assemblées
délibérantes des collectivités locales longtemps insusceptibles de recours (CE, sect., 10 février
1995, Riehl).
Par ailleurs, le CE a renversé sa jurisprudence relative aux sanctions infligées aux
détenus et aux militaires. Dans son arrêt d’Assemblée du 17 février 1995, M. Marie (AJDA,
1995, p.420), il a jugé que « eu égard à la nature et à la gravité de cette mesure, la punition
de cellule constitue une décision faisant grief susceptible d’être déférée au juge de l’excès de
pouvoir ». Dans l’arrêt du même jour, M. Hardouin (AJDA, 1995, p.421), il a décidé que
« tant par se effets directs sur la liberté d’aller et venir du militaire, en dehors du service, que
tant par ses conséquences sur l’avancement ou le renouvellement des contrats d’engagement,
la punition des arrêts constitue une mesure faisant grief, susceptible d’être déférée au juge de
l’excès de pouvoir » (v. les conclusions de M. Frydman, RFDA, 1995, p.353).
c)- Les circulaires
Ce sont des instructions ou des notes de service par lesquelles les responsables
administratifs donnent à leurs subordonnés ou collaborateurs des recommandations, des
explications ou des commentaires des dispositions législatives ou réglementaires.
Document interne à l’administration, la circulaire ne produit pas normalement d’effets
juridiques à l’égard des administrés auxquels elle est inopposable. Elle s’impose seulement
dans l’ordre interne en ce qu’elle émane des supérieurs hiérarchiques. Cela entraîne deux
sortes de conséquences :
- unio : L’administration ne peut fonder des décisions sur une circulaire sauf à commettre
une erreur de droit ;
- secundo : Les circulaires ne faisant pas grief aux administrés ne peuvent créer de droits à
leur profit ou leur imposer des obligations.
Toutefois, il arrive que des actes intitulés « circulaires » contiennent des dispositions
qui modifient les droits et les obligations et fassent grief aux administrés. Il s’agit là
manifestement d’actes administratifs unilatéraux. C’est ainsi que le juge français a pu
distinguer les actes qui ne produisent pas d’effet de droit, à savoir les circulaires
interprétatives de ceux qui en produisent, à savoir les circulaires réglementaires (CE, 29
janvier 1954, Institution Notre Dame de Kreisker).
Cette distinction a été reprise par le juge camerounais qui a vu dans une circulaire du
Ministre de la Justice ordonnant la fermeture des cabinets de recouvrement de créances et
interdisant l’exercice de cette activité un acte administratif unilatéral qu’il a d’ailleurs annulé
pour excès de pouvoir (CS/CA, jugement n°43/82-83 du 7 avril 1983, affaire Kouoh
Emmanuel Christian c/ Etat du Cameroun, confirmé en appel : CS/AP, arrêt n°4/A du 21
novembre 1985, affaire Etat du Cameroun c/ Kouoh Emmanuel Christian, observations
Aloys Mpessa in Juridis périodique n°59 de juillet -août- septembre 2004, pp.58-67,
notamment pp.62-67).
La circulaire constitue un acte administratif et plus précisément un règlement
lorsqu’elle ajoute à l’ordonnancement juridique en créant des droits et des obligations pour les
tiers. Elle comporte des prescriptions, des interdictions et ne se limite pas à des explications.
Véritable règlement, elle se caractérise donc par son contenu innovatoire. Il en est
ainsi lorsque l’auteur de la circulaire modifie le contenu ou la portée du texte qu’il entend
interpréter (CE, 26 juin 1974, Letinier) ou lorsque la circulaire prévoit l’édiction de normes
nouvelles (CE, 31 mai 1968, Michel).

31
Pour apprécier la légalité d’une telle circulaire, le juge recherchera notamment si son
auteur dispose du pouvoir réglementaire. Si tel n’est pas le cas, la circulaire est entachée
d’illégalité en tant qu’émanant d’une autorité incompétente (CE, 1er octobre 1984,
confédération nationale des groupes autonomes de l’enseignement public).
A contrario, les circulaires qui n’ajoutent rien à l’état de droit sont dites interprétatives.
Ce sont celles qui doivent bénéficier du régime juridique des circulaires.
Il est des cas où on peut trouver à l’intérieur d’une même circulaire des dispositions de
caractère innovatoire et des dispositions de caractère interprétatif (CE, 14 janvier 1981,
mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples et UNEF).
Tel qu’établi par la jurisprudence, le régime des deux types de circulaires
(réglementaire et interprétative) est donc très différent.
Il convient, cependant, de noter qu’en la matière, la jurisprudence française a
considérablement évolué. Après avoir précisé le régime juridique des circulaires dans l’arrêt
I.F.O.P (CE, 18 juin 1993, Institut français d’opinion publique et autres, Rec., p.178, Rev.
Adm., 1993, p. 322, concl. F. Scanvic.) qui aboutissait à rendre recevables les recours dirigés
contre une circulaire par laquelle l’administration donnait une interprétation erronée de l’état
du droit ou y ajoutait une donnée nouvelle et explicité la portée de sa jurisprudence dans
l’arrêt Villemain (CE, Ass., 28 juin 2002, Villemain, RFDA, 2002, p. 723, concl. S. Boissard;
AJDA, 2002, p. 586, chron. F. Donnat et D. Casas.) où il a mis en lumière le critère du
caractère impératif de la circulaire, le Conseil d’Etat a, dans l’arrêt Duvignière (CE, Sect.,
18 décembre 2002, Mme Duvignière, RFDA, 2003, pp. 280-290, concl. P. Fombeur, RFDA,
2003, pp. 510-519, note J. Petit, « Les circulaires impératives sont des actes faisant grief » ;
AJDA, 2003, pp. 487-490, chron. F. Donnat et D. Casas, LPA, 23 juin 2003, note P.
Combeau ; GAJA, 14ème éd., Dalloz, 2003, n°118), renouvelé et clarifié le régime contentieux
des circulaires.
Il a ainsi introduit dans la distinction faite entre circulaire interprétative et circulaire
réglementaire un nouveau critère de recevabilité qui est celui du caractère impératif de la
circulaire. Il affirme à ce sujet, dans l’arrêt Mme Duvignière, que « considérant que
l’interprétation que par voie, notamment, de circulaires ou d’instructions l’autorité
administrative donne des lois et règlements qu’elle a pour mission de mettre en œuvre n’est
pas susceptible d’être déférée au juge de l’excès de pouvoir lorsque, étant dénuée de
caractère impératif, elle ne saurait, quel qu’en soit le bien-fondé, faire grief ; qu’en revanche,
les dispositions impératives à caractère général d’une circulaire ou d’une instruction doivent
être regardées comme faisant grief, tout comme le refus de les abroger ».
d) Les directives
Ce sont des documents d’ordre intérieur adressés par des responsables administratifs à
leurs subordonnés pour leur indiquer comment exercer leur pouvoir de décision lorsque leur
appréciation n’est pas liée par les textes.
Les directives peuvent aussi émaner de l’autorité investie du pouvoir d’appréciation
qui fixera les conditions dans lesquelles elle exercera son pouvoir.
Par les directives, l’administration se fixe elle-même à l’avance une ligne de conduite
destinée à la guider dans les décisions qu’elle prendra dans les domaines où elle dispose d’un
pouvoir discrétionnaire. C’est donc un acte d’orientation du pouvoir discrétionnaire.
La directive n’impose pas, elle n’ajoute pas à l’ordonnancement juridique, elle
n’interprète pas; mais elle guide. Elle se distingue à la fois des simples circulaires
interprétatives et des actes administratifs unilatéraux qui affectent l’ordonnancement juridique
(v. CS/CA Jugement n°27/79-80 du 27 décembre 1979, Hayatou Souaibou c/ Etat du
Cameroun ; en l’espèce, le juge déclare que les « directives ne constituent pas un élément de
légalité ; leur violation par une décision administrative n’est pas une illégalité susceptible de
donner lieu à un recours pour excès de pouvoir(…) ; les directives ne constituent pas un acte

32
administratif s’imposant aux administrés ; elles ne sont pas elles-mêmes susceptibles d’être
attaquées par voie du recours pour excès de pouvoir »).
La théorie jurisprudentielle de la directive trouve son origine dans le refus du juge
administratif d’admettre que des autorités non investies du pouvoir réglementaire puissent
fixer à l’avance pour elles-mêmes et pour leurs subordonnés les modalités d’exercice de leur
pouvoir discrétionnaire.
En France, l’état de droit en la matière était fixé par deux arrêts. Dans un arrêt du 13
juillet 1962, Arnaud, le Conseil d’Etat avait admis que les ministres puissent déterminer des
critères de caractère général destinées à fixer les principes dont ils entendent s’inspirer dans
l’examen des cas individuels, mais considéré comme illégales les décisions individuelles
prises par référence à ces critères. Dans un arrêt du 23 mai 1969, société distillerie Brabant,
le Conseil d’Etat avait refusé de reconnaître un pouvoir réglementaire aux ministres en dehors
de l’organisation de leur service et d’un texte le leur attribuant.
Si chacune de ces jurisprudences avait sa logique et ses justifications propres, leur
combinaison présentait de graves inconvénients : pour éviter des discriminations dans les
solutions individuelles l’administration ne pouvait prédéterminer ses critères de décision et les
faire connaître aux administrés. Aussi, le Conseil d’Etat a été amené à autoriser
l’administration à prendre des directives dont la légalité a été admise par l’arrêt du 11
novembre 1970, Crédit foncier de France dans lequel, pour la première fois, le Conseil d’Etat
admet que l’administration peut se fixer à l’avance des directives encadrant l’exercice de son
pouvoir discrétionnaire sans commettre une erreur de droit.
L’administration est, en principe, tenue d’appliquer ses directives, mais dans la mesure
où les directives n’ont pas de valeur réglementaire, elle peut y déroger après un examen
particulier des circonstances soit pour des motifs d’intérêt général, soit en raison de la
situation particulière de l’intéressé (CE, 14 décembre 1988, SA Gilbert Marine, AJDA, 1989,
p.266 note J-M Auby).
Les directives qui n’ont aucun caractère réglementaire ne modifie pas en elles-mêmes
la situation juridique des intéressés (CE, 29 juin 1973, société Gea, RDP, 1974, p.547) elles
ne peuvent ni créer des droits à leur profit ni leur imposer des obligations. Elles sont donc
insusceptibles de recours contentieux. Mais dans la mesure où la directive emporte des effets
sur les administrés, elle est opposable. En premier lieu, l’administration peut opposer ses
directives à l’administré. C’est ainsi qu’elle est en droit de se référer à ses propres directives
pour prendre des décisions individuelles. En second lieu, la directive peut être opposable à
l’administration par les administrés. En effet, ces derniers peuvent faire valoir que
l’administration aurait dû soit leur appliquer la directive, soit écarter son application.
L’administré peut aussi soulever l’exception d’illégalité de la directive à l’occasion
d’un recours pour excès de pouvoir contre les décisions individuelles prises sur le fondement
de cette directive. Mais, il ne peut pas former de recours direct contre les dispositions de la
directive dans la mesure où celle-ci par elle-même ne fait pas grief.
In fine la directive présente un double caractère. Elle est d’abord un acte indirect en ce
qu’elle n’entraîne par elle-même aucun effet de droit, mais qu’elle en produit par
l’intermédiaire des décisions individuelles qui la mettent en œuvre. Elle est, ensuite, un acte
intermédiaire, car si l’administration doit normalement en faire application dans son pouvoir
de décision individuelle, elle peut, tout à fait légalement, l’écarter. Ce faisant, la directive se
différencie de l’acte administratif réglementaire et de la simple circulaire, même si son régime
juridique emprunte à ces derniers. C’est pour cette raison qu’on la qualifie parfois d’acte
hybride ou caméléon (lire, à ce sujet, Martine Cliquennois, « Que reste-t-il des directives ? A
propos du vingtième anniversaire de l’arrêt Crédit Foncier de France », AJDA, 1992, p.3).
En définitive, l’acte administratif unilatéral, dans sa dimension notionnelle, est dense
et varié dans son contenu et dans sa portée.

33
§ 2 – La classification

La classification des actes administratifs décisoires ou unilatéraux se fait selon trois


critères. Il s’agit des critères formel, organique et matériel.

A– La classification formelle

En se fondant sur la forme de l’acte stricto sensu, on peut opérer trois distinctions, au
moins : entre les actes écrits et les actes non écrits, entre les actes explicites et les actes
implicites ou tacites et entre les actes simples et les actes complexes.
1 – La distinction acte écrit/acte non écrit
Le principe en droit administratif c’est l’acte écrit, qui est l’instrumentum.
Mais il peut arriver que l’acte administratif soit non écrit. C’est ainsi qu’un ordre
donné oralement ou verbalement peut être considéré comme un acte administratif. A ce sujet,
le Conseil d’Etat a jugé que l’ordre verbal donné par un maire de déposer le corps d’un noyé
dans une église « constituait, quel que fut son caractère, une décision prise par une autorité
administrative (…) susceptible d’être attaquée devant le Conseil d’Etat par la voie du recours
excès de pouvoir » (CE, 09 janvier 1931, Abbé Cadel).
Le juge camerounais reconnaît lui aussi que l’acte administratif peut être oral ou
verbal. Dans deux espèces, au moins, il a eu à l’affirmer. Dans ce sens, le jugement
n°08/CS/CA du 19 décembre 1975, Tonkam Pierre contre Etat du Cameroun : « Considérant
qu’une décision exécutoire en forme verbale susceptible de causer à autrui un préjudice est
un acte qui peut donner lieu à une action devant la Cour suprême, qu’il est de jurisprudence
constante qu’il peut exister des décisions exécutoires en forme verbale ». Dans le même sens,
l’ordonnance n°12/OSE/PCA/78-79 du 07 août 1979, Deudie Joseph c/Etat du Cameroun :
« Attendu qu’il a été jugé qu’une mesure administrative unilatérale même verbale (ici
l’expulsion de l’Ecole de Police du requérant) dès lors qu’elle fait grief, est un acte
administratif, par conséquent est susceptible d’être mis en cause devant le juge
administratif ».
De même, l’acte administratif peut être gestuel. Exemple : Les gestes effectués par un
policier dans un carrefour pour régler la circulation. L’acte administratif peut aussi être
mécanique. C’est le cas des feux de signalisation dans un carrefour.
2 – La distinction acte explicite/acte implicite
L’acte explicite peut être écrit, oral, gestuel ou mécanique. A contrario, l’acte implicite
découle de l’abstention ou de l’inaction de l’administration. A ce sujet, on distingue le
silence-rejet et le silence-acceptation.
L’hypothèse du silence-rejet est consacrée par l’article 12.2 de l’ordonnance n° 72/06
du 26 août 1972 fixant l’organisation de la Cour suprême. Cette hypothèse a été rappelée plus
d’une fois par le juge administratif Cameroun. On peut citer le jugement n°83/CS/CA du 30
juin 1983, Sikam Adolphe c/ Etat du Cameroun où le juge déclare :« Attendu … qu’il y a lieu
de considérer que l’acte administratif peut même être implicite, que c’est ainsi que le silence
gardé par l’administration pendant un certain délai à dater de la réception d’une demande
est considéré comme une décision de rejet susceptible de faire l’objet d’un recours en
annulation », ainsi que le jugement n°102/CS/CA du 29 septembre 1983, Nguenang Joseph
c/Etat du Cameroun où le juge affirme : « Attendu … que l’acte administratif n’est pas
seulement écrit, il peut même être implicite ; que c’est ainsi que le silence gardé par
l’administration pendant un certain délai à dater de la réception d’une demande ou d’une
réclamation est considéré comme une décision de rejet, susceptible de faire l’objet d’un
recours en annulation ».

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3- La distinction acte simple/acte complexe
L’acte est dit simple lorsque son édiction n’obéit à aucune formalité particulière. Il en
est ainsi lorsque son auteur n’est pas tenu de suivre certaines règles de procédure telle la
consultation et la contradiction.
Quant à l’acte complexe, son édiction est liée à l’accomplissement de certaines
formalités telle que la consultation d’un organisme public (exemple : le conseil de discipline,
le conseil supérieur de la Magistrature) ou la négociation (exemple : les actes pris par
l’administration après négociation avec des groupes corporatifs).

B – La classification organique

Cette classification prend en considération l’organe qui édicte l’acte. On distingue les
actes émanant du Président de la République sur proposition du Premier Ministre et des actes
qu’il émet sans proposition ou sans consultation. Selon le cas, ces actes peuvent être
réglementaires ou non réglementaires.
Le Président de la République prend aussi des ordonnances qui sont considérées avant
leur ratification par le parlement comme étant des actes réglementaires (v. article 28 de la
Constitution du 18 janvier 1996). Le Premier Ministre quant à lui est habilité à prendre des
actes administratifs sous forme de décrets ou d’arrêtés, lesquels sont soit réglementaires, soit
non réglementaires.
Les actes non réglementaires du Premier Ministre sont, pour l’essentiel, soumis à
l’approbation du Président de la République.
Il convient, au regard de ce qui précède, de faire deux observations :- premièrement,
l’acte de l’autorité hiérarchiquement inférieure est subordonné à l’acte de même nature
émanant de l’autorité supérieure ;- secondement, l’acte le moins solennel est subordonné à
l’acte de même nature émanant de la même autorité.

C – La classification matérielle

Cette classification permet de faire le distinguo entre l’acte réglementaire et l’acte non
réglementaire. Cette distinction est d’ordre qualitatif et non quantitatif.
1 – L’acte réglementaire
L’acte réglementaire est une décision de l’autorité administrative édictant une règle
juridique caractérisée par sa généralité et son impersonnalité. Il s’agit d’un acte qui régit une
situation indéterminée dans la mesure où il ne vise pas un individu mais une catégorie ou
plutôt une situation générale pouvant intéresser une catégorie d’individus (exemple : les
automobilistes ou les habitants d’une commune). Dès lors que cet acte a un tel objet, il est
toujours réglementaire alors même qu’il concerne une personne physique ou morale
individualisée (CE, 20 jan 1989, Fédération française de Karaté). Il importe peu que, au
moment où l’acte est édicté, il ne soit applicable qu’à un petit nombre d’intéressé. Sera ainsi
réglementaire la disposition attribuant certaines fonctions à une autorité administrative, car
elle est appelée à régir pour une période indéterminée une situation abstraite faite de ses
titulaires successifs (CE, 27 novembre 1935, Colomb).
Par ailleurs, le refus de prendre un acte réglementaire constitue un acte réglementaire
(CE, 8 juin 1973, Richard).
2 – L’acte non réglementaire
La catégorie d’actes non réglementaires recouvre plusieurs types d’acte. On peut
citer : les actes individuels, les actes collectifs et les actes particuliers ou sui generis.
Les actes individuels visent telle ou telle personne ou individu. Ils peuvent aussi viser
plusieurs personnes mais non liées entre elles (ex. : la délibération d’un jury d’examen
déclarant les candidats reçus ou ajournés).

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Quant aux actes collectifs, ce sont des actes qui visent individuellement un grand
nombre de personnes. Ils se substituent à un certain nombre d’actes individuels. Les actes
collectifs concernent plusieurs personnes liées entre elles par une relation de solidarité ( ex. :
acte portant inscription de certains fonctionnaires au tableau d’avancement, la délibération
d’un jury proclamant les résultats d’un concours dès lors que le classement conditionne les
modalités de nomination des différents candidats).
En ce qui concerne les actes particuliers ou sui generis, ce sont des actes qui
s’appliquent à une situation donnée mais qui sont susceptibles d’atteindre un nombre
indéterminé de personnes. L’exemple le plus connu c’est la déclaration d’utilité publique (CE,
10 mai 1968, Commune de Broves). Ces actes ont un régime juridique mixte qui tient à la fois
des actes réglementaires et des actes individuels.
En conclusion, l’acte non réglementaire, en vertu du principe de la hiérarchie des
normes est tenu de se conformer à l’acte réglementaire. Il reste que l’un comme l’autre sont
élaborés selon des règles déterminées par les textes et/ou par la jurisprudence.

SECTION 2 : L’ELABORATION

Elaborer signifie, donner une forme à un objet ou à un acte.


L’élaboration de l’acte administratif consiste à lui donner une forme écrite selon une
certaine procédure. Mais il ne s’agit pas d’une « actio popularis » en ce sens que les textes
déterminent les organes compétents pour le faire. Cet établissement de l’acte administratif fait
appel aussi bien à des éléments externes qu’à des éléments internes.

S/SECTION 1 : LES ELEMENTS EXTERNES

Les éléments externes de l’acte administratif sont : l’auteur de l’acte, la forme et la


procédure de l’acte.

§ 1 – L’auteur de l’acte

L’auteur de l’acte c’est la personne, l’autorité ou l’organe qui élabore ou qui a élaboré
l’acte. L’auteur de l’acte doit être juridiquement compétent. Mais, il existe des dérogations
et des atténuations à cette exigence.

A – La compétence de l’auteur de l’acte

La compétence est une notion fondamentale du droit public. Elle peut être définie
comme l’aptitude légale dont jouit une autorité en vue de prendre des actes juridiques dans les
domaines, sur un territoire et dans une période déterminés. Il s’agit donc d’une aptitude légale
circonscrite.
En droit administratif, un acte administratif ne peut être indifféremment édicté par
n’importe quelle autorité administrative. Il ne peut l’être valablement que par l’autorité qui en
est habilitée par les textes ou qui en est qualifiée par le droit.
La compétence existe indépendamment de l’individu ou de la personne physique
appelée à l’exercer. L’analyse de cette aptitude légale pose deux problèmes relatifs
respectivement à son champ et à sa nature.
1- Le champ de la compétence ou les modes d’exercice de la compétence
Ce champ est pluriel. Il concerne la personne qui a été désignée pour agir. On parle de
compétence personnelle ou « ratione personae ». En droit administratif, le principe est celui
de l’exercice personnel de la compétence.

36
Il concerne également le domaine d’action de l’autorité tel que prescrit par les textes.
C’est la compétence matérielle ou « ratione materiae ». La détermination de cette
compétence comporte une double conséquence :
- premièrement, l’autorité inférieure ne peut empiéter sur la compétence de l’autorité
supérieure. C’est ainsi que le Chancelier de l’Université - autorité sous tutelle- ne peut exercer
des prérogatives qui relèvent de la compétence du Ministre de l’Education Nationale - autorité
de tutelle (CS/AP Arrêt n°14/A du 19 juillet 1990, Etat du Cameroun (Université de Yaoundé)
c/ Njock Edward). De même, le Ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat ne peut prendre un
arrêté de rétrocession d’un domaine alors qu’il a fait l’objet d’une expropriation par décret du
Président de la République (CS/CA, jugement n°119/04-05 du 29 juin 2005, Collectivité des
Pionniers Planteurs PK 14 à 27 c/ Etat du Cameroun).
- secondement, l’autorité supérieure ne peut empiéter, sauf textes contraires, sur la
compétence de l’autorité inférieure. Cette interdiction résulte de ce que le pouvoir
hiérarchique (tout comme le pouvoir de tutelle) ne comporte pas d’office le pouvoir de
substitution. Celui-ci n’existe que dans le cas où la loi le prévoit. C’est ainsi que le juge
administratif camerounais a eu à annuler, pour excès de pouvoir, un acte du Ministre du
Travail et de la Prévoyance Sociale, dans une espèce en date du 31 mars 1994, au motif qu’il
a empiété dans le champ de compétence de l’inspecteur du travail. Dans cette espèce, il
déclare en substance : « (…) seul l’inspecteur du travail est compétent pour autoriser ou
refuser le licenciement d’un délégué du personnel » (CS/CA, jugement n°36/93-94 du 31 mars
1994, Société Moore Paragon Cameroon c/ Etat du Cameroun ( à titre de droit comparé, v.
TA de Marseille, jugement du 27 avril 1966, sieur Choux c/ Ministre de l’Education
nationale : « Considérant que le Recteur, en se bornant (…) à assurer l’exécution d’une
décision prise par le Ministre s’est dessaisi d’une compétence qui n’appartenait qu’à lui
seul ; qu’il s’en suit que pour avoir été prise sur ordre d’une autorité incompétente à cet effet,
la décision (…) encourt annulation »).
Cette position a été confirmée dans un jugement rendu le 30 octobre 1997(CS/CA,
jugement n°02/97-98 du 30 octobre 1997, Société de Métallurgie c/ Etat du Cameroun (dans
ce jugement, le juge affirme que du Ministre du Travail est incompétent pour annuler l’acte de
l’inspecteur de travail autorisant le licenciement ou refusant le licenciement d’un délégué du
personnel) et surtout dans un jugement rendu le 23 mars 2005 ( CS/CA, jugement n°64/04-05
du 23 mars 2005, MBOA Isaac c/ Etat du Cameroun) en se fondant notamment sur l’article
137 du Code du Travail3.
La compétence est aussi territoriale. On parle alors de compétence « ratione loci ».
Elle est relative à la sphère géographique dans laquelle se déploie l’autorité administrative ou
au cercle de sujets géographiquement situés à l’égard desquels l’autorité administrative est
investie pour prendre des actes normateurs. La compétence territoriale peut avoir une
dimension nationale si l’autorité ou l’organe qui l’exerce est une autorité centrale ou une
dimension locale (commune, district, arrondissement, département, province …) si l’autorité
ou l’organe qui l’exerce est une autorité non centrale. Cette dernière ne doit agir que dans son
territoire administratif et pour son territoire administratif.
Enfin, la compétence peut être liée au temps. Il s’agit de la compétence temporelle ou
compétence ratione temporis. Toute compétence est inscrite dans une durée qui peut être plus
ou moins longue. Son exercice suppose un point de départ et un point d’arrivée : il commence
à compter du moment de l’investiture ou de la prise de fonction et prend fin à compter de la
désinvestiture ou de l’expiration de la fonction.

3
En l’espèce, le Ministre du Travail a autorisé, en lieu et place de l’inspecteur du Travail, le licenciement de
sieur Mboa, délégué du personnel dans sa société.

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2- La nature de la compétence ou les modes d’expression de la compétence
La compétence est comme Janus biface. Elle a un versant qui traduit l’obligation
d’agir et un autre versant qui traduit la faculté d’agir.
Le premier versant renvoie à la compétence liée. Quant au second, il concerne le
pouvoir discrétionnaire.
On parle de compétence liée lorsque l’autorité administrative est tenue d’agir dans tel
ou tel sens. En l’espèce, le juge exerce un contrôle maximum.
On parle de pouvoir discrétionnaire lorsque l’autorité administrative jouit d’une liberté
d’action. L’importance de ce pouvoir dépend de l’extension de la légalité. Lorsque celle-ci
augmente, le pouvoir discrétionnaire diminue et vice-versa. Le pouvoir discrétionnaire existe
s’il n’y a pas de textes. Il existe également lorsque la règle de droit n’est pas claire. Il peut
aussi exister du fait d’une légalité insuffisante. Mais c’est un pouvoir qui a des limites :
d’abord, il ne s’agit pas d’un pouvoir arbitraire ; ensuite, le juge administratif exerce sur les
actes y relatifs un contrôle minimum.
La compétence connaît dans sa mise en œuvre des inflexions.

B – Les inflexions

Il est difficile qu’une autorité exerce personnellement à tout moment les compétences
à elle attribuées par les textes. Pour éviter la paralysie de l’administration et assurer
l’efficacité et la continuité du service public, le droit a consacré un certain nombre
d’inflexions à l’exercice personnel de la compétence. On peut citer les suppléances que sont :
- la suppléance stricto sensu, qui signifie le remplacement d’une autorité empêchée par
une autre autorité désignée d’avance ;
- l’intérim, qui consiste dans le remplacement provisoire d’une autorité par un agent
désigné par l’autorité supérieure.
On peut aussi citer les actes pris par les collaborateurs bénévoles. Il faut indiquer, par
ailleurs, que lorsqu’une décision doit obligatoirement être prise, l’incompétence de l’auteur de
l’acte n’entraîne pas son annulation si elle répond aux exigences légales, et que, l’autorité
supérieure compétente peut couvrir l’incompétence de l’autorité subordonnée (CS/CA,
jugement n°29/98-99 du 30 mai 1990, Mbarga Symphorin c/ Etat du Cameroun).
Mais les inflexions fondamentales sont au nombre de deux à savoir : les délégations de
compétence et la théorie du fonctionnaire de fait.
1 – Les délégations de compétences
La délégation est une technique qui consiste à procéder à un transfert de pouvoirs ou
de signature d’une autorité (le délégant) à une autre (le délégataire).
Les délégations de compétence ne sont légales que si certaines conditions sont
remplies. Mais leurs effets sont différents selon qu’il s’agit de la délégation de pouvoir ou de
la délégation de signature.
a) Les conditions
Il existe à peu près cinq conditions relatives aux délégations de compétence :
- un texte doit prévoir la délégation ;
- la délégation doit être partielle ;
- elle doit être explicite et précise ;
- elle doit être publiée ;
- enfin, la délégation de pouvoir peut être imposée à la personne qui exerce ce pouvoir,
tandis que la délégation de signature doit émaner de celui qui délègue.
b) Les effets
Il convient de distinguer les effets de la délégation de pouvoir des effets de la
délégation de signature.

38
- La délégation de pouvoir consiste en un transfert du pouvoir du délégant au
délégataire. Il s’agit d’une délégation « es-qualité ». L’autorité qui délègue ne peut plus
intervenir dans les domaines délégués. Les pouvoirs délégués subsistent après le départ du
délégant ou du délégataire. C’est ce dernier qui répond désormais des conséquences nées des
actes édictés dans les matières déléguées.
- En ce qui concerne la délégation de signature, elle consiste pour une autorité à faire
intervenir une autre autorité en son nom. Elle est « intuitu personae ». L’autorité qui délègue
peut toujours intervenir dans le domaine délégué (CS/CA, jugement n°36 du 06 mai 1982,
Oyie Tsogo Joseph c/ Etat du Cameroun). Cette délégation prend fin avec le départ du
délégant et/ou du délégataire. Enfin, c’est l’autorité qui délègue qui répond des conséquences
nées des actes édictés par l’autorité ayant reçu délégation de signature.
2- La théorie du fonctionnaire de fait
Le fonctionnaire de fait est un agent public qui exerce une fonction sans en avoir été
légalement investi mais dont les actes ont l’apparence de la légalité (v. Cour de Cassation, 07
août 1883, affaire des mariages de Montrouge).
a) En période normale, la théorie du fonctionnaire de fait repose sur l’idée de
l’apparence ou de l’investiture plausible (CCA, arrêt n°224 du 27 mars 1953 , dame Civra
c/Administration du Territoire : « Considérant que la jurisprudence prétorienne du Conseil
d’Etat décide que l’individu qui se fait irrégulièrement investir ne doit pas pouvoir invoquer à
son profit un titre régulier, le fonctionnaire de fait peut cependant réclamer une indemnité
égale à l’enrichissement procuré par son fait au patrimoine investi »).
b) En période exceptionnelle, la théorie du fonctionnaire de fait repose sur l’idée de
nécessité (CFJ/AP, arrêt n°4 du 04 novembre 1965, Dame Kieffer Marguérite c/Etat du
Cameroun).
Au-delà des considérations liées à l’exercice personnel de la compétence et des
exceptions y relatives, le principe du parallélisme de compétence doit être respecté ; ce qui
signifie que « l’acte contraire » doit être le fait de la même autorité. Ainsi, un Ministre ne
peut, par simple lettre, modifier les dispositions d’un décret présidentiel (CS/CA, jugement
n°24/91-92 du 27 février 1992, dame Beyene Elizabeth c/Etat du Cameroun) ou alors
rétrocéder par arrêté un domaine qui a été exproprié par décret présidentiel (v CS/CA,
jugement n°119/04-05 du 29 juin 2005, Collectivité des Pionniers Planteurs PK 14 à 27 c/
Etat du Cameroun). Une telle exigence s’impose aussi à la forme de l’acte.

§ 2 – La forme de l’acte

La forme de l’acte est relative à sa présentation matérielle. Elle participe de ce que


l’on appelle l’instrumentum.
Parmi les règles de forme qui régissent l’acte écrit certaines sont facultatives ou non
substantielles, tandis que d’autres, notamment la signature, sont obligatoires ou substantielles.

A- Les règles facultatives ou non substantielles

Les règles facultatives sont : les visas, le dispositif, la motivation et la date.


1 – Les visas
Les visas sont constitués de l’ensemble des actes antécédents qui sont la base
juridique et les éléments de procédure de l’acte. Ils ne sont pas un élément de régularité
formelle de l’acte car, ils sont facultatifs. Ainsi, l’erreur dans les visas ( CE, 30 juillet 1949,
Veuve Robmie de Plas) ou leur absence n’est pas un vice de l’acte entraînant sa nullité
(CFJ/CAY, arrêt n°65 du 30 sept 1969, Evina Ada Christophe c/Etat fédéré du Cameroun
oriental : « Considérant en effet que si l’arrêté incriminé ne vise ni le texte sur le concours, ni
les dispositions légales portant répression de fraude aux examens, ce fait ne saurait

39
constituer un vice de forme de nature à entraîner son annulation ;(…) les visas constituent
une simple pratique administrative ne présentant aucun caractère obligatoire ».
Il se dégage de cet arrêt, et dans bien d’autres, que les visas ne constituent pas une
formalité substantielle ( v., CFJ/CAY, arrêt n°55 du 25 mars 1969, Emini Tina Etienne c/Etat
fédéré du Cameroun oriental : « Considérant que les visas ne sont qu’une simple pratique
administrative ;, qu’en l’absence d’un texte de loi les rendant obligatoires, ils doivent être
considérés comme une formalité non substantielle dont l’omission ou l’accomplissement
irrégulier n’entame en aucune manière la validité de l’acte en cause » ( dans le même sens,
CE, 15 novembre 1948, Nandon : « L’absence de références aux textes en vertu desquels un
acte administratif a pu légalement être pris ne constitue pas une irrégularité de nature à
entraîner l’annulation de cet acte »).
Par ailleurs, les visas ne qualifient pas l’acte. C’est ainsi que le juge français a
considéré que les saisies litigieuses de journaux ont pour objet non de constater des crimes ou
délits, mais d’empêcher la diffusion d’écrits insérés dans un journal et ce, nonobstant les visas
des arrêtés ; les saisies opérées présentant en réalité des mesures de caractère administratif
(CE, 1960, affaire Frampar, RDP, 1960, p.815)
Cependant, le caractère facultatif des visas n’exclut pas le fait ou la nécessité pour tout
acte administratif de reposer sur une base juridique. Ainsi, lorsqu’un acte administratif
manque de base juridique, il est annulé soit parce que la base légale n’existe pas encore, soit
qu’elle n’existe plus, soit, enfin, qu’elle est irrégulière (TE, arrêt n°254 du 12 avril 1963,
Syndicat des administrateurs civils c/ Etat du Cameroun).
2- Le dispositif
En général, les actes administratifs sont présentés sous la forme d’une série d’articles.
Une telle présentation est un choix et non une obligation. La jurisprudence a considéré,
d’ailleurs, dans certaines espèces que les lettres, les fax ou les attestations de dépôt constituent
des actes administratifs unilatéraux dans la mesure où ils font grief. De même, les circulaires
qui se présentent en forme continue sont considérées par le juge administratif comme de
véritables actes administratifs (v. CE, 29 Janvier 1954, Institution Notre Dame de Kreisker).
3 – La motivation
Il ne faut pas confondre motivation et motif. La motivation concerne la forme de l’acte
tandis que le motif a trait au fond de l’acte.
La motivation consiste pour l’autorité administrative à énoncer les motifs ou les
raisons de droit et de fait qui sont à la base de son acte.
En principe, la motivation est, sauf prescription textuelle ou jurisprudentielle, une
formalité facultative.
a)- Le principe: une formalité facultative
En règle générale, l’autorité administrative n’est pas obligée de motiver son acte.
Ainsi, un acte administratif ne peut être annulé pour absence de motivation, sauf si un texte
l’exige expressément (T.E, arrêt n°208 du 22 juin 1962, Ngongang Alexandre c/ Etat du
Cameroun : « Considérant d’une part qu’il est de règle que, sauf dispositions légales ou
réglementaires expresses, les actes administratifs … n’ont pas besoin d’être motivés ». Dans
le même sens, CE, 04 février 1970, Société « Daily Girl Press »).
Cette position du juge administratif, notamment camerounais, a été réaffirmée dans
plusieurs espèces. On peut citer, à titre d’exemple, le jugement n°75/CS/CA/90-91 du 31
janvier 1991, Mbarga Emile c/Communauté urbaine de Yaoundé, le jugement
n°12/CS/CA/93-94, du 24 février 1994, Edzoa Georges Maurice c/ Etat du Cameroun et le
jugement n°15/CS/CA/97-98 du 26 mars 1998, Noucti Tchokwago c/Etat du Cameroun.
Pourtant, le juge administratif camerounais a, dans une espèce, en date du 26 février
1998, déclaré que les actes administratifs doivent être motivés, alors même que dans le cas
d’espèce aucun texte ne l’exigeait. Il y déclare en substance : « Attendu en effet que sans
aucun souci de motivation, alors que toute décision administrative doit être motivée, ce qui

40
signifie contenir les éléments de fait et de droit qui justifient la mesure ordonnée, la décision
attaquée se contente de la formule (…) ; qu’il s’en suit que le recours est justifié et qu’il y a
lieu de prononcer l’annulation de la décision litigieuse » (CS/CA, jugement n°7/97-98 du 26
février 1998, affaire Dame Takote Megne Madeleine épouse Tignokpa c/ Etat du Cameroun).
La Chambre administrative de la Cour suprême adoptait ainsi une position contraire à
celle de l’Assemblée Plénière de la même Cour qui, dans une espèce en date du 26 décembre
1996, affirmait : « Considérant en effet que si la décision administrative n’a pas besoin
d’énoncer les motifs qui la sous-tendent, ce principe connaît un tempérament lorsque
s’agissant d’une sanction disciplinaire (…), cette motivation apparaît comme une garantie en
faveur de l’agent public concerné » (CS/AP, arrêt n°02/A du 26 décembre 1996 , Atangana
Mbarga Adalbert c/Etat du Cameroun).
L’Assemblée Plénière rappelait ainsi que la non-motivation est le principe et la
motivation l’exception.
La Chambre administrative de la Cour suprême du Cameroun a, pourtant, par la suite,
dans un jugement en date du 30 mars 2000 rappelé l’obligation de motiver les décisions
administratives. En effet, dans ce jugement, où il assimile-ou confond- un arrêté rapportant un
avancement d’échelon et de grade à une sanction disciplinaire-qui doit être motivée-, il
affirme que la « motivation, qui est placée sous le contrôle de la juridiction administrative,
juge de la légalité, doit être écrite et comporter l’énoncé des considérations de fait et de droit
qui constituent le fondement de la décision (…) ; elle doit être aussi explicite et complète que
possible » ( CS/CA, jugement n°42/99-00 du 30 mars 2000, Wabo Rigobert-représenté par Dr
GUIMDO D. Bernard-Raymond- c/ Etat du Cameroun).
Le juge de la Chambre administrative de la Cour suprême a, dans un autre jugement
rendu le 26 janvier 2001, réitéré l’obligation de motiver les actes administratifs unilatéraux
en ces termes : « Il importe de rappeler que toute décision administrative doit énoncer les
raisons de fait et de droit qui sont à la base de la décision » (CS/CA, jugement n°15/2000-
2001 du 26 janvier 2001, Succession Mbarga Raphaël c/Etat du Cameroun).
On peut, au regard de cet imbroglio jurisprudentiel, s’interroger sur l’état réel du droit
positif camerounais en matière de motivation. Mais, il est indéniable que la position du juge
de l’Assemblée plénière, sauf dispositions textuelles contraires, doit être considérée comme le
droit en vigueur en matière de motivation. Le juge de la CA/CS devrait, par conséquent, s’y
conformer et mettre un peu d’ordre dans sa jurisprudence.
b) - Les exceptions
Il peut y avoir deux sortes d’exceptions à la non-exigence de la motivation.
L’obligation de motiver peut être, soit le fait des textes, soit le fait du juge administratif.
La motivation est une obligation lorsque, de façon expresse, un acte législatif ou
administratif l’exige. Il en est ainsi, par exemple, en cas de refus par l’administration de
légaliser un parti politique, en cas de rejet d’une demande d’agrément d’une ONG par
l’administration, en cas de sanction disciplinaire infligée à un agent public.
Le juge administratif peut, exceptionnellement, imposer la motivation des actes
administratifs alors même qu’elle n’est pas expressément prévue par un texte. C’est le cas, par
exemple, d’une décision portant refus d’inscription au tableau d’un ordre professionnel
(CE,14 juin 1946, Van Den Vergat), ou d’un acte critiqué pour excès de pouvoir : « Attendu
que si l’auteur d’un acte administratif n’est pas tenu d’exprimer dans cet acte ou de faire
connaître à l’intéressé les motifs de l’acte, cependant, en cas de critique pour excès de
pouvoir, il est obligé d’en faire connaître les motifs au juge » (CS/CA, jugement n°75/90-91
du 31 janvier 1991, affaire Mbarga Emile c/Communauté urbaine de Yaoundé).
Les espèces Dame Takote Megne Madeleine, Succession Mbarga Raphaël relatives au
litige foncier, ainsi que l’affaire Wabo Rigobert, relative au retrait d’un acte administratif pour
fraude, font parties, vraisemblance - au regard de l’exigence formulée par le juge de la
Chambre administrative relativement à la motivation -, de ces cas dont le juge exige la

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motivation. D’ailleurs, dans l’affaire Succession Mbarga Raphaël, il déclare «(…) qu’il est
nécessaire de préciser exactement les considérations sur la base desquelles la décision est
prise (…) ; que, le seul fait qu’une décision ne soit pas motivée supprime à la cour la
possibilité de contrôler sa légalité et emporte ipso-facto son annulation ».
4- La date
La date n’est pas une condition de régularité de l’acte administratif unilatéral. L’erreur
sur la date et son omission ne la vicient pas. Cela voudrait dire, en d’autres termes, qu’une
autorité peut se tromper sur la date, qu’elle peut oublier d’indiquer la date, mais un administré
ne peut se prévaloir de ces considérations pour exiger l’annulation de cet acte par le juge
administratif. Ce qui importe pour l’administré, c’est la date de notification ou de publication
dudit acte car, c’est elle qui fait courir les délais de recours administratif et/ou contentieux.

B – La règle obligatoire ou substantielle : la signature

Comment appréhende-t-on juridiquement la signature et quelle est sa force juridique ?


1 – La notion de signature
La signature est une règle de forme qui permet de donner une existence juridique à
l’acte. Elle est l’élément qui consacre l’avènement de l’acte administratif en tant que norme
juridique. Elle peut consister soit en un signe particulier fait par l’auteur de l’acte sur celui-ci,
soit, en l’inscription de son nom sur l’acte. En tout cas, elle doit être visible sur
l’instrumentum parce qu’elle permet d’identifier l’auteur de l’acte. Quelle en est la force
juridique ?
2 – La force juridique de la signature
La signature est l’élément qui permet d’authentifier l’acte. Elle constitue un élément
d’opposabilité de l’acte à l’administration.
Il peut arriver qu’un acte signé soit exploité par un administré alors même qu’il n’a pas
été officiellement publié. On parle de la théorie de la connaissance acquise.
Enfin, la signature permet de contester la compétence de l’auteur de l’acte.
C’est au regard de toutes ces considérations que la signature constitue une formalité
obligatoire.
Dans le souci d’éviter tout laisser-aller et toute insécurité juridique, la jurisprudence a
élaboré la théorie dite du parallélisme de forme. Celle-ci signifie que lorsqu’un texte établit
des formes pour un acte, les mêmes formes doivent être suivies pour l’acte contraire qui
modifient ou suppriment le premier (CFJ/SCAY, arrêt ADD n°55 du 25 mars 1969, Sieur
Emini Tina Etienne c/Etat fédéré du Cameroun oriental). Ainsi, est illégale, parce qu’ayant
violé le principe du parallélisme de forme, une note de service du Délégué Général à la Sûreté
Nationale qui abroge un arrêté du Président de la République (CS/CA, jugement n°78/93-94
du 25 août 1994, Obama Ottou Joseph c/Etat du Cameroun).
Le principe est que l’abrogation d’un acte administratif ne doit être faite que par un
acte administratif de même valeur que l’acte abrogé ou de valeur supérieure (CE, 06
novembre 1953, Association des administrateurs civils). Le principe du parallélisme concerne
aussi les règles de procédure.

§ 3 – La procédure de l’acte

Le régime qui gouverne la procédure d’élaboration des actes administratifs unilatéraux


est, certes, complexe, mais il trouve sa légitimité dans sa raison d’être qui est de créer les
meilleures chances de décisions régulières et opportunes. Font partie de ce régime, le lieu, le
moment, la consultation et la contradiction.

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A- Le lieu

Y a –t-il un lieu où l’autorité administrative est tenue d’édicter un acte administratif


unilatéral ? Juridiquement, aucune obligation ne pèse sur l’auteur qui édite l’acte de le faire
dans un lieu précis. Ainsi la mention du lieu qui est souvent porté sur l’instrumentum (Fait à
Yaoundé le…) n’est pas requise à peine de nullité.
Les règles de fond concernent le lieu d’édiction de l’acte sont rares et sans grande
portée. Les problèmes y relatifs avaient été esquissés par le Doyen Maurice Hauriou sous
l’arrêt Legrand rendu par le Conseil d’Etat le 22 décembre 1911. Le Maître de Toulouse
s’interrogeait sur le point de savoir « quels sont les acte, qui exigent la présence réelle du
maire dans la commune et quels sont ceux qui peuvent être accomplis par lui hors de sa
commune ou à distance ? » Pour répondre à cette question, on peut dire qu’un maire ne peut,
à distance, exercer les fonctions d’officier d’état civil, celles-ci exigeant sa présence effective
dans la commune. A contrario, il peut convoquer le conseil municipal à distance. De même, il
peut garder à distance la direction des bureaux et services de sa commune parce que cette
direction peut s’exercer par correspondance. Il en est de même de toutes les autres autorités
administratives.
En fait, existe-t-il un critérium de distinction entre ces différentes catégories d’actes ?
Si critérium il y a, ce serait celui de la solennité de l’acte à prendre. L’auteur va donc
apprécier au regard de ce critérium où prendre tel ou tel acte. Il y va du bon fonctionnement
de l’administration.

B- Le moment

En principe, l’administration dispose d’un large pouvoir discrétionnaire qui lui permet
de pouvoir choisir la date ou le moment d’édition de ses actes. Mais lorsqu’un texte lui fixe
un délai pour prendre un acte peut-elle le prendre après expiration de ce délai ou même
s’abstenir de le prendre ? Par ailleurs, en l’absence d’un texte prescrivant les délais d’édiction
d’un acte le juge peut-il en imposer à l’administration ?
Cette double interrogation invite à analyse d’une part les délais prescrits par les textes,
et, d’autre part, les délais prescrits par la jurisprudence.
1 - les délais prescrits par les textes
En principe, les délais prescrits par les textes sont toujours indicatifs. Ce n’est
qu’exceptionnellement qu’ils peuvent être impératifs.
a)- les délais indicatifs
Lorsqu’un texte législatif ou réglementaire dit qu’un acte doit être pris dans un délai
qu’il fixe, le principe est que l’administration n’est pas dans l’obligation de se conformer à
ces délais à peine de nullité.
La jurisprudence fonde l’explication de ce principe sur la finalité impartie aux délais.
S’ils sont prévus, c’est en règle générale pour accélérer la procédure d’émission de l’acte sans
pour autant limiter dans le temps la compétence de son auteur. L’annulation d’un tel acte
pour non-respect de délais produirait un résultat opposé à celui recherché.
Pour le juge administratif, les dispositions ayant trait aux délais n’ont souvent pour
fins que de manifester « la volonté du législateur d’assurer l’application rapide de la loi et
n’ont pas pour effet d’empêcher le gouvernement d’user de son pouvoir réglementaire après
expiration dudit délai » (CE, 31 mars 1950, société mutualiste des professions libérales).
Cette solution est valable aussi bien pour les règlements d’application des lois (CE, 15 mai
1961, Ville de Lyon) que pour les actes individuels (exemple : la circonstance que la décision
acceptant l’offre de démission d’un fonctionnaire soit intervenue après expiration du délai de
quatre mois prévu par la loi n’est pas de nature à empêcher la validité de cette décision : CE,
24 octobre1962, Meriot).

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b)- Les délais impératifs
Les délais impératifs sont de deux ordres : les délais de substitution de compétence et
les délais de garantie pour les administrés.
Les délais de substitution de compétence interviennent généralement dans le cadre des
lois d’habilitation qui prévoient que durant une période déterminée et strictement limitée, le
gouvernement peut prendre par voie d’ordonnance des mesures qui relèvent normalement du
domaine de la loi. Ainsi l’expiration des délais met un terme à cette délégation exceptionnelle
et rend le gouvernement incompétent.
L’idée des délais de garanties pour les administrés bien qu’ambiguë est retenue dans
au moins deux hypothèses : en matière de publicité préalable et dans le cadre de la décision
implicite.
Dans le cas de garantie de publicité préalable, la finalité est d’éviter que l’autorité
administrative ne statue trop rapidement sans être en possession de tous les éléments et sans
permettre aux intéressés de présenter leurs observations ou doléances. C’est le cas, par
exemple, des délais relatifs à la procédure l’expropriation pour cause d’utilité publique.
En ce qui concerne la décision implicite, le silence-acceptation et le silence-refus
constituent des garanties pour les administrés parce qu’ils permettent de rompre les
manœuvres dilatoires de l’administration et constituent ainsi un moyen pour l’administré de
saisir le juge pour excès de pouvoir.
2- Les délais prescrits par la jurisprudence
Le juge prescrit des délais soit en interdisant à l’administration d’agir avant une
certaine date : on parle de délais minimum ou utiles ; soit en lui demandant d’agir avant une
certaine date limite : on parle de délais maximum ou raisonnables.
a)- Les délais utiles ou minimum
Par l’imposition des délais, le juge confère à certains principes de procédure tel le droit
de la défense, leur pleine signification.
Les délais utiles ou minima interviennent dans le cadre de la procédure disciplinaire.
Ils permettent au mis en cause de recevoir communication de son dossier, de préparer et de
faire parvenir à l’autorité compétente ses observations ainsi que les éléments de défense dont
il dispose. Ce délai couvre la période qui va du moment où l’intéressé est averti des mesures
susceptibles d’être prises à son encontre jusqu’au moment effectif où la décision est prise.
Cette considération est parfaitement illustrée par l’arrêt Nègre rendu par le Conseil d’Etat le
20 janvier 1956 (M. Nègre, Directeur de l’Agence France-Presse est informé qu’il sera mis
fin à ses fonctions et la décision est prise le lendemain alors qu’il n’a reçu communication de
son dossier que le même jour où la décision est prise) et l’arrêt Bernard (CE, 17 février
1932 : l’intéressé n’eut pas matériellement la possibilité de se défendre).
b)- Les délais raisonnables ou maximum
Ce sont des délais que l’administration ne peut dépasser. Elle est tenue de prendre la
décision à l’intérieur de ces délais.
Plusieurs conditions déterminent l’obligation d’agir de l’administration dans ces délais :
- l’acte doit être un acte normateur régulier ;
- l’absence de mesures d’application doit avoir pour effet de rendre imposable l’application du
texte en vigueur ;
- l’administration doit être tenue de prendre les mesures d’application nécessaire, autrement
dit, qu’elle ait compétence liée.
Ces conditions ressortent des conclusions du Commissaire du Gouvernement sur
l’arrêt du Conseil d’Etat du 27 novembre 1964, Ministre des Finances et des Affaires
Economiques c/ dame Veuve Renard.
L’administration n’est certes pas tenue de le faire immédiatement, mais elle ne peut se
prévaloir de cette liberté de principe et renvoyer sine die ses obligations et les éluder.

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Le non-respect des délais maximum ou raisonnables constitue une faute susceptible
d’engager la responsabilité de l’administration (CE, 11 décembre 1964, Cavom). Que dire de
la consultation ou de la procédure consultative ?

C- La consultation

Pour analyser cette règle de procédure, il convient d’aborder dans un premier temps
les questions ayant trait aux organismes consultatifs, et, dans un second temps, celles liées à la
nature des avis émis par eux.
1- Les organismes consultatifs
Le principe en la matière est que les organismes consultatifs ne peuvent régulièrement
se prononcer que s’ils sont composés de personnes qui en sont membres, lesquelles ont été
dûment convoquées, que si le quorum est atteint et que si leur composition en garantie
l’impartialité.
La participation aux travaux de ces organismes de personnes qui n’en font pas partie a
été initialement considérée comme une cause invariable d’irrégularité des avis émis et par
suite des décisions prises (CE ,15 mars 1957, Israel). Mais, cette solution a été nuancée par la
jurisprudence française et l’état du droit positif ne la consacre qu’à titre de principe.
Le quorum est le nombre minimum des membres de l’organisme qui doivent être
présents (au moins lors de l’ouverture de la séance) pour que ses délibérations soient
régulières. Il est déterminé par les textes. Dans tous les cas, le quorum est apprécié compte
non tenu des catégories entre lesquels les membres de l’organisme peuvent se retrouver
repartis.
Si après une seconde convocation le quorum n’est pas toujours atteint l’organisme
délibère régulièrement, sauf textes contraires, quel que soit l’effectif présent (CE, 18 mars
1981, Union générale des fédérations des fonctionnaires C.G.T).
En vertu des principes généraux du droit, la composition des organismes consultatifs
doit être telle qu’elle garantisse son impartialité (CE, sect., 29 avril 1949, Bourdeaux). C’est
ainsi que la procédure sera viciée si a participé à la séance ou aux travaux une personne qui
était personnellement intéressée par les questions abordées ou une personne ayant adopté une
position susceptible de faire douter de son impartialité (CE, 20 janvier 1960, Mazières) ou si
le comportement d’un membre pendant les travaux a été de nature, par la partialité qu’il
manifestait, à vicier l’avis émis (CE, 09 mai 1952, Préfet de Police).
Même si la consultation est facultative, elle ne doit pas constituer un faux- semblant.
En effet, l’autorité doit mettre l’organisme consulté en mesure de se prononcer en
connaissance de cause. Pour cela, elle doit lui communiquer tous les éléments nécessaires
d’appréciation de l’affaire (CE, 21 novembre 1980, Le Chaton).
2- La nature et la portée des avis
La portée des avis varie en fonction de leur nature. C’est ainsi qu’on distingue : l’avis
facultatif ; l’avis obligatoire ; l’avis conforme et l’avis spontané.
a)- L’avis facultatif
Dans le cadre de l’avis facultatif, la liberté de décision de l’autorité administrative
n’est pas limitée par l’avis émis. L’autorité peut même prendre sa décision avant même que
l’avis ait été émis et renoncé ainsi à la consultation (CE, 28 avril 1967, Fédération nationale
des syndicats pharmaceutiques).
Pour faire bref, l’avis facultatif est un avis que l’autorité administrative n’est ni
obligée d’obtenir, ni tenue de suivre.
b)- L’avis obligatoire
L’avis obligatoire est un avis que l’autorité administrative est tenue d’obtenir mais
n’est pas obligée de suivre. Ainsi, elle peut prendre soit l’acte soumis à l’avis tel quel, soit
l’acte modifié conformément à l’avis, soit un tout autre acte.

45
En matière disciplinaire, la consultation du conseil de discipline est une formalité
substantielle (CS/AP, arrêt du 24 mars1983, Njikiakam Towa Maurice c/ Etat du Cameroun).
Aussi, la réfection d’une sanction disciplinaire annulée entraîne obligatoirement la
consultation, à nouveau, du conseil de discipline (CS/AP, arrêt n°02/A du 18 Août 1994, Seba
Ndongo Jean c/ Etat du Cameroun).
c)- L’avis conforme
Dans le cas de l’avis conforme, l’autorité consultante ne peut que décider
conformément à l’avis de l’organisme consulté. Ainsi, si cet avis est défavorable à la décision
projetée, l’autorité administrative ne pourra que renoncer à cette décision (CE, 22 février1957,
Société coopérative de reconstruction de Rouen).
L’autorité administrative ne peut donc prendre la décision projetée qu’avec l’accord de
l’organisme consultatif qui se trouve ainsi étroitement associé à l’exercice du pouvoir de
décision de l’administration.
Au regard de ce qui précède, l’avis conforme est-il une décision ou une codécision ?
Pour le juge administrative camerounais, l’avis conforme serait une codécision voire
une décision faisant grief : « Attendu (…) qu’en effet dans son jugement n°40/CS/CA du 30
avril 1981, la Chambre, interprétant les dispositions de l’article 12 du décret n°69/DF/8 du
08 janvier 1969 portant statut particulier du corps des fonctionnaires de l’Education, de la
Jeunesse et de la Culture, a admis que l’avis émis par le conseil d’administration de
l’Université constitue en fait une décision faisant grief, que cet avis s’impose au chancelier
et le lie ; la décision de ce dernier ne constituant qu’une simple formalité » ( CS/CA,
jugement n°50 du 07 avril 1983, Akoa Dominique c/Université de Yaoundé).
Le juge administratif français a, pour sa part, affirmé qu’une décision intervenue alors
que l’avis conforme prévu n’a pas été pris est nulle pour incompétence (CE, 29 janvier1969,
dame veuve Chanebout).
d)- L’avis spontané ou extraréglementaire
L’avis spontané est une catégorie d’avis que l’autorité administrative sollicite alors
même que les textes ne l’ont pas prévue.
Les principes généraux du droit public permettent l’obtention d’un tel avis, mais sous
certaines conditions pour ne pas être irrégulier et donc ne pas vicier la décision à laquelle il va
aboutir. On peut en citer trois, essentiellement :
- premièrement, que les dispositions législatives ou réglementaires régissant la matière
n’y fassent pas obstacle;
- deuxièmement, que l’autorité investie du pouvoir décisoire ne se considère pas, à
tort, liée par l’avis formulé ;
- troisièmement, enfin, qu’aucun vice propre n’entache la procédure suivie par
l’organisme consulté.
Qu’en est-il de la contradiction ou de la règle du contradictoire ?

D- La contradiction

La contradiction a pour l’objet dans le cadre d’une procédure administrative ou


contentieuse de faire participer l’administré ou le requérant, dont les droits où les intérêts
particuliers risquent d’être mis en cause, à l’opération normatrice ou à l’élaboration de la
norme juridique.
Cette participation lui permet soit d’agir personnellement, soit tout, au moins, de
présenter son point de vue ou ses observations. Il s’agit, à l’instar de la procédure
consultative, d’un procédé exceptionnel en droit administratif, lequel reste marqué par les
pouvoirs de domination de l’administration.
Les effets de la contradiction sont différents selon qu’il s’agit d’une mise en demeure
ou des droits de la défense.

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1- La mise en demeure
La mise en demeure est une formalité par laquelle une autorité publique enjoint une
autre autorité publique ou une personne privée (morale ou physique) d’accomplir telle ou telle
mesure prescrite par la textes ou la jurisprudence, faute de quoi elle agirait en ses lieu et place
ou prendrait des mesures à son encontre.
a)- A l’égard d’une autorité publique ou d’une personne publique, la mise en
demeure est prévue dans le cadre des rapports de tutelle (v. article 50 al. 1 et 2 de la loi
n°2004/018 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux communes, concernant la
déclaration de démission d’un membre du conseil municipal faite par le Ministre chargé de
l’Administration territoriale, du fait de son abstention persistante de remplir ses fonctions,
après que le Ministre l’a mis en demeure). Elle est une condition du pouvoir de substitution
d’action de l’autorité de tutelle (v., par exemple, l’article 96 de la loi n°2004/018).
L’objet de la mise en demeure est de briser l’abstention, le laxisme ou la défaillance de
l’autorité sous tutelle. Elle n’est soumise à aucune condition de forme particulière ; c’est ainsi
qu’elle peut être verbale ou écrite (une lettre ou un télégramme) 4. Toutefois, elle est
obligatoire ; aussi, son absence vicie la mesure de substitution (CE, 20 février 1954, Said Ben
Hadj Ali).
b)- A l’ égard des particuliers, de nombreux textes prévoient la possibilité pour
l’administration d’exécuter d’office une décision après qu’elle a préalablement prévenu
l’intéressé des conséquences possibles de son inaction. A titre d’exemple, l’article 77 §1 de la
loi n° 74/023 du 05 décembre 1974 portant organisation communale dispose que « le maire
peut, après une en demeure restée sans suite pendant deux mois, faire démolir tout immeuble
bâti en infraction du plan d’urbanisme ou menaçant ruine ».
Le juge administratif camerounais a eu à trancher dans de nombreuses espèces des
questions relatives à la mise en demeure qui a donné lieu à l’édiction, par l’autorité
communale, de mesures de destruction ou de démolition. On peut citer : CFJ/AP, arrêt du 31
mars 1971, Commune de plein exercice de Yaoundé c/ Nkwenkam Mohlie ; CS/CA, jugement
du 11 juin 1981, Simo Njienou Jean-Jacques c/ Commune urbaine de Bafoussam ; CS/CA,
jugement du 30 septembre 1982, Fambeu Thomas c/ Commune urbaine de Mbalmayo.
L’autorité administrative peut procéder à la mise en demeure par tous moyens qui
permettent à l’intéressé de prendre connaissance des intentions de l’administration et des
conséquences de son refus. Elle est tenue de le faire, car il s’agit d’une formalité obligatoire
dont l’administration ne saurait se passer ou remplacer par des démarches effectuées
postérieurement à la décision (CE, 10 décembre 1951, Dame Fontaine).
2- Les droits de la défense
Si les droits de la défense constituent une exigence fondamentale dans le cadre de la
procédure administrative contentieuse, il n’en est pas de même pour ce qui est de la procédure
devant l’administration active, sauf si les textes l’exigent.
Lorsque le respect des droits de la défense est imposé par les textes à l’administration,
il devient une condition de régularité de l’acte.
La finalité des droits de la défense est d’éviter que certaines mesures puissent léser les
intérêts des intéressés sans que ces derniers aient pu au préalable se défendre ou discuter les
griefs que l’administration doit avoir contre eux.
a)- Le champ d’application
On peut en citer trois :
- toute personne menacée d’une sanction a le droit d’être mise à même de discuter les
griefs retenus contre elle (v. CE, 5 mai 1944, Dame veuve Trompier-Gravier ; CE, 26 octobre
1945, Aramu et autres). L’administration est ainsi tenue de suivre une procédure
contradictoire chaque fois qu’elle entend prendre une mesure individuelle défavorable ou une
4
Au Cameroun, la mise en demeure est adressée au Maire « par tout moyen laissant trace écrite » (article 97.1
de la loi n°2004/018).

47
décision dérogeant à une réglementation (exemple : les mesures de police : CE, 6 mars 1992,
SARL Société du Spectacle de la Place Blanche). Echappent à cette obligation les actes
réglementaires et non réglementaires qui ne sont pas individuels (CE, 7 février 1992, Ministre
de la Culture c/ SCI du Vieux Château). Cette règle ne s’applique pas, par exemple, lorsque
les nécessités de l’ordre public s’y opposent (CE, 13 juin 1990, Peusch) ;
- les droits de la défense doivent être respectés par toute mesure prise intéressant un
fonctionnaire ou un agent public et édictée en considération de la personne intéressée (CCA,
arrêt du 25 octobre 1957, Ebongue Jean Adalbert c/ Administration du Territoire ;CFJ/AP,
arret du 16 mars 1967, Makoubé Albert c/ Etat du Cameroun ; CFJ/AP, arrêt du 19 mars
1969 , Moukoko James c/ Etat du Cameron oriental ;CS/CA, jugement n°05/90-91 du 29
novembre 1990, Amougou Linus c/ Etat du Cameroun : « Attendu que tout fonctionnaire
traduit devant le conseil de discipline a droit à la défense (convocation, communication des
dossiers personnels et de l’affaire, audition contradictoire du mis en cause et des témoins),
que la violation de ce droit est sanctionnée par le juge administratif par l’annulation de l’acte
incriminé ; Attendu que sieur Amougou Linus a comparu devant le conseil de discipline sans
faire la moindre réserve ni élever des contestations quant à la procédure suivie contre lui ; de
ce fait, il ne peut se prévaloir par la suite d’une quelconque irrégularité viciant la procédure
disciplinaire ») ;
- enfin, le bénéfice des droits de la défense est étendu au cas où une mesure grave est prise
à l’encontre d’une personne non fonctionnaire ou agent public lorsque cette mesure intervient
en raison des faits personnels à l’intéressé. Il en est ainsi même en matière de police
administrative. Telle est la position du juge dans l’affaire Obame Etémé Joseph du 27 janvier
1970 : « Considérant (…) qu’une sanction telle que celle qui a frappé le requérant ne pouvait
légalement intervenir sans que ce dernier eût été à même de discuter les griefs articulés
contre lui ; qu’ainsi le sieur Obame Etémé n’ayant pas été préalablement invité à présenter
ses moyens de défense, l’arrêté attaqué a été pris en violation du principe du respect des
droits de la défense et qu’il est de ce point entaché d’excès de pouvoir » (CFJ/CAY, arrêt du
27 janvier 1970 , Obame Etémé Joseph c/ République fédérale du Cameroun) .
En définitive, le respect des droits de la défense constitue un principe général de droit
auquel l’autorité administrative doit se conformer et non y déroger. L’autorité législative
l’accepte comme tel tant qu’elle n’a pas manifesté une volonté expresse contraire (CE, Ass.,
23 octobre 1964, d’Oriano, RDP, 1965, p.282).
b) – Les modalités d’application
Le respect des droits de la défense impose à l’administration une triple obligation :
Uno, l’administration doit prendre l’initiative d’aviser l’intéressé de son intention de
lui infliger une sanction. Sur ce point, la jurisprudence n’est pas formaliste ; elle admet
certaines équivalences dès lors que les droits de la défense n’en pâtissent pas, par exemple, la
notification d’un arrêté de suspension vaut avertissement qu’une sanction est envisagée (CE,
14 février 1951, Geoffroy). L’avertissement doit parvenir à l’intéressé à la diligence de
l’administration à laquelle incombent les démarches nécessaires pour retrouver la trace de
celui-ci s’il change de résidence (CE, 22 janvier 1947, Demoiselle Grenier), sauf si ce dernier
s’est volontairement soustrait aux recherches (CE, 31 juillet 1948, par exemple en quittant son
dernier logement connu sans laisser d’adresse (CE, 28 mai 1948, demoiselle Roussillon) ;
Deuxio, l’avertissement donné à la victime probable d’une sanction est destiné à lui
permettre de se défendre. Une défense utile implique la connaissance précise des griefs
articulés contre l’incriminé. Celui-ci est à même de demander communication des griefs à
l’administration. S’il ne le fait pas, l’administration n’a pas à les lui communiquer
d’office (CE, 10 juillet 1965, Perfettini). Mais, la communication demandée ne peut être
refusée (CS/CA, jugement n°12/93-94 du 29 février 1994, Edzoa Georges Maurice c/Etat du
Cameroun) ;

48
Troisio, l’objectif est de mettre les intéressés en mesure de présenter leurs défenses
aux autorités qualifiées pour donner un avis sur l’affaire et pour prendre la décision relative à
la sanction envisagée, laquelle, comme tout acte administratif, comporte des éléments
internes.

S/SECTION 2 : LES ELEMENTS INTERNES

Les éléments internes de l’acte sont : le but, le contenu et les motifs de l’acte.

§ 1– Le but de l’acte

Le but de l’acte administratif unilatéral c’est la fin poursuivie par l’autorité


administrative lorsqu’elle l’édicte. Cette fin ne doit pas constituer un détournement de
pouvoir ; c’est-à-dire que cette autorité ne doit pas utiliser son pouvoir dans un but autre que
celui prescrit par le droit ou par les textes (CS/CA, jugement n°40/79-80 du 20 mai 1980,
Monkam Tientcheu David c/Etat du Cameroun ; CS/CA, jugement n°62 du 25 septembre
1980, La société »Assureurs conseils Franco-africaine » ACFRA c/ Etat du Cameroun). Il en
est ainsi lorsque l’administration refuse de légaliser un parti politique pour des motifs autres
que ceux contenus dans la loi (cf. CS/PCA/92-93, ordonnance n°02 du 16 décembre 1992,
affaire UPC-Manidem c/Etat du Cameroun , Obs. de B. Guimdo in Juridis info n°16,1993,
pp.56-58 et CS/PCA/ 91-92, ord. n°28 du 23 septembre 1992, Affaire UNC c/Etat du
Cameroun, Commentaire de Bernard-Raymond Guimdo in Juridis info n°19, 1994, pp. 27-
33). Il en est de même du licenciement d’un fonctionnaire pour motif économique, en ce que
le statut général de la fonction publique de l’Etat n’a pas prévu ce cas de licenciement, ni son
mode d’indemnisation (CS/CA, jugement n°47/99-2000 du 25 mai 2000, Zoba Ayissi
Dieudonné c/Etat du Cameroun).

§ 2 – Le contenu de l’acte

L’acte administratif unilatéral doit, dans son contenu, être conforme à la norme
supérieure, en vertu du principe de la hiérarchie des normes. L’illégalité à raison du contenu
de l’acte constitue la violation directe de la norme supérieure. Il en est ainsi, par exemple,
d’un décret pris pour l’application d’une loi ou d’un arrêté pris pour l’application d’un décret
et qui contient des dispositions incompatibles avec celles de la dite loi. On peut citer :
- le cas de l’émission d’un titre foncier par l’administration alors que les autorités
traditionnelles n’ont pas fait partie de la commission consultative d’immatriculation comme
l’exige la législation (CS/CA, jugement n°1/98-99 du 26 novembre 1998, Zibi Zanga Jean
c/Etat du Cameroun) ;
- le cas d’une décision prise avec effet rétroactif, contrairement au principe de la non rétro
activité des actes administratifs ;
- le cas de l’édiction d’une sanction contre un fonctionnaire alors que cette sanction ne
figure pas parmi les sanctions disciplinaires limitativement déterminées par le statut
général.
- le cas de la prise de plus d’une sanction contre un fonctionnaire pour la même faute, en
violation du Statut général de la fonction publique (CS/CA, jugement n°55/90-91 du 27
déc. 1990, Etchona Monkam Florent c/Etat du Cameroun) ;
- le cas, enfin, d’une décision affectant un enseignant d’université alors que le texte qui fixe
les compétences de l’autorité qui affecte ne lui attribue pas une telle compétence (CS/CA,
jugement n°01/97-98 du 30 oct. 1997, Meloné Stanislas c/Etat du Cameroun).

49
§ 3- Les motifs de l’acte

Les motifs sont relatifs aux causes qui justifient l’édiction de l’acte. Il est donc
question de savoir à raison de quoi l’acte querellé a été fait.
L’acte sera légal à raison de ses motifs s’il apparaît qu’il ne procède pas d’une erreur
de droit, d’une erreur dans la qualification juridique des faits, ou d’une erreur de fait.

A- Les motifs de droit

L’acte administratif doit être édicté sur la base des motifs de droit avérés. Trois causes
peuvent être à l’origine d’une erreur de droit :
- erreur sur la base légale sur laquelle la décision querellée a été prise ;
- le fait de rattacher les dispositions édictées à une norme illégale ;
- le fait de rattacher les dispositions édictées à une norme régulière et applicable, mais
inexactement interprété par l’auteur de l’acte qui s’est trompé sur ce que la norme impose ou
permet de faire.

B – La qualification juridique des faits

Cette hypothèse a été formulée pour la première fois par le CE dans l’arrêt Gomel en
date du 04 avril 1914. Il faut que les faits soient de nature à justifier juridiquement la
décision. Il ne faut pas que l’auteur de l’acte se trompe sur la qualification juridique des faits
qu’il a à prendre en considération. Il doit par conséquent s’assurer que la qualification est
celle prévue par les textes ou qu’elle répond à la situation à laquelle il à faire face.

C – Les motifs de fait

Les motifs de fait sont également nécessaires dans l’élaboration de l’acte administratif.
Le principe de l’erreur lié au fait a été dégagé par le CE le 14 janvier 1916 dans l’arrêt
Camino. En plus donc de la qualification juridique des faits qui conditionne l’édiction de
l’acte, il faut encore que la réalité de ces faits soit établie. C’est ainsi qu’en matière
disciplinaire, par exemple, le juge va rechercher si les faits allégués pouvaient légalement
motiver les sanctions prononcées (CS/AP, arrêt n°04/A du 25 février 1999, Fouda Gothard c/
Etat du Cameroun)
En réalité, le contrôle de la qualification juridique des faits entraîne celui de leur
exactitude ( CS/CA, jugement n°04/91-92 du 28 nov. 1991, Chi Stephen c/Etat du
Cameroun ;CS/CA, jugement n°11/91-92 du 26 déc. 1991, Bassoro Moussa, c/Etat du
Cameroun : « Attendu que ledit arrêt qui relaxe Bassoro Moussa est devenu définitif et par
conséquent la décision attaquée qui se fonde sur les faits dont celui-ci a été blanchi par le
juge répressif doit être annulé comme étant basé sur un motif matériellement inexacte »).
Le juge administratif contrôle les motifs de fait et de droit même s’il ne peut apprécier
l’opportunité des décisions administratives (CS/CA, jugement n°25/89-90 du 03 mai 1990
Mba Thomas c/Etat du Cameroun).Un tel acte ne peut donc rentrer dans l’ordonnancement
juridique.
Il faut préciser pour terminer que ce n’est pas l’abondance des motifs qui confère
l’importance à un acte administratif, mais leur sérieux, leur pertinence et leur caractère
déterminant. L’acte administratif doit comporter en lui-même tous les éléments permettant de
le comprendre ainsi que ses justificatifs (CS/CA, jugement n°27/99-2000 du 24 février 2000,
Société générale de Courtage et de Commerce (SOGECO-Cameroun) c/ Etat du Cameroun).
Que dire de l’inscription de l’acte administratif unilatéral dans le temps?

50
SECTION 3 : LA TEMPORALITE

L’acte administratif unilatéral est comme l’être humain ou celui qui l’élabore. En effet,
il s’inscrit dans une perspective eschatologique dans la mesure où il naît, vit et meurt.
L’acte administratif unilatéral doit donc être appréhendé dans le temps. Cette
temporalité connaît trois moments : l’entrée en vigueur de l’acte ; son exécution et sa sortie de
vigueur ou son extinction.

§ 1 – L’entrée en vigueur de l’acte

L’entrée en vigueur de l’acte administratif unilatéral peut être appréhendée de deux


manières : d’abord, à partir de sa signature, ensuite, à partir de sa publicité.
Lorsqu’un acte administratif est signé, il existe désormais. Il est par conséquent
valable, seulement, il n’est opposable qu’à l’administration. Il n’est opposable aux
administrés que lorsqu’il est publié. Dans ce sens, V. CFJ/CAY, arrêt n°90 du 30 sept. 1969,
Sieur Messomo Atenen Pierre c/Etat du Cameroun, qui dit en substance : «(…), considérant
qu’il échet de distinguer entre la validité de l’acte administratif et son opposabilité aux tiers,
que l’acte administratif entre en vigueur du fait et à partir de son émission par l’autorité
administrative, même s’il ne devient opposable aux tiers que du jour où il a été porté à leur
connaissance par un procédé de publicité ; qu’en d’autres termes, l’acte administratif est
exécutoire et opposable à l’administration elle-même dès sa signature, indépendamment de
toute publicité dont l’objet est, en effet, non pas de rendre la loi ou le décret exécutoire, mais
seulement opposable aux tiers ».
Il peut arriver que l’acte ne soit pas publié mais que les administrés en connaissent
l’existence et le contenu. On parle de « connaissance acquise ». Cette connaissance peut,
soit leur profiter, soit jouer en leur défaveur.

A – La publicité

La publicité s’entend comme la formalité consistant à porter officiellement à la


connaissance des administrés les décisions administratives.
La publicité de l’acte administratif unilatéral est une nécessité tant sur le plan juridique
que sur le plan pratique.
Sur le plan juridique, d’abord, la date d’émission de l’acte importe peu, c’est celle de
la publicité qui importe, notamment pour les tiers. Par ailleurs, la date de la publicité fait
courir les délais de recours administratif ou contentieux.
Sur le plan pratique, ensuite, la publicité est à la fois un moyen d’information du
public, un moyen d’ouverture de l’administration au public en ce qui permet d’apprécier la
qualité de l’activité administrative.
La publicité revêt deux modalités : la publication et la notification.
La publication concerne, en règle générale, les actes réglementaires, c’est-à- dire les
actes à portée générale et impersonnelle. Elle est faite, en principe, au Journal Officiel (J.O).
Mais au Cameroun, du fait de la parution contingente du Journal officiel, les actes
réglementaires sont publiés « suivant la procédure d’urgence » (ex. : Cameroon-Tribune,
radio et télévision et ou radio d’Etat) puis insérés « au Journal Officiel en français et en
anglais ».
Quant à la notification, elle concerne les actes non réglementaires. Elle se fait selon
deux procédés. Le premier procédé consiste à remettre l’acte à personne ou à domicile par
tout moyen laissant trace. Ce procédé peut prendre la forme d’une lettre ou d’un télégramme
ou alors d’une signature suivie d’une date dans un registre. Mais, il faut qu’il y ait une trace

51
attestant de l’effectivité de cette notification. Le second procédé c’est l’affichage (cas des
résultats de concours et autres examens officiels).
Les deux modalités de la publicité que sont la publication et la notification permettent
une connaissance officielle de l’acte par le public ou par la ou les personnes intéressées. En
effet, les délais de recours administratif ou de recours contentieux courent à compter de la
date de publication ou de la notification.
Il y a lieu de préciser que la publicité, et notamment la notification, qui peut être faite
par communiqué radio ou télévisé ou inséré dans un journal papier ou par une correspondance
adressée par l’autorité non éditrice de l’acte ne « saurait être considérée comme un acte
administratif pouvant être attaqué devant le juge administratif » (CS/CA, jugement n°42/04-
05 du 02 février 2005, Senfo Tonkam Benjamin c/ Université de Yaoundé).
In fine, il peut arriver qu’une personne intéressée par un acte en ait, non pas une
connaissance officielle, mais une connaissance officieuse. Il se pose alors le problème de
l’application de la théorie de la connaissance acquise.

B – La théorie de la connaissance acquise

Jean-Marie Auby et Roland Drago définissent la connaissance acquise comme « la


conception selon laquelle en l’absence d’une publication régulière, le délai peut être
considéré comme commençant à courir s’il est avéré d’une manière quelconque que
l’intéressé avait connaissance de l’acte ».
Il convient d’observer que la tendance jurisprudentielle consiste à écarter dès l’abord
un moyen de tardiveté fondé sur la connaissance acquise. Ainsi, la jurisprudence refuse de
faire appel à l’idée de connaissance acquise lorsqu’elle n’est pas sûre que le recourant a eu
une connaissance suffisante de l’acte. C’est par exemple le cas lorsque le requérant a été
informé de l’existence de la décision litigieuse sans en avoir reçu le texte.
Par contre, lorsqu’il apparaît avec certitude que l’intéressé a acquis une connaissance
suffisante de la décision, la jurisprudence accepte d’appliquer la règle du délai malgré
l’absence de publicité (CS/CA, jugement n°01/2000-2001 du 26 octobre 2000, Dame Yankoué
Rebecca c/ Etat du Cameroun et CS/CA, jugement n°94/05-06 du 14 juin 2006, Chambre de
Commerce , d’Industrie et des Mines du Cameroun c/ Etat du Cameroun et succession Paul
Monthé-intervenant : « (…) en l’absence de notification ou de publicité, le délai (…) court à
partir de la date à laquelle le recourant a eu connaissance de l’acte attaqué »). Il en est ainsi
lorsqu’il y a aveu par le requérant de la réception d’une copie de l’acte ou lorsqu’il existe une
lettre dans laquelle le demandeur en instance cite textuellement l’acte querellé ou alors
lorsque la partie requérante n’a pris connaissance de l’existence de l’acte qu’après le séjour de
son destinataire au pays et au moment où elle entreprenait les travaux sur le terrain litigieux
(v. CS/CA, jugement n°01/2000-2001 du 26 octobre 2000, Dame Yankoué Rebecca c/ Etat du
Cameroun) .
En matière de connaissance acquise, le juge administratif camerounais a une position
ambivalente voire ambiguë.
Dans certains cas, le juge applique cette théorie, tantôt au détriment du requérant,
comme dans l’affaire dame Ngué Andrée du 25 mars 1969 ( CFJ/CAY, arrêt du 25 mars
1969, Dame Ngue Andrée c/Commune de plein exercice de Mbalmayo : « Considérant (…)
que le sieur Ngue André, époux de la requérante, a en qualité de conseiller municipal
participé à l’élaboration du plan d’urbanisme de Mbalmayo ; Que Dame Ngué devait savoir
par lui qu’une rue allait passer à l’endroit où elle fit creuser sa fosse et planter le maïs
(… )» et dans l’affaire Chambre de Commerce du 14 juin 2006 (CS/CA, jugement n°94/05-06
du 14 juin 2006, Chambre de Commerce, d’Industrie et des Mines du Cameroun c/ Etat du

52
Cameroun et succession Paul Monthé-intervenant5 : « Attendu qu’il ressort des pièces de la
procédure que par ordonnance sur requête n°306 du 18 novembre 1993, le juge des référés
de Douala a autorisé sieur MONTHE Honoré, représentant de la succession Paul MONTHE,
à assigner la Chambre de Commerce, d’industrie et des Mines du Cameroun en référé
d’heure en heure et enjoint aux parties de comparaître devant lui le 22 novembre
1993 ;(…)ladite ordonnance et la requête qui l’a provoquée ont été notifiées à la Chambre de
Commerce, d’industrie et des Mines le 19 novembre 1993 ;(…) il ressort de ces indications
que la Chambre de Commerce, d’Industrie et des Mines a eu connaissance du titre foncier
querellé à la date du 19 novembre 1993 ;(…) dès lors, il lui appartenait de saisir le Ministre
compétent de son recours gracieux au plus tard le 19 janvier 1994 ; (…) il s’ensuit que le
recours gracieux déposé le 13 juin 1997 était tardif entraînant l’irrecevabilité du recours
contentieux »6 ; tantôt au profit du requérant, en ce qu’il admet le recours en cas d’absence de
trace de notification ( dans ce sens, CS/PCA/91-92, ord. n°28 du 23 sept. 1992, Affaire Union
nationale camerounaise c/Etat du Cameroun, avec le commentaire de Bernard-Raymond
Guimdo in Juridis info n°19, 1994, pp. 28-33 et CS/CA, jugement n°154/04-05 du 31 août
2005, Mveng Owona c/ Etat du Cameroun : « Attendu qu’en l’espèce qu’aucune trace de
notification de la décision attaquée n’existe au dossier ; Que par conséquent, le recours de
NVENG OWONA doit être déclaré recevable »7).
La jurisprudence considère d’ailleurs que la connaissance acquise vaut notification de
l’acte (CS/CA, jugement n°27/98-99 du 29 avril 1999, Etémé Ongolo Gabriel c/ Etat du
Cameroun).
Dans d’autres cas, le juge administratif refuse d’appliquer cette théorie ; ce qui, en
général, profite au requérant ; dans ce sens, CS/AP, arrêt du 24 mars 1983, Njikiakam Towa
Maurice c/ Etat du Cameroun : « Attendu qu’il est à noter que la notification de l’acte
d’affectation n’a pas été faite au requérant le jour même de sa signature(…) ; qu’il ressort,
par ailleurs, de l’examen du dossier que , pour des raisons de convenance personnelle,
Njikiakam Towa avait entrepris des démarches aux fins de voir rapporter l’arrêté (…) ; qu’il
ressort du dossier de la procédure que l’arrêté(…) n’a jamais été porté officiellement à la
connaissance de l’intéressé, c’est-à-dire qu’il ne lui a jamais été notifié (..) ; Attendu que
l’administration n’ayant pas officiellement porté l’acte à la connaissance de Njikiakam Towa,
la décision (…) mettant le requérant en position d’absence irrégulière ne peut être prise en
considération ». Dans le même sens, CS/CA, jugement n°37/99-00 du 24 février 2000, Bamby
Boniface c/ Etat du Cameroun : « Attendu que la défenderesse (E.C) n’a pas apporté la
preuve que le requérant a eu connaissance de l’existence de l’acte attaqué le jour de son
élaboration ni d’une preuve de la notification », l’une comme l’autre marquant le point de
départ des délais de recours.
En définitive, la théorie de la connaissance acquise est à l’image de Janus biface, au
pire, il s’agit d’une théorie manichéenne. C’est pourquoi le juge devrait autant que possible
éviter de faire appel à elle lorsque l’acte querellé n’a pas été publié. En effet, la diffusion des
actes et autres documents administratifs dans les réseaux sociaux conforte, à suffire, l’essor
constant, mais inquiétant, de la connaissance officieuse des actes juridiques des personnes
publiques. Et si le juge administratif en vient à prendre en compte de façon récurrence ce
procédé non officiel de publicité et donc de l’opposabilité des actes administratifs, ce serait la
mort programmée et certaine des procédés officielles de diffusion desdits actes. Le législateur
5
Il est à préciser que la partie requérante a interjeté appel contre ce jugement le 21 septembre 2006.
6
A titre de droit comparé, v. Cour de Cassation/ 1ère Chambre civile, arrêt du 12 novembre 1998, Commune de
Moulin : « Attendu qu’en statuant ainsi alors que la délibération du conseil municipal (…) qui autorisait le
maire de Moulin à vendre l’immeuble litigieux ayant été annexé à l’acte notarié, Mme Henriques ne pouvait pas
ignorer que cette délibération ne concernait que son fils ; qu’elle n’avait donc pu croire de bonne foi que le
maire avait le pouvoir de lui vendre l’immeuble (…) »
7
Dans le même sens, CS/CA, jugement n°08/05-06 du 02 novembre 2005, WATIA Pierre c/ Etat du Cameroun.
Ce jugement a fait l’objet d’appel de la part du recourant quant au fond qui lui était défavorable.

53
devrait donc, par conséquent, agi pour ne pas être dépassé par la pratique factuelle et la
pratique juridictionnelle qui pourrait alors faire définitivement jurisprudence. Quoi qu’il en
soit, lorsqu’un acte administratif est publié, il devrait être exécuté.

§ 2 – L’exécution de l’acte

L’exécution de l’acte administratif unilatéral pose le problème de l’autorité de la chose


décidée. Ainsi, lorsqu’un acte administratif est pris, il devrait produire tous ses effets de droit.
Deux principes sont à la base de l’autorité de la chose décidée ou de l’exécution de
l’acte administratif unilatéral : principe du privilège du préalable et le principe de l’exécution
d’office.

A – Le privilège du préalable

Le principe du privilège du préalable signifie que lorsqu’un acte administratif


unilatéral est émis et publié, il jouit d’une présomption de vérité légale. En d’autres termes, il
est présumé légal ou conforme au droit en vigueur. Il doit, par conséquent, être appliqué par
les tiers avant toute contestation (CS/CA, jugement n°33 du 28 septembre1978, Owoundi
Jean-Louis c/Etat du Cameroun).
Le principe ainsi formulé ne doit pas être saisi dans l’absolu. En effet, il connaît des
restrictions. Ainsi l’acte n’est pas appliqué en cas de :
- sursis à exécution prononcé par le juge administratif (pour la procédure et les conditions
d’obtention, v. articles 30 et 31 de la loi n°2006/022 du 29 décembre 2006 fixant
l’organisation et le fonctionnement des tribunaux administratifs) ;
- sursis de paiement ordonné par l’autorité fiscale (les conditions de son obtention sont
contenues dans le Code général des Impôts) ;
- sursis de la vente des biens du contribuable (les conditions de son obtention sont contenues
dans le Code général des Impôts ; ici, faute de constituer des garanties, le comptable du
recouvrement peut prendre des mesures conservatoires pour les impôts contestés, la vente ne
pouvant être effectuée jusqu’à ce qu’une décision ait été prise sur la réclamation contentieuse,
soit par le chef de service départemental des impôts, s’il est compétent, soit par le juge
administratif) ;
- résistance passive de l’administré ( elle est licite, car le juge pénal refuse toute sanction si
cet acte est illégal ; lorsque l’exception d’illégalité d’un acte administratif est soulevée devant
le juge pénal par un administré qui refuse d’obéir à l’administration et qui est poursuivi de ce
fait en justice, soit le juge examine lui-même la régularité de l’acte en cause – le juge de
l’action étant le juge de l’exception- ,soit il prononce un sursis à statuer – v. jurisprudence
Avranches et Desmaret).

B – L’exécution d’office

En droit public, le principe est que l’administration ne peut faire exécuter ses décisions
par la force. Cette interdiction est justifiée par le souci de préserver les droits et libertés des
citoyens. Et si l’administration veut le faire, ce n’est que de façon exceptionnelle ou
subsidiaire. Autrement dit, le privilège de l’exécution d’office des actes administratifs
unilatéraux n’existe que dans des cas exceptionnels et dans des domaines nettement
circonscrits par la jurisprudence. La doctrine en la matière a été formulée par le Commissaire
du gouvernement Romieu dans ses conclusions sur l’arrêt du Tribunal des Conflits en date du
02 décembre. 1902, Sté immobilière Saint-Just.
1 – Les conditions
L’exécution forcée peut être licite dans deux hypothèses très générales :

54
1ère hypothèse : lorsque la loi l’autorise expressément. C’est le cas en matière de
réquisition de personnes et des biens.
2ème hypothèse : lorsqu’il y a urgence. Comme l’a si bien déclaré le Commissaire du
Gouvernement Romieu, dans ses conclusions sur l’arrêt société immobilière Saint-Just,
« il est de l’essence même de l’administration d’agir immédiatement et d’employer la
force publique sans délai ni procédure lorsque l’intérêt immédiat de la conservation
publique l’exige ; quand la maison brûle, on ne va pas demander au juge l’autorisation
d’y envoyer les pompiers ».
Il se dégage de ceci que l’urgence valide à elle seule des mesures qui seraient
autrement illégales. Elle provoque, comme le dit Achille Mestre, « une sorte de renversement
de valeurs juridiques ». Il va s’en dire que le juge examinera dans chaque cas s’il y avait
effectivement urgence ou péril immédiat (T.C, 08 avril 1935, Action française ; T.C, 19 mai
1954, Office publicitaire de France).
En dehors de ces cas généraux, l’exécution forcée n’est licite que lorsque quatre
conditions sont réunies :
Premièrement, il faut avant tout qu’il n’y ait aucune sanction légale, en particulier la
sanction pénale ;
Deuxièmement, il faut que l’opération administrative par laquelle l’exécution est
nécessaire ait sa source dans un texte précis ou que l’acte à exécuter soit pris en application
d’un texte législatif précis ;
Troisièmement, il faut qu’il y ait lieu à exécution forcée, c’est-à-dire que l’exécution
de l’acte se soit heurtée à une résistance certaine ou du moins à une mauvaise volonté
caractérisée de l’administré (hypothèse de l’administré récalcitrant) ;
Quatrièmement, il faut que les mesures d’exécution forcée tendent uniquement dans
leur objet immédiat à la réalisation de l’opération prescrite par la loi, c’est-à-dire qu’elles ne
doivent pas aller au-delà de ce qui est strictement nécessaire pour assurer l’obéissance à la loi.
Par exemple, il ne faut pas, sous prétexte d’assurer par la contrainte l’exécution d’une
décision légale, que l’administration aille au-delà. En tout cas, l’emploi illégal de l’exécution
forcée est susceptible de sanction.
2 – La sanction de l’utilisation illégale
On peut envisager en la matière trois cas de figure, au moins. D’abord, si
l’administration procède à l’exécution forcée dans les conditions régulières d’un acte que le
juge administratif va ultérieurement annuler pour excès de pouvoir, elle s’expose aux
dommages et intérêts. Ce principe, à savoir, celui selon lequel l’administration exécute ses
décisions à ses risques et périls a été illustré par le C.E. dans l’arrêt Zimmermann rendu le 27
février 1903. Ensuite, l’administration engage sa responsabilité si elle procède à l’exécution
forcée d’une décision légale ou illégale dans les conditions irrégulières. L’action indemnitaire
relève de la compétence du juge administratif si la mesure litigieuse ou querellée n’a porté
atteinte ni au droit de propriété ni à une liberté fondamentale (CE, 21 juillet 1949, Wolff ; CE,
8 avril 1961, Dame Klein). Si au contraire le droit de propriété ou une liberté fondamentale
est en cause, l’administration commet une voie de fait et les tribunaux judiciaires sont
compétents (T.C, 30 juin 1949, Aubert).
- Enfin, il y a voie de fait si l’administration procède à l’exécution forcée d’un acte
« manifestement insusceptible de se rattacher à l’application d’un texte législatif ou
réglementaire » et de nature à porter atteinte au droit de propriété ou à une liberté
fondamentale (TC, 17 février 1947, Consort-Perrin).
Il reste, toutefois, que l’acte administratif, quel qu’il soit, est appelé à un moment ou à
un autre à sortir de l’ordonnancement juridique.

55
§ 3 – La sortie de vigueur

C’est le problème de la durée des effets de l’acte administratif unilatéral. En effet, ce


dernier, comme tout acte juridique, est appelé, pour une raison ou pour une autre, à
disparaître. Il peut l’être de deux manières, au moins : soit du fait de l’administration ; on
parle de sortie de vigueur non contentieuse, soit du fait du juge ; il s’agit de la sortie de
vigueur contentieuse.

A – La sortie de vigueur de l’acte du fait de l’administration

La fin de l’acte administratif unilatéral peut être prescrite par lui-même ou par un autre
texte juridique. En général, l’administration peut sortir l’acte administratif de
l’ordonnancement juridique soit de façon non rétroactive, on parle de l’abrogation, soit de
façon rétroactive : c’est le retrait.
Au cœur de ces deux modalités, il y a la notion des droits acquis. C’est une notion
difficile à cerner. Elle se caractérise par ses effets du fait de « l’impossibilité de remettre en
cause ces droits et les actes qui les ont créés » (CS/CA, jugement Wabo Rigobert pré cité).
C’est à un examen concret de chacun des aspects des notions d’abrogation et de retrait
que le juge administratif peut dire si les actes en cause ont ou non créé de droits.
1- L’abrogation
L’abrogation est une opération juridique qui consiste au moyen d’un autre acte à sortir
l’acte existant de l’ordonnancement juridique pour l’avenir. Cette sortie devrait se faire en
respectant les règles de compétence, de forme et de procédure. Mêmement, cette sortie doit
respecter les règles de fond. A ce propos, il faut distinguer l’abrogation de l’acte
réglementaire de l’abrogation de l’acte non réglementaire.
L’abrogation de l’acte réglementaire est toujours possible. Quant à l’abrogation de
l’acte non réglementaire, elle n’est possible que si ce dernier n’a pas créé de droits ( arrêt
ADD n°55/CFJ/CAY du 25 mars 1969, Sieur Emini Tina Etienne c/Etat fédéré du Cameroun
oriental : « Considérant que la sécurité juridique serait dangereusement comprise si les
droits acquis même irrégulièrement par les particuliers pouvaient à tout même être remis en
question par l’autorité administrative ; que pour cette raison, un acte administratif individuel
lorsque du moins, il a fait naître quelques droits au profit d’un particulier, ne peut être
abrogé que dans les délais pendant lesquels un intéressé pourrait faire annuler pour excès de
pouvoir ». Elle met en cause l’intangibilité des effets individuels de l’acte concerné.
Dans certains cas, l’administration a le droit d’abroger les actes administratifs
(exemple : une nomination à une fonction administrative). Dans d’autres, elle a plutôt
l’obligation de le faire. C’est ainsi que la jurisprudence a décidé qu’en cas de changement
dans les circonstances de fait ou de droit qui ont présidé à l’édiction d’un règlement,
l’administration est tenue de l’abroger sur la demande d’un administré (CE, 10 janvier 1930,
Despujol). Cette exigence a, d’ailleurs, été érigée en principe général du droit (CE, 3
février1989, Compagnie Alitalia).
Il est à noter que les actes de pure faveur, les propositions de caractère provisoire, les
autorisations précaires et révocables par nature, ne créent pas de droits ou plus exactement, ils
ne confèrent pas des droits définitifs. Tel est le cas d’une simple lettre par laquelle le Ministre
de la Fonction publique et de la Réforme administrative informe un fonctionnaire qu’il
bénéficie conformément à la réglementation d’une bonification d’année d’activités pour
enfant mineur à charge alors que la prolongation d’année d’activité doit être normalement
matérialisé par un arrêté du ministre investi du pouvoir de nomination. Il est de ce fait « mal
aisé et injuste » de demander l’annulation d’une décision administrative en se fondant sur un
tel acte (CS/CA, jugement n°03/90-91 du 29 nov. 1990 ; Ayin Abe Benoît c/Etat du

56
Cameroun). Le régime juridique du retrait est fondamentalement différent de celui de
l’abrogation.
2- Le retrait
Le retrait est une opération juridique qui consiste au moyen d’un autre acte à sortir
l’acte existant de l’ordonnancement juridique à compter du jour où il a été édicté (on parle
d’effet ab initio). Cette sortie devrait se faire en respectant les règles de compétence, de forme
et de procédure. Mêmement, cette sortie doit respecter les règles de fond.
Tout le régime juridique du retrait, dégagé par le Conseil d’Etat français dans l’arrêt
Dame Cache du 03 novembre 1922, est dominé par la distinction des actes ayant créé des
droits et des actes n’ayant pas créé de droits.
Pour les actes qui n’ont pas créé de droits, leur retrait est possible à tout moment et
sans condition.
Quant aux actes ayant créé des droits, leur retrait n’est possible que sous trois
conditions :
1ère condition : l’acte querellé doit être entaché d’irrégularité ou d’illégalité. Pour la
jurisprudence, cette exigence se justifie par le fait que l’illégalité d’un acte consacre sa non-
conformité au droit en vigueur et justifie de ce fait son retrait. Mais, pour assurer la sécurité
juridique des administrés dans les droits qu’ils ont acquis, même illégalement, le Conseil
d’Etat français estime que « l’administration ne peut retirer une décision individuelle
explicite créatrice de droits, si elle est illégale, que dans le délai de quatre mois suivant la
prise de cette décision » (CE, Ass., 26 octobre 2001, Ternon).
La jurisprudence exclut, cependant, le retrait d’un acte pour simple motif
d’opportunité. Par exemple, le retrait de la nomination d’un fonctionnaire doit être justifié par
le fait que le fonctionnaire n’avait pas l’âge légal pour être nommé et non par le fait que
l’administration regrette son choix. De même, le retrait d’un acte portant avancement d’un
fonctionnaire doit être justifié par la nécessité de réparer une illégalité et non parce que « la
presse écrite et l’opinion publique » dénoncent « les pratiques d’avancements frauduleux au
Ministère de la Fonction Publique et de la Réforme Administrative et où certains proches
collaborateurs du Ministre (…) » sont « indexés comme étant les auteurs de telles pratiques »
( CS/CA, jugement n°42/99-2000 du 30 mars 2000, Wabo Rigobert c/ Etat du Cameroun).
2ème condition : l’acte ne doit pas être devenu définitif. Le retrait de l’acte devenu
définitif est exclu, même s’il est illégal (v. CE, 26 nov. 1954, Crouzet ; T.E, arrêt n°190 du 16
mars 1962, Sieur Mbala Zogo André c/Etat du Cameroun : « Considérant qu’en matière
administrative, tout acte dont l’annulation n’a pas été demandé dans le délai de recours
contentieux devient définitif, que passé ce délai, il doit donc être considéré comme étant
régulier »). Toutefois, si une décision illégale est prise à la suite d’une fraude, elle peut être
rapportée à tout moment (CS/CA, Jugement n°36/91-92 du 30 avril 1992, Mveng Mbarga
Constantin, c/ Etat du Cameroun ; CE, 13 novembre 1992, Riaz). En effet, une telle décision
est considérée par la jurisprudence comme un acte juridiquement inexistant et par conséquent
insusceptible de conférer des droits.
3ème condition : il faut que le retrait intervienne dans les délais du recours contentieux
(v. arrêt n°282/TE du 11 mai 1963, Sieur Donfack Etienne c/Etat du Cameroun :
« Considérant qu’en effet, si le retrait d’un acte administratif générateur de droit comme
celui qui a intégré le requérant dans le cadre des adjoints d’administration est possible
lorsque le dit acte est entaché d’illégalité, il ne peut toutefois être procédé à ce retrait que
dans le délai du recours contentieux » ; arrêt n°291/TE du 31 mai 1963, Sieur Fouda
Alphonse c/Etat du Cameroun et CS/CA, jugement n°52/06-07 du 28 février 2007, Njooh
Michel Pierrot c/ Etat du Cameroun : « Sauf cas de fraude du bénéficiaire, le retrait du titre
foncier ne peut intervenir que dans le délai de recours contentieux » ; ). Ici, le pouvoir de
l’administration est modulé sur celui du juge, ce qui lui donne une sorte de droit à l’erreur.
Cette condition de retrait s’applique aussi bien aux décisions explicites qu’aux décisions

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implicites d’acceptation qui font l’objet de publication obligatoire ; mais elle ne s’applique
pas aux décisions implicites d’acceptation qui ne font pas l’objet d’une publication
obligatoire ; mêmes irrégulières celles-ci ne peuvent être retirées (CE, 14 novembre 1964,
Evé). Cependant, pour les décisions individuelles irrégulières simplement notifiées et non
publiées, le juge autorise leur retrait à tout moment dans la mesure où elles ne peuvent
intéresser les tiers à l’égard desquels le délai ne court pas (CE, 06 mai 1966, Ville de
Bagneux).
Le retrait, qui intervient après une décision de justice, est irrégulier (CE, 03 nov. 1922,
Dame Cachet et jugement n°25/CS/CA du 30 novembre 1978, Kioyo Innocent c/Etat du
Cameroun).
Au total, le retrait, à la différence de l’abrogation, est une opération dont la mise en
œuvre repose sur des conditions rigides.

B – La sortie de vigueur de l’acte du fait du juge

La sortie de vigueur de l’acte par le juge s’opère dans trois cas de figure, au moins.
- Le premier c’est l’illégalité de l’acte. Un acte est dit illégal lorsqu’il ne respecte pas les
conditions de forme et de fond requises par le droit. Lorsque le juge saisi constate que l’acte
querellé est effectivement illégal, il l’annule. Cette annulation a des effets ab initio, c’est-à-
dire que l’acte est considéré comme n’ayant jamais existé. Il convient de préciser qu’en
France, depuis un arrêt rendu par le CE le 11 mai 2004 (arrêt Association AC!), les effets de
l’annulation contentieuse des actes administratifs ne sont plus absolus, ils peuvent être
modulés dans le temps à fin de ne pas remettre en cause les droits de tiers et plus globalement
pour assurer la sécurité juridique des droits acquis légalement et de bonne foi (CE, 25 février
2005, France Télécom).
- Le deuxième c’est l’inadaptation de l’acte. Cette inadaptation est liée au changement de
circonstances qui va amener le juge saisi à constater la caducité de l’acte litigieux. C’est ainsi
que dans une espèce en date du 30 novembre 1995, le juge administratif camerounais a
constaté la caducité d’un décret de déclaration et d’expropriation pour cause d’utilité
publique (CS/CA, jugement du 30 novembre 1995, Affaire société Renault Cameroun contre
Etat du Cameroun).
- Le troisième cas, enfin, c’est la constatation de l’inexistence juridique ou matérielle et
de déclaration de nullité de l’acte par le juge administratif. Dans ce cas, le juge n’annule pas
l’acte en cause, mais le déclare plutôt nul et de nul effet. Il en est ainsi des opérations de
rectification effectuées sur un titre foncier en violation des dispositions pertinentes de la
réglementation relative aux conditions d’obtention du titre foncier (CS/CA, jugement n°67/99-
2000 du 28 septembre 2000, affaire Société « L’ANCETRE » c/ Etat du Cameroun).
Que dire en définitive, sinon que l’action administrative unilatérale, expression du
pouvoir décisoire de l’administration, connaît d’une manière ou d’une autre une fin. Il en est
de même des contrats administratifs, qui relèvent de l’action contractuelle de l’administration.

SOUS/TITRE II

L’ACTIVITE CONTRACTUELLE : LE CONTRAT ADMINISTRATIF

Le contrat, dans la sphère des activités publiques, apparaît comme un procédé


traditionnel et fort ancien. Dès le XVIe siècle, en France, des conventions furent passées avec
des particuliers, pour la construction et la gestion des canaux, selon une technique préfigurant
les grandes concessions d’ouvrage public du XIXe siècle.
Lorsqu’au XIXe siècle la jurisprudence du Conseil d’Etat dut redéfinir les règles
applicables aux contrats, elle s’inspira fortement de ces règles, tout en renforçant, dans la

58
logique d’un Etat fondé sur la protection de la propriété et de l’économie libérale, les droits
pécuniaires des cocontractants. Enfin vint Gaston Jèze, qui, dans son ouvrage sur les contrats
administratifs (1927-1934) mit en lumière la cohérence d’une construction d’ensemble. Et, de
nos jours, dans le cadre du « contractualisme », de très nombreuses opérations ne se réalisent
qu’après intenses discussions, phénomène qui touche même les relations entre personnes
publiques.

Il existe cependant des cas où l’administration n’a pas le droit, en principe, de recourir
au procédé contractuel. Dans un certain nombre de domaines en effet, elle n’est habilitée par
les textes à n’agir que par voie d’action unilatérale. Ceci concerne, en particulier, la police
administrative générale (exception : la délégation de service public en matière de salubrité
publique : cas du ramassage des ordures par la Société Hysacam, qui signifie Hygiène et
Salubrité du Cameroun) comme spéciale, l’organisation du service public, la situation des
fonctionnaires où des contrats ne sauraient venir modifier ou compléter leur situation légale et
réglementaire, ou l’exercice du pouvoir réglementaire. Le procédé contractuel reste
néanmoins d’usage très courant dans l’action administrative.
L’acte administratif contractuel ou contrat administratif est ainsi, à l’instar, de l’acte
administratif unilatéral, un des moyens juridiques de l’activité administrative.
Il convient de préciser que l’administration peut conclure deux types de contrat : les
contrats de droit commun, conformément aux règles du droit privé (exemple, les contrats de
gérance libre et les contrats du personnel non fonctionnaire), et les contrats publics que sont
les contrats administratifs. Si les premiers mettent l’administration, sur le plan juridique, au
même niveau que les particuliers, les contrats publics ou administratifs, parce qu’ils sont
régis par des règles spéciales, marquent la prééminence de l’administration sur son
cocontractant.
La distinction étant ainsi faite entre contrat public ou administratif et contrat privé ou
de droit commun, il convient, à présent, de procéder à l’identification des contrats
administratifs (chapitre 1) avant de procéder à la détermination de leur régime juridique
(chapitre 2).
CHAPITRE I

L’IDENTIFICATION

L’administration recourt à de nombreux contrats, qui peuvent relever selon les cas du
droit public ou privé. Il convient donc, avant de déterminer la typologie des contrats
administratifs connus, de voir comment le droit permet de procéder à la qualification desdits
contrat.

SECTION 1 : LA QUALIFICATION

Si les contrats de droit commun obéissent aux règles énoncées par le droit privé et que
leur contentieux ressortit à la compétence des juridictions judiciaires, les contrats
administratifs, par contre, sont soumis à des règles spéciales distinctes de celles du droit civil
des obligations et leur contentieux relève des juridictions administratives.
De même, si la notion de contrat est commune au droit administratif et au droit privé,
le régime juridique du contrat n’est pas le même dans les deux matières.
Le particularisme des contrats administratifs est dominé et commandé par la notion et
la nécessité du service public dont ils doivent permettre ou faciliter le fonctionnement. Il
existe deux types de qualification des contrats administratifs : la qualification textuelle et la
qualification jurisprudentielle.

59
§ 1- La qualification textuelle

En principe, c’est le Législatif ou l’Exécutif qui qualifie les contrats. Ce n’est qu’en
cas de problème d’interprétation des textes, d’absence ou de silence de textes que la
jurisprudence intervient.

Les marchés publics ne constituent, certes, une catégorie importante de contrats


administratifs par détermination textuelle, mais, il en existe aussi d’autres. Il en est ainsi des
contrats de partenariat et les contrats entre personnes publiques que sont les contrats plan
Etat-Région, les contrats plan Etat-entreprises et établissements publics, les contrats de
ville, les conventions, très nombreuses, qui sont passées, souvent en application des lois de
décentralisation, entre l’Etat et les collectivités territoriales (Ex.: les conventions pour la mise
à disposition des personnels de l’Etat auprès des collectivités territoriales décentralisées).
En cas d’absence de texte, d’ambiguïté ou d’imprécision de ce dernier, le juge
administratif peut être amené à déterminer la nature du contrat en cause.

§ 2- La qualification jurisprudentielle

En principe, deux catégories de critères permettent au juge de déterminer la nature du


contrat objet du litige. Le critère organique et le critère alternatif.

A- Le critère organique

Le principe jurisprudentiel en matière d’identification des contrats administratifs au


regard du critère organique est qu’il y a contrat administratif si l’une des parties contractantes
est une personne publique. Ainsi, deux personnes privées ne peuvent pas conclure un contrat
administratif, sauf si l’une d’entre elle agit au nom et pour le compte d’une personne publique
(T.C, 8 juillet 1963, Entreprises Peyrot).

B- Du critère alternatif au critère cumulatif ?

C’est un critère dual, il est soit matériel soit finaliste. La jurisprudence n’établit pas de
hiérarchie entre ces deux aspects du critère alternatif. En principe, l’application de l’une
n’implique pas l’application de l’autre. Autrement dit, il s’agit de deux dimensions distinctes
d’une réalité donnée. Elles ne devraient donc pas être cumulatives (CCA, arrêt n° 83 du 22
décembre 1951, Renucci c / Administration du Territoire.
Cette dualité, depuis longtemps admise par la jurisprudence française et camerounaise,
a été infléchie, voire remise en cause par le juge administratif camerounais, notamment dans
le jugement n°147/04-05/ADD, UM NTJAM François rendu par la Chambre administrative
de la Cour suprême le 31 août 2005. Dans cette décision, en effet, le juge consacre, en toute
vraisemblance, le cumul des critères finaliste et matériel. Il affirme en substance : « (…) pour
qu’un contrat soit administratif, il faut la participation du contractant à l’exécution du
service public ;(…) de même, pour qu’un contrat soit administratif, il faut qu’il ait pour objet
même l’exécution du service public ; (…) en d’autres termes que l’exécution du contrat ait
pour but la satisfaction de l’intérêt général ; (…) il en résulte que tous les contrats conclus
par l’Administration dans un tel but sont des contrats administratifs ; (…) enfin (…) le
contrat administratif doit contenir des clauses exorbitantes du droit commun qui sont des
stipulations ayant pour objet de conférer aux parties des droits ou de mettre à leur charge des
obligations étrangères par leur nature à ceux qui sont susceptibles d’être librement consentis
par quiconque dans le cadre des lois civiles ou commerciales ; (…) il s’agit en d’autres
termes des clauses qui diffèrent par leur nature de celles qui peuvent être inscrites dans le

60
contrat analogue de droit privé ; (…) de telles clauses relèvent que les parties se sont placées
sous un régime de puissance publique et une seule d’entre elles suffit à comprimer (sic !) au
contrat le caractère administratif ».
1- Le critère matériel
Ce critère renvoie au contenu du contrat. Si ce dernier contient des clauses dites
exorbitantes de droit commun c’est-à-dire des clauses que l’on ne retrouve pas dans un contrat
de droit privé, c’est qu’il s’agit d’un contrat administratif ( CS/CA, jugement n° n°147/04-
05/ADD du 31 août 2005, UM NTJAM François c/ Etat du Cameroun : « (…) il résulte de la
combinaison des clauses de la convention (…) que le coconsultant de l’Administration n’était
pas libre de choisir un programme déterminé d’animation culturelle, mais qu’il devait se
conformer à celui qui était imposé par la puissance publique , qui, de surcroît avait le
pouvoir de résiliation unilatérale de la convention en cas de non-respect par l’intéressé du
programme ainsi imposé ; (…) pareilles stipulations ne se rencontrent pas dans un contrat de
droit privé »).
Ces clauses, que l’on qualifie aussi de dérogatoires, doivent répondre à des
préoccupations d’intérêt général étrangères aux particuliers (CE, 23 mai 1924, Société des
affréteurs réunis et TC, 10 février 1967, Préfet de la Seine). A défaut d’une clause exorbitante
individualisée, le fait pour un contrat d’être dans son ensemble soumis à un régime exorbitant
de droit commun lui confère également le caractère administratif (CE, 19 juin 1973, Société
d’exploitation de la rivière du Sant).
2- Le critère finaliste
Ce critère concerne l’objet du contrat. Pour la jurisprudence, le contrat est
administratif s’il a pour but l’exécution d’un service public (CE, 20 avril 1956, Consorts
Grimouard) ou lorsqu’il a pour objet de confier à un particulier l’exécution même du service
public (CE, 20 avril 1956, époux Bertin ; CS/CA, jugement n°147/04-05/ADD du 31 aout
2005, UM NTJAM François c/ Etat du Cameroun : « Que l’animation dont s’agit était
réalisée non pas dans l’intérêt particulier, mais dans l’intérêt public, comme afférente à la
célébration de la journée mondiale de l’environnement » ).
Il en est de même des contrats par lesquels l’administration recrute des collaborateurs
appelés à participer directement à l’exécution du service public (CE 2 juin 1954, Vingtain &
Affortit).
Dans tous ces cas, le contrat relève, au plan contentieux, de la compétence du juge
administratif. Mais, s’il s’avère que ce contrat concerne l’exécution d’un service public
industriel et commercial, il est, non pas public, mais privé, et relève, par conséquent, de la
compétence du juge judiciaire (CE, 31 juillet 1912 société des granits Porphyroïdes de
Vosges). Il sied à présent de procéder à la typologie des contrats administratifs.

SECTION 2 : LA TYPOLOGIE

Le procédé contractuel, en raison de sa souplesse, permet à l’administration de


conclure des conventions dans de très nombreux domaines. L’administration est aussi à
même, dans une logique comparable, de gérer ses propriétés en autorisant l’occupation du
domaine public ou en louant, voire en vendant son domaine privé.
Toujours dans une optique de moyen mais en sens inverse, les personnes publiques
contractent pour que des particuliers leur fournissent des prestations de nature diverse. Les
marchés publics occupent une place considérable de ce point de vue.
L’administration est, enfin, à même, par un contrat, d’organiser le service public, soit
en confiant l’exécution à une autre personne, soit, et le procédé tend à se développer, en
s’accordant avec d’autres collectivités publiques pour l’exercice de leurs compétences.

61
Dans cette masse de contrats, certains d’entre eux jouent un rôle particulier en raison
de leur fréquence et/ou leur encadrement par les textes ou la jurisprudence. Il est ainsi des
marchés publics et d’autres types de contrats administratifs.

§ 1- Les marchés publics

Afin de disposer des moyens qui leur sont nécessaires pour l’accomplissement de
leur mission d’intérêt général, les personnes publiques sollicitent des tiers pour qu’ils assurent
des prestations au moyen du marché public. Ce dernier est un classique contrat
synallagmatique entre un fournisseur, prestataire ou entrepreneur et un client.
Il sied d’examiner d’abord la notion de marché public, ensuite, les différents types de
marchés publics et, enfin, quelques notions essentielles en matière de marchés publics.

A- La notion de marché public

Le Code des marchés public, adopté par décret n°2004/275 du 24 septembre 2004,
définissait les marchés publics comme « un contrat écrit, passé conformément aux
dispositions du (présent) code, par lequel un entrepreneur, un fournisseur ou un prestataire
de services s’engage envers l’Etat, une collectivité territoriale décentralisée, un établissement
public ou une entreprise du secteur public ou parapublic, soit à réaliser les travaux, soit à
fournir des biens ou services moyennant un prix » ( article 5 al.1a).
Quant au décret n°2012/074 du 08 mars 2012 portant création, organisation et
fonctionnement des commissions de passation des marchés publics, il définissait le marché
public comme « un contrat écrit, passé conformément aux dispositions règlementaires, par
lequel un entrepreneur, un fournisseur ou un prestataire de services s’engage envers l’Etat,
une collectivité territoriale décentralisée, un établissement public ou une entreprise du
secteur public ou parapublic, soit à réaliser des travaux, soit à fournir des biens ou des
services, dans un délai déterminé, moyennant un prix »( art. 2.a).
Pour ce qui est du décret n°2018/366 du 20 juin 2018 portant Code des marchés
publics, qui abroge les deux décrets précédents, il définit le marché public comme un
« contrat écrit passé conformément aux dispositions du (présent) Code par lequel un
entrepreneur, un fournisseur, ou un prestataire de service s’engage envers l’Etat, une
collectivité territoriale décentralisée ou un établissement public, soit à réaliser des travaux,
soit à fournir des biens ou des services moyennant prix ».
La différence entre cette définition et celle du précédent Code c’est la suppression
parmi les personnes morales pouvant conclure un marché public avec un tiers l’ « entreprise
du secteur public ou parapublic » dont les marchés sont désormais régis par un texte distinct,
à savoir le décret n°2018/355 du 12 juin 2018 fixant les règles communes applicables aux
marchés des entreprises publiques et dont on se demande s’ils relèvent ou non du droit
public des contrats, au vu de la nature des entités concernées ( entreprises publiques), qui sont
des personnes morales de droit privé. C’est dire que leur qualification, en cas de contentieux,
devra tenir compte, selon les cas, de leur contenu (clauses exorbitantes) et du but qu’ils
poursuivent (service public)
Au demeurant, le marché public n’est pas une donnée homogène. Il existe, en effet,
plusieurs types de marchés publics.

B – Les types de marchés publics

Le Code du 20 juin 2018 consacre plusieurs types de marchés publics.


On a ainsi :

62
- les marchés de travaux publics, dont l’objet est la réalisation des opérations de
construction, reconstruction, démolition, réparation, rénovation de tout bâtiment, route ou
ouvrage, y compris la préparation du chantier, les travaux de terrassement, l’installation
d’équipements ou de matériels, la décoration et la finition, ainsi que les services accessoires
aux travaux, si la valeur de ces services ne dépasse pas celle des travaux eux-mêmes (Article
61 du Code) ;

- les marchés de fournitures, dont l’objet est l’achat, la prise en crédit-bail, la


location-vente de produits ou matériels y compris les services et accessoires, si la valeur de
ces derniers ne dépasse pas celle des biens eux-mêmes (Articles 62 du Code) ;
- les marchés de services quantitatifs ou des « marchés pour lesquels les prestations
ne font pas nécessairement appel à une conception », en ce qu’«ils se traduisent par un
résultat physiquement mesurable » (Article 63.1 du Code) ;
- les marchés de services non quantitatifs et de prestations intellectuelles qui
comprennent l’assurance maladie, la publicité, l’organisation des séminaires et les prestations
intellectuelles incluent la maitrise d’œuvre, les audits, les études, le contrôle, et les obligations
spécifiques liées à la notion de propriété intellectuelle (Section IV.2 du Code) ;
- les marchés de conception-réalisation, qui sont des marchés de travaux permettant
au Maitre d’ouvrage de confier à un groupement d’opérateurs économiques, ou pour les seuls
ouvrages d’infrastructures à un seul opérateur économique, une mission portant à la fois sur la
réalisation des études et l’exécution des travaux (Article 64 du Code) ;
- les accords-cadres, auxquels recourt le Maitre d’ouvrage lorsqu’il ne peut pas
déterminer à l’avance le volume et le rythme des commandes de fournitures ou de services
courants nécessaires à ses besoins et dont l’objet est l’établir les règles relatives aux bons de
commande à émettre, ou les dispositions régissant les marchés à commandes subséquents à
passer au cours d’une période donnée, notamment en ce concerne les prix, et le cas échéant,
les quantités envisagées. Leur durée ne peut excéder trois (03) ans (Article 65.1, 2 et 3 du
Code) ;
- les marchés pluriannuels et à tranches, auxquels recourt le Maitre d’ouvrage
lorsque l’intégralité du financement nécessaire pour la réalisation d’un projet ne peut être
mobilisée au cours d’un seul exercice budgétaire et que les prestations peuvent s’étaler sur
plusieurs années ou s’exécuter en plusieurs phases comprenant une tranche ferme et une ou
plusieurs tranches conditionnées ; pour ce faire, le Maitre d’ouvrage doit programmer les
dépenses liées à chaque exercice (Article 68.1 du Code) ;
- les marchés réservés, qui sont des marchés destinés uniquement aux artisans, aux
petites et moyennes entreprises nationales, aux organisations communautaires à la base et aux
organisations de la société civile (Article 70.1 du Code) ;
- les marchés spéciaux, que sont les marchés qui ne répondent pas, pour tout ou
partie, aux conditions relatives aux marchés sur appel d’offres ou aux marchés de gré à gré ;
ils comprennent essentiellement les marchés relatifs à la défense nationale, à la sécurité et aux
intérêts stratégiques de l’Etat (Article 71.1 du Code). Ils sont passés après autorisation
préalable du Président de la République (Article 71.4 du Code).

C- Quelques notions essentielles dans le domaine des marchés publics

Il convient de distinguer ici les organes des actes ou mesures.


1- Les organes
- Autorité chargée des marchés publics : autorité placée à la tête de l’administration
publique compétente dans le domaine des marchés publics.

63
- Autorité contractante : personne physique habilitée à conduire le processus de
contractualisation et à signer les marchés y relatifs. Il s’agit des Maitres d’ouvrage et des
Maitres d’ouvrages délégués.
- Maitre d’ouvrage : Chef de département ministériel ou assimilé, chef de l’exécutif d’une
collectivité territoriale décentralisée, directeur général et directeur d’un établissement public,
représentant l’administration bénéficiaire des prestations prévues dans le marché.
- Maitre d’ouvrage délégué : personne exerçant en qualité de mandataire de Maitre
d’ouvrage, une partie des attributions de ce dernier. Il s’agit du Gouverneur de région et du
Préfet de département, du Chef d’une mission diplomatique du Cameroun à l’étranger,
habilités à passer à et à signer les marchés financés sur crédits délégués par un Maitre
d’ouvrage, et le cas échéant, du chef d’un projet bénéficiant d’un financement extérieur.
- Maitre d’œuvre : personne physique ou morale de droit public ou de privé chargée par
le maitre d’ouvrage ou le maitre d’ouvrage délégué d’assurer la défense de ses intérêts aux
stades de la définition, de l’élaboration, de l’exécution et de la réception des prestations objets
du marché.
- Entrepreneur : Personne physique ou morale (publique ou privée) qui s’engage à
exécuter des travaux (publics) au profit d’une autre, en l’occurrence la personne publique.
- Cocontractant de l’administration ou titulaire du marché: Toute personne physique ou
morale en charge de l’exécution des prestations prévues dans le marché, ainsi que son ou ses
représentants, personnels, successeurs et/ou mandataires dument désignés.
- Commission des marchés publics : Organe d’appui technique placé auprès du maitre
d’ouvrage (ou du maitre d’ouvrage délégué) pour la passation des marchés.
- Sous-commission d’analyse : Comité ad hoc (institué pour la circonstance) désigné par
la Commission de passation des marchés pour évaluer et classer les offres aux plans technique
et financier.
- Observateur indépendant : consultant (personne physique ou morale) recruté (par voie
d’appel d’offres) par l’administration (l’organisme chargé de la régulation des marchés
publics) afin de veiller au respect de la règlementation, aux règles de transparence et aux
principes d’équité dans le processus de passation des marchés publics.
- Auditeur indépendant : Cabinet de réputation établie, recruté par voie d’appel d’offres
restreint par l’organisme chargé de la régulation des marchés, pour réaliser l’audit à postériori
des marchés signés au cours de l’année écoulée, et exécutés ou en cours d’exécution.
- Comité chargé de l’examen des recours résultant des marchés publics : instance
établie auprès de l’organisme chargé de la régulation des marchés publics, appelés à
examiner les recours des soumissionnaires qui s’estiment lésés, et à proposer le cas échéant à
l’Autorité chargée des marchés publics, des mesures appropriées.
2- Les actes ou mesures
- Prestations : travaux, fournitures, services, objets du marché.
- Avenant : acte contractuel modifiant ou complétant certaines clauses du marché de base
pour l’adapter à des évènements survenus après sa conclusion ou signature.
- Lettre-commande : marché public dont le montant est égal à cinq (05) millions de FCFA
et inférieur à cinquante (50) millions de FCFA.
- Demande de cotation : procédé simplifié de consultation d’entreprises pour la passation
de certaines lettres-commandes.
- Sous-traitance : procédé contractuel par lequel le titulaire d’un marché cède à des tiers
l’exécution, sous ses ordres et spécifications, d’une partie de ce marché.
- Co-traitance : procédé contractuel par lequel les prestations objet d’un marché sont
réalisées par des entreprises distinctes dans le cadre d’un groupement.
- Cahiers de charges : documents qui déterminent les dispositions dans lesquelles les
marchés publics sont exécutés. Ils comprennent les documents généraux et les documents

64
particuliers. Il est ainsi du Cahier de Clauses Administratives Générales (CCAG) et des
Cahiers de Clauses Administratives Particulières (CCAP).
- Cahier de Clauses Administratives Générales (CCAG) : document ou acte juridique (un
arrêté du Premier ministre) qui fixe les dispositions relatives à l’exécution et au contrôle des
marchés publics et applicables à toute une catégorie de marchés.
- Cahiers de Clauses Administratives Particulières (CCAP) : Document ou acte juridique
qui fixe les dispositions administratives et financières propres à chaque marché.
- Moratoire : délai qui suspend les poursuites contre tous les débiteurs ou contre certaines
catégories seulement, et que la loi accorde lorsque les circonstances générales (un
empêchement dirimant, par exemple) rendent difficile ou impossible le paiement des
obligations.
- Intérêts moratoires : intérêts dus par l’administration contractante au titulaire du marché
lorsque le défaut de paiement de ce dernier de ses prestations dans les délais fixés par le
CCAP lui est imputable. Ces intérêts sont calculés depuis le jour suivant l’expiration desdits
délais, jusqu’au jour de la délivrance de l’avis dit « de règlement » du comptable assignataire.
- Pénalités : Sanctions pécuniaires infligées au titulaire du marché en cas de dépassement
des délais contractuels fixés par le marché.
- Réception : acte unilatéral par lequel le maitre d’ouvrage approuve, dans le cadre des
marchés publics de travaux publics ou de fournitures, les travaux réalisés ou les biens et
équipements fournis par le titulaire du marché. Il existe en matière de marchés de travaux
publics la réception provisoire et la réception définitive et, en matière de marchés de
fournitures, la réception technique et la réception définitive. Quid des autres types de contrats
administratifs ?

§ 2- Les autres types de contrats administratifs

Les autres types de contrats administratifs sont : le contrat de partenariat, la


délégation de services publics, que les différents Codes de marchés publics (2004 et de
2018) ont classés, à tort, dans la catégorie des marchés publics, et les contrats entre
personnes publiques.

A – Le contrat de partenariat

Il est apparu nécessaire de mettre en place d’autres formes de contrats administratifs


qui ne sont ni des délégations de services publics (dont le financement reste assuré par la
personne publique), ni des marchés publics, qui seraient soumis, notamment, à la règle de
l’interdiction de paiement différé.
Au Cameroun, c’est la loi n°2006/012 du 29 décembre 2006 qui fixe le régime
général des contrats de partenariat. D’après cette loi, le contrat de partenariat régit, dans le
cadre des projets d’une grande envergure technique et financière, les relations de partenariat
entre les personnes publiques et une ou plusieurs personnes publiques ; les personnes
publiques et une ou plusieurs personnes privées.
Les modalités d’application de cette loi sont déterminées par le décret
n°2008/0115/PM du 24 janvier 2008. Le régime fiscal, financier et comptable applicable aux
contrats de partenariat est fixé par la loi n°2008/009 du 16 juillet 2008.
Enfin, l’organisme expert chargé de l’évaluation des projets éligibles aux contrats de
partenariat prévu à l’article 7 de la loi n°2006/012, à savoir Conseil d’Appui à la Réalisation
des Contrats de Partenariat en abrégé « CARPA », est régi par le décret n°2008/035 du 23
janvier 2008.
A travers le contrat le partenariat, l’Etat ou l’un de ses démembrements confie à un
tiers, pour une période déterminée, en fonction de la durée d’amortissement des

65
investissements ou des modalités de financement retenues, la responsabilité de tout ou partie
des phases d’un projet d’investissement tels que la conception des ouvrages ou équipements
nécessaires au services publics ; le financement ; la construction ; la transformation des
ouvrages ou des équipements ; l’entretien ou la maintenance ; l’exploitation ou la gestion8..
En France, les lois du 29 août et 9 septembre 2002 ont permis que certains
importants contrats portant sur la construction, l’entretien, voire l’exploitation des
établissements pénitentiaires ou de ceux affectés aux forces de l’ordre puissent être passés en
un seul lot, avec, en cas de construction sur le domaine public, un bail couplé à une location
avec option d’achat. De même, la loi du 2 juillet 2003 a habilité le gouvernement à créer un
tel instrument juridique par ordonnance ; ce qui a été fait notamment pour les établissements
hospitaliers dans le cadre du plan Hôpital 2007.
Au demeurant, le recours à ce type de contrat, qui peut porter aussi sur le financement
des équipements publics, doit rester exceptionnel, le Conseil constitutionnel français,
notamment, ayant jugé que cela ne pouvait s’appliquer que dans des situations d’urgence ou
en raison des « caractéristiques techniques, fonctionnelles ou économiques d’un équipement
ou d’un service déterminé ».
B- La délégation de services publics
L’article 41 de l’ancien Code des marchés publics énonçait, à propos de la délégation
de services publics, que, « l’Etat, les collectivités territoriales décentralisées, les
établissements publics ou entreprises du secteur public, peuvent déléguer la gestion d’un
service public à un délégataire de droit privé appelé concessionnaire, dont la rémunération
est substantiellement liée aux résultats de l’exploitation du service ».
Bien qu’une telle disposition n’existe plus dans le nouveau Code, il reste que celui-ci
fait de la délégation de services publics une catégorie des « marchés publics non quantitatifs »
qu’il définit comme des « marchés des prestations de services concernant, entre autres, la
délégation des services publics, l’assurance maladie, la publicité, l’audit des comptes,
l’organisation des séminaires de formation, etc. ».
Le Code général des Collectivités Territoriales Décentralisées (loi n°2019/024 du 24
décembre 2019) a prévu ce type de gestion des services publics en ses articles 46 à 51.
D’après ledit Code, « la gestion déléguée consiste, pour une collectivité territoriale, à
confier la gestion d’un service publique à une autre personne morale » (Article 46.1). Il
détermine, par ailleurs, les modes de cette gestion, à savoir : « la concession ; l’affermage ; la
régie intéressée ; la gérance ; les sociétés d’économie mixte » (Article 46.2).
Il convient d’indiquer qu’en droit français, la délégation de services publics est une
catégorie de contrats publics distincts des marchés publics.
Une telle distinction est d’autant plus pertinente qu’en matière de délégation de service
public, l’administration confie, sous son étroit contrôle, à un particulier ou une entreprise,
voire à une autre administration publique, le soin de prendre en charge l’exécution même d’un
service public, et non de fournir simplement une prestation moyennant prix comme c’est le
cas d’un marché public. Ce transfert concerne en général les services publics industriels et
commerciaux et dans une certaine mesure certains services publics administratifs (gestion des
autoroutes, transports scolaires, concession hospitalière).
Le contrat de délégation de services publics9 présente des spécificités car, outre les
liens contractuels entre les deux parties, il a des incidences pour les tiers, les usagers du

8
Sur l’ensemble de la question, lire GUIMDO DONGMO (Bernard-Raymond), « Initiation à la compréhension
des contrats de partenariat public-privé », Séminaire de formation délocalisée des avocats et avocats stagiaires,
organisé par le CIFAF et autres du 5 au 6 décembre 2016 à Yaoundé, 17p.
9
Sur cette question, lire, GUIMDO DONGMO (Bernard-Raymond), « Contrats de délégation de service public et
harmonisation dans le cadre de l’OHADA : cas de la régie intéressée, de la concession et de l’affermage », Actes
du Colloque international de Libreville sur Les pratiques contractuelles d’affaires et les processus

66
service public. L’objet du contrat est a priori différent du marché public classique ; il en est de
même et surtout de son mode de rémunération. L’administration ne verse pas un prix au
cocontractant. Ce dernier est plutôt rémunéré pour l’essentiel par les résultats de
l’exploitation, même si des subventions concourent à l’équilibre dans des domaines où la
rentabilité est faible.
La délégation de services publics connait plusieurs types, à savoir:
-La concession de service public, contrat par lequel l’administration confie à un
particulier ou, exceptionnellement, à un établissement public la mission de faire fonctionner
un service public en se rémunérant sur les usagers de ce service.
La concession de service public n’est pas liée à la construction d’un ouvrage public.
Ainsi, est délégable la gestion du service public des transports, des activités culturelles.
- La concession de travaux publics, qui consiste à confier au délégataire le soin de
construire à ses frais l’ouvrage puis de le gérer, dans le cadre d’un service public, pendant une
certaine durée assez longue pour qu’il puisse récupérer le montant de ses investissements et
faire des bénéfices, grâce aux recettes perçues, en principe, sur les usagers.
La concession de service public (incluant ou non l’exécution d’ouvrages publics) fait
l’objet d’une mise en concurrence qui est toujours précédée d’une pré-qualification qui a pour
objet d’identifier les cocontractants potentiels offrant des garanties techniques et financières
suffisantes et ayant la capacité d’assurer la continuité du service public dont ils seront
délégataires.
- L’affermage, qui consiste à confier au délégataire, rémunéré par les usagers, la seule
exploitation des ouvrages publics (par ex : distribution d’eau, comme ce fut le cas de la
Camerounaise Des Eaux jusqu’en avril 2018, date marquant la fin de cet affermage)
construits par la collectivité publique, et pour laquelle il paye une redevance.
- La régie intéressée, qui consiste pour une personne publique à déléguer à une
personne privée (dite « régisseur ») la gestion d’un service public, et faire dépendre la
rémunération qu’elle lui verse des résultats de sa gestion : économie réalisées, gains de
productivité, ou encore amélioration de la qualité du service (cas de la gestion de certains
marchés communaux).
- Enfin, l’opération de réseaux, qui comprennent les opérations téléphoniques et
électroniques par câbles par fibres optiques ; les opérations satellitaires, etc.
Quoi qu’il en soit, les administrations publiques peuvent, dans le cadre de ce
partenariat, externaliser les opérations de certains services et en « lisser » le financement sur
plusieurs années.

C– Les contrats entre personnes publiques

Les contrats entre personnes publiques ne présentent parfois guère de spécificités au


regard des catégories précédentes. Les personnes publiques concluent ainsi entre elles des
conventions qui portent sur la fourniture de prestation (marchés publics ou délégations de
service public). Dans le cadre de leur spécialité, rien n’interdit aux personnes publiques,
quelles qu’elles soient, de candidater pour de tels contrats, dès lors qu’elles le font dans des
conditions d’égale concurrence avec les autres opérateurs. Le prix, notamment, doit
correspondre à l’ensemble des coûts réels et ne pas être minoré grâce aux ressources et
moyens attribués au titre de la mission de service public.
Mais, il existe aussi des contrats plus originaux, qui permettent, dans le cadre d’une
politique de partenaire très à la mode, de coordonner les différentes politiques publiques en
dehors de toute intervention dirigiste et de solutions imposées. Il en est ainsi :

d’harmonisation dans les espaces régionaux, organisé par l’ERSUMA du 26au 28 octobre 2011, publication de
l’ERSUMA, 1ère éd., juin 2012, pp.168-178.

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1-De contrats plan Etat-Région ou Etat-Commune (V. loi n°2019/024 portant Code
général des CTD), qui se déclinent sur certains points par des contrats d’agglomération pour
l’amélioration de l’espace régional ou communal, tant sur les plans économique, social,
culturel qu’infrastructurel et de l’aménagement de territoire régional ou communal ;
2- des contrats plan Etat-entreprises et établissements publics, qui fixent les
grandes lignes de la politique à mener par ces derniers , en définissant des objectifs plus ou
moins précis et des engagements financiers dans la limite, cependant, des dotations ouvertes
chaque année par la loi de finances. Des contrats de cet ordre peuvent aussi être conclus par
l’Etat avec des établissements publics tels les universités d’Etat ;
3-des contrats de ville, qui ont pour but d’assurer le renouvellement urbain des
quartiers « sensibles » ou des grandes agglomérations urbaines (cas des communautés
urbaines au Cameroun telles celles de Douala et Yaoundé).
4- Enfin, des conventions, très nombreuses, qui sont passées, souvent en
application des lois de décentralisation, entre l’Etat et les collectivités territoriales (Ex.: les
conventions pour la mise à disposition des personnels de l’Etat auprès des collectivités
territoriales décentralisées).
Il convient à présent de déterminer le régime des contrats administratifs sont conclus
ou passés.

CHAPITRE II

LE REGIME JURIDIQUE

A l’instar de l’acte administratif unilatéral et des personnes qui en ont la charge, les
contrats administratifs naissent, vivent et meurent. C’est dire qu’ils sont formés ou conclus
(Section 1), exécutés (Section 2) et disparaissent (Section3).

SECTION 1 : LA FORMATION

La formation des contrats administratifs repose sur un certain nombre de principes. Le


droit camerounais ne fait pas exception à cette exigence. Par ailleurs, si en droit privé la
formation des contrats se fonde sur la liberté et l’égalité des contractants, il n’en est pas de
même en droit public des contrats où elles sont fortement édulcorées.

§1- La limitation de la liberté de contracter

La limitation de la liberté de contracter en droit administratif concerne aussi bien la


personne compétente pour contracter au nom de l’administration que la personne privée
désignée pour conclure, ainsi que sur le choix de la personne avec laquelle l’administration
doit entrer en relation contractuelle. En somme, cette limitation est relative à la capacité de
contracter, au choix du contractant.

A- La capacité à contracter

La capacité à contracter pose le problème de l’autorité habilitée à conclure des contrats


administratifs.
1-Du côté des personnes privées, seules peuvent contracter ou soumissionner les
personnes qui remplissent les conditions de capacité exigées par le Code civil ou par la
législation en vigueur en matière contractuelle.
Il peut s’agir de toute personne physique ou morale, de ses représentants personnels,
de ses successeurs et/ ou de ses mandataires dûment désignés.

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Sont notamment exclus de la soumission à un contrat administratif les personnes
morales dont les dirigeants ont fait l’objet d’une condamnation définitive pour crime ou délit,
les personnes morales ou les candidats en état de liquidation judiciaire ou en faillite ou
admises au redressement judiciaire ou ayant fait l’objet de procédures équivalentes régies par
un droit étranger, les personnes morales qui, à la fin de l’année précédente, ne se sont pas
acquittées de leurs obligations fiscales et sociales (v. art. 11.1 de la loi n°2006/012 du 29
décembre 2006 fixant le régime général des contrats de partenariat ; v. également art.51.2
du décret n°2018/366 du 20 juin 2018 portant Code des marchés publics).
2-Du côté de l’administration, seules les personnes morales de droit public sont
habilitées à contracter (Etat, collectivités territoriales décentralisées et établissements publics).
Pour chaque personne publique, les textes désignent l’autorité compétente pour signer le
contrat.
Le décret n°2011/408 du 09 décembre 2011 portant organisation du gouvernement
(complété par le décret n°2018/190 du 02 mars 2018), qui institue un ministre délégué à la
présidence de la République chargé des marchés publics, dispose, en son article 8, que le
ministre délégué à la Présidence de la République chargé des Marchés publics « est
responsable de l’organisation et du bon fonctionnement des marchés publics ». A ce titre, « il
procède au lancement des appels d’offres des marchés publics en liaison avec les
départements ministériels et les administrations concernées ; (…) procède à la passation des
marchés publics et en contrôle l’exécution sur le terrain en liaison avec les départements
ministériels et les administrations concernées ; (…) participe, le cas échéant, au montage
financier des marchés publics en liaison avec les départements ministériels et les
administrations concernés ».
Ces dispositions décrétales ont été reprises par le décret n°2012/075 du 08 mars 2012
portant organisation du ministère des Marchés publics, en son article 1 er al. 1er et 2. Ce
décret précise, en l’alinéa 3 de son article 1 er, que « les attributions du ministère des marchés
publics (…) s’exercent conformément au décret n°2012/074 du 08 mars 2012 » portant
création, organisation et fonctionnement des commissions de passation des marchés publics.
A la lecture du décret n°2012/074 du 08 mars 2012, dont les dispositions ne sont pas
tout à fait identiques à celles du décret portant organisation du gouvernement relativement
aux attributions du ministre délégué chargé des marchés publics.
Il est à relever que, depuis l’avènement du nouveau Code des marchés publics le 20
juin 2018, le ministre délégué chargé des marchés publics n’est plus habilité à lancer les
marchés publics.
Les autorités compétentes pour conclure les marchés publics sont, notamment pour le
compte de l’Etat, et selon les cas, les chefs de départements ministériels, les gouverneurs de
région, le préfet de département ; pour le compte des collectivités territoriales décentralisées,
le maire et le délégué du gouvernement; enfin, pour le compte de l’établissement public, le
recteur ou le directeur général.
In fine, la responsabilité contractuelle de l’administration pourrait donc être engagée si
le contrat est conclu par une autorité publique incompétente pour le faire et donner droit à
l’octroi des dommages et intérêts à la partie lésée ou retenue (CS/CA, jugement n°63/99-2000,
Les Etablissements LE PAYSAN c/ Etat du Cameroun : « (…) les fax du Ministre de
l’Education Nationale violent (…) les articles 78 et 79 du décret n°86/903 du 18 Juillet 1986 ;
(…) que le pouvoir de signer les marchés jusqu’à deux cent millions de francs appartient aux
Gouverneurs des Provinces ; (…) le Ministre de l’Education Nationale est donc incompétent
(…) à signer un marché dont le montant est inférieur à deux cent millions de francs, cette
compétence étant dévolue aux Gouverneurs des Provinces conformément au décret susvisé ;
(…) il est exact que les décisions administratives querellées ont été prises dans des conditions
fort dommageables, surtout que les requérants avaient déjà été notifiés des ordres de service
de commencer les travaux et avaient déjà pris toutes les dispositions nécessaires en vue du

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démarrage des travaux pour éviter de tomber sous le coup des pénalités prévues dans les
ordres de service ; (…) ils sont donc fondés à demander la réparation des préjudices subis en
raison de l’agissement fautif incriminé ». Que dire du choix du cocontractant de
l’administration ?

B- Le choix du cocontractant

Le choix du cocontractant doit tenir compte des principes qui régissent la conclusion
des contrats administratifs ; mais il est aussi fonction des modes de passation des contrats
administratifs.
Si en droit privé le principe est que chacun choisit librement le partenaire ou la
personne avec qui il va contracter, en droit public, et plus précisément en droit administratif,
des sujétions sont imposées aux personnes publiques.
Le choix du cocontractant doit tenir compte de certains principes. Par ailleurs, il est
fait selon un certain nombre de procédés. Enfin, des mécanismes ont été institués pour veiller
au respect des principes qui sous-tendent ce choix.
1-Les principes régissant le choix du cocontractant
Les principes qui régissent le choix du cocontractant de l’administration concernent la
présentation et l’attribution de la commande publique.
a)-Les principes régissant la présentation de la commande publique
La présentation de la commande publique doit respecter un certain nombre principes,
faute de quoi elle serait viciée et pourrait donner lieu à contestation par les personnes
intéressées. Ces principes sont : la publicité et la liberté d’accès à la commande publique.
a)-1/La publicité
La publicité de la commande publique signifie que celle-ci doit être portée à la
connaissance du public par une large diffusion à travers les moyens publics de masse.
En effet, une saine concurrence suppose une publicité adéquate, non seulement des
critères régissant la commande, mais également de ses conditions particulières.
A ce sujet, l’article 88 du décret n°2018/366 du 20 juin 2018 portant Code des
Marchés publics dispose : « (1) L’avis d’appel d’offres est publié dans le journal des marchés
publics de l’organisme chargé de la régulation des marchés publics qui dispose d’un délai de
vingt-quatre (24) heures à compter de sa réception pour le publier. (2)Les publications dans
les autres organes à grand tirage et les autres moyens de publicité tel que le communiqué-
radio, la presse disponible en kiosque, la presse spécialisée ou les voies d’affichage ne
pourront être utilisées qu’en sus ».
De même, l’article 8.2 de la loi n°2006/012 du 29 décembre 2006 fixant le régime
général des contrats de partenariat dispose que « l’appel public à la concurrence est initié par
l’autorité publique. Il est précédé d’une publicité permettant la présentation de plusieurs
offres concurrentes(…) ».
Il se dégage de ce qui précède que l’initiateur de la commande publique n’a
juridiquement pas de moyen de limiter la diffusion de l’avis d’appel à concurrence. Une telle
limitation serait, bien sûr, illégale.
a)-2/La liberté d’accès
La liberté d’accès à la commande publique signifie que toute personne physique ou
morale qui répond aux qualifications et conditions requises par les textes en vigueur peut
candidater à la commande publique ou à la prestation envisagée.
Il s’agit d’un principe général en matière de commande publique. Il en est ainsi des
contrats de partenariats (Art. 8.1 de la loi n°2006/012) et de marchés publics (V. art. 2 du
Code).
La conséquence immédiate de ce principe est que toute personne physique ou morale
doit être libre de collaborer avec l’administration en vue de lui fournir des prestations. Elle ne

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devrait en principe pas être écartée sans cause valable. Cela signifie que la violation d’une
telle exigence peut entrainer une contestation. Tout cocontractant potentiel ou tout
soumissionnaire qui se verrait donc écarter injustement de la commande publique, alors qu’il
remplit les critères et conditions exigés pour y accéder peut engager un contentieux.
Ce principe connait, cependant, des exceptions. Il en est ainsi des marchés de gré à
gré, des marchés spéciaux, ainsi que des cas prévus par le Code des Marchés publics, en
son article 51.2 qui dispose que « ne peuvent postuler à la commande publique (…) les
candidats :
a) en état de liquidation judiciaire ou en faillite ;
b) frappés de l’une des interdictions ou déchéances prévues par les lois et règlements
en vigueur, aussi bien au plan national qu’international;
c) qui n’ont pas souscrit les déclarations prévues par les lois et règlements en
vigueur».
Il se dégage de ce qui précède que la violation de ces prescriptions par l’administration
peut donner lieu à contentieux à l’initiative des candidats ou soumissionnaires qui
s’estimeraient lésés dans le libre accès à la commande publique. Quid des principes régissant
l’attribution du contrat ?
b)- Les principes régissant l’attribution de la commande publique
L’attribution de la commande publique est l’étape qui consiste à sélectionner le
soumissionnaire ou le partenaire. Elle est soumise aux principes de la concurrence, d’égalité
de traitement des candidats et de transparence.
b)-1/Le principe de la concurrence
En matière conclusion des contrats administratifs, la concurrence se traduit par
l’instauration ou l’existence d’une compétition entre différents soumissionnaires ou
partenaires.
Aux termes de l’article 72 alinéa 1 de CMP, les marchés publics sont passés par voie
d’appel d’offres après mise en concurrence des cocontractants potentiel de l’administration
sur appel d’offres.
La concurrence est la compétition entre les différents soumissionnaires en vue de
bénéficier du marché. Sur ce principe, le CMP fait une distinction entre les soumissionnaires
totalement ou partiellement camerounais et les soumissionnaires étrangers.
Lors de la passation d’un marché, la priorité est accordée aux offres équivalentes en
fonction des critères d’évaluation fixés par le dossier de consultation. La préférence nationale
ne peut être appliquée que lorsque le dossier d’appel d’offres le prévoit (Article 106.6 du
Code). Ainsi, lors de la passation d’un marché dans le cadre d’une consultation internationale,
« une marge de préférence est accordée, à offres équivalentes et dans l’ordre de priorité, aux
soumissions présentées(…)par une personne physique de nationalité camerounaise ou une
personne morale de droit camerounais ; une entreprise dont le capital est intégralement ou
majoritairement détenu par des personnes de nationalité camerounaise ; une personne
physique ou une personne morale justifiant d’une activité économique sur le territoire du
Cameroun ».
Ce préalable de la mise en concurrence détermine aussi la procédure des marchés.
C’est ainsi que la passation d’un marché de définition précédent un marché d’études doit
donner lieu préalablement à un recensement de l’ensemble des entreprises ou organismes
qualifiés pour procéder aux études considérées ; même en l’absence d’un marché de
définition, le marché d’études est passé dans tout la mesure du possible après mise en
concurrence.
L’article 99 alinéa 1 du CMP est précis à ce sujet lorsqu’il énonce que, « sous
réserve du respect des conditions de conformité des offres : (a)l’attribution des marchés de
travaux, de fourniture et de services quantitatifs se fait au soumissionnaire ayant présenté une
offre remplissant les critères de qualification technique et financière requises et dont l’offre

71
est évaluée la moins-disante; (b)l’attribution des marchés de services non quantitatifs y
compris les prestations intellectuelles, et des marchés passés à la suite d’un appel d’offres
avec concours se fait au soumissionnaire présentant l’offre évaluée la mieux-disante, par
combinaison des critères techniques, financiers et/ou esthétiques».
Quant à l’article 8.1 de la loi n°2006/012, il dispose que « la passation d’un contrat
de partenariat est soumis aux principes (…) de concurrence(…) ».
La méconnaissance de ce principe peut être source de contentieux. Ainsi, tout
soumissionnaire qui, après attribution de la commande à un de ses concurrents estime, avec
des preuves à l’appui, que ce principe a été violé par l’administration, peut en solliciter
l’annulation auprès de l’autorité compétente. Quid du principe d’égalité de traitement des
candidats?
b)-2/Le principe d’égalité de traitement des candidats
En vertu du principe d’égalité, les citoyens sont tous égaux devant le service public,
qu’ils soient usagers, agents ou candidats aux emplois publics ou à une commande publique.
Le principe d’égalité, un principe constitutionnel, implique la prohibition de toute
discrimination basée sur la religion, la race, l’ethnie ou le sexe ( CS/CA, jugement
n°29/2005-2006 du 14 décembre 2005, Moukon à Ebong Martin c/ Etat du Cameroun :
« Attendu que le principe d’égalité que prévoit la Constitution du Cameroun emporte l’égalité
de chance d’accès aux emplois publics ; (…) il en résulte qu’au moment de postuler à un
emploi public tous les candidats doivent compétir au même pied d’égalité ».
En matière de passation des contrats administratifs, le principe d’égalité de traitement
des candidats impose la prise en compte de l’équité et permet d’éviter des pratiques
discriminatoires au niveau de l’administration contractante. Ce principe s’applique ainsi à la
passation des contrats de partenariat (Art. 8.1 de la loi n°2006/012) et à celle des marchés
publics (Art. 2 du Code des MP).
Il en résulte que la rupture de cette égalité ne peut qu’être que source de contentieux.
Il en est de même du principe de transparence.
b)-3/Le principe de transparence
La passation des contrats administratifs doit aussi respecter le principe de bonne
gouvernance, notamment le principe de la transparence. En effet, son régime représente une
garantie de transparence des processus contractuels des dépenses publiques. Aussi, le Ministre
des Marchés publics peut, à l’initiative du ou des candidats qui estiment que le principe de
transparence n’a pas été respecté par l’administration contractante procéder à l’annulation
d’un marché.
Ce principe est consacré aussi bien en matière de contrat de partenariat (art. 8.1 de la
loi n°2006/012) qu’en matière de marché public (Art. 2 du Code des MP). Quid des procédés
du choix du cocontractant de l’administration ?
2- Les procédés de choix du cocontractant
D’après la règlementation en vigueur, « les marchés publics sont passés par voie
d’appel d’offres après mise en concurrence des cocontractants potentiels de l’administration
» (Art. 72. 1 du Code).
De même, d’après la législation en vigueur, la passation des contrats de partenariat est
soumise à » l’appel public à la concurrence » à l’initiative de « l’autorité publique » (Art. 8.2
de la loi n°206/012).
Si aucune exception ou dérogation au principe de l’appel public à la concurrence n’est
prévue ou envisagée en matière de passation des contrats de partenariat, il n’en est pas de
même des marchés publics qui « peuvent exceptionnellement être attribués selon la procédure
de gré à gré (…)» (Art. 72.2 du Code) ou être passés selon un procédé dérogatoire que sont
les marchés spéciaux (Art.71 du Code des MP).

72
a)- Le procédé principiel : L’appel d’offres
L’appel d’offres est la procédure par laquelle l’attribution d’une commande publique
intervient après appel public à la concurrence.

a)-1/ Pour ce qui est des contrats de partenariat, la sélection du cocontractant


s’effectue à travers trois étapes que sont la présélection, le dialogue de pré-qualification et
l’adjudication (V. art. 9.1 de la loi n°2006/012).
L’étape de la présélection permet de retenir, « sur la base des pièces produites par les
candidats, les offres les plus qualifiées techniquement et financièrement pour répondre aux
besoins de la personne publique » (Art. 9.2 de la loi n°2006/012).
Quant à la phase de dialogue de pré-qualification, elle se traduit par une concertation
que la personne publique engage avec les candidats présélectionnés en vue de définir les
moyens techniques, le montage juridique et financier les mieux à même de répondre à ses
besoins, et aussi de s’assurer de l’expérience ainsi que des capacités professionnelles avérées
desdits candidats (Cf. art. 9.3).
Enfin, pour ce qui est de l’étape relative à l’adjudication, elle « est l’aboutissement de
la procédure de sélection des offres » en ce qu’elle se traduit « par la désignation du
cocontractant » (Art. 9.4) qui est le candidat ayant « présenté l’offre économiquement la plus
avantageuse » (Art. 10.1).
Les critères d’attribution du contrat sont, entre autres, le cout de l’offre, les objectifs
de performance définis en fonction de l’objet du contrat, la part d’exécution du contrat que le
candidat s’engage à confier à des petites et moyennes entreprises et à des artisans
camerounais (Art. 10.2), en rapport avec l’objet du contrat, la valeur technique de l’offre, son
caractère innovant, le délai de réalisation des ouvrages ou des équipements, leur qualité
esthétique ou fonctionnelle (Art. 10.3).
In fine, les modalités de sélection des cocontractants de la personne publique en
matière de contrat de partenariat sont fixées par le décret n°2008/0115/PM du 24 janvier
2008 précisant les modalités d’application de la loi n°2006/012.
a)-2/ Pour ce qui est des marchés publics, les critères du choix du cocontractant sur
appel d’offres tiennent compte, notamment (Article 73.2 du CMP) :
- de la qualité et de la capacité professionnelle des candidats ;
- du prix des prestations et variantes proposées ou du coût de leur utilisation ;
- du délai d’exécution ou de la livraison de la prestation ;
- de leur valeur technique et fonctionnelle notamment, les conditions d’exploitation et
d’entretien ainsi que de la durée de vie potentielle des ouvrages produits ou des fournitures et
services concernés ;
- du délai d’exécution ou de livraison.
L’appel d’offres n’est valable que si, après avoir respecté toutes les dispositions
réglementaires, la Commission de passation des marchés compétente a reçu au moins une
soumission jugée valable.
Au regard de la réglementation, l’appel d’offres peut être national ou international,
ouvert ou restreint ou sur concours.
L’appel d’offres est national lorsqu’il s’adresse aux personnes physiques ou morales
ayant leur domicile ou leur siège social au Cameroun.
Il est international lorsqu’il s’adresse aux personnes physiques ou morales ayant leur
domicile ou leur siège social à l’intérieur ou à l’extérieur de territoire national.
Il est dit ouvert lorsque l’avis public invite tous les candidats intéressés à remettre,
pour une date fixée, leurs offres ; le dossier de consultation étant, après publication de l’avis,
mis à la disposition de chaque candidat qui en a fait la demande, contre paiement des frais y
afférents.

73
L’appel d’offres restreint est un appel d’offres ouvert précédé d’une pré-qualification
(V. art 76 al.1 CMP). Il s’adresse donc aux candidats retenus à l’issue de la procédure de
pré-qualification. Celle-ci « s’effectue pour des prestations de même nature, à la suite d’un
appel public à candidatures par insertion dans des publications habilitées, d’un avis relatif à
un appel d’offres particulier ou à un ensemble d’appels d’offres au cours d’une période
n’excédant pas six (06) mois » (Article76.2 du CMP).
Enfin, il est fait (exceptionnellement) usage de la procédure d’appel d’offres sur
concours lorsque des motifs d’ordre technique, esthétique ou financier justifient des
recherches particulières (Article 79 du CMP). Cet appel d’offres s’effectue selon la procédure
d’appel d’offres ouvert ou restreint et le concours porte soit sur la conception d’un projet ; soit
à la fois sur la conception d’un projet et la réalisation d’une étude y afférente ; soit à la fois
sur la conception d’un projet et la réalisation de l’étude y afférente et le suivi et le contrôle de
sa réalisations ; soit la conception et la réalisation du projet lorsqu’il s’agit d’un marché de
conception-réalisation(Art. 80.1 du Code).
Dans le cas du procédé d’appel d’offres, l’attribution du marché ne va pas
automatiquement à l’offre la plus basse. Il est appliqué la règle non pas du moins disant mais
du mieux disant. Ainsi, l’administration choisit librement la personne qu’elle juge la plus
intéressante en tenant compte non seulement du prix mais encore de toutes les données
techniques et économiques de l’offre. Quid du procédé de gré à gré ?
b)- Le procédé exceptionnel : le gré à gré
D’après l’article 108 du Code, « le marché est dit de gré à gré lorsqu’il est passé
sans appel d’offres (...) ». Il ne peut être passé un tel marché que dans des cas limitatifs
déterminés par l’article 109 du Code et « après autorisation préalable de l’Autorité chargée
des marchés publics » (Art. 108 du Code) sollicitée par le Maitre d’ouvrage ou le Maitre
d’ouvrage délégué. La demande y relative doit être motivée (Art. 110.1 du Code).
L’accord de l’autorité chargée des marchés publics est suivi de la consultation directe,
« sans obligation de publicité », d’au moins trois (03) sociétés, sauf dans les cas déterminés
aux alinéas a) ( besoins ne pouvant être satisfaits que par une prestation nécessitant
l’emploi d’un brevet d’invention, d’un procédé, d’un savoir-faire, d’une licence ou de droits
exclusifs détenus par un seul entrepreneur, un seul prestataire ou un seul fournisseur) et d)
(fournitures, service ou travaux qui complètent ceux ayant fait l’objet d’un premier marché)
de l’article 109 du Code.
Par la suite, les dossiers de consultation, les offres des soumissionnaires ainsi que
l’autorisation du gré à gré donnée par l’Autorité des marchés publics sont soumis à la
Commission de passation des marchés publics est saisie pour examen et formulation de ses
propositions d’attribution dans un délai de sept (07) jours (Art. 111.1 du Code).
Toute la procédure relative aux marchés de gré à gré est déclinée dans les articles 110
et 111 du Code. Qu’en est-il des marchés spéciaux ?
c)- Le procédé dérogatoire : les marchés spéciaux
D’après l’article 71.1 du Code, « Les marchés spéciaux sont des marchés publics qui
ne répondent pas, pour tout ou partie, aux dispositions relatives aux marchés sur appel
d’offres ou aux marchés de gré à gré ». Comprenant essentiellement les marchés relatifs à la
défense nationale, à la sécurité et aux intérêts stratégiques de l’Etat, ils « échappent (...) à
l’examen de toute Commission des marchés publics » prévues par le Code en ce qu’ils
comportent « des clauses secrètes pour des raisons de sécurité et d’intérêts stratégiques de
l’Etat » (Art. 71.2 du Code).
Ces marchés concernent l’acquisition de tous équipements, de fournitures ou de
prestations directement liées à la défense nationale, à la sécurité et les marchés pour lesquels
les intérêts stratégiques de l’Etat sont en jeu (Art. 71.3 du Code).

74
Il convient de dire, ce qui est une nouveauté dans la règlementation des marchés
publics, « les marchés spéciaux sont passés après autorisation préalable du Président de la
république » (Art. 71.4 du Code).
Des procédures spécifiques à certains marchés publics ont été organisées par le
nouveau Code des Marchés publics. Il en est ainsi des Accords-cadres (Articles 114 à 116) ;
des consultations individuelles (Articles 117 à 118) et des marchés passés par appel d’offres
avec concours (Articles 119 à 121).
3- Les mécanismes de contrôle du choix du cocontractant
Dans le but d’éviter ou de combattre le favoritisme et la corruption dans la passation
des marchés publics, il a été institué deux organes indépendants dont l’un intervient avant et
pendant la conclusion des marchés : c’est l’Observateur indépendant ; tandis que l’autre
intervient après la passation et l’exécution des marchés : c’est l’Auditeur indépendant.
Ces deux organes participent de ce que l’on peut appeler l’expertise indépendante dans
la gouvernance de marchés publics.
a)L’Observateur indépendant est une personne physique ou morale recrutée sur appel
d’offres par l’organisme de régulation des marchés publics (l’Agence de Régulation des
Marchés Publics, en abrégé ARMP).
Son rôle est « de veiller au respect de la règlementation, aux règles de transparence et
aux principes d’équité dans le processus de passation des marchés publics » (Article 42.1 du
Code).
A ce titre, il assiste aux séances des Commissions de passation des marchés
compétentes ainsi qu’à celles des Sous-commissions d’analyse, « pour les marchés dont le
montant cumulé des lots est supérieur à cinquante (50) millions de francs CFA » (Article
42.2 du Code) , à l’effet d’évaluer le processus (de passation desdits marchés) en signalant à
chaque étape au ministre chargé des marchés publics et à l’ARMP, les manquements au
respect de la règlementation, aux règles de la transparence et aux principes d’équité ; de
signaler les pratiques contraires à la bonne gouvernance dans le dit processus, « notamment
dans le cas de trafic d’influence, de conflit d’intérêt ou de délit d’initié » ( Article 42.2a et b
du Code).
A ce titre, il reçoit copie de toute la documentation relative aux dossiers soumis à la
Commission de passation des marchés compétente (Article 42.3 du Code). Il adresse, dans
les soixante-douze (72) heures, à compter de la fin des travaux de la commission, à l’ARMP,
au Maitre d’ouvrage et au président de la Commission de passation des marchés concernés, un
rapport détaillé sur les travaux de ladite Commission et sur ceux de la Sous-commission
d’analyse, le cas échéant (Article 42.4 du Code).
Le président de la Commission concerné, le Maitre d’ouvrage ou le Maitre d’ouvrage
délégué, peuvent, le cas échéant, et dans un délai de soixante-douze (72) heures, à compter de
la réception de ce rapport, notifier à l’ARMP leurs observations (Art. 42.5 du Code).
C’est sur la base des rapports de l’observateur indépendant et l’organisme de
régulation des marchés publics que l’autorité chargée des marchés publics « peut annuler
l’attribution d’un marché effectuée en violation de la règlementation ou en marge des règles
de transparence et d’équité » (Article 42.5 du Code).
Il se dégage de ce qui précède que la présence d’un observateur indépendant est certes
exigée lorsque les commissions siègent, mais cette exigence est fonction du montant du
marché. On peut donc se demander si la lutte contre le favoritisme et la corruption dans la
passation des marchés publics peut, sur cette base, être véritablement efficace et porteuse.
b)- L’Auditeur indépendant est un cabinet de réputation établie recruté par voie
d’appel d’offres par l’Agence de Régulation des Marchés Publics (ARMP). Son audit est
réalisé « a posteriori sur les marchés signés au cours de l’année écoulée et exécutés ou en
cours d’exécution » (Article 5c du Code).

75
Dans l’ancien Code, l’audit couvrait un échantillon comprenant tous les marchés
supérieurs à 500 millions de FCFA et 25 % des marchés compris entre 30 et 500 millions de
FCFA choisis de façon aléatoire (V. article 153 de l’ancien Code).
Que dire en définitive ? Deux choses. Premièrement, à travers l’adoption et
l’application les textes relatifs aux contrats administratifs, l’administration entend veiller à
une passation idoine des contrats administratifs. Secondement, on peut s’interroger sur la
viabilité et la fiabilité des rapports des observateurs indépendants et des audits des auditeurs
indépendants ainsi que sur le sort qui leur est réservé par l’administration. En tout cas, leur
finalité n’est pas de rétablir l’égalité entre l’administration contractante et son cocontractant
qui est fortement limitée dans la passation des contrats administratifs au profit de la première.

§2- La limitation de l’égalité des contractants

En droit privé, les clauses sont, en principe, débattues. Tel n’est pas le cas en droit
public où le principe est celui de la non négociation des termes du contrat. En effet, les
contrats administratifs sont pour l’essentiel des contrats d’adhésion dont les clauses sont
fixées à l’avance par l’administration, à l’exception de la clause relative au prix, et doivent
donc être acceptées ou rejetées en totalité par le cocontractant.
Par ailleurs, le contrat administratif, notamment le marché public est un contrat qui
prend généralement la forme d’un document écrit.
Il inclut, en fonction de son objet, le Cahier des Clauses Administratives Générales
(CCAG) correspondant, fixé par arrêté du Premier Ministre, qui détermine les dispositions
administratives applicables à tous les marchés publics (V. arrêté n°033/CAB/PM du 13
février 2007, aujourd’hui largement dépassé, pour ne pas dire globalement caduc sur bien de
points). Il peut inclure, également, le Cahier de Clauses Administratives Particulières
(CCAP), qui fixe les dispositions administratives et financières propres à chaque marché,
ainsi que tous les autres cahiers techniques et documents généraux et documents particuliers
définissant les caractéristiques des travaux, fournitures ou de services (V. article 129a, b et c
du Code).
Cet ensemble de documents constitue ce qu’on appelle les cahiers des charges,
lesquels « déterminent les conditions dans lesquelles les marchés sont exécutés » (Article 129
du Code). Quid de l’exécution des contrats administratifs ?

SECTION 2 : L’EXECUTION

L’exécution des contrats de droit privé est dominée par le principe énoncé par l’article
1134 du Code civil selon lequel, « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à
ceux qui les ont faites ».
Il résulte de ce principe le corollaire selon lequel ces conventions ne peuvent être
modifiées ou prendre fin que par l’effet du consentement mutuel des parties contractantes.
L’exécution des contrats administratifs n’est sans doute pas soumise à un régime qui
ignorerait purement et simplement l’obligation des parties contractantes de respecter les
engagements souscrits et qui par suite ne laisserait pas beaucoup de raison d’être à la
conclusion de tels contrats, mais il faut dire que le régime de l’exécution de ces contrats est
caractérisé par l’importance des prérogatives dont dispose l’administration contractante et
qu’il détient, même dans le silence du contrat, en vertu des règles applicables aux contrats
administratifs . Bien entendu, le cocontractant a, en contrepartie, des droits qui, souvent,
peuvent, eux aussi, n’avoir pas été prévus par le contrat. Dans certaines situations, ces droits
se traduisent par de lourdes obligations pécuniaires à la charge de l’administration.
Ainsi, la contexture générale du régime d’exécution des contrats administratifs repose
sur deux idées fortes. D’abord, l’existence au profit de l’administration de prérogatives

76
exorbitantes de droit commun des contrats ; ensuite, le droit du cocontractant au règlement du
prix et au respect de l’équilibre financier du contrat.

§ 1- Les prérogatives de l’administration contractante

Il importe peu que les prérogatives de l’administration soient déterminées par le


contrat ou non. L’administration contractante les détient en tout état de cause et ne saurait y
renoncer régulièrement. Ces prérogatives lui permettent de prendre les décisions qui peuvent,
sans doute, provoquer un contentieux susceptible d’être porté devant la juridiction
administrative. Elles sont au nombre de quatre : le pouvoir de direction et de contrôle, le
pouvoir de modification unilatérale, le pouvoir de sanction et le pouvoir de résiliation.

A-La direction et le contrôle

Ce pouvoir permet à l’administration de s’assurer du respect par le cocontractant des


clauses du contrat et d’exiger de lui des renseignements propres à lui permettre de vérifier
l’exactitude où la matérialité des actions contractuelles qu’il mène ou devrait mener.
L’administration peut, sur cette base, imposer certaines modalités d’exécution au
cocontractant. Ce droit de regard se manifeste par la présence des ingénieurs de
l’administration pendant l’exécution des marchés publics.
En somme, l’administration contractante a le pouvoir de diriger et de surveiller
l’exécution effective du contrat par le cocontractant. Elle a le pouvoir de s’assurer de la
qualité des prestations de ce dernier. Il s’agit d’un pouvoir général qui s’exprime en termes de
directive, d’instruction, d’orientation et de décision.

B- La modification unilatérale

On n’applique pas au contrat administratif le principe de l’immutabilité des contrats


énoncé par l’article 1134 du Code civil. En effet, l’administration peut, par sa seule volonté,
et dans un but d’intérêt général, modifier le champ des obligations du cocontractant, soit en
les augmentant, soit en les réduisant. C’est l’application du principe d’adaptabilité ou de
mutabilité des services publics.
Ce principe permet d’adapter le contrat administratif aux nouvelles exigences du
service.
Le pouvoir de modification unilatérale des contrats administratifs par l’administration
est admis par la jurisprudence (CE, 21 mars 1910, Compagnie générale des Tamways).
Ce pouvoir ne doit pas, cependant, remettre en cause l’équilibre du contrat. Par
ailleurs, la modification opérée ou à effectuer ne peut aller jusqu’à provoquer un véritable
bouleversement du contrat qui consiste, par exemple, en une remise en cause du contenu
même du contrat.
Lorsque l’intérêt général l’exige, l’administration peut toujours mettre fin au contrat,
soit par décision particulière, soit par un acte réglementaire. Cette prérogative est le
prolongement logique du pouvoir de modification unilatérale qui lui est reconnu et se justifie
par la nécessité d’adapter l’action administrative aux circonstances de temps et de lieu,
lesquelles sont, en générale mouvantes.
Ce pouvoir de résiliation a comme contrepartie l’obligation pour l’administration
d’indemniser intégralement le cocontractant par l’application de la théorie du fait de prince.
Cette résiliation sera légitimement contestée si elle fait dans un but autre que celui de
l’intérêt général.

77
C- Les sanctions

Il est reconnu à l’administration contractante le pouvoir d’infliger des sanctions au


cocontractant pour cause d’inexécution, de mauvaise exécution, de méconnaissance des
clauses du contrat ou pour inobservations des instructions reçues. Ces sanctions sont prises
après mise en demeure. On distingue d’une part les sanctions non résolutoires, et, d’autre part,
les sanctions résolutoires.

1-Les sanctions non résolutoires


Les sanctions non résolutoires que l’administration peut infliger à son cocontractant
sont de deux sortes : les sanctions pécuniaires et les sanctions coercitives.
a)- Les sanctions pécuniaires
Les sanctions pécuniaires sont prises soit sous forme de pénalités destinées à
sanctionner les retards d’exécution (CE, 23 juin 1944, Ville de Toulon), soit sous forme
d’amende ou de pénalité fixée par l’administration lorsque les sanctions prévues par le contrat
ne sont pas adaptées à cause, par exemple, de leur sévérité par rapport à certains
comportements non gravement fautifs du cocontractant.
b)- Les sanctions coercitives
Les sanctions coercitives tendent autant à punir qu’à surmonter la défaillance ou le
comportement grave du cocontractant sans que le contrat soit pour autant rompu. Dans ce cas,
l’administration se substitue au cocontractant ou désigne une autre personne qui va poursuivre
l’exécution du contrat au risque et au frais du cocontractant défaillant (exemple : la mise en
régie d’un marché ou la mise sous séquestre d’une mission du service public).
2-Les sanctions résolutoires
Les sanctions résolutoires consistent pour l’administration à mettre fin au contrat.
Ainsi, l’administration peut être amenée, en cas de faute grave ou lourde commise par le
cocontractant (défaillance ou indélicatesse) à résilier le contrat. Cette résiliation constitue
donc une sanction infligée au cocontractant fautif. Il en est ainsi lorsque le cocontractant a
abandonné le chantier et n’a même pas cru devoir réagir après une mise en demeure à lui
adressée par l’administration (CS/CA, jugement n° 72 / 88 - 89 du 29 juin 1989 Fouda Etama
c / Etat du Cameroun).
Ces sanctions ne peuvent être prononcées que dans le respect des droits de la défense
et doivent être motivées (CS/CA, jugement n°63/99-2000 du 27 juillet 2000, Les
Etablissements «LE PAYSAN» c/ Etat du Cameroun).
Si les motifs de la résiliation s’avèrent, par suite, inexistantes, le juge administratif
saisi ne peut prononcer l’annulation des mesures prises par l’administration envers
l’entrepreneur. En effet, le pouvoir de résiliation unilatérale dont dispose l’administration en
matière de marchés publics est généralement considéré par la jurisprudence comme une
prérogative exorbitante (v. CS / CA, jugement n° 50/84-85 du 1er février 1985, Affaire
Tameghi Joseph c/ Etat de Cameroun, ou affaire Amsecom-Amseconcom).
Par ailleurs, si la faute de l’administration est établie, le cocontractant reste tenu
d’exécuter le contrat, mais il a droit à une indemnité, même lorsque les pièces du contrat sont
muettes à ce sujet (v. jugement Tameghi Joseph. suscité et CS/CA, jugement n° 44 / 89-90 du
28 juin 1990, entreprise Amsecom c/ l’Etat du Cameroun). Toutefois, il peut demander la
résiliation du contrat au juge administratif en cas de faute grave commise par l’administration.
De même, il a droit, en cas de « rupture abusive » du contrat par l’administration,
d’obtenir du juge administratif réparation par le versement d’une indemnité compensatrice,
d’une indemnité pour préjudice matériel et d’une indemnité pour préjudice moral(v. CS/CA,
jugement n°59/04-05 du 23 mars 2005, Etablissements LIPA-SPORTS B.T.P c/ Etat du
Cameroun) ou alors des dommages et intérêts ( v. CS/CA, jugement n°80/06-07 du 04 juillet
2007, Etablissement Le «PAYSAN » c/ Etat du Cameroun : « (…) comme relevé dans leur

78
requête, les Etablissements « Le Paysan » avaient successivement reçu du Ministère de la
Santé Publique une lettre du 11 Juillet et une autre du 17 septembre 2001 allant toutes dans
le sens de l’arrangement amiable de leur différend ; (…) il ressort de ces correspondances
que contrairement aux indications de son représentant, l’Etat du Cameroun n’a pas contesté
la validité du marché à l’origine du litige dans la mesure où il a accepté de payer les frais de
son enregistrement ; (…) à cet égard (…), la position de l’administration est sans rapport
avec le préjudice subi par l’entreprise poursuivante laquelle non seulement a engagé des
dépenses pour démarrer les travaux, mais encore a subi un manque à gagner par la remise en
cause de l’opération concernée ».
L’importance des prérogatives de l’administration contractante ne doit pas faire perdre
de vue le fait que le cocontractant a aussi des droits.

§2- Les droits du cocontractant de l’administration

Les droits du cocontractant ont trait aux avantages réels ou éventuels qui sont
reconnus ou attribués au cocontractant C’est la contrepartie de ses obligations contractuelles.
Il est fréquent que l’administration mette à la disposition de son cocontractant, en vue de
faciliter l’exécution de ses engagements, certaines prérogatives de puissance publique
(exemple, la perception sur les usagers des taxes ou le bénéfice d’un monopole de droit).
Par ailleurs, le contrat fixe les bases et les modalités de la rémunération du
cocontractant. Cette rémunération peut être fixée de façon définitive (on parle de prix ferme)
ou être modifiable en fonction d’une référence déterminée (on parle de prix ajustable) ou
affectée pour les contrats de longue durée, de clause de variation (il s’agit de prix révisable).
Le cocontractant a droit, sur le plan financier, principalement, au règlement du prix et,
éventuellement, au versement des indemnités, en cas d’entraves à l’exécution normale du
contrat, dans le but d’assurer l’équilibre financier du contrat.

A- Le droit au règlement du prix

En principe, le prix n’est dû qu’une fois que le cocontractant a entièrement rempli ses
obligations. On parle alors de paiement après service fait. Mais il s’agit d’une règle rigide qui
connaît des aménagements permettant la facilitation de l’exécution de ses engagements par le
cocontractant.
Il est donc prévu, sur la plan réglementaire, des avances à verser au cocontractant par
l’administration en vue de la réalisation des opérations nécessaires à l’exécution des
prestations prévues dans le marché (V. articles 159 à 161 du Code) ainsi que des comptes
(V. articles 162 à 165 du Code) que le cocontractant peut obtenir périodiquement pendant
l’exécution du marché, sauf dérogations prévues dans le cahier des clauses administratives
particulières.
Le cocontractant peut aussi avoir droit à des intérêts moratoires lorsque le retard dans
le règlement des prestations objet du marché est imputable à l’administration (V. articles 166
et 167 du Code et CS/CA, jugement n° 139/04-05 du 27 juillet 2005, Société SOTRACOME
c/ Etat du Cameroun).
Après l’exécution du contrat, le cocontractant reçoit de l’administration ce qui reste
de la rémunération à lui due. Mais, il peut arriver qu’en cours d’exécution du contrat, des
entraves surviennent et soient de nature à accroître les charges du cocontractant. Dans ce cas,
ce dernier a droit à des indemnités.
Le non-respect de tous ces droits pécuniaires par l’administration ouvre droit à
contestation par le cocontractant et donc à contentieux.
Quand est-il du droit du cocontractant à des indemnités éventuelles ?

79
B- Le droit à indemnités éventuelles

En règle générale, l’administration est tenue de respecter la règle de l’équilibre


financier du contrat qui est la contrepartie de ses prérogatives. Ainsi, lorsque les charges
supplémentaires sont imposées aux cocontractants, cet équilibre ne doit pas être rompu. C’est
pourquoi, quand des situations de nature à changer les termes du contrat surviennent, il est
prévu, au profit du cocontractant, des indemnités compensatrices. De telles situations, que
l’on peut considérer comme des entraves ou des obstacles à l’exécution normale du contrat,
sont, pour l’essentiel, au nombre de trois, à savoir :
- du fait du prince ou aléa administratif ;
- de l’imprévision ou aléa économique ;
- des sujétions imprévues ou aléas techniques.
Il faut préciser que toutes ces situations ne mettent pas fin au contrat. Elles accroissent
seulement les charges du cocontractant.
1- Le fait du Prince ou l’aléa administratif
Le fait du prince résulte de l’exercice par l’autorité publique à l’encontre du
cocontractant de ses prérogatives qui entraîne des répercutions sur sa situation. Il en est ainsi,
par exemple, d’une mesure fiscale ou de police ou alors des travaux supplémentaires imposés
par l’Administration contractante, qui accroissent les charges du cocontractant (V. CS/CA,
jugement Société SOTRACOME suscité). Lorsque la puissance publique (le Prince) aggrave,
par son fait, les conditions d’exécution du contrat, elle peut être tenue d’indemniser le
cocontractant.
Cette indemnisation compensatrice, qui est intégrale, c’est-à-dire égale au préjudice
subi, est fondée, non pas sur des dommages intérêts dus par l’administration pour
manquement à ses obligations, mais sur la nécessité de conserver la balance des charges et des
avantages tels que l’ont préalablement envisagés les contractants. Cette indemnisation n’est
possible qu’à trois conditions :
- la mesure aggravante des charges du cocontractant doit provenir de la personne
publique contractante et non d’autres personnes publiques ;
- il doit s’agir d’une mesure spéciale qui frappe particulièrement le cocontractant ;
- la mesure doit avoir une répercussion directe sur l’un des éléments essentiels du
contrat (exemple : création d’une taxe frappant des matières premières nécessaires à
l’exécution du contrat).
2- L’imprévision ou l'aléa économique
En pleine exécution du contrat, des bouleversements économiques étrangers à la
volonté des parties au contrat peuvent imposer une charge ruineuse au cocontractant.
L’exécution du contrat est, certes, encore matériellement possible, mais elle devient
économiquement désastreuse, en particulier pour le cocontractant. C’est cet état de fait qui
justifie la théorie de l’imprévision.
Cette théorie a été formulée par le Conseil d’Etat français dans un arrêt rendu le 30
mars 1916 dans une affaire relative aux difficultés d’application d’une concession de
fourniture de gaz de ville produit à partir du charbon dont le prix s’était accru de façon
extrême à la suite de la première guerre mondiale, de telle sorte que les concessionnaires de
gaz ne pouvaient poursuivre leur exploitation aux tarifs prévus au contrat sans en courir la
ruine. La faillite de l’entreprise contractante et par suite l’interruption du service public a été
évitée grâce à une participation de la commune concessionnaire (Cf. CE, 30 mars 1916,
Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux).
Le juge administratif camerounais a, lui aussi, dans une espèce en date du 27 janvier
1954, fait application de cette théorie dans le cadre d’un marché de gré à gré (CCA, arrêt
n°273 du 27 janvier 1954, Société des Batignolles contre Administration du Territoire).

80
L’imprévision pose trois types de problèmes relatifs à ses conditions, ses effets et à sa
fin.
a)- Les conditions de l’imprévision
Les conditions de l’imprévision sont au nombre de trois :
- les contractants n’ont pu raisonnablement prévoir les faits qui bouleversent la
situation, étant donné leur caractère exceptionnel (exemple, une guerre ou une crise
économique grave) ;
- les faits doivent être indépendants de la volonté des contractants ;
- ces faits doivent provoquer un bouleversement dans les conditions d’exécution du
contrat ; ainsi, la disparition du bénéfice du cocontractant et l’existence d’un déficit ne sont
pas suffisants, il faut que la gravité et la persistance du déficit excèdent ce que le
cocontractant a raisonnablement pu et dû envisager.
Ces trois conditions sont les seules requises.
b)- Les effets de l’imprévision
Les effets de l’imprévision sont, pour l’essentiel, au nombre de deux :
- d’abord le cocontractant reste tenu d’exécuter ses obligations contractuelles ;
- ensuite, à l’égard de l’administration, la théorie de l’imprévision ne fait que mettre en
œuvre son obligation d’assurer l’équilibre financier du contrat.
Cette obligation se concrétise dans l’indemnité d’imprévision versée par
l’administration à son cocontractant ; mais, elle n’est jamais égale à la totalité des pertes
subies ou charges extra- contractuelles. Elle est donc différente de celle octroyée au
contractant en cas de fait de prince.
c)- La fin de l’imprévision
La théorie de l’imprévision est conçue comme un moyen permettant de franchir une
passe difficile. De ce fait, elle revêt un caractère provisoire et temporaire. C’’est ainsi que la
jurisprudence la conçoit. C’est dire que si les conditions économiques qui l’ont provoquées en
viennent à se consolider de telle sorte que le déficit prenne un caractère définitif, les parties
contractantes ont une alternative, soit conclure un nouveau contrat sur des bases nouvelles
inspirées de la situation créée, soit, s’il s’avère impossible de redresser la situation, de
demander au juge de prononcer la résiliation du contrat (CE, 9 décembre 1932, Compagnie
des Tramways de Cherbourg).
3- Les sujétions imprévues ou l'aléa technique
A la base de la théorie des sujétions imprévues, il y a l’idée que la rémunération du
cocontractant, au lieu d’être fixée « ne varietur » par le contrat, doit se modeler sur les
charges qui lui incombent réellement de telle sorte que l’aléa inhérent à toute entreprise se
trouve sérieusement limité.
On peut citer comme sujétion imprévue une roche qui constitue un obstacle dans
l’exécution du marché, en particulier la construction d’une route ; une nappe d’eau
insoupçonnée rencontrée par le cocontractant dans le creusement d’un tunnel ; bref tout fait
naturel qui complique l’exécution du contrat et accroît les charges du cocontractant (CS / CA,
jugement du 31 mars 1988 groupement d’entreprises Dragages- Satom c/ Etat du Cameroun).
En cas de sujétion imprévue, le cocontractant a droit à une indemnité dans la même
proportion que celle qui lui est accordée dans le cadre de l’imprévision. En cas de refus de la
part de l’administration contractante, le juge administratif peut en déterminer le montant (cf.
jugement groupement d’entreprises Dragages-Satom c/ Etat du Cameroun suscité). Si l’aléa
technique s’avère insurmontable, il peut être mis fin au contrat. Quid de l’extinction des
contrats administratifs.

81
SECTION 3 : L’EXTINCTION

Le contrat administratif peut prendre fin dans de multiples hypothèses. S’il est conclu
pour une durée déterminée, il prend fin à l’expiration de cette période. S’il s’agit d’un
contrat comportant un seul échange de prestations, par exemple, la vente d’un immeuble à
l’Etat, l’exécution des obligations des deux parties met fin à ce contrat. Les deux parties
peuvent aussi se mettre d’accord pour résilier le contrat. Cette résiliation peut être aussi
décidée par l’administration seule.

Le contrat peut également prendre fin du fait d’un événement extérieur aux parties, par
exemple, un cas de force majeur. Enfin, le juge administratif peut être amené à mettre fin à un
contrat administratif.
Au-delà de cette pluralité d’hypothèses, la fin du contrat administratif peut être
appréhendée selon la « summa divisio » binaire suivante : la fin normale et la fin provoquée
du contrat administratif.
On parle de fin normale lorsque les parties ont exécuté chacune leurs obligations
contractuelles ou lorsque la période pour laquelle le contrat a été conclu est venu à expiration.
Quant à la fin provoquée du contrat, elle peut être le fait de la volonté des parties, ou liée à un
fait qui leur est extérieur.
Au regard de cette dernière considération, il convient d’appréhender dans un premier
temps, la résiliation du contrat par l’administration, et, dans un second temps, sa résiliation
par le juge administratif.

§1- L’extinction administrative

L’administration peut prononcer de façon unilatérale la résiliation d’un contrat


administratif et ce, même, en dehors des cas où le contrat lui reconnaît ce pouvoir. Cette
résiliation peut être prononcée, soit à titre de sanction, le cocontractant ayant commis une
faute, soit à titre de remède, pour des motifs d’intérêt général.

A- L’extinction-sanction

L’administration peut être amenée, en cas de faute grave commise par le


cocontractant, à résilier le contrat. Cette résiliation constitue une sanction infligée au
cocontractant fautif. Il en est ainsi, par exemple, lorsque le cocontractant a abandonné le
chantier et n’a même pas cru devoir réagir après une mise en demeure à lui adressée par
l’administration (CS / CA, jugement Fouda Etama c/ l’Etat du Cameroun précité).
Si les motifs de la résiliation s’avèrent, par suite, inexistantes, le juge administratif
saisi ne peut prononcer l’annulation des mesures prises par l’administration envers
l’entrepreneur. En effet, le pouvoir de résiliation unilatérale dont dispose l’administration en
matière de marchés publics est généralement considéré par la jurisprudence comme une
prérogative exorbitante (V. CS / CA, jugement n° 50 / 84-85 du 1er février 1985, Affaire
Tameghi Joseph c/ l’Etat de Cameroun dit affaire Amsecom – Amseconcom).
Par ailleurs, si la faute de l’administration est établie, le cocontractant reste tenu
d’exécuter le contrat, mais il a droit à une indemnité, même lorsque les pièces du contrat sont
muettes à ce sujet (V. jugement Tameghi Joseph. suscité et CS / CA, jugement n° 44 / 89-90
du 28 juin 1990, entreprise Amsecom c/ l’Etat du Cameroun). Toutefois, il peut demander la
résiliation du contrat au juge administratif en cas de faute grave commise par l’administration.
De même, il a droit, en cas de « rupture abusive » du contrat par l’administration, d’obtenir
du juge administratif réparation par le versement d’une indemnité compensatrice, d’une
indemnité pour préjudice matériel et d’une indemnité pour préjudice moral(v. CS/CA,

82
jugement n°59/04-05 du 23 mars 2005, Etablissements LIPA-SPORTS B.T.P c/ Etat du
Cameroun) ou alors des dommages et intérêts ( v. CS/CA, jugement n°80/06-07 du 04 juillet
2007, Etablissement Le «PAYSAN » c/ Etat du Cameroun : « (…) comme relevé dans leur
requête, les Etablissements « Le Paysan » avaient successivement reçu du Ministère de la
Santé Publique une lettre du 11 Juillet et une autre du 17 septembre 2001 allant toutes dans
le sens de l’arrangement amiable de leur différend ; (…) il ressort de ces correspondances
que contrairement aux indications de son représentant, l’Etat du Cameroun n’a pas contesté
la validité du marché à l’origine du litige dans la mesure où il a accepté de payer les frais de
son enregistrement ; (…) à cet égard (…), la position de l’administration est sans rapport
avec le préjudice subi par l’entreprise poursuivante laquelle non seulement a engagé des
dépenses pour démarrer les travaux, mais encore a subi un manque à gagner par la remise en
cause de l’opération concernée ».

B- L’extinction-remède

Lorsque l’intérêt général l’exige, l’administration peut toujours mettre fin au contrat,
soit par décision particulière, soit par un acte réglementaire. Cette prérogative est le
prolongement logique du pouvoir de modification unilatérale qui lui est reconnu et se justifie
par la nécessité d’adapter l’action administrative aux circonstances de temps et de lieu,
lesquelles sont, en générale mouvantes.
Ce pouvoir de résiliation a comme contrepartie l’obligation pour l’administration
d’indemniser intégralement le cocontractant par l’application de la théorie du fait de prince.
C’est ainsi que dans l’affaire Distillerie de Magnac Laval du 2 mai 1955, le Conseil d’Etat
français reconnaît, sous certaines conditions, à la personne publique contractante, la
possibilité de résilier unilatéralement un ou plusieurs contrats dans l’intérêt du service ou dans
l’intérêt général, quel que soit l’objet du contrat. Pour le Conseil d’Etat, en effet, « les règles
applicables au contrat administratif permettent, sous réserve des droits à indemnité des
intéressés », à l’administration contractante de résilier un contrat en cours d’exécution.
Dans le cas spécifique de la concession d’un service public, la résiliation prend la
forme de rachat de la concession. Quid de l’extinction juridictionnelle ?

§2- L’extinction juridictionnelle

La résiliation du contrat administratif par le juge peut intervenir soit à la demande du


particulier cocontractant, soit à la demande de l’administration, soit, enfin, à la demande de
l’une ou l’autre partie au contrat.

A- L’extinction à la demande du cocontractant

La résiliation du contrat à la demande du cocontractant peut être prononcée, soit en cas


de faute grave de l’administration, ce qui entraîne l’obligation pour elle d’indemniser son
cocontractant, soit lorsque les changements que l’administration prétend imposer
unilatéralement au cocontractant excèdent certaines limites, soit, enfin, dans certaines
hypothèses de force majeure.

B- L’extinction à l’initiative de l’administration

La résiliation du contrat à l’initiative de l’administration est prononcée, soit lorsque


cette dernière renonce de son plein gré à user de sa prérogative de résiliation et préfère saisir
le juge du contrat, soit lorsqu’il s’agit d’une concession du service public pour laquelle la
déchéance ne peut être prononcée par l’administration.

83
C- L’extinction à la demande de l’une ou l’autre partie au contrat

La résiliation du contrat à la demande de l’une ou l’autre partie au contrat est


prononcée par le juge lorsqu’il apparaît manifestement que l’équilibre économique du contrat
est définitivement bouleversé du fait des circonstances qui peuvent être liées, soit à un fait
naturel, soit à un fait économique, soit à un fait politique. Dans ce cas, il est question de
mettre fin à une situation qui est de nature à préjudicier gravement les droits et les intérêts des
parties au contrat. Il est, par conséquent, dans l’intérêt de ces parties, lorsque les circonstances
leur sont défavorables, que le contrat soit résilié.
Des litiges peuvent survenir ou naitre à l’occasion de la formation et/ou de l’exécution,
voire de la résiliation des contrats administratifs. Des modes de règlement desdits litiges sont
prévus par la législation en vigueur
Que dire en définitive au terme de ces développements sur l’action juridique de
l’administration ? Cette action constitue, d’une certaine façon, l’expression ou la marque de la
prééminence de l’administration dans ses rapports avec les tiers. Cette prééminence se justifie
et s’explique. En effet, l’administration a une mission d’intérêt général. Elle est au service de
la collectivité nationale qu’elle doit protéger. Il faut, par conséquent, qu’elle ait des moyens
idoines lui permettant d’assurer efficacement et effectivement cette mission.
L’administration doit, cependant, mener cette activité juridique en se conformant au
droit en vigueur. Autrement dit, l’édiction et l’application des actes administratifs doivent être
faites dans le respect du droit qui régit l’administration et ses rapports avec les tiers. L’activité
matérielle (services publics et police administrative) de cette dernière ne déroge ou ne devrait
pas déroger à cette exigence.

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TITRE II

L’ACTIVITE MATERIELLE

L’administration est, en principe, la seule personne juridique dont la mission consiste à


faire en sorte que la collectivité nationale vive en harmonie et à être au service de l’intérêt
général. Des moyens sont mis à sa disposition à cette fin. Son activité matérielle est double :
elle est relative d’une part aux services publics et, d’autre part, à la police administrative.

CHAPITRE I

LES SERVICES PUBLICS

En tant qu’une des manifestations les plus importantes de l’intervention de


l’Administration, les services publics sont une notion complexe.
Du point de vue formel, il s’agit d’«un ensemble organisé des moyens matériels et
humains mis en œuvre par l’Etat ou une autre collectivité publique ».
Du point de vue matériel, ils désignent « toute activité destinée à satisfaire un besoin
d’intérêt général et qui, en tant que telle, doit être assurée ou contrôlée par
l’Administration». Il est donc important de clarifier cette notion à travers son être juridique
avant d’en déterminer le régime juridique.

SECTION 1 : L’ETRE JURIDIQUE

En droit administratif, le service public est l’une des notions les plus importantes et
les plus controversées. Pivot du rôle de l’Etat dont la fonction est de servir, il est dès l’origine
objet de discussion au regard de dialectique service public/puissance publique que le Doyen
Maurice Hauriou a mis en exergue. Il existe plusieurs conceptions de services publics et des
critères variés permettent de les identifier.

§ 1- Les conceptions du service public

Il existe plusieurs conceptions du service public ; mais les principales sont au nombre
de deux. La conception objective et la conception subjective.
La conception objective repose sur l’idée qu’il existe des services publics par nature,
c’est-à-dire des activités qui, dans leur essence intrinsèque, relèvent de l’intérêt général et
doivent être régies en service public.
Cette conception a été défendue par le Commissaire du Gouvernement Matier dans ses
conclusions sur l’arrêt du Tribunal des Conflits du 22 janvier 1921, SCOA ou affaire Bac
d’Eloka.
Quant à la conception subjective, elle fait appel à la volonté de l’Etat. Ainsi, seul
l’Etat juge les exigences de l’intérêt général et apprécie de façon discrétionnaire à quel
moment la satisfaction d’un besoin d’intérêt général doit donner lieu à la création d’un service
public.
Au demeurant, il existe une réelle difficulté à appréhender la notion de service public.
En l’état actuel du droit positif, lorsque l’Etat n’a pas dit que le service créé est un service
public, la jurisprudence se réfère à un « faisceau d’indices » pour dire si le service en cause a
un caractère public ou non. Il en sera ainsi de l’octroi à un service (public) de prérogatives de
puissance publique ; par exemple, le pouvoir d’expropriation (CFJ/CAY, arrêt n°160 du 8
juin 1971, Fouda Mballa Maurice C/Etat fédéré du Cameroun oriental).

85
Mais, dans un pays comme le Cameroun, le problème de la définition du service
public a très peu d’importance, car le Législateur et l’Exécutif s’en soucient très peu. Ils sont
plus intéressés par l’efficacité du service créé ou à créer. L’Eta du Cameroun a plutôt une
conception opérationnelle de la notion de service public.

§ 2- L’identification des services publics

Ce sont des critères à la fois indissociables et complémentaires. Ils sont au nombre de


trois : le critère organique, le critère fonctionnel ou matériel et le critère finaliste.
Le critère organique renvoie à la personne publique. Le critère matériel est relatif à
l’activité de cette personne publique, qui doit être administrative. Enfin, le critère finaliste
concerne le but visé, qui est l’intérêt général.
Sur la base de ces critères, on peut définir le service public comme une activité
administrative menée ou confiée à une personne publique ou à toute autre personne (privée ou
physique) et ayant pour but la satisfaction de l’intérêt général. Ces trois critères sont
considérés comme les conditions d’existence du service public. Elles donc sont cumulatives
au plan conceptuel (il faut ces trois critères pour définir le service public) et alternatives au
plan opérationnel (l’existence de l’un de ces critères suffit pour que le service soit qualifié de
public).

SECTION 2 : LA VIE JURIDIQUE

Les règles juridiques qui régissent la vie des services publics sont relatives à leur
création, aux principes qui les régissent et à leurs modes de gestion.

§ 1- La création des services publics

Il convient de déterminer d’abord les organes compétents pour créer les services
publics avant d’en déterminer les différentes formes.

A- Les organes compétents

La création des services publics peut intervenir aussi bien au niveau national qu’au
niveau local.
Au niveau national, cette création est de la compétence de l’Exécutif. En effet, c’est
l’Exécutif qui, au regard de la Constitution (article 8 de la Constitution du 18 janvier 1996),
est habilité à créer les services publics. Il en est de même de leur organisation et de leur
extinction. L’intervention du législateur est-elle exclue ? Sur le plan constitutionnel, le
législateur a compétence pour créer les catégories de service public.
Au niveau local, les collectivités territoriales décentralisées ont, sous certaines
conditions, le droit de créer des services publics. Cette création ressortit à la compétence des
assemblées délibérantes (conseil municipal pour les communes et conseil de la communauté
pour les communautés urbaines).

B- Les formes instituées

On peut classer les services publics selon deux critères : le critère formel et le critère
matériel.

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1- Le critère formel
L’application du critère formel permet de distinguer quatre formes de services
publics : les services publics administratifs ; les services publics industriels et commerciaux ;
les services publics sociaux ; les services publics corporatifs ou professionnels.
Les services publics administratifs sont qualifiés comme tels par les textes législatifs
ou réglementaires. En l’absence d’une qualification textuelle, la jurisprudence fait recourt à
trois conditions pour les identifier : d’abord l’objet desdits services ; ensuite, leur mode de
financement ; enfin leurs modalités d’organisation et de fonctionnement.
Quant aux services publics industriels et commerciaux, ils sont soumis à un double
régime juridique. Leurs rapports avec l’Etat ou la collectivité publique qui les a créées sont
régis par le droit public; tandis que leurs rapports avec leurs agents ou leurs usagers sont régis
par le droit privé. Pour ce qui est des services publics sociaux, ce sont des services qui
interviennent dans les domaines sanitaires, sociaux et culturels. Pour ce qui concerne, enfin,
les services publics corporatifs ou professionnels, il s’agit, pour l’essentiel, des ordres
professionnels. Le caractère public desdits services est lié au recrutement de leurs membres et
au régime disciplinaire applicable à ces derniers.
2- Le critère matériel
Ce critère rejette la distinction classique des services publics. Son application permet
de distinguer quatre formes de services publics :
- les services publics ayant pour finalité le maintien ou l’instauration de l’ordre (la
Défense, la Justice, la Police) ou la régulation des activités privées (les ordres
professionnels et les Chambres consulaires que sont la Chambre de Commerce et la
Chambre d’Agriculture) ;
- les services publics ayant pour finalité la protection sociale et sanitaire (la Caisse
Nationale de Prévoyance Sociale, les hôpitaux publics) ;
- les services publics à vocation éducative et culturelle (enseignement, recherche, loisirs et
communication audiovisuelle) ;
- enfin, les services publics à caractère économique (il s’agit, pour l’essentiel, des services
publics industriels et commerciaux).
Mais, quel que soit le service public considéré, il fonctionne sur la base d’un certain
nombre de principes que l’on nomme les lois de Rolland (c’est l’auteur qui a formulé ces lois
ou principes).

§ 2- Les lois ou principes du service public

Ces lois ou principes sont essentiellement au nombre de trois : la continuité, l’égalité


et l’adaptabilité ou la mutabilité.

A- La continuité

Ce principe signifie que l’administration doit fonctionner sans interruption. En


d’autres termes, le fonctionnement de l’administration publique ne doit pas connaître des
arrêts de nature à perturber les services qu’elle doit rendre aux usagers. Il reste que le
fonctionnement du service public est limité dans le temps. C’est pour cette raison qu’un texte
prévoit toujours ses horaires d’ouverture et de fermeture.
Dans un premier temps, le juge administratif appréhendait ce principe dans l’absolu
en refusant de reconnaître le droit de grève aux agents publics (CE, 7 Août 1909, Winkell).
Mais, par la suite, il a infléchit sa position en reconnaissant que l’exercice du droit grève par
les agents publics n’était pas incompatible avec le principe de la continuité du service public
(CE ,7 Juillet 1950, Dehaene).

87
B- L’égalité

D’après ce principe, les citoyens sont tous égaux devant le service public, qu’ils soient
usagers, agents ou candidats aux emplois publics. Ce principe, qui est un principe
constitutionnel, implique, par conséquent, la prohibition de toute discrimination basée sur la
religion, la race, l’ethnie ou le sexe (CS/CA, jugement n°29/2005-2006 du 14 décembre
2005, Moukon à Ebong Martin c/ Etat du Cameroun : « Attendu que le principe d’égalité
que prévoit la Constitution du Cameroun emporte l’égalité de chance d’accès aux emplois
publics ; (…) il en résulte qu’au moment de postuler à un emploi public tous les candidats
doivent compétir au même pied d’égalité ».

C- La mutabilité ou l’adaptabilité

Ce principe permet à l’administration de mener ses activités en fonction des mutations


que connaît la société. C’est ainsi que l’administration peut modifier unilatéralement un
contrat administratif lorsque les circonstances l’exigent ; cette modification doit avoir pour
finalité l’intérêt général. C’est dans cette optique également que l’administration peut
procéder à la réduction de ses effectifs en personnel pour des motifs économiques ou pour
cause de réorganisation des services.
En dehors de ces principes essentiels, il en existe d’autres mais qui n'en sont que des
corollaires. On peut citer le principe de neutralité, le principe de gratuité et le principe lié à
l’obligation d’un fonctionnement correct de l’administration, mais qui sont des pendants ou
les conséquences deux analysés précédemment.

§ 3- Les modes de gestion des services publics

Les modes gestion des services publics sont nombreux. On peut citer : la gestion en
régie, la gestion décentralisée, la gestion en concession ou en affermage et la gestion en
concession ou en affermage, et la gestion par des organismes professionnels. Dans certains
cas, cette gestion est assurée par des personnes publiques, et dans d’autres, des personnes
privées.

A- La gestion en régie10

La gestion en régie est un mode de gestion qui a été pendant longtemps la seule
formule de gestion connue de l’administration publique.
Il convient de préciser qu’il existe deux types de gestion en régie : la gestion en régie
classique ou directe et la gestion en régie intéressée.
1-La gestion en régie classique ou directe est celle qui est assurée par les agents de
l’administration concernée. Le service est géré par la collectivité publique elle-même. Il est de
ce fait dépourvu de la personnalité juridique et de l’autonomie financière.
La gestion en régie classique concerne les activités de la collectivité dont elle relève.
D’après l’article 42.1 de la loi n°2019/024 portant Code général des CTD, la régie
(classique ou directe) « consiste, pour une collectivité territoriale, à gérer directement le

10
V. GUIMDO DONGMO (Bernard-Raymond), « Contrats de délégation de service public et harmonisation
dans le cadre de l’OHADA : cas de la régie intéressée, de la concession et de l’affermage », Actes du Colloque
international de Libreville sur Les pratiques contractuelles d’affaires et les processus d’harmonisation dans les
espaces régionaux, organisé par l’ERSUMA du 26au 28 octobre 2011, publication de l’ERSUMA, 1 ère éd., juin
2012, pp.168-178. Lire aussi, les articles 42 à 45 de la loi n°2019/024 portant statut général des Collectivités
territoriales décentralisées.

88
service public dans le cadre fixé par la règlementation ». Le même article précise, en son
alinéa 2, que « les services locaux gérés en régie fonctionnent conformément au droit
commun applicable aux services publics de l’Etat».
L’alinéa 3 dudit article précise que, « toutefois, les services d’intérêt public à
caractère industriel et commercial peuvent être exploités en régie par les collectivités
territoriales, lorsque l’intérêt public l’exige, et notamment en cas de carence ou
d’insuffisance de l’initiative privée ».
2-La gestion en régie intéressée 11 est celle qui est confiée à des personnes qui
n’appartiennent pas à l’administration. A ce sujet, l’article 49 de loi de la n°2019/024
portant Code général de Collectivités territoriales décentralisées précise que, «les
entreprises exploitant les services publics à gestion intéressée sont soumises, pour tout ce qui
concerne l’exploitation et les travaux de 1er établissement qu’elles peuvent être amenées à
faire pour le compte de l’autorité concédante, à toutes mesures de contrôle et à la production
toutes les justifications, conformément à la réglementation en vigueur ».
La difficulté qu’a suscitée la régie, surtout dans le domaine économique, a entraîné la
création de structures de plus en plus décentralisées, mais qui restent sous l’autorité de la
collectivité publique concernée (par le biais de la tutelle administrative).

B- La gestion décentralisée

C’est une gestion que l’Etat ou une collectivité territoriale décentralisée confie à une
structure autonome ayant la qualité de personne publique, en l’occurrence, l’établissement
public. C’est ainsi, par exemple, que l’Etat a confié le service public de l’enseignement
supérieur aux universités d’Etat, qui sont des établissements publics à caractère scientifique et
culturel. L’établissement public est une personne morale de droit public placé sous la tutelle
d’une collectivité publique (Etat ou collectivité territoriale décentralisée) et agissant dans un
domaine spécialisée de l’action administrative. Il a trois caractéristiques principales :
-il a une personnalité juridique : il peut poser des actes juridiques, ester en justice ;
-il fonctionne selon le principe de spécialité : il doit respecter le champ d’action qui
lui est assigné par les textes ;
-il est sous tutelle : en contrepartie de l’autonomie que l’administration lui accorde,
cette dernière exerce sur lui le pouvoir de contrôle et le pouvoir d’orientation des activités
qu’il doit mener.

C- La gestion en concession et/ou en affermage 12

L’affermage et la concession de service public constituent des techniques


contractuelles qui permettent à la personne publique de confier à un fermier ou à un
concessionnaire la gestion d’un service public.
1-Dans le cadre de la concession, le concessionnaire a en charge, non seulement la
gestion quotidienne, mais également l’entretien et le développement du service public à lui
confié (ex. ENEO, CAMRAIL, Orange, MTN et Nexttel). En la matière, la personne publique
est le concédant et le particulier le concessionnaire. Ce dernier jouit, de par la concession,
d’importantes prérogatives à l’encontre des usagers ; ce sont des prérogatives de puissance
publique dont la contestation de l’exercice ne peut se faire que devant le juge administratif,
sauf prescriptions textuelles contraires.

11
V. articles 46.2 à 49 de la loi n°2019/024 du 24 décembre 2019 portant Code général des CTD.
12
V. GUIMDO DONGMO (Bernard-Raymond), « Contrats de délégation de service public et harmonisation
dans le cadre de l’OHADA : cas de la régie intéressée, de la concession et de l’affermage »(…).

89
2-Dans le cadre de l’affermage, la mission principale assignée au fermier est la
gestion classique qui consiste à l’exploitation et à la distribution (ex. Camerounaise Des Eaux
jusqu’en avril 2018). Ainsi, par opposition au concessionnaire, le fermier n’a pas compétence
pour produire et au développer les infrastructures publiques qu’il gère. Mais, comme le
concessionnaire, il jouit d’importantes prérogatives à l’encontre des usagers ; ce sont des
prorogatives de puissance publique dont la contestation de l’exercice ne peut se faire que
devant le juge administratif.

D- La gestion par des organismes professionnels

L’Etat peut confier la gestion des services publics à des organismes privés que l’on
nomme les ordres professionnels. Ceux-ci sont créés par l’Etat, au moyen des lois, en fonction
des domaines d’activités. Il en est ainsi notamment de l’ordre professionnel des médecins,
l’ordre professionnel des architectes, des urbanistes, etc.
En général, ce sont des structures corporatives ayant une mission de représentation et
d’encadrement des membres d’un même corps de métier. Au regard d’une jurisprudence
constante, lorsque les actes pris par ces organes participent d’une mission de service public,
ils sont, en principe, administratifs. Quid de la police administrative ?

CHAPITRE II

LA POLICE ADMINISTRATIVE

L’on a tendance à assigner à la notion de police en général des caractères


contraignants et répressifs. Cette manière de voir ne correspond pas à la réalité.
Pour cerner la police administrative, il sied de déterminer sa consistance et d’analyser
son régime.

SECTION 1 : LA CONSISTANCE

La police administrative a une consistance à la fois notionnelle et organique.

§ 1- La consistance notionnelle

Pour appréhender la police administrative dans sa consistance notionnelle, il convient,


à travers une démarche trilogique, d’identifier son objet, de la distinguer de la police
judiciaire et de déterminer ses différentes formes.

A- L’ordre public comme objet de la police administrative

La police administrative a pour finalité le maintien de l’ordre public. Mais ce dernier


est une notion qui n’est pas aisée à cerner. On peut cependant tenter de la saisir à travers ses
éléments constitutifs.
1- La notion d’ordre public
L’ordre public constitue, incontestablement, l’objet obligatoire de la police
administrative. Autrement dit, la mission assignée à la police administrative est de maintenir
la concorde au sein de la société toute entière et donc dans l’Etat. Il s’agit, manifestement
d’une obligation.

90
L’ordre public a un contenu contingent et évolutif. En effet, celui-ci est fonction des
circonstances de temps et de lieu. Il n’est pas stable, il change en fonction des situations et des
régimes politiques.
Mais, il ne faut pas croire que l’ordre public est une notion insaisissable. Il a des
éléments constitutifs qui permettent de le caractériser, à défaut de le définir.
2- Les composantes de l’ordre public
L’ordre public, au sens de la police, est l’ordre matériel considéré comme un état de
fait opposé à cet autre état de fait qui est le désordre.
Le danger de désordre matériel est le symptôme qui déclenche l’action préventive de
la police, et son action se borne à faire disparaître ce symptôme.
La police de l’ordre public ne se préoccupe pas du désordre moral qui a pu engendrer
le désordre matériel. Elle s’en tient à la politique du fait sans remonter aux causes
doctrinales.
L’ordre public ainsi compris se ramène à trois éléments : la tranquillité publique, ou
tranquillité dans les rues, des villes et des villages ; la sécurité publique, qui est une garantie
préventive contre les infractions, crimes et délits ; enfin, la salubrité publique, qui est une
garantie préventive contre les fléaux contagieux et les épidémies. Telle est la perception
classique de l’ordre public.
Depuis 1995, le juge administratif suprême français considère que le respect de la
dignité humaine constitue une des composantes de l’ordre public. En effet, le Conseil d’Etat a
estimé que le lancer de nain à des fins commerciales est une attente à la dignité humaine; ce
qui, en raison des circonstances, constitue une menace à l’ordre public (CE, 13 octobre
1995, commune de Morsang-sur-Orge ville d’Aix-en- Provence).
Ainsi, l’ordre public a désormais quatre éléments constitutifs. Est donc battue en
brèche la trilogie dégagée, en son temps, par le Doyen Maurice Hauriou, laquelle faisait
l’unanimité dans la doctrine et avait été consacrée par la jurisprudence.
Il se dégage de ce qui précède que le maintien de l’ordre public, qui est la finalité de la
police administrative, est une action préventive et non répressive. La police administrative se
distingue donc de la police judiciaire.

B- La distinction entre police administrative et police judiciaire

Cette distinction, bien que réelle, est cependant relative.


1- Les éléments de la distinction
La police judiciaire est l’action qui consiste à réprimer une infraction. C’est une
action postérieure à l’acte commis. A ce titre, elle est essentiellement répressive.
Quant à la police administrative, elle intervient ex-ante à la mesure ou à l’événement
qu’elle entend interdire ou autoriser. Il s’agit d’une action essentiellement préventive.
Les caractères distinctifs de ces deux polices ont été élucidés par le Conseil d’Etat
dans l’arrêt société Frampar rendu le 24 juin 1901. Il a, dans l’arrêt Baud du 11 mai 1951,
réitéré la distinction entre ces deux polices en se fondant sur l’objet de l’opération en cause.
La police administrative est l’action par laquelle les autorités administratives
compétentes définissent, au moyen d’actes administratifs unilatéraux, réglementaires ou
individuels, les conditions du maintien de l’ordre public. La police judiciaire, quant à elle, a
pour objet de découvrir les auteurs des infractions et de les déférer devant les juridictions
répressives compétentes. Elle consiste donc en la recherche d’éléments débouchant
directement sur des poursuites pénales, alors que la police administrative a une mission de
contrôle et de surveillance sans être orientée sur une infraction criminelle ou correctionnelle
précise. Mais, la distinction entre ces deux polices doit être relativisée.

91
2- Les limites de la distinction
Sur le double plan organique et fonctionnel, cette relativité se traduit, d’une part par
une sorte de communauté de personnel entre la police administrative et la police judiciaire
(ex : l’agent de police qui régit la circulation sur la voie publique ), et d’autre part, par la
polyvalence de nombreuses opérations de police ou par la transformation d’une opération de
police administrative en une opération de police judiciaire. C’est le cas lorsqu’un agent de
police dresse, à l’encontre d’un automobiliste, un procès-verbal (la police administrative se
mue ici en police judiciaire) ; c’est le cas aussi lorsqu’un agent de police contrôle les pièces
d’identité des passagers d’un véhicule sur la voie publique (la police judiciaire se mue ici en
police administrative).

C- Les différentes formes de police administrative

Il existe deux formes de police administrative : la police administrative générale et la


police administrative spéciale.
La police générale et la police spéciale diffèrent l’une de l’autre du point de vue des
buts, des sources et de leurs destinataires.
La police administrative générale s’occupe du maintien de l’ordre public en général,
tant au plan national qu’au plan local.
Quant à la police administrative spéciale, elle a un champ compétenciel limité. Elle
s’occupe du maintien de l’ordre public spécifique, qui concerne un domaine précis. Elle peut
avoir d’autres buts que le maintien de l’ordre public et est régie par des textes spéciaux (la
sauvegarde de l’environnement ou de l’esthétique, par exemple).
La police générale s’applique à l’ensemble de l’activité des citoyens alors que la police
spéciale s’attache à contrôler certains types d’activités (la police de la chasse, de la
cinématographie, de la pêche, de la construction, par exemple) ou certaines catégories de
citoyens (les étrangers).

§ 2- La consistance organique

Les autorités de police administrative sont déterminées par les textes qui fixent leurs
attributions. Comment les identifier ?
Existe-t-il un critérium permettant de dire que telle autorité de police administrative a
une compétence générale ou spéciale, nationale ou locale ? Ces autorités peuvent-elles agir
sans une certaine collaboration, voire sans une certaine concurrence ?
Pour répondre à ces questions, il faut, d’une part, procéder à l’identification les
autorités de police administrative, et, d’autre part, déterminer les règles qui régissent la
concurrence ou le concours entre lesdites autorités.

A- L’identification des autorités de police administrative

Le critérium à prendre en compte ici est celui de l’étendue de la compétence


territoriale des différentes autorités de police administrative. On peut ainsi distinguer les
autorités de police administrative à compétence nationale et les autorités de police
administrative à compétence locale.
1- Les autorités de police administrative à compétence nationale
Ces autorités appartiennent à l’administration centrale. Elles fixent les mesures de
police qui doivent, en tout état de cause, être appliquées sur l’ensemble du territoire. Elles
émettent, grâce à leur compétence réglementaire, des prescriptions ou règlements nationaux.
Il s’agit, notamment, du Président de la République (C.E 8 août 1919, Labonne), du Premier

92
Ministre (C.E. 13 mai 1960, SARL « restaurant Nicolas »), ainsi que des ministres, qui sont
investis du pouvoir de réglementation en matière de police spéciale. C’est le cas, par
exemple, du Ministre de la Culture et du Ministre du Tourisme.
2- Les autorités de police administrative à compétence locale
Il en existe dans l’administration déconcentrée, notamment dans les circonscriptions
administratives. On peut citer le Gouverneur (au niveau de la région), le Préfet (au niveau du
Département), le Sous-préfet (au niveau de l’Arrondissement).
Il en existe également au sein des collectivités territoriales décentralisées. Il en est
ainsi du Maire dans la commune et du Maire de ville dans les communautés urbaines.
Il convient cependant de signaler qu’en dehors des autorités investies du pouvoir de
police administrative, il existe des agents chargés de veiller à l’exécution des prescriptions
de police : c'est le personnel de police. Ce dernier peut être civil ou militaire.
La multiplicité des polices et la diversité des autorités engendrent, dans tous les cas,
un concours, voire une concurrence dans l’exercice des pouvoirs de police.

B- Le concours entre les autorités de police administrative

Ce concours peut avoir lieu à deux niveaux. D’abord entre les autorités de police
administrative générale, ensuite, entre les autorités de police administrative générale et les
autorités de police administrative spéciale.
1- Le concours entre les autorités de police administrative générale
La règle ici est que l’acte de l’autorité de police inférieure ne peut pas contrarier l’acte
de l’autorité de police supérieure, tant au plan national qu’au plan local.
Le fait que les autorités de police générale à compétence nationale prennent des
mesures applicables sur l’ensemble du territoire n’interdit pas aux autorités de police à
compétence locale d’édicter des mesures de police dans leur localité. Toutefois, ces dernières
ne peuvent prendre que des actes tendant à faciliter l’exécution de ceux pris par celles-là ;
elles ne peuvent pas se dispenser de les appliquer ni les rendre plus ou moins sévère : C.E. 18
Avril 1902, Commune de Neris-Les-Bains. Cet arrêt a consacré le principe du non contrariété
de l’acte de l’autorité de police supérieure par l’acte de l’autorité de police inférieure. Par
conséquent, sous peine de nullité, l’acte de l’autorité de police inférieure doit toujours être
conforme à l’acte de l’autorité de police supérieure.
Ainsi, de jure, les pouvoirs de police municipale conférés au Maire ne font pas
obstacle aux pouvoirs de police générale des autorités administratives compétentes (V.
article 222.1 de la loi n°2019/024 du 24 décembre 2019 portant statut général des
Collectivités territoriales décentralisées). Cela signifie qu’en la matière, les autorités
communales ou de la communauté ne peuvent pas remettre en cause une mesure de police
prise par les autorités administratives étatiques compétentes, notamment celles détentrices du
pouvoir de police générale.
Qu’adviendrait-il si l’autorité administrative étatique compétente est détentrice du
pouvoir de police spéciale (exemple, le Ministre des Arts et de la Culture, pour ce qui est de la
projection des films ou le Ministre du Tourisme, pour ce qui est de la protection des sites) ?
2- Le concours entre autorités de police générale et autorités de police spéciale
Deux cas de figures doivent être considérés.
Il y a le cas où le concours ne peut avoir lieu ou n’est pas possible du fait d’une
prescription textuelle.
Il y a ensuite le cas où le concours a lieu ou est possible. C’est ainsi que la
jurisprudence estime que, pour des raisons liées aux circonstances locales, une autorité de
police administrative générale à compétence locale peut prendre un acte contraire à celui
d’une autorité administrative spéciale à compétence nationale. Elle a admis que le maire peut

93
légalement, pour des raisons éthiques liées aux circonstances de sa localité, interdire la
projection, dans sa commune, d’un film autorisé au niveau national par le Ministre en charge
des questions cinématographiques (CE, 18 décembre 1959, société films Lutetia et syndicats
français de producteurs et exportateurs de films). Quid du régime de la police
administrative ?

SECTION 2 : LE REGIME

Les règles applicables à la police administrative concernent d’une part les caractères
de ses actes, et, d’autre part, ses pouvoirs.

§ 1- Les caractères des actes de la police administrative

Les caractères des actes de police administrative sont au nombre de quatre :


- les actes de police administrative sont des actes unilatéraux ; par conséquent,
l’administration ne saurait conclure des contrats avec des particuliers en matière de
police ;
- les actes de police administrative sont généralement des actes préventifs et non
répressifs ;
- les actes de police administrative sont des actes obligatoires, en ce sens que l’autorité
administrative de police est tenue de les prendre et qu’ils s’imposent aux administrés ;
- les actes de police administrative sont, enfin, des actes qui ne créent pas de droit ; ils
peuvent donc être modifiés, abrogés ou retirés en fonction des circonstances.
Les actes de police administrative échappent au principe du droit de la défense.
L’autorité de police n’est donc pas tenue d’informer les administrés et d’avoir leur point de
vue avant de prendre une mesure de police. C’est un principe qui a été formulé par le juge
administratif camerounais dans l’arrêt n°208/CCA du 30 janvier 1953, Jean Boone c/
Administration du Territoire. Mais, ce principe a été remis en cause dans l’arrêt Obame
Etémé Joseph du 27 janvier 1970 (CFJ/CAY arrêt n°98 du 27 janvier 1970, Obame Etémé
Joseph contre République Fédérale du Cameroun). Dans cet arrêt, le juge reproche au
Préfet de n’avoir pas permis au sieur Obame d’exercer ses droits de la défense avant de
prendre l’acte portant interdiction d’entrée et de séjour de l’intéressé dans son Département :
« Considérant (…) qu’une sanction telle que celle qui a frappé le requérant ne pouvait
légalement intervenir sans que ce dernier eût été à même de discuter les griefs articulés
contre lui ; qu’ainsi le sieur Obame Etémé n’ayant pas été préalablement invité à présenter
ses moyens de défense, l’arrêté attaqué a été pris en violation du principe de respect des
droits de la défense et qu’il est de ce point entaché d’excès de pouvoir ». Ce faisant, le juge
de l’espèce limitait les prérogatives de l’administration en matière de police.

§ 2- Les pouvoirs de la police administrative

Il convient d’abord de voir comment ces pouvoirs sont articulés avant d’en indiquer
les limites.

A- L’articulation des pouvoirs de la police administrative

Il existe plusieurs types de pouvoirs de police, qui ont aussi des domaines
d’intervention divers.

94
1- Les types de pouvoirs de police
Les pouvoirs de l’administration en matière de police administrative sont,
essentiellement, au nombre de quatre :
- premièrement, les autorités de police administrative ont un pouvoir de
réglementation en matière de circulation, de salubrité et de tous les éléments constitutifs de
l’ordre public. Elles jouissent ainsi d’un pouvoir de sanction répétitive du point de vue de la
violation ou de la menace à l’ordre public ;
- deuxièmement, les autorités de police administrative jouissent d’un pouvoir de
réquisition des biens et des personnes qui porteraient atteinte à l’ordre public ;
- troisièmement, les actes de police administrative sont, en principe, exécutés d’office
en cas d’urgence ou lorsqu’un texte l’exige, tant en ce qui concerne les actes de la police
générale que les actes de la police spéciale. Cependant, ce principe connaît des exceptions ; il
en est ainsi de l’acte de reconduction à la frontière d’un étranger en situation irrégulière, en ce
sens que la procédure d’expatriation échappe à la compétence de la police administrative.
L’article 38 de la loi n°97-12 du 10 janvier 1997 fixant les conditions d’entrée, de séjour et
de sortie des étrangers au Cameroun, dispose, à cet effet, que, « la mesure de reconduite à la
frontière ne peut être exécutée avant l’expiration du délai de 48 h suivant sa notification et
avant que la juridiction saisie n’ait statué » ;
- quatrièmement, enfin, la mesure de police ne peut, en principe, faire l’objet ni d’un
sursis à exécution (mesure qui consiste à suspendre l’exécution d’un acte administratif lorsque
cette exécution aurait des conséquences difficilement réparables), ni d’un référé administratif
(procédure rapide permettant de prendre une mesure conservatoire ou d’instruction en cas
d’urgence). En effet, la mise en œuvre de ces procédures suppose que l’acte querellé ne
concerne ni l’ordre public ni la sécurité publique ni la tranquillité publique.
Cependant, dans l’affaire UPC c/Etat du Cameroun du 19 décembre 1993, ce principe
a été remis en cause par le juge administratif camerounais.
En effet, bien qu’il ait évoqué les dispositions de l’article 16 suscité, le Président de la
Chambre administrative de la Cour suprême a déclaré la requête aux fins de sursis recevable,
alors même qu’elle sollicitait la suspension de l’exécution d’une mesure de police, notamment
l’interdiction de la tenue du congrès de l’UPC à Bafoussam du 1 er au 3 octobre 1993. Il n’a
rejeté cette requête que parce que son ordonnance est intervenue après la période prévue pour
la tenue du congrès : « Que dès lors, la dite requête aux fins de sursis à exécution est sans
objet » (ordonnance n°4/OSE/PCA/CS/93-94 du 19 décembre 1993, affaire UPC C/Etat du
Cameroun).
2- Les domaines d’exercice des pouvoirs de la police administrative
On a d’abord des activités illicites. Par rapport à ces dernières, l’autorité de police
intervient pour préciser la portée de leur prohibition légale. On a, ensuite, des activités
ayant le caractère de simples facultés. Par rapport à ces activités, l’autorité de police
dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour les interdire, les autoriser ou les réglementer. Ce ne
sont pas des activités prohibées. Il en est ainsi, par exemple, des manifestations sur la voie
publique. On a, enfin, des activités ayant le caractère de libertés publiques. Par rapport à
ces activités, l’exercice du pouvoir de police est étroitement limité. Cette restriction varie
selon qu’il s’agit d’une liberté publique dite relative (exemple : la liberté de commerce ou
d’industrie) ou fondamentale (exemple : la liberté d’expression, d’association, ou d’aller et
venir). L’exercice des pouvoirs de police connaît des limites.

95
B- Les limites des pouvoirs de la police administrative

La mise en œuvre des pouvoirs de police administrative générale ou spéciale au


moyen d’une réglementation ou d’une décision individuelle se heurte au principe de légalité et
au contrôle du juge, qui s’appliquent à l’action de l’administration.
1- Le principe de légalité
Le principe de légalité est le principe selon lequel l’administration ne peut agir qu’en
conformité avec le droit. En effet, l’exercice de ses pouvoirs par l’administration doit être
compatible avec les différentes normes juridiques que sont : la Constitution, les traités
internationaux, la loi et les principes généraux du droit. Ce principe se manifeste tant en
période normale qu’en période de crise.
En période normale, on applique la légalité ordinaire, qui restreint considérablement
les pouvoirs de police administrative ; en ce sens, lorsque le juge est saisi, il exerce sur la
mesure de police contestée un contrôle maximum, qui va au-delà de l’examen de l’acte
litigieux pour s’intéresser à son opportunité. En période de crise, c’est la légalité d’exception
qui s’applique ; certes, elle implique l’extension des pouvoirs de police de l’administration
tant sur le plan textuel que sur le plan jurisprudentiel, mais n’exclut pas tout contrôle
juridictionnel des mesures de police édictées.
2- Le contrôle juridictionnel des mesures de police
En principe, c’est le juge administratif qui est compétent en matière de contrôle des
mesures de police administrative. Mais, il arrive que des textes donnent compétence au juge
judiciaire pour intervenir dans cette matière.
a)- Le contrôle exercé par le juge administratif
En principe, lorsque le juge administratif est saisi, ce qui est en cause c’est soit la
légalité, soit la nécessité, voire l’opportunité de la mesure de police litigieuse. Le recourant
peut même aller au-delà de la contestation de la mesure en question et exciper le moyen tiré
de la responsabilité de l’administration. Il convient donc de déterminer, d’une part, l’étendue
du contrôle exercé par le juge administratif en matière de police administrative, et, d’autre
part, la sanction dudit contrôle.
a)-1- Les formes de contrôle
En considération de l’espèce, le juge administratif peut être emmené à exercer trois
sortes de contrôle :
- un contrôle de légalité stricto sensu, qui consiste à s’assurer que la mesure de police
contestée est conforme à la législation en vigueur (v. CE 19 mai 1933 Benjamin ; ordonnance
n°19/O/PCA/CS du 26 septembre 1991, affaire Organisation camerounaise des droits de
l’homme (OCDH) c/Etat du Cameroun ; ordonnance n°20/O/PCA/CS du 26 septembre 1991,
affaire Kom Ambroise c/Etat du Cameroun) ;
- un contrôle de proportionnalité, qui consiste à s’assurer qu’il y a adéquation entre
l’événement ou le fait en cause et l’acte sanctionnant ce fait ; le juge estime que
l’administration doit éviter de prendre des mesures graves pour des situations de moindre
importance, car comme le dit l’adage,« il ne faut pas tuer une mouche avec un marteau
pilon ». De fait, en matière de police administrative, la liberté est la règle, la restriction
l’exception (CE, 19 mai 1933, Benjamin ; CE, 30 novembre 1956, Bakari Djibo) ;
- un contrôle d’opportunité, qui consiste à examiner les circonstances de lieu et de temps
qui ont justifié l’édition de la mesure de police litigieuse. Dans le cadre de l’exercice de ce
contrôle, le juge s’interroge sur l’opportunité de la mesure de police. Celle-ci ne peut être
opportune que sous deux conditions :
- le lieu où se déroule l’événement doit être un lieu public (exemple : la voie publique) ;
- le moment ou la période où l’événement a lieu doit être suffisamment critique (CE, 19
juin 1953, Félix Houphouët Boigny, d’Arboussier et autres).

96
L’exercice du contrôle d’opportunité par le juge administratif n’est ni général ni
absolu. C’est ainsi, par exemple, que le juge administratif camerounais s’est refusé, dans
certaines espèces, notamment dans l’affaire CAP- Liberté c/Etat du Cameroun du 26
septembre 1991 et l’affaire OCDH c/ Etat du Cameroun du 26 septembre 1991,de contrôler
l’opportunité d’une mesure de police litigieuse, en l’occurrence la mesure portant dissolution
de certaines associations pour atteinte à l’ordre public et à la sécurité de l’Etat du fait de leur
participation à la Coordination des partis politiques qui prônait la désobéissance civile et les
villes mortes. En se référant à deux arrêts du Conseil d’Etat français que sont : l’arrêt Pujo
du 4 avril 1936 et l’arrêt d’Assemblée des Croix du Feu et Briscards du 27 novembre 1936,
le juge affirme, en substance que s’il « est compétent pour connaître si l’association dissoute
tombe par ses agissements sous le coup de la loi, il n’apprécie cependant pas l’opportunité de
la dissolution » (sur la critique de cette prise de position, lire Bernard-Raymond Guimdo
Dongmo, Le juge administratif camerounais et l’urgence, Thèse de doctorat d’Etat en Droit
public, Université de Yaoundé II, 2004, pp.209-215).
a)-2- La sanction du contrôle
Lorsque après examen de la mesure de police litigieuse le juge administratif constate
qu’elle est conforme au droit en vigueur ou que son édiction était nécessaire ou opportune, il
déboute le requérant en la cause. Mais, s’il constate le contraire, il annule la mesure
litigieuse. Il l’a fait dans certaines affaires où les requérants contestaient les décisions du
Ministre de l’Administration Territoriale portant refus de légalisation de leurs partis politiques
(dans ce sens, voir : ordonnance n°25/CS/PCA /91-92 du 18 septembre 1992, Regroupement
Démocratique pour la République c/Etat du Cameroun ; ordonnance n°26/CS/PCA /91-92 du
18 septembre 1992, Programme Social pour la Liberté et la Démocratie c/Etat du
Cameroun).
Le requérant peut, par ailleurs, engager la responsabilité de l’administration en
demandant au juge administratif la réparation du dommage qu’il a subi du fait de la mesure de
police prise par l’administration. Si cette demande est fondée, il lui est octroyé des
dommages-intérêts. Mais, si elle ne l’est pas, par exemple si le juge estime que l’acte est
légal, le requérant ne peut avoir droit à des dommage-intérêts (cf. affaire Kom Ambroise
c/Etat du Cameroun précitée).
b)- Le contrôle exercé par le juge judiciaire
Le contrôle des mesures de police par le juge judiciaire n’est possible que si un texte
l’a prescrit. Dans le contexte camerounais, ce contrôle peut intervenir dans deux cas, au
moins. Le premier cas concerne le contentieux des journaux. Initialement, ce contentieux
rassortissait à la compétence du juge administratif ; qu’il s’agisse du contentieux de la saisie,
du contentieux de la censure ou de celui de l’interdiction des journaux (cf. les articles 14 et
17 abrogés de la loi n°90/052 du 19 décembre 1990 relative à la liberté de la communication
sociale).Mais, depuis la loi de n°96/04 du 4 janvier 1996 modifiant celle de 1990, alors que la
censure a été supprimée, le contentieux de la saisie et de l’interdiction d’un organe de presse
ressortit à la compétence du juge (judiciaire) de référé, qui statue d’heure en heure ou suivant
les dispositions légales analogues dans les provinces – aujourd’hui régions) du Nord-Ouest et
du Sud-Ouest. Cette nouvelle disposition législative a connu sa première application le 14
juillet 1997 dans l’affaire journal « Mutations » c/ Etat du Cameroun dont a été saisi le
Président du Tribunal de Première Instance de Yaoundé, juge de référé (Ordonnance de référé
du 14 juillet 1997, affaire journal "Mutations" contre Etat du Cameroun (MINAT). Dans
cette affaire, le juge de céans a ordonné la levée de la mesure d’interdiction qui avait été prise
à l'encontre de cet organe de presse par le Ministre de l’Administration Territoriale.
Le second cas concerne le contentieux de l’interdiction des manifestations
publiques. A la lecture de la loi n°90/055 du 19 décembre 1990 portant régime des réunions
et des manifestations publiques, en cas d’interdiction d’une manifestation publique par

97
l’autorité administrative, son organisateur peut, par simple requête, saisir le Président du
Tribunal de Grande Instance compétent qui statue par ordonnance dans un délai de 8 jours à
compter de sa saisine (V. article 8 al 3 de la loi n°90/055). Au demeurant, l’administration,
quelle qu’elle soit, est tenue, dans l’exercice de ses missions de service public et de ces
prérogatives de puissance publique, de se soumettre au droit en vigueur.

IInde PARTIE

LA SOUMISSION DE L’ADMINISTRATION AU DROIT

L’administration, agissant comme puissance publique ou exerçant une mission de


service public, doit se conformer au droit en vigueur dans l’Etat. En le faisant, elle contribue à
la construction d’une société de droit.
Mais, il s’avère que dans les rapports administration/ administré, la prééminence de
l’administration l’amène la plupart du temps à violer le droit en vigueur. C’est pour cela qu’il
existe des mécanismes non juridictionnels et juridictionnels permettant à l’administré de faire
constater et sanctionner de telles violations ( v. cours de Contentieux administratif).
La soumission de l’administration au droit repose sur des principes dont le contrôle du
respect est confié à la justice administrative.

TITRE I

LES PRINCIPES

Les principes qui régissent la soumission de l’administration au droit sont au nombre


de deux : le principe de la légalité ou de juridicité administrative, qui constitue une obligation
faite à l'Administration de se conformer aux normes juridiques en vigueur, et le principe de la
responsabilité administrative, qui est une sujétion s'imposant à la puissance publique avec
l'obligation de réparer le dommage qu'elle aurait causé à autrui soit par sa faute, soit sans sa
faute.
CHAPITRE I

LA LÉGALITÉ ADMINISTRATIVE

« Stricto sensu », le principe de légalité signifie que l’administration doit se soumettre


à la loi, c’est-à-dire à l’acte législatif ; autrement dit, « ce principe signifie que l’acte
administratif doit respecter les lois formelles » (CS/CA, jugement n°62 du 25 septembre 1980,
La Société « Assureurs Conseils Franco-Africains (ACFRA) c/ Etat du Cameroun).
Lato sensu, ce principe signifie que l’administration doit se soumettre au droit, c’est-à-
dire à l’ensemble des normes juridiques en vigueur dans l’Etat.
C’est un principe dont le respect« dans l’activité administrative constitue une garantie
pour les administrés » (Jugement La Société « Assureurs Conseils Franco-Africains suscité).
L’analyse du principe de légalité, appréhendé « lato sensu », portera à la fois sur sa
quintessence, son aménagement et sa limitation.

SECTION 1 : LA CONSISTANCE DU PRINCIPE

Le principe de légalité est constitué de l’ensemble des règles juridiques externes et


internes à l’administration.

98
§ 1- Les règles juridiques externes à l’administration

Les règles juridiques externes à l’administration sont essentiellement au nombre de


quatre. Elles renvoient à ce qu’on appelle les sources externes de la légalité administrative. Il
s’agit de la constitution (son préambule, son corpus et la jurisprudence constitutionnelle) ; des
traités internationaux (bilatéraux ou multilatéraux), lorsqu’ils sont régulièrement ratifiés et
appliqués par chacune des parties ; des lois, que sont la loi parlementaire, la loi référendaire
et les ordonnances ratifiées par le parlement; enfin, de la jurisprudence administrative, qui
comprend les règles générales (les notions et les régimes) et les principes généraux du droit
(voir les développements du cours portant sur les sources du droit administratif).

§ 2- Les règles juridiques internes à l’administration

Les règles juridiques internes à l’administration sont constituées, en dehors du contrat


administratif qui est une règle partiellement interne à l’administration, des actes administratifs
unilatéraux que sont les actes réglementaires et les actes non réglementaires.
Dans la catégorie des actes réglementaires, il existe ce qu’on appelle les règlements
autonomes. Comme tous les actes administratifs, ces règlements sont susceptibles de recours
contentieux (v. CE, 26 janvier 1959, Syndicat général des Ingénieurs Conseils).
Les actes réglementaires pris par une autorité hiérarchiquement inférieure sont
subordonnés à ceux édictés par une autorité supérieure.
Par ailleurs, il existe une subordination de l’acte non réglementaire à l’acte
réglementaire, quel que soit l’autorité qui l’a édicté (V. CCA, arrêt n° 678 du 27 décembre
1957, Ndjock Paul c/ Administration du Territoire).
En ce qui concerne les ordonnances non ratifiées, ce sont des actes administratifs
réglementaires susceptibles de recours pour excès de pouvoir (CE, 30 novembre 1961,
Damiani).
Les mesures prises par le Président de la République en application de l’article 9 de la
Constitution (état d’urgence et état d’exception) peuvent-elles faire l’objet de recours
contentieux ? En d’autres termes, le juge administratif peut-il contrôler leur légalité ?
En droit français, la question ne se pose plus, car le Conseil d’Etat a reconnu que le
juge peut contrôler les mesures prises par le Président français en application de l’article 16 de
la Constitution de 1958 si ces mesures ressortissent au domaine réglementaire (CE, 2 mars
1962, Rubin De Servens). On peut subodorer que, « de lege feranda », il en sera de même en
droit camerounais. Que dire de l’aménagement du principe de légalité ?

SECTION 2 : L’AMENAGEMENT DU PRINCIPE

Le principe de légalité connait une articulation duale et est infléchi par la théorie des
actes de gouvernement.

S/SECTION 1 : L’ARTICULATION DU PRINCIPE

La légalité administrative intervient aussi bien en période normale qu’en période de


crise. Ainsi, l’avènement d’une circonstance exceptionnelle ou de crise n’entraîne pas la
disparition de la légalité ; il induit plutôt la mise en œuvre d’une légalité distincte de la
légalité ordinaire. C’est ce qu’on appelle la légalité de crise ou légalité d’exception.

99
§ 1 - La légalité ordinaire

La légalité ordinaire intervient lorsque l’administration exerce, d’une part, la


compétence liée, et, d’autre part, le pouvoir discrétionnaire.

S / § 1 - La compétence liée

La compétence liée constitue une prérogative confiée par les textes à l’autorité
administrative. Cette dernière est tenue de l’exercer ou de la mettre en œuvre. Mais, l’exercice
d’une telle compétence ne doit être ni extra legem ni contra legem, car il peut faire l’objet
d’un contrôle juridictionnel qu’on qualifie maximum. Ce contrôle porte tant sur les éléments
formels ou externes que sur les éléments matériels ou internes de l’acte querellé.

A- Le contrôle des éléments formels ou externes

Le contrôle des éléments formels de l’acte édicté dans le cadre de l’exercice de la


compétence liée porte sur la légalité externe de l’acte. Les éléments formels dont il s’agit
sont : la compétence de l’auteur de l’acte ; la forme et la procédure de l’acte.
Lorsque le juge établit ou constate l’illégalité externe de l’acte querellé, il l’annule ;
mais, cet acte peut être repris par l’administration, à la condition que les règles de
compétence et/ou de forme et de procédure soient respectées (NB : pour plus d’amples
informations, lire, supra, les analyses portant sur l’élaboration des actes administratifs
unilatéraux, notamment celles relatives aux éléments externes).

B- Le contrôle des éléments matériels ou internes

Le contrôle des éléments matériels ou interne de l’acte porte sur la légalité interne de
l’acte. Il s’agit d’un contrôle normal exercé par le juge administratif. Il concerne le but, le
contenu et les motifs de l’acte (NB : pour plus d’amples précisions, lire, supra, les analyses
portant sur l’élaboration des actes administratifs unilatéraux, notamment celles relatives aux
éléments internes).
1- Le contrôle du but de l’acte
Lorsque le juge contrôle le but d’un acte querellé, c’est pour s’assurer que
l’administration n’a pas commis un détournement de pouvoir ; c’est-à-dire si les fins qu’elle
poursuivit sont légales (jugement n° 40 / CS/CA du 29 mai 1980, Monkam Tientcheu David c/
l’Etat du Cameroun) ; autrement dit si son acte ne tend pas à favoriser un tiers au détriment
d’une autre personne ( v. jugement n°62 du 25 septembre 1980, La Société « Assureurs
Conseils Franco-Africains (ACFRA) c/ Etat du Cameroun : « (…) c’est dans le but de
favoriser la SOCAR qui (…) n’est nullement un organe de contrôle de l’activité des
assurances qu’est basé la décision attaquée ; (…) en vain avancera-t-on les liens conjugaux
existant entre les époux CASA-LEGNO dont l’un Président-Directeur-Général de l’ACFRA,
l’autre Directeur de la Société l’Assurances Chanas-et-Privat, ces sociétés étant des entités
juridiques différentes de leurs dirigeants et de leurs membres qui les composent ; (…) il
s’ensuit que la décision attaquée contenant une illégalité quant au but poursuivi (…) encourt
annulation » ou alors si cet acte n’est pas la manifestation de « la mauvaise foi » de
l’administration et n’exprime pas l’intention de celle-ci « de nuire aux intérêts » du recourant
( CS/CA, jugement n°102/02-03 du 27 aout 2003, ZE ENDANGTE c/ Etat du Cameroun.
2- Le contrôle du contenu de l'acte
Le juge s’assure, généralement, que le contenu de l’acte querellé est conforme aux
normes supérieures. L’illégalité d’un acte à raison de son contenu constitue la violation

100
directe de la loi. C’est le cas d’une décision prise avec effet rétroactif contrairement au
principe de la non rétroactivité des actes administratifs.
3- Le contrôle des motifs de l’acte
Sur ce point, la question est de savoir à raison de quoi l’acte en cause a été fait. Il y
aura illégalité à raison des motifs de l’acte s’il apparaît que cet acte procède soit d’une erreur
de droit, soit d’une erreur dans la qualification juridique des faits, soit d’une erreur de fait.
a) Trois causes peuvent occasionner une erreur de droit :
- erreur sur la base légale sur laquelle la décision querellée a été prise (CS/CA,
jugement n°99/04-05 du 27 avril 2005, SADOU YAYA c/ Eta du Cameroun) ;
- le fait de rattacher les dispositions édictées à une norme illégale ;
- le fait de rattacher les dispositions édictées à une norme régulière et applicable, mais
inexactement interprété par l’auteur de l’acte qui s’est trompé sur ce que la norme impose ou
permet de faire. Il en est ainsi de l’inexactitude des motifs allégués par l’administration pour
édicter une mesure à l’encontre d’un agent (CS/CA, jugement n°52/04-05 du 23 février 2005,
Engamba Evoundou Gaston c/ Etat du Cameroun).
b) En ce qui concerne l’erreur de qualification juridique des faits, les faits doivent être
de nature à justifier juridiquement la décision. Il ne faut pas que l’auteur de l’acte se trompe
sur la qualification juridique des faits qu’il a à prendre en considération (CE, 4 avril 1914,
Gomel).
c) Enfin, en ce qui concerne l’erreur de fait, le principe a été dégagé par le CE le 14
janvier 1916 dans l’arrêt Camino.
La jurisprudence exige en plus de la qualification juridique des faits que la réalité de
ces faits soit établie. En fait, le contrôle de la qualification juridique des faits entraîne celui de
leur exactitude matérielle (v. CS/CA, jugement n°154/04-05 du 31 aout 2005, Mveng Owona
c/ Etat du Cameroun).

S / § 2- Le pouvoir discrétionnaire

Le pouvoir discrétionnaire constitue la manifestation de la liberté d’action de


l’administration. L’administration est libre d’agir, libre dans le choix du moment de son
intervention et du contenu de son acte.
Mais, l’action de l’administration est juridiquement encadrée pour éviter qu’elle ne
transforme ce pouvoir discrétionnaire en pouvoir arbitraire. C’est ainsi qu’elle peut faire
l’objet d’un contrôle juridictionnel. Il s’agit d’un contrôle dit minimum, qui porte sur l’auteur,
la forme et la procédure de l’acte, les motifs de fait et de droit, et le but poursuivi par l’acte, et
non sur le contenu de l’acte puisqu’il participe du pouvoir discrétionnaire.

§ 2- La légalité de crise ou d’exception

La légalité de crise constitue une dérogation à la légalité ordinaire en vertu d’une part,
des textes, et d’autre part, de la jurisprudence.

A- Une dérogation à la légalité ordinaire en vertu des textes

Les textes peuvent prévoir une période pendant laquelle la légalité ordinaire ne peut
être appliquée et ce au regard de la gravité de la situation. C’est ainsi, par exemple, que la
Constitution camerounaise, en son article 9, a prévu l’état d’urgence et l’état d’exception.
C’est la légalité de crise qui s’applique pendant cette période en ce qui concerne le
contentieux des actes administratifs.

101
B- Une dérogation à la légalité ordinaire en vertu de la jurisprudence

La jurisprudence a, elle aussi, formulé des règles relatives à la période de crise qu’elle
qualifie de circonstances exceptionnelles.
La notion de circonstances exceptionnelles a été énoncée pour la première fois par le
Conseil d’Etat dans l’arrêt Heyriès du 28 juin 1918, puis dans l’arrêt dames Dol et Laurent
du 28 Février 1919. Toutefois, sa construction s’est faite de manière étapiste.
Dans un premier temps, la notion de circonstances exceptionnelles s’identifiait à la
période de guerre.
Dans un deuxième temps, le juge l’a étendue aux périodes de difficultés considérées
comme suite de guerre.
Dans un troisième temps, elle a été appliquée à certains moments troubles de la
période de paix (menace de grève générale).
Enfin, dans un quatrième temps, elle a été appliquée lorsque le respect de la légalité
ordinaire comportait des risques sérieux de troubles (CE, 30 novembre, 1923 Coutéas).
La mise en œuvre ou la consécration des circonstances exceptionnelles produit au
moins trois effets :
- l’administration peut procéder à l’arrestation ou à l’internement des individus
soupçonnés ;
- il peut y avoir application de la théorie des fonctionnaires de fait (CFJ/AP, arrêt n°4
du 04 novembre 1965, Dame Kieffer Marguérite c/Etat du Cameroun : « Attendu que (…) les
groupes d’autodéfense avaient été constitués avec l’autorisation tacite du Maire de
Nkongsamba et du Préfet du Moungo pour suppléer à l’insuffisance du service d’ordre ; que
l’auteur de cet accident qui a été condamné pour homicide pour imprudence par le Tribunal
correctionnel de Nkongsamba doit être considéré comme ayant été en service au moment des
faits et que la jurisprudence concernant les fonctionnaires de fait doit trouver son application
en l’espèce ») ;
- il peut y avoir restriction de l’exercice des libertés publiques (v. CCA, arrêt n° 713
du 17 septembre 1958, Bellidenty c / Administration du Territoire).
Il reste que les pouvoirs exceptionnels de l'administration connaissent des limites dans
leur mise en œuvre, tant dans le temps que dans l'espace et les mesures prises doivent être
limitées au but poursuivi et adaptées à ce but (CFJ/CAY, arrêt du 27 janvier 1970, Obame
Etémé Joseph c/ République Fédérale du Cameroun).

S/SECTION 2 : LA LIMITATION DU PRINCIPE

Il s’agit pour l’essentiel des actes de gouvernement et de certains actes décisoires de


l’administration qui sont insusceptibles de recours juridictionnels.

§ 1- Les actes de gouvernement

Il convient d’une part de voir comment ils ont été consacrés juridiquement, et, d’autre
part, de déterminer ses domaines d’application.

A- La consécration de la notion d’acte de gouvernement

La notion d’acte de gouvernement est d’origine juridictionnelle. Elle est énoncée en


fonction des circonstances et des espèces. Il s’agit donc d’une notion fonctionnelle et non
conceptuelle.

102
La jurisprudence entretient sur cette question une véritable dialectique entre l’abandon
et la versatilité, le figement et l’évolution.
Au départ, la notion d’acte de gouvernement était fondée sur le mobile politique. C’est
ainsi que le Conseil d'Etat refusait de connaître ou de contrôler les actes qu’il estimait fondés
sur des considérations politiques (CE, 09 mai 1867, Duc d’Aumale).
Mais, quelques années plus tard, il procédait au rejet de ce mobile politique dans
l’arrêt Prince Napoléon (CE, 19 février 1875, Prince Napoléon).
Ce changement jurisprudentiel fut confirmé par le Tribunal des Conflits le 5
novembre1880, dans l’arrêt Marquiguy et par le Conseil d’Etat lui-même dans l’arrêt Duc
d’Aumale et Prince Murat du 20 mai 1887.
Les actes de gouvernement sont des actes qui apparaissent comme des actes politiques
à raison des matières dans lesquelles ils sont accomplis.
A raison de leur nature, ils échappent, sur le plan contentieux, à la compétence des
juridictions administratives et judiciaires et jouissent, de ce fait, d’une immunité
juridictionnelle.
L’existence des actes de gouvernement amène à reconnaître que l’activité
gouvernementale peut ne pas avoir un caractère administratif. C’est pour cette raison qu’une
distinction est faite entre l’activité gouvernementale, qui constitue une action administrative et
l’activité gouvernementale qui participe de l’action du gouvernement.
Au Cameroun, l’article 4 de la loi n°2006/022 du 29 décembre 2006 portant
organisation et fonctionnement des tribunaux administratifs dispose qu’« aucune juridiction
ne peut connaître des actes de gouvernement ».
Selon une formule usuelle de la jurisprudence, les actes du gouvernement sont, d’une
part, les actes du pouvoir exécutif concernant ses rapports avec le Parlement, et, d’autre part,
les actes du pouvoir exécutif dans ses rapports avec les organisations internationales et les
Etats étrangers. Mais, depuis quelques temps, d’autres domaines d’application des actes de
gouvernement ont été consacrés soit par la jurisprudence, soit par le législateur.

B- Les domaines d’application de l’acte de gouvernement

Il convient de distinguer, d’une par les domaines classiques, et, d’autres par les autres
domaines qui consacrent une extension de la notion d’acte de gouvernement.
1- Les domaines classiques
Le juge camerounais (CS/CA, jugement ADD n°66/78-79 du 31mai 1979, Kouang
Guillaume Charles c/Etat du Cameroun ; CS/CA, jugement n°7 du 29 novembre 1979,
Essomba Marc Antoine c/Etat du Cameroun), à l’instar du juge français, a consacré deux
domaines classiques d’application de la théorie des actes de gouvernement. Ainsi, les actes de
gouvernement interviennent dans les rapports entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif
et dans les rapports internationaux et diplomatiques de l’Etat.
a)- Les rapports entre l’Exécutif et le parlement
Dans ce cadre relationnel, sont considérés comme acte du gouvernement : le décret du
Président de la République portant convocation ou clôture d’une session extraordinaire du
Parlement ; le décret du Président de la République prononçant la dissolution de l’Assemblée
Nationale ; les mesures prises par le gouvernement dans l’exercice de son droit d’initiative
des lois (dépôt ou retrait d’un projet de loi) ; le décret du Président de la République portant
promulgation d’une loi (c’est-à-dire l’acte par lequel le Chef de l’Etat atteste de l’existence
d’une loi et donne l’ordre aux autorités d’observer et de faire observer la loi :CE, 08 février
1894, commune de Montory ) ; la décision du Président de la République de saisir ou de ne
pas saisir le Conseil constitutionnel d’une loi votée par le Parlement; la décision du Président
de la République de mettre en application l’article 16 (Constitution française) ou l’article 9

103
al.2 (Constitution camerounaise ) relatif l’état d’exception. Dans une espèce en date du 27
septembre 1998, Megret, le Conseil d'Etat a décidé que le décret par lequel le Premier
ministre charge un parlementaire d’une mission que celui-ci doit accomplir auprès d’une
administration ou en son sein constitue le premier acte de l’exécution d’une mission
administrative dont un parlementaire se trouve temporairement investi ; un tel acte est
détachable des rapports entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif et revêt le caractère
d’une décision administrative susceptible de faire l’objet de recours pour excès de pouvoir.
b)- Les relations internationales et diplomatiques de l’Etat
Sont considérés comme actes de gouvernement dans le cadre des rapports
internationaux et diplomatiques de l’Etat : les mesures prises et les comportements adoptés
par le gouvernement ou ses membres au cours de la négociation des accords internationaux ;
les mesures prises et les comportements adoptés par les autorités exécutives dans la conduite
des relations internationales (c’est le cas lorsque l’Etat prend un acte portant brouillage d’une
émission d’une station radio implantée en territoire étranger : TC, 02 Février 1950, soc. Radio
Andorre) ; le refus de l’Etat de saisir une juridiction internationale ; le refus de l’Etat de
présenter des candidatures à des emplois dans des organisations internationales (CE, 20
Février 1953, Weiss) ; enfin, le vote du représentant de l’Etat au sein d’une organisation
internationale (CE, 23 novembre 1984, Association Les Verts).
2- Les autres domaines
Il en existe aussi bien au Cameroun qu’en France (pour comparaison).
a)- L’extension de la notion d’acte de gouvernement en droit camerounais
Le droit administratif camerounais a procédé à l’extension de l’acte de gouvernement
d’une part en prenant en compte le mobile politique, d’autre part en faisant des actes portant
convocation du corps électoral aux élections politiques des actes de gouvernement.
a)-1/La prise en compte du mobile politique
Il en été ainsi dans le jugement Essougou Benoît du 24 avril 1980. Dans un
considérant de ce jugement, le juge dit, en effet, ceci : «On entend par acte de gouvernement
des actes ayant un caractère essentiellement politique dont la décision appartient
exclusivement au gouvernement ; qu’il s’agit encore d’acte se rattachant à la puissance
exécutive dans les matières du gouvernement » (CS / CA jugement n° 34/79-80 du 24 avril
1980, Essougou Benoît c/ Etat du Cameroun).
Il s’agit d’un jugement d’espèce c’est-à-dire unique en son genre, parce que le juge
administratif n’a plus rendu une décision dans ce sens.
a)-2/Les actes portant convocation du corps électoral aux élections législatives et
présidentielles
Le contentieux en référé des actes portant convocation du corps électoral aux élections
législatives et présidentielles a donné l’occasion au juge administratif d’affirmer que ces actes
sont des actes de gouvernement (v. ordonnance de référé n° 01 / OR / PCA / 92 – 93 / du 02
octobre 1992, affaire UDC c/ l’Etat du Cameroun, Observations de Bernard Guimdo in
Juridis info n° 14, 1993 , p.60 ; ordonnance de référé n° 02 / OR / CS / PCA / 92 – 93 du 02
octobre 1992, affaire SDF c/ l’Etat du Cameroun et ordonnance de référé n° 03/OR/PCA/92-
93 du 02 Octobre 1992, affaire SDF et UFDC c/ l’Etat du Cameroun).
b)- L’extension de la notion d’acte de gouvernement en droit français
En droit français, on assiste aussi à l’extension des actes de gouvernement.
Sont considérés comme actes de gouvernement : les actes intéressant les rapports
d’ordre constitutionnelle entre le Président de la République et le gouvernement (constitution
ou modification du gouvernement, présentation de sa démission par le gouvernement) ; les
déclarations publiques (conférences de presse) du Président de la République, du Premier
ministre et des membres du gouvernement, dans l’exercice de leurs fonctions politiques.

104
Par ailleurs, dans une espèce en date du 9 avril 1999, Madame BA, le Conseil d’Etat a
estimé qu’il n’appartient pas à la juridiction administrative de connaître de la décision par
laquelle le Président de la République nomme, en application des dispositions de l’article 56
de la Constitution, un membre du Conseil constitutionnel (il s’agit d’un acte de
gouvernement).
En définitive, l’acte de gouvernement n’a pas cessé de faire parler de lui. Tantôt
décrié, tantôt défendu, il est un véritable serpent de mer, voire une hydre. Mais il n’y a pas
que l’acte de gouvernement qui constitue une limitation de la légalité. Il en est de même des
actes décisoires de l’administration insusceptibles de recours juridictionnel.

§ 2- Les actes décisoires de l’administration insusceptibles de recours juridictionnel

Il s’agit des actes liés à la répression du terrorisme, des actes portant désignation des
chefs traditionnels et des actes pris pour le règlement des litiges portant sur les limites des
circonscriptions administratives et des unités de commandement traditionnel.

A- Les actes relatifs à la répression des activités terroristes

La loi n° 64/16 du 26 juin 1964 énonce, en son article 1er, qu’ « est irrecevable
nonobstant toutes dispositions législatives contraires, tout acte dirigé contre la République
fédérale, les Etats fédéraux et les autres collectivités publiques dans le but d’obtenir la
réparation des dommages de toute nature occasionnés par les activités terroristes ou par la
répression du terrorisme ».
Elle précise, en son article 2, que : « Seul le Président de la République est compétent
pour accorder des secours dans la limite des crédits ouverts ».

B- Les actes portant désignation des chefs traditionnels

Il convient de distinguer en cette matière quatre moments divergents et/ou convergents


dans la jurisprudence administrative, traduction d’un « tango jurisprudentiel» qui ne rassure
pas, car source d’insécurité juridique préjudiciable aux droits fondamentaux et à l’Etat de
droit.
Dans un premier temps, le juge administratif a admis que les actes portant
désignation des chefs traditionnels étaient des actes administratifs susceptibles de recours
pour excès de pouvoir en application d’un principe général qui consacre ce recours contre
tous les actes administratifs : CS/CA, jugement n°7/79- 80 du 29 novembre 1979, Essomba
Marc Antoine c/ l’Etat du Cameroun et CS/CA, jugement n° 40/79-80 du 29 mai 1980,
Monkam Tientcheu David c/ l’Etat du Cameroun. Or, depuis le 30 juin 1979 , il existait une
loi (loi n°79 / 17 du 30 juin 1979) qui disposait, par dérogation à l’article 9 de l’ordonnance
n°72/6 du 26 août 1972 fixant l’organisation de la Cour Suprême, que les contestations
soulevées à l’occasion de la désignation des chefs traditionnels sont portées devant l’autorité
investie du pouvoir de désignation qui se prononce en premier et dernier ressort et que la
décision prise peut être reportée par l’autorité compétente si celle-ci estime qu’elle a été
induite en erreur. Pour le juge administratif, cette loi ne pouvait exclure le recours pour excès
de pouvoir, car ce dernier est ouvert même sans texte contre tout acte administratif faisant
grief, conformément aux principes généraux du droit, et a pour effet d’assurer le respect de la
légalité (il a fait application de ce principe dans l’affaire Monkam Tientcheu suscitée).
Dans un deuxième temps, le juge administratif camerounais a changé sa jurisprudence
en la matière. En effet, dans des espèces intervenus des années plus tard, il a estimé que les
actes portant désignation des chefs traditionnels ne sont pas contestables devant lui : CS/AP,

105
arrêt n° 17 / AP du 19 mars 1981, Etat du Cameroun, Etat du Cameroun c/ enfants Banka ;
collectivité Deido - Douala c/ Etat du Cameroun, Kouang Guillaume c/ Etat du Cameroun. ;
CS / CA, jugement n° 39 / 88-89 du 25 mars 1989, Egbe Besong Alfred c/ Etat du Cameroun ;
CS / CA, jugement n° 66 / 88-89 du 29 juin 1989, NKFU Simon Ngawe c/ Etat du Cameroun.
Après avoir rappelé les termes de loi n°79/17 du 30 juin 1979 suscité, ceux de la loi n° 80 / 31
du 27 novembre 1980 qui dessaisit d’office les juridictions de droit commun et de l’ordre
administratif de toutes les affaires pendantes devant elles et relatives aux contestations
soulevées à l’occasion de la désignation des chefs traditionnels, dans le 1er cas ( son arrêt du
19 mars 1981), il s’est déclaré dessaisi, tandis que dans les 2nds cas (ses jugements de 1989),
il s’est déclaré plutôt incompétent. Ce qui n’est pas exactement la même chose.
Dans un troisième temps, le juge administratif, à travers la Chambre administrative, a
remis en cause sa jurisprudence d’incompétence de 1989 dans deux espèces intervenues,
respectivement, le 25 octobre 200113 et le 29 août 200214, en appliquant, non pas les lois de
1979 de 1980, mais le décret n°77/445 du 15 Juillet 1977 portant organisation des chefferies
traditionnelles. Dans la première espèce, il a prononcé l’annulation d’un arrêté du Ministre de
l’Administration Territoriale qui rapportait un autre arrêté pris, « par erreur », par son
prédécesseur et portant homologation de la désignation du requérant comme chef traditionnel.
Le motif avancé par le juge est que le Ministre a procédé à une mauvaise application des
dispositions du décret du 15 juillet 1977, notamment celles relatives aux contestations
soulevées à l’occasion de la désignation des chefs traditionnels, qui sont portées devant
l’autorité investie du pouvoir de désignation, laquelle tranche en premier et dernier ressort, et
ne peut revenir sur sa décision que si elle a été induite en erreur 15. Le juge a donc estimé que
le Ministre aurait dû, au regard des circonstances de l’espèce, appliquer, non pas ces
dispositions, mais plutôt celles portant sur les procédures disciplinaires 16, puisque, d’une part,
il n’y a pas eu contestation à l’occasion de la désignation du recourant, et que, d’autre part, la
preuve de l’erreur commise par son prédécesseur n’a pas été rapportée. Pour le juge, « (…) en
agissant ainsi, il (le Ministre) a laissé la possibilité à une juridiction compétente, à savoir la
Chambre administrative de la Cour suprême, de contrôler l’acte ainsi posé par ledit
défendeur qui ne relèvent pas de la désignation mais plutôt, de la procédure disciplinaire à
engager contre un Chef défaillant, et dans ce cas, contre le recourant, dont la désignation
était déjà régulièrement homologuée par l’acte de son prédécesseur (…) ». Dans la seconde
espèce-qui n’est en réalité que la suite de la première espèce- occasionnée, d’abord par un
recours en tierce opposition introduit par celui qui a été nommé en lieu et place du Chef dont
l’arrêté rapportant l’homologation de la désignation a été annulé par le juge, ensuite par une
demande reconventionnelle introduite par le chef déchu, défendeur en l’instance, la Chambre
administrative a, non seulement confirmé le jugement rendu dans la premier espèce, mais, et
surtout, procédé à l’annulation de l’arrêté portant désignation du tiers opposant comme chef
traditionnel. Elle s’est fondé sur le fait qu’ « (…) il est démontré (…) que l’arrêté (…) du 03
septembre 1999 du Ministre de l’Administration Territoriale ayant rapporté celui (…) du 20
février 1997 de Monsieur le Vice-Premier Ministre chargé de l’Administration Territoriale
(...) est frappé du vice d’abus de pouvoir et entraîne ainsi son annulation, comme l’a ordonné
le jugement de la Chambre de céans intervenu le 25 octobre 2001 ; (…) l’arrêté attaqué
portant désignation de Mr Tambe Joseph Takaw comme chef de 2ème degré (…) qui a été pris

13
CS/CA, jugement n°07/2001-2002 du 25 octobre 2001, affaire Dr Enonchong Henry Ndifor Abi c/ Etat du
Cameroun (MINAT). Ce jugement a fait l’objet de l’appel de l’Etat le 25 août 2005.
14
CS/CA, jugement n°50/2001-2002 du 29 août 2002, affaire Chief Tambe Joseph Takaw c/ Etat du Cameroun
(MINAT) et Dr Enonchong Henry Ndifor (Intervenant volontaire). Ce jugement a fait l’objet de l’appel de l’Etat
le 07 septembre 2005.
15
Article 16 du décret du 15 Juillet 1977.
16
V. articles 29 et 30 du décret du 15 juillet 1977.

106
par erreur ou par dessein et en violation des dispositions du décret n°77/245 du 15 Juillet
1977 (...) constitue ainsi aussi , un abus de pouvoir ». Par ailleurs, la Chambre administrative
a estimé que le fait pour le Ministre de l’Administration Territoriale de ne pas répondre à la
demande reconventionnelle qui lui a été communiquée est une « attitude » qui « montre que
ledit Ministre ne s’oppose pas à cette demande et laisse croire qu’il n’a pas, vu les éléments
du dossier, les arguments valables à opposer à ladite demande du défendeur ».
Au demeurant, ce nouveau revirement ou « rerevirement »jurisprudentiel a fait long
feu. En effet, dans un jugement rendu le 31 octobre 2002 17, et c’est le quatrième temps, le
juge administratif est revenu sur sa jurisprudence d’incompétence en invoquant des arguments
similaires à ceux contenus dans ses décisions de 1989. Il l’a fait, certes de manière ambiguë,
mais de façon certaine. Il affirme, en substance : « (…) cette affaire relative aux contestations
soulevées à l’occasion de la désignation d’un chef traditionnel est exclue de la compétence de
cette juridiction, la loi ne précisant pas s’il s’agit des contestations soulevées aux cours des
consultations ou après l’arrêté préfectoral d’approbation de la désignation ».
Incompétent pour connaître au fond des contestations relatives à la désignation des
chefs traditionnels, le juge administratif se déclare également incompétent pour connaître, en
urgence, de toute demande sollicitant la suspension de l’exécution des actes portant
désignation des chefs traditionnels 18, toujours sur le fondement de l’article 1er de la loi n°
80/31 du 27 novembre 1980 et de la loi n° 79/17 du 30 juin 1979.

C- Les actes pris pour le règlement des litiges portant sur les limites des circonscriptions
administratives et des unités de commandement traditionnel

Les suscités sont consacrés par la loi n°2003/016 du 22 décembre 2003 relative au
règlement des litiges portant sur les limites des circonscriptions administratives et des unités
de commandement traditionnel.
D’après cette loi, les litiges portant sur les limites des circonscriptions administratives
et des unités de commandement traditionnel « sont portés devant des commissions qui, à la
suite d’une procédure contradictoire, établissent des procès-verbaux au vu desquels l’autorité
compétente statue en dernier ressort » (Article 1er al.1). Aussi, « est irrecevable, nonobstant
toute disposition législative contraire, tout recours judiciaire en annulation d’un acte
administratif ( ?) pris pour le règlement des litiges portant sur les limites des circonscriptions
administratives et des unités de commandement traditionnel » (Article 2).
Dans un article commis il quelques années, le Pr R. Chapus se demandait si l’acte de
gouvernement était un monstre ou une victime (v. R. Chapus, « L’acte de gouvernement,
monstre ou victime ?», D., 1958. I. pp. 5-10 ). Dans tous les cas, monstre ou victime, l’acte de
gouvernement ne peut nullement engager la responsabilité de l’administration. Il en est de
même de ces actes décisoires qui, bien qu’édictés par l’administration ne peuvent être
contestés devant le juge administratif.

17
CS/CA, jugement n°08/02-03 du 31 Octobre 2002, affaire BATEG Daniel c/ Etat du Cameroun (MINAT).
18
Voir ordonnance n° 27/CS/PCA du 27 mars 1997, Balla Benoît contre Etat du Cameroun ; ordonnance n°
25/ORSE/PCA/CS/97-98 du 31 décembre 1997, affaire Manga Myoungou Ebénézer c/ Etat du Cameroun ;
ordonnance n° 78/ORSE/PCA/CS/97-98 du 23 septembre 1998, affaire Famille Bonambende c/ Etat du
Cameroun.

107
CHAPITRE II

LA RESPONSABILITE ADMINISTRATIVE

La responsabilité de l’administration ou responsabilité de la personne publique est un


élément essentiel du régime administratif en tant que sujétion s’imposant à la puissance
publique dont l’objet est de mettre en œuvre l’obligation incombant à l’Etat de réparer le
dommage qu’il a causé à autrui.
Cette responsabilité est d’origine prétorienne contrairement à la responsabilité de droit
privé. Au départ, il s’est agi d’une responsabilité personnelle du fonctionnaire ; c’est par la
suite qu’elle a été étendue à l’administration. Mais dans la pratique, la victime du dommage
ne pouvait pas obtenir réparation de l’agent, auteur du dommage, car l’article 2 de la loi des
16-24 août 1790 avait institué « la garantie des fonctionnaires » qui subordonnait les
poursuites dirigées contre l’agent à l’autorisation de l’administration. Cette garantie avait
même été constitutionnalisée par l’article 75 de la constitution de l’An VIII qui exigeait que
l’autorisation soit accordée par le Conseil d’Etat. Dans la pratique, il était fort rare que celle-ci
soit accordée.
Le principe de la responsabilité administrative a été admis par le Tribunal des Conflits
dans l’arrêt Blanco du 8 février 1873, en ces termes : « (...) la responsabilité qui peut
incomber à l’Etat pour les dommages causés aux particuliers par le fait des personnes qu’il
emploie dans le service public (…) n’est ni générale, ni absolue ; elle a ses règles spéciales».
Aussi restrictive que puisse paraître la formule, elle n’en consacre pas moins l’existence d’une
responsabilité de la puissance publique.
Le droit commun de la responsabilité administrative est donc prétorien, tandis que le
droit d’exception résulte des lois. Certes, la responsabilité administrative est autonome, mais,
il n’en demeure pas moins qu’elle présente des similitudes avec celle du droit privé.
Dans le cadre de la responsabilité administrative, on a, en général, trois protagonistes :
le particulier ou la victime, l’agent public ou l’auteur du dommage et l’administration. Mais,
pour que cette responsabilité soit établie et mise en œuvre, certaines conditions doivent être
remplies. Il existe, par ailleurs, des régimes spéciaux de responsabilité.

SECTION 1 : LES CONDITIONS DE POSSIBILITE

Dans la théorie générale de la responsabilité, trois conditions sont généralement


exigées. Elles sont invariables selon que l’on se situe en droit de la responsabilité privé ou en
droit de la responsabilité publique ou administrative : un préjudice indemnisable, un fait
dommageable et l’imputabilité.

§ 1- Le préjudice indemnisable

Le problème que pose le préjudice est celui de sa nature. L’administration peut-elle


réparer tous types de dommages ? Une réponse négative, quoique complexe, s’impose. Ainsi,
on a des préjudices indemnisables et les préjudices non indemnisables.
Le juge administratif, dans l’affaire BIAO c/Etat du Cameroun (l’arrêt n°352/CCA du
12 juillet 1955), a défini les caractéristiques d’un préjudice indemnisable en ces termes :
« Considérant… que pour qu’une demande en dommages-intérêts puisse être accueillie par le
tribunal administratif, le demandeur doit non seulement prouver la faute de service, mais
aussi que cette faute qui met en jeu la responsabilité d’une administration publique ait
engendré des conséquences dommageables pour lui et que le préjudice qui en résulte est un
préjudice certain, spécial, direct, et porte atteinte à une situation juridiquement protégée ».

108
Le juge administratif a posé les mêmes exigences dans l’arrêt Njikiakam Towa Maurice
du 24 mars 1983.
Il existe, en gros, six sortes de préjudices indemnisables.
- Le préjudice direct : D’une part, il doit résulter directement de l’administration ou
avoir une relation directe avec l’action administrative (CS/CA, jugement n°28 du 28 décembre
1978, Baha Ngue Jean Michel c/ Etat du Cameroun). Ainsi, un préjudice qui est causé par une
personne qui n’appartient pas à l’administration ne saurait engager sa responsabilité. D’autre
part, la victime doit avoir été directement touchée. Le juge administratif applique ces règles
rigoureusement. Le fonctionnaire Njikiakam Towa Maurice qui avait valablement demandé
réparation « pour lui-même et ses six enfants dont la scolarité et l’épanouissement ont été
frustrés », suite à l’acte de révocation pris à son encontre, s’est vu opposer par le juge une fin
de non-recevoir partielle. S’il est établi qu’il est personnellement touché par l’acte illégal, « la
situation ne saurait être la même pour ses enfants ; qu’en effet, ceux-ci n’ont aucun lien ou
rapport personnels, directs et certains avec l’administration employeur de leur père ».
- Le préjudice certain : Il doit être avéré et non présumé. Le juge administratif ne répare
donc que le préjudice actuel et non futur (CS/CA, jugement n°35 du 22 février 1979, CNPS
c/United Cameroon international company).
- Le préjudice matériel : Le juge exige que le dommage subi soit palpable. En matière
d’acte administratif de révocation irrégulière d’un fonctionnaire, il ressort que le préjudice
matériel pourrait s’analyser en la perte du traitement que l’intéressé aurait dû percevoir, n’eut
été la faute la faute de l’administration l’ayant mis en réserve du service effectif au moyen de
l’application de la décision illégale.
Dans d’autres hypothèses il peut s’agir d’un dommage causé à un bien matériel,
mobilier ou immobilier. Si la matérialité du préjudice n’est pas avérée, il ne peut y avoir
réparation (CS/CA, jugement n°2 du 2 novembre 1978, So’o Georges c/Etat du Cameroun).Le
préjudice matériel doit donc, pour être admis et réparé, avoir été réellement subi. Ainsi, les
membres d’une succession, qui continuent « à jouir de leur immeuble depuis le retrait du titre
foncier y afférent » ne peuvent pas justifier de l’existence d’un « préjudice matériel
réellement subi » pour solliciter réparation en cas d’annulation contentieuse dudit retrait
(CS/CA, jugement n°99/04-05 du 27 avril 2005, Sadou Yaya c/ Etat du Cameroun).
- Le préjudice anormal et spécial : C’est un préjudice qui atteint de façon grave la
victime. Il survient, généralement, en matière de travaux publics et est admis sur la base la
rupture de l’égalité devant les charges publiques (cf. CE, 14 janvier 1938, Sté des produits
laitiers « La fleurette »).
- Le préjudice légitime : Au départ, le juge estimait que le préjudice ne peut être réparé
que si la victime est dans une situation juridiquement protégée, c'est-à-dire avoir la qualité
pour agir. Celle-ci étant plus entendue ici comme le titre auquel le requérant peut engager une
procédure juridictionnelle. C’est ainsi qu’il a eu à juger que le décès d’un concubin ne pouvait
être réparé (CE, 11 Mai 1928, Mlle Rucheton). Mais, quelque temps après, il devait revenir
sur cette solution pour admettre la légitimité du préjudice subi par une concubine du fait du
décès de son partenaire imputable à l’administration (CE, 21 Octobre 1955, Dame Braud ;
CE, 3 mars 1978, Dame Muesser).
Dans l’affaire Etong Anne c/ Etat du Cameroun, jugement n°12/2002-2003 du 28
novembre 2002, le juge pose comme condition d’indemnisation le respect du droit en
vigueur : « Attendu que la superficie (175 m2 au lieu de 1000m2), le non-respect du recul de
5m derrière les bornes, le défaut d’accord de mitoyenneté des voisins immédiats et le non
espacement de son permis de bâtir…rendent non fondées ses demandes en annulation de
l’arrêté en cause et en paiement de 60.000.000 de dommages-intérêts ».

109
- Enfin, le préjudice moral. L’admission de ce préjudice résulte d’un revirement
jurisprudentiel. Dans un premier temps, le juge administratif a refusé de réparer les
préjudices moraux, estimant, notamment, que « les larmes ne se monnaient pas » (CCA arrêt
n°310 du 3 septembre 1954, Vittori Pierre c /Administration du Territoire) ou que, « la
douleur morale, n’étant pas appréciable en argent, ne constitue pas un dommage susceptible
de donner lieu à réparation » (CE, 29 octobre 1954, Bondurand, D., 1954, p.767). Cette
position a été critiquée en France par la doctrine, surtout que les tribunaux judiciaires
admettaient le préjudice moral. C’est la raison pour laquelle, dans un second temps, le Conseil
d' Etat allait, en 1961, reconnaître le préjudice moral (CE, 24 Novembre 1961, Letisserand).
Il sera suivi par le juge administratif camerounais dans l’affaire dame Kwédi
Augustine (CFJ/CAY, arrêt n°10 du 16 mars 1967, dame Kwedi Augustine c/ Etat du
Cameroun). En l’espèce, le juge camerounais avait estimé que la mort d’un être cher, en
l’occurrence l’enfant de la requérante, perpétrée par un véhicule de l’administration,
constituait un préjudice moral indemnisable.
Le préjudice moral peut être une atteinte à l’affection, à l’honneur ou résulter des
frustrations créées par l’acte litigieux au requérant ou à ses ayants droits ( CS/CA, jugement
n°99/04-05 du 27 avril 2005, Sadou Yaya c/ Etat du Cameroun : « Attendu que pour avoir
violé les dispositions des textes (…) le chef de département de l’Urbanisme et de l’habitat (…)
frustré les ayants droits de la succession SADOU BOUBA, leur causant ainsi un préjudice
moral certain qui mérite réparation ».
Le juge semble le concevoir en fonction de l’impact psychologique néfaste que cause
le fait générateur. Il sied de noter que la jurisprudence administrative reconnait que les deux
types de préjudices peuvent être cumulés. Il en est ainsi dans le jugement n°197/2010 du 23
juillet 2010, affaire Atangana Benjamin : « Attendu … qu’il y a lieu de ramener à la somme
de 23.975.000 ventilée comme suit : préjudice matériel 18.975.000, préjudice moral
5.000.000 ». Le juge peut condamner « pour tous préjudices confondus » (voir jugement
Youtou Martin c/ Etat du Cameroun MINEFI).
Il existe d’autres considérations d’admission et de réparation du préjudice moral qui
sont déterminées par le juge. C’est ainsi que dans une espèce en date du 02 février 2005, le
juge administratif camerounais affirme que « si la recourante n’a subi aucun préjudice
matériel du fait de la mauvaise notation par son chef direct au motif que la rectification de
ladite note a permis ses avancements en échelon et en grade, il n’en demeure pas moins vrai
que cette dernière a subi un préjudice moral du fait de la suspension de son salaire résultant
de la saisine directe du Ministre des Finances par le greffier en chef qui ne s’est référé au
préalable ni au chef de la juridiction ni au chef du département de la justice ; (…) sa
demande est d’autant plus fondée que le chef du département de la justice a ordonné la
reprise en solde de la recourante avec rappel des salaires (…) il convient de déclarer son
recours contentieux (…) partiellement fondé sur la réparation du préjudice moral(…) » (
CS/CA, jugement n°41/04-05 du 02 février 2005, Mme Ebengué Essomba née Eva Rose c/
Etat du Cameroun).
In fine, dès lors que le préjudice moral est établi, il est réparé par le juge (v. CS/CA,
jugement n°12/93-94 du 24 février 1994, Edzoa Georges Maurice C/Etat du Cameroun ;
CS/CA, jugement n°102/02-03 du 27 avril 2003, Zé Endangté c/ Etat du Cameroun). Mais, sa
réparation varie selon les situations (il peut être accordé à la victime soit un franc
symbolique, soit une somme importante à la mesure du préjudice subi).

§ 2- Le fait dommageable

Il peut être défini comme un fait administratif qui résulte soit de l’action, soit de
l’inaction de l’administration, et qui a causé un dommage à autrui. Dans un cas, la

110
responsabilité de l’administration peut être engagée pour faute ; dans un autre cas, elle peut
être engagée sur la base de l’absence de faute.

S/§ 1- La responsabilité pour faute

La faute est tout manquement à une obligation préexistante, tout agissement ou


abstention répréhensible, de nature à engager la responsabilité de son auteur. Pour Charles
Eisenmann, la faute administrative existe chaque fois qu’un agent administratif s’est comporté
autrement qu’il aurait dû le faire, chaque fois que sa conduite n’a pas été conforme à ce
qu’elle aurait dû être, c’est-à-dire pas conforme à une règle qui détermine comment il doit se
conduire. Elle signifie que l’administration, par le biais de son agent, a posé un acte fautif qui
a causé un dommage à autrui.
On peut établir plusieurs classifications parmi les fautes administratives susceptibles
d’engager la responsabilité des personnes publiques. D’une part, on peut opérer une
classification en fonction de la nature ou du type d’actes. On partira alors de la grande
distinction entre « actes juridiques » et « actes matériels ». D’autre part, on peut établir une
classification en fonction du contenu des règles, c’est-à-dire des points sur lesquels porte la
règlementation ou l’obligation. Ce sera la distinction fondamentale entre faute-action et faute-
abstention. D’après Agathe Van Lang, la responsabilité publique distingue plusieurs types de
faute. On a notamment la faute personnelle, la faute de service et, enfin la faute du service
public. Seulement, il faut distinguer plus aisément la faute imputable à l’administration de la
faute personnelle de l’agent.

A- La faute de service

Le Commissaire du Gouvernement Edouard Laferrière, dans ses conclusions sur


l’arrêt Laumonier-Carriol (TC, 5 mai 1877), définissait la faute de service comme «l’acte
dommageable impersonnel qui révèle un administrateur plus ou moins sujet à erreur ».
La faute de service revêt deux dimensions et peut avoir des manifestations variées. Il
y a la faute de service du fait de l’agent et la faute de service du fait de l’administration elle-
même, qui est une faute du service ou une faute anonyme.
Il y a faute de service de l’agent lorsque l’acte posé par ce dernier l’a été dans le
service ou à l’occasion du service (CCA, arrêt n°269 du 27 novembre 1953, Nama Gallus C/
Administration du Territoire).
Il y a faute anonyme ou faute du service lorsque le dommage n’est pas imputable à un
agent en service ou dans le service. C’est au juge administratif qu’il appartient d’apprécier la
faute du service : il exige pour engager la responsabilité publique tantôt une faute simple, non
qualifiée, tantôt une faute lourde ou grave selon le service public concerné, la nature de
l’activité (matérielle ou juridique) et les circonstances. Le droit commun est celui de la faute
simple, la faute lourde étant requise exceptionnellement pour les activités présentant une
difficulté particulière.
La faute de service intervient dans trois hypothèses au moins :
- en cas de mauvaise organisation ou mauvais fonctionnement du service. C’est le cas,
par exemple, lorsque la voie publique est défectueuse ( CS/CA, jugement n°45 du 27 mai
1982, Dzietham Pierre c/Etat du Cameroun) ou lorsqu’un citoyen envoie, depuis l’étranger,
un mandat par la poste, mais ne peut le percevoir lorsqu’il retourne au pays parce qu’il a été
remis à une autre personne (CS/CA, jugement n°13 du 23 novembre 1989, Enyengue Dipoko
Bernard c/Etat du Cameroun) ;

111
- dans le cas d’un fonctionnement tardif du service de l’administration. Par exemple,
lorsque l’administration ne respecte pas le délai prescrit pour traiter un dossier.
- en cas d’absence de service. Par exemple, la carence du pouvoir de la police sanitaire
pour enrayer la contamination par le virus du sida (CE, 9 avril 1993, M.G).
La faute de service peut consister en une opération matérielle, en une inertie ou
carence administrative, ou alors en un acte juridique illégal (CS/AP, arrêt du 24 mars 1983,
Njikiakam Towa Maurice C/Etat du Cameroun).

B- La faute personnelle

Edouard Laferrière, toujours dans ses conclusions sur l’arrêt Laumonier-Carriol,


écrivait que la faute personnelle révèle «l’homme avec ses passions, ses faiblesses, ses
imprudences».
C’est l’arrêt Pelletier (T.C, 30 juillet 1873) qui a opéré le distinguo entre faute de
service et faute personnelle pour pouvoir déterminer la juridiction compétente. Lorsqu’il y a
faute de service, c’est le juge administratif qui est compétent. A contrario, lorsqu’il y a faute
personnelle de l’agent, c’est le juge judiciaire qui est compétent.
Seulement, cette distinction est d’application difficultueuse pour un certain nombre de
raisons. Il existe, par exemple, des fautes personnelles commises hors du service, des fautes
personnelles commises dans l’exercice des fonctions et des fautes personnelles commises en
dehors des fonctions tout en étant non dépourvues de tout lien avec le service, notamment un
accident provoqué (dans la vie privée) par une arme détenue régulièrement par un agent (CE,
26 octobre 1973, Sadoudi).
1-La mise en œuvre de la responsabilité de l’administration : la substitution de
responsabilité
L’administration ne répond de l’action de son agent que dans le cas d’une faute
personnelle commise dans le service ou à l’occasion du service. Elle en répond devant les
juridictions judiciaires, qui appliquent les règles de droit privé.
Ce principe est posé par l’article 3 de la loi n°2006/022 du 29 décembre 2006 portant
organisation et fonctionnement des tribunaux administratifs, qui dispose que « les
tribunaux de droit commun connaissent conforment au droit privé tout autre litige, même s’il
mettent en cause les personnes morales énumérées ci-dessus, la responsabilité de ladite
personne étant à l’égard des tiers de plein droit substituée de plein droit à celle de son agent
auteur du dommage causé même dans l’exercice de ses fonctions ».
Cette disposition pose deux règles. La première est qu’en dehors du recours pour excès
de pouvoir, du contentieux des contrats administratifs, des litiges intéressant le domaine
public ou des litiges attribués au juge administratif par une loi, tous les autres litiges sont de la
compétence du juge judiciaire. A l’observation, cette disposition prescrit qu’en dehors des
actes administratifs bilatéraux ou multilatéraux, la compétence du juge judiciaire s’impose. Ce
faisant, elle rend inutile au Cameroun la distinction faute personnelle/faute de service car au
fond, dès qu’il ne s’agit pas d’un acte juridique formel, c’est-à-dire dès qu’il s’agit d’un fait
ou d’un geste, le juge judiciaire devient compétent. La seconde règle est l’application
quasiment automatique du mécanisme civiliste de la responsabilité du commettant (v. affaire
Litty Herman c/ Mbeleck ; également (CS/AP, arrêt n°12 du 13 octobre 1994, Poungoue
Flaubert, Dibong et ONPC c/ Ministère public, Kilten et autres). Après avoir indemnisé la
victime, l’administration se retourne contre son agent au moyen de l’action récursoire.
Mais quelles sont les conditions et les modalités de cette substitution de responsabilité ?
Les conditions sont au nombre de deux. D'abord, l'auteur du dommage doit avoir la qualité
d’agent d’une personne publique. L’agent est pris ici au sens large et englobe les
fonctionnaires, les agents de l’Etat, les auxiliaires, les collaborateurs de l’administration

112
(CCA, arrêt n°28 du 11 septembre 1950, Nlem Mbomezom c/ Administration du Territoire).
Ensuite, l’auteur doit avoir causé le dommage dans l’exercice de ses fonctions (CS, arrêt du
18 juillet 1967, Litty Herman c/ M’Beleck). Quant aux modalités, elles sont mises en œuvre en
deux étapes :
- la première consiste en l’établissement de la responsabilité de l’agent du fait des
poursuites dont il est l’objet ;
- la seconde consiste en l’endossement de cette responsabilité par l’administration une fois
celle de l’agent établie (CFJ/AP, Arrêt n°1 du 15 octobre 1969, Bollo Joseph c/ Etat du
Cameroun). Il faut préciser que la première étape conditionne la mise en œuvre de la seconde.
2- Le régime juridique de la responsabilité de l’agent à l’égard de l’administration.
Les règles qui régissent la responsabilité de l’agent à l’égard de l’administration sont
de deux ordres. D’une part, elles sont relatives à l’action récursoire de l’administration
contre son agent en cas de dommage direct causé à elle-même. C’est ainsi que la perte d’un
véhicule administratif par un agent peut amener l’administration à émettre à son encontre un
ordre de recettes (CFJ/CAY, arrêt du 20 mars 1972 Mbedey Norbert c/ Etat du Cameroun).
Il est à noter que le principe de la responsabilité de l’agent à l’égard de
l’administration pour dommage direct à elle causé a été explicitement admis par l’article 21
de la loi des finances n°61/11 du 14 juin 1961. D’autre part, elles ont trait à l’action
récursoire de l’administration contre son agent en cas de préjudice causé à un tiers. Dans ce
cas, l’administration indemnise la victime et se retourne contre son agent pour lui émettre un
ordre de recettes (CS/ CA, jugement n°33 du 28 septembre 1978, Owoundi Jean-Louis c/ Etat
du Cameroun). De toutes les façons dans les deux hypothèses sus citées, il y aura action
récursoire.
La question que l’on pourrait se poser est celle de savoir si cette action récursoire est
administrative ou juridictionnelle. Le législateur camerounais ne semble ne pas avoir fait
grand cas de cette question.
En France, l’action récursoire est toujours juridictionnelle, c’est-à-dire que pour
recouvrer les sommes avec lesquelles il a indemnisé la victime et ainsi appeler, par exemple,
le conducteur à assurer sa part de responsabilité éventuelle dans la responsabilité, la puissance
publique doit préalablement saisir le juge administratif.
Au Cameroun, l’action récursoire ne s’embarrasse pas de telles considérations : elle
est administrative et non juridictionnelle. Cela voudrait dire qu’une fois que la victime est
indemnisée, l’administration émet automatiquement et systématiquement un ordre de recette
avec retenues à la source à l’encontre à l’encontre de son agent. Cet ordre correspond à
l’équivalent des sommes que l’administration a déboursées pour indemniser la victime.
L’ordre de recettes, qui est l’acte par lequel l’autorité administrative récupère les
sommes qu’elle a versées pour réparer le dommage causé par son agent à un tiers ou à elle-
même, constitue, au regard de la jurisprudence, un acte administratif faisant grief donc
susceptibles de recours contentieux (CS/CA, jugement n°39/93-94 du 28 avril 1994, Ondo
Owono Charles c/Etat du Cameroun). Dans l’affaire Mbedey Norbert, le juge distingue deux
types d’ordre de recette. D’une part, l’ordre de recette qui est généralement fait à la suite de la
perte ou à la détérioration d’un bien appartenant à l’administration d’un et dont l’agent public
à la garde. Cet ordre de recette peut être aisément annulé sur la base des quatre cas
d’ouverture du recours pour excès de pouvoir. D’autre part, l’ordre de recette qui résulte
précisément de la substitution de la responsabilité en matière d’accident de circulation. La
question qu’il pose est celle de savoir s’il peut faire l’objet d’annulation alors qu’en réalité il
trouve son fondement juridique dans une décision de justice passée en force de chose jugée.
Autant dire que si le juge administratif annule cet ordre de recettes, il remet en cause
implicitement mais certainement la décision de son collègue de l’ordre judiciaire. De plus, si
la faute était constitutive d’une infraction pénale ayant conduit à la condamnation du

113
chauffeur surgissent encore d’autres difficultés dont la moindre n’est pas l’application de
l’adage selon lequel « le criminel tient l’administratif en l’état ».

S/ § 2- La responsabilité sans faute

La responsabilité de l’administration peut être engagée même en dehors de toute faute


à elle imputable. Il s’agit d’assurer une protection aussi large que possible des intérêts des
particuliers. En effet, il est des événements qui ne sont pas constitutifs de faute mais qui sont
de nature à porter atteinte aux droits et intérêts des tiers.
On distingue deux sortes de responsabilité sans faute en droit administratif : la
responsabilité pour risque (qui est la réception de la théorie civilisée du risque en matière de
responsabilité) et la responsabilité en dehors du risque ou responsabilité du fait de la rupture
de l’égalité devant les charges publiques.

A- La responsabilité pour risque

Il y a responsabilité pour risque lorsque l’action de l’administration comporte des


dangers susceptibles de menacer ou de porter atteintes aux droits ou intérêts des particuliers.
La jurisprudence a dégagé quelques hypothèses en la matière.
On a le cas du voisinage des choses dangereuses. Il en ainsi lorsque l’administration
met en œuvre des choses qui présentent par elles-mêmes un danger ; par exemple, l’explosion
d’un dépôt pétrolier ou d’un dépôt de munitions dans le voisinage d’un lieu d’habitation (CE,
28 mars 1919, Regnault - Desroziers). Cette hypothèse renvoie aussi à la théorie du risque-
profit. Cette dernière impose à celui qui crée un risque à l’occasion d’une activité dont il tire
profit d’en assumer la responsabilité si le risque se réalise. Cette conception, apparente à la
théorie du risque en droit civil se rapproche de l’idée de la relation entre charge et avantage.
On a le cas des activités dangereuses. Il en est ainsi d’une mauvaise manipulation du
sang dans les hôpitaux (CE, 9 Avril 1993, Bianchi) ; il en est de même de l’utilisation d’armes
à feu. La responsabilité de l’administration sera engagée lorsque, pourchassant des bandits,
des éléments de la force de l’ordre usent de leurs armes à feu et blessent grièvement, non pas
les individus poursuivis, mais de citoyens innocents (CE, 24 Juin 1949, Le Comte et Daramy).
Il s’agit là de la théorie du risque-crée. Elle résulte du caractère dangereux de l’activité
exercée ou de la chose employée par l’administration dont elle doit répondre en cas de
dommage. Inauguré par l’explosion de munitions entreposées dans un fort, « révélant un
risque anormale de voisinage » (CE, 23 mars 1919, Regnault – Desroziers), le raisonnement
est repris pour l’usage de la police d’armes ou d’engins comportant des risques exceptionnels
(CE, 24 juin 1949, cons. Lacomte), et toutes les fois où la concrétisation accidentelle d’un
danger entraine des dommages.
Le risque, en tant que fondement de la responsabilité a été contesté par Paul Amselek,
qui trouve un fondement unique dans l’émergence du dommage anormale, le risque n’étant
évoqué que pour exprimer l’anormalité.

B- La responsabilité en dehors du risque

Il convient, d’abord, d’identifier les cas relatifs à cette responsabilité, avant d’en
rechercher le fondement.
1- Les cas de responsabilité en dehors du risque
On peut identifier, en gros, trois cas de responsabilité sans faute en dehors du risque.
Le premier cas, et le plus courant, c’est en matière de travaux publics. Dans ce cas, il
faut distinguer entre les dommages causés aux tiers, dont la réparation est large, et les

114
dommages causés aux usagers, dont la réparation est restrictive, car le mis en cause peut
apporter la preuve qu’il a tout fait pour éviter la survenance du dommage.
Le deuxième cas concerne les mesures d’ordre économique ou social imposées aux
particuliers dans l’intérêt général. Il en est ainsi du refus par l’administration d’engager une
action en démolition d’un immeuble bâti en méconnaissance des règles d’urbanisme ou du
refus par l’administration d’exercer son pouvoir de police (CE, 20 mars 1974, Navarra) et des
pressions exercées sur une entreprise, lors d’un conflit du travail, pour qu’elle adopte une
solution lui portant un grave préjudice (CE, 21 novembre 1947, Sté Boulenger ; voir
également l’arrêt CE 14 janvier 1938 SA des produit laitiers « La Fleurette » ; CE S. 30
juillet 2003, Ass. Pour le développement de l’aquaculture en région centre).
Le troisième cas est relatif au refus d’exécution des décisions de justice. Il en ainsi du
refus de l’administration de prêter main-forte à l’exécution d’une décision de justice s’il est
inspiré par l’intérêt général, parce que, par exemple, l’exécution risquerait d’entraîner de
graves troubles (CE, 30 novembre 1923, Coutéas : expulsion de 8000 personnes armées).
2- Le fondement de la responsabilité en dehors du risque
Ce fondement c’est la rupture de l’égalité devant les charges publiques. En vertu de
l’égalité des citoyens devant les charges publiques, la collectivité doit indemniser doit
indemniser le préjudice anormal et spécial qui résulte pour une ou quelques-uns des
personnes. Il en ainsi lorsque la victime a été atteinte de façon spéciale et anormale ; bref,
lorsqu’elle a subi un dommage exceptionnel (CFJ/CAY, arrêt n°05 du 25 mars 1969, Dame
Ngué Andrée c/ Commune de plein exercice de Mbalmayo). Dans cette espèce, le juge
administratif précise que « considérant que la collectivité publique doit être condamnée en
dehors de toute idée de faute à réparer le préjudice exceptionnel, anormal, c’est-à-dire d’une
particulière gravité souffert par un individu à raison de l’exécution des travaux d’intérêt
général sous peine de porter atteinte au principe de l’égalité de tous devant les charge
publique ; qu’en l’espèce, il apparait bien que l’aménagement d’une rue communale en
portant gravement atteinte au droit de la propriété de Dame Ngué, et ce dans l’intérêt
général, a imposé à celle-ci un sacrifice qui excède sa part normale aux charges publiques et
qui par suite lui donne droit à une compensation pécuniaire » (Arrêt ADD n°49/CFJ/SCAY du
30 avril 1968).
Il faut donc un fait générateur, c’est-à-dire un fait qui remet en cause l’égalité des
citoyens et qui est d’une gravité particulière (CFJ/AP, Arrêt n°14 du 4 novembre 1965,
Société Industrielle et Commerciale Africaine (SINCOA) c/Etat du Cameroun). Au-delà de
cette exigence, il faut apporter la preuve que c’est l’administration qui est à l’origine du
dommage subi. C’est le problème de l’imputabilité du dommage.

§ 3- L’imputabilité du dommage

A qui imputer le dommage subi et comment y parvenir ? Cette double interrogation


invite, d’une part, à rechercher le lien de causalité entre le fait dommageable et la personne
publique, et, d’autre part, à déterminer la collectivité publique responsable.

A- L’établissement du lien de causalité

Le lien de causalité consiste à établir le rapport entre le fait dommageable, qui est la
cause, et le préjudice subi, qui en est la conséquence.
Dans le droit de responsabilité administrative, il faut apporter la preuve que le fait en
cause est imputable à l’administration. C’est la raison pour laquelle la jurisprudence exige
que la cause soit directe. Ainsi, en l’absence d’une telle cause, ou d’un tel lien direct, la

115
responsabilité de l’administration ne peut être engagée (CS/CA, jugement n°43 du 22 février
1979, Moutombi Christophe c/ Etat du Cameroun).
Lorsque la cause n’est pas établie de façon directe, l’administration peut, soit voir sa
responsabilité atténuée, soit être exonérée de toute responsabilité.
La responsabilité de l’administration est atténuée dans le cas de partage des
responsabilités. Celui-ci intervient lorsqu’il est établi qu’il y a eu faute de la victime et faute
de l’administration (TE, arrêt n°127 du 23 décembre 1960, Dame ferrière Marie c/ Etat du
Cameroun et CFJ/CAY, Arrêt n°145 du 23 mai 1971, Ngijol Pierre c/Etat fédéral du
Cameroun), ou si le dommage est dû tout à la fois à une faute de l’administration et à une
faute d’un tiers.
L’administration est exonérée dans les cas suivants :
- la faute de la victime. Celle-ci doit être dûment établie (TE, arrêt n°279 du 11 mai
1963, Nkoa Ndi Sylvestre c/ Etat du Cameroun) ;
- la force majeure (CE, Sect., 29 juillet 1953, Epoux Glasner). C’est un fait étranger à
l’administration, imprévisible dans sa survenance et irrésistible dans ses effets ; elle n’est
admise que de façon exceptionnelle (v. par exemple : CE, 4 avril 1962, Ministre des
Transports, AJ, 1962, p.592, Concl. Braibant ; pour un exemple d’admission de la force
majeure : CE, 23 janvier 1981, Ville de Vierzon) ;
- le cas fortuit. Un dommage est imputable à un cas fortuit lorsqu’on en ignore la
cause, on dit que la cause est inconnue (ex. : un accident mécanique tel que l’explosion d’un
navire de guerre : CE, 10 mai 1912, Ambrosini) ;
- le fait d’un tiers. Ici, le dommage est causé par une personne extérieure à
l’administration ;
- l’exception de risque accepté. Le juge administratif applique ce principe lorsque la
victime s’est sciemment exposée au dommage qui est survenu (CE, 10 juillet 1996, Meunier,
RDP, 1997, p.246, Concl. Stahl ; CE, 16 novembre 1998, Sille).

B- L’identification de la collectivité publique responsable

En principe, la collectivité publique responsable est celle dont dépend le service ou


l’agent public qui a causé le dommage. C’est ainsi que la jurisprudence distingue le gardien
de la chose et le propriétaire de la chose.
Sera responsable du dommage causé par un véhicule administratif, non pas son
propriétaire mais son utilisateur. Ainsi, dans une espèce en date du 4 novembre 1966, le juge
administratif camerounais a décidé qu’une commune devait répondre du dommage causé par
son agent qui conduisait un véhicule que l’Etat avait mis à sa disposition (CFJ/CAY, Arrêt n°1
du 4 novembre 1966, Dame Mengue Marie c/Commune mixte rurale de Mbalmayo :
« Considérant que la commune mixte rurale de Mbalmayo gardienne de ce véhicule
administratif appartenant à l’Etat fédéré du Cameroun oriental était tenue de répondre de
tout dommage qu’il causerait aux tiers).
Il existe des hypothèses où l’application de cette règle pose, sur le plan juridique, des
problèmes. Il en est ainsi lorsque plusieurs personnes publiques sont associées à une même
activité, lorsque l’agent public exerce deux fonctions (cas du dédoublement fonctionnel :
exemple, le maire est à la fois agent de l’Etat et agent de la Commune) ; enfin, lorsque l’Etat
exerce la tutelle sur les collectivités territoriales décentralisées.
Dans le cas où plusieurs personnes publiques sont associées à une même activité,
l’indemnisation solidaire en droit civil n’est pas applicable. Chaque personne publique,
responsable de son secteur, doit répondre des dommages causés à autrui. Mais, s’il y a
impossibilité de dissocier les deux éléments, la responsabilité des deux est engagée.

116
Dans le cas où l’agent public exerce deux fonctions ou lorsqu’il y a dédoublement
fonctionnel à l’instar du Maire qui est à la fois au service de l’Etat et de la commune (V.
notamment articles 206., 211 et 212 de la loi n°2019/024 du 24 décembre portant Code
général des Collectivités territoriales décentralisées), la responsabilité de l’Etat sera
engagée si le maire a agi comme agent de l’Etat et celle de la commune engagée s’il a agi
comme agent de la commune.
Enfin, dans le cas où l’Etat exerce la tutelle sur les collectivités territoriales
décentralisées, deux hypothèses doivent être considérées :
- l’autorité de tutelle se substitue à l’autorité sous tutelle. Dans ce cas, c’est la
responsabilité de la collectivité sous tutelle qui est engagée ;
- l’exercice de la tutelle ne comporte pas de substitution. Dans ce cas, c’est la
responsabilité de la collectivité de tutelle qui est engagée. Mais comment la mettre en œuvre ?

SECTION 2 : L’APPLICATION DU PRINCIPE

La mise en œuvre de la responsabilité administrative est relative d’une part, aux


actions en responsabilité, et, d’autre part, au régime d’indemnisation.

§ 1- Les actions en responsabilité

Les actions en responsabilité posent le problème de la juridiction compétente, c’est-à-


dire celui la détermination de la juridiction appelée à connaître de la responsabilité de
l’administration.
Dans l’arrêt Blanco, il est soulevé la question de la juridiction compétente en cas de
responsabilité administrative : « Considérant que la responsabilité qui peut incomber à l’Etat
pour les dommages causés aux particuliers par le fait des personnes qu’il emploie dans le
service public, ne peut être régie par les principes qui sont établis dans le code civil, pour les
rapports de particulier à particulier ; que cette responsabilité n’est ni générale, ni absolue ;
qu’elle a ses règles spéciales… ». Par cette prise de position, le Tribunal des Conflits posait
implicitement mais certainement le principe d’un dualisme juridictionnel. Ce système
d’organisation juridictionnelle soulève généralement des problèmes de réparation des
compétences. Les solutions à ce problème sont de trois types. D’abord, on peut employer la
technique dite de la clause générale des compétences qui consiste à poser un principe général
de répartition des compétences. Ensuite, la technique dite de l’énumération. Ici, les
compétences attribuées à une juridiction sont énumérées, définies dans une liste. Enfin, il peut
être fait usage de la technique dite mixte qui allie à la fois clause générale des compétences et
énumération des compétences. Quelle est l’option prise au Cameroun ?
Cette question est d’autant plus délicate au Cameroun du fait de l’existence d’un
dualisme juridictionnel. Par ailleurs, la répartition des compétences qui est faite par les textes
constitutionnels et législatifs depuis environ trente-huit ans n’est pas de nature à faciliter
l’identification du juge compétent. Cela a conduit certains juristes camerounais à affirmer que
le juge de droit commun de l’administration c’est le juge judiciaire et le juge d’attribution est
le juge administratif.
Qu’à cela ne tienne, la répartition des compétences au Cameroun obéit à la fois à la
technique de la clause générale des compétences et à celle de l’énumération (V. article 9
l’ordonnance n°72/06 du 26 aout 1972 portant organisation de la Cour suprême, puis les
articles 2 et 3 de la loi de n°2006/022 du 29 décembre 2006 portant organisation et
fonctionnement des tribunaux administratifs). Ainsi, le juge administratif et le juge judiciaire
sont les deux juges de l’administration. Ils interviennent tous les deux en matière de
responsabilité de l’administration.

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La juridiction administrative a une compétence principielle en matière de
responsabilité administrative : « Le contentieux administratif comprend (…) les actions en
indemnisation en des préjudices causé par un acte administratif » (Article 2 de la loi
n°2006/022 du 29 décembre 2006 portant organisation et fonctionnement des tribunaux
administratifs).
La juridiction judiciaire intervient exceptionnellement dans le contentieux de la
responsabilité de l’administration. Sa compétence en la matière est consacrée par les articles
3 et 4 de la loi n°2006/022 du 29 décembre 2006 portant organisation et fonctionnement des
tribunaux administratifs : « Les tribunaux de droit commun connaissent conforment au droit
privé tout autre litige, même s’il mettent en cause les personnes morales énumérées à l’article
2 ci-dessus, la responsabilité de ladite personne étant à l’égard des tiers de plein droit
substituée de plein droit à celle de son agent auteur du dommage causé même dans l’exercice
de ses fonctions ».
Généralement une loi spéciale vient définir les modalités d’intervention du juge
judiciaire dans le domaine concerné. Il existe plusieurs hypothèses d’intervention du juge
judiciaire dans le contentieux de la responsabilité de l’administration.
On peut citer :
- le contentieux des accidents causés par les véhicules administratifs régi par le droit
CIMA ;
- le contentieux de l’indemnisation lié à l’expropriation pour cause d’utilité publique ;
- le contentieux de l’exécution des contrats des agents de l’Etat relevant du Code du
Travail ;
- lorsque la gestion des services de l’administration relève du droit privé ;
- lorsqu’il s’agit d’un service public industriel et commercial ;
- en cas de voie de fait ou d’emprise irrégulière (Voir article 4 de la loi n°2006/022
du 29 décembre 2006 portant organisation et fonctionnement des tribunaux administratifs:
les tribunaux de droit commun connaissent « des emprises et des voies de fait administratives
et ordonnent toutes mesures pour qu’il y soit mis fin. Il est statuée sur les exceptions
préjudicielles soulevées en matière de voies de fait administrative par la chambre
administrative de la Cour suprême »).
La jurisprudence administrative s’attèle elle aussi à assurer le respect des différents
domaines de compétence. Ainsi, dans le jugement n°197/CA/CS/2010 du 23 septembre 2010,
Moulion Théodore c/ Hôpital général de Yaoundé, la juge administrative se déclare
incompétent pour connaitre des litiges relatifs aux fautes commises par un médecin. Il dit en
substance : «Attendu qu’en l’espèce l’acte du médecin Djindjon Fidele d’avoir placé au
recourant une broche obsolète, défectueuse et de qualité douteuse ne constitue pas le
contentieux administratif susvisé ; Que cette négligence du médecin Djindjon pourrait
engager la responsabilité de l’Etat suivant l’article 3 (1) susvisé ; Par conséquent, relève des
tribunaux de droit commun ; qu’il s’ensuit que la Chambre administrative est incompétente ».
Une fois que le problème de la compétence se trouve réglée, celui du régime de
l’indemnisation apparait.

§ 2- Le régime d’indemnisation

Le régime de l’indemnisation a trait aux modalités d’indemnisation, à la date


d’évaluation du dommage et aux intérêts moratoires voire compensatoires.

118
A- Les modalités d’indemnisation

Le principe dans le droit de la responsabilité administrative est que la réparation du


dommage se fait en argent et non en nature. Comme le dit le Professeur Kamto, « il ne faut
pas demander au juge ce qu’il ne saurait vous accorder ». L’observation de la totalité des cas
des condamnations juridictionnelles à raison d’illégalités fautives de l’administration de
l’administration se fait uniquement en argent. L’on explique cette prédilection à réparer le
préjudice par l’allocation des sommes d’argent au moyen de l’interdiction faite au juge
administratif d’adresser des injonctions à l’administration. En effet, le juge administratif,
notamment camerounais, n’est pas compétent pour adresser des injonctions à l’Administration
pour le règlement financier de la réparation (Jugement n°92/82-83 du 28 juillet 1983,
Tchouankeu Joseph c/Etat du Cameroun).
Le droit positif camerounais contribue considérablement à maintenir le juge dans une
position de faiblesse afin que ce dernier ne puisse donner des ordres aux autorités
administratives, comme il le fait habituellement à l’endroit des particuliers. La conséquence
directe de cette prohibition est que le fonctionnaire illégalement sanctionné, par exemple, et
qui sollicite du juge qu’il condamne l’Etat à lui verser des dommages-intérêts, ne doit
uniquement s’attendre qu’à une indemnisation financière du préjudice. Le juge administratif
camerounais s’en tient encore à ce principe qui est quasiment abandonné par son homologue
français. Un exemple partant est fourni par l’arrêt Lélé Gustave c/ Etat du Cameroun.
Par ailleurs, il n’est appelé à réparer que le préjudice et rien que le préjudice. Ainsi, un
fonctionnaire illégalement révoqué peut par la suite, et sur décision de justice, être réintégré
dans la fonction publique. Le juge administratif applique, dans ce cas, le système de rappel
intégral de traitement. Pour lui, en effet, l’absence de service fait ne saurait justifier le non-
paiement du traitement du fonctionnaire dès lors qu’il est démontré qu’une telle situation est
imputable à l’Administration ( CS/CA, jugement du 31 mai 1979, Atangana Eloundou
Cyprien c/ Etat du Cameroun : « Considérant que la mise à la retraite de façon précipitée de
l’intéressé lui a effectivement fait perdre neuf mois de son traitement (…) ; qu’il y lieu de
condamner l’Etat à verser à l’intéressé une indemnité équivalente à ces neuf mois de solde
(…) ». Mais il n’en a pas toujours été ainsi.
Dans un premier mouvement, le juge administratif retient le système dit du « rappel
de traitement », c’est-à-dire que la réparation accordée à ces agents lésés à la suite d’actes
illégaux correspond au total des traitements qu’ils auraient perçus s’ils avaient été maintenus
en service. Ce qui justifie, par conséquent, que, « lorsque le désinvestissement de la fonction
provient du fait de l’administration, notamment en cas de suspension illégale ou de
déplacement d’office irrégulier, l’agent a droit au traitement, bien qu’il n’ait pas exercé
effectivement la fonction pendant tout le temps que subsiste l’empêchement» (Arrêt
n°0192/CCA du 5 décembre 1952, Dame Regenault, veuve Olivier c/Administration du
Territoire). Cette position a été confirmée dans l’arrêt n°277/CCA du 27 janvier 1954, Yem
Mback Pierre c/Administration du Territoire.
Dans un deuxième mouvement, le juge va prendre en compte le service fait.
Désormais, tout fonctionnaire irrégulièrement sanctionné et a fortiori révoqué, qui par la suite
est réadmis dans sa fonction, ne peut prétendre au rappel intégral de son salaire. Il pourra
uniquement recevoir une indemnité destinée à couvrir le préjudice réellement subi du fait de
la sanction prise à son encontre, laquelle indemnité sera calculée tenant compte des ressources
que le fonctionnaire a pu se procurer par un travail connexe durant toute la période sanction
(arrêt n°19/CFJ/AP du 16 mars 1967, Tagny Mathieu).
Enfin, dans un troisième temps, à la faveur d’un important dispositif normatif, le juge
sera contraint d’opérer un revirement de jurisprudence qui le conduira à réhabilité les
conceptions du juge « colonial ». Cette position nouvelle s’est déclinée dans deux arrêts :

119
affaire Belinga Ze Thomas du 03 février 1978 ( le juge décide de condamner l’Etat au
versement à l’intéressé d’une « indemnité équivalente à son traitement ») ; jugement
n°65/CS/CA du 31 mai 1979 Atangana Eloundou Cyprien c/Etat du Cameroun : « (…) la mise
à la retraite de façon précipitée de l’intéressé lui a effectivement fait perdre neuf mois ; Qu’il
y a lieu de condamner l’Etat à verser à l’intéressé une indemnité équivalent à ces neuf mois
de solde, soit le montant de 658.602 FCFA » (Voir également l’affaire Metou Josué du 30
juin 1982). C’est la solution que semble avoir définitivement retenu le juge administratif sur
la question.
Il convient, en outre, de préciser que c’est au juge administratif qu’il appartient
d’apprécier les dommages. Ainsi, dans l’affaire Etablissement OPTIMA c/ Etat de Cameroun
(MINDEF), il affirme son pouvoir d’appréciation : « Attendu qu’en ce qui concerne la
demande de dommages et intérêts, il ressort que si celle-ci est fondée en principe, elle est
cependant exagérée quant à son quantum ; Attendu que la Chambre administrative dispose
cependant eu égard à l’ancienneté de la créance d’élément d’appréciation suffisant pour lui
allouer la somme de 4.000.000 de Francs à ce titre (jugement n°140/2009/CS/CA du 22 juillet
2009 ».
Le pouvoir d’appréciation du juge administratif porte également sur la détermination
du montant. Il ne se laisse pas impressionner par les montants exorbitants que réclament les
requérants. Un exemple de demande exorbitante est servi par l’affaire Action pour la
Démocratie et l’Egalité de Chance c/ Etat du Cameroun (PR), jugement n°76/06-07. Le
requérant demandait au juge administratif d’ordonner le paiement de la somme de 22
milliards en guise de participation de l’Etat à sa campagne électorale et de le condamner au
paiement des dommages et intérêts pour le préjudice subi (affaire ayant abouti à
l’irrecevabilité pour défaut de recours gracieux préalable).
Le juge apprécie le dommage et fixe le montant qui lui parait approprié : « Attendu
que la somme de 35.000.000 de francs sollicitée est exagérée au regard du montant du
marché qui s’élève à 15.000.000 ; Qu’il y a lieu de faire droit à la demande de l’entreprise en
lui allouant la somme de 10.000.000 » (jugement n°80/06-07 du 04 juillet 2007 affaire
Etablissement le « Paysan » c/ Etat du Cameroun (Minsanté). Il en est de même dans le
jugement n°197/2010 du 23 juillet 2010, affaire Atangana Benjamin c/ Etat du Cameroun :
« Le requérant évalue le préjudice global subit à 104.975.000 francs ; Attendu que cette
demande est exagérée quant à son quantum, qu’il y a lieu de la ramener à la somme de
23.975.000 ventilée comme suit : préjudice matériel 18.975.000, préjudice moral 5.000.000
francs » ( Dans le même sens, le jugement n° 17/2010/CA/CS février 2010 affaire Atangana
Pascal c/ Etat du Cameroun (MINFIB) : « S’agissant du quantum de la somme réclamée à
titre de préjudice, celle-ci est exagérée et la somme de 120.000.000 tous préjudices confondus
est appropriée »).
Il arrive même que le juge alloue une indemnité, bien qu’ayant rejeté le principe même
de l’indemnité. Dans l’affaire Youtou Martin contre Etat du Cameroun, après avoir décidé
dans l’exposé des motifs que, « attendu que la réclamation de 50.000.000 à titre de
dommages et intérêts pour les préjudices subis n’ayant pas figuré sur son recours gracieux il
y a lieu d’en lui débouter », il décide d’un paiement de « 2.000.000 pour tous préjudices
confondus ».
La liberté du juge administratif est tellement large qu’il peut se permettre de ne pas
motiver le refus d’ordonner les dommages et intérêts à la charge de l’Etat. Il en est ainsi dans
le jugement n° 45/2002-2003 du 27 mars 2003. Dans cette espèce, il décide sans motivation
aucune de refuser l’octroi de dommages et intérêts réclamés par le requérant.
Il apparait donc que le juge administratif détient d’important pouvoir pour
l’appréciation du préjudice. Quid de la date d’évaluation du dommage ?

120
B- La date d’évaluation du dommage

Selon René Chapus, l’office du juge administratif ou sa mission dans le plein


contentieux est de remplacer les décisions contre lesquelles il est saisi et qui sont contestées à
juste titre, par ses propres décisions, qui se substitueront ainsi à celles contestées.
Quant à la date à laquelle le juge se placera pour apprécier ce que doit être la décision
de remplacement de celle contestée à juste titre, elle est la même à laquelle il se prononce. Il
sera ainsi en mesure de prendre en considération (pour que sa décision soit vraiment ce
qu’elle doit être) les changements qui ont pu affecter l’état du droit et/ou les circonstances de
fait (CE, sect., 8 janvier 1982, Aldana Barrena ; voir également CE 25 novembre 1998,
Départ. Du Nord : il appartient aux commissions départementales et à la commission centrale
d’aide sociale, « eu égard tant à la finalité de leur intervention qu’à leur qualité de juge de
juges de plein contentieux, non d’apprécier la légalité de la décision (contestée), mais de se
prononcer elles-mêmes sur le bienfondé de l’action (en récupération), d’après l’ensemble des
circonstance de fait à la date propre de la décision ».
Cependant, s’il arrive qu’entre la date de l’audience (à l’issue de laquelle l’affaire a été
mis en délibéré) et celle à laquelle la décision doit être rendue, des changements de nature à
affecter le fondement de cette décision sont survenus, la juridiction saisie d’un recours de
plein contentieux doit différer le prononcé du jugement et en rouvrir l’instruction
contradictoire. Sera ainsi respecté le principe qui lui prescrit de statuer d’après les
circonstances de fait et de droit établies à la date de sa décision.
Le juge considère que l’emprise du temps sur les droits et les dommages doit
nécessairement être prise en compte dans l’évaluation du dommage. Il prendra en compte
toutes les incidences y relatives.
Le juge tient compte de la dépréciation ou l’appréciation monétaire. Il prend aussi en
compte « la durée des faits » ( Jugement n°80/06-07 du 04 juillet 2007 affaire Etablissement
le « paysan » c/ Etat du Cameroun (Minsanté) : « Qu’il y a lieu de faire droit à la demande de
l’entreprise en lui allouant la somme de 10.000.000 compte tenu de la durée des faits » ; ou
encore « l’ancienneté de la créance ». Ainsi, dans le jugement Etablissement OPTIMA c/ Etat
de Cameroun (MINDEF) le juge déclare que, « Attendu que la Chambre administrative
dispose cependant eu égard à l’ancienneté de la créance d’élément d’appréciation suffisant
pour lui allouer la somme de 4.000.000 de Francs à ce titre ».
La détermination de l’indemnisation prendra aussi et surtout en compte l’objet du
dommage.
Pour ce qui est des dommages causés aux personnes, leur date d’évaluation pour
l’indemnisation est celle du prononcé du jugement. La raison en est que le juge a la possibilité
d’évaluer l’évolution du dommage subi par la personne concernée.
En ce qui concerne les dommages causés aux biens, leur évaluation pour
l’indemnisation se fait à compter du jour de la réalisation du dommage. On estime qu’entre
temps, la victime a réparé le dommage (CCA, arrêt n°163 du 12 décembre 1952, Ndingué
Jean c/Administration du Territoire). Au regard de tout ce qui précède, la position du juge
administratif pourrait être qualifiée de réaliste.

C- Les intérêts moratoires et les intérêts compensatoires

L’indemnité accordée par le juge à la victime porte des intérêts à compter du jour où
le requérant a demandé réparation à l’administration. Ainsi, la partie bénéficiaire d’une
condamnation pécuniaire a droit, non seulement à la somme d’argent que le jugement lui
accorde, mais aussi aux intérêts qu’elle lui aurait rapporté si elle avait pu en disposer et la

121
placer (au taux légal du loyer de l’argent) sans attendre l’issue du procès. On parle des intérêts
moratoires. Le terme moratoire vient du latin « mora », qui veut dire retard.
Les intérêts moratoires compensent le retard mis par l’administration débitrice pour
payer sa dette (voir jugement n°05/2005-2006 du 02 novembre 2005, affaire colonel
Djouakoua Gérard c/ Etat du Cameroun).
Ces intérêts étaient prévus par les articles 1153 et 1154 (actuellement abrogés par une
loi camerounaise sur l’exécution des décisions de justice) du Code civil, lesquelles ont été
reprises et appliquées par le juge administratif (CS/CA, jugement du 29 Novembre 1979, Eka
Ngaleu Clément c/Etat du Cameroun).
La détermination du point de départ des intérêts met en présence une distinction
simple. Lorsque les intérêts ont été demandés, ils courent à compter de la réception par la
partie débitrice de la demande de la somme principale. Si le demandeur a directement saisi le
tribunal, ils courront à partir de la saisine (CE sect. 13 février 2002, Cie d’ass. Les Lloyd’s de
Londres). Lorsqu’ils n’ont pas été demandés, ils vont de plein droit courir à compter du
prononcé du jugement, à moins que le juge n’en décide autrement (CE sect. 3 septembre
2007, Dechelotte).
En France, aux termes de l’article 1153-1 du Code civil, le champ d’application de
cette disposition est limité au cas de « condamnation à une indemnité ». La jurisprudence
administrative l’étend à toutes condamnations pécuniaires. Les intérêts vont courir jusqu’à la
liquidation de la créance principale (arrêtant son montant et précédant le mandatement, elle
représente l’ «exécution » du jugement). Ils courront même jusqu’à la date du paiement
effectif, si un délai anormalement long s’est écoulé depuis celle de la liquidation.
Depuis la loi française du 23 juin 1989 sur la protection du consommateur, le taux
des intérêts est fixé par décret pour chaque année civile, par référence au taux de rendement
moyen de certaines adjudications de bons du trésor. En 2008, il était de 3,99%. Le
bénéficiaire du jugement peut même demander au juge la « capitalisation des intérêts », de
façon que les intérêts échus soient (à compter de la date de sa demande) capitalisés pour être
eux-mêmes productif d’intérêts.
Au Cameroun, un tel système n’existe pas…encore. Le juge détient en cette matière
de larges pouvoirs d’appréciation du taux des intérêts moratoires. Toutefois, il prend la peine
dans ses décisions de préciser séparément le montant de l’indemnisation et celui des intérêts
moratoires, même s’il donne lieu à un montant unique (jugement n°05/2005-2006 du 02
novembre 2005, affaire colonel Djouakoua Gérard c/ Etat du Cameroun).
Exceptionnellement, le juge peut allouer, en plus des intérêts moratoires, des intérêts
compensatoires en cas de mauvaise volonté caractérisée de l’administration (CE, 21 janvier
1944, Caucheteux et CE, 29 mai 1962, Desmonts). Le requérant doit introduire une instance
particulière. Il aura satisfaction à deux conditions. Il doit d’abord justifier qu’un retard
anormal à payer la somme principale lui a causée « un préjudice distinct » de celui que celui
que les intérêts moratoires sont censés réparer (par exemple il, il a dû emprunter, ou a été
l’objet de saisies). Il doit en outre établir que le retard en cause est imputable au « mauvais
vouloir » du débiteur.
La responsabilité administrative de l’Etat, en particulier, et des personnes publiques,
en général, s’est étendue, dans les conditions restrictives et de façon très exceptionnelle, à des
activités publiques étatiques autres que celles de l’administration active. Elle relève de ce que
l’on appelle les régimes spéciaux de responsabilité des personnes publiques.

SECTION 3 : LES REGIMES SPECIAUX

Les régimes spéciaux de responsabilité de la personne publique sont divers et variés.


Ils n’admettent que de manière exceptionnelle la responsabilité administrative desdites

122
personnes publiques, car, en général, soit cette responsabilité n’est pas admise, soit elle relève
de la compétence du juge judiciaire. On peut citer : la responsabilité de l’Etat du fait des
accidents de la circulation impliquant les véhicules administratifs ; la responsabilité des
maitres de l’enseignement public pour défaut de surveillance des élèves ; la responsabilité de
la personne publique du fait des attroupements et rassemblements ; la responsabilité de l’Etat
du fait du service public parlementaire ; la responsabilité de l’Etat du fait du service public de
la justice. Il sera question ici, notamment, de la responsabilité de l’Etat du fait, d’une part de
l’activité législative, et, d’autre part, de l’activité juridictionnelle. Les règles y relatives sont
très spécifiques en raison de la nature des dites activités.

§ 1- La responsabilité de l’Etat du fait des actes de l’organe législatif

Il convient d’indiquer, d’abord, le principe, qui est celui de l’irresponsabilité de l’Etat


législateur, et, ensuite, les exceptions consacrées, qui constituent les cas de responsabilité de
cet Etat.

A- Le principe : l’irresponsabilité de l’Etat législateur

L’Etat législateur est resté très longtemps irresponsable. Toute demande


d’indemnisation du fait des lois votées par le parlement butait à cette règle (CE, 11 janvier
1938, Duchatelet). Cette irresponsabilité était fondée sur le caractère même de la loi, à savoir
qu’elle est l’expression de la volonté générale et que, comme telle, elle s’impose à tous. Elle
ne paraissait donc pas susceptible de causer des dommages identifiables aux particuliers.
Cependant, l’application du principe de l’égalité de tous devant les charges publiques a
conduit le Conseil d’Etat français à reconnaître la responsabilité de l’Etat du fait de la loi,
laquelle est une responsabilité sans faute. Ainsi, dans l’arrêt «La Fleurette» (CE, 14 janvier
1938, Société des Produits Laitiers « La Fleurette »), le Conseil d’Etat a admis l’ouverture
d’un droit à indemnité en réparation des conséquences dommageables d’une loi. Toutefois, la
reconnaissance de cette responsabilité reste enfermée dans des conditions réductionnistes qui
font qu’elle n’est que très exceptionnellement engagée en France. Au Cameroun,
l’irresponsabilité de l’Etat législateur paraît être une règle qui ne connaît pas encore
d’exception.

B- Les exceptions : les cas de responsabilité de l’Etat législateur

Il existe deux cas de responsabilité de l’Etat législateur : la responsabilité du fait des


actes des services du parlement et la responsabilité du fait du silence de la loi. C’est ce qu’on
appelle la responsabilité du fait des lois.
En ce qui concerne la responsabilité du fait des actes des services du parlement,
l’ordonnance française n°58/1100 du 12 novembre 1958, en son article 8, pose le principe
de la responsabilité de l’Etat «à raison des dommages de toute nature causés par les services
des assemblées parlementaires».
Les règles de compétence et de fond applicables en la matière sont les mêmes que
celles concernant l’action administrative. La juridiction compétente, c’est la juridiction
administrative. Le juge judiciaire ne peut l’être que sur la base d’une disposition textuelle
expresse.
Pour ce qui est de la responsabilité du fait du silence de la loi, il faut distinguer deux
situations. D’abord, il suffit d’appliquer le texte si la loi a, soit exclu toute indemnité pour les
dommages qu’elle cause, soit posé le principe et les modalités de l’indemnisation. Ensuite, si
la loi n’a rien prévu, le principe traditionnel est celui de l’irresponsabilité de l’Etat législateur.

123
Mais, il existe des exceptions jurisprudentielles. On peut citer, en particulier, l’arrêt « La
Fleurette » qui a admis la responsabilité de l’Etat du fait de la loi. La solution consacrée par le
Conseil d’Etat dans cet arrêt repose sur l’interprétation de la volonté du législateur. Il déduit
de son silence compte tenu des circonstances, un consentement à l’indemnisation. La
responsabilité se fonde, en l’espèce, sur le principe de l’égalité de tous devant les charges
publiques.
L’intérêt général au nom duquel le sacrifice est imposé se confond avec l’intérêt
collectif d’une catégorie sociale ou économique (dans l’affaire «La Fleurette», il s’agit des
producteurs de lait). Ainsi, on procure un avantage aux uns en imposant une charge à d’autres.
Mais, pour la jurisprudence, l’activité sacrifiée ne doit être ni illicite ni incommode ou
dangereuse pour la collectivité. Au Cameroun, le juge administratif a estimé que les lois
votées par l’Assemblée Nationale ne peuvent être portées à la connaissance des tribunaux,
notamment administratifs (CFJ/AP arrêt n°24 du 28 octobre 1970, SGTE c/ Etat du
Cameroun oriental).

§ 2- La responsabilité de l’Etat du fait des actes des organes juridictionnels

Sur cette question, il convient de faire le distinguo entre les dommages imputables à
l’organisation des services juridictionnels et les dommages imputables à leur fonctionnement.

A- Les dommages imputables à l’organisation des services juridictionnels

L’organisation des services juridictionnels relève de la compétence de l’Exécutif. A ce


titre, les dommages imputables à cette organisation impliquent d’une part l’application du
droit commun de la responsabilité administrative, à savoir le droit administratif, et, d’autre
part, la compétence du juge administratif. Le problème est plus complexe en ce qui concerne
les dommages imputables au fonctionnement desdits services.

B- Les dommages imputables au fonctionnement des services juridictionnels

Il convient pour la clarté de l’analyse, d’aborder, dans une perspective comparative,


l’évolution de la question en France et au Cameroun.
1-L’évolution de la question en France : du principe de l’irresponsabilité au principe de
la responsabilité
Depuis l’arrêt Giry de 1956 (Cour de Cassation, civil, 23 novembre 1956), les
activités de la police judiciaire sont soumises par les tribunaux judiciaires au droit commun de
la responsabilité de la puissance publique élaboré par la jurisprudence administrative, non
seulement sur la base de la faute, mais également sur la base du risque. Par ailleurs, depuis
1958, le Conseil d' Etat (arrêt Blondet, 28 novembre 1958) admet que les actes préparatoires
détachables des jugements des juridictions administratives peuvent constituer des fautes de
service susceptibles d’engager la responsabilité de l’Etat. Mais, c’est surtout la loi du 5 juillet
1972 relative à la réforme de la procédure civile qui a posé, en son article 11, des règles
nouvelles en la matière.
D’après cette loi, dont les principes ont été transposés par le Conseil d'Etat aux
juridictions administratives, « l’Etat est tenu de réparer le dommage causé par le
fonctionnement défectueux du service de la justice ». Mais, elle a assorti cette responsabilité
de limites étroites sur les terrains de la faute de service et de la faute personnelle. La
responsabilité pour faute de service n’existe qu’en cas de faute lourde ou de déni de justice.
Quant à la responsabilité pour faute personnelle, elle n’est plus liée à la procédure de prise à

124
partie qui a disparu. C’est ainsi que les conditions de cette responsabilité relèvent du statut de
la magistrature.
2- La situation au Cameroun
Il sied d’examiner le principe avant d’en envisager les exceptions.
a)- le principe
En droit positif camerounais, les décisions de justice passées en force de chose jugée
ont force de vérité légale. C’est ainsi que les juridictions administratives et judiciaires
consacrent l’irresponsabilité de l’Etat en raison de la chose jugée. Dans l’arrêt Tagny Mathieu
(arrêt n°40 du 16 mars 1967), le juge administratif affirme, sans équivoque, que
« l’incompétence de la juridiction administrative est totale en ce qui concerne les jugements
et les mesures d’instruction des tribunaux judiciaires». Dans l’arrêt Aoua Hadja (CFJ/CAY,
arrêt n°213 du 18 août 1972), il va dans le même sens en consacrant l’incompétence du juge
administratif quant à la connaissance du contentieux mettant en cause le fonctionnement des
services judiciaires.
b)- les exceptions
Il existe quelques exceptions en cette matière. On peut citer, sous toute réserve, deux
hypothèses:
- un condamné reconnu innocent par suite de la révision de sa condamnation
criminelle ou correctionnelle du fait de la survenance de faits nouveaux, peut attraire l’Etat
devant la juridiction judiciaire pour obtenir des dommages-intérêts. Ceux-ci sont accordés par
l’arrêt de révision : CS /CA, jugement n°13 du 5 juin 1975 Koulou Maurice c/ Etat du
Cameroun ; conformément, à cette date, à l’article 44 du Code d’instruction criminelle.
- la procédure de prise à partie (supprimée en France) peut être engagée contre les
magistrats s’ils se sont rendus coupables de dol, faute professionnelle lourde, concussion ou
déni de justice (voir article 246 du Code de Procédure civile et commerciale et article 33 de la
loi n°75/16 du 8 décembre 1975 fixant la procédure et le fonctionnement de la Cour suprême.
Cette procédure a été ignorée par la loi n°2006/016 du 29 décembre 2006 fixant
l’organisation et le fonctionnement de la Cour suprême qui abroge celle n°75/16 ci-dessus.
En somme, la responsabilité de l’Etat n’est ni générale ni absolue. Les possibilités
d'accès à la justice, notamment administrative19, existent, certes, mais, elles connaissent des
limitations20. Que dire de l’application de la soumission de l’administration au droit ?

19
Lire GUIMDO DONGMO (Bernard-Raymond),«L’accès aux juridictions administratives dans les Etats
d’Afrique noire francophone: reflexions sur son évolution récente à partir du cas du Cameroun», Revue africaine
de Droit et de Science politique (RADSP), Vol. IX, n°20, Spécial 2021-1er semestre, pp.7-40 et GUIMDO
DONGMO (B.-R.), «Les figures du juge administratif dans les Etats d’Afrique noire francophone», Revue
RAMReS/S.J.P (Revue Africaine et Malgache de Recherches Scientifiques/Sciences Juridiques et politiques,
n°spécial, Janvier 2021, pp.217-251
20
V.GUIMDO DONGMO (B.-R.), « Le droit d’accès à la justice administrative au Cameroun. Contribution à
l’étude d’un droit fondamental », Droit prospectif-Revue de la Recherche Juridique, 2008-1, Presses
Universitaires d’Aix-Marseille, pp. 453-498, notamment, pp. 475-497 et GUIMDO DONGMO (B.-R.), «Les
figures du juge administratif dans les Etats d’Afrique noire francophone»,ibid.

125
TITRE II

L’APPLICATION

(Voir Cours de Contentieux administratif, L3)

Chapitre 1 : La structure de la justice administrative


Section 1 : L’anatomie
Section 2 : La physiologie
Chapitre 2 : L’instance administrative contentieuse
Section 1 : Les types de recours contentieux
Section 2 : L’introduction des recours contentieux
Section 3 : L’examen des recours contentieux
Chapitre 3: Le sort des décisions de la juridiction administrative
Section 1 : Les voies de recours
Section 2 : L’exécution des décisions

FIN DU COURS.

Yaoundé, le 08 mars 2022

Bernard-Raymond GUIMDO DONGMO


Agrégé des Facultés de Droit
Professeur Titulaire

126

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