Vous êtes sur la page 1sur 7

Joseph Emmanuel ONGOLO FOE

AVOCAT A YAOUNDE
EXPERT EN DROITS DE L’HOMME ET DROIT HUMANITAIRE
BP. 5550 Tél. 242 00 21 11 - 699 56 63 51
E-mail : jongolofoe@yahoo.com
Etude sise 1 étage immeuble face ancienne imprimerie Coulouma
er

Yaoundé, le 6 mai 2016.

LES JURIDICTIONS DE DROIT TRADITIONNEL :


COMPETENCE, SAISINE ET RECOURS.

(Par J.E. ONGOLO FOE, Avocat).

A l’arrivée des occidentaux au Cameroun, la question du choix du système


juridico judiciaire s’est très vite posée dans les matières civiles. Fallait-il
remplacer l’ordre juridique ancien et ses institutions jugées archaïques par ceux
dit plus modernes de l’occupant ? Cette question ne concernait toutefois pas le
régime juridique répressif, celui de l’occupant ayant été imposé à tous.
Il s’est imposé que l’on ne pouvait, au vu des contraintes sociologiques et la
recherche d’un fonctionnement harmonieux de la société, imposer l’un ou l’autre.
C’est-à-dire opter pour le monisme. D’où l’adoption du système pluraliste plus
réaliste dans son applicabilité.
C’est ainsi que dans la partie orientale du Cameroun ont fonctionné côte à côte
l’ordre juridique traditionnel (applicable aux indigènes) et le système du droit
civil local indigène1 et celui du code civil. Les deux derniers étant appliqués à
certains indigènes en ayant fait le choix et aux citoyens français.

1
Décret du 29 septembre 1920 instituant u mode de constatation écrite des conventions passées entre
indigènes en Afrique Equatoriale française ; circulaire du16 décembre 1924 relative aux décès des
indigènes ; arrêté du 26 mai 1934 portant réglementation du mariage indigène ; annexe n° 1 à l’arrêté du 26
décembre 1922 sur le mariage en droit musulman ; annexe à l’arrêté du 26 mai 1934 sur les règles
applicables au mariage des indigènes non musulmans ; arrêté du 16 mars 1935 portant organisation de l’état
civil indigène ; décret du 26 décembre 1944 réglementant les promesses d’aliénation ou constitution de
droits divers consenties par les indigènes au Cameroun.
Les premières institutions judiciaires véritablement camerounaises voient le jour
avec l'ordonnance n°59/86 du 17 décembre 1959 et le décret n°59/246 du 18
décembre 19592. Au lieu de refondre le système colonial, ces textes ont préféré
apporter juste quelques modifications aux structures déjà existantes.
Les juridictions traditionnelles sont spécialisées en matière de droit
traditionnel. Le pluralisme juridique est en effet une composante de la réalité
camerounaise. Il comporte deux aspects : l'un judiciaire, marqué par la présence
à côté des juridictions de droit moderne, des juridictions de droit traditionnel ;
et l'autre matériel, qui signifie la coexistence des règles coutumières et des
règles de droit écrit. Les juridictions traditionnelles ne tranchent que selon la
coutume des parties. Elles ont été maintenues à titre provisoire par l'article 31
de la loi n°2006/015.
C’est par l’effet du décret n°69/DF/544 du 19 décembre 1969, qu’ont été
organisées dans la partie orientale sous domination française les juridictions
traditionnelles. Ce texte qui a été modifié par le décret 71/DF/607 du 3
décembre 1971 distingue les tribunaux du premier degré des tribunaux
coutumiers (article 1er).
Les juridictions traditionnelles de l’ex-Cameroun occidental sont : les « Alkali
courts » et les « Customary courts ».
Les « Alkali courts » connaissent des litiges mettant en cause les règles
coutumières dans les différends où les musulmans sont intéressés alors que les «
Customary courts » connaissent des litiges intéressant les non-musulmans. Les
« Customary courts » sont classées en Customary courts de première et de
seconde classe.
Ces précisions faites, le régime juridique des juridictions traditionnelles est
identique. La compétence des juridictions traditionnelles peut être appréhendée
sur le triple plan personnel, territorial et matériel.

COMPETENCE PERSONNELLE

Il résulte d'un arrêt rendu par la Cour Suprême il y a quelques années, que les
juridictions traditionnelles ne peuvent juger que les camerounais et non les
étrangers. En effet, Cour a précisé dans cette affaire que : « la coutume est la
manifestation du génie camerounais dans sa diversité, en dehors de toute
influence religieuse ou étrangère ; que dès lors, ne saurait être considérée

2
J.O.C. 1959, p. 1807 ; J.O.C. 1959, p. 1814.
comme coutume des parties, la croyance religieuse de celles-ci ; que mieux, la
coutume se rattachant à une ethnie demeure inapplicable à tous ceux qui ne sont
pas membres de l'ethnie concernée »3.
La compétence d’une juridiction traditionnelle est subordonnée à l’acceptation
des autres parties (les défendeurs) en cause4. De là on peut conclure que leur
compétence est contractuelle en ce qu’elle résulte d’un accord de volonté des
parties. Si le défendeur ou l’un des défendeurs décline la compétence d’une
juridiction de droit traditionnel, la juridiction de droit écrit devient
automatiquement compétente5. Ainsi, la volonté unilatérale d'une des parties
suffit pour soustraire un litige quelconque des juridictions traditionnelles et le
déférer aux juridictions de droit moderne. Cette condition a pour effet de
réduire la compétence des juridictions traditionnelles au profit de celle des
juridictions de droit écrit.

La partie qui entend décliner la compétence d’une juridiction traditionnelle doit


le faire in limine litis à peine de forclusion6.

Le fait pour les juridictions traditionnelles d’appliquer la coutume des parties en


cause a donné lieu à de nombreuses difficultés auxquelles il a fallu trouver des
solutions juridiques objectives. Ces difficultés tiennent à la règle substantielle à
appliquer ; la résolution des conflits de coutumes, et celle pouvant survenir entre
la coutume et la règle de droit écrit.
Sur la règle de fond a appliquer, la cour suprême a dégagé le principe selon lequel
l’option de juridiction emporte option de législation.
Toutefois, il n’en n’a pas toujours été ainsi. La haute cour en effet décidait que
« l'option par les justiciables, régis par les coutumes qui leur sont propres, des
tribunaux de droit écrit n'emporte pas ipso facto application du droit écrit à la
solution de leur litige sauf acceptation expresse de leur part »7.

3
Arrêt n°2/L du 10 octobre 1985, Affaire Dame Dada BALKlSSOU c/ Abdoul Karim Mohamed, Juridis Info
n°8 octobre-novembre-décembre 1991, p. 55 et ss., Observation ANOUKAHA (F.)
4
« La compétence de ces juridictions est subordonnée à l’acceptation de toutes les parties en cause »article 2
alinéa 1.a du D 69/544.
5
« Nonobstant toutes dispositions contraires, la juridiction de droit moderne devient compétente dans le cas
où l’une des parties décline la compétence d’une juridiction de droit traditionnel » article 2 alinéa 1.b du D
69/544.
6
« La partie qui entend décliner la compétence de la juridiction traditionnelle doit le faire avant toute défense
au fond, à peine de forclusion » article 2 alinéa 4 du D 69/DF/544.
7
Cour sup. arrêt n° 19 du 26 mars 1968, Bulletin des arrêts 1968, n° 18, p. 2160.
Ainsi, avant l’indépendance, l’option pour les camerounais de la juridiction
française n’emportait pas automatiquement application de la loi française. En
effet, les juridictions de droit français avaient aussi vocation à appliquer la
coutume des parties sauf si les parties optaient expressément pour l’application
de la législation française. C’est dire que la règle « l’option de droit emporte
option de juridiction » était relative pour les tribunaux français et les tribunaux
indigènes.
C’est avec les arrêts ANGOA Parfait c/ BEYINDI Pauline8, Colonel Asso9 et
Bihina10 que la haute juridiction a définitivement assis cette solution qui a
toujours été d’ordre public pour les juridictions traditionnelles.
Les hypothèses de conflit de coutumes sont réglées selon la matière : en matière
d’état des personnes, d’après la coutume sous le régime de laquelle le mariage
avait été contracté. En matière successorale, d’après la coutume du de cujus ; en
matière de donations la coutume du donateur sera appliquée et pour toutes les
autres questions (contrats, responsabilité contractuelle et autres) selon la
coutume du lieu de conclusion ou de survenance de l’événement11.
En cas de conflit entre une règle coutumière et une règle ou un principe de droit
écrit, la prééminence est accordée à la règle de droit écrit. Il s’agit là à notre
sens d’une solution logique découlant de la prééminence accordée juridiction de
droit écrit sur la juridiction coutumière.

COMPETENCE TERRITORIALE

Un tribunal de premier degré est créé au Chef-lieu de chaque arrondissement et


dans de nombreux districts12. Le ressort de chaque tribunal est fixé par le texte
de création et coïncide généralement avec l'étendue de la circonscription
administrative. Quand il est rattaché à un tribunal de première instance, le
tribunal de premier degré a une compétence départementale.

8
Cour sup. arrêt n° 28/CC du 10 déc. 1981 (inédit).
9
Cour sup. arrêt n° 120/CC du 16 sept. 1982 (inédit).
10
Cour sup. arrêt n° 35/CC du 25 nov. 1982.
11
Article 3 alinéa 1 du D 69/DF/544.
12
N.B. : Les districts ont été supprimés au Cameroun par le décret n°2008/376 du 12 novembre 20 08
portant organisation administrative de la République du Cameroun.
S'agissant des Tribunaux coutumiers, ils ont leur siège et leur ressort fixés par
le texte de création. Ils sont institués le plus souvent au niveau des collectivités
traditionnelles : tribus, groupements, villages ou cantons.
Dans les ressorts dépourvus de Tribunal Coutumier, le Tribunal du Premier degré
élargit sa compétence pour englober le premier. Par ailleurs, le ministre de la
justice peut, par arrêté, rattacher la présidence d'un Tribunal de Premier Degré
ou d'un Tribunal Coutumier à celle du Tribunal de Première Instance du ressort.
Dans ce cas, le tribunal dont la présidence est ainsi rattachée à la même
compétence matérielle que celle du Tribunal de Première Instance13 et la
procédure applicable dans ce cas est la même que celle en vigueur le tribunal de
première instance

COMPETENCE MATERIELLE

Au plan matériel, le législateur s’est borné à attribuer aux juridictions


traditionnelles compétence « … pour connaître des procédures civiles et
commerciales que les textes en vigueur ne réservent pas aux juridictions de
droit moderne ». Il faut recourir aux règles de règlement de conflit de coutumes
pour cerner toute l’étendue du champ de leur compétence matérielle. L’on
découvre alors que depuis 1969 la compétence matérielle des juridictions
traditionnelles est articulée de la manière suivante :
D'une part, les tribunaux du premier degré connaissent en principe des
procédures relatives à l'état des personnes, à l'état civil, au mariage, au divorce,
à la filiation, aux successions et aux droits réels immobiliers.
D'autre part, les tribunaux coutumiers connaissent des différends d'ordre
patrimoniaux et notamment des demandes en recouvrement des créances civiles
et commerciales, des demandes en réparation de dommages matériels et
corporels et des litiges relatifs aux contrats14.

LA SAISINE DES JURIDICTIONS TRADITIONNELLES

13
Article 9 du D 69/DF/544 du 19 décembre 1969.
14
Articles 3 et 4 du D 69/DF/544 ; dans le même sens, art. 7 du décret du 31 juillet 1927, art. 2 et 9 du décret
du 26 juillet 1944 relatif à la justice du droit local applicable, art. 13. § 2 du décret du 27 nov. 1947 relatif à la
justice de droit écrit.
Les juridictions traditionnelles peuvent être saisies par voie de requête écrite ou
orale15.
Nous ne saurons trop conseiller la voie de la requête écrite qui seule garantit que
la requête est l’exacte traduction de la volonté du demandeur. En effet elle seule
permet d’éviter le risque des déformations du fait de la transcription par le
greffier malgré qu’il soit appelé à le faire sous la dictée du président.
Cette requête introductive devra contenir toutes les mentions exigées par
l’article 6 du code de procédure civile et commerciale relatives à l’identification
précise des parties ainsi que l’objet de la demande et l’exposé des moyens.

LES VOIES DE RECOURS CONTRE LES DECISIONS DES


JURIDICTIONS TRADITIONNELLES

Les décisions des juridictions traditionnelles n’échappent pas à l’obligation du


respect du principe du double degré des juridictions. Ce principe signifie que les
parties à un procès ont la possibilité de faire réexaminer le litige par une
juridiction de rang supérieur différente de celle ayant préalablement statué. Il
s’agit là d’une exigence du procès équitable.
Le législateur camerounais du D 69/DF/544 a consacré le titre V de notre texte
aux « voies de recours contre les jugements des juridictions traditionnelles ».
Ceux-ci peuvent, aux termes des dispositions de ce texte faire l’objet
d’opposition16, d’appel17, de la tierce-opposition et de requête civile18.
Aux termes des dispositions de l’article 42 de ce texte, les arrêts des cours
d’appels statuant en matière de droit traditionnel sont susceptibles de pourvoi.

Les jugements rendus par défaut sont susceptibles d’opposition recevable dans
la quinzaine suivant la signification du jugement à la personne ayant fait défaut
et dans celui d’un mois dans les autres cas. Elle peut être faite dans les mêmes
formes prévues à l’article 14 du décret 69/DF/544 (articles 25, 26
D69/DF/544). La règle « opposition sur opposition ne vaut » est ici applicable.

15
« Le demandeur introduit l’instance par une requête écrite ou orale présentée au président de la juridiction
compétente. Si la requête est orale, le président, assisté du secrétaire en établi un procès-verbal qui est
immédiatement consigné dans un registre » article 14 alinéa 1 du D69/DF/544.
16
Article 24.
17
Article 28.
18
Article 40.
L’appel contre les décisions des juridictions traditionnelles est fait dans le mois
de la notification du jugement contradictoire ou pour compter de l’expiration du
délai d’opposition. Il peut être fait dans les formes prévues de l’article 14 ci-
dessus. Sous peine de déchéance d’ordre public, l’appelant est tenu de consigner
la somme de trois mille francs sauf assistance judiciaire au greffe de la cour
dans les deux mois de la notification de l’avis à le faire ou du rejet de la demande
d’assistance judiciaire (articles 29, 30, 34, 35 D69/DF/544).

La tierce-opposition, la requête civile et le pourvoi obéissent aux dispositions


pertinentes du code de procédure civile et commerciale et de la loi 2006/16.
Aux termes des dispositions de l’article 217 du code de procédure civile, « Une
partie peut former tierce opposition à un jugement qui préjudicie à ses droits, et
lors duquel ni elle ni ceux qu’elle représente n’ont été appelés ».
Il faut par équipollent convenir que cette tierce opposition sera faite dans les
mêmes formes que celles prescrites à l’article 14 du décret 69/DF/544.

Les jugements des juridictions traditionnelles devenus définitifs peuvent être


rétractés dans les conditions édictées aux articles 223 à 245 du code de
procédure civile et commerciale.

Aux termes des dispositions de l’article 42 de la loi 2006/016 du 29 décembre


2006, le pourvoi est fait par déclaration au greffe de la cour dont la décision est
attaquée. Elle peut être faite par le demandeur, son conseil ou par un
mandataire. Le délai de pourvoi est de 30 jours19

19
Article 44 D69/DF/544.

Vous aimerez peut-être aussi