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UNIVERSITE DE YAOUNDE II

FACULTE DES SCIENCES JURIDIQUES ET POLITIQUES

COURS DE DROIT DES BIENS

Par

Grégoire JIOGUE
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur Titulaire des Universités

1
INTRODUCTION

Les Biens constituent une discipline centrale en Droit Privé. Le Code civil de 1804
consacre deux de ses trois livres aux biens et à la propriété (Livre deuxième : « Des
biens et des différentes modifications de la propriété ». Livre troisième : « Des
différentes manières dont on acquiert la propriété »).
Le Livre deuxième du Code civil utilise cependant le mot biens sans le définir. Il est
donc revenu à la doctrine de définir la notion de biens, et celle-ci revêt plusieurs sens.
- Les biens sont d’abord définis comme des choses dont l’utilité justifie
l’appropriation.
En tant que choses, les biens consistent dans des objets, sous les formes les plus
variées, naturelle ou artificielle, corporelle ou incorporelle.
Mais toutes les choses ne sont pas nécessairement des biens. Elles ne le deviennent
que lorsque le bienfait qu’elles procurent ne peut en être retiré sans appropriation. Il
n’y a pas de biens sans rareté. Ainsi l’air est utile, mais, pour l’heure, il n’est pas rare
et ne constitue donc pas, juridiquement, un bien ; il ressortit aux res communes, qui
sont des choses qui n’appartiennent à personne et dont l’usage est commun à tous. La
rareté impose donc l’appropriation des choses utiles. Mieux, elle rend, en outre,
nécessaire l’activité juridique, moyen de répartir l’utilité des choses appropriées entre
les personnes. Il en résulte que les biens sont, par définition, des choses dans le
commerce et que les biens hors commerce sont des exceptions.
Utilité et rareté varient selon les choses, les époques et les lieux. L’utilité est perçue
différemment sous l’effet des changements techniques, économiques et culturels.
Ainsi, par exemple, est apparue depuis le XIXe siècle, avec le progrès technique et le
développement de la communication, une utilité inédite des choses, leur reproduction.
La rareté, quant à elle, dépend du nombre de personnes désireuses de s’approprier telle
forme de chose, et surtout la quantité de cette forme de choses. Des choses aujourd’hui
abondantes pourront devenir un jour des biens si elles finissent par devenir rares.
L’appropriation est la 3e caractéristique des biens envisagés comme choses. La
propriété est un concept clé de la compréhension de la notion des biens. Une chose qui
ne peut pas être objet de propriété n’est pas un bien. Chaque fois qu’apparaît un

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nouveau type de chose se pose la question préjudicielle de son appropriabilité de
principe.
Il découle de ce qui précède que constitue un bien toute entité identifiable et
isolable, pourvue d’utilités et objet d’un rapport d’exclusivité.

- Les biens peuvent également être définis comme étant des droits existant au
profit des personnes physiques ou morales. Malgré qu’elle soit couramment présentée
comme telle, il n’est guère concevable, selon certains auteurs, que la propriété soit un
bien, car il serait tautologique et absurde de s’approprier le rapport d’appropriation. Le
droit de propriété ne peut être un bien parce qu’il est ce qui permet aux choses d’être
des biens. Ce sont les objets de propriété qui sont des biens, non pas la propriété elle-
même. En revanche, rien ne s’oppose à ce que les droits autres que la propriété, les
droits incorporels, soient qualifiés de biens. Ces droits sont utiles et se prêtent
parfaitement à une jouissance privative : il est de leur essence d’être attribués à une
personne de manière exclusive. On peut posséder ou transmettre une créance ou un
droit réel comme on possède ou transmet un bien ordinaire. Si les droits peuvent être
des biens, on ne peut réduire les biens aux droits, comme conduit à le faire
l’assimilation de la propriété à un bien. Tous les biens ne sont pas des droits
incorporels. Il existe des biens qui ne sont pas des droits, les choses corporelles et les
propriétés incorporelles.
En définitive, les biens sont à la fois les choses appropriables et les droits.
Le cours de droit des biens a donc pour objet l’étude des biens en tant que choses
appropriables et en tant que droits.
Notre cours s’articulera autour des quatre titres suivants :

- TITRE I : LA DISTINCTION DES BIENS


- TITRE II : LA PROPRIETE INDIVIDUELLE
- TITRE III : LES PROPRIETES COLLECTIVES

- TITRE IV : LA PROPRIETE DEMEMBREE

- TITRE V : LA PROTECTION DE LA POSSESSION

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TITRE I : LA DISTINCTION DES BIENS
Les richesses de l’univers sont innombrables et les choses constituent, selon
l’expression de Carbonnier, un « monde bariolé ». Pour en faire l’inventaire, il faut les
classer, c’est-à-dire regrouper celles qui, à certains égards, ont une même nature et
sont donc soumises à un même régime juridique.
Il existe à côté des distinctions fondamentales (Chapitre I), des distinctions dites
secondaires (Chapitre II).

CHAPITRE I : LES DISTINCTIONS FONDAMENTALES


Il existe deux grandes distinctions fondamentales dont une ancienne qui distingue les
meubles et immeubles (Section I), et l’autre moderne qui distingue les biens corporels
et incorporels (Section II).

Section I : La distinction fondamentale ancienne : les meubles et les immeubles


L’article 516 du Code civil dispose : “Tous les biens sont meubles ou immeubles”. Cet
article pose ainsi un principe général de distinction fondé sur une considération d’ordre
physique. Dès l’abord, on peut dire que les meubles sont les biens qui comportent un
déplacement possible d’un lieu à un autre, alors que les immeubles ont une situation
fixe.
Trois points vont nous intéresser dans le cadre de l’étude de la distinction des meubles
et des immeubles :
- Les questions soulevées par la distinction (§1);
- La catégorie d’immeubles (§2);
- La catégorie de meubles (§3).

§1 : Les questions soulevées par la distinction des immeubles et des meubles


Ces questions ont trait à l’utilité de la distinction (A) et au rôle de la volonté dans la
distinction (B).
A – L’utilité de la distinction
La première question qui se pose relativement à la distinction des meubles et des
immeubles est celle de son utilité.

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Outre les différences fondées sur la nature physique et celles d’ordre économique, une
différence irréductible oppose les meubles et les immeubles corporels, qui réside dans
la manière dont ils sont appréhendés matériellement. Si la possession d’un meuble est
chose aisée, celle d’un immeuble l’est beaucoup moins. En outre, il est fréquemment
utile, voire nécessaire pour un propriétaire de laisser à un autre la détention d’un
immeuble. Cette inégalité a pour conséquence que la possession ne peut pas remplir
pleinement son rôle publicitaire en matière immobilière et qu’une publicité
administrative a dû être mise en place pour compenser cette insuffisance.
L’appréhension facile des meubles est toutefois autant un inconvénient qu’un
avantage. Elle expose leur propriétaire au vol et a pour conséquence qu’il pourra
difficilement en tirer crédit, sauf à s’en déposséder, comme en matière de gage.
B – Le rôle de la volonté
Une autre question qui se pose relativement à la distinction des meubles et des
immeubles est de savoir si elle a un caractère d’ordre public. Bien que la Cour de
cassation française ait pu affirmer le contraire dans l’arrêt rendu par la 3e chambre
civile le 26 juin 1991, cette distinction n’a pas un caractère d’ordre public. Elle
dépasse depuis longtemps le cadre de la nature des choses et dépend de la volonté. La
qualification de meuble ou d’immeuble a une flexibilité (plasticité) qui autorise de
larges aménagements. L’intérêt général n’est pas concerné par ces aménagements
qui relèvent de la souveraineté du propriétaire.
Il convient seulement de veiller à ce que les tiers soient informés, voire à ce qu’ils
acceptent de se soumettre aux conséquences qu’implique un changement de
qualification par décision du propriétaire.

§2 – La catégorie des immeubles


Aux termes de l’article 517 du Code civil, « les biens sont immeubles, ou par nature,
ou par leur destination, ou par l’objet auquel ils s’appliquent ». Il ressort de cet article
qu’il existe trois catégories d’immeubles : les immeubles par nature (A), les
immeubles par destination (B) et les immeubles par l’objet auquel ils s’appliquent (C).

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A – Les immeubles par nature
Cette catégorie comprend le sol et tout ce qui adhère au sol.
1 - Le sol.
Les fonds de terre, selon les termes de l’article 518 c. civ., constituent l’immeuble par
excellence (art. 518 : “Les fonds de terre et les bâtiments sont immeubles par leur
nature”). Ils comprennent la surface du sol et le sous-sol.
2 - Ce qui est fixé au sol. Il s’agit des végétaux et des constructions.
a - Les végétaux. Ils sont immeubles tant qu’ils adhèrent au sol. Les articles 520 et
521 du Code civil règlent ce point avec détails. Tout ce qui est planté dans la terre fait
partie de l’immeuble, y compris les récoltes pendantes par les racines et les fruits des
arbres non encore recueillis (art. 520 al. 1er). Mais, dès que les grains sont coupés et les
fruits détachés, ils acquièrent une individualité distincte et prennent le caractère de
meubles, quoique non encore enlevés (art. 520, al. 2). Si une partie seulement de la
récolte est coupée, cette partie seule est meuble (art. 520 al. 3).
Cependant ce qui est destiné à être récolté ou coupé peut être traité dans les
conventions des parties comme meubles par anticipation. La même observation vaut
pour les matériaux à extraire du sol.
b - Les constructions. Toute construction adhérant au sol est immeuble. Le Code civil
ne mentionne que les bâtiments (art. 518), mais ce mot vise tout édifice (digue, pont,
barrage, etc.). Il en est de même, dispose l’article 519, des « moulins à vent ou à eau,
fixés sur piliers et faisant partie du bâtiment ». Plus généralement, on considérera
comme immeubles tous les accessoires incorporés à la construction qui, sans eux,
serait incomplète. La même solution vaut pour les canalisations de gaz ou d’électricité,
les paratonnerres, les ascenseurs, ou même les boiseries décorant une pièce.
Relativement aux constructions et aux plantations, il n’y a pas à rechercher si
l’incorporation a un caractère provisoire ou définitif ; ainsi les arbres d’une pépinière
sont immeubles, bien qu’ils soient destinés à être déplacés ; de même en est-il des
bâtiments d’une exposition, devant être démolis ; on observera d’autre part que
l’immobilisation se produira même si les constructions ou plantations ne sont pas
l’œuvre du propriétaire du fonds.

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B – Les immeubles par destination
Les immeubles par destination sont des choses mobilières considérées fictivement
comme des immeubles en raison du lien qui les unit à un immeuble par nature dont ils
constituent l’accessoire. Il convient d’étudier les conditions ainsi que les différentes
sortes d’immobilisation par destination.
1 – Les conditions de l’immobilisation par destination
Deux conditions sont requises pour qu’il y ait immobilisation par destination.
a - Première condition : il faut que les deux biens – immeuble par nature et meuble
affecté – appartiennent au même propriétaire. La raison qui dicte cette première
condition est aisée à comprendre : lorsque les propriétaires du meuble et de
l’immeuble sont différents, l’immobilisation par destination qui tend à solidariser les
deux biens ne peut atteindre ce but puisque, ne se trouvant pas dans le même
patrimoine, ils ne seront jamais hypothéqués, ni saisis, ni vendus ou légués en même
temps.
b - Deuxième condition : il faut qu’un rapport de destination, tel qu’il a été prévu par
le Code civil, existe entre le meuble et l’immeuble. La seule volonté qu’aurait le
propriétaire de l’immeuble par nature de créer un lien entre le meuble et l’immeuble,
de faire du meuble un immeuble par destination, ne suffirait pas.
En sens inverse, la seule volonté du propriétaire ne saurait non plus suffire à faire
perdre à un meuble immobilisé cette qualité, s’il n’y a pas eu soit séparation effective
entre l’immeuble par nature et l’immeuble par destination, soit aliénation de l’un ou de
l’autre. On aboutit ainsi à distinguer deux sortes d’immeubles par destination.

2 – Les différentes sortes d’immobilisation par destination


Il en existe deux : l’affectation d’une chose au service ou à l’exploitation d’un fonds et
l’attache d’une chose sur un immeuble par nature à perpétuelle demeure.
a – L’affectation d’une chose au service ou à l’exploitation d’un fonds
L’article 524 du Code civil vise « les animaux et les objets que le propriétaire d’un
fonds y a placés pour le service et l’exploitation de ce fonds ». Cette formule implique
que le bien doit servir au fonds lui-même et non point au propriétaire. La
destination consiste en un rapport d’ordre objectif. Les objets servant à la personne

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plutôt qu’au fonds ne sont point immobilisés, par exemple des meubles meublants
et des voitures de tourisme.
La jurisprudence exige, en outre, que le meuble qui fait l’objet de l’affectation soit
nécessaire et même indispensable au service et à l’exploitation du fonds (Req., 23
mars 1926, DP 1928, I, 22 ; Civ. 18 févr. 1957, D. 1957, 249).
Il résulte de l’article 524 du Code civil que l’affectation peut être agricole ou
industrielle. Mais elle peut aussi être commerciale ou encore concerner le service
d’une maison.
1° – Affectation agricole
L’article 524 alinéa 1er du Code civil dispose : « Les objets que le propriétaire d’un
fonds y a placés pour le service et l’exploitation de ce fonds, sont immeubles par
destination ».
Aux termes de l’alinéa 2 du même article, sont ainsi considérés comme immeubles par
destination, quand ils ont été placés par le propriétaire pour le service et l’exploitation
du fonds :
* les animaux attachés à la culture ;
* les ustensiles aratoires ;
* les semences données aux fermiers ;
* les pigeons des colombiers ;
* les lapins des garennes ;
* les ruches à miel ;
* les poissons des étangs ;
* les pressoirs, chaudières, alambics, cuves et tonnes ;
* les pailles et engrais nécessaires à l’exploitation du fonds.
Les animaux considérés comme immeubles par destination sont ceux qui vivent à
l’état libre sur le fonds et en constituent une dépendance : pigeons des colombiers,
lapins de garennes, poissons de plans d’eau, ruches à miel, etc. ; au contraire, les
lapins enfermés dans un clapier, les poissons se trouvant dans un vivier ou un bassin,
restent meubles.
Quant aux semences données aux fermiers, elles ne sont immeubles par destination
que lorsqu’elles n’ont pas encore été mises en terre, car, à ce moment, elles se

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confondent avec le sol.
2° - Affectation industrielle
L’article 524 du Code civil traite brièvement de ce genre d’affectation, car l’industrie
était peu développée en 1804. Cet article mentionne seulement comme immeubles par
destination « les ustensiles nécessaires à l’exploitation des forges, papeteries et autres
usines ». On peut aller au-delà de ce texte et considérer que sont immeubles par
destination toutes les choses qui servent à l’exploitation de l’industrie et à la
fabrication de ses produits : matières premières, matériel et outillage, animaux et
voitures affectés au service d’une usine.
3° - Affectation commerciale. Elle n’est point prévue à l’article 524 du Code civil,
mais il convient de décider par analogie que, dans une maison de commerce exploitée
par le propriétaire de l’immeuble, les objets servant à l’exploitation du fonds de
commerce sont immeubles par destination.
4° - Affectation au service particulier d’une maison. L’immobilisation par
destination doit être étendue à l’utilisation des immeubles pour d’autres usages, mais
toujours à la condition que les objets mobiliers placés par le propriétaire soient
nécessaires au service de l’immeuble. On peut admettre qu’il en est ainsi pour les
objets servant à l’exploitation d’une maison : appareils à douches, baignoires, clefs des
portes, volets mobiles, etc.
b – L’attache d’une chose sur un immeuble par nature à perpétuelle demeure
Aux termes de l’article 524 in fine du Code civil, deviennent aussi immeubles par
destination tous les effets mobiliers que le propriétaire a attachés au fonds à
perpétuelle demeure.
Ce second procédé d’immobilisation par destination s’oppose au précédent en ce que
son fondement n’est plus l’idée de service, l’exploitation, mais l’affectation à
perpétuelle demeure, sans qu’il soit nécessaire que le meuble présente une utilité
économique pour l’immeuble ; peu importe qu’il ne soit utile qu’au propriétaire
lui-même et même qu’il n’ait qu’une destination somptuaire.
A quoi reconnaît-on l’intention du propriétaire d’affecter le meuble à
l’immeuble, à perpétuelle demeure ? La question se pose notamment dans les
rapports entre vendeur et acheteur du fonds, celui-ci prétendant avoir acquis avec

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l’immeuble ceux des meubles qui, attachés au fonds, ont été immobilisés. La question
se pose également à l’occasion de la mise en oeuvre du droit d’un créancier
hypothécaire qui prétendra faire porter la saisie également sur les immeubles par
destination.
Selon l’article 524 du Code civil, l’intention du propriétaire doit se traduire par une
attache au fonds, une telle attache devant se manifester, selon la Cour de cassation
française, par « des faits matériels d’adhérence apparente et durable » (Civ. 18 oct.
1950, D. 1950, 773).
A l’article 525 du Code civil sont précisés des procédés d’attache faisant
présumer l’intention du propriétaire :
- le scellement en plâtre ou à chaux ou à ciment, ou tout autre procédé tels que les
meubles ne puissent être détachés sans être fracturés et détériorés, ou sans briser ou
détériorer la partie du fonds à laquelle ils sont attachés ;
- en ce qui concerne les glaces, tableaux et autres ornements, constitue l’attache à
perpétuelle demeure, le fait que le parquet (revêtement de sol composé d’un
assemblage de lames de bois) sur lequel ils sont attachés fasse corps avec la boiserie
(ouvrage de menuiserie recouvrant les murs intérieurs d’un edifice) ;
- quant aux statues, constitue l’attache à perpétuelle demeure, l’aménagement d’une
niche pratiquée exprès pour les recevoir, encore qu’elles puissent être enlevées sans
fracture ou détérioration.
N.B. : L’attache à perpéteulle demeure n’est cependant pas une incorporation.
L’immeuble par destination demeure un bien distinct. Il en va autrement, du fait d’une
confusion, physique ou juridique, des matériaux utilisés pour la construction d’un
immeuble. Ainsi, sont immeubles par nature et non par destination, des mosaïques
(assemblage decorative où sont juxtaposés de petits elements réguliers ou irréguliers),
des boiseries ou des fresques (peinture faite sur les murs ou un tableau).
C – Les immeubles par l’objet auquel ils s’appliquent
Le Code civil range dans cette catégorie des biens incorporels et des droits. L’article
526 du Code civil qui considère comme immeubles « l’usufruit des choses
immobilières ; les servitudes ou services fonciers ; les actions qui tendent à
revendiquer un immeuble », est très incomplet. En réalité, il y a lieu de considérer

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comme immeubles par l’objet auquel ils s’appliquent :
- les droits réels immobiliers autres que le droit de propriété qui, en vertu d’une
conception traditionnelle, se confond avec son objet, et sera donc immeuble par nature
ou par destination, et non par l’objet auquel il s’applique. Il s’agit tant des droits réels
principaux (usufruit immobilier, emphytéose, servitude) que des droits réels
accessoires établis sur un immeuble pour garantir une créance (privilège, hypothèque);
ces droits, grevant un immeuble, sont immobiliers, bien qu’ils soient l’accessoire
d’une créance immobilière.
- les créances immobilières. Le texte ne les cite pas, sans doute parce qu’en principe,
les créances sont mobilières en tant qu’elles ont pour objet soit une somme d’argent,
soit un fait ou une abstention présentant une valeur pécuniaire pour le créancier. Une
créance immobilière peut exister dans les deux cas suivants, en matière de vente
d’immeubles : 1° - Les parties ont convenu de retarder le transfert de propriété pendant
un certain délai, par exemple jusqu’au complet paiement du prix; jusqu’à l’expiration
du délai, l’acheteur n’a qu’un droit de créance contre le vendeur, et cette créance,
ayant pour objet un immeuble, est immobilière. 2° - La vente a pour objet un
immeuble in genere, c’est-à-dire non encore individualisé, par exemple, la vente de
1000 mètres carrés de terrain à prendre dans une parcelle plus grande; tant que la partie
vendue n’a pas été délimitée, l’acheteur ne peut en devenir propriétaire; il n’a qu’une
créance immobilière.
- les actions immobilières. L’article 526 du Code civil ne parlent que des “actions
qui tendent à revendiquer un immeuble”. Mais, l’expression actions immobilières ne
doit pas être limitée à l’action en revendication du propriétaire contre le tiers qui est en
possession de son immeuble; elle vise toutes les actions réelles immobilières, c’est-à-
dire celles qui sanctionnent les droits réels immobiliers.

§3 – La catégorie des meubles


Tous les biens étant nécessairement meubles ou immeubles, selon l’article 516 du
Code civil, la catégorie des meubles comporte forcément une extension illimitée. Alors
que les immeubles sont circonscrits de manière étroite en raison de leur nature, les

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meubles ont vocation à concerner tous les biens qui n’entreront pas dans ce cadre
précisément defini.
L’article 527 du Code civil distingue les meubles par leur nature et les meubles par
détermination de la loi. Le Code civil reproduit ainsi, comme pour les immeubles, la
distinction des biens corporels et incorporels. A ces deux catégories essentielles, il
convient d’en ajouter une troisième, dégagée par la jurisprudence, celle des meubles
par anticipation.
A – Les meubles corporels ou par nature
Aux termes de l’article 528 du Code civil, « sont meubles par nature, les corps qui
peuvent se transporter d’un lieu à un autre, soit qu’ils se meuvent par eux-mêmes,
comme les animaux, soit qu’ils ne puissent changer de place que par l’effet d’une force
étrangère, comme les choses inanimées ».
B – Les meubles incorporels ou par détermination de la loi
Aux termes de l’article 529 du Code civil, sont meubles par la détermination de la loi :
- les obligations et actions qui ont pour objet des sommes exigibles ou des effets
mobiliers;
- les actions ou intérêts dans les compagnies de finance, de commerce ou d’industrie;
- les rentes perpétuelles ou viagères, soit sur l’Etat, soit sur des particuliers (une rente
est un versement périodique qu’une personne dite le “débirentier” sert, selon le cas,
pendant une période de temps determiné par le contrat, soit jusqu’au décès, à une
autre, dite le “crédirentier”. Dans ce dernier cas, la prestation est dénommée “rente
viagère”).
C - Les meubles par anticipation 
Il s’agit de choses actuellement immobilières, qui sont fictivement traitées comme
mobilières par anticipation, les particuliers les ayant envisagées dans leur existence
future.
Ce sont, par exemple, des récoltes qui sont vendues sur pied : au moment de la
formation du contrat de vente, elles sont immeubles par nature ; mais compte tenu du
but poursuivi par les parties, ces récoltes étant vendues en vue de leur séparation du
fonds, on admet qu’elles sont mobilières et que la vente elle-même est mobilière.
Cette catégorie est une création de la jurisprudence, aucune disposition du Code civil

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ne visant les meubles par anticipation.
En dehors des récoltes sur pied, la jurisprudence a fait application de la théorie de
l’anticipation dans les cas ci-après :
- aux arbres vendus pour être abattus, sans distinguer selon l’importance de
l’opération et quand bien même elle porterait sur une forêt entière, ni selon l’état des
arbres (bois de taillis ou arbres de haute futaie) (Civ. 7 déc. 1923, DP 1924, 1, 14) ;
- à la vente de matériaux à extraire d’une mine ou d’une carrière (Civ., 12 janv. 1954,
JCP 1954, II, 8026 ; Civ. 3e, 30 mai 1969, D. 1969, 561) ;
- aux maisons ou bâtiments quelconques qui seraient vendus en vue d’être démolis
(Civ. 25 janv. 1886, DP 1886, 5, 39).

Section 2 : La distinction fondamentale moderne : Les biens corporels et les biens


incorporels
Selon un critère physique qui remonte au droit romain, les biens peuvent être classés
en deux catégories. D’une part, les biens corporels, c’est-à-dire les biens tangibles,
ceux qui peuvent être touchés par les sens, notamment par la main : ils ont un corpus et
sont susceptibles d’une appréhension matérielle (sol, immeubles bâtis, meubles
meublants, etc). D’autre part, les biens qui ne comportent aucune matière, dont le droit
reconnaît l’existence par une opération intellectuelle et abstraite : ce sont les biens
incorporels. Certains constituent un droit contre un tiers, c’est-à-dire un droit de
créance, ou un droit d’associé dans une société; leur régime relève de la théorie
générale des obligations et du droit des sociétiés. Les autres forment la catégorie
vivante et toujours renouvelée des propriétés incorporelles : fonds de commerce,
clientèle civile, office ministériel, droit d’auteur, brevet d’invention, etc.
Les distinction entre les biens corporels et les biens incorporels n’est pas ignorée par le
Code civil de 1804. En effet, à propos de la distinction des meubles et des immeubles,
il reconnaît, à côté des meubles et immeubles corporels, l’existence de droits mobiliers
et de droits immobiliers (voir supra). La distinction biens corporels et biens
incorporels n’est donc pas moderne en raison de son affirmation, mais parce qu’elle a
pris une ampleur, en raison de l’apparition des propriétiés intellectuelles et de leur

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importance, telle qu’elle est aujourd’hui considérée comme la nouvelle summa divisio
des biens.

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CHAPITRE II : LES DISTINCTIONS SECONDAIRES
Bien qu’elles ne présentent pas le rôle capital qu’exerce la distinction entre les
meubles et les immeubles, ou la distinction entre les biens corporels et les biens
incorporels, six autres classifications de biens méritent d’être signalées : les choses
consomptibles et non consomptibles, les choses fongibles et non fongibles, les choses
de genre et les corps certains, le capital et les revenus, les choses appropriées et celles
qui ne le sont pas, les droits réels et les droits personnels. Seules ces deux dernières
classifications vont retenir notre attention.

Section 1 – Les choses appropriées et les choses non appropriées


Seules les choses susceptibles d’appropriation constituent des biens. L’absence
d’appropriation peut tenir soit à la nature même de la chose : il s’agit de choses
communes, soit à des circonstances de fait : il s’agit des biens vacants et sans maîtres.
§1 - Les choses communes ou res communes
Les choses communes sont celles qui sont si abondantes que l’usage en est commun à
tous les hommes (art. 714) ; leur appropriation n’aurait pas alors de sens : l’air, la
lumière du jour, l’eau de la mer, l’eau de pluie, les eaux courantes et la chaleur solaire
(N.B. : le fait que des choses soient communes n’exclut pas qu’elles puissent faire
l’objet d’une prise de possession, voire d’une appropriation privée. Ainsi l’air est
susceptible d’une appropriation sous certaines formes (ex. : air liquide).
§2 – Les choses vacantes et sans maîtres
Il est des choses qui ont vocation à être des biens, mais qui ne le sont pas, faute de
propriétaire. Il existe deux catégories de biens vacants : les res nullius et les res
derelictae.
Les res nullius sont les biens qui n’ont jamais été appropriés, mais le seront peut-être ;
par exemple, les produits de la chasse ou de la pêche. Ces animaux n’appartiennent à
personne et peuvent être capturés par tout le monde.
Les res derelictae sont les biens qui ont été appropriés mais ne le sont plus à la suite de
l’abandon qui en a été fait : ce sont les choses abandonnées, par exemple, les déchets :
le propriétaire en a délibérément abandonné la propriété, ce qui les distingue des objets
perdus par exemple les épaves.

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Les res nullius et les res derelictae s’acquièrent par voie d’occupation, qui est le fait
d’appréhender une chose avec la volonté de se l’approprier.

Section 2 – Le droit réel et le droit personnel


Le patrimoine est constitué par deux espèces de droits : le droit réel et le droit
personnel.
Le droit réel peut être défini comme le pouvoir juridique qu’a une personne de retirer
directement tout ou partie des utilités économiques d’une chose. On peut en distinguer
deux grandes catégories, chacune d’elles se ramifiant à son tour : les droits réels
principaux et les droits réels accessoires. Les premiers portent sur la matérialité
même de la chose, celle-ci étant mise au service du titulaire du droit. Il s’agit d’une
part du droit de propriété et d’autre part des droits réels démembrés de la propriété que
sont l’usufruit, l’usage, l’habitation, les servitudes, l’emphytéose et la superficie. Les
droits réels accessoires, de garantie ou sûretés réelles (accessoires de créances dont ils
garantissent le paiement) portent sur la valeur pécuniaire de la chose, cette valeur
étant mise en réserve dans l’intérêt du titulaire du droit ( - sur les immeubles :
hypothèque, privilège immobilier spécial ; - sur les meubles : gage, privilège mobilier
spécial).
Le droit personnel ou droit de créance est le pouvoir juridique qui permet à une
personne (le créancier) d’exiger d’une autre personne (le débiteur) une prestation, un
service, consistant à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose.
Le droit réel et le droit personnel présentent des convergences (§1) et des differences
(§2).

§1 – Les convergences entre le droit réel et le droit personnel


Elles sont au nombre de deux : la liberté de constitution (A) et l’interdiction de devenir
débiteur de soi-même ou d’acquérir un droit réel sur son bien (B).

A – La liberté de constitution

Il a toujours été admis que les droits personnels peuvent être créés par engagement
volontaire sans restriction quant à la nature de la prestation mise à la charge du

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débiteur. Cette liberté de constitution était discutée jusqu’à une date très récente pour
les droits réels, car on répugnait à admettre que de tels droits puissent être créés en
dehors des formes recensées et réglementées par l’article 543 du Code civil qui
dispose : « On peut avoir sur les biens, ou un droit de propriété, ou un simple droit de
jouissance, ou seulement des services fonciers à prétendre ». Il était donc soutenu
qu’un droit réel non autorisé par cet article permettrait à ceux qui le constituent de
déroger dans une mesure non acceptable au régime des biens. L’arrêt Caquelard
rendu par la Chambre des Requêtes de la Cour de cassation française le 13 février
1834 (D.P. 1834, I, p. 118) avait pourtant affirmé la liberté pour les particuliers de
créer des droits réels sui generis en ces termes : « L’art. 543 du C. civ. ne renferme
pas la liste des droits réels admissibles ». Le débat sur la liberté de créer des droits
réels non prévus par la loi a été récemment ravivé par deux arrêts de la 3 e Chambre
civile de la Cour de cassation française des 23 mai et 31 octobre 2012.

« Au confluent du droit de la propriété et du droit du contrat » , l'arrêt rendu par la


Cour de cassation le 31 octobre 2012 est venu préciser sa position sur la liberté pour
les particuliers de démembrer la propriété et de constituer des droits réels autres que
ceux énoncés par la loi.

En l'espèce, était en cause un acte de 1932 par lequel la fondation La Maison de


Poésie avait vendu un hôtel particulier à la Société des auteurs et compositeurs
dramatiques (SACD) en se réservant « la jouissance ou l'occupation » exclusive d'un
local situé dans l'immeuble. En 2007, la SACD demanda pourtant à la justice
l'expulsion de La Maison de Poésie et la Cour d'appel de Paris lui donna gain de
cause en qualifiant le droit concédé en 1932 à La Maison de Poésie de droit d'usage
et d'habitation, droit qui, lorsqu'il est accordé à une personne morale, ne peut excéder
trente ans et qui, en l'espèce, avait donc cessé en 1962. Par un arrêt du 31 octobre
2012, la troisième chambre civile de la Cour de cassation censure la décision de la
Cour d'appel pour avoir violé les articles 544 et 1134 du Code civil en
méconnaissant la « volonté » des parties « de constituer un droit réel au profit de la
fondation », et ce « pendant toute la durée de son existence ». Dans un attendu de
principe, elle affirme qu'il résulte des articles 544 et 1134 du Code civil que « le

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propriétaire peut consentir, sous réserve des règles d'ordre public, un droit réel
conférant le bénéfice d'une jouissance spéciale de son bien ».

De grande importance et largement diffusé, cet arrêt s'inscrit dans le sillage d'un autre
arrêt rendu quelques mois auparavant par la même troisième chambre civile. L'espèce
concernait un acte de 1837 par lequel deux héritiers s'étaient partagés la propriété de
bois et de pâturages, l'un se voyant attribuer à perpétuité un droit de prélever des arbres
morts, vifs et à naître, sur deux parcelles attribuées au second. Bien que réitéré dans
tous les actes consentis au profit des ayants cause de son bénéficiaire, ce droit, dit « de
crû et à croître », ne fut pourtant jamais exercé, du moins avant son titulaire actuel.
Celui-ci décida de l'exercer mais le propriétaire des deux parcelles s'y opposa en
invoquant l'extinction du droit pour non-usage trentenaire. Par arrêt du 23 mai 2012,
la Cour de cassation rejette l'argument et, suivant la Cour d'appel de Lyon, juge
que « la prérogative ainsi concédée sur la parcelle litigieuse était perpétuelle et ne
pouvait s'éteindre par le non-usage trentenaire ».

Ces deux arrêts ont suscité de nombreuses réactions et des analyses divergentes. Pour
certains commentateurs, le droit litigieux ne serait pas un droit réel démembré mais,
dans le cas du droit “de crû et à croître”, un droit de propriété, en fait un droit de
superficie , et dans l'affaire de La Maison de Poésie, une « propriété partiaire ».
Pour d'autres, il s'agit bien dans les deux affaires de droits réels sui generis dont la
Cour de cassation affirme la liberté pour les particuliers d'en créer, et dont elle admet,
sinon la perpétuité, au moins l'imprescriptibilité.

B – L’interdiction de devenir débiteur de soi-même ou d’acquérir un droit réel


sur son bien

Pas plus qu’une personne ne peut devenir débitrice d’elle-même, un propriétaire ne


peut acquérir un droit réel sur son bien : nemini res sua servit. Ce principe d’altérité
est rappelé à l’article 705 du Code civil à propos des servitudes (art. 705 : “Toute
servitude est éteinte lorsque le fonds à qui elle est due, et celui qui la doit, sont réunis
dans la même main”) ainsi qu’à l’article 578 qui définit l’usufruit (art. 578 :
“L’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre à la propriété, comme le

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propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance”), et s’applique
aux autres droits réels. En revanche, rien n’interdit au propriétaire de stipuler en sa
faveur un droit réel au moment où il aliène la chose. Ainsi, dans la donation avec
réserve d’usufruit, le donateur perd la propriété de son bien, mais en conserve la
jouissance en vertu d’un droit réel (art. 949 C. civ.: “Il est permis au donateur de faire
la réserve à son profit, ou de disposer au profit d’un autre, de la jouissance ou de
l’usufruit des biens meubles ou immeubles donnés”) : il peut le faire puisqu’il n’est
plus propriétaire.

§2 – Les différences entre le droit réel et le droit personnel


Le droit réel présente de nombreuses différences d’avec le droit personnel, qui tiennent
à une opposition de nature.

1. A la différence du droit personnel, le droit réel est susceptible de possession, car la


chose qui en est l’objet peut être matériellement détenue.
2. En cas de transmission successorale à plusieurs héritiers, le droit réel reste indivis
entre les cohéritiers jusqu’à ce qu’un partage l’attribue à l’un d’entre eux ou bien
divise matériellement la chose sur laquelle il porte, ou qu’elle soit vendue afin que le
prix en soit partagé entre les héritiers. Au contraire, le droit personnel se divise
instantanément entre les différents cohéritiers (art. 1220 c. civ.)
3. Le droit réel est susceptible d’abandon volontaire, acte unilatéral, qu’on appelle
parfois d’un terme un peu désuet, le déguerpissement. Pour le droit personnel,
l’abandon prend la forme d’un consentement mutuel entre créancier et débiteur, la
remise de dette, acte bilatéral et non acte unilatéral.
4. La différence essentielle est relative à l’opposabilité. Le droit personnel ne peut être
exécuté que sur l’ensemble du patrimoine du débiteur : le créancier ne peut exercer ses
prérogatives qu’à l’encontre de son débiteur. Au contraire, le droit réel est un rapport
entre son titulaire et la chose : il est opposable à tous. Cette opposabilité confère au
droit réel deux prérogatives qui le rendent très supérieur au droit personnel : le droit de
suite et le droit de préférence. Le droit de suite permet à son titulaire de revendiquer sa
chose en quelques mains qu’elle se trouve. Le droit de préférence, attaché aux sûretés
réelles, permet à son titulaire d’échapper à la loi du concours entre les divers

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créanciers lorsque la chose est vendue après saisie, et que le créancier se paye sur le
prix ; ce qui explique que le droit réel ne court pas le risque d’insolvabilité du débiteur.
5. Lorsque le titulaire d’un droit réel qui a été méconnu par un tiers agit en justice pour
obtenir la protection de son droit, le juge est obligé de prononcer une sanction en
nature, même s’il peut l’assortir de dommages-intérêts. Au contraire, l’atteinte à un
droit personnel peut, au choix du juge, être sanctionnée par l’exécution en nature ou
par l’octroi de dommages-intérêts.

20
TITRE II : LA PROPRIETE INDIVIDUELLE
L’expression propriété individuelle tend à distinguer un ensemble de prérogatives
relevant du concept classique de propriété, d’autres schémas de raisonnement plus
complexes. Son étude permet de décrire un certain nombre de règles et de solutions
appelées ensuite à s’appliquer, au prix d’éventuelles adaptations, aux situations plus
complexes que l’on constate en étudiant les propriétés collectives et la propriété
démembrée. L’on envisagera successivement l’acquisition de la propriété (Chapitre I),
ses attributs (Chapitre II), les rapports de voisinage (Chapitre III) et la propriété
apparente (Chapitre IV).

21
CHAPITRE I : L’ACQUISITION DE LA PROPRIETE

La majeure partie des dispositions du Code civil de 1804 encore applicable au


Cameroun, celles contenues dans le Livre III, sont consacrées à l’acquisition de la
propriété. Le Livre III commence par l’article 711 qui dispose que la propriété des
biens s’acquiert et se transmet par succession, par donation entre vifs ou testamentaire
et par l’effet des obligations. L’article 712 ajoute que la propriété s’acquiert aussi par
accession ou incorporation, et par prescription. Il convient d’ajouter à cette
énumération l’entrée en possession d’un meuble, l’occupation et la création.
La doctrine a tenté de classer les modes d’acquisition de la propriété énumérés par les
articles 711 et 712 du Code civil. La première classification est celle qui oppose les
acquisitions des choses sans maître (occupation, accession par production, accession
mobilière, création) et les acquisitions de choses appropriées. Une autre distinction
oppose l’acquisition des choses nouvelles à l’acquisition des choses anciennes.
La loi quant à elle, distingue selon que l’acquisition de la propriété est pure et simple
ou qu’elle résulte d’un transfert. L’acquisition translative est dite dérivée (Section II).
Dans l’hypothèse inverse, l’absence de toute transmission rend le droit de propriété
vierge de toute histoire, on dit alors que l’acquisition est originaire (Section I).

Section I : L’ACQUISITION ORIGINAIRE DE LA PROPRIETE


L’acquisition originaire se caractérise par l’absence de transmission ; l’acquéreur ne
doit pas son droit à une autre personne mais à un fait. Il existe plusieurs faits
acquisitifs originaires : la possession (Sous-section I), l’accessoire (Sous-section II) et
l’accession (Sous-section III).

Sous-section I – La possession
Après avoir présenté les généralités sur la possession (§1), on s’intéressera aux modes
d’acquisition de la propriété par la possession (§2).

22
§1 - Généralités sur la possession

Aux termes de l’article 2228 du Code civil, « la possession est la détention ou la
jouissance d’une chose ou d’un droit que nous tenons ou que nous exerçons par nous-
mêmes, ou par un tiers qui la tient ou qui l’exerce en notre nom » (art. 2255 C. civ.
français).

De cette définition, il résulte que la possession n’est pas une prérogative juridique,
mais un pouvoir de fait sur un bien. Le possesseur, abstraction faite de son titre, est
celui qui détient la chose, que ce soit directement ou par l’entremise d’un tiers.

Il suit également de l’article 2228 que tous les biens sont a priori susceptibles de
possession, qu’ils soient corporels ou incorporels. Le simple fait d’exercer un droit est
un acte de possession, d’usage de ce droit.

La possession n’est pas une exclusivité du droit de propriété. En effet, dès le droit
romain, on admit que les droits réels d’usufruit et de servitude, étaient susceptibles de
possession, ou au moins d’une quasi-possession.

Dans l’étude des généralités sur la possession, on s’intéressera aux composantes de la


possession (I), à l’acquisition de la possession (II), à sa perte (III) et à la distinction
entre la possession et la détention précaire (IV).

I - Les composantes de la possession

Il existe deux composantes de la possession : le corpus (A) et l’animus (B).

A - Le corpus

C’est l’élément objectif de la possession qui correspond à l’exercice de fait des


prérogatives correspondant au droit. S’il s’agit de la possession de la propriété, le
corpus sera le fait de se comporter comme un propriétaire, d’exercer sur la chose
l’usus, le fructus et l’abusus, par exemple le fait d’être à même d’accomplir sur la
chose des actes de détention, d’usage, de transformation, le fait de payer les charges
et impôts afférents au bien possédé, etc. Le corpus est analysé tant comme
l’accomplissement d’actes purement matériels sur la chose, qu’elle soit corporelle ou

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incorporelle, que d’actes juridiques tels que la vente, le bail, le contrat d’assurance, le
payement d’impôt, etc.

B - L’animus

II ne suffit pas d’accomplir des actes matériels pour se dire possesseur. Sinon même le
chauffeur à qui le patron confierait le véhicule le serait aussi. Il faut en plus avoir un
certain état d'esprit qu’on appelle animus dont la définition a suscité des controverses
en doctrine.
Pour Savigny, le possesseur doit avoir l'intention de se comporter en propriétaire. Il lui
faut l'animus domini c'est-à-dire un esprit de maitrise. Pour cet auteur, cette intention
se distingue de l'animus detenindi, c'est-à-dire 1'intention de détenir pour autrui
(exemple : le locataire). Pour lui donc, le possesseur est celui qui a une volonté
d'appropriation soit parce qu'il est effectivement propriétaire, soit parce qu'il croit
l'être, soit parce que, bien que sachant qu'il ne 1'est pas, il n'en a cure (le par exemple
voleur).
Pour Ihering, l’intention du possesseur est l’animus detenindi et le détenteur est
possesseur puisqu'il accomplit sur la chose des actes d'emprise. Pour lui, ce qui est
important, c'est le fait extérieur des actes d'utilisation.
Le Code civil a opté pour 1'animus domini. En effet, aux termes de l’article 2229 :
« Pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible,
publique, non équivoque, et à titre de propriétaire ». Faute de cet esprit de maitrise,
l'on ne peut devenir propriétaire par prescription.

II - L’acquisition de la possession

On peut posséder par soi-même (A) ou par l’intermédiaire d’autrui (B).

A – L’acquisition de la possession par le possesseur lui-même

On acquiert la possession par la réunion du corpus et de l’animus. Les deux éléments


doivent être réunis : la seule volonté de se comporter comme propriétaire d’une chose
ne peut suffire tant qu’elle ne se concrétise pas dans la maîtrise de la chose. Ainsi, le
propriétaire dont la chose est entre les mains d’un tiers qui se comporte comme s’il en

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était lui-même propriétaire, n’a pas la possession de sa chose, car il n’a pas le corpus ;
c’est le tiers qui est ici possesseur. De même, le corpus à lui seul ne suffit pas : ainsi,
le locataire, qui détient le bien et fait sur lui des actes matériels de jouissance, n’a pas
la possession au sens strict du mot (la possession des droits réels), parce qu’il n’a pas
l’animus domini, ie l’intention de se comporter en propriétaire ou en titulaire du droit
réel.

B – L’acquisition de la possession par l’intermédiaire d’autrui

Si les deux éléments, matériel et intentionnel, doivent exister, il n’est pas


indispensable qu’ils se réalisent dans la personne même du possesseur.

On peut acquérir le corpus par l’intermédiaire d’autrui, puisque le possesseur peut


posséder corpore alieno. Par exemple, l’acquéreur, s’il ne prend pas immédiatement
possession, possède par l’intermédiaire du vendeur qui conserve la chose jusqu’à la
livraison : c’est l’hypothèse du constitut possessoire. De même, si l’on donne
mandat à une personne de prendre possession d’un bien, on acquiert le corpus par
l’intermédiaire de ce mandataire.

L’élément intentionnel doit normalement exister chez le possesseur lui-même ; la


volonté d’un tiers ne peut en principe rendre une personne possesseur à son insu. Mais
exceptionnellement, on peut concevoir des hypothèses d’acquisition de possession par
l’emprunt de l’animus d’autrui : ainsi, pour les personnes qui sont incapables d’avoir
un animus qui leur soit propre – tels que les fous et les enfants mineurs -, on a admis
que la possession leur serait acquise par l’intention d’autrui, en l’occurrence leur
représentant légal. De même si, alors qu’une personne était absente pour un certain
temps, un mandataire muni de pouvoir achète pour le compte de l’absent un bien sans
qu’il le sache, il sera néanmoins possesseur par l’intermédiaire de son mandataire.

III - La perte de la possession

La perte de la possession peut se réaliser de différentes manières.

Soit par la perte simultanée des deux éléments de la possession

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C’est l’hypothèse normale en cas de perte de la possession : celui qui avait la
possession perd en même temps le corpus et l’animus. Ainsi en est-il en cas
d’aliénation et d’abandon de la chose.

B – La perte du corpus

Soit par la perte du corpus On peut perdre le corpus tout en conservant l’animus.
Deux remarques préalables doivent être faites.

- Un possesseur qui n’userait pas de son bien, sans qu’un autre vienne l’occuper, ne
perdrait pas le corpus car le non-usage est encore une façon d’exercer les prérogatives
du droit de propriété, et la possibilité d’accomplir des actes positifs demeure.

- Il n’est pas nécessaire que celui qui a l’animus ait en personne le corpus. Il peut
posséder corpore alieno.

Ces deux remarques étant faites, il faut préciser que lorsque la chose possédée est un
meuble d’un meuble, la possession est perdue dès que le possesseur ne peut plus
exercer sur lui son pouvoir de fait, par exemple s’il perd la chose ou si elle lui est
dérobée.

C – La perte de l’animus

On perd aussi la possession, tout en conservant le corpus, si l’on perd l’animus.


L’hypothèse est peu pratique : comment une personne cesserait-elle d’avoir l’intention
de posséder en continuant à exercer la maîtrise attachée à la possession ? Mais on peut
supposer que le vendeur d’un bien accepte de le garder en dépôt pendant un certain
temps pour le compte de l’acquéreur ; c’est l’hypothèse du constitut possessoire : le
vendeur, initialement possesseur, se constitue possesseur pour le compte de
l’acquéreur ; celui-ci devient possesseur par son intermédiaire ; mais le vendeur, tout
en conservant la chose et la possibilité d’accomplir sur elle les actes matériels de la
possession, a perdu l’animus, il ne détient plus la chose pour lui, il a perdu la
possession du droit de propriété.

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IV - La possession et la détention précaire

Le Code civil prend soin de distinguer la détention du possesseur et ce qu’il appelle la


détention précaire. L’article 2236 fait allusion à cette dernière notion en disposant à
propos de la prescription acquisitive : « Ceux qui possèdent pour autrui ne prescrivent
jamais par quelque laps de temps que ce soit. Ainsi, le fermier, le dépositaire,
l’usufruitier, et tous autres qui détiennent précairement la chose du propriétaire, ne
peuvent la prescrire ».
Le détenteur précaire est donc une personne qui a la chose entre les mains, mais elle la
détient précairement, parce que, normalement, le propriétaire la lui a remise à sa
demande, c’est-à-dire qu’elle devra, à un moment plus ou moins éloigné, la restituer au
propriétaire. Le détenteur précaire détient ainsi la chose en vertu d’un titre qui vaut de
sa part reconnaissance de la propriété d’autrui, tel le locataire d’une maison. Le titre
qui justifie sa détention, à savoir le bail, prouve qu’il n’est pas propriétaire de
l’immeuble ; le locataire n’est qu’un détenteur précaire : s’il peut exercer certains actes
d’usage ou de jouissance sur la chose, il n’a pas l’animus domini ; il ne prétend pas se
conduire comme s’il en était le propriétaire ; s’il possède, ce n’est pas pour son propre
compte, mais bien pour le compte d’autrui. C’est donc cet autre, le propriétaire, qui est
le possesseur (possesseur du droit de propriété), puisqu’il a l’animus et exerce le
corpus par l’intermédiaire du détenteur précaire.

§2 – Les modes d’acquisition de la propriété par la possession


La possession peut conduire à la propriété, ce qui est dans la logique des choses, dans
la mesure où la propriété n’est qu’une possession d’une certaine qualité.
Il existe trois modes d’acquisition de la propriété par la possession : l’occupation qui
ne va pas retenir notre attention, la prescription acquisitive ou usucapion (I) et la règle
en fait de meubles possession vaut titre (II).

I - L'acquisition de la propriété par la prescription acquisitive ou usucapion


L'usucapion est une technique juridique qui permet au possesseur, même de
mauvaise foi, de devenir propriétaire du bien possédé au bout d'un certain délai. Ce
délai est en principe de 30 ans, on parle de prescription ou usucapion trentenaire. Mais
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il peut être ramené à 10 ou 20 ans : on parle de prescription décennale ou abrégée.
Cette technique se justifie non seulement par la facilité de la preuve de la propriété
mais aussi et surtout, elle est une prime accordée à ceux qui s'occupent des biens et
dont l'activité est socialement utile. Cependant la preuve de la propriété immobilière
ne pouvant être faite au Cameroun que par un titre foncier, l’étude de l’usucapion
présente peu d'intérêt car elle ne joue pas en cette matière. Elle ne pourrait être utilisée
que dans la possession de mauvaise foi d'un meuble. En tout état de cause, à
l'expiration du délai, le possesseur doit obligatoirement invoquer la possession. Son
droit est alors rétroactivement consolidé. Il est considéré comme propriétaire depuis le
premier jour de sa possession, comme le possesseur de bonne foi d'un meuble.

II – L'acquisition de la propriété par la possession de bonne foi d’un meuble

L’article 2279 alinéa 1er du Code civil dispose : « En fait de meubles, la
possession vaut titre ». Les termes « vaut » et « titre » sont ambigus et méritent
interprétation. Le texte est susceptible de deux sens.

Ou bien, il signifie que la possession d’un meuble est l’équivalent d’un titre
de propriété : elle constitue une preuve de la propriété ; elle permet, comme un titre
(instrumentum), de prouver la propriété, parce qu’elle la fait présumer : il s’agirait
d’une règle de preuve. Ainsi compris, le texte n’ajoute rien à la règle générale : la
possession fait présumer la propriété et c’est une présomption simple, susceptible de
preuve contraire.

Ou bien, il signifie que la possession est un titre de propriété (negotium) :


elle permet l’acquisition de la propriété ; elle rend le possesseur propriétaire
lorsqu’il n’a pas traité avec le véritable propriétaire. Elle est alors un mode
d’acquisition directe de la propriété. En conséquence, le véritable propriétaire
dépossédé ne peut exercer d’action en revendication contre le possesseur : il s’agirait
d’une règle de fond. Ainsi compris, l’article 2279 alinéa 1er du Code civil soumet les
meubles à un régime différent de celui des immeubles : il interdit la revendication
mobilière.

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La doctrine a dégagé de cet article une double signification : la possession
est non seulement une présomption de propriété, mais surtout un mode d’acquisition
instantanée d’un meuble appartenant à autrui. Une personne qui acquiert de bonne foi
un meuble a non domino, c’est-à-dire d’un non propriétaire, n’en acquiert pas la
propriété par l’effet du contrat, car l’aliénateur ne peut pas transmettre un droit qui ne
lui appartient pas. Mais si l’acquéreur est de bonne foi, la possession lui permet
d’acquérir instantanément la propriété : le véritable propriétaire est sacrifié. C’est
l’effet le plus marquant de l’article 2279, alinéa 1er (A). Mais si le possesseur a reçu le
meuble du véritable propriétaire, l’article 2279, alinéa 1 er permet de présumer qu’il en
a reçu la propriété. A cet égard, la possession est une présomption de titre : le
possesseur d’un meuble acquis a domino, c’est-à-dire du véritable propriétaire, est
présumé en être le propriétaire en vertu d’un titre translatif ; mais c’est une
présomption simple (B). Seul le premier effet nous intéresse dans le cadre de ce
chapitre consacré à l’acquisition de la propriété. Mais il convient d’étudier aussi le
second effet pour épuiser tous les sens de l’article 2279 alinéa 1er du Code civil.

A – La possession, mode d’acquisition instantanée d’un meuble appartenant à


autrui

Lorsque l’acquéreur traite avec un aliénateur qui n’est pas propriétaire, aucun
transfert de propriété ne peut s’opérer en vertu du titre, car nul ne transférer
plus de droit qu’il n’en a. Mais la possession « vaut » titre : le possesseur devient
propriétaire par le seul effet de sa possession, et le véritable propriétaire ne peut
revendiquer avec succès. Telle est la règle générale (1), qui comporte une exception
limitée à la perte ou au vol (2).

1 – La règle générale

L’effet le plus radical de la possession d’un meuble corporel, d’après l’interprétation


de l’article 2279, alinéa 1, aujourd’hui admise, est de permettre l’acquisition directe de
la propriété par un possesseur tenant le meuble d’une personne qui n’était pas elle-
même propriétaire, et n’a donc pu la lui transmettre, par exemple, d’un mandataire
infidèle, ou d’un salarié malhonnête, ou d’un acheteur dont le titre est résolu ou

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annulé. Le véritable propriétaire ne peut plus revendiquer avec succès sa chose,
dès lors qu’elle est en la possession d’un tiers de bonne foi, même s’il démontre
qu’il en est le propriétaire.

L’effet acquisitif de l’article 2279, alinéa 1er, suppose une possession véritable et
effective au moment de la revendication. En outre, s’agissant de protéger le
commerce juridique, il exige que le possesseur soit de bonne foi.

a – L’exigence d’une possession véritable et effective

Il faut une véritable possession, et non la seule détention matérielle de la chose :


les détenteurs précaires, qui ne possèdent pas animo domini, c’est-à-dire avec
l’intention de se comporter comme de véritables propriétaires, sont exclus du bénéficie
de l’article 2279, alinéa 1er. La règle n’est pas faite pour les protéger. Ainsi, la qualité
de dépositaire, de mandataire, de locataire ou de salarié exclut-elle celle de possesseur.
La véritable possession suppose réunis le corpus et l’animus. Mais, Conformément au
droit commun, c’est au revendiquant, ie le véritable propriétaire de prouver le
caractère précaire de la détention (art. 2230 du code civil) (Req. 5 déc. 1893, Noury).
Cette preuve peut être rapportée par tous moyens.

Cependant, la jurisprudence admet depuis longtemps (Req., 2 mars 1888, Perez-


Ramirez) qu’un créancier gagiste, qui n’a pourtant pas d’animus domini, peut invoquer
l’article 2279, alinéa 1, pour repousser la revendication du véritable propriétaire, alors
que le gage a été consenti par un non-propriétaire (Com. 14 nov. 1981). La règle
s’explique par des raisons pratiques : pas plus qu’un acquéreur, le créancier gagiste n’a
la possibilité de vérifier le droit de propriété de son auteur. De plus, à l’égard des tiers,
la possession du gagiste est la même que celle d’un acquéreur. Enfin et surtout,
l’intérêt du gage réside essentiellement dans la prise de possession, qui donne au
gagiste un droit de rétention, tant qu’il n’a pas été payé. Ainsi, l’article 2279, alinéa 1,
ne protège pas seulement le droit de propriété, mais aussi ce droit réel accessoire que
constitue le droit de rétention, jusqu’au paiement de la créance.

Le possesseur doit détenir effectivement le meuble corporel, au moment de


l’action en revendication du véritable propriétaire (Com. 13 février 1990). S’il s’en

30
est dépossédé, il ne peut invoquer qu’une possession passée et abandonnée, et ne peut
prétendre en avoir encore la propriété. L’essentiel n’est pas qu’il détienne
matériellement la chose, mais qu’il ait encore la volonté et le moyen de la posséder.
Aussi, seule une dépossession volontaire le prive-t-il du bénéfice de l’article 2279,
alinéa 1er. Si la chose est détenue pour son compte par un tiers, simple détenteur
précaire, la possession demeure (Civ. 1re, 16 janvier 1980). Il en est de même, s’il a été
contraint de se dessaisir de la chose, par exemple, sur l’invitation des services de
police (Civ. 1re, 9 janv. 1996). La perte de la détention matérielle n’est significative
que si elle constitue un transfert de la possession (l’article 2279, alinéa 1, bénéficie au
nouveau possesseur) ou l’abandon volontaire du droit de propriété. Le possesseur
involontairement dépossédé peut revendiquer la chose en invoquant l’article 2297,
alinéa 1.

Certains auteurs ajoutent une autre condition : la possession devrait être exempte
de vices. A cet égard, l’article 2229 du Code civil dispose que : « Pour pouvoir
prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non
équivoque, et à titre de propriétaire ». En réalité, les vices d’équivoque et de
clandestinité, seuls, sont susceptibles d’être invoqués. En effet la violence supprime la
bonne foi et la discontinuité de la possession d’un meuble est indifférente, du moment
que la possession est actuelle. En tout état de cause cette condition posée par la
doctrine n’apparaît guère dans la jurisprudence, parce que l’absence de vice n’est
pas une condition requise lorsque la possession est un mode d’acquisition de la
propriété ; au contraire, elle est nécessaire lorsque la possession constitue une
présomption de titre. Tout au plus l’équivoque ou la clandestinité permettent-elles de
considérer la détention comme précaire, ou de douter de la bonne foi du possesseur.

b – L’exigence d’une possession de bonne foi

Bien que le texte ne le dise pas, la doctrine et la jurisprudence sont unanimes


pour décider que l’article 2279, alinéa 1 er, suppose la bonne foi du possesseur.
Cette exigence figure dans un texte, l’article 1141 du Code civil qui dispose : « Si la
chose qu’on s’est obligé de donner ou de livrer à deux personnes successivement, est
purement mobilière, celle des deux qui en a été mise en possession réelle est préférée

31
et en demeure propriétaire, encore que son titre soit postérieur en date, pourvu
toutefois que la possession soit de bonne foi ». Ce texte n’est qu’une application
particulière de l’article 2279, alinéa 1er. La bonne foi est la croyance qu’avait le
possesseur d’avoir contracté avec le véritable propriétaire.

Conformément aux principes généraux, la bonne foi est présumée. C’est au


revendiquant de démontrer la mauvaise foi du possesseur. Les tribunaux sont assez
souples en la matière. Le seul fait que l’acquisition du meuble soit survenue dans des
conditions suspectes exclut la bonne foi (Civ. 1 re, 2 févr. 1965). La mauvaise foi peut
être prouvée par tous moyens. Il faut, mais il suffit, que cette bonne foi ait existé
lorsque le possesseur a pris possession du meuble (Civ. 1 re, 27 nov. 2001). Peu importe
qu’il apprenne ultérieurement l’absence de propriété de son auteur.

Lorsque les conditions de l’article 2279, alinéa 1er, sont réunies (possession et bonne
foi), le possesseur est propriétaire, et n’a pas à prouver son titre d’acquisition ; de
même, les vices éventuels de celui-ci sont indifférents ; à la différence de l’usucapion
abrégée en matière immobilière, la possession d’un meuble constitue, par elle-même,
un titre suffisant.

2 – L’exception à la règle

Par exception au principe posé par l’article 2279, alinéa 1 er, l’alinéa 2 de cet
article accorde l’action en revendication, dans une mesure limitée, au cas où le
meuble a été perdu ou volé, et seulement dans ce cas. Les conditions de la
revendication varient, selon qu’elle est exercée contre le voleur ou l’inventeur, ou
contre celui qui a acquis d’eux la chose : les premiers ne méritent aucune protection.
Au contraire, les intérêts du second doivent être conciliés avec ceux du propriétaire
involontairement dépossédée.

a – L’action en revendication contre le voleur et l’inventeur

Si le voleur ou l’inventeur sont encore en possession du meuble, le propriétaire peut


exercer contre eux une action en revendication. Comme ils sont nécessairement de
mauvaise foi, ils ne peuvent invoquer l’article 2279, alinéa 1 er. Mais, comme tout

32
possesseur de mauvaise foi, ils peuvent, en revanche, se prévaloir de la prescription
acquisitive trentenaire à la condition d’avoir une possession utile (article 2229 du Code
civil). Le propriétaire pourrait donc obtenir la restitution du bien s’il établissait que la
possession était viciée.

L’action en revendication peut être exercée non seulement par le propriétaire, mais
aussi par le créancier gagiste, et par le dépositaire qui pourtant détient pour autrui ;
l’obligation de garde qu’il assume envers le propriétaire l’oblige à revendiquer la
chose dont il a été involontairement privé.

b – L’action en revendication contre l’acquéreur de bonne foi

Le propriétaire involontairement dépossédé par le vol ou la perte, a le droit


de revendiquer le meuble entre les mains de celui qui l’a acquis, même si le tiers
acquéreur était de bonne foi. L’article 2279, alinéa 2, impose une solution
transactionnelle au conflit entre deux intérêts légitimes : celui du propriétaire et celui
du tiers acquéreur. Le premier peut revendiquer son bien, mais dans un délai bref
et préfix : trois ans à compter de la perte ou du vol.

Le revendiquant doit prouver son droit de propriété, ainsi que la perte ou le vol. En
outre, cette action en revendication, qui trouble la sécurité du commerce juridique,
n’est accordée que comme à regret par l’article 2279, alinéa 2 : le délai de trois ans,
qui n’est pas un délai de prescription acquisitive, constitue un délai préfix, c’est-à-
dire insusceptible de suspension.

c – L’action en revendication contre l’acquéreur au-dessus de tout soupçon

La situation du tiers acquéreur est cependant améliorée, s’il a acquis la chose


perdue ou volée dans des conditions telles qu’il ne pouvait soupçonner son origine
frauduleuse. L’article 2280, alinéa 1er, dispose en effet que le revendiquant ne peut
obtenir la restitution du meuble que contre le remboursement du prix payé par
l’acquéreur, lorsque celui-ci l’a acheté « dans une foire, ou dans un marché, ou dans
une vente publique, ou d’un marchand vendant des choses pareilles ». L’acquéreur
possesseur peut retenir la chose jusqu’à ce que le prix d’achat lui soit remboursé.

33
B – La possession, présomption de propriété ou de titre

A côté du conflit qui oppose le véritable propriétaire à l’acquéreur a non domino, il


existe un autre type de conflit relatif à la propriété d’un meuble : celui qui a pour objet
la nature du droit en vertu duquel le possesseur a la chose entre les mains ; n’est-il
qu’un détenteur précaire ou est-il un véritable propriétaire ? Dans ce conflit, il n’est
pas douteux que le possesseur a traité avec le véritable propriétaire, qui lui a remis la
chose par lui-même ou par un détenteur. Mais le litige porte sur la cause de cette
remise : un prêt à usage, un dépôt ou un mandat ? Ou au contraire, une vente ou une
donation ? Ces conflits sont fréquents, parce qu’il n’est pas d’usage de rédiger un écrit
à l’occasion du transfert de la détention d’un meuble, surtout lorsqu’existent entre les
parties des relations conjugales, familiales, amicales ou de cohabitation, alors surtout
que le meuble peut avoir une grande valeur (bijoux, tableau, argenterie, lingot d’or …).

1 – La consécration de la présomption de propriété ou de titre par la


jurisprudence

La jurisprudence décide depuis longtemps (Ex. Req, 5 déc. 1893, Noury) que
l’article 2279, alinéa 1er, constitue une règle de preuve ; que cet article énonce en
faveur du possesseur une présomption de titre : du seul fait qu’il possède le meuble,
il est censé en avoir acquis la propriété. Il n’a donc à prouver : ni l’existence d’un acte
juridique entre le précédent propriétaire et lui-même, car la seule remise de l’objet, le
fait qu’il détienne implique qu’un tel acte a existé ; ni surtout, la nature de cet acte
juridique, car la possession fait présumer qu’il est translatif de propriété. Le plus
souvent, compte tenu des liens unissant le possesseur actuel au précédent propriétaire,
la présomption est en faveur du don manuel comme l’a décidé la première Chambre
civile de la Cour de cassation dans son arrêt du 18 oct. 1983 en ces termes : « Un
possesseur qui prétend avoir reçu une chose en don manuel bénéficie d’une
présomption et il appartient donc à celui qui revendique la chose de rapporter la preuve
de l’absence d’un tel don ou de prouver que la possession dont se prévaut le détenteur
de la chose ne réunit pas les conditions légales pour être efficace ». 

2 – La nature de la présomption : une présomption simple

34
La présomption de titre tirée par la jurisprudence de l’article 2279 alinéa 1er du Code
civil est une présomption simple et non irréfragable.

Pour combattre cette présomption, le revendiquant dispose de deux moyens : prouver


le titre précaire en vertu duquel le prétendu possesseur détient le meuble ; ou contester
le fondement même de la présomption, c’est-à-dire la possession du prétendu
possesseur.

La présomption de titre est une présomption simple, qui est écartée devant la preuve
contraire. Celle-ci consiste à démontrer que le véritable titre, en vertu duquel la chose
a été remise au défendeur, n’est pas un titre translatif de propriété, mais un acte
juridique faisant peser sur le défendeur une obligation de restituer : contrat de prêt, de
dépôt, de mandat, etc. Si cette preuve est rapportée, le prétendu possesseur n’est qu’un
détenteur précaire.

A défaut de prouver l’existence d’un contrat de restitution liant le détenteur de la chose


à son auteur, le revendiquant peut s’attaquer à la possession. La présomption de titre
de l’article 2279, alinéa 1er, implique une véritable possession, c’est-à-dire animo
domini, et exempte de vices, c’est-à-dire conforme à l’article 2229 du Code civil. En
revanche, la bonne foi du possesseur n’aurait, dans ce type de conflit, aucune
signification.

Sous-section II – L’accessoire

Lorsqu’un bien est dépendant d’un autre bien tout en conservant son caractère
distinct, il en est considéré comme l’accessoire. Sa dépendance peut procéder de deux
phénomènes : elle peut résulter du fait que la chose dépendante a été produite par une
autre, la dépendance a alors un caractère génétique ; elle peut aussi être provoquée
par l’affectation d’un bien à un autre bien, la dépendance a alors un caractère
fonctionnel.

Il existe peu de biens accessoires par dépendance génétique. Cette hypothèse


recouvre les fruits et les produits. La plupart des accessoires doivent leur caractère à

35
une dépendance fonctionnelle : leur vocation est d’améliorer l’utilité d’un autre bien.
La forme la plus classique d’accessoire par dépendance fonctionnelle est l’immeuble
par destination.

Seule l’accessoire génétique est un mode originaire d’acquisition de la propriété.


Les fruits constituent le mode classique d’accessoire génétique. Avant de naître, les
fruits font partie du bien qui les a produits et, de ce fait, sont liés à travers lui au
propriétaire, par le même rapport d’exclusivité. Lorsqu’ils deviennent des biens
indépendants, il est logique de considérer qu’ils conservent le même lien d’attribution,
et demeurent la propriété de celui auquel appartient le bien dont ils sont issus. Le Code
civil en son article 547 (« Les fruits naturels ou industriels de la terre, les fruits civils,
le croît des animaux, appartiennent au propriétaire par droit d’accession ») explique
cette règle en recourant à l’accession, ce qui est singulier puisque, loin de s’unir à une
autre chose, les fruits s’en dissocient. Cette accession à l’envers est en réalité le jeu
normal du principe de l’accessoire : les fruits appartiennent au propriétaire parce qu’ils
suivent le bien dont ils dépendent quant à la propriété.

Sous-section III – L’accession

Aux termes de l’article 546 du Code civil, « la propriété d’une chose, soit mobilière,
soit immobilière, donne droit à tout ce qu’elle produit, et sur ce qui s’y unit
accessoirement, soit naturellement, soit artificiellement. Ce droit s’appelle droit
d’accession ». La plupart des dispositions du Code civil sur la propriété (art. 546 à
577) sont consacrées, en réalité, à l’accession. C’est dire l’importance de la règle, qui
n’est que l’une des applications d’un principe plus général : Accessorium sequitur
principale (l’accessoire suit le principal).
D’après cet article, les accessoires peuvent avoir deux sources : la production et
l’incorporation. Le Code civil voit une accession dans l’acquisition par le propriétaire
des fruits produits par la chose (art. 547 à 550). En réalité, et comme nous l’avons dit
plus haut, le propriétaire d’un bien frugifère acquiert la propriété des fruits produits par
le bien par le phénomène de l’accessoire génétique et non de l’accession. Il faut donc

36
réserver le nom d’accession à une situation moins normale : une chose
indépendante vient s’unir à celle du propriétaire pour former avec elle un unique
objet de propriété ; c’est à ce titre qu’elle est un mode d’acquisition de la
propriété.

Lorsque l’accession engendre un nouveau bien, il en résulte un nouveau droit de


propriété. L’acquisition par voie d’accession est originaire et non dérivée, en ce qu’elle
porte sur un bien nouveau jusqu’alors inapproprié, puisqu’il est nouveau. Elle s’opère
de plein droit, dès l’union des deux biens : elle est le produit de la nature des choses. Il
reste alors à déterminer qui est le propriétaire du nouveau bien.

Le Code civil recourt différemment à l’accession selon la nature des biens unis. Son
attitude est différente selon que les biens unis sont des meubles (I), des immeubles (II)
ou des biens des deux catégories (III).

I - L’union des meubles : l’accession mobilière

L’accession mobilière est l’addition d’un meuble à un autre meuble. C’est soit le
mélange d’un meuble avec un autre (par exemple le mélange entre deux liquides) soit
l’incorporation d’un meuble à un autre (par exemple une carrosserie est ajoutée à un
châssis de voiture). La règle est qu’en cas d’union de deux meubles, le propriétaire du
principal acquiert la propriété de l’accessoire, contre indemnité à celui qui se trouve
évincé. Mais en matière mobilière, il est souvent si difficile de distinguer le principal
de l’accessoire que le Code civil, en son article 565 al. 1 a « entièrement subordonné
l’accession mobilière aux principes de l’équité naturelle ». Mais pour aider le juge, en
cas de litige, les rédacteurs du Code civil ont retenu certaines dispositions, ainsi
annoncées par l’article 565 alinéa 2 C. civ. : « Les règles suivantes serviront
d’exemple au juge pour se déterminer, dans les cas non prévus, suivant les
circonstances particulières ». Ces règles reposent sur On distingue trois sortes
d’accession : l’adjonction, le mélange et la spécification.
.

37
A – L’adjonction

Lorsqu’un meuble est formé de l’adjonction de deux choses appartenant à des


personnes différentes, la séparation de ces deux choses est toujours physiquement
concevable, encore qu’elle puisse s’accompagner des dommages. Le Code civil
l’exclut toutefois en principe : le tout appartient au maître de la chose qui forme la
partie principale (art. 566 C. civ.). La raison en est qu’on est ici en présence d’une
hypothèse d’accessoire stricto sensu, c’est-à-dire celle dans laquelle une chose a été
unie à une autre pour son usage, son ornement ou son complément (art. 567 C. civ.).
Le principe de l’accessoire, implique que la propriété de l’accessoire suit celle du
principal. Il se combine avec les règles de l’accession, qu’il rigidifie quelque peu.
Cependant, cette solution est écartée dans un cas où elle apparaîtrait inique. S’il se
trouve que la chose accessoire a plus de valeur que la chose principale, son propriétaire
peut, à la condition que l’adjonction ait eu lieu à son insu, la revendiquer en exigeant
la séparation, alors même qu’il en résulterait une dégradation pour la chose principale
(art. 568 C. civ.).

B – Le mélange

Lorsque deux choses font l’objet d’un mélange, il est fait application du principe de
l’accession dès lors que l’une des deux choses est de beaucoup supérieure par la
quantité et le prix. Le mélange est attribué au propriétaire de cette chose (art. 574
C.civ.). Dans le cas contraire, la séparation peut être ordonnée, à la condition qu’elle
soit réalisable ; mais seul le propriétaire à l’insu duquel le mélange a été effectué peut
le demander (art. 573 al. 1 C. civ.). Si la séparation n’est pas demandée ou n’est pas
possible, la chose demeurera commune, chaque indivisaire ayant une part déterminée
selon la quantité, la qualité et la valeur de la matière qui lui appartenait (art. 573, al. 2
C. civ.), sans préjudice de son droit d’obtenir la licitation.

C – La spécification

La spécification n’est pas intrinsèquement un cas d’accession. Elle consiste dans le


fait de créer un produit à partir de la chose d’autrui. L’accession est la conjonction de
deux ou plusieurs choses qui en forment une nouvelle ; or l’industrie n’est pas une

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chose, en sorte qu’il ne peut y avoir union de la matière et du travail. C’est d’une
manière purement fictive que la loi considère la main-d’œuvre comme une composante
du produit, au même titre que la matière. Elle attribue en principe le produit au
propriétaire de la matière (art. 570 C. civ.) : la loi traite fictivement cette hypothèse
comme un cas d’accession afin de favoriser l’attribution du nouveau bien à celui dont
la chose a été transformée : le principe is quid fecit (une chose nouvelle appartient à
celui qui l’a faite) cède devant le jus accessionnis du maître de la matière ouvragée.
C’est seulement lorsque la valeur du travail dépasse de beaucoup celle de la matière
transformée que la solution est inversée (art. 571 C. civ.).

II – L’union des immeubles 

En cas d’union des immeubles, l’accession ne peut pas être artificielle comme en
matière mobilière, mais naturelle. En effet, on ne conçoit pas qu’un immeuble rejoigne
un autre immeuble par la main de l’homme. Mais ce que la main de l’homme ne peut
pas faire peut l’être par l’eau, car malgré la stabilité fondamentale de l’immeuble,
celle-ci peut être perturbée sous l’effet de l’eau courante, circonstance qui rend
exceptionnellement mobile l’immeuble et par conséquent possible son union avec un
autre immeuble.

L’action de l’eau peut provoquer des modifications de la propriété immobilière de trois


manières : par les relais, l’alluvion et l’avulsion.

A – Les relais

Lorsqu’un fleuve ou une rivière change de lit, les relais qu’ils découvrent sur l’une des
rives profitent naturellement aux riverains dont ils accroissent les propriétés.
L’accession est alors liée au phénomène d’accroissement. A l’inverse, les riverains de
l’autre côté subissent une réduction de leur propriété sans pouvoir prétendre à une
indemnisation (art. 557 al. 1 C.civ.).

B – L’alluvion

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L’allusion est une autre forme d’action de l’eau sur les propriétés riveraines. Elle
permet leur accroissement de manière successive et imperceptible, par une
accumulation de sable, de gravier ou de vase et l’émergence d’une bande de terre. Le
propriétaire d’un fleuve ou d’une rivière se trouve ainsi naturellement propriétaire d’un
espace nouveau qui échappe à l’attribution au profit de l’Etat (art. 556 et 558 C. civ.).
Par le phénomène de l’alluvion, une île peut apparaître sur un cours d’eau. Si ce
dernier dépend du domaine public, l’île est attribuée à la personne publique
propriétaire du domaine concerné (art. 560 C. civ.). Au contraire, elle est attribuée au
propriétaire riverain du côté de la rive duquel l’île s’est formée ; si l’île s’est formée au
milieu, elle est partagée entre les riverains selon une ligne fictivement tracée au milieu
de la rivière (art. 561 C. civ.). Si une même personne est propriétaire des deux rives,
l’île lui est intégralement attribuée.

C – L’alvusion

La force d’un cours d’eau peut être telle qu’elle détache un morceau considérable de
terrain qui vient s’attacher à la rive opposée ou à un quelconque autre endroit en aval
(art. 559 C. civ.). C’est l’hypothèse de l’alvusion. Bien qu’il y ait dans ce cas
incontestablement accroissement et que l’origine en soit naturelle, l’acquisition n’est
pas instantanée. Elle peut être empêchée si le propriétaire du bloc de terre revendique
sa chose dans l’année de l’alvusion. L’accession ne se produit donc qu’à l’expiration
de ce délai. Toutefois, la revendication demeure possible tant que le bénéficiaire de
l’alvusion n’a pas encore pris connaissance de l’accroissement. S’il est fait droit à la
revendication, il ne semble pas que le propriétaire du morceau de terrain detaché
puisse en provoquer la séparation matérielle.

III – L’union d’un meuble et d’un immeuble 

A l’égard de cette forme d’accession immobilière, la difficulté majeure que connaît


l’accession mobilière, à savoir la détermination du bien principal, n’existe pas : on sait

40
toujours où sont le principal et l’accessoire en cas d’union d’un meuble et d’un
immeuble. En effet  le sol l’emporte sur ce qui est à sa surface. C’est la maxime
superficies solo cedit. Cette règle ancienne et permanente s’explique par les deux
qualités que présente le sol : la fixité et surtout la perpétuité. Le sol est par nature le
support de toute chose matérielle qui s’unit à lui.
L’union d’un meuble et d’un immeuble  peut être naturelle (A) ou artificielle (B).

A - L’union naturelle d’un meuble et d’un immeuble


Lorsqu’elle met en présence un meuble et un immeuble, l’accession naturelle fait
acquérir le meuble par le propriétaire de l’immeuble.

Il peut s’agir de choses mobilières inanimées telles que les pierres tombées du ciel.
Celles-ci appartiennent, par droit d’accession, au propriétaire du sol, du moins si elles
y ont pénétré assez profondément pour s’incorporer au sol.

On peut considérer que c’est également en raison de l’accession naturelle que le


propriétaire d’un fonds acquiert pour partie le trésor découvert dans sa propriété par un
tiers.

En outre, certains animaux semi-sauvages, lorsqu’ils quittent un fonds pour un autre


fonds, deviennent la propriété du maître de celui-ci par voie d’accession, à condition
qu’ils n’y aient pas été attirés par fraude et artifice. L’article 564 du Code civil vise les
pigeons des colombiers, les lapins des garennes, les poissons de certains plans d’eau.
Cette énumération n’est pas limitative; ainsi, l’article 564 s’applique au gibier tout à
fait sauvage mais renfermé dans un parc enclos, de même qu’aux abeilles. Mais le
texte ne s’applique pas aux animaux de basse-cour qui, s’ils s’échappent, ne cessent
pas d’être la propriété de leur maître.

B - L’union artificielle d’un meuble et d’un immeuble

Résultant du travail de l’homme, l’accession artificielle peut consister dans une


construction ou dans une plantation. Lorsque le constructeur est propriétaire et du sol

41
et des matériaux de construction ou des plantations, l’application de la règle
superficies solo cedit ne suscite aucune difficulté ; l’accession n’est alors nullement un
mode d’acquisition de la propriété. Il en va différemment si le sol et les matériaux ou
plantations appartenaient à deux propriétaires différents. Certes, même dans ce cas, les
constructions ou plantations sont absorbées par le sol. Elles appartiennent au
propriétaire du sol par voie d’accession. Mais alors se pose la question de
l’indemnisation, soit du propriétaire des matériaux ou plantations, soit du constructeur
ou du planteur. Il est inadmissible que le propriétaire du sol s’enrichisse, sans cause, à
ses dépens. C’est le problème essentiel que soulève l’accession artificielle lorsqu’elle
est véritablement acquisitive.
L’article 553 du Code civil énonce une double présomption, fondée sur la réalité des
faits :
- celui qui construit ou plante sur son sol est présumé propriétaire des matériaux ou
des plantations ;
- les constructions, plantations ou ouvrages élevés sur un fonds sont présumés faits
par le propriétaire du sol.
Ces deux présomptions sont simples et non irréfragables, c’est-à-dire qu’elles
admettent la preuve contraire. C’est à celui qui les attaque de prouver, soit que le
propriétaire a construit ou planté avec des choses appartenant à autrui (1), soit que les
constructions ou plantations ont été faites par un autre que le propriétaire du sol (2).

A 1 – Les constructions ou plantations faites par le propriétaire du sol avec les


matériaux d’autrui

Dans cette hypothèse, le droit du propriétaire des matériaux ou des plantes s’éteint
parce que ceux-ci ont perdu leur individualité et se trouvent incorporés au sol ; le
propriétaire du sol acquiert la propriété des constructions ou plantations (art. 554 C.
civ.) même s’il est de mauvaise foi, c’est-à-dire qu’il a su qu’il utilisait des matériaux
ou des plantes appartenant à autrui. Cette acquisition de propriété ne peut donc
s’expliquer par la règle « en fait de meubles, la possession vaut titre » (art. 2279), car
cette règle suppose un possesseur de bonne foi. L’acquisition de la propriété en vertu
de l’article 554 ne peut ainsi être qu’une application de l’accession.

42
Le propriétaire des matériaux n’est donc pas autorisé à les enlever (art. 554), ce qui
peut se justifier par le fait que, d’un point de vue économique, la destruction de la
construction serait souvent sans grand intérêt pour lui. Il ne pourra même pas
revendiquer ultérieurement les matériaux si la construction était démolie pour telle ou
telle cause, car son droit éteint ne ressuscite pas. Mais le constructeur doit lui en payer
la valeur estimée à la date du paiement ; il peut, en outre, être condamné, s’il y a lieu, à
des dommages-intérêts (art. 554), par exemple si le propriétaire des matériaux a été
contraint d’ajourner des réparations de son propre immeuble pour lesquelles il s’était
procuré les matériaux.
B 2 – Les constructions ou plantations sur le terrain d’autrui
Plus fréquent, ce cas apparaît comme l’inverse du précédent, les constructions ou
plantations étant alors l’œuvre d’un tiers. Il est prévu à l’article 555 du Code civil, qui
consacre à cette éventualité d’accession des dispositions précises. Celles-ci ont
cependant été profondément modifiées par la loi camerounaise n° 80-22 du 14 juillet
1980 portant répression des atteintes à la propriété foncière et domaniale.
En application de la maxime superficies solo cedit, le propriétaire du terrain devient,
par accession, propriétaire des constructions et plantations faites par un tiers avec ses
propres matériaux, voire avec les matériaux d’une autre personne. On envisagera
successivement le domaine de l’accession (a) la question de la contrepartie de celle-ci
(b), celle de l’auteur de l’ouvrage cocontractant (c) et l’hypothèse de l’empiètement
sur le terrain d’autrui (d).

a – Le domaine de l’accession
L’article 555 du Code civil, tout comme l’article 3 de la loi du 14 juillet 1980, ne
concernent que les plantations, constructions et ouvrages faits sur le fonds d’autrui.
Les mots « plantations, constructions et ouvrages » doivent être entendus de manière
assez large. Il résulte cependant de la jurisprudence qu’il doit s’agir d’ouvrages
nouveaux. Elle écarte donc l’application des textes s’il n’y a eu que de simples
travaux de réparation et d’amélioration (Civ. 3e, 5 juin 1973), ou de transformation de
constructions existantes (Civ. 28 mars 1939), même sous la forme d’une surélévation
(Civ. 1re, 18 juin 1970 et Civ. 3e, 3 janv. 1997). Certes, les travaux de cette catégorie
nécessitent eux aussi un règlement de comptes, mais celui-ci s’effectuera
43
conformément aux principes généraux sur l’enrichissement injuste, et plus
spécialement à la théorie des impenses.
Il n’est guère discuté que l’accession se réalise, en principe, au fur et à mesure de la
construction ou de l’incorporation au sol des matériaux ou des plantes.
b – L’éventuelle contrepartie de l’accession
Deux solutions sont prévues : celle de l’article 555 du Code civil et celle de la loi du
14 juillet 1980.
b1 – La solution de l’article 555 du Code civil

Il découle de l’article 555 du Code civil que les rapports juridiques entre le propriétaire
du sol et l’auteur des constructions ou ouvrages ne sont pas régis de la même manière
selon que celui-ci est ou n’est pas de mauvaise foi.
S’il est de mauvaise foi, il convient de tenir compte de l’article 555, alinéa 1er qui
dispose : « Lorsque les plantations, constructions et ouvrages ont été faits par un tiers
et avec ses matériaux, le propriétaire du fonds a droit, ou de les retenir, ou d’obliger ce
tiers à les enlever ». Ainsi, en cas de mauvaise foi du constructeur, le propriétaire
dispose d’une faculté de choix.

Il peut contraindre le constructeur à enlever à ses frais les constructions ou plantations


(art. 555, al. 2) ; il en est ainsi même lorsque le propriétaire ne subit qu’un préjudice
léger et parfaitement réparable au moyen d’une indemnité (Civ. 13 janv. 1965). Le
constructeur de mauvaise foi peut même être condamné, en plus de la destruction des
constructions ou plantations à des dommages-intérêts, s’il y a lieu, en réparation du
préjudice subi par le propriétaire du fonds (art. 555, al. 2).

Mais le propriétaire du sol peut aussi décider de conserver les constructions ou


plantations, spécialement si les réalisations du tiers sont utiles ; alors s’appliquera
l’alinéa 3 de l’article 555 qui dispose : « Si le propriétaire du fonds préfère conserver
ces constructions et plantations, il doit le remboursement de la valeur des matériaux
et du prix de la main d’œuvre, sans égard à la plus ou moins grande augmentation de
valeur que le fonds a pu recevoir ».

44
Si le constructeur est de bonne foi, on lui appliquera l’article 555 alinéa 4. qui
dispose : « Néanmoins, si les plantations, constructions et ouvrages ont été faits par un
tiers évincé, qui n’aurait pas été condamné à la restitution des fruits, attendu sa bonne
foi, En vertu de cet article, le propriétaire ne pourra demander la suppression desdits
ouvrages, plantations et constructions, mais il aura le choix, ou de rembourser la valeur
des matériaux et du prix de la main-d’œuvre, ou de rembourser une somme égale à
celle dont le fonds a augmenté de valeur ».
Dans quel cas y a-t-il bonne ou mauvaise foi ? De l’article 555, alinéa 4, il résulte que
doit être considéré comme de bonne foi le possesseur qui n’a pas été condamné à la
restitution des fruits (combinaison des articles 550 et 555. V. CS, arrêt n°63/C du 17
janv. 1992, juridis périodique n°14, p. 53 ; CS, 1er nov. 1990, Juridis périodique n°
10, p. 49. La bonne foi peut exister même lorsque le titre foncier est établi
postérieurement à l’occupation ; dans ces conditions, l’indemnité d’éviction doit être
payée : CA de l’ouest, arrêt n°124/civ du 28juill 2004, Juridis n°68, pp. 124 et 125),
c’est-à-dire celui qui possède le sol sur lequel il a fait des constructions et des
plantations, en croyant en être propriétaire, et dont la croyance erronée s’appuie sur un
titre qu’a tort il a cru efficace . La bonne foi se présume (art. 2268 C. civ.) ; elle
s’apprécie au moment où les constructions et plantations ont été effectuées.

Comme on peut le constater, le constructeur de mauvaise foi paraît mieux traité que
celui de bonne foi sous l’emprise du Code civil. C’est pourquoi le législateur
camerounais est intervenu.
b2 – La solution de la loi du 14 juillet 1980

Contrairement au Code civil, la loi du 14 juillet 1980 n’accorde aucune indemnité au


tiers qui a construit sur le terrain d’autrui, même si le propriétaire décide de conserver
les constructions. Elle ne distingue pas non plus suivant que le constructeur est de
bonne foi ou de mauvaise foi, puisque le titre foncier est la seule preuve de la propriété
immobilière en droit camerounais.

Aux termes de l’article 3 alinéa 1 er de la loi du 14 juillet 1980, lorsqu’un tiers exploite
ou se maintient sur un terrain sans autorisation préalable du propriétaire, « la
juridiction compétente ordonne le déguerpissement immédiat de l’occupant à ses

45
propres frais. En outre la mise en valeur réalisée sur ledit terrain sous forme de
plantations, de constructions ou d’ouvrages de quelque nature que ce soit, est acquise
de plein droit au propriétaire, sans aucune indemnité pour l’occupant ».

L’alinéa 2 de l’article 3 poursuit : « Si le propriétaire du fonds exige la suppression des


constructions, plantations ou ouvrages, celle-ci est exécutée aux frais de l’occupant et
sans aucune indemnité pour ce dernier, qui peut en outre être condamné à des
dommages-intérêts pour le préjudice éventuellement subi par le propriétaire du
fonds ».

Mais, la doctrine et jurisprudence camerounaises s'accordent pour dire que l'article 555
régit l'occupant de bonne foi et la loi de 1980, celui de mauvaise foi. Ainsi, l’option
offerte au propriétaire du fonds par l’article 3 (conservation des travaux ou leur
enlèvement assorti de dommages et intérêts éventuellement) ne vaut que si le
constructeur est mauvaise foi. (V. CS, 1er nov. 1990, Juridis périodique n° 10, p. 49 ;
CS. 18 janv. 1990, Juridis périodique n° 10, p. 49 ; CA Yaoundé, 7 juin 1995, Lex lata
n°16, IR, p.7.)

La jurisprudence camerounaise considère comme étant un constructeur de bonne foi à


qui on doit appliquer l’article 555 alinéa 4 : l’occupant d’un terrain dont le titre
foncier a été annulé; celui qui l’a acquis par acte sous-seing privé du véritable
propriétaire, et celui qui a occupé le terrain par suite d’une erreur commise par
l’administration dans l’attribution du lot querellé (V. Cour suprême, arrêt n° 63/C du
17 janvier 1992 ; arrêt n° 3/CC du 18 janvier 1990; arrêt n° 15/CC du 1er novembre
1990). Dans toutes ces hypothèses, les dispositions de l’article 555 du Code civil
applicable au Cameroun relatives au constructeur de bonne foi sont applicables ;

On pourrait aussi concilier l’article 555 et la loi du 14 juillet 1980 en considérant


qu’un constructeur sur le terrain d’autrui peut aussi être de bonne foi s’il pouvait
légitimement penser avoir l’autorisation du propriétaire. Fort de cette idée, la
jurisprudence française a admis que le locataire, qui sait pourtant pertinemment ne pas
être chez lui, pouvait bénéficier de l’article 555 s’il pouvait penser qu’il avait

46
l’autorisation du bailleur (Cass. Civ. 1re, 7 mars 1955, D. 1955, p. 590, note Saint-
Alary).

c – Le sort des constructions et plantations faites par un cocontractant

L’article 555 du Code civil et la loi du 14 juillet 1980 désignent l’auteur des
constructions et plantations sur le terrain d’autrui comme un tiers. Ce terme ne doit pas
être interprété comme excluant l’application du régime de l’accession dans les rapports
entre les parties à un contrat. Les textes ne font qu’opposer l’auteur des ouvrages au
propriétaire en soulignant sa qualité de non-propriétaire, à l’inverse de celle qu’il a
dans l’article 554. Par suite, l’article 555 et la loi du 14 juillet 1980 peuvent, en tant
que de raison, s’appliquer à une situation contractuelle. Mais il faut que le contrat le
permette, car la règle de l’accession n’a pas un caractère d’ordre public et est écartée
souvent par les parties à un contrat ou par la loi de manière plus ou moins explicite.

Il ne fait pas de doute qu’un ouvrage réalisé en vertu d’un mandat est assimilable à un
ouvrage réalisé par le propriétaire lui-même et échappe, en conséquence, aux rigueurs
de l’application de l’article 555 et la loi du 14 juillet 1980. Il ne va de même en cas de
contrat d’entreprise, tout comme, encore que la relation ne soit que quasi contractuelle,
de gestion d’affaire, laquelle est soumise à un mode spécifique de règlement des
interêts en présence.

On peut se demander si la jouissance d’un immeuble ne permet pas systématiquement


au locataire, sauf clause contraire, de bénéficier de la mise à l’écart de l’article 555 et
la loi du 14 juillet 1980. Ce principe peut se déduire de la jurisprudence française
accordant au preneur jusqu’à la fin du bail la propriété des constructions qu’il a
réalisées (Civ. 1re, 1er déc. 1964; Civ., 2e, 23 nov. 1966; Civ., 3e, 17 juill. 1974).

d – L’hypothèse de l’empiètement sur le terrain d’autrui

Les règles relatives à l’accession sont-elles applicables lorsqu’un


propriétaire, construisant sur son fonds, empiète cependant sur le fonds voisin ?
47
L’article 555 doit être mis dans cette hypothèse en relation avec l’article 545 aux
termes duquel « nul ne peut être contraint de céder sa propriété si ce n’est pour cause
d’utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité ».
Si l’on applique l’article 555 et que la victime de l'empiétement devient
propriétaire de la partie débordante parce que le constructeur était de bonne foi, la
situation serait parfois absurde. Une personne pourrait se retrouver propriétaire de
quelques centimètres sur une construction à plusieurs étages et rien ne s'opposerait à
ce qu'il les détruise un jour!
Si l’on ne considère pas que l’article 555 soit applicable, le propriétaire du
terrain sur lequel a eu lieu l’empiètement, nullement tenu de subir une quelconque
incorporation de ce terrain à la construction, peut exiger la démolition de celle-ci, ce
qui est bien rigoureux pour le constructeur supposé de bonne foi. Or telle est, bel et
bien, la solution adoptée par la Cour de cassation (v. Civ. 20 nov. 1912 ; Civ. 1re, 10
juill. 1962 ; Civ. 3e, 20 mars 2002), qui exclut même en pareil cas la théorie de l’abus
de droit en considérant que la défense du droit de propriété contre un empiètement ne
saurait dégénérer en abus (Civ. 3e, 7 juin 1990 et 7 nov. 1990).
Au Cameroun, les juges n'ont pas encore expressément choisi entre l'article 555
et l'article 545. Aucune décision rencontrée ne précise le texte appliqué. Elles se
bornent à constater la mauvaise foi des constructeurs et d'ordonner la destruction.
(Voir par exemple cour d'appel du centre, arrêt N°316/CIV du 4 Août 1995, lex lata n°
18 page 7).
Quant à la doctrine, elle propose une solution équitable qui ne lèserait aucun des
voisins. Il s’agirait, en intégrant des paramètres tels que la bonne foi du constructeur et
la valeur économique et sociale de la construction qui déborde, de maintenir les
constructions importantes à charge d’indemnité au profit de la victime de
l’empiètement et d’ordonner la destruction des travaux de moindre importance ( P. G.
Pougoué, L’empiètement matériel sur le terrain d’autrui, Rev. Cam. Droit, n°13-14, p.
25).

SECTION II : L’ACQUISITION DERIVEE DE LA PROPRIETE

48
Dans l’acquisition dérivée de la propriété, l’acquéreur devient propriétaire aux lieu et
place de son prédécesseur. La succession de deux propriétaires dans la maîtrise de la
chose, quelle que soit sa forme, crée entre eux un lien d’auteur à ayant cause.

Les différents modes d’acquisition dérivée de la propriété sont énumérés par


l’article 711 du Code civil qui dispose : « La propriété des biens s’acquiert et se
transmet par succession, par donation entre vifs ou testamentaire, et par l’effet
des obligations ».

Le principe qui gouverne l’acquisition dérivée de la propriété, notamment en cas


d’aliénation par contrat, est le principe du transfert solo consensu consacré par
l’article 1138 du Code civil qui dispose :
« L’obligation de livrer la chose est parfaite par le seul consentement des parties
contractantes.
Elle rend le créancier propriétaire et met la chose à ses risques dès l’instant où elle a dû
être livrée, encore que la tradition n’en ait point été faite, à moins que le débiteur ne
soit en demeure de la livrer, auquel cas la chose reste aux risques de ce dernier ».
Mais ce principe comporte des limites (§1) et des exceptions (§2).

§1 – Les limites au principe du consensualisme ou au principe du transfert solo


consensu
Si le principe du transfert solo consensu s’applique pleinement lorsque la chose
convenue est un corps certain et actuel, il n’en va pas de même au cas contraire.
Les choses futures ne peuvent être acquises avant leur naissance. Il en résulte que
le transfert de leur propriété sera d’autant retardé. Sauf aménagement contractuel, le
transfert de propriété a lieu lors du constat de l’achèvement par les parties, dont les
modalités varient selon le type de chose (livraison matérielle pour les meubles
corporels ; réception de l’immeuble). C’est à ce moment que l’aliénateur renonce à son
droit au profit de l’acquéreur, qui établit instanténement un pouvoir exclusif sur la
chose.
Les choses de genre ne périssent pas. En conséquence, l’auteur de l’aliénation
demeurera toujours tenu de son obligation de donner. Cette obligation ne peut

49
s’exécuter tant qu’elle ne porte pas sur une chose identifiée. L’effet translatif du
consentement est donc différé jusqu’à ce que la chose soit individualisée.
§2 – Les exceptions au principe du transfert solo consensu
Ces exceptions peuvent découler soit de la volonté des parties (I), soit de la loi (II).
I - Les exceptions à la règle de transfert solo consensu d’origine conventionnelle
Ces exceptions s’expliquent par le fait que l’article 1138 du Code civil n’a pas un
caractère d’ordre public. Les parties au contrat translatif peuvent donc différer le
moment du transfert, en choisissant un événement autre que l’expression du
consentement contractuel pour véhicule des décisions d’abdication et d’acquisition. Il
en va fréquemment ainsi en droit français en matière de vente immobilière, dont la
réalisation est reportée à la signature de l’acte authentique accompagnée du paiement
du prix.
La clause de réserve de propriété emporte le même effet de différemment du transfert
de la propriété, l’événement réalisant l’obligation de donner étant le paiement complet
du prix par l’acquéreur.
II - Les exceptions à la règle de transfert solo consensu d’origine légale

En droit camerounais, c’est la loi qui écarte la règle du transfert solo consensu en
surbordonnant la validité de l’acte translatif à un formalisme instrumentaire. Il en est
ainsi en matière d’aliénation d’immeubles. En effet, l’article 8 de l’ordonnance n° 74-1
du 6 juillet 1974 fixant le régime foncier, prévoit que tout acte constitutif, translatif ou
extinctif de droit réel immobilier doit épouser la forme notariée. Cette exigence est
reprise par l’article 1er de la loi n° 61/20 du 27 juin 1961 relative aux actes notariés, qui
frappe de nullité, s’il est passé par acte sous-seing privé, le transfert de droits réels
immobiliers. Il s’agit, précise la Cour suprême, d’une nullité absolue (C.S.C.OR. arrêt
n° 83 du 28 mars 1967, Bull. p. 166 ; arrêt n° 88/CC du 8 juin 1971, RCD 1972, n° 1,
p. 53 ; C.S.C.OR., arrêt n° 89/CC du 14 juin 1973, RCD n° 9, 1976, p. 76 ; C.S. arrêt
du 16 octobre 1980, RCD n° 19-20, p. 190). Cette nullité ne saurait être couverte
par le dépôt de l’acte sous-seing privé au rang des minutes d’un notaire.

CHAPITRE II : LES ATTRIBUTS DE LA PROPRIETE

50
Le droit de propriété exerce sur le législateur républicain une véritable fascination : la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 en a fait un droit « naturel et
imprescriptible » (art. 2), « inviolable et sacré » (art. 17). Le préambule de la
Constitution camerounaise définit ainsi la propriété : « La propriété est le droit d'user,
de jouir et de disposer des biens garantis à chacun par la loi. Nul ne saurait en être
privé si ce n'est pour cause d'utilité publique et sous la condition d'une indemnisation
dont les modalités sont fixées par la loi ». L’article 544 du Code civil lui fait écho en
ces termes : « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la
plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les
règlements ». L’absolu du droit de propriété est au cœur de la définition. Ce droit
ne connaît pas de limite ; seul son usage peut être restreint par la loi.
Le pouvoir de l’homme sur les choses se traduit par des droits (Section I) dont
l’assiette est très étendue (Section II) ; les caractères du droit de propriété en
manifestent la suprématie (Section III).

Section I : Les droits du propriétaire


L’on considère que le droit de propriété constitue le droit réel par excellence, car il
permet à son titulaire d’exercer sur la chose la plénitude des prérogatives d’une
personne sur une chose, c’est-à-dire la plena in re potestas. Le droit de propriété est
composé de trois prérogatives liées qui sont le droit d’user (§1), de jouir (§2) et de
disposer (§3) de la chose objet de propriété.

§1 – Le droit d’user de la chose ou l’usus


Envisagé comme un des éléments dont le faisceau compose le droit de propriété, le
pouvoir d’user de la chose se manifeste d’une double manière, positive ou négative.
Positivement, le droit d’user de la chose, c’est le droit de s’en servir (usus) pour son
agrément ou pour l’exploitation économique de la chose, par exemple en habitant une
maison, en cultivant un domaine ou en utilisant une voiture. Ce droit permet aussi à
son titulaire de choisir en principe librement l’usage qu’il entend faire de la chose ou
de son image, car celle-ci lui est consubstantielle, même après sa seule reproduction.
Le droit d’user de la chose s’accompagne du pouvoir d’accomplir sur elle des actes

51
conservatoires.
Négativement, le droit d’user de la chose, est aussi le droit de ne pas en user, de ne
pas s’en servir, (Exemples : droit de ne pas utiliser sa voiture, de ne pas occuper son
appartement, de ne pas exploiter son domaine) à quoi s’ajoute aussi le droit de
s’opposer à la seule utilisation de l’image de son bien, même à des fins non lucratives
(V. Civ. 1re, 2 mai 2001, D. 2001, 1973, note J.-P. Gridel, JCP 2001, II, 10553, note C.
Caron).
L’usage des choses consomptibles se confond avec l’abusus, c’est-à-dire avec la
disposition ou la destruction de la chose.

§2 – Le droit de jouir de la chose ou le fructus


Comme le droit d’user de la chose, le droit de jouir de la chose est aussi le droit de ne
pas en jouir. Le droit de jouir de la chose peut se manifester de deux manières,
l’une matérielle, l’autre juridique.

Matériellement, le propriétaire peut percevoir lui-même les fruits de la chose, puis en


faire ce que bon lui semble. Il peut aussi jouir de la chose en ayant recours à des actes
juridiques – d’administration, voire de disposition -, par exemple en louant le
bien frugifère.

§3 – Le droit de disposer de la chose ou l’abusus


Le droit de disposer de la chose, qui s’exerce suivant deux modes (I) connaît une
limitation à travers la propriété inaliénable (II).
I – Les deux modes de disposition

La disposition juridique (A)

La disposition physique (B)


A – La disposition physique

Le propriétaire peut faire tous les actes matériels qui correspondent à son droit
d’usage, faire exécuter tous travaux, abattre les arbres, raser les constructions qui
existent. Le propriétaire peut transformer la substance de la chose objet de son droit de

52
propriété et même la détruire, par exemple tuer un animal. Cette faculté de disposer
matériellement de la chose distingue le droit de propriété de tous les autres droits
réels : ces derniers, en effet, autorisent leurs titulaires à jouir de la chose d’autrui d’une
manière plus ou moins complète, mais toujours « à charge d’en conserver la
substance », ainsi que le précise l’article 578 du Code civil, au sujet de l’usufruit.
B – La disposition juridique

Les manifestations du pouvoir de disposition juridique sont assez diverses :

- La disposition à cause de mort. Il arrive souvent que le propriétaire décide du sort


de son bien pour le temps qui suivra son décès, par voie de disposition à cause de
mort.
- L’abandon de la propriété. Le propriétaire peut aussi, de son vivant, disposer de
son droit en l’abandonnant, par déguerpissement.
- La transmission entre vifs de la propriété. Le propriétaire peut transférer à autrui,
en partie ou en totalité, le droit de jouissance et de consommation qui lui appartient sur
la chose. S’il concède seulement un droit de jouissance sur sa chose, il démembre sa
propriété, ie qu’il crée sur la chose un droit réel d’usufruit, d’emphytéose ou de
servitude. Si, au contraire, il transmet la totalité de son droit, il aliène la chose ; il fait
alors un acte translatif de propriété.
Ces différents actes juridiques sont accomplis, non sur la chose elle-même, mais sur le
droit du propriétaire. A ce pouvoir de disposition sont cependant apportées des
restrictions d’origines diverses qui obligent à s’interroger sur la signification des
propriétés inaliénables.

II – La propriété inaliénable
La propriété inaliénable est celle à laquelle manque le droit de disposer et qui se réduit
donc aux droits d’usage et de jouissance – sans se confondre pour autant avec un
usufruit. La propriété peut être inaliénable par l’effet d’un jugement, d’une loi ou
d’un contrat. (art. 1048 et s.). Mais la question importante qui se pose relativement à
la propriété inalienable, est de savoir si, hors des cas formellement prévus par la loi, il
est possible d’insérer dans un acte – contrat ou testament – une clause interdisant à

53
l’acquéreur d’aliéner les biens qu’il reçoit. Pareille clause est rarement insérée dans un
contrat à titre onéreux, l’acquéreur qui paye la contrepartie du bien transmis voulant
avoir la libre disposition de ce bien. Le domaine d’élection des clauses d’inaliénabilité
est celui des donations ou des testaments, le donateur ou le testateur stipulant que le
donataire ou le légataire ne pourra aliéner les biens. Il convient d’étudier l’évolution
historique (A), la validité (B) et les effets (C) des clauses d’inaliénabilité.
A – L’évolution historique
Mais initialement, les clauses d’inaliénabilité n’avaient pas été prévues par les
rédacteurs du Code civil de 1804. Dans un premier temps, la jurisprudence, se
souvenant des entraves qui, dans l’Ancien droit, s’opposaient à la libre circulation des
biens, et craignant le retour de cet état de choses par la prolifération des clauses
d’inaliénabilité, considérait ces clauses comme nulles sans distinction. Outre qu’elles
paraissaient contraires à l’ordre public puisqu’elles méconnaissaient la notion de
propriété telle que le Code l’avait instituée, c’est-à-dire une propriété essentiellement
transmissible, elles allaient à l’encontre du principe selon lequel l’inaliénabilité
n’existe que dans les cas prévus par la loi.

Cependant, depuis le milieu du XIXe siècle, les souvenirs de l’Ancien droit s’étant
estompés, la jurisprudence a évolué dans un sens libéral. Ainsi, depuis un arrêt de
principe de la Cour de cassation française, en date du 20 avril 1858 (DP 1858, 1,
154 ; S. 1858, 1, 589 ; Grands arrêts, n° 67), la validité des clauses d’inaliénabilité
a été admise, à condition qu’elles soient limitées dans le temps et justifiées par un
intérêt sérieux et légitime. La jurisprudence a donc admis que l’on pouvait, par
convention, modifier le régime habituel de la propriété, le propriétaire n’ayant alors
entre les mains qu’une propriété amoindrie, ie amputee de l’abusus. Ces solutions
jurisprudentielles ont été consacrées en France par la loi du 3 juillet 1971 qui a
incorporé au Code civil un article 900-1 nouveau relatif aux clauses d’inaliénabilité
contenues dans une donation ou un testament.
B – La validité des clauses d’inaliénabilité
Au sujet de la validité des clauses d’inaliénabilité, la loi française du 3 juillet 1971 a
consacré purement et simplement les solutions jurisprudentielles antérieures, qui sont
encore applicables au Cameroun : l’article 900-1 du Code civil dispose : « Les clauses
54
d’inaliénabilité affectant un bien donné ou légué ne sont valables que si elles sont
temporaires et justifiées par un intérêt sérieux et légitime ». Ces exigences s’imposent
aussi, en vertu de la jurisprudence, à propos des clauses insérées dans des actes à titre
onéreux.
Lorsque les conditions requises pour la validité de la clause ne sont pas réunies, elle
est atteinte d’une nullité absolue, comme contraire à l’ordre public et à l’article 6 du
Code civil. S’il s’agit d’une clause affectant un testament ou une donation, la clause
est, en principe, simplement réputée non écrite, l’acte dans lequel elle se trouve insérée
demeurant valable (cf. art. 900 C. civ. qui dispose : “Dans toute disposition entre vifs
ou testamentaire, les conditions impossibles, celles qui seront contraires aux lois ou
aux moeurs, seront reputées non écrites”). Il n’en irait autrement que si cette clause
constituait la cause impulsive et déterminante de l’acte, c’est-à-dire le mobile auquel le
disposant a obéi en consentant l’aliénation ; dans ce cas, la convention tout entière
serait nulle.
C – Les effets des clauses d’inaliénabilité valables
Si les conditions requises pour la validité de la clause sont réunies, le bien est rendu
inaliénable. Il cesse en même temps de pouvoir être hypothéqué et devient
insaisissable.
La question se pose cependant de savoir quelles sont les sanctions applicables si
l’acquéreur transgresse la défense d’aliéner. Outre l’octroi éventuel de dommages-
intérêts, on n’a pas imaginé d’autre sanction, pendant longtemps, que la résolution de
la vente ou de la libéralité, prononcée contre l’acheteur ou le donataire pour
inexécution de la condition affectant son titre d’acquisition. Mais cette solution était
trop souvent contraire à la volonté du stipulant, qui désire avant tout maintenir la chose
entre les mains de l’acheteur ou du donataire. Aussi la jurisprudence a-t-elle admis la
possibilité de poursuivre directement l’annulation de la seconde aliénation (Civ. 20
avr. 1858, DP 1858, 1, 154).

Section II : L’étendue ou l’assiette de la propriété

55
L’article 552 alinéa 1er du Code civil donne à la propriété du sol une dimension infinie
dans l’espace en disposant : « La propriété du sol emporte la propriété du dessus et du
dessous ». Ce texte énonce une règle de fond : le pouvoir du propriétaire s’exerce sur
le volume situé au-dessus et au-dessous de la surface du terrain. Ce pouvoir peut
cependant être limité, et même supprimé, au nom de l’intérêt général, comme
l’annonce la suite de l’article 552, qu’il s’agisse du dessus (§1) ou du dessous (§2). A
ces deux composantes, il faut ajouter la propriété des eaux (§3).
§1 – La propriété du dessus
Le droit du propriétaire du sol s’étend sur le volume situé à l’aplomb de son terrain, en
principe, sans limitation. Il peut donc ne pas l’occuper ou l’occuper en construisant et
en plantant.
Négativement, le propriétaire du sol a le droit de s’opposer dans l’espace ainsi défini à
toutes atteintes, même à celles qui ne causeraient pas de dommage, actuel ou futur. Le
propriétaire peut notamment contraindre le voisin en vertu de l’article 673, al. 1er
C. civ. à couper les branches des arbres, arbustes et arbrisseaux  débordant au-
dessus de son sol (art. 673, al. 1er C. civ : “Celui sur la propriété duquel avancent des
branches des arbres, arbustes et abrisseaux du voisin peut contraindre celui-ci à les
couper”.). Le propriétaire du sol peut également s’opposer à l’établissement d’un câble
passant sur son fonds ou encore demander la démolition d’un ouvrage empiétant sur
l’espace situé au-dessus de son terrain, même si l’empiétement est infime.
Positivement, le propriétaire du sol est présumé propriétaire de toutes les
constructions et plantations, même celles faites par des tiers. En outre, il a le droit de
percevoir les fruits tombés naturellement sur son fonds (art. 673 C. civ : “Les fruits
tombés naturellement de ces branches lui appartiennent”) et lui seul peut chasser les
oiseaux lorsqu’ils le survolent. Enfin, il « peut faire au-dessus toutes les plantations et
constructions qu’il juge à propos, sauf les exceptions établies au titre Des servitudes ou
services fonciers » (art. 552, alinéa 2).
La propriété du sol peut être volontairement dissociée de celle du volume qui le
surplombe. Il en est ainsi toutes les fois que le propriétaire consent à un tiers un
droit de superficie, c’est-à-dire le droit d’occuper cet espace par des constructions
ou des plantations dont il demeurera, temporairement ou définitivement,

56
propriétaire.

§2 – La propriété du dessous
Symétrique du dessus par rapport à la surface, le dessous, traditionnellement appelé le
tréfonds, est également livré à la puissance du propriétaire.
Positivement, celui-ci peut fouiller et construire au-dessous du sol, sans limite,
s’approprier ce qu’il contient, sous réserve de la législation sur les mines (art. 552,
alinéa 3). 
Négativement, même s’il n’éprouve aucun préjudice, le propriétaire peut également
s’opposer à l’incursion d’un tiers dans son sous-sol et couper lui-même les racines et
les ronces qui avancent sur son fonds, en vertu d’un droit imprescriptible consacré
par l’article 673 alinéas 2 et 3 du Code civil (art. 673, al. 2 : “Si ce sont des racines,
ronces ou brindilles qui avancent sur son héritage, il a le droit de les couper lui-même
à la limite de la ligne séparative”. L’alinéa 3 de cet article ajoute: “Le droit de couper
les racines, ronces et brindilles ou de faire couper les branches des arbres, arbustes et
abrisseaux est imprescriptible”).

Comme la propriété du dessus, celle du dessous peut être détachée de celle du sol et
appartenir à un tiers en vertu d’une convention.

§3 – La propriété et l’usage des eaux


Nous nous intéresserons uniquement aux eaux pluviales et aux eaux de source.
I – Les eaux pluviales
Les eaux de pluie sont res nullius ; elles appartiennent au propriétaire du fonds sur
lequel elles tombent, par voie d’occupation. Elles n’appartiennent pas au propriétaire
du fonds par voie d’accession ; en effet, l’eau pluviale qui couvre le sol ne lui est pas
incorporée, ce qui serait nécessaire pour qu’il y ait accession.

Le propriétaire du fonds a le droit d’user et de disposer des eaux pluviales tombées sur
son fonds. Cependant le propriétaire supérieur ne doit pas aggraver, par l’usage qu’il
fait des eaux de pluie ou par la direction qu’il leur donne, la servitude naturelle
d’écoulement établie par l’article 640 alinéa 1 er du Code civil à la charge du

57
propriétaire du fonds inférieur en ces termes : « Les fonds inférieurs sont assujettis
envers ceux qui sont plus élevés, à recevoir les eaux qui en découlent naturellement
sans que la main de l’homme y ait contribué ». L’alinéa 2 ajoute : « Le propriétaire
inférieur ne peut point élever de digue qui empêche cet écoulement ». il découle de
l’article 640 que le propriétaire du fonds supérieur ne saurait déverser sur le fonds
voisin des eaux pluviales par lui corrompues, ni leur faire suivre une direction de
nature à compromettre la solidité des constructions appartenant au voisin ; une
indemnité serait due dans ce cas au propriétaire du fonds inférieur (art. 641, al. 2 C.
civ. Français : “Si l’usage de ces eaux ou la direction qui leur est donnée aggrave la
servitude naturelle d’écoulement établie par l’article 640, une indemnité est due au
propriétaire du fonds inférieur”.).
II – Les eaux de source
La règle traditionnelle résultant de l’article 641 du Code civil est que la source
appartient au propriétaire du fonds sur lequel elle jaillit et qu’on dénomme fonds
d’émergence (“Celui qui a une source dans son fonds peut toujours user des eaux à sa
volonté dans les limites et pour les besoins de son héritage”: article 641 du Code civil
applicable au Cameroun). Cette règle s’applique non seulement aux sources
jaillissantes, mais également aux eaux souterraines. En effet, le propriétaire du sol a le
droit de faire surgir les eaux dans son fonds par des sondages, quand bien même il
priverait le fonds inférieur d’une source qui y jaillissait. Le propriétaire du fonds
inférieur ne pourrait réclamer aucune indemnité, à moins qu’il ne prouve que le
propriétaire du fonds supérieur a agi avec méchanceté, uniquement pour lui causer
préjudice, ce qui serait constitutif d’un abus de droit.
De multiples restrictions sont apportées au droit du propriétaire du sol sur la source qui
jaillit de son fonds :

- un premier tempérament est commandé par la nécessité de respecter les droits des
propriétaires voisins : le propriétaire de la source doit tenir compte des droits qui
peuvent résulter pour ceux-ci d’une convention, d’un titre quelconque et de la
prescription (art. 642, al. 2);
- le propriétaire de la source subit des restrictions au profit des agglomérations
alimentées par l’eau (art. 642, al. 3). Il s’agit de l’hypothèse où la source fournit aux
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habitants d’une commune, d’un village ou d’un hameau, l’eau qui leur est nécessaire.
Dans ce cas, le propriétaire du fonds d’émergence ne saurait les en priver par la
manière dont il en use;
- aux termes de l’article 643 du Code civil, lorsque, « dès la sortie du fonds où elles
surgissent, les eaux de source forment un cours d’eau offrant le caractère d’eaux
publiques et courantes, le propriétaire ne peut les détourner de leur cours naturel au
préjudice des usagers inférieurs ». Ainsi, lorsque les eaux issues de la source ont, dès
la sortie du fonds d’émergence, un débit assez puissant pour pouvoir être considérés
comme des eaux publiques et courantes, le propriétaire du fonds d’émergence voit ses
droits limités au bénéfice des usagers inférieurs, sans d’ailleurs que ceux-ci aient à
établir que les eaux leur sont nécessaires au sens de l’article 642 du Code civil et
sans qu’ils aient à verser une indemnité ; néanmoins le propriétaire du fonds
supérieur peut se servir des eaux de la source pour les besoins de son fonds soit à fin
d’irrigation, soit à fin d’utilisation industrielle, mais ne peut détourner les eaux de leur
cours naturel ni, par conséquent, céder ses droits à un tiers : c’est dire que ses
prérogatives cessent de constituer un droit de propriété pour devenir un simple
droit d’usage.

Section III : Les caractères du droit de propriété


En énonçant que la propriété est un droit absolu, l’article 544 du Code civil l’investit
d’une souveraineté que ne possède aucun autre droit subjectif. Elle a donc, au moins
en principe, trois conséquences de la souveraineté : l’exclusivisité (§1), le caractère
illimité (§2) et la perpétuité (§3).

§1 – L’exclusivité

L’exclusivité protège le propriétaire contre les tiers. Le rapport privatif que la propriété
établit confère à la personne à laquelle le bien appartient le pouvoir d’exclure. La
propriété fait en effet qu’un bien se trouve sous le pouvoir d’une personne déterminée
et échappe au pouvoir de toute autre personne. Il convient de préciser le contenu de

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l’exclusivité (I) avant de voir les actions attachées au droit de propriété et qui
sanctionnent le pouvoir d’exclure (II).

I – Le contenu de l’exclusivité

L’exclusivité du droit de propriété signifie que seul le propriétaire peut user de la


chose ou ne pas en user, et qu’il a donc le droit d’en exclure toute autre personne. Tout
empiètement d’un tiers permet au propriétaire d’agir en justice même s’il ne lui cause
aucun préjudice.
Cependant, le propriétaire peut être obligé de supporter le droit d’un tiers sur la chose :
usufruit ou servitude. En réalité, il n’y a pas dans ces cas atteinte à l’exclusivisité du
propriétaire, mais démembrement du droit de propriété, dont certains attributs
appartiennent à un tiers : le droit de propriété n’est plus complet. Par exemple, s’il est
grevé d’un usufruit, il lui manque l’usus et le fructus, qui appartiennent à l’usufruitier.

II – Les actions sanctionnant le droit de propriété

Sur le plan civil, les actions sanctionnant le droit de propriété ont pour objet la
restitution (A), ou la réparation (B) ou les deux résultats.
A – Les actions en restitution

Le propriétaire jouit d’actions lui permettant de reprendre possession du bien accaparé


ou usurpé par autrui. Ces actions ont en commun d’avoir pour résultat la cessation de
la dépossession mais elles se différencient selon que le droit de propriété est ou non
contesté.

Si la propriété du demandeur n’est pas contestée, l’usurpation est un trouble


manifestement illicite qui justifie sans détour que soit ordonnée la restitution. On est
alors en présence d’une action en pure restitution, le juge n’ayant à statuer que sur
la remise en possession du propriétaire.

Lorsque le propriétaire est tenu de prouver son droit parce qu’il est contesté,
l’action en restitution prend un caractère spécifique et s’exerce selon un régime qui lui
est propre : elle devient une action en revendication qui soulève deux problèmes : sa
nature juridique (1); son domaine d’application (2); son exercice (3) et ses effets (4).

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1 – La nature de l’action en revendication

La revendication doit être distinguée des restitutions qui sont demandées sur le
fondement d’un contrat et qui ne sont donc pas dirigées contre un tiers. Tel est le cas
notamment lorsque le défendeur possède la chose au titre d’un prêt, d’un dépôt ou
d’un louage. Le demandeur n’a pas à démontrer son droit de propriété dans de telles
actions de nature personnelle, mais simplement l’existence et le contenu du contrat
qui l’autorise à exiger la restitution. Un cocontractant n’a donc pas intérêt à utiliser la
revendication pour reprendre sa chose. Bien plus, il ne le peut pas dans la mesure où
une telle action aurait pour effet de déroger au contrat. Par ailleurs, l’action fondée sur
un contrat est de nature personnelle en ce qu’elle repose sur un engagement personnel,
alors que l’action en revendication ne repose sur aucun engagement et tend à la
consécration d’une prérogative sur une chose. Elle est en cela une action réelle et
non personnelle.

2 – Le domaine de la revendication

Tous les biens sont susceptibles de revendication et non pas les seuls biens
immobiliers (????) comme on tend à le suggérer. L’action en revendication joue un
rôle privilégié à l’égard des biens corporels, meubles comme immeubles (????), étant
précisé que la revendication des meubles corporels n’est pas recevable contre le
possesseur de bonne foi, en vertu de l’article 2279 alinéa 1 er du Code civil qui dispose
qu’en fait de meubles possession vaut titre.

1 3 – L’exercice de l’action en revendication

Toute action en justice, qu’elle soit réelle ou personnelle, peut se heurter à une fin de
non-recevoir tirée de la prescription. En effet, aux termes de l’article 2262 du Code
civil : « Toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans,
sans que celui qui allègue cette prescription soit obligé d’en rapporter un titre, ou
qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi ». Cette règle
s’applique en principe à toutes les actions, et par conséquent à tous les droits : droits
de créance et droits réels qui constituent des démembrements de la propriété tels que
les servitudes et l’usufruit, par exemple. Qu’en est-il de la propriété ?

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L’hypothèse est qu’un propriétaire, dépossédé depuis plus de trente ans, veut exercer
une action en justice pour se faire reconnaître sa qualité de propriétaire et obtenir
d’être remis en possession de son bien. La question est simple à régler en droit
camerounais en matière immobilière, puisque le titre foncier est la seule preuve
de la propriété immobilière.

En droit français, la question a connu une évolution en jurisprudence :

- Un arrêt célèbre, mais ambigu, avait pu laisser croire que toutes les actions
étant prescriptibles, la revendication l’était aussi (Req, 5 mai 1879, aff. de la
congrégation des frères de St. Viateur).

- Ultérieurement, la Cour de cassation prit nettement parti et décida au


contraire, que l’action en revendication du droit de propriété était
imprescriptible.

Elle le fit d’abord dans une affaire où le propriétaire était opposé à un simple
détenteur précaire en ces termes : « Malgré la généralité des termes de l’article
2262, qui décide que toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites
par trente ans, ce texte ne s’applique pas à l’action en revendication intentée par le
propriétaire dépossédé de son immeuble ; la propriété ne se perdant pas par le non-
usage, l’action en revendication, qui sanctionne et protège ce droit, peut être exercée
aussi longtemps que le défendeur ne justifie pas être devenu lui-même propriétaire
de l’immeuble revendiqué par le résultat d’une possession contraire, réunissant tous
les caractères exigés pour la prescription acquisitive » (Req, 12 juill. 1905, arrêt
Delle Le Cohu).
Elle le fit ensuite dans une espèce où le défendeur ne pouvait acquérir par prescription
(Cass. ass. plén., 23 juin 1972, aff. De l’étang Napoléon). En l’espèce, des marais
appartenaient à un particulier ; à la suite d’une tempête, la mer les avait recouverts ; or
la mer appartient à l’Etat ; soixante-dix ans après, la mer a reculé en découvrant les
marais. La Cour de cassation a reconnu aux héritiers des propriétaires le droit de
revendiquer les marais contre l’Etat.

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Ces solutions jurisprudentielles, qui consacrent l’imprescriptibilité de l’action en
revendication de la propriété immobilière en droit français, sont transposables à la
revendication mobilière tant en droit français qu’en droit camerounais lorsque le
défendeur est un possesseur de mauvaise foi ou un détenteur précaire.

4 – Les effets de l’action en revendication

Le succès de l’action en revendication a pour effet non seulement la restitution de la


chose, mais également le remboursement des impenses.

a – La restitution de la chose

Si le juge fait droit à la demande du revendicateur, il ordonne la restitution de la chose.


Le défendeur devra lui rendre non seulement la chose mais aussi ses accessoires ainsi
que ses accroissements et produits, y compris ceux advenus après la dépossession du
propriétaire.

A défaut de pouvoir restituer par suite de la perte de la chose, le défendeur est tenu
d’indemniser le propriétaire si la perte est due à sa faute et il doit sa valeur quand il est
de mauvaise foi, alors même que la chose a péri par cas fortuit.

L’impossibilité de la restitution peut aussi être due à une aliénation. Si la chose a été
aliénée de bonne foi, le propriétaire ne peut prétendre qu’au prix qu’en a tiré le
défendeur. Si le prix est insuffisant, il lui est loisible de diriger la revendication contre
le tiers acquéreur, sous réserve de l’application de l’article 2279 du Code civil ou de
principes applicables aux biens dont l’opposabilité de la transmission aux tiers est
subordonnée à une formalité de publicité.

Si au contraire, l’aliénation a été consentie de mauvaise foi, c’est-à-dire alors que le


défendeur se savait non propriétaire, il y a lieu à indemnisation. Le défendeur est
redevable de l’équivalent du préjudice subi, nonobstant sa supériorité au prix obtenu
ou l’absence de tout prix.

Les fruits perçus par le défendeur connaissent un sort particulier, car ils sont
abandonnés au possesseur au titre des soins qu’il a consacrés à l’entretien de la
63
chose. Cette considération cesse toutefois d’être décisive lorsque, attrait en
justice, le possesseur résiste à la demande et prive le propriétaire de ses fruits
pendant toute la durée du procès. Le jugement produisant, du fait de sa nature
déclarative, ses effets au jour de la demande en justice, les fruits doivent être
restitués à partir de la citation en revendication.

Il apparaît, en outre, choquant d’enrichir un usurpateur, ce qui conduit à


déroger à l’attribution des fruits au défendeur à l’action en revendication. Aux
termes de l’article 549 C. civ., la conservation des fruits n’a lieu “que dans le cas
où il possède de bonne foi”, c’est-à-dire lorsqu’il s’est cru propriétaire pour avoir
acquis la chose du véritable propriétaire (art. 550, al. 1 C. civ.). La conservation
des fruits cesse dès que la mauvaise foi apparaît, le possesseur eût-il été
initialement de bonne foi (art. 550, al. 2 C. civ.).

Si les fruits ne sont pas restituables en nature, ils sont restitués en valeur.

Enfin, les fruits s’entendent toujours déduites des impenses éventuellement dues au
défendeur.

b – Le remboursement des impenses

Le défendeur est fondé à solliciter le remboursement des frais qu’il a exposés dans
l’intérêt de la chose, et donc de celui du propriétaire, sans qu’il y ait lieu à distinguer
selon qu’il est de bonne ou mauvaise foi. Cette solution découle de l’article 1381 C.
civ qui dispose : « Celui auquel la chose est restituée, doit tenir compte, même au
possesseur de mauvaise foi, de toutes les dépenses nécessaires et utiles qui ont été
faites pour la conservation de la chose ».

La théorie des impenses est un corps de principes généraux définissant le régime


de cette indemnisation. Ce régime s’applique en l’absence de règles particulières
dans tous les cas où un possesseur restitue une chose à son propriétaire. Il contient des
solutions d’équité analogues à celles qui gouvernent l’enrichissement sans cause et qui
visent à harmoniser les intérêts du propriétaire et ceux du possesseur.

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Il convient tout d’abord de définir la notion d’impense. Celle-ci est large
puisqu’elle inclut toutes les dépenses engagées dans l’intérêt de la chose. Toutefois
elle est étrangère aux frais d’entretien et d’administration exposés par le possesseur,
lesquels étant liés à la jouissance, sont une charge des fruits et sont compensés par
l’attribution même des fruits au possesseur.

Toutes les impenses ne sont pas en elles-mêmes indemnisables. Elles ne peuvent


être invoquées par le défendeur que si elles ont été utilement engagées, soit qu’elles
aient permis de conserver la chose, soit qu’il en soit résulté une amélioration (art. 1381
C. civ.). Des frais ont pu être exposés sans aucune incidence sur la valeur du bien
restitué, notamment dans un esprit de luxe ou pour satisfaire les goûts personnels du
défendeur. Les dépenses d’agrément ou impenses voluptuaires demeurent à la
charge du possesseur.

Le droit au remboursement des impenses est calculé dans le même esprit que
l’indemnité due au titre de l’enrichissement sans cause. Il n’y a pas en principe lieu de
procéder à une compensation intégrale, mais seulement d’indemniser dans la limite de
l’utilité que retire le propriétaire des impenses effectuées. Il convient donc d’évaluer la
plus-value qu’elles ont apportée et de vérifier ce qu’il en reste au jour de la restitution.
Le propriétaire sera tenu à indemnité dans la mesure de ce seul profit subsistant.
Mais il peut avoir au contraire intérêt à rembourser le possesseur de ses frais si la plus-
value est plus importante que leur montant. Sa dette sera alors égale à la plus faible des
deux sommes que représentent la dépense faite et le profit subsistant.

L’exception de plus-value que le propriétaire est en droit d’opposer pour limiter le


remboursement ne peut toutefois l’être lorsque l’impense a un caractère conservatoire.
Tel est le cas lorsque les frais exposés ont permis de prévenir la perte de la chose ou la
diminution de sa valeur. Non seulement il ne peut être fait grief au possesseur d’avoir
accompli un acte conservatoire, mais celui-ci doit en être loué car le propriétaire aurait
agi de même s’il avait été en possession. C’est dire que l’impense n’était pas
seulement utile, mais nécessaire. Le propriétaire ne peut refuser son remboursement
intégral, abstraction faite de toute plus-value, et alors même que l’avantage procuré
aurait disparu.

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B – L’action en réparation

La restitution est la sanction normale du droit de propriété, mais rien ne s’oppose à ce


que le propriétaire lui préfère la réparation et encore moins à ce qu’il exerce les deux
actions simultanément. Contrairement à une idée reçue, la protection du droit de
propriété ne prend pas exclusivement la forme d’actions réelles; elle est également
assurée par l’action en responsabilité civile, laquelle prend des traits spécifiques
quand elle est mise au service du droit de propriété.

Tout d’abord, le demandeur n’a pas à démontrer l’existence d’une faute dès lors
qu’est établie l’atteinte du droit de propriété; car cette atteinte est en soi une faute.

Ensuite, un raisonnement analogue conduit à une extension du préjudice réparable. Le


propriétaire peut demander la réparation de toutes les formes de préjudice, qu’il
s’agisse d’une perte ou d’un manque à gagner. Mais il peut, en outre, ou à défaut de
tout préjudice de cette nature, demander la réparation du dommage résultant de la
seule atteinte apportée à son droit de propriété. C’est dire qu’en matière de propriété,
le préjudice résulte de plein droit de l’atteinte portée au droit.

§2 – Le caractère illimité ou absolu de la propriété


Parce qu’il est absolu, le droit de propriété permet à son titulaire tous les actes
juridiques et matériels qui ne lui sont pas interdits spécialement. Il résulte de ce
principe qu’il est autant important de décrire les prérogatives du propriétaire, à savoir
l’usus, le fructus et l’abusus, que de rechercher les limites du droit de propriété.
Une première limite tient à la nature des choses : sans limites ne signifie pas sans
conséquences juridiques. Si le propriétaire peut faire de sa chose ce qu’il veut, il doit
réparer les dommages anormaux que cause à autrui tel usage particulier. Même si
l’usage n’est pas fautif, le caractère excessif du trouble est source de responsabilité
(Voir Chapitre III).
Une deuxième limite tient à l’application, au droit de propriété comme aux autres
droits subjectifs, de la théorie de l’abus de droit : en exerçant son droit dans l’intention
de nuire à autrui, le propriétaire commet une faute qui l’oblige à réparer le dommage
causé à autrui (Voir Chapitre III).

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Comme le prévoit l’article 544 du Code civil lui-même qui dispose : « la propriété est
le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on
n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements », une troisième
série de restrictions directes à l’exercice du droit de propriété provient de la loi et des
règlements.
§3 – La perpétuité de la propriété

La perpétuité de la propriété revêt une double signification.


Elle signifie d’abord que ce droit dure tant qu’existe la chose qui en est l’objet ; il
n’est pas enfermé dans une durée plus courte, à la différence de certains droits réels,
comme l’usufruit, ou des droits personnels, souvent affectés d’un terme. Tant que
demeure la chose, la propriété subsiste, même si elle change de titulaire.

Elle signifie ensuite que le droit de propriété ne s’éteint pas par le non-usage, à la
différence de l’usufruit (art. 617 C. civ.) ou de la servitude du fait de l’homme
(art. 706 C. civ.). Il n’y a pas à son endroit, prescription extinctive. Bien entendu, il se
peut que, pendant une plus ou moins longue période de non-usage par un propriétaire,
une autre personne acquière par prescription acquisitive la propriété du bien, mais c’est
alors ce processus acquisitif qui prive le propriétaire de son droit sur la chose; ce n’est
pas le non-usage de celle-ci.

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CHAPITRE III : LA PROPRIETE INDIVIDUELLE ET LES
RAPPORTS DE VOISINAGE

L’aménagement des relations de voisinage par le Code civil et la jurisprudence


repose essentiellement sur une considération individualiste, liée au désir d’éviter les
heurts, de faciliter la coexistence entre personnes privées, d’assurer l’indépendance
nécessaire à la vie des hommes, leurs sphères indispensables de liberté, d’intimité et de
tranquillité. A juste titre, l’on peut souhaiter avoir la paix chez soi. Mais on ne doit non
plus être indifférent à la paix de ses voisins, ainsi qu’à leurs biens.
Deux techniques juridiques ont été utilisées afin d’assurer, tant bien que mal,
l’harmonie entre voisins et l’intérêt des propriétés voisines. L’une relève directement
du droit des biens : il s’agit des servitudes légales de voisinage (Section I) ; l’autre
n’est pas sans lien avec le droit de la responsabilité civile : il s’agit des responsabilités
nées des rapports de voisinage (Section II).

SECTION I – LES SERVITUDES LEGALES DE VOISINAGE


Le voisinage peut être source de heurts, de dommages et de nuisances. Les éléments
comme l’air, la terre, l’eau et le feu facilitent la coexistence et permettent le progrès.
Mais ils peuvent aussi engendrer la discorde entre voisins. Deux d’entre eux ont appelé
plus particulièrement l’attention des rédacteurs du Code civil, qui ont, à leur sujet,
prévu des servitudes légales : la terre (§1) et l’eau (§2).
§1 – Les servitudes légales tenant à la terre
Les contraintes de voisinage s’ordonnent autour de trois considérations : il faut
délimiter les fonds voisins (A), respecter les distances (B) et assurer un passage en cas
d’enclave (C).
A – La délimitation des fonds voisins
Le Code civil comporte une réglementation assez minutieuse de deux sortes de
délimitations : le bornage et la clôture. Le bornage ayant été intégré en droit
camerounais dans la procédure d’obtention du titre foncier ou de morcellement, relève
du cours de droits fonciers. Nous nous intéresserons donc uniquement à la clôture.

68
La clôture des fonds est traitée d’une double manière par le Code civil, soit
comme une prérogative que l’on exerce, soit comme une obligation que l’on subit.
On parle dans ce dernier cas de clôture forcée. L’article 663 du Code civil dispose à
cet égard que chacun peut contraindre son voisin, dans les villes et faubourgs, à
contribuer aux constructions et réparations de la clôture faisant séparation de leurs
maisons, cours et jardins assis ès dites villes et faubourgs. Les conditions de
l’obligation de se clore se relient à plus d’un titre à la localité de l’obligation.
Tout d’abord, l’article 663 n’est applicable qu’aux héritages situés dans les « villes et
faubourgs ». Le terme faubourg servant à désigner la partie d’une ville se situant au-
delà de son enceinte, l’on peut souvent hésiter sur la détermination de la limite entre le
faubourg et la campagne.
En outre l’article 663 ne s’applique que lorsque les deux terrains sont affectés à
l’habitation ou dépendent d’une habitation. Si ce sont des prairies, des marais ou des
friches, il est inapplicable, même si ces terrains sont situés dans un faubourg.
Bien que cette exigence ne figure pas expressément dans la loi, il est nécessaire que les
fonds soient contigus (Req, 1er juill. 1857).
L’obligation de participer aux frais de la clôture n’est pas d’ordre public. Les
voisins peuvent donc renoncer à s’en prévaloir pourvu que cette renonciation soit
expresse (Req, 10 juin 1874 et 25 juill. 1928).
La loi détermine le genre de clôture. Il s’agit d’un mur de séparation. Une haie ou
une palissade ne suffiraient donc pas (Civ. 1er déc. 1857). L’article 663 suppose que
le mur est à construire. Un propriétaire ne saurait donc imposer à son voisin le
remboursement de la moitié du prix d’un mur déjà construit, c’est-à-dire le contraindre
à acheter la mitoyenneté (Req, 25 juill. 1928, Civ. 3 e, 9 juill. 1984). En n’usant pas,
lors de la construction, de la faculté que lui accordait la loi, le propriétaire est censé y
avoir renoncé. Il ne pourrait contraindre le voisin à acquérir la mitoyenneté que si
celui-ci avait effectivement utilisé le mur pour prendre appui. La jurisprudence
admet que le voisin peut s’affranchir de l’obligation mise à sa charge par l’article 663,
de même que l’obligation d’entretien, en abandonnant, conformément à l’article 656
sur la mitoyenneté, la moitié de la bande de terrain sur laquelle le mur est ou sera élevé
et, s’il y a lieu, la mitoyenneté du mur déjà construit (civ. 27 janv. 1874 et 26 juill.

69
1882).
B – Le respect des distances
Les rédacteurs du Code civil ont prévu des dispositions assez précises quant aux
plantations (1), quant aux constructions (2) et quant aux jours et aux vues sur le fonds
voisin (3).
1 – Les plantations
Pour éviter que les plantations nuisent au fonds voisin par leurs branches ou leurs
racines, les articles 671 à 673 du Code civil interdisent en principe à un propriétaire
d’avoir des arbres, arbrisseaux et arbustes jusqu’à l’extrême limite de son terrain.
La distance à observer pour les plantations est déterminée par des règlements
particuliers existants ou, à défaut, par des usages constants reconnus ; à défaut de
règlements et d’usage de ce genre, elle est fixée à deux mètres pour les plantations
dont la hauteur dépasse deux mètres, et à 0,50 m pour les autres (art. 671, al. 1).
Ces règles s’appliquent à toutes les plantations, même si elles croissent spontanément,
sauf toutefois aux arbres, arbustes et arbrisseaux de toute espèce qui peuvent être
plantés en espaliers, de chaque côté du mur séparatif, sans que l’on soit tenu
d’observer aucune distance, mais qui ne doivent pas dépasser la crête du mur (art. 671,
al. 2). Il en va ainsi seulement si le mur est mitoyen, c’est-à-dire s’il est la copropriété
des deux voisins ; s’il appartient exclusivement à l’un d’eux, son propriétaire a seul le
droit d’y appuyer ses espaliers (art. 671, al. 3).
Le voisin peut exiger que les arbres, arbrisseaux et arbustes plantés à une distance
moindre que la distance légale soient arrachés ou réduits à la hauteur requise (art. 672
C. civ.). Ce droit peut être exercé par le propriétaire ou l’usufruitier, non par le
fermier ou le locataire (civ. 5 mars 1850). Il a été décidé qu’il n’était pas susceptible
d’abus (Civ. 25 mars 1862 et 2 juill. 1867).
Il se peut que les branches ou les racines d’un arbre, d’un arbuste ou d’un
arbrisseau, même plantés aux distances légales, empiètent sur le fonds voisin. La
situation est régie par l’article 673 du Code civil, mais en des termes différents selon
qu’il s’agit des branches ou des racines, donc du dessus et du dessous. Aux termes de
l’article 673, al. 1er, « celui sur la propriété duquel avancent les branches des arbres,
arbustes et arbrisseaux du voisin peut contraindre celui-ci à les couper ». Il ne peut les

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couper lui-même, sauf autorisation préalable du propriétaire ou du juge. En revanche,
aux termes de l’alinéa 2 du même article, « si ce sont des racines, ronces ou brindilles
qui avancent sur son héritage, il a le droit de les couper lui-même à la limite de la ligne
séparative ». Ce pouvoir, que l’on peut présenter comme une manifestation du droit de
se faire justice à soi-même, s’explique pratiquement par le fait que le propriétaire du
terrain peut, en le creusant, couper involontairement des racines et ne saurait se le voir
reprocher ; il en va autrement des branches. Le droit de couper les racines et de faire
rogner les branches est imprescriptible (art. 673, al. 3).
2 – Les constructions
A la différence des plantations, les constructions peuvent être élevées à la limite même
des propriétés. S’il en va ainsi, observe-t-on traditionnellement, c’est parce que,
contrairement aux plantations, les constructions ne peuvent se prolonger d’elles-
mêmes. Mais cette règle de principe a été tempérée à l’article 674 du Code civil qui
fournit une énumération qui n’est d’ailleurs pas limitative (V. Civ. 10 juill. 1872) :
forage d’un puits ou d’une fosse d’aisances, construction de cheminée, forge, four,
fourneau, adossement d’une étable, établissement d’un magasin de sel ou amas de
matières corrosives. Le propriétaire qui effectue ces travaux ou ces dépôts s’oblige à
laisser, comme l’exige l’article 674 alinéa 5 du Code civil : « la distance prescrite par
les règlements et usages particuliers sur ces objets, ou à faire les ouvrages prescrits par
les mêmes règlements et usages, pour éviter de nuire au voisin »
3 – Les jours et les vues sur la propriété du voisin
Diverses considérations expliquent la réglementation des jours et des vues, c’est-à-dire
le droit de pratiquer des ouvertures dans le mur confinant à la propriété voisine, afin de
prévenir les animosités et les fâcheries. Il est tout à fait légitime de protéger de la sorte
l’intimité de la vie privée. Encore convient-il de préciser que les règles que l’on va
présenter ne concernent que les propriétés contiguës.
On distingue les jours et les vues.

Les jours – appelés parfois jours de souffrance ou de tolérance – sont des ouvertures à
verre dormant, c’est-à-dire ne s’ouvrant pas. Elles laissent passer la lumière à
l’exclusion de l’air. Elles ne permettent pas de se pencher pour regarder chez le
voisin.
71
Les vues sont des ouvertures ordinaires qui laissent passer l’air aussi bien que la
lumière. Elles sont soit fermées par une fenêtre susceptible d’être ouverte ou encore
par une porte, soit dépourvues de toute fermeture. Les vues peuvent être droites ou
obliques : elles sont droites si leur axe fictivement prolongé aboutit au fonds voisin ;
elles permettent de regarder commodément chez celui-ci. Ne constituent pas des vues
droites les intervalles existant entre les barreaux d’une grille de clôture, dès lors
qu’ils rendent possible la réciprocité de la vue (civ. 3e, 17 janv. 1973). Toutes les
autres vues sont obliques. Elles ne permettent de voir chez le voisin qu’en se penchant
ou en regardant de côté. Les balcons et terrasses de nature à procurer la vue sur le
fonds voisin sont assimilés par la jurisprudence aux vues, bien qu’il ne s’agisse pas
d’ouvertures à proprement parler (Civ. 1re sect. civ., 10 juill. 1957).
Lorsque les jours et les vues sont pratiqués sur un mur, le Code civil distingue
suivant que le mur est mitoyen ou ne l’est pas.
Lorsque le mur est mitoyen, l’article 675 dispose que « l’un des voisins ne peut, sans
le consentement de l’autre, pratiquer dans le mur mitoyen aucune fenêtre ou ouverture,
en quelque manière que ce soit, même à verre dormant ». Cette règle fort générale est
d’autant plus fondée qu’une ouverture se conçoit alors mal sans empiètement sur la
propriété du voisin.
Lorsque le mur n’est pas mitoyen, il convient de distinguer suivant que le mur joint
ou ne joint pas immédiatement le fonds du voisin.
Dans les parties du mur qui joignent immédiatement le fonds du voisin, le
propriétaire ne peut ouvrir que des jours de tolérance ou de souffrance. Le
propriétaire voisin pourrait faire supprimer ces jours en acquérant la mitoyenneté du
mur.
Si le mur est édifié en retrait de la ligne séparative des deux fonds, il peut y être
percé non seulement de jours, mais encore de vues.
Lorsqu’une ouverture a été irrégulièrement pratiquée, le propriétaire voisin peut en
exiger la modification ou la suppression. L’existence prolongée d’une ouverture
irrégulière peut cependant entraîner, du fait de la prescription, l’acquisition d’une
servitude de vue, mais non celle d’une servitude de jour, car l’on estime que
l’ouverture irrégulière d’un jour, sans opposition, ne manifeste qu’un acte de pure

72
faculté.

C – La servitude de passage en cas d’enclave


Lorsqu’un fonds est enclavé, c’est-à-dire quand il n’a aucun accès ou un accès
insuffisant à une voie publique, les articles 682 à 685 du Code civil donnent à son
propriétaire, pour permettre l’exploitation ou la réalisation d’opérations de
construction ou de lotissement, le droit de réclamer un passage sur les fonds qui le
séparent de la voie publique, à charge d’en indemniser les propriétaires.
Certaines circonstances peuvent s’opposer à la prétention du propriétaire du fonds
enclavé. Il en est ainsi :
- lorsque l’enclave est son fait volontaire, par exemple s’il a élevé une construction
qui interrompt l’accès d’une route conduisant à la voie publique ;
- lorsqu’il jouit soit d’un droit de passage conventionnel, même contesté, soit d’un
passage exercé en vertu d’une simple tolérance, tant que celle-ci est maintenue.
En outre, lorsque l’enclave provient de la division d’un fonds par suite d’un contrat, tel
qu’une vente, un échange ou un partage, le propriétaire du fonds enclavé ne peut, en
principe, réclamer le bénéfice de l’article 682, et doit demander le passage sur les
terrains ayant fait l’objet de ce contrat (art. 684 c. civ.)

§2 – Les servitudes légales tenant à l’eau


Il s’agit de l’égout des toits (A) et des servitudes d’écoulement des eaux (B).
A – L’égout des toits
Aux termes de l’article 681 du Code civil, « tout propriétaire doit établir des toits de
manière que les eaux pluviales s’écoulent sur son terrain ou sur la voie publique ; il ne
peut les faire verser sur le fonds de son voisin ». Certes, il n’est pas tenu d’empêcher
que ces eaux de pluie une fois tombées sur son terrain s’écoulent sur le fonds voisin
(Civ. 3e, 7 nov. 1972 et 11 mai 1976). Il ne répond non plus du sort des eaux pluviales
régulièrement déversées sur la voie publique, même si elles rejaillissent ensuite sur le
mur d’un voisin (Civ. 3e, 4 févr. 1976). Mais il ne peut édifier son toit de façon que les
eaux pluviales qui y tombent se déversent sur le fonds voisin. Elles ne peuvent

73
s’écouler sur celui-ci qu’une fois tombées sur le fonds du propriétaire de la
construction, en suivant leur pente naturelle. Il ne peut même pas laisser s’égoutter les
eaux de pluie sur son terrain sans prendre les précautions nécessaires pour éviter
qu’elles nuisent au mur du voisin par affouillement (Req, 8 janv. 1928).
B – Les servitudes d’écoulement des eaux
Les fonds inférieurs sont assujettis, envers ceux qui sont plus élevés, à recevoir les
eaux qui en découlent naturellement sans que la main de l’homme y ait contribué (art.
640 al. 1 C. civ.). L’écoulement des eaux fait ainsi l’objet d’une servitude dite
naturelle. Comme conséquence, le propriétaire du fonds inférieur ne peut élever aucun
ouvrage qui empêche cet écoulement (art. 640 al. 2 C. civ.). S’il élève un mur, ce qui
est son droit, il est tenu d’y aménager des ouvertures destinées à laisser s’écouler les
eaux.
La servitude concerne non seulement les eaux de pluie, mais également les eaux
de source. Mais elle n’existe que pour les eaux qui découlent naturellement du fonds
supérieur sans que la main de l’homme y ait contribué. Elle ne s’applique donc pas aux
eaux ménagères ou résiduaires, ni à l’égout direct des toits.
Le propriétaire du fonds supérieur ne doit rien faire qui aggrave la charge imposée par
la loi au fonds inférieur (art. 640 al. 3 C. civ.). Il ne doit pas, notamment, contaminer
les eaux de pluie ou de source.
Toutefois, la loi du 8 avril 1898 a donné au propriétaire du fonds supérieur le droit
d’aggraver la situation du fonds inférieur dans les deux cas suivants, étant précisé que
l’aggravation n’est permise que si les eaux sont utilisées dans un dessein agricole ou
industriel :
- lorsque le propriétaire fait des eaux un usage ou leur donne une direction aggravant
la situation du fonds inférieur, le propriétaire de celui-ci est tenu de les recevoir, mais
une indemnité lui est due (art. 641, al. 2) ;
- lorsque par des sondages ou des travaux souterrains, un propriétaire fait surgir des
eaux dans son fonds, les propriétaires des fonds inférieurs doivent les recevoir, mais ils
ont droit à une indemnité s’ils subissent de ce fait un dommage (art. 641 al. 4).
La portée de ces dispositions est limitée en ce que les maisons, cours, jardins, parcs et
enclos attenant aux habitations ne peuvent être assujettis à une telle aggravation (art.

74
641, al. 5).

SECTION II – LES RESPONSABILITES NEES DES RAPPORTS DE


VOISINAGE
(Voir TD)
L’exercice du droit de propriété, même contenu dans les limites précises qui ont été
indiquées, entraîne souvent des dommages pour les propriétés voisines. Il s’agit alors
de savoir si l’auteur de l’acte dommageable peut être déclaré responsable en dépit de la
maxime « neminem laedit qui suo jure utitur » (celui qui fait usage de son droit ne lèse
personne).
En droit français comme en droit camerounais, le propriétaire peut être responsable
conformément au droit commun de la responsabilité civile lorsqu’il a commis une
faute (§1). Il l’est également, lorsqu’il a causé à ses voisins un dommage qui dépasse
les inconvénients habituels inhérents au voisinage (§2).
§1 – La responsabilité découlant de la faute du propriétaire
Le propriétaire est, cela va sans dire, responsable d’après le droit commun des articles
1382 et 1383 du Code civil, si, par sa faute, il a causé un dommage à autrui, l’exercice
légitime du droit de propriété s’arrêtant là où il y a faute. La faute du propriétaire est
appréciée in abstracto : on déterminera un type idéal de propriétaire soigneux et
diligent qui parviendrait à concilier son intérêt individuel avec celui de ses voisins. On
déclarera en faute celui qui ne s’est pas comporté comme ce propriétaire soigneux et
diligent.

Il y a faute du propriétaire dans trois hypothèses : en cas de violation des lois et


règlements, d’imprudence ou négligence et d’abus de droit.

Dans ce dernier cas, le propriétaire est responsable d’après le droit commun lorsqu’il
use de sa propriété, non pas pour son agrément ou son profit personnel, mais
uniquement dans l’intention de nuire à son voisin. Le dommage peut être l’effet de
l’activité du propriétaire, il ne saurait jamais en constituer le but. Il y aurait alors abus
du droit de propriété. Cette règle a été appliquée au propriétaire élevant, pour nuire à
ses voisins, une fausse cheminée qui obscurcit leur demeure (Colmar 2 mai 1855) ; à

75
celui qui a édifié des ouvrages énormes garnis de pointes acérées, destinées à déchirer
les enveloppes des dirigeables sortant d’un hangar voisin (aff. dite Clément-Bayard :
Trib. Civ. Compiègne, 12 févr. 1913 ; Amiens 12 nov. 1913 et Req 10 juin 1902) ; à
celui qui abuse d’un domaine souterrain en y pratiquant des fouilles en vue de tarir les
sources jaillissant sur le fonds contigu (Lyon 18 févr. 1856) ; à celui qui utilise son
fonds pour organiser un tapage assourdissant destiné à effrayer le gibier et à rendre
infructueuse la chasse en cours sur le fonds voisin (Paris 2 déc. 1871).
On peut considérer également comme abusifs les actes accomplis par un propriétaire
même en vue d’un intérêt égoïste, mais lorsque cet intérêt n’est pas sérieux et légitime,
par exemple si un propriétaire foncier rend la vie intenable à son voisin dans l’espoir
que celui-ci se portera acquéreur de son domaine au plus haut prix afin de se
débarrasser d’un gêneur (v. aff. Clément-Bayard suscitée).
§2 – La responsabilité pour inconvénients anormaux de voisinage
En dehors de la responsabilité que le propriétaire peut encourir lorsqu’il y a de sa part
violation d’une loi ou d’un règlement, imprudence ou négligence, ou bien intention de
nuire, Un propriétaire a-t-il le droit de faire tout ce qui ne lui est pas interdit
expressément ? Une telle solution eût conduit à des résultats injustes. Depuis le Code
civil 1804, les rapports entre propriétaires voisins se sont, en effet, considérablement
modifiés en raison des profondes transformations du milieu économique. Ainsi,
l’exploitation normale des chemins de fer fut source de fréquents dommages, dus par
exemple à la fumée des locomotives ou aux trépidations occasionnées par la marche
des trains. En outre, des établissements industriels importants ont été créés un peu
partout, causant des dommages nombreux et inévitables. Le plus souvent, aucune faute
caractérisée ne peut être relevée à la charge du propriétaire. Mais les propriétés
voisines souffrent un préjudice qu’il eût été injuste de laisser à leur charge. Aussi une
jurisprudence très abondante admet-elle la responsabilité du propriétaire dans tous les
cas où on peut lui reprocher un exercice exceptionnel ou anormal de son droit ayant
entraîné un préjudice excédent la mesure des obligations de voisinage : c’est une usine,
une industrie qui répandent des odeurs malsaines, des émanations putrides ou des
fumées délétères (Civ. 18 févr. 1907 ; Req., 14 févr. 1910 ; Civ., 30 nov. 1961) ; c’est
une profession bruyante dont l’exercice incommode les voisins (Orléans 22 nov.

76
1889) ; c’est un dépôt de charbon installé dans la banlieue d’une ville et qui diffuse des
poussières fort désagréables pour les voisins (Req., 10 avr. 1905) ou une porcherie
établie à proximité d’une propriété d’agrément (Req., 5 déc. 1904).
Dans la plupart des cas, la responsabilité du propriétaire est engagée, alors qu’il n’a
commis aucune faute caractérisée. Il a causé un dommage à autrui sans pouvoir
l’éviter, en exerçant un droit qui présente pour lui un intérêt certain. Et la
jurisprudence, évacuant non seulement l’exigence d’une faute caractérisée, mais
encore la référence à une considération de culpabilité, a même décidé que l’existence
d’une faute quelconque n’était pas nécessaire pour qu’il y ait responsabilité pour
inconvénients anormaux de voisinage (Civ. 1re, 23 mars 1982).
Il n’y a pas de critère précis permettant de déterminer la limite que ne doit pas
dépasser le propriétaire. C’est une question de fait tranchée souverainement par les
juges du fond (Civ. 20 janv. 1963). On doit cependant ne reconnaître le droit à
réparation aux victimes du trouble anormal que si le dommage atteint un certain degré
de gravité. En effet, la vie en commun serait impossible si chacun ne devait supporter
certains inconvénients.
Dans l’appréciation de la responsabilité, les juges doivent faire appel à des
considérations tenant à l’époque et au lieu. Ainsi, lorsqu’un établissement industriel
est créé dans une ville, on tiendra compte du quartier dans lequel il est établi : ce qui
est admissible dans tel quartier peut être anormal dans tel autre.
L’auteur d’un trouble peut-il arguer de l’antériorité de son exploitation ?
La jurisprudence dominante ne tient pas compte de l’antériorité de l’exploitation de
l’auteur du trouble, sinon un propriétaire pourrait, du seul fait de l’antériorité de son
installation, grever les fonds voisins d’une véritable servitude, restreignant en fait leur
usage (Civ. 10 févr. 1907 ; 4 déc. 1935 ; 20 févr. 1960). On peut, en revanche,
permettre de se prévaloir de l’antériorité de l’exploitation lorsqu’il y a une sorte de
pré-occupation collective. Ainsi, dans un quartier industriel, déjà couvert d’usines, le
propriétaire d’un terrain serait mal venu à y faire bâtir une villa et à se plaindre ensuite
des inconvénients du voisinage (V. Civ. 2e, 22 janv. 1969).
Pour caractériser le caractère anormal ou non du trouble, la jurisprudence tend à
prendre en considération la réceptivité personnelle. Elle détermine le dommage

77
supportable en fonction de chaque victime. Ainsi, l’exploitant d’une clinique a été
admis à se plaindre du trouble que provoque la proximité d’une usine (Nancy, 12 avr.
1923), ce qu’un autre exploitant n’aurait pas été en droit de faire. La réceptivité
personnelle du voisin n’écarte toutefois la responsabilité de l’auteur du dommage qu’à
condition d’être fautive. Ainsi, celui qui est nerveux en raison d’une blessure de guerre
pourra se plaindre, et non pas un alcoolique.
Les tiers victimes d’un trouble anormal de voisinage peuvent s’adresser aux tribunaux
pour obtenir à la fois des dommages-intérêts et la défense faite à l’auteur des
agissements dommageables de persévérer dans l’avenir. L’exécution de cette dernière
condamnation peut être assortie d’une astreinte. Cependant, lorsque l’établissement
source de dommage excessif fonctionne en vertu d’une autorisation administrative, les
tribunaux judiciaires ne peuvent procéder à cette défense de continuer l’activité
préjudiciable (CA du Centre, arrêt n° 105 du 6 août 1975). Ils ne peuvent qu’accorder
des dommages-intérêts et ceux-ci pourront revêtir la forme d’une rente appelée à se
prolonger tant que durera le dommage causé par l’activité considérée (Req., 5 déc.
1904). Ils peuvent toutefois également ordonner des travaux propres à diminuer
l’inconvénient (Civ. 1re, 5 nov. 1963). De même, la suppression de l’ouvrage ou de
l’exploitation ne pourra pas être envisagée lorsqu’elle apparaît comme étant hors de
proportion avec l’inconvénient constaté. Il y aura lieu à réparation sous forme de
dommages-intérêts (Civ. 2e, 22 janv. 1970 et 13 janv. 1972).

78
CHAPITRE IV : LA PROPRIÉTÉ APPARENTE (Voir TD)

Il arrive que, fondée sur l’apparence, la croyance erronée dans l’existence d’une
situation juridique, conduise, dans certaines conditions, à faire prévaloir certains effets
de cette apparence sur la réalité juridique en vertu de la maxime « error communis
facit jus » (l’erreur commune est créatrice de droit).

Le propriétaire apparent est celui que le public considère comme ayant la propriété
d’un bien qui appartient en réalité à une autre personne. On est donc tenté de penser
que la propriété apparente est en quelque sorte la possession d’état de propriétaire.

Le domaine de prédilection de l’application de la propriété apparente est celui de


l’héritier apparent. Supposons qu’un tel héritier ait vendu un immeuble de la
succession à un tiers. Si l’on obligeait ce tiers, après avoir découvert la réalité, à rendre
l’immeuble, le crédit public subirait une grave atteinte. En effet, rien ne pouvait
renseigner le tiers sur le risque qu’il courait en achetant l’ immeuble d’un héritier
apparent, et pourtant on le dépouille. Dans ces conditions, plus personne n’oserait
acheter un immeuble d’un héritier, ou tout au moins on attendrait pour acheter que cet
héritier ait consolidé son droit par la prescription acquisitive, si on est droit français.
C’est dire que des entraves considérables seraient mises à la transmission des
immeubles.

Mais, à l’inverse, il ne faut pas dissimuler que, si l’on fait prévaloir les intérêts du tiers
acquéreur, on porte une très grave atteinte au droit de propriété, car l’un des caractères
de ce droit est d’être absolu ; il doit par conséquent pouvoir être invoqué vis-à-vis de
tout le monde, même de ceux qui l’ignoraient. Au surplus, une maxime juridique et
logique énonce : « nemo dat quod non habet » (personne ne peut transférer un droit
qu’il n’a pas). En vertu de cette maxime, la propriété n’a pu valablement être
transférée par l’héritier apparent parce que ce dernier n’était pas propriétaire.

La jurisprudence a réglé ce conflit en validant les actes du propriétaire apparent. Il


convient de voir les conditions de validité de ces actes (§1) ainsi que les rapports entre
le propriétaire véritable et le propriétaire apparent (§2).

79
§1 – Les conditions de validité des actes du propriétaire apparent

Si la maxime error communis facit jus est susceptible de s’appliquer aux actes passés
par un propriétaire apparent, des conditions strictes doivent cependant être exigées.

La bonne foi de l’acquéreur mis en possession suffit, en matière mobilière, pour le


rendre propriété, car le plus souvent l’origine des meubles ne peut être vérifiée.

En matière immobilière, les transactions sont moins rapides, et une publicité est
organisée ; aussi, selon les principes relatifs à la prescription acquisitive en droit
français, l’acquéreur de bonne foi qui a traité avec un non-propriétaire ne devient-il
propriétaire qu’après un délai de possession assez long : de dix à vingt ans.
L’application de la théorie de l’apparence rendant le tiers acquéreur
immédiatement propriétaire par l’effet de la loi, sans même qu’il soit nécessaire
qu’il ait pris possession, il faut exiger des conditions beaucoup plus strictes que
pour l’usucapion abrégée de dix à vingt ans ; la bonne foi de l’acquéreur ne suffit
donc pas en matière immobilière pour faire jouer la règle error communis facit jus,
sinon les dispositions relatives à l’usucapion de dix à vingt ans seraient totalement
inutiles. C’est pourquoi, outre la bonne foi de l’acquéreur, la jurisprudence exige
que celui-ci ait été victime d’une « erreur commune et invincible ».

Deux conditions sont ainsi requises pour la validité des actes du propriétaire apparent
ou bien pour que le tiers qui a traité avec le propriétaire apparent devienne
immédiatement propriétaire : la bonne foi du tiers acquéreur (A) et l’erreur du tiers
acquéreur doit être commune et invincible (B).

A – la bonne foi du tiers acquéreur

Le tiers acquéreur est de bonne foi, s’il a cru acquérir du véritable propriétaire le droit
de propriété ou tout autre droit réel. C’est la condition fondamentale car toute la
théorie de l’apparence n’a été échafaudée que pour protéger les tiers de bonne foi. La
condition est d’ailleurs facile à remplir : il suffit que l’erreur ait été commise, au
moment de l’acquisition, par l’ayant cause sur la qualité de son auteur. Ici comme en
toute matière, la bonne foi se présume, et l’erreur de droit est prise en considération

80
aussi bien que l’erreur de fait. Il y a là une situation que l’on peut rapprocher de celle
que prévoit l’article 2279 ; c’est également la bonne foi qu’on a voulu protéger dans ce
texte. Mais, dans le cadre de l’article 2279, il faut, en outre, une mise en possession ;
alors que dans le cadre de la propriété apparente, la mise en possession  est
absolument inutile. Peu importe que le tiers acquéreur n’ait pas été mis en possession
du bien ; il suffit que le contrat ait été passé.

B – L’erreur du tiers acquéreur doit être commune et invincible

Outre la bonne foi du tiers, une erreur commune sur le titre du propriétaire apparent
est exigée. Il ne suffit pas que l’acquéreur du bien s’y soit trompé, il faut qu’une erreur
commune existe à ce sujet. On n’exige cependant pas que tout le monde se soit
effectivement trompé, il suffit que chacun ait pu se tromper. L’acquéreur devra faire
la preuve de cette condition.

De nombreuses décisions se contentent de l’erreur commune. D’autres exigent en plus


qu’elle soit invincible. Mais même les décisions qui n’exigent pas expressément une
erreur invincible ne se contentent pas d’une apparence de nature à tromper un homme
quelconque, mais un type idéal d’homme rompu aux affaires. Cette exigence paraît
indispensable : pour que soit tolérée au nom de l’apparence la grave atteinte au droit de
propriété qu’entraîne la théorie de la propriété apparente, il faut que la cause de la
nullité du titre du propriétaire apparent ait été nécessairement ignorée de tous. Au
surplus la prise en considération d’une erreur commune quelconque n’ajouterait
généralement rien à la condition de bonne foi ; dès lors, les règles de la propriété
apparente aboutiraient à supplanter l’usucapion abrégée que le Code civil a instituée
pour protéger le tiers de bonne foi qui a traité avec un non-propriétaire.

§2 – Les rapports entre le propriétaire véritable et le propriétaire apparent

La théorie de l’apparence, destinée uniquement à protéger les tiers, n’a aucun effet
dans les rapports entre le propriétaire véritable et le propriétaire apparent. Le
règlement de comptes entre les deux est dominé par une distinction entre le
propriétaire apparent de bonne foi et le propriétaire apparent de mauvaise foi.

81
A – Le propriétaire apparent de bonne foi

Il est traité avec faveur :

- il garde les fruits qu’il a perçus, conformément aux articles 549 et 550 du Code
civil ;

- il ne répond pas des détériorations, même survenues par son fait, sauf s’il en a retiré
profit et seulement dans la mesure de son enrichissement ;

- s’il a aliéné le bien, il doit restituer le prix qu’il a reçu, et rien de plus, même s’il est
inférieur à la valeur du bien cédé.

B – Le propriétaire apparent de mauvaise foi

Il est traité sévèrement :

- il doit restituer tous les fruits, ceux qu’il a perçus et ceux qu’il a négligé de
percevoir ;

- il répond de toutes les détériorations imputables à son fait, et même de celles qui
sont dues à un cas de force majeure, du moins s’il ne justifie pas qu’elles se seraient
également produites entre les mains du propriétaire véritable ;

- s’il a aliéné le bien, il est comptable de l’entière valeur actuelle de ce bien, alors
même qu’il l’aurait vendu à vil prix.

82
TITRE III : LES PROPRIETES COLLECTIVES

Si les rédacteurs du Code civil ont conçu le droit de propriété comme un droit
essentiellement individuel, conférant à une personne physique ou morale le monopole
de l’usage, de la jouissance et de la disposition d’une chose, ils n’ont pu totalement
ignorer certaines formes d’appropriation collective, soit parce qu’elles sont
inéluctables telle que l’indivision post mortem, soit parce qu’elles faisaient déjà partie
intégrante de l’éventail des concepts et techniques juridiques (personnalité morale,
copropriété des immeubles bâtis, mitoyenneté).
Le Code civil n’a cependant réservé aux modes collectifs d’appropriation qu’une place
réduite, consacrant respectivement un seul article à l’indivision (article 815 C. civ.) et
à la copropriété des appartements (art. 664 C. civ.). Ce laconisme procédait, semble-t-
il, d’une attitude délibérée. Les rédacteurs du Code civil étaient hostiles à la propriété
collective, estimant qu’il y avait là un danger politique, en raison de la puissance que
les groupements privés pourraient ainsi acquérir, et un danger économique, la
propriété collective, même aux mains de l’Etat, leur paraissant peu propice à une
bonne exploitation des terres.
Une conjonction de facteurs divers a par la suite favorisé l’essor, sous diverses formes,
de l’appropriation collective. S’il y a lieu de citer, comme toile de fond, une révolution
certaine des idées, c’est, d’une part, le développement du commerce et de l’industrie
qui a plus directement conduit à la multiplication des sociétés, et c’est d’autre part, la
démographie et l’urbanisation qui ont suscité un accroissement considérable du parc
immobilier soumis au régime de la copropriété par appartements.
Les formes d’appropriation collectives sont diverses mais une seule intéresse le droit
des biens : la copropriété. Elle est applicable à toute espèce de droit réel. Elle est
même applicable aux droits personnels. Mais de manière générale, elle se présente
sous deux formes : la première est celle dans laquelle on peut mettre fin par un
partage : c’est la copropriété ordinaire ou simple (Chapitre I). Dans la deuxième forme
par contre, il est interdit de partager le bien indivis : c’est la copropriété forcée ou
perpétuelle ou copropriété avec indivision forcée (Chapitre II).

83
CHAPITRE I : LA COPROPRIETE OU INDIVISION ORDINAIRE

Cette forme de copropriété peut provenir de plusieurs situations et porter sur


toute sorte de bien : meubles ou immeubles, isolés ou constituant une masse
(universalité). Elle provient le plus souvent de l'ouverture d'une succession, de la
dissolution d'une communauté conjugale ou d'une société. Elle peut aussi provenir de
l'acquisition d'un bien commun par plusieurs personnes.
La copropriété ordinaire pose deux questions essentielles : celle des droits des
copropriétaires (Section I), et celle de la durée de l'indivision (Section II).

Section I - Les droits des copropriétaires


Les copropriétaires ont des droits sur leur quote-part (§1) et sur la chose elle-
même (§2).
§1 - Les droits sur la quote-part
Chaque copropriétaire a sur la chose, une quote-part idéale non localisée. Il a
sur celle-ci, les mêmes prérogatives que s'il était seul propriétaire. Cependant, compte
tenu du fait que les opérations (aliénation, hypothèque, etc.) portant sur la quote-part
sont dangereuses (ce qui s'explique par le fait que le partage a un effet rétroactif),
certaines restrictions sont apportées aux droits du copropriétaire sur sa quote-part :
- l’article 2205 du Code civil interdit aux créanciers de l'hériter de faire vendre
la part indivise de leur débiteur dans les immeubles de la succession ;
- si celui qui aliène sa quote-part ou constitue sur celle-ci des droits réels tels
qu’une hypothèque n'est pas en définitive attributaire de la portion aliénée ou
hypothéquée, ces opérations s’effondrent et sont annulées.

§2 - Les droits sur la chose elle-même


Les droits de chaque copropriétaire sur la chose sont limités par ceux des autres.
Chacun d'eux peut se servir de la chose, mais à condition de ne pas porter atteinte à sa
destination ni aux droits des autres. Pour l'exercice des actions relatives à la chose,
ainsi que pour l’accomplissement des actes d’administration et de disposition, le
consentement unanime des coindivisaires est nécessaire. Cela rend la gestion de la
chose indivise très lourde, d'où peut-être l'intérêt d'y mettre fin le plus tôt possible.

84
Section II - La durée de l'indivision
L'indivision ordinaire a un caractère essentiellement temporaire. L'article 815
alinéa 1, du Code civil dispose en effet que : « Nul ne peut être contraint à demeurer
dans l'indivision et le partage peut toujours être provoqué nonobstant prohibition et
convention contraires ». Ce partage met rétroactivement fin à l'indivision. Néanmoins
on peut la maintenir :
- par une convention prolongeant l'indivision pour 5 ans. Cette convention
prend automatiquement fin à l'expiration de ce délai, sauf renouvellement
expressément consenti par les coindivisaires (article 815, alinéa 2 du Code civil) ;
- pour les biens particuliers ne devant pas être dispersés tels que les biens de
famille.

85
CHAPITRE II : LA COPROPRIETE FORCEE OU PERPETUELLE

Cette forme de copropriété porte sur les biens ayant reçu une affectation par la loi
ou par la volonté des particuliers. Le partage ne peut donc pas intervenir tant que durera
l'affectation. Il en existe deux sortes : les murs et autres clôtures mitoyens(Section I) et
les immeubles divisés en plusieurs lots appartenant à plusieurs propriétaires (Section II).

SECTION I : LA MITOYENNETE DES CLOTURES


Une clôture est mitoyenne quand elle appartient indivisément aux propriétaires des
deux fonds qu’elle sépare. La mitoyenneté peut s’appliquer à toute clôture : mur, fossé,
haie, barrière, etc. La clôture mitoyenne s’oppose à la clôture privative, qui est la
propriété exclusive de l’un des propriétaires des fonds voisins.
La mitoyenneté offre un certain nombre d’avantages : économie d’espace,
spécialement dans les villes ; partage des frais d’édification ; possibilité pour les deux
copropriétaires d’appuyer leurs constructions sur le même mur.

L’étude de la mitoyenneté des clôtures sera articulée autour de trois points :

- Acquisition et extinction de la mitoyenneté (Sous-Section I) ;


- Preuve de la mitoyenneté (Sous-Section II) ;

- Droits et obligations des copropriétaires (Sous-Section III).

Sous-Section I : Acquisition et extinction de la mitoyenneté


A – Acquisition de la mitoyenneté
Les modes d’acquisition de la mitoyenneté sont divers. Celle-ci peut résulter d’abord,
pour toutes les clôtures, de la convention (1), ainsi que de la prescription acquisitive
(2). En ce qui concerne spécialement les murs, elle peut procéder aussi de la volonté
unilatérale de l’un des voisins, qui peut, si certaines conditions sont remplies, obliger
son voisin à édifier à frais communs un mur mitoyen (3) et qui est en toute hypothèse
en droit d’acquérir la mitoyenneté du mur privatif existant (4). Enfin, selon une
opinion, la mitoyenneté peut résulter du mécanisme de l’accession (5).
1 – L’acquisition de la mitoyenneté par convention
Deux voisins peuvent convenir d’établir une clôture à frais communs ou bien un

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propriétaire, ayant établi une clôture à titre privatif, peut consentir à son voisin une
cession de mitoyenneté à titre onéreux ou à titre gratuit. En pareil cas, la convention
réglera les conditions de l’opération : partage des frais de construction ou prix de la
cession.
2 - L’acquisition de la mitoyenneté par prescription acquisitive
Si un propriétaire appuie des ouvrages ou constructions sur ou contre un mur
appartenant privativement à son voisin, il commet une voie de fait et s’expose à voir
son voisin l’obliger à démolir les ouvrages édifiés, ou du moins à acquérir la
mitoyenneté. La question se pose cependant de savoir si le propriétaire qui appuie ainsi
ses ouvrages ou constructions sur ou contre un mur appartenant privativement à son
voisin, peut devenir copropriétaire du mur privatif par l’effet de la possession. La
réponse semble positive nonobstant le fait que la possession n’est plus un mode
d’acquisition de la propriétaire immobilière en droit camerounais depuis la réforme
foncière de 1974.
3 - L’acquisition de la mitoyenneté par la volonté unilatérale : droit d’obliger le
voisin à construire un mur mitoyen à frais communs
Cette hypothèse n’est autre que celle de la « clôture forcée » prévue par l’article 663
du Code civil qui dispose que dans « les villes et les faubourgs », un propriétaire peut
ainsi « contraindre son voisin … à contribuer aux constructions et réparations de la
clôture faisant séparation de leurs maisons, cours et jardins… ». La jurisprudence
admet cependant que ce voisin puisse se soustraire à cette obligation en abandonnant
la mitoyenneté, c’est-à-dire la propriété de la bande de terrain correspondant à la
moitié de l’épaisseur du mur.
4 - L’acquisition de la mitoyenneté par la volonté unilatérale : droit d’acquérir la
mitoyenneté d’un mur
S’il existe un mur joignant la limite d’un fonds, mais sans empiètement sur le terrain
du voisin, l’article 661 du Code civil permet à celui-ci d’exiger la cession de la
mitoyenneté. Est ainsi institué un véritable droit d’expropriation pour cause d’utilité
privée, mais dans lequel l’intérêt général trouve également son compte, par l’économie
de terrain, de matériaux et de main-d’œuvre qu’il permet.
Celui qui use de la faculté d’acquérir la mitoyenneté d’un mur n’a pas à rendre compte

87
des raisons pour lesquelles il l’exerce : cette faculté est discrétionnaire et « absolue »
(cf. Civ., 11 mai 1925, DH 1925, p. 449). Il n’est d’ailleurs pas obligé d’acquérir la
mitoyenneté du mur tout entier et peut limiter sa demande à une partie du mur, soit en
longueur, soit même en hauteur (Req., 27 févr. 1939, D. 1939, p. 226 : cette faculté est
surtout utile à celui qui acquiert la mitoyenneté afin de pouvoir appuyer une
construction et qui n’entend le faire que sur une partie du mur, en longueur ou en
hauteur), mais non en épaisseur (TGI Laval, 1er févr. 1972, D. 1972, somm., p. 68).
Rien ne lui interdit, s’il en éprouve le besoin, de renouveler l’opération pour une
nouvelle partie du même mur, notamment après exhaussement (art. 660 du Code civil)
(CA Paris, 28 oct. 1941).
La cession forcée a pour objet les murs seulement et non les autres espèces de
clôtures (civ., 15 déc. 1857, DP 1858, 1, p. 56 ; 26 juill., 1882, DP 1883, 1, p. 342).
Toute justification de semblable prérogative fait défaut dans les autres hypothèses, ce
qui explique que l’article 668 du Code civil (modifié par la loi du 20 août 1881), écarte
expressément la cession forcée de la mitoyenneté d’un fossé ou d’une haie.
Le mur doit joindre le fonds voisin (art. 661 C. civ.), de telle sorte qu’il forme clôture
entre les deux fonds contigus. Si le mur a été élevé en retrait, la condition voulue par la
loi fait défaut ; si le voisin veut se clore, il lui faudra construire un mur à son tour. Il se
peut, d’ailleurs, que le constructeur du premier mur ait réservé de l’espace laissé libre,
pour un passage ou pour se réserver la faculté d’ouvrir dans son mur des jours ou des
vues.
Le mur dont le voisin se propose d’acquérir la mitoyenneté doit être dans le
commerce. S’il ressortit au domaine public, il échappe, en raison de son inaliénabilité,
au régime de la mitoyenneté forcée, laquelle emporte aliénation (Civ., 14 févr. 1900,
DP 1900, 1, p. 593, note DE LOYNES).
Enfin, le droit d’acquérir la mitoyenneté ne saurait être exercé lorsque le propriétaire
du mur a acquis, par titre ou par prescription, des servitudes, notamment de vue, qui
seraient incompatibles avec la mitoyenneté (Req., 13 janv. 1879, DP 1879, 1, p. 118).
La personne pouvant exiger la cession de mitoyenneté est le propriétaire du fonds
voisin. Le bénéfice de l’article 661 doit cependant être étendu, d’après la doctrine, à
l’usufruitier et à l’emphytéote, en raison des droits réels dont ils sont investis sur le

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terrain nu, mais non au simple locataire ou fermier, qui n’a qu’un droit personnel de
jouissance (Civ., 27 juin 1892, DP 1892, 1, p. 379).
Seul le propriétaire désirant acquérir la mitoyenneté peut exiger de son voisin la
cession de celle-ci. Le propriétaire d’un mur déjà construit ne peut pas,
réciproquement, contraindre son voisin à acquérir la mitoyenneté (cf. supra). La
jurisprudence admet cependant, sur des fondements divers et incertains, que le
propriétaire du mur sur lequel le voisin a, sans droit, appuyé des constructions peut
exiger de celui-ci, soit la démolition des ouvrages érigés, soit l’acquisition de la
mitoyenneté (cf. Req., 9 mai 1939, DH 1939, p. 388).
Le propriétaire voisin qui exige l’acquisition de la mitoyenneté ne peut y prétendre que
moyennant paiement du prix de la part indivise du mur revendiqué, c’est-à-dire de la
moitié du mur ou de la partie du mur devenant mitoyen et de la moitié du terrain
constituant l’assiette de ce mur.
5 - L’acquisition de la mitoyenneté par accession
L’hypothèse est celle du mur édifié dès l’origine par l’un des propriétaires,
volontairement ou par erreur, à cheval sur la limite séparative de leurs fonds. Il ne
peut être question d’appliquer l’article 661 dans ce cas, dès lors que le propriétaire du
fonds voisin, sur lequel le mur construit empiète, est devenu de plein droit, par le
mécanisme de l’accession, propriétaire de la partie du mur assise sur son terrain.
Ce sont donc les règles propres au mécanisme de l’accession qu’il y aurait lieu, à
première vue, d’appliquer : article 555 du Code civil et loi du 14 juillet 1980. Pourtant,
cette hypothèse diffère de celle de la construction sur le terrain d’autrui prévue par ces
textes, en ce que, en vertu de l’article 663 du Code civil, chaque propriétaire peut, du
moins « dans les villes et faubourgs », contraindre son voisin à contribuer à la
construction d’une clôture. Il serait incompréhensible que le constructeur du mur,
ayant omis de se prévaloir en temps utile de la règle de l’article 663, puisse être
contraint de le démolir, tout en conservant le droit d’obliger son voisin, l’instant
d’après, à le reconstruire à frais communs.
Cette solution devant être exclue, il ne subsiste plus qu’un problème d’indemnisation,
lui-même circonscrit à la valeur du mur, à l’exclusion de celle du terrain. Le calcul de
l’indemnisation ainsi limitée a suscité des hésitations en jurisprudence, plusieurs

89
raisonnements pouvant être envisagés :
- application analogue de l’article 555, le droit d’exiger la démolition étant écarté, le
propriétaire débiteur ayant le choix entre la valeur de la plus-value de son fonds et le
coût des matériaux et de la main-d’œuvre, estimé à la date du remboursement et
compte tenu de l’état du mur à cette date (cf. T. civ. Lille, 15 oct. 1948, D. 1949, 1, p.
79) ;
- application de l’article 660 relatif à l’exhaussement, l’indemnité étant de la moitié de
la dépense estimée à la date de l’acquisition et compte tenu de l’état du mur (cf. Paris,
28 mai 1935, DH 1935, p. 420) ;
- application de l’article 663, l’indemnité étant de la moitié du coût de construction,
sans valorisation, solution retenue par d’assez nombreuses décisions (cf. T. civ. Lille,
30 avr. 1958, Gaz. Pal., 1958, 2, p. 319), mais qui présente l’inconvénient, si la
question n’est pas évoquée à une époque voisine de la construction, de ne procurer au
constructeur qu’une indemnisation dévalorisée.
En définitive, c’est l’application par analogie de l’article 661, limitée à ses dispositions
relatives au calcul de l’indemnité, qui conduit à la solution la plus satisfaisante.
B – Extinction de la mitoyenneté
Les causes d’extinction de la mitoyenneté sont diverses.
1 - La cession : le droit de copropriété mitoyenne étant un droit disponible, il peut
sans nul doute faire l’objet d’une cession par l’un des copropriétaires à l’autre. Ce
dernier étant alors propriétaire exclusif, la mitoyenneté est éteinte.
2 - L’expropriation : une autre cause d’extinction est l’expropriation de l’un des
fonds et de son intégration au domaine public. Il n’en résulte pas, cependant,
extinction nécessaire de la mitoyenneté. On admet en effet qu’aucun principe ne
s’oppose à l’existence d’une mitoyenneté entre propriété privée et domaine public (cf.
Civ., 14 févr. 1900, DP 1900, 1, p. 593, note DE LOYNES). Rien ne justifierait que,
du seul fait de l’expropriation subie par l’un des copropriétaires, l’autre se voie
reconnaître la propriété exclusive du mur séparatif et de son emprise sur le sol.
Néanmoins, si le fonds exproprié est affecté à la voie publique, il semble que le
copropriétaire du mur ne soit plus astreint au respect de la règle prévue à l’article 675
du Code civil, interdisant de pratiquer aucune fenêtre ou ouverture, en raison du

90
principe que tout riverain de la voie publique a le droit d’ouvrir des jours et des vues
(Civ., 21 juill., 1862, DP 1862, 1, p. 373 ; 20 févr. 1900, DP 1900, 1, p. 313).
3 - L’abandon de la mitoyenneté

Il convient de s’intéresser au champ d’application ainsi qu’aux modalités et effets de


l’abandon de la mitoyenneté.
a – Le champ d’application
Symétriquement à la faculté donnée à tout propriétaire d’acquérir la mitoyenneté de la
clôture séparative, chacun des copropriétaires d’une clôture mitoyenne peut
abandonner à son voisin la mitoyenneté qui était sienne. Concrètement, cette faculté
d’abandon est mise à profit, comme le prévoient expressément les articles 656 et 657
du Code civil, si les charges apparaissent excessives par rapport à l’utilité que
l’intéressé retire de son droit de mitoyenneté.
L’abandon de la mitoyenneté est en principe discrétionnaire, chaque copropriétaire
étant seul juge de l’utilité que lui procure le droit. Dans certaines hypothèses,
cependant, l’abandon est impossible :
- Il en est ainsi, tout d’abord, si le mur mitoyen soutient un bâtiment appartenant à
celui qui voudrait abandonner son droit (Civ., 3e, 17 juin 1981, Gaz. Pal., 1982, 1, pan.
Jurispr., p. 46). Il serait en effet inadmissible que ce propriétaire puisse continuer à
tirer utilité d’un mur qui ne lui appartiendrait plus et à l’entretien duquel il n’aurait
plus à contribuer. Cette règle a été logiquement étendue au cas où le mur mitoyen, sans
soutenir un bâtiment, est constitutif d’un mur de soutènement du sol de la propriété
voisine (Civ., 3e, 23 nov. 1976, Bull. civ. III, n° 419).
- Pour des raisons semblables, la faculté d’abandon est spécialement écartée, en
second lieu, pour les fossés mitoyens servant habituellement à l’écoulement des eaux
(art. 667, al. 2 C. civ.) : l’auteur d’un tel abandon, tout en s’affranchissant des charges,
bénéficierait néanmoins des avantages de la mitoyenneté.
- En vertu d’une solution purement prétorienne, l’abandon est, en outre, exclu si les
travaux de réparation ou de reconstruction de la clôture sont imputables à la faute ou
au fait du copropriétaire qui voudrait se dispenser d’y contribuer (Civ. 1 re, 4 nov. 1963,
Bull. civ. I, n° 473).
- Une quatrième hypothèse, qui réduirait considérablement la portée de la faculté

91
d’abandon, oppose doctrine et jurisprudence. De nombreux auteurs, non sans de
bonnes raisons, ont soutenu que cette faculté devait être bannie aussi dans tous les cas
où un propriétaire « peut contraindre son voisin à contribuer aux constructions et
réparations de la clôture faisant séparation de leurs maisons, cours et jardins », c’est-à-
dire, de manière générale, « dans les villes et faubourgs » (art. 663 C. civ.). Il y aurait
contradiction entre ces dispositions et la faculté d’abandon prévue à l’article 556 du
Code civil, dans la mesure où leurs champs d’application respectifs se recoupent. La
jurisprudence a cependant été insensible à ces arguments et s’efforce de concilier les
deux textes. Ainsi, lorsqu’il s’agit de construire une clôture nouvelle, un propriétaire
peut-il échapper à l’obligation que lui impose l’article 663 en se prévalant de l’article
656 et en abandonnant la bande de terrain nécessaire à l’édification de la clôture
séparative. De même, s’il s’agit de réparer ou de reconstruire la clôture mitoyenne, le
copropriétaire qui réclame sa contribution au voisin peut se voir opposer un abandon
de la mitoyenneté (Civ., 3 déc. 1862, DP 1862, 1, p. 503).
b – Les modalités et les effets
L’abandon de la mitoyenneté peut, comme son acquisition, porter sur la totalité de la
clôture mitoyenne ou sur partie de celle-ci, en longueur ou même, s’agissant d’un mur,
en hauteur. Il doit en principe être constaté par un acte notarié, pour les besoins de la
publicité foncière, à laquelle cet acte de disposition d’un droit réel immobilier est
soumis.
L’abandon a pour effet évident, à première vue, de rendre le propriétaire voisin,
bénéficiaire obligé de la renonciation, seul propriétaire de la clôture séparative. Il est
cependant admis que cet effet acquisitif ne se réalise que si la clôture ou le mur est
effectivement réparé ou reconstruit. Si le bénéficiaire de la renonciation renonce à
entreprendre ces travaux, l’abandon est privé de raison d’être. On peut considérer que
les travaux envisagés jouent le rôle de condition suspensive d’efficacité de l’abandon.
On en déduit notamment que, tant que cette condition n’est pas remplie, l’auteur de
l’abandon reste copropriétaire de la clôture, de son emprise au sol, ainsi que, le cas
échéant, de matériaux provenant de sa ruine.
L’abandon de la mitoyenneté, enfin, ne prive pas son auteur du droit d’acquérir à
nouveau la mitoyenneté s’il en éprouve ultérieurement l’utilité, conformément à

92
l’article 661 du Code civil.

Sous-Section II : La preuve de la mitoyenneté


On traitera des modes de preuve (§1) et de leur hiérarchie (§2).

§1 – Les modes de preuve


Il arrive fréquemment que deux voisins soient en désaccord sur la question de savoir si
le mur qui les sépare est ou non mitoyen. Le Code civil admet la preuve par titres (A),
par prescription (B) et par présomptions légales (C).
A – Les titres
La preuve qu’une clôture séparative est ou non mitoyenne peut résulter en premier lieu
d’un titre. Il peut s’agir aussi bien des actes sous seing privé que des actes
authentiques, des actes translatifs, à titre onéreux ou à titre gratuit, des actes
déclaratifs. La jurisprudence n’exige pas que le titre produit soit l’œuvre commune des
deux parties au litige ou de leurs auteurs (Civ., 25 janv. 1859, 1, p. 85). En effet, le
tribunal conserve toujours son pouvoir d’appréciation de la valeur probante des titres
produits, valeur qui est a priori plus grande si le titre émane des deux parties en
présence. En cas de contradiction des titres, l’emportera celui qui aura le titre jugé le
meilleur.
B – La prescription
A défaut de titre, soit qu’il ait été perdu, soit qu’il n’en ait jamais existé, la prescription
acquisitive permet quelquefois de trancher le litige. Mode d’acquisition de la
mitoyenneté en droit français, elle est aussi, du même coup, mode de preuve. Ainsi, la
clôture doit-elle être considérée comme mitoyenne si elle a été possédée en commun
par deux propriétaires voisins pendant le temps et dans les conditions requis pour que
l’usucapion produise ses effets (cf. Civ., 8 nov. 1905, DP 1906, 1, p. 52). Au contraire,
la clôture est privative si, pendant le même temps et dans les mêmes conditions, elle a
été utilisée exclusivement par l’un des propriétaires.
C – Les présomptions légales
Afin de faciliter la tâche du juge, spécialement à défaut de titres ou d’actes de
possession significatifs, le législateur a édicté des présomptions, tantôt de mitoyenneté,
tantôt de non mitoyenneté.

93
1 – Les présomptions de mitoyenneté
L’article 666 du Code civil (modifié par la loi du 20 août 1881), édicte dans un
premier alinéa une présomption commune à toutes les sortes de clôtures en ces
termes : « Toute clôture qui sépare des héritages est réputée mitoyenne, à moins qu’il
n’y ait qu’un seul des héritages en état de clôture, ou s’il y a titre, prescription ou
marque contraire ».
Cette présomption de portée générale, que rappelle l’article 653 du Code civil pour les
murs, est subsidiaire. Elle ne s’applique qu’à défaut de titre ou de présomption
spéciale (marque) de non-mitoyenneté (cf. Req., 12 mars 1872, DP 1872, 1, p. 320).
La formule relative à l’état de clôture signifie que, si une propriété est clôturée, ou du
moins l’était lorsque la clôture litigieuse a été édifiée, et une autre non, la partie de la
clôture séparant ces deux propriétés est présumée non mitoyenne.
D’autres présomptions sont particulières au mur séparatif. Il en est ainsi :
- pour les murs servant de séparation entre deux bâtiments (art. 643 C. civ.), du moins
« jusqu’à l’héberge », c’est-à-dire jusqu’à la ligne d’appui du toit du bâtiment le moins
élevé ; au contraire, il n’y a pas présomption de mitoyenneté pour un mur de bâtiment
jouxtant une cour ou un jardin (Civ., 1re, 27 janv. 1959, Bull. civ. I, n° 56) ou pour un
mur de soutènement (Req., 13 févr. 1939 ; Gaz. Pal., 1939, 1, p. 709) ;
- pour les murs de séparation entre cours et jardins, si les deux fonds sont clos, même
selon la doctrine dominante, s’ils ne le sont que partiellement ; en revanche, si un seul
des héritages est clos, il n’y a pas, aux termes de l’article 666, de présomption de
mitoyenneté ;
- pour les murs entre enclos dans les champs, si les deux terrains sont entièrement
clos.
2 – Les présomptions de non mitoyenneté
Les présomptions de mitoyenneté ci-dessus énumérées peuvent être combattues par
des titres contraires ou par la prescription acquisitive, mais aussi, dans certaines
circonstances précises, par des présomptions contraires consistant dans certains signes
ou marques de la non mitoyenneté.
Ainsi, s’agissant spécialement des fossés, il y a marque de non mitoyenneté, aux
termes de l’article 666 du Code civil, « lorsque la levée ou le rejet de la terre se trouve

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d’un côté seulement du fossé » (al. 2). Dans ce cas, « le fossé est censé appartenir
exclusivement à celui du côté duquel le rejet se trouve » (al. 3) (CA Paris, 9 juin 1976,
Gaz. Pal. 1977, 1, somm. P. 252).
Il y a, de même, marque de non mitoyenneté pour les murs, suivant l’article 654 du
Code civil, lorsque le sommet du mur est droit et son parement à plomb d’un côté, et
présente au contraire un plan incliné de l’autre, et lorsque le mur ne possède que d’un
côté un chaperon, des filets de saillie ou des corbeaux.
Ces diverses marques n’ont cependant valeur de présomptions légales de non
mitoyenneté que si elles ont été établies à l’époque de la construction de la clôture (cf.
Civ. 3e, 8 mars 1989, JCP G 1989, IV, 173) ou existent, au vu et au su du voisinage,
depuis plus de trente ans (Req., 10 juill. 1865, DP 1865, 1, p. 483).
En dehors même des présomptions légales, d’autres indices ou marques de
mitoyenneté ou de non mitoyenneté peuvent s’induire d’usages locaux et de la
situation des héritages voisins.

§2 – La hiérarchie des modes de preuve


Il résulte de certains articles du Code civil et des développements précédents que les
modes de preuve de la mitoyenneté doivent être classés dans l’ordre suivant :
1 – au sommet de la hiérarchie se situe la prescription acquisitive : si les conditions en
sont réunies, elle l’emporte sur toute autre preuve, même un titre ;
2 – au second rang arrive la preuve par titre, étant rappelé qu’en droit français, les
titres n’ont valeur que de présomptions et que leur force probante est souverainement
appréciée par les juges du fond ;
3 – ensuite, viennent les marques de non mitoyenneté, présomptions spéciales qui
l’emportent sur la présomption générale de mitoyenneté posée par l’article 666 du
Code civil ;
4 – subsidiairement, joue la présomption générale de mitoyenneté établie par les
articles 653 et 666 du Code civil. Elle ne peut être combattue par la preuve
testimoniale par laquelle l’un des voisins voudrait démontrer que le mur n’est pas
mitoyen, sauf à établir par témoins que l’état actuel de la clôture est différent de celui

95
de l’époque de son édification.

Sous-Section III : Les droits et obligations des copropriétaires


A – Les droits
Les droits de copropriétaires sur la clôture mitoyenne sont fonction, d’une part, de la
nature de cette clôture, d’autre part, de sa destination. Ces droits ne peuvent être les
mêmes suivant que la clôture est constituée par un mur, une simple palissade ou un
grillage, ou encore une haie ou un fossé. Et s’il s’agit d’un mur, celui-ci peut avoir,
outre sa vocation première de séparer les propriétés, celle de supporter des
constructions ou des plantations. Il convient les droits de copropriétaires sur le mur
mitoyen (1) et sur les autres clôtures (2).
1 – Les droits de copropriétaires sur le mur mitoyen
Il s’agit du droit d’usage et du droit d’exhaussement.

a – Le droit d’usage
Chaque copropriétaire est en droit de tirer du mur mitoyen toutes sortes d’utilités,
pourvu que celles-ci n’empêchent pas l’autre copropriétaire d’exercer le même droit et
sous la réserve de ne pouvoir pratiquer d’ouvertures dans le mur. Les prérogatives
ainsi conférées sont différentes de celles appartenant à un simple indivisaire et les
dépassent. Chaque copropriétaire peut ainsi :
- appuyer contre le mur mitoyen des constructions (art. 657 C. civ.) ou des
plantations, notamment dressés en espaliers, mais sans que celles-ci puissent dépasser
la crête du mur (art. 671, al. 2 C. civ.) ;
- placer dans toute l’épaisseur du mur – « à cinquante-quatre millimètres près » - des
poutres ou solives, « sans préjudice du droit qu’a le voisin de faire réduire à
l’ébauchoir la poutre jusqu’à la moitié du mur, dans le cas où il voudrait lui-même
asseoir des poutres dans le même lieu, ou y adosser une cheminée » (art. 657 C. civ.) ;

- pratiquer dans le corps du mur des enfoncements à divers usages, tels que
l’incorporation de cheminées ou canalisations, à condition de ne pas nuire aux droits
de l’autre copropriétaire (art. 662 C. civ.) ;

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- apposer des affiches sur la face du mur se trouvant de son côté ou concéder ce droit à
des tiers.

b – Le droit d’exhaussement

Chaque copropriétaire peut faire exhausser le mur mitoyen (art. 658 C. civ.). Ce
droit peut être exercé librement, sans que le copropriétaire ait à faire connaître ses
motifs, pourvu qu’il n’agisse pas dans le seul but de nuire à son voisin et que la partie
du mur sur laquelle l’exhaussement est appuyé soit elle-même mitoyenne.

Lorsque l’exhaussement se fait sans reconstruction du mur, celui qui y procède


doit en supporter la dépense, ainsi que la charge des réparations d’entretien au-dessus
de la hauteur de la clôture commune (art. 658 C. civ.). Ce texte lui impose en outre
certaines charges et obligations envers le voisin en ce qui concerne la partie commune.
Dans sa rédaction originaire, il l’obligeait à lui verser une indemnité dite de surcharge,
en raison des réparations fréquentes de la partie ancienne que la surcharge était censée
occasionner. La loi française du 17 mai 1960 a substitué à cette indemnité l’obligation
de payer seul les frais d’entretien de la partie commune dus à l’exhaussement, ainsi
que de rembourser au propriétaire voisin « toutes les dépenses rendues nécessaires à ce
dernier par l’exhaussement ».

Si le mur mitoyen n’est pas en état de supporter l’exhaussement, celui qui veut
l’exhausser doit le faire reconstruire en entier à ses frais, en prenant de son côté
l’excédent d’épaisseur (art. 659 C. civ.).

La partie exhaussée devient la propriété exclusive de celui qui l’a fait


construire. Au contraire, le mur primitif reste mitoyen, même s’il a été reconstruit pour
les besoins de l’exhaussement ou si son épaisseur a été augmentée. De plus, le
copropriétaire qui n’a pas contribué à l’exhaussement dispose toujours de la faculté
d’acquérir la mitoyenneté de la partie exhaussée, aux conditions fixées par l’article 660
du Code civil.

97
2 – Les droits de copropriétaires sur les autres clôtures

La différence de nature des autres variétés de clôtures – haie, palissade, grillage,


fossé – par rapport au mur explique les principales particularités de leur régime
juridique.

a) Le droit de refuser la mitoyenneté

L’article 668 du Code civil dispose expressément que le voisin dont l’héritage
joint une clôture autre qu’un mur, ne peut contraindre le propriétaire à lui céder la
mitoyenneté. On estime que les raisons justifiant la solution inverse pour les murs
n’existent pas.

b) Le droit de percevoir les fruits et produits

Chacun des copropriétaires de haies, arbustes ou autres arbres mitoyens a droit


à la moitié des fruits et produits qui peuvent en être retirés (art. 669 et 670 C. civ.). Le
second texte dispose spécialement que, si les arbres mitoyens meurent ou sont coupés
ou arrachés, ils sont partagés par moitié.

c) Le droit de destruction jusqu’à la limite séparative

Chacun des copropriétaires d’une haie ou d’un fossé a le droit de les détruire
jusqu’à la limite de sa propriété, à charge de construire un mur sur cette limite (art.
668, al. 2 C. civ.), à moins que le fossé serve à l’écoulement des eaux (art. 668, al. 3 C.
civ.), car il a, dans ce cas, une destination particulière que ne remplit pas une autre
clôture. Enfin, chaque copropriétaire peut exiger que les arbres mitoyens soient
arrachés (art. 670, al. 2) (ce droit d’exiger l’arrachage ne concerne cependant que les
arbres isolés et non les arbustes formant haie (Civ., 3 e, 11 févr. 1976, Bull. civ. III,
n°65)).

B – Les obligations et charges des copropriétaires

Elles sont de deux ordres : l’interdiction de pratiquer des ouvertures et les obligations
d’entretien et de conservation.

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1 – L’interdiction de pratiquer des ouvertures

Un copropriétaire ne peut, sans le consentement de l’autre, pratiquer dans le


mur aucune fenêtre ou ouverture, de quelque manière que ce soit (art. 675 C. civ.). Si
des ouvertures ont été pratiquéss dans un mur privatif, elles doivent être supprimés du
moment que le voisin en acquiert la mitoyenneté, à moins qu’il y ait servitude acquise
par convention ou prescription (cf. Civ., 3 e, 10 avr. 1975, Bull. civ. III, n° 117). C’est
d’ailleurs souvent pour obtenir la suppression d’ouvertures gênantes qu’un voisin
acquiert la mitoyenneté.

2 – L’obligation d’entretien et de conservation

Les copropriétaires de la clôture mitoyenne sont tenus de contribuer aux


dépenses d’entretien, de réparation, ainsi que, le cas échéant, de reconstruction de la
clôture, proportionnellement à leurs droits, c’est-à-dire pour moitié (art. 655 C. civ.).

Ce principe doit cependant être assorti de certaines atténuations. Il faut en outre


souligner l’importance de la faculté laissée par la loi d’échapper à cette obligation.

Au titre des atténuations, il y a lieu de préciser que l’obligation de contribuer


aux dépenses est subordonnée au caractère réellement nécessaire de celles-ci, compte
tenu de la destination du mur. En outre, les travaux entrepris dans l’intérêt d’un seul
des copropriétaires et, a fortiori, ceux rendus nécessaires par le fait de l’un d’eux ne
donnent pas lieu à contribution de l’autre.

L’échappatoire est constituée par la faculté discriminatoire d’abandonner le


droit de mitoyenneté, pour tout ou même seulement partie du mur, que laisse aux
copropriétaires l’article 656 C. civ. Cette faculté d’abandon confère aux charges de la
mitoyenneté le caractère d’obligations propter rem, liées à la copropriété ; du moment
qu’il répudie le titre en renonçant à sa part de propriété de la clôture et du terrain
qu’elle occupe, le copropriétaire échappe aux obligations correspondantes.

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SECTION II : LA COPROPRIETE DES IMMEUBLES
La copropriété des immeubles bâtis est régie au Cameroun par la loi n° 2010/022 du
21 décembre 2010 relative à la copropriété des immeubles et son décret d’application
n° 2011/1131/PM du 11 mai 2011.
La loi régit la propriété des immeubles bâtis ou à bâtir, appartenant à plusieurs
personnes, répartie par lots et comprenant chacun, une partie privative et une quote-
part des parties communes. Elle s’applique également aux ensembles immobiliers bâtis
et aux différentes résidences constituées d’habitations contiguës ou séparées, ayant des
parties communes appartenant dans l’indivision à l’ensemble des copropriétaires (art.
1er).
Les principales questions réglées par la loi sont les suivantes :

- la structure et les conséquences juridiques de la copropriété (Sous-Section I) ;

- l’organisation et l’administration de la copropriété (Sous-Section II) ;

- les transformations opérées par voies d’amélioration de sécurité et d’addition de


locaux privatifs (Sous-Section III) ;

- l’obligation des titres de propriété (Sous-Section IV).

Sous-Section I : La structure et les conséquences juridiques de la copropriété


Nous allons voir d’une part la division juridique de l’immeuble (§1) et d’autre part le
statut patrimonial issu du lot (§2).
§1 - La division juridique de l’immeuble
L’immeuble soumis au statut de la copropriété est juridiquement divisé en lots
correspondant chacun, d’une part, à une partie privative, et d’autre part, à une quote-
part des parties communes (art. 4).
Aux termes de l’article 5 alinéa 1 de la loi, sont notamment réputées parties
communes :
- le sol, les cours, les parcs et jardins, les voies d’accès, les façades et les clôtures ;
- le gros oeuvre des bâtiments, les équipements communs, y compris les parties de
canalisation y afférentes qui traversent les locaux privatifs ;
- les coffres, gaines et têtes des cheminées ;
100
- les passages et corridors ;
- les locaux de services communs.
Aux termes de l’article 5 alinéa 2 de la loi, sont réputés droits accessoires aux
parties communes :
- le droit de surélever un bâtiment affecté à l’usage commun ou comportant plusieurs
locaux qui constituent des parties privatives différentes, ou d’en affouiller le sol ;
- le droit d’édifier des bâtiments nouveaux dans les cours, parcs ou jardins constituant
des parties communes ;
- le droit d’affouiller de tels cours, parcs et jardins ;
- le droit de mitoyenneté afférent aux parties communes.
Les cloisons séparant des parties privatives et non comprises dans le gros oeuvre, sont
présumées mitoyennes entre les locaux qu’elles séparent (art. 6).
Les parties communes et les droits qui leur sont accessoires ne peuvent faire l’objet,
séparément des parties privatives, d’une action en partage, ni d’une licitation forcée
(art. 7).
§2 - Le statut patrimonial issu du lot
Le fractionnement juridique de l’immeuble en lots entraîne d’office pour les titulaires
de ceux-ci, l’acquisition de droits spécifiques (A) et la soumission à certaines
obligations propres au statut de la copropriété (B).
A – Les droits des copropriétaires

Le copropriétaire jouit des droits ci-après :


- Le droit à l’information (art. 9)
Avant l’achat de son lot, le futur copropriétaire doit prendre connaissance de toutes les
informations relatives tant à ses obligations qu’à ses droits ainsi qu’aux conditions de
vie en copropriété. Et pour permettre au nouvel acquéreur de jouir dudit droit, un
exemplaire du règlement de copropriété lui est remis par le Notaire ou le promoteur.
- Les droits sur les parties privatives et les parties communes
Les parties privatives sont la propriété exclusive de chaque copropriétaire (art. 10). A
ce titre, la destination des parties privatives et les modalités mêmes de leur jouissance
prévues par le règlement de copropriété ne peuvent, à quelque majorité que ce soit,

101
faire l’objet d’une modification imposée au copropriétaire par l’Assemblée générale
(art. 11 al. 1). Par ailleurs, les droits des copropriétaires sur leur lot ne peuvent
valablement se heurter à une limitation dictée par le règlement de copropriété que dans
la mesure où cette limitation est conforme à la destination de l’immeuble (art. 12).
Chaque copropriétaire use et jouit librement des parties tant privatives que communes,
à condition de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires, ni à la
destination de l’immeuble (art. 10).
Tout copropriétaire peut valablement agir en justice, soit pour la défense de ses intérêts
personnels, soit exceptionnellement pour la défense des intérêts collectifs de la
copropriété. Il en informe préalablement le syndicat (art. 10).
- Le droit à la réparation du préjudice subi (art. 11 al. 2)
Les copropriétaires qui subissent un préjudice par suite de l’exécution des travaux, en
raison soit d’une diminution définitive de la valeur de leur lot, soit d’un trouble de
jouissance grave, même s’il est temporaire, soit de dégradation, ont droit à une
indemnité. Cette indemnité est à la charge de tous les copropriétaires et répartie en
fonction de la participation de chacun au coût des travaux.
B - Les obligations des copropriétaires
Les copropriétaires sont astreints aux obligations ci-après :
1 - L’obligation de participer aux charges de copropriété (art. 13, 14)
Les copropriétaires sont tenus de :
- supporter une obligation générale de couverture vis-à-vis des engagements du
syndicat. Ils assurent notamment le paiement des charges de copropriété. A ce titre, ils
sont tenus de souscrire les assurances de toute nature qui garantissent la survie de
l’immeuble.
- participer aux charges spéciales entraînées par les services collectifs ou les
éléments d’équipement commun, en fonction de l’utilité que ces services et
équipements présentent à l’égard de chaque lot.
- participer aux charges générales relatives à la conservation, à l’entretien et à
l’administration des parties communes, proportionnellement aux valeurs des parties
privatives comprises dans leurs lots.
Le règlement de copropriété fixe la quote-part afférente à chaque lot, dans chaque

102
catégorie de charges.

Sous-Section II : L’organisation et l’administration de la copropriété


L’étude de l’organisation et de l’administration de la copropriété sera articulée autour
des points ci-après : le règlement de copropriété et l’état descriptif de division (§1), le
syndicat des copropriétaires (§2), le syndic de copropriété (§3) et les assemblées
générales (§4).
§1 - Le règlement de copropriété et l’état descriptif de division
Un règlement de copropriété et un état descriptif de division sont obligatoirement
établis pour tout immeuble en copropriété.
A – Le règlement de copropriété
Le règlement de copropriété est un acte conventionnel établi entre copropriétaires,
ainsi qu’entre chacun d’eux et le syndicat.
Aux termes de l’article 29 de la loi, le règlement de copropriété a pour objet de
garantir l’organisation et la bonne administration de la copropriété. A ce titre, il :
- détermine les parties tant privatives que communes ainsi que leurs conditions ;
- fixe également sous réserve des dispositions de la loi, les règles relatives à
l’administration des parties communes ;
- détermine les modalités de répartition des charges prévues par l’article 3 de la loi.
Aux termes de l’article 30 alinéa 1 de la loi, le règlement de copropriété ne peut
imposer aucune restriction aux droits de copropriété en dehors de celle qui serait
justifiée par la destination de l’immeuble et ainsi qu’elle se dégage réellement des
actes par ses caractères et sa situation.
Le règlement de copropriété et les modifications qui peuvent lui être apportées ne sont
opposables aux ayant-causes à titre particulier des copropriétaires qu’à dater de leur
publication au livre foncier. Cette opposabilité s’applique notamment dans les rapports
avec les locataires (art. 31).
B – L’état descriptif de division
L’état descriptif de division est un document d’identification des lots pour les besoins
de publicité foncière.
L’état descriptif de division doit identifier l’immeuble auquel il s’applique, opérer une

103
division en lots et attribuer un numéro à chaque lot. Il fait l’objet d’un résumé inscrit
obligatoirement dans un tableau incorporé à l’acte lui-même ou annexé à celui-ci et
comportant essentiellement les colonnes suivantes :
- le numéro du lot, dans l’ordre croissant des numéros ;
- le bâtiment ;
- l’escalier ;
- l’ascenseur ;
- l’étage ;
- la nature du lot ;
- la quote-part dans la propriété du lot.
§2 – Le Syndicat des copropriétaires
La collectivité des copropriétaires est constituée en un Syndicat qui a la personnalité
morale. Le Syndicat des copropriétaires a pour objet la conservation de l’immeuble et
l’administration des parties communes. Il lui incombe notamment de percevoir les
charges de copropriété ainsi que d’établir, de modifier ou d’exécuter effectivement les
dispositions du règlement de copropriété. Il est responsable des dommages causés aux
copropriétaires ou aux tiers par un vice de construction ou le défaut d’entretien des
parties communes sans préjudice des actions récursoires. Le Syndicat des
copropriétaires établit et modifie le règlement de copropriété, s’il y a lieu (art. 34).
§3 – Le syndic de copropriété
Le syndic de copropriété est un intermédiaire professionnel, qui en contrepartie
d’une rémunération, participe à des opérations relatives à la gestion des biens
appartenant à autrui, notamment une copropriété. Toutefois, il peut exister, pour
certaines copropriétés, un syndic bénévole choisi parmi les copropriétaires. La
profession de syndic de copropriété peut être exercée par une personne physique ou
morale.
Pour l’exercice de sa profession, le syndic de copropriété reçoit mandat du
syndicat des copropriétaires pour la gestion de la copropriété et pour l’administration
des parties communes.
Indépendamment des missions qui lui sont conférées par une délibération spéciale de
l’Assemblée générale, le syndic est notamment chargé :

104
- d’assurer l’exécution des dispositions du règlement de copropriété et des
délibérations des Assemblées générales ;
- d’administrer l’immeuble, pourvoir à sa conservation, à sa garde et à son entretien ;
- de représenter le syndicat dans tous les actes civils et en justice ;
- de convoquer l’Assemblée générale après avis du conseil syndical ;
- de décider de l’exécution de certains travaux nécessaires à la sauvegarde de
l’immeuble en cas d’urgence ou de péril en la demeure ;
- d’accomplir tout acte conservatoire et tout acte d’administration provisoire de la
copropriété.
§4 - Les assemblées générales
Les décisions du syndicat sont prises en Assemblée générale des copropriétaires.
Le règlement de copropriété détermine les règles de fonctionnement et les pouvoirs
des Assemblées générales, sous réserve des dispositions de la loi.
Chaque copropriétaire dispose d’un nombre de voix correspondant à sa quote- part
dans les parties communes. Toutefois, lorsqu’un copropriétaire possède une quote-part
des parties communes supérieure à la moitié de celles-ci, le nombre de voix dont il
dispose est réduit à la somme des voix des autres copropriétaires.
Tout copropriétaire peut déléguer son droit de vote à un mandataire. Un mandataire ne
peut recevoir plus de trois (3) mandats, à moins qu’il ne participe à l’Assemblée
générale d’un syndicat principal et que tous les mandats appartiennent à un même
syndicat secondaire.

Sous-Section III : Des transformations opérées par voies d’amélioration de


sécurité et d’addition de locaux privatifs

L’Assemblée générale des copropriétaires peut, sous le respect de la destination de


l’immeuble, décider de toute amélioration de l’existant, de la transformation par
adjonction de constructions nouvelles sur les surfaces disponibles, ou des locaux
collectifs sur les parties communes conformément aux règles d’urbanisme.
La répartition du coût des travaux et de la charge des indemnités résultant du préjudice
éventuellement subi par certains copropriétaires du fait desdits travaux, est fixée à la

105
même majorité, en proportion des avantages qui en découleront pour chacun des
copropriétaires, sauf à tenir compte de l’accord de certains d’entre eux, pour supporter
une part plus élevée.
L’Assemblée générale fixe à la majorité, la répartition des dépenses de
fonctionnement, d’entretien et de remplacement des parties communes ou des éléments
transformés ou créés. Cette décision oblige tous les copropriétaires à participer aux
différents frais et dépenses, indemnités et charges financières, dans les propositions
fixées par l’Assemblée générale.
Toute construction édifiée par un copropriétaire sur une partie commune sans
autorisation valable du syndicat, est susceptible de démolition aux frais de l’intéressé,
même s’il détient en vertu du règlement de copropriété un droit de jouissance exclusif
sur la partie concernée.
L’Assemblée générale des copropriétaires, statuant à l’unanimité de ses membres peut
décider de la surélévation de l’immeuble ou de la construction des bâtiments aux fins
de créer de nouveaux locaux privatifs au bénéfice de certains copropriétaires ou des
tiers accédant à la copropriété.

Sous-Section IV : L’obligation des titres de propriété


Tout acquéreur d’un lot dans un immeuble en copropriété obtient un titre de propriété
ayant la même force juridique que le titre foncier. L’inscription de l’acte d’acquisition
dans les livres fonciers fait référence au titre foncier du sol.
Toute personne physique ou morale désirant mettre en copropriété un immeuble bâti
ou à bâtir saisit un notaire territorialement compétent en vue de l’établissement d’un
règlement de copropriété. Le règlement de copropriété est soumis à la formalité
d’inscription dans les livres fonciers et le livret de propriété tenus par les services
compétents du ministère chargé des affaires foncières.

106
TITRE IV : LA PROPRIETE DEMEMBREE
La propriété se définit par les trois attributs que sont l’usus, le fructus et
l’abusus. Certains droits réels ne confèrent à leur titulaire que l’un ou deux de ces
attributs. Il s’agit alors des démembrements de la propriété. Leur liste est assez
longue. Il s’agit d’abord de l’emphytéose, comprise comme le droit reconnu au
preneur en application d’un bail de très long terme (entre 18 et 90 ans) et qui confère
à l’emphytéote l’usus, le fructus, le droit d’accession et le droit d’acquérir au profit
du fonds une servitude, le propriétaire conservant les autres droits. Il s’agit ensuite du
droit de superficie, qui est le droit accordé à une personne, appelée le superficiaire,
sur la surface d’un fonds dont le dessous appartient à une autre personne, appelée le
tréfoncier. Il s’agit enfin, de l’usufruit et de la nue-propriété (chapitre I) ainsi que des
servitudes (chapitre II) qui constituent les démembrements les plus importants sur le
plan pratique.

CHAPITRE I - L’USUFRUIT ET LA NUE-PROPRIETE

L’usufruit et la nue-propriété sont des démembrements du droit de propriété en


ce sens qu'il s'agit d'une répartition entre deux personnes, des trois attributs du droit de
propriété. Ainsi, l'usufruitier est le titulaire de l'usus et du fructus tandis que le nu-
propriétaire est le titulaire de l'abusus. La constitution de l’usufruit fait naître
automatiquement la nue-propriété (Section I) et le régime de ce démembrement
ménage à la fois son titulaire et le nu-propriétaire (Section II). En outre, lorsqu’il
s’éteint, il entraîne une mutation de la nue-propriété en propriété entière (Section III).

SECTION I- LA CONSTITUTION DE L’USUFRUIT


L’usufruit est constitué selon certains modes (§1) et il peut revêtir deux
principales modalités (§2).

§1 - Les modes de constitution de l'usufruit

107
Ils résultent de l’article 579 du Code civil. Il s’agit de :
- La volonté : l'usufruit résulte d'un acte juridique (convention ou testament),
lequel doit obéir aux formes exigées pour l'objet d'un tel acte. Si par exemple le bien
objet de l'usufruit et de la nue-propriété est un immeuble, l'acte juridique y relatif doit
être notarié.
Quand l’usufruit est constitué entre vifs et donc par convention, deux procédés
sont utilisés :
* la constitution par translation : le propriétaire de la chose transfert l’usufruit
de cette chose à son cocontractant.
* la constitution par voie de réserve : le propriétaire de la chose la vend en se
réservant l'usufruit. Il ne cède donc que la nue-propriété et conserve pour lui l'usufruit
par déduction.
- La loi : II existe les usufruits légaux surtout dans les domaines familial et
successoral. C'est par exemple le cas :
* de l'usufruit du conjoint survivant sur la succession du conjoint prédécédé, si
ce conjoint n'est pas appelé en pleine propriété (art. 762 du Code civil) ;
* de l'usufruit accordé aux ascendants lorsque dans une ligne successorale, il
n'existe que des collatéraux ordinaires (art. 553 du Code civil) ;
* du droit de jouissance accordé aux père et mère sur les biens de leurs enfants
mineurs.

§2 - Les modalités de l’usufruit


Elles sont de deux ordres :
D’une part, l'usufruit peut être solidaire, c'est-à-dire qu'il est constitué
conjointement ou solidairement au profit de plusieurs personnes. Il en est ainsi de
l’usufruit des père et mère sur les biens de leurs enfants mineurs et de l’usufruit de
deux époux qui ont cédé la nue-propriété d'un bien commun.
D’autre part, l'usufruit peut être constitué à terme, c'est-à-dire pour un laps de
temps plus ou moins long. Deux précisions doivent cependant être apportées :
- lorsque l'usufruit est constitué au profit d'une personne physique, il est un
droit viager. En d’autres termes, il s'éteint nécessairement à la mort de son titulaire.

108
En conséquence, si un terme a été prévu et que le décès survient avant l'arrivée du
terme, l'usufruit s'éteint ;
- lorsque l'usufruit est constitué au profit d'une personne morale, sa durée est
d'autorité limitée à 30 ans par l'article 619 du Code civil.

SECTION II - LE REGIME DE L’USUFRUIT


Il est organisé autour de l’entrée en jouissance par l’usufruitier (Sous-section I)
et de la situation des parties prenantes pendant la durée de l’usufruit (Sous-section II).

Sous-section I - L'entrée en jouissance par l'usufruitier


Elle doit être précédée de deux précautions qui visent à garantir l’exécution de
ses obligations par l’usufruitier. Ces précautions sont :
- L'inventaire des meubles et l'état des immeubles : selon l'article 600 du
Code civil, l'usufruitier doit prendre les choses dans l'état où elles se trouvent. Le
recours à un notaire est facultatif. Il suffit qu'un document écrit soit établi, qui fixe la
consistance et l’état des biens donnés à l’usufruitier. Si ce dernier se met en jouissance
sans avoir fait l'inventaire, le nu-propriétaire peut, à titre préventif, s'opposer à cette
entrée en jouissance jusqu'à ce que l'inventaire soit fait. En outre, à titre curatif, le nu-
propriétaire peut, soit obtenir des mesures conservatoires, soit, le moment venu,
prouver la consistance et l'état des biens soumis à restitution par tous moyens, même
par commune renommée.
- La caution : l'article 601 du Code civil oblige l'usufruitier à donner une
caution de jouir en bon père de famille. Cette caution légale qui doit être solvable
garantit l'exécution de ses obligations par l'usufruitier et les indemnités qu'il pourrait
devoir au nu-propriétaire. S'il ne parvient pas à fournir la caution, le nu-propriétaire
peut s'opposer à l'entrée en jouissance.
L'acte constitutif de l'usufruit peut dispenser l'usufruitier de la caution ou de
l'inventaire. C’est le cas par exemple lorsque l'usufruit est constitué par déduction (un
propriétaire à aliéner la nue-propriété et conserver l'usufruit). La loi prévoit également
des dispenses. C'est par exemple le cas de l'article 601 du Code civil qui exempte de la
caution les père et mère pour leur usufruit sur les biens de leurs enfants mineurs.

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Sous-section II - La situation de l'usufruitier et du nu-propriétaire pendant la
durée de l'usufruit
La situation de l’usufruitier (§1) doit être distinguée de celle du nu-propriétaire
(§2).

§1 - La situation de l’usufruitier
L’usufruitier a des droits (A), mais aussi des obligations (B).
A – Les droits de l’usufruitier
L’usufruitier a le droit :
- de disposer ou d'hypothéquer son droit tant qu'il dure ;
- d’exercer des actions possessoires et une action pétitoire appelée action
confessoire d'usufruit (action lui permettant de faire reconnaitre son droit d'usufruit.
Elle s’exerce contre tous y compris le propriétaire) ;
- de jouir du bien comme le ferait le nu-propriétaire ;
- de faire des actes d’administration. Exemple : consentir des baux inférieurs ou
égaux à 9 ans.
B – Les obligations de l’usufruitier
L’usufruitier a deux obligations principales :
* l'obligation de jouir en bon père de famille, c'est-à-dire comme le ferait un
propriétaire normal, soigneux et diligent. Par exemple : effectuer les actes de
conservation que nécessite la chose, effectuer les réparations d’entretien, ne pas
modifier la destination de la chose ;
* l'obligation de supporter les charges usufructuaires. L'usufruitier est tenu des
charges périodiques de la chose. Exemple : impôts et taxes annuels. Mais, il n'est pas
tenu des charges extraordinaires c’est-à-dire par exemple celles qui concernent le
capital, les frais de bornage ou les coûts de construction de la clôture.

§2 - La situation du nu-propriétaire
Le nu-propriétaire peut disposer de la chose ou l'hypothéquer. Il peut également
exercer des actions possessoires (il est possesseur par l’entremise de l'usufruitier). II a

110
aussi un droit de surveillance contre l'usufruitier. Il peut même accomplir des actes
conservatoires sur la chose sans toutefois s'immiscer dans la gestion. Il a enfin le droit
aux produits de la chose.
Comme obligations, il supporte les charges extraordinaires telles que la clôture et
le mur de soutènement.

SECTION III : L'EXTINCTION DE L'USUFRUIT


II y a une cause normale d'extinction (Sous-section I) et des causes pas toujours
prévisibles (Sous-section II). En outre, lorsque l'usufruit prend fin, les conséquences
sont importantes (Sous-section III).

Sous-section I : La cause normale d'extinction : l'arrivée du terme


L'usufruit à un caractère viager lorsqu’il est constitué au profit d’une personne
physique. II s'éteint donc avec la mort de l'usufruitier, sauf à préciser que s'il y a
plusieurs bénéficiaires avec réversibilité, il ne prend fin qu'au décès du dernier d'entre
eux.
Pour les personnes morales, l'usufruit disparait à leur dissolution sauf celle-ci
intervient après l’expiration de la durée de l’usufruit.
Lorsque l'usufruit est à durée déterminée, on dit qu'il est affecté d'un terme
certain. Exemple : les parties stipulent un nombre déterminé d'années ou l'alignent sur
l'âge qu’atteindra un tiers (notamment la majorité).

Sous-section II: Les autres causes d'extinction de l’usufruit


L’usufruit peut prendre fin à la suite de la disparition d’une condition requise
pour son existence (§1) et d’une déchéance pour abus de jouissance (§2).

§1 – L’extinction causée par la disparition d'une condition d'existence de


l’usufruit
Dans certains cas, l'usufruit ne peut subsister parce que l'une des conditions
d'existence fait défaut. C'est notamment le cas lorsqu'il y a :
- perte totale de la chose : il s'agit de la destruction matérielle de la chose ou de

111
l'impossibilité de l’utiliser pour l'usage auquel elle était destinée. Si la perte de la
chose n'est que partielle, l'usufruit continue sur le reste. Par exemple : si l'usufruit
portait sur un troupeau qui a péri partiellement, l'usufruit continue sur les têtes
restantes.
- non usage total pendant 30 ans : c'est la prescription extinctive ;
- appropriation par un tiers possesseur : s'il s'agit d'un usufruit sur un
immeuble, la possession d'un tiers ne devrait pas l'éteindre. Par contre, s'il s'agit d'un
meuble, le jeu de l’article 2279 alinéa 1er du Code civil éteint l'usufruit ;
- consolidation, c'est-à-dire la réunion sur la tête de la même personne, des
deux qualités d'usufruitier et de nu-propriétaire, par exemple à la suite d'une
donation, d'un legs ou d'une vente ;
- résolution du droit du constituant : si le droit de celui qui constitue l’usufruit
est résolu (anéanti) par exemple par une condition ou par un terme, l’usufruit subit le
même sort.
- renonciation de l’usufruitier : cette renonciation peut être expresse ou tacite.

§2 - La déchéance pour abus de jouissance


II y a abus de jouissance dès lors que l'usufruitier a manqué à ses obligations
d'une manière assez grave pour compromettre la substance même de la chose.
Exemple : il a démoli ou laissé dépérir les bâtiments utiles ; il a arraché des arbres
fruitiers. Autrement dit, il y a abus de jouissance en cas d'inexécution fautive de ses
obligations par l'usufruitier.
La déchéance pour cet abus doit être demandée par le nu-propriétaire. Mais, le
juge peut ne pas la prononcer. Il peut plutôt ordonner des mesures intermédiaires
comme une déchéance partielle ou une indemnité.
Enfin, si l'usufruit porte sur une créance de somme d'argent, il peut être converti
par les parties ou par le juge en rente viagère. Concrètement, le nu-propriétaire
retrouve l’usage de la chose à charge pour lui de payer périodiquement une somme
déterminée à l'usufruitier.

Sous-section III : Les conséquences de la cessation de l’usufruit

112
A la fin de l’usufruit, le nu-propriétaire devient pleinement propriétaire. Ce
changement entraine des redditions de comptes. Ainsi, l'usufruitier a l’obligation de
restituer la chose en nature ou en valeur. Et s'il est décédé, cette obligation incombe à
ses héritiers. Cette obligation disparait si la chose est perdue par cas fortuit.
L'usufruitier doit également restituer les fruits générés par la chose dès la date de
cessation de l'usufruit. En retour, il a droit au remboursement des sommes nécessitées
par les grosses réparations qui auraient été négligées par le nu-propriétaire alors même
que celles-ci étaient nécessaires pour la continuation de l’usufruit.

113
CHAPITRE II - LES SERVITUDES (Travaux dirigés)

114
TITRE IV : LA PROTECTION DE LA POSSESSION (TRAVAUX DIRIGES)

115

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