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Chers lecteurs,
Il nous est donné l'immense plaisir et honneur de vous présenter la première édition de la "Revue
Africaine du Droit des Affaires". Cette revue s'inscrit dans une conception résolument tournée
vers l'avenir, celle d'une Afrique francophone dynamique, prospère et ouverte aux affaires. Au
cœur de cette politique, largement entendue, réside la conviction profonde que l'accès à
l'information et à la réflexion juridique de qualité est un moteur essentiel pour promouvoir un
environnement favorable au développement des affaires.
L'Afrique est un continent en pleine transformation. Les marchés émergents, les ressources
naturelles abondantes et le fort potentiel de croissance économique sont tout autant de raisons
pour lesquelles les investisseurs et les entrepreneurs se tournent vers cette région du monde.
Cependant, pour que ces opportunités se matérialisent pleinement, il est impératif que
l'environnement juridique et réglementaire soit cohérent, sûr et favorable aux échanges
économiques.
L'accès à la documentation juridique de qualité s’avère être bien plus qu'une simple nécessité ;
c'est un puissant levier de transformation pour notre continent ! Cela contribue à renforcer la
confiance des investisseurs, à garantir la responsabilité des entreprises et à renforcer la sécurité
juridique.
Toutefois, on ne peut limiter l’idée d’accès à la seule présentation des textes de loi et des
décisions de justice. Il sous-tend également la compréhension des implications pratiques de ces
lois, ainsi que leur mise en œuvre. Dans cette optique, la "Revue Africaine du Droit des
Affaires" est conçue pour être un outil vivant et dynamique, offrant des analyses précises et
approfondies, des études de cas concrets, des commentaires d'experts, et des perspectives
innovantes. Notre objectif est de jeter un pont entre le monde du droit et celui des affaires, en
mettant en lumière la manière dont une solide compréhension du cadre légal peut stimuler le
développement économique, encourager l'investissement et favoriser la création d'entreprises
prospères en Afrique francophone.
Nous lançons un appel à tous ceux qui partagent notre passion pour l'essor économique de notre
continent. Nous invitons les professionnels du droit, les universitaires, les décideurs, les
entrepreneurs, et tous les acteurs engagés dans la promotion d'un environnement favorable aux
affaires en Afrique francophone à se joindre à nous dans cette entreprise collective, sans oublier,
naturellement, tous les étudiants et tous ceux qui ont compris que l’ouverture d’esprit était la
plus grande des richesses.
Souleymane Toé
Agrégé de droit privé ~ Professeur à l’université Thomas Sankara du Burkina-Faso
SOMMAIRE
Doctrine
L’amélioration de l’accès au crédit par la lutte contre l’exclusion bancaire p. 1
Djibril SOW Maître de Conférences en Droit privé Université des Sciences Juridiques et
Politiques de Bamako
L’ordre du jour de l’assemblée générale dans les sociétés commerciales OHADA p. 16
Annick Mirabelle OBA’A ATYAM Enseignant-Chercheur à l’université de Yaoundé II
Le dessaisissement du débiteur dans les procédures collectives d’apurement du passif en droit
OHADA p. 39
Souleymane TOE Agrégé des facultés de droit Professeur à l’Université Thomas Sankara
et Mon-espoir MFINI Chercheur en droit privé et sciences criminelles chargé
d’enseignement à l’Université d’Angers
Deux clés de compréhension des atouts de l’arbitrage dans l’espace OHADA p.55
Abdoulaye SAKHO Agrégé des facultés de droit Directeur Institut EDGE/Dakar Pôle Droit
du Consortium pour la Recherche Economique et Sociale (CRES)
Jurisprudences
La saisie immobilière à l’aune de la volonté des parties p. 69
Yaovi Avocat AFANTOWOU Doctorant en Droit privé à l’Université Lyon 2
La force probante des extraits de comptes dans un litige entre commerçants p. 72
Appolinaire KLEVO-HEDOU
La CCJA clarifie les contours de sa compétence de juge de cassation en matière commerciale
p. 74
Marcel KONDO Juriste d’affaires
Recevabilité de la demande de validation d’une hypothèque judiciaire conservatoire p. 76
Mon-espoir MFINI Chargé d’enseignement à l’université d’Angers
Les immunités d’exécution des entreprises publiques dans l’espace OHADA p. 78
Veni D’Lheyns OTTO GOT Chercheur en droit privé et sciences criminelles
Prenez garde aux clauses de règlement amiable des différends ! La CCJA affirme avec
vigueur leur force obligatoire dans l’espace OHADA p. 85
Alice DUPOUY Juriste
Textes
L’affacturage : la République du Congo à la page p. 89
Mon-espoir MFINI Enseignant à l’Université d’Angers
L’amélioration de l’accès au crédit par la lutte contre l’exclusion bancaire 1
Djibril SOW
Maître de Conférences en Droit privé
Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako
Résumé
Malgré diverses mesures visant à améliorer l’accès au crédit depuis plusieurs années,
d’importantes difficultés demeurent en la matière dans l’espace UEMOA et particulièrement au
Mali. C’est ce qui explique la présente réflexion afin de voir comment véritablement améliorer
cet accès à travers la lutte contre l’exclusion bancaire. Avec diverses méthodes, l’étude
montre la poursuite des efforts d’amélioration de l’accès au crédit à travers diverses mesures ;
celles-ci méritent toutefois d’être mieux mises en œuvre pour obtenir de meilleurs résultats en
vue de l’inclusion d’une meilleure financière.
Introduction
Le crédit (du latin credere : croire) occupe une place particulière dans l’économie. On peut le
définir comme l’acte « par lequel une personne agissant à titre onéreux met ou promet de mettre
des fonds à la disposition d’une autre personne ou prend, dans l’intérêt de celle-ci, un
engagement par signature tel qu’un aval, un cautionnement ou une garantie »1. L’analyse du
crédit révèle que la confiance et le temps y jouent un rôle important. En effet, « Faire crédit
c’est faire confiance, c’est croire à la parole donnée par l’emprunteur qu’il restituera après un
certain délai la chose prêtée », écrivait Petit-Dutaillis 2.
L’exclusion bancaire n’a pas de définition unanime, mais nous pouvons retenir celle donnée par
Gloukoviezoff qui estime qu’« il s’agit du processus par lequel une personne rencontre de telles
difficultés bancaires d’accès ou d’usage qu’elle ne peut plus mener une vie normale dans la
société qui est la sienne » 3. Cette définition est assez large et peut concerner plusieurs
difficultés sérieuses d’accès aux services bancaires. Toujours selon Gloukoviezoff, l’exclusion
bancaire peut avoir de graves conséquences pour sa victime car, comme il l’a souligné, elle peut
facilement conduire à l’exclusion sociale 4. Il est vrai que Gloukoviezoff tire ses conclusions à
partir des analyses faites dans la société française beaucoup plus fortement bancarisée. Nous
estimons que cette conclusion peut encore être tirée à partir du contexte des pays de l’UEMOA.
En effet, la très grande pauvreté que vit une bonne partie de la population est à mettre, du moins
en partie, au compte de l’exclusion bancaire par la quasi-impossibilité d’accès au crédit pour
1
Voir. B. SOUSI-ROUBI, Lexique de la banque et des marchés financiers (avec la collaboration pour les marchés
financiers de D. LEFRANC), 5ème éd., Dalloz 2001, p. 79, « crédit, 2 ». Adde art. 5, al. 1, de la loi bancaire de
l’UMOA portant réglementation bancaire.
2
G. PETIT-DUTAILLIS, avec la collaboration de H. BERNARD, Le crédit et les banques, Collection
l’économique, n° 16, SIREY, Paris, 1964, p. 17.
3
Voir. G. GLOUKOVEFF, « L’exclusion bancaire : de quoi parle-t-on ? Une perspective française », Vie &
sciences de l'entreprise 2009/2 (N°182), Éditions ANDESE, p. 9 à 20 ; spéc. p. 10 et s.
4
G. GLOUKOVIEZOFF : - « De la bancarisation de masse à l’exclusion bancaire puis sociale », RFAS, n° 3,
2004 ; - « L’exclusion bancaire : de quoi parle-t-on ? Une perspective française », préc.
5
Voir BCEAO, « Présentation du Dispositif de soutien au financement des PME/PMI dans l'UEMOA », in :
https://www.bceao.int/fr/content/presentation-du-dispositif-de-soutien-au-financement-des-pmepmi, (consulté le
13 octobre 2023).
6
Sur l’émergence d’un Droit économique africain, v. A. SAKHO, Les groupes de sociétés en Afrique. Droit,
pouvoir et dépendance économique, Karthala-CRES, 2010.
7
P. BERNIER, Dictionnaire encyclopédique de l’administration publique, v. « Transparence ».
8
Idem.
9
Selon Finance Club, « Dans une acception large, la gouvernance d'entreprise ou corporate gouvernance
représente l'organisation du contrôle et de la gestion de l'entreprise. De façon plus étroite, le terme de gouvernance
d'entreprise est utilisé pour désigner l'articulation entre l'actionnaire et la direction de la société, et donc
principalement le fonctionnement du conseil d'administration ou du directoire et du conseil de surveillance. La
gouvernance financière de l'entreprise est l'ensemble des pratiques et processus utilisés par l'entreprise dans le but
de garantir transparence et intégrité dans le domaine financier. », Finance Club, « Que signifie : Gouvernance ? »,
in : https://www.Finance-club.eu, (consulté le 17 octobre 2023).
10
Ainsi l’article 13 de l’AUDCG révisé dispose : « Tout commerçant, personne physique ou morale, doit tenir
tous les livres de commerce conformément aux dispositions de l’Acte uniforme relatif à l’organisation et à
l’harmonisation des comptabilités des entreprises. »
« Il doit en outre respecter, selon le cas, les dispositions prévues par l’Acte uniforme relatif à l’organisation et
l’harmonisation des comptabilités des entreprises et à l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales
et du groupement d’intérêt économique ».
11
Sur les missions et l’organisation du RCCM, v. art. 34 et s., AUDCG, révisé ; sur l’immatriculation au RCCM,
v. art. 44 et s., AUDCG, révisé.
12
Voir A. AYEWOUDAN et alii, Commentaire sous « Chapitre III relatif aux obligations comptables des
commerçants », in N. DIOUF et alii, OHADA, Traité et Actes uniformes commentés et annotés, Juriscope, 2023,
p. 391.
établissements de crédits 13. La comptabilité doit se faire conformément aux règles et principes
exigés dans ce domaine. Il s’agit des principes tenant au respect des règles de prudence, de
régularité, de sincérité et de transparence qui doivent gouverner la tenue, la présentation ainsi
que la communication des informations traitées, conformément aux dispositions de l’article 3
l’Acte uniforme de l’OHADA relatif au Droit comptable et à l’Information financière
(AUDCF)14.
Concernant les inscriptions, il faut avant tout signaler l’immatriculation au RCCM. L’intérêt de
l’immatriculation et des diverses inscriptions envisagées est de favoriser la transparence de la
vie des entreprises. Cette transparence tient au fait que les informations sur la vie des entreprises
figurant au RCCM sont accessibles à tout intéressé qui peut, à ses frais, obtenir des extraits
auprès du greffe de la juridiction compétente. Les banques utilisent cette source d’information
précieuse à côté des autres sources dont elles disposent. La publicité sur la vie des entreprises
est ainsi un important facteur de transparence, ce qui intéresse particulièrement les différents
partenaires de l’entreprise dont les banques tout naturellement.
Au-delà de l’aspect externe de la transparence, cette dernière est également prévue pour les
partenaires internes de l’entreprise dont les associés, voire les travailleurs à travers, le cas
échéant, les comités d’entreprises.
Le contrôle de la gestion des entreprises joue un rôle important dans l’amélioration de l’accès
de celles-ci au crédit. Dans l’espace OHADA, ce contrôle est assuré de plusieurs manières dans
les entreprises de forme sociétaire, tandis que pour les entreprises individuelles la situation est
beaucoup plus difficile compte tenu du fait qu’il s’agit là par hypothèse de l’affaire d’un seul
individu. Le contrôle de la gestion dans les sociétés commerciales est assuré avant tout par les
associés à travers leurs droits à l’information, ainsi qu’à travers la possibilité qui leur est offerte,
si certaines conditions sont réunies, de demander une expertise de gestion 15. Le droit à
l’information fait partie des droits politiques conférés à leur titulaire par la qualité d’associé 16.
Les associés ont le droit d’être informés sur la gestion de leur société à travers la participation
aux organes de délibérations collectives que sont les assemblées d’associés. Ce droit concerne
aussi bien les assemblées générales ordinaires, que celles extraordinaires17. L’information des
associés est assurée par plusieurs mesures 18. Il convient, toutefois, de remarquer que les associés
ne connaissent pas, le plus souvent, certains de leurs droits. C’est une telle méconnaissance qui
les pousse tout naturellement à ne pas en user efficacement. Par conséquent, pour rendre en
13
Voir aussi. M.-E. MFINI, Droit des affaires : instruments de crédit et de paiement, préf. R.Y. KALIEU
ÉLONGO, L’Harmattan, 2021.
14
Voir l’article 15, AUDCG révisé qui prévoit que « Toute personne morale commerçante doit également établir
tous les ans ses états financiers de synthèse conformément aux dispositions de l’Acte uniforme portant organisation
et harmonisation des comptabilités des entreprises et de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales
et du groupement d’intérêt économique. » L’AUDCF qui a remplacé celui portant Harmonisation de la
Comptabilité des Entreprises (AUCE), a été adopté à Brazzaville, le 26 janvier 2017. Il est entré en vigueur le 1er
janvier 2018 pour les comptes personnels des entités, le 1er janvier 2019 pour les comptes consolidés, les comptes
combinés ainsi que les états financiers de synthèse. Pour un commentaire général de cet Acte uniforme, v. S. SERE
et alii, in N. DIOUF et alii OHADA, Traité et Actes uniformes commentés et annotés, op. cit., p. 1171 et s.
15
Voir. art. 159 de l’Acte uniforme de l’OHADA relatif au Droit des Sociétés commerciales et du groupement
d’intérêt économique (AUDSC/GIE), révisé, du 30 janvier 2014.
16
Voir art. 7 et s., AUDSC/GIE, révisé, préc.
17
Voir art. 125 et s., AUDSC/GIE, révisé.
18
Voir par exemple, art. 157, 158 et s., AUDSC/GIE, révisé.
pratique efficaces ou plus efficaces les mesures de contrôle mises à leur disposition par le droit
positif de l’OHADA, il est important de vulgariser celles-ci, tout au moins, à l’endroit des
intéressés.
Un autre organe de contrôle de la gestion des sociétés commerciales est constitué par le
commissaire aux comptes. Celui-ci est un contrôleur professionnel de la gestion des entreprises.
Il dispose de plusieurs prérogatives dans l’accomplissement du sa mission. Désormais, dans les
Sociétés en nom collectif (SNC), la nomination d’un commissaire aux comptes est envisagée
dans les conditions prévues par l’article 289-2 de l’AUDSC/GIE révisé. Dans les Sociétés à
responsabilité limitée (SARL), la nomination de commissaire aux comptes est obligatoire
quand l’une des trois conditions mentionnées à l’alinéa 1er de l’article 376 de l’AUDSC/GIE
révisé. Dans les SARL ne remplissant pas ces conditions, la nomination d’un commissaire aux
comptes reste facultative. Cependant, même dans ce cas, un ou plusieurs associés ont la
possibilité d’en demander la nomination par voie judiciaire, à condition de détenir au moins le
dixième du capital conformément à l’article 376, al. 3, AUDSC/GIE, révisé. Cette possibilité
est importante dans la mesure où elle renforce les dispositions du contrôle de la gestion des
SARL. Dans les Sociétés Anonymes (SA), la nomination d’un commissaire aux comptes et
d’un suppléant est obligatoire dans le cas où celles-ci ne font pas appel public à l’épargne. Dans
le cas contraire, la désignation de deux commissaires aux comptes, au moins, ainsi que de deux
suppléants au moins, est exigée 19. Dans les Sociétés par Actions simplifiées (SAS), la
nomination d’un ou plusieurs commissaires aux comptes obéit aux conditions de l’article 853-
13, de l’AUDSC/GIE, révisé.
L’amélioration du contrôle de la gestion des entreprises par les commissaires aux comptes passe
également par leur plus grande responsabilisation pratique. C’est pourquoi, il est important
qu’ils ne tombent pas sous la dépendance ou la complicité des gérants afin de ne pas fausser
leur mission qui est d’effectuer un contrôle sincère et sérieux. La responsabilité des
commissaires aux comptes est prévue par l’AUDSC/GIE dans plusieurs hypothèses 20. Il est
important que le respect des dispositions régissant leur statut juridique, y compris leur
responsabilité, soit assuré. Pour cela une importante activité de formation et de sensibilisation
est nécessaire à l’endroit des différents acteurs de la vie de l’entreprise. Il faut que ceux-ci soient
bien informés sur les mérites de la bonne gouvernance pour le développement de l’entreprise.
C’est un important facteur d’amélioration de l’accès au crédit, ce qui peut passer également par
le renforcement des informations sur le crédit des clients.
19
Voir art. 694, al. 1 et art. 702 AUDSC/GIE, révisé.
20
M. DELHOMME, La responsabilité pénale de l’expert-comptable, Préface de F. TERRE, avec la collaboration
de S. BENSIMON, Joly éditions, Paris 1998, p. 31-46 ; 149-151. Adde A. SAKHO, « Les attentes en matière de
mission légale de commissariat aux comptes », Revue sénégalaise de droit des affaires, 2005 à 2008.
21
Voir les articles 4 et suivants de la Loi n° 2015-015/AN-RM du 30 mai 2015, portant règlement des bureaux
d’information sur le crédit.
22
BCEAO, « Présentation des Bureaux d’Information sur le crédit dans l’UMOA », in Promotion des Bureaux
d'Information sur le Crédit dans l'UMOA | BCEAO, (consulté le 15 septembre 2023).
23
Voir D. SOW, Le déséquilibre des relations de crédit entre la banque et les usagers, th., préc., n° 32 et s.
24
Aux de l’alinéa 2 de l’article 3 de l’Instruction n° 01/2003/SP du 8 mai 2003 relative à la promotion des moyens
de paiement scripturaux et à la détermination des intérêts exigibles en cas de défaut de paiement, « Est considéré
comme revenu régulier, toute somme égale ou supérieure à cinquante mille (50.000) FCFA dont est susceptible de
justifier : – une personne physique salariée sur une période mensuelle ; – une personne physique non salariée ou
une personne morale, sur une période mensuelle, bimensuelle, trimestrielle, semestrielle, voire annuelle ».
25
Art. 8, al. 1er Règlement n° 15/2002/CM/UEMOA.
26
Idem.
27
Sur le droit au compte en France v. notamment, Th. SAMIN, « Origine et portée du droit au compte », Banque
magazine, 2005, n° 665, p. 45.
28
Ainsi, cet article dispose dans son alinéa 1 que « Toute personne physique ou morale, établie dans l’un des
ETATS membres de l’Union, dépourvue d’un compte bancaire ou postal et justifiant d’un revenu régulier tel que
prévu à l’article 8 du règlement, d’un montant supérieur ou égal à cinquante mille (50 000) FCFA, a droit à
l’ouverture d’un tel compte auprès de l’établissement de son choix et à la mise à sa disposition d’au moins un
instrument de paiement entouré de sécurités nécessaires ».
29
Le service bancaire de base est prévu par l’article 10 du Règlement n° 15 précité qui dispose que « L’ouverture
d’un compte de dépôt donne droit à un service bancaire minimum comprenant :
1. la gestion du compte ;
2. la mise à disposition d’au moins un instrument de paiement, entouré des sécurités nécessaires ;
3. la possibilité d’effectuer des virements (domiciliation, encaissement et paiement) à partir de ce compte ;
4. la possibilité d'effectuer des prélèvements à partir de ce compte ;
5. la réception et la remise en compensation d’opérations de paiements pour le compte du client ;
6. la délivrance au client de relevés de compte trimestriels et, à sa demande, de Relevés d'Identité Bancaire ou
Postale ».
30
BCEAO, Direction Générale de la Stabilité et de l'Inclusion Financières, « Stratégie régionale d'inclusion
financière dans L'UEMOA : vision, objectifs, axes stratégiques et dispositif institutionnel de mise en œuvre »,
Dakar, 03 juin 2019, p. 1.
31
BCEAO, Document-cadre de Politique et de Stratégie régionale de l’Inclusion financière (SRIF), adoptée à
Lomé par la Décision du Conseil des Ministres en date du 24 juin 2016, n° 47 à 57, in http://se-
snfi.ne/images/textes/SRIF-VERSION-PUBLIC.pdf, (consulté le 13 octobre 2023).
32
Voir BCEAO, Document-cadre de Politique et de Stratégie régionale de l’Inclusion financière (SRIF), préc., n°
35 à 41, in http://se-snfi.ne/images/textes/SRIF-VERSION-PUBLIC.pdf, (consulté le 13 octobre 2023).
33
B. K. TIMITE, L. SKALLI, « Évaluation de la Stratégie Régionale d’Inclusion Financière dans L’UEMOA »,
Journal of Integrated Studies In Economics, Law, Technical Sciences & Communication, Vol (1), No (2) 2023.
34
Voir J.O. du Mali, 29 juillet 2022, p. 884 et 885, in : https://sgg-mali.ml/JO/2022/mali-jo-2022-22.pdf, (consulté
le 13 octobre 2023)
impliquant l'ensemble des acteurs financiers, afin de faciliter l'accès au financement du plus
grand nombre »35.
Les mesures générales d’amélioration de l’accès au crédit ainsi examinées et dont la mise en
œuvre pratique mérite plus d’attention, sont complémentées par des mesures spécifiques, pour
de meilleurs résultats.
35
Voir Communiqué du Conseil des ministres du 27 mai 2022, doc_6682996321317897001communiqu-du-cm-
du-27-mai.pdf. Le Sénégal a adopté sa Stratégie Nationale d’Inclusion financière 2022-2026 en janvier 2022.
36
Voir. BCEAO, « Structures d’appui et d’encadrement au Mali » : in
https://www.bceao.int/fr/content/dispositif-de-soutien-au-financement-des-pmepmi-liste-des-
structures-dappui-et-dencadrement, (consulté le 13 octobre 2023).
37
Dans ce sens, le point 17 de l’article 2 de la décision n° 16/2003/CM/UEMOA envisage notamment de :
« - faire bénéficier aux investissements financés par crédit-bail des mêmes avantages du code des
investissements que les investissements classiques ;
- mener à son terme la mise en place de la loi-cadre concernant le capital-risque et les sociétés d'investissement
en fonds propres sur la transparence fiscale ;
- aménager des incitations fiscales pour amener les banques commerciales à financer davantage les PME et les
micro-entreprises ;
- instituer des fonds de garantie dédiés aux PME dans les pays de l'UEMOA ;
- réduire les coûts d'enregistrement des hypothèques pour les PME ;
- promouvoir la microfinance, notamment dans le sens de renforcer la capitalisation des institutions actives
dans ce domaine et développer la coopération financière entre elles et le système bancaire de manière à soutenir
la création de passerelles permettant aux micro-entreprises d'évoluer vers des PME ;
- poursuivre l'approfondissement et la diversification du système financier de l'UEMOA, en vue notamment de
l'émergence de banques de proximité ».
38
Voir BCEAO, « Présentation du Dispositif de soutien au financement des PME/PMI dans l'UEMOA », préc.
Cette présentation rappelle également le concept de PME (aussi bien pour les PME que pour les PMI), pris en
compte par le Dispositif il s’agit « toute entreprise non financière qui obéit aux caractéristiques ci-après » :
- « être une entreprise autonome, productrice de biens et/ou services marchands, immatriculée au Registre du
Commerce et du Crédit Mobilier ou à tout registre équivalent en tenant lieu » ;
- « avoir un chiffre d’affaires hors taxes annuel qui n’excède pas un (1) milliard de FCFA ;
se conformer à l'obligation légale de produire des états financiers selon les dispositions en vigueur ».
39
Voir le Projet de Statuts de la BIDC sur : http://www.bidc-ebid.com/fr/popup/raport2006_fr.pdf (consulté en
2007).
40
Voir, sur le Fonds de Garantie des Investissements privés en Afrique de l’Ouest : www.fondsgari.org/.
41
On constate que la CEDEAO ajoute à la typologie des PME/PMI les Micro-Entreprises.
42
Voir CEDEAO, « Charte des MPME de la CEDEAO 2015-2020 », in : ECOWAS-MSME-
CHARTERFRENCH.pdf, (consulté le 13 octobre 2023).
43
Voir art. 82, al. 1er, AUDSC/GIE, révisé
banques. Partant, elles sont soumises, elles aussi, aux rigueurs du crédit bancaire. Si elles
rencontrent des difficultés dans leurs relations avec les banques, elles pourront difficilement
accorder de crédits consistants. Toutefois, dans son évolution, une institution de microcrédit
peut, si les choses se passent bien, avoir le poids d’une banque. Dans ce cas, sa situation
financière peut lui permettre de faire face à des demandes de crédit portant sur des montants
qui peuvent être relativement importants. Cela peut permettre à l’institution de microcrédit de
constituer une certaine alternative au crédit bancaire.
À côté des alternatives plus ou moins formelles, il existe des alternatives de financement
informel qui méritent également une certaine attention, même si elles présentent elles aussi des
limites. La finance informelle connaît beaucoup de limites liées, en partie, à sa nature même.
Par finance informelle, il convient d’entendre les modes de financement non institutionnalisés.
Entrent dans ce cadre diverses catégories de financement appelées à faire face aux difficultés
d’accès à la finance formelle. Le plus souvent, la finance informelle est pratiquée dans un cercle
restreint de personnes qui se connaissent et se font mutuellement confiance. Les liens entre ces
personnes peuvent être d’amitié, de parenté et (ou) de collaboration. Il existe plusieurs sortes
de finances informelles. On peut d’abord citer la tontine avec ses différentes variantes. Cette
sorte de finance informelle est très répandue dans les pays en voie de développement, comme
c’est le cas du Mali. La tontine permet à ses membres de réunir une certaine somme d’argent
de façon périodique et de se l’attribuer, à tour de rôle. Elle a le mérite d’être souple et moins
onéreuse que les autres sources de financement. Cependant, ses capacités restent généralement
faibles. Elle ne permet pas, le plus souvent, de faire face à des besoins de financement
importants. C’est pourquoi, tout comme les institutions de microfinance, elle constitue une
alternative limitée au crédit bancaire.
Au niveau de la finance informelle, il convient de citer, en outre, les différents prêts informels
que l’on rencontre dans la société. Généralement modestes, ces prêts peuvent quelques fois être
importants, compte tenu des capacités du prêteur et de sa confiance en son interlocuteur. Ils
permettent de faire face, le plus souvent, à certains besoins urgents de ceux qui les sollicitent.
Leurs limites tiennent, toutefois, aux difficultés qui peuvent entourer leur recouvrement car,
souvent, des dispositions concrètes ne sont pas prises à titre préventif (les garanties notamment),
mais aussi en raison de la difficulté d’en trouver, vu la pauvreté avancée qui rend très illusoire
l’épargne, y compris celle informelle. C’est pourquoi, il convient aussi de promouvoir des
institutions de financement bancaire adaptées aux besoins des entreprises.
celles-ci. Dès lors, un accent particulier doit être mis sur la correction de cette situation. En plus
du renforcement de la situation des banques existantes, la création d’autres banques pour le
financement des entreprises est indispensable. À ce niveau, il faudra tenir compte d’une double
différenciation tenant elle-même à la diversité des besoins en financements.
D’abord, dans la promotion de structures bancaires adoptées au financement des entreprises, il
est indispensable de tenir compte du cas des grandes entreprises et celui des petites et moyennes
entreprises. Les structures de financement à promouvoir doivent donc être à mesure de proposer
à chacune de ces catégories d’entreprises des crédits appropriés. Ensuite, il est nécessaire
d’avoir des structures de financement plus ou moins spécialisées en tenant compte aussi bien
des besoins du commerce interne, que de ceux du commerce international. Ce second aspect
mérite aussi une attention particulière dans la mesure où il est indispensable d’offrir aux
entreprises des moyens adéquats pour le développement de leurs opérations internationales. La
création de structures spécialisées de financement permettrait de compléter les efforts des autres
intervenants dans le financement de ce type d’opérations de crédit 44. Les dispositions relatives
à la finance islamique prises dans l’espace UEMOA, rentrent également dans le cadre de la
diversification des offres de financement 45.
Conclusion
Les mesures d’amélioration de l’accès au crédit sont ainsi variées. Pour plus d’efficacité, ces
mesures méritent d’être mieux mises en œuvre. Toutefois, et aussi « paradoxal » que cela puisse
paraître, dans le cadre des mesures visant à promouvoir les modes de financement adaptés aux
besoins des entreprises, il est important de créer les conditions favorables à la promotion de
l’épargne et à son drainage non seulement vers les banques, mais aussi vers d’autres structures
de financement des entreprises. Cela passe par des mesures appuyées en vue de lutter contre la
pauvreté très répandue dans nos pays. D’où la nécessité d’énormes efforts en vue de réduire
cette dernière afin qu’on puisse non seulement subvenir aux besoins quotidiens, mais aussi
économiser pour réaliser des projets de développement, toute chose de nature à améliorer
l’accès au crédit et le renforcement de l’inclusion financière. Le tout gagnerait du respect des
exigences de conformité aussi bien aux mesures issues du « Droit dur » que celles « du Droit
mou ».
44
La création du Fonds de garantie hypothécaire du Mali et du Fonds de garantie pour le secteur privé, venus
enrichir le paysage des établissements de crédit du Mali est à saluer.
45
Il en est de même pour les dispositions relatives au crédit-bail ; à l’affacturage, ainsi qu’à la titrisation.
Résumé
Dans le fonctionnement des sociétés commerciales OHADA, la prise des décisions impactant la
vie de la société se fait en assemblée générale. La tenue de ces assemblées générales impose la
mise en place de l’ordre du jour entendu comme un document dans lequel sont inscrites toutes les
questions qui doivent être discutées et approuvées lors de l’assemblée générale ou la partie de la
convocation que les dirigeants de la société commerciale transmettent à leurs membres pour les
informer des questions sur lesquelles ils sont appelés à délibérer. C’est un moyen de canalisation
des discussions en assemblées.
L’ordre du jour occupe alors une place centrale dans le bon déroulement des assemblées générales
car il rend efficaces les délibérations faites en assemblées générales et participe de la protection
des associés contre les comportements abusifs des dirigeants sociaux aux cours de ces assemblées
générales.
Introduction
Les sociétés sont pour l’économie d’un pays ce que sont les poumons pour la vie d’un homme 1.
Dans les dix-sept États qui forment aujourd’hui l’OHADA entendu comme l’Organisation pour
l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires, le droit des sociétés est désormais constitué de
règles communes contenues dans les Actes uniformes, et particulièrement l’Acte uniforme relatif
au droit des sociétés commerciales et du Groupement d’intérêt économique. Cet Acte uniforme qui
a connu une révision le 30 janvier 2014 dans un souci de perfectionnement technique, de modernité
et de compétitivité, prévoit un corpus de règles qui définissent la société commerciale fixe les
modalités de création, de fonctionnement et de dissolution de celle-ci. Cette révision a suscité un
grand intérêt aussi bien en Afrique qu’en Europe2 étant donné que le droit des sociétés n’est plus
un droit territorial3. Il existe une concurrence entre les législations pour attirer les entreprises, une
prise en considération d’un marché dont les frontières s’estompent 4. Le droit des sociétés
commerciales, même s’il constitue un tout qui tend à se suffire à lui-même subit néanmoins des
1
P.-G. POUGOUE, F. ANOUKAHA, J. NGUEUBOU TOUKAM, Le droit des sociétés commerciales et du
groupement d’intérêt économique dans l’acte uniforme OHADA, Presses universitaires d’Afrique, 1998, p.2.
2
Pour le cas de l’Europe, voir en France le compte rendu de B. FRANCOIS, (2014) revue des sociétés 142. L’auteur
met néanmoins l’accent sur la Société par actions simplifiée (SAS), la Société Anonyme (SA) et la Société à capital
variable.
3
B. Le BARS, « l’évolution du droit des sociétés au regard du règlement général du conseil des marchés financiers »,
in Aspects actuels du droit des affaires. Mélanges en l’honneur de Yves GUYON, Paris, Dalloz, n°2, 2003, p. 588.
4
Ibid.
influences extérieures5. Ainsi, lorsque l’environnement se modifie, les sociétés changent aussi soit
parce qu’elles s’adaptent à ces changements, soit parce qu’elles ne s’adaptent pas 6.
Dans sa définition la plus complète, la société commerciale peut être entendue comme une
convention par laquelle deux ou plusieurs personnes affectent des biens en nature ou en numéraire,
dans le but d’en partager les bénéfices ou de profiter de l’économie qui pourrait en résulter 7. Les
associés s’engageant aussi à supporter les pertes. Le fonctionnement de la société commande alors
la prise de décisions collectives qui doivent se faire en assemblée générale. L’assemblée générale
regroupent ainsi les associés de la société commerciale afin qu’ils délibèrent sur toute une série de
sujets liés au fonctionnement de la société commerciale et plus fondamentalement à son existence.
On distingue alors principalement les assemblées générales ordinaires et extraordinaires. La tenue
de ces assemblées générales se fait autour d’un ordre du jour.
L’ordre du jour est une liste fixée à l’avance des questions qu’une assemblée délibérante aura à
examiner au cours d’une séance suivant le rang dans lequel elles ont été inscrites 8. En effet, il s’agit
d’un document dans lequel sont inscrits toutes les questions qui doivent être discutées et
approuvées lors de l’assemblée générale. C’est la partie de la convocation que les dirigeants de la
société commerciale transmettent à leurs membres pour les informer des questions sur lesquelles
ils sont appelés à délibérer. A ce titre, l’établissement de l’ordre du jour est la première étape à
réaliser pour organiser une assemblée générale. Pour cette raison, l’ordre du jour est soumis à un
formalisme légal strict tant au regard des personnes compétentes pour son élaboration qu’au regard
de son contenu. La fixation de l’ordre du jour revêt une importance déterminante puisqu’il délimite
les sujets qui seront abordés lors de l’assemblée générale, fixe les questions qui vont être votées et
offre aux associés et autres participants (commissaire aux comptes), l’occasion de préparer la
réunion afin d’échanger et de débattre. En effet, l’ordre du jour est envoyé à chacun des participants
avant la réunion de manière à pouvoir anticiper les sujets. Fixer un ordre du jour d’une assemblée
générale facilite la discussion dans la mesure où chacun est susceptible de pouvoir considérer, en
amont, les différentes thématiques abordées. Ainsi les participants peuvent participer aux prises de
décisions de manière réfléchie. Il convient de souligner que dans tous les types de sociétés
commerciales prévues par l’Actes uniforme OHADA sur le droit des sociétés, l’ordre du jour est
l’élément central garant du bon déroulement des prises de décisions collectives.
Au regard de tout ce qui précède, il se pose le problème de l’intérêt de l’ordre du jour dans une
assemblée générale d’une société commerciale OHADA. Autrement dit, quels sont les enjeux de
l’ordre du jour d’une assemblée générale dans les sociétés commerciales OHADA ? Dans ce travail
de recherche que nous voulons méthodique, nous partons du postulat selon lequel l’ordre du jour
est un gage d’efficacité des délibérations d’une assemblée générale dans les sociétés commerciales
OHADA, et de protection des associés contre les dirigeants abusifs. En effet, l’ordre du jour étant
un outil d’aide à la décision, il véhicule une information qui permet aux associés de mieux se
5
Y. GUYON, « L’évolution de l’environnement juridique de la loi du 24 juillet 1966 », Revue des sociétés,1996, 501.
6
Ibid.
7
Article 4 de l’AUSCGIE.
8
G. CORNU, Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique, PUF, 1987, p.713.
préparer à la tenue de l’assemblée générale et rendre ainsi efficaces les discussions au cours de
celle-ci. L’ordre du jour est également un moyen de canalisation des discussions en assemblée ;
car il énonce les différents points qui doivent être abordés au cours de l’assemblée générale. A cet
effet, l’Acte uniforme impose le strict respect des points inscrits à l’ordre du jour ; lui donnant ainsi
le caractère obligatoire. C’est d’ailleurs ce caractère obligatoire de l’ordre du jour qui assure une
protection aux participants à l’assemblée générale contre les abus des dirigeants. Qui plus est, le
questionnement autour de l’ordre du jour de l’assemblée générale dans les sociétés commerciales
OHADA permet de de mettre en évidence, non seulement, sa place centrale mais aussi sa finalité ;
tant il constitue des débats et discussions en assemblée.
Ainsi, tentant d’élucider les enjeux de l’ordre du jour d’assemblées générales dans les sociétés
commerciales OHADA, nous aborderons l’ordre du jour comme un gage d’efficacité des
délibérations d’une assemblée générale d’une part (I) ; et d’autre part comme un instrument de
protection des associés contre les abus des dirigeants sociaux (II).
I. L’ordre du jour : gage d’efficacité des délibérations d’une assemblée générale dans
les sociétés commerciales OHADA
La notion d’efficacité est actuellement l’objet d’une inflation verbale 9. Elle devient le référent à la
mode de toute relation d’ordre juridique. Les linguistes juridiques diraient de l’efficacité qu’elle
est polysémique du point de vue externe car pourvue de multiples sens dépassant les strictes
frontières du droit. Au sens commun, l’efficacité, du latin eficax, acis (agissant, qui réussit, qui
réalise, qui produit de l’effet), désigne ce « qui produit l’effet qu’on en attend »10. Est efficace « un
produit, (…) une méthode (…) qui produit l’effet attendu » ou une personne « qui remplit bien sa
tâche, se dit de son action, de ses paroles qui atteignent leur but, qui aboutissent à des résultats
utiles »11. Lorsqu’elle est abordée juridiquement, l’efficacité est rarement définie par les juristes 12.
La définition juridique la plus compréhensive de l’efficacité peut être trouvée dans le Dictionnaire
encyclopédique de théorie et de sociologie du droit qui la définit comme « un mode d’appréciation
9
M. MEKKI, « L’efficacité et le droit, Essai d’une théorie générale », Revue de l’Université de Sapporo, 2009, p.1.
10
A. REY, Le Petit Robert de la langue française, Édition 2020, Le Robert, 2019, V. Efficacité.
11
P. LAROUSSE, Grand Dictionnaire Universel, Hachette Livre BNF, 2018, V. Efficacité.
12
Par exemple, le Vocabulaire Juridique de Gérard Cornu, Bible terminologique des juristes français, ne définit pas
l’efficacité V. cep. Quelques exemples de plus en plus nombreux, C. AUBERT DE VINCELLES, Altération du
consentement et efficacité́ des sanctions contractuelles, Préf. Y. LEQUETTE, Dalloz, vol. 19, 2002 ; M. BOURASSIN,
L’efficacité́ des garanties personnelles, Préf. M.-N. JOBARD-BACHELLIER, L.G.D.J., 2006. Les auteurs qui
raisonnent selon la méthode de l’analyse économique s’y intéressent davantage, v. par ex. G. ROYER, L’efficience en
droit pénal économique. Étude de droit positif à la lumière de l’analyse économique du droit, Préf. Fr. STASIAK,
LGDJ, coll. Droit et économie, 2009 ; J.-P. JEAN, De l’efficacité́ en droit pénal, Le droit pénal à l’aube du troisième
millénaire, in Mélanges offerts à J. PRADEL, Cujas, 2006, p. 135 et s. ; M.-A. FRISON-ROCHE, L’efficacité́ des
décisions en droit de la concurrence : notions, critères, typologies, P.A., 2000, n° 259, p. 4 et s. ; Ph. CONTE, «
Effectivité́ », « inefficacité́ », « sous-effectivité́ », « sur efficacité́ » ... : variations pour droit pénal, in Le droit privé
français à la fin du XXe siècle, Mélanges P. CATALA, Litec, 2001, p. 125 et s. ; G. CANIVET, M.-A. FRISON-
ROCHE et M. KLEIN (dir.), Mesurer l’efficacité́ économique du droit, LGDJ, coll. Droit et économie, 2005.
des conséquences des normes juridiques et de leur adéquation aux fins qu’elles visent » 13. Une
norme juridique est efficace lorsqu’elle est adaptée aux fins poursuivies.
Dans le contexte du droit des sociétés commerciales OHADA, l’objectifs visé est de rendre
l’environnement des affaires plus attractifs pour attirer les investisseurs et l’atteinte de cet objectif
passe par la mise en place d’un arsenal juridique approprié. C’est dans cet objectif que, pour le bon
fonctionnement de la société commerciale, le législateur OHADA a entouré la prise des décisions
collectives de certains impératifs parmi lesquels figure l’ordre du jour. L’ordre du jour en raison
de la place centrale qu’il occupe dans la tenue d’une assemblée générale dans les sociétés
commerciales est une garantie de l’efficacité des délibérations faites en assemblée générale. Dans
ce sens peut-on observer que le législateur OHADA, soucieux du déroulement pour le moins
efficace des débats et discussions au sein des assemblées délibérantes, consacre les impératifs
d’accessibilité et de communicabilité de l’ordre du jour (A), impératifs dont le non-respect entraine
des sanctions (B).
13
A.-J. ARNAUD (dir.), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, L.G.D.J., 1993, V°
Efficacité́ .
l’assemblée de manière à anticiper les sujets. De principe, « les associés ont un droit d’information
permanent sur les affaires sociales. Préalablement à la tenue des assemblées générales, ils ont en
outre un droit de communication »14. Le droit de communication reconnu aux associés repose alors
sur trois éléments essentiels à savoir la date, le lieu de la réunion et l’ordre du jour 15. Cette
information qui passe par la communication de l’ordre du jour et des documents y afférant permet
aux participants à l’assemblée générale de mieux se préparer sur les points qui seront débattus au
cours de la réunion. Ce droit de communication est un droit absolu.
En droit OHADA, une information est organisée au profit des associés ou des actionnaires au cours
des réunions de l’assemblée et pendant la période qui précède celle-ci. Au cours de la période qui
précède la tenue de l’assemblée générale, l’actionnaire ou l’associé a le droit à la communication
d’un certain nombre de renseignements (date, lieu de la réunion et ordre du jour) et de documents
relatifs à l’ordre du jour. En effet, la garantie de l’intelligence des votes n’est assurée que si, tout
en portant un jugement éclairé sur la marche des affaires sociales, les assemblées des associés ou
actionnaires se prononcent en connaissance de cause16. C’est pour cette raison que l’AUSCGIE
reconnaît à chaque type de société, le droit pour l’associé, avant la tenue de chaque assemblée,
connaissance des documents sociaux 17. Ainsi, dans les SARL, les associés ont le droit, à partir du
quinzième jour précédent l’assemblée générale ordinaire annuelle, de se faire communiquer les
documents sociaux et les documents comptables 18. Il s’agit des états financiers de synthèse de
l’exercice, du rapport de gestion, le texte de résolution proposé, du rapport de gestion, le texte de
résolution proposé, ainsi que le rapport général du commissaire aux comptes, s’il en existe un, ou
du rapport spécial du commissaire aux comptes relatif aux conventions intervenues entre la société
et son gérant19.
Dans les sociétés anonymes, les articles 525 et suivants organisent aussi le droit de communication
des documents sociaux aux actionnaires en vue des assemblées ou à toute époque de l’année. Ainsi,
l’actionnaire ou son mandataire a le droit de prendre connaissance au siège social et éventuellement
celui de prendre, à ses frais, copie des documents en dehors de l’inventaire. Ces documents ont
trait aux rapports du commissaire aux comptes, à la liste des actionnaires, au montant global certifié
par le commissaire aux comptes des rémunérations versées aux dirigeants sociaux, à l’exposé des
motifs des résolutions proposées, ainsi que des renseignements concernant les candidatures au
conseil d’administration ou au poste de direction. Cette liste est, selon la jurisprudence,
14
Article 344 de l’AUSCGIE.
15
Articles 338, 518, 303 et 286 de l’AUSCGIE.
16
VOUDWE BAKREO, Exigence de transparence des sociétés commerciales dans l’espace OHADA, Approche
fonctionnelle de l’exigence, Presses Académiques Francophone, 2014, p. 69.
17
Y.-R. NGO NDJIGUI, Le secret des affaires dans le droit des pays de l’espace OHADA et en droit français, thèse,
Évry-Val-d ’Essonne, 2005, p.334.
18
Article 345 de l’AUSCGIE.
19
En France, l’article L221-7 du Code de commerce impose la communication des mêmes documents sans toutefois
fixer les modalités et les délais de communication qui sont renvoyés aux statuts.
exhaustive20. A l’analyse, il ne semble qu’aucun autre document ne pourrait être communiqué aux
actionnaires.
Dans les sociétés en nom collectif et les sociétés en commandite simple, le droit de contrôle prévu
par les articles 288 et 306 de l’AUSCGIE s’exerce également quinze jours avant la tenue de
l’assemblée, sur le rapport de gestion, l’inventaire et les états financiers de synthèse établis par le
gérant ainsi que les textes de résolutions proposées et, le cas échéant, le rapport du commissaire
aux comptes. Les associés peuvent, dans ces types de société, se faire communiquer les documents
quelle que soit leur ancienneté21. Une exigence d’information préalable des associés est prescrite
avant la réunion de l’assemblée22. Dans le cas particulier de l’assemblée générale annuelle, il y a
une obligation de communiquer au préalable les documents mentionnés, en rapport avec l’ordre du
jour.
Ce droit d’information préalable spécifique aux assemblées s’ajoute simplement au droit
d’information permanente reconnu aux associés non-gérants et permet à ceux-ci de mieux
s’imprégner de la gestion et de la vie de la société en général.
20
TPI Yaoundé, Ord. Réf., n°494/0 du 06 févr. 2001 (inédit).
21
P.-G. POUGOUE, « Sociétés commerciales et du GIE sur le contrôle et le développement des entreprises locales »,
Juridis Périodique, n°66, avril-mai-juin 2006, p.107.
22
VOUDWE BAKREO, ibid., p. 71.
23
TRHC Dakar, Jugement n°1364 du 28 oct. 2002, Ohadata J-05-39 ; CA Ouagadougou, Ordonnance de référé
n°68/2003 du 04 sept. 2003, Ohadata J-08-08.
également quelques nouveaux venus. C’est de prime abord le conseil d’administration (par le biais
de son président) ou l’administrateur général. En cas d’inertie de instances, faculté est offerte à
d’autres personnes de procéder à la convocation de l’assemblée des actionnaires. Il s’agit du
commissaire aux comptes après que celui-ci ait vainement requis l’organe compétente de
convocation24, un mandataire désigné par la juridiction compétente ou en cas d’urgence par le juge
de référé25. Il importe de relever que l’ordre du jour de l’assemblée est arrêté par l’auteur de la
convocation. Cette indication est essentielle pour la tenue de l’assemblée.
Cependant, un ou plusieurs associés peuvent solliciter la modification de l’ordre du jour pour y
ajouter des points ou pour retrancher un point déjà inscrit. Dans les sociétés anonymes, un ou
plusieurs actionnaires détenant une fraction du capital, qui varient avec le capital social, peuvent
requérir de l’auteur de la convocation l’inscription de projets de résolution à l’ordre du jour 26. C’est
d’ailleurs à cela que sert la communication préalable de l’ordre du jour aux participants à
l’assemblée. La demande qui est adressée à l’auteur de l’ordre du jour est accompagnée du projet
de résolution auquel est joint un bref exposé des motifs, de la justification de la possession ou de
la représentation de la fraction de capital exigée au présent article. Lorsque le projet de résolution
porte sur la présentation d’un candidat au poste d’administrateur ou d’administrateur général, il
doit être fait mention de leur identité, de leurs références professionnelles, de leurs activités
professionnelles et de leurs mandats sociaux au cours des cinq dernières années. Ces modifications
de l’ordre du jour ne peuvent intervenir sur deuxième convocation ou, le cas échéant, pour les
assemblées générales extraordinaires, sur troisième convocation. C’est dire que la possibilité de
modification n’est ouverte que sur première convocation des associés qui se fait quinze jours avant
la tenue de l’assemblée. Cette interdiction s’explique par la nécessité de communiquer l’ordre du
jour ainsi modifié aux autres participants dans les délais prévus par la loi.
A l’analyse du texte OHADA, il ressort que les modifications de l’ordre du jour se font par les
propositions de nouveaux points sur l’ordre du jour. L’on peut alors s’interroger sur la possibilité
de retrait des points sur l’ordre du jour. A ce sujet, l’Acte uniforme ne fait aucune évocation.
Toutefois l’on pourrait dire, au regard de la possibilité qui est offerte aux associés d’avoir
préalablement l’ordre du jour et les documents y relatifs, que cette éventualité n’est pas exclue.
Tout dépend alors de la qualité de l’ordre du jour par rapport aux élément légaux et statutaires
devant y figurer. Il reste que la capacité pour les participants de comprendre l’ordre du jour n’est
possible que si celui-ci est fait selon les modalités d’accessibilité et de communicabilité prévues
par la loi.
24
CA Centre- Yaoundé, arrêt n°364/Civ. Du 07 juillet 2000 : inédit.
25
C.Sup. Niger, arrêt n°01-158/C du 16 août 2001, Ohadata J-02-28 ; TRHC Dakar, Ordonnance de référé n°1729 du
31 déc. 2002, Ohadata J-03-182 ; CA. Abidjan, arrêt n°206/11, ch. Civ. Com. Du 08 juil. 2011 : Actualités Juridiques,
éd. Économiques n°1, 2011, p. 12, Ohadata J-13-192.
26
Voir article 520 de l’Acte uniforme OHADA.
27
G. STIGLER, “The economics of information”, Journal of Political Economy, 1961, p. 213.
28
N. VERON, « Après Enron et Worldcom, information financière et capitalisme », Commentaire, n°99, Automne
2002, p. 613.
29
Voir pour plus de détails sur les difficultés d’accès à l’information, l’article de P. SALIN et M. LAINE, « Le mythe
de la transparence imposée », JCP E, n°45-46, 2003, p. 1432.
30
Th. REVET, « Rapport introductif » in Travaux Association Henri Capitant, Le contrat électronique, éd. Panthéon-
Assas, 2000, p.9.
31
K.-P. FIENI, La preuve sur Internet : le cas de la vente en ligne, Mémoire de D.E.A., option Droit et Sciences
Politiques, Université de Cocody-Abidjan, 2006, n°19.
son accord écrit, communiqué son numéro de télécopie ou son adresse électronique selon le cas,
ainsi qu’après confirmation de leur réception par le participant destinataire.
Pour ce qui est des délais, il ressort de l’AUSCGIE que les associés sont convoqués quinze jours
au moins avant la réunion de l’assemblée 32.
1. La sanction de nullité prévue par l’Acte uniforme OHADA en cas de non-respect des
impératifs d’accessibilité et de communicabilité de l’ordre du jour
En cas de non-respect des impératifs d’accessibilité et de communicabilité de l’ordre du jour,
l’AUSCGIE postule pour la nullité de l’assemblée concernée (a) ; ou même, la nullité du procès-
verbal ne contenant pas l’ordre du jour (b).
32
Article 338 de l’AUSCGIE.
33
Ce principe regroupe globalement trois types de libertés. D’abord, il implique la liberté d’entreprendre (liberté
d’établissement, l’idée étant d’autoriser le commerçant à faire le commerce qu’il souhaite). Ensuite, il implique la
liberté d’exploitation et enfin celle de concurrence.
34
La désignation d’un ou plusieurs commissaires aux comptes est obligatoire dans la société anonyme (article 694 de
l’AUSCGIE) et le défaut de désignation constitue une infraction pénale. Dans la SARL et la SAS, la désignation du
commissaire aux comptes a priori facultative. Sa présence ne devient obligatoire que ces types de sociétés ont un bilan
supérieur à 125 000 000 FCFA, un chiffre d’affaires annuel supérieur à 250 000 000 FCFA et un effectif permanent
supérieur à 50 personnes. Dans les sociétés de personnes (SNC, SCS), l’AUSCGIE ne consacre l’intervention des
commissaires aux comptes de manière explicite que dans les sociétés en nom collectif lorsqu’elle atteint un seuil de
montant très élevé (bilan supérieur à 250 000 0000 FCFA, chiffre d’affaires annuel supérieur à 500 000 000 FCFA et
effectif permanent supérieur à 50 personnes).
ordinaire, des commissaires à la fusion, pour les sociétés anonymes, qui doivent faire un rapport à
l’assemblée générale extraordinaire 35 et des représentants des groupements d’obligataires 36. Les
dirigeants non associés peuvent participer à l’assemblée générale avec voix consultative. Les
dirigeants sociaux, lorsqu’ils ne sont pas associés, y participent généralement en qualité d’invités.
Les personnes étrangères à la société peuvent y participer également sur invitation, généralement
en qualité d’experts, de créanciers ou de débiteurs de la société, pour éclairer l’assemblée sur une
question inscrite à l’ordre du jour.
Les règles de convocation des assemblées générales sont assez strictes en droit OHADA des
sociétés commerciales. En cas d’irrégularité de la convocation, l’Acte uniforme impose la nullité
de l’assemblée irrégulièrement convoquée 37. L’irrégularité de la convocation peut consister entre
autres en la non-communication préalable de l’ordre du jour, de la date et du lieu de la réunion ou
en une communication tardive. C’est en ce sens que la jurisprudence, à propos d’une société
anonyme, a jugé que la convocation servie la veille de la réunion à l’un des administrateurs de la
société devait être considérée comme faite de manière irrégulière 38. En droit français, pour faire du
droit comparé, la jurisprudence française a annulé une assemblée convoquée quatorze et non quinze
jours à l’avance39. La règle de la nullité de l’assemblée en cas de convocation irrégulière est posée
par l’article 286 alinéa 3 pour les assemblées des SNC. Pour la SARL, la nullité sanctionne
l’inobservation de l’une ou de l’autre des formalités prévues par l’article 338. A la convocation
irrégulière, la jurisprudence assimile l’absence de convocation ou des éléments obligatoires de la
convocation (date et lieu de la réunion, ordre du jour). Ont ainsi été déclarées nulles les résolutions
prises lors d’une assemblée extraordinaire à laquelle certains associés n’ont pas participé faute
d’avoir été convoqués40. De même, doit être annulée l’assemblée générale ordinaire d’une SARL
à laquelle l’associé majoritaire n’a été ni convoqué ni représenté 41. Toutefois, si tous les
actionnaires ou associés, même non convoqués, ont été présents ou représentés à l’assemblée
générale, il n’y a pas lieu à nullité. C’est la position de la jurisprudence 42. Il convient tout de même
de relever que sur cette question, le juge « peut » mais n’est pas tenu de prononcer la nullité. Il
dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation.
35
Article 672 de l’AUSCGIE.
36
Article 791 de l’AUSCGIE.
37
Article 339 de l’AUSCGIE « Toute assemblée irrégulièrement convoquée peut être annulée. Toutefois, l’action en
nullité n’est pas recevable lorsque tous les associés étaient présents ou représentés ».
38
TRHC de Dakar, Ordonnance de référé n°583 du 28 avril 2003, Ohadata J-05-124.
39
Cass. Fr., Com., 6 juil. 1983 : rev. Sociétés 1984, p.76, note Y. GUYON.
40
CCJA, Arrêt n°034/2008 du 03 juil. 2008 : GD-CCJA, note R. NJEUFACK TEMGWA, p. 121, Ohadata J-09-73.
41
TGI Mfoundi, Jugement n°486 du 12 mai 2003, Ohadata J-08-108.
42
TPI Abidjan, Jugement n°1245 du 21 juin 2001, Écodroit n°1, 2001, p.49, Ohadata J-02-19 ; CA Abidjan, Arrêt
n°1121 du 08 août 2003, Ohadata J-04-99.
43
CCJA, Arrêt n°034/2008/PC du 03 juin 2008 : GD-CCJA, p. 121, note R. NDJEUFACK TEMGWA, Ohadata J-09-
73.
l’exercice du droit de vote et l’accès à l’assemblée 44. Malheureusement, l’on peut constater que
l’Acte uniforme OHADA relatif aux sociétés commerciales n’a incriminé que l’obstacle à l’accès
à l’assemblée générale. La doctrine a pu se demander s’il s’agit d’un souci de décriminaliser après
avoir apprécié l’impertinence de sanctionner pénalement les actes de convocation 45. On a ainsi
l’infraction d’entrave à la participation des associés à l’assemblée générale (a) et celle de non-
établissement des procès-verbaux d’assemblées générales dans les formes prescrites par la loi (b).
44
S. YAWAGA, Droit pénal des affaires au Cameroun, Les Éditions du Schabel, octobre 2022, p. 181.
45
En ce sens, F. ANOUKAHA, A. CISSE, NDIAW DIOUF, NGUEBOU TOUKAM, P.-G. POUGOUE et MOUSSA
SAMB, OHADA, Sociétés commerciales et Groupements d’Intérêt Économique OHADA, Bruylant, 2002, p. 354.
46
S. YAWAGA, Droit pénal des affaires au Cameroun, op. cit., p. 182.
47
J. LARGUIER et Ph. CONTE, Droit pénal des affaires, Armand Colin, 11ème éd., 2004, p.354.
II. L’ordre du jour, un instrument de protection des associés contre les abus des
dirigeants sociaux dans les assemblées générales des sociétés commerciales OHADA
48
Voir article 892 de l’AUSCGIE.
La protection des associés est un des objectifs majeurs du droit des sociétés en général et en
particulier celui du droit des sociétés commerciales OHADA. En assurant la protection du statut
juridique des associés, le droit vise à contraindre les dirigeants sociaux à agir dans le sens de
l’intérêt des associés. Le droit contribue ainsi à réduire les gains issus de comportements
managériaux abusifs, notamment en rendant leur réalisation plus difficile.
49
Chronologie, sens 2, in Grand Larousse en 5 volume : volume 2, Paris, 1992, p.646 « Ordres et dates des évènements
historiques »
juridiques dans le temps et comment s’organisent les situations juridiques les unes par rapport aux
autres. La pluralité des situations juridiques sur laquelle porte l’organisation de la succession des
situations juridiques n’implique pas nécessairement que ces situations soient distinctes les unes des
autres. Autrement dit, l’organisation juridique temporelle porte soit sur les états successifs d’une
seule et même situation juridique, soit sur différentes situations juridiques. Quoiqu’il en soit,
l’ordre dans le temps juridique vise à organiser la succession d’une pluralité de situations juridique
de l’antérieur vers le postérieur 50.
De façon plus simple, la chronologie peut être entendue comme une suite des évènements dans le
temps. L’ordre du jour est présenté de façon chronologique déterminant les points devant être
discutés avant les autres. Il s’agit d’un ordre suivant lesquels les points inscrits s’agencent. le
respect de la chronologie de l’ordre du jour suppose donc pour le dirigeant de l’assemblée générale
de respecter l’ordre contenu dans le document de l’ordre du jour. Lors de la réunion de l’assemblée
générale, le dirigeant doit suivre l’ordre chronologique tel qu’il a été arrêté 51.
50
A.-M. OBA’A ATYAM, Le temps dans les procédures collectives OHADA, Thèse en droit privé, option droit des
affaires, Université de Ngaoundéré, 2020, p.27 n°51.
51
Cass. Crim., 25 mai 1983, n°82-92, p. 280.
52
R. MORTIER et E. GUEGAN, Ordre du jour et résolution nouvelle, JCP, 2018, 1257.
53
J.-F. BABIÈRI, note sous Com. 14 fév. 2018, n°15-16.525, Bull. Joly 2018.214 ; R. MORTIER et E. GUEGAN,
Ordre du jour et résolution nouvelle, JCP 2018, 1257 ; C. COUPET, Intangibilité de l’ordre du jour et nomination du
commissaire aux comptes, Revue droit des sociétés n°5, Mai 2018, comm.82.
54
Il s’agit du droit de communication consacré pas l’AUSCGIE pour tout type de sociétés commerciales (articles 345,
525 de l’AUSCGIE).
l’assemblée générale dans toutes les formes de sociétés commerciales OHADA, seuls les points
mentionnés à l’ordre du jour peuvent faire l’objet d’un débat et d’un vote. De plus, l’ensemble des
sujets présents portés à l’ordre du jour doit être traité pendant l’assemblée générale. La séance ne
peut être levée tant que tous les points n’ont pas été tranchés, à moins que l’assemblée générale ne
vote le report de l’étude de cette question à la prochaine assemblée générale.
Pour faire du droit comparé, il est important de relever que la jurisprudence française a fait une
bonne application du principe de l’intangibilité de l’ordre du jour des assemblées dans un arrêt de
la Cour de cassation du 14 février 2018 (pourvoi n°15-16525) destiné à publication. Dans les faits
et procédure de cet arrêt inédit, l’assemblée générale ordinaire d’une SARL a été convoquée le 05
décembre 2011 par son gérant aux fis de statuer sur une résolution proposant la nomination comme
commissaire aux comptes titulaires et suppléants de la société ABC, la société Audit consultant
océan indien et M.Z dont les candidatures avaient été annexées aux lettres de convocation comme
le prévoit d’ailleurs la loi. La société STM, associé majoritaire de la société ABC vota contre cette
résolution et soumit au vote une seconde résolution proposant la nomination d’autres commissaires
aux comptes titulaires et suppléants que ceux mentionnés dans la convocation, laquelle fut adoptée.
Contestant la validité de cette résolution, les autres associés de la société ABC se réunirent à
nouveau en assemblée le 30 décembre 2011 et nommèrent la société Audit consultant océan indien
et M.Z en qualité de commissaires aux comptes titulaires et suppléants. C’est dans ce contexte que
la société STM a assigné en justice la société ABC, son gérant et ses associés aux fins que soit
constatée la régularité et la validité des délibérations de l’assemblée du 05 décembre 2011, la nullité
de la délibération postérieure des associés et qu’il soit procédé aux formalités de publicité des
nominations y afférentes. Dans son arrêt du 14 novembre 2014, la Cour d’Appel de Saint-Denis de
la Réunion accueille les demandes de la société STM aux motifs que « les associés demeurent
libres de leurs choix et peuvent voter pour un commissaire aux comptes différent de celui inscrit à
l’ordre du jour et que le pouvoir d’une assemblée générale ordinaire ne se limite pas à
l’approbation ou au rejet des résolutions proposées mais s’étend à leur modification de sorte que
c’est fautivement que le gérant de la société ABC a refusé de prendre en compte le vote de la
résolution modifiée et d’organiser une nouvelle assemblée générale ». Non satisfaits par cette
décision de la Cour d’Appel, les associés minoritaires de la société ABC et ladite société se sont
alors pourvus en cassation. Pour trancher définitivement cette affaire, la Cour de cassation française
prend une position ferme dans cet arrêt du 14 février 2018. Au visa des articles L.223-27 et R. 223-
20 du Code du Commerce français, elle énonce : « Est nouvelle une résolution proposant la
nomination d’un commissaire aux comptes et d’un suppléant autres que ceux figurant dans la
résolution adressée avec l’ordre du jour tendant aux mêmes fins de désignation » et conclut à
l’irrégularité de la délibération de l’assemblée générale du 05 décembre 2011. La Cour de cassation
fait donc une application stricte du principe de l’intangibilité de l’ordre du jour en vertu duquel
celui-ci délimite le champ des délibérations de l’assemblée générale, sans qu’aucune délibération
ne puissent être ajoutée ni même retranchée 55.
C’est pour s’inspirer de cette position jurisprudentielle française suivi par la jurisprudence des pays
de la zone OHADA que le législateur OHADA dans son désir de perfectionnement technique, de
modernité et de compétitivité du droit OHADA, a consacré expressément le principe de
l’intangibilité de l’ordre au cours de la réunion de l’assemblée générale. Cependant, comme tout
principe, le principe de l’intangibilité de l’ordre du jour connaît quelques exceptions.
55
Cass. Com., arrêt n°15-16. 525, 14 février 2018, F-P+B, SARL Sté de transport de marchandises c/SARL ABC
Équipement Océan Indien : JurisData n°2018-002095 in M. SOULIÉ, « Le respect de l’ordre du jour par une nouvelle
résolution prise lors de l’assemblée générale d’une SARL, Revue Juridique de l’Ouest, 2018, 4, pp. 59-66 ; voir
également à cet effet, J.-F. BABIÈRI, note sous Com. 14 fév. 2018, n°15-16.525, Bull. Joly 2018.214 ; R. MORTIER
et E. GUEGAN, Ordre du jour et résolution nouvelle, JCP 2018, 1257 ; C. COUPET, Intangibilité de l’ordre du jour
et nomination du commissaire aux comptes, Revue droit des sociétés n°5, Mai 2018, comm.82.
56
Article 522 de l’AUSCGIE.
57
TRHC Dakar, Jugement n°327 du 19 fév. 2003, Ohadata J-03-180.
nutum des dirigeants sociaux consacré en droit OHADA des sociétés commerciales 58 la révocation
du dirigeant peut être prononcée au cours d’une assemblée générale ordinaire ou extraordinaire. La
question n’a pas à être inscrite à l’ordre du jour puisque l’assemblée peut, en toutes circonstances,
révoquer un ou plusieurs administrateurs, et procéder à leur remplacement en vertu de la théorie
des incidents de séance. Cette théorie s’applique également en cas de démission d’un dirigeant au
cours de l’assemblée générale.
Il existe bien d’autres cas pouvant conduire l’assemblée générale à discuter sur des résolutions non
inscrites sur l’ordre du jour, en vertu de la théorie des incidents de séance. On peut ainsi citer entres
autres, l’indisponibilité de la salle de réunion de l’assemblée générale à la dernière minute. Il
convient en pareil cas de réunir immédiatement le conseil d’administration qui prend la décision
d’ajourner l’assemblée. Une telle décision devra alors recevoir la même publicité que la
convocation et il sera opportun de renouveler toutes les formalités de convocation. On peut
également citer l’existence d’un désordre dans la salle de réunion de l’assemblée générale qui peut
conduire à la suspension de la séance. Dans ce cas, il y a lieu de rappeler que le bureau assure la
police de l’assemblée générale. Il doit prendre les mesures qu’il juge adéquates (exclusions des
membre fauteurs de troubles, suspension prolongée de la séance le temps de calmer les uns et les
autres, proposition à l’assemblée d’ajourner la réunion si la situation s’avère plus grave). Les
mesures de police des assemblées doivent être prises avec équité et proportionnalité.
A côté de cette théorie des incidents de séance s’ajoute la théorie de l’ordre du jour implicite.
58
Il s’agit d’une règle d’ordre public. Toute disposition statutaire ou extra statutaire qui porterait atteinte directement
ou indirectement à ce droit de révocation est réputée non écrite.
59
Cass. Req. 23 fév. 1885 : Recueil général des lois et des arrêts, 1885, p.337, note LABBE.
60
Cass. Com. 25 avril 1989, n°87-15.208, BJS 1989, p. 531, note JEANTIN.
61
Cass. Com., 25 avril 1989, op. cit.
société, les associés peuvent décider sans que la question ne soit inscrite à l’ordre du jour prononcer
la révocation du ou des dirigeants sociaux. On constate alors que les questions inscrites à l’ordre
du jour de l’assemblée générale étaient susceptibles de déboucher sur cette révocation. N’étant pas
une résolution sur un question nouvelle, ce cas peut intervient alors dans l’application de la théorie
de l’ordre du jour implicite selon laquelle il est peut-être admis qu’un ordre du jour comportant des
rubriques telles que « gestion du gérant » ou « examen de l’activité de la société et celui des
perspectives d’’avenir » soit naturellement susceptible de déboucher sur la question du maintien
ou de la révocation du gérant62.
62
Cass. Com., 14 octobre 2020, n°112183 F-D, RJDA 2/14 n°128.
Dans l’Acte uniforme sur les sociétés commerciales, le principe de la nullité textuelle est posé 63.
Cela se justifie par le fait que si dans l’ancien acte uniforme les cas de nullité étaient rares, le nouvel
acte uniforme les a multipliés. Par ailleurs, dans certaines hypothèses, le législateur a substitué la
nullité privée (clause réputée non écrite) à la nullité judiciaire qui semble être d’ordre public 64. Il
est aussi important de relever qu’un acte ne peut être annulé qu’à charge pour celui qui l’invoque
de prouver le grief que lui cause l’irrégularité. C’est ainsi que seul le destinataire d’un acte est
recevable à se prévaloir de la nullité de cet acte en raison d’une irrégularité.
L’assemblée générale ne peut délibérer sur une question non inscrite à l’ordre du jour et toute
délibération prise en violation de cela est nulle 65. Il s’agit ici de la nullité de la délibération
irrégulièrement votée et non de l’assemblée générale tout entière comme dans le cas de
l’irrégularité de la convocation. Par ailleurs, il ne faut pas confondre une question non mentionnée
à l’ordre du jour qui aurait été votée et celle qui aurait simplement été débattue et n’entraînerait
aucune nullité.
La question essentielle de la détermination de la sanction applicable en cas de non-respect de
l’ordre du jour par une nouvelle résolution a déjà été tranchée par le législateur OHADA qui impose
la nullité de ce type de délibération. Cette solution envisagée par le législateur s’explique en ce que
la délibération adoptée en violation de l’ordre du jour en raison d’une atteinte à l’application d’une
disposition légale fait grief à l’associé. La nullité vient d’ailleurs sanctionner toute décision sociale
contraire à une norme impérative supérieure qu’elle soit légale ou règlementaire 66. Toutefois, la
nullité étant au demeurant une sanction civile ne pouvant être demandée que par les personnes
lésées en l’occurrence les associés, elle s’avère insuffisance pour garantir la protection des associés
tant recherchée par le législateur OHADA. Il y a lieu de déplorer que le législateur ne l’ait pas
accompagnée de sanctions pénales ou professionnelles.
63
Article 242 de l’AUSCGIE.
64
Voir à titre d’exemple les articles 326, 336, 338-1, 430, 454 et 500 de l’AUSCGIE.
65
Article 338-1 de l’AUSCGIE.
66
En France, le législateur a posé clairement la nullité des délibérations prises en violation des règles relatives à la
fixation de l’ordre du jour en son article L225-121 du Code du Commerce pour ce qui est des S.A. pour les SARL, la
jurisprudence s’en est chargée en étant favorable à l’annulation même en l’absence d’une disposition expresse en la
matière. Voir en ce sens Cass. Com., 14 fév. 2018, n°15-16.525, F-P+B, SARL Sté de transport de marchandises c/
SARL ABC Équipement océan Indien : JurisData n°2018-002095 in M. SOULIÉ, « Le respect de l’ordre du jour par
une nouvelle résolution prise lors de l’assemblée générale d’une SARL », note sous jurisprudence, Revue Juridique de
l’Ouest, 2018, pp. 59-66, op. cit.
respect de l’ordre du jour, établissement et signature des procès-verbaux. Après la tenue des
assemblées générales, les règles de publicité peuvent ne pas être observées. La plupart de ces
défaillances sont sanctionnées par la nullité des assemblées générales et des résolutions prises. Le
législateur a décidé d’ériger en infractions les comportements qu’il a jugé plus graves. Il en est
ainsi de l’entrave à la participation à une assemblée générale et le non-établissement des procès-
verbaux d’assemblées générales dans les formes prescrites par la loi. On se rend compte que le
législateur a préféré minimiser les manquements aux règles de tenue des assemblées générales
auxquelles fait partie le manquement au principe de l’intégrité de l’ordre du jour. La sanction de
nullité prévue par le législateur OHADA est une sanction faible et générale car elle ne touche qu’à
l’acte c’est-à-dire aux délibérations intervenues en violation de la loi. Dans ce cas, la punition vise
les actes et non les personnes auteurs de ces actes abusifs. Or, il reste que les actes posés en
violation de la loi notamment les exigences de respect de l’ordre du jour lors de la tenue des
assemblées générales sont des abus de droit commis par des personnes physiques qui doivent aussi
subir des sanctions afin de les dissuader de poser de tels actes qui nuiraient au bon fonctionnement
de la société commerciale.
Il faut se rendre à l’évidence de l’absence de sanction pénales, professionnelles et économiques en
cas de violation du principe de l’intangibilité de l’ordre du jour. La sanction pénale instituée en
droit des affaires a pour rôle de procurer la sécurité juridique à l’investissement privé. C’est un
véritable instrument de protection des associés principalement et des tiers en procédant à la
prévention et à la répression des actes qui compromettent les affaires. C’est la raison pour laquelle
l’OHADA a inséré dans les Actes uniformes des dispositions à caractère pénal. Certaines prévoient
des infractions économiques et des sanctions pénales. Toutefois l’on se rend compte à l’analyse de
l’Acte uniforme sur les sociétés commerciales que l’incrimination des comportements anti sociaux
est encore faible notamment en ce qui concerne la tenue des assemblées générales qui sont pourtant
l’instance suprême de prise des décisions au sein de la société. C’est l’instance qui regroupe les
associés de la société afin qu’ils délibèrent sur toute une série de sujets liés à la personne morale,
son fonctionnement ou, plus fondamentalement son existence. On constate que les enjeux dans les
assemblées générales sont assez élevés et tout comportement anti social pourrait nuire à la survie
de la société.
C’est l’occasion ici de souligner que la répression pénale et professionnelle des abus ne serait pas
une nouveauté pour le législateur OHADA qui les as déjà matérialisées dans plusieurs autres cas
notamment pour les cas d’abus de majorité, de minorité et même les abus liés aux manquements
aux exigences d’accessibilité et de communicabilité de l’ordre du jour.
Il semble important, même s’il est vrai que le monde des affaires ne s’accommode pas des
intrusions du pénal, que l’accent du législateur soit mis sur la mise en place d’une répression plus
sévères des comportements pouvant compromettre la bonne tenue des assemblées générales afin
de garantir une meilleure protection des associés et attirer les investisseurs locaux et étrangers.
Au terme de notre analyse, il en ressort que l’ordre du jour occupe une place centrale dans la
préparation et le bon déroulement des assemblées générales dans les sociétés commerciales
OHADA. Cette place centrale s’explique en ce qu’il est gage de l’efficacité et de la réussite des
réunions d’assemblées générales au sein de ce type de sociétés, et constitue un instrument de
protection des associés contre les abus des dirigeants sociaux. Pour cela, le législateur OHADA,
dans le souci de rendre efficaces les discussions au sein des assemblées délibérantes, a consacré les
impératifs d’accessibilité et de communicabilité de l’ordre du jour, facilitant ainsi la préparation
des associés à ces réunions. Le non-respect de ces impératifs entraîne des sanctions aussi civiles
que pénales.
Par ailleurs, pour matérialiser le rôle protecteur de l’ordre du jour au sein des assemblées générales
des sociétés commerciales OHADA, le législateur a consacré le principe de l’intangibilité de
l’ordre du jour qui implique le respect de l’ordre chronologique des points inscrit à l’ordre du jour
et surtout le cantonnement des discussions aux points inscrits à l’ordre du jour pendant la tenue des
réunions des assemblées générales. La violation de ce principe conduit à la nullité des délibérations
prises de façon irrégulières. Le constat qui se dégage ici est que cette sanction civile qui touche
essentiellement aux actes de délibération s’avère très insuffisante pour assurer la protection des
associés contre ce type d’abus. Il serait judicieux de penser à des sanctions plus personnelles
pénales ou professionnelles visant les auteurs de ces actes abusifs afin de rendre la protection visée
par le législateur OHADA plus efficiente.
Souleymane TOE
Agrégé des facultés de droit
Professeur à l’Université Thomas Sankara
Mon-espoir MFINI
Chercheur en droit privé et sciences criminelles
Chargé d’enseignement à l’Université d’Angers
Résumé
Le dessaisissement a toujours été une notion centrale qui cristallise toutes les attentions du
débiteur soumis à une procédure collective. Mais, quoi qu’ayant donné lieu à d’importants
travaux en droit français, elle semble être une des oubliées par la doctrine de l’OHADA. Fort
de ce constat et tenant compte de la prégnance de la notion en rapport avec les finalités assignées
aux procédures collectives, la présente étude se propose d’analyser le concept, notamment son
aspect protecteur, sous le prisme du droit OHADA.
Introduction
Les procédures collectives1 sont des procédures judiciaires ouvertes lorsque le débiteur,
personne physique ou morale n’est plus en mesure de faire face à des dettes, c’est-à-dire lorsque
son actif disponible ne peut pas suffire à faire face à son passif exigible. La procédure ainsi
ouverte va figer le patrimoine du débiteur qu’il convient de bien appréhender à travers ses deux
éléments que sont l’actif et le passif. La détermination de l’actif permet, très rapidement de se
faire une idée sur le potentiel économique de l’entreprise pour mesurer ses chances de
redressement et de règlement des créanciers, l’actif répondant du passif. Elle suppose que soient
prises, au préalable, des mesures de protection des biens de l’entreprise. Il faut éviter la
dispersion ou le dépérissement du patrimoine pour maintenir à l’entreprise toutes ses capacités
d’exploitation. Mais il y a plus. Dans la période qui précède l’ouverture de la procédure, le
débiteur, sous la pression de ses créanciers ou par fraude, peut être tenté d’organiser son
insolvabilité, ou du moins s’appauvrir sans contrepartie. De tels actes se traduisent par une
diminution artificielle de l’actif qui compromet les chances de redressement de l’entreprise ou
de désintéressement des créanciers. Pareillement, des tiers ou les dirigeants eux-mêmes, par
leurs comportements fautifs aggravent le passif et corrélativement affaiblissent l’entreprise.
C’est pourquoi, la loi organise la technique du dessaisissement, dont le résultat est de protéger
le patrimoine désormais figé.
La notion de dessaisissement est d’une appréhension complexe, tant elle véhicule une
contradiction. Mais, il ne demeure pas moins vrai qu’elle innerve tout le droit des procédures
collectives. Pourtant le dessaisissement a relativement été peu étudié, que l’on songe au droit
1
Voir not., F. PÉROCHON, Entreprises en difficulté, 11e éd., LGDJ, 2022 ; J. NKOM, Droit OHADA des
entreprises en difficulté, 2e éd., L’Harmattan, 2021.
de l’OHADA2 ou au droit français3. Parce que la doctrine de l’OHADA n’y a pas consacré une
étude florissante, nous sommes en droit d’en proposer une. Cependant, en dépit de la complexité
de la notion, il ne demeure pas moins vrai qu’elle peut être approchée, abordée et précisée tant
sous l’angle du dictionnaire que sous l’angle du vocabulaire juridique. En effet, le
dessaisissement se définit comme le fait de priver une personne de ce qu’elle possède 4. Ainsi,
le dessaisissement renvoi à l’idée de déposséder, de spolier une personne. Dans le cadre de la
liquidation des biens 5, le dessaisissement va intéresser une personne placée dans les liens d’une
liquidation des biens. C’est le débiteur 6, un professionnel indépendant, qu’il s’agisse d’une
personne physique ou morale, qui va être privée de l’administration et de la disposition de ses
biens, de ses droits et actions ayant une incidence patrimoniale. Parce que pendant la liquidation
des biens le débiteur est dessaisi, ses droits et actions de nature patrimoniale sont exercés par le
syndic.
S’il est admis que le dessaisissement est une notion fondamentale du droit des procédures
collectives, il n’en demeure pas moins incertain. D’entrée de jeu, la nature et le régime juridique
du dessaisissement ne peuvent se concevoir de manière indépendante, car seule l’analyse du
gage commun des créanciers 7 permet la compréhension de cette notion. En outre, ce sont les
droits conservés par le dessaisi qui atteignent la consistance du dessaisissement. Mais, au-delà,
le dessaisissement a bien de vertus, en ce qu’il est une mesure permettant la protection de
certains droits. C’est tout le sens de l’aspect protecteur du dessaisissement du débiteur.
Le dessaisissement du débiteur n’est pas une notion nouvelle en droit des procédures
collectives, même s’il n’apparaît en tant que tel qu’au sein du Code de commerce de 18078. En
effet, sous l’empire du droit romain, on parlait déjà de l’appréhension collective du traitement
des difficultés du débiteur, notamment par le biais de la manus injectio issue de la loi des XII
tables 9. Lorsqu’il ne pouvait s’acquitter de ses dettes, le débiteur payait au prix de sa personne
sa défaillance, c’est en sens qu’il risquait d’être vendu en tant qu’esclave ou bien, il pouvait
être gardé par les créanciers pour travailler pour leur compte. Mais, le débiteur risquait surtout
in fine d’être condamné à mort10. À ce titre, le caractère collectif de la mesure est appréhendé
2
Voir M.-E. MFINI, « Dessaisissement et droits propres en législation Ohada », Penant, n° 924, 2023.
3
Voir P. GRIGNON, Du dessaisissement du débiteur failli en droit français, th. Caen, 1902 ; P. MONDON, Le
dessaisissement du débiteur failli, th. Bordeaux, 1912 ; J. ANDRÉ-PAYAUD, Du dessaisissement du débiteur en
matière de faillite, th. Grenoble, 1946 ; M.-N. LEGRAND, « Le dessaisissement du débiteur sous procédure
collective », Rev. Proc. Coll. 1991/1, p. 11 ; G. TEBOUL, « Les effets du dessaisissement », RJ. Com, 2002. 360 ;
C. SAINT-ALARY-HOUIN, « Le dessaisissement du débiteur en liquidation judiciaire », Rev. Proc. Coll. 2003/2,
p. 173 ; M.-H. MONSÉRIÈ-BON, « Le dessaisissement et l’avènement des droits propres », RLDA 2005, supp.
80, p. 53 s. ; Ch. LEBEL, « Le dessaisissement du débiteur soumis à une procédure collective », in Mél. en
l’honneur de Ch. DUGAS de la BOISSONY, PU Nancy, 2008, p. 127 s.
4
S. Le NORMAND, « Le dessaisissement du débiteur en liquidation judiciaire à l’épreuve des évolutions
récentes », JCP E 2012. 1337, n° 2.
5
Et dans une moindre mesure d’un redressement judiciaire.
6
À propos de la définition du débiteur, voir not., M. RICHEVAUX, Régime général des obligations, Lexifac,
2012, p. 27.
7
Voir M.-E. MFINI, Le régime général des obligations : notions générale, préf. U. KIANGUEBENI,
L’Harmattan, 2021.
8
Anc. Art. 442 C. com. : « Le failli, (…), est dessaisi, de plein droit, de l’administration de tous ses biens ».
9
Apparue en 450 avant J.-C. La manus injectio se décomposait elle-même en deux procédures : la procédure du
mexum et la venditio trans tiberin. Adde : J. GAUDEMENT, Institutions de l’antiquité, Sirey, 2e éd., 1982, p. 423 ;
R. VILLERS, Rome et le droit privé, Albin Michel, 1977, p. 537, sp. Note 135.
10
Voir L. PERDRIX, « Prolégomènes sur le risque d’insolvabilité », Dr. et proc., 2018, n° 11, p. 200, sp. n° 4.
sans aucune réserve puisque les créanciers pouvaient se partager le corps du débiteur. Par
ailleurs, au IVe siècle avant J.-C. le droit romain a ensuite consacré avec la loi Poetelia, une
véritable procédure d’exécution forcée et collective sur les biens du débiteur 11. En effet, la
contrainte patrimoniale en droit romain comportait l’ensemble des caractéristiques des
procédures collectives « moderne », en ce qu’elle comprenait une première phase, la missio in
possessionem, consistant à figer le patrimoine du débiteur et un mandataire était désigné afin
de l’administrer : le curator bonorum. Aussi, le principe de l’exécution des biens du débiteur
insolvable s’y retrouvait également par la liquidation de tout son patrimoine en « un bloc » - la
venditio bonorum12, qui était opérée par le magister bonorum. Un auteur souligne à cet effet
que « le caractère collectif de la procédure induisait un caractère général et automatique de la
saisie des biens du débiteur »13, ce qui n’excluait pas la mise en cause personnelle de ce dernier.
Sans en dire le nom, il s’agissait déjà d’un dessaisissement, mais dont l’aspect répressif rendait
la contrainte personnelle plus visible que celle portant sur son patrimoine 14. La grande réforme
entreprise en 1967 n’a pas eu raison sur le dessaisissement, tant est-il que sa confiance a été
renouvelée.
Aussi, avec l’avènement du droit de l’OHADA, le dessaisissement du débiteur a été consacré
dans l’Acte uniforme originel puis dans l’Acte uniforme révisé portant organisation des
procédures collectives d’apurement du passif, notamment à l’article 53, aux termes duquel, « la
décision qui prononce la liquidation des biens d’une personne morale emporte, de plein droit
dissolution de celle-ci. Elle emporte, de plein droit, à partir de sa date, et jusqu’à la clôture de
la procédure, dessaisissement pour le débiteur de l’administration et de la disposition de ses
biens présents et de ceux qu’il peut acquérir à quelque titre que ce soit, sous peine
d’inopposabilité de tels actes, sauf s’il s’agit d’actes conservatoires ». En effet, le second alinéa
de cette disposition consacre le dessaisissement du débiteur en liquidation des biens.
Le dessaisissement en liquidation des biens a pour objectif d’empêcher le débiteur de dilapider
ses biens au détriment de ses créanciers. Cette limitation de l’activité juridique de la personne
soumise à la liquidation des biens résume l’effet de saisie collective de son patrimoine engendré
par l’ouverture de la procédure et se détache donc de la mission de représentation susceptible
de l’affecter en redressement judiciaire. L’effet de saisie collective du patrimoine du débiteur
est autrement appelé l’effet réel de la procédure collective15. Il démontre que le droit des
entreprises en difficulté est extrêmement attaché à la théorie personnaliste du patrimoine 16. Il
résulte des articles 2284 et 2285 du Code civil que le patrimoine du débiteur constitue le gage
commun des créanciers. Or, si l’ouverture de la liquidation des biens entraîne un effet de saisie
11
J.-P. HAEHL, « Histoire des techniques d’exécution collectives en droit commercial », Annales de la faculté de
Lyon III, L’Hermès, 1980, p. 11 s., n° 7.
12
M.-H. RENAUT, « La déconfiture du commerçant, du débiteur sanctionné au créancier victime », RTD, com.
2000. 533.
13
B. FERRARI, Le dessaisissement du débiteur en liquidation des biens : contribution à l’étude de la situation du
débiteur en procédure collective, LGDJ, 2021, p. 10.
14
B. OPPETIT, « L’endettement et le droit », in Mél. en l’honneur de A. BRETON et F. DERRIDA, Dalloz, 1991,
p. 295 et s., sp. p. 309.
15
M. SENECHAL, L’effet réel de la procédure collective : essai sur la saisie collective du gage commun des
créanciers, Litec, 2002, n° 5.
16
Selon la théorie développée par AUBRY et RAU au XIXe siècle, laquelle aurait été inspirée par les travaux de
ZACHARIA : Ph. MALAURIE, Anthologie de la pensée juridique française, Cujas, 2e éd., 2001, p. 181 s.
collective du patrimoine du débiteur, celui-ci porte donc sur le gage commun. Par conséquent,
le dessaisissement participe à l’efficacité de l’effet réel de la procédure par la garantie de
l’intégrité du gage commun des créanciers. De là, apparaît assez nettement l’aspect protecteur
du mécanisme du dessaisissement, notamment en ce qui concerne les droits des créanciers.
Pourtant, pour aussi salvatrice que soit la mesure, le législateur lui conçoit certaines limites
dans une optique de protection, cette fois des droits du débiteur conduisant à s’interroger sur la
finalité du dessaisissement dans le combat des intérêts en présence dans les procédures
collectives.
La question est d’importance et suscitent de vives passions. Elle est au cœur des grands enjeux
qui irriguent le droit de l’entreprise qui est à la recherche de ses marques, surtout lorsqu’elle
traverse des difficultés économiques et financières. Les nombreux intérêts qui s’y attachent sont
à la fois théoriques et pratiques. Au plan théorique, il importe de rappeler que la question de
l’aspect protecteur du dessaisissement est la caisse de résonance à partir de laquelle on perçoit
l’écho des enjeux d’ordre économique, financier et familial. À ce titre, il est permis de souscrire
à l’observation suivant laquelle la question intéressant l’aspect protecteur du dessaisissement
soulève les passions les plus vives, car elle confronte les convictions d’une position favorable
pour les uns et défavorable pour les autres, selon que le dessaisissement va être ou non bien
perçu.
Elle constitue donc une des questions les plus épineuses qui puissent être posées au droit actuel,
marqué par une certaine surprotection de l’entreprise pour servir la cause de la société et de sa
croissance économique. Au fil des réformes, que l’on songe au droit de l’OHADA ou au droit
français, la place de l’entreprise débitrice en procédures collectives semble gagner le terrain et
connaître une attention particulière des législateurs. Or, le dessaisissement du débiteur bien que
mettant en orbite l’intérêt des créanciers qu’il prend en compte, est avant tout une mesure
intéressant l’entreprise au sens large du terme. Du reste, aborder l’aspect protecteur du
dessaisissement semble impératif, pour permettre la compréhension, tant de la notion de
dessaisissement que de son intérêt positif, aussi bien pour les créanciers que pour les débiteurs
en difficulté.
Au plan pratique, outre l’opposition entre ceux qui pensent que le dessaisissement manifeste
une dictature à l’endroit du débiteur et ceux qui pensent que le dessaisissement a bien des vertus
en ce qu’il est une mesure protectrice des intérêts des créanciers, c’est de la question de son
bien-fondé qu’il va s’agir. Au-delà, c’est l’incitation à y voir un côté positif qui est abordé en
filigrane et qui a intérêt à ce que soit déterminée sa portée positive. La détermination de l’aspect
positif du dessaisissement est dès lors l’objet d’être de cette étude, tant est-il qu’elle permettra
de conforter le débiteur lorsqu’il viendra à connaître d’une liquidation des biens, qui emportera
de plein droit son dessaisissement. Plus encore, c’est l’intérêt des créanciers qui est mis en
évidence lorsque le débiteur est dessaisi. Décidément le dessaisissement a bien des vertus.
Devant la dialectique du balancement entre la protection des droits des créanciers et la
préservation des intérêts du débiteur, le dessaisissement se présente comme l’arbitre ayant pour
mission d’œuvrer, d’une manière concomitante non seulement à une neutralisation salvatrice
du débiteur dans les procédures collectives (I), mais aussi à la préservation des intérêts du
débiteur (II).
17
F.-X. LUCAS, Manuel de droit de la faillite, 4e éd. PUF, 2022, n°231, p. 239.
18
Le redressement judiciaire ne trouve aucune définition dans l’Acte uniforme portant organisation des procédures
collectives d’apurement du passif. Toutefois l’article 25, al. 1 er dudit Acte uniforme dispose à propos du
redressement judiciaire que, « la procédure de redressement judiciaire (…) est ouverte à tout débiteur en état de
cessation des paiements ». Ce texte ne permet pas de cerner ce qu’est le redressement judiciaire, obligeant ainsi à
faire appel à la doctrine. A cet effet, Françoise Pérochon (in F. PEROCHON, Entreprises en difficulté, 11e éd.,
LGDJ, 2022, p. 767), définit la procédure de redressement judiciaire à partir de son objet qui est « celui de
permettre la poursuite de l’activité de l’entreprise, le maintien de l’emploi et l’apurement du passif ». Elle
surenchérit en affirmant que « elle (procédure de redressement judiciaire) donne lieu à un plan arrêté par le juge à
l’issue d’une période d’observation (…) ». Le redressement est ainsi une procédure collective visant à sauver
l’activité de l’entreprise, à la différence de la liquidation des biens qui marque l’aboutissement la plus absolue des
procédures collectives.
19
Voir G. CORNU, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, PUF, 1987, qui parle de force.
20
Ibid., p. 240.
21
Cass.com., 21 févr. 2012, n°10-10457.
Tout de même, le dessaisissement reste proche de l’incapacité en ce sens que les droits et actions
du débiteur sont canalisés par les règles du dessaisissement amenant à noter que l’idée de
protection n’est pas exclue en la matière. Mais, il s’agirait d’une incapacité de protection d’un
type particulier car elle constitue une mesure de défiance à l’égard du débiteur et de protection
de son patrimoine dans l’intérêt des créanciers 22, ce qui en fait une mesure salvatrice pour ces
derniers. Cette mesure est d’autant plus efficace qu’en cas de violation, l’acte éventuellement
posé par le débiteur est inopposable à la masse des créanciers qui est fondée à l’ignorer tant que
dure la procédure. Il n’y a pas ici expropriation non plus, puisque la masse n’acquiert pas la
propriété du patrimoine du débiteur.
Par ailleurs, on peut considérer que la vertu salvatrice du dessaisissement se déduirait de son
rapprochement d’avec la saisie et l’inopposabilité. D’une part, le dessaisissement entraîne
l’indisponibilité des biens du patrimoine du débiteur et il apparaît que les procédures collectives
sont des voies d’exécution propres au droit commercial. D’autre part, l’inopposabilité qualifie
assez bien la situation créée par le jugement d’ouverture. L’inopposabilité se dit d’un acte
juridique dont la validité en tant que telle n’est pas contestée mais dont les tiers peuvent écarter
les effets. Elle se distingue de la nullité qui opère erga omnes, c’est-à-dire à l’égard de tous.
Appliquée aux procédures collectives, l’inopposabilité permet à la masse d’ignorer les actes
faits par le débiteur en contravention aux règles légales.
Comme, l’on peut le constater, de par sa nature qui se déduit de la comparaison avec des
institutions voisines, le dessaisissement à la carte renforce et sécurise les droits des créanciers,
ne serait-ce que par le droit d’assistance de la gestion de l’entreprise débitrice qu’il leur est
consenti. Cette vertu salvatrice se galvanise davantage dans le domaine du dessaisissement.
22
C. SAINT-ALARY-HOUIN, Droit des entreprises en difficulté, LGDJ, Lextenso, Paris, 12e éd., n°1235, p. 818.
Voir également du même auteur, « Le dessaisissement du débiteur en liquidation judiciaire », Rev. Proc. Coll.
2003, p. 173 ; J. VALLASAN, « Le dessaisissement de la personne physique en liquidation judiciaire », in
Mélanges en l’honneur de Daniel TRICOT, Dalloz-Litec, 2010, p. 599 ; M.-P. DUMONT-LEFRAND (dir), « Le
patrimoine de la personne physique à l’épreuve des procédures collectives : quels nouveaux enjeux ? », préf. F.
PEROCHON, Act. Dir. Entr. N°31, LexisNexis, 2015, p. 39 ; Ph. ROUSSEL-GALLE, « Débiteur personne
physique : du dessaisissement au rebond », BJE sept.-Oct. 2018, 116g6, p. 389.
23
Voir aussi, F. PEROCHON et R. BONHOMME, Entreprises en difficulté, Instruments de crédit et de paiement,
8e éd., LGDJ, 2009, n° 228 ; CCJA, 3e ch., n° 152, 27 oct. 2016 : Biao-CI devenue NSIA Banque CI c/ Cie Africain
de transit dite Catrans, Ohadata J-17-92.
24
M.F. SAWADOGO, « Les effets de l’ouverture d’une procédure collective à l’égard du débiteur », Encyclopédie
du droit OHADA, Lamy 2011, p. 766.
25
J. NKOM, Droit OHADA des entreprises en difficulté, 2e éd., L’Harmattan, 2021, p. 236.
26
J. NKOM, op. cit., p. 236.
27
C. SAINT-ALARY-HOUIN, Droit des entreprises en difficulté, op. cit., n° 1242, p. 825.
28
R. BONHOMME et F. PEROCHON, Entreprises en difficulté, op. cit., n° 413, p. 434.
29
Sur l’ensemble de la question, voir., Ph. ROUSSEL-GALLE, « Effet personnel et effet réel des procédures
collectives », Dr. et patr. Mars 2013, dossier « La sauvegarde à l’âge de raison », p. 60.
30
K. ASSOGBAVI, « Les procédures collectives d’apurement du passif dans l’espace OHADA », Revue Penant
852, p. 52.
31
Ph. ROUSSEL-GALLE, « Les débiteurs de l’AUPC révisé : la modernisation de l’insolvabilité dans la
continuité », dr. et patr. n° 253, déc. 2015, p. 55.
32
Les exceptions concernent tant les droits propres procéduraux que les droits personnels du débiteur.
33
L. ANTONINI-COCHIN et L. CAROLINE-HENRY, Droit des entreprises en difficulté, 4e éd., Gualino-
Lextenso, 2022, p. 184.
34
F. PEROCHON, Entreprises en difficulté, op. cit., p. 815.
35
COZIAN, VANDIER et DEBOISSY, Droit des sociétés, 33e éd., 2020, Litec, n° 780, à propos de la liquidation
des sociétés in bonis.
36
C. com., art. L. 640-1, al. 2.
37
Qui prend toujours fin a priori, sauf à pouvoir redémarrer en cas de clôture pour extinction du passif.
38
F. PEROCHON, Entreprises en difficulté, op. cit., p. 815.
39
CA. Bobo-Dioulasso, civ. et com., n° 03, 19 janv. 2004 : GMB c/ S. B. H., Ohadata J-04-196.
40
Voir aussi, CCJA, 1e ch., n° 039, 29 févr. 2016 : Sté COMMISIMPEX c/ CNSS, Ohadata J-16-241 ; CCJA, 3e
éch., n° 116/2017, 11 mai 2017 : WAIC SA c/ BHM SA devenue BMS SA.
41
F. PEROCHON et R. BONHOMME, op. cit., n° 413-2, p. 435. Les actes graves interdits, s’ils sont accomplis
par le débiteur, sont nuls, quand les autres s’avèrent simplement inopposables à la procédure (Com., 23 mai 1995,
Bull. civ. IV, n° 150 ; D. 1995, p. 413, note DERRIDA ; Dr. sociétés 1995, n° 165, obs. CHAPUT ; Rev. proc.
coll. 1995, p. 345, obs. Dureuil. 12 juin 1997, Dr. sociétés 1997, n° 159, obs. Chaput ; Rev. proc. coll. 1997, p.
476, obs. CANET ; 23 juin 1998, D. Affaires 1998, p. 1451 ; RJDA 1998, n° 1273), avec une possible validation
des actes de gestion courante (C. com., art. L. 621-23).
représente non pas les intérêts du débiteur, mais ceux des créanciers, qui se trouvent donc dans
l’impossibilité d’agir individuellement, y compris par la voie de l’action oblique. Parce que le
dessaisissement du débiteur vise avant tout à protéger l’intérêt pécuniaire des créanciers, il faut
affirmer qu’il doit être exclu dès lors qu’il est nécessaire de prendre concrètement en
considération l’intérêt du débiteur. En exerçant les droits et actions du débiteur, le syndic ne
cherche à satisfaire qu’un seul intérêt : celui des créanciers. Est-ce à dire que le débiteur n’est
jamais représenté ? Que ses intérêts ne sont pas pris en compte par le dessaisissement ? Une
réponse négative s’impose, tant il est vrai qu’en matière strictement patrimoniale les intérêts
des créanciers désirants a minima conserver leur gage et ceux du débiteur désirant normalement
conserver son actif convergent. Ainsi, en sauvegardant le gage des créanciers, le syndic
maintient le patrimoine du débiteur et par conséquent représente indirectement le débiteur.
Toutefois, à tort ou à raison, le dessaisissement du débiteur vise la protection du gage commun
des créanciers.
D’ailleurs, l’histoire du dessaisissement relatée plus haut à l’entame de cette étude en témoigne.
Le dessaisissement remonte à la procédure formulaire dite venditio bonorum 42, cette procédure
commençait par ce que l’on appelait l’envoi en possession : la missio in possessionem. Cette
mesure prononcée par le prêteur à la demande d’un créancier constituait une forme de saisie
conservatoire en bloc de tous les biens du débiteur. La missio in possessionem a été reprise dans
la procédure de distractio bonorum dont est issu la liquidation des biens de l’Acte uniforme
portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif. Le curator bonorum
(équivalent du syndic) était donc en possession des biens du débiteur en vertu de cette saisie
conservatoire, par conséquent dans l’intérêt des créanciers. On retrouve cet aspect dans le droit
moderne des procédures collectives que Françoise PEROCHON identifie comme étant « la
marque de la saisie collective des biens du débiteur »43.
Il n’est dès lors pas exagéré de considérer le dessaisissement comme une forme de saisie
conservatoire en attendant la liquidation. Le but de cette saisie conservatoire étant de rendre
indisponible le bien qui en fait l’objet en attendant de pouvoir le réaliser. Il est dès lors manifeste
que c’est la protection de l’intérêt des créanciers qui est visée par le dessaisissement. Le syndic
n’agit pas dans l’intérêt du débiteur, mais dans celui des créanciers. Le parallèle peut être fait
avec l’action oblique. En effet, sur le fondement de l’article 1341-1 du Code civil, le créancier
peut exercer les droits et actions du débiteur à l’égard des tiers, et lorsque le créancier exerce
les droits et actions du débiteur, il poursuit la seule satisfaction de son désintéressement et donc
de son intérêt. Le créancier qui se prévaut de l’action oblique, ne prend nullement en
considération les intérêts du débiteur. C’est ici toute la différence pour le syndic en matière de
redressement judiciaire, puisque dans ce cadre, le syndic dans sa mission de représentation n’a
pas vocation à représenter les intérêts des créanciers. L’aspect protecteur du dessaisissement se
résume donc parfaitement dans la protection des intérêts des créanciers. Le dire ainsi, ne sous-
entend pas que le dessaisissement ne prend en compte que les intérêts des créanciers, puisque
le syndic représente aussi le débiteur, en ce sens qu’en matière patrimoniale, on présume que
les créanciers et le débiteur ont des intérêts convergents. Le but du syndic est de faire en sorte
que le patrimoine au minimum ne s’appauvrisse pas, voire s’enrichisse un peu au moyen par
42
J.-P. LEVY et A. CASTALDO, Histoire du droit civil : Dalloz, 2e éd. 2010, n° 685.
43
F. PEROCHON, Entreprises en difficulté : LGDJ, 9e éd. 2012, n° 1092.
exemple d’actions en justice. Dès lors, en poursuivant la défense de l’intérêt des créanciers, le
syndic poursuit incidemment la défense de l’intérêt patrimonial du débiteur. Le dessaisissement
a donc bien des vertus.
Cependant, si le but poursuivi par le dessaisissement est avant tout la préservation du gage
commun des créanciers, force est de constater une préservation modérée des droits des
créanciers apparaissant ainsi comme un prolongement de la discipline collective imposée à ces
derniers.
44
F. PEROCHON, op. cit. p. 833.
45
C’est nous qui le disons.
46
En ce sens, André AKAM AKAM affirme que « quel que soit le pouvoir du tribunal, il ne peut transférer au
syndic les droits et pouvoirs qui appartiennent en propre au débiteur » in A. AKAM AKAM, « Droit des
procédures collectives et d’apurement du passif », Recueil des cours de l’ERSUMA, 2004-2012, 1e éd., 2013,
cours 2, p. 81.
lieu, contester les décisions rendues par le juge-commissaire dans la mesure où elles sont
susceptibles de contestation 47 ou contraindre le syndic qui refuse son assistance à y satisfaire,
par décision du juge-commissaire48. En second lieu, en ce qui concerne les décisions rendues
par la juridiction compétente, le débiteur peut interjeter appel contre le jugement d’ouverture
ou faire opposition, faire appel du jugement fixant la période suspecte ou du jugement refusant
d’homologuer le concordat ou convertissant le redressement judiciaire en liquidation des
biens49. Enfin, relativement à la procédure de vérification des créances, le débiteur doit être
convoqué aux opérations de vérification et il peut contester des créances 50.
En dehors de la procédure collective, deux séries d’initiatives sont exclues du dessaisissement.
La première concerne les actions judiciaires extra-patrimoniales telles que l’action en divorce,
l’action en recherche de paternité, l’action relative au nom, au droit moral de l’auteur, au droit
au respect de la vie privée, à l’honneur... Le débiteur bénéficie ici d’une autonomie totale. Il est
normal que le dessaisissement n’aille pas au-delà des domaines où il peut présenter un intérêt
pour les créanciers et ne porte pas atteinte aux attributs de la personne humaine. La seconde a
trait aux actions judiciaires patrimoniales faisant intervenir de manière prépondérante des
considérations personnelles ou familiales, comme l’action relative à une pension alimentaire ou
l’action en réparation d’un préjudice corporel ou moral comme l’action en diffamation.
Il reste cependant des situations où les limites de la frontière du dessaisissement sont assez
difficiles à établir. C’est le cas notamment de l’action en réduction d’une donation-partage
ouverte à l’héritier réservataire en liquidation judiciaire qui a été récemment considérée par la
Cour de cassation française comme étant une action attachée à la personne du débiteur et qui,
malgré son incidence patrimoniale, échappe au dessaisissement de l’article L. 641-9 du Code
de commerce51.
Dans cette espèce en effet, la cour d’appel d’Amiens, dans un arrêt du 19 juin 2020 52,
considérait que « l’acceptation ou non de la donation-partage constitue un droit propre, mais
[…] les actions relatives à cette donation-partage, une fois acceptée, présentent un caractère
patrimonial, et comme telles, ne peuvent être exercées que par le liquidateur judiciaire ». Ainsi,
selon elle, en l’espèce, l’action n’ayant pas été introduite par le liquidateur, la demande du
débiteur doit être déclarée irrecevable pour défaut de qualité à agir. C’est alors que la Chambre
commerciale de la Cour de cassation, au visa des articles 1077-1 du Code civil censure la
décision de la cour d’appel en jugeant qu’il « résulte du premier de ces textes que la faculté
d'agir en réduction d'une donation-partage est ouverte à l'héritier réservataire qui n'a pas
concouru à la donation ou qui a reçu un lot inférieur à sa part de réserve. Cet héritier étant
libre, en fonction de considérations, non seulement patrimoniales, mais aussi morales ou
familiales, d'exercer ou non l'action en réduction pour préserver sa réserve, cette action est
attachée à sa personne et, malgré son incidence patrimoniale, échappe, lorsqu'il est soumis à
47
Voir Article 40, al. 3 de l’AUPC.
48
Voir Article 52 de l’AUPC.
49
Voir article 33, al. 7 de l’AUPC ; voir aussi, Cass. com., 2 avr. 1996, n° 93-10453 - Cass. com., 14 juin 2017,
n° 16-12544.
50
Voir., article 84, al. 2 de l’AUPC.
51
Cass. com., 2 mars 2022, n° 20-20.173, obs. Ch. LEBEL, Lexbase Affaires n°708 du 10 mars 2022 : Entreprises
en difficulté.
52
CA Amiens, 18 juin 2020, n° 19/00068 N° Lexbase : A47133PA.
une procédure de liquidation judiciaire, au dessaisissement prévu par le second texte susvisé
».
Selon Christine Lebel, « l’arrêt du 2 mars 2022 marque une évolution significative à propos de
la délimitation du dessaisissement du débiteur, personne physique en liquidation judiciaire.
Ainsi, poursuit l’auteur, à propos des droits et actions relevant du droit patrimonial de la
famille, l’on est progressivement passés d’une absence de limites, à une prise en considération
modérée et limitée pour atteindre la primauté des considérations morales et familiales en
présence d’une action à caractère mixte, à la fois personnel et patrimonial »53. Dans le même
sens, il a été jugé que « si le débiteur dessaisi est recevable, dans l'exercice de son droit propre,
à contester une créance, objet d'une instance en cours, il n'est en revanche par recevable à former
seul, contre le créancier, à l'occasion de cette instance, une demande reconventionnelle en
paiement de dommages et intérêts et en compensation des créances réciproques, qui relève du
monopole du liquidateur ».54
Au-delà ces initiatives procédurales accordées au débiteur, le dessaisissement connait
également une restriction au plan des biens.
53
Chr. LEBEL, Limites au dessaisissement d’un débiteur, personne physique : les considérations morales et
familiales, Lexbase Affaires n°708 du 10 mars 2022 : Entreprises en difficulté.
54
Cass. com., 14 juin 2023, n° 21-24.143, obs. V. TECHENE, Lexbase Affaires n°761 du 22 juin 2023 : Entreprises
en difficulté.
55
Voir Article 5 de l’AUPSRVE.
56
Voir Article 60 de l’AUPC.
57
Voir les articles 60, 165 et 182 de l’AUPC.
communauté des meubles et acquêts ou seulement des acquêts et si les acquêts de l’un des
époux sont plus importants, le conjoint non concerné par la procédure, qu’il s’agisse de la
femme ou du mari, peut en profiter 58. Il en est différemment des avantages particuliers comme
le préciput stipulé qui permettrait à l’un des époux de prélever avant tout partage une somme
d’argent ou certains biens de la masse à partager, ou encore d’une clause de partage inégal de
la communauté.
Un parallèle peut être établi ici avec l’action oblique, car, le créancier qui exerce à la place du
débiteur ses droits et actions à l’égard des tiers, voit son action être limitée aux droits personnels
ou exclusivement rattachés à la personne. L’attache à la personne devient ainsi une condition
de limitation du dessaisissement dans les deux hypothèses, c’est-à-dire celle de la procédure
collective et celle de l’action oblique, en ce sens, que même dessaisi, le débiteur ne demeure
pas moins une personne ayant un intérêt susceptible d’être protégé, toute chose qui justifie un
certain relâchement du dessaisissement.
58
RIPERT et ROBLOT, op. cit., n°3171.
59
Voir art. 52 et 53 de l’AUPC.
60
Cass. Com., 30 mars 2005, n° 03-15561.
61
Cass. Com., 7 déc. 2004, n° 02-20732.
62
Cass. Ch. Mixte, 22 nov. 2002, n°99- 13309.
détenteur63, à condition bien évidemment que ces différents modes de satisfaction du créancier
aient été mis en place avant le jugement d’ouverture. Ainsi, comme l’affirme un auteur avisé,
un créancier délégataire ou cessionnaire d’une créance ou encore qui a saisi une créance à
exécution successive du débiteur avant l’ouverture de la procédure pourra-t-il continuer à
appréhender les sommes échues après ledit jugement en vertu de cette créance qui, étant sortie
du patrimoine du débiteur avant le jugement d’ouverture ne subit pas l’effet réel résultant de la
procédure collective, de sorte que son paiement au tiers délégataire, cessionnaire ou saisissant
n’est pas remis en cause64.
Dans le même sillage, le créancier pourra se faire payer de la créance qu’il détient sur le débiteur
s’il n’agit pas contre lui directement mais, en vertu d’une action directe, à l’encontre d’un tiers
in bonis65. Il a été ainsi décidé que la victime peut agir contre l’assureur du débiteur sans se
soumettre à la vérification de sa créance66. Il en sera de même pour le sous-traitant qui est fondé
à agir contre le maître de l’ouvrage, en dépit de la procédure collective de l’entrepreneur ou
encore du voiturier auquel il est reconnu une action directe, pour le paiement du prix du
transport, à l’encontre de l’expéditeur et destinataire, garants de ce paiement 67.
Toutes ces dérogations caractérisent un certain infléchissement de la vigueur du
dessaisissement qui se précise davantage dans le régime juridique de la compensation.
63
Cass. Com., 8 juil. 2003, n° 00-13309.
64
F.-X. LUCAS, Manuel de droit de la faillite, op. cit., n°237.
65
Ibid.
66
Cass. Ch. Mixte, 15 juin 1979, n° 77-10150.
67
Il faut noter que l’article L. 622-7 II, al. 2 prévoit d’autres dérogations à l’interdiction du paiement des créances
nées avant le jugement d’ouverture, qui présentent la particularité de ne pouvoir être mises en mouvement qu’avec
l’autorisation du juge-commissaire. Voir en ce sens, M.-E. MFINI, « Le créancier muni de sûreté face à la
procédure collective en droit de l’Ohada », Revue africaine de droit bancaire et boursier, vol. 2, n° 10, 2023.
68
F.M. SAWADOGO, Droit des entreprises en difficulté, op. cit., n°180.
69
Voir en ce sens les articles L. 622-7 du Code de commerce français et article 68, 102 et 109 de l’AUPC.
intuitu personae et de ce fait, elle peut être résolue de plein droit en raison de l’ouverture de la
procédure collective70. Cette solution repose sur le lien de connexité que le compte courant
établit entre l’escompte des effets en compte et la créance résultant du non-paiement de l’effet
à son échéance. La contrepassation de l’effet vaudra ou ne vaudra pas paiement en fonction du
solde existant à l’échéance71. Dans le cas où la contrepassation vaut paiement, le créancier
bénéficie d’une situation préférentielle par rapport aux autres créanciers formant la masse. Mais
un compte ne peut mériter cette qualification que s’il y a réciprocité des remises et
enchevêtrement de ces mêmes remises. Dans le cas où il s’agit ensuite de comptes autres que
le compte courant, le rattachement des créances réciproques à un même compte et l’existence
d’un lien de connexité suffit à faire jouer la compensation. Comme exemples de comptes
différents du compte courant, on peut noter les autres comptes en banque, le compte de
liquidation d’une société, la comptabilité des récompenses matrimoniales, le compte du rapport
des dettes dans le partage des successions ou des indivisions72.
Lorsque les créances réciproques se rattachent à un même contrat, il faut distinguer selon que
les créances s’analysent comme dérivant de l’exécution correcte du contrat ou selon que l’une
d’elles s’appréhende en une créance de dommages et intérêts. Dans la première hypothèse, la
compensation est admise par une jurisprudence constante en application de la théorie de la
cause en vertu de laquelle il est énoncé que l’exécution correcte de chacune des prestations
synallagmatiques sert de cause à l’autre 73. Dans la seconde hypothèse, la connexité est plus
lâche, mais tout de même admise par la jurisprudence, notamment celle de la Cour de cassation
française qui, dans un arrêt ancien trouve une connexité entre une créance contractuelle et une
créance délictuelle de réparation née à l’occasion du contrat 74.
En somme, la situation du débiteur est assez tenue à compter du jugement d’ouverture. En effet,
afin de garantir les intérêts des créanciers et de l’entreprise, des mesures sont prévues pour
conserver la consistance de son patrimoine et assurer son administration ou sa liquidation. Pour
l’essentiel, la situation du débiteur se ramène au dessaisissement qui apparaît comme protecteur
des intérêts des créanciers et de l’entreprise par la neutralisation salvatrice du débiteur dont les
droits propres sont reconnus et consacrés.
70
Voir ces anciennes décisions de la Cour de cassation française : civ., 19 nov. 1888 et com., 25 janv. 1955, obs.
M. AZOULAI, in R. HOUIN, Les grands arrêts de la jurisprudence commerciale, Sirey, 1962, n°104.
On signale que la loi française de 1985 prévoit le principe de la poursuite des contrats en cours, même de ceux
conclus intuitu personae.
71
Voir en ce sens, J.-L. RIVES-LANGE et M. CONTAMINE-RAYNAUD, Droit bancaire, Précis Dalloz, 6e éd.,
1995, n°509 et s.
72
Voir dans ce sens : Cass. civ., 3 mars 1891, DP., 1891. 1249 et Cass. civ., 10 déc. 1946, Dalloz 1947. 87, cités
in Les Grands arrêts de la jurisprudence commerciale, op. cit., p. 496.
73
Chambre civile, 8 octobre 1938, in Les grands arrêts de la jurisprudence commerciale, n°148. Voir également
RIPERT et ROBLOT, op. cit., n°3040.
74
Com. 2 juillet 1975, Dalloz 1975, p.424.
Dans le champ de l’arbitrage, l’une des réglementations les plus achevées et les plus abouties dans le
monde est, à mon avis, celle mise en place dans l’espace OHADA. Si donc aujourd’hui, notre offre
d’arbitrage peine à trouver demandeur, je ne suis pas sûr que ce soit du fait de la réglementation. Que
les détracteurs de l’Afrique trouvent d’autres arguments pour développer leurs stratégies d’évitement de
nos « institutions » au sens où l’entend le Nobel d’économie de 1993 Douglas North, c’est-à-dire
l’ensemble des lois, des règles écrites ou informelles ainsi que les instruments créés pour en contrôler
leur bonne application. Voyons cela !
Décider de régler ses litiges entre soi, en dehors des moyens officiels mis en place par l’autorité publique,
est certainement aussi vieux que le monde. A un moment donné de l’histoire de certaines communautés,
la nécessité de vivre en harmonie ou tout simplement en paix, la méfiance à l’égard des institutions
rattachées à l’autorité et aussi, la culture intrinsèque à chaque peuple ont été considérés comme des
modalités normales de résolution des différends de tous ordres. On sait que dans certaines sociétés
africaines, le cercle familial voire le clan ou l’ethnie vivant dans un espace géographique donné, dispose
d’une compétence exclusive pour certains conflits liés notamment à l’état des personnes et au foncier2.
De même, il est régulièrement rappelé que les révolutionnaires français de 1789 considéraient l’arbitrage
comme le moyen le plus raisonnable de gérer les différends3.
Aujourd’hui, sur un plan plus général, mêmes les observateurs les moins avertis peuvent aisément
constater l’amenuisement du champ des activités régaliennes de la puissance publique dans tous les
domaines. La réalité de la raréfaction des ressources publiques, combinée à la montée en puissance des
idées libérales qui se sont développées au plan politique depuis l’effondrement du mur de Berlin, a
confirmé que le pouvoir de l’Etat contemporain a perdu son caractère absolu. Il ne peut ni ne doit tout
faire désormais.
Dans tous les secteurs d’activité, l’approche « parties prenantes » a supplanté l’unilatéralisme dans les
actions de l’Etat. Le concept de contractualisation s’est imposé dans les analyses prenant l’Etat come
objet4. Les pouvoirs publics s’appuient sur les acteurs économiques et sociaux pour élaborer et appliquer
les nouvelles politiques. L’esprit qui voudrait que seul l’Etat soit en mesure de déterminer ce qui est
bien a fait son temps. Au plan sémantique on voit apparaitre des concepts qui traduisent cet état de fait :
1
Ce papier a fait l’objet d’une publication en 2020 dans la « Série de documents de recherche » du CRES, 2020/3
www.cres-sn.org
2
Voir entre autres, le très instructif article de M. BAKAYE DEMBELE, La justice coutumière et la justice étatique
dans la résolution des différends au Mali p. 329 et s. des Actes du colloque de Luxembourg, « L’effectivité du
droit économique dans l’espace OHADA », 20 et 21 novembre 2014. Publié par L’Harmattan, Paris, 2016.
3
I. FADLALLAH et D. HASCHER. Les grandes décisions du droit de l’arbitrage commercial, Dalloz, 2019, sous
l’arrêt Prunier.
4
L’ascension du contrat comme procédé d’action publique, constitue l’un des traits les plus remarquables des
dernières décennies. Il est devenu un outil indispensable aux collectivités publiques pour mettre en œuvre des
politiques ou conduire leurs actions. Sa montée en puissance est allée de pair avec la remise en cause de
l’exclusivité de la loi, de la prééminence de l’État central, de la gestion en régie des services publics et, plus
largement, des modes d’action fondés sur le commandement et la contrainte. Pour la France voir le Rapport public
2008 du Conseil d’Etat, « Le contrat, mode d’action publique et de production de normes »
Régulation, Partenariat Public Privé, Délégation de Services Publics, Compliance5… L’état reconnait
ses limites et accepte de partager certaines prérogatives dans le sens de l’intérêt commun. La justice, le
seul service public qui porte le nom d’une vertu, ne saurait être en reste ! A l’exemple de l’arbitrage que
l’on trouve aussi bien dans le Traité OHADA lui-même que dans le droit dérivé de ce Traité.
C’est déjà dans le Préambule du Traité de l’OHADA6 que les Hautes parties contractantes affirment leur
« désir de promouvoir l’arbitrage comme instrument de règlement des différends contractuels » ; puis,
elles conviennent, dans le corps même du Traité, de consacrer un Titre entier (titre IV) comprenant 6
articles (art. 21 à 26) à l’arbitrage7. Le droit dérivé prend la suite par le biais de l’Acte uniforme sur le
droit de l’arbitrage qui laisse toute liberté aux parties maitresses du jeu processuel, à quelques exceptions
près tenant à l’ordre public8. Au résultat, il s’avère que la réglementation de l’arbitrage dans notre espace
juridique est très aboutie. Elle repose presqu’entièrement sur les parties et leur volonté. Son caractère
libéral devait en faire une procédure de premier choix pour les investisseurs. Pourtant et malgré
l’introduction de l’arbitrage d’investissement par la révision de 2017, malgré le fait que la plupart des
litiges mettent en cause le continent et ses acteurs, malgré le fait que notre droit est le plus souvent
applicable, il semble que notre arbitrage n’a pas, en pratique, le succès escompté…
En tout état de cause, même s’il faut en nuancer l’effectivité9, la réception de l’arbitrage dans le Traité
lui-même a été vue comme une volonté manifeste des pères fondateurs de l’OHADA de placer cette
forme de règlement des litiges sur le même piédestal que la justice étatique 10. Cela ne saurait
étonner ceux qui ont fait du droit des affaires leur spécialité, qui vivent la dualité de la justice depuis la
nuit des temps et qui ont suivi les vicissitudes de la clause compromissoire à travers les âges dans
l’histoire juridique de la France11 .
5
La « compliance », c’est l'accent mis sur la responsabilisation des acteurs économiques dans un cadre désormais
plus contraignant. Ces derniers semblent avoir pris conscience de l’intérêt de mettre en œuvre des stratégies ciblées
destinées, en interne, à prévenir les risques de manquements susceptibles de les entrainer dans des contentieux
nuisibles à leur image. La compliance apparait aujourd’hui comme une démarche permanente, une logique
organisationnelle, impliquant la création de nouveaux métiers : compliance officer, risk manager, chief risk
manager, chargés aux côtés des juristes, de gérer la prévention et la gestion des risques juridiques, ainsi que
l’éthique et la déontologie au sein des entreprises…Voir, M.-A., FRISON-ROCHE, Le Droit de la Compliance,
2016 : https://mafr.fr/fr/article/le-droit-de-la-compliance-2/ ; Illustration supplémentaire de la montée en
puissance du « droit de la compliance », Dalloz, célèbre éditeur français annonce la sortie prochaine d’un « code
de la compliance », en septembre 2020.
6
Port-Louis le 17 Octobre 1993 puis révisé au Québec le 17 octobre 2008.
7
Il faut préciser qu’au Sénégal, l’arbitrage était connu et pratiqué bien avant L’OHADA. Jeune enseignant, Nous
avons présidé un arbitrage ad hoc au début des années 90 sur le sol sénégalais avec de prestigieuses parties en
litige (BOAD, FAGACE...). Nous avons aussi cosigné une des premières études sur l’arbitrage au Sénégal, dans
la Revue EDJA N° 2, en 1987. « Ordre public et arbitrage. Note sous l’arrêt Express Navigation » de la Cour
Suprême du Sénégal (Abdoulaye Sakho et Ndiaw Diouf). Nous avons contribué en équipe avec le cabinet d’avocat
Sow, Seck et Diagne, à la mise en place du Centre d’arbitrage de la chambre de Commerce de Dakar au début des
années 90 et à la réforme des textes sur l’arbitrage avec notamment l’introduction dans le COCC des articles 826-
1 et suivants sur « Les contrats relatifs au règlement des litiges ». Nous sommes demeurés arbitres et de temps en
temps nous intervenons dans des procédures auprès de prestigieux centres comme celui de la Chambre de
Commerce Internationale de Paris. Dommage que, sur un autre plan, le Tribunal Arbitral du Sport ne soit pas assez
ouvert aux arbitres africains pour les très nombreux litiges mettant en cause le sport en Afrique…
8
L’Acte uniforme initial sur l’Arbitrage du 11 juin 1999, contenait six chapitres ; Le 23 novembre 2017, cet Acte
uniforme sur l’arbitrage a été révisé, intégrant officiellement un nouveau chapitre sur la constitution de la Cour
d’arbitrage.
9
S. MENETRY, La multiplication des centres d’arbitrage dans l’espace OHADA, Actes du colloque de
Luxembourg, précités, p. 345 et s.
10
P. FOUCHARD, L’OHADA et les perspectives de l’arbitrage en Afrique, Bruxelles, Bruylant, 2000.
11
V. entre autres, Ch. JARROSSON, La clause compromissoire (article 2061 C. civ.), Rev. arb. 1992.259 ; adde ,
Ch. JARROSSON, le nouvel essor de la clause compromissoire après la loi du 15 mai 2001, JCP G 2001, I 333,
p. 1317. Par exemple, en droit interne sénégalais, il est toujours expressément prévu que « la clause
En effet, dans la quasi-totalité des pays du globe, la justice, c’est-à-dire la fonction de règlement des
litiges de tous ordres, est confiée à l’Etat. Ce dernier fait exécuter cette même fonction par une
organisation judiciaire comprenant les Cours et Tribunaux. Dans cette organisation, les juges sont
appelés Magistrats. Ce sont des fonctionnaires qui ont reçu une délégation officielle et permanente à
l’effet de rendre la justice : c’est la justice étatique. Cependant, à côté de cette justice étatique, il existe
depuis longtemps une autre forme de justice qui a toujours permis de soustraire les litiges à la justice de
l’Etat pour les soumettre à des personnes privées. Ces dernières sont investies pour la circonstance de la
mission de juger : c’est la justice privée dont l’arbitrage est la forme la plus connue.
L’arbitrage consiste à faire trancher un litige par de simples particuliers, appelés arbitres. Mais leur
décision, appelée sentence, est investie de la même autorité qu’un jugement rendu en première instance
par une juridiction étatique.
L’arbitrage, bien qu’étant la forme la plus connue de justice privée, n’en est pas pour autant la seule. Il
existe d’autres modes privés de règlement des litiges : la médiation et la conciliation qui offrent une
alternative possible à l’arbitrage.
En réalité, l’idée de régler les litiges sous une forme différente de la justice publique s’est
considérablement épanouie ces dernières années. Elle consiste à créer des alternatives aux procédures
publiques et formalistes des procès ordinaires. Ceci inclut l’arbitrage, la médiation, la conciliation et
d’autres formes moins connues de nos systèmes juridiques d’inspiration francophone. Dans une
acception large, le mode alternatif de règlement des litiges est même susceptible d’inclure ces lieux
mixtes de la régulation économique que sont les organes chargés d’assurer la police des marchés12.
Ces modes de règlement des conflits sont généralement conçus comme une justice privée grâce à
laquelle les litiges sont enlevés aux juridictions étatiques pour être résolus par des personnes privées
investies pour la circonstance de la mission de « juger ». De ce fait, on peut déduire leur nature
ambivalente et en même temps les distinguer de certaines institutions voisines. Du point de vue de leur
nature, on peut en effet, retenir une ambivalence certaine. On est en effet, face à une justice privée qui,
d’une part, est instituée par un acte juridique, une simple convention des parties (clause de conciliation
ou de médiation et convention d’arbitrage) et, qui, d’autre part, se conclut par une décision (accord de
conciliation ou de médiation et sentence) possédant l’autorité de la chose jugée comme un jugement
rendu par un tribunal officiel. Donc un acte juridictionnel ponctue la procédure. Cet acte est susceptible
d’exécution forcée par le juge étatique (exéquatur pour l’arbitrage). Pour ce qui est de leur distinction
d’avec les notions voisines, il convient de retenir qu’il ne s’agit ni d’expertise13, ni de transaction14.
compromissoire est nulle s’il n’en est disposé autrement par la loi » (article 826-1 alinéa 3 COCC), l’entrée en
vigueur de l’Acte uniforme, tenant lieu de loi sur l’arbitrage dans les Etats parties, a ouvert le champ d’application
de cette clause.
12
Marché économique global : Autorités de la concurrence. Marchés sectoriels comme les marchés financiers avec
leurs autorités (Conseil Régional de l’Epargne et des marchés financiers pour l’UMOA)) ; les marché des
communications électroniques (ARTP) ; les marché de l’audiovisuel (CNRA…) etc...
13
Ce n’est pas l’expertise. Il est vrai que dans les deux cas, les parties confient à un tiers qui n’est pas une juridiction
de droit commun, la mission de fixer un point de fait ou de droit à l’occasion d’un litige. Mais c’est leur seul point
de convergence car la mission de l’expert se limite à la formulation d’un avis qui ne lie ni les parties ni le juge.
L’expertise n’épuise pas forcément le différend. Alors que dans les modes alternatifs de règlement des litiges
comme l’arbitrage, la décision s’impose directement aux parties.
14
Ce n’est pas la transaction. Il est vrai que la transaction définit comme « le contrat par lequel les parties mettent
fin à une contestation par des concessions mutuelles » (art. 756 COCC), permet de régler un litige grâce à la
décision transactionnelle qui a, comme la sentence arbitrale, les accords de médiation ou de transaction, l’autorité
de la chose jugée entre les parties. Mais les deux matières sont à distinguer car, la transaction peut intervenir sans
l’intervention d’un tiers et surtout, il est généralement admis dans les systèmes de droit francophone que le pouvoir
de transiger ne comporte pas celui de compromettre (art. 1989 C. Civ. français).
S’interroger aujourd’hui, en 2020, sur le pourquoi et le comment de l’arbitrage, revient à montrer que,
pour le système OHADA, il ne s’agissait pas de sacrifier à un effet de mode en introduisant l’arbitrage
dans le droit positif. Cette forme juridique de règlement des litiges répond à un besoin économique réel
des pays membres de cette organisation d’intégration par le droit. Chemin faisant, il sera certainement
procédé à l’examen du rôle généralement assigné à l’arbitrage. Au plan procédural, arrive-t-il à réaliser
sa fonction alternative de contournement des difficultés actuelles de la justice étatique ? Au plan
économique peut-il contribuer à l’amélioration du climat des affaires ?
Une réponse pertinente à tout ce questionnement suppose nécessairement un passage par les sources du
droit de l’arbitrage. Plus que les sources techniques, utilisons les « sources réelles du droit ». En effet,
la notion de source du droit est équivoque15. Elle peut tout aussi bien désigner les raisons profondes de
la création de la règle de droit que ses supports formels16. Aussi, pour bien comprendre le sens d’une
règle et sa portée, il convient de ne point se limiter aux sources formelles mais d’aller au-delà. Il faut en
effet interroger la formation économique et sociale pour une saisie correcte des motifs de création de la
règle de droit. C’est ce qui justifie l’appellation « sources réelles » que l’on oppose aux « sources
formelles ».
Une telle démarche méthodologique me paraît essentielle pour la compréhension de cette matière qui
intéresse aussi bien la justice (l’Etat et l’ordre public) que la liberté individuelle (l’autonomie de la
volonté).
Notre arbitrage est conforme à la tendance économique mondiale et à la liberté individuelle. Elle est
totalement en phase avec le libéralisme ambiant. Deux clés qui se déclinent en deux questions presque
banales pour comprendre l’arbitrage OHADA et se rendre compte de sa modernité : pourquoi et
comment l’arbitrage ?
15
Sur la notion de « sources réelles du droit », A. SAKHO, « Les groupes de sociétés en Afrique », Droit, Pouvoir
et Dépendance économique, CRES/Karthala 2010.
16
Constitution, loi, règlement, circulaires etc…
17
Surtout dans les sites de vulgarisation et de promotion de l’arbitrage. Par exemple
https://www.lepetitjuriste.fr/larbitrage-une-reelle-alternative-a-la-justice-etatique/
18
« L’Afrique, souvent perçue comme le continent d’avenir en matière d’arbitrage, s’inscrit largement dans cette
tendance. L’arbitrage y constitue un important vecteur du droit qui vient accompagner l’émergence des pays en
privilégiant le respect de la norme sur les pratiques héritées du passé colonial : loi du plus fort et corruption. La
multiplication des contentieux sur le continent n’est donc pas un signal négatif, mais révèle davantage de recours
au droit pour réguler la vie des affaires ». Jean-Georges BETTO, avocat in https://www.leclubdesjuristes.com/les-
publications/larbitrage-accelerateur-de-lattractivite-economique-du-continent-africain/
Ainsi, à côté des raisons traditionnelles tenant aux insuffisances de la justice étatique (B), il faut relever
des raisons contemporaines fondées sur la libéralisation économique et son corollaire juridique,
l’autonomie de la volonté (A).
19
Journal officiel de la République du Sénégal du 7 juillet 1999.
Ce succès de l’arbitrage se traduit notamment par la présence de 72 institutions arbitrales sur le continent ; J. G.
20
BETTO, précité ; adde S. MENETRY, La multiplication des centres d’arbitrage dans l’espace OHADA, précité.
21
Voir le désormais classique mais précurseur ouvrage de G. FARJAT, Droit Économique, Thémis-PUF, 1982.
22
Voir l’ouvrage de GUYON consacré au droit des sociétés et publié dans le traité des contrats que dirige J.
GHESTIN à la L.G.D.J.
23
Société instituée par un ou plusieurs associés et dont les statuts prévoient librement l’organisation et le
fonctionnement de la société sous réserve des règles impératives du droit de la S A. L’idée maitresse est d’offrir
aux investisseurs une forme d’organisation de l’entreprise dont les règles de fonctionnement procéderaient de la
convention des parties. Article 853-1 et suivants Acte uniforme sur les sociétés commerciales.
24
C’est ainsi que la Cour de cassation française y a consacré en juin 2019 un colloque qui était annoncé en ces
termes : « Non sans paradoxe de prime abord, la déjudiciarisation est aujourd’hui la grande affaire de la justice
du 21ème siècle. Si les modes alternatifs de règlement des litiges existent depuis longtemps, l’on ne peut que
constater un engouement récent et d’ampleur du législateur pour la déjudiciarisation, et le mouvement ne semble
pas être en voie de prendre fin ».
25
Sans les énumérer tous, on peut signaler pêle-mêle : Le mini-procès (un tiers et le principal dirigeant de l’une
des parties en litige forment le tribunal du mini-procès et la procédure se termine par un rapprochement après que
le tiers ait donné son avis sur l’issue probable d’un procès). L’arbitrage sur dernière offre (chaque partie adresse
par écrit le montant de ses prétentions à un tribunal arbitral qui doit accepter l’une des propositions sans
modification et rendre une sentence : les parties sont obligées de réduire leurs exigences compte tenu du fait qu’une
demande gonflée aboutirait certainement à une décision rendue en faveur de l’adversaire). La médiation et la
conciliation qui sont des procédés faisant une large place à la négociation et dans lesquels l’intervention de celui
qui est chargé de trouver une solution ne s’achève pas par une décision obligatoire pour les parties contrairement
à la décision de l’arbitre.
« garantir la sécurité juridique des activités économiques afin de favoriser l’essor de celles-ci et
d’encourager l’investissement » (Préambule du Traité). En un mot, il faut sécuriser l’investissement
aussi bien national qu’étranger.
En définitive, l’analyste qui prend l’Afrique comme champ d’observation, peut constater deux formes
d’expression des insuffisances de la justice étatique comme élément explicatif du recours à l’arbitrage
pour résoudre les litiges liés aux affaires : les insuffisances communes à toutes les justices étatiques (1)
et les insuffisances propres aux économies africaines (2).
a – Les lenteurs
La justice étatique se caractérise essentiellement par son manque de flexibilité par rapport à l’arbitrage.
Un procès devant un tribunal étatique doit être mené conformément à des règles de procédure
relativement fixes que les parties ne pourront contourner. De même le juge est lié par un formalisme
assez rigoureux.
Mais dans la pratique de la justice d’Etat - surtout en Afrique -, on sait qu’il est quasiment impossible
de suivre à la lettre les prescriptions des règles processuelles : le manque de moyens de la justice, les
mauvaises conditions de travail des magistrats, l’inorganisation des greffes et beaucoup d’autres causes
font que les délais pour rendre les jugements et les arrêts sont démultipliés. Il n’y a pas longtemps encore
au Sénégal, on disait qu’il fallait, pour certaines affaires, pas moins de 10 ans pour arriver devant le
juge de cassation.
b – Les coûts
On soutient que l’arbitrage offre une justice moins coûteuse que la justice étatique. Mais cet argument
n’est pas absolu et mérite d’être fortement nuancé surtout en ce qui concerne l’arbitrage international.
Il y a en effet très peu de chances pour que ce genre d’arbitrage soit moins cher qu’un procès ordinaire :
il faut payer les arbitres (contrairement au juge), il faut payer les frais administratifs (s’il s’agit d’un
arbitrage institutionnel) ou louer des locaux pour les réunions et les audiences (s’il s’agit d’un arbitrage
ad’ hoc). Il est vrai que certaines institutions d’arbitrage organisent presque gratuitement l’arbitrage
mais il existe des centres qui sont excessivement coûteux.
En définitive, cette question du coût des procédures n’emporte vraiment pas la conviction comme
élément en faveur de l’arbitrage face à la justice d’Etat.
des retraités d’Air Afrique). Il y avait donc une insécurité judiciaire qui n’était en fait qu’un des avatars
de la disparité des législations nationales applicables aux affaires. C’est pour y pallier que le droit
continu d’être harmonisé et que la justice l’est déjà au sommet (CCJA) pour tout le domaine du droit
des affaires (version OHADA). Mais comme déjà évoqué dans l’introduction, la justice d’aujourd’hui
est duale : elle est publique d’une part et privée d’autre part. Il fallait donc, en même temps que la
création de la CCJA prévoir l’harmonisation de l’arbitrage. Ce fut fait, de manière malheureuse au début
à mon avis26, heureusement magistralement rattrapée dans l’Acte uniforme27.
Cela dit et pour conclure sur ce premier aspect des raisons de la généralisation croissante de l’arbitrage
comme procédé de règlement de litiges économiques, il est vrai, force est de le reconnaître, l’arbitrage
offre de véritables avantages aux opérateurs économiques : leurs querelles ne sont pas divulguées sur la
place publique (discrétion), le juge dans l’arbitrage a souvent une compétence technique relative à
l’affaire en litige (compétence de l’arbitre), la décision arbitrale ne tranche pas dans le vif comme le
jugement qui est souvent rendu de manière trop impersonnelle (possibilité d’un arbitrage en amiable
composition).
Au final, à côté des raisons traditionnelles expliquant le recours à l’arbitrage par comparaison à la justice
étatique, on se doit aussi de mettre l’accent sur les facteurs tenant à l’exaltation de l’autonomie de la
volonté, conséquence de la généralisation du libéralisme économique et de l’échange marchand.
Avec le Traité OHADA, les modes alternatifs de règlement des litiges ont trouvé une base juridique
raffermie sur le territoire national de chacun des Etats membres car, comme déjà dit, ce traité, dès son
préambule, affirme l'objectif de promouvoir l'arbitrage comme instrument de règlement des différends
contractuels.
C’est pourtant, après une longue période de gestation, parsemée d'embûches et de "velléités totalitaires",
que la version finale de l'Acte Uniforme relatif au droit de l'arbitrage pris en vertu du traité OHADA,
est entrée en conformité avec les tendances modernes du droit de l'arbitrage au niveau mondial : faire
de l'arbitrage, la "chose" des parties, et rendre la décision de l'arbitre irrévocable28. Aujourd’hui donc,
le droit de l’arbitrage, tel que déjà exprimé dans l’Acte Uniforme initial29 avait déjà donné à l’OHADA
ses lettres de noblesse en ce qui concerne ce mode de règlement des litiges. Celui du 23 novembre 2017,
qui a révisé l'Acte uniforme de 1999 est sur la même lancée libérale. Elle a par ailleurs, introduit
26
Dans le traité lui-même qui aurait pu se borner à poser le principe et à renvoyer aux textes subséquents comme
pour les autres matières. D’où nos sorties à l’époque dans la grande presse sous le titre provocateur « L’arbitrage
en danger » in, le Soleil, quotidien d’informations générales sénégalais, du 29 Octobre 1997.
27
Ce qui justifia quelques mois plus tard, un autre article toujours dans le Soleil avec le titre évocateur de la
correction opérée par l’OHADA sur le droit de l’arbitre : « l’arbitrage libérée ! ». C’est cet article qui inspire en
substance, les développements suivants de la deuxième partie de cet article.
28
Il faut en effet savoir que dans les pays de tradition économique libérale comme aux États-Unis, l'intérêt pour
l'arbitrage provient du milieu des affaires et de l’attractivité provenant du libéralisme du droit relatif aux méthodes
alternatives de règlement des conflits. La loi fédérale d'arbitrage de 1925 donnait aux arbitres l'immunité et de
larges pouvoirs pour rendre leur sentence arbitrale. Ils n'étaient pas liés par la loi qu'ils pouvaient ne pas prendre
en compte dans la recherche de la solution. Cette loi donnait aussi aux parties la liberté dans le choix du droit
applicable à la procédure et au fond du litige. Des lois uniformes largement inspirées de la loi fédérale ont été
depuis lors adoptées par 48 des 50 états américains. Ces textes d'inspiration libérale plus la culture du bénévolat
dans la société américaine ont certainement largement contribué au succès de l'arbitrage aux Etats-Unis.
29
Signé à Ouagadougou le 11 Mars 1999 et publié dans le JO de l’OHADA du 15 Mai 1999
l'arbitrage des investissements visant à impliquer les États dans les procédures arbitrales issues des
contrats d'investissements tels les contrats de partenariats public-privé30.
En réalité, l’Arbitrage ne peut être enfermé dans un carcan sclérosant car il s’agit d’une procédure
multiforme reposant sur l’exaltation de l’autonomie de la volonté comme nous l’avons démontré ci-
dessus. A quelques exceptions près, tenant au respect de l’ordre public processuel et international, elle
est largement gouvernée par la volonté des parties, pour ne pas dire par la liberté individuelle.
Afin de rendre prégnant le libéralisme et la prééminence de la volonté des parties dans ce processus,
nous allons partir d’une fiction et imaginer, un court instant, le temps de la lecture de ce qui suit, que
l’espace OHADA est un restaurant dans lequel on a la liberté du choix de ce que l’on veut déguster et
surtout, qu’il nous est garanti une efficacité sans failles du service conduisant à notre entière satisfaction
à la sortie du restaurant. C’est un peu cela l’arbitrage OHADA. Le mode de fonctionnement de ce
restaurant imaginaire colle parfaitement à l’esprit de notre analyse dont les caractéristiques essentielles
sont : la liberté des parties de choisir les règles qui leur conviennent pour résoudre leur litige et, la
garantie pour ces mêmes parties que leur volonté sera exécutée. Autrement dit, c’est la liberté de
composer le menu et l’assurance que nos vœux seront exaucés grâce à un service de qualité.
1- La diversité des formes d’arbitrage et la liberté dans le choix (le met principal)
Il convient de retenir ici que l’Acte Uniforme a considérablement élargi la gamme des procédures
contrairement aux avant-projets qui, dans leurs premières versions, rendaient obligatoires et « sans
appel » la seule procédure d’arbitrage de la CCJA. Aujourd’hui, outre cette dernière, les citoyens de
l’espace OHADA peuvent s’en remettre à des institutions permanentes d’arbitrage dans chaque pays,
voire même à l’arbitrage ad hoc et à l’arbitrage d’investissements31.
L’arbitrage CCJA est la procédure prévue dans le Traité lui-même (art. 21 à 26) et qui institue la CCJA
en centre d’arbitrage ayant son propre règlement. Ce règlement a d'ailleurs été publié en même temps
que l’Acte Uniforme.
30
Il est curieux de constate que la question que l’on se posait dans les premiers moments de la réglementation
OHADA est encore posée aujourd’hui : « le droit de l’arbitrage issu de l’Acte uniforme a-t-il contribué à la
sécurité de l’investissement dans notre espace économique ? Il faut en effet savoir que le recul des lieux judiciaires
de la médiation est souvent invoqué, dans la plupart des pays du globe, comme élément de sécurisation de
l’investissement » (A. Sakho, L’arbitrage libéré, Dakar 2000). « Mais, cette évolution est-elle suffisante pour
constituer une véritable révolution, au point d'entraîner l'adhésion des investisseurs à y recourir le plus
massivement possible dans les contrats d'investissements dans les pays-membres de l'OHADA »? (Jacques-Brice
MOMNOUGUI, http://www.ohada.com/actualite/4280/arbitrage-des-investissements-ohada-evolution-ou-
revolution.html ).
31
L'arbitrage peut être fondé sur une convention d'arbitrage ou sur un instrument relatif aux investissements,
notamment un code des investissements ou un traité bilatéral ou multilatéral relatif aux investissements.
Si le choix est porté sur cette procédure CCJA, (qui, cela mérite d’être signalé, ne concerne que les
différends d’ordre contractuel), la décision d’exequatur ne peut être rendue par une juridiction autre que
la CCJA exerçant ses compétences juridictionnelles.
Mais la CCJA n’est pas le seul centre d’arbitrage dans notre espace. Il en essaime un peu partout dans
les Etats parties au Traité. Dakar a le sien (auprès de la Chambre de Commerce). Il en est de même
d’Abidjan qui est pourtant le siège de la CCJA et d’autres villes aussi en ont.
Cela signifie que la cohabitation est possible. Elle était en tout cas souhaitée par les « sans culottes »
contemporains qui ne se sont pas ménagés pour aller à l’assaut des privilèges monopolistiques que les
rédacteurs des premiers avant-projets d'actes uniformes voulaient réserver à la citadelle CCJA en sa
qualité de centre d’arbitrage : ces projets nourrissaient le sombre dessein "d'embastiller" l'arbitrage en
ne rendant possible qu'une seule procédure, celle organisée par la Cour Commune de Justice et
d'Arbitrage dont le siège est Abidjan (A. SAKHO, l'Arbitrage en danger ! , le Soleil 29 Oct. 1997).
Aujourd’hui, les choses sont claires : l’Acte Uniforme reconnaît les centres locaux d’arbitrage (art.
10 alinéa 1). Cet arbitrage institutionnel n’est ouvert qu’à toute personne et pour tout litige portant sur
les droits dont elle a la libre disposition. Dans cet arbitrage par les centres locaux, ce sont les juridictions
locales qui jouent le rôle de juge de l’annulation et de l’exequatur des sentences. La CCJA n’intervient
qu’en qualité de juge de cassation des décisions des juridictions nationales.
Autant que la CCJA, les centres locaux n’interviennent que dans le cadre de l’arbitrage institutionnel.
Mais la voie n’est pas pour autant fermée pour l’arbitrage « ad hoc » qui est la procédure se déroulant
hors de tout organisme et dans laquelle les parties peuvent organiser le déroulement de l’instance sans
être tenues d’appliquer le règlement d’arbitrage d’un centre quelconque. En somme, c’est une procédure
qui permet d’adapter le règlement du litige à la volonté des parties et aux circonstances particulières de
l’espèce. C’est son avantage, mais aussi son principal inconvénient car est patent le risque corruption
qui pèse sur les arbitres dès lors qu’il n’y aucune institution ou centre pour assurer un minimum de
contrôle.
L’arbitrage d’investissements, introduit en droit OHADA par l’Acte uniforme de 2017, est une
procédure de règlement des différends entre les investisseurs étrangers et les Etats d'accueil. Il a toujours
été considéré comme la possibilité pour un investisseur étranger de poursuivre un Etat hôte. C’est une
garantie pour cet investisseur étranger car, dans le cas d'un litige, il aura accès aux arbitres qualifiés et
indépendants qui résoudront le litige et rendront une sentence exécutoire32.
2- Liberté des parties de déterminer l’essentiel dans le déroulement de la procédure (les mets
d’accompagnement)
32
Ce n’est pas l’objet de cet article que de développer sur cette forme particulière d’arbitrage qui met en cause des
parties aux intérêts souvent divergents mais obligés de coopérer à travers des normes composant ce qu’on appelle
le droit des investissements et qui prétend à la vanité de satisfaire aussi bien l’investisseur que le pays d’accueil.
V. Propriété formelle et propriété substantielle en droit des sociétés et des groupes. A. SAKHO et I.
PARECHKEVOVA, in Les déséquilibres économiques et le droit économique, Ouvrage collectif sous la direction
de Laurence Boy, Larcier 2015. Sur l’arbitrage d’investissement proprement dit : S. BASSALOUE, La protection
des contrats d’investissements privés étrangers en Afrique, Wolters Kluwer France, 16 avril 2018 ; Jacques-Brice
MOMNOUGUI, Arbitrage des investissements OHADA : évolution ou révolution ?, article précité. Pour l’Europe,
V. Rainer Geiger, Les Procédures d’arbitrage dans les accords d’investissement de l’Union européenne. L’enjeu
des Traités transatlantiques, Revue Internationale de Droit Economique, 2015/4 t. XXIX | pages 451 à 465. Plus
instructif sur les évolutions dans les réticences de la Cour de Justice de l’Union Européenne à cette forme
d’arbitrage depuis l’arrêt Achméa, V. J. Jourdan-Marques, « Chronique d’arbitrage », Dalloz du 7 juin 2019 : la
CJUE surmonte (timidement) sa réticence vis-à-vis de l’arbitrage.
Quelle que soit la forme d’arbitrage choisie, l’OHADA permet aux parties de déterminer, selon leur
volonté, l’essentiel dans le déroulement de l’instance arbitrale. Cette liberté s’exprime aussi bien pour
les règles applicables à la procédure que pour le droit devant régir le fond du litige.
Concernant le droit applicable à la procédure, les parties peuvent directement ou par référence à un
règlement d’arbitrage, régler la procédure arbitrale ; elles peuvent aussi soumettre celle-ci à la loi de
procédure de leur choix selon le premier alinéa de l’article 14 de l’Acte Uniforme sur le droit de
l’arbitrage.
Même lorsque les parties s’en remettent à des Règlements d’arbitrage, ces derniers ne ferment pas
hermétiquement la porte à la possibilité d’une détermination des règles de procédure applicables à
l’instance par les parties. Ainsi l’art. 16 du Règlement CCJA prévoit : "les règles applicables à la
procédure devant l’arbitre sont celles qui résultent du présent règlement et, dans le silence de ce
dernier, celles que les parties ou à défaut l’arbitre déterminent, en se référant ou non à une loi interne
de procédure applicable à l’arbitrage ". De même, l'article 16 du règlement d'arbitrage du Centre de
Dakar dispose dans des termes relativement similaires : "les parties sont libres de convenir de la
procédure arbitrale…".
Pour les règles de fond, c’est à dire les règles applicables au fond du litige et qui permettent de dire le
droit, la liberté des parties est à son maximum. « Les arbitres tranchent le fond du litige conformément
aux règles de droit désignées par les parties ou à défaut choisies par eux comme les plus appropriés
compte tenu le cas échéant des usages du commerce international. Ils peuvent également statuer en
amiable compositeur lorsque les parties leur ont conféré ce pouvoir »33.
Pour conclure sur cette libre composition des mets dans notre restaurant OHADA, il convient de retenir
que, comme partout ailleurs, cette liberté a des limites. Elle n’est pas absolue parce que soumise aux
limites inhérentes à l’autonomie de la volonté dans le droit des contrats (l’ordre public notamment34) et
aux principes essentiels du droit processuel sans lesquels l’Arbitrage basculerait vers l’arbitraire (égalité
des parties, principe du contradictoire...).
La libre composition du menu n’est pas la seule caractéristique du restaurant OHADA. Il s’y ajoute une
très grande qualité du service qui rend l’arbitrage attractif et surtout efficace.
33
Art. 15 Acte uniforme. V. en jurisprudence, et sur l’amiable composition, CCJA19 juillet 2007 : « le tribunal
arbitral ne peut user des pouvoirs d’amiable compositeur que si les parties les lui confèrent, l’amiable composition
se définissant de manière négative, comme le pouvoir des arbitres de ne pas s’en tenir à l’application stricte des
règles de droit, ce qui permet aussi bien de les ignorer que de s’en écarter, en tant que leur sentiment d’équité
l’exige ». V. sous l’article 15 dans le code bleu OHADA, Éditions, Juriafrica.
34
Outre « Ordre public et arbitrage », N. DIOUF et A. SAKHO, précité, voir en dernier lieu, CCJA, 28 mai 2020,
n° v193/2020, société GRANT THORNTON S.A., A. M. G. et A. N. c/P. N. M et les observations de Jacques
Mestre, https://www.actualitesdudroit.fr/browse/afrique/ohada/28246/la-ccja-retient-a-juste-titre-une-approche-
extensive-de-l-arbitrabilite
Celle-ci se manifeste à un double point de vue : d’une part, dans le régime de la convention d’arbitrage
qui est l’acte juridique par lequel le litige est soumis à un tribunal arbitral et d’autre part, dans la sentence
arbitrale qui est l’acte juridictionnel c’est à dire la décision du juge arbitral encore appelée sentence.
1- La condition sine qua non pour qu’il y ait arbitrage est l’existence d’une convention
C’est donc un contrat, un acte juridique qui est à la base de ce mode de règlement des litiges car, en
dehors de l’arbitrage d’investissements, l’arbitrage OHADA, selon notre lecture de l’Acte uniforme
dans ses articles 3 et 3-1, ne peut naître que d’une convention le prévoyant expressément et qui prend
la forme d’un compromis ou d’une clause compromissoire 35.
Mais, il s’agit d’un contrat qui se révèle fragile parce que reposant pour son exécution sur la loyauté et
la bonne foi des parties. Le refus d’exécution oblige à s’en remettre à la justice avec tout ce que cela
comporte comme aléas.
Pour y pallier, le droit de l’arbitrage OHADA érige, en la matière, le respect de la parole donnée en
principe juridique. En conséquence, dès lors que les parties sont convenues d’y recourir, l’arbitrage
aura lieu nonobstant le refus de l’une d’elles. C’est en ce sens qu’on peut parler d’efficacité de la
convention d’arbitrage qui se manifeste dans le principe d’autonomie de la convention d’arbitrage et
dans la formation du lien d’instance.
L’autonomie de la convention d’arbitrage
La tentation est grande pour une des parties de contester la validité de la convention d‘arbitrage dès lors
qu’elle se doute d’une issue défavorable pour elle. Puisque c’est la convention qui institue le tribunal
arbitral, son irrégularité empêcherait les opérations d’arbitrage en remettant en cause le pouvoir
juridictionnel de l’arbitre.
D’ailleurs, certains plaideurs utilisaient systématiquement la contestation de la validité de la convention
d’arbitrage comme dilatoire, un moyen de retarder la décision finale sur le litige.
En effet, il était de pratique de faire trancher le contentieux de la validité de la convention d’arbitrage
par le juge étatique pour ensuite revenir à l’arbitrage si le juge déclarait la convention valable.
L’argumentation la plus pertinente pour remettre en cause la convention d’arbitrage consistait à faire
état de la nullité du contrat principal qui la contient (hypothèse de la clause compromissoire).
Ce genre de pratique ne prospère plus depuis longtemps car, l’Acte Uniforme qui dispose que la validité
de la convention d’arbitrage n’est nullement affectée par la nullité du contrat principal duquel elle est
indépendante (principe de l’autonomie de la convention d’arbitrage) et que l’arbitre peut lui même
trancher la question de sa propre investiture (principe de la compétence - compétence)36.
35
Art. 3. L'arbitrage peut être fondé sur une convention d'arbitrage ou sur un instrument relatif aux
investissements, notamment un code des investissements ou un traité bilatéral ou multilatéral relatif aux
investissements. Art. 3-1. La convention d'arbitrage prend la forme d'une clause compromissoire ou d'un
compromis. La clause compromissoire est la convention par laquelle les parties s'engagent à soumettre à
l'arbitrage les différends pouvant naître ou résulter d'un rapport d'ordre contractuel. Le compromis est la
convention par laquelle les parties à un différend déjà né décident de le régler par la voie de l'arbitrage.
36
Le principe d’autonomie de la convention d’arbitrage par rapport au contrat principal auquel elle se rapporte
impose au juge arbitral, sous réserve d’un recours éventuel contre sa sentence à venir, d’exercer sa pleine
compétence sur tous les éléments du litige à lui soumis, qu’il s’agisse de l’existence, de la validité ou l’exécution
de la convention. CCJA, 24 avril 2008 sous article 11 Code bleu OHADA, Op. Cit. ; adde Article 11 al. 1 « Le
tribunal arbitral est seul compétent pour statuer sur sa propre compétence, y compris sur toutes questions relatives
à l'existence ou à la validité de la convention d'arbitrage ».
En résumé, non seulement la nullité du contrat principal ne peut affecter le contrat d’arbitrage, mais il
n’est plus besoin de passer d’abord par le tribunal étatique pour statuer sur la validité de la convention
d’arbitrage, l’arbitre pouvant lui-même statuer sur cette question.
Nous voyons ainsi que le droit OHADA donne toute son efficacité à la convention d’arbitrage à travers
ce principe d’autonomie et son corollaire la compétence-compétence.
Ce n’est pas tout car cette efficacité est renforcée par les conséquences qui s’attachent à la formation du
lien d’instance.
La solidité du lien d’instance arbitrale
L’instance arbitrale est liée dès le moment où l’une des parties saisit l’arbitre conformément à la
convention d’arbitrage ou, dès que l’une des parties engage la procédure de constitution du tribunal
arbitral37 .
Le Règlement d’Arbitrage CCJA en tire la conséquence suivante : « lorsque les parties sont convenues
d’avoir recours à l’arbitrage de la Cour... si l’une des parties refuse ou s’abstient de participer à
l’arbitrage, celui-ci a lieu nonobstant ce refus ou cette abstention » (art. 10-1 et 10-2).
De même le règlement du centre de Dakar : "Si l'une des parties, régulièrement convoquée
conformément au présent règlement, ne comparait pas à l'audience, sans invoquer d'empêchement
légitime, le tribunal arbitral peut poursuivre l'arbitrage". (Article 27, al.1 - Règlement du Centre
d'Arbitrage de Dakar)
Ces dispositions suffisent à illustrer le respect de la parole donnée. Dès lors qu’une convention
d’arbitrage est conclue, elle oblige à aller devant le tribunal arbitral. Cela résulte aussi de l’effet
obligatoire des contrats (comparer. Art. 96 COCC).
La conséquence qu’on peut en tirer et qu’en tire effectivement l’Acte Uniforme est l’incompétence des
juridictions étatiques pour connaître le litige que les parties étaient convenues de soumettre à l’arbitrage,
sauf si elles renoncent d’un commun accord à l’arbitrage ou si la convention est manifestement nulle38.
Par ailleurs, comme pour confirmer l’intensité de la convention d’arbitrage, l’Acte Uniforme permet la
constitution du lien d’instance même après la saisine d’un juge étatique (art. 4 al. 3). C’était une
disposition intéressante pour les centres locaux d’arbitrage qui devaient pouvoir se retrouver avec une
grande partie du contentieux encore pendant devant les tribunaux étatiques.
2- En ce qui concerne la sentence qui, il faut le rappeler, est la décision du tribunal arbitral, il convient
de retenir qu’elle cristallise l’intérêt essentiel de l’arbitrage. En effet, en procédant par la voie de
l’arbitrage pour résoudre leur différend, les parties espèrent qu’elle débouche sur une sentence qui
s’impose à elles.
Dans ce sens l’Acte Uniforme affirme que la sentence a l’autorité de la chose jugée relativement à la
contestation qu’elle tranche (art. 23). Cette qualité permet de distinguer la sentence d’une simple
recommandation dont l’exécution dépendrait de la volonté des parties. Mais elle ne permet pas, tout
37
La procédure arbitrale commence à la date à laquelle l'une des parties engage la procédure de constitution du
tribunal arbitral (article 10 al. 2, Acte Uniforme).
38
Article 13 Acte uniforme « Lorsqu'un différend faisant l'objet d'une procédure arbitrale en vertu d'une
convention d'arbitrage est porté devant une juridiction étatique, celle-ci doit, si l'une des parties en fait la
demande, se déclarer incompétente.
Si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi ou si aucune demande d’arbitrage n'a été formulée, la juridiction
étatique doit également se déclarer incompétente à moins que la convention d'arbitrage ne soit manifestement
nulle ou manifestement inapplicable à l'espèce... ».
autant, de la considérer comme un véritable jugement car elle ne bénéficie pas, en elle-même, de la
formule exécutoire nécessaire pour une exécution forcée.
En conséquence, le meilleur service qui peut être rendu à l’arbitrage consiste à limiter les possibilités de
remise en cause de la sentence et surtout, de pouvoir facilement la revêtir de la formule exécutoire. Il
ne faut pas que « pour un oui ou un non », une des parties puisse faire tomber la décision qu’elle a
contribué à créer. Il ne faut pas non plus que l’exécution de cette décision puisse être bloquée par le
refus d’une des parties. Le système OHADA satisfait cette double exigence.
L’OHADA fait l’économie de voies de recours telles que l’opposition, l’appel et le pourvoi en
cassation contre la sentence.
Les seules voies offertes sont celle du recours en annulation, celle de la tierce opposition et celle du
recours en révision39.
Il faut voir dans cette limitation des voies de recours une autre conséquence du respect de la parole
donnée. L’arbitrage est une affaire de « gentleman », voire un Gentlemen's agreement. Il n’est pas du
tout indiqué qu’après avoir obtenu, dans la discrétion, une décision, on se mette à la contester comme
un vulgaire chiffonnier.
En extrapolant, il est possible de considérer la décision arbitrale comme un élément à part entière du
contrat d’arbitrage et, en ce sens, elle mérite les mêmes égards de loyauté et de bonne foi que toutes les
autres clauses du contrat.
Le monde des affaires, même s’il admet l’habilité pouvant conduire à « faire mal » à un concurrent, ne
peut souffrir de la déloyauté. Il fonctionne selon une éthique fondée également sur le respect de ce
principe juridico-moral qu’est la parole donnée. Elle est sacrée en affaires !
Pour finir, la sentence peut faire l’objet d’une exécution forcée en vertu d’une décision judiciaire
provenant de la CCJA pour l’arbitrage organisé par ce centre ou des juridictions nationales pour les
centres locaux.
Il s’agit de l’exequatur dont l’avantage pour celui rendu par la CCJA est que la sentence aura un
caractère exécutoire dans tous les Etats-parties. Mais l’exéquatur par les juridictions nationales n’est
pas en reste car elle assure une justice de proximité.
Dans l’arbitrage, il n’est vraiment pas souhaitable qu’on en arrive à l’exécution forcée. Mais pour parer
à toute éventualité, l’Acte Uniforme a quand même prévu une procédure d’exequatur par les articles 30
et suivants de l’Acte uniforme. Et même les décisions arbitrales rendues hors de l’espace OHADA
peuvent recevoir cet exequatur. L’exequatur est refusé si la sentence est manifestement contraire à
l’ordre public international d’un Etat partie (Acte Uniforme) ou à l’Ordre public international tout court
(procédure CCJA).
39
Article 25 Acte uniforme sur le droit de l’arbitrage : « La sentence arbitrale n'est pas susceptible d'opposition,
d'appel ni de pourvoi en cassation.
Elle peut faire l'objet d'un recours en annulation qui doit être porté devant la juridiction compétente dans l'Etat
Partie…
Elle peut également faire l'objet d'un recours en révision devant le tribunal arbitral en raison de la découverte
d'un fait de nature à exercer sur la solution du différend une influence décisive et qui, avant le prononcé de la
sentence, était inconnu du tribunal arbitral et de la partie qui demande la révision… ».
1
CCJA, 1re ch., 3 novembre 2022, n° 145/2022.
2
Ancienne disposition de l’article 1134 du C. civ.
3
M. LATINA, v° « Contrat : généralités », Répertoire de droit civil, 2017, n° 135 et s.
dans la convention, a reconnu la compétence des juges étatiques 4 . Ainsi l’arrêt commenté met-
il en évidence l’un des ressorts de la théorie de l’autonomie de volonté qui implique le respect
de la parole donnée. C’est donc au regard de l’autonomie de volonté que la CCJA a pu valider
la clause insérée dans la convention et qui répartit la compétence entre l’arbitre et le juge
étatique. Dans le cas d’espèce, la clause compromissoire ne produit pas dans sa totalité l’un de
ses effets majeurs qui est la renonciation des parties à la juridiction des tribunaux étatiques et,
par conséquent, à l'incompétence de ces tribunaux. Toutefois, la clause compromissoire doit
produire tous ses effets pour les litiges qui ne concerneraient pas les actions immobilières
relatives à l’immeuble. Les arbitres resteront ainsi compétents pour les actions qui ne relèvent
pas de la compétence des juges étatiques.
A supposer qu’après avoir stipulé la clause compromissoire dans la convention, les parties
n’avaient pas précisé que « toutes actions immobilières relatives à l‘immeuble seront soumises
au tribunal du lieu de situation de ce dernier », il semble que les arbitres seront dans tous les
incompétents pour l’adjudication de l’immeuble. Car en droit OHADA, les arbitres ne sont pas
compétents pour la vente de l’immeuble saisi dont l’attribution se fait « obligatoirement dans
le cadre d’une vente aux enchères publiques » 5 . Cette compétence est exclusivement réservée
par la loi au juge étatique et au notaire convenu par les parties (articles 246 et 282 al. 1 de
l’AUPSRVE). La CCJA rappelle que ces dispositions sont d’ordre public. Ainsi, l’autonomie
de la volonté des parties se heurte de front aux règles d’ordre public ou impératives. En ce sens,
cet arrêt commenté permet de rendre compte que la ligne séparatiste entre la liberté
contractuelle et l’ordre public ne peut pas être facilement broyée par la volonté des parties. Par
ailleurs, il n’est pas inutile de rappeler que toutes les règles d’ordre public ne résistent pas à la
volonté car l’ordre public de protection peut être écarté par les parties. Dans le cas d’espèce,
s’agit-il des règles d’ordre public de protection ou des règles d’ordre public de direction ? La
CCJA ne l’a pas précisé. Il est cependant possible de dire que les dispositions susmentionnées
sont d’ordre public de direction car l’interdiction pour les parties d’y déroger est légale et
aucune marge de manœuvre n’est laissée à elles.
C’est également sous l’angle de l’autonomie de la volonté des parties à la convention litigieuse
que la CCJA a pu apprécier la question liée à l’inscription de l’hypothèse sur l’immeuble.
4
Tribunal de grande instance du Moungo à Nkongsamba.
5
CCJA, 1re ch., 3 nov. 2022, no 145/2022, comm. E. NSIE, L'ESSENTIEL Droits africains des affaires, 2023,
n°08, p. 1.
6
Acte uniforme portant organisation des sûretés.
rendant ainsi compte de la force obligatoire des conventions valablement formées. Elle signifie
également que l’article 203 de l’AUS n’est pas d’ordre public et qu’il est supplétif de volonté.
L’arrêt commenté révèle qu’en droit OHADA, une certaine marge non-négligeable est laissée
à la volonté des parties, l’ordre public étant le garde-fou tant substantiel que processuel.
Appolinaire KLEVO-HEDOU
1
CCJA, 2e Ch., 03 novembre 2022, n° 163/2022.
2
Acte uniforme portant droit commercial général.
3
R. AKONO, « la valeur probante d’un extrait de compte du créancier brandi par un débiteur commerçant »,
l’Essentiel Droits africains des affaires, n°05, p. 4.
4
CCJA, 1ère Ch. arrêt N°039/2010, 10 juin 2010.
implicite de la possibilité, dans un litige donné, d’user des extraits de comptes pour prouver des
faits allégués.
En somme, les extraits de compte ne sont certes pas des livres comptables, mais peuvent, dans
certains cas, être admis comme preuve, en vertu du principe de la liberté de la preuve entre
commerçants dégagé par l’article 5 de l’AUDCG. Il ne serait, tout de même, pas étonnant que
les juges accordent plus de crédibilité à une preuve constituée par un livre comptable légalement
établi qu’à un simple extrait de compte.
Marcel KONDO
Juriste d’affaires
Dans un arrêt en date du 23 février 2023, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA)
s’est prononcée sur une affaire soulevant la question de sa compétence en tant que juge de
cassation en matière commerciale.
L’espèce ici en cause oppose deux partenaires d’un projet de construction immobilière, l’un
réclamant à l’autre le paiement de factures impayées en plus des dommages et intérêts y
afférents. Condamnée à la fois en première instance et en appel, la société mécontente porte
l’affaire en cassation devant la juridiction suprême de l’OHADA.
Suite à la procédure contradictoire, le requérant, s’appuyant sur l’article 2 du traité de
l’OHADA, soutient que : « le Droit OHADA est par excellence le Droit des affaires » et qu’à
ce titre, les parties, dont le litige est issu de leur relation d’affaires et ayant le statut de
commençant, sont de plein droit assujetties à la compétence de la CCJA. Ceci, alors même qu’il
est clairement établi que tout au long de la procédure, il n’avait nullement été soulevé une
question relevant des actes uniformes, encore moins dans les deux (2) moyens de cassation qui
se limitent à contester des dispositions de droit national, notamment les articles 276 et 277 du
code de procédure civile du Gabon.
Pour y répondre, le juge s’est empressé de rappeler qu’en application de l’article 14, alinéa 3,
du traité de l’OHADA, la Cour se prononce sur les décisions rendues par les juridictions d’appel
lorsqu’elles « soulèvent des questions relatives à l’application des actes uniformes et des
règlements », avant de compléter conformément à l’article 28 du règlement de la CCJA, que le
recours mentionne les dispositions dont l’application justifie à cet effet sa saisine.
À l’évidence, force est de constater que la société demanderesse n’a, ni dans son recours ni au
fond devant les juridictions nationales, fait état de moyens tirés de l’application ou
l’interprétation d’un acte uniforme quelconque pouvant justifier la recevabilité de sa demande.
La Cour concluant ainsi à titre péremptoire que la simple commercialité des actes en cause et
la qualité de commerçant des parties concernées ne sauraient suffire à elles seules de retenir sa
compétence.
Par conséquent, il sied de retenir que l’idée selon laquelle tout litige entre acteurs économiques
au sein de l’OHADA puisse être porté devant la CCJA en cassation, lui conférant implicitement
une compétence générale et absolue en toute matière liée au « droit des affaires », ne semble
pas tenable devant la haute Cour, qui, sans ambigüité, à travers cette décision consolide une
position des plus orthodoxes, au fondement du droit communautaire.
1
CCJA, 23 février 2023, n° 023/2023.
Enfin, cette décision nous enseigne surtout que le champ de compétence de la CCJA est
rigoureusement circonscrit par les textes et ne saurait se décréter ou s’élargir par le biais d’une
généralisation abusive de son objet.
Mon-espoir MFINI
Chargé d’enseignement à l’université d’Angers
« N’est pas créancier qui le veut »2. C’est en tout cas ce qu’a semblé rappeler le juge de
régulation de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires, à
l’occasion d’une espèce très peu commentée 3. Aussi, la détermination de la qualité de créancier
n’est que très rarement sous le feu des projecteurs de la Cour Commune de Justice et
d’Arbitrage de l’OHADA. L’arrêt sous appréciation est donc une belle occasion qui nous est
offerte. En cause, les articles 213 et 221 de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés.
Les faits de cette espèce sont classiques : un avocat, constitué par une société à l’effet de la
représenter et d’agir pour son compte « pour toutes les affaires qui l’opposent aux personnes
qui lui doivent des sommes d’argent ou qui se prétendent faussement créancières », s’estimant
créancier de cette société, avait sollicité et obtenu d’un tribunal de première instance une
ordonnance, l’autorisant à prendre une inscription hypothécaire provisoire sur l’immeuble de
la société, dans l’optique de se prémunir contre l’insolvabilité4 de sa débitrice.
Par la suite, un tribunal avait été saisi d’une demande de validation de cette hypothèque. Cette
demande avait été rejetée. Ce jugement avait été confirmé en appel, par la Cour d’Appel
d’Abidjan5. À la suite de cette décision défavorable à son encontre, l’avocat avait formé un
pourvoi en cassation, devant la 3ème chambre de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage,
arguant que la Cour d’appel d’Abidjan, dans son arrêt du 25 juin 2021, avait violé les articles
213 et 221 de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés, lesquels portent sur la validité
d’une hypothèque. Le recourant soutient qu’en refusant de valider l’inscription hypothécaire
provisoire qu’il avait pratiquée, au motif que sa créance, résultant de la facturation de ses
honoraires d’avocat, ne reflétait pas de manière « irréfutable et univoque » les dépenses qu’il
avait effectuées pour le compte de la Banque (société), parce que la créance en question, « n’a
pas été cristallisée par une décision du Bâtonnier », la Cour d’appel du pays de HOUPHOUËT-
BOIGNY avait violé les textes susvisés.
Le Juge de la CCJA rejette sans réserve le pourvoi formé par l’avocat, estimant que la créance
réclamée par ce professionnel du droit est non seulement fondée sur une note d’honoraires
unilatéralement établie par celui-ci, mais encore et surtout, que cette créance n’est pas constatée
par une décision définitive, préalable exigé par les articles 55 et suivants du Règlement
n°05/CM/UEMOA relatif à l’harmonisation des règles régissant la profession d’avocat dans
l’Union économique et monétaire ouest-africain. Partant, le juge de la Haute juridiction retient
1
CCJA, 3e ch., n° 124/2022 du 30 juin 2022.
2
C’est nous qui le disons.
3
Il s’agit de l’arrêt sous appréciation.
4
Voir not. C. ALBIGES et M.-P. DUMONT, Droit des sûretés, HyperCours, 8ème éd., Dalloz, 2022 ; D. LEGEAIS,
Droit des sûretés et des garanties du crédit, 14ème éd., LGDJ, 2022.
5
Arrêt n° 95/21 CIV-P rendu le 25 juin 2021 par la Cour d’appel d’Abidjan.
sans atermoiement qu’une telle créance ne saurait fonder une demande en validation d’une
hypothèque conservatoire. Dès lors, il ne peut accéder à la demande de l’avocat.
Par cet arrêt, la Cour de cassation de l’OHADA rappelle que l’inscription hypothécaire
définitive prévue aux articles 213 et suivants de l’Acte uniforme portant organisation des
sûretés suppose que le demandeur établisse sa qualité de créancier sans aucune contestation à
l’égard du débiteur. En ce sens, il s’inscrit dans la droite ligne d’une jurisprudence établie 6,
quoique moins abondante. L’arrêt précise par ailleurs qu’une créance est certaine 7 lorsque son
existence ne peut être remise en cause. Aussi, rappelle-t-il que cette certitude est établie par une
décision du bâtonnier ou par une décision judiciaire devenue définitive.
6
Voir aussi et surtout, Tribunal de commerce de Niamey, n° 55, 22 mars. 2022 ; Tribunal de commerce de
Cotonou, Première chambre de jugement de la Section III, n° 041/2022/CJ1/S3/TCC, 10 mars 2022 ; Cour d’appel
de commerce d’Abidjan, 1ère ch., n° 703/2021, 23 déc. 2021 ; Tribunal de grande instance du Wouri, Chambre
commerciale, n° 121/COM, 21 mars 2019 ; CCJA, 3e ch., n° 104, 26 avr. 2018 : Assane Cisse c/ Bintou Faye
Drame (à propos de la reconnaissance de la créance) ; CCJA, 1e ch., n° 003, 4 févr. 2010 : K. c/ T., Juris-Ohada,
n° 2/2010, avr.-juin 2010, p. 6, Ohadata J-11-47, J-12-40 (à propos de la recevabilité de la demande d’inscription
provisoire).
7
Voir not. Ph. DELEBECQUE et F.-J. PANSIER, Droit des obligations : Régime général, 8ème éd., LexisNexis,
2016.
« Le législateur contemporain a la fâcheuse tendance d’énoncer des règles sans s’occuper des
rapports qu’elles entretiennent avec le reste du droit » 2, ces quelques mots de Madame Delmas-
Marty résonnent comme une piqûre de rappel à l’heure d’étudier l’affaire de la GECAMINES.
Cet important arrêt fait le croisement entre le droit des sociétés OHADA et les voies
d’exécution, deux domaines juridiques ayant selon toute vraisemblance des objectifs différents.
Les faits et la procédure de l’arrêt paraissent simples. En effet, la SORETEC avait en 2020
enclenché une procédure de recouvrement de créance contre la GECAMINES. Pour ce faire,
elle pratiqua une saisie attribution auprès des sociétés TENKE FUNGURUME MINING et
RAWBANK SA. En retour, cette action fut contestée par la GECAMINES devant le tribunal
de commerce de Kinshasa/Gombé, qui ordonna une mainlevée des saisies pratiquées. Déboutée,
la SORETEC interjeta appel afin d’obtenir l’annulation des mainlevées ordonnées. Sans
surprise aucune, la Cour d’Appel accéda à cette demande en ces termes : « confirme par
conséquent les saisies attributions opérées sur les avoirs de la GECAMINES SA du 03/08/2020
auprès des sociétés TENKE FUNGURUME MINING et RAWBANK SA ». Lésée, la
GECAMINES décida de saisir la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA). Cette
dernière demeure dans l’espace OHADA, la seule compétente pour connaitre en dernier ressort
toute affaire portant sur l’interprétation des actes uniformes, du règlement de procédure de la
CCJA, à l’exception des décisions appliquant des sanctions pénales. Elle dispose des pouvoirs
de pleine juridiction.
Afin d’appuyer son action de cassation, la demanderesse au pourvoi souleva quatre griefs, dont
un grief particulièrement intéressant dans le cadre de ce travail. Il s’agit notamment du motif
qui nous invite à analyser la question des immunités d’exécution sous un angle
pluridisciplinaire, car, l’article 30 de l’acte uniforme portant organisation des procédures
simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution (AUSPVRE), selon les termes duquel : «
l’exécution forcée et les mesures conservatoire ne sont pas applicables aux personnes d’une
immunité d’exécution [...] », nous y conditionne. Aux dires de la demanderesse, la
GECAMINES ayant l’État comme unique actionnaire bénéficie d’une immunité d’exécution,
carapace idéale contre les assauts des créanciers.
En fait, la question centrale à laquelle devait répondre la CCJA fut l’application de l’immunité
d’exécution ou non à la GECAMINES, en d’autres termes une société ayant l’État comme
unique actionnaire peut-elle sur ce simple fait exciper l’immunité d’exécution afin d’anéantir
toute procédure d’exécution forcée à son encontre ? La problématique ici soulevée pourrait à
première vue paraitre exclusive, mais comme le dit l’ecclésiaste « il n’y a rien de nouveau sous
le soleil », il nous souviendra qu’en 2005 le juge communautaire fut, dans les mêmes conditions
1
Soliloque à propos de l’arrêt de la CCJA 03 mars 2022, affaire GECAMINES contre SORETAC SARL et Cie.
2
M. DELMAS-MARTY, « réinventer le droit », D. 1995, Chron. P.2.
normales de fait et de procédure, appelé à traiter la question des immunités brandie par une
entreprise publique dans le tristement célèbre arrêt TOGO Télécom 3.
Loin de vider le conflit, cette affaire a plutôt ouvert une boite de Pandore remplie d’incertitude
et de confusion. L’on pouvait s’offusquer de la disproportion de traitement entre actionnaires
privés et actionnaires publics puisque par un arrêt de rejet les juges de la CCJA relevaient que
« l’article 30 alinéa 1er de l’Acte uniforme susvisé pose le principe d’immunité d’exécution, et
que les entreprises publiques, catégorie dans laquelle est classée TOGO TELECOM, figurent
dans l’énumération des Sociétés contre lesquelles s’applique la compensation, il n’y a aucun
doute à l’égard de cette dernière sur sa qualité de bénéficiaire de l’immunité d’exécution » avant
d’ajouter que « la Cour d’Appel de Lomé n’a point erré dans l’interprétation dudit article, et
donc, point violé celui-ci »4.
À la suite de cette décision exclusive et dichotomique, la doctrine africaine s’est emparée de la
question en désapprouvant, en retoquant et en critiquant sévèrement cette décision. À juste titre,
le professeur SAWADOGO soutenait d’ailleurs que « les objectifs poursuivis par l’OHADA,
en particulier la recherche de la sécurité juridique et judiciaire par la mise en place d’une
législation commune, claire, moderne adaptée et facile à connaitre, d’application uniforme
s’opposent à ce qu’il soit procédé à une extension du domaine d’application de l’immunité
d’exécution, qui ne peut que nuire aux créanciers des entreprises publiques, créanciers qui sont
souvent des entreprises privées, et aux entreprises publiques elles-mêmes en entamant
grandement leur crédit » 5. Nous abandons dans le sens en ce sens que la valeur d’un système
juridique se mesure en fonction de l’équilibre qu’il parvient à créer entre différents acteurs
économiques voire des systèmes juridiques. Le maintien de cette ligne prétorienne saperait les
efforts louables et le vœu pieux des pères fondateurs de l’OHADA dans leur quête de créer un
espace propice aux investisseurs. D’ailleurs, selon des avis tranchés d’une frange partie de la
doctrine, ce serait « …une hérésie juridique de les extirper des voies d’exécution » 6.
L’occasion faisant le larron, la CCJA avait par cet arrêt une merveilleuse occasion de rectifier
le tir puisque le droit n’est pas une science statique, il évolue avec les hommes et comme a pu
l’affirmer Malaurie « le droit pas un positivisme arrogant au-dessus de la mêlée » mais il est
« un conflit permanent de valeurs, d’intérêts, de passions et une recherche incessante de la
justice et de paix »7. Ainsi, confirmant la décision de la Cour d’appel de Kinshasa évoquant «
[...] le seul fait pour une société privée de bénéficier des subventions de l’État, ne lui confère
pas le bénéfice de l’immunité. Aucune société ne peut être à la fois anonyme et personne de
droit public. Le fait qu’une société soit investie d’une mission de service public et que l’État ait
une participation au capital ne change en rien sa nature de société anonyme donc de droit privé
soumise, comme telle aux conditions d’exécution des sociétés de droit privé », la CCJA
approuve, valide et signe « en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a fait une saine
3
CCJA 07 juillet 2005 arrêt n° 043/2005 affaire aziablevo YOVO et autres contre la société TOGO TELECOM.
4
Ibid.
5
F.M. SAWADOGO, « La question de la saisissabilité et de l’insaisissabilité des biens des entreprises publiques
en droit OHADA », Ohadata D-07-16, 2016, pp1-26.
6
A.A. de SABA, « Gérer les débiteurs publics dans l’espace OHADA », Horizons Juridiques africaines, 2022,
vol 13, p 92.
7
Malaurie (P.) AYNES (L.), introduction à l’étude du droit, 2e éd, in préface à l’introduction, 1994.
application de la loi et, n’a pas commis le grief visé au moyen, lequel sera rejeté comme non-
fondé ».
Revirement de jurisprudence ! Du « sacre, on est passé au massacre » disait un auteur. Par cette
décision, le juge replace l’État actionnaire dans une situation de parfaite égalité avec les autres
acteurs économiques en logeant tout le monde dans la même enseigne du recouvrement forcé
des créances marquant ainsi la fin du deux poids deux mesures.
Dans le but de décortiquer en profondeur cet arrêt, notre analyse sera axée autour des facteurs
d’inapplication de l’article 30 aux entreprises publiques (I) avant de revenir sur la contribution
prétorienne concernant la nature juridique d’une société d’État (II).
8
Art 2284 et 2285 du code civil.
9
G. RIPERT, « le droit de ne pas payer ses dettes », in recueil hebdomadaire du Dalloz n° 28/1936, p59 et S.
10
A.A. de SABA, « Gérer les débiteurs publics dans l’espace OHADA », Horizons Juridiques africaines, 2022,
vol 13, P 79.
entamer le jeu de la libre concurrence, de l’égalité des acteurs économiques, à moins d’exprimer
une volonté manifeste de se faire hara-kiri.
En fait, en excipant l’immunité d’exécution, la GECAMINES espérait un meilleur sort, ou dans
le pire des cas, comparable à celui de TOGO TELECOM. Autres temps, autres mœurs, dit-on
mais peut-on valablement défendre qu’une société d’État bénéficie de l’immunité d’exécution
au seul motif de la détention capitalistique par l’État ? Cette question serait dénuée de sens si
le législateur OHADA avait mis les garde-fous à propos de l’article 30 alinéa 1 de l’AUPSVRE.
L’interprétation de cet article, jusqu’ici, à consister à résoudre l’équation linéaire des
bénéficiaires de l’immunité d’exécution tout en déduisant de l’alinéa 2 de l’article 30, une
atténuation à ce principe11. En ce sens, l’AUPSVRE dispose : « Toutefois, les dettes certaines,
liquides et exigibles des personnes morales de droit public ou des entreprises publiques, quelles
qu’en soient la forme et la mission, donnent lieu à compensation avec les dettes également
certaines, liquides, et exigibles dont quiconque sera tenu envers elles sous réserve de réciprocité
». En clair, à défaut d’exécution forcée, l’option de compensation des dettes resterait plausible,
donc l’exception à la règle posée par l’alinéa 1 de l’article 30 suscité. Une thèse uniformiste de
l’interprétation de l’article 30 qui, aux antipodes de la thèse « autonomiste », l’emporterait sur
cette dernière.
En réalité, l’article 30 pose plus de problèmes qu’il n’en résout. L’équation se corserait
davantage lorsqu’on y appose un rapport de transdisciplinarité entre voies d’exécution et droit
des sociétés. Le hic résiderait dans la formulation « personnes morales de droit public ou des
entreprises publiques quelles qu’en soient la forme ». Cette formule laconique laisse l’ouverture
à une interprétation téléologique puisque la notion d’entreprise publique reste incertaine et floue
en droit communautaire. Les actes uniformes n’ayant pas vocation à s’appliquer aux entités
publiques, chaque État demeure, en principe libre, de donner du contenu à la notion d’entreprise
publique. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la GECAMINES dans le troisième moyen de
cassation se fondait sur un article de droit interne afin de contester la décision du juge d’appel.
Car, en RDC la notion d’entreprise publique regroupe aussi les formes sociétaires et l’article
30 suscité sur ce point n’aide pas à identifier les bénéficiaires de l’immunité d’exécution. La
précision « quel qu’en soit la forme » témoigne du manque de finesse du législateur OHADA.
Pour la doctrine, il s’agirait même d’une « erreur » voire « d’incohérences » de la part du
législateur.
D’ailleurs, la demanderesse au pourvoi considère que « ladite société, en tant qu’entreprise
publique de l’État congolais et dont le capital est entièrement détenu par ledit État, bénéficie de
l’immunité d’exécution prévue par les textes susvisés ». Ici, la partie demanderesse évoque un
argument de taille et non-négligeable, puisqu’à la différence de l’arrêt Grand Hôtel du Congo 12
qui a vu le juge communautaire sanctionné une société d’économie mixte dans laquelle le
11
Il ressort de l’interprétation de l’article 30 de l’AUPSVRE qu’en énonçant « dans son alinéa 1er le principe selon
lequel il ne peut y avoir d’exécution forcée, ni de mesures conservatoires contre les personnes qui bénéficient de
l’immunité d’exécution et en envisageant en dans son alinéa 2 la possibilité d’opposer la compensation aux
personnes de droit public aux entreprises publiques, l’article 30 pose le principe général de l’immunité d’exécution
au profit de ces personnes, la compensation qu’il est possible de leur opposer ne pouvant s’analyser que comme
un tempérament au principe de l’immunité d’exécution qui leur profite », Issa-Sayegh (J.) POUGOUE (P.G.),
SAWADOGO (F.M.) Traité et actes uniformes et annotés, Juriscope, 2018, p 1003.
12
CCJA, 1re ch., Arrêt n° 103/2018 du 26 avril 2018 affaire MBULU C/ société Grands Hôtel du Congo.
capital était détenu à parts égales entre l’État et ses partenaires privés, dans le cas d’espèce
l’État détient la totalité des actions. Il faut cependant souligner que, la détention d’actions par
l’État est une situation qui n’échapperait nullement à la diligence du législateur OHADA, ni
une révolution copernicienne, puisque l’article 1er de l’AUSCGIE dispose : « Toute société
commerciale, y compris celle dans laquelle un État ou une personne morale de droit public est
associé...est soumise aux dispositions du présent acte uniforme ». En clair, pour législateur
OHADA, l’État devenu actionnaire n’influence guère le régime juridique de la société en
question, et cela, indépendamment de la quotité du capital détenue par lui. Il reste soumis au
droit commun des sociétés et par extension aux voies d’exécution.
On peut déduire sans se tromper que la forme sociale a été un vecteur essentiel dans la logique
ayant triomphé de la GECAMINES. Se faisant, les juges de la CCJA ont levé l’équivoque sur
la nature juridique des sociétés d’État faisant ainsi d’une pierre deux coups !
II. Nature juridique des sociétés d’état : autopsie d’un monstre juridique dompté
par les juges de la CCJA
Cette personne est une personne morale de droit privé ! Dans cette affaire, dite de la
GECAMINES, se limiter à la notion d’immunité d’exécution serait un fourvoiement total.
Puisque c’est d’abord la résolution de la question de la nature juridique de la société d’État qui
a conditionné la levée du bouclier immunitaire. En effet, le régime juridique des sociétés d’États
reste flou. En examinant les textes des États de l’OHADA, un constat saute aux yeux : il s’agit
d’un régime hybride qui allie les règles de droit privé et les règles de droit administratif13. Dans
ces conditions ni la thèse administrativiste ni la thèse privatiste ne se contredisent. Seulement
tout dépend de quel côté le curseur serait placé. Lorsqu’on fait une lecture du bas vers le haut,
l’on serait tenté d’admettre qu’une société d’État bénéficie d’un régime de droit administratif
et par conséquent les biens de l’État restent insaisissables à condition que ceux-ci soient placés
dans le domaine public de l’État lequel étant inaliénable et imprescriptible. À l’inverse, une
lecture du haut vers le bas prendrait le contre sens de la première théorie, donc un régime de
droit privé ce qui correspond parfaitement à la vision des pères fondateurs de l’OHADA.
Se fondant sur cette lecture horizontale, c’est-à-dire en partant de l’article 10 du traité OHADA,
donc de la supranationalité des actes uniformes sur les législations internes, « [...] le seul fait
pour une société privée de bénéficier des subventions de l’État ne lui confère pas le bénéfice de
l’immunité. Aucune société ne peut être à la fois anonyme et personne de droit public. Le fait
qu’une société soit investie d’une mission de service public et que l’État ait une participation
au capital ne change en rien sa nature de société anonyme donc de droit privé soumise, comme
telle aux conditions d’exécution des sociétés de droit privé ». Deux enseignements majeurs sont
à tirer de cette substance prétorienne.
13
Loi ivoirienne n° 2020-626 du 14 aout 2020 portant définition et organisation des sociétés d’État, JO n° 20 ; 20
novembre 2020, loi sénégalaise d’orientation n° 2022-08 du 19 avril 2022 relative au secteur parapublic, au suivi
du portefeuille de l’Etat et au contrôle des personnes morales de droit privé bénéficiant du concours financier de
la puissance publique, JO n° 7516, 21 avril 2022 ; loi béninoise n° 2020-20 du 02 septembre 2020 portant création,
organisation et fonctionnement des entreprises publiques ; loi n° 2017 /011 du 17 juillet 2017 portant statut général
des entreprises publiques au Cameroun.
D’abord, la cour minimise la fonction des subventions de l’État. Les subventions accordées par
l’État à une société dans laquelle il détient intégralement le capital n’impliquent pas application
automatique des immunités d’exécution. Ce raisonnement semble cohérent puisqu’un État
pourrait décider de subventionner une société privée des « particuliers » afin de sauvegarder la
survie de celle-ci. Cette subvention n’en ferait pas une société d’État encore moins n’octroierait
à l’État des actions donnant accès au capital. À titre d’illustration pendant la période de la
Covid-19, afin de juguler les pertes subies par les entreprises du secteur privé, certains États
avaient accordé des subventions à ces dernières. Par conséquent, l’argument de la subvention
d’État avancé par le demandeur au pourvoi afin de bénéficier de l’immunité d’exécution nous
semble infondé à tout point de vue.
De plus, en évoquant qu’une société ne peut être à la fois anonyme et de droit public, la Cour
se positionne clairement sur la nature juridique de la société d’État qui ne peut avoir un régime
hybride. Aussi, l’exécution par une société des missions de service public n’incline pas la
balance vers une thèse administrativiste. Car la notion de service public intimement liée au
contrat administratif, ne saurait suffire à renverser le caractère privé d’une société d’État. Et,
pour donner le coup de grâce, les juges de la Cour énoncent « [...] bien que bénéficiant de la
participation de l’État au capital de la Gécamines S.A, celle-ci est bel et bien une société
anonyme, comme l’indique si bien, sa raison sociale et donc soumise aux conditions
d’exécution des sociétés de droit privé ». Il semblerait que la forme sociale l’ait emporté sur la
nature de l’activité exercée. En d’autres termes, lorsqu’un État décide dans le cadre de
l’exercice d’une activité quelconque, commerciale ou pas, d’utiliser une des formes sociales
prévue par le droit OHADA des sociétés, cet état de fait et de droit emporterait caractère de
droit privé de la société concernée et par extension la soumission aux voies d’exécution dans
les conditions normales de recouvrement et de créance.
Ici également cette position emporte notre assentiment puisque l’interventionnisme
économique emporte délaissement par l’État de ses prérogatives de puissance publique ce qui
empêche tout traitement à géométrie variable entre acteurs privés et publics. Les prises de
positions de la doctrine africaine confortent cet élan de réflexion, à l’instar du professeur
AKAM AKAM, qui souligne que « la présence de l’État dans le capital de ces sociétés est en
principe sans conséquence, toute société à capital public est évidemment une personne morale
de droit privé. La circonstance que l’État, des collectivités publiques ou des établissements
publics figurent parmi les associés et puissent même être les seuls associés ne change pas la
nature du groupement qui demeure nécessairement et toujours une personne privée » 14.
Enfin, il est important de préciser que lorsqu’une société est créée elle acquiert la personnalité
juridique distincte de son fondateur. Les associés quels qu’ils soient « ne sont titulaires que de
droits sociaux, ils ne sont pas propriétaires des actifs de la société » 15.
Par la présente décision, la CCJA s’éloigne de la peccadille législative communautaire, et de la
position prétorienne qui fut sienne en 2005 dans le tristement célèbre arrêt TOGO Télécom,
14
A. AKAM AKAM et V. BAKREO, droit des sociétés commerciales OHADA, L’Harmattan, 2018, p 115 et S.
15
A. FENEON, Droit des sociétés en Afrique, 3ème éd., LGDJ, 2022, p 534.
pour ainsi tenir compte « du contexte économique qui a vu naître la loi »16. À titre de rappel, en
2001, les juges d’appel du Bénin avaient décidé que « le privilège régalien de l’État n’est attaché
qu’à l’État seul et non à la société dans laquelle l’État détient des participations et qui est géré
selon les règles de droit privé » 17. C’est dire qu’entre 2001 et 2005, les juges nationaux et ceux
de la CCJA eurent des conceptions diamétralement opposées quant à la nature juridique d’une
société d’État.
Nonobstant cette évolution prétorienne, le mystère autour de la nature juridique de la société
d’État reste entier. Pour la simple raison que chaque État dans l’espace OHADA dispose d’une
législation propre applicable à l’entreprise publique. Ces législations portent en leur sein des
germes d’une distorsion des règles communautaires : nominations et révocation des directeurs
généraux par décret, conseil d’administration pléthorique, forte densité de la présence des
tutelles administratives et des contrôles alourdis des organismes telle la Cour des comptes. Ce
qui semble cependant curieux c’est la convergence de ces législations qui ont un même idéal :
cerner la fonction actionnariale de l’État. Peut-être serait-il temps de penser un modèle uniforme
de l’État actionnaire avec des règles complémentaires au droit communautaire, et non comme
c’est le cas aujourd’hui avec des législations disparates qui tordent le sens des règles du droit
OHADA.
Néanmoins, l’apport de cet arrêt n’est plus à démontrer puisqu’il a ouvert le recouvrement des
créances détenues contre des sociétés d’État à de meilleures perspectives. Désormais, tout
créancier démontrant une dette liquide certaine et exigible pourra user de tous les leviers
qu’offrent les procédures civiles d’exécution afin de recouvrer sa créance en pratiquant par
exemple des saisies attributions sans courir le risque d’opposition de la mainlevée. Aussi, cet
arrêt remet les acteurs économiques sur un pied d’égalité. Une position inverse serait d’ailleurs
contreproductive pour l’État. La confiance étant le moteur des affaires, accorder des « super
privilèges » à l’État actionnaire en excluant ses biens du champ de tir des créanciers, aurait
réduit ou entamé considérablement ses options de crédit auprès des banques et autres
établissements financiers. Toutefois, nous ne faisons pas d’illusions quant à l’effectivité d’une
telle décision puisqu’au fond, le créancier devra saisir le juge d’exécution de son état afin de
rentrer en possession de son dû. Obtenir une décision en est une chose, la faire appliquer en
demeure une autre. Peut-on compter sur la bonne foi de l’État actionnaire ? Sur cette question,
nous restons pantois et invitons les chercheurs en droit et les représentants de l’État actionnaire
au débat.
16
A.A. de DE SABA, « Gérer les débiteurs publics dans l’espace OHADA », Horizons Juridiques africaines,
2022, vol 13, p 93.
17
CA Cotonou, n°10 /e ; RG331/2001 Sté first system Industry c/ État béninois et BIBE ; recueil d’arrêt de la Cour
suprême et des Cours d’appel n° 2008 éd. n2, p 209-229.
Prenez garde aux clauses de règlement amiable des différends ! La CCJA affirme
avec vigueur leur force obligatoire dans l’espace OHADA
Alice DUPOUY
Juriste
Résumé :
En prononçant l’annulation d’un arrêt de la Cour d’Appel de N’Ab ayant omis de mettre en œuvre une
clause instaurant une obligation de tentative règlement amiable préalable à la saisine de la juridiction
compétente, la CCJA réaffirme avec vigueur la force obligatoire des clauses de règlement amiable des
différends dans l’espace OHADA.
Introduction
« Pacta sunt servanda ». Bien connue de tous les étudiants en Droit, cette locution latine ne s'arrête pas
aux portes de l’amphithéâtre, mais constitue un principe fondamental du droit des contrats, observé par
les juridictions. Pourtant, sa portée restait incertaine s’agissant des clauses de règlement amiable des
différends. C’était sans compter la récente intervention de la CCJA qui, dans un arrêt rendu le 19 janvier
2023, a réaffirmé avec vigueur la force obligatoire de telles clauses liant les parties à un contrat.
Revenons brièvement sur la décision de la CCJA et son contexte (première partie) avant d’en analyser le
sens et la portée (seconde partie).
1
La lettre exacte de la clause de règlement amiable est la suivante « les parties conviennent que tout litige né de, ou en relation
avec la présente lettre d’intention sera d’abord résolu à l’amiable par les Parties, faute de quoi il sera soumis à la juridiction
exclusive de N’Ab » (article 19 de la lettre d’intention).
2
Notons que la société défenderesse avait déjà soulevé cette exception d’incompétence devant le Tribunal de Commerce. Elle
réitère ainsi cet argument devant la Cour d’appel.
3
Dans un arrêt n°042/2020 rendu le 17 décembre 2020.
L’appelante forme alors un pourvoi en cassation devant la CCJA. Elle fait grief à l’arrêt d’appel d’avoir
omis ou refusé de répondre à des chefs de demande4, la juridiction de second degré ne s’étant pas
prononcée sur l’exception d’incompétence soulevée par elle. La CCJA accueille l’argument de la
demanderesse au pourvoi et casse l’arrêt d’appel. Revêtant alors « les habits d’un juge du fond5 », elle
statue au fond dans le cadre de son pouvoir évocation. La Haute juridiction doit se prononcer sur la portée
d’une clause de règlement amiable des différends : en présence d’une telle clause, la tentative préalable
du règlement amiable du différend est-elle obligatoire avant la saisine des juridictions étatiques
compétentes ?
La CCJA, dans l’arrêt étudié, répond par l’affirmative. Elle affirme clairement le caractère obligatoire
des clauses de règlement amiable des différends. Elle annule le jugement du Tribunal de commerce,
rendu en violation de la clause de règlement amiable et renvoie les parties « au respect de la procédure
qu’elles ont librement choisie ».
A. Les sources visées par la CCJA – la clause contractuelle et le Code civil tchadien
La CCJA fonde sa décision sur la clause litigieuse contenue dans la lettre d’intention ainsi que sur l’article
1134 du Code civil tchadien, qui constitue la disposition relative à la force obligatoire des contrats 7. On
peut d’ailleurs s’étonner de ce que la CCJA ne fasse aucune mention de l’Acte Uniforme relatif à la
médiation (AUM), et en particulier son article 15, lequel prévoit, depuis son entrée en vigueur en 2017,
l’efficacité des clauses de médiation préalable obligatoires 8. Sinon, qu’est ce qui justifie la compétence
de la CCJA pour connaitre d’un tel arrêt, sa compétence étant limitée, en application de l’article 14 du
Traité OHADA, aux seuls arrêts d’appel soulevant des questions d’application ou d’interprétation des
4
Cas d’ouverture à cassation prévu par l’article 28 tiret 5 du Règlement de procédure de la CCJA.
5
Me L. POULET, « La cassation ici et ailleurs. L’exemple de la CCJA », Droit et investissement, Mélanges en l’honneur du
Professeur Cossi Dorothé Sossa, CREDIJ, 2021, tome II, p. 477.
6
Rappelons qu’en l’absence de clause de différend, les parties ont également la possibilité de consentir conventionnellement
au recours à une conciliation ou médiation après la survenance du litige.
7
Article 1134 al. 1er Code civil tchadien : « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. ».
8
Notons que l’article AUM, art. 1er, al. 1-a) de l’AUM précise que cet acte uniforme « tient lieu de loi relative à la médiation
dans les Etats parties » et que le terme de médiation est défini très largement pour inclure les différents modes de règlement
amiable des différends.
actes uniformes ou règlements issus du Traité. Certes, la médiation est une matière désormais couverte
par un acte uniforme mais on peut s’étonner de cette absence de référence explicite au droit OHADA.
Il est intéressant de noter que c’est sur le principe de force obligatoire des contrats que se fonde la CCJA
pour affirmer l’efficacité des clauses de règlement amiable des différends.
1. La nature de clause contractuelle de la clause de règlement amiable mise en avant par la CCJA
La CCJA insiste sur le fait que la clause de règlement des différends est avant tout une clause du contrat.
Comme toute clause contractuelle, elle est revêtue de la force obligatoire consacrée par l’article 1134 du
Code civil tchadien – et qui est un principe fondamental codifié dans les Etats de tradition juridique
civiliste. Partant, cette clause s’impose aux parties comme au juge.
2. La physionomie particulière de la clause de règlement amiable éludée par la CCJA
En instant sur leur nature de clause contractuelle, la Cour ne met pas en évidence le caractère particulier
de la clause litigieuse. A l’instar des clauses compromissoires ou des clauses attributives de juridiction,
les clauses de règlement amiable présentent pourtant une physionomie particulière, si bien qu’on a pu se
demander si une telle obligation était licite 9. La Cour européenne des droits de l’Homme a, par exemple,
eu l’occasion de confirmer qu’une obligation de conciliation– en l’espèce prévue non par une clause
contractuelle mais par la loi – « ne constitue pas une entrave substantielle du droit d’accès direct au
juge (…) si le processus amiable suspend la prescription et si, en cas d’échec, les parties conservent la
possibilité de saisir le juge compétent »10. La licéité des clauses de règlement amiable est bien établie, là
n’est donc pas ce qui fait la spécificité de telles clauses.
En revanche, il est clair qu’une telle clause présente une physionomie particulière. En effet, l’obligation
de règlement amiable des différends est une obligation dont l’objet est la procédure, les étapes du
règlement du litige. Si l’on adopte une perspective comparée, la Cour de cassation française a par exemple
également consacré l’efficacité des clauses de règlement amiable des différends mais en visant non pas
l’article 1134 relatif à la force obligatoire, mais plutôt les articles 122 et 124 du nouveau Code de
procédure civile, découvrant dans la violation de cette clause une fin de non-recevoir11. C’est donc tant
sur le fondement que sur la sanction que la CCJA propose une approche originale. Le fondement de la
décision étant précisé, il convient d’apprécier la sanction de la saisine du juge en violation de la clause de
règlement des différends.
9
Ainsi, de telles clauses sont exclues, dans certaines législations, en présence d’un consommateur. Pour un exemple, voir
l’article L. 612-4 du Code de la consommation français.
10
CEDH 26 mars 2015, 11239/11, Moncilovic/Croatie.
11
Cass. ch. mixte, 14 février 2003, n° 00-19.423 et n°00-19.424 (pourvois joints).
avec l’argument du pourvoi, voit dans le moyen de défense soulevée par l’appelante une exception
d’incompétence. Pourtant, on peut se questionner sur la pertinence de cette qualification.
La sanction préconisée : l’irrecevabilité
La CCJA tire les mêmes conséquences de la violation d’une de règlement amiable que de celle d’une
clause compromissoire : un motif d’incompétence. Pourtant, on pourrait faire une distinction entre les
deux types de clauses. Alors que l’existence de la clause compromissoire fixe la compétence d’un autre
juge (le tribunal arbitral), matérialisant un conflit de compétences, la clause de règlement amiable, quant
à elle, interdit à tout juge de trancher le litige avant que les parties n’aient tenté de résoudre leur différend
par la voie amiable. Dès lors, on pourrait préférer qualifier ce moyen de défense non d’exception
d’incompétence mais plutôt de fin de non-recevoir, alors sanctionnée par l’irrecevabilité. Notons
d’ailleurs que la CCJA, qui semble déterminée à renforcer l’efficacité de telles clauses, pourrait ainsi
encore en renforcer la portée, compte tenu du régime favorable caractérisant les fins de non-recevoir. En
effet, si les exceptions d’incompétence doivent être soulevées in limine litis12 et simultanément, il n’en va
pas de même des fins de non-recevoir, lesquelles peuvent être soulevées en tout état de cause 13. Qualifier
la violation de la clause de règlement amiable de fin de non-recevoir, sanctionnée par l’irrecevabilité14
permettrait donc à la CCJA d’accroitre les possibilités de voir cette clause mise en œuvre.
Si la CCJA n’a pas qualifié le moyen de défense tiré de la violation de la clause de règlement amiable de
fin de non-recevoir, elle a tout de même consacré une efficacité renforcée de cette clause dès lors qu’elle
n’a formulé aucune exigence concernant le degré de précision de ladite clause. Ainsi, il semble au vu de
cette décision, et en particulier au vu de la lettre de la clause litigieuse en l’espèce – particulièrement
vague -, qu’une simple clause de style, ne précisant pas de modalités particulières s’agissant la mise en
œuvre de cette clause suffise à rendre la clause efficace15 et à caractériser l’incompétence de la juridiction
saisie en violation d’une telle clause.
En conclusion, cette décision démontre la volonté claire de la CCJA de favoriser le recours aux modes
de règlement amiable des différends au sein de l’espace OHADA. Les conséquences pratiques de cette
décision sont qu’il faut désormais faire particulièrement attention à prendre au sérieux les clauses de
règlement amiable des différends insérées dans les contrats, dès lors qu’en vertu de cette jurisprudence,
celles-ci devront être systématiquement appliquées par les juridictions étatiques sous peine de risquer
l’annulation de leurs décisions par la CCJA.
12
Article 163 du nouveau Code de procédure civile, commerciale et sociale du Tchad, tel qu’issu de la loi L. n° 028/PR/2020,
31 déc. 2020.
13
Article 188 du nouveau Code de procédure civile, commerciale et sociale du Tchad.
14
C’est l’approche, par exemple, d’une chambre mixte de la Cour de cassation française : Cass. ch. mixte, 14 février 2003, n°
00-19.423, 00-19.424, Bull. 2003, n°1.
15
Elle se distingue en cela de l’approche retenue par exemple par la Cour de cassation française, laquelle exige que la clause
soit suffisamment précise pour être que sa violation soit sanctionnée par la fin de non-recevoir. Voir en particulier, Cass. com.,
29 avril 2014, n°12-27.004 : « La clause contractuelle prévoyant une tentative de règlement amiable, non assortie de conditions
particulières de mise en œuvre, ne constitue pas une procédure de conciliation obligatoire préalable à la saisine du juge, dont
le non-respect caractérise une fin de non-recevoir s’imposant à celui-ci ».
Mon-espoir MFINI
Enseignant à l’Université d’Angers
« Je suis oiseau, voyez mes ailes, je suis souris, vivent les rats ».
Telle dans la fable de La Fontaine, la République du Congo nous invite à lui porter un regard
et lui souhaiter la bienvenue dans le cercle très fermé des États africains ayant légiféré sur
l’affacturage.
L’affacturage ! C’est bien de cela qu’il s’agit. En effet, une loi 1, de date relativement récente,
a consacré l’affacturage en République du Congo. Mais, qu’est-ce que donc l’affacturage ?
Selon le Professeur CORNU, l’affacturage est un « procédé de gestion commerciale et de
mobilisation afin de recouvrer des créances commerciales à court termes, donnant lieu à la
conclusion d’un contrat »2. En effet, il consiste dans le règlement conventionnel que le factor
fait à une entreprise, des créances qu’elle a sur ses clients, moyennant le transfert de celle-ci à
son profit et le versement de commissions et agios 3.
L’affacturage qui a été importé des Etats Unis en France vers les années 1965-1970, est ainsi à
la fois un moyen de financement qui permet d’obtenir rapidement une avance de trésorerie par
une cession de factures en attente de règlement et un moyen d’élimination des risques
d’impayés. La loi congolaise que nous présentons par la présente livraison, s’inscrit ainsi dans
cette double logique. En effet, au sens de cette loi, l’affacturage est une opération par laquelle
une personne (adhérent) transfère, par une convention ou un contrat écrit, ses créances à un
affactureur, qui, moyennant rémunération, lui règle par avance tout ou partie du montant des
créances transférées. L’affactureur peut, conformément à la convention, supporter les risques
d’insolvabilité éventuelle sur les créances cédées. Aussi, le transfert des créances par l’adhérent
est assorti d’un effet subrogatoire4.
Par le biais de cet instrument juridique, le législateur consacre l’affacturage avec recours et
l’affacturage sans recours 5. Cependant, cette loi est limitative, en ce qu’elle exclut les créances
sur l’État et les particuliers. De même, fixe-t-elle pour les créances professionnelles un montant
minimal des créances pouvant être transférées (200. 000 F CFA).
Le caractère limitatif de cette loi s’explique aussi par le fait qu’elle exclue les créances nées
d’une lettre de crédit ou d’une garantie indépendante ou des créances provenant des opérations
commerciales litigieuse. Mais, il faut faire gré au législateur congolais d’avoir intégré l’une des
dimensions la plus importante de l’affacturage. En effet, au sens de la loi objet de la présente
1
Loi n° 54-2021, du 31 décembre 2021, régissant l’activité d’affacturage en République du Congo : Journal
Officiel. 2022. Consultable : https://lext.so/ZGz3d2.
2
G. CORNU, Vocabulaire juridique, association Henri Capitant, Quadrige, PUF, 13ème éd., 2021, V° affacturage.
3
Voir notamment, J. MESTRE, M.-E. PANCRAZI, I. GROSSI, N. VIGNAL, A.-S. MESTRE-CHAMI et J.
WATHELET ; Droit commercial, Tom 2, 31ème éd., LGDJ, 2021.
4
Voir, notamment, L. AYNES, P. CROCQ et A. AYNES, Droit des sûretés, 15ème éd., LGDJ, 2021.
5
Pour un approfondissement de l’affacturage avec recours et de l’affacturage sans recours, voir, M.-E. MFINI,
« Libre propos sur l’affacturage en Afrique », Revue africaine de droit bancaire et boursier, vol. III, n° 9, 2023.
6
Voir, D. HOUTCIEFF, Droit des contrats, 6ème éd., Bruylant, 2022 ; Ph. MALAURIE, L. AYNES et Ph.
STOFFEL-MUNCK, Droit des obligations, 11ème éd., LGDJ, 2020
7
Y.R. KALIEU ELONGO, « Congo : un nouveau cadre juridique pour l’affacturage », L’essentiel des africains
des affaires, n° 06, p. 6, mai 2022.
8
M.-E. MFINI, op. cit., 2023.