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DIEU DANS LES CONSTITUTIONS AFRICAINES.

REFLEXION SUR LA
PLACE DU DIVIN DANS LE NOUVEAU CONSTITUTIONNALISME
DES ETATS D’AFRIQUE NOIRE FRANCOPHONE

Cyrille MONEMBOU,
agrégé des Facultés de droit, maître de conférences
Université de Yaoundé II

Le droit est indépendant de la religion1 mais il n’ignore pas le divin ou le


sacré dans sa mission classique qui est de régir les rapports entre les
hommes au sein de la société2. De nombreux arguments peuvent justifier la
prise en compte du divin dans les études juridiques contemporaines. Primo,
le droit en général repose sur une philosophie de valeurs3 dont les symboles
sont la sécurité juridique, la justice et la civilisation ou le progrès social 4. A
bien y regarder, il s’agit des valeurs qu’il partage avec la religion. On peut
même affirmer sans extrapoler que ces valeurs sont similaires à celles des
religions. Aussi, sans empiéter sur la laïcité de l’Etat, il n’est pas interdit que
les textes juridiques s’appuient sur la religion ou sur Dieu pour rendre
explicites, les valeurs qu’ils entendent promouvoir.
Secundo, ainsi que le souligne Jean Carbonnier, il « est des règles de droit
qui résonnent comme des échos des prescriptions religieuses »5. Ce qui
signifie que d’une façon ou d’une autre, la religion inspire le droit ce qui
donne une place centrale au divin dans le domaine juridique. Ainsi, « la
norme fondamentale pourrait bien être d’essence divine sans que fût altérée
le moins du monde, la laïcité des normes subordonnées »6. Dans la même
logique, on peut envisager avec une certaine audace, les origines bibliques

1
J. CARBONNIER, « La religion, fondement du Droit ? », in Droit et religion,
Archives de Philosophie du droit, t. 38, Paris, Sirey, 1993, p. 17.
2
C. ALBIGES, Introduction au Droit, Bruxelles, Paradigmes, 2014, p. 32.
3
J.-M. BIKORO, Le temps en droit constitutionnel africain. Le cas des Etats
africains d’expression française. thèse de doctorat Ph. D en Droit Public, Université
de Yaoundé 2, 2018, p. 388.
4
P. ROUBIER, Théorie générale du droit, Paris, Dalloz, 2005, p. 317.
5
J. CARBONNIER, « La religion, fondement du Droit ? », op. cit. p. 17.
6
Ibid. p. 19.
Cyrille Monembou

de la démocratie7 pour finalement se rendre compte que les valeurs que


véhicule le divin sont d’une façon ou d’une autre prises en compte par le
droit. A titre d’illustration, l’évangile repose sur l’idée de la grâce divine 8, en
même temps, la grâce est partie intégrante du système juridique9 et est
mobilisée soit par le roi, soit par le président de la République 10.
Si le droit est tenu de prendre en compte le divin ou le sacré, cela s’avère
plus fondamental dans le domaine constitutionnel. Cela se comprend
aisément dès lors qu’on s’appuie sur la place et la valeur de la Constitution à
l’époque contemporaine. Tout d’abord, la loi fondamentale est considérée
comme le cadre et la mesure du droit11. De sorte que tout le droit en vigueur
dans l’Etat procède d’elle12. Aussi, la prise en compte de Dieu par le texte
constitutionnel a forcément une incidence sur la politique juridique mise en
œuvre par l’institution étatique. Ensuite, à l’instar des textes sacrés qui ont
une émanation divine, la Constitution est un texte qui rassure13. C’est
d’ailleurs pour cette raison qu’on l’appréhende souvent en une technique au
service des libertés14. Aussi, pour mieux rassurer, il est important que la loi
fondamentale fasse de temps en temps référence au divin. Enfin, on peut
affirmer à la suite de Dominique Rousseau que la Constitution « aborde en
effet la question de l’existence humaine et la vie des hommes en société »15.
A ce titre, elle prend parfois appuie sur la religion pour rendre viable
l’existence humaines. D’ailleurs, « dans le jeu politique qui est désordre,
chaos, élans passionnels, la Constitution introduit ordre, cohérence et
raison »16.
On peut donc le voir, il y a entre la Constitution et le divin, une proximité
voire une complémentarité qui rend intéressante, toute étude sur la place de

7
T. ONDO, Les fondements bibliques de la démocratie, Paris, Publibook, 2016,
186 p.
8
J. CARBONNIER, « La religion, fondement du Droit ? », op. cit. p. 19.
9
Idem.
10
Idem.
11
C. STARCK, La Constitution cadre et mesure du droit, Paris, Economica-PUAM,
1994, 159 p.
12
M. AHANHANZO GLELE, « La Constitution ou loi fondamentale », in
Encyclopédie Juridique d’Afrique. Tome premier, L’Etat et le Droit, 1982, p. 37.
13
F. DELPEREE, « Les rayons et les ombres de la Constitution », RFDC, n° 103, vol.
3, 2015, p. 583.
14
Idem.
15
D. ROUSSEAU, « Questions de Constitution », Politique et Sociétés, vol. 19, n° 2-
3, 2000, p. 13.
16
Ibid. p. 18.

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Dieu dans les Constitutions africaines

Dieu dans les textes constitutionnels. Cette réflexion trouve son actualité du
fait de la montée en puissance de l’intégrisme religieux. Tout au plus, un
détour dans l’histoire constitutionnelle du continent rend intéressante une
telle étude. L’Afrique est en effet, la terre de toutes les expériences 17 qui pour
l’essentiel sont malheureuses. Après avoir souffert de l’esclavage 18, de la
colonisation19, de la misère et du malheur20, l’Afrique a aussi fait face au
présidentialisme21 à outrance dont le trait caractéristique était la toute-
puissance du président de la République. Loin d’établir l’équilibre entre la
liberté et l’autorité, le droit en vigueur durant les trois première décennies
postindépendance a plutôt tenu à placer le chef de l’Etat au centre de tout22
quitte à minorer les droits fondamentaux des citoyens et les valeurs de la
société. Il a donc fallu attendre le début des années 1990 pour qu’on assiste
au renouveau constitutionnel caractérisé par la célébration du
constitutionnalisme libéral et proche des valeurs divines.
Loin d’insister sur le renouveau constitutionnel, la présente réflexion
entend néanmoins l’analyser à partir du positionnement ou de la
considération dont bénéficie le divin dans les lois fondamentales africaines.
Il est donc permis de s’interroger sur la place réelle du Divin dans les ordres
constitutionnels africains. Autrement dit, quelle est la place de Dieu dans les
Constitutions des Etats d’Afrique noire francophone ? Le constat qui se
dégage à la lecture des textes constitutionnels africains est que le Divin est
au centre des préoccupations constitutionnelles. En effet, plusieurs textes
constitutionnels s’illustrent par l’invocation de Dieu dans les
Constitutions (I) et surtout par la protection de la croyance en Dieu (II).

I. L’invocation de Dieu dans les Constitutions


Les lois fondamentales africaines n’ignorent pas le divin. L’invocation de
Dieu par celles-ci s’opèrent de deux manières ou du moins dans un double
sens selon qu’elle est expresse (A) ou tacite (B).

17
C. ELOM NNANGA, « La pratique du droit et le respect de la loi de Dieu pour un
développement durable en Afrique », Revue d’éthique et de théologie morale, n°
248, vol. 1, 2008, p. 79.
18
C. ELOM NNANGA, « La pratique du droit et le respect de la loi de Dieu pour un
développement durable en Afrique », op. cit., p. 79.
19
Idem.
20
Idem.
21
J. GICQUEL, « Le présidentialisme négro-africain : le cas du Cameroun ». In le
pouvoir Mélanges offerts à Georges Burdeau, Paris, LGDJ, 1977, p. 701-725.
22
G. CONAC, « Portrait du chef d’Etat », Pouvoirs, n° 25, 1985, p. 121.

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A. L’invocation expresse
Il y a invocation expresse lorsque les Constitutions font clairement
allusion au nom de Dieu dans leurs dispositions. C’est le cas dans
l’aménagement du pouvoir (1) et dans la définition de la forme de l’Etat (2).

1. L’invocation mesurée dans l’aménagement du pouvoir


De manière classique, la Constitution est considérée comme le statut du
pouvoir dans l’Etat23. Cette affirmation traduit l’idée selon laquelle le
pouvoir fait l’objet d’un encadrement juridique. C’est dans la Constitution
qu’on identifie le détenteur du pouvoir en l’occurrence, le peuple 24. C’est
aussi dans le même texte que sont encadrés l’accession, la structuration, le
fonctionnement et la transmission du pouvoir25. De sorte que, lorsqu’on veut
analyser l’aménagement du pouvoir, on est tenu de se référer à la loi
fondamentale26.
Il se trouve que dans l’aménagement du pouvoir, certaines Constitutions
africaines n’hésitent pas à donner à Dieu, une place importante. C’est le cas
en matière de prestation de serment. Après l’élection présidentielle, le
président nouvellement élu est tenu de prêter serment préalablement à
l’exercice de ses fonctions. Dans ce sens, il prononce une formule qui
ressemble très souvent à un engagement qu’il prend devant Dieu et devant
les hommes27. Il s’agit en fait d’une formule qui fait l’objet de
constitutionnalisation. On peut ainsi lire dans la Constitution malienne que
« Je jure devant Dieu et le peuple malien (…) »28. Dans la même logique, la
Constitution nigérienne prévoit comme formule que « Devant Dieu et
devant le peuple nigérien souverain (…) »29. Une formule similaire est
prévue dans les Constitutions du Bénin30 et de la République centrafricaine31.

23
G. BURDEAU, Traité de Science politique. Le Statut du pouvoir, Paris, LGDJ,
1969.
24
F. BORELLA, Eléments de Droit Constitutionnel, Paris, Presses de Sciences Po,
2008, p. 168.
25
M. PRELOT et J. BOULOUIS, Institutions politiques et Droit constitutionnel, 6e éd.
Paris, Dalloz, 1975, p. 32.
26
Idem.
27
J.-M. BIKORO, thèse précitée, p. 203.
28
Art. 37 de la Constitution.
29
Art. 50 de la Constitution.
30
Art. 53 de la Constitution.
31
Art. 38 de la Constitution.

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Dieu dans les Constitutions africaines

Deux interrogations peuvent être formulées à la lecture de ces


dispositions constitutionnelles. La première est de savoir si l’invocation
expresse du nom de Dieu ne porte pas atteinte à la laïcité de l’Etat en matière
de prestation de serment ? En l’absence de toute précision du juge
constitutionnelle, il serait souhaitable qu’en la matière, la dénomination de
Dieu soit variable en fonction de l’obédience religieuse de la personne visée
par la prestation en question. Récemment au Tchad, deux ministres ont
refusé de prononcer le nom d’Allah dans le cadre de la prestation de
serment telle que le prescrit la nouvelle loi fondamentale au motif qu’elles
sont d’obédience chrétienne. Après avoir accepté de démissionner, il a fallu
que le chef de l’Etat leur demande de prêter serment en prononçant plutôt le
nom de Dieu. Pour éviter ce genre d’évènements, une appellation flexible et
variable devrait être retenue afin de ne pas heurter les sensibilités
religieuses.
La seconde interrogation est liée à la normativité ou au caractère
obligatoire de cette formule. La question est de savoir si le président de la
République peut passer outre la formulation retenue par la loi fondamentale
en matière de prestation de serment. A cette interrogation, on peut affirmer
que cette formule a une valeur impérative. D’ailleurs, au Bénin, la Cour
constitutionnelle a annulé la prestation de serment de Mathieu Kerekou au
motif que ce dernier avait sauté certaines expressions au moment où il
prêtait serment32. La position de la Cour est compréhensible dès lors qu’on
prend en compte le fait que la prestation de serment est une formalité
substantielle à l’accession aux fonctions33. Elle est surtout un engagement
solennel que le président nouvellement élu prend devant le peuple et devant
Dieu34. La référence à la divinité est de nature à sacraliser cet engagement.
Au-delà de la prestation de serment, certaines Constitutions interpellent
le souverain à plus de responsabilité en s’appuyant sur Dieu. On le sait, dans
le constitutionnalisme contemporain, le titulaire du pouvoir dans l’Etat c’est
le peuple35. C’est ce dernier qui est souverain36 car il détient un pouvoir
originaire et suprême37. Et la souveraineté est un critère décisif de définition

32
Lire la décision de la Cour constitutionnelle du Bénin.
33
J.-M. BIKORO, thèse précitée, p. 203.
34
Idem.
35
F. BORELLA, Eléments de droit constitutionnel, op. cit. p. 168.
36
M.-A. COHENDET, Droit constitutionnel, Paris, LGDJ, 2015, p. 65.
37
Idem.

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Cyrille Monembou

de l’Etat démocratique38 de sorte qu’il est difficile d’envisager ou d’opter


pour une conception démocratique de la souveraineté sans conférer une
place centrale au peuple.
Cependant, la Constitution gabonaise semble subordonner le peuple au
divin ce qui témoigne de la place de Dieu dans les Constitutions africaines.
On peut ainsi lire que « le peuple gabonais conscient de sa responsabilité
devant Dieu et devant l’histoire (…) »39 comme pour dire que le peuple
exerce la souveraineté dans le respect de la volonté divine. Ce qui semble
combiner la conception démocratique et la conception théocratique de la
souveraineté. A bien y regarder, l’option du constituant gabonais n’est pas
du tout illogique. A partir du moment où le souverain détient dans l’Etat un
pouvoir originaire et suprême, la seule entité à laquelle il peut se soumettre
est d’ordre divine. Il en ressort que la place de Dieu dans les Constitutions
africaines n’est pas secondaire mais centrale. Non seulement, il est invoqué
en matière de prestation de serment mais il est aussi pris en compte dans
l’optique de responsabiliser le peuple. C’est dans la même logique que son
nom est mobilisé pour déterminer la forme républicaine de l’Etat.

2. L’invocation de Dieu dans la définition de la forme républicaine de l’Etat


A l’époque contemporaine, la consistance plurielle de la République 40
induit à l’appréhender au-delà de la forme de gouvernement pour l’étendre
à d’autres valeurs41. En effet, il est important d’indiquer que la République
est avant tout une forme d’Etat42 dont le principal trait est la souveraineté 43
avant d’être une forme de régime politique. Elle repose sur une pluralité de
principes au rang desquels on peut citer, la laïcité de l’Etat 44. Mais il faut
souligner que tous les Etats africains d’expression française ne sont pas laïcs
car on y trouve aussi des Etats confessionnels. Cependant, dans un cas
comme dans l’autre, on peut faire le constat de la prise en compte de Dieu
dans l’aménagement de la République.

38
L. COTE, L’Etat démocratique. Fondements et défis, Québec, Presses de
l’Université de Québec, 2008, p. 91.
39
Lire le préambule de la Constitution gabonaise.
40
E.-S. MVAEBEME, La République en Droit Public camerounais. thèse de doctorat
Ph. D en Droit Public, Université de Yaoundé 2, 2017, p. 52.
41
Idem.
42
P. COURTOT, « La portée de réviser la forme républicaine du gouvernement »,
RRJ, n°4, 2004, p. 1744.
43
E.-S. MVAEBEME, La République en Droit Public camerounais, op. cit. p. 54.
44
Idem.

424
Dieu dans les Constitutions africaines

La question qu’on peut se poser est de savoir si l’Etat qui se déclare être
laïc dans sa Constitution ignore le divin. A cette interrogation, on peut
affirmer que certes, la laïcité repose sur l’idée de la neutralité de l’Etat45 mais
sa consécration induit une prise en compte importante de Dieu dans l’Etat.
En effet, à travers la consécration de la laïcité, il faut entrevoir dans un
premier temps, la volonté de l’Etat ou du constituant de protéger la liberté
d’exercice des cultes46. En d’autres termes, en consacrant ce principe, les
textes constitutionnels protègent la liberté pour chaque citoyen de servir son
Dieu. Dans un second temps, on peut analyser la consécration de la laïcité
comme une volonté de faire prospérer la tolérance et le respect des
croyances47. La laïcité est ainsi une valeur de la République et constitue à
l’époque contemporaine une valeur reconnue48.
D’un point de vue quantitatif, quasiment toutes les Constitutions
d’Afrique noire francophone ont opté pour la laïcité de l’Etat. A titre
d’illustration, la Constitution congolaise du 6 novembre 2015 dispose que
« La République du Congo est un Etat (…) laïc »49. On peut identifier une
disposition analogue dans les textes constitutionnels du Cameroun50, du
Burkina-Faso51, de la Côte-d’Ivoire52, de la Guinée53 ou encore du Sénégal54.
Loin d’être exhaustif, ces illustrations témoignent de la volonté du
constituant de protéger la croyance en Dieu et surtout de permettre à chaque
citoyen de croire au Dieu de son choix et selon ses convictions.
A côté de l’Etat laïc qui fait l’objet d’une quasi généralisation, on retrouve
aussi en Afrique, la catégorie de l’Etat confessionnel. Il s’agit en fait de
l’opposé de l’Etat laïc. En effet, autant l’Etat laïc est neutre, autant l’Etat
confessionnel a la particularité de prendre position en faveur d’une religion.
C’est le cas de la Constitution mauritanienne qui donne à cet Etat

45
D. KOUSSENS, « L’Etat français et l’expression des convictions religieuses : entre
neutralité confessionnelle et neutralité référentielle », Politiques et Sociétés, n° 3,
vol. 29, 2010, p. 41.
46
S. GUERARD, « La liberté religieuse dans les lieux publics », CRDF, n° 4, 2005,
p. 51.
47
A. BERGOUNIOUX, « La laïcité, valeur de la République », Pouvoirs, n° 75, 1995,
p. 18.
48
Ibid., p. 17.
49
Art. 1er de la Constitution du 6 novembre 2015.
50
Art. 1er alinéa 2 de la Constitution du 18 janvier 1996.
51
Art. 31 de la Constitution.
52
Art. 49 de la Constitution du 8 novembre 2016.
53
Art. 1er de la Constitution.
54
Art. 1er de la Constitution.

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l’appellation de la République islamique55. On peut ainsi lire que « la


Mauritanie est une République islamique »56. On comprend aussi pourquoi
en consacrant l’égalité des citoyens devant la loi, la Constitution n’interdit
pas les discriminations fondées sur la religion57. Au-delà de cette prise de
position en faveur de la religion islamique, on peut y voir, une invocation
tacite d’Allah et surtout sa sacralisation dans la société mauritanienne. Au
total, les Constitutions africaines accordent une place centrale au Divin qu’il
s’agisse du Dieu chrétien, du Dieu musulman ou du Dieu animiste, à travers
l’invocation dont il fait l’objet. Si en matière d’aménagement du pouvoir et
dans la définition de la forme de l’Etat l’invocation est expresse, il est aussi
des cas où elle est tacite.

B. L’invocation tacite
Les Constitution africaines, sans faire référence à Dieu mentionnent dans
plusieurs dispositions, le vocable religion. C’est le sens qu’il convient de
donner à l’invocation tacite de Dieu dans les lois fondamentales africaines.
En effet, dans les textes constitutionnels des Etats d’Afrique noire
francophone, on peut faire le constat de la reconnaissance des communautés
religieuses (1) et l’attribution des missions aux communautés en
question (2).

1. La reconnaissance des communautés religieuses


Dès lors que les textes constitutionnels des Etats d’Afrique noire
francophone reconnaissent le divin, la référence aux communautés
religieuses devient compréhensible. Cela est d’autant plus compréhensible
que la Constitution aborde la question de la vie des hommes en société 58.
Elle fait partie du postulat que les communautés religieuses font partie de la
société. Or la Constitution est une règle de conduite 59 aussi bien pour les
gouvernants que pour les gouvernés60. De sorte que toute communauté qui
se forme ne devrait pas échapper à l’emprise des règles constitutionnelles.
Vis-à-vis des communautés, on peut affirmer à la suite de Francis Delpérée

55
Art. 1er de la Constitution.
56
Idem.
57
Idem.
58
D. ROUSSEAU, « Questions de Constitution », Politique et Sociétés, vol. 19, n° 2-
3, 2000, p. 13.
59
F. DELPEREE, « Les rayons et les ombres de la Constitution », op. cit., p. 584.
60
Idem.

426
Dieu dans les Constitutions africaines

que la loi fondamentale « leur indique la manière de se comporter dans la


vie publique »61.
La question qui mérite d’être posée est de savoir si la reconnaissance des
communautés religieuses induit une invocation tacite du divin. Il convient
de définir le vocable religion et de le rattacher à Dieu afin que le lien soit
perceptible. Par définition, la religion désigne une double réalité. Dans un
premier sens, elle fait référence à un système particulier de dogmes et de
pratique62. Dans une seconde assertion, on parle de religion pour désigner
« la foi en un être supérieur ou divin »63. C’est ce second sens qui est pris en
compte dans le cadre de cette étude. De sorte qu’on peut considérer la prise
en compte des communautés religieuses comme la référence à un groupe de
citoyens qui se démarque par la croyance en un Dieu64.
Dans les Constitutions des Etats d’Afrique noire francophone, il est
possible d’identifier l’existence des dispositions qui font expressément
référence aux communautés religieuses. Ainsi, la Constitution gabonaise,
après avoir consacré le droit de former des communautés religieuses 65 pose
le principe de l’indépendance desdites communautés sous réserve du
respect de certaines valeurs constitutionnelles. On peut ainsi lire que « les
communautés religieuses règlent et administrent leurs affaires d’une
manière indépendante, sous réserve de respecter les principes de la
souveraineté nationale, l’ordre public et de préserver l’intégrité morale et
mentale de l’individu »66. On peut y voir au-delà de la reconnaissance, une
volonté d’autonomiser les communautés en question tout en fixant des
bornes à l’exercice par celles-ci de leurs activités.
Dans d’autres lois fondamentales, les Constitutions se bornent à poser
simplement le principe de la liberté de formation des communautés
religieuses. A titre d’illustration, la Constitution béninoise du 11 décembre
1990 dispose que « les institutions, les communautés religieuses ou
philosophiques ont le droit de se développer sans entraves »67. Sans retenir

61
Idem.
62
L.-P. RAYNAULT-ALLU et G. ZUCCHI, « Droit et religion. Concepts de religion
dans le droit. Etude éclectique des approches juridiques à la défense et au droit à la
liberté de religion », RJT, n° 46, vol. 3, 2013, p. 655.
63
Idem.
64
L.-P. RAYNAULT-ALLU et G. ZUCCHI, « Droit et religion. Concepts de religion
dans le droit. Etude éclectique des approches juridiques à la défense et au droit à la
liberté de religion », op. cit., p. 659.
65
Art. 1er alinéa 13 de la Constitution.
66
Idem.
67
Art. 23 de la Constitution du 11 décembre 1990.

427
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la même formulation, la loi fondamentale guinéenne dispose que « les


institutions et les communautés religieuses se créent et s’administrent
librement »68. Quel est le sens qu’il convient de donner à ces dispositions ?
Simplement que les groupements humains qui ont en commun la foi en Dieu
ou à un être suprême peuvent librement créer des communautés
religieuses69. Il en ressort une reconnaissance des communautés laquelle
induit à parler d’une invocation tacite du divin dans les Constitutions.
D’ailleurs, certaines de ces lois fondamentales n’hésitent pas à confier des
missions aux communautés religieuses.

2. L’attribution des missions aux communautés religieuses


De manière générale, les communautés religieuses ne se forment pas ex
nihilo. Elles sont autorisées en amont par le constituant et en aval par le
législateur compte tenu de leur importance dans la société. La doctrine
n’hésite pas souvent à parler de leur utilité sociale70. C’est à juste titre qu’on
peut affirmer que les textes constitutionnels « reconnaissent l’utilité sociale
des confessions religieuses dont elles favorisent les activités éducatives,
culturelles et caritatives »71. Il ne s’agit donc pas de reconnaitre l’existence
des communautés religieuses juste parce qu’elles croient en Dieu mais plutôt
parce que leur apport dans la société est indéniable.
Ainsi que cela a été souligné, l’apport des communautés religieuses est
de grande importance. Leurs activités ont une dimension éducative et
culturelle au-delà de la dimension cultuelle72. D’ailleurs les textes
constitutionnels des Etats d’Afrique noire francophone n’hésitent pas à
consacrer quelques-unes de ces missions. Pour être plus précis, ils insistent
sur le volet éducatif des activités qu’elles sont susceptibles de mener dans
l’Etat. Dans la Constitution béninoise du 11 décembre 1990, la mission
éducative des communautés religieuses est clairement consacrée. On peut
ainsi lire que « les institutions et les communautés religieuses peuvent
également concourir à l’éducation de la jeunesse »73. Le même texte ajoute
que « les écoles privées, laïques ou confessionnelles, peuvent être ouvertes

68
Art. 14 de la Constitution.
69
L.-P. RAYNAULT-ALLU et G. ZUCCHI, « Droit et religion. Concepts de religion
dans le droit. Etude éclectique des approches juridiques à la défense et au droit à la
liberté de religion », op. cit., p. 659.
70
E. TAWL, « Les relations conventionnelles entre l’Etat et les confessions
religieuses en Italie », CRDF, n° 4, 2005, p. 151.
71
Idem.
72
Idem.
73
Art. 14 de la Constitution du 11 décembre 1990.

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Dieu dans les Constitutions africaines

avec l’autorisation et le contrôle de l’Etat »74 et que les écoles en question


« peuvent bénéficier des subventions de l’Etat dans les conditions
déterminées par la loi »75. Il en ressort que la loi fondamentale béninoise
reconnait l’utilité des communautés religieuses en leur attribuant une
mission de formation de la jeunesse et surtout en prévoyant en leur faveur,
une subvention.
La Constitution ivoirienne du 8 novembre 2016 attribue également une
mission éducative aux communautés religieuses. C’est ainsi qu’elle dispose
que « les institutions, le secteur privé laïc et les communautés religieuses
peuvent également concourir à l’éducation des enfants, dans les conditions
déterminées par la loi »76. Certes, il ne s’agit pas d’une mission attribuée à
titre exclusif aux communautés en question mais on peut constater que le
constituant de ces deux Etats est conscient de l’apport que peuvent avoir les
communautés religieuses dans la société. Cette mission qui leur est assignée
n’est que la résultante ou la conséquence de l’invocation de Dieu par les
textes constitutionnels. Une invocation qui peut être ainsi que cela a été
souligné, expresse ou tacite et qui débouche dans les Etats africaines sir la
protection de la croyance en Dieu.

II. La protection de la croyance en Dieu


La simple invocation de Dieu ne suffit pas à conférer à la divinité une
place centrale dans les Constitutions. Aussi, à la lecture des textes
constitutionnels des Etats d’Afrique noire francophone, le constat qui se
dégage est que ceux-ci ne se bornent pas à invoquer le nom de Dieu. Ils
contiennent aussi des dispositions constitutionnelles dont la particularité est
de protéger la croyance en Dieu de sorte que les citoyens peuvent librement
manifester et exprimer leur foi. On note ainsi, l’énonciation du droit à la
croyance en Dieu (A) et surtout la garantie de la croyance en Dieu (B).

A. L’énonciation du droit à la croyance en Dieu


L’énonciation du droit à la croyance en Dieu peut être analysée sous le
prisme de deux points de vue dans les Constitutions africaines à savoir, la
consécration de la liberté religieuse (1) et l’affirmation de l’interdiction des
discriminations fondées sur la religion (2).

74
Idem.
75
Idem.
76
Art. 10 de la Constitution du 8 novembre 2016.

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Cyrille Monembou

1. La consécration de la liberté religieuse


Il existe entre les droits fondamentaux et les Constitutions, un lien
indissociable77. Les Constitutions sont en effet fille des libertés78 et la
protection des droits et libertés des citoyens fait partie des critères d’une
bonne Constitution. C’est la raison pour laquelle dans la plus part des textes
constitutionnels contemporains, une place importante est réservée aux droits
fondamentaux79. La démarche des constituants africains est clairement
expliquée par Joseph Owona. Selon cet éminent constitutionnaliste, « les
droits et libertés fondamentaux sont garantis de trois manières courantes : la
constitutionnalisation du préambule, la définition dans le corps de la
Constitution, des droits et libertés et la reconnaissance de la primauté du
droit international »80. Ces trois modalités sont aussi perceptibles dans le
cadre de la consécration de la liberté religieuse.
La liberté religieuse peut faire l’objet d’une définition. Dans une première
assertion, elle désigne la liberté reconnue à toute personne de manifester
individuellement son appartenance à une religion81. Ce qui revient à dire
que cette liberté a avant tout, une dimension individuelle82. Dans un second
sens, on peut définir la liberté religieuse au sens de Bernard Raymond
Guimdo-Dogmo comme « la liberté des personnes de manifester en commun
leur religion tant en public qu’en privé »83. Quel que soit le sens retenu, il y a
comme une volonté de permettre ou du moins de ne pas empêcher à une
personne ou à un groupe de personnes de croire en Dieu. C’est cette volonté
qui est matérialisée dans les textes constitutionnels africains.
Dans les Constitutions des Etats d’Afrique noire francophone, la
consécration de la liberté religieuse s’accompagne nécessairement de la
prohibition de toute forme d’intégrisme religieux. Ainsi, dans la
Constitution centrafricaine du 30 mars 2016, il est énoncé que « la liberté de
conscience, de réunion, de religion et des cultes est garantie à tous dans les

77
P. ARDANT, « Les Constitutions et les libertés », Pouvoirs n° 84, 1998, p. 61.
78
Lire dans ce sens, l’article 16 de la déclaration universelle des droits de l’homme
et du citoyen de 1789.
79
L. FAVOREU et al., Droit des libertés fondamentales, 4e éd., Paris, Dalloz, coll.
Précis. Droit public, Science politique, 2007, p. 127.
80
J. OWONA, Droit constitutionnel et régimes politiques africains, Paris, Berger-
Levrault, 1985, p. 225.
81
G. KOUBI, « La liberté de religion entre liberté individuelle et revendication
collective », Les cahiers du Droit, n° 4, vol. 40, 1999, p. 722.
82
Ibid. p. 723.
83
B.-R. GUIMDO DOGMO, « Réflexion sur les assises juridiques de la liberté
religieuse au Cameroun », Les cahiers du droit, n° 4, vol. 40, 1999, p. 801.

430
Dieu dans les Constitutions africaines

conditions fixées par la loi »84. Elle ajoute que « toute forme d’intégrisme
religieux et d’intolérance est interdite »85. Dans la même logique, la
Constitution congolaise du 6 novembre 2015, après avoir consacré la liberté
religieuse dispose que « toute manipulation, tout embrigadement des
consciences, toutes sujétions philosophique, politique sectaire sont interdites
et punies par la loi »86. Enfin, sans retenir la même formulation, le texte
constitutionnel malien pose que « toute personne persécutée en raison de ses
convictions politiques ou religieuses, de son appartenance ethnique, peut
bénéficier du droit d’asile en République du Mali »87. Il y a comme une
extension de la liberté religieuse aux étrangers.
Dans les autres Constitutions, la liberté religieuse est consacrée sans que
soient pris en compte les cas d’intégrisme religieux. C’est le cas de la
Constitution béninoise du 11 décembre 1990 qui indique que « toute
personne a droit à la liberté (…) de religion »88. Sans retenir la même
formulation, la Constitution congolaise du 6 novembre 2015 s’inscrit dans
cette logique en précisant que « la liberté de croyance et la liberté de
conscience sont garanties »89. On retrouve une disposition consacrant la
liberté religieuse dans les textes constitutionnels du Cameroun90, du Gabon91
et du Sénégal92.
Enfin, il convient d’indiquer que dans les Constitutions africaines, on
note une adhésion aux grands textes internationaux relatifs aux droits de
l’homme en l’occurrence, ceux qui consacrent la liberté religieuse. A travers
cette internationalisation de la protection des droits fondamentaux93, on peut
aussi percevoir une volonté de protéger et de faciliter la croyance en Dieu. Il
en ressort que la croyance en Dieu n’est pas banalisée dans les Etats
d’Afrique noire francophone. En effet, l’affirmation de la neutralité de l’Etat
est en corrélation avec la consécration de la liberté religieuse. De sorte que
chaque citoyen est libre d’y croire seul ou en communion avec un groupe de

84
Art. 10 alinéa 1er de la Constitution du 31 mars 2016.
85
Art. 10 alinéa 2 de la Constitution du 31 mars 2016.
86
Art. 24 de la Constitution du 06 novembre 2015.
87
Art. 12 de la Constitution.
88
Art. 23 de la Constitution du 11 décembre 1990.
89
Art. 24 alinéa 1er de la Constitution du 6 novembre 2015.
90
Lire le préambule de la Constitution du 18 janvier 1996.
91
Art. 1er alinéa 13 de la Constitution.
92
Art. 8 de la Constitution.
93
A. ONDOUA, « L’internationalisation des Constitutions en Afrique subsaharienne
francophone et la protection des droits fondamentaux », RTDH, n° 98, 2014, p. 442.

431
Cyrille Monembou

citoyen. D’ailleurs, les lois fondamentales n’ont pas hésité à proscrire les
discriminations fondées sur la religion.

2. L’interdiction des discriminations fondées sur la religion


Les Constitutions des Etats d’Afrique noire francophone prohibent la
discrimination à travers une double démarche. La première consiste à
affirmer l’égalité des citoyens dans ce cas on parlera d’une interdiction
médiate ou indirecte. Dans la Constitution ivoirienne du 8 novembre 2016,
on peut en effet lire que « tous les Ivoiriens naissent et demeurent libres et
égaux en droit »94. A bien y regarder, l’égalité des citoyens est consacrée
dans toutes les Constitutions à l’instar de celles du Cameroun95, du Gabon96,
du Sénégal97 ou du Togo98. Le point de convergence de toutes ces
dispositions constitutionnelles est qu’elles prohibent la discrimination. Le
principe d’égalité peut être appréhendé sous un triple point de vue
politique99, moral100 et juridique. D’un point de vue politique, l’égalité est
comme l’affirme Gilles Lebreton « la source de la démocratie, sans laquelle
les libertés politiques ne peuvent pas réellement exister » 101 et que «violer
l’égalité, c’est donc corrompre la démocratie et condamner les libertés à plus
ou moins brève échéance »102. C’est dire qu’au plan politique la démocratie
rime avec le respect du principe d’égalité ; ou dans le sens inverse, le
principe d’égalité est mieux respecté dans un régime démocratique. D’un
point de vue moral, le principe d’égalité est consubstantiel à la dignité
humaine, laquelle dignité est elle même inhérente à la nature humaine. Dans
cette logique, l’égalité signifie alors que tous les hommes soient traités de la
même manière et sans discriminations, parce que dotés de la dignité
humaine. Enfin, sous le prisme juridique, le principe d’égalité signifie que
des citoyens placés dans des situations identiques soient traités de la même
manière. C’est en tout cas ce qu’a affirmé le Conseil constitutionnel français
le 12 juillet 1979 en posant que « le principe d’égalité devant la loi implique
qu’à situations semblables, il soit fait application de solutions semblable ».

94
Art. 4 de la Constitution du 8 novembre 2016.
95
Lire le préambule de la Constitution du 18 janvier 1996.
96
Art. 2 de la Constitution.
97
Art. 1er de la Constitution.
98
Art. 2 de la Constitution.
99
G. LEBRETON, Libertés publiques et droits de l’homme, Paris, Armand Colin,
2001, p. 158.
100
Idem
101
Idem.
102
Idem

432
Dieu dans les Constitutions africaines

Le principe d’égalité consacré par les textes constitutionnels africains fait


souvent l’objet d’application plurielle qui elles mêmes sont tributaires des
diverses situations dans lesquelles elles peuvent se retrouver bénéficiaires.
Le champ matériel de l’égalité est assez large et peut intégrer la dimension
religieuse de sorte que l’égalité des citoyens ne doit pas être altérée pour des
raisons liées à leurs croyances. Il peut s’agir de l’égalité devant la loi, de
l’égalité devant les emplois publics103 qui garantit l’égal accès de tous les
citoyens aux différents emplois publics sans toute autre forme de
discrimination ou de l’égalité devant les charges publiques104.
Le principe d’égalité tel qu’il est consacré par les textes constitutionnels
et même par les divers instruments juridiques internationaux aboutit à
interdire toutes sortes de discrimination entre les citoyens d’un même pays
et même de nationalités différentes. C’est le sens qu’il convient de donner à
l’affirmation expresse ou immédiate de l’interdiction des discriminations
fondées sur la religion. Concrètement, les Constitutions africaines ont
affirmé clairement la prohibition des discriminations qui ont pour fait
générateur la pratique de la religion, l’objectif étant en toile de fond de
protéger la croyance en Dieu. En principe, les citoyens doivent être traités de
la même manière, à partir du moment où ils sont placés dans la même
situation. Le principe d’égalité prohibe donc, comme le souligne fort
opportunément Alain Didier Olinga « l’érection des privilèges de toutes
natures »105. Les constituants des Etats africains a voulu mettre fin aux
discriminations de toute nature, notamment fondée sur le sexe, sur la
religion, sur l’ethnie pour établir une citoyenneté homogène. Cette
citoyenneté homogène se traduit concrètement, par le fait qu’étant « égaux
en droit et devoirs »106 et la « loi étant la même pour tous »107, les citoyens
jouissent des mêmes droits et soient soumis à des mêmes obligations.
Dans le sens de la prohibition directe ou immédiate de la discrimination,
la Constitution du Burkina Faso dispose que « Les discriminations de toutes
sortes, notamment celles fondées sur la race, l'ethnie, la région, la couleur, le
sexe, la langue, la religion, la caste, les opinions politiques, la fortune et la

103
F. LUCHAIRE, La protection constitutionnelle des droits et libertés, Economica,
1987, p. 501.
104
G. LEBRETON, Libertés publiques et droits de l’homme. op. cit., p. 160.
105
A.-D. OLINGA, « Vers une garantie constitutionnelle crédible des droits
fondamentaux », op. cit., p. 331.
106
Préambule de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996.
107
Idem.

433
Cyrille Monembou

naissance, sont prohibées »108. C’est ce qui est également prévu dans les
Constitution du Burundi109, du Mali110 ou encore de la Guinée111. La volonté
de protéger la croyance en Dieu est clairement affirmée. D’ailleurs, pour
prolonger son action, le constituant a posé les bases de la garantie de ce
droit.

B. L’aménagement de la garantie juridictionnelle du droit à la croyance en


Dieu
En énonçant la pluralité des droits reconnus aux citoyens, les textes
constitutionnels africains ont aussi mis sur pied, des instances dont la
mission est d’assurer la garantie des droits en question. Il en est ainsi de la
garantie par le juge constitutionnel (1) et de la garantie par le juge
administratif112 (2).

1. L’institution de la garantie par le juge constitutionnel


En procédant à la création des juridictions constitutionnelles, les
Constitutions des Etats d’Afrique noire francophone ont posé les bases de
l’Etat de droit en Afrique113. En effet, la protection des droits et libertés fait

108
Art. 1er alinéa 3 de la Constitution.
109
Art. 13 de la Constitution.
110
Art. 2 de la Constitution.
111
Art. 1er de la Constitution.
112
Le juge judiciaire fait aussi partie des organes qui assurent la protection des droits
et libertés et peut être mobilisé en matière de garantie de la liberté religieuse. D’un
point de vue théorique, il est non seulement le gardien de la liberté individuelle mais
aussi du droit de propriété. La liberté religieuse ayant d’abord une dimension
individuelle, il n’est pas exclu que le juge judiciaire intervienne pour s’opposer à
toute forme d’atteinte. Tout au plus, il peut intervenir pour réprimer toute situation
de voie de fait ayant une coloration religieuse et garantir ainsi le droit reconnu aux
citoyens par la Constitution. Cependant, la dimension publiciste de l’étude nous a
conduits à insister davantage sur le rôle du juge constitutionnel et du juge
administratif.
113
Sur l’Etat de droit en Afrique, lire utilement : L. DONFACK SORENG, « L’Etat de
droit en Afrique », Afrique Juridique et Politique Revue du CERDIP, vol. 1, n° 2,
2002, p. 87-125 ; J.-L. ESSAMBO KANGANSHE, « Regard sur l’Etat de droit dans la
Constitution du 4 avril 2003 », Revue Juridique justice, Science et paix, n° 1, 2001 ;
F. MELEDJE DJEDJRO, « L’Etat de droit, nouveau nom du constitutionnalisme en
Afrique ? Réflexions sur les voyages d’un concept symbolique », F. J. AÏVO (dir.),
La Constitution béninoise du 11 décembre 1990 : un modèle pour l’Afrique ?
L’Harmattan, 2014, p. 587-605.

434
Dieu dans les Constitutions africaines

partie de ce que Michel Troper appelle « l’Etat de droit matériel »114 c’est-à-
dire « un Etat tenu de respecter des prescriptions fondamentales, notamment
des règles énoncent des principes matériels de justice ou proclameraient des
droits fondamentaux »115. Il est important de relever que la finalité suprême
de l’Etat de droit est la garantie des droits et libertés des citoyens116, c’est
d’ailleurs ce qui a fait dire à Jacques Chevallier que l’Etat de droit a « un
soubassement libéral »117. Dans la construction de l’Etat de droit, il a été
démontré que les formes de régime l’ayant précédé étaient peu soucieuses
du respect des droits des citoyens. De l’Etat de police à la monarchie
absolue, en passant par l’Etat légal, les citoyens étaient laissés voire,
abandonnés au bon vouloir des autorités détentrices du pouvoir.
C’est contre le pouvoir arbitraire et autoritaire qu’a été élaborée la théorie
de l’Etat de droit. L’Etat de droit dérive d’une méfiance118 de ses théoriciens
vis-à-vis du pouvoir politique et son système oppressif. Dès l’Ancien régime,
la pensée philosophique va essayer de concevoir l’Etat, comme le fruit d’une
convention conclu par les hommes et qui assigne à l’Etat pour finalité, la
sécurité de l’ensemble des citoyens. En contrepartie, les citoyens s’engagent
à se soumettre au pouvoir. Il s’agit d’une conception de l’ordre politique qui
repose sur l’idée de consentement, et qui vise à protéger les citoyens contre
l’oppression du pouvoir politique. C’est dans le prolongement de cette
conception que vont s’inscrire les révolutionnaires de 1789. En effet, ceux-ci
vont « proclamer les droits inaliénables de l’homme face au pouvoir et
soumettre l’exécutif à la volonté de la Nation »119 .
Parce qu’il s’oppose à l’Etat despotique, l’Etat de droit offre de réelles
garanties à la protection des droits et libertés des citoyens. Il aboutit à un
encadrement de l’activité des autorités étatiques par le droit, et à une
soumission de celles-ci au droit dans leurs rapports avec les administrés. Le
but du droit étant la sécurité juridique, c’est davantage dans un Etat de droit
que cette sécurité est garantie. Les citoyens sont à l’abri à la fois, contre les
abus du pouvoir et contre l’abus de certains citoyens. C’est pour cela que
l’Etat de droit inspire à l’égard des individus, un sentiment de confiance.
D’un point de vue théorique, il convient de préciser qu’à l’époque
contemporaine, le juge constitutionnel se présente comme le garant par

114
M. TROPPER, « Le concept d’Etat de droit », Droits, n° 15, p. 58.
115
Ibid.
116
J. CHEVALLIER, L’Etat de droit, op. cit., p. 56.
117
Ibid., p. 54.
118
J. CHEVALLIER, L’Etat de droit, op. cit., p. 54.
119
Déclaration citée par J. CHEVALLIER : op. cit., p. 55.

435
Cyrille Monembou

excellence de l’Etat de droit120. Aussi, il lui revient de garantir l’effectivité


des droits et libertés proclamés par la Constitution121.
Plusieurs juridictions garantissent le droit à la croyance en Dieu. Au rang
de celles-ci se situent en bonne place, les juridictions constitutionnelles. Dans
le nouveau constitutionnalisme africain, toutes les Constitutions attribuent
aux juridictions en question, la mission d’assurer la garantie de la
Constitution. Or, ce sont les Constitutions qui énoncent les droits des
citoyens. Aussi, tout texte portant atteinte à la liberté religieuse est
susceptible d’être déclaré inconstitutionnel par le juge constitutionnel. En
tant que loi fondamentale et norme suprême dans l’Etat, la Constitution
mérite une protection organisée122 qui permet de mettre fin à l’arbitraire
dans l’Etat. Car, il n’est pas inutile de rappeler que la Constitution est fille de
liberté dont elle tend à protéger contre le despotisme. Ne pas assurer sa
suprématie, c’est ouvrir la voie au despotisme. Toutefois, la présente étude
s’intéressera à la protection de la constitution par la justice constitutionnelle,
grâce notamment au contrôle de constitutionnalité des lois, qui peut être
défini au sens d’Olivier Gohin, comme « un contrôle de conformité des
normes »123.
Le problème théorique du contrôle de constitutionnalité est le suivant, la
construction de l’Etat de droit repose sur la structuration de l’ordre
juridique, mais il s’agit d’un ordre juridique hiérarchisé 124 et garantie par le
contrôle juridictionnel. Or, au sommet de la hiérarchie des normes
juridiques, se trouve la Constitution. Construire un Etat de droit, est donc
synonyme de garantir la suprématie juridique de la Constitution et par
ricochet l’exercice de la liberté religieuse.
Ainsi que le souligne Jacques Chevallier, « le contrôle de
constitutionnalité des lois est (…) la condition essentielle de l’Etat de
droit »125. Deux arguments permettent d’attester une telle assertion. Le
premier argument est que la Constitution désigne « l’idée de droit dans ce

120
P. JAN, « Le conseil constitutionnel », Pouvoirs, n° 99, vol. 4, 2001, p. 72.
121
Idem.
122
La protection organisée de la Constitution est essentiellement juridictionnelle et
subsidiairement politique. Mais elle n’a pas l’exclusivité de la protection, car, à côté
de la protection organisée, il existe une double protection inorganisée : la résistance
à l’oppression et la révolution. Lire G. BURDEAU, Traité de science politique.
T. IV, LGDJ, 1969, p. 299.
123
O. GOHIN, Droit constitutionnel, Paris, Litec, 2010, p. 170.
124
M. TROPER, op. cit., p. 58.
125
J. CHEVALLIER, op. cit., p. 88.

436
Dieu dans les Constitutions africaines

qu’elle a d’indiscutable »126. En tant qu’acte fondateur de l’ordre juridique


dans l’Etat, c’est la Constitution qui crée finalement le droit. La conséquence
de cet état de chose est que le contrôle de constitutionnalité va se présenter,
suivant la terminologie de Georges Burdeau comme un « moyen de garantir
l’idée de droit »127. C’est ainsi qu’il aboutit à retirer de l’ordonnancement
juridiques, toutes les lois qui sont inconstitutionnelles, et donc à soumettre le
législateur à l’idée du droit. On peut donc affirmer que le juge
constitutionnel est le premier rempart contre la violation de la liberté
religieuse ou du moins, du droit à la croyance en Dieu dans les Etats
d’Afrique noire francophone. En mobilisant le contrôle de constitutionnalité
des lois, ce dernier a le pouvoir de déclarer inconstitutionnels les textes qui
portent atteinte aux droits des citoyens. C’est la raison pour laquelle les
Constitutions du Bénin128 et du Gabon129 lui permettent de contrôler les actes
règlementaires qui visent les droits fondamentaux des citoyens.

2. La garantie par le juge administratif


L’Etat de droit dans son sens matériel, suppose un contrôle des actes de
l’administration. Il ne pouvait d’ailleurs en être autrement, car, l’Etat de
droit implique avant tout, « la contrôlabilité objective qui ne saurait être que
l’œuvre des juges »130. Ce contrôle permet de garantir, respect par
l’administration du principe de légalité131 et donc d’assurer la subordination
de l’administration au droit. Si les modèles de contrôle varient, on peut
néanmoins les classer en trois catégories, notamment, le modèle anglo-saxon,
le modèle français et le modèle allemand. Le modèle anglo-saxon de
contrôle des actes de l’administration est exercé par le juge ordinaire,
l’administration étant dans ce système conformément à la Rule of Law
assimilée aux particuliers132. Le modèle français quant à lui a, depuis l’arrêt
Blanco, confié le contrôle de l’administration à une juridiction spécialisée, la
juridiction administrative. Enfin, dans le modèle allemand, le contrôle des
actes de l’administration est assuré par une juridiction spécialisée, qui forme
néanmoins une branche de l’organisation judiciaire133. Quoi qu’il en soit,

126
G. BURDEAU, op. cit., p. 368.
127
Ibid.
128
Art. 117 de la Constitution du 11 décembre 1990.
129
Art. 84 de la Constitution.
130
G. LEISNER, « l’Etat de droit .Une contradiction », Hommage à Charles
Eisenmann, p. 67.
131
J. CHEVALLIER, L’Etat de droit, op. cit., p. 77.
132
Idem.
133
Ibid.

437
Cyrille Monembou

malgré leur diversité, ces différents contrôles aboutissent tous à la


subordination de l’administration au droit, ce qui fait du contrôle des actes
de l’administration un élément essentiel de l’Etat de droit.
Dans les Etats d’Afrique noire francophone, c’est le juge administratif qui
est le censeur de l’administration. On peut même affirmer que le juge
administratif est le juge de l’administration par excellence 134. Ce dernier
contrôle essentiellement l’administration qui est présentée comme le bras
séculier du pouvoir exécutif. De manière générale, l’institution de
l’administration et du droit administratif dans l’Etat ne s’est pas faite dans le
but de l’oppression des administrés135. D’un point de vue téléologique,
l’objectif recherché était d’établir un équilibre entre l’autorité et la liberté.
Aussi, il convient de souligner que le fonctionnement de l’administration est
conforme à la satisfaction de l’intérêt de tous, de la démocratie, et de surcroît
à la protection des libertés136. On sait que la promotion ou la restriction
d’une liberté ne peut plus être faite qu’au nom du droit voulu par l’intérêt
général137 et le rempart contre les abus de l’administration est le juge
administratif. Son rôle en matière de garantie des droits et libertés est décisif
car, il peut sanctionner à la fois les actes mais aussi l’administration elle-
même. A partir de ce moment, le fonctionnement de l’administration n’est
plus laissé à la seule guise des pouvoirs publics car il y a un organe qui
contrôle son activité. Tout au plus, juge administratif intervient désormais
pour protéger les individus au sein de l’organe administratif.
Dans les Etats d’Afrique noire francophone, le juge administratif connaît
de l’ensemble du contentieux administratif. A titre d’illustration, la
Constitution camerounaise dispose que « la chambre administrative connaît
de l’ensemble du contentieux administratif de l’Etat et des autres
collectivités publiques »138. A travers cette disposition, la Constitution
camerounaise a consacré une clause générale de compétence en faveur du
juge administratif. C’est également l’option retenue par la Constitution
gabonaise au sujet des attributions du Conseil d’Etat139. On retrouve une

134
Idem.
135
D. LOCHAK, « Le droit administratif, rempart contre l’arbitraire ? », op. cit.,
p. 43-44.V. également G. BIGOT, « Les mythes fondateurs du droit administratif »,
op. cit. ; J. CHEVALLIER, « Le droit administratif, droit de privilège ? », op. cit.
136
L.-P. GUESSELE ISSEME, L’apport de la Cour Suprême au Droit administratif
camerounais, Thèse de doctorat en droit public, Université de Yaoundé 2, 2010,
p. 537.
137
Idem.
138
Art. 40 de la Constitution du 18 janvier 1996.
139
Art. 74 de la Constitution.

438
Dieu dans les Constitutions africaines

disposition analogue dans les textes constitutionnels de la République


centrafricaine140 et de Côte d’Ivoire141. On peut ainsi affirmer que tout le
contentieux impliquant les personnes publiques relève de la compétence de
ce dernier juge142. En d’autres termes, le juge administratif se présente
comme le juge de l’administration143. C’est à ce dernier qu’il revient de
protéger la liberté religieuse contre les abus de l’administration. Parce que la
juridiction administrative est créée par la Constitution, on peut valablement
affirmer que la loi fondamentale a, à travers sa création, posé les bases de la
garantie de la liberté religieuse. En d’autres termes, l’institution de la
garantie du droit à la croyance en Dieu par le juge administratif dérive des
Constitutions car ce sont elles qui non seulement ont créé les juridictions
administratives mais déterminent également leur champ de compétence en
rapport avec la question des libertés.
Au terme de cette étude, on peut affirmer que la prise en compte du divin
par les Constitutions africaines est révélatrice de l’option du constituant
africain d’instaurer une nouvelle ère constitutionnelle en Afrique noire
francophone. Il s’avère que toutes les Constitutions attribuent une place
centrale voire importante à Dieu malgré la variabilité de l’appellation. On
peut ainsi confirmer la convergence des options constitutionnelles à partir
du traitement du divin car, autant tous les textes constitutionnels invoquent
le divin, autant ils renforcent la protection de la croyance en Dieu. L’étude
de la place de Dieu dans les Constitutions africaines offre en fait, une autre
grille d’analyse de la renaissance constitutionnelle africaine.

140
Art. 115 de la Constitution du 31 mars 2016.
141
Art. 149 de la Constitution du 8 novembre 2016.
142
A.-G. EWANE BITEG, La question préjudicielle en contentieux administratif
camerounais. Mémoire de DEA en droit public, Université de Yaoundé II, 2011,
p.11.
143
J. OWONA, Le contentieux administratif de la République du Cameroun. Paris,
L’harmattan, 2011, p. 47.

439

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