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DE
L’UNIVERSITE
MARIEN NGOUABI
SOMMAIRE
Comité de Rédaction :
D. E. EMMANUEL ADOUKI
(Brazzaville)
G. MOYEN (Brazzaville)
Webmaster
R. D. ANKY
Administration - Rédaction
Université Marien Ngouabi
Direction de la Recherche
Annales de l’Université Marien
Ngouabi
B.P. 69, Brazzaville – Congo
E-mail : annales-umng@yahoo.fr
RESUME
Le peuple doit être conçu comme un collectif de personnes jouissant de la capacité juridique d’action politique
dans un Etat et bénéficiant d’une protection juridique. Le peuple ainsi conçu a une grande valeur en droit positif.
Par ailleurs, le peuple est constitué de plusieurs groupements humains, dont les minorités et les populations
autochtones. C’est pourquoi le nouveau constitutionnalisme africain ayant pour vocation de garantir et protéger
les droits de l’homme, met dorénavant un accent particulier sur les droits des minorités et des peuples autochtones.
Cela constitue non seulement une des obligations essentielles qui incombe à tout Etat moderne, mais aussi un
gage de paix, du développement et de protection des valeurs démocratiques pour le continent. Cependant, force
est de constater qu’au-delà d’une simple protection des droits, la reconnaissance des minorités et des peuples
autochtones cache bien des réalités en Afrique.
Mots-clés: Constitutionnalisme africain – ethnie – gouvernance – minorités – peuples autochtones.
ABSTRACT
The people must be conceived like a collective of the people enjoying the legal capacity of political action in a
State and profiting from a legal protection. The people thus designed have a great value in substantive law. In
addition, the people consist of several human groupings, of which minorities and the populations autochtones.
This is why the new African constitutionnalism having for vocation to ensure and protect the human rights,
henceforth stresses particular on the rights of minorities and of the people autochtones. That constitutes not only
one of the essential obligations which falls in any modern State, but also a pledge of peace, develop and of
democratic protection of the values for the continent. However, force is to note that beyond simple protection of
the rights, the recognition of the minorities and people autochtones hides many realities in Africa
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Le texte de base étant rappelle-t-il, l’article identité commune au sein d’un Etat, qui
3 de la déclaration des droits de l’homme et peut réclamer soit une autonomie
du citoyen de 1789 ; celui-ci est organisationnelle, soit l’indépendance12 .
implicitement visé dans le préambule de la Le peuple ainsi conçu apparait comme une
Constitution et prolongé par son article 3 partie intégrante de l’Etat, mais cela soulève
ainsi rédigé : « la souveraineté nationale une problématique constitutionnelle dans
appartient au peuple … aucune section du les Etats africains multiethniques13.
peuple ni aucun individu ne peut sen Ainsi, le peuple doit être conçu
attribuer l’exercice ». Suivant ses analyses, comme un collectif des personnes jouissant
il en résulte que c’est au peuple et à lui seul de la capacité juridique d’action politique
qu’appartient le sort de l’Etat, en tant que dans un Etat14. Cependant, il faut
souveraineté nationale et internationale. reconnaitre l’existence dans le droit africain
Le peuple est au centre du des concepts, comme celui de « minorité »
constitutionnalisme africain car, non ou de « population autochtone ». Francesco
seulement qu’il bénéficie d’une protection CAPOTORTI définit les minorités comme
particulière de l’Etat, il est aussi détenteur des groupes « numériquement inférieurs au
d’un pouvoir sur l’Etat. Dès lors, une reste de la population d’un Etat, en position
définition du peuple s’impose. En effet, il non dominante, dont les membres, qui sont
n’existe pas de statut juridique du peuple des ressortissants de l’Etat , possèdent des
comme entité distincte de l’Etat8. De la caractéristiques ethniques, religieuses ou
notion de peuple, il faut relever une linguistiques différentes de celles du reste
variation quant au concept ou au contexte de de la population et qui font montre, au
cette notion disait Abdoulaye SOMA9. Le moins implicitement, d’une certaine
peuple est un concept qui peut avoir deux solidarité visant à préserver leurs culture,
significations. D’une part, il peut désigner traditions, religion ou langue »15. De ce
l’ensemble des citoyens d’un Etat10. Dans fait, mise à part la restauration de la
cette dimension, ce dernier se présente dans démocratie et la reconnaissance du
un Etat comme une unicité soumise à pluralisme politique, le constituant africain
l’ordre juridique de l’Etat, comme reconnaît aux groupements humains, d’une
l’entendait Hans KELSEN11. Ce n’est pas part, des droits démotiques16, d’autre part
le peuple ainsi conçu qui retiendra la possibilité d’être représentés dans la
fondamentalement notre attention, parce gestion de l’Etat. Il s’agit là, d’une
que d’autre part, le peuple peut aussi
désigner un groupe humain présentant une
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humains, mais cette protection n’est pas reconnaissance se pose quant au statut
anodine, car pour dans plusieurs Etats, cela juridique des minorités (1.) puis sur
a été motivée par des raisons politiques, l’énumération des droits en question (2.).
électorales notamment. Aussi, l’idée de
reconnaitre des droits à une partie de la
1. Droit des minorités et des
population est en contradiction avec le
populations autochtones : objet
principe de l’indivisibilité de la République.
d’une ambiguïté juridique
C’est pourquoi, la reconnaissance du statut
de minorité fut longtemps contestée par la Le droit des minorités et des peuples
doctrine avant d’être inclus dans la autochtones est au centre des
Constitution. C’est pourquoi nous préoccupations scientifiques au Cameroun
aborderons premièrement la question de la depuis le retour du pluralisme politique25.
reconnaissance juridique des minorités (A.), Objet de curiosité et de convoitise, ce
avant d’aboutir à la constitutionnalisation phénomène fait figure de point cardinal du
des droits des minorités, deuxièmement renouveau démocratique camerounais26.
(B.). Pour le doyen Léopold DONFACK
A. La reconnaissance juridique des SOKENG27, le droit camerounais des
minorités et des peuples minorités et des peuples autochtones est à la
autochtones fois original et problématique dans ce sens
où, il n’est peut-être véritablement qu’une
Longtemps, la question des minorités et
question d’astuce politique qui assouvirait
des populations autochtones a été sujet
« par les moyens les plus cyniques, les
tabou en Afrique, dans le souci de
ambitions de certains individus et groupes
sauvegarder l’unité de l’Etat, de lutter
en compétition pour le pouvoir »28. De là,
contre le tribalisme, et d’éviter que cela
Il en résulte le coté nocif29 d’une question
provoque des conflits ethniques. Malgré ces
aussi capitale.
efforts, c’est l’inévitable qui s’est produit,
car plusieurs Etats africains23 ont connu En effet, la reconnaissance des droits
des guerres ethniques, ce fut le cas au des populations autochtones s’est fait de
Congo-Brazzaville notamment en 199724. façon graduelle avec l’adoption de la
En effet, La difficulté de cette Déclaration des Nations Unies sur les droits
des peuples autochtones en 200730,
23 Plusieurs États africains ont connu les guerres Cameroun : une lecture actuelle et éventuelle. »,
ethniques et les guerres de sécession dont les Droit et culture, 2013, p. 149-178. In http://
plus importantes restent sans doute la tentative journals.openedition.org/culture/3256.
de sécession du Katanga au Zaïre, la guerre du 26 Ibid.
Biafra au Nigéria, le conflit inter ethnique entre 27 DONFACK SOKENG (L.), La réception
les Hutus et les Tutsis au Burundi et au Rwanda, en droit constitutionnel camerounais du droit des
les conflits armés au Mali, en Sierra Léone, en minorités et des peuples autochtones, contribution
Angola, au Tchad, au Soudan… à la réflexion sur l’édification d’un droit démotique
24 La guerre civile au Congo- en Afrique, Mémoire de DIU de 3e cycle « droits
Brazzaville a été à la fois un conflit ethnique et fondamentaux », Université de Nantes, 1999.
politique qui opposa les partisans du président 28 DONFACK SOKENG (L.), Le droit des
Pascal LISSOUBA, ceux du président SASSOU minorités et des peuples autochtones au
NGUESSO et les partisans de Bernard KOLELAS, Cameroun, Thèse, Université de Nantes, 2001,
tous les trois aspirants au trône présidentiel. La p.331.
guerre civile a profondément fractionné le pays 29 NGANDO SANDJE (R.), « Le droit des
en trois camps : au nord les pro-SASSOU- minorités et des peuples autochtones au
NGUESSO, dans le centre-Ouest les partisans de Cameroun : une lecture actuelle et éventuelle. »,
Pascal LISSOUBA et dans le sud, particulièrement op. cit., p. 149.
dans la région du Pool, les pro-KOLELAS. 30 Adoptée par l’Assemblée Générale le
25 NGANDO SANDJE (R.), « Le droit des jeudi 13 septembre 2007, la majorité des 144
minorités et des peuples autochtones au Etats pour, 4 voix contre (Australie, Canada,
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50 République du Congo, loi n°5-2011 considère que tout africain, peut légitimement se
du 25 février 2011 portant promotion et considérer comme autochtone sur le continent »,
protection des droits des populations in Avis juridique de la Commission africaine des
autochtones droits de l’homme et des peuples sur la déclaration
51 GOMEZ DEL PRADO (J.L.), « Droit des Nations Unies sur les droits des peuples
constitutionnel et peuples autochtones », op.cit., autochtones, Livres, 2007, p.5.
p.45. 54 DWORKIN (R.), cité par
52 Pacte de la Société des Nations du 28 MBOUSNGOK (A-D.), la protection
juin 1919. Article 22 (6) : « Enfin il y a des constitutionnelle des droits de l’homme en Afrique
territoires, tels que dans le sud-ouest africain et noire francophone, op.cit., p. 546 et s.
certaines îles du pacifique austral, qui, par suite 55 ABDOUL Lô (G.), « Droit
de la faible densité de leur population, de leur constitutionnel et minorité en Afrique », in droit
superficie restreinte, de leur éloignement des constitutionnel et minorités, Académie
centres de civilisation, de leur contiguïté internationale de Droit constitutionnel, vol XII,
géographique au territoire du mandataire, ou 2003, p.356.
d’autres circonstances, ne sauraient être mieux 56 Rapport publié sur le site
administrés que sous les lois du mandataire http://www.achpr.org.
comme une partie intégrante de son territoire, 57 C’est dans ce sens qu’au Cameroun, les
sous réserve des garanties prévues plus haut Doualas ont par exemple pu être considérés
dans l’intérêt de la population indigène ». Voir comme étant en situation de non domination face
aussi GOMEZ DEL (J.L.), « Droit constitutionnel et aux grands groupes nationaux que sont les
peuples autochtones », op.cit. p.45. Bamilékés, les Haoussas, ou les Bétis.
53 Pour la Commission africaine des
droits de l’homme et des peuples (CADHP),
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seuls peuples autochtones sont les « Longtemps marginalisés, les pygmées sont
Pygmées »58 et les « Bororos ». Certes, en dorénavant reconnus par les autres
ce qui concerne les minorités nationales, la groupes64. A cet effet, l’emploi du terme «
question de l’identification ne se pose pas Pygmée », est interdit car il revêt une
comme pour les populations autochtones59, connotation péjorative. En effet, le
mais ceci ne tient pas compte de la réalité et législateur congolais considère l’emploi du
plusieurs communautés camerounaises qui mot « Pygmée » en tant qu’une infraction
présentent les critères d’identification de d’injure et cela est réprimé pénalement65.
l’ONU60. C’est pourquoi, les Anglophones Comme les minorités, les peuples
peuvent constituer une minorité culturelle et autochtones ont aussi le droit de
linguistique 61. Les Kirdis et les peuls, les représentation au sein du gouvernement.66
Bakoko et les Douala parce qu’ils ils ont en A première vue, la notion de représentation
commun la même langue, les mêmes n’est pas conciliable avec le principe de
traditions, la même culture, et sont l’indivisibilité de la notion du peuple, mais
inférieurs en nombre par rapport à cela demeure important parce qu’elle
l’ensemble de la population62. permet aux minorités d’avoir des
Quant aux pygmées63, considérés représentant dans la chaine de décision.
comme les premiers habitants de la forêt C’est dans ce sens que l’article 57 alinéa 3
équatoriale d’Afrique par l’État et les de la Constitution camerounaise du 2 juin
organisations internationales, ils se 1972 stipule que, « le Conseil régional est
subdivisent en plusieurs groupes, dont les présidé par une personnalité autochtone de
plus connus sont formés au Cameroun des « la région élue en son sein pour la durée du
bakola, baka, bedzang et bagyéli ». mandat du Conseil »67.
58 MOUANGUE KOBILA (J.), La ensuite être rangés dans la catégorie des peuples
protection des minorités et des peuples autochtones, les Pygmées.
autochtones au Cameroun. Entre reconnaissance 63 Les Pygmées se trouvent
interne contrastée et consécration universelle principalement en Afrique centrale (Gabon,
réaffirmée, DianoÏa, 2009, p. 101. République du Congo, Cameroun…), et en Afrique
59Les ethnies et les communautés ont orientale (Ouganda).
été dispersées dans plusieurs États africains à 64 KNIGHT (J.), « Droits des peuples
cause du tracé arbitraire des frontières. Dès lors, autochtones en Afrique centrale : le Gabon vu de
l’identification des minorités paraît plus facile plus près », in Peuples autochtones d’Afrique et
que celle des autochtones. objectifs du millénaire. Groupe international de
60Sur cette problématique, voir travail pour les peuples autochtones. IWGIA, Paris
l’analyse de MOUANGUE KOBILA (J.), La l’harmattan, 2007, p. 90.
protection des minorités et des peuples 65 République du Congo, Loi n° 5-2011
autochtones au Cameroun. Entre reconnaissance du 25 février 2011 portant promotion et
interne contrastée et consécration universelle protection des droits des populations
réaffirmée, op.cit, 296 pages. autochtones en République du Congo, op.cit.
61 MBALA OWONO (F.), Une culture Article 1 alinéa 2 : « L’utilisation du terme «
protestataire entre local et transnational. pygmée » est interdite. Elle est assimilée à
Trajectoire des mobilisations anglophones du l’infraction d’injure telle que prévue et
Cameroun, thèse de doctorat en sciences sanctionnée par le code pénal ». Il faut noter que
politiques, Bordeaux 4, 2010. les « pygmées » préfèrent l’appellation « peuples
62 Plusieurs groupes ethniques peuvent, en effet, de la forêt » qui correspond mieux à leur mode de
revendiquer une protection particulière compte vie et à leur identité
tenu de leur condition de vie et de leur 66 PIERRÉ-CAPS (S.), « Les minorités et
vulnérabilité. Peuvent tout d’abord être rangés la notion de représentation », in Cahiers du
dans la catégorie des minorités nationales, les Conseil constitutionnel, n°23, (Dossiers : la
Afars à Djibouti, les Konkombas au Ghana, les citoyenneté), février 2008.
Twas au Burundi, les Ijaws, les Ibos et les Ogonis 67 À travers ce texte, le droit
au Nigéria, les Hereros en Angola, les Massaïs (ou camerounais consacre la présence des
maasaïs) au Kenya et en Tanzanie. Peuvent populations autochtones au sein des exécutifs
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locaux. Mais cette formule n’est pas complète car 71 Il faut toutefois signaler certaines dérogations.
en l’absence de listes formelles, l’énoncé du texte Premièrement, l’exception rwandaise, l’article 5
constitutionnel rend plus complexe, voire plus de la Constitution du 4 juin 2003 dispose que, « la
difficile l’identification des minorités et des langue nationale est le kinyarwanda, les langues
populations autochtones. Et l’exemple officielles sont le kinyarwanda, le français et
camerounais illustre à lui seul toute cette l’anglais ». Deuxièmement, l’exception malgache,
problématique en Afrique. Le pays compte dix l’article 4 de la Constitution du 11 décembre 2010
régions. À l’intérieur se côtoient plusieurs ethnies fait du malagasy et du français les deux langues
et plusieurs cultures. Si l’on fait un tour d’horizon, officielles du pays. Troisièmement, l’exception
l’on constate par exemple que certains groupes tchadienne, l’article 9 de la Constitution du 14
ethnoculturels tels que, les Bassas, les Toupouris, avril 1996 reconnaît l’arabe et le français comme
les Foulbés, les Fangs, les Ewondos, les Bakokos, langues officielles. Quatrièmement, l’exception
les Betis ou les Bamilékés, à cause des migrations, centrafricaine, le sango et le français ont, depuis
se retrouvent aussi bien dans les régions du Nord, l’adoption de la Charte constitutionnelle du 18
du Sud, de l’Est ou de l’Ouest. juillet 2013, le statut de langues officielles. Il en
68 NAREY (O.), « Les minorités en résulte une conséquence : le kinyarwanda, le
Afrique, jeu et enjeux », Afrilex, 2003, p. 24. malagasy, l’arabe, et le sango sont consacrés dans
69 Pour le cas spécifique du Cameroun, les pays respectifs à la fois comme langue
voir, MOUNGUE KOBILA (J.), La protection des nationale, mais aussi, comme langue officielle.
minorités et des peuples autochtones au 72 Constitution de la République du
Cameroun, entre reconnaissance et consécration Congo du 25 Octobre 1992, article 4, alinéa 4.
universelle réaffirmée, DianoÏa, Paris, 2009. 73 Constitution de la République
70 LAVROFF (G.), PEISER (G.), Les démocratique du Congo du 18 février 2006,
Constitutions africaines, tome 1, l’Afrique noire article 1er.
francophone et Madagascar. Paris, A. Pedone. 74Constitution du Sénégal du 22
1963. Les Constitutions des Républiques africaines janvier 2001, article 1er alinéa 2. La Loi
et malgaches d’expression française, tomes 1 et 2, constitutionnelle n° 78-60 du 28 décembre 1978
Paris, La Documentation française, 1963. reconnaissait déjà six langues nationales : le
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droit au développement culturel des peuples ressources naturelles dont elles dépendent
est bien reconnu par la charte africaine des sont intimement liées à leur culture, leur
droits de l’homme et des peuples, mais la identité, ainsi que leur bien-être spirituel et
charte laisse le soin aux Etats d’en assurer matériel. En Afrique, les peuples
eux-mêmes la protection.83 autochtones disposent d’une expérience et
Sur le plan national, les Etats favorisent d’un savoir ancestral capital sur les moyens
désormais l’accès à la culture84, toutes fois, survit aux risques occasionnés par le
il sied de préciser les spécificités culturelles changement climatique. A cet effet, la
en question, et énumérer les droits culturels préservation et l’encadrement de
effectivement reconnus et protégés. Ainsi, l’exploitation de la faune et de la flore sont
l’on constate une prise en compte des indispensables pour leur subsistance. Cela
particularismes ethnoculturels, l’exemple permet premièrement de garantir leur
du Cameroun est ici très caractéristique85. développement et leur culture, en luttant
L’on retrouve également cette volonté dans ainsi contre les préjudices dont ils sont
la politique qui consiste à associer les souvent victimes et deuxièmement de tenir
collectivités humaines aux décisions qui compte de leurs attentes, leurs avis et leurs
concernent la vie de la nation. C’est besoins.
notamment le cas en République du Congo, II- Une protection favorisant
avec la création des conseils consultatifs des l’unicité de l’Etat
sages et des notaires traditionnelles86, des
femmes87, des personnes vivant avec Le constitutionnalisme africain, tient
handicap88, et de la jeunesse89. compte désormais des composantes
humaines de la société. Aussi, pour
En ce qui concerne les peuples favoriser leur épanouissement et leur
autochtones, il faut savoir que, ces derniers développement, les États africains ont
forment des sociétés et des communautés adopté deux techniques ; une qui associe les
culturellement distinctes90. Dans ce sens minorités et les peuples autochtones à la
où, les terres sur lesquelles ils vivent et les gestion des affaires communes (A.), une
culturel panafricain organisé en 1969 à Alger 85 Voir, DIKOUME (C.), Étude concrète
sous l’égide de l’O.U. A). d’une société traditionnelle : les Elog Mpoo, thèse
83 Charte africaine des droits de de doctorat, 3e cycle sociologie, Lille 1, 1977. 265
l’homme et des peuples, article 22 alinéas 1 et 2, pages.
voir aussi, ZOGO NKADA (S.-P.), « Le nouveau 86 Titre XIX, sous-titre II ; articles 230
constitutionnalisme africain et la garantie des et 231 de la Constitution congolaise du 25
droits socioculturels des citoyens : cas du octobre 2015
Cameroun et du Sénégal », in RFDC 2012/4 n° 92, 87 Titre XIX, sous-titre III, articles 232
pp. 1-17. et 233 de la Constitution congolaise, Ibid.
84 Ainsi, au Bénin, l’article 10 de la 88 Titre XIX, sous-titre IV, articles 234
Constitution reconnaît à « toute personne un et 235 de la Constitution congolaise, Ibid.
droit à la culture », alors que l’article 11 dispose 89 Titre XIX, sous-titre V, articles 236 et
que « toutes les communautés composant la 237 de la Constitution congolaise, Ibid.
nation béninoise jouissent de la liberté d’utiliser 90 Avec 370 millions de personnes
leurs langues parlées et écrites et de développer réparties dans plus de 90 pays du monde, les
leur propre culture tout en respectant celle des peuples autochtones représentent 5% de la
autres » Le constituant sénégalais s’engage aussi population mondiale mais 15% du nombre
à respecter « les spécificités culturelles de toutes d’individus qui vivent dans l’extrême pauvreté
les composantes ethniques », (Constitution du dans le monde. Alors qu’ils possèdent, occupent
Sénégal du 22 janvier 2001, préambule.). Il en est ou utilisent un quart de la surface planétaire, ils
de même au Cameroun à travers la protection des sont en réalité les « gardiens » de 80% de la
droits des communautés ethnoculturelles biodiversité mondiale, rapport de la banque
spécifiques, les minorités et les populations mondiale, in www. Banquemondiale.org.
autochtones notamment (Constitution du 2 juin
1972 (révisée le 18 janvier 1996), préambule).
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autre qui permet à ces derniers d’être quotas commence en Afrique noire
représentés au niveau national et local (B.). francophone après les indépendances, elle
est fondée au Cameroun sur le principe de
l’équilibre régional92, qui consiste à
A. Un système de gouvernance basé
associer toutes les composantes de la
sur l’égalité
société à la gestion des affaires de l’Etat.
Cela permet à l’État d’éviter, mais aussi, de
En Afrique, la politique est un domaine contrôler les tensions sociales et
de convoitises, entrainant des luttes de ethniques93.
pouvoirs et créant des instabilités
Cette politique à première vue,
institutionnelles. Pour y remédier, le
« discriminatoire » fondée sur la
constituant africain a dès 1990 entreprit
reconnaissance des droits aux minorités a
d’associer les minorités à l’exercice du
commencé dans le secteur de l’éducation
pouvoir, au niveau local et gouvernemental,
nationale et de l’enseignement supérieur.
afin de favoriser non seulement la
Ainsi, au Cameroun, le décret du 3 juillet
participation de tous les groupes
197594 relatif aux concours administratifs
ethnoculturels à la gestion des affaires
prévoit pour la première fois des quotas
publiques, mais surtout garantir la paix et
pour les candidats venant des régions qui
l’unité nationale. Ainsi, nous verrons
connaissent des problèmes de scolarisation.
comment s’opère cette participation
Ceci afin d’établir l’équilibre et éviter la
premièrement sur le plan politique (1.), puis
sous-représentation de certaines ethnies
secondement sur le plan territorial (2.).
dans l’administration95. Cependant, mise à
part le favoritisme qui règne parfois dans la
1. Dans la gouvernance politique sélection des candidatures, plusieurs
personnes ont néanmoins pu accéder aux
Pour faire participer toutes les grandes écoles et à certains postes de
composantes ethniques à la gestion des responsabilité parce qu’elles appartenaient
affaires communes, certains États africains à une ethnie. Très critiquée, la politique des
appliquent le système de quotas dans la quotas connaît tout de même un progrès
gouvernance politique et dans les domaines depuis les années 1990, du fait que, la
du service public. En effet, le quota reconnaissance constitutionnelle des
consiste à reconnaitre un certain nombre de groupes ethniques permet de maintenir la
droits à des certaines personnes paix et la cohésion sociale96. Grace aux
préalablement identifiées en fonction des politiques de quotas, les pratiques louables
caractéristiques ethniques, sociales, sont menées par exemple pour réduire les
culturelles, démographiques, économiques, inégalités entre homme et femme. Ainsi, au
ou du niveau de vie91. La politique des Burundi, l’article 129 de la Constitution de
91 MBOUSNGOK (A.D.), op. cit., p.5. 75-496 du 3 juillet 1975 fixant le régime général
92 NKEMEGNI (N.), Contribution à des concours administratifs, Revue de législation
l’étude de l’équilibre régional au Cameroun : essai et de jurisprudence camerounaises, n° 20, octobre-
sur la répartition des postes dans l’État, thèse en novembre-décembre 1994.
sciences politiques, Yaoundé, 1981. 96 C’est dans cet esprit que s’est établie
93 GESCHIERE (P.), KONINGS (P.), au Cameroun une coutume constitutionnelle qui
Itinéraires d’accumulation au Cameroun, Paris conduit à avoir comme Président de la
Karthala, 1993, p. 367. République un francophone originaire du Sud du
94 Décret n° 75/496 / du 3 juillet 1975 pays, comme Premier ministre un Anglophone
fixant le régime général des concours originaire des régions du Nord-Ouest ou du Sud-
administratifs Ouest, comme Président de l’Assemblée nationale
95 Le décret du 7 septembre 1982 un ressortissant des régions du Nord, et comme
Décret n° 82/407 du 7septembre 1982 modifiant Président du Sénat un ressortissant des régions
et complétant certaines dispositions du décret n° de l’Ouest.
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102 VERPEAUX (M.), Droit des d’économie et des sciences d’Aix Marseille, 2003, p.
collectivités territoriales, 2e édition, Paris, P.U.F, 67.
2008, p. XXIII. 104Loi organique n° 15/96 du 6 juin
103 Titre XIV, article 209 de la 1996 relative à la décentralisation, in
Constitution congolaise du 25 octobre 2015. Voir Décentralisation et développement local au
aussi, NOMBO (E.), L’évolution constitutionnelle et Gabon. Une mise en perspective, Paris, publibook,
démocratique en Afrique : le cas du Congo- 2013, p. 194.
Brazzaville, thèse de doctorat, Université de droit,
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du 14 juillet 2006 pour l’élection des notre propos. Il n’est pas exagéré de
conseillers régionaux109. Le législateur rappeler que le Burundi a connu depuis son
camerounais indique ici la procédure à indépendance proclamée le 1er juillet 1962,
suivre pour la constitution des listes plusieurs conflits ethniques qui ont d’une
électorales. Celles-ci doivent tenir compte part, déstabilisé les institutions de la
de l’ensemble de la population vivant dans République, et d’autre part, failli entraîner
la circonscription électorale concernée, et la partition de l’Etat. Pour mettre un terme
plus particulièrement des groupes à l’instabilité politique et constitutionnelle,
ethniques. pour sceller la paix et la réconciliation
En d’autres termes, la « composante nationale, le pouvoir politique décide
sociologique »110suppose que soit prise en d’associer les ethnies à la résolution des
considération, la diversité ethnique, problèmes majeurs qui se posent à l’Etat. Et
culturelle, ou religieuse du territoire l’on retrouve précisément la première
électoral. À travers cette politique, le droit manifestation d’une politique d’ouverture
camerounais vise un objectif : assurer la en faveur des ethnies dans l’Accord
représentation de toutes les minorités d’ARUSHA du 28 août 2000113.
ethniques, et surtout, les minorités Néanmoins, il faut reconnaître que
originaires de la circonscription électorale. la reconnaissance des ethnies permet
Il est vrai que l’exode rural favorise un relativement de réduire les différences
mélange des populations, et le risque, c’était ethniques, mais aussi, d’intégrer les
justement de ne pas voir les minorités communautés humaines au processus de
nationales et les populations autochtones développement. Pour la mise en œuvre de
participer à la prise de décision concernant cette politique, il a fallu réorganiser le
la vie de leur cité. C’est donc à juste titre système électoral pour permettre une
que le constituant camerounais décide de meilleure représentation des collectivités
constitutionnaliser l’expression « humaines. En effet, le système électoral, est
composante sociologique » le 18 janvier l’un des procédés qui permet d’assurer la
1996111, ouvrant ainsi la voie à de protection des droits fondamentaux des
multiples réformes constitutionnelles en collectivités humaines. Il garantit en outre
Afrique. la participation effective de toutes les
En dehors de l’exemple camerounais, composantes humaines, particulièrement
les groupes ethniques font l’objet de des minorités, aux décisions politiques.
considération dans d’autres Etats africains. Au Cameroun, cette politique
Ainsi, au Rwanda, le constituant s’engage à commence en matière électorale deux mois
éradiquer les clivages ethniques et à assurer après la proclamation de l’indépendance.
un « partage équitable du pouvoir »112. En effet, le décret du 4 mars 1960 disposait
L’exemple Burundais éclaire davantage que, « sont divisés en sections électorales
109 Loi n° 2006 /004 du 14 juillet 2006 et des populations autochtones. L’application de
fixant le mode d’élection des conseillers l’exigence constitutionnelle de la prise en compte
régionaux, article 5 alinéa 2, in www.spm.gov.cm. des composantes sociologiques de la
110 OLINGA (A.D.), « L’exigence de la circonscription dans la constitution des listes de
prise en prise des composantes sociologiques de candidats aux élections au Cameroun », in RFDC,
la circonscription en droit électoral camerounais 2008/3, (n°75), pp. 629-664.
», Juridis périodique, numéro 28, 1996, pp. 67-72. 112 Constitution du Rwanda du 4 juin
111 Constitution du 2 juin 1972 2003, article 9 alinéa 2 et 3.
modifiée le 18 janvier 1996. Article 57 alinéa 3 : « 113 L’Accord d’Arusha pour « la paix et
Le Conseil régional doit refléter les différentes la réconciliation au Burundi » du 28 août 2000
composantes sociologiques de la région », op.cit. met un terme à plusieurs années de guerres
Sur ce point, voir aussi MOUANGUE KOBILA (J.), « ethniques au Burundi.
Droit de la participation politique des minorités
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114 Décret n° 66/50 du 4 mars 1960, politique électorale », in Polis/R.C.S. P/C.P.S. R/,
article 2, in Politique et droit électoral au vol. 6, n°2, op.cit., p. 44.
Cameroun : analyse juridique de la politique 118 Loi n° 003/97/ADP du 12 février
électorale. Polis/RCSP/CPSR, vol. 6, n° 2, 1998, p. 1997, op.cit.
44. 119 Loi n91/20 du 16 décembre 1991
115 MISSIÉ (J.P.), « Ethnicité et fixant les conditions d’élection des députés à
territorialité. Deux modes du vécu identitaire l’Assemblée nationale ; Loi n° 92/002 du 14 août
chez les Tékés du Congo Brazzaville », in Cahiers 1992 fixant les conditions d’élection des
d’études africaines 2008/4 (n°192), pp. 835-864. conseillers municipaux ; in Le nouvel
116 Loi n° 91-20 du 16 décembre 1991 environnement juridique et institutionnel des
fixant les conditions d’élection des députés à élections au Cameroun, op.cit., Loi n° 2006 /004
l’Assemblée nationale, modifiée et complétée par du 14 juillet 2006 fixant le mode d’élection des
la loi n° 97-13 du 19 mars 1997, et la loi n° conseillers régionaux (article 19), op.cit.
2006/009 du 29 décembre 2006, in Le nouvel 120Loi n° 94-015 du 27 janvier 1995
environnement juridique et institutionnel des relative à l’élection des membres de l’Assemblée
élections au Cameroun, op.cit. nationale, journal officiel, 1995-03-01, n°5, pp.
117OLINGA (A.D.), « Politique et droit 112-116.
électoral au Cameroun : analyse juridique de la
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MOYEN G. et BAHETA OUELEKE D. J. . Ann. Univ. M. NGOUABI, 2098; 19 (1)
121 Pour une étude approfondie sur 124 KYMLICKA (W.), La citoyenneté
l’ethnie et l’ethnicité, lire, MOUDOUDOU (P.), La multiculturelle. Une théorie libérale du droit des
Constitution en Afrique, morceaux choisis, Paris, minorités, Paris, éditions la Découverte, 2001, 358
L’Harmattan, 2012, 264 pages ; AMSELLE (J-L.), pages.
Logiques métisses. Anthropologie de l’identité en 125 OLINGA (A.D.), « La protection des
Afrique et ailleurs, Paris, Payot, 1990 ; minorités et des populations autochtones en
MARTINIELLO (M.), L’ethnicité dans les sciences droit public camerounais », African journal of
sociales contemporaines, Paris, PUF, 1995, p. 13 ; International and Comparative Law, in RADIC,
AKONO EVANG (S-P.), « Contribution à une 1998, pp. 271-291.
science africaine de l’ethnie à partir de 126MUBIALA (M.), « La reconnaissance
l’expérience camerounaise », Droit des sociétés, et la protection régionale des minorités en
2014/1, n°86, pp 157-174. Afrique », in Revue d’analyses publiées par la
122 GOUDINEAU (Y.), Cultures Chaire Unesco de l’Université catholique de Lyon,
minoritaires du Laos : valorisation d’un 7/2014, pp. 11-25.
patrimoine, édition UNESCO, Mémoire des peuples, 127 Ibid., p.18 et s.
2003, p. 179. 128 RENAN (E.), Qu’est-ce qu’une
123 TAYLOR (C.), Multiculturalisme. nation ? Littérature vivante, 1991, pp. 128.
Différence et démocratie, Paris Flammarion, 2009,
144 pages.
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132 Voir, KOKOROKO (K.D.), « L’apport cas du Benin, du Mali, du Sénégal et du Togo »,
de la jurisprudence constitutionnelle africaine à RBSJA, n° 18, 2007, pp.85 et suiv.
la consolidation des acquis démocratiques : les
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