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République du Cameroun Republic du Cameroon

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Ministère de l’Enseignement Supérieur Ministry of Higher Education
Faculté de Sciences Juridiques et Politiques Faculty of Law and Political Sciences
Département de droit public et Sciences Politiques Department of Law and Political Sciences

COURS DE DROIT DU CONTENTIEUX


CONSTITUTIONNEL
Eric M. NGANGO YOUMBI
Docteur en droit de l’Université de Paris I Panthéon- Sorbonne
Enseignant-Chercheur à l’Université de Maroua – Cameroun –
Téls : 00237 699826724 /665 784 6554
Courriel : ericngango2@yahoo.fr
(Cours préparé avec le concours de M. WAPOUO BOUBA)

© Copyright 2019-2020
Le présent Cours est une œuvre originale, soumise au droit d’auteur, et doit comme telle, être citée
selon les règles de l’art.

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OBJECTIFS DU COURS
Si le droit est la colonne vertébrale du corps social, le droit constitutionnel en est la moelle
épinière. Il est comme le disait le Doyen Georges VEDEL, la tête des discipline de droit
public, –aujourd’hui on ajouterait de droit privé.
Le droit constitutionnel ne peut plus être enseigné sans prendre en compte le juge
constitutionnel. Les juridictions constitutionnelles sont devenues ces dernières décennies, des
institutions clés des régimes politiques, qu’elles contribuent à transformer tout en
infléchissant la direction de l’ordre juridique dans son ensemble. Ce qui confirme le pronostic
du regretté Gérard Marcou qui affamait « le XXIème siècle sera assurément le siècle des
Cours constitutionnelles ».
Le présent Enseignement rédigé à la hâte (dans un contexte marquée par la pandémie
mondiale du COVID 19) à l’intention des Etudiants de Master I, a pour objet la juridiction
constitutionnelle. Il entend cependant contextualité l’étude par des approches historique,
théorique, dogmatique et comparatiste. Il s’agit de proposer aux apprenants, des
connaissances sur l’histoire de la juridiction constitutionnelle, son organisation et son
fonctionnement, ses procédures, ses méthodes, ainsi que sa jurisprudence.

Le Cours se présente sous (4) Leçons :

LEÇON 1 : GENERALITES
LEÇON 2 : L’ORGANISATION ET LE FONCTIONNNEMENT DE LA JURIDICTION
CONSTITUTIONNELLE

LEÇON 3 : LES COMPETENCES DE LA JURIDICTION CONSTITUTIONNELLE

LEÇON 4 : LA PROCEDURE DEVANT LA JURIDICTION CONSTITUTIONNELLE

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BIBLIOGRAPHIE
OUVRAGES ETRANGER

 DRAGO (G), Contentieux constitutionnel français, PUF, coll. Thémis, 5ème éd.,
2018 ;
 FATIN-ROUGE STEFANINI et SEVERINO (C), Le contrôle de constitutionnalité
des décisions de justice : une étape après la QPC ? Actes du Colloque des 22 et 24
juin 2016 ;
 FAVOREU (L) et al. Droit constitutionnel, Precis Dalloz, 21ème éd. , 2019 ;
 FAVOREU (L) et al., Droit des libertés fondamentales, Dalloz, 7ème éd., 2015 ;
 FAVOREU (L) et MASTOR (W), Les Cours constitutionnelles, Dalloz, Paris 2011 ;
 FAVOREU (L) et RENOUX (T), Le contentieux constitutionnel des actes
administratifs, Sirey 1992 ; « La constitutionnalisation du droit pénal et de la
procédure pénale, vers un droit constitutionnel pénal » in Droit pénal contemporain,
Mélanges A. Virtu, Cujas1989, pp.169-208 ;
 GAIA (P) et al (ouvrage crée par L. Favoreu et L. Philip). Les grandes decisions du
Conseil constitutionnel, Dalloz, 19ème éd. 2018 ;
 JAN (P), Le procès constitutionnel, LGDJ, 2ème éd., 2010 ;
 LUCHAIRE (F), Le Conseil constitutionnel, 1997, Economica, 2ème éd., p.21.
 MATHIEU (B) et VERPEAUX (M), Contentieux constitutionnel des droits
fondamentaux, LGDJ, 2002 ;
 MATHIEU (B) et ROUSSEAU (D), Les grandes décisions de la Question Prioritaire
de Constitutionnalité, LGDJ, Lextenso, Paris 2013 ;
 ROUSSEAU (D), GAHDOUN (P.Y), BONNET (J), Droit du contentieux
constitutionnel, LGDJ, 11ème éd., 2016 ;
 VERDUSSEN (M), Justice constitutionnelle, Larcier, 2012 ;
 ZOLLER (E), Les grands arrêts de la Cour suprême des Etats-Unis, Dalloz, 2010.

3
OUVRAGES AFRICAINS

 AIVO (F.J), Le juge constitutionnel et l’Etat de droit en Afrique, l’Harmattan, 2006 ;

 BADET (G), Les attributions originales de la Cour constitutionnelle du Benin,


FES, 2013 ;

 BÖCKENFÖRDE (M), KANTE (B) et al., Les juridictions constitutionnelles en


Afrique de l’Ouest, Fondation Hanns Seidel et IDEA International, 2016 pp.67-69 ;

 KPODAR (A), Commentaire des grands avis et décisions togolaises, Presses de l’UL,
2007 ;

 LOADA (A), Avis et décisions commentés de la justice constitutionnelle Burkinabé


de 1960 à 2007, CGD 2009 ;

 MADIOR FALL (I), Les décisions et avis du Conseil constitutionnel sénégalais,


Credila, 2008 ;

 N’DORY (C), Justice constitutionnelle et processus de démocratisation en Afrique de


l’Ouest francophone, Draft Working Paper, 2014 ;

 MEDE (N), Les grandes décisions de la Cour constitutionnelle du Bénin, EUE, 2012 ;

 NGANGO YOUMBI (E.M), La justice constitutionnelle au Benin : logiques politique


et sociale, l’Harmattan, 2016 ;
 MELEDJE (D), Les grands arrêts de la jurisprudence constitutionnelle ivoirienne,
CNDJ, 2012 ;

 SINDJOUN (L), Les grandes décisions de la justice constitutionnelle africaine,


Bruylant, 2009 ;

 TCHAKOUA (J.M), Introduction générale au droit camerounais, l’Harmattan Paris,


p.295 ;

 WANDJI (J.F.), La justice constitutionnelle au Cameroun, éd. Manaibuc, 2015 ;

ARTICLES NATIONAUX
 ATANGANA AMOUGOU (J-L), « La constitutionnalisation du droit en Afrique :
l’exemple de la création du Conseil constitutionnel camerounais », AIJC, 2004, p.47
sq. ;

 DONFACK SOKENG (L), « Le contrôle de constitutionnalité des lois hier et


aujourd’hui : réception sur certains aspects de la réception du constitutionnalisme
moderne en droit camerounais », in S. Melone, A. Minkoa She et L. Sindjoun, La
reforme constitutionnelle du 18 janvier 1996, aspects juridiques et politiques,
Fondation Friedrich-Ebert, Yaoundé, 1996, p.398 sq. ;

 GICQUEL (J), « La mise en place du Conseil constitutionnel camerounais » in


Mélanges en l’honneur de Henri Jacquot, Presses Universitaires d’Orléans, 2006,
pp.253-265. ;
4
 KONTCHOU KOUOMEGNI (A), « Vers un nouveau modèle de contrôle de
constitutionnalité des lois au Cameroun », in Les Cours suprêmes en Afrique,
Economica, 1989, p.46 et sq. ;

 MANGA (Ph), « Le contrôle de constitutionnalité des lois au Cameroun : un cliché à


corriger », Juridis Périodique n°11, Juil/sept. 1992, pp.62 sq. ;

 MBOME (F.X), « Le contrôle de constitutionnalité des lois au Cameroun », RCD n°13


et 14, 1977, pp.30 sq. ;

 MOMO (J.C), « Heurts et malheurs de la justice constitutionnelle au Cameroun »,


POLITEIA (Revue semestrielle de droit constitutionnel comparé) n°8.2005,pp.23 sq. ;

 NGANGO YOUMBI (E), La justice constitutionnelle au Benin –logiques politique et


sociale, l’Harmattan, Paris, 2016 ;

 NGANGO YOUMBI (E), « Libres propos sur l’Etat de droit constitutionnel en


Afrique noire francophone » in M. BADJI, S. N. TALL (dir.), Les transformations de
l’Etat, Mélanges Babacar GUEYE, (à paraitre).

 NGANGO YOUMBI (E), « Le juge constitutionnel et la rationalisation du régime


politique malgache sous la IVème République », RDP, n° 4, juillet 2017, pp.999-
1027 ;

 NGANGO YOUMBI (E), « Les normes non écrites dans la jurisprudence de la Cour
constitutionnelle du Bénin », RDP, n° 5, septembre 2018, pp.1705-1736 ;

 NGANGO YOUMBI (E), « La décision de la Cour constitutionnelle gabonaise


n°219/CC du 14 novembre 2018 : stupeur ou splendeur », POLITEIA (Revue
semestrielle de droit constitutionnel comparé) n° 34, janv. 2019 ;

 NGANGO YOUMBI (E), « Le nouveau Conseil constitutionnel camerounais : la


grande desillusion, RDP, n°5, 2019 ;

 NGUELE ABADA (M), « L’indépendance des juridictions constitutionnelles dans le


constitutionnalisme des Etats francophones post guerre froide : l’exemple du Conseil
constitutionnel camerounais », Palabres Actuelles (Revue de la Fondation Raponda
Walker pour la science et la culture), n°4, 2010, pp.47-90.

 OLINGA (A.D), « Justice constitutionnelle et contentieux électoral : quelle


contribution à la sérénité de la démocratie élective et à l’enracinement de l’Etat de
droit : le cas du Cameroun », Communication à la Conférence Panafricaine de
Marrakech, 26-28 novembre 2012, www.unpan1.un.org, consulté le 06 janvier 2019 ;

 OLINGA (A.D), « La naissance du juge constitutionnel camerounais. La Commission


nationale autonome devant la Cour suprême », Revue de droit et de science politique
n°36, 1998, pp.71-77 ;

5
 OLINGA (A.D), « l’Afrique en quête d’une technique d’enracinement de la
démocratie constitutionnelle », in M. KAMTO (dir.), L’Afrique dans un monde en
transition. Dynamique interne/marginalisation internationale ? Paris, Afrédit, 2010,
pp.165-189 ;

 OLINGA (A.D), « Contentieux électoral et Etat de droit au Cameroun », Juridis


Périodique n°41, édition spéciale, Janv/mars 2000, pp.35-52.

 OWONA (J), « La nouvelle Constitution camerounaise du 20 mai 1972 : de l’Etat


fédéral à l’Etat unitaire », RJPIC, 1973, p.3 et sq.

 WANDJI J.F., « Le juge constitutionnel, juge ordinaire dans le contentieux électoral et


non juge spécial », 18 octobre 2018, Inédit.

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PLAN SOMMAIRE DU COURS
LEÇON 1 : GENERALITES
Chapitre 1 : Notion du contentieux constitutionnel
Chapitre 2 : Les modèles de justice constitutionnelle
Chapitre 3 : Les sources du contentieux constitutionnel
Chapitre 4 : Les caractères du contentieux constitutionnel

LEÇON 2 : L’ORGANISATION ET FONCTIONNNEMENT DE LA


JURIDICTION CONSTITUTIONNELLE

Chapitre 1 : Les juges ou conseillers constitutionnels


Chapitre 2 : Le Secrétariat Général
Chapitre 3 : Le fonctionnement matériel (séances, audiences JC)
Chapitre 4 : Le fonctionnement financier

LEÇON 3 : LES COMPETENCES DE LA JURIDICTION


CONSTITUTIONNELLE

Chapitre 1 : Le contrôle de constitutionnalité des lois et des autres normes


Chapitre 2 : Le contentieux des élections nationales
Chapitre 3 : Le contentieux des droits et libertés fondamentaux
Chapitre 4 : Les fonctions d’arbitre, de régulateur et de conseil

LEÇON 4 : LA PROCEDURE DEVANT LA JURIDICTION


CONSTITUTIONNELLE

Chapitre 1 : La saisine du juge constitutionnel


Chapitre 2 : L’instruction préalable
Chapitre 3 : L’audience constitutionnelle
Chapitre 4 : La décision du juge constitutionnel et les voies de recours

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LEÇON 1 : GENERALITES
Un ensemble de précisions générales est nécessaire à l’entame du présent Enseignement.

Il faut tout d’abord camper la notion de « contentieux constitutionnel » dans ses différentes
couture (Chapitre 1) ;

Il faut ensuite présenter les deux principaux modèles ou paradigmes de justice


constitutionnelle dans le monde (Chapitre 1) ;

Il faut également explorer les différentes sources du contentieux constitutionnel, c'est-à-dire


les différentes normes qui concourent à son élaboration (Chapitre 3) ;

Il faut enfin exposer les caractères de la discipline, c'est-à-dire les différents traits qui la
spécifient au milieu des disciplines juridiques (Chapitre 4).

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Chapitre 1.
NOTION DU CONTENTIEUX
CONSTITUTIONNEL
Parlant du droit constitutionnel et du droit du contentieux constitutionnel, René
Chapus considère le premier (droit constitutionnel) comme le droit protégé, et le second (droit
du contentieux constitutionnel) comme le droit protecteur. Le droit du contentieux
constitutionnel ne peut en effet être appréhendé qu’à travers son rattachement au droit
constitutionnel. Le droit du contentieux constitutionnel s’inscrit donc à la suite de
l’émergence du droit constitutionnel et en relève les aspects processuels.
L’expression « contentieux constitutionnel » désigne également l’ensemble des litiges
qui peuvent naître de l’application de la Constitution ainsi que les procédés qui permettent de
les résoudre. Les procédés de résolution peuvent être soit politiques, soit juridictionnels. Au
sens strict, c’est l’ensemble des litiges pouvant survenir de l’application de la Constitution et
dont le règlement se fait par des voies juridictionnelles.
Partant de l'étymologie latine de contentiosus (qui donne ou peut donner lieu à litige),
le Professeur Michel de Villiers, définit le contentieux constitutionnel comme l'ensemble des
litiges liés à l'application de la Constitution et donnant lieu à des prétentions opposées.
Cependant, renchérit-il, depuis que de nombreuses Constitutions ont décidé qu'un tel
contentieux pourrait être porté devant les institutions au caractère juridictionnel fortement
marqué, l'habitude a été prise de considérer comme « contentieux constitutionnel » l'ensemble
des règles d'organisation, de compétence et de procédure relatives à ces institutions (De
Villiers (M.), Dictionnaire du droit constitutionnel, 3ème édition, Paris, Armand Colin,
2001, p. 56).
Le contentieux constitutionnel s’appréhende ainsi au sens strict comme l’ensemble des
procédures qui conduisent à la résolution d’un litige relatif à la matière constitutionnelle
posée devant la juridiction constitutionnelle.Il ressort de cette définition trois éléments
cumulatifs : un litige, constitutionnel, une juridiction.
Le litige est dans ce contexte relatif soit à l’interprétation d’une disposition
constitutionnelle, soit à son application, soit à sa conformité avec les dispositions infra-
constitutionnelles. Autrement dit, il nait du fait que les acteurs en présence ne parviennent pas
à s’accorder sur le sens que le constituant a voulu donner à telle ou telle disposition de la
Constitution dans son application ; ou alors qu’il ne s’accorde pas sur la disposition qui doit

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en l’espèce s’appliquer ou encore sur sa compatibilité, mieux sa conformité avec d’autres
dispositions. Ces différents désaccords aboutissent incontestablement à un procès devant un
juge spécialisé qui est le juge constitutionnel. Ce dernier devra alors trancher les litiges
constitutionnels sur la base d’une procédure préalablement déterminée connue sous le vocable
de droit processuel constitutionnel.

Le litige ou contentieux constitutionnel est un litige qui met en jeu une question
constitutionnelle. La question constitutionnelle est une question liée soit à la forme, aux
procédures ou à la place de la Constitution dans la hiérarchie des normes. C’est également une
question qui touche à l’origine et aux modalités d’exercice du pouvoir politique dans un Etat ;
à l’organisation et au fonctionnement des pouvoirs publics, ainsi qu’à la protection des droits
fondamentaux des citoyens.

L’on retrouve à ce niveau les trois dimensions du droit constitutionnel enseignées par
L. Favoreu :

- Le droit constitutionnel institutionnel ;


- Le droit constitutionnel normatif ;
- Le droit constitutionnel relationnel.

La juridiction constitutionnelle. Les Professeurs Hans Kelsen et Charles Eisenmann


utilisent la notion de justice constitutionnelle dès 1928. Cette expression désigne en effet
« l’ensemble des institutions et techniques grâce auxquelles est assurée, sans restrictions, la
suprématie de la Constitution ». Pour Kelsen, la justice constitutionnelle c’est « la garantie
juridictionnelle de la constitution ».
Charles Eisenmann la juridiction constitutionnelle est l’organe par lequel s’exerce la
justice constitutionnelle.
Après avoir clairement défini la notion de « contentieux constitutionnel », intéressons –
nous aux modèles de justice constitutionnelle.

10
Chapitre 2.
LES MODELES DE JUSTICE
CONSTITUTIONNELLE
Il convient avant d’aborder ces modèles de définir « la justice constitutionnelle ». Charles
Eisenmann donne une première définition simple au terme de laquelle « la justice
constitutionnelle est cette sorte de justice ou mieux de juridiction qui porte sur les lois
constitutionnelles » (La justice constitutionnelle et la Haute Cour Constitutionnelle
d’Autriche). Il complètera cette première définition en distinguant « justice constitutionnelle »
et « juridiction constitutionnelle », la seconde étant l’organe par lequel s’exerce la première,
et en dégageant ensuite « le sens juridique » de la justice constitutionnelle. Elle est au sens
juridique, un moyen de « garantir la répartition de la compétence entre législation ordinaire
et législation constitutionnelle, d’assurer le respect de la compétence du système des règles
ou de l’organe suprême de l’ordre étatique. » (Duhamel (O.) et Mény (Y.), Dictionnaire
constitutionnel, op.cit., p. 556).
Théodore Holo (ancien président de la Cour constitutionnelle du Bénin) quant à lui définit
la justice constitutionnelle comme « toute fonction juridictionnelle ayant pour but d’assurer
la suprématie et le respect des règles constitutionnelles essentiellement, mais non
exclusivement, par les pouvoirs publics » (« Emergence de la justice constitutionnelle »,
Pouvoirs, n°129, 2009, p. 101). Précisions à la suite de cette définition du maitre que l’on
admet aujourd’hui que la justice constitutionnelle s’entend comme l’ensemble des procédés et
mécanismes tendant à assurer le respect de la norme suprême dans un Etat quelconque, aussi
bien par les pouvoirs publics que par les individus.
Au regard de ces définitions, il convient de préciser qu’il existe deux modèles de
justice constitutionnelle : le modèle américain et le modèle européen. Si le premier modèle
soumet l’exercice de la justice constitutionnelle aux juges ordinaires, le second quant à lui
confie cet exercice à une juridiction spécialement constituée à cet effet.

SECTION 1 : LE MODELE AMERICAIN DE JUSTICE CONSTITUTIONNELLE

L’étude du modèle américain de justice constitutionnelle permet de mettre en évidence


les fondements du contrôle de constitutionnalité aux Etats-Unis d’une part (paragraphe 1), et
de présenter les éléments d’identification de ce modèle d’autre part (paragraphe 2).

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Paragraphe 1 : Les fondements du contrôle de constitutionnalité des lois aux Etats-Unis

Le contrôle de constitutionnalité aux Etats-Unis est intimement lié à l’occupation


anglaise. Si l’on peut évoquer une lointaine influence « judiciaire » britannique, c’est surtout
dans les excès du Parlement de Londres à l’égard des colons américains et la volonté de ces
derniers de voir, leurs droits protégés à l’encontre du pouvoir législatif, par l’application
effective d’une charte suprême, que se situe l’origine première du contrôle de
constitutionnalité aux Etats-Unis. Dans son habile raisonnement de l’arrêt « fondateur »
« Marbury vs Madison » de la Cour Suprême, en 1803, le Chief Justice Marshall s’inspirera
ainsi directement des arguments déjà présentés par certains rédacteurs de la Constitution
américaine. (Favoreu Louis et al., Droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 16e édition, 2013).

A- Les origines lointaines du système

C’est paradoxalement en Angleterre, où aujourd’hui encore la démocratie majoritaire


et la souveraineté du Parlement freinent l’avènement d’une véritable démocratie
constitutionnelle, qu’est née la première idée moderne de contrôle de constitutionnalité. On la
doit au célèbre juge anglais, Sir Edward Coke, qui au début du XVIIe siècle appliquera la
notion de « loi supérieure » dans l’arrêt Bonham rendu par le Tribunal de « Common Pleas »
en 1610.

Dans cette affaire, il considère que le « Collège des Médecins » de Londres n’est pas
compétent pour sanctionner le Sieur Bonham, poursuivi pour exercice de la médecine sans
autorisation, car la loi invoquée à l’appui de sa sanction lui paraît déraisonnable et contraire
au droit de common law. La common law, monopole du pouvoir judiciaire constitue selon
cette thèse, à la fois, la loi fondamentale du Royaume et l’incarnation de la raison. Ainsi une
loi du Parlement, contraire à la « loi supérieure », doit être déclarée nulle.

Si en Angleterre, la « doctrine » du juge Coke est vite abandonnée et avec elle le


principe selon lequel la volonté du Parlement peut être soumise au contrôle du juge, aux
Etats-Unis, au siècle suivant, les théoriciens de la Révolution s’en réclameront expressément.
En 1761, faisant entrer ce principe dans leur concept de Constitution, James Otis et John

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Adams, défendant les revendications d’indépendance des colonies de Nouvelle Angleterre,
proclament à leur tour qu’une loi contraire à la Constitution est nulle et non avenue…

Une forme de contrôle de constitutionnalité s’était par ailleurs diffusée dans les
colonies d’Amérique à travers la pratique du Comité judiciaire du Conseil privé (Privy
Council), émanation du Conseil du Roi qui pouvait invalider les lois des Assemblées
coloniales contraires au droit de la mère-patrie. Ce mécanisme pouvait ainsi préfigurer une
sorte de contrôle juridictionnel de conformité d’une législation par rapport à la norme réputée
supérieure.

B- Le contexte constitutionnel américain et l’arrêt Marbury vs Madison

Il faut dire d’emblée qu’il y avait absence de consécration expresse du contrôle de


constitutionnalité dans la Constitution de 1787. C’est à partir de l’indépendance en 1776 et de
l’adoption de Constitutions rigides dans les treize anciennes colonies britanniques que
s’imposent, en Amérique du Nord, les premiers éléments du constitutionnalisme moderne.

La Constitution du 17 septembre 1787 ne consacrait pas expressément un mécanisme


de contrôle de constitutionnalité. James Madison avait d’ailleurs proposé de conférer au
pouvoir judiciaire un droit de veto pour inconstitutionnalité, mais sa proposition avait été
rejetée. L’article III, section 1 de la Constitution prévoit seulement que « le pouvoir judiciaire
des Etats-Unis est dévolu à une Cour Suprême et à telles cours inférieures dont le Congrès
peut, au fur et à mesure des besoins, ordonner l’établissement ». Toutefois, avant que le Chief
Justice John Marshall, président de la Cour Suprême, ne revendique pour le pouvoir
judiciaire, ce rôle de gardien de la Constitution, dans le célèbre arrêt Marbury vs Madison de
1803, Alexander Hamilton, un des artisans du texte constitutionnel élaboré lors de la
Convention de Philadelphie, allait en poser les fondements.

Parlant du fondement véritable du contrôle de constitutionnalité aux Etats-Unis, l’on a


affirmé très souvent que c’est dans l’arrêt Marbury vs Madison que la Cour Suprême des
USA a établi en 1803 le principe du contrôle judiciaire de la constitutionnalité des lois. Il
importe par conséquent de mettre en relief les circonstances de cette affaire pour mieux
appréhender la naissance la justice constitutionnelle aux Etats-Unis.

La veille du dernier jour de son mandat, le Président sortant des USA John Adams
avait nommé William Marbury à un poste de juge de paix fédéral. Cette nomination était
régulière et définitive, mais n’avait pas été officiellement notifiée à l’intéressé, et le nouveau

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Président Thomas Jefferson ordonna à son Secrétaire d’Etat Madison de ne pas y donner
suite. William Marbury s’adressa à la Cour Suprême afin qu’elle enjoigne au Secrétaire d’Etat
de lui envoyer une copie de l’acte de nomination et de l’installer dans ses fonctions. D’après
une loi de 1789 sur l’organisation judiciaire, la Cour était effectivement compétente pour
délivrer une injonction à cette fin ; mais elle ne tenait guère à user de ce pouvoir car, dans les
circonstances politiques de l’époque, sa décision n’aurait vraisemblablement pas été exécutée
et son prestige aurait beaucoup souffert. Pour éviter d’avoir à se prononcer sur le fond, elle se
déclara incompétente au motif que la loi de 1789 sur l’organisation judiciaire était contraire à
la Constitution.

Cet arrêt qualifié de « coup de maître » permit à la Cour Suprême d’instituer le


contrôle de constitutionnalité à propos d’une affaire qui n’en faisait pas apparaître toutes les
virtualités. En refusant d’exercer une compétence particulière que le Congrès lui avait
attribuée, la Cour s’était placée au-dessus du législateur et s’était reconnu le droit de paralyser
toutes les lois qui lui paraissaient contraires à la Constitution.

L’arrêt Marbury vs Madison pose finalement le fondement jurisprudentiel du contrôle


de constitutionnalité aux USA à travers le système de judicial review. Dans ce système, tout
juge, peu importe son importance dans l’ordre judiciaire peut statuer sur la question
d’inconstitutionnalité qui lui est présentée. Il peut s’agir des actes du Parlement ou des
autorités administratives. Quels sont donc les éléments d’identification du modèle américain
de justice constitutionnelle ?

Paragraphe 2 : Les éléments d’identification du modèle américain

Le modèle américain de justice constitutionnelle se caractérise par un certain nombre


d’éléments : l’exercice d’un contrôle « diffus » (A), « concret » (B), effectué généralement a
posteriori et par voie d’exception (C) ; la décision rendue bénéficiant seulement, en principe,
d’une autorité relative de chose jugée.

A- Un contrôle « diffus » exercé par tout tribunal sous l’autorité régulatrice de la


Cour Suprême

Appliquée au système américain, la qualification de contrôle « diffus » implique que le


contrôle de constitutionnalité peut être exercé par n’importe quel juge fédéral ou étatique
(Favoreu (L.) et al., Droit constitutionnel, op.cit., p.241). Les tribunaux américains
disposant d’une plénitude de juridiction, le juge saisi en première instance est compétent pour

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se prononcer sur l’ensemble des questions soulevées par un litige, qu’elles soient civiles,
pénales, administratives ou constitutionnelles.

Vient ensuite l’intervention de la Cour suprême qui est placée au sommet de la


hiérarchie judiciaire fédérale. Elle est saisie par la voie d’un recours en certiorari. Il s’agit
d’obtenir la « certification » (certiorari signifiant, littéralement, pour rendre plus certain) des
décisions rendues par les juridictions inférieures. Elle remplit à cette occasion une fonction
régulatrice suprême, et exerce en quelque sorte à la fois les fonctions du Conseil
constitutionnel, de la Cour de cassation et du Conseil d’Etat, analogues au système judiciaire
français. Elle reste néanmoins dominée par les recours à caractère constitutionnel. Ce
contentieux porte non seulement sur des lois mais aussi sur d’autres actes de l’Exécutif.

B- Un contrôle « concret »

Le contrôle est dit « concret » dans la mesure où il s’exerce à l’occasion de « cas


concrets » et de « litiges » particuliers (cases and controversies). La Constitution des Etats-
Unis (art .III, sect.2) prévoit en effet que « le pouvoir judiciaire s’étendra à tous les cas
concrets, en droit et en équité, qui pourront se produire sous l’empire de la présente
Constitution, des lois des Etats-Unis ou des traités conclus ». Il s’agit de l’exigence de
caractère concret du litige. La recevabilité de la requête est d’ailleurs conditionnée par le
caractère concret du litige. Le principe général veut que la Cour ne se prononce que sur des
litiges avérés et concrets et non éventuels ou abstraits. Pour valablement saisir la Cour, le
requérant doit justifier d’un intérêt pour agir (standing), de la « maturité » suffisante de
l’affaire (ripeness) et du caractère toujours actuel du litige (mootness).

C- Un contrôle exercé généralement « a posteriori » et par voie d’exception

Il y’a contrôle a posteriori lorsqu’il est effectué après la promulgation de la loi, il


s’oppose au contrôle préalable ou a priori. Certains systèmes (bénin par exemple) réserve le
contrôle a priori de constitutionnalité aux autorités publiques. Le contrôle a posteriori en
revanche est étendue aux citoyens. Il est déclenché le plus souvent par tout justiciable qui, à
l’occasion d’un procès ordinaire civil ou administratif, peut soulever, pour sa défense, une
exception d’inconstitutionnalité.

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Il y a exception d’inconstitutionnalité lorsque la question de constitutionnalité est
soulevée devant le juge ordinaire à l’occasion d’un procès civil, administratif, commercial ou
autre, et tranchée par lui-même ; tandis que si le juge ordinaire est obligé de renvoyer la
question de constitutionnalité au juge constitutionnel, il s’agit d’une « question préjudicielle »
(Favoreu (L.) et al., Droit constitutionnel, op.cit., p.274). L’autre différence qui peut exister
entre les deux variantes du contrôle incident de constitutionnalité est que normalement, la
décision rendue sur la question préjudicielle de constitutionnalité a effet erga omnes c’est-à-
dire à l’égard de tous alors que celle intervenue sur exception n’a effet qu’entre les parties.

Quid du modèle européen de justice constitutionnelle ?

SECTION 2 : LE MODELE EUROPEEN DE JUSTICE CONSTITUTIONNELLE

Il s’est construit au départ du modèle autrichien, non seulement parce que l’Autriche
en donne la première illustration, mais aussi, en raison de la nationalité de son « inventeur »
(Hans Kelsen) qui présenta, en 1942, l’opposition entre système américain et système
autrichien dans une revue américaine. De modèle autrichien, on est passé à modèle européen.

Paragraphe 1 : Les origines ou les fondements de la justice constitutionnelle en Europe

Le développement du modèle européen de justice constitutionnelle repose à la fois sur


des bases théoriques(A) et sur les apports de la pratique. De ce point de vue, l’expérience de
la Cour constitutionnelle d’Autriche, illustration des théories d’Hans Kelsen, s’avère
déterminante quant à la diffusion de ce modèle dans les pays d’Europe occidentale (B).

A- Les fondements théoriques

L’avènement de la justice constitutionnelle en Europe se présente comme


l’aboutissement historique d’une lente évolution des idées et du concept de démocratie. Le
contrôle de constitutionnalité découle en effet, comme observé dans le cadre américain, du
principe de hiérarchie des normes et de suprématie de la Constitution systématisés par
l’autrichien Hans Kelsen.

L’idée d’un droit supérieur se diffuse d’abord en Europe à travers les conceptions de
l’école de droit naturel de Saint-Thomas, Grotius ou Puffendorf. Mais elle se heurte, au
XVIIIe siècle, à l’absolutisme de la loi, expression de la souveraineté. Le projet de « jurie
constitutionnaire » élaboré par Sieyès, sans doute influencé par l’argumentation d’Alexander
Hamilton, échoue en 1795, mais au siècle suivant, l’idée allemande d’un « Tribunal

16
d’Empire » continue d’alimenter le débat. Les conceptions libérales exprimées dans un projet
de Constitution de 1848, incluent en effet un Tribunal constitutionnel fédéral compétent
notamment pour contrôler, à la demande des Etats, les lois de l’Empire et statuer sur les
recours de particuliers invoquant une atteinte à leurs droits fondamentaux. Avec ce nouvel
échec, le principe de suprématie de la Constitution ne trouvera sa formulation définitive
qu’après la Première Guerre Mondiale dans le cadre de l’ « Ecole de Vienne », sous la
direction d’Hans Kelsen.

B- Le modèle européen de justice constitutionnelle selon la théorie de Hans Kelsen

Selon Hans Kelsen, le contrôle de constitutionnalité ne peut être que « centralisé »


c’est-à-dire exercé par une juridiction constitutionnelle spécifique. Il ne saurait être confié à
l’ensemble des juges ordinaires, comme aux Etats-Unis. Seule, une Cour constitutionnelle
unique, compétente pour prononcer l’annulation d’une norme contraire à la Constitution, peut
garantir la cohérence de l’ordonnancement juridique à travers le respect, par l’ensemble des
tribunaux, de l’interprétation constitutionnelle.

C’est la Cour constitutionnelle d’Autriche qui a inspiré en quelque sorte l’ensemble


des pays européens sur cette conception de la justice constitutionnelle. La Haute juridiction
autrichienne, instituée par la Constitution de 1920, représente ainsi avec les juridictions créées
par les Constitutions tchécoslovaque de 1920 et espagnole de 1931, la première véritable
application du modèle kelsénien : cette juridiction constitutionnelle spécialisée est notamment
chargée de contrôler la constitutionnalité des lois votées par les Assemblées provinciales (v°
la thèse de Ch. Eisenmann, La justice constitutionnelle et la Haute Cour constitutionnelle
d’Autriche). Sur recours du gouvernement fédéral, elle pouvait ainsi prononcer l’annulation
des textes contraires à la Constitution, sa décision étant revêtue d’une autorité absolue de
chose jugée.

Paragraphe 2 : Les éléments d’identification du modèle européen de justice


constitutionnelle

Quatre éléments permettent d’identifier le modèle européen. Ce modèle se caractérise


tout d’abord par l’exercice d’un contrôle concentré, confié à une juridiction constitutionnelle
spécifique disposant d’un monopole d’interprétation constitutionnelle (A). Il fait place par
ailleurs à l’intervention d’un certain contrôle abstrait (B), par voie d’action, déclenché par des
autorités politiques ou publiques (C), la décision rendue bénéficiant de l’autorité absolue de

17
chose jugée (D). Ces quatre éléments n’épuisent donc pas la matière ; ils constituent
seulement les points communs des différents systèmes rattachés au modèle européen,
permettant de mieux les distinguer du modèle américain.

A la différence cependant du modèle américain, la diversité des systèmes nationaux


ayant adopté le modèle européen explique la coexistence, souvent, d’un contrôle abstrait et
d’un contrôle concret, même si ce dernier reste très spécifique, d’une part et d’un contrôle par
voie d’action, de question préjudicielle de constitutionnalité ou encore d’exception d’autre
part.

A- Un contrôle concentré exercé par une juridiction constitutionnelle spécifique

Il appartient dans ce contexte aux Cours constitutionnelles d’exercer pleinement leur


fonction juridictionnelle en statuant sur les cas de violation de la Constitution. Ces Cours
spécialisées disposent donc d’un monopole d’appréciation de la constitutionnalité des lois.
C’est en ce sens que le contrôle est dit « concentré » et non « diffus », les juges ordinaires ne
pouvant connaître de ce contentieux, à l’exception des autres systèmes nationaux (Portugal
par exemple) qui présentent la particularité d’organiser en parallèle un contrôle de
constitutionnalité par les tribunaux ordinaires.

B- L’existence d’un contrôle abstrait

Il y a contrôle abstrait des normes dans la mesure où les litiges soumis aux Cours
constitutionnelles ne présentent pas une confrontation classique entre deux parties et ne
supposent pas la résolution d’un litige particulier antérieur. Le contrôle de constitutionnalité
selon le modèle kelsénien, implique en effet une confrontation entre deux normes générales,
l’une constitutionnelle, l’autre législative, le juge statuant sur la loi en elle-même et non sur
son application dans un litige particulier. Même dans les cas de renvoi préjudiciel, par les
tribunaux ordinaires, à la Cour constitutionnelle, comme en Allemagne ou en Italie par
exemple, le contrôle mené consiste avant tout en une vérification de conformité de la loi à la
Constitution.

18
C- L’existence d’un contrôle par voie d’action déclenché par les autorités politiques
ou publiques

Il convient de souligner que le contrôle abstrait peut être organisé par voie d’action,
contrôle déclenché par des instances politiques. Ce contrôle peut être exercé a priori ou a
posteriori.

Parlant du contrôle par voie d’action, celui-ci peut être exercé a priori, c’est-à-dire
avant la promulgation de la loi. Il s’agit d’un contrôle particulièrement institué en France et au
Portugal. Ce contrôle est alors exercé avant l’entrée en application de la loi, parfois même,
comme en France, avant qu’elle ne soit promulguée. Après l’adoption de la loi par le
Parlement, le contrôle ne s’exerce pas automatiquement, mais certaines autorités ont le
pouvoir, si elles estiment que la loi est contraire à la Constitution, de saisir l’organe de
contrôle. La saisine est alors réservée, en général, à des autorités politiques qui vont porter
directement la loi, notamment, devant le juge constitutionnel, afin d’en faire vérifier la
conformité à la norme supérieure (Favoreu (L.) et al., Droit constitutionnel, op.cit., p.252). Le
Cameroun a également rejoint la France et le Portugal, en consacrant dans sa Constitution les
recours directs et abstraits, exercés par des autorités politiques (article 47 de la Constitution et
article 19 de la loi du 21 avril 2004 portant organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel).

S’agissant du contrôle par voie d’action exercé a posteriori, on le retrouve le plus


souvent devant les Cours constitutionnelles d’Autriche, d’Allemagne, d’Italie, du Portugal,
d’Espagne, de Belgique. Il s’agit d’un contrôle déclenché par des responsables de l’Exécutif,
des parlementaires ou les organes de diverses collectivités autonomes. Dans certains pays, ce
contrôle doit être exercé dans un délai assez bref (trente jours en Italie, trois mois en Espagne,
par exemple) ce qui tend à le rapprocher du contrôle de type préventif (a priori). Le contrôle a
posteriori est celui qui est exercé après que la loi soit entrée en application. Le constituant
camerounais n’a pas prévu ce type de contrôle. Par contre, l’on retrouve ce type de contrôle
dans les constituants béninois, gabonais, congolais, etc.

19
Chapitre 3.
LES SOURCES DU CONTENTIEUX
CONSTITUTIONNEL
Examiner les sources du contentieux constitutionnel revient à présenter les normes sur
lesquelles s’appuie la justice constitutionnelle dans les différents Etats ayant opté pour l’un ou
l’autre modèle de justice constitutionnelle. Dès lors, les sources du contentieux
constitutionnel concernent d’une part celles qui sont constitutionnelles (section 1), et d’autre
part celles qui sont infra-constitutionnelles (section 2).

Section 1 : Les sources constitutionnelles

Les sources constitutionnelles renvoient aux Constitutions des différents Etats qui
consacrent l’existence d’un Conseil, d’un Tribunal ou d’une Cour constitutionnelle selon les
cas. Il se trouve qu’il y’ a des dispositions constitutionnelles spécifiques à l’organe chargé
d’exercer la justice constitutionnelle. Le Cameroun pourrait servir d’exemple.

Tout porte à croire que la justice constitutionnelle au Cameroun remonte à la


Constitution de 1961. En effet, cette Constitution consacre des dispositions relatives à la
saisine de la Cour Fédérale de Justice (CFJ) par le Président de la République (PR) « lorsqu’il
estimait qu’une loi fédérale était contraire à la présente constitution ou qu’une loi de l’un des
Etats fédérés était prise en violation d’une des dispositions de la présente Constitution ou
d’une loi fédérale » (article 14 de la Constitution de 1961).

Il ressort qu’en matière constitutionnelle, seul le PR était garant du respect de la


hiérarchie juridique des normes étatiques sou le triple rapport Constitution fédérale – Loi –
Etats membres. Les PM, Chefs du Gouvernement dans leurs Etats respectifs ne disposaient
donc en la matière d’aucune compétence. Ainsi, dans le contexte de la transition allant de
1961 à 1972, seul le PR pouvait mettre en branle le mécanisme du contrôle de la
constitutionnalité des lois.

Sous l’empire de la Constitution du 02 juin 1972, la justice constitutionnelle est


assurée par la Cour Suprême. C’est ce qui ressort de l’article 33 qui dispose : « Lorsque la CS
est appelée à se prononcer dans les cas prévus aux articles 7, 10 et 27, elle est complétée en

20
nombre égal par des personnalités désignées en raison de leur compétence et de leur
expérience pour une période d’un an par le PR ».

Les matières énumérées par les dispositions ci-dessus à l’article 33 portent sur la
constatation de la vacance de la Présidence de la République par la Cour Suprême (article 7) ;
la saisine de la CS par le PR lorsqu’il estime qu’une loi est contraire à la Constitution (article
10) ; la saisine de la CS par le PAN ou le PR en cas de doute ou de litige sur la recevabilité
d’un texte (article 27).

C’est avec l’avènement de la Constitution du 18 janvier 1996 que se met en place un


véritable droit du contentieux constitutionnel au Cameroun. Le Titre VII de cette Constitution
prévoit des dispositions relatives au Conseil constitutionnel camerounais, notamment dans les
articles 46 à 52. L’on doit cependant préciser que ce droit demeure tributaire des différentes
constitutions successives du Cameroun et a de la peine à prendre son envol compte tenu de la
diversité des matières dévolues au juge constitutionnel.

Dans les autres Etats francophones d’Afrique, c’est également le Constituant qui est à
la base de la mise en place de la justice constitutionnelle. C’est notamment le cas de la
Constitution béninoise du 11 décembre 1990, de la Constitution gabonaise du 26 mars 1991
modifiée à plusieurs reprises (articles 83 à 93), de la Constitution congolaise adoptée par
référendum le 25 octobre 2015 (Titre VIII, articles 175 à 188), de la Constitution
centrafricaine révisée du 30 mars 2016 (Titre VI, articles 95 à 106), de la Constitution
tchadienne (Loi n° 05-008 du 15 juillet 2005 portant révision de la Constitution du 31 mars
1996, Titre VII (articles 159 à 170) avant la réforme du 04 mai 2018 qui transforme le Conseil
constitutionnel en une chambre constitutionnelle au sein de la Cour Suprême.

Quid des autres sources ?

Section 2 : Les sources infra-constitutionnelles

Parler des sources infra-constitutionnelles revient à présenter d’une part les sources
législatives (paragraphe 1), et d’autre part celles jurisprudentielles provenant des décisions
rendues par les Cours constitutionnelles (paragraphe 2).

21
Paragraphe 1 : les sources législatives

Seront évoquées ici les lois organiques portant organisation et fonctionnement des
juridictions constitutionnelles dans les différents Etats consacrant une justice
constitutionnelle.

Au Cameroun, la loi référence est la Loi n°2004/004 du 21 avril 2004 portant


organisation et fonctionnement du Conseil Constitutionnel, modifiée et complétée par la loi
n°2012/015 du 21 décembre 2012. L’article 3 de cette loi énumère les différentes matières qui
sont dévolues au juge constitutionnel.

L’implémentation de cette loi intervient réellement avec la mise en place effective du


Conseil constitutionnel camerounais par une série de décrets du PR. Il s’agit : du Décret
n°2018/106 du 07 février 2018 portant nomination du Président du Conseil Constitutionnel
camerounais ; du Décret n°2018/105 du 07 février 2018 portant nomination des Membres du
Conseil Constitutionnel camerounais ; et du Décret n°2018/104 du 07 février 2018 portant
organisation et fonctionnement du Secrétariat Général du Conseil Constitutionnel
camerounais.

L’on notera également la Loi n°2004/004 du 21 avril 2004 portant statut des membres
du Conseil constitutionnel adopté en application de l’article 51 (5) de la Constitution ;

Le Code électoral portée par la loi n°2012/001 du 19 avril 2012.

Dans les autres Etats, la Cour constitutionnelle tire également l’essentiel de ses
attributions dans la loi organique. Il s’agit au Gabon de la Loi organique du 26 septembre
1991 modifiée par la Loi n°13/94 du 17 septembre 1994 sur la Cour constitutionnelle ; au
Tchad de la Loi organique n°019/PR/1998 du 02 novembre 1998 portant organisation et
fonctionnement du Conseil Constitutionnel; en République du Congo, de la Loi organique n°
13-026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour
Constitutionnelle; en RCA, de la Loi organique n°13/002 du 14 août 2013 portant
organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle de la République Centrafricaine,
etc.

22
En dehors des lois organiques, les Règlements intérieurs et les Ordonnances de la
juridiction constitutionnelle constituent également des sources de la matière. De même que la
jurisprudence.

Paragraphe 2 : Les sources jurisprudentielles

Il s’agit ici de la jurisprudence constitutionnelle, c’est-à-dire l’ensemble des décisions


rendues par les Cours constitutionnelles des différents Etats, et qui peuvent inspirer les acteurs
politiques ou juridictionnels à un moment. D’aucuns parleront même de droit constitutionnel
jurisprudentiel pour rendre compte de la fonction juridictionnelle du juge constitutionnel.

Depuis sa mise en fonction le Conseil constitutionnel camerounais a rendu une


soixantaine de décisions essentiellement en matière électorale et deux Avis.

En matière d’élection présidentielle, l’on citera par exemple :

Décision n°11/G/SRCER/CC/2018 du 17 aout 2018, Sieur ABOUBAKAR


KAMALDINE c/Elections Cameroon (ELECAM).
Décision n°024/CE/CC/2018 du 16 octobre 2018, KAMTO Maurice c/Conseil
constitutionnel.

En matière des élections sénatoriales :

Décision n°18/CE/CC/2018 du 17 aout 2018, Sieur NDJOUMOU Léopold Steves


c/Elections Cameroon (ELECAM), Rassemblement Démocratique du Peuple
Camerounais (RDPC).

En matière des élections sénatoriales :

Décision du 25 mars 2020 annulant partiellement les élections législatives à la


requête du SDF.
Les deux Avis portent sur la prorogation du mandat des députés à l’Assemblée
Nationale.
Cette jurisprudence est moins prolixe que celle du Bénin qui avoisine les 4 mille
décisions, celle de la Cour constitutionnelle sud-africaine qui se situe autour de mille décision
ou celle de la Cour constitutionnelle du Gabon.
Elle est par ailleurs moins diversifiée. Aucune décision n’est enregistrée au Cameroun
en matière de contrôle de constitutionnalité (sauf la décision rendue par le juge constitutionnel
transitoire (La Cour suprême en 2002 déclarant inconstitutionnelle, une disposition du
Règlement Intérieur de l’Assemblée Nationale).

23
Quoiqu’il en soit, cette jurisprudence est source du contentieux constitutionnel. Il est vrai
comme le note Michel Fromont, qu’à la différence des systèmes de common law, la
jurisprudence dans les systèmes romano-germaniques n’a pas valeur de précédent. Ce qui
implique que la juridiction constitutionnelle peut donc parfaitement changer librement sa
ligne (Fromont (M), « Les revirements de jurisprudence de la Cour constitutionnelle
fédérale d’Allemagne », Cahiers du Conseil Constitutionnel, n°20, juin 2006). Toutefois ce
changement ne peut pas intervenir de n’importe quelle façon.

24
Chapitre 3.
LES CARACTERES DU CONTENTIEUX
CONSTITUTIONNEL

Le droit du contentieux constitutionnel est caractérisé par quatre principaux traits : il


convient de les examiner deux par deux. L’on notera tout d’abord que le droit du contentieux
constitutionnel est un droit récent et vivant (Section 1) ; on notera ensuite qu’il est un droit
politique et jurisprudentiel (Section 2).

Section 1. Un droit récent et vivant

Dire du droit du contentieux constitutionnel qu’il est récent signifie qu’il s’est autonomisé
en tant que discipline des sciences juridiques il y’a quelque temps (Paragraphe 1) ; dire qu’il
est vivant signifie qu’il est mouvant et évolue au gré de la conjoncture politico-sociale d’un
pays.

Paragraphe 1. Un droit récent

La justice constitutionnelle est certes apparue comme à la vue aux Etats-Unis au début du
XIXème siècle, et a été transposée en Europe au début du XXème siècle, avant de se
généraliser par vague successive après la seconde guerre mondiale.
Il faut toutefois se garder de croire que le contentieux constitutionnel en tant que
discipline scientifique serait apparu du simple fait de l’institution d’une juridiction
constitutionnelle. Il y’a quelques années (1974), Michel Troper écrivait que la situation du
droit constitutionnel est la même qu’il y’ait ou qu’il n’y ait pas de juge constitutionnel.
Avant Louis Favoreu et l’Ecole de Marseille, le droit constitutionnel enseigné en France
par André Hauriou, Roger Pinto, Georges Burdeau, Maurice Duverger, Georges Vedel, ne
faisait que très peu de place au juge constitutionnel et à sa jurisprudence.
C’est donc dans les années 70/80, avec l’appariation de l’ouvrage de Louis Favoreu et Loïc
Philip (1975) intitulé Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, que le contentieux
constitutionnel commence à s’autonomiser. La parution des Manuels de Dominique Rousseau
(Préface Georges Vedel) et Guillaume Drago scellera cette évolution.

25
Le contentieux constitutionnel serait dès lors apparu il y’a environ un demi siècle, ce qui
en fait une discipline récente, soumis toutefois aux évolutions.

Paragraphe 2. Un droit évolutif

Le contentieux constitutionnel est une discipline en constante évolution, ce qui conduit à


reconsidérer les chapitres, les divisions, les méthodes.
En prenant appui sur l’exemple français, trois évolutions de la matière peuvent être
soulignées. La première touche au contenu même de la matière, les deux autres à la
procédure.
La décision Liberté d’association en 1971 marque le point de départ de la fonction
subjectiviste du Conseil constitutionnel français. La question des droits fondamentaux est
désormais consubstantielle au contentieux constitutionnel ou au droit constitutionnel
jurisprudentiel. Il n’en a pas toujours été ainsi.
La révision constitutionnelle de 1974, ouvre la saisine du Conseil constitutionnel à 60
députés et 60 sénateurs, ce qui eut pour effet de multiplier les décisions du Conseil ;
L’institution de la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) en 2008 a également
eu un effet sur le nombre des décisions et la protection des libertés fondamentales. Cette
procédure permet désormais, au citoyen, aux associations, aux syndicats, de faire valoir
devant le juge constitutionnel la violation de ses droits et libertés reconnus par la Constitution.
Avant cette dernière ouverture, beaucoup d’auteurs français, notamment Badinter,
Frydman, Braibant, Genevois, Stahl, Sauvé, s’étaient engagés sur la voie d’un réquisitoire
pour son institution.
Section 1. Un droit jurisprudentiel et politique
Le contentieux constitutionnel est un droit jurisprudentiel (Paragraphe 1) ; mais il est
davantage un droit politique (Paragraphe 2). C’est par ce caractère que Pierre Avril définit
d’ailleurs tout le droit constitutionnel.

Paragraphe 1. Un droit jurisprudentiel

Le contentieux constitutionnel est encore appelé, suivant l’heureuse expression du doyen


Louis Favoreu, « le droit constitutionnel jurisprudentiel ». Ce caractère tend à mettre l’accent
sur la force créatrice du juge constitutionnel qui semble beaucoup plus marquée que ses
homologues (le juge international, civil, pénal ou administratif).

26
Le juge constitutionnel crée des normes de procédure ou de compétence, mais également
des normes de fond.
Sur les normes de procédure ou de compétence, un exemple pourrait être emprunté au
contexte béninois, où le juge a indépendamment des textes (V° DCC Bénin 09-087 du 13
aout 2009), par laquelle la haute juridiction béninoise consacre le contrôle de la
constitutionnalité des décisions de justice.
Sur les normes de fond, l’exemple le plus illustratif est la décision de la Cour
constitutionnelle du Gabon (DCC Gabon n°219/CC du 14 novembre 2019) qui a crée la
notion d’ « indisponibilité provisoire » (v° notre Article paru à la Revue POLITEIA
(Bordeaux) n° 34, avril 2019, intitulé : « La décision de la Cour constitutionnelle gabonaise
n°219/CC du 14 novembre 2018 : splendeur ou stupeur ? ».
Cette activité interprétative est diversement appréciée par la doctrine. Il y’a en réalité trois
écoles qui s’affrontent : l’école de l’interprétation – découverte ; l’école de l’interprétation –
créations ; et l’école (moins souvent citée et qui fait la synthèse des deux premieres) de
l’interprétation –décision.

Paragraphe 1. Un droit politique


Le contentieux constitutionnel est un droit politique. Charles Eisenmann affirmait que la
justice constitutionnelle est un miroir qui reflète de façon fragmentée, mais fidele, les luttes
politiques dans un pays donné.
Il faut garder à l’esprit que l’office du juge constitutionnel particulièrement en Afrique est
éminemment politique. Ceci implique que les décisions du juge constitutionnelle à la
différence de celles du juge administratif (La doctrine a toutefois récemment proposé les
Grands arrêts politiques du Conseil d’Etat) par exemple doivent être lues avec une lunette à
double monture : l’une juridique et l’autre politologique.
Ces décisions interviennent souvent pour mettre fin à des joutes politiques violentes (sur
les problèmes de sociétés ou la gestion de l’Etat) qui se sont déroulées au Parlement, dans les
medias, dans la rue, bref dans l’espèce public. C’est le cas de la décision du Conseil
constitutionnel français sur le mariage pour tous.
Dans d’autres cas, les décisions de la juridiction constitutionnelle peuvent créer de
troubles et provoquer des oppositions violentes avec ou sans effusion de sang. L’exemple le
plus topique est la décision du Conseil constitutionnel ivoirien, qui est considérée par bien de
personnes comme l’une des causes de la crise qui a fait plus de 3 mille morts. Deux autres
exemples sont emblématiques :

27
La décision du Conseil constitutionnel dirigé par l’Eminent Professeur Paul Yao-Nde
(Président du Conseil constitutionnel Ivoirien au moment de la crise de 2010) : après avoir
déclaré M. Laurent Gbagbo Président de la République (Décision n° CI 2010 –EP 340312 du
03 décembre 2010) et reçu son serment, le Conseil se déjugea quelque temps après et déclara
M. Alassane Ouattara Président, par Décision n° Ci 2011-036 du 04 mai 2011 ;
La Décision n° 2005-007/CC/EPF du 14 octobre 2005 rejetant des requêtes visant à
contester la candidature de M. Blaise Compaore et autorisant ipso facto celui-ci à faire acte de
candidature pour un nouveau mandat. Elle provoqua le coup d’Etat civil et le depart du
Président Compaore Odu pouvoir.
La décision du Conseil constitutionnel sénégalais du 27 janvier 2012 (Affaire n°/E/2012),
validant la candidature du Président Abdoulaye Wade à un troisième mandat. Elle entraina le
mouvement coup de balai qui provoqua le départ du Président WADE.
Au regard de ces différents enjeux, il est nécessaires que les règles d’organisation et de
fonctionnement de la juridiction constitutionnelle soient clairement définies et connues de
tous.

28
LEÇON 2 :
L’ORGANISATION ET FONCTIONNEMENT DE LA
JURIDICTION CONSTITUTIONNELLE
Le constituant camerounais de 1996 a doté le Cameroun d’un véritable organe
juridictionnel (Conseil constitutionnel). La Loi n° 2004/004 du 21 avril 2004 porte
organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel et de la Loi n° 2004/005 du 21 avril
2004 fixe le statut des membres dudit Conseil.

L’organisation du Conseil constitutionnel nous conduit à nous intéresser aux juges ou


conseillers constitutionnels (Chapitre 1) ;

Elle nous amène à voir également le Secrétariat général qui est le cœur du travail
administratif et financier de la juridiction (Chapitre 2).

Le fonctionnement de la juridiction constitutionnelle concerne l’activité matérielle de


l’institution (Chapitre 3) ;

Il concerne également son activité financière (Chapitre 4).

29
CHAPITRE 1 : LES JUGES OU CONSEILLERS CONSTITUTIONNELS

Le juge occupe une place importante dans un Etat, notamment quand il s’agit de faire
respecter les règles. De façon triviale, la notion de « juge constitutionnel » est la réunion du
mot « juge » et de l’adjectif « constitutionnel ». Il est dit « juge constitutionnel » parce qu’il a
ce pouvoir de dire le droit qui se rapporte à la Constitution et de trancher les litiges en
fonction de ce droit constitutionnel.
La notion de « juge constitutionnel » présente alors un double sens. Il désigne dans un
premier temps la « juridiction constitutionnelle ». A ce titre, la notion de « juge
constitutionnel » est intimement liée à la notion de « justice constitutionnelle ».
Le « juge constitutionnel » apparaît dans un second temps comme cette personne ou
cet individu qui est chargée d’exercer la justice constitutionnelle. Il exerce donc une fonction
juridictionnelle.
Le « juge constitutionnel » est donc à la fois un organe collégial et un organe
individuel, à savoir la personne même du juge constitutionnel.
L’on parle de « juge constitutionnel » lorsqu’on à affaire à une Cour et « Conseiller »
lorsque la juridiction constitutionnel porte le nom de « Conseil ». Ces appellations sont sans
incidence sur leur statut ou sur la nature de l’institution.
D’une manière générale, la composition du Conseil constitutionnel au Cameroun et
même dans les autres Etats francophones d’Afrique, s’est fortement inspirée de la juridiction
constitutionnelle française. Toutefois, les constituants nationaux y ont introduit des
spécificités qui augurent une forte présence du Président de la République.

Il convient d’évoquer tour à tour le statut des juges-conseillers constitutionnels


(section 1) et la protection de la dignité de la fonction de conseiller (section 2).

SECTION 1 : LE STATUT DES JUGES OU CONSEILLERS CONSTITUTIONNELS

Examiner le statut des juges ou conseillers constitutionnels revient à présenter dans un


premier temps la désignation de ces derniers (paragraphe 1). Dans un second temps, il
convient de préciser que l’on note la présence présidentielle dans le processus de désignation
des conseillers (paragraphe 2).

30
Paragraphe 1 : La composition ou désignation des juges / conseillers constitutionnels

La juridiction constitutionnelle dispose de membres propres qui sont appelés juges ou


conseillers, parmi lesquels le Président qui dispose d’un statut propre.
Le président de la juridiction constitutionnelle est suivant les Etats, désigné par une
autorité constitutionnelle (le président de la République notamment), c’est le cas au
Cameroun, ou choisi parmi ses pairs (c’est le cas au Bénin, au Mali).
En fonction des Etats, il peut être investi d’une voie prépondérante, des pouvoirs
financiers et des compétences consultatives propres, ou encore des compétences
constitutionnelles (réception du serment présidentiel, gestion de la vacance au fauteuil
présidentiel). Il a de ce fait une place protocolaire importante (3ème Personnalité de l’Etat au
Benin ; 5ème au Cameroun) et des avantages supérieurs à ceux des autres membres de
l’institution.
S’agissant des membres, selon l’article 51 de la Constitution du 18 janvier 1996, le
Conseil constitutionnel comprend onze (11) membres désignés pour un mandat de 6 ans
éventuellement renouvelable, contrairement à celui de la France, du Tchad (article 161 de la
Constitution) ou encore de la Cour constitutionnelle du Gabon (article 89 Constitution) qui en
compte 9.
Au Cameroun, les onze membres sont nommés par décret du Président de la
République après avoir été désignés de la manière suivante :
- Trois (3) membres dont le Président du Conseil par le PR ;
- Trois (3) par le PAN après avis du Bureau ;
- Trois (3) par le PS après avis du Bureau ;
- Deux (2) par le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM).
Au regard de l’article 51 alinéa 1 de la Constitution du Cameroun, il faut cependant
préciser qu’à côté des membres désignés, se trouvent des membres de droit à savoir les
anciens PR qui sont membres à vie du Conseil constitutionnel. Il s’agit d’une importation
française. Il s’agissait en réalité d’assurer aux anciens présidents une retraite honorable. Leur
présence au Conseil est de plus en plus contestée.

A l’opposé du constituant français qui est resté silencieux quant à la qualité des
membres susceptibles d’être nommés au sein du Conseil constitutionnel, l’alinéa 1 de l’article
51 de la Constitution camerounaise précise que « les membres du CC sont choisis parmi les
personnalités de réputation professionnelle établie. Ils doivent jouir d’une intégrité morale et

31
d’une compétence reconnue ». Comme au Bénin, et au Mali, cette disposition ne limite pas le
Conseil aux seuls juristes.
L’on remarque cependant que le constituant tchadien a tenu à déterminer la formation
des personnes habilitées à être membres du CC. C’est ce qui ressort de l’article 161 de la
Constitution du 31 mars 1996 : « Le CC est composé de 9 membres dont 3 magistrats et 6
juristes de haut niveau désignés de la manière suivante :
- Un magistrat et deux juristes par le PR ;
- Un magistrat et deux juristes par le PAN ;
- Un magistrat et deux juristes par le PS … ».
Tout porterait donc à croire que le constituant tchadien a voulu consacrer sur le plan
du personnel la nature juridictionnelle de cette institution. Il en est de même du constituant
gabonais qui énonce à l’article 89 de la Constitution du 26 mars 1991 : « Les conseillers sont
choisis à titre principal parmi les professeurs de droit, les avocats et les magistrats ayant au
moins 40 ans d’âge et 15 ans d’expérience professionnelle ainsi que les personnalités
qualifiées ayant honoré le service de l’Etat et âgées d’au moins 40 ans... ».
Dans certains systèmes (France, Belgique), les Juges ou Conseillers constitutionnels
s’appuient sur des Assistants ou des Référendaires qui sont liés soit à la juridiction, soit à
chaque Juge ou Conseiller individuellement.

Paragraphe 2 : La présence présidentielle dans le processus de désignation des


conseillers
A l’évidence, l’indépendance des membres du Conseil constitutionnel est préservée
par une modalité de désignation collective. En effet, les 11 membres du CC sont une
émanation des organes étatiques différents. Ce procédé semble d’ailleurs être partagé par la
quasi-totalité des Etats. En France, sur les 9 membres du CC, 3 sont nommés par le PR, 3 par
le PAN, 3 par le PS (article 56 de la Constitution française de 1958). Il en est de même pour le
Gabon et le Tchad.
Contrairement au constituant camerounais, les constituants français, gabonais et
tchadien reconnaissent directement soit le pouvoir de nomination, soit le pouvoir de
désignation à chaque organe étatique habilité à le faire.
Tel n’est pas le cas au Cameroun où les organes (AN, Sénat..) sont dotés du pouvoir
de désignation, lequel est chapeauté ou supervisé par le pouvoir de nomination du PR. Tout
porte à croire que la main invisible du pouvoir présidentiel demeure suspendue sur la tête des
membres du Conseil comme une épée de Damoclès.

32
Cela peut se vérifier par l’ensemble des décrets pris par le Président de la République
du Cameroun en date du 7 février 2018. (Décret n°2018/106 du 07 février 2018 portant
nomination du Président du Conseil Constitutionnel camerounais ; Décret n°2018/105 du 07
février 2018 portant nomination des Membres du Conseil Constitutionnel camerounais ; et
Décret n°2018/104 du 07 février 2018 portant organisation et fonctionnement du Secrétariat
Général du Conseil Constitutionnel camerounais).
De fait, l’influence du PR sur le CC est formellement présente. En effet, le PR qui est
également le président du CSM a la possibilité de désigner au nom du CSM deux autres
membres en plus des trois membres qui relèvent de son pouvoir de désignation.
Il est par ailleurs Président du Parti majoritaire à l’Assemblée Nationale, et peut grâce
à la discipline de Parti, influencer sur la désignation des 3 membres faite par l’Assemblée, et
des 3 autres qui èchent au Senat.
Par ailleurs, l’alinéa 2 de l’article 51 de la Constitution camerounaise qui fait des
anciens PR des membres de droit à vie vient accroître le poids du PR au sein du CC.
Au total, sur les 11 membres qui constitueraient alors le CC, l’ancien PR aura 11
acquis à sa cause.
Il s’agit à l’évidence d’une limite que viennent contrebalancer les dispositions relatives
à la protection de la dignité de la fonction.

SECTION 2 : LA PROTECTION DE LA DIGNITE DE LA FONCTION DE


CONSEILLER

Les lois organiques sur les juridictions constitutionnelles et les statuts de leurs
membres dans différents Etats, consacrent certaines dispositions à l’indépendance,
l’inamovibilité et l’impartialité (Paragraphe 1) ; aux régimes des immunités (paragraphe 2),
avantages et privilèges (paragraphe 3).

Paragraphe 1. L’indépendance, l’inamovibilité et l’impartialité

L’indépendance dépend en grande partie des textes applicables. Elle doit être assurée
aussi bien à l’égard du pouvoir politique que des groupes de pression (ESPINOSA (R),
« L’indépendance du Conseil constitutionnel français en question », Les Cahiers de
justice, 2015/4, p.547 sq.).
Ce second paramètre parfois oublié est pourtant d’une importance capitale. Comme le fait
remarquer opportunément l’ancien Vice-président du Conseil constitutionnel sénégalais, le

33
Professeur Babacar Kante, le juge constitutionnel est souvent et de manière beaucoup plus
insidieuse, la proie des groupes de pression formels et informels.
– L’indépendance à l’égard du pouvoir politique
Elle peut être recherchée à travers quatre éléments : la place de la juridiction
constitutionnelle par rapport aux pouvoirs constitutionnels classiques, la désignation des
membres de la juridiction, leur statut et le régime disciplinaire.
L’indépendance du juge constitutionnel doit être tout d’abord recherchée dans
l’articulation de la juridiction constitutionnelle par rapport aux trois pouvoirs classiques de
l’Etat. Elle doit être située en dehors de ces pouvoirs, de façon à assurer son indépendance.
Elle ne doit pas être un godillot du Président de la République, une antichambre du Parlement
ou un organe du pouvoir judiciaire
La désignation des membres de la juridiction constitutionnelle doit être conciliable avec
l’exigence d’indépendance. Les atteintes à l’indépendance du juge constitutionnel peuvent
découler d’un mandat court, dont le renouvellement serait soumis à une condition purement
potestative dans le chef de l’autorité de nomination. Il est souhaitable que le juge soit nommé
pour un mandat long, non renouvelable et en principe non révocable. Il ne doit plus rien
attendre de l’autorité de nomination.
Au Cameroun par exemple, l’on est passé d’un mandat de 9 ans non renouvelable à un
mandat de 6 ans « éventuellement » renouvelable (v° article 51 alinéa 1 (nouveau) de
la Constitution, introduit par la loi constitutionnelle n°2008-1 du 14 avril 2008
modifiant et complétant certaines dispositions de la loi n°96-6 du 18 janvier 1996
portant révision de la Constitution du 02 juin 1972).
En Afrique du Sud, l’article 167 alinéa 1er de la Constitution dispose que les juges
constitutionnels sont nommés pour un mandat de 12 ans non renouvelables, et doivent
nécessairement se retirer lorsqu’ils sont frappés par la limité d’âge qui est de 70 ans.
Le statut des membres de la juridiction constitutionnelle doit également les mettre à l’abri
de toute atteinte à l’indépendance. Il s’agit de leurs traitements et avantages ; de
l’irresponsabilité pour les votes et opinions émises lors des délibérations et de l’immunité de
procédure pour toute autre infraction de droit commun sans lien avec sa fonction (v° supra).
Les atteintes à l’indépendance peuvent découler également de l’instrumentalisation des
dispositions disciplinaires en rapport avec la révocation du juge constitutionnel. C’est ce qui a
été récemment observé en Guinée Conakry avec le Président de la Cour constitutionnelle
Kelefa SALL qui a payé les frais sans doute, de l’impertinence de son discours prononcé en
décembre 2005 à l’occasion de l’investiture du Président Alpha CONDE, par lequel il mettait

34
celui-ci en garde contre la tentation de toucher à la Constitution au terme de son second et
dernier mandat prévu pour 2020.
Le régime disciplinaire doit être de nature à assurer l’indépendance du juge
constitutionnel ; la procédure doit à cet effet être lourde (toutefois le régime des
incompatibilités doit être renforcé, et celles-ci vérifiées rigoureusement au moment de la prise
de fonction).
–L’indépendance à l’égard des groupes de pressions
Désormais, l’office du juge constitutionnel l’invite à se décider sur des questions de
société aussi problématiques les unes que les autres (fin de vie, avortement, mariage
homosexuel, PMA, GPA, polygamie, voile islamique, etc.). Pour décider en toute conscience
sur ces questions, l’indépendance du juge constitutionnel doit également être assurée à
l’égard des groupes de pression. Le procès Luxleaks au Luxembourg a par exemple drainé de
nombreuses associations au cœur de la cité judiciaire.
Des dispositions doivent être prévues qui le protègent de l’influence potentielle de ces
groupes de pression. Il s’agit du régime des incompatibilités, de l’obligation de neutralité et
d’impartialité, comprise dans le sens qu’il ne devrait pas décider en fonction de ses
convictions particulières, mais en fonction du droit ; de l’obligation de réserve et de discrétion
professionnelle qui voudraient qu’il s’abstienne de donner des consultations ou de divulguer
des informations compromettantes sur des questions dont il est, ou pourrait être saisies ; et la
possibilité de récusation (impossible au départ en France, elle a récemment emboité le pas à
l’Allemagne, la Belgique , l’Espagne , le Portugal en admettant la possibilité de récusation du
juge constitutionnel).
Une garantie parfois oubliée qui contribue pourtant à l’indépendance du juge
constitutionnelle est l’inamovibilité.
L’inamovibilité est cette garantie qui protège le juge contre des changements brusques et
intempestifs. Elle signifie que pendant son mandat, le juge ne peut être nommé à un autre
poste. Elle lui assure d’aller jusqu’au terme de son mandat.
Certains Etats ont aménagé un mandat illimité au profit du juge constitutionnel. Aux Etats-
Unis, les nine old men sont nommés à vie. De même que les anciens Présidents membres du
Conseil constitutionnel en France.
La Cour constitutionnelle du Bénin a fait des précisions remarquables sur la signification
de l’inamovibilité du juge, extensibles à notre avis au juge constitutionnel. Il est affirmé de
façon laconique par le texte constitutionnel en son article 126 alinéa 2 que les Magistrats du
siège sont inamovibles. Cette disposition ne précise concrètement pas ce qu’il faut entendre

35
par inamovibilité. Il est revenu à la Cour de combler cet interstice. Dans une décision (DCC
01-33 du 13 juin 2001, DAKO Fortuné et KAPKO Damien), après avoir relevé qu’il n’existe dans
le droit positif béninois aucun texte d’application du principe d’inamovibilité, elle souligna
qu’en vertu de ce principe constitutionnel, le Magistrat irrégulièrement affecté est censé
n’avoir jamais quitté son poste.
Elle précise que le respect du principe de l’inamovibilité exige une procédure minimale
qui consiste à ce que le juge soit individuellement consulté, non seulement sur les nouvelles
fonctions qui lui sont proposées, mais encore sur le lieu précis où il est appelé à exercer. La
circonstance que les nouvelles fonctions constituent une promotion ne saurait dispenser
l’autorité chargée de nomination de ces exigences (DCC 06-070 du 21 juin 2006, HODONOU
Armand).
La Cour constitutionnelle du Bénin précisera plus tard que l’inamovibilité est non pas un
privilège pour le Magistrat mais une garantie d’indépendance de la justice (DCC 14-121 du 03
juillet 2014, Edouard Ignace GANGNY).
A la différence de l’indépendance et de l’inamovibilité dont le respect incombe au premier
chef aux pouvoirs publics et aux groupes de pression, l’impartialité est une question de
conscience individuelle.
L’impartialité doit être à la fois objective (liée à l’organe, à la fonction) et subjective (liée
au juge en tant qu’homme) selon la bipartition opérée par la Cour EDH depuis l’arrêt
Piersack c/ Belgique en 1982. Ce qui signifie que le juge constitutionnel doit être en son âme
et conscience impartial ; qu’il ne doit rien faire qui pourrait créer dans l’opinion une certaine
suspicion et qu’il ne doit pas statuer sur la base d’a priori.
L’impartialité objective signifie que le juge constitutionnel ne doit pas avoir de parti pris.
Ce qui à l’évidence n’est pas une mince affaire. Nommé par les organes politiques, il traine
souvent un passé politique qui révèle des liens incestueux soit avec le Parti au pouvoir, soit
avec le Président de la République ou autre autorité publique. Il vit trop souvent –et
malheureusement, avec la conscience lestée du lourd fardeau de la reconnaissance, et l’âme
chevillée à l’espérance angoissée d’un éventuel renouvellement de son mandat.
L’autorité de nomination doit veiller à nommer des juges impartiaux ou susceptibles de le
devenir. La nomination à la tête ou parmi les juges constitutionnels, d’un home-lige, d’un
major d’homme ou d’un affidé poserait de problèmes particulièrement lorsqu’il faut statuer en
matière électorale. Il est possible que le résultat des élections soit le reflet de cette
considération.

36
Quoique nommé par une autorité politique à des fins précises, il appartient au juge
constitutionnel de conquérir sa liberté. Il doit veiller à se situer à équidistance des parties (si
le procès constitutionnel met aux prises des parties), des idéologies et des couleurs politiques.
Il doit dès lors avoir le sens de la synthèse, de la mesure et du compromis, et être capable de
dire, –mais alors en toute sincérité, au Président de la République (à l’autorité de nomination
en tout cas), comme le fit Robert Badinter à François Mitterand le 04 mars 1986 dans son
Adresse, lors de son investiture à la tête du Conseil constitutionnel français : « M. François
Mitterrand, mon ami, merci de me nommer président du Conseil constitutionnel, mais, sachez
que dès cet instant, envers vous, j’ai un devoir d’ingratitude ».
L’impartialité doit être également subjective. L’impartialité subjective signifie l’absence
des préjugés, d’a priori ; le juge ne doit pas être prisonnier de ce qu’il pensait en son for
intérieur. Il s’agit d’une présomption réfragable laissée à la preuve du justiciable. Il ne doit
rien faire ou dire qui remette en cause sa présomption d’impartialité. C’est le sens du devoir
de réserve qui lui est imposé, qui signifie (comme il a été souligné ci-avant) qu’il ne peut
prendre position publiquement sur des questions dont il est ou pourrait être saisies. Il n’est pas
un acteur politique de terrain, mais un arbitre qui regarde les luttes politiques des gradins,
armés de puissantes lorgnettes.
Cette exigence poserait problème dans un système tel celui des Etats-Unis, où la couleur
politique du juge (démocrate ou républicain, conservateur ou progressiste) est précisément un
élément déterminant de sa nomination. Peut-on attendre de lui qu’il soit subjectivement
impartial ? Si le système ne lui interdit pas d’avoir ou de manifester une certaine sensibilité ou
affinité politique, elles doivent en tout état de cause être compatibles avec la Constitution.

Paragraphe 2 : Le régime des immunités des Juges ou conseillers

Les immunités sont destinées à protéger le Juge ou Conseiller dans l’exercice de ses
fonctions. Joël Mekhantar affirme à juste titre que par l’irresponsabilité, la protection assure
l’indépendance et par l’inviolabilité de la fonction, c’est l’exercice du mandat qui est protégé.

Le législateur a consacré des immunités traditionnelles : d’abord l’immunité de


procédure à savoir l’inviolabilité, prévue à l’article 10 de la loi n° 005 du 21 avril 2004 sur
le statut des membres du CC. L’inviolabilité est une protection contre les poursuites abusives
ou vexatoires. Elle est soulignée dans la loi en ces termes : « sauf en cas de flagrant délit ou
de condamnation définitive, aucune mesure d’arrestation ou de détention d’un membre ne
peut intervenir sans autorisation du Conseil constitutionnel ».

37
Toutefois, la remise en cause ne peut résulter que du flagrant délit et la condamnation
définitive. Il peut également être remis en cause dans d’autres circonstances en application
des obligations statutaires, à condition évidemment que le Conseil statue à la demande du
Ministère de la Justice (alinéas 2, 3 et 4 de l’article 10 de la loi n° 005 du 21 avril 2004
précitée).En dehors de l’immunité de procédure, subsiste l’immunité de fond c’est-à-dire
l’irresponsabilité.

L’irresponsabilité est permanente. Elle s’étend après la cessation de mandat et


découle des articles 12 et 13 de la loi n° 2004/005 du 21 avril 2004 sur le statut des membres
du CC.
Aux termes de l’article 12 : « les membres du CC sont protégés contre les menaces,
attaques de quelque nature que ce soit dont ils peuvent être l’objet dans l’exercice de leurs
fonctions ». Cette irresponsabilité est absolue car elle interdit les poursuites pénales ou civiles
visant soit les opinions soit les votes du membre. L’article 13 organisant cette interdiction
soulignant qu’ « aucun membre du CC ne peut être inquiété, poursuivi, recherché, arrêté,
détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses
fonctions ».
Toutefois, cette immunité ne concerne pas les actes détachables de l’exercice de la
fonction, de même que les manquements au serment et aux autres obligations. En outre, des
sanctions disciplinaires pour manquement à l’obligation de réserve et de discrétion
professionnelle même après la cessation de fonction peuvent être adoptées à l’encontre d’un
conseiller.
Que dire des avantages et privilèges dont jouissent les conseillers ?

Paragraphe 3 : les avantages et privilèges liés à la fonction de juge ou conseiller


constitutionnel

En vertu de la Constitution, les avantages et privilèges relèvent de la loi (article 51


alinéa 5 de la Constitution du Cameroun). En ce qui concerne les avantages, la loi distingue
l’indemnité servie au Président et celle allouée aux autres conseillers (article 51 alinéa 5
Constitution).
En droit comparé, la détermination des avantages et privilèges des membres des
Conseils ou Cours constitutionnels a été réalisée par le législateur.
Plusieurs solutions ont été arrêtées suivant les cas : soit les avantages des membres de
la juridiction constitutionnelle sont identiques aux avantages octroyés aux membres des

38
juridictions suprêmes, soit à ceux des membres du Gouvernement, soit des membres de l’AN,
soit aux fonctionnaires de catégorie supérieure de l’Etat (Cf. article 1 de la loi belge du 6
janvier 1989 ; article 10 de la loi béninoise du 4 mars 1991 ; article 6 de l’ordonnance
française du 7 novembre 1958 modifiée en 1959).
Certains systèmes prévoient que le régime indemnitaire est fixé par un acte
administratif : c’est le cas du Gabon avec le décret du 17 juillet 1992. D’autres pays comme le
Maroc et la Mauritanie ont choisi de déterminer le régime par équivalence (Cf. article 13 de la
loi marocaine du 25 février 1994 et articles 2 et suivants du décret du 22 août 1992 en
Mauritanie).
Le choix du Cameroun était initialement identique à l’option belge et nigérienne (issue
de la loi du 14 août 2000), à savoir, le rapprochement avec les juridictions suprêmes. Mais le
législateur a finalement opté pour la détermination par voie réglementaire. Ce qui pourrait
sembler avantageux au plan économique et financier, mais dangereux au plan politique (Cette
concession à l’Exécutif du pouvoir de déterminer les autres éléments de statut est un grave
coup porté à l’indépendance et à la dignité de CC, qui pourrait être fragilisé par les
empiètements extérieurs).
L’organisation de la juridiction constitutionnelle comporte outre les acteurs principaux
qui sont le président et les membres, d’autres personnels gérés par le Secrétariat Général du
Conseil.

39
CHAPITRE 2 : LE SECRETARIAT GENERAL

La place, le rôle, l’organisation, le fonctionnement du Secrétariat général de la juridiction


constitutionnelle différents légèrement selon les différents Etats d’Afrique noire francophone.
Au Cameroun, c’est le Décret n°2018/104 du 07 février 2018 qui porte organisation et
fonctionnement du Secrétariat Général du Conseil Constitutionnel.
Le Secrétariat Général de la juridiction constitutionnelle apparaît aux termes de ce
texte, en quelque sorte comme la cheville ouvrière sur le plan administratif de l’institution. Il
est constitué de l’ensemble des Services administratifs et techniques concourant au
fonctionnement du Conseil constitutionnel.
Placé sous l’autorité du Secrétaire Général, le Secrétariat General est responsable de
l’administration et de la coordination de tous les Services administratifs et techniques et de la
gestion des ressources matérielles, humaines et financières du Conseil constitutionnel.
C’est sur le Secrétariat que s’appuie le Conseil ou la Cour constitutionnelle pour
convoquer et préparer ses réunions. Le Secrétaire Général assiste aux séances du Conseil sans
voix délibérative.
Le Secrétariat General comprend 7 Divisions :
- La Division des Affaires Juridiques ;
- La Division des Affaires Administratives et Financières ;
- Le Greffe
- La Cellule de la Communication, de la Traduction et de l’Interprétation ;
- Le Service de la Coopération ;
- Le Service Informatique ;
- Le Service de l’Accueil, du Courrier et de la Liaison ;
- Le Service de la Documentation et des Archives.
Avec cette structure, comment s’organise le travail au Conseil ?

CHAPITRE 3 : LE FONCTIONNEMENT MATERIEL

Le fonctionnement matériel de la juridiction constitutionnelle concerne les séances,


réunions ou audiences convoquées par le Conseil constitutionnel dans un cadre précis.
Le Président du Conseil ou de la Cour constitutionnelle s’appuie à cet égard sur le
Secrétariat Général pour convoquer et organiser les réunions.

40
En cas d’empêchement temporaire du Président, le doyen d’âge est chargé de
convoquer le Conseil. Ce dernier ne peut s’autosaisir. Il statue exclusivement en cas de saisine
ou de requête dans l’exercice de ses fonctions consultative et contentieuse du Conseil.
Le quorum permettant au Conseil de statuer valablement est de 9 membres au
Cameroun. Toutefois lorsque ce quorum n’est pas atteint en cas d’empechement ou de force
majeure, procès verbal de constatation en est dressé par le président de séance et le secrétaire
général.
Les décisions du CC sont prises à la majorité simple des conseillers présents.
L’abstention n’est pas admise lors d’un vote dans la mesure où tout conseiller est tenu
d’exprimer son opinion. En cas de partage de voix à l’issue du vote, la voix du Président est
prépondérante.
Les décisions et les avis du Conseil doivent comporter les noms des membres ayant
siégé. Ils sont signés par le Président et le SG. S’agissant des décisions, elles sont lues en
séance publique, notifiées aux parties concernées et publiées au Journal Officiel. Nous
aborderons l’autorité et les effets des décisions de la juridiction constitutionnelle plus en
avant.

CHAPITRE 4 : LE FONCTIONNEMENT FINANCIER

S’agissant de cet aspect du fonctionnement de la juridiction constitutionnelle, il faut


souligner que le Conseil ou la Cour constitutionnelle dans chaque Etat bénéficie d’une
autonomie financière. Les fonds nécessaires à son fonctionnement sont estimés par la
juridiction et budgétisés dans la Loi de finance de l’Etat. Le Président du CC en est
l’ordonnateur. Tout cela participe de l’indépendance de la juridiction constitutionnelle.

41
LEÇON 4 : LES COMPETENCES DU
CONSEIL CONSTITUTIONNEL
Le Conseil constitutionnel a été institué en France dans un but précis : surveiller le
Parlement. Ses compétences vont s’accroitre au fil du temps, au point où on pourrait
aujourd’hui le comparer au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit.
L’article 47 alinéa 1 de la Constitution (article 3 alinéa 1 de la loi organique n°2004/001),
précise que le Conseil constitutionnel statue souverainement sur :
- La constitutionnalité des lois, des traités et accords internationaux ;
- Les règlements intérieurs de l’Assemblée nationale et du Senat, avant leur mise en
application ;
- Les conflits d’attributions : entre les institutions de l’Etat, entre l’Etat et les régions ;
entre les régions.
Cette disposition ne reprend pas toutes les attributions du Conseil. Il faut tenir compte
d’autres dispositions. Les compétences du Conseil constitutionnel camerounais peuvent être
réunies en quatre palettes. Chaque palette correspond à un cercle précis de requérants.
L’action devant le Conseil est loin d’être une actio popularis. Nous reviendrons sur ces
exigences de saisine dans la Leçon suivante :

Le contrôle de constitutionnalité des lois et des autres normes (Chapitre 1) ;


Le contentieux des élections nationales (Chapitre 2) ;
Le contentieux des droits et libertés fondamentaux (Chapitre 3) ;
Les fonctions d’arbitre, de régulateur et de conseil (Chapitre 4).

42
CHAPITRE 1. LE CONTROLE DE LA CONSTITUTIONNALITE DES
LOIS ET AUTRES NORMES

A la différence d’autres systèmes, ce ne sont pas tous les actes des pouvoirs
constitutionnels qui sont soumis à contrôle. Il importe de voir quels sont dans le contexte
camerounais les actes contrôlés (Section 1) et les actes non contrôlés (Section 2).

SECTION 1. LES ACTES CONTROLES

Les actes contrôlés sont essentiellement : les lois (Paragraphe 1) ; les traites et accords
internationaux (Paragraphe 2), les Règlements intérieurs des Assemblées (Paragraphe 3).

Paragraphe 1. Les lois


On distingue plusieurs catégories de lois :
Il est admis depuis longtemps en France (1962) que le Conseil ne pourrait contrôler une loi
référendaire, qui procède de l’exercice directe de la souveraine par le peuple ;
Il n’existe pas d’unanimité en Afrique sur le contrôle des lois constitutionnelles. Certains
Etats opèrent un contrôle de constitutionnalité (Le Bénin par exemple, DCC 06-074 du 08
juillet 2006, Président de la République) ; d’autres pas (Le Sénégal, sous réserve du léger
revirement en 2016).
Les lois organiques doivent en principe être l’objet d’un contrôle de constitutionnalité
obligatoire.
Les lois ordinaires sont soumises à un contrôle de constitutionnalité facultatif et préalable
(ce qui signifie qu’une fois promulgué, la loi à un caractère inattaquable en droit
constitutionnel camerounais, article 47 alinéa 3 de la Constitution).

Paragraphe 2. Les traités et accords internationaux


Il existe quelques écrits sur le contrôle des traités et engagement internationaux. L’étudiant
voudrait bien se référer à ces travaux.
La Constitution prévoie (article 44) que lorsque le Conseil constitutionnel a déclaré qu’un
accord ou un traité international est contraire à la Constitution, celui-ci ne peut entrer en
vigueur qu’après révision de la Constitution.

43
Paragraphe 3. Les règlements intérieurs de l’Assemblée nationale et du Senat,
avant leur mise en application
Ces règlements intérieurs des Assemblées étant par principe des lois.
Le Constituant institue un contrôle obligatoire pour éviter que le Parlement ne s’approprie
des pouvoirs n’ont prévus par la Constitution et ne crée une situation de crise institutionnelle.
Le juge constitutionnel transitoire (Cour suprême) a rendu en 2002 un arrêt déclarant
certaines dispositions du Règlement intérieur de l’Assemblée Nationale relatives au mandat
impératif contraire à l’article 15 alinéa 3 de la Constitution.

SECTION 1. LES ACTES NON CONTROLES

Un certain nombre d’actes sont exclus du contrôle de constitutionnalité en droit


constitutionnel camerounais. Ce qui est en décalage par rapport aux évolutions du droit
comparé.
Certains auteurs estiment une extension des compétences du Conseil constitutionnel
périlleuse en raison de la crainte du « gouvernement des juges ». Il faut dire qu’il semble
conforme à la logique que la compétence du Conseil soit étendue aux actes suivant :
- Les actes réglementaires (c’est le cas au Gabon – articles 84, 85 et 86 de la
Constitution gabonaise du 26 mars 1991 telle que modifiée le 19 aout 2003 ; au
Benin -articles 3, 117, 121 alinéa 2 de la Constitution béninoise du 11 décembre
1990, à Madagascar…), du moins les règlements autonomes.
- les décisions de justice (portant atteintes aux droits fondamentaux) doivent à notre
avis être soumises au contrôle de constitutionnalité.
- Les Ordonnances ratifiées et les actes adoptés par le président de la République
dans le domaine du Législatif dans le cadre de l’état d’exception.
Le développement des Etats d’Europe continentale laisse d’ailleurs apparaitre de telles
avancées, à tout le moins en ce qui concerne le contrôle des décisions de justice (FATIN-
ROUGE STEFANINI et SEVERINO (C), Le contrôle de constitutionnalité des décisions
de justice : une étape après la QPC ? Actes du Colloque des 22 et 24 juin 2016).
Notons par ailleurs que seuls les textes écrits peuvent être déférés au Conseil
constitutionnel camerounais. Il est pourtant désormais admis que la violation de la
Constitution peut résulter d’un acte oral, d’un silence ou des agissements (NGANGO
YOUMBI (E), « Les normes non écrites dans la jurisprudence de la Cour
constitutionnelle du Bénin », op.cit. pp.1725-1735).

44
CHAPITRE II. LE CONTENTIEUX DES ELECTIONS NATIONALES
Aux termes de l’article 3 alinéa 2 de la loi organique 2004/004, le Conseil constitutionnel
veille à la régularité des l’élection présidentielle, des élections parlementaires, des
consultations référendaires et en proclame les résultats.
Quoique la loi parle de « régularité », il faut dire que le Conseil exerce un contrôle de
régularité, mais également un contrôle de « sincérité » que l’on peut improprement appeler
contrôle d’opportunité. Ainsi ce ne sont pas toutes les irrégularités qui peuvent donner lieu à
l’annulation d’une élection, mais seulement les irrégularités qui ont eu une « influence
déterminante » sur le résultat du scrutin (v° Jean-Claude Tcheuwa, « Les principes
directeurs du contentieux électorale camerounais : à propos de « l’influence significative
sur le résultat du scrutin »…, RFDC, 2011/2 n°86, pp.1-29).
En matière d’élections nationales (présidentielle, sénatoriales et législatives), il faut
distinguer deux niveaux de contentieux : le contentieux préélectoral (Section 1) et le
contentieux électoral (Section 2).

SECTION 1. LE CONTENTIEUX PREELECTORAL

Il convient encore de distinguer entre le contentieux préélectoral présidentiel (soumis à un


scrutin uninominal) et le contentieux préélectoral législatif et sénatorial (soumis à un scrutin
de liste).
Le contentieux préélectoral présidentiel
Les actions peuvent aux termes de l’article 129 du Code électoral (v° aussi l’article 43 de la loi
n°2004/004 du 21 avril 2004 modifiée par celle n°2012/015 du 21 décembre 2012 portant organisation
et fonctionnement du Conseil constitutionnel), avoir trois objets :
- Contestation du refus de la candidature du requérant par l’organe chargé des
élections (article 43 de la loi organique 2004/004)
- -Contestation ou réclamations liée à la couleur au sigle ou au symbole adopté par
un candidat. (article 44 de la loi organique 2004/004)
- -Contestation de la candidature d’un autre candidat (Décision n°18/CE/CC/2018
du 17 aout 2018, Sieur NDJOUMOU)

Quid du contentieux préélectoral législatif et sénatorial ?

Le contentieux préélectoral législatif et sénatorial


45
Le Conseil constitutionnel peut être dans le cadre du contentieux préélectoral législatif et
sénatorial être saisi de deux objets.
- Décision d’acceptation d’une candidature ou d’une liste ;

-Décision de rejet d’une candidature ou d’une liste (article 47 de la loi organique


2004/004).

Il faut rappeler qu’il est aux termes de l’article 47 de la loi 2004/004 juge de l’éligibilité des
candidats à un mandat à l’Assemblée Nationale et au Sénat.
Il souligne toutefois dans sa toute première Décision n°001, concernant l’affaire Saki
LAMINE que cette fonction ne l’autorise pas à connaitre des questions d’investitures qui sont
internes à un Parti politique et relève dès lors de la gestion de celui-ci (Décision
n°001/CE/CC/2018 du 15 mars 2018, Dame Saki LAMINE (RDPC) c/ Rassemblement
Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC) et Elections Cameroon (ELECAM)).

SECTION 2. LE CONTENTIEUX PREELECTORAL

Il faut distinguer entre l’office du Conseil dans le contentieux électoral présidentiel,


législatif et sénatorial et référendaire.

- Le contentieux électoral présidentiel

Le Conseil constitutionnel a dans ce domaine deux chefs de compétence


- Contestation de la régularité de l’élection présidentielle (annulation totale ou partielle
des opérations électorales (article 45 de la loi organique 2004/004)

-Proclamation des résultats de l’élection présidentielle (compétence d’office) (article 3


alinéa 2 et articles 40, 46 de la loi organique 2004/004).

- Le contentieux électoral législatif et sénatorial


Le Conseil constitutionnel peut dans ce cadre être saisi de toute contestation de la
régularité de l’élection des membres du Parlement (article 48 de la loi organique 2004/004.
L’examen du CC s’étend au suppléant.

- Le contentieux référendaire
Aux termes de l’article 209 du Code électoral, le Conseil constitutionnel veille à la
régularité des consultations référendaires.

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Le Code a consacré expressément la notion d’influence déterminante, autrement dit le
Conseil doit s’il constate des irrégularités opérer un contrôle de proportionnalité.
L’article 211 du Code électoral dispose que : « Dans le cas où le Conseil constitutionnel
constate l’existence des irrégularités dans le déroulement des opérations référendaires, il
peut eu égard à leur incidence sur les résultats, soit maintenir lesdites opérations, soit
prononcer leur annulation totale ou partielle ».
Le Conseil proclame le résultat du referendum dans un délai de (15) jours à compter de la
clôture du scrutin. La loi adopte par referendum doit être promulgué par le président de la
République dans les 15 jours de la transmission des PV de proclamation des résultats. Elle est
précédée de la mention : « Le peuple camerounais a adopté par referendum du…, le
présidente de la République publie la loi dont la teneur suit ».
Cette loi adoptée par referendum ne peut être l’objet d’un contrôle de constitutionnalité.
Elle constitue suivant la formule du Conseil constitutionnel français dans sa décision de 1962,
l’expression même de la souveraineté directe du peuple.

CHAPITRE 3. LE CONTENTIEUX DES DROITS ET DES LIBERTES


FONDAMENTAUX

Une telle compétence n’a pas été expressément attribuée au Conseil constitutionnel
camerounais. Il ne peut y parvenir qu’indirectement à travers le contrôle de constitutionnalité,
or toute violation d’un droit n’a pas sa source dans une loi ou une convention internationale.
Il n’existe par ailleurs pas dans le procès constitutionnel au Cameroun, une action
individuelle en défense d’un droit ou d’une liberté constitutionnels, sous forme d’action
directe comme en Allemagne, au Bénin ; de question prioritaire de constitutionnalité (QPC)
comme en France, ou même d’exception d’inconstitutionnalité (Etats-Unis, Belgique). Le
contrôle diffus ou décentralisé de constitutionnalité, tel le contrôle effectué par les juridictions
ordinaires sud-africaines, est jusqu’à preuve de contraire inexistant. Certains auteurs parmi
lesquels l’auteur de ces lignes, ont semblé à travers quelques espèces, percevoir des
perspectives de consécration d’une telle possibilité.
Cette carence est un réel problème, à partir du moment où la Constitution du Cameroun
prévoit une batterie de droits et de libertés au profit du citoyen, l’on peut se poser la question
de savoir qu’est ce qu’un droit dépourvu d’action ? L’action des autorités publiques, de 60
députés ou sénateurs ne suffirait pas –, sauf à faire volontairement preuve de naïveté, à
combler cette lacune. Il faut sur ce point, partager le pessimisme de feu le Doyen Stanislas
MELONE, « (…) Ce n’est pas l’arrestation illégale ou sans titre d’un obscur citoyen, et cela

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est malheureusement très fréquent, qui va émouvoir [le président de la République], le
Président de l’Assemblée nationale ou du Senat, qui va intéresser un tiers de députés ou de
sénateurs au-delà de leur perception partisane du débat politique. »
Il y’a dès lors une impérieuse nécessité d’élargir la saisine de la juridiction
constitutionnelle camerounaise en l’étendant au particulier au moins en ce qui concerne
l’action direct en défense de ses droits fondamentaux ou l’exception d’inconstitutionnalité
devant les juges ordinaires qu’ils soient supérieurs ou de second ordre.
Certains Etats consacrent d’ailleurs l’autosaisine ou saisine d’office en matière de
preservation des droits et libertés fondamentaux. Il s’agit d’une possibilité pour le juge
constitutionnel de statuer ultra petita, en examinant des questions ou soulevant des moyens
qui ne l’auraient pas été dans la requête.
Elle permet de surmonter l’irrecevabilité formelle des demandes et de développer le
contentieux constitutionnel. Le Benin a consacré une telle possibilité pour préserver les droits
fondamentaux.
En RDC l’article 49 de la loi organique n°13.026 du 15 octobre 2013 portant organisation et
fonctionnement de la Cour constitutionnelle (RDC) permet au Procureur General de saisir d’office
la Cour pour inconstitutionnalité d’un ensemble d’actes à l’exception des traités et accords
internationaux lorsqu’ils portent atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine ou
aux libertés publiques.

CHAPITRE IV. LES FONCTIONS D’ARBITRE, DE REGULATEUR ET DE


CONSEIL
Outre les compétences classiques de la juridiction constitutionnelle, elle exerce d’autres
compétences qui peuvent se résument en trois points : la fonction d’arbitre (Section 1) ; la
fonction de régulateur (Section 2) et la fonction consultative ou de conseil (Section 3).

SECTION I. LA FONCTION D’ARBITRE

Les conflits d’attributions peuvent être verticaux ou horizontaux. Ils recouvrent trois
hypothèses :
- Conflits d’attribution entre les institutions de l’Etat

-Conflits d’attribution entre l’Etat et les Régions

-Conflits d’attribution entre les Régions (article 30 de la loi de la loi organique 2004/004).

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L’on pourrait également penser que les hypothèses des conflits d’attribution ne soient pas
exclusivement normatives (la saisine du Conseil constitutionnel par les Exécutifs régionaux
peut concerner la constitutionnalité d’une loi -article 19 de la loi n°2004/001 ou d’un
engagement international -article 20 de la même loi), mais survenir également dans des cas
sans rapport avec le contrôle de constitutionalité.
Le conflit d’attribution peut également être matériel ou territorial. Le Conseil doit se
fonder sur la Constitution et la récente loi portant code général de la décentralisation pour
résoudre de tels conflits.
Les autorités pouvant saisir le Conseil constitutionnel d’un conflit d’attribution sont, si on
excepte les Exécutifs régionaux, celles autorisées à agir dans le cadre du contrôle de
constitutionnalité (nous y reviendrons).

SECTION 2. LA FONCTION DE REGULATEUR

La question du pouvoir du juge en matière de régulation du fonctionnement des institutions


et de l’activité des pouvoirs publics est une question a priori complexe. Si elle n’est pas bien
comprise, elle autoriserait toutes formes de dérives.
Dans le contexte français, Louis FAVOREU dans un Article paru à la RDP en 1967 que
le Conseil constitutionnel français n’est pas juge de l’activité des pouvoirs publics, mais juge
de l’activité « normative » des pouvoirs publics (FAVOREU (L), « Le Conseil constitutionnel,
régulateur de l’activité normative des pouvoirs publics », RDP, 1967, n°1, p.5).
On dit d’un mécanisme qu’il est régulier, lorsqu’il fonctionne conformément aux règles,
ou encore lorsqu’il fonctionne à plein régime, suivant son rythme normal. A contrario, un
mécanisme ou un système sera considéré comme fonctionnant de façon irrégulière s’il connait
des blocages, des lenteurs ou tout autre dysfonctionnement.
Au Cameroun, la fonction régulatrice résulte de l’article 46 de la Constitution. Il n’existe
pas encore une jurisprudence permettant de voir comment est-ce que la haute juridiction
comprend une telle compétence. Elle doit être abordée avec méfiance, car elle peut dans
certains contextes être utilisée de façon vertueuse et dans d’autres de façon problématique. Le
premier cas est illustré par le Benin ; le second par le Gabon.
La Cour constitutionnelle du Benin s’est fondée sur une telle compétence pour lever des
blocages institutionnels en formulant par exemple des injonctions à des autorités défaillantes (
il en va de même de la Haute Cour constitutionnelle Malgache, L’exemple le plus récent est
fourni par la juridiction malgache à travers sa Décision HCC/DC du 25 mai 2018 relative à

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la requête en déchéance di Président Hery Rajaonarimampianina) ou en ordonnant la
substitution d’une autorité par une autre.
La Cour constitutionnel du Gabon s’est fondée sur une telle compétence (article 83 de la
Constitution : « Elle est l’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité
des pouvoirs publics », repris par l’article 01er de la loi organique n°9/91 telle que modifiée
entre autres le 02 juin 2003) pour se saisir d’office et réécrire la Constitution dans un contexte
où il prenait une incertitude sur l’état de santé du président de la République (DCC Gabon
n°219/CC du 14 novembre 2019, op.cit).

SECTION 3. LA FONCTION DE CONSEIL

Le Conseil constitutionnel rend des Avis, c’est ce que l’on appelle encore la compétence
consultative ou de conseil. Il ressort des textes deux types de consultations : la consultation
politique (paragraphe 1) et la consultation technique (paragraphe 2).

Paragraphe 1. Consultation politique

Constatation de la vacance (article 6 alinéa 4 de la C.)

-Modification du Gouvernement en période de vacance (article 6 alinéa 4-c de la C.) ;

- Prorogation ou abrogation du mandat des députés de l’AN (article 15 alinéa 4 nouveau de


la C. (Compétence individuelle du Président du CC –Avis motivé). Le Conseil a rendu (2)
Avis dans ce cadre ;

-Soumission d’un projet de reforme au referendum (Compétence individuelle du Président du


CC –Avis motivé) (article 36 alinéa 1).

- Destitution du Président et du Bureau du Conseil régional (article 60 alinéa 2)

Paragraphe 2. Consultation technique

- Interprétation de la Constitution ;

- Tout point de droit constitutionnel, électoral et parlementaire ;

-les matières mentionnées à l’article 47 de la Constitution et aux dispositions de la loi


organique (article 34 ; 3 alinéa 3 de la loi organique 2004/004 et article 47 alinéa 4 de la
C.).

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