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Le présent Cours est une œuvre originale, soumise au droit d’auteur, et doit comme telle, être citée
selon les règles de l’art.
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OBJECTIFS DU COURS
Si le droit est la colonne vertébrale du corps social, le droit constitutionnel en est la moelle
épinière. Il est comme le disait le Doyen Georges VEDEL, la tête des discipline de droit
public, –aujourd’hui on ajouterait de droit privé.
Le droit constitutionnel ne peut plus être enseigné sans prendre en compte le juge
constitutionnel. Les juridictions constitutionnelles sont devenues ces dernières décennies, des
institutions clés des régimes politiques, qu’elles contribuent à transformer tout en
infléchissant la direction de l’ordre juridique dans son ensemble. Ce qui confirme le pronostic
du regretté Gérard Marcou qui affamait « le XXIème siècle sera assurément le siècle des
Cours constitutionnelles ».
Le présent Enseignement rédigé à la hâte (dans un contexte marquée par la pandémie
mondiale du COVID 19) à l’intention des Etudiants de Master I, a pour objet la juridiction
constitutionnelle. Il entend cependant contextualité l’étude par des approches historique,
théorique, dogmatique et comparatiste. Il s’agit de proposer aux apprenants, des
connaissances sur l’histoire de la juridiction constitutionnelle, son organisation et son
fonctionnement, ses procédures, ses méthodes, ainsi que sa jurisprudence.
LEÇON 1 : GENERALITES
LEÇON 2 : L’ORGANISATION ET LE FONCTIONNNEMENT DE LA JURIDICTION
CONSTITUTIONNELLE
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BIBLIOGRAPHIE
OUVRAGES ETRANGER
DRAGO (G), Contentieux constitutionnel français, PUF, coll. Thémis, 5ème éd.,
2018 ;
FATIN-ROUGE STEFANINI et SEVERINO (C), Le contrôle de constitutionnalité
des décisions de justice : une étape après la QPC ? Actes du Colloque des 22 et 24
juin 2016 ;
FAVOREU (L) et al. Droit constitutionnel, Precis Dalloz, 21ème éd. , 2019 ;
FAVOREU (L) et al., Droit des libertés fondamentales, Dalloz, 7ème éd., 2015 ;
FAVOREU (L) et MASTOR (W), Les Cours constitutionnelles, Dalloz, Paris 2011 ;
FAVOREU (L) et RENOUX (T), Le contentieux constitutionnel des actes
administratifs, Sirey 1992 ; « La constitutionnalisation du droit pénal et de la
procédure pénale, vers un droit constitutionnel pénal » in Droit pénal contemporain,
Mélanges A. Virtu, Cujas1989, pp.169-208 ;
GAIA (P) et al (ouvrage crée par L. Favoreu et L. Philip). Les grandes decisions du
Conseil constitutionnel, Dalloz, 19ème éd. 2018 ;
JAN (P), Le procès constitutionnel, LGDJ, 2ème éd., 2010 ;
LUCHAIRE (F), Le Conseil constitutionnel, 1997, Economica, 2ème éd., p.21.
MATHIEU (B) et VERPEAUX (M), Contentieux constitutionnel des droits
fondamentaux, LGDJ, 2002 ;
MATHIEU (B) et ROUSSEAU (D), Les grandes décisions de la Question Prioritaire
de Constitutionnalité, LGDJ, Lextenso, Paris 2013 ;
ROUSSEAU (D), GAHDOUN (P.Y), BONNET (J), Droit du contentieux
constitutionnel, LGDJ, 11ème éd., 2016 ;
VERDUSSEN (M), Justice constitutionnelle, Larcier, 2012 ;
ZOLLER (E), Les grands arrêts de la Cour suprême des Etats-Unis, Dalloz, 2010.
3
OUVRAGES AFRICAINS
KPODAR (A), Commentaire des grands avis et décisions togolaises, Presses de l’UL,
2007 ;
MEDE (N), Les grandes décisions de la Cour constitutionnelle du Bénin, EUE, 2012 ;
ARTICLES NATIONAUX
ATANGANA AMOUGOU (J-L), « La constitutionnalisation du droit en Afrique :
l’exemple de la création du Conseil constitutionnel camerounais », AIJC, 2004, p.47
sq. ;
NGANGO YOUMBI (E), « Les normes non écrites dans la jurisprudence de la Cour
constitutionnelle du Bénin », RDP, n° 5, septembre 2018, pp.1705-1736 ;
5
OLINGA (A.D), « l’Afrique en quête d’une technique d’enracinement de la
démocratie constitutionnelle », in M. KAMTO (dir.), L’Afrique dans un monde en
transition. Dynamique interne/marginalisation internationale ? Paris, Afrédit, 2010,
pp.165-189 ;
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PLAN SOMMAIRE DU COURS
LEÇON 1 : GENERALITES
Chapitre 1 : Notion du contentieux constitutionnel
Chapitre 2 : Les modèles de justice constitutionnelle
Chapitre 3 : Les sources du contentieux constitutionnel
Chapitre 4 : Les caractères du contentieux constitutionnel
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LEÇON 1 : GENERALITES
Un ensemble de précisions générales est nécessaire à l’entame du présent Enseignement.
Il faut tout d’abord camper la notion de « contentieux constitutionnel » dans ses différentes
couture (Chapitre 1) ;
Il faut enfin exposer les caractères de la discipline, c'est-à-dire les différents traits qui la
spécifient au milieu des disciplines juridiques (Chapitre 4).
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Chapitre 1.
NOTION DU CONTENTIEUX
CONSTITUTIONNEL
Parlant du droit constitutionnel et du droit du contentieux constitutionnel, René
Chapus considère le premier (droit constitutionnel) comme le droit protégé, et le second (droit
du contentieux constitutionnel) comme le droit protecteur. Le droit du contentieux
constitutionnel ne peut en effet être appréhendé qu’à travers son rattachement au droit
constitutionnel. Le droit du contentieux constitutionnel s’inscrit donc à la suite de
l’émergence du droit constitutionnel et en relève les aspects processuels.
L’expression « contentieux constitutionnel » désigne également l’ensemble des litiges
qui peuvent naître de l’application de la Constitution ainsi que les procédés qui permettent de
les résoudre. Les procédés de résolution peuvent être soit politiques, soit juridictionnels. Au
sens strict, c’est l’ensemble des litiges pouvant survenir de l’application de la Constitution et
dont le règlement se fait par des voies juridictionnelles.
Partant de l'étymologie latine de contentiosus (qui donne ou peut donner lieu à litige),
le Professeur Michel de Villiers, définit le contentieux constitutionnel comme l'ensemble des
litiges liés à l'application de la Constitution et donnant lieu à des prétentions opposées.
Cependant, renchérit-il, depuis que de nombreuses Constitutions ont décidé qu'un tel
contentieux pourrait être porté devant les institutions au caractère juridictionnel fortement
marqué, l'habitude a été prise de considérer comme « contentieux constitutionnel » l'ensemble
des règles d'organisation, de compétence et de procédure relatives à ces institutions (De
Villiers (M.), Dictionnaire du droit constitutionnel, 3ème édition, Paris, Armand Colin,
2001, p. 56).
Le contentieux constitutionnel s’appréhende ainsi au sens strict comme l’ensemble des
procédures qui conduisent à la résolution d’un litige relatif à la matière constitutionnelle
posée devant la juridiction constitutionnelle.Il ressort de cette définition trois éléments
cumulatifs : un litige, constitutionnel, une juridiction.
Le litige est dans ce contexte relatif soit à l’interprétation d’une disposition
constitutionnelle, soit à son application, soit à sa conformité avec les dispositions infra-
constitutionnelles. Autrement dit, il nait du fait que les acteurs en présence ne parviennent pas
à s’accorder sur le sens que le constituant a voulu donner à telle ou telle disposition de la
Constitution dans son application ; ou alors qu’il ne s’accorde pas sur la disposition qui doit
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en l’espèce s’appliquer ou encore sur sa compatibilité, mieux sa conformité avec d’autres
dispositions. Ces différents désaccords aboutissent incontestablement à un procès devant un
juge spécialisé qui est le juge constitutionnel. Ce dernier devra alors trancher les litiges
constitutionnels sur la base d’une procédure préalablement déterminée connue sous le vocable
de droit processuel constitutionnel.
Le litige ou contentieux constitutionnel est un litige qui met en jeu une question
constitutionnelle. La question constitutionnelle est une question liée soit à la forme, aux
procédures ou à la place de la Constitution dans la hiérarchie des normes. C’est également une
question qui touche à l’origine et aux modalités d’exercice du pouvoir politique dans un Etat ;
à l’organisation et au fonctionnement des pouvoirs publics, ainsi qu’à la protection des droits
fondamentaux des citoyens.
L’on retrouve à ce niveau les trois dimensions du droit constitutionnel enseignées par
L. Favoreu :
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Chapitre 2.
LES MODELES DE JUSTICE
CONSTITUTIONNELLE
Il convient avant d’aborder ces modèles de définir « la justice constitutionnelle ». Charles
Eisenmann donne une première définition simple au terme de laquelle « la justice
constitutionnelle est cette sorte de justice ou mieux de juridiction qui porte sur les lois
constitutionnelles » (La justice constitutionnelle et la Haute Cour Constitutionnelle
d’Autriche). Il complètera cette première définition en distinguant « justice constitutionnelle »
et « juridiction constitutionnelle », la seconde étant l’organe par lequel s’exerce la première,
et en dégageant ensuite « le sens juridique » de la justice constitutionnelle. Elle est au sens
juridique, un moyen de « garantir la répartition de la compétence entre législation ordinaire
et législation constitutionnelle, d’assurer le respect de la compétence du système des règles
ou de l’organe suprême de l’ordre étatique. » (Duhamel (O.) et Mény (Y.), Dictionnaire
constitutionnel, op.cit., p. 556).
Théodore Holo (ancien président de la Cour constitutionnelle du Bénin) quant à lui définit
la justice constitutionnelle comme « toute fonction juridictionnelle ayant pour but d’assurer
la suprématie et le respect des règles constitutionnelles essentiellement, mais non
exclusivement, par les pouvoirs publics » (« Emergence de la justice constitutionnelle »,
Pouvoirs, n°129, 2009, p. 101). Précisions à la suite de cette définition du maitre que l’on
admet aujourd’hui que la justice constitutionnelle s’entend comme l’ensemble des procédés et
mécanismes tendant à assurer le respect de la norme suprême dans un Etat quelconque, aussi
bien par les pouvoirs publics que par les individus.
Au regard de ces définitions, il convient de préciser qu’il existe deux modèles de
justice constitutionnelle : le modèle américain et le modèle européen. Si le premier modèle
soumet l’exercice de la justice constitutionnelle aux juges ordinaires, le second quant à lui
confie cet exercice à une juridiction spécialement constituée à cet effet.
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Paragraphe 1 : Les fondements du contrôle de constitutionnalité des lois aux Etats-Unis
Dans cette affaire, il considère que le « Collège des Médecins » de Londres n’est pas
compétent pour sanctionner le Sieur Bonham, poursuivi pour exercice de la médecine sans
autorisation, car la loi invoquée à l’appui de sa sanction lui paraît déraisonnable et contraire
au droit de common law. La common law, monopole du pouvoir judiciaire constitue selon
cette thèse, à la fois, la loi fondamentale du Royaume et l’incarnation de la raison. Ainsi une
loi du Parlement, contraire à la « loi supérieure », doit être déclarée nulle.
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Adams, défendant les revendications d’indépendance des colonies de Nouvelle Angleterre,
proclament à leur tour qu’une loi contraire à la Constitution est nulle et non avenue…
Une forme de contrôle de constitutionnalité s’était par ailleurs diffusée dans les
colonies d’Amérique à travers la pratique du Comité judiciaire du Conseil privé (Privy
Council), émanation du Conseil du Roi qui pouvait invalider les lois des Assemblées
coloniales contraires au droit de la mère-patrie. Ce mécanisme pouvait ainsi préfigurer une
sorte de contrôle juridictionnel de conformité d’une législation par rapport à la norme réputée
supérieure.
La veille du dernier jour de son mandat, le Président sortant des USA John Adams
avait nommé William Marbury à un poste de juge de paix fédéral. Cette nomination était
régulière et définitive, mais n’avait pas été officiellement notifiée à l’intéressé, et le nouveau
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Président Thomas Jefferson ordonna à son Secrétaire d’Etat Madison de ne pas y donner
suite. William Marbury s’adressa à la Cour Suprême afin qu’elle enjoigne au Secrétaire d’Etat
de lui envoyer une copie de l’acte de nomination et de l’installer dans ses fonctions. D’après
une loi de 1789 sur l’organisation judiciaire, la Cour était effectivement compétente pour
délivrer une injonction à cette fin ; mais elle ne tenait guère à user de ce pouvoir car, dans les
circonstances politiques de l’époque, sa décision n’aurait vraisemblablement pas été exécutée
et son prestige aurait beaucoup souffert. Pour éviter d’avoir à se prononcer sur le fond, elle se
déclara incompétente au motif que la loi de 1789 sur l’organisation judiciaire était contraire à
la Constitution.
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se prononcer sur l’ensemble des questions soulevées par un litige, qu’elles soient civiles,
pénales, administratives ou constitutionnelles.
B- Un contrôle « concret »
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Il y a exception d’inconstitutionnalité lorsque la question de constitutionnalité est
soulevée devant le juge ordinaire à l’occasion d’un procès civil, administratif, commercial ou
autre, et tranchée par lui-même ; tandis que si le juge ordinaire est obligé de renvoyer la
question de constitutionnalité au juge constitutionnel, il s’agit d’une « question préjudicielle »
(Favoreu (L.) et al., Droit constitutionnel, op.cit., p.274). L’autre différence qui peut exister
entre les deux variantes du contrôle incident de constitutionnalité est que normalement, la
décision rendue sur la question préjudicielle de constitutionnalité a effet erga omnes c’est-à-
dire à l’égard de tous alors que celle intervenue sur exception n’a effet qu’entre les parties.
Il s’est construit au départ du modèle autrichien, non seulement parce que l’Autriche
en donne la première illustration, mais aussi, en raison de la nationalité de son « inventeur »
(Hans Kelsen) qui présenta, en 1942, l’opposition entre système américain et système
autrichien dans une revue américaine. De modèle autrichien, on est passé à modèle européen.
L’idée d’un droit supérieur se diffuse d’abord en Europe à travers les conceptions de
l’école de droit naturel de Saint-Thomas, Grotius ou Puffendorf. Mais elle se heurte, au
XVIIIe siècle, à l’absolutisme de la loi, expression de la souveraineté. Le projet de « jurie
constitutionnaire » élaboré par Sieyès, sans doute influencé par l’argumentation d’Alexander
Hamilton, échoue en 1795, mais au siècle suivant, l’idée allemande d’un « Tribunal
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d’Empire » continue d’alimenter le débat. Les conceptions libérales exprimées dans un projet
de Constitution de 1848, incluent en effet un Tribunal constitutionnel fédéral compétent
notamment pour contrôler, à la demande des Etats, les lois de l’Empire et statuer sur les
recours de particuliers invoquant une atteinte à leurs droits fondamentaux. Avec ce nouvel
échec, le principe de suprématie de la Constitution ne trouvera sa formulation définitive
qu’après la Première Guerre Mondiale dans le cadre de l’ « Ecole de Vienne », sous la
direction d’Hans Kelsen.
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chose jugée (D). Ces quatre éléments n’épuisent donc pas la matière ; ils constituent
seulement les points communs des différents systèmes rattachés au modèle européen,
permettant de mieux les distinguer du modèle américain.
Il y a contrôle abstrait des normes dans la mesure où les litiges soumis aux Cours
constitutionnelles ne présentent pas une confrontation classique entre deux parties et ne
supposent pas la résolution d’un litige particulier antérieur. Le contrôle de constitutionnalité
selon le modèle kelsénien, implique en effet une confrontation entre deux normes générales,
l’une constitutionnelle, l’autre législative, le juge statuant sur la loi en elle-même et non sur
son application dans un litige particulier. Même dans les cas de renvoi préjudiciel, par les
tribunaux ordinaires, à la Cour constitutionnelle, comme en Allemagne ou en Italie par
exemple, le contrôle mené consiste avant tout en une vérification de conformité de la loi à la
Constitution.
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C- L’existence d’un contrôle par voie d’action déclenché par les autorités politiques
ou publiques
Il convient de souligner que le contrôle abstrait peut être organisé par voie d’action,
contrôle déclenché par des instances politiques. Ce contrôle peut être exercé a priori ou a
posteriori.
Parlant du contrôle par voie d’action, celui-ci peut être exercé a priori, c’est-à-dire
avant la promulgation de la loi. Il s’agit d’un contrôle particulièrement institué en France et au
Portugal. Ce contrôle est alors exercé avant l’entrée en application de la loi, parfois même,
comme en France, avant qu’elle ne soit promulguée. Après l’adoption de la loi par le
Parlement, le contrôle ne s’exerce pas automatiquement, mais certaines autorités ont le
pouvoir, si elles estiment que la loi est contraire à la Constitution, de saisir l’organe de
contrôle. La saisine est alors réservée, en général, à des autorités politiques qui vont porter
directement la loi, notamment, devant le juge constitutionnel, afin d’en faire vérifier la
conformité à la norme supérieure (Favoreu (L.) et al., Droit constitutionnel, op.cit., p.252). Le
Cameroun a également rejoint la France et le Portugal, en consacrant dans sa Constitution les
recours directs et abstraits, exercés par des autorités politiques (article 47 de la Constitution et
article 19 de la loi du 21 avril 2004 portant organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel).
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Chapitre 3.
LES SOURCES DU CONTENTIEUX
CONSTITUTIONNEL
Examiner les sources du contentieux constitutionnel revient à présenter les normes sur
lesquelles s’appuie la justice constitutionnelle dans les différents Etats ayant opté pour l’un ou
l’autre modèle de justice constitutionnelle. Dès lors, les sources du contentieux
constitutionnel concernent d’une part celles qui sont constitutionnelles (section 1), et d’autre
part celles qui sont infra-constitutionnelles (section 2).
Les sources constitutionnelles renvoient aux Constitutions des différents Etats qui
consacrent l’existence d’un Conseil, d’un Tribunal ou d’une Cour constitutionnelle selon les
cas. Il se trouve qu’il y’ a des dispositions constitutionnelles spécifiques à l’organe chargé
d’exercer la justice constitutionnelle. Le Cameroun pourrait servir d’exemple.
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nombre égal par des personnalités désignées en raison de leur compétence et de leur
expérience pour une période d’un an par le PR ».
Les matières énumérées par les dispositions ci-dessus à l’article 33 portent sur la
constatation de la vacance de la Présidence de la République par la Cour Suprême (article 7) ;
la saisine de la CS par le PR lorsqu’il estime qu’une loi est contraire à la Constitution (article
10) ; la saisine de la CS par le PAN ou le PR en cas de doute ou de litige sur la recevabilité
d’un texte (article 27).
Dans les autres Etats francophones d’Afrique, c’est également le Constituant qui est à
la base de la mise en place de la justice constitutionnelle. C’est notamment le cas de la
Constitution béninoise du 11 décembre 1990, de la Constitution gabonaise du 26 mars 1991
modifiée à plusieurs reprises (articles 83 à 93), de la Constitution congolaise adoptée par
référendum le 25 octobre 2015 (Titre VIII, articles 175 à 188), de la Constitution
centrafricaine révisée du 30 mars 2016 (Titre VI, articles 95 à 106), de la Constitution
tchadienne (Loi n° 05-008 du 15 juillet 2005 portant révision de la Constitution du 31 mars
1996, Titre VII (articles 159 à 170) avant la réforme du 04 mai 2018 qui transforme le Conseil
constitutionnel en une chambre constitutionnelle au sein de la Cour Suprême.
Parler des sources infra-constitutionnelles revient à présenter d’une part les sources
législatives (paragraphe 1), et d’autre part celles jurisprudentielles provenant des décisions
rendues par les Cours constitutionnelles (paragraphe 2).
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Paragraphe 1 : les sources législatives
Seront évoquées ici les lois organiques portant organisation et fonctionnement des
juridictions constitutionnelles dans les différents Etats consacrant une justice
constitutionnelle.
L’on notera également la Loi n°2004/004 du 21 avril 2004 portant statut des membres
du Conseil constitutionnel adopté en application de l’article 51 (5) de la Constitution ;
Dans les autres Etats, la Cour constitutionnelle tire également l’essentiel de ses
attributions dans la loi organique. Il s’agit au Gabon de la Loi organique du 26 septembre
1991 modifiée par la Loi n°13/94 du 17 septembre 1994 sur la Cour constitutionnelle ; au
Tchad de la Loi organique n°019/PR/1998 du 02 novembre 1998 portant organisation et
fonctionnement du Conseil Constitutionnel; en République du Congo, de la Loi organique n°
13-026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour
Constitutionnelle; en RCA, de la Loi organique n°13/002 du 14 août 2013 portant
organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle de la République Centrafricaine,
etc.
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En dehors des lois organiques, les Règlements intérieurs et les Ordonnances de la
juridiction constitutionnelle constituent également des sources de la matière. De même que la
jurisprudence.
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Quoiqu’il en soit, cette jurisprudence est source du contentieux constitutionnel. Il est vrai
comme le note Michel Fromont, qu’à la différence des systèmes de common law, la
jurisprudence dans les systèmes romano-germaniques n’a pas valeur de précédent. Ce qui
implique que la juridiction constitutionnelle peut donc parfaitement changer librement sa
ligne (Fromont (M), « Les revirements de jurisprudence de la Cour constitutionnelle
fédérale d’Allemagne », Cahiers du Conseil Constitutionnel, n°20, juin 2006). Toutefois ce
changement ne peut pas intervenir de n’importe quelle façon.
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Chapitre 3.
LES CARACTERES DU CONTENTIEUX
CONSTITUTIONNEL
Dire du droit du contentieux constitutionnel qu’il est récent signifie qu’il s’est autonomisé
en tant que discipline des sciences juridiques il y’a quelque temps (Paragraphe 1) ; dire qu’il
est vivant signifie qu’il est mouvant et évolue au gré de la conjoncture politico-sociale d’un
pays.
La justice constitutionnelle est certes apparue comme à la vue aux Etats-Unis au début du
XIXème siècle, et a été transposée en Europe au début du XXème siècle, avant de se
généraliser par vague successive après la seconde guerre mondiale.
Il faut toutefois se garder de croire que le contentieux constitutionnel en tant que
discipline scientifique serait apparu du simple fait de l’institution d’une juridiction
constitutionnelle. Il y’a quelques années (1974), Michel Troper écrivait que la situation du
droit constitutionnel est la même qu’il y’ait ou qu’il n’y ait pas de juge constitutionnel.
Avant Louis Favoreu et l’Ecole de Marseille, le droit constitutionnel enseigné en France
par André Hauriou, Roger Pinto, Georges Burdeau, Maurice Duverger, Georges Vedel, ne
faisait que très peu de place au juge constitutionnel et à sa jurisprudence.
C’est donc dans les années 70/80, avec l’appariation de l’ouvrage de Louis Favoreu et Loïc
Philip (1975) intitulé Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, que le contentieux
constitutionnel commence à s’autonomiser. La parution des Manuels de Dominique Rousseau
(Préface Georges Vedel) et Guillaume Drago scellera cette évolution.
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Le contentieux constitutionnel serait dès lors apparu il y’a environ un demi siècle, ce qui
en fait une discipline récente, soumis toutefois aux évolutions.
26
Le juge constitutionnel crée des normes de procédure ou de compétence, mais également
des normes de fond.
Sur les normes de procédure ou de compétence, un exemple pourrait être emprunté au
contexte béninois, où le juge a indépendamment des textes (V° DCC Bénin 09-087 du 13
aout 2009), par laquelle la haute juridiction béninoise consacre le contrôle de la
constitutionnalité des décisions de justice.
Sur les normes de fond, l’exemple le plus illustratif est la décision de la Cour
constitutionnelle du Gabon (DCC Gabon n°219/CC du 14 novembre 2019) qui a crée la
notion d’ « indisponibilité provisoire » (v° notre Article paru à la Revue POLITEIA
(Bordeaux) n° 34, avril 2019, intitulé : « La décision de la Cour constitutionnelle gabonaise
n°219/CC du 14 novembre 2018 : splendeur ou stupeur ? ».
Cette activité interprétative est diversement appréciée par la doctrine. Il y’a en réalité trois
écoles qui s’affrontent : l’école de l’interprétation – découverte ; l’école de l’interprétation –
créations ; et l’école (moins souvent citée et qui fait la synthèse des deux premieres) de
l’interprétation –décision.
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La décision du Conseil constitutionnel dirigé par l’Eminent Professeur Paul Yao-Nde
(Président du Conseil constitutionnel Ivoirien au moment de la crise de 2010) : après avoir
déclaré M. Laurent Gbagbo Président de la République (Décision n° CI 2010 –EP 340312 du
03 décembre 2010) et reçu son serment, le Conseil se déjugea quelque temps après et déclara
M. Alassane Ouattara Président, par Décision n° Ci 2011-036 du 04 mai 2011 ;
La Décision n° 2005-007/CC/EPF du 14 octobre 2005 rejetant des requêtes visant à
contester la candidature de M. Blaise Compaore et autorisant ipso facto celui-ci à faire acte de
candidature pour un nouveau mandat. Elle provoqua le coup d’Etat civil et le depart du
Président Compaore Odu pouvoir.
La décision du Conseil constitutionnel sénégalais du 27 janvier 2012 (Affaire n°/E/2012),
validant la candidature du Président Abdoulaye Wade à un troisième mandat. Elle entraina le
mouvement coup de balai qui provoqua le départ du Président WADE.
Au regard de ces différents enjeux, il est nécessaires que les règles d’organisation et de
fonctionnement de la juridiction constitutionnelle soient clairement définies et connues de
tous.
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LEÇON 2 :
L’ORGANISATION ET FONCTIONNEMENT DE LA
JURIDICTION CONSTITUTIONNELLE
Le constituant camerounais de 1996 a doté le Cameroun d’un véritable organe
juridictionnel (Conseil constitutionnel). La Loi n° 2004/004 du 21 avril 2004 porte
organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel et de la Loi n° 2004/005 du 21 avril
2004 fixe le statut des membres dudit Conseil.
Elle nous amène à voir également le Secrétariat général qui est le cœur du travail
administratif et financier de la juridiction (Chapitre 2).
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CHAPITRE 1 : LES JUGES OU CONSEILLERS CONSTITUTIONNELS
Le juge occupe une place importante dans un Etat, notamment quand il s’agit de faire
respecter les règles. De façon triviale, la notion de « juge constitutionnel » est la réunion du
mot « juge » et de l’adjectif « constitutionnel ». Il est dit « juge constitutionnel » parce qu’il a
ce pouvoir de dire le droit qui se rapporte à la Constitution et de trancher les litiges en
fonction de ce droit constitutionnel.
La notion de « juge constitutionnel » présente alors un double sens. Il désigne dans un
premier temps la « juridiction constitutionnelle ». A ce titre, la notion de « juge
constitutionnel » est intimement liée à la notion de « justice constitutionnelle ».
Le « juge constitutionnel » apparaît dans un second temps comme cette personne ou
cet individu qui est chargée d’exercer la justice constitutionnelle. Il exerce donc une fonction
juridictionnelle.
Le « juge constitutionnel » est donc à la fois un organe collégial et un organe
individuel, à savoir la personne même du juge constitutionnel.
L’on parle de « juge constitutionnel » lorsqu’on à affaire à une Cour et « Conseiller »
lorsque la juridiction constitutionnel porte le nom de « Conseil ». Ces appellations sont sans
incidence sur leur statut ou sur la nature de l’institution.
D’une manière générale, la composition du Conseil constitutionnel au Cameroun et
même dans les autres Etats francophones d’Afrique, s’est fortement inspirée de la juridiction
constitutionnelle française. Toutefois, les constituants nationaux y ont introduit des
spécificités qui augurent une forte présence du Président de la République.
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Paragraphe 1 : La composition ou désignation des juges / conseillers constitutionnels
A l’opposé du constituant français qui est resté silencieux quant à la qualité des
membres susceptibles d’être nommés au sein du Conseil constitutionnel, l’alinéa 1 de l’article
51 de la Constitution camerounaise précise que « les membres du CC sont choisis parmi les
personnalités de réputation professionnelle établie. Ils doivent jouir d’une intégrité morale et
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d’une compétence reconnue ». Comme au Bénin, et au Mali, cette disposition ne limite pas le
Conseil aux seuls juristes.
L’on remarque cependant que le constituant tchadien a tenu à déterminer la formation
des personnes habilitées à être membres du CC. C’est ce qui ressort de l’article 161 de la
Constitution du 31 mars 1996 : « Le CC est composé de 9 membres dont 3 magistrats et 6
juristes de haut niveau désignés de la manière suivante :
- Un magistrat et deux juristes par le PR ;
- Un magistrat et deux juristes par le PAN ;
- Un magistrat et deux juristes par le PS … ».
Tout porterait donc à croire que le constituant tchadien a voulu consacrer sur le plan
du personnel la nature juridictionnelle de cette institution. Il en est de même du constituant
gabonais qui énonce à l’article 89 de la Constitution du 26 mars 1991 : « Les conseillers sont
choisis à titre principal parmi les professeurs de droit, les avocats et les magistrats ayant au
moins 40 ans d’âge et 15 ans d’expérience professionnelle ainsi que les personnalités
qualifiées ayant honoré le service de l’Etat et âgées d’au moins 40 ans... ».
Dans certains systèmes (France, Belgique), les Juges ou Conseillers constitutionnels
s’appuient sur des Assistants ou des Référendaires qui sont liés soit à la juridiction, soit à
chaque Juge ou Conseiller individuellement.
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Cela peut se vérifier par l’ensemble des décrets pris par le Président de la République
du Cameroun en date du 7 février 2018. (Décret n°2018/106 du 07 février 2018 portant
nomination du Président du Conseil Constitutionnel camerounais ; Décret n°2018/105 du 07
février 2018 portant nomination des Membres du Conseil Constitutionnel camerounais ; et
Décret n°2018/104 du 07 février 2018 portant organisation et fonctionnement du Secrétariat
Général du Conseil Constitutionnel camerounais).
De fait, l’influence du PR sur le CC est formellement présente. En effet, le PR qui est
également le président du CSM a la possibilité de désigner au nom du CSM deux autres
membres en plus des trois membres qui relèvent de son pouvoir de désignation.
Il est par ailleurs Président du Parti majoritaire à l’Assemblée Nationale, et peut grâce
à la discipline de Parti, influencer sur la désignation des 3 membres faite par l’Assemblée, et
des 3 autres qui èchent au Senat.
Par ailleurs, l’alinéa 2 de l’article 51 de la Constitution camerounaise qui fait des
anciens PR des membres de droit à vie vient accroître le poids du PR au sein du CC.
Au total, sur les 11 membres qui constitueraient alors le CC, l’ancien PR aura 11
acquis à sa cause.
Il s’agit à l’évidence d’une limite que viennent contrebalancer les dispositions relatives
à la protection de la dignité de la fonction.
Les lois organiques sur les juridictions constitutionnelles et les statuts de leurs
membres dans différents Etats, consacrent certaines dispositions à l’indépendance,
l’inamovibilité et l’impartialité (Paragraphe 1) ; aux régimes des immunités (paragraphe 2),
avantages et privilèges (paragraphe 3).
L’indépendance dépend en grande partie des textes applicables. Elle doit être assurée
aussi bien à l’égard du pouvoir politique que des groupes de pression (ESPINOSA (R),
« L’indépendance du Conseil constitutionnel français en question », Les Cahiers de
justice, 2015/4, p.547 sq.).
Ce second paramètre parfois oublié est pourtant d’une importance capitale. Comme le fait
remarquer opportunément l’ancien Vice-président du Conseil constitutionnel sénégalais, le
33
Professeur Babacar Kante, le juge constitutionnel est souvent et de manière beaucoup plus
insidieuse, la proie des groupes de pression formels et informels.
– L’indépendance à l’égard du pouvoir politique
Elle peut être recherchée à travers quatre éléments : la place de la juridiction
constitutionnelle par rapport aux pouvoirs constitutionnels classiques, la désignation des
membres de la juridiction, leur statut et le régime disciplinaire.
L’indépendance du juge constitutionnel doit être tout d’abord recherchée dans
l’articulation de la juridiction constitutionnelle par rapport aux trois pouvoirs classiques de
l’Etat. Elle doit être située en dehors de ces pouvoirs, de façon à assurer son indépendance.
Elle ne doit pas être un godillot du Président de la République, une antichambre du Parlement
ou un organe du pouvoir judiciaire
La désignation des membres de la juridiction constitutionnelle doit être conciliable avec
l’exigence d’indépendance. Les atteintes à l’indépendance du juge constitutionnel peuvent
découler d’un mandat court, dont le renouvellement serait soumis à une condition purement
potestative dans le chef de l’autorité de nomination. Il est souhaitable que le juge soit nommé
pour un mandat long, non renouvelable et en principe non révocable. Il ne doit plus rien
attendre de l’autorité de nomination.
Au Cameroun par exemple, l’on est passé d’un mandat de 9 ans non renouvelable à un
mandat de 6 ans « éventuellement » renouvelable (v° article 51 alinéa 1 (nouveau) de
la Constitution, introduit par la loi constitutionnelle n°2008-1 du 14 avril 2008
modifiant et complétant certaines dispositions de la loi n°96-6 du 18 janvier 1996
portant révision de la Constitution du 02 juin 1972).
En Afrique du Sud, l’article 167 alinéa 1er de la Constitution dispose que les juges
constitutionnels sont nommés pour un mandat de 12 ans non renouvelables, et doivent
nécessairement se retirer lorsqu’ils sont frappés par la limité d’âge qui est de 70 ans.
Le statut des membres de la juridiction constitutionnelle doit également les mettre à l’abri
de toute atteinte à l’indépendance. Il s’agit de leurs traitements et avantages ; de
l’irresponsabilité pour les votes et opinions émises lors des délibérations et de l’immunité de
procédure pour toute autre infraction de droit commun sans lien avec sa fonction (v° supra).
Les atteintes à l’indépendance peuvent découler également de l’instrumentalisation des
dispositions disciplinaires en rapport avec la révocation du juge constitutionnel. C’est ce qui a
été récemment observé en Guinée Conakry avec le Président de la Cour constitutionnelle
Kelefa SALL qui a payé les frais sans doute, de l’impertinence de son discours prononcé en
décembre 2005 à l’occasion de l’investiture du Président Alpha CONDE, par lequel il mettait
34
celui-ci en garde contre la tentation de toucher à la Constitution au terme de son second et
dernier mandat prévu pour 2020.
Le régime disciplinaire doit être de nature à assurer l’indépendance du juge
constitutionnel ; la procédure doit à cet effet être lourde (toutefois le régime des
incompatibilités doit être renforcé, et celles-ci vérifiées rigoureusement au moment de la prise
de fonction).
–L’indépendance à l’égard des groupes de pressions
Désormais, l’office du juge constitutionnel l’invite à se décider sur des questions de
société aussi problématiques les unes que les autres (fin de vie, avortement, mariage
homosexuel, PMA, GPA, polygamie, voile islamique, etc.). Pour décider en toute conscience
sur ces questions, l’indépendance du juge constitutionnel doit également être assurée à
l’égard des groupes de pression. Le procès Luxleaks au Luxembourg a par exemple drainé de
nombreuses associations au cœur de la cité judiciaire.
Des dispositions doivent être prévues qui le protègent de l’influence potentielle de ces
groupes de pression. Il s’agit du régime des incompatibilités, de l’obligation de neutralité et
d’impartialité, comprise dans le sens qu’il ne devrait pas décider en fonction de ses
convictions particulières, mais en fonction du droit ; de l’obligation de réserve et de discrétion
professionnelle qui voudraient qu’il s’abstienne de donner des consultations ou de divulguer
des informations compromettantes sur des questions dont il est, ou pourrait être saisies ; et la
possibilité de récusation (impossible au départ en France, elle a récemment emboité le pas à
l’Allemagne, la Belgique , l’Espagne , le Portugal en admettant la possibilité de récusation du
juge constitutionnel).
Une garantie parfois oubliée qui contribue pourtant à l’indépendance du juge
constitutionnelle est l’inamovibilité.
L’inamovibilité est cette garantie qui protège le juge contre des changements brusques et
intempestifs. Elle signifie que pendant son mandat, le juge ne peut être nommé à un autre
poste. Elle lui assure d’aller jusqu’au terme de son mandat.
Certains Etats ont aménagé un mandat illimité au profit du juge constitutionnel. Aux Etats-
Unis, les nine old men sont nommés à vie. De même que les anciens Présidents membres du
Conseil constitutionnel en France.
La Cour constitutionnelle du Bénin a fait des précisions remarquables sur la signification
de l’inamovibilité du juge, extensibles à notre avis au juge constitutionnel. Il est affirmé de
façon laconique par le texte constitutionnel en son article 126 alinéa 2 que les Magistrats du
siège sont inamovibles. Cette disposition ne précise concrètement pas ce qu’il faut entendre
35
par inamovibilité. Il est revenu à la Cour de combler cet interstice. Dans une décision (DCC
01-33 du 13 juin 2001, DAKO Fortuné et KAPKO Damien), après avoir relevé qu’il n’existe dans
le droit positif béninois aucun texte d’application du principe d’inamovibilité, elle souligna
qu’en vertu de ce principe constitutionnel, le Magistrat irrégulièrement affecté est censé
n’avoir jamais quitté son poste.
Elle précise que le respect du principe de l’inamovibilité exige une procédure minimale
qui consiste à ce que le juge soit individuellement consulté, non seulement sur les nouvelles
fonctions qui lui sont proposées, mais encore sur le lieu précis où il est appelé à exercer. La
circonstance que les nouvelles fonctions constituent une promotion ne saurait dispenser
l’autorité chargée de nomination de ces exigences (DCC 06-070 du 21 juin 2006, HODONOU
Armand).
La Cour constitutionnelle du Bénin précisera plus tard que l’inamovibilité est non pas un
privilège pour le Magistrat mais une garantie d’indépendance de la justice (DCC 14-121 du 03
juillet 2014, Edouard Ignace GANGNY).
A la différence de l’indépendance et de l’inamovibilité dont le respect incombe au premier
chef aux pouvoirs publics et aux groupes de pression, l’impartialité est une question de
conscience individuelle.
L’impartialité doit être à la fois objective (liée à l’organe, à la fonction) et subjective (liée
au juge en tant qu’homme) selon la bipartition opérée par la Cour EDH depuis l’arrêt
Piersack c/ Belgique en 1982. Ce qui signifie que le juge constitutionnel doit être en son âme
et conscience impartial ; qu’il ne doit rien faire qui pourrait créer dans l’opinion une certaine
suspicion et qu’il ne doit pas statuer sur la base d’a priori.
L’impartialité objective signifie que le juge constitutionnel ne doit pas avoir de parti pris.
Ce qui à l’évidence n’est pas une mince affaire. Nommé par les organes politiques, il traine
souvent un passé politique qui révèle des liens incestueux soit avec le Parti au pouvoir, soit
avec le Président de la République ou autre autorité publique. Il vit trop souvent –et
malheureusement, avec la conscience lestée du lourd fardeau de la reconnaissance, et l’âme
chevillée à l’espérance angoissée d’un éventuel renouvellement de son mandat.
L’autorité de nomination doit veiller à nommer des juges impartiaux ou susceptibles de le
devenir. La nomination à la tête ou parmi les juges constitutionnels, d’un home-lige, d’un
major d’homme ou d’un affidé poserait de problèmes particulièrement lorsqu’il faut statuer en
matière électorale. Il est possible que le résultat des élections soit le reflet de cette
considération.
36
Quoique nommé par une autorité politique à des fins précises, il appartient au juge
constitutionnel de conquérir sa liberté. Il doit veiller à se situer à équidistance des parties (si
le procès constitutionnel met aux prises des parties), des idéologies et des couleurs politiques.
Il doit dès lors avoir le sens de la synthèse, de la mesure et du compromis, et être capable de
dire, –mais alors en toute sincérité, au Président de la République (à l’autorité de nomination
en tout cas), comme le fit Robert Badinter à François Mitterand le 04 mars 1986 dans son
Adresse, lors de son investiture à la tête du Conseil constitutionnel français : « M. François
Mitterrand, mon ami, merci de me nommer président du Conseil constitutionnel, mais, sachez
que dès cet instant, envers vous, j’ai un devoir d’ingratitude ».
L’impartialité doit être également subjective. L’impartialité subjective signifie l’absence
des préjugés, d’a priori ; le juge ne doit pas être prisonnier de ce qu’il pensait en son for
intérieur. Il s’agit d’une présomption réfragable laissée à la preuve du justiciable. Il ne doit
rien faire ou dire qui remette en cause sa présomption d’impartialité. C’est le sens du devoir
de réserve qui lui est imposé, qui signifie (comme il a été souligné ci-avant) qu’il ne peut
prendre position publiquement sur des questions dont il est ou pourrait être saisies. Il n’est pas
un acteur politique de terrain, mais un arbitre qui regarde les luttes politiques des gradins,
armés de puissantes lorgnettes.
Cette exigence poserait problème dans un système tel celui des Etats-Unis, où la couleur
politique du juge (démocrate ou républicain, conservateur ou progressiste) est précisément un
élément déterminant de sa nomination. Peut-on attendre de lui qu’il soit subjectivement
impartial ? Si le système ne lui interdit pas d’avoir ou de manifester une certaine sensibilité ou
affinité politique, elles doivent en tout état de cause être compatibles avec la Constitution.
Les immunités sont destinées à protéger le Juge ou Conseiller dans l’exercice de ses
fonctions. Joël Mekhantar affirme à juste titre que par l’irresponsabilité, la protection assure
l’indépendance et par l’inviolabilité de la fonction, c’est l’exercice du mandat qui est protégé.
37
Toutefois, la remise en cause ne peut résulter que du flagrant délit et la condamnation
définitive. Il peut également être remis en cause dans d’autres circonstances en application
des obligations statutaires, à condition évidemment que le Conseil statue à la demande du
Ministère de la Justice (alinéas 2, 3 et 4 de l’article 10 de la loi n° 005 du 21 avril 2004
précitée).En dehors de l’immunité de procédure, subsiste l’immunité de fond c’est-à-dire
l’irresponsabilité.
38
juridictions suprêmes, soit à ceux des membres du Gouvernement, soit des membres de l’AN,
soit aux fonctionnaires de catégorie supérieure de l’Etat (Cf. article 1 de la loi belge du 6
janvier 1989 ; article 10 de la loi béninoise du 4 mars 1991 ; article 6 de l’ordonnance
française du 7 novembre 1958 modifiée en 1959).
Certains systèmes prévoient que le régime indemnitaire est fixé par un acte
administratif : c’est le cas du Gabon avec le décret du 17 juillet 1992. D’autres pays comme le
Maroc et la Mauritanie ont choisi de déterminer le régime par équivalence (Cf. article 13 de la
loi marocaine du 25 février 1994 et articles 2 et suivants du décret du 22 août 1992 en
Mauritanie).
Le choix du Cameroun était initialement identique à l’option belge et nigérienne (issue
de la loi du 14 août 2000), à savoir, le rapprochement avec les juridictions suprêmes. Mais le
législateur a finalement opté pour la détermination par voie réglementaire. Ce qui pourrait
sembler avantageux au plan économique et financier, mais dangereux au plan politique (Cette
concession à l’Exécutif du pouvoir de déterminer les autres éléments de statut est un grave
coup porté à l’indépendance et à la dignité de CC, qui pourrait être fragilisé par les
empiètements extérieurs).
L’organisation de la juridiction constitutionnelle comporte outre les acteurs principaux
qui sont le président et les membres, d’autres personnels gérés par le Secrétariat Général du
Conseil.
39
CHAPITRE 2 : LE SECRETARIAT GENERAL
40
En cas d’empêchement temporaire du Président, le doyen d’âge est chargé de
convoquer le Conseil. Ce dernier ne peut s’autosaisir. Il statue exclusivement en cas de saisine
ou de requête dans l’exercice de ses fonctions consultative et contentieuse du Conseil.
Le quorum permettant au Conseil de statuer valablement est de 9 membres au
Cameroun. Toutefois lorsque ce quorum n’est pas atteint en cas d’empechement ou de force
majeure, procès verbal de constatation en est dressé par le président de séance et le secrétaire
général.
Les décisions du CC sont prises à la majorité simple des conseillers présents.
L’abstention n’est pas admise lors d’un vote dans la mesure où tout conseiller est tenu
d’exprimer son opinion. En cas de partage de voix à l’issue du vote, la voix du Président est
prépondérante.
Les décisions et les avis du Conseil doivent comporter les noms des membres ayant
siégé. Ils sont signés par le Président et le SG. S’agissant des décisions, elles sont lues en
séance publique, notifiées aux parties concernées et publiées au Journal Officiel. Nous
aborderons l’autorité et les effets des décisions de la juridiction constitutionnelle plus en
avant.
41
LEÇON 4 : LES COMPETENCES DU
CONSEIL CONSTITUTIONNEL
Le Conseil constitutionnel a été institué en France dans un but précis : surveiller le
Parlement. Ses compétences vont s’accroitre au fil du temps, au point où on pourrait
aujourd’hui le comparer au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit.
L’article 47 alinéa 1 de la Constitution (article 3 alinéa 1 de la loi organique n°2004/001),
précise que le Conseil constitutionnel statue souverainement sur :
- La constitutionnalité des lois, des traités et accords internationaux ;
- Les règlements intérieurs de l’Assemblée nationale et du Senat, avant leur mise en
application ;
- Les conflits d’attributions : entre les institutions de l’Etat, entre l’Etat et les régions ;
entre les régions.
Cette disposition ne reprend pas toutes les attributions du Conseil. Il faut tenir compte
d’autres dispositions. Les compétences du Conseil constitutionnel camerounais peuvent être
réunies en quatre palettes. Chaque palette correspond à un cercle précis de requérants.
L’action devant le Conseil est loin d’être une actio popularis. Nous reviendrons sur ces
exigences de saisine dans la Leçon suivante :
42
CHAPITRE 1. LE CONTROLE DE LA CONSTITUTIONNALITE DES
LOIS ET AUTRES NORMES
A la différence d’autres systèmes, ce ne sont pas tous les actes des pouvoirs
constitutionnels qui sont soumis à contrôle. Il importe de voir quels sont dans le contexte
camerounais les actes contrôlés (Section 1) et les actes non contrôlés (Section 2).
Les actes contrôlés sont essentiellement : les lois (Paragraphe 1) ; les traites et accords
internationaux (Paragraphe 2), les Règlements intérieurs des Assemblées (Paragraphe 3).
43
Paragraphe 3. Les règlements intérieurs de l’Assemblée nationale et du Senat,
avant leur mise en application
Ces règlements intérieurs des Assemblées étant par principe des lois.
Le Constituant institue un contrôle obligatoire pour éviter que le Parlement ne s’approprie
des pouvoirs n’ont prévus par la Constitution et ne crée une situation de crise institutionnelle.
Le juge constitutionnel transitoire (Cour suprême) a rendu en 2002 un arrêt déclarant
certaines dispositions du Règlement intérieur de l’Assemblée Nationale relatives au mandat
impératif contraire à l’article 15 alinéa 3 de la Constitution.
44
CHAPITRE II. LE CONTENTIEUX DES ELECTIONS NATIONALES
Aux termes de l’article 3 alinéa 2 de la loi organique 2004/004, le Conseil constitutionnel
veille à la régularité des l’élection présidentielle, des élections parlementaires, des
consultations référendaires et en proclame les résultats.
Quoique la loi parle de « régularité », il faut dire que le Conseil exerce un contrôle de
régularité, mais également un contrôle de « sincérité » que l’on peut improprement appeler
contrôle d’opportunité. Ainsi ce ne sont pas toutes les irrégularités qui peuvent donner lieu à
l’annulation d’une élection, mais seulement les irrégularités qui ont eu une « influence
déterminante » sur le résultat du scrutin (v° Jean-Claude Tcheuwa, « Les principes
directeurs du contentieux électorale camerounais : à propos de « l’influence significative
sur le résultat du scrutin »…, RFDC, 2011/2 n°86, pp.1-29).
En matière d’élections nationales (présidentielle, sénatoriales et législatives), il faut
distinguer deux niveaux de contentieux : le contentieux préélectoral (Section 1) et le
contentieux électoral (Section 2).
Il faut rappeler qu’il est aux termes de l’article 47 de la loi 2004/004 juge de l’éligibilité des
candidats à un mandat à l’Assemblée Nationale et au Sénat.
Il souligne toutefois dans sa toute première Décision n°001, concernant l’affaire Saki
LAMINE que cette fonction ne l’autorise pas à connaitre des questions d’investitures qui sont
internes à un Parti politique et relève dès lors de la gestion de celui-ci (Décision
n°001/CE/CC/2018 du 15 mars 2018, Dame Saki LAMINE (RDPC) c/ Rassemblement
Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC) et Elections Cameroon (ELECAM)).
- Le contentieux référendaire
Aux termes de l’article 209 du Code électoral, le Conseil constitutionnel veille à la
régularité des consultations référendaires.
46
Le Code a consacré expressément la notion d’influence déterminante, autrement dit le
Conseil doit s’il constate des irrégularités opérer un contrôle de proportionnalité.
L’article 211 du Code électoral dispose que : « Dans le cas où le Conseil constitutionnel
constate l’existence des irrégularités dans le déroulement des opérations référendaires, il
peut eu égard à leur incidence sur les résultats, soit maintenir lesdites opérations, soit
prononcer leur annulation totale ou partielle ».
Le Conseil proclame le résultat du referendum dans un délai de (15) jours à compter de la
clôture du scrutin. La loi adopte par referendum doit être promulgué par le président de la
République dans les 15 jours de la transmission des PV de proclamation des résultats. Elle est
précédée de la mention : « Le peuple camerounais a adopté par referendum du…, le
présidente de la République publie la loi dont la teneur suit ».
Cette loi adoptée par referendum ne peut être l’objet d’un contrôle de constitutionnalité.
Elle constitue suivant la formule du Conseil constitutionnel français dans sa décision de 1962,
l’expression même de la souveraineté directe du peuple.
Une telle compétence n’a pas été expressément attribuée au Conseil constitutionnel
camerounais. Il ne peut y parvenir qu’indirectement à travers le contrôle de constitutionnalité,
or toute violation d’un droit n’a pas sa source dans une loi ou une convention internationale.
Il n’existe par ailleurs pas dans le procès constitutionnel au Cameroun, une action
individuelle en défense d’un droit ou d’une liberté constitutionnels, sous forme d’action
directe comme en Allemagne, au Bénin ; de question prioritaire de constitutionnalité (QPC)
comme en France, ou même d’exception d’inconstitutionnalité (Etats-Unis, Belgique). Le
contrôle diffus ou décentralisé de constitutionnalité, tel le contrôle effectué par les juridictions
ordinaires sud-africaines, est jusqu’à preuve de contraire inexistant. Certains auteurs parmi
lesquels l’auteur de ces lignes, ont semblé à travers quelques espèces, percevoir des
perspectives de consécration d’une telle possibilité.
Cette carence est un réel problème, à partir du moment où la Constitution du Cameroun
prévoit une batterie de droits et de libertés au profit du citoyen, l’on peut se poser la question
de savoir qu’est ce qu’un droit dépourvu d’action ? L’action des autorités publiques, de 60
députés ou sénateurs ne suffirait pas –, sauf à faire volontairement preuve de naïveté, à
combler cette lacune. Il faut sur ce point, partager le pessimisme de feu le Doyen Stanislas
MELONE, « (…) Ce n’est pas l’arrestation illégale ou sans titre d’un obscur citoyen, et cela
47
est malheureusement très fréquent, qui va émouvoir [le président de la République], le
Président de l’Assemblée nationale ou du Senat, qui va intéresser un tiers de députés ou de
sénateurs au-delà de leur perception partisane du débat politique. »
Il y’a dès lors une impérieuse nécessité d’élargir la saisine de la juridiction
constitutionnelle camerounaise en l’étendant au particulier au moins en ce qui concerne
l’action direct en défense de ses droits fondamentaux ou l’exception d’inconstitutionnalité
devant les juges ordinaires qu’ils soient supérieurs ou de second ordre.
Certains Etats consacrent d’ailleurs l’autosaisine ou saisine d’office en matière de
preservation des droits et libertés fondamentaux. Il s’agit d’une possibilité pour le juge
constitutionnel de statuer ultra petita, en examinant des questions ou soulevant des moyens
qui ne l’auraient pas été dans la requête.
Elle permet de surmonter l’irrecevabilité formelle des demandes et de développer le
contentieux constitutionnel. Le Benin a consacré une telle possibilité pour préserver les droits
fondamentaux.
En RDC l’article 49 de la loi organique n°13.026 du 15 octobre 2013 portant organisation et
fonctionnement de la Cour constitutionnelle (RDC) permet au Procureur General de saisir d’office
la Cour pour inconstitutionnalité d’un ensemble d’actes à l’exception des traités et accords
internationaux lorsqu’ils portent atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine ou
aux libertés publiques.
Les conflits d’attributions peuvent être verticaux ou horizontaux. Ils recouvrent trois
hypothèses :
- Conflits d’attribution entre les institutions de l’Etat
-Conflits d’attribution entre les Régions (article 30 de la loi de la loi organique 2004/004).
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L’on pourrait également penser que les hypothèses des conflits d’attribution ne soient pas
exclusivement normatives (la saisine du Conseil constitutionnel par les Exécutifs régionaux
peut concerner la constitutionnalité d’une loi -article 19 de la loi n°2004/001 ou d’un
engagement international -article 20 de la même loi), mais survenir également dans des cas
sans rapport avec le contrôle de constitutionalité.
Le conflit d’attribution peut également être matériel ou territorial. Le Conseil doit se
fonder sur la Constitution et la récente loi portant code général de la décentralisation pour
résoudre de tels conflits.
Les autorités pouvant saisir le Conseil constitutionnel d’un conflit d’attribution sont, si on
excepte les Exécutifs régionaux, celles autorisées à agir dans le cadre du contrôle de
constitutionnalité (nous y reviendrons).
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la requête en déchéance di Président Hery Rajaonarimampianina) ou en ordonnant la
substitution d’une autorité par une autre.
La Cour constitutionnel du Gabon s’est fondée sur une telle compétence (article 83 de la
Constitution : « Elle est l’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité
des pouvoirs publics », repris par l’article 01er de la loi organique n°9/91 telle que modifiée
entre autres le 02 juin 2003) pour se saisir d’office et réécrire la Constitution dans un contexte
où il prenait une incertitude sur l’état de santé du président de la République (DCC Gabon
n°219/CC du 14 novembre 2019, op.cit).
Le Conseil constitutionnel rend des Avis, c’est ce que l’on appelle encore la compétence
consultative ou de conseil. Il ressort des textes deux types de consultations : la consultation
politique (paragraphe 1) et la consultation technique (paragraphe 2).
- Interprétation de la Constitution ;
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