Vous êtes sur la page 1sur 147

BULLETIN D’INFORMATION

DU CEDHOP

Numéro 7,
Janvier - Mars 2022
Bulletin d’Information du CEDHOP, n°7, Janvier - Mars 2022
SOMMAIRE
I. ARTICLES
Le Niger devant la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (Page 5)
MOUSSA Mikahilou et HAROUNA NOMA Abdourahamane

Les nouveaux rapports entre les droits humains et le numérique en Afrique (Page
27)
ABDOU SEYDOU Moctar
II. CHRONIQUES

La dignité humaine dans le système régional africain des droits de l’homme (Page
50)
IDRISSA Mamoudou

« Propos hétérodoxes sur une catégorie politique : Les non-affilés » ! (Page 56)
ISSOUFA Abdoul-Malik

La CEDEAO face à la criminalité transnationale organisée : enjeux et défis (Page


62)
OUSMANE MAHAMANE Boubacar

III. LEGISLATION
 Loi n° 2018 - 37 du 1er juin 2018, fixant l’organisation et la compétence des
juridictions en République du Niger (Page 66)
 Loi n° 2020 - 061 du 25 novembre 2020 modifiant et complétant la loi n° 2018 –
37 du 1er Juin 2018, fixant l’organisation et la compétence des juridictions en
République du Niger (Page 87)

IV. JURISPRUDENCE

CADHP, requête n° 056/2016, Aff. GOZBERT HENERICO c/ RÉPUBLIQUE -


UNIE DE TANZANIE, arrêt du 10 Janvier 2022 (Page 89)

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


1
EQUIPE DE COORDINATION

COMITE DE SUIVI COMITE DE COORDINATION


TALFI IDRISSA Bachir MOUSSA ALHASSANE Mikahilou
Agrégé des facultés de droit Doctorant en Droit Public à l’UAC
Professeur de Droit Privé Elève avocat
Université Abdou Moumouni Directeur de Publication

ABDOU ASSANE Zeinabou HAROUNA NOMA Abdourahamane


Agrégée des facultés de droit Master en Droit International et Droits de
Professeure de Droit Privé l’Homme à l’ISDIH
Université Abdou Moumouni Président du Comité de Coordination

HAMADOU Abdoulaye BOUBACAR ADAMOU Souleymane


Maître Assistant en Droit Public Doctorant en Droit Public à l’UAC
Université de Tahoua Conseiller des Affaires Etrangères au Ministère
des Affaires Etrangères et de la Coopération

MAHAMANE IBRAHIM Nana Fatchima


ADAMOU Issoufou
Doctorante en Droit Privé à l’UP
Maître Assistant en Droit Public
Juge au Tribunal de Grande Instance de Dosso
Université Cheick Anta Diop
ZAKARI DJADO Bachir
Juge au Tribunal de Grande Instance Hors
Classe de Niamey

ALOU Abdou Razak


Master en Droit Pénal et Sciences Criminelles

BOUBACAR MOUNKAILA Aichatou


Licence en Carrières Judiciaires à l’UAM

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


2
Centre d’Education aux
Droits de l’Homme et des Peuples
Former pour l’avenir
Arrêté n° 00120/MISPD/ACR/DGAPJ/DLP du 30 Janvier 2020
E-mail : centre.cedhop@gmail.com
Niamey - Niger

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


3
ARTICLES

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


4
LE NIGER DEVANT LA COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET
DES PEUPLES

Par

MOUSSA Mikahilou,
Doctorant en Droit Public à UAC
HAROUNA NOMA Abdourahamane,
Master Droit International et Droits de l’Homme

INTRODUCTION Cette approche conventionnelle a connu


un fort ancrage3 en dépit de l’émergence
On lie les bœufs par les cornes, et les hommes par
de nouveaux modes de formation à
la parole1. Cette pensée de Loysel traduit un
l’épreuve de l’évolution du droit
mode, parmi tant d’autres, d’engagement
international contemporain4. Cet
créateur d’obligations multiples à l’égard
engagement conventionnel n’a d’égal que
de son auteur.
les limites que les Etats s’imposent eux-
Le droit international est totalement en mêmes5 sous réserve du respect du droit
phase avec ce procédé duquel pourrait des autres Etats et des obligations
naître des engagements internationaux. internationales visant à limiter la toute-
C’est tout le sens de la formation puissance étatique à travers les normes
conventionnelle du droit international à impératives du droit international6.
travers la conclusion des traités2.

3 DAILLER Patrick, FORTEAU Mathias et


PELLET Alain, Droit International Public, Paris,
L.G.D.J, 8e éd, 2009, p. 139 et suivants
4 DAILLER Patrick, FORTEAU Mathias et

1 LOYSEL Antoine, Institutes Coutumières, PELLET Alain, Droit International Public, op.cit, p.
Paris, 1846 351 et suivants
2 La conclusion d’un traité est un attribut de la 5 V. Art. 19 Convention de Vienne sur le droit des

souveraineté d’un Etat qui passe par plusieurs traités du 23 Mars 1969
étapes qui sont entre autres l’adoption du texte et 6 V. Art. 53 Convention de Vienne sur le droit des

son authentification, l’expression du traités ; CIJ, 5 février 1970, arrêt, Barcelona Traction,
consentement de l’Etat à être lié par le traité, la Rec. 1970, 32 ; Namibie, avis, CIJ Rec. 1971, 31-32 ;
notification internationale de cette décision et son Sahara Occidental, avis, CIJ Rec. 1975, 31-33 ; CIJ,
entrée en vigueur. 30 juin 1995, arrêt, Timor oriental, Rec. 1995, 102

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


5
Ainsi placé dans son contexte, 2021. Il devient ainsi le huitième (8e) Etat
l’engagement conventionnel est d’une africain à admettre la compétence de la
importance toute particulière en matière cour à recevoir des requêtes individuelles
de contentieux international où la et celles émanant des ONG dotées du
compétence des juridictions reste statut d’observateur auprès de la
facultative et que seule la volonté des Commission africaine des droits de
Etats pourrait la fonder. l’homme et des peuples8.

Devant la Cour africaine des droits de La déclaration facultative d’acceptation de


l’homme et des peuples, l’option de la compétence de la Cour est une
compétence facultative est retenue. En ce formalité supplémentaire intervenant à la
sens, la cour exerce ses compétences suite de la ratification du protocole créant
contentieuse et consultative que sous la Cour. Par cette déclaration facultative,
réserve de la satisfaction des conditions l’Etat du Niger devient justiciable en
définies par l’article 34 alinéa 6 du même temps qu’il ouvre le droit de saisine
protocole de Ouagadougou ayant précédé de ladite Cour aux individus et aux
son institution en 20067. organisations non gouvernementales
jouissant du statut d’observateur auprès de
Après plusieurs années d’attentisme, l’Etat
la Commission africaine des droits de
du Niger a enfin consenti à la compétence
l’homme et des peuples.
de la Cour africaine des droits de l’homme
et des peuples en accomplissant la
déclaration facultative d’acceptation de la
compétence de la Cour courant octobre

8 Conformément à la résolution Rés.361 (LIX)


7 Art. 34 alinéa 6 du Protocole de Ouagadougou 2016 adoptée le 4 novembre 2016, les critères
stipule que : « A tout moment à partir de la ratification d’octroi du statut d’observateur aux ONG sont
du présent Protocole, l'Etat doit faire une déclaration déterminés comme suit : « Les objectifs de l’ONG
acceptant la compétence de la Cour pour recevoir les doivent être en harmonie avec les principes de l’Acte
requêtes énoncées à l'article 5(3) du présent Protocole. La constitutif de l’Union Africaine et de la Charte Africaine,
Cour ne reçoit aucune requête en application de l'article l’ONG doit intervenir dans le domaine des droits de
5(3) intéressant un Etat partie qui n'a pas fait une telle l’homme, une demande devra être adressée au Secrétariat à
déclaration. Les déclarations faites en application de laquelle il sera joint : la preuve de l’existence juridique, la
l'alinéa (6) ci-dessus sont déposées auprès du Secrétaire liste des membres, les organes dirigeants, et les sources de
Général de l'OUA qui transmet une copie aux Etats financement, la déclaration des ressources, l’état financier le
parties » plus récent, une présentation des

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


6
Un vent nouveau souffle pour les portant création de la Cour Africaine des
justiciables nigériens qui disposent droits de l’homme et des peuples (Cour
désormais d’un recours régional de ADHP).
protection afin d’élever des contestations
La saisine de cette Cour par les citoyens et
en cas de violation des droits humains.
les ONG est conditionnée par
Au-delà donc des juridictions nationales et l’acceptation de la compétence de la Cour.
de la Cour de justice de la CEDEAO, la Pour rendre effective la ratification du
Cour africaine des droits de l’homme et Protocole de Ouagadougou, le Niger a
des peuples est la nouvelle opportunité admis expressément la compétence
juridictionnelle qui renforce les garanties facultative de la Cour ADHP (A) qui
juridictionnelles déjà existantes. permet en outre l’ouverture du prétoire de
la Cour aux acteurs Nigériens (B)
Dans la mesure où tout engagement est
porteur d’un certain nombre d’obligations, A. L’admission expresse de la
il est logique de s’interroger sur la portée compétence facultative de la Cour
tant juridique que politique de
L’expression du consentement du Niger à
l’engagement international souscrit par
la compétence de la Cour ADHP pour
l’Etat du Niger.
connaître des requêtes individuelles et des
Ce questionnement oriente sans doute les ONG, a pris naissance avec le dépôt de la
prochaines réflexions autour de la portée déclaration prévue par l’article 34.6. Cette
du nouvel engagement souscrit (I) et les admission de la compétence de la Cour
attentes légitimes découlant de cet aura pour conséquence la justiciabilité de
engagement (II). l’Etat Nigérien devant la Cour (1) ainsi
que l’obligation de coopération de bonne
I. LA PORTEE DU NOUVEL
foi de cet Etat dans ses relations avec la
ENGAGEMENT SOUSCRIT
Cour (2).
L’idée de la juridictionnalisation du
1. La justiciabililté de l’Etat Nigérien
système africain de garantie des droits
devant la Cour
n’alla en effet guère de soi. Cela s’est
traduit par des négociations ayant abouti à Dix-sept ans après l’adoption de la Charte
l’adoption du Protocole de Ouagadougou Africaine des droits de l’homme et des

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


7
peuples, le Protocole portant création de conquérir et à sauvegarder toute une vie
la Cour africaine des droits de l’homme et »11.
des peuples9 voit le jour10.
En effet, la saisine de la Cour de manière
Adopté à Ouagadougou lors de la 34e directe par les individus n’est pas
session ordinaire de la Conférence des automatique comme pour les juridictions
chefs d’État et de gouvernement de internes. Aux termes des dispositions de
l’Organisation de l’unité africaine, le 10 l’article 34.6 du Protocole de
juin 1998, ce protocole est entré en Ouagadougou, « à tout moment, à partir
vigueur le 25 janvier 2004. La Cour de la ratification du présent Protocole,
africaine des droits de l’homme et des l’Etat doit faire une déclaration acceptant
peuples devient ainsi la plus jeune la compétence de la Cour pour recevoir
juridiction continentale de protection des les requêtes énoncées à l’article du présent
droits de l’homme. protocole. La Cour ne reçoit aucune
requête en application de l’article 5(3)
La création de cette Cour a été une
intéressant un Etat partie qui n’a pas fait
victoire à la Pyrrhus, l’aboutissement d’un
une telle déclaration ».
long processus. Selon l’expression de
Modibo Toundy Guindo, cela a été « un si A la lecture de cette disposition, il apparait
long chemin, construit grâce à la vision, à qu’aucun Etat ne peut être justiciable
la conviction, à la détermination et au devant la Cour africaine des droits de
combat inlassable de femmes et l’homme et des peuples en ce qui
d’hommes pétris d’un idéal tout à fait concerne les requêtes des individus si cet
simple, la liberté dans la dignité, mais ô Etat n’accepte lui-même de donner
combien ardu à réaliser, à vivre, à compétence à la Cour.

9 Protocole relatif à la Charte africaine des droits


de l’homme et des peuples, portant création d’une
Cour africaine des droits de l’homme et des
peuples, 9 juin 1998.
10 FATSAH Ouguergouz, « La Cour africaine des 11 MODIBO Toundy Guindo, « Avant-propos »,
droits de l’homme et des peuples – Gros plan sur dans Fédération internationale des ligues des
le premier organe judiciaire africain à vocation droits de l’Homme, Guide pratique de La Cour
continentale », Annuaire français de droit international, africaine des droits de l’Homme et des peuples, 2010,
2006, p.213. p.13.

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


8
Donc la compétence de la Cour à notamment l’exécution des décisions
relativement aux plaintes des individus est rendues contre lui.
limitée par l’expression de la volonté de
2. La coopération de bonne foi avec
l’Etat à être partie au procès devant la
la Cour
Cour africaine des droits de l’homme et
des peuples. Du moment où un Etat s’engage à être
justiciable devant une juridiction
C’est dans ce cadre que le Niger, dans le
internationale sur la base du droit et à
souci d’élargir le prétoire de protection
l’intervention d’un juge, il se condamne à
des droits humains aux individus, après la
la plus entière loyauté. Dès cet instant, il
ratification du Protocole de
doit savoir que sa déclaration, son attitude
Ouagadougou, à procéder le 29 octobre
et son comportement pourront être
2021 à la déclaration facultative de
retenus contre lui. La justice, à la
compétence de la Cour africaine des droits
différence de la politique, ne
de l’homme et des peuples et ce
s’accommode pas de faux-fuyants, de
conformément aux dispositions de l’article
déclarations équivoques, de réserves
34 alinéa 6 du Protocole relatif à la Charte
mentales car la justice vit de sécurité12.
Africaine des droits de l’homme et des
peuples portant création de la Cour Dans les procédures contemporaines on

africaine des droits de l’homme et des ne manque pas de faire appel aux règles de
peuples. Ce qui constitue une avancée la bonne foi et même d’y rattacher des
considérable dans la protection des droits conséquences juridiques concrètes. Dans

de l’homme au Niger car désormais l’Etat la conduite des procédures devant la Cour

sera justiciable devant la Cour africaine. ADHP les parties sont tenues par la
bonne foi à coopérer non seulement à
En outre, la République du Niger a fait la
l’administration de la preuve mais aussi,
déclaration d’acceptation de la
aux Etats d’exécuter promptement les
compétence de la Cour pour que cette
décisions de cette juridiction. Cette
dernière puisse recevoir les requêtes par
coopération se traduit en outre par
les victimes de violations des droits de
l’acception de l’Etat de créer toutes les
l’homme. L’Etat dans sa démarche déjà
engagée doit coopérer de bonne foi quant CIJ, Mémoires, Plaidoiries et Documents, 1960,
12

Vol. II, p.44.

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


9
conditions favorables, permettant à la Guillaume Kigbafori SORO et autres c.
Cour de conduire les instructions lui République de Côte d’Ivoire », corroborent
permettant de rendre une décision juste. bien cette approche.

En effet, l’obligation d’exécuter les On devrait en outre considérer que


décisions de la CADHP est expressément l’exécution spontanée et surtout de bonne
inscrite dans le texte conventionnel foi des décisions de la Cour par les Etats
instituant la Cour. Cette obligation est devrait être le corollaire de la
inscrite à l’article 30 de son acte reconnaissance de la compétence de la
constitutif13. De plus, en tant que décision Cour. Cela se justifierait tant par le
de justice émanant d’une juridiction nombre important d’arrêts et d’États
supranationale, l’obligation d’exécuter les parties, que de l’enjeu évident d’une
arrêts de la Cour emprunte naturellement bonne mise en œuvre de l’arrêt dans
à un principe général du droit de la l’intérêt du renforcement des droits de
responsabilité internationale en vertu l’homme et de la réparation de la victime.
duquel les Etats sont tenus d’exécuter, de Aussi, il n’est pas surprenant que la bonne
bonne foi, les obligations qui leur exécution des arrêts soit devenue un
incombent en vertu de traités leitmotiv, voire une obsession, surtout pour
internationaux (Pacta sunt servanda). la Cour ADHP, tant ce serait une des clés
les plus importantes en vue d’assurer la
Même si le principe de bonne foi est
survie et la légitimité du système.
consacré par la Charte africaine des droits
de l’homme et des peuples, il faut tout de B. L’ouverture du prétoire de la Cour
même remarquer qu’il souffre dans la aux acteurs Nigériens
pratique. Les récentes décisions prises par
La déclaration d’acceptation de la
le Bénin le 24 avril 2020 et la Côte
compétence de la Cour Africaine des
d’Ivoire le 29 avril 2020 de retirer leurs
droits de l’homme et des peuples par
déclarations reconnaissant la compétence
l’Etat du Niger se manifestera par la
de la Cour, respectivement dans le cadre
saisine directe de la Cour par les individus
des affaires « Sébastien Germain Marie aïkoue
personnes physiques (1) et les ONG
AJAVON c. République du Bénin » et «
dotées du statut d’observateur auprès de la
13 Article 30 du Protocole de Ouagadougou. Commission Africaine (2).

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


10
1. La possible saisine directe des donnée aux individus de directement saisir
individus les Cours sous réserve de la déclaration
facultative de compétence.
Le droit pour l’individu de saisir une
instance internationale d’une requête Le Niger, ayant accepté la compétence de
tendant à dénoncer la violation des droits la Cour, désormais tout individu, victime
et libertés par l’État défendeur constitue de violation des droits de l’homme peut
un exemple unique dans le droit des librement saisir la Cour ADHP. Cette
traités internationaux . Cette possibilité
14
possibilité de saisine trouve son
pour l’individu de mettre en cause l’État a fondement dans l’article 5.3 du Protocole
fait l’objet de controverses doctrinales au de Ouagadougou qui dispose que « La
moment de la création même de la Cour Cour peut permettre aux individus ainsi
internationale de justice (CIJ) et de qu’aux ONG dotées du statut
l’organe prédécesseur, la Cour permanente d’observateur auprès de la Commission
de justice internationale (CPJI). africaine d’introduire des requêtes

Toutefois, la majorité du Comité de directement devant elle».

juristes chargé de libeller le statut de ces


Cette disposition est complétée par
juridictions a refusé catégoriquement cette
l’article 34.6 du même Protocole aux
idée, en affirmant que les individus
termes duquel : « A tout moment à partir
n’étaient pas sujets du droit international,
de la ratification du présent Protocole,
seule particularité des États, ce qui fut
l’Etat doit faire une déclaration acceptant
fortement critiqué par la doctrine15. Avec
la compétence de la Cour pour recevoir
l’évolution de la conception des droits de
les requêtes énoncées à l’article 5.3 du
l’homme et la multiplication des
présent Protocole. La Cour ne reçoit
juridictions régionaux de protection des
aucune requête en application de l’article
droits de l’homme, la possibilité a été
5.3 intéressant un Etat partie qui n’a pas
14 BARRETO Ireneu Cabral, Le droit de recours fait une telle déclaration ».
individuel devant la Cour européenne des droits
de l'homme, 2002, SQDI, p.1
15 António A. Cançado Trindade, El acceso directo

del individuo a los Tribunales Internacionales de


derechos humanos, Bilbao, Univerdidad de Deusto, 2001
à la p. 31.

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


11
Il est important de noter que la La consécration de cette actio popularis dans
particularité de la saisine de Cour ADHP le système africain des droits de l’homme constitue
par les individus réside en la faculté une arme dans un continent où les
donnée aux individus de saisir la Cour citoyens ne sont pas toujours informés de
sans pour autant avoir un intérêt à agir, leurs droits et devoirs. Ce qui permet aux
comme celui d’être une victime directe de ONG d’agir en leurs lieux et place18.
la violation des droits de l’Homme.
2. La possible saisine directe des
En effet, dès qu’un Etat accepte la ONG dotées de statut
compétence de la Cour16, tout individu, d’observateur
quelle que soit sa nationalité, peut accéder
Le Protocole de Ouagadougou prévoit
à la Cour pour contester les violations des
une compétence facultative de la Cour de
droits de l’Homme perpétrées par cet
recevoir des requêtes émanant non
Etat.
seulement des individus mais également

La Cour africaine devrait être dans cette des ONG ayant statut d’observateur

lancée pour rejoindre et s’inspirer de la devant la Commission africaine.


jurisprudence de la Commission africaine Les ONG dotées du statut d’observateur
qui dans l’affaire Malawi African auprès de la Commission constituent des
Association et autres c/ Mauritanie a requérants auxquels la Cour ouvre son
affirmé que « Les auteurs d’une communication prétoire et ce dans les conditions
ne doivent pas forcément être les victimes ou des déterminées par les articles 5.3, et 34.6, du
membres de leurs familles. Cette caractéristique Protocole.
reflète une sensibilité aux difficultés pratiques que Ainsi comme évoqué précédemment,
peuvent rencontrer les individus dans les pays où l’État contre lequel une action est
les droits de l’Homme sont violés. Les voies de introduite doit, non seulement être partie
recours nationales ou internationales peuvent ne
pas être accessibles aux victimes elles-mêmes ou International, Mme. Sarr Diop, Union
Interafricaine des Droits de l’Homme et
peuvent s’avérer dangereuses à suivre »17. RADDHO, Collectif des Veuves et Ayants-Droit,
Association Mauritanienne des Droits de
l’Homme c. Mauritanie.
Article 34.6 du Protocole de Ouagadougou
16 18 Matadi Nenga GAMANDA, Le droit à un

54/91, 61/91, 98/93, 164/97, 196/97, 210/98


17 procès équitable, éditions Droit et idées nouvelles,
– Malawi African Association, Amnesty Bruylant, P. 139.

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


12
au Protocole de Ouagadougou, mais doit cette condition dans l’affaire APDH21. De
avoir accepté la compétence de la Cour à même, pour la vérification du dépôt de la
travers une déclaration facultative de déclaration visée par l’article 34.6 du
compétence, condition commune et sine Protocole, la Cour semble désormais
qua non de sa compétence. Donc, les s’affranchir du formalisme excessif
ONG ayant le statut d’observateur auprès consistant en un « aller-retour »
de la Commission africaine peuvent saisir administratif entre la Cour et la
directement la Cour si et seulement si Commission pour s’assurer qu’une ONG
l’Etat en cause, partie au Protocole, a fait a ou non un tel statut.
une déclaration au titre de l’article 34.6 du
Au Niger, cette acceptation de la
Protocole autorisant une telle démarche.
compétence de la Cour par l’Etat s’offre
Le statut d’observateur est octroyé comme une opportunité pour les ONG
conformément à l’article 68 du règlement de défense et de promotion des droits de
de la Commission et selon des critères l’homme qui jouent un rôle important
dont une version actualisée est annexée à dans le processus de la consolidation de la
la résolution CADHP/Rés.361 (LIX) démocratie. On estime que cette brèche
2016, adoptée le 4 novembre 201619. sera l’occasion pour plusieurs ONG
d’entamer la procédure pour acquérir le
Son octroi n’est pas sans enjeux, comme
statut d’observateur afin de participer de
en témoigne un avis consultatif de la
manière active au prétoire de la Cour
Cour20 et porte, entre autres, sur le rôle
Africaine des droits de l’homme et des
des organes politiques de l’Union
Peuples.
Africaine dans la détermination des
critères d’octroi du statut d’observateur Enfin, nous pouvons retenir qu’aucun
par la Commission africaine. La Cour a État partie au protocole ne peut être
été amenée à contrôler la réalisation de attrait directement devant la Cour par un
individu ou une organisation non
gouvernementale que s’il a au préalable
19 Annexe de la résolution 361 de la CADHP.
20 CADHP, Centre des droits de l’homme de
l’Université de Pretoria (CHR) & la Coalition des 21CADHP, requête 001/2014, Actions pour la
lesbiennes africaines (CAL), demande d’avis protection des droits de l’homme c. Côte d’Ivoire,
consultatif, demande no 002/2015). Arrêt (fond), 18 novembre (2016) 1 RJCA 697

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


13
fait la déclaration prévue à l’article 34. 6, 1. L’exécution effective des arrêts
et par laquelle il accepte la compétence de rendus
la Cour pour connaître de telles affaires.
Contrairement aux recommandations que
Et en ce qui concerne les ONG, en plus prononce habituellement la Commission
de la déclaration visée par l’article 34.6 elle africaine des droits de l’homme et des
est soumise à une deuxième condition peuples, les décisions rendues par la Cour
relative au statut d’observateur auprès de revêtent une force exécutoire. La
la Commission africaine. A présent que la surveillance de l’exécution des arrêts
portée de l’engagement de l’Etat du Niger rendus par la Cour est confiée au Conseil
est analysée, il est bien opportun des Ministres de l’Union africaine22.
d’apprécier les attentes découlant de cet
En raison de ces garanties offertes aux
engagement (II).
justiciables, la Cour africaine dispose d’un
II. LES ATTENTES LEGITIMES large éventail de mécanismes pour
DECOULANT DE CET procéder à la réparation des violations
ENGAGEMENT constatées23. La recherche de célérité dans
le cadre de l’exécution des arrêts
Il est attendu de l’Etat du Niger une
prononcés a conduit les rédacteurs du
bonne exécution des obligations
protocole susvisé à fournir davantage des
conventionnelles (A) et la minimisation
détails sur le délai de prononcé des arrêts,
des risques de souverainisme
la procédure d’adoption des décisions, les
compromettant (B).

A. L’exécution conforme aux 22 V. Art. 29 alinéa 2 protocole de Ouagadougou :


obligations y afférentes « Les arrêts de la Cour sont aussi notifiés au Conseil des
Ministres qui veille à leur exécution au nom de la
Conférence »
Le protocole créant la Cour a défini un 23 En ce sens, l’article 27 du protocole de

certain nombre d’obligations concourant à Ouagadougou stipule que : « 1. Lorsqu'elle estime


qu'il y a eu violation d'un droit de l'homme ou des peuples,
l’atteinte de l’efficacité au système régional la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de
africain. Ces obligations comprennent remédier à la situation, y compris le paiement d'une juste
compensation ou l'octroi d'une réparation. 2. Dans les cas
entre autres l’exécution effective des d'extrême gravité ou d'urgence et lorsqu'il s'avère nécessaire
décisions rendues (1) et la participation au d'éviter des dommages irréparables à des personnes, la
Cour ordonne les mesures provisoires qu'elle juge
fonctionnement de la Cour (2). pertinentes ».

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


14
recours éventuels et le régime des Sur la base des expériences de la
opinions individuelles et dissidentes24. Commission africaine et afin de rompre
avec l’inertie qui a caractérisé son
Mais que dire de l’exécution effective des
mécanisme, l’article 30 du protocole
décisions rendues ? L’exécution reste
créant la Cour stipule d’emblée que : « Les
encore un défi majeur25. Cette question est
Etats parties au présent Protocole s'engagent à se
d’autant épineuse qu’elle a été au cœur du
conformer aux décisions rendues par la Cour dans
projet de création de la Cour avec
tout litige où ils sont en cause et à en assurer
l’adoption du protocole de Ouagadougou
l'exécution dans le délai fixé par la Cour ».
suite au constat des insuffisances affectant
l’office de la Commission africaine des Or, l’expérience de la Commission
droits de l’homme et des peuples26. africaine des droits de l’homme et des
peuples devrait conduire les rédacteurs du
24V. Art. 28 du Protocole de Ouagadougou : « 1.
protocole à opter pour un autre procédé
La Cour rend son arrêt dans les quatre-vingt-dix (90) d’exécution surtout au regard de la
jours qui suivent la clôture de l'instruction de l'affaire. 2.
L'arrêt de la Cour est pris à la majorité; il est définitif et résistance traditionnelle des Etats face aux
ne peut faire l'objet d'appel. 3. La Cour peut, sans décisions de justice pourtant exécutoires.
préjudice des dispositions de l'alinéa (2) qui précède, réviser
son arrêt, en cas de survenance de preuves dont elle n'avait C’est une des particularités fortement
pas connaissance au moment de sa décision et dans les appréciable avec le mécanisme
conditions déterminées dans le Règlement Intérieur. 4. La
Cour peut interpréter son arrêt. 5. L'arrêt de la Cour est communautaire ouest africain de
prononcé en audience publique, les parties étant dûment protection des droits de l’homme27.
prévenues. 6. L'arrêt de la Cour est motivé. 7. Si l'arrêt de
la Cour n'exprime pas, en tout ou en partie, l'opinion
unanime des juges, tout juge a le droit d'y joindre une
opinion individuelle ou dissidente » des Droits de l’Homme et des Peuples pour compléter et
25 V. HERMINE KEMBO Takam Gatsing, Le renforcer la mission de la Commission Africaine des
système africain de protection des droits de l'homme Un Droits de l’Homme et des Peuples »
système en quête de cohérence, Paris, L'Harmattan, 27 Le mécanisme de la cour de justice de la

2014, 196p. CEDEAO envisage la possibilité d’une exécution


26 Le préambule du Protocole relatif à la Charte forcée des arrêts rendus surtout ceux qui
Africaine portant sur la création de la Cour consacrent une réparation pécuniaire ainsi qu’il
africaine des droits de l’homme et des peuples ressort de l’article 24.1 Protocole CEDEAO 2005
retient les réalisations de la Commission Africaine comme suit : « Les arrêts de la Cour qui comportent à
et rappelle la nécessité de redynamiser son mandat la charge des personnes ou des Etats, une obligation
à travers l’institution d’un organe juridictionnel en pécuniaire, constituent un titre exécutoire ». les alinéas 2,
ces termes : « Fermement convaincus que la réalisation 3 et 5 de l’article 24 du même protocole décrivent
des objectifs de la Charte Africaine des Droits de l’Homme successivement la procédure d’exécution forcée
et des Peuples nécessite la création d’une Cour Africaine comme suit : Art. 24.2 Protocole CEDEAO

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


15
Pour preuve, la problématique de délai raisonnable, afin de mettre fin aux
l’exécution des arrêts s’est posée à la Cour violations constatées et informer la Cour des
africaine au tout début de son office avec mesures prises à cet égard »30.
l’affaire Reverend Christopher Mtikila28.
L’imperium du juge africain s’est heurté
Dans cette espèce, la Cour a commencé
malheureusement à une résistance abusive
par constater la violation du droit de
de l’Etat tanzanien qui a passé outre l’arrêt
participation à la gestion de la vie publique
de la Cour. Une inertie est à relever pour
des requérants en ces termes : « Toute loi
la simple raison que l’Etat tanzanien s’est
qui exige du citoyen d’être membre d’un parti
abstenu d’initier des reformes allant dans
politique avant de se présenter aux élections
le sens de l’ouverture du jeu démocratique
présidentielles, législatives et locales est une mesure
à tout individu aspirant exercer un mandat
inutile, qui porte atteinte au droit du citoyen de
électif dans le cadre de la gestion des
participer directement à la vie politique et
affaires publiques sans le parrainage d’un
constitue donc une violation d’un droit »29.
parti politique.
Par la même occasion, la Cour a fini par
Dans plusieurs espèces similaires, des
juger que : « Il est ordonné au défendeur de
Etats ont manqué à leur obligation
prendre toutes les mesures constitutionnelles,
d’exécution de bonne foi des arrêts rendus
législatives et autres dispositions utiles dans un
par la Cour. Les affaires Frank David
Omary et autres31, Femi Falana32,
2005 : « L'exécution forcée, qui sera soumise par le
Greffier du Tribunal de l'Etat membre concerné, est régie Sebastian Germain Marie aïkoue
par les règles de procédure civile en vigueur dans ledit Etat AJAVON33 et Soro Kigbafori Guillaume34
membre ». Art.24.3 Protocole CEDEAO 2005 :
« La formule exécutoire est apposée, sans autre contrôle
que celui de la vérification de l’authenticité du titre, par
l'autorité nationale que le Gouvernement de chacun des 30 Tanganyika Law Society, the Legal and Human
Etats membres désignera à cet effet ». Art. Rights Centre et Révérend Christopher R. Mtikila
24.5 Protocole CEDEAO 2005 : « L'exécution forcée c. Tanzanie (fond) (2013) 1, paragraphe 126, point
ne peut être suspendue qu'en vertu d'une décision de la 3
Cour de Justice de la Communauté». 31 CADHP, Aff. Frank David Omary et autres c.

28 Tanganyika Law Society, the Legal and Human Tanzanie (révision) (2016) 1 RJCA 398
Rights Centre et Révérend Christopher R. Mtikila 32 Femi Falana c. Commission africaine des droits

c. Tanzanie, requête 009/2011, Arrêt de l’homme et des peuples


(réparations), 13 juin 2014 (2014) 1 RJCA 74 (Compétence) (2015) 1 RJCA 518
29 Tanganyika Law Society, the Legal and Human 33 CADHP, Aff. Sebastien Germain Marie Aikoue

Rights Centre et Révérend Christopher R. Mtikila Ajavon c/ République du Benin, Ordonnance


c. Tanzanie (fond) (2013) 1, paragraphe 109 (mesure provisoire), 17 avril 2020

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


16
sont assez illustratives de cet état de fait participer au bon fonctionnement de la
qui affecte considérablement l’aura de la Cour afin de donner plein effet à son
Cour. engagement normatif (2).

Au regard de cette expérience pour le 2. La participation au


moins honorable en matière d’exécution fonctionnement de la Cour
des décisions de justice, l’Etat du Niger
L’engagement étatique n’obéit pas
doit tacher à s’acquitter de l’ensemble de
uniquement au seul formalisme consistant
ses engagements en lien avec les décisions
à déterminer par des procédés divers
que rend la Cour africaine des droits de
l’expression du consentement d’un Etat à
l’homme et des peuples. Cela requiert une
être lié à un instrument conventionnel.
mobilisation de l’ensemble des acteurs
L’engagement international se matérialise
nigériens de la justice qui sont à la fois
aussi par l’aptitude d’un Etat à honorer
l’Agence Judiciaire de l’Etat, la
l’ensemble de ses obligations nécessaires à
chancellerie, les avocats et les
l’atteinte des objectifs ayant précédé
organisations de la société civile qui
l’institution du mécanisme conventionnel.
assument un rôle de veille citoyenne.
Le protocole créant la Cour et les
L’exécution des décisions de justice, parce
règlements intérieurs de la Cour
qu’elle répond à un impératif de
définissent le cadre de son
rétablissement de l’équilibre rompu par un
fonctionnement. Les différents Etats
fait illicite subi par des victimes, constitue
ayant admis la compétence facultative de
une garantie d’une gouvernance
la Cour doivent œuvrer pour le bon
démocratique centrée sur l’Etat de droit.
fonctionnement de l’institution à travers
Au-delà de l’exécution des décisions leur participation au processus de
rendues, l’Etat du Niger est appelé à désignation des juges, la contribution au
budget annuel et la pleine coopération
34CADHP, requête n° 012/2020, Aff. Guillaume avec la Cour toutes les fois que cela est
Kigbafori Soro et 19 autres contre Cote d’Ivoire, requis d’un Etat.
Ordonnance (mesures provisoires), 22 avril 2020 ;
CADHP, requête n° 012/2020, Aff. Guillaume
Kigbafori Soro et 19 autres contre Cote d’Ivoire,
Ordonnance (mesures provisoires - 2), 15
septembre 2020

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


17
Il est à rappeler que la Cour est constituée Autrement dit, il est offert aux Etats la
de onze (11) juges ressortissants des Etats possibilité de parrainer l’élection d’un juge
membres de l’Union africaine35. Les ressortissant d’un autre Etat. Ce processus
qualités intrinsèquement recherchées dans prend en compte l’approche genre parce
le processus de désignation des juges que la représentation des deux sexes doit
concourent à leur offrir une garantie être adéquate38.
certaine d’indépendance en ce qu’ils
A l’expiration du mandat de six (6) ans
doivent être des juristes jouissant d’une
des juges composant actuellement la
très forte autorité morale, d’une
Cour39 et dans la limite du nombre de
compétence et d’expérience juridique,
sièges à pourvoir40, l’Etat du Niger pourra
judiciaire ou académique reconnue dans le
bien parrainer la liste de trois
domaine des droits de l’homme et des
personnalités aux fins d’élection en qualité
peuples36.
de juge à la Cour africaine dans les
S’agissant du processus de désignation des conditions déterminées par l’article 13 du
juges, il débute avec la présentation des protocole créant la Cour41.
candidatures des juges à élire par la
Conférence des Chefs d’Etat et de 38 Cf. Art. 12 du protocole créant la Cour africaine
gouvernement. Chaque Etat a la des droits de l’homme et des peuples
39 Actuellement, la Cour africaine est composée
possibilité de designer trois (3) juges37. des juges suivants : Imani D. ABOUD
L’article 12 du protocole créant la Cour a (Présidente), Blaise TCHIKAYA (Vice-
Président), Ben KIOKO, Rafaâ BEN ACHOUR,
précisé tout de même que deux (2) des Suzanne MENGUE, M – Thérèse
trois (3) candidats doivent être des MUKAMULISA, Tujilane R. CHIZUMILA,
Chafika BENSAOULA, Stella I. ANUKAM,
ressortissants de l’Etat soumissionnaire. Dumisa B. NTSEBEZA et Modibo SACKO
40 Le protocole créant la Cour, en son article 15

35 Art. 11 du Protocole à la Charte africaine alinéa 1, a admis la possibilité de renouvellement


portant création de la Cour africaine des droits de du mandat des juges pour une période de six (6)
l’homme et des peuples ans en ces termes : « Les juges à la Cour sont élus pour
36 Ibidem une période de six ans et sont rééligibles une seule fois.
37 L’article 12 du protocole à la Charte africaine Toutefois, le mandat de quatre juges élus lors de la
portant création de la Cour africaine stipule que : première élection prend fin au bout de deux ans et le
« 1. Chaque Etat partie au Protocole peut présenter mandat de quatre autres prend fin au bout de quatre ans »
jusqu'à trois candidats dont au moins deux doivent être 41 L’article 13 du protocole de Ouagadougou

ressortissants de l'Etat qui les présente. 2. Lors de la créant la cour africaine stipule que : « 1. Dès l'entrée
présentation des candidatures, il sera dûment tenu compte en vigueur du présent Protocole, le Secrétaire Général de
de la représentation adéquate des deux sexes » l'OUA invite les Etats parties au Protocole à procéder,

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


18
A la date du 4 avril 2022, suivant un suspendue à la décision de la Conférence
communiqué de presse, la Cour a annoncé des chefs d’Etat et de gouvernement de
l’expiration du mandat de deux (2) juges42. l’Union africaine. En ce sens, l’article 32
Il s’agit bien d’une opportunité qui du protocole créant la Cour africaine
pourrait être saisie par l’Etat du Niger afin stipule que : « Les dépenses de la Cour, les
d’obtenir la désignation d’un ressortissant émoluments et les indemnités des juges, y compris
nigérien comme juge à la Cour. Ce qui les dépenses du Greffe sont fixés et pris en charge
offrirait une voie aux acteurs de la justice par l'OUA, conformément aux critères arrêtés
nigérienne de s’affirmer et de mettre leurs par celle-ci en consultation avec la Cour ».
compétences au profit du continent
On peut dès lors comprendre que le
africain.
budget de la Cour dépend des
La participation au fonctionnement de la contributions de tous les Etats membres
Cour suppose également la contribution de l’Union africaine et non des seuls Etats
au budget nécessaire à l’exécution de ayant ratifié le protocole créant la Cour.
l’ensemble de ses activités annuelles. A ce Force est de constater que de nombreux
niveau, la Cour est malheureusement Etats peinent à honorer leur engagement
financier à l’égard de l’Union. Déjà en
dans un délai de quatre-vingt-dix (90) jours, à la 2015, le budget total de l’Union africaine
présentation des candidatures au poste de juge à la Cour.
2. Le Secrétaire Général de l'OUA dresse la liste
s’est élevé à 522 millions de USD dont
alphabétique des candidats présentés et la communique aux 25,1 % proviennent des contributions des
Etats membres de l'OUA, au moins trente (30) jours
avant la session suivante de la Conférence des Chefs d'Etat États membres et 71,1 % obtenus et/ou
et de Gouvernement de l'OUA » sollicités auprès des partenaires43.
42 Il s’agit des juges Mme Marie – Thérèse

MUKAMULISA occupant le siège flottant du


Rwanda élue en juin 2016 pour un mandat de 6
Il est aussi à préciser que l’Union africaine
ans et Mme Ntyam ONDO MENGUE du est dépendante de cinq (5) Etats pour la
Cameroun élue en juin 2016 pour un mandat de 6
ans. Selon le communiqué de presse du 4 avril mobilisation interne de ses ressources de
2022, la Commission africaine a invité les Etats fonctionnement qui sont l’Algérie,
parties au protocole à la charte africaine créant la
Cour africaine à soumettre leurs l’Égypte, la Libye, le Nigéria et l’Afrique
candidatures/désignation accompagnées des
curriculum vitae des candidats sous pli fermé,
adressés et remis au Bureau du Conseiller 43 Décision sur le budget de l’Union africaine
juridique, Commission de l’Union africaine, au pour l’exercice 2015, EX-CL/Dec.813 (XXV), §
plus tard le 31 mai 2022 2(i)

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


19
du Sud. Cette dépendance est d’autant B. La minimisation des risques du
poussée que le Panel de Haut Niveau sur souverainisme compromettant
les sources alternatives de financement de
Le souverainisme menace
l’Union africaine a fini par conclure que :
l’universalisation des droits humains45. On
« Les cinq pays représentent chacun 13,272% du
est tenté de s’accorder avec Vincent
budget de l'Union, c’est dire qu’environ 66,36%
BRENGARTH au regard des mutations
du budget total de l'Union proviennent de ces cinq
sans cesse croissantes qui caractérisent
pays seulement. La forte dépendance à l’égard de
l’action de l’Etat et dans une certaine
quelques pays peut entraîner de graves difficultés
mesure les revendications populaires allant
financières pour l’Union, si l’un de ces pays ne
dans le sens d’une renonciation à des
respecte pas ses engagements »44.
initiatives internationales ou un
Pour le bon fonctionnement des bouleversement de l’ordre social en tirant
différents organes de l’Union africaine argument de la souveraineté.
dont la Cour africaine, il est nécessaire que
Le souverainisme devient cet activisme
l’ensemble des Etats honorent leurs
aux allures revendicatives, reposant le plus
engagements financiers et en particulier
souvent sur des considérations politiques
ceux qui ont ratifié le protocole créant la
ou juridiques et tendant à affecter
Cour africaine. L’Etat du Niger est donc
l’exercice des initiatives de protection des
dans l’obligation de payer le prix de son
droits humains dans l’ordre international.
engagement en versant régulièrement ses
Devant la cour africaine, la crainte du
cotisations.
souverainisme se rapporte à la

En dehors de l’exécution des différentes problématique du retrait des déclarations

obligations en lien avec l’admission de la facultatives d’acceptation de sa

compétence de la Cour, il est attendu de compétence (1) et les risques liés à la

l’Etat du Niger la minimisation des risques prétendue concurrence de la Cour avec les
d’un souverainisme déjà constaté de la
part de plusieurs Etats (B).
45 Vincent Brengarth, « Le souverainisme menace
l’universalisation des droits de l’Homme », La
44 Rapport d’avancement du Panel de Haut Revue des droits de l’homme [En ligne], Actualités
Niveau sur les sources alternatives de financement Droits-Libertés, mis en ligne le 04 décembre
de l’Union africaine, Assembly/AU/18 (XIX) 2018, consulté le 18 avril 2022 à 01h56

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


20
juridictions nationales dans certaines compétence de la CPJI reposerait sur le
matières contentieuses (2). consentement expressis verbis donné par les États
parties au procès »47.
1. Les risques liés au retrait de la
déclaration facultative Même si au demeurant la règle contribue
pour une large part à rationaliser les
La Cour africaine des droits de l’homme
pratiques contentieuses, elle est
et des peuples est d’une compétence
néanmoins critiquée48.
facultative. Autrement dit, elle n’exerce sa
compétence que quand un Etat l’admet En droit international contemporain, le
explicitement par un acte non équivoque. caractère facultatif de la compétence des
Ce mécanisme est un procédé propre aux juridictions supranationales trouve son
contentieux internationaux. ancrage à partir du principe posé par
l’article 34 de la Convention de vienne sur
Cette règle découle du volontarisme en
le droit des traités du 23 mai 1969 qui
tant que fondement des normes du droit
stipule que : « Un traité ne crée ni obligations
international46.
ni droits pour un Etat tiers sans son
Fakhri GHARBI explique l’approche consentement ». Cette règle est vérifiée
volontariste des Etats devant la Cour devant la Cour internationale de justice49.
permanente de justice internationale en
ces termes : « Ces États ne voulaient pas, en 47 Cité par SAKRE Kéké, « L’exercice de la
compétence contentieuse de la Cour africaine des
effet, être obligés de se soumettre à la CPJI sans droits de l’homme et des peuples à l’épreuve de la
leur consentement préalable. Finalement, ils se souveraineté des États », in Annuaire africain des
droits de l’homme, (2018) 2, note infra paginale 14, p.
sont ralliés à un compromis présenté par le délégué 159
48 V. BAL Lider, Le mythe de la souveraineté en
brésilien, Paul Fernandez, grâce auquel la
droit international : la souveraineté des Etats à
l’épreuve des mutations de l’ordre juridique
46. La théorie de l'autolimitation des volontés international, Thèse de doctorat en droit
étatiques a été principalement systématisée par international, Université de Strasbourg, soutenue
deux juristes allemands à la fin du XIX éme siècle le 03 février 2012, 702p.
à savoir Georg Jellinek et Rudolf Von Ihéring. 49 Cf art. 36 alinéa 2 Statut de la Cour

Selon eux, la liberté des Etats d’exprimer leur Internationale de Jstice. V. également Fakhri
volonté d’être liés doit être libre et que rien Gharbi, « Le statut des déclarations d’acceptation
n'empêche une volonté de se défaire si un accord de la juridiction obligatoire de la Cour
international est devenu contraire aux intérêts internationale de justice » (2002) 43 Les Cahiers de
d'un État signataire. V. CPJI, affaire du Lotus, droit 224. www.doi.org/10.7202/043707ar cité par
France c/ Turquie, Affaire du Lotus, 1927 SAKRE Kéké, « L’exercice de la compétence

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


21
Mais il en est autrement devant la Cour Protocole, l'Etat doit faire une déclaration
pénale internationale50 et la Cour acceptant la compétence de la Cour pour recevoir
européenne des droits de l’homme51. les requêtes énoncées à l'article 5(3) du présent
Protocole. La Cour ne reçoit aucune requête en
Suivant cette logique, il ne suffit donc pas
application de l'article 5(3) intéressant un Etat
de ratifier le protocole créant la Cour
partie qui n'a pas fait une telle déclaration ».
africaine pour que cette dernière exerce de
plein droit sa compétence à l’égard d’un En conséquence de cette prescription, la
Etat. La ratification doit être suivie d’une Cour africaine des droits de l’homme et
formalité supplémentaire consistant en des peuples s’assure au préalable de sa
une déclaration dite facultative compétence à connaître de l’affaire
d’acceptation de la compétence de la d’autant plus que le taux des Etats ayant
Cour. accepté la compétence de la Cour est très
faible.
C’est l’article 34 alinéa 6 du protocole
créant la Cour africaine qui prescrit ce A l’heure actuelle, sur les trente-trois (33)
formalisme en ces termes : « A tout Etats africains ayant ratifié le protocole de
moment à partir de la ratification du présent Ouagadougou52, seuls huit (8) ont déposé
la déclaration reconnaissant la compétence
contentieuse de la Cour africaine des droits de de la cour pour recevoir des requêtes
l’homme et des peuples à l’épreuve de la
introduites directement par des ONG et
souveraineté des États », in Annuaire africain des
droits de l’homme, (2018) 2, 154-178, note infra individus. Il s’agit du Burkina Faso, de la
paginale n° 14
50 Au sens de l’article 12 du Statut de la Cour
Gambie, du Ghana, Guinée - Bissau, du
pénale internationale, la ratification du Statut par Mali, du Malawi, du Niger et de la Tunisie.
un Etat emporte admission de la compétence de
la Cour. Aussi, les Etats non partie au dit Statut
peuvent consentir à la compétence de la Cour à
travers une déclaration déposée au greffe de la
Cour 52Il s’agit de : Afrique du Sud, Algérie, Bénin,
51 Selon l’article 34 de la Convention européenne Burkina Faso, Burundi, Cameroun, Cote d’Ivoire,
des droits de l’homme, la Cour européenne peut Comores, Congo, République Démocratique du
être saisie d’une requête par toute personne Congo, Gabon, Gambie, Ghana, Guinée – Bissau,
physique, toute organisation non Kenya, Libye, Lesotho, Mali, Malawi, Madagascar,
gouvernementale ou tout groupe de particuliers Mozambique, Mauritanie, Maurice, Nigeria,
qui se prétend victime d’une violation par l’une Niger, Ouganda, Rwanda, République arabe
des Hautes Parties contractantes à ladite Sahraouie Démocratique, Sénégal, Tanzanie,
convention. Tchad, Togo et Tunisie.

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


22
Il est à préciser néanmoins que la sont un moyen d’encourager l’impunité et
République du Rwanda a retiré sa une violation manifeste du droit d’accès
déclaration facultative d’acceptation de au juge pour les justiciables afin d’obtenir
compétence de la Cour le 22 janvier 2013. réparation à un autre niveau de protection.
Récemment, les Etats du Bénin, de la
La quête de cohérence pour le système
Cote d’Ivoire et de la Tanzanie ont
africain de protection des droits humains53
également retiré leur déclaration
à travers toutes les mutations normatives
d’acceptation de compétence.
et institutionnelles jusque-là observées
Ce souverainisme que constitue la continuera de demeurer un pieux vœu si
décision de retrait des déclarations les Etats africains, qui sont les principaux
d’acceptation de la compétence de la Cour acteurs du changement, continuent à
est de nature à affecter son office si l’on défier ouvertement l’institution régionale.
ne prend pas garde. L’élan souverainiste L’Etat du Niger doit faire office de bon
des Etats a abouti au rejet des requêtes justiciable devant la Cour en s’abstenant
individuelles pour défaut de compétence. de toute pratique qui restreint l’exercice
Même en cas d’acceptation de des droits et libertés devant la Cour. Quid
compétence, le souverainisme s’exprime de la prétendue compétence concurrente
par le jeu de retrait ou de menace de entre la Cour et les juridictions
retrait des déclarations d’acceptation de nationales ?
compétence.
2. Les risques liés à une prétendue
Les cas du Rwanda, du Bénin, de la Cote concurrence entre la Cour et les
d’Ivoire et de la Tanzanie sont assez juridictions nationales
illustratifs. Il a fallu seulement que la Cour
Le contentieux électoral devient
statue sur des requêtes individuelles en
progressivement une matière assez
relevant des cas de violation des droits
controversée devant la Cour. Ce type de
humains imputables aux quatre (4) Etats
contentieux suscite des contestations de la
défendeurs pour qu’intervienne la décision
de retrait des déclarations facultatives.
53 HERMINE KEMBO Takam Gatsing, Le
système africain de protection des droits de l'homme Un
De tels agissements, en plus de constituer
système en quête de cohérence, Paris, L'Harmattan,
un mépris pour l’office du juge régional, 2014, 196p.

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


23
part des Etats qui le placent sur le terrain lois55 et la suspension des arrêtés
du droit constitutionnel afin d’émettre des municipaux qui, à son avis, interdisent les
réserves sur la compétence de la Cour. manifestations publiques à caractère
revendicatif. A l’analyse des faits, la Cour
Un cas jurisprudentiel, loin d’être un cas
a tenu à distinguer l’extrême gravité56 et le
isolé, retient particulièrement notre
préjudice irréparable57 avant de
attention. Il s’agit de l’affaire Sebastien
caractériser les circonstances susceptibles
Germain Marie Aikoué AJAVON contre
de tomber sous la qualification de
le Bénin. Suivant requête n° 62/2019 aux
« d’extrême gravité »58 relativement au cas
fins de mesures provisoires, le sieur
factuel.
Sebastien Germain Marie Aikoué
AJAVON fait valoir que les élections
législatives du 28 avril 2019 étaient
irrégulières et que l'Assemblée nationale
55 Il s’agit de la loi organique n°2018 - 02 du 04
béninoise qui en est issue a janvier 2018 modifiant et complétant la loi
organique n°04 - 027 du 18 mars 1999 relative au
clandestinement adopté plusieurs lois dans
Conseil Supérieur de la Magistrature (4 articles), la
la nuit et le grand public n'en a eu loi n°017 - 20 du 20 avril 2018 portant Code du
numérique (647 articles), la loi n° 2018 - 34 du 05
connaissance qu'après leur publication. ll
octobre 2018 modifiant et complétant la loi
ajoute que c'est dans ce contexte que n°2001-09 du 21 juin 2002 portant exercice du
droit de grève (6 articles), la loi n°2018 -016
l'élection des conseillers municipaux et portant code pénal (1008 articles), la loi n° 2019 -
communaux fut prévue pour le 17 mai 40 du 07 novembre 2019 (47 articles) portant
révision de la loi n° 90-032 du 11 décembre 1990
2020, suite à la convocation du corps portant constitution de la République du Bénin
56 Pour la Cour, « Il y a donc urgence chaque fois
électoral en Conseil des Ministres du 22
que « les actes susceptibles de causer un préjudice
janvier 202054. irréparable peuvent « intervenir à tout moment »
avant que la cour ne se prononce de manière
Apres présentation du contexte global, le définitive dans l'affaire ». V. paragraphe 61
57 Paragraphe 62 : « En ce qui concerne le
requérant a sollicité de la Cour le sursis à
préjudice irréparable, la cour estime qu’il doit
la tenue de l'élection du 17 mai 2020, la exister une « probabilité raisonnable de
matérialisation » eu égard au contexte et à la
suspension de l'application de certaines situation personnelle du requérant »
58 La cour a caractérisé l’extrême gravité des faits

54 CADHP, Aff. Sebastien Germain Marie Aikoue ayant conduit le requérant à solliciter des mesures
Ajavon c/ République du Benin, Ordonnance provisoires aux paragraphes 64 à 66 de
(mesure provisoire), 17 avril 2020, paragraphes 5 l’ordonnance (mesures provisoires) du 17 avril
et 6 2020.

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


24
En se fondant sur l’alinéa 2 de l’article 27 rendues par la Cour africaine des droits de
du protocole créant la Cour59, la Cour l’homme et des peuples ont suscité de très vives
africaine a ordonné à l'État défendeur de préoccupations en raison de graves incongruités.
surseoir à la tenue de l’élection des C’est justement la réitération et la récurrence de
conseillers municipaux et communaux ces dérapages qu’il n’est pas possible de
prévue pour le 17 mai 2020 jusqu'à ce sanctionner et que la Cour elle - même ne donne
qu’elle rende une décision au fond. Cette pas l’air de vouloir corriger en dépit des remous
décision fut mal accueillie par les autorités qu’elle suscite en son propre sein, qui ont amené
béninoises. La sortie du Ministre béninois notre pays à initier son désengagement de la
de la justice, Maître Séverin Quenum en compétence individuelle opérée et adressée au
dit long. président en exercice de l’Union africaine et au
président de la commission de l’Union
Il soutient lors d’une conférence de presse
africaine »61.
que : « Il n’est pas dans les prérogatives de la
cour africaine des droits de l’homme et des peuples De cette prise de position politique des
d’adjoindre à l’Etat d’interrompre son processus autorités béninoises, l’on se rend compte
électoral qui est un acte de souveraineté »60. Il que le principal reproche fait à la Cour est
ajoute que : Ce n’est pas la première fois que d’opérer des incursions dans des matières
cette Cour outrepasse ses prérogatives pour relevant de son droit constitutionnel, en
s’immiscer dans les affaires qui ne la concernent l’occurrence l’organisation des élections.
en rien. Depuis plusieurs années déjà, les décisions
Cet argument est d’un ancrage juridique
fort critiquable à plusieurs points de vue.
59 Article 27 alinéa 2 du protocole de
Ouagadougou stipule que : « Dans les cas Sauf méprise de la part des Etats, la
d'extrême gravité ou d'urgence et lorsqu'il s'avère
compétence de la Cour telle que consacrée
nécessaire d'éviter des dommages irréparables à
des personnes, la Cour ordonne les mesures par l’article 3 alinéa 1 du protocole de
provisoires qu'elle juge pertinentes »
60 KPODAR Adama et KOKOROKO Dodzi,
Ouagadougou renvoie, à la fois, à la
« Le retrait par le Benin et la Côte d’Ivoire de leur protection des droits civils et politiques.
déclaration accordant la saisine de la Cour
africaine des droits de l’homme et des peuples aux Or, parmi les droits politiques, on
individus et organisations non retrouve bien de droits relevant du droit
gouvernementales », publié en ligne à l’adresse
https://www.facebook.com/662355623873766/p constitutionnel à l’exemple du droit de
osts/2735081606601147/, consulté le 09 mai
2022 à 14h24 61 Ibid

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


25
vote et du droit à la participation à la prétexté de l’offense occasionnée par la
gestion des affaires publiques. Cour à leur égard et à leur souveraineté
pour retirer leurs déclarations facultatives.
Mieux, l’admission de la compétence de la
Cour est en soi une auto - limitation de la L’on se demande finalement jusqu’où ira
souveraineté des Etats. Ainsi, des la défiance ? Pour l’heure, on attend de
incursions, dans l’intérêt de la justice, l’Etat du Niger une bonne exécution de
seront perçues, non pas comme une ses engagements internationaux librement
ingérence, mais plutôt comme une souscrits.
garantie supplémentaire de protection des
droits et libertés.

Malheureusement, les Etats du Rwanda,


de la Cote d’Ivoire et de la Tanzanie ont

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


26
LES NOUVEAUX RAPPORTS ENTRE LES DROITS HUMAINS ET LE
NUMERIQUE EN AFRIQUE
Par
ABDOU SEYDOU Moctar
Master professionnel Droit des affaires
Master Recherche Droit privé fondamental à l’UAC
Certifié en Droit Numérique et des Technologies Avancées/LEGALTECH

sans contrainte pour les individus2. Pour


INTRODUCTION
autant faut-il prévenir avec PERES Eric
« La pertinence du régime juridique des
que « le rouleau compresseur de la modernité
droits humains se succède-t-elle au même rythme
numérique aboutit trop souvent à l'ablation de
que celui des innovations dont le numérique est
l'esprit critique »3 ?
porteur »1 ?
Cette interrogation intervient à un Tout au plus, il convient de souligner que
moment où le droit s’est déjà transformé l’étude sur l’analyse des « nouveaux
du fait de la déflagration du numérique. La rapports entre les droits humains et le
difficulté de répondre à une telle numérique en Afrique », entre dans le
interrogation tient à l’ambivalence cadre de la recherche d’une réponse à
intrinsèque du phénomène numérique. l’interrogation relative à la pertinence des
droits humains face au numérique.
En réalité, il ouvre de nouveaux espaces
de libertés, tout en étant porteur de Bien entendu, l’accès à toute connaissance
risques pour celles-ci. Ainsi, la facilité de est tributaire de la convention sur le sens
se connecter à un nouveau « monde des termes employés. Or pour mieux
virtuel » crée une impression de liberté convenir, il vaut mieux, définir.

2 RICHARD (J.), Le numérique et les droits


1 PERES (E.), « Ce qu’internet change et fondamentaux, Rapport annuelle du Conseil d’Etat,
changera », in Les droits et les libertés à l’épreuve du 2014, p. 21.
numérique, n°171, septembre 2015, p. 32. 3 PERES (E.), op. cit.

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


27
Pour l’essentiel, la définition de deux Néanmoins, les droits humains sont au
expressions demeure nécessaire pour la sens de la Déclaration Universelle des
compréhension de la présente droits de l’homme, « les droit inaliénables de
contribution. tous, (…), ils incluent le droit à la vie et à la
liberté ». Elle reconnait que « tout être humain
Les droits humains4 ont le mérite de
peut se prévaloir de ses droits
s’inscrire dans une perspective
fondamentaux,… »7.
kaléidoscopique. Cette diversité est à la
base de l’absence d’une définition Les droits humains dans le cadre de ce
unanime des droits humains. travail sont à distinguer des droits
fondamentaux. Certes, les deux
Les droits humains sont avant tout, une
expressions réglementent les aspects
évolution de la notion de « droit de
essentiels de la vie et visent à garantir une
l’homme ». C’est en ce sens que le
protection efficace de l’être humain. Mais
Professeur Jean RIVERO souligne que : «
l’expression « droits humains » se réfère
définir un droit, c'est identifier son titulaire,
aux droits consacrés à l’échelon
préciser son objet, identifier ceux auxquels il est
supranational, principalement dans des
opposable et enfin prévoir une sanction pour
conventions internationales. Tandis que,
garantir son respect »5. Ainsi pour Gerard
les droits fondamentaux désignent
CORNU, « les droits de l’homme sont des droits
généralement les garanties inscrites dans
inhérents à la nature humaine, donc antérieurs et
les Constitutions8.
supérieurs à l’Etat et que celui-ci doit respecter
non seulement dans l’ordre des buts mais aussi L’expression « numérique » renvoie à une
dans l’ordre des moyens »6. technique informatique fondée sur la
numérisation qui consiste à transformer
les données en chiffres, ce qui facilite leur
reproduction, leur conservation et leur
4 « Droits fondamentaux », « libertés
fondamentales » et « droit de l’homme », sont
trois expressions parfois usitées pour désigner les
droits humains.
5
RIVERO (J.), « Déclarations parallèles et nouveaux
droits de l'homme » in Revue trimestrielle des droits 7 Voir le préambule de la Déclaration.
de l’homme, n° 2, 1990, p. 324. 8 GHIELMINI (S.), KAUFMANN (C.), Droits
6
CORNU (G.), Vocabulaire juridique, Association
Henri Capitant, PUF, 19e édition, 2019, « droit de
fondamentaux et droits humains à l’ère numérique, bush
l’homme ». & netz, 2021, p. 31.

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


28
transmission9. Il s’agit de l’informatique En effet, la diversité de personnes et de
conjuguée avec les technologies de situations ont permis une mise en
l’information et de la communication perspective des enjeux relatives à
(TIC). En ce sens le numérique s’assimile l’avènement du numérique. La mise en
à l’internet, à l’électronique, à la exergue d’une ambivalence du numérique
dématérialisation et à l’utilisation de toutes qui, tout à la fois, catalyse l’exercice des
technologies dans un cadre d’organisation libertés fondamentales et synthétise des
et de fonctionnement des entreprises et droits nouveaux, mais génère aussi des
des administrations publiques. menaces redoutables et inédites à
l’encontre des personnes et des intérêts
Prise dans ce sens, l’expression
dont les autorités publiques ont la charge.
« numérique » oriente la présente réflexion
vers la prise en compte des règles Se dessine alors la nécessité d’une
juridiques relative aux nouvelles conciliation plus exigeante qui devrait être
technologies. S’inscrivant au cœur de la opérée entre la liberté d’expression et
vie et des échanges, le numérique sauvegarde de l’ordre public, liberté
constitue une nouvelle innovation d’information et protection de la vie
essayant de prendre en compte la privée, sûreté et lutte contre la criminalité,
dimension des droits humains10. liberté d’entreprendre et respect des règles
de concurrence. De la même façon que les
En raison de cette étude, les nouveaux
antinomies traditionnelles du droit public
enjeux de la numérisation des sociétés
ont fait l’objet d’une vaste conciliation, les
Africaines font apparaitre la nécessité de
forces déstabilisatrices établies par
les concilier avec les droits humains. Si les
l’avènement du numérique méritent une
droits humains sont valables dans
concordance avec les droits humains11.
l’analogique, ils devraient être aussi
valables dans le monde numérique. Ainsi, la question centrale de cette
recherche tournera autour du lien qui peut
9 SOW (D.), « Retour sur l’adaptation du droit au
numérique », [en ligne], disponible sur : naitre entre deux concepts. C’est-à-dire
https://publication.lecames.org, consulté le 01 comment se manifeste l’affinité entre le
décembre 2021.
10 GOURION (P-A.), RUANO-PHILIPPEAU numérique et les droits humains ?
(M.), Le droit de l’internet dans l’entreprise, Coll.
Systèmes, L.G.D.J, juin 2003, p. 6. 11 RICHARD (J.), op. cit.

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


29
L’intérêt d’une telle démarche s’observe D’autre part, la conséquence en a été
d’une part au vue des politiques de l’adoption d’instruments qui tendent à
réglementation des législations africaines porter atteinte à la vie privée, à réprimer la
en ce qui concerne l’avènement du liberté d’expression en ligne et à la
numérique. En effet, « un grand nombre de violation d’autres droits14. L’analyse de ces
ces pays sont en train de faire le passage d’un instruments montre que ceux-ci prévoient
environnement numérisé jusqu’ici peu régulé vers souvent l’imposition des sanctions
ce qui devient rapidement un environnement très destinées à punir certains comportements
fortement réglementé »12. en ligne sans l’exigence d’une procédure
régulière15.
Le constat en est que, les lois et
règlementations échouent non seulement Il est par conséquent nécessaire d’adapter
à protéger les droits humains mais violent les stratégies de protection des droits
également les normes et principes établis fondamentaux et des droits humains à
en la matière qui ne disposent pas de l’évolution de la société et de les
garanties suffisantes. Puisque la plupart réinterpréter afin qu’elles abordent
des catalogues de droits fondamentaux également les problèmes posés par la
figurant dans les constitutions nationales numérisation.
datent de l’ère analogique, ils n’ont pas, à
C’est dans ce contexte qu’intervient la
l’origine, été rédigés pour résoudre des
Déclaration Africaine des Droits et
questions liées aux processus
Libertés de l’Internet qui vise à
numériques13.
promouvoir des normes en matière de
droits de l’homme et des principes

12 « Lignes directrices sur la protection des 14 Les lois sur l’interception des communications
données à caractère personnel pour l’Afrique », [e par exemple.
ligne], disponible sur : www.internetsociety.org, 15 Si les Etats ont une volonté légitime de réduire

consulté le 24/03/2022. les activités criminelles en ligne, en particulier la


13 Néanmoins, au niveau de l’union Africaine, il criminalité financière et les activités terroristes, il
existe une convention qui concilie les droits existe également des cas concrets où la poursuite
humains au numérique. Il s’agit de la convention de ces objectifs a priori légitimes a servi de
de Malabo sur la cyber-sécurité et la protection prétexte à l’introduction de dispositions visant à
des données à caractère personnel de 2014. Au limiter les critiques faites aux gouvernements. Par
niveau des Etats, il existe une réglementation à- exemple, l’essor des réseaux sociaux soulève par
propos de la protection des données à caractère exemple une question inédite : la liberté d’opinion
personnel. s’applique-t-elle aux tweets ?

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


30
d’ouverture dans la formulation et textes entre les droits humains et le
l’application de politiques relatives à numérique (I). D’ailleurs cette
l’Internet sur le continent. De même, la appréciation permet d’observer certaines
convention de l’Union Africaine sur la insuffisances. D’où la nécessité d’une
cyber-sécurité et la protection des amélioration (II).
données à caractère personnel appelée
I. UNE AFFINITE NORMATIVE
aussi convention de Malabo, adoptée le 27
INEDITE
juin 2014, offre la possibilité d’une
protection harmonisée. Les droits humains ne sont pas en marge
de l’avènement du numérique. Les
Dans la perspective d’une analyse
bouleversements suscités par le
cohérente, il faut convenir que la
numérique ont le mérite de s’inscrire dans
démarche méthodologique16 dans le cadre
une logique de protection des droits
de cette contribution appelle à une
fondamentaux.
certaine prudence17.
Au demeurant, sous la menace d’une
De ce fait, plutôt que de tenter une
remise en question, les droits humains
division théorique d’un sujet dont les
dans leurs dimensions les plus
ressorts paraissent pragmatiques, il semble
importantes prennent en compte les outils
opportun d’apprécier de prime abord
du numérique. C’est ainsi qu’on constate
l’affinité ou le lien établi par les différents
un toilettage des droits humains à travers
la reconnaissance des nouvelles règles de
16 La démarche méthodologique est de type
substantiel. Ainsi, l’analyse substantielle est le protection (A). Certaines libertés
type d’analyse qui va au-delà de l’affirmation
fondamentales n’échappent, non plus au
officiel pour qualifier, analyser, critiquer, en
tenant compte de la réalité matérielle. vent du renouveau, puisque leurs régimes
L’affirmé officiel, dans le cas d’espèce, est celui
qui ressort des instruments juridiques consacrés à
juridiques font l’objet d’une modification
la protection des droits humains à l’ère du (B).
numérique en Afrique. C’est pourquoi l’étude
envisage d’aller au-delà des consécrations A. La reconnaissance des nouveaux
normatives pour apprécier concrètement
l’efficacité des mesures prise dans le cadre de la droits humains face à l’essor du
protection des droits humains devant la réalité
numérique
matérielle des innovations du numérique qu’on
constate au quotidien.
17 Du fait de l’ambivalence du numérique.

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


31
Le numérique n’est pas qu’une simple électronique, téléphone et courriels sur le
innovation, mais une série de mutations lieu de travail19.
technologiques faisant système, qui
Le droit au respect de la vie privée touche
entrainent de profondes transformations
de nombreuses activités des utilisateurs
économiques et sociales dans l’ensemble
d’internet, surtout les activités qui
des activités humaines18. Néanmoins, la
impliquent une forme ou une autre de
succession rapide des innovations
traitement automatisé des données à
numériques, laisse augurer que le
caractère personnel20.
phénomène est encore loin d’avoir atteint
toute son ampleur. Les données à caractère personnel sont au
sens de la convention de Malabo21 « toute
Loin de l’idée d’exposé les
information relative à une personne physique
transformations techniques, économiques
identifiée ou identifiable directement ou
et sociales engendrées par le numérique,
indirectement, par référence à un numéro
cette contribution s’attèlera à expliquer la
d'identification ou à un ou plusieurs éléments,
manière dont l’essor du numérique a
propres à son identité »22.
conduit à la consécration de nouveaux
droits humains. Il s’agit d’envisager les Comme on le pressent, la protection des
droits issus de la protection de la vie données à caractère personnel est une
privée (1) et le droit d’accès à internet (2). partie intégrante des droits issus de la
protection de la vie privée. C’est pour cela
1. Les droits issus de la protection de
que le droit à la vie privée et l’exigence
la vie privée
19 Dictionnaire la langue française, [en ligne],
La notion de vie privée ne se prête pas à
disponible sur : www.lalanguefrançaise.com, « vie
une définition exhaustive. Elle englobe un privée », consulté le 14/02/2022.
20 Notamment l’utilisation de navigateurs, du
large éventail de concepts, et notamment courrier électronique, de la messagerie instantanée
le droit au respect de la vie privée et ou de la téléphonie sur internet, de protocoles,
des réseaux sociaux, des moteurs de recherche ou
familiale, du domicile et de la de service de stockage de données « dans les
correspondance, y compris par courrier nuages ».
21 La convention de l’Union Africaine sur la

cyber-sécurité et la protection des données à


18 RICHARD (J.), Le numérique et les droits caractère personnel appelée aussi convention de
fondamentaux, Rapport annuelle du Conseil d’Etat, Malabo, adoptée le 27 juin 2014.
2014, p. 41. 22 Article 1 de la convention de Malabo.

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


32
concomitante de protection des la Charte africaine des droits et du bien-
informations personnelles ont suscité une être de l’enfant (CADBE)26.
attention considérable à l’aube de l’ère de
Le droit à la vie privée a également été
l’information23.
reconnu dans d’autres instruments
Le droit à la vie privée joue ainsi un rôle régionaux et sous - régionaux dans le
vital en soi24. Il facilite l’exercice du droit à contexte de la protection des données. En
la liberté d’expression25. outre, presque tous les États africains
garantissent ce droit dans leur constitution
Bien qu’il ne figure pas dans la Charte
nationale27.
africaine des droits de l’homme et des
peuples (CADHP), le droit à la vie privée La protection à la vie privée ainsi
des enfants est contenu dans l’article 10 de consacrée permet d’une part de faire des
conditions de traitement des données à
23 Module 4 : Vie privée et protection des caractère personnel une obligation. Et
données, Modules de synthèse sur les litiges
relatifs aux droits numériques et à la liberté
d’autre part, elle permet aux individus de
d’expression en ligne, [mise en ligne par Media bénéficier des droits à l’égard des
Defence], disponible sur : www.mediadefence.org,
consulté le 14/02/2022. traitements des données à caractère
24 Alors que l’échange d’informations et la collecte
personnel.
de données sur Internet et en ligne augmentent à
un rythme exponentiel, les développements
législatifs n’ont pas suivis le rythme et ne 26 Qui prévoit que « aucun enfant ne sera l’objet
protègent pas suffisamment les informations d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, son
personnelles. Toutefois, avec le temps, les États domicile ou sa correspondance familiale, ni d’atteintes à son
africains et les organismes régionaux et honneur ou à sa réputation, étant entendu que les parents
continentaux ont commencé à adopter des ou les tuteurs légaux ont le droit d’exercer une surveillance
instruments et des règlements relatifs à la raisonnable sur la conduite de leurs enfants. L’enfant a
protection des données afin de remédier à la droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou
situation et de défendre le droit à la vie privée de de telles atteintes ».
leurs citoyens. 27 Au niveau national, plus de 50 constitutions

25 Par exemple, le recours au droit à la vie privée africaines, y compris des amendements et des
permet aux individus de partager des points de révisions récentes, font référence au droit à la vie
vue de manière anonyme dans des circonstances privée. Singh and Power, « The privacy
où ils peuvent craindre d’être censurés pour ces awakening: The urgent need to harmonise the
points de vue, il permet aux dénonciateurs de right to privacy in Africa » Annuaire africain des
faire des divulgations protégées, et il permet aux droits de l’homme, volume 3, 2019, p. 202,
membres des médias et aux militants de disponible sur :
communiquer en toute sécurité au-delà de la http://www.pulp.up.ac.za/images/pulp/books/j
portée d’une interception gouvernementale ournals/AHRY_2019/Power%202019.pdf,
illégale. consulté le 17/02/2022.

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


33
La convention de Malabo prévoit l’article 18 est relatif au droit
l’obligation relative aux conditions de d’opposition31 et l’article 19 évoque le
traitements de données à caractère droit de rectification et de suppression32.
personnel. Cette obligation est exprimée à
Les droits issus de la protection de la vie
travers des principes de base gouvernant
privée ne sont pas les seuls droits
le traitement des données à caractère
reconnus. Contrairement à certaines idées
personnel28. Aussi cette obligation se
reçues, le droit n’est pas absent de
manifeste par des principes spécifiques
l’internet. Bien au contraire, les activités
relatifs au traitement de données
qui se déploient sur les réseaux se
sensibles29.
trouvent soumises à des multiples
De même, les droits conférés à la contraintes d’ordre juridique. Cela favorise
personne dont les données font l’objet la prise en compte du droit d’accès à
d’un traitement, sont pris en compte par l’internet.
la convention de Malabo ainsi que par le
2. Les droits issus de l’accès à
droit interne de plusieurs pays de
l’internet
l’Afrique. Il s’agit du droit à l’information
qui voudrait à ce que « le responsable du
traitement fournit à la personne physique dont les
informations relatives aux finalités du traitement, aux
données font l’objet d’un traitement, au plus tard, catégories de données à caractère personnel traitées et aux
lors de la collecte et quels que soient les moyens et destinataires ou aux catégories de destinataires auxquels
les données sont communiquées ».
supports employés, les informations » cités à 31 « Toute personne physique a le droit de s'opposer, pour

l’article 16 de la convention de Malabo. des motifs légitimes, à ce que des données à caractère
personnel la concernant fassent l'objet d'un traitement. Elle
Aussi l’article 17 prévoit le droit d’accès30, a le droit, d’une part, d’être informée avant que des
données la concernant ne soient pour la première fois
28 Article 13 de la convention de Malabo. communiquées à des tiers ou utilisées pour le compte de
29 Article 14 de la convention de Malabo. tiers à des fins de prospection et, d’autre part, de se voir
30 « Toute personne physique dont les données à caractère expressément offrir le droit de s’opposer, gratuitement, à
personnel font l’objet d’un traitement peut demander au ladite communication ou utilisation ».
responsable de ce traitement sous forme de questions : a) les 32 « Toute personne physique peut exiger du responsable

informations permettant de connaître et de contester le d'un traitement que soient, selon les cas, rectifiées,
traitement ; b) la confirmation que des données à caractère complétées, mises à jour, verrouillées ou supprimées les
personnel la concernant font ou ne font pas l'objet de données à caractère personnel la concernant, qui sont
traitement ; c) la communication des données à caractère inexactes, incomplètes, équivoques, périmées, ou dont la
personnel qui la concernent ainsi que de toute information collecte, l'utilisation, la communication ou la conservation
disponible quant à l'origine de celles-ci ; d) des est interdite ».

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


34
A l’ère numérique, la protection des droits droit de réunion et d’association, le droit
humains est un défi fondamental devant de participer pleinement à la vie sociale,
être résolu de façon urgente, et le culturelle et politique, et le droit au
continent africain ne déroge pas à cette développement économique et social35.
règle. La Déclaration Africaine des Droits
En dehors de la déclaration Africaine des
et Libertés de l’Internet a été élaborée en
Droits et Libertés de l’Internet, de
réponse à ce défi33.
nombreux pays africains ont adopté des
Partant, la déclaration garantie l’accès à politiques, des règlementations et des
l’internet. Dans son esprit, internet législations en vue de réguler et, dans
« devrait être disponible et accessible à tous en certains cas, de contrôler internet.
Afrique sans discrimination aucune fondée
En effet, un grand nombre de ces pays
notamment sur la race, la couleur, le sexe, la
sont en train de faire le passage d’un
langue, la religion, les opinions politiques ou
environnement internet jusqu’ici peu
autres, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la
régulé vers ce qui devient rapidement un
naissance ou sur toute autre situation »34.
environnement très fortement réglementé.
L’accès à l’internet joue un rôle essentiel
dans la pleine réalisation du Dans la plupart des cas, ces lois et
développement humain. Ce qui facilite règlementations échouent non seulement
d’ailleurs l’exercice et la jouissance de à protéger les droits de l’homme mais
nombreux droits et libertés violent également les normes et principes
fondamentaux, notamment le droit à la établis en la matière qui ne disposent pas
liberté d’expression et d’accès à de garanties suffisantes36.
l’information, le droit à l’éducation, le
Il est donc clair que de nombreux
33 Ainsi, la déclaration intervient dans un contexte gouvernements en Afrique ne disposent ni
d’inégalité d’accès et d’utilisation de l’internet, et
des compétences techniques et juridiques
par l’utilisation croissante de l’internet par des
acteurs étatiques et non étatiques comme moyen pour légiférer de manière appropriée, ni
de violer les droits de l’individu au respect de la
vie privée et à la liberté d’expression à travers la
surveillance de masse et autres activités connexes. 35 Ibidem.
34 Voir la Déclaration Africaine des Droits et 36 ALLECHI (D.), « la liberté d’expression sur
Libertés de l’Internet, [en ligne], disponible sur : internet pour les citoyens en Afrique », [en ligne],
https://africaninternetrights.org/, consulté le disponible sur : www.village-justice.com, consulté
27/02/20022. le 08/03/2022.

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


35
de la volonté politique d’assurer une plusieurs libertés fondamentales
protection intégrale des droits de l’homme préexistantes. L’essor du numérique
dans le contexte d’Internet et des favorise à l’évidence l’exercice de certains
technologies numériques37. droits tout en remettant en question
certains aspects de leur régime juridique38.
Au demeurant, certains pays d’Afrique à
travers des lois utilisent l’internet pour Ainsi le numérique amène à réexaminer
restreindre des droits fondamentaux. C’est les cadres légaux de la liberté d’expression
dans ce sens qu’au Niger une loi a été (1) et ouvre des nouveaux espaces à la
adoptée le 29 mai 2020. Il s’agit de la loi liberté d’entreprendre (2).
sur l’interception de certaines
1. La liberté d’expression face au
communications émises par voies
numérique
électronique. Cette loi pourrait entrainer
des incursions poussées dans la sphère La liberté d’expression est un droit

privée des populations sous le couvert des fondamental qui est inscrit dans de

impératifs de sécurité nationale. nombreux textes tels que la Déclaration


universelle des droits de l’homme39. C’est
Ainsi se dessine la nécessité d’une
donc le droit de toute personne à
plaidoirie allant dans le sens d’une
exprimer ce qu’elle pense, ressent, quel
reconnaissance des nouveaux droits
que soit le moyen utilisé. Mais c’est aussi
humains issues de l’essor du numérique. A
le droit à être informé et à pouvoir
côtés, certaines libertés fondamentales
diffuser des informations.
n’échappent, non plus au vent de
renouveau, puisque leurs régimes Ainsi, la liberté d’expression est le

juridiques font l’objet d’un ajustement. principe fondamental à tous les moyens
de communication40. Mais le régime
B. L’adaptation du régime juridique
juridique qui en définit les conditions
de certaines libertés
d’exercice n’est pas le même. Bien avant
fondamentales
l’émergence du numérique, il y avait une
Le numérique a entrainé des profondes parfaite superposition entre la forme
modifications du régime juridique de 38 RICHARD (J.), op. cit, p. 97.
39 Article 19.
37 Ibidem. 40 RICHARD (J.), op. cit, p. 98.

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


36
d’expression, le moyen technique employé Ces propos sont bien souvent
et le régime juridique. anonymes43.

Toutefois, l’essor du numérique permet De ce fait où placer le curseur entre ce qui


une convergence de tous les moyens de est légalement acceptable et ce qui ne l’est
communication sur internet. Ce qui pas en matière de liberté d’expression ?
entraine une redéfinition du régime Pour Gaspard KOENIG, partisan du free
juridique de la liberté d’expression. speech, la liberté d’expression ne devrait
avoir comme limite que « l’attaque direct
A l’ère du numérique, les possibilités pour
contre un individu, qu’il s’agisse d’injure, de
exprimer ses opinions et s’informer
diffamation, de harcèlement ou d’incitation à la
augmentent chaque jour d’avantage. « Les
violence ».
outils de communication numérique et les réseaux
sociaux notamment ont le vent en poupe »41. Les En Afrique, la liberté d’expression est de
blogs, facebook, twitter, instagram, plus en plus bafouée à l’ère du numérique.
youtube, snapchat... Que de possibilités. C’est ainsi que le 4 juin 2021, le
Mais cela génère aussi des problèmes et gouvernement nigérian a suspendu
des abus42. Twitter pour une durée indéterminée. Il
en est de même au Niger où la population
La cyber-haine par exemple, ce sont les
à observer 10 jours de coupure d’internet
expressions (mots, images, vidéos) de
de grande ampleur44. C’est la preuve de la
haine sur internet à l’encontre d’une
prééminence des intérêts personnels et
personnes en raison de sa couleur de
égaux sur les droits des citoyens en
peau, de sa prétendue race, de son origine,
Afrique.
sexe, orientation sexuelle, conviction
philosophique, religieuse ou politique, de Il est certes vrai que l’article 19 de la
leur handicap, maladie et/ou de leur âge. Déclaration universelle des droits de
l’homme et du citoyen propose un

41 LARRIEU (J.), Droit de l’internet, Coll. Mise au 43 Dictionnaire la langue française, [en ligne],
point, éd. Ellipses, 2005, p. 15. disponible sur : www.lalanguefrançaise.com,
42 Par exemple le cyber-harcèlement, la cyber-
« cyber-haine », consulté le 08/03/2022.
haine, atteinte à la vie privée, absence de 44
V. « blocage d’internet : une plainte contre
protection des enfants à l’accès de certaines l’Etat du Niger », [en ligne], disponible sur :
informations néfastes. www.actuniger.com, consulté le 07/03/2022.

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


37
contenu assez large de la liberté liberté fondamentale à voir son régime
d’expression qui à elle seule serait source juridique être réajusté du fait du
de désordre dans la mesure où chaque numérique.
individu pourrait faire tout ce qu’il veut
2. La liberté d’entreprendre à l’ère du
quand il en a envie au seul nom de sa
numérique
liberté d’expression. C’est donc pour
éviter cela que les législateurs dans chaque Les bouleversements engendrés par le

Etat ont trouvé des garde-fous pour numérique n’ont pas épargné le droit des

empêcher tout abus45. activités économiques, tant sur la liberté


d’entreprendre que sur l’encadrement
Ainsi, bien que de nombreux textes
dont elle peut faire l’objet46.
consacrent un régime protecteur de
l’exercice de la liberté d’expression, cela ne Aujourd’hui, la liberté d’entreprendre
signifie pas qu’ils lui reconnaissent un suppose avoir le droit à une existence

caractère absolu. Partant, l’encadrement numérique.


ou la limitation d’internet apparait comme En France, la liberté d’entreprendre a une
une exception à la liberté d’expression est valeur constitutionnelle. Elle découle de
justifiée par l’existence d’autres droits et l’article 4 de la Déclaration des droits de
d’intérêts individuel ou collectif. Apparait l’homme et du citoyen du 26 août 1789.
alors une difficulté. Comment trouver un
juste compromis entre des principes ayant La liberté d’entreprendre implique le droit

chacun leur propre légitimité ? pour les entreprises de développer des


activités à caractère numérique. Ceci étant
Il ne paraît pas opportun de répondre à évidemment garanti par la loi et la
cette interrogation à cet instant de la jurisprudence.
réflexion.
Cette garantie pourrait en fait être
Tout au plus convient-il de souligner que qualifiée de « droit à une existence
la liberté d’expression n’est pas la seule numérique » et implique par la même
occasion différents attributs.
45 ALLECHI (D.), « la liberté d’expression sur
internet pour les citoyens en Afrique », [en ligne],
disponible sur : www.village-justice.com, consulté
le 08/03/2022. 46 RICHARD (J.), op. cit, p. 104.

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


38
Il s’agit du droit à un nom de domaine, du charte a une valeur constitutionnelle dans
droit à fournir des services sur internet, du les Etats.
droit d’utiliser certains instruments tels
Toutefois, il faut évoluer dans une logique
que la publicité, la cryptographie ou les
où la liberté d’entreprendre est un
contrats conclus par voie
domaine qui provient du principe de la
électronique,…47.
liberté du commerce et de l’industrie.
Ainsi, il peut paraitre surprenant de parler Ainsi, l’idée principale est d’autoriser
de cadre au sujet d’une liberté, en l’entrepreneur exercer l’activité qu’il
l’occurrence la liberté d’entreprendre. En souhaite et de la manière dont il le
effet le cadre juridique fait songer à un souhaite.
enfermement. Le cadre encadre quelque
Partant, la liberté d’entreprendre est une
chose48 alors que la liberté ferait plutôt
réalité qui se constate dans les Etats-
référence à une absence de contrainte49.
membres au Traité de l’OHADA à travers
Or, raisonner ainsi serait oublier que la
le développement d’activités économiques
liberté en droit consiste surtout à faire
de proximité dans toutes les villes50.
tout ce qui n’est pas contraire aux lois et
Surtout que l’OHADA s’inscrit dans une
règlements.
perspective évolutive à travers la
En Afrique cette liberté ne va pas de soi. consécration de « l’entreprenant
Tel que nous voyons les choses la liberté numérique » prévu dans l’Acte uniforme
d’entreprendre ne procède pas d’un texte relatif au droit commercial général.
spécifique prenant en compte les enjeux
De même, la liberté d’entreprendre est un
du numérique. Pour cause, la Charte
principe fondamental, ce qu’on appelle
africaine des droits de l’homme ne laisse
une liberté publique au sens de plusieurs
pas paraitre la moindre trace de la
constitutions des Etats de l’Afrique. C’est
consécration d’une liberté d’entreprendre
donc au nom de la liberté publique, qu’on
dans ses dispositions. Alors que cette
peut faire un rapprochement et affirmer la

47 GOURION (P-A.), RUANO-PHILIPPEAU


(M.), Le droit de l’internet dans l’entreprise, Coll. 50 DAOUDA (M.), KAMA (M.), « Le
Systèmes, L.G.D.J, juin 2003, p. 56. commerçant et l’OHADA : L’acquisition de la
48 Le Robert, Editos (Planeta), 2018, « cadre ». qualité de commerçant », [en ligne], disponible
49Le Robert, Editos (Planeta), 2018, « liberté ». sur : www.ohada.com, consulté le 09/03/2022.

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


39
valeur constitutionnelle de la liberté II. UNE AFFINITE NORMATIVE
d’entreprendre. Dans ce cadre le juge PERFECTIBLE
constitutionnelle sera amené à contrôler
Face aux aspects développés54 sur le
étroitement les atteintes législatives à ce
numérique, une amélioration de l’affinité
principe. Cependant certaines restrictions
normative entre les droits humains et le
peuvent être justifiées au nom de l’ordre
numérique s’impose. En repensant la
public51.
protection des droits humains du fait de
Certains auteurs52 vont jusqu’à dire que la l’ambivalence du numérique (A). Cette
réglementation de la concurrence et le démarche permettra de mettre le
droit de la consommation sont des numérique aux services des droits
dérogations à la liberté d’entreprendre. humains (B).
Mais on peut aussi soutenir que la
A. Repenser la protection des droits
règlementation de la concurrence procède
humains du fait de l’ambivalence
d’une autre liberté qui se présente comme
du numérique
un corollaire de la liberté d’entreprendre53.
L’expression « repenser la protection des
L’un dans l’autre, la liberté d’entreprendre droits humains » peut donner l’impression
n’est pas suffisamment garantie. L’absence que les droits humains peuvent être
d’un véritable socle encadrant la liberté révisés à tout moment pour satisfaire une
d’entreprendre en est la preuve. Se dessine réalité en constant changement.
alors la nécessité d’une prise en compte
des enjeux du numérique. Cela permettra
sans doute de perfectionner le cadre 54 On l’a remarqué, dans le premier aspect, le
numérique conduit à la mise en donnée et à la
normatif en matière des droits humains.
mise en réseau du monde. Il remet en question le
contenu et le régime juridique des droits humains.
51 « Le principe de la liberté du commerce et de C’est ainsi que le numérique renforce la capacité
l’industrie », [en ligne], disponible sur : des individus à jouir de certain droits, comme la
www.notaires.fr, consulté le 09/03/2022. liberté d’expression, la liberté d’entreprendre.
52 RENARD et CHAZAL en parlant des Mais il en fragilise d’autres, comme le droit à la
restrictions au prince de la liberté d’entreprendre, vie privée ou le droit d’accès à internet.
[en ligne], disponible sur : www.cours-de- De même, cette contribution intervient alors
droit.net, consulté le 09/03/2022. qu’un triple basculement se manifeste dans les
53 « Le principe de la liberté d’entreprendre et ses innovations technologiques, dans l’économie et
limites », [en ligne], disponible sur : www.cours- dans l’appréhension du numérique dans la société
de-droit.net, consulté le 09/03/2022. (deuxième aspect).

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


40
Mais dans le cadre de cette contribution, Dans la première partie de cette étude, il a
elle nous permet d’entrevoir le contraste été mis en évidence le rôle joué par les
entre les mesures de protection prises et données personnelles dans la
leurs états d’applicabilités. Il s’agit de faire transformation associée au numérique à
un état de lieu de certaines usages du travers la protection de la vie privée. Il en
numérique afin de dégager des pistes de est ressorti que, le cadre juridique de la
solution. Ainsi, l’on envisagerait d’une protection des données personnelles est
part la déflagration des usages des appliqué. Cependant, des fortes
données personnelles (1). D’autre part, interrogations sur ces principes et son
l’on proposera de rendre applicable un effectivité se font jour et appellent à des
socle de règles impératives à tous les réponses.
acteurs du numérique (2).
Nous estimons que si les principes
1. La déflagration des usages des fondamentaux de ces cadres juridiques
données personnelles conduit à en conservent leur pertinence, les
repenser la protection instruments de la protection des données
personnelles doivent être profondément
Les « transformations socio-économiques
rénovés. Cela permettra de réduire la
»55 des sociétés africaines par l’utilisation
surveillance exercée par les Etats.
d’internet ont conduit à une « révolution
numérique »56 qui implique des mutations Cette étude porte sur les droits
de la règlementation et de la gouvernance fondamentaux et non sur la régulation
de ce secteur tant au niveau régional, économique du numérique. Elle ne
qu’international en plus de la dimension pouvait cependant négliger les enjeux
nationale. économiques autour de la valeur qui est
désormais accordée aux données
personnelles57, entrainant une certaine
55 ALZOUMA (G.), « Téléphone mobile, Internet
et développement : l’Afrique dans la société de explosion des données. De cette
l’information ? », Tic & société, vol. 2, n° 2, 2008,
[en ligne], disponible sur : déflagration, il ressort un double constat.
http://journals.openedition.org/ticetsociete/488,
consulté le 14/03/2022. 57 RICHARD (J.), « Numérique : il faut repenser
56 BONJAWO (J.), Révolution numérique dans les pays la protection des droits fondamentaux », [en
en développement. L’exemple africain, Paris, Dunod, ligne], disponible sur : www.dalloz-actualite.fr,
2011, p. 17. consulté le 14/03/2022.

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


41
D’abord, celui de l’ambivalence du l’utilisateur devra s’adresser aux tribunaux
numérique qui, à la fois, permet le de cet Etat59.
développement de certaines libertés. Mais
De toute évidence sur internet, il y’a
l’autre face, pointe certaines menaces pour
toujours une entreprise implantée quelque
la vie privée ou pour la sûreté générale,
part et un internaute souvent situé autre
puisque la cybercriminalité s’est
part. Dans le contexte africain, comment
développée très vite.
prétendre jouir de ces droits
Le second constat, c’est que le numérique fondamentaux en cas de problème avec
ne remet pas en cause les droits et libertés des telles entreprises ?
fondamentaux eux-mêmes. Mais ce sont
Il faut repenser les modes de protection
les instruments de leur exercice ou de leur
des droits fondamentaux pour les adapter
protection qui, eux, sont insuffisants ou
à l’explosion du « Big Data »60 et au
défaillants, ou encore nécessites de
caractère transnational d’internet. Les
notables transformations. Avec à l’appui
risques liés aux données personnelles
une question qui nous a beaucoup
librement saisies ou bien capturées sont
occupée, celle de la territorialité de la
de plus en plus importants.
norme.
Chacun doit prendre conscience que la
Face à une telle question, on peut avoir
validation des CGU61 répond à des
l’impression que le numérique est « a-
impératifs imposés par le droit
territorial »58. En réalité, il est traversé par
commercial. Il est obligatoire de recueillir
l’emprise des Etats. Quand une grande
le consentement de l’utilisateur,
société comme GOOGLE ou
l'expression du consentement et sa
FACEBOOK décrit ses conditions
générales d’utilisation, elle précise bien
que celles-ci sont régies par le droit d’un
Etat américain et qu’en cas de litige,
59 Voir la politique de confidentialité de
FACEBOOK, qui désigne le juge californien
comme étant le seul juge compétent en cas de
litige.
60 « Big Data »: ensembles de toutes les données

58 RICHARD (J.), « Numérique : il faut repenser numériques.


la protection des droits fondamentaux », op. cit. 61 CGU : Conditions générales d’utilisation.

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


42
preuve. La trace est donc indispensable : « Prenons l’exemple des opérateurs de
Idem est non esse et non probari »62. téléphonie mobile et celui des GAFAM63.

Au-delà des usages pour les particuliers, le Dans le premier cas, on constate l’absence
numérique génère d’immenses d’une libre circulation au sein des espaces
opportunités économiques et industrielles. communautaires de l’Afrique. Dans le
Il soulève également d’importants enjeux sens où, les frais d’itinérance pour les
géopolitiques et démocratiques. Face à la voyageurs qui empêchent les utilisateurs
domination d’acteurs étrangers dans ce de téléphone mobiles d’appeler, d’envoyer
secteur, l’Union Africaine doit chercher à des SMS et de surfer sur Internet à
tirer son épingle du jeu. A cela, nous nous l’étranger au prix de leur pays d’origine.
accordons à proposer la piste de
Dans le deuxième cas, on constate une
l’harmonisation des législations afin de
domination des GAFAM sur le marché
renforcer la protection des droits humains
numérique Africain. De fait, les pays
et avoir un marché commun du
émergeants de l’Afrique sont devenus
numérique. Pour ce faire, il faut déjà
pour ces entreprises des marchés cibles,
commencer par rendre applicable une
car moins matures. Bacely Yoroby,
politique numérique impérative à tous les
développeur ivoirien et fondateur du
acteurs du numérique.
premier réseau Google à Abidjan observe
2. Rendre applicable un socle de que « ils ont le champ libre ».
règles impératives à tous les
Face à des telles situations, l’Afrique doit
acteurs du numérique
chercher à défendre ses intérêts en
Dans le cadre de cette contribution, est soumettant ces entreprises à une meilleure
acteur du numérique toute organisation régulation et lutter contre leurs abus, afin
qui fait usage de la technologie pour de permettre aux entreprises du continent
développer, proposer ou fournir des de prospérer et de garantir le respect des
produits ou des services, ou permettre droits humains.
l’accès des usagers, à de tels produits ou
services à travers les outils du numérique.
63Le terme GAFAM se compose des initiales des
cinq géants du web que sont Google, Apple,
62 « Pas de preuve, pas de droit ». Facebook, Amazon et Microsoft.

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


43
En Afrique, il existe une multitude de d’ailleurs la raison pour laquelle a été lancé
textes réglementant la protection des « l’appel à la mise en place d’un cadre normatif
droits humains en lien avec le approprié conforme à l’environnement juridique,
numérique64. culturel, économique et social africain »66.

Prenons l’exemple de la Convention sur la Dès lors, la convention de Malabo semble


cyber - sécurité et la protection des être un sérieux prétendant pour la mise en
données personnelles, du 27 juin 2014, qui place d’un cadre normatif approprié.
n’est toujours pas en vigueur65. C’est Puisque l’esprit et la lettre du texte vise à «
renforcer et harmoniser les législations actuelles des
64 Le numérique participe à l’intégration des
organisations communautaires comme l’illustrent Etats membres et des Communautés
l’adoption de l’Acte addition A/SA.2/10 du 16 Economiques Régionales (CER) en matière de
février 2010, portant sur les transactions
électroniques dans l’espace de la Communauté TIC »67, dans le respect des libertés
Économique des États de l’Afrique de l’Ouest en fondamentales et des droits de l’Homme
visioconférence (CEDEAO) ou encore la mise
en place d’une stratégie régionale de cyber- et des Peuples.
sécurité et de lutte contre la cybercriminalité
adoptée par le Parlement de la CEDEAO, le 18 Elle vise également à créer « un cadre
janvier 2020.
Aussi, les États africains essayent, par des normatif approprié correspondant à
instruments conventionnels, unilatéraux et de soft l’environnement juridique, culturel, économique et
law de promouvoir une vision développementale
du numérique répondant à l’Agenda 2063. La social africain »68 et souligne que la
Déclaration Sharm El Sheik, du 26 octobre 2019, protection des données personnelles et de
sur la stratégie africaine de transformation
numérique s’inscrit dans cette optique tout la vie privée est un « enjeu majeur de la société
comme la Décision de la quatorzième session de l’information »69. Elle prévoit aussi que «
ordinaire de la Conférence des chefs d’État et de
gouvernement sur les défis et perspectives pour le chaque État partie s'engage à adopter des mesures
développement, des technologies de l’information
législatives et/ou réglementaires pour identifier les
et de la communication, d’Addis-Abeba, des 31
janvier au 2 février 2010.
65 Elle relevait dès 2014 : les lacunes dans la l’absence de législations fiscales et douanières
règlementation en matière de reconnaissance appropriées au commerce électronique.
juridique des communications de données et de la 66 Alinéa 10 du préambule de la convention de

signature électronique ; l’absence de règles Malabo.


juridiques spécifiques protectrices des 67 Voir le préambule de la convention de Malabo.

consommateurs, des droits de propriété 68 Ibidem.

intellectuelle, des données à caractère personnel et 69 Tout traitement de données personnelles doit

des systèmes d’information ; l’absence de respecter un équilibre entre libertés


législations relatives aux télé services et télétravail fondamentales, promotion et usage des TIC,
; l’encadrement de la publicité en ligne ou encore intérêts des acteurs publics et privés.

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


44
secteurs considérés comme sensibles pour sa compte la manière dont il affecte les
sécurité nationale et le bien-être de son économie ». droits humains. D’où la nécessité à agir
dans l’optique de mettre le numérique aux
Ainsi, il convient de faire une
services des droits individuels en
sensibilisation au tour de cette convention
renforçant la liberté des individus (1). Cela
afin que les Etats parties la ratifient70car,
passera par la reformation de
force est de constater que, seulement deux
l’intervention des Etats dans la régulation
pays signataires le Sénégal le 3 août 2016
du numérique (2).
et l’Ile Maurice le 6 mars 2018 l’avaient
ratifié pour que celle-ci entre en vigueur 1. Renforcer la « liberté numérique »
sur leur territoire national. des individus

La protection des droits humains, ainsi Aujourd’hui, l’usage du numérique montre


repensée, faciliterait la promotion de la à bien des égards que les utilisateurs font
culture numérique pour pouvoir mettre le preuve d’un consentement passif. C’est
numérique au service des droits humains. ainsi que les conditions générales
d’utilisation des applications ou des
B. Mettre le numérique aux services
plateformes sont invariablement acceptées
des droits humains
sans pour autant être lues.
Il est crucial de se concentrer sur les droits
Cette attitude est en réalité rationnelle,
humains à l’ère du numérique71. La
dans la mesure où les droits actuels ne
technologie numérique offre déjà des
donnent que très peu de pouvoirs aux
nombreux avantages et inconvénients.
individus72. A quoi bon lire les politiques
Ainsi, le numérique peut avoir des effets
relatives à la confidentialité ou aux
négatifs, voire catastrophiques s’il est
contenus pouvant être mis en ligne,
utilisé sans prendre suffisamment en
puisqu’elles sont de toute façon imposées
70 Au départ, seuls 13 pays sur les 55 de l’Afrique à tous les utilisateurs du service, sans
ont signé cette convention à savoir : Bénin,
Tchad, Comores, Congo, Ghana, Guinée-Bissau, aucune marge de négociation pour ces
Mauritanie, Sierra Leone, São Tomé-et-Príncipe, derniers ? Ces individus n’ont le choix
Zambie rejoint ensuite par le Sénégal, Ile Maurice
et le Togo. qu’entre accepter les conditions proposées
71 Pour ces développements, RICHARD (J.), Le

numérique et les droits fondamentaux, Rapport


annuelle du Conseil d’Etat, pp. 262 et s. 72 RICHARD (J.), op.cit, p. 261.

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


45
ou abandonner. Aussi que le recours à des « l’opt-out »74 à « l’opt-in »75 pour
services concurrents conduirait à la même l’installation des cookies76 par exemple.
situation.
Egalement, dans le cadre de l’Union
Ce consentement passif constitue un Européenne, Richard Jacky dans l’étude
obstacle à une protection effective des annuelle du conseil d’Etat de 2014 dresse
droits individuels. Puisque « les droits 50 propositions pour mettre le numérique
reconnus aux individus se limitent, pour au service des droits humains. Pour ainsi
l’essentiel, à leur permettre de rester à l‘écart du dire, l’Union Africaine peut se servir du
traitement de leurs données, sans leur donner de modèle de l’UE pour parfaire
réel pouvoir sur le contenu du service et la manière l’insuffisance de la protection des droits
dont leurs données sont traitées »73. humains à l’ère du numérique. L’une des
propositions marquant cette partie est
D’où l’importance de définir des principes
celle qui préconise de renforcer la
améliorant la protection des droits
dimension de l’individu acteur dans le
individuels.
droit à la protection des données77. La
D’abord, il faudra une nouvelle définition première proposition envisage la
du consentement qui imposerait de dimension de l’individu comme un droit à
nouvelles obligations aux responsables de l’auto-détermination78 plutôt que comme
traitement. Ainsi le consentement doit un droit de la propriété.
occuper une place centrale dans les
législations en matière de protection des
données personnelles et de la vie privée. Il 74 Droit de s’opposer.
75 Obligation de recueil du consentement.
doit figurer parmi les modes de 76 En visitant des sites internet, vous voyez

légitimation des traitements de données régulièrement un message vous demandant


d’accepter ou paramétrer vos cookies. Il s’agit en
énumérés de manière limitative dans les fait des fichiers textes enregistré dans le
législations Africaines. L’Union Africaine navigateur web par un site durant une visite.
77 Proposition n°1.
peut bien renforcer les droits des 78 C’est un concept dégagé par la cour
utilisateurs en imposant le passage de constitutionnelle allemande en 1983. C’est un
droit attaché à la personne, tendant à « garantir en
principe la capacité de l’individu à décider de la
communication et de l’utilisation de ses données à
caractère personnel ». Il est différent du droit de la
73 Ibidem. propriété.

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


46
Enfin, cette proposition ainsi formulée, sont des fois à l’origine des graves
tend donc à accroitre les capacités d’action violations des droits humains.
des individus. Dans la même lancée, il
Ainsi, l’intervention publique doit
faudra « promouvoir les technologies de protection
aujourd’hui assurer d’une part la
de la vie privée, accroitre la transparence sur les
sécurisation juridique des usages des
classements proposés par les plateformes, en créant
données, parce qu’il est le « facteur de
un droit d’alerte en matière de protection des
développement de l’économie numérique »82. Et,
données personnelles ou en consacrant le droit de
d’autre part assurer un « encadrement plus
faire valoir ces observations face aux
étroit des traitements présentant les risques les
applications »79.
plus importants »83. Certains Etats de
Par cette logique, l’intervention publique l’Afrique l’ont compris.
est nécessaire pour pouvoir accroitre la
Le Bénin en est un exemple dans ce sens.
capacité des individus à agir pour la
Ce pays a su encadrer l’avènement du
défense de leurs droits. Ainsi, « à amplifier
numérique à travers son code du
les possibilités d’action des pouvoirs publics eux-
numérique qui assure une protection
mêmes »80.
minimale des droits humains à l’ère du
2. Une rénovation de la « régulation numérique.
du numérique »81 par les Etats
Plus loin, il a été mis en place, l’Autorité
A l’ère numérique, les Etats jouent un rôle de protection des données personnelles
primordial dans l’élaboration des qui assure la protection de la vie privée,
instruments de la protection des droits des libertés individuelles et le droit de
humains. D’où l’importance de la chaque personne. Tout récemment, l’
rénovation de l’intervention des autorités l’Autorité de protection des données
publiques. Et parce que ces mêmes Etats personnelles a invité toutes les personnes
physiques ou morales, tous les
79 RICHARD (J.), op. cit, p. 262. responsables de traitement qui exploitent
80 Selon la formule de RICHARD (J.), op.cit.
un système de vidéosurveillance, traitent
81 La « régulation du numérique » dans le cadre de

ce travail, s’entend de l’ensemble des mécanismes les données personnelles via un site
et des moyens juridique mis en place par les Etats
pour garantir le respect des droits humains à l’ère 82 RICHARD (J.), op.cit, p.264.
du numérique. 83 Ibidem.

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


47
internet ou une application, ou collectent
ces données directement ou indirectement
à travers lesdits outils, à se mettre en
conformité avec la loi.

Des telles initiatives sont à encourager au


niveau de l’Union Africaine dans la
mesure où, elles permettent de bien
protéger les droits humains. Elles peuvent
également permettre la création d’un
rescrit en matière de données
personnelles, qui serait un instrument
adapté pour renforcer la sécurité juridique.

De même, il faudra que les Etats prennent


des dispositions claires et précises, qui
visent directement les géants du Web, afin
de réguler la quantité énorme des données
qu’ils collectent. Ils doivent également
ratifier la convention de Malabo afin de
disposer d’une réglementation harmonisée
conformément à l’Acte consultatif de
l’Union africaine84 qui fait explicitement
référence à « la coordination et à
l’harmonisation des politiques entre les
Communautés économiques régionales existantes
et futures ».

84 [En ligne], disponible sur :


https://au.int/sites/default/files/pages/32020-
file-constitutiveact_en.pdf, consulté le
23/03/2022.

Bulletin d’Information du CEDHOP, n° 7, Janvier - Mars 2022


48
CHRONIQUES

49
LA DIGNITE HUMAINE DANS LE SYSTEME REGIONAL AFRICAIN DES
DROITS DE L’HOMME
Par

IDRISSA Mamoudou
Président du Tribunal d’Instance de Tchintabaraden
Doctorant en Droit Public à l’Université Abdou Moumouni

La dignité ! On en recourt souvent, on en Au-delà, l’article 5 est ainsi libellé : «


recourt tous les temps. Elle est devenue Tout individu a droit au respect de la
le levier principal, la poutre maitresse en dignité inhérente à la personne humaine
matière de protection des droits de et à la reconnaissance de sa personnalité
l’homme. Certes, la Charte Africaine juridique. Toutes formes d'exploitation et
des Droits de l’Homme et des d'avilissement de l'homme notamment
Peuples1 énonçait déjà dans son l'esclavage, la traite des personnes, la
préambule : « Considérant la Charte de torture physique ou morale, et les peines
l'Organisation de l'Unité Africaine, aux ou les traitements cruels inhumains ou
termes de laquelle la liberté, l’égalité, la dégradants sont interdites». Mais, que
justice et la dignité sont des objectifs recouvre cette notion de dignité?
essentiels à la réalisation des aspirations
Le principe de dignité sert à énoncer
légitimes des peuples africains » ; et
comment il faut traiter les êtres humains
« Conscients de leur devoir de libérer
ou comment il ne faut pas les traiter.
totalement l'Afrique dont les peuples
Dignement, pour un être humain signifie
continuent à lutter pour leur
« Humainement »2, c'est-à-dire comme
indépendance véritable et leur
un être humain, ni plus (comme un
dignité……..».

1 Adoptée en 1981 à Nairobi et entrée en vigueur


le 28 octobre 1986 ; elle porte le nom de charte 2 Kant, E., Fondement de la métaphysique des moeurs,
de Banjul. Paris, Delagrave, 1952, p.758.

50
Dieu), ni moins (comme une chose ou l’ensemble des droits de l’Humanité. Elle
un animal)3. vient à la rescousse de la liberté et de
l’égalité.
Je propose de me concentrer sur la
réception de la notion de dignité Dans le système africain, la dignité
humaine dans le système de protection est un principe qui remplit une
des droits de l’Homme et de m’interroger fonction de justification de l’adoption
sur l’impact de cette notion sur la de la Charte Africaine des Droits de
jurisprudence régionale africaine. l’Homme et des Peuples.

La notion de dignité a une double portée Ceci découle de l’insistance des


pour les personnes privées de liberté: rédacteurs à travers la répétition du mot
d’une part elle proscrit les mauvais ‘’ dignité’’. La charte africaine confère à la
traitements infligés par les autorités qui la dignité à la fois une valeur axiologique
remettent en cause, d’autre part elle et la place privilégiée.
implique un droit subjectif vis-vis de
Les conditions et circonstances
l’Etat. Lorsqu’elle est revendiquée, elle
d’adoption témoignent de
sert de fondement pour exiger de l’Etat
l’aboutissement d’un processus long et
sa garantie ou une des prestations
difficile5.
positives, notamment en ce qui concerne
les conditions de détention et la Ces circonstances témoignent aussi de la
protection de la santé et le bien être intra volonté des dirigeants de l’époque de
muros4. placer l’homme au début, au centre et à
la fin de toute politique de gestion de
Contrairement aux autres droits
l’Etat. Aussi cette adoption solennelle a
fondamentaux, la dignité humaine ne
permis de doter l’Afrique selon
protège pas une activité spécifique, mais
l’expression du Professeur Maurice
Ahahanzo Glélé d’un instrument
3 Un animal ne doit pas être traité de façon
indigne, mais il ne doit pas non plus être traité 5ALIOUNE Badara Fall, La Charte Africaine
comme un être humain. des Droits de l’Homme et des Peuples: entre
4 Des détenus. Expression utilisée par Antonio universalisme et régionalisme, in revue
Augusto Cancado Trindade, l’expansion de la « pouvoirs » 2009/2 n° 129 | pages 77 à 100.
juridiction internationale et la sauvegarde de la L’auteur rend compte des différentes étapes
dignité humaine, in le respect de la dignité humaine,pp d’adoption de la Charte Africaine des Droits de
7-28, fortaleza 2015. l’Homme et des Peuples.

51
privilégié de promotion et de protection elle n’a pas à être définie, mais plutôt
des droits6 lorsqu’il écrit : « L’OUA caractérisée. La dignité va de soi : c’est
donne à l’homme d’Afrique un une valeur sure et consubstantielle à la
extraordinaire et puissant instrument de personne humaine dont elle assure
libération, disons d’émancipation et l’entière protection des droits dès la
d’épanouissement dans une dialectique naissance jusqu’à la mort. C’est une
de complémentarité et de symbiose… ». valeur insaisissable et indérogeable. En
outre, elle est insusceptible de
Outre qu’elle n’a pas été définie, la
renonciation ou de transaction.
dignité humaine n’a pas été conçue
comme un droit autonome dans la Elle a pour conséquence :
CADHP. Elle se rapporte à ce qu’il est
- Le principe de la primauté de la
permis de faire à l’homme et des interdits
personne humaine ;
de faire. C’est pourquoi, on l’invoque de
- Le respect de l’être humain dès le
façon alternative et interchangeable dans
commencement de sa vie (ce qui
les termes tels que traitements cruels,
pose la question du moment où
inhumains ou dégradants ou atteinte à la
commence la vie) ;
dignité humaine.
- L’inviolabilité de l’intégrité ;
Lorsqu’elle conclut une violation de - L’absence de patrimonialité du
l’article 5, la Commission ne fait souvent corps humain, et l’intégrité de
pas la distinction entre le fait de ne pas l’espèce humaine.
avoir respecté la « dignité » et une
La jurisprudence de la commission
violation de l’interdiction des « peines et
Africaine des Droits de l’Homme et des
traitements cruels, inhumains ou
Peuples révèle que la dignité est
dégradants ».
continuellement violée dans le monde
Si elle n’est pas définie, c’est parce qu’elle
contemporain, créant ainsi un énorme
constitue un principe supra-positif en
fossé entre l’idéal fixé à l’adoption et
même temps que la consécration d’un
l’ignominie de la réalité du quotidien.
idéal moral en droit positif. D’ailleurs,
6 Maurice Glélé Ahanhanzo, « Introduction à la
Charte africaine des droits de l’homme et des
peuples », Mélanges Claude-Albert Colliard, Pedone,
1984, p. 516.

52
La jurisprudence7 a utilisé la conception Commission a considéré qu’en refusant à
très large de la dignité humaine. D’une M. Modise sa nationalité et en le
part elle est un levier de protection de la déportant à plusieurs reprises, le
personne contre le volontarisme étatique Botswana a violé son droit au respect de
dont elle assure la limite et d’autre part, la dignité humaine. Elle concluait que le
elle sert à requérir la mise à disposition fait d’être contraint à vivre sans abri,
des moyens de subsistance minimaux aux constituait un traitement inhumain et
personnes vulnérables. dégradant contrevenait à la dignité des
êtres humains et violait ainsi l’article 5 de
La dignité est un moyen de
la Charte.
protection de la personne contre la
torture, les traitements dégradants ou Cette affaire vient étayer la conclusion
inhumains selon laquelle le déplacement
involontaire ou forcé, lorsqu’il est causé
Dans l’affaire Modise, l’auteur a été
par une conduite directement imputable
rendu apatride lorsque l’Etat défendeur,
à l’Etat ou à ses services, constitue une
qui a annulé sa nationalité botswanaise,
violation du droit au respect de la dignité
l’a déporté en l’Afrique du Sud pour des
humaine8.
motifs d’ordre politique. L’Afrique du
Sud l’a à son tour déporté vers ce qui La dignité permet la mise à
était alors le Bophuthatswana, lequel l’a disposition de conditions de vie
pour sa part déporté à nouveau au minimales
Botswana.
La dignité a été invoquée et utilisée pour
Incapable de décider où faire séjourner la justifier la protection du droit à la santé, à
victime, l’Etat défendeur l’a laissé sans- un environnement sain et au logement
abri pendant une longue période sur une soit isolement, soit conjointement avec
bande de territoire créée spécialement à les autres droits et du coup rend
la frontière avec l’Afrique du Sud et justiciables les droits économiques et
appelée « no-man’s land ». La
8 Cette conclusion comporte deux dimensions :
7 Le caractère jeune de la Cour Africaine des une négative, à savoir l’obligation de l’Etat de
Droits de l’Homme et des Peuples fait qu’on se s’abstenir de telles pratiques et l’autre positive, si
fonde sur la jurisprudence de la commission l’Etat le fait malgré tout, son obligation de mise
Africaine des Droits de l’Homme et des peuples. à disposition d’un hébergement.

53
sociaux auprès dans la Charte Africaine Mauritanie, plusieurs communications
des Droits de l’Homme et des Peuples. Il avaient été présentées. Une d’elles
en est ainsi dans l’affaire Krishna alléguait également que certains détenus
Achutan (au nom d’Aleke Banda) c. avaient, entre autres choses, été affamés,
Malawi9. abandonnés à une mort certaine dans de
violentes conditions météorologiques
Aux termes des allégations portées
sans couverture ni vêtements, et privés
contre le Malawi, les prisonniers étaient
de soins médicaux. La Commission a
enchainés des jours durant, sans accès à
considéré que le fait d’affamer des
des installations sanitaires, à la lumière
prisonniers et de les priver de
naturelles. Ils étaient détenus dans des
couvertures, de vêtements et de soins
conditions de surpopulations à telle
médicaux violait à la fois la garantie de
enseigne qu’une cellule conçue pour
respect de la dignité humaine figurant à
soixante dix (70) personnes était occupée
l’article 5 et le droit à la santé prévu à
par deux cent (200) détenus, les privant
l’article 16 de la Charte.
de toute possibilité de mouvement
En fin, La Commission donne son
autonome. Ils subissaient aussi des
explication la plus claire de l’article 5
sévices corporels aux moyens de barres
dans International Pen, Constitutional Rights
métalliques, de bâtons et de choc
Project, INTERIGHTS (au nom de Ken
électrique, les mains enchainées en
Saro-Wiwa Jr.) and Civil Liberties
permanence. La Commission a décidé
Organisation c. Nigéria.
que ces faits constituaient une violation
de la garantie de dignité personnelle Dans son raisonnement la Cour
énoncée à l’article 5 de la Charte. développe le contenu de l’article 5 de la
charte en ces termes : « L’article 5 [de la
A la suite, plusieurs autres affaires mirent
Charte] interdit non seulement la
à nu les violations du principe de dignité
torture, mais aussi le traitement cruel,
personnelle10. Dans les affaires de la
inhumain ou dégradant.

9 Communication 64/92, Krishna Achutan (au nom fers aux pieds et menottes et de les soumettre à
d’Aleke Banda) c. Malawi, Septième Rapport des voies de fait dans leurs cellules. Certains des
d’activités (2000) ; AHRLR 143 (CADHP 1994). détenus dans cette affaire étaient enchaînés aux
10 Dans l’affaire Ken Saro-Wiwa Jr., les actes murs de la cellule. Les cellules étaient décrites
considérés comme violant l’article 5 de la Charte comme « sales et mal aérées » et les détenus
incluaient le fait de faire porter aux détenus des étaient privés de soins médicaux.

54
Cela comprend, non seulement des ou la forcent à agir contre sa volonté
actes qui causent de graves ou sa conscience ».
souffrances physiques ou
psychologiques, mais aussi ceux qui
humilient la personne

55
« PROPOS HETERODOXES SUR UNE CATEGORIE POLITIQUE : LES
NON-AFFILES » !
Par
Abdoul-Malik ISSOUFA
Master en Droit International et Droits de L’Homme

INTRODUCTION politiques membres, ni de la majorité


présidentielle, ni de l’opposition politique
La majorité gouverne.
et qui, en parfaite volonté, choisissent
L’opposition s’oppose. Cette répartition
cette forme de neutralité.
fonctionnelle institue une dichotomie
logique parmi les formations politiques, Les partis non-affiliés, ici étudiés, doivent
dans les Etats respectueux du être distingués de l’opposition non-
multipartisme. Elle facilite la affiliée. Celle-ci correspond au
catégorisation des forces politiques en regroupement de partis politiques
présence : tant qu’il n’est pas de la effectivement membres de l’opposition
majorité, un parti politique est politique, mais non affiliés à son chef de
nécessairement de l’opposition et vice- file, soit parce qu’ils n’en ont pas exercé
versa. Cependant, la pertinence d’une la faculté, soit parce que leur sollicitation
telle grille de lecture se relativise, voire d’affiliation est refusée notamment2.
s’annule, au regard d’une catégorie Dans les deux cas, l’opposition non-
politique (plus ou moins nouvelle), qu’il affiliée jouit d’une liberté d’action vis-à-
est convenu d’appeler les non-affiliés ou vis du cadre de cadre de concertation de
parti politiques non-affiliés. Elle regroupe, du l’opposition politique, conduite par son
moins dans les Etats où la législation en chef de file.
permet la constitution1, tous les partis

juin 2019 de la Cour constitutionnelle


nigérienne.
1V. par exemple Article 51 de la loi modifiant et 2 V. Loi n°046-2013/AN du 17 décembre 2013

complétant l'ordonnance n°2010-84 du 16 modifiant loi n°009-2009/AN du 14 avril 2009


décembre 2010, portant Charte des partis portant statut de l’opposition politique et
politiques (au Niger) adoptée par l'Assemblée Déclaration des partis de l’Opposition Non
nationale en sa séance du Vendredi 24 mai 2019. Affiliée (ONA) au Burkina Faso, consulté en
On lira avec intérêt l'arrêt n° 03/CC/MC du 11 ligne le www.burkina24.org le 15 février 2022.

56
Cette réalité valide le constat de justifications avancées par les non-affiliés
« l’existence d’oppositions différentes, pour fonder leur neutralité.
moins dans leur nature que dans leurs
I. L’INDISTINCTION DES
modalités d’exercice et formes
PARTIS TRADITIONNELS
d’expression »3.
L’un des arguments récurrents avancés
Cela dit, la catégorie des non-affiliés
par les leaders des partis non-affiliés
s’apparente juridiquement à la
consiste dans l’assimilation des partis
manifestation d’une « liberté
traditionnels. Dans les milieux non-
d’association » politique exercée par les
affiliés, en effet, l’idée est enracinée que
partis membres. Son existence est la
les majoritaires et les opposants ne
conséquence d’un acte juridique, d’une
présentent aucune différence. Ils seraient
prérogative garantie et protégée comme
les simples acteurs d’un jeu de chaise
telle par la législation interne et
musicale.
internationale.
A l’appui de leur affirmation, les non-
Toutefois, philosophiquement, les
affiliés font valoir que les alternances
considérations qui président à la non-
successives du pouvoir politique n’ont
affiliation politique semblent plus
point empêché la reconduite des mêmes
intéressantes dans la mesure où, elles
pratiques de gouvernance. Telle
rendent mieux compréhensibles la
opposition critique, dénonce la mauvaise
revendication et l’exercice d’une telle
gestion de telle majorité tout en la
liberté.
copiant, souvent en pire, une fois en
Aussi, dans les lignes qui suivent, il situation de responsabilité. Les crimes
s’agira d’évoquer et évaluer économiques, l’instrumentalisation de la
successivement les principales justice, le musèlement de la presse et –
poursuit l’historien André Salifou - bien
d’autres « maux que les hommes
3Pascal Jean, « Les oppositions », Revue pouvoirs, politiques de tous bords avaient certes
n° 106 : L’opposition, janvier 2004, p. 26. Cité
par Marie Epiphane Sohouenou, « Le statut vigoureusement dénoncés, lorsqu’ils
juridique de l’opposition politique dans les étaient dans l’opposition, mais qu’ils ont
nouvelles démocraties africaines », Revue béninoise
des sciences juridiques et administratives, n° 25, 2011, de plus belle laissé se propager une fois
p. 220.

57
qu’ils sont parvenus eux-mêmes aux sanctionner le cas échéant, un certain
affaires. Combien d’entre eux, poursuit nombre de pratiques non-conformes à la
l’historien, n’ont pas usé alors de caisses bonne gouvernance. De la sorte, les non-
noires, utilisé véhicules et fonds de l’Etat affiliés s’uniraient aux majoritaires – pour
pour leur campagne électorale »4. Au vu y être absorbés – dans l’objectif de
de ce qui précède, les catégories de provoquer le changement qu’ils appellent
« majorité » et d’ « opposition » de leurs vœux. A défaut d’une alliance
ressemblent à des postures avec les majoritaires, les partis non-
circonstancielles doublées d’impostures affiliés pourraient intégrer l’opposition
continuelles. politique en vue de l’agrandir et lui
permettre d’incarner un solide contre-
De telles affirmations justifieraient le
pouvoir, face aux majoritaires pour en
choix de certains partis politiques à ne
critiquer la gouvernance.
pas s’affilier, à s’écarter des cadres
classiques qui font figure de repoussoir. Dans les deux cas, l’utilité de
positionnement – que refusent les non-
Cependant, en dépit de sa factualité et de
affiliés – est indéniable. Ce constat rend
sa pertinence, pareil argument ne justifie
hautement inopportun le principe de la
guère – de notre point de vue - le
non-affiliation, d’autant que, dans les
principe de la non-affiliation. En effet, au
faits, les partis non-affiliés se comportent
lieu d’une simple dénonciation des
souvent en opposants politiques. Ils
« inconséquences » des partis
n’hésitent pas à critiquer l’action
traditionnels, les non-affiliés devraient
gouvernementale et formuler des contre-
contribuer également à les enrayer.
propositions5 à l’instar des partis
Au regard de leur nombre, les partis non d’opposition6.
affiliés forment potentiellement une
force électorale plus ou moins
5 V par exemple Rahila Tagou, « Déclaration Du
importante. En cela, il leur est loisible, de Groupe Des Partis Politiques Non Affiliés :
s’allier aux majoritaires en contrepartie Appel Au Respect Des Lois Régissant Le Jeu
Démocratique Et Au Dialogue Inclusif »,
d’un engagement à corriger, et consulté en ligne www.lesahel.org, le 15 février
2022.
6 V article 11 alinéa 1 de l’Ordonnance n° 2010-

4André SALIFOU, Le Niger, coll. A la rencontre 85 du 16 décembre 2010 portant Statut de


de, Paris, L’Harmattan, 2002, p. 341. l'opposition (au Niger). « L'opposition a le droit

58
Par moments, l’analyste politique en sur l’échiquier politique, les formations
vient à soupçonner les leaders des partis traditionnelles étaient séparées, de façon
non-affiliés d’entretenir moins un étanche, sur le plan idéologique en
sentiment de méfiance politique qu’un « libéraux » et « socialistes » ; partis de
contentieux personnel envers leurs « droite » et de « gauche » notamment.
homologues de l’opposition. On ne Or, selon les discours non-affiliés, les
saurait autrement expliquer ce refus défis auxquels sont confrontés les Etats
d’intégrer l’opposition politique tout en africains en particulier les obligent, si non
assumant, factuellement, le rôle. à une combinaison idéologique, du
Pourtant, pour des personnalités ayant moins, à une neutralité doctrinale pour
vocation à gouverner l’Etat, incarner la élargir le champ des solutions et les
figure du « père de la nation », la capacité soutiens géopolitiques.
à se surpasser, à taire les guerres d’égos
Etre de l’opposition ou de la majorité est
semblent indispensables. En tous les cas,
« une réalité dépassée… La gouvernance
celles-ci ne légitiment aucunement la
mondiale actuelle… ne vas plus dans ce
non-affiliation politique. Encore que, le
sens…Je ne crois pas qu’un seul camp ait
regroupement des partis politiques – au
la vérité du développement… »7, affirme
sein d’un cadre de concertation - n’a pas
Luc A. Tiao, président d’un parti
vocation à transformer ceux-ci en
politique au Burkina Faso8.
serviteurs ou en marchepieds pour le
chef de file de l’opposition. Théoriquement séduisant, cet argument
ne résiste pas à la critique. En effet, les
II. LES DISTINCTIONS
démarcations idéologiques, en Afrique
IDEOLOGIQUES
comme ailleurs, ne sont pas
Le second argument invoqué par les nécessairement vérifiables dans la
non-affiliés consiste dans une prétendue pratique. Que de partis dits libéraux ont
inopportunité des démarcations conduit des politiques socialistes !
idéologiques, auxquels se livreraient les
partis classiques. Tout se passe comme si, 7 Interview du 31 octobre 2021, accordée à la
Radio Télévision du Burkina (RTB) dans
de suivre l'action gouvernementale, de la l’Emission Sur la brèche, consulté sur
critiquer de façon objective et constructive dans Youtube.com le 14 février 2022.
le sens du renforcement de l'idéal démocratique 8 Alors même que la loi burkinabé ne consacre

et du progrès économique, social et culturel ». pas la non-affiliation !

59
Que de socialistes ont entrepris des jugée trop bénéfique aux sociétés
réformes franchement libérales. commerciales et défavorable aux masses ;
L’histoire politique nigérienne, par en somme, critiquable du point de vue de
exemple, en porte témoignage. la doctrine socialiste qui prône plutôt
l’inverse.
A ce sujet, écrit Salou Gobi, «…Définir
l’idéologie politique du Président De tels épisodes historiques – récents au
Mamadou Tandja n’est pas aisé. Il est demeurant – illustrent le caractère peu ou
censé être… d’une formation politique… prou théorique des démarcations
de droite, à savoir le MNSD-Nassara qui idéologiques des formations politiques.
l’a porté au pouvoir à deux reprises »9.
Ce constat est d’autant plus fondé que les
Mais, «…à l’analyse de sa gestion du
différences doctrinales supposées ne
pouvoir d’Etat et de ses relations
semblent pas un obstacle aux alliances
politiques, force est de constater qu’il y a
électorales. Celles-ci sont censées
mélange des genres »10 où le socialisme
cristalliser un compromis (entre alliés)
semble l’emporter au regard de ses
prenant en compte l’ensemble des
discours, ses priorités et ses réalisations.
sensibilités idéologiques en présence,
De l’avis d’une grande partie de l’opinion
dans des conditions harmonieuses. De
nigérienne, Tandja Mamadou fut un
bout en bout, l’argument de
président de gauche malgré son
l’inopportunité des démarcations
appartenance à un parti de droite, soit
idéologiques – pour justifier le choix de
disant. A contrario, l’ancien Président
la non-affiliation politique – semble
Issoufou Mahamadou ouvertement
irrecevable.
socialiste11 a été vivement critiquée
notamment pour sa politique fiscale12, Conclusion

Au vu de ce qui précède, la
9 Salou Gobi, Mamadou Tandja : Destins croisés,
Editions l’héritage, 2014, p. 112. catégorie des partis non affiliés –
10 Ibidem

11 Andrien POUSSOU, Le président Mahamadou


légalement autorisée – apparait
Issoufou : Un humaniste, Paris, L’Harmattan, 2021, inopportune. Son institution repose sur
p. 41
12 On se rappelle de la loi de finances de 2018,
des arguments, des prétextes absolument
très controversée, qui donna lieu à beaucoup de
contestations avec des arrestations d’acteurs de CJ/CEDEAO Affaire Illia Malam Mamane Saidat
la société civile. V. à ce sujet notamment C. Republique du Niger, 22 juin 2021.

60
fragiles. Dans la pratique, les non-affiliés
assument plus ou moins des fonctions
d’opposition tout en refusant le statut.
Ce déguisement stratégique constitue une
forme de concurrence politique déloyale
à l’opposition politique ; surtout lorsque
les non-affilés se mettent à la disposition
des majoritaires13. Il importe que le
législateur mette les acteurs politiques
devant leurs responsabilités, en les
obligeant à jouer franc jeu. La
transparence et l’assomption des choix
constituent des vertus politiques.

Aussi, il urge que soit légalement abrogé


le principe de la non-affiliation. La
lisibilité et la crédibilité de l’activité
politique s’en porteraient mieux.

13 En 2021, le groupement des partis politiques


non affiliés (GPPNA) au Niger a « réitèr[é] sa
position historique de soutenir le gouvernement,
dans toutes les actions qu’il entreprendra au
bénéfice du Niger et de son peuple, et
s’insurgera bien entendu contre toute action qui
pourrait nuire à notre nation ». (V. Tiemago
Bizo, « Politique : les partis politiques non affiliés
saluent la démarche et l’engagement du président
Bazoum », consulté en ligne www.nigerinter.com le
15 février 2022). On ne demanderait pas plus
aux majoritaires !

61
LA CEDEAO FACE A LA CRIMINALITE TRANSNATIONALE
ORGANISEE : ENJEUX ET DEFIS
Par
OUSMANE MAHAMANE Boubacar
Doctorant en droit public à l’UAC,
Enseignant vacataire à la FSJP/ UAM de Niamey

La perméabilité des institutions de la mise en place du Conseil de


nationales à la corruption, les frontières Médiation et de Sécurité, du Système
poreuses, les lacunes structurelles d’Observatoire Paix et Sécurité, du
concernant la surveillance des territoires Secrétariat Exécutif. De même, le
et le non-respect des lois sont autant des Parlement et la Cour de Justice
facteurs qui expliquent l’importance Communautaire comptent au nombre
croissante de l’Afrique de l’ouest sur la des structures mises en place par la
carte de la criminalité transnationale Conférence des Chefs d’Etat et des
organisée1. Gouvernement pour soutenir le cadre et
l’architecture de la Paix et de la Sécurité
Face à cet immense défi sécuritaire, la
régionale.
CEDEAO dispose d’un riche réservoir
d’instruments juridiques et institutionnels De leurs côtés les Etats membres de la
pouvant lui permettre d’accomplir la CEDEAO ont progressé en adoptant
mission qui lui a été confiée. d’énormes outils juridiques aux niveaux
nationaux. La création des commissions
L’affichage des grandes ambitions
nationales anti-crimes, la mise en place
sécuritaires régionales témoigne en effet
des réseaux institutionnels sécuritaires,
1 ONUDC, Programme Régional pour l’Afrique
L’institution des cellules nationales
de l’Ouest 2010-2014 en appui à la Déclaration
Politique de la Communauté Economique des antidrogues, témoignent de la volonté de
Etats de l’Afrique de l’Ouest(CEDEAO) sur la
ces Etats de contrecarrer les menaces
prévention de l’abus de drogue, du trafic illicite
de drogue et du crime organisé en Afrique de transfrontalières.
l’Ouest, adoptée à la trente-cinquième Session
ordinaire de la Conférence des Chefs d’Etat et
de Gouvernement de la CEDEAO, New York,
2011,p.5.

62
Dans l’ensemble, les réponses (ONUDC3), en tant qu’homologue
normatives ont consisté à édicter des stratégique de la CEDEAO qui a
textes orientalisés et à appliquer des concrétisé les efforts de lutte contre la
textes répressifs dans la lutte contre la criminalité transnationale organisée en
criminalité transnationale organisée. Ce Afrique de l’Ouest. Les interventions de
qui a permis de constater en effet non l’ONUDC dans la région ouest-africaine
seulement des grandes réformes des sont en effet très stratégiques.
textes sécuritaires, mais aussi de
Les interventions unilatérales ont
converger vers une totale harmonisation
consisté à répondre aux menaces
des législations internes des Etats
sécuritaires régionales en appuyant
membres.
notamment les Plans d’Actions
Aussi, dans l’objectif de rendre plus Régionaux avec la mise en place des
dynamique le cadre sécuritaire régional, la Programmes Nationaux Intégrés. Les
CEDEAO a fait recours à la coopération interventions en guise d’amitié ont porté
pénale internationale2. Cette coopération sur l’assistance à la réforme de la Justice
s’expliquait dans le cadre de l’entraide et Pénale, la rédaction des textes sécuritaires
de l’extradition judiciaire au niveau et la formation des Professionnels de
régionale d’une part et d’autre part dans Justice.
la collaboration avec les grandes
S’ajoutent à ces actions les assistances
puissances étrangères comme l’Union
matérielles, les rénovations des
Européenne, la France, les Etats-Unis
laboratoires nationaux de criminalistiques
d’Amérique.
et les cellules aéroportiques antidrogue.
Mais c’est surtout l’Office des Nations Les interventions internationales quant à
Unies contre la drogue et le crime elles, soutiennent les ratifications des
conventions contre la criminalité
transnationale organisée principalement
2 UNODC, La coopération internationale en donc la convention de Palerme etc.
matière pénale contre le terrorisme, New-York,
Nations unies, 2011, p .87..Lire aussi la
convention de la CEDEAO de 1992 relative à
l’entraide judiciaire en matière pénale, la 3 ONUDC, Office des Nations Unies contre la
convention de la CEDEAO de 1994 relative à drogue et le crime, Programme régional pour
l’extradition judicaire. l’Afrique de l’Ouest

63
Mais cette lutte connait des limites à favorise le développement considérable
plusieurs niveaux. Ainsi des difficultés se de toutes formes de vulnérabilités. Aussi,
sont constatées dans le fonctionnement le problème de prédominance du Nigeria
interne même de la CEDEAO. On peut au sein de l’ECOMOG constitue un
noter entre autres : leadership qui influence sérieusement les
prises de décisions sécuritaires régionales.
 La faiblesse de la réponse
sécuritaire due à l’absence des Pour vaincre ces problèmes, la nécessite
moyens techniques adéquats d’une collaboration et d’une coordination
contre le phénomène de la de la coopération entre les Etats
criminalité transnationale membres d’une part, et les forces de
organisée ; défense et de sécurité d’autre part, s’avère
nécessaire. Le contrôle transfrontalier, la
 La capacité d’intervention des promotion de l’Etat de droit, le respect
acteurs Judiciaires demeure de la gouvernance politique, l’implication
insuffisante y compris les de la société civile dans les prises de
ressources financières dont décisions, le renforcement des capacités
dispose la CEDEAO dans le parlementaires, le dialogue national,
cadre des opérations de maintien l’éradication de la pauvreté sont autant
de Paix. des solutions pour la réussite d’une
sécurité intégrative.

Par ailleurs, le problème de la diplomatie Il est aussi important d’accélérer les


classique, l’inexistence des sanctions dans réformes de la gouvernance et du secteur
la stratégie sécuritaire de la CEDEAO de la sécurité4 avec la mise en place des
constituent un blocage certain quant à centres nationaux et régionaux de lutte
l’application conséquente des contre la criminalité transnationale
conventions, des protocoles et de tous organisée.
les dispositifs sécuritaires régionaux
d’ailleurs de création même récente. 4 OKEY (U.), Gouvernance et Réforme du
Secteur de la Sécurité en Afrique de l’Ouest :
Cette situation crée en effet la lenteur
Du concept à la réalité, centre pour le
dans la mise en œuvre des capacités contrôle démocratique des forces armées (,
DCAF), Document d’orientation politique
d’actions et des efforts de lutte. Ce qui
n°35, Genève, février 2014, 54p.

64
LEGISLATION

65
REPUBLIQUE DU NIGER LOI N° 2018 - 37 du
……………………… 1er juin 2018,
Fraternité-Travail-Progrès
Fixant l’organisation et la compétence
des juridictions en République du
Niger.

Vu la Constitution du 25 novembre 2010 ;

LE CONSEIL DES MINISTRES ENTENDU


L’ASSEMBLEE NATIONALE A DELIBERE ET ADOPTE,
LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE PROMULGUE LA LOI
DONT LA TENEUR SUIT :

TITRE PREMIER : PRINCIPES FONDAMENTAUX


Article premier : En République du Niger, la justice est rendue en matière civile, commerciale,
coutumière, sociale, pénale, économique, financière et administrative par la Cour de cassation,
le Conseil d’Etat, la Cour des comptes, les Cours d’appel, les tribunaux de grande instance, les
tribunaux d’arrondissements communaux, les tribunaux d’instance, les tribunaux communaux,
les tribunaux administratifs, le tribunal militaire, les tribunaux de commerce, les tribunaux du
foncier rural, les tribunaux du travail, les tribunaux pour mineurs, le Pôle spécialisé en matière
économique et financière et le Pôle judiciaire en matière de lutte contre le terrorisme et la
criminalité transnationale organisée.

Art. 2 : Les audiences, sauf exceptions prévues par la loi, sont publiques en toutes matières à
moins que cette publicité ne soit dangereuse pour l’ordre public ou les mœurs, auquel cas la
juridiction saisie prononce le huis clos par arrêt ou jugement préalable.

Les arrêts ou jugements doivent être motivés à peine de nullité. Ils sont en toutes matières
prononcés publiquement, sauf ceux qui interviennent sur les incidents survenus lors du huis
clos.

Sous réserve des dispositions particulières à la rédaction des décisions des hautes juridictions,
les arrêts et les jugements doivent être rédigés dans un délai de trente (30) jours au plus par les
juges qui les ont rendus, sous peine de sanctions disciplinaires telles que prévues par le statut
de la magistrature.

Sauf exceptions prévues par la loi, toutes les décisions doivent obligatoirement mentionner
l’avertissement donné par le président de la juridiction aux parties comparantes de leur droit de
recours ainsi que du délai et de la forme dans lesquels il peut être exercé. Lorsque

66
l’avertissement n’a pas été donné, le recours formé hors délai ou sous une forme irrégulière est
déclaré recevable.

Art. 3 : En toute matière, nul ne peut être jugé sans être en mesure de présenter ses moyens de
défense.

Les avocats ont libre accès devant toutes les juridictions. La défense et le choix du défenseur
sont libres.

En toutes circonstances, le juge doit observer et faire observer le principe du contradictoire. Il


ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu’il a relevés d’office, sans avoir au
préalable invité les parties à présenter leurs observations.

Art. 4 : La justice est rendue au nom du peuple nigérien.

Les expéditions des arrêts, jugements, mandats de justice ainsi que les grosses et expéditions de
tous les actes susceptibles d’exécution forcée sont intitulées ainsi qu’il suit : «République du
Niger», «Au nom du peuple nigérien» et terminées par la formule exécutoire suivante : «En
conséquence, le Président de la République mande et ordonne à tous huissiers, sur ce requis, de
mettre ledit arrêt ou jugement, à exécution, aux procureurs généraux, aux procureurs de la
République et aux procureurs délégués près les tribunaux d’y tenir la main, à tous
commandants ou officiers de la force publique de prêter main forte lorsqu’ils en seront
légalement requis. En foi de quoi le présent arrêt ou jugement a été signé par ...».

Art. 5 : Les Cours, les tribunaux de grande instance, le tribunal de commerce, le Pôle spécialisé
en matière économique et financière et le Pôle judiciaire en matière de lutte contre le terrorisme
et la criminalité transnationale organisée statuent en la forme collégiale.

Des assesseurs avec voix délibérative complètent le tribunal du travail.

En matière coutumière, des assesseurs avec voix consultative complètent la Cour de cassation,
le tribunal de grande instance, le tribunal d’instance, le tribunal d’arrondissement communal, le
tribunal communal et le tribunal du foncier rural.

TITRE II : ORGANISATION DES JURIDICTIONS EN REPUBLIQUE DU


NIGER
Chapitre premier : Dispositions générales
Art. 6 : Les Cours et les tribunaux de grande instance fixent par un règlement pris en assemblée
générale, le nombre, la durée, les jours et heures des audiences ainsi que leur affectation aux
diverses catégories d’affaires.

Le règlement prévu à l’alinéa premier ci-dessus est permanent. Il ne peut être appliqué qu’après
avoir été approuvé par le Ministre de la Justice. Il en est de même pour toutes modifications
ultérieures. Il est publié au Journal Officiel de la République du Niger.

Art. 7 : Les juridictions se réunissent en assemblée générale sur convocation écrite ou verbale
adressée par leur président à tous les magistrats du siège et du parquet.

67
Les membres du parquet ont le droit de faire inscrire sur le registre de la juridiction toutes
réquisitions aux fins de décision qu’ils jugent opportunes pour une bonne administration de la
justice.

Ils doivent se retirer lors de la délibération de l’assemblée générale sur ces réquisitions.

Art. 8 : La durée et la date des vacances judiciaires sont fixées par arrêté du Ministre de la
justice.

Il est tenu, pendant les vacances judiciaires, des audiences dites de vacation.

La Chambre des vacations est uniquement chargée d’expédier les affaires correctionnelles et de
simple police. En matières civile, commerciale et administrative, elle connaît des affaires qui
requièrent célérité.

Les délibérations de l’assemblée générale fixant les audiences de vacation sont portées par le
greffier en chef de la juridiction sur le registre des délibérations, et expédition en est transmise,
dans la huitaine, au Ministre de la justice, par les soins du parquet. Elles sont, en outre, portées
à la connaissance du public par affichage à la porte des palais de justice et publication en est
faite au Journal Officiel de la République du Niger.

Art. 9 : En cas d’absence ou d’empêchement d’un greffier et à défaut d’un autre greffier pour le
suppléer, le président de la juridiction désigne par ordonnance un fonctionnaire, un officier ou
agent de police judiciaire pour le remplacer.

La personne ainsi désignée prête le serment spécial aux greffiers.


Art. 10 : Les juridictions, et dans chaque juridiction, les membres qui les composent prennent
rang entre eux dans l’ordre ci-après :

1) Cour de cassation

Siège : Le premier président, les présidents de Chambre, les conseillers, les auditeurs.

Parquet général : Le procureur général, le premier avocat général, les avocats généraux.
Secrétariat général : Le secrétaire général.

Greffe : Le greffier en chef, les Chefs de chambres, les greffiers. 2) Conseil d’Etat

Siège : Le Premier président, les présidents de Chambres, les conseillers, les auditeurs.

Secrétariat général : Le secrétaire général.

Greffe : Le greffier en chef, les Chefs de chambres, les greffiers.

3) Cour des comptes


Siège : Le Premier président, les présidents de Chambre, les conseillers, les vérificateurs.

Parquet général : Le procureur général, le premier avocat général, les avocats généraux.

68
Secrétariat général : Le secrétaire général.

Greffe : Le greffier en chef, les Chefs de chambres, les greffiers.

4) Cours d’appel
Siège : Le Premier président, le vice-président, les présidents de Chambres, les conseillers.

Parquet général : Le procureur général, le premier substitut général, les substituts généraux.

Greffe : Le greffier en chef, les Chefs de chambres, les greffiers.

5) Tribunaux de grande instance


a) Tribunaux de Grande Instance Hors Classe
Siège : Le Premier président, les vice-présidents, les présidents de Chambres, le doyen des juges
d’instruction, les juges d’instruction, le juge de l’application des peines, les juges des mineurs,
les juges.

Parquet : Le procureur de la République, le procureur adjoint, le ou les premiers substituts du


procureur de la République, les substituts.

Greffe : Le greffier en chef, les Chefs de chambres, les greffiers.

b) Tribunaux de grande instance


Siège : Le président, le vice-président, les juges d’instruction, le juge de l’application des peines,
le juge des mineurs, les juges.

Parquet : Le procureur de la République, le premier substitut, les substituts.

Greffe : Le greffier en chef, les Chefs de chambres, les greffiers.

6)Tribunaux d’Arrondissements Communaux


Siège : Le président, le juge d’instruction, le ou les juges.

Parquet : Le procureur de la République délégué, le substitut.

Greffe : Le greffier en chef, les greffiers.

7)Tribunaux d’instance
Siège : Le président, le juge d’instruction, les juges.

Parquet : Le procureur de la République délégué.

Greffe : Le greffier en chef, les greffiers.

8)Tribunaux communaux
Siège : Le président.

Greffe : Le greffier en chef, les greffiers.


69
9)Tribunaux du travail : Le président, le greffier en chef, les secrétaires.
10) Tribunaux de commerce :
Siège : Le président, les juges professionnels, les juges consulaires.

Greffe : Le greffier en chef, les greffiers.

11) Tribunaux administratifs :


Siège : Le président, les juges.

Greffe : Le greffier en chef, les greffiers.

12) Tribunaux des mineurs :


Siège : Le président, les juges.

Greffe : Le greffier en chef, les greffiers.

13) Tribunaux du foncier rural : Le président, les juges, le greffier.


14) Tribunal militaire :
Siège : Le président, le suppléant du président, le président de la chambre de contrôle de
l’instruction, les membres de la chambre de contrôle de l’instruction, les juges d’instruction, les
membres de la chambre de jugement.

Parquet : Le Commissaire du Gouvernement, le substitut du commissaire du Gouvernement.

Greffe : Le greffier en chef, les greffiers.

15) Pôle spécialisé en matière économique et financière :


Siège : Le président, le vice-président, les juges d’instruction, les juges ;

Parquet : Le procureur de la République, le ou les substitut (s) du procureur de la République.

Greffe : Le greffier en chef, les greffiers.

16) Pôle judiciaire en matière de lutte contre le terrorisme et la criminalité


transnationale organisée :
Siège : Le président, le vice-président, les juges d’instruction, les juges.

Parquet : Le procureur de la République, le ou les substitut (s) du procureur de la République.

Greffe : Le greffier en chef, les greffiers.

Art. 11 : Les honneurs civils sont reçus par les membres des juridictions dans les conditions
fixées par la réglementation des cérémonies publiques, préséances, honneurs civils et militaires.

Art. 12 : Le siège, le ressort, la composition des Cours et tribunaux sont fixés par la loi.

Chapitre II : La Cour de cassation


70
Art. 13 : La Cour de cassation est la plus haute juridiction de la République en matière
judiciaire.

Elle a son siège à Niamey.

Ses attributions, sa composition, son organisation et son fonctionnement sont fixés par une loi
organique.

Chapitre III : Le Conseil d’Etat


Art. 14 : Le Conseil d’Etat est la plus haute juridiction de la République en matière
administrative.

Il a son siège à Niamey.

Ses attributions, sa composition, son organisation et son fonctionnement sont fixés par une loi
organique.

Chapitre IV : La Cour des comptes


Art. 15 : La Cour des comptes est la plus haute juridiction de contrôle des finances publiques.
Elle est juge des comptes de l’État, des collectivités territoriales, des établissements et
entreprises publics, des autorités administratives indépendantes et de tout organisme
bénéficiant du concours financier de l’État et de ses démembrements.

Elle exerce une compétence juridictionnelle, une compétence de contrôle ainsi qu’une
compétence consultative.

Le siège de la Cour des comptes est à Niamey.

Ses attributions, sa composition, son organisation et son fonctionnement sont fixés par une loi
organique.

Chapitre V : Les Cours d’appel


Art. 16 : Il est créé une Cour d’appel dans chaque chef-lieu de région.

Le ressort de chaque Cour d’appel est la région.

Art. 17 : La Cour d’appel se réunit en audience ordinaire, en audience solennelle, en Chambre


de conseil, en commission paritaire d’appel et en Assemblée générale.

Art. 18 : En audience ordinaire, la Cour d’appel se réunit pour statuer sur tous les appels de sa
compétence interjetés contre les décisions rendues par les juridictions, ainsi que sur les autres
matières de sa compétence pour lesquelles la loi n’a pas prévu de formation particulière.

Elle siège en formation de trois (3) magistrats.

Art. 19 : En audience solennelle, la Cour se réunit pour recevoir le serment des magistrats, pour
l’audience de rentrée de la Cour, pour l’installation de ses membres ou des nouvelles
juridictions qui lui sont rattachées.
71
Elle siège en formation de la moitié au moins des magistrats du siège composant la Cour.

Art. 20 : En Assemblée générale, la Cour se réunit notamment pour :

- établir ou modifier le règlement du service intérieur ;


- fixer les dates des audiences de vacations et des audiences spéciales ;
- statuer sur les décisions en matière disciplinaire concernant les avocats et autres
auxiliaires de justice ou officiers ministériels, ainsi que sur le contentieux des élections
concernant lesdites professions ;
- donner son avis sur les demandes de révision lorsqu’il est requis par le Ministre de la
justice ;
- connaître de toute autre matière de sa compétence pour laquelle la loi a prévu une telle
formation.
Les délibérations de l’Assemblée générale sont prises à la majorité absolue des magistrats du
siège composant la Cour.

En commission paritaire d’appel, la Cour connaît des recours contre les décisions du Conseil
de l’Ordre des avocats et du Conseil de discipline.

Art. 21 : Dans les cas prévus par la loi, la Cour d’appel se réunit en Chambre de conseil.

Elle siège dans la même formation qu’en audience ordinaire.

Art. 22 : La Cour d’appel comprend une Chambre civile, une Chambre spécialisée en matière
commerciale et financière, une Chambre administrative, une Chambre sociale, une Chambre
des affaires correctionnelles, une chambre des affaires criminelles, une Chambre d’accusation et
une Chambre des mineurs.

La Cour d’appel de Niamey comprend en outre une Chambre de contrôle en matière


économique et financière, une Chambre de contrôle en matière de lutte contre le terrorisme et
la criminalité transnationale organisée, une Chambre de jugement en matière économique et
financière et une Chambre de jugement en matière de lutte contre le terrorisme et la criminalité
transnationale organisée .

Art. 23 : Le Premier président de la Cour d’appel est l’organisateur de sa juridiction.

A ce titre, il exerce notamment les fonctions suivantes :

l’établissement au début de chaque année judiciaire du tableau de roulement des


-
conseillers ;
- la distribution des affaires et la surveillance du rôle général ;
- le remplacement à l’audience du président de la Chambre ou du conseiller empêché ;
- la convocation de la Cour pour les assemblées générales ;

72
- la surveillance de la discipline de la juridiction ;
- l’organisation et la réglementation du service intérieur de la Cour, notamment la fixation
de la composition des Chambres.
Le Premier président de la Cour d’appel est également chef de la Cour et à ce titre, il représente
sa juridiction et convoque les conseillers pour les cérémonies publiques.

Art. 24 : En cas d’empêchement ou d’absence momentanée du premier président de la Cour


d’appel, il est remplacé par le vice - président.

Le vice-président est remplacé par le président de Chambre présent, le plus ancien dans le
grade le plus élevé.

Chaque président de Chambre est remplacé par le conseiller présent, le plus ancien dans le
grade le plus élevé.

En cas d’empêchement d’un conseiller à l’audience et à défaut d’un autre conseiller pour le
remplacer, le premier président de la Cour d’appel pourvoit à la vacance en désignant par
ordonnance le juge le plus ancien dans le grade le plus élevé disponible parmi les membres du
tribunal de grande instance du siège de la Cour n’ayant pas connu de l’affaire.

Art. 25 : Les attributions du ministère public sont exercées par le procureur général près la
Cour d’appel, qui est assisté d’un premier substitut général et de substituts généraux.

En cas d’empêchement ou d’absence momentanée, le procureur général est remplacé par le


premier substitut général; chaque substitut général est remplacé par le substitut du procureur
général le plus ancien dans le grade le plus élevé, et/ou disponible.

Art. 26 : Le Premier président de la Cour d’appel et le procureur général procèdent à


l’inspection des juridictions de leur ressort. Ils s’assurent chacun en ce qui le concerne, de la
bonne administration des services judiciaires et de l’expédition normale des affaires. Ils rendent
compte chaque année au Ministre de la justice, des constatations qu’ils ont faites.

Chapitre VI : Des juridictions du premier degré


Art. 27 : Les juridictions du premier degré comprennent des juridictions de droit commun et
des juridictions spécialisées.

Section 1 : Les juridictions de droit commun


Art. 28 : Les juridictions de droit commun comprennent les tribunaux de grande instance, les
tribunaux d’arrondissements communaux, les tribunaux d’instance et les tribunaux
communaux. Sous-section 1 : Les tribunaux de grande instance

Art. 29 : Les tribunaux de grande instance sont classés en tribunaux de grande instance hors
classe et en tribunaux de grande instance.

Le siège, le classement, le ressort et la composition des tribunaux de grande instance sont fixés
par la loi.
73
Art. 30 : Les tribunaux de grande instance hors classe comprennent un premier président, un
ou plusieurs vice-présidents, des présidents de Chambre, un doyen des juges d’instruction, des
juges d’instruction, des juges de l’application des peines, des juges des mineurs et des juges.

En cas d’empêchement, le premier président est remplacé par le vice-président le plus ancien
dans le grade le plus élevé.

En cas d’empêchement, le vice-président est remplacé par le président de Chambre le plus


ancien dans le grade le plus élevé.

Chaque président de Chambre est remplacé par le juge le plus ancien dans le grade le plus
élevé, présent et/ou disponible.

Le ministère public comprend un procureur de la République, un procureur adjoint, un ou


plusieurs premiers substituts et plusieurs substituts.

Art. 31 : Les tribunaux de grande instance comprennent un président, un vice-président, des


juges d’instruction, un juge de l’application des peines, un ou plusieurs juges des mineurs et des
juges.

Il est institué un doyen des juges d’instruction dans les tribunaux de grande instance
comportant plus d’un juge d’instruction.

En cas d’empêchement, le premier président est remplacé par le vice-président.

En cas d’empêchement du vice- président, il est remplacé par le doyen des juges d’instruction.

En cas d’empêchement du doyen des juges d’instruction, il est remplacé par le magistrat le
plus ancien dans le grade le plus élevé.

Le ministère public comprend un procureur de la République, un premier substitut et un ou


plusieurs substituts.

Art. 32 : Les magistrats du siège sont assistés du greffier en chef et de greffiers.

Les magistrats du ministère public sont assistés du chef de parquet, du secrétaire et des
secrétaires de parquet.

Art. 33 : Les tribunaux de grande instance se réunissent en audience ordinaire, en audience


solennelle, en chambre de conseil et en assemblée générale.

Art. 34 : En audience ordinaire, sauf exceptions prévues par la loi, les tribunaux de grande
instance sont composés du président et de deux (2) juges.
Art. 35 : En audience solennelle, le tribunal, composé de tous les magistrats du siège et du
parquet, est présidé par le président du tribunal ou, à défaut, par le vice-président.

Il se réunit à l’occasion des audiences de rentrée, pour l’installation des nouveaux magistrats ou
de nouvelles juridictions qui lui sont rattachées.

74
Le tribunal de grande instance comprend une chambre civile, une chambre coutumière, une
chambre correctionnelle, une chambre sociale, une chambre administrative, une chambre des
mineurs, et une chambre criminelle complétée de deux (2) jurés.

Art. 36 : L’Assemblée générale comprend tous les membres du tribunal.

Elle délibère notamment sur le règlement intérieur, sur la date et le nombre des audiences de
vacations, le nombre des audiences foraines et des audiences spéciales.

Art. 37 : Les tribunaux de grande instance tiennent des audiences foraines dans le ressort de
leurs juridictions respectives.

Ils statuent au cours de ces audiences dans la plénitude de leur compétence.

Le tableau des audiences foraines est dressé au mois de juillet de chaque année pour l’année
judiciaire suivante. Il est publié au Journal Officiel, affiché au siège de la juridiction et transmis
au Ministre de la justice par les soins du parquet.

Au surplus, il est tenu des audiences foraines toutes les fois que les besoins du service l’exigent.

Art. 38 : Le président du tribunal est l’organisateur de sa juridiction.

A ce titre, il exerce notamment les fonctions suivantes :

l’établissement au début de chaque année judiciaire, du tableau de roulement des


-
magistrats ;
- la distribution des affaires et la surveillance du rôle général ;
- le remplacement à l’audience du juge empêché ;
- le contrôle du fonctionnement du greffe de la juridiction ;
- la convocation des assemblées générales ;
- la surveillance de la discipline de la juridiction ;
- l’administration des crédits délégués affectés à la juridiction ;
- l’organisation et la réglementation du service intérieur du tribunal.
Le président du tribunal est également chef de la juridiction. A ce titre, il représente sa
juridiction et convoque les magistrats pour les cérémonies publiques.
Sous-section 2 : Les tribunaux d’arrondissement communaux, les tribunaux d’instance
et les tribunaux communaux.

Art. 39 : Il est créé un tribunal dans chaque arrondissement communal dénommé « tribunal
d’arrondissement communal ».

Art. 40 : Les tribunaux d’arrondissements communaux comprennent :

Au siège : Un président, un juge d’instruction, un ou plusieurs juge (s).

75
Au parquet : Un procureur de la République délégué et un ou plusieurs substitut (s).

Le président et les juges du tribunal d’arrondissement communal sont assistés d’un greffier en
chef et de greffiers.

Le procureur de la République délégué et les substituts près les tribunaux d’arrondissements


communaux sont assistés d’un chef de parquet, de secrétaires de parquet et de secrétaires.

En cas d’absence ou d’empêchement du président du tribunal d’arrondissement communal, les


fonctions sont exercées par le juge d’instruction.
En cas d’absence ou d’empêchement du juge d’instruction du tribunal d’arrondissement
communal, les fonctions sont exercées par le juge du tribunal le plus ancien dans le grade le
plus élevé.

Art. 41 : Le procureur de la République délégué et les substituts des tribunaux


d’arrondissements communaux sont investis des compétences qui leur sont reconnues à l’Art.
83 ci-dessous.

Art. 42 : Pour le jugement des affaires prévues à l’article 72 et suivants de la présente loi, le
président du tribunal d’arrondissement communal ou le juge d’arrondissement communal doit
s’adjoindre deux (2) assesseurs représentant la coutume des parties.

Art. 43 : Le président du tribunal d’arrondissement communal a le règlement de ses audiences.

Art. 44: Un tribunal d’instance est créé dans chaque département.

Art. 45 : Les tribunaux d’instance comprennent : Au siège : Un président, un juge


d’instruction et un juge ; Au parquet : Un procureur de la République délégué.

Le président, le juge d’instruction et le juge sont assistés d’un greffier en chef et de greffiers.

Le procureur de la République délégué près le tribunal d’instance est assisté d’un chef de
parquet, d’un secrétaire de parquet et de secrétaires.

En cas d’absence ou d’empêchement du président du tribunal d’instance, ses fonctions sont


exercées dans l’ordre par le juge d’instruction et le juge.

Art. 46 : Pour le jugement des affaires prévues à l’Art. 72 et suivants de la présente loi, le
président et le juge doivent s’adjoindre deux (2) assesseurs représentant la coutume des parties.

Art. 47 : Le président du tribunal d’instance a le règlement de ses audiences, sous le contrôle du


président du tribunal de grande instance auquel il est rattaché.

Il peut tenir des audiences foraines dans le ressort de sa juridiction dans les conditions
déterminées par l’Art. 37 ci-dessus.

Art. 48 : Au siège du tribunal de grande instance, les attributions du tribunal d’instance en


matière civile, commerciale et coutumière sont dévolues à un juge dudit tribunal nommé à cet
effet.

76
Art. 49 : Les procureurs de la République délégués près les tribunaux d’instance sont investis
de la compétence qui leur est reconnue à l’Art. 86 ci-dessous.

Art. 50 : Il est créé un tribunal communal dans chaque commune rurale ne disposant pas de
tribunal d’instance.

Art. 51 : Le tribunal communal comprend un président assisté d’un greffier en chef et de


greffiers.

Art. 52 : Au siège du tribunal d’instance, les attributions du tribunal communal en matière


civile sont dévolues à un juge dudit tribunal nommé à cet effet.

Section 2 : Les juridictions spécialisées.


Sous-section 1 : Les tribunaux du travail.

Art. 53 : Il est créé un tribunal du travail au siège chaque tribunal de grande instance.

Art. 54 : Le ressort de chaque tribunal du travail est celui du tribunal de grande instance auprès
duquel il est établi.

Les attributions, la composition, l’organisation et le fonctionnement du tribunal de travail sont


fixés par la loi.

Sous-section 2 : Les tribunaux de commerce.

Art. 55 : Les Tribunaux de commerce sont des juridictions spécialisées du premier degré et du
second degré.

Les tribunaux de commerce statuent en composition mixte comprenant des magistrats


professionnels et des juges consulaires. Ils sont présidés par des magistrats professionnels.
Art. 56 : Les sièges et les ressorts des tribunaux de commerce sont ceux des tribunaux de
grande instance hors classe et des tribunaux de grande instance.

Les attributions, la composition, l’organisation et le fonctionnement des tribunaux de


commerce sont fixés par la loi.

Sous-section 3 : Les tribunaux administratifs

Art. 57 : Il est créé un tribunal administratif au siège de chaque tribunal de grande instance.

Art. 58 : Le ressort du tribunal administratif est celui du tribunal de grande instance hors classe
et du tribunal de grande instance.

Les attributions, la composition, l’organisation et le fonctionnement des tribunaux


administratifs sont fixés par la loi. Sous-section 4 : Les tribunaux du foncier rural

Art. 59 : Il est créé un tribunal du foncier rural au siège de chaque tribunal d’instance.

77
Art. 60 : Au siège du tribunal de grande instance, les attributions du tribunal du foncier rural
sont dévolues à un juge dudit tribunal nommé à cet effet.

Art. 61 : Le ressort de chaque tribunal du foncier rural est celui du tribunal d’instance.

Les attributions, la composition, l’organisation et le fonctionnement des tribunaux du foncier


rural sont fixés par la loi. Sous-section 5 : Les juridictions pour mineurs

Art. 62 : Il est créé un tribunal des mineurs au siège de chaque tribunal de grande instance.

Le ressort du tribunal des mineurs est celui du tribunal de grande instance auprès duquel il est
établi.

Art. 63 : Le tribunal des mineurs est présidé par le président du tribunal de grande instance et
comprend un ou plusieurs juges des mineurs.

Le juge des mineurs est nommé dans les mêmes conditions que les magistrats du siège.

En cas d’empêchement momentané du ou des juge (s) titulaire ( s), le président du tribunal de
grande instance désigne un intérimaire.

Dans le ressort des tribunaux d’instance, le juge d’instance exerce les attributions du juge des
mineurs.

Les tribunaux des mineurs et les juges des mineurs sont assistés d’un greffier.

Sous-section 6 : Les juridictions militaires

Art. 64 : Les juridictions militaires comprennent : le tribunal militaire et les prévôts.

Art. 65 : Il est créé un tribunal militaire dont le ressort s’étend sur l’ensemble du territoire
national.

Le siège du tribunal militaire est fixé à Niamey.

Art. 66 : Le tribunal militaire peut tenir des audiences en tout lieu relevant de son ressort.

Art. 67 : L’organisation, la compétence et la procédure à suivre devant les juridictions militaires


sont fixées par la loi.

Sous-section 7 : Le Pôle spécialisé en matière économique et financière

Art. 68 : Il est créé un Pôle spécialisé en matière économique et financière auprès du tribunal
de grande instance hors classe de Niamey.

Le siège du Pôle spécialisé en matière économique et financière est fixé à Niamey.

Le ressort du Pôle spécialisé en matière économique et financière est le territoire national.

Art. 69 : Les attributions, la composition, l’organisation et le fonctionnement du Pôle


spécialisé en matière économique et financière sont fixés par la loi.

78
Sous-section 8 : Le Pôle judiciaire en matière de lutte contre le terrorisme et la
criminalité transnationale organisée

Art. 70 : Il est créé un Pôle judiciaire en matière de lutte contre le terrorisme et la criminalité
transnationale organisée auprès du tribunal de grande instance hors classe de Niamey.

Le siège du Pôle judiciaire en matière de lutte contre le terrorisme et la criminalité


transnationale organisée est fixé à Niamey.

Le ressort du Pôle judiciaire en matière de lutte contre le terrorisme et la criminalité


transnationale organisée est le territoire national.

Art. 71 : Les attributions, la composition, l’organisation et le fonctionnement du Pôle judiciaire


en matière de lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale organisée sont fixés par
la loi.

TITRE III : LA COMPETENCE DES JURIDICTIONS


Chapitre premier : Les règles générales applicables aux litiges de droit coutumier et
civil.
Art. 72 : Sous réserve du respect des conventions internationales régulièrement ratifiées, des
dispositions législatives ou des règles fondamentales concernant l’ordre public ou la liberté des
personnes, les juridictions appliquent la coutume des parties :

1) dans les affaires concernant leur capacité à contracter et agir en justice, l’état des
personnes, la famille, le mariage, le divorce, la filiation, les successions, donations et testaments
;
2) dans celles concernant la propriété ou la possession immobilière et les droits qui en
découlent, sauf lorsque le litige porte sur un terrain immatriculé ou dont l’acquisition ou le
transfert a été constaté par un mode de preuve établi par la loi.
Art. 73 : Les juridictions appliquent la loi dans les affaires concernant la propriété ou la
possession immobilière et les droits qui en découlent, lorsque le litige porte sur un immeuble
immatriculé sur le livre foncier ou enregistré au dossier rural, ou lorsque l’acquisition ou le
transfert a été constaté par tout autre mode de preuve établi par la loi.

Art. 74 : En cas de conflit de coutumes, il est statué :

1) selon la coutume de la femme si celle-ci est nigérienne ; dans le cas contraire, selon la
coutume de l’époux, dans les questions intéressant le mariage et le divorce ou l’attribution de la
garde de l’enfant et le sort de l’épouse en cas de rupture de mariage par divorce, répudiation ou
décès de l’un des conjoints ;
2) selon la coutume du donateur, dans les autres questions relatives aux donations ;
3) selon la coutume du défunt, dans les autres questions relatives aux successions et aux
testaments ;
4) selon la coutume du défendeur dans les autres matières.
79
Art. 75 : Les juridictions appliquent la loi, les règlements en vigueur et les usages locaux s’il en
existe qui ne sont pas illicites, immoraux ou contraires à l’ordre public : 1) pour les matières
énumérées à l’Art. 74 ci-dessus;

lorsque les justiciables régis par la coutume l’ont d’un


a)

commun accord demandé ;

b)lorsque le justiciable ne peut se prévaloir d’une coutume ou a totalement ou


partiellement renoncé par un acte non équivoque de volonté.
Cette renonciation s’induit des circonstances de la cause, notamment de ce que les parties ont
constaté leurs actes dans les formes de la loi écrite.

2) pour toutes les matières autres que celles énumérées à l’Art. 72 ci-dessus ;
3) dans le silence ou l’obscurité de la coutume.
Art. 76 : Lorsque pour un litige, l’un des justiciables est régi par la loi et l’autre par la coutume,
le conflit est réglé comme il est dit à l’Art. 72, la loi étant dans ce cas, considérée comme la
coutume de l’une des parties.

Chapitre II : Les Cours d’appel


Art. 77 : Les Cours d’appel connaissent dans les matières de leur compétence de l’appel des
jugements rendus en premier ressort par les tribunaux de grande instance,les tribunaux
d’arrondissement communaux, les tribunaux d’instance, les tribunaux pour mineurs, les
tribunaux de commerce, les tribunaux administratifs, les tribunaux du travail, le Pôle spécialisé
en matière économique et financière et le Pôle judiciaire spécialisé en matière de lutte contre le
terrorisme et la criminalité transnationale organisée.

Elles connaissent également de l’appel des jugements rendus en premier ressort en matière
correctionnelle et de simple police par les tribunaux.

Elles connaissent en outre des appels contre les décisions contentieuses des juges d’instruction.

Art. 78 : La Cour d’appel siégeant en commission paritaire connaît, en outre, des appels contre
les décisions du conseil de l’ordre des avocats rendues en matière contentieuse.

Art. 79 : Sauf exceptions prévues par la loi ou les conventions internationales, les pourvois
contre les arrêts rendus par les Cours d’appel sont portés devant la Cour de cassation ou le
Conseil d’Etat, selon le cas.

Chapitre III : Les tribunaux de grande instance


Art. 80 : Les tribunaux de grande instance sont juges de droit commun en toutes matières à
l’exception de celles dont la compétence est dévolue à d’autres juridictions.

Art. 81 : En matière pénale, les tribunaux de grande instance connaissent des délits et des
contraventions de simple police dans les limites des compétences établies par le code de
procédure pénale.
80
Art. 82 : Les tribunaux de grande instance connaissent en matière civile, de l’ensemble des
matières qui ne sont pas de la compétence des juridictions spécialisées.

Chapitre IV : Les tribunaux d’arrondissement communaux


Art. 83 : En matière pénale, les tribunaux d’arrondissement communaux connaissent des délits
et contraventions de simple police commis sur leurs ressorts respectifs, à l’exception des
infractions suivantes :
- atteintes aux deniers et biens publics de nature délictuelle ;

- corruption et trafic d’influence ;


- ingérence des fonctionnaires ;
- concussion ;
- blanchiment des capitaux ;
- enrichissement illicite ;
- atteintes à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats devant les marchés publics et les
délégations de service public ;
- faux et usage de faux ;
- trafic de drogue ;
- réglementation du commerce et du port des armes ;
- abus de confiance et escroquerie aggravés ;
- infractions en matière commerciale ;
- atteintes à la défense nationale ;
- délits contre la sûreté de l’Etat ;
attentats, complots et autres infractions contre l’autorité et l’intégrité du territoire
-
national ;
- attroupements ;
- délits à caractère racial, régional ou religieux ;
- infractions en matière de terrorisme ;
- cybercriminalité ;
- infractions relatives aux données à caractère personnel ;
traite des personnes et trafic illicite de migrants ; - infractions mettant en cause des
-
mineurs.
Art. 84 : L’appel des jugements rendus par les tribunaux d’arrondissement communaux est
porté devant la Cour d’appel. Toutefois, l’appel des jugements rendus en matière coutumière
est porté devant le tribunal de grande instance.

81
Art. 85 : Pour les jugements prévus à l’Art. 72 de la présente loi, le tribunal d’arrondissement
communal doit s’adjoindre deux assesseurs représentant la coutume des parties.

Chapitre V : Les tribunaux d’instance


Art. 86 : En matière pénale, les tribunaux d’instance connaissent des délits et des
contraventions de simple police. Ils ont également compétence pour procéder à l’instruction
préparatoire sur tout crime ou tout délit.

Art. 87 : Outre les attributions qui leur sont dévolues par les textes particuliers en vigueur, les
tribunaux d’instance connaissent à l’égard de toutes personnes et jusqu’à la valeur de cinq
millions (5.000.000) de francs de toutes les actions civiles ou commerciales purement
personnelles ou mobilières.

Ils connaissent de tous incidents ou difficultés de procédure ou d’exécution et de toutes voies


d’exécution lorsque l’objet du litige entre dans leur compétence et n’excède pas cinq millions
(5.000.000) de francs.

Art. 88 : Les tribunaux d’instance connaissent également à l’égard de toutes personnes, de


toutes difficultés entre bailleurs et locataires lorsque les locations verbales ou écrites n’excèdent
pas cinq millions (5.000.000) de francs annuellement.

Art. 89 : Les tribunaux d’instance connaissent de toutes les demandes reconventionnelles ou en


compensation qui, par leur nature ou leur valeur, sont dans les limites de leur compétence alors
même que ces demandes réunies à la demande principale excèdent ces limites.
Ils connaissent en outre, comme de la demande principale ellemême, des demandes
reconventionnelles en dommages-intérêts fondées exclusivement sur la demande principale à
quelque somme qu’elles puissent monter.

Lorsque plusieurs demandes procédant de causes différentes et non connexes sont formées par
la même partie contre le même défendeur et réunies en une même instance, la compétence du
tribunal d’instance est déterminée par la nature et la valeur de chaque demande considérée
isolément.

Lorsque les demandes réunies procèdent de la même cause ou sont connexes, la compétence
est déterminée par la valeur totale de ces demandes.

Art. 90 : Les tribunaux d’instance connaissent à l’égard des personnes régies par la coutume et
quelle que soit la valeur du litige, de toutes actions concernant les matières prévues à l’Art. 72
de la présente loi.

Ils connaissent en toutes matières à l’égard des mêmes personnes, quelle qu’en soit la valeur, de
tous les litiges régis par les usages locaux dérivant de la coutume à l’exception de ceux
concernant le foncier rural.

Art. 91 : L’appel des jugements rendus par les tribunaux d’instance est porté devant la Cour
d’appel.

82
Toutefois, l’appel des décisions rendues en matière coutumière est porté devant le tribunal de
grande instance territorialement compétent.

Chapitre VI : Les tribunaux communaux


Art. 92 : Les tribunaux communaux connaissent à l’égard des personnes régies par la coutume
et quelle que soit la valeur du litige, de toutes actions concernant les matières prévues à l’article
72 de la présente loi.

Ils connaissent en toutes matières à l’égard des mêmes personnes, quelle qu’en soit la valeur,
de tous les litiges régis par les usages locaux dérivant de la coutume.

Les tribunaux communaux connaissent à l’égard de toutes personnes, de toutes difficultés entre
bailleurs et locataires lorsque les locations verbales ou écrites n’excèdent pas un million
(1.000.000) de francs annuellement.

Ils connaissent en matière civile et commerciale des demandes dont le montant n’excède pas
un million (1 000 000) de francs.

Art. 93 : L’appel des jugements rendus par les tribunaux communaux est porté devant le
tribunal de grande instance de leur ressort.

Chapitre VII : Les juridictions spécialisées


Section 1 : Les tribunaux du travail
Art. 94 : Les tribunaux du travail sont juges de droit commun en matière sociale.

Leur compétence est fixée par la loi.

Section 2 : Les tribunaux de commerce


Art. 95 : La compétence des tribunaux de commerce est fixée par la loi.

Section 3 : Les tribunaux du foncier rural


Art. 96 : Les tribunaux du foncier rural connaissent :

- des affaires concernant la propriété ou la possession immobilière et les droits qui en


découlent lorsque le litige porte sur un immeuble enregistré au dossier rural ;
- des affaires concernant la propriété ou la possession immobilière coutumière et les
droits qui en découlent, la propriété des champs ou des terrains non immatriculés ou non
enregistrés au dossier rural ;
- des affaires concernant les contestations relatives à l’accès aux ressources foncières
rurales, notamment les points d’eau, les aires de pâturage ou de pacage, les couloirs de passage ;
- des affaires concernant le règlement des litiges portant sur les dégâts causés aux cultures
et aux sévices portés aux bétails ;
- en général, de tous les litiges relatifs à la possession et à la propriété des immeubles
immatriculés suivant les modes établis par l’ordonnance n° 93-015 du 2 mars 1993, fixant les
83
principes d’orientation du code rural ;et de toutes les contestations pouvant s’élever
relativement au droit foncier rural.
Section 4 : Les tribunaux administratifs
Art. 97 : La compétence des tribunaux administratifs est fixée par la loi.

Section 5 : Les juridictions pour mineurs


Art. 98 : La compétence des juridictions pour mineurs est fixée par la loi.

Section 6 : Les juridictions militaires


Art. 99 : La compétence des juridictions militaires est fixée par la loi.

Section 7 : Le Pôle spécialisé en matière économique et financière


Art. 100 : La compétence du Pôle judiciaire spécialisé en matière économique et financière est
fixée par la loi.

Section 8 : Le Pôle judiciaire en matière de lutte contre le terrorisme et la criminalité


transnationale organisée
Art. 101 : La compétence du Pôle judiciaire spécialisé en matière de lutte contre le terrorisme et
la criminalité transnationale organisée est fixée par la loi.

TITRE IV : DISPOSITIONS PARTICULIERES


Art. 102 : Sous peine de nullité, les décisions rendues en matière foncière doivent comporter la
délimitation précise de l’objet du litige.

Art. 103 : L’exécution des décisions rendues en matière de litige de champ ou autres terrains de
culture ne peut intervenir pendant la saison de culture.

Art. 104 : En matière de foncier rural, les voies de recours sont suspensives de l’exécution, sauf
lorsque la décision a été rendue sur la base de la prestation du serment confessionnel.

Art. 105 : Dans les affaires concernant le foncier rural, notamment la propriété ou la
possession immobilière coutumière et les droits qui en découlent, la propriété de champs ou de
terrains non immatriculés ou non enregistrés est acquise par l’exploitant après trente (30)
années d’exploitation continue et régulière sans contestation sérieuse, ni paiement d’une dîme
locative par l’exploitant ou sa descendance.

Art. 106 : Le tribunal d’instance saisi par l’époux aux fins de faire constater la répudiation de sa
conjointe est tenu, sauf accord amiable entre les parties, dûment homologué par le juge
compétent, de se prononcer sur la garde des enfants, la pension alimentaire et les frais de
scolarité éventuellement à allouer à ceux-ci, ainsi que la dévolution s’il y a lieu, des biens
communs.

Cette décision sur la garde des enfants, la pension alimentaire et les frais de scolarité est rendue
à la requête du conjoint le plus diligent ou à défaut, le juge saisi y statue d’office.

84
La décision ainsi rendue, exécutoire par provision, est susceptible des voies de recours.

TITRE V : DISPOSITIONS TRANSITOIRES ET FINALES


Art. 107 : En attendant l’installation des tribunaux de commerce, les tribunaux de grande
instance connaîtront du contentieux commercial dont la valeur est supérieure à cinq millions
(5.000.000) de francs.

Art. 108 : En attendant la mise en place des nouvelles juridictions, les juridictions actuelles
continuent à exercer les fonctions qui leur sont dévolues par la loi.

En attendant la nomination des procureurs délégués, les fonctions du parquet au niveau des
tribunaux d’instance et des tribunaux d’arrondissement communaux peuvent être assurées par
un substitut du procureur de la République.

Art. 109 : sont abrogées toutes dispositions antérieures contraires à la présente loi, notamment
celles de la loi n° 2004-50 du 22 juillet 2004, fixant l’organisation et la compétence des
juridictions en République du Niger et les textes modificatifs subséquents.

Art. 110 : La présente loi est publiée au Journal Officiel de la République du Niger et exécutée
comme loi de l’Etat.

Fait à Niamey, le 1er juin 2018

Le Président de la République

Issoufou Mahamadou
Le Premier ministre

Brigi Rafini

Le Ministre de la justice, garde des sceaux


Marou Amadou

85
REPUBLIQUE DU NIGER LOI N°2020-061
………………………… du 25 novembre 2020
Fraternité-Travail-Progrès
Modifiant la loi n°2018-37 du 1er juin 2018, fixant
l’organisation et la compétence des juridictions en
République du Niger.

Vu la Constitution du 25 novembre 2010 ;

Vu la loi n°2018-37 du 1er juin 2018, fixant l’organisation et la compétence des juridictions en République du
Niger ;

LE CONSEIL DES MINISTRES ENTENDU


L’ASSEMBLEE NATIONALE A DELIBERE ET ADOPTE,
LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE PROMULGUE LA LOI
DONT LA TENEUR SUIT :

Article premier : Les articles 16, 22, 87 et 107 de loi n°2018-37 du 1er juin 2018, fixant l’organisation et la
compétence des juridictions en République du Niger sont modifiés et complétés ainsi qu’il suit :

Article 16 (nouveau) : Il est créé une Cour d’Appel dans chaque chef-lieu de région.
Il est créé une Cour d’Appel spécialisée dénommée Cour d’Appel de commerce dans chaque chef-lieu de
région.

Le ressort de chaque Cour d’Appel est la région.

La composition, l’organisation, la compétence et la procédure à suivre devant la Cour d’Appel de commerce


sont fixées par voie législative.

Article 22 (nouveau) : La Cour d’Appel comprend une chambre civile, une chambre administrative, une
chambre sociale, une chambre des affaires correctionnelles, une chambre des affaires criminelles, une chambre
d’accusation et une chambre des mineurs.

La Cour d’appel de Niamey comprend, en outre, une chambre de contrôle en matière économique et
financière, une chambre de contrôle en matière de lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale
organisée, une chambre de jugement en matière économique et financière et une chambre de jugement en
matière de lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale organisée.

La Cour d’Appel de commerce a compétence sur toutes les affaires commerciales déférées devant elle.

Article 87 (nouveau) : Outre les attributions qui leur sont dévolues par les textes particuliers en vigueur, les
Tribunaux d’Instance connaissent, à l’égard de toutes personnes et jusqu’à la valeur de cinq millions
(5 000 000) de francs, de toutes les actions civiles purement personnelles ou mobilières.

86
Ils connaissent de tous incidents ou difficultés de procédure ou d’exécution et de toutes voies d’exécution
lorsque l’objet du litige entre dans leur compétence et n’excède pas cinq millions (5 000 000) de francs.

En matière commerciale, les Tribunaux d’Instance et les tribunaux d’Arrondissement Communaux connaissent
de toutes les actions purement personnelles ou mobilières, à l’égard de toutes personnes, lorsque la valeur du
litige n’excède pas trois millions (3 000 000) de francs.

Article 107 (nouveau) : En attendant l’installation des Tribunaux d’Arrondissement, les Tribunaux de Grande
Instance connaîtront du contentieux commercial dont la valeur est supérieure ou égale à trois millions
(3 000 000) de francs.

Article 2 : La présente loi qui abroge toutes dispositions contraires est publiée au Journal Officiel de la
République du Niger et exécutée comme loi de l’Etat.

Fait à Niamey, le 25 novembre 2020

Signé : Le Président de la République

ISSOUFOU MAHAMADOU

Le Premier Ministre

BRIGI RAFINI

Le Ministre de la Justice, Garde des Sceaux

MAROU AMADOU

87
JURISPRUDENCE

88
AFRICAN UNION UNION AFRICAINE

UNIÃO AFRICANA

AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES’ RIGHTS

COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES

AFFAIRE
GOZBERT HENERICO

C.

RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE

REQUÊTE N° 056/2016

ARRÊT

10 JANVIER 2022

89
SOMMAIRE

Sommaire .......................................................................................................................................................i

I. LES PARTIES ................................................................................................................................... 2

II. OBJET DE LA REQUÊTE ............................................................................................................ 3

A. Faits de la cause ............................................................................................................................. 3

B. Violations alléguées ....................................................................................................................... 4

III. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS ................................. 4

IV. DEMANDES DES PARTIES ........................................................................................................ 8

V. SUR LA COMPÉTENCE DE LA COUR ................................................................................... 9

A. Exceptions d’incompétence matérielle de la Cour ................................................................ 10

B. Autres aspects de la compétence.............................................................................................. 12

VI. SUR LA RECEVABILITÉ ........................................................................................................... 14

A. Exception tirée du non-épuisement des recours internes .................................................... 15

B. Autres conditions de recevabilité ............................................................................................. 18

VII. SUR LE FOND .............................................................................................................................. 19

A. Violation alléguée du droit à un procès équitable .................................................................. 19

i. Violation alléguée du droit d’être jugé dans un délai raisonnable ................................... 20

ii. Violation alléguée du droit à une représentation juridique efficace ................................ 24

iii. Violation alléguée du droit d’être jugé par une cour ou un tribunal compétent........... 30
iv. Violation alléguée du droit à bénéficier des services d’un interprète.............................. 32

B. Violation alléguée du droit à la vie ........................................................................................... 35

C. La violation alléguée du droit à la dignité du Requérant ....................................................... 40

i. Imposition de la peine de mort aux personnes souffrant de troubles mentaux et de


déficience intellectuelle................................................................................................................... 40
ii. Exécution de la peine de mort par pendaison, un traitement cruel, inhumain et

90
dégradant .......................................................................................................................................... 42
VIII. SUR LES RÉPARATIONS .......................................................................................................... 45

A. Réparations pécuniaires ............................................................................................................. 47

i. Préjudice matériel................................................................................................................... 47

ii. Préjudice moral subi par le Requérant ................................................................................ 48

iii. Préjudice moral subi par les victimes indirectes ................................................................ 50

B. Réparations non pécuniaires ..................................................................................................... 51

i. Remise en liberté ..................................................................................................................... 51

ii. Garanties de non-répétition .................................................................................................. 53

iii. Publication de l’arrêt............................................................................................................... 54

IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE.......................................................................................... 55

X. DISPOSITIF .................................................................................................................................... 56

90
La Cour, composée de : Blaise TCHIKAYA, Vice-président ; Ben KIOKO, Rafaâ BEN ACHOUR,
Suzanne MENGUE, M-Thérèse MUKAMULISA, Tujilane R. CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA,
Stella I. ANUKAM, Dumisa B. NTSEBEZA, Modibo SACKO - Juges ; et Robert ENO, Greffier.

Conformément à l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples
portant création d’une Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (ci-après désigné le «
Protocole ») et à la règle 9(2) du Règlement intérieur de la Cour1 (ci-après désigné « le Règlement »), la
Juge Imani D. ABOUD, Présidente de la Cour et de nationalité tanzanienne, s’est récusée.

En l’affaire :

Gozbert HENERICO

représenté par :

Me Donald DEYA, Directeur général, Union panafricaine des avocats (UPA) contre
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE

représentée par :

i. M. Gabriel P. MALATA, Solicitor General, Bureau du Sollicitor General ;

ii. Mme Sarah MWAIPOPO, Directrice - Division des affaires constitutionnelles et des
droits de l’homme, et Principal State Attorney, Cabinet de l’Attorney General ;
iii. Ambassadeur Baraka LUVANDA, Chef de la Division juridique, ministère des Affaires
étrangères et de la Coopération internationale
iv. Mme Nkasori SARAKIKYA, Principal State Attorney, Cabinet de l’Attorney General

v. M. Mark MULWAMBO, Senior State Attorney, Cabinet de l’Attorney General

vi. M. Richard KILANGA, Senior State Attorney, Cabinet de l’Attorney General

1 Article 8(2) du Règlement intérieur du 2 juin 2010.

92
vii. Mme Blandina KASAGAMA, Juriste, ministère des Affaires étrangères et de la
Coopération internationale.

Après en avoir délibéré,

rend l’Arrêt suivant :

I. LES PARTIES

1. Le sieur Gozbert Henerico, est un ressortissant tanzanien qui, au moment du dépôt de


la présente Requête, était détenu à la prison centrale de Butimba, dans la région de
Mwanza, dans l’attente de l’exécution de la peine de mort prononcée à son encontre,
suite à sa condamnation pour meurtre. Il allègue la violation de ses droits à un procès
équitable, à la vie et à la dignité.

2. La Requête est dirigée contre la République-Unie de Tanzanie (ci-après dénommée «


l’État défendeur »), qui est devenue partie à la Charte africaine des droits de l’homme et
des peuples (ci-après désignée la « Charte ») le 21 octobre 1986 et au Protocole le 10
février 2006. Elle a également déposé, le 29 mars 2010, la Déclaration prévue à l’article
34(6) du Protocole, par laquelle elle accepte la compétence de la Cour pour recevoir des
requêtes émanant d’individus et d’organisations non gouvernementales (ci-après
désignée « la Déclaration »). Le 21 novembre 2019, l’État défendeur a déposé auprès du
Président de la Commission de l’Union africaine un instrument de retrait de sa
Déclaration. La Cour a décidé que le retrait de la Déclaration n’avait aucune incidence sur
les affaires pendantes ainsi que sur de nouvelles affaires introduites devant elle avant sa
prise d’effet un an après le dépôt de l’instrument y relatif, à savoir le 22 novembre 2022.

II. OBJET DE LA REQUÊTE

2Andrew Ambrose Cheusi c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête no 004/2015, Arrêt du 26 juin
2020 (fond et réparations), §§ 37 à 39.

93
A. Faits de la cause

3. Il ressort du dossier que le 27 mai 2008, au village de Nyakaka Buturage, dans le district
de Bukoba, région de la Kagera, le Requérant, suite à la vente d’un terrain par le
dénommé Respick Henerico, son frère, a fait irruption au domicile de ses proches
parents qui étaient également ses voisins. En état d’ébriété et sous l’emprise de la
drogue, il a, à l’aide d’une panga (machette), infligé des blessures à trois (3) d’entre eux,
les tailladant à l’épaule, à la tête, au cou et aux mains. Au cours de l’attaque, il a tué son
« neveu » (le fils de son défunt frère) qui était, au moment des faits, porté au dos par la
grand- mère.

4. Après l’attaque, les parents survivants ont donné l’alerte, obligeant ainsi le Requérant à
fuir le lieu du crime pour se rendre au domicile du chef du quartier, qui était également
un proche parent. Le Requérant a été appréhendé puis conduit au poste de police, tandis
que les parents survivants de l’agression étaient transportés à l’hôpital.

5. Le Requérant a été mis aux arrêts le 27 mai 2008, puis mis en accusation pour meurtre,
dans le cadre de l’affaire pénale n°7 de 2012 devant la Haute Cour de Tanzanie à
Bukoba. La mise en accusation a eu lieu le 21 mai 2012, suivie de l’audience préliminaire
le 5 juin 2014 et de l’ouverture du procès le 16 février 2015. Le Requérant a, par la suite,
été reconnu coupable par la Haute Cour qui l’a condamné à la peine capitale le 22 avril
2015.

6. Le Requérant a interjeté appel de sa condamnation et de sa peine en déposant le recours


pénal n°114 de 2016 devant la Cour d’appel de Tanzanie siégeant à Bukoba. Le 26
février 2016, la Cour d’appel a rejeté son recours, le jugeant dénué de tout fondement.

B. Violations alléguées

7. Le Requérant allègue ce qui suit :

i. L’État défendeur a violé son droit à un procès équitable protégé par l’article 7 de
la Charte en :
a) le détenant pendant une période anormalement longue avant de le juger ;

94
b) ne lui fournissant pas d’assistance judiciaire efficace ;

c) ne reconnaissant pas que le procès du Requérant a été entaché d’irrégularité


réelle ou perçue en raison de son contre-interrogatoire par l’assesseur ;
d) ne lui ayant pas fourni un accès adéquat à un interprète.

ii. L’État défendeur a violé son droit à la vie protégé par l’article 4 de la Charte
africaine en lui imposant la peine de mort obligatoire après qui a été reconnu
coupable de meurtre et en :
a) ne prenant pas en compte les circonstances spécifiques du Requérant ;

b) ne prenant pas compte le fait que l’infraction alléguée n’entre pas dans la
catégorie très restreinte des infractions « les plus graves » pour lesquelles la
peine de mort peut être légalement appliquée ; et
c) se voyant imposer une peine de mort par l’État défendeur alors même que
celui-ci n’a pas veillé à ce que le Requérant bénéficie d’un procès équitable.

iii. L’État défendeur a violé son droit à la dignité protégé par l’article 5 de la Charte
africaine en :
a) lui imposant une peine capitale alors qu’il souffre de troubles mentaux ;

b) le condamnant à la mort par pendaison, une méthode cruelle et inhumaine


d’administration de la peine de mort.

III. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS

8. La présente Requête a été déposée devant la Cour le 15 septembre 2016 et notifiée à


l’État défendeur le 15 novembre 2016.

9. Le 18 novembre 2016, la Cour a rendu une ordonnance portant mesures provisoires


enjoignant à l’État défendeur de surseoir à l’application de la peine capitale prononcée à
l’encontre du Requérant en attendant la décision sur le fond.

10. Le 6 février 2017, l’État défendeur a déposé son mémoire en réponse à la Requête,
lequel portait en général sur les réparations Il a été notifié au Requérant le 9 février
2017. Le Requérant a déposé ses observations en réplique le 17 mars 2017.

11. Les débats ont été clos le 14 juin 2017 et les Parties en ont été dûment notifiées.

95
12. Le 13 mars 2018, la Cour de céans a demandé au Requérant de soumettre le rapport de
l’examen médical de son état de santé mentale, effectué à l’Isanga Mental Institution, à
Dodoma, conformément à l’ordonnance du 21 mai 2012 de la Haute Cour. Le 4 juin
2019, le Requérant a informé la Cour de céans qu’il n’a pas été en mesure d’obtenir une
copie dudit rapport.

13. Le 24 avril 2018, l’Union panafricaine des avocats (UPA) a sollicité, auprès de la Cour,
l’autorisation de représenter le Requérant, d’apporter des modifications à la Requête et
de déposer, conformément à la règle 50 du Règlement intérieur de la Cour, des preuves
supplémentaires, notamment un rapport d’examen médical de l’état de santé mentale du
Requérant commandé par l’UPA elle-même.

14. Le 2 mai 2018, la Cour a ordonné la réouverture des débats et autorisé le Requérant à
modifier les pièces de procédure ainsi qu’à déposer des preuves supplémentaires.

15. Le Requérant a, le 4 juin 2018, déposé la Requête modifiée comportant un rapport


d’examen médical de son état de santé mentale (daté du 29 mai 2018) commandé par
l’UPA. La Requête modifiée et le rapport d’examen médical de l’état de santé mentale
du Requérant ont été notifiés à l’État défendeur le 14 juin 2018.

16. Le Requérant a déposé ses observations sur les réparations le 3 décembre 2018. Celles-
ci ont été notifiées à l’État défendeur le 6 décembre 2018.

17. L’État défendeur n’a pas soumis de mémoire en réplique à la Requête modifiée du
Requérant qui comprenait notamment le rapport d’examen médical sur l’état de santé
mentale du Requérant commandé par l’UPA, ni sur les demandes de réparations.

18. Le 17 septembre 2018, la Cornell University, Law School, Human Rights Clinic a adressé un
courrier à la Cour pour exprimer son intérêt à représenter le Requérant. Le 24
septembre 2018, la demande a été communiquée à l’UPA qui, le 26 septembre 2018, a
donné son accord pour une représentation conjointe.

19. Le 4 octobre 2018, la Cornell University, Law School, Human Rights Clinic a adressé un
courrier à la Cour lui demandant d’intervenir auprès des autorités de la prison de
Butima à l’effet de lui permettre d’accéder aux dossiers pénitentiaires et médicaux du

96
Requérant, notamment le rapport d’évaluation médicale de la santé mentale du
Requérant, qu’elle juge déterminants pour la représentation du Requérant. Ledit rapport
avait été établi après que le Requérant a, le 21 mai 2012, plaidé sa cause devant la Haute
Cour, qui le même jour, avait ordonné que l’on procède à un examen médical de son
état de santé mentale au moment de la commission du crime.

20. Le 28 janvier 2019, le Requérant a déposé des documents supplémentaires à l’appui de


ses observations sur les réparations,. Ceux-ci ont été notifiés à l’État défendeur le 7
février 2019.

21. Le 28 mars 2019, le Requérant a sollicité la tenue d’une audience publique afin de lui
donner l’occasion de présenter les « questions factuelles complexes qui bénéficieraient
de l’examen du témoignage d’un expert, concernant la capacité mentale du Requérant ».
La demande a été transmise à l’État défendeur le 29 mars 2019, pour observations, mais
celui-ci n’y a pas répondu.

22. Le 3 juin 2019, l’UPA a transmis au Greffe, à titre d’information, un courrier qu’elle
avait adressé à l’Attorney General afin de lui demander l’autorisation d’accéder au rapport
médical sur l’état de santé mentale du Requérant qui a été qui avait été ordonné par la
Haute Cour le 21 mai 2012 lors de l’audience au cours de laquelle le Requérant a plaidé
sa cause3. L’UPA a également informé le Greffe que l’Attorney General n’avait pas
répondu audit courrier.

23. Le 28 juin 2019, l’UPA a transmis au Greffe, pour information, un courriel adressé au
Bureau de l’Attorney General, lui rappelant de fournir le rapport médical qu’elle avait
sollicité auparavant.

24. Le 18 mai 2020, la Cour, en raison de la pandémie du Covid-19, a suspendu les délais

impartis pour les procédures devant elle, à compter du 1er mai jusqu’au 31 juillet 2020.
La Cour a statué sur la demande du Requérant par laquelle il sollicitait l’intervention de
la Cour pour enjoindre aux autorités de la prison de Butimba de produire le rapport
d’examen médical de son état de santé mentale, établi suite à l’ordonnance de la Haute

3 Il s’agissait d’un courrier de l’UPA, en date du 4 juin 2019, adressé à l’Attorney General, indiquant que le Requérant avait
été interné àl’Isanga Mental Institution à Dodoma, entre juin 2012 et novembre 2013, avant le début du procès, et
demandant à l’Attorney General d’autoriser la communication du dossier médical du Requérant par les autorités de la
prison de Butimba

97
Cour. Elle a également statué sur la demande du Requérant datée du 28 mars 2019, aux
fins de la tenue d’une audience publique. La Cour a décidé de ne pas intervenir et de ne
pas tenir d’audience publique.

25. Le 5 octobre 2020, la Cour a notifié aux Parties la reprise du décompte des délais

relatifs aux procédures devant elle, et ce à compter du 1er août 2020.

26. Les débats ont été clos à nouveau le 18 mars 2021, l’État défendeur n’ayant toujours
pas, à cette date, déposé son mémoire en réponse à la Requête modifiée qui comprenait
le rapport commandé par l’UPA sur l’évaluation médicale de l’état de santé mentale du
Requérant. Par le même avis, les Parties ont également été informées de la décision de la
Cour de ne pas tenir d’audience publique.

IV. DEMANDES DES PARTIES

27. Le Requérant demande à la Cour de :

i. Dire que l’État défendeur a violé ses droits prévus aux articles 4, 5 et 7 de la
Charte africaine ;
ii. Tenir une audience dans le cadre de cette affaire, conformément aux règles 27 et
71 du Règlement de la Cour4 ;
iii. Ordonner que l’État défendeur prenne les mesures appropriées pour remédier
aux violations des droits du Requérant garantis par la Charte africaine ;
iv. Ordonner que l’État défendeur annule la condamnation à la peine de mort
prononcée contre le Requérant et le fasse sortir du couloir de la mort ;
v. Ordonner que l’État défendeur amende son code pénal et la législation connexe
concernant la peine de mort pour les rendre conformes à l’article 4 de la Charte
africaine ;
vi. Ordonner que l’État défendeur procède à la remise en liberté du Requérant ;

vii. Ordonner que l’État défendeur verse au Requérant, à titre de réparation, un


montant jugé approprié par la Cour.

4 Avis de demande d’audience publique du Requérant au titre de la Requête n° 056/2016 : Gozbert Henerico
c. République-Unie de Tanzanie, daté du 28 mars 2019, § 4.

98
28. L’État défendeur demande à la Cour de :

i. dire que la Cour n’a pas la compétence pour statuer sur la Requête ;

ii. dire que la Requête ne satisfait pas aux conditions de recevabilité énoncées à la
règle 40(5) du Règlement intérieur de la Cour ;
iii. déclarer la Requête irrecevable ;

iv. dire que l’État défendeur n’a pas violé l’article 1 de la Charte africaine ;

v. dire que l’État défendeur n’a pas violé les articles 3(1) et (2) de la Charte
africaine consacrant le droit du Requérant à l’égalité devant la loi et à une égale
protection de la loi ;
vi. dire que l’État défendeur n’a pas violé l’article 5 de la Charte africaine
consacrant le droit du Requérant à la dignité ;

vii. dire que l’État défendeur n’a pas violé l’article 6 de la Charte africaine
protégeant le
droit du Requérant à la liberté et à la sécurité de sa personne ;
viii. dire que l’État défendeur n’a pas violé l’article 7(1) de la Charte africaine
protégeant le droit du Requérant à ce que sa cause soit entendue ;

ix. dire que l’État défendeur n’a pas violé l’article 9(1) de la Charte africaine sur le
droit du Requérant à l’information ;
x. dire que la décision de la Cour d’appel n’est entachée d’aucune erreur ayant
abouti à un déni de justice ;
xi. dire que l’État défendeur a prouvé son affaire contre le Requérant au-delà de
tout doute raisonnable ;
xii. dire que les preuves produites contre le Requérant étaient crédibles et fiables ;
xiii. dire que la Haute Cour et la Cour d’appel ont agi conformément à la loi en se
fiant aux éléments de preuve de l’accusation et en agissant en conséquence.
xiv. dire que la Haute Cour et la Cour d’appel ont correctement apprécié les
moyens en défense du Requérant ;

xv. rejeter la Requête dans son intégralité au motif qu’il est dénué de tout
fondement ;
xvi. rejeter la Requête en mettant les frais de procédure à la charge du Requérant.

99
V. SUR LA COMPÉTENCE DE LA COUR

29. L’article 3 du Protocole dispose :

1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les


différends dont elle est saisie concernant l’interprétation et l’application de la
Charte, du présent Protocole, et de tout autre instrument pertinent relatif aux
droits de l’homme et ratifié par les États concernés.

2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente, la


Cour décide.

30. La Cour relève qu’aux termes de la règle 49(1) du Règlement, « [l]a Cour procède à un
examen préliminaire de sa compétence … conformément à la Charte, au Protocole et

au présent Règlement »5.5

31. Sur la base des dispositions précitées, la Cour se doit de procéder à l’appréciation de sa
compétence et de statuer sur les éventuelles exceptions d’incompétence.

A. Exceptions d’incompétence matérielle de la Cour

32. L’État défendeur soulève deux exceptions d’incompétence matérielle tirée du fait que la
Cour de céans n’est pas investie de la compétente pour annuler les décisions de sa Cour
d’appel et qu’elle est appelée à siéger en tant que juridiction de première instance.

33. L’État défendeur fait valoir que la Cour n’a pas la compétence pour évaluer les preuves
produites lors du procès et de l’appel du Requérant, étant donné que le Requérant
demande l’annulation de la condamnation et de la peine prononcées à son encontre. Il
soutient que la Cour n’a pas compétence pour agir dans ce sens, la condamnation et la
peine ayant été confirmées par la Cour d’appel qui est la plus haute juridiction de l’État
défendeur. Le mandat de la Cour est de rendre des ordonnances déclaratoires et non
d’annuler les décisions de la Cour d’appel. Il en conclut que la Cour n’a pas la
compétence matérielle pour statuer sur l’affaire et qu’elle devrait rejeter la Requête.

5 Règle 39(1) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.

100
34. L’État défendeur fait, en deuxième lieu, valoir que la Cour n’est pas une juridiction de
première instance pour statuer sur des questions qui n’ont jamais été examinées par les
juridictions nationales et qui sont soulevées par le Requérant pour la première fois
devant elle. La Cour de céans devrait donc se déclarer incompétente pour les trancher.
Les questions qui auraient été soulevées pour la première fois sont les suivantes :

i. Incohérences entre les témoignages des témoins à charge PW1 et PW7 ;

ii. Violation du droit du Requérant à la dignité ;

iii. Violation du droit du Requérant à l’information ;

iv. Non-jugement du Requérant dans un délai raisonnable.

35. Le Requérant soutient, quant à lui, que la compétence matérielle de la Cour est établie
dans la mesure où l’État défendeur est partie à la Charte, au Protocole et a également
fait la Déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole.

36. Il soutient en outre que l’objet de la Requête concerne des violations alléguées des droits
protégés par la Charte africaine, pour lesquels la Cour a la compétence matérielle, et
invoque la jurisprudence de la Cour à cet égard6.

***

37. La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 3(1) du Protocole, elle est compétente pour
connaître de toute affaire dont elle est saisie, pour autant qu’elle porte sur des
allégations de violation de droits protégés par la Charte, ou tout autre instrument relatif
aux droits de l’homme pertinent et ratifié par l’état défendeur7.

38. La Cour rappelle également que, conformément à sa jurisprudence établie,


« elle n’est pas une juridiction d’appel en ce qui concerne les décisions rendues par les juridictions
nationales »8. Toutefois, « ... cela ne l’empêche pas d’examiner les procédures pertinentes devant
les juridictions nationales afin de déterminer si elles sont conformes aux normes énoncées dans

6 Kijiji Isiaga c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 032/2015 ; Arrêt du 21 mars 2018 (fond),
§ 35.
7Voir, par exemple, Kalebi Elisamehe c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 028/2015, Arrêt du
26 juin 2020 (fond et réparations), § 18.
8 Ernest Francis Mtingwi c. Malawi (compétence), § 14.

101
la Charte ou dans tout autre instrument relatif aux droits de l’homme ratifié par l’État concerné
»9. À cet égard, elle ne siégerait pas en tant que juridiction d’appel, si elle devait examiner les
allégations du Requérant. La Cour rejette en conséquence cette exception.

39. La Cour relève en outre que les violations alléguées relatives à la procédure devant les
juridictions internes portent sur des droits protégés par la Charte, notamment le droit à
la vie, à la dignité et à un procès équitable.

40. La Cour rappelle que, conformément à sa jurisprudence constante sur l’application des
articles 3(1) et 7 du Protocole, elle est compétente pour examiner les procédures
pertinentes devant les juridictions internes afin de déterminer si elles sont conformes
aux normes énoncées dans la Charte ou dans tout autre instrument ratifié par l’État
concerné10. La Cour rejette donc l’exception selon laquelle elle siègerait en tant que
juridiction de première instance.

41. Au regard de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle a la compétence matérielle pour
connaître de la présente Requête et rejette l’exception de l’État défendeur.

B. Autres aspects de la compétence

42. La Cour fait observer que sa compétence personnelle, temporelle et territoriale n’est pas
contestée par l’État défendeur. Toutefois, conformément à la règle 49(1) du
Règlement11, elle doit s’assurer que tous les aspects de sa compétence sont satisfaits

9 Kennedy Ivan c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 25/2016, Arrêt du 28 mars 2019 (fond et
réparations), § 26 ; Armand Guéhi c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (7 décembre 2018), 2
RJCA 247, § 33 ; Nguza Viking (Babu Seya) et Johnson Nguza (Papi Kocha) c. République-Unie de Tanzanie (fond)
(23 mars 2018), 2 RJCA 287, § 35.

10 Ernest Francis Mtingwi c. Malawi (compétence) (15 mars 2013), 1 RJCA 197, § 14 ; Kenedy Ivan c.
République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 25/2016, Arrêt du 28 mars 2019 (fond et réparations), §
26 ; Armand Guéhi c. Tanzanie (fond et réparations) (7 décembre 2018), 2 RJCA 493,

§ 33 ; Nguza Viking (Babu Seya) et Johnson Nguza (Papi Kocha) c. République-Unie de Tanzanie

(fond) (23 mars 2018) 2 RJCA 297, § 35.


11 Article 39(1) du Règlement intérieur du 2 juin 2010.

102
avant de poursuivre l’examen de la Requête.

43. En ce qui concerne sa compétence personnelle, la Cour rappelle, comme indiqué au


paragraphe 2 du présent arrêt, que l’État défendeur est partie au Protocole et a déposé
auprès du Président de la Commission de l’Union africaine la Déclaration faite en
vertu de l’article 34(6) du Protocole. Par la suite, le 21 novembre 2019, l’État défendeur a
déposé un instrument de retrait de ladite Déclaration.

44. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle le retrait de la Déclaration n’a aucun
effet rétroactif et ne prend effet que douze (12) mois après le dépôt de l’avis de retrait,
en l’espèce le 22 novembre 202012. La présente Requête, introduite avant le dépôt, par
l’État défendeur, de son avis de retrait, n’en est donc pas affectée. En conséquence, la
Cour conclut qu’elle a la compétence personnelle.

45. S’agissant de sa compétence temporelle, la Cour relève que toutes les violations
alléguées par le Requérant ont trait aux décisions de la Haute Cour et de la Cour d’appel
rendues respectivement le 22 avril 2015 et le 26 février 2016, soit après que l’État
défendeur a ratifié la Charte et le Protocole, et déposé la Déclaration. En outre, les
violations alléguées sont continues par nature, la condamnation du Requérant étant
maintenue sur la base de ce qu’il considère comme un procès inéquitable13. Compte tenu
de ce qui précède, la Cour estime qu’elle a la compétence temporelle pour statuer sur la
présente Requête.

46. En ce qui concerne sa compétence territoriale, la Cour relève que les violations
alléguées par le Requérant se sont produites sur le territoire de l’État défendeur. La
Cour estime donc qu’elle a la compétence territoriale.

47. Au regard de tout ce qui précède, la Cour conclut qu’elle est compétente pour connaître
de la présente Requête.

12 Andrew Ambrose Cheusi c. Tanzanie, §§ 35 à 39.


13Ayants droit de feus Norbert Zongo, Abdoulaye Nikiéma dit Ablassé, Ernest Zongo, Blaise Ilboudo et Mouvement
Burkinabè des Droits de l’Homme et des Peuples c. Burkina Faso (exceptions préliminaires), (21 juin 2013), 1
RJCA 204, §§ 71 à 77.

103
VI. SUR LA RECEVABILITÉ

48. Conformément à l’article 6(2) du Protocole, « [l]a Cour statue sur la recevabilité des
requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de la Charte ».

49. Aux termes de la règle 50(1) du Règlement, « la Cour procède à un examen de la


recevabilité des requêtes introduites devant elle conformément aux articles 56 de la
Charte et 6, alinéa 2 du Protocole, et au présent Règlement »14.

50. La Cour rappelle que la règle 50(2) du Règlement, qui reprend en substance les
dispositions de l’article 56 de la Charte, est ainsi libellée :
Les Requêtes introduites devant la Cour doivent remplir toutes les conditions ci-
après :

a. indiquer l’identité de leur auteur même si celui-ci demande à la Cour de


garder l’anonymat ;
b. être compatible avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la Charte ;

c. ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou insultants à l’égard de


l’État concerné et ses institutions ou de l’Union africaine ;
d. ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles diffusées par
les moyens de communication de masse ;
e. être postérieures à l’épuisement des recours internes s’ils existent, à moins
qu’il ne soit manifeste à la Cour que la procédure de ces recours se
prolonge de façon anormale ;
f. être introduites dans un délai raisonnable courant depuis l’épuisement des
recours internes ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant
commencer à courir le délai de sa saisine ;
g. ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États concernés,
conformément aux principes de la Charte des Nations Unies, de l’Acte
constitutif de l’Union africaine ou des dispositions de la Charte. »

A. Exception tirée du non-épuisement des recours internes

14 Article 40 du Règlement intérieur du 2 juin 2010.

104
51. L’État défendeur a soulevé une exception d’irrecevabilité de la Requête tirée du non-
épuisement des recours internes.

52. L’État défendeur fait valoir que le Requérant n’a pas épuisé les recours internes en ce
qui concerne les nouvelles questions qu’il soulève devant la Cour de céans. Selon l’État
défendeur, « lesdites allégations n’ont jamais été soulevées devant les tribunaux de la
République-Unie de Tanzanie, ce qui est contraire à l’article 40(5) du Règlement de la
Cour … »15. L’État défendeur cite à cet effet la jurisprudence de la Cour et de la
Commission pour faire valoir que ces griefs sont irrecevables du fait qu’ils sont soulevés
pour la première fois et uniquement devant la Cour de céans16.
53. Il affirme que le Requérant n’a jamais soulevé la question des divergences relevées dans
les témoignages de PW1 et de PW7 et de la violation alléguée de son droit à la dignité
comme motif d’appel devant la Cour d’appel. En tout état de cause, le Requérant avait
la possibilité de former un recours en inconstitutionnalité en vertu de la Loi sur les
droits et devoirs fondamentaux, Chap. 3, pour contester la violation de ses droits au
cours de son procès devant la Haute Cour de Tanzanie, mais il n’a pas exercé ce recours
interne disponible. Il va de soi que les recours disponibles n’ont jamais été épuisés.

54. En outre, si le Requérant estimait que l’arrêt de la Cour d’appel était entaché d’erreurs, il
aurait dû la saisir d’une requête en révision en vertu de l’article 66(1)(a) du Règlement
de 2009 de la Cour d’appel, qui prévoit la possibilité pour la Cour d’appel de réviser sa
décision au motif que celle-ci était fondée sur une erreur manifeste dans le dossier ayant
entraîné un déni de justice. L’État défendeur fait valoir que le Requérant n’a pas exercé
ce recours disponible.

55. L’État défendeur conclut ses observations en affirmant que ces recours sont
disponibles en permanence et qu’il n’y a pas eu d’obstacle ni d’obstruction à ce que le
Requérant y ait accès et les exerce. En conséquence, la Requête devrait être déclarée
irrecevable et rejetée comme il se doit.

15Règle 50(2)(e) du Règlement intérieur de la Cour du 25 septembre 2020


16 Urban Mkandawire c. République du Malawi, CAfDHP, Requête n° 003/2011, Arrêt du 13 mars 2011
(compétence et recevabilité), § 38.1-38.2 ; Peter Joseph Chacha c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP,
Requête n° 003/2012, Arrêt du 28 mars 2014 (compétence et recevabilité), §§ 142 à 145 et Décision de la
Commission africaine des droits de l’homme et des peuples dans la Communication Article 19 c. Érythrée.

105
56. Le Requérant affirme que les exceptions de l’État défendeur sont

« manifestement mal fondées et qu’elles ont été soulevées et rejetées par la Cour de céans à de
précédentes occasions ».

57. En ce qui concerne le recours en inconstitutionnalité non exercé, le Requérant fait valoir
que la Cour a décidé qu’un requérant n’est tenu que d’épuiser les recours judiciaires
ordinaires et que le dépôt d’une requête en inconstitutionnalité est un « recours
extraordinaire que le requérant n’est pas tenu d’épuiser avant de la saisir de sa requête ».
Le Requérant cite à cet égard la décision de la Cour dans l’affaire Kijiji Isiaga c.
République-Unie de Tanzanie.

58. Le Requérant soutient qu’il en est de même pour l’introduction d’une requête en
révision du jugement de la Cour d’appel. Il s’agit d’un recours extraordinaire dans le
système judiciaire tanzanien, qu’il n’est pas tenu d’exercer avant de saisir la Cour de
céans de sa Requête.

59. En ce qui concerne le fait pour le Requérant de n’avoir pas soulevé la question du droit à
la dignité en relation avec l’imposition de la peine de mort nonobstant ses troubles
mentaux et sa déficience intellectuelle, et le choix de la pendaison comme moyen
d’exécution, le Requérant fait valoir qu’aucun élément ne permet de suggérer que l’État
défendeur investit la Cour d’appel tanzanienne du pouvoir de substituer la peine de mort
par une peine moindre, la peine de mort étant obligatoire en cas de meurtre en
Tanzanie. Ainsi, un recours devant la Cour d’appel tendant à qualifier la condamnation
à mort d’une violation de son droit à la dignité n’aurait aucune chance réelle de
prospérer. Le Requérant cite à cet égard la décision de la Commission dans l’affaire
Jawara c. Gambie et conclut en demandant à la Cour de déclarer la Requête recevable.

***

60. La Cour rappelle que, conformément à l’article 56(5) de la Charte, dont les dispositions
sont reprises à la règle 50(2)(c) du Règlement intérieur, toute requête introduite devant
elle doit remplir l’exigence de l’épuisement des recours internes. La règle de
l’épuisement des recours internes vise à donner aux États la possibilité de traiter les
violations des droits de l’homme relevant de leur juridiction avant qu’un organe

106
international de défense des droits de l’homme ne soit saisi pour déterminer la
responsabilité de l’État à cet égard17.

61. En l’espèce, la Cour relève que le recours du Requérant devant la Cour d’appel, organe
judiciaire suprême de l’État défendeur, a été tranché lorsque ladite cour a rendu son arrêt
le 26 février 2016. À la lumière de ce qui précède, la Cour considère que l’État défendeur
a eu l’occasion de traiter les violations qui auraient résulté du procès et des appels du
Requérant. En outre, la Cour a conclu dans ses arrêts antérieurs que le recours en
inconstitutionnalité et la saisine de la Cour d’appel d’une requête en révision, tel qu’ils
s’appliquent au sein du système judiciaire de l’État défendeur, sont des recours
extraordinaires que les requérants ne sont pas tenus d’épuiser avant de déposer leurs
requêtes devant la Cour de céans18.

62. En conséquence, la Cour conclut que le Requérant a épuisé les recours internes tels
qu’envisagés par l’article 56(5) de la Charte et la règle 50(2)(e) du Règlement. Elle rejette
donc l’exception soulevée par l’État défendeur tirée du non-épuisement des recours
internes.

B. Autres conditions de recevabilité

63. La Cour relève que la conformité aux conditions énoncées à la règle 50(2)(a), (b), (c), (d)
et (g) du Règlement intérieur n’a fait l’objet d’aucune contestation. Néanmoins, elle doit
d’assurer que celles-ci ont été satisfaites.

64. Il ressort du dossier devant la Cour que le Requérant a été clairement et nommément
identifié, conformément à la règle 50(2)(a) du Règlement.

65. La Cour relève que les allégations formulées par le Requérant visent à protéger ses
droits garantis par la Charte. Elle relève également que l’un des objectifs de l’Acte
constitutif de l’Union africaine, tel qu’énoncé en son article 3(h), est la promotion et la
protection des droits de l’homme et des peuples. La Cour estime donc que la Requête

17 Commission africaine des droits de l’homme et des peuples c. République du Kenya (fond) (26 mai 2017), 2 RJCA 9, §§ 93 à
94.
18 Alex Thomas c. République-Unie de Tanzanie (fond), (20 novembre 2015), 1 RJCA 482, §§ 63 à 65.

107
est compatible avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la Charte, et en conclut
qu’elle satisfait à l’exigence de la règle 50(2)(b) du Règlement.

66. La Cour relève en outre que la Requête ne contient aucun terme outrageant ou insultant
à l’égard de l’État défendeur, ce qui la rend conforme à l’exigence de l’article 50(2)(c) du
Règlement.

67. La Requête ne repose pas exclusivement sur des nouvelles diffusées par les moyens de
communication de masse, mais sur des documents juridiques émanant des juridictions
internes de l’État défendeur, conformément à la règle 50(2)(d) du Règlement.

68. La Cour rappelle que l’article 56(6) de la Charte et la règle 50(2)(f) du Règlement ne
prévoient aucun délai précis dans lequel l’affaire doit être portée devant elle. À cet
égard, la Cour, dans la requête n° 013/2011 Norbert Zongo et autres c. Burkina Faso, a
conclu que « … le caractère raisonnable du délai de sa saisine dépend des circonstances
particulières de l’affaire et doit être apprécié au cas par cas. »19

69. La Cour fait observer que le Requérant l’a saisie le 15 septembre 2016, après que la Cour
d’appel eut rejeté son recours le 26 février 2016, soit 6 (six) mois et 20 (vingt) jours
après ledit rejet. La question est donc de savoir si le temps écoulé entre l’épuisement
des recours internes et la saisine de la Cour constitue un délai raisonnable au sens de
l’article 40(6) du Règlement20. La Cour estime qu’en l’espèce, le délai de 6 (six) mois et
20 (vingt) jours est manifestement un délai raisonnable.

70. La Cour en conclut que la Requête a été déposée dans un délai raisonnable
conformément à la règle 50(2)(f) du Règlement.

71. La Cour constate que la Requête ne concerne pas une affaire ayant déjà été réglée par
les Parties conformément aux principes de la Charte des Nations Unies, de l’Acte
constitutif de l’Union africaine, des dispositions de la Charte ou de tout instrument

19Ayants droit de feus Norbert Zongo, Abdoulaye Nikiema dit Ablasse, Ernest Zongo, Blaise Ilboudo et Mouvement
Burkinabé des droits de l’homme c. Burkina Faso (fond) (2014), 1 RJCA 226, § 92. Voir également Thomas c.
Tanzanie (fond), § 73.

20 Règle 50(2)(e) du Règlement de la Cour du 25 septembre 2020.

108
juridique de l’Union africaine, conformément à la règle 50(2)(g) du Règlement.

72. La Cour conclut, en conséquence, que toutes les conditions de recevabilité ont été
satisfaites et déclare la Requête recevable.

VII. SUR LE FOND

73. Le Requérant allègue que l’État défendeur a violé ses droits à un procès équitable, son
droit à la vie et son droit au respect de la dignité.

A. Violation alléguée du droit à un procès équitable

74. Le Requérant allègue que la procédure qui a conduit à sa déclaration de culpabilité et à


sa condamnation pour meurtre a violé quatre (4) aspects de son droit à un procès
équitable, notamment :

i. Le droit d’être jugé dans un délai raisonnable avant sa mise en accusation


devant la Haute Cour ;

ii. Le droit à une représentation juridique efficace ;

iii. Le droit d’être jugé par une cour ou un tribunal compétent ; et

iv. Le droit de bénéficier de l’assistance d’un interprète.

i. Violation alléguée du droit d’être jugé dans un délai raisonnable

75. Le Requérant fait valoir qu’il a souffert du fait qu’un délai non raisonnable s’est écoulé
avant qu’il ne soit déclaré coupable et condamné, l’État défendeur l’ayant maintenu en
détention pendant environ sept (7) ans avant d’ouvrir le procès. Il soutient que la
période de détention provisoire dépasse de loin les délais qui ont été jugés « non
raisonnables » dans des affaires tranchées par la Cour, telles Alex Thomas c. Tanzanie,
Mariam Kouma et Ousmane Diabaté c. Mali et bien d’autres21, d’autant plus qu’aucun facteur

21CEDH, Smirnova c. Russie, Requête n° 9157/04, Arrêt du 15 octobre 2019 ; Guchino c. Portugal, Requête
n° 8990/80, Arrêt du 10 juillet 1984 ; Faith Tas c. Turquie (n°3), Requête n° 4581/08, Arrêt du 24 avril
2018, CDH, Hendricks c. Guyana, communication n° 838/1998, Doc. A/58/40, Vol II, p.113 (2002).

109
ne justifiait un tel retard.

76. Le Requérant fait valoir que l’affaire n’était pas complexe. Il s’agissait d’une allégation
de meurtre, fondée sur la déposition de témoins oculaires et l’examen de l’arme du
crime. Aucune preuve complexe ou sophistiquée, telle que des échantillons d’ADN, n’a
été produite et pourtant l’État défendeur n’a fourni aucune explication quant aux
raisons pour lesquelles le Requérant a été arrêté et détenu le 27 mai 2008 et l’audience de
mise en état, au cours de laquelle il a plaidé sa cause, a eu lieu « le 21 mai 2012, suivie de
l’audience préliminaire le 5 juin 2015, puis de l’ouverture du procès seulement le 16
février 2015. Le Requérant déclare également qu’il a été « ... arrêté et conduit devant le
juge de paix en 2008, puis détenu pendant environ sept ans avant d’être jugé et
condamné ».

77. Le Requérant affirme en outre que le retard ne lui est pas imputable, car il n’a pas déposé
de multiples requêtes devant la Cour ni cité de témoins ; au contraire, pendant l’appel,
l’accusation n’a formulé qu’une seule demande, celle de faire passer au Requérant un
examen médical pour établir s’il était apte à être jugé. Le Requérant soutient que le
retard constitue en soi une lourde sanction, justifiant une peine globalement plus
clémente, sans parler de la grande anxiété que lui a causée l’incertitude quant à son
avenir. Pour étayer son argument, il cite l’affaire Pratt et Morgan c. Jamaïque22 et le recours en
inconstitutionnalité dans l’affaire Kigula et autres c. Attorney General23 ainsi que l’affaire La
République c. Bisket Kumitumba de la Haute Cour du Malawi24.

78. Enfin, sur cette question, le Requérant fait observer que le retard injustifié lui a été
particulièrement préjudiciable, étant donné que les preuves de l’accusation étaient
fondées exclusivement sur la déposition de six (6) témoins à charge à qui il a été demandé
de témoigner de mémoire sur des faits survenus sept (7) ans auparavant. Il soutient que
la longue période de temps qui s’est écoulée de manière injustifiée jette un doute sur la
crédibilité des témoignages. Le Requérant demande à la Cour de constater que le
comportement de l’État défendeur entraîne non seulement la violation de ses droits,
mais qu’il porte également atteinte à la crédibilité de l’ensemble de la procédure.

22 Conseil privé, recours en appel n° 10 de1993, 3 WLR 995, 143 NLJ 1639 (2 novembre 1993).
23 Recours en inconstitutionnalité n° 03 de 2006 (21 janvier 2009) devant la Cour suprême de l’Ouganda
24 Recours en révision de la sentence, Affaire n° 59 du 2015 (non publié), devant la Haute Cour du Malawi.

110
*

79. L’État défendeur affirme, pour sa part, que l’article 7 de la Charte africaine n’a pas été
violé comme le prétend le Requérant et que la procédure au cours du procès a été
équitable, toutes les exigences des dispositions de l’article 7 ayant également été
satisfaites.

80. L’État défendeur fait observer que « s’agissant de la question de la durée du procès,
chaque affaire doit être jugée au cas par cas. Le temps nécessaire pour mener à bien une
affaire dépend d’un certain nombre de facteurs tels que le nombre de juges et
d’enquêteurs, les ressources financières disponibles et la nature d’une affaire
particulière ». L’État défendeur affirme en outre que « cette question n’a jamais été
soulevée devant les tribunaux nationaux, par conséquent la Cour de céans ne devrait
pas être appelée à la trancher pour la première fois ».
***

81. La Cour rappelle que l’article 7(1)(d) de la Charte dispose que toute personne a « le droit
d’être jugée dans un délai raisonnable par une juridiction impartiale ».

82. La Cour rappelle, comme elle l’a fait dans ses arrêts précédents, que plusieurs facteurs
sont pris en compte pour apprécier si justice a été rendue dans un délai raisonnable au
sens de l’article 7(1)(d) de la Charte. Ces facteurs incluent la complexité de l’affaire, le
comportement des parties et celui des autorités judiciaires qui ont un devoir de
diligence dans des circonstances où des sanctions sévères sont applicables25.

83. La Cour note en outre que le délai contesté par le Requérant est celui durant lequel il a
été détenu après son arrestation et avant d’être amené à comparaître devant la Haute
Cour de Tanzanie siégeant à Bukoba. Il ressort du dossier que le Requérant a été arrêté
le 27 mai 2008 et que sa déposition à la police a été enregistrée le 2 juin 2008, après quoi
il a été détenu à la prison centrale de Butimba. La Cour fait observer que le Requérant
affirme avoir été conduit devant le Juge de paix en 2008, sans toutefois indiquer la date
précise de ladite comparution.

25Voir Armand Guéhi c. Tanzanie (fond et réparations), §§ 122 à 124. Voir également Alex Thomas c.
Tanzanie (fond), §104 ; Wilfred Onyango Nganyi et autres c. République-Unie de Tanzanie (fond) (2016), 1 RJCA
507, § 155 ; et Feus Norbert Zongo et autres c. Burkina Faso (fond) (2014), 1 RJCA 219, §§ 92 à 97, 152.

111
84. La Cour relève en outre dans le dossier devant elle que le Requérant a comparu pour la
première fois devant la Haute Cour siégeant à Bukoba le 21 mai 2012, pour la
confirmation des charges, qui a été suivie de l’audience préliminaire le 5 juin 2014, et
non le 5 juin 2015 comme le Requérant l’avait déclaré, et que le procès s’est ouvert le 16
février 2015. La Cour fait, toutefois, observer qu’en tout état de cause, cette erreur
commise par le Requérant relativement à la date de l’audience préliminaire n’a aucune
incidence sur le délai contesté, à savoir la période préalable au procès.
85. La Cour note que la durée de l’instruction court du jour où le Requérant a été mis aux
arrêts le 27 mai 2008, jusqu’au jour où le procès s’est ouvert, le 16 février 2015, soit une
période de six (6) ans, huit (8) mois et dix-neuf (19) jours. La Cour doit donc
déterminer si cette période d’instruction avant le début de l’audience peut être
considérée comme raisonnable au regard des facteurs pertinents.

86. La Cour a précédemment conclu, dans l’affaire Armand Guéhi c. République- Unie de
Tanzanie, que dans les circonstances où un requérant est en détention et qu’il n’a pas
entravé la procédure, l’État défendeur a l’obligation de s’assurer que l’affaire est jugée
avec la diligence et la célérité voulues, et, ce, d’autant plus que le retard n’a pas été causé
par la complexité de l’affaire26.

87. La Cour estime qu’en l’espèce, puisque le Requérant était en détention, l’État défendeur
avait l’obligation de veiller à ce que la procédure à son encontre soit traitée avec la
diligence et la célérité requises.

88. La Cour note que l’État défendeur a fourni des raisons générales pour justifier le retard
accusé avant d’ouvrir le procès. Il affirme que « le temps nécessaire pour finaliser une
affaire dépend d’un certain nombre de facteurs tels que le nombre de juges et
d’enquêteurs, les ressources financières et la nature d’une affaire particulière ». La Cour
fait observer que l’État défendeur n’a pas explicité les facteurs spécifiques qui ont
emmené le procès du Requérant à commencer six (6) ans, huit (8) mois et dix-neuf (19)
jours après son arrestation.

89. La Cour note également qu’aucun élément dans le dossier n’indique que le Requérant a
entravé le bon déroulement des enquêtes préalables à l’audience de mise en état devant

26 Armand Guéhi c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations), (7 décembre 2018), 2 RJCA 247, § 124.

112
la Haute Cour. Par conséquent, le temps qui s’est écoulé durant la période préalable au
procès ne saurait être considéré comme étant raisonnable.

90. La Cour conclut en conséquence que l’État défendeur a violé le droit du Requérant
d’être jugé dans un délai raisonnable, prévu par l’article 7(1)(d) de la Charte.

ii. Violation alléguée du droit à une représentation juridique efficace

91. Le Requérant fait valoir que le droit à une représentation juridique efficace fait partie
intégrante du droit à un procès équitable et des droits à une procédure régulière prévus
à l’article 14 (1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), qui
établit le droit « [à] disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa
défense et à communiquer avec le conseil de son choix » ainsi qu’à l’article 7 de la
Charte. Il cite un certain nombre d’affaires à l’appui de sa thèse27.

92. Le Requérant allègue qu’il n’a pas reçu la visite d’un avocat avant le début de son procès.
Il affirme qu’il a bénéficié de l’assistance de quatre (4) avocats différents, à chaque étape
de la procédure, c’est-à-dire pendant la mise en état de l’affaire, pendant l’audience
préliminaire, pendant le procès et au stade de l’appel. Le Requérant affirme que tous ces
avocats n’ont eu qu’un minimum, voire aucun contact avec lui, ce qui a conduit à une
défense inefficace et incohérente, ne permettant pas d’assurer une défense «
compétente, efficiente et engagée ». Il allègue que tous les avocats ne l’ont pas consulté
comme il se devait, ont adopté des positions défavorables et contradictoires qui lui ont
porté préjudice et n’ont pas assuré une représentation efficace, et sa condamnation en
est la preuve concrète ; des « réparations s’imposent » dans de telles circonstances.

93. Le Requérant fait valoir que le premier avocat, M. Katabalwa, a fait des déclarations
défavorables lors de la mise en état qui ont compromis sa défense, en affirmant entre
autres que le Requérant « a attaqué et blessé trois personnes et un enfant est décédé des
suites de cette attaque ». De même, dans sa « demande d’examen médical » de l’état de

27Comité des droits de l’homme : Hendricks c. Guyane ; Brown c. Jamaïque ; Aliboeva c. Tadjikistan ; Said c.
Tadjikistan ; Aliev c. Ukraine ; La Vende c. Trinidad et Tobago ; Kelly c. Jamaïque ; Reid c. Jamaïque ; CEDH :
Ocalan c. Turquie ; Nechiporuk et Yonkalo c. Ukraine ; Salduz c. Turquie ; Artico c. Italie ; Kamasinski c. Autriche ;
Sannino c. Italie ; Czekalla c. Portugal ; Falcao dos Santos c. Portugal ; et Commission africaine : Interights &
Ditshwanelo c. République du Botswana.

113
santé mentale du Requérant, il a déclaré que le Requérant « a commis le délit ». Le
Requérant affirmé que de telles déclarations faites au début de la procédure pénale
étaient hautement préjudiciables et contredisaient directement le plaidoyer du Requérant
au procès, selon lequel il n’avait pas tué la victime.

94. Le Requérant affirme que, lors de l’audience préliminaire, le deuxième avocat, M. Nathan, s’est
opposé à l’admission comme preuve, de la déposition du Requérant enregistrée par la police le
2 juin 2008 après que celle-ci lui a lu ses droits, au motif que ladite déposition a été enregistrée
après que le Requérant avait subi des tortures. Toutefois, lors du procès devant la Haute Cour,

le troisième avocat, Me Erasto, ne s’est pas opposé à l’admission de ladite déposition comme
preuve. Il en a résulté qu’elle a ensuite été lue à haute voix devant la Cour par le témoin à
charge et considérée comme une preuve admissible par le juge de première instance et les
assesseurs.

95. Le Requérant ajoute que la déposition recueillie après la lecture de ses droits a ensuite
été retirée du dossier par la Cour d’appel, au motif qu’elle avait été enregistrée en
violation de la loi, mais pas avant l’avoir considérée comme faisant partie des preuves
de l’accusation présentées à l’appui de sa condamnation. En outre, M. Erasto, son
avocat pendant le procès, ne l’a pas consulté avant le procès devant la Haute Cour, où il
a été reconnu coupable et condamné. Le Requérant déclare qu’il n’a rencontré l’avocat
qu’une (1) heure avant le début du procès. Le Requérant considère que l’avocat n’a pas
reçu d’instructions de sa part et n’a pas représenté ses intérêts pendant le procès, ce qui
l’a privé du droit à un procès équitable.

96. En outre, le Requérant allègue que lors du procès devant la Haute Cour, son avocat, M e
Erasto, n’a cité à comparaître aucune des personnes en compagnie desquelles il était
sorti boire de l’alcool jusqu’à 20 heures le jour même du crime présumé. Un tel
témoignage aurait pu jeter le doute sur la déposition des témoins à charge, qui
prétendaient que le Requérant s’était rendu sur le lieu de l’attaque deux fois auparavant
le jour en question. Même après dix (10) ans, le Requérant continue de soutenir qu’il
était sorti avec des amis le jour fatidique et dit se souvenir de leur identité. Le Requérant
affirme que son conseil lors du procès a commis des erreurs très élémentaires qu’un
avocat de la défense un tant soit peu compétent n’aurait pas commises, et pourtant il
incombait à l’État défendeur de lui fournir une représentation efficace.

114
97. Le Requérant allègue que, le jour de l’incident, il était sorti pendant de longues heures
prendre un verre avec des amis et qu’il « était ivre ce jour-là ». Il fait valoir que l’état
d’ébriété peut constituer un moyen de défense en cas de meurtre en vertu de la loi

tanzanienne. Cependant, Me Erasto, l’avocat lors du procès en première instance, n’a


pas fait cas de l’état d’ébriété du Requérant le jour de l’incident ou n’a pas plaidé cet état
comme moyen de défense dans son exposé final. Il en résulte que l’état d’ébriété n’a pas
été invoqué comme moyen de défense.

98. Le Requérant affirme que Me Kabunga, son avocat durant le procès en appel, ne l’a pas
consulté lorsque ladite déposition a été admise comme preuve. Il soutient en outre que,

lors de l’audience de confirmation des charges, Me Katabalwa a demandé à la Haute


Cour d’ordonner que le Requérant subisse un examen médical afin de déterminer son
état de santé mentale au moment où il avait commis le crime. À en croire le Requérant,
l’avocat a formulé cette demande pour faire valoir qu’un examen médical aurait dû être
entrepris avant l’ouverture du procès, et également parce qu’il était pensait qu’il était
possible que le Requérant ne fût pas sain d’esprit au moment de la commission du
crime étant donné que celui-ci « croyait que ce qui lui était arrivé était l’œuvre de la
sorcellerie ». À la suite de la demande de l’avocat, la Haute Cour a ordonné que le
Requérant soit placé en détention aux fins d’un examen médical à l’Isanga Mental
Institution, à Dodoma, et que le rapport médical lui soit communiqué.
*

99. L’État défendeur affirme que le Requérant a été accusé de meurtre et a bénéficié de

l’assistance de quatre (4) avocats tout au long de la procédure, à savoir M e S. L.

Katabalwa, Me Nathan Alex et Me Lameck Erasto devant la Haute Cour et Me Aaron


Kabunga devant la Cour d’appel. Le Requérant, par l’intermédiaire de son avocat, a eu
la possibilité de contre-interroger les témoins à charge et de témoigner lui-même devant
la Cour pour se défendre.

100. L’État défendeur rappelle, en outre, que le procès devant la Haute Cour s’est déroulé en
présence de trois (3) assesseurs afin de garantir une égale protection de la loi. Au
surplus, le Requérant a pu interjeter appel auprès de la plus haute juridiction du système
judiciaire de l’État défendeur. L’État défendeur fait donc valoir que les allégations du
Requérant n’ont pas été étayées et devraient en conséquence être rejetées, car dénuées
de tout fondement.

115
101. L’État défendeur soutient que le Requérant a été poursuivi pour un acte qui constituait
une infraction punie par la loi au moment où il l’a commis et que la peine qui lui a été
infligée est conforme aux lois du pays.

102. L’État défendeur conclut ses arguments en affirmant que les droits du Requérant ont
été respectés quant à l’exigence d’un procès équitable et que ses allégations devraient
être rejetées, car étant dépourvues de tout fondement.
***

103. L’article 7(1)(c) de la Charte dispose :

1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit


comprend : …

a) le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un


défenseur de son choix.

104. La Cour a conclu que l’article 7(1)(c) de la Charte, lu conjointement avec l’article
14(3)(d) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, garantit à toute
personne accusée d’une infraction pénale grave le droit de se voir attribuer
automatiquement et à titre gracieux un avocat, lorsqu’elle n’a pas les moyens de le
rémunérer, chaque fois que les intérêts de la justice l’exigent28.

105. Dans l’affaire Commission africaine des droits de l’homme et des peuples c. Libye, la Cour a
conclu que « le droit de tout accusé à être effectivement défendu par un avocat, au
besoin commis d’office, figure parmi les éléments fondamentaux du procès équitable
»29.

106. La Cour a déjà examiné la question de la représentation effective dans l’affaire Evodius
Rutechura c. République-Unie de Tanzanie30 et elle a conclu que le droit à l’assistance
judiciaire gratuite comprend le droit d’être défendu par un avocat, mais que le droit

28 Alex Thomas c. République-Unie de Tanzanie (fond) (20 novembre 2015), 1 RJCA 482, § 124.
29 Commission africaine des droits de l’homme et des peuples c. Libye (fond) (2016), 1 RJCA 158, § 95
30 Evodius Rutechura c. République-Unie de Tanzanie, Requête n° 004/2016, Arrêt du 26 février 2021 (fond et réparations), §

73.

116
d’être défendu par l’avocat de son choix n’est pas absolu lorsque celui-ci est exercé dans
le cadre d’un système d’assistance judiciaire gratuite31. Elle a, en outre, conclu que la
question importante est de savoir si l’accusé a bénéficié d’une assistance judiciaire
effective plutôt que de savoir s’il est autorisé à se faire représenter par un conseil de son
choix32. Par conséquent, l’État défendeur a le devoir de fournir une représentation
adéquate à un accusé et d’intervenir uniquement lorsqu’elle ne l’est pas33.

107. La Cour considère que « l’assistance effective d’un conseil » comporte deux aspects34.
Premièrement, les avocats de la défense ne devraient pas être limités dans l’exercice des
devoirs et prérogatives de représentation inhérents au système de justice contradictoire.
Deuxièmement, même en l’absence de telles restrictions, l’avocat de la défense ne doit
pas priver le défendeur d’une assistance efficace en ne lui assurant pas une
représentation compétente et adéquate à l’effet de garantir un procès équitable ou, plus
largement, une issue juste35.

108. La Cour estime qu’un État ne saurait être tenu responsable de toute lacune de la part
d’un avocat désigné pour apporter une assistance judiciaire. La qualité de la défense
fournie est essentiellement une affaire entre le défendeur et son représentant, et l’État ne
devrait intervenir que lorsque le défaut manifeste de représentation effective du conseil
est porté à sa connaissance36.

109. La Cour relève qu’en ce qui concerne la représentation juridique effective par le biais
d’un système d’assistance judiciaire gratuite, il ne suffit pas que l’État fournisse le
conseil. Les États doivent également veiller à ce que les personnes qui fournissent une
assistance judiciaire dans le cadre de ce système disposent de suffisamment de temps et

31 CEDH, Croissant c. Allemagne (1993), Requête n° 13611/89, § 29 ; Kamasinski c. Autriche (1989), Requête n° 9783/82, §
65.
32 CEDH, Lagerblom c. Suède (2003), Requête n° 26891/95, §§ 54 à 56.

33 CEDH, Kamasinski c. Autriche (1989), Requête n° 9783/82, § 65.


34 HRI/GEN/1/Rec.9 (Vol. I) page 256, §§ 333 à 335

35CEDH, Strickland c. Washington, 466 U.S. 668, 686 (1984), 336 ; Lafler c. Cooper, 566 U.S. No. 10- 209, slip op.
(2012) (conseil erroné lors de la négociation de la peine).
36CEDH, Vamvakas c. Grèce (n°2), Requête n° 2870/11, § 36 ; Czekalla c. Portugal, §§ 65 et 71 ; Czekalla c. Portugal,
Requête n°38830/97, CEDH 2002-VIII)

117
de moyens pour préparer une défense adéquate, et pour assurer une représentation
solide à tous les stades de la procédure judiciaire, à partir de la mise aux arrêts de
l’individu à qui cette représentation est fournie.

110. En l’espèce, la question qui se pose est de savoir si l’État défendeur s’est acquitté de son
obligation de fournir au Requérant une assistance judiciaire gratuite et efficace et s’il a
veillé à ce que le conseil dispose du temps et des moyens nécessaires à la préparation de
sa défense.

111. La Cour relève que l’État défendeur a fourni quatre avocats différents pour représenter
le Requérant lors de sa mise en accusation, de l’audience préliminaire, du procès devant
la Haute Cour et lors du procès en appel devant la Cour d’appel. Il s’agissait

respectivement de Me S. L. Katabalwa, Me Nathan Alex et Me Lameck Erasto à la

Haute Cour et Me Aaron Kabunga à la Cour d’appel.

112. La Cour note qu’aucun élément du dossier ne démontre que l’État défendeur a
empêché les quatre conseils qu’il a désignés pour représenter le Requérant d’avoir accès à
ce dernier et de le consulter sur la préparation de sa défense. La Cour note en outre
qu’aucun élément dans le dossier ne montre que l’État défendeur a refusé d’accorder
aux conseils désignés le temps et les moyens nécessaires pour permettre au Requérant
de préparer sa défense.

113. La Cour fait observer que les allégations portent plutôt sur le fait que le conseil n’a pas
soulevé certaines questions relatives aux preuves en rapport avec sa défense ou soulevé
des exceptions y relatives. Il s’agit là de questions intéressant le Requérant et son conseil
et qui ne sauraient être imputées à l’État défendeur.

114. La Cour estime également qu’aucun élément dans le dossier ne démontre que le
Requérant a informé la Haute Cour et la Cour d’appel des prétendues insuffisances
dans la conduite de sa défense par ses conseils. Le Requérant avait la latitude de faire
part aux différents tribunaux de son mécontentement quant à la manière dont il était
représenté. La Cour relève également que la Cour d’appel a accédé à la demande de son
conseil, Aaron Kabunga, de faire examiner le Requérant pour déterminer s’il était apte à
être jugé ou non, cette démarche n’ayant pas été entreprise avant le début du procès
devant la Haute Cour.

118
115. À la lumière de ce qui précède, la Cour estime que l’État défendeur s’est acquitté de son
obligation de fournir au Requérant une assistance judiciaire gratuite et efficace. En
conséquence, elle conclut que l’État défendeur n’a pas violé l’article 7(1)(c) de la Charte.

iii. Violation alléguée du droit d’être jugé par une cour ou un


tribunal compétent

116. Le Requérant affirme que « la section 3(3) de l’Evidence Act [Cap.1] » prévoit qu’un «
tribunal » se compose de tous les juges, magistrats et assesseurs et de toute personne, à
l’exception des arbitres, légalement autorisées à recueillir des éléments de preuve. Tous
les procès pour meurtre devant la Haute Cour doivent se dérouler avec l’assistance des
assesseurs. Le Requérant fait valoir que dans l’affaire Lucia Anthony c. République de
Tanzanie, la Cour d’appel a conclu à une violation du droit à un procès équitable lorsque
les assesseurs ont procédé au contre-interrogatoire de deux témoins de l’accusation et
d’un défendeur.

117. Le Requérant fait valoir en outre que, durant son procès, les assesseurs l’ont contre-
interrogé et semblent avoir rendu leur décision sur l’affaire immédiatement après le
résumé du juge, ce qui indique qu’ils n’ont pas pris la peine d’examiner plus longtemps
les preuves produites durant le procès.
*
118. L’État défendeur fait valoir que le Requérant a été jugé par des tribunaux impartiaux et
indépendants, conformément aux lois régissant les procès en matière pénale. Il a été
présumé innocent depuis son arrestation le 27 mai 2008 jusqu’à ce que l’accusation ait
prouvé son affaire au-delà de tout doute raisonnable et que la Haute Cour l’ait déclaré
coupable de meurtre le 5 mars 2015. L’État défendeur soutient que le Requérant a été
représenté tout au long de son procès par un conseil et qu’il a eu la possibilité, par
l’entremise de son conseil, de contre-interroger les témoins à charge et de témoigner
devant le tribunal pour sa défense. L’État défendeur affirme en outre que le procès
devant la Haute Cour s’est déroulé en présence de trois (3) assesseurs à l’effet de garantir
le principe d’égalité devant la loi et d’égale protection de la loi, qu’il a été condamné
conformément à la loi et qu’enfin, le Requérant a interjeté appel devant la plus haute
juridiction du pays.

119
***

119. L’article 7(1) de la Charte dispose : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit
entendue »

120. La Cour fait observer qu’il ressort du dossier de la procédure devant la Haute Cour, que
les trois (3) assesseurs ont simplement demandé des éclaircissements au Requérant. La
Cour observe néanmoins que le Requérant n’a pas démontré en quoi cette situation a
violé son droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal compétent, et rejette par
conséquent cette allégation.

121. Au regard de ce qui précède, la Cour conclut que l’État défendeur n’a pas violé l’article
7(1) de la Charte en ce qui concerne le droit d’être jugé par une juridiction compétente.

iv. Violation alléguée du droit à bénéficier des services d’un interprète

122. Le Requérant cite l’article 14(3)(f) du PIDCP qui prévoit l’assistance gratuite d’un
interprète, lorsqu’un accusé ne parle ou ne comprend pas la langue utilisée pendant la
procédure en matière pénale. Le Requérant cite plusieurs affaires de la Cour
européenne37 et les Principes et directives de la Commission africaine pour un procès
équitable et l’assistance judiciaire en Afrique, qui énoncent ce principe.

123. Le Requérant fait valoir qu’il était à tout le moins en droit de bénéficier des services
d’un interprète au premier stade de l’instruction de la procédure puisqu’il ne parle que le
kihaya et qu’il est analphabète. Le Requérant affirme que le dossier de la Cour n’indique
pas si un interprète a été mis à disposition lors de la mise en accusation, lorsque le
Requérant a plaidé sa cause, ou lors de l’audience préliminaire. Le Requérant soutient en
outre que le fait pour l’État défendeur ne lui avoir pas fourni d’interprète lui a été
extrêmement préjudiciable puisque son conseil a présenté des arguments qui
contredisaient la propre déclaration du Requérant, notamment sur la question de savoir
s’il avait perpétré l’attaque et si celle-ci avait été motivée par le fait qu’il croyait que le

37Human Rights Committee - Bozbey c. Turkmenistan, communication n° 1530/2006. (2011) 18 IHRR 414 ; Sobhraj c. Nepal,
communication n°1870/2009, UN Doc CCPR/C/99/D/1870/2009 (2010) ; CEDH, Diallo c. Suède, Arrêt du 5 janvier
2010, Requête n°13205/07 ; Luedicke, Belkacem et Koç c. Allemagne, CEDH, Arrêt du 28 novembre 1978, Requête
n°13205/07 ; Kamasinki c. Australie, CEDH, Arrêt du 19 décembre 1989 ; Hermi c. Italie, CEDH, Arrêt du 18 octobre
2007, Requête n°18114/02.

120
témoin PW1 était une sorcière. Le Requérant déclare que, si un interprète lui avait été
fourni, il aurait soulevé une exception aux déclarations de son conseil qui s’écartaient de
sa position, et demandé à ce qu’elles ne soient pas prises en compte.

124. Le Requérant affirme en outre qu’au cours du procès, l’interprète n’était présent que
pour interpréter son témoignage et celui du témoin à charge PW1 à l’intention de la Cour.
Il fait valoir qu’il lui semblait que l’interprète n’était pas au procès pour lui permettre de
comprendre les propos des autres témoins, des conseils, du juge ou des assesseurs. Il
conclut en affirmant qu’il n’a pas bénéficié des ressources nécessaires pour lui permettre
de comprendre efficacement la procédure de mise en état de l’affaire, de se défendre
pendant le procès et de faire en sorte que sa cause soit entendue. Cette situation aurait
entraîné la violation de son droit à un procès équitable et eu des répercussions importantes
sur l’issue du procès.
*

125. Pour sa part, l’État défendeur n’a pas abordé spécifiquement cette question, mais a
plutôt fait observer que le Requérant a été défendu par quatre avocats depuis le début de
son procès jusqu’au stade de l’appel et que ses droits ont été respectés conformément
aux exigences du droit à un procès équitable.

***
126. La Cour s’est précédemment penchée sur la question de l’interprétation et a conclu que
« même si l’article 7(1)(c) de la Charte précitée ne prévoit pas expressément le droit
d’être assisté par un interprète, il peut être interprété à la lumière de l’article 14(3)(a) du
PIDCP, qui prévoit que « ... toute personne a le droit.... a) à être informée, dans le plus
court délai, dans une langue qu’elle comprend et de façon détaillée, de la nature et des
motifs de l’accusation portée contre elle ; et f) de se faire assister gratuitement d’un
interprète si elle ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience »38.

127. Il ressort de la lecture conjointe des deux dispositions que tout accusé a droit à un
interprète s’il n’est pas en mesure de comprendre la langue dans laquelle se déroule la
procédure.

38 Armand Guehi c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (2018), 2 RJCA 493, § 73.

121
128. La Cour a conclu dans l’affaire Yahaya Zumo Makame c. République-Unie de Tanzanie39 «
qu’un accusé a droit à un interprète s’il ne comprend pas ou ne s’exprime pas dans la
langue utilisée par le tribunal, il est nécessaire, d’un point de vue pratique, que le besoin
de bénéficier de l’assistance d’un interprète soit communiqué à la Cour ». La Cour a, en
outre, conclu dans l’affaire Armand Guéhi c. République-Unie de Tanzanie40 qu’un requérant
qui ne s’oppose pas à la poursuite de la procédure dans une langue autre que la sienne,
est réputé comprendre les procédures et avoir convenu de la manière dont elles sont
menées.

129. Il ressort du dossier devant la Cour qu’au moment de l’exposé des arguments de
l’accusation lors du procès, il a été établi que le témoin PW1 ne connaissait pas le
kiswahili et ne s’exprimait qu’en kihaya, ce qui a amené la Cour à demander la présence
d’un interprète assermenté pour traduire du kiswahili au kihaya et vice versa.

130. D’autre part, la Cour relève que lors de la mise en accusation du Requérant, au moment
où il a plaidé sa cause, l’information a été lue et expliquée au Requérant en kiswahili, et
qu’il a plaidé comme suit en kiswahili : « Siyo kweli », ce qui signifie « c’est faux », et qu’il
a ensuite plaidé non coupable. En outre, le Requérant n’a jamais fait part de ses
préoccupations quant à son incapacité à comprendre la procédure en raison d’une
barrière linguistique et ne s’est à aucun moment opposé à la poursuite de la
procédure. La Cour relève que le Requérant n’indique aucun stade de la procédure
auquel il a ouvertement marqué son opposition et exigé la présence d’un interprète41.

131. Au regard de ce qui précède, la Cour conclut que l’État défendeur n’a pas violé l’article
7(1)(c) de la Charte, lu conjointement avec l’article 14(3)(a) du PIDCP, pour n’avoir pas
fourni au Requérant les services d’un interprète lors de son procès.
B. Violation alléguée du droit à la vie

132. Le Requérant affirme que l’État défendeur a violé son droit à la vie sous trois chefs,
notamment :

39 CAfDHP, Requête n° 023/2016, Arrêt du 25 juin 2021 (fond et réparations), § 93.


40 Ibid., § 77.
41 Armand Guehi c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (7 décembre 2018), 2 RJCA 493, § 77.

122
i. l’imposition de la peine de mort obligatoire sans tenir compte de la situation du
contrevenant et des circonstances de l’infraction ;
ii. l’imposition de la peine de mort en dehors des cas pour lesquels elle peut être
légalement appliquée ;
iii. l’imposition de la peine de mort à l’issue d’un procès non équitable.

133. En ce qui concerne le premier chef, le Requérant fait valoir que la Haute Cour s’est
fondée uniquement sur le principe de l’imposition de la peine obligatoire en cas de
meurtre tel que prévu par la loi tanzanienne, alors que les articles 4 de la Charte et 6 du
PIDCP garantissent le droit à la vie et posent une présomption en faveur de la vie et par
conséquent, la peine de mort ne devrait être imposée que dans les circonstances les plus
exceptionnelles et extrêmes. Le Requérant soutient en outre que l’imposition de la peine
de mort obligatoire a pour effet de priver les juges de leur pouvoir discrétionnaire et de
leur devoir d’examiner les conditions du contrevenant et les circonstances de
l’infraction, et de déterminer si l’infraction est l’une des pires qui soient, justifiant ainsi
l’imposition de la peine de mort.

134. En ce qui concerne son état de santé mentale, le Requérant affirme que la Haute Cour
aurait dû considérer ce fait comme une circonstance atténuante, à l’instar de ce qui se
fait dans les juridictions nationales.42 Il fait valoir qu’après le dépôt de la Requête devant
la Cour de céans, l’UPA a commis un psychologue clinicien, Lema M. Isaac43, pour
procéder à un examen médical de son état de santé mentale au moment du meurtre

42 Mitcham c. DDP (Supra), Cour des Caraïbes orientales

La République c. Margret Nadzi Makolija. Appel en matière pénale n° 396 de 2008, Haute Cour du Malawi

La République c. James Galeta (Appel en révision de la sentence n° 47 de 2015), Haute Cour du Malawi

La République c. Dan Saidi Zonke (Appel en révision de la sentence n° 7 de 2016), Haute Cour du Malawi.

R. c. Reyes (2003) 2LRC 688, Cour suprême du Belize.


43 Psychologue clinicien à la Muhimbili University of Health and Allied Sciences (MUHAS), travaillant
sous l’égide du département de psychiatrie et de santé mentale à la fois pour la MUHAS et l’hôpital
national Muhimbili à Dar-es-Salaam. Il a une expérience éprouvée en matière de diagnostic et de
traitement d’une variété de maladies mentales et de formes de déficience intellectuelle. M. Lema a une
expérience particulière dans l’évaluation et le traitement des personnes souffrant d’addiction et de
maladies liées à l’addiction.

123
présumé. Dans un rapport daté du 29 mai 201844, M. Lema a confirmé qu’au moment
de son arrestation, le Requérant éprouvait de graves difficultés d’apprentissage, souffrait
du syndrome d’alcoolisation fœtale et de psychose.

135. Le Requérant fait valoir que ces conditions auraient pu affecter profondément son
comportement, limitant sa capacité à contrôler ses pulsions, à comprendre les codes de
conduite sociaux et à répondre de façon appropriée aux situations de stress.

136. S’appuyant sur un certain nombre d’affaires devant diverses juridictions 45, le Requérant
soutient que si les magistrats de l’État défendeur avaient eu la liberté d’examiner les
conditions susévoquées dans le cadre des procédures engagées en son encontre, ils
n’auraient pas conclu que sa condamnation à mort était la peine appropriée. Le
Requérant suppose que dans toutes les affaires débouchant éventuellement sur
l’application de la peine de mort, la situation personnelle du contrevenant et les
circonstances particulières dans lesquelles l’infraction a eu lieu, notamment ses facteurs
spécifiques aggravants ou atténuants, doivent être prises en compte par le tribunal qui
prononce la peine.

137. En ce qui concerne le deuxième chef, le Requérant soutient qu’une peine de mort n’est
admissible que si l’infraction est extrêmement grave46. Il affirme qu’il incombe à l’État
défendeur de prouver que son affaire devant les juridictions internes était à un tel seuil
de gravité, ce qu’il n’a pas fait. Le Requérant soutient en outre qu’en le condamnant à
mort, sans tenir compte de son état de santé mentale et d’ébriété au moment des faits et
de l’absence d’intention de tuer, l’État défendeur a violé son droit à la vie.

138. Sur le troisième chef, le Requérant déclare que la Commission africaine a souligné que «

44Ce rapport est annexé aux observations supplémentaires déposées par le requérant à l’appui de la
demande modifiée. Le rapport est daté du 29 mai 2018.
45Moise c. La Reine (non publié) – Cour d’appel des Caraïbes orientales ; Pipersburgh c. Conseil privé royal ; Mitcham
& Ors c. DPP – Cour d’appel des Caraïbes orientales ; S c. Makwajyane - Cour constitutionnelle sud-
africaine ; Trimmingham c. The Queen Mulla & Another v State of UP.
46 Brown c. Jamaïque, CDH ; Chisanga c. Zambie ; République c. Jamuson White, Haute Cour du Malawi ; Kindler
c. Canada, communication n° 470/1991 ; Trimmingham c. La Reine ; et Luboto c. Zambie.

124
si, pour quelque raison que ce soit, le système de justice pénale d’un État ne répond pas,
au moment du procès ou de la condamnation, aux critères de l’article 7 de la Charte
africaine ou si la procédure particulière dans laquelle la peine est imposée n’a pas
rigoureusement satisfait aux normes d’équité les plus élevées, alors l’application
conséquente de la peine de mort sera considérée comme une violation du droit à la vie. »
Le Requérant soutient qu’il y a eu plusieurs violations de son droit à un procès équitable,
qui ont, à leur tour, abouti à l’imposition de la peine de mort, violant ainsi son droit à la
vie.
*

139. L’État défendeur a répondu de manière globale aux trois chefs soulevés par le
Requérant47.

140. L’État défendeur affirme que la « Cour d’appel n’a pas violé les articles 13(6)(d) et 14 de
sa Constitution, étant entendu qu’elle est la seule juridiction habilitée à rendre justice en
dernier ressort en Tanzanie, conformément à l’article 107A (1) de la Constitution ». Il
fait, en outre, valoir que la loi prévoit, notamment à l’article 197 du Code pénal [Chap.
16 Édition révisée 2002], la peine de mort en cas de meurtre et que la Cour d’appel48 a
confirmé la constitutionnalité de la peine de mort telle que prévue par la Constitution.

141. L’État défendeur soutient que l’article 6 du PIDCP n’interdit pas l’imposition de la
peine de mort, qui est une peine légale. Il exige seulement des États qui ne l’ont pas aboli
de n’imposer la peine de mort que pour les crimes les plus graves, conformément à la
législation, en vertu d’un jugement définitif rendu par une juridiction compétente.

142. L’État défendeur affirme en outre que le Requérant n’a jamais soulevé devant les
juridictions internes l’allégation selon laquelle la peine de mort est en violation de la
Constitution de la République-Unie de Tanzanie. L’État défendeur indique qu’il prend
connaissance de cette allégation pour la première fois, le Requérant ne la soulevant que
devant la Cour de céans, étant donné qu’il n’a jamais exercé les recours disponibles, tels
qu’une requête en inconstitutionnalité, au sein des juridictions nationales, et ajoute que

47Mémoire en réponse à la Requête déposé le 6 février 2017 par l’État défendeur, en réponse à la Requête
initiale avant que le Requérant ne soit représenté par l’UPA.
48 Mbushuu Alias Dominic Mnyaroje et Autre c. République [1995] TLR.

125
le Requérant aurait pu soulever la question comme motif devant la Cour d’appel. L’État
défendeur soutient donc que cette allégation est le fruit d’une réflexion après coup et
doit être rejetée parce qu’elle n’est pas fondée.

***

143. La Cour fait observer que l’article 4 de la Charte dispose : « La personne humaine est
inviolable. Tout être humain a droit au respect de sa vie et à l’intégrité physique et
morale de sa personne : Nul ne peut être privé arbitrairement de ce droit. »

144. La Cour considère que, bien que le Requérant ait soulevé trois chefs distincts ayant trait
à la violation alléguée du droit à la vie et à l’imposition de la peine de mort obligatoire,
notamment les conditions de l’auteur de l’infraction, la légalité de la peine et le respect
des garanties d’une procédure régulière lors du procès, la seule question qu’il lui
appartient de trancher est celle de savoir si l‘imposition de la peine de mort obligatoire
constitue une privation arbitraire du droit à la vie.

145. La Cour rappelle la jurisprudence internationale bien établie en matière de droits de


l’homme sur les critères à appliquer pour évaluer le caractère arbitraire d’une peine de
mort49, à savoir qu’elle doit être prévue par la loi, qu’elle doit être imposée par un
tribunal compétent et qu’elle doit être l’aboutissement d’une procédure régulière.

146. S’agissant du premier critère, la Cour note que la peine de mort est prévue par l’article
197 du Code pénal de la République-Unie de Tanzanie.

147. La Cour observe, en ce qui concerne le deuxième critère, que le Requérant ne conteste
pas la compétence des juridictions de l’État défendeur pour mener les procédures ayant
abouti à l’imposition de la peine de mort à son encontre. La Cour relève en outre que le
Requérant soutient plutôt que la Haute Cour n’a prononcé la peine de mort qu’en

49Voir International Pen et autres (au nom de Saro-Wiwa) c. Nigeria, Communications n°137/94, 139/94, 154/96,
161/97 (2000) AHRLR 212 (CADHP 1998), §§ 1 à 10 et § 103 ; Forum of Consciencec. Siena Leone, Communication
n° 223/98(2000) AHRLR 212 (CADHP 1998), §§ 1 à 10 et § 103 ; Forum of Consciencec. Siena Leone,
Communication n° 223/98 (2000) 293 (CADHP 2000), § 20 ; voir article 6(2), PIDCP ; et Eversley(2000) AHRLR
212 (CADHP 1998), §§ 1 à 10 et § 103 ; Forum of Conscience c. Siena Leone, Communication n° 223/98 (2000) 293
(CADHP 2000), § 20 ; voir article 6(2), PIDCP ; et Eversley Thompson c. St. Vincent & the Grenadines, n° 806/1998,
U.N. Doc. CCPR/C70I0/806/1998 (2000) (HCR.), 8.2. Voir également Ally Rajabu et autres c. République-Unie de
Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 007/2015, Arrêt du 28 novembre 2019 (fond et réparations), § 104

126
raison de son caractère obligatoire en vertu de la loi, privant ainsi le juge du pouvoir
discrétionnaire d’imposer toute autre peine.

148. Pour ce qui est du troisième critère, la Cour rappelle que, dans l’affaire Ally Rajabu et
autres c. Tanzanie, elle a conclu que la peine de mort ne peut être prononcée que dans le
respect des normes et standards requis pour un procès équitable50. À cet égard, la Cour
a estimé que « toute sanction doit être ordonnée par une juridiction indépendante en ce
sens qu’elle conserve toute discrétion pour statuer sur les questions de fait et de droit
»51. La Cour estime qu’en privant un juge du pouvoir discrétionnaire d’imposer une
peine sur la base de la proportionnalité et des conditions individuelles d’une personne
condamnée, la peine de mort obligatoire n’est pas conforme aux exigences d’un procès
équitable en matière pénale52.

149. En l’espèce, la Cour estime que l’imposition de la peine de mort obligatoire telle qu’elle
est prévue à l’article 197 du Code pénal de l’État défendeur et telle qu’elle a été
systématiquement appliquée par la Haute Cour dans le cas du Requérant, ne respecte
pas les principes d’équité et de régularité de la procédure.

150. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que le caractère obligatoire de
l’imposition de la peine de mort constitue une privation arbitraire du droit à la vie.

151. La Cour en conclut que l‘État défendeur a violé l‘article 4 de la Charte.

C. La violation alléguée du droit à la dignité du Requérant

152. Le Requérant cite l’article 5 de la Charte et affirme que l’État défendeur a violé son droit à
la dignité par (i) l’imposition de la peine de mort à une personne souffrant de troubles

50 Ally Rajabu et autres c. Tanzanie, (fond et réparations), § 98.

51 Ibidem, § 107
52 Ibidem, § 107

127
mentaux et de déficience intellectuelle et par (ii) l’imposition de la peine de mort par
pendaison.

i. Imposition de la peine de mort aux personnes souffrant de


troubles mentaux et de déficience intellectuelle

153. Le Requérant affirme que l’exécution de personnes souffrant de graves troubles


mentaux ou de déficience intellectuelle viole le droit à la dignité et constitue une peine
cruelle, inhumaine ou dégradante. Le Requérant soutient en outre que dans son
Observation générale n° 2, la Commission africaine a reconnu la nécessité d’interdire
l’exécution de personnes souffrant de troubles psychosociaux et intellectuels et qu’il en va de
même pour les tribunaux du monde entier53.

154. Le Requérant fait valoir qu’il souffre d’une maladie mentale grave et d’une déficience
intellectuelle et que ce seul fait exclut l’application de la peine de mort qui viole le droit
à la dignité. Le Requérant fait, en outre, valoir que l’État défendeur n’a pas procédé à
une évaluation de sa santé mentale avant son procès, et n’a donc pas pris en compte sa
santé mentale pour déterminer si la peine de mort était justifiée. Le Requérant affirme
qu’il a été conduit dans un institut psychiatrique à Dodoma, à l’effet d’évaluer s’il était
ou non sain d’esprit et apte à être jugé. Le Requérant soutient en outre qu’il n’a pas pu
avoir accès au rapport d’évaluation médicale de son état de santé mentale effectuée au
moment où il était interné à l’Isanga Mental Institution à Dodoma.

155. L’État défendeur n’a pas répondu à cette question.

***
156. La Cour relève que, bien qu’il soit allégué que l’imposition de la peine de mort à une
personne souffrant de troubles mentaux viole son droit à la dignité, la question à
trancher est plutôt de savoir si l’imposition de ladite peine a résulté d’une procédure
menée conformément aux garanties inhérentes au droit à un procès équitable. La Cour

53 Francis c. Jamaïque (communication n° 606/1994, Arrêt du 3 août 1995) ; Sahandath c. Trinidad et Tobago ;
(communication n° 606/1994, Arrêt du 3 août 1995 ; Ford c. Wainwright, 477 US. 399, 409- 10, 417 ; Panetti
c. Quaterman,551 U.S 930, 979-80-(2007) au 958-59 ; Atkins c. Virginia, 536, us. 304 (2002) ; Piper’s burg c. la
Reine ; Moise c. la Reine.

128
relève à cet égard la pertinence de l’article 7(1) de la Charte qui dispose que : « Toute
personne a droit à ce que sa cause soit entendue. »
157. La Cour relève dans le procès-verbal d’instance que, le 21 mai 2012, M. Katabalwa,
l’avocat du Requérant lors de l’audience devant la Haute Cour, au cours de laquelle le
Requérant a plaidé sa cause, a fait observer que son client n’était peut-être pas sain
d’esprit et a demandé à la Cour d’ordonner qu’il subisse un examen médical afin de
déterminer son état de santé mentale au moment où il a commis le crime. L’accusation ne
s’est pas opposée à cette demande. Le même jour, la Haute Cour a ordonné que le
Requérant subisse un examen médical de son état de santé mentale à l’Isanga Mental
Institution, à Dodoma, et que le rapport médical lui soit soumis. Le dossier soumis à la
Cour de céans indique que le Requérant a été placé en institution à Dodoma de juin
2012 à novembre 2013.

158. La Cour relève qu’aucun élément dans le dossier n’indique que le rapport d’examen
médical de l’état de santé mentale du Requérant ordonné par la Haute Cour a été a
transmis à ladite Cour pour examen avant qu’elle ne rende sa décision le 26 février 2016.
Si tel était le cas, les conclusions de ce rapport auraient été utilisées par la Haute Cour
lors du procès et prises en compte dans sa décision.

159. La Cour fait observer qu’au contraire, il ressort du dossier que le Requérant et ses
représentants légaux ont tenté en vain d’obtenir, auprès de l’Isanga Mental Institution et du
Bureau de l’Attorney General, le rapport d’examen médical de l’état de santé mentale du
Requérant établi suite à l’ordonnance de la Haute Cour.

160. La Cour conclut donc que le fait, pour la Haute Cour, de ne pas tenir compte du
rapport d’évaluation médicale de l’état de santé mentale du Requérant constitue un vice
de procédure grave qui a entraîné une violation du droit du Requérant à un procès
équitable garanti par l’article 7(1) de la Charte.

ii. Exécution de la peine de mort par pendaison, un traitement


cruel, inhumain et dégradant

161. Le Requérant fait valoir qu’en Tanzanie, la peine de mort est appliquée par pendaison et
que la Haute Cour a ordonné que le mode d’exécution de la sentence prononcée à son

129
encontre soit la pendaison. Le Requérant affirme également que « la pendaison cause
des souffrances excessives et n’est absolument pas nécessaire ; elle constitue donc une
violation de l’article 5 de la Charte africaine ».

162. Le Requérant soutient que la Commission africaine a précédemment fait observer54 que
« la position actuelle du droit international des droits de l’homme et de l’exécution de la
peine de mort est que lorsqu’une condamnation à mort a été prononcée, elle doit être
exécutée de manière à causer le moins de souffrance physique et mentale possible ».

163. L’État défendeur soutient que, tout au long du procès, il a reconnu et respecté la dignité
du Requérant, qui a été traité conformément à la loi lors de ses procès devant la Haute
Cour et devant la Cour d’appel.

164. L’État défendeur fait valoir que la peine de mort est la peine prévue à l’article 197 de
son code pénal en cas de meurtre et que celle-ci a, par ailleurs, été jugée
constitutionnelle par la Cour d’appel, la plus haute juridiction du pays. Il soutient
également qu’en tout état de cause, le Requérant soulève cette allégation de violation
pour la première fois devant la Cour de céans, et il aurait plutôt dû le faire au niveau des
juridictions internes s’il s’était senti lésé. L’État défendeur en conclut que cette allégation
est futile, frivole et doit être rejetée parce qu’étant dépourvue de tout fondement.

165. L’État défendeur fait en outre valoir que le PIDCP reconnaît la peine de mort pour les
infractions graves, dès lors qu’elle est appliquée conformément à la législation en
vigueur dans le pays et qu’elle est exécutée en application d’un jugement définitif rendu
par une juridiction compétente.

166. L’État défendeur cite l’article 27 de la Charte et soutient qu’en infligeant la mort à la
victime, le Requérant a au contraire négligé son devoir de respecter le droit à la vie et à la
dignité du défunt. L’État défendeur affirme qu’en mettant brutalement fin à la vie de la
victime, qui était un enfant innocent, c’est plutôt le Requérant qui n’a pas reconnu les
droits et devoirs qui sont consacrés dans la Charte. Enfin, l’État défendeur soutient
qu’en tout état de cause, le Requérant n’a pas pu apporter la preuve de la violation de

54 Interights & Ditshwanelo c. République du Botswana.

130
son droit à être traité avec respect et dignité.

***

167. L’article 5 de la Charte dispose :

Tout individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne humaine


et à la reconnaissance de sa personnalité juridique. Toutes formes d’exploitation
et d’avilissement de l’homme notamment l’esclavage, la traite des personnes, la
torture physique ou morale, et les peines ou les traitements cruels inhumains
ou dégradants sont interdites.

168. La Cour relève que le Requérant allègue la violation de son droit à la vie du fait de
l’imposition de la peine de mort obligatoire et du mode d’exécution de la peine de mort
par pendaison, qui découle de sa condamnation. La question de l’imposition de la peine
de mort obligatoire ayant déjà été réglée, la question à trancher ici est celle de savoir si
le mode d’exécution de la peine de mort, à savoir la pendaison, constitue un traitement
cruel, inhumain et dégradant.

169. La Cour rappelle qu’elle a déjà conclu dans l’affaire Ally Rajabu et autres c. Tanzanie que
l’application de la peine de mort par pendaison, là où la peine de mort est admise, est «
en soi dégradante » et « porte inévitablement atteinte à la dignité, eu égard à l’interdiction
des traitements cruels, inhumains et dégradants »55. La Cour a donc conclu qu’elle
constitue une violation du droit à la dignité protégé par l’article 5 de la Charte. En
l’espèce, le Requérant encourt la même peine.
170. La Cour conclut, par conséquent, que l’État défendeur a violé l’article 5 de la Charte.

VIII. SUR LES RÉPARATIONS

171. La Cour relève que l’article 27(1) du Protocole dispose : « Lorsqu’elle estime qu’il y a eu
violation d’un droit de l’homme ou des peuples, la Cour ordonne toutes les mesures
appropriées afin de remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste

55 Ally Rajabu c. Tanzanie (fond et réparations), § 119 à 120.

131
compensation ou l’octroi d’une réparation »

172. Conformément à sa jurisprudence constante, la Cour estime que pour que des
réparations soient accordées, la responsabilité internationale de l’État défendeur doit
être établie au regard du fait illicite. Deuxièmement, le lien de causalité doit être établi
entre l’acte illicite et le préjudice allégué et qu’il incombe au requérant de justifier les
demandes formulées56.

173. La Cour rappelle également que les mesures qu’un État peut prendre pour réparer une
violation des droits de l’homme peuvent inclure la restitution, l’indemnisation, la
réadaptation de la victime et des mesures propres à garantir la non-répétition des
violations, compte tenu des circonstances de chaque affaire57.

174. La Cour rappelle qu’il incombe au Requérant de fournir des éléments de preuve pour
justifier ses demandes58. En ce qui concerne le préjudice moral, la Cour a jugé que
l’exigence de preuve n’est pas aussi rigide59, car le préjudice moral est présumé en cas de
violation des droits de l’homme60.

175. La Cour a constaté que l’État défendeur a violé le droit du Requérant à être entendu
dans un délai raisonnable, prévu par l’article 7(1)(d) de la Charte, en raison du retard

56 Norbert Zongo et Autres c. Burkina Faso (réparations), (5 juin 2015), 1 RJCA 265, §§ 20 à 31 ; Lohé

Issa Konaté c. Burkina Faso (réparations), (3 juin 2016), 1 RJCA 358, §§ 52 à 59 ; et Révérend

Christopher R. Mtikila c. République-Unie de Tanzanie (réparations), (13 juin 2014), 1 RJCA 74, §§ 27

à 29.
57 Ingabire Victoire Umuhoza c. République du Rwanda (réparations), (7 décembre 2018), 2 RJCA 202,

§ 20. Voir également Kalebi Elisamehe c. Tanzanie (fond et réparations), § 96.


58Kennedy Gihana et autres c. République du Rwanda, CAfDHP, Requête n° 017/2015, Arrêt du 28 novembre
2019, § 139; Voir également Révérend Christopher R. Mtikila c. Tanzanie (réparations), § 40 ; Lohé Issa Konaté c.
Burkina Faso (réparations), § 15(d) ; et Kalebi Elisamehe c. Tanzanie (fond et réparations), § 97.
59 Norbert Zongo et autres c. Burkina Faso (réparations), § 55. Voir également Kalebi Elisamehe c. Tanzanie, § 97.
60Ally Rajabu et autres c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 007/2015, Arrêt du 28 novembre 2019, §
136 ; Armand Guéhi c. Tanzanie (fond et réparations), § 55 ; Lucien Ikili Rashidi c. République-Unie de Tanzanie,
CAfDHP, Requête n° 009/2015, Arrêt du 28 mars 2019 (fond et réparations), § 119 ; Norbert Zongo et autres c.
Burkina Faso (réparations), § 55 ; et Kalebi Elisamehe c. Tanzanie (fond et réparations), § 97.

132
dans l’ouverture de son procès. La Cour a également constaté qu’en imposant la peine
de mort obligatoire au Requérant, l’État défendeur a violé son droit à un procès
équitable protégé par l’article 7(1) de la Charte, le droit à la vie tel qu’énoncé à l’article 4
de la Charte et le droit à la dignité, tel que prévu par l’article 5 de la Charte. Enfin, la
Cour a également conclu que le fait de trancher l’affaire du Requérant sans tenir compte
du rapport d’évaluation médicale de l’état de santé mentale du Requérant lors de la
commission de l’infraction constitue une violation de l’article 7(1) de la Charte.

176. La Cour note que certains montants demandés par le Requérant à titre de réparation
sont libellés en dollars des États-Unis. Dans ses décisions antérieures, la Cour a estimé
qu’en règle générale, des réparations doivent être accordées, dans la mesure du possible,
dans la monnaie dans laquelle le préjudice a été subi61. En l’espèce, la Cour appliquera
cette norme et les réparations pécuniaires, le cas échéant, seront évaluées en shillings
tanzaniens.

177. Au regard de tout ce qui précède, la Cour procédera à l’examen des demandes de
réparation du Requérant.

A. Réparations pécuniaires

i. Préjudice matériel

178. Le Requérant demande à la Cour d’accorder à son frère Respick Henerico, des
réparations à concurrence de deux mille quatre-vingt-dix-sept (2 097) dollars des États-
Unis (soit 3 428 000 shillings tanzaniens), au titre du préjudice matériel subi, dont les
dépenses pour les deux dernières années sont ventilées comme suit : (i) fourniture de
vivres à hauteur de 80 000 shillings tanzaniens par mois et 1 920 000 shillings
tanzaniens au total (ii) dépenses en termes de logement à hauteur de 20 000 shillings
tanzaniens par mois, soit 480 000 shillings tanzaniens au total : et (iii) fourniture
d’autres produits de première nécessité (tels que des vêtements et autres dépenses
accessoires) s’élevant à 22 000 shillings tanzaniens par mois, soit 528 000 shillings
tanzaniens au total. Le Requérant affirme également que Respick Henerico a également
subi un préjudice financier du fait de l’incarcération du Requérant en supportant des

61 Voir Lucien lkili Rashidi c. Tanzanie (fond et réparations) ; et Requête n° 003/2014, Arrêt du 0711212018
(réparations), lngabire Victoire Umuhoza c. République du Rwanda, § 45.

133
frais de transport à hauteur de 200 000 shillings tanzaniens par mois pour lui rendre visite
à la prison de Butimba. Il lui envoyait de l’argent de poche à hauteur de 70 000 shillings
tanzaniens, a engagé des dépenses pour l’achat de produits de première nécessité pour
le voyage à hauteur de 30 000 shillings tanzaniens. Le Requérant déclare en outre que
Respick Henerico a encouru des frais de transport à hauteur de 200 000 shillings
tanzaniens pour lui rendre visite à l’hôpital.

*
179. L’État défendeur n’a pas répondu à cette demande.

***

180. La Cour rappelle que pour que des réparations soient accordées au titre du préjudice
matériel, le requérant doit démontrer un lien de causalité entre la violation établie et le
préjudice subi, et prouver en outre le préjudice subi62. En l’espèce, la Cour relève que le
Requérant n’a pas établi le lien entre les violations constatées et le préjudice matériel
qu’il dit avoir subi. La Cour fait observer que le Requérant a fourni une déclaration sous
serment expliquant que Respick Henerico serait son frère, mais qu’il n’a pas fourni
d’éléments permettant de prouver les liens de parenté, ni de preuves spécifiques des
dépenses prétendument encourues, telles que des reçus des paiements63.

181. La Cour rejette donc les demandes de réparation formulées par le Requérant au titre du
préjudice matériel subi du fait de son incarcération.

ii. Préjudice moral subi par le Requérant

182. Le Requérant demande à la Cour de céans de lui accorder des réparations pour le
préjudice moral sur la base du principe d’équité exercé par la Cour de céans dans des

62 Voir Armand Guehi c. Tanzanie (fond et réparations), § 181 ; Norbert Zongo et autres c. Burkina Faso

(réparations), § 62.
63 Christopher Jonas c. République-Unie de Tanzanie, Requête n° 011/2015. Arrêt du 25 septembre 2020
(réparations), § 20, Armand Guehi c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations), (7 décembre 2018), 2
RJCA 493, § 18.

134
affaires précédentes, tout en prenant en compte les circonstances uniques que le
Requérant a endurées. Le Requérant soutient que le fait d’avoir été détenu durant sept
(7) ans sans procès l’a privé de la proximité de sa famille et l’en a isolé, il n’a jamais pu
planifier son avenir et n’a jamais rencontré son unique fils survivant, né peu après son
arrestation.

183. Le Requérant demande à la Cour de lui accorder la somme de trente mille dollars (30
000) dollars des États-Unis en réparation du préjudice moral subi.

184. L’État défendeur n’a pas répondu à cette demande.

***

185. La Cour rappelle sa jurisprudence dans l’affaire Armand Guéhi c. République- Unie de
Tanzanie, où, en raison d’un retard dans l’ouverture du procès du Requérant pour
meurtre, elle a estimé que « dans les circonstances de l’espèce, où le Requérant était
accusé de meurtre et risquait la peine capitale, ce retard pouvait lui causer des
souffrances morales. Le préjudice qui en a résulté justifie l’octroi d’indemnisation dont
l’évaluation sur la base de l’équité relève de la discrétion de la Cour ».

186. La Cour rappelle également sa jurisprudence dans l’affaire Ally Rajabu et autres c.
République-Unie de Tanzanie64, dans laquelle elle a fait observer que :

... la longue détention préventive dans l’attente de l’exécution faisait subir aux
personnes condamnées « une anxiété mentale grave s’ajoutant à d’autres
circonstances, notamment : la manière dont la peine avait été infligée ; défaut
de considération des caractéristiques personnelles de l’accusé ; la
disproportionnalité entre le châtiment et le crime commis ; … Le fait que le
juge ne tienne pas compte de l’âge ou de l’état mental du condamné ; ainsi
qu’une anticipation continue sur les manières possibles de les exécuter65.

64 Ally Rajabu et autres c. Tanzanie c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 007/2015, Arrêt du 28
novembre 2019 (fond et réparations), §§ 149 à 150.
65 Amin Juma c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n°. 024/2016, Arrêt du 30 septembre 2021

(fond et réparations), §15.

135
187. En l’espèce, la Cour relève que la longue période de mise en état de l’affaire de six (6)
ans, huit (8) mois et dix-neuf (19) jours a en soi causé un préjudice au Requérant et que
l’incertitude liée à l’attente de l’ouverture du procès a été source d’anxiété, de détresse et
de tension psychologique pour le Requérant.

188. La Cour fait en outre observer qu’en l’espèce, la condamnation à mort n’a certes pas
encore été exécutée, mais le Requérant a inévitablement subi un préjudice du fait de la
violation établie causée par l’imposition même de la peine qui a un caractère obligatoire.
La Cour reconnaît que la condamnation à mort constitue la peine la plus sévère et
qu’elle est suivie des plus graves conséquences psychologiques.

189. Au regard de ce qui précède, la Cour décide de lui accorder des réparations à
concurrence de cinq millions (5 000 000) de shillings tanzaniens à titre de juste
compensation pour le préjudice moral subi par le Requérant.

iii. Préjudice moral subi par les victimes indirectes

190. Le Requérant demande à la Cour d’accorder cinq mille (5 000) dollars des États-Unis
respectivement à son frère Respick Henerico et à son fils Godfrey Henerico, en tant
que victimes indirectes en raison du préjudice moral qu’ils ont subi.

191. L’État défendeur n’a pas formulé de réponse spécifique à cette allégation.

***

192. La Cour relève qu’en ce qui concerne les victimes indirectes, en règle générale, le
préjudice moral est présumé à l’égard des parents, des enfants et la réparation n’est
accordée que lorsqu’il existe une preuve de la relation conjugale ou de la filiation avec le
Requérant. Pour les autres catégories de victimes indirectes, preuve doit être faite du

136
préjudice moral subi66.

193. En l’espèce, le Requérant demande à la Cour d’accorder cinq mille (5 000) dollars des
États-Unis à son frère Respick Henerico et cinq mille (5000) dollars des États-Unis à
Godfrey Henerico son fils en tant que victimes indirectes en raison du préjudice moral
qu’ils auraient subi.
194. La Cour fait observer que le Requérant a déposé une déclaration sous serment notariée
de Respick Henerico, indiquant qu’il est le frère cadet du Requérant, ainsi que des
copies légalisées des certificats de baptême de Respikius Mwijage désignant Henericko
Paulo comme père, et de Godfrey Rweyemamu, désignant Gozbert Heneriko comme
père. La Cour relève que le Requérant a mentionné dans ces observations un certain
Godfrey Henerico comme son fils et non Respikius Mwijage ou Godfrey Rweyemamu
comme l’attestent les copies d’actes de naissance soumis par lui. Le Requérant n’a pas
non plus fourni d’explication sur les divergences observées entre le nom de son fils tel
qu’il figure dans ses observations écrites et celui indiqué sur les certificats de baptême.

195. Dans les circonstances de l’espèce, la Cour est d’avis que les preuves documentaires
fournies sous forme de déclaration sous serment et les copies des certificats de baptême
ne démontrent pas à suffisance le lien de parenté des prétendues victimes indirectes
avec le Requérant67.

196. Au regard de ce qui précède, la Cour rejette la demande de réparation formulée par le
Requérant au titre du préjudice moral subi par les victimes indirectes alléguées.

B. Réparations non pécuniaires

i. Remise en liberté

197. Le Requérant demande à la Cour d’annuler la condamnation à mort prononcée à son

66Zongo et autres c. Burkina Faso (réparations), § 54 ; et Lucien Ikili Rashidi c. Tanzanie (fond et réparations), §
135 ; Léon Mugesera c. Rwanda (fond et réparations), § 148.

67 Lucien Ikili Rashidi c. Tanzanie (fond and réparations), §§ 135 à 136.

137
encontre et d’ordonner sa remise en liberté. Il soutient également que la violation de
son droit d’être jugé dans un délai raisonnable devrait entraîner sa remise en liberté.

198. Le Requérant fait valoir qu’il existe plusieurs motifs spécifiques et impérieux pour que la
Cour ordonne sa remise en liberté. Il fait valoir que la réouverture du dossier de la
défense ou la tenue d’un nouveau procès « causerait un préjudice et serait constitutive
d’un déni de justice », compte tenu des circonstances suivantes : (i) le temps qui s’est
écoulé depuis le crime allégué ;

(ii) le caractère inéquitable du maintien du Requérant en détention après dix ans


d’emprisonnement ; (iii) le risque qu’un nouveau procès aboutisse au prononcé d’une peine de
mort obligatoire illégale ; (iv) l’existence de preuves entachées d’irrégularités qui ne peuvent être
corrigées dans le cadre d’une nouvelle procédure et (v) la réhabilitation du Requérant.
*

199. L’État défendeur n’a pas répondu à cette demande.

***

200. La Cour considère, en ce qui concerne ces demandes, que même si elle ne peut se
constituer en juridiction d’appel des décisions des juridictions internes et qu’elle ne peut
annuler les peines prononcées par ces dernières68, elle conserve le pouvoir
discrétionnaire d’ordonner des réparations appropriées si elle conclut que la procédure
interne n’a pas été menée conformément aux normes internationales.

201. S’agissant de l’ordonnance d’annulation de la condamnation du Requérant, la Cour fait


observer qu’elle n’a pas établi si la condamnation et la peine du Requérant étaient
justifiées ou non, cette question étant du ressort des juridictions nationales. La Cour
peut toutefois évaluer les procédures pertinentes devant les instances nationales pour
déterminer si elles sont conformes aux normes prescrites par la Charte ou par tous les
autres instruments relatifs aux droits de l’homme ratifiés par l’État défendeur69.

68 Voir Armand Guéhi c. Tanzanie (fond et réparations), § 33 ; Minani Evarist c. République-Unie de Tanzanie
(fond), Requête n° 027/2015. Arrêt du 21/09/18, § 81 ; Mohamed Abubakari c. Tanzanie (fond), op. cit., §.
28.
69Ladislaus Onesmo c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 047/2016, Arrêt du 30 septembre
2021 (fond et réparations), § 56 ; Minani Evarist c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations), (21
septembre 2018) 2 RJCA 402, § 54. Voir également Ernest Francis Mtingwi c. Tanzanie (compétence), § 14 ;

138
202. La Cour rappelle qu’elle a conclu qu’elle ne peut ordonner une remise en liberté que :

si un requérant démontre à suffisance ou si la Cour elle-même établit, à


partir de ses constatations, que l’arrestation ou la condamnation du
requérant repose entièrement sur des considérations arbitraires et que son
maintien en détention serait constitutif d’un déni de justice70.

203. En l’espèce, la Cour rappelle qu’elle a déjà établi que l’État défendeur a violé le droit du
Requérant à un procès équitable lorsque la Haute Cour a tranché l’affaire sans tenir
compte du rapport d’évaluation de l’état de santé mentale du Requérant au moment de
la commission du crime, rapport qu’elle avait elle-même ordonné conformément à la
législation en vigueur dans l’État défendeur. La Cour estime que la conséquence logique
dans cette circonstance est que l’État défendeur procède à la réouverture de la
procédure et la finalise dans un délai d’un (1) an à compter de la date de notification du
présent Arrêt et ordonne qu’il en soit ainsi.

ii. Garanties de non-répétition


204. Le Requérant demande à la Cour d’ordonner à l’État défendeur de modifier sa
législation à l’effet de garantir le respect du droit à la vie en vertu de l’article 4 de la Charte
africaine par la suppression de la peine de mort obligatoire en cas de meurtre.

205. Le Requérant affirme en outre que le droit à la vie ne peut être garanti que par une
ordonnance de révocation de la condamnation à mort prononcée et, par conséquent,
par le retrait du Requérant du couloir de la mort. Le Requérant affirme que le seul
moyen de garantir le respect de l’article 14 de la Charte africaine est d’ordonner à
l’État défendeur de modifier sa législation à l’effet de supprimer la peine de mort

Alex Thomas c. Tanzanie (fond), § 130 ; Mohamed Abubakari c. Tanzanie (fond), §§ 25 et 26 ; Kijiji Isiaga c.
République-Unie de Tanzanie (fond) (21 mars 2018), 2 RJCA 226, § 65.
70Minani Evarist c. Tanzanie (fond et réparations), § 82 ; voir également Jibu Amir alias Mussa et Saidi Ally alias
Mangaya c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 014/2015, Arrêt du 28 novembre 2019 (fond
et réparations), § 96 ; et Mgosi Mwita Makungu c. République-Unie de Tanzanie (fond) (7 décembre 2018), 2
RJCA 550, § 84 ; et Kalebi Elisamehe c. Tanzanie (fond et réparations), § 111. Requête N° 047/2016,
Ladislaus Onesmo c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations)
§ 93.

139
obligatoire en cas de meurtre.
*

206. L’État défendeur n’a pas formulé de réponse spécifique à cette allégation.

***

207. La Cour a déjà traité de cette question et ordonné à l’État défendeur de prendre toutes
les mesures nécessaires pour abroger de son code pénal la disposition prévoyant
l’imposition obligatoire de la peine de mort71. La Cour réitère donc cette ordonnance en
l’espèce.

iii. Publication de l’arrêt

208. Le Requérant n’a, certes, pas sollicité d’ordonnance en vue de la publication du présent
Arrêt, mais en vertu de l’article 27 du Protocole et des pouvoirs inhérents à la Cour,
celle-ci envisagera cette mesure.

209. La Cour rappelle sa position selon laquelle « un arrêt peut constituer en lui- même une
forme suffisante de réparation pour le préjudice moral »72. Néanmoins, dans ses
précédents arrêts, la Cour a ordonné de sa propre initiative la publication de ses arrêts
ou lorsque les circonstances l’exigeaient73.

210. La Cour fait observer qu’en l’espèce, la violation du droit à la vie par la disposition
relative à l’imposition obligatoire de la peine de mort dépasse le cas individuel du
Requérant et revêt un caractère systémique. La Cour relève en outre que sa conclusion
dans le présent Arrêt porte sur un droit suprême de la Charte, à savoir le droit à la vie.

71Ally Rajabu et autres c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 007/2015, Arrêt du 28 novembre 2019, §
136 ; Armand Guehi c. Tanzanie (fond et réparations), § 171 (xv à xvi).

72 Voir Reverend Christopher Mtikila c. Tanzanie (réparations), § 45.


73 Voir Armand Guehi c. Tanzanie, op. cit., § 194 ; Reverend Christopher R. Mtikila c. Tanzanie

(Réparations), § 45 et 46(5) ; et Norbert Zongo et autres c. Burkina Faso (réparations), § 98.

140
211. Au regard de ce qui précède, la Cour ordonne la publication du présent Arrêt.

IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE

212. Le Requérant demande le versement de deux mille quatre cent quarante (2 440)
dollars des États-Unis au titre des frais de justice et des frais connexes. Le Requérant
demande également le paiement de quatre mille quatre cents (4 400) dollars des États-
Unis au titre des frais de justice et des dépenses engagées par son avocat pour les frais
de transport et le temps consacré à l’affaire par l’avocat, soit quatre mille (4 000) dollars
des États- Unis pour environ vingt (20) heures de travail à raison de deux-cents (200)
dollars des États-Unis l’heure et environ quatre cent quarante (440) dollars des États-
Unis pour les frais de voyage et autres dépenses engagées.
*

213. L’État défendeur demande, quant à lui, à la Cour de mettre les frais de la présente
Requête à la charge du Requérant.
***

214. Conformément à la règle 32(2) du Règlement « à moins que la Cour n’en décide
autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure »74.

215. La Cour relève que le Requérant a été représenté par l’UPA à titre gracieux dans le cadre
du programme d’assistance judiciaire de la Cour. La Cour relève que son programme
d’assistance judiciaire couvre les frais et dépenses encourus par l’UPA pour représenter
le Requérant ; par conséquent, sa demande à cet égard est injustifiée et est donc rejetée.

216. À la lumière de ce qui précède, la Cour décide que chaque Partie supportera ses frais de
procédure.

X. DISPOSITIF

74 Article 30(2) de l’ancien Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.

141
217. Par ces motifs

LA COUR,

À l’unanimité :

Sur la compétence

i. Rejette l’exception d’incompétence matérielle ;

ii. Dit qu’elle est compétente.

Sur la recevabilité

iii. Rejette l’exception d’irrecevabilité de la Requête ;

iv. Déclare la Requête recevable.

Sur le fond

v. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant à un procès
équitable, protégé par l’article 7(1)(c) de la Charte et lu conjointement avec
l’article 14(3) du PIDCP, en ce qui concerne l’octroi d’une assistance judiciaire
gratuite et efficace ;
vi. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant à un procès
équitable, protégé par l’article 7(1)(c) de la Charte, en ce qui concerne la mise à
disposition d’un interprète ;
vii. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant à un procès
équitable, protégé par l’article 7(1)(c) de la Charte, en ce qui concerne le droit
à ce que sa cause soit entendue par une cour ou un tribunal compétent ;
viii. Dit que l’État défendeur a violé le droit du Requérant à un procès équitable,
protégé par l’article 7(1)(d) de la Charte, en ce qui concerne le droit d’être jugé
dans un délai raisonnable ;

142
ix. Dit que l’État défendeur a violé le droit du Requérant à un procès équitable
protégé par l’article 7(1) de la Charte, en ce qui concerne la non-prise en
compte par la Haute Cour du rapport d’évaluation médicale de l’état de santé
mentale du Requérant lors de la commission du crime.
x. Dit que l’État défendeur a violé le droit à la vie du Requérant garanti par
l’article 4 de la Charte, en ce qui concerne l’imposition de la peine de mort
obligatoire ;
xi. Dit que l’État défendeur a violé le droit à la dignité du Requérant protégé par
l’article 5 de la Charte, en ce qui concerne le mode d’exécution de la peine de
mort, à savoir, la pendaison.

À l’unanimité :

Sur les réparations Réparations


pécuniaires

xii. Rejette la demande formulée par le Requérant au titre du préjudice matériel ;


xiii. Rejette la demande formulée par le Requérant au titre du préjudice moral subi
par les victimes indirectes alléguées ;
xiv. Fait droit à la demande du Requérant relative au préjudice moral subi et lui
accorde la somme de cinq millions (5 000 000) de shillings tanzaniens à titre
de réparation dudit préjudice.
xv. Ordonne à l’État défendeur de verser la somme indiquée à l’alinéa

(xiv) ci-dessus, à titre de juste compensation, en franchise d’impôt, dans un délai de six
(6) mois à compter de la date de notification du présent Arrêt, faute de quoi il sera
tenu de payer des intérêts moratoires calculés sur la base du taux applicable de la
Banque centrale de Tanzanie pendant toute la période de retard et jusqu’au paiement
intégral des sommes dues.

Réparations non pécuniaires

xvi. Ordonne à l’État défendeur de prendre toutes les mesures nécessaires, dans le
cadre de ses processus internes et dans un délai d’un (1) an à compter de la
notification du présent Arrêt, pour faire entendre à nouveau l’affaire et
finaliser les procédures pénales concernant le Requérant dans le cadre d’une
procédure qui ne prévoit pas l’imposition obligatoire de la peine de mort et qui
reconnaît au juge ses pleins pouvoirs discrétionnaires ;

143
xvii. Ordonne à l’État défendeur de prendre immédiatement toutes les mesures
nécessaires pour supprimer de son code pénal l’imposition de la peine de mort
obligatoire qui écarte le pouvoir discrétionnaire du juge de décider de la peine à
appliquer.
xviii. Ordonne à l’État défendeur de publier le présent Arrêt, dès sa notification, sur
les sites Internet du pouvoir judiciaire et du ministère des Affaires
constitutionnelles et judiciaires, et de veiller à ce qu’il y demeure accessible
pendant au moins un (1) an après la date de publication.

Sur la mise en œuvre et l’établissement des rapports

xix. Ordonne à l’État défendeur de lui soumettre, dans un délai de six (6) mois à
compter de la date de notification du présent Arrêt, un rapport sur l’état de
mise en œuvre des ordonnances qui y sont énoncées et, par la suite, tous les six
(6) mois jusqu’à ce que la Cour considère toutes ses décisions entièrement
exécutées.

Sur les frais de procédure

xx. Ordonne à chaque Partie de supporter ses frais de procédure.

144
Ont signé :

Blaise TCHIKAYA, Vice-


président ; Ben KIOKO,
Juge ;
Rafaâ BEN ACHOUR,
Juge ; Suzanne
MENGUE, Juge ;
M.-Thérèse MUKAMULISA, Juge ;

Tujilane R. CHIZUMILA, Juge ;


Chafika BENSAOULA,

Juge ;

Stella I. ANUKAM, Juge


; Dumisa B.
NTSEBEZA, Juge ;
Modibo SACKO, Juge
;
et Robert ENO, Greffier.

Fait à Arusha, ce dixième jour du mois de janvier de l’an deux mil vingt-deux, en anglais et
en français, le texte anglais faisant foi.

Conformément à l’article 28(7) du Protocole et à la règle 70 du Règlement, la déclaration du


Juge Blaise TCHIKAYA et la déclaration conjointe des Juges Ben KIOKO et Tujilane R.
CHIZUMILA sont jointes au présent Arrêt.

145

Vous aimerez peut-être aussi