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LE RÈGLEMENT DES

DIFFÉRENDS OPPOSANT
L’OHADA À UN ÉTAT OU À
UNE OIG

Djibrihina OUEDRAOGO
Agrégé de droit public, Université Thomas
SANKARA (Burkina Faso)
&
Oumar TRAORÉ
Assistant de droit public, Université Thomas
SANKARA (Burkina Faso)

Publié dans Revue de l’ERSUMA _ 2023 - 1 / N°18


REVUE
DE L’ERSUMA
Revue semestrielle de Droit africain et comparé des affaires
REVUE DE L’ERSUMA 2023 - 1 / N°18

COMITÉ SCIENTIFIQUE COMITÉ DE RÉDACTION

Paul-Gérard POUGOUE Mme Ndèye Sophie DIAGNE NDIR


Professeur titulaire, Cameroun Agrégée des Facultés de droit, SENEGAL
Michel Filiga SAWADOGO Robert NEMEDEU
Professeur titulaire, Burkina-Faso Professeur titulaire, Cameroun
Abdoullah CISSE Jean Claude JAMES
Professeur titulaire, Sénégal Agrégé des Facultés de Droit, Gabon
Ndiaw DIOUF André AKAM AKAM
Professeur titulaire, Sénégal Agrégé des facultés de droit, Cameroun
MBA OWONO Charles Aboudramane OUATTARA
Professeur titulaire, Gabon Agrégé des Facultés de Droit, Côte d’Ivoire
Victor E. BOKALLI Koffi Mawunyo AGBENOTO
Professeur titulaire, Cameroun Agrégé des Facultés de Droit, Togo
François ANOUKAHA Patrice BADJI
Professeur titulaire, Cameroun Agrégé des Facultés de Droit, Sénégal
Noël A. GBAGUIDI Dominique KABRE
Professeur titulaire, Bénin Agrégé des Facultés de Droit, Burkina Faso
Emmanuel S. DARANKOUM Eric MONTCHO AGBASSA
Professeur titulaire, Canada Agrégé des facultés de droit, Bénin
Dorothé Cossi SOSSA Jean René GOMEZ,
Professeur titulaire, Bénin Docteur en droit, Maître-Assistant,
Jean Marie TCHAKOUA Brazzaville, Congo
Professeur titulaire, Cameroun Mme Monique Aimée MOUTHIEU
Joseph DJOGBENOU NJANDEU
Professeur titulaire, Bénin Agrégée des Facultés de Droit, Cameroun
Mayatta Ndiaye MBAYE Boureima SAWADOGO
Maître de conférences agrégé, Secrétaire Magistrat, Juriste référendaire CCJA
Permanent de l’OHADA Théophile Gautier HIOM HIOM II
Akuété Pedro SANTOS Avocat, Juriste référendaire CCJA
Maître de conférences agrégé, Togo Joël MBA KAMGA
Moussa SAMB Juriste référendaire CCJA
Agrégé des Facultés de Droit, Sénégal
Yvette Rachel KALIEU ELONGO
Maître de conférences agrégée, Cameroun
François K. DECKON
Maître de conférences agrégé, Togo
Roger MASAMBA
Professeur, Avocat, RDC
César Appolinaire ONDO MVÉ,
Magistrat – Ancien Président de la Cour
Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA)
de l’OHADA
Ousmane BATOKO
Président de la Cour Suprême du Bénin
Daniel SEDAR SENGHOR
Notaire, ancien président de l’UINL,
Sénéga

5
COMITÉ DE LECTURE
Grégoire JIOGUE Issakha NDIAYE
Professeur Titulaire, Cameroun Agrégé des Facultés de Droit, Sénégal
Roch David Gnahou TALFI Bachir Idrissa
Agrégé des Facultés de Droit, Bénin Agrégé des Facultés de Droit, Niger
Dieunedort NZOUABETH Ibrahima LY
Agrégé des Facultés de Droit, Sénégal Agrégé des Facultés de Droit, Sénégal
LOWE GNINTEDEM Patrick Juvet Sidy Alpha NDIAYE
Agrégé des facultés de Droit, Cameroun Agrégé des Facultés de Droit, Sénégal
Yaya BODIAN, KENGUEP Ebenezer
Agrégé des Facultés de Droit, Sénégal Maître de Conférence, Cameroun
Mohamed Bachir NIANG ALAKA ALAKA Pierre
Agrégé des Facultés de Droit, Sénégal Maître de Conférence, Cameroun
Bréhima KAMENA Papa Talla FALL
Agrégé des Facultés de Droit, Sénégal Agrégé des Facultés de Droit, Sénégal
Alassane KANTE Moktar ADAMOU
Agrégé des Facultés de Droit, Sénégal Agrégé des Facultés de Droit, Bénin
Mbissane NGOM Souleymane TOE
Agrégé des Facultés de Droit, Sénégal Agrégé des Facultés de Droit, Sénégal
Cheikh Abdou Wakhab NDIAYE Jean Louis CORREA
Agrégé des Facultés de Droit, Sénégal Agrégé des Facultés de Droit, Sénégal
El Hadji Samba NDIAYE BANAMBA Boniface
Agrégé des Facultés de Droit, Sénégal Agrégé des Facultés de Droit, Cameroun
Babacar NIANG Alioune SALL
Agrégé des Facultés de Droit, Sénégal Agrégé des Facultés de Droit, Sénégal
Abdoul Aziz DIOUF Achille NGWANZA
Agrégé des Facultés de Droit, Sénégal Docteur en Droit, Arbitre à la CCI, France

SECRÉTARIAT D’ÉDITION

Karel Osiris Coffi DOGUE


Docteur en Droit, Directeur Général de l’ERSUMA, Directeur de Publication de la Revue
de l’ERSUMA
Eméfa Valérie HOUANGNI
Docteure en Droit, Directrice des Études, ERSUMA
Alexis NDZUENKEU
Magistrat, Docteur en Droit, Directeur des Affaires Juridiques, de la Documentation et
de la Communication de l’OHADA, Secrétariat Permanent OHADA
Edith Dia TRAORE-COULIBALY
Documentaliste en Chef, ERSUMA
Ghislain OLORY-TOGBE
Juriste, Assistant de recherche,
Responsable du Suivi des Projets et Partenariats, ERSUMA
Annick Béatrice KINSI
Juriste, Assistante de recherche
Responsable du Suivi des Projets de Recherche et Publications, ERSUMA
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Sommaire
Études doctrinales page 09

Le règlement des différends opposant l’OHADA à un État ou à une OIG


Par Djibrihina OUEDRAOGO, Agrégé de droit public, Université Thomas SANKARA
(Burkina Faso) et Oumar TRAORÉ, Assistant de droit public, Université Thomas
SANKARA (Burkina Faso) 10
Retour sur l’unanimité en droit des sociétés commerciales OHADA à la lumière
du droit français
Par Marcel Urbain NGAH NOAH, Docteur en Droit privé, Maitre-Assistant CAMES,
Enseignant-chercheur à la FSJP de l’Université de Douala 40
Le droit de disposition de la marchandise en cours de route en droit OHADA des
transports routiers 
Par Innocent TCHAMGWE, Dr/PhD en droit des affaires, Chargé de cours à
l’Université de Buea (Cameroun) 88
La responsabilité pénale du banquier dans le financement des entreprises en
difficultés en droit OHADA.
Par Dr John Fabrice NYOBE, PhD en Droit des Affaires, Enseignant Vacataire à
l’École Normale Supérieure de Bertoua 110
Les contraintes des actions dirigées contre les tiers dans les procédures collectives,
un enjeu pour le financement des entreprises en droit français et en droit OHADA
Par Hugues OTABELA ATANGANA, Docteur en droit, Université Aix-Marseille (France) 138
La bonne foi : notion-cadre régulatrice du comportement du débiteur dans les
procédures collectives OHADA
Par Princesse de Christ KOUNDE EBENE, Docteur/PhD en droit privé de Université
de Dschang (Cameroun) ; et Synthia Pamela DOUNKING AMFOUO, Doctorante en
droit privé à Université de Dschang (Cameroun) 159
Le rebond du débiteur dans le droit OHADA des procédures collectives
Par Mon-espoir MFINI, Chercheur en droit privé et sciences criminelles, Enseignant
à l’Université d’Angers. 182

Législations page 195

La réforme du régime d’indemnisation des victimes d’accident de circulation dans


les assurances CIMA : note sous règlement n°004/CIMA/PCMA/PCE/2021 du 9
février 2022 modifiant et complétant les régimes du contrat d’assurance et
d’indemnisation des victimes
Par Franck EDIE NGOLE, Juriste d’Entreprise, Master 2 Université de Dschang –
Cameroun 196

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Pratique professionnelle page 213

Libres propos sur la pratique de l’audit fiscal dans le contexte des entreprises
camerounaises
Par Raoul TCHATAT NYA, PhD en Droit des Affaires et Fiscalité, Chargé de Cours
à la Faculté des Sciences Économiques et de Gestion de l’Université de Maroua
(Cameroun) 214

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Le règlement des différends opposant l’OHADA à


un État ou à une OIG
Par Djibrihina OUEDRAOGO, Agrégé de droit public, Université Thomas
SANKARA (Burkina Faso) et Oumar TRAORÉ, Assistant de droit public,
Université Thomas SANKARA (Burkina Faso)

Résumé
Le traité de Port-Louis de 1993 qui a créé l’OHADA sous la forme d’une organisation
internationale n’a pas prévu de dispositions relatives à la prévention et à la
résolution des différends qui pourraient l’opposer à un État (membre ou non)
ou à une organisation internationale quant à l’application de ses dispositions ou
quant à l’engagement d’action en vue de la réparation de dommages causés ou
subis par l’OHADA. Il s’agit là d’une lacune puisque le traité n’a pas tiré toutes
les conséquences attachées à la personnalité juridique qu’il reconnait pourtant à
l’OHADA. En effet, à partir du moment où l’OHADA dispose de la capacité d’établir
des relations avec d’autres sujets du droit international, notamment les États et
les autres organisations internationales, il devient évident que des difficultés
puissent apparaître. D’où la nécessité de les prévenir et d’indiquer les moyens de
les aplanir. Le présent article vise alors à identifier les différends qui pourraient
opposer l’OHADA et l’État ou un autre sujet du droit international ainsi que les
modalités éventuelles de leurs résolutions.

Abstract
The 1993 Treaty of Port-Louis, which established OHADA as an international
organization, did not include provisions for the prevention and resolution of
disputes that might arise between OHADA and a State (whether a member or
not) or an international organization regarding the application of its provisions,
or regarding the institution of proceedings for the reparation of damage caused
or suffered by OHADA. This is a shortcoming, as the treaty does not draw all the
consequences stemming from the legal personality it nevertheless acknowledges
for OHADA. Indeed, once OHADA has the capacity to establish relations with
other subjects of international law, in particular States and other international
organizations, it becomes clear that difficulties may arise. Hence, the need to
prevent them and to indicate the means of resolving them. The purpose of this
paper is therefore to determine the disputes that could arise between OHADA
and the State or another subject of international law, and the possible methods
for their settlement.

Resumo
O Tratado de Port-Louis de 1993 que criou a OHADA sob a forma de uma
organização internacional não prevê normas relativas à prevenção e à resolução
de diferendos que poderiam opó-la à um Estado (membro ou não) ou à uma

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organização internacional quanto à aplicação de suas normas ou relativamente


á iniciativa de ação tendo em vista a reparação de danos causados ou sofridos
pela OHADA. Trata-se aqui de uma lacuna pois o Tratado não tirou todas as
consequências ligadas à personalidade jurídica que entretanto reconhece à
OHADA. Na verdade, à partir do momento em que a OHADA dispõe da capacidade de
etabelecer relações com outros sujeitos de direito internacional, nomeadamente
os Estados e outras organizações internacionais, torna-se evidente que as
dificuldades possam surgir. Daí a necessidade de as prevenir e indicar os meios
de as dirimir. O presente artigo visa então identificar os diferendos que poderiam
opôr a OHADA e o Estado ou um outro sujeito de direito internacional bem como
as modalidades eventuais de sua resolução.

Resumen
El Tratado de Port-Louis de 1993 que creó la OHADA en una organización
internacional no ha previsto disposiciones relativas a la solución de controversias
que la pueden oponer a un Estado (miembro o no miembro) o a una organización
internacional en cuanto a la aplicación de sus disposiciones o en cuanto a la
realización de acciones judiciales para obtener reparación de daños causados
o sufridos para la OHADA. Se trata ahí, de un vacío jurídico ya que el Tratado
no ha extraído todas las consecuencias inherentes a la personalidad jurídica
que, sin embargo, reconoce en la OHADA. En efecto, desde el momento en que
la OHADA dispone de capacidad para establecer relaciones con otros sujetos
de derecho internacional como Estados y otras organizaciones internacionales,
resulta evidente que algunas dificultades puedan surgir. De ahí, la necesidad de
preverlas e indicar los medios para solucionar. Por tanto, el presente artículo
pretende identificar las controversias que puedan oponer la OHADA al Estado o
a un otro sujeto de derecho internacional así como las modalidades eventuales
para solucionarlas.
***
Dans sa célèbre décision Concessions Mavrommatis, la CPJI donne pour la
première fois une définition de la notion de différend international. La Cour
indique que « un différend international est un désaccord sur un point de fait
ou de droit, une contradiction, une opposition de thèses juridiques ou d’intérêts
entre deux personnes »1. Toutefois, le différend n’est consommé que dans la
mesure où, comme le précise la CIJ dans les Affaires du Sud-ouest africain, « la
réclamation d’une des parties se heurte à l’opposition de l’autre »2. Il suit de là
que la survenance d’un différend entre un État, sujet par excellence du droit
international, et l’OHADA, organisation intergouvernementale, suppose que ce
dernier dispose de la personnalité juridique internationale qui lui permet non
seulement de formuler des réclamations mais également de pouvoir être l’objet
de réclamations.

1
CPJI, Grèce c./Royaume-Uni, Concessions Mavrommatis, arrêt du 30 août 1924, exceptions préliminaires, série A,
n°2, p. 11.
2
CIJ, Affaires du Sud-ouest africain, Exceptions préliminaires, Ethiopie c. Afrique du Sud, Libéria c. Afrique du Sud,
arrêt du 21 décembre 1962 : C.I.J. Recueil 1962, p 319.

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Établi par le traité de Port-Louis en 1993, le droit OHADA irrigue


incontestablement et abondamment l’ordre juridique de ses États-membres.
Au regard de ses caractéristiques, il est même permis de reprendre la formule
jurisprudentielle selon laquelle ce droit constitue un « ordre juridique propre
intégré aux ordres juridiques des États membres »3 auxquels il se superpose.
Cependant, si cette formule, employée pour qualifier les rapports entre le droit
étatique et le droit issu des communautés européennes, peut rendre compte des
interactions entre le droit OHADA et le droit interne des États membres, il semble
toutefois que les opinions ne convergent pas quant à la qualification ou à la
détermination réelle de la catégorie juridique de laquelle relève l’OHADA4. Cette
observation est induite à la fois du mécanisme de création et de fonctionnement
de l’OHADA. Sa nature d’organisation internationale n’a pas toujours permis
de l’inscrire dans le droit communautaire. Il ne faudrait pas perdre de vue
cependant ce dernier, ni de nier le lien que le droit OHADA entretient avec le droit
international. Ce serait tomber dans le « jivaro intellectuel »5. Il reste que pour
nier au droit OHADA son caractère communautaire, il a été avancé l’argument
de l’absence d’un marché commun, des règles relatives à la libre circulation des
personnes, des marchandises et des capitaux6.
S’il est évident que les règles du droit communautaire s’accommodent de la
libéralisation des facteurs de production, il n’est pas prouvé que ces mécanismes
soient absents dans le droit OHADA. Ce qui parait évident si l’on sait que la
clause nationale de l’application de la loi d’un Etat n’est plus opérante à l’égard
d’un commerçant ou d’une société du cercle. Du reste, la première construction
jurisprudentielle d’un droit communautaire matériellement distinct du droit
international remonte à l’arrêt Humblet7. La Cour de justice de l’Union européenne
y avait traité la particularité de l’ordre juridique communautaire sous l’angle de
l’incorporation des règles de ce droit dans l’ordre juridique interne des États.
C’est la conséquence aussi du droit commun qu’est celui de l’OHADA.
Quoiqu’il en soit, la controverse porte davantage sur le point de savoir si
l’OHADA sécrète du droit communautaire et moins sur sa nature d’organisation
internationale. En effet, l’OHADA répond pleinement à la définition de
l’organisation internationale en ce sens qu’elle est constituée par un
regroupement d’États, créée par un traité et donc régie par le droit international.
Le système institutionnel de l’OHADA a été synthétiquement présenté comme
suit : « A la base un traité international, sorte de promoteur déléguant à un maître

3
CJCE, 15 juillet 1964, Costa c. /Enel, aff. 6/64 Rec., p.1141.
4
Evry VIGNON, « Peut-on qualifier le droit OHADA de droit communautaire ? », Ohadata D-10-
51 ; Véronique Carole NGONO, « Réflexion sur l’espace judicaire OHADA », Ohadata D-15-14 ; Issa
SAYEGH, « L’ordre juridique OHADA », Communication au colloque ARPJE, ERUSMA, Porto-Novo du,
3-5 juin, 2004, Ohadata D-04-02.
5
Alain PELLET, « Les fondements juridiques internationaux du droit communautaire », collected
Courses of the Academy of European Law, Volume V, Book 2, Kluwer Law International. Printed in
the Netherlands, p. 217.
6
Simon Degaulle NJONGA MOUKALA, La nature du droit de l’OHADA, Thèse de doctorat, Université
de Douala (Cameroun), 2019, p. 29.
7
CJCE, numéro C-6/60, Jean E. Humblet contre Etat belge, 16 décembre 1960.

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d’œuvre, l’OHADA, la supervision de l’opération, lui-même confiant à un Secrétariat


permanent la mise au point d’un projet d’intégration juridique, enfin un décideur,
le Conseil des ministres, chargé de l’approuver et de lancer le produit sur le marché,
le tout sous le contrôle d’une Haute cour de justice »8.
L’OHADA est par conséquent un sujet de droit international. C’est ainsi que le
traité9 lui reconnait expressément « la pleine personnalité juridique » pour jouir
de droits et supporter des obligations. Constituant alors un être entièrement
distinct des États qui la composent, l’OHADA a des relations aussi bien avec
les États membres et avec d’autres sujets de droit international10. De ce fait,
étant donné cette vérité suivant laquelle le conflit est sociologique, il est alors
inévitable que des différends puissent surgir dans le cadre des relations que
l’organisation entretient avec les autres sujets de droit international. Comme
on a pu le constater « la participation des organisations internationales à la
communauté internationale n’est pas sans susciter un certain nombre de différends
opposant les organisations à d’autres sujets du droit des gens »11. Conscientes de
cette éventualité, les OI, par anticipation, prévoient dans leurs actes constitutifs
les mécanismes qui permettront de résoudre les différends qui pourraient surgir
notamment relativement à l’interprétation et à l’application du droit originaire
ou du droit dérivé sécrété par leurs organes.
Or, l’OHADA semble avoir, au moins partiellement, ignoré cette occurrence. Et
pour cause, le traité OHADA ne comporte pas de dispositions expresses sur la
résolution des litiges qui pourraient surgir entre l’organisation et un sujet de
droit international notamment les États, qu’ils soient parties ou non au traité.
L’article 14 du traité stipule seulement que « La Cour Commune de Justice et
d’Arbitrage (CCJA) assure l’interprétation et l’application communes du Traité ainsi
que des règlements pris pour son application, des actes uniformes et des décisions ».
Cette clause générale d’attribution de compétence semble plutôt se rapporter
au double pouvoir consultatif et de cassation de la CCJA12. Il s’agit davantage de
mettre en évidence son statut de juridiction de cassation, chargée de veiller à une
application commune et uniforme du droit surtout par les juridictions des États
parties. Le statut judiciaire de la CCJA reste cependant celui d’une juridiction
supranationale, ou pour rester dans la logique et les considérations tenant à la
théorie de l’unité du droit international, celui d’une juridiction internationale13.

8
Pierre BOUREL, « A propos de l’OHADA : libres opinions sur l’harmonisation du droit des affaires en
Afrique », Dalloz 2007, p. 969.
9
Voir à ce sujet l’article 46 du traité de 1993 qui confère à l’OHADA la personnalité juridique interne
et internationale et les conséquences qui peuvent en résulter au regard du droit.
10
Jacques FIPA NGUEPJO, Le rôle des juridictions supranationales de la CEMAC et de l’OHADA
dans l’intégration des droits communautaires par les Etats membres, thèse de doctorat, Université
Panthéon-Assas, Paris II, 2011, p. 29.
11
Frédéric DOPAGNE, « Chapitre 35 : Les différends opposant l’organisation internationale à un
État ou une autre organisation internationale », in Evelyne LAGRANGE, Jean-Marc SOREL, Droit des
organisations internationales, LGDJ, 2013, p.1101.
12
Placide MOUDOUDOU, « Réflexion sur les fonctions de la CCJA », Ohadata D-14-14 ; Eugène Assepo
ASSI, « La Cour commune de justice et d’arbitrage de l’OHADA : un troisième degré de juridiction ? »,
Revue internationale de droit comparé, 2005, Volume 57, n°4, pp. 943-955.
13
Alain PELLET, « L’unité ou la fragmentation du système juridique international » in S.F.D.I., colloque

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Ce faisant, il apparaît a priori que la clause générale d’attribution de compétence


n’implique pas la compétence de la CCJA pour le règlement des différends
internationaux qui pourraient opposer l’OHADA à un État voire à une OI. Toutefois,
cette compétence pourrait jouer dès lors que la question à traiter par la CCJA
relèverait du domaine du traité et des actes uniformes. Cette compétence pourrait
être déduite de l’article 56 du traité qui prévoit un mécanisme de règlement
des différends qui pourraient surgir entre les États membres relativement à
l’interprétation et à l’application du droit OHADA : « Tout différend qui pourrait
surgir entre les États-Parties quant à l’interprétation ou à l’application du présent
Traité et qui ne serait pas résolu à l’amiable peut être porté par un État Partie
devant la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage ».
Si la question de la résolution des différends entre l’OHADA et une organisation
internationale peut trouver des résolutions dans la théorie générale des
organisations internationales au prisme de la personnalité juridique
internationale des organisations intergouvernementales, il semble bien que le
droit primaire OHADA présente une grande lacune qui ne manque pas d’étonner !
Celle de l’absence de mécanismes directs de résolution des différends entre un
État et l’OHADA. Il est alors permis de s’interroger sur les raisons qui ont pu
justifier que ce pan essentiel du droit, celui de la résolution des différends entre
l’État membre et l’organisation, n’ait pas été saisi par les rédacteurs du traité
OHADA. Comment expliquer un tel silence ? S’agit-il d’un oubli ? On peut douter
de la justesse de cette dernière interrogation du moment que le texte OHADA
a fait l’objet de modification au Québec en 2008. La révision du Québec étant
intervenue en 2008, soit plus d’une décennie après l’entrée en vigueur du traité,
le législateur OHADA aurait pu à cette occasion prévoir un mécanisme à l’effet
de régler les différends pouvant opposer l’OHADA et les États. Il est aussi permis
de penser que les rédacteurs du traité OHADA ont intégré cette idée que « les
relations des organisations internationales avec les États sont généralement
paisibles et que les différends qui surgissent sont réglés dans la discrétion »14.
Au vrai, l’explication d’une telle lacune peut être trouvée dans les objectifs et
l’esprit qui ont présidé à la création de l’OHADA. L’OHADA a été conçu comme
« un outil technique pour moderniser le droit des affaires…(et pour) créer un
environnement propice à l’investissement privé »15. De ce fait, tout porte à croire
que les pères fondateurs de l’OHADA y ont vu une institution dont l’objet est de
favoriser les relations de tous ordres qui pourraient concerner les particuliers
dans le monde des affaires.

de Strasbourg, La protection des droits de l’homme et l’évolution du droit international, Paris,


Pedone, 1998, pp. 297.
14
Christian DOMINICE, « Le règlement juridictionnel du contentieux externe des organisations
internationales, in Le droit international au service de la paix, de la justice et du développement,
Mélanges VIRALLY, Paris, ÉDITIONS A. PEDONE, 1991, p. 231.
15
Gerard POUGOUE, « Présentation générale du système OHADA », in André AKAM AKAM, Les
mutations juridiques dans le système OHADA, L’Harmattan, 2009, p. 11.

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Ce faisant, il semble que l’OHADA ait été perçue comme étant prioritairement un
instrument de droit privé, pour les personnes privées (physiques et morales) et
éloigné alors des considérations de droit public. Que l’on considère dans ce sens
le point 4 du préambule du traité qui stipule que « la réalisation de ces objectifs
(à savoir la création d’une communauté économique africaine) suppose la mise
en place dans leurs États d’un Droit des Affaires harmonisé, simple, moderne et
adapté, afin de faciliter l’activité des entreprises ».
Aussi, et contrairement à la tendance générale observable dans les OI, les États
ne semblent pas être prioritairement les destinataires du droit OHADA. Même
s’ils se sont obligés à le respecter et à en garantir le respect dans leurs ordres
juridiques nationaux, il reste que le droit OHADA apparaît comme règlementant
davantage la vie économique des personnes privées ou des personnes publiques
réalisant au même titre que les entreprises privées des activités économiques. Ces
structures économiques sont appréhendées par le seul fait qu’elles interviennent
ou sont établies sur le territoire d’un État partie. Il est alors plausible que les
États aient simplement été perçus d’abord comme vecteurs du droit OHADA.
Du reste et de façon assez symptomatique, on remarquera que sur un plan
académique le droit OHADA intéresse davantage les privatistes dans la mesure
où les matières qu’il régit concerne largement les disciplines de droit privé telles
que le droit commercial, le droit des sociétés ou la comptabilité privée. Pour ces
raisons, il est permis de soutenir qu’il a pu échapper aux rédacteurs du traité
OHADA que l’OHADA est, avant tout, une organisation internationale qui, en
raison de la personnalité juridique qui lui est reconnue, peut avoir à défendre
des droits et intérêts mais dont la responsabilité peut être mise en cause à divers
titres. Ainsi qu’il a pu être souligné « aussi spécifique qu’elle puisse être, la nature
de l’organisation internationale n’a évidemment pas pour vertu de faire échapper
celle-ci aux affres de la contestation et du désaccord que, depuis qu’ils existent, les
États connaissent dans leur relations mutuelles »16.
Cette attitude passive du législateur originaire OHADA est même incohérente
et incompréhensible si l’on considère que les trois accords de siège conclus par
l’OHADA comportent des clauses sur le règlement des différends qui pourraient
survenir avec les pays hôtes notamment concernant le respect du régime des
privilèges et immunités17 ; même si on peut encore s’étonner que les mécanismes
proposés dans les trois accords ne soient pas identiques.
De même et pour souligner encore cette incohérence de la démarche de l’OHADA,
on constatera que le règlement n°002/2003/CM du 18 octobre 2003 relatif au
mécanisme de financement autonome de l’OHADA stipule au dernier alinéa de
son article 14 que « les litiges entre États Parties ou entre le Secrétariat permanent

16
Frédéric DOPAGNE, « Chapitre 35 : Les différends opposant l’organisation internationale à un État
ou une autre organisation internationale », op.cit., 1101.
17
Voir art.24 de l’accord de siège entre l’OHADA et le Cameroun relatif au siège du Secrétariat
permanent de l’OHADA ; art.20 accord entre l’OHADA et la Côte d’Ivoire relatif au siège de la CCJA ;
art.24 accord entre l’OHADA et le Bénin relatif au siège de l’ERSUMA.

15
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et un ou plusieurs États Parties sur l’interprétation ou les modalités d’application


du présent Règlement sont de la compétence de la Cour commune de Justice et
d’Arbitrage ».
En tout état de cause, l’OHADA est située dans un environnement juridique
« conflictogène » qu’il est difficile d’imaginer qu’elle n’ait pas prévu de
mécanismes de résolution des différends auxquels elle pourrait être confrontée
dans le cadre du traité constitutif. Le fait d’ailleurs que ses règles bénéficient
d’une autorité absolue (primauté et effet direct) dans les ordres juridiques des
États parties ne suffit pas à écarter les risques de conflits. En ce sens, on sait
que la compétence de juge de cassation reconnue à la CCJA au détriment des
juridictions nationales de cassation lorsque le droit OHADA est en cause pose
un véritable conflit de juridictions qui peut devenir inextricable. De ce fait,
l’existence d’un conflit ne se pose plus seulement comme une hypothèse. Elle se
présente comme une forte probabilité au regard des implications résultant de
l’application des actes uniformes. À cet égard, l’acte uniforme sur les procédures
simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution donne des enseignements
sur les difficultés d’application pouvant intervenir dans l’application dudit acte
uniforme. L’affaire des grands hôtels du Congo révèle ainsi une crise entre l’Etat
et l’institution au détour de l’instance juridictionnelle18. Les arrêts rendus dans
les affaires des grands hôtels du Congo et Hôtel SARAKAWA de Lomé se posent
ainsi en négateurs de l’arrêt Société Togo Télécom19 qui s’inscrivait dans la ligne
même des législations nationales. L’immunité d’exécution dont bénéficie l’Etat,
ne pouvant être abandonnée qu’au prix d’une disposition expresse de celui-ci, a
ainsi été remise en cause par la CCJA. Les hypothèses d’application ne manqueront
pas de soulever une contradiction entre l’attitude d’un Etat fondée sur le droit et
celle d’un requérant se fondant sur ces arrêts de la haute juridiction de l’OHADA.
Dans la même veine, on note que le conflit pourrait naître du fait que d’autres
organisations (CEMAC, UEMOA, CEDEAO…), auxquelles les États membres de
l’OHADA sont aussi parties, « chassent » sur les mêmes terres que l’OHADA de
sorte qu’on a une véritable concurrence d’organisations régionales20 qui peut
donner lieu à des différends. Le Professeur Joseph Issa-SAYEGH a envisagé cette
concurrence comme une potentielle source de désordre21 préjudiciable parfois
aux objectifs de ces organisations internationales ou communautaires22.

18
Voir CCJA, arrêt n° 103/2018 du 26 avril 2018, affaire MBULU MUSESO contre La société des Grands
Hôtels du Congo S.A. Voir aussi, CCJA, 1ère Ch., Arrêt no 168/2020 du 14 Mai 2020, Hôtel SARAKAWA
et American Eagle Guard Security (AEGS).
19
Arrêt numéro 043/2005 du 07 juillet 2005, Aziablevi Yovo et autres c./ Société Togo Télécom.
20
Matthieu FAU-NOUGARET (sous dir.), La concurrence des organisations régionales en Afrique,
Paris, L’Harmattan, 2012, 456 p.
21
Joseph ISSA-SAYEGH, Jacqueline LOHOUES-OBLE, OHADA. Harmonisation du droit des affaires,
collection droit uniforme africain, Bruxelles, Bruylant, 2002, p. 115.
22
Qowiyou FASSASSI, « La crise de normativité dans la protection du consommateur OHADA »,
Ohadata, 2022, p. 15.

16
REVUE DE L’ERSUMA 2023 - 1 / N°18

Dès lors, il est difficile de croire que l’OHADA soit à l’abri de tout risque de
différends dans le cadre des relations qu’elle entretient avec les États parties
et les autres entités du droit international dont notamment les États tiers et
les organisations internationales. Il convient ainsi de chercher à appréhender
le cadre dans lequel le contentieux entre l’OHADA et les autres sujets du droit
international peut être résolu. La problématique qui résulte de l’interaction et de
la coopération entre l’OHADA et les autres sujets du droit international permet
de s’interroger sur la nature des différends et les voies de solutionnement
dans la perspective du droit international. Pour démêler l’écheveau, il convient
d’identifier les différends potentiels (I) et de rechercher les solutions éventuelles
pour y remédier (II).

I. Les différends potentiels


Si le traité OHADA semble n’avoir pas envisagé l’hypothèse d’un conflit entre
l’organisation et les sujets de droit international, il reste que des difficultés
se sont révélées depuis l’entrée en vigueur du traité alors que l’on pourrait
imaginer que d’autres discordances apparaissent notamment dans le cadre des
relations que l’OHADA entretient avec d’autres sujets du droit international.
Ainsi, il faut distinguer entre les différends qui peuvent naître entre l’OHADA
et les États membres en raison de l’application du droit OHADA que sont les
différends internes (A) et les différends qui impliquent l’OHADA mais qui ne sont
pas liés « aux difficultés qu’elle peut rencontrer dans ses relations extérieures…
qui s’établissent entre elle et une personne qui lui est extérieure, et qui résultent
soit d’actes de volonté- convention, contrats,- soit d’actes matériels tels des faits
dommageables »23 qu’on qualifierait tout volontiers de différends externes (B).

A- Les différends internes au système OHADA


Le droit OHADA, qu’il soit primaire ou dérivé, s’impose dans l’ordre juridique
des États grâce notamment aux principes de primauté et de l’effet direct qui
les caractérisent24. Toutefois, il peut arriver qu’un État membre ne se conforme
pas aux prescriptions issues du traité ou des actes dérivés notamment les actes
uniformes. Ce qui amène à étudier l’hypothèse d’une défaillance de l’État membre
quant à l’application du droit OHADA (1). Par ailleurs, ce peut être les organes
de l’OHADA qui ne se conforment pas au droit OHADA ou qui en donnent une
interprétation qui ne rencontre par l’adhésion d’un ou plusieurs États membres.
Ce qui conduit à aborder l’hypothèse d’une défaillance de l’OHADA (2).
1- La défaillance de l’État membre
La défaillance de l’État membre qui peut donner lieu à un désaccord avec l’OHADA
peut être envisagée à divers titres relativement au respect des normes édictées
par l’organisation.

23
Christian DOMINICE, « Le règlement juridictionnel du contentieux externe des organisations
internationales », op.cit., pp. 226-227.
24
Voir à ce sujet l’article 10 du traité OHADA.

17
REVUE DE L’ERSUMA 2023 - 1 / N°18

Une première situation peut d’abord tenir dans le manquement par un État à
ses obligations communautaires. Cette hypothèse, non prévue par le traité
OHADA, est envisagée dans le cadre de l’UEMOA25, de la CEDEAO26 ou de l’Union
européenne27. Le manquement s’analyse comme le non-respect par un État de
ses obligations découlant du traité et des actes dérivés. Dans les organisations
où l’action en manquement (le recours en manquement) existe28, elle permet
de contraindre l’État à se conformer à ses obligations communautaires29. La
possibilité du manquement est du reste supporté par l’article 10 du traité
OHADA qui pose le principe de la primauté du droit OHADA sur les législations
nationales.
Or, si l’action en manquement n’est pas prévue par le droit OHADA, les chefs
de manquement ne sont pas inexistants ou ne risquent pas de survenir. À ce
titre, on notera que l’obligation de l’article 5 al.2 du traité de la détermination
par les États membres des « sanctions pénales encourues » pour faire suite aux
actes uniformes qui « incluent des dispositions d’incrimination pénale » reste une
exigence communautaire dont l’irrespect constitue un cas d’ouverture du recours
au manquement pour les États membres qui sont en situation irrégulière30. Au
surplus, rentre dans la catégorie des actes communautaires dérivés les arrêts
rendus par la CCJA. L’obligation des États membres d’appliquer et de faire
appliquer ces arrêts relèvent des exigences communautaires31. Tout refus par
un État membre d’appliquer un arrêt de la CCJA constitue un cas d’ouverture
éventuelle du recours en manquement.
Dans le même sens, on peut évoquer l’imbroglio né de la concurrence entre
l’OHADA et l’UEMOA en matière d’établissement du référentiel comptable
applicable aux entreprises. Il apparait que le Système Comptable Ouest Africain
(SYSCOA) révisé en 2013 par le Règlement n°05/CM du 28 juin 2013 présente
des contradictions avec l’Acte Uniforme du 24 mars 2000 portant Organisation et
Harmonisation des Comptabilités et son annexe, le Système Comptable OHADA
(SYSCOHADA) ». De ce fait, les États membres de l’UEMOA ne peuvent appliquer
le SYSCOA sans enfreindre au SYSCOHADA. C’est ainsi que le Bénin avait sollicité

25
Pour le cas de l’UEMOA, la question est résolue par l’article 15. 1 du règlement n°01/96/CM/
UEMOA du 05 juillet 1996 portant règlement de procédures de la Cour de justice de l’UEMOA).
26
Voir les articles 5 à 21 de l’acte additionnel A/SA du 13 février 2012 portant régime de sanction des
Etats de la communauté.
27
Dans le cadre de l’Union européenne, la question est résolue par l’article 258-261 du traité sur le
fonctionnement de l’UE.
28
Le recours en manquement se présente comme l’action juridictionnelle par laquelle le juge
communautaire est saisi pour constater la carence d’un Etat membre à l’égard de l’application d’un
texte ou d’une décision communautaire. Il trouve véritablement son ancrage en droit communautaire
et devant les instances internationales qui n’admettent pas le recours individuel contre un Etat qui
ne respecte pas ses engagements internationaux. Sa spécificité en droit communautaire permet à la
Commission communautaire et aux Etats membres de pouvoir intenter cette action.
29
Philippe MANIN, L’Union européenne, Paris, Pedone, Octobre 2005, p. 408.
30
Kouassi Kouadio, « Les atouts et les faiblesses de la règlementation uniforme de l’OHADA »,
Actualités juridiques, Edition économique, n°4/2012, p. 89.
31
Ce principe se traduit au plan communautaire par la règle de la primauté exigeant que le droit de la
communauté l’emporte sur les exigences nationales.

18
REVUE DE L’ERSUMA 2023 - 1 / N°18

un avis à la CCJA sur la conduite qu’il devait avoir dès lors que le SYSCOA et le
SYSCOHADA comportaient des contradictions. Si dans son avis 03/2015 du 05
novembre 2015, la CCJA a affirmé la supériorité des règles de l’OHADA sur les
règles et les systèmes comptables existants et futurs dans les Etats-parties du
Traité OHADA, il reste que le Conseil des ministres de l’UEMOA au cours de sa
session du 26 septembre 2016 a invité tous les États membres de l’UEMOA à
prendre les dispositions pour l’application effective du SYSCOA révisé32. Par
conséquent, si les États de l’UEMOA33 se conforment à ce dernier communiqué
du Conseil des ministres de l’UEMOA, ils seraient ipso facto en situation de
manquement des règles de l’OHADA et un différend pourrait être constitué entre
l’OHADA et ces États.
Logiquement, le principe de l’autonomie régissant les organisations
internationales peut rendre l’application de l’un et l’autre droit exclusive. La
Convention de Vienne sur le droit des traités a élaboré des règles de résolution
des conflits entre traités internationaux. La règle a été établie à l’égard des
traités conclus par les mêmes États sur le même objet. Le nouveau traité est
censé abroger les dispositions du traité antérieur, du moins celles qui sont en
contradiction avec le nouveau traité34. Cette solution a été élaborée dans un
contexte d’identité de membres et d’objet d’un traité.
Dans le cas de l’OHADA et de l’UEMOA, il n’y a pas une identité des membres.
Ce qui rend cette règle inapplicable au profit du principe de la spécialité.
Cette conséquence ne va pas cependant avec facilité. Il s’agit concrètement de
faire observer que lorsque des membres dans un cercle plus grand entendent
adopter une convention dans un cadre restreint sur le même objet que le
cadre plus grand qui les regroupe, la préférence semble avoir été accordée au
traité restreint, seulement dans le cadre des relations dans le cercle restreint.
Toute la difficulté ne s’estompe pas pour autant puisqu’il pourrait exister une
contradiction dirimante lorsque des règles en vigueur entre des États, adoptées
par des organisations différentes, n’offrent pas les mêmes standards en termes
d’avantages et d’opportunités. Les contradictions obligent parfois les États
à choisir les normes qui génèrent des avantages optimums. Un conflit peut
naitre, sur la base du manquement, entre un État et l’OHADA ou, sur la base du
mécanisme traditionnel de la responsabilité objective, entre l’UEMOA, la CEDEAO
et l’OHADA en raison des contradictions propres aux textes de ces organisations.
En dernière analyse, la responsabilité à engager est celle de l’État. La compétence
pour connaitre de ces différends État-OHADA sur le fondement d’une contrariété

32
Voir communiqué de presse de la session ordinaire du conseil des ministres de l’UEMOA,
Ouagadougou le 26 septembre 2016.
33
L’état des lieux du respect de l’Avis n°03-2015 du 05 novembre 2015 de la Cour Commune de
Justice et l’Arbitrage (CCJA) de l’OHADA sur l’applicabilité du SYSCOA révisé fait ressortir que seuls le
Burkina Faso et le Niger admettent l’applicabilité des deux référentiels. Par contre les autres pays de
l’UEMOA appliquent le SYCOHADA. Voir http://www.ohada.com/actualite/2901/etat-des-lieux-du-
respect-de-l-avis-n-03-2015-du-05-novembre-2015-de-la-cour-commune-de-justice-et-d-arbitrage-
ccja-de-l-ohada-sur-l-applicabilite-du-syscoa-revise.html.
34
Voir à ce sujet l’article 59 de la Convention de Vienne sur le droit des traités.

19
REVUE DE L’ERSUMA 2023 - 1 / N°18

des textes relèverait de quelle instance de jugement ? La compétence de la CCJA


peut-elle être présumée dans la première situation pour laisser ainsi la seconde
situation sans réponse tranchée ?
On retrouve ici toute la problématique relative à la coexistence des ordres
juridiques. Cette problématique se conçoit dans les rapports entre l’UE et le
Conseil de l’Europe : les États membres de l’UE ayant par ailleurs adhéré à la
Convention Européenne des Droits de l’Homme (Convention EDH), la Cour
Européenne des Droits de l’Homme (CEDH)35 retient la responsabilité de l’État
membre de l’UE pour violation de la Convention EDH lorsqu’il applique le droit de
l’UE, alors même qu’il ne peut, à lui seul, redresser ou modifier l’acte contraire36.
Cette hypothèse se vérifie à l’aune de l’affaire Bosphorus.
Cette affaire est consécutive du conflit ayant déchiré l’ex Yougoslavie. En 1991,
les Nations unies et la Communauté économique européenne, en réponse « aux
violations des droits de l’homme » en Yougoslavie, avaient infligé des sanctions
à ce pays. Le 17 avril 1992, Bosphorus Airlines, une compagnie aérienne de
droit turc, signe un contrat de location d’avion avec Yougoslav airlines. Par sa
résolution 820 du 17 avril 1993, le Conseil de sécurité des Nations Unies énonce
que « que les États saisiraient tous les aéronefs se trouvant sur leur territoire «
dans lesquels une personne ou une entreprise de la [RFY] ou opérant à partir
de celle-ci détenait un intérêt majoritaire ou prépondérant ». La résolution du
Conseil de sécurité a été mise en application par le règlement (CEE) n° 990/93.
Le 28 mai 1993, à Dublin, l’un de ces avions fut saisi. La Cour européenne des
droits de l’homme a été saisie par Bosphorus Airways contre l’Irlande pour
violation de ses droits. Le problème juridique inhérent à cette affaire réside dans
le contrôle du droit de l’UE par la Cour EDH au moyen de l’arrêt de cette dernière
du 30 juillet 199637. Si dans cette affaire le risque d’un conflit fut atténué par la
conformité de la position de la Cour par rapport au règlement n° 990/93, l’affaire
Kadi peut être vue comme la source d’un contentieux sérieux entre l’UE à travers
son organe juridictionnel et l’ONU38. L’on peut en dire moins cependant des
affaires Behrami contre France et Saramati contre France, Allemagne et Norvège
dans laquelle la Cour EDH est parvenue à une irrecevabilité39.
Une seconde situation de défaillance de l’État membre pourrait résulter du conflit
entre normes communautaires dérivées et normes constitutionnelles. En effet, si
la supériorité des normes internationales et communautaires est admise sur les

35
CEDH, 18 février 1999, Mathews c./Royaume-Uni, req. N°24833/94.
36
Lire « L’adhésion de l’Union à la Convention européenne des droits de l’Homme : enjeux, état des
négociations et défis », in Eléonore von BARDELEBEN, Francis DONNAT, David SIRITZKY, La Cour de
justice de l’Union européenne et le droit du contentieux européen, La documentation française, 2012,
pp. 293-298.
37
CEDH, Affaire Bosphorus hava yollari turizm ve ticaret anonim şirketi c. Irlande (Requête no
45036/98), arrêt du 30 juin 2005, disponible sur le site de la Cour européenne des droits de l’homme.
38
Voir CEDH, Yassin Abdullah Kadi, Al Barakaat International Foundation/Conseil de l’Union européenne,
Commission des Communautés européennes, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord,
arrêt du 03 septembre 2008, disponible sur le site de la Cour européenne des droits de l’homme.
39
CEDH, Behrami et Behrami c. France et Saramati c. France, Allemagne et Norvège, 31 mai 2006,
disponible sur le site de la Cour européenne des droits de l’homme.

20
REVUE DE L’ERSUMA 2023 - 1 / N°18

lois dans les États parties, il n’en va pas de même pour la Constitution en raison
de son statut de norme fondamentale et supérieure. C’est d’ailleurs pour garantir
cette suprématie de la Constitution sur le droit OHADA que chaque État membre
a procédé à un contrôle de constitutionnalité du traité OHADA avant de le ratifier.
Toutefois, si la compatibilité du traité OHADA avec les Constitutions des États a été
garantie grâce au contrôle préalable de constitutionnalité40, il se pose avec acuité
la question de la compatibilité du droit dérivé, notamment des actes uniformes,
avec les Constitutions des États parties. Une fois adoptée par le Conseil des
ministres de l’Union, ces derniers intègrent automatiquement l’ordre juridique
sans aucune procédure interne de réception. Ce faisant, la constitutionnalité de
leurs dispositions peut se poser après leur entrée en vigueur. Dès lors, comment
le juge constitutionnel pourrait régler ce dilemme s’il venait à être saisi dans le
cadre d’un recours en exception d’inconstitutionnalité ?41.
La question ne relève plus d’une hypothèse théorique puisque le juge béninois a
déjà été interrogé sur la compatibilité entre un acte uniforme et la Constitution
béninoise. Le juge béninois a décliné sa compétence au motif qu’il n’est pas juge
de la constitutionnalité des actes uniformes OHADA au regard des compétences
qui lui sont dévolues par la Constitution42. Cette hypothèse rappelle la position
du Conseil constitutionnel français à l’occasion du contrôle de conventionnalité
des lois sur lequel il était convié en 197543.
Mais, on pourrait imaginer qu’un autre juge constitutionnel dans l’espace OHADA
reconnaisse sa compétence et reprenne alors à son compte la jurisprudence So
lange de la Cour de Karlsruhe. Dans son arrêt So lange I44 en réaction à la lacune
des traités communautaires sur la protection des droits fondamentaux, le juge
constitutionnel allemand s’était réservé- en dépit du principe de primauté à
l’égard de toute norme nationale, y compris constitutionnelle- le droit d’écarter
une norme européenne qui serait contraire aux droits fondamentaux ‘‘aussi
longtemps que (so lange en allemand)’’ une protection de ces droits équivalente
à celle offerte par la Loi fondamentale allemande ne serait pas assurée par le
droit communautaire45. Ce conflit de normes communautaires et internes
prend encore du relief si l’on succombe à la voix des sirènes qui dénoncent le
déficit démocratique de l’OHADA46 dans la mesure où précisément les modalités

40
Conseil constitutionnel du Sénégal, Décision°3/C/93 du 16 décembre 1993, Traité OHADA, in
Ismaila Madior FALL (dir.), Les décisions et avis du Conseil constitutionnel du Sénégal, Dakar, CREDILA,
2008,; Penant, n°827, mai-août 1998, p.232.
41
Papa Talla FALL, « La protection juridictionnelle des droits humains en matière d’application des
actes uniformes de l’OHADA », Communication au colloque de Dakar des 13 et 14 mars 2023 organisé
par l’Institut des Droits de l’Homme et de la Paix (IDHP) sur Dynamiques des systèmes judiciaires en
Afrique : concurrence, coopération, harmonisation. Actes du colloque, à paraitre.
42
Décision DCC 12-128 du 12 juin 2012.
43
Conseil constitutionnel français, décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975, interruption volontaire
de grossesse.
44
Arrêt du 29 mai 1974, 2 BvL 52/71, Recueil BVerfGE 37, p. 271.
45
Eléonore von BARDELEBEN, Francis DONNAT, David SIRITZKY, La Cour de justice de l’Union
européenne et le droit du contentieux européen, Op.cit., p. 65.
46
Pierre BOUREL, « A propos de l’OHADA : libres opinions sur l’harmonisation du droit des affaires
en Afrique », op.cit., p. 969.

21
REVUE DE L’ERSUMA 2023 - 1 / N°18

d’élaboration des normes dérivées entament la compétence des parlements


nationaux qui ne sont par ailleurs pas associés à l’adoption des actes uniformes.
Si le non-respect de leurs obligations communautaires peut être source de
différend entre l’État membre et l’OHADA, un tel effet pourrait également trouver
ses origines dans la défaillance de l’OHADA.
2- La défaillance de l’OHADA
Autant l’OHADA pourrait remettre en cause l’attitude d’un État membre en raison
de l’inapplication ou de la mauvaise application du droit communautaire autant
un État membre pourrait mettre en cause l’attitude des organes de l’OHADA
relativement au respect des dispositions du traité fondateur. Il s’agit notamment
d’assurer le respect de la légalité communautaire par les institutions de l’OHADA.
Dans un premier temps, les actes posés par les instances de l’OHADA pourraient
être contraires au traité. Dans cette hypothèse, il s’agira surtout pour un État
membre de contester la compétence de l’OHADA sur un plan matériel et formel.
C’est pour parer à une telle éventualité que les organisations d’intégration comme
l’UEMOA47 et l’UE48 ont défini un recours en annulation ou en appréciation de la
validité des actes adoptés par les organes communautaires. Ce recours permet
notamment aux États de protéger les domaines de compétence non concédés
à l’organisation dans le cadre du traité constitutif. Ce pourrait être le cas si
le Conseil des ministres de l’OHADA édicte un acte uniforme alors qu’un État
conteste le fait que cet acte uniforme n’intervient pas dans le domaine du droit
des affaires tel que défini à l’article 2 du traité. Ce pourrait encore être le cas si
l’édiction d’un acte uniforme n’a pas suivi la procédure requise, par exemple si le
quorum des deux tiers au moins des États membres n’est pas atteint49.
Le désaccord entre l’OHADA et l’État membre pourrait naître de l’inaction des
organes de l’OHADA. Dans ce cas, on se trouve dans l’hypothèse d’une situation
de carence qui tient au fait qu’un organe de l’institution s’abstient d’agir alors
qu’il a l’obligation de le faire. En d’autres termes, l’abstention de l’organe est
illégale et ramène à une situation d’incompétence négative50. C’est ainsi qu’il
existe un recours en carence dans le cadre de l’UE51 qui permet de faire constater
l’illégalité de l’abstention d’agir d’une institution, d’un organe ou d’un organisme
de l’UE52.
Il est donc tout à fait possible d’envisager dans quelle mesure une saisine de
la CCJA pourra permettre de faire constater la carence de l’OHADA. En dehors
de toute disposition du traité en ce sens, la compétence de la CCJA se présente

47
Voir l’art 15.2 du règlement de procédure de la Cour de justice de l’UEMOA.
48
Voir à ce sujet l’art. 263 du TFUE.
49
Voir l’article 8 al.2 du traité OHADA.
50
A titre de comparaison, Voir le Dossier : L’incompétence en droit constitutionnel, Les Nouveaux
Cahiers du Conseil constitutionnel, n°46.
51
Voir l’article 265 et 266 TFUE.
52
Eléonore von BARDELEBEN, Francis DONNAT, David SIRITZKY, La Cour de justice de l’Union
européenne et le droit du contentieux européen, op.cit., p. 245.

22
REVUE DE L’ERSUMA 2023 - 1 / N°18

comme une compétence implicite53. On ne saurait en effet imaginer que cette


compétence puisse être exercée par une autre juridiction en dehors de la CCJA
qui est l’organe juridictionnel de la communauté chargé de la bonne application
du droit communautaire.
Par ailleurs, le différend entre l’OHADA et un État membre pourrait résulter de
la mise en cause de la responsabilité de l’OHADA en raison des actes posés par
ses structures. Mais, on se situe déjà à ce niveau dans l’univers des différends
extérieurs au droit OHADA.

B- Les différends externes au système OHADA


Le différend extérieur au droit OHADA peut être entendu comme celui qui ne
porte pas sur l’application du droit OHADA. Il concerne alors l’application du
droit international général, à savoir les normes coutumières et conventionnelles
qui lient l’organisation et qui ne font pas parties de ses propres règles54. Dès lors,
ce contentieux va surtout mettre en évidence la responsabilité contractuelle
et extracontractuelle aussi bien de l’OHADA que des autres sujets de droit
international (État et OI) avec qui l’institution est en relation. Il faut préciser en
outre que le contentieux externe peut également mettre aux prises l’OHADA et
un de ses États membres étant entendu que le droit de l’OHADA n’est plus alors
en cause ici. En d’autres termes, le différend externe est lié à une obligation ou
un droit que l’OHADA tient en dehors de ses propres règles organisationnelles
ou fonctionnelles.
Il convient alors de distinguer entre les différends liés à l’engagement de la
responsabilité internationale de l’OHADA par un État et inversement (1) et ceux
qui interviennent dans le cadre des relations particulières que l’OHADA pourrait
avoir avec un organisme public ou une personne privée relativement à la mise en
œuvre d’un droit national (2).
1- L’engagement de la responsabilité internationale55
Depuis la célèbre affaire du Comte Bernadotte, il est reconnu à toute organisation
internationale la possibilité de présenter une réclamation à l’effet d’obtenir la
réparation d’un dommage résulté du comportement illicite d’un autre sujet de
droit international et en particulier d’un État. L’hypothèse met alors en cause un
régime de protection fonctionnelle56 de l’organisation qui « vise la situation dans
laquelle l’organisation, prenant fait et cause pour l’un de ses agents qui a, par suite

53
La théorie de la compétence implicite est une théorie développée par la Cour internationale de
justice à l’occasion de son avis consultatif du 11 avril 1949. Elle a été théorisée à un moment où dans
le silence des textes sur la compétence des organisations internationales. Il y a ainsi compétence
implicite dès lors qu’il est impossible de rattacher la compétence à une autre structure parmi les
organes d’une organisation internationale.
54
Frédéric DOPAGNE, « Chapitre 35 : Les différends opposant l’organisation internationale à un État
ou une autre organisation internationale », Op.cit., p. 1101.
55
Manuel PEREZ GONZALEZ, « Les organisations internationales et le droit de la responsabilité
internationale », RGDIP, t. XCII, 1988, pp. 63-100.
56
Ce régime résulte de la théorie des immunités des organisations internationales.

23
REVUE DE L’ERSUMA 2023 - 1 / N°18

du fait illicite d’un État57 ou d’une autre organisation- membre ou tiers-, subi un
dommage dans l’exercice de ses fonctions- ou en lien avec ses fonctions ou pouvant
avoir une incidence sur celle-ci-, met en œuvre la responsabilité internationale
de l’auteur du fait illicite en vue d’obtenir réparation du dommage causé à son
agent- et non seulement de celui qu’elle a subi en propre »58. L’action est fondée
sur la nécessité pour les agents de l’organisation de pouvoir bénéficier de la
protection de celle-ci afin de remplir convenablement et de façon indépendante
leurs fonctions. Le principe de la personnalité « fonctionnelle » et de l’immunité
« fonctionnelle » fut ainsi solidement établi59 à l’égard des organisations
internationales afin qu’elles puissent agir conformément aux objectifs de leur
acte constitutif.
A contrario, la responsabilité internationale de l’OHADA peut être engagée par
un Etat du fait d’un dommage qu’elle aurait causé. Fondée sur des principes
coutumiers, le principe de la responsabilité internationale des organisations
intergouvernementales trouve sa source dans celui des Etats. La codification de la
règle coutumière, concrétisée dans le projet d’article de la Commission du Droit
International60 constitue la systématisation des solutions jurisprudentielles61.
Les règles relatives à l’engagement de la responsabilité des Organisations
internationales ont à leur tour été codifiée en 201162. La protection fonctionnelle
est devenue dès lors un principe à faire valoir dans le droit de la responsabilité
internationale. Sa méconnaissance constitue une source de responsabilité à la
fois à l’égard d’un État que d’une organisation internationale.
Dans ce sens, le tribunal administratif de l’OIT a affirmé l’existence d’un principe
général de droit international selon lequel l’organisation internationale a, à

57
Il convient préciser que cet État peut être l’État dont l’agent possède la nationalité.
58 Ibidem, p. 1107
59 August REINISCH, « convention sur les privilèges et immunités des Nations unies convention
sur les privilèges et immunités des institutions spécialisées », United Nations Audiovisual Library of
International Law, 2009, pp. 1 et suivants.
60
La Commission du droit international a été créée conformément à l’article 13 de la Charte
des Nations Unies qui confie à l’assemblée générale des Nations Unies la codification du droit
international. La CDI est ainsi un organe subsidiaire de l’assemblée générale créée par la résolution
181 du 21 novembre 1947 afin de jouer ce rôle de codification du droit international.
61
Plateau continental de la mer du Nord, arrêt du 20 février 1969, (République fédérale d’Allemagne
c./ Danemark, République fédérale d’Allemagne c./ Pays-Bas), C.I.J. Recueil 1969, p. 3 ; « Affaire Haya
de la Torre » (Colombie c./ Pérou), Arrêt du 13 juin 1951 : C.I. J. Recueil 1951, p. 71 ; « Affaire du détroit
de Corfou », Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord c. République populaire d’Albanie,
arrêt du 09 avril 1949, CIJ, Recueil 1949, p. 4 ; Affaire du détroit de Corfou, (fixation du montant des
réparations dues par la république populaire d’Albanie au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et
d’Irlande du nord), Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du nord c./ la république populaire
d’Albanie, arrêt du 15 décembre 1949, C.I.J., Recueil 1949, p. 244 ; Affaire du vapeur Wimbledon
(Royaume-Uni, France, Italie, Japon c./ Empire Allemand ; Pologne intervenant), arrêt du 17 août
1923, CPJI, série A n°1, pp. 16-34 ; Affaire relative à l’Usine de Chorzow, (Allemagne c./ Pologne), fond,
arrêt du 13 septembre 1928, C.P.J.I., Série A, n° 17, pp. 5-65 ; Affaire du Lotus, (France c./ Turquie),
arrêt n°9 du 07 septembre 1927, CPJI, Série A, n° 10, pp. 5-33 ;
62
Le texte fut adopté par la Commission du droit international à sa soixante-troisième session,
en 2011, et soumis à l’Assemblée générale dans le cadre de son rapport sur les travaux de ladite
session (A/66/10, para. 87). Le rapport a été reproduit dans l’Annuaire de la Commission du droit
international, 2011, vol. II (2).

24
REVUE DE L’ERSUMA 2023 - 1 / N°18

l’égard de ses agents, « un devoir de protection et d’assistance dans l’exercice de


leurs fonctions ou à l’occasion de l’exercice de celles-ci »63. Dès lors, on peut imaginer
qu’un différend naisse de ce que l’OHADA réclame à un État la réparation d’un
dommage qu’il aurait subi directement ou indirectement sur la personne de ses
agents ou de ses biens.
Le différend pourrait notamment concerner la question des privilèges et
immunités des agents ou des biens de l’OHADA établis sur le territoire d’un
État. Les principes généraux de résolution ont été fournis par l’avis de la Cour
internationale de justice à l’égard des Nations Unies64. Cela vaut également pour
les États membres de l’OHADA dans la mesure où l’article 49 du traité dispose
que « afin de pouvoir remplir ses fonctions, l’OHADA jouit sur le territoire de
chaque Etat Partie des immunités et privilèges prévus au présent titre (7) ». Dans
ce sens, le différend pourrait résulter de la violation de cette immunité ou de
l’interprétation des dispositions y relatives. Cette configuration se rapproche de
la jurisprudence relative au régime fiscal des pensions versées aux fonctionnaires
retraités de l’UNESCO résidant en France65, État avec lequel l’UNESCO a conclu
un accord de siège. On rappellera ici que les trois accords de siège conclus par
l’OHADA définissent un régime de privilèges et immunités et prévoient chacun
un dispositif particulier pour le règlement des différends qui pourraient naître
relativement à leurs interprétations et leurs applications.
Il faut enfin noter l’hypothèse où l’État dont l’agent de l’OHADA a la nationalité
déciderait d’exercer la protection diplomatique pour faire valoir son droit
propre résultant du dommage subi par ce dernier66. Il s’agit là d’un vieux
principe jurisprudentiel posé en obiter dictum par la Cour permanente de justice
internationale selon lequel « la protection diplomatique ne peut s’exercer qu’au
profit de ses nationaux »67. Les règles ont depuis lors, après une succession de
position jurisprudentielle68, été codifiées par la CDI en 200669. Il y aurait alors

63
Jugement n°70 du 11 septembre 1964, Jurado, point II.3.
64
« Réparation des dommages subis au service des Nations Unies », avis consultatif du 11 avril 1949,
C.I.J. Recueil 1949, p. 174-220 ;
65
M. Philippe Gautier, « La sentence rendue le 14 janvier 2003 par le tribunal arbitral constitué par le
Gouvernement de la république française et l’UNESCO sur la question du régime fiscal des pensions
versées aux fonctionnaires retraités de l’UNESCO résidant en France », Annuaire français de droit
international, volume 49, 2003, pp.290-301.
66
Cette hypothèse se présenterait comme un mécanisme inversé de la protection diplomatique
reconnue à l’organisation internationale sous le vocable de protection fonctionnelle. Elle peut être
de mise par exemple à l’égard de certains hauts fonctionnaires de l’OHADA qui verraient leurs droits
méconnus face au silence et à l’impuissance de l’organisation. La première voie de cette protection
étant d’abord la protestation pourrait se poursuivre au moyen d’une action juridictionnelle à la
fois contre l’organisation devant la CCJA ou contre l’Etat ou une autre OIG devant une juridiction
internationale.
67
Chemin de fer Panevezys Saldutiskis, arrêt du 23 février 1939, CPJI, Estonie c./ Lituanie, série A/B,
numéro 76, pp. 16-17.
68
« Affaire Nottebohm (deuxième phase) (Lichtenstein c./ Guatemala), Arrêt du 6 avril 1955 : C. I. J.
Recueil 1955, p. 4 ; Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited, (Belgique c./ Espagne)
arrêt du 05 février 1970, C.I.J. Recueil 1970, § 35 ; Affaire de l’Elletronica Sicula S.p.A. (ELSI) (Etats-Unis
d’Amérique c./ Italie), arrêt du 20 juillet 1989, C.I.J. Recueil 1989, § 52.
69
Le texte fut adopté par la Commission du droit international à sa cinquante-huitième session, en

25
REVUE DE L’ERSUMA 2023 - 1 / N°18

une double réclamation tenant à la concurrence entre la protection fonctionnelle


actionnée par l’OHADA et la protection diplomatique actionnée par l’État de
nationalité de l’agent de l’OHADA. Aucune réclamation n’ayant priorité sur
l’autre, il semble que les deux protagonistes doivent trouver un accord dans
la mesure où il résulte de la jurisprudence du comte Bernadotte que l’État ou
l’organisation dont la responsabilité internationale est engagée ne saurait être
contraint de réparer deux fois le même dommage.
Si le différend peut naître d’un droit réclamé par l’OHADA contre un État ou une
organisation internationale quelconque, l’OHADA peut réciproquement voir sa
responsabilité engagée par un État au titre de la protection diplomatique.
La responsabilité internationale de l’organisation internationale pourrait être
considérée comme l’envers de la jurisprudence du comte Bernadotte. En effet,
du moment qu’il a été reconnu la personnalité juridique, au moins implicite, de
l’organisation internationale lui permettant de formuler des réclamations en vue
d’obtenir la réparation des dommages subis en raison des agissements illicites des
autres sujets de droit international, il s’en suivait réciproquement la possibilité
de formuler contre elle des réclamations. Ainsi, on admet que la responsabilité
de l’organisation pourrait être engagée à la fois pour les initiatives des organes
normatifs et les agissements des services administratifs et juridictionnels de
l’organisation70. A cet égard, les accords Spaak-U Thant71 par lesquels la Belgique
obtenait la réparation par l’ONU des dommages causés sur ses ressortissants par
les forces des Nations-Unies au Congo illustrent à souhait l’action en protection
diplomatique d’un État contre une organisation internationale. Elle est l’action
d’un Etat qui agit en son nom, en prenant fait et cause pour son ressortissant72.
Dans ce sens, certaines organisations internationales, notamment d’intégration,
définissent dans leur droit un régime de responsabilité spécifique. Ainsi de
l’article 15.5 du règlement de procédure de la Cour de justice de l’UEMOA qui
dispose que « la Cour de Justice est seule compétente pour déclarer engager la
responsabilité non contractuelle et condamner l’Union à la réparation du préjudice
causé, soit par des agissements matériels, soit par des actes normatifs des organes
de l’Union ou de ses agents dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs
fonctions ».
Par ailleurs, le projet d’articles de la Commission de droit international énumère
une série d’actes ou d’agissement susceptibles d’engager la responsabilité
internationale des organisations internationales. Au regard de ces éléments,
l’OHADA pourrait être amenée à répondre de la responsabilité internationale en

2006, et soumis à l’Assemblée générale dans le cadre de son rapport sur les travaux de ladite session.
Le rapport, qui contient également des commentaires sur le projet d’articles, a été reproduit dans
l’Annuaire de la Commission du droit international, 2006, vol. II(2).
70
Nguyen QUOC DINH (+), Patrick DAILLIER(+), Alain PELLET, Mathias FORTEAU, Alina MIRON, Droit
international public
, LGDJ, 9e éd., 2022, pp. 782-783.
71
Jean SALMON, « Les accords Spaak-U Thant du 20 février 1965 », AFDI, 1965, p. 488.
72
Chemin de fer Panevezys Saldutiskis, arrêt du 23 février 1939, CPJI, Estonie c./ Lituanie, série A/B,
numéro 76, pp. 16-17.

26
REVUE DE L’ERSUMA 2023 - 1 / N°18

raison d’un fait internationalement illicite commis par ses agents ou ses organes
à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions73.
2- L’engagement de procédures particulières
Pour l’accomplissement de ses missions, l’organisation internationale est amenée
à effectuer un certain nombre d’actes qu’on pourrait qualifier d’opération de
la vie courante, notamment dans les États membres et dans l’État de siège.
Ainsi, l’organisation peut acquérir des biens par contrat de vente ou louer un
immeuble pour accueillir son personnel. Ces contrats publics ou privés pourront
être particulièrement soumis au droit national d’un État : si les parties n’ont pas
défini la loi nationale applicable au contrat, celle-ci sera alors déterminée par
application des règles de droit international privé. En tout état de cause, il se
posera la question du juge compétent pour connaître de cette responsabilité
contractuelle.
La même question se pose également lorsque l’organisation veut agir en
réparation du préjudice causé par une personne privée dans le cadre de relations
soumises au droit national ou à des dispositions contractuelles.
La pratique semble montrée que les juridictions internes sont en général
compétentes pour connaître de tels litiges contractuels sauf s’il existe une
clause compromissoire de recours à l’arbitrage. Aussi, il se déduit logiquement
des articles 27274 et 274 du TFUE la compétence des juridictions nationales
pour connaître du contentieux contractuel de l’UE à moins qu’une clause
compromissoire n’attribue cette compétence à la Cour de justice de l’UE (CJUE).
La même solution se dégage de l’interprétation a contrario de l’article 15.6 du
règlement de procédure de la Cour de justice de l’UEMOA75.
Mais la difficulté principale résultera de l’articulation de l’immunité de
l’organisation avec la nécessité de recourir au juge national pour trancher le
conflit. Plus précisément, dans l’hypothèse où les parties n’excluent pas dans
leur contrat l’immunité de juridiction pour les conflits qui pourraient naitre, un
juge national peut-il admettre sa compétence ? En général, il est admis que si le
recours porté devant le juge national est formulé par l’organisation, celle-ci est
censée avoir renoncé à son immunité de juridiction76. Toutefois, la situation est

73
Article 1 du projet d’article de la CDI sur la responsabilité des organisations internationales, la
résolution 56/83 de l’Assemblée générale en date du 12 décembre 2001, et rectifier par document
A/56/49 (Vol. I)/Corr.3.
74
Art. 272 TFUE : « La Cour de justice de l’Union européenne est compétente pour statuer en vertu
d’une clause compromissoire contenue dans un contrat de droit public ou de droit privé passé par
l’Union ou pour son compte ». Art.274 : « Sous réserve des compétences attribuées à la Cour de
justice de l’Union européenne par les traités, les litiges auxquels l’Union est partie ne sont pas, de ce
chef, soustraits à la compétence des juridictions nationales ».
75
« La Cour de Justice est seule compétente pour déclarer engager la responsabilité non contractuelle
et condamner l’Union à la réparation du préjudice causé… ».
76
Affaire relative à l’Usine de Chorzow, (Allemagne c./ Pologne), fond, arrêt du 13 septembre 1928,
C.P.J.I., Série A, n° 17, p. 32 ; Affaire des « Ecoles minoritaires en Haute Silésie », CPJI, Série A, n°15, pp.
22-23 ; « Interprétation des traités de paix du 12-2-1947 conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la
Roumanie », CIJ, Rec 1950, p. 71 ;

27
REVUE DE L’ERSUMA 2023 - 1 / N°18

plus complexe lorsque le recours est formé par la personne privée cocontractante
ou par les organes publics cocontractants. Le juge national va-t-il retenir sa
compétence malgré l’immunité de juridiction de l’OHADA qui est affirmée
à l’article 48 du traité77 ? La question reste posée et peut alors faire l’objet de
différend entre l’OHADA et les juridictions des États membres concernés !
En droit comparé africain, la Haute Cour de Botswana a refusé d’admettre
l’immunité juridictionnelle de la SADC dans un litige qui l’opposait à une de
ses employées à son siège à Gabarone (capitale du Botswana)78. Certes, cette
hypothèse intéresse le cas particulier des différends entre l’organisation et
ses agents79, mais il peut servir d’illustration ici dans la mesure où l’argument
invoqué par la Cour était fondé sur le risque de déni de justice. Ce déni de justice
tenait au fait que la Cour de justice de la SADC, normalement compétente pour
statuer sur les litiges entre la SADC et ses agents, avait été dissoute. La Haute
Cour écarte donc l’immunité de la SADC au nom du droit à un recours effectif.
Un argument similaire avait été invoqué devant la Cour de justice de l’UEMOA
respectivement en 201180, 2012, 201381 et en 201482. Dans ces espèces, la
compétence de la Cour avait été mise en doute à propos de l’éligibilité de la
BOAD, de la BRVM et de la BCEAO devant le prétoire de la Cour. L’argument avait
été fondé sur les dispositions communautaires qui énumèrent les organes de
l’UEMOA éligibles au contentieux devant la Cour. La BOAD, la BRVM et la BCEAO
étant des institutions spécialisées, ces dernières avaient considéré que la Cour
de justice de l’UEMOA n’avait pas une compétence à leur égard. En même temps,
elles avaient exclu la compétence des juridictions nationales en invoquant la
théorie des immunités, notamment, celle de l’immunité de juridiction.
Dans l’affaire ayant opposé dame MONDOUKPE Sidonie Sodabi et M. Léon
KOUGBLENOU à la BCEAO, agence principale de Cotonou83, la cour a jugé que
l’immunité dont la BCEAO se réclame est susceptible d’ouvrir la voie à des dénis
de justice si jamais aucun recours ne peut être dirigé contre cette institution, de
sorte que la Banque centrale apparaisse comme « une forteresse imprenable »,
« une zone de non droit » contre laquelle aucune action en justice ne peut être
entreprise, alors qu’elle-même a le droit d’attraire en justice toute personne
physique ou morale84.

77
« L’OHADA, ses biens et ses avoirs ne peuvent faire l’objet d’aucune action judiciaire, sauf si elle renonce à cette
immunité ».
78
Arrêt Maria Joao Ferreira Swart c/ SADC, 11 octobre 2011.
79 David RUZIE, « Chapitre 34 : Les règlements des différends l’organisation internationale à ses agents », in
Evelyne LAGRANGE, Jean-Marc SOREL, Droit des organisations internationales, op.cit., p. 1071.
80
Dossier n° 01-2011 AVIS N° 01/2011 du 30 octobre 2011 demande d’avis de la banque ouest africaine de
développement (BOAD) relative à son éligibilité au système judiciaire de la cour de justice de l’UEMOA.
81
Arrêt du 02 juillet 2003, Monsieur TASSEMBEDO T. Ludovic contre La Bourse Régionale des Valeurs
Mobilières (BRVM), §§ 64 et 65.
82
Arrêt N°13 RP 001.36 du 30 avril 2014, Recours préjudiciel introduit par la Cour d’appel de Lomé
(Togo), la BOAD A SOUMAHORO Youssouf, § 26.
83
Arrêt N° 02/2012 du 19 décembre 2012, Dame Mondoukpe Sidonie Sodabi et M. Léon Kougblenou
C./ BCEAO agence principale de Cotonou.
84
Voir §63 de l’arrêt Dame MONDOUKPE.

28
REVUE DE L’ERSUMA 2023 - 1 / N°18

Le principe de la compétence de la CCJA se trouvera ainsi posé dès lors que


la compétence d’une autre juridiction n’est pas établie. La Cour de justice de
l’UEMOA en a fait le principe général qui lui permet de retenir sa compétence
lorsqu’une institution communautaire est impliquée dans un conflit de nature à
engager la responsabilité de l’organisation internationale85.
Subsidiairement à la question du juge compétent, il reste encore à résoudre la
problématique de la condition des biens de l’organisation dans l’État membre
ou dans un État tiers. Précisément, le juge national peut-il ordonner la saisie
des biens de l’organisation au profit de son cocontractant public ou privé, étant
entendu, comme c’est le cas dans l’OHADA, que les biens de l’organisation en
raison de leur immunité prévue par le traité ne peuvent faire l’objet de saisie ?
Ce principe général, emprunté à la domanialité publique, a, certes été atténué
voire balayer par la CCJA à l’égard des biens des Etats dans le cadre d’une
procédure simplifiée de recouvrement et des voies d’exécution86. Cependant,
faut-il considérer que cette solution de la CCJA est applicable à l’organisation
elle-même ? Une réponse négative s’impose dans la mesure où l’insaisissabilité
des biens des personnes morales de droit public continue d’être la règle et que
l’OHADA est une personne morale de droit public. La tendance de l’arrêt de 2018
dans l’affaire de la Société des grands hôtels du Congo est intervenue dans le
cadre d’une relation commerciale et sociétale dans laquelle la Société des grands
hôtels jouait le rôle d’une société mixte. La saisissabilité des biens de l’OHADA ne
se pose ainsi pas si suite à un arrêt de la CCJA ou « d’une juridiction nationale »
contre l’OHADA des difficultés d’exécution se posent. L’exécution de l’arrêt se
fonderait dès lors sur le principe de bonne foi des Etats.
On le voit, les hypothèses dans lesquels un différend peut surgir entre l’OHADA
et un Etat, qu’il soit membre ou non, sont nombreuses. Il convient toutefois
de rechercher et d’identifier les mécanismes qui pourraient permettre de les
résoudre.
II. Les solutions éventuelles
Quels mécanismes de résolution des litiges identifiés dans la première partie
existent ou pourraient être indiqués ? La réponse, pourrait-on dire, résulte du
principe général du règlement des différends internationaux qui est systématisé
à l’article 33.1 de la Charte des Nations-Unies qui dispose que : « Les parties à
tout différend dont la prolongation est susceptible de menacer le maintien de la
paix et de la sécurité internationales doivent en rechercher la solution, avant tout,
par voie de négociation, d’enquête, de médiation, de conciliation, d’arbitrage87,
de règlement judiciaire, de recours aux organismes ou accords régionaux, ou par

85
Arrêt N° 1/2014, du 30 avril 2014, FANNY Ismaël Kader C./conseil régional de l’épargne publique et
des marchés financiers (CREMPF), §§22 et 23.
86
Voir CCJA, arrêt N° 103/2018 du 26 avril 2018, affaire MBULU MUSESO contre La société des Grands
Hôtels du Congo S.A, p. 4, § 2.
87
Paul-Gérard POUGOUE, « L’arbitrage dans l’espace OHADA », RCADI, Recueil des cours, t. 380,
Boston/Leiden, 2016, 280 p.

29
REVUE DE L’ERSUMA 2023 - 1 / N°18

d’autres moyens pacifiques de leur choix ». Il s’ensuit que le recours à la force


pour le règlement des différends est proscrit en droit international88 alors que le
règlement amiable est fortement recommandé89.
Étant donné que les différends opposant l’OHADA à l’État sont des différends
internationaux, il convient alors de rechercher dans le droit des gens les moyens
de leur résolution. Par ailleurs, l’OHADA étant davantage une organisation
internationale d’intégration90, les solutions existantes dans les organisations
d’intégration telles l’UEMOA et l’UE pourront être explorées à bon escient. À cet
égard, on sait que les organisations internationales d’intégration prévoient en
leur sein un mécanisme assez structuré de résolution des différends internes
par des organes propres. L’OHADA pourrait bien s’inspirer du succès probant
de ces expériences (A). Par ailleurs, et pour le règlement surtout des différends
extérieurs, les techniques classiques du droit internationale devront être
mobilisées (B).

A- Le recours souhaitable aux institutions de l’OHADA


S’il est vrai que le traité OHADA n’a prévu aucun mécanisme de règlement des
différends entre l’OHADA et l’État, il existe des perspectives en vue de parvenir
à un dénouement des conflits éventuels. C’est ainsi qu’il est possible de recourir
à la voie diplomatique et politique en faisant intervenir les principales instances
techniques voire politiques de l’OHADA, ce qui semble plus respectueux de la
place de l’État91 dans la société internationale (1). Cependant, étant donné que
la CCJA est érigée en gardienne de la bonne application des normes primaires et
dérivées de l’OHADA, il semble plus plausible d’y recourir (2).
1- L’intervention possible des instances techniques et politiques
Il existe en droit international « une obligation de négocier sur l’objet du
différend »92. Cela implique qu’en cas de différends impliquant des sujets de droit
international, les protagonistes sont tenus de négocier pour aplanir le différend.
La négociation s’inscrit elle-même dans le cadre des procédés techniques et

88
Voir article 2 § 4 de la Charte des Nations Unies.
89
Voir l’article 33 de la Charte des Nations Unies.
90
Paterne Yapi MAMBO, « L’OHADA ou la privatisation du droit public ? », in L’exception en droit,
Mélanges en l’honneur de Joseph OWONA, Magloire ONDOA et Patrick Edgard ABANE ENGOLO (dir.),
Paris, l’Harmattan, 2021, p. 391.
91 Il faut juste mentionner que le règlement à l’amiable d’un différend permet d’obtenir un compromis
entre les parties prenantes sur l’issue du litige. Il en va différemment du règlement judiciaire dans
lequel, la décision, non seulement échappe aux parties, mais s’imposent à elles. En tout état de cause
du règlement amiable au règlement judiciaire, il existe un paradoxe accepté par le droit international
que confirme la CIJ : « La souveraineté implique le droit de refuser d’être attrait devant un tiers ; elle
implique tout autant le droit de faire exception à ce refus par un engagement conventionnel », étant
entendu que la Cour permanente de justice internationale a jugé qu’elle se refusait à voir dans l’acte
par lequel un Etat s’engageait à faire ou à ne pas faire quelque chose un abandon de souveraineté. La
faculté de passer des conventions internationales est un attribut de la souveraineté de l’Etat ; Voir
Affaire du vapeur Wimbledon, arrêt du 17 août 1923, CPJI, série A n°1, p. 25 § 2.
92
Affaire des Concessions Mavromatis en Palestine (Grèce c./ Royaume Uni), arrêt du 30 août 1924,
CPJI, série A, n° 2, pp. 7-37.

30
REVUE DE L’ERSUMA 2023 - 1 / N°18

diplomatiques de résolution des conflits que sont notamment : la conciliation, la


médiation, les bons offices et l’enquête93. L’intérêt de ces procédés est de favoriser
surtout un règlement amiable des litiges, ce qui permet de préserver un certain
équilibre dans les relations entre protagonistes dans la mesure où le règlement
amiable met en avant la recherche du compromis. On retrouve ici toute l’essence
de la formule de Politis, à savoir que : « au point de vue du maintien de la paix, le
compromis a plus de valeur que la sentence ».
Il semble toutefois que dans la plupart des organisations internationales,
il est souvent confié aux organes techniques et politiques de celles-ci des
attributions non judiciaires pour trouver une issue en cas de différend. C’est
ainsi que dans l’UEMOA, la procédure de manquement prévu à l’article 15 du
règlement de procédure de la Cour de justice de l’UEMOA (CJUEMOA) permet à la
Commission de mettre en demeure l’État membre avant d’enclencher une action
en manquement devant la CJUEMOA. Cette intervention préalable de l’organe
exécutif de l’UEMOA (qu’est la Commission) peut mettre fin au différend, constitué
par le manquement. On trouve une procédure similaire dans l’UE (art.258 TFUE).
Dans l’OAPI, il existe une Commission supérieure de recours qui est chargée de
trancher les différends94. A un stade plus universel, on peut également citer le
rôle capital, au travers des articles 34 à 38 de la Charte de l’ONU, que le Conseil
de sécurité est amené à faire jouer pour éviter des différends qui comportent des
risques de menace à la paix et à la sécurité internationales.
Concernant l’OHADA, les organes à compétence technique ou politique sont :
le Secrétariat permanent, le Conseil des ministres et la Conférence des chefs
d’État et de gouvernement. Le traité ne leur a pas confié d’attribution afin de
parer à toute difficulté dans l’application du traité. Mais, au regard des solutions
évoquées ci-dessus, on peut imaginer que l’un de ces organes interviennent à
la survenance du différend pour essayer d’y mettre fin. Il paraît indiqué de
confier cette compétence à la Conférence des chefs d’États qui, en tant qu’organe
politique suprême, pourra trouver une solution qui soit, au moins politiquement,
acceptable par les protagonistes. Cette solution paraît d’autant plus judicieuse
que le différend entre l’OHADA et l’État membre pourrait davantage trouver ses
origines dans un acte du Secrétariat permanent ou du Conseil des ministres qui
sont respectivement les organes exécutif et législatif de l’OHADA.
Aussi efficace qu’il puisse paraître, le règlement diplomatique ou politique des
différends ne présente pas toujours des garanties de crédibilité, c’est pourquoi
pour une certaine catégorie de différends, il semble indiquer de recourir à
l’intervention d’une juridiction indépendante comme la CCJA.

93
Voir les Conventions de 1899 et 1907 sur le règlement pacifique des différends.
94
Voir l’article 33 du traité de Bangui portant création de l’Office africain et malgache de la propriété
industrielle (OAMPI).

31
REVUE DE L’ERSUMA 2023 - 1 / N°18

2- L’intervention plausible de la CCJA


C’est à la CCJA que les Hautes parties contractantes du traité de Port-Louis ont
confié la mission de garante ultime de la bonne application du droit OHADA, à
travers notamment son statut de juridiction de cassation des décisions rendues
par les juges du fond dans les pays membres et le droit d’évocation qui lui permet
de juger de l’affaire au fond en cas de cassation.
Si l’article 14 du traité lui attribue la mission fondamentale d’« assurer
l’interprétation et l’application communes du traité », force est de constater
que sa compétence n’a pas été suffisamment étendue pour lui permettre de
connaitre de tous les litiges relatifs à l’application du traité. Il y a là une grande
limite dans le système juridique de l’OHADA car en l’état actuel du droit OHADA
le règlement de la plupart des différends que l’on retrouve dans les organisations
internationales d’intégration n’est pas prévu. En effet, dans le système OHADA, il
n’existe pas de procédure de recours préjudiciel en interprétation ou en validité
des actes communautaires. Encore plus étonnant, il n’existe pas de procédure
de recours en annulation d’un acte communautaire. La procédure de la carence
d’un organe communautaire n’est pas non plus établie et il n’y a ni recours en
manquement contre un État ni recours portant engagement de la responsabilité
extracontractuelle de l’OHADA.
L’une des spécificités du droit communautaire est d’instaurer la procédure du
renvoi préjudiciel qualifiée de dialogue des juges. L’utilité de cette procédure
provient du constat que la compétence des juridictions nationales est établie
à l’égard de l’application du droit communautaire, l’interprétation relevant de
la juridiction communautaire95. Le droit OHADA ne semble pas s’inscrire dans
ce canevas puisque la compétence en interprétation des dispositions des actes
uniformes relève aussi des juridictions nationales. La CCJA ayant compétence
à la fois pour interpréter et pour appliquer le droit communautaire96. C’est
exactement le mécanisme contraire qui a été organisé dans le cadre de l’UEMOA97.
Pour des questions d’harmonisation par le haut, à l’effet de situer l’ensemble des
Etats sur des problèmes d’ordre communautaire, l’article 14 du traité révisé de
l’OHADA a institué le mécanisme de la consultation sans faire une référence à
l’existence d’une question préjudicielle. Contrairement à l’UEMOA, la procédure
est facultative, ce qui laisse peser des risques sur l’harmonisation à la fois dans
l’interprétation et l’application du droit communautaire. C’est peut-être aussi une
conséquence de l’uniformisation qui peut être source d’une difficile application
des textes dans la mesure où les compétences nationales peuvent être fortes98.

95
Véronique CHAPPELART et Peter GOLDSCHMIDT, « Améliorer l’application du droit communautaire
: dimensions juridiques et enjeux », EIPASCOPE, Numéro spécial 25ème anniversaire, p. 38.
96
Cette observation résulte de l’article 14 du traité instituant l’OHADA.
97
Malet DIAKITE, « le recours préjudiciel », in Sensibilisation au droit communautaire de l’UEMOA,
actes du séminaire régional de Ouagadougou sur l’ordre juridique communautaire de l’UEMOA, 1-5
novembre 2004 p. 35.
98
Paul-Gérard POUGOUE, Yvette Rachel KALIEU ELONGO, Introduction critique à l’OHADA, Yaoundé, Presses
Universitaires d’Afrique, 2008, pp. 51 et 53.

32
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Ainsi, le contentieux qui est élevé à la CCJA ne semble pas traduire la réalité du
contentieux qu’elle aurait pu traiter.
Le doyen CARBONNIER avait attiré l’attention de la doctrine sur le fait que « le
droit est infiniment plus grand que le contentieux »99. L’approche contentieuse du
droit instruit toutefois sur l’idée que « la connaissance du contentieux a (…) un but
pratique, mais ne se réduit pas à celle d’un savoir-faire pour régler les différends (…).
L’analyse du contentieux résultant de l’interaction entre acteurs communautaires,
montre comment se réalise le droit de l’institution et à qui il s’adresse100. Ainsi, le
degré de soumission au droit se mesure par l’ampleur des recours contentieux »101.
Saisir une Cour qui a son siège en dehors de l’État d’un ressortissant engage des
dépenses de nature parfois à décourager le justiciable102.
Pour lutter contre ces travers de la bonne administration de la justice, la
procédure d’assistance judiciaire a été organisée dans la saisine des Cours de
justice de la CEDEAO et de l’UEMOA parfois même contre l’organisation103. Au
niveau de l’UEMOA, la demande d’assistance est alors adressée à la cour en
plus d’un certificat de l’autorité compétente confirmant l’état d’indigence104. Au
niveau de la CEDEAO, l’assistance judiciaire est aussi prévue et la cour peut se
déplacer à l’initiative des requérants justifiants de leurs états d’impécuniosité.
Une première application de cette possibilité pour la cour de se déplacer à
l’initiative d’un requérant est intervenue dans l’affaire Dame Hadijatou Mani
KORAOU. Cette demande sera réitérée plus tard en 2010, conformément à l’article
26 du protocole A/P1/7/91 relatif à la cour en matière de fonction publique
communautaire105.
L’absence du recours en annulation d’un acte communautaire fait de la
présomption de légalité le principe gouvernant les actes uniformes. Il n’en va pas
cependant ainsi des actes pris à l’égard des fonctionnaires communautaires qui
ont un droit au juge en tant que principe fondamental en matière de procédure
juridictionnelle. A défaut d’un juge attitré, la saisine de la CCJA devrait constituer
la norme. Cette observation est aussi valable à l’égard de l’engagement de la
responsabilité extracontractuelle de l’OHADA et se présente comme le standard
minimum en matière de justice. C’est aussi la résultante du lien qui peut ou qui
doit exister entre droit et justice ou selon ROUBIER entre la loi et la conscience
du juge106.

99
Jean CARBONNIER, Flexible droit, Paris, L.G.D.J., 1979, p. 18.
100
Jean MOUSSE, Le contentieux des organisations internationales et de l’Union Européenne, Bruxelles,
Bruylant, 1997, p. 2.
101
Marc GJIDARA, La fonction administrative contentieuse, Paris, L.G.D.J, 1972, p. 66.
102
Robert LECOURT, L’Europe des juges, Bruxelles, Bruylant, 2008, p. 266 ; Paul CASSIA, L’accès des personnes physiques
ou morales au juge de la légalité des actes communautaires, thèse de doctorat, Université Panthéon Sorbonne Paris
I, 2000, p. 835.
103
Alioune SALL, Les mutations de l’intégration des États en Afrique de l’Ouest, une approche institutionnelle,
L’Harmattan, 2006, p. 166.
104
Voir à ce titre l’article 65 du règlement de procédure de la Cour de justice de l’UEMOA.
105
Arrêt n°ECW/CCJ/JUD/03/10 du 08 Juillet 2010, Edoh Kokou c./ Commission de la CEDEAO.
106
Paul ROUBIER, Théorie générale du droit, Paris, Sirey, 1951, pp. 98 et suivants ; Michel VILLEY, La
formation de la pensée juridique moderne, Paris, Montchrestien, 1968, p. 507.

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C’est donc dire que les attributions de la CCJA sont beaucoup limitées pour lui
permettre de jouer le rôle de garant de la bonne application du droit OHADA.
Elle ne peut finalement qu’être parfois spectatrice des différends relatifs à
l’application du traité OHADA. A la limite, seule l’article 56 du traité de Port-Louis
lui attribue la compétence pour connaître des différends entre États membres
relatifs à l’application du traité. À ce niveau encore la compétence de la Cour est
limitée uniquement au traité constitutif de l’OHADA laissant ainsi hors de portée
du contentieux entre l’OHADA et l’État les différends relatifs aux actes uniformes.
Cette lacune du traité pourrait être comblée par les Hautes parties contractantes
lors d’une révision ultérieure du traité qui permettra d’étendre la compétence
de la CCJA au règlement des différends mettant notamment en cause la mauvaise
application ou l’inapplication du droit OHADA aussi bien par les États membres
que par les organes de l’OHADA ainsi que ceux des différends qui mettent en
cause la responsabilité extracontractuelle de l’OHADA.
Toutefois, en attendant une nouvelle révision souhaitable du traité, il est tout à
fait plausible que l’on puisse avoir recours à la CCJA pour régler les différends
que l’on vient d’énumérer. D’abord, c’est à elle que l’article 14 al.1 du traité confie
la mission de garantir l’interprétation et l’application communes du traité par
les parties prenantes107. Et, l’alinéa 2 de cet article 14 permet à tout État partie
ou au Conseil des ministres de solliciter un avis de la Cour sur toute question
relative à l’interprétation et à l’application des différends. Par conséquent, en
cas de survenance d’un différend quelconque relatif à l’application du traité, une
partie peut saisir la Cour, il est vrai, pour un avis consultatif qui n’aurait pas alors
l’autorité de chose jugée. Mais, on imagine mal qu’un État partie ou l’OHADA
agisse contrairement à un avis de la CCJA.
En tout état de cause, si le traité OHADA est resté muet sur le sort des litiges
opposants l’OHADA à l’État, on peut penser qu’il s’agit de l’omission d’une
compétence naturelle de la CCJA que celle-ci pourrait se reconnaître par
une interprétation téléologique dès lors qu’elle est l’institution garante de
l’application uniforme du traité dans cet espace OHADA. Et si elle peut connaître
des différends entre États membres relativement à l’interprétation et à
l’application du traité108, on ne voit pas pourquoi elle ne pourrait pas exercer
cette même compétence lorsque le différend opposerait l’OHADA à un État
membre. Du reste, on est d’autant plus conforté à soutenir cette dernière idée
que le règlement n°002/2003/CM du 18 octobre 2003 relatif au mécanisme
de financement autonome de l’OHADA stipule au dernier alinéa de son article
14 que « les litiges entre États Parties ou entre le Secrétariat permanent et un ou
plusieurs États Parties sur l’interprétation ou les modalités d’application du présent
Règlement sont de la compétence de la Cour commune de Justice et d’Arbitrage ».

107
Selon cet alinéa, « La CCJA assure dans les États parties l’interprétation et l’application communes
du traité, des règlements pris pour son application et des actes uniformes ».
108
Voir à cet égard l’article 56 du traité OHADA.

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Si le recours à la CCJA paraît plus indiqué pour régler les différends liés à
l’application du droit OHADA, il est tout à fait possible d’imaginer de recourir aux
mécanismes classiques prévus par le droit international pour régler le sort des
différends extérieurs au droit OHADA.

B- Le recours aux mécanismes internationaux classiques


Les mécanismes qui sont envisagés ici sont relatifs aux différends extérieurs au
droit OHADA, étant entendu que ce type de différend peut concerner l’OHADA
et un État partie. C’est le cas par exemple des différends qui résulteraient des
trois accords de siège conclus par l’OHADA avec trois États membres. Pour le
règlement de ces différends dits extérieurs au droit OHADA, il convient de
recourir à la pratique en droit international. Pour le règlement des différends
internationaux, les moyens généralement admis sont le règlement diplomatique
ou politique à travers la négociation et la conciliation et le règlement judiciaire à
travers le recours à la CIJ ou à l’arbitrage. Le règlement diplomatique ou politique
ayant quelque peu été abordé dans le paragraphe précédent, on n’y reviendra pas
ici.
Si le statut de juridiction universelle de la CIJ peut offrir des perspectives en vue
de la résolution des différends susceptibles d’opposer l’OHADA à un État (1), on
sait que l’arbitrage semble être un mécanisme privilégié (2).
1- Le recours disponible de la CIJ
En principe, la compétence contentieuse de la CIJ ne lui permet pas de connaître
d’un litige impliquant directement une organisation internationale. Cette
affirmation résulte du statut de la CIJ. En effet, l’article 34 al.1 du statut de la
CIJ stipule que « Seuls les États ont qualité pour se présenter devant la Cour ».
Ce principe n’est cependant pas absolu dans la mesure où de façon indirecte,
la CIJ peut connaitre un différend impliquant une organisation internationale
au plan de l’interprétation des conventions la régissant109. De même, la Cour de
la Haye peut connaitre un différend relatif au contentieux administratif d’une
organisation internationale dont l’ONU110. A priori, les différends opposant
l’OHADA et un État ne peuvent trouver leurs épilogues sur un plan contentieux
devant la CIJ au regard de l’article 33 al. 1 du statut de la CIJ précité.
Toutefois, la CIJ peut être sollicitée de manière directe dans le cadre d’un avis
consultatif111. Dans ce sens, l’article 65 du statut de la CIJ stipule que : « La Cour
peut donner un avis consultatif sur toute question juridique, à la demande de tout
organe ou institution qui aura été autorisé par la Charte des Nations Unies, ou
conformément à ses dispositions, à demander cet avis ».

109
Cette hypothèse rappelle l’arrêt de la CIJ dans l’affaire du droit d’asile. Voir « Affaire Haya de la
Torre » (Colombie c./ Pérou), Arrêt du 13 juin 1951 : C.I. J. Recueil 1951, p. 71 ;
110
« Effet de jugements du Tribunal administratif des Nations Unies accordant indemnité », avis
consultatif du 13 juillet I954 : C.I. J. Recueil 1954, p. 47.
111
Olivier AUDEOUD, « La procédure consultative de la CIJ et le règlement des différends au sein des
organisations internationales », RGDIP, 1977, n°4, p.978.

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Il suit de ces dispositions qu’un différend opposant l’OHADA à un État peut faire
l’objet d’un avis consultatif de la CIJ. La question qui est posée est celle de l’autorité
attachée à cet avis. En d’autres termes, de quelle force sera revêtu cet avis ? En
tout état de cause, l’avis ne serait pas revêtu d’une force obligatoire, comme la CIJ
a eu à l’affirmer : « la réponse de la Cour n’a qu’un caractère consultatif : comme
telle elle ne saurait avoir d’effet obligatoire »112. A ce titre, « l’avis consultatif ne
s’impose ni à l’organisation demanderesse ni aux États parties aux différends
visés »113.
Néanmoins, l’on conçoit que cet avis aura une forme d’autorité morale sur
les parties prenantes qui les obligerait à le respecter. Ainsi, on a pu faire la
remarque qu’il n’est pas rare de « voir les organisations internationales qui en
ont la possibilité, recourir trop fréquemment à la demande d’avis consultatif à des
fins ostensiblement contentieuse » même si par ailleurs « il est facile d’ignorer un
avis en rappelant qu’il n’est pas obligatoire »114. En tous les cas, il reste que l’effet
ou l’autorité morale de l’avis consultatif dépend de ce que l’avis porte sur tout
ou partie du différend. Dans ce sens, la CIJ a estimé dans un avis prononcé à la
demande du Conseil économique social de l’ONU sur l’applicabilité de la Section
22 de l’article VI de la Convention sur les privilèges et immunités des NU, dans
l’affaire Mazilu115, que le recours « vise…à demander un avis sur l’applicabilité
d’une partie de la Convention…et non à porter un différend devant la Cour en vue
de son règlement ». Il faut donc considérer que « l’avis est simplement destiné…à
éclairer…sur les points soulevés…Il peut surement en aval avoir une incidence sur
la résolution effective du litige »116.
Il convient de noter que l’avis sollicité par la Cour pourrait avoir une force
obligatoire si telle est la volonté manifestée par les protagonistes dans une clause
spéciale117. Il s’agit alors du « système de l’avis consultatif obligatoire (qui) est un
subterfuge, qui institue, tant bien que mal, une forme de règlement judiciaire »118
pour les différends pouvant opposer une organisation internationale à un État.
Ainsi de la Section 30 de l’article VII de la Convention des NU sur les privilèges
et immunités qui stipule que « L’avis de la Cour (CIJ) sera accepté par les parties
comme décisif ». Cette disposition a connu une application dans la célèbre affaire
Cumaraswamy119. L’hypothèse de l’avis consultatif obligatoire est d’ailleurs pris

112
CIJ, Interprétation des traités de paix, 1ère phase, Rec. 1950, p.71.
113
Olivier AUDEOUD, « La procédure consultative de la CIJ et le règlement des différends au sein des
organisations internationales », op.cit., p.986.
114
Christian DOMINICE, « Le règlement juridictionnel du contentieux externe des organisations
internationales », Op.cit., 1991, p.237.
115
Eric David, « L’avis consultatif de la Cour internationale de Justice du 15 décembre 1989 sur
l’applicabilité de la section 22 de l’article VI de la Convention sur les privilèges et immunités des
Nations Unies (affaire Mazilu) », AFDI, 1989, Volume 35, n°1, pp. 298-320.
116
Frédéric DOPAGNE, « Chapitre 35 : Les différends opposant l’organisation internationale à un État
ou une autre organisation internationale », op.cit., p. 1120.
117
G. BACOT, « Réflexions sur les clauses qui rendent obligatoires les avis consultatifs de la CPJI et de
la CIJ », RGDIP, 1980, pp.1027-1067.
118
Christian DOMINICE, « Le règlement juridictionnel du contentieux externe des organisations
internationales », Op.cit., 1991, p.234.
119
Jean MATRINGE, « L’affaire du différend relatif à l’immunité de juridiction d’un Rapporteur spécial

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en compte par l’article 66 de la Convention de Vienne de 1986 sur le droit des


traités entre États et entre États et organisations internationales qui n’a pu entrer
en vigueur : « e) L’avis donné par la Cour (CIJ)…sera accepté comme décisif par
toutes les parties au différend ».
Au regard de l’ensemble de ces considérations, il est permis de dire qu’il existe
une possibilité qu’un litige éventuel entre l’OHADA et un État puisse au moins
faire l’objet d’un avis consultatif de la CIJ afin d’éclairer les protagonistes.
Si cette voie de l’avis consultatif de la CIJ est disponible quoique à l’effet limité, il
existe la latitude pour les parties au différend de s’en remettre à l’arbitrage.
2- Le recours probable à l’arbitrage
L’arbitrage occupe une place essentielle dans le règlement des différends
internationaux. Il semble même être le mode de règlement des différends
internationaux le plus usité. Il suffit pour s’en convaincre de constater que la
plupart des traités internationaux établissant une organisation internationale en
fait mention. Ce recours important à l’arbitrage se justifie surtout dans le monde
des affaires où l’arbitrage semble offrir certaines garanties que ne présente pas
une institution judiciaire. Le droit OHADA y a consacré un acte uniforme en vue
d’en déterminer les contours, de même que les conditions d’administration et de
validité120. L’OHADA crée ainsi les conditions d’une post-modernité juridique en
ce que les personnes morales de droit public, relevant traditionnellement du juge
administratif peuvent se voir soumise à ce mécanisme alternatif de règlement
des différends121. C’est là une révolution juridique contribuant à affirmer la
forte privatisation du droit administratif, jadis relevant du domaine régalien
des Etats. C’est ainsi que le recours à l’arbitrage peut faire oublier les doutes
qui peuvent peser sur l’indépendance ou le manque de célérité des procédures
juridictionnelles.
Le recours à l’arbitrage semble assez flexible puisque les parties aux différends
peuvent l’avoir prévu avant sa survenance dans une clause compromissoire
sinon le recours à l’arbitrage peut toujours se faire par voie de compromis après
la survenance du différend. En tout état de cause, le recours à l’arbitrage repose
sur la volonté des parties quand il n’est pas imposé par un texte auquel ils ont
préalablement consenti. On a pu dire dans ce sens que le « compromis constitue
la loi de l’arbitrage ».
Dans les organisations internationales d’intégration, l’arbitrage est prévu soit
comme mécanisme préalable à l’enclenchement d’une procédure judiciaire
soit comme acte de procédure définitif pour le règlement d’un différend. Ainsi,
l’article 15) 8 du règlement de procédure de la CJUEMOA prévoit la possibilité
pour les États membres de soumettre leur différend relatif à l’interprétation ou

de la commission des droits de l’homme (C.I.J., Avis consultatif du 29 avril 1999) », AFDI, 1999,
Volume 45, n°1, pp. 413-433.
120
Voir l’acte uniforme relatif au droit d’arbitrage du 23 novembre 2017.
121
Paterne Yapi MAMBO, « L’OHADA ou la privatisation du droit public ? », in L’exception en droit,
Mélanges en l’honneur de Joseph OWONA, Magloire ONDOA et Patrick Edgard ABANE ENGOLO (dir.),
Paris, l’Harmattan, 2021, p. 397.

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à l’application du traité UEMOA à l’arbitrage de la CJUEMOA. C’est dans ce même


sens que disposent, dans le cadre européen, les articles 272 et 273 du TFUE.
Du reste, le recours à l’arbitrage pour régler les différends extérieurs opposant
l’OHADA à un État ne devrait pas poser de problèmes dans la mesure où
l’arbitrage occupe une place essentielle dans le droit OHADA. D’une part, la CCJA
peut servir de centre arbitral conformément aux articles 21 à 26 du traité OHADA
même s’il ne lui revient pas de trancher le litige ainsi soumis à l’arbitrage. D’autre
part, les trois accords de siège conclus par l’OHADA prévoient l’arbitrage comme
mode définitif de règlement des différends entre l’OHADA et les États signataires
portant sur l’interprétation et l’application de leurs clauses. Au regard de ces
considérations, on peut penser que les différends opposant l’OHADA à un État
peuvent être soumis au règlement arbitral122 qui présente l’avantage de la célérité
et de la simplicité.
Dans une étude critique sur l’OHADA, un auteur faisait le constat selon lequel «
l’image ainsi donnée de l’édifice (OHADA), pour séduisante qu’elle soit en apparence,
est trompeuse. A y regarder de près, elle laisse entrevoir des failles. A la construction,
il manque des pièces »123. Assurément, parmi ces lacunes du traité OHADA figure
en bonne place l’absence de dispositions suffisamment élaborées et relatives à la
prévention et à la résolution des litiges qui pourraient survenir dans les relations
entre l’OHADA et les États ou un autre sujet du droit international.
Pour autant, la pratique et le droit international, notamment celui des
organisations internationales, offrent des solutions pour prévenir et régler de
tels litiges. Il faut alors espérer qu’un projet de révision permette aux architectes
du système OHADA d’engager les réformes nécessaires en vue d’ajouter à
l’édifice les pierres manquantes pour un meilleur fonctionnement du dispositif.
Dans cet élan, il faut aller vers une bonne administration de la justice124 dans
l’OHADA qui bénéficie déjà du rôle déterminant de la CCJA125. Toutefois, le schéma
juridictionnel n’est pas encore complet. Il s’agit d’un argument de réalisme
juridique qui doit aller de pair avec le réalisme économique ayant concouru à la
fois à la rédaction du traité constitutif et des actes uniformes de l’OHADA.
La présente contribution, en voulant mettre la main sur une problématique aussi
fondamentale du droit du contentieux international au sein de l’OHADA, constitue
aussi un moyen de discuter sur le droit l’OHADA dans une perspective du droit
public. Elle renforce ainsi la perspective d’une publicisation du droit OHADA qui,
longtemps considéré et accepté comme relevant intrinsèquement du droit privé,
contient bien des problématiques de droit public irrésolues et parfois délaissées

122
Coffi Alexis AQUEREBURU, « L’État justiciable de droit commun dans le Traité de l’OHADA »,
Penant, n° 832, janvier-avril 2000, pp. 48-54.
123
Pierre BOUREL, « A propos de l’OHADA : libres opinions sur l’harmonisation du droit des affaires
en Afrique », op.cit., p.969.
124
Sylvain MOLO MOLO ABEGA, « Regard dubitatif sur la bonne administration de la justice dans
l’espace OHADA », OHADATA, 2022, p. 6.
125
Moneboulou MIKANDA, « L’OHADA, le système juridique et le système judiciaire », Penant, numéro
905, octobre-décembre 2018, p. 420.

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par la plupart des publicistes de l’espace considéré. Le lien existant entre l’OHADA
et le droit public, à défaut d’être un mariage de cœur, se doit au moins d’être un
mariage de raison126 puisque la dimension privée fait corps avec la dimension
publique au travers du caractère communautaire de l’OHADA et de son intérêt
marqué pour les questions de droit privé et des objectifs qu’elle poursuit. Du
reste, l’actualité le démontre à souhait avec les arrêts de 2018 et 2021 de la CCJA
qui pose désormais la possibilité de saisir les biens des personnes morales de
droit public en méconnaissance d’ailleurs d’un des principes fondamentaux de la
domanialité publique : l’insaisissabilité du domaine public.

126
Paterne Yapi MAMBO, « L’OHADA ou la privatisation du droit public ? », in L’exception en droit,
Mélanges en l’honneur de Joseph OWONA, Magloire ONDOA et Patrick Edgard ABANE ENGOLO (dir.),
Paris, l’Harmattan, 2021, p. 389.

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