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Jacques Mestre

Directeur
Agrégé des Facultés de droit, Président de l’Association
scientifique française des docteurs en droit.
(jacquesmestre81@gmail.com)

Hugo Barbier
Comité Professeur de droit à l'Université d'Aix-Marseille.
scientifique Patrick de Fontbressin
Avocat au Barreau de Paris.
Julia Heinich
Professeur de droit à l'Université de Bourgogne (Dijon).
Sandie Lacroix-de Sousa
Maître de conférences HDR à l’Université d’Orléans.
Marie-Eve Pancrazi
Professeur de droit à l'Université d'Aix-Marseille.
Béatrice Parance
Professeur de droit à l'Université de Paris VIII.
David Richard
Avocat au Barreau de Paris.

Sabrina Dupouy
Rédacteur en Maitre de conférences à l'Université de
chef Clermont-Auvergne.

Les demandes de publications sont à adresser à


I’adresse suivante : sabrina.dupouy@uca.fr
Sommaire
Bulletin n° 28 – septembre 2021

Page 5 Editorial  : Le Tour du monde en 80


doctorats !
Jacques MESTRE et Sabrina DUPOUY

Page 8 Anniversaire de thèse : 20 ans après !


Luc VILLET

Spécial CAMEROUN !

Le dynamisme de la recherche doctorale au Cameroun :

Page 16 A l’Université de Yaoundé-II

Monique-Aimée MOUTHIEU-NJANDEU

Page 21 A l’Université de Dschang

René NJEUFACK TEMGWA

Page 24 A l’Université de Maroua

Maurice KOM KAMSU

Page 29 A l’Université de Ngaoundéré

Athanase FOKO
Contributions :

Page 36 L’aménagement constitutionnel des


chambres du Parlement dans la loi camerounaise
du 18 janvier 1996
Bertrand EDOUA BILONGO

Page 79 L’indépendance du Conseil constitutionnel


camerounais
Zulandice ZANKIA

Page 114 Référendum et démocratie locale dans


les Etats d’Afrique noire francophone, Réflexion sur
une perspective de constitutionnalisation de
nouvelles formes d’expression populaire
Stéphane MOUGNOL A MOUGNOL

Page 159 Les conventions internationales relatives


aux investissements privés étrangers ratifiées par
le Cameroun, sources d’attractivité  : mythe ou
réalité ?
Sorelle Lola NGOUMDA NZALE

Page 191 La personnalité juridique des institutions


privées d’enseignement supérieur (IPES)
Monique-Aimée MOUTHIEU-NJANDEU
Page 208 Le responsable des programmes en droit
public financier camerounais
Pie-Claude ONANA

Page 255 La rétention des patients insolvables des


hôpitaux publics au Cameroun  : autopsie d’une
nébuleuse juridique
Ulrich Lenz ASSONNA SOKENG et Pierre-Claver
KAMGAING

Page 278 La spécialité de la répression des


atteintes aux biens des entreprises publiques
camerounaises (Entre droit pénal OHADA et droit
pénal national)
Armand MBARGA

Page 327 La réception des marchés publics de


qualité en droit camerounaisvid-19 et regain du
solidarisme contractuel
Colin Anang NJUATE

Page 353 Intelligence artificielle et artifices de


l’intelligence sous les régimes de propriété
intellectuelle dans les pays de l’OAPI
Patrick Juvet LOWE GNINTEDEM et Ulrich Lenz
ASSONNA SOKENG
Page 380 Les pratiques coutumières à l’ère des
droits fondamentaux  :  cas de la dot en droit
camerounaiss
Pierre-Claver KAMGAING

Page 401 Le retour du salarié dans l’entreprise


Zakari ANAZETPOUO et Carole KEMTA PEWO,

Page 427 L’intervention de l’autorité publique dans


la perspective du droit OHADA du travail
Elvice Médard KAMTA FENDOP

Page 464 Le principe de proportionnalité et la


protection du débiteur saisi en droit OHADA
Bruno Marcelin KEM CHEKEM

Page 495 Le cautionnement dans les procédures


de redressement de l’entreprise débitrice en droit
OHADA
Simo KAMGANG CREPIN GIRESSE

Page 534 La résilience du bail à usage


professionnel du droit OHADA à l’épreuve de la
Covid-19
Yannick-Serge NKOULOU
Page 564 La résilience du droit OHADA des
entreprises en difficulté face à la Covid-19
Anne MBOKE

Page 590 La bonne administration de la justice


arbitrale en droit OHADA
Jocelyne Yvonne MEGOU EBOCK
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

EDITORIAL

LE TOUR DU MONDE EN 80

DOCTORATS !

De toutes les activités humaines, la recherche doctorale est sans doute l’une des
plus universelles. Il suffit pour s’en convaincre de se remémorer les longs périples
que les doctorants du Moyen Age faisaient déjà à travers l’Europe entière, au gré
des capitales universitaires, ou encore de voir, à l’époque contemporaine,
combien, dans tous les pays du monde, la perspective d’obtenir un doctorat ou
un PHD suscite vocation et efforts, et l’obtention elle-même du diplôme, le jour
de la soutenance de thèse, provoque ensuite joie et fierté ! Oui, de par le monde,
le Doctorat reste une étape très forte, qui permet à nombre de Jeunes de grande
qualité d’apporter la preuve de leur talent et de leur enthousiasme, et d’assurer
ainsi, à travers leur juste promotion, l’indispensable renouvellement des
compétences et des responsabilités !
Aussi, pour s’inscrire dans cette belle et riche universalité, l’AFDD a le plaisir
d’inaugurer aujourd’hui, dans sa revue électronique Horizons du Droit, une
nouvelle formule, qui est de dédier entièrement (réserve faite du très bel
anniversaire de thèse auquel nous convie Maître Luc Villet) l’un de ses numéros
à la recherche doctorale d’un pays donné. Et, pour commencer, en paraphrasant
Jules Verne, ce véritable tour du monde du doctorat en droit, notre équipe
éditoriale a tout naturellement choisi le Cameroun ! Oui, « tout naturellement »
car, depuis sa création il y a maintenant trois ans, notre Revue a déjà accueilli de
nombreux articles venus de ce très dynamique pays où, manifestement, sous

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

l’égide de grands professeurs, et notamment de nos collègues Monique


Mouthieu-Njandeu (notre correspondante AFDD-Cameroun), René Njeufack
Temgwa, Athanase Foko et Maurine Kom Kamsu qui nous ont fait l’honneur
d’introduire ce numéro, la Jeunesse doctorale ne cesse d’éclore ! Merci donc aux
chercheurs camerounais de Yaoundé, Dschang, Ngaoundéré, Douala ou encore
Maroua, de nous offrir aujourd’hui ce bouquet de magnifiques contributions,
tournées tant vers le droit public que vers le droit privé, et tant vers leur droit
national que vers le droit OHADA, et formons naturellement le vœu que bien
d’autres pays, demain, nous invitent à leur tour à faire escale chez eux… Le temps
d’y retrouver pareillement d’autres talents d’avenir et de voir combien les
Horizons doctoraux illuminent bien la planète entière !

Jacques MESTRE Sabrina DUPOUY

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Anniversaire de thèse :

VINGT ANS APRES !

Luc VILLET

Notaire – Enseignant à l’Université d’ORLEANS

LES RELATIONS PATRIMONIALES DANS LES FAMILLES


RECOMPOSEES
Soutenance de thèse le 20 septembre 2001

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Il y a vingt ans que j’ai soutenu ma thèse de doctorat en droit privé à


l’Université de NANTES, sur le thème des relations patrimoniales dans les familles
recomposées, le 20 septembre 2001 pour être précis. La date n’a, a priori, pas
nécessairement une grande importance, si ce n’est sur le plan personnel bien
entendu, mais au cas présent, il se trouve qu’elle en a une, comme nous le
verrons. Pour être honnête, si Madame Sandie LACROIX-DE SOUSA ne m’avait
pas sollicité pour rédiger ces quelques lignes, les 20 ans de ma thèse seraient
passés sans que je m’en soucie beaucoup et sans que j’y pense vraiment. Il n’y a
là aucune prétention de ma part, mais les exigences professionnelles sont telles
et le temps passe si vite, que l’on n’a pas toujours le temps de se retourner vers
le passé et de se remémorer sa soutenance de thèse. C’est donc tout le mérite
de cette rubrique « anniversaire de thèse », que de nous obliger à faire une pause
et regarder alors le chemin parcouru depuis. Dans mon cas, il faut bien que je
parle un peu de moi, la thèse n’était pas une évidence car je me destinais avant
tout au métier de notaire. Pour des étudiants qui se dirigent vers l’enseignement
universitaire, la recherche, la thèse apparaît « évidente », un passage obligé, et
certainement une épreuve que l’on s’impose, pour ne pas dire que l’on s’inflige
parfois. Combien d’étudiants ont débuté leur parcours de thèse sans arriver à la
soutenance ? Pour moi, il n’y avait nulle obligation et, après quelques hésitations,
je me suis lancé. Comme mes collègues docteurs en droit, je me suis engagé
dans ce marathon qui dure des années et qui nécessite une organisation sans
faille, d’autant plus lorsque l’on a une activité professionnelle qui ne vous laisse
que vos soirées, vos week-ends et vos cinq semaines de congés payés.
Effectivement, avant d’être notaire, j’ai été clerc de notaire, terme un peu désuet,
on parle plus volontiers aujourd’hui de « collaborateur », mais auquel je tiens
quand même. C’est peut-être un effet des vingt ans. Mais justement après vingt
ans, qu’est devenue cette thèse et comme nous y invite Madame Sandie
LACROIX-DE SOUSA, quel regard portons-nous sur ce travail bien installé sur les
rayons d’une bibliothèque universitaire, même si le thème des familles

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

recomposées, qui était déjà d’actualité il y a 20 ans, l’est assurément encore plus
aujourd’hui. Pour la « survie » d’une thèse, un sujet dont l’actualité est pérenne,
c’est toujours un bon point. Mais on ne s’interroge pas assez sur le devenir d’une
thèse et lorsque l’on obtient le grade de docteur en droit, j’ai un peu l’impression
que la thèse disparait. Toutes ces années à étudier un sujet, à le maitriser, et puis
plus rien. Enfin pas tout à fait. Il y a certes des thèses qui font autorité dans leur
domaine, mais il y en également beaucoup dont le devenir est plus modeste. La
mienne, que j’aime beaucoup ne vous y trompez pas, figure assurément dans
cette deuxième catégorie.
Je vais donc essayer de retracer ce parcours jusqu’à la soutenance de
thèse, que j’ai entamé non sans avoir surmonté quelques obstacles (I). La
préparation de la thèse est assurément une épreuve d’endurance et de volonté
(II), et c’est avec intérêt que l’on s’interrogera sur l’actualité de ce travail de
recherche (III). Mais là n’est peut-être pas le plus important car, la préparation
d’une thèse de doctorat est avant tout une formidable aventure humaine à la fois
par les rencontres qu’elle nous offre avant la soutenance, et ensuite, une fois
l’obtention du doctorat (IV).

I. Les obstacles

Le parcours LMD a le mérite d’orienter les étudiants qui le souhaitent vers


le doctorat, assez naturellement. « À mon époque », encore un effet des 20 ans,
après l’obtention de sa maîtrise, on pouvait s’orienter soit vers un DEA, soit vers
un DESS. Le DEA conduisait vers le doctorat, pour les étudiants volontaires bien
entendu, mais c’était la bonne voie. Ceux qui s’inscrivaient en DESS,
s’engageaient plutôt vers un parcours professionnel « hors doctorat », d’où les
conditions imposées aux étudiants par chaque Université pour les autoriser à
s’inscrire, malgré tout, à l’école doctorale. C’est cette seconde voie que j’ai suivie,
en m’inscrivant au DESS de droit notarial de l’Université PARIS 1 – Panthéon-
Sorbonne. Ce DESS constituait la première année pour l’obtention du diplôme

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

supérieur de notariat (DSN). Mon objectif était clairement de préparer le DSN,


mais tout au long de mes cinq premières années de droit, j’avais toujours en tête
l’idée de préparer également le doctorat. Cependant, pour nous, les DESS, nous
n’étions pas forcément encouragés à le faire. Je me souviens d’un professeur qui
nous avait expliqué que l’obtention du DSN équivalait à la préparation d’un
doctorat, surtout avec le mémoire de fin d’études, ce qui rendait, de fait, le
doctorat inutile pour nous. Ces propos m’avaient un peu déçu. Certes la
préparation du DSN était exigeante car après le DESS de droit notarial, il fallait
valider 4 semestrialités (Actes courants, Sociétés, Successions, Droit immobilier
et rural), tout en faisant notre stage. Enfin, il fallait préparer un mémoire et
surtout, le soutenir. Beaucoup d’étudiants, ayant validé leurs 4 semestrialités, ne
sont jamais allés au bout de ce mémoire et n’ont donc pas obtenu leur diplôme.
Il est vrai que sa préparation prenait en moyenne une à deux années. À ce stade,
c’est vraiment la volonté qui devenait déterminante. Pour beaucoup, il s’agissait
d’en finir en obtenant le diplôme, car ils avaient un projet d’installation
professionnelle. Pour moi, ce mémoire a été un galop d’essai pour le doctorat, et
après la soutenance, j’ai postulé à l’école doctorale de l’Université de NANTES.
J’ai été admis, et ce fut une première satisfaction.

II. La préparation

Je ne vais pas m’étendre sur les difficultés de rédiger une thèse car
d’autres, dans cette revue, et cette rubrique en particulier, l’ont très bien fait
avant moi. Le souvenir qui me reste de cette période de « thésard », c’est surtout
le rythme de travail qu’il faut s’imposer dans la phase de préparation d’abord, puis
évidemment dans la phase de rédaction. J’ai en fait retrouvé les exigences du
mémoire de DSN, et en premier lieu, la volonté qui commande tout. Je me
souviens à ce sujet, et j’avais d’ailleurs gardé à l’esprit, les propos du Professeur
Yves GUYON qui avait été mon Professeur en droit des sociétés à PARIS I,
lorsque je préparais mon DESS de droit notarial. Ce cours était commun avec des

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

étudiants de DEA et le Professeur GUYON avait abordé, peut-être en fin d’année,


je ne me souviens plus précisément, la question du doctorat. Il s’adressait avant
tout aux étudiants en DEA et nous avait raconté que certains de ses anciens
étudiants en thèse, qui avaient abandonné en cours de route, lui envoyer parfois
une petite carte, un petit mot, en lui écrivant qu’ils pensaient toujours à leur thèse.
Ce qu’il voulait nous expliquer, c’est que si on s’engageait dans la préparation
d’un doctorat, il fallait être sûr de soi, car sinon, cette thèse inachevée pouvait
vous poursuivre en laissant bien des regrets. Et de fait, lorsque j’avais quelques
moments de découragement ou de lassitude, je repensais à lui et à cette
anecdote qu’il nous avait racontée. Les difficultés ne se sont toutefois pas
limitées à la préparation. Sur un sujet comme le mien, « les relations patrimoniales
dans les familles recomposées », on imagine aisément qu’un autre risque pouvait
se présenter, à savoir une modification de la loi obligeant à réécrire une partie de
la thèse. Si le sujet du droit patrimonial n’a pas beaucoup bougé pendant des
décennies, bizarrement, il a fallu que ma soutenance de thèse soit en vue pour
que les choses s’accélèrent. L’année 2001 a effectivement marqué le point de
départ de réformes successives avec, en premier lieu, la loi du 3 décembre 2001
dont nous allons fêter les 20 ans. Fort heureusement, mon jury de thèse a pu être
réuni avant cette échéance. Quand je disais que la date de ma thèse avait son
importance, je pensais déjà à cela mais pas seulement. Il faut en effet se souvenir
que le mois de septembre 2001 est également celui des attentats à New-York,
le 11 septembre, et au Pentagone. J’en ai le souvenir car j’étais en pleine
préparation de ma soutenance, m’accordant assez peu de repos. Lors d’une
pause justement, la télé étant allumée dans le salon, j’ai le souvenir de ces images
qui ont marqué le monde entier. J’étais dans ma bulle, à moins de 10 jours de ma
soutenance, et cela a peut-être été une protection vis-à-vis de cet évènement
incroyable. Mais ce n’était pas fini car le 21 septembre 2001, soit le lendemain de
ma soutenance, c’est l’usine AZF à Toulouse qui explosait. Tout le monde se
souvient de ces images terribles. Donc, quand je repense à 2001, et à ma
soutenance de thèse, inévitablement, je repense également à ces évènements

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

« hors thèse » qui ont néanmoins constitué, malheureusement, le contexte de ma


thèse. La soutenance elle-même - d’autres en ont parlé - est incontestablement
un grand moment, un peu épuisant quand même. Ensuite, un ou deux ans après
l’obtention de mon doctorat, j’ai été invité à faire une présentation de ma thèse
au CFPN de PARIS. Nous étions un certain nombre de docteurs en droit à nous
livrer à l’exercice. Quand mon tour est venu, le Professeur BEIGNIER qui
introduisait ma présentation, et qui avait été membre de mon jury de thèse, avait
dit qu’il se souvenait très bien de ma thèse car c’était la veille de l’explosion de
l’usine AZF. J’avais été un peu déçu par cette introduction, mais le Professeur
BEIGNIER enseignait justement à l’Université de Toulouse, ce qui explique sans
doute ce souvenir particulier. Quand je disais que la date avait son importance
dans mon cas.

III. L’actualité

La famille recomposée, figure familiale originale, était en augmentation


constante quand je m’y suis intéressé en 2001. En 20 ans, leur nombre a
évidemment beaucoup augmenté. Les divorces, les concubins, pacsés ou non,
qui se séparent, les veuvages, l’accroissement des familles monoparentales,
contribuent à ce phénomène quantitatif. En me penchant sur l’anniversaire de ma
thèse, inévitablement je m’interroge sur son actualité. Si je devais l’écrire
aujourd’hui, est-ce que tout serait à refaire ? Heureusement non. Si la loi du 3
décembre 2001 m’obligerait à revoir certains chapitres, celle du 23 juin 2006
m’offrirait des opportunités qui n’existaient pas « à l’époque ». Je pense en
particulier à la RAAR qui permet d’envisager des adaptations patrimoniales
intéressantes dans les familles où règne la bonne entente. À cet égard, rien n’a
vraiment changé depuis 20 ans, et l’on rencontre toujours soit des situations
conflictuelles, soit des situations de bonne entente. D’un côté, on cherche à
priver ses enfants au maximum, d’un autre côté on voudrait tout partager entre
les enfants, les siens et ses beaux-enfants. En raison de ma profession, j’y suis

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

confronté quasi-quotidiennement. J’ai l’avantage, 20 ans après, de toujours être


dans mon sujet. En qualité d’enseignant à l’Université d’ORLEANS, notamment en
droit patrimonial, j’aborde aussi régulièrement la question des familles
recomposées avec mes étudiants. C’est peut-être pour ça que j’ai plutôt
tendance à écrire des articles sur d’autres sujets, comme la vente en viager, la
fiscalité immobilière. Sans doute une tentative d’évasion. Mais on est toujours
rattrapé par sa thèse et j’ai été contacté il y a deux ans par une étudiante qui
préparait elle-même une thèse dans une Université parisienne. Elle souhaitait
avoir un exemplaire de la mienne. Je lui ai fait parvenir et j’espère que ce travail
a pu lui être utile.

IV. Une aventure humaine

La préparation d’une thèse, c’est d’abord la rencontre de son directeur de


thèse. Le mien était le Professeur LE GUIDEC, bien connu des notaires pour
intervenir régulièrement dans nos formations et au Congrès des notaires de
France. J’avais eu l’occasion de le côtoyer un moment au CFPN de Paris, lors de
la préparation du diplôme supérieur de notariat, en semestrialité « successions »
tout d’abord, puis comme directeur de mon mémoire de fin d’études. La thèse a
été un prolongement de cette relation et sans lui, je ne me serais pas lancé dans
ce doctorat. Il m’a encouragé à postuler à NANTES, je n’y suis donc pas arrivé
par hasard, alors que les discours entendus jusque-là avaient plutôt été
dissuasifs. Il y a comme ça, dans nos parcours, des rencontres qui changent les
choses. La soutenance a été l’occasion de rencontrer d’autres personnalités
telles que le professeur RIVIER, qui avait été l’auteur d’une thèse sur le remariage,
le professeur BEIGNIER, déjà cité, le professeur VAREILLE, que j’ai eu l’occasion
de retrouver par la suite lors de formations pour les notaires, et enfin le
professeur LE MASSON. Le 20 septembre 2001, ils ne m’ont pas ménagé, mais
c’est la règle du jeu. Le professeur LE GUIDEC m’avait incité à poursuivre vers la
maîtrise de conférence, mais j’étais dans l’attente de ma nomination en tant que

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

notaire, intervenue le 4 décembre 2001, encore un anniversaire pour cette année,


et il me semblait qu’un poste de professeur associé, dans l’avenir, correspondrait
mieux à ma situation professionnelle. J’ai pu intégrer l’Université d’Orléans
quelques années après, en 2003, et j’y enseigne depuis, sans interruption. J’ai
effectivement eu l’opportunité d’y être maître de conférence associé pendant 6
ans et de codiriger le Master 2 droit et gestion du patrimoine privé. On peut dire
qu’à ce moment-là, mon objectif avait été atteint. J’y ai rencontré des collègues
universitaires très attachants, dont Madame Sandie LACROIX-DE SOUSA, et j’ai
toujours plaisir à travailler avec eux. Parallèlement, mon parcours notarial s’est
poursuivi dans les instances de la profession, Président de la Chambre des
notaires du Loiret, puis Président du Conseil régional des notaires de la Cour
d’appel d’Orléans. Mais ne chercher plus ces instances car, depuis mon passage,
elles n’existent plus. J’ai fait voter leur suppression à la fin de mon mandat à la
tête du Conseil régional des notaires pour faire adopter une Chambre
interdépartementale réunissant les notaires du Loiret, du Loir-et-Cher et d’Indre-
et-Loire. Depuis, je peux me consacrer à mes clients, et à mes étudiants. Un
notaire docteur en droit, c’est un peu ça, toujours entre son étude et l’Université.
Devant les étudiants, le notaire vient parfois seconder l’enseignant par sa
pratique et devant les clients, c’est l’enseignant qui seconde le notaire par sa
pédagogie, dans une complémentarité très naturelle.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

BREVE PRESENTATION DE LA

RECHERCHE AU SEIN DE LA FACULTE

DES SCIENCES JURIDIQUES ET

POLITIQUES DE L’UNIVERSITE

DE YAOUNDE II

Monique Aimée MOUTHIEU épouse NJANDEU

Agrégée des Facultés de Droit - Université de Yaoundé II

____________________

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

La grande réforme universitaire intervenue le 19 janvier 1993 mit fin à l’existence


de l’université de Yaoundé et créa à partir de ses cendres, six universités d’Etat
parmi lesquelles l’Université de Yaoundé II. Celle-ci abrite dans son campus
principal, la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques dont les activités
s’étendent à ses deux annexes d’Ebolowa et de Bertoua.
La recherche au sein de la Faculté est portée à la fois par les doctorants et les
enseignants-chercheurs.
Pour permettre aux doctorants d’acquérir les aptitudes intellectuelles
nécessaires à cette fin, la Faculté compte deux écoles doctorales1 :
- une école doctorale de droit ;
- une école doctorale de science politique.
Les écoles doctorales accueillent, forment et encadrent les doctorants en leur
permettant d’être dirigés dans leur recherche par des enseignants-chercheurs
de renommée nationale et internationale.
Elles dispensent aux doctorants des enseignements annuels de méthodologie
disciplinaire, d’actualité juridique et/ou politique. Elles ont vocation à organiser
régulièrement des conférences disciplinaires et de culture générale, dispensés
par les chercheurs de l’université ou des invités extérieurs. Les écoles doctorales
ont pour ambition particulière de promouvoir les échanges et la coopération
internationale.
Le programme de formation comprend :
- des séminaires et conférences sur l’actualité juridique et politique en droit privé,
en droit public, en English Law ou en science politique ;
- des séminaires de méthodologie
Les thèses auxquelles conduisent les travaux de recherche des doctorants
peuvent être préparées en :
- direction simple ;

1
Voir, le livret de l’étudiant de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université de
Yaoundé II.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

- codirection ;
- cotutelle
Pour affermir la recherche doctorale et post-doctorale, la Faculté s’est dotée de
huit centres de recherche auxquels sont rattachés les doctorants et les
enseignants-chercheurs :
- le Centre de recherche en Etudes politiques et stratégiques (CREPS) ;
- le Centre d’Etudes et de Recherches en Droit international communautaire
(CEDIC) ;
- le Centre d’Etudes et de Recherches constitutionnelles, administratives et
financières (CERCAF) ;
- le Centre d’Etudes et de Recherche en Droit du travail, de la Sécurité sociale et
des Affaires (CDTSA) ;
- le Centre d’Etudes et de Recherche en Dynamiques administratives et
Politiques (CERDAP) ;
- le Centre d’Etudes Judiciaires (CEJ) ;
- Institute of Advanced Legal Studies in English Law (IALS) ;
- le Centre d’Etudes et de Recherche en Droit, Economie et Politique du Sport
(CERDEPS).

En outre, des programmes d’appui à la recherche sont mis en place à savoir :


- le Fonds d’appui à la recherche collective (FAREC) ;
- le Fonds d’appui aux publications (FAP) ;
- le Fonds d’appui à la finalisation des thèses (FAFIT) ;
- le Fonds d’appui à la recherche en Master (FAREM)
- le prix de thèse de l’excellence universitaire en Droit et en Science politique.

Relativement aux recherches conduites par les enseignants-chercheurs, qui se


caractérisent par leur fécondité et par leur diversité, elles sont orientées vers
deux voies :

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

- la recherche individuelle couronnée par des publications d’articles de doctrine,


d’annotations d’arrêts dans les revues nationales et internationales, voire des
publications d’ouvrages ;
- la recherche collective se déploie à travers les projets de développement
portés par les enseignants-chercheurs de la Faculté, les colloques, les
séminaires, les journées d’études, les débats au sein des départements sur des
thèmes d’actualité. Sur ce dernier aspect, « l’indépendance du contrôleur légal
des comptes en droit OHADA », « les indications géographiques », « les OPCVM
et le dynamisme du marché financier de la CEMAC », « la bonne foi en droit des
sociétés », « les mutations du lien contractuel entre le débiteur et le créancier
dans les procédures collectives OHADA », « la réparation du préjudice de
contrefaçon dans l’espace OAPI », « le harcèlement en milieu professionnel »,
sont des morceaux choisis des thèmes débattus au courant de l’année
académique 2020-2021, au sein du Département de droit des affaires et de
l’entreprise. Le dynamisme de la recherche collective conduit à la production
d’Actes ou alors d’ouvrages collectifs autour d’un thème central, mieux, des
Etudes ou Mélanges en hommage ou en l’honneur des « founding fathers » de la
Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’université de Yaoundé II. A titre
illustratif, on peut citer notamment :
• P.-G. POUGOUE, S. S. KUATE TAMEGHE (sous dir.), Les grandes décisions
de la Cour commune de justice et d’arbitrage de l’OHADA, l’Harmattan-
Paris, Etudes africaines, 2010 ;
• P.-G. POUGOUE (sous dir.), Encyclopédie du droit OHADA, Lamy, 2011 ;
• J.-M. TCHAKOUA (sous dir.), Les grandes décisions du droit du travail et
de la sécurité sociale, Jus Print, 2016 ;
• M. A. MOUTHIEU (sous dir.), Le consommateur des technologies de
l’information et de la communication en Afrique noire francophone,
l’Harmattan, Paris, Etudes africaines, Série Communication, 2021 ;
• F. ANOUKAHA, A. D. OLINGA (sous coord.), L’obligation, Etudes offertes
au Professeur Paul-Gérard POUGOUE, Harmattan-Cameroun, 2015 ;

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

• J. Cl. MEBU NCHIMI (sous dir.), Le droit au pluriel, Mélanges en hommage


au Doyen Stanislas MELONÉ, PUA, 2018 ;
• L’effectivité du droit, de l’aptitude du droit objectif à la satisfaction de
l’intérêt particulier, Mélanges en l’honneur du Professeur François
ANOUKAHA, l’Harmattan, Paris, Etudes africaines, Série Droit, 2021.
• M. ONDOA, P. ABANE ONGOLO (sous dir.), L’exception en droit, Mélanges
en l’honneur du Professeur Joseph OWONA, l’Harmattan, 2021.

On le voit bien, la recherche scientifique au sein de la Faculté des Sciences


Juridiques et Politiques de l’Université de Yaoundé II, qu’elle soit doctorale ou
post-doctorale, est un travail de prospection laborieuse, d’analyse perspicace
des données observables et vérifiables pour apporter des éléments de
réponse aux problèmes de la société camerounaise2. L’espoir attendu est que
le résultat de cette recherche féconde et diversifiée qui transcende la
recherche fondamentale pour revêtir le manteau d’une recherche appliquée,
trouve un écho favorable auprès des décideurs relativement aux thématiques
abordées. C’est dans cette perspective que la satisfaction qu’éprouve le
chercheur d’avoir apporté sa pierre au développement du bien-être
intellectuel, social, économique, sociologique, culturel, moral, etc. de la nation
camerounaise sera manifeste.

2
P. N’DA, Méthodologie et guide pratique du mémoire de recherche et de la thèse de doctorat
(en lettres, Arts, Sciences humaines et Sociales : Informations, normes et recommandations
universitaires, techniques et pratiques actuelles, l’Harmattan, p. 22.

20
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Propos sur la recherche à l’Université

de Dschang

René NJEUFACK TEMGWA - Agrégé des Facultés de Droit - Université de Dschang-

Cameroun

____________________

21
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Ils sont bien accrochés, les enseignants chercheurs à la Faculté des


sciences juridiques et politiques de l’Université de Dschang. Ils peuvent encore
être inspirés par le passage au sein de cette faculté de professeurs au
rayonnement national et international établi ayant posé les balises de la
recherche juridique et dont les œuvres ont été récemment magnifiées par la
communauté scientifique3. Ajoutant à cette figure de ces illustres devanciers, il
faut convoquer les résultats reluisants aux récentes éditions des concours
d’agrégation ayant eu un effet d’entrainement et de détermination chez les plus
jeunes. Dans la même perspective, ces aventuriers de la recherche disposent
aujourd’hui d’un cadre leur permettant de structurer leurs recherches (Unités de
recherches ; Centres de recherches), justifiant une production encore plus
massive de publications par ces jeunes chercheurs.
Le grand défi se situe aujourd’hui à la construction de la recherche
collective, la recherche de développement. L’analyse de situations particulières
par le chercheur individuel à la vision isolée n’impacte pas à suffisance sur les
grands enjeux de la société. Les questions majeures de la société exigent une
mise en commun des efforts de recherche. L’idée étant non seulement d’avoir
une maitrise de la réalité de « l’inflation du droit » diagnostiquée par le Doyen
Carbonnier4, mais aussi de construire un Droit qui corresponde effectivement aux
réalités sociales africaines. En effet, on peut encore observer chez ces
chercheurs le réflexe, pas blâmable, mais excessif, à faire usage des références
jurisprudentielles et doctrinales comparées, souvent sans emprises sur les
réalités africaines, pour illustrer curieusement les analyses portant sur une
disposition locale. Le droit est un construit et dans cette perspective, il exprime

3
L’obligation, Etudes offertes au professeur Paul-Gérard POUGOUE, L’Harmattan 2015 ;
L’effectivité du Droit : De l’aptitude du droit objectif à la satisfaction de l’intérêt particulier,
Mélanges en l’honneur du professeur François ANOUKAHA, L’Harmattan 2021.
4
J. Carbonnier, Droit et passion du droit sous la Ve République, Flammarion, 1996, p. 107 et s.

22
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

une réalité sociétale, sans occulter la question éternelle de savoir s’il existe un
droit universel dont nous n’appliquerions, à travers le temps et l’espace, que des
déclinaisons.
L’effort de demain, l’espoir serait que cette dynamique continue et se
transforme pour que les publications de chercheurs puisent davantage dans leur
bassin social, pour la résolution des problématiques en lien avec leur réalité
locale. Il s’agit d’avoir un souvenir de l’évidence de l’adage toujours pertinent
« Ubi societas, ibi jus », et de mettre en exergue les éléments constants et les
principales variantes du système juridique africain.
Tout en encourageant cette production prolifique mais un peu désincarnée,
je propose une nouvelle orientation à ces talentueux chercheurs pour une
recherche construite autour des réalités de leur environnement, aux références
africaines, sans jamais perdre de vue l’approche comparée qui permettrait de
dégager les spécificités et de constater les grands problèmes communs.

23
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

PRESENTATION DES ACTIVITES DE

RECHERCHE AU SEIN DE LA FACULTE

DES SCIENCES JURIDIQUES ET

POLITIQUES

Pr Maurice KOM KAMSU 5 - Maitre de Conférences en Droit Privé et Sciences

Criminelles - Chef de Département de Droit des Affaires et de l‘Entreprise -

FSJP/Université de Maroua/Cameroun

5
Email : mauricekomkamsu@yahoo.fr Tél : 237 699641814.

24
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Cette présentation concerne la période allant de 2018 à 2021. La Faculté


des Sciences Juridiques et Politiques a mené depuis lors des activités de
recherche et de coopération diverses et variées.
Un ouvrage collectif sous la coordination du Professeur SPENER YAWAGA
portant sur la protection du consommateur au Cameroun : principes, enjeux et
perspectives a connu la participation d’une vingtaine d’auteurs. Trois principaux
axes constituent la structure de l’ouvrage. La présentation de l’état des principes
consuméristes, la situation de la législation consumériste et la mise en relief du
consumérisme appliqué. Cet ouvrage a été édicté par EDLK en 2018.
Deux colloques organisés par la Faculté ont fait l’objet des publications.
L’un a porté sur Crises humanitaires et responsabilités, Editions L’harmattan,
2018. La trentaine des contributions a porté entre autres sur « crises
humanitaires et protection des personnes vulnérables et des ressources »,
« crises humanitaires et terrorisme », « crises humanitaires et statut des
réfugiés », « la gestion des crises humanitaires par l’Etat et ses
démembrements », « crises humanitaires et répression », « crises humanitaires
et responsabilité internationales »...
L’autre colloque a porté sur le thème L’accès à la justice : évolutions
récentes, publié dans la Revue de la Faculté Intitulé UMA/LEX. Les contributeurs
à ce colloque se sont penchés plus particulièrement sur les évolutions récentes
de l’accès à ce droit fondamental relatif à la prérogative de faire valoir ses
prétentions devant un juge régulièrement constitué. Les thèmes ont porté entre
autres sur « l’accès à la justice civile et le numérique au Cameroun », « Réflexions
sur l’accès en justice des entités sans personnalité morale en procédure civile au
Cameroun », « Quel avenir pour la justice des mineurs au Cameroun », « le droit
d’être traduit dans le plus court délai devant le juge pénal en droit Cameroun »,
« l’évolution du droit à réparation des victimes d’infractions », « la jurisprudence
comme voie d’accès à la justice », « oralité : une garantie de l’accès au juge

25
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

civil », « l’accès à la justice commerciale dans l’espace OHADA », « l’accès des


consommateurs camerounais à la justice, analyses et perspectives des voies de
recours à la disposition du consommateur »…
Du point de vue individuel, plusieurs enseignants de la Faculté de 2019 à
2021, chacun en ce qui le concerne, ont publié des articles scientifiques dans
des revues spécialisées, à l’interne et à l’international. C’est le cas notamment du
Professeur SPENER YAWAGA, Professeur Titulaire des Universités qui a publié
dans LE NEMRO la revue Trimestrielle de Droit Economique Dossier
spécial «Covid-19 et droit » Partie1 Avril-Juin, un article intitulé : les principes
directeurs du droit pénal moderne à l’épreuve de la crise : appréciation au
regard des mesures de lutte contre la covid-19 ; du Professeur KOM KAMSU
Maurice Maître de Conférences en droit privé qui a publié aussi dans la revue
Trimestrielle de Droit Economique Dossier spécial «Covid-19 et droit » Partie1
Avril-Juin 2020, un article sur l’impact du covid-19 sur les conditions
d’exécution du contrat de travail au Cameroun ; du Professeur NYABEYEU
TCHOUKEU Maître de Conférences en droit de public qui a publié dans
L’Harmattan, Cameroun un ouvrage collectif intitulé la sécurité approche
juridique, et un article intitulé : Covid-19 et dispositions économiques des traités
de la communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale dans LE
NEMRO la revue Trimestrielle de Droit Economique Dossier spécial «Covid-19 et
droit » Partie 2 Juillet- septembre 2020 ; du Docteur ABDOUL NASSER, Chargé
de Cours de Droit public, qui a publié dans la Revue de Droit et de Science
Politique un article intitulé : Le Cameroun et le droit international de
l’environnement, Juridis Périodique n°121, 2020 ; du Docteur AKAMA PENDA
Samuel Chargé de Cours qui a publié dans LE NEMRO la revue Trimestrielle de
Droit Economique Dossier spécial «Covid-19 et droit » Partie 2 Juillet-
septembre 2020 un article intitulé : Covid-19 and traditional pharmacopoeia :
an analysis of the probability of traditional medical innovations under the
conventional patent system ; du Docteur LEMO Léonard, Chargé de Cours en
droit privé et sciences criminelles qui a publié dans la Revue de Droit International

26
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

et de Droit Comparé un article intitulé : la pénalisation de l’inexécution des


obligations contractuelles- contribution au débat à propos de la filouterie de
loyer en droit camerounais RDIDC N°2020 ; du Docteur NGUEZBAI TEFELAI,
Assistant au département de droit public qui a publié dans RADSP spécial 2020
Vol VIII 2ème semestre, du Professeur KOM KAMSU Maurice qui a publié un
article intitulé « La réactivité dans le droit de la consommation » in La
dépendance économique, regards croisés entre le droit sénégalais et
français, Actes de colloque Dakar 05 et 06 décembre 2019 sous la codirection
des Professeurs Laurent GAMET et Patrice Samuel Aristide BADJI, les Presses
Universitaires de Dakar 2021 ; du Docteur NENEO KALDAYA, Chargé de Cours
au Département de droit public interne qui a publié un article intitulé « Joseph
OWONA et le boulevard du droit, une approche conceptuelle portée vers la
pluridisciplinarité », in L’exception en droit, Mélanges en l’honneur de Joseph
OWONA, l’Harmattan, 2021 ; du Docteur POMTE-LE Théodore, Assistant au
Département de droit public international qui a publié un article intitulé « Le
sécessionnisme camerounais devant la commission africaine des droit de
l’Homme in Solon, Hors-série, mars 2021, pp. 133-169 ; des Docteurs
TCHETCHOUA TCHOKONTE Severin et NOAH NOAH Fabrice qui ont publié un
ouvrage collectif intitulé, Géostratégie de la démocratie et gouvernance des
industries extractives en Afrique subsaharienne, Paris, Harmattan, 2021. Par
ailleurs en mars 2021, le Dr HOULI FENDJONGUE, Chargé de cours à la Faculté
des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université de Maroua a présenté ses
travaux d’Habilitation à Diriger des Recherches sur le thème « Construction
éthno-régionale d’émancipation politique : l’exemple des kirdi du nord
Cameroun au détour du procès démocratique ».
Une liste des thèmes de thèses de Doctorat et mémoires soutenus à la FSJP
vous sera envoyée prochainement.
Pour ce qui est de la coopération, la FSJP coopère avec l’Agence
Universitaire de la Francophonie, avec ALDEPA, une Organisation Non
Gouvernementale spécialisée dans la défense des droits fondamentaux, avec

27
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

UNHCR une conférence a été organisée par l’Organisation des Nations Unies
pour les Réfugiés (UNHCR) au sein de ladite Faculté le sur la lutte contre les
risques d’apatridie au Cameroun.

28
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

POINT SUR LA RECHERCHE

FACULTE DES SCIENCES JURIDIQUES

ET POLITIQUES

UNIVERSITE DE NGAOUNDERE –

CAMEROUN

Professeur FOKO Athanase6 - Professeur Titulaire - Membre fondateur en 2008 et

premier Rédacteur en Chef des « Cahiers Juridiques et Politiques » Revue de la

Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université de Ngaoundéré

____________________

6
athanasefoko@yahoo.fr

29
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

La Faculté des Sciences Juridiques et Politiques fait partie des


Etablissements créés au sein de l’Université de Ngaoundéré par décret n°93/028
du 19 janvier 1993 portant organisation Administrative et Académique de cette
Institution.
Dans cet Etablissement, quatre Laboratoires de recherche sont
fonctionnels : le Laboratoire d’analyse des mutations urbaines et des politiques
de la ville (LAMUPOVILLE), le Laboratoire de théorie du droit et droit comparé
(LATHECOM), le Laboratoire justice et affaires (LAJAF) et le Laboratoire
d’analyse de la décentralisation et la gouvernance locale (LADEGLO).

De manière générale, les activités de recherche des enseignants de cette


Faculté se déclinent en deux axes : la publication de divers travaux scientifiques
et l’encadrement des travaux d’étudiants.

PAR RAPPORT A LA PUBLICATION DES TRAVAUX SCIENTIFIQUES, les


enseignants de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université
de Ngaoundéré sont auteurs d’une production doctrinale à la fois riche et variée.
Les thèmes abordés portent sur l’ensemble des domaines du Droit et de la
Science politique : Droit civil, Droit des Affaires, Droit pénal, Droit
communautaire, Droit processuel, Common Law, Droit public interne, Droit public
international, Politique comparée et Etudes internationales, notamment.
Diverses formules sont utilisées : les ouvrages, les articles, les chroniques et
notes de jurisprudence. Les maisons d’édition et les supports de publication
sollicités ont une notoriété nationale et/ou internationale incontestable.

En guise d’exemples, l’on peut citer :

ATEMENGUE (J. de Noël ), « La nature juridique de l’eau, patrimoine commun


de la
nation au Cameroun », Cahiers Juridiques et Politiques, 2008, pp.100-120 ;

30
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

BILOUNGA (Th. S.), « L’Etat camerounais à la croisée des chemins de l’Etat de


droit et de
l’Etat de police (A propos de la loi du 23 décembre 2014 portant répression des
actes de terrorisme) », Cahiers Juridiques et Politiques, 2015, pp.8-31 ;
FOKO (A.),
-Le statut du commerçant dans l'espace OHADA, ouvrage co-publié avec le
Professeur
Paul-Gérard Pougoué, 2006, éd. PUA, 263 p.;

- « La négociation collective en droit du travail : contribution à l'analyse


prospective des normes applicables à la veille de l'adoption d’un nouvel Acte
uniforme OHADA », Revue de la recherche juridique, Droit prospectif, 2007-2,
pp. 1029-1053 ;

-« Observations sous CCJA, Arrêt n°004/2006, 9 mars 2006, Aka Bédima c/


Société ivoirienne de promotion de supermarchés, dite PROSUMA », Les grandes
décisions de la Cour commune de justice et d’arbitrage de l’OHADA (sous la
direction de P.G. Pougoué et S.S. Kuaté Tameghé), L’harmattan, 2010, pp.49-
60 ;

-« Bail commercial (bail à usage professionnel) », Encyclopédie du Droit OHADA


(sous la direction de P.-G. Pougoué), éd. Lamy, 2011, pp. 400-438 ;

-« Observations sous Cour suprême, Arrêt n°14/S du 18 novembre 1999, affaire


Tanwani Gabriel c/ Camnafaw », Les grandes décisions du droit du travail et de
la sécurité sociale (sous la direction de J.-M. Tchakoua), Jusprint, 2016, pp. 683-
699.

31
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

FOMETEU (J.), La langue et le Droit (Sous la direction de), éd. L’harmattan, 2017,
670 p. (Ouvrage codirigé avec Philippe Briand et Metangmo Tatou (L.) ;

KAMGOUI KUITCHE (V.), « Réflexion sur les stratégies d’accès aux soins de
santé au
Cameroun », Cahiers Juridiques et Politiques, 2009, pp.133-163 ;

NGNINTEDEM (J.C.), « La réglementation des transports en zone CEMAC : un


modèle d’intégration sous-régionale », Cahiers Juridiques et Politiques, 2008,
pp.40-59 ;

NKOU MVONDO (P), « Le choix du cadre du procès relatif à la commission d’une


infraction pénale », Cahiers Juridiques et Politiques, 2009, pp.61-89 ;

NNA (M.), « La liberté de communication sociale face à l’impératif de l’ordre


public et
politique au Cameroun », Cahiers Juridiques et Politiques, 2015, pp.325-325 ;

ONANA (J.), Le désordre urbain : phénoménologie, gouvernance, perspectives


(Sous la
direction de), éd. L’Harmattan, 2020.

A PROPOS DE L’ENCADREMENT DES TRAVAUX D’ETUDIANTS PAR LES


ENSEIGNANTS, cette activité a actuellement pour principaux ancrages, les
Mémoires de Master et les Thèses de Doctorat/PhD. Avant l’ouverture des
Cycles de Master et Doctorat dans cet Etablissement à la faveur de l’introduction
du système LMD intégral en 2010, les travaux de recherche encadrés des
étudiants n’étaient constitués respectivement que des Mémoires de Maîtrise et
de Diplôme d’Etudes Approfondies (DEA).

32
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Grâce à un encadrement assidu assuré par un corps enseignant


particulièrement dévoué, de nombreux candidats soutiennent régulièrement
d’excellents travaux à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de
l’Université de Ngaoundéré. La pertinence des sujets traités est avérée tel qu’on
peut le relever à titre illustratif :

*Pour les Mémoires,

TCHINAHVA (J), La protection des personnes détenues au regard du régime


pénitentiaire camerounais (2020) ;
SIEWE DEUMENI (L.Y.), La rupture du contrat de travail du fait de l’employeur en
droit du travail camerounais (2019) ;
BINYET LIZBETH (F.R.), Les mécanismes de protection des consommateurs en
zone OHADA (2016) ;
NGNIE PAHOUA (C.), Le statut juridique de président dans les sociétés par
actions OHADA (2014) ;
BEKONO NKOA (W.), Les contrats en cours dans les procédures collectives
d’apurement du passif OHADA (2010) ;

KOUCHOU KOUCHOU (M.), La modification de la situation juridique de


l’employeur et le salarié (2007) ;

AZIBER SEID ALGADI, Les voies de recours en droit judiciaire privé tchado-
camerounais : le domaine civil et commercial (2000) ;

NGUEMKAM TCHUENTE (N.), La mutabilité du régime matrimonial en droit


camerounais (2000) ;
ONDOUA (H.), Le litiges fonciers en droit camerounais : les données
jurisprudentielles (1998) ;

33
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

*Pour les Thèses de Doctorat/PhD,

NGUEMADJITA NGARTOIYOUM, L’individu et le droit pénal international,


Université de Ngaoundéré (2021) ;

HADIJA SALI, Le parlement et l’état de droit au Cameroun, Université de


Ngaoundéré (2020) ;

CEPPA (J.B.), Le rôle des banques dans le marché financier de la CEMAC,


Université de Ngaoundéré (2020) ;

MEVA’A (G.M.), La continuation de l’activité de l’entreprise à l’aune de l’Acte


uniforme OHADA révisé portant procédures collectives d’apurement du passif,
Université de Ngaoundéré (2020) ;

OBA’A AKONO (R.), La contractualisation du droit OHADA du traitement de la


défaillance des entreprises, Université de Ngaoundéré (2020) ;

NZOH SANGONG (J.), La publicité en ligne : contribution à la définition de la


nature juridique de la publicité sur internet, Université de Ngaoundéré (2019) ;

TAOYANG WARAI (M.), Woman and political leadership positions in the north
region of Cameroon : resistance and perspective, Université de Ngaoundéré
(2019) ;

WEYE ADAMOU, Droit et pratiques politiques dans la formation du corps


politique en Afrique Subsaharienne, l’expérience du Tchad, Université de
Ngaoundéré (2018) ;

34
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

MAYOUGOUNG BUGUE (A.), Moyens électroniques et droit des contrats,


Université de Ngaoundéré (2017) ;

PETSOKO (M.), L’intérêt de l’enfant : étude critique du traitement des problèmes


de l’enfance en droit civil camerounais, Université de Ngaoundéré (2015) ;

WOUDWE BAKREO, L’exigence de la transparence des sociétés commerciales


dans l’espace OHADA, Université de Ngaoundéré (2013).

En somme, l’activité de recherche est suffisamment intense et fructueuse


à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université de Ngaoundéré.
Cet Etablissement est en partenariat dans le cadre d’une Convention avec les
Universités de Nantes et Rennes 1 en France. Mais elle est ouverte à d’autres
Accords susceptibles de lui permettre d’accroître son rayonnement et son
dynamisme au plan de la Recherche.

35
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

L’aménagement constitutionnel des

chambres du Parlement

dans la loi constitutionnelle

camerounaise du 18 janvier 1996

Bertrand EDOUA BILONGO - Maitre-assistant- Université de Yaoundé II

____________________

36
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Résumé

A la faveur du mouvement contemporain de bicaméralisation des


parlements, la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 marque incontestablement
un tournant décisif dans l’histoire du pouvoir législatif du Cameroun
indépendant. L’on assiste pour la première fois à la bicaméralisation du
Parlement. Désormais, celui-ci comprend deux chambres à savoir : l’Assemblée
nationale et le Sénat. Cependant, derrière cette révolution institutionnelle se
cache une préoccupation majeure : la nature des rapports entre les deux
chambres de ce parlement bicaméral. S’est-il agi pour le constituant de
consacrer un bicamérisme égalitaire ou inégalitaire ? Telle est la question qui
s’impose à la lecture de ladite loi constitutionnelle ! Or, à l’analyse, le constituant
semble procéder à un mélange de genre qui, manifestement, prête à confusion.
D’un côté, on a l’impression qu’il s’agit d’un bicamérisme égalitaire et de l’autre,
tout porte à croire que l’on est en présence d’un bicamérisme plutôt inégalitaire
au profit de l’Assemblée nationale. Assurément, il s’agit d’une option
constitutionnelle choisie et assumée par notre constituant !

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

L’organisation bicamérale d’un parlement est-elle un effet de mode ou


procède-t-elle d’une volonté d’établissement de deux chambres à l’importance
établie7 ? La question mérite d’être posée en ce qui concerne l’aménagement
constitutionnel des chambres du parlement dans les Etats africains en général8
et au Cameroun en particulier9.

Dans la dynamique constitutionnelle camerounaise, jamais une loi


constitutionnelle n’a été aussi célébrée comme celle du 18 janvier 1996 qui
consacre la formule selon laquelle le Parlement est composé de deux chambres
à savoir l’Assemblée nationale et le Sénat. A peine promulguée, celle-ci
soulevait déjà la question de sa nature10. Pour certains auteurs, elle établit une
nouvelle Constitution11 tandis que pour d’autres, elle n’est qu’une loi
constitutionnelle portant révision de la Constitution, notamment celle du 2 juin
1972 et est par conséquent, non créatrice d’une nouvelle Constitution12. Au-delà

7
BERARD Alexandre, Les deux chambres : Leur histoire-leur théorie, de l’organisation du Sénat,
du pouvoir exécutif et du régime parlementaire, DIZAIN, Libraire-Éditeur, Paris, 1885, 230p.
8
ENDONG Manassé, « Le bicamérisme en Afrique : visions post-conflit et perspectives
démocratiques », in www.infothèque.info consulté le 29 décembre 2020. DOUNIAN Aimé, « Le
bicamérisme dans les Etats d’Afrique noire francophone », RADSP, Vol. V, N° 09, jan.-juin 2017,
pp. 61-87.
9
NDZINA NOAH Jean Marie Noël, Le bicamérisme en droit constitutionnel camerounais, Thèse
de Doctorat Ph/D en droit public, Université de Yaoundé II, 2018, 620p.
10
Lire KAMTO Maurice, « Révision constitutionnelle ou écriture d’une nouvelle Constitution », Lex
Lata, N°s 023 -024, Février – Mars 1996, pp. 17-20.
11
Lire SINDJOUN Luc, « L’imagination constitutionnelle de la nation ». In Stanislas Melone/ Adolph
Minkoa She/ Luc Sindjoun (dir.), La réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 au Cameroun,
aspects juridiques et politiques, Fondation Friedrich Ebert / Association Africaine de Science
politique (section camerounaise de (G.R.A.P.), Yaoundé, p. 80, DONFACK SOKENG (L), « Les
ambiguïtés de la révision constitutionnelle du 18 janvier 1996 au Cameroun », in Stanislas
MELONE/Adolphe MINKOA SHE/Luc SINDJOUN (dir.), op.cit., pp. 34-52, MBOME (F.X),
« Constitution du 2 juin 1972 révisée ou nouvelle Constitution ? », In Stanislas MELONE/Adolphe
MINKOA SHE/Luc SINDJOUN (dir.), op.cit., pp. 16-33 (plus particulièrement les pages 31 et 33),
MOUANGUE KOBILA (J), « Peut-on parler d’un reflux de constitutionnalisme au Cameroun ? »,
Recht in Afrika, 2010, p. 50, MBOME François Xavier et LOGMO MBELEK Aaron, « Droit et politique
au Cameroun depuis 1982 », Juridis Périodique, N°67, Juillet-Août-Septembre 2006, p. 57 et s.
12
Lire dans ce sens, ONDOA Magloire, « La Constitution duale : recherche sur les dispositions
constitutionnelles transitoires au Cameroun », op.cit., p. 24 et s, OLINGA Alain Didier, La
Constitution de la République du Cameroun, 2e édition revue et corrigée, UCAC-PUCAC,

38
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

de cette controverse doctrinale sur la nature de ladite loi, une certaine unanimité
se dégage cependant sur son contenu, jugé novateur et consolidant de l’Etat de
droit et de la démocratie13. Pour s’en convaincre, il suffit de se référer à
l’ensemble du dispositif constitutionnel aménageant l’institution parlementaire.

En effet, faut-il le relever, avec la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996


que l’expression « parlement » est explicitement incorporée dans l’ordre
constitutionnel camerounais14. Au pied de la lettre, la Constitution camerounaise
consacre ainsi un Parlement composée de deux chambres, notamment
l’Assemblée nationale et le Sénat15. Loin d’être sans importance, la structuration
organique du pouvoir législatif tel qu’issu de la révision constitutionnelle du 18
janvier 1996 apparaît comme une révolution dans l’histoire constitutionnelle du
Cameroun indépendant16. A tout le moins, c’est la première fois que le Cameroun
se dote d’un Parlement composé de deux chambres selon les modèles
britannique, américain et français pour ne prendre que le cas de ces grandes
démocraties contemporaines17.

Yaoundé, 2013, p. 18, NGUELE ABADA Marcelin, « Ruptures et continuités constitutionnelles en


République du Cameroun : Réflexion à propos de la réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 »,
R.J.P.I.C., n° 3, p. 72.
13
On lira distinctement, NGUELE ABADA Marcelin, « La réforme constitutionnelle du 18 janvier
1996 en République du Cameroun », DROITS AFRICAINS, N°s 15/16, 1995-1996, p. 79, ONDOA
Magloire, in « Loi n° 96-06 du 18 janvier 1996 portant révision de la constitution du 02 juin 1972.
Commentaires », Juridis Périodique, n° 25, janvier-février-mars 1996, p. 12 et s, MONEMBOU
Cyrille, « Vers la fin de la transcendance du pouvoir présidentiel au Cameroun : Réflexion sur
l’approfondissement de l’Etat de droit », R.A.S.J., N°10-2013, p. 263 et s.
14
En effet, l’ordre constitutionnel antérieur à celui issu de la révision constitutionnelle du 18 janvier
1996 ne contenait pas l’expression « Parlement ». C’est à l’alinéa 1, article 14 du texte de ladite
révision qu’est consacrée la formule selon laquelle le pouvoir législatif est exercé par le Parlement
qui comprend deux chambres : L’Assemblée nationale et le Sénat. Sur l’évolution du pouvoir
législatif au Cameroun depuis l’Indépendance, lire EKO’O AKOUAFANE Jean-Claude, Le Sénat au
Cameroun et en Afrique, L’Harmattan, 2011, p. 17 et s.
15
TATIDOUNG KUETE Aimé, L’Assemblée nationale et le Sénat en droit camerounais, Mémoire
de Master en droit public, Université de Yaoundé II, 2014, 90p.
16
MBOME François Xavier, « Les rapports entre l’Exécutif et le Parlement », Lex Lata, N°s 023 -
024, Février – Mars 1996, p. 25.
17
On lira avec intérêt LAUVAUX Philippe, Les grandes démocraties contemporaines, 3e édition
refondue, P.U.F., Paris, 2004, p. 259 et s.

39
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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En clair, la révision constitutionnelle du 18 janvier 1996 sonne le glas du


monocamérisme au Cameroun, rompant ainsi avec une longue tradition
constitutionnelle caractérisée par la permanence d’un « Parlement »
monocaméral18. Toutefois, force est de noter que cette innovation institutionnelle
ne procède pas d’une volonté assumée de bicaméraliser le Parlement19. Elle n’est
pas à proprement parler, la résultante d’une volonté clairement affirmée de doter
l’Etat du Cameroun d’un Parlement composé de deux chambres20. Tenaillés entre
les pressions d’origine interne et d’origine internationale, les pouvoirs publics se
sont trouvés dans l’obligation d’initier un vaste mouvement de réformes et
d’ajustements institutionnels à la fin de l’année 199021, ceci, à la suite du Discours
novateur de la Baule, prononcé par l’ancien chef d’Etat français François
Mitterrand22.

Ce Discours est d’une importance remarquable dans la traversée des Etats


africains francophones vers un horizon démocratique, plus soucieux des
impératifs de l’Etat de droit et de l’épanouissement des populations23. L’impact
de celui-ci est connu au Cameroun car, à sa suite, vont tomber les assises

18
Lire OLINGA Alain Didier, La Constitution de la République du Cameroun, 2e édition revue et
corrigée, UCAC-PUCAC, Yaoundé, 2013, p. 79, EKO’O AKOUAFANE Jean-Claude, op.cit, p. 18 et
s.
19
Lire ONDOA Magloire, « Ajustement structurel et réforme du fondement théorique des droits
africains post-coloniaux : l’exemple camerounais », R.A.S.J., Vol. 2, N°1, 2001, p. 108 et s, ONDOA
Magloire, « Le droit public des Etats africains sous ajustement structurel : le cas du Cameroun »,
in Mondialisation, exclusion et développement africain : Stratégies des acteurs publics et privés,
Mélanges en l’honneur de Georges Walter NGANGO, Tome 2, Afredit, 2006, p. 404.
20
Cf., KAMTO Maurice, « Quelques réflexions sur la transition vers le pluralisme politique au
Cameroun », in Gérard CONAC (dir.), L’Afrique en transition vers le pluralisme politique,
Economica, Paris, 1993, p. 214 et s.
21
Pour aboutir à ce que le Doyen Magloire ONDOA qualifie de « dé-présidentialisation du régime
politique camerounais ». Sur la question, lire ONDOA (M), « La dé-présidentialisation du régime
politique camerounais », SOLON, Volume II – N°11 – 2003, pp. 1-40.
22
Il s’agit plus précisément du Discours de la Baule du 20 juin 1990 à l’occasion du Sommet
France-Afrique tenu à la Baule.
23
Le Président français François MITTERRAND affirmera que « La France liera tout son effort de
contribution aux efforts qui seront accomplis pour aller vers plus de liberté (…) ». Ainsi, ce
Discours sera considéré par la doctrine comme « une prime à la démocratie » ou encore comme
« une conditionnalité à l’aide, impliquant des exigences démocratiques, garantissant les valeurs
individuelles et les libertés collectives ».

40
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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autoritaires d’un Pouvoir en perte de vitesse et de légitimité : c’est la fin de


l’institutionnalisation de la légalité d’exception24. Au passage, un jour nouveau
se lève sur le ciel des droits de l’Homme et des libertés publiques au Cameroun :
c’est manifestement le retour au multipartisme25.

Au plan constitutionnel, une révision de la Constitution interviendra le 23


janvier 199126, celle-ci augurant alors l’avènement d’une autre, de grande
envergure, imposée par les bailleurs de fonds internationaux et souhaitée de
tout cœur par les populations camerounaises : la révision constitutionnelle du
18 janvier 199627. Bicaméral est ainsi devenu le Parlement camerounais qui,
désormais, s’enrichit d’une nouvelle chambre, notamment le Sénat, à l’image des
grandes démocraties28. Sur ce point, le constituant camerounais s’est illustré
par une longueur d’avance, comparativement à d’autres constituants africains
qui n’institueront le Sénat que quelques années après, dans leurs ordres
constitutionnels29. Mais, au-delà de cette bicaméralisation tous azimuts du
Parlement camerounais, une question demeure lancinante, notamment celle de
son opportunité dans un pays en proie au sous-développement et en quête de
croissance économique, voire de l’émergence. Sous ce rapport, plusieurs voix
se sont fait entendre avec pour crédo, l’inutilité du Sénat et donc, l’impérativité

24
KAMTO Maurice, « Dynamique constitutionnelle du Cameroun indépendant », Rev. Jur. Afr,
1995/1, 2 et 3, p. 29.
25
MOUKOKO MBONDJO Pierre, « Le retour au multipartisme au Cameroun », », in Gérard CONAC
(dir.), L’Afrique en transition vers le pluralisme politique, ECONOMICA, Paris, 1993, pp. 237-250.
26
Sur cette révision constitutionnelle, lire MBOME François Xavier, « Les expériences de révision
constitutionnelle au Cameroun », PENANT, N°808-1992, p. 35 et s, OLINGA Alain Didier,
« Cameroun : Vers un présidentialisme démocratique. Réflexions sur la révision constitutionnelle
du 23 avril 1991 », R.J.P.I.C., N°4, octobre –décembre 1992, pp. 419-429.
27
Elle constitue l’aboutissement d’un processus de mutation politique enclenché depuis l’année
1990. Lire à cet effet, MONEMBOU Cyrille, La séparation des pouvoirs dans le constitutionnalisme
camerounais : contribution à l’étude de l’évolution constitutionnelle, Thèse de Doctorat Ph.D en
droit public, Université de Yaoundé II, 2011, p. 251.
28
EKO’O AKOUAFANE Jean-Claude, op.cit, pp. 23-25.
29
En comparaison par exemple avec un Etat africain comme le Sénégal où le Sénat va apparaître
en 1998. Sur les secondes chambres du Parlement dans les Etats d’Afrique à vocation
francophone, lire KUAKUVI Kodjo Ahlin Avitsinu, Les secondes chambres du Parlement dans les
Etats francophones : le cas du Burundi, de la France, du Gabon et du Sénégal, Thèse de Doctorat
en Droit Public, Universités de Gand et de Lomé, 2012, 370p.

41
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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de sa suppression30, tandis que d’autres défendent au contraire son opportunité


et partant, son maintien31. Sans être banal, cet état de chose soulève à n’en
point douter un volet important de la théorie constitutionnelle, notamment, les
types de bicamérisme.

Cela dit, en théorie constitutionnelle, l’on distingue diverses formes de


bicamérisme si tant est que celui-ci désigne « un système institutionnel dans
lequel deux assemblées désignées distinctement exercent les fonctions
parlementaires dans les conditions déterminées par la Constitution32».
Cependant, il convient de préciser que la différenciation des types de
bicamérisme s’appuie sur des critères divers. Concrètement, il peut s’agir des
critères fonctionnel, sociologique, économique ou politique. Quoiqu’il en soit,
l’on distingue le bicamérisme aristocratique33, le bicamérisme modérateur34, le

30
Certains députés affirmaient l’inutilité du bicamérisme sous l’opération constituante ayant
engendré le texte constitutionnel du 18 janvier 1996. Pour ceux-ci, le Sénat ne pouvait tout au
plus que compliquer le travail parlementaire. Par ailleurs, ils estimaient que l’institutionnalisation
du Sénat allait avoir un impact négatif sur le budget d’un Etat en proie aux difficultés
économiques. Cf, EKO’O AKOUAFANE Jean-Claude, op.cit, p. 38. Pour le professeur Marcelin
NGUELE ABADA, l’avènement du Sénat est une bonne chose car elle participe de la
« redistribution des pouvoirs ». Cf., NGUELE ABADA Marcelin, « Ruptures et continuités
constitutionnelles en République du Cameroun : réflexion à propos de la réforme constitutionnelle
du 18 janvier 1996 », R.A.D.I.C., N°10, 1998, pp. 808-826.
31
Selon une bonne frange de députés et autres personnalités politiques, l’avènement du Sénat
ne pouvait être qu’une bonne chose. A leurs yeux, le Sénat apparaît alors comme une chambre
modératrice nécessaire dans une démocratie naissante. En plus, le Sénat présente l’avantage de
corriger les défauts de la représentation imputables au mode d’élection des députés. Cf, EKO’O
AKOUAFANE Jean-Claude, op.cit, p. 38. Lire également KANKEU Joseph, « Les missions du
Parlement, regard sur une illusion », Juridis-Périodique, n°73, pp. 42-52.
32
DUHAMEL Olivier et MENY Yves, Dictionnaire constitutionnel, P.U.F., Paris, 1992, p. 74.
33
Type de bicamérisme en voie de disparition, il se conçoit comme un « instrument de résistance
au pouvoir démocratique exprimé par le suffrage universel (…), un moyen de conserver une part
du pouvoir à travers une chambre haute héréditaire, nommée ou censitaire, ayant droit de véto ».
Il convient de souligner que c’est en Grande Bretagne qu’est né et s’est construit ce type de
bicamérisme. Sur la question, lire DUHAMEL Olivier et MENY Yves, op.cit, p. 77, SOUSSE (M),
« Le bicamérisme : bilan et perspectives », R.D.P., 1997, p. 1326.
34
Considéré comme le second âge du bicamérisme, le bicamérisme modérateur a « vocation à
modérer politiquement le pouvoir ». C’est en effet un bicamérisme adapté à la démocratie
libérale. Doté d’une certaine ambiguïté, il apparaît d’une part comme « une technique
institutionnelle de limitation du pouvoir en général, qui vise à éviter tout excès, toute
hégémonie ». D’autre part, le bicamérisme modérateur apparaît comme une technique

42
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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bicamérisme des chambres fédérateurs35 et le bicamérisme à base de


représentation économique et social36. Au-delà de ces types de bicamérisme,
la doctrine a souvent l’habitude d’apprécier les fonctions dévolues à l’une et
l’autre chambre du Parlement afin de rechercher si oui ou non les deux
chambres sont égales ou inégales. En rapport avec cet aspect, Joseph
Barthélémy et Paul Duez estiment que de manière principielle, le bicamérisme
doit manifestement impliquer l’idée d’égalité des deux chambres du Parlement37.
Dès lors, il ne sert à rien d’instaurer un bicamérisme qui contient les germes
d’inégalité entre les deux chambres du Parlement, compte tenu du fait que la
dualité des chambres38 doit s’accompagner d’une distribution égalitaire des
rôles aux chambres d’un Parlement qui demeure unitaire. Or, faut-il le souligner,
la problématique du rapport d’égalité ou d’inégalité des deux chambres du
Parlement est tributaire de la philosophie politique retenue par chaque
constituant lorsqu’il s’agit de mettre en place un système bicaméral. En France,
l’on se souvient que la pratique du bicamérisme se caractérise par une absence
de cohérence, comparativement à la pratique du bicamérisme aux Etats-Unis.

institutionnelle qui, « du fait des règles de formation de la seconde chambre (…), donne la
prépondérance aux notables et à la société rurale ». Pratiqué en France, cette forme de
bicamérisme confine la seconde chambre du Parlement à un rôle de contrepoids face à la
chambre basse. Sur la question, lire DUHAMEL Olivier et MENY Yves, op.cit, p. 77, SOUSSE
Marcel, « Le bicamérisme : bilan et perspectives », R.D.P., 1997, p. 1326.
35
Engendré par le modèle américain de 1787, ce type de bicamérisme réalise « un compromis
entre le pouvoir démocratique des citoyens, égaux dans le suffrage, et la souveraineté originelle
des Etats fédérés, égaux entre eux quel que soit leur population ». Affectionné par les Etats
fédéraux, ce bicamérisme se caractérise par le fait qu’une assemblée est formée sur une base
démographique et l’autre donne aux Etats fédérés une représentation fondée sur une stricte
égalité ou sur une importante péréquation. Sur la question, lire DUHAMEL Olivier et MENY Yves,
op.cit, p. 78, SOUSSE Marcel, « Le bicamérisme : bilan et perspectives », R.D.P., 1997, p. 1326.
36
Resté jusque-là marginal, ce type de bicamérisme pratiqué jadis dans quelques Etats, « tend à
donner une double représentation à l’électeur : d’une part, en tant que citoyen, selon le schéma
du système représentatif classique ; d’autre part en tant que travailleur, membre d’un groupe
socio-économique, professionnel ou syndical ». Sur la question, lire DUHAMEL Olivier et MENY
Yves, op.cit, p. 78.
37
BARTHELEMY Joseph et DUEZ Paul, Traité de droit constitutionnel (Edition de 1933),
Economica, Paris, 1985, p. 465.
38
L’expression est empruntée au Doyen Maurice HAURIOU. Lire HAURIOU Maurice, Précis de
Droit Constitutionnel, Librairie du Recueil Sirey, 1929, p. 475.

43
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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En France, le bicamérisme s’est révélé tantôt égalitaire, tantôt inégalitaire39 ; Or,


aux Etats-Unis, le bicamérisme demeure marqué du sceau de l’égalité des deux
chambres du Congrès40.

En analysant le régime constitutionnel régissant les deux chambres du


Parlement camerounais, un auteur aboutit à l’idée selon laquelle l’Assemblée
nationale et le Sénat sont certes deux chambres distinctes, mais demeurent
dans un lien de collaboration41. Comme on peut le constater tout au long des
développements dudit auteur, il évite d’aborder la question du bicamérisme
sous l’angle de l’égalité ou de l’inégalité notamment entre les deux chambres du
Parlement42. Dans une étude saisissante, le Doyen Magloire ONDOA décline
d’une certaine manière, la nature du bicamérisme camerounais telle qu’issu de
la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996. En ressassant les différentes formes
de bicamérisme, l’éminent auteur conclut que « le bicamérisme camerounais se
situe en conséquence entre le modèle aristocratique et le modèle modérateur.
Au premier, il emprunte l’une de ses vocations essentielles : contenir la
démocratie montante : elle se manifeste à travers le procédé de la nomination,
choisi pour la désignation de certains sénateurs. Du second, plus adapté à la
démocratie libérale, il tient son rôle de modérateur du pouvoir afin d’éviter les
excès de la démocratie43 ». S’il est vrai que cette position du doyen Magloire
ONDOA ne souffre d’aucune contestation, force est quand même de relever que
la question du rapport d’égalité ou d’inégalité n’a pas suffisamment été mise en
avant.

39
Sur la pratique du bicamérisme en France, lire PARDINI Gérard, Grands principes
constitutionnels. Institutions politiques françaises, L’Harmattan, 2009, p. 60 et s.
40
Lire JEANNEAU Benoît, droit constitutionnel et institutions politiques, septième édition,
Mémentos Dalloz, 1987, p. 325.
41
TATIDOUNG KUETE Aimé, op. cit, p. 22 et s.
42
D’ailleurs, la problématique autour de laquelle s’articule sa réflexion porte sur le point de savoir
si le Sénat et l’Assemblée nationale sont des assemblés de nature distincte organiquement et
fonctionnellement. Cf, TATIDOUNG KUETE Aimé, op.cit, p. 18.
43
ONDOA Magloire, op.cit, p. 24.

44
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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Il revient au professeur Alain Didier Olinga d’avoir analysé le bicamérisme


camerounais sous l’angle de l’égalité ou de l’inégalité entre l’Assemblée
nationale et le Sénat. Pour cet auteur, « le bicamérisme camerounais est
fondamentalement inégalitaire au profit de l’Assemblée Nationale44 ». Toutefois,
ce constat n’est pas unanimement partagé par la doctrine camerounaise car
d’aucuns estiment que le Sénat n’est guère un nain à côté de l’Assemblée
nationale. C’est du moins ce qui se dégage de l’analyse de M. Jean Claude
EKO’O AKOUAFANE. Pour ce dernier, le Sénat se positionne comme une
institution remplissant une triple fonction à l’instar de l’Assemblée nationale45.
Bien plus, le Sénat se voit assigné une mission constitutionnelle, celle de
représentant des collectivités territoriales décentralisées46. Sous ce rapport, il
semble se dégager un lien d’égalité entre les deux chambres du Parlement au
Cameroun47. Seulement, la question est préoccupante au point où dans une de
ses publications de l’année 2014, le Quotidien national Cameroon Tribune s’est
penché sur un aspect constitutionnel important : « Sénat, Assemblée nationale :
qui vient avant qui ? 48». Face à toutes ces considérations, l’on se rend
effectivement compte de l’intérêt que suscite l’analyse constitutionnelle du
bicamérisme camerounais.

Dès lors, la présente étude se détermine par elle-même. Elle ambitionne


de relever la nature des rapports qui existent entre les deux chambres du
Parlement. En conséquence, la question centrale qui sous-tend la présente
réflexion est la suivante : comment l’Assemblée nationale et le Sénat sont-ils
positionnés dans la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 ? Concrètement, ces
deux chambres du Parlement sont-elles positionnées de manière égalitaire ou
inégalitaire ?

44
OLINGA Alain Didier, op.cit, p. 82.
45
EKO’O AKOUAFANE Jean-Claude, op.cit, p. 77 et s.
46
Idem, p. 93 et s.
47
C’est du moins l’idée que semble défendre M. Jean Claude EKO’O AKOUAFANE.
48
Cf., Cameroon tribune, N°10519/6718 – 40e Année, du Mercredi 29 janvier 2014.

45
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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Ainsi formulée, la présente problématique révèle le double intérêt juridique


et social de cette étude. Sur le plan juridique, elle permet d’une part de cerner
la nature du bicamérisme camerounais comparativement aux modèles
préexistants. Il s’agit d’autre part de mesurer le degré d’ingénierie
constitutionnelle du constituant camerounais dans son activité de fabrication de
la norme constitutionnelle.

Sur le plan social, l’étude a vocation à susciter un véritable débat sur


l’opportunité du bicamérisme dans un Etat qui a longtemps vécu sous l’empire
du monocamérisme et auquel les populations se sont habituées.

Le choix de l’étude est porté sur le Cameroun pour la raison qu’au sein de
l’opinion nationale, des voix s’élèvent de plus en plus à l’effet de dénoncer
l’existence du Sénat, considéré à tort ou à raison comme une institution
budgétivore et inutile du point de vue de son aménagement constitutionnel. Ce
sentiment est d’autant nourri par le fait que l’on assiste à la suppression pure et
simple du Sénat des démocraties réputées comme celle du Sénégal par
exemple.

Ceci étant, à la lumière de ladite loi constitutionnelle, il est loisible


d’affirmer que l’Assemblée nationale et le Sénat sont positionnés de manière
ambivalente. Ainsi, il convient de souligner que la présente hypothèse est
formulée à partir des données constitutionnelles qui concernent simultanément
les deux chambres du Parlement. En sont donc exclues celles qui concernent
individuellement les présidents des assemblées parlementaires à l’instar de la
vacance présidentielle assurée par le Président du Sénat, la possible
promulgation de la loi par le Président de l’Assemblée nationale49.

49
Ces deux données ne mettent pas en rapport les deux chambres étant entendu qu’elles ne se
situent pas à proprement parler dans le sillage du bicamérisme camerounais. Elles relèvent plutôt
d’une volonté d’individualisation des présidents des Assemblées parlementaires.

46
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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En effet, l’on retrouve au sein du même dispositif constitutionnel, une


logique ambivalente. D’un côté, l’égalité entre les deux chambres affichée (I) et,
de l’autre, ladite inégalité est entretenue (II).

I. Une égalité clairement formulée

En analysant le Pouvoir délibérant sous la IIIe République française, le


Doyen Maurice HAURIOU faisait observer que « le Parlement n’a pas pour unique
mission de faire les lois, il est aussi chargé de contrôler le pouvoir exécutif, et le
mécanisme du régime parlementaire prouve que sa fonction de contrôle est plus
importante encore, si possible, que sa fonction législative ; il a encore des
fonctions constitutionnelles sous forme d’Assemblée nationale et des fonctions
juridictionnelles sous forme de Haute-Cour de justice 50». Depuis lors, cette
caractérisation fonctionnelle du Parlement n’a plus changé en France, que ce
soit sous la IVe République51 et sous la Ve 52. En accédant à l’indépendance le 1er
janvier 1960, l’Etat du Cameroun va se doter d’une Constitution qui fait sienne
les différentes fonctions du Parlement esquissées par le Doyen Maurice
HAURIOU53. Cependant, l’avènement de l’Etat fédéral et plus tard, le retour à
l’Etat unitaire, vont substantiellement altérer la portée de la fonction contrôle du

50
HAURIOU Maurice, op.cit, p. 469.
51
Lire VEDEL Georges, Manuel élémentaire de droit constitutionnel, (Réédition présentée par
CARCASSONNE Guy et DUHAMEL Olivier) Dalloz, 2002, p. 376. Seulement, il convient de
souligner que sous la IVe République, la seconde chambre du Parlement notamment le Conseil de
la République, avait des pouvoirs largement réduits comparativement à ceux de la seconde
chambre du Parlement sous la IIIe République, notamment le Sénat. A cet effet, le Conseil de la
République était considéré comme une « Chambre de réflexion », un « organe consultatif ».
Cependant, le Parlement dans son unité continuait d’exercer ses multiples fonctions.
52
Lire DEBBASCH Charles et al, Droit constitutionnel et institutions politiques, Economica, 1986,
p. 669 et s.
Il se dégage à la lumière de leurs analyses, qu’à la différence de la IVe République, la seconde
chambre du Parlement sous la Ve, notamment le Sénat, va se voir reconnaître un rôle plus
important notamment en matière constitutionnelle et de lois organiques.
53
Cf, les articles 23, 27, 36 de ladite Constitution.

47
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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Parlement54. C’est avec la révision constitutionnelle du 23 avril 1991 que la


fonction contrôle retrouvera toute la substance qui est la sienne dans un régime
parlementaire55. Toutefois, faut-il le souligner, le Parlement camerounais
demeurait sous la forme monocamérale.

Avec l’avènement de la donne bicamérale en 1996, ces fonctions du


Parlement sont pratiquement restées les mêmes. Concrètement, les deux
chambres du Parlement sont ainsi appelées à exercer des fonctions quasi
identiques. C’est d’ailleurs ce que relève le professeur Alain Didier OLINGA dont
les propos se révèlent contradictoires56. A la lecture de l’article 14 alinéa 2 de la
Constitution, il est expressément affirmé que « le Parlement légifère et contrôle
l’action du Gouvernement ». Qui plus est, à l’article 53 (Nouveau), le constituant
consacre la règle selon laquelle « le Président de la République ne peut être mis
en accusation que par l’Assemblée Nationale et le Sénat (…) ». En outre, à l’article
51 alinéa 2 de la Constitution, le constituant attribue un pouvoir de nomination
des membres du Conseil constitutionnel aux Présidents des assemblées
parlementaires. A l’évidence, l’on se rend ainsi compte que les deux chambres

54
Sous l’Etat fédéral, la fonction contrôle du Parlement se voit amputer son volet essentiel, celui
relatif à la mise en cause de la responsabilité politique du Gouvernement. En clair, la Constitution
fédérale ne consacre que le contrôle-information en son article 30. Toutefois, convient-il de le
préciser, le contrôle avec mise en jeu de la responsabilité du Gouvernement était inscrit dans les
Constitutions des Etats fédérés. Avec l’avènement de l’Etat unitaire sous le référendum
constituant du 20 mai 1972, la donne ne va pas véritablement changer. Le parlement ne pouvant
exercer qu’un contrôle-information tel que consacré à l’article 28 de la mouture originelle de la
Constitution du 2 juin 1972.
55
ONDOA Magloire, « Une résurrection : le régime parlementaire camerounais », AFSJP.UD,
N°2/2002, p. 14.
56
OLINGA Alain Didier, op.cit, p. 80. La contradiction étant liée au fait que dans un premier temps,
ledit auteur souligne le caractère inégalitaire du bicamérisme camerounais et, dans un second, il
affirme l’idée d’égalité des deux chambres. Ainsi, note-il, « certes, le Sénat participe de manière
égalitaire au travail de législation et de contrôle du gouvernement, il examine les traités dont
l’objet relève du domaine de la loi avant leur promulgation par le Président de la République, ses
membres ont l’initiative des lois et l’initiative de la révision de la Constitution, le droit de saisine
du Conseil constitutionnel, le droit de participer sans voix délibérative aux travaux du Conseil
régional ». Ainsi, au lieu d’un bicamérisme « fondamentalement inégalitaire » (au profit de
l’Assemblée nationale), lesdits propos du professeur Alain Didier OLINGA inclinent à penser que
le bicamérisme camerounais est « légèrement inégalitaire » et non, « fondamentalement
inégalitaire ».

48
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du Parlement sont communément habilitées à exercer tantôt les fonctions dites


législative et de contrôle (A), tantôt celles dites juridictionnelle et de désignation
(B).

A. L’habilitation à exercer les fonctions législatives et contrôle de l’action

gouvernementale

En règle générale, le style est très important dans l’analyse des


dispositions constitutionnelles57. Il contribue à la compréhension des
dispositions constitutionnelles. S’agissant de celles contenues dans la loi
constitutionnelle du 18 janvier 1996, le recours au style est très important. En
effet, la disposition constitutionnelle contenue à l’article 14, alinéa 2 se laisse
comprendre aisément. Il en ressort de manière claire et précise que le Parlement
légifère et contrôle l’action du Gouvernement. Dès lors, le constituant confie au
Parlement, ou plus précisément à ses deux chambres, la charge d’exercer
simultanément la fonction législative et celle relative au contrôle de l’action du
Gouvernement58. Sur la base de ces considérations, il convient d’entrevoir
comment le constituant énonce ces deux fonctions (1) et comment il aménage
le régime de leur exercice (2).

1. L’énonciation

A la question de savoir quelles sont les fonctions du Parlement


camerounais, et partant celles de l’Assemblée nationales et du Sénat, il convient

57
Sur l’importance du style dans l’analyse des Constitutions, lire LE DIVELLEC Armel, « Le style
des constitutions écrites dans l’histoire moderne. Une esquisse sur les trois types de l’écriture
constitutionnelle (XVIIe - XXe siècles) », article disponible à l’adresse
http://www.juspoliticum.com/Le-style-des-constitutions-ecrites,738.html.
58
M. Jean Claude EKO’O AKOUAFANE souligne cet aspect des choses de manière on ne peut
plus claire en ces termes : « En tant que chambre du parlement aux côtés de l’Assemblée
nationale, le Sénat est interpelé dans la mise en œuvre du travail parlementaire dans ses deux
composantes que sont : la fonction législative axée sur l’élaboration de la loi, et le contrôle du
gouvernement. C’est du reste la substance de l’article 14, alinéa 2 qui énonce que le Parlement
légifère et contrôle l’action du gouvernement ». Cf, EKO’O AKOUAFANE Jean-Claude, op.cit, p.
77.

49
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de se référer à l’article 14, alinéa 2 de la Constitution, qui dispose clairement que


« le Parlement légifère et contrôle l’action du Gouvernement ». Cette énonciation
à elle seule révèle de manière explicite les fonctions premières du Parlement. En
droit étranger, l’on retrouve une énonciation similaire dans la Constitution
gabonaise du 26 mars 1991, plusieurs fois modifiée. Concrètement, c’est à
l’article 36 que le constituant gabonais précise que « le Parlement vote la loi,
consent à l’impôt et contrôle l’action de l’Exécutif (…)». Il faut dire que le
constituant français ne consacre guère ce genre d’énonciation59. Il est suivi en
cela par d’autres constituants africains comme celui sénégalais60. Quoiqu’il en
soit, force est de reconnaître que la formule constitutionnelle retenue par le
constituant camerounais se veut évasive et non discriminatoire.

a. Une énonciation évasive

A n’en point douter la formule constitutionnelle contenue à l’article 14,


alinéa 2 ici évoquée est fondamentalement évasive. La seule idée qui se dégage
à sa lecture est que l’Assemblée nationale et le Sénat sont tous les deux
indifféremment habilités à exercer la fonction législative et celle relative au
contrôle de l’action du Gouvernement.

En effet, le constituant se contente simplement de préciser que le


Parlement légifère et contrôle l’action du Gouvernement. Si l’on s’en tient à la
lettre de la Constitution et à cette seule disposition constitutionnelle, elle confie
aux deux chambres du Parlement un pouvoir égalitaire de légiférer et de
contrôler l’action du Gouvernement. Le constituant camerounais s’est montré
peu explicite sur la question et par conséquent, des interprétations diverses
peuvent naître et prospérer.

59
Qu’il s’agisse de celui de 1946 ou de celui de 1958.
60
L’expérience sénégalaise du bicamérisme révèle un fort attachement du constituant sénégalais
à la logique constitutionnelle française exprimée dans la Constitution de la Ve République,
notamment en ce qui concerne l’aménagement des fonctions législative et contrôle du Parlement.
Lire DIOP Mactar, Propos d’un sénateur : Réflexions sur la place et le rôle du Sénat dans le
système politique sénégalais, Presses de l’Imprimerie Saint- Paul de Dakar, 2012, p.38 et s.

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Or, l’on attend du constituant une certaine dose de précision et de clarté


dans son œuvre rédactionnelle des dispositions constitutionnelles, comme a su
le faire le constituant gabonais. Ce dernier, faut-il le souligner, a pris le soin de
préciser que le Parlement légifère et contrôle l’action du pouvoir Exécutif « dans
les conditions prévues par la présente Constitution ». Ce faisant, le constituant
gabonais se donne les moyens de discriminer plus loin l’exercice de ces
fonctions parlementaires61. Or, en s’abstenant d’opérer une telle précision, tout
porte à croire qu’au Cameroun, le principe est celui de l’exercice égalitaire de
ces deux fonctions par les deux chambres du Parlement. Concrètement, c’est
l’impression qui se dégage à la lecture de l’article 14, alinéa 2 de la Constitution.

Par son caractère manifestement évasif, ledit article 14, alinéa 2 ne


discrimine pas l’exercice des fonctions dites législative et contrôle.

b. Une énonciation non discriminatoire

Dans la pratique du bicamérisme, il arrive souvent que le constituant en


vienne à discriminer prima facie l’exercice des deux fonctions législatives et
contrôle. Dans cette dynamique, il est clairement affirmé que telle ou telle
chambre est exclusivement habilitée à voter la loi ou à contrôler l’action
gouvernementale. C’est d’ailleurs ce qui ressort du modèle français de
bicamérisme consacré dans la Constitution du 27 octobre 1946. S’agissant de la
fonction législative, le constituant français de 1946 précise manifestement que
seule l’Assemblée nationale vote la loi et qu’elle ne peut déléguer ce droit62.

A la différence de son homologue français, le constituant camerounais de


1996 a plutôt retenu une énonciation non discriminatoire dans la formulation de
l’exercice parlementaire des fonctions législative et contrôle de l’action du

61
Lire ONDO Télesphore, Le Droit parlementaire gabonais, L’Harmattan, 2008, p. 180 et s.
62
Cf, l’article 13 de la Constitution originaire du 27 octobre 1946. Seulement, la révision
constitutionnelle du 7 décembre 1954 viendra relativiser cette considération. Aussi convient-il de
souligner, le Parlement français de la IVe République était composé de deux chambres,
notamment l’Assemblée nationale et le Sénat au regard de l’article 5 de ladite Constitution.

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Gouvernement. En effet, l’article 14, alinéa 2 ne consacre guère un exercice


discriminatoire de ces deux fonctions du Parlement. C’est d’ailleurs ce que
semble relever le professeur Alain Didier Olinga lorsqu’il fait observer que « le
Sénat participe de manière égalitaire au travail de législation et de contrôle du
Gouvernement63 ». A la lecture dudit article, aucun élément ne permet de
d’exclure l’une ou l’autre chambre du travail de législation et de contrôle de
l’activité du Gouvernement. En l’espèce, le constituant a entendu placer
l’Assemblée nationale et le Sénat sur le même pied d’égalité.

De toute évidence, l’article 14, alinéa 2 dont il est question est on ne peut
plus évasif, tant il est vrai qu’il consacre une égalité des deux chambres dans
l’exercice de ces deux fonctions classiques du Parlement dont il convient à
présent d’entrevoir les modalités d’exercice.

2. L’exercice

Composé de deux chambres, le Parlement camerounais est amené à exercer


deux fonctions saillantes, celles législative et de contrôle64. Seulement, il faut
souligner qu’elles ne sont pas exercées de la même manière. Concrètement,
leurs diffèrent fondamentalement, qu’il s’agisse de la fonction législative d’une
part et de la fonction contrôle d’autre part.

a. L’exercice de la fonction législative

D’emblée, il convient de préciser que la fonction législative exercée par


l’Assemblée nationale et le Sénat ne doit intervenir que dans le domaine de la
loi65. Mais, il ne faut pas perdre de vue l’existence d’une fonction législative
exceptionnelle : la fonction constituante qui, faut-il le souligner, est attribuée aux
deux chambres du Parlement66. Ce faisant, le Président de la République est
habilité à saisir le Conseil constitutionnel dès lors qu’il se rend compte que le

63
OLINGA Alain Didier, op.cit, p. 82.
64
Idem, p. 95.
65
Le champ matériel de la loi est énoncé à l’article 26 de la Loi constitutionnelle du 18 janvier
1960.
66
Cf. Les articles 63 et 64 de la Constitution.

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législateur a outrepassé ledit domaine67. Ces précisions étant faites, il y a lieu de


relever que les deux chambres du Parlement exercent la fonction législative au
moyen de deux modalités distinctes mais complémentaires. Il s’agit du droit
d’initiative d’une part et du droit d’adoption d’autre part.

S’agissant du droit d’initiative, il est consacré à l’article 25 de la Constitution.


Aux termes de celui-ci, il est mentionné que l’initiative des lois appartient
concurremment au Président de la République et aux membres du Parlement.
Ainsi consacré, le droit d’initiative permet aux députés et sénateurs de
déclencher l’opération de fabrication de la loi68. Apparemment anodin dans sa
formulation, le droit d’initiative parlementaire revêt pourtant un intérêt particulier
dans la vie de l’Etat, car comme le souligne le Doyen Magloire ONDOA, « grâce
à l’initiative parlementaire, le député ne se contente pas d’exprimer ses idées à
l’hémicycle : il tente, parfois avec succès, de les introduire dans
l’ordonnancement juridique, en les convertissant en normes juridiques. Elle
comporte un double aspect. Directe, elle aboutit à des propositions de lois ;
incidente, elle se traduit par le droit d’amendement dont dispose le député à
l’égard des projets de lois 69». En clair, le droit d’initiative « fournit au
parlementaire un cadre d’expression et un moyen d’exercice de la fonction
législative70 ». Ainsi entendu, il faut dire que le droit d’initiative peut « provenir
soit d’un parlementaire, soit d’un groupe parlementaire, soit de la chambre toute
entière71 ».

Toutefois, il faut souligner que le droit d’initiative n’est que celui contenu à
l’article 25 de la Constitution. A l’article 63 alinéa 1, est également consacré un
autre droit d’initiative, notamment en matière constituante. Il en ressort que

67
MONEMBOU Cyrille, La séparation des pouvoirs dans le constitutionnalisme camerounais :
contribution à l’étude de l’évolution constitutionnelle, Thèse de Doctorat Ph.D en Droit Public,
Université de Yaoundé II, 2011, p. 350 et s.
68
NTONGA BOMBA Serges Vincent, « La procédure législative devant l’Assemblée nationale au
Cameroun », CAFRAD, N°58, p. 6.
69
ONDOA Magloire, op.cit, p. 25.
70
Idem.
71
NTONGA BOMBA Serges Vincent, op.cit, p. 7.

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l’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au


Président de la République et au Parlement. A cet effet, s’agissant de l’initiative
parlementaire de la révision constitutionnelle, toute proposition de révision doit
être signée par un tiers au moins des membres de l’une ou de l’autre chambre72.
En cela, le constituant camerounais a décidé de mettre les deux chambres du
Parlement sur le même pied d’égalité en matière constituante à la différence de
son homologue sénégalais par exemple73.

Simultanément reconnu aux deux chambres du Parlement, le droit


d’adoption74 quant à lui, apparaît comme « l’étape la plus dans la procédure
législative car c’est elle qui donne naissance à la loi75 ». Ainsi, les deux chambres
du Parlement sont chacune habilitée à voter les textes de lois à la majorité simple
de leurs membres. Par ailleurs, ledit vote s’effectue à main levée ou par assis et
levé, sauf dans les matières visées par la Constitution76. En vérité, la phase
d’adoption s’accompagne d’un ensemble d’opérations non moins importantes. Il
s’agit de la discussion des projets ou propositions de loi77, et du vote proprement
dit78. Seulement, le texte de loi adopté par le Parlement peut faire l’objet d’un
contrôle de constitutionnalité ou d’une seconde lecture demandée par le
Président de la République. Dans ces deux hypothèses, le Parlement peut être
amené à revoir le contenu du texte de loi précédemment voté ; mais toujours
est-il qu’en dernier ressort, les deux chambres du Parlement finiront par exercer

72
Sur le déploiement du Parlement en matière de révision constitutionnelle au Cameroun, tout au
moins dans sa dimension bicamérale, lire BETE Xaverie Murielle, Le Parlement dans le processus
de révision constitutionnelle en droit camerounais, Mémoire de DEA en droit public interne,
Université de Yaoundé II, 2014, 132p.
73
Sous le bicamérisme sénégalais, le Sénat ne s’était pas vu attribué un droit d’initiative de la
révision de la Constitution. Seule l’Assemblée nationale était titulaire d’un droit d’initiative en
matière de révision constitutionnelle et ce, concurremment avec le Président de la République.
Sur la question, lire FALL Ismaila Madior, Les révisions constitutionnelles au Sénégal : Révisions
consolidantes et révisions déconsolidantes de la démocratie, CREDILA, 2001, p. 42. Lire
également DIOP Mactar, op.cit, p. 96.
74
Notamment dans les articles 19, alinéa 1 et 24, alinéa1 de la Constitution.
75
NTONGA BOMBA Serges Vincent, op.cit, p. 9.
76
OLINGA Alain Didier, op.cit, p. 105.
77
Lire NTONGA BOMBA Serges Vincent, op.cit, p. 10 et s, OLINGA Alain Didier, op.cit, p. 105.
78
Le vote n’excluant pas la possibilité que le texte de loi soit rejeté ou amendé.

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la plénitude de la fonction législative prévue à l’article 26, alinéa 1 de la


Constitution79.

A côté de la fonction législative, l’Assemblée nationale et le Sénat exercent


également en commun la fonction contrôle de l’action du Gouvernement.

b. L’exercice de la fonction contrôle

La fonction de contrôle de l’action gouvernementale est consacrée à


l’article 14 alinéa 2 de la Constitution. Elle apparaît comme le second aspect de
la légitimité même de l’institution parlementaire80. A l’analyse, le contrôle de
l’action gouvernementale devant être effectué par les deux chambres du
Parlement se distingue fondamentalement de la responsabilité politique du
Gouvernement dont le régime juridique est consacré à l’article 34 de la
Constitution81. Dès lors, l’Assemblée nationale et le Sénat sont habilités à
contrôler l’action du Gouvernement. Il s’agit du contrôle sans mise en jeu de la
responsabilité politique du Gouvernement. C’est en cela que le professeur Alain
Didier OLINGA estime que de la lettre même de la disposition dudit article,
« l’organe de contrôle est le Parlement, c'est-à-dire les deux chambres qui le
constituent82 ». En clair, conclut-il, « l’activité que la Constitution qualifie de
‘‘contrôle’’ dans cette disposition ne peut être exercée que le Parlement, à égalité
par l’une et l’autre chambre83 ».

Ainsi consacré, le principe du contrôle parlementaire de l’activité


gouvernementale s’effectue au travers d’un ensemble de modalités
dénombrables à l’article 35, alinéa 1 de la Constitution. Parmi celles-ci, l’on a les

79
NTONGA BOMBA Serges Vincent, op.cit, p. 9.
80
OLINGA Alain Didier, op.cit, p. 107.
81
Sur la question, lire GUIMDO DONGMO Bernard-Raymond, « La responsabilité politique du
Gouvernement dans la Constitution camerounaise », R.R.J., 2007-4, pp. 2099-2119, ONDOA
Magloire, op.cit, p. 16 et s.
82
OLINGA Alain Didier, op.cit, p. 107.
83
Idem.

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questions orales, les questions écrites et les commissions d’enquêtes. Cela dit,
les questions orales et écrites participent de ce qu’on appelle l’information
individuelle du parlementaire84 ou le contrôle par recherche d’information85,
tandis que la constitution des commissions d’enquêtes participe de l’information
collective du Parlement86 ou du contrôle par l’investigation87.

S’agissant des questions orales et écrites, il est précisé qu’au cours de


chaque session ordinaire, une séance par semaine leur est réservée par
priorité88. Ces dernières renvoient alors « aux procédures permettant aux
parlementaires d’assurer leur information et leur contrôle, sur l’action du
gouvernement et de l’administration, en interrogeant publiquement un
ministre89 ». Quant à la constitution des commissions d’enquêtes, force est de
souligner qu’à la différence des questions orales et écrites, cette modalité de
contrôle ne fait pas l’objet de précisions de la part du Constituant. C’est
manifestement dans les règlements intérieurs de l’une et l’autre chambre que se
trouve esquissé son régime juridique. Pour l’essentiel, il convient de retenir que
la constitution d’une commission d’enquête est effectuée avec, à la base,
l’adoption d’une résolution par l’Assemblée nationale ou le Sénat90. De la sorte,
l’enquête se veut confidentielle et seule l’Assemblée nationale ou le Sénat
peuvent décider de publier son résultat.

De toute évidence, il se dégage de ce qui précède que les deux chambres


du Parlement camerounais sont communément habilitées à exercer les fonctions
législatives et de contrôle de l’action du Gouvernement. Par ailleurs, il convient
de faire observer que celles-ci ne sont pas les seules fonctions communément

84
DEBBASCH Charles et al, op.cit, p. 782.
85
OLINGA Alain Didier, op.cit, p. 108.
86
DEBBASCH Charles et al, op.cit, p. 789.
87
OLINGA Alain Didier, op.cit, p. 109.
88
C’est du moins ce qui ressort de l’article 35, alinéa 3 de la Constitution.
89
ONDOA Magloire, op.cit, p. 17.
90
OLINGA Alain Didier, op.cit, p. 109.

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exercées par ces deux chambres. A d’autres égards, elles exercent également
les fonctions dites juridictionnelles et de désignation.

B. L’habilitation à exercer les fonctions juridictionnelles et de désignation

D’une manière générale, l’analyse sur les fonctions de l’institution


parlementaire s’emploie à ne mettre en avant que ses fonctions législatives et
contrôle. Il est assez rare que des fonctions autres que celles-là soient
magnifiées91. Pourtant, l’office du Parlement ne se limite pas à l’exercice de ces
deux fonctions. C’est du moins l’idée qui se dégage de la loi constitutionnelle du
18 janvier 1996. En parcourant celle-ci, il apparait que l’Assemblée nationale et
le Sénat sont investis de la fonction juridictionnelle d’une part (1) et de celle que
l’on pourrait qualifier de de nomination d’autre part (2).

1. L’office de la fonction juridictionnelle

De nature exceptionnelle, la fonction juridictionnelle du Parlement92 ou du


pouvoir délibérant se matérialise par la capacité de transformation de ses
organes en une Haute-Cour de justice, pour la poursuite de certains crimes ou
de certaines menées criminelles confinant à la politique93. A n’en point douter, la
fonction juridictionnelle du Parlement ici mise en relief participe de ce que le
Doyen Georges Vedel appelle la justice politique94 et est incarnée par la Haute-
Cour de Justice95. Cette dernière, bien qu’exclue de l’organisation judiciaire

91
Lire par exemple MAUSS Didier, Le Parlement sous la Ve République, coll. Qsj ?, P.U. F., 1985,
127p.
92
L’accent ne sera pas mis sur la fonction juridictionnelle indirecte renvoyant à la faculté
reconnue aux parlementaires de pouvoir activer la compétence juridictionnelle du Conseil
constitutionnel. En effet, la Constitution camerounaise confère le droit de saisine à la fois aux
présidents des Assemblées parlementaires et au tiers des membres de l’une, et de l’autre
chambre du Parlement.
93
HAURIOU Maurice, op.cit, p. 473.
94
VEDEL Georges, op.cit, p. 440 et s.
95
Communément définie comme une « juridiction spéciale, composée d’un nombre égal de
députés et de sénateurs, élus par leurs assemblées respectives, est compétente en cas de

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camerounaise96 participe néanmoins de l’activité juridictionnelle.


Constitutionnalisée depuis 1960, la Haute-Cour de justice s’est ajustée à la
faveur de la bicaméralisation du Parlement sous la loi constitutionnelle du 18
janvier 199697. En son sein, le Président de la République ne peut être mis en
accusation que par les deux chambres du Parlement dont le vote des membres
se veut indistinct dans sa matérialisation.

a. Le principe de la mise en accusation du Président de la République par

l’Assemblée nationale et le Sénat

A l’origine, l’article 53 du texte constitutionnel du 18 janvier 1996


n’identifiait pas l’organe habilité à mettre en accusation le Président de la
République pour haute trahison98. C’est avec la révision constitutionnelle du 18
janvier 1996 que ce volet oublié sera comblé au plan constitutionnel. Car, c’est
en effet l’alinéa 2 du nouvel article 53 qui pose les bases de la mise en jeu de la
responsabilité présidentielle pour haute trahison99. Aux termes de cette
disposition, il est précisé qu’en matière de haute trahison, « le Président de la
République ne peut être mis en accusation que par l’Assemblée Nationale et le
Sénat (…) ».

A l’analyse, l’on constate que le constituant camerounais confère un


pouvoir égal aux deux chambres du Parlement de mettre en accusation le
Président de la République au cas où celui-ci aurait commis un acte constitutif

« haute trahison » du Président ainsi que pour juger les crimes et délits commis par des ministres
dans l’exercice de leurs fonctions ». Cf, DUHAMEL Olivier et MENY Yves, op.cit, p. 483.
96
OLINGA Alain Didier, op.cit, p. 140.
97
Plus précisément avec la Loi n°2008/001 du 14 avril 2008 modifiant et complétant certaines
dispositions de la loi n°96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 02 juin
1972. Notamment en son article 53 (Nouveau).
98
De ce fait, il fallait se référer à l’ordonnance n°72/7 du 26 août 1972.
99
Cette idée est relevée avec emphase par le professeur Marcelin NGUELE ABADA. Sur la
question, bien vouloir lire NGUELE ABADA Marcelin, « L’obligation de rendre compte du Président
de la République : réflexions à partir de la révision constitutionnelle du 14 avril 2008 », in
L’Obligation, Etudes offertes au professeur Paul-Gérard POUGOUE, L’Harmattan, 2015, p. 640.

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de haute trahison. Dès lors, le constituant n’a pas voulu réserver à la seule
Assemblée nationale ou au seul Sénat, la possibilité de le faire. En cela, il se
dégage manifestement un rapport d’égalité entre les deux chambres du
Parlement camerounais. Il faut dire que cette situation n’est pas seulement
vécue au Cameroun. En droit étranger, l’on retrouve cette situation en France,
où les deux chambres du Parlement sont habilitées à mettre en accusation le
Chef de l’Etat en matière de haute trahison100. C’était également la même
situation au Sénégal avant la suppression du bicamérisme en 2012101.

En attendant l’adoption d’une loi qui aura vocation à aménager le principe


de la mise en accusation du Président de la République dans l’hypothèse de
haute trahison, l’idée qui reste ancrée dans les esprits est que le bicamérisme
camerounais est sur ce point on ne peut plus égalitaire, à la différence du
bicamérisme français de la IVe République qui réservait à la seule Assemblée
nationale le pouvoir de mettre en accusation le Président de la République102.

En somme, s’agissant de la mise en accusation du Président de la


République, l’on attend des deux chambres un vote identique au scrutin public
et à la majorité des quatre cinquièmes des membres les composant.

b. La non-discrimination du vote en rapport avec la mise en accusation du

Président de la République

Le président de la République ne peut être mis en accusation en matière


de haute trahison que « par l’Assemblée nationale et le Sénat statuant par un
vote identique au scrutin public et à la majorité des quatre cinquièmes des
membres les composant ». C’est en ces termes suffisamment clairs que le
constituant consacre la responsabilité pénale du Président de la République. Il
s’en suit que les deux chambres du Parlement sont chacune habilitée à effectuer

100
Cf. Article 68 de la Constitution du 4 octobre 1958.
101
Cf. les lois constitutionnelles n°98-11 du 2 mars 1998 et n°27-2007 du 15 mai 2007.
102
Lire VEDEL Georges, op.cit, p. 545.

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un vote-résolution devant satisfaire aux conditions requises notamment le vote


identique au scrutin public et à la majorité des quatre cinquièmes des députés et
des sénateurs. En clair, l’une, puis l’autre chambre se prononce alors
successivement en séance publique à la suite d’un débat, et, la proposition de
mise en accusation n’est approuvée que si elle a été adoptée en termes
identiques, à la majorité des quatre cinquièmes des membres composant l’une,
puis l’autre Assemblée103.
Ainsi, le constituant ne met pas en avant le vote de l’une ou de l’autre
Assemblée. Toutes les deux Assemblées se doivent chacune de s’exprimer par
un vote identique. En son absence, la mise en accusation du Président de la
République ne peut prospérer dans l’ordre juridique camerounais peu importe si
les quatre cinquièmes de vote seront difficiles à obtenir ou pas104 ; l’important est
de savoir que les deux chambres du Parlement sont les seules à pouvoir mettre
en branle la procédure d’accusation du Chef de l’Etat.
A la différence de cette fonction qui est le propre de l’Assemblée nationale
et du Sénat, il y a lieu de faire observer qu’à l’instar du Président de la République,
les présidents des Assemblées parlementaires détiennent un droit égal de
désigner chacun, trois membres du Conseil constitutionnel. On dit alors que les
deux chambres du Parlement ont, à travers leurs présidents respectifs, un
pouvoir de désignation.

103
Cette exigence se rapproche de celle inscrite à l’article 68 de la Constitution française de 1958,
à la seule différence que le vote s’effectue à la majorité absolue des membres de l’une, puis de
l’autre Assemblée. Sur la question, lire LUCHAIRE François et CONAC Gérard, La constitution de
la république française, Economica, 1987, p. 1185.
104
Pour le professeur Marcelin NGUELE ABADA, il est évident que ce vote sera en effet difficile à
obtenir lorsqu’on considère les écrasantes majorités du parti au pouvoir à l’Assemblée nationale
et au Sénat. Cf. NGUELE ABADA Marcelin, op.cit, p. 640. Toutefois, si l’auteur n’a pas tort dans
son analyse, il reste que la situation peut changer à la faveur d’un changement de positionnement
politique au sein du Parlement si un jour, le parti au pouvoir venait à être battu par l’opposition.

60
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1. L’office de la fonction de désignation

L’office de la fonction de nomination renvoie à la possibilité offerte aux


parlementaires de participer au processus de nomination des membres du
Conseil constitutionnel. S’il est vrai que l’acte formel de nomination relève d’un
décret présidentiel105, il n’en demeure pas moins que ledit acte entérine les noms
et prénoms des personnes désignées préalablement par des organes précis
parmi lesquels les présidents des Assemblées parlementaires106. Ces derniers
sont chacun habilités à désigner trois conseillers constitutionnels.

a. La formulation de la fonction de désignation

Le constituant camerounais énonce à l’article 51, alinéa 2 que trois


membres du Conseil constitutionnel sont désignés par le président de
l’Assemblée nationale après avis du bureau de l’Assemblée nationale. Il en est de
même pour le président du Sénat bien évidemment après avis du bureau du
Sénat. Comme on peut le constater, les deux chambres du Parlement sont à
l’honneur dans la constitution de l’instance habilitée à veiller au respect de la
Constitution. Ce faisant, le constituant n’a pas voulu privilégier l’une ou l’autre
chambre. Il a estimé opportun, à l’instar de son homologue français, de confier
ce privilège aux présidents des Assemblées parlementaires107. La seule exigence
constitutionnelle qui est posée par le constituant dans l’exercice de cette
fonction de désignation réside dans le fait que les bureaux des deux chambres
doivent émettre leur avis. Seulement, l’on ne sait pas quelle est la nature de l’avis
devant ainsi être émis. S’agit-il d’un avis facultatif ? Est-il de nature conforme ou
obligatoire ? Bref, sur la question, le constituant reste muet. On ne sait pas quelle
doit être l’attitude des présidents des Assemblées parlementaires face à l’avis
devant être émis tantôt par le bureau de l’Assemblée nationale, tantôt par celui

105
C’est du moins l’idée qui se dégage de l’article 51, alinéa 2 de la Constitution.
106
De même que par le président de la République et le Conseil Supérieur de la Magistrature.
107
Lire l’article 56 de la Constitution française du 4 octobre 1958.

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du Sénat. Quoiqu’il en soit, cet avis doit intervenir sinon la procédure de


désignation sera entachée d’un vice de forme et donc, susceptible de poser
problème.
Une fois que les présidents des Assemblées ont désigné leurs membres, il
ne reste plus qu’au Président de la République d’entériner cela.

b. La quintessence de la fonction de désignation

Il n’y a pas lieu de banaliser de la fonction de désignation devant être


exercée par les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat. La constitution
du Conseil constitutionnel exige que six de ses membres soient désignés par des
organes en direction du Parlement. Dès, lors, le Président de la République a un
pouvoir de nomination ligoté ou lié.
En effet, il n’est pas possible que le Chef de l’Etat puisse rejeter ou
reformuler la liste des personnes désignées par les présidents des Assemblées
parlementaires en vertu manifestement du principe de la séparation des
pouvoirs. Ce faisant, la volonté parlementaire s’impose à lui et il n’a de choix que
de nommer les personnes ainsi désignées. Par ailleurs, le Président de la
République ne peut pas discriminer les désignations ainsi faites. Elles ont toutes
une force juridique probante dont le Chef de l’Etat ne peut se défaire. De ce point
de vue, les deux chambres du Parlement apparaissent comme des acteurs de
grande importance dans l’édification de l’Etat de droit au Cameroun. Il pèse sur
elles une énorme responsabilité, celle de désigner des hommes et des femmes
dignes d’exercer la fonction de juge constitutionnel.
A la vérité, la loi constitutionnelle du 18 janvier contient plusieurs
dispositions qui attestent du caractère somme toute égalitaire du bicamérisme
camerounais, comme l’atteste les développements qui précèdent. Seulement, il
existe dans la même loi constitutionnelle d’autres dispositions qui altèrent le
caractère égalitaire dudit bicamérisme. En clair, l’on note une légère supériorité
de l’Assemblée nationale sur le Sénat. On a l’impression que cette supériorité est
volontairement entretenue par le constituant lui-même.

62
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

II. Une inégalité discrètement entretenue

En analysant le bicamérisme camerounais, le professeur Alain Didier


OLINGA parvient à la conclusion selon laquelle il s’agit d’un « bicamérisme
fondamentalement inégalitaire, au profit de l’Assemblée nationale108 ». Dès lors,
il semble se dégager ce que M. Jean-Calvin ABA’A OYONO qualifie de
« myopathie institutionnelle109 » dans notre ordonnancement constitutionnel.
Pour ce dernier, le Sénat n’est rien d’autre qu’une chambre de figuration110 et
partant, c’est la consécration d’un bicamérisme totalement inégalitaire, au profit
de l’Assemblée nationale. A elles seules, ces deux positions doctrinales
traduisent à suffisance la nature réelle du bicamérisme camerounais dans la
mesure où elles font apparaître un positionnement inégal des deux chambres du
Parlement. Seulement, il convient de souligner que c’est le constituant lui-même
qui entretient cette réalité. C’est ainsi qu’il se plaît à discriminer le Sénat à
certains égards (A) et à privilégier l’Assemblée nationale à d’autres égards (B).

A. Le Sénat discriminé

Consacré comme seconde chambre du Parlement, le Sénat ne jouit pas


fonctionnellement d’un prestige constitutionnel égal à celui dont bénéficie
l’Assemblée nationale dans l’exercice des fonctions législative et de contrôle de
l’action gouvernementale111. A priori, cette situation semble se justifier par des
considérations précises112. Mais, à y voir de près, rien ne justifie l’abaissement

108
OLINGA Alain Didier, op.cit, p. 82.
109
ABA’A OYONO Jean-Calvin, « Libres propos sur le Sénat en droit constitutionnel
camerounais », Afrilex, septembre 2015, p. 13.
110
Idem.
111
Lire OLINGA Alain-Didier, op.cit, pp. 83-84, ABA’A OYONO Jean-Calvin, op.cit, p. 13 et s.
112
Lire à cet effet GATSI T. (E-A), « Mise en place du Sénat au Cameroun : Légitimité et légalité
en question », R.A.S.J., Numéro spécial/2014, L’Harmattan, p. 276 et s, OLINGA (A.D), op.cit, p.
82. En gros, les arguments avancés sont relatifs à l’imparfaite légitimité démocratique des
sénateurs, au fait que le Sénat représente exclusivement les collectivités territoriales
décentralisées et non la nation.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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constaté du Sénat dès lors que cette institution bénéficie d’une entière légitimité
constitutionnelle tout comme l’Assemblée nationale. Quoiqu’il en soit, le constat
de l’abaissement du Sénat demeure visible dans la loi constitutionnelle du 18
janvier 1996113. D’une part, la seconde chambre du Parlement peut être évincée
de la modalité du vote définitif de la loi (1). De même, celle-ci est d’autre part
évincée en matière de mise en cause de la responsabilité politique du
Gouvernement (2).

1. La marginalisation dans l’exercice de la fonction législative

De prime abord, l’évocation de l’idée de marginalisation du Sénat dans


l’exercice de la fonction législative peut paraître incongrue au regard de l’article
14, alinéa 2 de la Constitution. Il faut dire que cet article énonce la formule
générale selon laquelle les deux chambres du Parlement sont notamment
habilitées à légiférer. Cette idée est d’ailleurs confortée à l’article 24, alinéa 1. La
contradiction apparaît cependant dans d’autres articles de la même Constitution
où le Sénat est évincé de l’exercice de la fonction législative. Le premier cas de
figure est consacré à l’article 30 alinéa 3, tandis que le second résulte de l’article
34 alinéa 1.

A. L’éviction du Sénat du vote définitif de la loi en cas d’échec de la Commission

mixte paritaire

En droit constitutionnel camerounais, l’évocation de la Commission mixte


paritaire dans l’univers du Parlement subodore la survenance d’un désaccord
entre les deux chambres sur le contenu d’un texte de loi à la suite de la navette
parlementaire114. Constituée sur décision du Président de la République, cette
commission est chargée de proposer un texte commun sur les dispositions d’un

113
Il faut cependant souligner qu’il ne s’agit pas là d’une spécificité camerounaise. Lire KUAKUVI
Kodjo Ahlin Avitsinu, op.cit, p. 287 et s.
114
ABA’A OYONO Jean-Calvin, op.cit, p. 13.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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texte de loi rejeté par le Sénat. Si ladite Commission ne parvient pas à s’accorder
sur un contenu plausible du texte de loi en désaccord, la volonté législative du
Sénat est simplement et purement mise de côté. Concrètement, tout se passe
comme si le Sénat a cessé d’exister car la suite de la procédure législative se fera
sans lui. En rapport avec cet état de chose, M. Jean-Calvin ABA’A OYONO estime
que cela signifie que « si les deux chambres parlementaires participent au travail
législatif, elles ne le font pas sur une base égalitaire115 ».
L’éviction du Sénat dans cette hypothèse participe en réalité de la volonté
d’abaissement injustifié et injustifiable de l’institution sénatoriale dans un
contexte où celle-ci a reçu pour mission de représenter les collectivités
territoriales décentralisées116. Dans ce contexte, il devient incompréhensible que
la volonté législative du représentant des collectivités territoriales décentralisées
soit mise en hibernation alors même qu’on attend de lui de l’audace et de la
perspicacité dans l’entreprise de confection des lois de décentralisation117.
S’inscrivant en faux contre l’option constitutionnelle inscrite dans ledit article, M.
Jean-Calvin ABA’A OYONO estime que le constituant « aurait dû fixer une série
de domaines dans lesquelles le consensus serait obligatoire notamment
lorsqu’un projet ou une proposition porte sur la décentralisation118 ».
A l’évidence, on y voit une ferme volonté d’abaissement de la seconde
chambre du Parlement, qui se matérialise par une participation mesurée aux
travaux législatif et financier du Parlement comme le note si bien M. Jean-Calvin
ABA’A OYONO.

115
Idem, p. 14.
116
Cf. article 20 de la Constitution.
117
Dès lors que ledit Sénat apparaît, selon les termes de M. Jean-Calvin ABA’A OYONO, comme
le moteur et l’acteur de la décentralisation camerounaise.
118
ABA’A OYONO Jean-Claude, op.cit, p. 14.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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b. L’inconfort du Sénat dans le processus parlementaire de confection de la loi

de finances

En règle générale, la confection de la loi de finances participe de la fonction


financière du Parlement119. Qui plus est, cette fonction relève manifestement du
domaine de la loi dans l’ordre constitutionnel camerounais120. Par conséquent, le
postulat posé à l’article 14, alinéa 2 voudrait que les deux chambres du Parlement
puissent chacune, participer égalitairement et confortablement au processus de
confection de la loi, fût-elle de nature financière, à l’instar de la loi de finances
portant budget de l’Etat. Or, tel n’est pas vraisemblablement le cas à la lecture
de la Constitution qui s’identifie à une véritable Constitution de dupe.
En effet, le Sénat se trouve dans une posture inconfortable dès lors qu’il
s’agit pour le Parlement de confectionner la loi de finances. L’inconfort dont il est
question ici est à la fois psychologique et matériel. Au plan psychologique, le
Sénat est diminué dans la mesure où le constituant ne fait guère allusion à lui
lorsqu’il évoque tout ce qui a trait à la fonction financière du Parlement. A l’article
34, alinéa 1, le constituant affirme de manière claire que « lors de la session au
cours de laquelle le projet de loi de finances est examiné, le Premier ministre
présente à l’Assemblée nationale le programme économique, financier, social et
culturel du Gouvernement ». Il en résulte que le chef du Gouvernement n’est
guère habilité à s’adresser aux sénateurs dans la dynamique de confection de la
loi de finances. Dès lors, les sénateurs sont dans une situation
psychologiquement inconfortable, car comment pourront-il examiner une loi de
finances dont ils ne connaissent même pas la philosophie qui sous-tend son
élaboration par l’Exécutif ? A la vérité, ceux-ci seront amenés à tabler sur un
projet de loi dont ils ne connaissent ni les tenants ni les aboutissants.

119
Plus précisément, il s’agit de la loi de finances de l’année, c’est-à-dire le budget, qui est de
beaucoup la plus importante des diverses lois de finances. Sur la question, lire HAURIOU André,
Droit constitutionnel et Institutions politiques, Editions Montchrestien, Paris, 1970, p. 911.
120
Cf. article 26, alinéa 2 (d) de la Constitution.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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Au-delà de l’inconfort psychologique, les sénateurs font également l’objet


d’un inconfort matériel. Celui-ci est lié au fait que l’article 16, alinéa 2(b) n’octroie
aucune importance au Sénat en matière de confection de la loi de finances.
Concrètement, tout porte à croire que le Sénat doit se borner à recevoir le projet
de loi de finances, car le constituant ne lui confère pas le « droit d’adoption » de
cette loi. Le Sénat est exclu de la fonction financière en droit constitutionnel
camerounais121. Le passage du projet de loi de finances au sein de la seconde
chambre du Parlement revêt manifestement les allures d’une mise en scène
constitutionnelle et politique dont la finalité est de faire croire qu’elle joue un rôle
déterminant dans le paysage institutionnel camerounais. Or, on aurait pu comme
en France, consacrer un rôle constitutionnel au Sénat dans le circuit de
production de la loi de finances, fût-il de faible importance122. Drôle de situation
dont est victime le Sénat camerounais encore exclue de la possibilité de mettre
en cause la responsabilité politique du Gouvernement.

2. L’exclusion du Sénat de la modalité de mise en cause de la responsabilité du

Gouvernement

La possibilité de mettre en cause la responsabilité politique du


Gouvernement est aménagée à l’article 34 de la Constitution. Critère essentiel
de classification des régimes politiques123, la responsabilité politique « implique
ainsi que les actes accomplis dans l’exercice des fonctions gouvernementales

121
ABA’A OYONO Jean-Calvin, op.cit, p. 14 et s.
122
D’emblée, il faut souligner que l’article 47, alinéa 1 de la Constitution française du 4 octobre
1958 consacre la formule selon laquelle « le Parlement vote les projets de loi de finances dans
les conditions prévues par une loi organique ». En conséquence, les deux chambres du Parlement
français sont habilitées à voter la loi de finances. Bien plus encore, à l’alinéa 2, il est précisé que
« si l’Assemblée nationale ne s’est pas prononcée en première lecture dans le délai de quarante
jours après le dépôt d’un projet, le Gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de
quinze jours(…) ».
123
C’est du moins l’idée communément admise en doctrine.

67
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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soient soumis à un mécanisme d’évaluation124 ». En tant que telle, cette


responsabilité politique est mise en œuvre par deux mécanismes distincts et
soustraits à la compétence du Sénat125. Il s’agit de la question de confiance et de
la motion de censure.

a. L’impossibilité pour le Sénat de connaître de la question de confiance

Selon le Dictionnaire Constitutionnel, la question de confiance est « la


procédure par laquelle un chef de gouvernement engage l’existence de son
gouvernement devant le Parlement126 ». De cette définition, l’on retient deux
idées fondamentales. La première est relative au fait que, dans la dynamique de
la question de confiance, c’est le chef du Gouvernement qui engage
volontairement la responsabilité de son Gouvernement127. La seconde quant à
elle, est liée au fait que ladite responsabilité est engagée devant le « Parlement ».
Autrement dit, cette responsabilité devrait pouvoir être engagé devant le
Parlement indépendamment du nombre de chambre qu’il comporte. Ce qui
revient à dire que le Parlement est la seule instance à même de connaître de la
question de confiance.
Or, au-delà de ce schéma théorique, la réalité constitutionnelle est parfois
différente, voire déroutante, comme c’est le cas au Cameroun. Dans ce cas
précis, force est de souligner que l’expression « Parlement » doit être entendue
de manière discriminatoire. Il s’agit précisément d’une de ses chambres. En clair,
la seconde chambre est exclue de toute possibilité de connaissance de la
question de confiance. Nulle part dans la Constitution, il n’est fait mention que le
Sénat peut connaître de cette modalité de mise en cause de la responsabilité
politique du Gouvernement. En aucun cas le Sénat ne peut se prévaloir de son

124
ONDOA Magloire, op.cit, p. 16.
125
Lire NYANGON AFANE Esther, Les mécanismes de mise en jeu de la responsabilité du
Gouvernement devant le Parlement au Cameroun, Mémoire de Master en droit public, Université
de Yaoundé II, 2015, pp. 181p.
126
DUHAMEL Olivier et MENY Yves, op.cit, p. 849.
127
GUIMDO DONGMO Bernard-Raymond, op.cit, p. 2103.

68
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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statut de « chambre du Parlement » pour s’inviter à la table de l’examen de la


question de confiance. Il en va de même dans l’hypothèse de la motion de
censure qui apparaît elle aussi comme une autre modalité de mise en jeu de la
responsabilité politique du Gouvernement.

b. L’impossibilité pour le Sénat d’adopter la motion de censure

Nom donné au document par lequel des parlementaires exposent leur


défiance à l’égard du gouvernement et expriment leur souhait d’aboutir à son
renversement128, la motion de censure est une modalité de mise en jeu de la
responsabilité du Gouvernement inscrite à l’article 34, alinéa 3 de la Constitution.
A l’instar de la question de confiance, elle ne relève pas de l’office du Sénat.
Autrement dit, les sénateurs ne sont pas habilités à adopter une motion de
censure à l’encontre du Gouvernement. Jamais la démission du Gouvernement
ne peut être fomentée à partir du Sénat. Le constituant camerounais a donc
savamment exclu le Sénat du contrôle avec mise en jeu de la responsabilité du
Gouvernement.
De toute évidence, le contrôle parlementaire made in Sénat demeure
« insignifiant » selon l’expression de M. Jean Calvin ABA’A OYONO129.
L’impotence du Sénat ainsi constatée est somme toute justifiée par certains
auteurs qui la trouvent normale. C’est ainsi que pour le professeur Alain Didier
OLINGA, l’on ne doit pas s’émouvoir de la mise à l’écart du Sénat en matière de
mise en jeu de la responsabilité du Gouvernement. La raison selon lui résulte du
fait que le Sénat « est une assemblée à légitimité disparate et, pour cela, ne peut
être autorisé à mettre en jeu la responsabilité d’un gouvernement nommé par
l’élu de la nation tout entière130 ».
Cela dit, la réalité institutionnelle du Sénat dans l’ordre constitutionnel
camerounais donne ainsi à réfléchir sur la place et l’opportunité même de cette

128
DUHAMEL Olivier et MENY Yves, op.cit, p. 645.
129
ABA’A OYONO Jean-Calvin, op.cit, p. 16 et s.
130
OLINGA Alain Didier, op.cit, p. 82.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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institution. Car, comment comprendre la mise à l’écart du Sénat lorsqu’il s’agit


d’exercer un contrôle aussi important dans la vie d’un Etat ? Que reste-il alors
d’un bicamérisme qui discrimine de manière humiliante la seconde chambre du
Parlement ? Doit-il encore exister ? Au vrai, le bicamérisme camerounais mérite
encore d’être réformé dans le souci de faire du Sénat une chambre importante
et dotée de pouvoirs assez importants. C’est en cela que l’on souscrit à l’idée
défendue par le professeur Patrice Gélard qui estime que « si le bicamérisme
n’existait pas, il faudrait l’inventer131 ». Mais, en attendant l’avènement d’une
réforme constitutionnelle valorisante du Sénat, celui-ci continue d’être un nain,
comparativement à l’Assemblée nationale dont l’élévation au sein du Parlement
est un trait caractéristique du constitutionnalisme camerounais132.

B. L’Assemblée nationale privilégiée

Dans son entreprise de bicaméralisation du Parlement, le constituant du


18 janvier 1996 donne l’impression qu’en dépit de l’égalité affirmée entre
l’Assemblée nationale et le Sénat, l’Assemblée nationale doit rester une chambre
privilégiée de par peut être son ancienneté, ou plus précisément de par le fait
qu’elle est « la chambre du peuple, de la nation133 ». Pour s’en convaincre, il suffit
de lire attentivement la Constitution. Cette dernière contient en effet certaines
dispositions qui faussent le principe d’égalité des chambres affirmée à l’article
14, alinéa 2 et dans bien d’autres articles. Ce faisant, il se dégage une réelle
inégalité entre les deux chambres du Parlement. En clair, on assiste à l’élévation
de l’Assemblée nationale dans l’exercice des fonctions législative et de contrôle,

131
GELARD Patrice, « A quoi peut donc bien servir une seconde chambre en démocratie ? », in Le
nouveau constitutionnalisme, Mélanges en l’honneur de Gérard CONAC, Economica, 2001, p. 148.
132
La situation est telle que même en matière de décentralisation, le Sénat ne jouit pas d’un droit
de priorité qui dans d’autres Etats, lui est reconnu comme par exemple au Gabon. Sur ce point,
lire SOMALI (Kossi), Le Parlement dans le nouveau constitutionnalisme en Afrique : Essai d’une
analyse comparée à partir des exemples du Bénin, du Burkina Faso et du Togo, Thèse de
Doctorat en Droit Public, Université de Lille 2, 2008, p. 222.
133
OLINGA Alain Didier, op.cit, p. 82.

70
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consacrées à l’article 14, alinéa 2 de la Constitution (1). Aussi, ladite Assemblée


nationale est encore mise en avant au sein du Congrès du Parlement (2).

1. En matière de vote de la loi et de contrôle de l’action du Gouvernement

Dans son analyse sur le Parlement institué par le constituant du 18 janvier


1996, M. Bernard MOMO relève fort pertinemment que celui-ci exerce deux
fonctions essentielles : voter les lois et contrôler l’action du Gouvernement134.
C’est dire que les autres fonctions sont accessoires dans la vie de l’institution
parlementaire. Concrètement, c’est à l’aune de ces deux fonctions que l’on
mesure le poids ou du moins l’importance de l’une et l’autre chambre du
Parlement. Or, c’est manifestement à ce niveau que la distanciation entre les
deux chambres du Parlement apparaît. L’Assemblée nationale se voit reconnaître
un droit exclusif en matière d’adoption définitive des textes de lois et la
prérogative spéciale de mettre en cause la responsabilité politique du
Gouvernement.

a. L’habilitation exclusive de l’Assemblée nationale à voter définitivement la loi

A la lecture de la Constitution, on distingue deux cas de figure en rapport avec


le vote des textes de loi. Il s’agit du vote sans désaccord entre les deux chambres
et du vote avec accord. C’est du moins les deux cas de figure que l’on retrouve
à l’article 30. En clair, les textes adoptés à l’Assemblée nationale sont aussitôt
transmis au président du Sénat par le président de l’Assemblée nationale. Dès
lors, le Sénat est invité à se prononcer sur le contenu du texte de loi dans un
délai de droit commun135, ou dans un délai imposé par la conjoncture136. Cela dit,
si le Sénat adopte purement et simplement le texte, le texte de loi adopté
retourne auprès du président de l’Assemblée nationale qui le transmet dans un

134
MOMO Bernard, op.cit, p. 23.
135
Qui est de 10 jours.
136
Qui est de 5 jours dès lors que l’urgence est demandée par le Gouvernement.

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délai de quarante-huit (48) heures au Président de la République aux fins de


promulgation. On dit alors qu’il y a eu vote avec accord des deux chambres du
Parlement. La modalité de vote définitif de la loi n’est donc pas évocable dans ce
cas de figure. Seulement, cette modalité s’invite à l’ordre du jour à partir du
moment où il y a divergence d’opinion entre les deux chambres du Parlement.
C’est à l’alinéa 3 de ce fameux article 30 que se dégage la modalité de vote
définitif de la loi, synonyme d’élévation de l’Assemblée nationale137. Celle-ci est
mise en exergue dès lors qu’il s’agit pour le Sénat d’apporter des amendements
au texte ou de rejeter tout ou partie du texte. Dans l’hypothèse de l’amendement,
il est clairement précisé que les amendements proposés par le Sénat sont
adoptés ou rejetés à la majorité simple des députés, et que le texte adopté
définitivement est transmis par le président de l’Assemblée nationale au
Président de la République pour promulgation. S’agissant de l’hypothèse du rejet
total ou partiel, la démarche est quasiment la même à quelques exceptions près.
Appelée à statuer sur le rejet d’un texte de loi décidé par le Sénat, l’Assemblée
nationale, après délibération, adopte le texte à la majorité absolue de ses
membres. Une fois de plus, c’est à l’Assemblée nationale que revient le droit de
se prononcer en dernier ressort, c'est-à-dire, de se prononcer définitivement.
Ainsi, le texte adopté définitivement par celle-ci est transmis au Président de la
République pour promulgation. Quand bien même il y aurait absence de majorité
absolue, c’est encore l’Assemblée nationale qui adoptera définitivement le texte
de loi en cas d’échec des travaux de la Commission mixte paritaire constituée
par le Président de la République. En effet, le constituant précise lui-même que si
la commission mixte paritaire ne parvient pas à l’adoption d’un texte commun, ou
si ce texte n’est pas adopté par l’une et l’autre chambre, le Président de la
République peut à son aise, soit demander à l’Assemblée nationale de statuer
définitivement, soit déclarer caduc le projet ou la proposition de loi.

Monsieur Jean-Calvin ABA’A OYONO y voit une manifestation de l’inégalité entre les deux
137

chambres au profit de l’Assemblée nationale.

72
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Toutefois, il faut souligner que le droit constitutionnel camerounais n’est pas


le seul à consacrer la prééminence de l’Assemblée nationale en matière de vote
définitif de la loi. On retrouve la même logique en droit constitutionnel sénégalais,
gabonais et en droit constitutionnel français, notamment en l’absence d’un
consensus au sein de la Commission mixte paritaire138. Mais, faut-il le souligner,
le droit constitutionnel des Etats-Unis d’Amérique du nord ne consacre pas la
suprématie d’une chambre du Parlement en cas d’échec de la Commission de
conciliation qui réunit les représentants des deux assemblées pour élaborer un
texte unique. En cas de divergence persistante, il n’y a pas comme au Cameroun,
au Sénégal, au Gabon et en France, la possibilité de recourir au dernier mot de la
Chambre des représentants : le projet est alors simplement abandonné139.
De toute évidence, chaque constituant a la liberté de retenir, en l’espèce, la
recette constitutionnelle qui lui convient. Mais pour l’essentiel, la recette
majoritairement retenue est celle en faveur du dernier mot reconnu à l’Assemblée
issue du suffrage universel direct : c’est le triomphe de la pensée du Doyen
MOUTET140. Il faut dire que la même logique est transposée dans l’hypothèse du
contrôle avec mise en jeu de la responsabilité politique du Gouvernement où l’on
observe que l’assemblée issue du suffrage universel direct est seule habilitée à
intervenir.

138
Dans le cas sénégalais, on lira DIOP Mactar, op.cit, p. 94. Au Gabon, lire, ONDO Télesphore,
op.cit, p. 182. En France, on lira GICQUEL Jean et GICQUEL Jean-Éric, Droit constitutionnel et
Institutions politiques, 24e édition, Montchrestien, Lextenso éditions, Paris, 2010, p. 722.
139
Sur la question, lire JEANNEAU Benoît, droit constitutionnel et institutions politiques, septième
édition, mémentos dalloz, 1987, p. 326.
140
Dans le Journal Officiel français du 2 octobre 1965, le Doyen MOUTET faisait observer qu’en
ce qui concerne le vote définitif de la loi, « L’Assemblée issue du suffrage universel direct doit
toujours avoir le dernier mot ».

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b. L’habilitation exclusive de l’Assemblée nationale à mettre en cause la

responsabilité du Gouvernement

Pièce maîtresse du régime parlementaire141, la mise en cause du régime


parlementaire est aménagée à l’article 34 de la Constitution. Au pied de la lettre,
cet article énonce deux cas de figure dans lesquels la responsabilité du
Gouvernement peut être éprouvée. Seulement, il convient de souligner que seule
l’Assemblée nationale est habilitée à connaître de ces deux cas de figure. Ce
faisant, le constituant a expressément exclu le Sénat de la mise en cause de la
responsabilité du Gouvernement. Autrement dit, son rôle se limite à l’effectuation
du contrôle sans mise en cause de la responsabilité du Gouvernement142.
S’agissant donc de la mise en cause de la responsabilité politique du
Gouvernement, il faut souligner que le constituant instaure en réalité une double
initiative selon qu’il s’agit de la question de confiance et de la motion de
censure143. Aux termes de l’article 34, il est clairement établi à l’alinéa 2 que seul
le Premier ministre peut engager après délibération du Conseil ministériel, la
responsabilité du Gouvernement soit sur un programme ou une déclaration de
politique générale, soit sur le vote d’un texte. A l’alinéa 3, le constituant énonce
la règle selon laquelle l’Assemblée nationale peut mettre en cause la
responsabilité du Gouvernement par le vote d’une motion de censure.
Fondamentalement distinctes au plan procédural, ces deux mécanismes
emportent des conséquences identiques en ce qu’ils peuvent provoquer la
démission du Gouvernement et la dissolution de l’Assemblée nationale.
Quoiqu’il en soit, le constat de l’élévation de l’Assemblée nationale est
indéniable à la lecture dudit article 34. Ce constat se dégage également des
dispositions constitutionnelles régissant la réunion du Parlement en Congrès.

141
DEBBASCH Charles et al, op.cit, p. 797.
142
ABA’A OYONO Jean-Calvin, op.cit, p. 18.
143
GUIMDO DOGNMO Bernard-Raymond, op.cit, p. 2103 et s.

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2. Au sein du Parlement réuni en Congrès

Dans l’univers du droit parlementaire, le terme Congrès désigne selon le


professeur Jean GICQUEL144, « une formation spéciale du Parlement » où en
particulier « la réunion en un collège unique des députés et sénateurs ». Ce terme
est introduit dans l’ordre constitutionnel camerounais à la faveur de la révision
constitutionnelle du 18 janvier 1996. C’est ainsi qu’à l’article 14, alinéa 4, il est
précisé que les deux chambres du Parlement peuvent se réunir en congrès, à la
demande du Président de la République pour des raisons diverses145.
Cela dit, la réunion du Parlement en congrès participe donc de ce que le
professeur Jean GICQUEL appelle « la vie collective des parlementaires 146». Or,
dans cette vie collective des parlementaires, au lieu de mettre les deux
Assemblées parlementaires sur le même pied d’égalité, le constituant
camerounais a plutôt choisi de privilégier l’Assemblée nationale dont les organes
revêtent une grande importance comparativement à ceux du Sénat. En clair, c’est
le Bureau de l’Assemblée nationale qui fait office de Bureau du Congrès. Aussi le
Président de cette chambre apparaît-il comme le président du Congrès.

a. L’érection du Bureau de l’Assemblée nationale en Bureau du Congrès

C’est le constituant qui pose lui-même le principe selon lequel, lorsque le


Parlement se réunit en Congrès, c’est le Bureau de l’Assemblée nationale qui
préside les débats. En conséquence, le Bureau de Congrès ne peut être que celui
de l’Assemblée nationale147. De prime abord, l’on ne perçoit pas la véritable portée
de ce principe. A l’analyse, l’on est emmené à se rendre compte de l’importance
de celui-ci quand on sait quels sont les pouvoirs dévolus au Bureau dans

144
Lire GICQUEL Jean, « Le Congrès du Parlement », in La République, Mélanges en l’honneur de
Pierre AVRIL, Montchrestien, E.J.A., 2001, p. 449.
145
Notamment pour réviser la Constitution, entendre une communication ou recevoir un message
du Président de la République et recevoir le serment des membres du Conseil constitutionnel.
146
GICQUEL Jean, op.cit, p. 454.
147
C’est d’ailleurs ce qui est clairement affirmé dans le Règlement intérieur du Congrès du
Parlement.

75
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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l’articulation de la vie parlementaire. Selon le Lexique de Droit Constitutionnel, le


Bureau désigne « l’autorité collégiale d’une assemblée délibérante destinée à
organiser ses travaux et diriger ses services148 ». Selon l’article 11 alinéa 1
nouveau du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale, le Bureau de
l’Assemblée nationale, c'est-à-dire celui du Congrès, comprend 23 membres, à
savoir : un président, un premier vice-président, cinq vice-présidents, quatre
questeurs, douze secrétaires. C’est donc ce Bureau qui possède à n’en point
douter, les pouvoirs les plus étendus pour organiser et diriger tous les services
dans les conditions déterminées par le Règlement intérieur du Congrès du
Parlement.
En opérant ce choix qui ne relève guère du hasard, le constituant marque
toute la différence qu’il y a entre les chambres du Parlement. Pour lui, c’est
l’Assemblée nationale qui doit avoir le dessus sur le Sénat. Sinon, comment
comprendre qu’il en vienne à préférer le Bureau de l’Assemblée nationale, alors
même qu’il aurait pu trouver une formule qui associe aussi le Bureau du Sénat.
D’ailleurs, n’est-ce pas le Président de l’Assemblée nationale qui préside les
travaux du Congrès du Parlement ?

b. La présidence du Congrès par le président de l’Assemblée nationale

A partir du moment où le Bureau de l’Assemblée nationale est amené à


présider les débats lorsque le Parlement se réunit en Congrès, la conséquence
est que le Congrès doit être présidé par le président de l’Assemblée nationale.
Non expressément affirmée dans la Constitution, cette idée est clairement
affirmée dans le Règlement intérieur du Congrès du Parlement. Aux termes de
celui-ci, le Président de l’Assemblée nationale préside les travaux du Congrès. A
cet effet, il assure la police des délibérations et fait observer les dispositions
dudit Règlement.

148
AVRIL Pierre et GICQUEL Jean, Lexique de Droit Constitutionnel, P.U.F., Paris, 2003, p. 14.

76
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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En effet, c’est la personne du président de l’Assemblée nationale qui


ordonnance les travaux, veille à ce que tout soit fait conformément à la loi. Qui
plus est, il a un pouvoir de sanction à l’égard de ceux et celles qui, par leurs
agissements, tenteraient de troubler la bonne tenue des travaux, que ce soit en
matière de révision constitutionnelle, de réception du serment des membres du
Conseil constitutionnel ou à l’occasion de la réception des communications et
messages du Président de la République.
S’agissant du cas précis du président du Sénat, il faut dire que celui-ci n’est
pas habilité à diriger les travaux, même en cas d’absence ou d’empêchement du
président de l’Assemblée nationale. Dans ces deux cas de figure, le Président de
l’Assemblée nationale est suppléé par le premier vice-président et, si ce dernier
est, à son tour, absent ou empêché, les autres vice-présidents le suppléent, dans
l’ordre de préséance établi par le Bureau149. Cependant, la stature et la posture
du président du Sénat ne sont pas négligées lors de la tenue des séances. Aux
termes du Règlement intérieur du Congrès du Parlement, le président du Sénat
est installé sur un fauteuil à côté de celui du président du Congrès. Ce qui
subodore que le président du Sénat peut « s’adresser » à son homologue de
l’Assemblée nationale pour lui exposer ses vues sur un aspect précis des travaux.
Toujours est-il que c’est le président de l’Assemblée nationale qui préside les
travaux du Congrès de Parlement.

Conclusion

En tant qu’un des principes du droit constitutionnel moderne, le bicamérisme,


ou tout au moins, le bicamérisme camerounais demeure sujet à caution. D’une
part, le constituant pose la règle selon laquelle le Parlement légifère et contrôle
l’action du Gouvernement, y compris le fait que l’Assemblée nationale et le Sénat
sont tous les deux habilités à exercer les fonctions juridictionnelles et de
nomination. D’autre part en revanche, cette égalité apparente est dévoyée par

149
Lire le Règlement intérieur du Congrès du Parlement.

77
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

d’autres dispositions constitutionnelles qui consacrent incontestablement la


supériorité fonctionnelle de l’Assemblée nationale sur le Sénat, corroborant ainsi
l’idée de Joseph BARTHELEMY et Paul DUEZ selon laquelle « il y a une seconde
chambre, appelée quelquefois par courtoisie chambre haute qui, par son origine
ou sa composition, diffère de la représentation plus immédiate du peuple réalisée
dans la chambre basse150 ».
Au vrai, le bicamérisme camerounais est fondamentalement paradoxal à telle
enseigne qu’on ne sait pas véritablement à quoi correspondent les néologismes
« chambre basse » pour désigner l’Assemblée nationale, et « chambre haute »
parlant du Sénat. A la lecture de ce qu’il est convenu d’appeler la loi
constitutionnelle du 18 janvier 1996, on a l’impression que c’est plutôt
l’Assemblée nationale qui revêt l’allure d’une « chambre haute » et le Sénat celle
d’une « chambre basse ». Au final, ce constat incline à penser que le Sénat est
une institution inutile et sans importance, d’où la nécessité de panser ou de
repenser le Sénat camerounais à défaut, le supprimer car en l’état il ne s’agit
guère d’un bonus constitutionnel mais d’un gadget constitutionnel151.

150
BARTHELEMY Joseph et DUEZ Paul, op.cit, p. 446.
151
On lira utilement URVOAS Jean-Jacques, Le Sénat, collection Que sais-je ?, Paris, 2019, p. 3
et s.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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L’indépendance du Conseil

constitutionnel camerounais

Zulandice ZANKIA152

Doctorat/Ph.D en Droit Public-Chargé de Cours - Université de Dschang

____________________

152
Membre de l’Unité de Recherche en Droit, Institutions et Intégration Communautaire (URDIIC)
à l’Université de Dschang – Cameroun et de la Section camerounaise de l’Association Africaine
pour le Droit International (AADI). E. mail : zzulandice@ymail.com

79
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Résumé

Jusqu’en février 2018, c’est la Cour suprême qui siégeait comme Conseil
constitutionnel au Cameroun. Depuis 1996, ce Conseil constitutionnel transitoire
a exercé sans partage, les attributions de cet organe constitutionnel. Peut-on
affirmer de nos jours que, le droit positif camerounais assure l’indépendance du
Conseil constitutionnel ? Il est difficile de l’affirmer de manière tranchée, car les
garanties de ladite indépendance se trouvent de plus en plus minorées depuis la
consécration dudit Conseil en 1996. L’étude combinée des textes et de la
pratique camerounaise de la justice constitutionnelle permet de comprendre que
les garanties d’indépendance de ce Conseil sont ambigües tant dans son
organisation que dans son fonctionnement. L’ambiguïté de son indépendance
organique se traduit par la consécration de ladite indépendance par le
constituant de 1996 et sa fragilisation par la réforme constitutionnelle de 2008.
Il en est de même de l’ambiguïté de son indépendance fonctionnelle qui, malgré
le caractère définitif de son pouvoir de décision, se démarque par une politique
jurisprudentielle caractérisée par l’absence d’autorité sur le contrôle de
constitutionnalité et de neutralité non permanente sur la régulation de la vie
politique.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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Le processus de démocratisation du Cameroun qui a pris corps dans la


dernière décennie du XXème siècle, a abouti à la refondation de l’État
camerounais à travers la révision de la Constitution du 02 juin 1972153 et
l’adoption déguisée d’une nouvelle Constitution le 18 janvier 1996154. Au vu de la
réforme des institutions centrales et la consécration de nouveaux organes de
l’État, on aurait pu conclure au dépérissement de l’État légal au profit de l’État de
droit au Cameroun. Malheureusement, le principe de progressivité consacré par
l’alinéa premier de l’article 67 de ladite Constitution155, a complètement biaisé
cette réforme au point où certaines institutions156 créées ont pris du temps pour
leur mise en place : ce fut le cas du Conseil constitutionnel dont le gouvernement
a décidé de mettre en place le 07 février 2018157 et dont les membres nommés
ont prêté serment le mardi 06 mars 2018 devant le Parlement réuni en congrès158
au Palais de congrès à Yaoundé. Ce Conseil a commencé ses missions en mars
2018 par le contentieux des élections sénatoriales159. Il a tenu ses premières
audiences en matière du contentieux des élections présidentielles en 2018 après
le scrutin présidentiel du 07 octobre 2018. Ce fut de même pour les élections
législatives en 2019.

153
Par la Loi n° 96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 02 juin 1972.
154
Voir A. D. OLINGA (dir.), La réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 au Cameroun 25 ans
après, Yaoundé Afrédit, 2021, 489 p.
155
Ce texte prévoit que : « Les nouvelles institutions de la République prévues par la présente
Constitution seront progressivement mises en place ».
156
Au sens du Doyen M. HAURIOU, à savoir institution comme mécanisme ou organe.
157
Par Décret n° 2018/104 du 07 février 2018 portant organisation et fonctionnement du
Secrétariat général du Conseil Constitutionnel et le Décret n° 2018/105 du 07 février 2018
portant nomination des membres du Conseil Constitutionnel.
158
Conformément à l’article 14 alinéa 4 de la Constitution camerounaise du 10 janvier 1996.
159
Relativement au contentieux des élections sénatoriales du 25 mars 2018, le Conseil a arbitré
les recours pré-électoraux déposés par les partis politiques en compétition. Au bilan : 06
recours enregistrés, 04 recours irrecevables, 02 recours recevables parmi lesquels le
désistement de l’UNDP dans la région du Nord et le rejet du recours du SDF dans la région de
l’Ouest par sa décision du 19 mars 2018.

81
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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Le Conseil constitutionnel camerounais est une innovation de la


Constitution de 1996, car des trois précédents textes constitutionnels, celui du
04 mars 1960 n’avait pas prévu d’organe particulier en charge du contrôle de
constitutionnalité. Les textes constitutionnels du 1er septembre 1961 et du 02 juin
1972 avaient opté pour l’institution d’une Chambre constitutionnelle au sein de la
Cour suprême chargée de veiller à la justice constitutionnelle160. C’est ainsi que,
avant l’année 1996, la Cour suprême qui assumait la mission de juge
constitutionnel161, pouvait être saisie de manière facultative par le Président de
la République162. Ainsi, l’opportunité de la saisine de la Chambre constitutionnelle
de la Cour suprême était soumise à la seule volonté discrétionnaire du Chef de
l’État. C’est en cela que la réforme constitutionnelle de 1996 était salutaire pour
avoir institué un organe séparé et indépendant du pouvoir judiciaire : le Conseil
constitutionnel. Cependant, cette réforme est restée lettre morte pendant deux
décennies.
Le Conseil constitutionnel est un organe fondamental qui régule, encadre,
contrôle, stabilise et garantie l’ordre constitutionnel au sein de l’État. C’est du
moins ce qui ressort de la philosophie du constitutionnalisme depuis le début du
XXème siècle. Pour Louis FAVOREU, une Cour constitutionnelle163 est, en
particulier, un organe chargé de manière concentrée et exclusive, du contrôle de
constitutionnalité des lois, disposant d’un statut constitutionnel, distincte et
détachée de l’appareil juridictionnel ordinaire, dont les décisions ont un effet erga
omnes164.

160
Voir J. F. WANDJI K., La justice constitutionnelle au Cameroun, Paris, MENAIBUC, 2015, pp.
20-21.
161
Article 33 de la Constitution du 02 juin 1972.
162
Voir C. KEUTCHA TCHAPNGA, note sous Cour Suprême, Décision n° 001/CC/02-03 du 28
novembre 2002 relative au contrôle du Règlement intérieur de l’Assemblée Nationale du
Cameroun.
163
Le Doyen FAVOREU assimile le Conseil constitutionnel à une Cour constitutionnelle dans le
mode de nomination des membres, des modalités de saisine et des méthodes de jugement.
164
Voir L. FAVOREU, « Modèle américain et modèle européen de justice constitutionnelle »,
Annuaire International de Justice Constitutionnelle, n° IV, 1988, pp. 57-61.

82
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

En réalité, il est un organe clé dans la conception et la refondation de la


notion d’État de droit, c’est-à-dire un État dans lequel le respect de la norme
juridique passe non seulement par la soumission des normes inférieures aux
normes supérieures, « la consolidation de la séparation des pouvoirs »165, mais
alors par la protection de la violation de la norme au plus haut degré par un
organe spécial et indépendant des pouvoirs politiques (exécutif, législatif et
judiciaire). En effet, comme le souligne si bien la doctrine, « L’institution d’un
contrôle juridictionnel de constitutionnalité est le second élément décisif de
développement de l’État de droit au Cameroun dans la mesure où la garantie des
droits et libertés nécessite la sanction juridique de leur violation » 166.
Deux décennies après sa consécration, c’est la Cour suprême qui a officié
au Cameroun comme Conseil constitutionnel. Statuant comme Conseil
constitutionnel, la Cour suprême siégeait en Chambres réunies et était composée
ainsi qu’il suit : un Président (le Président de la Cour suprême) ; plusieurs
membres (les Présidents de la Chambre administrative, de la Chambre judiciaire,
de la Chambre des comptes et les Présidents des sections (12) ; trois Conseillers
à la Cour ; le Procureur général et le Greffier en chef auprès de cette Cour167.
Selon la philosophie actuelle de l’État de droit, l’organe suprême en charge
de la régulation de la vie démocratique dans un État168 doit être indépendant dans
l’exercice de ses missions. Le Conseil constitutionnel est l’organe à qui, le
constituant camerounais de 1996 a confié cette tâche. La doctrine camerounaise
a une vision partagée sur la nature de son indépendance. Si certains pensent que

165
Voir P. E. ABANE ENGOLO, « Les figures de la Constitution matérielle en Afrique », in O. NAREY
(dir.), La Constitution : Actes du Séminaire Scientifique tenu à Niamey du 24 au 26 octobre
2018, Sénégal, L’Harmattan, 2018, p. 216.
166
Voir J. F. WANDJI K., Ouvrage précité, p. 19.
167
Cour suprême siégeant comme Conseil constitutionnel, Décision n° 13/CEP/2011 du 20
septembre 2011, affaire BENZ ENOW BATE (CDP) c/ Elections Cameroon (ELECAM) ; Décision
n° 03/CEP/2011 du 20 septembre 2011, affaire EGONO Valentin (UCDI) c/ Elections Cameroon
(ELECAM).
168
Voir Zulandice ZANKIA, « Le rôle du Conseil constitutionnel transitoire dans la régulation
démocratique de l’État au Cameroun », Revue Africaine de Sciences Politique et Sociales, No
31, AVRIL 2021, pp. 76-94.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

ce Conseil a une indépendance statutaire projetée169 et assurée170, ou bien une


indépendance matérielle assurée171 ; d’autres par contre trouve que cet organe a
une indépendance relative172 ou alors, que cette instance ne jouis pas d’une
autonomie suffisante pour exprimer son indépendance. Avec la mise en place du
Conseil constitutionnel en 2018, on espère que cet organe exercera l’ensemble
de ses attributions et contribuera de manière indépendante à une meilleure
régulation démocratique au Cameroun. Ce qui semble ne pas être partagé par
tous et surtout des partis d’opposition (MRC et UNIVERS) qui ont récusé certains
juges lors du contentieux des élections présidentielles du 07 octobre 2018 pour
leur affiliation politique avec le RDPC (parti au pouvoir) et la fonction de député
RPDC occupée jusqu’à lors par la femme du président actuel du Conseil
constitutionnel nommé par le Président de la République, candidat à sa propre
succession à cette élection. Ce qui relance les débats sur l’indépendance du
Conseil constitutionnel camerounais.
Il est certain que « La confiance du public dans la justice
constitutionnelle »173 est de nos jours, un élément nécessaire à prendre en
compte pour légitimer les décisions du juge constitutionnel. Cependant, l’analyse
historique des organes en charge de rendre la justice constitutionnelle montre
qu’une institution peut être limitée de par ses moyens statutaires et s’affirmer de
manière indépendante par son fonctionnement. Est-ce le cas du Conseil
constitutionnel camerounais ? Autrement dit, peut-on affirmer que le droit positif

169
Voir M. NGUELE ABADA, « La naissance d’un contre-pouvoir : réflexions sur la loi portant
organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel camerounais », R.R.J. 2005-4 (II),
p. 2469.
170
Voir M. NGUELE ABADA, « L’indépendance des juridictions constitutionnelles dans le
constitutionnalisme des Etats francophones postguerre froide : l’exemple du Conseil
constitutionnel camerounais », p. 3, inédit.
171
Voir C. MOMO, « Heurs et malheurs de la justice constitutionnelle au Cameroun », Juridis
Périodique, n° 64, Octobre-Novembre- Décembre 2005, p. 52.
172
Voir J. F. WANDJI K., Ouvrage précité, pp. 63-64 ; A. D. OLINGA, La Constitution de la
République du Cameroun, Yaoundé, Presses de l’UCAC, 2006, p. 151.
173
Voir M-C. PONTHOREAU, « La confiance du public dans la justice constitutionnelle à l’ère du
populisme : piste de réflexion », Annuaire international de justice constitutionnelle, XXXV-
2019, pp. 15-20.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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camerounais assure véritablement l’indépendance de son Conseil constitutionnel


? Il est difficile de l’affirmer de manière tranchée, car les garanties de ladite
indépendance se trouvent de plus en plus minorées depuis la consécration dudit
Conseil en 1996. Ainsi, depuis sa consécration, les garanties de l’indépendance
du Conseil constitutionnel camerounais sont ambigües. L’étude du texte
constitutionnel de 1996 avec sa révision de 2008, des lois de 2004 relatives à
son statut, à l’organisation et fonctionnement de cet organe ; l’analyse de la
jurisprudence la Cour suprême statuant comme Conseil constitutionnel jusqu’en
2018 et de sa propre jurisprudence, permettent de comprendre aisément cette
ambiguïté. Comme le relève si bien Gérard CONAC, « L’exégèse des textes
constitutionnels africains ne peut jamais le dispenser de vérifier l’usage qui en
est fait sur place174 ». Ainsi, l’étude combinée des textes juridiques et de la
pratique jurisprudentielle camerounaise de la justice constitutionnelle, permet de
comprendre que les garanties d’indépendance de ce Conseil sont ambigües tant
dans son organisation (I) que dans son fonctionnement (II) ; avec espoir que la
nouvelle institution mise en place restera neutre malgré tous les vices qui
entourent son indépendance.

I. L’ambiguïté de l’indépendance organique du Conseil

constitutionnel

La lecture combinée de la Constitution et des lois de 2004, portant statut,


organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel, présente plusieurs
éléments pouvant justifier l’ambiguïté de l’indépendance dudit Conseil. À ce
sujet, l’étude de l’indépendance statutaire des membres dudit Conseil permettra
de se rendre compte du degré d’indépendance de cette institution à l’égard des
autres pouvoirs publics. On peut relever de la présence des éléments contribuant

174
Voir G. CONAC, cité par A. S. OULD BOUBOUTT, « Les juridictions constitutionnelles en
Afrique : évolution et enjeux », AIJC, 1999, p. 32.

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à la construction de son indépendance (A) à côté des éléments qui fragilisent


considérablement ladite indépendance (B).

A. La valorisation de son indépendance par les attributs statutaires de ses

membres

L’étude combinée des textes camerounais fait ressortir trois éléments


essentiels protégeant l’indépendance du Conseil constitutionnel à savoir, les
incompatibilités de fonction (1), les privilèges et immunités (2) et l’inamovibilité
de ses membres (3).

1. La protection de la fonction de membre par les incompatibilités

La doctrine constitutionnaliste distingue deux types d’incompatibilités :


l’incompatibilité absolue et l’incompatibilité relative. Le premier modèle s’étend à
l’endroit de l’exercice de toute fonction publique, fonction électorale et même
des activités privées alors que le second modèle limite l’incompatibilité à
certaines fonctions bien précises175. Le constituant camerounais a opté pour le
modèle relatif de l’incompatibilité, en ce sens que la Constitution de 1996 précise
clairement les domaines non compatibles avec l’exercice de la fonction de
membre du Conseil constitutionnel. En réalité l’article 51 alinéa 5 de la
Constitution, précise que les fonctions de membre du Conseil constitutionnel
sont incompatibles avec celles de membre du gouvernement, du Parlement ou
de la Cour suprême. Il s’agirait là d’une protection très relative si le même texte
ne prévoyait pas que « les autres éléments du statut tels les incompatibilités….
sont fixés par la loi » 176. À ce sujet, la Loi de 2004/05 fixant le statut des membres
du Conseil constitutionnel ajoute d’autres activités incompatibles avec l’exercice
de cette fonction. Il s’agit de la qualité de membre du Conseil Économique et
Social, de l’exercice de tout mandat électif ou de tout autre emploi public, civil

175
Voir A. S. OULD BOUBOUTT, Article précité, p. 38.
176
Article 51, alinéa 5 in fine de la Constitution camerounais de 1996.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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ou militaire, et de toute autre activité professionnelle privée pouvant affecter


l’honorabilité, l’impartialité, l’intégrité, la neutralité et l’honnêteté intellectuelle du
membre du Conseil constitutionnel.177

À l’analyse et comme le souligne une certaine doctrine178, les


incompatibilités prévues par la Loi de 2004/2005, sont plus nombreuses que
celles présentées par le constituant camerounais de 1996. Celles-ci permettent
de garantir effectivement l’indépendance du juge constitutionnel. Dans certains
pays, il est même interdit de cumuler la fonction de juge constitutionnel et
l’exercice d’un poste de responsabilité ou de direction au sein d’un parti
politique179. Dans le modèle français, « Les fonctions de membre du Conseil
constitutionnel sont incompatibles avec celles de membre du Gouvernement, de
membre du Conseil économique et social, ainsi qu’avec tout mandat électif local
ou national et tout poste de responsabilité au sein d’un parti ou groupement
politique. L’élection au Parlement d’un membre du Conseil fait donc obstacle à
ce qu’il continue de siéger même s’il s’agit d’un membre de droit : cela a été le
cas pour Valéry Giscard d’Estaing 180». Il en serait de même au Cameroun si une
telle situation se produisait, car les anciens Présidents de la République sont
membres de droit et à vie du Conseil constitutionnel. Il est cependant important
de souligner qu’après épuisement de son mandat politique V. Giscard d’Estaing
a décidé de revenir siéger au Conseil constitutionnel au printemps 2004 comme
N. Sarkozy y siège depuis juin 2012 à la suite d’autres anciens présidents
français181.

177
Article 8 alinéa premier de la Loi 2004/05.
178
Voir A. D. OLINGA, La Constitution de la République du Cameroun, Yaoundé, Presses de
l’UCAC, 2006, p. 152.
179
Voir P. AVRIL et J. GIQUEL, Le Conseil constitutionnel, Paris, Montchrestien, 2011, p. 76.
180
Voir F. HAMON et C. WIENER, La justice Constitutionnelle : Présentation générale, France,
Etats-Unis, La documentation française, Document à l’étude N° 1. 15, 2001, p.7.
181
Voir P. ARDANT et B. MATHIEU, Droit constitutionnel et institutions politiques, 27e éd., Paris,
LGDJ, Lextenso éditions, 2015, p. 114.

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Au même titre que les incompatibilités, les privilèges et immunités


permettent de garantir l’indépendance du Conseil constitutionnel.

2. La protection de ses membres par les privilèges et immunités

Pendant que les privilèges se résument à un ensemble d’avantages


particuliers que peuvent bénéficier, les personnes appartenant à un même corps,
les immunités constituent un ensemble de moyens de droit qui protègent
certaines personnalités contre l’exercice d’une action en justice de nature à les
perturber dans l’exercice de leur fonction. On en distingue deux sortes :
l’inviolabilité qui est temporaire et l’irresponsabilité qui est perpétuelle.

Le constituant de 1996 a laissé le soin au législateur de fixer le régime des


privilèges et immunités des membres du Conseil constitutionnels camerounais182.
Ce qui a été fait par la Loi n° 2004/05 avec les soins de son chapitre 5. Cette loi
prescrit trois mesures importantes pour protéger la fonction du Conseil183.
Premièrement, les membres du Conseil constitutionnel sont protégés contre les
menaces, outrages, attaques de quelque nature que ce soit dont ils peuvent être
l’objet dans l’exercice de leurs fonctions. Deuxièmement, aucun membre du
Conseil constitutionnel ne peut être inquiété, poursuivi, recherché, arrêté, détenu
ou jugé en raison des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses
fonctions. Troisièmement, le Président et les membres du Conseil constitutionnel
bénéficient des avantages, traitements et indemnités fixés par décret du
Président de la République184. On peut toutefois regretter le fait que « La loi s’est
limitée à déterminer un certain nombre d’avantages et privilèges à l’exclusion du
rang protocolaire »185. Quel que soit la nature des circonstances, l’immunité d’un

182
Voir J. F. WANDJI K., Ouvrage précité, p. 72.
183
Voir les articles 11, 12 et 13 de la Loi n° 2004/05.
184
A titre d’exemple en droit étranger, Voir P. Avril et J. GICQUEL, Ouvrage précité, p. 76.
185
Voir M. NGUELE ABADA, « La naissance d’un contre-pouvoir : réflexions sur la loi portant
organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel camerounais », Article précité, p.
2473.

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membre du Conseil constitutionnel ne peut être levée qu’à la majorité des deux
tiers de ses pairs. A défaut de cette majorité, « la levée de l’immunité n’est pas
acquise »186. Il s’agit là d’une véritable protection de l’indépendance du juge
constitutionnel, qui participe à la même finalité que l’irrévocabilité de ses
membres.

3. La protection de ses membres par l’inamovibilité de leur mandat

L’inamovibilité du juge constitutionnel signifie de manière générale que les


membres du Conseil ou d’une Cour constitutionnel ne peuvent être révoqués de
leur fonction. Ils ne peuvent être inquiété, ni par le pouvoir exécutif, ni par le
pouvoir législatif187 ou judiciaire selon les Pays. Comme le souligne si bien un
auteur, « Il s’agit d’un verrou important qui ne peut que garantir l’indépendance
des conseillers »188.

Le constituant camerounais de 1996 n’a pas manifestement consacré cette


protection au juge constitutionnel, mais le législateur de 2004, chez qui, il a
renvoyé la détermination du statut des membres du Conseil y consacre tout un
chapitre.189 Le régime de l’inamovibilité des membres du Conseil constitutionnel
fixé par ledit chapitre ne prévoit la fin de la mission d’un conseiller constitutionnel
en cours de mandat qu’en présence de certaines circonstances. Il s’agit de la
démission de l’intéressé, du décès d’un membre (articles 19 et 21), d’incapacité
physique permanente dûment constatée par un collège médical désigné par le
Conseil constitutionnel (article 21) ou d’exclusion d’un membre pour violation

186
Voir A. D. OLINGA, Ouvrage précité, p. 153.
187
Voir F. HAMON et C. WIENER, La justice Constitutionnelle : Présentation générale, France,
Etats-Unis, La documentation française, précité, p.17.
188
Voir A. D. OLINGA, Op. cit. p. 153.
189
Articles 18 à 24 de la loi 2004/05.

89
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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grave de ses obligations, de ses incompatibilités ou à la demande de l’autorité


de nomination 190 ou d’office (article 18).

S’agissant particulièrement de la démission, celle-ci peut être volontaire ou


provoquée. Elle est dite volontaire lorsque le membre concerné quitte librement
ses fonctions pour une raison de convenance personnelle en dehors de toute
incompatibilité. Elle est provoquée quand les circonstances troubles de la vie
privée ou publique du membre peuvent donner lieu à un doute sur sa probité à
assurer la mission d’intérêt général qui est confiée au Conseil constitutionnel. Ce
fut le cas le premier mars 2000, de Monsieur Roland Dumas, Président du Conseil
constitutionnel français. En effet, suite à sa mise « en examen pour complicité
d’abus de biens sociaux dans l’affaire des détournements de fonds de
l’entreprise publique Elf Aquitaine, Roland Dumas avait, dans un premier temps,
refusé de démissionner tout en décidant, le 24 mars 1999, de suspendre
l’exercice de ses fonctions jusqu’à ce que les poursuites engagées contre lui
soient terminées. Cette décision avait entraîné de graves complications, le
Conseil était obligé de siéger avec 8 membres au lieu de 9 et sous la présidence
de son doyen d’âge. La démission était la seule mesure permettant de rétablir un
fonctionnement normal de l’institution 191».

Dans le système américain, « les juges bénéficient de l’inamovibilité : ni le


Présidant, ni le Congrès ne peuvent les obliger à démissionner. Leur révocation
ne peut intervenir qu’à la suite d’une procédure d’impeachment, au cas où ils
seraient reconnus coupables de trahison, corruption, ou autres grands crimes ou
délits (article II, section 4 de la Constitution), mais dans toute l’histoire des Etats-
Unis, aucun membre de la Cour suprême n’a jamais été destitué. Ce statut
confère évidemment à la Cour, une très large indépendance vis-à-vis du

190
Une hypothèse que la doctrine camerounaise considère comme lacunaire et rétrograde, Voir
A. D. OLINGA, Ouvrage précité, p. 153 ; J. F. WANDJI K., Ouvrage précité, p.71.
191
Voir F. HAMON et C. WIENER, La justice Constitutionnelle: Présentation générale, France,
Etats-Unis, précité, p. 7.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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Président et du Congrès et selon un dicton populaire, un juge à la Cour suprême


ne démissionne jamais et meurt rarement 192».

Au regard de ces garanties statutaires du juge constitutionnel


camerounais, on serait tenté de dire que ce dernier est indépendant ou bien qu’il
a une « protection statutaire assurée »193. Que non, il ne l’est pas totalement, car,
nombreux sont des éléments fragilisant cette indépendance. Car,
« L’indépendance et l’impartialité projetées du Conseil constitutionnel »194
jusqu’en 2004 a été fragilisée par la réforme constitutionnelle d’avril 2008.

B. La fragilisation de l’indépendance statutaire de ses membres

La composition ou le mode de désignation des membres de l’organe


constitutionnel en charge de la justice constitutionnelle (1) et la durée de leur
mandat (2) sont des ingrédients capitaux dans la détermination de
l’indépendance du juge constitutionnel. Il est loisible de constater qu’au
Cameroun, ces éléments ne permettent pas de consolider l’indépendance du
Conseil constitutionnel.

1. La fragilisation par la composition et la désignation de ses membres en 2004

S’il est vrai que de nos jours, la composition et le mode de désignation des
membres du Conseil constitutionnel n’est plus un critère permanent pour
apprécier l’indépendance des Conseils ou Cours constitutionnels, il n’est pas
moins pertinent d’en tenir compte en fonction du système politique lorsqu’on
veut évaluer de façon profonde l’indépendance du juge constitutionnel. Le

192
Ibidem, p. 37.
193
Voir M. NGUELE ABADA, « L’indépendance des juridictions constitutionnelles dans le
constitutionnalisme des Etats francophones postguerre froide : l’exemple du Conseil
constitutionnel camerounais », p. 3, inédit.
194
Voir M. NGUELE ABADA, « La naissance d’un contre-pouvoir : réflexions sur la loi portant
organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel camerounais », Article précité, p.
2469.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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résultat diffère selon qu’on soit en présence d’un régime démocratique ou d’un
régime non démocratique ou d’un régime à démocratie controversée. Dans un
régime démocratique, le juge constitutionnel a plus de liberté et de marge de
manœuvre vis à vis de l’autorité de désignation. En ce sens, certains auteurs
estiment que, « l’indépendance ne peut être codifiée ni mise en formule et que
des Cours constitutionnelles dont le recrutement n’était pas sans susciter
certaines critiques ont su faire montre de toute l’indépendance souhaitable vis-
à-vis des autorités qui avaient nommé leurs membres 195». Ce qui n’est pas le cas
dans les régimes non démocratiques ou à démocratie relative comme le
Cameroun.

D’après l’article 51, alinéa premier de la Constitution, le Conseil


constitutionnel camerounais est constitué de onze (11) membres choisis parmi
les personnalités de réputation professionnelle établie. Ceux-ci devant jouir
d’une grande intégrité morale et d’une compétence reconnue. À ses onze (11)
membres, il faut y ajouter les anciens Présidents de la République qui sont de
droit, membres à vie du Conseil ; quoique la présence de ces derniers est de plus
en plus remise en cause par les hommes politiques et la doctrine. C’est ainsi que,
le comité Balladur en 2007, la Commission Jospin en 2012 et le Président F.
Hollande ont estimé qu’il est temps de mettre fin à l’existence de cette catégorie
de membres. Ce courant de pensée est soutenu par certains auteurs pour qui :
« La présence des anciens Présidents de la République peut être jugée,
aujourd’hui, inadaptée à ce qu’est devenue la juridiction constitutionnelle 196».
Les onze membres du Conseil sont nommés par le Président de la République et
désignés à raison de : trois parmi lesquels le Président du Conseil, choisis par le
Président de la République ; trois par le Président de l’Assemblée Nationale après

195
Voir F. MÉLIN-SOUCRAMANIEN et P. PACTET, Droit constitutionnel, 34e éd., Paris, Dalloz,
Sirey, 2014, p. 74.
196
Voir P. ARDANT et B. MATHIEU, Droit constitutionnel et institutions politiques, 27e éd., Ouvrage
précité, p. 114.

92
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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avis du bureau ; trois par le Président du Sénat après avis du bureau et deux par
le Conseil Supérieur de la magistrature que préside le Président de la République.

Il s’agit là d’une évolution remarquable au regard du pouvoir de nomination


solitaire jadis reconnu au Chef de l’État qui a cédé place au système de partage
plus ou moins ouvert197. Ce qui donne plus de légitimité au juge constitutionnel
africain, mais ne le dédouane pas de ses velléités de servir plus la volonté d’un
homme (le Chef de l’État) que tout un peuple au regard du contexte et de la
nature relative de la démocratie et de l’État de droit dans la plupart des pays
africains dont le Cameroun ne peut échapper. La réalité camerounaise est la
suivante : le Chef de l’État à lui seul nomme cinq (5) membres, dont trois (3) en
tant que Président de la République et deux (2) en tant que Président du Conseil
Supérieur de la magistrature. De l’avis d’un auteur, le Chef de l’État « dispose d’un
pouvoir d’avis conforme sur la désignation opérée par les parlementaires, d’abord
en sa qualité de chef du parti majoritaire et donc leader de la majorité à
l’Assemblée nationale et ensuite du fait qu’il nomme le 1/3 des membres du Sénat
soit 30 sur 100, cela lui permet de disposer d’une minorité de blocage, pouvant
influer sur le choix des conseillers »198. Sans oublier qu’en cas d’égalité de voix
des membres, la voix du Président du Conseil choisi par le Président de la
République est prépondérante. Tout a été huilé pour que le Chef de l’État soit le
moins inquiété par le Conseil constitutionnel. Il en est de même de la destitution
du membre du Conseil constitutionnel à la demande de l’autorité de désignation
prévue par la loi de 2004 sur le statut des ses membres199. Ce qui « paraît quelque
peu équivoque, dans la mesure où elle crée une allégeance inattendue de la
personne désignée vis-à-vis de ladite autorité »200 et contribue ainsi à une
réduction considérable de l’indépendance du Conseil constitutionnel.

197
Voir A. S. BOUBOUTH, Article précité, p. 37.
198
Voir M. NGUELE ABADA, « L’indépendance des juridictions constitutionnelles dans le
constitutionnalisme des Etats francophones postguerre froide : l’exemple du Conseil
constitutionnel camerounais », p. 12, inédit.
199
Voir article 18 de Loi n° 2004/05.
200
Voir A. D. OLINGA, Ouvrage précité, p. 151.

93
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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Il s’agit là d’un mode de désignation des juges constitutionnel inspiré du


modèle français. Cependant, à la différence du modèle camerounais, le Président
du Conseil est désigné par le Chef de l’État, mais pas nécessairement parmi les
membres qu’il désigne. Avec la réforme constitutionnelle française de 2008, la
nomination des membres du Conseil par le Président de la République, le
Président du Sénat et le Président de l’Assemblée nationale est désormais
soumise à la procédure d’avis des commissions parlementaires sur les
propositions des autorités compétentes. Cette procédure à été mise en œuvre
pour la première fois en mars 2010201. C’est là, un mode désignation des juges
constitutionnels qui confère plus de liberté et de garantie d’indépendance à ces
derniers que le modèle camerounais.

Au regard du choix de la quasi-totalité des membres du Conseil


constitutionnel camerounais par les autorités politiques et de la prépondérance
des membres nommées au sein dudit Conseil, un auteur a conclu à juste titre
que: « l’aspect politique [est] potentiellement réducteur du Conseil
constitutionnel »202. Ainsi, il n’est plus de doute que la composition et la
désignation des membres du Conseil constitutionnel amenuisent
considérablement son indépendance comme l’est devenu la durée de leur
mandat.

2. La fragilisation par la réduction de la durée du mandat de ses membres par la

réforme constitutionnelle de 2008

En droit et contentieux constitutionnel, la durée du mandat est un critère


déterminant dans l’appréciation de l’indépendance du juge constitutionnel.
Lorsqu’un membre a un mandat fixe, stable et non renouvelable, il est plus libre
dans l’exercice de ses fonctions, que ledit mandat soit court, long ou à vie. A
contrario, lorsque le juge constitutionnel a conscience du fait que son mandat

201
Voir P. ARDANT et B. MATHIEU, Droit constitutionnel et institutions politiques, 27e éd., Ouvrage
précité, p. 114.
202
Voir J. F. WANDJI K., Ouvrage précité, p. 47.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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dans l’exercice de cette fonction prestigieuse et honorable de l’État est


renouvelable et soumis à la volonté d’un individu, il est plus enclin aux caprices
de cette autorité en charge de sa désignation.

En droit comparé, trois formules permettent d’apprécier et de consolider


l’indépendance des juridictions constitutionnelles. Il s’agit de la nomination à vie,
de la nomination pour un mandat long non renouvelable et la formule
intermédiaire ou de synthèse consistant à la nomination des juges pour un
mandat non renouvelable encadré par l’âge maximum mettant fin au mandat des
juges203. La plupart des États ont opté pour la formule du mandat unique non
renouvelable qui assure une meilleure indépendance au juge constitutionnel
(République Fédérale d’Allemagne : 12 ans, Portugal : 9 ans, France : 9 ans) ou a
vie (Belgique ; Etats-Unis). Dans l’espace européen, les juges constitutionnels,
s’ils ne sont pas nommés à vie, sont généralement désignés pour une période
comprise entre neuf (09) et douze (12) ans non renouvelables et il est
juridiquement impossible de les destituer sauf en cas de faute extrêmement
grave204.

Le constituant camerounais de 1996 avait cru bon de protéger


l’indépendance du Conseil constitutionnel par la fixation de la durée du mandat
de ses membres à neuf (09) ans non renouvelables. Aucun juge constitutionnel
camerounais n’aura bénéficié de cette mesure, puisque, avant même la mise en
place effective dudit Conseil, les pouvoirs institués ont légalement et sans
légitimité suffisante modifié l’article 51 alinéa premier de la Constitution qui avait
prévu un mandat unique non renouvelable. La réforme constitutionnelle de
2008205 à curieusement et de manière silencieuse sonné le glas à la longévité et
le caractère non renouvelable du mandat des membres du Conseil

203
Voir L. FAVOREU, P. GAÏA, R. GHEVONTAIAN, J-L. MESTRE, O. PFERSMANN, A. ROUX et G.
SCOFFONI, Droit constitutionnel, 12e éd., Paris, Dalloz, 2009, p. 260.
204
Voir F. HAMON et M. TROPER, Droit constitutionnel, 34e éd., Paris, LGDJ, Lextenso éditions,
2013, p. 66.
205
Loi n° 2008/001 du 14 avril 2008 modifiant et complétant certaines dispositions de la Loi n°
96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 02 juin 1972.

95
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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constitutionnel. À ce sujet, la nouvelle rédaction de l’article 51 alinéa premier,


issue de la révision de 2008, crucifie l’indépendance du juge constitutionnel
camerounais en prévoyant que les membres du Conseil constitutionnel sont
désignés pour un mandat de six (6) ans éventuellement renouvelables. Pourtant,
comme le souligne certains auteurs, « le caractère non renouvelable est … un
élément essentiel … acquis dans la totalité de cas. L’exception portugaise –
mandat de six ans renouvelable – a disparu depuis 1998 »206. On peut aisément
comprendre cet auteur pour qui : « La révision constitutionnelle intervenue le 14
avril 2008 a donc fragilisé le statut des conseillers constitutionnels, qui seront
jugés par le Président de la République à l’aune de leur degré d’allégeance à son
égard pour espérer un éventuel renouvellement de leur mandat »207.

À l’issue de cette révision, non seulement, la durée du mandat se trouve


réduite de 09 ans à 06 ans, mais alors son mandat devient renouvelable. Ce qui
fragilise considérablement l’indépendance de ses membres tout en permettant à
l’autorité politique d’avoir plus de franchises à l’égard du Conseil constitutionnel
au détriment de la garantie de la suprématie constitutionnelle et de l’effort de
construction de l’État de droit au Cameroun.

Au demeurant, malgré quelques éléments statutaires soulignant


l’indépendance du Conseil constitutionnel, celui-ci reste fragile au vu de sa
composition, de la désignation de ses membres et de l’organisation de leur
mandat. Il en est de même de son mode de fonctionnement.

II. L’ambiguïté de l’indépendance fonctionnelle du Conseil

constitutionnel

206
Voir L. FAVOREU, P. GAÏA, R. GHEVONTAIAN, J-L. MESTRE, O. PFERSMANN, A. ROUX et G.
SCOFFONI, Droit constitutionnel, précité, p. 261.
207
Voir B-R. GUIMDO DONGMO, « Constitution et démocratie dans les États francophones
d’Afrique », in O. NAREY (dir.), La Constitution : Actes du Séminaire Scientifique tenu à Niamey
du 24 au 26 octobre 2018, Sénégal, L’Harmattan, 2018, p. 190.

96
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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Il est généralement admis que : « C’est le statut de l’institution et de ses


membres qui permet de déterminer si l’institution considérée est une véritable
juridiction constitutionnelle car elle ne doit être considérée comme telle que si
son indépendance est véritablement assurée tant à l’égard des pouvoirs publics
qu’elle contrôle que des forces extérieures susceptibles de faire pression sur
elle »208. Deux décennies après la consécration du Conseil constitutionnel
camerounais, il était difficile d’apprécier son indépendance par son autonomie
règlementaire, son autonomie administrative et son autonomie financier, car
cette institution n’était pas encore mise en place et c’est la Cour Suprême, organe
du pouvoir judiciaire inféodé au pouvoir exécutif qui assume à titre transitoire,
les missions dudit Conseil. La lecture combinée de la Constitution avec la Loi de
2004/04 portant organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel
montre que cet organe est doté d’une indépendance perceptible dans ses
décisions au moment de sa mise en place (A) mais cette indépendance reste
introuvable dans l’exercice de ses fonctions (B) au regard du bilan d’activités du
défunt Conseil constitutionnel transitoire de l’article 67 alinéa 4 de la Constitution
camerounaise.

A. Une indépendance perceptible à travers son pouvoir de décision

La décision du Conseil constitutionnel est entourée par un ensemble de


règles qui ne permettent pas l’intrusion de pouvoirs institués de l’État dans son
fonctionnement. Ainsi, le Conseil constitutionnel prend ses décisions en toute
liberté (1), lesquelles décisions sont obligatoires dans tous les aspects (2).

1. La liberté dans la prise de ses décisions

Comme l’indique l’article 49 de la Constitution, le Conseil constitutionnel


statue dans un délai de 15 jours quel que soit le cas de sa saisine ; sauf en cas

208
Ibid, p. 258.

97
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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d’urgence où la Président de la République peut ramener ledit délai à 8 jours.


Pour valablement siéger et prendre des décisions, à défaut d’être tous présents,
les membres doivent atteindre un quorum et les majorités fixées par l’article 13
de la loi de 2004/04 portant organisation et fonctionnement du Conseil
constitutionnel. Le Conseil constitutionnel se réunit sur convocation de son
président, ou à défaut sur convocation du conseiller-doyen d’âge en cas
d’empêchement temporaire du président209. Le nombre minimum des conseillers
requis pour la délibération est de 9 membres. Toutefois, comme le souligne bien
un auteur sur la base de l’interprétation de l’alinéa 2 de l’article 13 de la loi
2004/04, «on peut déduire que de façon exceptionnelle, les décisions et autres
avis du Conseil constitutionnel peuvent être rendus sans que ce quorum soit
atteint seulement à la condition d’un empêchement ou d’un cas de force majeure
dûment constatées au procès-verbal de séance et obligatoirement signé par le
Président du Conseil et le Secrétaire général»210. L’alinéa 4 du même texte prévoit
que : les décisions du Conseil sont prises à la majorité simple des conseillers
présents. Tout conseiller étant tenu de prendre part au vote, car l’abstention n’est
pas permise et en cas de partage des voix, celle du président est prépondérante.

On se rend bien compte que le Conseil constitutionnel prend ses décisions


en toute liberté, lesquelles sont obligatoires dans tous ses éléments.

2. La consécration de la force obligatoire de ses décisions

Le constituant camerounais de 1996 a consacré avec clarté et précision,


la force obligatoire attachée aux décisions prises par le Conseil constitutionnel.
Ceci ressort clairement de la lecture de l’article 50 de la Constitution et de l’article
15 al 4 de la Loi de 2004/04. En effet, l’article 50 de la Constitution dispose que :
les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours.
Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives,

209
Voir article 11 de la Loi de 2004/04
210
Voir J. F. WANDJI K., Ouvrage précité, p.176.

98
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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militaires et juridictionnelles, ainsi qu’à toute personne physique ou morale. En


tout état de cause, une décision déclarée inconstitutionnelle ne peut être ni
promulguée, ni mise en application. Il s’agit là d’une protection certaine de
l’indépendance du Conseil constitutionnel par son pouvoir de décision. De
manière générale et en s’inspirant du droit étranger, cette « autorité s’attache au
dispositif des décisions, mais aussi aux motifs qui en sont le soutien nécessaire
et en constituent le fondement »211 .

Comme l’a si bien relevé Charles EISENMANN, les différentes décisions du


Conseil constitutionnel sont définitives et souveraines, par conséquent, elles
bénéficient d’une autorité irréfragable212. Cette leçon a été assimilée par le
législateur de 2004, qui parachevant l’œuvre du constituant de 1996, a prévu à
l’article 15 alinéa 4 de la Loi n° 2004/04, que les décisions du Conseil
constitutionnel « doivent être exécutées sans délai ».

Interprétant a contrario, la force exécutoire rattachée aux décisions du


Conseil constitutionnel, un auteur estime que : « la décision du Conseil a une
autorité totale et universelle sur l’ensemble des composantes de la nation … ».
Le même auteur poursuit en affirmant que : « ce que le Conseil a jugé non
conforme à la Constitution ne s’impose à personne, parce que cela est réputé
juridiquement inexistant dans l’ordre constitutionnel »213.

Par ses décisions, le Conseil constitutionnel camerounais dispose d’une


grande marge de manœuvre protégeant son indépendance, même si celle-ci
demeure introuvable dans l’exercice de ses fonctions après 22 ans de période
transitoire.

211
Voir P. AVRIL et J. GICQUEL, Ouvrage précité, p. 100 ; dans le même sens, Voir M. NGUELE
ABADA, « L’indépendance des juridictions constitutionnelles dans le constitutionnalisme des
Etats francophones postguerre froide : l’exemple du Conseil constitutionnel camerounais », p.
9, inédit.
212
Cité par J. F. WANDJI K., Ouvrage précité, p. 188.
213
Voir A. D. OLINGA, Ouvrage précité, p. 168.

99
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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B. Une indépendance relative dans l’exercice de ses compétences par l’organe

transitoire

De même que la connaissance du temps passé et du temps à venir est


indispensable dans la détermination de la personnalité de l’être humain, de
même, la prise en compte du temps écoulé est primordiale dans l’étude de
l’évolution des institutions de l’État. Ainsi, la prise en compte des activités du
Conseil constitutionnel transitoire, permettra au véritable Conseil constitutionnel
qui vient d’être mis en place, de savoir ce qu’il faudra faire pour sauvegarder son
indépendance fonctionnelle.

Le Conseil constitutionnel camerounais exerce plusieurs chefs de


compétence. A ce sujet l’article 47 de la Constitution précise son champ d’action
et dispose qu’il statut souverainement sur le contrôle de constitutionnalité des
lois, des Traités et Accords internationaux, des Règlements intérieurs de
l’Assemblée Nationale et du Senat avant leur mise en application. Il tranche la
question de conflit de compétence entre les institutions de l’État, entre l’État et
les régions et entre les régions. L’article 48 lui permet de connaître du contrôle
de la régularité des élections : présidentielle, législative sénatoriale et
référendaire. Après 22 ans d’activités, la Cour Suprême statuant comme Conseil
constitutionnel, n’a exercé que deux des attributions du Conseil. La
constitutionnalité de Règlements intérieurs de l’Assemblée Nationale et du Senat
où il a été défié par le pouvoir politique (1) et le contrôle de la régularité des
élections présidentielles et législatives où il garde une politique jurisprudentielle
réductrice de son indépendance (2).

1. La défiance du Conseil constitutionnel transitoire dans le contrôle de

constitutionnalité

Le Conseil constitutionnel transitoire camerounais était rarement saisi des


questions de contrôle de constitutionalité (a) et pour l’unique fois qu’il s’est
évertué à déclarer une loi inconstitutionnelle, il a été défié par l’autorité politique
(b).

100
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

a. La rareté de sa saisine pour contrôle de constitutionnalité

On distingue en générale deux modes de saisine du juge constitutionnel : la


saisine ouverte encore dite démocratique et la saisine fermée ou saisine
politique. Le constituant de 1996 a opté pour le modèle confus à saisine fermée
non démocratique qui est un véritable obstacle à l’exercice de la justice
constitutionnelle dans le contexte camerounais. En effet, le Conseil
constitutionnel ne peut être saisi que par les autorités politiques : le Président de
la République, le Président de l’Assemblée Nationale, le Président du Senat, un
tiers des députés et un tiers des Sénateurs, pour le contrôle de constitutionnalité
des normes. 22 ans après, le Conseil constitutionnel transitoire fut rarement saisi
par ces autorités publiques pour les questions relatives au contrôle de
constitutionnalité.

Comme le souligne la doctrine camerounaise, “la première inquiétude porte


sur la rareté des décisions de constitutionnalité et de régulation des institutions.
En effet, quantitativement, en 20 ans, la Cour suprême faisant office de conseil
constitutionnel aurait rendu 4 décisions de constitutionnalité214 et émis deux
relatifs à la constitutionnalité des règlements intérieurs des assemblées
parlementaires. Dans le fond, elle a rendu des décisions visant à protéger la
Constitution. Il en est ainsi de sa décision du 20 février 1997, dans l’affaire Tiers
des députés à l’Assemblée nationale contre Président de l’Assemblée nationale,
en déclarant la proposition de loi portant création, organisation et
fonctionnement de CENA contraire à la constitution ; de sa décision du 28
novembre 2002 déclarant contraire à la Constitution l’opération de validation des
mandats des députés à l’Assemblée Nationale215, de sa décision du 17 avril 2008

214
Abstraction faite du contrôle de constitutionnalité par voie d’exception, exercé par exemple à
l’occasion de l’élection présidentielle de 1997, dans l’affaire Titus EDZOA, objet de l’arrêt du 3
octobre 1997.
215
Voir sur ce point, C. KEUTCHA TCHAPNGA, « Note sous Cour suprême statuant comme
Conseil constitutionnel, décision n° 001/CC/02-03 du 28 novembre 2002 », Juridis Périodique,
n° 53, janvier-février-mars 2003, pp. 61-66. n° 53 ; M. NGUELE ABADA, « La réforme du
règlement intérieur de l’Assemblée nationale du Cameroun », RASJ, vol. 1, n° 3, 2003, pp. 20-

101
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

déclarant irrecevable le recours de l’Action pour la Méritocratie et l’Egalité des


Chances (AMEC), tendant à l’annulation du projet de loi portant révision de la
Constitution du 18 janvier 1996, irrecevable pour défaut de qualité et d’objet”216.

Ce qui réduit considérablement et symboliquement l’importance de cet


organe constitutionnel qui ne peut s’autosaisir et qui pour la seule fois où il a
déclaré l’inconstitutionnalité d’une loi, il a été défié par les pouvoirs politiques.

b. Le non-respect de certaines décisions du Conseil par le pouvoir exécutif

Après avoir jugé inopportune, le 05 décembre 1996, la demande de l’UNDP


sur la recevabilité d’une proposition de loi à l’Assemblée nationale relative à
l’institution d’une Commission Électorale Nationale Autonome217, le Conseil
constitutionnel transitoire s’est prononcé véritable sur une question de
constitutionnalité de loi en 2002. Ce fut à l’occasion du contrôle obligatoire du
Règlement intérieur de l’Assemblée Nationale adopté le 26 novembre 2002. Par
sa décision du 28 novembre 2002218, la Cour Suprême siégeant en lieu et place
du Conseil constitutionnel avait déclaré l’inconstitutionnalité de plusieurs articles
dudit Règlement intérieur219. Ce texte avait maintenu les anciennes attributions
de l’Assemblée Nationale en matière de validation des mandants des députés
après leur élection, alors que le constituant de 1996 avait transféré cette
compétence au Conseil constitutionnel220. Le juge constitutionnel de l’année

56 ; M. NGUELE ABADA, « Commentaire de la décision n° 001/CC/02-03 du 28 novembre


2002 à propos du Règlement de l’Assemblée nationale », Petites Affiches, n° 154, 3 août 2004,
pp. 15-22 ; ISSA ABIABAG, « De l’inconstitutionnalité de la validation des mandats
parlementaires », RCDSP, 2e année, n° 2, janvier 2007, pp. 51-70.
216
Voir G. H. MFOYOUOM, « L’urgence de la mise en place du Conseil constitutionnel issu de la
Loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 », Communication présentée à l’occasion de la Journée
d’études du Département de Droit public de l’Université de Douala sur « Les 20 ans de la
Constitution camerounaise de 1996 », p. 9. Inédit.
217
Voir A. D. OLINGA, Ouvrage précité, p. 171.
218
Cour Suprême, Décision n° 001/CC/02-03 du 28 novembre 2002.
219
Article 3 alinéa 2, 3, 4, 5 et 6 ; articles 4, 5, 6, 7 et 10 in fine.
220
Article 48 de la Constitution de 1996.

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2002 avait relevé cette inconstitutionnalité de certaines dispositions du


Règlement intérieur de l’Assemblée Nationale dans trois considérants
mémorables. Dans le premier considérant, le juge indique que : « la procédure de
validation prévue par le règlement intérieur de l’Assemblée Nationale dans la loi
adoptée et examinée par le Conseil apparait comme un contrôle a posteriori de
la décision du Conseil constitutionnel déclarant élu des candidats à l’élection
législative ». Dans le deuxième considérant, il déclare que : « une telle procédure,
en vigueur avant l’institution du Conseil constitutionnel par la Constitution du 18
janvier 1996, ne trouve plus sa raison d’être en l’état », avant de conclure par un
troisième considérant que: « il résulte en conséquence de ce qui précède que les
dispositions du règlement intérieur sur la validation du mandat des députés… ne
sont pas en conformité avec la Constitution de la République du Cameroun ».

Cette inconstitutionnalité du Règlement intérieur avait déjà été relevée par


la doctrine en ces termes : « Le Conseil constitutionnel, saisi d’une résolution
tendant à modifier le règlement de l’Assemblée Nationale sera logiquement
amenée, dans ses premières décisions, à interdire au Parlement d’essayer de
retrouver par ce biais les pouvoirs que la Constitution lui a enlevés »221.

Malgré la force exécutoire reconnue par la Constitution aux décisions


rendues par le Conseil constitutionnel, le pouvoir exécutif à méconnu l’autorité
définitive de la chose jugée attachée à la décision du 28 novembre 2002. En
effet, pas plus tard que le 02 décembre 2002, le Chef de l’État camerounais avait
promulgué ledit Règlement intérieur en l’état, balayant ainsi du revers de la main,
la décision du juge constitutionnel sur violation flagrante de l’article 50 alinéa 2
de la Constitution qui dispose que : « Une décision déclarée inconstitutionnelle
ne peut être ni promulguée ni mise en application ». Par ce choix, il a fait entrer
en vigueur une loi déclarée inconstitutionnel par le Conseil constitutionnel. Cette

221
Voir C. KEUTCHA TCHAPNGA, « Quelques précisions sur la concurrence de compétences dans
le contentieux des élections législatives au Cameroun, depuis la révision constitutionnelle du
18 janvier 1996 », Annales de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université
de Dschang, T. 1 vol.2, 1997, p. 49.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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décision du Président de la République du Cameroun, fut discutée par la doctrine


camerounaise. Pour certains auteurs, la décision du Conseil constitutionnel
transitoire n’était qu’un avis et non un jugement. Argument contesté par la
doctrine majoritaire pour qui, la décision du 28 novembre 2002 était et reste un
véritable jugement222 ayant “autorité absolue de la chose jugée”223. Ce qui se
présente comme une sorte de mise en garde des membres du Conseil. Ceci
pouvant véritablement affecter l’indépendance de ses membres dans l’exercice
de leurs missions constitutionnelles.

2. La politique jurisprudentielle restrictive et partisane en matière électorale.

Sur les sentiers de la régulation des élections, le Conseil constitutionnel est


compétent en vertu de l’article 48 alinéa premier, pour connaître du contrôle de
la régularité des élections présidentielles, parlementaires (les députions et
sénatoriales) et des consultations référendaires. De l’année 1996 à l’année 2018,
la Cour suprême statuant comme Conseil constitutionnel transitoire n’a pas eu à
connaître de la régulation des consultations référendaires et a statué une fois (en
2013) sur la régulation des élections sénatoriales. Par contre, il a fortement
régulé plusieurs élections législatives224 (des Députés) et présidentielles entre
1997 et 2013.
Dans le cadre de la régulation des élections présidentielles, on peut retenir
sa décision remarquable relative au contentieux préélectoral des candidatures
en 2011 dans l’affaire Anicet EKANI contre ELECAM au sujet du rejet de sa
candidature. En l’espèce, le candidat Anicet EKANI avait produit le certificat de
non-imposition en lieu et place du certificat d’imposition prévu par la loi
électorale. ELECAM rejetât sa candidature. Devant la Cour suprême statuant

222
Voir C. MOMO, « Heurs et malheurs de la justice constitutionnelle au Cameroun », Article
précité, p. 59.
223
Voir M. NGUELE ABADA, « L’indépendance des juridictions constitutionnelles dans le
constitutionnalisme des Etats francophones postguerre froide : l’exemple du Conseil
constitutionnel camerounais », pp. 2 et 8, inédit.
224
Expression utilisée pendant longtemps pour qualifier l’élection des Députés au Cameroun.

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comme juge constitutionnel, sa candidature fut validée motif pris de ce que la loi
électorale n’avait pas interdit la production du certificat de non-imposition. De
cette décision, le code électoral a été modifié pour admettre aux candidats de
produire dans leur dossier soit un certificat d’imposition, soit un certificat de non-
imposition225.

Dans un contexte marqué par la fraude électorale manifeste et permanente,


la politique jurisprudentielle du Conseil constitutionnel transitoire statuant en
matière de régulation des opérations électorales depuis les élections législatives
de 1997 fait ressortir deux tendances majeures : la recherche permanente des
motifs d’irrecevabilité ou de rejet des recours contentieux et l’exigence de la
gravité des faits susceptibles de faire annuler une élection.

a. La recherche permanente des motifs d’irrecevabilité et de rejet des

recours.

Depuis l’année 1997, les opérations électorales sont souvent décriées par
les acteurs et observateurs de la vie politique. La Cour Suprême statuant comme
juge constitutionnel recevait en permanence à l’issue de chaque élection,
environs une centaine de recours, mais très peu étaient examinés su fond. Soit
parce que le recours est irrecevable ou parce que cette institution de régulation
se déclare incompétente.

Relativement à l’irrecevabilité des recours, le Conseil constitutionnel


transitoire était très hésitant à connaître du fond du contentieux des élections
présidentielles et législatives qui relevaient de sa compétence. C’est dans cette
logique que cette haute juridiction avait fait du contentieux des actes
présidentiels de convocation du corps électoral, un contentieux irrecevable du
fait qu’elle considérait les actes de convocation du corps électoral comme des

225
Article 122 de la Loi n° 2012/001 du 19 avril 2012 portant Code électoral au Cameroun, qui
dispose en son alinéa 2 que : « La déclaration de candidature est accompagnée : f) d’un
certificat d’imposition ou de non-imposition ».

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actes de gouvernement, et de ce fait insusceptible de recours devant le juge


depuis les élections présidentielles de 1992 au Cameroun226. Dans cette
perspective, on notera au sujet des élections législatives qu’en 2002, sur 127
secours enregistrés en annulations, seuls 09 ont été jugé fondés avec des
élections annulées. La même tendance a été observée à la suite des élections
législatives partielles du 15 septembre 2002 où les 15 recours enregistrés ont été
rejetés pour faits non-fondés, incompétence et forclusion227. En 2007 sur 103
recours enregistrés au rôle du Conseil, 97 ont été jugés irrecevables228 pour non-
respect de la loi 2004/04 relative à l’organisation et au fonctionnement du
Conseil constitutionnel.

Il en est de même en 2018 du recours du parti UNIVERS dont l’irrecevabilité


déclarée par le Conseil constitutionnel est contestée pour confusion de la notion
date prévu par le Code électoral à celle d’heure à heure utilisée par le juge
constitutionnel lors du contentieux des élections présidentielles du 07 octobre
2018 pour conclure que son recours a été déposé après 73 heures et non dans
les 72 heures indiquées par le Code électoral.

Relativement à la non examination des recours jusqu’au fond pour


incompétence, le Conseil constitutionnel issu de l’article 67 (4) de la Constitution
de 1996, ne manquait pas de motifs pour affirmer son déni de justice. Comme le
souligne un auteur camerounais, « Un cas parmi d’autres permet d’illustrer les
inconséquences de cette démarche jurisprudentielle, l’affaire UNDP contre État
du Cameroun (MINATD), arrêt du 17 juillet 2002, relatif à l’affaire de la
circonscription électorale du Mayo Banyo. L’UNDP soutenait, notamment, que
certains bureaux de vote de la circonscription étaient installés dans des

226
Voir B. DJIEPMOU, Le juge constitutionnel et la régulation du processus démocratique,
Mémoire de Master, Université de Dschang, 2016, p. 83.
227
Voir M. NGUELE ABADA, « La naissance d’un contre-pouvoir : réflexions sur la loi portant
organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel camerounais », Article précité, p.
2469.
228
Voir C. KEUTCHA TCHAPNGA, Note sous Cour Suprême, arrêt N° 119 du 22/07/2007, Affaire
KWEMO Pierre (SDF) contre État Cameroun, Juridis Périodique, N° 82, Avril-Mai-Juin 2010,
pp. 39 et 41.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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domiciles privés, tandis que d’autres n’étaient même pas localisables. Sur ce
point, le juge estime que « le grief portant sur la création et l’organisation des
bureaux de vote … ne relève pas de la compétence du Conseil constitutionnel ».
Or, tel que le droit électoral alors en vigueur était articulé, cette question ne
relevait pas du tout de la compétence des commissions électorales. En somme,
avec le déclinatoire de compétence du juge constitutionnel, déclinatoire qui
s’impose à tous parce que contenu dans une décision du Conseil constitutionnel,
il s’agissait d’un aspect qui n’était justiciable de la compétence d’aucune instance.
Une telle conséquence, nullement imposée par la lettre des règles juridiques, est
évidemment fâcheuse 229».

Avec le contentieux des élections présidentielles du 07 octobre 2018, le


juge constitutionnel semble continuer sur la même logique que son prédécesseur
sur ce point, car pendant ses audiences, il a refusé d’examiner certains moyens
du recours en annulation des élections présidentielles pour incompétence. En
réalité le Conseil constitutionnel a opté pour une interprétation restrictive de sa
compétence, en utilisant le Code électoral de manière restrictive comme la seule
source de la légalité, rejetant la Constitution et certains textes internationaux
ratifiés par le Cameroun dont certains partis d’opposition ont visé pour motiver
leurs prétentions.

Relativement au rejet des recours, la politique jurisprudentielle du Conseil


constitutionnel transitoire est restée pendant longtemps restrictive au sujet des
moyens de la preuve des irrégularités électorales. En dehors des rapports
présentés par l’administration, la Commission locale ou nationale de vote et celui
de l’organe en charge de la supervision des élections (ONEL ou ELECAM), la Cour
Suprême avait toujours rejeté les recours pour défaut de preuve des faits

229
Voir A D. OLINGA, « Justice constitutionnelle et contentieux électoral : quelle contribution à la
sérénité de la démocratie élective et à l’enracinement de l’État de droit ? Le cas du
Cameroun », Communication présentée à l’occasion de la Conférence Panafricaine des
Présidents des Cours constitutionnelles et institutions comparables sur le Renforcement de
l’État de droit et la Démocratie à travers la Justice Constitutionnelle, Marrakech, 26-28
novembre 2012, p. 11.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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constitutifs de fraude relevés les requérants. Ce fut le cas du recours de l’UNDP


à l’occasion des élections législatives du 30 juin 2002 dans la circonscription
électorale de la Lékié. En l’espèce la requête de l’UNDP soulignait plusieurs
griefs : l’expulsion et l’interdiction des représentants de ce parti des bureaux de
vote sous ordre de l’autorité administrative et des dignitaires du RDPC, le
bourrage des urnes, les votes multiples, la délocalisation des bureaux de vote
des lieux publics vers les domiciles privés, l’inéligibilité de certains candidats du
RDPC (parti au pouvoir), le recours à des charters de votants, l’absence,
l’insuffisance et l’arrivée tardive des bulletins de vote de l’UNDP. Pour la Cour,
« aucun document n’est produit pour étayer ces allégations qui ne sauraient
suffire à donner un fondement aux griefs soulevés, (…) il ne résulte de
l’instruction de l’affaire aucune preuve ou commencement de preuve que les
irrégularités dénoncées ont été perpétrées »230. Il en sera de même dans la
circonscription électorale de la Menoua à Dschang en 2002, où cette juridiction
rejetât les moyens de fraude versés au dossier en considérant que « les pièces
produites sans conclusions explicatives n’établissent pas la preuve des griefs
dénoncés et a rejeté le recours de l’UNDP comme non fondé231 ».

Au sujet du contentieux des élections présidentielles du 07 octobre 2017, le


nouveau juge constitutionnel ne s’est pas éloigné de la politique jurisprudentielle
adoptée par son prédécesseur dont son président était l’un des membres. À
cette occasion, le Conseil constitutionnel a trouvé des moyens pour rejeter au
fond, tous les recours dont il a été saisi par les partis d’opposition avec des
motivations presque identiques : recours non fondé, moyen rejeté, absence de
preuves ou preuves insuffisantes.

Il s’agit là d’une politique jurisprudentielle de peur qui animait le juge


constitutionnel camerounais, dont la désignation de ses membres était

230
Cour Suprême statuant comme Conseil Constitutionnel, Arrêt n° 73/CE/01-02 du 17 juillet
2002, affaire Union Nationale pour la Démocratie et le Progrès (UNDP) c/ Etat du Cameroun
(MINATD).
231
Voir C. SIETCHOUA DJUITCHOKO, « Revue de Jurisprudence de la Cour Suprême : contentieux
constitutionnel électoral », Juridis Périodique, N° 79, Juillet-Août-Sept, 2009, p. 47.

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largement tributaire de la volonté du Chef de l’État qui les nommait et les


révoquait en toute liberté du fait de sa qualité du Président du Conseil supérieure
de la Magistrature. Comme l’a si bien relevé la doctrine, la dépendance organique
du juge de la Cour suprême à l’égard du pouvoir politique232 déteint sur la qualité
des décisions qu’elle est appelée à rendre. Dans ses relations avec le pouvoir
politique, la Cour suprême ne bénéficie pas d’un régime particulier lui permettant
de réaliser effectivement son indépendance233. Heureusement, la nomination et
la mise en place du véritable Conseil constitutionnel vient mettre fin à cette
pratique après 22 ans.

Dans cette logique, le Conseil constitutionnel transitoire utilisait l’argument


de l’existence des instruments à forte valeur probante pour rejeter des recours.
Il ne statuait au fond du litige que dans la mesure où les parties utilisaient comme
support de preuve joint à leur requête : les pièces officielles, les documents
administratifs et des procès-verbaux dressés par constat d’Huissier de justice.
Ce qui a conduit un auteur à dire que « A plusieurs reprises, nous avons constaté
les difficultés pour la Cour suprême de jouer pleinement le rôle de juge
constitutionnel »234. Même en présence de ces moyens de preuve, cette Cour
exigeait la gravité des faits pour annuler l’élection.

232
Voir P. F. GONIDEC, « La place des juridictions dans l’appareil d’Etat », in P. F. GONIDEC (dir.),
Encyclopédie juridique de l’Afrique, Tome 1, pp. 232-238.
233
Voir A. FALL, « Le juge, le justiciable et les pouvoirs publics : pour une appréciation concrète
de la place du juge dans les systèmes politiques en Afrique », in Les défis des droits
fondamentaux, Bruxelles, Bruylant, 2000.
234
Voir M. NGUELE ABADA, « La naissance d’un contre-pouvoir : réflexions sur la loi portant
organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel camerounais », Article précité, p.
2469.

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b. L’exigence permanente de la gravité des faits susceptibles d’annuler

l’élection

La politique jurisprudentielle restrictive et partisane du Conseil


constitutionnel de l’article 67 alinéa 4 de la Constitution235, est restée constante
en matière de reformation ou d’annulation des élections. Deux attendus majeurs
issus de sa décision du 22 juillet 2007 permettent de mieux saisir cette attitude
du juge. Le premier indique qu’on ne peut « réformer le résultat ou … annuler
l’élection [que] lorsque l’irrégularité dûment constatée est susceptible d’avoir une
incidence significative sur l’issue du scrutin ». Dans le second, il affirme que :
« Attendu que celles-ci constituent une fraude ayant influencé de manière
significative le résultat du scrutin dans la circonscription électorale du Haut-
Nkam ; qu’il y a lieu d’annuler le scrutin dans ladite circonscription électorale ».
Dans ce sens il se basait sur des motifs tels que: les violences électorales, la
destruction des Procès-verbaux d’élections, l’insécurité électorale et la
confusion ou changement illégal de couleur de bulletin de vote des partis
politiques en compétition pour annuler les élections236.

Au sujet de l’insécurité électorale donnant lieu à annulation des élections, le


cas des élections législatives de 2002 dans la circonscription de Kumba urbain
reste mémorable. En l’espèce, le scrutin était entaché des violences sur les biens
et des personnes. Ces violences ayant entraîné non seulement la destruction des
procès-verbaux des élections dans une dizaine de bureaux de vote, mais alors
l’incendie de mobiliers de vote et des voies de fait contre des paisibles citoyens.
Comme pièce à conviction, le juge constitutionnel de l’espèce a entièrement
validé le procès-verbal de la brigade territoriale de gendarmerie de Kumba
attestant que Monsieur ESUH ENKOLO Joseph avait été poignardé au cours de

235
Qui dispose que : « La Cour Suprême exerce les attributions du Conseil Constitutionnel jusqu’à
la mise en place de celui-ci ».
236
Voir C. SIETCHOUA DJUITCHOKO, « Revue de Jurisprudence de la Cour Suprême :
contentieux constitutionnel électoral », Juridis Périodique, N° 79, Juillet-Août-Sept, 2009, p.
46.

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ces violences électorales dans la circonscription de Kumba urbain. À la requête


de deux partis politiques (le RDPC et l’UNDP), la Cour suprême dans son office
de Conseil constitutionnel transitoire annulât les élections dans cette
circonscription, motif pris de ce que : « ce climat d’insécurité et de peur a altéré
la sérénité et la sincérité de l’élection dans la circonscription concernée 237».

Cette politique jurisprudentielle de la gravité des faits annulant l’élection


fut utilisée par le Conseil constitutionnel transitoire depuis les élections
législatives de 1997. Ainsi, dans l’affaire relative à la circonscription électorale de
Mayo Rey, la Cour Suprême retiendra les motifs suivants pour annuler les
élections dans cette circonscription :

Attendu que le fait d’empêcher les candidats d’un parti politique de battre
librement campagne dans leur circonscription électorale est une donnée
fondamentale de fraudes et d’irrégularités graves susceptibles d’influencer de
manière déterminante les résultats du scrutin… ;

Attendu que le climat d’insécurité entretenu tant par le Lamido de Rey


Bouba, les autorités administratives que les forces de sécurité dans la
circonscription litigieuse n’a pas permis aux candidats des partis recourant et à
leurs militants d’exercer pacifiquement leurs droits civiques… ;

Attendu que ces agissements portent une atteinte injustifiée et


discriminatoire à l’égalité des candidats de formations politiques devant la loi
électorale et au libre choix par les citoyens de leurs représentants, comme ils
constituent une violation manifeste et délibérée des dispositions tant du texte de
la loi susvisée que de l’article 21 de la Déclaration universelle des droits de
l’Homme238.

237
Cour suprême, Arrêt n° 57/CE/01-02 du 17 juillet 2002, affaires Union Nationale pour la
Démocratie et le Progrès (UNDP) et Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais
(RDPC) c/ État du Cameroun (MINATD).
238
Suprême statuant comme Conseil Constitutionnel, Arrêt n° 22/CE/96-97 du 03 juin 1997.

111
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Il s’agit là, d’une tendance approuvée par une partie de la doctrine qui
estime que le juge constitutionnel n’est pas juge de la moralité du vote, mais
plutôt gardien de la sincérité du vote239 au regard de la doctrine française de
l’effet utile du vote.

Cette politique jurisprudence restrictive quant à la nature des faits pouvant


altérer une élection fait perdre au juge constitutionnel sa légitimité démocratique
puisqu’en censurant uniquement certaines illégalités électorales, il laisse
subsister d’autres illégalités. Ce qui, heurte profondément les vertus
démocratiques de l’État de droit. Une bonne partie de la doctrine s’est insurgée
contre cette politique de gravité des faits. On note parmi ces auteurs : les
Professeurs ROUSSEAU, Dominique CHAGNOLLAUD, Jacques ROBERT et
Célestin KEUTCHA TCHAPNGA240.

Au Cameroun, la peur de la Cour suprême siégeant comme Conseil


constitutionnel en matière des contestations électorales vis-à-vis du parti-État
au pouvoir, était une donnée constante qui affectait son indépendance dans
l’exercice de ses fonctions de régulateur de la compétition politique241. Qu’en
sera-t-il du nouveau Conseil constitutionnel mis en place en 2018 ?

********

De ce qui précède, il est constant que, deux décennies depuis la


consécration du Conseil constitutionnel camerounais, le droit positif en vigueur
n’assure pas véritablement son indépendance. Cette indépendance est
consacrée de manière ambigüe : elle est tantôt exaltée, tantôt remise en cause
par les textes et la jurisprudence. On note de ce fait une indépendance affirmée
par le constituant de 1996, mais fragilisée plus tard par la réforme
constitutionnelle intervenue en 2008. Dans son fonctionnement, le Conseil
constitutionnel transitoire disposait d’un pouvoir de décision important, souvent

239
Voir J. F. WANDJIK, Ouvrage précité, p. 97.
240
Voir C. KEUTCHA TCHAPNGA, Note sous Cour Suprême, Affaire KWEMO, précitée, p. 42.
241
Voir B. DJIEPMOU, Le juge constitutionnel et la régulation du processus démocratique,
Mémoire de Master, Université de Dschang, 2016, 205 pages.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

remise en cause par le pouvoir exécutif, mais s’affirmait malheureusement par


une politique jurisprudentielle restrictive et partisane qui portait atteinte à son
indépendance dans la régulation du jeu politique. Peut-être qu’avec la mise en
place effective du véritable Conseil constitutionnel, celui de l’article 46 de la
Constitution, cet organe sera moins enclin aux sensibilités politiques, plus
autonome voire indépendant. D’où la nécessité de sa mise en place en 2018. Car,
comme l’a si bien relevé un auteur, « l’intérim a déjà pris 20 ans, alors qu’un
intérimaire, qui est une autorité anormalement compétente, ne peut valablement
remplir les fonctions de l’autorité normalement compétente »242. La mise en place
du véritable Conseil constitutionnel suscite un réel espoir dans la régulation des
institutions étatiques et du jeu politique. Pour le moment, son indépendance n’est
pas suffisamment garantie par les textes juridiques. Il faudra compter sur une
réforme constitutionnelle et la capacité d’agir en toute conscience et neutralité
dans l’application du droit par les membres du Conseil constitutionnel pour
consolider son indépendance.

242
Voir G. H. MFOYOUOM, « L’urgence de la mise en place du Conseil constitutionnel issu de la
Loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 », Communication précitée, p. 1.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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Référendum et démocratie locale dans les

États d’Afrique noire francophone

Réflexion sur une perspective de

constitutionnalisation de nouvelles

formes d’expression populaire

Dr. MOUGNOL A MOUGNOL Stéphane - Université de Yaoundé II-Soa

____________________

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

La référence à l’idée de référendum en Afrique noire francophone en soit n’est


pas une nouveauté même si sa systématisation au niveau local par la doctrine
reste assez récente. En effet, c’est très tôt que les États de l’Afrique
subsaharienne ont connus leurs premières expériences du processus
référendaire. Au lendemain de leurs indépendances et au regard de l’incidence
que les mouvements nationalistes avaient eu dans la conscience collective des
citoyens, le peuple était la seule entité suffisamment légitime pour porter les
différents changements institutionnels qui allaient survenir. Comme Alexis de
TOCQUEVILLE, ils étaient convaincus qu’ « au-dessus de toutes les institutions
et en dehors de toutes les formes réside un pouvoir souverain, celui du peuple,
qui les détruit ou les modifie à son gré »243. Le référendum était par conséquent
l’expression la plus originaire de la souveraineté du peuple244. L’Afrique noire
francophone regroupée sous les bannières de l’AEF et de l’AOF avait été appelée
à expérimenter conjointement le référendum à la faveur de l’adoption de la
Constitution de la Vè République et la Communauté le 28 septembre 1958 où
seule la Guinée n’avait donné un avis favorable. Ces expériences se sont
multipliées au lendemain des indépendances dans ces pays dans un contexte de
construction de l’ordre constitutionnel ou d’aménagement des cadres
institutionnels des jeunes États.
Après de longues années de mise en berne de la démocratie, les pays d’Afrique
noire francophones dans les années 1990 ont chacun réenclenché un processus
d’ouverture démocratique se matérialisant à la fois par le renouvellement de ses
valeurs cardinales dans les Constitutions d’une part et la création d’autre part de
nouveaux cadres de son exercice au sein de l’État. C’est dans ce contexte que la
décentralisation et à travers elle les collectivités locales sont devenues un

243
A. DE TOCQUEVILLE, De la démocratie en Amérique, tome 1, Paris, GF-Flammarion, 1981,
p. 253
244
M. FATIN-ROUGE STÉFANINI, « Le recours au référendum à l’heure de la globalisation », Les
cahiers de l’institut Louis FAVOREU, 2015, pp.31-41

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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nouveau cadre d’émancipation de la démocratie, relayant au niveau local ses


règles et ses principes. Leur importance s’est traduite par l’inscription de certains
d’entre eux dans les lois fondamentales de ces pays. C’est ainsi que l’on a assisté
à la constitutionnalisation des libertés locales245, des pratiques de bonne
gouvernance notamment le contrôle des autorités locales, ainsi que bien d’autres
principes participant à l’émancipation de la démocratie locale. Toutefois, celle-ci
se déclinant essentiellement autour d’une implication politique des citoyens
notamment dans le choix des élus locaux, il nait progressivement un désir d’ouvrir
à la participation citoyenne la gestion administrative de la collectivité. C’est à
travers l’implication de celui-ci dans la prise des décisions au niveau local, que la
démocratie participative a connu un regain de vitalité. Une plus grande
participation des citoyens aux affaires locales ainsi que la valorisation des
initiatives à ce niveau font souvent partie des objectifs fondamentaux des
réformes de la décentralisation246. Aussi, les États décentralisés en général et
ceux d’Afrique noire francophone en particulier ne manquent pas d’agrandir le
champ constitutionnel ou législatif des modalités visant à aménager la
participation citoyenne. Le référendum local se positionne donc comme un outil
contemporain pouvant permettre de consolider la légitimité des décisions au
niveau local et renforcer le cadre d’émancipation de la démocratie dans cet
espace.
L’expression référendum comme le précise Jean-Marie DENQUIN est
originairement tiré du langage diplomatique et se traduisait par le fait qu’« un
ambassadeur dépourvu d’instructions donne un accord de principe, mais ad
referendum, sous réserve d’en référer à son gouvernement »247. Son sens actuel
découle de la pratique suisse qui possédait à la fois une tradition de consultation

245
Elles tendent à assurer la participation du citoyen à la gestion de la chose publique dans sa
collectivité locale. Dans les constitutions d’Afrique noire francophone, elles prennent
principalement les allures de la libre administration
246
M.-J. DEMANTE, I. TYMINSKY, Décentralisation et gouvernance locale en Afrique : Des
processus, des expériences, Paris, Iram, Études et méthodes, 2008, p.21
247
J.-M. DENQUIN, « Référendum et plébiscite », in Dictionnaire de la culture juridique, D.
ALLAND et S. RIALS (dir.), Paris, PUF, 2007, pp.1310-1311

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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du peuple et, jusqu’en 1874, une structure confédérale248. Étymologiquement,


l’expression découle du terme latin referre qui signifie faire un rapport ou
soumettre à une assemblée. En tout état de cause, il désigne une procédure par
laquelle on en référait au peuple et aux cantons249. Plus globalement, le
référendum renvoie au sens large à toutes les procédures conduisant à
soumettre un texte, une question, un projet rédigé dans ses grandes lignes au
vote des citoyens. Ces différentes formes de procédure peuvent être, selon les
États, qualifiées de plébiscite, de consultation populaire, de référendum,
d’initiative populaire directe250. Pour Laurence MOREL, s’il s’agit d’un vote ayant
vocation à impliquer l’ensemble des personnes ayant le droit de vote sur le
territoire (un pays, une région...) où il se tient, sa distinction d’avec les élections
est son objet. Pour elle, il s’agit d’un vote sur une politique251. De façon plus
synthétique et en se référant aux travaux de Patrick TAILLON le processus
référendaire revêt une triple dimension. D'abord, il est participatif et à ce titre
représente une procédure d’approbation des normes fournit aux citoyens et qui
constitue pour eux une occasion d'agir à la fois à titre de producteurs et de
destinataires des normes juridiques, en ce qu’ils détiennent une plus grande
liberté politique252. Ensuite il a une dimension de contre-pouvoir en ce sens qu’il
porte « directement sur un objet pour lequel les électeurs peuvent exprimer une
position contradictoire à celle du parti qu’ils ont l’habitude de soutenir »253. Enfin,
il a une dimension légitimatrice en ce qu’
« il vient donner aux institutions légales l'onction du consentement populaire.
Conformément à cet idéal d'autodétermination qui caractérise la démocratie du

248
Ibid.
249
Ibid.
250
F. HAMON, Le Référendum. Étude comparative, LGDJ, 2e éd., 2012, pp. 25-33
251
L. MOREL, La question du Référendum, Paris, Presses de Sciences Po, 2019, p.14
252
P. TAILLON, LE RÉFÉRENDUM EXPRESSION DIRECTE DE LA SOUVERAINETÉ DU PEUPLE ?
Essai critique sur la rationalisation de l'expression référendaire en droit comparé, Tome 1, Thèse
en droit, Université de Laval-Université de Paris 1Panthéon-Sorbonne, 2011, p.11
253
Ibid., p.12

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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peuple par le peuple, la démocratie référendaire tend à faire de la volonté des


électeurs le fondement du droit et de l'organisation des pouvoirs politiques »254.
Qu’il soit local ou national, sa mobilisation peut également se justifier par le déclin
de la confiance à l’endroit du système représentatif255 et la volonté es citoyens
de participer plus directement à la prise des décisions ayant un impact dans leurs
vies256. D’introduction récente au sein des différentes législations européennes,
le référendum local témoigne comme l’affirmait Christophe PREMAT « de
l’ouverture des systèmes politiques aux procédures de participation des citoyens
en dehors des moments électifs »257. Cependant, si ce mécanisme spécifique est
de plus en plus présent dans les législations européennes, il est absent des
cadres constitutionnels et même législatifs des États d’Afrique noire
francophone258 alors même que de plus en plus des voix s’élèvent, demandant
plus d’implication des citoyens dans la gestion de leurs collectivités, plus de
démocratisation de la vie locale.
La notion de démocratie quant à elle tire son origine des expressions grecques
demos et kratos qui signifient respectivement le peuple et le pouvoir. Elle
renverrait donc au pouvoir du peuple duquel certains contemporains ont pu dire
que c’est le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple. Abraham
LINCOLN chantre de cette philosophie affirmait à ce propos lors de son
investiture à la tête des États-Unis que : « Ce pays, avec ses institutions,
appartient aux personnes qui l'habitent. Chaque fois qu'elles se lasseront du
gouvernement en place, elles pourront exercer leur droit constitutionnel de le

254
Idem.
255
D. ROUSSEAU, « L’équivoque référendaire », La voie des idées.fr, 22 avr. 2014, consulté le 10
janvier 2021
256
C. PREMAT, « Les enjeux du référendum local », BERTHET Thierry, COSTA Olivier, GOUIN
Rodolphe, ITÇAINA Xavier et SMITH Andy (dir.), Les nouveaux espaces de la régulation politique :
stratégies de recherche en science politique, Paris, L’Harmattan, 2008, pp.77-107
257
Ibid.
258
Exception faite du Gabon qui, en l’article 112a de son texte constitutionnel dispose : « Des
consultations locales, portant sur des problèmes spécifiques ne relevant pas du domaine de la
loi, peuvent être organisées à l’initiative soit des Conseils élus, soit des citoyens intéressés, dans
les conditions fixées par la loi. »

118
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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modifier, ou leur droit révolutionnaire de le renverser ». Elle se reconnaît à


certains principes essentiels et à un ensemble d'institutions et de pratiques par
lesquels passe leur réalisation259. Au rang de ceux-ci, il peut être cité l’égalité
politique des citoyens, la garantie des droits et libertés fondamentaux,
l’aménagement du suffrage universel, l’instauration d’un système multipartiste,
l’effectivité de la séparation des pouvoirs, la responsabilisation des gouvernants
entre autres. Systématisée au niveau national, la démocratie trouve de plus en
plus un cadre d’expression au niveau local dans un contexte où les collectivités
territoriales décentralisées connaissent un certain essor. Comme l’affirmait
Vincent AUBELLE, la démocratie est par essence représentative260. Le local n’y
faisant pas exception, les entités territoriales décentralisées s’administrent
librement par les conseils élus dans les conditions fixées par la loi261. Toutefois,
au-delà de la seule participation politique, la démocratie locale se caractérise
surtout par l’importance conférée à la constante participation des habitants à la
vie de leur collectivité262. En effet, le besoin de participation des citoyens résulte
d’une nouvelle donne politique dans laquelle les idées de légalité et de légitimité
ne vont plus toujours de pair. La décision légale, prise par une assemblée
délibérante élue au suffrage universel, est de plus en plus contestée dans sa
légitimité par des électeurs qui estiment devoir être consultés, en cours de

259
D. BEETHAM, « La démocratie : principes essentiels, Institutions et problèmes », in La
démocratie : principes et réalisation, Union parlementaire, Genève, 1998, pp.23-31
260
V. AUBELLE, « Les sens de la démocratie locale », in La démocratie locale. Représentation,
participation et espace public, CURAPP/CRAPS, PUF, 1999, pp.271-301
261
La majorité des États d’Afrique noire ont reconnu la décentralisation en fixant le cadre
constitutionnel de son aménagement. Ainsi, la libre administration se trouve consacrée dans leurs
textes fondamentaux. Voir : l’art. 172 de la Constitution de Côte d’Ivoire, l’art. 59 de la Constitution
de Guinée, art. 3 de la Constitution de RDC, le préambule de la Constitution de Madagascar, l’art.
7, al.3 de la Constitution des Comores, l’art. 98 de la Constitution du Bénin, l’art.101 de la
Constitution du Burkina Faso, l’art. 55, al. 2 de la Constitution du Cameroun, l’art. 125 de la
Constitution du Congo, l’art 112 de la Constitution du Gabon, l’art. 70 de la Constitution du Mali,
l’art.100 de la Constitution du Niger, l’art 167 de la Constitution du Rwanda, l’art. 67 de la
Constitution du Sénégal, l’art. 125 de la Constitution du Tchad, l’art. 84 de la Constitution du
Togo.
262
M. PAOLETTI, « La démocratie locale française. Spécificité et alignement », in La démocratie
locale. Représentation, participation et espace public, CURAPP/CRAPS, PUF, 1999, pp.45-61

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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mandat, sur les décisions qui les touchent le plus directement263. L’objet de la
présente réflexion est de démontrer dans quelle mesure un aménagement
juridique, voire constitutionnel du référendum local dans les États d’Afrique noire
francophone participerait à une plus grande émancipation de la démocratie
locale.
L’intérêt pour l’espace Afrique noire francophone tient d’une part à l’identité
linguistique264 et la convergence des modèles d’inspiration265 qui pourraient
justifier la circonscription de l’objet d’étude dans ce cadre spatial d’analyse.
D’autre part, il tient en ce qu’ayant tous une organisation administrative
décentralisée, ces États ont fait des collectivités territoriales décentralisées des
cadres d’apprentissage ou mieux, de promotion de la démocratie. Comme
l’affirmaient certains penseurs de la démocratie266, les territoires restreints
seraient susceptibles de fournir les conditions morphologiques à l'exercice d'une
démocratie véritable267.
Le référendum local se présente donc comme une nouvelle perspective pouvant
fortement consolider la démocratie participative, mais aussi enrichir le droit
constitutionnel local dans les États d’Afrique noire francophone s’il est inscrit
dans leur pacte républicain. Lorsque l’on sait que le constitutionnalisme africain
connait ces dernières années un réel essor du fait de la revalorisation des normes

263
E. CHALAS, H. SAULIGNAC, « Mission « flash » sur la démocratie locale et la participation
citoyenne », Communication à l’Assemblée nationale française, 2019, p.2
264
Ces États partageant le français comme langue, l’exploitation des différents instruments
juridiques se trouve facilitée par ce fait.
265
Pour avoir connu la domination française ou belge soit à travers la colonisation, soit à travers
le mandat ou la tutelle, ces pays ont quasiment les mêmes modèles d’inspiration tant en ce qui
concerne leurs orientations politiques ou juridiques, même si au demeurant chaque système se
construit sa particularité.
266
Chez Tocqueville, mais aussi chez Rousseau et Montesquieu. La formulation de l’idée est
d'ailleurs très proche chez ces deux auteurs. Montesquieu : « La propriété naturelle des petits
États est d'être gouvernés en république ; celle des médiocres, d'être soumis à un monarque;
celle des grands empires, d'être dominés par un despote. », De l'Esprit des Lois, Livre VIII,
Chapitre XX, Classique Garnier, Paris, 1956, p. 134. Rousseau : « En général, le gouvernement
démocratique convient aux petits États, l'aristocratique aux médiocres, le monarchique aux
grands », Le Contrat Social, Livre III, Chapitre IX, Edition Montaigne, 1943, p. 207.
267
M. PAOLETTI, « La démocratie locale française. Spécificité et alignement », Op.cit.

120
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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constitutionnelles. L’inscription du référendum local dans leurs contenus lui


donnerait un retenti solennel et une dignité qui pourrait reconfigurer ici les
axiomes de la démocratie participative.
Jusqu’à présent, la démocratie locale n’a fait que l’objet d’une consécration
constitutionnelle de sa seule dimension représentative. À un moment où les
institutions tant nationales que locales traversent une réelle crise de légitimité, il
devient important de proposer des options pouvant participer à la résorption de
cette crise dont les conséquences à l’échelon local peuvent fortement entacher
la dynamique positive impulsée par les changements constitutionnels des
années 90. Dès lors, quelle pourrait être l’apport de la constitutionnalisation du
référendum local dans les États d’Afrique noire francophone ?
Cette réflexion revêt une dimension essentiellement prospective en ce sens
qu’elle porte sur une procédure qui peine à être prise en compte par les
constituants africains alors même qu’elle est appelée de tous les vœux par les
populations. Elle l’est également parce qu’elle permet de renouveler le débat sur
les modalités de la participation politique qui tangue entre les tenants de la
démocratie représentative et ceux de la démocratie participative268. Les premiers
conciliants pratiquent démocratique et cadre institutionnel lisible malgré une
délégation éloignant les citoyens des décisions politiques. Les seconds prônant
une participation directe des citoyens aux décisions qui les concernent269 en
introduisant une nouvelle voie par laquelle le peuple au niveau local décide
directement des questions particulières ayant un lien avec leur destinée. En dépit
du caractère prospectif de la réflexion, l’analyse mobilisera pour sa justification
la démarche du positivisme sociologique qui va concourir, au regard des faits
essentiellement, et des démarches inductive et déductive, à une appréciation
qualitative de cette modalité particulière de la démocratie directe. Ses
implications pouvant être appréciées de façon différenciée, l’introduction du
référendum local dans le constitutionnalisme des États d’Afrique noire

268
M. LATH YEDOH, « Le référendum dans les systèmes constitutionnels des États d’Afrique »,
La lettre de l’IDDH (Institut de la Dignité des Droits Humains) 5, Janv.- Fév.-Mars 2005, p.3
269
C. PREMAT, « Les enjeux du référendum local », op.cit

121
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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francophone pourrait dès lors se présenter comme un leurre pouvant véhiculer


l’illusion d’une dynamique participative (I) et comme lueur au développement de
la démocratie participative si elle conduit à la réappropriation du pouvoir local
par les populations (II).

I. Un leurre : l’illusion d’une dynamique participative

Jacques ROBERT en s’interrogeant sur le référendum constitutionnel constatait


que cette opération posait des problèmes assez complexes et au rang de ceux-
ci, il invoquait la lourdeur de l’opération, son coût et l’imprévisibilité270 des
résultats auxquels il peut donner lieu271. S’il s’intéressait dans son analyse aux
consultations référendaires nationales, ses conclusions à plusieurs égards
peuvent trouver un écho au niveau local dans le cadre des consultations
référendaires locales. En effet, selon l’auteur, l’on se trouve aujourd’hui bien loin
du Forum romain et de l’Agora athénienne qui étaient des lieux privilégiés
d’opérations référendaires permanentes272. Les auteurs comme Montesquieu l’on
assez bien présenté, relevant la particularité des sociétés contemporaines. Ainsi
que le présente ROBERT, « Montesquieu avait vu clairement que si les hommes
sont parfaitement inaptes à gérer en corps leurs affaires communes, ils restent
tout à fait capables de choisir avec discernement les meilleurs d’entre eux pour
gouverner en leur nom. Rousseau était, au fond, plus optimiste, qui estimait que
les grandes foules sont porteuses des grands espoirs et que le peuple souverain
ne doit point être tenu trop éloigné de la gestion directe des affaires de la
Cité »273. Considérant que ce sont les auteurs qui les premiers ont participé à la
systématisation de la démocratie, leur positionnement sur la démocratie directe
et leur orientation vers un modèle représentatif de celle-ci, fait planer sur la

270
L’on ne manque pas souvent de rappeler qu’en Allemane le référendum était autorisé par la
Constitution de Weimar (1919) et qu’on l’accusa d’avoir favorisé la montée du nazisme.
271
J. ROBERT, « Le référendum constitutionnel », Electronic Journal of Comparative Law, vol. 11.3
(December 2007), http://www.ejcl.org, consulté le 13 juillet 2020 18p.
272
Ibid.
273
Ibid.

122
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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démocratie locale le spectre d’un réel danger dans l’utilisation des modalités de
la démocratie directe et en l’occurrence le référendum274. Aussi, lorsqu’il n’est pas
considéré comme un danger pour la démocratie locale (A), il est perçu comme
pouvant être relativisé dans ses effets du point de vue de l’implication des
citoyens dans la gestion de leur collectivité (B), toutes choses qui pourraient
remettre en cause sa constitutionnalisation au sein des États d’Afrique noire
francophone.
A. Le référendum local, un danger pour la démocratie locale dans les États d’Afrique

noire francophone

Les principaux auteurs ayant systématisé les principes cardinaux de la


démocratie ont toujours regardé avec beaucoup de distances les modalités de
la démocratie directe. Le rejet des mandats impératifs est l’une des
manifestations les plus visibles des réticences que les constituants et la doctrine
ont développées à l’égard de ces procédés directs d’expression des citoyens. Le
référendum local transporte avec elle les mêmes griefs car, il est dans bien des
cas perçus comme un moyen de « délégitimation » du système représentatif (1)
de même qu’au regard de l’impact voulu, il plane sur lui de forts risques de
manipulation (2)

1. Le référendum local, une « délégitimation » du système représentatif

Le système représentatif qui est encore assimilé à la démocratie représentative


correspond à un régime libéral à travers lequel les citoyens transfèrent à certains
membres de la collectivité par voie de suffrage, la charge de diriger les affaires
de la cité en leur nom. La nature représentative de la démocratie ici encadre
strictement la participation citoyenne en confinant leur intervention quasiment
au seul choix des représentants. En réalité, elle a été systématisée par

274
D. ROUSSEAU, « L’équivoque référendaire », Op.Cit.

123
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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MONTESQUIEU275 et l’abbé SIEYÈS276 qui prennent le contre-courant de la


position de ROUSSEAU sur la démocratie. Pour MONTESUIEU en effet, « comme
dans un État libre, tout homme qui est censé avoir une âme libre doit être
gouverné par lui-même, il faudrait que le peuple en corps eût la puissance
législative. Mais cela est impossible dans les grands États, il faut que le peuple
fasse par ses représentants tout ce qu’il ne peut faire par lui-même »277. Il va
même plus loin en estimant que si le peuple est apte à choisir ceux à qui il peut
confier une partie de son autorité, il est proprement inapte à l’exercer lui-même
directement. La démocratie représentative suppose de ce fait trois critères : « la
souveraineté du peuple, le transfert de son exercice par l’élection des
représentants de la Nation et, en conséquence, la liberté qui justifie que le
pouvoir soit limité et contrôlé »278. Tandis que chez ROUSSEAU les représentants
jouissent de mandats impératifs, ceux-ci sont proscrits dans le système
représentatif. Dès lors, le représenté accepte la représentation parce que le
représentant est représentatif279. C’est ce schéma qui est aujourd’hui de plus en
plus contesté parce que la représentativité des représentants est discutée. Les
citoyens entendent que la représentation politique reflète ce qu’ils sont. Georges
BURDEAU a bien traduit cette scissure lorsqu’il écrivait que « la démocratie
classique n’admettait comme légitime qu’une seule volonté : celle de la nation
formulée par ses représentants. Aujourd’hui, il y a deux volontés : celle du groupe

275
« C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ; il va
jusqu’à ce qu’il trouve des limites », MONTESQUIEU, De l’Esprit des Lois (1748), Les Belles Lettres,
1955, XI, 6. Pour préserver la liberté de ce danger, Montesquieu élabore la théorie de la
séparation et de l’équilibre du pouvoir afin d’assurer la modération du gouvernement, celle-ci ne
sera cependant concevable qu’à travers un mécanisme aristocratique ou monarchique, ce qui le
conduira au libéralisme aristocratique et, par extension, à choisir le gouvernement représentatif.
276
SIEYÈS distingue dans la Nation quatre volontés : constituante, pétitionnaire, gouvernante et
législative, toute chose qui permet un meilleur aménagement des libertés, socle de la démocratie
représentative. SIEYÈS (E.), Qu’est-ce que le Tiers-Etat ?, Genève, Libraire Droz, 1970, p.124
277
MONTESQUIEU, De l’Esprit des Lois, op.cit.
278
B. SADRY, Bilan et perspectives de la démocratie représentative, Thèse de Doctorat en droit
public, Université de Limoges, 2007, p.29
279
J.-M. DENQUIN, « Pour en finir avec la crise de la représentation », in Jus Politicum, n° 4, 2010,
pp.1-38

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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[c’est-à-dire celle de la communauté des citoyens ou, tout au moins, d’une


majorité d’entre elle], impérative en dehors de toute mise en forme juridique, et
celle des gouvernants. Il s’ensuit que la puissance légale, la puissance étatique,
peut ne pas correspondre au pouvoir du peuple ». C’est la raison pour laquelle ils
tendent à réclamer plus de prise en considération et le référendum participe de
cet objectif. En effet, il permet au peuple d’exercer au moins temporairement
certains attributs de la souveraineté dont il est le détenteur originaire.
Dans l’utilisation du référendum, il arrive très souvent que la volonté du peuple
aille aux antipodes de la volonté de leurs représentants280. Dès lors, la volonté du
peuple, lorsqu’elle est régulièrement requise par la voie des mécanismes directs
de participation, sonne alors comme une déchéance à peine voilée des
représentants qui dans ce contexte, perdent fortement en légitimité, voire même
en crédibilité. En conséquence, le procédé référendaire en général et le
référendum local en particulier menacerait le pouvoir des élus. Ils y perçoivent
un instrument de déstabilisation, un moyen de contournement ou du moins de
limitation de leur autorité. Dans un contexte où se développe de plus en plus la
crise de la représentativité281, le référendum local peut se percevoir comme
discréditant davantage les autorités locales. Au-delà des élus locaux, l’utilisation
de cette modalité de la démocratie directe court le risque de discréditer toute la
classe politique compte tenu de la crise de confiance grandissante entre celle-ci
et les populations282. Il n’est donc pas étonnant de voir les élus locaux s’opposer
à celui-ci de peur de se voir déposséder de leur rôle de représentation. Partant
de l’idée selon laquelle « un élu est élu pour prendre des décisions, sinon il ne
sert à rien. Les référendums signifient le désengagement des élus »283. De tels

280
L’on peut évoquer le référendum en Angleterre sur le Brexit qui a conduit à une reconfiguration
des équilibres parlementaires conduisant à des législatives anticipées.
281
R. MBALLA OWONA, « Réflexions sur la dérive d’un sacro-saint principe : la souveraineté du
peuple à l’épreuve des élections au Cameroun », Juridis Périodique 88, Oct.-Nov.-Déc. 2011,
pp.91-1099
282
P. SOGLOHOUN, « La crise de la souveraineté nationale en Afrique », Les Annales de
l’Université de Parakou 2, 2019, n° 1, Série « Droit et Science Politique », pp. 79-99
283
Cité par C. PREMAT, « Les enjeux du référendum local », op.cit.

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propos traduisent l’inquiétude des autorités locales face à un procédé qui


emporte de plus en plus l’adhésion populaire. Les élus locaux ont peur de voir
émerger des acteurs sociaux concurrents sur la scène politique284. C’est la raison
pour laquelle à défaut de l’écarter du processus décisionnel, ils réclament le
contrôle total des processus référendaires perçus comme l’expression d’intérêts
particuliers au détriment de l’intérêt général285.
Bien plus, les sociétés modernes ont des problèmes de plus en plus complexes
qui nécessitent des décisions réfléchies que l’homme de la rue ne saurait
percevoir. C’est cette réalité qui a justifié à bien des égards l’option pour la
démocratie représentative qui suppose que les décisions sont prises par un
groupe spécifique de personnes bénéficiant d’une légitimité populaire issue de
l’élection. Le référendum en général et le référendum local en particulier vient
donc bousculer les acquis du système représentatif. Au-delà de l’incompétence
supposée du peuple à prendre des décisions éclairées à des problèmes
complexes, sa responsabilité ne peut être engagée du fait des actes
référendaires, ce qui minimise l’obligation d’efficience des décisions politiques.
La démocratie représentative, si elle est essentiellement majoritaire, ne s’oppose
pas à la mise en valeur des minorités alors que les procédés référendaires au
niveau local se présentent comme de véritables dictatures de la majorité, les
minorités se trouvant lésées par ce fait286. Les réponses admises ici étant le
« oui » ou le « non », les électeurs ne peuvent introduire des spécificités souvent
nécessaires dans les textes soumis au référendum.
C’est fort de ce qui précède qu’Antoine de RIVAROL affirmait « Il y a deux vérités
qu’il ne faut jamais séparer en ce monde : la première est que la souveraineté
réside dans le peuple ; la seconde est que le peuple ne doit jamais l’exercer ». En
d'autres termes, l’exercice de la souveraineté directement par le peuple pourrait

284
J.-A. MAZÈRE, « Les collectivités locales et la représentation, essai de problématique
élémentaire », RDP 110, 1990, pp. 607-642
285
C. KEUTCHA TCHAPNGA, « Désétatisation et nouvelles configurations du pouvoir en Afrique
francophone », La revue du CERDIP 3(5), Janv.-Juin 2007, pp. 34-77
286
J. VERHULST, A. NIJEBOER, Démocratie directe. Faits et arguments sur l’introduction de
l’initiative et du référendum, Democraty International, Bruxelles, 2007, p. 72

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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être plus nocif que bénéfique pour ce dernier. Au-delà de cela, les élus
percevraient d’un mauvais œil cette pratique qui fragilise leur légitimité et remet
en cause leurs fonctions. Marion PAOLETTI a traduit cette distance des
représentants locaux vis-à-vis du processus référendaire au niveau local en
affirmant que : « C'est une procédure dont personne ne veut, sauf aux marges.
Et si la participation est une norme locale à laquelle on prête rituellement
hommage, la majorité des acteurs ayant à voir avec la démocratie locale
s'accorde à rejeter le référendum en dehors de procédures légitimes, y compris
dans les phases de problématisation de la démocratie locale »287. L’auteur montre
que les maires en France notamment étaient assez hostiles à la pratique du
référendum local parce qu’ils y voyaient un instrument aux mains de groupes
pouvant leur mettre la pression.
S’il est vrai que l’on observe de plus en plus un fort taux d’abstention des
électeurs aux différentes échéances électorales et davantage dans les États
d’Afrique noire francophone, toute chose qui traduit une rupture de la confiance
à l’endroit des élus, il reste que les défenseurs de la logique représentative
soutiennent qu’elle reste la meilleure incarnation de la démocratie locale. Dans
ce contexte, la promotion des mécanismes de la démocratie directe et en
particulier du référendum local se présente non pas seulement comme une
alternative à la démocratie représentative, mais surtout comme un véritable
palliatif pouvant à terme la faire dépérir. La méfiance de ceux-ci vis-à-vis des
modalités de la démocratie participative tient également aux fortes possibilités
de manipulations auxquelles elles peuvent faire l’objet, la dévoyant des principes
et valeurs de toute véritable démocratie.

287
M. PAOLETTI, « La pratique politique du référendum local : une exception banalisée »,
CURAPP/CRAPS, La démocratie locale. Représentation, participation et espace public, PUF,
1999, pp. 219-236

127
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2. Le référendum local, un mécanisme à fort risque de manipulation

Les États d’Afrique noire francophone au regard des pratiques politiques et


institutionnelles, laissent transparaitre un espace politique sujet à manipulation
tant par des individus que par des groupes d’influences. Cette réalité est
perceptible aussi bien dans le cadre constitutionnel que dans les mécanismes
démocratiques qu’il institue comme le processus électoral. En ce qui concerne la
Constitution tant dans ses dimensions formelle qu’empirique, le constat qui est
fait est que la loi fondamentale ne cesse en dépit des époques de subir le contre
coup des ambitions politiques de la classe gouvernante qui a compris que leur
longévité au pouvoir dépendait de leur maitrise du jeu démocratique288.La
constitution étant l’acte qui aménage les modalités d’accès, d’exercice et de
transmission du pouvoir, elle ne manque pas de faire l’objet d’instrumentalisation
lorsque son contenu ne correspond pas aux aspirations de certains gouvernants.
Dans ce contexte, même le juge constitutionnel garant juridictionnel de l’autorité
de la constitution se trouve impuissant289. Les méthodes de manipulations du
texte constitutionnel sont assez subtiles comme l’explique Adama KPODAR elles
consistent à recourir aux voies constitutionnelles en l’occurrence la révision pour
travestir la philosophie du constitutionnalisme290. Dans d’autres circonstances,
l’ordre constitutionnel est purement et simplement mis de côté comme ce fut le
cas après le décès du président Tchadien Idriss Déby ITNO, ou des putschs
militaires. Dès lors, il n’est pas de garantie absolue qu’une cristallisation du
référendum local dans le marbre de la constitution empêche son dévoiement par
la violation de son esprit en raison des considérations purement politiques.

288
S.M. OUEDRAOGO, La lutte contre la fraude à la constitution en Afrique noire francophone,
Thèse de Doctorat en droit, Université de MONTESQUIEU-BORDEAUX IV, 2011, p.10
289
M. NDIAYE, « La stabilité constitutionnelle, nouveau défi démocratique du juge africain »,
Annuaire international de justice constitutionnelle, XXXIII-2017, pp. 667-688
290
A. KPODAR, « Bilan sur un demi-siècle de constitutionnalisme en Afrique noire francophone »,
in La Constitution béninoise du 11 décembre 1990 : un modèle pour l’Afrique ?, Mélanges en
l’honneur de Maurice Ahanhanzo Glèlè, Paris, L’Harmattan, Coll. « Études Africaines », 2014,
pp. 89-126

128
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Les procédés référendaires en général trainent derrière eux des a priori qui
contribuent à nourrir la méfiance d’un certain courant quant à son utilisation en
démocratie, encore plus dans les démocraties fragiles d’Afrique. Comme d’autres
méthodes d’expression citoyenne comme les audiences publiques, les comités
de quartier ou les conseils de jeune dont il est fait le reproche d’avoir une valeur
davantage informative que participative, le référendum local quant à lui peut être
considéré dans certaines conditions comme un instrument conçu pour avaliser
simplement des décisions déjà prises, tester l’opinion publique. Bien plus,
plusieurs griefs sont formulés à endroit. Le premier est que l’initiative populaire
représente une surcharge de l’agenda des autorités publiques causée par un
excès de demandes et de revendications, ce qui complique et alourdit la
gouvernabilité. L’idée ici est que dès que le peuple se familiarise avec la gestion
du pouvoir, il a tendance à vouloir être impliqué dans toutes les décisions, ce qui
ne faciliterait pas le travail des autorités locales. Le second est la prolifération
des blocages par le droit de veto populaire, ce qui peut provoquer sinon un
immobilisme et une paralysie décisionnelle, tout au moins un ralentissement
significatif du processus décisionnel engendrant ainsi des conséquences allant
à l’encontre du bien commun. Il ne viendrait par ailleurs à l’esprit d’aucun dirigeant
dans ce contexte de brider la volonté du peuple soit en limitant leur capacité
d’exercice de leur droit, soit en ne prenant pas en compte leur opinion. Enfin, le
troisième argument massue invoqué constamment par les partisans du statu quo
est la peur des dérapages populistes qui pourraient conduire à des reculs
dramatiques sur le plan des acquis sociaux et des droits humains. C’est la peur
des excès du pouvoir du peuple, de la dictature de la majorité silencieuse et
ignorante au détriment de différentes minorités, c’est la peur de se voir imposer
contre son gré des choix qui heurtent principalement nos valeurs morales et nos
croyances religieuses, c’est aussi la crainte de voir l’opinion publique manipulée
et trompée à la faveur d’un déséquilibre des options en jeu à cause de règles de

129
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

formulation de questions ou de financement inéquitable, voire carrément


inexistant291.
Certains observateurs ne perçoivent pas ce mécanisme comme une façon de
réagir à un projet que concoctent les autorités en vue d’obtenir le consentement
des administrés sur une politique publique précise. Elle le voit davantage comme
un moyen détourné de contester les décisions locales292, surtout lorsque son
initiative n’émane pas des autorités locales. Lorsqu’elle procède de lui, le
processus ressemble fortement à un procédé d’adhésion à travers lequel le
peuple entérine son orientation politique. Parlant du référendum d’initiative
citoyenne293, des auteurs s’accordent pour dire qu’en supprimant la plupart des
filtres de la procédure d’élaboration des normes juridiques, ce procédé peut
ouvrir la voie à de nombreuses manœuvres démagogiques. À cet effet,
« l'impopularité croissante de l'impôt pourrait ainsi déboucher sur des initiatives
référendaires visant à supprimer des taxes sans se soucier de l'équilibre des
finances publiques, alors même qu'une majorité de citoyens restent attachés à
la qualité des services publics et des systèmes de protection sociale, lesquels
sont financés par les prélèvements obligatoires, dont les impôts. Ce mouvement
pourrait en outre trouver le soutien direct ou indirect de puissants lobbies
désireux de faire reculer l'intervention de l'État en matière fiscale et
réglementaire… et de « stimuler », voire de corrompre l'initiative citoyenne en
mettant à son service des relais, des moyens de communication, des ressources
financières, etc. On peut aussi redouter sérieusement une manipulation massive
de l'opinion via les algorithmes et les réseaux sociaux, par des pays ou des

291
J.-P. CHARBONNEAU, « De la démocratie sans le peuple à la démocratie avec le
peuple », Éthique publique [En ligne], vol. 7, n° 1 | 2005, mis en ligne le 12 novembre 2015,
consulté le 26 mai 2021.
292
C. PREMAT, « Les enjeux du référendum local », op.cit
293
J. VERHULST, A. NIJEBOER, Démocratie directe. Faits et arguments sur l’introduction de
l’initiative et du référendum, Op.Cit., p.50

130
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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personnes qui sont déterminés à semer la zizanie dans un État pour le


déstabiliser et pour porter leurs alliés au pouvoir »294.
S’il s’agit assurément de possible conséquence du référendum d’initiative
citoyenne d’un point de vue national, les implications qui en découlent peuvent à
bien des égards être transposées dans la mise en œuvre de ce mécanisme au
niveau local, d’où les réticences observées quant à sa reconnaissance tant dans
certaines Constitutions occidentales295 que dans celles des États d’Afrique noire
francophone. Les risques de manipulation ne sont pas propres aux référendums
d’initiative populaire. Ceux initiés par les autorités locales n’échappent pas à ces
risques car, comme le disait Alexis DE TOCQUEVILLE, « il n'y a rien de si
irrésistible qu'un pouvoir tyrannique qui commande au nom du peuple, parce
qu'étant revêtu de la puissance morale qui appartient aux volontés du plus grand
nombre, il agit en même temps avec la décision, la promptitude et la ténacité
qu'aurait un seul homme ». Bien plus, au regard de la complexité de certaines
questions soumises au référendum, une réponse manichéenne du « oui » ou du
« non » ne traduirait-elle pas un dévoiement flagrant de ce mécanisme de
légitimation populaire ? Le citoyen en prenant part à un tel processus dans
l’ignorance de toutes les spécificités de la question qui lui est posée est-il encore
un acteur ou un vassal de la démocratie296 ?
L’observation des pratiques dans les États occidentaux297 montre si besoin est
encore les risques de manipulation auxquels la pratique du référendum prête le
flanc. Même si comparaison n’est pas raison, à plusieurs points le référendum
local transporte les tares et les craintes observées au niveau national sous
d’autres cieux de sorte que l’on peut être amené à se demander s’il est opportun

294
L. BLODIAUX, A.-M. COHENDET, M. FLEURY, B. FRANÇOIS, J. LANG, J.-F. LASLIER, Th. PECH,
Q. SAUZAY, F. SAWICKI, Le Référendum d’initiative citoyenne délibératif, Terra Nova, 2019, p.13
295
Ce n’est que depuis la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 que le référendum
constitutionnel a été introduit dans la constitution française en son article 72-1
296
J. VERHULST, A. NIJEBOER, Démocratie directe. Faits et arguments sur l’introduction de
l’initiative et du référendum, Op.Cit., p.72
297
Le référendum organisé par Louis NAPOLÉON BONAPARTE qui établira l’empire au détriment
de la république, le Brexit britannique de 2016 entre autres.

131
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

de lui donner une assise constitutionnelle dans les États d’Afrique noire
francophone au regard de la jeunesse et de la fragilité de la démocratie dans cet
espace. La démocratie locale y étant essentiellement représentative,
l’introduction des modalités de la démocratie directe à travers le référendum
local véhicule en partie les craintes qui ont justifié pendant longtemps les
réticences à son endroit dans les démocraties occidentales. Perçu comme un
véritable contre-pouvoir aux autorités locales, étant entendu qu’il ouvre la
possibilité aux citoyens de remettre en cause les décisions de leurs élus, il ouvre
la voie à une instrumentalisation par différents groupes et lobbies qui peut être
préjudiciable à la démocratie locale.
La souveraineté appartenant au peuple, ses décisions sont couvertes du sceau
d’une légitimité naturelle qu’il devient difficile et même dangereux de remettre en
cause, même s’il est avéré à un moment ou à un autre que sa volonté ait pu être
manipulée.
En effet, source de légitimité, le référendum local peut être utilisé afin d’entériner
des décisions potentiellement contraires aux principes, valeurs et intérêts de la
collectivité parce qu’elle possède une énergie propre, autonome et suffisamment
puissante pour bousculer les axiomes établis dans la collectivité. Dès lors, le
référendum local peut se percevoir comme un moyen de contourner des normes
en vigueur298. Comme le précise de Patrick TAILLON, en prenant pour cadre de
référence le référendum national, « il n'est pas étonnant de constater que la
pratique référendaire suscite son lot de craintes et de méfiances parmi les
autorités représentatives. Même si démocratie représentative et démocratie
référendaire peuvent parfois se compléter l'une et l'autre, ces deux formes de
procédures démocratiques entretiennent généralement des rapports complexes
et tendus. Le référendum, comme mode d'expression de la volonté du peuple,
se présente le plus couramment comme une formalité supplémentaire qui
s'ajoute au processus législatif et qui entre en concurrence avec la volonté

298
P. TAILLON, LE RÉFÉRENDUM EXPRESSION DIRECTE DE LA SOUVERAINETÉ DU PEUPLE ?
Essai critique sur la rationalisation de l'expression référendaire en droit comparé, Tome 1, Thèse
en droit, Université de Laval-Université de Paris 1Panthéon-Sorbonne, 2011, p.17

132
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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exprimée par les assemblées »299. Cette position que l’on peut transposer aux
référendums locaux montre pour reprendre les termes de l’éminent auteur que
ce procédé est quelques fois perçu par les élus comme un élément perturbateur
qui impose aux autorités de composer avec la volatilité des électeurs qui sont
souvent tentés par la politique de la défiance300, toute chose qui rend la modalité
incertaine voir dangereuse pour la démocratie locale. Par ailleurs, recherchant
une plus grande implication des citoyens dans le processus décisionnel, le
référendum local n’atteint pas toujours cet objectif, ce qui peut édulcorer au final
sa portée.

B. La relative valeur du référendum local dans ses effets

Contrairement à ce que l’on peut penser, les référendums locaux n’ont pas
toujours la portée que l’on voudrait leur donner. En effet, il n’est pas surprenant
au regard des nombreuses manipulations auxquelles ils peuvent faire l’objet que
ces procédés référendaires au niveau local en fin de compte ne donnent qu’une
représentation biaisée de la volonté du peuple et par conséquent ne l’implique
pas à proprement parler dans la gestion de la collectivité301. De ce point de vue,
le référendum local dans la démocratie locale se perçoit non comme une
véritable solution à la participation citoyenne dans le processus décisionnel, mais
véritablement comme une poudre de perlimpinpin qui ne tient pas les promesses,
les espoirs et les vertus qu’on lui prêtait. En réalité la distance que les autorités
locales ont à l’égard de cette modalité de participation populaire aboutit
généralement à son cloisonnement à une portion congrue de matières, ces
autorités disposant d’un certain pouvoir discrétionnaire dans la détermination
des questions pouvant être soumises au référendum (1). Par ailleurs, la relativité
de sa portée édulcore fortement l’étendue de ses effets (2), ce qui contribue à

299
Ibid., p.22
300
Idem.
301
M. PAOLETTI, « Le référendum local en France : variations pratiques autour du droit », RFSP,
1996, pp. 883-913

133
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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diluer l’importance de ce procédé en ce qui concerne l’affermissement de la


démocratie locale.

1. Un procédé fortement dépendant des autorités locales

En réalité, les autorités locales sont généralement très méfiantes vis-à-vis de ce


processus qui a tendance à les déposséder de leur pouvoir de décision. En
France, l’opportunité de la constitutionnalisation du référendum local ne s’est pas
faite sans débats. Partant d’une conception nationale de la souveraineté qui
interdit son exercice par une fraction de la population302 et des dispositions
relatives à la libre administration des collectivités locales par des conseils élus,
Michel VERPEAUX a pu insinuer que cela supposerait dans une certaine mesure
une interdiction pour les autorités locales d’abandonner leurs compétences au
profit des populations qui sont assurément inaptes à les exercer303. De ce qui
précède, la conséquence que l’on pourrait tirer d’une telle analyse en rapport
avec les États d’Afrique noire francophone est qu’en l’absence de dispositions
constitutionnelles, il serait difficile d’envisager l’essor du référendum local qui
reste tributaire d’aménagements par la loi fondamentale ainsi que par des textes
législatifs t réglementaires. Par ailleurs, quand bien même il serait consacré et en
se référant au modèle français, ce serait une procédure fortement dépendante
des autorités locales.
L’organisation des référendums locaux est généralement laissée à la discrétion
des autorités locales. Ainsi, elles sont libres d’y avoir recours ou pas. Elles sont

302
L’article 3 de la constitution française de 1958 dispose que : « La souveraineté nationale
appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune
section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice… ». L’on retrouve des
dispositions identiques à celles-ci dans les constitutions des États d’Afrique noire francophone.
À titre d’exemple, l’on pourrait citer : art.5 de la constitution du Congo, art.50 de la constitution
de Côte d’Ivoire, art.2 al.1 de la constitution du Cameroun, art.3 de la constitution du Gabon…

M. VERPEAUX, « Le référendum communal devant le juge administratif : premier bilan », Revue


303

Administrative, 1996, n ° 289, pp. 95-107

134
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

le juge de l’opportunité et c’est sous réserve de cet encadrement que ce


mécanisme a été accepté par les élus sous d’autres cieux.
Pratique instrumentalisée304, elle est utilisée par les personnes qui en détiennent
l’initiative au gré des intérêts qui sont les leurs. Instrument de légitimation des
actions politiques, le référendum local permet soit aux élus locaux de renforcer
leur autorité, soit aux groupes d’influence au niveau local de mettre à mal les
exécutifs locaux. En tout état de cause, ce sont les autorités locales qui
détiennent la prééminence des prérogatives en ce qui concerne son
organisation. C’est ainsi que dans le cas de la commune par exemple comme
l’explique Marion PAOLETTI, « dans la mesure où le maire contrôle
personnellement l'initiative, qu'il prend la décision de recourir au référendum et
que cette décision ne s'impose que rarement à 1ui dans des situations de crise
interne ou externe, il est libre de l'organisation des différentes séquences de la
décision référendaire. Le vote reproduit très généralement la décision
prédéterminée par le maire »305. En d'autres termes, il est très difficile que le
maire soumette au référendum une question dont il n’est pas sûr d’avoir
l’adhésion populaire vu qu’au-delà de maitriser tous les canaux d’information sur
la question soumise à la procédure référendaire, étant entendu qu’il est assujetti
à très peu de contraintes quant à l’organisation de celui-ci, il intervient
conséquemment à la fois dans la détermination des questions à porter à la
censure populaire, que dans la formulation de celle-ci. C’est l’autorité locale qui
de façon discrétionnaire choisie le domaine référendaire, le choix de l’objet de la
consultation, et son équipe formule, quelques fois de manière elliptique la
question à soumettre aux citoyens. Par ailleurs, il est non seulement juge de
l’opportunité du référendum, mais également juge du temps de sa tenue.
Même lorsque l’initiative du référendum est populaire, elle est limitée d’une part
parce qu’elle ne s’impose que très difficilement et sous certaines conditions bien
déterminées à l’autorité locale qui, rappelons-le dans la plupart des pratiques,

304
D. ROUSSEAU, « Le référendum est-il un outil démocratique ? », Les Soirées-Débats du GREP
Midi-Pyrénées, 18 nov. 2017, p. 4.
305
M. PAOLETTI, « La pratique politique du référendum local : une exception banalisée », op.cit

135
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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est le juge de l’opportunité d’un tel mécanisme. D’autre part, elle doit être portée
dans la collectivité par un grand nombre de citoyens.
Au-delà de la sensibilité des questions soumises au référendum, il faudrait
ajouter la problématique de la clarté de celle-ci qui soustrait bon nombre
d’aspects de l’interrogation portée à l’appréciation des citoyens. Appelées à
répondre par « oui » ou par « non » lors des consultations référendaires, les
populations ne sont pas forcément renseignées sur les spécificités sous-
jacentes à la question qui est portée à leur sanction.
En effet, comme l’indique à juste titre Philippe DRESSAYRE : « les alternatives
présentées lors du référendum s'imposent comme le produit de procédures
techniques ou bureaucratiques échappant à tout contrôle extra-municipal.
Reflétant les résultats des processus de pouvoir à l'œuvre au sein de l'appareil
municipal, les solutions soumises au référendum sont proposées à l'appréciation
des citoyens sous forme de « prêt-à-porter » non négociable… à chaque fois,
l'essentiel de la décision a été pris avant que ne soit consultée la population »306.
La formulation de la question est donc essentiellement un procédé technique qui
réduit la marge de manœuvre des citoyens appelés à se prononcer. « La forme
et le contenue de la question soumise aux électeurs écrit Patrick TAILLON ont
souvent de l'influence sur les résultats d'un scrutin. Présumant que la tournure
de la question a un impact significatif sur le résultat, l'organe chargé d'élaborer
la question tend à soumettre aux électeurs un libellé qui, par le choix des termes
utilisés, présente l'initiative sous son meilleur jour. En orientant ainsi la rédaction
de la question, le rédacteur de celle-ci souhaite maximiser ses chances de
remporter le scrutin »307.
En fin de compte, l’importance du pouvoir discrétionnaire des élus locaux dans
les procédés référendaires couplés au caractère technique et hautement

306
Ph. DRESSAYRE, « Le référendum communal : outil de gestion ou gadget politique ? », In :
Politiques et management public, vol. 2, n° 3, 1984. pp. 65-88
307
P. TAILLON, LE RÉFÉRENDUM EXPRESSION DIRECTE DE LA SOUVERAINETÉ DU PEUPLE ?
Essai critique sur la rationalisation de l'expression référendaire en droit comparé, Tome 1, op.cit.,
p.221

136
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

bureaucratisé des organes en charge de son élaboration montre à plusieurs


égards la fragilité de l’impact des citoyens dans une procédure censée
davantage les mettre au centre du processus. Si les nombreux pouvoirs des
administrations locales constituent une première limite à leur action, la
manipulation du libellé de la question du point de vue de la clarté fait peser le
risque de pervertir l'expression référendaire et d'accentuer l'écart entre les
résultats du scrutin et la « véritable » ou « authentique » volonté populaire308.
Ceci a pu faire dire à DRESSAYRE « qu'il s'agisse de l'initiative du référendum, du
champ de la consultation ou de son impact sur la décision, la part de démocratie
directe introduite par le référendum dans le fonctionnement des institutions
municipales demeure au fond, très faible… la municipalité conserve une capacité
suffisante d'encadrement et de contrôle de cette procédure d'expression de la
souveraineté populaire pour qu'à aucun moment l'on ne puisse reconnaître, dans
la consultation référendaire, une véritable « rétrocession » de pouvoir au profit
de la population. »309.
La constitutionnalisation du référendum local en France par exemple a connu des
fortunes diverses. Le Sénat dans les années 90 a rejeté un projet de loi visant à
consacrer le référendum local au motif que celui-ci violerait les dispositions
constitutionnelles relatives à l’unicité de la souveraineté et aux caractères de la
libre administration310. Sa constitutionnalisation en 2003 traduit une véritable
évolution du processus de décentralisation dans ce pays en dépit des réticences
des autorités locales. C’est peut-être aussi l’expression d’un compromis entre les
défenseurs de la démocratie directe ou participative et ceux de la démocratie
représentative avec un certain penchant pour ces derniers qui restent les maitres
du processus. En effet, son initiative appartient exclusivement aux assemblées
délibérantes des collectivités locales, ou les exécutifs locaux ce qui exclue de
fait les référendums d’initiative populaires. C’est ce qui a pu faire dire à la doctrine

308
Idem., p. 221
309
Ph. DRESSAYRE, « Le référendum communal : outil de gestion ou gadget politique ? », op.cit.
310
M. VERPEAUX, « Le référendum communal devant le juge administratif : premier bilan », op.cit.

137
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

qu’il s’agissait d’un référendum d’en haut311. Les élus locaux par crainte pour ce
mécanisme l’utilisent très peu d’où la nécessité d’envisager la consécration d’un
référendum d’en bas312. Toutefois, quel que soit son initiateur, la procédure est
fortement dépendante des autorités locales qui contrôlent tout le processus.
L’environnement français est très instructif sur les perspectives du référendum
local dans les États d’Afrique noire francophone en raison d’une part de leurs
rapports historiques et d’autre part en raison de la commune structuration de ces
États313. La maitrise du processus par les autorités locales vise à éviter qu’elles
exercent leur mandat sous la menace permanente d’un désaveu politique314,
toute chose qui restreint sa portée.

2. La relative portée des référendums locaux

Lorsque l’on s’attelle à construire une typologie des référendums locaux, l’on
distingue les référendums consultatifs et les référendums décisionnels315. Si les
premiers mettent en exergue un procédé dont les résultats n’ont pas une valeur
contraignante à l’endroit des élus locaux, mais bien une valeur indicative en ce
qu’elle permet de mesurer les tendances afin de mieux orienter les décisions des
autorités locales, les seconds sont supposés revêtir une réelle force normative
en ce qu’ils donnent naissance à une norme opposable aux administrations
locales.

311
F. HAMON, Le Référendum étude comparative, LGDJ, 2e édition, 2012, p.31.
312
Idem.
313
La France, tout comme les États d’Afrique noire francophone sont des États unitaires
décentralisés. Le principe constitutionnel de l’indivisibilité du peuple étant commun à ces États,
donne une connotation quasiment identique à l’appréhension qui pourrait être faite du
référendum local. Les craintes soulevées par la classe politique française vis-à-vis de ce
processus peuvent légitimement être transposées dans l’espace en étude.
314
Ch. GEYNET, « La résurrection du référendum local après le barrage de Sivens : une vraie
fausse bonne idée », Revue Générale des Collectivités Territoriales, 2015, https://hal.archives-
ouvertes.fr/hal-01443247/document, consulté le 10 juin 2021
315
D’autres pourraient envisager la classification à partir de la composante qui l’initie. Ainsi, l’on
pourrait distinguer les référendums portés par les autorités locales, et ceux résultant d’une
initiative citoyenne.

138
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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Dans l’un ou l’autre cas, il est possible de relativiser davantage leur portée au
regard d’une certaine pratique. En effet, l’on peut se demander à quel point les
exécutifs locaux sont liés par les décisions issues des consultations
référendaires ? Une telle interrogation remet à l’ordre du jour l’étendue de la
volonté du peuple exprimée à travers le référendum.
Force est de constater au regard de la pratique que l’effet du référendum local
qu’il soit décisionnel ou consultatif est dilué de sorte à ne pouvoir empêcher aux
autorités locales de ramer à contre-courant de la volonté du peuple. Si l’on s’en
tient juste à la construction sémantique, les référendums consultatifs sont non
exécutoires parce qu’ils ne lient pas les organes locaux316. Ils permettent de fixer
des objectifs, de décliner de la volonté des citoyens exprimée des orientations
que les administrations locales seront chargées de formaliser à leur convenance.
Elles disposent donc d’une marge de manœuvre assez étendue dans leur activité
de transcription ou d’implémentation de la position sortie majoritaire lors de la
consultation référendaire. Cette catégorie de référendums ne suffit pas à elle
seule à produire un acte normatif contraignant. C’est aux autorités locales qu’il
appartient de lui donner un caractère à la fois exécutoire et contraignant. Dans
l’ordre constitutionnel, « sa portée juridique limitée a été conçue pour concilier
l’intervention directe du corps électoral avec des constructions doctrinales telles
que le principe britannique de la souveraineté du parlement et la théorie
française de la souveraineté nationale. En niant à la décision populaire toute
conséquence juridique, l’idée de référendum consultatif a historiquement permis
d’occulter le débat sur la constitutionnalité du référendum et sur sa compatibilité
avec le système représentatif »317. Par ailleurs, l’avis qui est requis des

316
Même si dans les faits et à l’observation de la pratique dans certaines démocraties
occidentales ces référendums produisent des décisions qui lient à bien des égards les autorités
locales contrairement à l’acception commune. Lire P. TAILLON, LE RÉFÉRENDUM EXPRESSION
DIRECTE DE LA SOUVERAINETÉ DU PEUPLE ? Essai critique sur la rationalisation de l'expression
référendaire en droit comparé, Tome 2, Thèse en cotutelle en vue de l’obtention du Doctorat en
droit, Université de Laval-Université de Paris 1Panthéon-Sorbonne, 2011, pp. 333-371
317
P. TAILLON, « Pour une redéfinition du référendum consultatif », In Revue internationale de
droit comparé, Vol. 59, N° 1,2007. pp. 143-155

139
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

populations n’est pas un avis conforme même si à certains égards il pourrait être
obligatoire. C’est pourquoi à la suite de Geneviève KOUBI l’on pourrait dire qu’elle
n’emporte pas décision et ne constitue qu’un cadre de réflexion pour le conseil
municipal qui doit le considérer comme un simple avis318. En tant que tel, il ne
peut faire l’objet de recours contentieux parce que ne faisant pas grief. Il n’est
donc pas surprenant qu’une tendance de la doctrine française pense que le juge
en rapport avec le référendum consultatif lui a octroyé une dimension sociale
illusoire319.
Le référendum décisionnel quant à lui, s’il aboutit à la création d’un acte normatif
directement exécutoire et contraignant, ne crée pas une norme immuable. En
d’autres termes, un acte insusceptible d’être modifié par les exécutifs locaux ou
les assemblées locales délibératives. Rien n’interdit en effet aux autorités locales
de modifier ultérieurement par voie réglementaire des normes adoptées par
référendum. Il s’agit là assurément d’un procédé de rationalisation de la portée
de l’expression référendaire320. Même si cela pose un réel problème de légitimité
démocratique, il reste que simple admission de cette possibilité limite fortement
la valeur du référendum.
Les constituants des États d’Afrique noire francophone peinent à intégrer ce
mécanisme de la démocratie directe dans les Constitutions. Ceux-ci optent pour
un modèle représentatif de la démocratie qu’ils posent comme postulat dans la
gestion des collectivités territoriales décentralisées. La jeunesse du processus
démocratique dans cet espace pourrait justifier cet état de choses. Et si au
regard de ce qui précède l’on pourrait être tenté de penser que le référendum
local ne traduit pas forcément une évolution de la démocratie locale et une
participation de fait des populations à l’élaboration des décisions au niveau local,
il reste que plusieurs arguments peuvent militer en faveur de l’introduction de ce

318
G. KOUBI, « Droit des collectivités territoriales et « référendum administratif local » »,
CURAPP/CRAPS, La démocratie locale. Représentation, participation et espace public, PUF,
1999, pp.197-217
319
Ibid.
320
P. TAILLON, LE RÉFÉRENDUM EXPRESSION DIRECTE DE LA SOUVERAINETÉ DU PEUPLE ?...,
Op.cit., p.443

140
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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mécanisme dans le cadre juridique constitutionnel des États d’Afrique noire


francophone en ce qu’il constitue sur bien des aspects une modalité de
renforcement de la démocratie locale.

II. Une lueur : le renforcement de la démocratie locale

Démocratie représentative et démocratie participative sont deux alternatives


pouvant être prises en compte dans l’édification d’un modèle de la démocratie
locale articulé autour des exigences de la représentation et de la participation
directe des populations à la prise des décisions au niveau local. Dans ce contexte
la constitutionnalisation du référendum local dans les États d’Afrique noire
francophone offrirait à la démocratie une vitalité toute particulière en ce sens
qu’elle l’enrichirait d’une modalité complémentaire321 permettant une meilleure
expression de la volonté des citoyens (A), de même qu’elle reconfigurerait de
façon significative les rapports entre les administrations locales et les
populations (B).

A. Un instrument de valorisation de la volonté des citoyens

Le rapport de confiance entre élus et populations s’est dégradé, entrainant la


crise de tout un système, celui de la représentativité. Le référendum local se
présenterait donc comme mécanisme qui réconcilie gouvernants et
gouvernés322. Le principe de représentation n’implique pas une similitude parfaite
entre représentants et représentés, les premiers, même s’ils portent les
aspirations des seconds, disposent d’une certaine liberté de pensée qui permet

321
F. HAMON, « Vox imperatoris, vox populi ? Réflexion sur la place du référendum dans un État
de droit » dans L'Etat de droit : Mélanges en l’honneur de Guy BRAIBANT, Paris, Dalloz, 1996,
pp. 389-402
322
R. CARRÉ DE MALBERG, « Considérations théoriques sur la combinaison du référendum avec
le parlementarisme », R.D.P, 1931, pp. 225-244

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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dans l’absolue de distinguer la volonté des uns et celle des autres323. Cependant,
le trop fort décalage qu’il y a de plus en plus entre la volonté des administrés et
celle exprimée par les élus locaux a fait naitre une forte méfiance qui grandit et
qui justifie la nécessité aujourd’hui de restaurer la confiance. Les consultations
référendaires participent donc de cet objectif en ce qu’elles mettent en évidence
un mécanisme utile à l’essor de la démocratie directe au niveau local (1) de même
qu’elles permettent une revalorisation de la place des citoyens dans la
démocratie locale (2).

1. Un mécanisme utile à l’essor de la démocratie directe

Le suffrage universel direct qui est le mécanisme qui préside généralement à la


désignation des autorités locales est une expression de la démocratie
participative. Suivant un certain point de vue, à partir du moment où le citoyen
s’est directement exprimé à travers le choix des élus locaux, il n’y a plus de
raisons qu’il intervienne dans la prise de décisions. L’appel à la consécration du
référendum local pouvait de ce fait être perçu comme non pertinent. Pourtant, la
crise de la représentativité a remis à l’ordre du jour la nécessité d’impliquer les
citoyens à la fois lors du choix des autorités locales, mais aussi à la base de
certaines décisions au niveau local324. Plusieurs mécanismes de la démocratie
directe peuvent être mobilisés à ce niveau. L’on a entre autres des audiences
publiques, des conseils de quartier, le budget participatif… Le référendum local
est donc un mécanisme supplémentaire permettant aux administrés de
s’exprimer sur des problématiques touchant leurs collectivités. Si dans les États
d’Afrique noire francophone certaines de ces modalités de la démocratie

323
M. PAOLETTI, La démocratie locale et le référendum : analyse de la démocratie locale à travers
la genèse institutionnelle du référendum, Paris, éditions L’Harmattan, 1997, p.23
324
Le Professeur Marion PAOLETTI parle du référendum comme étant à la fois un mécanisme de
participation et de décision. Voir M. PAOLETTI, « La pratique politique du référendum local : Une
exception banalisée », CRAPP/CRAPS, La démocratie locale. Représentation, participation et
espace public, PUF, 1999, pp.219-236

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participative ont été expérimentées325, il reste que les mécanismes ayant une
forte incidence sur la décision des autorités locales comme le référendum local
peinent encore à prendre corps dans cet espace.
La constitutionnalisation de ce procédé participatif dans les États d’Afrique noire
francophone enrichirait le cadre général de la démocratie locale en introduisant
un mécanisme fondamental de la démocratie directe. Le choix d’un mode de
participation citoyenne dans le cadre de la mise en œuvre de la démocratie
directe est loin d’être anodin, car la participation institutionnalisée conduit
potentiellement à une reformulation progressive des cadres d’exercice de la
citoyenneté. Or, si le mouvement de méfiance des gouvernants envers les
groupes est inquiétant, il faut aussi signaler que les groupes entretiennent à leur
tour des craintes à l’égard de toute récupération politique. La participation
publique est souvent une procédure démocratique réclamée par les groupes326
et permet de soustraire les décisions de l’influence arbitraire de certaines
factions. La constitutionnalisation du référendum local met en évidence un
mouvement qui vise clairement et efficacement à institutionnaliser la
participation citoyenne à la prise des décisions au niveau local. Il s’agit d’une
opération qui facilite le consensus en ce sens qu’au final, elle exprime l’adhésion
d’une majorité à une position bien déterminée. Ce qui en fin de compte renforce
la légitimité des actes des organes locaux et facilite leur implémentation. Ce
mécanisme de la démocratie participative se présente comme un moyen
d’amélioration de la gestion locale. À cet effet, il est porté par l’idée selon laquelle
pour mieux gérer les affaires locales, il faut le faire avec les citoyens. Comme
l’affirmait le Professeur Yves SINTOMER « Cela permet de mieux connaître les
besoins de la population, d’augmenter la communication entre élus et
administrés et entre techniciens et usagers, ainsi que d’intégrer les savoirs et les
compétences d’usage des habitants sur des problèmes qui les concernent

325
Notamment au Cameroun, la commune de Banganté à l’ouest du Cameroun pratique depuis
quelques années la logique du budget participatif.
326
L. BHERER, « La démocratie participative et la qualification citoyenne : à la frontière de la
société civile et de l’État », Nouvelles pratiques sociales, 18 (2), 2006, pp.24–38.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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directement. Les habitants ont des savoirs pratiques : où doit passer la ligne de
bus, ce qui convient le mieux pour les jeux d’enfants, quel carrefour est
dangereux, etc. La participation est un moyen d’accroître la transparence de
l’action publique et sa lisibilité par les usagers pour rompre avec la corruption,
rénover la qualité du service public, lever les soupçons de bureaucratie ou
d’inertie »327.
La nécessité d’inscrire le référendum local dans la constitution et non dans un
texte qui lui est inférieur tient en ce que sa constitutionnalisation permettrait de
lever des équivoques à la fois sur sa pertinence et sur son rapport avec l’option
des États pour la souveraineté nationale. En effet, la seule reconnaissance
législative de ce processus pourrait soulever des problèmes du point de vue de
sa constitutionnalité dans la mesure où il s’opposerait à l’interdiction d’exercice
de la souveraineté par une fraction de la population328. À bien des égards,
l’opération à travers laquelle est requis l’avis du peuple à travers un référendum
local ou mieux, localisé, pourrait s’apparenter à l’admission du caractère divisible
de la composante démotique de l’État329. Dans ce contexte l’absence de
constitutionnalisation du référendum local pourrait justifier des procédés de
rationalisation de sa portée par l’intervention du juge constitutionnel qui pourrait
déclarer l’inconstitutionnalité du procédé ou par les autorités locales qui
pourraient en limiter l’utilisation. Dans le rapport démocratie représentative et
démocratie participative, l’accession à la dignité constitutionnelle du procédé
constitutionnel au niveau local participerait à consolider la légitimité de cet
instrument. C’est ce que le premier Ministre français Jean Pierre RAFFARIN
défendait lorsqu’il affirmait que « nous sommes attachés au référendum

327
Y. SINTOMER, « Les enjeux et attentes d’une démocratie participative », Territoires, n° spécial
Conseils de quartier, modes d’emploi, 2° éd., octobre 2003, p. 137-141.
328
Les États d’Afrique noire francophone ont quasiment tout consacré dans leur dispositif
constitutionnel que « la souveraineté nationale appartient au peuple camerounais qui l’exerce soit
par l’intermédiaire du Président de la République et des membres du Parlement, soit par voie de
référendum. Aucune fraction du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice ».
329
M. VERPEAUX, « Le « référendum local » et la Constitution », in Cahiers du Conseil
Constitutionnel, N°12, (DOSSIER : Le droit constitutionnel des collectivités territoriales) - MAI
2002, 6p.

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territorial, car il rendra la République accessible aux citoyens. On ne peut


décentraliser sans leur donner la parole […] Les décentralisateurs et les girondins
n’ont pas peur de la consultation populaire ! Les démocrates et les républicains
n’ont pas peur de l’expression populaire ! La décentralisation, c’est la confiance
faite au peuple ! C’est elle qui modernisera notre République ! Notre démarche
s’inscrit dans cette logique de confiance ». S’il est clair qu’en l’état actuel des lois
fondamentales africaines il n’est pas reconnu de bases constitutionnelles à la
participation directe des citoyens à la gestion de leurs collectivités330, le contexte
de la crise de la représentativité justifie grandement l’accession à la dignité
constitutionnelle des mécanismes de la démocratie directe afin de quitter la
dynamique de démocratie sans le peuple à démocratie avec le peuple331. Par
ailleurs, si selon le Professeur Bernard Raymond GUIMDO s’administrer librement
voudrait dire en l’état actuel du dispositif constitutionnel que « les collectivités
territoriales décentralisées gèrent en toute liberté et autonomie leurs affaires
propres ou celles qui leur sont attribuées par la Constitution ou la loi et que cette
gestion doive être assurée par des conseils élus »332, il est important de relever
que même si les constitutions africaines ne prescrivent pas le recours au
référendum local, elles ne l’interdisent pas non plus formellement. Si l’auteur
rappelle que le système représentatif qui est créé par ces normes fondamentales
« exige que les collectivités territoriales disposent d'un conseil élu ayant un rôle
prépondérant dans la gestion de la collectivité », elles ne proscrivent pas
expressément le recours à des modalités de la démocratie directe. En tout état
de cause, la reconnaissance explicite des modalités de la démocratie directe et

330
À la suite de Michel VERPEAUX, l’idée selon laquelle les collectivités locales s’administrent
librement par les conseils élus (idée présente par ailleurs dans les constitutions des États
d’Afrique noire francophone) traduit l’option des constituants pour la démocratie représentative
au niveau local.
331
J.-P. CHARBONNEAU, « De la démocratie sans le peuple à la démocratie avec le
peuple », Éthique publique [En ligne], vol. 7, n° 1 | 2005, mis en ligne le 12 novembre 2015,
consulté le 11 juin 2021.
332
B.-R. GUIMDO DONGMO, « Les bases constitutionnelles de la décentralisation au Cameroun
(Contribution à l’étude de l’émergence d’un droit constitutionnel des collectivités territoriales
décentralisées) », Revue générale de droit, 29(1),1998, pp. 79–100.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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en l’occurrence le référendum local, ne manquera pas de lever les équivoques


sur la compatibilité entre les systèmes représentatifs et participatifs. La
démocratie participative envisagée à travers le procédé référendaire se veut à la
fois un renouveau de l'idéal démocratique et une nouvelle forme de légitimation
de l'action publique333.
Le référendum local dans sa mécanique enrichirait la culture civique et
démocratique des citoyens au sein de leurs collectivités. Expression de la
démocratie directe, il permet l’intégration du facteur démotique dans
l’élaboration des décisions par les autorités locales. Il vise à donner la parole aux
citoyens, grâce à différentes formes de participation, plus ou moins formelles ou
plus ou moins contraignantes334. Les citoyens peuvent se prononcer à différents
niveaux sur une question qui les intéresse directement. La participation s’opère
sous différentes procédures. Ainsi, soit les citoyens prennent la parole de leur
propre initiative, soit ils sont sollicités pour le faire335. Leur participation vise à
construire une réponse collective à un problème particulier. En tout état de cause
le citoyen se trouve revalorisé car il est désormais au centre des préoccupations.

2. Un procédé de revalorisation du citoyen au niveau local

L’enjeu majeur du référendum local est sans aucun doute le même que celui de
la démocratie locale dans sa dimension participative c'est-à-dire l’implication des
citoyens dans l’aménagement de leurs cadres de vie336 parce qu’il est important
que les habitants d’une collectivité soient considérés comme les experts de leur
cadre de vie parce qu’ils en connaissent les problèmes et doivent donc être mis

333
F. CROUZATIER-DURAND, « Deux révolutions dans l’évolution : référendum décisionnel local
et expérimentation normative locale », in DELVIT Philipe (dir.) Bicentenaire du département de
Tarn et Garonne : genèse, formation, permanence d’une trame administrative, Toulouse, PUSS,
2008, pp.457-468
334
Référendum local décisionnel et référendum local consultatif
335
Il s’agit ici de la distinction entre le référendum initié par les autorités locales et celui initié par
les citoyens.
336
M. VERPEAU, « « Référendum local » et la Constitution », Cahiers du Conseil Constitutionnel
n° 12 (dossier : le droit constitutionnel des collectivités territoriales) - mai 2002, 7p.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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à contribution dans la recherche des solutions adéquates. Cela passe


nécessairement par la prise en compte de leur avis dans l’élaboration de la
décision qui leur sera appliquée. Le procédé référendaire est donc un instrument
qui, au-delà de faciliter la lisibilité de la volonté du peuple, implique le citoyen
plus concrètement dans la gestion des affaires locales.
Vecteur de légitimité, la participation citoyenne confère à la décision des
autorités locales une assise empirique forte car adossée sur la volonté des
usagers du service public au niveau local. Cette légitimité irrigue toute la politique
locale parce qu’à travers le référendum, les habitants de la collectivité ont pu
faire entendre leur voix, toutes choses qui entrainent une facilité
d’implémentation de ces politiques au sein de la collectivité.
L’enjeu social du référendum local et des autres modalités de la démocratie
participative est qu’elle permet d’encourager les interactions entre les décideurs
et les habitants, mais aussi entre les citoyens337. L’enjeu est de créer via ces
espaces de débats, un lien social entre voisins par exemple, difficilement
réalisable dans la société individualiste telle que nous la vivons de nos jours338.
Le référendum local replace le citoyen au cœur du processus décisionnel en
redistribuant le pouvoir339.
Toutefois, l’on peut s’interroger notamment au regard de l’évolution de la culture
démocratique dans les États d’Afrique noire d’expression française, sur la
capacité des citoyens ici à pouvoir prendre des décisions matures en rapport
avec des problématiques complexes de leurs collectivités. En effet, ici comme
ailleurs, les citoyens sont rarement conscients des contraintes juridiques,
techniques ou économiques des projets auxquels ils sont appelés à répondre par
oui ou par non.

337
A. VIOLA, « Le référendum local comme nouvel objet du droit constitutionnel », In : Les
nouveaux objets du Droit Constitutionnel, Presses de l'université Toulouse Capitole, 2005, p.
169-183
338
F. COOLS, « La démocratie participative, une opportunité pour encourager la participation des
personnes en situation d’exclusion », Think tank européen Pour la Solidarité, 2012, 10p.
339
Ibid.

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Le recours régulier à la participation citoyenne à travers le référendum local


participe également de l’éducation politique des citoyens. C’est pourquoi NEZ
Héloïse affirmait qu’à travers la participation, « les individus peuvent acquérir des
savoirs d’usage, en confrontant leur connaissance du territoire à celle des autres,
et des savoirs professionnels, qui augmentent leur capacité d’intervention sur
des questions techniques. Ils acquièrent aussi des savoir-faire militants (prendre
la parole en public, animer une réunion, gérer des conflits, etc.), ainsi qu’une
connaissance approfondie du fonctionnement de l’administration et de la vie
politique locale. Les collectifs développent également, en prenant part à ces
institutions participatives, des savoirs d’usage plus spécialisés que la seule
expérience de leurs membres, une expertise technique qui les rend légitimes
pour intervenir sur des dossiers techniques comme ceux de l’urbanisme, et des
compétences politiques, par exemple sur la méthode de participation. On
observe ainsi une montée en compétence des individus comme des associations,
qui sont également amenés à prendre davantage en compte l’intérêt général
dans leurs revendications »340. Même si dans le cadre du référendum les citoyens
sont appelés à répondre par oui ou par non à un projet qui leur est proposé, il ne
faudrait pas oublier tout de travail d’information et de communication préalable
à la tenue du référendum et ayant pour objectif de faire comprendre les tenants
et les aboutissants du projet. Le citoyen se trouve donc permanemment informé
des grandes orientations politiques de sa collectivité, chaque qu’il est fait recours
au procédé référendaire. Participer aux processus décisionnels permet aux
citoyens d'acquérir des compétences qu'ils n'avaient pas jusque-là et, par cette
acquisition, on peut supposer qu'ils deviennent plus à même de comprendre les
intérêts généraux de la commune. En ce sens, on retrouve l'idée que la
participation serait une « école de la démocratie ». En d’autres termes, la
participation citoyenne a un certain nombre d’incidences positives pour ceux qui

340
H. NEZ, « La professionnalisation et la politisation par la participation », Trajectoires d'individus
et de
collectifs à Paris et Cordoue, Revue internationale de politique comparée, 2013/4 Vol. 20, pp. 29-
53

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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participent. Elle encourage les compétences et les vertus civiques, renforce la


légitimité des décisions, et elle encourage la délibération ou permet aux citoyens
d’influer sur la politique341. Cependant, les mécanismes de participation doivent
être institutionnalisés, c'est-à-dire reposer sur une architecture normative
pertinente, et faire l’objet d’une constante opérationnalisation afin d’en mesurer
l’impact. C’est ce qui justifie l’appel à leur consécration dans le dispositif
constitutionnel. Le caractère inclusif du référendum local couplé aux objectifs qui
lui sont prêtés pourraient justifier la nécessité de son inscription dans le pacte
républicain des États d’Afrique noire francophone.
Il convient d’observer qu’il s’agit d’une contrainte des démocraties
contemporaines qui voudraient alterner démocratie représentative et démocratie
participative. Cette dernière forme à laquelle appartient le référendum local met
en exergue un ensemble de dispositifs qui redonnent une place active et centrale
aux citoyens dans leurs différents environnements locaux. Ils sont directement
impliqués dans la prise de décisions politiques. Elle reconfigure par la même
occasion le rapport administration-citoyen.

B. Une modalité de reconfiguration au niveau local du rapport administration-

citoyen

Dominé par une tendance politique et administrative jacobine, l’environnement


des États d’Afrique noire francophone n’a pas été pendant longtemps propice à
la promotion de la participation citoyenne dans la gestion des affaires publiques.
Seul le rapport administration-administré (sujet) était privilégié, mettant en
exergue un rapport exclusivement descendant. L’ouverture de ces pays aux
vertus de la démocratie en général et de la démocratie locale en particulier a
réaménagé la nature des relations entre l’administration et l’administré-

341
M. ANK, « Les innovations dans la gouvernance démocratique - En quoi la participation
citoyenne
contribue-t-elle à l'amélioration de la démocratie ? », Revue Internationale des Sciences
Administratives,
2011/2 Vol. 77, p. 275-296

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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citoyen342. L’introduction du référendum local dans l’architecture


constitutionnelle de ces États traduirait davantage l’ouverture des
administrations locales à travers la nécessité d’accentuer la communication
politique (1), et donnerait une assise plus solide à l’exigence d’implication des
citoyens dans la prise des décisions au niveau local à travers la promotion des
valeurs de la concertation et de la consultation (2).

1. Une manifestation de l’ouverture des administrations locales

« Il est possible de comprendre le référendum local non pas comme un


instrument effectuant la synthèse d’aspirations locales vis-à-vis d’une politique
publique à mettre en œuvre, mais comme un médium de communication. La fin
est dans le moyen, puisque le référendum n’est pas une contrainte sur la décision
locale, mais plutôt un lien solennel entre les représentants et le public »343. C’est
ainsi que le Professeur Christophe PREMAT appréhendait le référendum local. En
réalité, il ne s’agit pas que d’un processus décisionnel ou consultatif, mais d’un
véritable outil de communication politique. Conçue ainsi, sa consécration au sein
du cadre constitutionnel des États d’Afrique noire francophone institutionnalise
la communication comme conséquence de la pratique des consultations
référendaire.
En effet, la communication qui est un aspect sous-jacent du référendum local et
une manifestation de l’ouverture des administrations locales vis-à-vis des
populations est considérée comme une arme efficace pour la mobilisation et la
sensibilisation au niveau local344. C’est une arme entre les mains des élus locaux
qui leur permet de communiquer efficacement sur les politiques locales. Aussi,

342
L’administré dans sa stricte appréhension juridique est un sujet de droit, c'est-à-dire qu’il
« subit » le droit émanant exclusivement des autorités publiques. Le citoyen quant à lui est
titulaire à la fois de droits dont il peut se prévaloir à l’égard de l’administration et d’obligations qui
l’engage devant la société.
343
C. PREMAT, La pratique du référendum local en France et en Allemagne. Le moment
référendaire dans la temporalité démocratique, Sciences de l’Homme et Société, Université
Montesquieu - Bordeaux IV; Institut d’études politiques de Bordeaux, 2008, p. 491
344
Ibid., pp.491-493

150
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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divers moyens peuvent être utilisés afin de mettre l’information à la portée de la


population. Nous avons par exemple le schéma des radios communautaires qui
est privilégié dans les pays de l’espace Afrique noire francophone. Cependant,
au regard de ses limites matérielles et fonctionnelles, d’autres stratégies doivent
pouvoir le renforcer. Les limitations matérielles sont à la fois financières et
humaines. En effet, nombreuses sont les municipalités ne disposant pas des
ressources financières pour mettre sur pied un tel projet au regard du contexte
économique de cet espace. Par ailleurs, pour celles qui en ont les moyens, il se
pose la difficulté subséquente du personnel qualifié pouvant tenir de telles
installations. Il devient donc important de mettre en œuvre des stratégies de
communication moins onéreuses en vue d’atteindre à moindre coût un résultat
optimal345.
L’on pourra donc avoir recours aux opérations portes ouvertes qui sont des
occasions de rencontres entre les élus, les citoyens et les employés municipaux
pour présenter les activités et les projets de la municipalité, ou pour discuter de
sujets concernant la vie locale et les projets soumis à référendum. Elles
permettent aux administrés de prendre connaissance du fonctionnement et des
domaines d’intervention de la collectivité à travers des présentations faites par
les élus et les techniciens, des expositions physiques ou numériques sur
l’avancement des opérations ou les spécificités du projet de référendum. Ces
rencontres permettent à la municipalité d’identifier les préoccupations et les
attentes des citoyens. Cependant, la réussite d’une telle opération passe
nécessairement par le respect de certaines règles. Il s’agit entre autres d’aviser
à temps les populations de l’événement par les différents canaux en la
possession de la municipalité, de choisir un lieu facile d’accès et bien identifiable,
de préparer une documentation adaptée à leur information, de choisir et former
le personnel municipal en mesure de répondre aux questions des visiteurs sur
les projets de la ville en cours ou à venir.

B. PRAS, « Information et participation des citoyens dans l'administration locale », IFSA,


345

Administration : droits et attentes des citoyens, Paris, La Documentation française, 1998, p.58

151
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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Comme susmentionné, la municipalité pourrait également organiser des


comptes rendus de mandat dans lesquels les élus peuvent rendre compte de leur
travail, faire le point sur les engagements pris pendant les campagnes électorales
et obtenir en retour, l’opinion des citoyens ou des associations sur leurs actions.
C’est une occasion pour interpeler directement les élus. Et ces derniers en
profitent pour donner des indications sur les actions qu’ils entreprennent ou qu’ils
projettent d’entreprendre. Aussi, il est possible d’avoir recours aux nouvelles
technologies et notamment les réseaux sociaux car, dans un contexte de
mondialisation et de modernisation, il est difficile de faire sans les outils
modernes de communication et de télécommunication. Tous ces procédés
participent à une meilleure information des citoyens sur les affaires de la localité
toute chose qui permet l’affirmation de la démocratie locale et la bonne
gouvernance.
L’organisation de référendums locaux, qu’ils soient décisionnels ou consultatifs
est l’occasion pour les autorités locales à travers différents mécanismes de
communiquer et de s’ouvrir aux populations. Sa consécration et sa mise en
œuvre dans les États d’Afrique noire d’expression française influenceraient à
coup sûr la qualité des politiques publiques locales, ceci à condition que les
citoyens se sentent intégrés dans le processus décisionnel qui pourrait suivre.
Par ailleurs, les craintes suscitées par le référendum local auprès des élus locaux
ont conduit en France à un encadrement minutieux des consultations
référendaires. La peur de voir leurs décisions remises en cause par les citoyens
a justifié les réticences que le constituant et le législateur français ont eu vis-à-
vis de ce mécanisme de la participation. Sa constitutionnalisation et
l’aménagement législatif qui s’en est suivis a strictement encadré la pratique de
ce procédé en reposant essentiellement la maitrise du processus sur les
autorités locales tant en ce qui concerne son initiative, son déroulement, qu’en
ce qui concerne l’implémentation de la décision issue de la consultation. L’idée
ici étant de donner la parole au peuple certes, mais de façon volontaire et non

152
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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contrainte346. C’est dire que lorsque les autorités locales y ont recours, cela
traduit aussi d’une certaine façon une volonté d’ouverture de l’administration. Le
référendum local peut donc être considéré comme un instrument de
rationalisation et de meilleur équilibre des pouvoirs publics347 en ce qu’il apporte
des tempéraments pertinents et utiles au pouvoir des représentants348. Il instaure
par conséquent un dialogue entre l’administration et les administrés dans la
perspective d’une meilleure gestion de la collectivité en obligeant les
administrations locales à s’ouvrir. Cette ouverture se traduit par le droit à
l’information qui oblige les autorités locales à mettre à la disposition des citoyens
toutes les informations susceptibles de leur permettre d’apprécier la trajectoire
administrative poursuivie par le procédé référendaire. Comme l’affirme Charles-
André DUBREUIL, ce droit est la condition sine qua non de l’adhésion populaire
aux politiques publiques locales. « Il est un préalable indispensable à l’exercice
de la démocratie locale puisque l’intérêt des citoyens pour les affaires locales ne
peut se développer qu’à compter du moment où ils en sont informés »349. Cela
suppose en réalité un droit d’accès aux documents administratifs municipaux,
départementaux ou régionaux en fonction des États. L’exercice de ce droit est
sans aucun doute tributaire de la volonté des autorités locales qui ont la charge
de mettre l’information à la disposition du public. Par ailleurs, en souscrivant à
l’organisation d’une consultation référendaire, les autorités locales manifestent
la volonté de connaître l’avis de leur population sur les politiques conduites ou
sur les projets qu’elles envisagent de mener. Aussi, le recueil des avis émis par
la population permet à la collectivité de s’assurer que les mesures qui seront
adoptées seront socialement acceptées et donneront lieu à une application

346
A. VIOLA, « Le référendum local comme nouvel objet du droit constitutionnel », op.cit.
347
J.-M. SAUVE, « Référendum et démocratie », Théorie et pratiques du référendum, colloque
organisé par la société de législation comparée, 4 novembre 2011, 10p.
348
Ibid.
349
Ch.-A. DUBREUIL, « Réflexions sur la démocratie locale en France », Siècles [En ligne], 37 |
2013, mis en ligne le 11 décembre 2013, consulté le 15 juin 2021, URL :
http://journals.openedition.org/siècles/1225

153
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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effective350. En ouvrant le processus décisionnel à la participation du citoyen, le


droit positif s’est inscrit dans un mouvement de démocratisation de
l’administration en vue de répondre à une demande sociale consistant à remettre
en cause un mode d’action empreint d’unilatéralité et d’opacité351.
Si le cadre constitutionnel des États d’Afrique noire francophone ne fait pas
mention des procédés de la démocratie directe au niveau local et en l’occurrence
le référendum local, certaines législations de cet espace aménagent au moins à
minima la question de l’information des citoyens352 qui est un aspect important
de la procédure référendaire en ce que sa réussite dépend à la fois de la clarté
du message et de la compréhension des enjeux de la consultation par les
populations.

2. Un moyen d’implication des citoyens dans les décisions locales

L’idée qui sous-tend le raisonnement ici est celle de connaitre les attentes des
citoyens pour élaborer des solutions adaptées. Comme l’affirmait le Professeur
Christophe PREMAT, « Il faut partir de l’expérience d’usager, c’est-à-dire qu’il
faut prendre en compte le regard de l’habitant comme citoyen vivant dans un
espace donné et non comme consommateur de politiques publiques. Ce regard
est aussi légitime que n’importe quelle autre vision d’un territoire. L’habitant a

350
Ibid.
351
F. PINEL, La participation du citoyen à la décision administrative, Thèse de Doctorat en droit,
Université de Renne 1, 2018, p.284
352
Il s’agit entre autres de l’article 13 de la loi n° 2004/017 du 22 juillet 2004 portant orientation
de la décentralisation au Cameroun qui dispose que : « (1) Toute personne physique ou morale
peut formuler, à l'intention de l'exécutif régional ou communal, toutes propositions tendant à
impulser le développement de la collectivité territoriale concernée et/ou à améliorer son
fonctionnement.
(2) Tout habitant ou contribuable d'une collectivité territoriale peut, à ses frais, demander
communication ou prendre copie totale ou partielle des procès-verbaux du conseil régional ou
du conseil municipal, des budgets, comptes ou arrêtés revêtant un caractère réglementaire,
suivant des modalités fixées par voie réglementaire ». Des articles 16 à 19 de la loi n° 2007/011
du 13 mars 2007 relative à la décentralisation et aux libertés locales du Togo, des articles 6 et
suivant de la loi n°2013/10 du 28 décembre 2013 portant code général des collectivités locales
du Sénégal…

154
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

une pratique de son quartier, des politiques publiques imposées ou


proposées »353. Si ce processus trouve un début de systématisation dans la
communication, des stratégies propres à cette étape doivent pouvoir être mises
sur pied de manière à donner une certaine visibilité à la volonté des élus locaux
de recueillir les avis des uns et des autres. Dans cette optique, il peut être
procédé sous certaines conditions à l’élaboration d’un plan d’action duale. Il
s’agira d’une part de procéder à des consultations sporadiques des acteurs de la
société civile, et d’autre part, de créer des espaces permanents de concertation.
En ce qui concerne les consultations ponctuelles des acteurs de la société civile,
elles interviennent lorsque la municipalité souhaite connaître l’état de l’opinion
publique sur un thème particulier. Elles peuvent utiliser le procédé de l’enquête
publique354. Celle-ci peut prendre plusieurs formes selon l’objectif visé :
- réunions de concertation communautaire
- enquêtes de ressenti social et sondages.
Toutefois, pour qu’elles soient véritablement effectives, il faudrait réunir un
minimum de paramètres tels que la définition démocratique des thèmes et des
processus de consultation, la garantie de l’indépendance des structures en
charge de leur mise en œuvre, la nécessité de faire porter le débat sur ce qui
n’est pas encore décidé, afin d’éviter les échanges stériles et enfin l’impératif de
veiller au suivi des débats et aux modalités de leur prise en compte.
Relativement à la création des espaces permanents de concertation, il faudrait
préalablement cibler les différents groupes associatifs pouvant rassembler une
majorité des habitants de la communauté ou créer le cas échéant de nouveaux
groupes à même de rassembler régulièrement en un lieu bien déterminé la
population dans toutes ses composantes sociologiques. Il s’agit entre autres des

353
C. PREMAT, La pratique du référendum local en France et en Allemagne. Le moment
référendaire dans la temporalité démocratique, Op.cit., p.430
354
L. QUESNEL, « Les moyens de la démocratie locale : les conseils de quartier », Actes du 20è
Congrès du CARNACQ (Amiens, 1996), pp. 15-23

155
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

« comités de quartiers »355, « comités d’habitants », « conseils des jeunes » qui


sont autant d’institutions qui, en réunissant de façon régulière élus, services
techniques, associations et administrés, permettent un échange constant sur la
gestion locale. Ceci permet d’arriver à la troisième étape et à notre sens la plus
importante, la concertation, c’est-à-dire la prise en compte des avis populaires
recueillis.
Il s’agit dans cette dernière étape d’associer les principaux acteurs du
développement local (les populations) à la mise en œuvre des politiques locales.
Au-delà de la consultation publique au stade de l’élaboration des décisions, la
participation des populations est précieuse pour la mise en œuvre des politiques
locales. Elle assure en effet une appropriation des projets sur le long terme,
favorise la cohésion sociale et contribue à une gestion développée au plus près
des attentes des citoyens. Le maire et son équipe doivent saisir l’opportunité
pour associer les populations à la politique municipale, notamment lors de
l’élaboration du budget participatif, du plan local de développement, de la gestion
de structures locales356.

Ainsi, tous les citoyens désireux de s’impliquer dans des initiatives d’intérêt
commun ou dans des projets plus ambitieux doivent être entendus et soutenus.
La non-prise en considération des exigences des populations locales entraine
très souvent une mauvaise implémentation des politiques locales car les
administrés ne se sentent pas solidaires des projets politiques des élus locaux.
Le référendum local dans sa mise en œuvre mobilise donc un ensemble de
procédés visant à informer, à consulter et à prendre en compte les avis émis par
les populations. Ce mécanisme véhicule en lui-même des exigences dont la prise
en compte est nécessaire au bon déroulement du processus. De façon générale,

355
F. RANGEON, « Les comités de quartier, instruments de démocratie locale ? »,
CURAPP/CR4PS, La démocratie locale. Représentation, participation et espace public, PUF, 1999,
pp.329-345
356
G. KOUBI, « Démocratie locale et pluralisme socioculturel », Science de la société, Les Cahiers
du LERASS, n° 31, 1994, pp. 69-181

156
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

cette procédure offrirait à l’administration un instrument d’instruction des


décisions des autorités locales. Comme l’affirmait PINEL Florian « elle permet à
l’administration de confronter ses connaissances avec celles des tiers concernés
par l’adoption de la décision ou ayant une connaissance dans ce domaine.
L’apport de la participation se situe ici au stade de l’identification des motifs de
la décision, c'est-à-dire des raisons de fait et de droit justifiant cette dernière.
Généralement, la participation citoyenne vise davantage à la recherche de
données factuelles, même si rien n’interdit au participant de se positionner sur
des éléments strictement juridiques. En second lieu, la participation donne au
citoyen la possibilité de se prononcer sur le fond du projet de décision. Elle
permet ainsi à l’administration de confronter ses prises de position, ses choix,
avec la réalité telle qu’elle est vécue ou connue par les différents citoyens
participants, invités de ce fait à jauger de la qualité de la décision projetée et,
éventuellement, à formuler des contre-propositions. L’apport se situe ici au stade
de l’adéquation de la décision aux faits »357.
La participation par le référendum ou d’autres modalités de la démocratie directe
permet donc aux autorités locales de prendre la mesure de l’opportunité de leurs
décisions et donne l’occasion aux citoyens d’exprimer leur opinion sur les
différentes politiques publiques à mettre en œuvre au sein de la collectivité.

Au final, n’étant pas encore expérimenté dans le paysage juridique des États
d’Afrique noire francophone, les arguments sus développés en rapport avec le
référendum local avaient pour ambition de décliner et comprendre les avantages
et les inconvénients cette modalité particulière de la démocratie directe en vue
d’envisager dans ce contexte un procédé de constitutionnalisation. De ces
développements, l’on peut se rendre compte qu’une forte suspicion pèse sur le
référendum local à cause des présomptions de manipulations auxquelles il peut
faire l’objet. Bien plus, l’on continue à s’interroger sur son réel apport à
l’implication des citoyens au cœur de ce processus. Cependant, si des arguments

357
F. PINEL, La participation du citoyen…, op.cit., p.369

157
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

militent fortement en faveur de son éviction dans un contexte dominé par la


démocratie représentative, d’autres par contre lui reconnaissent une réelle plus-
value dans le mouvement de consolidation de la gestion participative des
collectivités territoriales décentralisées. Ainsi, dans l’optique de raffermir le
processus démocratique naissant au sein de l’espace Afrique noire francophone,
une prise en compte de cette procédure dans le texte constitutionnel pourrait
enrichir significativement le cadre normatif du droit constitutionnel local dans ces
États et ouvrir la voie à de nouveaux modes d'expression citoyenne, tout en
renforçant la culture démocratique au niveau local et l’efficacité des politiques
locales du fait de l’adhésion populaire. Cependant, les démocraties fragiles
d’Afrique noire francophone sont-elles disposées à franchir ce nouveau palier
dans la construction et la consolidation de leur processus de démocratisation ?

158
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

LES CONVENTIONS INTERNATIONALES

RELATIVES AUX INVESTISSEMENTS

PRIVÉS ETRANGERS RATIFIÉES PAR LE

CAMEROUN, SOURCES

D’ATTRACTIVITÉ : MYTHE OU

REALITÉ ?

Sorelle Lola NGOUMDA NZALE - Docteur PH/D en Droit Privé

Université de Yaoundé II

____________________

159
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

RESUME

Le droit international de l’investissement a connu pendant des décennies des


bouleversements considérables nés de l’opposition entre pays du Nord et pays
du Sud. L’on peut désormais penser qu’il est entré dans une période de
stabilisation grâce à la voie conventionnelle ; c’est-à-dire en empruntant des
supports incontestables et incontestés. Le terrain que certains considéraient
comme une friche juridique est devenu le lieu d’une règlementation abondante.
Il est donc paru judicieux d’entreprendre une réflexion juridique sur : les
conventions internationales relatives aux investissements privés étrangers
ratifiées par le Cameroun sources d’attractivité : mythe ou réalité ? De ce fait,
peut-on affirmer que les conventions internationales relatives aux
investissements privés étrangers ratifiés par le Cameroun sont sources
d’attractivité ? La réponse à cette question a permis de déceler que, celles-ci
sont de réelles sources d’attractivité ; car elles contribuent non seulement la
promotion mais aussi à la protection des investissements. Cependant, l’on peut
qualifier les conventions internationales comme des moyens d’assujettissement
normatif de l’État ; car elles contribuent à la soumission de ce dernier aux normes
internationales et également à l’éviction de son pouvoir normatif.

160
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

L’investissement privé étranger est devenu au fil des années le cœur de la


croissance économique des États, de la productivité, de la pérennité des emplois
et par ricochet, du bien-être social des populations. L’on assiste à une disparition
quasi totale des frontières économiques en faveur de la libre circulation des
biens et services mais aussi des capitaux étrangers. Tout ceci pousse les
gouvernements à adopter une politique d’attractivité économique des
investissements par la mise en œuvre d’une compétitivité internationale par le
biais des conventions. La réflexion entreprise sur les conventions internationales
relatives aux investissements privés étrangers ratifiées par le Cameroun sources
d’attractivité : mythe ou réalité permettra d’avoir une idée précise sur l’objectif
recherché par celles-ci.

Au sens du droit international des affaires, une convention est un traité ou


un accord conclu sous la forme écrite par lequel les parties adoptent une règle
générale destinée à régir leurs relations futures358. L’idée est de sécuriser au
maximum les opérations d’investissement international. À cet effet, il devient
possible d’intervenir sur les risques par le biais des traités359. Tandis que,
l’attractivité s’entend de « la capacité d’une région, d’une entreprise ou d’une
nation à conserver ou à améliorer sa position face à la concurrence des autres
unités économiques comparables »360. Il s’agit en d’autres termes, de la capacité
de ce pays à accompagner le monde des affaires dans son développement et sa
croissance économique. Par ailleurs, l’attractivité économique d’un État peut être
appréhendée comme sa capacité à attirer les investissements et à retenir les
investisseurs et à créer les emplois. L’attractivité des investissements se mesure

358
CORNU Gérard, Vocabulaire Juridique, Association Henri Capitant, 11ème édition, PUF, 2016, p.
1034.
359
Les traités servent à la couverture et à la prise en charge des investisseurs, au recours à des
modes de financement des investissements adaptés ainsi qu’aux règlements des différends par
le biais de l’arbitrage.
360
MANCIAUX (S.), « Que disent les textes OHADA en matière d’investissement », in revue de
l’ERSUMA, no 1, juin 2012, p. 3.

161
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

à l’aune de la qualité et du nombre d’entreprises qui sont créées au fil du temps


et dont l’exploitation perdure. Le terme investissement quant à lui, fait partie des
expressions économiques que les juristes emploient et dont ils ont pris soin de
lui donner une assertion juridique.

Pour ceux-ci, l’investissement désigne l’opération consistant pour un


acteur économique à développer une activité économique ou à y participer par
le biais d’un apport et dans l’espoir d’en tirer ultérieurement un revenu361.
L’investissement peut encore être un placement de fonds à l’étranger. Il peut être
public ou privé ; mais, la plus grande part de l’investissement étranger est d’ordre
privé, assuré par des entreprises trouvant le moyen d’améliorer leur rentabilité,
de se développer sur des marchés étrangers, ou de réorienter leurs activités362.

Par ailleurs, l’Organisation de Coopération et de Développement


Économique (OCDE) appréhende les investissements en y incluant le qualificatif
« direct ». On parle dans ce cas de l’investissement direct étranger (IDE). D’après
cette « définition de référence » devenue universelle, « l’investissement direct
est un type d’investissement transnational effectué par le résident d’une
économie (l’investisseur direct) afin d’établir un intérêt durable dans une
entreprise (l’entreprise d’investissement direct) qui est résidente d’une autre
économie que celle de l’investisseur direct »363. En d’autres termes, l’investisseur
est motivé par la volonté d’établir, avec l’entreprise, une relation stratégique
durable afin d’exercer une influence significative sur sa gestion. L’existence d’un
« intérêt durable » est établie dès lors que l’investisseur direct détient au moins
10 % des droits de vote de l’entreprise d’investissement direct364. Ce dernier peut

361
MOULOUL (A.), opt. cit, p 11.
362
HARRISON (A.), DALKIRAM (E.), ELSEY (E.), Business international et mondialisation, Vers une
nouvelle Europe, de Boeck, 2004, p. 321.
363
OCDE, Définition de référence de l’OCDE des investissements directs internationaux, http :
//www.oecd.org/fr/industrie/inv/statistiquesetanalysesdelinvestissement/40632182.pdf, 4ème
édition, 2008.
364
La première version de la Définition de référence de l’investissement direct international a été
publiée en 1983, elle porte sur les statistiques de l’IDI retraçant les positions d’investissement

162
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

également permettre à l’investisseur d’accéder à l’économie de résidence de


l’entreprise d’investissement direct, ce qui pourrait lui être impossible en d’autres
circonstances365.
La définition et l’encadrement des investissements privés étrangers ont
également retenu l’attention du législateur camerounais. En effet, le Cameroun
qui est un pays de l’Afrique centrale à revenu intermédiaire inférieur, avec une
population de 23,3 millions d’habitants et un PIB par habitant de 1,330 dollars en
2016366 connait, l’afflux des investissements privés étrangers a adopté une
charte pour les encadrer. La charte des investissements du Cameroun de 2002
a opté pour une définition générale de l’investissement. Celle-ci définit,
l’investissement comme étant un actif détenu par un investisseur en particulier :
« une entreprise ; les actions, parts de capital ou autres formes de participation
au capital d’une entreprise ; les obligations et autres titres de créances ; les
créances monétaires ; les droits de propriété intellectuelle ; les droits au titre des
contrats à moyen et à long terme notamment les contrats de gestion, de
production, de commercialisation ; les droits conférés par la loi et les règlements
notamment les concessions, licences, autorisations ou permis ; tout autre bien
corporel ou incorporel, meuble ou immeuble, tous les droits connexes de
propriété »367. Il en ressort de cette définition que, ladite charte encadre non pas
seulement les investissements directs mais, les investissements en général.

direct ainsi que les opérations financières et les transferts des revenus (flux) correspondants.
Elle présente également succinctement la méthodologie utilisée pour établir les statistiques sur
les activités des entreprises multinationales (AEMN) Enfin, en termes de précision et de
ventilations, elle va au-delà des statistiques agrégées de la catégorie fonctionnelle «
investissement direct » du compte financier de la balance des paiements et de la position
extérieure globale. (SOURCE OCDE).
365
Définition tirée du site de l’OCDE, 1.4 : Panorama des concepts de l’investissement direct
international, lien /
http://www.oecd.org/fr/daf/inv/statistiquesetanalysesdelinvestissement/40632182.pdf
366
www.banquemondiale.com
367
Article 4 de la charte des investissements du Cameroun de 2002, Loi n° 2002-004 du 19 avril
2002, modifiée par la loi n° 2004-20 du 22 juillet 2004 et par l’ordonnance n° 2009-001 du 13
mai 2009.

163
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

À cet effet, le Cameroun a ratifié plusieurs autres conventions


multilatérales368 relatives à la promotion, à la protection et à la garantie des
investissements privés étrangers. Il existe aussi certains accords qui lient le
Cameroun à d’autres pays, de manière bilatérale369. La présence de ces traités
illustre le rôle du droit international au niveau de l’investissement privé. Tout
d’abord parce que les traités fournissent l’essentiel des règles applicables aux
investissements qui tombent dans leur champ d’application. Ensuite, et plus
subsidiairement parce que bon nombre de ces traités comportent eux-mêmes
des dispositions faisant référence au droit international. Enfin, un mécanisme
supplémentaire permet aux parties qui le souhaitent de recourir à l’arbitrage du
centre international de règlement des différends relatifs aux investissements
(CIRDI) pour les États non-signataires de la convention et les investisseurs
étrangers ressortissants d’un État également signataire370.
L’évolution récente relative aux conventions bilatérales et multilatérales a
provoqué un regain de l’application du droit international de l’investissement371.
Le succès des conventions ou des traités est certainement dû au fait qu’ils ont
en général établi un équilibre réaliste entre les principaux intérêts en présence.
Dès lors, peut-on affirmer que les conventions internationales relatives aux
investissements privés étrangers ratifiés par le Cameroun sont sources
d’attractivité ? Dans cette étude, une différenciation ne sera pas faite sur l’apport

368
CEEAC, CEMAC, OAPI, CIMA, ZLEC dans le cadre sous régional et régional ; AMGI, l’accord de
partenariat ACP-UE, FED, CIPRES, CNUDCI, FMI, BANQUE Mondiale, CCI, UNIDROIT, CIRDI, OMC,
OMD, OMPI dans le cadre international.
369
Tels que l’accord avec le gouvernement de la République de Romanie, relatif à la promotion et
à la protection réciproque des investissements Bucarest 29 Janvier 1998, l’accord entre le
gouvernement de la République de Maurice et le gouvernement de la République du Cameroun
relatif à la promotion et la protection réciproque des investissements, Yaoundé 03 Mai 2001. La
Turquie, la Guinée Équatoriale, l’UE, la loi N° 2019/002 du 25 avril 2019 autorisant le président à
ratifier l’accord entre le gouvernement de la République du Cameroun et le gouvernement de la
République socialiste du Vietnam relatif à l’exemption de visa.
370
AUDIT (M.), BOLLEE (S.), CALLEE (P.), Droit du Commerce International et des investissements
étrangers, 2ème édition, Paris, LGDJ, 2016, p. 249.
371
ACCAOUI LORFING (P.), « L’évolution des contrats d’État des années 60 jusqu’à nos jours », in
RDAI, 2017, n° 5, p. 393 et s.

164
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

des différentes de conventions ; qu’elles soient bilatérales, c’est-à-dire conclus


sur une base de réciprocité entre deux États ; ou multilatérales c’est-à-dire
conclus entre plusieurs États. Les traités bilatéraux de promotion et de protection
des investissements ont pour objet de définir les principes et les règles sur
l’accueil, le traitement et la protection des investissements effectués par les
nationaux de chaque partie sur le territoire de l’autre partie. Tandis que, les
traités multilatéraux quoique beaucoup moins en vogue et plus disparates que
les traités bilatéraux offrent eux aussi des solutions de substitution diversifiées
à l’absence de convention mondiale en matière d’investissement privé étranger.
De ce fait, la réponse à la question ci-dessus se fera en deux étapes : les
conventions internationales relatives aux investissements privés étrangers
ratifiées par le Cameroun seront abordées comme étant de réelles sources
d’attractivité d’une part (I); et des moyens d’assujettissement normatif de l’État
d’autre part (II).

I. LES CONVENTIONS INTERNATIONALES REELLES SOURCES

D’ATTRACTIVITÉ DES INVESTISSEMENTS PRIVÉS ETRANGERS

La place occupée par les conventions bilatérales et multilatérales en


matière d’attractivité des investissements est devenue importante au point où la
physionomie de la matière s’est modifiée. La commission des nations unies sur le
commerce et le développement (CNUDCED) mentionne une augmentation de
traités bilatéraux Sud-Sud ; bien que, les traités conclus entre pays du Nord et
pays du Sud soient majoritaires372. Ils ont progressivement pris le relais des
anciens traités de commerce et d’amitié. Conclus sur une base de réciprocité
entre deux ou plusieurs États373, ils ont pour objet de définir les principes et les
règles sur l’accueil, le traitement, en un mot sur la promotion (A) et la protection

372
JACQUET (J.M.), DELEBECQUE (Ph.), CORNELOUP (S.), Droit du commerce international, 1ère
édition, Paris, Dalloz, 2007, p. 552.
373
LAVIEC (I.P.), La promotion et la protection conventionnelle des investissements étrangers,
Thèse de doctorat, IUHEI, 1974, p. 243.

165
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

(B) des investissements effectués par les nationaux de chaque partie sur le
territoire de l’autre partie.

A. LA PROMOTION DES INVESTISSEMENTS PRIVÉS ETRANGERS PAR LES

CONVENTIONS INTERNATIONALES

Les traités de promotion des investissements peuvent également


comporter des dispositions importantes sur le respect de la consistance ou de la
substance de l’investissement privé étranger ainsi que sur les mouvements des
investisseurs. Ici, il ne s’agit pas de la dépossession mais des ingérences
malsaines pouvant conduire à un manque à gagner. En ce sens, certains traités
ont pour objet la garantie des libertés de circulation (1), et la détermination des
obligations des États (2).

1. La garantie des libertés de circulation

Les libertés de circulation ici font références au transfert de fonds et de


circulation des investisseurs et employés. La liberté de transfert de fonds de
l’État d’origine de l’investisseur vers l’État d’accueil, puis le retour des bénéfices
en sens inverse, est bien évidemment un point essentiel pour l’ensemble des
opérations d’investissement. Le plus souvent, l’investisseur a besoin de faire
venir des liquidités dans l’État d’accueil afin de matérialiser son investissement.
Il doit être en mesure de rapatrier ses profits dans son État d’origine ou dans un
État tiers. Ceci explique pourquoi presque tous les traités prévoient des
dispositions financières qui règlent la question de la devise et du taux d’échange.
C’est ainsi qu’il est également prévu un droit de transfert en faveur de
l’investisseur374. Selon la formulation retenue, celui-ci peut être limité à certains
types de transferts, par exemple uniquement en lien direct avec l’investissement,
ou à certaines catégories de paiement.

374
SALEM (M.), « Le développement de la protection conventionnelle des investissements
étrangers », JDI, 1986, p. 579 et s.

166
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Dans le modèle français des TBI de 2006, signé entre plusieurs pays de la
zone franc dont le Cameroun, une liste des versements pour lesquels le libre
transfert est accordé a été dressée. Il s’agit : des intérêts, dividendes, bénéfices
et autres revenues courants ; des redevances découlant des droits incorporels ;
des versements effectués pour le remboursement des emprunts régulièrement
contractés ; du produit de la cession ou de la liquidation totale ou partielle de
l’investissement, y compris les plus-values du capital investi et des indemnités
de dépossession ou des pertes faisant suite à une nationalisation ou une
expropriation. Cependant, un transfert important de capitaux vers l’étranger ou
en provenance de celui-ci pouvant entraîner de lourdes conséquences sur la
balance des paiements de l’État d’accueil, les TBI prévoient parfois la possibilité
pour l’État d’accueil de prendre des mesures de sauvegarde en cas de
circonstances économiques graves, afin d’interrompre l’entrée ou la sortie de
fonds sur son territoire.
Par exemple, grâce au TBI ratifié entre le Cameroun et la France, le stock
des IDE français au Cameroun a franchi la barre des 500 millions d’euro en 2009
pour atteindre environ 658 millions d’euro en 2012375. Le Cameroun est ainsi
devenu le 3ème pays de destination des IDE français en Afrique centrale. La
Banque de France comptabilise les flux et stocks d’IDE français en termes des
avoirs nets français dans le pays376 ; elle estime à environ 280 millions d’euro les
retraits d’IDE français dans le secteur pétrolier camerounais en 2012377 pour être
réorientés. Les trois années précédant l’année 2012 ont été marquées par un
retrait des investissements français du secteur pétrolier, qui était pourtant le

375
Page d'accueil du site de la Banque de France consacrée aux IDE (archive
http://archive.wikiwix.com/cache/?url=http://www.banque-
france.fr/fr/statistiques/economie/economiebalance/investissements-
directs.htm&title=lire%20en%20ligne
376
Page d'accueil du site de la Banque de France consacrée aux IDE (archive
http://archive.wikiwix.com/cache/?url=http://www.banque-
france.fr/fr/statistiques/economie/economiebalance/
investissements-directs.htm&title=lire%20en%20ligne
377
L’investissement direct étranger au Cameroun en 2012, Ambassade de France au Cameroun,
service régional économique.

167
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

principal bénéficiaire des IDE français au Cameroun il y a dix ans. Les IDE français
sont de plus en plus orientés vers les activités de services au Cameroun.
L’année 2011 fut le point d’orgue du phénomène avec le retrait du groupe
français TOTAL E&P de l’activité d’exploitation pétrolière. À l’inverse, les
investisseurs français sont de plus en plus présents dans l’industrie
agroalimentaire, qui a bénéficié d’environ 105 millions d’euro d’investissements
nets français en 2012. Le secteur tertiaire se taille la part du lion dans les entrées
d’IDE français au Cameroun au cours de ces dernières années. Les principales
branches concernées sont la construction, le commerce et la distribution, la
banque ainsi que le transport et ses activités connexes. En 2012, ces quatre
branches représentaient à elles seules environ 63% du stock des IDE français au
Cameroun378.
En 2018, les opérations financières intra-groupes entre la France et
Cameroun ont concerné les secteurs de la construction, du commerce, des
industries alimentaires et des transports. Presque tous les secteurs d’activités
ont profité des bénéfices réinvestis. Les perspectives s’annoncent intéressantes
pour les secteurs liés aux grands projets, comme la filière gaz qui devrait
bénéficier de près de 5 milliards de dollars d’investissement pour la construction
d’une usine de liquéfaction par GDF Suez. La France379 demeure ainsi le principal
pays dont sont originaires la plupart des investisseurs privés étrangers au
Cameroun devant les États-Unis et d’autres pays européens comme le Royaume
Uni et l’Italie. L’absence d’une ventilation des données d’IDE par origine
géographique limite l’analyse du niveau et de l’évolution de la part de chacun de
ces investisseurs.

378
L’investissement direct étranger au Cameroun en 2012, Ambassade de France au Cameroun,
service régional économique
379
On dénombre une centaine de filiales d’entreprises françaises au Cameroun ; quelques-unes
des principales sont : PERENCO dans l’exploitation pétrolière, COMPAGNIE FRUITIERE, SOMDIA
et CASTEL dans l’agroalimentaire, ROUGIER ET PASQUET dans le bois, VINCI, FAYAT et
BOUYGUES dans les BTP, SOCIÉTÉ GÉNÉRALE et BANQUE POPULAIRE – CAISSE D’ÉPARGNE
dans la Banque, CFAO – racheté en cours d’année par le japonais TOYOTA TSUSHO Corp. et
TOTAL dans la distribution, BOLLORÉ et AIR France dans le transport entre autres.

168
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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La liberté de circulation des investisseurs est très importante lors de la


rédaction d’un TBI. Il est judicieux de garantir une protection et une sécurité
pleine et entière au travailleur étranger. Il découle de ces deux principes :
l’interdiction de toute discrimination entre travailleurs qui serait fondée sur la
nationalisation ou le traitement dans l’entreprise. Toutefois, une différence de
traitement qui résulterait de l’application des différentes lois relatives aux
contrats de travail ne constitue pas nécessairement une discrimination interdite.
Il en va ainsi lorsque la différence de traitement ne repose pas sur une
justification objective et raisonnable qui serait indépendante de la nationalité et
proportionnée au but poursuivi. Dans le cadre de la libre circulation des
investisseurs, le Cameroun a signé plusieurs conventions bilatérales notamment
avec le Vietnam, la France, relatives à la sécurité « pleine et entière »380 eu égard
de leurs ressortissants.
Concrètement, la sécurité « pleine et entière » protège le travailleur de
deux composantes étatiques : d’une part, elle lui offre une protection contre
toutes les atteintes et violences physiques susceptibles d’être exercées contre
la personne physique de l’investisseur ou son personnel étranger. Outre cette
protection personnelle, des personnes physiques, le standard permet de
protéger l’investisseur contre une violence physique imputable à l’État qui
s’exercerait sur les possessions locales de l’investisseur étranger (usines,
bureaux, locaux de toute nature etc.). Bien plus, une tendance de la
jurisprudence arbitrale consiste à étendre le champ d’application de la protection
et de la sécurité « pleine et entière » à une protection juridique de l’investisseur
étranger. Les obligations de l’État s’étendent jusqu’à la préservation des
investissements.

380
CARREAU (D.), JUILLARD (P.), Droit international économique, 3ème édition, Paris, Dalloz, 2007,
p. 528

169
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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2. La détermination des obligations respectives des États

L’obligation d’admission des investissements sans discrimination fait


partie intégrante des obligations respectives des États. En effet, la
règlementation de l’admission des investissements est généralement l’œuvre des
traités bilatéraux (TBI) qui prévoient des dispositions relatives à l’accueil des
investisseurs d’un État partie sur le territoire de l’autre État. Cependant, les
traités n’imposent pas un véritable « droit à l’investissement » sur le territoire de
chaque État partie au profit des investisseurs ressortissants de l’autre État
partie381. La compétence en matière d’admission des investisseurs revient
exclusivement à l’État d’accueil qui est tenu d’agir sans discrimination. L’on relève
néanmoins que même si lors de la ratification des TBI les États manifestent leur
volonté de s’en prévaloir et d’exercer leur contrôle sur les intérêts des
investissements étrangers présents sur leur territoire, cela ne les empêchent pas
d’agir avec pragmatisme382.
C’est dans le même sillage qu’était allée la résolution 1515 (XV) de 1960
des nations unies (N.U), fort mesurée et qui se présentait comme un texte de
compromis s’efforçant à la fois de ne pas entraver les mouvements de capitaux
dont les États en développement avaient besoin, et de reconnaître les droits
souverains de l’État détenteur de ressources. Elle reconnait qu’aucun
investissement ne pouvait être effectué sur le territoire d’un État sans que son
autorisation ne fût recueillie. Ainsi, les importations et les exportations des
capitaux et transferts de revenus étaient régis par les termes de cette
autorisation.
Mais la résolution 1803 (XVII) sur la charte des droits et des devoirs
économiques des États beaucoup moins conciliante envers l’investissement
d’origine étrangère, affirmait sans ambages le droit souverain de tout État de
légiférer en matière des investissements étrangers, d’imposer des contraintes

JACQUET (J.M.), DELEBECQUE (Ph.), CORNELOUP (S.), opt. cit, p. 539.


381

382
HORCHANI (F.), « Le droit international de l’investissement à l’heure de la mondialisation », in
JDI, 2004, p. 367 et s.

170
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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d’exploitation, et faisant ainsi disparaitre toute référence au droit international.


Ce mouvement fortement idéologique n’empêchait pas les États récepteurs
d’investissements d’agir avec pragmatisme comme en témoigne les nombreux
codes d’investissement dont beaucoup se dotèrent à cette époque.
Dans le modèle français par exemple, chacun des États parties s’engage à
encourager et à admettre les investissements en provenance de l’autre État
partie, mais « dans le cadre de sa législation »383. Ce qui revient à lui permettre
de fixer discrétionnairement les conditions de cette admission tout en évitant
qu’elles soient entachées de discrimination. Ce type de disposition largement
répandue dans les TBI a pour effet de limiter le régime de protection aux
investissements une fois ceux-ci opérés. En revanche, ils en excluent les
dépenses engagées dans la perspective ou pour la préparation à l’investissement
futur.
La seconde obligation des États très présente dans les conventions est
l’exigence de la collaboration des États. Découverte par la pratique des affaires,
la collaboration est à l’aune des transactions et s’impose également comme
l’horizon vers lequel l’évolution des relations contractuelles est tournée. Les
juges, les arbitres, les médiateurs et le législateur ont parfois imposé certaines
de ses applications particulières à certains types de traités et surtout, étendu le
principe à toutes les conventions. Avant la signature du traité, les intérêts des
parties sont plus ou moins différents ; mais, ces intérêts sont destinés à se
transformer en quelque chose qui constitue pour chacune des parties son besoin
principal et qui fait de ces intérêts, non pas le but à atteindre, mais le moyen
d’atteindre le but.
Ce devoir de collaboration se comprend précisément lorsque les parties
ont un projet commun, ce qui est le cas dans les traités internationaux qui
s’inscrivent dans la durée ou qui, par leur nature, postulent une coopération. La
contribution du devoir de collaboration à l’attractivité des investissements est
indéniable dans la mesure où, il établit une certaine confiance entre l’État

383
AUDIT (M.), BOLLEE (S.), CALLEE (P.), opt. cit., p. 260.

171
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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d’accueil et les investisseurs. En effet, sachant que l’État doit collaborer permet
aux investisseurs de mener leurs activités en toute quiétude. Toutefois, un tel
devoir connaît des limites qui tiennent aux attentes raisonnables des parties ;
car, les investissements doivent être protégés des mesures unilatérales de l’État
d’accueil.

B. LA PROTECTION DES INVESTISSEMENTS PRIVÉS ETRANGERS PAR LES

CONVENTIONS INTERNATIONALES

Ici, c’est l’idée de sécurité qui est visée, car elle est constituée d’un
ensemble de traités qui ont pour objectif de garantir les investisseurs contre
certains risques sociaux, politiques, commerciaux et même économiques. Pour
mieux protéger les investissements privés c’est-à-dire pour faire du Cameroun
une terre d’attractivité, l’État a ratifié plusieurs conventions multilatérales de
protection et de garantie des investissements384. En réalité, un pays est
réellement attractif lorsque les aspects juridique et judiciaire sont garantis
concourant ainsi à la sécurisation des investissements. Comme l’expriment D.
Carreau et P. Julliard, la sécurisation des investissements se définit comme
l’ensemble des principes et des règles de droit international, comme de droit
interne qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher ou de réprimer toute atteinte
publique à l’existence ou à la consistance de l’investissement international385.
C’est en fait cet objectif que poursuit l’ensemble des traités relatifs aux
investissements privés. Cela est matérialisé par la garantie multilatérale des
investissements par l’AMGI (1), et le règlement international des différends
relatifs aux investissements (2).

384
Convention de Séoul créant l’AMGI, la convention de Washington créant le CIRDI
385
CARREAU (D.) et JUILLARD (P.), opt. cit., p. 625.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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1. La garantie multilatérale des investissements par l’AMGI

Bien que l’idée d’un tel projet ait été émise immédiatement après la
seconde Guerre Mondiale, la convention de Séoul portant création de l’Agence
multilatérale de garantie des investissements n’a été ouverte à la signature que
le 12 octobre 1985, et celle-ci est entrée en fonction le 12 avril 1988. L’agence
multilatérale dont le siège est à Washington est une organisation autonome qui
jouit de la personnalité de droit international et d’une autonomie financière. Son
capital autorisé est à l’origine d’un milliard de droits de tirage spéciaux (DTS),
divisé en cent mille actions d’une valeur de dix mille droits de tirage spéciaux. Il
est souscrit par les États membres. Ceux-ci sont scindés en deux catégories : la
première est constituée des pays développés qui collectivement doivent
souscrire 60% du capital ; la seconde regroupe les pays en voie de
développement qui, collectivement doivent souscrire 40% du capital386.
Depuis sa création, l’AMGI a émis plus de 27 milliards de dollars de
garanties (assurance contre les risques politiques) à l’appui de plus de 700
projets dans une centaine de pays en développement dont le Cameroun. Son
portefeuille actuel est estimé à plus de 10 milliards de dollars387. La délivrance de
la garantie ici comme ailleurs se matérialise par la conclusion d’un contrat de
garantie. Pour être éligible à la garantie de l’Agence multilatérale, un investisseur
personne morale ou personne physique doit avoir la nationalité de l’un des États
membres autre que celui d’accueil de son investissement388. L’État d’accueil doit
également appartenir à la catégorie des États en développement membres de
l’Agence389. En outre, il doit avoir donné son accord à la réalisation de
l’investissement390.
Cependant, le contrat ne saurait en aucun cas garantir la totalité de
l’investissement ; il conditionne les investisseurs à épuiser les recours

386
CARREAU (D.), JUILLARD (P.), opt. cit. p. 528.
387
www.miga.org
388
Article 13 de la convention de Séoul de 1985.
389
Article 14 de la convention de Séoul de 1985.
390
Article 15 de la convention de Séoul de 1985.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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administratifs avant de solliciter l’agence multilatérale en paiement de


l’indemnité. Il peut prévoir l’écoulement de « délais raisonnables » entre la date
de la constitution du sinistre et le moment de l’indemnisation. Les contrats du
côté de l’agence sont signés par son président. En outre, l’agence multilatérale a
adopté des conditions générales de garantie en janvier 1989 ; et approuvé un
« contrat type » de garantie qui permet une harmonisation des opérations de
garantie. Par ailleurs, l’Agence multilatérale ne garantit que les investissements
productifs que sont les investissements par prise de participation à moyen ou à
long terme et les investissements directs sans prise de participation notamment
les prêts391. Il doit néanmoins s’agir d’un investissement nouveau, pouvant
contribuer à l’expansion, à la modernisation et au refinancement d’entreprises
existantes392.
Au cours de l’opération, l’agence détermine tous les risques potentiels liés
au type d’investissement que l’investisseur souhaite garantir. Ceux-ci
représentent des événements dommageables dont la survenance est incertaine,
tout comme la réalisation ou la date de leur réalisation393. Parmi ceux-ci figurent
généralement les risques liés aux transferts vers l’extérieur des bénéfices issus
des opérations ; les risques d’expropriation ou d’autres mesures analogues, et
les risques de conflits armés ou troubles civils394. Dès lors, une perte même
importante subie par un investisseur du fait d’un mauvais choix stratégique ou
d’une mauvaise évaluation de la situation du marché ne saurait donner lieu à une
compensation395 ; car, l’AMGI propose une analyse du « risque pays ». Il s’agit là
d’une mesure de prévention indispensable en ce que, la réalisation du « risque
économique » n’est pas couverte par les garanties proposées par l’Agence.

391
CARREAU (D.), JUILLARD (P.), opt. cit., p. 526.
392
Article 12 de la convention de Séoul de 1985.
393
CORNU (G.), Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, 11ème édition mise à jour, PUF,
2017, p. 932.
394
Article 11 de la Convention de Séoul de 1985.
395
ARNAUD DE NANTEUIL, Droit International de l’Investissement, 2ème édition, Paris, édition A.
PEDONE 2017, p. 406.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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Les opérations de garantie s’effectuent à travers deux « guichets » ; selon


qu’il s’agisse d’assurance hors capital ou d’assurance en capital ou, en d’autres
termes, selon que les encours de garantie sont hors plafond ou sous plafond.
Dans l’assurance hors capital, l’Agence multilatérale n’intervient qu’à titre
fiduciaire. Il s’agit de la garantie sur fonds fiduciaire de parrainage396 qui seront
rétrocédés à l’État ou à l’investisseur après gestion ou jeu de la garantie397. Cette
forme de garantie s’étend tant aux opérations Nord-Sud qu’aux opérations Sud-
Sud. Elle n’engage pas ses ressources propres ; les souscriptions sont libérées
progressivement par les États membres en raison de 20% de leur montant dans
les trois mois suivants l’entrée en vigueur de la convention et selon les besoins
de l’Agence multilatérale.
Toutefois, il peut arriver que pour une raison quelconque une opération
d’investissement ne puisse être garantie soit parce que, les critères d’éligibilité
ne sont pas respectés, ou alors les plafonds d’encours sont dépassés. Un fonds
fiduciaire de parrainage peut dès lors être constitué aux fins de garantie de cet
investissement. Un ou plusieurs États membres s’engageront ainsi à parrainer
cette opération en constituant un fonds fiduciaire, et à concourir à
l’indemnisation du sinistre politique. Dans le cas où les primes versées par
l’investisseur et par les autres recettes et y comprises les contributions des
autres États ne suffiraient pas à cette indemnisation, l’AMGI intervient en qualité
de fiduciaire c’est-à-dire de mandataire des parrains, dépositaire et gestionnaire
du fonds398. La garantie de cet investissement n’entre pas dans le calcul des
plafonds d’encours.
Dans l’assurance de capital, l’Agence intervient en tant qu’organisme de
garantie ; l’on parle de la garantie sur fonds propres. Les fonds propres
regroupent au passif du bilan, l’ensemble des valeurs qui permettent à
l’entreprise de fonctionner sans endettement externe. L’essentiel est constitué

396
Les fonds fiduciaires de parrainage représentent les capitaux versés à l’AMGI par les États
parties ou un investisseur dans un but de promotion et d’encouragement des investissements
397
CORNU (G.), Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, 7ème édition, 2005, p. 404.
398
CARREAU (D.), JUILLARD (P.), opt. cit., p. 525.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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des capitaux propres augmentés des avances conditionnées et du produit des


titres participatifs399. Dans le cadre de cette garantie, l’AMGI intervient en qualité
de garant et engage ses ressources propres ; c’est pourquoi, elle a pris le soin
de fixer un plafond d’engagement et obligent les États membres à y contribuer.
L’originalité de cette garantie est qu’elle n’entre en jeu que dans le sens Nord-
Sud ; en d’autres termes, elle ne couvre que les investissements des pays du
nord dans les pays du sud. Toutefois, il se peut que tous les pays du Sud ne
puissent être éligibles au bénéfice de la garantie ; la réduction du risque politique
est un point essentiel. En cas de litige relatif audit contrat, le recours à l’arbitrage
est prévu dans son principe de fonctionnement mais sans précision
complémentaire400.

2. Le règlement international des différends relatifs aux investissements

Parmi les modes non juridictionnels de règlement de différends, l’on


retrouve la médiation, la conciliation, l’arbitrage. En matière d’investissements
privés étrangers, l’arbitrage international est devenu le mode normal de
règlement des litiges. Cette croissance est due à de nombreux facteurs tels que
le développement spectaculaire des échanges internationaux, l’acceptation de
l’arbitrage comme mode de règlement privilégié de litiges par des opérateurs
publics qui étaient naguère hostiles. En outre, l’évolution des législations sous
l’influence des organisations internationales, les droits des États qui n’étaient pas
favorables et la progressivité accrue résultant de l’affaiblissement des solidarités
dans l’investissement devenu mondial ont accéléré le processus d’acceptation
de l’arbitrage.
En effet, la convention de Washington du 18 Mars 1965, conclue sous les
auspices de la Banque Mondiale et ayant créée le CIRDI constitue la preuve
éclatante de l’acceptation de l’arbitrage en matière d’investissements par la
Communauté Internationale. Par ailleurs, la convention de Séoul de 1985 ayant

399
Lexique des termes juridiques, 19ème édition, Paris, Dalloz, 2012, p. 409.
400
Article 58 de la convention de Séoul de 1985.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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créée l’AMGI donne un canevas précis à suivre lorsque survient un différend


entre l’Agence, un État et un investisseur. Comme l’a aussi relevé le Professeur
René David : « le recours à l’arbitrage par les acteurs du Commerce international
traduirait de leur part tant une volonté d’échapper à la fois à la compétence des
juridictions étatiques et à l’emprise des ordres juridiques nationaux, qu’un désir
d’une autre justice, administrée et rendue différemment ».
Allant dans le même sens, l’article 44 du code des investissements du
Cameroun de 1990 dispose que, les entreprises agréées peuvent pour le
règlement de leurs différends individuels ou collectifs s’adresser aux tribunaux
compétents ou aux différents centres d’arbitrage internationaux auxquels le
Cameroun adhère. En outre, aux termes des dispositions de l’article 45 du code
des investissements du Cameroun de 1990, elles peuvent se référer soient aux
accords et traités relatifs à la protection des investissements conclus entre la
République du Cameroun et l’État dont la personne morale ou physique est
ressortissante, soit à la procédure de règlements de conflits devant la Chambre
de Commerce Internationale (CCI) de Paris ; soit de la convention du 18 Mars
créant le CIRDI ratifiée par le Cameroun.
L’efficacité d’un système d’arbitrage pourrait s’apprécier à sa capacité de
contraindre la partie défaillante à s’exécuter. L’exécution matérielle peut être
définie comme le « passage à l’acte », c’est-à-dire l’application concrète de la
décision rendue. Dans le cadre du CIRDI, un arbitrage oppose toujours un État à
un investisseur. Le plus souvent, lorsque l’État se retrouve condamné, il a
tendance à user de son pouvoir souverain afin de ne pas reconnaitre ou exécuter
la sentence arbitrale rendue. Le système d’arbitrage du CIRDI a fortement innové
sur le statut de l’État en droit international. Désormais, d’après les dispositions
de l’article 154 de la convention du CIRDI, obligation est faite à tous les États
d’assurer l’exécution sur leur territoire de toutes les obligations pécuniaires que
la sentence impose dès que la sentence est authentifiée, le juge étatique doit
assurer son exécution.

177
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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II. LES CONVENTIONS INTERNATIONALES : MOYENS D’ASSUJETTISSEMENT

NORMATIF DE L’ÉTAT

Au fur et à mesure que s’étoffent les règles, prisent dans le cadre d’ordres
juridiques nationaux, ou prises au niveau interétatique, qui manifestent la volonté
des États de lutter contre les phénomènes qui parasitent ou minent sourdement
l’investissement privé401, il devient de plus en plus difficile pour les États de
conserver leur pouvoir normatif. En effet, une conception élargie des intérêts de
l’investissement privé s’impose désormais à tel point que, les préoccupations
éthiques qui sont à la base de bien de règles adoptées et mises en œuvre par les
États, doivent intégrer les conventions internationales ratifiées par l’État. Ces
bouleversements juridiques ont pour conséquence la soumission de l’État aux
normes internationales (A) et l’éviction du pouvoir normatif de l’État (B).

A. LA SOUMISSION DE L’ÉTAT AUX NORMES INTERNATIONALES

La technique traditionnelle et utile, mais lourde et parfois insuffisamment


effective du droit uniforme, n’est pas toujours pleinement adaptée à l’évolution
actuelle de l’investissement privé étranger. À cet effet, les États encouragent
aussi des pratiques plus souples d’élaboration du droit, auxquelles ils participent
dans le cadre d’organisations internationales. Toutefois, cela n’est pas sans
conséquence dans la mesure où, les conventions qui en découlent imposent à
l’État certaines règles à respecter au détriment de leur souveraineté ; et par une
soumission normative. Ces règles deviennent ainsi des lois de police jouissant
d’une impérativité propre dans les relations internationales402. Parmi celles-ci
figurent en lieu et place les standards internationaux de traitement des
investissements privés étrangers (1) dont le non-respect peut entrainer des
conséquences graves pour le pays récepteur de l’investissement (2).

401
JACQUET (J.M.), DELEBECQUE (Ph.), CORNELOUP (S.), opt. cit. p. 82.
402
JACQUET (J.M.), DELEBECQUE (Ph.), CORNELOUP (S.), opt. cit. p. 42.

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1. L’exigence de l’application des standards internationaux de traitement des

investissements

Lesdits standards font référence au traitement juste et équitable, au


traitement national et à la clause de la nation la plus favorisée. Pour ce qui est du
standard relatif au traitement juste et équitable, il s’agit pour l’État d’accueil de
l’investissement de s’engager à assurer un « traitement juste et équitable403 » sur
les investissements ressortissants de l’autre État partie. Il doit agir de bonne foi
et de façon transparente ; il s’agit donc d’un concept « flexible » susceptible
d’englober un panel de comportements étatiques très variés, ce qui explique qu’il
soit très fréquemment invoqué par les investisseurs à l’occasion d’instances
arbitrales.
À cause de cet état de chose, la pratique s’est efforcée à regrouper les
comportements considérés comme constituant des manquements par un État à
la règle du traitement juste et équitable. Ceux-ci peuvent être regroupé en deux
ensembles : les actes de l’État d’accueil portant directement atteinte aux actifs
ou aux intérêts de l’investisseur étranger et ceux qui heurtent ses « atteintes
légitimes »404. Pour les premiers, l’on peut citer à titre d’exemple : l’existence d’un
déni de justice imputable aux juridictions de l’État ou au manquement par celles-
ci aux règles du procès équitable405 ; la mise en œuvre d’une procédure
administrative non transparente dont l’investisseur n’a pas été informé ou pour
laquelle il n’a pas été entendu406 ; et une forme de « harcèlement administratif »
de la part de certaines autorités de l’État à l’égard de l’investisseur. Par ailleurs,
peuvent être reconnues comme « atteintes légitimes » : le retrait injustifié d’une
licence et la violation par l’État de ses obligations contractuelles à l’égard de
l’investisseur étranger.

403
JACQUET (J.M.), DELEBECQUE (Ph.), CORNELOUP (S.), opt. cit., p. 543.
404
AUDIT (M.), BOLLEE (S.), CALLEE (P.), Op. cit., p. 250.
405
Sentence CIRDI, 26 Juin 2003, LOEWEN Group and R.L. Loewen c/ United States, ARB
(AF)/98/3 JDI 2004. Obs, E. GAILLARD, P. 219.
406
Sentence CIRDI, 12 Avril 2002, Middle East Cement Shipping and Handling co. c/ Egypte, ARB
/99/6, Para. 143, ICSID Rev, 2003, p. 602.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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Pour les seconds, le traitement juste et équitable peut également être


invoqué par les investisseurs étrangers pour demander la réparation d’ «
atteintes légitimes » (legitimate expectations). Cette notion renvoie au constat
que l’investisseur étranger, au moment où il s’est décidé à investir dans l’État
d’accueil, a fondé ses études de prospective sur le cadre juridique et
institutionnel existant à ce moment donné. Il peut également arriver que l’État
d’accueil ait pris des engagements particuliers à l’égard de l’investisseur étranger
ou ait procédé à des déclarations à leur intention ; ce qui les a incités à venir
investir sur son territoire407 et que par la suite il ne les respecte pas. La réparation
n’est accordée qu’à la condition que ces atteintes soient « raisonnables »408.
Telles que, le changement des règles en matière de remboursement de la TVA
et de l’interférence de l’administration fiscale dans la mise en place des
investissements ; la modification du régime des privatisations revenant sur un
accord d’achat de parts sociales préalablement accepté par l’État409.
Par ailleurs, à l’étude du principe dit du traitement national410, il en découle
que, l’investisseur étranger ne doit pas pendant la phase de réalisation, se voir
appliquer des règles moins favorables que celles qui sont appliquées aux
investissements nationaux placés dans la même situation. Cette égalité formelle
de traitement ne tient pas compte de la différence de puissance technologique
et financière qui existe entre les sociétés internationales présentes qui agissent
en tant qu’investisseurs étrangers et les sociétés locales411. Elle n’empêche pas
que l’investisseur étranger soit exposé à un traitement différentiel par rapport à
l’investisseur national ou qu’il bénéficie d’un traitement préférentiel.

407
Sur cet aspect particulier des atteintes légitimes, v. M. REISMAN, M. H. ARSANIANI, « The
Question of Unilateral Governmental Statements an Applicable law in Investment Disputes »
ICSID Rev., 2004, p. 328-341.
408
AUDIT (M.), BOLLEE (S.), CALLEE (P.), Op. cit., p. 251.
409
AUDIT (M.), BOLLEE (S.), CALLEE (P.), op. cit., p. 252.
410
JACQUET (J.M.), DELEBECQUE (Ph.), CORNELOUP (S.), opt. cit., p. 555.
411
CARREAU (D.), JUILLARD (P.), Droit International économique, 5ème édition, Paris, Dalloz, 2013,
p. 208.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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Dès lors, pour déterminer si le traitement national accordé à l’investisseur


a été, ou non existant, un raisonnement en deux étapes s’impose : d’une part, il
convient de vérifier que l’investisseur étranger et l’investisseur local retenu
comme référence peuvent effectivement faire l’objet d’une comparaison. La
question se pose ici lorsque les deux investisseurs exercent la même activité ou
interviennent dans des secteurs d’activités proches. Le plus souvent, la
jurisprudence arbitrale retient le second mode de comparaison412. D’autre part, il
faut prouver que la mesure adoptée par l’État d’accueil impose effectivement à
l’investisseur étranger un traitement moins favorable que celui réservé aux
investisseurs locaux. Il sied de retenir que, la protection de l’intérêt public peut
permettre de justifier la nature discriminatoire de la mesure et éviter à l’État
d’accueil une condamnation.
L’autre standard que l’on rencontre dans la plupart des traités est relatif
au traitement dit de la nation la plus favorisée. Il remplit une fonction
traditionnelle, qui est celle d’assurer une égalité de traitement entre les
investisseurs étrangers par l’alignement au traité comportant les règles les plus
favorables à l’investissement413. Elle vise à faire bénéficier à chacune des parties
les avantages que l’autre viendrait à consentir dans le futur à un État tiers, et ce
en faveur d’un autre traité conclu dans la même matière. En d’autres termes, la
clause de la nation la plus favorisée prévue par le premier traité va permettre
d’étendre de manière automatique le bénéficie des dispositions plus
avantageuses d’un second traité dès lors que l’un des États parties au premier
l’est également au second. Ainsi, si un TBI prévoyant ce type de disposition est
conclu entre un État A et un État B, et que l’État A conclu un autre TBI avec un
État C au sein duquel figurent les dispositions plus avantageuses, les
investisseurs ressortissants de l’État B pourront s’en prévaloir à l’encontre de

412
Sentence ad hoc (NAFTA Régl. CNUDCI), 13 Nov. 2000 (1ère sentence partielle). LM, 2001
Para. 250. Pour une position plus restrictive fondée sur une comparaison entre investissements
relevant exactement du même secteur, sent. CIRDI (NAFTA), 16 déc. 2002 (fond) Marvin Ray
Feldman Karpa c/ Mexique, n° ARB (AF)/99/1, Para. 171.
413
JACQUET (J. M.) opt. Cit., p. 556.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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l’État A414. Par ailleurs, au-delà des éventuelles précisions textuelles, ce sont les
décisions substantielles de protection de l’investisseur ou de son investissement
qui sont aux premièrs chefs invoquées. Ainsi, sur le fondement de la clause de la
nation la plus favorisée visée dans le TBI conclu entre son État d’origine un
investisseur pourra bénéficier d’un mode d’évaluation de son préjudice plus
favorable tiré d’un autre TBI conclu par l’État d’accueil415.

2. La sanction du non-respect desdits standards

Lors de la phase post-investissement, la matière est dominée non


seulement par le traitement de l’investissement, mais aussi par la protection des
investissements. Dès lors, en cas de non-respect des standards de traitement
des investissements étrangers, l’État d’accueil s’expose parfois à l’isolationnisme
ainsi qu’au paiement des dommages et intérêts à l’investisseur lésé.
L’isolationnisme a trait à la rupture de relations économiques entre l’État d’accueil
de l’investissement et l’État d’origine de l’investisseur. Il peut même parfois arriver
que, les partenaires économiques et financiers de l’État d’origine de l’investisseur
décident aussi de rompre leur relation économique avec l’État d’accueil fautif
bien qu’ils n’aient en principe rien à voir avec ledit investissement.
Tandis que la notion de dommages et intérêts trouve son fondement
juridique dans les conventions régissant les nationalisations et expropriations ;
ainsi que dans les articles 1382 et 1383 du Code Civil de 1804. Ceux-ci énoncent
en substance que, tout fait quelconque de l’homme qui cause un dommage à
autrui lui doit réparation. En matière de protection internationale des
investissements, il y a eu une transcendance des principes fondant la
responsabilité civile des personnes aux États par la mise en place des moyens
de sanction.

414
JACQUET (J.M.), DELEBECQUE (Ph.), CORNELOUP (S.), opt. cit., p. 556.
415
Le principe en droit international de l’investissement voudrait que La latitude soit donnée aux
investisseurs de rechercher tous les voies et moyens qui leur permettront de protéger au mieux
leurs investissements.

182
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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La rupture des relations économiques est très fréquente dans le cadre des
relations économiques internationales, lorsqu’un État partie à un TBI ou TMI ne
respecte pas les règles substantielles de traitement des investissements de ses
partenaires, il peut se retrouver isolé du groupe. En d’autres termes, ceux-ci
peuvent prendre des mesures strictes qui conduisent le plus souvent à la rupture
de toutes relations économiques avec ce dernier. Celle-ci entraine parfois la
résiliation unilatérale des TBI et des contrats signés dans le cadre de ces TBI par
l’État dont les investissements de leurs ressortissants ont subi des dommages416.
En d’autres termes, la rupture des relations économiques concerne beaucoup
plus les États. Cela se manifeste généralement par l’interdiction stricte et
formelle aux potentiels investisseurs ressortissants de son pays d’investir dans
ledit État.
En tout état de cause, la principale conséquence de la rupture des
relations économiques est manifestée par les pertes financières. Lors de la
réalisation d’un investissement, des fonds sont alloués à l’investisseur soit par
les banques, soit par son État d’origine en prévision de bénéfices417. Les pertes
financières enregistrées touchent aussi l’investisseur qui a forcément bâti des
locaux pour accueillir son investissement, fait des installations électriques et
d’eau pour un certain confort. Lorsque l’État d’accueil ne respecte pas ses
engagements, l’investisseur étranger ne pourra plus investir ses capitaux ou les
retirer si les a déjà investis. Le non-investissement ou le retrait de ces capitaux
constitue des pertes financières énormes pour l’État d’accueil ; car, le
recrutement de la main d’œuvre locale aurait entrainé une baisse du taux de
chômage, une augmentation du taux de croissance et une consommation accrue.
Les conventions internationales empêchent aussi les États à légiférer à tout bout
de champ.

416
AUDIT (M.), BOLLEE (S.), CALLEE (P.), opt cit., p. 256.
417
CARREAU (D.), JUILLARD (P.), opt. cit., p. 208.

183
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B. L’ÉVICTION DU POUVOIR NORMATIF DE L’ÉTAT

Il peut aussi arriver que, l’investisseur étranger souhaite changer de


branche d’activités ou désire y mettre fin. Dans ces cas, il peut solliciter l’État en
vue d’une nationalisation. La sauvegarde de l’entreprise permettrait ainsi de
conserver les emplois ainsi que la stabilité économique du pays. C’est pourquoi
la plupart des conventions ont pour objectif l’encadrement fiscal des
investissements se manifestant ainsi par la primauté des conventions fiscales
internationales sur le droit interne d’une part (1) ; et l’empêchement de toute
atteinte à l’existence de l’investissement par la détermination des modalités de
cessation des investissements d’autre part (2).

1. La primauté des conventions fiscales internationales sur le droit interne

La relation entre conventions et lois fiscales obéit aux règles habituelles


gouvernant la hiérarchie des normes. À cet effet, la constitution du Cameroun
prévoit que « les traités ou accords internationaux régulièrement approuvés ou
ratifiés ont dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous
réserve pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie 418».
En matière fiscale comme ailleurs, le juge peut écarter la loi fiscale interne
lorsqu’elle contredit le traité auquel le Cameroun est partie. Il s’agit là en quelque
sorte d’une assurance donnée aux investisseurs étrangers que, quel que soit le
litige fiscal qui les oppose à l’État du Cameroun, la convention fiscale ratifiée par
leur pays d’origine primera toujours. Cependant, la même Constitution émet une
réserve dans la mesure où elle dispose que les traités qui engagent les finances
de l’État ou qui modifient les dispositions de nature législative ne peuvent être
ratifiés ou approuvés qu’en vertu d’une loi419. Toutefois, le mécanisme d’éviction
de la loi interne au profit d’une convention fiscale ne signifie pas que, la première

418
Article 45 de la Constitution du Cameroun de 1996 modifiée en 2008.
419
Article 43 de la Constitution de 1996 modifiée en 2008.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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soit totalement privée d’effet ; cela veut simplement dire que la convention
fiscale fait obstacle à l’application de la loi fiscale interne dans certains cas
surtout en matière de restitution d’impôt. Il s’agit d’un problème structurel qui
surgit en raison de l’absence d’harmonisation des droits fiscaux et du caractère
unilatéraliste du droit fiscal car, chaque ordre juridique entend déterminer ses
sujets fiscaux et le fait générateur des impôts, en faisant abstraction des ordres
étrangers.
Les conventions fiscales internationales permettent de lutter contre la
double imposition. Concrètement, la double imposition juridique se présente, par
exemple, lorsque deux États considèrent qu’une même personne est fiscalement
résidente de chacun d’eux420. Il existe dans la pratique, deux types de double
imposition : la double imposition juridique qui surgit lorsqu’une personne est
imposée deux fois en raison du même revenu421 et la double imposition
économique qui apparait lorsque deux personnes différentes à raison d’un même
flux financier ou d’un même générateur d’imposition sont imposées. Elles se
retrouvent alors imposées deux fois en raison de l’ensemble de leurs revenus. Ce
dernier cas illustre un exemple de conflit entre l’État de la résidence du titulaire
du revenu et l’État de la source du revenu.
En outre, les conventions fiscales contiennent généralement la clause de
non-discrimination422 en vertu de laquelle, tous les résidents de l’État contractant
devraient pouvoir bénéficier de l’existence d’une convention fiscale
internationale ratifiée par son pays. Elles disposent également de la clause
prévoyant la mise en place d’une procédure amiable de règlement de différends
entre États quant à l’application et à l’interprétation des conventions423. Elles
contiennent également la clause d’échange de renseignements entre autorités

420
GUTMANN (D.), Droit fiscal des affaires, 5ème édition, Paris, LGDJ, 2014, p. 45.
421
La définition donnée par le premier paragraphe du commentaire du modèle de l’OCDE est plus
précise. Selon cette source, la double imposition juridique internationale peut être définie d’une
manière générale comme « l’application d’impôts comparables dans deux ou plusieurs États au
même contribuable, pour le même fait générateur et pour des périodes identiques ».
422
Article 24 du modèle OCDE.
423
Article 24 du modèle OCDE.

185
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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fiscales de chaque État ; la clause d’assistance en matière de recouvrement des


impôts. Certaines d’entre elles, quoique moins nombreuses, règles également la
double imposition susceptible de survenir au titre de l’imposition du patrimoine
(lorsque des États imposent la fortune) ou au titre des droits de mutation à titre
gratuit (droits de succession) voire à titre onéreux. Il convient de signaler le
spectaculaire développement de la coopération fiscale entre les États parties
dans le domaine de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale424.
Dès lors, l’on comprend que, l’adoption des conventions fiscales dans la
pratique des affaires a pour objectif de protéger au mieux les investisseurs
contre les exactions fiscales que pourront commettre aussi bien les pays
d’accueil de leurs investissements que leur pays d’origine. Il s’agit alors d’un
moyen de promotion des investissements utilisé dans la pratique internationale
pour encourager l’exportation des capitaux. Dans le cadre de la promotion des
investissements, les traités multilatéraux jouent un rôle essentiel.

2. La détermination des modalités de cessation des investissements

Dans la pratique des affaires, aucun TBI ne saurait interdire à un État de


prendre des décisions relatives aux expropriations ou aux nationalisations
indirectes ou directes. L’expropriation est dite directe lorsqu’elle est effectuée
par le biais d’un transfert officiel du titre ou d’une saisie pure et simple. Tandis
qu’une expropriation est indirecte lorsque l’État par les moyens détournés ou
sous prétexte de réglementation, prend des mesures qui aboutissent à une
expropriation425. Les atteintes aux investissements conduisant aux
expropriations déguisées sont des comportements interférant avec les droits de
propriété 426 qui privent l’investisseur de son droit d’exploiter son investissement

424
Pour un bilan d’étape v. les actes du colloque organisé par l’École de droit de la Sorbonne le
15 juin : « La nouvelle coopération fiscale internationale, Dr. Fisc. 2010, n° 42-43, éd. 531.
425
OCDE, l’ « expropriation indirecte » et le « droit de règlement » dans le droit international des
investissements, 2 Septembre 2004, p. 24, w.w.w.Ocde.com.
426
Imposition prohibitive des bénéficies, vente forcée des biens aux nationaux, affaiblissement
des droits de gestion consécutif au capital détenu etc.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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avec profit, affectant ainsi la valeur de la propriété427. Une autre forme d’atteinte
est matérialisée par les nationalisations rampantes ; se résumant à des
tracasseries administratives imposées par l’État d’accueil des investissements428.
Les TBI servent donc d’une part, à l’encadrement des nationalisations et
expropriations. Dans les deux cas, il s’agit de transférer un droit de propriété
détenu par une personne privée vers une collectivité publique ; ou
éventuellement autoritairement imposé par l’État vers une autre personne
privée429. Toutefois, des conditions sont requises pour procéder à une
expropriation ou à une nationalisation ; celles retenues sont la conformité à
l’utilité publique et la non-discrimination. En réalité, la conformité à l’utilité
publique est une exigence ancienne, dont les origines sont à rechercher dans le
droit international coutumier.
La résolution 1803 (XVII) de l’Assemblée générale des Nations Unies
prévoyait ainsi que « la nationalisation, l’expropriation ou la réquisition devront
se fonder sur des raisons ou des motifs d’utilité publique, de sécurité ou d’intérêt
national, reconnus comme primant sur les simples intérêts particuliers ou privées
tant nationaux qu’étrangers »430. Allant dans le même sens, l’article 6 alinéa 2 du
modèle français de TBI de 2006 signé avec le Cameroun prévoit que, les États
parties ne doivent pas prendre de mesures d’expropriation ou de nationalisation
ou toutes autres mesures dont l’effet est de déposséder directement ou
indirectement les nationaux et sociétés étrangères de l’autre État partie des
investissements leur appartenant sur leur territoire. À cet effet, « si ce n’est pour
cause d’utilité publique et à condition que ces mesures ne soient ni
discriminatoires ni contraires à un engagement particulier ».

427
Restriction d’importation des matières premières, imposition de techniques de restriction de
la production, législation du travail appliquée abusivement, et règles protection de
l’environnement inadéquates etc.
428
NTSAMO FOULEFACK (M. A.), La protection des investissements étrangers au Cameroun,
Mémoire de Master, Université de Yaoundé II, 2006, p. 22.
429
Lexique des termes juridiques, 19ème édition, Paris, Dalloz, 2012.
430
Résolution des NU, doc A/ 5217/1962, article 2.

187
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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Quant au principe de la non-discrimination, il a pour objectif de proscrire


les mesures de nationalisation ou d’expropriation ne visant que les investisseurs
étrangers et épargnant les investisseurs locaux. À cet effet, les « principes
directeurs pour le traitement de l’investissement étranger » de la Banque
Mondiale proscrivent également en la matière toute discrimination fondée sur la
nationalité431 visant non pas à priver l’investisseur de son droit de propriété mais
à le vider de sa substance. Il en est ainsi en présence d’une révocation d’un statut
de zone franche accordé à l’investisseur étranger ou d’un refus de permis de
construire par exemple.
Au Cameroun, l’expropriation pour cause d’utilité publique est
réglementée par l’ordonnance n° 74/3 du 06 Juillet 1974 modifiée par la loi n°
85/09 du 04 Juillet 1985 et complétée par la loi n° 2006/12 relative à
l’expropriation pour cause d’utilité publique et aux modalités d’indemnisation.
L’article 16 dispose à cet effet que, les expropriations foncières et domaniales
sont soumises à la loi régissant les contrats de partenariat. Dans ce cas,
l’indemnisation prend en compte d’une part l’ensemble des opérations
d’évaluation parfois très complexes, et d’autant plus complexes qu’elles
porteront sur une entreprise en état de fonctionnement c’est le fameux « going
concern »432 des auteurs américains. Il s’agira alors de déterminer non seulement
la valeur du « damnum emergens433 », et la valeur du « lucrum cessans434 ».
D’autre part, l’indemnisation s’étend à la mise à disposition de l’investisseur
exproprié ou nationalisé, des montants qui ont été évalués, de sorte que celle-ci
devant s’effectuée dans des conditions telles qu’elles n’aboutissent pas à une
forme nouvelle de spoliation. Elle devra se faire notamment par des techniques
telles que le plafonnement ou l’échelonnement des versements, ou par le jeu de
l’inconvertibilité et de l’intransférabilité des paiements.

431
Article IV, alinéa 1 des Principes directeurs de la Banque Mondiale pour le traitement de
l’investissement étranger.
432
GUTMAN (D), opt. cit., p. 321.
433
Pertes subies.
434
Manque à gagner.

188
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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Cependant, cet accord d’indemnisation forfaitaire arrête un montant global


d’indemnisation qui satisfait la réclamation de l’État de protection. Mais, il peut
arriver que la victime d’une mesure d’expropriation ou de nationalisation trouve
opportun que l’État auquel elle est ressortissante n’intervienne pas directement
dans la négociation qui va se nouer avec l’État expropriant ou nationalisant435. Le
règlement négocié va dès lors emprunter les voies d’un accord entre l’État
expropriant ou nationalisant d’une part, et la victime de la mesure d’expropriation
ou de nationalisation d’autre part. Dans ce cadre, la victime d’une mesure
d’expropriation de nationalisation peut librement, et en dehors des
considérations diplomatiques qui limitent l’action des gouvernements, choisir le
terrain de la négociation, et contribuer directement à l’élaboration d’un accord436.

CONCLUSION

A l’issue de cette réflexion, il est possible d’affirmer que, les conventions


internationales relatives aux investissements privés étrangers ratifiées par le
Cameroun sont de réelles sources d’attractivité. L’analyse y afférente a permis
de relever que, celles-ci interviennent dans le cadre de la promotion et de la
protection des investissements assurées par l’AMGI et le CIRDI, la CCI etc. Par
ailleurs, celles-ci contribuent à la soumission de l’État aux normes internationales
à travers l’exigence de l’application des standards internationaux de traitement
des investissements au risque d’être sanctionné ; et à l’éviction du pouvoir
normatif de l’État orchestrée par la primauté des conventions fiscales
internationales et la détermination des conditions de cessation des
investissements privés étrangers. Le constat majeur fait au cours de l’analyse est

435
CARREAU (D.), JUILLARD (P.), Droit international économique, 3ème édition, Paris, Dalloz, 2007,
p. 552.
436
Cet accord de surcroît fera des droits ; pas d’interposition de l’État protégeant, pas de
répartition entre la masse des créanciers indemnitaires. Par ailleurs, rien n’empêche la victime de
la mesure d’expropriation ou de nationalisation d’enrôler discrètement à ses côtés, dans la
négociation internationale, l’État elle est ressortissante

189
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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que, les conventions internationales ou les traités révèlent les grands problèmes
du droit de l’investissement privé international et leur apportent en même temps
divers éléments de solution.

190
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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LA PERSONNALITÉ JURIDIQUE DES

INSTITUTIONS PRIVÉES

D’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR (IPES) 437

Monique Aimée MOUTHIEU épouse NJANDEU - Agrégée des Facultés de Droit

Université de Yaoundé II

____________________

437
Ce thème présenté dans le cadre du séminaire sur les revenus des universités issus de
l’emprunt, des dons et legs et du partenariat des universités d’Etat avec les institutions privées
d’enseignement supérieur (MINESUP, Yaoundé, 16 mars 2021) a été enrichi en vue de sa
publication sous forme d’article.

191
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

L'enseignement supérieur est constitué de l'ensemble des enseignements et


des formations post-secondaires assurés par les institutions publiques
d'enseignement supérieur et par les institutions privées agréées comme
établissements d'enseignement supérieur par l’État438.
Les institutions privées d’enseignement supérieur sont des partenaires privés
qui concourent à l'offre de formation de niveau supérieur. Elles sont régies
essentiellement par le décret n° 2001/832/PM du 19 septembre 2001 fixant les
règles communes applicables aux institutions privées d’enseignement
supérieur, par l’arrêté n° 14/0420/MINESUP du 09 juillet 2014 fixant les
conditions de création et de fonctionnement des institutions privées
d’enseignement supérieur (qui a remplacé l’arrêté n° 01/0096/MINESUP du 07
décembre 2001 fixant les conditions de création et de fonctionnement des
institutions privées d’enseignement supérieur) et celui (l’arrêté) n°
03/0096/MINESUP du 05 décembre 2003 fixant les modalités de création et
d’ouverture au Cameroun des institutions privées d’enseignement supérieur
préparant à des diplômes étrangers. Créées à l'initiative des personnes
physiques ou morales privées à l’exclusion de celles visées par l’article 32 du
décret du 19 septembre 2001 ou par les organisations internationales dans les
conditions fixées par des textes particuliers, elles concourent à la mission
fondamentale de production, d'organisation et de diffusion des connaissances
scientifiques, culturelles, professionnelles et éthiques pour le développement de
la nation et le progrès de l'humanité assignée par l’Etat à l’enseignement
supérieur ( article 11 décret n° 2001/832/PM du 19 septembre 2001 et article 2
loi n° 2001/005 du 16 avril 2001 portant orientation de l'enseignement supérieur).
Les IPES sont des structures à caractère scientifique, technique, professionnel
et culturel. Elles sont apolitiques et à but non lucratif. Elles peuvent dispenser

438
Article 1 (2) Loi n° 2001/005 du 16 avril 2001 portant orientation de l’enseignement supérieur.

192
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

leurs enseignements dans un campus et/ou à distance conformément à la


réglementation en vigueur.
Les institutions privées d'enseignement supérieur comprennent :
- les établissements privés d'enseignement supérieur, laïcs ou confessionnels
qui sont des structures assurant des formations post-secondaires
conformément à la réglementation en vigueur ;
- les universités privées qui sont des structures assurant des formations
supérieures conformément à la réglementation en vigueur et comprenant au
moins deux établissements (article 3 décret n°
2001/832/PM du 19 septembre 2001 fixant les règles communes applicables aux
institutions privées d’enseignement supérieur);
Cependant, contrairement aux personnes physiques qui acquièrent leur
personnalité juridique c’est-à-dire deviennent des sujets de droit à leur
naissance ou de manière exceptionnelle à leur conception, l’existence légale des
IPES doit être octroyée à leur promoteur ou fondateur personne physique ou
morale privée, par arrêté du ministre chargé de l’Enseignement supérieur (qui en
assure la tutelle notamment par le suivi, le contrôle et l’évaluation) après avis
favorable de la Commission nationale de l’Enseignement supérieur privé
(CNESP). Il ressort des dispositions de l’article 2 de l’arrêté de 2014 que les
différentes modalités de création et de fonctionnement des institutions privées
d’enseignement supérieur au Cameroun sont : l’accord de création,
l’autorisation d’ouverture, l’agrément et l’homologation (ces deux dernières
modalités pouvant bénéficier d’un accord d’extension: article 34, arrêté
2014). L’accord de création permet de créer une institution privée
d’enseignement supérieur (article 4, arrêté 2014); l’autorisation habilite son
ouverture (article 10, arrêté 2014); l'agrément est la reconnaissance du
fonctionnement effectif et régulier de l'institution privée d'enseignement
supérieur considérée (article 18, arrêté 2014); il donne droit à l'ouverture des
filières, à la formation et à la présentation des candidats aux diplômes nationaux
dans le respect des normes fixées par des textes particuliers; l'homologation

193
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

autorise l'institution privée d'enseignement supérieur à délivrer des diplômes et


titres nationaux (article 26, arrêté 2014).
Parler de la qualité de sujet de droit des IPES les assimile aux personnes
physiques ou morales car, au même titre que ces dernières, et en raison de leurs
activités de fourniture de services d’enseignement et de formation, elles
seront amenées à être titulaires des droits subjectifs et à être soumises à des
obligations notamment vis-à-vis de l’Etat, de son personnel enseignant et
administratif, des établissements de crédit, et surtout des étudiants qui
viendront y suivre des enseignements et formations post-secondaires. En l’état
actuel de notre droit positif, et vingt (20) ans après l’adoption de la loi portant
orientation de l’enseignement supérieur du 16 avril 2001, la notion de
personnalité juridique des IPES suscite des difficultés consécutives à leur fin. En
effet, il n’est pas aisé de créer une harmonie entre les différents intérêts en
présence à savoir celui du promoteur et celui des étudiants qui très
souvent, s’entremêlent et s’entrechoquent. Ainsi, face aux intérêts des étudiants
couplé au besoin de formation sans cesse croissant dans notre pays, et
indispensable pour son émergence, questionner la personnalité juridique des
IPES ne semble pas être une entreprise vaine. Eu égard à la législation en la
matière, le régime de la personnalité juridique des IPES est-il adapté à la
nécessité de préserver les intérêts des étudiants au sein des IPES ?
Posée sous cet angle, la question revêt un intérêt juridique indéniable.
Elle permettra de scruter la personnalité juridique des IPES portées tant par les
promoteurs personnes physiques, que par les personnes morales, en vue de
contribuer à la construction d’un régime de la personnalité juridique des IPES
prompt à préserver les intérêts des étudiants au sein de ces institutions.
De l’analyse du régime de la personnalité juridique des IPES pris sous le
prisme de la préservation des intérêts des étudiants au sein de ces institutions,
il ressort un impératif d’adaptation (II). Bien plus, ce régime s’avère inapte à
assurer la continuité de leur offre de service d’enseignement et de leur stabilité
financière en dépit des aménagements législatifs existants (I).

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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I. UN RÉGIME DE LA PERSONNALITÉ JURIDIQUE INADAPTÉ AU BESOIN

DE PRÉSERVATION DES INTÉRÊTS DES ÉTUDIANTS AU SEIN DES IPES

A la lecture conjointe de la loi du 16 avril 2001 portant orientation de


l’enseignement supérieur et du décret n°2001/832/PM du 19 septembre
2001 fixant les règles communes applicables aux institutions privées
d’enseignement supérieur, l’on s’aperçoit que les IPES sont créées à l’initiative
des personnes physiques ou morales de droit privé ou par les organisations
internationales dans les conditions fixées par des textes particuliers. C’est donc
à travers ces sujets de droit, que l’institution parvient à obtenir sa personnalité
juridique qui, à dire vrai, n’est qu’une personnalité juridique d’emprunt.
L’institution privée d’enseignement supérieur, se trouve ainsi liée à la personne
de son promoteur tant dans son existence que dans son patrimoine. Appréhendé
à l’aune de la préservation des intérêts des étudiants et de leur besoin de
formation, le régime de la personnalité juridique d’emprunt des IPES s’avère
inadapté; l’institution étant non seulement liée par les actes de gestion de
patrimoine de son promoteur (B), mais aussi et surtout, à l’existence de ce dernier
(A).

A. La possible atteinte aux intérêts des étudiants tenant à la perte de la

personnalité juridique du promoteur

Dans leur quête du savoir, les étudiants ont besoin de sérénité pour recevoir
la formation continue à laquelle ils ont droit tout au long de la période prévue à
cet effet. Il s’ensuit que la personnalité juridique d’emprunt, reconnue aux
institutions privées d’enseignement supérieur, est de nature à entraîner
d’éventuels blocages susceptibles de perturber la mise à disposition de l’offre de
formation aux étudiants et élèves, en cas de perte de la personnalité de son
promoteur. En effet, si au regard des dispositions législatives, cette possibilité

195
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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d’atteinte aux intérêts des étudiants semble relative dans l’hypothèse du


promoteur personne morale, elle s’avère toutefois largement accrue, s’agissant
du promoteur personne physique.
En effet, aux termes de l’article 21 du décret du 19 septembre 2001, relayé
par l’article 7 (1) de l’arrêté du 09 juillet 2014 fixant les modalités de création et
de fonctionnement des IPES, « l’accord de création d’une institution privée
d’enseignement supérieur est personnel et incessible ». A son tour, l’article 23
(2) du décret de 2001 et l’article 11-1 de l’arrêté du 09 juillet
2014 précisent que l’autorisation d’ouverture d’une institution privée accordée
par arrêté du ministre chargé de l’Enseignement supérieur (après avis de la
commission nationale de l’enseignement supérieur privé) est incessible et
intransmissible. Il en découle que l’existence des IPES portées par les personnes
physiques est reconnue intuitu personae (eu égard à certaines informations
requises dans le dossier de demande). Elle est alors rattachée à leur durée
de vie et par conséquent, elle prend fin à leur décès.
Il va sans dire que dans cette hypothèse, le promoteur et l’IPES ne font qu’un.
Dès lors, en agissant individuellement en tant que personne physique, il n’est pas
possible pour le promoteur de créer un écran juridique entre lui et l’IPES. Il s’agit
là d’une faiblesse criarde car le législateur fait dépendre l’existence de la
personnalité juridique des IPES à celle de leur promoteur. Certes, la succession
du de cujus doit continuer la personne du défunt mais les choses ne sont pas
toujours aisées ; au-delà du fait que la succession peut être acceptée sous
bénéfice d’inventaire, il faut au préalable procéder à la liquidation et au partage
de l’actif successoral. Entre temps, l’intérêt des étudiants est en danger et mérite
d’être préservé. Conscient de cette difficulté majeure, le législateur prévoit que
l’accord de création d’une institution peut être cédé ou transmis sur
autorisation du ministre de l’Enseignement supérieur (article 7 (2), arrêté 2014)
et qu’une personne autre que le promoteur, une fondation, une association ou
toute autre personnalité peut être agréée par le ministre chargé de
l’Enseignement supérieur pour pérenniser le fonctionnement de l’institution

196
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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autorisée, en cas d’empêchement définitif du promoteur (article 11 (2), arrêté


2014).
Aussi, face à cette difficulté tenant à l’existence des IPES portées par les
personnes physiques, les IPES ayant pour promoteur les personnes morales de
droit privé n’y échappent pas, bien que la possibilité d’atteinte aux intérêts des
étudiants y soit moins accrue.
Contrairement à la personne physique, la personne morale est
un groupement, un sujet de droit fictif (car n’ayant pas de substrat humain) qui,
sous l’aptitude commune à être titulaire de droits et d’obligations, est soumis à
un régime variable selon qu’il s’agit d’une personne morale de droit privé ou d’une
personne morale de droit public. A ce titre, elle exerce ses pouvoirs par
l’intermédiaire d’une personne physique appelée représentant, agissant ès-
qualité. A la différence de la personne physique, la personne morale a une durée
de vie susceptible d’être plus longue et plus maîtrisée. En effet, la personne
morale ne connaît pas les vicissitudes qui s’attachent à la nature humaine des
personnes physiques. La personne morale de droit privé se distingue de la
personne morale de droit public qui désigne plus spécifiquement les institutions
publiques dotées de la personnalité juridique : Etat, Région, commune. Il existe
plusieurs formes de personnes morales de droit privé,
notamment les associations, les syndicats, les sociétés commerciales ou civiles,
les fondations. La personne morale est une technique de séparation des
patrimoines, à savoir, celui de l’entreprise, du patrimoine personnel de son
dirigeant, des membres ou des fondateurs. Dès lors, la
personnalité juridique des personnes morales (en dehors des cas de perte
consécutives aux sanctions administratives tel le retrait du titre), survit au
décès de leurs dirigeants, membres ou fondateurs, qui sont des personnes
physiques. En effet, le décès de ces derniers est indifférent sur la personnalité
juridique du groupement : celle-ci subsiste jusqu’à la fin de sa durée de vie (qui
est en principe de 99 ans).

197
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Au-delà de cette réalité qui semble présenter une garantie de stabilité des
IPES ayant pour promoteur des personnes morales de droit privé, il reste que,
même dans ce cas, des vicissitudes autres que celles liées aux IPES ayant pour
promoteur une personne physique, existent. Aux termes de l’article 22 (1) de la
loi portant orientation de l’enseignement secondaire relayé par l’article 5 (1) du
décret fixant les règles communes applicables aux IPES, « les institutions sont
créées à l’initiative des personnes (…) morales privées (…) ». Par cette
disposition, le législateur n’octroie pas le statut de personne morale aux IPES;
celles-ci étant toujours liées à l’existence des personnes morales privées qui les
ont créées.
En outre, le législateur ne limite pas la qualité de personne morale
pouvant initier la création d’une IPES et n’attribue pas non plus un caractère
spécial à l’activité de fourniture des services de formation et d’enseignement
post-secondaire. Ainsi, il est possible pour toute association, société civile,
société coopérative ou société commerciale, d’initier, parallèlement à ses
activités, la création d’une institution privée d’enseignement supérieur. En
raison de ses activités diverses, la personne morale à travers laquelle l’IPES tient
son existence juridique, n’est pas à l’abri d’une perte de personnalité juridique
consécutivement, et selon le cas, à une dissolution de
l’association promotrice de l’IPES, à une rupture du contrat de société ou à une
ouverture de procédure collective d’apurement du passif. Cette perte de
personnalité juridique qui peut découler d’une activité extra-académique de la
personne morale, est de nature à porter atteinte à la stabilité de l’institution et à
créer une perturbation dans la formation des étudiants ; encore que ces derniers
ne soient pas épargnés des conséquences de la gestion patrimoniale du
promoteur de l’institution en raison de l’unicité du patrimoine.

198
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

B. La possible atteinte aux intérêts des étudiants tenant à l’unicité du patrimoine du

promoteur et de l’IPES

La notion de patrimoine englobe « l’ensemble des biens et des obligations


d’une même personne, (…) envisagé comme formant une universalité de
droit »439. Le patrimoine est unique et attaché à la personne de chaque sujet de
droit en raison du principe de l’unicité du patrimoine. Etant liées à la personne de
leurs promoteurs, les IPES n’ont dès lors ni droits, ni obligations propres.
Le patrimoine actif affecté à l’institution et à la formation des étudiants, en dépit
des dispositions règlementaires encadrant le régime financier des
IPES, fait ainsi partie intégrante du patrimoine du promoteur personne physique
ou morale privée. Cette jonction de patrimoine, consécutive à la jonction de
personnalité juridique, est de nature à créer dans sa gestion une instabilité dans
la formation des étudiants aussi bien lorsque le promoteur est in bonis que
lorsqu’il est en proie aux difficultés.
On entend par promoteur in bonis, le promoteur en bonne santé financière,
le promoteur ne faisant l’objet d’aucune procédure collective d’apurement du
passif. Dans cette situation, comme toute personne, le promoteur de l’IPES n’est
soumis à aucune contrainte dans la gestion de ses biens et jouit pleinement de
son droit de propriété tel que défini à l’article 544 du Code civil440. De la lecture
combinée de la loi portant orientation de l’enseignement supérieur et du décret
fixant les règles communes applicables aux IPES, il revient à chaque IPES de
déterminer les ressources nécessaires à l’accomplissement de ses missions, les
voies et leurs moyens de financement. Aussi, le promoteur d’une IPES en
assume-t-il la responsabilité civile, administrative et financière et doit prendre
toutes les dispositions et mesures pour garantir son fonctionnement effectif et
régulier. L’IPES n’ayant pas de personnalité juridique propre, l’ensemble de ses

439
G. CORNU, Vocabulaire juridique, PUF, 9ème éd., 2011, p. 738.
440
« La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu
qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements » : article 544 Code civil.

199
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

ressources fait partie du patrimoine de son promoteur. Ce dernier en


principe, est ainsi libre d’effectuer tout acte de gestion sur les biens affectés à la
formation des étudiants, de souscrire à des sûretés mobilières ou immobilières,
et même, d’en disposer sans pour autant que les opérations en question aient de
lien avec le service de formation offert par l’IPES. En outre, tout créancier d’un
promoteur d’IPES in bonis reste libre de poursuivre individuellement le
recouvrement de sa créance sur les actifs affectés à la formation des IPES sans
que sa créance ne soit fondée par l’activité de l’IPES ; les biens des promoteurs
des IPES affectés à la formation des étudiants et élèves ne bénéficient d’aucune
protection particulière en matière de saisine. Cette condition juridique du
patrimoine affecté aux activités des IPES et qui est de nature à porter atteinte à
la continuité de la formation des étudiants et à l’offre de formation au sein des
IPES, a vocation à s’aggraver lorsque le promoteur fait l’objet d’une procédure
collective.
Par promoteur en difficulté, il faut entendre tout promoteur d’IPES faisant
l’objet de procédures collectives d’apurement du passif. Il s’agit des procédures
préventives ou curatives ouvertes contre un débiteur personne physique
exerçant une activité professionnelle indépendante, civile, commerciale,
artisanale ou agricole, ou un débiteur personne morale de droit privé. Ces
procédures ont pour finalité de préserver les activités économiques et les
niveaux d’emplois, de redresser rapidement les entreprises viables et de liquider
les entreprises non viables dans des conditions propres à maximiser la valeur
des actifs des débiteurs. Une fois ouverte contre un débiteur, ces procédures,
notamment celles de redressement judiciaire et de liquidation des biens, ont
vocation à entraîner le dessaisissement du débiteur de ses biens et une gestion
de son patrimoine par le syndic qui, en cas de besoin, peut disposer de ses
biens. En raison de la personnalité juridique d’emprunt des IPES, l’ouverture d’une
procédure collective contre un promoteur d’IPES, personne physique ou morale,
est de nature à compromettre les intérêts des étudiants qui suivent au sein de
son institution, une formation.

200
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

En effet, ayant un patrimoine unique qui intègre les actifs affectés à la


formation des étudiants, l’ouverture d’une procédure collective contre tout
promoteur d’IPES laisse libre cours aux actions en recouvrement de la masse des
créanciers par le biais du syndic. Cette situation est de nature à réduire l’offre
d’enseignement et à compromettre les besoins de formation des étudiants au
sein de l’institution dont les biens, meubles ou immeubles, affectés à la formation
pourront à terme être saisis et vendus. La complexité d’une telle situation résulte
de ce que l’ouverture de la procédure collective contre le promoteur de l’IPES
peut découler de tout acte n’ayant aucun lien avec la gestion et le
fonctionnement de l’IPES.
Les difficultés liées à l’existence des IPES ainsi qu’à l’instabilité de la situation
de leur patrimoine en raison du partage de personnalité juridique entre elles et
leurs promoteurs, au détriment des besoins de formation des étudiants ont été
mis en exergue. De ce qui précède, la nécessité d’une adaptation du régime de
la personnalité juridique des IPES s’impose en raison du caractère de priorité
nationale reconnu à l’enseignement supérieur par l’Etat.

II. UN RÉGIME DE LA PERSONNALITÉ JURIDIQUE DES IPES A ADAPTER

POUR LA PRÉSERVATION EFFECTIVE DES INTERÊTS DES ÉTUDIANTS

Au même titre que les étudiants et élèves des institutions publiques


d’enseignement supérieur, ceux des IPES ont droit aux enseignements et autres
activités prescrits par les programmes de formation. Eu égard aux dérives qui
peuvent découler du régime de la personnalité juridique des IPES en l’état du
droit positif, il s’avère impérieux que des mesures soient prises pour l’adapter,
afin de garantir la stabilité et la continuité de leur service d’enseignement et de
formation. Mais comment procéder à cette adaptation de régime? Il semble
qu’une adaptation du régime de la personnalité juridique des IPES passe de prime
abord par la consécration d’une personnalité juridique privée propre des IPES qui
sera distincte de celle de leur promoteur ou fondateur personne physique ou

201
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

morale privée (A). Cette consécration aura pour effet de préserver les intérêts
des étudiants au sein des IPES, dans la mesure où elle viendra renforcer non
seulement la stabilité de leur gestion, mais aussi, leur indépendance par rapport
à leur promoteur du fait de la séparation de patrimoines (B).

A. La nécessité d’une consécration de la personnalité juridique propre des IPES

La personnalité renvoie à l’ensemble des caractères permanents qui


constituent l’individualité d’une personne, qui la différencient de toutes les autres
sur le plan psychique, intellectuel et moral. C’est la marque de l’existence, de la
particularité d’une personne. La personnalité juridique c’est l’aptitude à être sujet
de droits et d’obligations ; c’est la reconnaissance de l’existence juridique d’une
personne avec toutes les implications qui peuvent en découler. On distingue
deux types de personnalité juridique. Premièrement, la personnalité juridique
reconnue à toutes les personnes physiques qui sont des êtres humains, des
individus faits de chair et de sang. Celle-ci s’acquiert à la naissance de l’individu
et exceptionnellement à sa conception, à condition qu’il naisse vivant et viable.
Elle fait ainsi de l’individu un sujet de droit à part entière et un titulaire de droits
subjectifs et d’obligations. Deuxièmement, la personnalité juridique des
personnes morales qui sont des groupements de personnes et de biens que le
droit positif assimile à des personnes physiques, en leur conférant des droits et
des obligations propres. La personne morale s’appréhende ainsi, comme un
groupement doté de la personnalité juridique qui, par la spécificité de ses buts
et de ses intérêts, a vocation à une activité distincte de celle des individus qui la
composent. On distingue les personnes morales de droit public (l’Etat, les
collectivités territoriales et les établissements publics administratifs), les
personnes morales de droit privé qui peuvent ou non avoir un but lucratif, et les
personnes morales de droit mixte qui empruntent à ces deux régimes. Les IPES
étant des institutions à but non lucratif créées à l’initiative de personnes

202
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

physiques ou morales privées, c’est dans la catégorie de personne morale de


droit privé que le régime de leur personnalité juridique doit être rangé.
En effet, face aux difficultés dans la mise à disposition de l’offre de formation
dispensée par les IPES qui peuvent résulter de leur personnalité juridique
d’emprunt, il est indispensable de leur consacrer une personnalité juridique
propre pour la préservation des intérêts des étudiants au sein de ces
institutions. De part cette consécration, les IPES se présenteraient comme des
sujets de droit à part entière, avec un patrimoine propre et un objet bien défini, à
savoir, la fourniture des services d’enseignement et de formation post-
secondaire.
Cette solution viendra ainsi dissocier le destin des IPES de celui de leur
promoteur personne physique ou morale privée. Le sort de la personnalité
juridique des IPES ne sera plus lié à celui de leurs promoteurs. Ceci permettra de
concilier les intérêts en présence. Tout d’abord, cette dissociation de
personnalité juridique contribuera à préserver les intérêts des IPES qui, dans
l’accomplissement de leur mission d’intérêt général, à savoir la diffusion des
connaissances pour le développement de la nation camerounaise, ont besoin
d’une stabilité institutionnelle. Elle permettra en outre, de préserver les intérêts
des étudiants et élèves dont la formation sera désormais à l’abri de tout fait
susceptible d’atteindre le promoteur de leur institution de formation personne
physique ou personne morale privée.
Il s’agira donc pour le législateur de lege ferenda, de reconnaître la qualité de
personne morale aux IPES au même titre que les institutions publiques
d’enseignement supérieur. L’IPES sera ainsi une personne morale privée à but
non lucratif à caractère scientifique, technique, professionnel et culturel créée
par une ou plusieurs personnes physique ou morale privée. Cette
reconnaissance aura pour effet de garantir la préservation des intérêts des
étudiants du fait des corollaires de la personnalité juridique que sont la détention
d’un patrimoine propre et l’autonomie de gestion.

203
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

B. Les corollaires de la consécration de la personnalité juridique des IPES,

garanties de la préservation des intérêts des étudiants

La consécration d’une personnalité juridique propre aux IPES participe de la


préservation des intérêts des étudiants grâce à la stabilité de l’institution qui en
découle. De fait, lorsqu’un groupement se voit reconnaître la personnalité
juridique, c’est lui-même qui est considéré comme titulaire de droits et
d’obligations vis-à-vis des tiers et, cette personnalité est distincte de celle de la
personne ou des personnes qui l’ont créé ou qui la composent. Le groupement à
qui la personnalité juridique sera attribuée, bénéficiera des attributs qui sont
approximativement calqués sur ceux reconnus aux personnes physiques.
Dans l’hypothèse des IPES, la reconnaissance de leur personnalité juridique
ou morale privée aura ainsi pour premier effet, la détention par celles-ci d’un
nom et d’un domicile propre qui permettra d’identifier et de circonscrire leur point
d’encrage juridique et le lieu où elles devront accomplir leurs droits civils. En
effet, les IPES n’ayant pas de personnalité juridique propre en l’état du droit
positif, elles ne peuvent avoir pour domicile que celui de leur promoteur personne
physique ou morale. Une telle situation est de nature à compromettre toute
action, notamment judiciaire ou administrative, des étudiants ou encore de
l’Administration si le lieu de domicile du promoteur de l’IPES s’avère différent du
lieu de situation des structures abritant les activités de l’IPES. Ainsi, à travers la
détention par les IPES d’un nom et d’un domicile propre, il y aura une nette
démarcation entre ces deux entités juridiques que sont la personne des IPES et
celle de leurs promoteurs personnes physiques ou morales. Ce qui contribuera
davantage à garantir la préservation des intérêts des étudiants qui suivront ou
qui viendraient à suivre une formation dans les IPES.
Le second effet d’une reconnaissance de la personnalité juridique aux IPES
est l’attribution à celles-ci, d’un patrimoine propre distinct de celui des
promoteurs. En l’état actuel de la législation, quoiqu’un promoteur d’une IPES
affecte à l’IPES un ensemble de biens pour satisfaire aux intérêts des étudiants

204
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

et élèves, ces biens continuent de faire partie du patrimoine personnel du


promoteur. A ce titre, ils peuvent faire l’objet de poursuite individuelle et
collective des créanciers personnels du promoteur, sans même que les
créances de ceux-ci aient un lien avec l’activité de l’IPES. De par la consécration
de la personnalité juridique propre des IPES, la séparation du patrimoine de l’IPES
et celui de son promoteur personne physique ou morale privée sera une réalité.
En effet, comme les institutions publiques d’enseignement supérieur, l’IPES,
étant doté d’une personnalité juridique, bénéficiera d’une autonomie financière.
Cette autonomie financière lui donnera ainsi, la capacité d’administrer et de gérer
librement les biens meubles et immeubles, corporels et incorporels, voire en
numéraire constituant son patrimoine propre en vue de la réalisation de son objet
qui est, la fourniture des services d’enseignement et de formation aux étudiants
et élèves.
La reconnaissance d’une personnalité juridique propre aux IPES distincte de
celle de leur promoteur personne physique ou morale privée, facilitera la gestion
de ces institutions. Contrairement à la personne physique, la personne morale a
une personnalité juridique spéciale, une personnalité juridique limitée à son objet.
Transposée aux IPES, celles-ci auront donc une personnalité juridique privée
limitée à leur objet, à savoir la fourniture des services d’enseignement et de
formation post-secondaire. Grâce à ce principe de spécialité, les intérêts des
étudiants et élèves des IPES seront davantage préservés. Appliqué aux IPES, ce
principe aura pour effet, de mettre l’institution à l’abri de tout acte de gestion de
ses promoteurs et dirigeants sans aucun lien direct ou indirect avec son objet.
Comme tel est le cas notamment pour les dirigeants des sociétés commerciales
OHADA, les dirigeants et/ou les promoteurs de l’IPES ne sauraient engager
l’institution au-delà de son objet qui n’est autre que la fourniture des services de
formation et d’enseignement. A défaut, l’IPES ne serait guère engagée vis-à-vis
des tiers dès lors que ces derniers ne seraient pas de bonne foi, parce qu’ils
avaient connaissance que l’acte dépassait l’objet de l’IPES ou qu’ils ne pouvaient

205
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

l’ignorer compte tenu des circonstances441. En outre, l’IPES sera à l’abri de tout
acte de recouvrement de créances initié par les créanciers de ses promoteurs et
dirigeants du moment que leurs créances n’auront aucun lien avec le
fonctionnement et le développement de l’IPES. Ainsi, dans leur besoin
d’enseignement et de formation, les étudiants et élèves des IPES pourront alors
bénéficier d’institutions jouissant d’une véritable stabilité dans leur gestion.

CONCLUSION

Partant de la question de l’adaptation du régime de la personnalité juridique


des IPES au besoin de préservation des intérêts des étudiants et élèves en leur
sein, le constat qui découle de notre analyse indique une inadaptation avérée.
Les dispositions législatives et règlementaires ne reconnaissent pas aux IPES
une personnalité juridique qui leur est propre. Les IPES sont entièrement liées à
la personne de leurs promoteurs personnes physiques ou morales, tant dans leur
existence que dans leur patrimoine. Il s’agit d’une situation qui vient créer une
inégalité de traitement entre les étudiants et élèves des IPES, et ceux des
Institutions publiques d’enseignement supérieur ; ces dernières bénéficiant d’une
personnalité juridique propre différente de celle de l’Etat et donc, offrant plus de
garanties de stabilité. Ainsi, afin de rétablir l’égalité entre les étudiants et élèves
des Institutions privées et publiques d’enseignement supérieur, tous bénéficiant
d’un égal droit constitutionnel et législatif à l’éducation et à la formation, il est
indispensable de lege ferenda de reconnaître aux IPES une personnalité juridique
propre. Ceci aura pour effet non seulement de créer un réel écran législatif entre
le patrimoine des IPES et celui de leurs promoteurs personnes physiques ou

441
Selon les dispositions de l’article 122 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés
commerciales et du GIE, « la société est engagée par les actes des organes de gestion, de
direction et d’administration qui ne relèvent pas de l’objet social, à moins qu’elle ne prouve que
le tiers savait que l’acte dépassait cet objet ou qu’il ne pouvait l’ignorer compte tenu des
circonstances, sans que la seule publication des statuts suffise à constituer cette preuve ».

206
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

morales, mais aussi, de renforcer leur autonomie administrative et financière,


toute chose contribuant à préserver davantage les besoins de formation et
d’enseignement des étudiants et élèves.

207
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Le responsable des programmes en droit

public financier camerounais

Pie-Claude ONANA - Dr Ph.D en droit public

Assistant à l’Université de Douala442

____________________

442
agadaafouaga@yahoo.fr

208
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Résumé

La raison de l’adoption du budget axé sur les résultats est de venir à bout des
insuffisances du budget annuel traditionnel par poste (ou fondé sur les moyens),
notamment son absence d’orientation sur les buts des dépenses publiques. Le
passage au système de Budget Programme de Performance (BPP) vise à achever
une plus grande clarté sur les liens entre les intrants, les extrants et les résultats,
et à fournir un outil de prise de décision budgétaire en fonction des informations
sur les performances disponibles. Ainsi, en rendant explicite les objectifs et les
résultats des dépenses budgétaires, les assemblées législatives et les citoyens
peuvent demander des comptes aux responsables de programmes budgétaires.
Par rapport au budget traditionnel par poste, le système de BPP est perçu comme
: garantissant l’obligation de rendre compte, le gouvernement doit assurer aux
contribuables que les ressources publiques sont allouées, dépensées et gérées
avec efficience et selon les objectifs pour lesquelles elles ont été votées,
améliorant ainsi les résultats budgétaires, l’affectation des ressources et la
gestion. Les fonctionnaires doivent assurer l’optimisation des ressources et
veiller à ce que les dépenses soient effectives (des CDMT peuvent être adoptés
pour améliorer la planification au-delà du budget annuel) ; et, renforçant
l’efficience de la prestation de services. L’élaboration du budget-programme (ou
encore budgétisation par programme ou axée sur les programmes) est une forme
de budgétisation axée sur les performances dans laquelle les dépenses
budgétaires sont prévues et gérées par programme

209
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Le régime financier de l’État de 2007443 pose les fondements d’une gestion


publique orientée vers les résultats qui se substitue à la logique d’une gestion
axée sur les moyens, qui prévalait depuis l’adoption de l’Ordonnance de 1962. La
mise en œuvre du nouveau régime financier est progressive, les dispositions
transitoires prévoient une phase de cinq ans à partir de 2008 jusqu’à 2013, date
de mise en œuvre intégrale de la loi. La loi n°2018/012 portant régime financier
de l’Etat et des autres entités publiques renforce à suffisance cet état de chose
en rapport avec la responsabilité des agents publics intervenant dans la mise en
œuvre de la gestion du budget444.
La réforme introduit des notions de gestion résolument modernes445,
notamment à travers les concepts de programmes, d’objectifs et d’indicateurs
de performance. Or parlant de programme, c’est un ensemble d’actions à mettre
en œuvre au sein d’une administration pour la réalisation d’un objectif déterminé
dans le cadre d’une fonction446 et qui relèvent d’un même chapitre447. Le
programme est donc l’unité de spécialisation des crédits448. Cette nouvelle
approche entraîne une plus grande responsabilisation des ministères par
l’obligation de rendre des comptes sur les résultats.
Pour le commun des mortels, le mot responsabilité recouvre deux
significations principales. Le "responsable", c'est d'abord un individu investi du
pouvoir de prendre des décisions, le dirigeant, le chef449, dans une organisation
publique, semi-publique ou privée. Dans un sens qui se rapproche un peu plus
du droit, il peut être un individu en possession de toutes ses facultés mentales.

443
Loi n° 2007/006 du 26 décembre 2007.
444
Voir dans ce sens l’article 1 alinéa 3 de la loi suscitée.
445
Plan de modernisation des finances publiques du Cameroun revue de mise en œuvre 2009 -
2012 actualisation 2013 - 2015, p. 2.
446
Article 8 de la Loi n° 2007/006 du 26 décembre 2007 portant nouveau régime financier de
l’Etat
447
Voir article 9 de la loi suscitée.
448
BOUVIER (M), ESCLASSAN (M-C), LASSALE (J-P), Finances publiques, Paris, LGDJ, 15e
édition, 2016, p. 340.
449
LE ROBERT, Dictionnaire Alphabétique et Analogique de la Langue française, Société du
Nouveau Littré, 1970, Tome V, p. 854.

210
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

La responsabilité est donc, dans cette dernière hypothèse, l'état d'une personne
consciente tandis que, dans la première, elle désigne les charges, les pouvoirs
exercés.
Au plan philosophico-littéraire, la responsabilité prend des significations
différentes suivant les auteurs. Mais deux grandes tendances apparaissent.
L'une trouve en Jean Paul SARTRE l'un de ses plus illustres représentants. En
effet, selon l’auteur de "l'Etre et le Néant", la responsabilité est la "conscience
d'être l'auteur incontestable d'un événement ou d'un objet, la revendication
logique des conséquences de notre liberté". Afin de percevoir cette pensée
dans toute sa splendeur, il faut considérer que, dans la logique sartrienne, la
liberté n'est pas l'absence de contrainte. Elle sous-tend au contraire la
responsabilité et, par suite, l'idée de libération, volonté de se libérer, comme
inversement, la responsabilité est impossible sans liberté. Cette conjugaison de
la responsabilité et de la liberté n'est pas propre à Jean-Paul SARTRE. Illustrée
par Hugo BARINE dans "Les Mains Sales"450, elle exclut le libre-arbitre
qu'expriment l'Ane de Buridan ou le crime commis par LAFCADIO dans "Les
Caves du Vatican" d'André GIDE.
Le Ministre, en tant qu’ordonnateur principal du budget de son ministère,
a la responsabilité de la bonne exécution des programmes et de la production du
Rapport Annuel de Performance (RAP) dudit ministère. Pour des besoins
opérationnels, il désigne un responsable pour la coordination des actions, des
activités et des tâches de chaque programme. Ce responsable, en l’occurrence
le responsable de programme, joue un rôle de pilotage et de coordination de
l’ensemble du programme451.
La raison de l’adoption du budget axé sur les résultats est de venir à bout
des insuffisances du budget annuel traditionnel par poste (ou fondé sur les
moyens), notamment son absence d’orientation sur les buts des dépenses
publiques. Le passage au système de Budget Programme de Performance (BPP)

450
SARTRE (J.P), Les Mains Sales, éd. Gallimard, Paris, 1948.
451
Loi n° 2017/011, du 12 juillet 2017 portant statut général des entreprises publiques.

211
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

vise à achever une plus grande clarté sur les liens entre les intrants, les extrants
et les résultats, et à fournir un outil de prise de décision budgétaire en fonction
des informations sur les performances disponibles. Ainsi, en rendant explicite les
objectifs et les résultats des dépenses budgétaires, les assemblées législatives
et les citoyens peuvent demander des comptes aux responsables de
programmes budgétaires. Par rapport au budget traditionnel par poste, le
système de BPP est perçu comme : garantissant l’obligation de rendre compte,
le gouvernement doit assurer aux contribuables que les ressources publiques
sont allouées, dépensées et gérées avec efficience et selon les objectifs pour
lesquelles elles ont été votées, améliorant ainsi les résultats budgétaires,
l’affectation des ressources et la gestion. Les fonctionnaires doivent assurer
l’optimisation des ressources et veiller à ce que les dépenses soient effectives
(des CDMT452 peuvent être adoptés pour améliorer la planification au-delà du
budget annuel) ; et, renforçant l’efficience de la prestation de services.
L’élaboration du budget-programme (ou encore budgétisation par programme ou
axée sur les programmes) est une forme de budgétisation axée sur les
performances dans laquelle les dépenses budgétaires sont prévues et gérées
par programme453.
Les objectifs de chaque programme budgétaire sont clairement précisés
et formellement approuvés par le gouvernement et le parlement. Les
programmes peuvent se décomposer en sous-programmes (ou actions) et/ou en
activités, auxquels les IP et les cibles peuvent être associés. Un système de
budget-programme à part entière diffère d’un système de crédits budgétaires
non affectés par programme, dans lequel les catégories économiques, telles que
les salaires, les biens et les services, les transferts et les investissements, et/ou
les catégories administratives (par exemple le ministère et les services au sein
du ministère) constituent le point central de la Loi de finances annuelle ou

Cadre de Dépense à Moyen Terme.


452

453
Voir dans ce sens la directive N° 01/11-UEAC-190-CM-22 21 Relative aux Lois de Finances
des Etats de la CEMAC.

212
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

d’une/des loi(s) portant affectation des crédits. Le responsable de programme et


le responsable d’action sont donc les nouveaux acteurs principaux454.
Le Cameroun s’est engagé depuis plusieurs années dans un vaste
processus de réforme de la Gestion des Finances Publiques, la loi de 2018
portant régime financier de l’Etat est en réalité le couronnement de ce
processus455. Désormais, le budget de l’Etat est élaboré, présenté, adopté et
exécuté par programmes qui traduisent les politiques publiques, et auxquels sont
associées des objectifs assortis d’indicateurs de résultats. Au-delà de la
structuration du budget par programmes, cette loi vise particulièrement à assurer
une meilleure lisibilité des politiques publiques, améliorer la performance
opérationnelle, renforcer le rôle du Parlement en matière d’évaluation et de
contrôle des politiques publiques, adapter le régime budgétaire et comptable
camerounais aux normes et pratiques régionales et internationales d’exécution
budgétaire456.
Ainsi donc, la loi portant régime financier de l’Etat et des autres entités
publiques vient non seulement conforter les principes classiques de gestion des
finances publiques qui visent la conformité et la régularité des opérations, mais
également consacrer les nouveaux principes qui sont plus ou moins adoptés
dans les pays de l’OCDE et quelques pays de la sous-région. Elle consacre de
nouveaux principes457 visant le renforcement de la crédibilité du budget et le lien

454
PEKASSA NDAM (M-G), « La dialectique du responsable de programme en finances publiques
camerounaise : recherche sur les nouveaux acteurs budgétaires », in Les nouveaux chantiers des
finances publiques en Afrique, Mélanges en l’honneur de Michel BOUVIER, L’harmattan Sénégal,
2019, pp. 303-312.
455
L’ambition de la LRFE est de procéder à une modernisation du processus de préparation,
d’exécution et du suivi du budget, et à l’intégration de la gestion axée sur la performance dans
l’administration à travers la budgétisation.
456
Voir dans ce sens le Manuel de pilotage et d’exécution du budget programme, janvier 2013, p.
2.
457
Les principes budgétaires
Principes classiques
L’autorité : pour chacun des stades de la procédure budgétaire, on précise à qui appartient le
pouvoir de décision. L’autorisation parlementaire en matière de finances publiques fait partie
intégrante de ce principe.
L’annualité : l’autorisation budgétaire est donnée pour une période de douze mois.

213
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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entre le budget et les objectifs de politiques publiques, l’autoévaluation, la


transparence et la reddition des comptes.
Par ailleurs, cette loi conduit à la rénovation du rôle des acteurs de la
dépense publique et à l’émergence de nouveaux acteurs responsables des
résultats en contrepartie d’une meilleure marge de manœuvre, dans l’exécution
des budgets alloués à leurs programmes.
C’est ainsi que le budget de l’Etat recouvre l’ensemble des moyens
d’intervention financière de l’Administration Publique qui regroupe plusieurs
entités concourant à l’atteinte des objectifs de l’Etat. La délimitation du champ
d’intervention de l’Administration Publique peut se faire sur la base de la
nomenclature fonctionnelle CFAP458 qui classe les dépenses par finalité de
l’action publique.
Au niveau du budget de chaque chapitre (ministère), les crédits sont
présentés par sections, programmes, actions, articles et paragraphes. Le
programme regroupe les crédits destinés à mettre en œuvre une action ou un
ensemble cohérent d’actions relevant d’un même chapitre et auquel sont

L’unité : la loi de finances présente les dépenses et recettes dans un document unique.
L’universalité : (i) les recettes et dépenses sont inscrites dans le budget pour leur montant brut,
sans compensation entre elles ; et (ii) les recettes ne sont pas affectées à une dépense
prédéterminée.
La spécialité : les crédits sont affectés à des dépenses déterminées.
L’équilibre : les dépenses sont équilibrées par des recettes et emprunts, le besoin de financement
de l’État et ses modalités de couverture sont décrits.
Principes modernes
La sincérité : exhaustivité, cohérence et exactitude des informations financières fournies par
l’État. Ce principe est inspiré du droit comptable privé.
La performance : efficience, efficacité et pertinence dans la gestion du budget.
La transparence : les fonctions des différents organes de l’État sont clairement établies. Des
informations budgétaires à caractère financier et non financier sont publiquement disponibles en
temps utile. La terminologie budgétaire est bien expliquée.
La stabilité : on assigne au budget et à la dette publique des objectifs qui s’inscrivent dans un
cadre financier à moyen terme périodiquement mis à jour, ou d’engagements internationaux,
comme les pactes de convergence. Les taux et l’assiette des impôts et autres prélèvements
restent relativement stables.
Sources : Loi portant régime financier de l’Etat-Cameroun ; Gestion des dépenses publiques dans
les pays en développement – Daniel Tommasi – AFD – Août 2010.
458
Classification des Fonctions des Administrations Publiques

214
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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associés des objectifs précis. Le programme constitue donc l’unité de


spécialisation des crédits459 et le niveau limitatif de l’autorisation de la dépense,
en engagements et en paiements. Il constitue par ailleurs le cadre de pilotage
opérationnel des politiques publiques460.
Pour des raisons de pilotage opérationnel, le programme correspond à des
regroupements de directions, de divisions et/ou de services clairement identifiés
dans la chaine des résultats qui permettent une meilleure coordination. Ce
regroupement doit apparaitre dans la cartographie de chaque programme461.
L’action, en tant que composante élémentaire d’un programme et à laquelle
sont associés des objectifs précis, explicites et mesurables par des indicateurs
de performance, permet de démontrer comment est-ce que l’administration
envisage la réalisation du programme. L’exécution de la loi de finances est
encadrée par plusieurs textes juridiques au premier rang desquels la
Constitution, dont les dispositions sur la gestion des ressources publiques sont
complétées par d’autres textes plus spécifiques qui concernent exclusivement
les finances publiques. Parmi ceux-ci, on cite particulièrement la loi N°2018/012
du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’Etat et des autres entités publiques
qui abroge celle de 2007. La mise en place de la budgétisation par programme
axée sur la performance, objet de la loi sus visée, est également encadrée par
les directives du cadre harmonisé de gestion des finances publiques de la
CEMAC, inspirées des bonnes pratiques internationales en la matière462.
La démarche de la budgétisation par programme axée sur la performance
repose donc sur une logique qui veut qu’à partir des orientations politiques, des
attentes des citoyens (usagers, contribuables), des marges de manœuvre
internes et des ressources mobilisables, chaque ministère fixe les objectifs
stratégiques et les objectifs des programmes. Ces objectifs sont décrits dans le

459
Article 10, alinéa 1 de la LRFE.
460
Manuel de pilotage et d’exécution du budget programme, janvier 2013, op cit. p. 5.
461
Ibid.
462
Directive n° 01/11-ueac-190-cm-22 du 19 décembre 2011 relative aux lois de finances au sein
de la communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale.

215
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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Projet de Performance des Administrations (PPA) qui constitue le document de


base de pilotage stratégique et opérationnel463. Le PPA est un document élaboré
par un ministère présentant la synthèse des informations sur les programmes,
servant de base au plaidoyer budgétaire. Le PPA accompagne le projet de loi de
finances pour mieux informer le Parlement sur le contenu des programmes. Il
retrace d’une part, les priorités nationales, les résultats antérieurs, les objectifs
stratégiques, etc. et d’autre part, pour chaque programme, les objectifs, les
indicateurs et cibles, et les crédits budgétaires sollicités en AE et CP464.
A partir des résultats obtenus, on mesure les écarts et on rend compte
dans le Rapport Annuel de Performance (RAP). Il s’agit d’un cercle vertueux dans
lequel s’inscrit la gestion axée sur la performance qui permet de corriger les
incohérences compte tenu des résultats. Partant de ce processus global de la
budgétisation par programme axée sur la performance, la gestion, le suivi et le
contrôle des programmes doit s’articuler autour de cette même logique
d’intervention et d’amélioration continue465. Du point de vue de la classification
programmatique du budget, le programme est décliné en actions, les actions en
activités et les activités en tâches. Le programme constitue alors le socle du
budget programme et la base de l’affichage des politiques publiques par
objectifs. Le Programme est un ensemble d'actions à mettre en œuvre au sein
d'une administration pour la réalisation d'un objectif déterminé de politique
publique dans le cadre d'une fonction. Ce programme est basé sur des objectifs
et s’appuie sur une stratégie explicite de mise en œuvre466.
Classés en deux catégories, en programmes opérationnels et en
programmes supports, les programmes regroupent les crédits destinés à mettre

463
BOUBACAR DEMBA BA, Finances publiques et gestion par la performance dans les pays
membres de l’UEMOA : étude de cas du Sénégal. Droit. Université de Bordeaux; Université Cheikh
Anta Diop de Dakar, 2015, p. 27.
464
Ibid.
465
ALLIEZ T. « Quel bilan de la responsabilité managériale au sein de l’Etat, clef de la nouvelle
gestion publique? », RFFP, n°123, 2013, pp. 157-168.
466
BARILARI (A), « La réforme de la gestion publique: quel impact sur la responsabilité des
acteurs? », RFFP, n°92, 2005, pp. 25-38.

216
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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en œuvre un ensemble cohérent d'actions relevant d'un même ministère ou d’un


même organe constitutionnel, ce qui exclut l’option des programmes
interministériels, c'est-à-dire les programmes dont les actions relèvent de
plusieurs ministères ou organes constitutionnels, et qu’il va falloir traiter
ultérieurement. Les programmes opérationnels sont orientés vers la réalisation
de résultats qui permettent la satisfaction des citoyens, et les programmes
supports sont orientés vers les programmes opérationnels à travers la
mobilisation des moyens transversaux qui leur permettent de mobiliser à temps
les intrants et les activités afin d’atteindre leurs objectifs.
Hudon et Mazouz rappellent que « les discours cherchant à justifier les
réformes administratives partagent un socle commun construit sur trois
principes directeurs globalement endossés par les réformateurs administratifs :
la reddition de compte (qui se décline selon les trois grands préceptes de
transparence, de responsabilité et d’imputabilité), l’optimisation des moyens et
des ressources disponibles (dont la notion d’efficience agit comme porte
étendard) et la qualité des services aux citoyens (population et entreprises) »467.
A cet effet, la budgétisation axée sur les résultats procède d’une conception
renouvelée des finances publiques qui, pour répondre aux trois principes
directeurs précités, réforme le contrôle de l’action publique, ainsi que la
responsabilisation des acteurs. Les modalités pratiques de ce contrôle et de
cette responsabilisation doivent être analysées à la lumière des finalités de la
réforme, pour mettre en lumière les logiques contradictoires, les intentions et
stratégies des acteurs, ainsi que les formes de sa réappropriation d’un contexte
à un autre, pour ensuite poser un diagnostic sur les incohérences internes de la
réforme. Est entendu par incohérence, le défaut d’articulation ou l’effet pervers
des éléments d’une politique ou entre plusieurs politiques. Comme le rappelle
Foster, les facteurs de cohérence/incohérence d’une politique peuvent être

. HUDON (P. A) et MAZOUZ (B), « Le management public entre ‘tensions de gouvernance


467

publique’ et ‘obligations de résultats’ : vers une explication de la pluralité du management public


par la diversité des systèmes de gouvernance publique », Gestion et management public, Vol. 3,
N°2, 2014, P.9.

217
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

analysés à partir de ses objectifs (explicites et implicites) ou des instruments


utilisés468.
Le système de contrôle des finances publiques est à la base multiforme469.
Cependant, dans l’espace CEMAC, il se diversifie et se complexifie davantage
avec la réforme budgétaire. Il comprend un contrôle a priori et un autre à
postériori. De manière spécifique, le contrôle a priori est un contrôle interne, un
contrôle administratif exercé par des agents ou organes relevant organiquement
ou fonctionnellement de l’administration ou plus généralement de l’exécutif. En
plus du traditionnel contrôle de régularité, émergent des contrôles destinés à
apprécier la qualité et les résultats obtenus par les administrations publiques470.
La gestion par performance des finances publiques se nourrit
fondamentalement aux sources comportementales de la confiance. En effet, la
gestion participative par objectifs ou résultats471 repose sur la promesse aux
individus que la réalisation de leurs aspirations personnelles pourra se faire dans
le cadre de la performance organisationnelle. Pour Gélinier par exemple, les clés
d’une telle gestion participative sont l’aptitude à découvrir et à innover,
l’adaptation à la concurrence et la confiance. Pour réussir une telle gestion, « il

468
FORSTER (J), La cohérence des politiques : une nouvelle approche des relations Nord-Sud,
Annuaire suisse de politique de développement (2000), [En ligne], mis en ligne le 15 août 2012,
consulté le 07 juillet 2020. URL : http://journals.openedition.org/aspd/833.
469
Il existe différents types de catégories de contrôle des finances publiques : la catégorie basée
sur le critère du moment de contrôle (contrôle a priori, contrôle en cours d’exercice budgétaire,
contrôle a posteriori) ; la catégorie suivant le critère de l’organe de contrôle qui est la catégorie
retenue par le cadre harmonisé de 2009 (contrôle interne, contrôle externe) ; et la catégorie
relative au critère de la finalité du contrôle (contrôle de conformité, contrôle de performance, et
le contrôle d’opportunité).
470
« Défis de cohérence de la réforme du budget axe sur la performance dans l’espace UEMOA »,
Cet article est un produit du projet de recherche sur le budget de programme mené par CLEAR
AF/ CESAG, avec l’appui du Programme d’Appui aux Centres d’Excellence Régionaux de l’UEMOA
(PACER- UEMOA). Le projet vise à cerner les leviers de la mise en œuvre de la réforme du budget-
programme dans l’espace UEMOA. Il analyse la cohérence des directives, leur appropriation par
les parties prenantes, les facteurs de succès de la réforme, ainsi que son efficacité dans la
budgétisation des priorités des Etats.
471
A travers la gestion participative par objectif, on estime qu’en permettant aux individus de
poursuivre leurs fins à travers celles de l’entreprise on atteint un niveau élevé de motivation et
donc des résultats plus significatifs.

218
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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faut être pénétré d’une profonde confiance dans les ressorts de la nature
humaine, dans son aptitude à découvrir des solutions utiles et à tirer
enseignement de l’expérience »472. La planification participative pluriannuelle en
est ainsi un outil lorsqu’elle parvient à arrimer les attentes sur le futur avec les
actions au présent, en créant ainsi « la confiance collective dans l’avenir (qui)
garantit le présent de la communauté et la rend possible »473. Sur la base de ces
attributs de la confiance, la nouvelle gestion financière publique va reposer sur
des postulats simples : faire confiance aux responsables, en allégeant « les
contrôles a priori traditionnellement exercés sur les dépenses publiques et qui
constituaient un facteur important dans les lenteurs observées dans l’exécution
des programmes et projets publics »474. En contrepartie de cette mise de
confiance, l’accent est mis « sur un contrôle a posteriori mieux organisé et
renforcé qui permettrait, à terme, de limiter les contrôles a priori au profit des
contrôles a posteriori »475.
Le responsable de programme, nouvel acteur dans la gestion
performancielle des finances publiques, coordonne la mise en œuvre du
programme dont il a la charge. Face à l’autonomie de gestion qui lui est reconnue
et promue par le nouveau cadre harmonisé des finances publiques, il est aux
prises avec la rigidité des autres acteurs, notamment l’ordonnateur et le
comptable public qui maintiennent encore leur place dans la chaîne budgétaire.
Cette situation se pose également avec la question des indicateurs de
performance. De tout ce qui précède, une question fondamentale nous
préoccupe, qu’est-ce qui caractérise le responsable programme en droit
public financier camerounais ?

472
PEYREFITTE (A), La société de confiance, Odile Jacob, Paris, octobre 1995, p.383.
473
GILLARD (L), « Un cas de construction sociale de la confiance : les lettres de change dans les
foires de Lyon au XVIème siècle », La construction sociale de la confiance, Paris, Montchrestien,
1997, p. 153.
474
Manuel de préparation du budget programme.
475
Ibid.

219
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Nous retenons que c’est L’assimilation directe à un ordonnateur délégué


(I) d’une part et d’autre part, c’est la globalisation indirecte de ses compétences
en matière budgétaire (II) qui le caractérisent.
La méthode juridique qui est une évidence dans ce travail. La question de
recherche que nous nous posons relève un intérêt qui peut se décliner au plan
théorique et au plan pratique.
Au plan théorique d’abord, l’ambition de la nouvelle constitution financière
est le changement radical dans la gestion des finances publiques de l’Etat. Elle
institue le passage d’une logique de moyens, qui reflétait difficilement les
priorités nationales, à une gestion axée sur les résultats qui responsabilise les
différents acteurs politiques et administratifs pour une mise en œuvre plus
efficace et efficiente des programmes de politique publique476. Pour ce faire, la
Loi de finances devra désormais comporter l’ensemble des Programmes
concourant à la réalisation des objectifs de développement économique, social
et culturel du pays477. Le Gouvernement va ainsi renforcer les liens entre le
Budget et les stratégies nationales, sectorielles et ministérielles, afin d’améliorer
l’allocation des ressources et la qualité de la dépense pour mieux répondre aux
attentes de la population.
Selon C. Pollitt dans la revue de l’OCDE, « la ligne de démarcation entre
l’élaboration […] et la mise en œuvre […] du budget n’est pas forcément perçue
de la même manière par les acteurs intervenant aux différents niveaux »478 de
décision. Il fait noter ainsi que pour le responsable d’une structure, la répartition
qu’il fait des crédits procède de l’élaboration du budget, tandis que pour le «
ministre ou haut fonctionnaire » qui répartit les crédits aux structures cela relève

476
HOURQUEBIE (F), « Les mutations du service public de la justice. Quand la justice se confronte
à la performance », in Espaces du service public, mélanges en l’honneur de Jean du Bois de
GAUDUSSON, Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, 2013, p. 1063-1080.
477
KRISTENSEN (J. K), GROSZYK (W-S) et BÜHLER (B), « L’élaboration et la gestion des budgets
centrées sur les résultats », coll. « Gestion budgétaire », Revue de l’OCDE, vol. 1, n°4, 2002, pp.
7-37.
478
CHRISTOPHER POLLITT, « Intégrer Gestion des performances et Gestion financière », article
dans la revue de l'OCDE sur la gestion budgétaire, vol. 1, n°2, 2001, pp. 7-41, spécialement pp.
8-9.

220
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

de l’exécution. On voudrait ainsi prendre prétexte de cette interprétation souple


des phases d’élaboration et d’exécution du budget (des politiques publiques pour
nous) pour les traiter ensemble.
Et au plan pratique, sous l’autorité du ministre, la pyramide hiérarchique,
au sens de la gestion en mode budget programme, comprend le responsable de
programme, le responsable d’action, le responsable de l’unité administrative et
le responsable d’activité. L’ensemble des administrations est à présent interpellé
pour se mobiliser sous l’autorité du Gouvernement, afin de s’approprier et mettre
en pratique la nouvelle culture de gestion axée sur la performance initiée dans le
cadre de cette réforme budgétaire479. Pour cela, il s’agit maintenant de mettre en
place un nouveau cadre et de nouveaux outils d’élaboration, de présentation et
d’exécution du budget pour répondre à l’introduction des Programmes, Actions,
Objectifs et Indicateurs de résultats dans le Budget de l’Etat. Les préalables ci-
dessus évoqués permettent de comprendre que pour atteindre la performance
escomptée, le responsable programme doit s’investir comme un ordonnateur
assimilé (I) d’une part et, d’autre part, comme un manager principal (II).

I. L’assimilation directe a un ordonnateur délégué

L'ordonnateur est un acteur emblématique du droit public financier, et sa


séparation avec le comptable public en fait une des caractéristiques du droit de
la comptabilité publique. Présent dans la grande majorité de nos institutions
publiques, il n'est pas pourtant aisé de le définir car il est soumis aux évolutions
d'un droit en constante mutation. Au cœur de la réforme de l'État, le droit public
financier connaît aujourd'hui de profonds bouleversements, tant dans ses
principes que dans ses règles et ses procédures. Évoluant dans un cadre
complexe et dynamique, la notion d'ordonnateur est au centre des enjeux des

479
HERTZOG (R), « La LOLF dans l’histoire des grands textes budgétaires », article dans la RFFP,
n°117, 2007, pp. 29 & 30.

221
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

réformes contemporaines du système financier public480. Traditionnellement


inscrit dans un cadre juridique qui le définit comme l'un des acteurs essentiels du
contrôle de l'utilisation des fonds publics, il se trouve aujourd'hui confronté à une
logique gestionnaire. Outre un réaménagement de ses compétences, c'est
également la question de sa responsabilité qui se trouve posée. Ce nouveau
cadre s’inscrit dans la démarche PPBS481, mise en place au cours des années
2000, laquelle fait obligation à tous les départements ministériels de présenter à
l’appui de leurs budgets, des documents de politique et de stratégie sectorielle.
Ce qui fait de l’ordonnateur délégué un acteur désigné (A) et en même temps un
acteur contrôlé (B).

A. Un ordonnateur désigné

Il faut souligner l’importance de l’acte de nomination du responsable de


programme dans la mesure où « le mode de nomination des responsables de
programme constitue le premier facteur d’incertitude qui peut compromettre le
renforcement de leur rôle »482. Ce dernier peut être nommé soit par arrêté du
ministre sectoriel, soit par arrêté du premier ministre, soit par arrêté
interministériel entre le ministre sectoriel et par exemple le ministre des Finances,
soit par décret483. La nomination par arrêté le place en position de faiblesse vis-
à-vis des directeurs et des directeurs généraux d’administration qui sont
nommés par décret. Sa nomination par décret aura, par contre, pour effet de
l’élever à « la même dignité » que les directeurs ou directeurs généraux484.

480
BOUVIER (M), ESCLASSAN (M-C), LASSALE (J-P), Finances publiques, Paris, LGDJ, 15e
édition, 2016, p. 340.
481
Planification /programmation/ budgétisation/ suivi.
482482
Cour des Comptes française, Rapport sur les résultats et la gestion budgétaire, exercice
2005, p.37.
483
BA (D. B.), Finances publiques et gestion par la performance dans les pays membres de
l’UEMOA : Etude du cas du Sénégal, Thèse de doctorat en Droit public, Université de Bordeaux,
30 mars 2015, p. 241.
484
Ibid.

222
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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1. La désignation par le ministre sectoriel

Le responsable de programme est un nouvel acteur dans le processus de


gestion du budget par la performance dans lequel il occupe une place
stratégique. Il apparait en effet comme « un maillon charnière entre la
responsabilité politique et la responsabilité de gestion »485. En vertu de la
directive relative aux lois de finances, il est nommé par ou sur proposition du
ministre sectoriel dont il relève486. Il intervient à la fois dans l’élaboration et le
pilotage des programmes. À ce titre, dans la zone CEMAC, il est investi de trois
missions principales à savoir : lors de la phase de formulation de son budget, il
élabore la stratégie de son programme et fixe, en accord avec son ministre de
tutelle, les objectifs et les résultats "cibles". Sur cette base et en fonction des
informations relatives à l’évolution des dotations qui lui seront allouées et de son
plafond d’emplois, il procède à la répartition des crédits et des emplois ; ensuite,
lors de la phase d’exécution, le responsable de programme est chargé de la mise
en œuvre du programme. Il gère les crédits et les emplois conformément aux
objectifs présentés et aux résultats recherchés et de façon compatible, dans la
durée, avec les objectifs de maîtrise de la dépense publique ; enfin,
postérieurement à l’exécution, le responsable de programme prépare son rapport
de performance. Il est garant de l'exécution du programme conformément aux
objectifs fixés par le ministre487.
Dans la conduite de ces missions, le responsable de programme pourra
être assisté des responsables de fonctions supports tels que les Directions des
Affaires Financières (DAF) et les Direction des Ressources Humaines (DRH). Ces

485
MORDACQ (F.), « Nouveaux acteurs de la gestion publique et responsabilité », RFFP, n°92-
novembre 2005, pp. 71-75.
486
Voir dans ce sens le Manuel de pilotage et d’exécution du budget programme janvier 2013,
p.11 ; le Ministre, en tant qu’ordonnateur principal du budget de son ministère, a la responsabilité
de la bonne exécution des programmes et de la production du RAP dudit ministère. Pour des
besoins opérationnels, il désigne un responsable pour la coordination des actions, des activités
et des taches de chaque programme. Ce responsable, en l’occurrence le responsable de
programme, joue un rôle de pilotage et de coordination de l’ensemble du programme.
487
Manuel de pilotage et d’exécution du budget programme janvier 2013, op cit. p. 11

223
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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derniers s’occupent de fonctions transversales, c’est-à-dire, communes à


plusieurs programmes du ministère. Un souci d’optimisation des moyens justifie
en effet que ne soit pas créées de DAF ou de DRH pour chaque programme488.
S’agissant de la place du responsable de programme dans l’organisation
administrative, il convient de rappeler que ce sont les structures administratives
qui devraient s’adapter aux politiques publiques, l’inverse paraissant peu
justifiable489. En effet, les crédits étant regroupés par politiques publiques, il
serait plus logique de décliner la chaine d’exécution en fonction de ces politiques
publiques. La nouvelle gestion publique constitue donc un cadre de
réorganisation administrative en ce sens que le programme regroupe « tout ou
partie des crédits d’une direction, d’un service, d’un ensemble de directions ou
de services d’un même ministère »490. Mais, dans la mesure où le responsable de
programme a besoin de l’autorité nécessaire pour la mise en œuvre de la politique
publique dont il a la charge, le choix est fait en pratique de désigner comme
responsable de programmes des hauts fonctionnaires, généralement directeurs
d’administrations centrales ou secrétaires généraux491. Frank MORDACQ relève
trois situations inhérentes à la désignation du responsable de programme :
- Le premier, aussi plus simple, est celui dans lequel un ou plusieurs
programmes correspondent à une direction de métier existante qui dispose de
son propre réseau de services. Dans ce cas, le directeur devient naturellement
le responsable du programme et dispose ainsi de leviers pour piloter ses services
et ses ressources.
- Le deuxième cas est celui où une politique publique est mise en œuvre
par plusieurs directions de métiers et que ces dernières ont été réunies dans un

488
BA (D. B.), Finances publiques et gestion par la performance dans les pays membres de
l’UEMOA : Etude du cas du Sénégal, Thèse de doctorat en Droit public, Université de Bordeaux,
30 mars 2015, p. 239.
489
Cour des comptes française, Rapport thématique sur la mise en œuvre de la LOLF, Novembre
2011, p. 52.
490
Article 58 de l’ordonnance de 1962 portant régime financier de l’Etat.
491
ALLIEZ (T.), « Quel bilan de la responsabilité managériale au sein de l'État, clef de la nouvelle
gestion publique ? », RFFP, n°123-septembre 2013, p. 158.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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programme confié à l’un des directeurs, soit à un responsable "ad hoc". Dans ce
cas, les directeurs de métiers continuent d’exercer la plénitude de leurs
compétences d’action, mais sous le pilotage du responsable de programme.
- Le troisième cas est celui dans lequel le programme est exécuté pour une
large part par un réseau de services locaux polyvalents, travaillant pour plusieurs
programmes, ces derniers étant placés sous une autorité unique. Dans ce cas, le
responsable de programme concerné doit bâtir avec eux, un mode de pilotage
de ces services polyvalents492.
Un point mérite cependant d’être éclairci. Il s’agit des relations
qu’entretiendront les responsables de programmes avec ceux des fonctions
supports, que sont, par exemple, la DAF et la DRH. En effet, le principe
d’imputabilité qui découle de l’engagement du responsable de programme sur les
objectifs commande qu’il assume seul tous les résultats du programme. En
retour, il doit avoir une plus large autonomie dans la gestion du personnel et des
crédits du programme493. Afin de conforter son autonomie, le responsable de
programme devrait être dans une position administrative plus élevée que celle
des responsables des fonctions supports494. En France, par exemple, un décret
de 2004 institue une « délégation de gestion » du responsable de programme
vers ces responsables de services transversaux. Il s’agit d’un acte par lequel le
chef d’un service, « le délégant », donne au chef d’un autre service, « le
délégataire », le pouvoir de réaliser des prestations pour son compte et en son
nom495. La délégation de gestion porte sur des actes de gestion et non sur la
mise en œuvre de l’ensemble de la politique. Il convient de préciser que « cette
procédure n’équivaut pas à un mouvement de crédits : ceux-ci restent

492
MORDACQ (F.), « Nouveaux acteurs de la gestion publique et responsabilité », op. cit., p. 72.
493
BA (D. B.), Finances publiques et gestion par la performance dans les pays membres de
l’UEMOA, op cit p.240.
494
Ibid.
495
France, Ministère de l’économie et des finances, Direction du budget, Circulaire en date du 27
mai 2005 relative à la mise en œuvre de la délégation de service.

225
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

budgétairement inscrits dans leur programme d’origine dont le responsable est


seul comptable de leur utilisation »496.
Il faut souligner l’importance de l’acte de nomination du responsable de
programme dans la mesure où « le mode de nomination des responsables de
programme constitue le premier facteur d’incertitude qui peut compromettre le
renforcement de leur rôle »497. Ce dernier peut être nommé soit par arrêté du
ministre sectoriel, soit par arrêté du premier ministre, soit par arrêté
interministériel entre le ministre sectoriel et par exemple le ministre des Finances,
soit par décret498. La nomination par arrêté le place en position de faiblesse vis-
à-vis des directeurs et des directeurs généraux d’administration qui sont
nommés par décret. Sa nomination par décret aura, par contre, pour effet de
l’élever à « la même dignité » que les directeurs ou directeurs généraux499.

2. La désignation par un acte administratif

Le responsable de programme est tout d’abord un fonctionnaire500 et, en


tant que tel, il est soumis à sa hiérarchie. Sa titularisation comme responsable de

496
NTSEGUE ANANGA (E-P), « La fongibilité des crédits en droit public financier camerounais »,
RAFIP, N°8, 2020, pp. 251-298.
497
Cour des Comptes française, Rapport sur les résultats et la gestion budgétaire, exercice 2005,
p.37.
498
Article 12 alinéa 3 de la constitution du 18 janvier 1996. Seuls le Président de la République et
Premier Ministre nomment par décret
499
AUBERT (J-F), « La hiérarchie des règles », " La supériorité d'une règle par rapport à une autre
peut, théoriquement, tenir à diverses qualités. On pourrait, d'abord, dire que les règles s'étagent
selon leur contenu, par rang d'importance. Les principes fondamentaux sont supérieurs aux
grandes règles, et celles-ci sont supérieures aux règles de détail. Cette conception est
évidemment conforme au sens commun. Chacun comprend que le principe d’égalité est plus
important que la règle de la progressivité de l’impôt, et qu’à son tour celle-ci est plus importante
que les règles sur la procédure fiscale ou sur la prescription de la dette d'impôt. Ou encore: que
le principe du suffrage universel et direct est plus important que la règle de la représentation
proportionnelle, laquelle est plus importante que les règles sur le panachage ou sur l’utilisation
des restes, etc. Tout cela est vrai mais ne nous conduit pas très loin".
500
La définition de fonctionnaire en droit camerounais résulté d’un arrêt du Conseil du
contentieux administratif en date 28 juillet, sieur ANONG Daniel c/Administration du Territoire :
« sont fonctionnaires, dit le juge, des personnes nommées aux emplois permanents et titularisées
dans un grade de la hiérarchie de l’administration ».

226
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

programme est l’acte unilatéral qui marque son entrée en fonction, dans le cadre
d’un lien permanent avec l’administration. C’est une opération ayant pour objet
de conférer à une personne un grade dans la hiérarchie de l’administration de
l’Etat501. Le pouvoir hiérarchique donne à son titulaire des prérogatives
importantes, tel le pouvoir de direction et d’organisation des services placés sous
son autorité502, le pouvoir de donner des instructions aux subordonnés et de
contrôler leurs actes. D’où l’importance d’étudier ses conséquences sur les droits
des fonctionnaires.
Le ministre auprès duquel sont mis à disposition les crédits doit désigner
le responsable de la fonction financière ministérielle et les responsables de
programme concernés503 :
- Cette désignation s’applique d’elle-même et il n’est pas juridiquement
nécessaire de la transposer ou de la répéter dans le décret d’organisation du
ministère.
- Aucun formalisme particulier n’est requis pour cette décision du ministre
; des lettres de mission qui seraient adressées au RFFIM504 et aux RPROG505
pourraient être valables. Toutefois, il peut être utile de donner à cette décision
une forme de publicité et certains types d’actes ministériels, comme les arrêtés,
sont les mieux à même de conférer cette publicité à la décision de désignation506.
- La décision de désignation est prise par le ministre en sa qualité de
responsable hiérarchique de son administration. Lorsque le ministre change, elle
continue à s’appliquer tant que le nouveau ministre n’a pas pris de décision
différente, ce qu’il peut faire discrétionnairement et à tout moment.

501
MBALLA OWONA (R), La notion d’acte administratif unilatéral au Cameroun, Thèse, Université
Yaoundé II, 2010, P. 75.
502
C.E, 7 février 1936, Jamart, rec. 172 ; S. 1937.3.113, note Rivero, GAJA no 52.
503
Voir Manuel de pilotage et d’exécution du budget programme, janvier 2013, p.12.
504
Responsable de la fonction financière ministérielle.
505
Responsable de programme.
506
Direction du budget I Recueil des règles de comptabilité budgétaire I J.O. du 08/02/2015.

227
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Enfin, pour assurer sa permanence en dépit des changements de


responsables, cette décision peut être fonctionnelle (exemples : le Secrétaire
général, le Directeur des affaires financières…) et non nominative.
Il est donc recommandé que le ministre désigne le RFFIM et les RPROG
relevant de son périmètre, par un arrêté non nominatif et publié au JO même si
cette procédure ne s'impose pas de façon exclusive.

B. Un ordonnateur contrôlé

Il s’agit à ce niveau du contrôle administratif. Le contrôle administratif


signifie essentiellement le contrôle interne aux administrations publiques, que
l’on appelle souvent le « contrôle de gestion » et que la plupart des
administrations publiques mettent en place pour autocontrôler leur propre
gestion. Plus précisément, le contrôle administratif est l’une des missions
importantes du ministère des finances. Il s’explique et se justifie pour protéger
les fonds publics. Il ne s’agit pourtant pas d’un monopole507. Le contrôle
administratif par le ministère des finances fait l’objet depuis quelques années
d’une actualisation, d’une modernisation. Les contrôles administratifs classiques
sont au nombre de cinq508 : redondants mais chacun présentant sa particularité.

1. La soumission aux objectifs généraux fixés par le ministre

Les responsables de programme sont nommés par ou sur proposition du


Ministre sectoriel dont ils relèvent. L’acte de nomination précise, le cas échéant,
les conditions dans lesquelles les compétences d’ordonnateur leur sont
déléguées, ainsi que les modalités de gestion du programme509.

507
En aval existe le parlement, en amont les juridictions financières.
508
Le contrôle de la régularité financière exercé par le comptable public, le contrôle financier, le
contrôle d’Etat ou contrôle économique et financier, le contrôle hiérarchique et l’inspection
générale des finances.
509
BARTOLI(A) et TROSA (S), Le management par le sens au service du bien public, Futuroscope
SCÉRÉN-CNDP-CRDP, 2011, disponible en ligne sur www.babordplus.univ-bordeaux.fr, consulté
le 12 novembre 2014, pp. 11 et 12.

228
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Sur la base des objectifs généraux fixés par le Ministre sectoriel, le


responsable de programme détermine les objectifs spécifiques, affecte les
moyens et contrôle les résultats des services chargés de la mise en œuvre du
programme. Il s’assure du respect des dispositifs de contrôle interne et de
contrôle de gestion.
Les modalités de mise en œuvre des contrôles budgétaires et comptables
prévus par la présente loi organique ainsi que par le décret portant règlement
général sur la comptabilité publique tiennent compte tant de la qualité et de
l’efficacité du contrôle interne que du contrôle de gestion pour chaque
programme510.
Sans préjudice de leurs missions de contrôle et de vérification de la
régularité des opérations financières, les corps et institutions de contrôle,
notamment la Chambre des Comptes, contrôlent les résultats des programmes
et en évaluent l’efficacité, l’économie et l’efficience.
A la lecture des dispositions relatives au régime financier de l’Etat, les
gestionnaires de programmes ne sont responsables que des résultats, de
l’efficacité, de l’économie et de l’efficience des programmes. Ils n’assument des
responsabilités financières ou comptables que dans les conditions dans
lesquelles les compétences d’ordonnateur leur sont déléguées.

2. La soumission aux pouvoirs hiérarchiques du ministre

Le principe hiérarchique veut que l’organisation du service soit « la chose


» du supérieur responsable511. Il en résulte que les fonctionnaires sont
uniquement chargés de l’exécution des ordres donnés dans ce cadre et que si
les mesures d’organisation du service ne portent atteinte ni aux avantages

510
MINTZBERG (H), Le management : voyage au centre des organisations, Paris, Les éditions
d'Organisation, 2004, disponible en ligne sur www.babordplus.univ-bordeaux.fr, consulté le 12
novembre 2014, p. 184.
511
Cf. les conclusions de MOUSSET sous C.E, 26 octobre 1956, association générale des
administrateurs civils, RDP 1956, p. 1309.

229
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

pécuniaires des fonctionnaires512, ni aux droits que les fonctionnaires tirent de


leur statut513, ni aux prérogatives qu’ils tiennent de leurs fonctions soit à titre
individuel, soit comme membre d’un corps514, ils ne sont pas recevables à les
contester devant le juge administratif515. Il s’agit là d’une limitation importante de
leurs droits.
En outre, ce principe impose au fonctionnaire d’obéir aux ordres de son
supérieur hiérarchique. Toute désobéissance est, en principe fautive et justifie
une sanction disciplinaire.
L’article 92 du décret n° 94/199 du 07 octobre 1994 modifié et complété
par le décret n° 2000/287 du 12 octobre 2000 confirme avec netteté que le
fonctionnaire « doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique,
sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à
compromettre gravement un intérêt public ». Cette disposition législative
reprend une jurisprudence inaugurée par l’arrêt LANGUEUR516 et confirmée
constamment par la jurisprudence postérieure.
Pour que le fonctionnaire puisse désobéir, il faut deux conditions
cumulatives : l’illégalité de l’ordre doit être manifeste et son exécution a pour
effet de compromettre gravement un intérêt public.
L’illégalité manifeste de l’ordre se rencontre essentiellement lorsque l’acte
du supérieur est inexistant, c’est-à-dire manifestement insusceptible de se
rattacher à un pouvoir de l’administration.
Quant à la seconde condition, à savoir que l’ordre soit de nature à
compromettre gravement un intérêt public, paraît le plus souvent déterminante.
De nombreux arrêts déclarent qu’« à supposer que l’ordre donné au requérant
[…] eût été manifestement illégal, un tel ordre n’était pas de nature à

512
C.E, Ass., 12 décembre 1952, Narbonne, rec. 574.
513
C.E, 1er juillet 1955, Charles, rec. 379 ; AJDA 1955, II, 302, conclusion Laurent et C.E, 3 février
1995, GRANOUX, rec. 883.
514
C.E, 12 décembre 1984, Melki, rec. 418.
515
C.E, 26 octobre 1956, Association générale des administrateurs civils.
516
C.E, sect., 10 novembre 1944, Langueur, rec. 288 ; D. 1945, p. 87, conclusion B. CHENOT ; JCP
1945, no 2852, note C. CHAVANON.

230
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

compromettre gravement un intérêt public ». Cependant, l’atteinte à un intérêt


public ne se réduit à la notion bien connue de trouble à l’ordre public. Il semble
bien qu’il faille lui adjoindre l’idée de trouble au fonctionnement du service public.
Dans toutes les espèces où les conditions de la désobéissance sont jugées
réunies par le juge administratif, l’ordre manifestement illégal porte uniquement
atteinte au fonctionnement du service public.
Une autorité administrative ne peut intervenir que si une règle de droit l’y
autorise. Généralement, cette règle de droit désigne précisément l’autorité
compétente pour prendre la mesure. Celle-ci doit donc, pour être valable, être
signée par l’autorité désignée.
La violation des règles de compétence est sévèrement sanctionnée par le
juge administratif517. En effet, il s’agit de règles d’ordre public, ce qui signifie que
l’incompétence de l’auteur de l’acte contesté est un moyen d’annulation qui doit
être soulevé d’office par le juge, et cela même si les parties ne l’ont pas invoqué.
La compétence peut être appréciée de différents points de vue : en
fonction de la matière traitée (compétence ratione materiae)518, en fonction du
lieu du siège de l’auteur de l’acte (compétence ratione loci)519, en fonction de la
date d’intervention de l’acte (compétence ratione temporis)520. Ces règles
connaissent une dérogation commune lorsque a vocation à s’appliquer la
jurisprudence des fonctionnaires de fait.

517
Arrêt n° 678/CCA, du 27 décembre 1967, sieur NDJOCK Paul c/ État du Cameroun : «
considérant que les règles de compétence étant d’ordre public, l’irrégularité d’un acte ne peut
être couverte par l’approbation ou les instructions de l’autorité compétente ». Dans le même sens,
arrêt n° 367/CCA du 03 septembre 1955, MINYEM Martial c/ Territoire du Cameroun.
518
Ibid.
519
Voir dans ce sens AUBY (J-M), L’incompétence ratione temporis, recherche sur l’application
des actes administratifs dans le temps, LGDJ, Paris, 1953.
520
Voir dans ce sens LIET-VEAUX (G), L’incompétence ratione loci, Revue administrative, 1964,
p. 29.

231
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

II. La globalisation indirecte de ses compétences en matière

budgétaire

Les différents régimes financiers de l’État font évoluer la logique de l’action


publique pour imposer une culture de gestion par les résultats. Ce faisant, cette
culture de gestion par les résultats implique de nombreux changements,
notamment en termes d’évolution du rôle des hauts fonctionnaires. A ce niveau,
nous nous intéressons plus particulièrement aux responsables de programmes
et nous nous interrogeons sur les marges de manœuvre dont ils disposent pour
exercer sa responsabilité managériale que la réforme lui attribue. Du fait de son
positionnement, le RP est au centre de la démarche de gestion par les résultats.
Toutefois, comme pour beaucoup d’autres objectifs attendus de la réforme, le
rôle et la responsabilité managériale qui lui a été confiée s’articule autour de son
intervention dans la préparation du budget (A) d’une part et, d’autre part, dans
l’extension de son pouvoir managérial (B).

A. La spécialisation des compétences dans la préparation budgétaire

Le responsable de programmes contribue aux étapes de préparation du


budget (bilan d’exécution, prospectives, conférences budgétaires, impact de la
décentralisation, rédaction des rapports). Il apparaît ainsi comme un acteur clé
de la réforme et chaque programme doit avoir un responsable clairement
identifié. Le responsable de programme a trois missions principales: l’élaboration
de la stratégie et du budget du programme. Le responsable de programme
élabore la stratégie de son programme et fixe, en accord avec son ministre de
tutelle, les objectifs et les résultats attendus. Il procède à la répartition des
crédits et des emplois qui lui sont alloués, en déterminant le niveau pertinent de
déconcentration du programme ; le pilotage du programme. Le responsable de
programme organise et conduit le dialogue de gestion. Il pilote les services
chargés d’exécuter la politique publique mise en œuvre à travers le programme.
Il décline les objectifs stratégiques en objectifs opérationnels adaptés aux

232
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

compétences de chacun des services. Il assure ainsi une démarche de


performance à tous les niveaux d’exécution du programme. Enfin, il est chargé
de la mise en œuvre du programme. A ce titre, il gère les crédits et les emplois
de son programme conformément aux objectifs présentés et aux résultats
recherchés et de façon compatible, dans la durée, avec les objectifs de maîtrise
de la dépense publique.

1. L’élaboration de la stratégie du programme

En octobre 2009, le Cameroun a adopté une nouvelle stratégie de


développement, le Document de Stratégie pour la Croissance et l’Emploi (DSCE),
cadre de référence de l’action gouvernementale pour la période 2010-2020.
Cette stratégie nationale vise à s’attaquer directement à certains des facteurs
qui limitent la croissance au Cameroun et à la réalisation des grands chantiers
structurant du Cameroun.
Le DSCE, en vigueur depuis 2010, ambitionne de : porter la croissance à
5,5% en moyenne annuelle sur la période 2010 - 2020 ; ramener le sous-emploi
de 75,8% à moins de 50% en 2020 ; et ramener la pauvreté monétaire de 39,9%
en 2007 à 28,7% en 2020. Le DSCE comprend une stratégie de croissance, une
stratégie de l’emploi et un volet visant à la gouvernance et à la gestion
stratégique de l’Etat521.
Le MINFI est fortement impliqué dans le financement de l’économie, qui
est une composante de la stratégie de croissance du DSCE et dans le volet «
gouvernance et gestion stratégique de l’Etat » du DSCE. De plus, le budget de
l’Etat est un élément clef, et sans doute le plus important, dans la mise en œuvre
des politiques publiques qui sont financées à travers le budget. Dans ces
conditions, le MINFI qui est responsable de la supervision de la gestion des
finances publiques et des affaires budgétaires est particulièrement impliqué
dans la mise en œuvre du DSCE.

Lettre de Marché N°2012/290991 Contrat Cadre EuropeAid: 127054/C/SER/multi - Lot 11


521

Macroéconomie, Statistiques et Gestion des Financespubliques, p. 29.

233
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Comme précisé dans le DSCE, le financement de l’économie s’effectue


selon les axes suivants, dans lesquels le MINFI joue un rôle clé :
La politique fiscale qui doit, dans le contexte de la mise en œuvre du DSCE
à la fois contribuer à la mobilisation des ressources, encourager l’épargne et
l’investissement et favoriser l’environnement des affaires.
La Politique bancaire : L’Etat entend proposer à la régulation monétaire, à
travers le MINFI, des actions visant à encourager les banques à privilégier le
financement de l’investissement privé par rapport aux services ordinaires de
banque.
Le Développement de la microfinance : la politique gouvernementale est
d’intensifier les actions de formation des acteurs dans les entreprises de
microfinance (EMF) ; mettre en place une supervision et de contrôle des EMF; et
renforcer davantage la monétarisation de notre économie, notamment par
l’extension de l’automatisation des systèmes de paiement aux EMF.
La Stratégie d’endettement : le Gouvernement entend mener une politique
d’endettement prudente et veiller à une gestion soutenable de la dette publique
assise sur une stratégie d’endettement cohérente avec le cadre
macroéconomique et les objectifs budgétaires à moyen terme. La stratégie
d’endettement comprend la diversification des sources de financement. Ainsi le
Cameroun s’est engagé depuis 2010 dans une politique de mobilisation des
ressources internes par voie d’émission de titres publics522. Concernant le volet
du DSCE « gouvernance et gestion stratégique de l’Etat », le MINFI est fortement
impliqué dans la conduite des composantes suivantes :
L’Amélioration de l’environnement des affaires. La politique fiscale veillera
à encourager l’investissement. Une transparence accrue de la réglementation
fiscale et des mécanismes de recours faciliteront l’acceptation de l’impôt par le
secteur privé. De même, la création d’institutions financières spécialisées d’appui

522
Emprunt obligataire et émission de bons du Trésor.

234
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

aux petites et moyennes entreprises et le développement de la microfinance


contribueront sensiblement à améliorer le climat des affaires523.
La Protection de l’espace économique national. Les services douaniers
lutteront énergiquement contre la fraude, la contrebande, la contrefaçon, le
commerce et le trafic illicite à l’intérieur et aux frontières du territoire national.
La Consolidation du processus de décentralisation524. La consolidation du
processus de décentralisation, interpelle dans sa dimension financière,
l’accompagnement du MINFI pour les aspects liés : à la maturation et
l’opérationnalisation de la fiscalité locale ; et au développement des mécanismes
budgétaires, comptables et financiers, au développement des outils et de l’appui
technique pour le suivi de l’exécution des ressources transférées. Au plan
institutionnel, le MINFI a largement contribué à l’élaboration d’un cadre juridique
adapté, qui comprend la loi 2009/011 du 10 juillet 2009 portant Régime Financier
des Collectivités Territoriales Décentralisées (CDT) et la loi portant fiscalité
locale du 15 décembre 2009.
La Modernisation de l’administration par la promotion de la GAR. La loi
2018/012 portant régime financier de l’Etat et les directives de la CEMAC de
décembre 2011 définissent le cadre d’une gestion budgétaire axée sur les
résultats.
La Gestion des ressources humaines de l’Etat. Le renforcement de la
déconcentration de la gestion du personnel de l’Etat. Pour le renforcement de la
déconcentration de la gestion du personnel de l’Etat, le MINFI est chargé du
développement d’un système intégré de gestion de la carrière et de traitement
des salaires des personnels de l’Etat ainsi que de la mise à jour de leurs positions
d’affectation en liaison avec le Ministère de la Fonction Publique et de la Réforme
Administrative.

523
ETOGO (P-L), Les incitations fiscales et l’investissement au Cameroun, Thèse, Université
Douala, 2021, p.120.
524
Loi n°2019/024 du 24 décembre 2019 portant code général des collectivités territoriales
décentralisées

235
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

La gestion budgétaire Le MINFI est responsable de la supervision du


budget de l’Etat. A ce titre outre les opérations de mobilisation des ressources
mentionnées ci-dessus, il a un rôle essentiel pour le succès de la stratégie
nationale à jouer dans la réalisation des objectifs d’une bonne gestion budgétaire.

2. La détermination des objectifs et des résultats du programme

Si l’existence d’objectifs se trouve explicitement au cœur de la démarche


de performance promue par la nouvelle gestion publique525, elle traverse
également le système de responsabilité politique. A cet égard, Olivier Beaud
insiste sur le fait que «la responsabilité, au sens constitutionnel du terme,
présuppose [...] qu’il est possible d’identifier des objectifs ou des standards à
atteindre par ceux qui sont responsables »526. Marqué par le sceau de la
performance, le responsable de programme est, comme tout gestionnaire, lié par
un certain nombre d’objectifs en l’occurrence assez clairement identifiables.
L’article 32 de la LRFE dispose qu’un programme regroupe les crédits destinés à
mettre en œuvre une action ou un ensemble cohérent d'actions relevant d'un
même ministère et auquel sont associés des objectifs précis, définis en fonction
de finalités d'intérêt général, ainsi que des résultats attendus et faisant l'objet
d'une évaluation. L’existence d’objectifs fait ici figure d’obligation légale. Outre
l’efficacité et l’efficience, les objectifs généraux de la démarche de performance
de la gestion527, d’autres objectifs plus spécifiques au programme dont il a la

525
GUILLAUME (H), DUREAU (G), SILVENT (F), Gestion publique. L’Etat et la performance, Paris,
Presses de Science Po et Dalloz, 2002, p. 20.
526
BEAUD (O), « La responsabilité politique face à la concurrence d’autres formes de
responsabilité des gouvernants », Pouvoirs. La responsabilité des gouvernants, Paris, Seuil,
2000, n°92, p.108.
527
L’efficacité est classiquement définie comme la bonne réalisation des objectifs, tandis que
l’efficience vise «le meilleur rapport entre les moyens et les résultats» (BARILARI (A), Les
contrôles financiers, comptables, administratifs et juridictionnels de finances publiques, Paris,
LGDJ, 2003, p. 27).

236
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

charge s’ajouteront conformément à la volonté du ministre sous l’autorité duquel


il se trouve528.
L’objectif se trouve donc au cœur du rapport qui unit le responsable de
programme et le ministre sous l’autorité duquel il agit. Cette prégnance de
l’objectif relève d’un mouvement plus vaste de transformation des modes
d’action publique, dont l’un des aspects caractéristiques est le phénomène de
contractualisation529. S’il ne fait aucun doute que le développement de cette
technique vaut également pour les gestionnaires, il importe de noter que les
objectifs assignés au responsable de programme ne voient pas pour autant leur
statut basculer vers celui d’obligation contractuelle. Sylvie TROSA a montré que,
dans le secteur public, le recours au contrat empruntait deux formes : le contrat
légal et la démarche contractuelle ; dans le cadre de cette dernière, la
contractualisation est un procédé de gestion concertée qui n’emporte pas toutes
les conséquences juridiques classiques du recours au contrat530.
Cette analyse semble s’imposer s’agissant des responsables de
programme. Malgré la clarté relative des objectifs qui sont les leurs, ils ne doivent
pas être vus comme un vecteur de fixité. Bien que ces objectifs soient exprimés
par des indicateurs, ceux-ci ne sauraient valoir automatiquement sanction. Ainsi,
l’appréciation de la réalisation des objectifs est établie, de la même façon que
l’appréciation d’une conduite gouvernementale, « par référence à une série de
critères qui dépendent de la fonction tenue, des idées politiques [...] et d’autres
circonstances »531. C’est l’idée selon laquelle l’appréciation de la réalisation des

528
Il convient de noter que les objectifs assignés au responsable de programme sont en fait
double, comme le relève la Cour des comptes, les objectifs et indicateurs qui figurent dans les
lettres de mission des RPROG diffèrent fréquemment de ceux qui figurent dans les projets
annuels de performance et rapports annuels de performance (Cour des comptes française,
Rapport sur la mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) : pour de
nouvelles perspectives, novembre 2011, p. 162).
529
Conseil d’Etat, Rapport public 2008. Le contrat, mode d’action publique et de production de
normes, Paris, La Documentation française, 2008.
530
TROSA (S), Quand l’Etat s’engage: la démarche contractuelle, Paris, Editions d’Organisation,
1999, p. 82.
531
BEAUD (O), op cit.

237
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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objectifs et plus généralement du travail du responsable de programme est libre.


Comme pour la responsabilité politique, il s’agit donc bien d’objectifs politiques
et non d’obligations légales.
Le programme comprend deux aspects interdépendants : mettre la
performance au cœur de l’action publique et responsabiliser les acteurs publics
; ces différents éléments se cristallisent pour donner naissance à une nouvelle
catégorie d’acteurs publics : les gestionnaires.
Stricto sensu, les gestionnaires désignent « l’ensemble des acteurs
financiers publics révélés par la LOLF. En référence à une autonomie dans la
consommation de crédits financiers dans le cadre de l’exercice d’une activité, la
notion de gestionnaire appelle à considérer comme relevant de cette catégorie
les autorités qui mettent en œuvre la fongibilité des crédits. Par conséquent, le
terme de gestionnaire recouvre en priorité la fonction de responsable de
programme et celle de responsable de budget opérationnel de programme »532
bien qu’on tende aujourd’hui à considérer que cette catégorie s’étend au-delà533.
Fer de lance de la nouvelle gestion publique534 , le responsable de
programme fait pourtant figure de grand oublié535 . Non-mentionné par la LRLF
de 2007, il doit sa consécration juridique de manière sibylline à l’alinéa 4 (3°) de
l’article 51 de la LRFE qui le range parmi « les acteurs de la gestion»536. Malgré
cette mention, Michel Bouvier constate qu’encore aujourd’hui « aucun texte ne

532
THEBAULT (S), L’ordonnateur en droit public financier, Paris, LGDJ, 2007, p. 221.
533
GAULLIER-CAMUS (F), La responsabilité financière des gestionnaires publics, Thèse
Bordeaux, dactylographiée, 2018.
534
«Le Responsable de programme est le maillon central de la nouvelle gestion publique [...].
Placé sous l’autorité du ministre, il participe à l’élaboration des objectifs stratégiques du
programme dont il a la charge : il est le garant de sa mise en œuvre opérationnelle et s’engage
sur la réalisation des objectifs associés », Direction du budget, Guide pratique de la LOLF.
Comprendre le budget de l’Etat, juin 2012, p. 32.
535
« La définition du rôle de responsable de programme [...] reste imprécise », Cour des comptes,
Rapport sur les résultats et l’exécution budgétaire de l’Etat de l’année 2005 —Synthèse, 2006, p.
11.
536
Article 51 alinéa 4 de la LRFE de 2007.

238
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

définit leur statut »537. Or, le décalage entre la place considérable de l’acteur et
l’encadrement dont il fait l’objet continue d’interpeler.
Conformément à la logique de la LRFE, les responsables de programme
sont chargés de missions multiples, qui les conduisent à intervenir à tous les
stades de la vie du ou des programmes dont ils ont la charge. Leur action
s’organise ainsi autour de trois axes principaux que sont : « l’élaboration de la
stratégie et du budget du programme [...], le pilotage du programme [...] le
compte rendu et la responsabilité »538. De surcroit, il convient de mentionner qu’il
ne s’agit pas uniquement d’intervention mais que « sous l'autorité du ministre
concerné, le responsable de programme a la charge»539 de ces différentes
missions. Plus qu’un exécutant, le responsable de programme apparaît, au vu de
ses missions, comme un acteur doté d’un véritable pouvoir de décision,
consubstantiel à son rôle stratégique. Ces éléments donnent une acuité
particulière au vieux poncif du droit politique qui veut qu’au pouvoir corresponde
symétriquement la responsabilité540. Le questionnement sur la faiblesse de la
prise en compte textuelle du responsable de programme trouve alors une
dimension nouvelle, sur la base de l’impérieuse problématique de la
responsabilité541.
Fruit du mouvement de responsabilisation des acteurs publics qu’il incarne
comme l’indique sa dénomination, le responsable de programme ne saurait en
toute hypothèse être considéré comme irresponsable. Au contraire, en pratique,
il l’est en fait à plusieurs égards. En tant qu’il est chargé de la consommation des
crédits budgétaires, le responsable est logiquement considéré comme un
ordonnateur. A ce titre, il est en principe financièrement responsable devant la

537
BOUVIER (M), Finances publiques, 17e éd., Issy-les-Moulineaux, LGDJ, 2018, p. 486.
538
Ibid.
539
Voir article 62 alinéa 2 de la loi n° 2018/012 du 11 juillet 2018 portant RFE du Cameroun
540
Sur la responsabilité comme contrepartie du pouvoir, voir par exemple BUGE (E), Droit de la
vie politique, Paris, PUF, 2018, p. 197.
541
.BARILARI (A), «Réforme de la gestion publique et responsabilité des acteurs», AJDA, 4 avril
2005, n°13, p. 696.

239
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Cour de discipline budgétaire et financière542., Il importe de relever que même en


cas d’irrégularité, ce dernier peut bénéficier de la substitution d’irresponsabilité
du ministre dont il dépend543. Enfin, et c’est là l’élément essentiel, la
responsabilité financière qui s’impose au responsable de programme n’est pas
tant liée à sa qualité de gestionnaire qu’à sa qualité d’ordonnateur. En ce sens,
ce système de responsabilité n’apparaît pas pleinement conforme à la
perspective de la nouvelle gestion publique544 dont les prolongements dépassent
la logique purement juridique fondée sur le rapport de régularité545.
De la même manière, il conviendra d’écarter la responsabilité
administrative du responsable de programme dont l’office n’est pas
exclusivement la sanction des obligations qui lui incombent en cette qualité, mais
bien davantage de l’ensemble des obligations qui sont les siennes en sa qualité
d’agent administratif. Le champ de la responsabilité managériale est donc
distinct, sinon restreint, par rapport à celui de la responsabilité professionnelle
de l’agent546. Juridiquement, les deux systèmes diffèrent car la responsabilité
professionnelle repose sur deux notions : l’insuffisance professionnelle, qui
sanctionne « un comportement professionnel permanent et déficient »547 et, la
faute sanctionnant les comportements tendant à troubler la pérennité de l’ordre
institutionnel548. La responsabilité professionnelle repose principalement sur un

542
Article L312-1 du Code des juridictions financières.
543
Article L313-9 du Code des juridictions financières.
544
LAMBERT(A), MIGAUD (D), Note sur les contours de la responsabilité des responsables de
programmes, Annexe au rapport au Gouvernement, LAMBERT (A), MIGAUD (D), La mise en œuvre
de la loi organique relative aux lois de finances, Réussir la LOLF, clef d’une gestion publique
responsable et efficace, septembre 2005, p. 9.
545
THEBAULT (S), op. cit., p. 218. L’auteur montre utilement que le mouvement de
responsabilisation des acteurs publics, traversant les réformes financières, est évidemment
centré sur la performance mais que cette dernière ne saurait l’épuiser. En effet, le rapport de
régularité demeure crucial.
546
HA-THI (L), « Des rapports entre responsabilités managériale et politique. Analyse théorique
autour du statut des responsables de programme », Jurisdoctoria, www.jurisdoctoria.net, 2019,
p. 1-26.
547
MARC(É), « Les agents publics », in GONOD (P), MELLERAY (F), YOLKA(P), Traité de droit
administratif, Tome 2, Paris, Dalloz, 2011, p. 388.
548
Ibid.

240
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

principe de « répression particulière»549. Corollairement, la sanction se révèle


nécessairement répressive. Ce caractère est absent du système de
responsabilité managériale qui repose sur une appréhension des résultats de
l’activité du gestionnaire pour eux-mêmes, dénuée de toute dimension morale.
Ainsi appréciés, les résultats ne donnent pas lieu à la sanction de comportements
manifestement défaillants car, la responsabilité managériale sanctionne la
performance positive comme négative. La responsabilité professionnelle ne
permet donc pas d’embrasser toute la particularité du rôle qui incombe aux
gestionnaires et qui substitue l’objectif à l’obligation, dans une logique purement
opérationnelle.
Envisager la responsabilité des gestionnaires impose cependant de tenir
compte des contraintes administratives, qui s’imposent à lui et qui structurent la
responsabilité professionnelle. En effet, bien que la LRFE ait pour ambition de
faire primer la logique fonctionnelle sur les logiques organiques, on ne saurait
penser que les secondes ont totalement disparu. Précisément, cette capacité à
transcender les structures administratives pose question et contraint donc à
tenir compte de certains des éléments phares de cette organisation. C’est
notamment le cas du principe hiérarchique qui surdétermine assez largement les
cadres de la responsabilité des gestionnaires.
L’examen de ces régimes de responsabilité publique a mis en évidence le
fait que le responsable de programme n’était pas véritablement pris en compte
dans ce qui fait sa spécificité : sa qualité de gestionnaire; qualité dont les aspects
saillants échappent aux logiques verticales et tranchées du droit. Suivant
Stéphane THEBAULT, il est permis de penser qu’avec l’émergence des
gestionnaires, est apparu un nouveau type de responsabilité ajustée aux
caractéristiques de ces acteurs : la responsabilité managériale550. Celle-ci se
fonderait « sur l’appréciation de la qualité des actions menées par les autorités
publiques par rapport à des critères de performance préalablement déterminés.

549
MELLERAY (F), Droit de la fonction publique, Lonrai, Economica, 2016, p. 425.
550
S. THEBAULT, op. cit., p. 233 et s.

241
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Elle est mise en œuvre tout au long de la chaîne des autorités et consiste en
l’évaluation et la sanction, positive ou négative, de la qualité de la gestion de
chaque gestionnaire par son autorité de référence »551. Cette définition met en
lumière l’autonomie de ce système de responsabilité répondant à une rationalité
propre552.
Filant sa description de cette forme nouvelle de responsabilité, l’auteur
développe ensuite l’idée selon laquelle la responsabilité politique pourrait être
considérée comme une forme particulière de responsabilité managériale553. Il
s’appuie alors sur l’idée selon laquelle la responsabilité politique ministérielle «
participerait de la structuration d’une chaîne de responsabilité, du ministre au
gestionnaire, en passant par le responsable de programme »554 et, qu’au
demeurant, il serait possible de considérer les ministres comme des
gestionnaires. S’il apparaît effectivement possible de penser l’ensemble de
l’action publique sous ce prisme empreint d’« économisme »555, il n’est pas neutre
d’envisager les ministres comme des gestionnaires. Effectivement, se retrouve
pleinement appliquée l’idée exposée par Foucault selon laquelle « la grille
économique va pouvoir, doit pouvoir permettre de tester l’action
gouvernementale, jauger sa validité, permettre d’objecter à l’activité de la
puissance publique ses abus, ses excès, ses inutilités, ses dépenses
pléthoriques. Bref, il s’agit avec l’application de la grille économiste non plus,
cette fois, de faire comprendre des processus sociaux et de les rendre
intelligibles ; il s’agit d’ancrer et de justifier une critique politique permanente de
l’action politique et de l’action gouvernementale »556.

551
Ibid.
552
Rationalité managériale dont on trouve la description chez CAILLOSSE (J), « Les figures
croisées du juriste et du manager dans la politique française de réforme de l'Etat », RFAP, vol.
n°105-106, 2003, n°1, p. 123.
553
THEBAULT (S), op. cit., p. 235.
554
Ibid. p. 338.
555
CAILLOSSE (J), article précité, p. 123.
556
FOUCAULT (M), op. cit., p. 252.

242
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

B. L’extension des pouvoirs dans l’exécution budgétaire

Dans la mise en œuvre du programme, le responsable de programme met


en place le contrôle interne et le contrôle de gestion. Il est le garant de l’exécution
du programme conformément aux objectifs fixés par le ministre et il prépare le
rapport annuel de performance. Il conviendra d’écarter la responsabilité
administrative du responsable de programme dont l’office n’est pas
exclusivement la sanction des obligations qui lui incombent en cette qualité, mais
bien davantage de l’ensemble des obligations qui sont les siennes en sa qualité
d’agent administratif. Le champ de la responsabilité managériale est donc
distinct, sinon restreint, par rapport à celui de la responsabilité professionnelle
de l’agent557. Juridiquement, les deux systèmes diffèrent car la responsabilité
professionnelle repose sur deux notions: l’insuffisance professionnelle, qui
sanctionne «un comportement professionnel permanent et déficient»558 et, la
faute sanctionnant les comportements tendant à troubler la pérennité de l’ordre
institutionnel559. La responsabilité professionnelle repose principalement sur un
principe de « répression particulière »560. C’est le lieu de l’exercice du pouvoir de
contrôle et de l’inflexion de la rigueur budgétaire.

1. L’inflexion de la rigueur budgétaire dans le management

Il faut reconnaître que « la qualité d’un droit budgétaire se mesure, autant


à la façon dont il assure le respect des principes traditionnels, qu’à celles dont
il organise les exceptions à ces principes »561. L’avènement de la budgétisation
par programme a permis non seulement la transformation et la rénovation de ces

557
HA-THI (L), « Des rapports entre responsabilités managériale et politique. Analyse théorique
autour du statut des responsables de programme», Jurisdoctoria, www.jurisdoctoria.net, 2019,
p. 1-26.
558
MARC(É), « Les agents publics », in GONOD (P), MELLERAY (F), YOLKA(P), Traité de droit
administratif, Tome 2, Paris, Dalloz, 2011, p. 388.
559
Ibid.
560
MELLERAY (F), Droit de la fonction publique, Lonrai, Economica, 2016, p. 425.
561
CHARRIER (J) « Les grands principes de la comptabilité publique ». In, Cahiers de la
comptabilité publique, n°1, centre de publication de l’Université de Caen, 1989, p.223.

243
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

principes562, mais a aussi rendu parfois difficilement applicable la rigidité des


principes classiques des finances publiques. Ceux-ci pouvant se révéler
contradictoires avec les besoins de gestion563, voire illusoires avec la recherche
d’efficacité564. C’est dans ce contexte que la fongibilité des crédits vient atténuer
la rigidité des principes classiques du droit budgétaire. En effet, elle ne remet
pas en cause formellement les principes en vigueur, mais elle induit
l’infléchissement de l’annualité par le report des crédits et l’inflexion de la
spécialité par les virements et les transferts de crédits.

a. L’inflexion par la fongibilité des crédits

Le principe d’annualité trouve ses origines historiques dans la


revendication d’un consentement périodique à l’impôt par les représentants de
la nation565. Si le principe d’annualité constitue la pierre angulaire du droit
budgétaire, des dérogations rendues possibles par l’ordonnance de 1962
l’avaient en partie vidée de son contenu. La loi portant régime financier de l’Etat
et des autres entités publiques, encadre plus fortement ces dérogations en
reconnaissant la nécessité d’une certaine souplesse en gestion. Au-delà de la
pluriannualité qu’elle consacre pour la réalisation des projets d’investissement, la
loi accorde par le principe de fongibilité des crédits la possibilité aux
gestionnaires publics de reporter les crédits. Cette mesure qui constitue une
inflexion au principe d’annualité cadre avec les nouvelles exigences de la

562
MBASSA (G), Les principes des finances publiques à l’épreuve du budget programme en Droit
camerounais, Thèse de Doctorat Ph/D en Droit public, Université de Yaoundé II-Soa, 2019.
563
RUPRICH-ROBERT (C), « Comment concilier les démarches de pilotage des politiques et
processus budgétaire dans la gestion locale », RFFP, 1er août 2014, n° 127, P. 273. La loi portant
régime financier de l’Etat et des autres entités publiques en consacrant le principe de fongibilité
des crédits apporte des atténuations aux principes classiques du droit budgétaire pour surmonter
les impératifs liés à la gestion moderne des finances publiques. Il faut déjà reconnaitre que si
certains principes budgétaires sont maintenus, les mouvements de crédits qui s’opèrent au sein
d’un programme apportent des inflexions à l’annualité budgétaire et au principe de spécialité
budgétaire.
564
BOUVIER (M), ESCLASSAN (M-C), LASSALE (J-P), Finances publiques, op cit, p.18.
565
BENETAU (J), « La remise en cause du principe de l’annualité budgétaire », Thèse Université
Paul Cézanne Aix- Marseille III, 2008, p.12.

244
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

gouvernance financière publique car pour dissimuler le risque d’une rigidité


excessive et limiter les errements préjudiciables à la bonne gestion des crédits,
des possibilités dérogatoires de report des crédits non utilisés sont institués. Le
constat fait par la doctrine semble claire là-dessus : « l’annualité devient peut-
être l’obstacle le plus important à une saine gestion publique »566. Cette réalité
rend nécessaire l’étude de ses régimes dérogatoires au Cameroun567.
Prévu par l’ordonnance de 1959568, le principe d’annualité allait être
reconduit par l’ordonnance du 07 février 1962569, puis par la loi portant régime
financier de l’Etat de 2007570 et enfin par la loi portant régime financier de l’Etat
et des autres entités publiques571. En effet, l’annualité budgétaire signifie que
l’autorisation budgétaire et l’exécution du budget s’inscrivent tant en recettes
qu’en dépenses au cours d’une année. Traditionnellement, le principe d’annualité
budgétaire se présente sous un double aspect. Il signifie d’une part que l’Etat
choisit de limiter à un an son horizon financier. Interprété strictement, il interdit
d’inscrire dans la loi de finances des autorisations portant sur plusieurs années.
Il signifie d’autre part, que le Gouvernement doit utiliser dans l’année les
autorisations accordées. L’imposition d’une périodicité brève dans l’exécution du

566
LEVOYER (L), « vers un modèle de gestion publique ? » in réformes des finances publiques et
modernisation de l’administration, HERTZOG (R) (mél à), Economica, Paris, 2011, p.337.
567
OWONA NDOUGUESSA (F.L), Les dérogations au principe de l’annualité en droit budgétaire
camerounais, Mémoire pour l’obtention du Diplôme d’Etude Approfondies, année 2008-2009.
568
Au terme de l’article 1er de l’ordonnance n° 59-61 du 29 novembre 1959 réglant le mode de
présentation et les conditions générales d’exécution du budget de l’État camerounais « Le budget
de l’État prévoit et autorise en la forme législative les charges et les ressources de l’État, dont il
détermine la nature et le montant. Il fixe en terme financier les objectifs économiques et sociaux
du gouvernement, il est arrêté annuellement par l’Assemblée législative dans le cadre de la loi de
finances ». L’article 3 de l’ordonnance qui énonce que « Le budget de l’État englobe pour une
période de douze mois, allant du 1er juillet au 30 juin de l’année suivante, la totalité des charges
et des ressources prévisibles de l’État… ».
569
L’article 3 dispose que « le budget englobe pour une période de douze mois ou exercice allant
du 1er juillet au 30 juin de l’année » suivante, la totalité des charges et des ressources prévisibles
de l’État ».
570
Article 5(1) « Le budget décrit les ressources et les charges de l’État autorisées par la loi de
finances sous forme de recettes et de dépenses, dans le cadre d’un exercice budgétaire ».
571
Article 4 de la loi N°2018/012 du 11 juillet 2018 : (1) « Le budget décrit les ressources et les
charges de l’Etat autorisées par la loi de finances, sous forme de recettes et dépenses, dans le
cadre d’un exercice budgétaire » ; (2) « L’exercice budgétaire couvre une année civile ».

245
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

budget permet de garantir l’efficacité du contrôle parlementaire sur les finances


de l’Etat. Toutefois, l’annualité budgétaire sera progressivement remise en cause.
La fongibilité des crédits qui facilitent les mouvements de crédits dans l’optique
de l’atteinte du résultat vient donc apporter une certaine inflexion au principe
pour l’adapter aux impératifs de la gestion moderne des finances publiques572.
En effet, ce processus d’inflexion de l’annualité budgétaire est révélateur
de l’ascendance qui est en train de se produire entre politique et gestion. Une
ascendance qui prend la figure de la nouvelle gouvernance financière publique
au sein d’un environnement culturel qui, finalement, n’a que depuis peu le souci
de gérer rationnellement l’argent public573. Dès lors, les reports de crédits
constituent des procédés de modification des crédits dans le temps. Le report
de crédit est une décision au terme de laquelle un crédit accordé pour une année
donnée et non consommée peut venir s’ajouter à la dotation correspondante du
budget de l’année suivante574. Prévus par les textes financiers antérieurs, les
reports de crédits sont prévus par la loi portant régime financier de l’Etat dans
l’optique de l’atteinte des résultats d’un programme budgétaire. C’est donc dire
que le programme budgétaire permet aujourd’hui de réorienter le sens et même
la portée des reports de crédits575. Le report de crédit semble alors nécessaire
pour éviter le gaspillage des ressources et réorienter les reliquats de crédits
d’une année à une autre pour l’atteinte du résultat576.

572
NTSEGUE ANANGA (E-P), « La fongibilité des crédits… », op cit.
573
BOUVIER (M), ESCLASSAN (M-C), LASSALE (J-P), Finances publiques, op cit, p. 332.
574
MICHEL(P), Les finances publiques DE A à Z, Dictionnaire de droit budgétaire et de
comptabilité publique, éditions ESKA, 1998, p.140.
575
LAURENT (M), « Les réformes budgétaires vues par les reformes internationales » in, Réforme
des Finances Publiques, La Conduite du Changement, Actes de la IIIe Université de printemps de
Finances Publiques du Groupement Européen de Recherches en Finances Publiques (GERFIP),
LGDJ, 2007pp.113.
576
MEDE (N), « Réflexion sur le cadre harmonisé des finances publiques dans l’espace UEMOA »,
RASJ, n° 2014, p. 195. Pour l’auteur en effet « En pratique, la sociologie administrative nous
enseigne que les agents publics, détenteurs d’un pouvoir de décision financière, ont une
propension naturelle à « vider leurs comptes », c’est-à-dire assécher les lignes budgétaires sur
lesquelles ils ont des reliquats de crédit, et donc à inventer, initier ou proposer des actions
desquelles il résultera des dépenses pour la puissance publique, à due concurrence des crédits
qu’ils risquent de perdre à la clôture de l’année budgétaire. L’expérience montre que cette

246
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Naguère, les dispositions relatives aux reports de crédits étaient éparses


dans l’ordonnance de 1962577 et ne permettait pas une gestion performante des
finances publiques. La loi de 2018 qui vient abroger les dispositions sus
évoquées prévoit en son article 41 les mécanismes et modalités de report des
crédits budgétaires. Tout en conservant de façon globale la consistance retenue
par le législateur de 2007, celui de 2018 a introduit quelques changements. Ainsi,
il prohibe le report des autorisations d’engagement non utilisées à la fin d’une
année budgétaire578. A contrario, il autorise le report, sur un même programme
ou une même dotation, des crédits de paiement disponibles sur un programme à
la fin de l’année. Ceci doit être fait dans la limite des autorisations d’engagement
effectivement utilisées, mais n’ayant pas encore donné lieu au paiement579.
Au-delà de l’inflexion du principe d’annualité, la fongibilité des crédits
remet en cause la rigidité du principe de spécialité budgétaire par les virements
et les transferts de crédits qu’il est possible d’opérer pour mettre en œuvre les
programmes budgétaires de façon performante. C’est d’ailleurs la même
philosophie qui touche le principe de spécialité budgétaire.

b. L’inflexion par la dérogation à la spécialité budgétaire

Ce principe est capital. Il signifie que les crédits ouverts en loi de finances
le sont pour un objet déterminé : le budget doit être lisible et est désormais
organisé selon les politiques publiques580. Le principe de la spécialité budgétaire
est incontestablement comme celui qui a subi des mutations profondes
découlant des exigences contemporaines de la nouvelle gestion financière

consommation forcenée de crédit débouche, de façon tendancielle, sur du gaspillage de


ressources, car le mobile de l’action en ces occasions est de consommer des crédits en
souffrance et non d’atteindre un résultat ».
577
Article 9 et article 10.
578
Article 41 alinéa 2 de la loi de 2018 portant régime financier de l’Etat et des autres entités
publiques.
579
Ibid. article 41 alinéa 3.
580
WALINE (C) (Dir.), Le budget de l’Etat. Nouvelles règles, nouvelles pratiques, op cit, p. 29.

247
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

publique581. Avec l’avènement de la nouvelle gouvernance financière publique, la


répartition n’est plus effectuée en chapitre que comptait le budget mais entre les
programmes. La rigueur du principe de spécialité budgétaire se fera donc
beaucoup moins sentir dans l’exécution du budget par la fongibilité des crédits.
Au Cameroun, la règle de la spécialité est prévue à travers l’ordonnance
de 1962582. Le principe est réaffirmé par le législateur de 2007583 et par la loi
portant régime financier de l’Etat et des autres entités publiques de 2018584.
Traditionnellement, le principe de la spécialité des crédits signifie que
l’autorisation parlementaire des crédits doit être détaillée. Il signifie encore que
les crédits doivent être affectés à des objectifs précis. Le principe de spécialité
impose aux gestionnaires de consommer leurs crédits conformément à la
répartition votée par le parlement585. La question qui se pose aujourd’hui est celle
de savoir dans quelle mesure la fongibilité des crédits constitue-t-elle une
inflexion au principe de spécialité budgétaire au regard des impératifs de la
nouvelle gestion financière publiques ?
Par rapport à l’ancien système, le nouveau est constitué par les
assouplissements. Au premier rang de ceux-ci, il convient de placer le principe
de la fongibilité des crédits. Or bien avant, il n’était pas possible d’utiliser un crédit
budgétaire pour un objet différent de celui pour lequel il était prévu. Le système
interdisait, sauf à réaliser des transferts ou des virements dans les conditions

581
MICHEL (P), « Le principe de la spécialité budgétaire hier aujourd’hui, demain », In, Cahiers de
Comptabilité Publique, op. cit. , p.63.
582
Article 19 de l’ordonnance de 1962 : « les crédits destinés aux finances de dépenses de
fonctionnement sont ouverts au ministre des finances, ordonnateur du budget de l’État, ils sont
affectés à un service ou aux dépenses communes de divers services. Conformément à la
nomenclature budgétaire. Ils sont spécialisés par chapitre groupant les dépenses selon leur
nature ou leurs destinations… ». Voir également LEKENE DONFACK (C.E), Finances publiques
camerounaises, Berger-Levrault, Paris 1987, pp. 97-106.
583
Article 8 de la loi de 2007 portant régime financier de l’Etat. La nouvelle approche de la
présentation est celle d’une budgétisation axée sur une architecture à trois niveaux à savoir :
« Fonction-Programme-Action ».
584
Article 32 de la loi de 2018 portant régime financier de l’Etat et des autres entités publiques,
précitée.
585
WALINE (C) (Dir.), Le budget de l’Etat. Nouvelles règles, nouvelles pratiques, op cit, p. 118.

248
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

limitatives, limitant toute tentative d’initiative à l’ordonnateur. Celui-ci n’avait que


la possibilité de dépenser ou non et seulement dans le domaine pour lequel il
disposait des fonds. Il en résultait une certaine rigidité essentielle. Alors que les
crédits étaient encore disponibles pour la réalisation de certaines dépenses,
d’autres « chapitres » pourraient se trouver vides, interdisant que l’on poursuive
les dépenses dans ce domaine586.
La loi n°2018/12 portant régime financier de l’Etat et des autres entités
publiques dispose à cet effet que « Des virements et transfert de crédits
peuvent, en cours d’exercice, modifier la répartition des crédits entre
programmes ou entre dotations »587. En effet, dans le changement fondamental
qu’impulse la budgétisation par programme, la consécration des virements et des
transferts de crédits viennent atténuer la rigidité dudit principe pour faire face
aux exigences gestionnaires. Concernant les virements et les transferts de
crédits, le législateur admet que l’exécution des programmes peut connaître des
perturbations au regard des conjonctures. Il semble donc nécessaire de modifier
l’affectation des crédits telle que prévue par l’autorisation parlementaire.
Les virements de crédits modifient la répartition des crédits entre
programmes d’un même ministère ou entre dotations. Le montant cumulé, au
cours d’une même année, des crédits ayant fait l’objet de virements, ne peut
excéder 2% des crédits ouverts par la loi de finances initiale pour chacun des
programmes ou dotation. Les virements de crédits sont effectués par arrêté du
Ministre chargé des finances, sur proposition du Ministre concerné.
Les transferts de crédits quant à eux peuvent modifier la répartition des
crédits entre programmes de ministères distincts ou entre dotations, dans la
mesure où l’emploi des crédits ainsi transférés, pour un objet déterminé,
correspondant à des actions du programme ou de la dotation d’origine. Les
transferts de crédits permettent donc de modifier la détermination du service

586
LASCOMBE (M) et VANDENDRIESSCHE (X), « La loi organique relative aux lois de Finances
(LOLF) et le contrôle des finances publiques », RFAP, 2006, n° 117, p. 131 et s.
587
Article 38 al 1 de la loi portant régime financier de l’Etat et des autres entités publiques
précitée.

249
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

responsable de la dépense sans changer la nature de celle-ci588. Ils sont


effectués par décret du Premier Ministre, chef du Gouvernement pris sur le
rapport du Ministre chargé des finances, après avis des Ministres concernés.
Toutes ces possibilités de modification de l’autorisation budgétaire ont pour seul
objectifs de faciliter la gestion budgétaire par la performance. C’est cette logique
qui encadre également la fongibilité des crédits en droit public financier.

2. L’exercice du pouvoir de contrôle

Composante clef de son activité, le compte rendu et la responsabilité589


valent principalement au sein de l’enceinte parlementaire. A cet égard, il nous
semble que son développement favorise le renforcement de la responsabilité des
membres du Gouvernement. Il est généralement admis que « le principe de la
responsabilité politique se traduit, en droit constitutionnel, par deux obligations
distinctes pour les gouvernants : d’une part, une obligation de répondre de leurs
actes devant le Parlement, et d’autre part, une obligation de démissionner si la
Chambre n’est pas convaincue par les explications données »590. Si la première
obligation a longtemps semblé négligée par la doctrine à cause de sa « discrétion
», elle tend aujourd’hui à occuper une place croissante sous l’égide du sacrosaint
article 15 de la DDHC591.

588
PAYSANT (A), Finances publiques, Armand Colin, 5e éd. Dalloz, Paris 1999, p. 215.
589
LAMBERT (A), MIGAUD (D), Note sur les contours de la responsabilité des responsables de
programmes, Annexe au rapport au Gouvernement, LAMBERT (A), MIGAUD (D), La mise en œuvre
de la loi organique relative aux lois de finances, Réussir la LOLF, clef d’une gestion publique
responsable et efficace, septembre 2005, p. 6.
590
Colin TURPIN cité par BEAUD (O), op. cit., p. 109.
591
Article 15 DDHC : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son
administration ».

250
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

a. Le contrôle interne

Ce contrôle est exercé par le responsable de programme sur ses propres


agents et, pour cette raison, il est qualifié de contrôle administratif592. Il peut être
a priori, concomitant ou a posteriori. Lorsqu’il est exercé à la demande de
l’autorité supérieure de l’agent vérifié, il est qualifié de hiérarchique. Lorsque, par
contre, il est le fait de corps spécialisés indépendants de l’autorité de tutelle, il
est qualifié d’organique.
Les contrôles internes des opérations budgétaires, des deniers publics, de
la commande publique et, de manière générale, des finances publiques, sont
exercés essentiellement par :
- le Contrôle financier ;
- l’Inspection générale d’État ;
- les corps de contrôles ministériels dont les inspections des services ;
- l’Inspection générale des Finances ;
- les Directions du Contrôle interne des directions générales du
Ministère chargé des Finances ;
- le Contrôle des Opérations financières (COF) ;
- les structures de contrôles de la commande publique.
Certains contrôles sont assurés par des corps et organes à la fois, d’autres
par des organes seulement, alors qu’un grand nombre de ces structures ne sont
ni corps, ni organes, mais de simples dispositifs de contrôle participant à la
transparence et à la sauvegarde des intérêts et du patrimoine public.
Enfin, certains contrôles sont exercés par des acteurs compte tenu de leur
responsabilité (ordonnateurs et comptables), soit mutuellement entre eux, soit
au plan hiérarchique sur d’autres agents placés sous leur ordre.

Article 114 du décret n°2020/375 du 7 juin 2020, portant règlement général de la comptabilité
592

publique.

251
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Le contrôle interne est assuré par des organes d’inspection et en


structures de contrôle de performance593.

b. Le contrôle de gestion

Il s’agit d’un système de pilotage mis en œuvre par le responsable de


programme en vue d’améliorer le rapport entre les moyens engagés, l’activité
développée et les résultats obtenus, notamment par le biais d’outils comptables
ou statistiques.
Le contrôle de gestion permet d’assurer à la fois : le pilotage des services
sur la base d’objectifs et d’engagements ; la connaissance des coûts des
activités et des résultats. Le contrôle de gestion vise notamment à analyser la
performance des activités afin d’optimiser leur pilotage. Dans cette optique, le
contrôle de gestion doit essentiellement apporter les outils de connaissance des
coûts des activités et des résultats permettant d’améliorer le rapport entre les
moyens engagés et l’activité ou les résultats obtenus.
Les responsables de programmes sont les nouveaux acteurs chargés de
la coordination de l’exécution des programmes des ministères et institutions. Il
est question, ici, de programme comme outil de gestion budgétaire et non de
programme comme outil de gestion des activités de politiques publiques594. Les
responsables de programme assurent également la coordination du contrôle de
performance à travers un système de suivi évaluation des objectifs, des résultats
et des indicateurs.
A l’intérieur des ministères, ces crédits sont décomposés en programmes,
sous réserve des dispositions de l’article 32 de la loi N° 2018/012 du 11 juillet
2018 portant régime financier de l’Etat.

593
Article 119 alinéa 3 du décret n°2020/375 du 7 juin 2020, portant règlement général de la
comptabilité publique op cit.
594
Boubacar DEMBA BA, « Finances publiques et gestion par la performance dans les pays
membres de l’UEMOA: étude du cas du Sénégal », Harmattan, 2015.

252
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Les crédits budgétaires alloués aux Institutions sont regroupés en


dotations, lorsqu’ils sont directement destinés à l’exercice de leurs missions
constitutionnelles. Toutefois, ils sont répartis en programme, lorsqu’ils
concourent à la réalisation d’une politique publique.
Un programme regroupe les crédits destinés à mettre en œuvre une action
ou un ensemble cohérent d’actions représentatif d’une politique publique
clairement définie dans une perspective de moyen terme.
A ces programmes sont accordés des objectifs précis, arrêtés en fonction
de finalités d’intérêt général et des résultats attendus.
Ces résultats, mesurés notamment par des indicateurs de performance,
font l’objet d’évaluations régulières et donnent lieu à un rapport de performance
élaboré en fin d’exercice par les ministères et institutions constitutionnelles
concernés.
Un programme peut regrouper, tout ou partie des crédits d’une direction,
d’un service, d’un ensemble de directions ou de services d’un même ministère ;
les crédits sont spécialisés par programme595.
Conclusion
Le responsable de programme, nouvel acteur dans la gestion
performancielle des finances publiques, coordonne la mise en œuvre du
programme dont il a la charge. Face à l’autonomie de gestion qui lui est reconnue
et promue par le nouveau cadre harmonisé des finances publiques, il est aux
prises avec la rigidité des autres acteurs, notamment l’ordonnateur et le
comptable public qui maintiennent encore leur place dans la chaîne budgétaire.
Cette situation se pose également avec la question des indicateurs de
performance. Après une phase d’essai en 2012, l’introduction d’une nouvelle
philosophie de gestion se caractérise par le passage d’une logique de moyens
centrée sur la recherche de la régularité budgétaire, à une logique de
performance, mettant l’accent sur l’amélioration de l’efficacité et de l’efficience
dans la gestion des ressources de l’État. L’on passe ainsi d’un budget dit de

595
Article 32 de la loi N° 2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’Etat.

253
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

moyens à un budget de résultats. L’appellation consacrée est désormais le


budget-programme. Cette nouvelle approche englobe plus largement une
réforme de l’administration destinée à mettre en place un système d’incitation et
une organisation de l’État permettant d’améliorer la production des services
publiques.

254
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

La rétention des patients insolvables des

hôpitaux publics au Cameroun : autopsie

d’une nébuleuse juridique

Ulrich Lenz ASSONNA SOKENG

Doctorant en droit privé et sciences criminelles - Université de Dschang - Vacataire

d’enseignement à l’Institut Supérieur NANFAH de Dschang

Et

Pierre-Claver KAMGAING

Doctorant en cotutelle internationale de thèse - Universités Côte d’Azur et de

Dschang - Vacataire d’enseignement à l’Université Côte d’Azur

____________________

255
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

La santé, un luxe… ? Existe-t-il pour l’homme un bien plus précieux que la

santé ? S’interrogeait ainsi Socrate, le philosophe. Au vrai, l’être humain ne


mesure généralement l’importance de la santé que lorsqu’il vient à la perdre. En
effet, selon la gravité de la maladie, la jouissance des autres droits et libertés
peut être sérieusement compromise. C’est la raison pour laquelle la santé est
considérée comme un droit humain fondamental596. Tout être humain à droit à la
santé certes, mais à quel prix ? Si la santé est souvent présentée comme un
bien597, c’est davantage d’un point de vue axiologique et économique que
juridique598. En d’autres termes, la santé n’est un bien que parce qu’elle a une
valeur, un prix. En Afrique, l’accès aux soins de santé de qualité n’est la chose la
plus partagée599. Il est un luxe que seuls s’offrent les plus nantis600. Cela est
particulièrement vrai au Cameroun où, malgré l’adhésion au projet de l’OMS en
faveur de l’accès aux soins à l’an 2000601, une bonne frange de la population est
maintenue hors du circuit de la médecine conventionnelle602. Cela n’a rien de
surprenant quand on sait que près de 40% de la population vit en dessous du

596
OMS, « La santé est un droit humain fondamental », Déclaration du Dr. Tedros
ADHANOM GHEBREYESUS, Directeur général de l’OMS 10 décembre 2017 à l’occasion de la
Journée des droits de l’homme. À rapprocher de l’article 25 de la DUDH.
597
Montaigne disait de la santé qu’elle est le bien suprême. V. aussi, M. HUSSON, « La santé, un
bien supérieur », in Chronique Internationale de l’IRES, n° 91, 2004, pp. 134-150. L’autre analyse
la santé sous l’angle du coût.
598
V. P. J. LOWE, « La santé, un bien ? », in LE NEMRO. Revue trimestrielle de droit économique,
avril-juin 2020, p. 365 et s. L’auteur analyse la santé sous le prisme du droit des biens pour
parvenir à la conclusion selon laquelle il est difficile de considérer la santé comme un bien. V.
aussi, D. MÜLLER, « La santé, entre bien public et bien privé », in Revue d’éthique et de théorie
morale, n° 241, 2006/HS, pp. 145-158.
599
V. RIDDE, L’accès au soins de santé en Afrique de l’Ouest. Au-delà des idéologies et des idées
reçues, Montréal, Presses universitaires de Montréal, 2012, p. 224 et s.
600
Pas d’argent, pas de soins.
601
Il s’agit du projet « santé pour tous à l’an 2000 », OMS, Stratégie mondiale de la santé pour
tous d’ici l’an 2000, série « santé pour tous », no 3, 1981, <http://libdoc.
who.int/publications/9242800031.pdf>.
602
Une grande partie de la population recours à la médecine camerounaise, v. P.-C. KAMGAING,
« La vente du médicament traditionnel au Cameroun : au-delà de l’incrimination, saisir
l’opportunité d’affaires… », in BEPP, n° 37, septembre 2020, p. 11 et s.

256
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

seuil de pauvreté603. La réalité est que lorsque l’administration des soins n’est pas
conditionnée par le paiement préalable d’une certaine somme, les patients
insolvables sont généralement retenus dans les établissements hospitaliers
publics jusqu’à complet paiement des frais.

La rétention des patients insolvables : la recrudescence d’une pratique. La

rétention des patients insolvables –expression que nous préférons à celle de


détention604– peut se définir comme le fait de maintenir un patient dans un
établissement hospitalier contre son gré, au seul motif qu’il ne se soit pas
acquitté des coûts des soins. S’il n’est pas évident de situer dans le temps la
genèse d’une telle pratique, il est cependant loisible de constater que le
phénomène prend chaque jour de l’ampleur, notamment en Afrique
subsaharienne605. Tout a commencé par la rétention des carnets de santé et des
effets personnels des patients indigents606. Cette astuce s’étant avérée peu
fructueuse607, la rétention du patient se présentait alors comme le stade ultime
de la course au recouvrement des créances sanitaires. Cette situation est vécue
en toute résignation par les patients qui pensent que les hôpitaux en ont le droit.
Il nous a donc semblé que si la pratique devient si courante, c’est peut-être parce
qu’elle n’a pas retenu jusqu’ici l’attention des juristes. Au vrai, entre les
journalistes qui décrivent simplement le phénomène, les ONG qui le dénoncent
et les politiques qui tentent d’en tirer profit608, le regard du juriste semble absent

603
T. BELL, « Cameroun : Plus de 8 millions de personnes vivent en dessous du seuil de
pauvreté », in Le 360afrique.com, 15 décembre 2018.
604
L’expression détention est souvent employé pour des mesures de privation de liberté dans le
cadre d’une procédure pénale. C’est ainsi qu’on parle par exemple de la détention provisoire.
Or, la rétention s’apparente plus à une situation de fait.
605
Notamment au Nigéria, au Kenya et au Burundi. V. entre autres https//Burundi : Les
responsables des hôpitaux gardent prisonniers des centaines de patients insolvables | Human
Rights Watch (hrw.org), consulté le 12 mai 2021.
606
Carte nationale d’identité, acte de naissance, téléphone, etc.
607
Eu égard à la valeur parfois dérisoire des pièces retenues.
608
Il s’agit notamment d’un profit politique. Lorsqu’un leader politique s’engage par exemple à
payer les frais des patients retenus, il entend se constituer un nouvel électorat. V. dans ce sens,

257
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

du débat. Ce silence de la doctrine peut se comprendre car le phénomène est


une véritable nébuleuse, il forme un nuage épais difficilement pénétrable par le
droit. Mais il n’en demeure pas moins que la question de la rétention des patients
insolvables est avant tout d’ordre juridique ! Elle devrait par conséquent amener
le juriste à rechercher, le cas échéant, le fondement juridique d’une telle pratique
ainsi que les règles qui l’encadrent. Autrement dit, la rétention des patients
insolvables dans les hôpitaux publics est-elle une mesure légale de
recouvrement des créances sanitaires ?
Intérêt de l’analyse. Sur le plan théorique d’abord, la réponse à cette question

permettra de proposer une lecture juridique sur un phénomène banalisé, mais au


cœur duquel se trouve pourtant la question fondamentale des droits et libertés.
L’ambition est donc de faire une autopsie, un peu comme le médecin légiste le
ferait sur un cadavre, en essayant – autant que faire se peut – d’analyser
profondément la matière pour y déceler les problèmes ou les solutions juridiques
qui en ressortent. Sur le plan pratique ensuite, l’analyse se propose d’offrir aux
établissements hospitaliers des mécanismes légaux pouvant leur permettre de
recouvrer les créances sanitaires sans toutefois porter atteinte aux droits des
patients. Sur le plan social enfin, la réflexion remet à l’ordre de la réflexion la
sempiternelle problématique de la couverture sanitaire universelle dans un
contexte de paupérisation des masses.
Plan. À l’analyse du phénomène de rétention des patients insolvables, la

première certitude qui s’impose péremptoirement au juriste est celle de son


illégalité (I). L’illégalité découle du fait que cette mesure n’a aucun fondement
juridique et qu’elle porte gravement atteinte aux droits et libertés fondamentaux.
Ce n’est donc pas à force de la pratiquer à répétition qu’elle aura force de droit.
Cependant, si les responsables des établissements hospitaliers y recourent sans
cesse, c’est peut-être qu’ils y voient le seul moyen de garantir le recouvrement
de leurs créances. La vérité est que les voies légales de recouvrement des

Th. MUTAKA BAMAVU, L’analyse critique su’ l’art de guérir, cas des médecins tradipraticiens,
mémoire de master, Université de Lubumbashi, 2015, p. 25 et s.

258
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

créances sanitaires n’apparaissent pas à première vue, bien qu’elles existent (II).
Mais ces règles sont parfois si floues, éparses et disparates qu’il appartient
juriste d’aller les chercher, d’essayer d’y mettre de l’ordre et de les exposer.

I. L’illégalité de la rétention des patients insolvables

Un moyen de pression illégal. La rétention des patients insolvables dans les

établissements hospitaliers publics comme moyen de pression en vue du


recouvrement des créances sanitaires est devenue si courante qu’elle passe
dans l’imagerie populaire pour être légale. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à voir
d’une part la résignation de cette nouvelle catégorie de prisonniers et d’autre part
le système de surveillance déployé par les hôpitaux pour éviter d’éventuelles
« évasions ». Or c’est en vain que l’on trouvera dans les différents textes le
fondement juridique d’une telle pratique. Ainsi, la rétention des patients
insolvables est illégale parce qu’elle manque de fondement juridique (A). Cette
illégalité est d’autant grave qu’elle porte sérieusement atteinte aux droits
fondamentaux garantis tant à l’échelle internationale que nationale (B).

A. L’absence de fondement juridique

La contrariété au corpus juridique. À parcourir la Charte africaine des droits de

l’homme et des peuples, on est immédiatement frappé par l’article 6 qui dispose
en des termes on ne peut plus clairs que « tout individu a droit à la liberté et à la
sécurité de sa personne. Nul ne peut être privé de sa liberté sauf pour des motifs
et dans des conditions préalablement déterminées par la loi ; en particulier nul
ne peut être arrêté ou détenu arbitrairement »609. Partant de là, et face au
phénomène de rétention des patients insolvables, le réflexe naturel sera d’en

609
C’est dans ce sens qu’abonde l’article 9 (1) du PIDCP du 19 décembre 1966.

259
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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rechercher la base juridique. Or il se trouve qu’en droit interne camerounais, ni la


Constitution, ni les lois et règlements applicables en matière de santé610 ou de
recouvrement des créances611 ne mentionnent la possibilité de retenir, contre son
gré, un patient insolvable.
Bien au contraire, la plupart des textes promeuvent la liberté des personnes
en situation difficile. C’est ainsi que l’article 11 du PIDCP dispose que « nul ne peut
être emprisonné pour la seule raison qu’il n’est pas en mesure d’exécuter une
obligation contractuelle ». Certes, comme on le verra, il n’existe pas à proprement
parler une relation contractuelle entre le patient et l’établissement public
hospitalier. Mais on n’en est pas très loin dès lors qu’il y a fourniture d’une
prestation (soins médicaux) contre paiement du prix (frais médicaux). L’idée de
protection des patients transparaît également de l’article 4 de la loi n° 96/03 du
4 janvier 1996 portant loi-cadre dans le domaine de la santé qui prescrit la
protection et la promotion de la santé des groupes vulnérables et défavorisés612.

L’inapplication du droit de rétention. Faute de trouver le fondement juridique

clair et précis de la rétention des patients insolvables dans les hôpitaux, on


pourrait être tenté d’opérer un rapprochement – sans doute un peu exagéré –
avec le droit de rétention613. Le droit de rétention est une prérogative reconnue
à un créancier et lui permettant de « retenir entre ses mains l’objet qu’il doit
restituer à son débiteur, tant que celui-ci ne l’a pas lui-même payé »614. D’un point
de vue purement factuel, c’est à peu près à cela que s’adonnent les hôpitaux

610
Pour une présentation assez générale, v. C. FOE NDI, La mise en œuvre du droit à la santé au
Cameroun, thèse de doctorat, Avignon Université, 2019, spéc. p. 413 et s.
611
Code général des impôts, livre des procédures fiscales, acte uniforme OHADA.
612
Le Journal quotidien « Mutations », édition du 17 mars 2021 qui s’est intéressé principalement
sur la question de la « séquestration des patients insolvables dans les hôpitaux », fait état de
ce que ces patients tous des femmes, sont pour la majorité arrivées à l’hôpital pour un
accouchement. Malheureusement pour elles, l’espoir d’un accouchement normal s’est
transformé en un accouchement par césarienne, doublant ou triplant ainsi la facture.
613
Organisé par des dispositions éparses du code civil camerounais, articles 862, 1612, 2082,
2280 et s.
614
G. CORNU (dir.), Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, 11e éd., Paris, PUF, 2016,
p. 923, v° Rétention.

260
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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publics lorsqu’ils retiennent certains patients – considérés alors comme de


vulgaires objets – jusqu’au paiement de leur créance. D’un point de vue juridique
cependant, un tel rattachement manquerait de pertinence pour la simple et
bonne raison que le corps humain est hors du commerce car il n’est pas une
chose. On dit alors qu’il est indisponible615, peu important que la créance sanitaire
soit certaine, liquide et exigible. Au demeurant, l’allusion au droit de rétention
n’est pas absolument naïve. En effet, la question s’est déjà posée sur le terrain
judiciaire au sujet de la rétention d’un patient décédé pour défaut de paiement
des frais d’hospitalisation et de morgue616.
En l’espèce, la dépouille du de cujus ainsi que son certificat de décès avaient
été retenus par le directeur de l’hôpital général de Yaoundé faute de paiement
de divers frais. Le fils du défunt avait alors saisi le juge des référés – juge de
l’urgence617– afin que la dépouille et le certificat de décès lui soient
immédiatement restitués. Dans sa décision, le premier juge a subordonné la
restitution au paiement des frais de morgue. C’est ainsi que l’affaire a été portée
à l’attention de la cour d’appel du Littoral. Par une démarche argumentative qui
force l’admiration, le juge d’appel a finalement ordonné la restitution demandée.
Il relève en effet que « s’il est de doctrine et de jurisprudence constantes que le
droit de rétention peut être exercé par un créancier détenteur d’une chose
matérielle et agissant de bonne foi, ces mêmes doctrine et jurisprudence
précisent que la chose matérielle doit être dans le commerce et aliénable (…) ».
Il poursuit en notant « qu’en l’espèce, la dépouille mortelle et le certificat de
décès demeurent hors du commerce et inaliénables [et qu’ils] ne peuvent par
conséquent faire l’objet d’aucun droit de rétention ». Ainsi, si le droit de rétention

615
Cette insaisissabilité du corps humain se prolonge et se retrouve dans l’insaisissabilité de
certains moyens de subsistance, v. article 327 du code de procédure civile camerounais.
616
CA du Littoral, arrêt n°42/RF du 25 janvier 1995, Affaire WAKEM KUIMO Gilbert c/Directeur de
l’hôpital Général de Douala, Juridis Périodique, n° 33, janvier-février-mars 1998, pp. 15-21, note
J.-C. NCHIMI MEBU.
617
M. FOULON et Y. STRICKLER, « Les pouvoirs du juge des référés », in Gazette du palais, 2012,
p. 17.

261
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

ne peut être exercé sur un cadavre, qui demeure une « chose » quoique soumise
à un régime spécial618, a fortiori, il ne pourra s’exercer sur une personne vivante.

L’ouverture de la procédure d’habeas corpus à la personne abusivement retenue.

En ce que la rétention pour insolvabilité est une mesure illégale, le patient


concerné doit pouvoir recouvrer rapidement sa liberté. Pour ce faire, la voie qui
s’ouvre à lui c’est la procédure d’habeas corpus. Il convient de signaler
immédiatement que cette procédure, qui peut être mise en œuvre par toute
personne619, n’a pas été spécialement conçue pour des cas de rétentions dans
les hôpitaux. Organisée par le code de procédure pénale, elle vise
essentiellement les personnes illégalement gardées ou détenues dans les locaux
de police ou de gendarmerie620. Il est admis qu’elle puisse également être mise
en œuvre dans le cadre d’une garde à vue administrative illégale621. À notre sens,
son champ d’application devrait être davantage élargi pour englober toutes les
hypothèses dans lesquelles une personne est illégalement privée de liberté par
une personne dépositaire de l’autorité publique ou investie d’une mission
d’intérêt public. Sous ce rapport, il n’y a pas de doute que les patients insolvables
sont généralement retenus sur la base des instructions des chefs
d’établissements hospitaliers qui ont, rappelons-le, un véritable pouvoir de
police622.
En réalité, la question de l’habeas corpus n’est pas totalement absente dans le
milieu hospitalier si l’on songe – un tant soit peu – à s’intéresser à ce qui se passe

618
M. TOUZEL-DIVINA, M. BOUTEILLE-BRIGANT, « Le droit du défunt », in Communications,
n° 97, 2015/2, pp. 29-43.
619
Article 584 (3) du code de procédure pénale. Au cas d’espèce, par un proche du patient
détenu.
620
Article 137 (2) du code de procédure pénale.
621
La garde à vue administrative est prévue par l’article 2 de la loi n° 90-54 du 19 décembre 1990
relative au maintien de l’ordre. Sur la question, v. P.-C. KAMGAING et S. TAMETONG, « Le
Cameroun, un État policier ? à propos de la garde à vue administrative », in Nkafu Policy
Institute, en cours de publication.
622
M. LECACHEUX, « La question de la sécurité à l’hôpital : la place centrale du directeur
d’établissement », in Village de la justice, 02 juin 2017.

262
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

ailleurs. Au Canada par exemple, si le médecin peut décider de maintenir un


patient contre son gré, c’est uniquement pour des raisons thérapeutiques et
notamment lorsque la personne concernée représente un danger grave et
immédiat pour elle-même ou pour des tiers. Cette garde préventive est limitée
dans le temps623. Dans toutes les autres hypothèses de rétention forcée, la
personne concernée peut saisir le juge d’une requête en habeas corpus624. Ainsi,
il y a lieu d’estimer qu’une telle procédure pourra être mise en œuvre avec succès
devant le président du tribunal de grande instance du lieu de situation de
l’hôpital, juge compétent en matière d’habeas corpus625. Toutefois, la certitude
de la libération du patient à la suite d’une procédure d’habeas corpus, ne devrait
pas faire oublier que la rétention des malades insolvables constitue une atteinte
grave aux droits et libertés fondamentaux.

B. L’atteinte aux libertés fondamentales

L’enfer de la rétention des patients insolvables626. Dans le préambule de sa

constitution du 18 janvier 1996, le Cameroun affirme son attachement aux


libertés fondamentales inscrites dans la Déclaration universelle des droits de
l’homme, la Charte des nations unies, la Charte africaine des droits de l’homme
et des peuples ainsi que les libertés fondamentales inscrites dans les
conventions internationales dûment ratifiées. Comme il a été relevé plus haut,
ces textes sont plutôt favorables à la liberté d’aller et de venir627 et au droit à la

623
Elle ne peut excéder en principe 72 heures après l’arrivée de la personne. Cette durée connaît
des aménagements pendant le weekend et les jours fériés.
624
Éducaloi, Les soins de santé, 2018, p. 11 et s.
625
Article 584 (1) du CPP.
626
« Au Cameroun, si tu es malade et que tu n’as pas d’argent tu meurs », propos d’un patient
recueilli par M. COTINAT, « Cameroun : dans les hôpitaux, la double peine », in Jeune Afrique,
31 août 2011.
627
« Tout homme a le droit de se fixer en tout lieu et de se déplacer librement, sous réserve des
prescriptions légales relatives à l’ordre, à la sécurité et à la tranquillité publics », préambule de
la Constitution.

263
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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dignité pour tout être humain628. Or, la rétention des patients insolvables dans les
centres hospitaliers porte une atteinte sérieuse à ces garanties majeures. La
liberté d’aller et de venir et la dignité humaine sont des garanties majeures dans
la mesure où leur violation peut empêcher la pleine jouissance de nombreux
autres droits629. De ce fait, la rétention des patients insolvables dans un centre
hospitalier peut entraîner soit la responsabilité de l’administration pour voie de
fait soit la responsabilité individuelle du chef d’établissement.

L’atteinte à la liberté d’aller et venir. Aux termes des dispositions internationales

qui la consacrent630, la liberté d’aller et venir ne peut être restreinte que dans les
circonstances légalement prévues et lorsque cette mesure est commandée par
les nécessités de maintien l’ordre et de la sécurité publics. Or la rétention des
patients insolvables dans les établissements hospitaliers ne correspond à
aucune de ces hypothèses. La pratique montre à quel point cette privation
illégale de liberté est ancrée. Le journal quotidien Mutations631 a ainsi rapporté la
mésaventure d’une patiente qui était retenue pour insolvabilité et qui avait réussi
à s’échapper pour s’occuper de ses enfants esseulés à la maison. Après une
fouille minutieuse, les agents de l’hôpital avaient pu la retrouver et l’avaient
ramenée manu militari dans son lieu de rétention, sans aucun mandat. Ces faits
peuvent paraître banaux à première vue. Pourtant, ils interpellent sur la gravité
du phénomène ainsi que sur le danger de voir les hôpitaux publics se transformer
en prisons. Car en réalité, la rétention fait de l’hôpital un no man’s land juridique
où le plus fort, c’est-à-dire le centre hospitalier, se rend justice lui-même. Selon

628
« Toute personne a droit à la vie et à l’intégrité physique ou morale. Elle doit être traitée en
toute circonstance avec humanité. En aucun cas, elle ne peut être soumise à la torture, à des
peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants », préambule de la Constitution.
629
Par exemple le droit au travail pour un patient travailleur, le droit à l’éducation pour un patient
scolarisé, etc.
630
Notamment l’article 13 de la DUDH et l’article 12 du PIDCP.
631
Dans sa parution du 17 mars 2021.

264
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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une étude de l’Institut royal britannique Chattam House632, ces privations de


liberté peuvent s’étaler sur de longues périodes et faire ainsi payer aux nouveau-
nés, l’infortune de leurs parents : « les femmes donnent naissance à des bébés
qui entrent dans le monde en tant que prisonniers »633.

L’atteinte à la dignité humaine. La dignité est l’essence même de l’humanité634.

En tant que tel, elle protège les intérêts multiples et interdépendants d’une
personne allant de son intégrité corporelle à son intégrité morale et à son
épanouissement personnel. Ses sources sont bien connues pour être
développées ici635. En peu de mots, on dira que la dignité est ce qui reste à
l’homme quand bien même il aura tout perdu, y compris sa liberté. Dans le
domaine de la santé en particulier, le respect de la dignité du patient est un
principe fondamental à préserver en toute circonstance636. En effet, le service
public de la santé repose sur des valeurs telles que l’humanisme et la justice
sociale. L’on peut cependant déplorer le fait que la montée du capitalisme et la
cupidité de certains dirigeants tendent parfois à fragiliser ces principes. Pour
apprécier s’il y a eu une atteinte à la dignité dans le cadre de la rétention des
patients insolvables, il faut nécessairement se placer du côté des victimes. Très
concrètement, il s’agira de rechercher si le traitement auquel ils sont soumis leur
ôte la qualité d’êtres humains. Et là, force est de constater que la privation de
liberté se double parfois d’une atteinte à la dignité humaine. Dans les centres

632
R. YATES, T. BROOKES et E. WHITAKER, « Hospital detentions for non-paiement of fees. A
denial of rigths and dignity », in The Royal Institute of International affairs, Chattam House, 2017,
p. 2.
633
E. ABOU EZ, « Hôpitaux : des patients retenus prisonniers jusqu’au paiement de la facture »,
in France info : Afrique, 13/12/2017.
634
B. EDELMAN, « La dignité de la personne humaine, un concept nouveau », in Recueil Dalloz,
1997, p. 185, note 30.
635
Pour les généralités sur la notion, cf. E. EYLEM AKSOY, « La notion de dignité humaine dans la
sauvegarde des droits fondamentaux des détenus », in A. A. CANÇADO et C. BARROS LEAL
(dir.), Le respect de la dignité humaine, Fortaleza, 2015, p. 47 et s.
636
J.-M. CLEMENT (J.), Les grands principes du droit de la santé, Bordeaux, Les études
Hospitalières, 2005, p. 33 : les grands principes de la santé sont notamment : la dignité ; la
liberté ; l’égalité ; le consentement ; l’information ; la sécurité-qualité.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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hospitaliers où ces patients sont retenus, ils sont tous réunis dans une salle
spécialement prévue à cet effet637. Ils ne bénéficient d’aucune intimité. Selon
l’étude de la Chattam House susmentionnée, ces patients sont « enchaînés,
affamés et abusés » et ne bénéficient d’aucune compassion de personnel
soignant. De même, on ne saurait dédouaner d’office les chefs d’établissements
hospitaliers camerounais des dérives observer dans les pays semblables. Par
exemple, dans les hôpitaux kenyans, « de nombreuses femmes retenues après
un accouchement ont eu des rapports sexuels payants avec des médecins pour
régler leurs factures »638. Au regard des abus que peut entraîner la rétention des
patients insolvables, on peut comprendre la note de service du ministre de la
santé publique du 14 mars 2019 dans laquelle il fustigeait la pratique et rappelait
l’ambition « d’humanisation des soins et de justice sociale » à laquelle doit
participer le corps médical.

La mise en jeu des responsabilités. À quoi servirait-il d’être titulaire d’un droit si

on ne peut le défendre en justice en cas de violation ?639 Ainsi, la recrudescence


du phénomène de rétention des patients insolvables devrait amener le juriste à
envisager les voies judiciaires de nature à le combattre efficacement. Sous ce
jour, il nous paraît que la responsabilité de l’administration doit être distinguée
de la responsabilité du personnel. En ce qui concerne l’administration
hospitalière, prise en sa qualité personne morale de droit public640, elle pourra
faire l’objet d’un recours en responsabilité pour voie de fait. En droit administratif,
il y a voie de fait lorsque l’administration a posé un acte grossièrement illégal641
qui porte atteinte aux libertés fondamentales ou à la propriété642. Dans le cas qui

637
G. M. TCHINDA, op. cit. p. 5.
638
E. ABOU EZ, ibid.
639
Y. STRICKLER et A. VARNEK, Procédure civile, Bruxelles, Bruylant, 9e édition, Coll.
« Paradigme », 2019, p. 9.
640
L’hôpital public est considéré comme un service public.
641
Soit parce que cet acte est contraire à la loi, soit parce que sont auteur n’en a pas le pouvoir.
642
CE, 09 mai 1867, Duc d’Aumale, Lebon p. 472, cité par S. GUILLON-COUDRAY, La voie de fait
administrative et le juge judiciaire, thèse de doctorat, Université Paris II, 2002, p. 10 et s.

266
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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nous intéresse, celui de la rétention des patients, on a vu qu’il met injustement


en péril les libertés fondamentales. Ainsi, les personnes retenues peuvent saisir
le juge judiciaire afin d’obtenir la condamnation de l’établissement hospitalier et
éventuellement des dommages-intérêts643. Il convient de relever que la
condamnation de l’administration ne fait pas obstacle à celle de ses agents pris
individuellement. On ne peut que noter, pour le regretter, le fait que les dirigeants
hospitaliers qui se livrent à ces pratiques ne sont pas sanctionnés sur le plan
disciplinaire par leur hiérarchie, toute chose qui laisse prospérer la gangrène.
Mais les victimes ne devraient pas pour autant désespérer car le droit pénal
camerounais offre des pistes souvent méconnues. Ainsi, plusieurs infractions
peuvent être rattachée à la rétention illégale des patients insolvables. Parmi
elles644, l’infraction de séquestration nous semble la plus illustrative. Aux termes
de l’article 291 (1) du code pénal camerounais, « est puni d’un emprisonnement
de cinq (05) à dix (10) ans et d’une amende de vingt mille (20 000) a un million (1
000 000) de francs, celui qui, de quelque manière que ce soit, prive autrui de sa
liberté »645. Ces peines pourront être prononcées aussi bien contre le chef
d’établissement hospitalier que contre ses agents qui seront alors considérés
comme des coauteurs ou tout au moins des complices. Cette mise en œuvre des
responsabilités pourrait contraindre les dirigeants d’hôpitaux à abandonner cette
pratique moyenâgeuse pour se conformer aux voies légales en vigueur.

643
Pour une présentation du contentieux de la voie de fait, v. O. LE BLOT, « Maintenir la voie de
fait ou la supprimer ? Considérations juridiques et d’opportunité », in Revue des droits et libertés
fondamentaux, 2012, chron. 24.
644
C’est le cas de l’infraction d’abus de fonctions (article 140 du CP), de torture (article 277-3 du
CP).
645
Cette peine est doublée lorsque la privation de liberté dure plus d’un mois, article 291 (2) du
CP.

267
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

II. L’existence de voies légales de recouvrement

L’ignorance des acteurs ? Si les responsables d’établissements hospitaliers

publics en viennent à priver illégalement les patients insolvables de leur liberté


d’aller et de venir, c’est peut-être parce qu’ils croient que cette pratique est le
seul moyen d’assurer le recouvrement de leurs créances. L’ignorance du cadre
juridique applicable en la matière trouve ainsi sa source lointaine – mais principale
– dans le cursus de formation des médecins646. Pourtant, le droit civil organise
les mécanismes par lesquels tout créancier peut recouvrer sa créance. Ainsi, la
toute première voie à explorer et à privilégier est la voie amiable permettant de
concilier les différents intérêts en présence (A). C’est lorsque celle-ci ne produit
pas le résultat escompté que pourra être envisagée la voie contentieuse de
recouvrement (B).

A. La voie non contentieuse de recouvrement

Vaut mieux un mauvais arrangement qu’un bon procès. Il vaut mieux, dans

certaines situations, envisager un arrangement amiable du différend. Cette


situation est à privilégier en matière de créances sanitaires. La réalité c’est qu’en
retenant contre leur gré les patients insolvables, les dirigeants des
établissements hospitaliers détournent l’hôpital de sa mission première, celle de
protéger la vie. En outre, la séquestration est une mesure contreproductive pour
au moins deux raisons. La première c’est que la séquestration ne garantit pas le
paiement de la créance car « l’immobilisation » du patient le rend improductif.
Mieux, cette privation de liberté pourrait causer la perte des sources de
revenus647. Or, comme il a pu être relevé, le fait pour les patients insolvables

646
Seules les questions de finances publiques et de responsabilité professionnelle des médecins
sont inscrites dans les programmes harmonisés de formation. V. Programme d’appui à la
composante technologique et professionnelle de l’enseignement supérieur (PRO-ACTP),
Programme harmonisés de la filière médicale au Cameroun, Yaoundé, 2015, p. 106.
647
Par exemple un travail.

268
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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d’occuper – inutilement – les lits « engendre inévitablement un coût


supplémentaire »648. La seconde raison de l’improductivité de la séquestration
est d’ordre managériale. En effet, l’occupation des infrastructures hospitalières
par des personnes ne bénéficiant plus des soins médicaux limite ipso facto les
capacités d’accueil des formations sanitaires. Cela crée bien évidemment une
situation paradoxale : les malades nécessitant une hospitalisation sont renvoyés
pour manque de places649 alors que ces places sont occupées par des personnes
retenues. On comprend dès lors la nécessité de trouver un équilibre entre la
préservation des libertés individuelles et le recouvrement des créances
sanitaires. Cela passe soit par la mise en place des mécanismes traditionnels
d’assouplissement du paiement des dettes civiles que sont le moratoire et les
délais de grâce, soit par l’intervention des organismes compétents en matière
d’assistance sociale.

Les mécanismes traditionnels d’assouplissement du paiement des dettes civiles.

Le moratoire et les délais de grâce sont des mesures de clémence permettant


au débiteur de bénéficier d’un temps de répit à l’échéance de son obligation. Si
ces mécanismes poursuivent le même but, ils ne sont pas soumis au même
régime et méritent par conséquent d’être envisagés séparément. La particularité
du moratoire tient au fait qu’il est une mesure consensuelle adopté par le débiteur
et le créancier afin de différer le paiement de la dette. Lorsqu’il convient d’un
moratoire à son débiteur, le créancier fait preuve d’humanisme, il aide son
débiteur à surmonter la situation précaire qu’il traverse dans l’espoir que celle-ci
soit passagère. La détermination des termes du moratoire restant libre, il peut
être assorti ou non d’intérêts. De même, en accordant le moratoire, le créancier

648
G. M. TCHINDA, « Revoir les fondements de notre système de santé », in Mutations, n° 5301
du mercredi 17 mars 2021. Rappelons que le coût global de la prise en charge dans les hôpitaux
prend en compte non seulement le coût de soins proprement dit, mais aussi les frais
d’hospitalisation (c’est-à-dire d’occupation des installations et infrastructures hospitalières).
649
Sur le manque d’infrastructures, v. J. P. BEYEME ONDOUA, « Le système de santé
camerounais », in Actualité et dossier en santé publique, n° 39, juin 2002, p. 61.

269
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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peut renoncer à une partie de sa créance650. En matière de créances sanitaires,


c’est le directeur de l’établissement hospitalier qui est habilité à accorder un
moratoire651.
Quant au délai de grâce, il s’agit d’une mesure essentiellement judiciaire652.
L’article 39 alinéa 2 de l’acte uniforme OHADA relatif aux procédures simplifiées
de recouvrement et aux voies d’exécution dispose que, « compte tenu de la
situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, la juridiction
compétente peut (…) reporter ou échelonner le paiement des sommes dues dans
la limite d’une année ». L’appréciation de la situation précaire du patient retenu
ne pose pas de réelle difficulté car elle pourrait aisément se déduire de son
incapacité à s’acquitter de sa dette. De même, la détermination de la juridiction
compétente ne pose pas de difficultés particulières si l’on se réfère aux
dispositions de droit interne. Ainsi, la compétence territoriale s’appréciera en
fonction du lieu de situation de la formation sanitaire tandis que la compétence
matérielle s’appréciera en fonction du montant de la dette653. Il convient de
souligner que l’acte uniforme oblige le juge à tenir compte des besoins du
créancier lorsqu’il entend accorder un délai de grâce. D’ailleurs, aux termes de
l’alinéa 3 de l’article 39 suscité, il peut conditionner le délai de grâce à
l’accomplissement, par le débiteur d’actes propres à faciliter ou à garantir le
paiement de sa dette. Il revient donc au juge de s’assurer de la bonne foi du
débiteur et surtout du caractère positivement réversible de sa situation
financière. Il n’est pas exclu, pour cela, qu’il exige la constitution d’une sûreté
personnelle ou réelle. En définitive, le moratoire et le délai de grâce sont des

650
L’on parle de la remise partielle de la dette.
651
En vertu du principe de l’autonomie budgétaire et financière qui régit le fonctionnement des
établissements hospitaliers.
652
R. BEMBELLY, « L’application de l’article 39 de l’acte uniforme portant procédures simplifiées
de recouvrement et des voies d’exécution par le juge congolais », in Revue de l’ERSUMA, n° 2,
2013, p. 329 et s.
653
Si la dette est inférieure ou égale à 10 millions, c’est le TPI qui sera compétent. Au-delà de
cette somme, la compétence reviendra au TGI.

270
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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mécanismes de souplesse qui favorisent l’un sans léser l’autre. Parfois, en vue de
leur mise en œuvre, les services sociaux pourront être impliqués.

La prise en charge par les services sociaux. Au début des années 2000, le besoin

d’assurer un accompagnement social des patients dans les hôpitaux s’est fait
ressentir654. En effet, il avait été donné de constater que certains patients étaient
désœuvrés et quasiment abandonnés à leur sort. Pour combler ce vide, des
postes sociaux ont été créés auprès des hôpitaux655. Leur mission consiste à
assurer auprès des malades une présence affective et à leur garantir l’assistance
psychosociale nécessaire à leur équilibre. Concrètement, il s’agit de faire en sorte
que « le malade ne se sente à aucun moment abandonné ni par les siens, ni par
le corps médical, ni par la société du fait de sa maladie »656. L’assistance sociale
est réservée aux patients « nécessiteux et indigents »657. Toutefois, ils sont
énumérés de manière très restrictive par les textes : les personnes handicapés
ou polyhandicapés, les enfants mineurs de parents handicapés, les personnes
qui en raison de leur état ne peuvent participer à un effort productif générateur
de revenus ainsi que les personnes rendues temporairement invalides658. Le cas
spécifique des patients valides – c’est-à-dire les personnes n’ayant pas un
handicap – mais incapables de s’acquitter des frais médicaux n’est donc pas

654
D’ailleurs, l’article 1er (2) du décret n° 2005/160 du 25 mai 2005 portant organisation du
ministère des affaires sociales mentionne entre autres, comme missions, l’organisation de « la
solidarité nationale ».
655
V. par exemple l’instruction ministérielle n° 93/00770/MINASCOF/SG du 07 avril 1993 fixant
les attributions du poste social auprès d’un hôpital.
656
Ibid.
657
On y inclut les femmes indigentes enceintes, allaitant ou ayant des enfants en âge de
vaccination dans les localités n’ayant pas un centre de protection maternelle et infantile.
658
Article 12 (2) de l’arrêté du 27 août 2010 portant cahier des charges précisant les conditions
et les modalités techniques d’exercice des compétences transférées par l’État aux communes
en matière d’attributions d’aides et des secours aux indigents et aux nécessités. Dans la
pratique, le taux d’invalidité doit être supérieur ou égal à 50% pour donner droit à l’assistance
sociale. Ce taux est évalué par un médecin et mentionné dans un certificat médical spécial
disponible au service des affaires sociales de l’hôpital.

271
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

spécialement envisagé. Pourtant, ils devraient être pris en compte659. En tout cas,
si le demandeur remplit les conditions, l’aide sociale pourra être partielle ou
totale. Lorsqu’il s’agit d’un patient étranger, la pratique en la matière recommande
de prendre attache avec les représentations diplomatiques du pays dont il est
ressortissant. Mais cette situation ne va pas sans poser de difficulté660. Au regard
de tout ce qui précède, il apparaît clairement que plusieurs passerelles
permettent d’éviter le travers de la séquestration. Si elles ne produisent pas le
résultat escompté, à savoir le paiement du créancier, la voie contentieuse de
recouvrement pourra alors être actionnée.

B. La voie contentieuse de recouvrement

L’obscurité des textes. L’idée de la gratuité des soins semble encore une utopie,

voire un rêve inaccessible dans la plupart des pays en voie de développement661.


La part du budget de l’État consacrée à la santé publique n’est que trop faible662,
de sorte qu’il ne serait pas excessif de dire que les établissements hospitaliers
publics s’auto-financent. D’ailleurs c’est l’Initiative de Bamako de 1987, ayant
pour slogan « la santé pour tous en l’an 2000 »663, qui avait envisagé le

659
Une étude a révélé que les critères d’identification des personnes indigentes sont le plus
souvent flous. Elle en vient à considérer l’indigent comme « celui qui n’a rien », V. RIDDE et J.-
E. GIRARD, « Douze ans après l’initiative de Bamako : constats et implications pour l’équité
d’accès aux services de santé des indigents africains », in Santé publique, vol. 16, 2014/1,
pp. 37-51.
660
L’expérience française en la matière est assez illustrative, v. Ministère des affaires sociales,
« Importance des créances hospitalières impayées dues au frais de séjour des malades
étrangers », Réponse à la question écrite n° 00327 de M. J.-P. FOUCARDE, publiée dans le JO
Sénat du 13 janvier 1994, p. 66.
661
E. CHOLET, « La gratuité des soins : une solution nationale pour la santé des plus pauvres ? »,
in D. KEROUEDAN (dir.), Santé internationale. Les enjeux de santé au Sud, Paris, Presses de
Sciences Po, « Hors collection », 2011, pp. 261-271.
662
Seulement 5,5% du budget, ce qui est très loin de la proportion de 15% adopté dans le cadre
de la Déclaration d’Abuja. V. E. ATCHA, « Cameroun : la part du budget de l’État allouée à la
santé reste faible », in Afrique La Tribune, édition du 31 janvier 2018.
663
G. VELASQUEZ, « Médicaments et financement du système de santé dans les pays du Tiers
monde », in Tiers monde, t. 30, n° 118, 1989, pp. 455-463.

272
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

« recouvrement des coûts » des soins médicaux par les hôpitaux. Cependant, le
texte ne donne aucune définition de cette expression. En effet, cette formulation
a pu laisser croire à certains que les établissements hospitaliers étaient en droit
de recouvrer les coûts des soins par tous les moyens, y compris en retenant
contre leur gré les usagers insolvables664. Au soutien de cette position, est
invoqué l’article 3 de la loi n° 98/009 du 1er juillet 1998 portant loi des finances,
autorisant « les formations hospitalières (…), pour leur fonctionnement, à
conserver 100% de leurs recettes ». Or cette interprétation nous paraît
difficilement soutenable pour des raisons déjà évoquées. L’idée de recouvrement
des coûts devrait plutôt être comprise de manière large comme renvoyant au
financement des services de santé. Plus exactement, « il ne s’agit pas de
récupérer ou recouvrir les coûts mais de trouver un équilibre financier entre la
participation demandée à la population et les ressources de l’État pour le secteur
de la santé »665. Ainsi, le recouvrement des coûts, dans le sens de l’Initiative de
Bamako se situe dans une problématique et une perspective plus globale, celle
du financement de santé publique666. C’est dire que le recouvrement contentieux
des créances ne peut se faire que dans un cadre légal.

Mais les choses ne sont pas si simples… S’il ne fait l’ombre d’aucun doute que les

établissements publics hospitaliers sont admis à agir en vue du recouvrement de


leurs créances, la grande difficulté réside cependant dans détermination de la
procédure. En effet, aucun texte ne précise la démarche à suivre dans
l’hypothèse d’un recouvrement contentieux des créances sanitaires. Comme l’a
souligné un auteur, « le système de recouvrement des créances ordinaires de

664
G. M. TCHINDA, « Revoir les fondements de notre système de santé », op. cit.
665
G. VELASQUEZ, op. cit., spéc. p. 462.
666
J.-Fr. MÉDARD, « Un système de santé en mutation : le cas du Cameroun », in Bulletin de
l’APAD, n° 21, 2001, p. 1 et s. ; R. OKALLA et A. LE VIGOUROUX, « Cameroun : de la réorientation
des soins de santé primaire au plan national de développement sanitaire », in Bulletin de l’APAD,
ibid.

273
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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l’État et des organismes publics est beaucoup plus instable »667. L’analyste
pourrait donc être partagé entre les dispositions du droit uniforme OHADA et les
règles touffues – et donc peu édifiantes – du droit interne. L’auteur soulignait par
la même occasion l’opportunité de se référer à la jurisprudence étrangère,
notamment française, pour essayer de « camper une systémique prétorienne du
recouvrement des créances concernant les entités publiques, qu’elles soient
fiscales, parafiscales ou étrangères à l’impôt »668. Relevons à propos que la
jurisprudence française a su poser, avec le temps, les bases du recouvrement
contentieux des frais d’hospitalisation. Le Conseil d’État a clairement posé le
principe de la compétence exclusive du juge administratif en cas d’action en
paiement, ceci dans la mesure où le patient a la qualité d’usager de service
public669. C’est dire que la relation entre le patient et l’établissement hospitalier
n’est ni contractuelle ni privée670. L’action en paiement peut être dirigée contre le
patient lui-même ou contre les personnes ayant envers lui une obligation
alimentaire671. Dans ce dernier cas, c’est la juridiction civile qui sera compétente
en raison de la nature de l’obligation672.

667
H. TCHANTCHOU, « Le cadre législatif et règlementaire du recouvrement des créances de
l’état et des entreprises publiques dans l’espace OHADA », Communication lors de la formation
des cadres des ministères de finances et/ou de l’économie, de magistrats et de juristes
d’entreprises, du 26 au 29 août 2013 sur le thème L’État, les entreprises publiques et le
recouvrement des créances, p. 6. V. aussi, S. YONABA, « Le recouvrement des recettes
publiques dans les États africains : un état des lieux préoccupant », in RFAP, n° 144, 2012/2,
pp. 1043-1051.
668
Ibid., pp. 7-8.
669
CE, 30 mars 1984, n° 24621 ; CE, 11 janvier 1991, n° 93348.
670
Cette précision est importante car elle permet de protéger l’établissement hospitalier par
exemple lorsque le patient n’a pas été informé d’un changement de tarif. V. dans ce sens, CAA
Paris, 20 septembre 2006, n° 03PA04728 ; CAA Nantes, 28 juin 2002, n° 99NT00480.
671
Sur cette obligation, v. article 203 et s. du code civil camerounais. Cependant, le débiteur des
dettes ne pourra être tenu que dans la limite de ce dont il est redevable envers le patient. En
droit français, v. L. 6145-11 du code de santé publique, Cass. civ. 1re, 29 janvier 2002, n° 99-
21.395, inédit ; Cass. civ. 1re, 14 novembre 2006, n° 02-19.238, inédit.
672
CE, 28 juillet 1995, n° 168438 ; CA Riom, 27 avril 2004, n° 03/02817. Si le montant de la dette
d’aliment n’est pas déterminé au moment de l’action contre les débiteurs d’aliments, le juge
devra au préalable le déterminer, Cass. civ. 1re, 08 juin 2004, n° 02-12.131, Bull. civ., I, n° 163,
p. 137. Mais si le débiteur est pris en sa qualité de mandataire du patient, c’est le tribunal
administratif que sera compétent, TC, 24 mars 2003, n° C3343.

274
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Au Cameroun, les recettes provenant des prestations onéreuses des


formations sanitaires sont considérées comme des deniers publics673. Dès lors,
on peut estimer que le recouvrement puisse se faire, comme en France, par un
titre de recettes émis par le régisseur de recettes de la formation sanitaire
concernée674. Le titre de recettes doit indiquer clairement les bases de liquidation
de la dette et préciser, le cas échéant, les sommes déjà versées par le patient.
Cette indication est nécessaire pour le patient, non seulement pour sa parfaite
information, mais surtout pour lui permettre de contester éventuellement les
sommes réclamées675. En France, « bien qu’ils ne constituent pas une créance
fiscale, les frais d’hospitalisation sont recouvrés “comme en matière de
contributions directes”. Cette règle a pour seul effet de donner compétence aux
comptables du Trésor pour le recouvrement »676. Cette piste pourrait être
explorée en droit interne camerounais car le cadre institutionnel s’y prête
favorablement. Ainsi, le titre de recettes pourra être transmis au chef des centres
des impôts territorialement compétent pour visa valant titre exécutoire677 au sens
de l’article 33 alinéa 5 de l’acte uniforme relatif aux procédures simplifiées de
recouvrement et les voies d’exécution678. À ce stade, l’exécution forcée pourra
être envisagée conformément aux règles établies par le droit uniforme OHADA.
En effet, la CCJA a précisé avec une clarté remarquable que lorsque « les
procédures fiscales (…) mettent en œuvre des mesures conservatoires, mesures

673
Article 14 du décret n° 93/229/PM du 15 mars 1993 fixant les modalités de la gestion des
recettes affectées aux formations sanitaires pour leur fonctionnement.
674
Sur les fonctions des régisseurs de recettes, voir article 8 et s. du décret précité. V. en droit
français, l’article L. 6145-9 du Code de la santé publique.
675
CE, 15 mai 1995, n° 132928 ; CAA Nantes, 30 juin 1994, n° 92NT00004 ; CAA Marseille, 13
mars 2007, n° 05MA01604. Cette liquidation est d’autant plus judicieuse que des cas de
surfacturation ont parfois été dénoncés, Data Cameroon, « Surfacturation : comment les
hôpitaux publics volent de l’argent aux femmes enceintes au Cameroun », édition du 30
novembre 2020.
676
Gazette Santé Social, « Le recouvrement des frais d’hospitalisation », in La Gazette.fr, 07 juin
2008, disponible sur htpps://Le recouvrement des frais d'hospitalisation
(lagazettedescommunes.com), consulté le 15 avril 2021.
677
Conformément à l’article L. 53 alinéa 2 du livre des procédures fiscales camerounais.
678
À rapprocher de, TPI Dschang, ord. n° 12 du 12 avril 2001, Edok-Eter c/ CNPS, Juridis
Périodique, n° 48, 2001 p. 67.

275
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

d’exécution forcée et procédures de recouvrement déterminées par ledit acte


uniforme, ces procédures fiscales doivent se conformer aux dispositions de
celui-ci »679.

Conclusion

Et si la couverture santé universelle était une voie de sortie ? Comme le souligne

un auteur à l’entame de son étude sur le droit des brevets et santé publique dans
l’espace OAPI, la santé est « un bien qui est toujours regardé avec la plus grande
attention. Celui qui le détient ne voudrait le perdre à aucun prix ; celui qui le perd
voudrait à tout prix le récupérer »680. Ainsi, indépendamment de sa condition
sociale, de ses convictions religieuses, politiques ou idéologiques, tout être
humain a droit à la santé. Cependant, ce droit n’est pas toujours garanti en
Afrique subsaharienne681. Au Cameroun, le plein accès aux soins demeure encore
dans la sphère du rêve. En témoigne la pratique de la rétention des patients
insolvables. Les développements qui précèdent ont permis – en tout cas c’était
l’ambition – de jeter un brin de lumière sur cette nébuleuse. Nous avons laissé
parler les faits qui donnent de constater que la rétention des patients insolvables
est une mesure illégale car elle manque de fondement juridique et porte atteinte
aux droits et libertés fondamentaux. Or il existe des voies légales – amiables ou
contentieuses – de recouvrement des créances sanitaires publiques que les
responsables de formations sanitaires pourraient envisager. On n’exclura pas le
fait que la lutte contre ce phénomène puisse se mener également sur le plan
institutionnel. Il s’agira notamment de mettre en œuvre la couverture santé
universelle au Cameroun (CSU) car c’est est un outil de garantie de l’accès aux

679
CCJA, Avis n° 1/2001/EP du 30 avril 2001, Recueil de jurisprudence CCJA, numéro spécial,
janvier 2003, p. 74.
680
P. J. LOWE GNINTEDEM, Droit des brevets et santé publique dans l’espace OAPI, thèse de
doctorat, Université de Dschang, 2011, n° 1, p. 2.
681
Les États africains s’étaient engagés à consacrer 15% de leur budget à la santé publique. Mais
la réalité est loin de là.

276
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

services de santé à l’ensemble des populations682. Son implémentation éviterait


que les patients soient séquestrés pour non-paiement étant donné que le
financement de la santé se fera en amont. Envisagée pourtant depuis 2009, la
CSU reste encore au stade de simple projet. Il est dès lors important d’accélérer
ce processus683 car, avec la rétention des patients insolvables, les
établissements hospitaliers publics n’ont finalement rien d’hospitalier !

682
J. WRIGHT et alii, Le financement de la couverture sanitaire universelle et la planification
familiale. Étude panoramique multirégionale et analyse de certains pays d’Afrique de
l’Ouest : Cameroun, Rapport de l’Agence américaine pour le développement international
(USAID), 2017, pp. 1-24 ; F. C. NKOA et P. ONGOLO-ZOGO, Promouvoir l’adhésion universelle
aux mécanismes d’assurance maladie au Cameroun, Rapport complet, 2012, p. 6. Ces derniers
auteurs insistent que le taux d’assurance maladie souscrites par les particuliers est très faible
au Cameroun.
683
A. MBOHOU, « Couverture santé universelle : un chantier phare du septennat », in Cameroun
tribune, 28 août 2020 ; F. FOUAKENG et alii, « Couverture santé universelle au Cameroun : État
des lieux et défis à relever pour accélérer cette réforme cruciale pour le système de santé en
quête incessante de ressources », [online], htpps//Rapport sur la Couverture Santé Universelle
au Cameroun | P4H, consulté le 08 mai 2020.

277
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

La spécialité de la répression des atteintes

aux biens des entreprises publiques

camerounaises

(Entre droit pénal OHADA et

droit pénal national)

Armand MBARGA - Maître Assistant du CAMES

Chargé de Cours à l’Université de Yaoundé 2 Soa

CAMEROUN

____________________

278
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Le droit pénal OHADA réserve au législateur OHADA le droit d’édicter les


incriminations, et aux législateurs nationaux celui de déterminer les sanctions.
L’éclatement de l’incrimination conduit à une situation inique au Cameroun.
Alors que le législateur OHADA retient la qualification d’abus de biens sociaux,
c’est en parfaite compatibilité avec le droit communautaire OHADA, que le
législateur camerounais applique des peines criminelles au délit d’abus de
biens sociaux

Le droit des affaires ne peut pas se passer du droit pénal, qui est un instrument
de la régulation de l’activité économique684. Le recours au droit pénal reste
d’actualité685, malgré le mouvement de balancier que l’on relève en droit
comparé, entre la pénalisation et la dépénalisation du droit des affaires686. Les
sanctions pénales sont devenues l’apanage des lois nouvelles dans le domaine
économique687. Les législateurs modernes ne sauraient se passer du rôle de
gendarme que le droit pénal assure dans les autres branches du droit688. Le droit
OHADA689 ne se démarque pas de cette optique.

684
Y. MAYAUD, "Le droit pénal, instrument de régulation de l’activité économique et financière", in
Le Code de commerce, Livre du bicentenaire 1807-2007, Dalloz, 2007, p. 625.
685
B. BOULOC, "Le droit pénal dans la vie économique", in Quel Code de commerce pour demain ?,
Litec, 2007, p. 285. J.-B. HERZOG, "Rêveries d’un pénaliste solitaire sur le droit des sociétés", D.
1996, chron. p. 91.
686
Y. Chaput, "La pénalisation du droit des affaires : vrai constat et fausses rumeurs", Pouvoirs
2009/1, n° 128, pp. 87-102 ; Ph. CONTE, "La dépénalisation de la vie des affaires : une question
de proportion", Journal des sociétés, n° 53, avril 2008 ; "La dépénalisation de la vie des affaires",
Rapport au Garde des Sceaux, ministre de la justice, La Documentation française, 2008 ; J.-M.
COULON, "Dépénalisation de la vie des affaires : "Construire un travail équilibré, cohérent, en
proposant des règles claires", Revue Lamy Droit des affaires, n° 25, mars 2008.
687
- C. ROBACZEWSKI, "Les responsabilités pénales dans la société publique locale", in in p.
MEUNIER, M.-A. VANNEAUX, M. VIVIANO, Th. DELAVENNE (dir.), Les sociétés publiques locales. Entre
volonté publique, esprit d’entreprise et concurrence, préc., pp. 163-174, spéc. p. 163. Voir
également M. – A. FRISON-ROCHE (dir.), Les enjeux de la pénalisation de la vie économique, Dalloz,
Collection thème et commentaire, 1997.
688
Voir J.Ch. SAINT-PAU, Droit pénal et autres branches du droit. Regards croisés, éd. Cujas, 2012.
689
L’harmonisation du droit des affaires en Afrique (OHADA), est une œuvre de grande envergure
qui a vu le jour le 17 octobre 1993, avec la signature du Traité de Port-Louis. Journal Officiel de
l’OHADA n° 4 du 1er nov. 1997. L’OHADA compte actuellement 18 Etats membres. L’OHADA s’inscrit

279
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Comme dans tous les systèmes juridiques, "pour réglementer tous les
comportements du droit des affaires, l’OHADA a besoin d’un minimum de
coercition pour garantir l’observation et le respect des normes édictées"690. Le
législateur OHADA a prévu de nombreuses incriminations pénales, dont la plupart
relèvent du droit des sociétés691. L’abus de biens sociaux en fait partie692. Cette
infraction sanctionne l’atteinte aux biens de toutes les entreprises qui exercent
leurs activités sous forme sociétaire, indépendamment de leur appartenance au
secteur privé ou public.

L’entreprise, qui a longtemps été ignorée du droit693, est un "organisme se


proposant essentiellement de produire pour les marchés certains biens ou
services, [et] financièrement indépendant de tout autre organisme"694. La
doctrine s’accorde à y voir la réunion de deux éléments essentiels : l’exercice
autonome d’une activité économique, et l’existence de moyens nécessaires à

dans le cadre d’une grande entreprise juridique et économique sous régionale en Afrique. Voir J.
ISSA-SAYEGH, "L’intégration juridique des Etats africains de la zone franc", Penant n° 827, mai-
août 1998, p. 218.
690
YAO K. ELOI, "Uniformisation et droit communautaire : esquisse d’un droit pénal des affaires
dans l’espace OHADA", RIDC n° 3, 2011, pp. 661-696, spéc. p. 664. Sur le droit pénal OHADA, voir
D. NDIAW, "Actes uniformes et Droit pénal des Etats signataires du Traité de l’OHADA : la difficile
émergence d’un droit pénal communautaire des affaires dans l’espace OHADA", Revue Burkinabe
de Droit, 2001 ; M. MAHOUVE, "Le système pénal OHADA ou l’uniformisation à mi-chemin", Penant,
n° 846, 2004, p. 87 et s. ; E. L., KANGAMBEGA, "Observations sur les aspects pénaux de l’OHADA",
Penant, n° 834, 2000, p. 304 et s. ; A. FOKO, "Analyse critique de quelques aspects du droit pénal
OHADA", Penant, n° 859, 2007, p. 195 et s.
691
Pour un tableau synoptique, voir H. TCHANTCHOU, M. AKUETE AKUE, "L’état du droit pénal des
affaires dans l’espace OHADA", Revue de l’ERSUMA, Droit des affaires - Pratique
Professionnelle, N° Spécial - nov-déc 2011, Etudes, pp. 24-45, spéc. pp. 30 à 34 ; E. KITIO, "Le
contentieux du droit pénal des affaires devant les hautes juridiqtions nationales et devant la
CCJA", Revue de l’ERSUMA, n° 2, Mars 2013, pp. 309-328.
692
Art. 891 Acte uniforme portant organisation des sociétés commerciales et du groupement
d’intérêt économique (AUSCGIE).
693
G. RIPERT, Les aspects juridiques du capitalisme moderne ….., n° 120 à 123 ; P. DURAND, La
notion juridique d’entreprise, in Trav. Ass. H. Capitant, Dalloz, 1947 ; M. DESPAX, L’entreprise et le
droit, LGDJ, 1957 ; J. MESTRE, M.-E. PANCRAZI, I. ARNAUD-GROSSI, L. MERLAND, N. TAGLIARINO-VIGNAL,
Droit commercial, 29e éd. LGDJ .., n° 28, p. 35.
694
G. CORNU, Vocabulaire juridique Association Henri Capitant, 13e éd. PUF, 2020, v° Entreprise.

280
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

l’exercice de cette activité, en l’occurrence, le capital et le personnel695. Elle peut


être exploitée sous forme de société, la société apparaissant ainsi comme une
technique de l’organisation de l’entreprise696. L’entreprise fait naturellement
partie du secteur privée, puisqu’elle est caractérisée par la recherche du profit.
L’existence d’un but lucratif n’exclut pas pour autant une appartenance du
secteur public.

Le législateur OHADA n’a pas défini la notion d’entreprise publique. Il faut donc se
référer, en plus des définitions générales, à celles qui sont retenues par les
dispositions nationales des Etats membres, auxquelles renvoient implicitement
l’article 916 AUSCGIE. Suivant une acception générale, l’entreprise publique est
une "entreprise appartenant au secteur économique public ou local"697. La loi
camerounaise n° 2017/011 du 12 juillet 2017 vient mettre un terme à l’amalgame
qui avait été entretenu entre les entreprises publiques et les établissements
publics et les sociétés commerciales698. Elle distingue deux types d’entreprises

695
Voir par exemple. BOLZE, note sous CA Paris, 28 mai 1986, D. 1987, 562, qui définit l’entreprise
comme "la réunion des moyens matériels et humains coordonnés et organisés en vue de la
réalisation d’un objectif économique déterminé". Voir également B. MERCADAL, "La notion
d’entreprise", Mélanges offerts à Derruppé Jean, Litec/Joly, 1991, p.9.
696
Voir J. PAILLUSSEAU, La S.A., technique d’organisation de l’entreprise, Sirey, 1967.
697
G. CORNU, Vocabulaire juridique préc., v° Entreprise publique.
698
L’article 3 de la loi du 22 décembre 1999 portant réforme du statut général des établissements
et des entreprises des secteurs publics et parapublics soumettait les sociétés à capital public et
les d’économie mixte au statut général des établissements publics. Si les entreprises publiques
en forme d’établissements publics sont des personnes morales de droit public qui ont la
personnalité morale de droit public, et soumises de ce fait au droit public, tel n’est pas le cas des
entreprises publiques de forme sociétaires. La loi n° 2017/011 du 12 juill. 2017 portant statut
général des entreprises publiques met un terme à cette confusion. Voir M. AFANA BINDOUA, "Libres
propos sur la réforme du cadre juridique des établissements et des entreprises publics au
Cameroun", Penant, n° 911, avril-juin 2020, pp. 240-268. Malgré leur appartenance au secteur
public, ces entreprises sont des personnes privées (CE, Ass. 22 déc. 1982, n° 34.252 et n° 34.798,
Comité central d’entreprise de la société française d’équipement pour la navigation aérienne, Rec.
CE 1982, p. 436, RDP 1983, p. 497, note J. M. AUBY. Sur la nature juridique des entreprises
publiques, voir la doctrine classique ce sont des personnes morales de droit privé. Voir en ce
sens, NEGRIN, L’intervention des personnes morales de droit privé dans l’action de l’administration,
LGDJ, 1971, pp. 35 et s. ; R. ALLOU, La pratique des sociétés d’économie mixte, Librairie du Journal
des notaires et des avocats, 1976 ; G. VEDEL, Droit administratif, PUF, Thémis, 5e éd. 1973, 902
p. ; M. Waline, Précis de droit administratif, tome 2, Paris, Montchrestien, 1970, 368 p.) ; A. de

281
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

publiques. La société à capital public, dont le capital est entièrement détenu par
l’Etat d’une part, et la société d’économie mixte, dans laquelle la participation en
capital de l’Etat699, d’une entreprise publique, ou d’une collectivité territoriale
décentralisée est majoritaire700. Elles doivent être constituées sous forme de
société anonyme, et fonctionner conformément aux dispositions de l’Acte
uniforme OHADA relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement
d’intérêt économique701.

L’appartenance d’une entreprise publique au secteur public relativise le critère


lucratif qui caractérise les entreprises du secteur privé. L’entreprise publique
exploite le plus souvent un service public dans l’intérêt général. L’Etat et des
personnes morales de droit public participent à son capital, lorsqu’elle est
exploitée sous forme de société. Le caractère public de ses missions et celle de
son actionnariat font de l’entreprise publique, une émanation de l’Etat. C’est à ce
titre qu’elle est dotée de certaines prérogatives de puissance publique, qui
appartiennent à l’Etat. Cette particularité pose des difficultés quant à la
détermination du régime juridique applicable à ces entreprises. Cette question
d’ordre générale se répercute également en droit pénal. Elle est relative à la
nature juridique des biens des entreprises publiques. La participation publique
en capital remet-elle en cause l’autonomie patrimoniale ? En d’autres termes, la
participation publique en capital transforme-t-elle la nature des biens de ces

LAUBADERE, Traité de droit administratif, tome 4, 3e éd. 1977, LGDJ, p. 233 et s.. En soumettant les
entreprises publiques qui exercent leurs activités sous forme sociétaire à tous les Actes
uniformes (Voir B. BOUMAKANI, "Les entreprises publiques à l’épreuve du droit OHADA", Rev. Lamy
Droit des affaires, oct. 2004, n° 75, pp. 25-29, spéc. pp. 26 à 28), le droit OHADA a poursuivi la
banalisation des entreprises publiques est définie comme "la tendance à soumettre celles-ci aux
règles qui régissent les relations juridiques privées, ou à des règles inspirées de celles qui
régissent les relations juridiques privées" J.-B. AUBY, "Le mouvement de banalisation du droit des
entreprises publiques et ses limites", in Etudes offertes à Jean-Marie Auby, Dalloz, 1992, pp. 3-
16, spéc. p. 3).
699
Art. 2 al. 2 loi 12 juill. 2017.
700
Art. 2 al. 3 loi 12 juill. 2017.
701
Art. 10 loi 12 juill. 2017.

282
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

entreprises privées en biens publics, de sorte qu’ils seraient soumis à une


protection pénale particulières ?

La question qui se pose in fine, est celle de savoir quelle est la sanction applicable
aux atteintes portées au patrimoine des entreprises public, dans un
environnement juridique où l’Etat assure une protection particulière des biens
publics qui se traduit, non seulement par l’existence de sanctions pénales
spécifiques, mais également par la sévérité de la politique criminelle à l’égard des
prévaricateurs de la fortune publique en général. Cette question s’est posée avec
beaucoup d’acuité au Cameroun. L’intérêt de l’étude réside donc dans la
détermination de la loi applicable aux atteintes portées au patrimoine des
entreprises publiques camerounaises. Cette question nationale a une
excroissance extraterritoriale.

Une jurisprudence camerounaise abondante702, a donné naissance à un débat


doctrinal relatif à la détermination de la sanction applicable aux atteintes portées
au patrimoine des entreprises publiques camerounaises. Toutefois, les solutions
jurisprudentielles et doctrinales proposées n’ont pas été satisfaisantes. Le débat
reste donc d’actualité. Le délit d’abus des biens sociaux, prévue par l’article 891
AUSCGIE pouvait-il être écarté au profit de l’application de l’infraction spécifique
de détournement de biens publics puni de peines criminelles ?703 Cette
interrogation remet au goût du jour la question relative à la construction du droit

702
Voir par exemple, TGI du Wouri, jugement des 12 et 13 déc. 2007, M.P. et Port autonome de
Douala c/ Etonde Ekoto et autres c/ M.P. Cette affaire ayant fait l’objet d’un pourvoi rejeté pour
incompétence par la CCJA; TGI du Mfoundi, M.P. et Société Immobilière du Cameroun c/ Belinga
Giles Roger et autres, jugement numéro 880/Crim. du 27 sept. 2007 ; M.P. et FEICOM c/ Ondo
Ndong Emmanuel, jugement n° 371/Crim. du 27 juin 2007.
703
Voir E. KENGUEP et E. FOKOU, "L’infraction d’atteinte au patrimoine des entreprises publiques et
parapubliques dans l’espace OHADA", Revue de l’ERSUMA, n° 6, Droit des affaires – Pratique
Professionnelle, N° 6 – Janvier 2016, Doctrine ; V. BAKREO, "La nature juridique des sociétés
d’Etat : analyse critique au regard du droit OHADA et du contentieux camerounais d’abus de biens
sociaux", Penant, n° 909, oct.-déc. 2019, pp. 449-474.

283
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

pénal OHADA704, d’autant plus que la Cour commune de justice et d’arbitrage


(CCJA), saisi par un pourvoi, s’est déclarée incompétente pour connaître du
contentieux des sanctions pénales afférentes aux incriminations pénales705 que
peuvent pourtant contenir certains Actes uniformes OHADA, en vertu de
l’application du second alinéa de l’article 5 du Traité706. L’intérêt est double. Il a
trait tout d’abord, à la détermination de l’office du juge pénal. Quelle qualification
doit-il retenir ? Il s’agit ensuite, de s’interroger sur la nécessité de parachever la
construction du droit pénal OHADA, qui s’est arrêtée à mi-parcours.

Le sujet met en évidence un conflit de qualifications entre une norme de droit


pénal national et une norme de droit pénal communautaire OHADA. Le conflit est
résolu par l'application de la qualification délictuelle d'abus de biens sociaux
prévue par le droit communautaire (I). Toutefois, en raison de l'éclatement du
droit pénal OHADA, la sanction relève du droit national, ce qui justifie l'application
des peines criminelles de l'infraction de détournement des biens publics (II).
Cette application duale du droit pénal OHADA et du droit pénal national fait montre
de la spécialité de la répression qui mérite d'être amendée en faveur d'un
adoucissement de la répression.

704
Voir N. DIOUF, "Actes uniformes et Droit pénal des États signataires du Traité de l’OHADA : La
difficile émergence d’un droit pénal Communautaire des Affaires dans l’espace OHADA", Revue
Burkinabé de Droit, 2001 ; YAO K. ELOI, "Uniformisation et droit communautaire : esquisse d’un
droit pénal des affaires dans l’espace OHADA", RIDC n° 3, 2011, pp. 661-696.
705
J. KAMGA, "Contentieux des sanctions pénales : dernier refuge des souverainetés étatiques
dans l’espace de l’OHADA". (À propos de l’arrêt, CCJA, n°053/2012 du 07 juin 2012, Pourvoi
n°059/2009/PC du 19 juin 2009 Affaire : Monsieur E.E.E c/ Port Autonome de Douala. Voir
également D. LEKEBE OMOUALI, "Les ambiguïtés de la voie de cassation en matière de droit pénal
des Actes uniformes", Lexbase : A9113WY8 ; R. NJEUFACK TEMGWA, "Précisions sur la compétence
judiciaire de la CCJA", in Les réformes de droit privé en Afrique. Actes du colloque organisé par le
Laboratoire d’Etudes et de Recherche sur le Droit et les Affaires en Afrique (LERDA), 13-14
novembre 2014, Université de Dschang (Cameroun), Presses Universitaires d’Afrique, 2016, pp.
403-411.
706
Art. 5 al. 2 Traité OHADA : "Les Actes uniformes peuvent inclure des dispositions d’incrimination
pénale. Les Etats Parties s’engagent à déterminer les sanctions pénales encourues".

284
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

I. LA QUALIFICATION DELICTUELLE D’ABUS DES BIENS SOCIAUX DU DROIT OHADA

La qualification d’abus de biens sociaux est applicable aux atteintes au


patrimoine des entreprises publiques commises par leurs dirigeants sociaux.
Cette qualification conforme au droit pénal OHADA (A) entre toutefois en concours
avec la qualification de détournement de biens publics prévue par le droit
national (B). Il n’en demeure pas moins, que le législateur camerounais réprime
les atteintes aux biens des entreprises publiques par l’abus de biens sociaux,
conformément aux prescriptions impératives du droit communautaire OHADA.

A. UNE QUALIFICATION EN CONFLIT AVEC LE DETOURNEMENT DE BIENS PUBLICS

Exigence du principe de la légalité pénale707, la qualification des faits consiste


pour le juge, à s’assurer que toutes les conditions prévues par la loi qu’il envisage
d’appliquer sont bien réunies708. Le conflit prend naissance, lorsqu’une situation
de fait peut a priori, relever de plusieurs qualifications pénales. C’est le cas de
l’abus des biens sociaux prévu par l’article 891 AUSCGIE709 et l’article 184 du Code
pénal camerounais qui incrimine le détournement de biens publics710. Tels sont
les termes du conflit de qualification (1°), qui doit être apprécié à travers le risque
répressif en jeu (2°).

707
"Une telle exigence découle directement du principe de la légalité pénale puisqu’en retenant
une seule qualification pénale, on assure à la personne poursuivie de retenir celle qui correspond
le mieux aux faits". E. GALLARDO-GONGGRYP, La qualification pénale des faits, PUAM, 2013, p. 111,
n° 147.
708
E. DREYER, Droit pénal général préc., p. 527, n° 633.
709
Sur l’abus de biens sociaux, voir A. MEDINA, Abus de biens sociaux. Prévention, détection,
poursuite, Dalloz 2001, 354 p.
710
Sur le détournement de biens publics, voir S. YAWAGA, "Avancées et reculades dans la
répression des infractions de détournements des deniers publics au Cameroun : Regard critique
sur la loi n° 2011/028 du 11 décembre 2011 portant création d’un tribunal criminel spécial", in
Juridis Périodique, n° 90 avril-mai-juin 2012, p. 43.

285
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

1. Les termes du conflit de qualification

L’article 916 AUSCGIE qui dispose que "le présent Acte uniforme n’abroge pas les
dispositions législatives auxquelles sont assujetties les sociétés soumises à un
régime particulier" est à l’origine d’une controverse quant à la détermination du
droit applicable aux entreprises publiques. La réforme du Code pénal par la loi n°
2016/007 du 12 juillet 2016, qui est intervenue largement après l’adoption de
l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales était l’occasion de
mettre le droit pénal camerounais en harmonie avec le droit OHADA.

Le législateur a certes pris l’initiative d’internaliser les Conventions


internationales ratifiées par le Cameroun, et parmi lesquels certains Actes
uniformes OHADA711. Toutefois, le législateur n’a pas procédé à la mise en
harmonie de l’infraction de détournement de biens publics avec celle de l’abus
de biens sociaux. Ces deux infractions ont des éléments constitutifs identiques.

Sur le plan matériel, l’abus de bien sociaux est caractérisé par l’usage des biens
et du crédit d’une entreprise à des fins contraires à l’intérêt social. Les dirigeants
sociaux712 doivent, suivant les termes de l’article 891 AUSCGIE, faire "des biens ou
du crédit de la société, un usage qu’ils savent contraire à l’intérêt de celle-ci"713.
L’usage des biens ou du crédit C’est l’élément matériel constitutif de l’infraction.
L’article 891 AUSCGIE y ajoute un usage à des fins personnelles, matérielles ou
morales, d’une part, un usage destiné à favoriser une autre personne dans
laquelle les dirigeants sociaux sont intéressés directement ou indirectement. Ces

711
Voir exposé des motifs du projet de loi portant Code pénal.
712
Ont cette qualité, au sens de l’article 891 AUSCGIE, le gérant de la société à responsabilité
limitée, les administrateurs, le président directeur général, le directeur général, le directeur
général adjoint, le président de la société par actions simplifiée, l’administrateur général ou
l’administrateur général adjoint.
713
"En réalité, l’intérêt social est un instrument souple et pratique, utilisé en jurisprudence en vue
d’une certaine police des sociétés. L’institution qu’il nous rappelle le plus est celle de la "cause"
dans les contrats" : J. SCHAPIRA, "L’intérêt social et le fonctionnement de la société anonyme",
RTD Com., 1971, p. 970.

286
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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deux alternatives ont un caractère superfétatoire. L’infraction est constituée dès


lors que l’usage des biens ou du crédit est contraire à l’intérêt de la société. Il
importe peu, que cet usage soit destiné à satisfaire des intérêts personnels, qu’ils
soient matériels ou moraux. Cette précision est donc inutile.

L’on peut a priori en dire autant pour le fait de favoriser une personne morale
dans laquelle les dirigeants sociaux sont intéressés directement ou
indirectement. Cette dernière alternative vise la prise illégale d’intérêts, qui n’est
pas sanctionnée dans tous les Etats membres de l’OHADA. On peut l’estimer
superflue au même titre que la précédente. L’on peut toutefois admettre que
cette précision est de nature à écarter toute difficulté d’interprétation dans les
Etats membres qui n’ont pas incriminé la prise illégale d’intérêts. Ces éléments
matériels sont identiques à l’infraction de détournement de biens publics prévue
par l’article 184 du Code pénal camerounais. Ce réprime par de lourdes peines,
"quiconque, par quelque moyen que ce soit, obtient ou retient frauduleusement
quelque bien que ce soit, mobilier ou immobilier, appartenant, destiné ou confié
à l’Etat unifié, à une coopérative, collectivité ou établissement, ou publics, ou
soumis à la tutelle administrative de l’Etat ou dont l’Etat détient directement ou
indirectement la majorité du capital social".

Les actes matériels du détournement de biens publics "résident aussi bien dans
le fait d’obtenir que de retenir frauduleusement tout bien mobilier appartenant ou
destiné à l’Etat, à une coopérative, à une collectivité locale ou établissement
administratif, industriel ou commercial sous tutelles administrative de celui-ci où
il détient directement ou indirectement la majorité du capital social"714.
L’obtention et la rétention litigieuses s’analysent naturellement en un usage des
biens de la société publique à des fins contraires à l’intérêt social. Quant à la
notion de biens, il s’agit aussi bien de biens matériels qu’immatériel, et donc du

E. FOKOU, "L’infraction d’atteinte au patrimoine des entreprises publiques et parapubliques


714

dans l’espace OHADA", Ohadata D-15-07, p. 6.

287
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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crédit d’une société. En définitive, l’on retrouve dans le détournement des biens
publics, les mêmes éléments matériels que l’abus de biens sociaux. Il s’agit de
l’usage des biens et du crédit à des fins contraires à l’intérêt social qui est
considéré par un auteur, comme étant la "boussole de la société"715. La
communauté des éléments matériels est doublée de l’identité des éléments
intentionnels.

En disposant qu’"est pénalement responsable celui qui volontairement commet


les faits caractérisant les éléments constitutifs d’une infraction avec l’intention
que ces faits aient pour conséquence la réalisation de l’infraction", le second
alinéa de l’article 74 du Code pénal camerounais, pose l’exigence d’un élément
intentionnel pour caractériser la constitution d’une infraction. Cette exigence a
été rappelée par la Cour suprême du Cameroun dans un arrêt de principe du 15
avril 1976, en décidant que "l’intention criminelle constitue l’un des éléments
constitutifs de l’infraction qualifiée crime ou délit de détournement". Il s’agit, du
caractère frauduleux de l’obtention ou de la rétention du bien litigieux716. Le
caractère frauduleux de l’obtention ou de la rétention du bien implique
nécessairement la mauvaise foi de l’agent. L’on retrouve l’une des exigences de
l’élément moral qui caractérise l’abus de biens sociaux du droit pénal OHADA.

L’élément moral de l’abus de biens sociaux prévu par l’article 891 AUSCGIE est
double. Le législateur communautaire exige d’abord un dol général caractérisé
par la mauvaise foi de l’agent. La mauvaise foi "désigne ici l’intention frauduleuse
ou les manœuvres et réticences dolosives même indéterminées orchestrées par
le dirigeant social avec la conscience et la connaissance du caractère

715
A. PIROVANO, "La boussole de la société. Intérêt commun, intérêt social, intérêt de l’entreprise",
D. 1997, chron., p. 189.
716
Il s’agit, selon les termes de l’article 184 du Code pénal ; des biens appartenant ou destiné à
l’Etat, à une coopérative, à une collectivité locale ou à un établissement administratif, industriel
ou commercial sous tutelle administrative de l’Etat, ou dans lequel l’Etat détient directement ou
indirectement la majorité du capital social.

288
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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préjudiciable à la société de l’acte ou de l’omission qu’il commet"717. En plus du


dol général, l’article 891 AUSCGIE exige la preuve d’un dol spécial. L’acte constitutif
d’abus doit avoir profité directement ou indirectement au dirigeant social718.
L’exigence d’un intérêt personnel expressément visé par l’article 891 AUSCGIE
n’est pas étrangère au détournement de biens publics. L’obtention ou la rétention
d’un bien public est naturellement motivée par la satisfaction directe ou indirecte,
de l’intérêt personnel de l’agent.

L’identité des éléments constitutifs de l’abus des biens sociaux et du


détournement de biens publics crée un conflit de qualification. L’opération
juridique qui consiste pour le juge, à vérifier si les faits litigieux tombent
effectivement sous le coup de la loi pénal qu’il envisage d’appliquer est
susceptible d’aboutir à l’application de l’une des deux infractions. L’enjeu
répressif vient exacerber l’intérêt de la question.

2. L’enjeu répressif de la qualification pénale

De prime abord, il semble inutile d’envisager un quelconque enjeu répressif quant


au choix de la qualification pénale à retenir. La solution classique du conflit de
qualification, qui consiste à retenir la qualification sous la plus haute expression
pénale719, afin de prononcer les peines les plus sévères720, prive a priori la
question de tout intérêt juridique. Il n’en demeure pas moins, que les juridictions

717
E. FOKOU préc., p. 10.
718
Certains auteurs s’interrogent sur la pertinence de ce dol spécial qu’ils jugent l’existence d’un
dol spécial qu’ils jugent "superfétatoire". Voir W. JEANDIDIER, Droit pénal des affaires, Dalloz, 6e
éd., 2006, p. 378 : "L’examen de toutes ces décisions conduit à s’interroger sur la rationalité de
l’exigence d’un dol spécial pour l’abus de biens sociaux. Tout mobile étant pris en considération,
cela ne revient-il pas en définitive au caractère superfétatoire du dol spécial et de ce fait à un
rapprochement inattendu avec l’abus de confiance".
719
Cass. Crim., 20 nov. 1978 : Bull. Crim. 1978, n° 323 : "Si les juges de répression ne peuvent
statuer sur d’autres faits que ceux qui leurs sont déférés par le titre qui les saisit, il leur appartient
de relever dans les débats les circonstances qui se rattachent à ces faits et sont propres à leur
restituer leur véritable qualification, sous la plus haute expression pénale".
720
Voir M. PUECH, La jurisprudence pénale, Arch. phil. dr. 1985, t. 30, p. 146.

289
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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de jugement disposent d’une liberté dans la qualification des faits. Puisqu’"il


appartient aux juges du fond, saisis d’une infraction, de restituer même d’office
aux faits leur véritable qualification"721, rien ne s’oppose à ce qu’ils retiennent une
qualification autre que celle retenue par le titre qui les saisit. Les juges pourraient
faire écho au principe de faveur, qui "signifie que la répression ne doit pas être
une fin en soi"722. Si "dans le doute, le juge doit renoncer à punir"723, il doit
également pouvoir renoncer à qualifier les faits sous leur plus haute expression
pénale, afin d’appliquer la peine la plus douce. L’enjeu répressif de la qualification
pénale reste donc d’actualité. Il est essentiellement limité à la sévérité des
sanctions pénales applicables aux faits litigieux.

Aux peines délictuelles de l’abus des biens sociaux, il faut opposer les peines
criminelles du détournement de biens publics. Alors que l’article 9 de la loi n°
2003/008 du 10 juillet 2003 portant répression des infractions contenues dans
certains Actes uniformes OHADA prévoit à titre principal des peines
d’emprisonnement de 1 à 5 ans, et une amende de 2 000 000 à 20 000 000 F
CFA724, l’article 184 du Code pénal qui incrimine le détournement de biens publics
prévoit comme peine maximale, l’emprisonnement à vie725. La criminalisation des
atteintes au patrimoine des entreprises publiques, et d’une manière générale aux
biens publics fait montre de spécificité du droit pénal camerounais au regard des
contraintes des droits de l’homme. Malgré l’humanisation du droit pénal de

721
Cass. Crim., 13 nov. 1962 : Bull. crim. 1962, n° 316.
722
E. DREYER préc., p. 90, n° 109.
723
E. DREYER préc., p. 90, n° 109.
724
La disparité des sanctions qui est souvent critiquée à l’échelle communautaire est moins
prononcée s’agissant de la répression de l’abus des biens sociaux. L’article 6 de la loi sénégalaise
n° 98/22 du 26 mars 1998 prévoit une peine d’emprisonnement de 1 à 5 ans, et une amende de
100.000 à 5.000.000 F CFA. Quant à l’article 215 de la loi centrafricaine n° 10/001 du 6 janv. 2010,
il prévoit également une peine d’emprisonnement de 1 à 5 ans, mais une amende de 1.000.000 à
5.000.000 F CFA.
725
L’emprisonnement à vie est prescrit lorsque la valeur des biens excède 500.000 F CFA. Il est
d’une durée de 15 à 20 ans lorsque cette valeur est comprise entre 100.000 et 500.000 F CFA. La
peine est de 5 à 10 ans d’emprisonnement, et d’une amende comprise entre 50.000 et 500.000
F CFA, lorsque cette valeur est égale ou inférieure à 100.000 F CFA.

290
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

fond726 et de forme727, ce droit reste caractérisé par la sévérité de ses peines728.


C’est le principal enjeu répressif de la qualification.

Il a été affirmé que l’abus de biens sociaux est plus souple que le détournement
des biens publics. Seuls les dirigeants limitativement énumérés par l’article 891
AUSCGIE sont susceptibles d’être poursuivis, à la différence du détournement de
biens publics qui prévoit la répression de toute personne, indépendamment de
sa qualité, qui aura obtenu ou retenu un bien public. L’exigence d’un intérêt
personnel direct ou indirect pour caractériser l’abus de biens sociaux, limiterait
également la caractérisation de l’infraction par rapport au détournement des
biens publics729. Ces éléments sont sans importance sur le régime de la
répression, dès lors que la complicité730 et le recel731 permettent d’élargir le
champ d’application de la répression. La sévérité des sanctions reste donc l’enjeu
principal de la qualification.

La réception des contraintes des droits de l’homme doit contribuer à la mise en


exergue l’application du principe de faveur au bénéfice de la personne
poursuivie. La répression n’étant pas une fin en soi, les juridictions de jugement
doivent user de leur liberté pour retenir les qualifications les moins sévères, afin
d’appliquer les peines les plus douces. Il est souhaitable de retenir la qualification

726
J. S. MBOGNING, "Les grands principes de droit pénal dans le nouveau Code pénal
camerounais", Juridis Périodique, Juill.-Août-Sept. 2017, pp. 121-134.
727
Voir loi N° 2005-007 du 27 juillet 2005 portant code de procédure pénale, et - H. KEMBO TAKAM,
M. MAHOUVE, Les droits de l’homme au cœur de la procédure pénale camerounaise, éd. Bruylant.
728
A. MINKOA SHE, Droits de l’homme et droit pénal au Cameroun, Economica, Paris 1999, n° 331,
p. 156 ; S. MELONE, "Les grandes orientations de la politique pénale en Afrique : le cas du
Cameroun", Rev. Camerounaise de droit, n° 7.
729
E. FOKOU, "L’infraction d’atteinte au patrimoine des entreprises publiques et parapubliques
dans l’espace OHADA", Ohadata D-15-07.
730
Se rend complice de l'abus de biens, celui qui a connaissance, au moment de l'opération
délictuelle, que celle-ci est contraire à l'intérêt social et qui a commis des actes positifs :
Cass. crim., 12 janv. 1987 : Bull. Joly 1987, n° 209. Voir également Cass. crim., 19 juin 1997,
n° 96-83274.
731
Cass. Crim, 3 mai 1982, n° 81-1455.

291
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

d’abus des biens sociaux, en lieu et place de celle de détournement des biens
publics. Sans pour autant partager cet objectif732, le législateur camerounais a
solutionné le conflit de qualification en faveur du droit pénal OHADA.

B . LA SOLUTION DU CONFLIT EN FAVEUR DU DROIT PENAL OHADA

Pour résoudre le conflit de qualifications entre les dispositions de l’article 891


AUSCGIE et l’article 184 du Code pénal, le législateur camerounais a marqué sa
préférence du droit pénal OHADA. C’est en conformité avec le droit pénal OHADA
qu’il a retenu l’abus de biens sociaux au détriment du détournement des biens
publics (1°). Malgré cette préférence législative, les juridictions pénales se sont
montrées réfractaires. La résistance inopportune des juridictions pénales (2°)
n’est pas de nature à modifier la solution du conflit de qualification.

1. La qualification législative d’abus de biens sociaux conforme droit pénal OHADA

Pour incriminer les atteintes aux biens des entreprises publiques, le législateur
camerounais a retenu la qualification d’abus de biens sociaux. L’article 9 de la loi
n° 2003/008 du 10 juillet 2003 portant répression de certaines infractions
prévues par les Actes uniforme OHADA reprend intégralement l’incrimination
d’abus de biens sociaux, qu’il sanctionne par une peine d’emprisonnement d’un à
cinq ans, et par une amende de 2.000.000 à 20.000.000 F. CFA. Bien qu’elle soit
critiquée par une certaine doctrine733, la transposition des termes de
l’incrimination communautaire dans la loi camerounaise, a l’avantage de rappeler
ne serait-ce qu’à titre superfétatoire, que le législateur camerounais entend
réprimer les atteintes aux biens des entreprises publiques, par l’abus de biens
sociaux. Elle facilite également l’accessibilité au droit. Elle évite la consultation

732
Bien qu’il ait retenu l’abus de biens sociaux, le législateur camerounais a appliqué les peines
plus sévères du détournement de biens publics. Cf. infra.
733
H. TCHANTCHOU et M. AKOUETE AKUE, "L’Etat du droit pénal dans l’espace OHADA", Revue de
l’ERSUMA, nov.-déc. 2011, pp. 20-45, spéc. p. 27.

292
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

plusieurs codes différents, pour connaître le comportement prohibé et les


sanctions applicables734.

La transposition des termes de l’incrimination communautaire dans la loi


nationale a certainement un caractère superfétatoire, dès lors que "les termes
d’incriminations contenues dans les Actes uniformes […] avaient déjà rejoint
l’ordre juridique interne et n’attendaient plus que leurs compléments
étatiques"735, notamment la détermination des sanctions applicables.
L’application immédiate et l’effet direct qui assurent au droit communautaire une
primauté sur le droit national, permet de conforter la qualification d’abus de bien
sociaux reprise par le législateur camerounais. Il faut y ajouter la portée limitée
du régime spécifique prévu par l’article 916 AUSCGIE, et l’absence de distinction
entre les sociétés des secteurs public et privé.

Le droit qui émane d’un Traité ou d’une Convention internationale est


d’application immédiate et d’effet direct, lorsque son incorporation dans l’ordre
juridique interne des Etats membres ne nécessite aucune formalité
particulière736. Ce principe fondamental du droit communautaire résulte de l’arrêt
van Gend en Loos de la Cour de justice européenne du 5 février 1963 : "le droit
communautaire, indépendamment des Etats membres, de même qu’il crée des
charges dans le chef des particuliers, est destiné à engendrer des droits qui
entrent dans leur patrimoine juridique, ces droits naissent non seulement
lorsqu'une attribution spécifique en est faite par le Traité, mais aussi en raison
de l’obligation que le Traité impose d’une manière bien définie, tant aux
particuliers qu’aux Etats membres et aux Institutions Communautaires".

734
Voir A. PROTHAIS, "Les paradoxes de la pénalisation", JCP 1997. I. 4055, p. 428 ; Ph. CONTE,
"L’art de légiférer se perd-t-il ?, in Mélanges Lapoyade-Deschamps, PUB, 2003, p. 309.
735
H. TCHANTCHOU et M. AKOUETE AKUE, préc., p. 27.
736
C’est en ce sens que la CJCE, s’est prononcée dans un arrêt du 13 décembre 1967, à propos
du droit communautaire européen, dans l’affaire 28/67, Firma : "le droit dérivé directement
applicable pénètre dans l’ordre juridique interne sous le secours d’aucune mesure nationale".

293
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

L'article 10 du Traité OHADA qui dispose de manière péremptoire que "les Actes
uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les Etats Parties,
nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou
postérieure", affirme la primauté du droit communautaire OHADA737. Ce droit n’est
pas seulement d’application immédiate et d’effet direct738. Il a également un effet
abrogatoire739. Il abroge toutes les dispositions de droit interne qui lui sont
contraires. La portée de l’effet abrogatif est par ailleurs large. Elle s’étend aussi
bien sur les lois internes adoptées avant l’entrée en vigueur d’un Acte uniforme,
que sur celles que peuvent prendre les Etats membres postérieurement à
l’adoption d’un Acte uniforme.

L’article 916 AUSCGIE a été à l’origine d’une controverse sur la portée de l’effet
abrogatif. En disposant que "le présent Acte uniforme n’abroge pas les
dispositions législatives auxquelles sont assujetties les sociétés soumises à un
régime particulier", l’article 916 AUSCGIE ADMET une exception à l’effet
abrogatoire du droit communautaire OHADA. Il restait alors à s’accorder sur la
portée de ce tempérament. Est-ce la reconnaissance d’un régime dérogatoire du
droit commun OHADA ? Auquel cas, les entreprises publiques, qui sont soumises
au régime spécifique de l’article 916 précité peuvent être assujetties par le droit
interne des Etats membres, à un régime juridique dérogatoire. L’on devrait alors
admettre, s’agissant du droit pénal, que les Etats membres puissent prévoir des
incriminations différentes de celles du droit OHADA pour protéger les biens des
entreprises publiques. L’article 184 du Code pénal camerounais pourrait alors
recevoir application, en lieu et place de l’abus des biens sociaux prévu par l’article

737
Bien qu’une partie minoritaire de la doctrine refuse de reconnaitre la qualité de droit
communautaire au droit OHADA. Vor en ce sens, S. DOUMBE-BILLE, "A propos de la nature de
l’OHADA", in Mélanges en l’honneur du Professeur MADJIB BENCHIKI, éd. Pédone, Paris, 2011,
pp. 423 et s.
738
Sur cette question, voir H. BRIBOSIA, "L’applicabilité directe et la primauté des traités
internationaux et du droit communautaire", RBDI, 1996.
739
D. ARBACHI, "La supranationalité de l’organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des
affaires (OHADA), Ohadata D-02-02, Revue burkinabè de droit, n° 37, 2000 ; H. BRIBOSIA préc.

294
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

891 AUSCGIE. Saisie pour avis sur cette question épineuse, la CCJA a écarté
l’existence d’un régime dérogatoire.

La Cour commune de justice de l’OHADA, a rappelé que les dispositions de l’Acte


uniforme sont d’ordre public740, ce qui écarte nécessairement l’admission d’un
régime dérogatoire. Cet avis est approuvé par la doctrine. La portée de l’article
916 AUSCGIE est limitée. Il s’agit d’"un indispensable "complètement" des
dispositions du droit OHADA et non d’une éventuelle dérogation à celles-ci"741.
L’article 184 du Code pénal camerounais ne peut pas écarter l'application des
dispositions d’ordre public de l’article 891 de l’acte uniforme précité, quant à la
détermination de l’incrimination applicable.

L’argument relatif à l’interprétation des lois est tout aussi décisif. Là où la loi ne
distingue pas, il ne faut pas distinguer. C’est l’application stricte de la loi pénale,
qui découle du principe de la légalité des délits et des peines. L’article 891
AUSCGIE ne vise pas uniquement les sociétés du secteur privé. Il s’applique
indistinctement à toutes les sociétés, qu’elles soient du secteur privé ou du
secteur public. L’abus de biens sociaux prévu par l’article 891 AUSCGIE est
applicable aux entreprises publiques.

Cette thèse a été confortée par la loi n° 99/016 du 22 décembre 1999 portant
statut général des établissements publics et des entreprises du secteur public et
parapublic qui a retenu l’abus des biens sociaux, pour qualifier les atteintes

740
CCJA, avis n° 001/2001/EP du 30 avril 2001, 6e question, 4e chambre (4-d) : "Les dispositions
de l'Acte uniforme sur les sociétés commerciales et le GIE étant d'ordre public et s'appliquant à
toutes les sociétés commerciales à raison de leur forme et quel que soit leur objet, régissent des
sociétés soumises à un régime particulier entrant dans le cadre juridique ainsi défini. Toutefois,
à l'égard de ces sociétés, l'article 916 alinéa 1er de l'Acte uniforme précité laisse subsister les
dispositions législatives auxquelles lesdites sociétés sont soumises".
741
P.-G. POUGOUE, "Les sociétés d’Etat à l’épreuve du droit OHADA", Juridis Périodique, Janvier-
Février-Mars 2006, pp. 99-102, spéc. p. 100.

295
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

portées par les dirigeants d’entreprises publiques au patrimoine de celles-ci742.


Toutefois, de manière curieuse, la loi n° 2017/01 du 12 juillet de 2017 portant
statut général des entreprises publique est revenue sur cette qualification. Elle
lui a préféré celle de détournement de biens publics743. Il faut y avoir une
précipitation du législateur qui est anéantie par l’effet abrogatif des Actes
uniformes OHADA. Le conflit entre la qualification d’abus de biens sociaux retenue
par le législateur communautaire et celle de détournement de biens publics
préconisée par le législateur camerounais est réglé par la primauté du droit
OHADA sur le droit national744.

L’article 10 du Traité OHADA qui affirme le principe de la primauté du droit


communautaire OHADA sur les législations nationales, dispose écarte l’application
de "toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure".
Toutes les dispositions contraires sont abrogées. La CCJA est d’avis, qu’"une loi
contraire peut s'entendre aussi bien d'un texte de droit interne ayant le même
objet qu'un Acte uniforme et dont toutes les dispositions sont contraires à celles
d’un autre Acte uniforme, que d'une loi ou d'un règlement dont seulement l'une
des dispositions ou quelques-unes de celles-ci sont contraires ; dans ce dernier
cas, les dispositions du droit interne non contraires à celles de l'Acte uniforme
considéré demeurent applicables"745. Il s’ensuit que les dispositions de la loi du
12 juillet 2017 qui retiennent la qualification de détournement de biens publics
sont ipso facto abrogées. Elles sont dépourvues de toute valeur normative. Est
seule applicable, la qualification d’abus de biens sociaux du droit communautaire
OHADA.

742
Art. 108 loi n° 99/016 du 22 décembre 1999 : "est puni des peines prévues à l’article 184 du
Code pénal, tout dirigeant d’une entreprise qui a fait de ses pouvoirs, des biens ou du crédit de
l’entreprise, un usage contraire aux intérêts de celle-ci dans un but personnel ou pour favoriser
une autre société ou dans une affaire dans laquelle il détient directement ou indirectement des
intérêts".
743

744
Art. 10 du Traité OHADA.
745
CCJA, avis n° 001/2001/EP du 30 avril 2001, 4e question.

296
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

L’ensemble de ces arguments reflète la thèse communautariste qui conforte


l’application de l’abus des biens sociaux aux atteintes aux biens des entreprises
publiques. Cette thèse est remise en cause par la thèse nationaliste qui milite en
faveur de l’application de l’infraction de détournement des biens publics. C’est
sur cette thèse que se fonde la jurisprudence camerounaise, pour résister au
choix opéré par le législateur camerounais, en conformité avec le droit pénal
OHADA.

2. La résistance inopportune des juridictions camerounaises

Malgré la pertinence de la thèse communautariste fondée sur la primauté du droit


communautaire OHADA, les juridictions camerounaises se sont montrées
favorables à l’application de la thèse nationaliste, qui prône l’application du droit
national aux entreprises publiques, et notamment celle de l’article 184 du Code
pénal relatif au détournement des biens publics. Cette attitude souverainiste
marque la résistance inopportune des juridictions camerounaises au choix du
législateur camerounais en faveur de la qualification d’abus de biens sociaux.

La thèse nationaliste est fondée sur le dogme de la toute-puissance de l’Etat et


de la surprotection de son patrimoine qui en découle. L’intrusion du droit
international en matière pénale est nécessairement conflictuelle, dès lors que l’on
pénètre dans le "le cœur même du sanctuaire de la souveraineté"746 dont les
Etats sont particulièrement jaloux. Doté de pouvoirs exorbitants de droit commun
pour assurer la bonne exécution des missions du service public, l’Etat souverain
et ses démembrements ne peuvent être soumis au même régime de protection
que celui des entreprises privées détenues par des particuliers747. Les
dispositions d’ordre général de l’article 891 AUSCGIE ne sauraient être appliquées

746
M. VIRALLY, Cours de droit international public, RCADI, 1983, t. 183, p. 124.
747
E. FOKOU préc., p. 7.

297
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

aux entreprises publiques, dès lors que le droit pénal national prévoit des
dispositions spécifiques applicables aux atteintes aux biens d’une entreprise
publique, quand bien même elles seraient commises par un dirigeant social.

Partant du postulat selon lequel l’article 184 du Code pénal est applicable au
détournement des biens publics, la jurisprudence camerounaise, qui fait écho à
la thèse nationaliste, s’est attelée à caractériser la réunion des conditions
d’application de ce texte, à l’exclusion de l’abus des biens sociaux. La
démonstration s’avère a priori aisée, si l’on s’en tient uniquement à l’analyse de
l’article 184 du Code pénal. Toutefois, cette analyse ne saurait faire fi de la portée
de l’article 916 AUSCGIE, qui fragilise la thèse nationaliste.

L’article 184 du Code pénal sanctionne les atteintes aux biens des entreprises
sur lesquelles l’Etat détient directement ou indirectement la majorité du capital.
La participation majoritaire de l’Etat est le critère essentiel de la définition d’une
entreprise publique. La condition préalable prévue par l’article 184 du Code pénal
est facilement rapportée, sans qu’il soit besoin de s’étendre sur la nature des
biens des entreprises publiques748, ni sur le contrôle administratif et financier
exercé par l’Etat749, et encore moins sur les aides financières de l’Etat750.
Toutefois, l’article 916 AUSCGIE pose un écueil insurmontable, qui est allègrement
franchi par la jurisprudence camerounaise.

Alors que la CCJA est d’avis que le régime spécifique prévu par l’article 916
AUSCGIE n’a pas un caractère dérogatoire du droit commun OHADA dont les

748
Les entreprises publiques ont une personnalité morale différente de celle de leurs
actionnaires, fussent-ils l’Etat ou une personne morale de droit public. Elles ont par conséquent
un patrimoine propre différent de celui de leurs actionnaires.
749
Art. 4 loi n° 2017/011 du 12 juillet 2017 portant statut général des entreprises publiques : "Les
entreprises publiques sont placées sous une tutelle technique et une tutelle financière".
750
Les subventions de l’Etat sont destinées à "compenser le manque à gagner qu’imposent aux
entreprises publiques les charges d’intérêt général, non ou peu rentables" : M. ONDOA, "Les
contrats de performance", Penant, 1996, pp. 174-201, spéc. p. 197.

298
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

dispositions sont d’ordre public751, les juridictions camerounaises estiment que


ce texte, qui n’abroge pas les dispositions spécifiques du droit national, maintien
en vigueur l’article 184 du Code pénal qu’elles entendent appliquer aux dirigeants
des entreprises publiques752. Cette argumentation qui méconnaît la portée de
l’article 916 AUSCGIE fragilise la jurisprudence camerounaise.

La jurisprudence camerounaise, confortée par la Cour suprême, qui retient la


qualification de détournement de biens publics est de ce fait contestable. L’on
se trouve face à une situation inconfortable, en raison de la sévérité des peines
encourues. La Cour suprême qui dit le droit, entérine une solution différente du
législateur qui adopte la loi. La situation est d’autant plus inconfortable que la
Cour régulatrice, en l’occurrence la CCJA refuse d'exercer son contrôle sur les
qualifications retenues par les juridictions nationales753. Il est alors difficile de
mettre un terme à la résistance inopportune des juridictions camerounaises, sauf

751
CCJA, avis n° 001/2001/EP du 30 avril 2001, 6e question, 4e chambre (4-d).
752
Pour retenir l’application de l’article 184 du Code pénal dans l’affaire TGI du Mfoundi, M.P. et
Société Immobilière du Cameroun c/ Belinga Giles Roger et autres, jugement numéro 880/Crim.
du 27 sept. 2007, les juges ont décidé, après avoir visé l’avis de la CCJA n° 001/2001/EP du 30
avril 2001, "Qu’à la lumière de ces développements, les législations internes régissant la Société
Immobilière du Cameroun, société d’économie mixte, ont survécu aux Actes uniformes OHADA
relatifs aux droits des sociétés commerciales et du Groupement d’intérêt économique, et restent
applicables".
753
Aux termes de l'article 14, alinéa 3, et 4 du Traité, "saisie par la voie de recours en cassation,
la Cour se prononce sur des décisions rendues par les juridictions d'appel des Etats parties dans
toutes les affaires soulevant des questions relatives à l'application des Actes uniformes et des
Règlements prévus au présent Traité à l'exception des décisions appliquant des sanctions
pénales". Cette disposition, perçue comme le signe d'un musellement de la compétence de la
CCJA à travers la limitation de l'objet du pourvoi (R. NJEUFACK TEMGWA, "Précisions sur la
compétence judiciaire de la CCJA", in Les Réformes de droit privé en Afrique, Actes du colloque
organisé par le Laboratoire d'Etudes et de Recherche sur le Droit et les Affaires en Afrique
(LERDA), 13-14 novembre 2014-Université de Dschang (Cameroun), PUA, 2016, p. 403-411,
spéc. p. 405.), exclut tout possibilité de saisine de la CCJA pour contester la qualification des faits
et la sévérité des sanctions pénales. Voir D. LEKEBE OMUALI, "OHADA. Les ambiguïtés de la voie de
cassation en matière de droit pénal des Actes uniformes", Lexbase, 23 nov. 2017 ; J. ISSA SAYEGH,
"La fonction juridictionnelle de la Cour commune de justice et d’arbitrage", OHADATA, D-02-16 ; J.
FOMETEU, "Le clair-obscur de la répartition des compétences entre la Cour commune de justice
et d’arbitrage de l’OHADA et les juridictions nationales de cassation", Juridis Périodique n° 73,
janvier-février-mars 2008, pp. 89 et s.

299
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

à solliciter l’intervention du législateur pour combattre la jurisprudence754, et


améliorer le sort des personnes poursuivies.

Le législateur est finalement intervenu. Mais il ne l’a pas fait pour briser la
jurisprudence de la Cour suprême. Le législateur camerounais a préféré renforcer
la protection des biens des entreprises publiques, au détriment de l’humanisation
du droit pénal. L’abus de biens sociaux commis au détriment d’une entreprise
publique est désormais puni de peines criminelles prévues par l’article 184 du
Code pénal applicable au détournement des biens publics.

II. L’APPLICATION DES PEINES CRIMINELLES DE L’INFRACTION DETOURNEMENT DE BIENS

PUBLICS

Alors que l’intervention du législateur était souhaitable pour améliorer la situation


pénale de du dirigeant poursuivi pour atteinte aux biens d’une entreprise
publique, le législateur camerounais a plutôt aggravé le régime de répression. Le
législateur a conforté la jurisprudence de la Cour suprême quant à la sévérité des
sanctions. L’abus de biens sociaux commis par les dirigeants d’une entreprise
publique est puni par les peines applicables au détournement de biens publics.
La sévérité inéluctable des sanctions (A) est en porte à faux avec les contraintes
des droits de l’homme. Face à cette dérive, l’humanisation du régime de
répression souhaitable (B).

A . LA SEVERITE INELUCTABLE DES SANCTIONS PENALES

Usant de la technique de la pénalisation par renvoi, le législateur camerounais


applique à l’abus des biens sociaux commis par les dirigeants d’une entreprise

754
Voir sur cette question Ph. MALAURIE, "La jurisprudence combattue par la loi", in Mélanges en
l’honneur de René Savatier, 1965, pp. 603-620, et Dalloz, 1965, 18 p.

300
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

publique, les peines de nature criminelle prévues par l'article 184 du Code pénal
applicables au détournement de biens publics (1°). Bien qu'elle soit critiquable au
regard de l’humanisation du droit pénal, cette criminalisation est parfaitement
compatible avec le droit pénal OHADA (2°).

1. La pénalisation par renvoi aux sanctions de l'article 184 du Code pénal

camerounais

La pénalisation par renvoi consiste à incriminer un comportement sans en


préciser expressément la sanction. Le législateur se contente de renvoyer à
l'application d'une peine prévue pour réprimer un autre comportement qu'il a
précédemment incriminé, et qu'il estime d'une gravité comparable755. Pour tenter
d’éradiquer les crimes économiques que constituent les atteintes à la fortune
publique, le législateur a prévu une infraction spécifique. Par la rigueur de ses
peines, l’infraction de détournement des biens publics doit prévenir la
commission de ces infractions, et à tout le moins, réprimer sévèrement les
coupables. La gravité de ces faits est comparable à celles des abus de biens
sociaux commis par les dirigeants des entreprises publiques.

L’article 108 de la loi n° 99/016 du 22 décembre 1999 qui dispose que "est puni
des peines prévues à l’article 184 du Code pénal, tout dirigeant d’une entreprise
qui a fait de ses pouvoirs, des biens ou du crédit de l’entreprise, un usage
contraire aux intérêts de celle-ci dans un but personnel ou pour favoriser une
autre société ou dans une affaire dans laquelle il détient directement ou
indirectement des intérêts" sanctionne le délit d’abus de biens sociaux par les
peines criminelles de l’article 184 du Code pénal. Elle met en œuvre de manière
explicite, la pénalisation par renvoi, sans empiéter sur le domaine de compétence
du législateur communautaire OHADA. Dans le strict respect des dispositions de
l’article 5 du Traité OHADA, l’incrimination est déterminée par le législateur

755
E. DREYER Droit pénal général, LexissNexis, Paris, 5e éd., 2019, n° 427.

301
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

communautaire. Les sanctions sont quant à elles déterminées par le législateur


camerounais. Toutefois, la symbiose entre le législateur camerounais et le
législateur OHADA n’a été que de courte durée. Le législateur du 12 juillet 2017 a
remis en cause la subtilité de la construction.

L’article 114 de la loi n° 2017/011 du 12 juillet 2017 portant statut général des
entreprises publiques dispose désormais que "constitue un détournement de
biens publics prévu et réprimé par l’article 184 du Code pénal, le fait pour les
dirigeants des entreprises publiques, de mauvaise foi, de faire des biens et du
crédit de l’entreprise publique, un usage qu’ils savent contraire à l’intérêt de celle-
ci à des fins personnelles, matérielles ou morales, pour favoriser une autre
personne morale dans laquelle ils sont directement ou indirectement intéressés".
Pour éviter la critique relative à l’autonomie patrimoniale des entreprises
publiques, à laquelle est exposée la jurisprudence camerounaise756, l’article 113
de la loi du 12 juillet 2017 requalifier également les biens de ces entreprises de
biens publics757. La double requalification des faits et des biens des entreprises
publiques demeure toutefois critiquable.

Pour appliquer l’article 184 du Code pénal aux dirigeants des entreprises
publiques, la jurisprudence camerounaise s’était attelée à démontrer que les
biens des entreprises publiques étaient des biens publics758. Cette jurisprudence
était éminemment contestable en raison de l’autonomie patrimoniale des
entreprises publiques. Si l’entreprise publique "est érigée en société, la propriété
des actions de l’Etat (ou d’autres collectivités publiques) ne se répercute pas sur
les biens : c’est la société qui est propriétaire de ces biens, l’Etat (ou les

756
Voir V. BAKREO, "La nature juridique des sociétés d’Etat : analyse critique au regard du droit
OHADA et du contentieux camerounais d’abus de biens sociaux et de crédit", Penant, n° 909,
octobre – décembre 2019, pp. 449-474.
757
Art. 113 loi 12 juillet 2017 : "Les biens appartenant à une entreprise publique sont des biens
publics en ce qui concerne la responsabilité des dirigeants".
758
Voir TGI du Mfoundi, M.P. et Société Immobilière du Cameroun c/ Belinga Giles Roger et autres,
jugement numéro 880/Crim. du 27 sept. 2007

302
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

collectivités publiques) ayant seulement vocation à la dévolution de l’actif net en


cas de liquidation"759, et à la distribution des dividendes de la société in bonis.
Les biens acquis par les entreprises publiques sont des biens privés.

L’autonomie patrimoniale des entreprises publiques exclut toute atteinte à un


bien public. Pour mettre un terme à cette controverse, le législateur a finalement
assimilé les biens des entreprises publiques à des biens publics. Le Professeur
Henri Modi Koko Bebey a estimé que la qualification de biens publics des
entreprises publiques "signifie que l’abus des biens sociaux sera requalifié de
détournement de deniers publics"760. Nous ne partageons pas cet avis. La
primauté du droit OHADA permet d’écarter la requalification des faits.

Le législateur camerounais a procédé dans l’article 114 de la loi du 12 juillet 2017,


d’une part à l’incrimination au sens du droit OHADA, c’est-à-dire à la détermination
du comportement répréhensible, et d’autre part, à la détermination des sanctions
applicables. Ce faisant, il a empiété sur le domaine de compétence du législateur
OHADA. Ce conflit est réglé par la primauté du droit OHADA sur le droit national761.
Il faut se reporter, comme en matière de conflit de qualification entre abus de
biens sociaux et détournement de biens publics, à l’avis de la CCJA du 30 avril
2001 relatif à l’effet abrogatif des Actes uniformes762.

759
P. DELVOLVE, "La faillite des entreprises publiques en France", Annales de l’Université des
sciences sociales de Toulouse, 1975, pp. 205-222, spéc. 219.
760
H. MODI KOKO BEBEY "La gouvernance des entreprises publiques camerounaises : un échec
réversible", in Le droit au pluriel. Mélanges en hommage au doyen Stanislas Meloné, J. C. MEBU
NCHIMI (dir.), Presses Universitaires d’Afrique, 2018, pp. 325-339, spéc. p. 336, note 22 : "la
disposition de l’article 13 de la loi de 2017 est assez significative en la matière. Ce texte assimile
les biens acquis par l’entreprise aux biens publics, en ce qui concerne la responsabilité des
dirigeants sociaux. Ce qui signifie que l’abus des biens sociaux sera requalifié de détournement
de deniers publics"760.
761
Art. 10 du Traité OHADA.
762
La CCJA est d’avis, qu’"une loi contraire peut s'entendre aussi bien d'un texte de droit interne
ayant le même objet qu'un Acte uniforme et dont toutes les dispositions sont contraires à celles
d' un autre Acte uniforme, que d'une loi ou d'un règlement dont seulement l'une des dispositions
ou quelques-unes de celles-ci sont contraires ; dans ce dernier cas, les dispositions du droit

303
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Il résulte de l’effet abrogatif des Actes uniformes, que les dispositions de l’article
114 précité sont abrogées en ce qui concerne la requalification des faits. Seules
restent applicables les dispositions relatives à la détermination des sanctions.
Elles renvoient, comme dans l’article 108 de la loi du 22 décembre 1999, à
l’application des peines prévues par l’article 184 du Code pénal relatif aux
détournements de biens publics. La pénalisation par renvoi explicite à l’article
184 du Code pénal prévue par la loi du 22 décembre 1999 est remplacée par la
pénalisation par invalidation de la requalification de l’abus de biens sociaux en
détournement de biens publics.

La pénalisation par renvoi aux peines de l'article 184 du Code pénal est justifié
par la volonté du législateur camerounais, de réprimer sévèrement les faits
litigieux qu'il estime être d'une gravité équivalente aux atteintes à la fortune
publique. Cette solution surprenante, est toutefois parfaitement compatible avec
le droit pénal OHADA.

2. Une criminalisation compatible avec le droit pénal OHADA

Le droit pénal OHADA est écartelé entre l’harmonisation et l’uniformisation763. Il


reflète en partie, l’ambiguïté de ce droit, présenté comme une œuvre
d’harmonisation764, mais qui ambitionne plutôt d’uniformiser le droit765.

interne non contraires à celles de l'Acte uniforme considéré demeurent applicables". CCJA, avis
n° 001/2001/EP du 30 avril 2001, 4e question.
763
Voir K. E. YAO, "Uniformisation et droit pénal : Esquisse d’un droit pénal des affaires dans
l’espace OHADA", RIDC, 3/2001, pp. 661-696.
764
L’harmonisation est une " opération consistant à unifier des ensembles législatifs différents
par élaboration d’un droit nouveau empruntant aux uns et aux autres". Toutefois, l’harmonisation
"désigne parfois un simple rapprochement entre deux ou plusieurs systèmes juridiques". G.
CORNU, Vocabulaire juridique préc., v° Harmonisation.
765
L’uniformisation est "la modification de la législation de deux ou plusieurs pays tendant à
instaurer dans une matière juridique donnée une réglementation identique". G. CORNU,
Vocabulaire juridique préc., v° Uniformisation.

304
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

L’uniformisation envisagée n’est que partielle. En matière pénale, l’uniformisation


envisagée s’est faite à mi-chemin766. L’article 5 du Traité constitutif de l’OHADA767
opère un partage du pouvoir normatif entre l’OHADA et les Etats membres. Le
pouvoir d’incrimination entendu comme celui de déterminer les comportements
répréhensibles appartient à l’OHADA. Il revient par contre aux Etats membres, de
déterminer les sanctions applicables.

L’éclatement des compétences normatives a été diversement justifié par la


doctrine768. Parmi les différents motifs avancés figure la préservation de la
souveraineté des Etats membres769. La répartition des compétences législatives
laisse toute liberté aux Etats membres pour déterminer la nature et le quantum
des peines applicables en fonction de leur politique pénale.

Qu’elle procède de la pénalisation par renvoi aux peines de l’article 184 du Code
pénal, ou de la pénalisation par invalidation de la requalification de l’abus des
biens sociaux en détournement de biens publics, la criminalisation de l'abus de
biens sociaux par le législateur camerounais est compatible avec le droit pénal
OHADA. Il ne peut être reproché au législateur camerounais d’avoir usé de son
pouvoir normatif, en fixant librement les sanctions applicables aux atteintes aux
biens des entreprises publiques commises par leurs dirigeants. Le législateur
camerounais a mis en œuvre sa politique pénale à l'encontre des prévaricateurs
de la fortune publique, dans le strict respect du pouvoir normatif qui lui est dévolu

766
D. NDIAW "Actes uniformes et droit pénal des Etats signataires du Traité de l’OHADA : la difficile
émergence d’un droit pénal communautaire des affaires dans l’espace OHADA", Revue burkinabè
de droit, n° 39-40, n° spécial, 2001 p. 63; M. MAHOUVE, "Le système pénal OHADA ou
l’uniformisation à mi-chemin", Penant, n° 846, 2004, p. 87.
767
Art. 5 al. 2 Traité : " Les Actes uniformes peuvent inclure des dispositions d’incrimination
pénale. Les Etats s’engagent à déterminer les sanctions pénales encourues".
768
Voir par exemple, ABDERRABANI, "Le droit pénal des affaires au Niger : une construction duale
entre le droit communautaire et législations nationales", Ohadata D-08-09, qui cite en pages 83
et 84, la différence de système pénal des Etats membres, et la disparité des situations
économiques entre les Etats, d’où l’impossibilité de prévoir des peines d’amende identiques.
769
Sur la question de la souveraineté des Etats membres, voir J.J. RAYNAL, "Intégration et
souveraineté : le problème de la constitutionnalité du Traité OHADA", Penant, 01, 2000, p. 5.

305
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

par l’article 5 du Traité OHADA. Bien que le résultat soit critiquable la


criminalisation de l’abus des biens sociaux est parfaitement compatible avec le
droit pénal OHADA.

Ce système qui crée une discontinuité dans les poursuites et les sanctions a déjà
été critiqué par la doctrine770. Il freine l’harmonisation du droit pénal OHADA dans
l’espace géographique OHADA. Les disparités entre les Etats sont telles qu’il
existe des "paradis"771 et des "enfers pénaux"772. Il est loin, "le vieux rêve des
comparatistes, et non pas seulement des pénalistes [qui] serait de parvenir un
jour à un seul droit "773. C’est la raison pour laquelle la construction d’un espace
pénal africain complet774, qui dépasse le simple "minimum commun"775 constitué
en incrimination a été proposé. A défaut d'une intervention du législateur
OHADA776, ou d'un contrôle exercé par la CCJA777, une application bienveillante de
la loi pénale est de nature à humaniser le régime de répression.

770
F. ANOUKAHA et ALII, OHADA. Société commerciales et GIE, Bruylant, Bruxelles, 2002, p. 237 ; H.
TCHANTCHOU et M. AKOUETE AKUE, "L’état du droit pénal dans l’espace OHADA", Revue de l’ERSUMA,
nov.-déc. 2011, n° spécial, pp. 20-45, spéc. p. 26 ; M. Mahouvé préc., p. 96 ; J.-J. FOMCHIGBOU
MBANCHOUT, "De quelques réflexions sur la codification pénale communautaire du législateur
OHADA", in L’effectivité du droit de l’OHADA, Presses Universitaires d’Afrique, Yaoundé, 2006, p.
63.
771
Sur 17 Etats membres, seuls 3, le Cameroun, la République Centrafricaine et le Sénégal ont
adopté des lois portant répression des infractions contenues dans les Actes uniformes OHADA.
Voir H. TCHANTCHOU et M. AKOUETE AKUE, "L’état du droit pénal dans l’espace OHADA" préc.
772
L’absence de cohésion entre les politiques pénales nationales fait courir le risque de construire
des "paradis pénaux" et des "enfers pénaux", selon que l’Etat membre n’édicte pas de sanctions,
ou qu’il se montre d’une sévérité accrue par rapport aux autres Etats. Voir en ce sens, F. ANOUKAHA
et ALII, OHADA. Société commerciales et GIE, préc.
773
. PRADEL, Droit pénal comparé, 2e éd., Dalloz, 2002, p. 214.
774
J.-J. FOMCHIGBOU MBANCHOUT, "De quelques réflexions sur la codification pénale
communautaire du législateur OHADA"préc.
775
F. ANOUKAHA et ALII préc., p. 225.
776
Il est souhaitable que le législateur OHADA détermine à la fois les incriminations et les sanctions.
Tel est le cas par exemple pour le droit des assurances CIMA.
777
Un revirement de jurisprudence est également souhaitable pour permettre le contrôle des
qualifications et des sanctions. Voir en ce sens, D. LEKEBE OMOUALI, "Les ambiguïtés de la voie de
cassation en matière de droit pénal des Actes uniformes" préc.

306
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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B. L’HUMANISATION SOUHAITABLE DU REGIME DE REPRESSION

La répression n’étant pas une fin en soi, il faut inciter les juridictions
camerounaises à tirer toutes les conséquences de droit, de la qualification des
atteintes aux biens des entreprises publiques commises par leurs dirigeants.
Pour humaniser le régime de répression, il faut inciter le législateur à réécrire le
droit pénal camerounais (1°). Les juridictions camerounaises doivent également
tirer toutes les conséquences de droit de la qualification juridique des faits, en
appliquant le principe de faveur (2°), à l’égard des dirigeants poursuivis pour
atteinte aux biens d’une entreprise publique.

1. La réécriture du droit pénal camerounais

Pour mettre le droit pénal camerounais en symbiose avec le droit pénal OHADA,
le législateur camerounais doit procéder à la réécriture de son droit pénal. La
modification de l’article 184 du Code pénal s’avère utile, de même que celle de
l’article 114 de la loi du 12 juillet 2017.

La réécriture de l’article 184 du Code pénal est opportune, suite à l’évolution de


l’environnement international. La volonté de s’arrimer à la mutation du contexte
international apparaît clairement à la lecture de l’exposé des motifs du projet de
loi portant Code pénal. L’on apprend, qu’"en sa qualité de sujet de droit
international, le Cameroun a souscrit à des engagements internationaux qu’il doit
respecter. La nécessité de tenir compte de ces facteurs a conduit à la relecture
du Code pénal, notamment par l’intégration, dans ledit code, des dispositions
pénales d’un certain nombre de lois spéciales, et par l’internalisation de certains

307
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

instruments internationaux liant notre pays"778. Il convient de réécrire l’article 184


du Code pénal à l’aune de l’évolution de l’environnement juridique international.

Malgré la volonté affichée par le législateur, l’absence de réécriture de l’article


184 du Code pénal camerounais est criarde. Adopté en 2016, le Code pénal vise
encore à l’article 184, l’Etat unifié, alors qu’il a disparu en 1972 avec la création
d’un Etat unitaire. Cet anachronisme démontre l’absence de relecture de ce
texte, dont la rédaction date de 1967. Le législateur de 2016 vise également la
notion d’établissement public, sans tenir compte de la loi du 22 décembre 1999
portant statut général des établissements publics et des entreprises du secteur
public et parapublic, applicable au jour de l’adoption du nouveau Code pénal779,
qui avait déjà établi une distinction entre les établissements publics et les
entreprises publiques.

La réécriture du droit pénal des affaires interne est également prônée par le
Professeur Issa-Sayegh780. Lorsque certaines infractions OHADA ont déjà leurs
correspondances en droit positif interne, malgré quelques différences plus ou
moins importantes de rédaction de leurs éléments constitutifs, les sanctions
édictées par le droit pénal interne ne peuvent pas être infligées en vertu du
principe de la stricte interprétation des lois pénales. Il faut en prévoir d’autres, si
bien que "c’est tout le droit pénal interne des affaires qu’il faut revoir pour le faire
coïncider avec le droit des affaires de l’OHADA"781.

778
Exposé des motifs du projet de loi portant Code pénal. L’exposé des motifs du projet de loi
vise l’internalisation des Conventions internationales ratifiées par le Cameroun. Mais pour
l’OHADA, il ne s’agit pas d’internalisation dès lors que les Actes uniformes sont d’application
immédiate et directe dans les Etats membres.
779
Cette loi a été abrogée par l’article 129 de la loi du 12 juillet 2017 portant statut général des
entreprises publiques.
780
J. ISSA-SAYEGH, "Les instruments nationaux de l’intégration juridique dans les Etats de la zone
Franc", in De l’esprit du droit africain, Mélanges en l’honneur de Paul Gérard Pougoué, Wolters
Kluwer, CREDIJ, 2014, 364-383, spéc. p. 375.
781
J. ISSA-SAYEGH, "Les instruments nationaux de l’intégration juridique dans les Etats de la zone
Franc" préc.

308
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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Le réexamen du texte de l’article 184 doit conduire à l’exclusion des dirigeants


des sociétés soumises au droit OHADA. La formule générique "quiconque" qui vise
indifféremment tout individu indépendamment de sa qualité, doit être suivie d’un
tempérament relatif "à l’exclusion des dirigeants des sociétés soumises au droit
des sociétés commerciales et du Groupement d’intérêt économique OHADA".
Quant à l’article 114 de la loi du 12 juillet 2017, sa rédaction doit être abandonnée.
Elle doit être remplacée par l’article la rédaction de l’article 180 de la loi du 22
décembre 1999, qui pose clairement le principe de la pénalisation par renvoi aux
peines prévues par l’article 184 du Code pénal. La révision de ces deux textes
est une étape à l’harmonisation de l’espace pénal commun, dans l’attente d’une
véritable uniformisation qui ne pourra faite qu’au prix de l’abandon total de la
souveraineté des Etats membres, le pouvoir d’incrimination et de sanction étant
alors totalement dévolu à l’organisation communautaire OHADA.

La relecture de ces textes remet en cause la politique pénale du législateur


camerounais en matière d’atteintes à la fortune publique. C’est un écueil
important à l’assouplissement du régime de répression. L’assimilation des biens
des entreprises publiques à des biens publics en dépit de l’autonomie
patrimoniale de ces entreprises témoigne déjà de la volonté du législateur
camerounais de maintenir la rigueur répressive à l’égard de ces infractions. Il
reste alors à solliciter le concours des juridictions pénales. Elles devraient
appliquer le principe de faveur envers les dirigeants sociaux indélicats, pour
alléger la rigueur du régime répressif qui leur est applicable.

2. L’application du principe de faveur à l’égard des dirigeants sociaux indélicats

Bien qu’elle "ne semble plus être au cœur du procès pénal"782, et d’une manière
générale des politiques pénales, la personne poursuivie reste présumée

782
E. DREYER, Droit pénal général, éd. LexissNexis, Paris, 5e éd., 2019, n° 109, p. 91.

309
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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innocente, aussi longtemps qu’une décision n’a définitivement établi sa


culpabilité. Elle est donc présumée innocente. La doctrine en déduit, que "ses
droits restent entiers et le système juridique doit la respecter. Cela signifie
notamment, que la répression ne peut être une fin en soi. Dans le doute, le juge
doit renoncer à punir"783. La prééminence du droit qui caractérise les sociétés
démocratiques doit conduire l’Etat à respecter les intérêts supérieurs, en
l’occurrence les droits de l’homme, qui doivent le conduire à s’autolimiter dans
l’exercice de la répression784. La répression doit être soumise à une exigence de
proportionnalité, et étroitement encadrée sous le prisme du principe de la
légalité785. Ce principe signifie que "toute ambiguïté juridique ou factuelle doit
profiter à la personne poursuivie"786.

L’ambiguïté factuelle est la plus connue. C’est le doute qui profite à l’accusé. Il
reste à explorer l’ambiguïté juridique. Elle est caractérisée par la difficulté à
choisir entre la qualification d’abus de biens sociaux, et celle de détournements
de biens publics. L’application du principe de faveur conduit alors à retenir la
qualification la plus favorable à la personne poursuivie, d’autant plus qu’elle est
présumée innocente jusqu’à ce qu’une décision définitive n’établisse sa
culpabilité. Le changement de qualification a également une influence sur la
compétence juridictionnelle. C’est dans ce domaine que le principe de faveur est
de nature à améliorer la situation pénale des dirigeants sociaux indélicats.

La qualification d’abus de biens sociaux emporte la compétence du Tribunal de


grande instance statuant au besoin en matière criminelle. Le régime des

783
E. DREYER préc.
784
Le principe de faveur trouve son origine en droit pénal canonique (V. J.-M. CARBASSE, Histoire
du droit pénal et de la justice criminelle, Puf, coll. "Droit fondamental", 2e éd., 2006, p. 171, n° 86).
Il passa ensuite dans l’Ancien droit pénal où il était admis que l’arbitraire du juge lui permettait de
substituer aux peines prévues par des ordonnances royales (notamment la mort) des peines
moindres (par exemple les galères).
785
Sur cette justification politique du principe de la légalité, voir Ph. CONTE et P. MAISTRE du
CHAMBON, Droit pénal général, A. Colin, Coll. "U", 7e éd., 2004, n° 63, p. 91.
786
E. DREYER préc., n° 109, p. 92.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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poursuites est favorable aux dirigeants sociaux poursuivis. Ils échappent à la


rigueur de la procédure devant le Tribunal criminel spécial, qui porte atteinte aux
droits de la défense, et à l’égalité des armes. Le tribunal statue en premier et en
dernier ressort787. Le droit d’appel qui permet un nouvel examen de l’affaire au
fond est supprimé. Le pourvoi en cassation opère une dévolution différente selon
l’auteur du recours. Le pourvoi du ministère public porte sur les faits et sur les
points de droit788, alors que celui du prévenu porte uniquement sur les questions
de droit789. Ce régime dérogatoire porte atteinte au principe de l’égalité des
armes790, "qui implique l’obligation d’offrir à chaque partie une possibilité
raisonnable de présenter sa cause […] dans des conditions qui ne la placent pas
dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire"791. La
compétence du tribunal de grande instance, garantit par contre une meilleure
protection des droits des dirigeants sociaux.

La spécialité de la répression des atteintes aux biens des entreprises publiques


camerounaises (Entre droit pénal OHADA et droit pénal national)

L’OHADA est un instrument juridique d’intégration économique792. Le champ


d’application de cette organisation commune est le droit des affaires, qu’elle a

787
Art. 11 al. 1 loi 14 déc. 2011.
788
Art. 11 al. 2 loi 14 déc. 2011
789
Art. 11 al. 3 loi 14 déc. 2011.
790
J. P. DIDIER et F. MELIN SOUCRAMANIAN, "Le principe d’égalité des armes", RRJ, Droit prospectif,
1993, pp. 486 et s. ; A. MBARGA, "La spécialisation de la justice pénale camerounaise en matière
de délinquance économique et financière", Miroir du Droit, avr.-sept. 2012, pp. 14-48 ; S. YAWAGA,
"Avancées et reculades dans la répression des infractions de détournements des deniers publics
au Cameroun : Regard critique sur la loi n° 2011/028 du 11 décembre 2011 portant création d’un
tribunal criminel spécial", in Juridis Périodique, n° 90 avril-mai-juin 2012, p. 43 ; H. MONEBOULOU
MINKADA, "Le tribunal criminel spécial au Cameroun et les grands principes de la justice
criminelle", Juridis Périodique, janv.-févr.-mars 2013, pp. 49-63.
791
CEDH, 17 janv. 1970, Delcourt c/ Belgique.
792
L’harmonisation du droit des affaires en Afrique (OHADA), est une œuvre de grande envergure
qui a vu le jour le 17 octobre 1993, avec la signature du Traité de Port-Louis. Journal Officiel de
l’OHADA n° 4 du 1er nov. 1997. L’OHADA compte actuellement 18 Etats membres. L’OHADA s’inscrit
dans le cadre d’une grande entreprise juridique et économique sous régionale en Afrique. Voir J.

311
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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pour but d’harmoniser en Afrique. Le droit des affaires ne saurait toutefois se


passer du droit pénal, instrument de la régulation de l’activité économique793. Le
recours au droit pénal reste d’actualité794, malgré le mouvement de balancier que
l’on relève en droit comparé, entre la pénalisation et la dépénalisation du droit
des affaires795. Le recours aux sanctions pénales est devenu l’apanage des lois
nouvelles dans le domaine économique796. Le législateur ne saurait se passer du
rôle de gendarme que le droit pénal assure dans les autres branches du droit797.
Le droit OHADA ne se démarque pas de cette optique.

Comme dans tous les systèmes juridiques, "pour réglementer tous les
comportements du droit des affaires, l’OHADA a besoin d’un minimum de
coercition pour garantir l’observation et le respect des normes édictées"798. Le

ISSA-SAYEGH, "L’intégration juridique des Etats africains de la zone franc", Penant n° 827, mai-
août 1998, p. 218.
793
Y. MAYAUD, "Le droit pénal, instrument de régulation de l’activité économique et financière", in
Le Code de commerce, Livre du bicentenaire 1807-2007, Dalloz, 2007, p. 625.
794
B. BOULOC, "Le droit pénal dans la vie économique", in Quel Code de commerce pour demain ?,
Litec, 2007, p. 285. J.-B. HERZOG, "Rêveries d’un pénaliste solitaire sur le droit des sociétés", D.
1996, chron. p. 91.
795
Y. Chaput, "La pénalisation du droit des affaires : vrai constat et fausses rumeurs", Pouvoirs
2009/1, n° 128, pp. 87-102 ; Ph. CONTE, "La dépénalisation de la vie des affaires : une question
de proportion", Journal des sociétés, n° 53, avril 2008 ; "La dépénalisation de la vie des affaires",
rapport au garde des Sceaux, ministre de la Justice, La Documentation française, 2008 ; Jean-
Marie COULON, "Dépénalisation de la vie des affaires : “Construire un travail équilibré, cohérent,
en proposant des règles claires", Revue Lamy Droit des affaires, n° 25, mars 2008.
796
- C. ROBACZEWSKI, "Les responsabilités pénales dans la société publique locale", in in p.
MEUNIER, M.-A. VANNEAUX, M. VIVIANO, Th. DELAVENNE (dir.), Les sociétés publiques locales. Entre
volonté publique, esprit d’entreprise et concurrence, préc., pp. 163-174, spéc. p. 163. Voir
également M. – A. FRISON-ROCHE (dir.), Les enjeux de la pénalisation de la vie économique, Dalloz,
Collection thème et commentaire, 1997.
797
Voir J.Ch. SAINT-PAU, Droit pénal et autres branches du droit. Regards croisés, éd. Cujas, 2012.
798
YAO K. ELOI, "Uniformisation et droit communautaire : esquisse d’un droit pénal des affaires
dans l’espace OHADA", RIDC n° 3, 2011, pp. 661-696, spéc. p. 664. Sur le droit pénal OHADA, voir
D. NDIAW, "Actes uniformes et Droit pénal des Etats signataires du Traité de l’OHADA : la difficile
émergence d’un droit pénal communautaire des affaires dans l’espace OHADA", Revue Burkinabe
de Droit, 2001 ; M. MAHOUVE, "Le système pénal OHADA ou l’uniformisation à mi-chemin", Penant,
n° 846, 2004, p. 87 et s. ; E. L., KANGAMBEGA, "Observations sur les aspects pénaux de l’OHADA",
Penant, n° 834, 2000, p. 304 et s. ; A. FOKO, "Analyse critique de quelques aspects du droit pénal
OHADA", Penant, n° 859, 2007, p. 195 et s.

312
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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législateur OHADA a prévu de nombreuses incriminations pénales, dont la plupart


relèvent du droit des sociétés799. L’abus de biens sociaux en fait partie800. Cette
infraction sanctionne l’atteinte aux biens de toutes les entreprises qui exercent
leurs activités sous forme sociétaire, indépendamment de leur appartenance au
secteur privé ou public.

L’entreprise, qui a longtemps été ignorée du droit801, est un "organisme se


proposant essentiellement de produire pour les marchés certains biens ou
services, [et] financièrement indépendant de tout autre organisme"802. La
doctrine s’accorde à y voir la réunion de deux éléments essentiels : l’exercice
autonome d’une activité économique, et l’existence de moyens nécessaires à
l’exercice de cette activité, en l’occurrence, le capital et le personnel803. Elle peut
être exercée sous forme de société, la société apparaissant ainsi comme une
technique de l’organisation de l’entreprise804. L’entreprise fait naturellement
partie du secteur privée, puisqu’elle est caractérisée par la recherche du profit.
L’existence d’un but lucratif n’exclut pas pour autant une appartenance du
secteur public.

799
Pour un tableau synoptique, voir H. TCHANTCHOU, M. AKUETE AKUE, "L’état du droit pénal des
affaires dans l’espace OHADA", Revue de l’ERSUMA, Droit des affaires - Pratique
Professionnelle, N° Spécial - nov-déc 2011, Etudes, pp. 24-45, spéc. pp. 30 à 34 ; E. KITIO, "Le
contentieux du droit pénal des affaires devant les hautes juridiqtions nationales et devant la
CCJA", Revue de l’ERSUMA, n° 2, Mars 2013, pp. 309-328.
800
Art. 891 Acte uniforme portant organisation des sociétés commerciales et du groupement
d’intérêt économique (AUSCGIE).
801
G. RIPERT, Les aspects juridiques du capitalisme moderne ….., n° 120 à 123 ; P. DURAND, La
notion juridique d’entreprise, in Trav. Ass. H. Capitant, Dalloz, 1947 ; M. DESPAX, L’entreprise et le
droit, LGDJ, 1957 ; J. MESTRE, M.-E. PANCRAZI, I. ARNAUD-GROSSI, L. MERLAND, N. TAGLIARINO-VIGNAL,
Droit commercial, 29e éd. LGDJ .., n° 28, p. 35.
802
G. CORNU, Vocabulaire juridique Association Henri Capitant, 13e éd. PUF, 2020, v° Entreprise.
803
Voir par exemple. BOLZE, note sous CA Paris, 28 mai 1986, D. 1987, 562, qui définit l’entreprise
comme "la réunion des moyens matériels et humains coordonnés et organisés en vue de la
réalisation d’un objectif économique déterminé". Voir également B. MERCADAL, "La notion
d’entreprise", Mélanges offerts à Derruppé Jean, Litec/Joly, 1991, p.9.
804
Voir J. PAILLUSSEAU, La S.A., technique d’organisation de l’entreprise, Sirey, 1967.

313
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Le législateur OHADA n’a pas défini la notion d’entreprise publique. Il faut donc se
référer, en plus des définitions générales, à celles qui sont retenues par les
dispositions nationales des Etats membres, auxquelles renvoient implicitement
l’article 916 AUSCGIE. Suivant une acception générale, l’entreprise publique est
une "entreprise appartenant au secteur économique public ou local"805. La loi
camerounaise n° 2017/011 du 12 juillet 2017 vient mettre un terme à l’amalgame
qui avait été entretenu entre les entreprises publiques et les établissements
publics et les sociétés commerciales806. Elle distingue deux types d’entreprises
publiques. La société à capital public, dont le capital est entièrement détenu par
l’Etat d’une part, et la société d’économie mixte, dans laquelle la participation en
capital de l’Etat807, d’une entreprise publique, ou d’une collectivité territoriale

805
G. CORNU, Vocabulaire juridique préc., v° Entreprise publique.
806
L’article 3 de la loi du 22 décembre 1999 portant réforme du statut général des établissements
et des entreprises des secteurs publics et parapublics soumettait les sociétés à capital public et
les d’économie mixte au statut général des établissements publics. Si les entreprises publiques
en forme d’établissements publics sont des personnes morales de droit public qui ont la
personnalité morale de droit public, et soumises de ce fait au droit public, tel n’est pas le cas des
entreprises publiques de forme sociétaires. La loi n° 2017/011 du 12 juill. 2017 portant statut
général des entreprises publiques met un terme à cette confusion. Voir M. AFANA BINDOUA, "Libres
propos sur la réforme du cadre juridique des établissements et des entreprises publics au
Cameroun", Penant, n° 911, avril-juin 2020, pp. 240-268. Malgré leur appartenance au secteur
public, ces entreprises sont des personnes privées (CE, Ass. 22 déc. 1982, n° 34.252 et n° 34.798,
Comité central d’entreprise de la société française d’équipement pour la navigation aérienne, Rec.
CE 1982, p. 436, RDP 1983, p. 497, note J. M. AUBY. Sur la nature juridique des entreprises
publiques, voir la doctrine classique ce sont des personnes morales de droit privé. Voir en ce
sens, NEGRIN, L’intervention des personnes morales de droit privé dans l’action de l’administration,
LGDJ, 1971, pp. 35 et s. ; R. ALLOU, La pratique des sociétés d’économie mixte, Librairie du Journal
des notaires et des avocats, 1976 ; G. VEDEL, Droit administratif, PUF, Thémis, 5e éd. 1973, 902
p. ; M. Waline, Précis de droit administratif, tome 2, Paris, Montchrestien, 1970, 368 p.) ; A. de
LAUBADERE, Traité de droit administratif, tome 4, 3e éd. 1977, LGDJ, p. 233 et s.. En soumettant les
entreprises publiques qui exercent leurs activités sous forme sociétaire à tous les Actes
uniformes (Voir B. BOUMAKANI, "Les entreprises publiques à l’épreuve du droit OHADA", Rev. Lamy
Droit des affaires, oct. 2004, n° 75, pp. 25-29, spéc. pp. 26 à 28), le droit OHADA a poursuivi la
banalisation des entreprises publiques est définie comme "la tendance à soumettre celles-ci aux
règles qui régissent les relations juridiques privées, ou à des règles inspirées de celles qui
régissent les relations juridiques privées" J.-B. AUBY, "Le mouvement de banalisation du droit des
entreprises publiques et ses limites", in Etudes offertes à Jean-Marie Auby, Dalloz, 1992, pp. 3-
16, spéc. p. 3).
807
Art. 2 al. 2 loi 12 juill. 2017.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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décentralisée est majoritaire808. Elles doivent être constituées sous forme de


société anonyme, et fonctionner conformément aux dispositions de l’Acte
uniforme OHADA relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement
d’intérêt économique809.

L’appartenance d’une entreprise publique au secteur public relativise le critère


lucratif qui caractérise les entreprises du secteur privé. L’entreprise publique
exploite le plus souvent un service public dans l’intérêt général. L’Etat et des
personnes morales de droit public participent à son capital, lorsqu’elle est
exploitée sous forme de société. Le caractère public de ses missions et celle de
son actionnariat font de l’entreprise publique, une émanation de l’Etat. C’est à ce
titre qu’elle est dotée de certaines prérogatives de puissance publique, qui
appartiennent à l’Etat. Cette particularité pose des difficultés quant à la
détermination du régime juridique applicable à ces entreprises. Cette question
d’ordre générale se répercute également en droit pénal. Elle est relative à la
nature juridique des biens des entreprises publiques. La participation publique
en capital remet-elle en cause l’autonomie patrimoniale ? En d’autres termes, la
participation publique en capital transforme-t-elle la nature des biens de ces
entreprises privées en biens publics, de sorte qu’ils seraient soumis à une
protection pénale particulières ?

La question qui se pose in fine, est celle de savoir quelle est la sanction applicable
aux atteintes portées au patrimoine des entreprises public, dans un
environnement juridique où l’Etat assure une protection particulière des biens
publics qui se traduit, non seulement par l’existence de sanctions pénales
spécifiques, mais également par la sévérité de la politique criminelle à l’égard des
prévaricateurs de la fortune publique en général. Cette question s’est posée avec
beaucoup d’acuité au Cameroun. L’intérêt de l’étude réside donc dans la

808
Art. 2 al. 3 loi 12 juill. 2017.
809
Art. 10 loi 12 juill. 2017.

315
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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détermination de la loi applicable aux atteintes portées au patrimoine des


entreprises publiques camerounaises. Cette question nationale a une
excroissance extraterritoriale.

Une jurisprudence camerounaise abondante810, a donné naissance à un débat


doctrinal relatif à la détermination de la sanction applicable aux atteintes portées
au patrimoine des entreprises publiques camerounaises. Le délit d’abus des
biens sociaux, prévue par l’article 891 AUSCGIE pouvait-il être écarté au profit de
l’application de l’infraction spécifique de détournement de biens publics puni de
peines criminelles ?811 Cette interrogation remet au goût du jour la question
relative à la construction du droit pénal OHADA812, d’autant plus que la Cour
commune de justice et d’arbitrage (CCJA), saisi par un pourvoi, s’est déclarée
incompétente pour connaître du contentieux des sanctions pénales afférentes
aux incriminations pénales813 que peuvent pourtant contenir certains Actes
uniformes OHADA, en vertu de l’application du second alinéa de l’article 5 du

810
Voir par exemple, TGI du Wouri, jugement des 12 et 13 déc. 2007, M.P. et Port autonome de
Douala c/ Etonde Ekoto et autres c/ M.P. Cette affaire ayant fait l’objet d’un pourvoi rejeté pour
incompétence par la CCJA; TGI du Mfoundi, M.P. et Société Immobilière du Cameroun c/ Belinga
Giles Roger et autres, jugement numéro 880/Crim. du 27 sept. 2007 ; M.P. et FEICOM c/ Ondo
Ndong Emmanuel, jugement n° 371/Crim. du 27 juin 2007.
811
Voir E. KENGUEP et E. FOKOU, "L’infraction d’atteinte au patrimoine des entreprises publiques et
parapubliques dans l’espace OHADA", Revue de l’ERSUMA, n° 6, Droit des affaires – Pratique
Professionnelle, N° 6 – Janvier 2016, Doctrine ; V. BAKREO, "La nature juridique des sociétés
d’Etat : analyse critique au regard du droit OHADA et du contentieux camerounais d’abus de biens
sociaux", Penant, n° 909, oct.-déc. 2019, pp. 449-474.
812
Voir N. DIOUF, "Actes uniformes et Droit pénal des États signataires du Traité de l’OHADA : La
difficile émergence d’un droit pénal Communautaire des Affaires dans l’espace OHADA", Revue
Burkinabé de Droit, 2001 ; YAO K. ELOI, "Uniformisation et droit communautaire : esquisse d’un
droit pénal des affaires dans l’espace OHADA", RIDC n° 3, 2011, pp. 661-696.
813
J. KAMGA, "Contentieux des sanctions pénales : dernier refuge des souverainetés étatiques
dans l’espace de l’OHADA". (À propos de l’arrêt, CCJA, n°053/2012 du 07 juin 2012, Pourvoi
n°059/2009/PC du 19 juin 2009 Affaire : Monsieur E.E.E c/ Port Autonome de Douala. Voir
également D. LEKEBE OMOUALI, "Les ambiguïtés de la voie de cassation en matière de droit pénal
des Actes uniformes", Lexbase : A9113WY8 ; R. NJEUFACK TEMGWA, "Précisions sur la compétence
judiciaire de la CCJA", in Les réformes de droit privé en Afrique. Actes du colloque organisé par le
Laboratoire d’Etudes et de Recherche sur le Droit et les Affaires en Afrique (LERDA), 13-14
novembre 2014, Université de Dschang (Cameroun), Presses Universitaires d’Afrique, 2016, pp.
403-411.

316
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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Traité814. L’intérêt est double. Il a trait tout d’abord, à la détermination de l’office


du juge pénal. Quelle qualification doit-il retenir ? Il s’agit ensuite, de s’interroger
sur la nécessité de parachever la construction du droit pénal OHADA, qui s’est
arrêtée à mi-parcours.

Quelle qualification pénale retenir pour réprimer les atteintes au patrimoine des
entreprises publiques camerounaises ? Cette question met en évidence un conflit
de qualifications entre une norme de droit pénal national et une norme de droit
pénal communautaire OHADA est naturellement solutionnée par l'application de la
qualification délictuelle d'abus de biens sociaux prévue par le droit
communautaire (I). Toutefois, en raison de l'éclatement du droit pénal OHADA, la
sanction relève du droit national, ce qui justifie l'application des peines
criminelles de l'infraction de détournement des biens publics (II). Cette
application duale du droit pénal OHADA et du droit pénal national fait montre de
la spécialité de la répression qui mérite d'être amendée en faveur d'un
adoucissement de la répression.

I I. LA QUALIFICATION DELICTUELLE D’ABUS DES BIENS SOCIAUX DU DROIT OHADA

La qualification d’abus de biens sociaux est applicable aux atteintes au


patrimoine des entreprises publiques commises par leurs dirigeants sociaux.
Cette qualification conforme au droit pénal OHADA (A) entre toutefois en concours
avec la qualification de détournement de biens publics prévue par le droit
national (B). Il n’en demeure pas moins, que le législateur camerounais réprime
les atteintes aux biens des entreprises publiques par l’abus de biens sociaux,
conformément aux prescriptions impératives du droit communautaire OHADA.

Art. 5 al. 2 Traité OHADA : "Les Actes uniformes peuvent inclure des dispositions d’incrimination
814

pénale. Les Etats Parties s’engagent à déterminer les sanctions pénales encourues".

317
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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A. UNE QUALIFICATION EN CONFLIT AVEC LE DETOURNEMENT DE BIENS PUBLICS

Exigence du principe de la légalité pénale815, la qualification des faits consiste


pour le juge, à s’assurer que toutes les conditions prévues par la loi qu’il envisage
d’appliquer sont bien réunies816. Le conflit prend naissance, lorsqu’une situation
de fait peut a priori, relever de plusieurs qualifications pénales. C’est le cas de
l’abus des biens sociaux prévu par l’article 891 AUSCGIE817 et l’article 184 du Code
pénal camerounais qui incrimine le détournement de biens publics818. Tels sont
les termes du conflit de qualification (1°), qui doit être apprécié à travers le risque
répressif en jeu (2°).

1. Les termes du conflit de qualification

L’article 916 AUSCGIE qui dispose que "le présent Acte uniforme n’abroge pas les
dispositions législatives auxquelles sont assujetties les sociétés soumises à un
régime particulier" est à l’origine d’une controverse quant à la détermination du
droit applicable aux entreprises publiques.

L’identité des éléments constitutifs de l’abus des biens sociaux et du


détournement de biens publics crée un conflit de qualification. L’opération
juridique qui consiste pour le juge, à vérifier si les faits litigieux tombent
effectivement sous le coup de la loi pénal qu’il envisage d’appliquer est

815
"Une telle exigence découle directement du principe de la légalité pénale puisqu’en retenant
une seule qualification pénale, on assure à la personne poursuivie de retenir celle qui correspond
le mieux aux faits". E. GALLARDO-GONGGRYP, La qualification pénale des faits, PUAM, 2013, p. 111,
n° 147.
816
E. DREYER, Droit pénal général préc., p. 527, n° 633.
817
Sur l’abus de biens sociaux, voir A. MEDINA, Abus de biens sociaux. Prévention, détection,
poursuite, Dalloz 2001, 354 p.
818
Sur le détournement de biens publics, voir S. YAWAGA, "Avancées et reculades dans la
répression des infractions de détournements des deniers publics au Cameroun : Regard critique
sur la loi n° 2011/028 du 11 décembre 2011 portant création d’un tribunal criminel spécial", in
Juridis Périodique, n° 90 avril-mai-juin 2012, p. 43.

318
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susceptible d’aboutir à l’application de l’une des deux infractions. Doit-il retenir


l’infraction de détournement de biens publics ou celle d’abus de biens sociaux ?
C’est en ces termes que se présente le conflit de qualification. L’enjeu répressif
vient exacerber l’intérêt de la question.

2. L’enjeu répressif de la qualification pénale

L’enjeu répressif de la qualification pénale est essentiellement limité à la sévérité


des sanctions pénales applicables aux faits litigieux. Aux peines délictuelles de
l’abus des biens sociaux, il faut opposer les peines criminelles du détournement
de biens publics. Alors que l’article 9 de la loi n° 2003/008 du 10 juillet 2003
portant répression des infractions contenues dans certains Actes uniformes
OHADA prévoit à titre principal des peines d’emprisonnement de 1 à 5 ans, et une
amende de 2 000 000 à 20 000 000 F CFA.

La réception des contraintes des droits de l’homme doit contribuer au choix de


la qualification la moins sévère. Sans pour autant partager cette thèse, le
législateur camerounais a solutionné le conflit de qualification en faveur du droit
pénal OHADA.

B . LA SOLUTION DU CONFLIT EN FAVEUR DU DROIT PENAL OHADA

Pour résoudre le conflit de qualifications, le législateur camerounais a marqué sa


préférence du droit pénal OHADA. C’est en conformité avec le droit pénal OHADA
qu’il a retenu l’abus de biens sociaux au détriment du détournement des biens
publics (1°). Malgré cette préférence législative, les juridictions pénales se sont
montrées réfractaires. La résistance inopportune des juridictions pénales (2°)
n’est pas de nature à modifier la solution du conflit de qualification.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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1. La qualification d’abus de biens sociaux conforme droit pénal OHADA

Le législateur camerounais a retenu la qualification d’abus de biens sociaux.


L’article 9 de la loi n° 2003/008 du 10 juillet 2003 portant répression de certaines
infractions prévues par les Actes uniforme OHADA reprend intégralement
l’incrimination d’abus de biens sociaux, qu’il sanctionne par une peine
d’emprisonnement de un à cinq ans, et par une amende de 2.000.000 à
20.000.000 F. CFA. L’article 916 AUSCGIE a toutefois été à l’origine d’une
controverse sur la portée de l’effet abrogatif.

La CCJA est d’avis que les dispositions de l’Acte uniforme sont d’ordre public819,
ce qui écarte l’admission d’un régime dérogatoire. L’article 184 du Code pénal
n’écarte pas les dispositions d’ordre public de l’article 891 AUSCGIE, quant à
l’incrimination applicable.

Cette thèse a été confortée par la loi du 22 décembre 1999 qui a retenu l’abus
des biens sociaux, pour qualifier les atteintes portées par les dirigeants
d’entreprises publiques au patrimoine de celles-ci820. Toutefois, de manière
curieuse, la loi du 12 juillet de 2017 est revenue sur cette qualification. Elle lui a
préféré celle de détournement de biens publics821. Le conflit entre la qualification
est réglé par la primauté du droit OHADA sur le droit national822.

819
CCJA, avis n° 001/2001/EP du 30 avril 2001, 6e question, 4e chambre (4-d) : "Les dispositions
de l'Acte uniforme sur les sociétés commerciales et le GIE étant d'ordre public et s'appliquant à
toutes les sociétés commerciales à raison de leur forme et quel que soit leur objet, régissent des
sociétés soumises à un régime particulier entrant dans le cadre juridique ainsi défini. Toutefois,
à l'égard de ces sociétés, l'article 916 alinéa 1er de l'Acte uniforme précité laisse subsister les
dispositions législatives auxquelles lesdites sociétés sont soumises".
820
Art. 108 loi n° 99/016 du 22 décembre 1999 : "est puni des peines prévues à l’article 184 du
Code pénal, tout dirigeant d’une entreprise qui a fait de ses pouvoirs, des biens ou du crédit de
l’entreprise, un usage contraire aux intérêts de celle-ci dans un but personnel ou pour favoriser
une autre société ou dans une affaire dans laquelle il détient directement ou indirectement des
intérêts".
821

822
Art. 10 du Traité OHADA.

320
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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L’ensemble de ces arguments reflète la thèse communautariste qui conforte


l’application de l’abus des biens sociaux. Cette thèse est remise en cause par la
thèse nationaliste. C’est sur cette thèse que se fonde la jurisprudence
camerounaise, pour résister au choix opéré par le législateur camerounais, en
conformité avec le droit pénal OHADA.

2. La résistance inopportune des juridictions camerounaises

Les juridictions camerounaises se sont montrées favorables à l’application de la


thèse nationaliste, qui prône l’application du droit national aux entreprises
publiques, et notamment celle de l’article 184 du Code pénal relatif au
détournement des biens publics. La thèse nationaliste est fondée sur le dogme
de la toute-puissance de l’Etat et de la surprotection de son patrimoine qui en
découle. Les dispositions d’ordre général de l’article 891 AUSCGIE sont
inapplicables aux entreprises publiques.

Alors que la CCJA est d’avis que le régime spécifique prévu par l’article 916
AUSCGIE n’a pas un caractère dérogatoire du droit commun OHADA dont les
dispositions sont d’ordre public823, les juridictions camerounaises estiment que
ce texte, qui n’abroge pas les dispositions spécifiques du droit national, maintien
en vigueur l’article 184 du Code pénal qu’elles entendent appliquer aux dirigeants
des entreprises publiques824. Cette argumentation qui méconnaît la portée de
l’article 916 AUSCGIE fragilise la jurisprudence camerounaise.

823
CCJA, avis n° 001/2001/EP du 30 avril 2001, 6e question, 4e chambre (4-d).
824
Pour retenir l’application de l’article 184 du Code pénal dans l’affaire TGI du Mfoundi, M.P. et
Société Immobilière du Cameroun c/ Belinga Giles Roger et autres, jugement numéro 880/Crim.
du 27 sept. 2007, les juges ont décidé, après avoir visé l’avis de la CCJA n° 001/2001/EP du 30
avril 2001, "Qu’à la lumière de ces développements, les législations internes régissant la Société
Immobilière du Cameroun, société d’économie mixte, ont survécu aux Actes uniformes OHADA
relatifs aux droits des sociétés commerciales et du Groupement d’intérêt économique, et restent
applicables".

321
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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Le législateur est finalement intervenu, non pour briser cette jurisprudence, mais
pour renforcer la protection des biens des entreprises publiques, au détriment
de l’humanisation du droit pénal. L’abus de biens sociaux commis au détriment
d’une entreprise publique est désormais puni de peines criminelles prévues par
l’article 184 du Code pénal applicable au détournement des biens publics.

III. L’APPLICATION DES PEINES CRIMINELLES DE L’INFRACTION

DETOURNEMENT DE BIENS PUBLICS

L’abus de biens sociaux commis par les dirigeants d’une entreprise publique est
puni par les peines applicables au détournement de biens publics. La sévérité
inéluctable des sanctions (A) est en porte à faux avec les contraintes des droits
de l’homme. Face à cette dérive, l’humanisation du régime de répression
souhaitable (B).

A . LA SEVERITE INELUCTABLE DES SANCTIONS PENALES

Usant de la technique de la pénalisation par renvoi, le législateur camerounais


applique à l’abus des biens sociaux commis par les dirigeants d’une entreprise
publique, les peines de nature criminelle prévues par l'article 184 du Code pénal
applicables au détournement de biens publics (1°). Bien qu'elle soit critiquable au
regard de l’humanisation du droit pénal, cette criminalisation est parfaitement
compatible avec le droit pénal OHADA (2°).

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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1. La pénalisation par renvoi aux sanctions de l'article 184 du Code pénal

camerounais

L’article 108 de la loi du 22 décembre 1999825 sanctionne le délit d’abus de biens


sociaux par les peines criminelles de l’article 184 du Code pénal. Elle pénalise
l’abus de biens sociaux par renvoi aux sanctions de l’article 184 du Code pénal
sans empiéter sur le domaine de compétence du législateur OHADA. Toutefois, la
symbiose entre le législateur camerounais et le législateur OHADA n’a été remise
en cause par la loi du 12 juillet 2017.

L’article 114 de la loi du 12 juillet 2017 qui requalifie l’infraction en détournement


de biens publics826 écarte la pénalisation par renvoi. Toutefois, le législateur
camerounais a empiété sur le domaine de compétence du législateur OHADA. Ce
conflit est réglé par la primauté du droit OHADA sur le droit national827. Les
dispositions de la loi de 2017 relatives à la qualification de détournement de biens
publics sont abrogées. L’on retrouve la pénalisation par renvoi aux peines de
l’article 184 du Code pénal.

La pénalisation par renvoi aux peines de l'article 184 du Code pénal est justifié
par la volonté du législateur camerounais, de réprimer sévèrement les faits
litigieux qu'il estime être d'une gravité équivalente aux atteintes à la fortune
publique. Cette solution surprenante, est toutefois parfaitement compatible avec
le droit pénal OHADA.

825
Art. 108 loi 199 : "est puni des peines prévues à l’article 184 du Code pénal, tout dirigeant d’une
entreprise qui a fait de ses pouvoirs, des biens ou du crédit de l’entreprise, un usage contraire
aux intérêts de celle-ci dans un but personnel ou pour favoriser une autre société ou dans une
affaire dans laquelle il détient directement ou indirectement des intérêts"
826
"constitue un détournement de biens publics prévu et réprimé par l’article 184 du Code pénal,
le fait pour les dirigeants des entreprises publiques, de mauvaise foi, de faire des biens et du
crédit de l’entreprise publique, un usage qu’ils savent contraire à l’intérêt de celle-ci à des fins
personnelles, matérielles ou morales, pour favoriser une autre personne morale dans laquelle ils
sont directement ou indirectement intéressés".
827
Art. 10 du Traité OHADA.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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2. Une criminalisation compatible avec le droit pénal OHADA

La criminalisation de l'abus de biens sociaux par le législateur camerounais est


compatible avec le droit pénal OHADA. Le législateur camerounais a usé de son
pouvoir normatif, en déterminant les sanctions. Il a mis en œuvre sa politique
pénale à l'encontre des prévaricateurs de la fortune publique, dans le strict
respect de l’article 5 du Traité OHADA. Bien qu’elle soit critiquable la
criminalisation de l’abus des biens sociaux est compatible avec le droit pénal
OHADA.

Ce système qui crée une discontinuité dans les poursuites et les sanctions a déjà
été critiqué par la doctrine828. Il freine l’harmonisation du droit pénal dans l’espace
judiciaire commun. A défaut d'une intervention du législateur OHADA829, ou d'un
contrôle exercé par la CCJA830, une application bienveillante de la loi pénale est
de nature à humaniser le régime de répression.

B . L’HUMANISATION SOUHAITABLE DU REGIME DE REPRESSION

Pour humaniser le régime de répression, il faut inciter le législateur à réécrire le


droit pénal camerounais (1°). Les juridictions camerounaises doivent également
tirer toutes les conséquences de droit de la qualification juridique des faits, en

828
F. ANOUKAHA et ALII, OHADA. Société commerciales et GIE, Bruylant, Bruxelles, 2002, p. 237 ; H.
TCHANTCHOU et M. AKOUETE AKUE, "L’état du droit pénal dans l’espace OHADA", Revue de l’ERSUMA,
nov.-déc. 2011, n° spécial, pp. 20-45, spéc. p. 26 ; M. Mahouvé préc., p. 96 ; J.-J. FOMCHIGBOU
MBANCHOUT, "De quelques réflexions sur la codification pénale communautaire du législateur
OHADA", in L’effectivité du droit de l’OHADA, Presses Universitaires d’Afrique, Yaoundé, 2006, p.
63.
829
Il est souhaitable que le législateur OHADA détermine à la fois les incriminations et les sanctions.
Tel est le cas par exemple pour le droit des assurances CIMA.
830
Un revirement de jurisprudence est également souhaitable pour permettre le contrôle des
qualifications et des sanctions. Voir en ce sens, D. LEKEBE OMOUALI, "Les ambiguïtés de la voie de
cassation en matière de droit pénal des Actes uniformes" préc.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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appliquant le principe de faveur (2°), à l’égard des dirigeants sociaux des


entreprises publiques.

1. La réécriture du droit pénal camerounais

Pour mettre le droit pénal camerounais en symbiose avec le droit pénal OHADA,
le législateur camerounais doit exclure les dirigeants des entreprises publiques
de l’emprise des des dispositions des articles 184 du Code pénal et 114 de la loi
du 12 juillet 2017. C’est une étape préalable à l’harmonisation de l’espace pénal
commun, dans l’attente d’une véritable uniformisation qui suppose l’abandon
total de la souveraineté des Etats membres.

La relecture de ces textes remet en cause la politique pénale du législateur


camerounais en matière d’atteintes à la fortune publique. C’est un écueil
important à l’assouplissement du régime de répression Il faut solliciter le
concours des juridictions pénales. Elles devraient appliquer le principe de faveur
envers les dirigeants sociaux indélicats, pour alléger la rigueur du régime
répressif qui leur est applicable.

2. L’application du principe de faveur à l’égard des dirigeants sociaux indélicats

Ce principe signifie que "toute ambiguïté juridique ou factuelle doit profiter à la


personne poursuivie"831. La prééminence du droit doit conduire l’Etat à respecter
les droits de l’homme, et à s’autolimiter dans l’exercice de la répression832. La

831
E. DREYER préc., n° 109, p. 92.
832
Le principe de faveur trouve son origine en droit pénal canonique (V. J.-M. CARBASSE, Histoire
du droit pénal et de la justice criminelle, Puf, coll. "Droit fondamental", 2e éd., 2006, p. 171, n° 86).
Il passa ensuite dans l’Ancien droit pénal où il était admis que l’arbitraire du juge lui permettait de
substituer aux peines prévues par des ordonnances royales (notamment la mort) des peines
moindres (par exemple les galères).

325
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

répression doit être soumise à une exigence de proportionnalité, et encadrée


sous le prisme du principe de la légalité833.

La qualification d’abus de biens sociaux emporte la compétence du Tribunal de


grande instance statuant au besoin en matière criminelle. Le régime des
poursuites est favorable aux dirigeants sociaux poursuivis. Ils échappent à la
rigueur de la procédure devant le Tribunal criminel spécial, qui porte atteinte
aux droits de la défense, et à l’égalité des armes.

Sur cette justification politique du principe de la légalité, voir Ph. CONTE et P. MAISTRE du
833

CHAMBON, Droit pénal général, A. Colin, Coll. "U", 7e éd., 2004, n° 63, p. 91.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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La réception des marchés de travaux

public de qualité en droit Camerounais

Colin Anang NJUATE - Docteur / Ph.D en Droit Public

____________________

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Résumé

La réception des marchés publics de travaux représente la mise à la


disposition publiques d'infrastructures pour la satisfaction de l'intérêt général par
l'administration. Cependant, l’aménagement du processus de réception des
marchés publics de travaux en droit camerounais apparaît discutable compte
tenu des infrastructures incomplètes et / ou de mauvaise qualité en place avec
un taux de dégradation exponentiel mettant en cause la capacité du droit
camerounaise. Suivant une certitude incontestable que le processus est
perfectible, le renforcement des cadres juridiques ainsi que des mécanismes de
contrôle du processus de réception est indispensable. Cela contribuera à
améliorer les activités de certains acteurs.

328
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Les prérequis de l’allocation de biens et services au public, leur fonctionnement


régulier et leur continuité incarnent toutes les différentes phases de la mise en
œuvre des marchés publics et prévalent sur la volonté commune des parties. La
réception des marchés de travaux publics en droit camerounais n'est pas en
contradiction avec ces exigences. Elle est marquée par l'acte de recouvrement
et de mise à la disposition pour la satisfaction de l'intérêt général conformément
à l'objectif de service public qui est à la base de l'administration. Elle est aussi
régie par des cadres juridiques qui modèrent les intérêts divergents. Cela
concerne les services rendus par le Cocontractant de l’Administration d'une part,
et les règlements financiers par l'administration d'autre part. En tant que phase
finale de l'exécution des contrats de travaux publics, il est impératif que
l'opération de réception qui culmine aux obligations contractuelles ne se déroule
pas au mépris des cadres juridiques et de l'intérêt commun des parties.
La réception des marchés de travaux publics qui intervient avant la
modélisation d'un environnement de transfert de biens et de services au public
représente l'aboutissement partiel ou total des obligations mutuels des parties.
Il décrit l'acte par lequel la personne qui a commandé les travaux reconnaît que
leur exécution est correcte et satisfaisante, et fixe le délai de garantie. C'est une
opération dialectique avec des parties impliquées dotées de droits et
d'obligations réciproques. Il s'agit donc d'un acte juridique par lequel le pouvoir
adjudicateur ou la commission de réception reconnaît l'exécution totale de la
tâche conformément aux termes du contrat et du rapport préalable à la
réception, déchargeant ainsi totalement ou partiellement les parties de leurs
obligations contractuelles, qu'elle soit expresse ou tacite . Le contrat de travaux
est un « marché conclu avec des entrepreneurs en vue de la réalisation des
opérations de construction, reconstruction, démolition, réparation, rénovation de
tous bâtiments ou ouvrage, y compris la préparation du chantier, les travaux de
terrassement, l'installation équipements ou de matériels, la décoration et la
finition, ainsi que les services accessoires aux travaux si la valeur de ces services

329
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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ne dépasse pas celle des travaux eux-mêmes ». En tant que marchés publics, les
marchés de travaux sont des contrats écrits par lesquels un entrepreneur
s'engage envers l'État, une collectivité territoriale décentralisée ou un
établissement public pour réaliser des travaux à un coût financier donné. Ils sont
considérés comme des concessions de service public qui est un type de
délégation de service public. Il apparaît également comme une extension du
régime général des accords de partenariat. Les contrats de travaux publics
reposent sur des conditions tripartites, cumulatives et interdépendantes. Il s'agit
notamment des travaux immobiliers, réalisés sur des structures publiques et pour
d'intérêt général qui sont légèrement en pont, mais ne compromettent pas la
frontière entre les marchés publics et les délégations de services publics. La
quête financière de l'entrepreneur dépend du taux d'exécution de ses obligations
contractuelles jusqu'à sa réception par l'acheteur public. Les contrats de travaux
publics de qualité sont ceux exécutés conformément aux aspirations du marché
ou aux objectifs de la politique publique.
La réception des contrats de travaux publics de qualité par l'administration
représente la résiliation normale des obligations contractuelles entre elle et son
contractant. L’accomplissement de cette formalité qui marque l'étape finale du
processus contractuel signifie que l’Ingénieur du marché a dûment exécuté ses
obligations contractuelles conformément à la réglementation et à l'accord
contractuel engageant sa responsabilité. La phase de réception intervient après
le respect des mécanismes spéciales de contrôle en place. La spécificité de
régime de réception des marchés de travaux publics résulte de sa complexité.
Cela dit, les mécanismes de contrôle en place visent la perfection de processus
d'exécution et même de réception. Tout manquement de l'ingénieur à ses
obligations handicapera les obligations de réception de l'acheteur public et cela
implique qu'une telle justification exonère sa responsabilité vis-à-vis de son
cocontractant. Par ailleurs, l'administration est exhortée à jouer un rôle de
supervision lors du processus d'exécution des travaux pour s'assurer le respect

330
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

des clauses contractuelles et de provoquer la rectification de toute défaillance


dûment constatée sur le terrain.
Tenter une réflexion sur la réception des marchés publics de travaux de
qualité en droit camerounais aujourd'hui est indispensable. Il cherche à remettre
en cause la validité des mesures de contrôle et de vérification renforcée par le
droit camerounaise et le caractère incomplet et / ou de mauvaise qualité des
infrastructures en place aujourd'hui dont la plupart sont nouvellement construites
et à taux de délabrement exponentiel. En principe, le recours au développement
des infrastructures reflète les objectifs socioculturels et de développement
annuels de la Nation. Ils sont principalement réalisés à travers des marchés de
travaux publics pour des objectifs de développement durable. Les échecs liés à
leur réception remettent indéniablement en cause cet objectif important. Cela
amène à savoir si le droit camerounais est-elle capable pour la réception des
marchés de travaux publics de qualité ?
Une tentative d'examen de la loi réglementant ce domaine et avec une
éventuelle appréciation ira un long chemin pour répondre à nos doutes, comptes
tenus des infrastructures publiques incomplètes et / ou de mauvaise qualité en
place, dont la plupart des processus de leurs réception avaient pris fin. Cela
remet en question la compétence et la mission des organismes de réception. Un
contrat conclu doit être effectivement exécuté par chacune des parties de ses
obligations et la défaillance d’une partie atteste de son manque de fiabilité envers
l’autre. Cela va même au-delà puisque la mauvaise exécution et la mauvaise
réception des infrastructures publiques représentent indirectement un drainage
corrosif des fonds publics vers les poches privées. C'est la caractéristique de
nombreux travaux aujourd'hui dont leurs procédures de réception restent
discutables. Laurent RICHER est d'avis que le pouvoir adjudicateur peut accepter
de recevoir une structure exécutée au mépris des stipulations des contrats, mais
cela peut donner lieu à la modification d'un tel contrat, autrement qualifiée de
réfaction. Cependant, la résiliation des obligations de l’entrepreneur a beaucoup
de valeur. En effet, l'étape de réception qui ne libérera pas totalement

331
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

l'entrepreneur des impacts de carences qui étaient imperceptibles lors de la


phase de réception et cette assurance se fait par voir des garanties.
L'ambition régulatrice de la réception des contrats de travaux publics
aujourd'hui doit son origine en partie aux crises économiques du milieu des
années 80 qui ont retardé le développement des infrastructures engagées
depuis l'indépendance. Ce déclin été associé aux limitations de fonds publics et
même la pression de développement, qui ont évoqué la prise de conscience de
la gestion des rares fonds publics disponibles pour atteindre les exigences socio-
économiques en place. Cette prise de conscience a fortement impacté le
domaine des marchés publics en général et des marchés de travaux publics en
particulier. La promulgation du Code des marchés publics de 2004 et de l'arrêté
de 2007 instituant le Cahier des Clauses Administratives générale (CCAG)
applicable aux marchés publics de Travaux réserve une véritable place aux
procédures de réception. Il apparaît également comme un prolongement de la
prise de conscience de la garantie d'efficacité dans la gestion des fonds publics.
Ceci explique probablement la mise en place d'une double phase de contrôle de
réception. Les personnels et les organes de contrôle sont également mis en place
nous faisant croire que la réception en vertu de la loi camerounaise peut être très
efficace.
Cependant, les multiples infrastructures incomplètes et / ou de mauvaise
qualité exécutées et reçues aujourd'hui indiquent l'inefficacité de droit
camerounaise pour la réception des contrats de travaux publics de qualité. Le
droit camerounais reste perfectible en ce qui concerne la réception des contrats
de travaux publics de qualité. L'une des politiques publiques pour la
rationalisation de la gestion des finances publiques passe par le renforcement
des normes juridiques et des mécanismes de contrôle des opérations financières
publiques comme les marchés publics.
Notre analyse ici nécessite le recours à une méthode juridique qui inclut
la casuistique et les approches dogmatiques qui composent le positivisme
juridique. Nous nous intéressons principalement ici aux instruments juridiques

332
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

camerounais. Nous accorderons également peu d'attention au droit étranger


compte tenu du point de vue de Rolland DRAGO qui estime que tous les juristes
sont et doivent être des comparateurs.
L’amélioration de droit camerounaise représente ici un engagement
intéressant frappant contre la réception de contrats de travaux publics
dégradants, incomplets et / ou de mauvaise qualité qui traduit son inefficacité en
la matière. Cela implique qu'il ne doit pas nécessairement accompagner une
politique publique destinée à la réception des travaux de qualité sauf dans le
respect de la théorie de l'adaptabilité. Cette théorie explique que les institutions
mises en œuvre peuvent ne pas accompagner directement leurs missions mais
peuvent le faire ultérieurement par adaptabilité. Ceci est expliqué par le
politologue comme : «la théorie du fonctionnalisme institutionnel ». La réception
des contrats de travaux publics de qualité en droit camerounais nécessite le
renforcement des normes juridiques (I) et l'efficacité des mécanismes de
contrôle (II).

I. Le renforcement des cadres juridiques relatifs à la réception des

marchés de travaux publics

La politique publique de développement des infrastructures au Cameroun


aujourd'hui ne peut être effectivement accomplie au mépris des réformes
institutionnelles, particulièrement des normes juridiques. Il s'agit de garantir
l'efficacité des normes juridiques régissant la réception des contrats de travaux
publics. C'est une arme positiviste pour améliorer la performance par la
normalisation qui est l'acte de faire des normes ou de se conformer aux normes.
Cette doctrine matérialise la création du nouveau règles et l'amélioration des
cadres juridiques existants pour sauvegarder l'efficacité d'une politique
gouvernementale. L'amélioration des normes juridiques pour la réception des
contrats de travaux publics de qualité au regard de droit camerounais aujourd'hui
n'est pas loin de cette idée.

333
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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Il faut retenir que l'amélioration des normes juridiques ici est une initiative
très dynamique. Ceci est dû aux incertitudes sur la forme que cela peut prendre,
compte tenu du caractère multidimensionnel de la procédure de réception et de
la multiplicité des organismes de contrôle de réception. Le droit camerounais
devra être renforcée de manière à reconnaître et respecter la dynamique de
réception. En tant que res publica, les infrastructures de qualité réalisées et
réceptionnées dans le cadre de marchés de travaux ont un caractère de service
public. L'inefficacité de droit camerounais en la matière se justifie par son silence
(A) et son non-respect dans l'opération de réception (B).

A. Le silence du droit relatif à la réception

Le silence du droit est l'un des défis courants de l'efficacité de l'état de droit. Il
se fait sentir soit par l'incapacité de résoudre les problèmes portés devant un
juge et / ou par l'incertitude quant à la modalité ou à la procédure de déroulement
d'une activité. Cela implique que l'impact du silence de droit diffère selon qu'il est
lié à un droit substantiel ou procédural. Quel que soit le domaine du silence, et
compte tenu des fondamentaux du droit à une opération, il est indéniable que le
vide juridique peut être la conséquence de la myopie du législateur. A cet effet,
François TERRE soutient que : « (…) le législateur est incapable de faire face à
l’extrême complexité des cas particuliers et de fixer par avance la règle qui doit
les régir ». Cette justification est faite par un organe législatif confronté aux
changements entourant la société humaine. C'est là que les failles juridiques
s'établissent à la suite de l'apparition de nouvelles formes de comportements ou
d'activités qui ont été prédites laconiquement ou pas du tout par les législateurs.
Le silence légal peut être identifié en présence de tout acte qui échappe
totalement à la connaissance du législateur. Il est considéré par certains auteurs
comme une erreur, et pour d'autres, comme la conséquence de leur incapacité
ou de leur caractère involontaire. Indépendamment la cause du silence juridique,
cependant, conduit à l'inefficacité de l'activité concernée. La réception de

334
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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contrats de travaux publics incomplets et / ou de mauvaise qualité est justifier


par des lacunes de droit. Il y a confusion et incertitude lorsque le droit ne décrit
pas une procédure pour une opération donnée ou son approche par rapport à un
comportement donné. Certaines parties concernées peuvent en profiter d'une
manière ou d'une autre. La procédure de réception des contrats de travaux
publics en droit camerounais ne pas exceptionnel à cette idée. Son inefficacité,
à cause de son silence, se fait sentir tout au long de la procédure de réception
notamment dans les phases de réception provisoire (1) et de réception définitive
(2).

1. Lacunes dans les opérations de réception provisoire

Instaurer une phase de réception provisoire avant la phase finale est une
spécificité du processus de réception des marchés publics de travaux. Elle se
caractérise par la notification des agents de contrôle administratif par un
entrepreneur. Ils doivent vérifier et déterminer la conformité des travaux
exécutés par l’entrepreneur au contrat avant une réception définitive. Cela
implique que l'administration ne recevra pas les travaux mal exécutés mais sera
victimisée pour d'éventuelles irrégularités constatées après une réception
définitive. Car un adage dit : « celui qui paie mal paie deux fois ». Rien ne garantit
la vérification effective des agents de la Commission de réception, le Chef de
service, le Maître d'œuvre, dont le domaine d'intervention reste relativement
imprécis. La Commission de réception est simplement habilitée à intervenir dans
la phase de réception provisoire comme c'est le cas de Chef de service et le
Maître d'œuvre, sans définir leur procédure de vérification ou leurs interactions.
L'entrepreneur est tenu de faire connaitre au Chef de service du contrat,
la date à laquelle il peut commencer les opérations pour une réception provisoire.
Un contrat ne peut pas prendre fin simplement parce que les parties ont des
différends, la défaillance de l'une des parties et / ou suite à une résiliation
unilatérale par l'administration. La notification du Chef de service pour réception

335
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

implique que l'acte d'informer son cocontractant se prépare à l'avance à une


éventuelle résiliation consensuelle. Cette notification ne peut pas être initiée par
des tiers. Aucun texte ne définit les bases et la sanction de la fausse notification
ainsi que les conditions et modalités de notification à employer par
l'entrepreneur. Il peut faire une notification prématurée, et celle-ci est admise par
l'administration après une vérification impromptue. Cela signifie que, tant
l'entrepreneur que le personnel et les organismes de réception sont
responsables de la réception des marchés de travaux publics inachevé et / ou
de mauvaise qualité.
L'administration n'est pas autorisée à acquérir la possession d'une œuvre
sans remplir la formalité de réception, sauf en cas d'urgence où la possession
peut être antérieure à la réception. Il est entendu que le droit camerounais ne
prévoit pas la procédure légale pour la réception en cas d'urgence. A ce titre, les
agents administratifs peuvent accomplir les formalités de réception à un stade
prématuré quel que soit l'état inachevé d'une structure pour des fausses motives
d'urgence.
La vérification effectuée par des agents administratifs pour assurer la
bonne exécution des marchés de travaux publics par un entrepreneur est une
fonction très importante. Cela est dû au caractère d'intérêt de service public des
contrats et au fait que l'administration peut, par l'intermédiaire de son
représentant, être responsable de certaines irrégularités. Il est très regrettable
que la procédure de vérification ne pas préciser par le droit camerounais. Cela
soulève notamment des questions, qu'est-ce qui indiquera si la vérification est
mal effectuée ? Les agents administratifs sont-ils punis pour une mauvaise
vérification ? comment cela peut-il être vérifié ? Le droit doit apporter des
éclaircissements à cet endroit, car les prérogatives exorbitantes de
l’administration vis-à-vis d’un entrepreneur ne sont pas synonymes d’intégrité.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

2. Lacunes dans les opérations de réception définitive

La phase de réception finale représente le point culminant de la formalité


de réception provisoire et, une fois qu’est effectivement menée, met fin aux
responsabilités contractuelles des parties. Elle peut être effectuée expressément
ou tacitement par l'administration. L'article 72 (1) du CCAG applicable aux
marches publiques de travaux qui indique qu’« à l’expiration du délai contractuel
de garantie et sous réserve de l’exécution par l’entrepreneur de toutes les
obligations qui lui incombent au titre du marché, il sera établi le Décompte
Général Définitif selon les modalités prévues aux articles 34 et 35, représentant
une réception définitive ». L’absence des règles de droit à redresser des
domaines importants à ce stade délicat est indéniablement la raison d’être de la
réception irrégulière des marchés de travaux.
Le droit camerounais réglemente l'opération de réception des marchés
de travaux publics en donnant des directives ou des principes superficiels pour
une réception définitive. Le CCAG applicable par exemple, exhorte la
Commission de réception à employer tous les moyens à sa disposition pour
vérifier que les clauses contractuelles ont été entièrement respectées et que
l'entrepreneur s’est honorablement acquitté des tâches prescrites pour la
période de garantie avant réception définitive. Cependant, le droit camerounais
ne précise pas la procédure à suivre par la Commission pour effectuer la
vérification. Il va sans dire que la technique de vérification est à la « discrétion »
de la Commission de réception et du personnel concerné, mettant ainsi en cause
l'efficacité des mesures de contrôle de la Commission de réception. Pourquoi ne
pas penser que le problème vient de l'échec de droit camerounais à esquisser
une éventuelle procédure de vérification de la Commission de réception.
La garantie de l’efficacité d’une opération qui réunit plusieurs acteurs passe
par la définition du domaine de compétence de chaque acteur ou organe. Le
domaine de convergence des acteurs ou organes doit également être clarifié.
Cela implique que l’amélioration d’une opération qui regroupe de nombreux

337
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

organes de contrôle nécessite de situer le domaine d’intervention de chaque


organe ou personnel en charge de contrôle. La procédure de passation des
marchés publics par le décret n° 2018/366 précise clairement les fonctions et le
fonctionnement du personnel et des organes concernés. Tel est le cas des
Commissions de passation des marches, Observateur indépendant, des
soumissionnaires et des pouvoirs adjudicateurs. Les personnels comme Chef de
service et Maître d'œuvre interviennent dans la phase de réception, mais aucun
texte ne définit leur mode de fonctionnement et leur relation avec la Commission
de réception. Le décret ci-dessus indique simplement que la réception des
marchés de travaux publics est effectuée par une Commission de réception, dont
la composition est indiquée dans le Cahier des Clauses Administrative
Particulières (CCAP) du marché et selon les modalités définies par les CCAG de
travaux. Cet échec de droit camerounais rend ces organes inefficaces dans leurs
fonctions de vérification ou de contrôle.
La procédure de réception définitive aurait pu être structurée avec des
lignes directrices spécifiques qui définissent toutes les opérations de contrôle
réalisées ou esquissées dans la phase de réception définitive des marchés de
travaux publics. Il ne précise pas où la vérification ou le contrôle pour s'assurer
de l'exécution complète de l'obligation d'un entrepreneur est effectué. Est-ce sur
le terrain, sur les documents contractuels ou bien sur les deux ?

B. La non-conformité de droit aux opérations de la réception

Cela exprime une adaptabilité lenteur de droit camerounais aux opérations


de réception des marchés de travaux public. Cette lenteur de droit est justifiée
par son incapacité à adapter l'opération de réception aux politique publics. Cela
conduit à la réception de contrats de travaux publics de mauvaise qualité et / ou
incomplets. Le problème ici est que les initiateurs des règles juridiques semblent
relativement peu proactifs vis-à-vis du texte (1) et même des enjeux de réception
(2).

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

1. La lente adaptabilité de droit camerounais aux cadres juridiques relatifs à la

réception

La promulgation du décret de 2018 portant code des marchés publics en


remplacement du décret de 2004 avait introduit de nombreux espoirs. Cela
s'explique par le nombre des innovations destinées à la garantie de performance
dans le système des marchés publics qui avait rencontré plusieurs défis. À cet
égard, la corruption sous toutes ses formes était à l'ordre du jour et le
détournement de fonds publics était une routine. Tout cela s'est manifesté par la
faible consommation de fonds publics, la mauvaise exécution des contrats de
travaux publics ou leur taux d'exécution inférieur au but du contrat. Si le décret
de 2018 est venu comme un soulagement à ces maux, il n'est pas encourageant
étant donné que son texte d'application n'avait pas encore été mis en place. Cela
signifie légalement que ce décret n’est pas encore en application dans l'attente
de son texte d'application. Cela pourrait être comparé au décret de 2004 dont le
texte d'application a été mis en œuvre juste un an après sa mise en œuvre (c'est-
à-dire en 2005 ). L'inefficacité de la réception des travaux de qualité est due à
cette négligence.
La réception de contrats de travaux publics de mauvaise qualité résulte de
l'échec de droit camerounais à définir ses objectifs et cela remet partialement en
cause la fonction de contrôle de réception ou de vérification des agents
administratifs des marchés de travaux publics. La réception des marchés de
travaux publics doit être effectuée par une Commission de réception dont la
composition et les modalités de création restent discutables. Cependant, l'article
165 (1) du décret de 2018 précise que « Les prestations exécutées dans le cadre
de marchés publics font systématiquement l’objet de réception par une
Commission dont la composition est indiquée dans le CCAP et selon les
modalités définies par le CCAG de travaux » . De cette précision, la mise en
œuvre du décret de 2018 aurait dû s'accompagner spécifiquement de la mise en
œuvre du CCAG qui aura pour effet de matérialiser ses aspirations. Aucun CCAG

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

de ce type n'avait été mis en œuvre. Par ailleurs, il convient de se demander si la


réception des marchés de travaux s'accompagne aujourd'hui de contrôle ou de
la vérification de quelque agence que ce soit. Il va sans dire que les initiateurs
des règles de droit sont relativement inadaptés au droit camerounais et cela
affaiblit l'efficacité des organes de contrôle ou de vérification de la réception.
Il convient de rappeler ici que les phases d'attribution et d'exécution des
marchés de travaux publics sont mieux réglementées par le droit camerounais
que la phase de réception. Le décret de 2018 précise les organes en charge de
contrôle de la passation et l'exécution, il définit également leur composition, leurs
fonctions et leur fonctionnement. La phase de réception, quant à elle, est
principalement régie par le CCAG et le CCAP étant respectivement un arrêté de
Premier ministre et une décision de Maitre d’Ouvrage. Cela démontre une
négligence statutaire de l'opération de réception des marchés de travaux
publics. On le voit à l'article 156 (1) qui est très clair en ce sens que les travaux
exécutés dans le cadre de marchés publics doivent systématiquement faire
l'objet d'une réception par une Commission dont la composition est précisée
dans le CCAP d'un marché de travaux publics et selon aux modalités indiquées
dans le CCAG. La composition et les fonctions des organes et des acteurs de
réception des marchés de travaux publics auraient dû être définies dans un
décret présidentiel comme le cas des organes de l’attribution et des organes
d’exécution sans en sortir dans un arrêté du Premier ministre ou dans une
décision du Maitre d’Ouvrage.
La plupart des personnels de contrôle intervenant dans la phase
d'exécution du marché de travaux ne peuvent participer à la phase de réception,
même si leurs fonctions y apparaissent tout à fait nécessaires. Mention est faite
du Ministre chargé des marchés publics ou des travaux publics, des auditeurs
indépendants et autres corps de contrôle de l'État. Le contrôle de l'exécution des
marchés publics vise à assurer le respect de la qualité, de bonnes normes
sécurisées et de la maturité d'un contrat. Ce n'est pas logique car ces personnels
ne sont pas présents lors de la phase de réception. Ceci montre entre autres

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

l'inadaptabilité de droit camerounais aux enjeux de réception des marchés de


travaux.

2. La lente adaptabilité du droit camerounais aux enjeux de réception

En principe, les organes législatifs doivent être proactifs et adaptatifs face


aux changements sociaux. On parle ici d'adaptabilité considérée comme la
capacité de s'adapter aux changements sociaux par le droit. C'est une règle étant
donné que la société humaine n’est pas stagnante. Les changements sont
enregistrés quotidiennement, notamment face à la mondialisation. La réalisation
des objectifs sociétaux par le biais des normes justifie un ajustement
concomitant des cadres juridiques par les organes législatifs. Il en va de même
avec la nécessité de normes juridiques reflétant leur domaine d’application, car
celles qui reflètent les réalités d’une société ne doivent pas nécessairement
refléter celles des autres. Le non-respect de cette règle signifie un mythe
d'adaptabilité du droit aux faits qui par exemple, cherche à réglementer suite aux
progrès de la science. Son adaptabilité symbolise une proration dans le domaine
du droit. Qu'elle soit volontaire, au soit plutôt involontaire, l'inadaptabilité du droit
aux faits représente une attitude myope des organes créateur des normes dans
le traitement des faits sociaux avec les normes juridiques. Ceci est visible à
travers son inefficacité et peut être considéré comme invalide. A titre d'exemple,
la vie sociale sera très insupportable dans le cas où l'organe législatif ne prête
pas attention aux réalités accompagnant l'émergence de l'économie digitale. Il
va de soi que les irrégularités de la réception résultent de l'inadaptabilité de droit
à certaines difficultés lies à la réception des contrats de travaux publics.
La réception de marchés de travaux de mauvaise qualité et / ou incomplets
indique des défis qui prévalent dans les opérations de réception et l'échec de
droit camerounais à fournir une réparation éventuelle. La mise à disposition de
règles juridiques pour réguler le déroulement d'une opération donnée n'est pas
suffisante. Les organes créature de normes doivent également anticiper les

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

éventuels défis susceptibles d'être enregistrés dans le processus de mise en


œuvre d'une procédure donnée. Une procédure peut être bonne mais impossible
à mettre en œuvre, mais des problèmes surviennent lorsque le droit camerounais
accorde plus d'attention à la procédure qu'à l'évaluation de sa mise en œuvre.
Ce déséquilibre ne laisse pas indifférent la réception des marchés de travaux de
mauvaise qualité et / ou incomplets. Le droit camerounais peut avoir l'ambition
de recevoir des travaux de qualité, mais cela est atténué par des dynamiques de
mise en œuvre de réception.
Il est à noter ici que l'article 72 (2) du CCAG applicable aux marchés de
travaux indique qu'avant de prononcer la réception définitive, la Commission doit
vérifier par tous les moyens à sa disposition que les clauses contractuelles ont
été entièrement respectées et que l'entrepreneur s’est honorablement acquitté
des tâches prescrites pour la période de garantie. Cette disposition paraît
impressionnante, mais elle n'esquisse pas le point de vue suite au rejet d'une
réception définitive des travaux. Cela concerne la responsabilité de
l'entrepreneur et le sort d'une structure rejetée. Celles-ci nécessitent des
clarifications pour rendre les directives de réception plus transparentes. Le
renforcement de l'efficacité des organes apparaît ici également indispensable.

II. Le renforcement des organes de contrôle relative à la réception des

contrats de travaux publics

Renforcer des mécanismes de contrôle de la réception sera un moyen


d'assurer la réception des marchés de travaux publics de qualité au Cameroun.
Cela concerne le personnel et les organes qui animent conjointement les
opérations de réception. Notre initiative ici se concentre sur la compréhension
que, compte tenu de la disposition actuelle des choses, les organes de contrôle
de la réception peuvent ne pas exercer relativement bien leurs fonctions. Cela
est dû aux lacunes de droit, qui les rendent inadaptés à leurs diverses tâches.
Cela implique que l'efficacité d'une opération dépend fortement de la qualité du

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

mécanisme de contrôle. On peut citer les mécanismes de contrôle administratif


(A) et juridictionnel (B) relatifs à la réception des marchés de travaux publics.

A. La faiblesse des organes administratifs de contrôle

Le taux d'efficacité des organes de contrôle d'une opération est


directement lié au taux de performance d'une politique publique. Cela implique
que le succès de la politique publique est fortement déterminant du taux
d'efficacité de ses organes de contrôle. Une fois qu'un résultat donné qui devrait
normalement être atteint n’est pas atteint en ce qui concerne les moyens alloués
à un organisme de contrôle donné. Cela implique l'inefficacité de cet organisme.
Ce sera lorsque, compte tenu de l'incohérence entre le résultat attendu et
l'objectif à atteindre, on constate une incapacité totale à atteindre le résultat
attendu par une agence de contrôle. La réception de marchés de travaux publics
de mauvaise qualité par le droit n'est pas loin de cela dont les personnels de
contrôle (1) et les organes (2) sont inefficaces dans l'exercice de leurs différentes
fonctions.

1. La faiblesse des personnels chargés de réceptionner les marchés de travaux

Il s'agit des personnels qui ont les devoir d'exercer des fonctions de
vérification pour garantir une exécution complète par le candidat de ses
obligations avant la réception du contrat de travaux publics. Le personnel
impliqué ici est principalement le Chef de service et le Maître d'œuvre, autrement
considérés comme représentant de l'administration. Les marchés de travaux
publics étant un engagement mutuel de l'administration et son cocontractant à
des conditions spécifiques, ce qui implique que les deux obligations doivent être
remplies avant la résiliation normale. La vérification par le personnel de
vérification du processus de réception a pour effet d’assurer l'achèvement du
processus d'exécution du marché par le candidat et est une condition prima

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

facies pour la réception des marchés de travaux publics. Cela implique que
l'identification de l'irrégularité d'un entrepreneur par le personnel de vérification
faussera la décision de réception. En tant que tel, cela implique que la réception
des travaux de mauvaise qualité représente la faiblesse des personnels de
vérification dans l'accomplissement de leurs différentes missions de vérification.
Il est entendu ici que, les principaux personnels de vérification du
processus de réception des marchés de travaux publics comme le Chef de
service du marché et le Maître d'œuvre sont accrédités à leurs fonctions par le
Maître d'Ouvrage ou le Maître d'Ouvrage Délégué d'un marché et ils représentent
leur intérêt. Aucun texte ne précise les modalités ou les conditions de
désignation de ces personnels et cela implique que leur désignation dépend
simplement de la discrétion de Maitre d’Ouvrage ou de Maitre d’Ouvrage
Délégué. Cela signifie qu'ils peuvent être choisis par ces autorités sur la base de
leur religion, de leurs affiliations, de leurs ethnies et même de leurs appartenance
politique. Cela signifie qu'il n'y a pas des procédures ou des conditions
spécifiques pour leur désignation et cela remet en question leur efficacité dans
leurs fonctions de réception. La réponse est évidemment dans la prise de
conscience négative de l'exigence intellectuelle et de compétence élevée pour
effectuer un contrôle parfait face à une structure complexe technique élevée. A
ce titre, la vérification qui est mal faites conduisant à la réception des travaux de
mauvaise qualité, en raison du manque de certaines qualifications de Chef de
service du marché ou de Maître d'œuvre concerné.
La détermination de l'efficacité d'un personnel de contrôle dépend de son
niveau d « indépendance » et ceci indépendamment de ceux qui sont concernés
par la réception des marchés. L'indépendance est un attribut d'un personnel de
contrôle qui est doté d'une autonomie financière et décisionnelle, le rendant
autonome pour prendre des décisions sans influence extérieure. Il est à noter
que les personnels dépendants ne sont pas cohérents faute d'une éventuelle
autonomie décisionnelle ou financière. Leurs fonctions ou leurs points de vue
peuvent être facilement obstrués en raison d'une influence externe et les rendre

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

inefficaces dans leurs diverses fonctions. C'est le cas du Chef de service du


marché et du Maître d'œuvre dont l'institution dépend du Maître d'Ouvrage au
du Maître d'Ouvrage Délégué. De plus, ils manquent de qualités indépendantes
en raison de leur dépendance financière et managériale. Cela les rend inefficaces
dans leurs fonctions de vérification. C’est en partie la raison d’être de leur
réception des marchés de travaux publics de mauvaise qualité et/ou incomplets.
Le droit camerounais ne prête pas attention à la phase de réception des
marchés de travaux publics comme elle le fait aux phases d'attribution et
d'exécution. La phase d'attribution est contrôlée par une série des personnels et
des organes tels que l'observateur indépendant, l'auditeur indépendant, les
candidates, la Commission charge de passation des marchés publics, les
commissions centrales de contrôle des marchés publics, entre autres. La
vérification de l'opération de réception incombe uniquement au Chef de service
de marché, au maître d'ouvrage et à la Commission de réception. Un regard sur
les différentes phases met en évidence un mécanisme de contrôle de réception
relativement insuffisant en place pour la réception des marchés de travaux
publics de qualité.

2. La faiblesse de commission de réception des marchés de travaux

Le processus de réception des marchés de travaux publics comme les autres


contrats est piloté par un organisme de réception. La réception des marchés de
mauvaise qualité conditionne néanmoins l'inefficacité de cet organisme à remplir
sa mission. Un organe créé par un texte tire sa force ou son efficacité de ce texte.
Cela implique que l'inefficacité de la Commission de réception des marchés de
travaux publics ne laisse pas indifférente le droit camerounais. Selon le PCC, «les
prestations exécutés dans le cadre de marchés publics font systématiquement
l'objet de réception par une commission dont la composition est indiquée dans
les Cahier des Clauses Administratives Particulières marché et selon les
modalités définies par les Cahiers des Clause Administrative Générale de

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

travaux, ( …) ». Cependant, des problèmes de réception de marchés de mauvaise


qualité se posent là. L'article 72 (4) souligne qu ‘« Avant de prononcer la
réception définitive, la Commission vérifiera, par tous les moyens à sa
disposition, que les clauses contractuelles ont été entièrement respectées et que
l'entrepreneur s'est honorablement acquitté des tâches prescrites pour la
période de garantie » . La réception de marchés de travaux publics incomplets
et / ou de mauvaise qualité peut être due à l'inefficacité de la Commission de
réception.
L'efficacité d'un organisme de vérification ou de contrôle est également
déterminée par sa composition. Cela concerne les personnels qui composait une
agence. Comme indiqué ci-dessus, les phases d'attribution et d'exécution des
marchés de travaux publics sont mieux valorisées par le droit camerounais que
la phase de réception. Le décret de 2018 est par exemple un décret présidentiel
qui définit la composition, les fonctions et le fonctionnement de l'ensemble des
personnels de passation des marchés et des organes des marchés de travaux
publics. Le processus de réception de sa part est défini par le CCAG et un CCAP
qui sont respectivement un arrêté de Premier ministre et une décision de Maitre
d’Ouvrage. Une comparaison des phases d'attribution et de réception sur les
bases du mode de régulation met en évidence une négligence statutaire de
l'opération de réception des marchés de travaux publics. Cette manière de
choses est vue spécifiquement à l'article 156 (1) qui indique que les travaux
exécutés dans le cadre de marchés publics font systématiquement l'objet de
réception par une commission dont la composition est indiquée dans le CCAP du
marché selon les modalités définies par le CCAG applicables aux marchés de
travaux. Contrairement aux compositions des organes de passation et
d'exécution, la composition et les fonctions de la Commission de réception des
marchés de travaux publics ne sont définies ni par un décret présidentiel ni par
un arrêté du Premier ministre, mais simplement par une décision d'un Maître
d'Ouvrage.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

L'indépendance ou l'autonomie est une menace fondamentale qui


mesure l'efficacité d'une agence de contrôle. Cela implique la capacité de
fonctionner sans aucune influence extérieure. L'indépendance d'un organe de
contrôle dépend de deux facteurs à savoir l'autonomie financière et l'autonomie
managériale. Ces facteurs donnent à un organe de contrôle le pouvoir d'exercer
un contrôle et de prendre des décisions sans influence externe. Un organisme
contrôleur de processus de réception doit être indépendant de Maitre d’Ouvrage
ou de Maitre d’Ouvrage Délégué. La création et la désignation de ses membres
doivent incomber à l'Autorité en charge des marchés publics, tout comme
certains des organes de contrôle de la passation et de l'exécution des marchés
publics. La composition de la Commission de réception est déterminée
uniquement par la CCAP. Cela implique qu'il est déterminé par le Maitre
d’Ouvrage et le laisser à sa demande pourras expliquer l'inefficacité de sa mission
de réception, d'autant plus qu'il peut facilement être influencé pour l'intérêt privé.

B. La faiblesse des garanties juridictionnelles pour la réception

La coercition est une caractéristique qui détermine l'efficacité d'un état de


droit et nécessite l'existence d'une personne humaine qui non seulement désire
la conduite commandée mais applique les « commandements » ou a le pouvoir
de faire les commandes. La loi étant faits des commandes son application
incombe aux organes juridictionnels. Un organe juridictionnel est « the practical
authority granted to a legal body to administer justice within a defined field of
responsibility ». Il va sans dire que la justice ne peut être administrée
efficacement qu'en présence d'un organe indépendant et impartial, qui est
capable d'appliquer des règles coercitives, abstraites, générales et
impersonnelles pour l'exercice de la justice. En effet, l'inefficacité des juridictions
pour la réception des marchés de travaux publics représente un échec dans leurs
fonctions de base. La réception des travaux incomplets et /ou de mauvaise
qualité ne laisse pas indifférent le fait de cet échec, car il manque un processus

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

juridictionnel précis de contrôle (1) et accompagné de la négligence du juge aux


irrégularités de réception (2).

1. Une procédure imprécise de contrôle juridictionnel pour la réception

Nous nous intéressons ici aux facteurs qui handicapent le contrôle des
irrégularités dans le processus de réception des marchés de travaux publics par
le juge. Le juge est chargé de la mission de prononcer le droit et son efficacité
nécessite un exercice effectif simultané de la fonction d'initiateurs des règles de
droit. En effet, l'interprétation et l'application des lois pour rendre justice
garantissent qu'un texte ou une pratique donnée doit avoir existé et non
seulement prédire le juge compétent mais aussi sa compétence. A ce titre, tout
comme les irrégularités des parties impliquées dans les opérations de réception
des marchés de travaux publics ne sont pas claires pour le juge, la procédure
contentieuse n'est pas claire pour les justiciables. Cette procédure de contrôle
juridictionnel imprécise remet en cause le mode de saisine du juge compétent et
les éventuelles solutions aux irrégularités liées à la réception des marchés de
travaux publics.
Le droit camerounais ne précise pas le juge compétent en matière de
réception des contrats de travaux publics. C'est également le cas de l'imprécision
des éventuelles mauvaises pratiques y afférentes. En principe, toutes les
matières relatives aux contrats administratifs relèvent de la compétence du juge
administratif au regard de l'article 1 (2) de la loi n ° 2006/022. Il suffit donc que
les questions relatives aux marchés de travaux publics relèvent de sa
compétence. Cependant, le droit camerounais ne précise pas son domaine
d'intervention spécifiquement dans l'opération de réception des marchés de
travaux publics, puisque des régularités comme le détournement de fonds, la
corruption sous toutes ses formes, la négligence des agents administratifs sont
concurrentes et attirent la compétence même des juges financières. Cette
imprécision affaiblit la portée du contrôle juridictionnel du processus de

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

réception des contrats de travaux publics puisque la connaissance du juge


compétent nécessite la définition de son domaine de compétence et cela n'est
pas clair dans le droit camerounais.
Il convient de mentionner ici que la certitude concernant le juge
compétent invite également les questions relatives à la procédure de saisie et
aux personnes compétentes pour saisir. Ceci est assez complexe car plusieurs
juridictions pourraient être impliquées dans le processus de contrôle de
réception et dont la procédure de saisie et les parties concernées varient d'une
juridiction à l'autre. Le juge n'intervient qu'après sa saisie et sans quoi le
processus de contrôle de la réception devient très improbable. En outre, il n'est
pas compétent pour saisir la juridiction à sa discrétion pour irrégularités.
Renforcer le contrôle juridictionnel du processus de réception des marchés de
travaux publics passe par la spécification du domaine d’intervention de chaque
juridiction, la procédure de saisie (correspondant à différentes prétentions), sans
omettre d’éventuelles voies de recours qui peuvent être prononcées par le juge.
L'absence de cela montre la négligence du juge vis-à-vis des irrégularités de
réception des marchés de travaux publics.

2. La négligence des irrégularités de la réception par le juge

Toutes les sociétés sont appelées à évoluer et cibler le développement par


la démocratie et la gouvernance justifie la participation de tous, y compris des
juges. Des organes juridictionnels crédibles, impersonnels et indépendants
contribuent à la réalisation de la politique de développement. Cela signifie que
les ambitions de politique publique de développement justifient les ambitions
concomitantes du juge. Celui qui doit et si nécessaire respecté au rythme des
décideurs politiques. Cela implique que les reproches pour l'échec de la plupart
des politiques gouvernementales ne devraient pas laisser indifférente la
négligence des juridictions. Cette négligence se manifeste notamment lorsque le

349
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

juge ne peut agir d'office, quelles que soient les irrégularités liées à la réception
des travaux donc il a connaissance.
La négligence du juge vis-à-vis des irrégularités de réception des marchés
de travaux est un prolongement de l'inefficacité de droit camerounais. Elle est
représentée par le traitement inefficace des questions relevant de sa
compétence. Cela concerne spécifiquement la compétence matérielle et non
territoriale, qui est déterminée par le texte et est soit générale, soit spécifique.
La compétence générale vise à définir un vaste domaine d'intervention d'un
organe juridictionnel et à l'exempter des autres. Le juge administratif est
compétent pour « les litiges relatifs aux contrats (à l'exclusion de ceux établis
expressément ou implicitement de droit privé) ou aux concessions de service
public » . Cela signifie en d'autres termes que le juge administratif est compétent
pour les litiges relatifs aux contrats administratifs et que le juge ordinaire est
compétent pour les contrats privés de l'administration, globalement appelés
contrats de l'administration. Le juge administratif est compétent pour les
matières relatives aux litiges de réception des marchés de travaux. C'est
également le cas des juges ordinaires et des juges des finances pour ce qui
concerne les infractions de droit commun liées aux fonds publics. La compétence
du juge se déduit de sa fonction de base notamment l'interprétation de la loi,
l'achèvement de la loi et l'adaptabilité de l'état de droit aux objectifs de politique
publique. La réception des travaux incomplets et / ou de mauvaise qualité
représente la négligence du juge dont l'efficacité peut être mieux renforcée par
le droit camerounais.
La négligence du juge justifiante la réception des marchés de travaux de
mauvaise qualité ou incomplets est étroitement liée à son mépris de «la nécessité
d’adapter le juge aux exigences du développement ». Les mauvaises pratiques
qui surviennent lors de la phase de réception des travaux conduisent à une
escroquerie de fonds publics pour des entreprises de développement dans des
poches privées et privent de son intérêt public. La réception ici représente la fin
du processus d'exécution. Cela implique que l'initier une procédure de réception

350
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

alors que l'entrepreneur n'avait pas terminé ses obligations contractuelles,


représente une irrégularité de réception qui justifie des poursuites pénales pour
fautes et usage de tromperies. Le droit camerounais n'habilite pas le juge à
intervenir d'office dans l'opération de réception des marchés de travaux publics.
Cette attitude du juge et ses répercussions associées avaient amené M. Charles
PEGUY à déplorer : « un juge habitué est un juge mort pour la justice ». Le juge
est appelé à être proactif et doit non seulement être conscient de l’évolution
technologique, mais aussi prêter main forte à la réalisation de la politique
gouvernementale.

Conclusion

Les marchés publics de travaux apparaissent aujourd'hui comme une


modalité de base par laquelle l'administration fournit des biens et des services
au public. Cela signifie la conclusion d'un engagement entre un organisme
administratif et sa cocontractante, où la fourniture de biens et de services de
qualité est fortement déterminante pour le respect mutuel des parties. Celle-ci
sera constatée dans la phase de réception qui est régie par le droit camerounais
et nécessite une vérification effective avant la réception définitive par
l'administration. Au vu de la prolifération des infrastructures publiques
incomplètes et / ou des mauvaises qualités en place, notre souci de savoir si le
droit camerounais fournit des cadres juridiques efficaces pour leur réception
indique qu'un tel objectif par le droit camerounais reste perfectible.
En effet, la réception des marchés des travaux de qualité en droit
camerounais nécessite le renforcement des normes juridiques du fait de leur
silence et de leur non-respect du processus d'opération de réception d'une part,
et le renforcement des mécanismes de contrôle, étant donné la présence d'un
organe de vérification de la réception inefficace et les mécanismes juridictionnels
de contrôle inefficaces en place, d'autre part. Cela signale une amélioration

351
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

substantielle des cadres juridiques par les organes créateurs des normes pour
assurer la réception des travaux de qualité.
Notre réflexion s'est basée sur l'amélioration de droit camerounais en
raison de son inefficacité à garantir la réception des marchés de travaux publics
de qualité. Le processus de réception initié par un entrepreneur et réalisé par
l'administration est régi par le droit camerounais. Son amélioration nécessite
l'introduction de nouveaux mécanismes de contrôle dans le système et
l'amélioration des ceux en placent une fois pour leur permettre de s'adapter aux
objectifs de la politique publique. Ceci est relativement indispensable car cela
contribuera à renforcer l'initiative et à combler les lacunes dans les activités de
certains acteurs. Il contribuera également à améliorer le développement des
infrastructures qui, selon le professeur Joseph KANKEU est réalisable grâce à
des réformes institutionnelles.

352
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Intelligence artificielle et artifices de

l’intelligence sous les régimes de propriété

intellectuelle dans les pays de l’OAPI

Patrick Juvet LOWÉ GNINTEDEM - Agrégé des facultés de droit -

Université de Dschang

et

Ulrich Lenz ASSONNA SOKENG - Doctorant en droit privé - Université de Dschang

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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Résumé

Les créations de l’intelligences humaines peuvent être protégées par les


droits de propriété intellectuelle (DPI). Des artifices de cette intelligence a
également été conçue l’intelligence artificielle (IA). Mais les créations impliquant
l’IA peuvent-elles être saisies par les DPI ? À l’analyse, l’IA rentre dans les régimes
de protection offerts par les DPI autant qu’elle les éprouve. Envisagée tantôt
comme objet de protection, tantôt comme bénéficiaire de la protection, l’IA
soulève suscite plus de questions que de réponses dans l’ordre normatif dans les
pays de l’OAPI. La stabilité des DPI n’est pas encore remise en cause ; mais l’on
ne saurait préjuger des évolutions à venir.

Selon un mythe très répandu, Dieu a créé l’homme à son image, lui
conférant des attributs de liberté et d’intelligence. Sans doute inspiré par son
créateur, ce dernier a développé l’activité créatrice au point de créer, lui-même,
une entité à sa propre image d’homme. L’intelligence artificielle (IA) est le fait de
l’homme, qui conçoit et réalise grâce aux savoirs et savoir-faire technologiques
une entité capable d’intelligence autonome.

Par l’effet de sa volonté, l’activité créatrice n’est plus la chasse gardée de


l’homme. L’IA est de plus en plus apte à accomplir des tâches relevant en principe
de l’humain834. Les solutions réelles ou potentielles qu’elle peut générer touchent
tous les domaines, y compris les plus sensibles : l’assurance, la finance, la justice,
la santé, etc. Cela justifie que se développe autour de l’IA un marché mondial

834
Des machines IA sont douées pour générer des logiciels, des bases de données, des œuvres
littéraires et artistiques, rédiger des projets de contrats et documents officiels pour des cabinets
d’avocats, écrire leur propre code, etc.

354
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

important835. L’on considère836 que l’IA peut être une opportunité pour l’Afrique en
général et pour les pays en voie de développement en particulier. Elle serait utile
dans le domaine de l’agriculture, pour améliorer le service de santé, résoudre le
problème de l’urbanisation, optimiser les flux d’énergie et l’éclairage public,
assurer la sécurité publique, détecter les fraudes ou les risques de catastrophes
naturelles, etc. L’IA réduit progressivement l’intervention humaine et tend à
transformer son utilisateur en un simple observateur. À partir de l’IA, serait-on en
train de se soumettre aux artifices d’une intelligence mal maîtrisée ? La
reconnaissance d’une certaine autonomie de l’IA837 est sans doute loin d’avoir
dévoilé toutes ses conséquences.

Sur le plan juridique, une intelligence artificielle baptisée DABUS a


récemment été reconnue pour la première fois au monde comme inventeur,
d’abord par l’Office des brevets sud-africain838, et ensuite par la Cour fédérale

835
Selon une « Enquête Focus sur le marché du machine learning sur la période 2020-2027 »,
Verified Market Research, un marché évalué à 2,4 milliards de dollars en 2019 est projeté à 47,3
milliards de dollars pour l’année 2027, avec un taux de croissance annuel moyen de 44,9% entre
2020 et 2017. https://www.actuia.com/actualite/enquete-focus-surle-marche-mondial-du-
machine-
learningsurlaperiode20202027/?utm_source=Actu+IA&utm_campaign=60d66d7769newsletter_
quotidienne&utm_medu=emai&utm_term=0_984fe5c37860d66d7769378917518&mc_cid=60d6
6d7769&mc_eid=2073ac7bc5, consulté le 26 juillet 2021.
836
Quoique la question reste en débat. V. par exemple, Forum sur « L’intelligence artificielle en
Afrique », Université Mohamed VI Polytechnique, Benguérir, Maroc, 12-13 décembre 2018,
https://fr.unesco.org/sites/default/files/participants_ia_fr.pdf , consulté le 27 juillet 2021 ;
Colloque sur « L’intelligence artificielle », Journées camerounaises de l’Association Henri
Capitant-Cameroun des Amis de la Culture Juridique Française, Centre d’Etudes et de Recherche
en Droit et Développement (CERDD), Université de Dschang, 18 décembre 2020, inédit.
837
V. par exemple, D. GERVAIS, « La machine en tant qu’auteur », Revue Propriétés intellectuelles,
n° 72, juillet 2019, p. 7 ; B. KANDOLO, « La protection juridique des œuvres créées par
l’intelligence artificielle », Village de la Justice, p. 1, http://www.village-
justice.com/articles/protection-juridique-des-oeuvres-creees-par-intelligence-
artificielle,35738.html , consulté en août 2021 ; L. MAZEAU, « Intelligence artificielle et
responsabilité civile : Le cas des logiciels d’aide à la décision en matière médicale », Revue
pratique de la prospective et de l’innovation, LexisNexis SA, 2018, p. 2.
838
Le brevet a été publié en juillet 2021 dans le South African Patent Journal.
http://www.cipc.co.za/index.php/trade-marks-patents-designs-copyright/patents/patent-
journal/, consulté le 09 août 2021.

355
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

australienne839. Cette position ne fait cependant pas l’unanimité. Les hautes


instances et juridictions de pays comme le Royaume-Uni, les Etats-Unis840 ou au
sein de l’Union européenne, ont rejeté la demande de brevet au nom de ladite IA,
considérant qu’un inventeur ne peut être qu’un humain841. Peut-être faut-il
chercher des éléments de réponse dans l’appréhension que l’on aurait de la
notion ?

Il faut dire que la notion d’IA n’est pas juridiquement arrêtée. Elle renvoie à
une réalité complexe, regroupant un ensemble de technologies diverses comme
la robotique, les réseaux neuronaux ou algorithmes, l’apprentissage-machine842,
le deep learning, etc. Si l’objectif de la présente réflexion n’est pas d’ergoter sur
une notion plus technique que juridique, l’on peut néanmoins, pour les besoins
de la cause, s’en tenir à la définition proposée par l’Organisation Internationale
de Normalisation (ISO). L’IA sera alors comprise comme la « capacité d’une unité
fonctionnelle à exécuter des fonctions généralement associées à l’intelligence
humaine, telles que le raisonnement et l’apprentissage »843. Au sens de la science
informatique, cette capacité de raisonnement et d’apprentissages est rendue
possible grâce à l’algorithme qui en constitue le « cerveau »844. Le système se

839
Federal Court of Australia, 30 july 2021, Thaler v. Commissioner of Patents [2021] FCA 879,
VID 108 of 2021, disponible sur
https://www.judgments.fedcourt.gov.au/judgments/Judgments/fca/single/2021fca0879,
consulté le 09 août 2021.
840
Déjà, un brevet pourtant accordé à une IA a été invalidé par la suite par les tribunaux. V. Vehicle
Intelligence and Safety v. Mercedes-Benz, 78 F. Supp.3d 884 (2015), maintenue en appel Federal
Circuit. No. 2015-1411 (U.S.)
841
Z. TAZROUT, « Afrique du Sud & Australie : une IA reconnue comme inventeur lors du dépôt
de deux demandes de brevets », 4 août 2021, disponible en ligne sur
https://www.actuia.com/actualite/afrique-du-sud-australie-une-ia-reconnue-comme-
inventeur-lors-du-depot-de-deux-demandes-de
brevets/?utm_source=Actu+IA&utm_campaign=b80393af0bnewsletter_quotidienne&utm_mediu
m=email&ut_term=0_984fe5c378-b80393af0b-
378917518&mc_cid=b80393af0b&mc_eid=2073ac7bc5, consulté en août 2021.
842
E. BARTHE, « L’intelligence artificielle et le droit », I2D – Information, données & documents,
2017/2 Vol. 54, p. 23.
843
ISO/IEC-2382-28 : 1995.
844
A. ESMA, « Introduction à l’intelligence artificielle », Université de Montréal, Canada,
http://www.iro.umontreal.ca/-aimeur, consulté le 09/08/2021 ; A. POIRSON-ATLAN,

356
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

sert de données d’entrée – input – qui grâce à l’algorithme d’IA, génèrent des
données de sortie, le résultat – output. Par ailleurs, en raison de l’évolution rapide
de cette technologie, la communauté scientifique s’accorde pour distinguer deux
sous-catégories d’IA en fonction du degré d’autonomie : l’IA dite « faible » et l’IA
dite « forte ». La première, qui existe déjà, est limitée et s’appuie sur les
expériences passées pour prendre des décisions futures. La seconde, qui
relèverait de l’utopie845, serait dotée d’une « conscience » propre846.

Quelque distinction que l’on puisse faire, et quelque prouesse que l’on
reconnaisse à l’IA, cela ne devrait pas occulter les dangers qu’elle est susceptible
de causer. En ce sens, le Parlement Européen appelle à une IA « digne de
confiance »847. Du point de vue de la propriété intellectuelle, le risque de
violation848 des droits doit clairement être adressé. Au demeurant, l’articulation
entre le rôle de l’IA et celui de l’homme dans l’activité créatrice peut donner lieu
à des confusions en termes notamment d’identification du titulaire des droits et
du régime de protection approprié. Les systèmes de propriété intellectuelle en

« L’intelligence proviendrait d’un algorithme dans le cerveau humain », 1er décembre 2016,
disponible en ligne https://www.apar.tv/performance/lintelligence-proviendrait-dun-algorithme-
dans-le-cerveau-humain/, consulté en août 2021.
845
La délivrance d’un brevet dans certains pays impose néanmoins des réserves quant au
caractère utopique d’une IA forte.
846
Sur cette distinction, lire Cl. GESTIN-VILION, La protection par le droit d’auteur des créations
générées par l’intelligence artificielle, mémoire de maîtrise en droit, Université Laval et Université
Paris-Saclay, 2017, p. 6-7.
847
Proposition de Règlement établissant des règles harmonisées concernant l’intelligence
artificielle (législation sur l’intelligence artificielle) et modifiant certains actes législatifs de l’union,
Bruxelles, 21/4/2021, COM (2021) 206 final, 2021/0106 (COD), p. 4 : une IA digne de confiance
serait celle « à faible risque » pour la santé, la sécurité ou les droits fondamentaux des personnes.
Elle doit satisfaire à un ensemble d’exigences obligatoires et faire l’objet de procédures
d’évaluation de la conformité avant d’être mis sur le marché.
848
Il y a une possibilité de contrefaçon des bases de données, ou de logiciels ou de toute autre
création protégée si l’autorisation des auteurs de celles-ci n’est pas requise. Il y a également un
risque d’atteinte aux droits moraux, le droit à l’intégrité de l’œuvre par exemple, car l’utilisation
des œuvres premières pour la conception des systèmes d’IA nécessite que ceux-ci les traitent,
voire les démantèlent afin d’en faire les données exploitables. Les droits patrimoniaux ne sont
pas en reste. L’on peut assister à des reproductions d’œuvres non autorisées.

357
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

vigueur dans les pays de l’OAPI permettent-ils de faire face aux défis soulevés
par l’IA ?

Il faut rappeler que l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle


(OAPI)849 regroupe dix-sept pays membres850 autour d’une législation unifiée en
matière de propriété industrielle, et harmonisée en matière de propriété littéraire
et artistique851. En toutes hypothèses, les régimes de protection reposent sur des
principes fondamentaux généralement consacrés dans la plupart des systèmes
juridiques, avec des distinctions de moins en moins marquées depuis l’adoption
de l’Accord sur les Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au
Commerce (Accord sur les ADPIC)852 dans le cadre de l’Organisation mondiale du
commerce (OMC). En tant que normes juridiques, les règles régissant les droits
de propriété intellectuelle (DPI) ont vocation à régir toutes les situations qui
tombent sous son domaine, au besoin avec les adaptations conséquentes. Par
l’effet d’un artifice de l’intelligence humaine, la norme doit assumer d’être « un

849
L’OAPI est actuellement régi par l’accord de Bangui (AB) révisé aussi bien dans sa version du
24 février 1999 que dans celle issue de l’acte de Bamako du 14 novembre 2015. Le texte
comprend, outre l’Accord proprement dit, dix Annexes portant respectivement sur les brevets
d’invention, les modèles d’utilité, les marques de produits ou de services, les dessins et modèles
industriels, les noms commerciaux, les indications géographiques, la propriété littéraire et
artistique, la protection contre la concurrence déloyale, les schémas de configuration de circuits
intégrés et les obtentions végétales. Dans sa version de 2015, seules sont entrées en vigueur le
14 novembre 2020 quatre annexes sur dix : l’annexe VI sur les indications géographiques,
l’annexe VII sur la propriété littéraire et artistique, l’annexe VIII sur la protection contre la
concurrence déloyale et l’annexe X sur la protection des obtentions végétales. Il s’en suit que les
six autres annexes restent régies par l’AB de 1999.
850
Il s’agit des pays suivants : Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Comores, Congo, Côte d’Ivoire,
Gabon, Guinée, Guinée-Bissau, Guinée Équatoriale, Mali, Mauritanie, Niger, République
Centrafricaine, Sénégal, Tchad et Togo.
851
P. J. LOWÉ GNINTEDEM, « OAPI : Droit d’auteur, le vent des réformes », Horizons du droit -
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit, n° 21, décembre 2020, p. 70-75 ; L.-Y.
NGOMBÉ, « Le droit d’auteur dans les Etats membres de l’Organisation africaine de la propriété
intellectuelle (OAPI) : une harmonisation inachevée ? », e.Bulletin du droit d’auteur, janvier – mars
2005, 13 p.
852
L’Accord sur les ADPIC ou TRIPS Agreement (Trade-Related Intellectual Property Rights
Agreement) est entré en vigueur le 1er janvier 1995.

358
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

soleil qui ne se couche jamais »853 et donc, qui éclaire autant les situations
anciennes que les situations nouvelles. Par essence, les DPI envisagent la
protection des innovations, des créations d’où qu’elles viennent. Or, l’IA apparaît
clairement comme un champ privilégié d’innovations. La difficulté réside dans la
perception duale à laquelle peut renvoyer l’IA. Saisie comme objet de protection
en tant qu’innovation, il suffira de vérifier que l’IA répond aux critères
d’application des règles de protection des DPI existant. Saisie comme source de
l’innovation et donc, comme créateur, la question sera de savoir si l’IA peut être
titulaire d’un DPI. L’on a pu avancer qu’il faille décomposer l’IA en ses éléments
constitutifs afin de protéger les éléments qui satisfont aux DPI actuels et d’en
exclure ceux qui ne les satisfont pas854. L’approche n’est pas sans mérite. Pour le
moins, elle permet quoiqu’insuffisamment, d’envisager la protection par les DPI
de l’IA appréhendée comme une création (I). Cependant, elle ne permet pas
d’appréhender l’IA comme une entité autonome capable d’accomplir les tâches
faisant appel à l’intelligence humaine. Il y a pourtant là des enjeux importants
relatifs à la possibilité de protéger les créations générées par l’IA (II).

I. L’IA insuffisamment saisie par les DPI en tant que création

Les régimes de protection des créations disponibles dans les pays de


l’OAPI apportent une réponse aux créations IA. En suivant une approche
classique consistant à distinguer la propriété industrielle de la propriété littéraire
et artistique (PLA), l’on pourra se rendre compte qu’en toutes hypothèses, la
protection de l’IA est possible. En même temps, les difficultés seront grandes en
ce qui concerne la protection par la propriété industrielle (A), plus que lorsqu’il
est fait recours à la protection par la PLA (B).

853
J. CARBONNIER, Flexible droit : pour une sociologie du droit sans rigueur, 10e éd., LGDJ, 2001,
p. 61.
854
M. A. CHOUDJEM, « La titularité du droit d’auteur impliquant l’intelligence artificielle »,
Communication lors du Colloque sur « L’intelligence artificielle », Université de Dschang, 2020,
précité.

359
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

A. La protection de l’IA par les droits de propriété industrielle

Tous les régimes de protection des créations par les droits de propriété
industrielle peuvent avoir des accointances avec les créations IA. Cependant,
certains sont plus susceptibles de s’appliquer que d’autres. Ceux-là sont : le droit
des brevets d’invention, le droit des modèles d’utilité, le droit des schémas de
configuration de circuits intégrés, le droit des marques et le régime de protection
contre la concurrence déloyale. Les deux premiers sont susceptibles de protéger
les créations IA en elles-mêmes (1) et les deux derniers de les protéger contre
toute concurrence (2).

1. La protection des créations IA en elles-mêmes

Les créations IA en tant que qu’innovations technologiques font d’emblée


penser au droit des brevets d’invention855. En outre, le processus de conception
des systèmes IA fait également penser au droit des schémas de configuration de
circuits intégrés.

Le régime de protection des brevets d’invention. Ce droit a pour objet


l’invention. La protection par le droit des brevets est applicable aux inventions
dans tous les domaines technologiques tant qu’elles ne sont pas exclues de la
brevetabilité856. Cette protection est consacrée dans les pays de l’OAPI par
l’Annexe I de l’AB de 1999 qui précise aussi bien l’objet de l’appropriation que les
critères de brevetabilité.

En ce qui concerne son objet, le brevet vise à protéger l’invention. L’article


1er alinéa 1 de l’AB 1999 s’attèle, d’emblée, à définir la notion. Par invention, il faut
comprendre une « idée qui permet dans la pratique la solution d’un problème

855
E. LAVALLÉE, « La propriété intellectuelle de l’intelligence artificielle », Le droit de savoir,
l’intelligence artificielle, septembre 2017, p. 1.
856
Art. 27 de l’Accord sur les ADPIC.

360
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

particulier dans le domaine de la technique ». Le mérite du législateur OAPI est


d’avoir donné une définition claire du terme invention, la plupart des législations
se contentant souvent de procéder par exclusion857. L’invention brevetable doit
nécessairement se rapporter à un produit, un procédé ou à l’utilisation de ceux-
ci858. Cependant, le texte ne définit pas le produit ou procédé qu’il entend
protéger. Néanmoins, le produit pourrait se définir de manière générale comme
un corps déterminé ayant une composition mécanique ou une structure chimique
particulière qui le distingue ainsi des autres859. Il ne doit pas être confondu avec
le résultat qui est non protégeable860. Un procédé quant à lui pourrait se définir
comme un système d’interventions d’agents chimiques ou d’organes mécaniques
dont la mise en œuvre conduit à l’obtention d’un objet matériel appelé produit ou
d’un effet immatériel appelé résultat861. Enfin, l’invention d’utilisation862 peut
revêtir deux formes : l’application nouvelle de moyens connus ou la combinaison
nouvelle de moyens connus.

Quant aux critères de brevetabilité, elles restent somme toutes classiques.


L’invention doit être nouvelle, résulter d’une activité inventive et être susceptible
d’application industrielle863. Une invention nouvelle est celle qui n’a pas
d’antériorité dans l’état de la technique864. Elle est considérée comme résultant
d’une activité inventive dès lors qu’elle n’est pas évidente pour tout professionnel

857
Y. BASIRE, L’essentiel du droit de la propriété industrielle, Gualino, 2020, p. 10 et s.
858
Art. 2 al. 2 de l’AB.
859
P. J. LOWÉ GNINTEDEM, Droit des brevets et santé publique dans l’espace OAPI, PUAM, 2014,
p. 69, n° 73.
860
Le produit est une chose concrète alors que le résultat est une abstraction. Par exemple, un
mécanisme de débrayage est un produit brevetable ; le débrayage en lui-même est un résultat
non brevetable. J. AZEMA et J.-C. GALLOUX, Droit de la propriété intellectuelle, 6e éd., Dalloz,
2006, p. 142.
861
J.-M. MOUSSERON, Traité des brevets, T. 1 : L’obtention des brevets, Litec, 1984, p. 151.
862
P. J. LOWÉ GNINTEDEM, op. cit., 2014, p. 68-69.
863
Art. 2 al. 1er de l’AB 1999.
864
Art. 3 al. 1er. L’alinéa 2 précise que « l’état de la technique est constitué de tout ce qui a été
rendu accessible au public quel que soit le lieu, le moyen ou la manière, avant le jour du dépôt de
la demande de brevet ou d’une demande de brevet déposée à l’étranger et dont la priorité a été
valablement revendiquée ».

361
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

ayant des connaissances moyennes865. Le troisième critère est rempli si l’objet


de l’invention peut être fabriqué ou utilisé dans tout genre d’industrie. Le terme
industrie devant être compris dans le sens le plus large. Il englobe l’artisanat,
l’agriculture, la pêche et les services, la technologie, etc.

S’agissant des inventions exclues de la brevetabilité, l’article 6 de l’AB de


1999 énumère dans sa liste les théories scientifiques, les méthodes
mathématiques, les programmes d’ordinateurs.

Les créations IA peuvent-elles être considérées comme des inventions


protégeables au sens des textes de l’AB ? La réponse est mitigée. Ces créations
peuvent être considérées autant comme des produits (les mécanismes et
systèmes d’IA) que comme les résultats (la fonction d’imitation de l’intelligence
humaine par l’IA). Dans le premier cas, les créations IA seraient des inventions
protégeables si résultant d’une activité inventive, elles sont nouvelles et
susceptibles d’application industrielle. Dans le second cas, elles ne le seraient
pas, la fonction ou le résultat atteint n’étant pas une solution technique. Par
ailleurs, le recours à de nombreux algorithmes dans les applications ou systèmes
d’IA peut conduire à les considérer comme des programmes d’ordinateurs. S’ils
sont considérés comme tels, ils seraient non brevetables en application de
l’article 6 de l’Annexe I de l’AB866.

Les modèles d’utilité. L’IA étant une chose, un objet, ses créateurs peuvent
solliciter le régime de protection des créations prévu pour les modèles d’utilité867.

865
Au sens de l’article 4 de l’AB 1999, « une invention nouvelle est considérée comme résultant
d’une activité inventive si, pour un homme du métier ayant des connaissances et une habilité
moyenne, elle ne découle pas d’une manière évidente de l’état de la technique à la date du dépôt
de la demande de brevet ou bien, si une priorité a été revendiquée, à la date de la priorité
valablement revendiquée pour cette demande ».
866
Si les applications ou algorithmes d’IA sont exclus de la brevetabilité, cela inciterait peut-être
à garder secret ces applications ou algorithmes. Ceci pourrait exacerber le problème dit de la
« boîte noire », V. Document de synthèse révisé sur les politiques en matière de propriété
intellectuelle et intelligence artificielle de l’OMPI, publié en 2020, disponible en ligne
https://www.wipo.int/aboutwipo/fr/dg_gurry/news/2020/news_0029.html, consulté le 28 juillet
2021.
867
Ce régime est prévu par l’Annexe II de l’AB 1999.

362
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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En effet, l’AB définit les modèles d’utilité protégeables comme les instruments de
travail ou les objets destinés à être utilisés ou les parties de ces instruments ou
objets pour autant qu’ils soient utiles au travail ou à l’usage auquel ils sont
destinés grâce à une configuration nouvelle, à un arrangement ou à un dispositif
nouveau et qu’ils soient susceptibles d’application industrielle868. Ils sont
protégés par des certificats d’enregistrement délivrés par l’OAPI. Encore appelés
« petits brevets », les modèles d’utilité se distinguent du brevet d’invention, entre
autres, par des conditions de protection plus souples. Seuls sont exigés la la
nouveauté et l’application industrielle. S’agissant de la condition de nouveauté,
le législateur a adopté une définition négative. L’instrument ou l’objet ou les
parties de l’un ou de l’autre ne sont pas considérés comme nouveaux, si à la date
du dépôt de la demande d’enregistrement, ils ont été décrits dans des
publications ou s’ils ont été notoirement utilisés sur le territoire de l’un des Etats
membres de l’OAPI869. Concernant la condition d’application industrielle, le
législateur a adopté la même définition que celle retenue en matière des brevets
d’invention870.

L’IA en tant que création peut sans doute être soumis au régime des
modèles d’utilité. Il faut néanmoins noter qu’il s’agit d’un régime moins
avantageux en termes de durée de protection. Au demeurant, l’on envisage
difficilement, s’il s’agit d’une innovation majeure, que le créateur préfère la
protection par le modèle d’utilité plutôt que par le brevet.

Le régime de protection des schémas de configuration (topographique) de


circuits intégrés. Le régime de protection des schémas de configuration de
circuits intégrés est fixé par l’Annexe IX de l’AB. Les créateurs d’IA pourraient
également y prétendre. En effet, on entend par circuit intégré un produit, sous
sa forme finale ou sous une forme intermédiaire, dans lequel les éléments, dont
l’un au moins est un élément actif, et tout ou partie des interconnexions font

868
Art. 1er, annexe II.
869
Art. 2 al. 1, annexe II.
870
Art. 3, annexe II.

363
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

partie intégrante du corps ou de la surface d’une pièce de matériau et qui est


destiné à accomplir une fonction électronique871. Le schéma de configuration
(synonyme de topographie) quant à lui s’entend de la disposition
tridimensionnelle, quelle que soit son expression des éléments, dont l’un au
moins est un élément actif, et de tout ou partie des interconnexions d’un circuit
intégré, ou une telle disposition tridimensionnelle préparée pour un circuit intégré
destiné à être fabriqué872. La protection est conditionnée par l’originalité qui se
définit comme le fruit de l’effort intellectuel du créateur, non évident pour tout
homme du métier873.

Si l’IA en tant qu’unité fonctionnelle dotée d’une capacité d’autonomie


pourrait difficilement se résumer à un schéma de configuration de circuit intégré,
les schémas de configuration des circuits intégrés fondés sur la technologie
d’intelligence artificielle peuvent aisément être saisis. Il s’ensuit que l’IA sera
davantage protégée par ces régimes de DPI dans ses éléments constitutifs plutôt
que dans son ensemble.

2. La protection des créations IA contre la concurrence déloyale

La protection envisagée à ce niveau porte essentiellement sur la


protection de l’habillage commercial et des marques et la protection contre la
concurrence déloyale.

Le régime de protection des marques de produits et services. L’IA en tant


que création peut être saisie par le régime de protection des marques de produits
ou de services874. Sont considérés comme marques de produits ou de services,
tout signe visible utilisé ou que l’on se propose d’utiliser et qui sont propres à
distinguer les produits ou services d’une entreprise quelconque et notamment,

871
Art. 1er a de l’Annexe IX.
872
Art. 1er b de l’Annexe IX.
873
Art. 3 al. 1 de l’Annexe IX.
874
Ce régime est prévu par l’Annexe III de l’AB 1999.

364
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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les noms patronymiques pris en eux-mêmes ou sous une forme distinctive, les
dénominations particulières, arbitraires ou de fantaisie, la forme caractéristique
du produit ou de son conditionnement, les étiquettes, enveloppes, emblèmes,
empreintes, timbres, cachets, vignettes, liserés, combinaisons ou dispositions de
couleurs, dessins, reliefs, lettres, chiffres, devises, pseudonymes875. Aux termes
de l’article 3 de l’Annexe III sur les marques, pour être valablement enregistrée,
deux conditions générales de protection doivent être respectées : la marque doit
avoir un caractère distinctif ; et ne pas être contraire à l’ordre public, aux bonnes
mœurs et aux lois.

Une IA si elle est perçue comme un produit d’une entreprise pourrait être
protégée par le régime des marques, ce qu’elle soit faible ou forte, incorporée ou
non.

Le régime de protection contre la concurrence déloyale. Les créateurs d’IA


peuvent chaque fois qu’un régime spécifique de DPI ne leur assure pas une
protection satisfaisante, invoquer la protection contre la concurrence déloyale876.
L’accord de Bangui considère que constituent des actes de concurrence déloyale
tout acte ou pratique qui, dans l’exercice d’activités industrielles ou
commerciales, est contraire aux usages honnêtes ; crée ou est de nature à créer
une confusion avec l’entreprise d’autrui ou ses activités, en particulier avec les
produits ou services offerts par cette entreprise ; porte atteinte ou est de nature
à porter atteinte à l’image ou à la réputation de l’entreprise d’autrui ; induit ou est
de nature à induire le public en erreur au sujet d’une entreprise ou de ses
activités ; discrédite ou est de nature à discréditer l’entreprise d’autrui ou ses
activités ; entraine la divulgation, l’acquisition ou l’utilisation par des tiers d’une
information confidentielle sans le consentement de la personne légalement
habilitée à disposer de cette information ; est de nature à désorganiser
l’entreprise concurrente, son marché ou le marché de la profession concernée877.

875
Art. 2 al. 1, annexe III, AB 1999.
876
Ce régime est prévu par l’Annexe VIII de l’AB, acte de Bamako de 2015.
877
Art. 1 à 7 de l’Annexe VIII, AB 2015.

365
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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Toute personne lésée ou susceptible d’être lésée par l’un des actes de
concurrence déloyale ci-dessus énumérés dispose de recours légaux devant un
tribunal d’un État membre et peut obtenir des injonctions, des dommages-
intérêts et toute autre réparation prévue par le droit civil878.

L’avantage de ce régime de protection est qu’il s’applique


indépendamment et en sus de toute disposition législative protégeant les
inventions, les dessins et modèles industriels, les marques, les œuvres littéraires
et artistiques et autres objets de propriété intellectuelle879. Ainsi, l’IA en tant que
création pourrait dans son ensemble être saisie par le régime de protection
contre la concurrence déloyale. Mais surtout, en raison de la nature des créations
y relatives, c’est surtout par la PLA que les créations d’IA seraient davantage
protégées.

B. La protection de l’IA par la propriété littéraire et artistique

Le domaine technologique le plus mis en avant en matière d’IA est celui de


l’informatique et du numérique. De ce point de vue, le principal mécanisme de
protection dans les pays est la propriété littéraire et artistique. Sans doute, à côté
du l’annexe VII de l’AB de 2015 considéré comme le cadre normatif minimal880,
chaque pays membre de l’OAPI dispose d’une législation propre881. Mais en
substance, quelle que soit la législation prise en considération, l’IA peut être
envisagée comme une œuvre de l’esprit méritant protection, dès lors que sont
respectées les conditions relatives à l’intervention humaine et consciente (1) et
à l’originalité (2).

878
Art. 2 al. 1 b), annexe VIII, AB 2015.
879
Art. 1er al. 3, annexe VIII, AB 2015.
880
art. 5 al. 2, AB 2015; P. J. LOWÉ GNINTEDEM, op. cit., 2020, p. 72.
881
Voir dans l’ensemble, L. Y. NGOMBÉ, Le droit d’auteur en Afrique, l’Harmattan, 2009, 325 p.

366
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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1. L’exigence d’une intervention humaine et consciente

L’ « humain » renvoie à ce qui est « de l’homme, propre à l’homme ». Cette


qualité qui ne sied qu’aux personnes physiques, justifie le refus de la qualité
d’auteure originaire des créations aux personnes morales. La personne morale
n’est pas humaine et c’est la raison pour laquelle elle est insusceptible de créer
une œuvre de l’esprit882. Elle ne peut être titulaire des droits d’auteur qu’en vertu
d’un contrat, par exemple un contrat de cession ou de commande. Elle ne peut
avoir à titre originaire les droits sur les créations que dans l’hypothèse de l’œuvre
collective qui elle aussi est une fiction883, un artifice dans l’intelligence juridique,
puisque ce sont les personnes physiques qui créent à la base. Aussi est-il de
jurisprudence, en droit français notamment, qu’une « personne morale ne peut
être investie à titre originaire des droits de l’auteur que dans le cas où une œuvre
collective, créée à son initiative, est divulguée sous son nom »884.

À partir du moment où elle est le résultat d’une intervention humaine, l’IA


pourrait être qualifiée d’œuvre de l’esprit, protégeable par le droit d’auteur.
Encore faut-il que cette intervention humaine soit consciente.

La conscience traduit l’« aptitude à comprendre ce que l’on fait, à être


présent, en esprit, à un acte intelligence élémentaire qui entre dans la définition
du consentement (…) »885. Pour qu’une création soit protégée par le droit
d’auteur, le créateur doit avoir la volonté de créer, de modifier la réalité et
d’apporter quelque chose qui n’existe pas préalablement à son intervention886. La
volonté suppose la liberté de choix et la maîtrise de sa création. Cette exigence

882
A. BENSAMOUN, La personne morale en droit d’auteur : auteur contre-nature ou titulaire
naturel ?, Dalloz 2013, p. 276.
883
Ch. CARON, Droit d’auteur et droits voisins, 5e éd., LexisNexis, 2017, n° 48, p. 57.
884
Cass. Civ. 1re, 17 mars 1982 : RTD com. 1982, p. 428, obs. A. Françon.
885
G. CORNU (dir.), Vocabulaire juridique, 12e éd., Association Henri Capitant, Quadrige/PUF,
2018, V° Conscience.
886
Cass. Civ. 1re, 13 nov. 2008, RTD com. 2009, p. 128, obs. F. POLLAUD-DULIAN.

367
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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justifie que l’on soit réticent à attribuer la titularité d’une œuvre à un animal887, ce
dernier n’étant pas un sujet conscient888.

2. La condition d’originalité

L’originalité est un véritable filtre à œuvre à l’entrée du droit d’auteur. Sur


sa définition, deux conceptions ont vu le jour : la conception subjective selon
laquelle l’originalité s’entend de l’empreinte de la personnalité de l’auteur, retenue
par le système du droit d’auteur et la conception objective où l’originalité est
définie comme l’absence de copie d’une autre œuvre, adoptée par le système du
copyright.

Dans l’espace OAPI, qui a d’ailleurs opté pour le système du droit d’auteur,
l’originalité renvoie généralement, malgré l’usage de formules diverses par les
législations nationales, à l’empreinte de la personnalité de l’auteur889. Cette
définition de l’originalité est aujourd’hui qualifiée de traditionnelle par une partie
de la doctrine890, même si elle n’est pas préférée à la définition objective par

887
Sur la question de savoir si un singe peut être le propriétaire d'une photo, et par extension si
un animal peut être titulaire de droits d’auteur, V. par exemple, J.-Ch. DUHAMEL, « “Simiesque
selfie,” Histoire litigieuse et contentieuse de l'image et de la photographie », 1er octobre 2018,
http://d-piav.huma-num.fr/items/show/4, consulté le 26 juillet 2021, ; P. LE MAIGAT, « L'animal à
l'épreuve de la propriété intellectuelle », Les Petites affiches, n° 82, 25 avril 2016, p. 6. Le
Copyright Office américain a fait de l’intervention humaine une condition de l’enregistrement
depuis cette affaire ayant opposé un photographe et Wikimedia, le premier réclamant au second
des droits sur un autoportrait réalisé avec son appareil par un singe.
888
la Cour suprême australienne et la Cour de cassation hollandaise ont auparavant rappelé leur
attachement à l’intervention humaine dans la création littéraire et artistique. Australia Sup. Court,
Telstra Corporation Ltd c/ Phone Directories Compagny Pty Ltd (2010), FCAFC 149 § 335 ; Hoge
Raad, 30 mai 2008, Zonen Endstra c/ Nieuw Amsterdam, cités in A. LUCAS, H.-J. LUCAS et A.
LUCAS-SCHLOETTER, Traité de propriété littéraire et artistique, LexisNexis, 2012, n° 57.
889
L’exigence est posée à l’article 3 al. 1er de l’annexe VII, AB 2015. Mais l’on peut retrouver des
précisions sur la notion dans la loi ivoirienne loi n° 2016-555 du 26 juillet 2016 relative au droit
d'auteur et aux droits voisins (art. 1er) ; la loi burkinabè n° 048-2019/AN du 12 novembre 2019
portant protection de la propriété littéraire et artistique ; ou la loi guinéenne n° 2019/0028/AN du
7 juin 2019 portant protection de la propriété littéraire et artistique (art. 2).
890
Ch. CARON, op. cit., n° 84, p. 80.

368
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

certains législateurs891. Les différentes lois sur le droit d’auteur procèdent à des
énumérations indicatives de certaines œuvres présumées originales, sans pour
autant exclure celles qui n’y figurent pas. L’IA n’est nulle part expressément
énumérée. En effet, une IA est la fusion de plusieurs éléments notamment : le
logiciel, le programme, les bases de données, l’algorithme et le corpus, c’est-à-
dire l’objet qui incorpore le tout. Parmi ces éléments, certains sont expressément
protégés par le droit d’auteur – les logiciels, les programmes, les bases de
données et le corpus (au titre d’œuvre d’art)892. D’autres sont expressément
exclus pour défaut d’originalité. Cette dernière hypothèse concerne, au sens de
la jurisprudence européenne893, les algorithmes894 et les fonctionnalités du
logiciel, c’est-à-dire les résultats qu’un tel programme est susceptible
d’atteindre. Une coexistence harmonieuse du monopole et du domaine public
est-elle possible, peut-être dans l’hypothèse d’une œuvre composite ? Si oui, l’on
pourrait admettre la protection de l’IA en tant qu’œuvre composite. Sinon, un
autre dilemme naît : doit-on s’appuyer sur la protection de plusieurs de ses
éléments pour conclure à la protection de l’ensemble, ou doit-on au contraire
s’appuyer sur l’exclusion du « cerveau » de l’IA qu’est l’algorithme pour exclure
l’ensemble ? Doit-on considérer une intelligence artificielle comme un résultat
qu’un programme est susceptible d’atteindre et par conséquent l’exclure de la
protection ? La complexité de la situation démontre à nouveau la difficulté à
appréhender l’IA comme « un tout protégeable » distinctement des éléments qui
la composent. Dans la configuration actuelle, l’exclusion de l’IA de la protection
en tant qu’œuvre semble être la solution à même de préserver le mieux l’essence
du droit d’auteur.

891
L’art. 2 al. 1er de la loi n° 2000/011 du 19 décembre 2000 relative au droit d’auteur et aux droits
voisins dispose que l’« œuvre originale [est] celle qui dans ses éléments caractéristiques ou dans
l’expression, se distingue des œuvres antérieures ».
892
Par exemple, la loi n° 2005-30 du 05 avril 2006 relative à la protection du droit d’auteur et des
droits voisins en République du Bénin, art. 8.
893
CJUE, 02 mai 2012 : Comm. com. electr. 2012, Comm. 105, note CARON.
894
CA Paris, 23 juin 1995 : LPA 19 avr. 1996, p. 4 ; CA Paris, 27 janv. 1987 : Expertises, 1987, p.
69.

369
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Si, prise comme objet de protection l’on a du mal à saisir de l’IA par les DPI,
à plus forte raison, y aurait-il du mal à concevoir une protection pour les créations
susceptibles d’être générées par l’IA.

II. L’IA potentiellement saisie par les DPI dans ses créations

Serait-on en pleine fiction ? Créée par l’homme, l’IA serait appelée à


assumer son autonomie, en mettant elle aussi sur pied d’autres créations
indépendamment de l’homme qui l’a créée. Au demeurant, tel serait l’objectif de
cette technologie, le système IA devant se servir des données d’entrée pour
générer grâce à l’algorithme, des données de sortie. Pour le juriste la question de
la protection d’une telle création se pose. A priori, les créations en elles-mêmes
peuvent être saisies, en fonction de l’objet de la création, par tous les DPI. Pour
autant, la capacité des régimes de protections des créations disponibles à saisir
les créations générées par une IA sera fonction du degré de la présence de
l’homme dans le processus créatif, selon que cette présence est effective ou
nulle. La première éventualité concerne les créations assistées par l’IA (A) ; la
seconde concerne les créations générées par l’IA de façon autonome (B).

A. Les créations facilitées par l’IA

L’hypothèse concerne l’activité de l’homme ayant utilisé un système d’IA


pour générer des créations. L’IA se réduit en un outil. La communauté scientifique
parle d’IA « faible », c’est-à-dire celle qui s’appuie sur des expériences passées
pour prendre des décisions futures. La création qui en résulte est le
prolongement du « cerveau plus que [de] la main du créateur »895. Les créations
facilitées par l’IA pourraient être saisies par les DPI en application non seulement
de la règle générale de l’accession par production, mais aussi de la règle spéciale

A. LUCAS, J. DEVEZE et J. FRAYSSINET, Le droit de l’informatique et de l’internet, 2e éd., PUF,


895

2001.

370
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

de protection des créations assistées par ordinateur (1). Cependant, le problème


de la titularité des droits sur ces créations pourrait se poser (2).

1. La possible protection par les DPI

La propriété industrielle n’exclut pas expressément des régimes de


protections qu’elle offre les créations facilitées par l’IA. En réalité, l’appréciation
des conditions de protection repose davantage sur des qualités objectives de la
création plutôt que sur l’appréciation subjective du l’auteur de la création. Les
créations de l’homme sont protégées dès lors que les conditions sont remplies
et peu importe qu’il ait eu recours à un outil ou non. La PLA est explicite. Les
créations assistées par ordinateur ou par un procédé analogue à la photographie
sont protégées896.

La règle de l’accession par production peut jouer un rôle dans la protection


du travail des systèmes intelligents et inciter ainsi le développement de cette
technologie aujourd’hui presque incontournable.

L’accession se définit comme le « mode légal d’acquérir la propriété par


extension du droit du propriétaire d’une chose aux produits de cette chose, à
tout ce qui s’y unit ou s’y incorpore »897 : accessorium sequitur principale898. Au
Cameroun, la théorie de l’accession est fondée sur l’article 546 du Code civil qui
dispose : « la propriété d’une chose, soit mobilière, soit immobilière donne droit
sur tout ce qu’elle produit, et sur ce qui s’y unit accessoirement, soit
naturellement, soit artificiellement. Ce droit s’appelle droit d’accession ». Il
ressort de cette disposition que l’accession peut s’effectuer soit par
production899, soit par incorporation.

896
V. par exemple, art. 3 al. 1 j), loi camerounaise n° 2000/11 du 19 décembre 2000 relative au
droit d’auteur et aux droits voisins.
897
G. CORNU (dir.), op.cit., V° Accession.
898
L’adage se traduit : l’accessoire suit le principal.
899
S’agissant de l’accession par production, elle est régie par les articles 547 à 550 du Code civil.

371
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

L’accession d’une chose à une autre peut se comprendre de deux façons :


ou bien elle suppose une union telle entre les deux choses que la seconde a été
produite par la première, ou bien la chose accessoire reste distincte, séparée de
la chose principale, mais elle est destinée à lui servir d’aide et d’auxiliaire. Dans
ce cas, tant que le lien juridique subsiste entre les deux choses, il faut appliquer
la règle accessorium sequitur principale900. Ces produits peuvent être naturels
tels que les fruits d’un arbre, ou artificiels c’est-à-dire procédant de l’industrie de
l’homme appliquée à la chose.

Cette règle permettra de protéger les créations générées par une IA en les
considérants comme accessoires à cette IA (en tant que création) qui sera la
chose principale. Elle suppose que le demandeur à la protection ne sera pas l’IA
génératrice des créations, mais le titulaire de cette IA. Il est constant que, l’IA
peut être présentée comme un outil d’aide à la création, dont l’objet est de fournir
une assistance à une personne physique. Les solutions juridiques traditionnelles
sont applicables à cette situation, qui aboutit à l’attribution de la titularité des
droits à la personne physique901.

Concernant l’exigence de l’intervention humaine et consciente posée par


le droit d’auteur pour que la création soit qualifiée d’œuvre de l’esprit protégeable
et la condition d’originalité définie comme l’empreinte de la personnalité de
l’auteur, l’on pourrait les déceler dans les créations générées par l’IA. En effet, en
l’état actuel de la technologie, l’on conçoit mal qu’une intelligence artificielle
puisse faire quelque chose sans l’intervention fût-elle minime de l’humain. L’on
conçoit que toute création soit le fruit direct ou indirect de l’humain. C’est
toujours une personne physique qui est à l’origine de l’œuvre résultante. Ainsi
que le suligne un auteur, « les techniques de l’intelligence artificielle et

900
H. CAPITANT, Introduction à l’étude du droit civil, Paris, Librairie de la cour d’appel et de l’ordre
des avocats, 1898, p. 181.
901
G. COURTOIS et alii, « Intelligence artificielle : enjeux juridiques », Stratégie nationale en
intelligence artificielle, Contribution du sous-groupe 3.2.B au groupe de travail 3.2, France,
https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/ia_annexe2_21032017.pdf
, consulté en juillet 2021, p. 13.

372
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

l’interactivité ne semble pas remettre en cause le postulat »902. La liberté de choix


du système intelligent est celle que l’humain a voulue. L’humain est l’auteur des
lignes de code déterminantes des actions futures du système intelligent. Il
participe au choix du moment de la création, ne serait-ce qu’en actionnant
l’intelligence artificielle903.

Le problème de l’originalité des créations de l’intelligence artificielle


semble être celui du degré de l’empreinte de la personnalité de l’humain. Sur la
question, le législateur de l’espace OAPI comme ses pairs des systèmes romano-
germaniques du droit d’auteur est resté muet. Toutefois, la personnalité du
créateur peut s’exprimer à travers des choix arbitraires. La protection n’étant pas
subordonnée à un niveau minimum d’originalité, il suffit qu’elle existe904. Mais
combien identifier l’empreinte particulière d’un auteur sur la création ?

2. La difficile détermination de la titularité des droits sur les créations assistées

par l’IA

Plusieurs titulaires peuvent prétendre aux créations facilitées par une IA.
L’on pourrait en effet imaginer sans peine que le producteur de l’IA, entendu
justement comme celui qui se trouve à l’initiative du projet de création de celle-
ci et qui en assure la responsabilité, nourrira généralement le vœu de s’approprier
les droits intellectuels sur les produits générés par sa création IA. Un tel souhait,
tout à fait légitime au regard de la logique économique ne rencontrera pas de
difficultés particulières dans sa réalisation lorsque le producteur de l’IA aura créé
seul. Dans ce cas, il n’aura pas à subir le concours de potentiels autres
prétendants à la titularité des droits.

Par contre, lorsque la création de l’IA aura été le résultat du travail de


plusieurs intervenants, comme ce sera généralement le cas, il peut s’avérer

902
A. LUCAS, Propriété littéraire et artistique, 4e éd., Dalloz, 2010, p. 14.
903
Cl. GESTIN-VILION, op. cit. p. 45-47.
904
A. LUCAS, op. cit. p. 18-20.

373
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

particulièrement important de régler la question de la titularité des droits


intellectuels, dans la mesure où cette clarification pourra permettre de s’assurer
de la légitimité des éventuelles utilisations qui seront faites des créations
générées par l’IA, surtout concernant celles qui sont protégées par le droit
d’auteur. Il est tout de même à noter que les DPI proposent traditionnellement
plusieurs solutions pour organiser la titularité des droits intellectuels lorsque la
conception d’une œuvre protégée résulte du concours de plusieurs intervenants.
Ainsi, lorsque la protection relève du droit de la propriété industrielle, on applique
généralement le mécanisme de la copropriété. L’institution de la copropriété,
complètement nouveau, est l’une des innovations majeures de l’accord de
Bangui, Acte de Bamako de 2015. Il organise un régime légal de la copropriété
des droits de propriété industrielle905, dérogatoire du droit commun de
l’indivision. Ce régime n’est applicable que « sauf stipulation contraire », c’est-à-
dire en l’absence de convention entre les éventuels titulaires.

Lorsque la protection relève du droit de la PLA, les solutions peuvent


varier selon que l’œuvre est qualifiée d’œuvre de collaboration906 ou d’œuvre
collective907. Dans le premier cas, les coauteurs sont cotitulaires des droits
intellectuels sur l’œuvre de collaboration908; tandis que dans le second, la
titularité des droits sur l’œuvre collective est attribuée à la personne physique ou
morale qui a pris l’initiative et la responsabilité de la création et la publication909.

Une difficulté demeure cependant. Ces différentes solutions pourraient


permettre de dégager des pistes visant à attribuer la titularité des droits
intellectuels sur les créations de l’IA. Or, l’application de chacune des solutions

905
V. en matière de brevet, art. 10 al. 2 de l’Annexe I de l’AB 2015 ; Pour le certificat
d’enregistrement du modèle d’utilité, art. 8, annexe II ; pour les marques, art. 8, annexe III ; pour
les dessins et modèles industriels, art. 5, annexe IV ; pour les schémas de configuration de
circuits intégrés, art. 5, annexe IX ; pour les obtentions végétales, art. 10, annexe X.
906
Art. 2 (vi) de l’Annexe VII de l’AB.
907
Art. 2 (v) de l’Annexe VII.
908
V. par exemple art. 8 al. 1er de la loi camerounaise du 19 décembre 2000 relative au droit
d’auteur et aux droits voisins.
909
V. par exemple art. 11 al. 1er de la loi camerounaise de 2000 précitée.

374
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

suppose en amont que l’œuvre à laquelle elles s’appliquent puisse être protégée
en tant que telle. Et, on l’a souligné, les mécanismes existants soulèvent déjà de
nombreuses difficultés. Il y a alors lieu d’espérer que le contrat, en tant
qu’instrument de régulation des rapports sociaux, permette de régler la
situation910.

B. Les créations générées par l’IA de manière autonome

L’on conçoit que l’IA puisse engager un processus créatif dans lequel
l’intervention de l’homme serait nulle. C’est l’hypothèse de l’IA « forte » qui aurait
une « conscience » propre. Cette IA relèverait encore de l’utopie. Mais pourrait-
on préjuger de l’essor prochain de la technologie ? La protection des créations
générées par l’IA de façon autonome par les DPI actuels est difficile à admettre
pour au moins deux raisons. La première et la plus importante est le défaut de
personnalité juridique de l’IA (1) et la seconde, la remise en cause du processus
créatif de l’IA (2).

1. L’exclusion de la protection tirée du défaut de la personnalité juridique de l’IA

La personnalité juridique est l’aptitude à être titulaire de droits et à assumer


des obligations. Elle s’acquiert à la naissance pour les êtres humains et à la
création pour des groupements. L’exigence de la personnalité juridique du
créateur pour bénéficier des DPI est constante, et l’on n’en n’est pas encore à la
reconnaissance personnalité juridique de l’IA911.

910
F.-P. LANI et T. GARCIA, « Intelligence artificielle : prévoir l’imprévisible dans le contrat »,
Expertise, mai 2018, p. 183 ; E. LAVALLÉE, op. cit., p. 2.
911
Dans une Résolution du Parlement européen du 16 février 2017 contenant des
recommandations à la Commission concernant des règles de droit civil sur la robotique
(2015/2103(INL), il est proposé « la création, à terme, d’une personnalité juridique spécifique aux
robots, pour qu’au moins les robots autonomes les plus sophistiqués puissent être considérés
comme des personnes électroniques responsables, tenues de réparer tout dommage causé à un
tiers; il serait envisageable de conférer la personnalité électronique à tout robot qui prend des
décisions autonomes ou qui interagit de manière indépendante avec des tiers » (point 59 f).

375
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Les droits de propriété industrielle définissent le titulaire des droits comme


la personne physique ou morale912, renvoyant ainsi aux êtres humains et aux
groupements. La PLA va plus loin en exigeant non seulement une intervention
humaine et consciente, une originalité, mais aussi et surtout que l’auteur soit une
personne physique. En outre, au rang des droits conférés par le droit d’auteur,
certains sont d’ordre moral et d’autres d’ordre patrimonial. Les premiers sont
fortement attachés à la personnalité de l’auteur. Les seconds sont limités dans
le temps et la base de calcul de principe est la mort de l’auteur. La fiction qui
consisterait à reconnaitre des droits moraux à l’IA reste incertaine913, même si
dans l’ordre des droits patrimoniaux la construction peut se faire plus aisément914.

Par ailleurs, en l’état actuel du droit positif, l’on distingue classiquement les
personnes et les choses915. S’il est indéniable qu’une machine est une chose,
force est de reconnaître qu’une intelligence artificielle, surtout forte est plus
qu’une simple machine. On lui reconnait la capacité de prendre des initiatives et
de s’améliorer. Elle pourrait même développer des sentiments vis-à-vis des
humains. Pour certains auteurs, le système intelligent est plus qu’une chose, mais

Pourrait-on assister à la consécration d’une « personne virtuelle » comme troisième catégorie de


personne après la personne physique et la personne morale ? L’on n’en est pas encore là, les
artifices de l’intelligence humaine n’ayant pas encore permis de régler des questions essentielles.
Sur l’évolution des propositions en droit européen, C. CRICHTON, « Union européenne et
intelligence artificielle : état des propositions », Dalloz actualité, 5 février 2020,
https://www.dalloz-actualite.fr/flash/union-europeenne-et-intelligence-artificielle-etat-des-
propositions#.YRLQoUDjLIU, consulté en août 2021.
912
Voir par exemple, art. 1 c) de l’Annexe IX de l’AB.
913
La Résolution du parlement européen ci-dessus citée souligne à titre de principe général que :
« il convient d’accorder une attention toute particulière au fait qu’une relation émotionnelle est
susceptible de se développer entre l’homme et le robot, notamment chez les personnes
vulnérables (…), et attire l’attention sur les problématiques soulevées par les éventuelles
conséquences physiques ou émotionnelles graves, pour l’utilisateur humain, d’un tel lien
émotionnel ». Néanmoins, l’émotion reste humaine et n’est nullement rattachée au robot.
914
L’on pourrait, par exemple, calquer la protection des créations générées par l’IA sur le modèle
de protection des droits voisins du droit d’auteur. J. FOMETEU, Le droit d’auteur et les droits
voisins : Questions/Réponses, L’Harmattan, 2018 ; Cl. COLOMBET, Propriété littéraire et
artistique et droits voisins, 6e éd., Dalloz, 1992, p. 272 et s. Le droit patrimonial, s’il était admis,
pourrait avoir une durée de cinquante ans à compter de la réalisation de l’œuvre.
915
F. TERRÉ, Introduction générale au droit, 10e éd., Dalloz, Paris, 2015, p. 10.

376
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

moins qu’un humain916. La certitude dans ce raisonnement demeure que l’IA n’est
pas un humain. Sur cette base, ses créations ne peuvent être admises à la
protection par le droit d’auteur. Selon un rapport français, les intelligences
artificielles sont expressément exclues du champ de protection du droit d’auteur,
la création ne pouvant être qu’humaine917. Cette position est celle retenue par
l’annexe VII de l’Accord de Bangui, Acte du 14 décembre 2015, qui définit, en son
article 1er (viii), l’auteur comme la personne physique qui créée l’œuvre. L’humain
doit donc être au cœur du processus créatif de l’œuvre pour que celle-ci
bénéficie de la protection par le droit d’auteur. La personne physique doit être
celle qui effectue l’acte matériel de la création. « Pas d’être humain, pas de droit
d’auteur »918.

Cependant, l’on a pu concevoir qu’une personnalité juridique spéciale et


limitée soit reconnue à des IA présentant certaines caractéristiques, relatives par
exemple à la capacité d’auto-apprentissage et de raisonnement et ayant une
certaine forme comme les humanoïdes919. Le régime de la protection devrait être
fortement encadré et différent de celui des créations de l’humain. Les droits
accordés pourraient être défendus par le titulaire de l’IA, comme c’est le cas
s’agissant des droits de la personne morale. La limite de cette conception réside
cependant dans le fait que la seule évocation d’un « titulaire » de l’IA remet en
cause l’idée même de son autonomie.

2. La remise en cause du processus créatif de l’IA

Une œuvre de l’esprit est une expression des émotions, des rêves. Or, l’on
conçoit difficilement qu’une IA soit émotionnelle ou rêveuse. Il pourrait donc lui

916
M. BRUYDENS, « L’intelligence artificielle et le droit : vestiges d’un nouveau monde »,
www.youtube.com/watch?v=1tl9x1vVE4/, consulté le 27 février 2020.
917
Rapport de l’Assemblée nationale et du Sénat, « Pour une intelligence artificielle maîtrisée, utile
et démystifiée », 15 mars 2017, p. 131.
918
M. BRUYDENS, ibid.
919
B. KANDOLO, op. cit. p. 2.

377
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

être reproché le caractère purement automatique de ses créations. C’est toute


la différence avec l’être humain qui exerce un jugement subjectif sur la
composition de l’œuvre et en contrôle l’exécution. C’est d’ailleurs ce jugement
subjectif par un être humain qui est générateur d’originalité.

La subjectivité implique un sujet ; l’intelligence artificielle est un objet.


Certes la définition de la notion d’originalité a évolué en doctrine et dans les
législations et cette évolution a priori peut être interprétée en faveur des
créations d’une IA. Cependant, il ne faudrait pas perdre de vue que la créativité
est une vertu positive, non seulement à cause de ses résultats, mais aussi à
cause de la manière dont le processus de création contribue à l’épanouissement
de l’homme. Ainsi, le processus de création doit être pris en compte tout autant
que son résultat. Il ne suffit pas qu’une machine se fasse passer pour un humain
pour générer les mêmes droits que le ferait une activité humaine ; le processus
lui-même doit être humain920. Or, dans le cas de la machine intelligente, la logique
normative du droit d’auteur (en tant qu’incitatif à la création) est absente. En
outre, la machine n’a aucune responsabilité et ne saurait obtenir un droit sur une
production pour laquelle elle ne peut être tenue pour responsable. Il existe un
lien normatif entre la protection et la responsabilité.

Conclusion

Le développement des systèmes intelligents, nouveaux acteurs créatifs,


vient compléter et concurrencer l’intelligence humaine. Pourtant, l’IA reste
l’œuvre de l’homme, sauf à considérer qu’ayant entièrement pris son autonomie,
« elle se multiplie pour peupler la terre » par elle-même. L’on n’en est pas encore
là. Les efforts pour saisir l’IA et la réguler démontrent que, s’il ne mesure
probablement pas tous les enjeux et risques d’un tel développement
technologique, l’homme n’est pas prêt à remettre en cause sa sécurité…
juridique. Les DPI offrent sans doute des règles importantes pour, en protégeant

920
D. GERVAIS, op. cit., p. 11.

378
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

les créations, pérenniser une innovation au service de la société. L’incertitude


réside cependant sur le régime de protection à accorder, les DPI n’étant pas
initialement conçus pour intégrer au titre de titulaires de droit les choses, furent-
elles intelligentes. En l’état actuel du droit positif, les règles mises en place par le
législateur OAPI devraient s’appliquer, malgré les limites mises en évidence. Sans
doute, l’IA n’a pas encore dévoilé toutes ses facettes ; le législateur non plus. Ubi
societas, ibi jus.

379
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Les pratiques coutumières à l’ère des

droits fondamentaux : cas de la dot en

droit camerounais

Pierre-Claver KAMGAING - Doctorant en cotutelle internationale, Université de

Dschang et Université Côte d’Azur - Vacataire d’enseignement à l’Université Côte

d’Azur

____________________

380
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

La coutume comme source du droit921. La coutume a su se frayer un chemin sur

les sentiers du droit922 et les pratiques coutumières connaissent encore de beaux


jours en Afrique subsaharienne923. La coutume a su résister à l’usure du temps et
a pu conjurer le sort que lui réservaient les colonisateurs, celui de son
remplacement par des lois écrites jugées plus aptes à une application uniforme
sur le territoire924. En réalité, les colonisateurs étaient confrontés à des « lois »
coutumières orales et disparates, variant d’une aire culturelle à une autre925. Face
à la réticence des populations « indigènes » qui ne voulaient pas se voir appliquer
des règles venues d’ailleurs, ils étaient bien contraints de laisser coexister le droit
coutumier et le droit moderne. Mais l’ambition inavouée était sans doute qu’à
force de cheminer ensemble, le droit écrit -droit moderne- allait prendre le pas
sur la coutume, cette dernière étant vouée à disparaître. La situation actuelle ne
s’en éloigne que très peu car, comme il a pu être observé, la coutume agonise, la
coutume se meurt926. Cependant, les règles coutumières applicables au mariage

921
V. E. BOKALLI, « La coutume, source de droit au Cameroun », in Revue générale de droit,
vol. 28, n° 1, 1997, p. 38 et s.
922
La coutume a été constitutionnalisée en droit camerounais (article 1er de la Constitution du 18
janvier 1996) ; C. SIETCHOUA DJUITCHOKO, « Du nouveau pour la coutume en droit positif
camerounais : la constitutionalisation de la coutume et ses conséquences », in RJT, n° 34,
2000, pp. 132 et s. Voir également, Fr. ANOUKAHA, L. ELOMO-NTONGA et S. OMBIONO,
Tendances jurisprudentielles et doctrinales des droits des personnes et de la famille de l’ex-
Cameroun oriental, Université de Yaoundé, 1990, pp. 4-20.
923
Même si on admet avec un auteur que certaines pratiques coutumières (excision, sévices à
l’occasion du veuvage), gagneraient à être abandonnées, M. KEBA, « La protection des droits
de l’homme dans les rapports entre personnes privées », in Travaux de l’institut international
des droits de l'homme, Paris, Pédone, 1971, p. 10.
924
S. OMBIONO, « Le mariage coutumier en droit positif camerounais », in Penant, 1989, p. 32.
925
V. déjà, P.-C. KAMGAING, « La crise de l’ethnie en Afrique centrale : échec des politique,
contribution du droit », in N. MONNERIE et C. PONZO (dir.), Le droit et la science politique à
l’épreuve des crises du XXIe siècle, Acte du colloque des doctorants de l’IFR-interactions du 25
novembre 2019, Paris, L’Harmattan, 2020, pp. 27-48.
926
La coutume présente un « caractère plutôt résiduel, contrairement à la loi, aux règlements et
aux principes généraux du droit », C. SIETCHOUA DJUITCHOKO, op. cit., p. 135. D’ailleurs, la
jurisprudence a posé le principe de la primauté du droit écrit sur le droit coutumier en cas de
contrariété, Cour suprême du Cameroun oriental (CS/COR), arrêt du 23 avril 1963, in Recueil
Penant, 1965, p. 486. Ce n’est que de manière très exceptionnelle que les juges recourent à la

381
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

constituent l’une des poches de résistance de la coutume en droit camerounais.


Le mariage coutumier, qui précède généralement le mariage civil927, est défini
comme « une institution qui, à la demande propre de jeunes gens de sexes
différents928, futurs époux, (…) réunit solennellement et publiquement les
membres du clan des futurs époux, en présence ou non de ces derniers, en vue
de proclamer, après acceptation de la dot, l’union conjugale de jeunes gens et
de leur clan en leur souhaitant bonheur et procréation »929. Cette union est très
souvent subordonnée au versement de la dot. La dot, à distinguer du système
dotal930, désigne ainsi l’ensemble d’avantages matériels ou financiers que le futur
époux remet à une personne ayant autorité sur la future épouse en vue du
mariage.
La problématique de la dot. S’il est difficile de retracer l’origine931 de la dot, il est

encore plus difficile d’envisager un mariage sans versement préalable de la


dot932. De sa pratique, il en résulterait même comme une règle qu’on peut traduire
en ces termes : « pas de dot, pas de mariage !». Très tôt, le colonisateur avait vu
en l’exigence de la dot un obstacle à la liberté nuptiale. C’est dans ce sillage que
le décret Jacquinot du 14 septembre 1951 – alors applicable au Cameroun- avait
par exemple rendu la dot facultative pour les filles de plus de 21 ans et incitait
les tribunaux civils à délivrer des actes de mariage en dépit de l’opposition des

coutume (notamment en cas d’obscurité ou de silence de la loi, S. MELONE, « Le code civil


contre la coutume : la fin d’une suprématie. À propos des effets patrimoniaux du mariage », in
Revue camerounaise de droit, n° 1, 1972, p. 12 et s.).
927
C’est-à-dire célébré par un officier d’état civil.
928
Le mariage en deux personnes de même sexe étant interdit au Cameroun.
929
E. L. MBOYO EPEMGE, Conférence - débat sur le code de la famille, Kinshasa, juin 1986, p. 19.
930
A. FINE et C. LEDUC, « La dot, anthropologie et histoire. Cité des Athéniens, VIe-IVe siècle/
Pays de Sault (Pyrénées audoises), fin XVIIIe siècle-1940 », in Clio. Femmes, genre, histoire,
n° 7, 1998, p. 1 et s.
931
D’aucuns estiment que son origine est mythologique. V. par exemple, M. ABELES et
Ch. COLLARD, Age, pouvoir et société en Afrique noire, Paris, Karthala, 1985,
p. 200 ; J. BITOTA MUAMBA, Recherches sur le statut juridique de la femme en Afrique, thèse
de doctorat, Université des sciences sociales de Toulouse, 2003, p. 94 et s.
932
V. cependant infra.

382
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

parents qui l’exigeaient933. Mais cette détermination de la Métropole934 n’a pu


l’emporter sur l’ancrage des pratiques coutumières. La réalité est que, dans la
psychologie bantoue935, une femme qui a été dotée jouirait d’une plus grande
considération au sein de sa famille ou de son clan936. Or aujourd’hui, compte tenu
textes internationaux qui engagent les États à l’éradication de toutes formes
d’obstacles au mariage937, la pratique de la dot est remise à l’ordre de débats. On
lui impute, en partie tout au moins, l’augmentation du taux de célibat et la
prolifération d’unions illégitimes, l’accroissement du nombre de familles
monoparentales et la recrudescence de la prostitution938. Cet état de choses a
conduit par exemple les législateurs ivoirien939 et burkinabé940 à abolir la dot et à
prévoir des sanctions pénales à l’encontre de toute personne qui la réclamerait.
Ce qui amène à se demander ce qu’il en est au Cameroun. Autrement dit, quel
est le sort réservé à la dot en droit camerounais à l’ère des droits fondamentaux ?

Plan. D’un point de vue théorique, la réflexion entend se saisir d’une

problématique jusque-là moins abordée par les juristes que par les sociologues.
Elle permet ainsi de questionner les interactions entre le droit coutumier et le
droit civil dans un contexte de pluralisme juridique. D’un point de vue pratique,
l’étude montre les difficultés d’application du droit moderne en matière de dot

933
Article 2 du décret Jacquinot : « Même dans les pays où la dot est une institution coutumière,
la fille majeure de 21 ans, et la femme dont le précédent mariage a été légalement dissous,
peuvent librement se marier sans que quiconque puisse prétendre en retirer un avantage
matériel soit à l’occasion des fiançailles, soit pendant le mariage ».
934
Allusion est ainsi faite à la France qui a administré le Cameroun, sous la tutelle de l’ONU, au
lendemain de la seconde guerre mondiale.
935
Qui s’écrit aussi bantu. On désigne par cette expression des groupes culturels existant dans
plusieurs pays d’Afrique subsaharienne, v. D. MATAILLET, « Qui sont les Bantous ? », in Jeune
Afrique, 05 juillet 2004.
936
Fr. DE SINGLY, « Les effets pervers de la dot scolaire », in Fortune et infortune de la femme
mariée. Sociologie des effets de la vie conjugale, Paris, PUF, 2004, pp. 156-175.
937
Notamment le PIDCP, en son article 23.
938
W. TADJUIDJE, « La question du mariage et la prolifération du célibat au Cameroun », in Village
de la justice, 05 octobre 2011.
939
Article 20 et s. de la loi n° 64-381 du 07 octobre 1964.
940
Article 244 du code des personnes et de la famille burkinabé.

383
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

avec pour objectif de suggérer d’éventuelles réformes. À l’observation, force est


de constater que la question de la dot est traitée avec une délicatesse qui traduit,
à manière de voir, une prudence du législateur camerounais. D’une part, il ne s’est
pas préoccupé de la symbolique qui entoure la dot, encore de son prix. Il a laissé
le soin aux différentes pratiques coutumières de régler ces éléments. Sur ces
aspects, et sur ces aspects seulement, on peut donc dire que la dot est libérée
de toute intervention du législateur (I). D’autre part en revanche, et pour éviter
d’éventuelles dérives liées à la dot, le législateur y a consacré quelques
dispositions dont il conviendra d’apprécier la portée. Ainsi, d’une dot libérée, on
évolue rapidement vers une dot encadrée (II).

I. La dot libérée : un désintéressement du droit moderne

La dot comme une institution. Si le droit moderne se désintéresse de la dot c’est

parce qu’il émane d’un droit coutumier épars et flou. En effet, si le droit moderne
devait intégrer toutes les règles coutumières existantes sur le territoire de la
République, il se noierait tout simplement. De même, le caractère résiduel du
droit coutumier limite suffisamment son domaine d’application pour que le
législateur n’ait pas, a priori, à s’en préoccuper. Dans le cadre spécifique de la
dot, le législateur a donc laissé le soin à chaque coutume de déterminer la
symbolique de la dot (A). Et, comme on le verra, c’est la symbolique de la dot qui
explique le fait que son prix soit parfois assez dissuasif pour le futur époux (B).

A. La symbolique de la dot

Une conception… Presqu’inconnue des systèmes juridiques occidentaux, la dot

revêt pourtant une importance particulière en droit coutumier camerounais et


africain. Cette importance varie selon qu’on se place du côté de la famille
bénéficiaire de la dot -c’est-à-dire la famille de la future épouse- ou du côté de

384
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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la famille débitrice -c’est-à-dire la famille du futur époux-. Pour la famille


bénéficiaire, la dot est une juste compensation des dépenses engagées pour
l’éducation et l’instruction de leur fille. Pour la famille du prétendant, la dot est
souvent considérée comme la valeur marchande de la fille à épouser. Elle serait,
pour reprendre l’expression d’un auteur, le « prix de vente ou d’achat de la
femme »941. Dans cette logique mercantiliste, on parlera de la dot comme d’un
contrat synallagmatique passé entre deux familles. Dans ce contrat, l’une des
familles, celle de l’homme, s’engage à verser le prix de la dot tandis que l’autre,
celle de la femme, s’engage à donner cette dernière en mariage942. Mais il
convient de reconnaître qu’il s’agit là d’une conception assez déshumanisante de
la dot car dans son principe même, la dot est un signe de reconnaissance et de
gratitude envers la famille de la future épouse943&944. Elle est le ciment de l’union
des familles que le mariage viendra consacrer945. Cette reconnaissance à
l’endroit de la famille de la fille est pleinement justifiée car la femme sort d’un
environnement familial où elle a été pétrie des valeurs qu’elle mettra désormais
au service de sa nouvelle famille : la famille de son mari. Ainsi, en versant la dot,
le futur époux remercie la famille bénéficiaire d’avoir pris soin de l’os de ses os,
de la chair de sa chair946.
Des conséquences… Plus fondamentalement, la symbolique de la dot en droit

coutumier africain se comprend mieux à travers les droits qu’elle confère à la


famille de l’homme. En effet, à compter du versement de la dot, la femme quitte

941
H. SOLUS, « Le problème actuel de la dot en Afrique noire », in Revue Juridique et Politique de
l’Union. 1950-1959, p. 461. Dans le même sens, v. M. NKOUENDJI YOTNDA, Le Cameroun à la
recherche de son Droit de la famille, Paris, LGDJ., 1975, p. 149.
942
La femme est ainsi perçue comme un facteur de production et donc de richesse.
943
A. R. RADCLIFFE-BROWN et D. FORD, Systèmes familiaux et matrimoniaux en Afrique, Paris,
PUF, 1953, p. 95.
944
B. DJOBO, « La dot chez les Kotokoli de Sokodè », in Recueil Penant, 1962, p. 548.
945
A.-C. CAVIN, Droit de la famille burkinabé, le code et ses pratiques à Ouagadougou, Paris,
L’Harmattan, 1998, p. 40 et s. ; E. DEKANE et J. NDIH, « Évolution de la culture dotale au Nord-
Cameroun modernisé comme facteur de la décrépitude du mariage des jeunes », in International
Journal of Innovation and Applied Studies, vol. 12, n° 2, 2015, pp. 312-324.
946
Bible, Genèse 2, 23.

385
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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instantanément sa famille pour intégrer définitivement celle de l’homme947. Dire


que la fille intègre la famille de l’homme signifie qu’elle n’a plus, d’un point de vue
strictement coutumier, de place dans la sienne948. Elle y devient quelque peu
étrangère. C’est ce qui justifie qu’autrefois, les femmes, dotées ou non, ne
pouvaient concourir à une succession ouverte dans leur famille biologique949.
L’idée était qu’elles étaient vouées, tôt ou tard, à ne plus en être membres950.
D’ailleurs jusqu’à une époque encore recette, la femme mariée ne pouvait
retourner dans sa famille que sur autorisation expresse de son mari et pour le
temps qu’il déterminait. Même en cas de conflits conjugaux, le retour de la femme
mariée dans sa famille d’origine était -et est encore- exceptionnel951. Ainsi, l’idée
selon laquelle le mariage c’est pour le « meilleur et pour le pire » a une
signification particulière en droit coutumier africain952. La dot représente de ce
point de vue le lourd prix de l’amputation que subit la famille de la future épouse.
Des excès… De ce qui précède, il n’est pas excessif de voir en la pratique

coutumière de la dot une sorte de chosification, de marchandisation de la femme.


En tout cas, la réalité n’en est pas très loin dans la mesure où il n’y a pas
longtemps, par l’effet de la dot, la femme devenait réellement comme un « bien
meuble » de son mari. Le décès de la femme dotée était assimilé à la perte d’un
bien et la famille de la femme devait le remplacer, notamment en proposant à

947
Si elle vient à décéder, elle sera enterrée dans la concession familiale de son mari. Or la femme
qui n’est pas dotée est enterrée dans sa famille biologique.
948
Mais la place que lui confère le droit civil demeure. Ainsi, elle bénéficie des droits et devoirs
de chaque enfant. V. dans ce sens, G.-A. KOUASSIGAN, Quelle est ma loi ? Traditions et
modernisme dans le Droit privé de la famille en Afrique noire, Paris, Pedone, 1974, p. 214.
949
C’est à la faveur du protocole de Maputo du 11 juillet 2003 que les femmes ont été rétablies
dans leur droit de venir à une succession ouverte.
950
La logique est que la femme finira tôt ou tard par sortir du cocon familial pour devenir une
épouse, une femme au foyer.
951
En cas de conflits conjugaux, les deux familles se réunissent pour essayer de trouver un terrain
d’entente et de ramener la paix. Le paiement de la dot fait obstacle au droit au divorce de la
femme, v. C. FORTIER, « Le droit au divorce des femmes (khul’) en islam : pratiques
différentielles en Mauritanie et en Égypte », in Droit et culture, n° 59, 2010/1, pp. 59-83.
952
C. BOUNANG MFOUNGUÉ, Le mariage africain, entre tradition et modernité : étude socio-
anthropologique du couple et du mariage dans la culture gabonaise, thèse de doctorat,
Université Paul-Valéry-Montpellier III, 2012, pp. 154 et 169.

386
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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son mari une autre fille de la famille. C’est ainsi qu’on a parlé qu’on a connu la
pratique du sororat. À l’inverse, si c’est le mari qui décédait en premier, son bien,
-c’est-à-dire sa femme-, devait demeurer dans sa famille. Dès lors, la veuve était
donnée en mariage à l’un des parents de son mari décédé (frères, cousins, etc.)
sans qu’il n’y ait lieu à paiement d’une autre dot. Il s’agit du lévirat. En droit
coutumier, le lévirat et le sororat953 tiraient leur fondement du paiement de la dot
et toute opposition de la famille de la femme donnait lieu à la restitution de cette
dernière954. Bien que ces pratiques aient été abolies955, le sororat subsiste dans
certaines aires culturelles, notamment chez les bamiléké dans l’Ouest du
Cameroun. Mais, il est plus souple que par le passé car il n’impose pas
automatiquement une communauté de vie entre la veuve et son « nouveau
mari », encore moins l’entretien des rapports conjugaux. Il n’en demeure pas
moins cependant que cette pratique doit être combattue. On ne peut que
regretter que le législateur pénal, dans la mise en œuvre du Protocole de Maputo,
ne l’ait pas érigé en infraction dans la mesure où elle porte sérieusement atteinte
à la liberté nuptiale. En effet, son silence traduit bien la distance qu’il prend vis-
à-vis des pratiques coutumières qui, elles, préexistent à l’État. On voit bien que
la dot scelle, définitivement en principe, l’union des familles impliquées. Ainsi,
sous le voile des présents offerts à la famille de la femme, la dot se révèle comme
un véritable sacrement. C’est la raison pour laquelle elle s’articule autour d’un
rituel couramment appelé « cérémonie de dot ». Dans tout ce processus, le droit
moderne camerounais est donc absent. De même, il ne se préoccupe pas de la
détermination du prix de la dot qui restera alors tributaire des us et coutumes en
vigueur dans chaque collectivité traditionnelle.

953
L. BERNOT, « Lévirat et sororat en Asie du Sud-Est », in Homme, 1965, n° 5-3-4, pp. 101-112.
954
M. GUESSAIN et A. DESGRÉES DU LOÛ, « L’évolution du lévirat chez les Bassiri », in Journal
des africanistes, t. 68, n° 1/2, 1998, p. 229 et s. Par exemple, si une femme avait un autre
prétendant qu’un parent de son défunt mari, ce mariage ne pouvait avoir lieu qu’après le
remboursement de la dot à la famille du de cujus. V. aussi, pour une distinction entre le vrai
lévirat et le faux lévirat, R. BASTIDE, « Polygamie », in Universalis.fr, disponible sur
https://www.universalis.fr/encyclopedie/polygamie/7-levirat-et-sororat/, consulté le 03 mai
2021, p. 1 et s.
955
Article 20 du protocole de Maputo du 11 juillet 2003.

387
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

B. La détermination du prix de la dot

Le marché de la dot. Eu égard aux conséquences attachées à la dot, son prix

peut parfois se révéler dissuasif956. Disons-le très clairement, il n’existe aucun


barème dans la détermination du prix de la dot. Le prix est susceptible de varier
d’une tribu à une autre, et même à l’intérieur d’une tribu, il est susceptible de
varier d’une famille à une autre. Le principe en la matière est celui de la liberté
pour la famille de la future épouse de déterminer le prix de la dot. C’est en partant
de ce principe que peut être appréhendée la consistance de la dot. Dire que la
détermination du prix de la dot est libre signifie que le législateur ne l’a pas
encadré. Il n’a pas fixé des règles applicables en la matière. Il appartient alors à
la famille de la future épouse d’y procéder. En règle générale, cette détermination
est unilatérale et on pourrait dès lors tenter un rapprochement avec le contrat
d’adhésion bien connu en droit civil : « c’est à adhérer ou à laisser ! »957. Pour
« prendre la main » de la femme, il faut payer le prix ! Mais la réalité est à la fois
complexe et intéressante. En effet, selon les contrées et les familles, le prix fixé
par la famille de la femme sera négociable ou non. Cette négociabilité du prix de
la dot s’appréciera a posteriori et se déduira simplement de l’attitude qu’adopte
la famille de la femme lorsque, finalement, le prix payé est inférieur à ce qui a été
demandé. Si elle accepte un tel prix, on déduira qu’il était négociable. À l’inverse,
c’est-à-dire si elle refuse le prix payé, on considèrera qu’il était non négociable.
De même, le paiement du prix de la dot peut se faire de manière instantanée ou
échelonnée. Lorsqu’il est instantané, ce qui exigé du futur époux est remis d’un
seul trait à la famille bénéficiaire. Lorsque le paiement est échelonné ou à terme,
il doit se faire dans le délai déterminé. Mais au vrai, ce délai est simplement

956
Dans ce sens, J. NAPPA, Br. SCHOUMAKER, A. PHONGI, M-L. FLAHAUX, « Difficultés
économiques et transformation des unions à Kinshasa », in Population, vol. 74, 2019, pp. 273-
298.
957
D. MAZEAUD, « Contrat d’adhésion : nouvelle version, nouvelle désillusion… », in La semaine
juridique, 15 janvier 2018, n° 3, p. 57.

388
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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indicatif, voire incitatif, car il ne faut pas « agresser » son gendre, surtout que
dans l’imagerie bantoue958 la dot ne finit pas959 ! Il n’est point besoin ici d’insister
sur les conséquences d’une dot excessive. À en croire de nombreux
témoignages, plus une dot serait élevée, plus elle accroîtrait les risques de
maltraitance de la femme960.
L’échec de l’intrusion législative. Pour ce qui est de la consistance du prix de la

dot, l’on dira que la liberté de déterminer le prix de la dot se dédouble en liberté
d’en déterminer les éléments constitutifs. Ici encore, c’est la famille de la future
épouse qui détient les rênes et mène la danse. Elle déterminera le prix de la dot
en fonction de ses besoins ou de ses intérêts du moment. Ainsi, le prix de la dot
peut tantôt avoir une valeur certaine (par exemple une somme d’argent), tantôt
elle peut avoir une valeur relative (par exemple dons en nature) ou mixte (par
exemple somme d’argent et dons en nature)961. Dans le cas de la dot en nature,
le gendre sait ce qu’il faut offrir à la belle-famille mais ignore, a priori, son coût.
Ainsi, la dot en nature peut inclure divers présents tels les pagnes, les bouteilles
de vin, les ustensiles de cuisine, des ordinateurs, etc. Elle peut donc s’avérer
moins coûteuse ou plus couteuse selon les cas962.

958
P. MOUGUIAMA-DAOUDA, « Langue et histoire des bantu », in Contribution de la linguistique
à l’histoire des peuples du Gabon, CNRS éditions, Paris, 2005, pp. 33-56.
959
Autrement dit, le paiement de dot n’exclut pas les obligations alimentaires qui pèsent sur
l’homme marié à l’égard de sa belle-famille. Ces obligations sont alors considérées comme un
prolongement de la dot. Notons cependant que le législateur congolais a posé le principe de
l’immutabilité de la dot (article 364 du code de la famille).
960
M. MATESO, « Des parents qui ne jurent que par l’argent : la controverse n’en finit pas autour
de la dot en Afrique », in France info : Afrique, 04 novembre 2019.
961
V. AGBARIN, « La femme en Droit coutumier Dahoméen », in Revue Juridique -Politique-
Indépendance et Coopération (RJPIC), tome 28, n°4, Paris,1973, pp. 639-662. Mais autrefois,
le paiement pouvait se faire par « service rendu ». Le gendre accomplissait dans sa belle-famille
un certain nombre de travaux à l’issue desquels il prenait avec lui sa femme. Mais de nos jours,
le service rendu se présente davantage comme un complément de la dot. Il s’agit d’une mise à
l’épreuve du gendre. En lui demandant par exemple de défricher une parcelle de terrain ou
d’accomplir certaines tâches rudes, la belle-famille veut se rassurer de ce qu’il est travailleur.
962
Il s’agit de l’hypothèse la plus fréquente. Par exemple, selon que le présent demandé est une
chose d’espère, c’est-à-dire individualisée par sa marque (cas d’une bouteille de vin) ou par sa
fonctionnalité (cas d’un appareil électro-ménager). Cette individualisation peut avoir pour
conséquence d’augmenter le prix de la dot. Ce n’est pas le cas lorsqu’il s’agit d’une chose de
genre (chose fongible).

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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Relevons cependant que toutes les tentatives du droit moderne tendant à


encadrer la détermination du prix de la dot ont été infructueuses. Au Cameroun,
le décret Jacquinot incitait déjà les « chefs de territoires », encore appelés chefs
traditionnels, à déterminer le montant de la dot applicable dans leur région963.
L’idée était sans doute qu’en uniformisant le prix de la dot dans chaque région,
on parviendrait à combattre efficacement les appétits démesurés de certaines
familles. Mais, comme il a été relevé à propos de ce décret, il y a eu un « échec
de la colonisation juridique »964. Au Sénégal en revanche, c’est le législateur
postindépendance qui a pris les devants en fixant un montant maximum de la dot
par la loi n° 1967/04 du 24 février 1967 tendant à réprimer les dépenses
excessives à l’occasion des cérémonies familiales. Aux termes de l’article 6 alinéa
1er de ce texte, lorsque la formation du mariage comporte la constitution, par le
futur mari ou par sa famille d’une dot, « celle-ci ne peut avoir une valeur totale
supérieure à trois mille francs, sans qu’il y ait à distinguer selon qu’elle est
immédiatement exigible ou qu’une partie est payable à terme »965. Dans son
ambition de réduire sérieusement le « gaspillage » financier à l’occasion des
cérémonies familiales, le législateur sénégalais a ajouté qu’à l’occasion du
mariage et des cérémonies y afférentes, « les dépenses cumulées relatives aux
cadeaux destinés à la fiancée, aux membres de sa famille ou à ses amis, ainsi
qu’aux réjouissances, ne peuvent dépasser quinze mille francs, non comprises
celles effectuées à l’occasion des fiançailles et la dot proprement dite »966. De
même, aux termes de la loi, les contrevenants à ces mesures s’exposent à une

963
Article 3 alinéa 2 du décret Jacquinot.
964
R. LAFARGE, « La permanence du conflit entre normes socioculturelle et norme étatique : le
droit de la famille au centre d’un conflit de légitimité » in O. ROY (dir.), Réflexions sur le
pluralisme familial, Nanterre, Presses Universitaires de Rennes, 2011, pp. 213-227.
965
Pour le prix des fiançailles en droit sénégalais, v. article 5 de loi suscitée. À rapprocher du
plafonnement prévu par les articles 52 et suivants du code togolais des personnes et de la
famille qui est de 10000 F CFA.
966
Article 6 alinéa 2. L’alinéa 3 du même article précise que tout rassemblement doit prendre fin
au plus tard trois heures après l'accomplissement des formalités constitutives du mariage.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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peine d’amende967. Mais cet enthousiasme n’a pu déraciner les pratiques


coutumières si durement ancrées. Car comme l’a relevé un auteur, ces
prescriptions demeurent appliquées968. Elles sont donc tombées en désuétude
du fait de l’attachement à la coutume. Au regard de ce qui précède, on se rend
compte que la dot coutumière est louable dans son principe car elle symbolise
l’union voir la communion des familles. Cependant, c’est la pratique qui est
susceptible de la pervertir à travers les effets démesurés qu’on lui attache. Il faut
donc éviter que l’exigence de la dot ne porte atteinte aux droits et libertés
individuels, notamment ceux de la femme. C’est là que le droit moderne
camerounais se mêle et pose des règles destinées à encadrer la dot.

II. La dot encadrée : une intervention du droit moderne

De la coutume, il ne faut en préserver que du bon. La coutume ne doit pas être

contraire à la loi. Seules sont admises les coutumes qui s’appliquent en vertu de
la loi -coutumes secundum legem- ou celles qui comblent un manquement de la
loi -coutumes praeter legem-. L’éviction des coutumes contra legem se justifie
par le fait que, sous le prétexte de l’application d’une coutume, peuvent se cacher
des pratiques liberticides. Il peut arriver qu’une famille, contre la volonté de la
future épouse, fasse du versement de sa dot la condition sine qua non de son
mariage civil. C’est cet écueil que voulait éviter, en son temps, le décret
Jacquinot. À la faveur de la révision du code pénal de 2016969, le législateur
camerounais a entendu renforcer la sanction de l’atteinte à la liberté nuptiale par

967
Cette peine d’amende va de vingt mille à cinq cent mille francs. V. article 12 de la loi du 24
février 1967. Sont visés autant ceux qui payent au-delà du plafond légal que ceux qui exigent
plus que ce qui est légalement admis. En cas de récidive, la peine d’emprisonnement encourue
est d’un à six mois, le jugement prononçant pouvant ordonner la publication.
968
C. SENE, « L’organisation juridique du mariage au Sénégal », in Revue africaine et malgache
de recherches scientifiques, n° 1, 2020, p. 169 et s.
969
V. déjà, P.-C. KAMGAING, « Une réforme ou une réformette : à propos des grands oubliés du
nouveau code pénal camerounais », in Revue Adilaaku. Droit, politique et société en Afrique, à
paraître.

391
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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l’incrimination de l’exigence abusive de la dot (B). En agissant ainsi, le législateur


vient compléter les règles relatives à l’incidence du paiement de la dot sur la
célébration et la validité du mariage civil (A). La lutte ne vise donc pas la dot dans
son principe, mais dans les dérives observées en pratiques.

A. L’incidence de la dot sur la célébration et la validité du mariage civil

La dot n’est pas une condition du mariage. Au sujet de l’incidence de la dot sur la

le mariage civil, deux questions importantes se sont posées. La première


question est celle de savoir si la dot est une condition légale de la célébration du
mariage civil. La seconde question, qui découle de la précédente, est celle de
savoir si un mariage civil célébré sans paiement de la dot est valide. À ces
questions importantes, le législateur camerounais, à rebours de ses
homologues970, pose la règle selon laquelle le paiement de la dot n’est pas une
condition de la célébration ou de la validité du mariage civil. En droit
camerounais, c’est l’article 52 de l’ordonnance de 1981971 qui déterminent les
conditions de la célébration d’un mariage. En scrutant cette disposition, il est
loisible de constater que le paiement de la dot n’est pas mentionné comme une
condition de la célébration du mariage. On en déduit donc qu’aucune opposition
à mariage ne peut être faite sous ce motif. D’ailleurs, l’article 61 (2) de
l’ordonnance suscitée dispose péremptoirement qu’est « irrecevable, d’ordre
public, toute opposition tenant à l’existence, au paiement ou modalités de
paiement de la dot coutumière même préalablement convenue ».
Cette disposition se comprend aisément et n’appelle pas de précision
particulière car, en prévoyant l’irrecevabilité d’ordre public d’une telle opposition,
le législateur enlève tout pouvoir d’appréciation au président du tribunal de

970
La dot est une condition de validité du mariage en République Démocratique du Congo, en
Guinée et à Djibouti. V. dans ce sens, C. JUOPAM-YAKAM et H. NIAKATE, « Dot en
Afrique : mariés à tout prix ! », in Jeune Afrique, 25 août 2015.
971
Ordonnance n° 81/002 du 29 juin 1981 portant organisation de l’état civil et diverses
dispositions relatives à l’état des personnes physiques.

392
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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première instance, seul compétent pour statuer sur les oppositions à mariage.
Cependant, ce qui peut être déploré, c’est la procédure d’opposition en elle-
même. En effet, l’officier d’état civil qui reçoit les oppositions à mariage n’a pas
le pouvoir d’écarter d’office celles fondées sur le non-paiement de la dot. La règle
c’est qu’à chaque fois qu’il y a opposition quelle qu’elle soit972, il doit surseoir à la
célébration et transmettre l’opposition au juge973. Or, entre le jour de la saisine du
juge et l’intervention de sa décision, il s’écoule un temps assez considérable974
qui peut être préjudiciable pour les futurs époux. Dans une telle configuration,
une opposition tirée du non-paiement de la dot aura finalement pour
conséquence de faire obstacle ou de retarder tout au moins la célébration du
mariage. Cette situation peut être contournée en instaurant, auprès des centres
d’état civil, un filtrage administratif des oppositions. Ainsi, seules les hypothèses
d’opposition à mariage prévues par la loi seront soumises au juge. Le mérite d’une
telle réforme serait d’éviter que la célébration d’un mariage ne soit différée pour
des motifs dont on sait d’avance qu’ils ne pourront prospérer devant le juge.
Les piège du dualisme juridique. Il convient de préciser que l’ordonnance de 1981

prévoit uniquement les règles applicables au mariage devant un officier d’état


civil. Or, il existe en droit camerounais deux modes de célébration de mariage.
Les candidats au mariage peuvent opter soit pour le mariage civil soit pour le
mariage coutumier. Le mariage coutumier, pour produire des effets de droit, doit
être transcrit sur les registres d’état civil975 et attesté par les responsables
coutumiers des deux époux976. Il s’agit donc d’un mariage qui se déroule
strictement selon les usages et rites coutumiers. Et c’est là, qu’à notre sens, se
trouve le piège du dualisme juridique. En clair, l’incidence de la dot sur la
célébration du mariage sera fonction de l’option des époux. S’ils optent pour le

972
Pourvu qu’elle soit faite dans le délai d’opposition qui est d’un mois.
973
Article 60 de l’ordonnance.
974
Le juge doit statuer dans un délai de 10 jours de sa saisine (article 61 (1) de l’ordonnance).
975
Article 81 (1) de l’ordonnance de 1981.
976
L’article 83 (5) de l’ordonnance de 1981 punit l’officier d’état civil qui transcrit une union
coutumière non attestée par les responsables coutumiers des deux époux.

393
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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mariage coutumier, la dot sera alors une condition à satisfaire comme indiqué
plus haut. Ainsi, en paraphrasant le célèbre principe juridique977, on dira que
l’option de mariage (coutumier ou civil) emportera option de la législation.
Si le paiement de la dot n’a aucune incidence sur la célébration du mariage, il
n’a a fortiori aucune incidence sur sa validité. Pour éviter un éventuel
« contentieux dotal », l’article 70 (1) de l’ordonnance de 1981 dispose clairement
que le versement et le non-versement total ou partiel de la dot, l’exécution et la
non-exécution totale ou partielle de toute convention matrimoniale sont sans
effet sur la validité du mariage. En clair, l’on ne peut remettre en cause un mariage
pour défaut de paiement de tout ou partie de la dot. Cependant, le versement de
tout ou partie de la dot avant la célébration du mariage est réputé garantir
l’effectivité, la stabilité et la continuité du mariage. En cas de rupture des
fiançailles, celui qui a perçu la dot est tenu de la restituer immédiatement978. De
même, en cas de dissolution du mariage par divorce, le bénéficiaire de la dot
peut être condamné à son remboursement total ou partiel si le tribunal estime
qu’il porte en tout ou en partie la responsabilité de la désunion979. La position du
législateur sénégalais sur la question est plus nuancée et mérite d’être relevée.
Aux termes de l’article 132 du code sénégalais de la famille, les futurs époux
peuvent convenir que la fixation d’une somme d’argent, ou la détermination de
biens à remettre en partie ou en totalité par le futur époux à la future épouse,
sera une condition de fond du mariage. Le texte poursuit en ajoutant que la dot
est la propriété exclusive de la femme qui en a la libre disposition980 et qu’il est
fait mention dans l’acte de mariage du montant de la dot, de la part stipulée
payable d’avance et de ce qui a été perçu par la femme au moment de la

977
« Option de juridiction emporte option de législation ».
978
Article 71 (1) de l’ordonnance. Faute d’y procéder spontanément, il pourra en être contraint
dans le cadre d’une action en répétition de l’indu.
979
Article 73 de l’ordonnance.
980
Contrairement à la pratique camerounaise. En effet, le versement de la dot profite rarement à
la famille restreinte de la future épouse (parents, collatéraux). Ce sont souvent les parents plus
ou moins éloignés (tantes, oncles, grands-parents) qui en tirent le plus grand profit.

394
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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célébration du mariage981. Ainsi, le non-paiement de la dot est une cause de


nullité relative du mariage en droit sénégalais982. Le juge dispose alors d’un réel
pouvoir d’appréciation en la matière. Il recherchera par exemple si le non-
paiement de la dot est constitutif d’une faute de l’époux. Il accordera, le cas
échéant, un délai de grâce en échelonnant le paiement de la dot ou en fixant un
nouveau délai.
Dot coutumière et filiation. Revenant en droit camerounais, signalons que le

législateur s’est également intéressé à une autre incidence que pourrait avoir la
dot coutumière sur le mariage civil, notamment en ce qui concerne la filiation.
L’hypothèse ici est celle de la femme qui emmène, dans son foyer, des enfants
naturels. En droit coutumier, le paiement de la dot par le mari fait que ce dernier
soit considéré comme le géniteur des enfants naturels de son épouse. Pour le
dire autrement, les enfants de la femme ont pour père celui qui l’a doté. Cet
aspect du droit coutumier pourrait porter atteinte à la filiation des enfants
naturels983 en s’érigeant en obstacle à leur reconnaissance par leur véritable
géniteur. C’est la raison pour laquelle le législateur précise que l’acquittement
total ou partiel d’une dot ne peut en aucun cas fonder la paternité naturelle qui
résulte exclusivement de l’existence de liens de sang entre l’enfant et son père984.
En d’autres termes, le paiement de la dot n’empêche pas le géniteur des enfants
nés avant le mariage de les reconnaître985. De ce qui précède, on constate que
l’ambition du législateur est de neutraliser les influences négatives de la dot.

981
Aux termes de l’article 116 (1) du code sénégalais de la famille, l’officier d’état civil demande
aux futurs époux s’il a été convenu du paiement d’une dot comme condition de formation du
mariage, à quel chiffre la dot a été fixée et quelle portion doit en être perçue par la femme avant
la célébration et quel terme est prévu pour le solde. Voir aussi, articles 123 et 130 du code.
982
Article 138 3° du code sénégalais de la famille. Seule l’épouse est admise a engager une action
en nullité pour défaut de paiement de tout ou partie de la dot. En droit congolais, l’article 426
du code de la famille dispose qu’est « nul le mariage contracté sans une convention relative à
la dot. La nullité peut être demandée par les époux, les créanciers de la dot ou par le ministère
public du vivant des époux ».
983
V. sur le droit de la filiation, P. VERDIER, « Le nouveau droit de la filiation », in Journal du droit
des jeunes, n° 247, 2005/7, pp. 25-30.
984
Article 72 de l’ordonnance.
985
Article 41 (2) de l’ordonnance.

395
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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Quoique son œuvre se heurte aux réticences des populations, il ne désespère


pas. Sa dernière trouvaille a consisté en la pénalisation de ce qu’il a qualifié
d’« exigence abusive de la dot ».

B. L’incrimination de l’exigence abusive de la dot

Une affaire d’argent… Le phénomène de monnayage de la dot a pris des

proportions inquiétantes au Cameroun986. Il n’est pas très rare de voir certains


parents, avides d’argent, déloger leur fille d’un précédent mariage en vue de la
confier au « plus offrant ». De même, les plus avares résistent difficilement à la
tentation de recevoir de différents prétendants, pour la même femme, le
plusieurs dots. Cette pratique a fait dire que le « la dot devenant argent, la femme
est devenue marchandise, une marchandise monnayable et qu’on cherche à
monnayer au plus haut prix »987. Pour endiguer ce fléau social, le législateur pénal
a cru devoir pénaliser l’exigence abusive de la dot. Ainsi, l’article 357 du code
pénal camerounais, issu de la loi n° 2016/007 du 12 juillet 2016 dispose :
« (1) est puni d’un emprisonnement de trois (03) mois à cinq (05) ans et
d’une amende de cinq mille (5 000) à cinq cent mille (500 000) francs ou
de l’une de ces deux peines seulement :
a) celui qui, en promettant le mariage d’une femme déjà mariée ou engagée
dans les fiançailles non rompues, reçoit d’un tiers tout ou partie d’une
dot ;
b) celui qui reçoit tout ou partie d’une dot sans avoir remboursé tout
prétendant évincé ;
c) celui qui, sans qualité, reçoit tout ou partie d’une dot en vue du mariage
d’une femme ;

J. BITOTA MUAMBA, op. cit., p. 95.


986

A-F. DEDE, Le contrat réel des arrhes du mariage (dot) et le statut de la femme en Afrique
987

noire, thèse de doctorat, Université de Lovanium, 1962, spéc. p. 56.

396
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

d) celui qui exige tout ou partie d’une dot excessive à l’occasion du mariage
d’une fille majeure de vingt et un (21) ans ou d’une femme veuve ou
divorcée ;
e) celui qui, en exigeant une dot excessive, fait obstacle, pour ce seul motif,
au mariage d'une fille mineure de vingt et un (21) ans988 ;
f) l’héritier qui reçoit les avantages matériels prévus aux alinéas précédents
et promis à celui qui hérite.
(2) Chaque versement, même partiel de la dot, interrompt la prescription de
l’action publique ».
Par cette disposition, le législateur a voulu sanctionner l’instrumentalisation la
dot à des fins d’enrichissement, car la coutume ne saurait constituer un obstacle
à la « liberté nuptiale »989. L’infraction d’exigence abusive de la dot est un délit et
l’action publique se prescrit dans un délai de trois ans à compter du lendemain
de la commission des faits constitutifs de l’infraction990. Mais ce point de départ
du délai de prescription ne sera pas toujours facile à déterminer, car le fait
constitutif de l’infraction peut résider soit en la « réception », en « l’exigence »,
en un acte d’opposition au mariage, etc. C’est pour contourner cette difficulté –
du moins en partie- que le législateur a prévu l’interruption de l’action publique,
ce qui traduit sa volonté de réprimer cette infraction dans la durée. D’un point de
vue pratique, même si toute personne peut dénoncer un cas d’exigence abusive
de dot dont il a été témoin991, il revient en principe à la victime de porter plainte.
En effet, il serait incongru pour le ministère public d’engager l’action publique
pour « exigence abusive » de la dot alors même que la victime ne s’en plaint pas.

988
Notons qu’en droit civil camerounais, lorsque les futurs époux sont mineurs de 21 ans, le
consentement de leurs parents est indispensable pour la célébration du mariage, article 64 (2)
de l’ordonnance de 1981. Le code pénal vise donc le parent qui refuse de donner son
consentement au seul motif du non-paiement de la dot.
989
D. DHAINI, Mariage et libertés : étude comparative en droit français et libanais, thèse de
doctorat, Université Paris-Sarclay, 2016, p. 31 et s.
990
Article 64 du code de procédure pénale.
991
Article 134 (4) a du code de procédure pénale.

397
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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Mais plus fondamentalement, l’incrimination de l’exigence abusive de la dot


pose deux problèmes, celui de son opportunité et celui et de son effectivité.
Inopportune, l’incrimination vient se heurter aux fondements mêmes de la culture
africaine, car il est quasi impossible pour un gendre de porter plainte contre les
membres de sa belle-famille aux motifs qu’ils auraient exigé une dot abusive. En
Afrique, comme ailleurs peut-être, on n’enferme pas les beaux-parents pour
épouser la fille ! Il y va d’ailleurs de la stabilité du foyer. Quelle femme pourrait
accepter de voir condamner un membre de sa famille, qui plus est au pénal, pour
un tel motif ? En outre, cette disposition intervient dans un contexte international
où des voix s’élèvent de plus en plus en faveur de la dépénalisation du droit
civil992. Quant à l’effectivité de l’incrimination, elle trouve son premier obstacle
dans la loi elle-même car le législateur n’a pas défini les concepts d’« exigence
abusive » de dot et de « dot excessive ». Cependant, si l’on se réfère au décret
Jacquinot suscité, la dot serait excessive chaque fois que le taux réclamé
« dépasse le chiffre déterminé, suivant les régions, par le chef de territoire ». Or
il se trouve que jusqu’aujourd’hui, aucun texte ne détermine ces montants. En
l’absence de ces plafonds, le juge aura une réelle difficulté d’appréciation de
l’infraction et s’en remettra probablement aux éléments de pur fait993. Certes le
juge pénal pourra recourir aux assesseurs coutumiers994, mais la difficulté ne sera
pas pour autant surmontée car la détermination du montant de la dot ne fait pas
l’unanimité.
Une piste de sortie : laisser le temps moderniser les pratiques coutumières.

Lorsqu’une coutume existe en dehors de la loi, notamment parce qu’elle résulte


d’une pratique séculaire et produit chez les sujets de droit une opinio juris995, il

992
M. VAN DE KERCHOVE, « Réflexions analytiques sur les concepts de dépénalisation et de
décriminalisation », in Revue interdisciplinaire d’études juridiques, vol. 12, 1984/1, pp. 31-89.
993
Comme l’a relevé un auteur, dans certaines tribus, la dot de la femme vierge est plus élevée
tandis que dans d’autres, c’est la femme qui a déjà fait preuve de fécondité qui est plus
considérée. V. dans ce sillage, E. J GUILLOT, « Réflexions sur les coutumes de droit privé en
Afrique Noire et à Madagascar », in Revue internationale de droit comparé, vol. 4, n° 3, juillet-
septembre 1952, pp. 419-440, spéc. p. 424.
994
Quoiqu’ils interviennent généralement devant les juridictions civiles.
995
Critère psychologique de la coutume.

398
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

est difficile de la gommer par des règles écrites. En effet, cet élément
psychologique qui caractérise la coutume, et que l’on ne retrouve pas toujours
dans le droit écrit, justifie que les citoyens y adhèrent996. La coutume est
considérée par ceux qui la respectent comme transcendante car, contrairement
à la loi, « on ne peut en assigner ni le commencement ni l’auteur »997. De ce point
de vue, l’incrimination de l’exigence abusive de dot poursuit une finalité
davantage dissuasive que véritablement sanctionnatrice. D’ailleurs, cinq ans
après l’adoption du nouveau code pénal, aucune décision de justice n’a encore
été prononcée998 sur la question alors que la pratique perdure. En fin de compte,
on est bien amené à revenir au véritable nœud de tout mariage, à savoir la
volonté des époux. À notre sens, seule la volonté des époux permettra d’éviter
les mauvaises pratiques coutumières en matière de dot. Lorsqu’elle est ferme, la
volonté peut suffire à faire échec aux velléités de ceux qui voudraient
absolument tirer profit du mariage au mépris du bonheur de leur progéniture. Si
tant est vrai qu’aucune femme n’aimerait se « laisser vendre comme du
bétail »999, le meilleur moyen de combattre les mauvaises coutumes c’est de les
« abandonner »1000. Le mot abandon a un sens particulier lorsqu’il s’agit de traiter
de la coutume car elle suppose, non pas une intervention du législateur, mais
plutôt une attitude de la part de sujets du droit coutumier. En un mot comme en
mille, à force pour les citoyens de rejeter les « fausses coutumes » -nous
entendons par-là des coutumes liberticides-, le droit coutumier sera contraint de
se moderniser, autrement dit, il sera contraint de promouvoir les droits et libertés

996
J.-P. MAGNANT, « Le droit et la coutume dans l’Afrique contemporaine », in Droit et cultures,
n° 48, 2004-2, p. 191 et s.
997
Étude sur la souveraineté, in J. de MAISTRE, Œuvres complètes, t. I, pp. 373-374.
998
À notre connaissance.
999
E. J. GUILLOT, op. cit., p. 431.
1000
Pour une approche historique des coutumes ayant été abandonnées, v. Ch. LAURANSON-
ROSAZ, « Des mauvaises coutumes aux bonnes coutumes. Essai de synthèse pour le Midi (Ve-
VIIe siècles) », in M. MOUSNIER et J. POUMARÈDE (dir.), La coutume au village. Dans l’Europe
médiévale et moderne, Toulouse, Presses universitaires du Midi, 2001, pp. 19-51.

399
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

fondamentaux. Pour cela, il faut du temps et ce temps est nécessaire, surtout


dans un monde qui se veut un village planétaire1001.

En conclusion… Sur la question de la dot, la coutume mène encore un combat

d’arrière-garde. Mais il s’est développé au cours de ces dernières décennies, un


véritable marché de la dot. La naissance d’une fille dans une famille est peu ou
prou perçue comme une éventuelle source de richesse. Autant on a de filles,
autant on exigera de sommes colossales en guise de dot. La dot se trouve ainsi
désacralisée. Véritable ferment d’union entre les familles, elle est devenue
source de division, de déchirement. Et c’est simplement regrettable : « l’appât du
gain lié à l’introduction d’une économie monétaire dans le milieu traditionnel
négro-africain, exerce sur la famille tout son effet dissolvant »1002. Les lignes qui
précèdent mettent en relief la nature de la relation qui existe entre le droit
moderne et le droit coutumier à l’ère des droits fondamentaux. Il a été donné de
constater que le droit coutumier conserve une zone de liberté car c’est lui qui
précise tant la symbolique que la valeur de la dot. Or, le principe de la liberté de
détermination du prix de la dot peut donner lieu à divers abus. C’est la raison
pour laquelle le droit moderne intervient pour encadrer et limiter l’influence de
certaines pratiques coutumières. Seulement, les actions du législateur
rencontrent encore la réticence des populations dans une Afrique profondément
ancrée dans les traditions. Cette confrontation permanente se fait au détriment
des droits et libertés fondamentaux. Il revient par conséquent aux futurs époux
de se rebeller contre les pratiques coutumières dévoyées avec le temps.

1001
Avec ce que cela comporte comme mariages exogamiques.
1002
G.-A. KOUASSIGAN, L’homme et la terre. Droits fonciers coutumiers et droit de propriété en
Afrique centrale, Paris, Orstom, 1966, p. 15 et s.

400
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

LE RETOUR DU SALARIÉ DANS

L’ENTREPRISE

Zakari ANAZETPOUO - Maître de Conférences1003

et

Carole KEMTA PEWO - Doctorante - Faculté des Sciences Juridiques et Politiques

de l’Université de Dschang

____________________

1003
anazetpouoz@yahoo.fr

401
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

I. Résumé

Le retour du salarié dans l’entreprise est une variante de la stabilité du lien


contractuel. Il suppose au préalable un lien actif ou passif de travail entre un
employeur et un salarié.
En effet, le retour du salarié peut intervenir à la suite de la suspension de
son contrat de travail. Les parties peuvent décider, d’un commun accord, des
modalités du retour du salarié après la période de suspension. Elles seront par
conséquent tenues au respect non seulement de leur volonté, mais aussi des
dispositions d’ordre public destinées à garantir la dignité du salarié.
Le retour du salarié peut également intervenir après un acte de rupture du
contrat de travail. C’est le cas en matière de licenciement, notamment lorsqu’il
aura été déclaré nul et de nul effet ou en application d’une disposition légale ou
conventionnelle. L’employeur est tenu de réintégrer le salarié à son poste ou à
un poste équivalent, s’il en demande. Il est également reconnu en faveur du
salarié victime d’un licenciement pour motif économique, une priorité de
réembauchage dans la même entreprise.

402
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Tout contrat de travail est à exécution successive, dès lors qu’il est
régulièrement formé. Il doit donc être exécuté pendant un temps plus ou moins
long1004. C’est dire que le travail salarié n’est pas une marchandise dont on
exigerait la facture pour en être définitivement propriétaire et en disposer à sa
guise dès le premier jour1005. Il faut prendre en considération non seulement les
exigences de la législation du travail, mais aussi la volonté des parties au contrat
et les vicissitudes1006 liées notamment au temps de l’exécution du travail. La
conjugaison de tous ces facteurs peut justifier l’absence d’un salarié du lieu de
travail sans interdire son retour futur.
En effet, le retour du salarié dans une entreprise peut être envisagé comme
l’expression de la volonté des parties au contrat du travail à assurer la continuité
de leur engagement1007. Ce retour peut ensuite être compris comme une sanction
de l’irrégularité de la procédure de rupture du lien contractuel, plus précisément
en cas de licenciement. Il peut enfin s’agir d’une mesure de faveur prévue par
une convention ou un acte réglementaire. Mais le tout n’est pas simple.
Il faut en effet situer le revenant dans un milieu qui a éventuellement
changé parce qu’il doit découvrir son nouvel employeur1008, s’adapter à un
nouveau poste de travail1009, exiger la prise en compte de ses nouvelles aptitudes
professionnelles, servir dans un groupe d’entreprises1010, subir les modifications

1004
Si on ne prend que le cas de l’emploi occasionnel, le contrat du travail peut s’étaler sur une
durée de quinze (15) jours, renouvelable une fois.
1005
ANAZETPOUO (Z.), « La dimension plurielle du contrat de travail au Cameroun », in Mélanges
en hommage au Doyen Stanislas MELONÉ, (dir.) Jeanne Claire MEBU NCHIMI, P. U. A., Yaoundé,
2018, p. 551.
1006
Cf. YANKHOBA NDIAYE (I.), Les vicissitudes de l’entreprise et le sort de l’emploi, Thèse de
Doctorat d’Etat, Université CheckAntaDiop, Dakar, Sénégal,1988.
1007
En effet, le retour d’un salarié à son lieu de travail peut justifier le départ d’un autre notamment
de celui qui n’était là que par nécessité de continuité des activités de l’entreprise, cf. NYAMA
(J.M.), Droit et contentieux du travail et de la sécurité sociale au Cameroun, PUCAC, Yaoundé,
2012, p. 105.
1008
Article 42 du Code du travail du 14 aout 1992.
1009
Suite à une réorganisation des postes de travail ou de l’entreprise.
1010
Cf. ANAZETPOUO (Z.),« La dimension plurielle du contrat de travail au Cameroun », article
précité, p. 559.

403
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

dans l’organisation du travail suite notamment aux difficultés économiques1011,


veiller à ce que son ancienneté ne souffre pas de son absence du lieu de
travail1012. Comment reconstituer positivement la carrière du salarié qui doit
revenir dans une entreprise après un long moment d’absence à la suite de la
suspension ou de la rupture de son contrat de travail ? Voilà l’enjeu majeur de la
présente réflexion.
Pour répondre à une telle préoccupation, il faut interpeler simultanément
le salarié et l’employeur. Du côté du salarié, son retour peut être compris comme
un moyen de lutte contre la précarité des emplois, en application de l’article 2
alinéa 1 du Code du travail du 14 août 1992. Que peut-on attendre d’un homme
réduit à la solitude, à l’inquiétude et à l’indignité sociale1013? Pour l’employeur, le
retour de son collaborateur dans l’entreprise peut être diversement apprécié. En
effet, il peut être interprété comme la victoire du droit sur les caprices des chefs
d’entreprise et justifier une reprise conflictuelle des relations de travail. Il faudra
donc exiger des parties le respect non seulement des conditions d’exécution du
contrat reconduit, mais aussi des effets financiers à partir du jour de la
conclusion du contrat initial. Un tel retour peut aussi être vivement sollicité par
un chef d’entreprise qui n’entend pas se séparer définitivement de son personnel
compétent, question d’entretenir la productivité et la compétitivité dans le temps.
Alors la question sera de savoir ce que gagne un tel salarié à qui on demande de
mettre en veilleuse sa liberté contractuelle pour servir la cause d’une seule et
même entreprise pendant des périodes discontinues de travail.
La satisfaction des exigences susvisées dépendra de la cause de
l’absence du salarié de son lieu de travail. Une simple suspension du contrat de

1011
Article 40 du Code de travail.
1012
Cf. DJUIKOUO (J.), La suspension du contrat de travail en droit privé camerounais, Thèse
Doctorat 3è cycle en droit du travail, Faculté de droit et des sciences économiques, Université de
Yaoundé, février 1986 ; voir aussi, DJOTANG-NGNIA (R.M.), L’ancienneté du salarié en droits
français et camerounais, l’Harmattan, Paris, 2000.
1013
ANAZETPOUO (Z.), Le droit du non-travail, Thèse de Doctorat 3ème cycle, Université de
Yaoundé II-Soa,p. 197 ; NGUIHE KANTE (P.) « Comment assurer une plus grande protection
sociale des salariés privés d’emploi ? » Juridis Info n° 4 octobre-novembre-décembre 1990,
PP.53-57.

404
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

travail suppose le retour futur du salarié à partir du jour de la disparition du motif


de la suspension (I). Mais la rupture du lien de travail à la suite d’un acte de
licenciement ne permet de parler du retour du salarié que dans des hypothèses
exceptionnelles, car l’on ne peut pas imposer un salarié à un chef d’entreprise,
par respect de la liberté de travail (II).

I. Le retour du salarié dans l’entreprise à la suite de la suspension de son

contrat de travail

Il est difficile d’être toujours assidu et ponctuel à son poste de travail. En


effet, plusieurs évènements peuvent justifier la suspension d’un contrat de
travail. Les hypothèses de suspension du contrat de travail telles que prévues à
l’article 32 du Code du travail répondent donc à la logique de gestion
prévisionnelle des ressources humaines. Il s’agit d’une technique de protection
de l’emploi consistant à maintenir le lien contractuel malgré un évènement qui
entraine l’inexécution des obligations nées du contrat1014.Mais toutes les
hypothèses de suspension du contrat de travail ne bénéficient pas de la même
attention de la part du législateur social. Pour certaines de ces hypothèses, la loi
précise la durée de la suspension. C’est le cas de l’absence pour maladie non
professionnelle1015, du congé de maternité1016, de la mise à pied du salarié1017, de
l’éducation ouvrière1018et de l’absence du travailleur appelé à suivre son conjoint
ayant changé de résidence habituelle, en cas d’impossibilité de mutation1019.Pour

1014
TCHOKOMAKOUA (V.) et KENFACK (P-E.), Droit du travail camerounais, PUA, Yaoundé, 2000,
p. 68.
1015
Article 32 (c) du CT. Ici, le travailleur malade voit son contrat suspendu pour une durée limitée
à 6 mois.
1016
Article 32 (d) du CT ; d’après l’article 84 ce congé de maternité est de quatorze semaines qui
commence quatre semaines avant la date présumée de l’accouchement. Ce congé peut être
prolongé de six semaines en cas de maladie dûment constatée et résultant, soit de la grossesse,
soit des couches.
1017
Il s’agit de la mise à pied disciplinaire (art 30al 2),, de la mise à pied économique ( Art 40 al 6),
et de la mise à pied conservatoire (Article 130 al 4) du CT.
1018
Article 32 (f) du CT. Ce congé a une durée de 15 jour ouvrable.
1019
Article 32 (j) du CT. Cette durée est de 2 ans renouvelable.

405
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

d’autres hypothèses plus délicates de suspension, aucun délai n’est


expressément prévu. Ainsi, le contrat de travail est suspendu pour une durée
indéterminée en cas de fermeture de l’établissement à la suite du départ de
l’employeur sous les drapeaux1020ou pendant la durée du service militaire du
travailleur ou de son rappel sous les drapeaux, quel qu’en soit le motif1021. C’est
aussi le cas des maladies professionnelles1022 et de l’exercice des fonctions
politiques ou administratives résultant d’une élection ou d’une nomination1023.
Dans tous les cas, le lien du travail est maintenu entre les parties parce
que le travailleur devra revenir s’il ne veut pas être accusé de rupture abusive du
contrat1024. Un tel retour peut avoir des effets discontinus selon qu’il est prévu
par une clause conventionnelle (A) ou que les parties abandonnent tout aux aléas
des évènements (B).

A. Le retour prévu par une clause conventionnelle

Le retour d’un salarié dans une entreprise suppose la suspension effective


de son contrat. Or, l’article 32 du Code du travail dresse de manière exhaustive
la liste des motifs de suspension du contrat de travail. Il s’agira donc de dire que
ne constituent pas un motif de suspension du contrat de travail, notamment
l’absence pour activités syndicales1025, les déplacements occasionnels ou

1020
Article 32 (a) du CT.
1021
Article 32 (b) du CT.
1022
Article 32 (g) du CT.
1023
Article 32 (h) du CT.
1024
Le départ définitif du salarié après le temps de suspension de son contrat s’analyse en un
abus du droit de rompre. En effet, de la même manière que l’on demande à un employeur
d’attendre la reprise du travail pour licencier le salarié, ce dernier ne saurait profiter du temps de
relâchement de son lien contractuel à la suite d’une simple suspension de ses activités pour
démissionner.
1025
Dans les Conventions collectives de travail, ce temps d’absence est payé par l’employeur
comme temps de travail effectif suivant l’horaire normal de l’entreprise ; Cf. Article 11, Convention
collective du Commerce, article 9 de la Convention collective nationale des Industries de
transformation, article 7 du Projet de Convention collective des Etablissements de Micro-
finances du Cameroun, article 13 de la Convention collective d’entreprise de la Société CAMRAIL,
article 14 de la Convention collective nationale de la Manutention portuaire, article 11 de la
Convention collective d’entreprise du FEICOM.

406
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

conjoncturels pour raison de service1026, les permissions exceptionnelles


d’absence à l’occasion des événements familiaux1027.
C’est dire que si les parties à un contrat de travail ont, au nom du principe
du consensualisme, la possibilité d’aménager leurs droits et obligations par
rapport au retour dans l’entreprise, elles ne peuvent le faire que dans la limite
des clauses plus favorables au salarié. En d’autres mots, le champ des clauses
conventionnelles (1) doit respecter ce qu’il convient de qualifier d’ordre public
absolu (2).

1. L’évaluation conventionnelle du retour du salarié dans l’entreprise

Le Code du travail de 1992 se distingue des précédents par une plus


grande flexibilité, notamment dans la gestion des ressources humaines1028. Cette
option aboutit à des compromis bénéfiques aux deux parties au contrat de
travail. De manière générale, une telle flexibilité peut se traduire par plusieurs
mécanismes, notamment l'ajustement des flux de production et des processus
organisationnels impliquant une plus grande adaptabilité de l'organisation de
production. À travers cette flexibilité, le législateur social évite, comme l’a bien
mentionné un auteur, « de sacrifier l’individuel et le contrat de travail sur l’autel
du collectif et des relations professionnelles »1029. En effet, le rôle du contrat de
travail et de la convention collective de travail se trouve concurremment
renforcé, les lois et règlements devenant pratiquement supplétifs. Ces textes
s’appliquent systématiquement, « sauf dispositions plus favorables des contrats

1026
Articles 57 et 58, Convention collective du Commerce ; articles 35 et 36 de la Convention
collective nationale des Industries de transformation ; articles 65 et 66 du Projet de Convention
collective des Etablissements de Micro-finances du Cameroun.
1027
Article 64 de Convention collective nationale du Commerce, article 42 de la Convention
collective nationale des Industries de transformation, article 44 de la Convention collective
nationale de la Manutention portuaire, article 78 de la Convention collective d’entreprise de la
Société CAMRAIL, article 72 de la Convention collective d’entreprise du FEICOM.
1028
Cf. NYAMA (J.M.), « Diversité de l’emploi et flexibilité », Revue Juridique Africaine (RJA),1994,
pp.129 et s.
1029
ANAZETPOUO (Z.), Le système camerounais des relations professionnelles, PUA, Yaoundé,
2010,p. 37.

407
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

individuels du travail et des conventions collectives de travail »1030. Grâce à cette


formule, le législateur social camerounais confie aux parties lors d’une
négociation, le soin de fixer des règles plus favorables relatives aux principes
généraux du droit du travail1031. C’est le cas notamment en ce qui concerne la
reprise du travail par le salarié à l’issue de la suspension de son contrat de travail.
Le législateur social, pour contrecarrer la fraude des employeurs a, dans
certaines hypothèses, limité la durée de la suspension du contrat de travail. Les
chiffres en matière de délais étant d’ordre public1032, ils ne peuvent être révisés
que si l’on prévoit des dispositions plus favorables au travailleur. Ainsi, les parties
peuvent prévoir, dans leur contrat de travail, convention collective ou accord
d’établissement, des durées de suspension plus longues que celles prescrites
par le Code du travail, ceci dans l’intérêt du salarié. Cela se comprend plus
aisément lorsque les divers avantages financiers sont maintenus.
En effet, le salarié qui revient dans son milieu de travail bénéficie non
seulement de la reconduction de son ancienneté1033 mais aussi des divers
avantages financiers, notamment ceux qui récompensent la stabilité du lien de
travail. Quand cette façon de faire est respectée, le prolongement de la
suspension du contrat au-delà du temps réglementaire n’est plus vu comme un
obstacle au retour dans l’entreprise1034.

1030
Article 89 (1) du CT.
1031
Il incombe à l’État la fixation des principes généraux applicables aux rapports des salariés et
des employeurs dans leurs professions ; à côté de ce domaine partagé du législatif et du
réglementaire d’une part et des interlocuteurs sociaux d’autre part : à ces derniers incomberait le
soin de négocier les modalités d’application des principes généraux fixés par la loi.
1032
DONGMO (A.), La notion d’ordre public en droit du travail camerounais, Mémoire de Maîtrise,
Université de Yaoundé, Droit privé, 1987, cité par ANAZETPOUO (Z.), « Le droit camerounais du
travail en chiffres », in Annales de la FSJP de l’Université de Dschang, Tome 1, Vol. 2, 1997, p. 99.
1033
NGNIA-DJOTANG (M.), La notion d’ancienneté du salarié : approche comparative des
législations françaises et camerounaises en droit du travail, thèse de Doctorat, Université Robert
SCHUMAN, Janvier 2006.
1034
Les partenaires sociaux, dans le souci d’assurer une bonne formation au salarié, peuvent
envisager une durée de congé de formation plus longue que celle du Code du travail fixée à 15
jours (Article 32 (f) du CT) ; C’est le cas de la Convention Collective d’Entreprise du Fonds spécial
d’équipement et d’intervention intercommunale (FEICOM) qui, dans son article 28 alinéa 4
précise que« dans la mesure du possible, l’employeur accorde au salarié qui en exprime le besoin,
un congé-formation dont les modalités sont définies d’accord parties ». L’article 73 de la même

408
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

En cas de chômage technique par exemple, les parties doivent préciser la


durée de la suspension. Cette exigence est difficile à respecter étant donné qu’il
sera illusoire que l’employeur fixe avec précision la date à laquelle les difficultés
seraient surmontées. Une telle exigence est toutefois importante, car les
travailleurs ne se plairont pas à rester indéfiniment en situation de chômage
technique. Mais rien n’empêche les parties d’aller au-delà de la durée légale de
suspension. En effet, une disposition conventionnelle qui prévoit une mise en
chômage pendant une période supérieure à six mois tout en maintenant la totalité
du salaire n’est pas nécessairement défavorable au travailleur1035. Le chômage
technique ne peut avoir des effets identiques dans la trésorerie de toutes les
entreprises ; il est louable de laisser les employeurs y aller en fonction de leurs
forces de résistance tout en respectant le minimum légal1036. Seulement, il s’agit
ici d’une mesure qui doit être appréciée avec réserve, du moins en ce qui
concerne la dignité du salarié mis en chômage technique. Le retour du salarié
dans son entreprise à la suite d’un chômage technique doit donc rester une
préoccupation majeure du chef d’entreprise, car le contrat de travail ne procure
pas que de l’argent. Le travail demeure parfois vécu comme un moyen de se
retrouver en collectivité, d’ouvrir l’existence individuelle sur des réalités
collectives1037.Le salarié mis en chômage technique pour une durée indéterminée,
même s’il perçoit la totalité de son salaire, verra sa dignité humaine souffrir de
cette inactivité.

convention ajoute : « le travailleur admis en stage de formation professionnelle pour une durée
d’au moins deux mois à l’intérieur du Cameroun et en dehors de son lieu habituel de travail, peut
bénéficier d’un congé de détente rémunéré ».
1035
TPI de Yaoundé, Jugement n° 93/ Soc du 12 juillet 1994, affaire NEME NGONO Martin c/ La
COOPLACA ;voir aussi article 29 de la Convention collective nationale des transporteurs
maritimes, transitaires et auxiliaires de transports, article 34 de la Convention collective
nationale des Hôtels, restaurants, cafés, bars et dancings.
1036
ANAZETPOUO (Z.), « Commentaire de l’arrêté n° 001/CAB/MTPS du 14 février 1995 fixant les
taux d’indemnisation pendant la période de suspension du contrat de travail pour cause de
chômage technique », in J.P. n° 52, Oct.-Nov.-Déc. 2002, p. 13.
1037
LE ROY (Th.), « Droit du travail ou droit du chômage ? », Droit social n° 6, juin, 1980, p. 76.

409
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

De tous les évènements qui nuisent à la vie du salarié, les maladies et les
accidents sont les plus redoutables à cause de leurs répercussions tant sur sa
personne que sur sa relation de travail. Ainsi, en cas d’indisponibilité du travailleur
résultant d’une maladie même non professionnelle, le contrat de travail est
suspendu jusqu’à la consolidation de l’état du travailleur1038. Pour garantir son
retour dans l’entreprise, le salarié doit informer l’employeur de son état, et lui
transmettre le certificat médical dans les plus brefs délais1039. La reprise du travail
est subordonnée « à la présentation d’un certificat médical de guérison ou de
consolidation, sauf lorsque le médecin a indiqué dans son certificat initial la date
de reprise du travail et qu’aucun élément nouveau n’est intervenu de nature à
reporter à une date ultérieure ladite reprise »1040. Ce faisant, le salarié doit
informer l’employeur de l’évolution de sa maladie. Une fois guéri, il retrouve
naturellement son emploi. L’employeur n’a pas le droit d’interdire au salarié de
reprendre le travail après sa guérison, sinon son acte sera considéré comme un
licenciement déguisé. Cette position est partagée par le juge de la Cour Suprême
lorsqu’il affirme que « jusqu’à la notification au travailleur malade de son
remplacement, le contrat de travail demeure suspendu et la réintégration du
salarié est de droit »1041.
En effet, le travailleur qui recouvre sa santé par exemple trois mois après
la suspension du contrat de travail, doit pouvoir reprendre ses activités.
L’employeur ne peut insérer dans le contrat une clause refusant un tel retour. De
même, lorsque la maladie du travailleur va au-delà de la durée légale, l’employeur
ne peut se débarrasser de son collaborateur qu’après son remplacement effectif.
C’est ce qu’a retenu la Cour Suprême lorsqu’elle soutient qu’est insuffisamment

1038
Article 32 (c) du CT. Cf. TCHOKOMAKOUA (V.) et KENFACK (P. E.), Droit du travail
camerounais, PUA, Yaoundé, 2000, p. 69.
1039
La convention collective nationale du Commerce de 2017 prévoit à cet effet un délai de trois
jours ouvrables (article 36 (1)).
1040
Article 36 (3) de la Convention Collective Nationale du Commerce et articles 30(5) et 32(5)
de la Convention Collective d’Entreprise du FEICOM.
1041
C.S. arrêt n° 120 du 13 juin 1967, affaire Baccino c/ Béni Béni ; voir aussi TGI du Mfoundi,
jugement n° 25/SOC du 11 novembre 2002, affaire LITASSOU Maurice c/ Société BELEPAC.

410
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Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

motivé l’arrêt qui décide que l’employeur peut légitimement rompre un contrat de
travail suspendu depuis plus de six mois pour cause de maladie, s’il ne constate
pas le remplacement du travailleur prévu par l’article 47 du Code du travail1042.
Mais il ne suffit pas de faire rentrer le salarié dans l’entreprise. Il ne doit
faire l’objet d’aucune discrimination ou négligence du fait de son état de santé
antérieur1043. L’employeur doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour assurer
au salarié un emploi compatible avec son état de santé1044.Les dispositifs de
protection et d’accompagnement du salarié ont destinés d’une part à le prémunir
contre la perte de son emploi au seul motif qu’il serait malade, et d’autre part, à
assurer à l’employeur la stabilité de son personnel, question d’entretenir la
compétitivité et la productivité de l’entreprise. Une telle disposition implique pour
l’employeur l’obligation de redéfinir les tâches du travailleur diminué par la
maladie ou l’accident1045. Le décret n° 78/484 du 9 novembre 1978 fixant les
dispositions communes applicables aux Agents de l’État relevant du Code du
Travail a prescrit cette obligation en son article 11, mais restreint son champ
d’application à l’hypothèse d’une inaptitude résultant d’un accident de travail ou
d’une maladie professionnelle. Seules les conventions collectives de travail et
accords d’établissement sont allés plus loin en étendant ce champ d’application
aux maladies non professionnelles ou accidents non imputables au travail. Pour
certaines conventions collectives, le reclassement est une obligation de

1042
C.S., arrêt n° 135 du 24 septembre 1968, affaire NYEM Emmanuel c/ Société AGIP Cameroun.
1043
NGO NGUI (S.E.), Le SIDA et les relations professionnelles, Mémoire de DEA, Université de
Yaoundé, 2004, pp 29-30 ; CA de Paris, 10 avril 1991, affaire SARL BURKE MARKETING
RESEARCH c/ MD ; en l’espèce, le salarié atteint du SIDA a été déclaré apte par le Médecin du
travail à reprendre son poste. Seulement, l’entreprise a repris le versement du salaire sans mettre
le salarié en mesure d’effectuer réellement le travail pour lequel il est rémunéré. La Cour saisie, a
jugé cette situation « anormale, incertaine dans sa durée et moralement humiliante ».
1044
KOM (J.), « Droit du travail et maladie non professionnelle » in Revue Juridique Africaine,
1994, p. 225.
1045
TCHAKOUA (J-M.), « Droits fondamentaux, corps et intégrité physique du salarié », Annales
de la FSJP de l’Université de Dschang, T.1 V.1, 1997, p. 35.

411
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

l’employeur1046 tandis que pour d’autres, c’est une simple faculté1047. Ainsi,
certains employeurs avertis recourent à l’aménagement du poste de travail du
salarié malade et parfois, envisagent même des mi-temps thérapeutiques pour
ce dernier.

2. L’évaluation du retour du salarié par renvoi à la législation sociale

Il est question ici des règles d’ordre public absolu. Les partenaires sociaux
peuvent négocier sur tout sauf sur les matières relevant de cet ordre. L’article 52
(2) du Code du travail précise en effet que les conventions et accords collectifs
plus favorables «ne peuvent déroger aux dispositions d’ordre public ». Les
dispositions d’ordre public absolu touchent à l’intérêt général, aux droits
fondamentaux de l’homme et à ses libertés individuelles et collectives. C’est le
cas du congé de maternité de la femme salariée. C’est un droit fondamental
auquel les parties ne peuvent déroger.
Ainsi, pendant la période du congé de maternité, le contrat de travail est
suspendu et la salariée doit retourner dans l’entreprise à la fin dudit congé. En
effet, la femme enceinte a le droit de suspendre son contrat avant et après
l’accouchement, conformément à l’article 84 alinéa 2 du Code de travail qui
dispose : « Toute femme enceinte a droit à un congé de maternité de quatorze
(14) semaines qui commence quatre (4) semaines avant la date présumée de
l’accouchement ». Ce congé peut être prolongé de six (6) semaines en cas de
maladie dûment constatée et résultant soit de la grossesse, soit des couches.
Pendant la durée du congé, l’employeur ne peut rompre le contrat de travail de
l’intéressée pour motif de grossesse. En plus, à la fin du congé de maternité, la
femme salariée doit en principe occuper le poste qu’elle avait avant son départ,
et si elle a été remplacée pendant ladite période, le contrat de remplacement doit

1046
Article 41 de la convention collective des établissements de micro-finances ; article 32 de la
convention collective nationale des entreprises d'exploitation, de transformation, des produits
forestiers et activités annexes.
1047
Article 22 (2) de la convention collective nationale de la Manutention portuaire

412
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

prendre fin dès son retour1048. Notons également que l’employeur ne doit, sous
aucun prétexte, écourter la durée légale du repos pour obliger lafemme salariée
à retourner dans l’entreprise. À côté de ces hypothèses de retour suivant une
clause conventionnelle ou irréductible, le retour du salarié peut aussi être
simplement supposé.

B. Le retour simplement supposé du salarié dans l’entreprise

Le retour du salarié peut n’être prévu ni par le législateur ni par les parties.
Dans cette hypothèse, le retour du salarié dans l’entreprise sera conditionné par
le cours des évènements. C’est le cas en matière de lock-out et de grève au sein
de l’entreprise où la reprise du travail est simplement supposée.
Le lock-out peut être défini comme la fermeture provisoire de l’entreprise
par l’employeur en vue, soit de prévenir, de briser ou de sanctionner une grève,
soit de faire face aux difficultés de maintien de l’activité de l’entreprise1049. Dans
l’exercice de son pouvoir de gestion, l’employeur peut prendre une telle mesure
non seulement pour maintenir l’ordre et la sécurité mais aussi pour sauvegarder
l’outillage nécessaire à la production de l’entreprise. Le législateur social
camerounais, dans sa liste des cas de suspension du contrat de travail, ne
mentionne pas le lock-out1050. Pour la doctrine, c’est plus une cause de
suspension qu’une cause de rupture, car celui qui en prend l’initiative suspend
tout simplement sa prestation contractuelle pour faire aboutir sa prétention dans
un conflit collectif1051. Ainsi, au jour de la reprise des activités de l’entreprise, tout

1048
TPI de Bafoussam, jugement n° 07/SOC du 03 octobre 1997, affaire DONKENG née YIMPO
Odile c/ Nouvelles Savonnerie de l’Ouest. Dans cette affaire, l’employeur sous prétexte de
suppression de poste de travail, a rompu le contrat de travail de dame DONKENG à l’issue de son
congé de maternité, après avoir recruté une autre personne pour la remplacer.
1049
ANAZETPOUO (Z.), Le système camerounais des relations professionnelles, op.cit. p. 143.
1050
Contrairement au législateur camerounais, d’autres législateurs africains ont pris le soin
d’aligner expressément le lock-out au rang des causes de suspension du contrat de travail. C’est
notamment le cas au Burkina Faso (article 93 (7) du CT) ; en République Démocratique du Congo
(article 57(6) du CT) ; au Sénégal (article L.70 (6) du CT).
1051
PIATA (E.), Le salaire d’inactivité en droit camerounais du travail, Mémoire de Master,
Université de Dschang, 2010, p. 43.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

se passe comme s’il n’y avait pas eu d’arrêt. L’employeur doit logiquement
reprendre les travailleurs après le lock-out1052.Pour sa part, le travailleur dont le
contrat de travail aurait été suspendu suite au lock-out, ne peut se faire
embaucher par un autre employeur pendant toute la période de ladite suspension
sous peine d’engager sa responsabilité pour rupture abusive du contrat.
Que faire lorsque la durée de la suspension n’est pas prévue par les
textes ? Une durée assez longue ne mettrait-elle pas en péril le droit à l’emploi
du salarié ? Le mutisme du législateur social camerounais sur la réglementation
du lock-out laisse libre champ aux abus des employeurs qui, bien qu’étant en
situation critique, ne s’empressent pas pour résoudre le conflit collectif ayant
entrainé la fermeture de l’entreprise. On pourrait bien suivre l’exemple du
législateur social du Malawi qui, bien que n’ayant pas précisé une durée pour le
lock-out, exige que la reprise du travail se fasse dans un délai raisonnable : « si
un salarié qui a participé à une grève dans les conditions de la présente loi, ou
qui a fait l'objet d'un lock-out de la part de son employeur, se présente pour
travailler après la fin de la grève ou du lock-out, l'employeur devra, dans un délai
raisonnable, réintégrer ce salarié dans l'emploi qu'il occupait aussitôt avant la
grève ou le lock-out, à moins que des changements importants dans
l'exploitation de l'employeur ne se soient traduits par une suppression de l'emploi
considéré »1053.
S’agissant de la grève, elle est définie à l’article 157 alinéa 4 du Code du
travail comme le refus collectif et concerté par tout ou partie des travailleurs d’un
établissement de respecter les règles normales de travail en vue d’amener
l’employeur à satisfaire les réclamations ou revendications. À la lecture de ce
texte, il convient de souligner que le droit de grève est admis, mais doit s’exercer
suivant la réglementation en vigueur. La grève se caractérise par un abandon du
travail qui entraîne par ailleurs plusieurs conséquences.

1052
TCHAKOUA (J.M), « La grève et le lock-out dans le nouveau Code du travail camerounais »,
RJA, 1994, p. 102.
1053
Article 50 (1) de la loi de 1996 sur les relations du travail au Malawi (modifiée par
l’EmploymentAct, 2000).

414
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Il faut donc penser au retour du salarié dans l’entreprise à l’issue du


mouvement d’humeur. En d’autres termes, les parties doivent reprendre leur
relation de travail sans rancune ni tricherie. C’est l’unique manière d’exprimer
dans les faits le droit à la stabilité de l’emploi, lequel devrait être réactivé même
en cas de licenciement.

II. Le retour du salarié à la suite d’un acte de licenciement

Il faut trouver un équilibre entre la préservation du droit de licencier un


travailleur et la garantie que ce licenciement est juste, qu’il constitue le dernier
recours et qu’il ne produira que les effets prévus par la réglementation en
vigueur1054. En d’autres mots, il faut assurer le salarié de son droit de retourner
dans une entreprise chaque fois que la rupture de son contrat est expressément
qualifiée de nul et de nul effet ou justifiée par un motif économique.
Pour ce faire, le législateur social apporte des garde-fous à la liberté de
contracter et de rompre un contrat de travail. Il donne la possibilité au travailleur
de retourner dans l’entreprise soit parce que son licenciement est nul (A), soit
parce qu’il bénéficie d’une priorité de réembauchage dans la même entreprise
chaque fois que son départ est la suite logique d’un dysfonctionnement
économique de la structure (B).

A. Le licenciement nul et le retour du salarié dans l’entreprise

Le législateur social camerounais utilise plusieurs vocables pour signifier


le non-respect de la législation en matière de licenciement : licenciement
déguisé, licenciement irrégulier, licenciement abusif, licenciement nul.

ANAZETPOUO (Z.), Le système camerounais des relations professionnelles, op. cit. pp. 195-
1054

196.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Quand il y a licenciement nul, le contrat de travail subsiste, car les parties


sont censées n’avoir jamais rompu la relation de travail1055. À quoi renvoie le
licenciement nul si la victime peut tout avoir sauf la reprise de son travail? Le
législateur social matérialise le caractère nul d’un licenciement de plusieurs
manières. Il le fait de façon expresse à travers des expressions telles « nul(le) et
de nul effet », « à peine de nullité absolue », « nul(le) de plein droit ». Ces
expressions sont utilisées pour le licenciement d’un travailleur en raison de son
affiliation ou de sa non-affiliation à un syndicat ou de sa participation à des
activités syndicales1056 et celui d’un délégué du personnel sans autorisation
préalable de l’inspecteur du travail du ressort1057. Il en est de même pour le
licenciement des travailleurs grévistes1058. Pour d’autres hypothèses de
licenciement, la nullité est simplement supposée. C’est notamment le cas d’un
licenciement portant atteinte au droit de procréation de la femme1059. Dans ce
cas précis, le législateur n’autorise pas l’employeur de rompre le contrat de travail
de la femme enceinte une fois son état constaté et pendant le congé de
maternité. La maternité relevant d’une liberté individuelle fondamentale de la
femme1060, le fait pour le législateur social de refuser à l’employeur d’y porter
atteinte à travers un acte de licenciement, peut justifier le caractère nul de ce

1055
POUGOUE (P.G.), « Réflexion sur la protection des délégués du personnel contre le
licenciement », Le Monde du travail, n° 33, mars 1985, pp.24 et s.
1056
Article 4 (2 b) et (3) du Code du travail : « Sont interdits à l’égard des travailleurs toute pratique
tendant à les licencier ou leur causer un préjudice quelconque en raison de leur affiliation ou de
leur non-affiliation à un syndicat ou de leur participation à des activités syndicales.Est nul et de
nul effet tout acte contraire aux dispositions du présent article. »
1057
Article 130 du Code du travail : « Tout licenciement effectué sans que l’autorisation ci-dessus
ait été demandée et accordée est nul et de nul effet ».
1058
Article 243 du Projet d’Acte Uniforme relatif au Droit du Travail : « La grève n’est pas une cause
de rupture du contrat de travail, sauf faute lourde imputable au travailleur. Tout licenciement
prononcé en violation du présent article est nul de plein droit. ».
1059
Article 84 alinéas 1 et 2 du Code du travail.
1060
AUVERGNON (Ph.), « Corps et contrat de travail : Quels droits fondamentaux ? », Annales de
la FSJP de l’Université de Dschang, T 1 Vol 1, 1997, p. 60.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

dernier1061. Tout compte fait, que la nullité du licenciement soit expresse ou


supposée, elle produit des effets.
Le contrat de travail subsiste et chacune des parties est tenue de
respecter les clauses qui les lient. Le licenciement est réputé n’être jamais
intervenu. Le travailleur devrait normalement recouvrer son emploi. Ainsi,
l’employeur est tenu de réintégrer le salarié à son ancien poste de travail (1),
même si ce processus de réintégration sur le plan sémantique heurte l’idée selon
laquelle le travailleur est réputé n’avoir jamais quitté son emploi1062. Toutefois,
certains obstacles parfois indépendants de la volonté de l’employeur peuvent
justifier l’occupation par la victime d’un poste équivalent ou approximatif (2).

1. Le retour du salarié à son ancien poste de travail

L’employeur qui viole les dispositions de la loi s’expose à des sanctions. En


effet, la loi précise la part de ce qui est permis et annonce la sanction de ce qui
ne l’est pas1063. C’est suivant cette logique que le législateur social camerounais
prescrit à l’alinéa 1 de l’article 130 du Code du travail que « tout licenciement d’un
délégué du personnel, titulaire ou suppléant, envisagé par l’employeur est
subordonné à l’autorisation de l’inspecteur du travail du ressort ». L’alinéa 3 du
même article ajoute que « tout licenciement effectué sans que l’autorisation ci-
dessus ait été demandée et accordée est nul et de nul effet ». Ainsi, le
licenciement d’un délégué du personnel en violation des prescriptions légales est
nul et de nul effet. Malheureusement, très souvent, le juge social camerounais y
voit plutôt une rupture abusive du contrat de travail, sanctionnée par l’octroi des
dommages et intérêts1064. Cette approche jurisprudentielle est partie d’une

1061
Le législateur social camerounais aurait dû suivre l’exemple de son homologue français qui
prévoit expressément que le licenciement prononcé en violation des règles protectrices de la
maternité est nul (article L.122-27 du Code du travail français).
1062
POUGOUE (P-G.), Code du travail camerounais annoté, PUA, Yaoundé, 1997, p. 199.
1063
ANAZETPOUO (Z.), Le droit du non-travail, op.cit. p.175.
1064
Tribunal de Première Instance de Bafoussam, jugement n°07/Soc du 03 octobre 1997, affaire
DONKENG née YIMPO Odile c/ Nouvelle Savonnerie de l’Ouest, Cour d’Appel de l’Ouest, arrêt du
03 juillet 1997, affaire NGUENANG Jean Marie c/ La Chambre de Commerce, d’Industrie et des

417
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

mauvaise interprétation de l’article 1142 du Code civil qui dispose : « toute


obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts, en cas
d'inexécution de la part du débiteur ». En effet, le principe posé par cet article, à
savoir l’exécution en nature, est sacrifiée au profit de l’exécution par l’octroi des
dommages et intérêts pour abus de droit1065.
Cette conception conduit les juges à refuser la réintégration d’un salarié
victime d’un licenciement non conforme à la loi en lui accordant simplement des
dommages et intérêts. Ce fut le cas dans l’affaire Amédée Flodh c/ TSIMI Henri1066
rendu par la Cour Suprême. En l’espèce, monsieur TSIMI, délégué du personnel,
a été licencié en violation des dispositions de l’article 167 du Code du travail du
12 juin 1967. La Cour Suprême rejette le pourvoi introduit contre l’arrêt de la Cour
d’appel et confirme la décision selon laquelle ce licenciement est illégal, ce qui
donna droit seulement aux dommages et intérêts à monsieur TSIMI. Dans une
autre affaire1067, la Cour Suprême avait opté pour un licenciement abusif. Ce choix
illustrait la difficulté d’imposer à l’employeur une personne dont il ne voulait plus.
Dans ces affaires, la Haute Cour aurait pu simplement déclarer ces
licenciements nuls et de nul effet et prononcer la réintégration desdits délégués.
C’est ce qu’elle décida plus tard dans les arrêts qui ont fait renaître des cendres
un lieur d’espoir1068. En effet, dans l’arrêt TIEPMA1069, le salarié délégué du
personnel à la CAMAIR avait été licencié sans autorisation préalable de l’autorité
compétente ; les juges du fond déclarèrent son licenciement abusif et lui
allouèrent des dommages et intérêts. L’employeur s’était pourvu en cassation et
la Cour Suprême déclara le licenciement querellé nul et de nul effet sans exiger

Mines : le sieur NGUENANG, délégué du personnel de la CCIM est licencié après la suppression
de son poste, mais sans que l’autorisation de l’inspecteur du travail du ressort ait été sollicitée.
Le premier juge qualifie ce licenciement d’abusif. Devant la cour d’appel, l’employeur estime qu’il
s’agit d’un licenciement légitime parce qu’intervenu après la suppression du poste de travail de
la victime et le juge de cette cour lui donne raison.
1065
ANAZETPOUO (Z.), Le système camerounais des relations professionnelles, op. cit. p. 225.
1066
Cour Suprême, arrêt n° 1/ Soc du 10 octobre 1967.
1067
Cour Suprême arrêt n° 67/ Soc du 29 avril 1982.
1068
ANAZETPOUO (Z.), Le système camerounais des relations professionnelles, op. cit. p. 198.
1069
Cour Suprême, arrêt n° 38/Soc du 28 juin 1990, affaire TIEPMA Jean Calvin c/ CAMAIR.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

la réintégration du salarié. C’est quelques mois plus tard que ladite Cour, dans
l’arrêt n° 7/Soc du 18 octobre 1990, affaire NKAMLA François c/ La Banque
Camerounaise de Développement, ordonna la réintégration du sieur NKAMLA,
délégué du personnel, suite à son licenciement nul. Le salarié doit donc retrouver
son poste de travail dans la même entreprise.
Depuis le Code du travail de 1992, la tendance est maintenue1070. Ce qui
laisse espérer que les balbutiements jurisprudentiels disparaîtront au profit du
souci de la stabilité dans l’emploi. En effet, la suppression de poste n’annule pas
les compétences de l’inspecteur du travail en matière d’autorisation du
licenciement d’un délégué du personnel et la réintégration exigée ne se fait pas
nécessairement au même poste, tant il est vrai que celle-ci peut s’avérer difficile.

2. L’occupation par le salarié d’un poste équivalent ou approximatif

Le salarié protégé, bénéficiant d’une procédure spéciale de licenciement,


a le droit d’être réintégré en cas de violation de la procédure de licenciement. Ce
retour du salarié peut être difficile en cas de suppression du poste de travail qu’il
occupait avant son absence1071. En effet, l’obligation de réintégration d’un
délégué du personnel en cas de licenciement nul serait difficilement accomplie
par l’employeur si son entreprise ne dispose plus de cette institution. Ainsi, le
délégué du personnel qui demande à être réintégré ne peut obtenir gain de cause
pour le même poste si à la suite des difficultés économiques de l’entreprise, ce
poste a été supprimé ou si la période de protection dont il bénéficiait a expiré
avant sa demande en justice. Doit-on par conséquent permettre aux employeurs

1070
Cour Suprême, arrêt n° 15/Soc du 27 octobre 1994, Affaire SONEL c/ NDOYO Thomas ; Cour
d’Appel de Bafoussam, arrêt n° 22/Soc du 1er avril 2010, affaire DEMANOU Dieudonné c/
CAPLAME.
1071
La suppression du poste pour des raisons économiques par exemple peut s’expliquer ici de
plusieurs manières. En effet, les difficultés économiques peuvent résulter notamment de
l’introduction de nouvelles technologies dans l’entreprise, des difficultés financières, du manque
des débouchés. La modernisation de l’entreprise ou sa réorganisation en vue d’un meilleur
rendement entraînent très souvent la suppression d’un poste (ANAZETPOUO (Z.), Le système
camerounais des relations professionnelles, op.cit., p. 184.

419
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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qui licencient par souci de se débarrasser d’un collaborateur encombrant de


porter définitivement atteinte aux droits à la stabilité du lien de travail ?
La possibilité pour la victime d’accepter un poste équivalent ou
approximatif est justement la voie de contournement des caprices des chefs
d’entreprise. Dans tous les cas, le travailleur placé dans cette situation peut
choisir entre les dommages et intérêts dont le montant serait égal au salaire dus
depuis le licenciement jusqu’à la perte de son statut de travailleur protégé1072 et
le retour à un autre poste de travail1073. L’essentiel est qu’il n’y ait pas des
modifications majeures entre le poste perdu et le poste nouvellement occupé.
La notion d’emploi équivalent s’apprécie notamment au regard de la
qualification du salarié ou de sa classification, de la rémunération, de la

1072
ANAZETPOUO (Z.), note sous : Cour d’appel du Littoral, arrêt n° 19/ Soc du 04 janvier 2008,
affaire Hôtel LEUWAT c/ TCHAGNA Flaubert, in Juridis Périodique n° 81, Janv-Fév-Mars 2010, p.
40.
1073
Pour illustration : Arrêt de la Cour de Cassation, chambre sociale, du 17 mai 2017, n° 14-29610.
D’après les faits, une entreprise obtient l’autorisation de l’inspection du travail de licencier pour
motif économique une salariée déléguée du personnel. Cette dernière, contestant son
licenciement, a alors exercé un recours contre la décision de l’inspecteur du travail. Décision qui
a finalement été annulée 6 mois plus tard, alors que le licenciement a déjà été prononcé ; La
salariée a donc souhaité réintégrer l’entreprise. Cependant, le poste de la salariée avait été
supprimé et l’établissement fermé (raison du licenciement économique). L’employeur lui propose
donc immédiatement un poste disponible que la salariée refuse. Environ 7 mois plus tard, un
emploi se libère, équivalent à celui que la salariée occupait avant son licenciement. Mais celle-ci
refusant ce nouveau poste, l’employeur la licencie immédiatement, sans demander l’autorisation
de l’inspecteur du travail, cette fois : d’une part, l’instance des délégués du personnel a été
renouvelée avant l’annulation de la décision de l’inspecteur du travail, privant la salariée du statut
protecteur de son mandat ; d’autre part, il estime qu’au moment de la 2ème proposition d’emploi,
la prolongation de protection de 6 mois avait de toute façon expiré. Ce que conteste la salariée
au motif que la protection de 6 mois dont elle doit bénéficier dans le cadre de sa réintégration a
pour point de départ sa réintégration effective ou du moins le jour où l’employeur lui a proposé
un emploi équivalent à celui duquel elle a été licenciée. Or, seule la deuxième proposition
remplissait cette condition. Ce que confirme le juge : la protection de 6 mois ne débute que
lorsque l’employeur propose au salarié de réintégrer un poste équivalent (en termes de
rémunération, de qualification, de perspectives de carrière et de secteur géographique) à celui
qu’elle occupait mais qui a été supprimé. Dans cette affaire, la salariée était protégée pour 6 mois
de plus au moment de la seconde proposition d’emploi. L’employeur aurait donc dû obtenir
l’autorisation de l’inspecteur du travail.

420
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

localisation géographique et même des avantages de carrière. Il faut éviter de


tout remettre en cause sous le couvert de l’occupation d’un autre poste de travail.
Le retour dans l’entreprise peut également se justifier par la priorité de
réembauche en faveur du salarié licencié pour motif économique.

B. La priorité de réembauchage et le retour du salarié dans l’entreprise

L’article 40 (al. 9) du Code du travail dispose que « le travailleur licencié


bénéficie, à égalité d’aptitude professionnelle, d’une priorité d’embauchage
pendant deux (2) ans dans la même entreprise ». C’est une autre façon
d’exprimer le caractère circonstanciel du licenciement pour motif économique.
Rien n’est reproché au salarié, ni sur le plan professionnel, ni sur le plan
personnel. Le salarié n’est pas responsable de son licenciement. Alors pourquoi
ne pas lui donner la chance de retourner dans la même entreprise dès lors que
les difficultés économiques sont surmontées ?

Le retour du salarié peut se faire de deux manières. La première, c’est la


victime du licenciement qui est reprise dans son ancienne entreprise, la seconde,
c’est un membre de sa famille qui le remplace (2).

1. La priorité de réembauchage au profit du salarié lui-même

Le législateur social camerounais offre au salarié licencié pour motif


économique la possibilité de solliciter une priorité de réembauchage durant un
délai de deux (02) ans à compter de la date de son départ de l’entreprise. C’est
ce qui ressort de l’article 40 alinéa 9 du Code du travail. Le travailleur licencié ne
bénéficie de cette priorité que s’il y a égalité d’aptitudes professionnelles entre
son concurrent à l’emploi et lui. Il n’est cependant pas nécessaire qu’il sollicite un
emploi dans la même catégorie que celle qu’il occupait avant son licenciement.
L’hypothèse de la priorité d’embauche ne résulte pas d’une suspension du

421
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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contrat de travail ; c’est la conséquence logique d’une rupture non fautive d’une
relation de travail. C’est donc une nouvelle embauche1074.

Si le salarié souhaite faire valoir sa priorité d’embauchage, il doit adresser


une demande écrite par lettre recommandée à l’employeur. Ainsi, l'employeur
ayant reçu une telle demande, doit informer le salarié de tout emploi devenu
disponible ou créé dans sa qualification. Notons également que l’employeur n'est
pas obligé d'engager le salarié ayant fait usage de ce droit. Il a seulement
l'obligation d'informer le salarié des emplois disponibles au sein de l’entreprise et
correspondant à sa qualification. La priorité légale ne saurait valoir que si l'ancien
salarié qui souhaite être réembauché remplit toutes les aptitudes
professionnelles correspondant à l'emploi nouvellement offert. En effet, les
modalités de recrutement sont laissées à la discrétion de l’employeur1075.

La priorité de retourner dans son entreprise ne peut s’exercer que lorsque


l’employeur procède à des embauches externes. Dès lors, si un poste compatible
avec la qualification du salarié est vacant dans l’entreprise, l’employeur a
l'obligation de réembaucher prioritairement le salarié, s’il le souhaite. Par
conséquent, l’employeur peut procéder à un recrutement interne sans
contrevenir au respect de la priorité d'embauche d’un salarié licencié pour motif
économique1076. Lorsque le licenciement est intervenu après refus d’une
proposition de modification du contrat de travail pour motif économique,
l’employeur peut réembaucher légitimement sur le même poste, aux conditions
qui avaient été proposées à l’ancien titulaire. Si le salarié licencié a fait valoir sa
priorité de réembauchage, il faudra donc lui proposer le poste aux conditions
initialement refusées. Le salarié qui est réembauché dans l’entreprise après la
rupture de son contrat pour motif économique conclut alors un nouveau contrat
de travail. Son ancienneté dans l’entreprise court à partir du jour de la conclusion

1074
POUGOUE (P-G.), Code du travail camerounais annoté, op.cit. p. 82.
1075
Voir MOUTHIEU (M.A.), note sous arrêt n° 1/S du 7 octobre 1982, in Les grandes décisions du
droit du travail et de la sécurité sociale, JusPrint, 2016, p. 91 et ss.
1076
Cass. Soc. 22 septembre 2009, n° 08- 41679.

422
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

de ce nouveau contrat. Mais dans certains secteurs d’activité, l’intérêt de la


priorité d’embauche réside dans la prise en compte de l’ancienneté dans
l’entreprise depuis le premier jour du premier contrat de travail. En effet,
certaines conventions collectives prévoient d’une part le maintien de l’ancienneté
acquise lors des précédentes embauches dans la même entreprise si les départs
précédents ont été provoqués par un licenciement pour motif économique1077 et
d’autre part, la possibilité pour un membre de la famille du salarié de se faire
embaucher à sa place.

2. La priorité d’embauchage d’un membre de la famille du salarié licencié

La liberté pour un employeur de recruter qui il veut et quand il veut répond


aux exigences du capitalisme qui exige que celui crée son entreprise la gère avec
des collaborateurs de son choix. Mais le licenciement pour motif économique
peut constituer un coup dur dans la productivité et la compétitivité d’une
entreprise, car les partants pourraient être constitués essentiellement des gens
dont l’entreprise a encore le plus urgent. Et si au moment de la reprise des
activités, un ex-employé a atteint l’âge de la retraite, souffre d’une invalidité ou
refuse tout simplement de revenir, l’employeur peut toujours lui demander de se
faire remplacer par un membre de sa famille, question de bénéficier toujours de
son expérience professionnelle, à travers son remplaçant.
La législation sociale camerounaise reconnait une plus grande liberté
contractuelle aux parties. Ce qui aboutit à une flexibilité favorisant un système
ouvert des relations professionnelles dans lequel toutes les parties trouveront
leur compte. C’est le cas de la liberté d’embauche. Une telle liberté a pour
corollaire immédiat le droit pour l’employeur de choisir entre les différents
demandeurs d’emploi tout en restant objectif. C’est la liberté laissée à
l'employeur de créer des postes d'emploi, de choisir ses futurs salariés ainsi que

Cf. NGNIA-DJOTANG (M.), La notion d’ancienneté du salarié : approche comparative des


1077

législations françaises et camerounaises en droit du travail, op.cit.

423
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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la forme ou la nature de l’emploi en fonction du poste de travail à pourvoir. En


plus, une gamme d'incitations financières est prévue par la loi pour encourager
les entreprises à embaucher certaines catégories de demandeurs d'emploi1078,
mais sans réellement les y contraindre. On ne peut donc dans le contexte
camerounais parler de l’obligation de conclure des contrats de travail, l'acte de
conclure ou de ne pas conclure un contrat de travail s'inscrivant avant tout dans
l'exercice de la liberté contractuelle.
En effet, à la suite d’un licenciement pour motif économique, l’employeur
peut décider d’embaucher non pas le travailleur licencié, mais un membre de la
famille de ce dernier. C’est une façon pour lui de faire revenir son collaborateur
même s’il ne sera pas physiquement présent. Cela peut se justifier par les
relations harmonieuses qu’entretenaient les parties. L’employeur pourra donc
accepter de recruter par exemple le fils compétent de son ancien collaborateur.
Ainsi, une certaine priorité d’embauche est accordée aux enfants des travailleurs
ne faisant plus partie des effectifs de l’entreprise. C’est ce qui ressort de l’article
29 de la Convention collective d’entreprise de la CAMRAIL.

II. Conclusion

Pour assurer la stabilité de l’emploi, le droit social camerounais a envisagé


le retour du salarié dans l’entreprise en minimisant les vicissitudes juridiques
pouvant contrecarrer un tel retour. Il n’est donc pas question pour un employeur
de faire d’une simple suspension du contrat de travail le moyen de rupture des
relations du travail. Et quand une rupture définitive s’appelle licenciement nul ou
licenciement pour motif économique, la victime garde le droit de revenir dans la
même entreprise, en application soit de l’article 1142 du Code civil, soit de l’article
40(alinéa 9) du Code du travail.

1078
Il s'agit de personnes exposées à des difficultés particulières d'insertion ou de réinsertion
professionnelle, tels que les personnes handicapées (confère loi n° 2010 / 002 du 13 avril 2010
portant promotion et protection des personnes handicapées) et les travailleurs ayant fait l'objet
de licenciement pour motif économique.

424
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Les droits qui étaient suspendus sont reconduits et ceux qui étaient portés
disparus sont réévalués sur des nouvelles bases. Le législateur social laisse donc
aux parties à un contrat de travail la liberté d’aménager les modalités de reprise
des activités après une suspension du contrat, sous réserve du respect de l’ordre
public absolu. Il reste au législateur social à dire avec précision les conséquences
financières d’un licenciement nul afin que cette pratique ne constitue pas un
chemin court pour se débarrasser d’un salarié sans s’embarrasser de la
procédure.

III. Bibliographie

ANAZETPOUO (Z.),
- Le droit du non-travail, Thèse de Doctorat 3ème cycle, Université de
Yaoundé II-Soa, 1996 ;
- « Le droit camerounais du travail en chiffres », in Annales de la FSJP de
l’Université de Dschang, t.1, vol. 2, 1997, pp. 99-121 ;
- « Commentaire de l’arrêté n° 001/CAB/MTPS du 14 février 1995 fixant les
taux d’indemnisation pendant la période de suspension du contrat de
travail pour cause de chômage technique », in J.P. n° 52, Oct.-Nov.-Déc.
2002, pp. 10-16 ;
- Le système camerounais des relations professionnelles, PUA, Yaoundé,
2010, 394 pages ;
- « La dimension plurielle du contrat de travail au Cameroun », in Mélanges
en hommage au Doyen Stanislas MELONÉ, (dir.) Jeanne Claire MEBU
NCHIMI, P. U. A., Yaoundé, 2018, pp. 551-576 ;

AUVERGNON (Ph.), « Corps et contrat de travail : Quels droits fondamentaux ? »,


Annales de la FSJP de l’Université de Dschang, t. 1 vol. 1, 1997, pp. 49-63.
DJOTANG-NGNIA (R.M.), L’ancienneté du salarié en droits français et
camerounais, l’Harmattan, Paris, 2000, 409 pages ;

425
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

DJUIKOUO (J.), La suspension du contrat de travail en droit privé camerounais,


Thèse Doctorat 3ème cycle, Faculté de droit et des sciences économiques,
Université de Yaoundé, février 1986 ;
DONGMO (A.), La notion d’ordre public en droit du travail camerounais, Mémoire
de Maîtrise, Université de Yaoundé, Droit privé, 1987 ;
KOM (J.), « Droit du travail et maladie non professionnelle » in Revue Juridique
Africaine, 1994, pp. 215-230 ;
NYAMA (J.M.), Droit et contentieux du travail et de la sécurité sociale au
Cameroun, PUCAC, Yaoundé, 2012, 476 pages ;
PIATA (E.), Le salaire d’inactivité en droit camerounais du travail, Mémoire de
Master, Université de Dschang, 2010 ;
POUGOUE (P-G.), Code du travail camerounais annoté, PUA, Yaoundé, 1997, 541
pages ;
TCHAKOUA (J-M.),
- « Droits fondamentaux, corps et intégrité physique du salarié », Annales
de la FSJP de l’Université de Dschang, t.1 vol.1, 1997, pp. 30-48.
- « La grève et le lock-out dans le nouveau Code du travail camerounais »,
RJA, 1994, pp. 83-112 ;

TCHOKOMAKOUA (V.) et KENFACK (P-E.), Droit du travail camerounais, PUA,


Yaoundé, 2000, 265 pages ;
YANKHOBA NDIAYE (I.), Les vicissitudes de l’entreprise et le sort de l’emploi,
Thèse de Doctorat d’Etat, Université Check Anta Diop, Dakar, Sénégal, 1988.

426
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

L’INTERVENTION DE L’AUTORITE

PUBLIQUE DANS LA PERSPECTIVE DU

DROIT OHADA DU TRAVAIL

Elvice Médard KAMTA FENDOP - Assistant à la Faculté des Sciences Juridiques et

Politiques de l’Université de Yaoundé II

____________________

427
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

1- Du fait de sa capacité à créer des normes obligatoires par le biais des lois
et règlements1079, l’Etat est en effet seul habilité à créer le droit1080. Au départ, il a
produit dans ce sens un droit qui permet aux individus de structurer de manière
autonome leurs relations juridiques, y compris leurs relations d’échange
économique sans interférences extérieures, et l’on a vu ainsi apparaître des
branches de droit telles que le droit civil, le droit administratif, le droit pénal…
Ensuite, et selon une logique tournée vers la protection de tel intérêt catégoriel,
et par conséquent de la correction de certains effets nocifs du libéralisme
juridique1081, il a créé de nouveaux champs de droit transversaux aux matières
traditionnelles à savoir : le droit de l’environnement, le droit de la consommation,
… et le droit du travail. C’est dire que l’action de l’Etat au travers de ses commis
(législateur, juge, autorité règlementaire) dans la construction ou l’élaboration de
la norme juridique n’est pas propre au droit du travail. Elle concerne tout le Droit,
et donc, toutes les matières qui en font l’objet. Cela correspondrait d’ailleurs,
pour le juriste, à une vérité de Lapalisse. Cependant cette action est des plus
singulières en matière de droit du travail, et notamment relativement à son
« objet objectif » qu’est l’emploi1082. A ce propos, la singularité de l’action étatique

1079 La règle de droit ainsi créée est d’un rang hiérarchique supérieur à celui des normes créées
contractuellement entre des sujets de droit qui pour Jean Philippe ROBE, sont « artificiellement
posés comme libres et égaux ». V. ROBE (J.-P.), L’entreprise et le droit, Collection Que sais-je ?
PUF, p.71-72.
1080
Si les sources nationales de la règle de droit traduisent bien la vocation exclusive de l’Etat à
la créer, il faut relever que sur la sphère internationale, l’Etat aura tendance à le faire non plus
seul, mais avec d’autres Etats et/ou autres sujets de droit international par le biais des
conventions et autres traités. Mais la leçon substantielle qu’il faut tirer de la théorie défendue par
les tenants de la conception infra constitutionnelle des normes internationales dans la hiérarchie
des normes juridiques prouve qu’en définitive, seul l’Etat est habilité à créer la règle de droit.
1081
Le déséquilibre contractuel constitue l’un des principaux effets nocifs du libéralisme juridique.
1082
Par emprunt à l’article 1 du Code du travail camerounais et de l’Avant-projet d’Acte uniforme
relatif au droit du travail, l’on définirait le droit du travail comme l’ensemble des règles qui
régissent les rapports de travail entre les travailleurs et les employeurs, ainsi qu’entre ces
derniers et les apprentis placés sous leur autorité. En référence à cette définition, nous pouvons
estimer que le travailleur (auquel on associe l’apprenti) et l’employeur constituent l’objet
subjectif du droit du travail.

428
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

revêt une double coloration. La première est non juridique et concerne la


politique d’emploi de l’Etat1083 pour laquelle l’analyse apparait inconvenante dans
le cadre des présentes réflexions. Par contre, la seconde est juridique et
directement attachée à la nature même du droit travail. En effet, si de « la mise à
bas du régime corporatif aux premières lois sociales, le travail pour autrui ne s’est
nullement trouvé dans un vide de droit, pas même un vide législatif »1084, il y a
lieu d’indiquer également que le droit normalement privé qui l’a encadré jusqu’ici
a toujours été marquée d’une emprunte publiciste, justifiant ainsi sa classification
doctrinale au rang des branches mixtes du Droit, c'est-à-dire à cheval entre le
droit privé et le droit public. Il en est ainsi parce que le droit du travail est fait
d’une relation triangulaire qui n’est pas de pur droit privé ; l’État est un acteur du
jeu social (avec le salariat et le patronat), et à ce titre le droit du travail relève
aussi du droit public. Au fait, les interrogations et angoisses que le travail suscite
montrent à quel point ce dernier reste au cœur de la société, qu’il ne se réduit
pas à un marché, qu’il est plus ou autre qu’un objet de partage. L’intervention de
l’Etat dans le processus de normalisation et de régularisation du travail salarié
apparait alors nécessaire pour garantir ou rétablir un équilibre contractuel,
fatalement susceptible d’être rompu eu égard à l’inégalité souvent démesurée
des forces économiques des parties à la convention sociale. Tout système
juridique devrait en tenir compte. La nature même du travail salarié,
fondamentalement caractérisé par la notion de lien de subordination qui implique
inévitablement la soumission d’une personne à l’autre, oblige cette
considération : il faut éviter l’asservissement.
L’action normative du législateur OHADA dans le domaine du travail ne
devrait pas s’en affranchir. Bien plus, la vocation supranationale des règles qu’il

1083
L’intervention de l’Etat sur le marché de l’emploi est assez importante et peut doublement être
définie. Ainsi, en matière de formation professionnelle, la responsabilité de l’Etat est de construire
un cadre juridique et financier, tandis qu’en matière de politique de l’emploi, une pluralité
d’indications doit être faite, à l’instar de la création d’institutions chargées de l’emploi et coiffé
par le Ministre en charge du travail et de la prévoyance sociale.
1084
PELISSIER (J.), SUPIOT (A.) et JEAMMAUD (A.), Droit du travail, Précis Dalloz, 22ème édition,
2004, p. 9.

429
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

est appelé à édicter commande, aussi bien moralement que juridiquement,


l’amélioration de cette protection étatique. L’on ne peut non plus nier la
délicatesse et la finesse d’analyse dont devra faire montre le législateur OHADA
dans la règlementation du droit du travail pour concilier en la matière, les
différentes approches nationales en tenant compte des réalités sociales
nécessairement diverses et parfois divergentes dans l’ensemble des Etats
parties. Pour le moment, l’Acte uniforme OHADA relatif au droit du travail n’existe
encore que sous la forme de projet. Cela date déjà de plusieurs années1085. Mais
l’on pourrait aussi considérer qu’une réflexion sur celui-ci est fort opportune si
tant est que, les observations qui pourraient être faites à l’occasion soient
susceptibles d’inspirer le législateur OHADA, soit au moment de l’adoption finale
de cet Acte uniforme, soit en vue d’une éventuelle révision après ladite adoption.
Dans tous les cas, la question qui se pose est celle de savoir si l’initiative
normative du législateur OHADA dans le domaine du travail a tenu compte, à
cette étape de son projet, des fonctions régaliennes de l’Etat dans la dynamique
de ce droit. La démarche envisagée pour la fourniture d’une tentative de réponse
sera circonscrite à l’intérieur de deux bornes. La première consiste à prendre
comme point référentiel de l’analyse, le droit positif camerounais au titre de droit
comparé1086, tandis que la seconde limite ladite analyse à la seule intervention
étatique faite par le biais de l’autorité administrative1087. Dans cette logique, l’on
devra donc apprécier l’intervention de l’autorité administrative non seulement
dans l’élaboration même de la règle de droit du travail (I), mais aussi dans la mise
en œuvre de celle-ci (II).

1085
L’Avant-projet d’Acte uniforme relatif au droit du travail a été finalisé le 24 novembre 2005 à
Douala au Cameroun.
1086
Quelques rares allusions aux autres droits positifs ne sont pas absolument vouées à
l’exclusion.
1087
Dans la mesure où elles sont insuffisantes pour traduire la spécificité de l’intervention des
pouvoirs publics en droit du travail, l’activité prétorienne et l’activité législative de l’Etat seront
écartées de la présente analyse.

430
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

I. L’intervention normative spécifique de l’autorité publique

dans l’élaboration organisée d’un droit professionnel

2- On l’a dit tantôt ! Les sources essentielles et impératives du Droit (Droit


objectif) sont étatiques et se déploient sous la forme des conventions
internationales, des lois et règlements voire de la jurisprudence1088. Dès lors, le
principe est de laisser le soin aux particuliers de se définir des obligations dans
la sphère de l’autonomie contractuelle qui n’est pas moins une source de droit,
mais de droit subjectif, et par conséquent, foncièrement inférieure aux sources
étatiques1089, puisque n’étant qu’une réalisation de celles-ci. Toutefois
l’interventionnisme de l’Etat dans la discipline du droit du travail a aussi concerné,
pour en relever l’une des spécificités remarquables1090, les sources de ce droit.
C’est ainsi que l’Etat, dans le projet d’Acte uniforme relatif au droit du travail, est
allé jusqu’à pénétrer la sphère de l’autonomie contractuelle normalement
réservée à l’employeur et au travailleur pour y jouer les régulateurs aussi bien à
l’échelle nationale (A) qu’à l’échelle internationale (B).

1088
L’on ne doit cependant pas perdre de vue que les règles issues des négociations collectives
ne sont pas moins des sources importantes du droit objectif, spécifiques au droit du travail.
D’ailleurs, lorsque certaines conditions sont réunies, notamment lorsqu’elles sont plus favorables
pour le travailleur, ces règles peuvent déroger aux dispositions légales.
1089
En réalité, la sphère de l’autonomie contractuelle renvoie à un concept plus global qu’est l’acte
juridique ; ce dernier, associé au fait juridique, constitue l’essentiel des sources du droit subjectif.
On rappelle alors qu’on peut entendre par droit subjectif, les prérogatives individuelles reconnues
et sanctionnées par le Droit objectif qui permettent à son titulaire de faire, d’exiger ou d’interdire
quelque chose dans son propre intérêt ou, parfois, dans l’intérêt d’autrui. Dans le même sens, le
Droit objectif renvoie à l’ensemble des règles de conduite socialement édictées et sanctionnées,
qui s’imposent aux membres de la société (CORNU (G.), Vocabulaire juridique, Association Henri
Capitant, PUF, 2007, pp. 333et 889.)
1090
De manière globale, les spécificités majeures du droit du travail tiennent d’une part des règles
même de ce droit ; les sources de ces règles peuvent en effet être classées en deux catégories
à savoir d’une part, l’origine publique au triple niveau national, communautaire et international, et
d’autre part, l’origine professionnelle orchestrée par les négociations professionnelles. Mais
l’expression substantielle de leurs spécificités tient de leur vocation protectionniste
(principalement des salariés) et de leur propension progressiste. D’autre part, ces spécificités du
droit du travail procèdent de l’originalité des organes de contrôle ayant spécialement vocation à
vérifier l’application de ces règles.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

A. L’intervention normative spécifique au niveau national

3- L’on est tenté de conclure à « l’autoréglementation des entreprises, voire


des professions »1091 du fait du recul a priori de l’intervention normative publique
classique face à l’accroissement du rôle des sources privées du droit du
travail1092. En réalité, l’intervention de l’Etat dans l’élaboration des sources
professionnelles du droit du travail a toujours été rendue indispensable1093. Il en
est ainsi à l’enclenchement valable du processus ainsi qu’on peut l’observer dans
l’avant-projet d’Acte uniforme relatif au droit du travail (En abrégé AP/AUDT pour
les prochaines lignes) au sujet de certains types de contrat individuel, ainsi que
des conventions et accords collectifs (1), tout comme il peut l’être cette fois-ci
au bout du processus tel que le renseigne les conditions de validité du règlement
intérieur (2)1094.

1091
SUPIOT (A.), Déréglementation des relations de travail et autoréglementation de l’entreprise,
Dr. Soc. 1989.195, cité par PELISSIER (J.), SUPIOT (A.), JEAMMAUD (A.), Droit du travail, Précis
Dalloz, 22e édition, 2004, p. 116.
1092
Bien que cette tentation soit grande du fait d’une simple considération juridique du règlement
intérieur, expression du pouvoir patronal et source privée du droit du travail entendue comme un
« contrat collectif », ou même plus globalement l’importance des actes unilatéraux, ou même
encore le fait de la production du droit par la négociation entre les interlocuteurs sociaux à tous
les niveaux, voire des usages, l’on se rend compte en examinant la question de près qu’il n’en est
pas vraiment ainsi.
1093
Les acteurs sociaux ne peuvent valablement convenir de n’importe quel contenu, même en
matière de temps de travail, principal terrain d’extension du champ du négociable depuis
plusieurs décennies en France selon la doctrine. L’autonomie collective visant à désigner la
pratique de la négociation sociale et les innombrables accords qui en naissent est moins
reconnue que concédée par la loi. C’est pourquoi les pouvoirs publics soumettent leur validité au
respect de certaines conditions tenant aussi bien à l’identité et à la qualité des acteurs, qu’à la
teneur des accords. Par ailleurs, la loi imprime toujours de son sceau les accords nationaux
interprofessionnels. Bien plus, ces conditions peuvent avoir trait à l’intervention administrative
dans le processus décisionnel des négociations entre les acteurs sociaux.
1094
Certaines sources du droit du travail ont été écartées de cette analyse parce que
l’intervention étatique y est insignifiante. Il en est ainsi de la négociation du contrat individuel de
travail entre employeur et travailleur qui marque l’entrée du travailleur dans le monde
professionnel. Il en est également ainsi de la formation des usages professionnels. D’ailleurs, les
usages issus des pratiques professionnelles sont évidemment en déclin dans un système de droit

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

1. Le rôle du ministre en charge du travail en matière de contrat individuel,

de conventions et accords collectifs

4-En matière de contrat individuel de travail, source non moins


professionnelle du Droit du travail, l’intervention étatique est essentiellement
envisageable dans l’hypothèse du contrat de travail concernant un travailleur
étranger. A ce titre, l’article 28 de l’AP/AUDT dispose, expressis verbis, que :
« L’emploi d’un travailleur de nationalité étrangère, dont le contrat peut être à
durée indéterminée ou déterminée, est subordonné à l’accomplissement par
l’employeur des formalités fixées par l’Etat Partie. » C’est dire que dans cette
hypothèse, l’intervention étatique n’est que possible, et notamment dans le cas
où des formalités particulières impliquant cette intervention ont été consacrées
par le droit positif de l’Etat partie au Traité. Dans cet ordre de pensées, et en cas
d’adoption de l’AP/AUDT en l’état, les dispositions de la loi camerounaise en la
matière ne seront pas abrogées. Ces dispositions prévoient notamment qu’avant
tout commencement d’exécution, et à l’initiative de l’employeur, un tel contrat de
travail doit être visé par le ministre en charge du travail1095.

formalisé. Le projet d’Acte uniforme relatif au droit du travail n’y fait référence que dans deux cas
et notamment, en matière de détermination de la durée de l’engagement à l’essai (article 18), et
en matière de détermination de la périodicité du paiement des salaires (article 124). Au reste,
l’usage professionnel ou local est une pratique qui est devenue un droit par la force de l’habitude.
On peut y voir une sorte de coutume. On ne doit pas les confondre avec l’usage d’entreprise, plus
courant. Ce dernier est plus proche de l’engagement unilatéral qui lui, puise sa force non dans la
permanence d’une pratique, mais dans l’acte juridique de volonté émanant de l’employeur.
Cependant, la place des usages et engagements unilatéraux dans la hiérarchie des normes est
modeste. Ils se situent au bas de l’échelle. Une norme conventionnelle nouvelle ayant le même
objet se substitue ainsi à l’engagement ou l’usage même si elle est moins favorable. (Cf.
MAZEAUD (A.), Droit du travail, Montcrhestien, 6ème édition, 2008, p. 65; Jurisprudence : Cass.
Soc., 25 janvier 1995, Dr. Soc. 1995, 274, obs. G. BORENFREUND, RJS 4/95, p.231 et la chronique
J. SAVATIER, 9 juillet 1996 (2e arrêt), RJS 8-9/96, n°954).
1095
V. Article 27 alinéa 2 à 5 de la loi camerounaise n° 92/007 du 14 Aout 1992 portant code du
travail. V. aussi certains textes d’application, notamment : Loi n° 97-12 du 10 janvier 1997 fixant
les conditions d’entrée, de séjour et de sortie des étrangers au Cameroun ; Décret n° 2000/286
du 12 Octobre 2000 précisant les conditions d’entrée, de séjour et de sortie des étrangers au
Cameroun ; Décret N° 93/571/PM du 15 Juillet 1993 fixant les conditions d’emploi des travailleurs
de nationalité étrangère pour certaines professions ou certains niveaux de qualification
professionnelle ; Décret 93/575/PM du 15 Juillet 1993 fixant les modalités d’établissement et de

433
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Le rôle du ministre chargé du travail, tel qu’admis et prescrit par le droit


positif camerounais dans l’établissement du lien contractuel entre l’employeur
camerounais et le travailleur étranger, est des plus délicats et des plus
stratégiques. Il est commandé par une panoplie de raisons aussi fondamentales
les unes que les autres. A titre illustratif, on peut évoquer les considérations
diplomatiques qui conduisent à penser que le ministre en charge du travail est
principalement qualifié pour s’assurer du respect des stipulations
conventionnelles internationales entre le Cameroun et les autres Etats en matière
de travail, ou même de l’absence de conventions susceptible de commander un
refus motivé par des raisons de réciprocité entre le Cameroun et tel Etat
étranger. On peut aussi alléguer les considérations qui réfèrent à la sécurité
publique, sanitaire, démographique, et surtout de l’emploi au profit des
nationaux. Par rapport au dernier cas de figure par exemple, l’on est porté à
comprendre que le pouvoir normatif camerounais n’autorise l’attribution des
emplois de manœuvre, d’ouvrier, d’employé ou d’agent de maîtrise à un étranger
qu’ à la condition que soit présentée une attestation délivrée par les services de
la main-d’œuvre certifiant le manque de travailleurs camerounais dans la
spécialité concernée1096.

5- Les conventions collectives et accords collectifs constituent l’une des


sources professionnelles du droit du travail les plus singulières. Ils sont
consacrés par les articles 204 et suivants de l’avant-projet de l’Acte uniforme
relatif au droit du travail. Il s’agit des actes conclus entre les représentants d’une
ou plusieurs organisations syndicales ou groupements de syndicats
professionnels d’une part, et une ou plusieurs organisations d’employeurs, ou un
ou plusieurs employeurs pris individuellement d’autre part, en vue de fixer les

visa de certains contrats de travail. Par ailleurs, il peut être utile de consulter sur ce point la
Convention de l’OIT n° 97 concernant les travailleurs migrants.
1096
V. Article 2 alinéa 1 du Décret 93/571/PM du 15 Juillet 1993 fixant les conditions d’emploi des
travailleurs de nationalité étrangère pour certaines professions ou certains niveaux de
qualification professionnelle.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

conditions de travail et les garanties sociales, soit dans un établissement, soit


dans une entreprise, soit dans une ou plusieurs branches de l’économie1097.
Susceptibles de déroger à la loi dès lors qu’ils emportent amélioration de
la situation des travailleurs en accordant à ces derniers des avantages supérieurs
à ceux résultant de la loi, les conventions et accords collectifs formulent des
règles générales qui s’appliqueront aux relations de travail dans un cadre
professionnel et territorial déterminé. Il s’agit de l’expression « d’un droit
conventionnel du travail », droit négocié, qui a connu un considérable
développement sous l’impulsion des pouvoirs publics eux-mêmes1098. L’on estime
en effet que du fait de leur adaptabilité aux réalités qu’elles ont vocation à
gouverner et que les normes légales n’en tiennent pas toujours le compte qu’il
faut, il est préférable d’abandonner aux intéressés la définition des règles
auxquelles ils obéiront1099.
6- Il serait illusoire de prétendre cependant que la négociation des
conventions collectives et accords collectifs a été strictement laissée aux soins
des parties privées ou professionnelles, ainsi qu’on le conçoit par exemple en
matière de conclusion d’un contrat de travail. S’il est vrai que l’Etat s’est dépouillé
dans cette hypothèse de son pouvoir normatif, sauf pour ce qui est de la

1097
Il est non moins indiqué de rappeler que l’accord collectif ne diffère de la convention collective
que sur la dimension des problèmes à régler ; ainsi, contrairement à la convention collective,
l’accord collectif ne compose pas une charte complète des relations de travail, mais se borne à
traiter des questions déterminées, parfois une seule, tel un problème de congé ou de
rémunération.
1098
TEYSSIE (B.), Droit du travail, 1. Relations individuelles de travail, 2e édition, Litec, 1992, p. 73.
1099
Cet ordre de pensées est de nature à renvoyer au débat classique, mais essentiel de
l’autonomie collective des partenaires sociaux. La loi est l’expression démocratique issue du
suffrage universel, alors qu’un accord collectif est un compromis entre des intérêts collectifs
divergents. Pour autant la démocratie sociale est une modalité d’expression de la démocratie,
justifiant une participation active des partenaires sociaux dans l’élaboration des normes. Selon
les tenants de l’autonomie collective, l’Etat, garant du respect des principes fondamentaux,
devrait laisser aux partenaires sociaux le soin de fixer eux-mêmes un certain nombre de règles
du jeu social. Cependant, l’Etat en tant qu’expression de l’intérêt général devra avoir son mot à
dire dans l’élaboration des normes qui touchent notamment au chômage, à la précarité
(MAZEAUD (A.), op.cit. p.57).

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

définition d’un cadre légal d’exercice des négociations1100 comme pour tout acte
juridique d’ailleurs, il est tout aussi vrai que par le biais de son mandataire légal,
le ministre en charge du travail en l’occurrence1101, l’Etat ne participe pas moins à
l’exercice des négociations visant la conclusion des conventions et accords
collectifs. Toutefois, cette participation se limite à des aspects formels ; elle ne
vise pas à proprement parler les clauses de fond des accords, à moins que
celles-ci n’extrapolent l’objet légalement défini des conventions et accords
collectifs1102. Ainsi, l’intervention de l’Etat (par le biais du ministre en charge du
travail) se situe à plusieurs niveaux que l’on peut doublement appréhender ; d’une
part cette intervention est obligatoirement manifestée en l’absence de tout
conflit, et d’autre part, elle est éventuellement sollicitée en cas de litige :
L’intervention du ministre en charge du travail est indispensable pour
l’élaboration d’une convention collective ou d’un accord collectif susceptible
d’être étendue. C’est à lui en effet qu’il est attribué la charge de provoquer et de
présider (par le biais de son représentant) la réunion de la Commission mixte1103
qui est l’organe dans le cadre duquel, la convention de branche, l’accord

1100
On peut aussi relever qu’il revient à l’Etat de fixer les conditions dans lesquelles sont déposés
et publiés les Conventions et accords collectifs ainsi que les conditions dans lesquelles
s’effectuent les adhésions ultérieures (article 207 de l’AP/AUDT).
1101
« Le ministère chargé du travail » ainsi qu’il est désigné par l’AP/AUDT, est l’un des services
de l’Etat chargés de l’emploi. Au sein des Etats parties, il peut être désigné autrement tout en
conservant le même fond ; ainsi on a : ministère du travail, ministère des affaires sociales, du
travail et de la solidarité, ministère de l’emploi, du travail et de la cohésion sociale, … avec
éventuellement un ministre délégué. Cette institution publique est d’ailleurs la principale citée par
l’AP/AUDT, ce d’autant plus que les autres institutions publiques évoquées par ledit avant-projet
d’Acte relèvent en réalité de ce ministère. On cite dès lors l’inspection du travail, la Commission
Nationale Consultative du Travail, le Comité de Santé et de Sécurité au travail … Par ailleurs, il
reste intéressant de signaler que le ministère de l’économie et des finances, ainsi que le ministère
de l’Education nationale ainsi que celui de l’enseignement supérieur, jouent un rôle majeur en
raison des aspects économiques et de la formation tant générale que professionnelle de toute
politique d’emploi.
1102
Il s’agit en guise de rappel des conditions de travail et des garanties sociales. L’on se doit de
relever également qu’en cas d’extrapolation, il revient moins au ministre en charge du travail qu’au
juge de paralyser l’effet de la convention concernée. L’action de celui-ci est purement
procédurale.
1103
La Commission Mixte est composée des représentants des organisations d’employeurs et des
syndicats de travailleurs les plus représentatifs dans le champ d’application considéré.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

professionnel ou interprofessionnel, leurs avenants et leurs annexes doivent


avoir été négociés et conclus pour pouvoir être étendus1104. C’est d’ailleurs lui qui
détermine la composition de ladite Commission1105, ainsi que le caractère
représentatif d’un syndicat1106. Par ailleurs, après avis motivé du Conseil
Consultatif National du Travail, le ministre en charge du travail peut par acte,
rendre obligatoires les stipulations, avenants ou annexes des conventions
collectives étendues répondant aux conditions déterminées par la loi,
obligatoires pour tous les employeurs et les travailleurs compris dans le champ
d’application professionnel et territorial de la convention ; le champ de cette
extension exclut toutefois les clauses contraires à l’ordre public, ainsi que
l’indiquent les dispositions de l’Avant-projet de l’Acte uniforme relatif au droit du
travail.1107
L’intervention du ministre en charge du travail dans le processus
d’élaboration des conventions collectives et accords collectifs a aussi une
connotation régulatrice lorsque naît des contestations. Ainsi, en cas de litige
portant sur l’importance des délégations composant la Commission Mixte, il fixe
autoritairement le nombre maximum de représentants par organisation. De
même, en cas de désaccord au sein de la commission mixte sur une ou plusieurs
des clauses à introduire dans la convention collective, il doit, à la demande de
l’une des parties, intervenir pour faciliter la réalisation de cet accord1108.

1104
Cf. article 209 de l’AP/AUDT
1105
L’article 210 al. 3 dispose à cet effet que « Le Ministre chargé du Travail détermine la
composition de cette Commission Mixte présidée par son représentant, qui comprendra en
nombre égal, d’une part, des représentants des organisations syndicales les plus représentatives
des travailleurs et, d’autre part, des représentants des organisations les plus représentatives
d’employeurs »
1106
Les éléments d’appréciation du caractère représentatif d’un syndicat ou d’une organisation
d’employeurs, ainsi que les modalités de récolte des informations y relatives sont précisés à
l’article 211 de l’AP/AUDT.
1107
Article 213 de l’AP/AUDT.
1108
Article 210 al. 4 et 5.

437
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

7- L’innovation la plus marquante de cette rubrique, telle que contenue dans


l’AP/AUDT, est relative à l’encadrement du rôle du ministre en charge du travail.
En effet, la discrétion reconnue à ce dernier pour convoquer la Commission Mixte
en vue de la conclusion d’une convention collective est neutralisée dans
certaines conditions. Il en est alors ainsi lorsque deux des organisations
intéressées les plus représentatives en font la demande. Le ministre dans ces
conditions n’a pas de choix que de convoquer ladite Commission. Par ailleurs,
l’encadrement du rôle du ministre est plus accentué en ce que sa décision est
susceptible d’un recours administratif dans les formes et délais prévus par l’Etat
partie. Ce dernier aspect de l’innovation est à saluer dans la mesure où il offre
aux parties les armes nécessaires pour tempérer l’absolutisme des pouvoirs
publics. Mais il subsiste toutefois une petite difficulté qui en vérité concerne
finalement tout le système d’harmonisation du droit OHADA ; il s’agit de la
disparité des règles nationales à la compétence desquelles le législateur
communautaire renvoie la procédure du recours administratif qu’il consacre au
profit des parties à la convention collective en cas de contestation de la décision.
A notre avis, la position du législateur OHADA ne peut être outre mesure plus
réaliste. Les règles de procédure sont d’ordre public, et la distanciation qui existe
entre la matière administrative et la matière sociale complique davantage toute
idée d’harmonisation des règles de procédure relatives au recours administratif
contre la décision du ministre sus évoquée.
Il apparaît en définitive sur ce point que le rôle joué par le commis de l’Etat,
le ministre en charge du travail, dans l’élaboration des conventions et accords
collectifs est indispensable, plus ou moins contrôlé, mais assurément initiateur ;
il n’est en principe pas terminal comme celui joué par l’inspecteur du travail dans
le cadre de l’élaboration d’une autre source professionnelle du droit du travail à
savoir, le règlement intérieur.

438
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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2. Le rôle de l’inspecteur du travail dans l’élaboration du règlement intérieur

8- De manière générale, l’inspection du travail est la composante la plus


connue d’une administration de travail, relevant du ministère en charge du travail.
Il s’agit en fait d’un corps interministériel de fonctionnaires (inspecteurs et
contrôleurs) géré par ce ministère, dont les services déconcentrés sont
principalement les directions régionales et les directions départementales du
travail, de l’emploi et de la formation professionnelle auxquels sont rattachés les
inspecteurs. Les inspecteurs du travail sont principalement chargés de veiller au
respect de la législation et de la réglementation du travail, ainsi que des
conventions et accords collectifs. Ils ont le pouvoir de constater, par des procès-
verbaux faisant foi jusqu’à preuve contraire, les infractions à ces dispositions et
divers pouvoirs d’injonction. La doctrine fait observer à juste titre que l’existence
de ce corps de fonctionnaires est caractéristique du droit du travail1109 ; elle
relève eu égard à la foison d’actes administratifs des inspecteurs du travail
intervenant dans les rapports entre employeurs et travailleurs que,
« l’intervention publique dans les relations du travail, à commencer par celle du
corps d’inspecteurs spécialisés, ne se réduit donc pas à des activités de pur
contrôle du respect des règles. Elle est devenue particulièrement importante
dans le domaine de l’emploi, qu’il s’agisse de contrôle, d’incitation ou de conseil
aux employeurs, et reste importante en cas de conflit du travail »1110.

9- Le règlement intérieur est une autre source professionnelle du droit du


travail qui fait l’objet d’une intervention des pouvoirs publics au travers de
l’inspection du travail. Il s’agit d’un instrument qui, objectivement détaché du
contrat du travail, constitue simplement un acte porteur de règles de droit. Il

1109
« Le contrôle du respect de ces règles, qui relèvent en majorité du droit privé et qui ne sont
pas toutes appuyées par une incrimination pénale, n’est pas abandonné à l’initiative des
particuliers intéressés, libres de recourir ou non aux tribunaux, en fonction de leur intérêt » : Th.
KAPP, L’inspection du travail face à la demande individuelle, Dr. Ouvr. 2003.563. cité par
PELISSIER et autres, op.cit. p. 56.
1110
AUVERGNON (Ph.), L’intervention médiatrice de l’administration du travail dans les conflits
collectifs, Dr. ouvr. 203.501, cité par PELISSIER et autres, op.cit. p.57.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

s’impose à tous et est opposable indistinctement à l’employeur ou la personne


physique ayant la qualité de chef d’entreprise et au travailleur, même s’il doit
également servir de support d’information sur certains éléments du droit
étatique. Bien qu’il soit qualifié, non sans raison, par la jurisprudence française
d’ « acte réglementaire de droit privé »1111, le législateur OHADA a envisagé de
limiter son contenu exclusivement aux règles relatives à l’organisation technique
du travail, à la discipline, aux prescriptions concernant la santé et la sécurité au
travail et aux modalités de paiement du salaire. Toute autre clause, notamment
celle relative à la fixation de la rémunération, est nulle de plein droit.1112 Sur ce
point, le législateur OHADA n’apporte aucune innovation, du moins, lorsqu’on se
réfère à titre illustratif à la prescription de l’article 29 du code du travail
camerounais.

10- L’élaboration du règlement intérieur obéit à un processus qui se boucle


avec l’intervention de l’inspecteur du travail. Ainsi, facultativement ou
obligatoirement1113, l’employeur qui entreprend d’élaborer le règlement intérieur
doit en communiquer pour avis aux délégués du personnel s’il en existe, et pour
visa à l’inspecteur du travail du ressort qui peut exiger le retrait ou la modification
des dispositions qui seraient contraires aux lois et règlements ainsi qu’aux
conventions et accords collectifs. C’est dire que sans le visa de l’inspecteur du
travail, il est impossible pour cet acte d’entrer en vigueur. L’avant-projet de l’Acte
uniforme relatif au droit du travail est resté conforme à cette logique s’il faut
considérer l’article 112 alinéa 4 d’après la disposition duquel, « L’entrée en
vigueur du règlement intérieur est subordonnée à sa communication aux

1111
Cour de cassation, Chambre sociale, 25 septembre 1991, Dr. soc. 1992.24, obs. J. SAVATIER.
1112
Article 112 al. 2 et 3 de l’AP/AUDT.
1113
L’employeur a la faculté d’élaborer le règlement intérieur lorsque l’effectif des salariés
n’excède pas un nombre réglementairement fixé. Au-dessus de ce nombre, l’existence du
règlement est obligatoire, ainsi que l’indique l’article 112 al.5 de l’AP/AUDT qui laisse le soin aux
Etats parties d’en fixer un. Au Cameroun par exemple, un vieil arrêté de 1968 (Arrêté
n°007/MTLS/DEGRE du 17 JUIN 1968) relatif aux modalités de communication de dépôt et
d’affichage du règlement intérieur prévu par l’article 34 du Code du travail de 1967, et toujours
en vigueur sur ce point, fixe ce nombre à 10 travailleurs habituellement employés.

440
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

délégués du personnel, s’il en existe, et au visa de l’Inspecteur du travail. » On


peut comprendre dès lors que l’intervention de l’inspecteur du travail soit
indispensable pour la validité juridique du règlement intérieur. Ainsi, même si
l’AP/AUDT ne le dit pas expressément, l’employeur qui se prévaut contre un
travailleur d’un règlement intérieur dont le visa de l’inspecteur du travail fait
défaut, se verra purement et simplement opposer la règle nemo auditur propriam
turpitudinem allegans, comme conséquence de l’absence de l’empreinte
publique. Et si en vertu d’un tel règlement, il venait à licencier un employé, ce
licenciement sera qualifié d’abusif, à moins qu’il ne s’appui, indépendamment du
règlement intérieur, sur le caractère lourd ou grave de la faute commise par le
travailleur. Il s’agit là d’une règle que ne pourrait remettre en cause, même les
normes internationales du droit du travail qui elles aussi sont bâties avec le
concours particulier des pouvoirs publics.

B. L’intervention normative spécifique supra-étatique

11- Dans la construction du droit travail pour laquelle l’intervention spécifique


de l’autorité publique a régulièrement été mise en exergue jusqu’ici1114, une
certaine invariabilité semble perceptible au niveau des sources internationales.
Or, concernant les sources communautaires, l’on observe plutôt que les
divergences contextuelles et d’option de politique d’intégration sont reflétées par
les divergences de mécanisme de construction de ce droit1115. En examinant la

1114
En guise de rappel, la spécificité de l’intervention de la personne morale de droit public dans
la construction du droit du travail tient, non pas à la technique législative ou réglementaire
classique et commune à toutes les branches du droit, mais à un mécanisme qui reste l’apanage
du droit du travail.
1115
En Europe par exemple, le déficit conventionnel à l’origine d’un droit communautaire
caractérisé par une intégration tant juridique, politique qu’économique, a cédé le pas aujourd’hui
du fait, à n’en point douter, de ces caractéristiques, à une structure de négociation en dehors
des structures communautaires ; ainsi, les partenaires sociaux se sont regroupés principalement
au sein de l’Union des confédérations de l’industrie et des employeurs d’Europe (UNICE) pour le
patronat (devenue « BUSINESSEUROPE »), et de la Confédération européenne des syndicats
(CES). Les dialogues sociaux qu’ils ont engagés ont abouti à la production de plusieurs normes

441
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

question de l’intervention publique dans le mécanisme interétatique de


l’élaboration des normes sociales sous le prisme du droit OHADA du travail, l’on
note que cette intervention est envisagée par l’AP/AUDT lorsqu’on se situe sur la
sphère du droit international (1), tandis qu’elle est inhérente au mécanisme
d’élaboration des Actes uniformes dès lors que l’analyse est orientée dans la
direction du droit supranational, et plus singulièrement du droit OHADA (2).

1. Une intervention publique internationale envisagée dans l’avant-projet de l’Acte

uniforme relatif au droit du travail

12- Malgré la diversité du processus d’internationalisation du droit du


travail1116, c’est l’action des organisations internationales et notamment, celles
ayant une envergure mondiale qui est à l’origine de l’essentiel des règles
juridiques internationales en matière de travail. Ainsi, bien qu’il arrive à l’ONU
d’aborder quelque fois, et dans le cadre des textes plus vastes, certains points
touchant au travail1117, il n’en demeure pas moins vrai que malgré sa qualité
d’institution spécialisée, elle ait confié à l’Organisation Internationale du Travail
(OIT), la charge des relations de travail. A cet effet, l’OIT par le biais de son
organe décisionnel suprême, la Conférence internationale du travail, est

sociales. En Afrique cependant avec le cas de l’OHADA dont l’intégration n’est que juridique, le
dialogue social est sinon inexistant, au moins désorganisé.
1116
L’origine internationale du droit du travail est en principe le résultat d’une double action : celle
des organisations internationales à envergure mondiale (ONU, OIT), ou à envergure régionale (La
Ligue arabe, l’Union du Maghreb arabe, le Conseil Nordique, etc.), et celle hors des organisations
internationales traduite dans la plupart des cas par la signature des conventions bilatérales.
1117
Il en est ainsi par exemple avec la Convention du 1er mars 1980 relative à l’élimination de toutes
les formes de discrimination à l’égard des femmes, ou la Convention du 26 janvier 1990 relative
à la protection de l’enfant, ou encore les Pactes internationaux du 16 décembre 1966
respectivement relatifs, aux droits civils et politiques (occasion de prescriptions liées au droit
d’association, au travail forcé, et aux discriminations), et aux droits économiques, sociaux et
culturels, parmi lesquels le droit au travail, à un salaire équitable, aux congés payés, etc.

442
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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l’instance habilitée entre autres1118 à voter les conventions1119 et les


recommandations1120. La Conférence tient au moins une session par an, et réunit
des délégations de tous les Etats membres de l’OIT.
Une originalité de cette réunion tient à la composition tripartite des
délégations nationales. Celles-ci sont nécessairement constituées de deux
représentants du gouvernement, d’un des représentants des salariés désigné par
le gouvernement en accord avec les organisations syndicales les plus
représentatives, et d’un représentant des employeurs nommé dans les mêmes
conditions. Ainsi, l’intervention de l’autorité publique est particulièrement
renforcée dans la négociation collective à l’échiquier international.

13- En disposant que « sous réserve des dérogations résultant des


conventions internationales ratifiées par les Etats Parties, les enfants ne peuvent
être ni employés, ni admis à aucun titre pour effectuer des prestations de travail
ou d’apprentissage avant l’âge de quinze (15) ans », l’avant-projet de l’Acte
uniforme relatif au droit du travail consacre par le truchement de son article 5
une certaine supériorité des conventions internationales ratifiées par les Etats-
membres. Au-delà de cette consécration, on peut percevoir la validation ou
mieux la reconnaissance implicite par ledit avant-projet, de l’intervention de
l’autorité publique dans l’élaboration des conventions et recommandations

1118
La Conférence internationale du travail est au fond l’instance compétente pour définir les
lignes essentielles de la politique sociale internationale, pour voter les conventions et
recommandations de l’OIT, pour voter le budget.
1119
Les conventions sont préparées par le Bureau internationale du travail (BIT), adoptées à la
majorité qualifiée par la Conférence internationale du travail qui se réunit chaque année à Genève,
et proposées à la ratification des Etats membres de l’OIT. Une fois ratifiée, la convention impose
à l’Etat concerné de modifier ou d’enrichir autant que de besoin son droit afin qu’il assure au
moins les droits ou garanties que prévoit l’instrument.
1120
La recommandation est l’un des premiers instruments dont dispose l’OIT par lequel il vise
l’unification des législations nationales, sous l’égide de la croissance du « bien-être physique,
intellectuel et moral des travailleurs salariés ». Par la formulation des suggestions, la
recommandation s’efforce d’orienter les pouvoirs publics vers l’adoption de certaines solutions.

443
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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effectuées sous l’égide de l’OIT1121. L’autorité publique participe désormais et de


façon remarquable, à la négociation des conventions et recommandations
internationales dans le cadre de l’OIT ; elle y joue dans toute sa plénitude, le rôle
que lui confère sa qualité de partenaire social, avec même une certaine
prépondérance en terme quantitatif1122 par rapport aux autres partenaires
sociaux que sont les salariés par le biais de leurs représentants, et les
employeurs par le biais également de leurs représentants.

14- Il semble intéressant de satisfaire à une curiosité. Puisque les Etats


membres de l’OHADA sont inscrits dans une logique et un processus
d’harmonisation de la législation du travail, l’on se demande qui des Etats
membres de l’OHADA ou du conseil des ministres seul organe habilité à prendre
les Actes uniformes, devra participer dans le cadre de l’OIT, aux travaux
d’élaboration des conventions internationales. A cette question, nous estimons
qu’il faudra pour deux raisons au moins laisser le soin aux Etats membres de
participer à ces travaux. La première raison est que le Conseil des ministres est
essentiellement constitué des pouvoirs publics ; le collectif des employeurs et
celui des employés ayant été évincés. La seconde raison est que cette approche
permet en amont la participation des deux catégories d’acteurs sociaux, et en
aval, la possibilité de prendre en compte leur avis qui s’impose à l’Acte uniforme
une fois la convention adoptée. Ainsi est réglée dans une relative mesure le
problème que poserait le mécanisme d’élaboration des Actes uniformes OHADA.

1121
Et même si aujourd’hui le problème de cette intervention a complètement disparu, il faut
relever néanmoins que dans les origines de l’OIT, plusieurs oppositions ont été soulevées à
l’encontre de la création de cette Organisation, avec entre autres motifs évoqués notamment par
la France et la Grande Bretagne, le principe de la non-intervention de l’autorité publique (Sur
l’historique de l’OIT, cf. TEYSSIE (B.), op.cit, p. 62 et s.)
1122
On rappellera tout juste que les délégations nationales sont constituées de deux
représentants du gouvernement, d’un des représentants des salariés, désigné par le
gouvernement en accord avec les organisations syndicales les plus représentatives, et d’un
représentant des employeurs nommé dans les mêmes conditions.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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2. Une intervention publique supranationale inhérente au mécanisme d’élaboration

des Actes uniformes OHADA

15- Les Actes uniformes sont destinés à instaurer une législation commune
aux Etats membres pour régir les matières identifiées comme faisant partie du
« droit des affaires ». Pour cela, leur adoption qui n’est qu’une des conditions de
leur entrée en vigueur1123, est tout de même l’aboutissement d’un cheminement
spécial qui participe à la singularisation du droit OHADA, notamment pour ce qui
est de sa création dans la présente hypothèse.
En droit, le Secrétariat Permanent prépare les projets d’Actes uniformes
qu’il propose aux gouvernements des Etats parties ; ceux-ci disposent d’un délai
de 90 jours pour transmettre par écrit leurs observations au Secrétariat
Permanent. Aux termes de l’article 7 al. 2 du Traité révisé, ce délai « peut être
prorogé d’une durée équivalente en fonction des circonstances et de la nature
du texte à adopter, à la diligence du Secrétariat Permanent ». A l’expiration du
délai imparti, le Secrétariat Permanent établit un rapport auquel il joint les
observations susvisées et le projet d’Acte uniforme ; l’ensemble est transmis à la
CCJA pour avis. Celle-ci dispose de 60 jours pour émettre son avis. Au terme de
ce délai, le Secrétariat Permanent prépare le texte définitif du projet d’Acte
uniforme qu’il propose à l’ordre du jour de la prochaine session du Conseil des
Ministres. A l’occasion, l’adoption des Actes uniformes requiert l’unanimité des
représentants des Etats parties présents et votants ; elle n’est valable que si les
deux tiers au moins des Etats parties sont représentés.1124

1123
Depuis la brève réunion extraordinaire du Conseil des ministres tenue au QUEBEC le 17
octobre 2008 pour parachever les travaux de révision du Traité du 17 Octobre 1993 et dont le
produit est intitulé « Traité portant révision du traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires
en Afrique, signé à Port-Louis (Ile Maurice), le 17 octobre 1993), l’entrée en vigueur des Actes
uniforme intervient 90 jours après publication au journal officiel de l’OHADA, « sauf modalités
particulières d’entrée en vigueur prévues par les Actes uniformes », sans que les formalités de
publication dans les Etats parties n’aient quelque incidence sur cette entrée en vigueur.
Toutefois, la publication des Actes uniformes au journal officiel de l’OHADA intervient dans les 60
jours de leur adoption. (Article 9 de l’annexe du «Traité de Québec ».)
1124
Cf. les articles 6, 7 et 8 du Traité du 17 octobre 1993 relatif à l’harmonisation du droit des
affaires en Afrique.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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En fait, une procédure non prévue par le Traité est souvent utilisée :
chaque gouvernement fait examiner le projet par sa Commission nationale qui
fait des observations ou propose des amendements qui seront transmis au
Secrétariat Permanent. Après réception des observations des Commissions
Nationales, le Secrétariat Permanent organise une session desdites
Commissions1125 avant que le projet ne soit transmis à la CCJA pour avis1126.

16- La procédure d’élaboration des Actes uniformes telle que prescrite par le
Traité OHADA1127 enlève aux parlements nationaux et aux organes de l’exécutif
national, leur pouvoir législatif et réglementaire, certes. Mais elle n’en confère
pas plus aux principaux partenaires sociaux (travailleurs et employeurs) la totale
compétence de cette construction comme on aurait éventuellement pu l’imaginer
au moins pour le projet d’Acte uniforme relatif au droit du travail. Bien au
contraire, elle les exclut visiblement de manière radicale, en attribuant à un
organe communautaire, exclusivement composé des représentants des
gouvernements à savoir le Conseil des Ministres, la compétence absolue de
l’adoption des Actes uniformes. Et même si les Commissions nationales
pouvaient regorger quelque représentant des partenaires sociaux, cela ne
procède aucunement d’une quelconque obligation dans la mesure où, la
composition de ces Commissions est absolument laissée à la discrétion des
Etats-parties au Traité OHADA1128.

1125
BAMAKO (Mali), les 11 et 17 octobre 1995 : Session des Commissions Nationales pour
l’adoption du projet d’Acte uniforme sur les sociétés commerciales et les groupements d’intérêt
économique ; DAKAR (Sénégal), les 11 et 16 décembre 1995 : Session des Commissions
Nationales pour l’examen des avants projets d’Actes uniformes sur les sûretés, les Voies
d’exécution, le Droit comptable. (Cf. MOULOUL (A.), Comprendre l’organisation pour
l’harmonisation en Afrique du droit des affaires, opuscule 2ème édition, p.24)
1126
MOULOUL (A.), op.cit. p.24-25.
1127
Articles 5 à 9 du Traité du 17 octobre 1993 relatif à l’harmonisation du droit des affaires en
Afrique.
1128
Au Niger par exemple, l’arrêté n°15/MJ du 1er /04/1993 porte création et composition d’une
commission nationale ad-hoc chargée de l’harmonisation du droit des affaires dans la Zone franc.
Aux termes de l’article 2 de cet arrêté, la commission est présidée par le vice-président de la
Cour d’appel et comprend 5 autres membres. Cet article fut modifié par un autre arrêté
(n°21/MJ/GS/SG) du 11 juin 1993 qui, lui-même a été modifié par l’arrêté n°27/MJ/GS du 02 aout

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Au reste, l’intervention de l’autorité publique dans la création de la règle


juridique en matière de travail a été majorée et rendue indispensable du fait
même de la nature particulière de cette discipline et du rôle social qui est le sien.
On regrette seulement que cette majoration ait été excessive puisqu’elle
dépossède à certains moments les acteurs sociaux directs (employeurs et
salariés) de leurs prérogatives régaliennes. Heureusement toutefois, les
dispositions de cet Avant-projet d’Acte uniforme ne privent pas les acteurs
sociaux, y compris la puissance publique elle-même, de leur rôle indispensable
dans la mise en œuvre du droit du travail dont il a entrepris de contribuer à la
construction dans l’espace OHADA.

II. L’intervention exécutoire typique de l’autorité publique dans

la mise en œuvre d’un droit mixte

17- Le critère de distinction entre le droit public et le droit privé est quelque
part, et sous réserve des exceptions consacrée en la matière, constitué par la
qualité des personnes (de droit public ou de droit privé) dont les rapports sont
soumis à la régularisation. Dès lors, si la création de la règle de droit est
fondamentalement une œuvre étatique, son exécution est en principe l’affaire
des particuliers lorsqu’il s’agit d’une règle de droit privé, et des personnes
publiques lorsqu’on est en présence d’une règle de droit public1129. Le contrôle
d’une telle exécution est normalement assuré par le juge qui selon le cas, relèvera
d’une juridiction judiciaire ou d’une juridiction administrative. Ce principe étant,

1995. Aux termes de l’article 2 de ce nouvel arrêté, la commission ad-hoc est présidée par le
secrétaire général du Ministère de la justice et comprend 08 membres dont un vice-président
représentant le ministère des finances et du Plan. (Cf. MOULOUL, op.cit. p. 24)
1129
Cette présentation caricaturale qui d’emblée promeut la séparation mécanique de la branche
du droit privé et celle du droit public doit être appréhendée avec une certaine réserve. Le motif
est que la doctrine s’emploie de plus en plus à démontrer le décloisonnement, l’interpénétration
entre ces deux branches du droit (V. Kamta Elvice, Droit OHADA et entreprise publique, thèse de
doctorat Ph.D., p. 10 et s.

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et sans préjudice des exceptions juridiquement consacrées1130, le droit du travail


est rangé parmi les branches du droit dites mixtes du fait de l’intervention croisée
entre les personnes qui relèvent du droit privé et celles relevant du droit public1131.
Dans l’exécution des règles du droit du travail, le consensualisme n’est pas
absolu entre les partenaires sociaux. L’intervention de l’autorité publique par le
biais de ses représentants spécialisés en la matière sera, dans bien
d’hypothèses, indispensable à la mise en œuvre du droit dans cette discipline,
qu’il s’agisse des rapports individuels que des rapports collectifs de travail. Cette
intervention est d’ailleurs intrinsèque au droit du travail du moment où l’autorité
publique qui en est l’auteur, joue un rôle majeur dans la création et le
fonctionnement des organismes du travail ; il s’agit principalement du ministre en
charge du travail, de l’inspecteur du travail, ainsi que certains commis de l’Etat
dont la présence dans certains organismes du travail tel le Conseil consultatif de
travail, est d’ordre public. Au reste, l’intervention publique dans la mise en œuvre
du droit du travail est assurée par l’administration du travail. Cette intervention
est plurielle, permanente et globale. Elle s’opère aussi bien en situation
d’accalmie (A), que davantage en état de trouble (B).

A. L’intervention desserrée de l’autorité publique dans les rapports calmes de travail

18- En temps normal, la mise en œuvre du droit du travail, et plus


singulièrement l’exécution du contrat de travail, est laissée aux soins des parties.
Dans ces conditions, l’intervention de l’autorité publique, quoique indispensable
au regard de la nature de cette discipline, devrait se réduire à sa plus simple

1130
De telles exceptions sont fort nombreuses ; mais à titre illustratif, on peut citer la possibilité
pour des personnes morales de droit public de conclure un contrat sous l’empire du droit privé.
1131
Le droit pénal, le droit processuel, le droit de la prévoyance sociale et le droit du travail sont
qualifiés de droits mixtes. Les droits mixtes sont des droits dans lesquels on ne peut faire de
division des règles provenant du droit public et privé, c’est-à dire des règles provenant des
actions individuelles et des règles qui concernent les puissances publiques. Les droits mixtes ont
recours à l’ensemble des branches du droit qui réalisent une combinaison des règles de droit
privé et public.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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expression ainsi que les techniques indirectes en font la traduction. Une


exception est cependant faite au profit de quelques rares interventions directes
de l’administration du travail ici appelée à jouer au moins une triple mission de
coordination (1), de contrôle (2) et de consultation (3).

1. Une mission de coordination

19- Pour rester conforme à une pratique juridique classique et intrinsèque au


droit du travail, le législateur OHADA a envisagé dans ses articles 249 et
suivants, la consécration de l’administration du travail, ainsi que les bureaux de
placement de la main d’œuvre comme organismes administratifs1132. S’il laisse le
soin aux Etats-parties de fixer les modalités d’organisation et de fonctionnement
des seconds, il indique déjà que la première est chargée de toutes les questions
intéressant le travail, l’emploi et la sécurité sociale des travailleurs. Il précise en
outre que « les systèmes d’administration du travail visent tous les organes de
l’administration publique chargés de l’administration du travail et les
administrations régionales ou locales ou toute forme décentralisée
d’administration, ainsi que toute structure institutionnelle établie en vue de
coordonner les activités de ces organes et d’assurer la consultation et la
participation des employeurs, des travailleurs et de leurs organisations. »1133.
Il s’agit au fond de mobiliser les ressources publiques, et non privées,
nécessaires à la mise en œuvre sur le territoire national, d’une vision du travail
conçue par les autorités publiques qui logiquement, devraient en assurer la
coordination pour garantir des résultats optimaux. C’est sous ce prisme que l’on
peut appréhender la définition de l’administration du travail telle que consacrée
par la Convention n° 150 de l’OIT. Celle-ci y est conçue comme «les activités de
l'administration publique dans le domaine de la politique nationale du travail».

1132
Les articles 104 du code du travail camerounais parlent de l’administration du travail et de la
prévoyance sociale, tandis que les articles 112 et suivants du même code traitent de la question
du placement.
1133
Article 249 al.2 de l’AP/AUDT.

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D’ailleurs, l’OIT perçoit l’administration du travail comme un outil essentiel dont


disposent les gouvernements pour s’acquitter de leurs obligations en matière
sociale. Les normes internationales du travail sont en principe appliquées à
travers la législation et les politiques nationales. Il est donc essentiel que chaque
pays entretienne un système d’administration du travail actif et viable, en charge
de tous les aspects d’élaboration et de mise en œuvre de la politique nationale
du travail.

20- Une bonne coordination de la mise en œuvre de la politique


nationale du travail est à la fois économiquement salutaire, et préalablement
tributaire du degré d’efficacité de l’administration du travail. En effet, une
administration du travail efficace permet un climat stable pour les entreprises car
il s'agit d'une institution essentielle du marché qui encourage l'investissement
direct étranger et national. Les investisseurs ne sont pas attirés dans les Etats
où l’administration du travail est laxiste. Dans le marché du travail d'aujourd'hui,
un faible respect des législations nationales – ainsi que le non-respect des
normes fondamentales internationales du travail – peut engendrer l'inquiétude
des consommateurs.
De plus, une administration du travail saine est importante pour les
employeurs car les gouvernements donnent effet à travers elle aux politiques
économiques et sociales clés qui ont un impact direct sur le monde du travail. La
convention de l'OIT n°150 (Administration du travail, 1978) reconnaît cette
pertinence en demandant aux pays qui l'ont ratifiée d'établir des mécanismes de
consultations, de coopération et de négociation avec les organisations
d'employeurs ; ainsi, elle promeut l'engagement de ces derniers dans le
développement et la mise en œuvre des politiques nationales en matière
d'emploi.
Les organisations d'employeurs ont un rôle à jouer : elles doivent
demander des allocations budgétaires appropriées, suivre la performance de
l'inspection et attirer l'attention du gouvernement sur des préoccupations ou des
questions d'abus ou de corruption. Les organisations d’employeurs peuvent

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aussi jouer un rôle en aidant à la formation des inspecteurs et dans la préparation


de matériels utilisés par l'administration du travail qui établissent les droits et les
responsabilités des employeurs et des travailleurs selon la loi1134. Il revient de ce
fait à l’administration du travail de créer, en vertu du rôle global de coordination
de toutes les questions liées au travail qui lui incombe, le cadre approprié pour
l’exercice de telles mesures. Ainsi, fait-elle preuve de sagesse en consultant les
organisations privées de travail dans le cadre de la mise en œuvre de sa politique
nationale en matière de travail qu’elle coordonne. Néanmoins, elle ne se défait,
et ne saurait se défaire d’une autre mission essentielle qui lui incombe dans
l’exercice tranquille de sa politique de travail ; il s’agit du rôle consultatif dans les
relations de travail qu’elle joue, et dont la méconnaissance par les partenaires
peut compromettre la validité de l’acte accompli par ces derniers.

2. Une mission de contrôle

21- Une administration du travail forte qui garantit le respect des lois
nationales peut être pour les entreprises nationales et internationales, un
élément attractif. Cette logique rentre dans la vision globale de l’OHADA de servir
l’intégration économique et la croissance. C’est ainsi que par le biais de l’article
251 de l’AV/AUDT, elle confie aux inspecteurs du travail, sans pour autant innover
sur la question1135, une mission de contrôle du respect de la législation du travail.
Il y est en effet impérativement disposé que « les inspecteurs du travail sont
chargés de veiller à l’application des dispositions du présent Acte uniforme, des
textes pris pour son application au plan national ainsi que des conventions et
accords collectifs de travail. »1136. Il est avéré au regard des abus perpétrés dans

1134
http://www.ioe-emp.org/fr/
1135
Il est de tradition qu’en droit du travail, la mission de contrôle dans les entreprises soit assurée
par les inspecteurs du travail. L’AP/AUDT ne fait qu’en réalité s’inscrire dans une logique de
conformité et de respect de cette tradition.
1136
Article 251 de l’AP/AUDT. Cet article ajoute d’ailleurs in fine que les inspecteurs du travail sont
également chargés, concurremment avec les autorités compétentes dans l’Etat Partie, de
constater, s’il échoit, les infractions à ces dispositions.

451
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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les entreprises, que les mesures de protection des travailleurs se singularisent


par une certaine inanité lorsqu’elles ne sont pas assorties d’un contrôle
d’application assuré par ces fonctionnaires spécialisés que sont les inspecteurs
du travail. Il s’agit d’ailleurs là d’une des tâches essentielles qui leur incombent,
sinon la plus importante. Ils peuvent être assistés le cas échéant par le médecin-
inspecteur du travail dans leur mission de contrôle1137.

22- La mission de contrôle de l’inspecteur s’exerce sur toutes les entreprises


publiques ou privées, laïques ou religieuses, quel que soit le nombre des salariés
et quel que soit le but1138. Le domaine de ce contrôle est très vaste. Il embrasse
à la fois le contrôle juridique du respect de la réglementation du travail1139 et le
contrôle technique à propos de l’hygiène et de la sécurité. Dans l’exercice de ce
dernier aspect du contrôle, le législateur OHADA permet à l’inspecteur du travail
d’aller au-delà d’une simple activité de contrôle pour prescrire sur avis motivé
aux entreprises, la création d’un Comité de Santé et de Sécurité au Travail par

1137
On peut en effet lire à l’article 140 de l’AV/AUDT que : « L’employeur est tenu d’aviser
l’Inspecteur du travail et le Médecin-Inspecteur du travail, s’il en existe, afin de mise en œuvre
des contrôles y afférents chaque fois que des machines ou des installations nouvelles sont mises
en service ou lorsqu’elles ont subi des modifications importantes ou que de nouveaux procédés
sont introduits. »
1138
On peut hésiter quant à l’extension des pouvoirs de contrôle de l’inspecteur du travail dans
les établissements militaires. En fait, l’introduction dans ces établissements d’agents étrangers
au service peut être compromise au regard de l’intérêt de la défense nationale du secret-défense
qui tend à singulariser de tels établissements. C’est d’ailleurs pour en tenir compte que le
législateur camerounais prévoit que « dans les établissements militaires employant de la main-
d’œuvre civile, les attributions des inspecteurs du travail en matière de contrôle de l’application
de la législation et de la réglementation du travail peuvent être confiées à des fonctionnaires ou
officiers spécialement désignés à cet effet, chaque fois que l’intérêt de la défense nationale
s’oppose à l’introduction dans ces établissements d’agents étrangers au service ». Dans le droit
positif français du travail, en plus des établissements militaires, échappent au contrôle
traditionnel des inspecteurs du travail, les entreprises de transport public, les entreprises de
production, de transport et de distribution d’énergie électrique ou de gaz, les entreprises
minières ; le contrôle y est assuré par des agents spécialement désigné en fonction de
l’entreprise concernée (V. TEYSSIE (B.) op.cit. p.137). De toutes les façons, l’AU/AUDT laisse le
soin aux Etats parties de fixer les attributions, les pouvoirs, les modalités de constatation des
infractions, et le statut des Inspecteurs du travail, des Contrôleurs et des Médecins - Inspecteurs
du travail (Cf. article 250 de l’AU/AUDT).
1139
On peut citer à titre illustratif l’emploi de la main d’œuvre, la rémunération, la durée du travail,
l’institution représentative du personnel, les conventions collectives, le règlement intérieur, etc.

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exemple lorsqu’elles emploient, en raison de la nature de l’activité, de


l’agencement ou de l’équipement des locaux, moins de cinquante (50)
travailleurs1140.

23-L’on peut toutefois sur ce point formuler un regret à l’encontre de cette


législation ohadienne du travail en gestation. Il s’agit de l’absence d’une pression
légale exercée sur l’inspecteur du travail et visant à garantir, au moins
formellement, l’efficacité de son office au sein des entreprises soumises à son
contrôle. Cette pression aurait pu consister en la fixation d’une périodicité que
devra respecter le commis de l’Etat dans le cadre de l’exercice de ses missions
de contrôle. Ainsi par exemple, le législateur OHADA pourrait prévoir que
« l’inspecteur du travail est tenu d’effectuer au moins une fois par trimestre (ou
par semestre) une visite inopinée de contrôle dans chacune des entreprises
situées dans son ressort territorial ». La prise d’une telle mesure aurait le mérite
de renforcer l’idée qu’on voudrait bien nourrir à l’endroit du législateur OHADA,
et d’après laquelle, l’objectif économique par lui recherché n’a pas annihilé sa
considération pour les droits humains, notamment ceux du travailleur dans cette
hypothèse. Il est en effet incontestable de relever que dans la pratique, les
employeurs ont cette fâcheuse propension à léser leurs travailleurs au grand dam
des prescriptions légales et réglementaires en matière sociale. Seule la présence
régulière de cet organe indépendant, qui de surcroît est investi des prérogatives
de puissance publique, peut tempérer de telles déviances. La nature de l’autorité
habilitée à prendre les Actes uniformes1141, ainsi que le mécanisme d’adoption de
ces textes, ont en principe pour conséquence d’éviter que l’on indexe, à tort ou
à raison, quelle que réticence des Etats membres à prendre les mesures
nécessaires sur le plan interne pour faciliter l’application de cette prescription.

1140
V. Article 159 al.2 de l’AP/AUDT. Une telle prérogative n’est qu’exceptionnelle car à partir de
cinquante travailleurs employés dans une entreprise, cette dernière est légalement tenue
d’organiser en son sein un comité de santé et sécurité au travail (cf. al.2 de l’article 159).
1141
On rappelle que cet organe est essentiellement gouvernemental. Il s’agit du Conseil des
ministres.

453
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24- Il faut enfin percevoir comme un exercice de contrôle, l’intervention


de l’inspecteur du travail en matière de cession de rémunération. En droit, la
cession de salaire ne peut engendrer les effets qui lui sont attachés que si elle a
été souscrite dans les formes exigées par loi. Encourt donc cassation l’arrêt qui
valide la retenue de salaire sans constater, dans ses motifs, que la cession qui a
fondé ladite retenue a respecté les règles de formes prévues1142. S’il y a en effet
obligation de déclarer la cession de salaire au président du tribunal compétent
dans l’hypothèse de l’implication d’un acteur extérieur à la relation de travail, c’est
à l’inspecteur du travail qu’une déclaration doit se faire dans l’hypothèse, par
exemple, du remboursement d’avances. Dès lors, la vérification que l’inspecteur
du travail est appelé à effectuer une fois que la cession de salaire lui a été
déclarée s’analyserait comme un contrôle préventif1143. Il s’agit là d’une solution
camerounaise, d’autant plus qu’en son article 130 alinéa 2, l’Avant-projet laisse,
à raison selon nous, le soin aux Etats parties de définir les conditions de validité
de cette opération.
Il n’en sera d’ailleurs pas toujours ainsi, au sujet par exemple de la mission
consultative qui participe d’un élément important du cahier de charge de l’Etat,
mais pour laquelle le rôle de l’inspecteur du travail est relativement secondaire.

3. Une fonction consultative

25-Par le mécanisme de la consultation, l’administration du travail se dote des


moyens devant lui permettre de garantir le dynamisme du droit du travail qui
procède des fluctuations inéluctables de la réalité sociale. De la sorte, l’Etat
participe plus ou moins directement à l’assainissement et à la précision des
rapports entre les partenaires sociaux. C’est dans cet ordre de pensées que

1142
Cf. Cour Suprême, Arrêt n° 118 du 06 avril 1971, affaire Donjo Pierre contre GECICAM, Les
grandes décisions du droit du travail et de la sécurité sociale sous la direction du Professeur
Jean-Marie Tchakoua, JusPrint, 2016, p. 169.
1143
KAMTA FENDOP (E.M.), La cession de salaire, in Les Les grandes décisions du droit du travail
et de la sécurité sociale sous la direction du Professeur Jean-Marie Tchakoua, JusPrint, 2016, p.
169 et s.

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s’inscrit l’AP/AUDT lorsqu’il commande au Etats-parties d’instituer auprès du


ministre du travail d’une part, un organisme consultatif regroupant les autorités
publiques et les organisations professionnelles d’employeurs et de travailleurs à
l’échelon national, dénommé Conseil Consultatif du Travail, et d’autre part, un
Comité Technique Consultatif pour l’étude des questions intéressant la sécurité
et la santé des travailleurs1144. L’AP/AUDT laisse le soin au Etats-membres de fixer
les modalités d’organisation et de fonctionnement de ces organismes
consultatifs. Plusieurs législations nationales sont d’ailleurs déjà dotées de ces
organismes consultatifs à l’instar du Cameroun qui a mis sur pied par décret
n°93/084/PM du 26 janvier 1993, une Commission Nationale Consultative du
Travail dont il précise l’organisation et le fonctionnement, ainsi que celles du
Comité permanent et des Comités ad hoc qu’il crée également en même temps.
De la lecture de l’article 255 alinéa 2, le Conseil Consultatif de Travail a
pour mission d’étudier les problèmes concernant le travail, la sécurité sociale,
l’emploi, l’orientation et la formation professionnelles, l’amélioration des
conditions de travail et des libertés fondamentales d’une part, et d’émettre des
avis et de formuler des propositions sur tout texte législatif ou réglementaire à
intervenir en ces matières d’autre part.
L’action de l’Etat est ici double : d’abord, elle consiste en la création de
l’organisme pour lequel l’administration du travail est seul habilitée ; ensuite, elle
concerne la participation des autorités publiques à la composition de l’organisme,
avec pour point d’ancre sa présidence qui est assurée par le ministre en charge
du travail ou son représentant1145.

26-A la différence de la solution retenue en droit positif camerounais, qui se


doit en outre de se corriger pour se conformer à celle envisagée d’autorité par le
législateur OHADA en cas d’adoption par le Conseil des ministres de l’AP/AUDT,

1144
Cf. respectivement les articles 255 et 256 de l’AP/AUDT.
1145
Cette solution consistant à confier la présidence du conseil consultatif du travail au ministre
du travail est du moins celle retenue par le législateur camerounais, le législateur OHADA ayant
laissé le soin aux Etats-membres de fixer l’organisation et le fonctionnement de ces organismes
tel que relevé ci-dessus.

455
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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ce dernier dilue sensiblement la place de l’autorité publique dans la création, la


composition et le fonctionnement du Comité de Santé et de Sécurité au Travail.
Il prévoit en effet que le Comité est dirigé par l’employeur ou son représentant
(et non par le ministre chargé du travail ou son représentant selon le code
camerounais du travail), et composé de l’employeur ou de son représentant, de
trois délégués du personnel désignés par leurs pairs, du médecin du travail ou
du personnel de santé employé par le service de médecine de travail de
l’entreprise. Toutefois, L’Inspecteur du travail est informé de la date de tenue des
réunions du Comité auxquelles il peut assister. Et l’on se souvient qu’il lui est
même possible de prescrire à l’employeur, la création du Comité lorsque
l’entreprise n’atteint pas un effectif de cinquante travailleurs requis pour la
création obligatoire dudit comité1146.
A notre avis, la solution envisagée par le législateur OHADA semble plus
appropriée car elle permet d’éviter la saturation de l’administration du travail pour
laquelle, l’on peut déplorer, comme le trahit la pratique de l’activité de
l’administration publique, les lenteurs très souvent préjudiciables aux justiciables.
La pertinence de cette solution procède par ailleurs d’une oxygénation des
entreprises qui, pour jouir d’une certaine intimité, ont de temps à autre besoin
d’une limitation de l’envahissement de l’autorité publique dans leur sein. Cette
solution est d’autant moins précaire que l’inspecteur du travail conserve, pour la
question, tous ses pouvoirs de contrôle et le cas échéant, d’interpellation voire
d’action correctrice lorsque des irrégularités sont perpétrées, et susceptibles de
troubler les rapports entre les partenaires sociaux. Dans ces cas de conflits pour
lesquels on peut énumérer plusieurs hypothèses, l’intervention de l’autorité
publique est tout aussi impérative que permanente.

1146
Cf. supra, para n°22.

456
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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B. L’intervention accentuée de l’autorité publique dans les rapports

tumultueux de travail

27- Les crises sociales ont cette particulière potentialité et cette spécifique
propension à se déployer sur le terrain de l’économie nationale, et donc sur la
société tout entière avec toutes les conséquences malheureuses que l’on peut
en tirer. Ainsi, la délicatesse de leur gestion s’explique par la nécessité de
concilier pour les protéger, deux poches d’intérêts aux combinaisons
différentes : la première combinaison est contradictoire et oppose l’intérêt de
l’employeur et celui du salarié ; la seconde combinaison est quant à elle
complémentaire et rapproche l’intérêt de l’entreprise et l’intérêt de l’économie
toute entière. Tout ceci traduit toute la délicatesse qu’il faut déployer pour gérer
les conflits, aussi bien individuels que collectifs, susceptibles d’opposer les
partenaires sociaux directs. Aussi, l’autorité publique intervient-elle lorsque le
conflit a conduit ou est susceptible de conduire à la rupture de la relation de
travail (2) ; mais cette intervention demeure juridiquement nécessaire même
dans l’hypothèse d’un simple relâchement de cette relation de travail (1).

1. En cas de relâchement de la relation de travail

28-Plusieurs hypothèses de relâchement du lien contractuel sont


appréhendées par le droit du travail. Il peut s’agir des cas de suspension du
contrat du travail. L’article 29 de l’AP/AUDT recense 15 cas de suspension du
contrat de travail ; mais la plupart de ceux-ci n’ont pas un fond conflictuel qui
justifierait l’intervention de l’autorité publique1147. Cependant, lorsque cette

1147
De l’analyse de la disposition de l’article 29 de l’AP/AUDT, on peut énumérer 13 cas de
suspension du contrat du travail qui n’ont pas ce fond conflictuel. Ainsi en est-il lorsque le contrat
de travail est suspendu :
1) en cas de fermeture de l’établissement par suite du départ de l’employeur astreint au service
national actif sous les drapeaux ou pour une période obligatoire d’instruction militaire ;
2) pendant la durée du service militaire du travailleur et pendant les périodes obligatoires
d’instruction militaire auxquelles il est astreint ;

457
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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suspension est faite dans une atmosphère litigieuse, l’autorité publique aura
toujours vocation à intervenir pour lui faire revêtir un caractère régulier. Il en est
ainsi de la suspension due à la mise à pied disciplinaire et à la grève.
Toutefois, la suspension du contrat du travail consécutive au chômage
technique ou économique n’est juridiquement valable que si elle est initiée par
l’employeur après consultation des délégués du personnel s’il en existe, certes,
mais après avis de l’inspecteur du travail1148. Une telle mesure est justifiée par le
souci du législateur de réduire à leur plus simple expression, l’efficacité des
actions susceptibles d’être entreprises par les employeurs pour abuser des droits
des travailleurs, par la prescription des chômages techniques ou économiques
fictifs. En termes de durée, certaines législations nationales ont fixé le plafond
du temps du chômage technique ou économique à six mois1149 ; toutes choses
qui participent également de la volonté législative de protéger les travailleurs.

29-L’on peut s’accorder avec Gérard CORNU pour définir la mise à pied
disciplinaire comme étant cette sanction disciplinaire qui peut être prononcée à

3) pendant la durée de l’absence du travailleur, en cas de maladie dûment constatée par un


médecin agrée dans la limite de six (6) mois. Ce délai est prorogé jusqu’au remplacement du
travailleur ;
4) pendant la période d’indisponibilité résultant d’un accident du travail ou d’une maladie
professionnelle ;
5) pendant le repos de la femme bénéficiaire des dispositions relatives à la maternité ;
6) pendant l’absence du travailleur autorisée par l’employeur en vertu de la réglementation, des
conventions collectives ou d’accords individuels ;
7) pendant la durée du congé payé, augmentée éventuellement des délais de route et des
périodes d’attente des moyens de transport ;
8) pendant les périodes de fermeture annuelle de l’établissement lorsque celles-ci ne coïncident
pas avec la durée de congé des travailleurs, tel que prévu à l’article 102 ci-dessous ;
9) pendant la durée d’un mandat parlementaire, à la demande écrite de l’intéressé ;
10) pendant le congé de formation prévu à l’article 72 ci-dessous ;
11) pendant la période de mise en disponibilité du travailleur ;
12) pendant la période de chômage technique ou économique ;
13) pendant la période de détention préventive ou provisoire du travailleur, période limitée à six
(6) mois.
1148
Cf. article 35 de l’AP/AUDT.
1149
Cf. par exemple l’article 32 alinéa K du code du travail au Cameroun. L’AP/AUDT ayant laissé
le soin aux Etats-parties de fixer la durée maximale du chômage technique ou économique, ainsi
que l’indemnisation des travailleurs.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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l’encontre d’un salarié fautif, même en l’absence d’un texte, en vertu du pouvoir
disciplinaire inhérent à la qualité d’employeur1150. L’AP/AUDT est silencieux quant
à la nature ou l’existence d’une éventuelle intervention de l’administration du
travail pour garantir la régularité de cette sanction. Dès lors, l’option prise par le
législateur camerounais peut être suggestive à l’égard du législateur OHADA.
Pour celui-ci, la mise à pied disciplinaire est nulle et de nul effet si les conditions
de durée (qui ne peut excéder huit jours), de notification par écrit au travailleur
avec indication des motifs pour lesquels elle a été infligée, et de communication
dans les quarante-huit heures à l’inspecteur du travail du ressort, ne sont pas
simultanément remplies1151. Une fois de plus, l’intervention de l’autorité publique
par le biais de son représentant spécialisé qu’est l’inspecteur du travail est
indispensable pour la validité de l’acte de l’employeur. Cette intervention est
d’autant plus indispensable qu’en cas de défaut, le travailleur à l’encontre duquel
la sanction disciplinaire a été prononcée perçoit une indemnité correspondant au
salaire perdu et, éventuellement, des dommages. Il serait donc souhaitable que
le législateur se déploie dans ce sens.

30- Au sens de l’article 242 de l’AP/AUDT, la grève est « la cessation


collective et concertée du travail en vue d’appuyer des revendications
professionnelles déjà déterminées auxquelles l’employeur n’a pas donné
satisfaction. »1152 Pour être licite, prescrit le législateur OHADA, elle doit être
précédée d’un préavis1153 émanant des représentants que les travailleurs
concernés auront désigné. La lettre de préavis doit parvenir vingt jours francs
avant le déclenchement éventuel de la grève à la direction de l’entreprise, à

1150
Cf. CORNU (G.) op.cit, p. 592
1151
Cf. article 30 du code du travail camerounais.
1152
La grève se différencie du lock-out. L’article 245 de l’AP/AUDT définit ce dernier comme étant
« la fermeture de tout ou partie d’une entreprise ou d’un établissement décidé par l’employeur à
l’occasion d’une grève des travailleurs de son entreprise. ». Nous ne l’avons pas évoqué dans le
corpus du devoir, car l’intervention de l’inspecteur du travail est a priori exclue dans sa mise en
œuvre, étant entendu que l’illicéité de cette mesure n’est tributaire qu’à sa justification par un
motif étranger à la force majeure ou à une grève illicite qui paralyse les activités de l’entreprise.
1153
Le préavis doit en outre préciser les motifs du recours à la grève ainsi que la date et l’heure
de début de la grève envisagée article 242 al.2 et 3 de l’AP/AUDT.

459
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

l’inspecteur du travail du ressort et, si l’arrêt de travail dépasse le ressort d’une


inspection du travail, au directeur de travail.
Une telle prescription procédurale permettra à l’administration du travail
ainsi informée, d’apprécier les motifs des revendications et envisager d’interdire
ou non la grève projetée selon que la justesse de ces motifs a poussé l’inspecteur
du travail à convaincre l’employeur qui s’est ravisé ou non, ou que la maladresse
de ceux-ci n’était pas de nature à emporter l’adhésion du commis de
l’administration.
Dans tous les cas, une grève licite ou illicite peut pousser l’employeur à
licencier un ou plusieurs travailleurs. Dès lors, le contentieux qui va suivre le cas
échéant, devra impliquer dans son déroulement normal, l’intervention de
l’autorité administrative compétente ainsi qu’il se doit dans tout contentieux
induisant l’anéantissement du lien contractuel de travail.

2. En cas de rupture de la relation de travail

31- L’on énumère plusieurs causes de rupture du lien contractuel social que
l’on peut classer selon qu’elles émanent de l’employeur ou du travailleur.
Cependant, on peut aussi les classer selon qu’elles interviennent dans des
circonstances potentiellement calmes ou alors intrinsèquement litigieuses.
Toutefois, nous voudrions pour les besoins de la cause, combiner toutes ces
classifications pour en proposer une nouvelle qui réponde au critère de
l’intervention ou non de l’autorité administrative dans le régime de la gestion.
Ainsi, l’intervention de l’autorité administrative est juridiquement et pratiquement
inutile lorsque la rupture du lien contractuel résulte de l’arrivée du terme d’un
contrat à durée déterminée, du départ à la retraite ou de la mise à la retraite, et
du décès. Il sera ainsi dans tous les cas où la démission ou le licenciement
n’entraine pas un contentieux. Mais en cas de différends individuels ou collectifs
nés ou conduisant à un licenciement ou à une démission, l’autorité administrative
compétente sera inévitablement sollicitée pour agir selon le cas de figure ; le

460
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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licenciement pour motif économique exigera d’ailleurs dans son processus, sauf
exception1154, l’intervention de l’autorité administrative.

32-Tout différent individuel ou collectif doit être soumis à la procédure de


conciliation préalable devant l’inspecteur du travail avant d’être connu en cas de
non-conciliation totale ou partielle par les juridictions statuant en matière sociale
pour le premier type, ou par une instance arbitrale saisie par le ministre en charge
du travail pour le second type.
Il en est de même du licenciement du délégué du personnel qui ne peut
être effectué qu’après autorisation préalable de l’inspecteur du travail1155
C’est dire que si en dépit des actions préventives, de contrôle et de
conseil, un différend naît, l’inspecteur du travail est chargé de concilier les
parties. Le caractère obligatoire de cette tentative de conciliation renforce la
prépondérance de la place de l’autorité administrative dans le circuit procédural
de la gestion des conflits en matière de travail. Cette mission de conciliation
incombant à l’inspecteur du travail passe pour devenir sa tâche la plus
importante. Potentiellement, les inspecteurs du travail règlent une quantité
importante des différends dont ils sont saisis. Cela a pour conséquence d’alléger
sensiblement les rôles des tribunaux. On pourrait alors analyser cette
conséquence comme l’érection de l’inspection du travail en une sorte de
"juridiction à l’enveloppe administrative et à l’action judiciaire". On y verrait
conséquemment une sorte de "juridiction introductive d’instance", qui précède
les juridictions d’instance classiques, elles-mêmes suivies des juridictions d’appel
pour que le bout de la chaîne soit constitué par les juridictions de cassation.

1154
La procédure concernant le licenciement pour motif économique n’est pas applicable en cas
de protocole amiable de départ librement négocié entre l’employeur et le travailleur (article 58
de l’AP/AUDT)
1155
Les articles 181 et suivants de l’AP/AUDT fixent le régime de la protection du délégué
personnel dans lequel on peut apprécier le rôle infiniment central qu’y joue l’inspecteur du travail.

461
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

33- Dans l’hypothèse du licenciement pour motif économique1156, le rôle


de l’inspecteur du travail est requis lors du déroulement de la procédure. En effet,
le licenciement pour motif économique tel que réglementé par l’AP/AUDT est
obligatoirement précédé d’un projet de licenciement1157qui doit lui-même
obligatoirement être remis aux délégués du personnel, s’il en existe. Ceux-ci
disposent d’un délai de quinze jours pour formuler leurs observations écrites. Au
terme de ce délai, le projet de licenciement initial éventuellement amendé pour
tenir compte des observations des délégués du personnel est transmis, avec
lesdites observations, par l’employeur à l’Inspecteur du travail, pour avis.
L’Inspecteur dispose d’un délai d’un mois pour formuler son avis. Au bout de ce
délai, l’employeur est en droit de notifier les licenciements envisagés1158. Et même
lorsque les parties concluent en vertu de la faculté dont elles sont dotées de par
la loi, une transaction après le licenciement ou la démission, celle-ci ne pourra
prendre effet qu’après homologation par procès-verbal dressé par l’Inspecteur
de travail.
L’innovation dans l’AP/AUDT est traduite ici par une sorte de substitution.
L’autorité publique en charge d’intervenir dans l’hypothèse des licenciements
pour motif en droit positif camerounais est le Ministre en charge du travail. C’est
ce dernier qui en dernier ressort statue en tant qu’arbitre sur la liste dressée par
l’employeur assortie de l’avis des délégués du personnel. Mais le législateur

1156
Constitue un licenciement pour motif économique, tout licenciement effectué par un
employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du travailleur et résultant
d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification substantielle du contrat de
travail, consécutive à des difficultés économiques, à des mutations technologiques ou à des
restructurations internes (Article 53 de l’AP/AUDT).
1157
Ce projet doit contenir les indications suivantes :
− le ou les motifs économiques et l’état des effectifs de l’entreprise ;
− le nombre, la qualification, l’aptitude professionnelle, l’ancienneté, la nature du contrat et la
situation de famille des travailleurs susceptibles d’être concernés ; l’ancienneté est majorée d’un
an par enfant à charge au sens de la législation de l’Etat Partie ;
− les mesures pouvant éviter ou limiter, s’il y a lieu, les licenciements projetés ou faciliter le
reclassement des travailleurs concernés.
1158
En cas de licenciement économique concernant un seul travailleur, ces délais prévus sont
réduits à quarante-huit heures pour la consultation des délégués du personnel, s’il en existe, et
à huit jours pour l’avis de l’Inspecteur du travail (article 54 al.4 de l’AP/AUDT).

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

OHADA a dévolu ce rôle à l’inspecteur du travail. Cette option nous parait des
plus pragmatiques. Elle est en tout cas de nature à faciliter la procédure compte
tenu de la proximité qu’a l’inspecteur du travail avec l’entreprise, par opposition
au ministre qui non seulement semble en est assez éloigné, mais aussi pourrait
être submergé. Toutefois pour garantir l’objectivité de la décision de l’inspecteur
du travail, il serait plausible de leur imposer la collégialité sous la présidence de
l’inspection régionale.

34- Au demeurant, l’intervention de l’autorité administrative dans la


dynamique du droit du travail est assez remarquée. Le législateur OHADA dans
son avant-projet d’Acte uniforme relatif au droit du travail est resté étroitement
fidèle à cette logique. Il est toutefois apparu qu’à des degrés relativement
négligeables, l’AP/AUDT a fait montre sur la question de certaines limites dans
sa réglementation. Heureusement, les innovations qu’il a opérées ont contribué
plus ou moins à diluer les conséquences de ces lacunes. On pourrait aussi se
demander si au-delà de la position d’autorité qu’occupe l’administration publique
dans la dynamique du droit du travail, cette dernière se retrouve, en tant que
partie au contrat de travail, assujettie aux règles du droit travail. Le contrat de
travail ainsi conclu aura-t-il un caractère public ou un caractère privé ? bref que
pourrait être de lege ferenda, ou à titre prospectif, la part de l’AU/AUDT dans le
régime juridique d’un tel contrat ?

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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LE PRINCIPE DE
PROPORTIONNALITÉ
ET LA PROTECTION DU
DÉBITEUR SAISI EN DROIT
OHADA

Bruno Marcelin KEM CHEKEM - Docteur Ph.D - Chargé de Cours - Université de

Dschang

____________________

464
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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1. « Le principe de proportionnalité est essentiellement un principe de


modération du pouvoir »1159. D’origine publiciste et consacré par certains droits
publics étrangers1160, il se présente avant tout comme une garantie offerte aux
citoyens dans leurs rapports avec l’État. Il induit ainsi « l’obligation pour l’autorité
publique, qu’elle soit législative ou administrative, de respecter au mieux les
droits des personnes et, par conséquent, ne restreindre ceux-ci que dans la
stricte mesure où cela est nécessaire à l’intérêt général »1161.

2. Mais il y a longtemps que le principe de proportionnalité n’est plus seulement


réductible à la sphère des relations avec l’État. Sortant de ce berceau qui l’a vu
naitre, il a, au fil du temps, à la fois sur l’impulsion du législateur, de la jurisprudence
et de la doctrine, progressivement pénétrer les rapports entre particuliers, en
prenant explicitement, mais aussi implicitement place au sein des règles qui les
régissent1162. Postulant l’adéquation des moyens au but recherché, la juste mesure,
la mise en balance des intérêts en présence, le principe de proportionnalité est
devenu ainsi du fait de sa « propagation exponentielle »1163, un véritable principe
général, intangible, qui irrigue la plupart des branches du droit ayant vocation à
s’appliquer aux rapports privés. Même s’il a fait l’objet d’une systématisation en
droit privé1164, ce principe est spécialement évoqué dans certaines matières à
l’instar du droit pénal1165, du droit du travail1166, du droit des sûretés1167, du droit des

1159
N. Belley, « L’émergence d’un principe de proportionnalité », Les cahiers de droit, vol. 38, no
2, 1997, p. 247.
1160
S. Le Gac-Pech, La proportionnalité en droit privé des contrats, LGDJ, 2000, 580p.
1161
N. Belley, « L’émergence d’un principe de proportionnalité », préc., p. 247.
1162
Sur cette évolution, lire A. Guilmain, « Sur les traces du principe de proportionnalité : une
esquisse généalogique », McGill Law Journal, vol. 61, no 1, sept. 2015, pp. 87-137.
1163
Idem, spéc., p. 87.
1164
S. Le Gac-Pech, Op. cit.
1165
E. Dreyer (dir.), « La proportionnalité en matière pénale », Gaz. pal. no 36, 2017, p. 64 et s.
1166
I. Cornesse, La proportionnalité en droit du travail, Litec, 2001 ; A. Bugada, Réflexions sur le
contrôle judiciaire de proportionnalité en droit du travail, PUAM, coll. Droits, pouvoirs et sociétés,
2018.
1167
P. Crocq, « Sûretés et proportionnalité », in Mélanges Simler, Litec, Paris, 2006, p. 291 et s.,
S. Pesenti, Le principe de proportionnalité en droit des sûretés, PA no 51, 2004, p. 12 et s.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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sociétés1168, du droit de la concurrence1169, du droit des contrats1170 et du droit des


procédures collectives1171.

3. Le droit des voies d’exécution n’est pas en reste. Pourtant, la riche littérature
juridique existante en la matière ne comprend que subsidiairement et de manière
éparse des développements sur le principe de proportionnalité. Elle ne comporte
aucune étude qui traite spécifiquement et de manière globale de ce principe qui,
à l’évidence, trouve en cette matière l’un de ses terreaux d’application. En effet,
le caractère éminemment conflictuel des voies d’exécution traduit l’existence
d’intérêts opposés, entre lesquels il faut nécessairement trouver un juste
équilibre. C’est parce que le débiteur tenu en vertu d’un contrat, d’une obligation
légale ou d’une décision de justice l’ayant condamné à payer quelque chose, ne
s’est pas exécuté que le créancier est en droit de faire recours à l’exécution
forcée à travers les saisies. Mais en même temps, pour légitime qu’il soit, ce droit
de saisir doit être exercé dans le respect du droit égal d’autrui, en l’occurrence
du débiteur1172. Le créancier est ainsi appelé à faire preuve d’une circonspection
particulière, parce que l’exercice de son droit est de nature à porter atteinte à
l’honneur ou à l’un des intérêts essentiels de son adversaire1173. La juste mesure
de l’équilibre ainsi recherchée entre les intérêts des parties dans l’exécution
forcée ne pouvait être trouvée qu’à travers la nécessaire prise en compte du

1168
R. Vatinet, « Existe-t-il un principe de proportionnalité en droit des sociétés », PA no 117, 1998,
p. 58 et s.
1169
S. Ottoni, Principe de proportionnalité et droit de la concurrence, Thèse de doctorat,
Université la Sapienza-Rôme, 2014.
1170
D. Mazeaud, « Le principe de proportionnalité et la formation du contrat », PA no 117, 1998,
p. 12 et s. ; N. Molfessis, « Le principe de proportionnalité et l’exécution du contrat », PA no 117,
1998, p. 21 et s. ; H. Lecuyer, « Le principe de proportionnalité et l’extinction du contrat », PA
no 117, 1998, p. 31 et s. ; G. Viney, « La réparation en nature du dommage contractuel et le
principe de proportionnalité », Rev. des contrats no 2, avril 2007, p. 297 et s.
1171
J. M. Calendini, « Le principe de proportionnalité en droit des procédures collectives », PA
no 117, 1998, p. 51 et s. ; P. Nabet, « Le principe de proportionnalité s’invite en droit des
procédures collectives », PA no 70, 2010, p. 3 et s.
1172
D. Bakouche, L’excès en droit civil, Thèse Paris II, 2001, p. 342.
1173
Pour paraphraser H. Léon, J. Mazeaud et A. Tunc, Traité théorique et pratique de la
responsabilité civile délictuelle et contractuelle, Tome 1, Montchrestien, Paris, 1957, no 591.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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principe de proportionnalité1174. Ici comme ailleurs, il apparait comme le rempart


contre les abus et les excès de diverses sortes.

4. Le législateur OHADA n’a pas expressément énoncé le principe de


proportionnalité dans l’Acte uniforme portant organisation des procédures
simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution (AUPSRVE) au titre des
« dispositions générales » régissant les saisies1175. Mais le fait que ce principe ne
se donne pas à constater a priori n’en exclut pas, pour autant l’existence, puisque
l’analyse de la matière révèle qu’il en constitue incontestablement l’un des
principes directeurs1176. On peut le voir poindre derrière le principe de subsidiarité
formulé à l’article 28 alinéa 2 AUPSRVE en ces termes : « Sauf s’il s’agit d’une
créance hypothécaire ou privilégiée, l’exécution est poursuivie en premier lieu
sur les biens meubles et, en cas d’insuffisance de ceux-ci, sur les immeubles ».
En instituant ainsi une hiérarchisation dans les poursuites1177, le législateur a
manifestement voulu préserver une certaine équité entre l’intérêt du débiteur et
le droit du créancier. Les traces de cette exigence de proportionnalité
apparaissent encore plus nettement dans quelques dispositions spécifiques
régissant certaines saisies. Ainsi, en matière de saisie des créances, qu’elle soit
conservatoire ou d’attribution, de nombreuses dispositions énoncent que la
créance saisie n’est rendue indisponible ou attribuée au saisissant qu’à
« concurrence des sommes pour lesquelles elle est autorisée »1178 ou « à
concurrence des sommes pour lesquelles elle est pratiquée »1179. En matière de
saisie-vente, il est prévu que les sommes en espèces peuvent être saisies « à

1174
Ce principe est reconnu comme l’écho du principe plus large d’équilibre recherché entre les
droits du créancier et du débiteur ; lire en ce sens, M. Douchy-Oudot, « Équilibre et
proportionnalité », in Cl. Brenner et P. Crocq (sous le dir.), Lamy droit de l’exécution forcée, Lamy,
2009, no115-45.
1175
Contrairement au législateur français, v. art. 111-7 CPCE.
1176
A. Ouattara, « Nécessité, proportionnalité…égalité ? L’AUVE de l’OHADA et les principes
directeurs des voies d’exécution », in Les horizons du droit, Mél. F. M. Sawadogo, CREDIJ,
Cotonou, 2018, p. 431 et s.
1177
Lire M. D. Podio Tchatchoua, O. Fandjip, « Les voies d’exécution en droit OHADA à l’épreuve
des droits de l’homme : le cas du débiteur », Juridis Périodique no 83, 2010, p. 104.
1178
Art. 57 AUPSRVE.
1179
Art. 154 AUPSRVE.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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concurrence du montant de la créance du saisissant »1180. En matière de saisie


immobilière, l’on peut lire dans l’AUPSRVE que la juridiction compétente peut,
d’office, à l’audience éventuelle, ordonner la distraction de certains biens saisis
toutes les fois que « leur valeur globale apparait disproportionnée par rapport au
montant des créances à récupérer »1181. Toutes ces formules traduisent
évidemment la nécessité de concorder la mesure d’exécution entreprise par le
créancier et le quantum de la dette. Mais comme on le verra, là n’est pas la seule
exigence par laquelle s’exprime le principe de proportionnalité en matière
d’exécution forcée.

5. D’ailleurs, il n’y a pas que les parties à l’exécution, le créancier surtout et


dans une moindre mesure le débiteur1182, qui sont concernées par ce principe de
proportionnalité. Ce dernier s’impose également à l’huissier de justice en tant que
professionnel, mais surtout en tant que mandataire du créancier, et à la
puissance publique dont le concours peut être sollicité en cas de résistance du
débiteur1183. Ces organes de la procédure sont tenus, chacun en ce qui le
concerne, de certaines obligations se rattachant à l’idée de proportionnalité, qui
les invitent à la mesure dans leurs interventions. Le principe de proportionnalité
s’impose aussi au juge puisqu’en matière d’octroi des délais de grâce, l’article 39
alinéa 2 AUPSRVE prévoit qu’il doit tenir compte à la fois de la situation du
débiteur et des besoins du créancier.

6. Le juge doit ainsi respecter lui-même le principe de proportionnalité, tout en


le faisant respecter par tous les autres acteurs de l’exécution forcée. Il est alors
certain que l’essor du principe de proportionnalité suppose un accroissement de

1180
Art. 104 AUPSRVE.
1181
Art. 275-1° AUPSRVE.
1182
Il serait tenu à la proportionnalité dans ses moyens de défense contre la prétention du
créancier. Lire M. Niane, L’exigence de sécurité juridique dans le recouvrement des créances,
Thèse en cotutelle, Université de Bordeaux, 2014, p. 418, no 509.
1183
Lire, J. B. Auby, « L’exécution avec le concours de la puissance publique », RTD civ. 1993,
p. 123 et s. ; N. Casal, « Concours de la force publique », Jurisclasseur Voies d’exécution, Fasc.
460, 28 avr. 2011, dernière mise à jour 26 avr. 2018.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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son rôle1184. Comme toutes les notions souples, ce principe correcteur suppose
d’être adapté à chaque situation1185, ce qui rend indispensable l’intervention a
posteriori du juge dont le rôle est de définir concrètement les limites à ne pas
franchir et de sanctionner leur transgression. Le juge se trouve ainsi être par
excellence le gardien de la proportionnalité dans le déroulement des opérations
d’exécution1186. Il veille à l’adéquation de la mesure sollicitée par rapport au but
poursuivi, la sauvegarde des droits du créancier ou son désintéressement1187,
tout en ménageant les intérêts du débiteur.

7. Dans cette configuration, envisager la prise en compte du principe de


proportionnalité dans la protection du débiteur saisi suppose que l’on présente
ses diverses figures (I), avant d’appréhender les sanctions destinées à préserver
ou à rétablir son effectivité (II).

I. Les figures de la proportionnalité dans l’intérêt du débiteur saisi

8. En dépit du caractère essentiellement patrimonial que revêt l’exécution


forcée aujourd’hui, celle-ci conserve néanmoins une certaine dimension
personnelle. L’exigence de proportionnalité épouse alors ces deux facettes de
l’exécution forcée. Il convient alors de l’appréhender dans la dimension
patrimoniale (A) et personnelle (B) de celle-ci.

1184
Lire J.-Ph. Agresti (dir.), Le juge judiciaire face au contrôle de proportionnalité, PUAM, coll.
Droits, pouvoirs et sociétés 2018. Egal D. Mazeaud, « Proportionnalité à la une », La semaine
juridique, éd. G., no 40, oct. 2016, p. 1785.
1185
R. Vatinet, « Existe-t-il un principe de proportionnalité en droit des sociétés », préc., p. 58.
1186
M. Douchy-Oudot, « Équilibre et proportionnalité », in Cl. Brenner et P. Crocq (sous le dir.),
op. cit., no115-50.
1187
Idem.

469
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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A. La proportionnalité dans la protection de l’intérêt patrimonial du débiteur

9. Sous l’angle patrimonial, la proportionnalité est appréciée par référence à


l’objet de la saisie, qu’il s’agisse d’un bien ou d’une créance. Il s’agit de s’assurer
que sa valeur est en adéquation avec le montant de la créance réclamée d’une
part (1), et les conditions de sa vente d’autre part (2).

1. L’adéquation du montant de la créance cause de la saisie à la valeur de l’objet de la

saisie

10. Il doit, en premier lieu, avoir la coïncidence la plus proche possible entre le
montant de la créance cause de la saisie et la valeur du bien objet de la saisie.
Celle-ci est d’abord recherchée au moment du déclenchement même des
poursuites, lorsque le créancier fait le choix de la saisie à entreprendre. Sa liberté
trouve ainsi une limite dans l’exigence de proportionnalité qui conditionne le
choix du bien ou des biens à saisir. Ce choix doit être opéré par comparaison
entre le montant de son dû et la valeur de l’assiette visée en vue de poursuivre
son recouvrement. S’il résulte de cette comparaison que la valeur de l’assiette de
la saisie projetée est exagérément supérieure au montant de la dette, le créancier
doit soit réduire cette assiette, soit orienter son choix sur un autre bien s’il en
existe. À défaut, il y aurait mépris de l’exigence de proportionnalité. C’est le grief
reproché par exemple à des créanciers qui avaient procédé à plusieurs saisies
des comptes auprès de diverses banques, alors que le montant cumulé des
soldes desdits comptes était plusieurs fois supérieur à la créance1188. La même
critique a été faite à un créancier qui avait pratiqué des saisies-attribution
successives auprès de différentes compagnies, alors que le montant de la
créance objet de la première saisie couvrait largement la créance cause de la

CA Littoral, arrêt no 76/Réf., 24 mai 1999, Dame Mantoh Jeanne c/ CCAR et Tchofor, R.C.D.A.
1188

no 2, janv.-févr.-mars 2000, p. 19 et s., obs. F. Ipanda ; CA Pointe-Noire, arrêt no 017, 23 nov.


2007, société Varse Control c/ société Zetah M&P, ohadata J-13-135.

470
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

saisie en principal, intérêts et frais1189. Il en sera de même du créancier qui


poursuivrait concomitamment la vente forcée des immeubles situés dans des
ressorts judiciaires différents, le risque étant grand que leur valeur cumulée
excède le montant de la créance1190. Il s’agit ainsi d’éviter qu’il y ait une
disproportion déraisonnable entre les biens saisis et ce qui était nécessaire pour
le paiement de la dette. Parfois, cette disproportion découle de la
méconnaissance du principe de subsidiarité. C’est ainsi qu’un créancier a été
critiqué pour avoir pratiqué une saisie immobilière pour une modique dette de
1.600 F, alors que le débiteur possédait de nombreux biens mobiliers (meubles
garnissant le local, créances sur les tiers) dont la saisie aurait été proportionnée
à la valeur de la créance1191. Il revient alors au débiteur qui entend se prévaloir du
principe de proportionnalité entre la saisie immobilière et le montant de
l’obligation de prouver que le créancier pouvait agir concrètement par une autre
voie d’exécution pour recouvrer sa créance et que la saisie immobilière est
abusive1192.

Toutefois, pour objective qu’elle soit, la comparaison entre le montant de la


créance cause de la saisie et l’objet de la saisie ne saurait se limiter à une
appréciation purement mathématique. « Elle doit nécessairement intégrer le
comportement du débiteur qui peut rendre "nécessaires" des mesures
énergiques même si elles sont, en apparence, exagérées »1193.

1189
CCJA, arrêt no 027/2004, 15 juill. 2004, aff. Mobil Oil CI c/ Les centaures routiers et consorts,
Rec. CCJA no 4, juill.-déc. 2004, p. 28 et s. ; v. égal. arrêt no 028/2004, 15 juill. 2004, aff. Mobil
Oil CI c/ Les centaures routiers et consorts, Rec. CCJA no 4, juill.-déc. 2004, p. 34 et s.
1190
C’est pourquoi l’article 252 al. 1 AUPSRVE interdit en principe une telle démarche, l’al. 2 ne
l’autorisant que sous des conditions visant à assurer la proportionnalité.
1191
CA Orléans, 23 nov. 1973, J.C.P. 1974.IV.6414.
1192
Cass. 2e civ., 15 mai 2014, no 13-16.016.
1193
D. Corrignan-Carsin, « Responsabilité et procédures civiles d’exécution », Revue Juridique de
l’ouest, n° spécial 1994 : 1993-1994, un an d’application de la réforme des procédures civiles
d’exécution ; pp. 87-104, spec. p. 92, n° 6 ; L’auteur s’appuie sur une décision ayant rejeté le
caractère abusif d’une saisie au motif que même si la créance était minime, le débiteur n’a fait
aucune proposition de règlement depuis 18 mois, malgré les multiples démarches amiables.

471
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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11. L’appréciation de cette exigence de proportionnalité emprunte une


démarche particulière en matière de saisie conservatoire pratiquée en vertu
d’une autorisation, et suivie d’une action du créancier en vue d’obtenir un titre
exécutoire. Dans ce cas, les juges apprécient s’il y’a ou non disproportion entre
la saisie pratiquée et le montant de la créance, en établissant un rapport entre le
montant pour lequel la saisie conservatoire a été autorisée et celui pour lequel le
titre exécutoire est demandé. Ainsi, lorsque le créancier engage une procédure
en vue d’obtenir un titre exécutoire constatant une créance s’élevant à un
montant moindre que celui pour lequel il a été autorisé à pratiquer la saisie
conservatoire, cela suffit à caractériser le caractère disproportionné de cette
mesure1194. Cette solution doit être approuvée car la situation ainsi décrite révèle
manifestement que le créancier a rendu indisponible plus que ce qui était
nécessaire pour assurer la conservation de sa créance.

12. La concordance entre le montant de la créance cause de la saisie et la


valeur du bien saisi est ensuite recherchée après la saisie, lorsque celle-ci porte
sur certains biens que sont les créances de sommes d’argent, les meubles et les
immeubles.

13. Lorsque la saisie porte sur les créances de sommes d’argent, cette
concordance est assurée à travers le mécanisme du cantonnement automatique.
En effet, si la première conséquence de toute saisie est de rendre le bien visé
indisponible, il reste à déterminer quelle est la mesure de cette indisponibilité,
quand on sait que la valeur de la créance saisie peut notablement excéder celle
de la créance fondant la saisie. Sous l’empire de la saisie-arrêt et en application
de l’article 602 CPCC, l’indisponibilité était totale de sorte qu’on peut dire qu’a
priori, l’exigence de proportionnalité n’était pas prise en compte. Le débiteur qui
souhaitait voir limiter l’indisponibilité de son épargne au montant de la créance
cause de la saisie, devait provoquer un cantonnement1195, ce qu’il ne faisait pas

Cass. 2e civ., 12 avr. 2018, F-P+B, no 17-15.527.


1194

C.S., arrêt no 6/CC, 24 déc. 1963, S.G. Tiliacos c/ Makollé, rapporté par G. Teuguia Waffo,
1195

Lexique de jurisprudence en droit camerounais, p. 437, no 1922. Lire égal. P. Leflon, Le


cantonnement de la saisie-arrêt, Thèse, Université de Paris, 1933.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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toujours. Il en résultait une paralysie préjudiciable à ses intérêts. C’est cet état
de choses que le législateur OHADA a voulu corriger dans le régime des nouvelles
procédures de saisie des créances que sont la saisie-conservatoire de créances
et la saisie-attribution en instituant un cantonnement automatique. Cette mesure
est, par exemple, consacrée à l’article 154 AUPSRVE en ces termes : « L’acte de
saisie emporte, à concurrence des sommes pour lesquelles la saisie est
pratiquée, ainsi que tous ses accessoires, mais pour ce montant seulement,
attribution immédiate au profit du saisissant de la créance saisie, disponible entre
les mains du tiers ». C’est dire que dès l’instant où il est signifié au tiers-saisi,
l’acte de saisie emporte cantonnement automatique du montant de la saisie1196,
sans que le débiteur n’ait besoin d’accomplir la moindre formalité. Il transparait
bien là l’idée que la saisie d’une créance n’a d’effet que dans la mesure de ce qui
est dû par le débiteur : si le montant de la créance saisie est supérieur à la somme
qu’il doit, le reliquat doit rester disponible1197. Le débiteur se trouve protégé par
cette limitation automatique de l’assiette de la saisie fondée sur la
proportionnalité.

13. En matière de saisie-vente des meubles corporels, l’article 126 AUPSRVE


énonce que « La vente est arrêtée lorsque le prix des biens vendus assure le
paiement du montant des causes de la saisie et des oppositions, en principal,
intérêts et frais ». Il est évident que cette mesure est destinée à ajuster la saisie
au montant de la créance due par le débiteur.

14. Lorsque la saisie porte sur les immeubles, le législateur va plus loin, en
offrant au débiteur une mesure alternative aux poursuites engagées par le
créancier. En effet, aux termes de l’article 265 AUPSRVE, « si le débiteur justifie
que le revenu net et libre de ses immeubles pendant deux années suffit pour le
paiement de la dette en capital, frais et intérêts, et s’il offre la délégation au
créancier, la poursuite est suspendue (…) ». Ainsi, plutôt que de laisser

1196
CA Bangui, ch. civ. et com., arrêt civil no 295, 15 déc. 2010, Société Orange Centrafrique c/
Namtoli Elie et consorts, ohadata J-12-198.
1197
CA Abidjan, arrêt no 154, 1er févr. 2000, Stat Auto c/ Akanda Assi Marcelin, ohadata J-06-118.

473
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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l’immeuble du débiteur être saisi et vendu, le législateur préfère que le créancier


soit payé grâce aux revenus dudit immeuble, du moment où le débiteur offre de
les lui affecter et prouve que leur montant évalué sur deux années est suffisant
pour couvrir la dette réclamée1198. Cette solution conduit naturellement à
fractionner le paiement de la créance, même celle stipulée indivisible à l’origine.
Malgré cet aménagement éventuel de l’échéance de paiement, le droit du
créancier au recouvrement de son dû est préservé, en même temps que le
débiteur garde de fortes chances de conserver la propriété de son immeuble.
L’on comprend que le législateur a été animé par un souci d’équité et de justice
qui dénote une démarche inspirée du principe de proportionnalité. La même
démarche justifie la corrélation établie entre les conditions de la vente du bien
saisi et sa valeur vénale.

2. La corrélation entre les conditions de la vente du bien saisi et sa valeur vénale

15. La proportionnalité doit, en second lieu, exister entre les conditions de la


vente du bien saisi et sa valeur. Les conditions de vente dont il s’agit sont la mise
à prix et le prix auquel le bien saisi a été effectivement vendu. La valeur de
chacun de ces éléments est toujours appréciée en comparaison à la valeur
vénale du bien saisi.

16. Le législateur OHADA a établi une certaine adéquation entre la valeur de


l’immeuble saisi et le montant de sa mise à prix. Cette dernière désigne le prix à
partir duquel les enchères seront portées lors de la vente publique d’un bien
saisi1199. Elle est ainsi étroitement liée à la vente aux enchères, de sorte qu’elle
doit être déterminée pour tout bien saisi, mobilier ou immobilier, la saisie ayant
en principe vocation à s’achever par une vente aux enchères. Mais, il n’y a qu’en
matière immobilière que les conditions de sa fixation ont été définies dans

1198
Le débiteur doit produire les justificatifs de ces deux exigences, sous peine de voir sa
demande déclarée irrecevable ; v. CCJA, arrêt no 030/2012, 22 mars 2012, Rec. CCJA, no 18,
2012, p. 135, ohadata J-14-155.
1199
G. Cornu, Vocabulaire juridique, 6e éd., Association H. Capitant, Quadrige, PUF, 2017, p. 661.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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l’AUPSRVE. En cette matière, c’est au créancier poursuivant qu’il appartient de


fixer le montant de la mise à prix dans le cahier des charges, étant donné qu’à
défaut d’enchère, il est déclaré adjudicataire à ce montant1200. Ce créancier peut
alors être enclin à le minorer, ne serait-ce que pour attirer davantage
d’enchérisseurs potentiels1201. Pour pallier d’éventuels abus dans ce domaine, le
législateur OHADA a prévu une limite dont le créancier poursuivant doit
impérativement tenir compte, et qui traduit bien la recherche d’un certain
équilibre entre les intérêts du celui-ci et ceux du débiteur. L’article 267-10°
AUPSRVE indique en effet que « la mise à prix (…) ne peut être inférieure au quart
de la valeur vénale de l’immeuble. La valeur de l’immeuble doit être appréciée,
soit au regard de l’évaluation faite par les parties lors de la conclusion de
l’hypothèque conventionnelle, soit, à défaut, par comparaison avec les
transactions portant sur des immeubles de nature et de situation semblables ».
Il est ainsi établi un plancher en deçà duquel la mise à prix d’un immeuble saisi
ne peut être fixée, et ce montant minimum est défini par rapport à la valeur dudit
immeuble. Comment expliquer une telle mesure, si ce n’est par le souci d’assurer
un certain équilibre entre le montant de la mise à prix et la valeur de l’immeuble.
Le législateur l’a en plus assorti de garanties visant à en assurer le respect. En
effet, au cas où le montant de la mise à prix fixé par le créancier est inférieur à
ce minimum légal1202, le débiteur peut, dans ses dires et observations insérés
dans le cahier des charges, solliciter sa révision par la juridiction compétente1203,
et à défaut, le juge peut d’office, le faire à l’audience éventuelle1204.

1200
Art. 283 al. 5 AUPSRVE. En ce sens, TGI Moungo, déclaration judiciaire no 16/civ., 21 févr.
2008, ohadata J-09-254 ;
1201
R. Perrot et P. Théry, Procédures civiles d’exécution, 3e éd., Dalloz, 2013, spéc. no 879, p. 715.
1202
En fixant la mise à prix de l’immeuble à une somme égale à plus du quart de la valeur de
l’immeuble, le créancier poursuivant s’est conformé à l’article 267-10AUPSRVE, v. CCJA, 1re ch.,
arrêt no 002, 4 févr. 2010, aff. Abdoulaye et Moussa Sognane c/ BHM SA, Le Juris-Ohada no
2/2010, avr.-juin 2010, p. 4 ; , Rec. CCJA, no 15, janv.-juin 2010, p. 34, ohadata J-11-46.
1203
Art. 272 al. 2 AUPSRVE.
1204
Art. 275-2° AUPSRVE. En ce sens, CCJA, no 103/2014, 04 nov. 2014, aff. Bicec c/ Ndengoue
Noubissie Jean-Marie et SEEC Sarl, , Rec. CCJA, 2014, tome 2, p. 82 et s.

475
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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17. La jurisprudence recherche également s’il y a proportionnalité entre le prix


de l’adjudication et la valeur du bien saisi, lorsqu’elle reproche au créancier
poursuivant et parfois aux autorités chargées de la réalisation des biens, de les
avoir adjugés à un prix déraisonnable parce que dérisoire1205. Le caractère
dérisoire du prix de l’adjudication ne peut évidemment être apprécié qu’en
comparaison avec la valeur marchande du bien vendu. Ainsi, dans une affaire où
un créancier avait saisi le véhicule mis en gage par le débiteur et l’avait fait
vendre au prix de 5.665 francs, alors qu’il ressortait des documents justificatifs
produits par le débiteur que la valeur réelle dudit véhicule s’élevait à 36.000
francs, la cour d’appel d’Aix avait jugé que le créancier a « gravement manqué à
la prudence dont doit faire tout créancier avant la réalisation du gage »1206. Après
elle, la cour d’appel de Pau avait connu d’une affaire similaire dans laquelle le
débiteur reprochait à son créancier, une banque en l’occurrence, de n’avoir pas
exercé la moindre surveillance sur la vente de son véhicule saisi et la valeur
marchande de celui-ci. En l’espèce, la cour avait estimé que la différence entre
la valeur argus du véhicule et le prix effectivement obtenu de son aliénation à
l’issue de la vente publique aux enchères, était déraisonnable1207. Ces deux cas
soulignent l’obligation qui pèse sur le créancier de veiller à ce que le bien du
débiteur saisi soit adjugé au meilleur prix possible. Il n’est pas question de le
brader, simplement parce que le prix dérisoire obtenu suffit déjà à assurer le
remboursement de ce qui lui est dû. Admettre une telle attitude irait à l’encontre
des intérêts du débiteur qui perdrait ainsi la chance, après désintéressement du
créancier, de se voir restituer la différence, au cas où son bien aurait été vendu
à un prix sérieux. Mais au-delà de l’intérêt patrimonial du débiteur, le principe de
proportionnalité permet aussi d’assurer la protection de son intérêt
extrapatrimonial.

1205
P. Le Fur, « Les ventes publiques aux enchères », Rev. Huissiers 1997, p. 1211.
1206
CA Aix, 5 nov. 1987, Gaz. pal. 1988, p. 14, note E. Putman, cité par S. S. Kuate Tameghe, La
protection du débiteur dans les procédures individuelles d’exécution, L’Harmattan, 2004, p. 216.
1207
CA Pau, 13 sept. 1989, Banques 1990, p. 136, cité par Idem.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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B. - La proportionnalité dans la protection de l’intérêt extrapatrimonial du débiteur

18. Au plan personnel, l’exécution forcée met en cause certains droits du


débiteur susceptibles de subir quelques atteintes soit du fait de l’huissier de
justice, soit du fait de la puissance publique. Ceux qui nous intéressent
particulièrement sont le droit au respect de la vie privée et le droit à la protection
de l’intégrité physique. Mais le législateur a entendu limiter ces atteintes à ce qui
est strictement nécessaire pour assurer le recouvrement poursuivi par le
créancier. L’exigence de proportionnalité est ainsi prise compte en matière
d’atteinte à la vie privée (1) et d’intervention de la force publique (2).

1. La modération dans l’atteinte à la vie privée du débiteur

19. L’on sait que le droit à l’exécution reconnu par la loi au créancier pour le
recouvrement de son dû autorise une immixtion de l’huissier dans la vie privée et
le domicile du débiteur. Mais en se référant à la plupart des instruments
internationaux garantissant le droit à l’’intimité de la vie privée en général et le
droit à l’inviolabilité du domicile en particulier, cette immixtion doit être limitée à
ce qui est nécessaire au regard de l’objectif à atteindre1208. Il fallait donc limiter le
trouble que l’initiative du créancier saisissant peut avoir sur la tranquillité du
débiteur saisi et des siens, à ce qui est nécessaire pour assurer l’efficacité de la
saisie.

20. C’est la recherche de cet équilibre entre l’intérêt du créancier et celui du


débiteur qui est à la base de l’encadrement du moment de l’exécution. En effet,
l’article 46 alinéa 1 dispose que « Aucune mesure d’exécution ne peut être
effectuée un dimanche ou un jour férié si ce n’est en cas de nécessité et en vertu
d’une autorisation spéciale du président de la juridiction dans le ressort de

1208
V. les articles 12 de la DUDH, et 17 al. 1 du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques.

477
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

laquelle se poursuit l’exécution ». L’alinéa 2 ajoute que « Aucune mesure


d’exécution ne peut être commencée avant huit heures ou après dix-huit heures,
sauf en cas de nécessité avec l’autorisation de la juridiction compétente et
seulement dans les lieux qui ne servent pas à l’habitation ». Ces deux dispositions
définissent le moment de l’exécution, en circonscrivant les jours et les heures
pendant lesquels les saisies ne peuvent pas être engagées : les jours sont le
dimanche et les jours fériés, les horaires sont compris dans l’intervalle allant de
dix-heures à huit heures. À l’évidence, l’on se rend compte que les périodes ainsi
visées correspondent à des moments de repos et d’intimité familiale, pendant
lesquels le débiteur et son entourage ont besoin de tranquillité. La question s’est
tout de même posée de savoir si une exécution entamée dans l’intervalle horaire
prescrit pour saisir peut se prolonger au-delà. La réflexion a été menée à partir
de l’hypothèse de l’huissier instrumentaire qui se rend chez le débiteur à dix-sept
heures et trente minutes. Si à dix-huit heures, l’exécution n’est pas achevée,
peut-il la poursuivre au-delà ? Certains y ont répondu par l’affirmative, en
estimant que l’article 46 alinéa 2 fixe l’horaire auquel l’exécution doit être
commencée et non celui auquel elle doit s’achever1209. Cette solution privilégiant
la lettre de la loi est de nature à ruiner la protection recherchée de sa substance.
L’on comprend pourquoi d’autres y sont hostiles1210.

21. Quoiqu’il en soit, la mise en balance des intérêts en présence a également


conduit à admettre qu’une saisie puisse, sous certaines conditions, être
pratiquée pendant les jours et les horaires normalement proscrits : une
autorisation doit être obtenue à cette fin du juge1211, qui ne peut l’accorder que si
la nécessité d’une telle mesure lui est démontrée. Les « cas de nécessité »
renvoient à toutes les situations susceptibles de compromettre les intérêts du
créancier. Il peut s’agir du cas d’un débiteur légitimement absent de son domicile

1209
S.S. Kuate Tameghe, Op. cit., p. 81, no 82.
1210
A.-M. Assi-Esso, N. Diouf, OHADA. Recouvrement des créances, coll. Droit uniforme, Bruylant,
Bruxelles, p. 64.
1211
L’huissier de justice n’étant pas en droit d’intervenir avant d’avoir reçu cette autorisation
expresse du juge ; V ; en ce sens, C.S., arrêt no 171/L du 27 août 1968, B.A.C.S. no 19, p. 2269.

478
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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pendant les moments prescrits pour saisir à cause de son travail1212, ou même de
son état de santé. Il peut s’agir aussi de l’hypothèse où le débiteur cherche à
organiser son insolvabilité au moyen des donations ou des ventes suspectes1213.
Il peut même encore s’agir de l’hypothèse où les biens à saisir seraient menacés
d’un danger imminent susceptible de les détruire, peu importe que l’évènement
qui pourrait en être la cause relève de la nature, d’un tiers ou du débiteur lui-
même1214.

22. Même dans toutes ces hypothèses, le législateur considère qu’il n’est pas
adéquat d’autoriser une saisie à effectuer avant huit heures ou après dix-huit
heures, lorsque celle-ci a pour objet des biens se trouvant dans des « lieux
servant à l’habitation ». Le juge saisi d’une telle demande est ainsi dans
l’obligation de la rejeter. Le domicile, la résidence ou la demeure du débiteur
bénéficie ainsi d’une protection absolue contre les saisies de nuit. Quel que soit
le péril encouru par les biens à saisir qui y sont entreposés ou conservés, le juge
ne peut donc pas valablement autoriser à saisir avant huit heures et après dix-
huit heures1215. La solution a pu offusquer. En effet, on en est arrivé à se
demander au nom de quoi la quiétude du débiteur doit être préservée, alors qu’il
est coupable d’une inexécution volontaire de son obligation1216. Réfléchir de la
sorte revient à oublier que si la demeure d’une personne est l’antre des
discrétions de sa vie privée, elle l’est encore plus la nuit. Dès lors, l’on ne saurait,
au nom de l’intérêt du créancier, admettre que l’huissier de justice, et
éventuellement les agents de la force publique qui l’accompagnent, viennent à
des heures indues, troubler la quiétude du débiteur, de sa famille et même de

1212
A.-M. Assi-Esso, N. Diouf, Op. cit., p. 64.
1213
S. Nandjip Moneyang, « Scolie sur quelques points du formalisme de l’exécution des décisions
de justice non-répressives en droit OHADA », Revue de l’ERSUMA - Droit des affaires - Pratique
professionnelle, no 6, janv. 2016, p. 4.
1214
S.S. Kuate Tameghe, « Délicatesse, convivialité, humanité…et voies d’exécution », Juridis
périodique, no 62, avr.-mai-juin 2005, p. 46.
1215
P. Julien, G. Taormina, Voies d’exécution et procédures de distribution, LGDJ, Paris, 2000,
p. 19, no 4.
1216
S. Nandjip Moneyang, « Scolie sur quelques points du formalisme de l’exécution des décisions
de justice non-répressives en droit OHADA », préc., p. 4.

479
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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son voisinage. Les conséquences d’une telle mesure seront manifestement


disproportionnées par rapport à l’objectif visé qui se réduit à la réalisation d’un
droit personnel. Ce qui doit être évité, même lorsque la force publique prête son
concours à l’exécution.

2. La modération dans l’usage de la violence par la force publique

23. La force publique peut être mise à contribution dans l’exécution forcée.
C’est le cas lorsqu’au cours des opérations de saisie dans un lieu d’habitation
notamment, l’huissier de justice, agissant seul ou accompagné, fait face à une
résistance active du débiteur. La mobilisation de la force publique engendre un
risque réel de recours à la violence, susceptible de porter atteinte à l’intégrité
physique du débiteur dans le désarroi. Si le principe même de cette forme de
violence va de soi, il reste que sa mise en œuvre peut conduire à des excès
contre lesquels il faut le prémunir. Cette protection passe par l’encadrement de
l’usage qui peut en être fait par l’administration. Si celle-ci dispose, dans le cadre
de cette « expression ultime du recours à la force pour exécuter le titre, manu
militari »1217, d’un éventail de moyens de contrainte entre lesquels elle a une
liberté totale de choix1218, cette liberté est toutefois loin d’être absolue. Elle trouve
une nécessaire limite dans la prise en compte de l’exigence de
proportionnalité1219. Ainsi, le choix par l’administration des moyens à mobiliser afin
de vaincre la résistance du débiteur doit être fonction des circonstances de la
cause et même de la personnalité de ce débiteur. De manière générale,
l’administration doit faire recours aux moyens de contrainte qui permettent
d’attenter, le moins possible, à l’intégrité physique des personnes faisant l’objet

1217
N. Casal, « Concours de la force publique », art. préc., no 6.
1218
J. B. Auby, « L’exécution avec le concours de la puissance publique », art. préc., no 21.
1219
Sur cette exigence, lire M. Fromont, « Le principe de proportionnalité », A.J.D.A., 1995,
pp. 156-165 ; N. Belley, « L’émergence d’un principe de proportionnalité », Les cahiers de droit,
vol. 38, no 2, 1997, pp. 245-313.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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de ces mesures de contrainte1220. Aussi, l’utilisation de la force musculaire doit


être privilégiée par rapport au recours aux armes, encore que leur usage soit en
principe interdit par la loi dans le cadre, comme c’est le cas en l’occurrence, des
opérations courantes de maintien de l’ordre public1221. Et même, dans l’usage de
la force musculaire, les autorités de police ou de gendarmerie doivent faire
preuve d’intelligence et réserve, de sorte à éviter des comportements excessifs
et disproportionnés. Elles doivent prendre un maximum de précautions pour
éviter de porter gravement atteinte à l’intégrité physique du débiteur, sous peine
de sanctions.

II. Les sanctions du mépris de la proportionnalité dans l’intérêt du

débiteur saisi

24. L’effectivité des prescriptions et prohibitions découlant du principe de


proportionnalité en matière d’exécution forcée est garantie par une grande
variété de sanctions prévues par le législateur. Leur regroupement permet de
distinguer les sanctions qui touchent la procédure de saisie (A) de celles visant
plutôt les acteurs de la saisie (B).

A. Les sanctions touchant la procédure de saisie

25. Le non-respect du principe de proportionnalité peut à la demande du


débiteur et dans certains cas, de ses autres créanciers et même à l’initiative du
juge, aboutir à l’anéantissement de la saisie (1), ou à son cantonnement (2).

1. L’anéantissement de la saisie

26. L’anéantissement de la saisie peut résulter de la nullité, et surtout de la


mainlevée de la saisie.

1220
F.-X. Cornuot, L’encadrement juridique de l’emploi de la contrainte exercée par la force
publique en France et dans le monde, Thèse de doctorat, Université de Strasbourg, 2015, p. 440.
1221
V. art. 3, alinéa 1, loi no 90/54 du 19 décembre 1990 relative au maintien de l’ordre au
Cameroun.

481
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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27. La nullité peut être obtenue par exemple lorsque la saisie aura été
pratiquée en dehors des limites temporelles autorisées pour l’exécution.
L’AUPSRVE n’a pas expressément prévu ce cas de nullité et la jurisprudence
spécifique aux voies d’exécution n’a pu encore se prononcer sur ce point. Certes,
il existe une espèce dans laquelle un débiteur avait demandé la nullité d’une
saisie-vente, en lui reprochant entre autres d’avoir été pratiquée à « 06 heures
40 min » tel qu’indiqué dans le procès-verbal dressé par l’huissier lui-même.
Malheureusement dans cette affaire, le juge n’a pas cru devoir se prononcer sur
ce moyen, estimant que cela n’était plus nécessaire dès lors que le premier
moyen invoqué – tiré d’une omission dans le procès-verbal – était fondé et
suffisait à conclure à la nullité1222. En se tournant vers le droit commun de la
procédure civile comme le veut la démarche juridique en pareille hypothèse, il
ressort qu’en application de l’article 609 CPCC relatif au moment de la
signification et de l’exécution, il a été jugé que « le constat fait par un huissier qui
s’est introduit de nuit dans le domicile d’un particulier pour instrumenter est nul,
et doit par conséquent être écarter des débats »1223. En se référant à cette
décision, l’on peut affirmer qu’une saisie pratiquée en dehors des heures et jours
autorisés est nulle. S’agit-il d’une nullité absolue ou relative ? Il devrait s’agir d’une
nullité absolue, l’atteinte ainsi portée constituant un vice de fond tiré de l’illicéité
du moment de la saisie. En tant que telle, elle est encourue de plein droit, sans
que l’on ne puisse la subordonner « à la preuve d’un préjudice résultant de
l’irrégularité »1224. En matière de saisie-vente de biens meubles corporels, l’action
du débiteur est recevable « jusqu’à la vente des biens saisis », puisque tel est le
délai de forclusion prévu par l’article 144 AUPSRVE pour toutes les actions en

1222
CA Centre, ord. no 122/Civ. du 14 mars 2008, aff. Bebena Pauline c/ Tsafack Joseph et autres,
inédit.
1223
C.S. arrêt no 171/L du 27 août 1968, préc., (note 1211).
1224
CCJA, Ass. Plen., arrêt no 46/2014, 23 avr. 2014, aff. BCB et consorts c/ La société AIT
International Ltd, Rec. CCJA, Tome 1, 2014, p. 210 et s.

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nullité, à l’exception de celles fondées sur les insaisissabilités1225. Le prononcé de


la nullité emporte mainlevée de la saisie, mettant ainsi un terme à l’indisponibilité
dont était frappé le bien saisi. Les opérations de saisie ayant en principe poursuivi
leur cours malgré la demande en nullité1226, il en résulte que la saisie peut être
déclarée nulle avant ou après la vente du bien saisi. Dans le premier cas, le
débiteur peut, en vertu de l’article 144 al. 3 AUPSRVE, demander la restitution du
bien s’il se trouve détenu par un tiers1227. Dans le second cas, il faut encore
distinguer selon que la saisie est déclarée nulle avant ou après la distribution du
prix de la vente. Si ce dernier n’a pas encore fait l’objet de distribution, l’art. 144
al. 4 autorise le débiteur à en demander la restitution. Dans le cas contraire, il ne
lui reste plus qu’à agir en répétition de l’indu, en application de l’article 170 al. 3
ou 192 al. 2 AUPSRVE.

28. Le débiteur peut aussi faire arrêter les effets de la saisie en sollicitant
directement la mainlevée, au cas où elle est matériellement disproportionnée au
regard du montant de la créance à recouvrer. Telle est d’ailleurs l’option choisie
dans la quasi-totalité des cas de jurisprudence recensés. Il en ressort par ailleurs
qu’en cas de disproportion résultant d’une pluralité de saisies des créances, la
mainlevée peut viser toutes les saisies autorisées simultanément dans la même
ordonnance1228, ou si les saisies sont successives, seulement celles pratiquées
postérieurement à la première saisie couvrant largement la créance cause de la
saisie1229. L’on peut transposer ces solutions aux cas des saisies portant sur les
meubles ou les immeubles. Toutefois, les délais dans lesquels le débiteur doit
agir ne sont pas les mêmes. En matière de saisie des biens meubles corporels ou

1225
En vertu de l’article 143 alinéa 2 AUPSRVE, « Lorsque l’insaisissabilité est invoquée par le
débiteur, la procédure doit être introduite dans le délai d’un mois à compter de la signification de
l’acte de saisie ».
1226
Aux termes de l’art. 146 AUPSRVE, la demande en nullité ne suspend pas les opérations de
saisie, à moins que la juridiction n’en dispose autrement.
1227
En ce sens, CCJA, 1re ch., arrêt no 60/2005 du 22 déc. 2005.
1228
CA Pointe-Noire, arrêt no 017, 23 nov. 2007, préc., (note 1188).
1229
CCJA, arrêts no 027/2004 et no 028/2004 du 15 juill. 2004, préc., (note 1189).

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incorporels, la mainlevée doit être demandée avant la vente des biens saisis1230.
En cas de saisie immobilière, elle doit être formulée dans les dires et observations
sur lesquels la juridiction compétente devra se prononcer au cours de l’audience
éventuelle. Au cas où il s’agit d’une saisie-attribution des créances, la demande
de mainlevée n’est recevable que si elle est introduite dans un délai d’un mois à
compter de la dénonciation de la saisie au débiteur1231. Si la saisie dont la
mainlevée est demandée porte sur des droits d’associés ou valeurs mobilières,
le débiteur devra consigner une somme suffisante pour désintéresser le
créancier1232. Au lieu de demander l’anéantissement de la saisie, le débiteur peut
solliciter son cantonnement.

2. Le cantonnement de la saisie

29. Le cantonnement consiste pour le juge à réduire l’assiette de la saisie, afin


de l’ajuster au montant équivalent à la dette dont le recouvrement est poursuivi.
L’AUPSRVE n’ayant pas expressément prévu cette mesure, il a été contesté au
juge du contentieux de l’exécution, le pouvoir de l’ordonner. Se prononçant en
premier sur la question, la cour d’appel de Dakar a affirmé que même si les
dispositions de l’Acte uniforme ne réglementent pas expressément cette mesure,
elles ne l’interdisent pas. Cette juridiction souligne en effet qu’« il ne peut être
soutenu que le juge des référés ne peut ordonner le cantonnement de la saisie,
alors qu’il n’est pas discuté qu’il conserve le pouvoir de rétracter l’autorisation de
la saisie, et d’en ordonner la mainlevée pure et simple, que le cantonnement
s’analyse en une rétraction partielle de l’autorisation de saisie »1233. Des décisions
rendues par d’autres juges du contentieux de l’exécution sont intervenues dans

1230
La mainlevée ne peut plus être ordonnée si la vente des objets saisis a déjà eu lieu, v. en ce
sens TPI-Douala Ndokoti, ord. no 110/CE, 19 avr. 2007, aff. Sté First oil Cameroun c/ SONARA,
ohadata J-07-201.
1231
TPI-Yaoundé centre administratif, ord. no 443/C, 14 août 2008, aff. Sté Togolo Odile c/ Touna
Mama et consorts, ohadata J-09-216.
1232
Art. 239 AUPSRVE.
1233
CA Dakar, arrêt no 44, 19 janv. 2001, aff. Moulin Sentenac c/ Mohamed Hawili et Zen Fawaz,
ohadata J-06-55.

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le même sens1234, marquant ainsi leur insistance à reconnaitre au débiteur la


possibilité de recourir à cette mesure visant à le protéger contre les abus du
créancier. La CCJA aussi semble admettre le cantonnement, puisqu’elle le cite
dans une affaire, au nombre des mesures ressortissant de la compétence du juge
du contentieux de l’exécution1235. Le débiteur peut ainsi solliciter cette mesure en
cas de saisie unique comme de pluralité de saisies. Dans ce dernier cas,
lorsqu’une pluralité de saisies a été par exemple effectuée sur les comptes du
débiteur auprès des établissements financiers, la demande de cantonnement
introduite par celui-ci ne peut prospérer dès lors que des différents tiers saisis,
un seul a cantonné entièrement les causes de la saisie et qu’aucun de ses avoirs
n’a été saisi auprès des autres établissements financiers1236.

30. L’absence d’une consécration générale et expresse du cantonnement dans


l’AUPSRVE ne doit pas occulter la reconnaissance, certes implicite, qui lui est
faite notamment dans la saisie immobilière. Il peut être sollicité par le débiteur.
L’article 264 al. 1 AUPSRVE lui donne en effet la possibilité, lorsque la valeur des
immeubles saisis dépasse notablement le montant de la créance, d’obtenir de la
juridiction compétente qu’il soit sursis aux poursuites sur un ou plusieurs des
immeubles désignés dans le commandement. Sauf qu’à l’appui de sa demande,
il doit justifier que la valeur des biens sur lesquels les poursuites seront
continuées est suffisante pour désintéresser le créancier poursuivant et tous les
créanciers inscrits1237. Le créancier pourra toujours reprendre les poursuites sur
les biens provisoirement exceptés si le prix de ceux finalement adjugés ne suffit
pas à le désintéresser1238. À défaut pour le débiteur de demander le
cantonnement, l’article 275-1° accorde à la juridiction compétente, le pouvoir
d’ordonner d’office à l’audience éventuelle, la distraction de certains biens saisis

1234
CA Littoral, arrêt no 184/ref., 27 oct. 2008, la SGBC SA c/ Sté SGTE Sarl, ohadata J-10-269.
1235
CCJA, arrêt no 27/2006, 16 nov. 2006, aff. Me Kaudjhis-Offoumou c/ La SOPIM, Rec. CCJA no
8/2006, p. 60 ; Le Juris-Ohada no 1/2007, p. 23 ; ohadata J-08-103.
1236
CA Centre, arrêt no 142/Civ., 16 mars 2012, aff. Sté Afrique construction Sarl c/ Mbougueng
N. claude et Consorts, ohadata J-13-09.
1237
V. art. 164 al. 3 AUPSRVE.
1238
V. art. 164 al. 5 AUPSRVE.

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toutes les fois que leur valeur globale apparait disproportionnée par rapport au
montant des créances à récupérer. Le caractère disproportionné de la mesure
expose également ceux qui en sont à l’origine à certaines sanctions.

B. Les sanctions visant les acteurs de la saisie

31. Ceux qui interviennent dans les saisies en excédant les limites de leurs
prérogatives au préjudice du débiteur, peuvent voir leur responsabilité engagée
en vue de la réparation (1) ou de leur condamnation sur le plan pénal (2).

1. Les responsabilités à finalité réparatrice

32. Les responsabilités ayant pour finalité la réparation du préjudice subi par
le débiteur du fait de la méconnaissance du principe de proportionnalité sont de
nature civile et administrative.

33. La responsabilité civile concerne le créancier et l’huissier instrumentaire,


qui peuvent d’ailleurs être poursuivis de manière solidaire1239. Fondée sur l’article
1382 du Code civil, elle est classique et suppose l’existence d’une faute ayant un
lien de causalité avec le dommage. En considérant le principe de
proportionnalité, la faute peut consister dans le fait de pratiquer une saisie
excédant de façon manifeste la valeur de la créance à recouvrer1240, ou de faire
vendre le bien saisi à un prix dérisoire au regard de sa valeur marchande1241, ou
encore de pratiquer une saisie au mépris des limites temporelles fixées par la
loi1242. Ces faits sont considérés comme fautifs même s’ils résultent d’une simple
imprudence. Il est vrai qu’un juge de fond a pu subordonner la responsabilité du
créancier à la preuve qu’il a agi « dans un but vexatoire »1243, un peu comme l’ont
fait certains juges français pour éviter de frustrer le créancier dans l’exercice

1239
V. CCJA, arrêt no 92/2015 du 23 juill. 2015, aff. Zamacom SA c/ Brou Assaoure, Rec. CCJA,
Tome 2, 2015, p. 34 et s. La solution trouve sa justification dans le fait que L’huissier agit, dans
l’exécution, en qualité de mandataire du créancier.
1240
V. supra, nos 10 et 11.
1241
V. supra, no 18.
1242
V. supra, nos 21 à 23.
1243
TGI Ouagadougou, jugement no 303, 14 avril 1999, aff. Iboudo Ambroise c/ Vandamme
Raphael, ohadata J-02-47, obs. J. Issa-Sayegh.

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légitime de son droit1244. Mais le caractère isolé de cette décision interdit de


conclure à l’existence d’une jurisprudence. Chacune des hypothèses visées
traduit une situation d’abus1245 engendrant pour le créancier un préjudice certain.
Dans les deux premiers cas, le préjudice a un caractère matériel ou économique,
facile à établir. Le débiteur doit simplement démontrer, de manière précise, le
caractère excessif de la saisie par rapport au montant de la créance1246, ou le
caractère dérisoire du prix de l’adjudication par rapport à la valeur marchande du
bien saisi. Il s’agit ainsi pour lui de prouver qu’il a souffert d’une privation d’une
partie de sa fortune du fait de l’abus du créancier, cette privation étant
susceptible de conduire à sa ruine. Dans le dernier cas concernant une saisie
pratiquée à un moment proscrit, le préjudice subi par le débiteur est plutôt
essentiellement moral. Mais là aussi, la responsabilité de l’huissier de justice
pourra facilement être retenue parce qu’en la matière, le préjudice se déduit
simplement de la preuve de la faute : c’est dire que le débiteur n’aura d’autre
justification à apporter que la violation de l’intimité de sa vie privée1247.

34. Sur le plan procédural, l’on peut s’interroger sur l’identité de la juridiction
devant laquelle doit être mise en œuvre cette responsabilité. Plus précisément,
le juge de l’exécution ou si l’on veut du contentieux de l’exécution1248, peut-il
connaitre des actions en responsabilité civile ? Dans l’espace OHADA, la question
mérite d’autant plus d’être posée que l’article 49 AUPSRVE ne définit pas les
compétences de ce juge avec beaucoup de précision1249. En effet, ce texte

1244
Cass. soc., 23 mai 1950, Gaz. pal. 1950.2.133 ;
1245
Lire N. Ndiaye, « L’intérêt des parties dans l’abus d’exercice des voies de droit », Revue
générale de droit, vol. 45, no 1, 2015, pp. 7-46.
1246
Doit alors être débouté, le débiteur qui se contente d’affirmer que son créancier a pratiqué
plusieurs saisies, sans démontrer le caractère surabondant de la valeur de l’ensemble des biens
saisis. En ce sens, CA Abidjan, ch. civ. et com., arrêt no 354, 20 nov. 2010, Sté Finamark c/ Mme
A. et autres, Le Juris-Ohada no 03/2011, juill.-sept. 2011, p. 12, ohadata J-12-153.
1247
G. Cornu, Droit civil : Introduction - les personnes - les biens, 8e éd., Montchrestien, Paris,
1997, p. 192, no 518.
1248
G.-A. Likillimba, « Le juge du contentieux de l’exécution en droit de l’OHADA », BDE 2017, no
2, pp. 1-23.
1249
À la différence de la France où l’art. L 213-6 C.O.J. attribue expressément compétence au
juge de l’exécution pour connaitre « des demandes en réparation fondées sur l’exécution ou

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énonce de manière laconique qu’il est compétent pour « (…) statuer sur tout litige
ou toute demande relative à une mesure d’exécution forcée ou à une saisie
conservatoire (…) ». C’est en application de ces dispositions que saisi d’une
demande en dommages-intérêts, un juge du contentieux de l’exécution a décidé
qu’il « ne saurait connaitre de cette demande, car ne ressortant pas de sa
compétence »1250. Dans cette affaire, les biens d’une société avaient été saisis
alors que le débiteur visé dans le titre exécutoire était plutôt l’un de ses associés.
En plus de la mainlevée, la société ainsi saisie par erreur avait sollicité du juge du
contentieux la réparation du préjudice subi. Sur cette dernière demande, le juge
s’était déclaré incompétent, au motif qu’elle ne ressort pas de sa compétence
telle que définie par la loi. Cette solution est critiquable du point de vue de la
lettre comme de l’esprit de la loi. En effet, la généralité des termes de l’article 49
AUPSRVE n’autorise pas à penser que le législateur OHADA a entendu exclure la
réparation des dommages subis dans le cadre de l’exécution forcée de la
compétence du juge du contentieux de l’exécution. De plus, la position du juge
met à mal l’objectif d’unification et de centralisation du contentieux de l’exécution
recherché par le législateur, puisqu’elle aboutit plutôt à une dispersion de ce
contentieux. Au bénéfice de ces considérations, le juge du contentieux de
l’exécution, en instance comme en appel, devrait pouvoir retenir sa compétence
pour les actions en responsabilité résultant de l’exécution forcée, sauf le cas de
l’action exercée pour exécution fautive par le créancier contre l’huissier qu’il a
mandaté. Le pourvoi dans ce domaine, qui ne peut porter que sur l’appréciation
des conditions de la responsabilité et jamais sur la contestation du montant de
la réparation, se fera devant la Cour suprême de chaque État-partie, puisque à
chaque fois qu’elle est saisie, la CCJA se déclare, à raison, incompétente au motif

l’inexécution dommageable des mesures d’exécution forcée ou des mesures conservatoires ».


L’on a pu se demander si la responsabilité de l’huissier rentrait dans le champ d’application de
ces dispositions ; Lire Ph. Brunel, « La juridiction de l’exécution et la responsabilité de l’huissier :
compétence et conditions de mise en œuvre », Recueil Dalloz, 1997, p. 370 et s.
1250
TPI Bafoussam, ord. référé no 32, 23 janv. 2004, Sté Tal Business c/ Me Tchoua Yves et
Mbang Idrissa, ohadata J-05-03.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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qu’« une telle action est exclusivement fondée sur les dispositions du droit
interne »1251.

35. La responsabilité administrative vise l’État et peut être engagée lorsque


ses agents requis afin de prêter main forte à l’exécution du fait de la résistance
du débiteur ont fait un usage disproportionné de la violence. L’intervention de la
force publique peut ainsi causer à la personne contre laquelle l’exécution est
poursuivie et même à des tiers, un dommage excédant ce qui est nécessaire pour
assurer l’exécution. La victime est alors fondée à engager la responsabilité de
l’État qui pourra être retenue si elle démontre l’existence d’une faute lourde1252,
celle-ci pouvant consister dans le fait pour les fonctionnaires de police d’avoir
« (…) agi avec un excès de précipitation et un défaut de précautions que ni la
nécessité d’une action rapide, ni la personnalité de la requérante ne justifiait »1253.
Toutefois, en cas de blessure causé par un tir de la police, la victime personne
visée par l’exécution se contenterait de démontrer une faute simple, tandis que
le tiers-victime lui, bénéficierait d’un régime de responsabilité sans faute1254.
Dans tous les cas, cette responsabilité de l’État relève de la compétence
exclusive de la juridiction administrative, même si le rôle qui leur est attribué par
la formule exécutoire se situe dans le prolongement d'une décision judiciaire1255.
En conséquence, sa mise en œuvre doit obéir au régime de la procédure
administrative contentieuse qui suppose en principe l’exercice d’un recours
gracieux préalable1256. Comme en matière civile, la réparation doit en principe être
intégrale, et le juge administratif peut tenir compte de l’attitude de la victime afin

1251
CCJA, arrêt no 92/2015 du 23 juill. 2015, aff. Zamacom SA c/ Brou Assaoure, préc., (note
1239) ; CCJA, 2e ch., arrêt no 200/201, 23 nov. 2017, aff. Orabank Mali SA c/ École du progrès,
disponible sur www.guilaw.com.
1252
J. B. Auby, « L’exécution avec le concours de la puissance publique », art. préc., no 43-44 ; N.
Casal, « Concours de la force publique », art. préc., no 32.
1253
CE, 16 oct. 1987, Dame Tribier, Rec. CE 1987, p. 316 ; Gaz. Pal. 1988, 1, pan. dr. adm., p. 131
1254
J. B. Auby, « L’exécution avec le concours de la puissance publique », art. préc., no 43-44.
1255
CE, 3 juin 1959, Dame Veuve Sablayrolles, Rec. CE 1959, p. 425, concl. Jouvin.
1256
C. Keutcha Tchapnga, Précis de contentieux administratif au Cameroun : aspects de
l’évolution récente, l’Harmattan, Paris, 2013, p. 150 et s.

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de procéder à un partage de responsabilité. Un tel partage n’est pas


envisageable en matière de responsabilité pénale.

2. La responsabilité à finalité répressive

36. La violation des limitations à l’usage de la force et des interdictions


relatives au moment de la saisie par l’huissier de justice et les agents de la force
publique, peut en plus leur valoir des poursuites pénales susceptibles d’être
engagées sur plusieurs fondements.

37. La responsabilité pénale des autorités chargées de l’exécution peut tout


d’abord être recherchée sur le fondement de l’abus de fonctions. L’article 140
NCP prévoit en effet que tout fonctionnaire qui abuse de ses fonctions pour
porter atteinte aux droits ou intérêts privés, est passible d’un emprisonnement
d’un à trois ans et d’une amende de cinq mille à cinquante mille francs, ou de
l’une de ces deux peines seulement. À la lecture de l’article 131 du même code,
l’on se rend compte que la définition du fonctionnaire qui y est donnée par le
législateur intègre non seulement les forces de l’ordre (la gendarmerie et la
sûreté nationale), mais aussi les officiers publics ou ministériels dont font partie
les huissiers de justice et les commissaires-priseurs. Il ne fait ainsi aucun doute
qu’agissant dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions, les
autorités chargées de l’exécution peuvent tomber sur le coup de l’abus de
fonctions. En tant qu’autorité chargée à titre principal de l’exécution, l’huissier est
le premier concerné. La jurisprudence en matière d’expulsion nous offre d’ailleurs
des cas où il est mis en cause1257. Bien qu’il n’en soit pas de même en matière de
saisie, l’on pourrait imaginer lors d’une saisie mobilière et face à l’opposition du
débiteur à le laisser pénétrer dans les lieux, que l’huissier de justice use
personnellement de violence pour le neutraliser, au lieu de requérir le concours
de la force publique. Ce comportement de la part de l’huissier relève bien de

V. TPI Dschang, jugement no 414 du 13 juillet 2010, Penant no 875, avr.-juin 2011, p. 267 et s.,
1257

obs. R. Assontsa. En l’espèce, il s’agissait d’un huissier de justice qui a exécuté une décision
d’expulsion, malgré l’ordre d’arrêter résultant de la notification du certificat de dépôt de la requête
aux fins de défense à exécution.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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l’abus de fonctions, puisque l’utilisation « illégale, démesurée et injustifiée »1258


ainsi faite de la force, porte manifestement atteinte aux intérêts et aux droits du
débiteur. En plus de l’huissier, les agents de la force publique requis afin de prêter
leur concours à l’exécution peuvent, eux-aussi, faire l’objet de poursuites pour
abus de fonctions. Il pourra en être ainsi lorsqu’ils auront usé d’une violence
disproportionnée au regard des circonstances de la cause1259.

38. La responsabilité pénale de l’huissier et des agents de la force publique


peut ensuite être retenue pour violation de domicile en vertu de l’article 299
NCP. Le domicile visé dans cette infraction ne doit pas être compris dans le sens
que lui donne le droit civil, à savoir le lieu du principal établissement d’une
personne1260. Il doit plutôt s’entendre non seulement comme « toute demeure
permanente ou temporaire occupé par celui qui y a droit ou, de son
consentement, par un tiers »1261, mais encore comme « le lieu, qu’elle habite ou
non, où elle a le droit de se dire chez elle, quels que soient le titre juridique de
son occupation et l’affectation donnée aux locaux »1262. Plus concrètement, il
s’agit de tout local d’habitation quel qu’en soit le genre1263, des dépendances
immédiates et proches de la maison à condition qu’elles soient closes1264, et des
lieux affectés à l’usage d’une profession. Il ressort de l’art. 299 NCP que la
violation de domicile consiste dans le fait de s’introduire ou de se maintenir dans
ces espaces contre le gré de l’occupant. Il faut dire que cette définition du
législateur camerounais est incomplète, car elle fait fi de ce que la loi autorise
certaines autorités, au premier rang duquel figurent celles chargées de
l’exécution, à s’introduire dans un domicile privé, même contre le gré de

1258
L. Lauzière, « La responsabilité civile des huissiers de justice », Rev. du notariat, 101 (2),
pp. 207-227, spéc. p. 225.
1259
Cf. supra, no 32.
1260
Art. 102 C. Civ.
1261
Cass. crim., 24 juin 1893, D. 1895, 1, 407.
1262
Cass. crim., 26 févr. 1963, Bull. crim. 92 ; Cass. crim., 4 janv. 1977, R.S.C. 1983, 670 ; Cass.
crim., 24 avr. 1985, R.S.C. 1986, 103.
1263
CA Paris, 17 mars 1986, Gaz. Pal., Rec. 1986, jur. p. 429.
1264
Cass. crim., 7 févr. 1994, 8 févr. 1994, Dr. pénal, no 129.

491
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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l’occupant1265. Mais on l’a vu, les pouvoirs coercitifs de pénétration dans le


domicile des particuliers ainsi reconnus aux huissiers de justice et aux agents de
la force publique sont strictement encadrés. Dès lors, toute introduction réalisée
dans un domicile privé en méconnaissance de l’une des conditions légales est
constitutive de violation de domicile. Ainsi, en l’absence de l’occupant ou si ce
dernier en refuse l’accès, l’huissier de justice qui agit seul, au lieu de se faire
assister de témoins privilégiés visés à l’article 42 AUPSRVE ou à défaut d’un ou
de deux témoins majeurs qui ne sont ni parents ni alliés en ligne directe ni au
service des parties, pourrait valablement être poursuivi pour violation de
domicile1266. Tombent également sur le coup de l’article 299 NCP, l’huissier de
justice et les agents de la force publique qui pénètrent dans un local privé en
dehors des périodes autorisées, sans pouvoir justifier d’une autorisation de la
juridiction compétente. Il en est de même si ces autorités viennent à s’introduire
de nuit dans un local servant d’habitation, les pouvoirs dont ils sont investis ne
leur dispensant pas de l’obligation de respecter les heures légales1267. Au final, il
peut avoir violation de domicile, que l’occupant des lieux ait ou non été présent
au moment de l’intrusion. L’infraction est punie d’une peine d’emprisonnement de
dix jours à un an et d’une amende de 5.000 à 50.000 francs ou de l’une de ces
deux peines seulement. Ces peines sont doublées si l’infraction est commise
pendant la nuit ou à l’aide de menaces, violences ou voies de fait1268.

39. Si le principe de la responsabilité pénale des autorités chargées de


l’exécution forcée est acquis, d’aucuns ont estimé que cette responsabilité serait
d’une mise en œuvre difficile1269. Les procédures devant être instruites par les
confrères ou collègues des mis en cause, ceux-ci seraient peu enclins à les

1265
À cet égard, la formule du législateur français est plus adéquate. L’article 432-8 CP français
évoque le fait de « (…) s’introduire ou de tenter de s’introduire dans le domicile d’autrui contre le
gré de celui-ci hors les cas prévus par la loi ».
1266
Dans ce sens, lire M.-H. Renaut, « L’huissier de justice face au droit pénal », Gaz. Pal., no 285,
2002, p. 3 et s., spéc., no 25.
1267
Idem, no 24.
1268
Alinéa 2 de l’art. 299 NCP.
1269
M. D. Podio Tchatchoua et O. Fandjip, « Les voies d’exécution en droit OHADA à l’épreuve des
droits de l’homme : le cas du débiteur », art. préc., p. 121.

492
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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diligenter1270. Du fait de cette solidarité de corps, il semble que les victimes d’abus
à caractère infractionnel commis à l’occasion de l’exécution forcée aient peu de
chances de voir leur action pénale aboutir. S’il est vrai que l’inquiétude est réelle,
il ne faut pas pour autant l’exagérer. En effet, la crainte des sanctions multiples
prévues par le texte organisant leur profession1271 est de nature à dissuader les
huissiers de justice de refuser d’instrumenter, même pour protéger un confrère.
D’ailleurs, l’on a vu qu’il existe des procédures dont l’instruction a abouti la
condamnation d’un huissier de justice1272. S’agissant des agents de la force
publique contre qui une plainte déposée serait restée sans suite du fait de l’inertie
de leurs collègues, cet obstacle peut être contourné par la saisine directe de
leurs supérieurs hiérarchiques que sont le procureur de la République et le
commissaire du gouvernement.

40. En définitive, il est fort probable que le débiteur saisi soit celui qui tire le
plus grand intérêt de l’application du principe de proportionnalité qui innerve les
voies d’exécution. La justification est que dans le cadre de ces procédures, il
occupe la position de partie faible. En tant que telle, il est plus exposé aux abus
du créancier qui, usant de la force pour recouvrer son dû, n’a très souvent que
peu d’égards pour lui. Ainsi, plus que le créancier, le débiteur est très souvent
amené à invoquer le principe de proportionnalité afin d’obtenir la préservation de
ses intérêts. Véritable rempart contre les abus, ce principe est présent dans
toutes les procédures de recouvrement forcé, qu’elles soient conservatoires ou
à fin d’exécution. Il induit un ensemble d’exigences qui s’imposent dès leur
entame et se prolongent tout au long de la procédure jusqu’à la vente du bien
saisi, le cas échéant. Les unes procèdent du souci de protéger les biens du
débiteur : la valeur du bien saisi ne doit pas être disproportionnée par rapport au
montant de la créance réclamée, les conditions de la vente aux enchères du bien

1270
Ibid.
1271
Il s’agit au Cameroun du décret no 79/448 du 05 novembre 1979, modifié par le décret
no 85/238 du 22 février 1985 portant statut des huissiers.
1272
V. par ex. TPI Dschang, jugement no 414 du 13 juillet 2010, préc. (note 1257).

493
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

saisi doivent avoir une certaine corrélation avec sa valeur vénale. D’autres
tendent plutôt à préserver sa personne : le trouble à sa vie privée justifié par la
saisie doit être mesuré, de même qu’en cas de résistance de sa part, il doit être
fait usage de la force publique avec modération, afin d’éviter d’attenter
gravement à son intégrité physique. Dans tous les cas, il s’agit de s’assurer que
les moyens utilisés par le créancier ne dépassent pas déraisonnablement ce qui
est nécessaire pour atteindre le but poursuivi, à savoir le recouvrement de son
dû.

41. Afin d’éviter que ces exigences tirées du principe de proportionnalité ne


restent lettre morte, et garantir ainsi leur application, plusieurs sanctions ont été
aménagées. Ainsi, le débiteur désabusé peut soit faire anéantir la saisie en
sollicitant la nullité ou la mainlevée, soit faire réduire son assiette en obtenant un
cantonnement. Il peut en plus ou de manière exclusive parfois, se voir octroyer
des dommages et intérêts en engageant la responsabilité civile du créancier et
de l’huissier, ou la responsabilité administrative de l’État, lorsque le dommage
résulte du fait de ses agents requis afin de prêter main forte à l’exécution. Ces
derniers ainsi que l’huissier peuvent par ailleurs voir leur responsabilité pénale
engagée, car certains de leurs comportements disproportionnés revêtent un
caractère infractionnel, au titre par exemple de l’abus de fonctions ou de la
violation de domicile.

42. Le principe de proportionnalité dans les voies d’exécution permet ainsi


d’offrir au débiteur une protection dont le contenu est loin d’être figé. Il appartient
aux juges de découvrir d’autres possibilités qui peuvent découler de ce principe,
afin d’en affiner les contours au fil de l’examen des cas. Il ne reste plus qu’à
espérer que ceux de l’espace OHADA y parviennent avec clairvoyance. Le
parcours de la jurisprudence recensée jusqu’ici incite tout de même à
l’optimisme.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Le cautionnement dans les procédures de

redressement de l’entreprise débitrice

en droit OHADA

Simo Kamgang Crepin Giresse - Doctorant à la Faculté des Sciences Juridiques et

Politiques de l’Université de Ngaoundéré

____________________

495
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Résumé

Les procédures collectives et les sûretés entretiennent des rapports complexes.


Ce sont deux disciplines au centre de conflits d’intérêts. Cela n’est guère démenti
lorsqu’on confronte le cautionnement à cette matière spéciale. La présente étude
vise à montrer le sort de la sûreté personnelle qu’est le cautionnement dans
l’AUPC révisé du 10 septembre 2015 à Grand Bassam en Côte d’ivoire. Il ressort
de l’analyse globale de l’AUPC révisé que le cautionnement dans les procédures
de redressement de l’entreprise débitrice en droit OHADA se trouve affaibli.
L’AUPC révisé fait de la protection des entreprises et de la préservation des
emplois sa priorité. Le législateur uniforme des procédures collectives a rétabli
le caractère accessoire du cautionnement en élargissant aux cautions personnes
physiques les mesures de faveur octroyées au débiteur principal.

Le 10 septembre 2015 est une date mémorable et indélébile pour la marche du


droit OHADA. Les acteurs du droit des procédures collectives se souviendront
toujours que c’est à cette date qu’a été révisé l’AUPC du 10 avril 1998 à Grand
Bassam en Côte d’ivoire. La révision de l’AUPC originel du 10 avril 1998, s’inscrit
dans le vaste programme d’appui à l’amélioration du climat des affaires dans la
zone OHADA entrepris par le Secrétariat permanent de l’institution avec ses
partenaires. Les objectifs du programme1273 sont entre autres de renforcer
l’adaptabilité, l’effectivité et l’attractivité du droit OHADA et d’en faciliter
l’utilisation par les agents économiques opérant dans cet espace1274. L’un des

1273
V. Yondo black (L..) et Tienmfoltien traore (A.), « Les enjeux de la réforme de l’AUSCGIE »,
Droit et Patrimoine, n°239, septembre 2014, p. 48 ; Yondo Black (L.), « Les enjeux de la réforme
de l’AUS », in Le nouvel acte uniforme portant organisation des sûretés. La réforme du droit des
sûretés de l’OHADA, s/d de P. Crocq, Collection Axe Droit, Lamy 2012, p. 18 ; Sossa (D. C.),
« Avant-propos », in Modernisation de l’Acte uniforme sur les procédures collectives, Dossier
spécial, Droit et Patrimoine n°253, décembre 2015, 30.
1274
Au jour d’aujourd’hui, l’OHADA (Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des
affaires) compte dix-sept Etats membres : le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, la République
Centrafricaine, le Congo, les Comores, la Côte d’Ivoire, le Gabon, la Guinée, la Guinée-Bissau, la

496
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

aspects importants de ce programme est sans doute la réforme et l’actualisation


des normes OHADA contenues dans ses principaux instruments juridiques que
sont les Actes uniformes. A ce jour, ont déjà fait l’objet de révision l’AUDCG1275,
l’AUS1276 l’AUDSCGIE1277et plus récemment, l’AUPC1278qui est au centre de la
présente étude.
Le droit des sûretés et le droit des procédures collectives sont deux matières
intimement liées1279. Les sûretés ont pour but en règle générale de prémunir le

Guinée Equatoriale, le Mali, le Niger, le Sénégal, le Tchad, le Togo et la République Démocratique


du Congo.
1275
Acte uniforme du 15 décembre 2010 portant sur le droit commercial général adopté à Lomé
au Togo.
1276
Acte uniforme du 15 décembre 2010 portant organisation des sûretés adopté à Lomé au Togo.
1277
Acte uniforme du 30 janvier 2014 relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement
d’intérêt économique adopté à Ouagadougou au Burkina Faso.
1278
Acte uniforme du 10 septembre 2015 portant organisation des procédures collectives
d’apurement du passif adopté à Grand Bassam en Côte d’Ivoire. Il entrera en vigueur 90 jours à
compter de la date de sa publication au Journal officiel de l’OHADA (précisément le 24 décembre
2015) conformément à l’article 9 du Traité de l’OHADA. Pour plus d’éclaircissements sur la
réforme de l’AUPC intervenue à Grand Bassam en Côte d’Ivoire, v. les différentes contributions
in Modernisation de l’Acte uniforme sur les procédures collectives, Dossier spécial, Droit et
Patrimoine n°253, décembre 2015, 30.
1279
Plusieurs auteurs se sont intéressés à l’étude des rapports entre le droit des sûretés et celui
des procédures collectives. En droit français, v. notamment, Roussel Galle (Ph.) et Pérochon (F.),
« Sûretés et droit des procédures collectives, le couple infernal », Rev. proc. coll. n°1, Janvier
2016, dossier 12 ; Cagnoli (P.), « Le sort des créanciers munis de sûretés réelles », Rev. proc. coll.
n°3, Mai 2015, dossier 39 ; Roussel Galle (Ph.), « Les sûretés réelles et le droit des entreprises
en difficulté », Rev. dr. banc. et fin. n°5, Septembre 2014, dossier 38 ; Crocq (P.), « La réforme
des procédures collectives et le droit des sûretés », D. 2006, Chron., p. 1306 ; Pour le même
auteur, « La réforme des procédures collectives et le sort des créanciers munis de sûretés »,
Droit et Patrimoine, 2006, p. 90 et s. ; « Le projet de loi sur la sauvegarde des entreprises et le
respect des concepts du droit des sûretés », Droit et Patrimoine, janvier 2005, p. 43 ;
« L’ordonnance du 18 décembre 2008 et le droit des sûretés », Rev. proc. coll., n° 1, janvier-
février 2009, dossier 10, p. 75 et s. ; Borgas (N.), « Regards sur les sûretés dans l’ordonnance du
18 décembre 2008 », Rev. dr. banc. et fin n°3, Mai 2009, étude 20; Combe (M.), « L’ordonnance
du 18 décembre 2008 et le droit des sûretés », JCP E, n°13, 26-mars 2009, p. 17; Piedelièvre (S.),
« La mise en œuvre des sûretés réelles dans les procédures collectives », LPA 20 septembre
2000, n°188, p. 12 ; Delebecque (Ph.), « Sûretés réelles et procédures collectives », Droit et
Patrimoine 2002, n°106, p. 49 et s. ; même auteur, « Les sûretés dans les nouvelles procédures
collectives », JCP N 1986, pp. 185-192 ; Derrida (F.), « Le crédit et le droit des procédures
collectives », Mélanges R. Rodière, Dalloz 1981, p. 67et s. ; Sortais (J. P.), « La situation des
créanciers titulaires de sûretés et de privilèges dans les procédures collectives », RTD Com.
1976, p. 269 et s. ; Lucas (F.- X.), « L’efficacité des sûretés réelles et les difficultés des

497
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

titulaire contre les risques d’insolvabilité de son débiteur. Or, l’ouverture d’une
procédure collective réalise justement le risque contre lequel le créancier a
entendu se prémunir1280. Dès lors, on peut considérer d’une part le droit des
procédures collectives comme le laboratoire par excellence de jaugeage de
l’efficacité des sûretés1281, d’autre part le droit des sûretés comme un satellite1282
du droit des procédures collectives. L'efficacité d'une sûreté se mesure en
grande partie à l'aune de sa résistance face à une procédure collective1283.

entreprises », Rev. proc. coll., n°6, novembre 2009, dossier 17, p. 60 et s. ; v. le Numéro spécial
portant sur Les sûretés réelles et le droit des entreprises en difficulté, LPA 11-février 2011, n°30 ;
Dossier spécial sur Les Sûretés et procédures collectives par Ph. Roussel Galle, Cahiers de droit
de l’entreprise n°4, Juillet 2009, dossier 19. En droit OHADA, v. notamment l’auteur de ces lignes,
Les privilèges dans les procédures collectives : Réflexions à partir des droits OHADA et français
des entreprises en difficultés, Thèse, Université de Ngaoundéré-Cameroun 2017, 622p. ; « Le
sort des sûretés personnelles dans l’avant-projet de réforme de l’Acte uniforme portant
organisation des procédures collectives du 10 avril 1998 », Rev. dr. banc. et fin n°5, Septembre-
Octobre 2015, Etudes 17, pp. 30-35 ; Banque et droit n°164, Novembre-Décembre 2015, pp. 12-
19 ; « Les clairs obscurs du régime de faveur des créances postérieures en droit OHADA des
procédures collectives : Réflexions à la lumière du droit français des entreprises en difficulté »,
RRJ 2014-2, p. 895 ; Penant n°890, Janvier-Mars 2015, p. 71 ; Soupgui (E.), Les sûretés
conventionnelles à l’épreuve des procédures collectives dans l’espace OHADA, Thèse de
doctorat/Ph. d., Université de Yaoundé II- Soa, 2007-2008, 408p. ; « La protection du créancier
réservataire contre les difficultés des entreprises dans l’espace juridique OHADA », Penant n°
870, Janvier-Mars 2010, Spécial Procédures collectives, p. 66 ; Rev. proc. coll. n°5, Septembre
2009, étude 28 ; Mawunyo Agbenoto (K.), Le cautionnement à l’épreuve des procédures
collectives, Thèse en cotutelle, Université Du Maine, Le Mans-France et Université de Lomé-
Togo 2008, 454p. ; Levoa Awono (S. P.), « La poursuite de la caution d’une entreprise en difficulté
en droit OHADA », Banque et Droit n°144, Juillet-Août 2012, pp. 6-14.
1280
Le professeur Minkoa She, parlant des liens très forts qu’entretient le droit des sûretés avec
le droit des affaires en général et celui des procédures collectives en particulier, relève à juste
titre que le risque de non-paiement de la créance que la sûreté a précisément pour objet d’éviter,
est plus grand en cas de procédures collectives ; v. Minkoa She (A.), Droit des Sûretés et des
Garanties du crédit dans l’espace OHADA, Les Garanties Réelles, Dianoïa, Diffusion PUF, Tome
2, p. 7.
1281
En ce sens, Simler (Ph.), Delebecque (ph.), « Droit des sûretés », Chron., JCP G, n°46, nov.
2005, p. 2104. Le professeur Delebecque avait affirmé lors d’une intervention (« Sûretés réelles
et procédures collectives », Droit et Patrimoine op. cit., p. 49) que : « On ne peut parler du régime
des sûretés sans évoquer le droit des procédures collectives. C’est même l’ouverture d’une
procédure de ce type qui permet d’éprouver l’efficacité de telle ou telle sûreté … ».
1282
Le Corre (P. M.), « Les incidences de la réforme du droit des sûretés sur les créanciers
confrontés aux procédures collectives », JCP, E, n°6, 08 février 2007, 1185.
1283
Gout (O.), « Les sûretés face aux procédures collectives », JCP N, n°40, octobre 2012, 1339,
sp. n°1.

498
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Il convient de souligner que la révision de l’AUPC originel du 10 avril 1998 portant


organisation des procédures collectives d’apurement du passif intervient après
celle de l’AUS du 17 avril 1997 portant organisation des sûretés. La coordination
et la mise en cohérence des dispositions des deux textes communautaires
s’avéraient très nécessaires. L’adoption d’un nouvel Acte uniforme le 15
décembre 2010 à Lomé au Togo1284 poursuivait le double objectif de
l’accroissement de la sécurité juridique des différents acteurs économiques et le
renforcement de l’attractivité des sûretés1285. En effet, il a été question lors de la
réforme d’assurer un juste équilibre entre les intérêts du créancier et ceux du
débiteur, dans l’objectif général de conciliation de la sécurité juridique et de
l’efficacité économique. Parmi quelques grandes innovations apportées par la
réforme du 15 décembre 2010, l’on a : la redéfinition de la notion de sûreté,
l’affirmation du caractère accessoire des sûretés, la consécration du gage sans
dépossession, la restauration de l’efficacité du droit de rétention, la consécration
des propriétés-sûretés, l’extension de l’assiette des sûretés réelles – elles
peuvent désormais porter sur des biens présents et futurs – la simplification des
modalités de réalisation des sûretés réelles par l'introduction du pacte
commissoire et de l’attribution judiciaire du bien objet de la garantie,
l'introduction du nouveau statut d'agent des sûretés pour faciliter la syndication,
la clarification du classement des sûretés etc. L’adoption d’un nouvel Acte
uniforme le 10 septembre 2015 à Grand Bassam en Côte d’ivoire1286, à s’en tenir

1284
Pour tout éclaircissement sur le nouvel Acte uniforme relatif au droit des sûretés, v. Dossier
spécial : Bientôt un nouveau droit des sûretés dans l’OHADA, Droit et Patrimoine n°197, novembre
2010, p. 46 et s. ; Crocq (P.) (dir.), Le nouvel acte uniforme portant organisation des sûretés. La
réforme du droit des sûretés de l’OHADA, Collection Axe Droit, Lamy 2012.
1285
En ce sens, Crocq (P.), « Les grandes orientations du projet de réforme de l’Acte uniforme
portant organisation des sûretés », Droit et Patrimoine n°197, novembre 2010, p. 52.
1286
Pour toute étude sur la réforme de l’Acte uniforme portant organisation des procédures
collectives d’apurement du passif (AUPC) intervenue le 10 septembre 2015, v. Dossier spécial,
Modernisation de l’Acte uniforme sur les procédures collectives, Droit et Patrimoine n°253,
décembre 2015, 29 ; L’auteur de ces lignes, « Regard sur les innovations introduites par la
réforme du 10 septembre 2015 dans les procédures collectives de l’OHADA », Revue congolaise
de droit et des affaires, n°22, octobre-novembre-décembre 2015, p. 4 ; le même article a été
respectivement publié à la RRJ 2015-4, p. 1842 et Penant n°897, octobre-décembre 2016, p.

499
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

aux propos du Secrétaire permanent de l’OHADA1287, tend à renforcer la célérité


et l’efficacité des procédures collectives, favoriser le sauvetage des entreprises
viables et le paiement substantiel des créanciers. Ses innovations majeures sont
entre autres relatives à : l’institution d’une procédure de conciliation pour
favoriser la sauvegarde des entreprises, la mise en place de procédures
simplifiées de règlement préventif, de redressement judiciaire et de liquidation
des biens adaptées aux petites entités économiques, l’institution de délais dont
l’inobservation est sanctionnée, afin de réduire la durée de mise en œuvre des
procédures collectives et favoriser l’atteinte des objectifs poursuivis, la fixation
d’un cadre juridique pour l’activité des mandataires judiciaires que sont les
experts au règlement préventif et les syndics, afin de garantir la compétence,
l’éthique et encadrer la rémunération, l’institution d’un privilège de « l’argent frais
» pour ceux qui consentent de nouveaux crédits à l’entreprise en difficulté pour
faciliter son assainissement ou son redressement, la clarification de l’ordre de
priorité des créanciers. Les deux dernières innovations ont un lien étroit avec le
droit des sûretés. Selon le Guide législatif sur le droit de l’insolvabilité de la
Commission des Nations unies pour le droit commercial international (CNUDCI),
une législation efficace en matière de procédures collectives doit satisfaire à
trois exigences principales, conformément à l’analyse économique du droit, dont
deux ont trait aux sûretés à savoir : la maximisation des montants recouvrés par
les créanciers, sur la base de la valeur du marché du patrimoine de l’entreprise
débitrice et l’établissement d’un ordre précis de paiement des créances garanties
ou non garanties.

449 ; Berard (P. Y.), « DROIT DE L’OHADA-PROCEDURES COLLECTIVES, Le nouvel Acte uniforme
portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif », Banque, Avril 2016,
n°795, p. 75 ; Les différentes contributions du colloque international sur La réforme des
procédures collectives d’apurement du passif OHADA : Approche comparée Droit français et
Droit OHADA des 5 et 6 octobre 2016, Cité des sciences et de l’industrie à Paris, sous le
parrainage de l’Ersuma-OHADA et de Planet-plutonic, 57p.
1287
Sossa (D. C.), « Avant-propos », in Modernisation de l’Acte uniforme sur les procédures
collectives, Dossier spécial, Droit et Patrimoine n°253, décembre 2015, 30.

500
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

En considération de ce qui précède, on pourrait d’emblée s’interroger sur la prise


en compte ou non par l’AUPC révisé des innovations introduites dans la réforme
du droit des sûretés du 15 décembre 2010. Cette œuvre législative coordonnée
pourrait aboutir à long terme à la construction d’un droit du crédit cohérent au
sein duquel les interférences du droit des sûretés et du droit des procédures
collectives seraient harmonieusement réglées. En ce sens, l’AUPC révisé du 10
septembre 2015 a entre autres pris en compte dans ses nouvelles dispositions,
l’introduction des mécanismes alternatifs de réalisation des sûretés réelles –
pacte commissoire et attribution judiciaire du bien objet de la garantie – , la
consécration du droit de rétention conventionnel et des sûretés fondées sur une
situation d’exclusivité dans le droit OHADA des sûretés révisé le 15 décembre
2010 à Lomé au Togo1288. La mise en cohérence mutatis mutandis des
dispositions relatives au classement des sûretés des articles 166 et 167 de
l’AUPC révisé avec celles des articles 225 et 226 de l’AUS rénové est manifeste.
Cependant l’impact de la réforme du droit des sûretés sur le droit des procédures
collectives est de faible portée. L’expérience de l’articulation des deux droits
montre plutôt que c’est le droit des procédures collectives qui influence
significativement le droit des sûretés. Le droit des procédures collectives se
présente comme un droit dérogatoire et perturbateur des solutions de droit
commun1289. C’est un droit comme a pu le relever une doctrine autorisée1290
rebelle dont la réputation est d’ébranler les édifices les mieux établis du droit

En ce sens, Crocq (P.), « Des créanciers et des contractants mieux protégés », in


1288

Modernisation de l’Acte uniforme sur les procédures collectives, Dossier spécial, Droit et
Patrimoine n°253, décembre 2015, 62.
1289
V. Saint-alary-houin (C.), Préface de la thèse de Marie Helene Monserie, Les contrats dans le
redressement et la liquidation judiciaires des entreprises, Litec, 1994 ; aussi Montredon (J. F.),
« La théorie générale du contrat à l’épreuve du nouveau droit des procédures collectives », JCP
E, 15156, 1988, p. 269 et s.
1290
Modi koko bebey (H. D.), « La force obligatoire du contrat à l’épreuve du droit des procédures
collectives de l’OHADA », in L’obligation, Etudes offertes au Professeur Paul-gerard pougoue,
Harmattan Cameroun 2015, p. 490.

501
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

civil. Le droit des sûretés s’avère être une de ces disciplines qui subit les assauts
répétés du droit des procédures collectives.
La lecture des trois cent soixante-dix-huit (378) dispositions de l’AUPC révisé1291
laisse plutôt apparaitre une subordination des sûretés aux procédures
collectives. L’ouverture d’une procédure collective qu’elle soit préventive ou
curative réduit ou anéantit l’efficacité des sûretés. Celles-ci sont, soit
neutralisées, soit évincées. Le droit des procédures collectives impose ses choix.
Plus grave, elles sont instrumentalisées dans le but de favoriser la sauvegarde
de l’entreprise en difficulté1292. Le cautionnement qui est défini à l’article 13 de
l’AUS révisé comme un contrat par lequel la caution s’engage, envers le créancier
qui accepte, à exécuter une obligation présente ou future contractée par le
débiteur, si celui-ci n’y satisfait pas lui-même n’échappe pas à cette politique.
Son traitement dans les procédures collectives est à géométrie variable.
L’efficacité de cette sûreté est neutralisée tant qu’il existe des chances de sauver
l’entreprise et prend fin au contraire, dès lors que l’on bascule dans une
procédure liquidative, essentiellement consacrée au paiement des créanciers.
Dans cette étude, seules les procédures qui poursuivent le redressement de
l’entreprise vont nous intéresser. Ainsi, il sera envisagé d’une part le
cautionnement dans les procédures préventives (I) ; d’autre part le
cautionnement dans la procédure de redressement judiciaire (II).

1291
Le contenu de cet important texte a 120 nouvelles dispositions, ce qui porte le nombre total
de celles-ci à 378, contrairement à l’AUPC du 10 avril 1998, qui comportait 258 dispositions.
Toutes les dispositions nouvelles sont matérialisées par les tirets (par exemple : article 1-1, 1-2
et 1-3, 3-1 et 3-2, 4-1 à 4-23, 5-1 à 5-14 etc.).
1292
En ce sens, v. notre article « Le sort des sûretés personnelles dans l’avant-projet de réforme
de l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives du 10 avril 1998 », Banque et
droit op. cit., p. 14 ; Crocq (P.), « Des créanciers et des contractants mieux protégés », in
Modernisation de l’Acte uniforme sur les procédures collectives, Dossier spécial, Droit et
Patrimoine op. cit., p. 63.

502
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

I. LE CAUTIONNEMENT DANS LES PROCEDURES PREVENTIVES EN DROIT

OHADA

Le législateur OHADA des procédures collectives du 10 septembre 2015 met un


accent particulier sur la sauvegarde des entreprises. Celle-ci ne passera que par
une anticipation et une prévention en amont des difficultés de l’entreprise
débitrice. Il est raisonnable de penser que des mesures d’assistance aux blessés
de la compétition économique seront d’autant plus efficaces qu’elles seront
précoces1293. Aussi, a-t-il prévu un titre (Titre II) spécialement réservé aux
procédures préventives. Ces dernières ont un lien commun, en ce qu’elles
interviennent avant la cessation des paiements. Le droit OHADA des entreprises
en difficulté, contrairement au droit français1294, continue à concevoir la cessation
des paiements comme la frontière nécessaire entre la prévention et le traitement
des difficultés des entreprises.
La nouveauté, s’agissant des procédures préventives tient de l’introduction dans
l’AUPC des procédures amiables. Ainsi, à côté du règlement préventif, qui a vu
son régime amélioré, l’on devrait s’habituer avec des procédures plus
contractuelles et moins dirigistes que sont la médiation et la conciliation. Parlant
du cautionnement, l’AUPC révisé, fait usage d’une formule générique et
largement ouverte. La formule « les personnes physiques coobligées ou ayant
consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie
[...] ».
L’examen des dispositions organisant les procédures préventives dans l’AUPC
révisé montre que le cautionnement est affaibli (A). Les manifestations de cet
affaiblissement se retrouvent dans certaines dispositions nouvellement
introduites dans l’AUPC révisé (B).

1293
Lucas (F. X.), « Aperçu de la réforme du droit des entreprises en difficulté par la loi de
sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005 », BJS, novembre 2005, n°11, p. 1181.
1294
Dans ce droit, les débiteurs, déjà en cessation des paiements depuis moins de quarante-cinq
(45) jours peuvent bénéficier de la procédure de conciliation, v. Article 611- 4 du Code de
Commerce.

503
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

A. L’AFFAIBLISSEMENT DU CAUTIONNEMENT DANS LES PROCEDURES

PREVENTIVES

La conciliation et le règlement préventif apparaissent comme les deux


procédures préventives dans l’AUPC révisé. Elles interviennent avant la
cessation des paiements. Mais, à bien regarder, ces procédures sont au nombre
de trois. En effet, selon l’article 1-2 de l’AUPC révisé, toute entreprise, sans
préjudice de l’application des procédures de conciliation, de règlement préventif,
de redressement judiciaire et de liquidation des biens a la faculté de demander,
avant la cessation de ses paiements, l’ouverture d’une procédure de médiation
selon les dispositions légales de l’Etat partie concerné. Ce qui signifie, à la vérité,
qu’il va exister en droit OHADA des entreprises en difficulté trois procédures
préventives1295 expressément autorisées à savoir : une procédure judiciaire
préventive (le règlement préventif) et deux procédures amiables de prévention
de la cessation des paiements que sont la médiation et la conciliation. Une brève
présentation des procédures de conciliation et de règlement préventif va
précéder (1) l’exposé des raisons qui expliquent l’affaiblissement du
cautionnement dans ces procédures (2).

1. Brève présentation des procédures de conciliation et de règlement préventif

La voie de contractualisation du traitement précoce des difficultés des


entreprises, à laquelle s’est engagé le législateur OHADA des procédures
collectives du 10 septembre 2015, l’a conduit à introduire des procédures
amiables dans l’AUPC. L’une de ces procédures est la conciliation. Elle est définie
à l’article 2 de l’AUPC révisé comme « une procédure préventive, consensuelle
et confidentielle, destinée à éviter la cessation des paiements de l’entreprise

Cependant, il est permis de penser que la prévision dans l’AUPC révisé de ces procédures
1295

n’exclut guère la possibilité de recours à d’autres mécanismes utilisés par la pratique à l’instar
des moratoires, des concordats amiables, des reports d’échéance, les délais de grâce, les prêts
obligataires et bancaires, les interventions étatiques…

504
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

débitrice afin d’effectuer, en tout ou partie, sa restructuration financière ou


opérationnelle pour la sauvegarder. Cette restructuration s’effectue, par le biais
de négociations privées et de la conclusion d’un accord de conciliation négocié
entre le débiteur et ses créanciers ou, au moins ses principaux créanciers, grâce
à l’appui d’un tiers neutre, impartial et indépendant dit conciliateur ». Elle vise à
trouver un accord amiable entre le débiteur, ses principaux créanciers et
cocontractants en vue de mettre fin aux difficultés de l’entreprise. Telle que
conçue et organisée par le nouvel AUPC, la procédure de conciliation, a
certainement des mérites, des insuffisances, qui devraient être corrigées, afin de
faire de celle-ci un outil efficace et attractif1296.
La conciliation prévue aux articles 5-1 à 5-14 de l’AUPC révisé, s’inspire mutatis
mutandis de celle prévue en droit français aux articles L. 611-4 et suivants du
Code de commerce. La procédure de conciliation de droit français1297, a remplacé
depuis la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005, l’ancienne
procédure de règlement amiable. La réforme opérée en France le 26 juillet 2005
s’inscrit dans le cadre des procédures de « prévention-traitement » des
difficultés des entreprises1298. Elle visait à rendre la prévention amiable des

1296
En ce sens, v. AKONO ADAM (R.), « Regard sur les innovations introduites par la réforme du
10 septembre 2015 dans les procédures collectives de l’OHADA », Revue congolaise de droit et
des affaires, n°22, octobre-novembre-décembre 2015, p. 4 ; le même article a été publié à la RRJ
2015-4, p. 1842
1297
Pour toute étude sur la Procédure de conciliation applicable en droit français des entreprises
en difficulté, v. GALLE ROUSSEL (Ph.), « La conciliation », Droit et Proc. 2005, 260 ; GALLE
ROUSSEL (Ph.) et PEROCHON (F.), « Le mandat ad hoc et la conciliation », Gaz. Pal., 03 janvier
2015, n°3, p. 4 ; GALLE ROUSSEL (Ph.) et LE MARCHAND (P.), « La prévention.-Du mandat ad
hoc et de la conciliation aux sauvegardes accélérées et « prepack » cession », CDE, n°1, janvier
2015, dossier 2 ; THEVENOT (Chr.), « Mandat ad hoc et conciliation : de nouveaux outils pour une
meilleure prévention », LPA, 17 février 2006, n°35, p. 14 ; MACORIG-VENIER (F.), « Du règlement
amiable à la conciliation », Rev. proc. coll. 2005, p. 352 ; MACORIG-VENIER (F.) et CAVIGLIOLI,
« Le point sur la conciliation », in Pratique, contentieux et réforme de la loi de sauvegarde, Rev.
proc. coll., avril-mai-juin 2008. 78 ; RAVENNE (S.), « La résolution de l’accord de conciliation »,
Rev. proc. coll., novembre-décembre 2009, étude 30 ; SAINT-ALARY-HOUIN (C.), « La procédure
de conciliation », Rev. proc. coll. 2006, p. 169.
1298
Rapp. J. J. HYEST, n°335, p. 100.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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difficultés des entreprises plus efficace et attractive1299. Le succès de la


procédure de conciliation en droit français1300, en raison de ses attraits (une
procédure volontariste, confidentielle, consensuelle et moins dirigiste) ne
pouvait laisser indifférent le législateur OHADA des procédures collectives qui,
met la prévention des difficultés des entreprises au centre de ses
préoccupations. Les mérites de la procédure de conciliation de droit OHADA des
entreprises en difficulté apparaissent à l’examen des règles applicables à son
ouverture, à son déroulement et à son issue.
S’agissant de l’ouverture, il est à observer que la conciliation est une procédure
volontariste et libérale, puisqu’elle est laissée à la seule initiative du débiteur1301.
D’après l’article 5-2 de l’AUPC révisé, le président de la juridiction compétente
est saisi par une requête du débiteur. C’est vrai, que la même disposition donne
la possibilité aux créanciers, par une requête conjointe de se joindre au débiteur
pour saisir le président de la juridiction compétente. Mais, tout laisse penser que
l’initiative officielle de la saisine viendrait toujours du débiteur. Une place
importante est laissée à l’autonomie de la volonté du débiteur. La requête ne
saurait être admise par le juge, sans une volonté expresse du débiteur. La
possibilité de saisine par les salariés et le ministère public est écartée. De même
que le président de la juridiction compétente ne pourrait s’auto-saisir.
Le volontarisme et le caractère libéral de la procédure de conciliation de droit
OHADA viendraient aussi de la maîtrise par le débiteur du choix et de la
rémunération du conciliateur. En effet, le débiteur a la possibilité de proposer, à
l’ouverture, la désignation d’un conciliateur. Cette possibilité, non directement
prévue découle de la lecture du 6°) de l’article 5-2 de l’AUPC révisé, qui

1299
En ce sens, JACQUEMONT (A.), « La future procédure de conciliation : une attractivité
nouvelle pour l’entreprise en difficulté et ses créanciers », Rev. proc. coll., 2004. 290.
1300
MACORIG-VENIER (F.) et CAVIGLIOLI, « Le point sur la conciliation », in Pratique, contentieux
et réforme de la loi de sauvegarde, Rev. proc. coll., op. cit., n°2 ; FOMBEUR, « Discours aux
Entretiens de la sauvegarde », 28 janvier 2008, LPA 12 février 2008, n°31, p. 3.
1301
Le débiteur, personne physique - chef d’entreprise, ou, pour la personne morale, le
représentant légal de celle-ci.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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dispose : « [...] La requête est accompagnée des documents suivants, datant de


moins de trente (30) jours :

[...] si le débiteur propose un conciliateur, un document indiquant les noms,


prénoms, qualités et domicile de la personne proposée et une attestation de
cette dernière indiquant ses compétences professionnelles [...] ». Le choix d’un
conciliateur par le débiteur, qu’il soumet à la désignation du président de la
juridiction compétente, inspiré de la loi française de sauvegarde des entreprises
du 26 juillet 2005 paraît justifié au regard du caractère souple et contractuel de
la conciliation. Etant donné que les créanciers, ont la possibilité de se joindre au
débiteur pour saisir le président de la juridiction compétente aux fins d’ouverture
de la conciliation, rien n’interdit, à notre avis que ceux-ci s’accordent avec ce
dernier sur le choix du conciliateur.

La maîtrise par le débiteur du choix du conciliateur, pose aussi le problème de la


possibilité par celui-ci de le récuser. Cette possibilité, contrairement, au droit
français ne semble pas avoir été prévue par le législateur OHADA du 10
septembre 2015. En cas d’existence d’une incompatibilité, d'une cause de
défiance à l'encontre du conciliateur, il est prévu (article 5-4 de l’AUPC révisé)
que c’est ce dernier, qui doit en informer sans délai le président de la juridiction
compétente qui, s’il y a lieu, peut mettre fin à sa mission et nommer un
remplaçant. Contrairement à ce qui se passe, lorsque l’expert au règlement
préventif1302 tombe sous le coup de l’une des incompatibilités énoncées aux
articles 4-4 et 4-5 de l’AUPC révisé, le débiteur ne peut demander, au président
de la juridiction compétente le remplacement du conciliateur. Cette impossibilité

1302
Il est prévu à l’article 8-1 de l’AUPC révisé que le débiteur ou tout créancier peut demander,
à tout moment, au président de la juridiction compétente le remplacement de l’expert au
règlement préventif qui tombe sous le coup de l’une des incompatibilités prévues aux articles 4-
4 et 4-5 de l’AUPC révisé. L’article 5-4 de l’AUPC révisé aurait pu être mis en cohérence avec
celui 8-1.

507
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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de récusation s’expliquerait par le fait que : d’une part, les conciliateurs1303 ne


sont pas soumis au même régime que les mandataires judiciaires1304. De ce fait,
il est difficile, d’étendre à toutes les occasions, les droits et obligations de l’expert
au règlement préventif au conciliateur, étant entendu, que la procédure de
conciliation est plus souple que celle du règlement préventif. D’autre part, c’est
le débiteur lui-même, qui a choisi le conciliateur désigné par le président de la
juridiction compétente, il se contredirait en le récusant par la suite. La forte
souplesse, qui caractérise la conciliation, par rapport au règlement préventif,
épargne-t-elle cette procédure des dérives ? Il nous semble, qu’il est utile et dans
l’intérêt de la procédure de conciliation que l’on introduise, dans la prochaine
réforme de l’AUPC, des dispositions, qui permettraient, au débiteur de demander
le remplacement du conciliateur, qui ne remplit plus les conditions énoncées à
l’article 5-41305 de l’AUPC du 10 septembre 2015. De telles dispositions, auraient,
non seulement pour but de rassurer les chefs d'entreprise, mais aussi, de
maintenir l’existence d’une relation de confiance entre le débiteur et le
conciliateur, essentielle pour qu’un accord amiable viable et cohérent puisse se
concrétiser.

1303
Selon la logique de l’AUPC révisé, les conciliateurs n’ont pas besoin d’être nécessairement
des syndics ou des experts au règlement préventif. Cette fonction peut être exercée par tout
professionnel, qui répond aux conditions légales exigées.
1304
D’après l’article 1-3 de l’AUPC révisé, qui définit les concepts-clé du droit des procédures
collectives OHADA, on entend par mandataire judiciaire : l’expert au règlement préventif et le
syndic de redressement judiciaire ou de liquidation des biens ; sur cette question, v. FENEON
(A.), « Des mandataires judiciaires mieux encadrés, pour une procédure plus efficace », in
Modernisation de l’Acte uniforme sur les procédures collectives, Dossier spécial, Droit et
Patrimoine n°253, décembre 2015, 65.
1305
« … Le conciliateur doit avoir le plein exercice de ses droits civils, justifier de sa compétence
professionnelle et demeurer indépendant et impartial vis à-vis des parties concernées par la
conciliation. En particulier, il ne doit pas avoir perçu, à quelque titre que ce soit, directement ou
indirectement, une rémunération ou un paiement de la part du débiteur intéressé, de tout
créancier du débiteur ou d’une personne qui en détient le contrôle ou est contrôlée par lui, au
cours des vingt-quatre (24) mois précédant la décision d’ouverture. Aucun parent ou allié du
débiteur, jusqu’au quatrième degré inclusivement, ne peut être désigné en qualité de conciliateur.
Il en va de même pour tout magistrat en fonction ou ayant quitté ses fonctions depuis moins de
cinq (5) ans… ».

508
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Outre, la possibilité qu’a le débiteur de proposer un conciliateur au président de


la juridiction compétente, force est de relever que celui-ci a la maîtrise du coût
de la procédure. C’est un élément important, qui incitera, à coup sûr les chefs
d’entreprises à utiliser fréquemment la conciliation, comme un instrument de
traitement précoce des difficultés des entreprises. En effet, les modalités de la
rémunération du conciliateur sont déterminées par le président de la juridiction
en accord avec le débiteur lors de la désignation de l'intéressé en fonction des
diligences nécessaires à l'accomplissement de sa mission. Les critères sur la
base desquels elle est arrêtée, son montant maximal chiffré et le montant des
provisions sont précisés dans un document signé par le débiteur et le conciliateur
et annexé à la décision d’ouverture.

La procédure de conciliation a vocation à s’appliquer aux mêmes justiciables que


les autres procédures collectives1306. Le champ d’application rationae personae
de l’AUPC révisé a été étendu à tous les professionnels (commerçants, artisans,
agriculteurs, avocats, notaires, architectes, médecins…) exerçant une activité
économique, sans que besoin soit encore de distinguer selon qu’ils aient la
qualité de commerçant ou non. Seuls les salariés et en règle générale, toute
personne, qui exercerait une activité dans le cadre de laquelle elle est soumise à
un lien de subordination semble exclus du champ d’application in personam du
droit des procédures collectives1307. Cette extension est à saluer. Elle traduit la
dimension économique et expansionniste du droit contemporain des entreprises
en difficulté, et surtout, permettra à tout professionnel, quel que soit son
domaine d’activité de bénéficier d’un instrument souple de traitement précoce
des difficultés naissantes de son entreprise.

1306
En ce sens, SAWADOGO (F. M.), « Les procédures de prévention dans l’AUPC révisé : La
conciliation et le Règlement préventif », in Modernisation de l’Acte uniforme sur les procédures
collectives, op. cit., p. 35.
1307
En ce sens, ROUSSEL GALLE (Ph.), « Les débiteurs dans l’AUPC révisé : La modernisation du
droit de l’insolvabilité dans la continuité », in Modernisation de l’Acte uniforme sur les procédures
collectives, Dossier spécial, Droit et Patrimoine n°253, Décembre 2015, 56.

509
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

S’agissant du déroulement de la conciliation, on note que celui-ci reste à la


maîtrise du débiteur et se caractérise par son aspect confidentiel et contractuel.
En effet, l’ouverture de la conciliation n’affecte pas les droits du débiteur. En ce
sens, ce dernier reste totalement maître de la gestion de ses affaires. Le
conciliateur ne s'immisce guère dans la gestion de l'entreprise. Il a juste pour
mission de favoriser la conclusion d’un accord amiable destiné à mettre fin aux
difficultés de l’entreprise. Tout au plus, il peut faire des propositions se
rapportant à la sauvegarde de l’entreprise et à l’apurement du passif. Etant donné
que la conciliation n’est pas une procédure imposée, mais choisie, il est prévu
(article 5-8 de l’AUPC révisé) que le débiteur peut demander au président de la
juridiction compétente à ce qu’il soit mis fin. Cela manifeste une fois de plus la
maîtrise du débiteur sur le déroulement de la procédure.

S’agissant de l’issue de la conciliation, seule, celle heureuse, qui donne lieu à la


signature d’un accord entre le débiteur et ses principaux créanciers, le cas
échéant ses cocontractants habituels va retenir l’attention. Ce qui est
remarquable avec l’AUPC révisé est la préservation du caractère contractuel et
confidentiel de la procédure de conciliation de l’ouverture à son dénouement.
Ces vertus préservent indéniablement le crédit de l’entreprise et la confiance des
créanciers et cocontractants. L’accord ayant une nature contractuelle, rien
n’empêche d’en rester là sans autre formalité judiciaire. L’accord n’a pas besoin,
comme c’est le cas en droit français d’être constaté par le président du tribunal.
Il est cependant prévu à l’article 5-10 de l’AUPC révisé, qu’il peut être déposé au
rang des minutes d’un notaire à la requête de la partie la plus diligente. Ce dépôt
vise vraisemblablement à sécuriser l’accord et à attacher une force juridique plus
importante à celui-ci. Ce dépôt nous semble, donc facultatif. Aussi, à bien lire
l’article 5-10 précité, il apparaît que l’homologation ou l’exequatur de l’accord
signé n’est guère obligatoire. Quand bien même l’accord est homologué ou
exequaturé par la juridiction ou l’autorité compétente statuant à huis clos, celui-
ci reste confidentiel. La décision d’homologation ou d’exequatur ne fait l’objet
d’aucune publicité et ne reprend pas le contenu de l’accord qui reste confidentiel.

510
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

La demande d’homologation en elle-même n’entraîne donc pas la perte de la


confidentialité de la procédure, c’est la raison pour laquelle, elle peut être faite
par toute partie à l’accord, débiteur, créanciers ou cocontractants habituels.
Cependant, la publicité de la décision d’homologation ou d’exequatur de l’accord
conclu a été prévue (article 5-11 de l’AUPC révisé), au cas où le privilège de « new
money » a été accordé aux personnes, qui ont apporté de nouveaux crédits en
vue d’assurer la poursuite de l’activité de l’entreprise débitrice et sa pérennité.
La justification est d’éviter des privilèges occultes préjudiciables aux tiers. Il s’agit
de garantir la sécurité des tiers intéressés, qui doivent avoir connaissance des
montants garantis. De ce qui précède, l’homologation, se présente comme une
condition d’application du privilège de « new money ». Si ce dernier, apparaît
comme un attrait du recours à l’homologation, il reste que ce privilège, tel que
conçu dans l’AUPC révisé n’est pas exempt de lacunes. Celles-ci pourraient,
malheureusement affecter son efficacité et surtout le caractère incitatif voulu par
le législateur.

En matière de prévention, il existe des procédures amiables, mais aussi celles


judiciaires, à caractère public, à l’instar du règlement préventif qui, n’a pas
échappé à la réforme.
Le règlement préventif est défini par l’article 2 de l’AUPC révisé comme une
procédure collective préventive destinée à éviter la cessation des paiements de
l'entreprise débitrice et à permettre l'apurement de son passif au moyen d'un
concordat préventif. Ainsi pour prévenir la cessation des paiements de son
entreprise, le débiteur peut négocier un accord avec ses principaux créanciers,
en vertu duquel ceux-ci lui consentent des facilités de paiement. Cet accord
qualifié de concordat préventif, est l’objet du règlement préventif et obéit au droit
commun des contrats. C’est une procédure de pré-insolvabilité qui existait déjà
dans l’AUPC originel du 10 avril 1998 dont l’ouverture emporte suspension des
poursuites individuelles au profit d’un débiteur in bonis. Tel que conçu par l’AUPC
du 10 avril 1998, le règlement préventif était un savant dosage de l’ancienne
procédure française de suspension provisoire des poursuites du 23 septembre

511
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

1967 et celle du règlement amiable issue de la loi du 1er mars 1984 relative à la
prévention et au règlement amiable des difficultés des entreprises1308. Mais, à la
vérité, le règlement préventif était plus proche de la procédure de suspension
provisoire des poursuites de l’ordonnance du 23 septembre 1967 que de la loi du
1er mars 19841309. Bien que préventive, c’est une procédure judiciaire, dont
l’ouverture emporte suspension des poursuites individuelles, interdiction de
paiement des créances antérieures et dessaisissement partiel du débiteur. Pour
la rendre davantage efficace et attractive, cette procédure a vu son régime
juridique amélioré par la réforme du 10 septembre 20151310. Nonobstant son
amélioration, le règlement préventif reste une procédure, qui conjugue à la fois
l’approche judiciaire et contractuelle de résolution des difficultés des entreprises
débitrices. On peut, toutes proportions gardées, sur certains points l’assimiler à
la procédure de sauvegarde de droit français. C’est une procédure volontariste
et libérale, parce que son ouverture est laissée à l’initiative du débiteur, mais, elle
apparaît dirigiste lors de son déroulement. Contrairement à la procédure de
conciliation, elle est judiciaire et publique. Sa décision d’ouverture et de clôture
doivent faire l’objet de publicité. La décision d’ouverture du règlement préventif
emporte suspension des poursuites individuelles. La réforme de l’AUPC fait
désormais de l’ouverture du règlement préventif un préalable à la suspension des

1308
En ce sens, v. SAWADOGO (F. M.), OHADA, Droit des entreprises en difficulté, Bruylant,
Bruxelles, 2002, p. 56, n°65.
1309
ROUSSEL GALLE (Ph.), « OHADA et difficultés des entreprises, Etude critique des conditions
et effets de l’ouverture de la procédure de règlement préventif », RJ com., février-mars 2001,
n°3.
1310
Pour toute étude sur la réforme de l’Acte uniforme portant organisation des procédures
collectives d’apurement du passif (AUPC) intervenue le 10 septembre 2015, v. Dossier spécial,
Modernisation de l’Acte uniforme sur les procédures collectives, Droit et Patrimoine n°253,
décembre 2015, 29 ; AKONO ADAM (R.), « Regard sur les innovations introduites par la réforme
du 10 septembre 2015 dans les procédures collectives de l’OHADA », Revue congolaise de droit
et des affaires, n°22, octobre-novembre-décembre 2015, p. 4 ; le même article a été publié à la
RRJ 2015-4, p. 1842 ; BERARD (P. Y.), « DROIT DE L’OHADA-PROCEDURES COLLECTIVES, Le
nouvel Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif »,
Banque, Avril 2016, n°795, p. 75.

512
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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poursuites individuelles. C’est désormais la décision d’ouverture du règlement


préventif qui entraine la suspension des poursuites individuelles. Toutes les
poursuites sont visées, il n’y a plus lieu de discriminer entre les créances
désignées par le débiteur et celles qui ne le sont pas. Ainsi, pour éviter que la
suspension des poursuites individuelles, soit une manœuvre dilatoire au profit du
débiteur, sa durée maximale a été limitée à quatre (04) mois (article 9 de l’AUPC
révisé). Ce délai a été harmonisé avec celui de l’expert, qui a désormais au
maximum quatre (04) mois pour établir son rapport contenant l’accord conclu
entre le débiteur et ses créanciers, ainsi que le projet de concordat préventif. Il
est tenu de respecter ces délais, sous peine d’engager sa responsabilité auprès
du débiteur ou des créanciers. Mais, nous pensons, qu’il aurait été préférable de
maintenir le délai maximal de trois mois de l’ancien AUPC (article 13 de l’AUPC
du 10 avril 1998), cela allait booster l’expert à se dépêcher pour le dépôt de son
rapport. Préférable aurait été aussi l’octroi d’un bref délai (5 jours au plus) au
président de la juridiction compétente saisie pour convoquer à une audience non
publique le débiteur, l’expert ainsi que tout créancier qu’il juge utile d’entendre
(article 14 de l’AUPC révisé). L’emploi de l’expression « sans délai » par l’article
14 de l’AUPC révisé ne participe pas de la recherche de la célérité, même s’il reste
vrai que les restrictions résultant de l’ouverture du règlement préventif
(suspension des poursuites et dessaisissement partiel du débiteur) prennent fin
lorsque le délai imparti à la juridiction compétente expire sans que celle-ci ait
homologué le projet de concordat (article 14, alinéa 3 de l’AUPC révisé).

Dans la requête introduite par le débiteur avec un ou plusieurs de ces créanciers,


le débiteur expose ses difficultés financières ou économiques ainsi que les
perspectives de redressement de l’entreprise et d’apurement de son passif.
Selon l’article 8, si le projet de concordat préventif lui paraît sérieux, le président
de la juridiction compétente ouvre la procédure et désigne un expert au
règlement préventif, pour lui faire rapport sur la situation financière et
économique de l’entreprise débitrice et les perspectives de redressement
compte tenu des délais et remises consentis ou susceptibles de l’être par les

513
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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créanciers et toutes autres mesures contenues dans le projet de concordat


préventif.

Afin de permettre au tribunal de fixer le plus rapidement possible la situation du


débiteur, l’expert est tenu de déposer son rapport dans un délai de trois mois
suivant la décision d’ouverture du règlement préventif, ce délai peut être
prorogé, à titre exceptionnel, une seule fois pour une durée d’un mois, sur
décision spécialement motivée du président de la juridiction compétente à la
demande de l’expert ou du débiteur. Dès le dépôt du rapport de l’expert, le
président de la juridiction compétente saisie convoque sans délai le débiteur à
comparaître à une audience non publique pour y être entendu. A cette audience,
l’expert ainsi que tout créancier qu’il juge utile d’entendre peut également être
convoqué.

La décision d’ouverture du règlement préventif emporte également interdiction


pour le débiteur d’accomplir certains actes sous peine de nullité de droit. Il ne
peut exceptionnellement les accomplir qu’avec l’autorisation de la juridiction
compétente. Il lui est particulièrement interdit de : payer en tout ou partie les
créances nées antérieurement à la décision d’ouverture ; faire un acte de
disposition étranger à l’exploitation normale de l’entreprise ou de consentir une
sureté. Il est également interdit au débiteur de désintéresser les coobligés et les
personnes ayant consenti une sureté personnelle ou ayant affecté ou cédé un
bien en garantie lorsqu’elles ont acquitté des créances nées antérieurement à la
décision d’ouverture.

Pour ce qui est de son dénouement, le règlement préventif a pour issue la


conclusion d’un concordat préventif que l’on peut définir comme un accord entre
le débiteur et ses créanciers qui ne produit d’effets qu’après l’homologation de la
juridiction compétente. Le concordat préventif se distingue du concordat
judiciaire classique dont le concordat de redressement judiciaire constitue un
exemple. En effet, il ne s’agit pas ici de réunir l’ensemble des créanciers,
spécialement les créanciers chirographaires, et de leur faire voter les

514
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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propositions du débiteur1311. Pendant les négociations, chaque créancier


discutera individuellement et consentira les sacrifices qu’il voudra accorder au
débiteur. Certains créanciers ne seront guère convaincus de la nécessité de
consentir des délais de paiement ni de remises de dettes, redoutant un imminent
état de cessation des paiements de leur débiteur et l’inutilité des efforts
effectués. Les issues de la procédure de règlement préventif sont incertaines,
ce qui justifie en partie le peu de succès de cette pratique1312.

L’homologation du concordat préventif rend celui-ci obligatoire pour tous les


créanciers antérieurs à la décision d’ouverture du règlement préventif, que leurs
créances soient chirographaires ou garanties par une sûreté dans les conditions
de délais et de remises qu’ils ont consenties au débiteur. L’homologation du
concordat préventif rend également celui-ci obligatoire pour les personnes
coobligées ou qui ont consenti une sûreté personnelle ou affecté ou cédé un bien
en garantie lorsqu’elles ont acquitté des dettes du débiteur nées antérieurement
à cette décision.

Quid des raisons a l’affaiblissement du cautionnement ?

2. Les raisons à l’affaiblissement du cautionnement dans les procédures de

conciliation et de règlement préventif

Sous l’empire de l’AUPC originel du 10 avril 1998, il était possible pour les
créanciers de réaliser le cautionnement nonobstant que le débiteur soit soumis
à une procédure collective. Certains1313 ont pu à cet effet soutenir la thèse de
l’altération du caractère accessoire du cautionnement, parce que les cautions ne
bénéficiaient guère des avantages accordés au débiteur en difficulté. Le
législateur OHADA des procédures collectives du 10 avril 1998 semble avoir

1311
Sawadogo (F. M.), OHADA, Droit des entreprises en difficulté, Bruylant, Bruxelles, Unida,
Juriscope, 2002, p. 68.
1312
Kom(J), Droit des entreprises en difficulté OHADA, PUA , 2013, p. 136
1313
Mawunyo agbenoto (K.), Le cautionnement à l’épreuve des procédures collectives, Thèse en
cotutelle, Université Du Maine, Le Mans-France et Université de Lomé-Togo 2008, p. 24.

515
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

privilégié l’objectif de paiement des créanciers en préservant l’efficacité des


sûretés personnelles dont la fonction est de garantir le créancier contre le risque
de non-paiement du débiteur1314.
A rebours de ce qui précède, la primauté accordée par l’AUPC révisé à l’objectif
de sauvegarde1315 et de sauvetage des entreprises en difficulté explique
l’affaiblissement du cautionnement. Le législateur OHADA des procédures
collectives du 10 septembre 2015, en paralysant les cautions entend inciter les
chefs d’entreprises individuelles, les dirigeants sociaux le plus souvent garants
des dettes des structures à la tête desquelles ils sont à saisir le plus rapidement
la juridiction compétente aux fins d’ouverture d’une procédure préventive ou de
sauvetage. A l’exception de la procédure de conciliation, les autres procédures
(règlement préventif et redressement judiciaire) visent des personnes physiques
ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en
garantie comme celles devant profiter des mesures incitatives. Ce qui témoigne
indéniablement de la volonté législative d’augmenter les chances de
redressement de l’entreprise en encourageant le dirigeant social à être diligent
et proactif. Les procédures collectives d’apurement du passif ne peuvent être
couronnées de succès que si elles sont ouvertes le plus tôt possible dès la
survenance des premières difficultés de l’entreprise. Un dirigeant social garant
des dettes de son entreprise sera dissuadé de saisir rapidement le juge avant
que sa situation ne soit irrémédiablement compromise lorsqu’il sait qu’il sera

1314
En ce sens, Levoa Awono (S. P.), « La poursuite de la caution d’une entreprise en difficulté en
droit OHADA », Banque et Droit op. cit., p. 7.
1315
Selon le professeur Ph. Roussel Galle, il y aurait une différence sémantique entre le terme
« sauvegarde », qui met l’accent sur la protection, sauvegarder, c’est protéger, c’est mettre sous
la protection, on ne peut sauvegarder qu’une personne fragile qui mérite protection ; alors que
« redresser » c’est remettre en bon ordre, corriger, il ne s’agit plus simplement de protéger, mais
aussi de sanctionner (v. Roussel galle (Ph.), Réforme du droit des entreprises en difficulté, De la
théorie à la pratique, préf. D. Tricot, Litec 2ème édition 2007, p. 132, n° 260). Dans le même sillage,
l’AUPC révisé emploie le terme de « sauvegarde » lorsqu’il fait allusion aux procédures
préventives (conciliation et règlement préventif) et celui de « sauvetage » dans la définition du
redressement judiciaire.

516
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

immédiatement poursuivi en paiement par les créanciers à l’ouverture de la


procédure collective.
A bien regarder le dispositif OHADA des procédures collectives, il apparaît que
la quantité et la qualité des avantages accordés aux personnes physiques
coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé
un bien en garantie varient en fonction de la nature de la procédure ouverte
contre le débiteur. Lorsque l’on a affaire à des procédures préventives à
caractère libéral et volontariste, des tiers personnes physiques ayant consenti
des sûretés peuvent se prévaloir des dispositions de l’accord de conciliation
(procédure préventive à caractère amiable et confidentiel) et celles du concordat
préventif adopté dans le cadre du règlement préventif (procédure préventive à
caractère judiciaire et public). Ce qui n’est pas le cas dans la procédure de
redressement judiciaire dont les dispositions du concordat ne profitent guère aux
personnes ayant consenti un cautionnement ou affecté ou cédé un bien en
garantie. Il s’évince de ce qui précède que le cautionnement dans l’AUPC révisé
du 10 septembre 2015 est affaibli1316 dans le but de favoriser le redressement de
l’entreprise en difficulté. En ce sens, le traitement du cautionnement apparait à
géométrie variable, son affaiblissement étant assuré tant qu’il existe des chances
de sauver l’entreprise et prend fin au contraire, dès lors que l’on bascule dans
une procédure liquidative, essentiellement consacrée au paiement des
créanciers.
A un niveau moins élevé, l’on pourrait aussi mobiliser le principe d’égalité entre
les créanciers dans les procédures collectives comme clef explicative de
l’affaiblissement du cautionnement. L’égalité entendue ici au sens économique,
c’est-à-dire, une égalité souple, flexible, non mathématique, muée en discipline
collective1317. Celle-ci laisse subsister pour des besoins de la cause des inégalités

1316
Pour ce qui est de l’instrumentalisation des sûretés en droit français, v. Lucas (F. X.),
« L’efficacité des sûretés réelles et les difficultés des entreprises », op. cit., n°6.
1317
En ce sens, v. Nemedeu (R.), « Le principe d’égalité des créanciers : vers une double mutation
conceptuelle » (Etude à la lumière du droit français et Ohada des entreprises en difficulté) », RTD
com. n° 2, 2008, p. 241.

517
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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de traitement en raison des différences de situation initiales entre les créanciers.


De cette égalité, il découle que tous les créanciers antérieurs sans discrimination
sont soumis aux différentes sujétions et contraintes résultant de l’ouverture de
la procédure collective. Avec le nouvel AUPC, les créanciers titulaires de
cautionnement ne seront plus privilégiés comme sous l’empire de l’AUPC originel
du 10 avril 1998. Ils ne pourront plus réaliser leurs garanties, ils subiront des
atteintes à leurs droits individuels au profit d’une organisation collective.
L’expression de ces atteintes est perceptible dans certaines dispositions
contenues dans l’AUPC révisé.

B. LES MANIFESTATIONS DE L’AFFAIBLISSEMENT DU CAUTIONNEMENT DANS

LES PROCEDURES DE CONCILIATION ET DE REGLEMENT PREVENTIF

Plusieurs dispositions de l’AUPC révisé expriment l’affaiblissement du


cautionnement dans les procédures de conciliation (1) et de règlement préventif
(2).

1. Les manifestations de l’affaiblissement du cautionnement dans la procédure de

conciliation

En droit OHADA, la conciliation est une procédure préventive à caractère


contractuel, consensuel et confidentiel destinée à sauvegarder les entreprises
en difficulté et à apurer leur passif avant la cessation des paiements. La
conciliation n’est pas à proprement parler une procédure collective de paiement,
elle a un caractère confidentiel et amiable. Elle a néanmoins été consacrée et
réglementée par le nouvel AUPC, ce qui aurait pu fonder au demeurant une
révision de l’intitulé de l’AUPC1318. Certes, son ouverture n’affecte pas au premier

On s’étonne de ce que le législateur OHADA du 10 septembre 2015 n’ait pas modifié l’intitulé
1318

de l’AUPC. L’introduction des procédures amiables de traitement précoce des difficultés des
entreprises en droit OHADA aurait pu s’accommoder de l’intitulé : « Acte uniforme portant
prévention des difficultés des entreprises et procédures collectives d’apurement du passif » que

518
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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abord l’efficacité du cautionnement, mais la recherche de l’accord qui marque


son dénouement et la bonne exécution de celui-ci dépendront en grande partie
de la neutralisation des droits des créanciers qu’ils soient chirographaires ou
titulaires de sûretés. Dans cette perspective, une forme particulière de
suspension des poursuites a été prévue à l’article 5-7 de l’AUPC révisé. Selon cet
article, un créancier appelé à la conciliation pendant la période de recherche de
l’accord qui met en demeure ou poursuit le débiteur verra le paiement de ses
sommes réclamées, reporté et les poursuites engagées, suspendues par le
président du tribunal, à la demande du débiteur, après avis du conciliateur. La
règle est applicable à tous les créanciers titulaires de suretés ou non.
Malheureusement, cette faveur n’a pas été étendue aux personnes ayant
consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie.
Cette omission nous paraît davantage comme le fruit d’une inadvertance
n’exprimant pas réellement la volonté du législateur. En revanche, le dernier
alinéa de l’article 5-12 de l’AUPC révisé dispose que « Les personnes ayant
consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie et
les coobligés peuvent se prévaloir des dispositions de l’accord ». Cette
disposition permet d’empêcher au créancier titulaire de cautionnement de le
réaliser pendant l’exécution de l’accord amiable issu de la conciliation. Les
cautions ne peuvent pas être poursuivies parce qu’elles bénéficient des
avantages octroyés au débiteur dans l’accord de conciliation. Aussi, peut-on
observer que cette disposition s’inscrit non seulement dans la logique de
l’incitation au recours à la procédure de conciliation, mais aussi de la facilitation
de l’exécution de l’accord amiable conclu. Les éventuelles poursuites intentées

de celui actuel « Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du
passif ». Le législateur OHADA, semble avoir une conception large de la notion de « procédures
collectives ». Une approche qui, au demeurant, n’emporte pas entière conviction. Si l’on peut
admettre, à la rigueur, le règlement préventif comme une procédure collective, il en est autrement
des procédures de médiation et de conciliation. Mais, ce qui reste vrai est que le législateur du
10 septembre 2015 n’a pas voulu bousculer les habitudes, les praticiens et autres usagers de
l’AUPC étaient déjà habitués avec l’actuel intitulé.

519
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

par les créanciers ou les garants de la dette d’autrui contre le débiteur auraient
pour effet de rendre l’exécution de l’accord impossible.

2. Les manifestations de l’affaiblissement du cautionnement dans la procédure de

règlement préventif

A la différence de la conciliation, le règlement préventif tel qu’indiqué plus haut,


est une procédure judiciaire et publique dont l’ouverture emporte suspension des
poursuites individuelles, interdiction de paiement des créances antérieures et
dessaisissement partiel du débiteur. L’article 9 de l’AUPC révisé qui fait
désormais de la décision d’ouverture de la procédure de règlement préventif le
point de départ de la suspension des poursuites individuelles1319 fixe un domaine
particulièrement étendu à cette dernière. Selon l’article précité, la décision
d’ouverture du règlement préventif suspend ou interdit toutes les poursuites
tendant à obtenir le paiement des créances nées antérieurement à ladite
décision. Cette suspension concerne aussi bien les voies d’exécution que les
mesures conservatoires, y compris toute mesure d’exécution extrajudiciaire
(pacte commissoire et attribution judiciaire de la sûreté). Elle s’applique à toutes
les créances antérieures chirographaires, à celles garanties aussi bien par des
sûretés réelles que personnelles. S’agissant de ces dernières, l’alinéa 5 de l’article
9 étend le bénéfice de la suspension des poursuites individuelles aux personnes
physiques coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté
ou cédé un bien en garantie. Allant dans la même veine, mais à une différence
près que l’article 5-12 de l’AUPC révisé, l’article 18 fait bénéficier aux tiers ayant
garanti la dette d’autrui les délais et remises du concordat préventif. Cette
disposition est à mettre en perspective avec celle de l’article 9 précité qui leur
permet de bénéficier de la suspension des poursuites individuelles. En visant les
personnes physiques ayant consenti une sûreté personnelle, le législateur fait

1319
Pour plus d’éclaircissements, v. l’auteur de ces lignes « Regards sur les innovations introduites
dans la réforme OHADA des procédures collectives du 10 septembre 2015 », RRJ 2015-4, p. 1862
et Penant n°897, octobre-décembre 2016, pp. 470-471

520
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

référence au cautionnement, étant entendu que la garantie autonome en droit


OHADA ne peut être souscrite que par les personnes morales. En évoquant les
personnes physiques ayant affecté ou cédé un bien en garantie, l’AUPC révisé
fait allusion au cautionnement réel. Cette sûreté est entendue à l’article 22 de
l’AUS révisé comme « La caution peut garantir son engagement en consentant
une sûreté réelle sur un ou plusieurs de ses biens. Elle peut également limiter son
engagement à la valeur de réalisation du ou des biens sur lesquels elle a consenti
une telle sûreté ».
Au total, il ressort des dispositions révisées de l’AUPC du 10 septembre 2015 que
le cautionnement subit des atteintes à son efficacité tant dans la nouvelle
procédure de conciliation que dans le traditionnel règlement préventif. Ces
atteintes se justifient par la recherche de la sauvegarde de l’entreprise débitrice.
La conséquence qui en résulte est le rétablissement du caractère accessoire du
cautionnement par l’octroi aux cautions personnes physiques des mesures de
faveur du débiteur principal. La suspension des poursuites individuelles, les
dispositions de l’accord de conciliation, les délais et remises du concordat
préventif profitent aux cautions personnes physiques. L’idée à la base de cette
innovation de l’AUPC révisé est d’inciter les chefs d’entreprises individuelles, les
dirigeants des sociétés le plus souvent cautions des dettes des structures à la
tête desquelles ils sont à saisir le plus rapidement la juridiction compétente aux
fins d’ouverture d’une procédure préventive1320. Se mettre sous protection de la
justice le plus rapidement possible, avant la cessation des paiements, est un
choix à encourager. Qu’en est-il de l’affaiblissement du cautionnement dans le
redressement judiciaire ?

1320
CROCQ (P.), « Des créanciers et des contractants mieux protégés », in Modernisation de
l’Acte uniforme sur les procédures collectives, Dossier spécial, Droit et Patrimoine, op. cit., p. 64 ;
AKONO ADAM (R.), « Le sort des sûretés personnelles dans l’avant-projet de réforme de l’Acte
uniforme portant organisation des procédures collectives du 10 avril 1998 », RD bancaire et fin.
op. cit., p. 3, le même article a été publié à la Revue Banque et Droit, op.cit., p. 12. AKONO ADAM
(R.), « Regard sur les innovations introduites par la réforme du 10 septembre 2015 dans les
procédures collectives de l’OHADA », Revue congolaise de droit des affaires, op. cit. , p. 12, note
n° 44 ; le même article a été publié à la RRJ 2015-4, p. 1842.

521
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

II. LE CAUTIONNEMENT DANS LA PROCEDURE DE REDRESSEMENT

JUDICIAIRE
Le redressement judiciaire est défini à l’article 2 de l’AUPC révisé comme une
procédure collective destinée au sauvetage de l’entreprise débitrice en cessation
des paiements mais dont la situation n’est pas irrémédiablement compromise, et
à l’apurement de son passif au moyen d’un concordat de redressement. Cette
procédure est ouverte à tout débiteur en état de cessation des paiements. La
cessation des paiements est définie dans le nouvel AUPC comme l’état où le
débiteur se trouve dans l’impossibilité de faire face à son passif exigible avec son
actif disponible, à l’exclusion des situations où les réserves de crédit ou les délais
de paiement dont le débiteur bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent
de faire face à son passif exigible. Le débiteur en cessation des paiements est
tenu de faire une déclaration aux fins d’obtenir l’ouverture du redressement
judiciaire1321.

De par ses prévisions légales, il apparaît que la procédure de redressement


judiciaire, comme son nom l’indique vise à permettre le sauvetage de l’entreprise,
le maintien de l’activité et des emplois et l’apurement du passif. On donne encore
la chance au débiteur, bien qu’il soit déjà en cessation des paiements de se
redresser, de préserver son activité économique et de maintenir les niveaux
d’emplois. Le sort du cautionnement dans cette procédure permet de constater
que le cautionnement est, d’une part affaibli pour des raisons liées à l’objectif de
sauvetage de l’entreprise débitrice (A) ; d’autre part revivifié par le fait que la
suppression de la sanction d’extinction des créances non produites en temps
voulu, ne le fera plus disparaitre lorsque le créancier n’aura pas produit la créance
(B).

1321
V. Article 25 de l’AUPC révisé.

522
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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A. L’AFFAIBLISSEMENT DU CAUTIONNEMENT DANS LA PROCEDURE DE

REDRESSEMENT JUDICIAIRE

Il y a des raisons qui expliquent l’affaiblissement du cautionnement dans la


procédure de redressement judiciaire. Il est important de les exposer d’abord (1)
avant les manifestations (2).

1. Les raisons à l’affaiblissement du cautionnement dans la procédure de

redressement judiciaire

Hormis la recherche de l’égalité entre les créanciers, pilier fondamental du droit


des procédures collectives, d’autres raisons pourraient expliquer
l’affaiblissement du cautionnement dans les procédures collectives. Parmi celles-
ci, il y a la recherche du redressement de l’entreprise en cessation des paiements
et le caractère accessoire du cautionnement.

S’agissant du premier point, de par ses prévisions légales, il apparaît que la


procédure de redressement judiciaire, comme son nom l’indique vise à permettre
le sauvetage de l’entreprise, le maintien de l’activité et des emplois et l’apurement
du passif. On donne encore la chance au débiteur, bien qu’il soit déjà en cessation
des paiements de se redresser, de préserver son activité économique et de
maintenir les niveaux d’emplois. En effet, cette procédure est particulièrement
lourde de conséquences pour l’entreprise concernée et ses partenaires. Le
débiteur est dessaisi de la gestion et de l’administration de ses affaires, il est
assisté par le syndic. Les créanciers, par contre, subissent de multiples
contraintes, ceci, afin d’offrir des chances de redressement à l’entreprise en
cessation des paiements, mais dont la situation n’est pas irrémédiablement
compromise.
S’agissant du deuxième point, le caractère accessoire qui fait l’essence du
cautionnement pourrait dans une certaine mesure servir de grille d’explication à
la limitation de l’efficacité du cautionnement dans la procédure de redressement
judiciaire. En réalité, cette explication vaut pour toutes les procédures de

523
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

sauvetage de l’entreprise débitrice à savoir la conciliation, le règlement préventif


et le redressement judiciaire. En effet, la caractéristique principale du
cautionnement réside dans son caractère accessoire. La caution n’est tenue de
payer qu’en cas de défaillance du débiteur principal. L’article 13 de l’AUS en
définissant le cautionnement précise bien que la caution s’engage envers le
créancier à exécuter une obligation présente ou future contractée par le débiteur
si celui-ci n’y satisfait pas lui-même. En effet, l’une des caractéristiques
essentielles reconnues aux sûretés personnelles réside dans le fait que le garant
ne contribue pas à la dette : s’engageant seulement pour garantir la dette
d’autrui, il doit avoir un recours contre le débiteur principal et c’est uniquement
dans la perspective de ce recours qu’il accepte de s’engager. Ce qui est vrai pour
toutes les sûretés personnelles, l’est, a fortiori, encore plus pour le
cautionnement qui en constitue l’archétype, la plus accessoire de toutes sûretés
et, de ce fait, il faut bien tenir compte de l’incidence de la procédure collective
dans les hypothèses où, si on ne le faisait pas, cela aurait pour conséquence de
priver le garant du ou des recours qu’il pouvait légitimement penser pouvoir
exercer. Or, dans ce cas de figure, toutes les actions sont interdites, y compris
celles des cautions, avant ou après paiement, dès lors que la dette cautionnée a
été désignée par le débiteur. A cet égard, cette interdiction par une loi d’ordre
public démontre que la caution sera tenue plus sévèrement que le débiteur
principal.
En droit OHADA, de nombreux articles de l’AUS rappellent le principe de
l'accessoire :

-L’article 17(1) de l’AUS, qui dispose que : « le cautionnement ne peut exister que
si l’obligation principale est valablement constituée ». Ainsi, si la créance
principale est nulle ou éteinte, la caution ne sera pas tenue.

-L'article 17(3) AUS, qui énonce que « le cautionnement ne peut excéder ce qui
est dû par le débiteur au moment des poursuites, ni être contracté sous des
conditions plus onéreuses ».

524
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

-L'article 29(1) AUS, véritable traduction procédurale de la règle de l'accessoire


puisqu'il permet à toute caution ou certificateur de caution d'opposer au
créancier toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur principal, et qui
sont inhérentes à la dette : nullité de l'obligation garantie, résiliation ou résolution,
compensation, prescription, remise de dette.

Tout compte fait, le caractère accessoire est de l'essence du cautionnement. Il


en est aussi le critère distinctif. Ce qui fait dire à la doctrine que tout engagement
d'un tiers souscrit à titre de garantie sera constitutif d'un cautionnement, même
si ce terme ne figure pas dans l'acte, dès lors que le garant s'est obligé à payer
la dette du débiteur.

Le cautionnement est au service de la créance principale, il lui est assujetti. C'est


sa finalité première. Le caractère accessoire de cette sûreté exprime ainsi le lien
très fort existant entre l'obligation du débiteur et celle de la caution. De ce fait, il
est dès lors normal que l’on étende à la caution les avantages et faveurs accordés
au débiteur principal à l’instar de la suspension des poursuites individuelles et de
l’arrêt du cours des intérêts. Cette extension a pour conséquence la
neutralisation du cautionnement qui ne peut plus être réalisé par son titulaire
lorsqu’une procédure collective de redressement judiciaire a été ouverte à
l’encontre d’un débiteur en cessation des paiements. Toute chose qui illustre
l’affaiblissement du cautionnement dans cette procédure.

2. Les manifestations de l’affaiblissement du cautionnement dans la procédure de

redressement judiciaire

Le cautionnement est affaibli dans la procédure de redressement judiciaire parce


qu’il existe des dispositions qui étendent les mesures de faveur du débiteur
principal en cessation des paiements aux garants de la dette d’autrui. L’extension
de ces mesures constitue un obstacle à la réalisation du cautionnement par leurs
titulaires. L’article 75-1 de l’AUPC révisé élargit le cercle des bénéficiaires de la

525
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

suspension des poursuites individuelles en ces termes « La décision d'ouverture


du redressement judiciaire suspend toute action contre les personnes physiques
coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé
un bien en garantie à compter dudit jugement et durant 1'exécution du concordat
de redressement judiciaire. Toutefois, les créanciers bénéficiant de ces garanties
peuvent prendre des mesures conservatoires ». Cette disposition exclut
expressément la liquidation des biens, ce qui se comprend, cette procédure ne
vise pas, à l’instar du redressement judiciaire le sauvetage de l’entreprise
débitrice. Comme relevé précédemment l’extension des mesures de faveur du
débiteur aux garants de la dette d’autrui comme les cautions1322 le plus souvent
dirigeants sociaux ou un de ses proches vise à les inciter à saisir rapidement la
juridiction compétente aux fins d’ouverture d’une procédure qui permettrait le
redressement de l’entreprise. Le redressement judiciaire est une de ces
procédures. On donne encore la chance au débiteur, bien qu’il soit déjà en
cessation des paiements de se redresser, de préserver son activité économique
et de maintenir les niveaux d’emplois.
A bien lire l’article 75-1, l’affaiblissement du cautionnement n’est pas absolu. Les
créanciers bénéficiant de cette garantie peuvent prendre des mesures
conservatoires. Au regard de cette dérogation, on peut se poser la question de
savoir si un créancier est en droit d’exercer une action en justice en vue d’obtenir
un titre exécutoire contre une personne physique coobligée ou ayant consenti
une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie nonobstant
l’ouverture du redressement judiciaire ? Cette question remet au goût du jour la
problématique de la difficile articulation du droit des procédures civiles
d'exécution avec le droit des procédures collectives. L’intérêt de la question
réside surtout dans l’obligation faite par l’article 61 de l’AUPSRVE1323 au créancier,
à peine de caducité d’introduire une procédure ou d’accomplir les formalités

1322
V. L’auteur de ces lignes Simo Kamgang (C. G.), « Le cautionnement dans l’Acte uniforme
révisé portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif de l’OHADA »,
Mémoire Master Recherches, Université de Ngaoundéré 2016, 98p.
1323
Acte uniforme sur les procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution.

526
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

nécessaires à l’obtention d’un titre exécutoire dans le mois qui suit la mesure
conservatoire lorsqu’elle a été pratiquée sans un titre exécutoire. Il est judicieux
d’admettre face à cette interrogation que le créancier qui a pris une mesure
conservatoire peut obtenir un titre exécutoire, mais sa mise en œuvre est
suspendue à compter du jugement d’ouverture du redressement judiciaire et
durant 1'exécution du concordat. C’est dire que le créancier doit attendre le
terme du concordat de redressement judiciaire ou en demander la résolution
pour mettre en œuvre le titre exécutoire1324.
Le dernier alinéa de l’article 77 de l’AUPC révisé étend l’arrêt du cours des intérêts
aux personnes physiques garantes de la dette d’autrui aussi bien dans la
procédure de redressement judiciaire que celle de la liquidation des biens. Les
créanciers titulaires de sûretés personnelles verront la substance de leurs
créances diminuée à cause de cette règle. Autant on peut comprendre
l’élargissement de la règle de l’arrêt du cours des intérêts aux personnes
physiques garantes de la dette d’autrui dans le redressement judiciaire, autant
on s’interroge sur les raisons1325 qui ont conduit le législateur OHADA à l’étendre
dans la liquidation des biens. On peut regretter avec une doctrine autorisée1326

1324
En droit français s’agissant du plan de sauvegarde, v. Com., 27 mai 2014, n° 13-18.018, Bull.
civ. IV, n° 94 ; D. 2014. 1197, obs. A. Lienhard ; Act. proc. coll. 2014, n° 188, obs. P. Cagnoli ; JCP
E 2014, obs. 1447, n° 2, obs. Ph. Pétel ; RD banc. fin. 2014, n° 133, obs. A. Cerles ; Gaz. Pal. 5-7
oct. 2014, p. 42, obs. E. Le Corre-Broly ; Rev. proc. coll. 2014, n° 160, obs. J.-J. Fraimout ; Bull.
Joly Entr. 2014. 294, note Fl. Reille ; Dr. et patr. nov. 2014, p. 97, obs. P. Crocq ; Dr. proc. avr.
2015, cah. sp., n° 28, p. 8, obs. ph. Roussel Galle ; adde, auparavant et durant la période
d'observation d'un redressement judiciaire, Com., 24 mai 2005, n° 00-19.721, Bull. civ. IV, n° 116
; D. 2005. 2078, obs. P. Crocq ; ibid. 1632, obs. A. Lienhard ; JCP 2005, I, 174, n° 5, obs. Ph. Pétel.
D’autres arrêts rendus ultérieurement par la Cour de cassation confirment la jurisprudence selon
laquelle le créancier qui a pris une mesure conservatoire peut obtenir un titre exécutoire, mais
précisent que sa mise en œuvre est suspendue tant que le plan est respecté, v. Com. 2 juin 2015
n°14-10.673, D. 2015. 1270, obs. A. Lienhard ; Ibid. 1975, obs. P. M. Le corre ; Ibid. 2210, chron.
F. Arbellot; Rev. soc. 2015. 548, obs. Ph. Roussel Galle; RTD com. 2015. 752, obs. A. Martin-Serf;
Act. proc. coll. 2015, n° 176, obs. J. Vallansan; Banque et droit juillet-août 2015. 79, obs. N.
Rontchevsky ; adde Com. 1er mars 2016, n°14-20.553, arrêt n°190 F-P+B, D. 2016.598 ; RTD com.
2016.330, obs. A. Martin-Serf ; Rev. soc. 2016. 398, obs. Ph. Roussel Galle.
1325
Peut-être c’est le caractère accessoire du cautionnement qui pourrait justifier pareille
extension.
1326
Crocq (P.), « Des créanciers et des contractants mieux protégés », in Modernisation de l’Acte
uniforme sur les procédures collectives, Dossier spécial, Droit et Patrimoine, op. cit., p. 64.

527
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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l’extension du bénéfice de l’arrêt du cours des intérêts au cas de la liquidation


des biens, car il n’y a aucune raison pour qu’un chef d’entreprise ayant laissé la
situation financière de sa société se détériorer au point qu’elle doive être liquidée
soit ainsi protégé.

B. LA PORTEE DE LA SUPPRESSION DE LA SANCTION D’EXTINCTION DES

CREANCES NON PRODUITES EN TEMPS UTILE SUR LE CAUTIONNEMENT

Sous l’empire de l’AUPC originel du 10 avril 1998, le défaut de production des


créances en temps utile emportait extinction des créances et surtout lorsque l’on
avait affaire à un redressement judiciaire. L’existence d’une sanction aussi
excessive que sévère permettait à la caution de se libérer de son obligation,
puisque selon la Cour de cassation française, l'extinction de la créance, faute de
déclaration en temps utile était considérée comme une exception inhérente à la
dette, ayant pour effet de décharger la caution1327. S’inspirant des législations
modernes en matière de traitement des difficultés des entreprises, l’AUPC révisé
a supprimé la règle de l’extinction des créances non produites en temps utile
auprès du syndic. Selon l’article 83 de l’AUPC révisé, les créanciers qui n'ont pas
produit dans les délais légaux et qui n’ont pas été relevés de forclusion ne sont
pas admis dans les répartitions et les dividendes. Leurs créances sont
inopposables à la masse et au débiteur pendant la procédure de redressement
judiciaire et de liquidation des biens, y compris durant la période d’exécution du
concordat. Qu’il s’agisse dès lors de l’interdiction d’être admis « dans les
répartitions et dividendes » ou de « l’inopposabilité de la créance à la masse et
au débiteur », la créance non produite n’est plus éteinte, elle survit. On est dès
lors passé de l’extinction des créances non produites à la sanction
d’inopposabilité (1). La conséquence qui en découlerait est l’impossibilité pour la

Cass. com., 17 juillet 1990, Bull. civ. IV, nos 214 et 215 ; 23 octobre 1990, Bull. civ. IV, no 244 ;
1327

30 mars 1993, Bull. civ. IV, no 124 ; 3 décembre 1996, Bull. civ. IV, no 296.

528
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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caution de se libérer de son obligation de paiement en cas de défaillance du


débiteur (2).

1. De l’extinction des créances non produites à la sanction d’inopposabilité

Le défaut de production des créances était sanctionné par leur extinction. Cette
sanction était jugée excessive, sévère et inique pour les créanciers. La réforme
de l’AUPC le 10 septembre 2015 visait aussi à améliorer la condition des
créanciers dans les procédures collectives. Certains obstacles auxquels ils
faisaient souvent face ont été levés. En posant à l’article 83 de l’AUPC révisé,
que les créanciers qui n'ont pas produit dans les délais légaux et qui n’ont pas
été relevés de forclusion ne sont pas admis dans les répartitions et les
dividendes, le législateur a franchi un pas décisif. Il est permis dès lors de
considérer qu’un créancier, qui n’a pas produit dans les délais et conditions
légaux, ne pourra bénéficier des droits attachés à l’admission de la créance. Il ne
pourra prétendre à des répartitions résultant de la vente des biens en phase
liquidative, ni même au versement des dividendes du concordat de redressement
judiciaire. Sa créance, faute d’être produite est réputée ne pas exister à l’égard
de la procédure collective. Certes, la créance est inexistante pendant le temps
de la procédure collective, mais elle ne disparaîtra plus. Au cours de la procédure
collective curative (redressement judiciaire et liquidation des biens) et durant
l’exécution du concordat, le créancier non déclarant est invisible et transparent,
mais celui-ci sera autorisé, après la clôture de la procédure, la créance n’étant
plus éteinte, à poursuivre le recouvrement de sa créance contre le débiteur.
Même durant l’exécution du concordat de redressement judiciaire, il est exclu de
la procédure collective, il ne pourra bénéficier d’aucun paiement. Contrairement
à l’ordonnance française du 18 décembre 2008, qui, subordonne la reprise des
poursuites individuelles du créancier forclos à l’échec du plan, la réforme du 10
septembre 2015 ne vise pas cette hypothèse. Nul besoin, dès lors, de chercher
à savoir en droit OHADA, si le concordat a été bien exécuté ou pas, pour que le
droit de poursuite individuelle des créanciers puisse être restauré. L’exégèse du

529
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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nouveau texte donne à penser qu’après l’exécution, bonne ou mauvaise du


concordat de redressement judiciaire, la créance n’étant plus éteinte, le
créancier sera autorisé à poursuivre le recouvrement de sa créance contre le
débiteur (personne physique) selon les voies de droit commun. Avec la nouvelle
sanction d’inopposabilité, il convient d’admettre que la présence ou non d’une
clause de retour à meilleure fortune dans le concordat ou dans un autre contrat
entre les créanciers et le débiteur n’aura plus d’incidence sur le droit des
créanciers de reprendre leurs poursuites individuelles. Même dans l’hypothèse
d’une résolution ou d’une annulation du concordat de redressement, le créancier
forclos dans la première procédure peut, sous réserve du jeu de la
prescription1328, désormais faire valoir sa créance dans la seconde procédure,
c’est-à-dire la produire. Le fait que le créancier ayant régulièrement produit sa
créance au passif de la première procédure soit dispensé de production au passif
de la seconde, n’a nullement pour objet d’interdire à un créancier qui n’a pas
produit sa créance au passif de la première procédure, de la produire dans la
seconde1329. Si par exemple, la sûreté n’avait pas été produite dans la première
procédure, le créancier peut profiter de la seconde pour produire sa garantie1330.
L’inopposabilité à la première procédure, contrairement à la solution du droit
antérieur n’empêchera pas ce créancier d’opposer son droit, à la seconde
procédure. Il est vrai que l’article 141 de l’AUPC prévoit que les créances
antérieurement admises sont reportées d’office au nouvel état des créances de
la seconde procédure, sous déduction des sommes déjà perçues. Mais, ce texte
n’interdit nullement aux créanciers nouveaux et ceux qui auraient omis de
produire à titre privilégié à la première procédure de le faire à la seconde. Etant

1328
ROUSSEL GALLE (Ph.), « La déclaration de créances et les sûretés réelles », Colloque Sûretés
réelles et le droit des entreprises en difficulté, Nice, 20 mars 2010, LPA 11 février 2011, n°30, p.
37 et s., sp. p. 39, n°16.
1329
En ce sens, s’agissant du droit français, LE CORRE (P. M.), Droit et Pratique des procédures
collectives, 2015/2016, p. 2012, n°665.76 ; aussi, « Le débiteur et la créance non déclarée à sa
procédure collective : questions-réponses », Gaz. pal., op. cit., n°5.
1330
En ce sens aussi, ROUSSEL GALLE (Ph.), « La déclaration de créances et les sûretés réelles »,
op. cit., n°16.

530
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

donné qu’il est possible à un créancier forclos à la première procédure, faute


d’extinction de sa créance de produire celle-ci et peut-être sa sûreté à la
seconde procédure, il serait anormal qu’un créancier ayant produit sa créance à
titre chirographaire à la première procédure ne puisse profiter de l’aubaine pour
produire sa sûreté à la seconde. Admettre le contraire, comme le souligne fort
pertinemment le professeur Roussel Galle1331 reviendrait à accorder une situation
plus favorable au créancier qui n’a pas du tout produit dans la première
procédure par rapport au créancier qui a produit sa créance mais pas sa sûreté.

2. La non-libération de la caution de son obligation de paiement

L’introduction de la sanction d’inopposabilité des créances non produites en


temps utile en droit OHADA aura certainement une incidence sur le sort du
cautionnement. En effet, il est judicieux de penser qu’avec cette nouvelle
sanction plus protectrice des droits des créanciers, le créancier négligent, sous
réserve du respect de la règle de la suspension des poursuites individuelles ne
rencontrera plus d’obstacle pour agir en paiement contre la caution1332. Ainsi, la
fragilisation du cautionnement, par l’extension des mesures de faveur octroyées
au débiteur en difficulté à la caution, sera en quelque sorte, compensée par le
fait qu’il ne disparaîtra plus, lorsque le créancier aura été négligent1333. Les
recours des créanciers négligents contre la caution seraient d’autant plus
admissibles que l’AUPC révisé ne prévoit pas à l’instar de l’ordonnance française
du 18 décembre 2008 que les personnes physiques coobligées ou ayant consenti
une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie puissent

1331
ROUSSEL GALLE (Ph.), « La déclaration de créances et les sûretés réelles », op. cit. , n°23.
1332
La jurisprudence française, sous l’empire du droit des entreprises en difficulté postérieur à la
loi du 26 juillet 2005 est en faveur de cette solution, v. Com., 12 juill. 2011, n° 09-71.113, D. 2011.
1894, obs. A. Lienhard ; RTD. com. 2011. 625, obs. D. Legeais ; RD banc. fin. sept.-oct. 2011. 37,
obs. A. Cerles ; Banque et droit, n° 139, sept.-oct. 2011. 42 s., obs. F. Jacob ; JCP G 2011, note
901, N. Dissaux ; RTD civ. 2011, p. 782, obs. P. Crocq.
1333
V. Notre article précité, « Le sort des sûretés personnelles dans l’avant-projet de réforme de
l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives du 10 avril 1998 », RD bancaire
et fin. 2015, Etude 17, p. 34, n°18.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

aussi se prévaloir de l’inopposabilité des créances non déclarées en temps utile


pendant l’exécution du plan de sauvegarde.
Cependant, ces recours des créanciers ne sont possibles que si la caution n’est
pas privée de ses propres recours après paiement à l’encontre du débiteur. En
effet, la caution n’accepte de s’engager à l’égard du créancier que dans la
perspective du recours qu’elle pourrait ultérieurement exercer contre le débiteur
principal1334. C’est, d’ailleurs, cet élément de son engagement, qui permet
d’expliquer le fait qu’à l’époque où la créance non déclarée en temps utile était
éteinte, la Cour de cassation ait jugé que la caution pouvait opposer au créancier
cette extinction et refuser de payer, car l'extinction de la créance aurait eu
nécessairement pour conséquence de priver celle-ci de son recours
subrogatoire et personnel à l'encontre du débiteur principal.
La caution, quoiqu’on dise est protégée, puisque, celle-ci peut éventuellement
se prévaloir du bénéfice de subrogation conformément à l’article 30 de l’AUS
(équivalent de l’article 2314 du Code civil français). Il ressort de la lecture de
l’article 30 de l’AUS du 15 décembre 2010 que la caution simple ou solidaire est
déchargée quand la subrogation aux droits et garanties du créancier ne peut plus
s’opérer, en sa faveur, par le fait du créancier. Toute clause contraire est réputée
non écrite. La question qu’il y a lieu, dès lors de se poser est celle de savoir si
l’impossibilité pour le créancier de participer aux répartitions et dividendes à
cause du défaut de production de la créance peut être considérée par la caution
comme la perte d’un droit ou d’un avantage effectif, susceptible de justifier sa
décharge ?
En attendant la réponse que donneraient les juridictions des pays membres de
l’OHADA, il est indiqué à notre avis de retenir une interprétation large1335 de
l’article 30 précité. Tout avantage susceptible d’être invoqué par subrogation
(par exemple la perte d’une possibilité d’action en justice) devrait être pris en

1334
Crocq (P.), « Le droit des procédures collectives et le caractère accessoire du
cautionnement », Mélanges Ph. Malaurie, Défrénois 2005, p. 175, n° 11.
1335
En faveur de l’interprétation large de l’article 2314 du Code civil, v. Pérochon (Fr.), Entreprises
en difficulté, LGDJ, coll. Manuels, 2012, 9e éd., n° 1389.

532
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

considération. L’application de l’article 30 ne devrait pas être réduite à la seule


subrogation à un droit réel préférentiel ou exclusif comme l’a suggérée sous
d’autres cieux une doctrine autorisée1336. La notion de « droits » utilisée par
l’article 30 de l’AUS et celui 2314 du Code civil français (ancien article 2037du
Code civil) autorise à penser que la caution peut être déchargée de son
obligation chaque fois qu’elle se trouve privée, par subrogation de droits ou
d’avantages que le créancier a perdu du fait de sa non - participation aux
répartitions (sûretés, délais ou remises consenties au débiteur). En ce sens, il y
a lieu d’approuver, cet arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation,
en date du 19 février 2013 qui, sans se référer à l’existence d’un droit préférentiel
retient que « Lorsque le créancier a omis de déclarer sa créance, peu important
la nature de celle-ci, la caution est déchargée de son obligation si cette dernière
avait pu tirer un avantage effectif du droit d’être admise dans les répartitions et
dividendes susceptibles d’être transmis par subrogation »1337. De cet arrêt, l’on
considère que la caution peut tout aussi être déchargée de son obligation, si elle
établit qu’elle aurait été payée en cas de déclaration par le créancier négligent
d’une créance chirographaire.

1336
V. Crocq (P.), obs. sous com., 12 juillet 2011, op. cit., p. 782.
1337
Cass. com. 19 févr. 2013, n° 11-28.423, D. 2013. 565, obs. A. Lienhard ; Gaz. Pal. 20-21 mars
2013. 20, obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; LEDC 2 avr. 2013, n° 4, p. 2, obs. N. Leblond ; RLDC avr.
2013. 34, obs. G. Marraud des Grottes ; JCP E 2013. 1216, n° 7, obs. Ph. Pétel ; Dr. et proc. avr.
2013 ; JCP 2013. 585, n° 9, obs. Ph. Simler ; Bull. Jol. Entr. en diff., 01-mai 2013, n°3, p. 15, obs.,
L. Le Mesle ; RTD civ. 2013, p. 416, obs. P. Crocq.

533
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

La résilience du bail à usage professionnel

du droit OHADA

à l’épreuve de la Covid-19

NKOULOU Yannick Serge - Chargé de cours Faculté des Sciences juridiques et

politique de l’Université de Ngaoundéré Maître-assistant (CAMES)

____________________

534
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Résumé

La récente crise de la Covid-19 a donné l’occasion d’éprouver la résilience du


contrat de bail à usage professionnel régi par l’acte uniforme OHADA relatif au
droit commercial général. La pandémie elle-même et les différentes mesures
gouvernementales pour y faire face ont eu une incidente sur l’exécution des
obligations du preneur et du bailleur entrainant notamment un risque de rupture
des contrats conclus pendant cette crise sanitaire ou ceux dont les effets
s’étalaient pendant cette période. Mais conçu pour servir de cadre à l’exercice
de l’activité professionnel, le contrat de bail à usage professionnel a administré
la preuve de la pérennité du lien contractuel créé au prix de l’adaptabilité de la
relation contractuelle par les mécanisme tant du droit spécial que du droit
commun.

535
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

« Il vaut mieux plier que rompre ». Cette morale de la fable illustre


parfaitement les rapports que la terrible Covid entretient avec le frêle contrat de
bail à usage professionnel. La présentation de ces deux protagonistes s’avère
nécessaire afin de comprendre les enjeux de leur confrontation.
Jamais dans l’histoire récente, une épidémie, rapidement convertie en
pandémie, n’avait eu des conséquences aussi ravageuses sur les plans sanitaire,
économique et social que la Covid-19. Découvert dans la ville chinoise de
Wuhan, dans la province de Hubei en Chine, le virus d’abord appelé 2019-nCoV,
puis officiellement SARS-CoV-2, s’est propagé tel un fléau et est très tôt devenu
un enjeu de santé publique mondiale du fait de la rapidité de sa contamination et
de la virulence de ses effets. Ce virus est présenté comme l'agent responsable
de cette nouvelle maladie infectieuse respiratoire appelée Covid-19 (pour
CoronaVirus Disease). Cette épidémie de pneumonies d’allure virale a conduit la
quasi-totalité des gouvernements à prendre des mesures visant à lui apporter
une riposte efficace.
La nature juridique de certaines de ces mesures1338 et leur légalité, voire
leur constitutionnalité ont pu faire difficulté, compte tenu de leur incidence sur
les droits et libertés1339 des sujets de droit. Parallèlement, leur effet est réel sur
la vie des citoyens et l’exercice des activités professionnelles. Ainsi, comme l’a
souligné à juste titre un auteur1340, « la récente et difficile période du
‘confinement’ sanitaire aux fins de lutte contre une pandémie est, c'est le moins
qu'on puisse dire, une période de véritable et très perturbateur inconfort. Cet
inconfort concerne tout autant le citoyen aux prises avec le risque sanitaire que

1338
V. par exemple, la nature juridique des communiqués : P. MAMBO, « Les actes du Conseil de
sécurité de Côte d’Ivoire relatifs à la Covid-19 : petite chronique d’une curiosité juridique », Le
Nemro, avril-juin 2020, p. 245 et s ; et plus généralement : J. DJEUYA TCHUPOU, « La lutte contre
le coronavirus (Covid-19) au Cameroun : recherches sur les fondements juridiques de la stratégie
gouvernementale de risposte face à la pandémie », ibid., p. 300
1339
G. F. ONDOUA AKOA, « La liberté d’aller et venir à l’épreuve du Covid-19 », Le Nemro, num.
préc., p. 447.
1340
J.-L. GILLET, « De l'inconfort du droit en période de pandémie », Les Cahiers de la Justice
2020/2 (N° 2), pages 157 à 160.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

le juriste s'essayant à comprendre le droit en découlant ». Ce « corona-droit » a


notamment affecté les contrats et spécifiquement ceux, tel que le bail à usage
professionnel, dont l’exécution s’étale dans le temps.
La bail à usage professionnel1341 est un contrat spécial. Autrefois variante
du louage de choses tel que réglementé par les articles 1713 à 1778 du code civil
de 1804, les nécessités d’une réglementation spécifique de certains types de
baux ont donné lieu à une pluralité de statuts des baux, notamment celui des
baux dits commerciaux. Cet encadrement particulier des baux servant de
support à l’exercice d’une activité commerciale ou, plus généralement,
professionnelle déroge largement aux dispositions du droit commun. Il est aussi,
en raison de sa finalité protectrice du statut du preneur, généralement
impératif1342. Cet encadrement rigide du bail à usage professionnel ne met
cependant pas ce contrat à l’abri des circonstances pouvant en perturber
l’exécution. Ce contrat est d’ailleurs soumis aux aléas des considérations
personnelles des parties, bailleur et preneur, et aux vicissitudes de l’activité
professionnelle qui en constitue le support. Cette vulnérabilité intrinsèque du bail
à usage professionnel que cherchent à pallier les différents systèmes de droit1343
est éprouvée par la pandémie qui ébranle actuellement le monde entier.
Le problème que pose dès lors cette confrontation du bail et la Covid-19
est moins celui de l’incidence, évidemment effective, de cette dernière sur ce
contrat, mais plutôt de la capacité de ce contrat à continuer de déployer ses

1341
Antérieurement qualifié de « bail commercial » dans la première version de l’Acte uniforme
portant sur le Droit commercial général du 17 avril 1997, une extension de ce statut a conduit à
un changement de qualification lors de la révision de ce texte intervenue le 15 décembre 2010.
Sur le du bail à usage professionnel, lire : A. FOKO, « Bail commercial (Bail à usage professionnel)
», in P.-G. POUGOUE (dir.), Encyclopédie du droit : OHADA, éd. Lamy 2011 ; J. GATSI, Pratique
des baux commerciaux : dans l'espace OHADA, PU Libres, coll. « Droit des affaires », 2e éd.,
2008 ; P.-G. POUGOUE et A. FOKO, Le statut du commerçant dans l’espace OHADA, PUA, 2005;
J. NGUEBOU, Le droit commercial général dans l’acte uniforme OHADA, Coll. Droit uniforme, PUA,
1998.
1342
Cf. article 134 AUDCG.
1343
M. DOUGOUNE, « L'encadrement du bail commercial, les hésitations entre protectionnisme
et libéralisme : Étude comparative France, USA, Canada, Ohada », Jurifis Infos n° 13 - Nov/Déc.
2013, p. 16 et s.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

effets dans le contexte de la pandémie. En effet, les baux de à usage


professionnel conclus avant ou pendant la crise du coronavirus peuvent-ils
survivre aux effets inévitables de cette maladie sur le lien contractuel et à quel
prix ?
Sur le plan théorique, l’intérêt d’une telle problématique se révèle à travers
la proposition de la figure du « contrat résilient »1344. Cet adjectif vise à décrire la
capacité de résistance d’un contrat face aux évènements pouvant en affecter la
survie ou la bonne exécution. Il est en effet possible et stimulant de procéder à
une évaluation de la stabilité d’un contrat face aux crises de toute sorte pouvant
en affecter la survie ou le contenu1345. On n’ignore d’ailleurs pas à quel point la
plus ou moins capacité de résistance et d’adaptation des contrats est importante
parmi les facteurs d’attractivité d’un système juridique. Sur un plan plus pratique,
en outre, il est à noter que les baux à usage professionnel, dont le domaine a subi
une extension dans l’Acte uniforme révisé portant sur le droit commercial1346, font
partie des contrats dont le sort a été le plus discuté dans les prétoires depuis le
début de la crise sanitaire mondiale.
Pour apprécier cette résilience du bail à usage professionnel de l’OHADA
devant la tumultueuse Covid-19, il faut vérifier, dans un premier temps la pérénité
du lien contractuel et, en second lieu, à supposer que ce lien subsiste, les suites
que la pandémie et les mesures gouvernementales qu’elle commande ont sur la
relation entre les parties. On observe, a priori une stabilité du lien contractuel en
dépit de la Covid-19 (I) et une adaptabilité nécessaire de la relation contractuelle
en raison de cette maladie (II).

1344
Pour des approches semblables, v. notamment, L. GRYNBAUM, Le contrat contingent,
L’adptation du contrat par le juge sur habilitation du législateur, préf. M. Gobert, LGDJ, coll.
« BDP », 2004 ; et déjà S. DARMAISAIN, Le contrat moral, préf. B. TEYSSIE, LGDJ, coll. « BDP »,
2000.
1345
Pour une analyse similaire en droit OHADA, S. E. DARANKOUM, « La pérennité du lien
contractuel dans la vente commerciale Ohada », Penant, n° 853, p. 500.
1346
P.-G.POUGOUE et A.FOKO, Le statut du commerçant dans l’espace OHADA, PUA, 2005, p.
115 et s ; et en droit comparé : B. SAINTOURENS, « Le bail commercial des non commerçants, in
Les activités et les biens de l ’entreprise, Mélanges offerts à Jean Derrupé, Litec, 1991, pp.93 et
s

538
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

I. LA STABILITÉ DU LIEN CONTRACTUEL EN DEPIT DU COVID

La pandémie du coronavirus affecte tous les aspects de la vie politique,


sociale et économique et n'épargne aucun secteur d'activités. Les liens sociaux
divers se trouvent à l'épreuve des bouleversements induits par cette maladie. Le
contrat, qui est un acte de prévision et une institution s'inscrivant plus ou moins
dans la durée, n'est pas en reste. Dans le cas spécifique du contrat de bail à
usage professionnel, la nature particulière du droit subjectif qu'il fait naitre au
profit du preneur explique le besoin de stabilité du lien contractuel ainsi créé1347.
Cette stabilité, qui est postulée par principe dans le régime de ce contrat (A), se
trouve ainsi à l'épreuve dans le présent contexte de crise sanitaire due à la
Covid-19 (B).

A. La stabilité postulée du bail à usage professionnel

Le bail, qu'il soit à usage d'habitation ou à usage professionnel est un


contrat à exécution successive, s'inscrivant par essence dans la durée. La
caractéristique principale de ce type de contrat est qu'ils sous-entendent une
certaine stabilité, quelle que soit la modalité affectant cette durée. Le bail à
usage professionnel est un contrat ancilaire d'une activité économique ou civile,
ce qui constitue le fondement de sa particulière stabilité qui, du reste, est prise
en considération par le droit. Si donc, à travers son régime, la stabilité du bail
professionnel est recherchée (2), c'est parce qu'elle est économiquement
justifiée (1).

1347
Sur la tendance à la pérennisation du lien contractuel en doctrine, cf. P. DURAND La tendance
à la stabilité du rapport contractuel, LGDJ, 1960 ; J. MESTRE, « De la pérennité du lien contractuel
», RTD civ. 1986. 105 ; A.-S. LAVEFVE-LABORDERIE, La pérennité contractuelle, Bibl. de dr. privé,
t. 447, LGDJ ; A. ETIENNEY, La durée de la prestation, Essai sur le temps dans l’obligation, Bibl.
de dr. privé, t. 475, LGDJ

539
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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1. Une stabilité économiquement fondée

L'importance économique de la stabilité du bail à usage professionnel se


justifie tout d'abord par le fait que ledit contrat constitue un élément du fonds de
commerce. Celui-ci s'entend de l'ensemble de facteurs d'attractivité et de
fidélisation de la clientèle. Parmi ces éléments permettant au commerçant ou au
professionnel non-commerçant d’attirer la clientèle (cf. article 135 AUDCG) figure
bel et bien le droit au bail. Certes, celui-ci n’est pas un élément nécessaire du
fonds de commerce, étant donné que l'activité professionnelle peut être exercée
dans un local appartenant audit professionnel, mais dans la plupart des cas,
l'exploitant du fonds de commerce est le preneur d'un local spécialement
aménagé par son propriétaire, personne physique ou personne morale, qui
s'engage à le mettre à la disposition du premier, en contrepartie du paiement
d'un loyer. D'ailleurs, le choix de l'emplacement de ce local est loin d'être anodin,
puisque la fixation du montant du loyer tient compte de cette localisation1348. Le
changement brusque de l’emplacement où s’exerce l'activité professionnelle
entraîne un risque de démobilisation ou de déperdition de la clientèle. C'est donc
en ce sens qu'on peut considérer que, sans être un élément nécessaire du fonds
de commerce, le droit au bail, n'en est pas moins, le cas échéant, un élément
capital.
L’importance économique du bail à usage professionnel justifiant la
stabilité du contrat éponyme provient ensuite du fait que celui-ci n’est pas
seulement un lien juridique entre le propriétaire et le preneur, mais encore un
bien pour ce dernier. En ce sens, le contrat de bail (lien juridique) donne
naissance au droit au bail (bien économique) au profit du locataire. Cet aspect
économique du droit au bail a d'ailleurs suscité une controverse célèbre sur la
nature du droit du preneur sur l’immeuble servant de siège à son activité
professionnelle. L’on s’est en effet demandé, à l’aune des statuts protecteurs du
preneur, si celui-ci n’aurait pas, au lieu d’un droit personnel contre le bailleur,

1348
les éléments à prendre en compte dans la fixation judiciaire du loyer en droit francais au cas
de renouvellement trienal du bail

540
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

plutôt un droit réel sur la chose1349. En faveur de la thèse « réaliste », on peut


convenir que le droit au bail confère à son titulaire des prérogatives proches de
celles d'un propriétaire. On le qualifie d’ailleurs de « propriété commerciale »,
expression ayant fait florès et dont l’ambiguïté trahit un certain brouillage de la
distinction des droits réels et des droits personnels1350. Pour les tenants de la
thèse « personnaliste », dont l'analyse paraît plus juridiquement rigoureuse en
revanche, le droit au bail ne confère au preneur qu'un droit de jouissance fondé
sur l'obligation du bailleur de lui concéder la jouissance du local1351 et de le
garantir contre les risques d'éviction des tiers1352. Il s'ensuit qu'en dépit des
multiples prérogatives et du statut particulier reconnu au preneur, l'on est bien
en présence d'un authentique droit personnel qui, bien que stable de par son
régime juridique, ne saurait néanmoins bénéficier de la perpétuité du droit de
propriété.
Qu'à cela ne tienne, le droit au bail fait partie des éléments incorporels d'un
fonds de commerce. Il est un bien singulier compris dans un complexe de biens
dont il peut dès lors suivre le régime. Ainsi, comme le fonds de commerce, le
droit au bail peut faire l'objet de transactions ; il peut être cédé ou faire lui-même
l'objet de cession ou de location à travers le contrat de sous-location1353. En tout
état de cause, le droit au bail constitue un facteur de stabilité de l'entreprise, il a
une certaine « vocation à la perpétuité »1354 caractère dont le droit organise les
conditions.

1349
J. DERRUPE, La nature juridique du droit du preneur à bail et la distinction des droits réels et
des droits de créance, thèse Toulouse, 1952 ; « Souvenir et retour sur le droit réel du locataire »,
Mélanges L. Boyer, Toulouse 1996, p. 169 et s.
1350
T. LAKSSIMI, La summa divisio des droits réels et des droits personnels, Dalloz, coll. « NBT »,
2016 ; et déjà, S. GINOSSAR, Droit réel, Propriete et Creance. Elaboration d'un système rationnel
des droits patrimoneaux, LGDJ, 1960
1351
V. art. 109 AUDCG
1352
V. art. 110 AUDCG
1353
Cf. article 118 et 122 AUDCG
1354
Ph. MALAURIE, L. AYNES, P.-Y. GAUTIER, Les contrats spéciaux, 8e éd., Défrenois, 2016, n°
621

541
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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2. Une stabilité juridiquement recherchée

L’idée générale qui transparaît du régime du bail à usage professionnel est


celle de la stabilité du lien contractuel unissant le bailleur et le preneur. La
spécificité de ces types de baux par rapport au modèle des articles 1714 et
suivants du code civil réside dans la volonté de pérenniser le droit au bail du
locataire, sans lequel son activité professionnelle serait compromise. Tout est
alors mis en œuvre pour renforcer les prérogatives du locataire à travers la
stabilisation du contrat à laquelle concourt le régime du bail à usage
professionnel. Tel est l’objet des règles portant sur la durée, sur le
renouvellement du bail, voire sur sa résiliation1355.
La durée est un élément constitutif du contrat de bail en général, car la
location est inséparable d’une certaine durée. Par ailleurs, la plus ou moins longue
durée d’un contrat est un élément d’appréciation de sa stabilité. Il s’agit, non
seulement du temps qu’est censé durer le contrat, mais encore de la modalité
qui affecte cette durée. Dans le cadre du bail à usage professionnel, compte tenu
de la finalité de ce contrat, il peut paraître judicieux que le législateur en fixe une
durée minimum. Cette solution contribue à la sérénité des parties contractantes
et plus particulièrement à celle du locataire qui est assuré d’exploiter son activité
professionnelle dans le même local pendant un temps nécessaire pour se
constituer et fidéliser une clientèle certaine. Par ailleurs, la durée ainsi fixée par
la loi ne devrait souffrir aucune réduction de la part des parties, car elle procède
d’un certaine « ordre public locatif ». Cette solution n’est pas celle retenue par le
législateur OHADA qui abandonne la fixation de la durée du bail à la liberté des
parties1356. On pourrait, en comparant cette règle avec celle de certaines
législations1357, considérer qu’elle ne fait pas suffisamment cas de la protection

1355
V. aussi sur le sort du contrat en cas de procédure collective, J.-C. NGNINTEDEM, « Le bail
commercial à l’aune du droit OHADA des entreprises en difficulté », Uniform Law Review, Vol. 14,
Issue 1-2, Janv.-Avr. 2009, pp. 181–213
1356
Article 104 alinéa 1
1357
V. par exemple L 145-4, al. 1 du code de commerce français qui fixe la durée minimale du bail
commercial à 9 ans

542
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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du locataire et notamment de son intérêt à jouir du local pendant un temps


suffisamment long.
Toutefois, l’intention du législateur de concevoir un contrat de bail à usage
professionnel relativement pérenne peut se déduire d’autres dispositions à
l’instar de celles qui révèlent la préférence du législateur au modèle du contrat à
durée indéterminé. En effet, si le bail à usage professionnel peut être conclu à
durée déterminée ou indéterminée1358, cette dernière modalité est présumée
faute d’autres précision par les parties. Il en sera ainsi lorsque les contractants
auront conclu un bail verbal. La difficulté de prouver outre un écrit la nature
déterminée ou indéterminée de la durée du bail sera dans ce cas tranchée en
faveur de la seconde branche de l’alternative. La même solution sera retenue
lorsqu’en présence d’un écrit constatant le bail à usage professionnel,
l’instrumentum ne contiendrait pas une clause relative à la durée. En tout état de
cause, en privilégiant le bail à durée indéterminée, le législateur OHADA a ainsi
clairement opté pour la stabilité du bail à usage professionnel car, de manière
quelque peu paradoxale, le contrat à durée indéterminé est réputé plus stable
que le contrat à durée déterminée. Il en est ainsi notamment au regard des
conditions de sa résiliation. Seule la résiliation d’un bail à usage professionnel à
durée indéterminée est subordonnée à l’octroi d’un congé préalable par la partie
qui en prend l’initiative1359. D’ailleurs, la durée de ce préavis ne peut être inférieure
à 6 mois en cas de renouvellement pour une durée indéterminée d’un contrat de
bail à usage professionnel.
D’une manière générale, le régime de la résiliation du bail, qu’il soit stipulé
à durée déterminée ou à durée indéterminée dénote une certaine stabilité du
contrat, qu’il s’agisse du caractère limité des causes de résiliation, de la
procédure à suivre, que des conditions de mise en œuvre de la clause résolutoire
de plein droit stipulée par les parties.

1358
Article 104, alinéa 2
1359
Article 125 alinéa 1

543
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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En ce qui concerne les conditions de la résiliation, l’on distingue selon qu’il


s’agit d’une « résiliation-sanction » ou d’une « résiliation-prérogative ». Dans le
premier cas, l’extinction du bail se fait, à la demande d’une partie, pour cause de
manquement par son cocontractant au respect des clauses et conditions du bail.
Si les occasions de mettre en œuvre cette sanction sont relativement
nombreuses, la loi ne distinguant pas entre les manquements essentiels et de
simples manquements1360, en revanche, cette fragilité apparente du contrat de
bail est compensée par les formalités qui entourent la demande judiciaire de
résiliation. Celle-ci doit être précédée d’une mise en demeure prenant la forme
d’un acte d’huissier ou notifié d’avoir à respecter la ou les clauses ou conditions
violées. Le contractant fautif dispose d’ailleurs d’un délai d’un mois à compter de
la réception de la mise en demeure pour s’exécuter et éviter ainsi la résiliation du
contrat et, pour le preneur, son expulsion ou celle de tout occupant de son chef.
La résiliation est par ailleurs un droit reconnu à chacune des parties,
abstraction faite du comportement de son cocontractant, de mettre fin au
contrat. Ce droit de s’évader du contrat de bail s’exerce soit à l’arrivée du terme,
soit, à défaut de terme fixé et sous réserve du respect de certaines conditions
liées au droit au renouvellement, lorsque le bailleur ou le preneur le juge
opportun. C’est dire que la précarité du contrat de bail du fait du droit de résilier
le contrat a partie liée et est contrebalancé par le droit au renouvellement
reconnu à l’autre partie.
La vigueur du droit au renouvellement indique, en contrepoint, la volonté
du législateur OHADA de prolonger la durée du contrat de bail à usage
professionnel. Lorsqu’il est acquis, le droit au renouvellement du bail, qui est une
spécificité de ce type de louage, ne souffre pas de clause contraire1361. Il confère
au contrat une durée supplémentaire de 3 ans minimum, quelle que soit la durée
initiale et oblige les parties à prévoir un préavis d’une durée minimale de 6 mois.
Et si le bailleur est admis à s’opposer à une demande de renouvellement émanée

1360
Comparer avec le régime de la résolution du contrat de vente commerciale qui suppose un
manquement essentiel, cf. article 259 (1) AUDCG
1361
Article 123, alinéa 2 AUDCG

544
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

du locataire, néanmoins, cette opposition ne se présume pas et est conditionnée


par le versement d’une indemnité d’éviction, hormis les cas où celle-ci est
écartée par la loi. Lorsqu’il est à durée déterminée, le refus de renouveler le bail
doit être exprimé expressément par le bailleur, au moins un mois avant l’arrivée
du terme initialement convenu. Mais lorsqu’il est à durée indéterminée, le congé
donné par le bailleur en prélude à la résiliation du contrat de son fait n’équivaut
nécessairement pas à une opposition au droit au renouvellement1362.
De façon générale, les parties sont incitées à œuvrer au maintien du
contrat. On n’est dès lors pas loin du principe de « favor contractus » d’après
lequel, lorsque c’est possible, le maintien du contrat doit être favorisé au
détriment de sa rupture prématurée sur l’initiative d’une des deux parties »1363.
Cette stabilité du bail à usage professionnel est sans doute à l’épreuve des
situations multiples pouvant la fragiliser, à l’instar de la pandémie de la Covid-19.

B. La stabilité éprouvée du bail en situation de pandémie

Le législateur de l’OHADA a manifestement entendu faire du bail à usage


professionnel un contrat perenne, susceptible de résister tant à la volonté des
parties d’y mettre fin de manière brutale et inopportune, qu’à certains évènement
éhappant au contrôle des parties. La crise du corona virus et ses corollaires
législatifs et réglémentaires constituent un parfait test de la capacité de ce
contrat à survivre à des crises pouvant en compromettre l’existence. A la
question de savoir si la Covid-19 et/ou les mesures étatiques prises afin de limiter
sa propagation et ses conséquences constituent des circonstances pouvant
entraîner l’extinction du contrat, il y a lieu de constater que cette éventualité
ultime est somme toute exclue (1) au profit de la suspension du contrat (2).

1362
Contra, Arrêt CCJA n° 1205 du 29 nov. 2002, OHADATA J- 03-07, « La notification d’un congé
au preneur équivaut à un refus de renouvellement du bail de la part du bailleur » (solution
criticable).
1363
P.-G. POUGOUE, « Présentation générale du système OHADA », in A. AKAM AKAM (Dir.), Les
mutations juridiques dans le système OHADA, L’Harmattan, 2009, n° 5, p. 13

545
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1. L’exclusion de l’extinction du contrat de bail

L’extinction d’un contrat en raison de la survenance d’un évènement non


imputable à une partie au contrat fait songer instinctivement à la force majeure,
considérée, avec le fait d’un tiers, comme une cause étrangère. Cette cause
étrangère revêtant certains caractères a en principe un effet destructeur du lien
contractuel, y compris en matière de bail à usage professionnel. La typologie des
évènements pouvant théoriquement correspondre à la qualification de la force
majeure est si large que la pandémie de la Covid ainsi que les mesures
gouvernementales pour y faire face pourraient y figurer. Mais « la force majeure
ne se décrète pas »1364. C’est plutôt en procédant à une analyse rigoureuse des
faits en regard avec les critères de la force majeure que cette dernière
qualification peut valablement être retenue1365. Les faits dont il est question sont
d’une part l’épidémie du coronavirus et, d’autre part, certaines des mesures
prises par le gouvernement et ayant un impact certain sur les activités
professionnelles, qu’elles soient civiles, industrielles ou commerciales. Ces
circonstances doivent être confrontées aux éléments constitutifs de la force
majeure, à savoir l’imprévisibilité, l’irrésistibilité et l’extériorité de l’évènement.
Pour qu’il soit constitutif de force majeure, l’événement doit tout d’abord
être imprévisible ; le débiteur de l’obligation ne pouvant en prévoir ni l’occurrence
ni la résurgence. Cette condition s’apprécie au moment de la conclusion du
contrat et de manière abstraite de sorte que n’est un cas de force majeure qu’un
évènement qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du
contrat1366. On peut en dire ainsi de la maladie du nouveau1367 coronavirus face à
certains contrats de bail dont la conclusion est intervenue avant le

1364
J. HEINICH, « L’incidence de l’épidémie de corona virus sur les contrats d’affaires : la force
majeure à l’imprévision », D. 2020, chron. 611.
1365
M. MEKKI, « De l’urgence à l’imprévu du Covid-19 : quelle boîte à outils contractuels ? », AJ
Contrat 2020, 164, spéc., p. 170.
1366
Comp. avec l’article 1218 du code civil français
1367
Si la découverte du premier coronavirus humain (HCoV) par les chercheurs britanniques David
Tyrrell et Malcolm Bynoe remonte à 1965 en revanche, la forme actuelle à la propagation aussi
rapide et facile e aux effets aussi létaux sont d’apparition récente.

546
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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déclenchement de la maladie en Chine et plus précisément avant que


l’Organisation mondiale de la santé ne déclare officiellement, le 30 janvier 2020,
l’état d’urgence de santé publique, donnant une portée internationale à ce qui
n’était alors qu’une épidémie localisée. Moins certaines est la rectitude de la
qualification de force majeure appliquée aux mesures prises par le gouvernement
à partir du 17 mars 2020 notamment celles limitant certaines activités pouvant
être exercées dans des locaux soumis au régime du bail professionnel1368.
Lesdites mesures, déjà prises dans d’autres pays, parfois de manière plus
radicale, laissaient présager leur édiction au Cameroun. Quant aux contrats
conclus après la mise en place des mesures de restriction desdites activités
commerciales, la défaillance d’exécution de leurs obligations ne saurait être
justifiée par leur caractère imprévisible, car aucun contractant raisonnable
n’aurait pu ignorer que de telles mesures pussent affecter peu ou prou le respect
de ses engagements. D’ailleurs, le caractère irrésistible de ces circonstances
semble lui aussi douteux.
L’évènement doit donc ensuite être irrésistible, ce qui suppose qu’il
constitue un obstacle insurmontable rendant impossible l’exécution de
l’obligation. Cette condition est tellement essentielle qu’elle a pu être considérée
un temps comme l’unique exigence pour la qualification de la force majeure en
matière contractuelle1369. Elle joue, en tout état de cause, un rôle déterminant
dans cette opération de qualification et occupe une place de choix dans le
triptyque des éléments de la force majeure. Mais, l’irrésistibilité est susceptible
de degrés qui se traduisent par la distinction entre l’impossibilité absolue
d’exécuter le contrat et l’impossibilité simplement relative. Cette dernière renvoie
aux hypothèses où l’exécution du contrat, sans être impossible devient très

1368
V. notamment les mesures 3, 4 et 6 de la Déclaration spéciale du Premier Ministre, Chef du
gouvernement du 17 mars 2020.
1369
v. entre autres, Com. 28 avr. 1998, D. 1999.469, note B. M. et F. L ; Civ. 1re, 6 nov. 2002, Bull.
civ. I, n° 258 ; RTD civ. 2003.301, obs. P. Jourdain. Adde Civ. 1re, 10 févr. 1998, Bull. civ. I, n° 53 ;
D. 1998.539, note D. Mazeaud ; RTD civ. 1998.689, obs. P. Jourdain et 674, obs. J. Mestre ; JCP
1998.II.10124, note G. Paisant ; JCP 1998.I.185, n° 16, obs. G. Viney ; Contrats, conc. consom.
1998, n° 70, note L. Leveneur

547
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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difficile ou très onéreuse pour son débiteur. Or, s’il est toujours possible de
prendre des mesures appropriées pour pallier la difficulté, les obligations de
faire, à l’instar de l’obligation de délivrance du bailleur restent exigibles.
Réciproquement, l’obligation principale dont est tenu le preneur, à savoir le
paiement du loyer, ne s’éteint pas ipso facto en raison des difficultés financières
auxquelles il peut être confronté. Il n’existe, pour ainsi dire, « pas de force
majeure financière »1370, car cette cause d’extinction du contrat ne se conçoit pas
pour les obligations de payer1371. Plus généralement, le fait que le contrat ne
présente plus d’intérêt pour une partie ne constitue pas en soi un cas de force
majeure, du moment que son exécution est encore matériellement possible. On
songe notamment à un preneur dans un bail professionnel empêché d’exploiter
son fonds de commerce ou de mener son activité du fait d’une maladie1372. Cet
exemple amène à analyser d’ailleurs la condition d’extériorité.
La force majeure suppose enfin que l’événement échappe au contrôle du
débiteur de l’obligation, qu’il ne soit pas son fait ni celui des personnes dont il
répond. Les mesures prises par le gouvernement visant à restreindre les activités
professionnelles ont indiscutablement ce caractère. Ces décisions de la
puissance publique peuvent recevoir la qualification de « fait du prince ». Quant
à la maladie elle-même, elle un fait qui ne dépend pas en principe de la volonté
de celui qui en est atteint. Pour autant, certains arrêts ont retenu cette
qualification1373, même si la jurisprudence n’est pas systématique à cet égard1374.
C’est donc au cas par cas qu’est apprécié le caractère extérieur de la maladie et
surtout l’incidence qu’elle peut avoir sur l’exécution de chaque obligation, d’après

1370
A. BENABENT, op. cit., n° 350, p. 286.
1371
V. en dernier lieu, Com. 16 sept. 2014, D. 2014. 2214, note J. François, RDC 2015.21, obs.
Laithier. Il convient peut-être de distinguer à ce niveau l’obligation de payer, dont l’objet n’est pas
impossible, et le fait matériel de payer qui peut être empêché temporairement en raison de
l’hospitalisation du débiteur atteint de la Covid-19.
1372
Rappr. de Com., 23 janv. 1968, JCP 1968. III. 15422 (obligation de payer le prix d’un fonds de
commerce en dépit de la maladie ou de l’accident de l’acquéreur l’empêchant de l’exploiter).
1373
Ass. plén., 14 avr. 2006, no 02-11.168, Bull. Ass. plén., n° 5 ; D. 2006. 1577, obs. I. Gallmeister,
note P. Jourdain ; RTD civ. 2006. 775, obs. P. Jourdain ; RTD com. 2006. 904, obs. B. Bouloc.
1374
Civ. 3e , 19 sept. 2019, n° 18-18.921, AJDI 2019. 819 ; JCP N 2020. 24, obs. S. Piédelièvre.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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sa nature. L’impact de la maladie ne sera donc pas le même selon qu’elle touchera
le preneur, tenu d’une obligation de donner – le paiement du loyer – ou d’une
obligation de faire – exploiter le local. Le juge devra également distinguer selon
que cette obligation de faire implique ou pas une exécution personnelle.
En tout état de cause, il ne suffit pas d’établir ces conditions, d’ailleurs
difficiles à réunir cumulativement dans le contexte de la Covid-19, pour que le
lien contractuel soit nécessairement rompu. Il convient en outre, dans
l’appréciation de la réunion de ces conditions, de prendre en considération la
structure des contrats en cause, notamment le moment de leur conclusion (avant
ou après la covid) ou leur contenu (existence ou non d’une clause de force
majeure). La tendance sera dès lors à admettre la suspension du contrat plutôt
que son extinction.

2. L’admission de la suspension du contrat de bail

De manière traditionnelle, la force majeure a un effet destructeur du lien


obligatoire créé par le contrat. En rendant l’exécution des obligations des parties
impossible, elle entraine de plein droit la résolution du contrat. Cette rupture du
lien contractuel et la libération corrélative du débiteur suppose néanmoins que
l’impossibilité d’exécuter soit à la fois absolue et définitive. Or, tel n’est pas
toujours le cas, l’impossibilité d’exécuter pouvant être seulement temporaire.
Cette situation se présente surtout dans les contrats à exécution successive à
l’instar du contrat de bail. Le régime de ce contrat contient en effet une règle
particulière excluant l’extinction du contrat face à une impossibilité simplement
temporaire d’exécuter certaines obligations. La règle est la même aussi bien dans
le droit commun du bail que dans le régime spécial du bail à usage professionnel.
En droit commun, la survie du contrat en dépit d’une impossibilité
d’exécuter est prévue par l’article 1724 du code civil qui envisage une suspension
du contrat lorsque des travaux de réparation urgents effectués par le bailleur
privent le locataire d’une partie de la chose louée. L’article 106 alinéa 4 de l’acte
uniforme sur le droit commercial général quant à lui octroie au locataire la faculté

549
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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de demander la suspension du bail à usage professionnel pendant la durée des


travaux si des réparations urgentes sont de telle nature qu’elles rendent
impossible la jouissance du local. Ces dispositions sont d’ailleurs l’application
d’un principe général de survie du contrat en cas d’empêchement provisoire
d’exécution des obligations. Selon la jurisprudence en effet « en cas
d’impossibilité momentanée d’exécution d’une obligation, le débiteur n’est pas
libéré, cette exécution étant seulement suspendue jusqu’au moment où
l’impossibilité vient à cesser »1375.
Une telle mesure a pu trouver l’occasion d’être appliquée en cette période
de pandémie qu’il s’agisse de l’impossibilité d’exécuter certaines obligations pour
le bailleur ou pour le locataire. Pour le preneur, il s’agit notamment de l’obligation
qui lui est faite d’exploiter le local mis à sa disposition en vertu du bail à usage
professionnel. Cette obligation d’exploiter la chose est fondée sur l’idée d’une
association d’intérêts entre les deux parties au contrat. Le bailleur a évidemment
un certain avantage à voir le preneur exercer l’activité prévue, le local à usage
professionnel prenant de la valeur du fait de son exploitation. Or certaines
mesures administratives ont pu affecter sérieusement l’exercice de certaines
activités professionnelles, rendant ainsi momentanément impossible l’obligation
du preneur de maintenir une activité dans les locaux.
Le bailleur quant à lui étant tenu de lui céder la jouissance du local doit
garantir au preneur une jouissance pleine et entière des lieux. Ici encore
l’évitement de la rupture du lien contractuel peut être préféré à sa rupture malgré
l’impossibilité devant laquelle se trouve le preneur qui ne peut jouir de la chose
ou simplement en faire un usage conforme à sa destination1376.
Toutes ces solutions ne sont pas sans évoquer l’exception d’inexécution,
qui elle aussi est un mécanisme du droit commun ayant pour effet de suspendre
l’exécution du contrat. Le bail, contrat synallagmatique par essence implique une
réciprocité des obligations du bailleur, tenu de fournir la jouissance du local, et

1375
v. pa ex. Civ. 1re, 24 févr. 1981, Bull. civ., I, n° 65 ; D 1982.479, note Martin
1376
Civ. 3e, 17 oct. 1968, JCP 1968, IV. 179.

550
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du preneur, tenu principalement de payer le loyer. L’exécution des obligations de


l’un ayant pour cause et pour pendant l’exécution ou la certitude de l’exécution
par l’autre des siennes, la défaillance de ce dernier permet au premier de
suspendre provisoirement l’accomplissement de ses propres prestations.
L’exception d’inexécution par son automatisme, son absence de formalisme et la
relative souplesse de ses conditions de mise en œuvre apparaît comme une
alternative intéressante à la résiliation du contrat en cas de défaillance
d’exécution par l’une des parties au contrat Néanmoins, ce sauvetage du bail
menacé d’extinction se fera au prix de l’adaptation du contrat

II. L’ADAPTABILITÉ DE LA RELATION CONTRACTUELLE EN RAISON DE LA COVID

Le bail à usage professionnel, au-delà du lien d’obligation qu’il fait naître


entre les parties, crée une relation contractuelle s’inscrivant dans la durée. Il
constitue une illustration positive du « contrat relationnel » théorisé aux Etats-
Unis d’Amérique, en 1960, par Ian MacNeil et Stewart Macaulay. La figure du
contrat relationnel1377 est en réalité un paradigme à partir duquel la naissance et
la vie du contrat sont expliquées. Ce type de contrat se caractérise par des
principes de réciprocité1378, de coopération1379 et surtout de flexibilité. Cette
dernière caractéristique implique une adaptation du contrat faisant primer la
relation contractuelle sur le contenu du contrat. Cette vision des rapports
contractuels est particulièrement importante dans le contrat de bail à usage
professionnel à l’aune de la covid-19 et permet de mesurer la contribution tant
du droit spécial du bail à usage professionnel que celle du droit commun. Si la
part des mécanismes du droit spécial du bail est indéniable (A), elle ne rend pas
pour autant inutile l’apport du droit commun (B) dans cette volonté d’adapter le
contrat.

1377
C. BOISMAIN, Les contrats relationels, préf. M. Fabre-Magnan, PUAM 2005.
1378
Equiibre des forces et horizontalité de la relation
1379
Restriction des buts individuels en vue du développement de buts profitables à toutes les
parties

551
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A. La part des mécanismes du droit spécial du bail à usage professionnel

La pandémie actuelle donne l’occasion de passer en revue les mécanismes


du droit commercial applicables au contrat de bail afin de mesurer leur efficacité
face à une crise sanitaire de cette envergure. L’un, la révision du loyer (1) vise à
adapter l’obligation monétaire du preneur, tandis que l’autre, la déspécialisation
(2) permet une modification plus ou moins importante de son activité.

1. La révision du loyer

Si le loyer est de l’essence du bail à usage professionnel et est en principe


fixé librement par les parties1380, il n’en n’est pas moins sujet à des variations dont
le régime est réglementé par le législateur OHADA. C’est dire que le loyer n’est ni
immuable ni intangible. Il peut être révisé tant par les parties elles-mêmes que
par le juge. La pandémie de la Covid-19 donne l’occasion d’éprouver ce
mécanisme d’adaptation du contrat de bail.
La révision conventionnelle du bail est susceptible d’emprunter diverses
modalités, variant selon le degré de prévoyance des parties et allant du plus
automatique au plus négocié. Celles-ci peuvent d’abord prévoir une révision
automatique du loyer qui n’implique ni une négociation ultérieure de leur part, ni
l’intervention du juge. Tel est le régime du mécanisme de l’indexation qui consiste
à imprimer au montant du loyer une variation en fonction d’un indice de
référence1381. La licéité de principe de telles clauses ne devrait souffrir d’aucune
réserve dans un contexte de libéralisation des loyers. Bien plus, leur utilité
pratique en période de crise sanitaire est indéniable. La révision pourrait alors
emprunter la forme d’une clause de loyer indexé sur les recettes du preneur. En
effet, l’indice choisi peut être rattaché à l’activité de l’une des parties, notamment
au chiffre d’affaires du preneur. Cette pratique dite de loyers binaires est certes

1380
Article 116 alinéa 1 AUDCG
1381
Vocabulaire juridique, v° indexation

552
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

née pour pallier la difficulté à fixer la valeur locative des locaux dans les centres
commerciaux1382, mais son application dans les baux professionnels peut s’avérer
utile dans un contexte de restrictions de certaines activités professionnelles. Il
est évident que certaines mesures prises par le gouvernement et visant à limiter
l’exploitation de certains commerces ont inévitablement eu un impact sur le
chiffre d’affaires et sur les recettes des preneurs, rendant l’obligation de payer le
loyer plus onéreux pour ceux-ci. Un grand profit aurait alors pu être tiré de la
rédaction de clauses-recettes, soit qu’elles prévoient un loyer calculé
exclusivement sur un pourcentage du chiffre d’affaires, soit qu’elles associent le
chiffre d’affaires et un élément fixe évoluant en fonction d’un indice1383. Peu
importe le mode de calcul retenu, les parties, le cas échéant, n’ont pas besoin
d’une nouvelle négociation pour faire évoluer le montant du loyer.
Une telle négociation est en revanche nécessaire lorsque, n’ayant pas
prévu une révision automatique du loyer, les parties usent de leur faculté de
refaire d’un commun accord ce que leur volonté commune a initialement fait. Le
droit de réviser le loyer s’inscrit dans une périodicité qui limite toute tentative de
révision intempestive. Ainsi, c’est à l’occasion de chaque renouvellement qu’il est
loisible aux parties d’ajuster le loyer. Concrètement, ce sont les contrats dont
l’échéance de renouvellement arrivait pendant cette période de crise sanitaire
qui donne l’occasion à cette modalité de flexibilité de la relation contractuelle de
se manifester1384.
Le point de savoir si le juge dispose du pouvoir de réviser le loyer en raison
d’une crise sanitaire est quant à lui moins évident, même s’il n’est pas
inenvisageable. D’une manière générale, le juge n’est pas désarmé lorsqu’il
entend réviser le loyer d’un bail à usage professionnel. En effet, le loyer peut voir
son montant réduit à la baisse par le juge lorsqu’il ne correspond plus à une

1382
B.H. DUMORTIER, « Le loyer binaire entre liberté contractuelle et soumission au statut », AJDI
2017 p. 817 ; et déjà, B. BOCCARA, JCP CI 1980. II. 13210 ; id., JCP 1985. I. 3187 ; B. Boussageon,
AJPI 1992. 198 ; C. Hortus, ibid. 1985. 519 ;
1383
Cette modalité prend la qualification de loyer binaire proprement dit.
1384
Sur le refus opposé par une partie, cf. exigence de bonne foi du droit commun (cf. B)

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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contrepartie équivalente à l’obligation de délivrance du bailleur. Toutefois,


l’équilibre que doit restaurer le juge dans ce cas de figure est celui initialement
prévu par les parties et qui a été rompu en l’absence1385 d’un fait non fautif d’une
partie. C’est du moins l’esprit de l’article 106 alinéa 4 de l’AUDCG qui prévoit une
diminution du loyer pour privation de jouissance due aux travaux de grosses
réparations entrepris par le bailleur en exécution de ses obligations
contractuelles. L’alinéa 4 de ce texte dispose en effet que : « Le montant du loyer
est alors diminué en proportion du temps et de l’usage pendant lequel (sic) le
preneur a été privé de la jouissance des locaux ».
Il est dès lors tentant de s’interroger sur une possible extension de ce
pouvoir de diminution du loyer en présence d’une autre cause de privation de
jouissance. Il est indéniable que les mesures gouvernementales ont eu pour effet
de priver les exploitants de débits de boissons et de lieux de loisirs de la
jouissance de locaux loués. Certes, cette privation n’a pas pour cause l’exécution
de grosses réparations par le bailleur, mais, du point de vue du preneur, l’effet
est le même, à savoir une diminution du droit de jouissance. Il est d’ailleurs
intéressant de noter que la diminution de loyer est la solution prévue également
en cas de destruction partielle de la chose louée par cas fortuit en vertu de
l’article 1722 du code civil. L’idée d’un principe de diminution judiciaire du loyer à
concurrence de la privation de la jouissance de la chose en matière de bail
pourrait donc être avancée sans risque.
La révision du loyer apparaît alors comme un moyen d’adaptation du
contrat de bail à usage professionnel particulièrement pertinent dans le contexte
de pandémie de coronavirus et porteur de virtualités qui le rendent autant
efficace que l’adaptation de l’activité du preneur.

Si le fait est fautif, la résiliation est une solution envisageable, à défaut le preneur est dispensé
1385

de payer les loyers, cette obligation se trouvent sans cause (Civ. 3, 21 déc. 1987, Bull. civ. III, n°
212.

554
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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2. La déspécialisation spéciale

Le contrat de bail, lorsqu’il n’est pas écrit, doit indiquer la nature de


l’activité que doit mener le preneur qui doit s’en tenir à celle-ci au risque d’une
résiliation du contrat pour inexécution. Aussi, s’il est tenu d’exploiter le local loué,
encore faut-il que le preneur le fasse en respectant la destination de la chose. Le
changement d’activité professionnelle équivaudrait en effet à une modification
unilatérale du contrat qui n’est pas admise en vertu de l’article 1134 alinéa 1 du
code civil. Le principe général en matière de bail est d’ailleurs celui de l’obligation
de respecter l’usage ou la destination de la chose louée, peu importe que les
modifications soient susceptibles de ne causer aucun préjudice au bailleur1386.
Toutefois, la flexibilité du contrat de bail à usage professionnel apparaît de
manière éclatante avec l’adaptabilité du contenu de cette obligation du preneur
d’exercer les seules activités professionnelles autorisées par le contrat. C’est
l’évolution fréquente de la conjoncture économique, qui imprime au droit
commercial une plus grande flexibilité que le droit civil, qui rend également plus
souple le régime du bail à usage professionnel, condition de la stabilité dudit
contrat. Il est dès lors admis, sous certaines conditions, un changement de
l’usage convenu de la chose louée, mécanisme connu sous la qualification de la
déspécialisation. Celle-ci est définie par la Vocabulaire juridique comme la
modification, par le preneur, de la destination des locaux sur lesquels porte le
contrat de bail commercial1387. Elle peut être plénière, lorsqu’elle aboutit à une
transformation, totale des activités exercées dans les locaux loués, tandis qu’une
simple adjonction d’activités connexes ou complémentaires de celles prévues
dans le bail constitue une déspécialisation partielle. Ces deux modalités sont
prévues par le législateur OHADA qui leur donne un régime propice à une
adaptation du contrat de bail, y compris face à une crise sanitaire comme celle
de la Covid-19.

1386
Civ., 27 avr. 1948 ; JCP 1948, II, 4594.
1387
G. CORNU (Dir.), Vocabulaire juridique, 11e éd. PUF 2016, v° Déspécialisation.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Ainsi, l’adjonction d’activités autres que celles que le preneur avait prévu
de mener est relativement simple. Il lui suffit, en effet, d’aviser le bailleur dudit
projet. S’il est exigé que cette notification soit expresse, en revanche dans le
cadre de la déspécialisation simple elle n’est soumise à aucune forme
particulière. Sous ce regard, l’adaptabilité du bail à usage professionnel en droit
OHADA apparaît nettement supérieure à celle des baux ayant le même objet dans
d’autres contextes juridiques. En droit français, par exemple, le locataire
souhaitant exercer une activité connexe à celle autorisée par le contrat doit
formuler une demande au bailleur par acte d’huissier ou par lettre recommandée
et doit attendre l’écoulement d’un délai de deux mois avant d’y procéder, si le
bailleur ne s’y oppose pas dans ce laps de temps1388.
Il reste néanmoins qu’ici, comme là-bas, l’on exige que les activités devant
être adjointes soient connexes ou complémentaires et relèvent d’un même
domaine que celui envisagé lors de la conclusion du bail. En droit français les
tribunaux ont déjà été appelées à se prononcer sur le caractère connexe ou
complémentaire de certaines activités adjointes. Ainsi, de l’activité de vente des
produits de PMU dans un café-bar1389, de la vente d’apéritifs et de liqueurs dans
une alimentation1390, de l’ouverture d’un bar musical nocturne dans une bar-
restaurant1391, ou de l’adjonction des activités de bowling adjointes à celles de
bar, restaurant, dancings cabaret1392. Nul doute que telles combinaisons soient
admises dans le cas où les preneurs souhaiteraient procéder à une
déspécialisation partielle dans le contexte de la pandémie de Covid-19 afin de
pallier le manque à gagner provoqué par les restrictions imposées par la maladie
elle-même et par les mesures gouvernementales prises pour y faire face.
Quant au changement d’activités, si le preneur doit au préalable obtenir un
accord exprès du bailleur, là encore l’absence de formalisme de la notification

1388
Cf. Article L. 145-47 du code de commerce
1389
CA Aix-en-Provence, 13 nov. 1997 : JurisData n° 1997-045492
1390
CA Paris, 29 nov. 1957 : Ann. loyers 1958, p. 594.
1391
CA Toulouse, 13 avr. 2011, n° 09/00899 : JurisData n° 2011-009347.
1392
CA Versailles, 12e ch., 2e sect., 5 mars 2009, n° 07-00883 : RJDA déc. 2010, n° 1137.

556
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

apparaît plutôt favorable à une adaptation du contrat. Cette relative simplicité de


la procédure de déspécialisation totale ou partielle est une preuve
supplémentaire de la résistibilité du contrat de bail à usage professionnel face
aux crises de toutes sortes pouvant avoir une incidence sur l’exercice des
activités du preneur. Il en est ainsi d’autant plus que le refus du bailleur du
changement ou de l’adjonction escomptés d’activités ne constitue pas une
décision discrétionnaire. Il doit motiver son opposition en excipant dans un cas
des motifs graves et dans l’autre cas des motifs sérieux. Le juge conserve, quel
que soit le cas, le pouvoir d’apprécier au cas par cas, la pertinence des motifs
allégués. Pour ce faire, il prendra en considération les intérêts liés à la nécessité
de survie de l’activité professionnelle, notamment la sauvegarde des emplois.
Mais, d’autres considérations liées à l’intérêt du bailleur ou des autres locataires
de celui-ci pourront en revanche conduire à considérer non opportune la volonté
de déspécialisation du preneur.
En tout état de cause, en droit commercial, la volonté des parties et, le cas
échéant, le pouvoir du juge permettent d’adapter le contrat de bail à usage
professionnel dont l’intérêt pour l’économie n’est pas compatible avec une
rupture par trop aisée du lien contractuel. Ces mécanismes propres au droit
commercial n’épuisent cependant pas les ressources que le droit met à la
disposition des parties ou du juge afin de permettre au contrat de résister aux
vicissitudes des évènements extérieurs et notamment à la pandemie actuelle. Le
droit commun peut dès lors venir au renfort du droit spécial pour contribuer à
l’adaptation du contrat.

B. L’apport des mécanismes du droit commun

L’existence d’une réglementation spéciale pour le bail à usage professionnel


n’exclut pas complètement l’application du régime du droit commun du bail. Il
n’est donc pas rare que la Cour commune de justice et d’arbitrage admette ou
valide le recours aux dispositions des droits nationaux des Etats parties en

557
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

matière de bail à usage professionnel1393. Ces dispositions du droit commun


illustrent elles aussi la souplesse du contrat de bail face à des circonstances
pouvant en menacer la survie qu’il s’agisse des mécanismes du droit commun du
bail, applicables à titre subsidiaire (1) ou ceux du droit commun des contrats,
sollicitées à titre complémentaire (2).

1- La subsidiarité des mécanismes du droit commun du bail

Certaines dispositions du droit commun du bail peuvent être mobilisées à


titre subsidiaire. Tel est le cas de l’article 1722 du code civil qui est
particulièrement sollicité et analysé à l’aune des mesures gouvernementales
prises en période de pandémie. Ce texte prévoit que si pendant la durée du bail
la chose est détruite en partie par cas fortuit, le preneur peut demander une
diminution du prix1394.
Le champ d’application de cette possibilité d’adapter le contrat par
réduction du montant du loyer est assez large. La règle s’applique non seulement
en cas de perte matérielle, mais encore en cas de perte juridique. Si la première
concerne l’état physique du local loué, la perte juridique, en revanche, renvoie à
l’impossibilité de jouir du local fourni par le bailleur tel que convenu par les parties
et compte tenu de la destination des lieux loués. La perte dont il s’agit renvoie
donc au fait que le local devienne impropre à l’usage pour lequel il avait été loué.
Cette définition correspond à l’hypothèse rencontrée à la suite des décisions
portant mesures administratives interdisant certaines activités, fermant des
magasins ou entravant l’exercice normale d’une activité professionnelle. L’article

1393
Pour une illustration : CCJA, Arrêt n° 054/2008 du 11 déc. 2008, aff. Roche Jean Germain C/
Maître Tidou Sanogo Ladji, Docteur Djoman Ezan Angèle, Recueil de jurisprudence CCJA n° 12,
juillet-décembre 2008, p. 129 ; CA Abidjan, Arrêt n° 350, Mlle Aka Belinda C/La Societe Ivoirienne
de Promotion de Supermarche dite Prosuma, Ohada-J-03-278.
1394
La résilaition du bail, quant à elle, ne peut être sollicitée qu’en cas de destruction totale du
local.

558
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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1722 du code civil est dès lors invocable au cas de trouble de jouissance subi par
le preneur et résultant du fait de décisions prises par la puissance publique.
Il faut néanmoins que ce trouble ne soit pas inhérent à l’immeuble, ni
imputable au bailleur. Ces deux réserves permettent alors de distinguer ce
mécanisme, aussi bien de la force majeure, dont les conditions sont plus
rigoureuses et de la privation de jouissance due aux réparations urgentes
entreprises par le bailleur.
L’intérêt du recours à ce mécanisme du droit commun se révèle, comme
on le voit, sous deux aspects. D’abord, à travers la souplesse de sa mise en
œuvre et ensuite, à travers l’utilité pratique de l’article 1722 du code civil. Cette
disposition est de mise en œuvre relativement simple, dans la mesure où il est
nécessaire, mais il suffit, que le preneur, pour une cause qui échappe à son
pouvoir ou à celui du bailleur, ne puisse plus exploiter normalement l’activité
professionnelle prévue dans le contrat. L’impossibilité d’exécuter l’obligation de
délivrance pour le bailleur, nécessaire pour caractériser la force majeure, n’est
pas érigée en condition. Le juge doit se contenter du constat que le preneur ne
peut plus faire de la chose un usage conforme à sa destination.
Sur le plan pratique ensuite, l’utilité du mécanisme de l’article 1722 du code
civil consiste à permettre une adaptation du contrat en l’absence de mesures
spécialement prises pour répondre à la question du sort des loyers dans une
situation de pandémie. Certains Etats ont décidé de telles mesures, notamment
le report ou l’étalement des loyers, l’exonération des pénalités financières ou
intérêts de retard, des dommages et intérêts, d’astreinte d’exécution, de clauses
résolutoires, de clauses pénales1395, voire, comme au Gabon, la suspension
durant le temps de confinement des paiements de loyers des personnes sans
revenus et, corrélativement la prise en charge par l’Etat des pertes des petits
propriétaires liées à la suspension du paiement des loyers. D’autres Etats, à
l’instar du Cameroun ont adopté des mesures qui n’avaient qu’un impact incident

V. dans ce sens, l’ordonnance française n° 2020-316 du 25 mars 2020 : les mesures relatives
1395

aux loyers professionnels et commerciaux.

559
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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sur les loyers, laissant ainsi sauf tout l’intérêt du recours au mécanisme du droit
commun du bail, voire du droit commun des contrats.

2- La complémentarité des mécanismes du droit commun des contrats

Le droit commun des contrats est applicable, de manière complémentaire


en matière de bail, y compris à ceux des baux dont l’objet est l’exercice d’une
activité commerciale ou professionnelle. Les règles régissant la formation du
contrat des articles 1108 et suivants du code civil ont vocation à s’appliquer,
mutatis mutandis, de même que, sous réserve de l’existence de règles spéciales
en matière d’exécution du bail en général et du bail à usage professionnel en
particulier, les règles et principes du droit commun des contrats peuvent être
invoquées. C’est sur ce fondement que l’on peut apprécier l’apport des
mécanismes du droit commun du contrat propres à permettre l’adaptation du
contrat en période de crise sanitaire. Il sera notamment question de l’exigence
de bonne foi dans l’exécution du contrat, et de la révision du contrat pour
imprévision.
« Principe en expansion »1396, l’exigence de bonne foi encadre la formation
du contrat et surtout son exécution, phase au cours de laquelle elle peut d’ailleurs
servir de fondement des « suites du contrat »1397. Certes, il est loisible aux
contractants d’aménager cette règle et interdit au juge sur la base de l’article
1134 alinéa 3 du code civil de « porter atteinte à la substance des droits et
obligations légalement convenues entre les parties »1398. Mais, il a parfois été fait
recours à cette disposition afin d’imposer aux parties certains devoirs

1396
Ph. MALAURIE, L. AYNES, Ph. STOFFEL-MUNCK, Les obligations, n° 763. Expansion
confirmée par l’exigence de bonne foi comme principe général gouvernant le contrat, cf art. 1104
du code civil français.
1397
Cf. article 103 du code des obligations civiles et commerciales sénégalais : « Les conventions
obligent non seulement à ce qui est convenu, mais encore à toutes les suites que la loi, l’usage,
l’équité et la bonne foi donne à l’obligation d’après sa nature ».
1398
Com, 10 juill. 2007, D. 2007.2844, note P.-Y. Gautier , et 2839, note Ph. Stoffel-Munck ; adde
la chronique de jurisprudence de la Cour de cassation, p. 2764 et le panorama S. Amrani Mekki
et B. Fauvarque-Causson p. 2966 ; Dr et patr. 2007, n° 162, p. 94, obs. Ph. Stoffel-Munck

560
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

comportementaux. Elle sanctionne notamment l’usage abusif par un contractant


d’une prérogative contractuelle et impose aux deux parties un devoir de
coopération dans l’exécution du contrat.
S’agissant des prérogatives conférées aux parties en matière de bail à
usage professionnel et qui trouvent l’occasion de se manifester en période de
pandémie, certaines ont un fondement légal, à l’instar du droit reconnu au bailleur
de rejeter une demande de renouvellement du bail1399, d’autres ont un fondement
conventionnel, notamment la mise en œuvre d’une clause résolutoire de plein
droit1400. Le contrôle de l’exercice de ces prérogatives et la décision qualifiant
d’abusif cet exercice constituent des hypothèses de recours au droit commun au
service de la survie, voire de l’adaptation du contrat.
En ce qui concerne le devoir de coopération, corollaire du devoir de
loyauté contractuelle, il interdit notamment à une partie de déjouer les attentes
légitimes de son cocontractant par un brusque changement de comportement,
voire par un refus de renégocier un contrat devenu déséquilibré en raison d’un
bouleversement des circonstances économiques1401. Des illustrations de ce
dernier aspect du devoir de coopération peuvent être trouvées en matière de
contrat de travail1402 ou en matière de mandat1403. L’appartenance commune des
contrats impliqués dans ces arrêts avec le contrat de bail à usage dans la
catégorie des « contrats de situation »1404 appelle sans doute à un
rapprochement des solutions.

1399
Article 127 AUDCG
1400
Article 133, alinéa 4 AUDCG.
1401
Com., 3 nov. 1992 : JCP G 1992, II, 22164, note G. Virassamy ; Defrénois 1993, art. 1377, note
J.-L. Aubert ; RTD civ. 1993, p. 124, obs. J. Mestre.
1402
Soc. 25 févr. 1992, n° 89-41.634, Bull. n° 122 (arrêt Expovit)
1403
Com., 24 nov. 1998, no 96-18357 ; 1998 IV n° 277 p. 232 : ne donne pas de base légale à sa
décision, au regard de l'obligation de loyauté régissant les rapports entre l'agent commercial et
le mandant, la cour d'appel qui a omis de rechercher si le mandant, sans mettre d'obstacles à la
représentation du mandataire, avait néanmoins pris des mesures concrètes pour lui permettre de
pratiquer des prix concurrentiels.
1404
Pour la distinction des contrats de situation, déterminants pour la vie de l'entreprise, son
niveau d'activité instruments d'une vassalité économique et des contrats d’occasion qui
correspondent à des opérations épisodiques ne mettant pas en jeu l'existence de l'entreprise, v.

561
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

L’adaptation du contrat qui en résulte incidemment pourrait plus


directement être le fait de la révision du contrat pour cause d’imprévision. Se
détournant de l’hostilité traditionnelle du droit civil, le droit OHADA, de lege lata
et de lege feranda se montre en effet plus favorable à l’admission au profit du
juge de la révision d’un contrat dont l’équilibre est largement rompu en raison des
circonstances économiques extérieures aux parties1405. De manière
traditionnelle, les parties peuvent valablement prévoir des clauses d’adaptation
plus ou moins automatique du contrat. Plus ostensiblement, le juge peut se voir
reconnaître le pouvoir de rééquilibrer un contrat si un changement de
circonstances imprévisible lors de sa conclusion en rendait l’exécution
excessivement onéreuse pour une partie, ce qui peut advenir de l’obligation de
payer le loyer, lorsqu’en raison de la pandémie et des mesures restrictives qu’elle
a imposée, le preneur n’a pas pu exploiter normalement le local. Il se pose
néanmoins la question de l’applicabilité de ce mécanisme du droit commun dans
un contrat très spécial comme l’est le contrat de bail à usage professionnel. La
jurisprudence y semble hostile1406, au contraire d’une partie de la doctrine. Celle-
ci mérite d’être ralliée, surtout qu’elle relève que la révision pour imprévision
n’épouse pas exactement les contours et ne se présente pas dans les mêmes
conditions que les mécanismes de révision spécialement prévus par le régime du
bail à usage professionnel1407.

En somme, le droit OHADA administre, à travers le régime du bail


professionnel, la preuve d’une efficacité certaine face à la crise sanitaire de la

M. Cabrillac, « Remarques sur la théorie générale des contrats et les créations récentes de la
pratique commerciale », in Mélanges G. Marty, Université des sciences sociales de Toulouse,
1978, p. 275 ; D. Mainguy, « Remarques sur les contrats de situation », in Mélanges M. Cabrillac,
Litec, 1999, p. 165 et s.
1405
V. en dernier lieu, A. R. AKONO, « Réflexions sur la théorie de l’imprévision en droit OHADA
des contrats », REMASJUPE, numéro spécial, Décembre 2019, n° 7, pp. 15-86
1406
CA Versailles, 12e ch., 12 déc. 2019, no 18/07183,
1407
v. M. MEKKI, « Réforme des contrats et des obligations : l’imprévision. Libres propos »,
JCP N 2017, n° 3, act. 155 ; D. HOUTCIEFF, « La révision pour imprévision résiste-t-elle au droit
des contrats spéciaux ? », Gaz. Pal., n°14 - page 36

562
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Covid-19. Il concilie, dans le régime du bail à usage professionnel sécurité


statique et sécurité dynamique1408, pérennité du lien contractuel et adaptabilité
de la relation entre partie. A une force obligatoire rigide s’ajoute un contenu
obligationnel souple1409, rendant particulièrement efficace ce contrat d’affaire.
Conçu pour servir de cadre à l’exercice de l’activité professionnelle, le contrat de
bail doit en effet pouvoir résister aux vicissitudes diverses qui peuvent l’affecter.
Si par principe la stabilité de ce contrat est voulue par le législateur, la récente
pandémie et les mesures gouvernementales pour y faire face ont permis d’
éprouver l’effectivité de cette intention et donnent l’occasion de prédire la
résilience du bail professionnel de l’OHADA face des situations semblables. C’est
évidemment au prix de la flexibilité de ce contrat, grâce aux mécanismes du droit
spécial et du droit commun des contrats, que preneurs et bailleurs ont pu
poursuivre et peuvent poursuivre leur relation contractuelle contre vents et
marées. Fluctuat nec mergitur !

1408
Sur cette distinction, lire R. DEMOGUE, Les notios fondamentales du droit privé, Paris,
Rousseau 1911, spéc., p. 72 et s.
1409
Sur la distinction, v. P. ANCEL, « Force obligatoire et contenu obligationnel du contrat », RTD
civ.,1999, p.771

563
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

LA RESILIENCE DU DROIT OHADA DES

ENTREPRISES EN DIFFICULTE

FACE A LA COVID-19

Anne MBOKE - Docteur/PHD Droit Privé

Assistante à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques

Université de Yaoundé II

____________________

564
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

RESUME

Phénomène récent, la COVID 19 a atteint toutes les sphères continentales. Au-


delà des nombreuses pertes en vies humaines enregistrées dans le monde, la
pandémie de la COVID 19 a occasionné d’autres victimes : les entreprises. En
réalité, à travers l’état d’urgence sanitaire décrété dans certains Etats africains
au cours de l’année 2020 et la seconde vague de pandémie existante en 2021, il
a été observé un dysfonctionnement à l’origine d’impacts économiques
importants sur le traitement possible des difficultés des entreprises viables.
Pourtant, à l’analyse, le droit des entreprises en difficulté apparaît logiquement
comme un début de réponse aux effets néfastes de cette pandémie sur nos
entreprises, voire sur notre système économique. En droit OHADA, l’AUPC révisé
du 10 septembre 2015 met désormais l’accent sur la prévention des difficultés
des entreprises, à travers la conciliation et le règlement préventif, lesquels
pourraient permettre aux entreprises affectées de surmonter certaines
difficultés en germe ou sérieuses et d’éviter que ces dernières n’atteignent le cap
de la cessation des paiements. Toutefois, les mesures sociales et sanitaires
instaurées influent indubitablement sur le sort des entreprises de telle sorte qu’il
est impérieux de s’interroger au-delà des mesures préventives mises en place,
sur l’efficacité du traitement des difficultés des entreprises à l’aune de la COVID
19. A l’évidence, la résilience du droit des entreprises en difficulté ne serait
efficace que s’il est momentanément adapté à la situation et complété par des
mesures de soutien financier et fiscal adoptées par les États.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

La résilience est un « phénomène psychologique qui consiste, pour un individu


affecté par un traumatisme, à prendre acte de l'événement traumatique de
manière à ne pas, ou plus, vivre dans le malheur et à se reconstruire d'une façon
socialement acceptable »1410. De l'anglais « resilience » qui vient du verbe latin
resilio, ire, littéralement « sauter en arrière », d'où « rebondir, résister », la
résilience implique un dynamisme axé sur la capacité à dépasser son état actuel.
À partir des problèmes qui peuvent relever du quotidien ou de chocs graves, elle
permet à un individu de déclencher des mécanismes qui vont l’amener tout
d'abord à résister, puis possiblement à s'adapter, et parfois à connaître une
croissance post-traumatique. Si cette considération d’ensemble touche parfois
la personne humaine face aux chocs physiques ou psychiques à laquelle elle est
confrontée, il convient de reconnaître que la résilience est un mécanisme usité
dans plusieurs autres sciences notamment en économie. Ainsi, sur le plan
économique, la résilience désigne : « la capacité de maintenir la production
proche de son potentiel malgré un choc. Elle comporte ainsi au moins deux
dimensions : le degré d’atténuation des chocs et la vitesse à laquelle les
économies retournent à la normale après un choc »1411. Elle implique ainsi une
idée de rétablissement après la survenance d’un choc liée à une crise parfois
économique.
En droit, par contre, concept peu développé, et en l’absence d’une véritable
définition légale, la résilience adosse son assise sur l’idée de « flexibilisation »
des règles de droit1412 . Au rebours de l’« esprit conservateur du juriste »1413 que
semblait reconnaître avec emphase le Doyen Georges Ripert, se dessine de plus
en plus un droit orienté vers la volonté de contextualiser les normes juridiques à

1410
Petit Larousse, 2015 ; Sur la définition, voire également : Bourdeaux G., « Bâle III et la
résilience du secteur bancaire », RDBF, n°2, mars 2012, dossier 15, pp. 201 et sv.
1411
Duvale R. et Vogel L., « Résilience économique aux chocs : le choix des politiques
structurelles », Revue économique de l’OCDE, 2008, n° 44.
1412
Carbonnier J., Flexible droit : Pour une sociologie du droit sans rigueur, LGDJ, Paris, 2001.
1413
Ripert G., Le déclin du droit : Etudes sur la législation contemporaine, LGDJ, Paris, 1998.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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l’évolution socio-économique. Logiquement, la science du droit évolue en


fonction des contingences multiples, des concepts autrefois rigides ou strictes
se décloisonnent pour s’adapter aux réalités nouvelles : admission des propriétés
temporaires, telles que la fiducie1414; possibilité de créer des droits réels sui
generis contrairement au principe du numerus clausus1415.
Dans le même ordre d’idées, de nouvelles réglementations ont vu le jour, face
à la crise sanitaire de la COVID 19, bouleversant ainsi tous les acquis en la
matière. Il en est ainsi du Cameroun, à travers la déclaration spéciale du Premier
ministre Joseph Dion Ngute du 17 mars 2020 portant stratégie gouvernementale
de riposte face à la pandémie de la Covid-19 ; du Sénégal, où le Président Macky
Sall décrète « l'état d'urgence » sur toute l'étendue du territoire, le 23 mars
2020 ; de la République Démocratique du Congo, où un plan de relance de
l’économie sera présenté par le Ministre Adama Coulibaly, le 30 avril 2020. Ces
législations « d’urgence » adoptées par certains Etats avaient pour finalité de se
prémunir contre les effets néfastes produits par la COVID 19 à l’échelle mondiale.
Si sur le plan sanitaire, de telles mesures1416 étaient salvatrices en ceci qu’elles
assuraient la protection des vies humaines, en revanche, les conséquences
économiques de cette crise sanitaire continuent de faire couler beaucoup
d’encre et de salive.
L’arrêt momentané ou définitif des activités économiques a conduit certaines
entreprises à des difficultés sérieuses, entraînant même au passage leur
fermeture, le licenciement de certains salariés ou leur mise en chômage
technique. Sous ce prisme, on compte les entreprises parmi les « victimes » de
cette crise sanitaire. Sont ainsi considérées comme entreprises en difficulté au

1414
Farhi S., « Les fiducies : nouvelles alliées de la gestion sociétaire », Rencontres multicolores
autour du droit, Mélanges en l’honneur du Professeur Deen DIBRILA, Presses de l’Université
Toulouse I Capitole, p. 113.
1415
Arrêt Caquelard rendu par la Chambre des Requêtes de la Cour de Cassation française du 13
février 1894, confirmé par deux arrêts successifs du 23 mai et 31 octobre 2012.
1416
Fermeture des frontières ; confinement ; interdiction d’exercice de certaines activités,
suspension de la délivrance des visas ou du rassemblement de plus de 50 personnes ;
interdiction des audiences ; fermeture des débits de boisson, restaurants ; interdiction des
manifestations publiques etc.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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sens du droit OHADA1417 : « celles qui sont confrontées à un fait de nature à


compromettre la continuité de leur exploitation ; celles dont le fonctionnement
normal est rendu impossible soit du fait des organes de gestion, de direction ou
d’administration, soit du fait des associés ; celles qui sont en cessation des
paiements ; ou encore celles qui, sans être en cessation des paiements,
connaissent une situation difficile avérée ou sérieuse, sur le plan économique ou
financier. La combinaison de ces critères légaux permet alors de dire qu’une
entreprise est en difficulté lorsqu’elle ne fonctionne plus de manière
harmonieuse, parce qu’une rupture s’est produite, va ou risque de se produire
dans la continuité de son exploitation »1418.
Les conséquences économiques de la propagation de la COVID 19 sont sans
précédent, sous l'effet du choc de l'offre1419 et de la demande1420. La crise
économique est considérée comme inédite à la fois de par sa nature (consécutive
d'une crise sanitaire) et dans son ampleur (eu égard aux nombreux dégâts
enregistrés). Cette première phase apparue en 2020 s’est poursuivie par une
seconde vague de pandémie plus violente, contraignant certains Etats comme le
Tchad et la République Démocratique du Congo, à imposer un confinement de
deux à trois semaines en début d’année 2021.
Face à ce constat, la déferlante des entreprises en souffrance à l’échelle
mondiale ou continentale amène à s’interroger sur la possibilité pour le droit
OHADA des entreprises en difficultés de résister à la bourrasque de la COVID 19.

1417
OHADA : Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires, créée par le
Traité relatif à l’Harmonisation du Droit des Affaires, signé le 17 octobre 1993 à Port-Louis et
entré en vigueur le 18 septembre 1995, modifié et complété le 17 octobre 2008 par la Conférence
des Chefs d’Etat et de Gouvernement au Québec ; Issa Sayegh J., « Réflexions sur les raisons et
la manière d’observer le droit uniforme des affaires : l’exemple de l’OHADA », les horizons du droit
OHADA, Mélanges en l’honneur du Professeur Filiga Michel Sawadogo, CREDIJ, 2018, spéc. p.
461 et sv.
1418
Omgba Elong F-X., L’implication des établissements de crédit dans les difficultés des
entreprises en droit camerounais, Thèse de doctorat en droit, Université de Yaoundé II, 2020, p.
15.
1419
Baisse de la production.
1420
Baisse de la consommation du fait du confinement des individus, de la diminution des
transports et des voyages.

568
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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Certes, des mécanismes à la fois préventifs et curatifs forment l’ossature de la


résistance du droit des entreprises en difficultés aux problèmes d’ordre financier
ou économique que peuvent traverser les entreprises, mais le blocus crée par la
COVID 19 sur les prévisions et les activités économiques, pose la question de
l’efficacité de ces mesures de traitement des entreprises en difficulté.
Ce questionnement mérite d’être posé sur la table, car il faut trouver des
solutions idoines aux « entreprises malades des effets de la corona virus », non
seulement pour prévenir les contagions en chaîne, mais également pour traiter
les cas à risque ou simplement en germe. Logiquement, le droit en plus d’assurer
l ’« harmonie entre les différents intérêts en jeu en tenant compte de la réalité
présente ou des mutations sociales »1421 est également « un instrument de
réalisation de but économique »1422.
C’est pourquoi, la « thérapie juridique » sollicitée autorise à établir les bases
d’une législation efficace1423 susceptible de résorber les difficultés des
entreprises pendant ou postérieurement à la crise sanitaire. Aussi, la prévention
et le traitement des difficultés des entreprises (I) ne seraient efficaces que si le
droit des entreprises en difficulté est momentanément adapté à la situation et
complété par des mesures de soutien financier et fiscal adoptées par les États,
notamment pour le secteur informel (II).

1421
Atias Ch et Linotte D., « Le mythe de l’adaptation du droit au fait », D. 1977, chron. p. 251 et
s ; Du Pontavice E., « La part du droit dans la vie économique », RJ com. 1975, p. 213 ; Oppetit B.,
« Développement économique et développement juridique », Mélanges A. SAYAG, Litec, 1997, p.
71
1422
Gomez J. R., « Analyse critique de l’Avant-projet d’Acte uniforme portant organisation des
sûretés dans les Etats membres de l’OHADA », Penant, septembre-décembre 1997.
1423
Sur la question d’efficacité du droit OHADA, voire : Pougoué P.-G., « Les quatre piliers
cardinaux de la sagesse du droit OHADA », les horizons du droit OHADA, Mélanges en l’honneur
du Professeur Filiga Michel Sawadogo, CREDIJ, 2018, spéc. p. 397 et sv.

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I. La résilience par des mesures préventives adaptées

De manière générale, les mesures préventives1424 servent de socle à la


résilience contemporaine du droit des entreprises en difficulté face à la crise
sanitaire mondiale. En effet, il est d’un usage constat de remarquer que
l’intervention précoce du traitement des difficultés de l’entreprise est un gage de
préservation de l’activité économique. Etant donné que l’objectif de sauvetage
des entreprises est au cœur des préoccupations législatives, le droit OHADA a
mis l’accent sur des procédures préventives adaptées, allant de la prévention par
l’information économique, la conclusion des concordats amiables ou des
mesures financières d’aides aux entreprises en difficultés, à l’accroissement des
mesures préventives de renflouement judiciaires, à travers la médiation, la
conciliation et le règlement préventif. De telles mesures préventives
extrajudiciaire (A) et judiciaire (B) offrent un cadre idoine à la résistance du droit
des entreprises en difficulté aux effets néfastes de la COVID 19 sur l’économie
des Etats membres.

A. La prévention par des solutions extrajudiciaires informatives et financières

La prévention est un « ensemble de mesures et institutions destinées à


informer, empêcher ou limiter la survenance des difficultés en essayant d’en
supprimer les causes et les moyens »1425. Elle permet d’endiguer les risques
d’aggravation des difficultés de l’entreprise, soit de manière précoce, lorsque ces
dernières sont simplement en germe, soit de manière structurée, en

1424
Koumba E.M., Droit de l’OHADA : prévenir les difficultés des entreprises, l’Harmattan, Paris,
2013 ; Sawadogo F. M., «Les procédures de prévention dans l’AUPC révisé : la conciliation et le
règlement préventif », Dr. et patr., décembre 2015, p.32 ; Karfo Sursikya T. S., Paiement des
créanciers, sauvetage de l’entreprise : étude comparative des législations OHADA et française
de sauvegarde judiciaire des entreprises en difficulté, Thèse de doctorat en droit privé,
Université de Toulouse I, 2014.
1425
Oba’a Akono R., « Prévention des difficultés de l’entreprise en droit OHADA : entre
transparence et confidentialité », 2019, Ohadata. D. 19-02.

570
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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prémunissant les entreprises contre la survenance de la cessation des


paiements. À ce titre, le droit OHADA a prévu un ensemble de mesures de
renflouement extrajudiciaires concernant l’exigence d’une image fidèle de
l’entreprise et l’information prévisionnelle du chef d’entreprise afin de l’inciter à
prendre des mesures adéquates pour éviter une dégradation certaine de la
situation financière ou économique de l’entreprise. Logiquement, l’image fidèle
peut être définie comme : « une vision réelle, par une traduction loyale de ce
qu’est l’entreprise. Il s’agit donc d’une juste correspondance des chiffres à la
réalité économique »1426. Cette image fidèle passe notamment par le respect des
principes comptables1427 et des informations complémentaires et nécessaires
pouvant être fournies dans les notes annexes1428.
De même, face à la crise sanitaire, l’information prévisionnelle est capitale pour
prévenir les problèmes économiques auxquels les entreprises peuvent être
confrontées. C’est pourquoi, la complexité de la gestion d’une entreprise exige
que des informations financières et juridiques claires, rapides, fiables et
complètes qui reflètent l’image de l’entreprise soient continuellement soumises
aux dirigeants de l’entreprise en difficulté. Cette information économique repose
sur des mécanismes de détection et d’alerte, qui ont pour finalité de protéger la
continuité de l’exploitation, de faire des prévisions à court, moyen et long terme
sur la situation sociale, financière et économique de l’entreprise.

1426
Sunkam Kamdem A., « L’image fidèle de l’entreprise ou l’approche éthique du droit comptable
OHADA », Considérations éthiques dans le droit des affaires de l’OHADA, Coll. Droit et science
politique, 2020, Douala.
1427
En lisant les dispositions de l’article 10 alinéa 1er de l’Acte uniforme relatif au droit comptable,
il s’agit des principes de régularité (transparence, continuité de l’exploitation, permanence des
méthodes etc) et de sincérité comptables (la loyauté et la bonne foi en ce qui concerne les
obligations comptables dévolues au Chef d’entreprise, notamment une « évaluation correcte des
valeurs comptables et de réaliser une appréciation raisonnable des risques et dépréciation en
donnant la préférence à la traduction de la réalité de l’entreprise dans l’utilisation des espaces de
libre appréciation » : Sunkam Kamdem A., « L’image fidèle de l’entreprise ou l’approche éthique
du droit comptable OHADA », op. cit., pp. 77-78) ; Sur la question, voire également : Mouthieu
Njandeu M. A., « L’inscription du nouvel Acte uniforme relatif au droit comptable et à l’information
financière du 26 janvier 2017 dans la double dynamique d’attractivité et de modernisation », in le
Nemro, Revue trimestrielle de droit économique, avril/juillet 2018, p. 28.
1428
Article 10 alinéa 2 AUC

571
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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S’agissant de la prévention-détection, elle passe par l’information donnée aux


chefs d’entreprise à travers la tenue d’une comptabilité régulière qui facilite le
contrôle de gestion et l’information prévisionnelle. La diversification de ces
sources d’information comptable se fait, selon l’Acte uniforme relatif au droit
comptable et à l’information financière & système comptable OHADA révisé du
15 février 2017, au moyen des obligations comptables, notamment celles liées
aux comptes personnels des entités (personnes physiques et morales), qui
requiert que la comptabilité puisse satisfaire, dans le respect de la convention
de prudence, aux obligations de régularité, de sincérité et de transparence
inhérentes à la tenue, au contrôle, à la présentation et à la communication des
informations qu’elle a traitées. Pareillement, l’organisation comptable doit
répondre aux exigences de régularité et de sécurité pour assurer l’authenticité
de l’écriture, afin que la comptabilité serve de mesure aux droits et obligations
des partenaires de l’entité, d’instrument de preuve, d’information de tiers et de
gestion.
Outre, la tenue de la comptabilité qui renseigne sur les états passés de l’entité
économique, l’information prévisionnelle permet d’effectuer un « effort de
prospective»1429 sur le fonctionnement de l’entreprise. En réalité, elle sert
d’instrument d’anticipation des difficultés futures de l’entreprise et permet aux
dirigeants d’avoir des informations complets et prospectivement utiles à la
prévention idoine de la cessation des paiements. Pour ce faire, cette information
repose sur l’arrêté de compte annuel, le compte de « résultat prévisionnel et le
plan de financement »1430. L’information doit alors porter sur la situation
patrimoniale, la composition du patrimoine, la nature des droits que l’entreprise
possède sur ses biens, leur valeur, les engagements et les sûretés qui les
grèvent, les risques, leur couverture, les dettes et charges etc1431.

1429
Saint-Alary-Houin C., Droit des entreprises en difficulté, LGDJ, Paris, 2016.
1430
Kom J., Droit des entreprises en difficulté OHADA, prévention-traitement-sanction, PUA,
Yaoundé, 2013 ; Pougoué P.-G. et Kalieu Y., L’organisation des procédures collectives
d’apurement du passif, PUA, Yaoundé, 1999.
1431
Ibid.

572
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Mais l’information comptable devrait être complétée par l’alerte qui permet
d’identifier les origines des difficultés économique et financière de l’entreprise.
C’est pour éviter que la situation de l’entreprise ne devienne « irrémédiablement
compromise », que les personnes préoccupées de son sort peuvent alors alerter
les dirigeants sur les faits de nature à compromettre la continuité de
l’exploitation. Dans l’ensemble, l’alerte peut être déclenchée par le commissaire
aux comptes1432 et les associés1433, aussi bien dans les sociétés par actions que
dans les autres sociétés. Elle a alors pour finalité d’avertir les dirigeants à travers
des signaux d’alarme sur les risques sérieux de cessation d’exploitation et de
mise en redressement judiciaire et liquidation des biens de l’entreprise. Elle sert
de fondement à l’instauration d’un dialogue en entreprise aux fins de mettre un
terme précocement à la dégradation possible du fonctionnement normal de
l’entreprise.
En plus de l’information économique par l’alerte, de l’information comptable et
prévisionnelle, les instruments de prévention des difficultés de l’entreprise en
période de crise peuvent émaner des solutions extrajudiciaires négociées,
notamment les demandes de délais de paiement conventionnels, judiciaires ou
encore légales, la réduction des créances et de manière générale, la conclusion
d’un concordat amiable avec les principaux créanciers du débiteur. A l’évidence,
le concordat amiable est un accord consenti entre le débiteur et les créanciers
importants de celui-ci, qui ont admis par des négociations, à un report
d’échéances et à des abandons de créances1434. Ces mesures peuvent être
ajustées par des mesures de gestion de l’entreprise notamment, le remplacement
des dirigeants sociaux et les licenciements pour motif économique, lorsque la
situation de l’entreprise justifie leur caractère « urgent et indispensable »1435.

1432
Article 150 à 156-1 de l’acte uniforme du 30 janvier 2014 relatif au droit des sociétés
commerciales et du groupement d’intérêt économique (AUSCGIE)
1433
Article 157-158-1 AUDSGIE
1434
Cornu G., Vocabulaire juridique, PUF/quadrige, Paris, 2016, v° « Concordat amiable».
1435
Article 110 et 111 AUPCAP

573
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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Par ailleurs, les mesures de renflouement extrajudiciaires reposent sur le


financement des entreprises en difficulté. Il peut intervenir par la mobilisation des
financements internes (souscription à l’augmentation du capital social et par des
avances ou des prêts remboursables) et des fonds privés émanant des
partenaires économiques de l’entreprise. Il en est ainsi des établissements de
crédit, principaux cocontractants de l’entreprise en difficulté, qui doivent alors
l’accompagner à toutes les phases d’existence de sa vie1436. L’on sait qu’en
période de difficulté, les établissements de crédit, à travers leur fonction de
distribution ou d’octroi des crédits, doivent être au chevet des entreprises pour
apporter leur pierre au sauvetage de celles-ci. Néanmoins, même si en l’état
actuel, l’apport des établissements de crédit est faible, il n’en demeure pas moins
que le cadre existant doit être amélioré pour une meilleure participation de ces
dernières à la restructuration de l’entité défaillante. D’emblée, l’instauration
récente du « privilège de new money »1437 devrait être un moyen d’inciter les
établissements de crédit au traitement efficient des difficultés des entreprises.
En réalité, l’instauration du privilège de l’argent frais permet aux partenaires
économiques de l’entreprise débitrice d’octroyer des financements susceptibles
de traiter précocement les difficultés économiques et financières de cette
dernière.
En marge de ces considérations générales, se pose la problématique des aides
d’Etats aux entreprises en difficultés. En effet, l’Etat est un acteur majeur du
traitement des difficultés de l’entreprise. Sa participation peut prendre diverses
formes : les subventions, les prêts à long ou moyen terme à des taux d’intérêts

1436
Omgba Elong F-X., L’implication des établissements de crédit dans les difficultés des
entreprises en droit camerounais, op.cit, p. 5 : « L’entreprise incarnant la cellule de base de
l’économie et de la société, les préoccupations liées au maintien de son activité intéressent la
collectivité dans son ensemble. Le sauvetage d’une entreprise exige la participation de toutes les
personnes concernées par son activité. Les acteurs de la vie économique sont alors interpellés
dans leur unanimité, en particulier les partenaires des entreprises au premier rang desquels
viennent les établissements de crédit ».
1437
Article 5-11, 11-1 et 33-1 AUPCAP ; Sur la question, voire Akono Adam R., Les privilèges dans
les procédures collectives : Réflexions à partir des droits OHADA et français des entreprises en
difficulté, Thèse de doctorat en droit privé, Université de Ngaoundéré, 2016.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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réduits, la recherche des partenariats publics-privés, l’allègement des mesures


fiscales et douanières, voire même l’annulation des dettes fiscales1438. Pendant
la crise sanitaire de la COVID 19, certains Etats, préoccupés par les effets
néfastes de cette pandémie, ont prévu des fonds de garantie1439; des mesures
macroéconomiques pour renflouer les caisses des entreprises ; des mesures
d’allègement fiscales contribuant ainsi à réduire la dette des entreprises1440.
Au Cameroun, ces mesures d’aménagements fiscales, issues pour l’essentiel
de la déclaration du Premier Ministre du 30 avril 2020, de la circulaire du Ministre
des Finances du 13 mai 2020 et de l’Ordonnance n° 2020/001 du 03 juin 2020
modifiant et complétant certaines dispositions de la loi de finances pour
l’exercice 2020, ont consisté en la prise par le gouvernement camerounais des
solutions relatives aux délais fiscaux (suspension et prorogation) et celles
touchant aux impositions fiscales (exonération, déductions et annulation
d’impôts)1441. A titre illustratif, la prorogation de certains délais prend en compte
les délais applicables aux dépôts de déclarations fiscales de certains impôts et
taxes, mais aussi des moratoires pour le paiement de certaines impositions1442.
De même, les exonérations fiscales issues du plan de riposte à la COVID 19,
touchent des aspects comme la taxe de séjour dans le secteur de l’hôtellerie et
de la restauration ; la taxe de stationnement pour les motos-taxis et les taxis ; la

1438
Kom J., Droit des entreprises en difficulté OHADA, prévention-traitement-sanction, op.cit., p.
110.
1439
Les gouvernements ont prévu des plans de soutien à l’économie et à la population : Il s’agit
du Sénégal, près de 1000 milliards de FCFA ; de la Côte d’ivoire, plus de 1750 milliards et du
Gabon, soit 250 milliards pour soutenir l’économie.
1440
Fermose J., « COVID 19 : l’aménagement des mesures fiscales au Cameroun », Revue Lexbase
Afrique-OHADA, 2020, n° 37 ; Mbissane N., « Aides d’Etats et COVID 19 », Bulletin ERSUMA de
pratique professionnelle, numéro spécial : Droit OHADA et COVID 19, 2ème série, n° 032, 2020 ;
Nemedeu R., « Le financement des entreprises et la crise sanitaire liée à la pandémie de la COVID
19 », Bulletin ERSUMA de pratique professionnelle, numéro spécial : Droit OHADA et COVID 19,
2ème série, n° 032, 2020.
1441
Fermose J., « COVID 19 : l’aménagement des mesures fiscales au Cameroun », op.cit., n° 37
1442
Ibid.

575
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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levée de la perception de la TVA, des droits de douanes et assimilées sur les


équipements de soins et consommables1443.
Au plan sous-régional, la participation des Organisations communautaires
comme la CEMAC, par le biais de la BEAC, qui a baissé son taux directeur et de
l’UEMOA, à travers l’injection des liquidités de près de 865 milliards, dans le «
dispositif COVID 19 » de la BCEAO résultant de la Décision n°
086/2020/PCOM/UEMOA portant création, attribution, et fonctionnement du
comité de veille de l’épidémie du coronavirus au sein de la commission de
l’UEMOA, ont contribué efficacement à l’allègement de la fiscalité des entreprises
pendant la crise.
Pour autant ces mesures préventives ne sont véritablement efficaces que
lorsqu’elles sont renforcées par des solutions judiciaires, confidentielles et
négociées.

B. La prévention par des solutions judiciaires, confidentielles et négociées

Outre les mesures extrajudiciaires, le droit OHADA des entreprises en difficulté


offre une palette variée et diversifiée des solutions préventives à caractère
judiciaire. De telles mesures de renflouement ont été récemment étendues dans
l’AUPCAP révisé, tenant compte de la gradation des difficultés de l’entreprise. En
l’état actuel, ces procédures, imprégnées de la nécessité d’anticiper la
survenance de la cessation des paiements, servent de remèdes adéquats
permettant aux entreprises de se prémunir contre d’éventuelles difficultés. Selon
que ces dernières sont simplement en germe ou sérieuses, l’entreprise pourra
avoir recours à la médiation, à la conciliation ou au règlement préventif.
S’agissant de la médiation, l’article 1-2 de l’AUPCAP permet aux entreprises d’y
avoir recours, lorsqu’elles ne sont pas encore en état de cessation des
paiements. La médiation désigne « tout processus, quelle que soit son
appellation, dans lequel les parties demandent à un tiers de les aider à parvenir

1443
Ibid.

576
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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à un règlement amiable d'un litige, d'un rapport conflictuel ou d'un désaccord (ci-
après le « différend ») découlant d'un rapport juridique, contractuel ou autre ou
lié à un tel rapport, impliquant des personnes physiques ou morales, y compris
des entités publiques ou des Etats ». Elle peut être mise en œuvre par les parties
(médiation conventionnelle), sur demande ou invitation d'une juridiction étatique
(médiation judiciaire), d'un tribunal arbitral ou d'une entité publique compétente.
En outre, la médiation peut être ad hoc ou institutionnelle1444. En droit des
procédures collectives OHADA, la médiation est une faculté offerte à toute
entreprise n’étant pas en cessation de paiement, selon les dispositions légales
de l’Etat partie concerné1445. Elle offre alors de larges opportunités aux
entreprises, en fonction de l’ampleur des difficultés, qui permet au médiateur de
résorber les contentieux y relatifs sur la base des techniques les plus
appropriées, au vu des circonstances du différend et des propositions en vue
du règlement de celui-ci1446. Un auteur relève, à juste titre que, « la médiation est
une option envisageable dans le cadre de la prévention des difficultés de
l’entreprise, qui peut être suivie d’un arbitrage et inversement »1447.
Par la procédure de conciliation, le débiteur qui voit poindre les difficultés de
son entreprise à l’horizon peut solliciter la conclusion d’un accord amiable avec
ses principaux créanciers, en vue de mettre fin à celles-ci1448. Les traits de
caractères spécifiques de la conciliation, notamment, la confidentialité, la
rapidité et la simplicité, constituent pour le débiteur diligent, un moyen
d’anticipation en amont de l’aggravation des difficultés de l’entreprise résultant

1444
Article 1er de l’Acte Uniforme relatif à la médiation (AUM).
1445
Article 1-2 de l’AUPCAP
1446
Article 7 de l’AUM
1447
Aziber Didot-Seid A., « Médiation et droit OHADA des procédures collectives », in Rencontres
multicolores autour du droit, Mélanges en l’honneur du Professeur Deen GIBRILA, Presses de
l’université de Toulouse I-capitole, 2021, p. 427.
1448
Kla M. J., « La procédure de conciliation, une solution de choix contre les difficultés de
l’entreprise dues à la COVID-19 », 2020, Ohadata, D-20-29 ; Toe S., « Brèves réflexions pour la
prévention des entreprises dans le contexte de la pandémie du COVID 19 », Bulletin ERSUMA de
pratique professionnelle, numéro spécial : Droit OHADA et COVID 19, 2ème série, n° 032, 2020.

577
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

du coronavirus1449. Il est indéniable que la confidentialité est un atout majeur en


cette période de crise sanitaire permettant d’éviter l’acharnement des créanciers
ou des cocontractants de l’entreprise et d’entraîner consécutivement la faillite de
l’entreprise. Ne dit-on pas souvent à ce propos que : « mieux vaut un mauvais
arrangement qu’un bon procès ». A la suite de cet adage, l’analyse économique
du droit montre également que les négociations offrent indubitablement de
meilleurs résultats que le recours à des règles dénuées de flexibilité. C’est
pourquoi, des solutions confidentielles et négociées comme la conciliation et la
médiation apparaissent comme des gages certains du redressement du sort de
l’entreprise.
Pareillement, le règlement préventif est une procédure préventive destinée à
éviter la cessation des paiements de l’entreprise débitrice et à permettre
l’apurement de son passif au moyen d’un concordat préventif1450. A ce propos, la
CCJA donne droit aux offres de concordat dans les requêtes d’ouverture des
procédures collectives lorsqu’elles s’avèrent sérieuses1451. Dans le contexte
actuel, bien que la rédaction d’un projet de concordat soit subordonnée à la
connaissance par le débiteur de sa situation réelle active et passive, ce qui
semble quelque peu difficile pendant la période de crise sanitaire, il n’en demeure
pas moins que, l’accroissement fulgurant des difficultés financières et la crainte
d’une faillite peuvent justifier qu’un débiteur diligent se place sous la protection
du règlement préventif. Cette protection permet alors que la décision d’ouverture
puisse conduire à la suspension ou à l’interdiction de toutes les poursuites
individuelles tendant à obtenir le paiement des créances nées antérieurement à
ladite décision pour une durée maximale de trois mois prorogeables d’un mois1452.
Cette mesure de suspension des poursuites individuelles concerne aussi bien les
voies d’exécution, les mesures conservatoires ou d’exécution extrajudiciaires,

1449
Tatsadong Tafenpa J. M. (2020), « La COVID-19 et la prévention des difficultés de l’entreprise
dans l’espace OHADA », Le Nemro, Revue trimestrielle de droit économique, 2020, p. 200.
1450
Article 2 de l’AUPCAP.
1451
Arrêt n°014/08, Kabore John Boureima, Siaby François et Kabore aimé c/ Henry Deckers et
Société Belcot Société générale du Burkina Faso, ohadata J-10-120
1452
Article 9 alinéa 1er AUPCAP.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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ainsi que toutes les créances garanties par un privilège mobilier spécial, un gage,
un nantissement, une hypothèque, à l’exception des créances de salaires et
d’aliments.
Logiquement, ces mesures préventives devraient être ajustées par un
traitement efficace des entreprises en cessation des paiements pour permettre
une réelle résilience du droit des entreprises en difficulté aux effets de la COVID
19.

II. La résilience par des mesures curatives perfectibles

Contrairement à une acception commune qui fait du droit des procédures


collectives, un «droit conquérant » ou « dominateur », qui ne lésine sur aucun
moyen pour parvenir au traitement des difficultés de l’entreprise, la survenance
de la COVID 19 donne plutôt un constat pour le moins alarmant d’une dégradation
possible du sort des entreprises en cessation des paiements. A la suite d’un
auteur, on pourrait même considérer que les « procédures collectives sont
malades de coronavirus »1453. En effet, du fait de la crise sanitaire mondiale
causée par la COVID 19, les mesures prises par les Etats se sont traduites au plan
économique par une réduction du chiffre d’affaires des entreprises. Tandis que
certains pays comme la France, conscients du risque énorme que constitue cette
pandémie pour la survie des entreprises, ont pris des ordonnances d’adaptation
du droit des entreprises en difficulté, le droit OHADA est resté en marge de ce
mouvement. Le caractère rigide de la procédure de révision des actes uniformes
crée un flou sur les possibilités de traitement des entreprises en cessation des
paiements (A). Aussi, il demeure impératif de prévoir des moyens d’adaptation
de ces entreprises aux conséquences de la crise sanitaire (B).

1453
Konate M. I., « Les procédures collectives, malades de coronavirus », Bulletin ERSUMA de
pratique professionnelle, numéro spécial : Droit OHADA et COVID 19, 2ème série, n° 032, 2020.

579
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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A. Le clair-obscur du traitement des entreprises en cessation des paiements en

période de COVID 19

En se référant aux dispositions de l’article 10 du Traité de l’OHADA, confirmé


par un avis de la CCJA1454, les actes uniformes sont obligatoires et directement
applicables dans les Etats membres, nonobstant toute disposition contraire de
droit interne, antérieure ou postérieure. A cet effet, la révision des actes
uniformes est empreinte d’un formalisme strictement encadré par le législateur
OHADA1455. En dépit des conséquences de la COVID 19 sur le tissu économique,
cette rigidité autorise alors à penser que le traitement en « demi-teinte » des
entreprises en cessation des paiements résulte de l’inadaptation des dispositions
législatives en vigueur au contexte de la crise sanitaire. C’est pourquoi, la
problématique du traitement curatif des entreprises suscite de nombreuses
interrogations, notamment la célérité des procédures, les risques de
généralisation de la cessation des paiements, l’impact de la COVID 19 sur les
concordats de redressement de l’entreprise, voire même de cession totale ou
partielle d’actifs, la conversion des procédures collectives pour cause
d’aggravation des difficultés de l’entreprise du fait de la COVID 19.
S’agissant de la question des délais, il est possible de constater à la lecture de
l’AUPCAP que le législateur OHADA est tatillonne sur la célérité des procédures
collectives. Incontestablement, le temps règne en maître dans le droit des
entreprises en difficulté. Etant animé d’une volonté de préserver au mieux les
intérêts de l’entreprise débitrice viable et ceux des créanciers lorsque la situation
du débiteur est irrémédiablement compromise, le droit OHADA a strictement
prévu des délais à toutes les phases de la procédure1456. Il en est ainsi des délais

1454
Avis n° 001/2001/EP, www. Ohada. com, jurisprudence, Ohadata J-02-04)
1455
Article 12 du Traité de l’OHADA
1456
Montcho Agbassa E., « Brèves réflexions sur le temps dans l’Acte uniforme portant
procédures collectives », les horizons du droit OHADA, Mélanges en l’honneur du Professeur
Filiga Michel Sawadogo, CREDIJ, 2018, spéc. p. 879 et sv.

580
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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imposés pour la déclaration de l’état de cessation des paiements1457; pour le


dépôt du projet de concordat1458 ; pour le cas du décès du débiteur en état de
cessation des paiements, de radiation du Registre du Commerce et du Crédit
Mobilier et de cessation d’activité1459; pour la durée de la procédure de liquidation
des biens1460 et de la remise des rapports par les organes des procédures
collectives1461 etc.
Toutefois, du fait de la COVID 19, il est devenu difficile de respecter de tels
délais imposés par la loi, notamment dans les Etats ayant eu à déclarer l’état
d’urgence sanitaire et les périodes de confinement dans la seconde vague de
pandémie restreignant ainsi les mouvements des personnes et des biens. En
réalité, la pandémie a eu des effets sur le respect de ceux-ci, car il a été constaté
des perturbations d’audience, des difficultés de déplacement des organes des
procédures collectives, des retards dans l’exécution de certaines obligations
imposées au débiteur ou aux créanciers. Cet état de choses amène au constat
suivant lequel, les délais des procédures collectives sont inadaptés au contexte
de crise sanitaire qui a contribué peu ou prou à des difficultés d’exécution des
dispositions législatives en la matière. Sur la question, deux hypothèses peuvent
être envisagées : d’une part, la prorogation des délais dans les limites légales et
d’autre part, les problèmes relatifs à la prorogation des délais légaux hors des
limites légales.
Sur le premier point, la prorogation des délais dans les limites légales demeure
possible, étant donné que l’AUPCAP prévoit pour certaines procédures et
actions, les hypothèses dans lesquelles, celles-ci peuvent être prorogées. Il en
est ainsi de la durée de la procédure de liquidation des biens qui peut être
prorogée une seule fois pour une période de 06 mois, si par décision motivée, le

1457
30 jours
1458
Il doit être déposé au plus tard dans les 60 jours qui suivent la décision d’ouverture du
redressement judiciaire
1459
Les héritiers, les créanciers, les associés ou le Ministère public dans l’une de ses hypothèses
disposent d’un délai d’un an pour saisir la juridiction compétente.
1460
Article 39 AUPCAP
1461
Article 113 alinéa 2 AUPCAP

581
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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syndic apporte des justifications1462. Pareillement, l’activité de l’entreprise en


liquidation des biens peut être poursuivie pour une durée maximale de 60 jours,
renouvelable une fois, à la demande du syndic et sur autorisation du Ministère
public1463. En redressement judiciaire, la durée de cette procédure peut être
prorogée une seule fois par la juridiction compétence ou à la demande du
débiteur ou du syndic pour une durée de 03 mois avant la conversion de cette
dernière en liquidation des biens1464. Pareillement, dans la procédure de
règlement préventif, le législateur autorise une prorogation des délais pour une
période d’un mois concernant la remise du rapport de l’expert, à titre
exceptionnel, sur autorisation spécialement motivée du président de la juridiction
compétente1465. Logiquement, la survenance de la COVID 19 en cours d’exécution
de ces procédures peut le justifier.
Sur le second point, la problématique de la prorogation des délais hors des
limites légales peut être savamment posée. A ce propos, un regard interrogateur
consiste à savoir si les juges peuvent proroger les délais hors des limites légales.
La réponse à la question est éminemment positive, car il est possible de
considérer que la COVID 19 est une cause de suspension des délais de
procédure, même en l’absence de précisions légales.
Sur un autre plan, la crise sanitaire peut également produire un effet négatif
sur les entreprises en généralisant la cessation des paiements et en modifiant sa
substance. Dans l’ensemble, elle suppose qu’une entreprise ne peut plus faire
face à son actif disponible avec son passif exigible, exclusion faite des réserves
de crédit et des délais de paiement dont bénéficie le débiteur1466. Cette
conception classique de la notion semble pourtant acquérir une connotation
nouvelle dans le présent contexte. Selon un auteur, il est possible de nuancer le
« binôme actif disponible-passif exigible », dans les moments exceptionnels

1462
Article 33 AUPCAP.
1463
Article 113 alinéa 2 AUPCAP
1464
Article 33 AUPCAP
1465
Article 13 AUPCAP
1466
Article 25 AUPCAP

582
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

marqués par le coronavirus, car « l’absence de liquidité de l’actif disponible ne


permet plus au débiteur de faire face, non seulement à son passif exigible, mais
également et surtout aux besoins immédiats de son exploitation courante dans
une économie fortement assise sur le secteur informel (…). Nous sommes en
présence d’un type de cessation des paiements très particulier : une cessation
de paiement qui n’a pas pour origine le non-paiement des échéances échues,
mais une absence de liquidité »1467. Cette nouvelle lecture de la notion de
cessation de paiements émane de l’influence de la COVID 19 sur la
caractérisation des difficultés de l’entreprise, qui sont de plusieurs ordres :
mévente, baisse du chiffre d’affaires, augmentation des coûts
d’approvisionnement, perte de la clientèle, absence des matières premières etc.
Outre la modification de la notion de cessation des paiements qu’elles
entraînent, les mesures prises du fait du coronavirus peuvent produire un effet
de multiplication des hypothèses de cessation d’activité, de fermeture
d’entreprises et conduire ainsi à la conversion des procédures collectives pour
raison d’aggravation des difficultés de l’entreprise. Ce principe de conversion des
procédures en cours est largement admis en droit OHADA, notamment la
conversion du redressement judiciaire en liquidation des biens en absence de
concordat sérieux ou si la cession globale de l’entreprise ne peut être envisagée,
en cours de la période de continuation ou la conversion d’une procédure
simplifiée en procédure de droit commun1468. A l’analyse, la crise de la COVID 19
peut constituer un risque de diversification des cas de conversion en raison des
difficultés de respect des mesures de redressement, des mesures
concordataires et des accords de conciliation par les partenaires (banques,
associés etc). Néanmoins, il est possible de reconnaître que la conversion n’est
pas automatique pour toutes les procédures et ne se crée pas ex nihilo. Le cadre
légal strict dans lequel elle intervient permet de limiter les inconvénients d’une
conversion rapide et injustifiée des procédures auxquelles sont soumises les

1467
Nandjip Moneyang S., « La COVID 19 et la cessation des paiements », Le Nemro, Revue
Trimestrielle de droit économique, 2020, p. 182 (c’est nous qui soulignons).
1468
Articles 33 alinéa 5 ; 112 et 145-7 de l’AUPCAP

583
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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entreprises. Dans le cas d’une conversion du redressement judiciaire en


liquidation des biens1469, le juge peut user de son pouvoir d’appréciation, compte
tenu des circonstances, pour ne pas convertir, hâtivement, une procédure de
redressement en cours en une procédure de liquidation des biens.
Enfin, la survenance de la COVID 19 peut produire un impact sur les
concordats. Le concordat est un « ensemble de mesures financières et
économiques de traitement des difficultés de l’entreprise en vue du sauvetage
et du redressement des entreprises (remises de dettes, délais de paiements,
plans de restructuration etc) »1470. La crise peut donc susciter des difficultés
d’exécution des accords et concordats (non-respect des délais et engagements
par les partenaires). A titre illustratif, les associés peuvent ne plus procéder à
l’augmentation des capitaux prévue ou encore le débiteur peut ne plus respecter
les échéances de paiement du fait de la baisse d’activité. Face à cette situation,
il est possible de modifier les accords et concordats en dépit de leur caractère
obligatoire après homologation du juge1471. Ainsi, à tout moment de l’exécution du
concordat préventif ou du redressement judiciaire, le débiteur, le juge-
commissaire sur rapport du syndic ou les créanciers représentant plus de la
moitié de la valeur totale des créances peuvent demander au Président de la
juridiction compétente, la modification du concordat en vue d’en favoriser ou d’en
abréger l’exécution1472 . Logiquement, la pandémie de la COVID 19 peut être une
justification de la modification de ces accords et concordats.
Pour ce faire, la législation en vigueur mérite d’être adaptée au contexte issu
de la pandémie pour l’arrimer utilement à l’objectif de sauvetage des entreprises.

1469
Article 33 alinéa 5 de l’AUPCAP
1470
Cornu G., Vocabulaire juridique, op.cit., V° « Concordat »
1471
Article 134 alinéa 1er AUPCAP
1472
Articles 21 et 138-1 AUPCAP

584
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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B. La nécessaire adaptation des mesures curatives aux conséquences de la crise

sanitaire liées à la COVID 19

Les difficultés relatives au traitement curatif des entreprises en cessation de


paiements émanent d’un décalage entre la législation en vigueur et les différents
problèmes créés par la COVID 19. Des solutions idoines dans un sens favorable
à leur adaptation peuvent être trouvées. Elles peuvent être regroupées en quatre
axes : la place du juge, l’apport d’autres organes de la procédure, la flexibilisation
des procédures de révision des actes uniformes en période d’urgence et enfin
un traitement plus efficient des entreprises du secteur informel.
Au premier plan, le juge est un acteur majeur de la résolution idoine du
contentieux des procédures collectives. Il peut alors accorder des délais de
grâce au débiteur dans les limites légales ou encore participer au dénouement
efficient des accords et concordats amiables. En outre, se fondant sur la théorie
de l’imprévision1473 et en plaidant la force majeure1474, le juge peut octroyer aux
mandataires judiciaires (expert, syndic) des modalités de suspension des délais
d’exécution, lorsque les circonstances de la cause le justifient amplement.
Bien plus, le juge ne devrait pas enfermer le déroulement de la procédure dans
un formalisme excessif et rigoureux. Pour ce faire, face aux mesures de
distanciation sociale, de fermeture des salles d’audience, de réduction des
personnes susceptibles d’assister aux audiences, de reports d’audiences, il est
offert au juge la possibilité de recourir à des moyens de communications

1473
Même si la théorie de l’imprévision semble être absente dans certaines législations de l’espace
OHADA, il n’en demeure pas moins que son admission en droit comparé français, en l’occurrence,
dans l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 est une source d’inspiration pour sa
consécration de lege feranda ; Sur la question, voire : Mboke A., « Imprévision, stabilisation et
révision des contrats extractifs », in Le droit minier africain : regards croisés, sous la direction du
Professeur Jean-Claude Ngnintedem et Alain Ondoua, Edition Institut Québécois des Affaires
Internationales, 2020, p. 100 et sv.
1474
Dans l’hypothèse où les parties auraient inclues une clause de force majeure dans les
contrats. Toutefois, cette clause ne doit pas être libellée de façon descriptive de peur d’introduire
une instabilité et des interprétations exclusives ou erronées : Abanda Amanya M. et Mboke A.,
« Contrats extractifs et COVID 19 dans l’espace OHADA », Le Nemro, Revue trimestrielle de droit
économique, dossier spécial « Covid 19 et le droit », partie 2, juillet-septembre 2020, p. 86.

585
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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électroniques, en l’occurrence, les audiences par visio-conférence. Il est par


ailleurs souhaitable d’entrevoir des moyens plus flexibles visant à faciliter la
tenue d’audience, à l’instar de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage1475 qui
a su développer des mesures correctrices résiduelles pour suppléer la carence
du législateur OHADA.
Sur un autre plan, d’autres organes de la procédure collective, notamment le
syndic ou les experts peuvent développer certaines techniques favorables à
l’exécution de leurs diverses missions, en utilisant des instruments pratiques
comme les formalités par voie électronique (l’écrit électronique) pour transmettre
leurs rapports dans les délais aux juridictions compétentes, d’autant plus que la
signature électronique qualifiée et appliquée, permet de l’identifier ou encore de
manifester son consentement aux obligations qui découle de l’acte, lorsqu’a été
obtenu une certification électronique approuvée par le Comité technique de
normalisation des procédures électroniques institué au sein de l’OHADA. En
posant le principe de l’équivalence fonctionnelle entre les formalités sur support
papier et celles par voie électronique, le législateur admet désormais la validité
des document et signature électroniques1476. En effet, les documents sous forme
électronique peuvent se substituer aux documents sur supports papiers et sont
reconnus comme équivalents lorsqu’ils sont maintenus selon un procédé
technique fiable et qui garantit à tout moment l’origine du document sous forme
électronique et son intégrité au cours des transmissions et des traitements
électroniques.
Au-delà du rôle indéniable du juge et des autres organes de la procédure, il
faudrait parvenir à une véritable flexibilisation de la procédure de réforme des
actes uniformes. En réalité, la rigidité de l’adoption ou de révision des actes
uniformes OHADA1477 constitue un obstacle majeur à l’évolution constante des

1475
CCJA, décision n° 054/2020/CCJA/PDT du 1er avril 2020 portant adoption de nouvelles
dispositions pour les audiences de la Cour commune de justice et d’arbitrage de l’OHADA,
www.ohada.com, 1er avril 2020
1476
Article 82 et suivants de l’Acte Uniforme du 15 décembre 2010 portant sur le Droit commercial
Général (AUDCG).
1477
Article 7 et suivants du Traité de l’OHADA du 17 octobre 2008

586
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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dispositions en la matière, tenant compte des contingences économiques


contemporaines. Pourtant, il est logique de penser qu’à situation d’urgence
devrait correspondre une législation particulière. C’est la raison pour laquelle, à
la suite d’un auteur1478, il convient de suggérer un allègement des procédures de
révision, de modification, d’ajustement des actes uniformes, soit par des
règlements, soit par des décisions1479. Il faudrait ainsi revêtir « d’habits neufs »,
la législation et le système d’intégration du droit économique de l’OHADA, afin de
l’arrimer utilement aux nouveaux enjeux et de sauver consécutivement nos
entreprises.
Enfin, le traitement efficient des activités du secteur informel gravement
impactées par la COVID 19 est souhaitable. L’informel renvoie à «toutes les
activités économiques spontanées, entreprises en dehors des exigences légales
et échappant aux mécanismes de contrôle et de régulation de l’Etat »1480. L’entrée
du statut de l’entreprenant dans le droit des affaires OHADA a été une perche de
salut pour la prise en compte de ce secteur, occupant près de 70 à 90 % de
l’économie africaine1481. Selon l’article 30 de l’AUDCG, l’entreprenant est donc cet
entrepreneur individuel, personne physique, qui sur simple déclaration d’activité
exerce une activité professionnelle civile, commerciale, artisanale ou agricole (la
vente à la sauvette, le commerce dit de « buyam sellam », l’exploitation de
gargote, le commerce ambulant etc). Ce nouveau statut permet de faciliter le
passage de ces petites structures entrepreneuriales du secteur informel vers le
secteur formel à travers un ensemble de moyens d’accompagnement de ces
dernières (allègement de leur procédure de création, de déclaration d’activité et
des obligations professionnelles).

1478
Sakho A., « COVID 19 et intégration africaine : des difficultés à réglementer dans l’urgence »,
Bulletin ERSUMA de pratique professionnelle, numéro spécial : Droit OHADA et COVID 19, 2ème
série, 2020, n° 032.
1479
Article 4 du Traité de l’OHADA
1480
Bissaloue S., « L’informel et le droit OHADA », in les Horizons du droit OHADA, Mélanges en
l’honneur du Professeur Filiga Michel Sawadogo, CREDIJ, 2018, p. 847.
1481
Pougoue P.-G. et Kuate Tameghe S. S., L’entreprenant OHADA, PUA, Yaoundé, 2013.

587
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

En réalité, les PME/PMI sont au cœur de la problématique des effets de la crise


sanitaire, à telle enseigne qu’il est véritablement souhaitable que les mesures
financières prises par les Etats pour les entreprises à grande échelle les atteigne
pareillement, de manière à soutenir leur survie mise à mal par un contexte
économique en déliquescence. Au Benin, par exemple, le gouvernement a initié
un programme de soutien au secteur productif pour atténuer les effets de la
COVID 19 à travers le « plan de sauvegarde de Tallon ». Celui-ci prévoit un appui
de 4,98 milliards FCFA, destiné aux artisans et acteurs de petits métiers affectés
par la pandémie. Il prend en compte 55.000 personnes de ces catégories
(professionnels de la coiffure, de la couture, de la soudure, de la menuiserie,
petites vendeuses ; qui se sont inscrites sur la plateforme digitale ouverte à cet
effet, ainsi que dans les mairies et centres de promotion sociale). En Côte
d’ivoire, un fonds spécifique d’appui aux entreprises du secteur informel
touchées par la crise a été débloqué pour un montant de 100 milliards de FCFA.
Ces illustrations d’accompagnement des entreprises du secteur informel dans
certains Etats devraient être une source d’inspiration pour permettre une prise
en compte plus adéquate de ces secteurs d’activités, piliers du développement
de nos économies africaines.

CONCLUSION

En définitive, le droit des entreprises en difficulté s’est revêtu d’un « nouveau


manteau » avec l’avènement de la crise sanitaire. En France, le traitement de la
défaillance des entreprises a nécessité une réglementation récente à travers
l’Ordonnance n° 2020-141 du 27 mars 2020 portant adaptation des règles
relatives aux difficultés et des exploitations agricoles à l’urgence sanitaire et
modifiant certaines dispositions de procédure pénale, récemment aménagée par
l’Ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 portant adaptation des règles
relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles aux

588
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

conséquences de l’épidémie de la COVID 19. Ces Ordonnances ont eu le mérite


d’adapter les règles de droit à l’évolution des contingences économiques
mondiales issues de la crise sanitaire.
Pourtant, dans cette mouvance planétaire, le droit OHADA traîne encore le
pas. La rigidité des procédures de révision des actes et l’inadéquation des
situations d’urgence à la philosophie rédactionnelle des actes uniformes
constituent le point d’ogre de la complexité d’une lecture linéaire du droit OHADA
des entreprises en difficulté. C’est la raison pour laquelle, il demeure souhaitable
qu’en marge des mesures préventives qui semblent pour le moins satisfaisantes,
une véritable relecture du droit des entreprises soit faite pour arrimer le sort de
celles qui sont en cessation des paiements, mais dont la situation n’est pas
irrémédiablement compromise, à l’objectif de sauvetage de l’entreprise.
Une telle adaptation de la législation en la matière passe par une
implémentation pratique poussée de la « dématérialisation des actes et
procédures », favorisant ainsi une flexibilité des missions des organes de la
procédure collective, des créanciers et du débiteur en difficulté en usant des
moyens électroniques (écrits électroniques, audience par visioconférences,
formulaires de déclaration de cessation de paiements numérisés).

589
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

La bonne administration de la justice

arbitrale en droit OHADA

MEGOU EBOCK Jocelyne Yvonne1482 - Doctorante à la Faculté des Sciences

Juridiques et Politiques de l’Université de N’Gaoundéré

____________________

1482
megoujocy@gmail.com

590
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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Résumé

La résolution d’un litige passe généralement par la justice étatique


habilitée à faire appliquer les lois, à corriger et réparer les injustices subies.
Rendre justice suppose que certains moyens soient réunis afin de garantir une
bonne administration de la justice. Mais de plus en plus la justice étatique est
concurrencée par une forme de justice ayant pour principaux acteurs les parties :
il s’agit de la justice arbitrale. Cette forme de justice semble être la parfaite
incarnation d’une bonne administration de la justice dans la mesure où elle
renvoie à un emploi équilibré des moyens de justice en conformité avec les
objectifs de célérité de la justice arbitrale. Justice rendue sur la base d’une
convention d’arbitrage, la justice arbitrale s’accommode bien du respect des
exigences d’un procès équitable et garantie la bonne administration de la justice.
S’agissant de la bonne administration de la justice arbitrale OHADA, tout parait
plus simple dans la mesure où le législateur en a fait un mode privilégié de
règlement des différends contractuels et un instrument juridique adapté aux
exigences d’une justice de qualité. Ainsi, la préoccupation majeure de cette étude
est celle de savoir dans quelle mesure la justice arbitrale pourrait être considérée
comme la « pierre philosophale » de la bonne administration de la justice arbitrale
en droit OHADA. C’est à travers l’analyse d’un corpus juridique entièrement
rénové le 23 novembre 2017 que la justice arbitrale est considérée comme la
pierre angulaire de la bonne administration de la justice. Ceci se justifie par la
double assertion selon laquelle on peut lui appliquer les principes généraux de
bonne administration de la justice sans toutefois la dénaturer, et qu’elle demeure
une justice ancrée sur le respect des principes spécifiques à la justice arbitrale
garantissant la bonne administration de la justice arbitrale.

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L’allégorie de la déesse Thémis, tenant entre ses mains les plateaux de la


balance lors d’un jugement, nous enseigne que la justice ne peut être pensée
comme une œuvre de radicalité1483. Elle suppose, de la part de ceux qui la
rendent, un sens de l’équilibre entre les revendications et les principes
contradictoires. Cette nécessité récurrente de concilier des principes
antagoniques se manifeste à travers le rôle que le système juridique reconnaît
au juge. A cet effet, rendre justice nécessite la prise en compte des exigences
d’une justice moderne, équitable et protectrice des intérêts du justiciable1484 qui
se résume en réalité dans le respect des règles de procédure. Considérée
comme le fait de « trancher les litiges par un tiers professionnel choisi
directement ou indirectement par les parties et exerçant les missions
juridictionnelles qui lui ont été confiées dans le cadre d’une convention
d’arbitrage »1485, la justice arbitrale doit nécessairement s’inscrire dans cette
logique tout en conciliant rapidité et transparence, chose qui manque très
souvent à la justice étatique. Dans cette logique, son administration, c’est à dire
la manière dont elle sera gérée doit être organisée1486 de manière efficiente de
manière à garantir le respect des règles d’une bonne administration. De ce fait,
la bonne administration de la justice apparaît comme l’une de ces variables
d’ajustement au cœur de la justice. Mais de quoi s’agit-il exactement ? Pour
répondre à cette interrogation il faut partir du caractère « bon » qui du reste
permet de l’évaluer « positivement, par rapport à sa nature, sa fonction, et dans
une hiérarchie de valeurs sociétales, tant sur le plan esthétique ou intellectuel,
utilitaire, que moral ». Concrètement, la bonne administration renvoi

1483
GUINCHARD (S.), Droit processuel, droit commun et droit comparé du procès, 4e éd Dalloz
2006, p 32 ; MEYNAUD (A.), La bonne administration de la justice et le juge administratif, mémoire
en vue de l’obtention du Master en droit public approfondi ; Université Panthéon-Assas, 2012.
1484
MEYNAUD (A.), La bonne administration de la justice et le juge administratif, op.cit. P. 4
1485
ALLAND (D.) et RIALS (S.), Dictionnaire de la culture juridique « justice arbitrale », Lamy Puf,
2003, p 77
1486
REY (A.) (dir.), Le Grand Robert de la langue française, Tome I, Les Dictionnaires Robert, 2ème
éd., 1985, p. 120.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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subjectivement à ce qui est « digne d’approbation, de confiance, et a les effets


qu’on attend […] approprié au but poursuivi, au résultat à obtenir »1487 par rapport
à cette institution. Objectivement, elle traduit la mise en exergue « des exigences
d’une justice de qualité »1488, c’est à dire de l’ensemble des moyens permettant
d’assurer une bonne justice, même s’il est par ailleurs difficile de limiter la bonne
administration de la justice arbitrale à la seule exigence d’une procédure
équitable. Une justice de qualité est celle dont la solution du litige est fondée sur
la vérité, le droit et l’équité. Il s’agit d’assurer une justice équilibrée, loyale et juste
aux parties1489. Cette exigence trouve son fondement non seulement dans la
déclaration des droits de l’homme, mais et surtout dans la constitution qui en a
fait un objectif à valeur constitutionnelle. Toutefois, loin d’être un concept fuyant,
elle est une notion dont la densité juridique ne fait aucun doute. En réalité, toute
la difficulté vient de ce que la bonne administration de la justice arbitrale ne peut
faire l’objet d’une définition matérielle, tout au moins au regard de l’articulation
entre ces trois termes. Elle ne peut être comprise, en droit positif, que par sa
fonction, dont les manifestations abondantes dessinent les contours d’une unité
conceptuelle1490. A bien des égards, la bonne administration de la justice est un
moyen et non une fin du contentieux judiciaire dans la mesure où il s’agit de mieux
« administrer la justice » pour mieux « juger les litiges »1491 et non l’inverse. Elle
constitue un moyen privilégié de poursuivre les finalités d’équité, de célérité et
de qualité de la justice arbitrale. Il n’est donc pas question d’aborder la bonne
administration de la justice comme un principe potentiel au profit du

1487
REY (A.) (dir.), op.cit, Tome II, p. 59.
1488
GUINCHARD (S.), Droit processuel, droit commun et droit comparé du procès, op.cit. p.33
1489
GUINCHARD (S.) (dir), Droit processuel, droit commun et droit comparé du procès, 2e éd
Dalloz 2003, p 342.
1490
MEYNAUD (A), La bonne administration de la justice et le juge administratif, op.cit., p 7 ;
Lelarge (A.), « L’émergence d’un principe de bonne administration de la justice internationale dans
la jurisprudence antérieure à 1945 », L’Observateur des Nations Unies, vol. 27, 2009, p. 23 et
suiv.
1491
Sous-titre des Mélanges LABETOULLE, Dalloz, 2007, p. 67.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

justiciable1492. On peut considérer que cette impression soit rapidement


écartée1493, en ce sens que les finalités du mécanisme de bonne administration
de la justice ne coïncident pas pleinement avec celles d’une bonne administration
de la justice arbitrale. Si la bonne administration de la justice conduit certes à
envisager la question d’un emploi équilibré des moyens de la justice, elle ne peut
être réduite à ces seules considérations. Elle permet avant tout de donner des
solutions à des problèmes de procédure et de compétence. Dans le cadre de
cette analyse, la bonne administration de la justice arbitrale renvoie à l’ensemble
de moyen et principes permettant de rendre « une justice de qualité ». On
pourrait donc assimiler la justice de qualité à une justice « juste » et efficace.

La genèse tardive de la notion de bonne administration ne permet pas de narrer


une histoire séculaire dans l’espace OHADA, elle s’intègre en revanche à un cadre
idéologique qui a profondément renouvelé la physionomie de la justice arbitrale
OHADA. Parler de justice arbitrale de manière générale et de bonne
administration de la justice à son propos est en soi déjà particulièrement
significatif de l’évolution de cette institution. Elle a été développée pour pallier
les lenteurs chroniques des tribunaux, les indifférences quant à l’exécution des
décisions de justice et la supposée partialité des juges à l’égard des justiciables.
La mise en place de cette justice participe de l’assainissement ainsi que de la
sécurisation de l’environnement juridique et judiciaire dans l’espace OHADA.
C’est du reste la raison pour laquelle le législateur OHADA a mis en place un
système juridique en adéquation avec les principes communs de bonne
administration de la justice pouvant garantir une justice de qualité qui prend en
compte à la fois la complexité de sa mise en œuvre eu égard à la nature
conventionnelle de la justice arbitrale et de la collaboration du juge étatique
quant à l’efficacité des sentences arbitrales. Malheureusement, en dépit de cet

1492
BOUSTA (R), « Essai sur la bonne administration de la justice », L’Harmattan, coll. « Logiques
juridiques », 2010, p. 127
1493
LASSALLE (J), Le principe de bonne administration en droit communautaire, Thèse de Paris,
2008, p. 24.

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intérêt pour le législateur OHADA, aucune étude doctrinale n’a encore été
consacrée à l’étude de la bonne administration de la justice arbitrale en droit
OHADA. Pourtant l’enjeu est si crucial que, le législateur a fait du recours à
l’arbitrage le mode de règlement des litiges contractuels par excellence1494 d’une
part, et un mode juridictionnel garant de la sécurité juridique et judiciaire dans
l’espace OHADA, applicable à toute personne physique ou morale, de droit public
et de droit privé1495 d’autre part. Ce qui par conséquent justifie toute la pertinence
de notre étude qui entend répondre à la question de savoir dans quelle mesure
la justice arbitrale est-elle considérée comme la « pierre philosophale »1496 de la
bonne administration de la justice en droit OHADA ?

La nécessité de promouvoir la justice arbitrale s’est fait ressentir dès le Traité


constitutif de l’OHADA du 17 octobre 19931497. D’ailleurs, tout un titre a été
consacré à l’institution d’un système d’arbitrage fort original à la Cour commune
de justice et d’arbitrage (CCJA)1498. En application du Traité, un Acte uniforme
organisant le droit commun de l’arbitrage a été édicté le 11mars 1999, en même
temps qu’était adopté le Règlement d’arbitrage de la CCJA. Soucieux de son
amélioration, une évaluation rigoureuse des textes et de leur application a permis
d’adopter le 23 novembre 2017, des textes révisés sur l’arbitrage OHADA1499.
C’est donc à travers un corpus juridique entièrement rénové que nous nous
emploierons à démontrer que le justice arbitrale OHADA constitue la pierre
angulaire de la bonne administration de la justice dans la mesure ou on peut lui
appliquer les principes généraux de bonne administration de la justice sans

1494
Art 1 du Traité de l’OHADA.
1495
Voir art 1 et 2 de l’AUA
1496
La justice arbitrale OHADA constitue la « pierre philosophale » de la bonne administration de
la justice dans la mesure où elle est considérée comme terrain privilégié de déploiement des
principes de la bonne administration de la justice garantissant une justice de qualité aux parties.
1497
Traité du 17 octobre 1993 relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique tel que
révisé à Québec le 17 octobre 2008.
1498
Cours Commune de Justice et d’Arbitrage.
1499
Voir : NGNINTEDEM (J.C) et LOWE GNINTEDEM (P.J.), « OHADA : alternativement votre !
Arbitrage et médiation », Chronique de droit OHADA, RDAI/IBLJ, n°5 de 2018, p 511-515.

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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toutefois la dénaturer d’une part (I), et qu’il s’agit d’une justice ancrée sur le
respect des principes spécifiques de la justice arbitrale garantissant la bonne
administration de la justice (II) d’autre part.

I. L’application des principes généraux de bonne administration de la justice

dans la justice arbitrale OHADA

Lorsqu’un litige est tranché par un arbitre, les parties bénéficient également
des garanties offertes par les exigences d’un procès équitable. La nécessité
d’entourer de garantie la justice arbitrale OHADA n’est pas sans fondement
comme le témoigne les AU relatifs au droit de l’arbitrage. A cet effet, le
développement du droit de l’arbitrage a fait apparaitre ces garanties d’ordre
processuel, comme des principes garantissant la bonne administration de la
justice arbitrale. L’analyse de ces dispositions fait apparaitre ces exigences du
procès équitable qui sont pour les unes applicables aux parties (A) et pour les
autres applicables à l’arbitre (B).

A. La conformité de la justice arbitrale aux exigences du procès équitable tenant aux

parties.

Les principes du procès équitable ne sont pas incompatibles avec les


MARC1500. A cet effet, eu égard à sa fonction juridictionnelle, l’arbitre est tenu
de garantir le respecte de ces principes. En matière de justice arbitrale
OHADA, les exigences du procès équitable tenant aux parties se déclinent en
deux axes dont le principe du contradictoire d’une part (1) et le principe
d’égalité devant la justice (2) d’autre part.

1500
Mode Alternatif de Règlement des conflits.

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1. Une justice arbitrale à caractère contradictoire

Le principe du contradictoire1501 apparait universellement comme une


règle de procédure qui concourt à garantir « l’équitabilité » dans un procès. Il est
l’âme du procès et par essence commun à toutes les procédures1502. Il renvoie au
droit de « savoir et de discuter ». Il suppose donc au minimum que les parties
soient entendues ou appelées et qu’elles puissent avoir communication des
éléments du procès afin de pouvoir en débattre utilement. Il s’agit d’une
exigence consubstantielle à l’idée de bonne administration de la justice
applicable à la justice arbitrale. C’est dans ce sens que le législateur OHADA en
a fait un élément incontournable de la justice arbitrale aux articles 14 de l’AUA1503
et 19-5 du RACCJA1504 en posant « l’exigence d’un échange contradictoire des
documents, moyens et explications produits par les parties dans la procédure ».

La bonne administration du principe du contradictoire impose que les


parties soient entendues ou du moins appelées. En d’autres termes qu’elles aient
au moins eu connaissance de l’existence d’une procédure contre elle et qu’elle
soit du moins informée des dates des séances au cours desquelles son litige sera
débattu. Cependant, en matière de justice arbitrale, la présence des parties pas
obligatoire, elles sont néanmoins tenues de faire valoir leurs prétentions et
moyens de fait et de droit, de connaître ceux de leur adversaire et de les
discuter1505 par le biais d’un échange des mémoires, documents et conclusions

1501
PELLERIN. (J.), « Les droits des parties dans l’instance arbitrale », Rév.arb. 1990.395 ;
KESSEDJIAN (C.), « Principe de la contradiction et arbitrage », Rév.arb 1995.381 ; GUINCHARD
(S.), « L’arbitrage et le respect du contradictoire (à propos de quelques décisions rendues en
1996) », Rév.arb. 1997.185.
1502
GUINCHARD. (S.) et allii, Droit processuel-Droit commun et droit comparé du procès
équitable.4e éd., Dalloz, 2006, n°6, p 19.
1503
Cf. art 14 AUA : « Les parties ne peuvent être jugées sans avoir été entendues ou appelées,
et qu’elles se fassent connaitre mutuellement et en temps les preuves et les moyens de faits de
droit qu’elles invoqueront afin que chacune d’elle soit à même d’organiser sa défense »
1504
Voir art 19.5 du RACCJA : « Le tribunal arbitral invite les parties aux audiences dont il règle
le déroulement, celles-ci sont contradictoires ».
1505
Voir à cet égard la loi type de la CNUDCI, article24.3

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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versés au débat. A cet effet la bonne gestion du principe du contradictoire gage


de bonne administration de la justice impose aux arbitres de contraindre les
parties à échanger sur les explications et pièces versées au débat dans les délais
impartis à la procédure arbitrale. Ainsi, les arbitres sont tenus d’écarter les
conclusions et pièces qui sont produites devant eux sans être communiquées à
la partie adverse. Cet échange des mémoires et conclusions peut se faire selon
les modalités prévues par le législateur OHADA ou par la convention d’arbitrage.
Les arbitres sont tenus d’organiser la procédure, de fixer la date d’ouverture et
de clôture des débats selon le temps imparti à la procédure. A cet effet, ils
peuvent sans toutefois violer eux-mêmes ce principe, écarter les mémoires
produits tardivement1506. Il s’agit pour le législateur d’éviter toute production
tardive de pièce de nature à paralyser la procédure arbitrale du fait des délais
courts. Cependant, si l’arbitre dispose du pouvoir discrétionnaire pour fixer les
délais des débats, encore faut-il qu’il laisse suffisamment de temps aux parties
pour produire et contredire1507. La clôture prématurée des débats constitue une
violation au principe du contradictoire et une atteinte aux droits de la défense. A
cet effet, une sentence sera annulée si le tribunal arbitral ne donne pas aux
parties le temps nécessaire pour produire ces conclusions1508. Dans le cadre de
la justice arbitrale, le législateur reconnait au tribunal arbitral avec l’intervention
du juge, ou des parties le pouvoir de proroger les délais de l’arbitrage dans le but
de garantir la bonne administration de la justice arbitrale.
Ayant pour fonction d’assurer la défense des parties, le principe du
contradictoire constitue une exigence de l’ordre public procédural applicable à la
justice arbitrale dont le nom respect peut entrainer l’annulation de la sentence

1506
En France, voir Paris, 23févr. 1996, Rev. arb.2000, p.471.
1507
La CA paris 18 nov.2004, Rev.arb 2006.759 ; obs. DUPREY (P.) « Les délais de communication
des pièces et documents ou mémoires doivent être suffisant pour respecter les droits de la
défense ».
1508
Voir CA Paris 18 nov. 2004, Rev.arb 2006.759, obs. DUPREY (P.), dans cette affaire, les jugent
ont estimés que « les délais de communication des pièces, documents ou mémoires doivent être
suffisants pour respecter les droits de la défense ».

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Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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rendue1509. Le non-respect du contradictoire constitue un motif d’annulation de


la sentence arbitrale1510 intimement lié au principe d’égalité des parties et de la
possibilité pour chacune de faire valoir ses droits. A cet effet, les arbitres doivent
s’assurer d’une part que, dès le début du procès, le défendeur a été informé de
la procédure engagée contre lui. C’est dans ce sens que l’article14 CPC français
dispose : « nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée ».
D’autre part le principe du contradictoire est violé si « l’arbitre omet de prendre
toutes mesures propres à assurer à chaque partie l’égalité à l’accès au tribunal
arbitral, de participer au débat lui-même ou par son représentant, et des
garanties telles que chaque partie soit à même d’en connaitre le déroulement et
de faire valoir ses moyens »1511. De plus une sentence peut être annulée « si une
partie n’a pas été en mesure de s’expliquer contradictoirement sur le litige soumis
au tribunal arbitral »1512. A cet effet, il pèse donc sur les arbitres une obligation de
convoquer à temps les parties à la procédure d’arbitrage engagée contre elles et
de leur permettre de débattre contradictoirement sur les moyens de droit et de
faits en rapport avec le litige.

Le principe du contradictoire tout aussi présent qu’essentiel en matière de


justice arbitrale constitue un gage de bonne administration de la justice arbitrale
OHADA dans la mesure où il garantit le respect des droits de la défense des
parties. Son application en matière d’arbitrage fait apparaitre la nécessité
d’analyser le principe d’égalité auquel il est lié.

1509
Paris 5 avril 1990, Rev.arb. 1992.110 ; Paris, 15 mai 2008, Rev.arb.2010.105 ; CCJA aff. SIR
c/Bona Ship Holding et autres du 19juillet 2007.
1510
Voir art 26 AUA.
1511
CA de Paris, 7 juin 1963, Rev.arb 1963.21
1512
CA de Paris 24 février 1984, Rev.arb 1985.175 ; CA du Centre Cameroun, arrêt n°52/Civ., 6
février 2008, Ohada.com/Ohadata J-10-246

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2. Une justice arbitrale empreinte d’égalité

Le droit de l’arbitrage contribue à assurer l’égalité des parties devant la


justice arbitrale1513. Mais cette égalité suppose d’autres garanties plus
spécifiques que sont le libre accès à la justice arbitrale et le droit à une même
justice comme garantie consubstantielle de la bonne administration de la justice.
S’agissant du premier point qui porte sur libre accès à la justice arbitrale, il
en ressort que, « tous les justiciables sont tenus d’y recourir, et d’obtenir une
solution amiable de leur litige »1514. A cet effet, le législateur OHADA reconnait à
toute personne la liberté de recourir à la justice arbitrale1515. Cette formule est
générale car elle ne distingue pas les personnes morales de droit public des
personnes morales de droit privé. Mais cette liberté reste une liberté encadrée
dans un système permettant aux parties d’assumer les frais de la justice arbitrale.
En effet, le principe du libre accès à la justice a pour corollaire la gratuité de la
justice garantie d’un accès égal à la justice arbitrale. Ce principe fut proclamé
pour la première fois par les lois des 16-24 août 19701516, et à de nombreuses fois
a été affirmé dans plusieurs lois avant d’être accueilli parmi les principes
généraux de l’organisation judiciaire1517applicable à la justice privée. Cependant,
ce principe ne doit pas faire d’illusion car toute justice a un coût et celui-ci est
d’autant plus élevé que la justice est de qualité. L’Etat ne pouvant prendre en
charge les frais relatifs à l’arbitrage, il est normal que les parties assument elles
même les dettes nées de la procédure arbitrale. Le principe du libre accès à la
justice peut être mis à mal par le coût élevé de la justice privée. Pour remédier à
ce handicap, le législateur OHADA a mis en place un texte relatif aux frais

1513
Cf. art 9 AUA « Les parties doivent être traitées sur un pied d’égalité et chaque partie doit
avoir toute possibilité de faire valoir ses droits »
1514
CADIET (L.), NORMAND (J.), Amrani Mekki (S.), Théorie générale du procès, Puf 2010.
1515
Voir art 2 AUA.
1516
Lois des 16-24 aout 1970 « Les juges rendront gratuitement la justice ».
1517
Voir Loi du 3 décembre 1977 ; et art L.III-2 COJ : « La gratuité du service de la justice est
assurée selon les modalités par la loi et les règlements ».

600
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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d’arbitrage1518. Ce texte qui organise les modalités de participation aux frais


d’arbitrage, les frais et honoraires des arbitres et experts ayant participés à la
procédure d’arbitrage établi également un ensemble de règles et principes
permettant d’éviter l’insolvabilité d’une partie. En effet pour éviter de pénaliser la
partie impécunieuse, et entrainer ainsi une rupture du principe d’égalité dans la
justice arbitrale le législateur OHADA à institué un principe de « bonne foi » et de
« solidarité » entre les parties dans le paiement des frais d’administration de
l’arbitrage. Ces principes de bonne foi et de solidarité obligent « les parties à
supporter à parts égales les frais d’arbitrage ou à l’une des parties à verser la
totalité des provisions pour frais si l’autre s’abstient d’y faire face »1519. Toutefois,
la solidarité passive qui affecte la convention ne peut être remise en cause par
la sentence arbitrale, laquelle se contenterait de fixer les règles de contribution
entre les parties à l’arbitrage1520. Ainsi, l’insolvabilité d’une partie ne peut donc
priver celle-ci de faire valoir ses prétentions devant un arbitre1521.
Le principe d’égalité à la justice arbitrale peut également être perturbé dans le
cadre de constitution du tribunal arbitral. Ainsi, une partie peut se voir priver du
droit de participer à la désignation d’un arbitre ou même y participer à de
conditions différentes de celles appliquées l’autre partie. Il en est de même
lorsqu’une partie s’abstient de participer à la constitution du tribunal arbitral. Il
peut également avoir « violation du principe d’égalité lorsqu’un juge d’appui n’a
pas désigné l’arbitre choisi par une partie »1522. Cette difficulté de nature à
paralyser le principe d’égalité a été clairement résolu par le législateur OHADA en
reconnaissant « au juge étatique et à la Cour le pouvoir de constituer le tribunal

1518
Voir décision n°004/99/CCJA du 3 février 1999 relative aux frais d’arbitrage
1519
Cf. art 4 de la décision n°004/99/CCJA du 3 février 1999 relative aux frais d’arbitrage
1520
Paris, pôle1, ch.1, 30juin 2015, D.2015, 2588 obs. CLAY (Th.)
1521
CA Paris, 17 nov. 2011, cah.arb, 2012/1 ; p 200 ; Mourre (P.A) et Pedone (P.); RTD com.
2012.530, obs. E. Loquin « le droit d’accès à la justice implique qu’un plaideur ne puisse être
privé de la faculté de faire trancher ses prétentions par un juge et que les restrictions éventuelles
apportées à ce droit doivent être proportionnées aux nécessités d’une bonne administration de
la justice»
1522
LOQUIN (E.), « La bonne administration de la justice arbitrale », op.cit. p. 81 et suiv.

601
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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arbitral en cas de désaccord entre les parties »1523. La Cour de cassation


française est allée dans le même sens en affirmant que : « le juge saisi de la
demande de désignation est obligé, sous peine de violer le principe de l’égalité
des parties, de désigner l’arbitre proposé par une partie »1524. Dans le cadre d’un
arbitrage comportant plus de deux parties, la mise en œuvre du principe d’égalité
peut paraitre difficile, notamment lorsque les intérêts de celles-ci ne se
rejoignent pas. La difficulté est telle que parfois, pour ne pas désavantager une
des parties, « le choix pourrait être de priver toutes les parties du droit de
désigner l’arbitre »1525. Dans ce cas, « le Centre d’arbitrage ou le juge étatique
peut constituer tout le tribunal arbitral ou contraindre les parties à choisir un
arbitre ».

L’égalité entre les parties se vérifie également pendant l’instance arbitrale. En


effet, compte tenu de la divergence d’intérêt des parties, il peut arriver que
celles-ci ne s’entendent pas sur tous les points de la procédure. A cet effet, des
solutions supplétives à leur accord peuvent être envisagées. Il se pourrait donc
que, « l’arbitre qui règle la difficulté puisse retenir la proposition d’une des parties
; et ceci ne saurait mettre en cause le principe d’égalité entre les parties »1526.
Toutefois, ce principe peut être absorbé par d’autres principes en cours
d’instance à tel point que la réalité de son autonomie1527 soit mise en cause. Il en
est ainsi des principes du droit de la défense, d’indépendance ou d’impartialité

1523
Cf. art 6 AUDA « en l’absence d’accord, sur la désignation du tribunal arbitral, celui-ci est
constitué sur la demande d’une partie par un juge étatique ».
1524
Cass.1re civ. 8juin 1999, Rev. arb.2000, 116, note É.LOQUIN
1525
N. AKA, A. FÉNÉON et J.M. TCHAKOUA, Le nouveau droit de l’arbitrage et de la médiation en
Afrique (Ohada), Commentaires de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage, du Règlement
d’arbitrage de la CCJA et de l’Acte uniforme relatif à la médiation, du 23novembre 2017, LGDJ,
2018, p 75.
1526
AKA (N.), FÉNÉON (A.) et. TCHAKOUA (J.M.), Le nouveau droit de l’arbitrage et de la
médiation en Afrique (Ohada), Commentaires de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage, du
Règlement d’arbitrage de la CCJA et de l’Acte uniforme relatif à la médiation, du 23novembre
2017, Op.cit.,
1527
LOQUIN (E.), « A la recherche du principe d’égalité dans l’arbitrage commercial international »,
préc.

602
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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qui peuvent être de nature à absorber le principe d’égalité entre les parties1528.
Cependant, il existe des espèces ou ce principe est invoqué de manière
autonome1529.
En ce qui concerne le second aspect de l’égalité entre les parties à savoir
le droit à la même justice, il en ressort que toutes les parties se trouvant dans
une situation identique doivent bénéficier des mêmes arbitres et des mêmes
règles. En d’autres termes, les parties doivent être mises sur un « même pied
d’égalité ». Principe fondamental de procédure, le principe d’égalité a été
consacré par d’importants textes1530 et organes1531. Il n’y a donc rien d’étonnant
que le droit OHADA en face un principe fondamental de la justice arbitrale en le
consacrant aux articles 9 de l’AUA1532 et 19-5 RACCJA. Considéré par certains
« comme le principe le plus fécond parmi les droits naturels de procédure »1533,
il constitue en effet un pilier du procès équitable garant de la bonne
administration de la justice. Ce principe interdit tout simplement des ruptures
d’égalité « inéluctables ou « décisionnelles »1534 dans l’application des règles.
C’est dans ce sens que, il ya rupture de l’égalité dès lors qu’une partie « a dû faire
des efforts démesurés et couteux pour rétablir l’équilibre ou que cet équilibre n’a
pas pu être rétabli et que la partie victime n’a pu présenter que de manière
imparfaite ou peu convaincante sa cause devant les arbitres »1535. L’implication

1528
Ibid.,
1529
« Il en est ainsi lorsqu’une partie se plaint d’avoir bénéficié de moins de temps que l’autre
pour soutenir son argumentation ». Voy. Le calendrier de l’arbitrage, RTD com. 2006.305 et De
la bonne gestion de l’instance arbitrale par les arbitres, RTD com. 2007.689 ; CA de paris, 22 janv.
2004, Rev.arb. 2004.647, note LOQUIN (E.).
1530
Voir art 14§2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de l’ONU « le place
juste avant les composantes du droit au procès équitable et proclame un principe procédural
d’égalité devant les tribunaux et cours de justice ».
1531
Le comité des droits de l’homme de l’ONU le déclare comme « un principe d’égalité des
armes ».
1532
Art 9 AUA « les parties doivent être traitées sur un pied d’égalité et chaque partie doit avoir
toute possibilité de faire valoir ses droits ».
1533
HASCHER (D.), Principes et pratiques de procédure dans l’arbitrage international, RCADI
2000, tome 279, p 120.
1534
LOQUIN (E.), « La bonne administration de la justice arbitrale », justice et cassation 2013, p
83.
1535
CA de Paris 12 juin 2003, Rev.arb.2004.894, note D. Bensaube.

603
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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du juge étatique dans la justice arbitrale tel que prévue par le législateur a pour
finalité de suppléer une partie défaillante dans la constitution du tribunal arbitral
et de rétablir tout équilibre rompu pendant la procédure d’arbitrage. Le recours
subsidiaire au juge a dont pour but de garantir la bonne administration de la
justice arbitrale.

Tout compte fait, la justice arbitrale OHADA est une forme de justice empreinte
d’égalité dont le non-respect par les arbitres pourrait entrainer l’annulation1536 de
la sentence rendue d’une part, et présumer la partialité des arbitres d’autre part.

B. Une justice arbitrale en accord avec les exigences du procès équitable tenant à

l’arbitre

La bonne administration de la justice arbitrale impose le respect de certains


principes par l’arbitre. Ces principes annoncés aux articles 7al 3 de l’AUDA1537 et
4-1 RACCJA1538 constituent des garanties incontournables de bonne
administration de la justice arbitrale. Il s’agit de l’impartialité (1) d’une part et de
l’indépendance (2) de l’arbitre d’autre part.

1. L’impartialité de l’arbitre dans la justice arbitrale OHADA.

L’impartialité est une garantie imposée à l’arbitrage par des exigences qui
dépassent le seul cadre juridictionnel dans la mesure où l’arbitre est un tiers par
rapport aux parties. Il s’agit pour l’arbitre de trancher le litige sans prendre parti.
Il est tenu de maintenir la balance de l’égalité entre les parties et rester à la juste
distance qui confère la légitimité à son intervention. L’impartialité est un état

1536
Voir art 26 AUDA.
1537
Art 7 al 3 AUDA : « l’arbitre doit avoir le plein exercice de ses droits civils et demeurer
indépendant et impartial vis-à-vis des parties »
1538
Art 4-1 RACCJA : « tout arbitre nommé ou confirmé par la cour doit être et demeurer
indépendant et impartial vis-à-vis des parties ».

604
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

d’esprit, un état psychologique qui consiste à ne pas avoir de préjugé et à ne pas


manifester d’hostilité à l’égard de l’une des parties. Elle est parfois complétée par
la référence au principe de neutralité. L’impartialité impose l’idée que l’arbitre n’a
pas à imposer sa solution encore moins de tenter d’user d’un rapport de force
psychologique en sa faveur, ni même de guider les parties dans un sens
particulier quant à la solution de leur litige. L’impartialité de l’arbitre a également
pour corollaire l’égalité des armes entre les parties. En d’autres termes, c’est
parce que l’arbitre est impartial qu’il doit et peut veiller à ce que les parties
également traitées. L’arbitre a donc l’obligation de s’assurer qu’une partie n’est
pas désavantagée par la crainte que pourrait lui inspirer l’autre partie et il doit
conduire l’instance arbitrale de manière à prévenir ou à corriger les abus de
puissance d’une partie sur l’autre.

L’exigence d’impartialité de l’arbitre peut conduire un arbitre à refuser la mission


qui lui a été confiée ou à y renoncer s’il suppose en sa personne un motif de
récusation. Ainsi, l’arbitre ne devrait avoir aucun lien quelconque avec les parties
au procès. Il ne peut intervenir dans un même litige en qualité d’expert, ou de
conseil de l’une des parties. Il y aurait la un cumul de fonction contraire à
l’exigence d’impartialité et d’indépendance.

2. L’indépendance de l’arbitre dans la justice arbitrale OHADA.

L’indépendance de l’arbitre est une exigence procédurale en matière


d’arbitrage1539. L’indépendance est une situation objective caractérisée par
l’absence de lien qui postule la liberté1540. A cet effet, nul ne conteste la nécessité
de cette exigence qu’impose clairement le législateur OHADA à l’égard de
l’arbitre. L’impartialité et l’indépendance sont deux notions aux réalités très liées

Art 4-1 RACCJA.


1539

LAGARDE (X.), Droit processuel et modes alternatifs de règlement des litiges, Rev arb 2001,
1540

p 422.

605
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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dont le législateur OHADA n’a pas dissocié dans ces dispositions1541. C’est dans
ce sens que, la CCJA a dans une affaire admis que « le tribunal arbitral n’est
régulier que s’il est composé d’arbitres indépendants et impartiaux et si la
procédure de constitution est exempt de tout vice »1542. L’importance d’une telle
exigence comme composante du droit à un procès équitable dénote du fait que
la Cour de cassation1543 de même que la Cour d’appel de Paris en aient fait un
principe incontournable de l’instance arbitrale1544.
Il importe de préciser que, du début jusqu’à la fin de sa mission, l’arbitre se
doit d’être indépendant vis-à-vis des parties et de leurs conseils. Cependant,
cette garantie d’indépendance peut être mise à mal lorsqu’on pense que l’arbitre,
juge privé, offre généralement moins de garantie d’indépendance compte tenu
de sa proximité ou des relations et intérêts qui le lient aux parties1545. En effet,
l’arbitre étant généralement un professionnel des affaires il pourrait avoir des
liens avec les parties et ainsi établir un courant d’affaires avec celles-ci de nature
à susciter des conflits d’intérêts1546. Ainsi, la désignation fréquente et régulière

1541
Voir N. AKA, A. FÉNÉON et J.M. TCHAKOUA, Le nouveau droit de l’arbitrage et de la médiation
en Afrique (Ohada), Commentaires de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage, du Règlement
d’arbitrage de la CCJA et de l’Acte uniforme relatif à la médiation, du 23novembre 2017, « Si le
Règlement d’arbitrage du 11mars 1999 ne faisait allusion qu’à l’indépendance de l’arbitre, le
présent Règlement met également à la charge de l’arbitre une obligation d’impartialité et
uniformise ainsi le statut juridique de l’arbitre dans l’espace Ohada » ; Il en est ainsi du système
d’arbitrage de la Cour internationale d’arbitrage de la CCI qui n’a intégré expressément l’obligation
d’impartialité que dans la version2012 de son règlement.
1542
CCJA, 2ème ch., 29 juin 2017, n°151/2017.
1543
Cass. 2e civ. 13 avril 1972 : Rev.arb. 1975, 235, note E. Loquin : « l’indépendance d’esprit est
indispensable à l’exercice du pouvoir juridictionnel, quelle que soit sa source et constitue l’une
des qualités essentielles des arbitres »
1544
Paris, 23 févr. 1999, RTD com. 1999. 371, obs. E. Loquin : « l’indépendance d’esprit est de
l’essence de la fonction juridictionnelle de l’arbitre, en ce sens qu’il accède dès sa désignation au
statut de juge, exclusif de tout lien de dépendance, notamment avec les parties ».
1545
Arrêt CA de Paris 29janv. 2004, SA Serf c/Sté DV Construction, D.2004.31.82, note T.CLAY;
Rev. arb.2005, 720, note HENRY( M.), « La cour d’appel de Paris indique que «le caractère
systématique de la désignation d’une personne donnée comme arbitre, dans les clauses
compromissoires conclues par les sociétés d’un même groupe, sa fréquence et sa régularité sur
une longue durée, dans des contrats identiques, ont créé les conditions d’un courant d’affaires
entre cette personne et la société dudit groupe qui est partie à la procédure»
1546
Cass.1re civ. 20oct. 2010, Société Sonoclest Bâtiment c/Sté DV Construction, D.2010.2589,
obs. X.DELPECH; Rev. arb.2011, 671 « Dans l’arrêt Sonoclest, la Cour de cassation française

606
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

d’un arbitre par le Conseil d’une partie peut instaurer un courant d’affaires entre
eux1547 et entrainer des conflits d’intérêts. Dès lors, il est prévu que, si l’existence
d’un courant d’affaire est établie entre une partie et l’arbitre, « l’arbitre est tenu
de révéler l’intégralité de cette situation à l’autre partie à l’effet de la mettre en
mesure d’exercer son droit de révocation »1548.
Cependant, dans le cadre d’un arbitrage à trois, l’exigence de
l’indépendance et de l’impartialité d’un arbitre vis-à-vis de la partie qui l’a
désignée a un contenu particulier dans la mesure où, il existe a priori une
dépendance psychologique entre les parties et l’arbitre choisi. La doctrine est
divisée sur cette question. Certains auteurs pensent « qu’il est illusoire d’espérer
qu’en choisissant unilatéralement un membre du collège arbitral, une partie ne
recherche pas en lui, sinon un avocat exclusivement chargé de soutenir son point
de vue, du moins un arbitre favorablement disposé (ou prédisposé) à son
égard»1549. D’autres soutiennent en revanche « qu’il est impossible d’admettre
qu’un arbitre soit un hybride de juge et d’avocat de la partie qui l’a nommé. Les
mots ont un sens, l’arbitre est un juge [...] et l’indépendance est de l’essence de
la fonction d’arbitre »1550. Cette position a été confirmée par des décisions de
justice admettent que « l’indépendance d’esprit est indispensable à l’exercice du
pouvoir juridictionnel, quel qu’en soit la source, et [...] est l’une des qualités
essentielles des arbitres »1551. C’est sans aucun doute la raison pour laquelle cette
indépendance est assurée par l’obligation de révélation propre à l’arbitrage.1552

décidait: «encourt la cassation, l’arrêt rejetant le recours en annulation contre la sentence alors
que le caractère systématique de la désignation d’une personne donnée par les sociétés d’un
même groupe, sa fréquence et sa régularité sur une longue période, dans des contrats
comparables, ont créé les conditions d’un courant d’affaires entre cette personne et les sociétés
du groupe parties à la procédure».
1547
TPI Bruxelles, 14déc. 2006, CBC Banque, Journ, trib.2007.207, note G.KEUTGEN.
1548
CA Paris, 9sept 2010, Rev. arb.2011, 970.
1549
FOUCHARD (Ph.), GAILLARD (E.), GOLDMAN (B.), Traité sur l’arbitrage commercial, Litec,
1996, p.590
1550
JARROSSON (Ch.), «Procédure arbitrale et indépendance des arbitres», Rev. arb.1988, 748
1551
CA Paris, pôle1, ch.1, 21févr. 2012, nº10/06953, Garoube
1552
Cf. art 7 al 4 « Tout arbitre pressenti informe les parties de toute circonstance de nature à
créer dans leur esprit un doute légitime sur son indépendance et son impartialité et ne peut

607
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

Le législateur OHADA lie intimement l’obligation de révélation à l’indépendance


et à l’impartialité des arbitres. Cette obligation est conçue comme un instrument
permettant de contrôler, dès la constitution du tribunal arbitral l’existence d’un
lien de nature à rompre cette exigence d’impartialité et d’indépendance1553.
L’arbitrage étant une justice, il revient à l’arbitre d’offrir aux plaideurs les
garanties d’une bonne administration de la justice en les rassurant de leur
indépendance et impartialité1554. En pratique, l’arbitre remplit une déclaration
d’acceptation et d’indépendance et fait connaître toutes observations
éventuelles qu’il juge pertinentes. Cette pratique a été confortée par une décision
de la CCJA rendue en assemblée plénière le 15 octobre 20151555. Toutefois, le
législateur OHADA n’a pas prévu de cause explicite de récusation d’un arbitre.
Dès lors, il revient à la jurisprudence de prévoir selon les cas des motifs de
récusation des arbitres. A cet effet, les arbitres sont tenus de révéler tout fait qui
ne sont pas susceptibles de manière objective de porter atteinte à son
indépendance, mais qui dans l’esprit de l’une des parties pourraient paraitre
suspect1556. Le juges française sont allés dans le même sens en affirmant que,

accepter sa mission qu’avec leur accord unanime et écrit » ; art 4.1 RACCJA « Avant sa
nomination ou sa confirmation par la Cour, l’arbitre pressenti révèle par écrit au Secrétaire général
toutes circonstances de nature à soulever des doutes légitimes sur son impartialité ou son
indépendance ».
1553
« Il appartient à l’arbitre avant d’accepter sa mission de révéler toute circonstance de nature
à affecter son indépendance et son impartialité. Il lui est également fait obligation de révéler sans
délais toute circonstance de même nature qui pourrait naitre après l’acceptation de sa mission ».
1554
E. Loquin, « Les garanties de l’arbitrage », LPA 2 octobre 2003, n°197, l’arbitrage, une question
d’actualité, p 13.
1555
CCJA, Ass.plén., nº102/2015 du 15oct. 2015, Léopold Ekwa Ngalle , Hélène Njanjo Ngalle
c/Société Nationale d’hydrocarbures (SNH), Ohadata-16-95 « Elle fait observer «qu’en l’espèce,
la sentence arbitrale du 16février 2010, produite pour soutenir la demande d’annulation pour
violation de l’ordre public international, n’est pas un élément nouveau susceptible de mettre en
cause l’indépendance de l’arbitre ZOCK ATARA, lequel avait dans sa déclaration d’acceptation et
d’indépendance en date du 23octobre 2012 et dans le curriculum vitae qui l’accompagne [...]
clairement indiqué sa qualité de fonctionnaire et de chargé pendant 14 ans du suivi du
contentieux de l’État à l’international ».
1556
. « L’arbitre doit révéler toute circonstance de nature à affecter son jugement et à provoquer
dans l’esprit des parties un doute raisonnable sur ses qualités d’impartialité et d’indépendance
qui sont l’essence même de la fonction arbitrale », CCJA, arrêt nº151/2017 du 29juin 2017 ;

608
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

l’arbitre puisse révéler « toutes les circonstances de natures à affecter dans


l’esprit des parties, l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre1557 », ou « toutes
circonstances de nature à provoquer dans l’esprit des parties un doute
raisonnable sur l’indépendance de l’arbitre »1558, ou encore « pouvant
raisonnablement, aux yeux des parties, avoir une incidence sur son jugement,
son impartialité ou son indépendance envers l’une ou l’autre de celle-ci »1559.

Toutefois, l’arbitre est tenu de révéler que ce qui est caché et non ce qui est de
notoriété publique car le doute crée est un doute psychologique et non juridique
propre à la partie concernée. Nonobstant l’imprécision quant à son contenu,
l’obligation de révélation s’impose à l’arbitre tout au long de la procédure et ce
dernier est tenu de révéler toutes les circonstances de nature à créer le doute
apparu postérieurement à son investiture1560.

II. Un ancrage de la justice arbitrale aux spécificités du droit de l’arbitrage OHADA

L’arbitrage est une justice privée1561 qui sécrète au profit des parties en conflit
des garanties autres que celles d’un procès équitable. A cet effet, malgré son
adéquation avec les principes généraux de bonne administration de la justice, la
justice arbitrale demeure fortement imprégnée des principes propres à l’arbitrage
qui participent à de la bonne administration de la justice arbitrale. Ces garanties

Wanmo Martin c/Nguessi Jean Pierre et autres,


biblio.ohada.org/pmb/opac_css/doc_num.php.explnum_id :2863.
1557
Paris 2juillet 1992, Rev.arb 1996.411 ; 23 mars 1995, Rev.arb. 1996.446
1558
Civ. 1re 16 mars 1999, Rev.arb 199.308 ; 9 sept. 2010, Rev.arb 2011.686
1559
Paris 18 déc. 2008, Rev.arb 2011.682.
1560
Voir ANOUKAHA (F.), « L’obligation d’information de l’arbitre en droit Ohada», in L’Obligation,
Études offertes au Professeur PAUL-GERARD POUGOUE, L ’Harmattan Cameroun, 2016,
Yaoundé, p.97.
1561
Par opposition à la justice étatique, la justice arbitrale est une justice privée dans la mesure
où la source des compétences et du pouvoir du tribunal arbitral émane d’une convention
d’arbitrage signée de commun accord par les parties.

609
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

spécifiques à l’arbitrage tiennent de la nature conventionnelle de la justice


arbitrale (A) d’une part, et sa nature de justice privé garantissant la bonne
administration de la justice arbitrale (B) d’autre part.

A. L’impact de la nature conventionnelle de la justice arbitrale sur la bonne

administration de la justice

La nature conventionnelle de la justice arbitrale marque considérablement


l’instance arbitrale dans la mesure où la source des pouvoirs du tribunal arbitral
n’est autre que la convention d’arbitrage signée de commun accord. A cet effet,
il est de bonne justice que le tribunal arbitral tranche le litige en se conforment à
la mission que les parties lui ont confiées. Cette base conventionnelle permet aux
parties de fixer les règles applicables à la procédure arbitrale d’une part (1) et
elle peut aussi obliger le tribunal à juger en droit ou en amiable compositeur
d’autre part (2).

1. La prééminence de la volonté des parties sur le choix des règles de procédure.

La nature conventionnelle de la justice arbitrale permet sans aucun doute


aux parties de choisir les règles applicables à leur litige et d’assurer la bonne
administration de la justice arbitrale. Cette volonté des parties peut fixer les
règles applicables à la procédure arbitrale et exprimée dans la cadre de la
convention d’arbitrage. A cet effet, la procédure arbitrale est modelée au cas
par cas selon la volonté des parties d’une part ou déterminée par le tribunal
arbitral d’autre part. C’est ce qu’exprime M.R. Perrot en parlant de « vêtement sur
mesure », plutôt que « vêtement de confection » 1562. Tandis que l’art 14 AUA vient
confirmer cette position en énonçant que « les parties peuvent, directement ou
par référence à un règlement d’arbitrage, régler la procédure arbitrale, elles

1562
L’application à l’arbitrage des règles du nouveau code de procédure civil, Rev. Arb. 1980.643

610
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

peuvent aussi soumettre celle-ci à la loi de procédure de leur choix ». En


revanche, dans le cadre de l’arbitrage institutionnel CCJA « les règles de
procédure résultent a priori du RACCJA et a posteriori de la volonté des parties
ou de l’arbitre qui pourra s’inspirer d’une loi interne applicable à l’arbitrage »1563.

La volonté des parties sur le choix des règles de procédure oblige le


tribunal arbitral à les appliquer. Cependant, le manque de professionnalisme des
parties peut conduire à l’adoption des règles aboutissant à une mauvaise solution
du litige. Il est donc impossible d’admettre que les arbitres puissent aveuglement
se plier à la volonté des parties quant à l’organisation de la procédure d’arbitrage
dans la mesure où, la plus anodine infraction aux règles de procédure posées par
les parties peut entrainer l’annulation de la sentence arbitrale. A cet effet, le
tribunal arbitral garde la possibilité de compléter les règles de procédure en cas
d’absence de la volonté parties ou si les règles choisies sont de nature à violer
les principes fondamentaux d’un procès équitable1564. C’est dans ce sens que
certains auteurs pensent que « le pouvoir des parties dans le choix des règles de
procédure peut être limité dans la mesure où l’organisation de la procédure
arbitrale serait de nature à priver les arbitres de toute liberté dont dispose un
juge dans sa fonction »1565. A cet effet, ils sont donc en droit d’abandonner le
strict respect de la convention des parties si son observation est de nature à
constituer une violation du principe du contradictoire1566 garantie d’une bonne
administration de la justice. Ainsi, la bonne administration de la justice arbitrale
ne pouvant se satisfaire de l’application des règle choisies par les parties, le
législateur autorise les arbitres à se référer au règlement d’arbitrage d’une
institution permanente d’arbitrage qui règle non seulement les rapports entre les
parties et le tribunal arbitral, mais également les rapports entre ces premiers
acteurs et le centre. Toujours est-il que, dans l’arbitrage de droit commun,

1563
Voir art 16 RACCJA.
1564
Civ 2e, 15 octobre 1980, Bull.civ II, n°27 ; Rev.arb. 1982.40, note P. Courteau.
1565
JARROSSON, note civ. 1ère, 8 mars 1988, Rev.arb. 1989.481.
1566
Civ 2e, 10 nov.2005 ; 23 juin 2005, RTD com.2005, 612 obs. E. Loquin.

611
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

l’arbitre est tenu de se conformer à la volonté des parties sous peine d’encourir
le reproche « de statuer sans se conformer à la mission qui lui avait été
conférée »1567. Toutefois, l’arbitre peut « régler la procédure arbitrale sans être
tenu de suivre les règles établies par le tribunal »1568. L’idée est de permettre à
l’arbitre d’adapter « sur mesure » la procédure aux éléments du litige par
opposition au schéma de la justice étatique.

Relativement à la procédure devant la CCJA, le législateur consacre le


caractère obligatoire des dispositions du Règlement d’arbitrage de la CCJA sous
réserve de dispositions dérogatoires prises par les parties en accord avec le
tribunal arbitral et autorisées par ledit règlement1569. Ainsi, c’est en cas de silence
du Règlement d’arbitrage, que l’arbitre recourt aux règles de procédure
convenues par les parties et, à défaut de convention des parties, le choix des
règles processuelles incombe au tribunal arbitral. Ces observations rendent
compte des besoins de flexibilité des règles applicables à l’instance arbitrale.

2. La mission de juger en droit ou en amiable compositeur accordée par les parties

Les articles 15 al 1 AUA1570 et 17 al 1 et 2 du RACCJA1571 posent les règles qui


régissent les pouvoirs des arbitres pour trancher le fond du litige. Ces

1567
En ce sens, Civ 1re, 11 janv.1972, préc. V. également civ 2e, 30 mai 1980, Bull civ. II, n°121,
Rev.arb.1981.137, note J. Vlatte.
1568
LOQUIN (E.), « La bonne administration de la justice arbitrale », op.cit. p. 90 et suiv.
1569
Cf. art 16 al 1 RACCJA « Les règles applicables à la procédure devant le tribunal arbitral sont
celles qui résultent du présent Règlement et, dans le silence de ce der- nier, celles que les parties
ou, à défaut, le tribunal arbitral, déterminent en se référant ou non à la loi de procédure applicable
à l’arbitrage ».
1570
Voir art 15 al 1 AUA « Le tribunal arbitral tranche le fond du différend conformément aux règles
de droit choisies par les parties. À défaut de choix par les parties, le tribunal arbitral applique les
règles de droit qu’il estime les plus appropriées en tenant compte, le cas échéant, des usages du
commerce international »
1571
Voir art 17 al 1 et 2 RACCJA « Les parties sont libres de déterminer les règles de droit que le
tribunal arbitral devra appliquer au fond du litige. À défaut de choix des parties, le tribunal arbitral
applique les règles de droit qu’il estime les plus appropriées en l’espèce. Dans tous les cas, le

612
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit

dispositions témoignent du choix du législateur OHADA de ne pas distinguer


entre l’arbitrage interne et l’arbitrage international. Pour ce qui est du choix des
règles applicables au fond du litige, les parties ont la liberté de choisir le droit
applicable à leur litige. Elles peuvent donc valablement opter pour des règles de
fond différentes de celles du droit OHADA. Ce choix peut s’exprimer dans la
convention d’arbitrage ou en début de procédure. Cependant, en cas de silence
des parties sur le choix des règles applicables au fond du litige, il revient au
tribunal arbitral d’appliquer les règles de droit qu’il juge appropriées en tenant
compte, le cas échéant, des usages du commerce international. En effet, le
législateur OHADA considère les usages du commerce international comme
faisant partie des règles de droit dans la mesure où il reconnait ces usages
comme une source du droit d’arbitrage. A cet effet, la CCJA a jugé qu’« en se
référant aux usages du commerce, le tribunal arbitral a statué en droit ainsi qu’il
en avait l’obligation»1572. Ainsi l’arbitre qui a reçu mission des parties de juger en
appliquant le droit est donc tenu de respecter cette prescription qui a un
fondement à la fois légal et contractuelle.
Toutefois, le tribunal arbitral ne peut substituer à la solution du litige fondé
sur les règles de droit choisies une autre solution qu’elle juge plus équitable que
s’il a reçu mission de juger en amiable compositeur et de justifier ce choix par la
recherche de l’équité. En effet, pour le législateur OHADA, « l’arbitre statue en
amiable composition que si les parties lui en ont confiés cette mission dans la
convention d’arbitrage ou postérieurement »1573. Ainsi, tout comme en droit
français1574, le droit de l’arbitrage OHADA distingue clairement l’arbitrage ou le
tribunal a reçu mission de juger en appliquant les règles de droit et l’arbitrage ou
le tribunal a reçu mission de juger en amiable composition c’est-à-dire en équité.
Cependant, bien que le législateur reconnaisse au tribunal arbitral le pouvoir

tribunal arbitral tient compte des stipulations du contrat et des usages du commerce
international »
1572
CCJA, arrêt nº029/2007 du 19juill. 2007, Ohadata J-09-104.
1573
Voir art 17 al 3 RACCJA.
1574
Voir art 1478 et 1512 du Code de procédure civil français.

613
Horizons du droit - Bulletin n°28, 2021
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d’amiable composition, il n’en propose malheureusement aucune définition. Fort


heureusement, dans l’affaire Nestlé Sahel c/Scimas qui a fait l’objet d’un arrêt
rendu le 19 juillet 2007, la CCJA a repris à son compte la belle définition du
Professeur Philippe Fouchard: «Le tribunal arbitral a usé des pouvoirs d’amiable
compositeur que les parties ne lui ont pas conférés, l’amiable composition se
définissant de manière négative comme le pouvoir des arbitres de ne pas s’en
tenir à l’application stricte des règles de droit, ce qui permet aussi bien de les
ignorer que de s’en écarter en tant que leur sentiment de l’équité l’exige.»1575. La
Cour d’Appel de Paris a dans un arrêt rendu le 28novembre 1996, donnée une
définition de l’amiable composition1576qui nous permettra d’avoir plus de précision
quant à ce pouvoir. Le pouvoir de statuer en amiable composition peut être
donnée directement par les parties dans le cadre de la convention d’arbitrage ou
postérieurement lorsque le litige est né. Ce pouvoir est parfois confié de manière
indirecte lorsque le pouvoir de statuer selon l’équité résulte des dispositions
même de la règle de droit choisie par les parties1577. Il ressort que le pouvoir de
statuer comme amiable compositeur doit nécessairement être donné au tribunal
arbitral par les parties qui auront l’assurance de bénéficier d’une solution
conforme à l’équité.

L’équité est la manière institutionnelle de rendre justice en écartant la règle


de droit strict dont l’application au cas concret pourrait conduire à une solution
injuste. En effet, il revient plus que jamais au juge de peser les intérêts en

1575
CCJA, arrêt nº028/2007 du 19juill. 2007, Nestlé Sahel c/Scimas, Penant2009, nº867, p.226,
1re esp. Note B.DIALLO; Ohadata J-09-104.
1576
CA Paris, 28nov. 1996, Rev. arb.1997, p. 381, note É.LOQUIN; CA Paris, 4nov. 1997, Rev.
arb.1998, p.704, obs. Y.DERAINS «La clause d’amiable composition est une renonciation
conventionnelle aux effets et au bénéfice de la règle de droit, les parties perdant la prérogative
d’en exiger la stricte application et les arbitres recevant corrélativement le pouvoir de modifier
ou de modérer les conséquences des stipulations contractuelles dès lors que l’équité ou l’intérêt
commun bien compris des parties l’exige.»
1577
Voir art 15 al 2 AUA et 17 al 3 RACCJA « Il peut également statuer en amiable compositeur
lorsque les parties lui ont conféré ce pouvoir ».

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présence afin de les équilibrer, les égaliser au sens de l’équilibre proportionnel1578.


A cet effet, l’équité a pour finalité d’évincer le droit quand celui-ci déroge à la
justice qui devrait l’habiter1579. Il consiste entre deux interprétations de la loi à
choisir « non pas celle qui est en général la plus exacte, mais celle qui est dans
le cas particulier la plus équitable »1580. L’attribution du pouvoir d’amiable
compositeur se combine parfaitement avec la volonté des parties dans le choix
des règles applicables au fond du litige. Il s’agit d’une obligation qui a pour
fondement la loi et qui vient juste entériner la volonté des parties dans le
règlement de leur litige. En effet, la désignation par les parties d’un arbitre ayant
pour mission de juger comme amiable compositeur vaut mandat pour l’arbitre
d’écarter la règle de droit et de juger en fonction de l’équité ou plus précisément
en tenant compte de la volonté des parties.

Le tribunal arbitral ne pouvant s’attribuer lui-même ce pouvoir, il y’a


usurpation par l’arbitre des pouvoirs d’amiable compositeur dès lors qu’il y’a
méconnaissance volontaire de la loi se matérialisant par la volonté délibérée de
l’arbitre de fonder sa décision sur des motifs autres que ceux tirés de la règle de
droit1581. Cependant dans un arrêt rendu par la CA de Paris en date du 28 février
1980, le juge avait tranché que : « l’arbitre n’usurpe pas les pouvoir d’amiable
compositeur lorsqu’il ne résulte pas de leur motivation qu’il ait entendu
s’affranchir des règles de droit »1582. A contrario, lorsque les arbitres ont reçu
mission de juger en amiable compositeurs, ils ne peuvent y déroger car leur
sentence pourrait être annulée. L’arbitre dans le cadre de cette mission pourrait

1578
CADIET (L.), NORMAND (J.), AMRANI MEKKI (S.), Théorie générale du procès, 1re éd. Thémis-
droit-Puf, févr. 2010, p81-84.
1579
Sur les jugements du juge Magnaud, et l’usage qu’il fit de l’état de nécessité pour relaxer une
fille-mère prévenu de vol d’un pain pour nourrir son enfant, V. D. Salas, v° Magnaud « Le bon
juge » in Dictionnaire de la justice ; Mélanges Jacques Van Compernolle, Bruxelles, Bruylant,
2004, p 573.
1580
CADIET (L.), NORMAND (J.), AMRANI MEKKI (S.), Théorie générale du procès, op.cit. p.1144
et suiv.
1581
LOQUIN (E.), « La bonne administration de la justice arbitrale », op.cit. p. 91 et suiv.
1582
Rev.arb 1980.538, note E. Loquin.

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s’appuyer sur les règles de droit pour trancher en toute équité1583. Le juge français
est venu entériner cette position dans un arrêt en ces termes : « l’amiable
compositeur n’a la faculté de se référer aux règles de droit que s’il les juge
propres à donner au litige la solution la plus juste »1584. Il appartient donc à l’arbitre
dans les motifs de la sentence de donner les motifs d’équité qui justifient
l’application des règles de droit.1585 Tout compte fait, l’arbitre investi de la mission
d’amiable compositeur ne peut y renoncer il est tenu de respecter sa mission
sous peine de voir sa sentence annulée.

B. La prise en compte des impératifs imposés par sa nature de ‘justice privée’1586

L’arbitrage est une justice privée dans laquelle temps et la confidentialité ont une
importance capitale. Les parties recherchent dans la justice arbitrale le moyen
d’obtenir une issue rapide à leur litige (1) d’une part et une issue discrète dans la
résolution de leur litige d’autre part (2).

1. Une justice rapide

La justice arbitrale est classiquement représentée comme une justice rapide


et cette célérité est l’un des avantages de l’arbitrage. Le principe de célérité
rappelle aux parties et aux arbitres que la rapidité de la procédure est de
l’essence de la justice arbitrale1587. Par opposition à la justice étatique, la célérité
est d’une importance capitale au rayonnement de la justice arbitrale. Lors de la
réforme du droit de l’arbitrage, la célérité des procédures arbitrale a occupé une
place très importante. A cet effet, plusieurs dispositions du droit de l’arbitrage

1583
Voir CCJA, 3e ch., arrêt n°196/2018, 25 octobre 2018.
1584
Paris, 15 mars 1984, Rev.arb. 1985.285 ; sur cet arrêt, LOQUIN (E.), « Pouvoirs et devoirs de
l’amiable compositeur », Rev.arb. 1985.199
1585
Civ 2e 15 févr.2001, Rev.arb. 2001.135, note E. LOQUIN.
1586
Cf. supra note 76.
1587
Cf.art 14 al 4 AUDA « les parties agissent avec célérité et loyauté dans la conduite de la
procédure et s’abstiennent de toutes mesures dilatoires ».

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sont faites dans le but d’accélérer la procédure afin de donner une solution
rapide au litige. L’analyse des dispositions de l’AUA et du RACCJA démontrent à
suffisance le désir pour le législateur d’accélérer les procédures arbitrales1588. De
plus, pour garantir la rapidité des procédures, le législateur a également jugé
nécessaire de limiter les possibilités d’exercer des voies de recours contre une
sentence arbitrale rendue1589.

Toutefois, la bonne administration de la justice arbitrale impose que les


parties fixent d’un commun accord les délais de l’arbitrage dans la convention
d’arbitrage. Cependant, en cas d’absence de précision conventionnelle des
délais de l’arbitrage, délai de six mois ayant un caractère supplétif à la volonté
des parties est fixé par la loi ou par l’institution choisie pour le règlement du
litige1590. La fixation des délais court par le législateur dans le cadre de l’arbitrage
CCJA permet d’éviter l’enlisement de la procédure1591.

Par ailleurs, lorsque ni législateur encore moins les parties n’ont prévu aucun
délai de production des actes de procédure, il semble indiqué d’agir le plus tôt
possible sous peine de ne plus pouvoir le faire utilement1592. A cet effet, les
parties ou le tribunal arbitral peuvent obtenir du juge la possibilité de proroger
les délais de l’arbitrage1593 pour des besoins de bonne administration de la justice

1588
Cf. art 13 AUA «En cas d’existence d’une convention d’arbitrage, aucune juridiction étatique
n’est compétente et la décision de la juridiction statuant en dernier ressort sur sa compétence
ne peut excéder un délai de 15 jours ».
1589
Cf. art 25 AUA « la sentence arbitral rendue n’est pas susceptible d’appel, d’opposition ni de
pourvoi en cassation. Elle ne peut faire que l’objet d’un recours en annulation exercé dans le mois
de la signification de la sentence munie d’exéquatur. A cet effet, la juridiction compétente est
tenue de statuer dans les 03 mois de sa saisine. Et en cas de non-respect de ce délai, le recours
peut être porté devant la CCJA dans les 15 jours suivants. Celle-ci doit statuer dans un délai
maximum de 06 mois à compter de sa saisine ».
1590
Cf.art 12 AUA « Si la convention d’arbitrage ne fixe pas de délai, la mission du tribunal arbitral
ne peut excéder six (6) mois à compter du jour où le dernier des arbitres l’a acceptée »
1591
Cf. art 3 RACCJA ; art 6 RACCJA ; Cf.art 7 RACCJA ; Cf. art 15 RACCJA
1592
Cf. art 9: « la partie qui, en connaissance de cause, s’abstient d’invoquer sans délai une
irrégularité et poursuit l’arbitrage est réputée avoir renoncé à s’en prévaloir»
1593
Cf. art 12 al 2 AUA.

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arbitrale. Tenu par une obligation de célérité, le tribunal ne peut abuser de la


faculté qui lui est offerte d’obtenir la prorogation des délais de l’arbitrage. Bien
que le tribunal ne soit pas tenu d’une obligation de résultat qui l’obligerait à rendre
sa sentence dans le délai légal ou conventionnel, il est tenu de rendre sa
sentence dans des délais raisonnable. La justice arbitrale ne s’accommodant pas
toujours des exigences de la justice étatique, le tribunal arbitral se retrouve
souvent confronté à d’énormes difficultés dont la résolution nécessite que la
procédure soit dirigée d’une main ferme pour que la sentence soit rendue dans
les délais. Aussi lorsqu’une partie use de moyen permettant de ralentir la
procédure arbitrale, le tribunal arbitral tenu de l’obligation de moyen impose à
l’arbitre d’œuvrer pour que le procès ne s’éternise pas. Il est tenu au respect des
délais ou de rendre sa sentence dans des délais raisonnable dans la mesure ou
toute sentence rendue en dehors des délais est nulle et surtout si le délai expiré
n’a pas été prorogé1594. Tout comme le manquement à l’obligation de célérité par
les arbitres constitue un motif de révocation des arbitres négligents, elle
constitue une violation du principe de loyauté reconnu à la justice arbitrale
lorsque les parties ont été de mauvaise foi. Il ya mauvaise fois lorsque sans raison
valable une partie néglige de déposer ses écritures dans les délais convenus,
change de conseils au cours de l’instance arbitrale ou multiplie les incidences de
procédure ou les demande d’audience juste dans l’intention de nuire ou de
retarder la solution du litige. On peut cependant conseiller une grande prudence
aux arbitres car l’impératif de célérité ne devrait pas empiéter sur le respect des
exigences d’une procédure équitable. En effet, le respect des principes du
contradictoire et d’égalité nous paraissent prioritaire à l’impératif de célérité. Le
tribunal arbitral doit veiller à leur respect dans tous les cas où un retard dans la
production des pièces ou dans l’inégale répartition du temps nécessaire ne met
pas en péril le respect du délai légal ou convenu par les parties.

1594
CA du centre du Cameroun, arrêt n°52/Civ., 6 févr. 2008, ohadata.com/Ohadata J-10-249.

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2. La discrétion dans la justice arbitrale

La confidentialité est une garantie essentielle des MARC. L’existence du litige,


ses termes précis, les solutions proposées ou adoptées sont couvertes par le
secret1595. Cette garantie est expressément exigée des textes régissant
l’arbitrage à l’instar de l’art 14 RACCJA.1596 Elle pourrait être spécialement
stipulée par la convention des parties d’arbitrage et à défaut de stipulation
expresse, elle devrait s’imposer par l’effet de l’art 14 RACCJA comme une des
suites que l’équité ou l’usage donne à l’obligation d’après sa nature de justice
privée. En effet, dans le cadre de l’arbitrage CCJA, les travaux relatifs au
déroulement de la procédure arbitrale sont soumis à cette confidentialité et
toutes les parties y compris les arbitres leur conseil et les experts sont tenus au
respect de la confidentialité des informations et documents produits au cours de
l’instance arbitrale. Celui qui contrevient au devoir de confidentialité commet à
cet effet une faute susceptible d’engager sa responsabilité et les informations
ainsi rendues publiques devraient être écartées des débats auxquels elles
étaient irrégulièrement versées.

L’obligation de confidentialité tire son fondement de la nature de l’arbitrage


qui est d’organiser une ‘justice privée’ là où la justice étatique postule la publicité
des débats. Dans l’arbitrage même si l’arbitre a collaboré avec un juge dans la
procédure et même dans l’exécution de la sentence rendue, la confidentialité
s’impose. En effet, les parties doivent pouvoir participer librement et en toute
confiance au règlement de leur conflit sans craindre que les informations
communiquées et les propositions faites ou le comportement qu’elles auront ne

1595
JARROSSON (C.), Les modes alternatifs de règlement des conflits : présentation générale
préc., n°34.
1596
Cf. art 14 du RACCJA « la procédure arbitrale est confidentielle. Les travaux de la Cour relatifs
au déroulement de la procédure arbitrale sont soumis à cette confidentialité, ainsi que les
réunions de la Cour pour l’administration de l’arbitrage. Elle couvre les documents soumis à la
Cour ou établis par elle à l’occasion des procédures qu’elle diligente.

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soient diffusées et ne se retournent ultérieurement contre elles. A cet effet, la


confidentialité a une fonction protectrice des secrets d’affaire. Elle a pour but de
favoriser l’échange des informations et la sincérité des discussions. Elle est aussi
une condition de confiance des parties qui investiront un tiers de la tache de
trancher leur litige. L’obligation de confidentialité n’a de sens que si elle s’étend
à l’issu du règlement du litige et spécialement en cas d’exécution forcée de la
sentence arbitral.

En définitive, nonobstant les similitudes établies entre la bonne


administration de la justice arbitrale et celle étatique, la nature conventionnelle
de la justice arbitrale fait ressortir ses spécificités et la hisse au sommet des
modes de règlement des différends contractuels dans l’espace OHADA. Dans sa
mission de rendre justice de manière rapide et discrète, la justice arbitrale
garantie néanmoins aux parties un procès de qualité. Cette garantie d’un procès
juste et équitable découle du cumul d’application des principes directeurs de
bonne administration de la justice avec ceux propres à la justice arbitrale. A cet
effet, il ressort de cet assemblage de principe de bonne administration de la
justice que la justice arbitrale OHADA constitue la « pierre philosophale » de la
bonne administration de la justice. Tout porte à croire que, en tenant compte de
l’expansion du domaine de l’arbitrage et des éloges faites à la justice arbitrale, le
législateur OHADA en a fait un instrument juridique fiable et efficace garantie de
la sécurité juridique et judiciaire dans l’espace OHADA.

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