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CANEVAS DU PROCÈS SIMULÉ DE L'ÉTU-


DIANT EN DROIT
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DU MÊME AUTEUR SOUS PRESSE

Guide méthodologique de la rédaction scientifique de l'étudiant en Droit ».

« La répression de la pedocriminalité en Droit Congolais ».


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Dépôt légal
DY 2.02506-57698
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Henoc MANOKA

Gradué en Droit

Canevas du procès simulé de l'étudiant en Droit

La prise de parole en public (les prérequis d'une bonne prise de parole


en public et les indispensables à une bonne prise de parole en public),
l'argumentation juridique à l'épreuve du procès simulé, canevas du
procès simulé en matière pénale et civile, les modèles de plaidoiries.

Avant-propos de Shadrack BOKEFELE IKOMBA

Substitut du procureur de la République


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L'Étudiant en Droit

Kinshasa, 2024
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ÉPIGRAPHE

« La parole n'a pas été donnée à l'homme, il l'a prise ».

Richard THIBAULT, Osez parler en public, Montréal, édition Multi-


Mondes, P.13.
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DÉDICACE

A l'étudiant en Droit

Pour que la conciliation de la théorie à la praxis prétorienne ne soit point


rébarbative, mais plutôt un réel moment d'émulation scientifique arc-bouté
sur l'entraide scientifique.
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REMERCIEMENTS

C’est sans doute lorsque le voyageur arrive à son terme qu’il apprécie
le plus ces instants qui ont compté lors du périple. Il se rend alors vraiment
compte que le voyage n’aurait pas eu lieu sans aides et sans guides. Il sait
aussi que ce voyage ne constitue qu’une modeste étape. Une parmi d’autres,
une qui conditionne d’autres qui seront sans doute aussi stimulantes et enri-
chissantes. Il sait enfin que s’il est parvenu là, c’est qu’il ne savait pas que
c’était impossible.

Alors qu’il me soit permis de remercier sincèrement celles et ceux qui


m’ont guidé, qui m’ont aidé et soutenu dans ce voyage. Ma plus profonde et
sincère gratitude va tout naturellement à Monsieur le professeur Papy-Fer-
nand KIMUANGA qui fût notre premier professeur dans la sphère métho-
dologique, c'est de lui que nous avons appris certains prérequis de la rédac-
tion scientifique, et au professeur Jules Eminence NZUNDU qui nous initia
à la méthodologie juridique

À papa OLIVIER, administrateur général du budget de l'Université Ré-


vérend Kim et Monsieur le secrétaire général administratif de l'Université
Révérend Kim, Fidel KIPUKA, pour leur soutien indéfectible dans notre cur-
sus académique, qu'ils trouvent entre ses lignes, l'expression de notre recon-
naissance.

À mes vieux : Shadrack BOKEFELE pour la semence plantée et les


soins portés continuellement à la plante de la recherche scientifique, Billy
MUTSITA, Samy TSHIKAPA, Emmanuel TSHISEKEDI, Jules
MELENGO, Gafnon MATUMONA, Cédric MPETSHI, et Dieudonné
MAMPUYA qui ont d'une manière ou d'une autre participer à notre forma-
tion.
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À Giresse Emery NGEMI KASAKA et Arsène KATOLO d'avoir


éveillé en nous l'envie de la rédaction scientifique en Droit, qu'ils trouvent
entre ces lignes, l'expression de notre profonde reconnaissance.

J’exprime ma grande reconnaissance à l'Alliance des clubs juridiques,


spécifiquement au président national Omari DJUMA, au secrétaire national
Héritier KAMBOYA et a tous les membres de cette Alma mater.

Je souhaite également témoigner toute ma gratitude envers mes proches


je cite Audrey MUNDELE, Eddy KABANGA, Merveille BUKASA, Fils
KABUYA et Exaucé MUTEBA, pour avoir partagé avec moi les moments
de joie et de doute, pour leur soutien moral et logistique, leurs encourage-
ments constants et leurs corrections. Les amitiés, les remarques, les encou-
ragements et les conseils, les aides et les offres d’aides contribuent à la cons-
truction de la personne, de ses pensées et donc de ses recherches.

Une reconnaissance particulière à Michée MANKUBU, pour l'amitié et


le soutien indéfectible dans la rédaction de la présente étude.

Ce travail n’aurait jamais pu être réalisé sans l’appui infaillible et


l’amour de Maria MBU KANYOKA, merci pour ton infinie patience, ta con-
fiance et pour faire partie de ma vie. Ton soutien m’a sans doute épargné la
crise des nerfs.

Je ne pourrais enfin clore ce propos, sans exprimer une reconnaissance


particulière à mes parents, Auguy MANOKA et Clémence MASENGU MA-
NOKA, que je ne remercierai jamais assez, pour le rôle indispensable qu’ils
jouent dans ma vie en général, et mon cursus académique en particulier.

L'auteur
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AVANT PROPOS

Longtemps, je me suis imaginé le bonheur de rédiger cet avant-propos.


J’en roulais par avance des phrases entières, pour me donner du cœur à l’ou-
vrage. Maintenant que j’y suis rendu, je comprends que la tâche n’est pas
moins ardue que le cœur de l’ouvrage. Comment justifier la rédaction d’un
livre sur la simulation d'un procès ? Encore un essai ! Et si épais ! Justifier ?
On peut toujours rêver présenter peut-être.

Aussi vrai qu'un bon croquis vaut mieux qu'un long discours, un procès
simulé fera sans doute naître plus de carrières juridiques que des longues
explications sur papier glacé. Il y a, somme toute, peu de différences entre
procès simulé et une cause réelle, hormis une plus grande légèreté dans les
propos.

Dans le cadre de cet essai, même s'il n'a rien de nouveau, le procès si-
mulé à un objectif bouillantissime. Rappelons que le Droit est une matière
en mouvement, loin des préjugés sans sa prétendue austérité. D'où, le procès
simulé demeure indiscutablement un atout professionnalisant pour l'étudiant
en Droit. De plus, la simulation d'un procès se languit être une occasion ri-
chissime pour les étudiants de tous les niveaux de devenir acteurs et pas seu-
lement spectateurs de leurs études de Droit ; l'étudiant, grâce à cet exercice,
se dépassera de ses idées limitantes, mais aussi et surtout avoir un aperçu de
sa future pratique professionnelle.

De ce fait, cet essai permettra à l'étudiant en Droit de réaliser excellem-


ment une simulation de procès tout en se référant aux quatre étapes impor-
tantissimes que voici : (1) se fixer les limites dans l'exercice du simulacre du
procès, (2) procéder aux choix des volontaires et d'en répartir les rôles, (3)
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tout en établissant à claire vue le contexte et (4) faire un retour ou récapitu-


lation à l'issue de chaque exercice de cette nature.

En effet, la présente recherche au-delà de fournir au lecteur les diffé-


rents prérequis à une bonne prise de parole en public et à l'organisation de
procès simulés, est une exhortation faite aux différents structures et clubs
juridiques ayant pour objet principal l'organisation des procès simulés, de
bien vouloir parer à ces maux qui risquent de participer à la formation de
pseudo juriste dépourvu de toute rationalité dans l'inférence, en procédant
par le respect des règles qui gouvernent l'organisation d'un procès réel afin
de rapprocher l'étudiant à la réalité du prétoire.

Le présent essai intitulé « Canevas du procès simulé de l'étudiant en


Droit » est un abrégé résumant l'essentiel de la pratique prétorienne à l'atten-
tion de l'étudiant en Droit, en vue de lui permettre de concilier la théorie à la
pratique. Œuvre d’un étudiant exemplaire et soucieux de rendre plus fluide
l’apprentissage de la praxis prétorienne, ce travail réunit, en un seul volume,
les grandes lignes des fondamentaux d'un procès réel en République démo-
cratique du Congo.

L'humilité scientifique voudrait d'emblée que nous alertions les lecteurs


du caractère peu parfait du présent travail, justifiant ainsi le concept « essai
» qui le colle. Dans l'optique d'améliorer cette œuvre d'esprit, nous en appe-
lons à la massive et absolue participation de tous les étudiants lecteurs du
présent canevas à la bonification et remblayage de celui-ci, en nous faisant
parvenir des observations, des approfondissements et tous autres développe-
ments utiles à cette fin.
Shadrack BOKEFELE IKOMBA
Substitut du procureur de la République
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PRÉSENTATION ET OBSERVATIONS

MÉTHODOLOGIQUES

1. Présentation du travail

Au seuil de toute étude, il est essentiel, précise le professeur Charles de


VISSCHER, d'en cerner aussi nettement que possible l'objet, de dégager ce
qui en fait la spécificité1. De ce fait, il est ressenti ici la nécessité de précisé
l'objet et le summum de la présente étude afin de permettre au lecteur d'en
élucider la quintessence.

La mission fondamentale de l'Université et des établissements d'ensei-


gnement supérieur est d'élaborer et transmettre les connaissances, de plus
haut niveau et au meilleur rythme de progrès, à ceux qui en ont la vocation
et la capacité afin de répondre aux besoins de la société dans tous les do-
maines et participer ainsi à son développement social et économique 2. C'est
donc une mission de libération des hommes de la pire de servitude qui permet
toutes les autres servitudes : l'ignorance3. L'enseignement ne se limite donc
pas à la transmission des connaissances, il est surtout une transmission d'une
certaine culture ayant son propre système de valeurs et la formation du ca-
ractère. C'est là l'importance de la socialisation de l'Université4.

« L'Université est la somme des sommités » disait Bonaventure Olivier


KALONGO MBIKAYI.

1
C. DE VISSCHER, Les effectivités du Droit international public, Paris, éd. A. Pedore, 1967,
p.13.
2
J. CHEVALLIER, l'enseignement supérieur, 1° édition, Paris, PUF, 1971, p. 31.
3
P. DUPONT et M. OSSANDON, la pédagogie Universitaire, Paris, PUF, 1994, p. 3.
4
I. HILL, l'Université d'Oxford, Paris, L'Harmattan, 2003, p. 11.
20

En effet, le Droit loin d'être une simple théorie, il est une pratique. La-
quelle pratique pour être exercée, nécessite une mise en exergue de certains
prérequis, répondant ainsi aux us et coutumes du palais mieux aux habitudes
du palais. Il en résulte que l'apprentissage du Droit est en califourchon entre
la théorie et la pratique, un bon juriste est celui qui maîtrise la théorie et la
pratique dit-on.

Pour faire acclimater l'étudiant en Droit a ce prisme, les institutions


Universitaires ayant une Faculté de Droit, organisent souvent des procès si-
mulés, question de préparer les étudiants à la profession qui est la leurs, gé-
néralement celle d'être magistrat ou avocat. L'engouement que suscite ces
derniers temps l'organisation de ces joutes oratoires judiciaires estudiantines
est sans précédent, mais cela laisse cependant un goût d'inachevé, en ce que
la pratique qui en est faite et l'idée qui préside à son organisation entre en
contradiction.

D'aucuns n'ignorent, que l'organisation de ces joutes oratoires judi-


ciaires estudiantines vise à permettre à l'étudiant en Droit de concilier la théo-
rie à la praxis prétorienne, c'est-à-dire permettre à l'étudiant de pratiquer les
professions juridiques (avocat, magistrat, greffier, huissier, juge, avoué… )
sans en avoir qualité mais dans le strict respect des règles qui régentent l'or-
ganisation des procès réels, cela implique le respect scrupuleux des normes
d'un procès.

Mais il est curieux de constater que cet exercice loin de remplir sa mis-
sion intrinsèque, celle de permettre à l'étudiant en Droit de concilier la théo-
rie à la praxis prétorienne, s'est transformé dorénavant à un théâtre, où l'ob-
jectif serait d'épater le public par un discours ponctué d'aporie et en prolifé-
ration des longs mots dépourvu de toute pertinence.
21

D'ailleurs Andy MALOBA MPIANA auteur des notes de cours de l'étu-


diant en Droit, s'était inscrit dans cette occurrence dans son projet de société
lors de son élection au poste de directeur technique adjoint à la cassation toge
noire de la prestigieuse Faculté de Droit de l'Université de Kinshasa, en prô-
nant la dethéâtralisation des procès simulés, laquelle dethéâtralisation devait
passer par l'éradication de la pratique dite de dilatoire et l'exhortation de l'étu-
diant en Droit a s'acclimater avec la recherche scientifique.

En sus, la présente recherche au-delà de fournir au lecteur les différents


prérequis a une bonne prise de parole en public et à l'organisation de procès
simulés, est une exhortation faite aux différentes structures, et clubs juri-
diques ayant pour objet principal l'organisation des procès simulés, de bien
vouloir paré a ce maux qui risque de participer à la formation de pseudo
juriste dépourvu de toute rationalité dans le raisonnement, en procédant par
le respect des règles qui régentent l'organisation d'un procès réel afin de rap-
procher l'étudiant à la réalité du prétoire.

Le présent travail intitulé « Canevas du procès simulé de l'étudiant en


Droit » est un abrégé résumant l'essentiel de la praxis prétorienne a l'attention
de l'étudiant en Droit, en vue de lui permettre de concilier la théorie à la
pratique. Contrairement aux us et coutumes des différentes facultés de Droit
des Universités de la République Démocratique du Congo qui parle de pro-
cès fictif en lieu et place de procès simulé, le présent livre recours à l'appel-
lation procès simulé par la simple raison que le fictif renvoi à quelque chose
d'irréelle et d'imaginaire, alors que l'idée qui préside à l'organisation des
joutes oratoires judiciaires entre étudiants en Droit est celle de leurs per-
mettre de bien concilier la théorie à la pratique, d'où le recours à l'épithète
fictif est abusif, il s'agit plutôt d'une simulation mieux d'une imitation de la
réalité prétorienne.
22

Il ne pas ici question de concevoir une théorie générale de procès si-


mulé, l'idée qui préside à la rédaction du présent livre, est celle de mettre à
la disposition des étudiants un outil pouvant leurs permettre de mieux cerner
l'exercice prétorien simulé et les prémunir avant d'affronter le monde juri-
dique professionnel. Généralement les développements des matières conte-
nues dans le présent livre ne sont, sauf rares exceptions, dotées d'aucune sin-
gularité. Ce ne sont que des résumés de certaines matières conçues par la
doctrine et qui s'avèrent être consubstantielles à la tenue d'un procès.

2. Observations méthodologiques

La méthode5 de recherche utilisée dans ce travail est essentiellement


exégétique et la technique essentiellement documentaire qui consiste dans la
consultation de la documentation écrite en rapport avec le sujet, c'est-à-dire
les lois, les ouvrages, livres, traités, cours, articles… Elle nous a permis
d'analyser les différentes doctrines, pensées et analyses pouvant ensoleiller

5
J.M. MBOKO DJ'ANDIMA, Abrégé de Droit administratif, Kinshasa, MédiasPaul, 2022, p. 31
; D. KALUBA DIBWA, La justice constitutionnelle en République Démocratique du Congo,
Kinshasa, édition Eucalyptus, p. 83 ; L.C CAMPENHOUDT, R. QUI Y, Manuel de recherche
en sciences sociales, Kinshasa, 4éme édition, DUNOD, p. 61 ; S. SHOMBA KINYAMBA,
Méthodologie de la recherche scientifique. Parcours et les moyens d’y parvenir, Kinshasa,
Éditions MES, 2005, p. 19 ; P. HURT, Les hypothèses juridiques : une étude du raisonnement
judiciaire, Thèse pour le doctorat en Droit, Université Panthéon Sorbonne (Paris I), 2007, p.50
; P.G. NGONDANKOY NKOY-ea-LOONGYA, Introduction générale au Droit, Partie II :
Droit Public, Notes polycopiées, UNIKIN, 2018-2019, p. 11 ; B. OMEONGA TONGOMO,
Droit administratif général, Notes polycopiées, URKIM, 2016-2017, p. 14 ; A. KAMUKUNY
MUKINAY, Droit constitutionnel Congolais, Notes polycopiées, UNIKIN, 2011-2012, p.9 ;
N. Bernard, I. HACHEZ, et alii, Méthodologie juridique, Notes polycopiées, Université Saint-
Louis Bruxelles, 2014-2015, p. 3 ; E. MWANZO Idin'AMINYE, Méthodologie juridique. Ins-
trument de recherche. Réaction scientifique. Dissertation scientifique, Notes polycopiées,
UNIKIN, 2015, p. 52 ; R. PINTO et M. GRAWITZ, Méthodes des sciences sociales, Paris, 4e
édition, Dalloz, 1971, p. 289 ; M. A. COHENDET, Droit Public. Méthodes de travail, 3e édi-
tion, Paris, Montchrestien, 1998, p. 13 ; Y. CHEROT, Livre blanc sur la recherche juridique,
Paris, LGDJ, 1996, p. 6 ; M. GRAWITZ, Méthodes des sciences sociales, 10e édition, Paris,
Dalloz, 1996, p. 319, n° 267 ; C. PERELMAN, Logique juridique. Nouvelle rhétorique, 2e
édition, Paris, Dalloz, 1999, pp. 51-96 ; L. DUGUIT, Traité de droit constitutionnel, tome I,
3e édition, 5 volumes, 1923- 1927, p. 177.
23

le bitume de notre recherche par une lecture quotidienne d'ouvrages, publi-


cations académiques et autres publications officielles ayant trait à la présente
recherche.

En effet, compte tenu de la très forte proximité du droit congolais au


droit français, de la ressemblance des règles des deux ordres juridiques, de
l'état de développement de celui-ci par rapport à celui-là, le recours à la doc-
trine française est principalement utilisé.

Nous tenons d'emblée à signaler le caractère très incomplet du travail


(et nous profitons pour nous en excuser). Incomplet d'abord, parce qu'un tra-
vail scientifique en droit ne peut jamais être complet. Mais incomplet surtout,
parce que certaines notions consubstantielles à la tenue d'un procès simulé
n'ont pas été abordées, soit qu'elles n'ont même pas été mentionnées, soit
qu'elles ont été mentionnées, mais avec certaines omissions. Plusieurs fac-
teurs certes injustifiés peuvent expliquer cet état des choses :

Soit le manque d'informations suffisantes pour traiter de la question,


soit le manque de temps, soit encore de motivation (admettons-le, ce n'est
pas toujours amusant !). Néanmoins, au cours des prochaines éditions et déjà
dès la suivante, ces incorrections seront corrigées. Le travail est incomplet
également, parce que la recherche n'a pas été davantage approfondie. Elle ne
s'est limitée qu'à quelques ouvrages principaux sur les matières traitées. Elle
n'a pas exploité des articles, des travaux de fin de cycle, des mémoires ou
des thèses.

Poursuivons notre propre reproche, par la nécessité d'avouer, quelques


parts, notre malhonnêteté scientifique. En effet, certains ouvrages cités en
infrapaginales ne sont pas référenciés. Cette inconduite méthodologique est
24

liée au fait que, nous étions encore à nos tous premiers jours dans la re-
cherche scientifique, et après avoir un petit peu grandi et compris la bourde,
il était pragmatiquement très compliqué de rattraper tout le retard. Il y a lieu
d'admettre ensuite la multitude de fautes de grammaire, de syntaxe et d'or-
thographe contenues dans le travail, qui, en droit, peuvent être déterminantes
dans la compréhension correcte ou erronée d'une matière.

Nous nous en excusons sincèrement. Afin de ne pas tomber dans l'er-


reur, le lecteur est prié, a la moindre escarmouche d'un doute, à se référer à
la doctrine éminente en la matière. Ainsi, pour toutes ces raisons, ajoutées au
niveau scientifique de l'auteur un gradué en droit, il est vivement déconseillé
de citer ce travail dans une œuvre de recherche, ou de s'y référer exclusive-
ment pour préparer ses prestations. Il n'est pas du tout approprié à cet effet.
Il est plus souhaitable de se référer directement à la doctrine citée en infra-
paginale, et (pour préparer ses prestations), aux publications des doctrinaires
au regard de la matière traitée. Pour toutes ces raisons, également, la présente
édition n'est qu'une édition d'essai. Une édition d'essai, qui ne deviendra une
première édition qu'après avoir intégré les différentes corrections qui nous
seront parvenues de nos camarades étudiants.

Après cette constatation lugubre, nous appelons tous les étudiants lec-
teurs à participer au travail, en nous faisant parvenir des corrections, des ap-
profondissements et tous autres développements utiles à l'amélioration du
travail.
25

PRINCIPAUX SIGLES, ABREVIATIONS, ET

ACRONYMES

Al. : Alinéa

Alii. : Autres

Art. : Articles

C.A. : Cour d’appel

C.C. : Cour constitutionnelle

C.E.D.H. : Cour européenne des droits de l’homme

C.S.J. : Cour suprême de justice

Cfr : Confère

Coq. : Coquilhatville

Cost. : Costermansville

Décis. : Décision

Dir. : Sous la direction de

E.U.A. : Editions Universitaires Africaines

Ed. : Edition

Élis. : Elisabethville

Eq. : Equateur

ex. : Exemple

H.C.M. : Haute cour militaire


26

Ibidem. : Même auteur, même endroit

Idem. : Même auteur

Ie Inst. : Première instance

Jadot. : Jadotville

Kin. : Kinshasa

Kis. : Kisangani

L.G.D.J. : La Grande Librairie du Droit et de la Jurisprudence

L’shi. : Lubumbashi

Léo. : Léopoldville

loc. cit. : Article précité

N° : Numéro

O.N.U. : Organisation des Nations Unies

Op. cit. : Ouvrage cité

Ord : Ordonnance

P. : Page

P.F.D.U.C. : Publications des Facultés de Droit des Universités du Congo

P.U.A.M. : Presses Universitaires d’Aix-Marseille

P.U.C. : Presses Universitaires du Congo

P.U.F. : Presses Universitaires Françaises

P.U.L. : Presses Universitaires de Lubumbashi


27

Pp : Pages

Pp. : Parquet

R. Const. : Rôle constitutionnel

R.A. : Rôle administratif

R.C. : Rôle civil

R.C.A. : Rôle civil en appel

R.F.D.C. : Revue Française de Droit constitutionne

RDC : République Démocratique du Congo.

UNIKIN : Université de Kinshasa.

ULK : Université Libre de Kinshasa.

UPC : Université Protestante au Congo.

URKIM : Université Révérend Kim.


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29

PLAN SOMMAIRE

1. La prise de parole en public


2. Les indispensables à une bonne prise de parole en public
3. L'argumentation juridique l'épreuve du procès simulé
4. Le procès
5. Le procès simulé en matière pénale
6. Le canevas de déroulement du procès simulé en matière pénale
7. Le procès simulé en matière civile
8. Les expressions latines les plus usitées lors d'un procès simulé
9. Quelques exemples des dilatoires précédant une comparution dans un
procès simulé
10.La plaidoirie
11.Le réquisitoire du ministère public
12.Les modèles de plaidoirie
30

PARTIE 1

LA PRISE DE PAROLE EN PUBLIC


31

1. La parole
« La parole est action ou n’est rien. Parler, ce n’est pas jongler avec
des idées, ni polir des sentences, roucouler, faire des effets de manche, poser
pour le profil. Parler, c’est convertir. Au moins convaincre ; ou raffermir
des convictions chancelantes », disait Jacques Charpentier.

La parole est une expression verbale de la pensée mais aussi un mot ou


une expression d’un texte. Le terme expression peut se définir comme l’ac-
tion de rendre manifeste par toutes les possibilités du langage, plus particu-
lièrement par celles du langage parlé ou écrit, ce que l’on est, pense ou res-
sent.

D’apparence très proche, le domaine de la parole apparaît toutefois plus


large que celui de l’expression, notamment au regard de la liberté6.

La parole renvoie vers l’usage du langage et de la communication, alors


que l’expression détermine plus la forme d’extériorisation d’une pensée que
sa fonction.

L'usage de la parole est nécessairement lié à la question de l'efficacité.


Qu'il vise une multitude indistincte, un groupe défini ou un auditeur privilé-
gié, le discours cherche toujours à avoir un impact sur son public. Il s'efforce
souvent de le faire adhérer à une thèse : il a alors une visée argumentative.
Mais il peut aussi, plus modestement, chercher à infléchir des façons de voir
et de sentir : il possède dans ce cas une dimension argumentative7.

6
E. CERDAN, la parole libre de l'avocat (1789-1830), Thèse de doctorat en Droit, Université de
Bordeaux, 2016, p. 9.
7
R. AMOSSY, L'argumentation dans le discours, Paris, Armand Colin, 2016, p. 1.
32

« Verba volant, scripta manent », dit un proverbe latin pour nous rap-
peler que les écrits restent, tandis que les mots s’envolent. Et pourtant, lequel
d’entre nous oserait dire aujourd’hui que certains mots qui lui ont été adres-
sés, certains discours dont il a été le témoin, certaines répliques dont il a été
l’auteur ou la victime, ne l’ont pas marqué, parfois durablement, voire à vie
?8

Loin de s’envoler, un mot, comme un discours entendu ou prononcé,


peut nous transporter, nous transformer, nous porter, nous instruire, nous éle-
ver, nous nourrir, nous faire grandir, nous délecter ou… au contraire, nous
consterner, nous affliger, nous blesser, nous rabaisser, nous meurtrir, nous
trahir, nous rétrécir ou nous laisser de marbre. Nous sommes tous ces êtres
de paroles avides de mots et désireux de mieux communiquer. Et nous
sommes nombreux, très nombreux, à vouloir maîtriser ce pouvoir du verbe,
cette capacité à se faire comprendre et à se faire entendre… bref, ce talent
d’émouvoir et de persuader qu’on appelle l’éloquence.

L'étudiant en Droit dans sa vie estudiantine est souvent et toujours con-


fronté à la prise de parole en public. Cette prise de parole en public loin d'être
une corvée mérite d'être comprise afin de s'en servir comme une arme, la
parole est une arme dit-on ! Dans un monde où la parole est rétrogradée au
second plan par rapport à l'écrit, ceux qui savent mieux usé de cette arme
sont perçus d'ores et déjà comme des êtres dotés des pouvoirs surnaturels.

Pour s'en convaincre, Bertrand Périer argué9, « longtemps, je n’ai pas


pris la parole. Longtemps, je me suis méfié de l’oralité. Je la trouvais vaine,
voire suspecte. On se méfie des beaux parleurs, des « grandes gueules », de

8
A. BLANCKAERT, Votre parole vaut de l'or, Paris, Plon, 2022, p. 8.
9
B. PÉRIER, la parole est un sport de combat, Paris, édition JC Lattès, p. 3.
33

ceux qui bavardent à tort et à travers, souvent pour ne rien dire. Mais j’ai
compris par l’expérience, dans les épreuves orales que j’ai passées au cours
de mes études, devant les juridictions puis par la suite en enseignant l’art
oratoire, à quel point la parole, si elle est utilisée à bon escient, est une arme
exceptionnelle, une force redoutable qu’il ne faut jamais sous-estimer ».

On a perdu l’art de la parole, en République Démocratique du Congo.


On en a perdu le secret. On ne sait plus parler, nos orateurs politiques sont
parmi les plus médiocres du monde, on ne sait plus enseigner l’oral, de la
maternelle à la terminale ; la plupart des professeurs le reconnaissent avec
humilité. Parler en public est devenu une peur et une souffrance nationales.
Comme on ignore l’art de parler, on ne sait plus écouter.

Dans toute vie en société, bien parler, c’est-à-dire s’exprimer de façon


claire et convaincante, est essentiel. Savoir choisir les mots justes, les bons
mots, ceux qui émeuvent, ceux qui persuadent, ceux qui marquent, c’est
avoir une longueur d’avance10.

Aujourd’hui plus que jamais, nous en avons besoin. Certaines idées


pourraient contribuer à résoudre les problèmes majeurs de notre époque,
mais elles restent souvent au second plan parce que les hommes de génie qui
les conçoivent les gardent pour eux, par manque de confiance peut-être, mais
aussi parfois parce qu’ils ne connaissent aucun moyen de les partager effica-
cement, la parole. Pour moi, c’est une véritable tragédie. À l’heure où l’idée
salvatrice, présentée de la bonne façon, pourrait ricocher dans le monde en-
tier à la vitesse de la lumière et se démultiplier dans des millions de têtes
pensantes, nous avons tous intérêt à réfléchir à la manière de la répandre,

10
B. PÉRIER, op. cit, p. 3.
34

vous, l’orateur en coulisse, autant que nous autres, spectateurs encore igno-
rants de ce que vous allez nous révéler.

Ce livre est ainsi le fruit d’une expérience personnelle issue de mes dif-
férentes prestations dans le cadre des procès simulés. Mes plus grands suc-
cès, je les ai vécus en parlant et ma plus grande humiliation aussi. Parler fait
partie de mes moments le plus émouvant, ainsi ma vie est parole, je vis pour
la parole.
35

TITRE 1

LES PRÉREQUIS D'UNE BONNE PRISE DE


PAROLE EN PUBLIC
Les développements résultants de ce titre sont en grande partie issus de
l'ouvrage la parole est un sport de combat de Bertrand Périer, nous
convions le lecteur a s'y référé pour un approfondissement de la matière.
36

SOUS TITRE 1

LA PHOBIE DE PARLER EN PUBLIC

La parole fait peur, peut-être précisément parce qu’elle a tant de pou-


voir. « L’exercice de parler est un exercice de pouvoir, très vite, très tôt »,
écrit la philosophe Anne Dufourmantelle dans Éloge du risque. Prendre la
parole, le verbe « prendre » n’est pas anodin, c’est oser dire « je », prendre
son destin en main, être adulte, si l’on se souvient que l’enfant étymologi-
quement (du latin infans, du préfixe privatif latin in et du verbe grec fari «
parler ») est « celui qui ne parle pas »11.

La volonté de parler de l’être humain se manifeste pourtant dès la nais-


sance, par le premier cri qui est comme un premier appel, un premier témoi-
gnage de l’être. Puis le langage se construit pour donner corps à l’appel, à la
voix, au désir, au besoin de s’exprimer qui nous est commun.

Nous voulons tous parler. Mais comment faire entendre sa voix ? De


plus en plus, l’enfant s’exprime et sa parole est écoutée, depuis la prise en
compte, dès la moitié du XXe siècle, de ses droits et grâce aux travaux de
psychanalystes éminents telle Françoise Dolto en France qui ont mis en va-
leur l’identité propre de l’enfant. De plus en plus, la parole se libère à la
faveur d’Internet et des réseaux sociaux… pour le meilleur et pour le pire.

Le meilleur : le partage d’informations, la diffusion beaucoup plus large


du savoir, l’engagement collectif. Le pire : la désinformation galopante, l’«
intox », la capacité à assassiner d’un clic, le déchaînement de la violence, le
communautarisme, la faillite de l’esprit critique et du discernement… Trop

11
A. BLANCKAERT, op. cit, p. 6.
37

souvent, l’émotion prend le pas sur l’intelligence, quand la réaction immé-


diate ne coupe pas court au débat étayé. Comme le cheval, la parole doit
apprendre à marcher au pas, avant de galoper12.

Nous souffrons aujourd’hui de trop de mots jetés à l’emporte-pièce et


sommes en manque de silences, d’arguments pesés, de mots choisis, de
nuances. Car l’éloquence est faite autant de silences assumés que de mots,
sonores, certes, mais pensés, pesés, triés sur le volet. C’est la condition d’une
parole qui porte, la condition de l’écoute et du dialogue, sans quoi triomphent
le bruit et la fureur.

Dans ce brouhaha général, savoir trouver les mots pour nommer les
choses et le monde est d’une valeur inestimable. La parole consciente et
choisie, cet art de parler qui se travaille et se cultive nous aide à décrire, à
nous souvenir, à analyser, à penser, à comprendre, à nous projeter, à formuler
nos idées et, surtout, à interagir, sans quoi l’on n’existe pas au sens étymo-
logique du terme : du latin ex + sistere : « sortir de soi ». Car, ne nous y
trompons pas. C’est pour aller à la rencontre de l’autre que l’on parle. C’est
pour obtenir une réponse, une approbation, une action, un sentiment, une
reconnaissance, une contestation parfois aussi, que l’on parle.

C’est un fait : nous sommes tous censés parler… mais bien souvent
nous ne savons pas, nous ne pouvons pas. Les mots nous résistent, comme
une langue étrangère. Nous cherchons nos mots et non les mots, quelle drôle
d’expression quand on y réfléchit ! Comme si chacun devait trouver sa
langue, faire sien des mots universels. C’est dire combien la parole exige une
quête, une appropriation, un apprivoisement.

12
Idem.
38

Se taire peut avoir des conséquences dramatiques, tout comme par-


ler sans intelligence ou avec l’intention de nuire. Les paroles sauvent, mais
elles peuvent aussi tuer, nous le savons. Et toute l’histoire de l’humanité ré-
vèle cette tension entre parler et se taire, deux instruments de notre salut
comme de notre perte. C’est dire combien il est difficile de franchir la porte
de l’intériorité pour verbaliser sa pensée, ses émotions, ses ressentis, son dé-
sir, son besoin, sa vision… Cependant c’est un fait : parler en public nous
fait peur, parfois plus que la mort, selon le Book of Lists. Mais l’éloquence
s’apprend et se perfectionne.

L’émotion peut survenir à tout moment de la prise de parole. Elle est


naturelle et presque inévitable, puisque nous ne sommes pas des robots.
L’idée est simplement de faire en sorte qu’elle ne vous submerge pas, et
qu’elle ne vous déstabilise pas. Il existe des techniques pour éviter de sur-
charger émotionnellement ses interventions en public.

La première règle est à mon sens de dédramatiser. Le stress vient le


plus souvent d’un malentendu, d’une représentation inexacte que l’on se fait
de l’auditoire. Bien sûr l’auditoire vous jugera, mais il n’est pas nécessaire-
ment malveillant à votre égard. Au contraire, tout le monde a à gagner à une
prise de parole réussie : vous bien sûr, mais eux également, parce qu’ils au-
ront appris, ri, voyagé… grâce à vous.

La parole en public, c’est un jeu gagnant-gagnant. Chacun a un jour fait


l’expérience de la gêne palpable que provoque sur un auditoire la contem-
plation d’un orateur qui rate totalement sa prestation. En général, le public
est extrêmement légitimiste. D’ailleurs, quand il y a un élément perturbateur
dans la salle, quelqu’un qui pose des questions incongrues ou qui cherche à
39

déstabiliser l’orateur, le public va le plus souvent voler au secours de l’ora-


teur. Il est venu l’écouter, il n’est pas là pour le mettre en difficulté.

Maintenant que faire si cela se passe mal ? Mon conseil est de jouer
cartes sur table. Quel que soit le type de prise de parole, parole profession-
nelle, discours, entretien, je ne vois aucun inconvénient à ce que l’on fasse
part au public de ses émotions.

Au préalable on peut confier : « La prise de parole n’est pas forcément


un exercice qui m’est familier, je vais m’efforcer de donner le meilleur de
moi-même ». Ainsi, on implique le public dans le discours, il devient un ad-
juvant, un auxiliaire, un partenaire. Il ne faut pas avoir honte d’avouer qu’il
s’agit d’un exercice inhabituel, inconfortable a priori mais que l’on va donner
le meilleur de soi-même.

De même, si l’on commet une grosse faute de français, une faute de


liaison, de syntaxe, de grammaire ou de conjugaison, il n’est jamais bon de
l’ignorer. Assumez-la ! Feindre qu’elle n’ait jamais été prononcée, c’est
quelque part se l’approprier. Faire des fautes, cela peut arriver à tout le
monde, il faut banaliser, ce ne sont que des mots après tout.
40

SOUS TITRE 2

LES INDISPENSABLES13 A UNE BONNE PRISE DE


PAROLE EN PUBLIC

1. Le non verbal

L’« énonciation » d’un discours est très souvent appelée « action ora-
toire », mais le premier terme fait apparemment référence à la voix et le se-
cond au geste : Cicéron dit ainsi quelque part que l’action est « une sorte de
langage du corps », et ailleurs qu’elle en est comme « l’éloquence » ; mais
il ne la divise pas moins en deux parties, voix et mouvement, qui sont ainsi
les deux divisions de l’énonciation, ce qui montre bien qu’on peut employer
indifféremment l’un ou l’autre terme14.

Quant à l’élément désigné par ces termes, il a dans les discours une
efficacité et un pouvoir extraordinaires, car ce qui compte n’est pas tant la
qualité de ce qu’on a composé dans son for intérieur que la manière dont on
le traduit extérieurement, l’impression de chacun n’étant fonction que de ce
qu’il entend. Voilà pourquoi une démonstration de type oratoire reste ineffi-
cace, quelle que soit sa solidité, si elle n’est pas étayée par la conviction du
ton ; de ce fait les émotions les plus vives retombent forcément, si la voix, la
physionomie et, en somme, toute l’allure générale ne leur communique pas
leur flamme15.

Parler, c’est d’abord être vu renseigne Bertrand PÉRIER. Chacun


peut en faire l’expérience : regardez un orateur à la télévision, coupez le son,

13
Concept emprunter de l'auteur Fils ANGELESI BAYENGA dans son syllabus de Droit et
VIH/SIDA, Notes polycopiées, UNIKIN, 2009.
14
C. DELHAY, L'art de la parole, 2° édition, Paris, Dalloz, 2020, p. 25.
15
Idem.
41

et rien qu’en observant son attitude, ses gestes, ses mimiques, vous aurez une
idée assez précise de la tonalité de son propos. Mettez le son en écoutant un
discours dans une langue que vous ne connaissez pas, et l’impression sera
encore plus frappante. C’est dire que les mots ne font pas tout. Des études
très sérieuses ont été menées sur cette question, et ont conclu que la force de
conviction d’un discours passait à 60 % par le langage du corps, à 30 % par
les inflexions de la voix (ce que l’on appelle la prosodie) et à 10 % seulement
par les mots eux-mêmes. En somme, un orateur est d’abord vu, ensuite en-
tendu, et enfin seulement compris. Le discours, au sens le plus large, com-
mence donc dès que l’orateur apparaît aux yeux de l’auditoire.

D’où l’importance de soigner les conditions de cette apparition. La pa-


role est nécessairement mise en scène, et dans cette mise en scène, tout
compte, tout fait sens, tout est signifiant. Ainsi, le lieu de départ : vais-je
arriver des coulisses (ce qui cultive une forme de mystère : on ne sait pas ce
qui s’est passé avant et littéralement « j’apparais »), du fond de la salle (pour
prendre le temps de la traverser), des premiers rangs du public (pour montrer
que je suis issu du public, et que je parle en son nom) ?

Aussi le lieu d’arrivée. D’où vais-je parler : d’une scène surélevée (ce
qui me distingue du public) ou du niveau du sol ? Derrière un pupitre ou sans
pupitre (donc sans notes) ? Avec micro ou sans micro ? Assis ou debout ?
Comment vais-je me positionner par rapport au public : va-t-il me faire face,
m’entourer, sera-t-il dans la lumière ou dans la pénombre ? Et dans une réu-
nion de travail, où vais-je m’installer ? Ce n’est pas pour rien que, dans les
assemblées parlementaires, les élus se regroupent « géographiquement » par
affinités : dis-moi d’où tu parles, et je te dirai qui tu es !
42

L’attitude corporelle de l’orateur avant de discourir est également si-


gnificative : a-t-il le visage fermé ou au contraire souriant, arrive-t-il en mar-
chant lentement ou rapidement ? Toutes ces considérations peuvent appa-
raître anecdotiques, mais elles sont en réalité déterminantes. L’orateur a déjà
dit beaucoup avant même d’avoir prononcé le premier mot.

Que l’on songe, par exemple, au discours d’Emmanuel Macron au


Louvre le soir de sa victoire à l’élection présidentielle. La mise en scène en
avait été soigneusement étudiée : le choix du lieu, la marche lente vers l’es-
planade, la musique (l’Hymne à la Joie de Beethoven, qui est l’hymne euro-
péen), la pyramide derrière l’estrade : rien n’avait été laissé au hasard.

Faites de même lorsque vous prenez la parole. Ne vous laissez pas im-
poser une mise en scène qui ne correspond pas à ce que vous voulez dire. Et
une règle d’or : quel que soit votre message, montrez que vous exprimez
n’est pas pour vous une contrainte ou une épreuve. Le public n’a pas en-
vie d’écouter quelqu’un qui a l’air d’aller à l’échafaud.

Pas d’épaules baissées, de regard dans le vide ou de pas traînant : mon-


trez votre envie, votre détermination, voire votre plaisir, et souvenez-vous
que parler est un privilège. Une fois la parole ainsi mise en scène, que faire
de son corps pendant le discours ? Voici quelques conseils simples.

2. La posture

Si donc l’énonciation a ce considérable pouvoir de provoquer la colère,


les larmes ou l’inquiétude à propos de choses dont nous savons pertinem-
ment que ce sont de pures fictions, ne dit-elle pas être bien plus efficace en-
core quand il s’agira de choses auxquelles nous ajoutons foi ?
43

Pour ma part, j’irai bien jusqu’à dire qu’un discours médiocre, mis en
valeur par une action énergique, produira plus d’effet qu’un excellent
discours qui n’en bénéficie pas. C’est bien ce que signifie la réponse de
Démosthène à qui l’on demandait ce qui venait en premier dans tout l’art
oratoire, et qui donnait la palme à l’énonciation, puis aussi la deuxième
place, et encore la troisième, point où l’on renonça à le questionner davan-
tage ce qui autorise à croire qu’il n’y voyait pas le plus important de l’art
oratoire, mais bien le tout. Et c’est du reste pourquoi il s’était lui-même en-
traîné auprès de l’acteur Andronicos, avec assez d’acharnement pour justifier
le mot d’Eschine aux Rhodiens enthousiasmés par un de ses discours : « Et
si vous l’aviez entendu lui-même ! »16.

Avant de commencer, il faut veiller à bien s’ancrer dans le sol. Se tenir


droit, les pieds écartés dans le prolongement des épaules, de manière à se
sentir bien stable. Le corps forme un T : le tronc est droit et les épaules sont
déployées de manière à évacuer tout ce qui perturbe le trajet de l’air.

J’arrive à l’endroit où je vais parler, je me place à équidistance des au-


diteurs, je plante les pieds dans le sol, je reste bien droit, les épaules horizon-
tales. Il faut gommer toutes les postures qui font obstacle à la projection de
la voix. Lorsqu’on est debout, éviter de croiser les jambes, les gestes de ba-
lancement, d’avant en arrière ou de gauche à droite, de passer d’une jambe
sur l’autre, de sautiller. Veiller à ne pas ouvrir un pied comme une danseuse,
ni verrouiller les genoux à l’intérieur. Il faut bannir « l’effet camisole », les
bras qui s’enroulent autour du torse, qui bloquent la colonne d’air. Ne pas
mettre les mains dans les poches, ni sur les hanches, ni assemblées au niveau
du bas-ventre comme les footballeurs qui composent le « mur » d’un coup-

16
QUINTILIEN, Institution oratoire, XI, trad. Jean Cousin, Paris, Les Belles Lettres, 1979 ; Cité
par C. DELHAY, Op-cit, p. 27.
44

franc ! Ne pas se tripoter les mains, ne pas regarder ses pieds. Si on est der-
rière un pupitre, le plus simple est de poser ses mains aux angles inférieurs.

En position assise, lors d’un entretien d’embauche, ou une réunion par


exemple, il ne faut jamais s’asseoir au fond de sa chaise, mais dans le premier
tiers, ainsi le corps vient vers la table, mais ne la colonise pas. Les mains
restent toujours visibles, lorsqu’on les cache on cherche à dissimuler quelque
chose, donc d’une certaine façon à se dissimuler. Se priver des mains, c’est
se priver d’un mode d’expression et se figer, or c’est le corps qui fait vivre
le langage.

3. Le regard

La présence oratoire nécessite un travail sur la disponibilité et la tonicité


corporelles. Homère pointe déjà cette exigence lorsqu’il dépeint Ulysse à
l’instant où il va prendre la parole. Avant d’ouvrir la bouche, le héros relève
la tête, passe de son corps privé, celui d’un « extravagant », un « homme qui
ne sait ce que c’est que de parler dans les assemblées » à celui de l’homme
éloquent, contre lequel on craindrait d’entrer en lice.

La disponibilité corporelle est le préalable au développement du cha-


risme sur des fondations pérennes. Elle implique la bonne gestion du stress
et la chasse aux tensions inutiles. Un travail sur soi de longue haleine qui
consiste à déconstruire ses anciennes mauvaises habitudes. La voie est en-
suite ouverte pour une conscience corporelle renouvelée, un travail affûté sur
la respiration et la posture, sur la relation à l’espace et l’écoute de l’auditoire,
sur la capacité à porter un message et une émotion jusque dans le cerveau de
l’autre.
45

Pour l’orateur, le regard, c’est le pouvoir. D’abord parce qu’en regar-


dant l’auditoire l’orateur capte mieux son attention. Chacun en a fait l’expé-
rience : rien n’est pire que de lire un discours le nez dans ses notes sans re-
lever les yeux, ou d’écouter un orateur qui le fait. D’autre part parce que
porter son regard vers le public, c’est lui rendre hommage, lui signifier que
c’est pour lui qu’on parle. Enfin parce qu’en dirigeant son attention vers le
public l’orateur recevra de nombreuses informations qui lui seront néces-
saires pour adapter son propos : le public est-il intéressé, lassé, perplexe,
amusé, etc. ?

On a parfois tendance à fuir le public, soit pour fixer le sol, soit pour
trouver l’inspiration au plafond. C’est un mauvais réflexe : tout regard qui
n’est pas porté sur l’auditoire est perdu. De trois choses l’une, alors. Soit
on parle à un petit groupe de personnes, et il faut regarder chacun alternati-
vement, dans un ordre évidemment aléatoire et sans jamais privilégier
quelqu’un. Soit on parle devant une assemblée nombreuse qui nous fait face,
et le plus simple est de fixer un point au fond de la salle. Soit on parle devant
un amphithéâtre qui nous entoure, et il faut que le regard se pose de droite à
gauche et de haut en bas, comme en décrivant sur l’auditoire le tracé des
lettres M et W, un peu comme y aident de nos jours les prompteurs dispersés
dans les salles, par exemple dans les réunions publiques au cours de la cam-
pagne de Barack Obama.

4. La gestuelle

Dès qu’il s’agit de l’usage du corps dans la prise de parole, il n’est pas
rare d’entendre cette injonction, « sois authentique et naturel », aussitôt suivi
du commentaire, « la gestuelle, ça ne s’apprend pas, il suffit d’être soi-
même... ». Ce serait aussi pertinent de dire à un enfant qui se mettrait au
46

piano : « n’apprends pas la musique ni le solfège, il suffit d’être toi-même et


de tapoter sur le clavier, tu resteras alors authentique et naturel ». Le lan-
gage du corps, comme tout instrument de musique demande à être approché
de façon sensible mais aussi de répéter ses gammes afin de parvenir à une
interprétation libre.

Une athlète entre en jeu, sur le ring, le terrain ou la piste, avec ce corps
préparé, en alerte, tout comme l’artiste de scène. C’est encore Obama dans
une Église de Charleston, lorsqu’il vient célébrer les funérailles des neuf vic-
times assassinées par Dylann Roof. Un même, faisant usage du contraste et
de la concentration. De façon analogue à Ulysse, il baisse la tête, garde le
silence pendant douze secondes d’introspection au cours desquelles l’assis-
tance se demande ce qui va advenir, puis se redresse et à la surprise de tous,
chante. Amazing Grace... Comme on n’avait jamais entendu un président des
États-Unis exerçant ses fonctions, chanter17.

Un geste est rarement bon ou mauvais en lui-même. Ce qui compte,


c’est qu’il soit adapté au message que l’orateur souhaite transmettre. Un
geste rond vers la salle renforcera un message de rassemblement. Un doigt
pointé ou un poing levé peuvent être un signe de détermination mais revêtent
aussi un aspect martial ou agressif. La jonction du pouce et de l’index traduit
une volonté de précision, etc.

Le geste est ce que l’on contrôle le moins. C’est d’ailleurs pourquoi des
spécialistes, les synegologues, analysent ce que les gestes révèlent des ora-
teurs. Pourtant, chacun peut essayer de lutter contre les gestes parasites (se
gratter, se passer la main dans les cheveux, etc) qui n’apportent rien et per-
turbent l’attention plus qu’ils ne la favorisent.

17
C. DELHAY, Op-cit, p. 33.
47

Pour le reste, privilégiez au maximum les gestes ronds, qui partent des
épaules et font avancer les mains vers le public en décollant très légèrement
les bras du tronc. C’est une position confortable, ouverte, neutre, qui évite
les bras ballants et les mains dans le dos, qui ne sont jamais bons…

5. Gérer les silences

L’espace sonore ne doit pas être rempli en permanence. Le silence fait


partie du discours. Il peut être une respiration, une surprise, une façon de
récupérer l’attention. Mais il faut maîtriser le silence pour qu’il survienne au
moment opportun. Il ne doit jamais être subi, ou le signe que l’orateur est
perdu ou s’épuise.

Il y a d’abord un silence essentiel : celui qui précède la prise de parole.


Un orateur ne peut pas attaquer directement. Lorsque vous allez parler, res-
pirez en comptant jusqu’à trois, balayez l’auditoire du regard, et ensuite seu-
lement, parlez. Cela vous permettra aussi de commencer votre allocution les
poumons pleins, de sorte que dans les premières phrases, qui sont souvent
les plus chargées d’émotion, vous n’aurez pas à vous soucier de votre respi-
ration. Si vous vous lancez les poumons vides, vous augmentez votre stress.
Paradoxalement, la parole commence donc par le silence.

Par la suite, bien souvent, dans une situation d’improvisation, le silence


subi vient d’un problème de débit : le silence s’impose parce que l’orateur,
ayant parlé trop vite, est à court d’idées, ou ne trouve pas les mots.

Parler trop vite, c’est comme se débarrasser de son discours. Au con-


traire, quitte à parler, autant prendre son temps. L’orateur est le maître du
temps. C’est lui qui choisit son débit, et une parole même très lente peut être
persuasive. Ce qui compte, c’est que le rythme de la parole suive celui de la
48

pensée. Si l’on parle trop vite, et que l’on n’a pas le temps d’élaborer la pen-
sée suivante lorsqu’on exprime la pensée précédente, la rupture survient.
Adaptez donc le rythme de votre parole au rythme auquel les idées vous
viennent, et anticipez : lorsque vous sentez que l’idée suivante n’est pas en-
core là, n’attendez pas d’être en difficulté et de buter, anticipez et ralentissez
en amont.

Et si vous lisez un texte, ne soyez pas non plus trop rapide : laissez à
votre auditoire le temps de comprendre ce que vous dites, et là encore, mé-
nagez des silences.

Un dernier conseil : articulez ! Combien d’orateurs, souvent les plus ra-


pides d’ailleurs, mangent des syllabes voire des mots entiers ? Sans aller
jusqu’à parler avec un crayon en travers de la bouche, veillez surtout à dire
de façon très précise les premières consonnes des mots. Sans articulation,
votre discours, aussi beau soit-il, risque d’être incompréhensible. Avouez
que ce serait dommage…
49

6. EXERCICES

● Le ventriloque

Pour une gestuelle appropriée, il y a plusieurs exercices qui reposent


sur la dissociation du geste et de la parole : l’un parle, l’autre fait les gestes.
Le premier exercice est celui du ventriloque. Un orateur discourt debout tan-
dis que quelqu’un vient se positionner juste derrière lui, passe ses bras sous
ceux du locuteur, et accompagne la parole de l’autre avec ses gestes. C’est
un exercice intéressant car il oblige celui qui fait les gestes à écouter très
attentivement l’orateur pour adapter sa gestuelle.

● Le marionnettiste

Il faut quatre personnes pour cet exercice. Deux personnes s’assoient


face à face, de part et d’autre d’une table. Deux autres personnes se tiennent
debout derrière eux. Les participants assis vont être les marionnettes des par-
ticipants debout. Le dialogue va se nouer exclusivement entre les participants
debout, et les participants assis vont jouer la scène uniquement par les gestes
en fonction de ce que diront les participants debout.

On peut imaginer plusieurs mises en situation : la première rencontre


de deux personnes qui se sont connues sur les réseaux sociaux, le dialogue
de deux cousins qui ne se connaissent pas et qui vont passer des vacances
ensemble, deux amis qui se retrouvent après s’être perdus de vue pendant
longtemps, un investisseur qui vient présenter un projet à un banquier dont
il sollicite un prêt.
50

● L’imitateur

Pour voir tous ses défauts en termes de langage non verbal, l’exercice
le plus cruel est évidemment de se filmer. Mais si vous ne pouvez pas le faire,
demandez à quelqu’un de vous imiter après lui avoir fait un petit discours.
En exagérant vos tics, vos gestes parasites, il vous en fera prendre cons-
cience.

● Le « Face à l’écran »

Visionnez un bref extrait (deux à trois minutes) d’un discours de votre


choix. Observez très attentivement les gestes que fait l’orateur, et efforcez-
vous de les mémoriser. Regardez de nouveau la séquence, cette fois en cou-
pant le son et en plaquant sur les images un texte totalement différent que
vous improviserez (une recette de cuisine, une déclaration d’amour, la des-
cription d’une ville…). Faites-en sorte que vos mots collent aux expressions
de l’orateur.

Vous verrez que ces gestes guident votre propos et que n’importe quel
mot ne peut pas être dit sur n’importe quel geste. Vous pouvez aussi faire cet
exercice en traduisant un discours en langue étrangère – que vous la parliez
ou non – pour faire « coller » votre traduction aux gestes et à l’intonation de
la voix de l’orateur.
51

PARTIE 2

L'ARGUMENTATION JURIDIQUE À
L'ÉPREUVE DU PROCÈS SIMULÉ
52

1. Le procès
Le lexique des termes juridiques défini le procès comme étant une dif-
ficulté de fait ou de droit soumise à l’examen d’un juge ou d’un arbitre18.

Le mot « procès » pose d'emblée une difficulté, surtout dans une pers-
pective comparative. Que doit-on entendre par ce terme ? En common law,
c'est un sens étroit qui est généralement retenu : le procès (trial) est seule-
ment l'aboutissement du processus pénal, sa phase terminale, c'est-à-dire
l'audience et ses suites. Au contraire, dans les pays romano-germaniques, le
terme procès est le plus souvent entendu de façon bien plus large : il inclut
pour certains auteurs tous les actes procéduraux, depuis ceux qui sont réali-
sés dès le début de l'enquête jusqu'à l'ultime décision judiciaire. C'est le sens
qui sera retenu ici19.

Ce premier parti adopté en entraîne un autre : les agents et les divers


moments du procès seront entendus largement et par exemple les organes du
procès seront aussi bien les policiers et, là où ils existent, les juges d'instruc-
tion aussi bien que les juges composant la juridiction de jugement.

Le procès est lieu autant que le lien. Il est lieu-cadre et lieu-période où


se construit, se formalise, se cristallise et se matérialise la réaction ou l’in-
tervention juridictionnelle de la société, en termes de sanction ou de répara-
tion face au désordre créé par une violation de la loi, ou encore en termes de

18
S. GUINCHARD, T. DEBARD, Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz, 2017-2018, p.
1305.
19
J. PRADEL, Droit pénal comparé, 4° édition, Paris, Dalloz, 2016, p. 229.
53

règlement de différends et d’affirmation d’un droit. Cette réaction qui fonc-


tionne dans une instance processuelle, parfois rituelle, est faite pour marquer
en matière pénale les tabous et interdits que la société réprouve20.

Elle n’est pas, dans un Etat de droit, instinctive, arbitraire et aveugle ;


elle est au contraire réfléchie, réglementée et essentiellement judiciaire. Elle
se déroule dans le cadre d’un procès qui se révèle, dans sa mise en œuvre, un
lien. Lien entre diverses séquences de procédure ou de l’instance. Lien entre
le fait en cause et le droit à lui appliquer. Lien entre diverses règles de forme
et de fond qui interviennent dans la formulation de la décision judiciaire ap-
plicable à la cause considérée. Lien finalement entre les différents person-
nages qui interagissent à divers titres : délinquants, victimes, parties civiles,
civilement responsables, parties litigantes, témoins, enquêteurs, police judi-
ciaire, magistrats, avocats, autorités administratives et politiques, organisa-
tions de la société civile21. Le procès est en effet le lien nécessaire, l’inévi-
table trait d’union entre l’infraction et la sanction (...)22.

Par ailleurs, le procès soulève une question essentielle celle de la preuve


; cela dit trois remarques mérite d'être faîtes :

En premier lieu, cette question est extrêmement délicate car le législa-


teur et le juge doivent respecter et concilier un nombre important d'intérêts
comme la protection de l'innocent, le respect de la dignité de la personne, le
respect de l'institution judiciaire qui implique par exemple que le juge ne
couvre pas certaines irrégularités de la police, l'économie des moyens, ce qui
conduit à l'exclusion d'une preuve qui provoque une perte de temps hors de
proposition avec l'avantage qu'elle procure, enfin la punition des coupables.

20
E-J LUZOLO BAMBI LESSA, Manuel de procédure pénale, Kinshasa, PUC, 2011, p. 5.
21
Idem.
22
J. PRADEL, Procédure pénale, Paris, 14ème éd., Cujas, 2008, p. 154.
54

En second lieu, une véritable opposition apparaît entre le système de


common law et le système romano-germanique, en ce que tout d'abord le
premier est nettement plus riche, nettement plus compliqué aussi que le se-
cond. Alors que dans les pays romano-germaniques, les ouvrages sur la
preuve pénale sont rarissimes, la matière étant incluse presque systématique-
ment dans les ouvrages de procédure pénale, dans les pays de common law,
la preuve fait l'objet d'enseignements et d'ouvrages spéciaux ; et les ouvrages
sont souvent très développés et l'on peut citer l'énorme Traité de l'Américain
Wigmore en neuf volumes ainsi que le fameux Phipson on evidence anglais
qui cite plus de 7 000 arrêts23.

Comment expliquer cette profusion dans les pays de common law. Elle
provient de l'utilisation intensive du jury en Angleterre, et cela depuis plu-
sieurs siècles, alors qu'en Europe continentale le jury n'apparaît pratiquement
qu'au début du XIXe siècle et ne sera jamais beaucoup utilisé. Or les jurés
anglais, surtout au début, étaient des gens simples, ignorant et sans expé-
rience qu'il fallait « encadrer » par un système probatoire n'autorisant la con-
damnation qu'à coup sûr. Dès lors les juges ont été conduits à établir des
règles précises, mais ces règles ne jouant que pour des cas déterminés ne
pouvaient s'appliquer ultérieurement que dans ces cas (par application du
principe du précédent) de sorte que si d'autres cas se présentaient, ces juges
devaient élaborer d'autres règles. Ainsi s'explique la profusion des règles.

Ensuite, l'effort probatoire ne se situe pas au même moment de l'ins-


tance. Alors qu'en common law, la preuve se fait essentiellement à l'audience
(devant le juge qui sera amené à rendre un jugement sur la poursuite), dans
la famille romano-germanique au contraire, la preuve est rassemblée surtout

23
Idem.
55

lors de la phase préparatoire, notamment là où il y a une instruction prépara-


toire, la phase de jugement étant avant tout l'occasion d'un contrôle. S'oppo-
sent ainsi l'Angleterre et la France, et plus encore les Pays-Bas où l'audience
est presque uniquement le moment du contrôle24.

Enfin en troisième lieu, la preuve peut être étudiée à trois égards : la


charge proprement dite, l'administration de la preuve et l'appréciation de la
preuve.

Le procès pénal prend sa source dans la commission de l'infraction, il


suit son cheminement, du bureau de l'officier de police judiciaire à celui de
l’officier du ministère public25. Tandis que le procès civil tire sa source de la
violation d'un droit subjectif reconnu a une personne humaine26.

24
Ibidem.
25
A. MALOBA MPIANA, Notes des cours de l'étudiant en Droit, Kinshasa, Ed. Essaie, 2022,
p. 805.
26
MATADI NENGA GAMANDA, Droit Judiciaire Privé, Kinshasa, Droit et idées nouvelles,
2006, p. 17.
56

2. Argumentation juridique
La vérité judiciaire, non pas celle ontologique, née du contradictoire, il
appert pour tout étudiant en Droit, de surcroît a tout juriste, de mieux maîtri-
ser cette technique pour bien exercé son domaine de prédilection (magistra-
ture, avocature). L'argumentation est un véhicule principal du langage écrit
ou parlé. Le langage y est à la fois matière et instrument d'intervention.

En outre, le langage utilisé dans l'argumentation est toujours une langue


naturelle, une langue de tous les jours, et non point une langue artificielle
comme peut l'être l'algèbre dans les mathématiques, dont tous les termes ou
symboles sont définis clairement sans qu'il puisse y avoir une quelconque
ambiguïté de sens. La langue naturelle qu'emploie l'argumentation est quant
à elle ambiguë, susceptible d'être comprise par les auditeurs en fonction de
leurs propres préoccupations, de leur propre culture ou chargée par eux d'un
sens différent de celui que l'avocat lui-même entendait y mettre. Il ne peut
exister dans l'argumentation de certitudes quant à la compréhension absolue
par l'auditoire du discours émis par l'avocat, et un bon avocat doit toujours
tenir compte de ces risques de décalage, soit pour tenter de les réduire, soit
pour les dénoncer.

Cependant, ces risques disparaissent lorsque l'avocat évoque des con-


cepts de Droit ou utilise des expressions juridiques dont la définition est clai-
rement établie par la loi, le règlement ou la jurisprudence. C'est ainsi qu'on a
pu dire que la langue employée par l'avocat est mixte, à la fois naturelle, mais
également technique27.

27
J-L BERGEI, Théorie générale du Droit, « Méthode du Droit », 4° édition, Paris, Dalloz, 2003,
p. 209.
57

Le langage est aussi l'instrument de l'argumentation. Bien argumenter


nécessite de bien parler. La rhétorique ancienne ne cesse d'insister sur les
liens qui doivent exister entre l'argumentation, l'élocution, la composition et
l'action : les figures de mots, de style ou de pensée permettent en effet d'agré-
menter un discours, de flatter le sens esthétique de l'auditoire, et, par voie de
conséquence, de faciliter parfois la persuasion.

● L'argumentation s'adresse toujours à un auditoire

Loin d'être une masturbation intellectuelle, l'argumentation juridique


est un rendez-vous du donné et du recevoir, où à la rencontre de l'auditoire,
l'orateur apporte l'objet de son discours voire le summum de son argumen-
taire, tandis que l'auditoire, se met dans la posture de les recevoir. PEREL-
MAN définit l'auditoire comme « l'ensemble de ceux sur lesquels l'orateur
veut exercer son influence »28.

En effet, sauf dans le cas de la délibération pour soi-même, l'argumen-


tation présuppose toujours une pluralité, qu'il s'agisse d'une dyade, à savoir
deux individus, le premier exposant sa thèse au second, ou d'un groupe plus
nombreux telle une assemblée, un public. On peut, imaginer un ensemble de
personnes concevant une argumentation destinée à un autre ensemble : en
un mot l'argumentation est toujours un phénomène social.

Dans le cadre de l'argumentation judiciaire, l'auditoire de l'avocat est


spécifique ; il est composé de juges, le plus souvent spécialisés, investis de
la mission de rendre justice, c'est-à-dire d'appliquer au corps de faits qui leur
sont soumis par les parties la norme juridique la plus adéquate. Hormis les
cas de huits clos prévus par la loi, l'avocat s'exprime également devant un

28
C. PERELMAN et L. OLBRECHTS TYPECA, La nouvelle rhétorique. Traité de l'argumen-
tation, Bruxelles, Éd. de l'Université de Bruxelles, 1992, p. 25.
58

public composé de personnes venues assister à l'audience et ayant ou non des


liens d'intérêt avec l'affaire débattue.

● L'argumentation cherche à persuader

Loin d'être un exercice ponctué en prolifération des mots et des adages


latins, l'argumentation juridique vise la persuasion car dit-on, l'argumenta-
tion doit être persuasive ou elle n'est rien. La praxis du déroulement des
procès simulés dans les différentes Facultés de Droit des Universités de la
République Démocratique du Congo, renseigne une constatation lugubre, en
ce que les étudiants qui se livrent à cet exercice, pensent généralement que
la production intempestive des gros mots dans une plaidoirie serait source de
pertinence.

En fait, ses étudiants ne savent pas que la pertinence d'un discours ne


dépend pas de l'appréhension de son auteur, elle dépend absolument de ceux
qui entendent ce dernier, car l'argumentation juridique ne pas une masturba-
tion intellectuelle, elle vise plutôt à persuader, mieux à émouvoir l'auditoire.
D'où la nécessité de la prise en compte du niveau de son auditoire pour marié
son discours a cette réalité, afin de déboucher à une meilleure compréhension
de celui-ci.

L'argumentation juridique est plus qu'un exercice spéculatif ou litté-


raire. Elle cherche à persuader l'auditoire du bien-fondé de la thèse soutenue
par l'orateur.

C'est une technique d'influence, qui laisse l'auditeur libre de son choix
final, de son adhésion aux propos qu'il entend. En ce sens, l'argumentation
se distingue de la contrainte qui résulterait par exemple d'un ordre militaire,
59

du commandement d'un supérieur hiérarchique, ou même de la démonstra-


tion professorale donnée dans un cours. Argumentation et persuasion sont
donc inséparables. À cet égard, s'agissant de la persuasion, de nombreux au-
teurs ont cherché à l'opposer à la conviction, en tout cas à souligner les deux
notions. Pour Blaise Pascal, c'est l'automate que l'on persuade, c'est-à-dire
le corps, l'imagination, c'est la raison que l'on convainc29.

Cette distinction est d'ailleurs reprise par PERELMAN, pour qui serait
persuasive toute argumentation qui ne prétendrait valoir que pour un audi-
toire particulier, et convaincre celle qui serait censée obtenir l'adhésion de
tout être de raison30. Une telle nuance, comme le confesse PERELMAN lui-
même, est assez proche de celle que propose KANT quand il dit, « la
croyance est valable pour chacun en tant du moins qu'il a de la raison, son
principe est objectivement suffisant et la croyance se nomme conviction. Si
elle n'a son fondement que dans la nature particulière du sujet, elle se
nomme persuasion31 ».

En réalité, cette distinction suppose qu'il existe entre la raison univer-


selle, l'intelligence, la volonté et l'irrationnel du corps, les sentiments, les a
priori irréductibles, une frontière bien nette, ce qui n'est point démontrer. Le
travail de la raison ne sert bien souvent qu'à donner une apparence de ratio-
nalité à une prise de position irrationnelle, et les motifs de l'adhésion d'un
auditoire à la thèse exposée sont multiples, même lorsque l'avocat n'utilise
que des moyens rationnels ou tente de ne s'adresser qu'à la raison.

29
B. PASCAL, La Pléiade, Gallimard, p. 252.
30
C. PERELMAN et L. OLBRECHTS TYPECA, Op-cit, p. 37.
31
E. KANT, Critique de la raison pure, 4° édition, Paris, Bibliothèque de la philosophie contem-
poraine, PUF, 1965.
60

Quoi qu'il en soit, il en résulte que dans l'argumentation judiciaire autant


que dans toute autre argumentation, l'avocat doit nécessairement tenir
compte de l'auditoire auquel il s'adresse, ses valeurs, ses préoccupations, ses
origines sociologiques, ses traits de caractère, ses fonctions sociales, sa ma-
nière de juger. La connaissance de l'auditoire est une condition nécessaire
de la qualité de l'argumentation.

● Conclusions controversables

Les conclusions avancées par l'avocat, dans le cadre de l'argumentation


judiciaire qu'il déploie devant un tribunal sont, par définition, controver-
sables.

Cela signifie non seulement que l'auditoire est libre de rejeter ou d'ac-
cepter la thèse qui lui est proposée, mais aussi et surtout que l'argumentation
judiciaire est énoncée dans un cadre qui en prévoit, institutionnellement,
l'immédiate contradiction par argumentation adverse, la vérité juridique née
du contradictoire dit-on.

Ainsi s'affirme le principe du contradictoire, principe fondamental du


Droit judiciaire Congolais, mais auquel Aristote fait déjà allusion dans sa
rhétorique et qui renvoie à une conception du jugement résultat d'une con-
frontation entre opinions opposées après que les divergences ont été surmon-
tées par le juge à la lumière de la discussion.

L'argumentation juridique tient nécessairement compte de cette situa-


tion de contradiction immédiate. C'est la raison pour laquelle toue argumen-
tation juridique doit inclure dans son énoncé une partie spécifique, à savoir
la réfutation des thèses adverses.
61

● Un débat souvent exclusif de toute notion d'évidence

Une autre spécificité de l'argumentation juridique est qu'elle ne peut


bien souvent se mouvoir, s'appuyer que sur le vraisemblable.

Les avocats ne peuvent en aucune façon être constamment cartésiens.


S'il existe un procès, mis à part la mauvaise foi d'une partie, ou son souci de
profiter des délais que peut lui donner la mise en œuvre d'une procédure, c'est
qu'il y a divergence entre l'interprétation d'une situation de fait et/ou de Droit,
divergence que le juge doit arbitrer. C'est qu'il existe, comme le souligne
Aristote, une discordance des opinions, soit sur les mots, soit sur le réel, soit
sur les affaires.

Le procès est donc la négation de la notion d'évidence, puisque, par


définition, l'évidence s'impose à tous. Dans un procès de bonne foi, les deux
thèses présentées par chacun des avocats n'ont donc point le caractère d'évi-
dence cartésienne propre à assurer la conviction universelle qu'évoque la phi-
losophie, et le juge choisira celle d'entre les deux qui lui paraît la plus vrai-
semblable, c'est-à-dire la plus conforme à l'idée qu'il se fait du dossier, de ses
éléments de fait, et de la règle de Droit qu'il convient de lui appliquer.

En revanche, dès qu'un jugement est rendu , l'affaire a trouvé sa vérité


judiciaire, et l'on peut dire que la vérité d'une cause n'apparaît qu'avec le ju-
gement définitif. Les fondements de cette vérité judiciaire se trouvent donc
autant dans les rapports que peuvent entretenir objectivement la décision et
les éléments du dossier, que dans l'acceptation par les parties du rôle et de la
sagesse de l'institution qui la rend. La vérité judiciaire est autant la condition
que la conséquence du jugement rendu.
62

● L'objectif du client comme point de départ de l'argumenta-


tion juridique

Quiconque est confronté à la construction d'une argumentation cher-


chera, puisque tel est le but de toute argumentation, à persuader son auditoire
du bien-fondé de la thèse qu'il développe. Pour l'avocat, cette thèse découle
de l'objectif fixé par son client.

Celui-ci peut avoir un ou plusieurs objectifs ; en cas de pluralité d'ob-


jectifs, ils peuvent être équivalents ou hiérarchisés et le client peut accepter
de subsidiarisé l'un de ces buts. On pourrait croire qu'une telle façon de pro-
céder ferait de la parole de l'avocat une parole mercenaire, et que l'affirma-
tion de l'objectif l'empêcherait d'avoir une analyse objective du dossier. Mais
raisonner de la sorte serait méconnaître la nature et la réalité de tout discours,
quel que soit ; la parole, en effet, est toujours chargée d'un intérêt impli-
cite. Même si l'orateur s'en défend, son propos véhicule implicitement soit
des idéologies, soit une somme de valeurs ou d'intérêts complexes. L'orateur
part d'un substrat donné et parle toujours pour quelqu'un, à commencer pour
lui.

Même si l'effort de rationalisation de tout orateur sérieux est intense,


son discours n'échappe jamais à cette limitation et la revendication du statut
de discours vrai, en matière argumentative, peut toujours être qualifiée de
manœuvre rhétorique, destinée à renforcer la force persuasive des arguments
avancés. Nous retrouvons là le grand débat entre les partisans d'une vérité
intrinsèque du discours, et ceux, plus modestes, qui en relativisent la portée.
63

● La relativité de l'argumentation juridique

En réalité, loin de constituer un reproche, l'accusation portée contre le


discours argumentatif d'être une parole mercenaire est plutôt un compliment
: la plaidoirie de l'avocat, l'argumentation qu'il développe, se donne, en effet
toujours pour ce qu'elle est, à savoir un discours parcellaire, orienté au sou-
tien de la position à défendre, celle du client.

Ce faisant, l'argumentation développée par un avocat dans sa plaidoirie


renvoie ainsi à la véritable nature de tout discours, à la seule remarque près
qu'il s'avoue explicitement pour ce qu'il est. Une telle franchise se dévoile
d'ailleurs dès les premiers mots d'une plaidoirie, puisque l'avocat ne manque
jamais d'indiquer clairement et fermement pour qui il se présente.

De surcroît, la parole de l'avocat affirme, a contrario, la validité relative


de la parole de l'autre partie, quitte à chercher à la réduire par une réfutation
ultérieure, après débats, réfutation a posteriori et non a priori. Entre l'a priori
et l'a posteriori se loge, à notre sens, l'attention à l'autre, son écoute contra-
dictoire et donc démocratique.
64

TITRE 1

LE PROCÈS
Il s'agit de l'exposition dans la présente partie, de la théorie générale du
procès, a la lumière de la pratique du procès simulé de l'étudiant en
Droit.
65

I.1. Le procès pénal et le procès civil

a. Divergences

Jean-Marie Tasoki Manzele renseigne que le procès pénal et le procès


civil ne peuvent pas être confondus, car les enjeux qui sont dans les deux
procès sont totalement différents. Si le procès pénal tend à la découverte et à
la manifestation de la vérité sur l’enchainement dramatique qui a conduit à
la commission de l’infraction, l’on comprend que les problèmes auxquels
touche la procédure pénale visent l’ordre public troublé et les intérêts qui
sont en jeu : la vie, la liberté de la personne poursuivie, son patrimoine, son
honneur et sa considération. Combien de fois n’a-t-on pas désigné un indi-
vidu gardé à vue ou placé sous mandat d’arrêt provisoire comme auteur
d’une infraction alors que sa condamnation n’est pas encore intervenue ?

Pendant ce temps, un déshonneur humiliant couvre cet individu, peut-


être aussi sa famille. Dans un procès civil, qui oppose les particuliers entre
eux, ce sont les intérêts privés qui sont en cause, le plus souvent d’ordre
pécuniaire. L’on comprend donc que si le juge civil peut s’en tenir à la seule
technique du droit pour résoudre un différend civil, il doit être exigé du juge
pénal, au-delà de la technique du droit, le sens de l’humain et du social. Dans
un procès pénal, dit Bernard Bouloc, c’est moins l’infraction que la personne
qui l’a commise que l’on juge.

Le juge répressif considère plus le délinquant que l’infraction commise.


A l’occasion du procès, le juge découvre et pénètre la personnalité du délin-
quant afin de mieux apprécier sa culpabilité et d’adapter la sanction à sa per-
sonne.
66

b. Convergences

Néanmoins, l’on ne peut s’empêcher de relever des points de conver-


gence entre les deux procès. Le procès pénal et le procès civil sont soumis à
un seul ordre de juridiction, l’ordre judiciaire. Ils sont tous deux placés sous
le contrôle de la cour de cassation. Les deux procès obéissent à la règle de la
collégialité et à celle du double degré de juridiction32.

Comme indiqué ci-haut, le procès pénal dans la famille romano germa-


nique est un long processus qui commence dès les premières constatations
des faits infractionnels et se termine par l’exécution de la condamnation par
la personne condamnée. Entre ces deux moments extrêmes s’articulent plu-
sieurs étapes allant de la recherche de la preuve au jugement du coupable.
En fin de compte, le procès pénal vise à dégager la responsabilité pénale de
l’auteur de l’infraction et à fixer la sanction appropriée. Cette dialectique du
procès pénal demeure la même et se retrouve nécessairement, sous diverses
formes, avec des conditions différentes d’application, au fond de toutes les
lois de procédure33.

Le procès pénal conduit donc du fait au droit, c’est à dire de l’appré-


hension d’une situation de fait présentant les apparences d’un manquement

32
B. BOULOC, Procédure pénale, Paris, 20ème éd., Dalloz, 2006, p. 2 ; Cité par J-M TASOKI
MANZELE, op. cit, p. 34.
33
F. HELIE, Traité de l’instruction criminelle ou théorie du code d’instruction criminelle, T.I,
Paris, 2ème éd., Henri Plon, 1866, p. 7 ; SAAS Claire, L’ajournement du prononcé de la peine.
Césure et recomposition du procès pénal, Thèse pour le doctorat en droit, Paris, Dalloz, 2004,
p. 1 ; Cité par J-M TASOKI MANZELE, Procédure Pénale Congolaise, Paris, Harmattan,
2016, p. 21.
67

à la loi pénale à la constatation judiciaire de l’existence (ou non) d’une in-


fraction et de son imputabilité (ou non) à une personne avec les conséquences
de droit34.

34
M. DELMAS-MARTY, Serge LAVIGNES et al., La mise en état des affaires pénales, Rapport,
Commission justice pénale et droits de l’homme, Documentation française, Paris, 1991, p. 11
; Cité par J-M TASOKI MANZELE, op. cit, p. 21.
68

1.1. Action publique

L’action publique « pour l’application des peines » est exercée au nom


de l’ordre public, dans l’intérêt général ; elle a pour but, par l’application
d’une peine, de réprimer le trouble social. Elle est exercée au nom de la so-
ciété « par les magistrats ou les fonctionnaires auxquels elle est confiée par
la loi »35.

L’objet du procès pénal est essentiellement l’action publique36. L’action


publique est celle qui est portée devant une juridiction répressive en vue de
l’application des peines à l’auteur d’une infraction37. Il s’agit concrètement
de la mise en œuvre du droit et du devoir de l’Etat de poursuivre en justice
l’inculpé pour l’en convaincre et l’en punir ; c’est l’accomplissement de tous
les actes qui sont nécessaires pour obtenir la prononciation d’une peine
contre l’auteur d’une infraction.

L’action publique ou l’action pénale a pour but la répression de l’in-


fraction considérée comme ayant porté atteinte à l’ordre social et pour objet
l’application d’une peine ou d’une mesure de sûreté au délinquant38. Objet
principal du procès pénal, l’action publique est un droit de poursuivre qui
naît par le fait même qu’une infraction est commise. Ce droit théorique se
concrétise lorsque l’action est exercée en fait, c’est-à-dire portée devant le
juge. L’exercice ultérieur de l’action est constitué par les actes tendant à
maintenir et à poursuivre la mise en œuvre de l’action devant le juge39.

35
J. BORRICAND et A-N SIMON, Droit pénal et Procédure pénale, 6° édition, Paris, Dalloz,
2008, p. 246.
36
B. BOULOC, H. MATSOPOULOU, Droit pénale général et Procédure pénale, 21° édition,
Paris, Dalloz, 2022, p. 239
37
S . GUINCHARD et Th. DEBARD (dir.), Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz, 2012,
p. 31.
38
E-J LUZOLO BAMBI LESSA, op. cit, p. 163.
39
Idem.
69

Ainsi, exercer l’action publique, c’est saisir les tribunaux répressifs et


soutenir devant eux l’accusation en vue de faire punir les coupables. Il y a
cependant lieu de noter que, quand l’OMP ouvre un dossier d’instruction
préparatoire (RMP), il exerce déjà l’action publique. Mais la saisine du tri-
bunal constitue le temps fort, le moment culminant de l’exercice de cette
action.

Devant les juridictions de jugement, l’action publique n’est possible


que si elle est dirigée contre une ou plusieurs personnes déterminées… En
droit belge, l’identification de ces personnes est assurée notamment par la
jonction au dossier du bulletin de renseignements rédigé par les autorités
communales, par un extrait du casier judiciaire et, le cas échéant, par un ex-
trait d’acte de naissance. A ce propos, le droit congolais a encore du chemin
à parcourir. Par ailleurs, l’adage « societas non delinquere potest » n’est plus
d’application absolue. A ce jour, la responsabilité pénale de la personne mo-
rale peut être retenue par le biais de ses représentants.

Cependant, dans le système ayant prévalu jusqu’au 18 février 2006, il


était requis qu’avant de déclencher des poursuites judiciaires contre certaines
catégories de personnes ou pour réprimer certaines catégories d’infractions
il en fût référé au ministre de la Justice, qui pouvait ainsi demander que, pour
des raisons sociales ou politiques et même économiques, l’action publique
ne pût pas s’exercer.

1.1.A. Plénitude de l'exercice de l'action publique

L’exercice de l’action publique dans toute sa plénitude et devant toutes


les juridictions de son ressort, appartient au procureur général près la cour
d’appel. Il exerce les fonctions du ministère public près toutes les juridictions
établies dans le ressort de la cour d’appel.
70

L’action publique appartient au ministère public, qui l’exerce en sa qua-


lité de représentant du pouvoir exécutif40. Elle a pour vertu principale d’as-
surer la défense des intérêts de la société dont l’équilibre a été rompu par
l’infraction. A cet effet, le ministère public se présente devant le juge en de-
mandeur. Il est la partie principale au procès pénal, à l’occasion duquel il est
opposé à l’auteur (co-auteur ou complice) de l’infraction, autrement appelé
défendeur. Aussi, lorsque le ministère public décide d’exercer l’action pu-
blique, il communique toutes les pièces au juge compétent pour en connaître.

1.2. Action civile

L’action civile occupe une place accessoire dans un procès pénal. Au


demeurant, la jurisprudence ne lui permet pas de faire subir ses influences
négatives ou positives sur l’action publique. L’action civile appartient à la
victime d’une infraction, c’est-à-dire la partie lésée, puisqu’elle a personnel-
lement souffert du dommage causé directement par l’infraction. La victime
peut être aussi la personne susceptible d’être lésée par l’infraction sans que
cette personne ne puisse rapporter la preuve du dommage, la simple appa-
rence du préjudice étant suffisante.

➢ Qu’en est-il de l’action à fins civiles ?

Une action à fins civiles est une action de droit civil qui a l’infraction
pour cause mais dont le but ne tend pas, comme l’action civile, à la réparation
du préjudice entraîné par cette infraction. Tel est le cas de l’action en divorce
initiée à la suite d’un adultère ou des violences volontaires commis par un
conjoint. L’action à fins civiles n’a pas pour objet la réparation du dommage

40
J-M TASOKI MANZELE, Op-cit, p. 24.
71

né de l’infraction, mais tend à tirer certaines conséquences civiles d’une si-


tuation que cette infraction a manifestée ou à ramener à exécution un droit
que l’infraction a pu troubler. L’action à fins civiles ne peut pas être exercée
devant le juge pénal41.

41
J-M TASOKI MANZELE, op. cit, p. 32.
72

1.3. PROCÈS SIMULÉ EN MATIÈRE PÉNALE

1.3.A. Rôle du juge président dans un procès simulé

Conduire un procès est à la fois un art et un rite sans oublier les exi-
gences du Droit processuel auxquelles doit satisfaire le juge au risque de voir
son œuvre être annulée. La pratique de l'instance a été moins étudiée que la
théorie de l'action ou de la compétence juridictionnelle. L'instance est une
pure technique procédurale révélée par l'expérience, comme le processus
permettant à une action mise en œuvre, d'aboutir à une décision judiciaire.

Juger ses compatriotes est une mission sacrée. Ceux qui en sont chargés
en qualité de magistrats ne doivent pas ignorer cette vérité. Ils doivent réflé-
chir sur les conséquences graves de l'ignorance du Droit processuel dans l'ac-
complissement de leurs tâches42.

A. La conduite des débats en matière pénale

Section 1 : L'encadrement de l'instance pénale

1.a. L'oralité des débats

Le débat oral est donc prévu par le législateur et il vise à juger un


homme et non une abstraction. Il a pour effet de garantir au mieux les intérêts
de la défense. L'oralité est une condition nécessaire de la publicité. Mais il
est important que les « dires » soient actés par écrit pour permettre aux juges
de s'y référer au moment de la délibération.

42
L. NGANDA FUMABO, Audience Judiciaire, Kinshasa, Éd. Rivages Africains, 2016, p. 13.
73

La défense est orale : L’avocat peut rédiger à l’intention des juges pour
leur délibération une note de plaidoirie rappelant les moyens de défense dé-
veloppés oralement à l’audience. En principe, la note de plaidoirie ne peut
contenir rien de nouveau par rapport à ce qui a été dit à l’audience. Toutefois,
si elle contient un moyen fondé non développé à l’audience, le tribunal doit
rouvrir les débats afin de permettre aux autres parties d’y répondre43.

L’oralité poursuit un certain nombre de buts. Elle force le juge à con-


naître la personnalité du prévenu car ils ont à juger un être humain et non une
abstraction. L’oralité garantit le droit de la défense, càd tout ce qui est repro-
ché au prévenu doit être lu ou dit à l’audience pour qu’il réplique. Enfin,
l’oralité assure en même temps la publicité44.

1.b. La police de l'audience

Il est aberrant de constater le manque de révérences dans le chef des


avocats simulés à l'égard du juge président dans le cadre d'un procès simulé,
c'est courant d'assister à un procès simulé où l'avocat se comporte contraire-
ment aux us et coutumes du palais. C'est un secret de polichinelle !

Le juge qui préside l'audience publique en assure la police et la direction


des débats, cela implique le pouvoir de donner et retirer la parole à un avocat.
Il accorde la parole à toutes les parties qui la lui demandent ; il rappelle à
l'ordre toute personne qui tente de troubler l'ordre public à l'audience.

Le charisme qu'implique l'exercice du rôle du juge président dans une


juridiction simulée oblige à ce que ce dernier fasse montre de ses pouvoirs
pour le besoin de la cause ou pour la cause du besoin.

43
E-J LUZOLO BAMBI LESSA, Op-cit, p. 406.
44
Idem.
74

1.c. Étude préalable du Casus (dossier)

Le juge dans le cadre d'un procès simulé est ténu de mieux maîtriser
l'affaire qui fera l'objet du procès, s'imprégner des faits tout en prenant le
soin de noté les difficultés ou vices de procédure qu'il découvre et y réserver
une réponse appropriée le jour de l'audience.

Cette exigence est de mise surtout en ce qui concerne les affaires en


introduction c'est-à-dire qui seront appelées pour la toute première fois à l'au-
dience.

A cet effet, il s'attellera principalement à :

● Lire minutieusement l'affaire ;


● Vérifier l'état de la procédure suivie.

En lisant l'affaire une attention particulière sera portée sur les dates du
déroulement des faits, pour savoir ce qu'il en est par rapport à la prescription
de l'action publique et de l'infraction.

En général, comme c'est le cas en matière pénale, le juge doit toujours


se poser les questions traditionnelles ci-après :

● Le Tribunal sera-t-il saisi ?


● Le Tribunal sera-t-il compétent ?
75

● Le Tribunal sera-t-il saisi ?

Il faudra, en conséquence, vérifier le délai de 8 jours francs (article 62


du code de procédure pénale). Ce délai commence donc à courir le lendemain
de la signification et s'arrête la veille du jour de la comparution.

Toutefois, le délai de huit jours francs peut être abrégé lorsque la peine
prévue ne dépasse pas cinq ans de servitude pénale ou ne consiste qu'en une
amende (article 63 du code de procédure pénale).

● Le Tribunal sera-t-il compétent ratione matéria ?

Lorsque le tribunal siège en matière pénale, pour déterminer sa compé-


tence matérielle, le juge doit se référer aux articles 86 à 103 de loi organique
relative à l'organisation, le fonctionnement et la compétence des juridictions
de l'ordre judiciaire.

Il faut noter toutefois, qu'en vertu de la règle « le juge de l'action est le


juge de l'exception », qui déroge aux règles normales de compétence des ju-
ridictions répressives par rapport aux juridictions civiles, le tribunal répressif
est compétent pour statuer sur toutes exceptions proposées par le prévenu.
Ce principe se justifie par la nécessité d'une bonne et rapide justice répres-
sive.

● Le tribunal sera-t-il compétent ratione loci ?

La compétence territoriale, qui précise l'étendue du territoire dans les


limites duquel une juridiction répressive a le pouvoir de juger, permet de
déterminer tout d'abord, parmi tous les tribunaux qui ont compétence ratione
matéria et ratione personae, celui qui est spécialement compétent pour con-
naitre d'une affaire déterminée. La compétence s'apprécie par rapport : au
76

lieu de la commission de l'infraction, de la résidence du prévenu ou du lieu


de l'arrestation de l'auteur de l'infraction.

● Le Tribunal sera-t-il compétent ratione personae ?

Bien que tous les citoyens soient égaux devant la justice, le législateur,
sans déroger véritablement à ce principe, a institué dans l'intérêt même d'une
meilleure justice pénale, des juridictions spéciales en raison de la qualité de
l'auteur de l'infraction.

● Quel est l'objet de la citation ?

Une fois que le problème de procédure résolu, le juge passe aux élé-
ments du dossier en rapport avec le fond de l'affaire pour en saisir ou dégager
l'objet de la citation.

● L'entrée dans la salle d'audience

Le juge est ténu de sauvegarder le caractère rituel de l'audience publique


et en cela, faire une entrée solennelle dans la salle d'audience plutôt que d'y
pénétrer de n'importe quelle manière sous un quelconque prétexte.

Comment faire son entrée dans la salle d'audience ?

Le juge qui, la veille, avait déjà préparé le procès simulé, se réunira


avec le ministère public, les juges assesseurs et le greffier audiencer pour
certaines précisions avant l'entame de la prestation. A l'heure indiquée pour
le début de l'audience, le greffier précédant le tribunal fera l'annonce de l'en-
trée du tribunal par cette petite phrase : « Madame, Monsieur le Tribunal,
veuillez-vous lever !» Ou soit « Madame, Monsieur le Tribunal ! »
77

Le juge président, les juges assesseurs et le ministère public feront leur


entrée en fil indien dans la salle d'audience.

● L'ouverture de l'audience du premier degré

D'entrée de jeu, le président de la juridiction déclare ouverte l'audience


publique. Il prononcera la formule sacramentelle. Il le fera à voix audible
pour se faire entendre jusqu'au fin fond de la salle d'audience.

« L'audience publique du Tribunal de grande instance de Kinshasa


Gombe siégeant en matière répressive au premier degré, est déclarée ou-
verte » ;

« Le Tribunal de grande instance de MATADI siégeant en matière ré-


pressive au premier degré déclare ouverte son audience publique de ce jour
».

● L'ouverture de l'audience pénale au second degré

Lorsqu'il s'agira de l'audience pénale au second degré, le président de


la chambre prononcera des paroles adaptées à cette audience ; car il devra
remplacer « au premier degré », par « au second degré ».

« L'audience publique du Tribunal de grande instance de MATADI sié-


geant en matière répressive au second degré, est déclarée ouverte ».

Qu'est-ce qui suit immédiatement l'ouverture de toute audience pu-


blique ?

Après avoir déclarée l'audience publique ouverte, le président donne


parole au greffier pour procéder à la lecture de l'extrait du rôle.

« Monsieur le greffier, veuillez donner lecture de l'extrait du rôle ».


78

Une fois que la lecture de l'extrait du rôle est terminée, le président re-
prend la parole et procède à l'appel des causes.

● De l'appel des causes du rôle

A la différence de l'audience civile où l'on suit l'ordre établi sur l'extrait


de rôle, en matière pénale, aussitôt après la lecture de l'extrait du rôle donnée
par le greffier, le tribunal se remet à la disposition des avocats qui feront
appeler les affaires de leurs clients suivant l'ordre de préséance.

« A cette étape de la procédure, le Tribunal s'en remet à la disposition


des avocats afin d'appeler leurs affaires suivant l'ordre de préséance ».

● De la comparution des parties

Le greffier tient note de la comparution des parties sous la direction du


président. Il dresse un procès-verbal d'audience. Le président fait acter
d'abord la comparution de la partie civile s'il y en a une, avant celle de la
partie prévenue.

Le président devra veiller à ce que les comparutions soient clairement


actées par le greffier dans la feuille d'audience.

La comparution personnelle du prévenu est le principe et la représenta-


tion n'est possible qu'en cas d'infractions punissables de 2 ans de servitude
pénale au maximum (Article 71 du code de procédure pénale). Toutefois, la
représentation du prévenu par un conseil sera admise uniquement lorsqu'il
s'agira de solliciter une remise.
79

Au degré d'appel, la représentation est le principe45 et la comparution


personnelle des parties en est l'exception. Dans ce cas, le président de la
chambre est tenu de s'adresser au greffier en empruntant la même formule
qu'au premier.

● De la saisine du juge pénal

A cette étape de la procédure le Tribunal doit vérifier d'office sa saisine,


sa compétence et plus généralement la recevabilité de l'action avant d'ouvrir
l'instruction à l'audience. Après avoir appelé la cause et fait comparaître les
parties, le juge doit vérifier la régularité de la saisine pour enfin se déclarer
saisi ou non saisi et dans ce dernier cas, il ne pourra rien faire d'autre si ce
n'est de renvoyer la cause à une date ultérieure.

Le juge répressif est généralement saisi par une citation à prévenu ré-
gulière, ou par une citation directe46 (art 58 du code de procédure pénale) ou
encore la comparution volontaire du prévenu47.

Par ailleurs, en instance d'appel, il faut noter que le délai pour interjeter
appel est de 10 jours. Ce délai est couvert du jour du prononcé ou de la si-
gnification du jugement selon qu'il est contradictoire ou par défaut (art. 97
du CPP).

45
La maxime nul ne plaide par procureur oblige le mandataire seulement à préciser dans les actes
de procédure, le nom de la personne qu'il représente et qui est véritable partie au procès. (CSJ,
545, 16|06|1982, in Dibunda Kabuinji Mpumbuambuji, Répertoire général de la jurisprudence
de la cour suprême de justice 1960-1985, C.P.D.Z, Kinshasa 1990, p. 203).
46
Lorsque la citation directe n'a pas été signifiée conformément aux prescriptions de l'article 59
du code de procédure pénale, elle ne saisit la juridiction de premier degré que si le vice est
couvert par la comparution personnelle des cités à l'audience d'introduction. CSJ, RPA 5,
22|06|1972, in Dibunda, Op-cit, p.33.
47
Ne constituepas une comparution volontaire du prévenu, le fait d'avoir été interpellé sur certains
faits et d'avoir répondu, si les formalités légales exigées par l'article 55 du code de procédure
pénale n'ont pas été respectées. (CSJ, RPA 27, 25|05|1974, idem, p. 35).
80

Retenons que seul l'acte appel saisit le Tribunal48 tandis que les exploits
de notification d'appel et de citation à comparaître donnés aux parties ont
pour but de permettre au Tribunal de procéder (à l'instruction) ; en d'autres
termes, de mettre la cause en état de recevoir instruction. Par conséquent,
lorsque les parties n'auront pas été atteintes par lesdites notifications, le juge
ne devra pas se déclarer non saisi mais tout simplement, il renverra la cause
à une date ultérieure pour l'accomplissement de ce devoir.

B. L'instruction des affaires pénales

Considérant le fait que l'instruction se mène rarement dans les différents


procès simulés organiser dans nos différents clubs juridiques, nous citerons
ici en liminaire que quelques aspects importants liés à l'instruction de la
cause en matière pénale.

● La recherche active de la vérité sur les faits

La durée des débats doit être compatible avec le droit à un procès équi-
table c'est-à-dire les accusés et leurs conseils ne doivent pas suivre les débats,
répondre aux questions et plaider dans un état de fatigue excessif. De même
les juges ne doivent pas perdre leurs pleines capacités de concentration et
d'attention pour suivre les débats et pouvoir rendre un jugement éclairé.

L'instruction à l'audience est menée oralement. En vertu du principe de


l'oralité des débats, le juge doit connaître la personnalité du prévenu ; celui-
ci ou son conseil doit être entendu à l'audience à propos des éléments sur
lesquels va se baser la conviction du juge, de façon à pouvoir y répliquer.

48
La juridiction d'appel est saisie par l'acte d'appel et non par la citation donnée au prévenu. CSJ,
RP 211, 26|02|1977, ibid.
81

Le juge pénal procède à une recherche active portant sur tous les élé-
ments matériels et moraux requis par la loi pour déterminer si les faits dont
il est saisi sont constitutifs d'infraction et quelle est leur gravité49. Ce qui
importe, c'est que les juges acquièrent une connaissance suffisante des faits
infractionnels et des circonstances objectives et subjectives de leur commis-
sion. L'instruction doit être menée avec cet objectif, sans entraves forma-
listes50.

● Vérifications des présences

Le président vérifie la présence à l'audience ou l'absence des parties en


cause (prévenus, parties civiles, personnes civilement responsables) ainsi
que celles des témoins (qu'il fera retirer dans une salle spéciale peu importe
qu'il s'agisse de témoins cités ou témoins entendus en vertu du pouvoir dis-
crétionnaire du président), des experts et des interprètes.

● Vérification des identités des prévenus (cités)

Le président lui demande son nom, son lieu de naissance et date, sa


profession, sa demeure, les noms de ses parents et sa province d'origine.

La vérification de l'identité du prévenu constitue une opération extrê-


mement importante dans le cadre de l'activité juridictionnelle du juge pénal,
tant elle tend à éviter l'erreur sur la personne.

« Comparaît le prévenu (cité) X, veuillez décliner votre identité ».

49
A. RUBBENS, Droit Judiciaire Congolais, TOME III : l'instruction criminelle et la procédure
pénale, Kinshasa, PUC, 2010, N°147, p. 125.
50
A RUBBENS, Op-cit, p. 125.
82

● Clôture de l'instruction

Lorsque l'instruction est terminée c'est-à-dire que le juge estime qu'il


est suffisamment éclairé et qu'il faille recevoir les plaidoiries, il en fera la
déclaration à l'intention des parties.

« La religion du Tribunal est suffisamment éclairée » ; « La religion du


Tribunal étant suffisamment éclairée, le Tribunal clos l'instruction de la
cause ».
83

1.3.B. Canevas de l'audience publique en matière pénale

A. Canevas du premier degré

● L'audience publique du Tribunal de paix de Kinshasa|Gombe siégeant


en matière répressive au premier degré est déclarée ouverte, Madame,
Monsieur veuillez vous rasoirs ;
● Monsieur le greffier, veuillez procéder à la lecture de l'extrait du rôle
;
● Le Tribunal est à la disposition des avocats afin d'appeler leurs affaires
suivant l'ordre des préséances ;
● Le Tribunal appelle la cause inscrite sous RP|015.35, en cause l'offi-
cier du Ministère Public contre et la partie civile (citante) X contre le
prévenu (le cité) Y ;
● Actes qu'à l'appel de la cause, la partie civile (citante) comparaît en
personne (ou par son conseil, Maître Z) tandis que le prévenu (le cité)
comparaît en personne assisté de son conseil, Maître A, avocat au bar-
reau de… ;
● Le Tribunal se remet à la disposition de toutes les parties au procès,
s'il y a les préalables ;
● Sur l'état de la procédure, le Tribunal est non saisi, renvoie la cause à
l'audience publique du… ; enjoint au greffier de régulariser la procé-
dure à l'égard du prévenu ; (ou bien) ;
● Le Tribunal se déclare saisi ;
● Le Tribunal passe la parole à l'officier du ministère public pour nous
présenter le prévenu ;
84

● Comparaît le prévenu, (vérification de son identité) né à……, le…..,


fils de……..et de…………., originaire…………etc. C'est exact ?
● Vous êtes poursuivi pour avoir
à………………………………………………………………………
● Comparaît la partie civile (citante), vous avez la parole pour exposer
les faits de la cause ;
● Comparaît le cité (le prévenu), reconnaissez-vous ces faits ? Éventuel-
lement donnez alors votre version des faits ?
● Il va s'en suivre l'interrogatoire serré du prévenu ;
● La religion du Tribunal est suffisamment éclairée ; (lorsque l'instruc-
tion est terminée) ;
● Comparaît la partie civile, vous avez la parole pour nous présenter vos
conclusions (plaidé) ;
● Le Tribunal prendre acte de vos conclusions (plaidoirie) et passe la
parole à l'officier du ministère public pour ses réquisitoires ;
● Le Tribunal prend acte de vos réquisitions et passe la parole au pré-
venu pour sa défense ;
● Les débats sont déclarés clos, l'affaire est prise en délibéré, le juge-
ment interviendra dans le délai de la loi ; ou après avoir entendu toutes
les parties au procès le Tribunal est suffisamment éclairé et prend la
cause en délibéré pour se prononcer dans le délai de la loi.
85

1.4. PROCÈS SIMULÉ EN MATIÈRE CIVILE

Faisant suite au fait que la matière civile ne pas la plus usitée dans le
cadre des procès simulés dans nos différents clubs juridiques, nous n'expo-
serons ici que l'essentiel de la matière sans prétendre à une quelconque ex-
haustivité.

1.4.a. Le formalisme des audiences civiles

Le déroulement de l'audience de jugement en matière civile présente


certains caractères fondamentaux qui l'opposent aux phases du procès pénal.
Ces caractères se retrouvent devant toutes les juridictions civiles et commer-
ciales, et la conduite des débats a lieu selon un schéma à peu près uniforme
; cependant, certaines particularités sont propres aux audiences en matière
civile ; il en est particulièrement ainsi de la matière de divorce qui obéi à un
formalisme plus minutieux.

Le rôle du juge civil dans l'instruction d'une cause en matière civile est
de diligenter, d'orienter, et de diriger la mise en état de la cause.

1.4.b. L'oralité des débats

On notera qu'en matière civile, bien que les parties puissent prendre des
conclusions écrites, l'article 15 du code de procédure civile prévoit que les
parties sont entendues contradictoirement.

Parallèlement, le principe de l'oralité est respecté en procédure civile en


ce sens que les parties doivent comparaître en personne ou représentées par
leur conseil pour soutenir verbalement leurs conclusions écrites sous forme
de plaidoiries. Donc l'instance civile laisse une place à l'oralité.
86

1.4.c. Le caractère contradictoire de l'instruction en ma-


tière civile

L'importance de la procédure contradictoire à l'audience n'est plus à dé-


montrer ainsi que nous avons eu à l'exploiter précédemment parlant de la
conduite des débats en matière pénale. En vertu de ce principe, le Tribunal
n'est pas saisi d'une prétention de droit si la partie contre laquelle elle a été
formulée n'en est pas avisée en bonne et due forme et dans les délais légaux.

C'est un principe naturel de l'instance qui veut que chaque partie soit en
mesure de discuter les prétentions, les arguments et les preuves de son ad-
versaire. Ce principe peur se confondre avec le droit de la défense51.

1.4.d. Le système accusatoire et le principe dispositif

En procédure civile, le caractère accusatoire est plus dominant ; car


seule l'action des parties peut déclencher l'activité juridictionnelle des juges
et délimiter leur saisine. Même après avoir saisi le juge, les parties peuvent
de commun accord, le dessaisir ou restreindre sa saisine.

Le principe accusatoire voudrait dire que l'initiative et le déroulement


de l'instance appartiennent d'abord aux parties, sous réserve importante, de
direction du procès, de son impulsion.

Le principe dispositif veut dire tout simplement que le juge ne peut dire
le droit que dans la stricte mesure où les parties le lui demandent. L'action
civile appartient aux parties sous réserve du rôle accru du juge.

51
J. VINCENT et S. GUINCHARD, Procédure Civile, 24° édition, Paris, Dalloz, n° 611, p. 431.
87

Section 1 : Le déroulement de l'instance civile

● L'entrée dans la salle d'audience

L'entrée dans la salle d'audience se fait absolument suivant le cérémo-


nial d'une séance publique de jugement. Au moment où les juges font leur
entrée dans la salle, toute l'assistance doit se mettre debout par le respect dû
au Tribunal de céans.

Toute personne peut assister à l'audience à condition d'y être dans le


respect et le silence, sans donner de signes d'approbation ou de désapproba-
tion sous peine d'expulsion par le président de la chambre de jugement.

● L'ouverture de l'audience publique

Avant de déclarer l'audience « ouverte », le juge doit s'assurer que tout


le monde est debout et obliger tout celui qui serait distrait à s'y conformer.

La déclaration d'ouverture est prononcée par le président de la chambre.


Elle est faite tout en restant debout. La déclaration d'ouverture doit être au-
dible et éloquente.

« L'audience publique du Tribunal (de grande instance de KANANGA)


siégeant en matière civile au premier degré est déclarée ouverte. Veuillez-
vous rasoirs ! »

« Le Tribunal de (grande instance de KINDU) siégeant en matière ci-


vile au premier degré, déclare ouverte son audience publique de ce jour. Je
vous en prie ! »

Siégeant en appel, pour l'ouverture de l'audience, le président devra tout


simplement remplacer les termes « premier degré » par « second degré ».
88

C'est exactement la même formulation qu'au premier degré mais adaptée au


cas d'espèce (l'instance d'appel).

« L'audience publique du Tribunal de grande instance de KISANGANI


siégeant en matière civile au second degré, est déclarée ouverte ».

● L'ouverture de l'audience foraine

En matière civile, à l'instar de la matière pénale, le Tribunal peut pour


diverses raisons, tenir une audience en dehors de son siège ordinaire. Cette
audience fixée par jugement avant dire droit signifié aux parties à bref délai,
a généralement pour objet la descente sur les lieux. Comment cette audience
dite « foraine » sera-t-elle ouverte ?

« Le Tribunal de grande instance Kinshasa Gombe siégeant en matière


répressive au premier degré en son audience foraine et publique de ce jour,
déclare celle-ci ouverte, veuillez-vous rasoirs ! »

● L'ouverture de l'audience publique du Tribunal itiné-


rant

En vue du rapprochement de la justice des justiciables, le Tribunal peut


tenir ses audiences d'un lieu à l'autre de son ressort, sans toutefois dégarnir
son siège ordinaire.

Dans ce cas, le président qui a la conduite des débats procédera à l'ou-


verture de l'audience en précisant le caractère itinérant et public de celui-ci.

« L'audience itinérante et publique du Tribunal de grande instance de


BULUNGU siégeant en matière civile au premier degré, est déclarée ouverte
».
89

➔ Qu'est-ce qui suit immédiatement l'ouverture de toute au-


dience publique ?

Après avoir déclarée l'audience publique ouverte, le juge invite le gref-


fier à donner la lecture de l'extrait de rôle. La lecture de l'extrait de rôle ter-
minée, le juge reprend la parole et procède à l'appel des causes.
90

PARTIE 3

LES MODÈLES DE PLAIDOIRIE


Les développements contenus dans la présente partie sont généra-
lement issus du petit manuel de la défense pénale en RDC de interna-
tional Bridges to justice et les grandes plaidoiries des ténors du bar-
reau de Mathieu ARON, l'auteur renvoi le lecteur à la lecture de ces
deux documents pour parfaire sa compréhension de la matière exposée
dans la présente partie.
91

1. Plaidoirie
La plaidoirie constitue un cas particulier de prise de parole. Il
s’agit d’une prise de parole qui s’inscrit dans un lieu donné avec la recherche
d’un objectif précis : la plaidoirie est une prise de parole dans une instance
judiciaire (devant un juge donc), pour défendre une cause. Bien évidemment,
la plaidoirie renvoie elle-même, implicitement, à la notion plus large de rhé-
torique qui vient du latin rhetorica, terme issu lui-même du grec ancien (rhê-
torikê tekhnê), qui se traduit par « technique, art oratoire ».

Selon Ruth Amossy, « telle qu’elle a été élaborée par la culture


de la Grèce antique, la rhétorique peut être considérée comme une théorie
de la parole efficace liée à une pratique oratoire ». La rhétorique, c’est-à-
dire l’art de bien parler, est évidemment utile voire indispensable à la plai-
doirie, mais elle n’est pas le propre de cette dernière.

La plaidoirie est, devant une juridiction, la partie de l'intervention


d'une des parties ou d'un avocat par laquelle sont exposées oralement ses
demandes dites aussi "prétentions" et ses défenses, sont présentés les faits,
les moyens de fait et de droit et les preuves qui sont destinés à emporter la
conviction du tribunal. Le verbe correspondant est "plaidé". Il ne s'applique
qu'aux explications données par les parties ou par leur conseil, il ne s'ap-
plique pas à l'argumentation du représentant du Ministère Public. Le Procu-
reur et les magistrats du parquet qui le substituent, ne plaident pas, ils "re-
quièrent", on dit encore "qu'ils prennent des réquisitions".

La plaidoirie ne pas à confondre d'un plaidoyer, qui est la défense


écrite ou orale d’une opinion, d’une cause, d’une politique ou d'un groupe de
92

personnes. Un discours de défense. Jadis, plaidoyer était un verbe qui signi-


fiait "défendre une cause en justice". Le verbe a été remplacé par plaider,
laissant le nom plaidoyer.

Initialement, ce nom avait, comme le verbe, une connotation juri-


dique : le plaidoyer était le "discours prononcé à l’audience pour défendre
le droit d’une partie". Depuis, le plaidoyer est sorti du cadre du droit : c’est
la "défense passionnée d’une ou plusieurs personnes, d’une idée", au moyen
d’une argumentation. Par exemple, un plaidoyer pour la paix. Il existe aussi
des plaidoyers "contre", comme le "Plaidoyer contre la peine de mort" de
Victor Hugo (1848).

Les synonymes de plaidoyer ne manquent pas, des plus courants


aux plus littéraires : l’éloge, la louange, l’apologie, le dithyrambe, le pané-
gyrique…

La plaidoirie est l'action de plaider. Elle consiste en l'exposé oral,


devant une juridiction, des faits de l'espèce et ses prétentions en faisant valoir
au soutien de celles-ci des preuves et moyens de Droit, et en développant les
arguments en faveur de sa thèse. En général, elles sont l'explication des con-
clusions écrites déjà échangées entre parties et l'explication des preuves con-
testées52.

Matadi Nenga Gamanda, renseigne que le fait que les parties se


soient échangées les pièces et conclusions ne vaut pas en lui-même soumis-
sion contradictoire des thèses ; il faut encore qu'au cours de l'audience, le
Tribunal déclare avoir entendu toutes les parties soit par plaidoiries pronon-
cées devant lui soit par le fait de prendre acte du dépôt sur les bancs des
pièces et conclusions ayant déjà fait l'objet de communication entre parties.

52
MATADI NENGA GAMANDA, op-cit, n°372, p. 355.
93

S'il est vrai que la plaidoirie explique mieux ce qui est écrit, il faut
avouer qu'avec le développement technique du Droit, les juges modernes
n'ont que faire d'envolées oratoires avec effets des manches qui ne prouvent
rien. Les avocats Congolais ont encore la charge de la réflexion sur la lon-
gueur de leurs plaidoiries53. Un bon résumé technique l'emporte toujours sur
la succession pédante des verbes qui sonnent bien au subjonctif !

Toutefois, il n'est pas exact de croire que la plaidoirie n'est qu'un


ornement judiciaire. La plaidoirie participe au caractère public des débats,
en tout cas mieux que les écrits. Dans un pays démocratique, on a besoin de
cette publicité qui permet aux citoyens de juger de la marche de la justice et
du degré d'usage de la liberté de la parole.

En vérité, l'oral et l'écrit se complètent. Socrate expliquait à Phèdre


que l'écrit c'est comme la peinture ; ils gardent silence lorsqu'on leur pose
une question ; que l'on pourrait même croire qu'ils parlent en personnes in-
telligentes, mais dès qu'on leur demande de s'expliquer, ils ne répondent
qu'une chose, la même. L'écrit à toujours besoin de son auteur, écrit Socrate
car « il n'est pas capable de repousser une attaque et de se défendre lui-
même ».

L’apprentissage des techniques de plaidoirie implique que l’on


distingue nettement, d’une part, les notions de plaidoirie, de discours et de
prise de parole, et d’autre part les différents genres de discours rhétoriques.
Par ailleurs, plaider c’est utiliser les trois piliers de la rhétorique classique
que sont le pathos, l’ethos et le logos qu’il convient de bien cerner.

53
Op-cit, p. 356.
94

Structurer sa pensée ne dédouane pas l’avocat de l’effort de penser


tout court. La plaidoirie est donc également un travail d’invention et de ré-
flexion. Enfin, la démarche pour construire une plaidoirie efficace passe par
le respect d’étapes qui ont été dégagées par les premiers rhéteurs et qui de-
meurent toujours d’actualité.
95

1.A. PLAIDOIRIE SIMULÉE

La plaidoirie professionnelle comporte trois parties :

- L'exode ou introduction
- La narration

Ici, on relate les faits, on raconte l'histoire.

- La péroraison

Ici, on demande à la juridiction ce que l'on veut qu'elle fasse (condam-


nation, dommages intérêts).

La méthode précédente est adaptée ici de manière théâtrale. La plaidoi-


rie a trois parties, tant en matière civile qu'en matière pénale.

1. PARTIE DEMANDERESSE OU PARTIE CIVILE

Trois parties :

● RELATION FACTUELLE

Consiste à raconter les faits. Elle porte sur quelques éléments indispen-
sables :

- Connaissance des faits (ici, de la pièce)

Il est question de connaître les noms des acteurs, des protagonistes.

- Connaissance des dates

Les dates permettent de résumer les faits.

- Point culminant
96

Il s'agit ici de la question principale de droit qui se pose. Ex : Dans une


pièce de harcèlement : le point culminant est le fait pour Magalie d'avoir
été harcelée.

- Connaissance des intérêts du client

Il est à noter qu'il ne faut jamais rien dire qui puisse nuire au client.

Ex : Dans une affaire de vol, il n'est pas question de dire que le client a
volé.

Ainsi donc doit-on se taire sur la faute du client. Il ne s'agit pas d'un
mensonge, mais d'un silence.

- Éviter les dilatoires

Dilatoire : argument inutile et superfétatoire. Il n'est pas question de


relater les faits avec des choses non inscrites dans l'affaire (pièce).

- Bloquer et comprendre la pièce

● MOYENS DE DROIT

Ici, on a devant nous les faits dont on doit créer l'interaction avec le
droit. Il s'agit de démontrer les théories de droit constituant le substratum
juridique de ce fait-là.

Les conséquences juridiques à tirer de ces faits.

Tout commence par trouver la loi en respectant la pyramide de Kelsen


:

- Interrogation de la loi

En cas de silence, on fera recours à la


97

- Jurisprudence

En cas de silence, recours sera fait à la

- Doctrine

Et ainsi de suite à la

- Coutume

Puis à l’

- Équité

L'objectif ici est de trouver la disposition qui justifie que la loi ou le


contrat selon qu'on est en matière pénale ou civile a été violé(e).

Le procédé de conciliation des moyens des droits et des faits se fait sous
forme de syllogisme et se présente de la manière suivante :

- Citer les faits


- Citer la loi
- Appliquer la loi aux faits

● DEMANDE DE RÉPARATION

Ici, on démontre qu'il y a eu préjudice, cependant il importe de préciser


la nuance qui existe entre le préjudice et le dommage. Le dommage relève
de fait, c'est-à-dire de l'événement qui objectivement constatable, et qui de-
meure au-delà du droit dont certaines atteintes soient corporelles, matérielle
ou immatérielle, peuvent rester hors de la sphère juridique, notamment pour
le dommage causé à soi-même ; il peut y avoir « dommage » sans « préjudice
98

». En revanche, tout « préjudice » a sa source dans un « dommage » d'une


part et d'autre54.

Par contre, le préjudice relève du droit, il exprime l'atteinte aux droits


subjectifs patrimoniaux ou extrapatrimoniaux qui appellent une réparation
dès lors qu'un tiers en est responsable55.

D'où la nécessité de démontrer les éléments constitutifs de la responsa-


bilité civile (démontrer la faute, le dommage et le lien de causalité entre la
faute et le dommage). Il faudra enfin demander à la juridiction la condamna-
tion de la partie adverse aux dommages intérêts.

Ce sont les articles 258 et 259 du Code civil, livre III, qui constituent le
siège de cette matière. Aux termes de l’article 258, « tout fait quelconque de
l’homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il
est arrivé, à le réparer ». De son côté, l’article 259 édicte que « chacun est
responsable du dommage qu’il a causé, non seulement par son fait, mais
encore par sa négligence ou par son imprudence ».

Un dommage peut souvent résulter de causes multiples. La question qui


se pose est celle de savoir laquelle il faut choisir. La doctrine a, à cet égard,
émis plusieurs solutions, mais la jurisprudence paraît décider surtout empi-
riquement. Elle écarte les rapports de causalité trop lâche ou trop extraordi-
naire et plus encore, elle s’attache aux rapports de causalité qui conduisent
vers les fautes moralement les plus graves. Là où une faute intentionnelle est
relevée, les fautes de négligence ou d’imprudence pâtiront56.

54
C. KALOMBO LUKUSA, Vers la requalification conceptuelle du préjudice en Droit Congolais
des obligations, in la réforme du Droit des obligations en RDC, Mélanges à la mémoire du
Doyen Bonaventure Olivier KALONGO MBIKAYI, Paris, Harmattan, 2020, p. 369.
55
Idem.
56
KALONGO MBIKAYI, Droit civil, Tome 1 : les obligations, Kinshasa, Éditions Universitaires
Africaines, 2012, p. 203.
99

Telle est la tendance jurisprudentielle ; mais il convient de voir les di-


verses solutions doctrinales en cas de multiplicité de causes. Parlons de l’hy-
pothèse d’un individu qui est heurté par une voiture et qui décède à l’hôpital
après une intervention chirurgicale. Enumération des causes : l’accident lui-
même dû à l’excès de vitesse ? La faute médicale dans l’intervention chirur-
gicale ? Le fait que le patron l’a libéré à une heure de pointe ? La tardiveté
dans l’administration des premiers soins ? La prédisposition physique de la
victime ? Le fait d’un tiers ? Solutions doctrinales.

A. Théorie de l’équivalence des conditions57

Suivant cette théorie, tous les événements lointains ou proches qui ont
conditionné le dommage sont équivalents, tous sont à égal titre la cause. Pour
bien déceler ces diverses causes, la théorie estime qui sera retenue comme
cause « tout fait du défendeur sans lequel le dommage ne se serait pas produit
tel qu’il s’est produit ». Et dès lors qu’on retient cette faute du défendeur
comme cause, il peut être obligé à la réparation de l’entièreté du dommage.

● Critique

Cette théorie aboutirait à donner à la responsabilité civile une trop


grande étendue. En l’appliquant à l’hypothèse ci-dessus, pratiquement toutes
les causes peuvent être retenues. A cette allure, on peut même allonger la
liste de causes et dire que s’il y a accident, c’est parce que l’auteur vivait et
s’il vivait, c’est parce qu’il a été conçu par la volonté de ses parents... On

57
Cette théorie a été développée en Allemagne avec le criminaliste Van Burn en 1885 pour ex-
pliquer que le complice puisse être rendu responsable de l’infraction commise par l’auteur
principal. La doctrine belge dans sa majorité a retenu cette théorie malgré les critiques. La
jurisprudence dans ce pays avec l’arrêt de la Cour de cassation du 13 avril 1988, a néanmoins
assoupli cette tendance. Voir à ce sujet, David-Constant (S), Propos sur le problème de la
causalité dans la responsabilité délictuelle et quasi délictuelle, JT, n° 5482 pp. 645-648. La
Cour aborde la fameuse question de la rupture du lien de causalité ; Cité par KALONGO
MBIKAYI, Op-cit, p. 203.
100

pourrait ainsi en arriver à mettre en cause l’humanité tout entière, voire le


créateur. Ce serait une responsabilité trop étendue.

B. Théorie de la proximité de la cause (causa proxima)

Cette théorie ne prend en considération, de tous les événements qui ont


conditionné le dommage, que celui qui est plus proche dans le temps, qui est
chronologiquement le dernier, qui a immédiatement précédé la donne. Ce
critère est simple mais aussi simpliste car dans bien de cas la cause détermi-
nante peut être antérieure dans le temps. Dans l’hypothèse précitée, l’inter-
vention chirurgicale est la dernière cause, mais l’accident lui-même peut
avoir été plus déterminant parce que dû à un manifeste excès de vitesse58.

C. Théorie de la causalité adéquate

Elle écarte de toutes les causes, celles qui normalement ne peuvent pas
adéquatement produire le dommage du genre de celui qui a été causé. Dans
l’hypothèse ci-dessus, on écarte par exemple le fait que le patron ait libéré la
victime à une heure de pointe, la tardiveté dans les premiers soins car en eux-
mêmes, ces faits ne peuvent pas entraîner le dommage du genre de celui qui
s’est produit à savoir la mort d’homme.

On ne retient comme cause dans une telle théorie que « la cause qui
normalement entraîne toujours un dommage de l’espèce considérée par op-
position aux causes qui n’entraînent un tel dommage que par suite de cir-
constances extraordinaires ». On introduit ainsi dans la recherche de la cause
le critère « de raisonnabilité » qui a été pratiqué en Angleterre. Toutes ces
théories démontrent les difficultés de définir les liens de causalité sur le plan
théorique. Aucune d’entre elles ne s’est d’ailleurs imposée en jurisprudence

58
KALONGO MBIKAYI, op. cit, p. 204.
101

car, nous l’avons dit : « cette dernière paraissait décider surtout empirique-
ment »59.

Une fois les trois conditions de responsabilité civile réunies, il naît au


bénéfice de la victime, c’est-à-dire dans son patrimoine, une créance en ré-
paration contre l’auteur de la faute dommageable. Ex : Paiement de 100.000$
de dommages intérêts.

2. PARTIE DÉFENDERESSE OU PARTIE PRÉVENUE

Ici, nous retrouverons les éléments contraires à la première partie. C'est


la relation factuelle qui contredit la première relation factuelle faite par
l'autre partie. Elle porte sur les éléments suivants :

- Contre faits

Il est ici question de contraindre les faits établis par l'autre partie en
connaissance de la pièce remise. On utilise ici le mobile de l'infraction, afin
de disqualifier les faits relatés par l'autre partie. Il s'agit d'une justification de
la faute.

- Connaissance des intérêts du client

Il est à noter qu'il ne faut jamais rien dire qui puisse nuire au client. Ex
: Dans une affaire de vol, il n'est pas question de dire que le client a volé.

Le risque ici est d'être poursuivies pour incompétence par le client.


Ainsi donc doit-on se taire sur la faute du client. Il ne s'agit pas d'un men-
songe, mais d'un silence.

59
Idem.
102

- Éviter les dilatoires

Dilatoire : argument inutile et superfétatoire. Il n'est pas question de


relater les faits avec des choses non inscrites dans l'affaire (pièce).

- Bloquer et comprendre la pièce

● CONTRE MOYENS DE DROIT

Ici, on cherche à contredire le droit tel qu'il a été exposé par la première
partie. Il sied de connaître le droit. Le principe et son exception, éventuelle-
ment l'exception de l'exception.

● DEMANDE RECONVENTIONNELLE

Est la demande intervenant parce qu'on a été blessé. Elle est introduite
pour propos téméraires et vexatoires. Ici, on démontre que le client n'a pas
commis l'infraction en démontrant qu'un élément constitutif de l'infraction
manque (en matière pénale cette demande ne peut être introduite que lorsque
la juridiction est saisie par citation directe, en vertu du principe de l'irres-
ponsabilité du ministère public, lorsque la juridiction est saisie par cita-
tion a prévenu il n'y a pas lieu de faire une demande reconventionnelle).

On déclarera ensuite la requête de l'autre partie recevable mais non fon-


dée. Enfin, on demandera de la juridiction l'acquittement de son client et les
dommages intérêts pour avoir touché à sa personnalité par cette accusation.

● ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DE L'INFRACTION

Avant de procéder à l'analyse des éléments constitutifs de l'infraction,


nous dirons d'emblée un mot sur l'infraction.
103

Considérée d'un point de vue très général en France, l'infraction est


tout fait contraire à l'ordre social, qui expose celui qui l'a commis à une
peine et ou à une mesure de sûreté (assistance, surveillance, éducation, trai-
tement, cure de désintoxication, travail d'intérêt général, suivi socio-judi-
ciaire, surveillance de sûreté).

Mais la société ne pouvant imposer sans arbitraire une mesure quel-


conque à un individu, sous prétexte qu’il s’est révélé dangereux ou qu’elle
le considère tel, le législateur est intervenu pour déterminer les actes qu’elle
a le droit de réprimer ; si bien que la notion de l’infraction est avant tout une
notion juridique. Elle consiste en un comportement prévu et puni par la loi
pénale, et qui autorise l’application d’une peine ou d'une mesure de sûreté à
son auteur. Et même, la notion d’infraction n’est-elle pas exclusivement ju-
ridique ? Elle l’est sans aucun doute sur le plan du droit positif.

Mais si l’on se place, comme le font les criminologues, sur le terrain de


la défense de la société (répression, élimination, traitement), la détermina-
tion de l’infraction ne dépend plus de l’examen juridique de ses conditions
légales d’existence ; elle est conditionnée par l’analyse préalable de ses
causes réelles. Le criminologue se demande, compte tenu des observations
et de l’expérience, quels sont les faits qu’il convient de considérer comme
des infractions, même s’ils ne répondent pas aux prévisions de la société60.
De là, des conceptions fort différentes de l’infraction, suivant qu’elles éma-
nent d’anthropologues (pour ceux-ci, l’infraction est le symptôme d’une per-
sonnalité dangereuse caractérisée par une lésion localisée du cerveau) ou

60
V. PINATEL, « L’élément légal de l’infraction devant la criminologie et les sciences de
l’homme », RSC 1967. 683 ; Cité par B. BOULOC, Droit pénal général, 25 édition, Paris,
Dalloz, 2017, p. 94.
104

de sociologues (pour qui l’infraction est toute agression dirigée par un indi-
vidu, membre d’un groupe social, contre toute valeur commune à ce groupe).

Du point de vue juridique, on peut définir l'infraction : l'action ou


l'omission, imputable à son auteur, prévue ou punie par la loi ou un règlement
d'une sanction pénale61. Cependant, le législateur s’est bien gardé de définir
l’infraction. Par un raccourci saisissant, on peut écrire que l’infraction est «
tout fait prévu et puni par la loi pénale ». L’infraction est à la fois un fait
humain et social. Il ne faut pas perdre de vue cette dualité sous peine d’avoir
une vision un peu trop désincarnée de l’infraction.

Dès lors qu’un texte a incriminé un agissement et a fixé le maximum de


la peine applicable, il y a infraction. Chacune d’elles a ses propres caracté-
ristiques62, le vol (soustraction frauduleuse de la chose d’autrui) se différen-
cie des violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Mais,
tous les crimes et les délits présentent une structure commune. La loi définit
ce qui matériellement est prohibé, et elle indique si, pour la sanction, il est
nécessaire que l’agent ait voulu l’action, ou s’il suffit qu’il ait commis une
imprudence ou une négligence.

61
Comp. la définition adoptée par Dana, « Essai sur la notion d’infraction pénale », LGDJ 1982
et l’article de Marchal et Scheers au sujet de cet ouvrage (« Une borne franchie ; une nouvelle
théorie conceptuelle de l’infraction », RSC 1983. 433). Pour A. C. Dana, l’infraction se carac-
térise par deux traits essentiels : c’est une action humaine imputable et une action humaine
coupable ; Cité par B. BOULOC, Op-cit, p. 94.
62
La plupart des criminalistes distinguent des éléments constitutifs spéciaux de l’infraction, ce
qu’ils appellent la « condition préalable ». Elle consiste en un état de fait ou de droit, antérieur
à l’activité proprement délictueuse et sans lequel le comportement ne serait pas punissable.
C’était le cas d’un contrat préalable pour l’abus de confiance ou de l’infraction qui a procuré
la chose recelée pour le recel. V. : Rassat, Droit pénal spécial 7e éd., no 2-1o, 59, 100 ; Dou-
cet, La condition préalable à l’infraction, Gaz. Pal. 1972. 2. Doctr. 726 ; Decocq, Droit pénal
général, p. 88. À vrai dire, il s’agit d’un des éléments requis pour constituer le délit ; Cité par
B. BOULOC, Op-cit, p. 219.
105

À ces deux éléments traditionnels et classiques, quelques auteurs étran-


gers et même français en ont ajouté un autre : l’acte devrait encore être con-
traire au droit. De cette condition, on a tiré dans certains pays l’élément d’an-
tijuridicité (Rechtswidrigkeit-antigiuridicita) et en France, l’élément injuste
résultant de l’absence de toute cause légale de justification63.

Certes, toute infraction est en soi un fait antijuridique ; mais comme un


fait n’est antijuridique que s’il est prohibé par la loi ou non justifié par elle,
en définitive l’élément injuste se ramène à l’élément légal et se confond avec
lui. Aussi, rejetant cet élément d’antijuridicité qui n’aboutit finalement qu’à
la négation de l’existence de l’élément légal dans un cas d’espèce déterminé
et qui entre dans une des causes de justification64.

Pour que l'infraction soit établie, il faut la réunion de trois éléments :


matériel, légal (aucune analyse particulière ne sera faite dans le cadre de la
présente étude, par rapport à l'élément légal étant donné que celui-ci renvoi
au texte incriminateur) et moral. L’analyse de la structure de l’infraction sus-
cite de véritables difficultés quant à sa présentation théorique. En ce do-
maine, chaque auteur (ou presque) y va de sa propre analyse. Pour mesurer
le choix retenu ici, il est utile de préciser au préalable la nature des difficultés
évoquées.

● ÉLÉMENT MATÉRIEL

À la différence de la morale, qui scrute les consciences et sanctionne


les mauvaises pensées et les intentions coupables, le Droit pénal qui protège
la société ne réprime pas les simples idées et intentions criminelles, non plus

63
Merle et Vitu, 7e éd., I, no 435. Mme Rassat rassemble sous le titre de l’élément injuste les
faits justificatifs de l’ordre de la loi, de la légitime défense et de l’état de nécessité, nos 316 s
; Cité B. BOULOC, Op-cit, p. 220.
64
B. BOULOC, Op-cit, p. 220.
106

que la résolution de commettre un délit, car elles ne troublent pas l’ordre


social. Il ne les punit que lorsqu’elles se sont manifestées extérieurement par
un fait ou un acte. Le fait ou l’acte extérieur par quoi se révèle l’intention
criminelle ou la faute pénale constitue l’élément matériel de l’infraction.

C’est, par exemple, le coup de feu ou de couteau porté à autrui (homi-


cide), la soustraction de la chose d’autrui (vol), le fait de n’avoir pas porté
secours à une personne en péril, le fait d’avoir laissé son automobile à une
place où le stationnement est interdit.

C’est la facette la plus visible de l’infraction, la matérialité de l’infrac-


tion traduit tout ce qui se rattache à la réalisation de l’infraction, à l’exception
de l’élément moral : « il n’existe pas d’infraction sans activité matérielle »65.
« Un droit pénal démocratique est un droit pénal de l’acte ». Indépendam-
ment de toutes questions de preuve, prétendre que le droit pénal puisse ap-
préhender les simples pensées reviendrait à abolir du même coup toute li-
berté individuelle. Le droit pénal doit gouverner les conduites et non les
consciences66.

● La nécessité d'un acte positif

L’élément matériel nécessaire à l’existence de l’infraction peut être soit


un acte positif ou un acte négatif (action ou omission), soit un acte instan-
tané ou un acte continu, soit un seul acte ou plusieurs actes, ce qui conduit à
préciser l’élément matériel.

65
P. K. LAURENCE LETURMY, Cours de Droit pénal général, 5° édition, Paris, Qualino, 2019-
2020, p. 139.
66
P. K. LAURENCE LETURMY, Op-cit, p. 142.
107

➢ Infraction de commission et l'infraction d'omission

Le plus souvent, l’élément matériel réside dans un acte positif qui con-
siste à faire ce que la loi prohibe (tuer, blesser, voler). Le délit est alors un
délit d’action ou de commission. Parfois, mais plus rarement, l’élément ma-
tériel réside dans un acte négatif qui consiste à ne pas accomplir ce que la loi
commande de faire dans l’intérêt général (porté secours à une personne en
péril, faire telle déclaration). C’est alors le délit d’inaction ou d’omission67.

➢ Infraction d'omission par omission

Le résultat, généralement provoqué par une action positive (commis-


sion), peut parfois provenir d’une simple omission. Ainsi l’homicide et les
blessures qui peuvent résulter d’un coup de revolver ou de couteau peuvent
aussi avoir pour cause une négligence (homicide ou blessures par impru-
dence). L’homicide provoqué par omission expose-t-il son auteur aux mêmes
peines que l’homicide provoqué par commission ? Entre le délit de commis-
sion et le délit d’omission existe-t-il une catégorie intermédiaire, celle du
délit de commission par omission ? Si, par exemple, au lieu de tuer quelqu’un
d’une balle de revolver ou d’un coup de poignard (commission), je le laisse
périr en le privant d’aliments ou en ne lui en portant pas secours, alors qu’il
est en train de se noyer sous mes yeux (omission), suis-je coupable d’un ho-
micide volontaire, du fait de mon omission ? En d’autres termes, un délit de
commission peut-il résulter d’une simple omission ?

Dans l’Ancien Droit, l’auteur d’une omission pouvait parfois être puni
comme s’il avait accompli le fait de commission. « Qui peut et n’empêche,
pèche », disait Loysel, mais cette maxime était loin d’être observée de façon
générale. En l’absence d’une disposition dans le Code pénal, la jurisprudence

67
B. BOULOC, Op-cit, p. 222.
108

a refusé d’assimiler l’abstention à une action et d’admettre qu’un délit de


commission puisse résulter d’une simple omission. Dans l’affaire de la « sé-
questrée de Poitiers », la Cour de Poitiers a décidé que le délit de coups et
blessures volontaires ne pouvait pas être retenu à l’encontre des parents qui
avaient laissé sans soins, dans une chambre sans air et sans lumière, une per-
sonne âgée et infirme atteinte d’aliénation mentale au point que son existence
était compromise.

Pour les tribunaux, l’abstention n’équivaut point à la commission, car


elle ne répond pas à la définition légale de l’infraction ; en décider autrement
serait raisonner par analogie, ce qui est une méthode d’interprétation inter-
dite (sauf lorsqu'elle est favorable au prévenu). C’est seulement, dans les
hypothèses où la loi l’a expressément prévu, que l’omission peut avoir la
valeur d’une commission et exposer son auteur aux peines édictées pour le
délit de commission.

Face à la nécessité d’un acte matérialisé, on fait valoir que le législateur


doit également intervenir pour prévenir les comportements dangereux. Dès
lors, les nécessités de la prévention (qui s’adresse au futur) contrarient la
limitation du droit pénal à la seule conduite (qui se rattache au passé).

● Notion d’« infractions-obstacles »

En marge du principe de l’exigence d’un acte, le législateur incrimine


parfois, de manière autonome, un comportement dangereux susceptible de
déboucher sur une infraction. Si, à l’évidence, cette avancée de la répression
sert l’intérêt et le bien social, elle voile quelque peu l’exigence d’un acte
matériel.

Exemples « d’infractions-obstacles ». Les hypothèses sont nom-


breuses et le plus souvent bien comprises. La prohibition du port d'armes, la
109

conduite sous l’empire d’un état alcoolique répondent par exemple assuré-
ment de cette logique.

● ÉLÉMENT MORAL

Pour que l'infraction existe juridiquement, il ne suffit pas qu'un acte


matériel (élément matériel), prévu et puni par la loi pénale ait été commis, il
faut encore que cet acte matériel ait été l'œuvre de la volonté de son auteur.
Ce lien entre l'acte et l'auteur, que le droit anglais appelle la mens rea (la
volonté criminelle) par opposition à l’actus reus (acte criminel), constitue
l’élément moral68. Il faut que l’élément moral se joigne à l’élément matériel
(qu’il apparaisse avant ou au même moment) pour que l’infraction soit cons-
tituée69.

Le législateur en effet ne punit que les conséquences antisociales d’un


acte volontaire. En l’absence de volonté, en cas de force majeure par

68
Pour quelques auteurs, l’élément moral n’est pas un élément constitutif de l’infraction, mais
une condition psychologique de la culpabilité de l’auteur d’une infraction, objectivement cons-
tituée (Merle et Vitu Traité de droit criminel, 7e éd., nos 572 s. ; Comp. G. Levasseur « Étude
de l’élément moral de l’infraction », Annales de la Faculté de droit de Toulouse, t. XVIII,
fac. 1, p. 81 s.). Pour d’autres, une fois l’imputabilité établie, il faut rechercher si la société
reproche une « réaction hostile aux règles sociales », (A. C. Dana, Essai sur la notion d’in-
fraction pénale, p. 343). Quelques auteurs estiment qu’il y a essentiellement l’acte et que les
aspects psychologiques intéressent la responsabilité de l’agent (Pradel, 14e éd., no 461). À vrai
dire, l’élément moral est bien une composante de l’infraction puisque, en son absence, le juge
d’instruction est en droit de rendre une décision de non-lieu, et le juge de jugement une déci-
sion de relaxe ou d’acquittement ; Cité B. BOULOC, Op-cit, p. 249.
69
Dans les comportements qui se poursuivent dans le temps, et constituent des infractions suc-
cessives, la mala fides superviens pouvait rendre délictueux à partir d’un certain moment un
comportement qui jusque-là était licite. Tel était le cas pour le recel, par exemple, lorsque le
détenteur apprend l’origine de la chose (Crim. 22 juin 1972, Bull. crim. no 220 ; Gaz. Pal.
1972. 1. 842 et la note ; 15 juin 1973, D. 1973. IR 158). Mais un revirement de jurisprudence
s’est produit : Crim. 24 nov. 1977, D. 1978. 42, note Kehrig « L’acquéreur d’un bien mobilier
ne saurait être déclaré coupable de recel, lorsque la régularité de la possession et la bonne foi
impliquent la réunion des conditions d’application de l’art. 2279 C. civ. », c’est-à-dire
lorsqu’il est propriétaire de ce bien ; on ne peut être receleur de sa propre chose. V. aussi Crim.
24 janv. 1978, Bull. crim. no 27 ; 3 déc. 1984, Bull. crim. no 381 ; Cité par B. BOULOC, Op-
cit, p. 249.
110

exemple, il n’y a pas d’infraction. Cela est vrai non seulement pour les in-
fractions dites intentionnelles, telles que les crimes et la majorité des délits,
mais encore pour les infractions appelées non intentionnelles comme par
exemple les délits d’imprudence.

La terminologie est trompeuse. Le plus souvent, une infraction est jugée


comme un acte contraire à la morale. Pour éviter toute confusion, certains
préfèrent abandonner la référence à la notion d’élément moral et axent leurs
propos sur la notion d’élément intentionnel.

Par ailleurs, à l’image du Code pénal français, certains auteurs ne con-


sacrent aucune partie spécifique à l’infraction. D’autres, comme Jean Pra-
del, écarte l’élément moral en conservant le préalable légal et l’élément ma-
tériel (les notions de comportement et de résultat déterminent cet élément
matériel). Et cet auteur de noter : « Au vrai dans la théorie de l’infraction, la
grande distinction est celle de l’acte et de la personne (du délinquant). Les
divers aspects de l’acte sont autant de composantes de l’infraction, mais les
aspects psychologiques, intéressant l’agent, doivent être rattachés non au
prétendu « élément moral » de l’infraction, mais au délinquant, à sa respon-
sabilité »70.

● Dol général et dol spécial

Le dol général consiste selon E. Garçon71 dans la volonté d’accomplir


un acte que l’on sait défendu par la loi et il n’est pas toujours suffisant. Quel-
quefois, la loi subordonne l’existence de l’infraction à une volonté criminelle
plus précise qu’on appelle le dol spécial ou dol spécifique. C’est ainsi qu’en

70
P. K. LAURENCE LETURMY, Op-cit, p. 139.
71
Cf. Bernardini, L’intention coupable en droit pénal, thèse Nice, 1976, 2 vol. (ronéo) ; A. Hau-
teville, « La gradation des fautes pénales », in Réflexions sur le nouveau Code pénal, Pédone
1995, p. 31 ; Cité par B. BOULOC, p. 259.
111

plus de la volonté consciente de violer la loi pénale, elle exige, en outre, soit
l’intention de donner la mort pour toutes les atteintes volontaires à la vie
d’autrui, y compris l’empoisonnement, soit la volonté de s’approprier la
chose d’autrui (en cas de vol), soit la volonté de causer un préjudice indivi-
duel ou social (en cas de faux documentaire).

● Dol simple et dol aggravé

Le dol est par ailleurs susceptible de degrés, dont la considération peut


influer sur la qualification et la répression. À cet égard, au dol simple qui
entraîne la peine ordinaire, on oppose le dol aggravé, qui entraîne une peine
plus sévère, en cas d’homicide et de coups et blessures.

● ÉLÉMENT INJUSTE

Cet élément sera analysé dans la présente étude qu'à titre d'information. Le
vocable vise à souligner qu’en certaines situations l’infraction ne mérite pas
d’être poursuivie soit que l’acte n’apparaisse pas antisocial, soit qu’il pa-
raisse favorable à la société. On dit alors que l’infraction bénéficie d’un fait
justificatif.

1.B. Les réquisitoires de l'officier du Ministère Public

B.1. La rédaction du réquisitoire

A. Structure du réquisitoire

La structure du réquisitoire obéit en fait à la composition tripartite de


toute décision juridictionnelle : 1. En-tête identifiant les parties, la juridiction
et la nature de l'acte. 2. Exposé de la cause et discussion (rappel des faits
112

constants, arguments des parties, motivation de la décision). 3. Décision (dis-


positif).

● Le timbre et en-tête

Il va de soi qu'un réquisitoire doit porter le timbre de l'office où il est


établi ainsi qu'un en-tête. S'agissant particulièrement du réquisitoire à pré-
senter dans une instance de recours, il y a lieu de noter que vient s'ajouter à
l'en-tête, l'indication de la procédure suivie. Cette indication de la procédure
emporte la recevabilité du recours « opposition ou appel ».

● Motivation

Elle doit être faite en fait tout comme en Droit.

● Motivation en fait

Cette étape procède à l'identification des éléments factuels. C'est l'indi-


cation sommaire des données de l'instruction préparatoire ou des éléments
du dossier de l'instruction soumis au débat de l'audience, accompagnés des
circonstances atténuantes ou même aggravantes.

● Motivation en Droit

Il s'agit dans cette étape de soumettre les prétentions de Droit (du par-
quet) au Tribunal. C'est en d'autres termes, le développement des motifs.

● Dispositif

C'est la conclusion tirée du raisonnement juridique développé dans la


motivation. Le dispositif doit répondre s'il tient pour établis tout ou partie
113

des faits, éventuellement si ces faits sont affectés de circonstances aggra-


vantes ou de circonstances atténuantes et sous quel texte légal tombent ces
faits. C'est la décision conséquence.

● Contenu du réquisitoire

Le contenu du réquisitoire est essentiellement orienté à la sobriété et à


la clarté. Il doit s'attacher au respect de la concordance des temps. Il faut
d'abord préférer le « style libre » a celui des « attendus que » dans la rédac-
tion du réquisitoire parce que les « attendus que » rendent le texte compliqué
; ils allongent inutilement les phrases.

Quoiqu'il en soit, cette formulation en « attendu que » ne correspond


pas à la forme habituelle d'expression. Le réquisitoire peut comprendre plu-
sieurs rubriques notamment l'éventuelle détention préventive du prévenu, sa
personnalité, les mentions relatives à l'instruction, la synthèse du dossier et
les réquisitions finales.
114

1.1. Les principes fondamentaux régissant un procès

Certains principes fondamentaux doivent être en permanence présents


à l’esprit de l’Avocat ou Défenseur judiciaire. Ils lui garantissent en effet de
pouvoir exercer ses fonctions de manière complète, professionnelle et effi-
cace.

Les grands principes tirés de la Constitution et des Traités Internatio-


naux évoquent des droits fondamentaux. Ils ont aussi et surtout des répercus-
sions directes applicables au quotidien.

A) Le droit d’être informé de ses droits et des motifs de son arres-


tation

En RDC, ce droit est constitutionnellement garanti. En effet, l’article 18 de


la Constitution de 2006 telle que révisée en 2011 dispose que :

« Toute personne arrêtée doit être immédiatement informée des


motifs de son arrestation et de toute accusation portée contre elle
et ce, dans la langue qu’elle comprend. Elle doit être immédiate-
ment informée de ses droits. La personne gardée à vue a le droit
d’entrer immédiatement en contact avec sa famille ou avec son
conseil. La garde à vue ne peut excéder quarante-huit heures. A
l’expiration de ce délai, la personne gardée à vue doit être relâ-
chée ou mise à la disposition de l’autorité judiciaire compétente.
Tout détenu doit bénéficier d’un traitement qui préserve sa vie, sa
santé physique et mentale ainsi que sa dignité ».

De plus, lors d’une arrestation, un procès-verbal d’arrestation doit être


signé par l’OPJ et la personne arrêtée, après lecture ou traduction en langue
115

du choix de cette dernière. Ce document doit obligatoirement mentionner le


motif de l’arrestation.

Ce droit doit de même être observé devant le magistrat instructeur et


devant les tribunaux.

B) La présomption d’innocence

Le principe de la présomption d’innocence est la base de la protection


de la liberté individuelle. La présomption d’innocence en tant que principe
constitutionnel implique l’interdiction de l’affirmation de la culpabilité avant
tout jugement et fait peser la charge de la preuve sur le Ministère public. Ce
dernier à la responsabilité d’instruire l’affaire à charge et à décharge. Le cas
échéant, il doit présenter des preuves qui soutiennent son accusation devant
le tribunal répressif, qui seul peut trancher sur la culpabilité ou l’innocence
de l’accusé72.

La présomption d’innocence est clairement affirmée par l’article 17,


alinéa 9 de la Constitution en ces termes : « Toute personne accusée d’une
infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été établie
par un jugement définitif ». Tout détenu doit bénéficier d’un traitement qui
préserve sa vie, sa santé physique et mentale ainsi que sa dignité ».

Le Statut de Rome, à l’article 66, reprend la même formulation. L’ar-


ticle 11, alinéa 1er, de la Déclaration universelle des droits de l’homme dis-
pose que toute personne accusée d'un acte délictueux est présumée innocente
jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d'un procès
public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées.

72
R. LONGENDJA ELAMBO, Administration de la preuve pénale théorie générale et évolutions
juridiques, Bukavu, Ed. CRUKI, 2017, p. 5.
116

Et l’article 14, alinéa 2, du Pacte international relatif aux droits civils et po-
litiques (PIDCP) renchérit en disposant que toute personne accusée d’une
infraction pénale est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été
légalement établie.

Ce principe fondamental du droit pénal a trois conséquences majeures


dont il faut faire un leitmotiv de défense :

● Elle s’oppose nécessairement à l’idée de détention provisoire :


passant de la Déclaration universelle des droits de l’homme et
du citoyen de 1789 à la déclaration universelle des droits de
l’homme de 1948, la présomption d’innocence est attachée non
seulement à la liberté individuelle, mais également à la néces-
sité de la garantir. La liberté individuelle est vue comme une
des formes de la faculté qui consiste précisément à aller et à
revenir où l’on veut et quand l’on veut. Elle est la règle d’or
sur laquelle les droits de l’homme se tarifient pleinement dans
leur humanité juridique et surtout dans leur promotion. Dans
bien de cas où les prévenus n’ont pas ou ont peu de garanties
de représentation pour un contrôle judiciaire, il faut rappeler
ce principe aux Officiers du Ministère Public (Magistrats du
parquet) qui usent de la détention provisoire comme d’une me-
sure anodine ;
● Elle fait peser la charge de la preuve (de toutes2 les preuves)
sur l’accusation et influence donc considérablement la métho-
dologie de défense (voir Stratégies de défense) ;
● Le procès doit respecter le contradictoire : il doit être oral du
procès pénal, et public. Le dossier pénal doit être accessible à
la défense, qui doit pouvoir apporter des pièces au dossier.
117

C) Le droit à un procès équitable

Les articles 17, 18 et 19 de la Constitution de la République Démocra-


tique du Congo garantissent en principe que chacun devra être jugé :

● Équitablement ;
● Dans un délai raisonnable ;
● Publiquement ;
● Avec toutes les garanties nécessaires à sa libre défense.

En matière pénale, tous les avocats ou défenseurs judiciaires tra-


vaillent au quotidien avec un Code Pénal et un Code de Procédure Pénale et
d’autres textes de lois complétant ou modifiant, révisant le code pénal et le
code de procédure pénal. Ces instruments juridiques sont le reflet de la Cons-
titution et doivent donc comporter ces éléments fondamentaux. En pratique,
il arrive que les codes soient muets sur certains points ; c’est le cas en R.D.
Congo, comme partout ailleurs.

On doit donc garder en mémoire que le Juge est soumis à la loi et


à la constitution, et que les articles consacrant les principes fondamentaux
du droit permettent d’invoquer toutes ces règles devant lui. Dès lors, même
si le Code de procédure pénale est muet là-dessus, les Avocats ou les défen-
seurs judiciaires ont le devoir d’exiger :

1) Le droit d’être jugé dans un délai raisonnable

L’article 19 de la Constitution de 2006 telle que révisée en 2011


dispose : « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue dans un
délai raisonnable par le juge compétent ». Le délai raisonnable pose pro-
blème en ce sens que la loi ne précise en général pas ce délai. Toutefois, la
loi n°06/01 du 20 juillet 2006 modifiant et complétant le décret du 30/1/1959
118

portant le code de procédure pénale congolais dispose à l’article 7 bis que


sans préjudice des dispositions relatives à la procédure de flagrance, l’en-
quête préliminaire en matière de violence sexuelle se fait dans un délai d’un
mois maximum à partir de la saisine de l’autorité judiciaire.

L’instruction et le prononcé du jugement se font dans le délai de 3


mois maximum à partir de la saisine de l’autorité judiciaire. Cette loi ne pré-
voit cependant pas de sanction en cas de non-respect des délais.

2) Le droit d’être jugé publiquement

Ceci est posé à l’article 20 de la Constitution de la RD Congo qui dis-


pose ce qui suit : « les audiences des cours et tribunaux sont publiques, à
moins que cette publicité ne soit jugée dangereuse pour l’ordre public ou les
bonnes mœurs. Dans ce cas, le tribunal ordonne le huis clos ». La publicité
des débats favorise l’équité. La libre défense impose de ne pas poursuivre les
Avocats ou défenseur judiciaire pour les propos qu’ils pourraient tenir dans
le cadre de leur plaidoirie (immunité de la plaidoirie).

Celle-ci doit demeurer entièrement libre de toute censure. A ce principe


s’applique une double réserve : d’une part l’outrage et l’insulte demeurent
condamnables pénalement et déontologiquement ; d’autre part, la liberté de
parole de l’Avocat ou du Défenseur judiciaire n’est plus la même à la sortie
de la salle d’audience et devant la presse. En outre, l’immunité de la plaidoi-
rie ne disculpe pas l’avocat ou le défenseur judiciaire au respect de son ser-
ment et de principe de la déontologie professionnelle.
119

3) Le droit d’être jugé équitablement et avec toutes les garanties néces-


saires à sa libre défense : égalité des armes

Il n’y a aucune différence de jugement entre les congolais à compa-


raître. Comme vu plus haut, l’article 18 de la Constitution dispose que
chaque Congolais a le droit d’accéder à toutes les garanties nécessaires quant
au bon déroulement de la procédure judiciaire. La Constitution de la RDC
précise ainsi que toute personne arrêtée, sans distinction, dispose des mêmes
droits.

Chaque personne, peu importe son sexe, son âge ou encore sa religion,
a droit à un traitement égal et pourra, par exemple, au même titre qu’un autre
détenu en garde à vue, arrêté, ou détenu, entrer en contact avec sa famille ou
avec son conseil. Et par cet article, il est possible de comprendre qu’ainsi
chaque personne est au même titre qu’une autre personne informée de ses
droits et des motifs de son arrestation. C’est un droit commun.

D) Le principe de la responsabilité pénale individuelle

L’article 17 de la Constitution protège toute personne contre toute


forme de responsabilité pénale collective ou du fait d’autrui. En effet, il dis-
pose clairement que « la responsabilité pénale est individuelle. Nul ne peut
être poursuivi, arrêté, détenu ou condamné pour fait d'autrui ».

Ainsi, le fait d’arrêter une personne pour le fait d’autrui est constitutif
de l’infraction d’arrestation arbitraire prévue et punie par l’article 67 du
Code pénal disposant qu’« est puni d'une servitude pénale d'un à cinq ans
celui qui, par violences, ruses ou menaces, a enlevé ou fait enlever, arrêté
ou fait arrêter arbitrairement, détenu ou fait détenir une personne quel-
conque ».
120

Lorsque la personne enlevée, arrêtée ou détenue a été soumise à des


tortures corporelles, le coupable est puni d'une servitude pénale de cinq à
vingt ans. Si les tortures ont causé la mort, le coupable est condamné à la
servitude pénale à perpétuité, conformément à la loi No 11/008 du 9 juillet
2011 portant criminalisation de la torture.

E) Le principe de légalité et de non-rétroactivité

Ce principe est consacré par l’adage « nullum crimen, nulla poena


sine lege ». L’article 17 de la Constitution de 2006 telle que révisée en 2011
conacre le principe de la légalité de la loi pénale et de non-rétroactivité. Il
dispose que « nul ne peut être poursuivi, arrêté, détenu ou condamné qu’en
vertu de la loi et dans les formes qu’elle prescrit. Nul ne peut être poursuivi
pour une action ou une omission qui ne constitue pas une infraction au mo-
ment où elle est commise et au moment des poursuites. Nul ne peut être con-
damné pour une action ou une omission qui ne constitue pas une infraction
à la fois au moment où elle est commise et au moment de la condamnation.
Il ne peut être infligé de peine plus forte que celle applicable au moment où
l’infraction est commise ».

Article 11 al 2 de la déclaration universelle des droits de l'homme : «


Nul ne sera condamné pour des actions ou omissions qui, au moment où elles
ont été commises, ne constituaient pas un acte délictueux d'après le droit
national ou international. De même, il ne sera infligé aucune peine plus forte
que celle qui était applicable au moment où l'acte délictueux a été commis
».
121

F) Le droit d’être assisté d’un avocat

Le droit à un avocat ou à un défenseur judiciaire, est un droit central


pour l’équité de la justice. Il repose sur l’idée que la complexité des procé-
dures et les pouvoirs importants de l’accusation requièrent une défense qua-
lifiée qui rééquilibre la procédure et accorde une chance égale aux parties de
présenter leurs prétentions.

L’article 19 de la Constitution de la RDC de 2006 telle que révisée en


2011 dispose à cet effet que « Le droit de la défense est organisé et garanti.
Toute personne a le droit de se défendre elle-même ou de se faire assister
d’un défenseur de son choix et ce, à tous les niveaux de la procédure pénale,
y compris l’enquête policière et l’instruction pré juridictionnelle. Elle peut
se faire assister également devant les services de sécurité ».

De son côté, l’alinéa 3 de l’article 14 du Pacte international relatif aux


droits civils et politiques précise que « Toute personne accusée d'une infrac-
tion pénale a droit, en pleine égalité, au moins aux garanties suivantes : […]
si elle n'a pas de défenseur, à être informée de son droit d'en avoir un, et,
chaque fois que l'intérêt de la justice l'exige, à se voir attribuer d'office un
défenseur, sans frais, si elle n'a pas les moyens de le rémunérer ».

L’article 73 du décret du 6 août 1959 portant code de procédure pénale


dispose que chacune des parties peut se faire assister d’une personne agréée
spécialement dans chaque cas par le tribunal pour prendre la parole en son
nom : « Sauf si le prévenu s’y oppose, le Juge peut lui désigner un défenseur
qu’il choisit parmi les personnes notables de la localité où il siège. Si le
défenseur ainsi désigné est un agent du Congo belge, il ne peut refuser cette
mission, sous peine de telles sanctions disciplinaires qu’il appartiendra ».
122

À noter : depuis 1968 et l’ordonnance loi n°79/028 du 28|09|1979 portant


organisation du Barreau, le monopole de la représentation en justice est re-
connu aux avocats et défenseurs judiciaires. Il convient de lire l’article 73 du
décret du 6 août 1959 d’avec ce texte postérieur. L’Article 237 de la loi
n°023/2002 du 18 novembre 2002 portant code judiciaire militaire dispose :
Le président fait comparaître le prévenu ; celui-ci se présente librement de-
vant la barre et seulement accompagné de gardes. Il est assisté de son conseil.

● Organisation de l’assistance juridique et judiciaire gratuite :

L’article 74 de l'Ordonnance-loi N°79-028 du 28 septembre 1979 por-


tant organisation du barreau, du corps des défenseurs judiciaires et du corps
des mandataires de l’État dispose qu’il est interdit à l’avocat (défenseur ju-
diciaire) de refuser ou de négliger la défense des prévenus et l’assistance aux
parties, dans le cas où il serait désigné.

Dans la pratique, l’assistance « pro deo » est conditionnée par la de-


mande de toute personne (accusées, inculpées, prévenues) ayant besoin de
l’aide légale, et qui prouve son indigence par l’attestation délivrée par l’Of-
ficier de l’état civil ou son préposé du lieu de sa résidence ; cette demande
est adressée soit au Barreau soit au Corps des Défenseurs judiciaires près le
Tribunal saisi afin de lui désigner un Conseil.

Il arrive tout de même que pendant l’audience, le Juge constate l’état


d’indigence d’un prévenu ou d’un enfant en conflit avec la loi et que, soit
pour l’équilibre de défense, soit du fait que la peine encourue est supérieure
à 5 ans de prison, il désigne d’office un défenseur judiciaire présent à l’au-
dience pour l’assistance pro deo, ou requiert le Syndic (responsable du Corps
des Défenseurs judiciaires) ou le Bâtonnier aux fins de désigner un conseil
pro deo.
123

L’article 63 de la loi n°023/2002 du 18 novembre 2002 portant code


judiciaire militaire dispose : Le juge militaire procède à la désignation d’un
défenseur au profit d’un prévenu au cas où celui-ci n’en aurait pas choisi.
L’article 73 al 3 du code de procédure pénale déjà cité dispose que sauf si le
prévenu s’y appose, le juge peut lui désigner un défenseur qu’il choisit parmi
les notables de la localité où il siège. Si le défenseur ainsi désigné est un
agent du Congo-Belge, il ne peut refuser cette mission sous peine de telles
sanctions disciplinaires qu’il appartiendra.

Enfin, l’article 14 alinéa 3 du Pacte international relatif aux droits civils


et politiques précise mieux que « Toute personne accusée d'une infraction
pénale a droit, en pleine égalité, au moins aux garanties suivantes: […] si
elle n'a pas de défenseur, à être informée de son droit d'en avoir un, et,
chaque fois que l'intérêt de la justice l'exige, à se voir attribuer d'office un
défenseur, sans frais, si elle n'a pas les moyens de le rémunérer ».
124

1.2. Droits et responsabilités de l’avocat ou du défenseur


judiciaire

1.3.a. Les 4 principes fondamentaux :

● L’indépendance : défend le client sans prendre en compte son


intérêt personnel
● La loyauté : pas de conflit d’intérêt et principe du contradictoire
● La confidentialité : toutes les informations concernant le client,
les tiers, les correspondances doivent être illimitées, générales,
absolues
● Les devoirs d’information, de conseil et de diligence : pru-
dence dans le traitement du dossier, obligation de conseil et
d’information, informations sur les chances de succès, les voies
de recours…

A) Les droits des avocats

1) Le respect absolu du contradictoire et donc un accès permanent et


illimité au dossier

La logique veut même qu’ils aient droit à une copie de la procédure qui
doit être gratuite pour garantir l’égalité des citoyens devant la justice. Ceci
est la traduction pratique du droit à un procès équitable imposé par l’article
19 de la Constitution de la RD Congo. C’est aussi l’application des droits de
la défense, issues de ce même article. Pour rappel, le respect du contradic-
toire s’impose également à la défense qui ne saurait produire au Tribunal une
125

quelconque pièce ou un quelconque élément sans l’avoir préalablement com-


muniqué à toutes les autres parties73.

Outre le dossier, l’avocat doit, en vertu de ces principes, avoir un accès


confidentiel, permanent et sans restriction à la personne qu’il défend. Ces
règles sont partiellement assurées à l’article 15 du Code Congolais de pro-
cédure civile qui dispose que : les parties sont entendues contradictoirement.
Elles peuvent prendre des conclusions écrites.

2) Le droit de remettre en cause la détention est la conséquence du délai


raisonnable prévu implicitement par l’article 19, alinéa 2, de la Consti-
tution de la RD Congo

Dans ce domaine, le Code de procédure pénale prévoit des mécanismes


de renouvellement de la détention provisoire. Toutefois, il ne faut pas perdre
de vue que la notion de délai raisonnable (que l’on retrouve dans les textes
internationaux) est quantifiable. Dès lors, après un certain nombre de renou-
vellements de la détention sans jugement, il y a lieu d’invoquer la Constitu-
tion pour obtenir la libération sans délai de la personne qui n’est pas jugée.

3) Le droit de correspondance

Les avocats ou défenseurs judiciaires peuvent correspondre avec leurs


clients détenus et les voir sans témoins au lieu où ils sont incarcérés ; ils
peuvent prendre connaissance au greffe, sans déplacement, de tous les dos-
siers des affaires dans lesquelles ils représentent ou défendent une partie.

73
En droit congolais, cette obligation vaut beaucoup plus en matière civile ; au pénal, les pièces
et les autres éléments du procès sont communiquées aux parties durant l’instruction à l’au-
dience. Il est à noter, par ailleurs, que ces pièces et éléments peuvent être communiqués au
Ministère public ou à l’Officier de police judiciaire durant la phase pré-juridictionnelle. Ici,
elles ne peuvent être accessibles à l’autre partie que moyennant l’autorisation du Procureur
Général, répondant sur une demande de levée copie lui adressée par celle-ci.
126

● À noter : hors le cas où la loi exige un mandat spécial, les avo-


cats sont présumés représenter les parties dès lors qu’ils sont
porteurs des pièces de la procédure. Ils ont le droit d’assister au
huis clos ; le droit de conseil et consultation ; droit aux hono-
raires.

B) Les Responsabilités de l’avocat

On peut résumer ici les principales responsabilités professionnelles de


l’avocat :

● Obligation de défense ;
● Devoir de diligence : soin appliqué dans l’exécution d’une
tâche, elle s’entend encore de « la célérité et de l’exactitude
dans l’exécution d’une tâche » ;
● le devoir de compétence : l’avocat ou le défenseur judiciaire ne
doit pas accepter de se charger d’une affaire s’il sait qu’il n’a
pas la compétence nécessaire et adéquate pour la traiter ;
● le devoir de formation continue : l’avocat ou le défenseur judi-
ciaire réalise sa formation continue par l’étude individuelle et la
participation active aux initiatives culturelles en matière juri-
dique et de la profession d’avocat ou de défenseur judiciaire ;
● le devoir de loyauté : implique la correction de comportement.
Le devoir de vérité ;
● le devoir de délicatesse : elle est relative au sens élevé de juge-
ment de l’avocat ou défenseur judiciaire qui consiste à décider
de la meilleure conduite à adopter face à des faits ou circons-
tances déterminées. « Elle pousse la probité jusqu’au scrupule,
fût-il exagéré, et de vouloir, dans la pratique du bien, observer
127

même les nuances les plus légères ». Il s’agit de s’abstenir de


toute attaque personnelle ou toute allusion blessante qui pourrait
atteindre son confrère, de toute recherche de publicité person-
nelle ;
● le devoir de probité : est un concept pouvant se définir par la
droiture, l’honnêteté ou l’intégrité ;
● le devoir de dignité : « c’est l’ensemble des règles dictées par
l’honneur qui s’attache à la fonction publique qu’exerce l’avo-
cat ou le défenseur judiciaire » ;
● le devoir d’honneur : « vif sentiment de sa propre dignité qui
anime un individu et qui le pousse de manière à conserver l’es-
time des autres ainsi que les principes moraux qui sont à la base
de ce sentiment ».
● l’obligation de remplacer les magistrats ;
● le respect des lois et des institutions ;
● le paiement de cotisations ;
● le maintien du secret professionnel ;
● le devoir de courtoisie et justes égards et de confraternité ;
● les rapports des avocats avec les magistrats doivent être em-
preints de la dignité et du respect, de déférence et d’égards réci-
proques ;
● l’avocat ou le défenseur judiciaire ne peut recevoir la partie ad-
verse sans son avocat. Si elle n’en a pas, il ne peut la recevoir
qu’en présence de son client ou avec son accord préalable.
128

1) Pour l’audience

Préparation : trouver et interroger les informations sur :

● Les circonstances de lieu et de temps ;


● Toutes les personnes présentes (qu’elles aient ou non parti-
cipé) ;
● Le rôle exact de chacun et notamment la nature et le nombre
de coups ;
● Toutes les pressions et menaces constituant une torture morale
;
● Toutes les marques que vous avez personnellement vues sur
d’éventuels témoins (passants, codétenus).

Tenue : Les avocats portent à l’audience la robe noire avec chausse garnie
de fourrure de léopard et le rabat blanc ; ils ne peuvent y porter aucun insigne
ni bijou marquant leur appartenance à un Ordre national ou étranger ou à une
institution de droit public ou privé. Ils sont appelés « Maître ». Ils plaident
debout et à découverts.

2) L’obligation morale en droit congolais

Su pied de l'ordonnance-loi N°79-028 du 28 septembre 1979 portant


organisation du barreau, du corps des défenseurs judiciaires et du corps des
mandataires de l’État :

● Les avocats doivent conduire jusqu’à leur terme les affaires dont
ils s’occupent (exception que le client les en déchargent) ;
● L’avocat doit conduire chaque affaire avec célérité et compé-
tences ;
129

● Les actions en responsabilité, dirigées contre les avocats, sont


exercées conformément au droit commun ;
● L’avocat est tenu de restituer, sans délai, les pièces ou sommes
dont il est dépositaire, dès qu’elles ne lui sont plus nécessaires
pour la défense de la cause (droit de rétention) ;
● L’avocat appelé à plaider devant une juridiction extérieure au
ressort de son barreau est tenu de se présenter au président de
l’audience, à l’officier du Ministère public, au bâtonnier et au
confrère chargé des intérêts de la partie adverse ;
● L’avocat donne sa consultation dans son cabinet ou dans le ca-
binet d’un confrère, il ne peut pas aller chez le client sauf ex-
ceptionnellement en cas de nécessité ou d'urgence.

C) Les interdictions posées aux avocats

Les interdictions des avocats sont posées à l’article 74 de l’Ordonnance-


Loi 79-028 du 28 septembre 1979. Ils ont interdiction :

● De se rendre cessionnaire de droits successoraux ou litigieux ;


● De faire avec les parties, en vue d’une rétribution, des conven-
tions aléatoires, subordonnées à l’issue du procès ;
● De se livrer à des injures envers les parties ou à des personnali-
tés envers leurs défenseurs ;
● D’avancer aucun fait grave contre l’honneur ou la réputation des
parties, à moins que les nécessités de la cause ne l’exigent ;
● De refuser ou de négliger la défense des prévenus et l’assistance
aux parties dans le cas où ils sont désignés ;
● De racoler la clientèle ou de rémunérer un intermédiaire dans ce
but ;
130

● D’user de tous moyens publicitaires, sauf ce qui est strictement


nécessaire pour l’information du public ;
● D’accepter d’un intermédiaire la cause d’un tiers sans se mettre
en rapport direct avec celui-ci ;
● D’accepter de défendre tour à tour des intérêts opposés dans une
même cause ;
● De révéler les secrets qui leur sont confiés en raison de leur pro-
fession ou d’en tirer eux-mêmes un parti quelconque ;
● De faire état à l’audience d’une pièce non communiquée à l’ad-
versaire ;
● De faire toute démarche, d'avoir toute conduite susceptible de
compromettre leur indépendance ou leur moralité.

Mutatis mutandis, cette Ordonnance-loi N°79-028 du 28 septembre


1979 dispose en ces articles 136, 137 et 138 que dans les limites de leur
compétence, les défenseurs judiciaires jouissent de toutes les prérogatives
reconnues aux avocats. Les défenseurs judiciaires portent à l’audience la
robe noire sans chausse, mais avec le rabat blanc. Toutes les interdictions
faites aux avocats sont applicables aux défenseurs judiciaires.
131

1.3. Stratégies d’audience

A) Vis-à-vis du prévenu

Il est fondamental d’afficher aux juridictions que l’on a du recul vis-à-


vis de son client. C’est même une règle d’or de la défense pénale d’éviter
une confusion quasi-systématique et instinctive de la part des magistrats
aussi bien du siège que du parquet entre l’Avocat ou le défenseur judiciaire
et la personne qu’il défend.

Afficher sa distance veut dire :

● Même si lui ment, moi je ne mens pas ;


● S’il a commis un acte délictueux ou criminel, j’assume la noble
tâche de le défendre, son acte n’est pas le mien ;
● Si lui s’enferme dans une défense stupide, je ne le suis qu’avec
réserve et je lui ai conseillé le contraire ;
● Je n’hésite pas à contredire le prévenu quand ça peut le servir
et même à être sec avec lui. Mais aussi et surtout :
● Je suis un rempart entre vous et lui ;
● Je lutte contre les préjugés à sa place ;
● Je crois fondamentalement en ce que je vous dis ;
● Le système pèse plus lourd que le prévenu : je suis là pour ré-
tablir l’équilibre ;
● Exercer la défense pénale c’est ne rien laisser au hasard d’un
point de vue technique ;
● Être un technicien du droit justifie de défendre n’importe quel
acte, n’importe quelle cause.
132

Enfin, et c’est valable en toute circonstance, il faut TOUJOURS garder


à l’esprit que souvent : LE PREMIER ADVERSAIRE C’EST LE
CLIENT.

En ayant ceci à l’esprit, on peut alors envisager de poser des questions


à celui ou celle que l’on défend. Toutefois, et même s’il n’existe pas de re-
cette miracle, l’expérience démontre que certaines règles de base évitent les
catastrophes :

● Ne jamais poser de question dont on ne connaît pas déjà la ré-


ponse ;
● Ne pas trop poser de questions non évoquées au préalable ;
● Expliquer au prévenu à l’avance qu’il n’y a pas de question
piège de notre part et qu’il doit toujours répondre ce qui lui pa-
raît le plus évident ;
● Poser des questions courtes et ne pas hésiter à les reformuler ou
à les expliquer si le client s’égare ;
● Ne pas oublier que la réponse est destinée au Tribunal et le rap-
peler régulièrement au prévenu ;
● Il vaut toujours mieux laisser planer un doute (on pourra plai-
der) que d’avoir une réponse catastrophique (qui ne se rattrape
pas).

De même il est fondamental de rappeler au prévenu qu’il doit toujours


répondre au Parquet, à l’Avocat ou défenseur judiciaire de la partie civile et
au Président de la manière la plus courte et la plus concise possible. Cela
évite les dérapages.
133

B) Vis-à-vis des co-prévenus

La règle d’or est que l’on ne tire rien de profitable en « tapant » sur les
autres. L’atténuation de la règle est qu’il ne doit pas y avoir pour autant de
partage des responsabilités par confraternité. Le résultat est que l’on doit être
direct et franc lorsque l’on pose des questions au co-prévenu : il ne doit pas
s’agir de faire le travail du Parquet, on ne cherche pas à l’« enfoncer », mais
à dédouaner ou atténuer la responsabilité de son client.

La frontière est vite franchie entre question et accusation. En outre, l’in-


terrogatoire du co-prévenu ne doit jamais se transformer en affrontement
avec notre confrère qui le défend. C’est un gaspillage d’énergie et l’effet en
est désastreux.

Il faut enfin et surtout se rappeler des règles relatives à son propre client:
un doute se plaide, une certitude venue d’une réponse catastrophique à une
question ne se rattrape pas. Donc, il est inutile d’insister au-delà de ce que
peut renseigner le Tribunal.

C) Vis-à-vis des victimes et parties civiles

Une autre règle d’or est que le dernier à qui il faut s’en prendre c’est la
victime. Il faut toujours s’adresser avec courtoisie, doucement et calmement
à la victime. Il faut donner au Tribunal le sentiment que l’on comprend sa
position, même si on ne la partage pas.

Ça veut dire que face à une victime qui ment, on doit parvenir à le lui
faire admettre ou l’amener à se contredire tout en montrant qu’en tant
qu’Avocat ou défenseur judiciaire on comprend pourquoi elle a pu mentir.
134

Il faut aussi rappeler à son client ce principe de précaution vis-à-vis de


la victime. Ce n’est donc pas à l’Avocat ou défenseur judiciaire d’être agres-
sif avec la victime sauf après qu’il soit apparu clairement qu’elle ment, in-
vente, déforme, arrange, etc. Dans cette dernière hypothèse, il faut être
ferme, voir désagréable dans ses questions en n’oubliant pas que d’autres
pourront la défendre ou reprendre la parole. Il faut donc garder la majeure
partie de son agressivité pour sa plaidoirie, à laquelle personne ne pourra
répondre.

En résumé, on y gagne toujours à être conciliant avec les victimes, ça


n’empêche pas de les contredire et ça évite de braquer tous les acteurs du
procès sur soi.

En deux points, et pour être concret :

a. Il est trop courant de voir lors des audiences les Avocats ou dé-
fenseurs judiciaires de prévenus agresser les parties civiles, ac-
centuant ainsi leur caractère de victime et compliquant la tâche
de la défense ;
b. A l’inverse, on voit également trop de défenseurs totalement
muets face aux victimes et oubliant d’assurer le minimum de
leur rôle de contradicteur à l’audience.

L’équilibre est délicat à trouver, il se situe à mi-chemin et dépend beau-


coup de l’attitude de la victime. Il n’y a rien d’anormal à s’en prendre à un
menteur éhonté compte tenu de l’enjeu pour celui qu’on défend, encore faut-
il être certain que le menteur ment…
135

1.4. La plaidoirie de la partie prévenue

La personne poursuivie doit être informée des faits qui lui sont repro-
chés ainsi que de leur qualification juridique. Si le juge modifie la qualifica-
tion précédemment retenue, il doit alors permettre au prévenu de présenter
une défense adaptée à la nouvelle qualification. Le droit à l'assistance d'un
avocat s'applique à l'enquête comme au jugement.

Il ne peut être statué sur la culpabilité d'une personne certes dotée de


discernement au moment des faits mais que l'altération de ses facultés phy-
siques ou psychiques met dans l'impossibilité de se défendre personnelle-
ment contre l'accusation dont elle fait l'objet, fût-ce en présence de son tuteur
et assistée d'un avocat. L'action publique doit être renvoyée à une audience
ultérieure et ne pourra être jugée qu'après qu'il soit constaté que l'accusé ou
le prévenu a recouvré la capacité à se défendre.

Un prévenu qui refuse de comparaître ne peut être privé pour cette rai-
son de son droit à être défendu car une telle conséquence présenterait un
caractère disproportionné.

La défense du prévenu varie de forme et de portée selon que le prévenu


se reconnaît coupable ou pas.Dans l’affirmative, la défense peut concentrer
ses efforts sur l’obtention des circonstances atténuantes et pour ce faire, elle
décrira sous un meilleur jour la personnalité du prévenu :

● passé irréprochable ;
● bon citoyen ;
● bon père de famille ;
● vie difficile et agitée durant l’enfance ; etc.
136

Dans la négative, la défense peut chercher à réfuter les différentes po-


sitions soutenues par le ministère public et éventuellement par les témoi-
gnages à charge. Elle peut contester la valeur probante des éléments de pré-
somption et faire ressortir la contrariété des témoignages ou leur caractère
ambigu. Elle peut en outre relever à partir des faits retenus lors de l’instruc-
tion tant préparatoire que juridictionnelle, des éléments de preuve qui vien-
nent contredire soit affaiblir l’accusation.

Elle peut aussi contester l’applicabilité du texte légal invoqué aux faits
pour lesquels il est poursuivi. Le prévenu aura aussi à se défendre contre la
partie civile au cas où il y a eu constitution de partie civile ou citation directe.
Dans ce cas, la défense du prévenu peut porter sur divers éléments :

● contester l’existence de l’infraction ;


● contester soit l’existence soit l’importance du préjudice allé-
gué ;
● contester le lieu de cause à effet entre les faits reprochés et le
préjudice allégué ;
● Invoquer la faute de la victime ou d’un tiers aux fins d’établir
le partage de responsabilité.
137

1.5. Stratégies de défense

Elles se distinguent des stratégies d’audience ci-dessus en ce qu’elles


sont des principes fixés avant l’audience entre l’Avocat ou défenseur judi-
ciaire et celui ou celle qu’il défend et qui demeureront immuables jusqu’au
délibéré.

Il est fondamental que ces stratégies soient communes au prévenu et à


l’Avocat ou défenseur judiciaire, l’un ne pouvant les appliquer sans l’autre.
Être un bon Avocat ou défenseur judiciaire c’est aussi avoir la pédagogie de
faire admettre au prévenu ce qui est la meilleure défense et de faire en sorte
(dans son intérêt) qu’il s’y tienne tout au long du procès.

Dans un cas particulier, à caractère nettement politique, c’est la position


du prévenu qui impose une défense bien limitée à l’Avocat ou défenseur ju-
diciaire : la rupture.

A) Défense de rupture et défense de connivence

On appelle défense de rupture celle qui repose par principe sur la con-
testation de la légitimité du Tribunal. Elle signifie donc la remise en cause
de l’autorité de l’état et de son pouvoir judiciaire. Cette stratégie de défense
est apparue dans les années 60 au cours des guerres de libération (notamment
le conflit algérien) et il est difficile de savoir si les avocats ou les défenseurs
judiciaires l’ont choisi ou si elle leur a été imposée par la position intangible
des personnes qu’ils défendaient.

Chacun peut être amené à assurer la défense d’une personne membre


d’un mouvement politique ou ethnique rebelle, combattant pour une indé-
pendance, une autonomie ou une révolution. Ces personnes expliqueront à
leur conseil qu’elles ne reconnaissent pas la légitimité du Tribunal qui veut
138

juger leurs actes (souvent graves : terrorisme, assassinat, rébellion armée,


etc.), ou pire encore découlant de crimes de guerre ou de crimes contre l’hu-
manité. Dès lors, se pose un cas de conscience pour l’Avocat ou défenseur
judiciaire qui, par hypothèse, est un des rouages de cette machine judiciaire
contestée par l’accusé ou le prévenu.

La stratégie de défense quotidienne de l’Avocat ou du défenseur judi-


ciaire en démocratie est une défense dite « de connivence » à savoir qu’il
admet la légitimité du système auquel il appartient et participe. Il nous
semble évident que cette appartenance ne doit jamais être remise en cause
ou qu’alors il y a lieu de quitter le Barreau ou le corps des défenseurs judi-
ciaires.

Il faut donc gérer un client qui conteste (à titre révolutionnaire) cette


connivence mais en même temps exercer une réelle défense. Or, la déonto-
logie de l’Avocat ou du défenseur judiciaire lui interdit formellement de plai-
der contre les intérêts du prévenu mais aussi contre ses souhaits.

Le résultat est souvent le même: le prévenu, s’il est cohérent doit de-
mander à son Avocat ou son défenseur judiciaire de ne pas plaider pour lui
puisque cela reviendrait à admettre le système judiciaire. L’Avocat ou le dé-
fenseur judiciaire ne peut toutefois servir de pure « conscience de louage »
et demeurer assis et silencieux bien que présent. Il doit soit renoncer, en au-
dience, à la défense du prévenu (mais il arrive alors souvent qu’il soit com-
mis d’office par le Président du Tribunal), soit expliquer, en préalable, cette
position contestataire du prévenu et justifier ainsi son absence de plaidoirie
et de défense. A noter que le client peut lui interdire de s’exprimer en son
nom, ce qui pose un réel problème.
139

Dans tous les cas, il faut agir avec énormément de prudence. Se faire
expliquer très précisément la position du client et ses souhaits en terme de
défense. Il faut également, et c’est fondamental, l’informer très précisément
sur les conséquences d’une telle défense en terme de peine (en l’occurrence
souvent maximale). En outre, il sera nécessaire d’expliquer au tribunal dans
quelle situation on se trouve en tant qu’Avocat ou défenseur judiciaire, tenu
par ses obligations déontologiques et professionnelles tant vis-à-vis du pré-
venu que du Tribunal.

On ne recommandera jamais assez la prudence avant d’accepter une


défense de rupture qui, par principe, est une non défense problématique. On
rappelle que l’Avocat ou le défenseur judiciaire ne peut être qu’étranger à la
cause de celui qu’il défend sous peine de perdre son indépendance et sa cons-
cience qui sont l’essence même de sa fonction. Dans le même temps, il est
de l’essence même de sa fonction d’assurer toutes les défenses…

● Note : La position contestataire de l’accusé peut également se traduire


par l’usage de la récusation et la suspicion légitime. La doctrine con-
golaise définit la récusation comme une procédure par laquelle le plai-
deur demande qu’un magistrat s’abstienne de siéger parce qu’il a des
raisons de suspecter sa partialité à son égard. Ainsi définie, la récusa-
tion a effet d’écarter un juge dans l’instruction ou le jugement d’une
affaire déterminée.

La suspicion légitime existe lorsqu’une partie au procès a des raisons


sérieuses de craindre qu’une juridiction ne puisse rendre sa décision en toute
impartialité. Cette défense est constitutionnellement garantie par l’Article 19
de la constitution de 2006 telle que révisée en 2011, en ces termes : “Nul ne
peut être ni soustrait ni distrait contre son gré du juge que la loi lui assigne.
140

Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raison-
nable par le juge compétent. Le droit de la défense est organisé et garanti”.
La loi organique N° 13/011-B du 11 avril 2013 portant organisation, fonc-
tionnement et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire, en ses ar-
ticles 49 à 62 dispose de la procédure à suivre.

B) Culpabilité admise ou contestée

Il faut être très clair à ce sujet dans le but de produire une défense effi-
cace. Nos systèmes civils ne connaissent pas en principe la pratique du
plaidé-coupable, courante en droit anglo-saxon. On pourrait donc en déduire
qu’il est inopérant de se positionner sur ce point dans nos procès. A savoir,
le client doit-il reconnaître les faits ou non ? Au quotidien, on constate pour-
tant que c’est en général la première question qui est posée au prévenu ou à
l’accusé. Et cela semble logique.

En effet, d’une part, le Code Pénal Congolais – à l’instar de biens


d’autres – connaît des circonstances atténuantes. Celles-ci ne sont pas auto-
matiquement acquises dès lors qu’un prévenu reconnaît les faits bien en-
tendu. Cependant, contester l’évidence revient à s’en priver à coup sûr.

D’autre part, l’inconscient du Tribunal, comme l’inconscient collectif


est sensible à la reconnaissance des faits et ce, pour des motifs divers qui
varient d’une personne à une autre. Nombre de magistrats du siège comme
du parquet, nous ont indiqué en privé, avoir une approche bienveillante des
dossiers reconnus. Les raisons majeures sont la perte énorme de temps lors
des audiences au rôle chargé et l’énervement des juges face aux contestations
envers et contre tous.
141

En ce sens, l’Avocat ou le défenseur judiciaire doit respecter une règle


d’or s’il veut plaider utilement les circonstances atténuantes ou la personna-
lité du prévenu : ne jamais s’attarder inutilement sur le détail des faits qui
sont reconnus. Il y a en effet tout intérêt à maintenir le Tribunal dans de
bonnes dispositions en gagnant du temps ou plus exactement en n’en perdant
pas inutilement.

Attention toutefois :

● La Justice n’est pas une question de bilan sur le temps d’au-


dience ;
● S’il est nécessaire de revenir sur certains faits (reconnus partiel-
lement ou pour les minimiser), il est du devoir de l’Avocat ou
du défenseur judiciaire de le faire.

Ce sujet, qui peut parfois paraître de détail, a cependant des répercus-


sions immédiates et à long terme. Immédiates car le Tribunal sera souvent
d’une plus grande sévérité ; à long terme, car l’Avocat ou le défenseur judi-
ciaire qui plaide engage la crédibilité de sa propre parole. Nier les évidences
(d’une empreinte dactyloscopique par exemple comme on le voit trop sou-
vent) est un moyen radical d’entamer à tout jamais sa crédibilité vis-à-vis du
Tribunal. Or, la carrière d’un Avocat ou d’un défenseur judiciaire n’est pas
limitée à un dossier mais dans des centaines d’autres que l’on plaidera au fil
du temps, souvent devant les mêmes magistrats. Arriver devant un Tribunal
qui ne vous considère pas comme crédible est un obstacle souvent infran-
chissable.

Dès lors, il vaut souvent mieux, si l’on ne parvient pas à faire admettre
à une personne qui nie l’évidence que son mode de défense est suicidaire,
142

renoncer à l’assister plutôt que plaider des aberrations en trahissant son ser-
ment et en entamant sa propre crédibilité vis-à-vis des juges. En résumé, il
est primordial de fixer sa position dès le début de l’audience et, si l’on est
persuadé que cela peut aider le prévenu, inviter celui-ci à reconnaître ce qui
n’est pas contestable (attention à ne jamais l’amener à reconnaître des faits
qu’il n’aurait pas commis).

Dès lors, on pourra concentrer sa défense sur les circonstances atté-


nuantes et sur la personnalité du prévenu pour atténuer au maximum la peine
ou proposer au Tribunal des solutions alternatives. Ce mode de défense,
quand les faits sont reconnus, se prépare avec la même rigueur qu’une con-
testation des faits ou des aveux.

Il faut :

● Avoir ciblé l’entourage du prévenu ;


● Avoir des éléments sur son histoire personnelle ;
● Avoir des avis sociaux sur son passé (éventuellement en prison)
;
● Avoir des documents médicaux si nécessaires ;
● Solliciter la désignation d’experts médicaux ou psychiatriques
au besoin ;
● Eviter les lieux communs.

L’avenir des individus peut en partie se lire dans leur passé qui l’in-
fluence. Encore faut-il connaître ce passé. Dans l’hypothèse où les faits se-
raient contestés, il demeure nécessaire de se fixer une position de défense et
d’y axer son argumentaire.

Deux axes majeurs sont possibles :


143

1) La contestation pure et simple : il n’y a pas lieu de s’étendre


sur cet axe de défense si ce n’est pour rappeler que l’avocat ou le
défenseur judiciaire n’a déontologiquement pas le droit de plaider
contre les déclarations de celui qu’il défend. Il faut donc une sy-
nergie entre les deux et une constance dans la contestation et la
démonstration.

Il y a lieu, et c’est un paradoxe au vu des développements ci-des-


sous, de construire la contestation sur des faits concrets (par cita-
tions de témoins, fourniture d’éléments matériels, etc.) pour aller
à l’encontre de l’accusation. C’est un choix de défense qui impose
ce cheminement démonstratif et non la contestation des charges du
Parquet auquel cas, il faut être précis sur leur insuffisance. Il peut
être utile, dans le cas de dossiers complexes ou si l’on veut forcer
le Tribunal à répondre sur des points précis en vue de l’appel, de
déposer des conclusions aux fins de relaxe. Le principe du contra-
dictoire impose de les transmettre au Parquet. Il est toutefois con-
seillé de ne pas les transmettre trop tôt au risque de voir le Minis-
tère Public diligenter des actes pour combler les carences que les
conclusions ont mis en lumière. Encore une fois, tout est une ques-
tion d’équilibre dans la stratégie.

2) L’absence de charges suffisantes : pour déclarer une personne


coupable, le juge doit être convaincu hors de tout doute raison-
nable de la culpabilité du prévenu ou de l’accusé. Si un doute sub-
siste quant à la culpabilité du prévenu ou de l'accusé, ce doute doit
lui profiter, c'est-à-dire qu'il devra être acquitté ou relaxé « au bé-
néfice du doute ». L’absence des charges suffisantes contre le pré-
144

sumé auteur de l’infraction le décharge. Le doute profite à l’ac-


cusé, ou « in dubio pro reo », est un principe général du droit. Force
est d’admettre cependant que le terme « bénéfice du doute » est
totalement insatisfaisant. Cette notion même de doute semble vou-
loir peser également sur le jugement qui sera rendu, lui aussi dou-
teux.

De même si relaxe il y a sur cette base, l’innocence du prévenu


paraîtra également douteuse alors même qu’elle aura été reconnue
par une décision de justice ayant autorité de la chose jugée. Surtout
et enfin, le prévenu ne bénéficie pas du doute (comme s’il était
présumé coupable mais s’en tire bien pour cette fois). Il bénéficie
au contraire de la présomption d’innocence.

L’analyse juridique est fort simple, elle est la suivante : la pré-


somption d’innocence est un principe fondamental et immuable
qui s’applique à toutes les procédures judiciaires jusqu’au pro-
noncé d’une décision définitive (article 17 de la Constitution de la
RDC). La conséquence première est que la charge de la preuve
pèse exclusivement et uniquement sur l’accusation qui doit établir
la culpabilité. C’est le sens du principe « actori incumbit probatio
». C’est celui qui accuse qui a la charge de prouver l’existence de
l’infraction. Le principe de sécurité juridique impose que cette cul-
pabilité soit démontrée et établie avec une certitude absolue et
qu’il ne subsiste pas la moindre incertitude à ce sujet.

Cela illustre l’adage judiciaire sur lequel repose un système équi-


table : mieux vaut cent coupables libres qu’un seul innocent con-
damné. Ceci n’est pas un choix ; c’est une obligation légale n’en
145

déplaise aux ultra répressif. Dès lors, si le Ministère Public, n’est


pas parvenu à établir la culpabilité d’un suspect intégralement, ce-
lui-ci doit être relaxé. Il n’appartient en aucun cas à la défense
d’apporter le moindre élément de preuve de l’innocence. Il est évi-
dent dans les faits que la défense se bat avec des éléments qu’elle
pense aptes à démontrer l’innocence du prévenu. Il faut bien sûr
ne pas s’en priver.

Cependant, il est fondamental de toujours rappeler le principe ci-


dessus et de dépenser une énergie considérable dans la démonstra-
tion des carences du dossier de l’accusation avant de s’engager
dans la démonstration de l’innocence. L’inverse est illogique et
pourtant, il s’agit là d’un réflexe que nous avons tous et qui, peu à
peu, installe une pratique contraire à la présomption d’innocence.
Rappelons qu’il est difficile d’apporter une preuve négative (ce
que l’accusé n’a pas fait) et qu’il est bien plus facile de démontrer
les lacunes de l’accusation (ce qu’elle ne démontre pas). Disons
donc les choses clairement au Tribunal et à l’accusateur et refusons
de laisser croire qu’une relaxe est acquise « au bénéfice du doute
».

1.6. La plaidoirie de la partie civile

La partie civile est la personne qui s'estime victime d'une infraction :


acte interdit par la loi et passible de sanctions pénales et qui intervient dans
la procédure en justice pour obtenir une indemnisation de son préjudice. Pour
cela, elle doit se constituer partie civile.

Une fois que le tribunal estime que l’instruction à l’audience est termi-
née, la parole est accordée à la partie civile qui aura :
146

● à demander au tribunal de dire les faits établis ;


● à prouver les préjudices subis et leur importance ;
● à prouver que ce préjudice est la conséquence des faits infrac-
tionnels faisant l’objet de l’instance ; à demander une justice
réparatrice du préjudice subi.

Il existe diverses réparations ci-haut examinées auxquelles le tribunal


peut condamner le prévenu. Cependant, dans la mentalité congolaise, tradi-
tionnellement, l’on ne fait pas une ligne de démarcation entre la demande de
réparation et la réquisition tendant à condamner à une peine. Aussi ne peut –
on s’étonner de voir les congolais victimes d’une infraction réclamer au ma-
gistrat instructeur ou à l’officier de police judiciaire l’arrestation de l’in-
culpé.

On peut également noter que certains auteurs conférait la condamnation


à une réparation devant un tribunal répressif une nature répressive74.

La partie civile par le biais de son conseil développe les conclusions


qu'il dépose devant le Tribunal, et qui précisent la nature et le montant de la
réparation civile réclamée. A ces conditions d'exercice de l'action civile,
s'ajoute celle du succès de l'action : la démonstration par la victime de l'exis-
tence du lien de cause à effet entre l'infraction ou la culpabilité du prévenu
et le préjudice subi.

La partie civile conclut toujours par la formule suivante : « Plaise au


Tribunal de… ». Elle doit joindre à sa demande de dommages intérêts toutes
pièces justificatives de son préjudice tels : les factures, devis, certificat mé-

74
GARNIER, ‘Quelques réflexions sur l’action civile’, in JCP, 1957, I, p. 1386 ; Cité par E-J
LUZOLO BAMBI LESSA, op-cit, p. 422.
147

dical, photographies, et préciser impérativement le montant des D.I sollici-


tés. Après avoir plaidé, elle peut promettre de déposer ses conclusions dans
les 48 heures.
148

1.7. Les expressions latines les plus usitées lors des procès

Expressions latines Traductions correspondantes

Actori incumbit probatio La charge de la preuve incombe à celui


qui allegue les faits

Ad nutum A son gré, a toi moment ou au gré de

Fraus omnia corrumpit La fraude corrompt tout

Nullum crimen, nulla poena sine lege Pas de crime, pas de peine sans la loi

Ad litem Pour le procès

Lucrum cessans Manque à gagner

De cujus Defunt

Ex aequo et bono En équité


149

Exceptio non adimpleti contractus Exception d'inexécution

In limine litis Dès le début de la procédure

Intuitu personnae En considération de la personne

Ultra petita Au delà de la demande

Res nullius Chose sans propriétaire

In ilo tempore A cette époque

Rebus sic stantibus Toutes choses restant égales par ailleurs

De plano De plein droit

Dies a quo Le point de départ du délai

Prima facie A première vue


150

Erga omnes A l'égard de tous

Stricto sensu Au sens strict

Dies ad quem Jour d'arrivée

Ex nunc A partir de maintenant

Sine die Sans fixer de date

Ab initio Depuis le début ou depuis le point de dé-


part

Motu proprio De sa propre volonté

Prorata temporis A proportion du temps

Animus domini État d'esprit du propriétaire

Animus donandi Volonté de gratifier


151

Animus juris Volonté juridique

Animus novandi Volonté de nover

Animus possidendi Volonté de posséder

A priori Au préalable

A posteriori Après coup

Actio in personem Action personnelle

Bonus pater familia Bon père de famille

Casus Cas

Causa Cause

Casus belli Cas de guerre


152

Actio in rem Action réelle

Actio redhibitoria Action rédhibitoire

Ad agendum Mandat donné pour agir

Ad exhibendum Aux fins d'exhiber

Ad gustum A la dégustation

A domino Du propriétaire

Ad probationem Pour la preuve

Contra legem Contraire à la loi

Corpus certum Corps certain

Corpus delicti Corps du délit


153

Culpa Faute

Culpa lata Faute lourde

Culpa levis Faute légère

Debitum Dette

De facto De fait

De in rem verso En répétition de l'enrichissement

De jure De droit

De lege ferenda Sous l'angle de la loi à venir

De lege lata Sous l'angle de la loi en vigueur

Dies a quo Jour de départ


154

Ex pari causa Procédant de la même cause

Expressis verbis En termes exprès et claires

Ex tunc Dès l'origine

Gratis Gratuitement

Hic et nunc Dès à présent

Honoris causa A titre honorifique

In factum En fait

In fine A la fin

Infra Plus bas

Infra petita En deçà de la demande


155

In futurum Pour l'avenir

In globo Globalement

In solidum Pour le tout

Inter alios En dehors des parties contractantes

Interim Entre-temps

Intuitu pecuniae En considération de l'argent

Intuitu personnae En considération de la personne

Ipso facto Par le fait même

Jus sanguinis Droit du sang

Jus soli Droit du sol


156

Lapsus calami Erreur de plume

Lapsus linguae Erreur de language

Lato sensu Au sens large

Lex Loi

Lex contractus Loi du contrat

Lex fori Loi du tribunal (du pays)

Lex loci actus Loi du lieu de l'acte

Lex loci delicti Loi du lieu du délit

Lex rei sitae Loi de la situation de la chose

Manu militari Par la force publique


157

Lex specialis Loi spéciale

Mutatis mutandis En changeant ce qui doit être changé

Opus citatum Ouvrage cité

Uti singuli A titre individuel

Usus Droit d'usage

Solvens Personne qui fait le paiement

Sine qua non Condition obligatoire

Ratione personae En raison de la personne

Ratione materiae En raison de la matière

Ratione loci En raison du lieu


158

Quid juris ? Qu'en est-il en droit

Res publica Chose publique

Ratio legis Raison d'être de la loi

Pro rata temporis En proportion du temps

Persona grata Personne agréée

Persona non grata Personne non agréée

Post mortem Après la mort


159

● La pratique des dilatoires relatifs à la comparution des


avocats simulés

La pratique des procès simulés en République Démocratique du Congo,


renseigne que le comparution des avocats est souvent précédée par un dila-
toire sous format de citation permettant à l'avocat simulé d'introduire sa plai-
doirie. Dans la présente partie nous tâcherons d'en donner quelques-unes qui
sont pertinentes.

« La procédure est la forme par laquelle les juges et les justiciables


doivent agir, les uns pour rendre justice et les autres pour obtenir justice ».

Carré de Malberg.

« Si le dire du dire de celui qui dit, n'était que le dire du dire de celui
qui as dit, donc mon dire ne sera que le dire du dire de celui qui avait dit ».

Augustin BAKAMBE

« Alors que la morale tant a scruté les consciences humaines, tout en


érigeant en immoralité même le fait de mal pensé, le Droit pénal, mieux le
Droit répressif ne scrute pas les consciences humaines bon sang ! Ce dernier
ne prend en considération que le mouvement de l'extériorisation de l'intério-
risation de la pensée criminelle ».

Henoc MANOKA
160

« Monsieur le président, c'est un probatoire que d'avoir un bon avocat


dans le prétoire, s'il n'a pas été un bon étudiant dans l'auditoire, avec notre
art oratoire, nous allons devoir, falloir, procéder par des interrogatoires
pour cerné la pertinence de ce procès ».

Cicéron, Cassation toge noire|UNIKIN

« Nous sommes autant en étant dans le temps, détenteur d'un pouvoir


pour exercer un devoir, non pas dans les couloirs des comptoirs, des labo-
ratoires, possiblement les auditoires, mais spécifiquement dans le prétoire.
D'où, il va falloir, qu'au regard du paroi, l'on arrive à s'apercevoir et entre-
voir la gloire que renvoi le miroir car nous sommes du barreau sans être des
bourreaux étant donné que le Droit nous rend beau ».

Dan MORDEKAY

« Votre honneur, nous avons la teneur, la terreur et l'horreur que l'on


vous induisent en erreur, pourtant la loi que vous êtes censé appliquer est
porteur des valeurs ».

Michée MANKUBU

« Monsieur le Président, le mensonge qui s'annonce ronge le droit qui


rôde autour de l'affaire comme Hérode, alors que la vérité, la clarté et la
luminosité font la nécessité pour la liberté de la personne inquiétée voir
même enquiquinée ».

Michée MANKUBU

« Derrière la clameur de la victime, se trouve une souffrance qui crie


moins vengeance que récit ».

Christine LAZERGES et Geneviève GIUDICELLI DELAGE


161

« Saperlipopette oui Saperlipopette ! Inquiet, inquiet dans mon inquié-


tude ! Désolé, désolé dans ma désolance ! Seul, seul dans ma solitude car je
n'ai pas été sollicité par la sollicitude, monsieur le président ces mots résu-
ment mon ressenti eu égard à la situation de mon client au moment où
s'ouvre cette instance répressive ».

Shadrack BOKEFELE

« Monsieur le président après avoir suivi minutieusement la plaidoirie


de la partie adverse, il en résulte une constatation macabre. De ce fait, nous
sommes désolés dans notre désolance, inquiet dans notre inquiétude et seul
dans notre solitude car nous n'avons pas était sollicité par notre sollicitude
».

Henoc MANOKA

« Ennemie juré de l'arbitraire, sœur jumelle de la liberté, la procédure


est le mécanisme par lequel s'établit un équilibre entre les protagonistes
dans le cadre d'un procès ».

Henoc MANOKA

« Si la pourriture servait de nourriture a la magistrature, donc il y aura


rupture dans l'ossature de cette même magistrature ».

Cicéron Cassation toge noire|UNI-


KIN

« La procédure pénale est le thermomètre démocratique de la tempéra-


ture d'un État de Droit ».

Emmanuel Janvier LUZOLO


BAMBI LESSA
162

« La procédure pénale est le miroir fidèle des mœurs, des traditions et


des besoins d'un pays ».

Jean GRAVEN

« La justice est rendue par des hommes et pour des hommes. Le besoin
de justice existe dans tout homme. En tant que fonction immanente, elle met
en avant-plan autant l’humanité de celui qui la rend que celle de celui qui la
reçoit. D’où la nécessité du traitement en humanité tant du magistrat que du
justiciable ».

Leon KENGO wa DONDO

« La Justice est l’asymptote de la vérité. Approcher toujours et n’at-


teindre jamais tout à fait, tel est son devoir incessant. Elle le remplit, comme
s’accomplissent les devoirs, sans bruit et sans passion ».

Vincent LAMANDA

« Sans vouloir en scruter le fondement philosophique ni le mécanisme


psychologique, nous constatons que les hommes ont universellement un
"sens de la justice", ou plus modestement qu'ils savent que tel acte qu'ils
ont la possibilité d'accomplir serait injuste ; ils sont bien plus sensibles en-
core à l'injustice dont ils se croient victimes. Cette notion du juste et de
l'injuste est cependant subjective et relative ; l'accoutumance oblitère la
conscience ; elle öte tout scrupule à l'usurpateur et elle incline ses victimes
à la torpeur fataliste ou à la révolte. Le sage - quand même il aurait le pou-
voir de s'en défendre, - peut supporter quelques entorses à son légitime in-
térêt, pour l'amour d'une paix qui lui est profitable, sinon pour l'amour dé-
sintéressé du prochain ».

Antoine RUBBENS
163

« Saperlipopette oui, oui Saperlipopette ! Saperlotte oui, oui saperlotte


! La force du lion est dans la forêt, celle du crocodile que moi j'appelle
Ngando est dans la mère, mais la force de l'avocat est au prétoire, Monsieur
le président, veuillez donc adjuger l'ordre à votre greffier d'acté l'exercice
mystifico pedagogico comparitionel de Maître (vous donnez votre nom et
barreau de rattachement).

Heloche LUTIKU.

« L'État de Droit est aussi l'inféodation de la puissance publique au


Droit pénal ».

Daniel MBAU

« Un orateur devrait prendre un moratoire pour exercer l'art oratoire,


non sur les couloirs, dans les auditoires mais surtout au prétoire, sachant
qu'il va falloir pour cet art oratoire un caractère non attentatoire et provi-
soire, afin de faire valoir tout son savoir pour préserver le mouvement de ses
mâchoires sans contradiction en l'endroit de ses auditeurs et co-debateurs
».

Dan MORDEKAY

« Au pinacle de l'ignorance, l'arrogance est une vertu ».

Henoc MANOKA

« Monsieur le président, le Droit est une forêt où lorsqu'on y entre sans


repère, on risque de se perdre ».

Dieudonné LUABA NKUNA


164

« Les orateurs élèvent la voix quand ils manquent d'arguments ».

CICÉRON

« L'éloquence est la lumière qui fait briller l'intelligence ».

CICÉRON

« On commet souvent des injustices par certaines supercheries, en in-


terprétant la loi astucieusement, et avec mauvaise foi ».

CICÉRON

« Ce qui manque aux orateurs en profondeur, ils nous le donnent en


longueur ».

MONTESQUIEU

« L'action ne fait pas le crime, c'est la connaissance de celui qui la


commet : celui qui fait un mal, tandis qu'il peut croire que ce n'est pas un,
est en sûreté de conscience ».

MONTESQUIEU
165

2. Quelques modèles de plaidoiries

LE PROCÈS DU MARÉCHAL PÉTAIN

Au moment où il comparaît devant ses juges, le maréchal est déjà un


vieillard. Philippe Pétain est âgé de 89 ans. Pour lui éviter des allées et ve-
nues, pendant la durée des débats, un appartement a été sommairement amé-
nagé dans le cabinet du greffier. Ce 23 juillet 1945, premier jour du procès,
bien avant l’heure de l’audience, on se bouscule devant le poste de contrôle.

Les gradins de bois, construits pour l’occasion, sont pris d’assaut. Le


public a bien conscience de vivre un instant historique : la comparution d’un
maréchal de France devant la Haute Cour de justice pour trahison et intelli-
gence avec l’ennemi. Dès midi, la salle se remplit et la chaleur est vite étouf-
fante. L’accusé arrive à 13H30. Vêtu de kaki, il porte comme unique déco-
ration la médaille militaire. Selon les comptes rendus de l’époque, il s’assoit,
pose son képi et ses gants sur la petite table disposée devant lui et attend. Il
semble complètement étranger à ce qui se passe. Il est absent. Le président
Mongibeaux, le visage un peu empâté, orné d’une barbiche, prend la parole
:

« L’accusé qui comparaît aujourd’hui a suscité pendant de longues an-


nées les sentiments les plus divers, depuis un enthousiasme et une sorte
d’amour, jusqu’à la haine et l’hostilité violente. À la porte de cette audience,
où les passions doivent s’éteindre, je tiens à dire que nous ne connaissons
qu’une seule passion, sous un triple aspect : la passion de la vérité, la pas-
sion de la justice et la passion de notre pays ».
166

Après avoir ajouté que l’Histoire jugerait les juges eux-mêmes, il dé-
clare les débats ouverts. La Haute Cour de justice chargée de juger Philippe
Pétain est composée de vingt-quatre jurés : douze parlementaires tirés au sort
dans l’Assemblée, douze membres d’organisations de la Résistance et trois
magistrats professionnels. Philippe Pétain, après avoir entendu la lecture de
l’acte d’accusation, demande la parole pour lire une déclaration : « La Haute
Cour, telle qu’elle est constituée, ne représente pas le peuple français et c’est
à lui seul que s’adresse le maréchal de France, chef de l’État. Je ne répon-
drai à aucune question… J’ai passé ma vie au service de la France… L’oc-
cupation m’obligeait à ménager l’ennemi, mais je ne le ménageais que pour
vous ménager vous- mêmes… Pendant que le général de Gaulle, hors de nos
frontières, poursuivait sa lutte, j’ai préparé les voies à la Libération, en con-
servant une France douloureuse mais vivante. À quoi, en ef et, eût-il servi de
libérer des ruines et des cimetières ? Si vous deviez me condamner, vous
condamneriez un innocent et c’est un innocent qui en porterait le poids, car
un maréchal de France ne demande de grâce à personne ».

Philippe Pétain ne prononce pas un mot de plus durant le procès. Pen-


dant que ses trois avocats, Maîtres Lemaire, Payen et Isorni, ferraillent eux
sans relâche, interrogeant longuement les témoins qui se succèdent au cours
de ces trois semaines d’audience, qu’ils soient à charge comme Édouard Da-
ladier, Paul Reynaud, Léon Blum – ou à décharge – comme le général Wey-
gand ou le pasteur Boegner. Le 11 août 1945, dans un silence de plomb, le
procureur général Mornet requiert : « On a failli faire perdre à la France sa
raison de vivre en lui enlevant son honneur. Cela, c’est le crime inexpiable
auquel il n’est ni atténuation, ni excuse… C’est la peine de mort que je de-
mande à la Haute Cour de justice de prononcer contre celui qui fut le maré-
chal Pétain ». Le 14 août, Jacques Isorni lui réplique. Âgé de 34 ans, l’avocat
167

au visage juvénile, balayé par une large mèche de cheveux noirs, est tétanisé
par l’enjeu. « Afalé sur une chaise de velours, a-t-il écrit plus tard, je devais
être d’une pâleur touchant au vert. Pour me soutenir, la maréchale ne m’of-
frait complaisamment que de l’eau de Vittel dans le verre du maréchal… ».

Isorni se lève, pétrifié, un brouillard devant les yeux. Peu à peu, sa voix
de cuivre porte. Vingt ans après, l’écrivain Jules Roy, ancien aviateur, qui
servit Pétain avant de rejoindre la RAF, fit revivre cet instant unique : « Qui
pouvait résister au romantisme d’Isorni ? Un dieu le possédait. Il tendait des
bras implorants. La foi qui le brûlait gagnait comme un incendie que le vent
attise. Tassé par l’émotion, l’accusé disparaissait au fond de son fauteuil.
On n’en respirait plus. Des larmes commençaient à couler sur les joues. Au-
jourd’hui encore, il arrive que des hommes qui, pourtant, n’ont pas assisté
à cette plaidoirie, en citent des passages par cœur, tant ils furent bouleversés
par les extraits qu’en publièrent les journaux d’alors ».
168

PLAIDOIRIE PRONONCÉE PAR JACQUES ISORNI


LE 14 AOÛT 1945 DEVANT LA HAUTE DE JUSTICE
EN FRANCE

Au seuil de mes explications, je voudrais vous livrer, non pas une con-
ception mais l’idée qui sans doute a présidé à la politique du maréchal pen-
dant quatre années. La politique du maréchal était la suivante : sauvegarder,
défendre, acquérir des avantages matériels, mais souvent au prix de conces-
sions morales. La Résistance a eu une conception contraire : elle ne cherchait
point à éviter les sacrifices immédiats. Dans la continuation du combat, elle
voyait, d’abord, des avantages moraux. Peut- être trouverez-vous, dans l’an-
tinomie de ces deux thèses, une raison du drame français auquel je reviendrai
tout à l’heure. Mais la vie des États n’est pas la vie des individus. S’il est
grave qu’un individu acquière des avantages matériels ou défende ces avan-
tages matériels au prix de concessions morales, dans la vie de l’État, il en va
autrement.

Les concessions morales qui étaient susceptibles de porter atteinte à


l’honneur du chef, c’était le chef seul qui les supportait. Mais les avantages
matériels, ils étaient pour qui ? Ils étaient pour le peuple français. On nous a
dit : « Peut-être aurait-il mieux valu que ce ne fut pas un maréchal de France
». Messieurs, il fallait justement que ce fût un maréchal de France qui pouvait
seul supporter de telles concessions, les offrir en sacrifice, alors que les avan-
tages étaient pour les Français, qu’eux seuls en bénéficiaient.

Et puis, Messieurs, la deuxième notion, je voudrais l’emprunter à un


dialogue qui s’était institué à cette barre entre M. le Procureur général et M.
169

Léon Blum. M. Léon Blum, invoquant le serment, pensait que la magistra-


ture aurait dû le refuser. Et M. le Procureur général s’écriait : « Mais que
serait-il arrivé si les magistrats français avaient refusé de prêter serment ?
»

Et c’est encore M. le Procureur général qui apportait lui-même la ré-


ponse dans son réquisitoire, lorsqu’il disait : « Mais la magistrature, à la-
quelle je rends hommage, a sauvé des quantités de vies françaises ». C’est
exact. Messieurs, le procureur général est orfèvre… Si vous aviez interrogé
un préfet de police, il vous aurait dit : « Il y a eu des erreurs ; il y a eu, de la
part de certains, des crimes ; mais la police dans son ensemble a sauvé elle
aussi des quantités de vies françaises ». Si vous vous adressiez à tous les
chefs d’administrations, à tous ceux qui sont à la tête de corps constitués, ils
vous diraient la même chose : « Nous avons sauvé ce que nous avons pu
sauver dans le domaine qui était le nôtre ».

Sous quelle forme le maréchal Pétain est-il accusé d’avoir aidé l’Alle-
magne ? Je retiendrai les deux principaux griefs : la Légion des volontaires
français et le Service du travail obligatoire. En ce qui concerne le Service du
travail obligatoire, je veux dire que, loin d’apporter une aide à l’Allemagne,
c’est là que l’action du Gouvernement français a été la plus efficace et la plus
protectrice. Veut-on prétendre que sans le Gouvernement du maréchal Pé-
tain, il n’y aurait jamais eu de travailleurs français en Allemagne ?

Lorsque les Allemands ont exigé que des travailleurs français partent
pour l’Allemagne, il y avait deux solutions. La première consistait à refuser
d’une manière brutale, et les Allemands « se servaient » comme ils voulaient.
La deuxième c’était d’entrer, en apparence, dans le jeu des Allemands et de
chercher, par tous les moyens, à freiner leurs efforts, et puis, étant entré dans
170

ce jeu, de conserver la possibilité de nous occuper des travailleurs, partis au-


delà de nos frontières. Entre les deux solutions, le Gouvernement du maré-
chal a choisi. Je voudrais vous apporter ici des chiffres, des chiffres plus
éloquents que n’importe quel argument.

Quelles ont été les exigences allemandes ? Il y a eu, entre le 5 juin 1942
et le 1er août 1944, cinq demandes. On a demandé cinq tranches de travail-
leurs :

● Première tranche : 400 000 hommes.


● Deuxième tranche : 400 000 hommes.
● Troisième tranche : 220 000 hommes.
● Quatrième tranche : 500 000 hommes.
● Cinquième tranche : 540 000 hommes.

C’est-à-dire au total, 2 060 000 hommes, et sans aucune contrepartie.


Telles étaient les exigences du gauleiter Sauckel.

Or, entre le 5 juin 1942 et le 1er août 1944, il n’est parti pour l’Alle-
magne que 641 000 – il n’est parti que… vous me comprenez – que 641 000
hommes, c’est-à-dire un peu plus du quart des demandes allemandes et, en
contrepartie, le Gouvernement a obtenu, par la Relève – je ne discute pas le
mot – mais pendant cette même période où 641 000 travailleurs sont partis,
la France a obtenu le retour de 110 000 prisonniers et la transformation en
travailleurs libres de 250 000 prisonniers de guerre.

Or, il est un fait important qui ne s’est produit dans aucun autre pays
que la France : pas une femme – et sur l’intervention personnelle du maréchal
– pas une femme n’a quitté le territoire français pour le travail obligatoire.
D’autre part, par le Service du travail, le Gouvernement obtenait que de telles
charges ne pèsent pas exclusivement sur la classe ouvrière. Un certain
171

nombre de jeunes bourgeois sont allés partager avec les ouvriers la dureté du
travail des usines, peut-être d’une manière insuffisante. Mais croyez-vous
que si les Allemands avaient pris eux-mêmes les ouvriers dont ils avaient
besoin, ils se seraient adressés à des hommes qui, par leur formation, étaient
incapables de rendre les services qu’ils attendaient d’eux ?

Si bien que par la manière dont le Gouvernement a freiné les départs en


Allemagne, un quart seulement des exigences allemandes a été satisfait ;
alors qu’en Belgique, 80 % de la classe ouvrière est partie, la proportion en
France est de 16 %.

N’est-ce point un résultat que vous devez conserver graver dans votre
esprit au moment de votre délibéré ? Est-ce que vous ne devez pas penser
que par l’action du maréchal, alors qu’on réclamait 2 millions de Français,
600 000 seulement sont partis ? Est-ce que vous ne devez pas penser qu’alors
qu’on demandait des femmes, toutes les femmes de France qui l’ont voulu
sont restées à leurs foyers ?

Il y a, dans la France occupée, un phénomène unique : c’est le seul pays


qui n’ait pas connu, en 1944, plus de nationaux en Allemagne qu’il y en avait
en 1940. Par le retour des prisonniers – 700 000 – il s’est établi une compen-
sation dont aucun autre pays occupé n’a bénéficié. Il y avait 2 millions de
Français, en 1940, en Allemagne.

En 1944, il y avait toujours 2 millions de Français. On a beaucoup re-


proché au maréchal de leur avoir indiqué, dans un discours, qu’ils travail-
laient pour la France. M. le Procureur général y voyait une cruelle ironie.
N’y voyons pas d’ironie !… Ces hommes, Messieurs, étaient des exilés. Ils
étaient loin de tout, séparés de leurs familles, séparés de la France. Est-ce
que vous ne croyez pas que celui qui représentait pour eux la Patrie, que
172

celui-là devait leur adresser un appel : « Mais nous pensons à vous, vous
n’êtes pas abandonnés » ? Devait-il leur dire pour les accabler davantage
dans leur solitude et dans leurs durs travaux : « Vous travaillez pour l’en-
nemi » ? Il leur disait : « Vous travaillez pour la France ». Ce n’était qu’un
encouragement moral.

Et puis, ces hommes, en partant, en acceptant cet exil, avaient permis


aux autres de rester ; ils avaient aidé les femmes françaises à rester et, dans
cette mesure, offrant à la France leur dur sacrifice, c’est bien pour notre Pa-
trie qu’ils avaient travaillé. Après les « humiliations », voulez-vous que nous
parlions des « persécutions » ? Je parlerai d’abord des lois raciales.

Quelle était la politique allemande dans les pays occupés ? Éliminer les
juifs de toute espèce d’activité, quelle qu’elle fût. Allait-il y avoir, en France,
une politique différente ? Vous savez qu’elle en était la cruauté. Ai-je besoin
de le rappeler ? Quelle devait être la politique du maréchal vis-à-vis des juifs
? Ce qu’il avait fait pour d’autres : essayer de dresser une espèce d’écran
entre les exigences du vainqueur provisoire, et ceux que ces exigences de-
vaient atteindre.

Est-ce que cela veut dire que les antisémites qui existaient dans tous les
pays n’ont pas profité des circonstances pour esquisser une danse sauvage
du scalp autour de ceux qui allaient souffrir ? Je le sais. Mais le maréchal en
était-il responsable ? En matière de lois raciales, puisque vous êtes chargés
de juger le maréchal Pétain, seul, il n’y a qu’une seule chose qui compte : ce
que fut son action personnelle. Il a promulgué une loi qui a interdit à un
certain nombre de juifs des activités qu’ils exerçaient normalement. Il a pro-
mulgué une loi qui a défini le juif, c’est incontestable. Mais c’est lui qui, en
173

Conseil des ministres, a imposé la disposition légale qui prévoyait les excep-
tions en faveur des Anciens combattants et de leurs familles.

C’est lui qui a empêché le port de l’étoile jaune en zone libre. C’est lui,
et c’est lui seul, qui a empêché que la loi dont a parlé M. Roussel, et qui allait
dénaturaliser tous les juifs ayant acquis la nationalité française depuis 1927
fût promulguée. C’est lui, pour vous montrer son état d’esprit, qui traitait
Darquier de Pellepoix de tortionnaire. Et, comme je n’ai qu’un souci, celui
d’être véridique, c’est lui aussi qui avouait devant le pasteur Boegner, son
impuissance désolée devant des atrocités dont il n’était pas responsable…

Mais la grande iniquité, c’est de vouloir rendre le maréchal Pétain res-


ponsable de toutes ces atrocités qui ont été commises par les Allemands. La
grande iniquité, c’est de confondre les mesures prises par les Allemands avec
les mesures prises par le maréchal Pétain.

Je m’adresse, au-dessus de vous, à tous les juifs qui ont souffert qui
accablent aujourd’hui le maréchal. Je leur demande : Ce serait à refaire ?
Voudriez-vous qu’il n’y ait pas une zone libre où vous aviez trouvé un abri
provisoire, alors pourtant que le statut du maréchal Pétain y était appliqué ?
Renonceriez-vous à cette zone libre sans le maréchal Pétain ? Voudriez-vous
que dans cette autre partie de France vous eussiez été obligés également de
porter l’étoile jaune ? Je ne le crois pas.

On m’objecte : par la politique du Maréchal, on a livré indirectement


aux Allemands les juifs en donnant leurs noms, leur identité, leurs adresses.
Non, non, ce n’est pas vrai ! Dans tous les pays occupés – c’est même la loi
internationale de l’occupation – il continue d’exister une police chargée de
l’ordre intérieur de la Nation.
174

Rappelez-vous l’époque. C’était l’époque où on ne pouvait pas manger


sans carte d’alimentation, où nous étions tous, quel que soit notre rang, sou-
mis à un recensement, où l’autorité devait connaître notre identité. Les Alle-
mands pouvaient, par un simple placard sur des murs, exiger que les juifs se
fassent connaître. Ceux qui ont couru tous les risques en se soustrayant au
recensement, les auraient courus de la même façon. Mais, quoi qu’il arrivât,
ce recensement des juifs se serait fait par l’entremise des Allemands, comme
il s’est fait par l’entremise de la police française. Le maréchal Pétain n’a livré
personne. Devant la dure loi de l’ennemi, il n’a cherché qu’un palliatif.

Il aurait peut-être mieux valu, mais pour lui seul, laisser agir les Alle-
mands. Là encore, on a fait des concessions morales pour tâcher de sauve-
garder, dans la mesure du possible, des avantages matériels dont bénéfi-
ciaient les juifs. Je me rappelle que, lorsque la loi française venait frapper un
juif, nous nous servions tous ensemble de cette loi pour le soustraire aux
Allemands. Vous connaissez bien, Messieurs, les magistrats, certains de vos
collègues qui, avec nous, avec l’aide des parquets, ont fait ce métier sauveur.
Mais si nous n’avions pas disposé de la loi française invoquée devant les
Allemands, ceux-ci eussent été livrés à eux-mêmes, et les juifs entièrement
livrés aux Allemands.

Je sais, Messieurs, que les comparaisons avec des pays que nous ne
connaissons pas ont quelque chose, parfois, de fallacieux et d’arbitraire, mais
je ne puis m’empêcher de donner ces chiffres, recueillis dans la presse : Sur
5 500 000 juifs qui résidaient en Pologne en 1939, 3 400 000 ont été massa-
crés par les nazis. À Varsovie, 5 000 seulement, sur les 400 000 ont survécu.

Quelles que soient les souffrances des juifs français – je ne parle pas
des souffrances individuelles mais des souffrances collectives – est-ce que la
175

proportion de leurs malheurs est aussi grande que pour les juifs de Pologne
? Je ne le pense pas. C’est la seule l’action du gouvernement du maréchal qui
les a, peut-être faiblement, mais protégés quand même.

Et j’en arrive à ce qui préoccupe peut-être le plus certains d’entre vous


: le maréchal et la Résistance, le maréchal et le maquis. Messieurs de la Ré-
sistance, je me tourne plus particulièrement vers vous. N’attendez pas de moi
ce serait indigne de nous n’attendez pas de moi que je fasse une distinction
entre le bon et le mauvais maquis. Je laisse cela à d’autres. Je pense que, s’il
y a des critiques à adresser au maquis, il n’y a pour avoir le droit de le faire
que ceux qui y ont participé. Je pense, pour ma part, qu’un des merveilleux
phénomènes du maquis de la Résistance, c’est d’avoir fait, de Français ad-
versaires, des Français fraternels, parce qu’ils ont souffert les mêmes souf-
frances, que les mêmes espoirs les ont animés et qu’une même victoire a
couronné leurs sacrifices. Je pense que la Résistance, c’est le signe de la vi-
talité d’un peuple : je pense que la Résistance, c’est sa volonté de survivre.

Pourquoi voudriez-vous que celui qui fut un des plus glorieux soldats
français ait été hostile à cette Résistance ? Paul Valéry disait à l’Académie,
s’adressant au maréchal Pétain : « Monsieur, vous avez, à Verdun, assumé,
ordonné, incarné cette Résistance immortelle ! »… Ah ! Je sais bien quel est
le cri de vos consciences : vous vous rappelez la police qui vous a traqués,
vous vous rappelez la milice qui vous a combattus, et si vous, qui êtes des
juges, vous ne criez pas vengeance, je sais des vôtres qui ont atrocement
souffert et qui, eux, crient vengeance.

Mais je voudrais essayer de vous faire comprendre quelle a été l’attitude


du maréchal vis-à-vis de vous, quelle a été son attitude vraie, non pas tant du
chef de l’État, que celle de l’homme. Le maréchal a vécu toute sa vie dans
176

l’armée. Je crois très sincèrement que ses pensées intimes allaient à l’armée
secrète. Je crois très sincèrement qu’il n’était peut-être pas, par ses disposi-
tions intellectuelles, accessible à ce mouvement qui a été un jaillissement
populaire venu des profondeurs de la Nation. Il pensait aux armements clan-
destins, il pensait à l’armée d’Afrique. Il n’avait peut-être pas l’état d’esprit
nécessaire à vous comprendre dans votre action. Il y a surtout une considé-
ration de fait : à partir du moment où la Résistance est devenue active, où
elle est entrée au combat avec plus de force, passant du réseau de préparation
à l’activité combattante, alors, déjà, vous le savez, le maréchal ne gouvernait
plus : il avait délégué ses pouvoirs au chef du gouvernement et il vivait dans
une espèce de zone de silence dont le caractère tragique ne nous échappe pas
lorsqu’on pense que cette zone de silence entourait celui qui avait, en nom,
la responsabilité suprême… Je sais que des membres de son cabinet étaient
en contact avec vos organisations mais c’est, néanmoins, déformé que venait
jusqu’à lui l’écho de votre action. Je plaide avec une loyauté totale, je plaide
sincèrement ; ne doutez pas de ce que je dis. Au fort de Montrouge, j’ai sou-
vent parlé au maréchal de la Résistance.

Il la connaissait, certes, mais si vous saviez comme il a été trompé sur


la réalité de votre action ! … Il est incontestable que des hommes sont venus
jusqu’à lui, qui eux, avaient des arrière-pensées politiques et qui mettaient
sur le compte du maquis ce qui n’était que des actes exceptionnels commis
par d’autres ou qui profitaient de la désorganisation de la Patrie. C’est vrai.
Mais, dans son cœur, celui qui avait été, depuis Verdun, comme le disait
Valéry, l’incarnation de la Résistance éternelle, pouvait-il être contre vous ?

Enfin, Messieurs, il faut que vous connaissiez un document : c’est la


lettre du maréchal Pétain à Pierre Laval relative à la milice. Cette lettre, elle
177

est tardive, je le sais, je ne vous cache rien. Mais elle fait suite à de nom-
breuses protestations.

Laissez-moi, Messieurs, vous en lire les principaux extraits :

« Des faits inadmissibles et odieux me sont quotidiennement rapportés


et je vous en citerai quelques exemples… Des preuves de collusion entre la
milice et la police allemande nous sont chaque jour apportées. Des dénon-
ciations, des livraisons de prisonniers français aux autorités de police alle-
mandes m’ont été maintes fois signalées et par les plus hautes autorités dé-
partementales. J’en ai eu un exemple dans mon entourage. J’insiste sur le
déplorable ef et produit sur des populations qui peuvent, dans certains cas,
comprendre les arrestations opérées par les Allemands, mais qui ne trouve-
ront jamais aucune excuse au fait que des Français livrent à la Gestapo leurs
propres compatriotes et travaillent en commun avec elle. » Voilà la prophé-
tique protestation qu’adressait solennellement le maréchal Pétain à Pierre
Laval. Voilà quels étaient les sentiments intimes du maréchal Pétain. J’ai
encore dans l’oreille un cri jailli de ce côté-ci de la Haute Cour. Un des
juges s’est écrié : « Et nos morts ! »

Ces morts, croyez-moi, nous les pleurons ensemble.

Mais d’autres Français sont morts, eux aussi, sous les balles allemandes
et qui, au moment de mourir ont crié : « Vive le maréchal ! »

J’ai une lettre touchante, écrite à son père par un jeune homme, presque
un enfant, la veille de sa mort, la veille du supplice qu’allaient lui infliger les
Allemands.

« Je sais le coup terrible que cela va te porter et je t’en demande bien


pardon. Et si cela peut être une consolation pour toi, je vais faire en sorte
178

que tu sois fier de moi. J’entends mourir courageusement, fièrement, en vrai


Français, et faire honneur à mon pays. C’est la dernière et seule chose que
j’aurai pu faire pour toi. Il faut que tu saches et répètes que ma dernière
parole sera : ‘‘Vive le maréchal ! Vive la France ! »

Ah ! Si des hommes sont morts sous les balles allemandes en criant : «


Vive le maréchal ! », ne pensez-vous pas qu’ils ont mené le même combat
que vous ? Si des hommes ont été déportés, ont souffert en criant : « Vive le
maréchal ! » ne pensez- vous pas qu’ils ont mené le même combat que vous
? Vous vous êtes ignorés souvent, heurtés parfois. Mais le sentiment profond
qui faisait battre vos cœurs, qui vous faisait répandre votre sang, ne pensez-
vous pas que c’était le même ?

Cependant, alors que vous animait ce sentiment commun, alors que


vous vous sacrifiiez à un même idéal, nous sommes aujourd’hui en présence
de ce qu’on peut appeler le drame français. Ce drame, pourquoi existe-t-il ?
Et c’est à vous de le dénouer. Je vous ai livré la pensée du maréchal. Je vous
ai livré son action. Je vous ai rappelé ces hommes qui sont morts comme les
vôtres mais qui, eux, criaient : « Vive le maréchal ! » Je crois profondément,
j’ai la conviction que vous avez tous mené le même combat. Maintenant,
vous êtes parvenus à l’heure peut-être la plus solennelle de la justice fran-
çaise. Vous avez fait parler les morts. Vous avez appelé à votre barre le té-
moignage de ceux qui ont été persécutés. Vous avez ranimé le souvenir des
captifs, qu’à mon tour j’appelle à votre barre les vivants, ceux qui ont été
libérés, ceux qui ont été protégés. Vous avez entendu la voix des hommes
qui sont partis ; laissez-moi entendre celle des femmes qui sont restées.

Qu’ils viennent tous aujourd’hui, qu’ils forment cortège au maréchal et


qu’à leur tour ils protègent celui qui les avait protégés. Mais si, malgré tout
179

ce que je viens de dire, si malgré le sentiment de la vérité qui est en moi,


vous deviez suivre le procureur général dans ses réquisitions impitoyables,
si c’est la mort que vous prononcez contre le maréchal Pétain, eh bien ! nous
l’y conduirons. Mais je vous le dis, où que vous vous trouviez, à cet instant,
que vous soyez à l’autre bout du monde, vous serez tous présents. Vous serez
présents, Messieurs les magistrats, vêtus de vos robes rouges, de vos her-
mines et de vos serments. Vous serez présents, Messieurs les parlementaires,
au moment où la délégation que le peuple vous a donnée de sa souveraineté
s’achèvera. Vous serez présents, Messieurs les délégués de la Résistance, au
moment où ce peuple n’aura pas encore consacré vos titres à être ses juges.
Vous serez tous présents ! Et vous verrez, au fond de vos âmes bouleversées
comment meurt ce maréchal de France que vous aurez condamné. Et le grand
visage blême ne vous quittera plus… Et je ne l’évoque, ce tragique, cet in-
humain spectacle du plus illustre des vieillards liés à la colonne du martyre,
je ne l’évoque que pour vous faire peser tout le poids de votre sentence.

Non, non, il ne faut pas espérer de la clémence d’un autre. Si la clé-


mence est dans la justice, elle doit être d’abord dans vos consciences. Songez
seulement à la figure que donnerait à la France à travers le monde une telle
horreur et songez que le peuple atterré se frapperait la poitrine. Mais, je le
sais, de telles paroles sont vaines, superflues. Les cris de la haine, le débor-
dement des passions, les outrages sans mesure ont expiré au seuil de votre
prétoire et elle est, enfin, venue l’heure de la souveraine justice.

Nous l’attendons, sûrs de tous les sacrifices consentis. Nous l’attendons


avec la sérénité des justes. Nous l’attendons comme le signe de la réparation.
Nous l’attendons aussi avec tous les souvenirs de notre longue Histoire, de
ses fastes et de ses misères, de ses agonies et de ses résurrections. Oui, en
cette minute même, tous ces souvenirs se lèvent irrésistiblement en nous,
180

comme ils doivent se lever en vous-mêmes et forment l’image de l’éternelle


Patrie.

Depuis quand notre peuple a-t-il opposé Geneviève, protectrice de la


ville, à Jeanne qui libéra le sol ? Depuis quand, dans notre mémoire,
s’entr’égorgent-elles, à jamais irréconciliables ? Depuis quand, à des mains
françaises qui se tendent, d’autres mains françaises se sont-elles obstinément
refusées ?

Ô ma Patrie, victorieuse et au bord des abîmes ! Quand cessera-t-il de


couler ce sang plus précieux depuis que nous savons qu’il n’y a plus que des
frères pour le répandre ? Quand cessera-t-elle, la discorde de la Nation ?
Au moment même où la paix s’étend enfin au monde entier, que le bruit des
armes s’est tu et que les Mères commencent à respirer, ah ! que la paix, la
nôtre, la paix civile évite à notre terre sacrée de se meurtrir encore !

Magistrats de la Haute Cour, écoutez-moi, entendez mon appel. Vous


n’êtes que des juges ; vous ne jugez qu’un homme. Mais vous portez dans
vos mains le destin de la France.
181

VERDICT

Le 15 août 1945, la Haute Cour condamne le maréchal Pétain à la peine de


mort, à l’indignité nationale, à la confiscation de ses biens. Tenant compte
du grand âge de l’accusé, la Haute Cour de justice émet le vœu que la con-
damnation à mort ne soit pas exécutée. Le 17 août 1945, le général de Gaulle,
président du gouvernement provisoire de la République, commua la peine du
maréchal en détention perpétuelle.
182

LE PROCÈS DE MARC CÉCILLON

À 45 ans, Marc Cécillon n’était déjà plus que l’ombre de lui-même. Le


7 août2004, ivre, il tue sa compagne Chantal, secrétaire médicale, avec qui
il était marié depuis 24 ans. Lui, la star adulée aux 46 sélections en équipe
de France de Rugby, l’icône des stades des années 1990, le colosse invincible
(1, 91 m, 115 kilos) a sombré depuis la fin de sa carrière dans l’alcoolisme
et la dépression. Alors, en cet été 2004, lorsque Chantal, lors d’un dîner chez
des amis, lui annonce qu’elle souhaite le divorce parce qu’elle ne supporte
plus sa violence exacerbée et son harcèlement jaloux, il part chercher son
pistolet magnum 357 et tire cinq fois. « Je l’ai tuée, mais je l’aime ! Tuez-
moi ! », hurle-t-il en transe après avoir vidé son chargeur. Les convives au-
ront le plus grand mal à le maîtriser. Son taux d’alcool dans le sang est de 2,
65 grammes.

Deux années plus tard, il comparaît devant la cour d’assises de l’Isère.


Son défenseur appelle à la rescousse la glorieuse famille du rugby français.
Médecins, joueurs ou entraîneurs racontent le reclassement toujours délicat
des sportifs de haut niveau. L’angoisse de ces montagnes de muscles, sou-
dain si fragiles quand elles retournent à la « vie civile ». Les jurés restent
pourtant insensibles à cet argument. Ils condamnent lourdement : 20 années
de réclusion criminelle. Après avoir fait appel, Marc Cécillon est jugé une
seconde fois le 1er décembre 2008 devant la cour d’assises du Gard. C’est
alors un tout autre procès qui s’ouvre. Son nouveau défenseur, Éric Du-
pond-Moretti, n’a pas convoqué à la barre l’armada des amis sportifs parce
que « Cécillon n’était plus un rugbyman quand il a tué sa femme ».
183

Il plaide le drame familial et l’histoire ordinaire d’une chute. « Devant


une cour d’assises, expliquera l’avocat au journal Le Monde, on parle tou-
jours de la même chose : de l’amour, de papa-maman, de sa femme, de ses
gosses. Avec les mots des pauvres gens, comme dit Ferré. Moi, j’adore les
mots, mais je déteste la littérature. Ou alors seulement Pagnol parce qu’il
aime le mot manivelle ». Il a aussi cette phrase définitive : « Il faut que les
jurés aient envie de prendre le Ricard avec vous, pas le champagne ».
L’ogre, comme le surnomment ses confrères, tant sa stature impressionne
dans les prétoires, a, comme toutes les stars, ses fans, ses inconditionnels, et
ses détracteurs qui le jugent « brutal » ou « mal élevé ». Devenu célèbre avec
l’affaire d’Outreau, il est désormais le recordman des acquittements et la ter-
reur des magistrats. Fils d’une femme de ménage, boursier, pion, serveur
dans une boîte de nuit pour payer ses études de droit, il entre dans la carrière
par la petite porte : les affaires prud’homales.

Mais il ne rêve que du pénal. « Le soir, je prenais des commissions d’of


ice à tour de bras ». Quand arrivent les premières relaxes, Éric Dupond-
Moretti se fait un nom. Puis une réputation. Il est celui qui fait peur, celui
qui n’hésite pas à incendier les juges, celui qui mord, celui qui ose lâcher un
jour à un président : « Il m’est désagréable de plaider devant vous, car je
vous déteste ». L’ogre assure qu’il ne triche jamais. « Je suis à la barre ce
que je suis dans la vie , explique-t-il à Libération . Un gars pas hyper-cultivé,
un peu brutal. Mais je préfère la maladresse à la lâcheté ». Mais l’ogre est
aussi un écorché vif. Et pour Marc Cécillon, il prononce une plaidoirie vio-
lente d’humanité.
184

PLAIDOIRIE PRONONCÉE PAR ÉRIC DUPONT MORETTI


AVOCAT DE MARC CÉCILLON, LE 3 DÉCEMBRE 200 DEVANT
LA COUR D ’ASSISES DU GARD

Tout ce que ce métier m’a appris, c’est que les êtres sont tous d’une
extrême fragilité. Même s’il mesure 1,91 m et même s’il pèse 115 kg et
même si le seul film qu’il soit allé voir dans sa vie, c’est L’Ours. Alors, je
voudrais que lui et moi nous descendions de l’Olympe des dieux du stade
pour vous présenter ce dossier à hauteur d’homme et que vous puissiez le
juger à hauteur d’homme. Mesdames et Messieurs les jurés, j’ai besoin de
vous, non pas comme des Saint-Just, mais comme des hommes et des
femmes qui sont venus avec leurs défauts et leurs qualités. Vos défauts, ils
m’intéressent. Aussi.

C’est un procès exceptionnel auquel nous avons assisté. D’abord, grâce


aux parties civiles. Je m’incline en tant qu’homme devant votre chagrin, je
m’incline sur votre dignité. On voit si souvent, dans les cours d’assises, des
parties civiles qui ont enfourché le cheval sécuritaire et qui mesurent leur
possibilité de « reconstruction » à la hauteur des années de prison prononcées
! Vous… [Éric Dupont Moretti se tourne vers les filles et la mère de Chantal
Cécillon] vous avez exprimé des choses que je n’ai pas entendues depuis
quinze ans dans une cour d’assises. Quelle mesure !

On s’invente les héros que l’on peut. Zidane, ce n’est pas Jean Moulin
ou Cécillon. Et dans la société qui est la nôtre, on leur pardonne tout. Leurs
frasques, c’est ce qui nourrit notre appétence collective pour la presse de
caniveau. Mais attention ! Le héros a une obligation, celle de ne pas tomber.
Parce que, s’il tombe, il prend des coups de pied. Cécillon n’a pas su préparer
185

sa reconversion de sportif, il n’a pas compris les attentes de sa femme et de


ses proches.

Rongé par la dépression, il s’est réfugié dans l’alcool. Moi, Marc, quand
je regarde votre vie, j’ai envie de dire : putain, que c’est triste ! Que c’est
illusoire ! Mais c’est comme ça. Il y a eu la notoriété, les faux amis, ces
promesses de la nuit qui ne voient pas le jour, l’argent facile, les filles. C’est
peut-être moralement contestable, mais c’est humain, très humain. Et puis, il
y a l’alcool, la fameuse « troisième mi-temps ». Mais comme dit Blondin : «
On boit à plusieurs mais on est saoul tout seul ». Alors lui, ce gros lourdaud,
il ne sait pas parler à sa femme, il ne l’écoute pas, sa belle-mère. Il préfère
les copains. Et il va au bistrot. Et c’est un pastaga, deux pastaga, trois pastaga
et après, il rentre tout seul chez lui comme un connaud. Oui, il traite sa
femme de « merde » mais parce qu’il pense qu’il est devenu une merde lui-
même. Quand on ne se respecte plus, on ne peut pas respecter les autres.
Évidemment que Chantal a peur de lui. Évidemment aussi, qu’il ne s’en est
pas rendu compte parce que, pour Cécillon, à moins d’un coup de boule, il
n’y a pas de violence.

Mais il n’y a pas de hasard si le drame s’est noué ce soir-là, dans cet
endroit-là. Ce soir-là, Marc Cécillon, il est, comme dit son ami Béjuy – vous
vous en souviendrez longtemps de celui-là – « dans le fond du sac ». Et com-
ment imaginer, comment penser un seul instant à un geste prémédité ? Ce
que je veux dire aux parties civiles, c’est que l’assassinat, c’est une espèce
de projet froid, déterminé, médité d’avance.

Qui peut dire que, ce soir-là, avec 3 grammes d’alcool dans le sang,
Marc Cécillon n’est pas sous l’empire d’une passion quand il repart chez lui
et qu’il prend l’arme ? Les deux experts psychologue et psychiatre ont tous
186

deux estimé que, ce soir-là, il ne disposait pas de son entier discernement.


Comment quelqu’un qui ne dispose pas de son entier discernement peut-il
accomplir un acte prémédité ? Alors, pourquoi ça ne vaut pas 20 ans et pour-
quoi il faut aller en dessous de 15 ans, je vais vous le dire. Il a des circons-
tances atténuantes, Marc Cécillon.

La première, c’est que ce n’est pas une crapule. Est-ce qu’il y en a un


d’entre vous qui peut dire que ce n’est pas un brave type, Marc Cécillon ? La
deuxième, c’est que le crime n’est pas un crime crapuleux, mais un crime
passionnel. Il a commis son crime sous l’emprise de la passion à un moment
où il n’avait pas le contrôle de ses actes. Quelle différence avec Bertrand
Cantat, qui bat sa femme à mort et qui prend 8 ans ? Cantat, il ne rencontrera
pas Cécillon en prison, il est sorti. La troisième circonstance atténuante, c’est
sa dépression. Mais il la soigne au pastis, lui ! Ah, bien sûr, on peut lui re-
procher de ne pas être allé voir un psy ! Mais vous l’imaginez, vous, cette
bestiasse, allez voir un psy pour lui dire qu’il est devenu une merde ?

Marc Cécillon, il faut qu’il comprenne qu’il a été jugé comme un type
ordinaire, descendu de l’Olympe, qui nous ressemble. La semaine prochaine,
son nom, ce n’est pas à la une de L’Équipe qu’il va le lire, mais à celle de
Détective . Nous avons assisté à un réquisitoire de caricature, à une mala-
dresse judiciaire considérable. La peine de 20 ans réclamée par M. l’avocat
général, c’est la peine à laquelle Mesrine a été condamné. Si vous le con-
damnez à 20 ans, vous aurez jugé mais vous n’aurez pas rendu la justice. Je
vous demande de rendre justice.
187

VERDICT

Le 3 décembre 2008, la cour d’assises du Gard a condamné Marc Cé-


cillon à 14 ans de réclusion pour le meurtre de son épouse. Il s’agissait du
procès en appel. En première instance, Marc Cécillon avait été condamné à
20 ans de réclusion criminelle.
188

LE PROCÈS D ’EDMOND JOUHAUD

C’est une page singulière de l’Histoire de France qui a été jugée à Paris
devant le Haut tribunal militaire en avril 1962. Certes, le « putsch des géné-
raux d’Alger » avait été rapidement jugulé, la sédition militaire ne dura que
cinq jours. Il n’empêche, les quatre généraux, (Challe, Salan, Zeller et Jou-
haud) ont bien perpétué un « vrai » coup d’État. Au moment où il comparaît
devant ses juges, Edmond Jouhaud, qui est poursuivi pour « crime contre la
sûreté de l’État », risque donc la peine de mort.

Un an plus tôt, le vendredi 21 avril 1961, le général Jouhaud avait pris


le contrôle d’Alger. Ce haut militaire, Pied-Noir d’origine, incarne cette
frange d’Européens d’Algérie qui refuse l’indépendance. Depuis bientôt sept
ans, l’armée française se bat pied à pied dans le maquis contre le FLN et il
faudrait, alors que la victoire semble être au bout du fusil, déposer les armes,
fuir, tout abandonner ? Pour Jouhaud, comme pour d’autres, l’idée est tout
simplement inacceptable.

De Gaulle les a trahis ! Dans la soirée du 21 avril, un commando de


parachutistes s’empare donc des points stratégiques d’Alger : aéroport, Hôtel
de Ville, siège du Gouvernement général. À Paris, le préfet de police, Mau-
rice Papon, et le directeur de la sûreté nationale montent une cellule de
crise… dans un salon de la Comédie française. De Gaulle assiste alors à une
représentation de Britannicus. Il sera prévenu à l’entracte. Le lendemain, sa-
medi 22 avril à 7 h du matin, la population d’Alger apprend par un message
lu à la radio que « l’armée a pris le contrôle de l’Algérie et du Sahara ». En
métropole, les partis de gauche, les syndicats, la Ligue des droits de l’homme
appellent les Français à descendre dans la rue pour manifester contre ce coup
189

de force. Le dimanche soir, le président de la République apparaît à la télé-


vision à 20 h, vêtu de son ancien uniforme de général, telle la statue du com-
mandeur.

Les mots que Charles de Gaulle prononce ce soir-là resteront gravés


dans les mémoires. Il stigmatise « les coupables de l’usurpation et le pouvoir
insurrectionnel qui s’est établi en Algérie par un pronunciamiento militaire
» et il ridiculise les putschistes, en qualifiant les quatre généraux rebelles de
« quarteron de généraux en retraite ». La formule, géniale, suffira à elle
seule à décrédibiliser la sédition. Le chef de l’État, qui se saisit des pleins
pouvoirs, appelle fermement les appelés à désobéir aux ordres des officiers
rebelles. « 500 000 gaillards munis de transistors », comme il le dira plus
tard, ont entendu son appel et refusent effectivement d’appliquer les con-
signes de leurs supérieurs. En Algérie, dans les jours qui suivent, les troupes
qui avaient suivi les généraux se rendent progressivement. C’est la déban-
dade. Dès le 26 avril, le putsch a échoué. Challe et Zeller se constituent pri-
sonniers. Salan et Jouhaud, eux, s’enfuient.

Edmond Jouhaud est finalement arrêté à Oran avant d’être rapatrié à


Paris où l’attend le Haut tribunal militaire. Il est défendu par Me Perrussel et
Jacques Charpentier. Ce dernier, bâtonnier pendant l’Occupation (1938-
1943), a donné son nom à une salle du conseil de l’ordre des avocats au Palais
de justice de Paris. Cette reconnaissance posthume fait aujourd’hui l’objet
d’une vive polémique. Certains avocats parisiens ne manquent pas de souli-
gner que le bâtonnier Charpentier – même s’il entra en clandestinité et rejoi-
gnit la Résistance durant la Seconde Guerre mondiale – se distingua dans les
années 1930 par des écrits aux relents xénophobes et antisémites. Au cours
de sa plaidoirie pour Jouhaud, il tient d’ailleurs des propos fort déplacés au
190

sujet de la nomination de Georges Pompidou comme premier ministre, sa-


luant « l’avènement de la banque Rothschild au gouvernement de la Répu-
blique » (Georges Pompidou a occupé pendant longtemps des fonctions de
direction dans cet établissement bancaire). Jacques Charpentier plaide bien
sûr pour Jouhaud et pour l’honneur d’un général, mais il dit aussi la colère
de ces Français qui, à cette époque, sont ulcérés par la disparition de « leur
» empire colonial. Pour ce qu’elle exprime, cette plaidoirie s’inscrit donc elle
aussi dans l’histoire.
191

PLAIDOIRIE PRONONCÉE PAR JACQUES CHARPENTIER LE


13 AVRIL 1962 DEVANT LE HAUT TRIBUNAL MILITAIRE

Messieurs, il est tard ; tout vous a été dit, et je voudrais ne pas vous
fatiguer. Je ne vous parlerai pas de Jouhaud ; vous le connaissez. Je ne vous
parlerai pas beaucoup de l’Algérie française ; vous avez entendu tout à
l’heure une voix plus éloquente et plus qualifiée que la mienne pour exprimer
ses douleurs, son désespoir et ses rancœurs. Mais je voudrais vous parler
d’une troisième personne dont il n’a pas encore été question dans ce débat et
qui, cependant, place au-dessus de cette audience, qui est la plus intéressée,
celle qui serait vraiment poignardée par la sentence qu’on vous demande : je
veux vous parler de la France.

Ce n’est pas, Messieurs, la première fois qu’au cours de son histoire, la


France a été amenée à sacrifier des provinces françaises. Il y aura l’année
prochaine 200 ans que la monarchie abandonna 60 000 Français sur les rives
du Saint-Laurent ; c’étaient de pauvres gens ; c’étaient de petits agriculteurs,
des pêcheurs, des trappeurs, de petits artisans ; c’était le Bab-el-Oued de
l’époque, car les 200 familles, s’il y en avait, étaient depuis longtemps parties
sur les frégates du roi de France.

La France les abandonna et, pendant un siècle et demi, elle les oublia.
Ils furent durement persécutés ; on leur interdisait de parler français ; l’usage,
l’enseignement de la langue française étaient interdits sous les peines les plus
sévères ; et puis, au bout de 150 ans, les 60 000 étant devenus 3 millions, la
192

France s’est rappelé leur existence, et elle est allée leur rendre visite. Comme
ils étaient restés Français de cœur et d’esprit, parce que, quand on a été Fran-
çais, il est difficile de ne plus l’être, ils ne nous en voulurent pas ; ils revinrent
même défendre leur patrie ingrate le jour où elle fut envahie ; mais, tout de
même, ils ne l’ont pas oubliée, et quand on est reçu dans les petites villes de
la province de Québec, on entend encore parler – et je vous assure que ce
n’est pas agréable –, des « arpents de neige » de Voltaire.

En 1871, la France a abandonné deux provinces, deux départements ;


elle était lasse ; elle ne voulait plus la guerre, et l’abandon de ces provinces
fut voté, sauf le petit groupe des protestataires, à une majorité aussi forte que
celle du référendum de dimanche dernier.

Seulement, la France eut bientôt des remords et, aux générations sui-
vantes, on apprit que leur mission en ce monde était de reconquérir les pro-
vinces perdues ; et nous l’avons fait. En 1962, la France vient d’abandonner
son deuxième empire colonial, ou du moins ce qui en restait ; mais ce qui
différencie cette opération chirurgicale des précédentes, c’est qu’elle semble
ne causer à la métropole aucun remords ; la France avait perdu la guerre de
Sept Ans au moment de l’abandon du Canada, au moins dans les territoires
d’outre-mer ; en 1871, elle avait été envahie par l’ennemi ; la capitale était
prise ; on ne pouvait plus faire autrement.

En Algérie, où donc était la défaite ? Les communiqués du gouverne-


ment n’ont jamais cessé de le dire, que l’armée était maîtresse de la situation,
et c’était vrai, parce que, depuis le quadrillage du général Challe, le FLN
n’en pouvait plus ; il était à bout de souffle. Oh, il avait encore de l’argent ;
cela, il en avait beaucoup dans les banques suisses parce qu’il en venait de
193

certaines parties du monde, et nous savons pourquoi l’argent venait de cer-


taines parties du monde, mais les hommes ne voulaient plus rien savoir ; les
willayas étaient exsangues ; la guerre était gagnée ; c’est le moment qu’on a
choisi pour capituler.

Ce ne serait rien, ce ne serait rien si on avait compris la situation de


ceux que l’on abandonnait ; à ceux que l’on avait trahis en 1763 et en 1871,
on avait pu dire : « nous sommes vaincus » ; à ceux-là, qu’est-ce que l’on dit
? Tout ce que l’on a trouvé à leur dire, c’est que c’est le sens de l’histoire.
Et, comme le sens de l’histoire est une expression un peu éculée, on l’a un
peu trop vue dans la propagande communiste, le chef de l’État qui dispose
d’un choix de ces métaphores somptueuses par lesquelles on habille de
pourpre et d’or les réalités les plus humiliantes, le chef de l’État a remplacé
le sens de l’histoire par « le grand vent de l’histoire ».

Il faut avouer que c’est un peu mieux. Seulement, c’est le danger des
métaphores : le vent est un élément instable ; le vent fait tourner les gi-
rouettes. On prétend qu’il y en a jusque dans le sein du gouvernement. Oui,
le grand vent de l’histoire soufflait en effet de l’ouest au XVIIIe siècle,
lorsqu’il ramena vers la France les frégates qui revenaient du Canada ; oui,
mais ensuite, et pendant tout le XIXe siècle, le grand vent de l’histoire a
tourné en sens contraire ; il venait de la France ; il allait dans toutes les parties
du monde ; il allait porter le nom français, les principes de la Révolution
française, et nos deux principaux auxiliaires, le médecin et le juge, dans
toutes les parties du monde et, dans ce temps-là, nous en étions fiers. Oui,
que voulez-vous, c’était ce que l’on nous apprenait dans les lycées, et nous
nous réjouissions chaque fois que sur nos atlas on voyait s’élargir les taches
rouges qui signifiaient la domination française.
194

Le grand vent de l’histoire, mais il a encore soufflé longtemps dans le


même sens ; il soufflait dans le même sens en 1939, lorsque M. Daladier
faisait sonner un peu trop haut, peut-être, le mot d’« Empire français » !
Lorsque mon vieil ami Paul Reynaud accomplissait dans les colonies fran-
çaises une tournée triomphale et qu’il ouvrait aux portes de Vincennes le
Musée des Colonies.

Et il soufflait encore pendant toute la guerre lorsque le général de


Gaulle, en termes que personne n’oubliera jamais, appelait l’Empire français
tout entier au secours de la métropole. Seulement, aujourd’hui… ! Au-
jourd’hui, le grand vent de l’histoire a tourné en sens contraire, et il n’apporte
plus à ceux dont la Communauté française se sépare, à ceux qu’elle trahit –
il faut bien dire le mot –, il n’apporte plus que des insultes. Oui, ce sont des
« Pieds-Noirs ». Ils ont relevé l’insulte comme autrefois les gueux ; ils en
ont fait un signe de ralliement. Mais il y a d’autres insultes plus graves.

Ce sont des « agités » ; ce sont des « Méditerranéens » ; ce sont des «


Européens d’outre-mer ». Ils ne sont pas de chez nous, n’est-ce pas, ces gens
qui s’appellent Lopez, Pérez, Hernandez, Herrera ? Je croyais, moi, qu’on
pouvait être Français tout en portant ces noms-là. Je le crois encore. La se-
maine dernière, le général Jouhaud a comparu devant un honorable magistrat
instructeur qui porte le nom de Pérez. Il m’a paru appartenir à la nation fran-
çaise.

Et puis, il me semble que nos Européens d’Afrique du Nord ont donné


à la France assez de gages pour que l’on puisse croire qu’ils se sont fondus
dans la nation française. On faisait allusion, tout à l’heure, aux cimetières où
se sont accumulées leurs tombes. On n’avait pas le droit de l’oublier. Ces
195

gens de l’Algérie, que je persiste à appeler mes compatriotes, ils ne com-


prennent pas. Ils ne comprennent pas que la France, ayant été victorieuse, les
sacrifie : ils ne comprennent pas qu’après avoir contribué – car, enfin, l’in-
surrection est partie de leur sol – à ramener le général de Gaulle au pouvoir
en 1958, ils ne comprennent pas que ce soit ce même gouvernement qui les
expulse, qui les trahisse. Ils ne comprennent pas que le FLN, qui, hier encore,
était leur ennemi, contre lequel on envoyait les troupes françaises, contre le-
quel les petits soldats de la métropole se faisaient tuer, soit aujourd’hui de-
venu leur maître ; ils ne comprennent pas que le chef du nouvel État fût hier
encore à la Santé.

Je ne suis pas sûr que, ne comprenant pas, ils manquent d’intelligence ;


car, enfin, dès maintenant, et rien que par les textes que l’on nous mesure au
compte-gouttes, nous connaissons le sort qui les attend.

D’abord, ils ne s’appellent plus des Français. Lisez la déclaration du 19


mars 1962 relative à l’Algérie. Il y a, d’une part, les Algériens musulmans et
d’autre part des dispositions concernant les citoyens français de statut civil
de droit commun. Il paraît que ce sont des Français. Nous, nous n’avions pas
besoin d’une dénomination aussi compliquée ; eux, ils porteront maintenant
ce nom… pas pour longtemps car on ne le leur laisse que pour trois années,
et, pendant ces trois années, mais dès maintenant, on annonce qu’ils seront
privés de leurs droits civiques en France. Ils sont condamnés à la mort civile.

Ils ont peut-être quelque raison de n’être point satisfaits. Le général


Jouhaud, Messieurs, est un Pied-Noir. Il partage les sentiments d’amertume
et d’indignation qu’on vous a exprimés tout à l’heure. Lorsqu’on a parlé à
ces Algériens, on s’aperçoit, voyez-vous, que ce qu’il y a de plus cruel pour
196

eux ce sont moins ces abominables brimades, ces cruautés auxquelles parti-
cipe maintenant l’ordre français, que le sentiment affreux dans lequel ils se
trouvent qu’ils sont abandonnés par la patrie française. J’ai reçu à cet égard
des confidences bouleversantes.

Quand on est venu se mettre sous la protection de la France, comme la


plupart de ces gens-là qui sont venus d’ailleurs, comme ceux qui sont venus
après les révolutions de 1830, après les révolutions de 1848, après la Com-
mune, comme ceux qui ont été expulsés d’Alsace-Lorraine, qui sont venus
planter leur tente, cultiver des propriétés, qui ont assis leur fortune, installé
leur famille là-bas, tout cela parce qu’ils étaient sous la protection de la
France, la France de la Révolution, la France de la liberté et de l’égalité,
alors, lorsque ces gens s’aperçoivent que la protection sur laquelle ils avaient
compté n’existe plus, qu’ils sont des proscrits, qu’on les renie, qu’on les in-
sulte, ces gens-là, ils ne peuvent plus le supporter. Le général Jouhaud est de
ceux-là, et cela suffirait à expliquer qu’ils se soient alliés à l’insurrection.

Mais il est aussi autre chose. C’est un général. Il est parvenu à l’un des
plus hauts gradés de l’armée française ; il y est parvenu, non pas en écrivant,
non pas dans son cabinet, mais dans les combats et dans sa carrière militaire,
il a conçu comme beaucoup de ses pareils, l’orgueil de la France. Il s’est
figuré, surtout après nos deux dernières guerres, que la France était imbat-
table ; qu’elle survivrait à toutes ses humiliations, à toutes ses défaites, et il
ne peut pas supporter les capitulations successives auxquelles elle se résigne
depuis quelques années. Là aussi, son sang se révolte ; il ne peut pas, il le
pouvait tellement moins qu’il avait démissionné de l’armée.

Alors, Messieurs, il a rejoint l’insurrection du général Challe et du gé-


néral Zeller. Messieurs, nous sommes à la fin de ces débats ; il est trop tard
197

et vous savez tout ; je n’ai plus rien à vous dire ; vous allez tout à l’heure
prendre une décision qui est attendue avec angoisse dans certaines parties du
monde. En ce moment, dans toute l’Afrique du Nord, tous les postes d’écoute
vous attendent, et en France aussi il y en a pas mal, et même à l’étranger, par
curiosité, peut-être, ou par intérêt.

Vous allez donc prendre une décision très grave ; vous êtes tous des
hommes considérables ; des hommes qui ont atteint l’échelon le plus élevé
de leur profession, sauf pour les plus jeunes d’entre vous ; vous n’avez plus
rien à attendre ; vous êtes affranchis des désirs ; affranchis de la peur ; vous
êtes arrivés à ce moment de la vie où l’homme est seul en face de sa cons-
cience, et c’est pour cela que j’ai confiance et que je vous confie le sort de
Jouhaud, du général Edmond Jouhaud ; pour cela que je suis sûr que vous ne
commettrez pas la faute irréparable que l’histoire ne vous pardonnerait ja-
mais, pas plus qu’elle n’a pas pardonné à Napoléon l’exécution du duc
d’Enghien, pas plus que la Restauration ne s’est relevée de l’assassinat du
maréchal Ney.

Je vous le demande pour lui, mais je vous le demande surtout pour notre
pays ; je vous demande pour la France pour laquelle vous pouvez jeter le
premier jalon qui conduira sur la route de l’amnistie qui, en tout cas, nous
ramènera la France que nous connaissons, celle qui avait fait l’admiration du
monde ; la France de la vérité, de la liberté et de la justice.
198

VERDICT

Le 13 avril 1962, Le Haut tribunal militaire condamne Edmond Jouhaud


à la peine de mort. Le tribunal n’a pas retenu de circonstances atténuantes.
Après sept mois passés dans une cellule de condamné à mort, il échappe de
très peu à l’exécution : le général de Gaulle accepte finalement de le gracier
le 28 novembre 1962. Il bénéficie d’une amnistie en juillet 1968.
199

LA PLAIDOIRIE

DE ROBERT BADINTER
200

L’ABOLITION DE LA PEINE DE MORT

17 septembre 1981. « La parole est à M. le garde des Sceaux, ministre


de la Justice ». L’Assemblée retient son souffle. Robert Badinter monte à la
tribune du Parlement. Il pose fermement ses mains sur le pupitre. Il ne
tremble pas. Il n’est entré en politique que pour cet instant. Il doit convaincre.
Ce discours devant les députés sera sa dernière plaidoirie. Et l’aboutissement
d’un long combat débuté en 1972.

Cette année-là, à Troyes, Roger Bontems et Claude Buffet, les deux


auteurs d’une prise d’otages à la centrale de Clairvaux durant laquelle une
infirmière et un gardien de prison ont été assassinés, sont condamnés à la
guillotine. Durant le procès, Buffet revendique les crimes. Bontems, en
pleurs, nie avoir donné la mort. Robert Badinter, son avocat, est convaincu
qu’il dit vrai. Les jurés ne feront pas la différence entre l’assassin et son
complice. Les deux hommes seront exécutés. Robert Badinter est révolté.
Comment peut-on condamner à mort quelqu’un qui n’a pas tué ? À 44 ans,
ce fils d’immigrés russes vient de trouver sa cause. Il milite dans des asso-
ciations, participe à des congrès, multiplie les interventions à la radio et à la
télévision. Il est charismatique. Il devient une voix qu’on écoute. Et le porte-
parole du mouvement abolitionniste.

1976, Robert Badinter est de retour à Troyes. Il défend cette fois Patrick
Henry, l’assassin du jeune Philippe Bertrand. Ce fait divers a traumatisé les
Français. L’opinion publique, chauffée à blanc, exige une peine exemplaire
: la mort du criminel qui, seule, semble pouvoir réparer la douleur des pa-
rents. À l’audience, l’avocat se bat comme un enragé, tentant de faire parta-
ger cette conviction profonde qui le porte : la mort ne dissuade pas, ne libère
pas. À la barre, il convoque des experts en criminologie, des personnalités
201

religieuses. Il transforme le procès Henry en procès de la peine de mort. «


Vous avez, vous et vous seuls, à cette minute, le droit de vie et de mort sur
quelqu’un, lance-t-il aux jurés à la fin de son plaidoyer.

Croire que, quand on aura liquidé un criminel, on en aura fini avec le


crime, ce n’est pas vrai. Exactement comme jadis, on brûlait ceux qu’on con-
sidérait comme des sorciers, parce que, en même temps, on se disait qu’on
en aurait fini avec le Malin, évidemment ça recommençait. Dites-vous bien,
que, si vous le coupez en deux, eh bien ça ne dissuadera rien ni personne. »
À l’énoncé du verdict, la salle du tribunal se fige, stupéfaite, incrédule : Pa-
trick Henry est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité et échappe à
l’échafaud. Il fallait huit voix sur douze pour la peine capitale et sept
membres du jury seulement ont voté la mort. Désormais, rien ne sera plus
jamais comme avant. Des jurés ont donné sa chance au pire des criminels et
accepté l’idée qu’il puisse changer. Ce verdict marque une étape décisive
dans la lutte pour l’abolition.

Certes, les Français dans leur majorité – tous les sondages réalisés à
cette époque le démontrent – restent partisans de la guillotine. Mais devant
la cour d’assises de Troyes, Robert Badinter a prouvé que l’inimaginable
était désormais possible. 1981. La gauche remporte les élections. Durant la
campagne électorale, François Mitterrand a fait connaître son opposition à la
peine de mort. Robert Badinter devient ministre de la Justice. Et ce 17 sep-
tembre 1981, dans l’hémicycle, il se lance dans son ultime bataille contre sa
vieille ennemie.
202

EXTRAITS DU DISCOURS DE ROBERT BADINTER PRONONCÉ


LE 17 SEPTEMBRE 1981 À L ’ASSEMBLÉE NATIONALE POUR
DEMANDER AUX DÉPUTÉS L ’ABOLITION DE LA PEINE DE
MORT

Monsieur le président, Mesdames, Messieurs les députés, j’ai l’hon-


neur au nom du gouvernement de la République, de demander à l’Assemblée
nationale l’abolition de la peine de mort en France. Le débat qui est ouvert
aujourd’hui devant vous est d’abord un débat de conscience, et le choix au-
quel chacun d’entre vous procédera l’engagera personnellement.

Près de deux siècles se sont écoulés depuis que, dans la première as-
semblée parlementaire qu’ait connue la France, Le Pelletier de Saint-Fargeau
demandait l’abolition de la peine capitale. C’était en 1791. Je regarde la
marche de la France. La France est grande, non seulement par sa puissance,
mais au-delà de sa puissance, par l’éclat des idées, des causes, de la généro-
sité qui l’ont emporté aux moments privilégiés de son histoire.

La France est grande parce qu’elle a été la première en Europe à abolir


la torture malgré les esprits précautionneux qui, dans le pays, s’exclamaient
à l’époque que, sans la torture, la justice française serait désarmée, que, sans
la torture, les bons sujets seraient livrés aux scélérats. La France a été parmi
les premiers pays du monde à abolir l’esclavage, ce crime qui déshonore en-
core l’humanité.

Il se trouve que la France aura été, en dépit de tant d’efforts courageux,


l’un des derniers pays, presque le dernier – et je baisse la voix pour le dire –
203

en Europe occidentale, dont elle a été si souvent le foyer et le pôle, à abolir


la peine de mort.

Attendre, après deux cents ans ! Attendre, comme si la peine de mort


ou la guillotine était un fruit qu’on devrait laisser mûrir avant de le cueillir !

Attendre ? Nous savons bien en vérité que la cause était la crainte de


l’opinion publique. D’ailleurs, certains vous diront, Mesdames, Messieurs
les députés, qu’en votant l’abolition vous méconnaîtriez les règles de la dé-
mocratie parce que vous ignoreriez l’opinion publique. Il n’en est rien.

Nul plus que vous, à l’instant du vote sur l’abolition, ne respectera la


loi fondamentale de la démocratie. Je me réfère non pas seulement à cette
conception selon laquelle le Parlement est, suivant l’image employée par un
grand Anglais, un phare qui ouvre la voie de l’ombre pour le pays, mais sim-
plement à la loi fondamentale de la démocratie qui est la volonté du suffrage
universel et, pour les élus, le respect du suffrage universel.

En vérité, la question de la peine de mort est simple pour qui veut


l’analyser avec lucidité. Elle ne se pose pas en termes de dissuasion, ni même
de technique répressive, mais en termes de choix politique ou de choix moral.
Je l’ai déjà dit, mais je le répète volontiers au regard du grand silence anté-
rieur : le seul résultat auquel ont conduit toutes les recherches menées par les
criminologues est la constatation de l’absence de lien entre la peine de mort
et l’évolution de la criminalité sanglante. Il n’est pas difficile d’ailleurs, pour
qui veut s’interroger loyalement, de comprendre pourquoi. Si vous y réflé-
chissez simplement, les crimes les plus terribles, ceux qui saisissent le plus
la sensibilité publique – et on le comprend – ceux qu’on appelle les crimes
atroces sont commis le plus souvent par des hommes emportés par une pul-
sion de violence et de mort qui abolit jusqu’aux défenses de la raison.
204

À cet instant de folie, à cet instant de passion meurtrière, l’évocation


de la peine, qu’elle soit de mort ou qu’elle soit perpétuelle, ne trouve pas sa
place chez l’homme qui tue. Qu’on ne me dise pas que, ceux-là, on ne les
condamne pas à mort. Il suffirait de reprendre les annales des dernières an-
nées pour se convaincre du contraire. Olivier, exécuté, dont l’autopsie a ré-
vélé que son cerveau présentait des anomalies frontales. Et Carrein, et Rous-
seau, et Garceau. Quant aux autres, les criminels dits de sang-froid, ceux qui
pèsent les risques, ceux qui méditent le profit et la peine, ceux-là, jamais
vous ne les retrouverez dans des situations où ils risquent l’échafaud.
Truands raisonnables, profiteurs du crime, criminels organisés, proxénètes,
trafiquants, maffiosi, jamais vous ne les trouverez dans ces situations-là. Ja-
mais !

Ceux qui interrogent les annales judiciaires, car c’est là où s’inscrit


dans sa réalité la peine de mort, savent que, dans les trente dernières années,
vous n’y trouvez pas le nom d’un « grand » gangster, si l’on peut utiliser cet
adjectif en parlant de ce type d’hommes. Pas un seul « ennemi public » n’y
a jamais figuré.

En fait, ceux qui croient à la valeur dissuasive de la peine de mort


méconnaissent la vérité humaine. La passion criminelle n’est pas plus arrêtée
par la peur de la mort que d’autres passions ne le sont qui, celles-là, sont
nobles. Et si la peur de la mort arrêtait les hommes, vous n’auriez ni grands
soldats, ni grands sportifs. Nous les admirons, mais ils n’hésitent pas devant
la mort. D’autres, emportés par d’autres passions, n’hésitent pas non plus.
C’est seulement pour la peine de mort qu’on invente l’idée que la peur de la
mort retient l’homme dans ses passions extrêmes. Ce n’est pas exact.
205

Je vous dirai pourquoi, plus qu’aucun autre, je puis affirmer qu’il n’y
a pas dans la peine de mort de valeur dissuasive : sachez bien que, dans la
foule qui, autour du Palais de justice de Troyes, criait au passage de Buffet
et de Bontems : « À mort Buf et ! À mort Bontems ! », se trouvait un jeune
homme qui s’appelait Patrick Henry. Croyez-moi, à ma stupéfaction, quand
je l’ai appris, j’ai compris ce que pouvait signifier, ce jour-là, la valeur dis-
suasive de la peine de mort !

Et pour vous qui êtes hommes d’État, conscients de vos responsabili-


tés, croyez-vous que les hommes d’État, nos amis, qui dirigent le sort et qui
ont la responsabilité des grandes démocraties occidentales, aussi exigeante
que soit en eux la passion des valeurs morales qui sont celles des pays de
liberté, croyez-vous que ces hommes responsables auraient voté l’abolition
ou n’auraient pas rétabli la peine capitale s’ils avaient pensé que celle-ci pou-
vait être de quelque utilité par sa valeur dissuasive contre la criminalité san-
glante ? Ce serait leur faire injure que de le penser.

Il suffit, en tout cas, de vous interroger très concrètement et de prendre


la mesure de ce qu’aurait signifié exactement l’abolition si elle avait été vo-
tée en France en 1974, quand le précédent président de la République con-
fessait volontiers, mais généralement en privé, son aversion personnelle pour
la peine de mort. L’abolition votée en 1974, pour le septennat qui s’est
achevé en 1981, qu’aurait-elle signifié pour la sûreté et la sécurité des Fran-
çais ? Simplement ceci : trois condamnés à mort, qui se seraient ajoutés aux
333 qui se trouvent actuellement dans nos établissements pénitentiaires.
Trois de plus.

Lesquels ? Je vous les rappelle. Christian Ranucci : je n’aurais garde


d’insister, il y a trop d’interrogations qui se lèvent à son sujet, et ces seules
206

interrogations suffisent, pour toute conscience éprise de justice, à condamner


la peine de mort. Jérôme Carrein : débile, ivrogne, qui a commis un crime
atroce, mais qui avait pris par la main devant tout le village la petite fille
qu’il allait tuer quelques instants plus tard, montrant par-là même qu’il igno-
rait la force qui allait l’emporter. Enfin,

Djandoubi, qui était unijambiste et qui, quelle que soit l’horreur – et


le terme n’est pas trop fort – de ses crimes, présentait tous les signes d’un
déséquilibre et qu’on a emporté sur l’échafaud après lui avoir enlevé sa pro-
thèse. Loin de moi l’idée d’en appeler à une pitié posthume : ce n’est ni le
lieu ni le moment, mais ayez simplement présent à votre esprit que l’on s’in-
terroge encore à propos de l’innocence du premier, que le deuxième était un
débile et le troisième un unijambiste. Peut-on prétendre que si ces trois
hommes se trouvaient dans les prisons françaises, la sécurité de nos conci-
toyens se trouverait de quelque façon compromise ?

C’est cela la vérité et la mesure exacte de la peine de mort. C’est sim-


plement cela. La question ne se pose pas, et nous le savons tous, en termes
de dissuasion ou de technique répressive, mais en termes politiques et surtout
de choix moral. Que la peine de mort ait une signification politique, il suffi-
rait de regarder la carte du monde pour le constater. Les choses sont claires.
Dans la majorité écrasante des démocraties occidentales, en Europe particu-
lièrement, dans tous les pays où la liberté est inscrite dans les institutions et
respectée dans la pratique, la peine de mort a disparu. Dans les pays de li-
berté, la loi commune est l’abolition, c’est la peine de mort qui est l’excep-
tion. Partout, dans le monde, et sans aucune exception, où triomphent la dic-
tature et le mépris des droits de l’homme, partout vous y trouvez inscrite, en
caractères sanglants, la peine de mort. Voici la première évidence : dans les
207

pays de liberté, l’abolition est presque partout la règle ; dans les pays où
règne la dictature, la peine de mort est partout pratiquée.

Ce partage du monde ne résulte pas d’une simple coïncidence, mais


exprime une corrélation. La vraie signification politique de la peine de mort,
c’est bien qu’elle procède de l’idée que l’État a le droit de disposer du citoyen
jusqu’à lui retirer la vie. C’est par là que la peine de mort s’inscrit dans les
systèmes totalitaires. Je sais qu’aujourd’hui – et c’est là un problème majeur
– certains voient dans la peine de mort une sorte de recours ultime, une forme
de défense extrême de la démocratie contre la menace grave que constitue le
terrorisme. La guillotine, pensent-ils, protégerait éventuellement la démocra-
tie au lieu de la déshonorer. Cet argument procède d’une méconnaissance
complète de la réalité. En effet, l’Histoire montre que s’il est un type de crime
qui n’a jamais reculé devant la menace de mort, c’est le crime politique. Et,
plus spécifiquement, s’il est un type de femme ou d’homme que la menace
de la mort ne saurait faire reculer, c’est bien le terroriste.

D’abord, parce qu’il l’affronte au cours de l’action violente ; ensuite


parce qu’au fond de lui, il éprouve cette trouble fascination de la violence et
de la mort, celle qu’on donne, mais aussi celle qu’on reçoit. Le terrorisme
qui, pour moi, est un crime majeur contre la démocratie, et qui, s’il devait se
lever dans ce pays, serait réprimé et poursuivi avec toute la fermeté requise,
a pour cri de ralliement, quelle que soit l’idéologie qui l’anime, le terrible cri
des fascistes de la guerre d’Espagne :

« Viva la muerte ! », « Vive la mort ! » Alors, croire qu’on l’arrêtera


avec la mort, c’est illusion. Allons plus loin. Si, dans les démocraties voi-
sines, pourtant en proie au terrorisme, on se refuse à rétablir la peine de mort,
c’est, bien sûr, par exigence morale, mais aussi par raison politique. Vous
208

savez, en effet, qu’aux yeux de certains et surtout des jeunes, l’exécution du


terroriste le transcende, le dépouille de ce qu’a été la réalité criminelle de ses
actions, en fait une sorte de héros qui aurait été jusqu’au bout de sa course,
qui, s’étant engagé au service d’une cause, aussi odieuse soit-elle, l’aurait
servie jusqu’à la mort. Dès lors, apparaît le risque considérable, que précisé-
ment les hommes d’État des démocraties amies ont pesé, de voir se lever
dans l’ombre, pour un terroriste exécuté, vingt jeunes gens égarés. Ainsi, loin
de le combattre, la peine de mort nourrirait le terrorisme.

À cette considération de fait, il faut ajouter une donnée morale : utiliser


contre les terroristes la peine de mort, c’est, pour une démocratie, faire
siennes les valeurs de ces derniers. Quand, après l’avoir arrêté, après lui avoir
extorqué des correspondances terribles, les terroristes, au terme d’une paro-
die dégradante de justice, exécutent celui qu’ils ont enlevé, non seulement
ils commettent un crime odieux, mais ils tendent à la démocratie le piège le
plus insidieux, celui d’une violence meurtrière qui, en forçant cette démo-
cratie à recourir à la peine de mort, pourrait leur permettre de lui donner, par
une sorte d’inversion des valeurs, le visage sanglant qui est le leur.

Cette tentation, il faut la refuser, sans jamais, pour autant, composer


avec cette forme ultime de la violence, intolérable dans une démocratie,
qu’est le terrorisme. Du malheur et de la souffrance des victimes, j’ai, beau-
coup plus que ceux qui s’en réclament, souvent mesuré dans ma vie l’éten-
due. Que le crime soit le point de rencontre, le lieu géométrique du malheur
humain, je le sais mieux que personne.

Malheur de la victime elle-même et, au-delà, malheur de ses parents


et de ses proches. Malheur aussi des parents du criminel. Malheur enfin, bien
souvent, de l’assassin. Oui, le crime est malheur, et il n’y a pas un homme,
209

pas une femme de cœur, de raison, de responsabilité, qui ne souhaite d’abord


le combattre. Mais ressentir, au profond de soi-même, le malheur et la dou-
leur des victimes, mais lutter de toutes les manières pour que la violence et
le crime reculent dans notre société, cette sensibilité et ce combat ne sau-
raient impliquer la nécessaire mise à mort du coupable. Que les parents et les
proches de la victime souhaitent cette mort, par réaction naturelle de l’être
humain blessé, je le comprends, je le conçois.

Mais c’est une réaction humaine, naturelle. Or tout le progrès histo-


rique de la justice a été de dépasser la vengeance privée. Et comment la dé-
passer, sinon d’abord en refusant la loi du talion ? La vérité est que, au plus
profond des motivations de l’attachement à la peine de mort, on trouve, ina-
vouée le plus souvent, la tentation de l’élimination. Ce qui paraît insuppor-
table à beaucoup, c’est moins la vie du criminel emprisonné que la peur qu’il
récidive un jour. Et ils pensent que la seule garantie, à cet égard, est que le
criminel soit mis à mort par précaution.

Ainsi, dans cette conception, la justice tuerait moins par vengeance


que par prudence. Au-delà de la justice d’expiation, apparaît donc la justice
d’élimination, derrière la balance, la guillotine. L’assassin doit mourir tout
simplement parce que, ainsi, il ne récidivera pas. Et tout paraît si simple, et
tout paraît si juste !

Mais quand on accepte ou quand on prône la justice d’élimination, au


nom de la justice, il faut bien savoir dans quelle voie on s’engage. Pour être
acceptable, même pour ses partisans, la justice qui tue le criminel doit tuer
en connaissance de cause. Notre justice, et c’est son honneur, ne tue pas les
déments. Mais elle ne sait pas les identifier à coup sûr, et c’est à l’expertise
210

psychiatrique, la plus aléatoire, la plus incertaine de toutes, que, dans la réa-


lité judiciaire, on va s’en remettre. Que le verdict psychiatrique soit favorable
à l’assassin, et il sera épargné. La société acceptera d’assumer le risque qu’il
représente, sans que quiconque s’en indigne.

Mais que le verdict psychiatrique lui soit défavorable, et il sera exé-


cuté. Quand on accepte la justice d’élimination, il faut que les responsables
politiques mesurent dans quelle logique de l’Histoire on s’inscrit. Il s’agit
bien, en définitive, dans l’abolition, d’un choix fondamental, d’une certaine
conception de l’homme et de la justice. Ceux qui veulent une justice qui tue,
ceux-là sont animés par une double conviction : qu’il existe des hommes
totalement coupables, c’est-à-dire des hommes totalement responsables de
leurs actes, et qu’il peut y avoir une justice sûre de son infaillibilité au point
de dire que celui-là peut vivre et que celui-là doit mourir.

À cet âge de ma vie, l’une et l’autre affirmations me paraissent égale-


ment erronées. Aussi terribles, aussi odieux que soient leurs actes, il n’est
point d’hommes en cette terre dont la culpabilité soit totale et dont il faille
pour toujours désespérer totalement. Aussi prudente que soit la justice, aussi
mesurés et angoissés que soient les femmes et les hommes qui jugent, la jus-
tice demeure humaine, donc faillible.

Cette sorte de loterie judiciaire, quelle que soit la peine qu’on éprouve
à prononcer ce mot quand il y va de la vie d’une femme ou d’un homme, est
intolérable. Le choix qui s’offre à vos consciences est donc clair : ou notre
société refuse une justice qui tue et accepte d’assumer, au nom de ses valeurs
fondamentales – celles qui l’ont faite grande et respectée entre toutes – la vie
de ceux qui font horreur, déments ou criminels ou les deux à la fois, et c’est
211

le choix de l’abolition ; ou cette société croit, en dépit de l’expérience des


siècles, faire disparaître le crime avec le criminel, et c’est l’élimination.

Parce que l’abolition est un choix moral, il faut se prononcer en toute


clarté. Le gouvernement vous demande donc de voter l’abolition de la peine
de mort sans l’assortir d’aucune restriction ni d’aucune réserve. Dans le
même dessein de clarté, le projet n’offre aucune disposition concernant une
quelconque peine de remplacement. Pour des raisons morales d’abord : la
peine de mort est un supplice, et l’on ne remplace pas un supplice par un
autre. J’en ai terminé.

Demain, grâce à vous la justice française ne sera plus une justice qui
tue. Demain, grâce à vous, il n’y aura plus, pour notre honte commune,
d’exécutions furtives, à l’aube, sous le dais noir, dans les prisons françaises.
Demain, les pages sanglantes de notre justice seront tournées. À cet instant
plus qu’à aucun autre, j’ai le sentiment d’assumer mon ministère, au sens
ancien, au sens noble, le plus noble qui soit, c’est-à-dire au sens de « service
». Demain, vous voterez l’abolition de la peine de mort. Législateurs fran-
çais, de tout mon cœur, je vous en remercie.
212

VERDICT

Le 18 septembre 1981, les députés votent l’abolition de la peine de


mort par 369 voix pour 113 contre.
213

LE PROCÈS DE L ’ADOPTION

PAR UN COUPLE DE MÊME SEXE

Pendant quinze ans, Caroline Mécary a labouré le terrain. À elle toute


seule, dans les prétoires et les juridictions spécialisées, elle a fait autant que
les manifestations de rue, les pétitions d’associations, ou les travaux parle-
mentaires. Elle a chamboulé le droit de la famille, bien avant l’élection de
François Hollande et l’application de sa promesse de campagne sur le « ma-
riage gay », bien avant que la représentation nationale ne s’empare de la
question de la filiation dans les couples homosexuels, de leurs droits, ou non,
à adopter, à élever ou à « faire » des enfants.

Caroline Mécary, petite femme brune mais ô combien tenace, a mené


le combat quand il n’était pas encore dans « l’air du temps », quand il susci-
tait plus de sarcasmes et de mépris que de soutien dans une opinion publique
toujours divisée. Cette coureuse de fond – également ceinture noire de karaté
– est partie à l’assaut des forteresses juridiques pour y creuser toutes les
brèches possibles. Elle a, si l’on peut dire, miné le système de l’intérieur,
mettant à profit les contradictions de la loi pour en forcer l’évolution. Sans
attendre que le mariage homosexuel soit autorisé, elle s’est employée à faire
reconnaître, de manière concrète, les droits des enfants élevés par deux per-
sonnes de même sexe.

C’est elle qui arrache, en 2001, le premier jugement d’adoption simple


pour un couple homosexuel. Puis, en 2004, le premier jugement sur la délé-
gation de l’autorité parentale dans un couple lesbien. Ou, en 2010, la pre-
mière résidence alternée pour un enfant né d’une procréation médicalement
assistée au sein d’un couple de femmes qui venaient de se séparer. Caroline
214

Mécary collectionne les records qui, s’ils n’ont pas toujours fait la une des
journaux, ont semé les germes d’une petite révolution.

Activiste de la cause homosexuelle ? Elle n’aime pas qu’on la qualifie


ainsi : « Il ne vient à l’esprit de personne de dire d’un ténor des assises qu’il
est “militant de la cause des criminels” ! » Si à toute cause, il faut un avocat,
alors elle préfère qu’on la définisse comme une militante de l’égalité devant
la loi. « La loi , dit-elle, discrimine les lesbiennes et les gays puisqu’elle leur
interdit le mariage civil, l’adoption, et l’assistance médicale à la procréa-
tion… » Voilà pourquoi elle ne se contente pas de défendre au mieux ses
clients ; à l’occasion de chaque dossier, elle démonte consciencieusement les
présupposés politiques ou idéologiques qui sous-tendent le droit de la fa-
mille, met sous le nez des juges des raisonnements à la logique imparable,
dégage, au forceps, de nouvelles jurisprudences devant les tribunaux civils
ou administratifs, devant la Cour de cassation ou devant la Cour européenne
des droits de l’homme, dans la douzaine d’ouvrages juridiques, la centaine
d’articles ou de tribunes qu’elle a écrits pour démontrer la justesse de son
combat.

Elle savoure ses victoires mais mesure le chemin à parcourir : « Je sais


que, trop de fois, je serai accablée de ne pas avoir su trouver les mots qui
auraient bousculé les fausses certitudes de ces juges qui préfèrent le confort
à la justice ; je sais aussi que parfois ces mêmes juges auront laissé parler
le droit plutôt que les préjugés. Pour ces moments trop rares, je suis devenue,
je suis, je serai avocat », confie-t-elle dans son dernier ouvrage L’Amour et
la Loi (Alma Éditeur). Caroline Mécary se dit avocate « par vocation » et
assure qu’elle ne pourrait « défendre une cause à laquelle elle ne croit pas
». Elle a ferraillé pour le couple homosexuel de Bègles, marié, en dehors de
tout cadre légal, par Noël Mamère. Elle a été aux côtés de SOS Homophobie
215

contre Christian Vanneste – ce député UMP qui avait qualifié l’homosexua-


lité de « menace pour la survie de l’humanité » – ou contre les agresseurs
d’un jeune gay, sauvagement passé à tabac. Elle se bat pour ouvrir le don du
sang aux homosexuels et aux bisexuels (comme le recommande l’Institut na-
tional de veille sanitaire ou le Comité consultatif d’éthique). Élue conseillère
régionale d’Île-de-France en 2010, sur la liste Europe Écologie et coprési-
dente de la fondation Copernic, un think tank de gauche, l’infatigable Mé-
cary anime aussi le Réseau d’aide aux victimes d’agression et de discrimina-
tion (RAVAD).

Dans la plaidoirie qui suit, la voici devant la Cour européenne des


droits de l’homme, en 2011. Elle défend alors un dossier qui lui tient parti-
culièrement à cœur : celui de la petite Alexandra, élevée par deux femmes
qui vivent ensemble depuis quinze ans. L’une d’entre elle est sa mère biolo-
gique suite à une assistance médicale à la procréation, pratiquée en Belgique.
Elle est son seul « parent légitime ». Sa compagne, elle, n’a aucune existence
aux yeux de la loi. À deux reprises, les tribunaux français lui ont refusé le
principe d’une adoption. Cette procédure serait pourtant automatique, sou-
ligne Caroline Mécary, si elle concernait un couple hétérosexuel. L’avocate
demande donc à la Cour européenne des droits de l’homme de condamner la
France pour « discrimination en raison de l’orientation sexuelle ».
216

PLAIDOIRIE PRONONCÉE PAR CAROLINE MÉCARY

AVOCATE D ’UNE MÈRE DE FAMILLE ET DE SA COMPAGNE


13 LE 12 AVRIL 2011, DEVANT LA COUR EUROPÉENNE DES
DROITS DE L ’HOMME

Monsieur le président, Mesdames, Messieurs les Juges.

En 1979, votre cour, dans une affaire qui concernait la Belgique, a pro-
tégé une jeune fille, Alexandra Marckx, dont la mère célibataire se trouvait
dans une situation inimaginable aujourd’hui : elle devait, selon le droit belge,
adopter sa propre fille pour améliorer ses droits successoraux, car cette
Alexandra était considérée comme une enfant illégitime.

Aujourd’hui, je viens vous parler d’une autre Alexandra, Alexandra


Joubert. Et dans ce dossier, c’est d’une situation inimaginable en droit fran-
çais dont il est question. Alexandra Joubert est née le 21 septembre 2000. Sa
mère, Nathalie Joubert, vit en concubinage avec Valérie Merle depuis 1989
et elles se sont pacsées en 2002. Alexandra Joubert a été conçue par une
insémination artificielle avec donneur anonyme, pratiquée en Belgique, et
dont sa mère, Mme Joubert, a bénéficié. Bien qu’Alexandra Joubert soit éle-
vée depuis sa naissance par Mme Joubert et Mme Merle, cette dernière n’a,
sur le plan juridique, qu’un seul parent : Mme Joubert qui lui a transmis son
nom, qui exerce seule l’autorité parentale et qui lui transmettra ses biens à sa
mort. Mme Merle, bien qu’élevant quotidiennement Alexandra, avec sa
mère, n’est rien sur le plan juridique : elle n’a ni devoir ni droit vis-à-vis de
l’enfant.
217

En 2004, Mme Joubert et Mme Merle ont souhaité que Mme Merle
puisse adopter Alexandra Joubert dans le cadre d’une adoption simple car
c’est ce qui permet d’instituer un lien de filiation, c’est-à-dire la plus grande
sécurité juridique pour un enfant. L’adoption simple permet d’établir un lien
qui s’ajoute à la filiation d’origine. À la différence de l’adoption plénière,
dont il n’est pas question dans cette affaire, et qui, elle, l’efface. Une adop-
tion simple permet la transmission du nom, du patrimoine et l’exercice de
l’autorité parentale durant la minorité de l’enfant.

Alexandra, avec cette adoption simple, aurait eu juridiquement deux


parents et la sécurité juridique que cela entraîne. Le TGI de Nanterre en 2006,
puis la cour d’appel de Versailles en 2006, ont refusé de la prononcer. Et
aujourd’hui Alexandra Joubert attend toujours de pouvoir bénéficier de la
protection qui résulterait d’une adoption simple par

Mme Merle qui l’élève depuis sa naissance. La question dont est saisie
la cour vise l’ensemble de la législation française. Elle concerne l’adoption
simple et l’insémination avec donneur anonyme. Le droit français empêche
en effet d’établir un lien de filiation adoptif entre Mme Merle et Alexandra
Joubert, alors que cela serait possible si Mme Merle était un homme. L’ap-
plication de cette législation à la situation familiale de Mme Merle, Mme
Joubert et leur fille Alexandra constitue une discrimination fondée directe-
ment et indirectement sur l’orientation sexuelle. Il s’agit d’une différence de
traitement incontestable et illégitime et donc d’une violation de la conven-
tion de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Pour que vous puissiez en prendre toute la mesure, je voudrais vous


parler maintenant d’une amie hypothétique d’Alexandra Joubert. Il s’agit
d’Alexandra Dupond. Oui, elle s’appelle aussi Alexandra. Et elle est, elle
218

aussi, née en France en 2000. Elle a, elle aussi, été conçue par insémination
artificielle avec un donneur anonyme. La seule différence, c’est que sa mère,
Mme Dupond, vit en concubinage, non pas avec une femme, mais avec un
homme, M. Durand. Alexandra Dupond, conformément à la législation fran-
çaise, a juridiquement deux parents : sa mère, Mme Dupond qui a accouché,
et le compagnon de sa mère, M. Durand qui, par application de l’article 311-
20 du Code civil, est le père juridique de l’enfant, sans être en le père géné-
tique. Il n’est même pas obligé de demander l’adoption simple de l’enfant.

Alexandra Joubert et Alexandra Dupond sont donc deux petites filles.


Elles ont été conçues de la même manière, elles ont les mêmes chances théo-
riques dans la vie et encourent les mêmes risques théoriques. Mais elles sont
juridiquement traitées différemment en raison de l’orientation sexuelle de
leurs parents.

Trois exemples concrets de cette différence de traitement juridique. Pre-


mier exemple : la scolarité. Alexandra Joubert peut être inscrite dans une
école uniquement par sa mère, Mme Joubert. Sa compagne, Mme Merle ne
peut pas l’inscrire à l’école. Alexandra Dupond, elle, peut être inscrite à
l’école par sa mère Mme Dupond et par son père M. Durand.

Deuxième exemple : la santé. Mettons-nous dans la situation d’un acci-


dent de la circulation, eh bien Alexandra Joubert doit obligatoirement être
accompagnée à l’hôpital par sa mère car Mme Joubert est la seule à pouvoir
autoriser les actes médicaux nécessaires. Si Mme Joubert est absente, Mme
Merle ne peut pas autoriser une intervention médicale. Alexandra Dupond,
elle, peut être accompagnée par sa mère, Mme Dupond ou par son père, M.
Durand, qui tous les deux peuvent autoriser les actes médicaux nécessaires.
219

Ainsi, en l’absence de Mme Dupond, M. Durand prend le relais : il peut don-


ner toutes les autorisations nécessaires pour une intervention chirurgicale.

Troisième exemple : le décès de la mère. Si Mme Joubert décède,


Alexandra Joubert devient orpheline. Elle ne sera pas confiée à Mme Merle,
qui est juridiquement une étrangère à l’égard de l’enfant. Elle sera confiée à
un tuteur ou à la Direction départementale de l’aide sociale, qui la placera
dans une famille d’accueil. En revanche, si Mme Dupond décède, Alexandra
Dupond sera confiée à son père, M. Durand. Elle n’ira jamais en famille
d’accueil.

Il y a pour Alexandra une différence de traitement juridique selon


qu’elle est élevée par deux femmes vivant en concubinage ou ayant conclu
un Pacs, ou par une femme et un homme qui vivent en concubinage ou ayant
conclu un Pacs. Cette différence de traitement est contraire au principe posé
par la jurisprudence de votre cour.

Mais, allons plus loin maintenant. Imaginons que le père d’Alexandra


Dupond décède et que sa mère Mme Dupond, rencontre un autre homme, M.
Nouveau, et décide de vivre en concubinage ou de se marier avec lui. Dans
les deux cas (concubinage ou mariage), M. Nouveau peut demander l’adop-
tion simple d’Alexandra Dupond. L’adoption simple prononcée donnera
ainsi à Alexandra Dupond un deuxième ou troisième parent qui lui transmet-
tra son nom, son patrimoine et exercera avec la mère l’autorité parentale. Cet
exemple montre qu’il y a une différence de traitement. Entre, d’une part, la
situation de deux femmes qui vivent en concubinage ou qui ont conclu un
Pacs mais qui ne peuvent pas se marier et donc qui ne pourront jamais obtenir
l’adoption simple de l’enfant de la mère. Et d’autre part, la situation d’une
220

femme et d’un homme qui, se mariant, autorise le conjoint de la mère à de-


mander l’adoption simple de l’enfant de la mère, avec un partage automa-
tique de l’autorité parentale.

Il s’agit là d’une discrimination indirecte contraire au principe posé par


votre cour. Cette différence de traitement est incontestable, mais elle est
aussi illégitime. Est-il en effet légitime qu’Alexandra Joubert n’ait qu’une
seule filiation ? Est-il légitime qu’Alexandra Joubert n’hérite pas de Mme
Merle ? Est-il légitime qu’Alexandra Joubert ne puisse être inscrite à l’école
par Mme Merle ? Est-il légitime qu’Alexandra Joubert puisse être placée
dans une famille d’accueil si sa mère, Mme Joubert, vient à mourir ? La po-
sition du gouvernement français n’est qu’une suite de prétextes illégitimes.
Le gouvernement français soutient que la délégation-partage de l’autorité pa-
rentale (DPAP) serait suffisante.

C’est parfaitement inexact. Cette délégation concerne la seule autorité


parentale. Elle ne comprend pas, comme l’adoption simple, la transmission
du nom et des biens à l’enfant. Plus précisément, le bénéficiaire de la DPAP
peut transmettre ses biens, mais alors l’enfant doit supporter 60 % de taxes à
payer à l’État sur les biens légués, ce que ne fait pas un enfant adopté. Qui
plus est, la délégation-partage de l’autorité parentale est temporaire. Elle
s’achève au plus tard à la majorité de l’enfant, à 18 ans. Elle peut même être
révoquée avant s’il y a un événement nouveau comme, par exemple, la sé-
paration du couple.

L’adoption simple, elle, dure jusqu’à la mort du parent adoptif ou de


l’enfant adopté. Et même au-delà car, si le parent adoptif meurt, l’enfant en
est toujours la fille ou le fils. L’autorité parentale est temporaire alors que
l’adoption simple n’est pas temporaire, c’est pour la vie. De plus, depuis que
221

la Cour de cassation a fait évoluer sa doctrine en juillet 2010, les possibilités


de délégation-partage de l’autorité parentale se sont considérablement res-
treintes au sein des couples homosexuels. Ainsi, en novembre 2010, une juge
aux affaires familiales de Paris a refusé la délégation-partage de l’autorité
parentale à un couple de femmes pacsées. Elle l’a encore refusée, dans un
jugement plus récent, du 4 mars 2011.

Cependant, et ce n’est pas le moindre des paradoxes, la justice française


a déjà été amenée à reconnaître l’adoption d’un enfant par deux parents du
même sexe. Cela a été le cas lorsqu’elle a rendu exécutoires des décisions de
justice étrangère. Ainsi, le 8 juillet 2010, la Cour de cassation a ordonné
l’exequatur d’un jugement d’adoption prononcé aux États-Unis au bénéfice
de la compagne de la mère de l’enfant. Cette adoption simple par le second
parent est donc reconnue sur le sol français, ce qui fait que cette enfant a
deux parents de même sexe aux États-Unis et en France. Et les juges font
maintenant application de cette jurisprudence. La cour d’appel de Paris, dans
un premier arrêt du 24 février 2011, à exéquaturé, cette fois-ci, un jugement
d’adoption d’un enfant par deux hommes, prononcé au Canada. Et dans un
second arrêt du même jour, elle a exéquaturé un jugement d’adoption d’un
enfant par deux hommes au Royaume-Uni.

En France, un enfant peut donc déjà, dans certains cas, avoir juridique-
ment deux parents de même sexe par adoption. Dès lors, la position du gou-
vernement français n’est pas tenable. En réalité, la France propose à Alexan-
dra Joubert deux voies pour avoir juridiquement deux parents. Première voie
: Mme Joubert doit rompre avec Mme Merle et se marier avec un homme qui
pourrait adopter Alexandra dans le cadre d’une adoption simple. Deuxième
voie : Mme Joubert et Mme Merle doivent, dans un premier temps, fuir la
222

France pour Londres, Bruxelles, Francfort, Barcelone, New York ou Mon-


tréal, et y habiter durant une période suffisante afin de demander l’adoption
d’Alexandra par Mme Merle. Puis, dans un second temps, rentrer en France
et demander l’exequatur du jugement d’adoption par le second parent, con-
formément à la jurisprudence de la Cour de cassation du 8 juillet 2010.

Comment ces bouleversements pourraient-ils être dans l’intérêt


d’Alexandra ? Le rôle du gouvernement français devrait, bien au contraire,
être de proposer les modifications législatives qui mettraient fin à cette dis-
crimination. La France pourrait modifier la législation sur l’adoption simple,
ou modifier la législation sur la procréation médicalement assistée. Elle
pourrait même modifier les deux. Par exemple, les modifications législatives
pourraient s’appliquer à tous les couples vivant en concubinage depuis deux
ans ou uniquement aux couples pacsés.

Les requérantes sont un couple très stable, vivant en concubinage de-


puis plus de 21 ans, et pacsé depuis presque 9 ans. La France pourrait égale-
ment s’inspirer de ce qui est mis en place au-delà de ses frontières. Le récent
projet de loi luxembourgeois est un exemple de modification législative en-
visageable puisqu’il propose d’ouvrir l’adoption simple à tous les couples
ayant conclu l’équivalent d’un pacs. Toutes les combinaisons intelligentes
sont possibles.

Ce qui est clair, c’est que le refus de la France de permettre, par quelque
moyen que ce soit, l’établissement d’un lien de filiation entre Alexandra Jou-
bert et Mme Merle, est une violation de l’article 14, combiné avec l’article 8
de la Convention européenne des droits de l’homme. Dans l’une de vos pré-
cédentes décisions [l’arrêt Karner], vous aviez estimé que « lorsque la
marge d’appréciation laissée aux États est étroite, dans le cas par exemple
223

d’une différence de traitement fondée sur le sexe ou l’orientation sexuelle,


non seulement le principe de proportionnalité exige que la mesure retenue
soit normalement de nature à permettre la réalisation du but recherché mais
il oblige aussi à démontrer qu’il était nécessaire, pour atteindre ce but, d’ex-
clure certaines personnes – en l’espèce les individus vivant une relation ho-
mosexuelle – du champ d’application de la mesure dont il s’agit […] ».

Dans la présente affaire, la France n’a nullement démontré pourquoi il


serait « nécessaire » d’exclure Mme Merle de la possibilité de demander
l’adoption simple d’Alexandra Joubert. Comme je le soulignais en préam-
bule, votre cour a fait cesser, en 1979, la discrimination intolérable qui pesait
sur Alexandra Marckx, pour être née enfant « illégitime ». Aujourd’hui, 12
avril 2011, je vous demande de faire cesser la discrimination insupportable
qui pèse sur Alexandra Joubert, uniquement parce qu’elle est élevée par un
couple de femmes lesbiennes. Je vous demande de permettre à Alexandra
Joubert d’avoir deux parents sur le plan juridique, quand bien même ces deux
parents sont deux femmes lesbiennes.

Je vous demande de permettre à Alexandra Joubert de porter le nom de


Merle, de pouvoir être recueillie par Mme Merle si Mme Joubert venait à
mourir, de devenir l’héritière de Mme Merle, qui l’élève avec sa mère depuis
sa naissance et qu’ainsi toutes les trois puissent être réunies par les liens de
l’amour et du droit.
224

ARRÊT

Le 15 mars 2012, la Cour européenne des droits de l’homme rejette la


demande formulée par Caroline Mécary. La cour considère que le refus de
l’adoption simple n’est pas constitutif d’une violation des articles 14 et 8 de
la Convention.
225

LE PROCÈS DES CARICATURES

DE CHARLIE HEBDO

Ce 8 février 2007, l’ambiance est électrique devant la 17e chambre du


tribunal correctionnel de Paris. Une foule de journalistes se presse sur les
bancs du public, pour l’un des « procès de l’année », où vont s’affronter des
notions aussi fondamentales que la « liberté d’expression » et le « respect
des convictions ». Le débat est d’autant plus brûlant qu’il touche à la religion,
et plus particulièrement à l’islam. Il a déjà suscité des manifestations partout
dans le monde, souvent violentes, des fatwas, des polémiques passionnées,
des tribunes à la pelle. L’accusé aimerait maintenant qu’on laisse parler le
droit. L’accusé, c’est Charlie Hebdo, le journal satirique qui, depuis les an-
nées 1960, revendique le droit de moquer les dévots et les bigots.

Deux ans plus tôt, en février 2005, il a défrayé la chronique en publiant


douze caricatures de Mahomet parues, en septembre de la même année, dans
un quotidien danois, le Jyllands-Posten. Des milliers de musulmans en colère
avaient alors défilé dans les rues de Copenhague, des ambassades avaient été
incendiées de Damas à Beyrouth. Le Jyllands-Posten avait fini par présenter
ses excuses, mais plusieurs journaux européens avaient imprimé à leur tour
les cartoons litigieux pour défendre la liberté de pensée, à leurs yeux mena-
cés. En France, le numéro spécial de Charlie Hebdo – dont les locaux seront
protégés par la police après une avalanche de menaces de mort – se vendra à
plus de 600 000 exemplaires (contre 60 000 en temps normal), malgré l’in-
terdiction réclamée, en vain, par la Grande Mosquée de Paris et l’Union des
organisations islamiques de France (UOIF) qui déposeront aussi une plainte
pour « injure publique à l’égard d’un groupe de personnes à raison de la
religion » contre Philippe Val, le directeur de publication de l’époque.
226

Lorsque le procès s’ouvre, trois dessins sont visés. L’un, extrait du jour-
nal danois, montre le prophète coiffé d’un turban cachant une bombe.
L’autre, toujours tiré du Jyllands-Posten , met en scène Mahomet accueillant
des kamikazes au paradis aux cris de : « Arrêtez, arrêtez, nous n’avons plus
de vierges ! » Le troisième est une œuvre originale de Cabu, que l’hebdo de
Philippe Val a publié en une de son numéro de combat : on y voit un Maho-
met consterné qui soupire : « C’est dur d’être aimé par des cons ! » Depuis
des décennies, Charlie passe à la sulfateuse du rire « bête et méchant » curés,
bonnes sœurs, papes, rabbins ou imams. Ces caricatures de Mahomet, dit-il,
s’inscrivent dans la tradition du journal. Doit-il s’autocensurer parce que les
« intégristes » ont de moins en moins le sens de l’humour ? L’UOIF, lui,
dénonce une « islamophobie » rampante et l’offense faite aux croyants.
Quant à Dalil Boubakeur, le recteur de la Grande Mosquée de Paris, il déve-
loppe une argumentation plus subtile. Ses conseils, Francis Szpiner et Chris-
tophe Bigot, ne réclament pas la condamnation de Charlie Hebdo pour «
blasphème » (une incrimination qui, de toute façon, n’existe pas en France).
Ils attaquent le journal parce que « les images qu’il a publiées risquent de
véhiculer un amalgame entre musulman et terroriste, et que cet amalgame
n’est pas acceptable ».

L’argument est aussitôt retourné par leurs adversaires : c’est justement


parce que les musulmans sont les premières victimes du terrorisme qu’il faut
dénoncer ou moquer l’islam quand il est instrumentalisé à des fins politiques.
Plusieurs intellectuels musulmans, philosophes, poètes ou journalistes, vien-
nent le dire à la barre, lors d’un procès où le Tout-Paris semble s’être donné
rendez-vous. Élisabeth Badinter, François Hollande ou François Bayrou vo-
lent au secours du journal iconoclaste. Mais aussi le ministre de l’Intérieur,
Nicolas Sarkozy, qui – de manière assez peu orthodoxe – fait porter une lettre
227

de soutien en pleine audience (« Un excès de caricature vaut mieux qu’un


excès de censure »).

La missive est lue par Georges Kiejman, l’un des avocats de Philippe
Val. Le célèbre ténor est aux anges, ferraillant, comme à son habitude, dans
le prétoire avec autant de gourmandise que de férocité. Pour l’occasion, il
s’est fait le « collaborateur » de son ancien stagiaire, Richard Malka, l’avo-
cat historique de Charlie Hebdo. Auteur de bandes dessinées à ses heures
(notamment du best-seller La Face karchée de Sarkozy), ce quadragénaire
est un habitué de la 17e chambre correctionnelle spécialisée dans les affaires
de presse, de diffamation, de droit à l’image ou d’atteinte à la vie privée.
Avocat de plusieurs journaux, maisons d’édition, journalistes, auteurs, Ri-
chard Malka n’aime rien tant que ces disputes intellectuelles, éthiques ou
politiques. Sa ligne de conduite ?

Ne jamais céder un pouce de terrain aux censeurs et aux intégristes,


surtout quand ils avancent masqués derrière les oripeaux de la lutte antira-
ciste ou de la morale. Il défend avec la même fougue un vendeur de sex-toys
poursuivi par des associations catholiques, une directrice de crèche accusée
de « discrimination » après avoir licencié une puéricultrice voilée et Domi-
nique Strauss-Khan, mis en examen pour « complicité de proxénétisme »
dans l’affaire dite du « Carlton ». Ce chantre de la liberté de la presse n’hé-
sitera pas alors à attaquer les journaux qui se « repaissent » de la saga DSK
et « piétinent son intimité ». Toujours au nom des mêmes principes : la mo-
rale ne doit pas se substituer au Code pénal et le droit ne se confond pas
avec la vertu.
228

PLAIDOIRIE PRONONCÉE PAR RICHARD MALKA

AVOCAT DE CHARLIE H EBDO, LE 8 FÉVRIER 2007

DEVANT LE TRIBUNAL CORRECTIONNEL DE PARIS

Monsieur le président, Messieurs du tribunal, Madame la procureur,


j’aimerais commencer par vous raconter une histoire. Une histoire que nous
rapporte Mme Fethi Ben Slama, professeur de psychopathologie à l’univer-
sité de Paris VII et musulmane croyante, pas plus mais pas moins non plus
que les parties civiles qui nous poursuivent aujourd’hui. Mme Ben Slama
nous raconte ceci : il y a quelque temps, le caricaturiste algérien Dilem met-
tait en scène, le jour de la fête du sacrifice, un mouton fuyant à toute vitesse,
poursuivi par un homme brandissant un couteau et, dans la bulle, le mouton
dit : « Mais pourquoi veux-tu m’égorger ? Pourtant, je ne suis ni une femme
ni un intellectuel ». Mme Ben Slama commente ainsi cette histoire : « Voyez-
vous, Mesdames, Messieurs, chers amis, ce mouton blasphème, non seule-
ment il veut se soustraire à la place que lui assigne Dieu dans les Saintes
Écritures lorsqu’il a voulu le substituer au fils du prophète Abraham mais,
de plus, ce mouton parle et, ce faisant, brouille les frontières de la création
divine entre l’homme et l’animal. La bête parle et fait de l’humour avec les
af aires religieuses, c’est ignoble. Il y a plus grave encore : en courant plus
vite que l’homme qui veut le trucider, il ridiculise ce paisible musulman sa-
crifiant et humilie l’ensemble de la communauté musulmane, sinon la totalité
des milliards de musulmans morts. Mais le pire n’est-il pas que ce mouton
fuyant de peur devant un musulman qui veut le manger est, de toute évidence,
islamophobe ? »
229

Et Mme Ben Slama poursuit : « Mais ce mouton insoumis pourrait voir


se lever un imam spontané qui le cartouche d’une fatwa. Nous verrons alors
le MROPP (Mouvement pour ramener les ovins chez les prédicateurs para-
noïaques) intenter un procès en dif amation de sacrifiant tandis que la Ré-
publique, par ses voix les plus autorisées, présenterait ses excuses à tous les
pratiquants modérés de méchoui sacré et les assurerait de son respect ».

Et voilà en une fable, en une caricature, résumée toute l’absurdité des


demandes qui vous sont faites. Voilà en une fable, en une caricature, résumé
le problème de société qui vous est posé et Mme Ben Slama, par la suite,
continue en se faisant plus grave : « Voici des années que la tonsure de l’es-
prit arme la censure qui tue. Car la censure au nom de l’esprit tue, sacrifie,
grille au feu de l’enfer et dévore les insoumis afin de les soumettre à la reli-
gion et à la soumission ».

Ce n’est pas Charlie Hebdo qui parle, ce n’est pas une islamophobe, pas
une raciste, c’est une musulmane, une croyante, et manifestement une
croyante que les parties civiles ne représentent pas. Mme Ben Slama nous
rappelle que « le blasphème fut l’acte d’accusation de tous ces penseurs, de
tous ces intellectuels de l’islam, de tous ces intellectuels et écrivains qui ont
été assassinés et tués parce qu’ils avaient blessé la foi de certains, parce
qu’ils avaient porté atteinte à des sentiments religieux ».

Naguib Mahfouz, prix Nobel de littérature, 83 ans, poignardé à la gorge


au Caire en juin 1992, l’écrivain Farag Foda, tué parce qu’il préconisait la
séparation de la religion et de l’État, Sodiq Melallah, poète, décapité au sabre
par les autorités d’Arabie Saoudite pour crime de blasphème… Ceux-là et
tous les autres ont été assassinés, tués parce qu’ils avaient porté atteinte à la
Foi. Ce qui nous est aujourd’hui reproché. Cette indignation de Mme Ben
230

Slama est partagée par d’innombrables musulmans du monde entier, d’in-


nombrables poètes, romanciers, intellectuels, citoyens musulmans du monde
entier. Nous recevons à Charlie Hebdo, en ce moment, 1 000 lettres de mu-
sulmans par jour nous disant : nous sommes avec vous, vous nous représen-
tez et vous représentez aussi quelque chose pour laquelle nous voulons com-
battre et nous sommes à vos côtés.

Or, me direz-vous, de l’autre côté, il y a des institutions religieuses qui


représentent mieux que ces musulmans lambda la religion. J’ai beaucoup de
respect pour M. le recteur Boubakeur. Il faut reconnaître qu’il a eu des com-
bats courageux, il faut reconnaître que c’est un homme modéré, il faut re-
connaître que nous avons besoin de lui. C’est pour cela que nous sommes
attristés de le voir sur le banc des parties civiles, aujourd’hui, aux côtés de
l’UOIF et de la Ligue islamique mondiale.

Mais, malgré tout le respect que je lui dois, ce n’est pas une injure de
dire qu’il n’est pas une autorité théologique du monde musulman. Il est mé-
decin, pas théologien. Les parties civiles ne peuvent pas dire qu’elles repré-
sentent tous les musulmans du monde, elles ne représentent pas le milliard
300 millions de musulmans du monde. Mohamed Talby, une institution dans
le monde arabe, reconnaît aux caricaturistes le droit de brocarder le Prophète,
le droit de dire et d’écrire que l’islam est la religion la plus con du monde. Il
dit ceci : « La religion, quelle qu’elle soit, ne doit pas être une contrainte. Je
veux décrisper les gens, je veux le faire au nom du Coran. La foi est un choix.
Je ne cesserai jamais de dire que l’islam nous donne la liberté, y compris
celle d’insulter Dieu ».

Je ne vois pas pourquoi les musulmans seraient les seuls citoyens au


monde qui ne seraient pas capables de rire d’eux-mêmes. Ils peuvent dire :
231

notre Dieu est mis en cause, cela nous blesse. On leur reconnaît cette légiti-
mité de la blessure, bien sûr que cette blessure est légitime. Est-ce qu’on va
chercher à interdire ce qui nous blesse dans la mesure où la blessure est une
notion subjective ? Il ne resterait plus rien dans le débat et plus rien dans la
liberté d’expression si chacun cherchait à interdire ce qui le blesse. Que ces
choses soient blessantes, évidemment il faut le reconnaître, mais de là à vou-
loir interdire… Je ne veux pas interdire tout ce qui me blesse.

La France est le pays d’Europe qui comprend la plus grande commu-


nauté musulmane, ainsi que la plus grande communauté juive et la plus
grande communauté bouddhiste. Quelle est la meilleure garantie pour toutes
ces communautés ? C’est le pacte républicain, c’est la laïcité. C’est ce qui
fait que toutes les religions sont mises sur un pied d’égalité. La mosquée de
Paris est au cœur de la cité. Il n’y a pas un autre pays d’Europe où il y a une
mosquée au cœur de la cité.

Si vous demandez qu’on ne puisse plus critiquer l’islam, contrairement


à toutes les autres religions, si vous demandez qu’on ne puisse plus critiquer
le Prophète comme on le veut, y compris de manière violente, comme on
caricature Jésus de manière bien pire encore, alors vous sortirez du cœur de
la cité. Vous protégerez Dieu, mais vous créerez de l’incompréhension. L’in-
compréhension crée le ressentiment, le ressentiment crée la peur. C’est avec
le feu que vous êtes en train de jouer.

Alors que nous dites-vous aujourd’hui ? Nous sommes des racistes, des
islamophobes, qui plus est animés d’intentions malfaisantes, puisque ce que
nous avons voulu faire dans le cadre d’une opération mûrement réfléchie,
c’est gagner de l’argent. Ce grief est évidemment indigne de la qualité des
232

débats, il est extrêmement mesquin. Je dois dire que je m’attendais à le trou-


ver dans les écritures de l’UOIF, de la Ligue islamique mondiale, pas de la
mosquée de Paris. Cela m’a fait beaucoup de peine, c’est le seul reproche
que je vous ferai car personne ne vous dénie le droit à ce procès. C’est de
manière parfaitement légitime que vous vous adressez à un tribunal pour dire
le droit. Personne ne vous conteste ce droit, je loue votre démarche mais cet
argument figure dans vos citations, c’est cela que je vous reproche.

Pourquoi cet argument ? Parce que vous n’admettez pas que l’autre
puisse être animé d’une conviction sincère. Vous n’admettez pas que votre
opposant ne soit pas un ennemi avec lequel aucun débat n’est possible. Du
coup, vous n’avez pas à vous remettre en question puisque l’autre est animé
d’intentions mercantiles. C’est une rhétorique, c’est une sémantique qui est
au cœur de ce procès. C’est continuellement ainsi : vous êtes dans le déni de
l’autre alors que nous ne demandons qu’à discuter, que nous ne cherchons
qu’à dédramatiser. Si on nous enlève le rire contre ce qui nous fait peur,
contre la terreur, qu’est-ce que vous allez nous laisser pour dédramatiser,
pour nous défendre contre ces actes de terreur ?

C’est quand même une réalité qui existe, il faut bien en parler. Dans vos
citations, vous le dites clairement noir sur blanc, on nous interdit d’associer
l’islam et le terrorisme. Comment fait-on pour parler de l’actualité ? Com-
ment cela serait-il possible ? Évidemment, c’est une minorité infime qui a
agi au nom de l’islam. Mais quand ils égorgent, il y a les versets du Coran
derrière eux. On ne peut pas faire abstraction de la réalité, autrement on serait
dans le déni.

On nous reproche le mot « intégriste ». Là aussi, la citation fait vraiment


froid dans le dos. On nous dit que « l’intégrisme est un degré d’intensité de
233

la foi ». C’est le recteur Boubakeur qui écrit cela. On nous dit, s’agissant de
la couverture : vous avez employé le mot intégriste, vous auriez dû employer
d’autres mots : « fanatisme », « terrorisme ». On nous dit ensuite – c’est
l’argument d’après – que le mot « intégrisme dans le contexte », cela ren-
voyait à tous les musulmans qui s’étaient émus. Mais alors, si on avait em-
ployé les mots « fanatisme ou terrorisme », on aurait donc qualifié de fana-
tiques et de terroristes tous les musulmans qui s’étaient émus.

Donc, on ne pouvait plus rien dire, on ne pouvait plus commenter. Les


arguments des parties civiles s’entrechoquent les uns les autres. J’en viens
au blasphème, à la foi. Dans les citations qui nous ont été délivrées, certes,
on ne parle pas de blasphème, mais à 31 reprises sont utilisés les mots « foi
», « religion », « croyance ». On ne parle pas de blasphème ? De quoi nous
parle-t-on ici ? Du sacré, de la religion et des objets de vénération. J’ai tout
à coup l’impression d’être transporté au Vatican devant un tribunal ecclé-
siastique, je vais me reconvertir et faire du droit canon. Comment peut-on
demander à un tribunal républicain qu’il instaure une protection pour le sa-
cré, le religieux, les objets de vénération cultuelle ? Cela voudrait dire quoi
? Cela voudrait dire que plus jamais nous ne pourrions faire une caricature
de Mahomet, plus jamais une caricature de Dieu ! Vous êtes les Messieurs
Jourdain du blasphème, vous demandez son rétablissement sans le savoir.

C’est la définition même du blasphème : l’interdiction de la critique de


la religion. Vous réclamez aussi une égalité de traitement entre les religions.
Mais regardez ! Le pape Jean-Paul II est mort, il y a quelque temps, nous
avons fait un hors-série « Popeye a cassé sa pipe ». Vous voulez une égalité
de traitement ? Vraiment n’en demandez pas trop, on va vous l’accorder !
Tenez une autre couverture : « Le pape va mieux, il a canonisé deux yaourts
». Vous voulez vraiment une égalité de traitement ? Comment pouvez-vous
234

franchement nous soutenir cela ? Ce que je peux vous dire, c’est que, même
à Charlie Hebdo, on n’oserait pas faire le dixième de cela à l’égard du pro-
phète Mahomet. Personne dans ce pays n’oserait faire le dixième de cela à
l’égard du prophète Mahomet !

Charlie Hebdo n’aurait plus de raison d’être si on n’avait pas publié ces
caricatures. Nous n’aurions pas pu nous regarder dans la glace, on nous aurait
dit : vous faites dans la facilité ; pour les chrétiens ou les juifs, vous ne ris-
quez rien ; quand il s’agit des musulmans, il n’y a plus personne. Nous au-
rions été face à une contradiction. Tout cela a un sens, le sens de tout cela,
c’est le combat de Charlie Hebdo pour la laïcité depuis toujours. On ne s’est
pas réveillé avec ces caricatures de Mahomet. Ce que l’on vous demande
aujourd’hui, c’est la plus formidable des restrictions à la liberté d’expression
qu’on ait jamais demandées à un tribunal, pas seulement sous l’angle du blas-
phème, de la religion, des caricatures et de l’humour mais parce que le monde
entier était à feu et à sang, le monde entier parlait de ces caricatures, on en
entendait parler du matin au soir par tout le monde. Et le peuple n’aurait pas
eu le droit de les voir ? Qui peut décider de cela ?

J’aimerais répondre à l’argument de la liberté de croyance, c’est com-


plètement hors sujet. En quoi trois malheureuses caricatures empêchent qui
que ce soit de croire ce qu’il veut ? En quoi cela agresse-t-il un croyant ?
Nous essayons juste de rire, de discuter et de débattre. C’est ainsi que s’est
construit le débat, c’est ainsi que s’est construit notre pays. Vous verrez une
caricature de Mahomet du XVIIe siècle en poisson. C’est le pire que l’on
puisse imaginer. C’est une animalisation de Mahomet, une diabolisation, elle
a été publiée en France par le magazine Historia , il y a deux semaines.
Qu’est-ce que vous allez répondre à la Ligue islamique mondiale quand elle
235

va vous demander de condamner Historia ? Historia va dire : « On fait de


l’histoire ». Nous, nous n’avons fait que traiter l’actualité.

L’histoire de la caricature en France est une noble histoire. Et cela me


fait beaucoup de peine de voir le recteur Boubakeur se reporter à la déclara-
tion des Droits de l’homme du Caire qui définit la liberté d’expression d’une
manière un peu particulière : « Article 22 : Tout le monde doit avoir le droit
d’exprimer librement son expression de telle sorte qu’elle ne soit pas en con-
flit avec la charia ». Et encore : « L’information est un impératif vital pour
la société mais il est prohibé de l’utiliser et de l’exploiter pour porter atteinte
au sacré, à la dignité du Prophète ». Quand vous lisez cela, c’est le pro-
gramme de l’UOIF. Il faudrait donc interdire Sade qui tue Jésus, Lautréa-
mont qui le représente ivre mort, Renan qui lui a dénié sa paternité. Il faudrait
interdire Dante qui, dans le IXe cercle de la Divine Comédie a éventré Ma-
homet, et a fendu en deux la tête du prophète Ali. Il faudrait interdire tout
cela ? Il faudrait interdire Voltaire ?

Je finirai par une seule phrase, celle d’un des plus prestigieux universi-
taires tunisiens, professeur à l’Université de Tunis, M. Hamadi Redissi. Au
moment où la caricature de Mahomet avec la bombe dans le turban a été
publiée, il s’est adressé à l’Occident depuis Tunis, et il l’a fait avec courage
pour nous dire ceci : « Vous ne devez pas renoncer à la libre critique. Si vous
cédez, ce sera fini ».
236

JUGEMENT

Le 22 mars 2007, le tribunal correctionnel relaxe Philippe Val, estimant,


comme le parquet, que les trois caricatures mises en cause ne constituent pas
une injure vis-à-vis de la communauté musulmane mais une critique des in-
tégristes. Le tribunal considère que Charlie Hebdo est un journal satirique et
que « le genre littéraire de la caricature, bien que délibérément provoquant,
participe à ce titre à la liberté d’expression et de communication des pensées
et des opinions ».

Les attendus du jugement sont cependant tout en nuance. Ils considèrent


que ni le dessin de Cabu, intitulé « Mahomet débordé par les intégristes » («
C’est dur d’être aimé par des cons »), ni celui mettant en scène quatre terro-
ristes se présentant devant le Prophète après leurs attentats, ne peuvent être
perçus comme visant l’ensemble des musulmans en raison de leur religion.
En revanche, observe le tribunal, le dernier dessin – Mahomet coiffé d’un
turban en forme de bombe à la mèche allumée – « laisse clairement entendre
que cette violence terroriste serait inhérente à la religion musulmane ».
Mais, dit-il aussi, « en dépit du caractère choquant, voire blessant, de cette
caricature pour la sensibilité des musulmans, le contexte et les circonstances
de sa publication dans le journal Charlie Hebdo apparaissent exclusifs de
toute volonté délibérée d’offenser directement et gratuitement l’ensemble
des musulmans ; les limites admissibles de la liberté d’expression n’ont donc
pas été dépassées ».

Contrairement à l’UOIF, la Grande Mosquée de Paris ne fera pas appel,


son avocat, Francis Szpiner se félicitant même du jugement : « Le tribunal a
affirmé clairement que ce type de caricature était susceptible d’être con-
damné et que dans un autre contexte, elle le serait. Nous nous réjouissons
237

de voir que les musulmans de France, comme n’importe quelle partie de la


population, bénéficient de la protection des lois de la République… »
238

L’AFFAIRE BOBIGNY

Le procès de Bobigny, qui se tint en octobre et novembre 1972, est un


procès politique par excellence. Au sens noble du terme, puisqu’il a large-
ment contribué à la dépénalisation de l’interruption de grossesse, la loi Veil,
votée trois ans plus tard. L’accusée n’était pourtant ni une féministe ni une
militante. Juste une jeune fille de 16 ans, victime d’un viol.

Un soir du mois d’août, elle a suivi un copain de lycée, Daniel, pour –


pensait-elle – faire un petit tour en voiture et écouter de la musique. Mais le
jeune homme l’amène chez lui et se jette sur elle. « Il m’a frappée, expli-
quera-t-elle plus tard devant le tribunal, il m’a donné des claques, j’ai cédé,
je n’ai eu qu’une seule fois des rapports avec lui, et je me suis sauvée ensuite
». Cela aura suffi pour qu’elle soit enceinte. La suite de l’histoire ressemble
à toutes ces histoires de viols et d’avortements honteux ou traumatisants que
connurent des milliers de femmes avant la loi Veil. Marie-Claire, évidem-
ment désemparée, se confie à sa mère. « On l’élèvera en faisant des sacri-
fices », lui répond Michèle Chevalier qui s’occupe pourtant déjà toute seule
de ses trois filles adolescentes avec un modeste revenu de 1 500 francs par
mois qu’elle perçoit comme employée à la RATP. Mais Marie-Claire refuse,
elle ne veut pas de « l’enfant d’un voyou ».

Surtout, elle ne s’imagine pas mettre au monde un enfant à son âge. Elle
n’imagine pas non plus aller porter plainte. Dans ces années 1970, le viol,
encore tabou, est peu réprimé. Sa mère part donc en quête d’un gynécologue
et finit par trouver un médecin qui accepte de pratiquer un avortement clan-
destin sur sa fille pour 4 500 francs. Comment trouver une telle somme ?
Michèle Chevalier appelle à l’aide une collègue de travail, qui la renvoie vers
239

une jeune secrétaire qui a appris les techniques de l’avortement en le prati-


quant sur elle-même. Elle accepte d’opérer l’adolescente pour 1 200 francs.

Marie-Claire subit à cinq reprises l’épreuve de la sonde artisanale et du


speculum. Peur, souffrance, hémorragie, transfert d’urgence dans une cli-
nique. Les médecins qui la soignent garderont le silence et l’histoire aurait
pu s’arrêter là. Mais entre-temps, Daniel, le jeune violeur, a été arrêté pour
un vol de voiture et, voulant sans doute amadouer les policiers, ne trouve
rien de mieux que dénoncer sa victime !

Marie-Claire est poursuivie devant le tribunal pour enfants qui, consi-


dérant qu’« elle a souf ert de contraintes d’ordre moral, familial, auxquelles
elle n’a pu résister », prononce sa relaxe le 11 octobre 1972. Affaire classée
? Non. La mère de la jeune fille, son amie de la RATP et la secrétaire «
faiseuse d’anges » sont elles aussi renvoyées devant le tribunal de grande
instance de Bobigny pour complicité d’avortement. Le procès s’ouvre le 8
novembre suivant. Les féministes se mobilisent.

Et c’est Gisèle Halimi qui défend Michèle Chevalier. L’avocate est de-
puis longtemps de toutes les luttes : l’indépendance de la Tunisie et de l’Al-
gérie, la dénonciation des tortures pratiquées par l’armée française, la révé-
lation des crimes de guerre commis par l’armée américaine au Vietnam. En
1971, avec son amie Simone de Beauvoir, elle a fondé le mouvement « Choi-
sir la cause des femmes » et milite activement en faveur de la dépénalisation
de l’avortement en France. Avec l’accord des inculpées, elle fera de ce pro-
cès une magistrale tribune pour plaider la cause de millions de femmes et
dénoncer une loi aussi archaïque qu’injuste (les Françaises qui en ont les
moyens vont à l’étranger pour se faire avorter).
240

Le procès suscite des débats dans tout le pays. Les personnalités défilent
à la barre pour soutenir les accusées, l’académicien Jean Rostand, le biolo-
giste Jacques Monod, les comédiennes Delphine Seyrig ou Françoise Fabian,
Michel Rocard ou Aimé Césaire. Et le professeur Paul Milliez, médecin et
catholique… « Gisèle Halimi a voulu s’adresser, par-dessus la tête des ma-
gistrats, à l’opinion publique tout entière ». Elle y a parfaitement réussi. Au-
jourd’hui à plus de 80 ans, elle n’a pas changé, toujours aussi engagée, bat-
tante, même rebelle, forte de ses convictions. Quand on lui demande, quelle
est sa définition de la plaidoirie, la réponse fuse : « Quand je plaide, je pars
au combat ! »
241

PLAIDOIRIE DE GISÈLE HALIMI, AVOCATE DE MICHÈLE


CHEVALIER PRONONCÉE LE 8 NOVEMBRE 1972

DEVANT LE TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE BOBIGNY

Monsieur le président, Messieurs du tribunal.

Je ressens avec une plénitude jamais connue à ce jour un parfait accord


entre mon métier qui est de plaider, qui est de défendre, et ma condition de
femme. Je ressens donc au premier plan, au plan physique, il faut le dire, une
solidarité fondamentale avec ces quatre femmes, et avec les autres. Ce que
j’essaie d’exprimer ici, c’est que je m’identifie précisément et totalement
avec Mme Chevalier et avec ces trois femmes présentes à l’audience, avec
ces femmes qui manifestent dans la rue, avec ces millions de femmes fran-
çaises et autres.

Elles sont ma famille. Elles sont mon combat. Elles sont ma pratique
quotidienne. Et si je ne parle aujourd’hui, Messieurs, que de l’avortement et
de la condition faite à la femme par une loi répressive, une loi d’un autre âge,
c’est moins parce que le dossier nous y contraint que parce que cette loi est
la pierre de touche de l’oppression qui frappe la femme. C’est toujours la
même classe, celle des femmes pauvres, vulnérables économiquement et so-
cialement, cette classe des sans-argent et des sans-relations qui est frappée.

Voilà vingt ans que je plaide, Messieurs, et je pose chaque fois la ques-
tion, et j’autorise le tribunal à m’interrompre s’il peut me contredire. Je n’ai
encore jamais plaidé pour la femme d’un haut commis de l’État, ou pour la
femme d’un médecin célèbre, ou d’un grand avocat, ou d’un PDG de société,
ou pour la maîtresse de ces mêmes messieurs. Je pose la question. Cela s’est-
242

il trouvé dans cette enceinte de justice ou ailleurs ? Vous condamnez toujours


les mêmes, les « Mme Chevalier ». Ce que nous avons fait, nous, la défense,
et ce que le tribunal peut faire, ce que chaque homme conscient de la discri-
mination qui frappe les mêmes femmes peut faire, c’est se livrer à un sondage
très simple. Prenez des jugements de condamnation pour avortement, prenez
les tribunaux de France que vous voudrez, les années que vous voudrez, pre-
nez 100 femmes condamnées et faites une coupe socio-économique : vous
retrouverez toujours les mêmes résultats :

– 26 femmes sont sans profession, mais de milieu modeste, des


« ménagères » ;

– 35 sont employées de bureau (secrétaires-dactylos) : au niveau


du secrétariat de direction, déjà, on a plus d’argent, on a des
relations, on a celles du patron, un téléphone… ;

– 15 employées de commerce et de l’artisanat (des vendeuses,


des coiffeuses…) ;

– 16 de l’enseignement primaire, agents techniques, institu-


trices, laborantines ;

– 5 ouvrières ;

– 3 étudiantes.

Autre exemple de cette justice de classe qui joue, sans la moindre ex-
ception concernant les femmes : le manifeste des « 343 ». Vous avez entendu
à cette barre trois de ses signataires. J’en suis une moi-même. 343 femmes
(aujourd’hui, 3 000) ont dénoncé le scandale de l’avortement clandestin, le
scandale de la répression et le scandale de ce silence que l’on faisait sur cet
243

avortement. Les a-t-on seulement inculpées ? Nous a-t-on seulement inter-


rogées ? Je pense à Simone de Beauvoir, à Françoise Sagan, à Delphine Sey-
rig – que vous avez entendues – Jeanne Moreau, Catherine Deneuve… Dans
un hebdomadaire à grand tirage je crois, Catherine Deneuve est représentée
avec la légende : « La plus jolie maman du cinéma français » ; oui certes,
mais c’est aussi « la plus jolie avortée du cinéma français » !

Retournons aux sources. Pour que Marie-Claire, qui s’est trouvée en-
ceinte à 16 ans, puisse être poursuivie pour délit d’avortement, il eût fallu
prouver qu’elle avait tous les moyens de savoir comment ne pas être en-
ceinte, et tous les moyens de prévoir. Ici, Messieurs, j’aborde le problème de
l’éducation sexuelle. Vous avez entendu les réponses des témoins. Je ne crois
pas que, sur ce point, nous ayons appris quelque chose au tribunal. Ce que je
voudrais savoir, c’est combien de Marie-Claire en France ont appris qu’elles
avaient un corps, comment il était fait, ses limites, ses possibilités, ses pièges,
le plaisir qu’elles pouvaient en prendre et en donner ? Combien ?

Très peu, j’en ai peur. Il y a dans mon dossier une attestation de Mme
Anne Pério, professeur dans un lycée technique, qui indique que, durant l’an-
née scolaire 1971-1972, il y a eu treize jeunes filles entre 17 ans et 20 ans en
état de grossesse dans ce lycée. Vous avez entendu, à l’audience, Simone Iff,
vice-présidente du Planning familial. Elle est venue vous dire quel sabotage
délibéré les pouvoirs publics faisaient précisément de cet organisme qui était
là pour informer, pour prévenir, puisque c’est de cela qu’il s’agit.

Vous avez, Messieurs, heureusement pour vous, car je vous ai sentis


accablés sous le poids de mes témoins et de leur témoignage, échappé de
justesse à deux témoignages de jeunes gens de 20 ans et de 17 ans, mes deux
fils aînés, qui voulaient venir à cette barre. Ils voulaient vous dire d’abord à
244

quel point l’éducation sexuelle avait été inexistante pendant leurs études.
L’un est dans un lycée et l’autre est étudiant. Ils voulaient faire – il faut le
dire – mon procès. Mon procès, c’est-à-dire le procès de tous les parents. Car
l’alibi de l’éducation sexuelle à la maison, il nous faut le rejeter comme
quelque chose de malhonnête.

Je voudrais savoir combien de parents – et je parle de parents qui ont


les moyens matériels et intellectuels de le faire – abordent tous les soirs au-
tour de la soupe familiale l’éducation sexuelle de leurs enfants. Mme Che-
valier, on vous l’a dit, n’avait pas de moyens matériels, et elle n’avait pas
reçu elle-même d’éducation sexuelle. Je parle de moi-même et de mes rap-
ports avec mes enfants. Moi, je n’ai pas pu le faire. Pourquoi ? Je n’en sais
rien. Mais je peux peut-être essayer de l’expliquer. Peut-être parce que, entre
les parents et les enfants, il y a un rapport passionnel, vivant, vivace, et c’est
bon qu’il en soit ainsi ; peut-être aussi parce que, pour les enfants, il y a cette
image des rapports amoureux des parents et que cela peut culpabiliser et l’en-
fant et la mère ? Toujours est-il que l’on ne peut décider que les parents au-
ront l’entière responsabilité de l’éducation sexuelle. Il faut des éducateurs
spécialisés, quitte pour les parents à apporter, en quelque sorte, une aide
complémentaire.

Pourquoi ne pratique-t-on pas l’éducation sexuelle dans les écoles


puisqu’on ne veut pas d’avortements ?

Pourquoi ne commence-t-on pas par le commencement ? Pourquoi ?

Parce que nous restons fidèles à un tabou hérité de nos civilisations ju-
déo-chrétiennes qui s’oppose à la dissociation de l’acte sexuel et de l’acte de
procréation. Ils sont pourtant deux choses différentes. Ils peuvent être tous
245

les deux acte d’amour, mais le crime des pouvoirs publics et des adultes est
d’empêcher les enfants de savoir qu’ils peuvent être dissociés.

Deuxième responsabilité : l’accusation, je le lui demande, peut-elle éta-


blir qu’il existe en France une contraception véritable, publique, populaire,
gratuite ? Je ne parle pas de la contraception gadget, de la contraception clan-
destine qui est la nôtre aujourd’hui. Je parle d’une véritable contraception.
Je dois dire que j’ai cru comprendre que même la contraception était prise à
partie dans ce débat. Je dois dire qu’il m’est arrivé de parler à plusieurs re-
prises de ce problème, publiquement.

J’ai eu en face de moi des hommes d’Église : même eux n’avaient pas
pris cette position. La contraception, à l’heure actuelle, c’est peut-être 6 %
ou 8 % des femmes qui l’utilisent. Dans quelles couches de la population ?
Dans les milieux populaires, 1 % !

Dans la logique de la contraception, je dis qu’est inscrit le droit à l’avor-


tement. Supposons que nous ayons une parfaite éducation sexuelle. Suppo-
sons que cela soit enseigné dans toutes les écoles. Supposons qu’il y ait une
contraception véritable, populaire, totale, gratuite. On peut rêver… Prenons
une femme libre et responsable, parce que les femmes sont libres et respon-
sables. Prenons une de ces femmes qui aura fait précisément ce que l’on re-
proche aux autres de ne pas faire, qui aura manifesté constamment, réguliè-
rement, en rendant visite à son médecin, sa volonté de ne pas avoir d’enfants
et qui se trouverait, malgré tout cela, enceinte.

Je pose alors la question : « Que faut-il faire ? » J’ai posé la question à


tous les médecins. Ils m’ont tous répondu, à l’exception d’un seul : « Il faut
qu’elle avorte ». Il y a donc inscrit, dans la logique de la contraception, le
droit à l’avortement. Car personne ne peut soutenir, du moins je l’espère, que
246

l’on peut donner la vie par échec. Et il n’y a pas que l’échec. Il y a l’oubli.
Supposez que l’on oublie sa pilule. Oui. On oublie sa pilule. Je ne sais plus
qui trouvait cela absolument criminel. On peut oublier sa pilule. Supposez
l’erreur. L’erreur dans le choix du contraceptif, dans la pose du diaphragme.
L’échec, l’erreur, l’oubli…

Voulez-vous contraindre les femmes à donner la vie par échec, par er-
reur, par oubli ? Est-ce que le progrès de la science n’est pas précisément de
barrer la route à l’échec, de faire échec à l’échec, de réparer l’oubli, de répa-
rer l’erreur ? C’est cela, me semble-t-il, le progrès. C’est barrer la route à la
fatalité et, par conséquent, à la fatalité physiologique. J’ai tenu à ce que vous
entendiez ici une mère célibataire. Le tribunal, je l’espère, aura été ému par
ce témoignage. Il y a ici des filles, des jeunes filles qui, elles, vont jusqu’au
bout de leur grossesse pour des raisons complexes mais disons, parce
qu’elles respectent la loi, ce fameux article 317. Elles vont jusqu’au bout.

Que fait-on pour elles ?

On les traite de putains. On leur enlève leurs enfants. On les oblige, la


plupart du temps, à les abandonner ; on leur prend 80 % de leur salaire, on
ne se préoccupe pas du fait qu’elles sont dans l’obligation d’abandonner
leurs études. C’est une véritable répression qui s’abat sur les mères céliba-
taires. Il y a là une incohérence au plan de la loi elle-même.

J’en arrive à ce qui me paraît le plus important dans la condamnation


de cette loi. Cette loi, Messieurs, elle ne peut pas survivre, et, si l’on m’écou-
tait, elle ne pourrait pas survivre une seconde de plus. Pourquoi ? Pour ma
part, je pourrais me borner à dire : parce qu’elle est contraire, fondamentale-
ment, à la liberté de la femme, cet être depuis toujours opprimé. La femme
était esclave, disait Bébel, avant même que l’esclavage fût né.
247

Quand le christianisme devint une religion d’État, la femme devint le «


démon », la « tentatrice ». Au Moyen Âge, la femme n’est rien. La femme
du serf n’est même pas un être humain. C’est une bête de somme. Et malgré
la Révolution où la femme émerge, parle, tricote, va aux barricades, on ne
lui reconnaît pas la qualité d’être humain à part entière. Pas même le droit de
vote. Pendant la Commune, aux canons, dans les assemblées, elle fait mer-
veille. Mais une Louise Michel et une Hortense David ne changeront pas
fondamentalement la condition de la femme.

Quand la femme, avec l’ère industrielle, devient travailleur, elle est bien
sûr – nous n’oublions pas cette analyse fondamentale – exploitée comme les
autres travailleurs. Mais à l’exploitation dont souffre le travailleur, s’ajoute
un coefficient de surexploitation de la femme par l’homme, et cela dans
toutes les classes. La femme est plus qu’exploitée. Elle est surexploitée. Et
l’oppression – Simone de Beauvoir le disait tout à l’heure à cette barre –
n’est pas seulement celle de l’économie.

Elle n’est pas seulement celle de l’économie, parce que les choses se-
raient trop simples, et on aurait tendance à schématiser, à rendre plus globale
une lutte qui se doit, à un certain moment, d’être fractionnée. L’oppression
est dans la décision vieille de plusieurs siècles de soumettre la femme à
l’homme. « Ménagère 91 ou courtisane », disait d’ailleurs Proudhon qui
n’aimait ni les Juifs, ni les femmes. Pour trouver le moyen de cette soumis-
sion, Messieurs, comment faire ? Simone de Beauvoir vous l’a très bien ex-
pliqué. On fabrique à la femme un destin : un destin biologique, un destin
auquel aucune d’entre nous ne peut ou n’a le droit d’échapper. Notre destin
à toutes, ici, c’est la maternité. Un homme se définit, existe, se réalise par
son travail, par sa création, par l’insertion qu’il a dans le monde social. Une
248

femme, elle, ne se définit que par l’homme qu’elle a épousé et les enfants
qu’elle a eus.

Telle est l’idéologie de ce système que nous récusons. Savez-vous,


Messieurs, que les rédacteurs du Code civil, dans leur préambule, avaient
écrit ceci, et c’est tout le destin de la femme : « La femme est donnée à
l’homme pour qu’elle fasse des enfants… Elle est donc sa propriété comme
l’arbre à fruits est celle du jardinier » ? Certes, le Code civil a changé, et
nous nous en réjouissons.

Mais il est un point fondamental, absolument fondamental sur lequel la


femme reste opprimée, et il faut, ce soir, que vous fassiez l’effort de nous
comprendre. Nous n’avons pas le droit de disposer de nous-mêmes. S’il reste
encore au monde un serf, c’est la femme, c’est la serve, puisqu’elle compa-
raît devant vous, Messieurs, quand elle n’a pas obéi à votre loi, quand elle
avorte. Comparaître devant vous. N’est-ce pas déjà le signe le plus certain
de notre oppression ? Pardonnez-moi, Messieurs, mais j’ai décidé de tout
dire ce soir. Regardez-vous et regardez-nous.

Quatre femmes comparaissent devant quatre hommes… Et pour parler


de quoi ? De sondes, d’utérus, de ventres, de grossesses, et d’avortements !
… Croyez-vous que l’injustice fondamentale et intolérable n’est pas déjà là
? Ces quatre femmes devant ces quatre hommes ?

Ne croyez-vous pas que c’est là le signe de ce système oppressif que


subit la femme ? Comment voulez-vous que ces femmes puissent avoir envie
de faire passer tout ce qu’elles ressentent jusqu’à vous ? Elles ont tenté de le
faire, bien sûr, mais quelle que soit votre bonne volonté pour les comprendre
– et je ne la mets pas en doute – elles ne peuvent pas le faire. Elles parlent
d’elles-mêmes, elles parlent de leur corps, de leur condition de femmes, et
249

elles en parlent à quatre hommes qui vont tout à l’heure les juger. Cette re-
vendication élémentaire, physique, première, disposer de nous-mêmes, dis-
poser de notre corps, quand nous la formulons, nous la formulons auprès de
qui ? Auprès d’hommes. C’est à vous que nous nous adressons.

Nous vous disons : « Nous, les femmes, nous ne voulons plus être des
serves ». Est-ce que vous accepteriez, vous, Messieurs, de comparaître de-
vant des tribunaux de femmes parce que vous auriez disposé de votre corps
? … Cela est démentiel !

Accepter que nous soyons à ce point aliénées, accepter que nous ne


puissions pas disposer de notre corps, ce serait accepter, Messieurs, que nous
soyons de véritables boîtes, des réceptacles dans lesquels on sème par sur-
prise, par erreur, par ignorance, dans lesquels on sème un spermatozoïde. Ce
serait accepter que nous soyons des bêtes de reproduction sans que nous
ayons un mot à dire. L’acte de procréation est l’acte de liberté par excellence.
La liberté entre toutes les libertés, la plus fondamentale, la plus intime de nos
libertés. Et personne, comprenez-moi, Messieurs, personne n’a jamais pu
obliger une femme à donner la vie quand elle a décidé de ne pas le faire.

En jugeant aujourd’hui, vous allez vous déterminer à l’égard de l’avor-


tement et à l’égard de cette loi et de cette répression, et surtout, vous ne de-
vrez pas esquiver la question qui est fondamentale. Est-ce qu’un être humain,
quel que soit son sexe, a le droit de disposer de lui-même ? Nous n’avons
plus le droit de l’éviter. J’en ai terminé et je prie le tribunal d’excuser la
longueur de mes explications. Je vous dirai seulement encore deux mots : a-
t-on encore, aujourd’hui, le droit, en France, dans un pays que l’on dit « ci-
vilisé », de condamner des femmes pour avoir disposé d’elles-mêmes ou
pour avoir aidé l’une d’entre elles à disposer d’elle-même ?
250

Ce jugement, Messieurs, vous le savez – je ne fuis pas la difficulté, et


c’est pour cela que je parle de courage – ce jugement de relaxe sera irréver-
sible, et à votre suite, le législateur s’en préoccupera. Nous vous le disons, il
faut le prononcer, parce que nous, les femmes, nous, la moitié de l’humanité,
nous nous sommes mises en marche. Je crois que nous n’accepterons plus
que se perpétue cette oppression. Messieurs, il vous appartient aujourd’hui
de dire que « l’ère d’un monde fini commence ».
251

JUGEMENT

Le 22 novembre 1972, Michèle Chevalier a été condamnée à 500 francs


d’amende avec sursis. Un jugement dont elle fit immédiatement appel. Le
Ministère public laissa passer un délai de 3 ans sans fixer de date pour l’au-
dience. Il y eut prescription. Au regard de la loi, Michèle Chevalier n’a donc
jamais été condamnée.
252

L’AFFAIRE GEORGES IBRAHIM


ABDALLAH

Depuis vingt-six ans, Georges Ibrahim Abdallah est incarcéré dans une
prison française. Le terroriste libanais membre du FPLP (Front populaire
pour la libération de la Palestine) purge une peine de réclusion criminelle à
perpétuité pour avoir assassiné en 1982, à Paris, un diplomate israélien et un
attaché militaire américain. En avril 2007, son avocat, Jacques Vergès, plaide
pour la septième fois consécutive une remise en liberté qui lui a toujours été
refusée. Ce farouche partisan de la « défense de rupture » instruit alors un
véritable « procès du procès ». Il met en accusation l’État américain, en s’ap-
puyant notamment sur une note de la DST (le service du contre-espionnage)
qui qualifie Ibrahim Abdallah de « menace pour la sécurité du territoire ».

Selon Vergès, cette note est un non-sens, elle ne peut s’expliquer que
d’une seule manière : la DST veut faire plaisir aux Américains qui s’oppo-
sent à la libération du terroriste. Dans sa plaidoirie, l’avocat dénonce donc
les errements de la politique américaine de l’après 11 septembre et stigmatise
la lutte antiterroriste menée par Georges Bush. Jacques Vergès est un habitué
de ce genre de « contre-pied procédural ». Il en a fait sa marque de fabrique.

Quand il défend Omar Radad – le jardinier marocain condamné pour


avoir tué une riche veuve dans le sud de la France – il ne s’attarde pas sur les
nombreux éléments à charge qui accablent son client. Mais il dénonce le ra-
cisme anti-arabe, arrive à s’attirer les sympathies de l’opinion publique et
transforme ainsi le jardinier en symbole vivant de l’erreur judiciaire. Pendant
le procès Barbie, au crime contre l’humanité commis par le chef de la Ges-
tapo, il répond par les crimes colonialistes perpétrés par la France en Algérie.
253

Jacques Vergès, qu’on vénère ou qu’on exècre, est un agitateur, un provoca-


teur et souvent un manipulateur hors pair.

Résistant à 17 ans, il s’engage dans les FFL (Forces françaises libres).


Il restera d’ailleurs toujours très attaché à de Gaulle. À la Libération, il ad-
hère cependant au Parti communiste puis il s’installe à Prague jusqu’en 1954.
De retour en France, il devient avocat. Militant anticolonialiste, il rencontre
à Paris les futurs chefs Khmers Rouges avant de soutenir activement l’insur-
rection algérienne. Maoïste dans les années 1960 – il rencontre Mao Tsé-
toung en personne – il part, quelques années plus tard, à Alger pour y monter
un cabinet d’avocat. Et puis, il disparaît ! Pendant près de dix ans, de 1970 à
1978, personne ne sait ce qu’est devenu Jacques Vergès.

Il a toujours entretenu le mystère sur cette période. Aux journalistes qui


lui ont souvent demandé s’il était au Liban, à Moscou ou s’il travaillait pour
les Khmers Rouges, il a toujours répondu, énigmatique, qu’il était « très à
l’est de la France ». Défenseur de Klaus Barbie, de l’Irakien Tarek Aziz, du
capitaine Baril ancien gendarme de l’Élysée sous Mitterrand, du préfet Bon-
net, de Carlos, des terroristes d’Action directe, d’Annis Nacache ou de
Louise Yvonne Casetta, la trésorière occulte du RPR, Jacques Vergès, l’«
avocat de la terreur », a traversé un siècle de fureur et de passion politique.
Né en 1927, il a déjà 80 ans quand il plaide, toujours avec la même hargne
et la même passion pour obtenir la libération de Georges Ibrahim Abdallah.
254

PLAIDOIRIE PRONONCÉE PAR JACQUES VERGÈS

LE 17 SEPTEMBRE 2007 DEVANT LE TRIBUNAL D ’APPLICA-


TION DES PEINES DE PARIS POUR OBTENIR

LA LIBÉRATION DE GEORGES IBRAHIM ABDALLAH

Prisonnier de l’État français, Georges Ibrahim Abdallah a déposé entre


les mains d’un tribunal français une demande de liberté conditionnelle le 6
février 2007. Le State Department n’a pas mis longtemps à réagir. Le 9 mars,
sous la forme brutale à quoi l’on reconnaît désormais la signature de sa di-
plomatie, il fait savoir : « Le gouvernement des États-Unis exprime sa ferme
opposition quant à l’éventualité d’une mise en liberté conditionnelle de
Georges Ibrahim Abdallah pouvant résulter de la procédure à venir devant
le tribunal de grande instance de Paris ».

Les autorités américaines oublient que la sanction pénale et la privation


de liberté relèvent des prérogatives des seuls États responsables et pas de
leurs voisins ou alliés. Certes, rien n’interdit formellement à un État étranger
de souhaiter la sévérité de la part de la justice d’un autre pays, si le Dieu
vengeur dont il se réclame l’exige. Rien, excepté le savoir-vivre, les bonnes
manières internationales, les vieux usages diplomatiques, dont on semble à
Washington ignorer jusqu’à l’existence.

Mais après tout, la vulgarité n’est soumise qu’au seul tribunal du mau-
vais goût. Le gouvernement américain y a sa place réservée. Pour autant, rien
ne l’autorise, et ce n’est plus ici une question de civilité, à notifier à la justice
française, sur un ton impérieux « sa ferme opposition » à une mesure de li-
berté éventuelle qu’elle pourrait prononcer. Il y a dans cette prétention des
255

autorités américaines une ingérence inacceptable et un outrage à la justice


française. Est-il besoin de le rappeler, que ce n’est pas à un État étranger, se
crût-il le maître du monde, de régenter la justice française ou d’exprimer sa
ferme opposition à une décision souveraine qu’elle pourrait rendre en tapant
du poing sur le bureau des juges. On regrettera donc que la DST, dans un
rapport scandaleux, ait cru devoir se faire le relais des exigences du State
Department.

Les autorités américaines n’ont pas besoin que les services français leur
tiennent la main. Elles l’ont bien assez longue comme ça. D’autant qu’elles
n’en sont pas, en ce qui concerne Georges Ibrahim Abdallah, à leur coup
d’essai. Déjà, William Casey, alors patron de la CIA, était venu, il y a plus
de 25 ans, en France, avec l’arrogance que semble conférer ce type de fonc-
tion, exercer, en prévision de la comparution de Georges Ibrahim Abdallah
devant les assises, une pression sur le gouvernement français, en la personne
de M. Robert Pandraud, ministre de la Sécurité. MM. de Meritens et Ville-
neuve rapportent ainsi leur entrevue dans un livre intitulé Les Masques du
terrorisme.

Au cours du repas offert par M. Pandraud, William menace Robert de


sa fourchette. Le message est clair : si Abdallah n’est pas condamné à per-
pétuité, les États-Unis considéreront que la France n’a pas respecté la plus
élémentaire justice, qu’elle a manqué à ses devoirs envers eux, et ce sera la
rupture diplomatique. Rien de moins. Scandale international, honte et crachat
sur Paris, etc. Robert Pandraud déglutit la menace en même temps que sa
bouchée. Il avale tout cela lentement, en silence. Casey y est allé fort… C’est
inacceptable… Mais réagir avec hauteur équivaudrait à entériner le principe
du chantage… En quelques secondes, la réplique va jaillir, typique du per-
sonnage, pince-sans-rire :
256

— J’ai beaucoup mieux à vous proposer, dit froidement Pandraud. On


libère Abdallah. Si vous voulez, on discute de la date. On l’envoie au Moyen-
Orient, et puis on vous donne ses coordonnées. Vous, États-Unis, grande
puissance, avec vos réseaux de cette région, ce ne sera pas difficile, vous le
liquidez, et on n’en parle plus. Casey en reste médusé. Le chantage aux rela-
tions diplomatiques apparaît, dans sa nudité, dans son ridicule absolu. Dois-
je enfin rappeler qu’au cours du procès de Georges Ibrahim Abdallah, l’avo-
cat du gouvernement américain ayant audacieusement comparé la justice de
la France aux sections spéciales de Vichy, au cas où la décision ne serait pas
expressément conforme à la volonté du State Department, l’avocat général
M. Pierre Baechlin avait cru devoir lui répondre en ces termes bien choisis :

— Vous êtes ici la voix de l’Amérique. Il n’appartient pas à la partie


civile de s’ingérer dans les affaires de la France. Vous n’êtes en rien habilité
à donner des leçons de comportement aux Français. Aujourd’hui, la partie
américaine comprend bien qu’un ordre tombé trop brutalement d’en haut ne
peut que blesser ceux qui, en France, seraient tout à fait disposés à lui obéir,
mais sous condition que les formes soient respectées. Il lui faut habiller ses
demandes d’insinuations, construites à partir d’extrapolations noyées sous
des sous-entendus et des arrière-pensées. La mauvaise foi finira peut-être par
éclater au grand jour, mais le mal aura bel et bien été fait. C’est « l’air de la
calomnie » qu’on va jouer, mais avec des instruments si grossiers qu’on en
éprouve quelque honte à évoquer les noms de Beaumarchais et de Rossini.
Analysons les différentes phases du « message américain ».

D’abord, en prison, Georges Ibrahim Abdallah serait en rapport avec «


des détenus d’extrême gauche et des éléments radicaux maghrébins ». Que
ne l’a-t-on dit plus tôt à l’Administration pénitentiaire ! C’est elle en effet
qui a regroupé ces prisonniers dans un même quartier. Soit elle est fautive,
257

auquel cas il faut s’adresser directement à elle. Soit, plus vraisemblablement,


l’administration estime qu’il n’y a là rien de condamnable. Dans ces condi-
tions, on ne saurait reprocher à Georges Ibrahim Abdallah de parler à la pro-
menade avec les codétenus. L’argument est stupide et médiocre. Il faudrait
d’ailleurs savoir à la fin où la partie civile veut en venir. Si elle considère
que G.I. Abdallah est dangereux en prison par ses mauvaises fréquentations,
on ne peut que l’inviter à réexaminer sous un jour plus favorable la demande
de liberté qu’il a déposée.

Ensuite, l’expert français, commis par un juge français, estime que


Georges Ibrahim Abdallah est apte à se réinsérer dans la vie civile au Liban.
Comme de bien entendu, les Américains contestent l’expertise. On n’en at-
tendait pas moins d’eux. Tant qu’à faire, autant recourir à des experts amé-
ricains. Le State Department ne devrait pas être en peine de fournir au tribu-
nal quelques bonnes adresses. Enfin, les Américains font le reproche à
Georges Ibrahim Abdallah de ne pas verser d’argent aux parties civiles, sa-
chant très bien qu’il n’est pas en mesure de le faire, puisqu’il se trouve être
là où ils veulent le maintenir à tout prix. À quoi ils rétorquent : « Il aurait pu
travailler ». Mais le travail en prison n’est pas soumis au Code du travail,
c’est du travail au noir. Le refus de Georges Ibrahim Abdallah de travailler
au noir pour des négriers est moral.

Les Américains doivent entrevoir les limites de leur argumentation


puisqu’ils se rabattent sur une autre piste, mais d’une si grande imprécision
qu’elle ne conduit nulle part : « Tout permet de croire que M. Abdallah dis-
pose au Liban d’un certain patrimoine familial ».
258

Comme on ne dit pas en quoi consiste ce grand « tout » vague et confus,


tout ou rien c’est du pareil au même. Si la réalité du patrimoine de G.I. Ab-
dallah est établie, pourquoi ne pas engager au Liban une procédure de saisie
? Dans le cas contraire, nous sommes fondés à penser que cet argument re-
pose lui aussi sur une insinuation. Dans l’insinuation, on sait que l’énoncé
est partiel et équivoque, l’accusation qu’il contient étant en elle-même sujette
à caution. On a là un parfait condensé des arguments avancés par la partie
civile.

On peut la décrire, pour rester dans le registre d’agression continuelle


cher à la rhétorique punitive des Américains, comme celle d’un fusil à deux
coups. L’arme des maladroits. On a ainsi le droit de rater une fois sa cible.
Premier coup : l’insinuation. Contester la crédibilité d’un expert français
nommé par un juge français sans réclamer une contre-expertise, alléguer que
le prisonnier a sans doute un patrimoine mais sans en préciser la nature, re-
procher au prisonnier la compagnie de codétenus qu’on lui donne, sont au-
tant d’arguments gratuits, arbitraires et sinistrement fantaisistes, qui ne peu-
vent raisonnablement pas emporter la conviction. D’où le recours aux men-
songes par les Américains. C’est le second coup de fusil. Le chasseur et les
rabatteurs font le pari que « plus le mensonge est gros, plus les gens y croient
».

Premier mensonge répugnant : Georges Ibrahim Abdallah serait impli-


qué dans les attentats qui ont dévasté Paris en 1986. Ce mensonge est d’au-
tant plus infâme que les enquêtes du pôle antiterroriste du parquet de Paris
ont démontré depuis que ni Abdallah, ni ses proches n’étaient impliqués dans
ces attentats. M. Marsaud du pôle antiterroriste écrit dans Avant de tout ou-
blier , un livre de souvenirs, qu’« Abdallah fut en partie condamné pour ce
qu’il n’avait pas fait car, peu de temps après, nous allions partir sur une
259

bonne piste et identifier les véritables responsables des attentats de 1986.


L’établissement de la responsabilité de Fouad Saleh dans ces attentats faisait
d’un coup retomber la pression, et, par ricochet, remettait Georges Ibrahim
Abdallah à sa véritable place. Quelques heures après l’attentat de la rue de
Rennes pourtant, la piste des frères Abdallah avait été retenue et de nom-
breux témoins avaient identifié sur les photos les frères de Georges Ibrahim.
Nous avons eu assez rapidement l’explication de cette méprise : l’un des po-
seurs de bombe, qui avait notamment agi rue de Rennes, un nommé Habib
Haidar, ressemblait quasiment trait pour trait à Émile Abdallah. » Cela, les
Américains le savent mais ils font semblant de l’ignorer pour accabler
Georges Ibrahim Abdallah.

Second mensonge tout aussi répugnant : Georges Ibrahim Abdallah se-


rait devenu musulman. C’est la DST, dont décidément il va falloir songer à
transférer les services outre-Atlantique, qui l’affirme, sans apporter la
moindre preuve, et pour cause. Toujours en verve, elle se risque à avancer
une hypothèse qui ne passerait pas à l’épreuve d’un détecteur de mensonges
: « Ces relations avec la population carcérale d’origine maghrébine et / ou
l’évolution et l’islamisation du combat anti-impérialiste et antisioniste sont
probablement les raisons qui ont poussé le détenu, ancien chrétien marxiste,
à se convertir à l’islam ». On appréciera à sa juste valeur le « et / ou », censé
introduire un semblant de pondération scientifique. Si on n’avait pas déjà
trop souvent ressenti dans ce dossier l’américano-centrisme effarant de la
DST, on aurait de quoi être surpris de constater qu’un service de la police
française en vienne à se mêler des opinions religieuses des gens et à fonder
ses analyses sur les mensonges du State Department. On a peine à lui rappe-
ler qu’à la différence des États-Unis, la France n’est pas une République con-
fessionnelle, fondamentaliste ou créationniste, mais laïque.
260

À vrai dire, on n’est surpris qu’à moitié, tant est grande la tentation en
Occident d’assimiler tout musulman à un criminel. L’imputation de terro-
risme faite à l’islam est insultante. Elle est malheureusement courante. C’est
cela que le rapport de la DST suggère, dans un racisme qui ne prend même
plus la peine de se voiler. Georges Ibrahim Abdallah a droit à la liberté con-
ditionnelle. Je vous rappelle que le 19 novembre 2003, la juridiction régio-
nale de libération conditionnelle de la cour d’appel de Pau rendait la décision
suivante :

« Attendu que M. Georges Ibrahim Abdallah a toujours montré durant


son incarcération un excellent comportement notamment avec le personnel
pénitentiaire, intervenant même, à une occasion pour protéger l’intégrité
physique d’un surveillant menacé ; attendu qu’aux termes de l’expertise psy-
chiatrique, acceptée par le condamné qui, dans un premier temps, s’y était
refusé par principe, il apparaît que M. Georges, Ibrahim Abdallah ne pré-
sente aucune pathologie mentale ; attendu que cette expertise a mis en
exergue une évolution des convictions de M. Georges Ibrahim Abdallah liée
à sa maturation et à son analyse actuelle de la situation de son pays qui
exclut ‘‘en tant qu’adulte tout comportement armé ; attendu, en outre que
M. Georges Ibrahim Abdallah qui, du fait de son incarcération mais aussi
de son refus de principe, n’a indemnisé que de façon dérisoire par le biais
du prélèvement obligatoire les parties civiles, admet actuellement devoir
procéder à cette indemnisation et s’est engagé, à l’audience, à ne rien faire
pour s’y opposer ; attendu que M. Georges Ibrahim Abdallah présente un
projet cohérent comportant des garanties d’hébergement et un emploi d’en-
seignant dans son pays, le Liban, revenu à une situation politique stable ;
attendu qu’il résulte de ce qui précède que nonobstant tout reniement par M.
Georges Ibrahim Abdallah de ses convictions politiques, son comportement
261

en détention mais surtout l’évolution de sa personnalité et son désir de re-


trouver la paix civile manifestent les efforts sérieux de réinsertion sociale
requis par l’article 729 du Code de procédure pénale et excluent le risque
d’une récidive, qu’il y a donc lieu d’octroyer à M. Georges Ibrahim Abdallah
le bénéfice de la libération conditionnelle sous réserves de mise à exécution
de la décision d’interdiction du territoire français prononcée à son encontre
par le tribunal correctionnel de Lyon le 17 juillet 1986 ».

Sur appel du parquet, la juridiction nationale de la libération condition-


nelle a infirmé cette décision le 16 janvier 2004. La juridiction nationale s’est
alignée sur les arguments du parquet qui reprochait aux juges de la juridiction
régionale de n’avoir « voulu tenir aucun compte de l’impact susceptible
d’être provoqué en France, aux États-Unis et en Israël par la libération de
ce condamné et ce alors même que la situation au Proche-Orient est parti-
culièrement tendue ». À trop écouter l’oncle Sam, l’on devient décidément
sourd à la raison. C’est de cet insupportable protectorat américain que nous
vous demandons de libérer la justice française en rendant à Georges Ibrahim
Abdallah la liberté à laquelle les textes français lui donnent droit.

Le harcèlement judiciaire des Américains contre Georges Ibrahim Ab-


dallah ne s’explique pas si l’on s’en tient aux seuls éléments que contient son
dossier. Vingt- cinq ans se sont écoulés depuis le commencement de cette
affaire. Un quart de siècle, une génération, un changement d’époque, et
même à certains égards un changement de cycle historique. C’est donc ail-
leurs qu’il faut chercher les raisons cachées d’un acharnement qui, en toute
objectivité, n’a plus lieu d’être. En réalité, il apparaît rapidement que G.I.
Abdallah n’est qu’un prétexte.
262

À travers lui, on veut faire un exemple pour des faits et des événements
qui se sont déroulés longtemps après son incarcération, dans un contexte ra-
dicalement différent et avec d’autres acteurs. Derrière les barreaux et à vingt-
cinq ans de distance, G.I. Abdallah court le risque de devenir une nouvelle
victime collatérale de la guerre menée par l’administration américaine contre
l’« islam radical ». L’accusation grossière de sa conversion à l’islam ne se
comprend que sous cet angle-là. Elle montre bien la contamination du dos-
sier par des éléments qui lui sont extérieurs et postérieurs. Il n’y a eu en effet
aucune dimension religieuse notable dans le procès de G.I. Abdallah. Les
pressions américaines ne sont donc pas seulement injustifiables au regard de
l’indépendance de la France et de sa justice, elles comportent encore une
erreur volontaire de perspective qui repose sur une fausse symétrie et des
confusions en tout genre. C’est l’Amérique d’après le 11 septembre qui parle
ici, rétroactivement, par la voix de son avocat. Il ne sert à rien de dire seule-
ment que l’ingérence américaine est indue. Elle est encore, indépendamment
de cela, anachronique.

Aucune assertion ne la motive directement, sauf à supposer la concor-


dance du passé et du présent. Car c’est uniquement à la lumière du 11 sep-
tembre que cette ingérence prend tout son sens. En apparence seulement, on
poursuit G.I. Abdallah pour des faits remontants à 1982 ; en réalité, il tombe
sous le coup de la rigueur d’un monde qui croit dur comme fer au choc des
civilisations. Ce n’est donc pas qu’on se refuse à refermer le dossier, même
si par principe et par aveuglement on s’y refuse, c’est principalement qu’on
espère le voir incorporer à d’autres affaires, toutes celles ouvertes après le
11 septembre.

La chute du Mur de Berlin a définitivement scellé le sort d’un monde,


celle des Tours jumelles en a inauguré un autre, sans comparaison avec le
263

précédent. Les faits reprochés à Georges Ibrahim Abdallah ne sauraient donc


se confondre avec ceux reprochés à la nébuleuse Al-Qaïda ou aux nouvelles
formes de terrorisme qui émaillent les divers conflits en cours au Moyen-
Orient. Aussi absurde que cela puisse paraître, c’est pourtant la seule raison,
en l’absence de toute autre, que l’on peut avancer, une forme d’explication à
l’intransigeance des Américains et aux exigences de la partie civile.

C’est de Georges Ibrahim Abdallah dont il est question ici, pas des en-
jeux de la politique étrangère américaine ; pour des faits qui datent de 1982,
et non de l’après 11 septembre 2001. C’est pourquoi nous demandons à la
justice française de signifier à nos condescendants amis américains que la
France n’est pas une fille soumise, en un mot une putain.
264

JUGEMENT

Le 10 octobre 2007, le tribunal d’application des peines a rejeté la de-


mande de libération conditionnelle de Georges Ibrahim Abdallah. Le tribu-
nal a considéré qu’Abdallah continuait d’être une menace pour la sécurité de
la France. Plusieurs autres demandes de libération ont été ensuite déposées,
mais elles ont été systématiquement rejetées. En octobre 2016, il était tou-
jours incarcéré.
265

LE PROCÈS DE LA BANQUE MONDIALE

ET DU FMI

En 2006, le réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako a inventé


une Cour de justice. Et en a fait un film, entre fiction et réalité, intitulé Ba-
mako. Il s’agissait de juger de faits véritables : le pillage des pays du Sud par
ceux du Nord, avec la bénédiction, sinon l’active participation, des institu-
tions financières internationales, en particulier la Banque mondiale et le FMI.
Le cinéaste a installé son tribunal imaginaire dans l’arrière-cour d’un quar-
tier populaire de Bamako. Mais il a engagé des avocats et des magistrats
professionnels et fait défiler, en tant que témoins, les représentants de la so-
ciété civile africaine. Tous sont venus rappeler la dette de l’Occident à
l’égard de leur continent.

Pourquoi faire place, dans ce livre, à un procès fictif ? Le cinéma a plus


d’une fois puisé dans le matériau judiciaire pour raconter des histoires. La
démarche de Sissako est exactement inverse. Il ne s’inspire d’aucune procé-
dure existante (à ce jour, les « crimes » du néo-colonialisme et de la mon-
dialisation ne sont pas poursuivis). Grâce à la caméra et à la magie des
images, il comble un vide. Et le résultat est saisissant. « La force de l’art est
de rendre tout possible », dit le cinéaste. La force de l’art et la force de la
parole, magnifiée tout au long du film. En ce sens, Bamako rejoint la réalité
puisque les procès sont toujours de mini-théâtres où les mots peuvent d’un
coup tout faire basculer.

Un tribunal se penchera-t-il un jour sur le sort du continent africain ?


Est-ce souhaitable, ou même seulement possible ? Dans la rêverie juridique
de Sissako, ce sont de « vrais » avocats qui défendent accusés et victimes.
Des hommes engagés qui se sont prêtés au jeu parce qu’ils y retrouvent les
266

combats menés, jour après jour, dans leurs cabinets ou à la barre. Le Malien
Mamadou Konaté et le français Roland Rappaport plaide, à rebours de leurs
convictions, pour la Banque mondiale et le FMI. William Bourdon, dont
nous publions l’intervention, vole au secours du Sud. Tout sauf un rôle de
composition pour cet éternel jeune homme.

Des « biens mal acquis » des potentats africains aux « travailleurs forcés
» de Total en Birmanie, il s’est fait connaître dans plusieurs dossiers où la «
raison d’État » sert bien souvent d’alibi au cynisme et à l’impunité des élites.
Il ne conçoit pas son métier sans « éthique ni morale » et fait souvent la leçon
à ceux qu’il appelle les « mercenaires », capables de défendre n’importe
quelles causes. « Le droit, dit-il, est un instrument de la cité et du monde. Et
à cet égard, les avocats ont une vraie responsabilité citoyenne ». Il a milité
à la Fédération internationale des droits de l’homme, siège au Conseil d’ad-
ministration de France Liberté, l’association créée par Danielle Mitterrand.
Il est l’avocat de Transparency International (une ONG qui traque la corrup-
tion des États) et de Survie (très active dans la dénonciation de la Fran-
çafrique et des organisateurs et complices du génocide rwandais).

En 2001, il a fondé Sherpa, dont l’objet est de « défendre les victimes


de crimes commis par des opérateurs économiques ». Autant d’engagements
qui lui valent les sarcasmes de nombre de confrères mais aussi quelques cam-
pagnes de presse le présentant comme un agent de la CIA cherchant à désta-
biliser la France dans son pré carré africain ! William Bourdon y voit la
preuve de la justesse de ses combats et des intérêts qu’il dérange. Dans Ba-
mako , il ne réclame rien de moins qu’une condamnation de la Banque mon-
diale pour « association de malfaiteurs ».
267

PLAIDOIRIE PRONONCÉE PAR WILLIAM BOURDON

AVOCAT DE LA SOCIÉTÉ CIVILE AFRICAINE EN 2006

DANS LE FILM B AMAKO D ’ABDERRAHMANE SISSAKO

Votre cour doit déclarer coupable la Banque mondiale et les autres, ses
complices, d’association de malfaiteurs. Le bilan est bien effrayant, les
chiffres sont meurtriers et les statistiques assassines ! Les statistiques parlent
et sont éloquentes sur la tragédie qui se déroule devant nous : ces vingt der-
nières années, des plans de destruction, des plans d’appauvrissement struc-
turel se sont mis en place alors que le taux moyen d’espérance de vie baissait
tragiquement : 46 ans.

Aujourd’hui on ne cesse de manipuler les chiffres du sida cyniquement


pour faire oublier que le taux de mortalité augmente par ailleurs et qu’il est
bien évidemment lié à la baisse significative du revenu par tête d’habitant.
La messe est dite ! Les plans d’ajustement structurel ont globalement échoué.
Ce sont 50 millions d’enfants africains dont la mort est programmée pour les
cinq prochaines années, ce sont 3 millions de morts du paludisme qui sont
programmées pour l’année prochaine.

Et on va dire, face à ces chiffres meurtriers, que la Banque mondiale et


les autres ont triomphé ? On ne peut pas le dire et on ne le dira pas. Et on le
dira d’autant moins que les plans d’ajustement structurel ont, de toute évi-
dence, mis l’Afrique dans un cercle tout aussi vicieux qu’absurde. Un cercle
qui a commencé, vous le savez, et la cour l’a parfaitement compris, par la
dette !
268

La dette est comme une pierre au cou de l’Afrique. La dette est comme
le signe de l’allégeance, de l’esclave à son maître. Ses chiffres parlent d’eux-
mêmes : 220 milliards de dollars en 2003 ! On sait par les dernières statis-
tiques, Monsieur le président, que si 4 dollars par tête d’habitant étaient rem-
boursés, 4 dollars resteraient encore à payer. Cette dette, elle a mis à genoux
et elle met à genoux l’Afrique ! Elle a mis à genoux l’Afrique parce qu’elle
lui vole sa souveraineté financière et son indépendance économique. Elle a
mis à genoux l’Afrique parce qu’elle a démantelé sa fonction publique. Elle
a mis à genoux l’Afrique parce qu’elle l’a obligée à brader ses services pu-
blics au mieux des intérêts des prédateurs financiers.

Elle a mis à genoux l’Afrique parce qu’elle a mis par terre certains de
ses hôpitaux publics. Elle a mis à genoux l’Afrique parce qu’elle a privatisé
l’école par la faiblesse des revenus conférés aux fonctionnaires publics. Elle
a mis à genoux l’Afrique et l’Afrique devient ainsi le miroir sinistre de ce
que le monde est en train d’écrire, c’est-à-dire un monde privatisé. Et dans
ce monde qui se privatise devant nous, la Banque mondiale, qui devrait être
la banque de l’Humanité, est devenue la banque de l’inhumanité !

Cette banque est devenue la banque de l’inhumanité parce qu’elle est


devenue le cheval de Troie du capitalisme financier. Alors évidemment, on
nous expliquera que la corruption est partagée entre les Africains et les Eu-
ropéens. Mais va-t-on dire, tout à l’heure de l’autre côté de la barre, que les
Africains ont inventé la corruption ? Va-t-on oublier que les corrupteurs
viennent des pays riches et jamais des pays pauvres ?

La boucle est ainsi bouclée ! On confond la cause et la conséquence. Le


meurtre ici se dédouble avec sa facette sinistre : le cynisme de la Banque
269

mondiale. Alors, loin de nous l’idée, Monsieur le président, Madame, Mon-


sieur, de prétendre que la Banque mondiale, comme le dieu Moloch, se nour-
rit des enfants africains, loin de nous l’idée de dire que la Banque mondiale
déteste l’eau potable. Évidemment que la Banque mondiale n’est pas animée
par un instinct de meurtre ! Mais la Banque mondiale est simplement la pierre
cardinale, le centre de gravité de ce capitalisme qui a perdu la tête parce qu’il
est devenu un capitalisme financier, un capitalisme prédateur, c’est-à-dire un
capitalisme qui ignore l’intérêt général pour organiser ce qu’il souhaite par-
dessus tout : fabriquer des profits à perpétuité !

Certes, la Banque mondiale cherche, de temps à autre, à s’humaniser.


Mais je vais donner un exemple de l’humanisation formidable de la Banque
mondiale. Qui a dit, il y a quelques jours à Paris, avec des larmes de crocodile
: « Chaque semaine 200 000 enfants de moins de cinq ans meurent dans le
monde en voie de développement » ? C’est Paul Wolfowitz [président de la
Banque mondiale de 2005 à 2007]. Vous savez Paul Wolfowitz, celui qui a
conceptualisé la guerre en Irak.

Une guerre dont le coût est supérieur au coût qu’il faudrait mettre pour
organiser la distribution de l’eau potable et sauver tous les malades du sida
en leur offrant des génériques. C’est lui, Paul Wolfowitz ! C’est lui qui a fait
semblant de pleurer dans une tribune à Paris, il y a quelques semaines. Alors
cessons ce bal des hypocrites, cessons ce bal maudit des prédateurs !

Arrêtons-nous un moment sur les derniers arguments de la Banque


mondiale. Il y aurait une « malédiction » sur l’Afrique. C’est ce miroir épou-
vantable que l’Europe réfléchit sur l’Afrique et qui, de temps en temps, pol-
lue quelques cerveaux, tue les consciences critiques ! L’Afrique serait vouée
270

au malheur, la pauvreté y serait aussi naturelle que le génocide tropical, l’es-


clavage, le néocolonialisme ! Et cette espèce de fatalité, on la trouverait éga-
lement dans cette certitude : l’Africain est toujours ignare. Et d’ailleurs, que
n’a-t-on entendu, il y a quelques jours, quand Mme Souko a déposé. Elle a
eu le toupet Mme Souko de dire qu’elle savait lire un bilan.

« Femme savante ! », a-t-on dit de l’autre côté de la barre ! « Femme


savante ! » Mais oui, les Africains, ils ne connaissent rien à la complexité du
monde ! Et puisqu’ils n’y connaissent rien, cela permet de disqualifier et de
délégitimer tout esprit critique.

Alors oui ! Vous allez déclarer coupable la Banque mondiale d’avoir


abusé de la confiance du peuple africain ! Oui ! Vous allez déclarer coupable
la Banque mondiale de non-assistance à peuple en danger ! Oui ! Vous allez
déclarer coupable la Banque mondiale de ne pas avoir respecté son mandat
d’origine, c’est-à-dire servir l’humanité ! Et ce faisant, vous allez rouvrir la
voie de l’utopie qui permet de dessiner un monde nouveau derrière les col-
lines ! L’utopie, qui est en quelque sorte ce bélier africain qui vient déchirer
la raison d’État du marché ! L’utopie, demain, pour éviter ce qui se prépare
dans les banlieues d’Abidjan ou du Caire.

C’est-à-dire des gamins ivres de pauvreté et de souffrance qui se trans-


forment en boules de feu. Vous allez donc déclarer coupable la Banque mon-
diale pour la faire redevenir une banque de l’Humanité. Vous allez déclarer
coupable la Banque mondiale pour les crimes d’inhumanité et de cynisme
qu’elle commet depuis vingt ans. Et évidemment, la seule peine possible,
c’est la peine la plus modeste, c’est la peine la plus douce, car Paul Wolfo-
witz, on ne va pas le jeter dans le Niger, les caïmans n’en voudront même
271

pas ! La peine qu’il faut prononcer, et c’est ce que nous vous demandons…,
ce sont des travaux d’intérêt général pour l’Humanité, à perpétuité.
272

PROCÈS BUKANGA LONZO


273

Plaidoirie de Maître NYABIRUNGU MWENE SONGA, du 08 no-


vembre 2021, relative à l’incompétence de la Cour constitutionnelle à l’égard
de l’ancien Premier Ministre MATATA PONYO
274

Nous, de la Défense du premier cité, l’ancien Premier Ministre MA-


TATA MPONYO MAPON, nous nous référons :

- à la requête n°2004/RMPI/000/PG.COUR.CONST/MOP/2021
aux fins de fixation d’audience signée par l’Officier du mi-
nistère public près la Cour constitutionnelle le 27 août 2021,
et ;

- à la citation à prévenu signifiée au premier cité en date du 13


septembre 2021 pour sa comparution à l’audience du 25 oc-
tobre 2021.

§1er. NOTE LIMINAIRE SUR L'ÉTAT DE DROIT

Préambule de la Constitution

« Animé par notre volonté commune de bâtir, au cœur de l’Afrique, un


Etat de droit et une Nation puissante et prospère, fondée sur une véritable
démocratie politique, économique, sociale et culturelle ».

Voici les enseignements qui peuvent être tirés de ce passage du préam-


bule :

1) Cela veut dire qu’à commencer par les juges, jusqu’au public,
en passant par les parties à la procédure, nous tous, sommes
portés par une volonté commune, celle de bâtir un Etat de
droit.
2) Cette volonté commune est d’une importance telle que l’Etat
de droit fait partie et est le premier élément de la définition
constitutionnelle de la République démocratique du Congo :
275

« La République démocratique du Congo est, dans ses frontières du 30


Juin 1960, un Etat de droit, … ».

3) Cet État de droit est conscient de lui-même et se situe au cœur


de l’Afrique. En d’autres termes, le Constituant a voulu que
cet Etat de droit soit un modèle et un moteur pour l’Afrique, et
l’Afrique est appelée à en témoigner.

Il s’agit d’une responsabilité librement assumée et dont nous sommes


redevables devant l’Afrique et le monde.

Quelle peut-être la meilleure institution pour s’acquitter de cette res-


ponsabilité à la fois redoutable et exaltante que vous, la Cour constitution-
nelle ?

Donc, c’est avec confiance que le Premier ministre honoraire se pré-


sente devant vous, dépositaires de la Constitution et garant de l’Etat de droit.

Et c’est avec confiance que le Premier ministre honoraire et ses avocats,


au nom du principe fondamental des droits de la défense, droit absolue et
non-dérogeable selon la Constitution de la République démocratique du
Congo, en son article 61, point 5, c’est avec confiance, disons-nous, que nous
allons présenter nos préalables pour un procès équitable à l’égard de notre
client

Avec déférence, nous ne pouvons perdre de vue que votre haute Cour
est à son premier dossier R.P., et qu’elle ne perdra point de vue qu’elle com-
mence à écrire une nouvelle page de l’histoire, une nouvelle page de son
histoire pénale, qui sera glorieuse car elle aura été écrite sous le sceaux de
l’équité, de la justice et de la vérité, piliers essentiels de tout Etat de droit.
276

§2. LES EXCEPTIONS RELATIVES À L'INCOMPÉTENCE DE LA


COUR

Nous sommes dans les années 1960.

Me NYMY, du Barreau de Kinshasa, comparaissant pour la défense


devant la Cour militaire de
Kinshasa……………………………………………………………………
….

Aujourd’hui, notre droit a évolué, la science juridique a évolué et les


animateurs de la science juridique ont évolué.

On peut dire de votre Cour que, dans cette affaire, elle est incompétente,
sans que cela vous offense.

Votre Haute Cour est incompétente, pourtant le Procureur Général per-


siste à soutenir le contraire.

Seulement à partir des intitulés des réquisitoires de l’officier du minis-


tère public, n’importe quel juge raisonnable aurait pu constater leur caractère
juridiquement insoutenable. Prenons les intitulés de ces réquisitoires, les uns
après les autres.
277

A. RÉQUISITOIRE DU 28 AVRIL 2021

Adressée aux Présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat

Sur quelle base juridique, sur quelle disposition de la Constitution ou


de la loi, un Procureur Général près la Cour Constitutionnelle, DONT LA
COMPÉTENCE PÉNALE EST STRICTEMENT LIMITÉE AU PRESI-
DENT DE LA RÉPUBLIQUE et au PREMIER MINISTRE EN FONC-
TION, peut-il oser requérir contre des parlementaires, en vue de leurs pour-
suites ou de leur mise en accusation ?

B. RÉQUISITOIRE DU 12 MAI 2021

L’officier du ministère public récidive et reprend les mêmes termes et


le même intitulé et les mêmes destinataires.

C’est aberrant, c’est écœurant, c’est simplement triste : du 28 avril 2021


au 12 mai 2021, l’officier du ministère public n’a toujours pas su se ressaisir
et persiste à poursuivre des parlementaires, sans foi ni loi, ni tout autre texte.

Et votre Cour, dont la compétence pénale se limite au Président de la


République et au Premier ministre en fonction, saura arrêter au bon moment,
et c’est le moment, une procédure qui ne peut, en aucun cas, prospérer devant
elle.

Cependant, dans ce réquisitoire, l’officier du ministère public, dans un


moment très court de lucidité juridique, écrit ce qui suit :

« En effet, le Sénateur MATATA PONYO MAPON n’est plus Pre-


mier ministre pour jouir des avantages prévus aux articles 166, al. 1 de la
Constitution et 80 de la Loi organique du 15 octobre 2013 portant organi-
sation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle ».
278

C. RÉQUISITOIRE DU 18 MAI 2021

L’officier du ministère public près la Cour Constitutionnelle lance un


réquisitoire tendant à obtenir l’autorisation de poursuivre des Sénateurs Au-
gustin MATATA PONYO MAPON et IDA KAMONDJI NASERWA.
Deux Sénateurs cités, un seul au prétoire.

En tout état de cause, y a-t-il meilleure preuve que l’Officier du minis-


tère public poursuit un Sénateur et non un Premier ministre ?

Poursuivant un Sénateur, peut-il l’attraire à la Cour Constitutionnelle


alors que celle-ci n’a des compétences qu’à l’égard du Président et du Pre-
mier ministre en fonction ? L’officier du ministère public a déjà répondu lui-
même par la négative lors de son deuxième réquisitoire.

Vous aurez remarqué, Honorable Président, Honorables Membres de la


Cour, que l’officier du ministère public est très fertile en réquisitoires, mais
tous incohérents, contradictoires, confusionnistes et indéfendables sur le
plan juridique. Nous sommes en face des monstres juridiques sans queue ni
tête, créés délibérément par l’officier du ministère public, qui n’ont aucune
raison d’être produits devant vous, et surtout qui n’ont aucune chance de
prospérer devant cette haute Cour. La Cour se déclarera incompétente, au
regard des articles 163, 164, 17, al. 2 et 62 de la Constitution, et 101, 102,
103 et 105 de la loi organique relative à la Cour constitutionnelle, soit 8 ex-
ceptions tirées des actes de violation de la Constitution et de la loi organique
portant organisation de la Cour constitutionnelle.
279

I. Exception d’incompétence de votre Cour, tirée de la violation de


l’article 163 de la Constitution

L’action publique engagée par l’officier du ministère public, l’a été en


violation de l’article 163 de la Constitution, pourtant si clair et si explicite :

« La Cour constitutionnelle est la juridiction pénale du Chef de l’Etat


et du Premier ministre dans les cas et conditions prévus par la Constitution
».

Où que l’on tourne son regard, et à part l’officier du ministère public,


nous ne pouvons voir ni un Président de la République ni un Premier ministre
dans cette salle. On est en présence d’un ancien Premier ministre.

En conséquence, votre Cour voudra bien se déclarer incompétente à


l’égard de l’action publique engagée contre l’ancien Premier Ministre MA-
TATA PONYO.

II. Exception d’incompétence de votre Cour, tirée de la violation de


l’article 164 de la Constitution

« La Cour constitutionnelle est le juge pénal du Président de la Répu-


blique et du Premier ministre pour des infractions politiques de haute trahi-
son, d’outrage au Parlement, d’atteinte à l’honneur ou à la probité ainsi que
pour les délits d’initié et pour les autres infractions de droit commun com-
mises dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions. Elle
est également compétente pour juger leurs co-auteurs et complices ».

Et c’est parce qu’il s’agit d’un Président ou d’un Premier ministre en


fonction que le Constituant, à l’article 167, al. 1er, a prévu qu’en cas de con-
damnation, le Président de la République et le Premier ministre sont déchus
de leur charge, déchéance prononcée par la Cour constitutionnelle.
280

C’est encore parce qu’il s’agit du Président de la République et du Pre-


mier ministre en fonction que, d’après l’article 167, al. 1er de la Constitution,
pour les infractions commises en dehors de l’exercice de leurs fonctions,
mais pendant qu’ils sont en fonction, les poursuites contre eux sont suspen-
dues jusqu’à l’expiration de leurs mandats, de même qu’est suspendue la
prescription.

Concrètement, l’officier du ministère public voudrait vous engager


dans une impasse : en effet, en cas de condamnation, la Constitution vous
demande de déchoir notamment le Premier ministre. Comment allez-vous
procéder pour déchoir quelqu’un qui n’a pas qualité de l’être ? En d’autres
termes, l’ancien Premier Ministre MATATA n’étant pas en fonction de Pre-
mier ministre, ne saurait, en aucun cas et en aucun moment, être déchu. Et si
vous ne me croyez pas, essayez de le déchoir.

C’est dire qu’à son égard, cette disposition est sans pertinence. Il ne
s’agit pas ici de s’engager dans des interprétations stériles d’un texte qui ne
reflète que des évidences : la déchéance ne concerne que le Président ou le
Premier ministre en fonction, et l’ancien Premier ministre MATATA PO-
NYO ne rentre pas dans cette hypothèse.

Aussi, votre Cour devra-t-elle constater et déclarer son incompétence à


juger l’ancien Premier Ministre MATATA PONYO.
281

III. Exception d’incompétence tiré des articles 1er et 7 de la loi


n°18/021 du 26 juillet 2018 portant statut des anciens Présidents
de la République élus et fixant les avantages accordés aux an-
ciens chefs de corps constitués

Une autre preuve irréfutable que l’article 164, al. 1er de la Constitution
concerne un Président de la République ou un Premier ministre en fonction
est la loi n° 18/021 du 26 juillet 2018 portant Statut des anciens Présidents
de la République élus et fixant les avantages accordés aux anciens chefs de
corps constitués.

En effet, l’article 1er de cette loi dispose comme suit :

« La présente loi fixe le statut des anciens Présidents de la République


élus. Elle détermine les règles spécifiques concernant leurs droits et devoirs,
le régime de leurs responsabilités, leur statut pénal ainsi que les avantages
leur reconnus. Elle détermine également les avantages et devoirs accordés
aux anciens Chefs de Corps constitués ».

Bien plus, l’article 7 de la même loi concerne le statut pénal d’un ancien
Président de la République :

« Tout ancien Président de la République élu jouit de l’immunité des


poursuites pénales pour les actes posés dans l’exercice de ses fonctions ».

Si la Constitution avait réglé les questions du statut pénal des anciens


Chefs d’Etat et Premier ministre, et de la compétence de la Cour constitu-
tionnelle à leur égard, non seulement elle l’aurait prévu expressément, mais
aussi la loi du 26 juillet 2018 n’aurait pas vu le jour. Elle est venue combler
un vide juridique, un cas qui, jusque-là, n’avait pas été prévu.
282

Il faut constater, d’abord, que tant en incriminant, en sanctionnant qu’en


édictant les règles de procédure, notamment aux articles 163 à 167, le cons-
tituant n’a jamais distingué le statut pénal de Président de la République et
celui de Premier Ministre.

On peut regretter que le législateur, ayant constaté la nécessité de pré-


ciser le statut d’un ancien Président de la République élu, n’ait pas pensé à
préciser celui d’un ancien Premier Ministre, en vue de sauvegarder la cohé-
rence juridique et l’équité.

Il n’est pas tard de combler une telle omission, soit par une législation
nouvelle, soit par votre audace de faire évoluer les institutions en étendant,
par analogie favorable à l’accusé, le statut pénal d’un ancien Président de la
République à un ancien Premier Ministre.

N’oubliez pas que c’est en vertu de l’interprétation analogique favo-


rable à l’accusé, que des notions telles que la légitime défense, l’état de né-
cessité et la contrainte irrésistible ont été, sans texte, bien accueillies, et pour
toujours, dans le droit positif congolais.

Et le droit comparé, en tant que source auxiliaire de la détermination de


la règle de droit applicable, nous renseigne sur le même phénomène de l’ana-
logie in favorem :

« Il est un cas où l’interprétation analogique est ouvertement admise


par la Cour de cassation : c’est celui où elle s’exerce en faveur du prévenu
et n’aggrave pas son sort. Ainsi, la chambre criminelle a généralisé les faits
justificatifs, les immunités ou les causes de non-culpabilité que les textes
avaient édictés dans des cas particuliers. Elle a étendu très tôt à l’abus de
confiance, à l’escroquerie des signatures, l’immunité entre parents et alliés,
édictée pour le vol par l’ancien article 380 du Code pénal. Elle a généralisé
283

à toutes les infractions la justification par la légitime défense, et sous la


pression des juges du fond, elle a généralisé la justification par l’état de
nécessité ».

IV. Exception d’incompétence tirée de son caractère d’ordre public

L’exception d’incompétence est le moyen dont le caractère d’ordre pu-


blic est le plus nettement affirmé. Les règles relatives à la compétence des
juridictions répressives, que celle-ci soit matérielle, territoriale ou person-
nelle, sont toujours d’ordre public.

Il en est ainsi, à plus forte raison, lorsque les règles de compétence sont
posées par la Constitution. La sanction de toute violation des règles consti-
tutionnelles, c’est la nullité.

Votre Cour ne saurait recevoir des actions dont la base réside dans la
violation de la Constitution.

Bien plus, en tant que moyen d’ordre public et impératif, votre haute
Cour, à l’instar de tout autre juge, a l’obligation de le soulever d’office, c’est-
à-dire de sa propre initiative, sans qu’il soit besoin de statuer sur d’autres
moyens, et d’annuler notamment l’action publique vantée devant elle, en
violation de la Constitution.

La Chambre criminelle de la Cour de cassation française a toujours jugé


que la cassation devait s’étendre à toutes les parties, y compris celles n’ayant
pas produit de mémoire, en cas de violation des règles d’ordre public, telles
que, notamment, les règles sur la composition et la compétence des juridic-
tions.

Au demeurant, la pratique montre que, de lorsqu’un moyen d’ordre pu-


blic est caractérisé, la Chambre criminelle le relève d’office.
284

Pour toutes les exceptions d’incompétence soulevées, votre Cour se dé-


clarera incompétente.

§3. EXCEPTIONS D'IRRECEVABILITÉ

Et si, par impossible, votre Cour devait se déclarer compétente - quod


non -, l’action de l’officier du ministère public près votre Cour serait irrece-
vable.

A. Exception d’irrecevabilité de la présente cause de-


vant votre Cour, tirée de la violation de l’article 166, al. 1er de la
Constitution et de l’article 80 de la loi organique relative à la
Cour constitutionnelle

1°. L’article 166, al. 1er de la Constitution dispose comme suit :

« La décision de poursuite ainsi que la mise en accusation du Président


de la République et du Premier ministre sont votées à la majorité de deux
tiers des membres du Parlement composant le Congrès suivant la procédure
prévue par le Règlement intérieur ».

2°. L’article 80 de la loi organique relative à la Cour constitutionnelle


dispose comme suit :

« La décision de poursuites et la mise en accusation du Président de la


République ou du Premier Ministre sont votées à la majorité de deux tiers
des membres du Parlement réunis en Congrès ».

Il nous est difficile de comprendre que, face à une telle clarté des textes,
l’officier du ministère public cherche à créer la confusion, et notre devoir est
de dénoncer son audace d’engager l’action publique sans texte, sans aucun
respect des textes, c’est-à-dire, en violation de la Constitution et des lois de
285

la République. Il défie le constituant, et en même temps, met votre Cour dans


une situation très embarrassante, à savoir : juger un Premier ministre sans
voir gésir au dossier un vote à la majorité de deux tiers des membres du Par-
lement composant le Congrès décidant des poursuites ainsi que de la mise en
accusation.

Votre Cour déclarera l’action publique irrecevable.

B. Exception d’irrecevabilité de la présente cause devant votre


Cour, pour violation des articles 100 à 105 de la loi organique re-
lative à l’organisation et au fonctionnement de la Cour constitu-
tionnelle

Au cas où l’exception d’irrecevabilité de l’action publique de l’officier


du ministère public sur la base de l’article 166, al. 1er de la Constitution ne
serait pas comprise, le législateur lui-même, par sa loi organique, en ses ar-
ticles 100 à 105, précise la procédure à suivre en cas d’infractions commises
dans ou à l’occasion de l’exercice des fonctions de Président de la Répu-
blique ou de Premier ministre.

I. Irrecevabilité tirée de la violation de l’article 101 de la loi orga-


nique

Ainsi, à l’article 101, il est disposé comme suit :

« Si le Procureur Général estime devoir poursuivre le Président de la


République ou le Premier Ministre, il adresse au Président de l’Assemblée
Nationale et au Président du Sénat une requête aux fins d’autorisation des
poursuites. L’autorisation est donnée conformément aux dispositions de
l’article 166, alinéa 1er de la Constitution ».
286

Au regard de ce texte, quelles sont, dans le cas d’espèce, les obligations


qui pèsent sur le Ministère public ?

Cette question, l’officier du Ministère public ne se la pose pas, con-


vaincu, sans doute avec beaucoup de bonne volonté, qu’être organe de la loi,
c’est vivre au-dessus de la loi. Et pourtant, deux obligations précises pèsent
sur lui :

1°. Produire ici la requête qu’il a adressée au Président de l’Assemblée


Nationale et au Président du Sénat, aux fins d’autorisation des poursuites du
Premier Ministre. Je ne dis pas ancien Premier Ministre, parce que l’officier
du Ministère Public est convaincu que Monsieur MATATA PONYO est
toujours un Premier Ministre en fonction ;

2°. Produire cette autorisation de poursuivre un Premier Ministre en


fonction. On a beau chercher, mais, jusqu’à ce jour, et jusqu’au moment où
nous parlons, il n’existe au dossier aucune autorisation émanant de ces deux
Présidents du Parlement.

Il y a donc irrecevabilité tirée de la violation de l’article 101 de la loi


organique relative à la Cour constitutionnelle.
287

II. Irrecevabilité tirée de la violation de l’article 102 de la loi orga-


nique

A l’article 102, il est disposé comme suit :

« Si le Congrès autorise les poursuites, l’instruction préparatoire est


menée par le Procureur Général. Les règles ordinaires de la procédure pé-
nale sont applicables à l’instruction préparatoire… ». « Si le Congrès auto-
rise les poursuites ». Cette condition a-t-elle été remplie ? Non.

Au dossier, nous n’avons pas l’autorisation des poursuites du Congrès.


Et pourquoi alors, et sur quelle base, le Procureur Général a-t-il mené l’ins-
truction préparatoire ? Toujours ce même défaut de se croire au-dessus de la
loi. Avec le risque permanent de la violer.

Dans ces conditions, votre Cour n’aura qu’à conclure à l’irrecevabilité


de l’action initiée par l’officier du Ministère Public.

III. Irrecevabilité tirée de la violation de l’article 103 de la loi orga-


nique

A l’article 103, il est disposé comme suit :

« A la clôture de l’instruction pré juridictionnelle, le Procureur Géné-


ral adresse un rapport au Président de l’Assemblée Nationale et au Prési-
dent du Sénat, éventuellement accompagné d’une requête aux fins de solli-
citer du Congrès la mise en accusation du Président de la République ou du
Premier Ministre. Dans le cas où le Congrès adopte la résolution de mise en
accusation, le Procureur Général transmet le dossier au Président de la
Cour par une requête aux fins de fixation d’audience. Il fait citer le prévenu
et, s’il y a lieu, les coauteurs et/ou complices ».
288

L’action de l’officier du Ministère Public sera déclarée irrecevable, car


aucun document exigé par la présente disposition organique ne gît au dossier
:

- Ni le rapport du Procureur Général au Président de l’Assemblée


Nationale et au Président du Sénat, à la clôture de l’instruction
pré juridictionnelle ;

- Ni une requête aux fins de solliciter du Congrès la mise en accu-


sation du Premier Ministre ;

- Ni la résolution de mise en accusation du Premier Ministre adop-


tée par le Congrès.

Ainsi, dès le départ, c’est-à-dire maintenant, la requête aux fins de fixa-


tion d’audience doit être déclarée irrecevable.

C. Exception d’irrecevabilité de la présente action devant votre Cour,


tirée de la violation de l’article 17, al. 2 de la Constitution et du prin-
cipe général du droit selon lequel « nullum judicium sine lege »

En effet, notre Constitution, en son article 17, al. 2 dispose comme suit

« Nul ne peut être poursuivi, arrêté, détenu ou condamné qu’en vertu


de la loi et dans les formes qu’elle prescrit ».

En disposant ainsi, le législateur suprême n’a fait que confirmer le prin-


cipe de la légalité de la procédure contenue dans la maxime latine « nullum
judicium sine lege », et qui veut que toute procédure soit nulle, qui n’a pas
respecté les formes prescrites par la loi.

Le caractère équitable du procès suppose la légalité de la procédure.


L’exigence de de légalité de procédure pénale relève en effet de l’exigence
289

de procès équitable. « L’exigence de la légalité de la procédure constitue


l’un des aspects les plus fondamentaux de l’exigence d’un procès équitable
».

En violant de manière répétée les règles de compétence et de procédure


expressément prévues par la Constitution et la loi, l’action publique initiée
par l’officier du ministère public, ne mérite qu’une sanction : l’irrecevabilité
pour violation du principe de la légalité de la procédure pénale et des exi-
gences d’un procès équitable.

D. Exception d’irrecevabilité de la présente action devant votre Cour,


tirée de la violation de l’article 62 de la Constitution

L’article 62 de la Constitution dispose ainsi :

« Nul n’est censé ignorer la loi. Toute personne est tenue de respecter
la Constitution et de se conformer aux lois de la République ».

La présomption de la connaissance de la loi est une présomption simple,


c’est-à-dire qu’elle peut être renversée par une preuve contraire ou pour une
raison vraisemblable.

Par contre, lorsqu’il s’agit d’un professionnel de la loi, et, à plus forte
raison, de l’organe de la loi, la présomption devient irréfragable, et toute er-
reur de droit dans son chef est une faute professionnelle grave, un dol ou une
intention délibérée de violer la loi.

Dans le cas d’espèce, l’intention de violer la loi, à commencer par la loi


suprême, est, dans le chef du Procureur Général près la Cour constitution-
nelle, manifeste et délibérée, vu son caractère répétitif, persistant, et sans
aucune repentance à aucun stade de la procédure.
290

Pour l’organe de la loi, applicateur de la loi de par sa fonction, ayant


l’obligation de la respecter et de la faire respecter, la sanction la plus appro-
priée, dans le cas d’espèce, est de déclarer irrecevable son action publique
initiée et conduite en violation intentionnelle de la Constitution et des lois de
la République.
291

A CES CAUSES,

Sous toutes réserves généralement quelconques ;

Plaise à la Cour ;

De dire recevables et totalement fondés les préalables ainsi développés


par le plaidant, en conséquence :

- A titre principal, se déclarer incompétente à examiner la pré-


sente action,

• Frais comme de droit ;

- A titre subsidiaire, décréter l’irrecevabilité de la présente action


;

• Frais comme de droit ;

Et ce sera justice.

Fait à Kinshasa, le 08/11/ 2021


292

BIBLIOGRAPHIE

I. Textes Juridiques
● Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février
2006 telleque modifiée par la loi N°11|002:du 20 janvier 2011 portant
révision de certainsarticles de la Constitution du 18 février 2006, in
J.O.R.D.C, 52ème année, N°spécial, 05 février 2011.
● Loi organique N°13|011-B du 11 avril 2013 portant organisation,
fonctionnement et compétences des juridictions de l'ordre judiciaire,
in J.O.R.D.C, 54ème année, 04 mai 2013.
● Décret du 06 août 1959 portant code de procédure pénale, in
J.O.R.D.C, 52ème année, N° spécial, 01 août 2006.
● Décret du 30 janvier 1940 portant code pénal Congolais, modifié et
complété par les loi N°06|018 du 20 juillet 2006, in J.O.R.D.C, 47ème
année, N° spécial, 01 août 2006, N°15.
II. Doctrine
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● AMOSSY R, L'argumentation dans le discours, Paris, Armand Colin,
2016.
● BASUE KAZADI G, Introduction générale à l'étude du Droit. Partie
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● BERGEI J-L, Théorie générale du Droit, « Méthode du Droit », 4°
édition, Paris, Dalloz, 2003.
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édition, Paris, Dalloz, 2008.
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● BOULOC B, Droit pénal général, 25 édition, Paris, Dalloz, 2017.
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dure pénale, 21° édition, Paris, Dalloz, 2022.
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297
298

INDEX ALPHABÉTIQUE

Les numéros indiqués renvoient aux pages.

audience foraine, 89
A audience itinérante, 89
audience pénale, 78
A domino, 152 audiencer, 77
A posteriori, 151 Avocat, 115, 119, 132, 133, 134, 135,
A priori, 151 137, 138, 139, 140, 141, 142, 228
Ab initio, 150 avocat simulé, 158
Actio in personem, 151 avocature, 57
Actio in rem, 152
Actio redhibitoria, 152 B
action publique, 69, 70, 71, 75, 136,
281, 285, 287, 291, 292 bâtonnier, 130, 190
actori incumbit probatio, 145 Bonus pater familia, 151
Actori incumbit probatio, 148
actus reus, 110 C
Ad agendum, 152
Ad exhibendum, 152 Casus, 75, 151
Ad gustum, 152 Causa, 151
Ad litem, 148 causa proxima, 101
Ad nutum, 148 citation directe, 80, 103, 137
Ad probationem, 152 co-auteur, 71
Alger, 189, 255 Code civil, 99, 219, 250
Algérie, 189, 190, 192, 193, 195, 196, Code de Procédure Pénale, 118
241, 254 Code Pénal, 118, 141
Animus domini, 150 common law, 53, 55
Animus donandi, 150 complice, 71, 100, 201
Animus juris, 151 Constitution, 115, 116, 118, 119, 120,
Animus novandi, 151 121, 122, 125, 126, 145, 276, 277,
Animus possidendi, 151 279, 280, 281, 282, 283, 285, 286,
appel, 25, 27, 36, 70, 79, 80, 81, 84, 88, 287, 288, 290, 291, 292, 294
90, 113, 144, 173, 181, 183, 188, 190, Contra legem, 152
218, 222, 238, 253, 263, 264 Corpus certum, 152
argumentation, 8, 29, 31, 57, 58, 59, 60, Corpus delicti, 152
61, 62, 63, 64, 92, 93, 227, 260, 294, coup d’État, 189
296 coups et blessures, 109, 112
Aristote, 61 Culpa, 153
audience civile, 79
299

D Expressis verbis, 154

dans le fond du sac, 186 F


De cujus, 148
De facto, 153 fait justificatif, 112
De in rem verso, 153 faute, 39, 97, 99, 100, 102, 107, 137,
De jure, 153 198, 291
De lege ferenda, 153 faute médicale, 100
De lege lata, 153 France, 36, 56, 104, 106, 166, 167, 169,
De plano, 149 171, 172, 173, 174, 179, 180, 181,
débat oral, 73 183, 189, 192, 193, 194, 195, 196,
Debitum, 153 197, 198, 203, 206, 216, 218, 222,
décision conséquence, 114 223, 224, 226, 227, 233, 236, 237,
défenseur judiciaire, 119, 122, 123, 125, 239, 241, 244, 245, 247, 251, 254,
127, 128, 132, 133, 134, 135, 137, 255, 258, 259, 262, 264, 265, 266,
138, 139, 140, 141, 142, 143 267, 269
délai raisonnable, 118, 119, 126, 140 Fraus omnia corrumpit, 148
détention provisoire, 117, 126
devoir de courtoisie, 128 G
devoir de dignité, 128
Gratis, 154
devoir de probité, 128
devoirs d’information, 125
H
Dies a quo, 149, 153
Dies ad quem, 150 Hic et nunc, 154
dilligenter, 86 Honoris causa, 154
dol, 112, 291
dol aggravé, 112 I
dol simple, 112
dommage, 48, 71, 98, 99, 100, 101 in dubio pro reo, 144
droit à un avocat, 122 In factum, 154
droit à un procès équitable, 118 In fine, 154
In futurum, 155
E In globo, 155
In ilo tempore, 149
encadrer, 55 In limine litis, 149
Erga omnes, 150 In solidum, 155
Etat, 54, 69, 276, 277, 278, 281, 283 indépendance, 125, 138, 140, 189, 241,
Ex aequo et bono, 148 265, 271
Ex nunc, 150 Infra, 154
Ex pari causa, 154 infraction, 54, 56, 66, 67, 68, 69, 71, 75,
Ex tunc, 154 77, 82, 100, 102, 103, 104, 105, 106,
Exceptio non adimpleti contractus, 149 107, 108, 109, 110, 111, 112, 116,
300

117, 120, 121, 122, 124, 137, 144, N


145, 146, 147
Inter alios, 155 nullum crimen, nulla poena sine lege,
Interim, 155 121
Intuitu pecuniae, 155 Nullum crimen, nulla poena sine lege,
Intuitu personnae, 149, 155 148
Ipso facto, 155
O
J
Olympe, 185, 187
Juge, 118, 122, 123 opposition, 55, 101, 110, 113, 202, 257
Jus sanguinis, 155 Opus citatum, 157
Jus soli, 155 Ordonnance-loi, 123, 131

L P

Lapsus calami, 156 par application du principe du


Lapsus linguae, 156 précédent, 55
Lato sensu, 156 partie civile, 79, 84, 85, 133, 137, 146,
le juge de l'action est le juge de 147, 259, 260, 261, 266
l'exception, 76 peine, 67, 69, 76, 88, 93, 104, 105, 112,
Lex, 156, 157 121, 122, 123, 124, 139, 140, 142,
Lex contractus, 156 146, 148, 167, 182, 187, 189, 199,
Lex fori, 156 201, 202, 203, 204, 205, 206, 207,
Lex loci actus, 156 208, 209, 210, 211, 212, 213, 234,
Lex loci delicti, 156 237, 254, 260, 262, 263, 273
Lex rei sitae, 156 Persona grata, 158
Lex specialis, 157 Persona non grata, 158
loyauté, 125, 127, 177 personne morale, 70
Lucrum cessans, 148 Phipson on evidence, 55
plaidé-coupable, 141
M plaidoirie, 29, 59, 64, 74, 85, 92, 93, 94,
95, 96, 119, 135, 136, 139, 146, 158,
Manu militari, 156 160, 168, 184, 190, 201, 216, 242,
masturbation intellectuelle, 58, 59 254
mens rea, 110 plénitude, 70, 243
mobile, 102 Post mortem, 158
Motivation, 113, 114 préjudice, 71, 98, 99, 112, 119, 137,
Motivation en Droit, 114 146, 147, 297
Motivation en fait, 114 présomption d’innocence, 116, 117,
Motu proprio, 150 145, 146
Mutatis mutandis, 131, 157 prétentions, 87, 92, 93, 114, 122
Prima facie, 149
301

principe dispositif, 87 Res nullius, 149


pro deo, 123 Res publica, 158
Pro rata temporis, 158 responsabilité pénale, 67, 70, 120
procédure civile, 86, 87, 126 romano-germanique, 55
procédure contradictoire, 87 Rugby, 183
procès, 8, 16, 17, 20, 21, 22, 23, 29, 34,
53, 54, 56, 59, 62, 65, 66, 67, 69, 71, S
73, 74, 75, 77, 79, 80, 81, 84, 85, 86,
87, 115, 116, 118, 125, 126, 130, 135, Saperlipopette, 160, 162
138, 140, 141, 148, 158, 159, 161, Saperlotte, 162
166, 167, 183, 185, 188, 201, 202, Sine die, 150
226, 227, 231, 234, 240, 241, 242, Sine qua non, 157
246, 254, 259, 265, 268, 277, 290, societas non delinquere potest, 70
291 Solvens, 157
procès équitable, 81, 118, 125, 277, Stricto sensu, 150
290, 291 style libre, 114
procès-verbal, 79, 116 subsidiarisé, 63
Prorata temporis, 150 suspicion légitime, 140

Q T

Quid juris, 158 Tribunal de paix, 84

R U

raisonnabilité, 101 Ultra petita, 149


Ratio legis, 158 Usus, 157
Ratione loci, 157 Uti singuli, 157
Ratione materiae, 157
Ratione personae, 157 V
Rebus sic stantibus, 149
vérité judiciaire, 57, 62
réquisitoire, 29, 113, 114, 170, 187,
279, 280

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