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Construire

une pratique
réflexive
Pédagogies en développement

Collection dirigée par


Jean-Marie De Ketele
PÉDAGOGIES EN DÉVELOPPEMENT
Construire
une pratique
réflexive
Comprendre et agir

Yann Vacher

Préface de Marguerite Altet

2e édition actualisée
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de spécialisation, consultez notre site web : www.deboecksuperieur.com

© De Boeck Supérieur s.a., 2022 2e édition


rue du Bosquet, 7 – B-1348 Louvain-la-Neuve

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par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans
une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de
quelque manière que ce soit.

Dépôt légal :
Bibliothèque nationale, Paris: mai 2022 ISSN 0777-5245
Bibliothèque royale de Belgique, Bruxelles: 2022/13647/061 ISBN 978-2-8073-3537-0
S O M M A I R E

AVANT-PROPOS DE LA DEUXIÈME ÉDITION ....................................................... 7

PRÉFACE À  LA  PREMIÈRE ÉDITION .................................................................... 9

INTRODUCTION .............................................................................................. 13

CHAPITRE 1
Définir la pratique réflexive ..................................................... 21
CHAPITRE 2
Vers la conception de dispositifs de développement
de la pratique réflexive :
conditions et variables de mise en œuvre......................... 61
CHAPITRE 3
Concevoir des dispositifs de développement
de la pratique réflexive : principes et cadre général .... 81
CHAPITRE 4
Illustration de la conception d’un dispositif
de formation : ARPPEGE........................................................... 109
6 Construire une pratique réflexive

CHAPITRE 5
Former un praticien réflexif :
effets du dispositif ARPPEGE ................................................. 141
CHAPITRE 6
Former un praticien réflexif : synthèse et limites ........ 219
POUR NE PAS CONCLURE… .......................................................................... 231

BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................ 237

TABLE DES SIGLES ........................................................................................ 247

LISTE DES GRAPHIQUES, FIGURES ET TABLEAUX............................................... 248

TABLE DES MATIÈRES ................................................................................... 251


A V A N T- P R O P O S
D E L A D E U X I È M E
É D I T I O N

Depuis la première édition de cet ouvrage, l’usage des concepts de


pratique réflexive et de réflexivité n’a cessé sa progression. L’exemple le
plus frappant de cette expansion est celui de l’éducation. Alors qu’au début
des années 2010, le concept de praticien réflexif faisait son apparition dans
les référentiels de compétence des enseignants, c’est désormais dans la
définition de l’élève à former que l’on trouve le terme (Bucheton, 2019).
Cette inflation de l’usage est largement confirmée si l’on place une alerte
sur ces concepts dans un moteur de recherche. Les domaines qui mobilisent
ces termes sont très hétérogènes et la plupart des champs scientifiques ou
professionnels évoquent à un moment ou à un autre le processus réflexif.
Peu d’entre eux cependant en proposent des définitions approfondies.
Comme d’autres auteurs, nous avions mis en lumière en 2015 cet usage
extensif et la nécessité d’en clarifier le contenu.
En ce qui concerne les contenus de notre livre, nous avons constaté
qu’ils étaient cités fréquemment. Parfois (souvent ?) ces citations demeuraient
superficielles. Le(s) concept(s) étant à la mode et le livre proposant quelques
définitions « passe-partout », le risque était bel et bien réel. Notre intention
initiale était pourtant au contraire de fournir un approfondissement de l’étude
du champ, de permettre aussi de clarifier les démarches de conception et de
mise en œuvre de dispositifs de formation ou d’accompagnement.
Les précautions prises, tant sur le plan formel que sur le fond, dans
la première édition, ne semblaient cependant pas encore suffisantes pour
garantir un usage en cohérence avec notre conception. Cette deuxième
édition s’est présentée comme l’opportunité de tenter de répondre à ces
8 Construire une pratique réflexive

« lacunes ». Mais ce travail d’actualisation n’est pas le seul produit de cette


volonté de clarification, c’est aussi le fruit d’une maturation des concepts
et de leur confrontation à de multiples situations. Nos interventions en
conférence, en formation et en accompagnement dans divers contextes
(en France et à l’étranger) nous ont permis d’affiner notre conceptualisation.
En mettant en débat les contenus de la précédente édition, nous avons pu
les faire évoluer en partie. Rien de l’éthique générale n’a cependant été
modifiée. L’accompagnement de l’émancipation des acteurs et la valorisation
de l’altérité demeurent les fondements de notre approche.
Fort de cette intention de clarification et d’approfondissement, les
principales évolutions que vous trouverez dans cet ouvrage se situent dans
les quatre premiers chapitres. Le point le plus saillant que nous mettons
en lumière est lié à l’exploration plus poussée des processus et objets
de la réflexivité. La délimitation de périmètres et de contenus plus fins
apporte selon nous un éclairage susceptible de favoriser des usages plus
en congruence avec notre conception. De ce fait, les précisions proposées
sont peut-être de nature à ancrer encore plus les contenus de l’ouvrage
dans une philosophie particulière, limitant partiellement un usage super-
ficiel de ces derniers. Le développement de cette philosophie centrée sur
le pouvoir d’agir des professionnels est exposé dans un ouvrage qui consti-
tue un complément fonctionnel à cette édition : Comment accompagner
avec l’analyse de pratiques professionnelles ? (Boucenna, Thiébaud
et Vacher 2022).
Bonne lecture !
P R É F A C E
À  L A  P R E M I È R E
É D I T I O N

Comprendre ce qu’est la pratique réflexive et agir pour sa construc-


tion et son développement  : les deux enjeux de l’ouvrage sont clairement
présentés par Yann Vacher dans le titre et atteints dans cet ouvrage impor-
tant et novateur.
Avec la tendance contemporaine de la professionnalisation en for-
mation d’adultes, d’enseignants, la pratique réflexive est jugée comme une
condition indispensable pour former des professionnels, et pourtant cette
pratique ne va pas de soi, il y a des « obstacles et des résistances » à sa
mise en œuvre (Altet et al., 2013).
À cet égard, l’intérêt majeur de cet ouvrage original est justement
de montrer que la pratique réflexive est le résultat d’une construction, d’une
expertise et permet un processus de développement professionnel si les
conditions de sa mise en place sont remplies ; Yann Vacher par ce livre qui
traduit son travail de formateur-chercheur fait vraiment avancer concrète-
ment la question de la réflexivité en formation d’enseignants.
Replaçant l’engouement de ces dernières décennies pour cette pra-
tique réflexive dans le contexte des nombreuses réformes de la formation
des enseignants dans le monde, à partir du constat de l’inefficacité des
formations traditionnelles trop théoriques, Yann Vacher va tout d’abord ana-
lyser derrière les injonctions, les différentes conceptions de la réflexivité et
clarifier la définition du « praticien réflexif » par un travail de documentation
approfondi et de théorisation.
10 Construire une pratique réflexive

Mais la grande force de cet ouvrage, qui arrive à point nommé, tant
pour les chercheurs que pour les formateurs, c’est qu’il articule la clarifi-
cation des concepts clefs autour de la réflexivité et l’opérationnalisation
des conditions de mise en œuvre de la pratique réflexive : du concept à la
mise en œuvre pratique, c’est ce cheminement que nous fait partager Yann
Vacher à travers la présentation des conditions nécessaires à des dispositifs
de formation favorisant la réflexivité, qu’il a testées et évaluées, pour per-
mettre à des enseignants débutants de construire des stratégies d’analyse
des pratiques et de développer la pratique réflexive. La pratique réflexive,
qui nécessite un recul par rapport à l’action, n’est pas donnée d’emblée et
l’auteur va montrer le rôle d’un ensemble d’exigences, de conditions et de
variables nécessaires à sa construction : l’engagement personnel de l’acteur,
un contrat de formation clarifié, mais aussi sécurisé, un entraînement, du
temps, une médiation de la réflexion sous différentes formes, écrits, entre-
tiens, analyses en groupes de pairs, c’est-à-dire la mise en œuvre d’autres
pratiques de formation.
Dans ce livre, l’auteur va articuler le cadre conceptuel du « praticien
réflexif » à la conception de dispositifs de formation à partir de la mise en
œuvre d’un dispositif inédit qu’il a théorisé, testé et évalué : ARPPEGE. La
description fine de ce dispositif, de son fonctionnement va lui permettre
d’expliciter en quoi ce dernier peut favoriser le développement d’une pra-
tique réflexive chez des enseignants en formation à partir d’une démarche
dans laquelle les étudiants parviennent à investir la pratique réflexive.
Si le terme de « praticien réflexif » recouvre, comme le rappelle fort
justement Yann Vacher, « une multitude d’options et de sens », la diffusion
du concept par D. Schön dans le domaine de l’éducation, a participé à « un
grand virage réflexif » (Tardif, 2012) et en a fait un paradigme clef de la for-
mation contemporaine des enseignants en montrant l’intérêt d’une construc-
tion des savoirs professionnels d’un métier par l’action et la réflexion dans et
sur l’action. La tendance internationale du courant de la professionnalisation
des enseignants pour répondre à la prise en compte de la complexité de
plus en plus grande du métier a impliqué le choix de l’option constructi-
viste et développé l’importance du rapport actif du sujet au monde et du
couple « faire ET comprendre ». L’auteur va préciser la distinction essentielle
entre activité réflexive, posture et pratique, démarche intentionnelle à visée
praxique englobant l’activité réflexive.
Yann Vacher montre que par rapport à un modèle de formation
applicationniste, qui se contente de faire appliquer des règles préétablies,
une formation centrée sur le développement d’une pratique réflexive vise
non seulement « une action plus efficace parce que réfléchie », mais aussi
« Une meilleure validité du cadre interprétatif professionnel ». La réflexion
sur les pratiques conduit à la transformation des pratiques par un détour
Préface à la première édition 11

du « savoir-analyser » construit en formation qui permet de faire face à la


complexité des tâches par la compréhension des liens entre elles et facilite
ainsi l’adaptation aux situations professionnelles variées rencontrées.
L’auteur reprend en les développant concrètement les dix raisons
évoquées par Perrenoud pour opter pour une pratique réflexive. Dans cet
ouvrage, la construction de la pratique réflexive en formation prend corps
et est précisée à partir des processus qui la composent  : le temps de la
réflexion, la nature des processus cognitifs –  réfléchissement, réflexivité,
réflexion, métaréflexion –, la structuration de la démarche. L’auteur passe
aussi en revue les multiples objets de l’analyse réflexive du travail réel du
métier d’enseignant. Il illustre fort bien une pratique en équilibre entre
implication de l’acteur et explication par l’acteur et ses pairs, pratique qui
ne peut que se construire progressivement dans un processus continu de
développement professionnel à partir d’une « prise de conscience » en for-
mation initiale.
La pratique réflexive est certes un outil d’analyse de pratiques, mais
l’analyse de pratiques est d’abord un moyen de construction de la pratique
réflexive. « Agir et comprendre » dans l’immédiat de l’action pour prendre
conscience de son action, la comprendre et se transformer dans le futur,
c’est ce que montrent plusieurs chapitres de l’ouvrage ; car ce qui est aussi
visé par cette formation réflexive, c’est l’autonomisation du sujet « praticien
réflexif » défini par Yann Vacher comme « une personne capable de dévelop-
per une réflexion systématique, reproductible, évolutive et autonome pour
agir et se transformer ».
Cependant, les formateurs savent bien qu’en formation initiale le
public d’enseignants débutants survalorise la maîtrise des savoirs discipli-
naires ; c’est pourquoi, pour concevoir des dispositifs de formation au service
du développement de la pratique réflexive, Yann Vacher insiste sur trois
objectifs nécessaires à sa construction :
• « développer les capacités d’analyse,
• construire une capacité à travailler en équipe,
• construire un confort de formation, une sécurisation ».
Et il rappelle que l’atteinte de ces objectifs nécessite le respect de
deux principes :
• prendre en compte la logique des acteurs et de l’Institution et clari-
fier le contrat de formation ;
• s’appuyer sur les processus cognitifs, l’émergence de décalages
entre le prescrit, le souhaité et le réalisé, la prise de conscience, la
décentration.
Ainsi, c’est la grande richesse de cet ouvrage que d’illustrer concrè-
tement, étape par étape, cette démarche du processus de construction de la
12 Construire une pratique réflexive

pratique réflexive. Yann Vacher présente, analyse et évalue la conception et


la mise en œuvre d’un dispositif de formation initiale qu’il a testé sur deux
années dans un Institut de formation, le dispositif « ARPPEGE » (Analyse
Réflexive de Pratiques Professionnelles En Groupe d’Échanges), et montre
comment ce dispositif permet la prise de conscience des pratiques et la
formalisation d’une compréhension commune par le groupe ; car l’importance
du travail collectif de co-formation entre pairs est fortement soulignée.
L’auteur décrit finement les séances, les règles, les étapes, les phases,
ce qui permet au lecteur de visualiser un dispositif concret. Puis il rapporte
l’étude évaluative menée sur les effets de l’outil ARPPEGE qui a fait l’objet
d’une thèse de grande qualité (Vacher, 2010), résultats qui attestent et valident
les effets réels du dispositif sur la construction et le développement de la
pratique réflexive, et témoignent de l’intérêt de construire par la réflexivité un
autre rapport à la pratique enseignante en développant une attitude prudente
« de problématisation » des situations professionnelles, une nouvelle praxis.
Cet ouvrage révèle aussi qu’au-delà des injonctions l’entrée dans la
pratique réflexive de débutants nécessite une transformation en profondeur
des pratiques de formation avec une alternance intégrative et un ancrage
dans les pratiques effectives, si l’on veut développer la capacité à s’investir
pour affronter la complexité, à agir, à la comprendre pour la transformer ; le
dispositif proposé dans l’ouvrage sert à construire des liens entre acquisition
d’apports, transformation des pratiques et développement professionnel.
Car ce n’est pas le moindre intérêt de cet ouvrage que de montrer
les liens entre pratique réflexive, développement professionnel et innovation !
Pour toutes ces raisons, l’apport de l’ouvrage de Yann Vacher est
décisif, car, à la fois il fonde théoriquement un dispositif de formation en en
montrant les exigences et surtout il présente une opérationnalisation pour
mettre en œuvre la pratique réflexive, qui concerne les chercheurs et les
formateurs et leur permet à leur tour de mettre en place les conditions de
développement d’une pratique réflexive en formation !
Gageons que ce témoignage donnera envie à des formateurs d’expé-
rimenter ces nouvelles expériences de formation à la réflexivité qui mettent
au centre du dispositif l’engagement de l’enseignant qui se forme et la
nécessaire transformation des pratiques des formateurs !
Marguerite ALTET
Professeure émérite de l’Université de Nantes
I N T R O D U C T I O N

Pratique déstabilisante pour les formés autant que pour les forma-
teurs ou les institutions, pratique revendiquée, pratique invoquée, pratique
recommandée… Le concept de pratique réflexive fait désormais partie du
paysage de la formation des adultes.
Le présent ouvrage participe, avec d’autres, à la tentative d’éclairage
de ce paradigme riche, parfois confus, mais bien réel dans les textes, dis-
cours et pratiques. S’il aborde le concept de réflexivité de façon générale,
ce livre propose aussi dans son chapitre 5 une analyse centrée sur le déve-
loppement de cette pratique lors de la formation initiale des enseignants.
Moment « crucial » de la construction du socle de l’identité professionnelle,
la formation initiale est aussi l’espace critique de la rencontre entre des
paradigmes souvent contradictoires et sur laquelle une pratique réflexive
pourrait offrir une prise de recul.
S’il est devenu courant d’évoquer le praticien réflexif lorsque l’on
qualifie le professionnel expert, il n’en est pas pour autant facile d’imagi-
ner les chemins qui mènent à cette forme d’expertise. Cette imagination
bute sur le fait que la pratique réflexive est à la fois la caractéristique d’un
état (une forme d’expertise) tout autant qu’un processus (développement
professionnel). Imaginer un chemin pour parvenir à développer cette pra-
tique, c’est interroger la possibilité de former le praticien à cette démarche,
posture, attitude, capacité réflexive.
Trop souvent, l’expertise se cache derrière le silence de l’expert. Avec
le concept de praticien réflexif, Schön tente de démasquer les savoirs cachés
derrière cette forme d’expertise. L’occasion était trop belle pour ne pas saisir
14 Construire une pratique réflexive

cette opportunité de concevoir des formations se fondant sur ces savoirs


enfin mis au jour. Si le programme paraissait séduisant, beaucoup se  sont
rendus compte que le mode d’emploi n’était pas livré avec le programme et
qu’il masquait temporairement une réforme plus riche et plus générale de
la pensée (Tardif, Malo et Borges 2012). Aussi la pratique réflexive est-elle
devenue un « paradigme » porteur, interrogé, critiqué et finalement diffus.
Le formateur comme le chercheur qui s’intéresse aux probléma-
tiques de la formation d’adultes entrouvre avec le champ de la pratique
réflexive un espace vaste et éclectique. L’ouvrage présent tente modeste-
ment de donner quelques clés et cartes topographiques pour se déplacer
dans ce champ. Au fil de la lecture, le chercheur rencontrera par exemple
des éléments de définition de la pratique réflexive puis la présentation d’une
recherche dans laquelle la méthodologie suivie et les résultats obtenus
sont détaillés. Pour sa part, le formateur rencontrera, au grès des pages
tournées, des pistes de conception de dispositifs de développement de la
pratique réflexive. Si les principes énoncés ont été initialement pensés pour
accompagner la transition en formation initiale des enseignants (Vacher,
2010), leurs transferts dans les multiples domaines hors du champ de l’édu-
cation et dans l’accompagnement en a validé un usage large (Boucenna,
Thiébaud et Vacher, 2022). Le formateur pourra aussi toucher du doigt les
effets et les limites d’un dispositif issu de ce cadre de conception. Au final,
le formateur trouvera aussi sûrement de quoi le rassurer sur cet attracteur
encore un peu étrange qu’est le concept de praticien réflexif tout autant
que sur cette injonction institutionnelle récurrente et particulièrement
à la mode. Enfin, les institutionnels et cadres responsables des ingénie-
ries de formation auront une opportunité de tenter de résoudre l’équation
complexe de la mise en cohérence des intentions et des moyens d’action.
Cependant, développer une pratique réflexive ne s’enclenche pas
mécaniquement avec l’entrée en formation, les résistances sont multiples et
nécessitent une véritable approche stratégique et épistémologique, comme
en témoigne plusieurs publications (Altet, Desjardins, Étienne, Paquay et
Perrenoud, 2013 ; André et Zinguignan, 2017 ; Vacher, 2020).
Dans ce contexte, le formateur et le responsable institutionnel
peuvent légitimement s’interroger sur ce « paradigme invasif »  : pourquoi
former à la pratique réflexive ? Quelles caractéristiques des institutions, des
formations et des publics prendre en compte pour y parvenir ? Comment
enclencher cette pratique dans le contexte a priori peu favorable de la
formation initiale ? Quels principes pour construire une formation à cette
pratique ? Quels outils pour enclencher le développement de ce proces-
sus professionnalisant ? Autant de questions qui trouvent une légitimité
accrue dans un fort contexte d’évolution des formations instituées. Autant
de questions et thématiques auxquelles ce livre tentera d’apporter des pistes
Introduction 15

de réponses et à partir desquelles il cherchera à ouvrir des perspectives


de réflexion.
Mais avant d’entrer dans les contenus de ce voyage que nous vous
proposons, précisons quelques éléments de contexte qui éclairent l’écriture
et la lecture de l’ouvrage.
En 1969, B. Schwartz écrivait : « La formation des adultes est, pour
le moment, gravement handicapée parce que ceux-ci ne sont pas en
mesure d’établir un rapport réfléchi et critique entre leurs expériences
personnelles ou professionnelles concrètes et les informations qu’ils
peuvent recevoir et qui sont nécessairement plus ou moins abstraites »
(Schwartz, 1969, p. 14). Plus de quarante ans après cette affirmation, que
reste-t-il de son fondement ? Pour préciser notre réponse, nous situons le
contexte de la rédaction du présent ouvrage. Son écriture initiale et les
compléments de cette réédition ont été réalisés en France au cours d’une
période de réformes d’ampleur, intenses et parfois douloureuses (de 2007
à 2021). Pressés par la massification/démocratisation des formations, par
un souci d’harmonisation dans un contexte de concurrence et de mobilité
(LMD), mais aussi probablement d’économies d’échelle, de nombreux orga-
nismes de formation ont modifié leur offre, leur pédagogie et parfois leur
structuration au cours de cette période. Acteur de la formation initiale des
enseignants depuis plus de vingt ans, nous avons été confronté aux échos
de l’affirmation de B. Schwartz. Chacun de ces échos résonnait comme un
appel au changement ou comme une condamnation de l’existant.
Ces réformes, qui touchent les secteurs variés de l’éducation, de la
santé ou du travail social, ont toutes comme dénominateur commun l’évo-
lution des projets de formation et l’harmonisation de la structure générale
de ces derniers. Ainsi, l’approche par compétences et le principe d’alter-
nance se sont imposés comme nouvel horizon des projets institutionnels
et ont nécessité un renouvellement des pratiques de formation. Outre le
contexte français des réformes impulsées par les différents gouvernements,
cette nécessité s’est vue renforcée par le malaise fréquent des acteurs
dans les paradigmes traditionnels de formation. Face à la complexité des
« métiers de l’humain », de nombreux acteurs (chercheurs, formateurs ou
formés) ont ainsi remis en cause les modèles transmissifs et prescriptifs
qui pouvaient être perçus comme étant à l’origine de la situation décrite
par B.  Schwartz. La volonté de prendre en compte cette complexité et
l’incertitude qui en découle s’est traduite, depuis une vingtaine d’années,
par l’exploration de nouveaux paradigmes dont ceux qui se centrent sur les
processus de professionnalisation. Les concepts de pratique réflexive, de
praticien réflexif ou encore de réflexivité sont apparus fréquemment pour
formaliser ce changement de paradigme. Cette évolution conceptuelle s’est
traduite par un véritable « virage réflexif » (Tardif, Borges et Malo, 2012)
16 Construire une pratique réflexive

qui n’a cependant pas été systématiquement accompagné d’une clarifica-


tion ou d’une explicitation de son contenu. Les actualisations présentes
dans cette seconde édition sont le produit de l’expérience acquise dans
les différents domaines d’usage du concept de pratique réflexive, touchés
par ce flux de réformes.
La recherche qui est la base de la rédaction de l’ouvrage s’inscrivait
dans cette volonté de clarification et de façon concomitante dans la volonté
locale et professionnelle de faire évoluer le contexte d’intervention. Le
contenu de ce livre s’inscrit donc dans la conjonction entre un mouvement
général d’interrogation de l’efficacité des formations et le souci de proposer
localement des perspectives concrètes d’enrichissement de la dynamique de
changement. Par conséquent, cet ouvrage veut à la fois proposer des pistes
pratiques d’ingénierie et d’intervention, mais aussi clarifier les fondements
de ces dernières.
Les changements de structures, parfois de valeurs et la plupart du
temps d’habitus, ne sont pas sans conséquence sur l’engagement des acteurs,
et la problématique de la formation s’incarne dans une série de dilemmes
que rencontrent ces derniers (Tardif et Lessard, 1999 ; Perrenoud, 2001 ;
Tillema, 2005). Ainsi, à travers différentes fonctions (formateur, coordon-
nateur des études, directeur de centre IUFM), recherches et collaborations,
nous avons pu constater la vigueur du malaise des acteurs face aux situa-
tions complexes que les formations engendraient (Zinguignan et André,
2017 ; Vacher, 2020). Dans nos constats et travaux, nous avons pu identifier
que ces tensions pouvaient être liées à deux raisons. En premier lieu, les
réformes sont l’occasion d’une perte de repères éthiques et de fonctionne-
ment qui impose aux acteurs une réinterrogation de leur professionnalité.
Ce phénomène est d’autant plus important que les acteurs sont sommés
de répondre à des injonctions qui semblent parfois paradoxales, innovantes
dans les intentions, mais pérennisant la plupart du temps les anciens moyens
d’action. Les tensions sont aussi, comme dit précédemment, la conséquence
de l’inefficacité partielle (perçue ou réelle) des modèles traditionnels de
formation et de leur incapacité à passer du processus de « formation au
métier » à la « professionnalisation de l’acteur ». Au cœur de ces systèmes
de tension, les institutions sont fréquemment en difficulté pour élaborer de
nouveaux dispositifs d’accompagnement du changement. Trop souvent, ces
dernières « raccrochent le wagon » de la réforme en affichant les concepts
à la mode d’analyse de pratiques ou de praticien réflexif pour décrire
les propositions de mise en œuvre. Si ce constat n’est pas généralisé, nous
avons constaté qu’il était majoritaire dans les représentations des acteurs
du travail social, de la santé ou de la gestion des ressources humaines.
Dans beaucoup de cas, il manque encore à l’heure actuelle une
analyse claire des processus et contenus des dispositifs proposés et de leur
Introduction 17

cohérence avec les objectifs de formation, pour que l’efficacité soit systé-
matiquement au rendez-vous. Notre ouvrage témoignera d’un processus
mis en œuvre et de l’analyse de sa pertinence et de son efficacité. Sans
ces analyses et mises en cohérence, beaucoup de formations ont abouti à
un dénigrement virulent de la part des formés. En France, la récupération
médiatique de ces « dérives » a participé à une stigmatisation et à une cri-
tique générale de l’efficacité des formations. À la décharge des institutions
de formation et de leurs acteurs, la nouveauté du paradigme ne permet pas
actuellement de cerner une homogénéité de contenu et l’accompagnement
des institutions centrales, en France notamment, demeure très marginal en
la matière. Du côté de la recherche, le foisonnement, les directions multiples
et la pluralité (parfois polysémie) des concepts ne sont pas pour faciliter
l’usage concret des apports de ces travaux.
Si cette richesse d’un domaine en mutation peut effrayer par sa
complexité et se traduire par une frilosité des acteurs et institutions à
s’engager, l’un des enjeux du présent ouvrage est de favoriser l’élan des
professionnels soucieux de s’engager dans cette voie du changement. Ainsi,
comme d’autres avant lui (Perrenoud, 2001 ; Altet, Paquay et Perrenoud,
2002 ; Donnay et Charlier, 2006 ; Étienne, Altet, Lessard, Paquay et Perrenoud,
2009 ; Robin et Vinatier, 2011 ; Charlier et Biemar, 2012), l’ouvrage tente de
répondre à l’enjeu de clarification et d’accompagnement de l’entrée dans ce
paradigme de l’incertitude qui donne vie et matière au développement de la
pratique réflexive et au processus de professionnalisation. Ce changement de
paradigme résonne parfois comme une véritable révolution culturelle (Fabre,
2009 ; Vacher, 2016) pour les structures de formation, aussi nous apparaît-il
nécessaire de sécuriser cette transition par un étayage systématique des fon-
dements de cette « révolution ». Cet étayage tente aussi de prendre en compte
et de répondre en partie aux critiques du concept et de ses développements
en formation, notamment celles qui affirment que la pratique réflexive est un
formalisme potentiellement stérile, car « la réflexion se suffit en quelque
sorte à elle-même ; elle est valeur en soi […]. Elle permet paradoxalement
de ne pas réfléchir à ce sur quoi elle porte, puisque précisément elle est
pure forme » (Schneuwly, 2012, pp. 83-84). Si le champ d’illustration de cet
écrit est celui de la formation initiale des enseignants, l’intérêt du texte se
situe aussi probablement dans la possibilité de fournir des outils et réflexions
qui dépassent ce champ d’études et pourraient participer à l’enrichissement
de l’entrée dans le changement en formation continue tout autant que dans
les secteurs du travail social ou de la santé.
Enfin, nous terminerons en précisant deux éclairages sur le contexte
de formation qui est plus particulièrement étudié. Nous avons fait le choix
de travailler sur la formation initiale, car, en l’absence actuelle d’une poli-
tique forte de formation continue en France, les études montrent que le
profil professionnel de l’acteur est très largement dépendant de ce qui a été
18 Construire une pratique réflexive

construit en formation initiale. Offrir la possibilité de développer une pra-


tique réflexive au cours de sa carrière passe donc par la nécessité de semer
les graines de cette pratique au cours de la formation initiale. Cependant,
cette ambition se décline de façon singulière, car le public en formation
initiale présente la caractéristique de n’avoir pas d’expérience et donc
potentiellement moins de matière à réfléchir, mais aussi que ses modes de
socialisation scolaire (son rapport au processus de formation) sont encore
très vifs et, dans notre contexte, s’inscrivent très majoritairement dans la
logique des modèles traditionnels de formation (transmissif et individualiste)
encore d’actualité au début des années  2020. La prise en compte de ces
éléments sera au cœur de nos propositions. D’autre part, le fait de travail-
ler sur le public des enseignants débutants se justifie par la complexité du
métier d’enseignant. Produisant un décalage permanent entre le prévu et le
réalisé, la profession d’enseignant présente les caractéristiques des métiers
de l’humain. Nous en retiendrons deux qui justifient à nos yeux la nécessité
de la formation d’un praticien réflexif. En premier lieu, l’interaction entre
les individus, les conditions matérielles d’exercice ou encore la structure
instituée de l’intervention constituent une source intarissable d’imprévus.
Les paramètres prévisibles et imprévisibles se lient en système souvent
instable et s’incarnent dans une architecture évolutive et complexe. Cette
complexité et l’incertitude qui en découle sont constitutives de l’identité de
la pratique professionnelle. En second lieu, nous pensons que le travail avec
l’humain nécessite l’adoption permanente d’une posture éthique ; dans le cas
de l’enseignement, cette dimension est amplifiée par la mission de « trans-
formation de l’autre ». Ces deux paramètres renvoient à l’adaptation et à la
responsabilité de l’acteur. Dans cet ouvrage, nous faisons l’hypothèse, que
nous étayerons par la suite, que le praticien réflexif est celui qui est capable
de structurer son intervention dans une logique d’adaptation, consciente et
évolutive, et de responsabilité. Nous définirons ainsi ce professionnel comme
capable d’affronter, d’accepter la complexité du métier (dans toutes
ses dimensions) et d’assumer ses responsabilités pour agir par la
médiation de la réflexion. Cette définition temporaire constitue le point
de départ du voyage que nous vous proposons.
Pour entamer cette pérégrination dans le champ de la pratique
réflexive, l’ouvrage est organisé de façon à permettre une lecture chrono-
logique, mais aussi une étude par partie, chacune constituant une entité de
sens et étant lisible de façon potentiellement indépendante. Ainsi, chaque
professionnel ou chercheur pourra, selon son domaine, aller directement
vers les parties qui sont susceptibles d’éclairer ses préoccupations.
Le premier chapitre de cet ouvrage sera consacré à donner des
précisions sur les fondements de cette définition du praticien réflexif que
nous proposons. Nous tenterons ainsi de répondre aux questions suivantes :
quelles sont les origines du concept ? Quels sont les objectifs visés lors
Introduction 19

de la formation d’un praticien réflexif ? Sur quels objets porte la pratique


réflexive ? Quels sont les processus qui constituent la pratique réflexive et
quand et comment apparaissent-ils ?
Le deuxième chapitre aura pour enjeu de mettre en relation ce cadre
conceptuel avec la conception de dispositifs de formation. Ainsi seront étu-
diés les conditions favorables au développement de la pratique réflexive et
les dispositifs existants qui s’inscrivent dans cet objectif de développement.
Le troisième chapitre portera sur la définition des principes de
conception de dispositifs de formation favorisant la construction d’une
pratique réflexive. Il s’agira de répondre aux questions suivantes  : quels
principes sont à la base de la conception de dispositifs et d’outils pour
permettre l’enclenchement et le développement de la pratique réflexive ?
Quels leviers dans les dispositifs favorisent cette entrée dans la pratique
réflexive ? Et enfin, dans le contexte particulier de la formation initiale des
enseignants, comment articuler la prise en compte de la dialectique liant
la norme institutionnelle et la singularité du sujet ?
Le quatrième chapitre sera l’occasion de présenter un dispositif
inédit (ARPPEGE) qui vise l’amélioration de la professionnalisation en for-
mation initiale à travers le développement d’une pratique réflexive. Ce cha-
pitre se composera d’une part de la description du dispositif par l’éclairage
de son inscription dans le cadre conceptuel précédent et d’autre part de la
précision de son fonctionnement concret.
Le cinquième chapitre sera consacré à la présentation des effets
du dispositif ARPPEGE. Ces résultats sont le produit d’un travail de thèse
et portent sur l’étude de deux promotions d’enseignants débutants ayant
participé au dispositif. Ce chapitre sera l’occasion de montrer quels sont les
effets concrets du passage à la posture réflexive, mais aussi d’en préciser
les limites, notamment en formation initiale.
Le dernier chapitre de cet ouvrage sera consacré à la remise en
perspective de l’ensemble des apports précédents. Les freins et leviers de
la mise en œuvre de formations au développement de la pratique réflexive
y seront synthétisés en vue d’une incitation à l’action innovante dans le
domaine de la conception des dispositifs et formations.
Chapitre 
Définir la pratique réflexive
1
Le projet de Schön, lorsqu’il définit en 1983 le praticien réflexif, est,
selon Eraut, épistémologique et politique (Eraut, 1995)  : il s’agit en effet
pour cet auteur de créer une épistémologie alternative en rupture avec
la logique prescriptive (expertise scientifique) et la logique applicatrice
(expertise technique) des formations professionnelles. Son travail ouvre
une piste de réflexion à la fois pour la recherche et pour les secteurs de
la formation. Cette relative ouverture de la définition du praticien réflexif
aura pour conséquence une grande diversité d’interprétations de ses travaux
et aussi une importante hétérogénéité des poursuites de cette conception.
Dans le domaine de l’éducation, l’apparition du concept de praticien réflexif
participera à un grand « virage réflexif » (Tardif, Borges et Malo, 2012 ; Correa
et Molina, 2013) qui semble de nos jours constituer le paradigme dominant
et implicite des discours sur la formation. Cette omniprésence de l’invocation
du concept n’en a pas pour autant facilité la clarification conceptuelle. Ainsi,
définir la pratique réflexive relève d’abord de l’étude de son origine puis
d’un état des lieux des définitions existantes tant la diversité est importante
et se traduit aussi bien en termes d’objets que de finalités ou de processus.

1. PRÉALABLE : ORIGINE ET LOGIQUE


D’APPARITION DU CONCEPT
Le concept de praticien réflexif apparaît en réponse à une inflexion
constructiviste des formations se traduisant par un besoin que Meirieu
22 Construire une pratique réflexive

formule ainsi  : « Centrer la formation sur l’apprentissage ne signifie


nullement ajouter aux enseignements traditionnels […] une infor-
mation en matière de psychologie cognitive ou de psychopédagogie
[…], mais impose, plus profondément, d’introduire dans l’ensemble des
cours dispensés à de futurs enseignants une réflexion métacognitive »
(Meirieu, 1990b, p. 103). Et Perrenoud de préciser que « c’est en travail-
lant sur d’autres dimensions de la formation, disciplinaires, didac-
tiques, transversales ou technologiques, que les formateurs peuvent
contribuer à développer une posture et des compétences réflexives »
(Perrenoud, 2001, p. 63).
Avec cette perspective prometteuse de relecture des logiques de
formation et l’apparition du concept de pratique réflexive (dans les discours
sur la professionnalisation, monographies, articles, colloques, plans de for-
mation), est né un espoir d’amelioration de l’efficience des formations dans
les institutions et chez les formateurs. Comme d’autres paradigmes qui l’ont
précédé (la pédagogie par objectifs par exemple), le terme recouvre une
multitude d’options théoriques et de sens (Korthagen, 2001). Si la nouveauté
du paradigme a pu séduire la profession des formateurs, qui étaient en partie
à la recherche d’adhésion des formés et de dépassement des modèles appli-
cationnistes (Ferry, 1987), l’affirmation de l’objectif de développement d’un
praticien réflexif n’a pas suffi à ce que ce résultat soit atteint. Depuis la fin
des années 1990, l’introduction significative de l’analyse de pratiques dans
les plans de formation s’est souvent traduite par l’improvisation de disposi-
tifs ou la désignation de formateurs encadrants non formés à ces pratiques
(Bengtsson, 1995 ; André et Zinguignan, 2017 ; Zinguignan et André, 2017).
Les résultats furent alors hétérogènes. Lorsque les modules de formation s’ins-
crivaient dans la continuité d’un travail de recherche ou lorsque la clarification
des enjeux et modalités avait était réalisée en amont des mises en œuvre,
les effets produits traduisaient l’amélioration de la professionnalisation. Au
contraire, l’improvisation a participé à une évaluation négative des formations
en institution. Face à ce constat, de nombreux chercheurs et formateurs
se sont engagés dans un travail de définition de la pratique réflexive et de
ses spécificités dans la formation des enseignants (Vacher, 2018a, 2018d).
D’autres domaines, comme celui de la formation des cadres de santé, ont
réalisé cette inflexion et ont probablement bénéficié de ces avancées.
Nous proposons dans le point suivant plusieurs entrées dans la
définition de la pratique réflexive.
De façon générale, la pratique réflexive est un processus cognitif
constitué d’une analyse, d’un regard sur un objet. Plusieurs auteurs affinent
l’étude de cette définition générique.
Pour Jonnaert, l’activité réflexive l’est « au sens mathématique
du terme, puisqu’elle forme une boucle autour des connaissances du
Définir la pratique réflexive 23

sujet » (Jonnaert, 2002, p. 71). L’activité réflexive1 s’effectue en ce sens, sur


soi et pour soi, et l’auteur précise qu’elle est aussi dialectique puisque cette
boucle s’effectue entre les connaissances déjà acquises et celles à construire
(logique piagétienne du couple assimilation/accommodation).
Quelques éléments de définition nous permettent de délimiter le
périmètre de la pratique réflexive. Lafortune et Deaudelin précisent ainsi
que le praticien réflexif désigne « la personne qui se montre capable,
d’une part, de décrire et d’analyser sa pratique ainsi que d’en exa-
miner l’efficacité et, d’autre part, de créer ou d’adapter ses propres
modèles de  pratique en tirant profit des modèles existants (modèles
d’intervention ou d’accompagnement) afin de rendre sa pratique plus
efficace » (Lafortune et Deaudelin, 2001, p.  43). Cette définition met en
exergue l’usage de la réflexion au profit d’une transformation des pratiques.
Cette caractéristique est reprise par Holborn lorsqu’elle affirme que le prati-
cien réflexif soumet ses pratiques à « un examen critique dans le but d’en
retirer de nouveaux niveaux de compréhension capables de guider ses
actions futures » (Holborn, 1992, p. 86). Dans le cas de la formation profes-
sionnelle initiale d’adultes et en alternance, la logique interactive de l’option
constructiviste replace le rapport sujet-environnement comme matière de
la pratique réflexive. En effet, dans l’option constructiviste, le sujet déve-
loppe un rapport actif au monde qui conditionne sa propre transformation
et la transformation de l’environnement. Ce rapport actif se justifie par
l’indissociabilité du couple faire-comprendre. L’action est en soi un rapport
actif à l’environnement alors que le « comprendre » est un rapport actif à
soi en action. Dans cette interaction, la réflexion joue un rôle central, car
elle est la médiatrice entre ces deux pôles indissociables et s’inscrit dans la
cohérence du principe d’« interdépendance irréductible entre l’expérience
et la raison » énoncé par Piaget (Piaget, 1963, p.  21). Ainsi, dans l’option
constructiviste, l’acteur est à la fois, le déclencheur, le médiateur et l’objet
de son apprentissage. Schön utilise une métaphore pour définir la pratique
réflexive et propose de dire qu’elle est une écoute de la réponse de la
situation (« The situation talks back to you », Schön, 1983, p. 131) ou une
conversation réflexive avec la situation (« a reflective conversation with
the situation », Schön, 1983, p.  102). Dans ce cas, la pratique réflexive
serait une sorte de dialogue avec le vécu dont il s’agirait de structurer le
fonctionnement au travers de principes et règles opérationnelles.
Nous ajouterons temporairement que la pratique réflexive participe à
la construction d’une épistémologie personnelle, et ce au travers du proces-
sus métacognitif. Schön affirme ainsi que « quand quelqu’un réfléchit sur
l’action, il devient un chercheur […] il édifie une nouvelle théorie du

1. Nous différencions l’activité réflexive (processus cognitif) de la pratique réflexive


(démarche intentionnelle à visée praxique englobant l’activité réflexive)
24 Construire une pratique réflexive

cas particulier » (Schön, 1994, p. 97). Cette pratique réflexive se fonde alors
sur une capacité à enclencher spontanément une métaréflexion simultanée
ou « micro-juxtaposée » à l’analyse.
Calderhead propose cinq critères pour analyser la pratique réflexive
dans les dispositifs de formation initiale (Calderhead, 1992) :

– la justification du processus ou les raisons invoquées pour justifier la


réflexion dans les formations ;
– le produit du processus de réflexion ou sur quoi débouche le
processus ;
– la nature du processus activé ou comment est définie la réflexion ;
– l’objet du processus de réflexion ou sur quoi porte la réflexion ;
– les conditions requises pour le processus de réflexion ou les carac-
téristiques personnelles ou situationnelles nécessaires à la réflexion.

Chacun de ces différents éléments fera l’objet d’un approfondisse-


ment dans les points suivants.

2. OBJECTIFS ET FONCTIONS
DU DÉVELOPPEMENT
DE LA PRATIQUE RÉFLEXIVE
Le premier des critères de Calderhead est la justification du proces-
sus ou les raisons invoquées pour justifier la réflexion dans les formations
(Calderhead, 1992). L’ensemble des auteurs proposant d’entrer dans une
logique accrue de professionnalisation du métier (et des acteurs en forma-
tion) s’accordait sur la place centrale de la réflexion dans ce processus. Cette
justification globale s’incarne à travers la déclinaison des objectifs qui sont
attribués à la pratique réflexive et qui concourent à la professionnalisation.
Dans le cas des formations d’adultes en alternance, la profession-
nalisation se traduit par une augmentation de la prise en compte de la
complexité du métier et une autonomisation du sujet en formation dans
cette prise en compte. Ces deux mécanismes se font au profit d’une amé-
lioration de sa capacité à agir et transformer ses pratiques professionnelles.
Face à des systèmes traditionnels qui ont montré leur limite dans la prise
en compte de la complexité et l’implication du sujet dans son apprentis-
sage, le recours à la pratique réflexive, en tant que médiation, apparaît
comme susceptible de participer à l’amélioration de la professionnalisation
et au développement professionnel (Wittorski, 2007 ; Goyette et Martineau,
2018). Cette médiation se réalise entre l’expérience non verbalisée, par-
fois non  conscientisée, les  apports théoriques et les dynamiques sociales
de la formation. Geay et Salaberry affirment que « cette explicitation par
Définir la pratique réflexive 25

verbalisation de l’expérience est un outil d’apprentissage essentiel


parce qu’il réduit l’écart théorie-pratique et fait émerger le sens » (Geay
et Sallaberry, 1999, p. 11).
La pratique réflexive se justifierait donc en premier lieu par sa
capacité à créer ou renforcer l’articulation entre théorie et pratique au
service d’une acceptation et compréhension de la complexité à laquelle
le sujet se confronte. Ces acceptations et compréhensions incarneraient
un dépassement du niveau de l’action et contribueraient à l’objectif général
de la pratique réflexive sans toutefois perdre de vue que ce travail réflexif
vise in fine les transformations de l’action.
Pour Jonnaert (2002) comme pour Kelchtermans (2001), le dévelop-
pement professionnel implique ce dépassement. Pour Kelchtermans, le pro-
cessus de formation vise en effet non seulement « une action plus efficace »,
mais aussi « une meilleure validité du cadre interprétatif profession-
nel » (2001, p. 55). La pratique réflexive aurait ainsi pour objectif le travail
de transformation du « cadre interprétatif personnel » et le dépassement
de ce dernier dans une perspective critique (Tardif, 2012). Il s’agira, selon
Kelchtermans dans le champ de l’éducation par exemple, de faire en sorte
que la réflexion soit l’occasion du questionnement et de la sollicitation des
différentes composantes de ce cadre, à savoir le moi professionnel (image
de soi, estime de soi, la motivation professionnelle, la perception de la tâche
et les perspectives d’avenir) et la théorie subjective [dans cet exemple]
de l’éducation (croyances, théories implicites) qui opère principalement
de façon inconsciente à travers ce que Schön qualifie de « savoir-faire tacite »
(Schön, 1994, p.  81). On pourrait qualifier ce processus de travail d’épis-
témologie professionnelle personnelle, participant au développement
du professionnel et ainsi à la construction de son identité.
On retrouve chez Zeichner la définition de fonctions en cohérence
avec la logique de dépassement du cadre interprétatif personnel proposé
par Kelchtermans (2001) (Zeichner, 1993). Pour cet auteur, la réflexion
possède en effet trois fonctions :

– fonction instrumentale2  : le savoir de la réflexion sert à diriger la


pratique ;
– fonction de délibération : le savoir permet d’éclairer la relation entre
le prévu et le réalisé ;
– fonction critique : la réflexion porte sur les composantes morales et
– éthiques et serait la base de transformation à moyen ou long terme
des pratiques (praxis).

2. Dans un article précédent, nous avions distingué la réflexivité de l’autorégulation


(Boucenna et Vacher 2016)
26 Construire une pratique réflexive

Ces trois fonctions traduisent bien la pertinence de l’intégration de


la pratique réflexive dans le processus de professionnalisation. En effet, les
deux premières fonctions articulent réflexion et transformation des pra-
tiques à travers l’intégration de la complexité, cause du décalage entre
prévu et réalisé. Cette classification de Zeichner (1993) ne se limite pas
à cette dimension pratique, elle complète ces éléments par la dimension
critique qui replace la pratique réflexive comme outil de développement du
positionnement moral et éthique. Ces trois fonctions qui se complètent et
peuvent se combiner incarnent en partie3 ce que Calderhead nomme les
justifications de la présence de la pratique réflexive dans les formations
initiales (Calderhead, 1992).
Altet propose une approche qui recoupe en partie ces fonctions  :
« la démarche d’analyse à l’aide de savoirs-outils développe une pra-
tique réfléchie » (Altet, 2004, p. 174). Pour l’auteure, la pratique réflexive
repose ainsi sur un ensemble de savoirs-outils qui remplissent plusieurs
fonctions (Altet, 1996, 2001, 2004). Cet ensemble se retrouve dans une
« métacompétence » (Altet, 2001, p. 39), un « savoir-analyser » qui repose sur :

– « une dimension instrumentale »  : aide à formaliser, rationaliser


l’expérience ;
– « une dimension heuristique » : ouvre des pistes de réflexion de mise
en relation des éléments analysés ;
– « une dimension de problématisation » : aide à résoudre et poser
– des problèmes ;
– « une dimension de changement » : permet la création de nouvelles
représentations des pratiques.

Si la dimension éthique est moins apparente et peut se lire en fili-


grane des trois dernières dimensions, nous relevons une plus grande préci-
sion des fonctions d’une pratique réflexive au service de la transformation
de l’intervention professionnelle par le détour du savoir-analyser. Ces dimen-
sions se complètent et s’articulent de façon hiérarchique ou temporelle selon
le stade de la pratique réflexive. Dans son ouvrage de 1994, Altet précise
que cette « métacompétence » du savoir-analyser se fonde sur une relation
fonctionnelle entre un savoir-observer et un savoir réfléchir (Altet, 1994).
Pour compléter notre analyse, nous étudierons les dix raisons d’inté-
grer la pratique réflexive à la formation des enseignants4 que Perrenoud

3. Nous évacuons volontairement les justifications de type stratégique-légitimation, effet


de mode, formalisme conceptuel… qui nous éloigneraient des fondements pédagogiques
de la présence de la pratique réflexive dans les formations.
4. Ce champ étant celui dans lequel le concept de pratique réflexive est apparu le plus
précocement, il nous sert de référence pour étudier son développement.
Définir la pratique réflexive 27

formule (Perrenoud, 2001). Nous proposons un tableau de synthèse qui met


en perspective les propositions de Perrenoud, Zeichner (1993), Altet (2001)
et quatre macro-catégories que nous identifions.

Tableau 1.1. Objectifs et fonctions du développement de la pratique


réflexive (selon Zeichner, Altet et Perrenoud)

Zeichner, Altet, 1996, Perrenoud,


1993 2001, 2004 2001
Orienter Problématisation
et diriger Instrumentale
la pratique Instrumentale

Instrumentale
Permettre de faire face
Heuristique
Affronter à la complexité croissante des tâches
Délibération Problématisation
la complexité
Encourager et affronter l’irréductible
altérité de l’apprenant
Accroître les capacités d’innovation
Accumuler des savoirs d’expérience
Se transformer
et transformer Critique Changement Ouvrir à la coopération
le monde avec les collègues
Préparer à assumer une responsabilité
politique et éthique
Aider à vivre un métier impossible
Accréditer une évolution
Aider le sujet vers la professionnalisation
à être
et accepter Donner les moyens de travailler
la complexité sur SOl
Compenser la légèreté
de la formation professionnelle

De la lecture du contenu du tableau 1.1, nous retiendrons que les


objectifs et fonctions de la pratique réflexive s’inscrivent bien dans la logique
de formation et de développement du professionnel que nous définissons
comme capable d’affronter, d’accepter la complexité du métier d’enseignant
(dans toutes ses dimensions) et d’agir en assumant ses responsabilités.
Cette pratique se décline par l’intermédiaire d’un savoir analyser qui vise
à rationaliser l’expérience, accumuler des savoirs de l’expérience, ouvrir
des pistes d’action et de transformation, mais aussi aider le sujet à accep-
ter la complexité pour s’engager dans une dynamique de développement.
Saint-Arnaud souligne ainsi que la réflexion « permet à un professionnel
de s’adapter à chaque situation où il exerce sa profession » (Saint-Arnaud,
28 Construire une pratique réflexive

1992, p.  51). Perrenoud synthétise ces différents registres lorsqu’il affirme
que les raisons « de former les enseignants à réfléchir sur leur pratique
pourraient se résumer en une idée force : c’est un atout pour construire
du sens » (Perrenoud, 2001, p. 59). Mais, notons que dans les propositions
de Perrenoud, la pratique réflexive ne se limite pas à soi puisqu’elle est
entrevue comme un moyen d’amélioration de la composante collective du
métier (coopération, coresponsabilité). L’étude menée par Beauchamp sur
la réflexion en enseignement, et portant sur vingt années de production en
langue anglaise (1985-2005), permet d’éclairer cette dimension qu’évoque
Perrenoud. L’auteure distingue en effet deux orientations des fonctions de la
pratique réflexive. La première est tournée vers soi, elle la qualifie d’interne.
Cette orientation s’incarne dans les catégories suivantes de fonction : « penser
différemment ou plus clairement », « justifier sa position », « réfléchir à des
actions ou décisions », « changer la façon de penser ou de savoir » (Beau-
champ, 2012, p.  29). La seconde orientation est qualifiée d’externe, elle
traduit une orientation vers l’environnement et les autres. Elle s’incarne
dans les trois catégories suivantes : « agir ou améliorer l’action », améliorer
l’apprentissage des élèves », « faire évoluer le moi ou la société » (Beauchamp,
2012, p.  30). Dans la littérature étudiée, ces occurrences apparaissaient
séparément ou en combinaison, les deux fonctions pouvant être poursuivies
de façon simultanée. Ces dimensions de la pratique réflexive mentionnées
par Perrenoud et présentes dans les données de Beauchamp peuvent être
complétées par les travaux de Bourdieu (2011). Ce dernier affirme en effet
que la réflexivité est aussi au service du collectif qui trouve dans ce proces-
sus un soutien à son développement. Ce soutien se traduit notamment par
des dynamiques de responsabilité commune mais aussi par la mise en place
de rapports de force collectif en résistance à l’individualisme professionnel.
En résumé de ces différents éclairages, nous proposons la synthèse
suivante des fonctions de la pratique réflexive. S’inscrivant dans une logique
de développement professionnel, elle se développe selon quatre visées :

– Praxique : agir pour transformer le monde dans le cadre de sa mis-


sion professionnelle ;
– Scolastique : apprendre par la réflexion (Boucenna et Charlier, 2013)
et la critique (Tardif, 2012),
– Constructive  : évoluer/se développer/se transformer par l’analyse/
investigation et la remise en cause potentielle de ses fondements
identitaires (rapport à…, croyances, mode de socialisation, savoirs,
désirs…) ;
– Psychologique : accepter l’entrée et l’entretien du processus critique
en admettant l’incertitude et la déstabilisation que la complexité du
vécu créé, se reconnaître comme professionnel et transformer son
rapport à soi.
Définir la pratique réflexive 29

Il faut préciser que la plupart du temps, ces éléments qui prennent


le statut de visées ne sont pas indépendants. Ils fonctionnent en système,
se conditionnant ou se nourrissant réciproquement. Selon les contextes,
l’accent mis sur l’une des visées peut aboutir à ce que les autres deviennent
des moyens de son atteinte. Par exemple, la transformation du rapport
affectif à la pratique (acceptation de la complexité) pourrait favoriser la
transformation des pratiques. Mais l’on voit que l’inverse est aussi suscep-
tible de fonctionner. Cette réciprocité incarne la dimension systémique des
objectifs de la pratique réflexive.
Nous compléterons cette clarification des fonctions de la pratique
réflexive dans les points suivants en précisant le contenu de cette dernière.

3. CARACTÉRISTIQUES DE LA RÉFLEXION
Saussez, Ewen et Girard identifient quatre processus composant
la pratique réflexive dans la formation des enseignants (Saussez, Ewen et
Girard, 2001). Ils classent ainsi les auteurs5 et les diverses conceptualisations
existantes de la pratique réflexive en fonction de ces processus.

Tableau 1.2. Processus potentiellement présents


dans la pratique réflexive
Basé sur (Saussez, Ewen et Girard, 2001)

Nature Auteurs
Processus d’expérimentation Schön, 1983
en contexte pratique
Processus de résolution de problème Copeland, Birmingham, La Cruz et Lewin, 1993
Cruikshand, 1987
Processus métacognitif d’autorégulation Saussez et Paquay, 1996
de l’action Mc Alpine, Weston, Beauchamp, Wiseman
et Beauchamp, 1999
Processus d’apprentissage Schön, 1987
Korthagen, 1993
Saussez et Allal, 2007

On constate qu’à l’époque de cette revue des processus, les auteurs


n’abordent que peu d’importance à la perspective développementale et se
concentre sur des logiques de formation ou de régulation de l’action. Comme
mentionné précédemment, nous avions distingué les processus de réflexivité

5. Nous ne préciserons en bibliographie que certaines de ses références pour ne pas alour-
dir l’ouvrage. Les références reprises correspondent à celles sur lesquelles s’appuient
d’autres parties de l’étude.
30 Construire une pratique réflexive

de ceux d’autorégulation  (Boucenna  et  Vacher, 2016). Notre conception


de la réflexivité, s’inscrivant dans cette perspective, intègre un cinquième
processus, plus développemental, à savoir la connaissance de soi (rapport
à la pratique, grille d’analyse du vécu, etc.).
Plusieurs registres distincts peuvent être étudiés pour éclairer ces
processus : le temps de la réflexion, la nature des processus cognitifs et la
structuration de la démarche.

3.1 La réflexion, oui, mais quand ?


La première entrée significative est à nos yeux celle que propose
Schön, le créateur du concept de praticien réflexif (Schön, 1983/1994). Ce
dernier différencie la réflexion dans l’action et celle sur l’action. La première
se développe au cours de l’action professionnelle alors que la seconde se
déroule a posteriori, ou de façon simultanée6 à l’action lorsque cela est
possible.
Elles se fondent selon Saint-Arnaud sur des processus cognitifs dif-
férents (Saint-Arnaud, 1999) et l’auteur affirme que « dans une situation
difficile, il y a un écart entre la théorie professée par le praticien pour
expliquer son comportement et la théorie pratiquée à son insu, telle
qu’on peut l’inférer à partir du dialogue réel » (Saint-Arnaud, 1992,
p.  53). Pour lui, le terme de réflexif est inducteur d’un piège épistémo-
logique7, car il oriente implicitement cette capacité vers la rationalisation
qui ne peut être selon lui à l’œuvre dans l’urgence de la situation. Pour cet
auteur, la réflexion sur l’action serait pour le sujet en formation un biais de
projection de sa représentation de l’expertise et non de sa capacité réelle
à agir, alors que la réflexion dans l’action se fait dans une situation « qui
désarçonne l’acteur » et empêche cette mobilisation des cadres d’exper-
tise (Saint-Arnaud, 2001, p.  20). Les conséquences de cette option se
traduisent en pratique par des propositions centrées sur l’action (atelier
de praxéologie) et non sur l’analyse a posteriori (modèle majoritairement
développé en France type GEASE, instruction au sosie, ARPPEGE, groupe
de codéveloppement professionnel, entretien d’explicitation…).
Contrairement à Saint-Arnaud (1999), Saussez, Ewen et Girard font
l’hypothèse que le processus cognitif réflexif est probablement le même que

6. « Les praticiens peuvent aussi réfléchir à ce qu’ils font pendant qu’ils sont en
pleine action. Alors ils réfléchissent sur l’action » (Schön, 1994, p. 90).
7. Y. Saint-Arnaud propose le terme de praticien-chercheur plutôt que celui de praticien
réflexif (Saint-Arnaud 2001, 2003). Cette réflexion est développée dans l’ouvrage de M.
Bru et J. Donnay de 2002. Mais, pour Albarello, il n’y a pas recoupement entre les deux
notions, car le praticien réflexif se centre sur la transformation de son action alors que
le praticien-chercheur « s’engage dans l’étude scientifique d’un phénomène » qui a
été vécu (Albarello, 2004, p. 22).
Définir la pratique réflexive 31

l’on se situe dans la réflexion sur l’action ou dans l’action. Ils justifient leur
position par le fait que la réflexion dans l’action est nécessairement sur
l’action. Le deuxième argument est extrait des travaux de Schön qui pré
sente des exemples de métiers dans lequel la pression temporelle est faible
et permet que la réflexion sur l’action soit aussi celle dans l’action. Pour
Saint-Arnaud au contraire, la réflexion sur l’action ne porte en effet que sur
les facteurs généraux du métier et les processus cognitifs se limitent alors à
cette dimension générale (Facteurs Généraux G), qui ne sont pas utilisables
dans les cas particuliers (Facteurs Particuliers P) (Saint-Arnaud, 1999).
La réflexion dans l’action porte sur une situation particulière et
elle est limitée dans le temps, elle est située. Si l’on peut penser, comme
Saint-Arnaud (1999) l’affirme, qu’elle constitue un entraînement pour son
propre développement, il n’en demeure pas moins que son objectif se situe
dans l’évolution de l’action située.
La réflexion sur l’action a aussi pour visée cette dimension d’entraî-
nement et la dépasse, puisqu’elle vise aussi le développement de capacités
plus transversales et mobilisables dans une variété large de situations et de
projets. En ce sens, la réflexion dans l’action serait constituée de l’analyse
(parfois non inconsciente) des facteurs P alors que la réflexion sur l’action
serait essentiellement composée de l’étude des facteurs G (invariants).
Si en complément nous considérons la réflexion comme une action, la
réflexion sur l’action devient aussi réflexion au cours de l’action de réfléchir.
Il existerait alors deux processus en parallèle, réflexion/action et réflexion
sur la réflexion/action. Cette perspective serait de nature à rapprocher les
deux processus et à faciliter ainsi éventuellement leur développement.
Cette première distinction pose la question de la dimension tempo-
relle de l’action des professionnels dans les métiers de l’humain. Il est inté-
ressant de s’interroger sur le fait que la réflexion sur l’action puisse participer
à la capacité à agir dans l’urgence, mais aussi de ne pas négliger l’hypothèse
de processus cognitifs différents. Considérant que, comme pour d’autres,
le métier d’enseignant comporte des ensembles de moments et d’activités se
situant « hors » de la pression de l’urgence (planification, réunion, bilan, ou
même élèves en [semi –] autonomie…), il semble alors pertinent de former
l’acteur à la réflexion sur l’action. Cette formation permettrait potentielle-
ment au professionnel de choisir de stopper une action (non urgente) pour
réfléchir ou de mener une réflexion en parallèle lorsque le niveau de pres-
sion le permet. Schön précise à ce sujet que la réflexion sur l’action peut se
faire en cours d’action et, si elle ne peut temporairement être assez rapide
pour réorienter l’action présente, elle pourrait servir pour les futures actions
à venir et constituer une expérience/ apprentissage exploitable.
À l’instar des théories développées dans le champ de la motricité,
nous pourrions distinguer deux approches du rapport entre réflexion et
32 Construire une pratique réflexive

action. La première serait « écologique » et relierait le sujet à l’environnement


dans une boucle ne passant pas par le contrôle conscient (Saint-Arnaud).
La seconde, que nous pourrions appeler « cognitiviste », postulerait d’une
communauté de processus « conscientisable » entre « réflexion dans » et « sur
l’action » (Altet, Perrenoud, Donnay, Vermersch…). Nous conclurons en affir-
mant que la distinction opérée entre « réflexion sur » et « dans l’action » est
nécessaire, car elle soulève la question de l’existence potentielle de processus
cognitifs différents. Il s’agira alors de construire des dispositifs qui tiennent
compte de cette éventuelle différence pour planifier les objectifs à atteindre
et qui visent tout autant le développement de la capacité à réfléchir sur que
dans l’action. Mais si ces processus peuvent être différents, ils se fondent
néanmoins tous les deux sur la réflexion de l’acteur, qu’elle soit consciente
dans le cas de la réflexion sur l’action ou partiellement ou totalement incons-
ciente dans le cas de la réflexion au cours de l’action. La deuxième dimension
que nous analyserons est dans ce cadre celle qui est relative à la définition
générale de ce processus réflexif.

3.2 Quels processus cognitifs ? Réfléchissement,


réflexion et métaréflexion
Le premier distinguo que nous opérons vise à différencier réflexion
et réfléchissement. Si la réflexion est à rapprocher d’un processus cognitif
de rationalisation de la perception lors d’une situation, le réfléchissement
est l’expression subjective de ces perceptions par une mise en mots.
Piaget (1974, 1977) puis Vermersch (1994) clarifient cette distinction.
Le réfléchissement constitue un moment-espace de prise de conscience
d’éléments préréfléchis inconscients et dont le contenu exprime, sous
forme spontanée ou réactive, les tensions affectives, cognitives, sociales.
La seconde étape est alors une véritable réflexion au sens de rationalisa-
tion consciente de  la pensée exprimée de façon spontanée ou réactive.
Ce processus « d’objectivation » a donc pour objet le réfléchissement,
c’est-à-dire qu’il est un travail cognitif sur la matière fournie lors de cette
première mise en mots réactive qu’est le réfléchissement. La conséquence
de cette distinction sur la conception des dispositifs de formation est
importante, car elle permet d’établir une progression dans la pratique
réflexive. Les critiques réalisées (notamment par les enseignants débu-
tants), à propos des modules d’analyse de pratiques, portent sur deux
phénomènes contradictoires : le premier est l’incapacité des dispositifs à
faire dépasser le stade des échanges irrationnels ou d’opinions (et donc
du réfléchissement) et à l’opposé de susciter l’émergence de réflexions
rationnelles, mais décontextualisées.
Le terme même de réflexion est générique et sa définition précise
nous permet d’approfondir notre étude de la pratique réflexive. Ainsi, dans
Définir la pratique réflexive 33

l’entretien qu’ils donnent à la revue Recherche et formation n° 36 en 2001,


Donnay et Charlier affirment qu’il est nécessaire d’opérer une distinction
entre réflexion et réflexivité. Pour ces auteurs, la réflexion est le processus
cognitif qui s’engage face à une situation et qui reste limité à l’analyse de
cette dernière, la réflexivité englobe la réflexion, elle est à la fois réflexion
sur la situation et réflexion sur la réflexion. Ces auteurs qualifient de « saut
épistémologique » (Donnay et Charlier, 2006, p. 64) qui mène à cette nou-
velle dimension de l’analyse nommée « métaréflexion ». Cette différence de
niveau est importante, car elle a pour conséquence d’ouvrir une nouvelle
perspective en matière de contenus de formation et de clarification de la
nature des objectifs de la pratique réflexive.
Ainsi, si l’objectif de ce qui est nommé parfois « pratique réflexive »
se limite à l’analyse et la résolution de situations professionnelles ciblées
et à court terme, l’entraînement à la réflexion apparaît être une modalité
appropriée. A contrario, si l’objectif se situe dans une perspective ouverte
de développement professionnel, ne se centrant pas seulement sur l’action
présente ou sur une thématique limitée, les modalités privilégiant les conte-
nus relatifs à la métaréflexion semblent plus adéquates. Cette seconde option
constitue le fondement de la construction de la réflexivité au sens où la
définissent Donnay et Charlier (2006).
En résumé de cette analyse, nous pouvons affirmer que ces trois
éléments décrits, réfléchissement, réflexion et métaréflexion associés à
l’action/expérience, sont constitutivement indissociables dans la pratique
réflexive. Les phases de réfléchissement, qui portent sur l’action/expérience,
deviennent en effet matière de la réflexion qui elle-même devient matière de
la métaréflexion. Ainsi, la réactivité constitue une première étape de mise
en mot et se trouve complétée dans la pratique réflexive par le processus
de réflexivité qui englobe la réflexion et la métaréflexion.
Nous proposons le tableau suivant pour formaliser cette articulation
des processus :

Tableau 1.3. Articulation des processus rationnels de réflexion


dans la pratique réflexive

Processus Réactivité verbalisée


Réflexivité
global face à la situation
Réflexion = Analyse
Métaréflexion
Réfléchissement = mise du contenu
Sous processus = Analyse
en mot réactive mis en mot
de la réflexion
et de la situation
Contenu et/ou Mise en mot de la perception Réfléchissement
Réflexion
matière analysée réactive de la situation et situation
34 Construire une pratique réflexive

Dans ce tableau, la réflexion sur la réflexion (ou métaréflexion)


correspond à l’analyse de plusieurs composantes de la réflexion :

– les processus qui la composent


– sa construction au fil de l’analyse,
– les grilles mobilisées pour la conduire,
– les savoirs mobilisés,
– les paradigmes dans lesquels elle peut s’inscrire,
– les croyances et valeurs qui la sous-tendent…

Dans l’étude que nous avons citée précédemment, Beauchamp relève


cinquante-cinq définitions de la réflexion (Beauchamp, 2012). L’ensemble de
ces définitions recoupe une partie des processus que nous avons qualifiés
de « réflexion » et de « métaréflexion ». L’auteure identifie les six catégories
suivantes d’activités cognitives qui apparaissent dans ces définitions :

– examen (observer, se concentrer),


– pensée et compréhension (observer, penser, interpréter, donner un
sens),
– résolution de problème (trouver des solutions),
– analyse (analyser d’un œil critique),
– évaluation (évaluer remettre en question),
– édification, élaboration et transformation (construire, structurer et
transformer).

On constate que chacun de ces processus peut être mis en perspective


avec les fonctions que nous avons décrites précédemment (cf. tableau 1.1 :
instrumentale, problématiser, critiquer, délibérer, heuristique, changement).
La clarification du couple processus/fonction que nous avons opérée constitue
un enjeu face à l’opacité et la complexité des définitions que relève l’auteure.
On le voit ici, la réflexion constitue un matériel riche pour la méta-
réflexion. Cependant, si le contenu du tableau nous permet de clarifier
les relations entre les différents niveaux et objets de réflexion, il appa-
raît nécessaire d’apporter deux précisions qui intègrent des dimensions
complémentaires à cette modélisation. En premier lieu, pour simplifier
cette clarification nous avons limité la matière de la métaréflexion à la
réflexion rationnelle et volontaire (contrôlée), or cela est potentiellement
plus complexe. En effet, lors de l’analyse (réflexion) d’autres processus que
ceux de la rationalisation/objectivation apparaissent. Des réactions involon-
taires et d’autres matériaux accompagnent le processus de réflexion. Il peut
s’agir de résonances, d’émotions, du langage utilisé, des modes de communi-
cations adoptés, d’association d’idées, etc. Cet ensemble constitue un corpus
complémentaire qui peut être réfléchi lors de la métaréflexion (Vacher,
2014 b). Le tableau suivant est une traduction de cet enrichissement.
Définir la pratique réflexive 35

Tableau 1.4. Articulation des processus complexes de la réflexion


dans la pratique réflexive

Réactivité verbalisée
Réflexivité
face à la situation

Métaréflexion =
Réaction à la réflexion
Réflexion = Analyse
= émergence
Réfléchissement = Analyse de la réflexion
Processus de processus
mise en mot réactive rationnelle du et des processus
involontaires lors
réfléchissement complémentaires
de la réflexion
vécus

Charge Émotion, résonance,


Mise émotionnelle association d’idées,
Objet
en mot accompagnant Réfléchissement usage de mode Réflexion
au cœur
rationnelle la mise rationnel de communication, et réaction
du
de la en mot, et émotionnel langage mobilisé à la réflexion
processus
situation langage pour formaliser
utilisé… la réflexion

La deuxième précision porte sur le fait que si le réfléchissement


ou la réflexion seuls ne peuvent selon nous constituer une réelle pratique
réflexive, la capacité à la métaréflexion est parfois considérée comme réflexi-
vité à elle seule. Nous affirmons pour notre part que la métaréflexion ne
pouvant être dissociée de l’objet support de cette phase méta, le triptyque
minimal de la pratique réflexive est  : expérience réfléchie/réflexion/méta-
réflexion. C’est le danger d’une analyse « hors sol » qui est d’ailleurs souvent
la base de la critique du développement de la pratique réflexive. Cette
hypothèse d’un triptyque minimal remet cependant en cause la possibilité
de développer une pratique réflexive en situation d’urgence de l’action et
nous renvoie aux limites que l’analyse développée par Saint-Arnaud fait
apparaître (Saint-Arnaud, 1992, 1999).
Dans les tableaux précédents 1.3 et 1.4, nous mettons en lumière la
nature des « sauts épistémologiques » dont parlent Donnay et Charlier (2006,
p. 64). Comme nous le montrons, ces derniers reposent sur le passage d’un
matériau à un autre. Ces matériaux de la pratique réflexive sont de plusieurs
ordres : rationnel et contrôlé (grille de lecture, stratégie d’analyse…) et en
émergence dans le rapport au vécu de réfléchissement, réflexion et méta-
réflexion (émotionnel, résonance, mode de communication…).
Il existe ainsi deux types de matériaux de niveaux différents :

– Les produits rationnels et contrôlés (mise en mot volontaire ou


réflexion sur cette mise en mot). Il s’agit de la mobilisation de lan-
gages pour décrire, de la création de liens entre éléments, de l’usage
de grilles d’analyse.
36 Construire une pratique réflexive

– Les produits émergents et non contrôlés, surgissant en parallèle


de l’activité de rationalisation. Ces émergences s’incarnent sous la
forme de résonances, d’émotions, d’associations d’idée, de créativité,
d’intuition…

Pour clarifier encore plus cet élément, nous proposons de croiser


la nature du matériau et son niveau d’apparition.

Tableau 1.5. Matériau de la réflexion et métaréflexion


et niveau d’apparition

Vécu accompagnant le produit


Produit contrôlé (rationnel)
contrôlé (rationnel)
1er niveau Réfléchissement mise en mot (A) Rapport au vécu de réfléchissement (B)
e
2  niveau
Réflexion (C) Rapport au vécu de la réflexion (D)
(Réflexivité)
3e niveau
Métaréflexion (E) Rapport au vécu de la métaréflexion (F)
(Réflexivité)

On entrevoit que le troisième niveau est « un puits sans fond ». La


spirale réflexive pourrait se traduire par une succession infinie de boucles
méta. Ce qui fait affirmer à Kelchtermans que « La réflexion peut nuire
gravement à la santé, ou du moins à la paix de l’esprit » (Kelchtermans,
2001, p. 64).
Pour illustrer cette complexité des niveaux et objets, nous propo-
sons l’exemple suivant.
Une infirmière réalise, lors d’un moment informel
d’échange avec des collègues, le récit d’une situation qu’elle
a vécue (Réfléchissement A). Cette évocation lui a rap-
pelé immédiatement une situation similaire qu’elle avait
déjà vécue mais qu’elle n’a pas mentionnée à ses collègues
(Réfléchissement B). Sur le trajet du retour à son domi-
cile, elle réfléchit à son récit. Elle se rend compte qu’elle
n’a parlé que des aspects psychologiques de la patiente
qu’elle évoquait et utilise le champ lexical des sentiments
pour raconter son vécu (grille de lecture de la réflexion/
rationalisation C sur A). Elle identifie aussi que ses évoca-
tions l’ont rendue nerveuse au moment du récit, notamment
lorsqu’elle a repensé à la situation déjà vécue antérieure-
ment (réflexion sur le rapport au vécu réfléchi, C sur B).
Le lendemain, elle poursuit ses réflexions, mais cette fois elle
saute d’un niveau encore pour prendre ses réflexions pour
objet d’analyse. Elle constate qu’à chaque fois qu’elle revient
Définir la pratique réflexive 37

sur ces réflexions elle regarde d’abord ce qu’elle a dit des


dimensions psychologiques (Métaréflexion E  sur  C). Elle
a l’impression d’être rassurée par le fait d’avoir ce cadre.
D’un autre côté, elle se rend compte que cela la met en
difficulté, s’interrogeant à chaque fois sur le périmètre de
ses compétences et de son fonctionnement cognitif (Méta-
réflexion E sur C). De plus, elle se rend compte que, sys-
tématiquement, lorsqu’elle réfléchit à ces moments où elle
raconte son quotidien, ressurgissent d’autres expériences
passées et que cela la déstabilise. Elle s’interroge (Méta-
réflexion E sur D) sur ce que traduit cette émergence liée
à ces réflexions (D). Elle fait l’hypothèse que cela indique
peut-être un sentiment d’impuissance face au recommen-
cement des situations vécues (Métaréflexion E sur D).
Elle prend aussi conscience que même si ces réflexions la
déséquilibrent parfois, elle sent paradoxalement en elle une
satisfaction, un enthousiasme à « reprendre possession » de
son vécu par la réflexion (Métaréflexion E sur D). Elle
pourrait poursuivre cette spirale réflexive en se donnant
cette fois la métaréflexion (E) et le rapport au vécu de la
métaréflexion (F) comme objet de méta métaréflexion…
L’étude des démarches mises en œuvre pour déclencher l’appari-
tion de ces processus et des objets de réflexion constitue un complément
nécessaire pour poursuivre notre chemin dans cette complexité.

3.3 Quelle structuration de la démarche réflexive ?


Une hétérogénéité de conceptions
Comme nous venons de le faire apparaître, la structuration de la
démarche réflexive articule les trois éléments qui composent la boucle pratique
théorie-pratique (Altet, 1996) à savoir  : l’expérience, la réflexion (au sens
large) et le réinvestissement de la réflexion dans l’action. Si ces trois éléments
sont présents dans la plupart des conceptions proposées par les auteurs, leur
déclinaison précise varie selon les théories ou postulats de départ.
Nous ne réaliserons pas une étude exhaustive des modèles de struc-
turation qui sont nombreux, mais essaierons d’en faire apparaître les traits
principaux. Ainsi, Saussez, Ewen et Girard s’appuient sur les travaux de
Dewey et définissent la réflexion comme « une démarche d’investigation cri-
tique » (Saussez, Ewen et Girard, 2001, p. 74). Chez Dewey (1993, 1947), la
pratique réflexive, nommée « expérience réflexive » est un processus enclen-
ché par une situation problématique. Elle se compose d’une abstraction
de l’expérience et d’hypothèses d’action pour la transformer. L’expérience
réflexive est le résultat d’une démarche d’investigation qu’il qualifie comme
38 Construire une pratique réflexive

la transformation dirigée (par la médiatisation de la connaissance et des


concepts) d’une situation non unifiée (problématique) en une situation sous
contrôle8. Cette proposition de définition du processus de réflexion, en tant
qu’élément central de la démarche, pourrait se rapprocher de la définition
que donne Vygotski (1934/1997) de la conscience, la décrivant comme « l’ex-
périence vécue d’expériences vécues » et dont le langage serait le média.
La démarche d’investigation que propose Dewey (1993, 1947) se
structure en quatre étapes interdépendantes et parfois imbriquées les unes
dans les autres. Dans les propositions de Saussez, Ewen et Girard (2001),
ces étapes sont définies comme suit :

– émergence d’un questionnement à propos d’une expérience, construc-


tion du caractère problématique de la situation énoncée ;
– identification du problème : de la problématique à la situation forma-
lisée. Il s’agit ici de l’analyse du contenu du problème ;
– interprétation du problème : anticipation sur les modes de résolution
et énonciation d’une possibilité ;
– activité réflexive d’évaluation préactive et post-active de la validité
de la solution, conception d’hypothèses sur les moyens d’évaluer le
sens et la validité de la solution.

Holborn pour sa part affirme que le processus réflexif se fonde sur


une boucle cyclique unissant : une attention aux expériences concrètes et
personnelles, une analyse et l’identification de facteurs clés, la formulation
de concepts, de principes et de règles et enfin le développement d’une théo-
rie personnelle qui est expérimentée dans une nouvelle situation (Holborn,
1992). Dans les propositions de mise en œuvre, ce cycle se traduit par
quatre étapes :

– décrire les faits, les interventions, les actions ;


– préciser les intentions poursuivies et les stratégies favorisées ;
– préciser et évaluer les résultats obtenus ;
– dégager un modèle d’action efficace ou cibler les améliorations
possibles.

Si l’on retrouve la structuration générale proposée par Saussez,


Ewen et Girard (2001), on notera cependant que les différences portent
sur la nature problématique de la matière première. Chez Holborn, l’ac-
compagnement « problématisant » se structure à partir de la mise en rela-
tion systématique des intentions, des stratégies et des résultats alors que

8. Nous inscrivant dans le projet d’une bascule vers le paradigme de l’incertitude, nous
relativiserons cette affirmation du contrôle de la situation en utilisant les termes de
situation « acceptée, affrontée et analysée ».
Définir la pratique réflexive 39

chez Saussez, Ewen et Girard l’émergence est plus « sauvage » et laisse


probablement plus de place aux composantes subjectives de l’expérience
et de son analyse. En cela les objets de la métaréflexion s’enrichissent
potentiellement d’autres processus tels que ceux que nous avons évoqués
précédemment (résonances, émotions…).
Le modèle proposé par Dejemmepe et Dezutter reprend quant à lui
en grande partie celui formulé par Holborn (1992) (Dejemmepe et Dezutter,
2001). Ces auteurs structurent la démarche en quatre étapes : description des
expériences personnelles, analyse des facteurs et des modèles qui influencent
l’action, formulation de principes, de règles, développement d’une théorie
personnelle prédictive. On notera cependant que cette fois l’accent est mis
sur l’influence de l’environnement au sens large (facteurs et modèles qui
influencent l’action) alors que le modèle d’Holborn (1992) privilégie l’enga-
gement de l’enseignant (intentions poursuivies et stratégies favorisées).
On retrouve une description assez proche des processus lorsque
Boucenna, Thiébaud et Vacher (2022) identifient les composantes ordonnées
de l’analyse de pratiques (constituer le matériau, décrire, problématiser,
analyser, théoriser, retourner sur l’action et méta-réfléchir).
L’analyse de ces différentes approches montre que les trois éléments
de notre définition (l’expérience, la réflexion et le réinvestissement de la
réflexion dans l’action) sont bien présents dans ces structurations de la
pratique réflexive. Les différences notables portent sur le degré de préci-
sion du cadrage de la démarche, la recherche de l’expression de la subjec-
tivité ou encore la centration sur l’acteur ou l’environnement. On notera
cependant que la dimension développement à moyen et court terme n’est
pas lisible à travers les structures présentées ici. Nous avions pourtant vu
que ces éléments constituaient un objectif important de la proposition de
dispositifs de développement de la pratique réflexive dans les formations.
L’approche que propose Perrenoud dans son ouvrage de 2001 nous permet
d’éclairer cette différence (Perrenoud, 2001). L’auteur propose en effet une
lecture plus macroscopique ou maximaliste de la structuration de la pratique
réflexive qui intègre les « dimensions manquantes » des modèles précédents.
Conformément aux dix raisons qu’il formalise, Perrenoud considère la pra-
tique réflexive comme largement ouverte sur le temps, les pratiques et les
interactions. Ainsi, la réflexion et sa structuration sont « une habitude,
une dépense d’énergie intégrée à la vie quotidienne » (Perrenoud, 2001,
p.  62). Pour l’auteur, c’est la démultiplication et la variété des approches
permettant la structuration de la démarche réflexive dans une « convergence
globale » qui « accroîtra les chances des étudiants d’accrocher à l’une
ou l’autre et enrichira leur palette » (Perrenoud, 2001, p. 63).
En résumé, la structuration de la pratique réflexive peut être entre
vue sous deux angles  : l’un microscopique ou minimaliste qui précise les
40 Construire une pratique réflexive

étapes à suivre, le plus souvent à travers des dispositifs formels et institués


(APP en groupe, entretien…), l’autre maximaliste qui considère la pratique
réflexive comme une posture générale qui se développe potentiellement,
par l’intermédiaire d’un engagement conscient, à la rencontre de tous les
environnements. En accord avec la position de Perrenoud, nous postulons
l’existence, dans cette seconde option, d’un réflexe réflexif (ou habitus
réflexif) qui se déclenche dans divers moments et qui dépasse les situa-
tions standardisées et instituées telles que les temps d’analyse de pratiques
professionnelles. Ces deux approches ne sont cependant pas exclusives et
peuvent se combiner dans les propositions d’ingénierie de formation.
Si nous venons de voir que la structuration de la pratique réflexive
n’est pas homogène et qu’elle diffère selon les approches retenues (objectifs,
mises en œuvre, implication du sujet/personne…), nous pouvons émettre
l’hypothèse que cette pluralité de conceptions se retrouve aussi dans l’hétéro-
généité des objets de l’analyse réflexive.

4. LES OBJETS DE L’ACTIVITÉ RÉFLEXIVE


Le spectre des objets analysés lors de la pratique réflexive, dans les
métiers de l’humain, est à l’image de l’hétérogénéité des registres mobilisés
dans ces métiers. Cette largeur est liée à la multitude des registres du métier,
mais aussi aux liens qui les unissent et à la complexité qui en découle.
Outre cette caractéristique de la pratique professionnelle, la complexité
de l’objet découle aussi du fait que la pratique réflexive se situe dans le
« miroir du miroir ». Ainsi, nous avons vu que la métaréflexion replace la
réflexion comme objet de la pratique réflexive et que ce miroir est en fait
une « spirale réflexive sans fin ».

4.1 Une matière traitée hétérogène


Schön affirme que « les objets de sa [le praticien réflexif] réflexion
sont aussi variés que les sortes de phénomènes qui s’offrent à lui et
les systèmes de savoir pratique qu’il utilise en face d’eux », et l’auteur
de poursuivre pour illustrer son propos par l’énoncé d’objets potentiels :

« Les normes tacites et les appréciations qui sous-tendent un juge-


ment […] les stratégies et les théories implicites […] ce qu’il ressent […]
la façon dont il s’y est pris pour formuler un problème » ou encore « le rôle
qu’il s’est approprié au sein de l’ensemble institutionnel » (Schön, 1994,
pp. 90-91).

Face à cette diversité, Saussez, Ewen et Girard (2001) poursuivent


leur analyse systématique des cinq critères de Calderhead (1992) et proposent
Définir la pratique réflexive 41

une classification des objets et des auteurs9 qui sont relatifs à ce thème. Pour
illustrer cette richesse potentielle des objets, nous reprendrons dans le tableau
suivant le contenu de leur analyse dans le domaine de la formation des ensei-
gnants (en le complétant).

Tableau 1.6. Exemple de la matière de la pratique réflexive


dans le cas de la formation des enseignants

Objet
Hollingsworth, 1989
Korthagen, 1993
Croyances et autres conceptions du futur enseignant
Calderhead, 1996
Vermersch, 1994
Matière à enseigner Shulman, 1986
Processus enseignement-apprentissage Altet, 1994
Relation pédagogique Tom, 1984
Modèle d’intervention Saint-Arnaud, 1992
Théories de l’action Argyris, 1995
Valeurs et principes éthiques Zeichner, 1993
Communication et capacité à travailler en équipe Perrenoud, 2001
Donnay et Charlier, 2006
Processus d’analyse réflexive Perrenoud, 2001
Robo, 2003
Belair, 2001
Processus de développement professionnel
Donnay et Charlier, 2006
N.B. Ce recensement n’est pas exhaustif, mais vise simplement à montrer la richesse existante en la matière. Une grande
partie peut d’ailleurs aisément être transposée à l’ensemble des métiers de l’humain.

Nous percevons, à travers ce panorama, la diversité de la matière


de la pratique réflexive. Cette hétérogénéité se fonde aussi bien sur une
lecture technique de l’enseignement, que sur une approche psychologique,
prospective, sociale ou philosophique. La variété relevée se traduit par des
mises en perspective de niveaux divers allant de l’analyse de la pratique
effective à l’analyse de l’analyse en passant par l’analyse des « fondements
invisibles » de ces deux niveaux.

9. Nous ne préciserons en bibliographie que certaines de ces références pour ne pas


alourdir notre écrit. Les références reprises correspondent à celles sur lesquelles nous
appuyons d’autres parties du travail.
42 Construire une pratique réflexive

Perrenoud, dans son ouvrage de 2001, dresse encore une fois un pano-
rama très large des possibles objets de réflexion du praticien10 (Perrenoud,
2001). L’auteur nous amène à penser les objets de la pratique réflexive, comme
auparavant sa structuration, à travers une approche éclectique.
La diversité des objets ne doit pas contenir le risque de perdre de
vue l’objectif général de transformation des pratiques à échéances diverses.
Pour cela l’ancrage dans les pratiques effectives est une garantie théorique
d’orientation de la réflexive vers la transformation de ces dernières (Altet,
2008). Ce principe n’aboutit cependant pas à l’évacuation des registres
qui ne sont pas en lien direct, matériellement visible, avec la pratique. Par
exemple, les réflexions portant sur les croyances et conceptions de l’ensei-
gnant peuvent n’avoir en première « lecture » qu’un lien quasi invisible avec
les pratiques pour le praticien et s’avérer au final tout autant décisives que
les réflexions didactiques ou pédagogiques dans la mise en œuvre. L’enjeu
de la pratique réflexive est bien ici, d’ouvrir les champs d’analyse pour
donner une « lisibilité partielle » à la complexité.

4.2 Une matière traitée complexe


Comme nous l’avons vu précédemment, Dewey (1993) définit l’expé-
rience réflexive comme le résultat d’une démarche d’investigation qui vise
le passage d’une situation perçue comme non unifiée à une situation sous
contrôle. Plus que de viser un contrôle objectif des situations qui repla-
cerait l’acteur partiellement dans une perspective applicationniste (Ferry,
1987), nous postulons que la pratique réflexive permet la construction d’une
lecture plus unificatrice de la complexité de la situation. Cette lecture ne
peut prétendre à une objectivité de description/perception, puisque ce qui
fonde la différence entre le compliqué et le complexe est l’incertitude et
l’imprévisible, irréductible et constitutif des phénomènes analysés. La mise
en relation d’éléments préalablement perçus comme dissociés permet une
réorganisation de ces derniers en un tout cohérent, la situation devenant
un phénomène unique gardant sa dimension complexe. Les éléments sont
ainsi lus à travers une cohérence de « fonctionnement », un équilibre de la
situation, et l’on parlera alors de « compréhension de la situation ». Il n’en
demeure pas moins que cette cohérence n’est pas systématiquement perçue
ou conscientisée lors du déroulement de la situation et les liens apparaissent
le plus souvent lors de la phase consciente et volontaire de réflexion et sont
donc le produit de l’activité réflexive. La réflexion est alors un processus de
mise en perspective fonctionnelle de la matière complexe de l’expérience,

10. Selon l’auteur le praticien réflexif s’interroge ainsi entre autres « sur sa tâche », « ses
stratégies », « les moyens », « le timing », « la légitimité de son action », « la part de négo-
ciation », « la nature des risques », « la division du travail », « la culture de l’institution »,
« l’éthique », « les savoirs ». (Perrenoud, 2001, p. 61).
Définir la pratique réflexive 43

de reconstruction de l’interdépendance des éléments hétérogènes et non


encore unifiés que l’on définira comme une analyse nécessairement systé-
mique de la situation ou phénomène « support ».
L’analyse systémique se fonde alors sur la réorganisation éclairante
des éléments à partir des liens qui les unissent. Ces relations peuvent être
verticales ou horizontales, unilatérales ou réciproques, directes ou différées,
rétroactives ou récursives. Si l’analyse systémique offre une référence pour
lire les relations entre les objets en système et permet ainsi une appréhen-
sion de la complexité, l’usage ou la conception de corpus de cadrage des
objets sont des compléments nécessaires à cette appréhension. Le point
suivant sera l’occasion de détailler cette structuration de ces cadres de
lecture de la complexité.

4.3 Approche multidimensionnelle, plurielle,


multiréférentielle : vers une approche
multiréfléchie
Plusieurs approches proposent une lecture de la complexité des
métiers de l’humain susceptible d’articuler la démarche réflexive à sa
matière11. Chacune d’entre elles se structure autour de postulats ou d’angles
spécifiques. Pour Poisson, il est ainsi nécessaire de concevoir une formation
intégrant la complexité en se fondant sur une approche « multi », mais aussi
de penser la reliance entre ces « multis » (Poisson, 2005).
L’approche multidimensionnelle se retrouve chez de nombreux
auteurs et se constitue de l’analyse d’une situation à partir de ses multiples
dimensions. Dans le champ de l’éducation par exemple, Altet définit leur
nature en précisant que ces dimensions peuvent être épistémique, didac-
tique, pédagogique, psychologique ou encore sociale (Altet, 2002b). Mais,
pour Ardoino, « la multidimensionnalité reste une lecture du compliqué
[…] objet toujours supposé décomposable, réductible à l’état d’éléments
plus simples » (Ardoino, 1993, p.  15). L’analyse systémique nécessaire à
l’appréhension du complexe ne peut se fonder, selon l’auteur, sur une
approche multidimensionnelle seule. Pour dépasser cette approche, l’au-
teur propose une démarche d’approche multiréférentielle. Ainsi, face à une
approche multidimensionnelle qui « reste ordonnée à l’espace » (Ardoino,
1993, p.  15), la multiréférentialité, « plus résolument “compréhensive”,
reconnaît l’implication, l’altération et la temporalité qui la constituent »
(Ardoino, 1993, p. 15). Dans cette approche, non seulement les dimensions
sont mises en perspective, mais cette mise en perspective est à son tour

11. On notera que ces approches peuvent être conçues à des fins de recherche sur les pra-
tiques professionnelles et non forcément pour nourrir la démarche du praticien réflexif.
44 Construire une pratique réflexive

objet d’analyse. Les composantes subjectives et situées sont un élément


fondamental de l’analyse qui permet d’intégrer la complexité réelle de la
situation et du processus réflexif engagé. Cette approche vise un éclairage
le plus large possible de la situation par la multiplication des dimensions et
références mobilisées. La réintégration de la logique temporelle qui donne
sa nature au complexe est à ce titre un élément essentiel. Ainsi, Ardoino
affirme qu’il faudrait convenir que la « représentation systémique de la
complexité, ne suffit pas tout à fait, non plus à rendre compte de cer-
tains aspects […] des situations sociales, notamment la consistance
particulière d’une temporalité-durée, plus historique » (Ardoino, 1993,
p.  19). L’auteur précise que le dépassement de l’analyse multidimension-
nelle se justifie aussi du fait de la spécificité des langages qui demeurent
unidimensionnels. Ainsi, l’approche multiréférentielle que propose l’auteur
repose en complément sur le décryptage12 du langage à partir de ses réfé-
rences plus ou moins explicites.
Cette approche nécessite une connaissance large des paradigmes
mobilisés, c’est-à-dire des champs scientifiques, mais aussi institutionnels et
conjoncturels. Face à cette ampleur des corpus à maîtriser, Altet propose
le développement du concept d’« approche plurielle » (Altet, 2002b). Ainsi,
« constatant dans les faits l’impossibilité de l’analyse multiréférentielle
multiplication des dimensions et références mobilisées. La réintégra-
tion de la logique temporelle qui donne sa nature au complexe est
à ce titre un élément essentiel. Ainsi, Ardoino affirme qu’il faudrait
convenir que la “représentation systémique de la complexité, ne suffit
pas tout à fait, non plus à des pratiques menées par un seul cher-
cheur, comme le préconisait J. Ardoino » (Altet, 2002b, p. 88), l’auteure
développe une approche alternative. Si les objets et le fond de la méthode
semblent pourtant communs13, Altet réfute la possibilité de maîtriser seul la
largeur des corpus de référence et propose donc « une analyse plurielle à
partir d’approches disciplinaires croisées du “travail interactif situé” »
(Altet, 2002b, p.  88). Ainsi, le croisement des expertises « didactique,
sociologique, clinique, analyse des interactions enseignant/apprenant,
interactions langagières intersubjectives » (Altet, 2009, p. 40) offre une
nouvelle perspective de lecture de la complexité et, rejoignant l’analyse
d’Ardoino, montre qu’il n’y a pas de « métalangage donné a priori […],
mais qu’un métalangage se construit à partir de la confrontation pluri-
disciplinaire avec ses propres concepts fédérateurs » (Altet, 2009, p. 40).

12. « Il devient préférable de repérer, de trier, de distinguer, de reconnaître, de différencier,


les sens très divers que peuvent revêtir les termes employés, en fonction des psycho-
logies et des positions sociales des interlocuteurs […] comme en regard des conjonc-
tures, plus larges dans lesquelles s’inscrivent les situations » (Ardoino, 1993, p. 19).
13. Le titre de l’article d’Ardoino (1993) témoigne de cette communauté puisqu’il accole au
terme de « multiréférentielle » celui de « plurielle » entre parenthèses.
Définir la pratique réflexive 45

Comme nous l’avons précisé, ces deux approches s’inscrivent princi-


palement dans une perspective de recherche. Or, si le praticien réflexif peut
être qualifié de « praticien chercheur », le cadre/contexte et les processus
engagés ne peuvent être confondus. Ainsi, si nous adhérons à la perspec-
tive de recherche collective qu’ouvre l’approche plurielle, nous pensons
que dans le cas de la pratique réflexive des professionnels des métiers de
l’humain, l’enrichissement pluridisciplinaire ne peut s’articuler autour d’un
panel large d’« experts » et que le professionnel en accompagnement ou
en formation initiale ou continue ne maîtrise effectivement pas toutes les
références nécessaires à « l’exhaustivité » d’une approche multi référentielle.
Dans ce cadre, nous proposons le concept d’« approche multi-
réfléchie ». La modélisation suivante de cette dernière tente de mettre en
lumière trois dimensions :

– La pluralité des éclairages disciplinaires maîtrisés par le praticien.


– La richesse de l’approche multiréférentielle.
– La multitude des objets « à réfléchir » que nous avons mis en lumière
dans les tableaux 1.3, 1.4 et 1.6.

Il nous faut préciser que nous ne cherchons pas à résoudre la difficulté


énoncée par Altet et relative à la maîtrise de cadres larges et exhaustifs de
connaissances par l’acteur, et ce d’autant plus lorsqu’il s’agit d’une formation
initiale. Nous pensons par contre que cette approche offre un autre point de
vue sur les processus potentiellement enclenchés dans la pratique réflexive.
En effet, en cohérence avec nos analyses précédentes, nous intégrons à la
perspective multiréfléchie à la fois les éléments objectivables (grilles d’ana-
lyses mobilisées, réorganisation systémique et/ou chronologique des éléments
analysés, etc.) tout autant que les processus plus subjectifs qui émergent en
parallèle de l’analyse rationnelle (émotion, altération, résonance…). Cette
intégration des paramètres subjectifs du processus réflexif nous amène à
émettre l’hypothèse suivante : le professionnel peut développer une analyse
multiréfléchie à partir de ses propres ressources et fonctionnements cognitifs.
En résumé, l’approche multiréfléchie est ici à la fois une démarche
et une représentation de ce que peuvent être les processus complexes de la
pratique réflexive. Elle combine à l’intégration des dimensions subjectives du
processus réflexif, les perspectives plurielle et multiréférentielle et le dépasse-
ment de l’approche multidimensionnelle. Dans cette approche, la matière
de la réflexion se construit à partir des savoirs issus des champs
disciplinaires, scientifiques et de l’expérience, des références qui les
fondent, des perspectives propres aux sujets qui réalisent l’analyse,
des données relatives aux conjonctures dans lesquelles s’inscrivent la
situation analysée et enfin de l’étude du « voile de subjectivité » qui
relie l’ensemble et en émerge. La multiplication des réflexions, au sens
46 Construire une pratique réflexive

physique du terme, offre une opportunité de lecture « partielle et située » de


la complexité. Si nous avons constaté l’impossibilité d’objectivité, de définition
du réel et d’exhaustivité de cette lecture en raison de l’inaccessible de la
complexité, des limites de la connaissance du sujet et du caractère subjectif de
sa réflexion, nous émettons l’hypothèse que le professionnel peut enclencher
ce processus de multiréflexion. Il le fera de façon située en fonction du niveau
de ses propres ressources, de ce que ses interlocuteurs peuvent donner ou
co-construire dans les processus de formation ou d’accompagnement et de
sa capacité à aller chercher de la connaissance pour amplifier, éclairer cette
perspective générale.
Pour clarifier notre proposition de lecture des différentes approches
et rapport à la matière située, nous présentons une série d’illustrations
de ces dernières qui donne à voir un exemple de complexification des
composantes de l’approche multiréfléchie. Les processus d’objectivation et
subjectifs apparaissent ainsi au fur et à mesure de l’illustration proposée.
Il est nécessaire de noter en préalable que dans cet exemple, l’agencement
des contenus ne prétend aucunement à être une succession intangible. Ces
illustrations et l’approche multiréfléchie doivent être appréhendées comme
heuristique. Les étapes illustrées cherchent à donner une lisibilité accrue à
la complexité de l’analyse et de l’analyse de l’analyse. Ainsi les différentes
phases proposées ici ne suivent pas dans la réalité une chronologie fixe.
Selon le contexte de l’analyse ou le sujet traité, elles peuvent se réagencer,
être présentes ou non. Une forte intensité émotionnelle lors de l’analyse
serait par exemple de nature à constituer un matériau prioritaire, reléguant
pour un temps l’usage de grilles de lecture utilisées habituellement.
Pour illustrer ces composantes d’une approche multiréfléchie, nous
proposons une situation initiale (qui a été la matière/récit d’une séquence
du dispositif ARPPEGE). Dans un souci de continuité de notre propos, nous
réutiliserons dans les chapitres suivants de l’ouvrage, cette situation initiale
pour illustrer les effets de notre dispositif.
Le problème que j’ai repose sur un constat, un
élève de classe de 4e présente aux évaluations certifica-
tives des résultats qui ne sont pas en cohérence avec le
travail fourni en classe. En effet, lors des séquences de
travail accompagné réalisées en classe avec l’enseignant,
l’élève fait preuve de concentration et de pugnacité tra-
duisant une motivation. Les évaluations formatives pro-
duites en cours de séance permettent de faire l’hypothèse
que ces efforts fournis sont à l’origine de sa réussite et de
sa compréhension. Cependant lors des évaluations som-
matives et certificatives hebdomadaires, ce même élève
n’obtient que de très mauvais résultats. Il ne semble ne
Définir la pratique réflexive 47

pas s’être préparé et donne même l’impression d’avoir


oublié ce qu’il réussissait à faire avant en cours dans la
semaine. Je lui demande régulièrement s’il travaille chez
lui, mais vraisemblablement non. Cet élève est considéré
comme « pas travailleur » par mes autres collègues.

Ce premier processus de récit est constitué d’une mise en mot à tra-


vers le réfléchissement d’une situation vécue. Dans cette phase, les lectures
réactives et simples de la situation structurent le propos [figure 1.1]. À ce
stade et la plupart du temps, la situation réfléchie exposée est structurée
autour d’un modèle simple [unidimensionnel] de compréhension ou d’une
série d’éléments sans lien et qui ne donnent pas de cohérence lisible à la
situation. Cette phase constitue le plus souvent la matière première de
la suite de l’approche multiréfléchie [figure 1.2].
Dans la situation initiale proposée, ce niveau d’analyse pourrait se
traduire soit par l’explication de la situation par le manque de travail de
l’élève à la maison soit par une incompréhension globale de l’incohérence des
résultats de l’élève. On relève ces deux pistes dans le récit présenté. Dans
ces deux cas et en cohérence avec notre définition initiale, la perspective
réflexive est absente car le récit ne porte à ce stade ni piste de dévelop-
pement professionnel ni enrichissement des perspectives d’intervention.

Figure 1.1. Approche juxtaposée ou unidimensionnelle,


lecture simple et/ou réactive

Situation
réfléchie

Une fois cette matière « posée », un premier niveau d’analyse est


possible pour le praticien. Il s’effectue à partir d’une réflexion rationali-
sante du contenu de la première mise en mot. L’entrée dans la réflexion
pourrait se matérialiser par la mobilisation de cadres usuels de décryp-
tage de la complexité. L’acteur puise par exemple dans les registres variés
d’analyse qu’il utilise au quotidien (savoirs professionnels et expérientiels)
pour construire une compréhension de la situation réfléchie (figure  1.2).
L’approche est ici multidimensionnelle.
Ainsi, en référence à notre situation initiale, le praticien interro-
gerait la situation du point de vue de ses repères de fonctionnement par
exemple dans le registre des acteurs (institution(s), parent(s), élève(s)…).
Il s’interroge sur la responsabilité de l’institution ou encore des parents
dans la situation décrite. Un autre praticien pourrait pour sa part fonc-
tionner à partir d’autres points de repère centrés sur l’apprentissage.
48 Construire une pratique réflexive

Il interrogerait ainsi la dimension temporelle de la séquence (l’élève a-t-


il le temps de consolider ses apprentissages de la semaine ?), celle
du savoir (le savoir interrogé lors de l’évaluation certificative est-il
conforme à celui travaillé dans la semaine ?) ou encore il mènerait
une réflexion sur les formes de groupement.
Dans une forme collective de travail d’analyse, on entrevoit la pos-
sibilité d’enrichissement des registres d’analyse à partir de la mutualisation
de ces derniers. Chacune des références présentées ci-dessous pourrait
l’être par différent participant à un dispositif de formation ou d’accompa-
gnement en groupe.

Figure 1.2. Approche multidimensionnelle pragmatique,


mobilisation juxtaposée des registres usuels

Institution Temps

Parents Groupement
Ou
Élève… Savoir…
Situation Situation
réfléchie réfléchie

À ce stade, les questionnements et pistes de compréhension


demeurent cependant juxtaposés et chacune constitue un registre ou une
dimension potentiellement porteuse d’une ouverture de l’analyse, mais indé-
pendante des autres. En fonction de son expérience, l’acteur peut hiérarchi-
ser l’importance des analyses et faire donc priorité à l’une ou l’autre dans
sa compréhension de la situation réfléchie.
Les éléments précédents incarnent les dimensions objectivables de
la réflexion produite, en l’occurrence ici les indicateurs utilisés quotidienne-
ment par le professionnel pour produire ses analyses. D’autres processus,
plus subjectifs, pourraient émerger à ce stade. Par exemple, lors de la
mobilisation de l’indicateur institutionnel, le professionnel pourrait ressentir
une émotion spécifique  : l’analyse de cette dimension lui ferait se sentir
peu soutenu par sa hiérarchie. L’objet d’analyse deviendrait donc à la fois
le produit de la réflexion utilisant l’indicateur institutionnel mais aussi le
rapport du professionnel à l’usage de cet indicateur et les résonances émo-
tionnelles que cette réflexion peut produire en lui. Ces éléments illustrent les
dimensions que nous avons mises en lumière dans nos tableaux 1.3 et 1.4.
Une autre stratégie pourrait être développée, en complément ou en
parallèle, par le praticien. Il s’agirait pour lui de structurer sa lecture de la
situation autour de la mise en relation des différents registres de son analyse.
Il procèderait ainsi à un premier niveau d’analyse systémique (flèches entre
les registres dans la figure 1.3). Dans notre situation initiale de référence, une
Définir la pratique réflexive 49

première relecture de la matière réfléchie pourrait s’effectuer à travers l’ana-


lyse des relations entre les parents et l’institution (représentation, information,
échange…) ou encore l’élève et l’institution (valeur de l’effort, représentation
de la réussite…). Dans le schéma ci-dessous (Registres des savoir, temps
et groupement), seraient par exemple mis en perspective la difficulté de la
tâche (savoir) et le temps imparti pour la réaliser, l’interrogation de l’impact
de la nature du savoir sur les formes de suivi (avec enseignant ou autonome).

Figure 1.3. Approche multidimensionnelle pragmatique globale,


interactions entre les registres usuels

Temps

Groupement

Savoir …

Situation
réfléchie

Ces trois premières approches seront qualifiées de pragmatiques et


expérientielles, car elles reposent sur l’expérience pratique et sur les cadres
d’analyse conçus à cette occasion et qui permettent le fonctionnement du
professionnel au quotidien. L’analyse se fonde sur des savoirs d’expérience
ou professionnels. Dans le cas des savoirs d’expérience, le praticien analyse
avec ses propres ressources, participant ainsi potentiellement à des appren-
tissages et nourrissant en retour ses savoirs dans une boucle potentiellement
autodidactique. Dans le cas spécifique des formations initiales, les analyses
initialement construites sont souvent stéréotypées (unidimensionnelles ou
juxtaposées), du fait du manque d’expérience mais aussi peut-être d’habi-
tus réflexifs. Les modes de socialisation (Rayou et Van Zanten, 2004) ou
l’identité héritée (Dubar, 1991), souvent non réfléchis, conduisent le formé
à une analyse fréquemment réactive et sans grande possibilité d’élargir le
champ des ressources mobilisables.
Mais cet usage principal d’une approche expérientielle ou pragma-
tique peut parfois laisser place à une mobilisation de savoirs théoriques.
On qualifiera alors d’approche savante cette structuration de la réflexion.
Comme pour l’usage des registres du quotidien, le praticien produirait soit
une juxtaposition des analyses à partir des domaines scientifiques qu’il
maîtrise (figure 1.4) ou, comme dans le cas des registres usuels, produire
une mise en relation de chacun de ces domaines (figure 1.5).
50 Construire une pratique réflexive

Figure 1.4. Approche savante analytique, juxtaposition des analyses

Psychologie

Sociologie

Philosophie

Situation réfléchie

Dans notre situation initiale de référence, le praticien s’interrogera


ou mobilisera par exemple des données issues de la psychologie pour tenter
de percevoir les motifs d’actions de l’élève ou effectuera par exemple une
lecture de l’engagement de l’élève à partir de la théorie de l’expectation-
valence. Il pourrait aussi se référer aux études sociologiques qui fournissent
des informations sur le temps de travail à la maison (Guillaume et Maresca,
1995 ; Glasman, 2004 ; Rayou, 2010) ou encore par exemple, mobiliser les
données des études portant sur les représentations de la réussite scolaire
chez les parents de telle ou telle catégorie socioprofessionnelle, etc.
Dans la figure suivante, ces différentes sources d’analyse sont mises
en perspective. Ainsi, dans notre situation de référence, il s’agirait d’explorer
la piste de la représentation du travail scolaire chez les parents et de ses
conséquences sur la motivation de l’élève. Ou encore de mettre en relation la
question de la motivation de l’enfant avec l’impératif éthique ou éducatif de
l’autonomisation de l’élève. Ces combinaisons de registres sont représentées
par les flèches qui relient les différentes strates d’analyse.

Figure 1.5. Approche savante globale, interactions entre les analyses

Psychologie

Sociologie

Philosophie

Situation
réfléchie

Mais l’expertise du praticien réflexif n’oppose pas les analyses


savantes et expérientielles, c’est au contraire la possibilité de combiner ces
deux approches qui permet d’amplifier la compréhension de la situation
Définir la pratique réflexive 51

analysée. Un premier niveau « d’expertise » dans la réflexion pourrait alors se


constituer de la mise en perspective des deux niveaux d’analyse systémique :
celui de la mise en relation des registres usuels (approche pragmatique, expé-
rientielle) et celui des savoirs théoriques (approche savante) (figure 1.6).

Figure 1.6. Combinaison des approches savante et pragmatique globale

Temps Psychologie

Groupement
Sociologie
Savoir

Situation Philosophie
réfléchie
Situation
réfléchie

À titre d’exemple dans notre situation initiale, le ou les praticiens


pourraient réfléchir sur la relation qui existe entre la faiblesse du temps
d’apprentissage entre les cours et l’évaluation et la « pression » des parents
sur le travail hors du temps scolaire. Ou encore une réflexion sur la mission
de l’enseignant sous l’angle du dilemme de la nécessaire autonomisation
de l’élève et de l’impératif lié aux savoirs déclinés dans les programmes.
Ces premiers niveaux de réflexion demeurent liés à des composantes
objectives (verbalisées) de la situation analysée. Aussi, l’intégration des ten-
sions du système « situation étudiée/sujet analysant » implique l’analyse des
composantes subjectives de la situation et du sujet qui analyse. On parlera
alors de multiplication des références de l’analyse. Ces références constituent
autant de points de vue qui se traduisent par des déformations de la lecture
de la situation. Ces déformations/altérations peuvent se produire pour des
raisons de ressources (habitus, représentations, savoirs…) ou des enjeux
de positionnement (individuels, collectifs, institutionnels, scientifiques…).
Les nouveaux éclairages produits constituent un potentiel de relecture de la
situation et notamment la mise en lumière des zones d’ombres de l’analyse.
C’est lorsque le praticien intègre l’analyse de ces éléments de réflexion qu’il
entre dans le processus de réflexivité tel que nous l’avons défini, c’est-à-dire
unissant réflexion et métaréflexion. Ainsi l’ensemble des éléments d’analyse
décrits dans les différentes approches est complété par le rapport à ces der-
niers (stratégies d’analyse, registres mobilisés, résonances, émotions,  etc.)
pour constituer le matériau de la métaréflexion.
Pour décrire cette dernière phase d’analyse réflexive, nous pro-
posons le concept d’approche multiréfléchie qui intègre la dimension
métacognitive à deux niveaux. Le premier niveau est celui que nous venons
de voir et qui consiste en l’intégration des subjectivités, le déplacement des
52 Construire une pratique réflexive

angles de vue, des références d’analyse. Le second niveau est celui relatif à
l’analyse de cette analyse14. Ce niveau est intéressant, et ce pour deux rai-
sons principales. Tout d’abord il permet de pondérer les analyses en évaluant
leur pertinence et ainsi de produire un avis « éclairé » permettant potentielle-
ment l’engagement dans l’action et qui tienne compte du caractère subjectif
de ce dernier. La seconde raison est liée à la perspective d’autonomie et de
transformation dont est porteuse la pratique métacognitive. En analysant
sa méthode d’analyse, le sujet l’évalue, la régule et s’inscrit dans
une transformation, que l’on peut qualifier ici d’autoformation si le
sujet lui confère une portée didactique en plus de la portée opéra-
tionnelle. À ce titre, elle peut contribuer de façon objectivable ou
diffuse au développement professionnel du praticien.
Dans notre situation initiale de référence, cette approche multi-
réfléchie porterait sur la relativisation, la pondération, la mise en tension
des niveaux d’analyses précédents. Il s’agirait par exemple de mettre en
perspective deux réflexions à partir de leur logique et pertinence dans le
cas concret : la lecture didactique de la situation est-elle plus porteuse que
la lecture psychologique et affective de la situation, si oui (non) pourquoi,
quelle complémentarité,  etc. Ou encore de voir pourquoi dans le récit et
les échanges les informations relatives à un domaine particulier sont peu
nombreuses, celui de l’image de l’élève en classe pour ses camarades par
exemple. D’autres objets d’analyse d’un autre niveau sont aussi possibles.
Par exemple, le professionnel pourrait s’interroger pour savoir pourquoi il
a analysé prioritairement avec le registre psychologique ou encore quelle
est la cause de l’émotion ressentie ou de la résonance vécue ?
On le perçoit, il ne s’agit pas à ce stade de produire une compré-
hension juste ou un éclairage exhaustif de sa façon d’analyser, mais plutôt
une compréhension située et consciente de ce caractère. La déformation des
lectures, ou plutôt la subjectivisation des analyses peut avoir pour source les
résonances de la situation évoquée avec sa propre expérience. Dans notre
situation initiale par exemple, le fait d’avoir soi-même un enfant dans cette
situation ou au contraire de n’avoir jamais connu « d’échec » dans son propre
parcours, constituent des filtres subjectifs de l’analyse, car dépendants du
sujet qui produit l’analyse. Encore une fois une structure collective d’analyse
est un facteur de multiplication de ces filtres qui deviennent chacun des
objets d’analyse potentielle. Les métaréflexions porteraient dans ce cas sur
les cadres de lectures des différents acteurs. L’un d’eux explore la dimen-
sion psychologique alors qu’un autre s’interroge en priorité sur le rapport
entre temps et savoir par exemple. Chaque angle subjectif de vue constitue
un projecteur éclairant la situation (figure  1.7) que l’acteur tente, lors de

14. On retrouve ici l’interrogation du cadre interprétatif personnel que propose Kelchtermans
(2001).
Définir la pratique réflexive 53

l’analyse métacognitive, de décrypter dans son fondement, sa logique et


son contenu pour produire une relecture pondérée de la situation réfléchie.
Dans une perspective de développement professionnel, l’acteur
réinterrogerait sa propre démarche d’analyse (et potentiellement celle des
autres), par exemple en se questionnant de la sorte : pourquoi est-ce que
les registres institutionnel et psychologique structurent prioritairement
mon analyse ? Ce fonctionnement prioritaire est-il récurrent ? Ou encore
pourquoi est-ce que je réagis vivement à l’analyse qui m’est proposée
par un participant lorsqu’il évoque la situation familiale de l’élève ?
Comment est-ce que les autres participants formulent leur proposition ?
Quel vocabulaire a été utilisé pour décrire la compréhension de la
situation ? Etc.
Le regard qui est porté à ce stade peut se fonder sur plusieurs
niveaux d’indicateurs. À un premier niveau, il s’agirait par exemple d’inter-
roger les éléments d’action et les faits qui sont retenus et analysés. À un
deuxième niveau, l’analyse méta porterait sur les règles et principes d’action
qui sont mobilisés pour produire l’analyse. Le troisième niveau porterait lui
sur l’analyse des valeurs, des croyances, de l’éthique et/ ou de la morale
qui sous-tendent l’analyse produite. Enfin, les derniers objets susceptibles
d’être analysés sont relatifs aux affects engagés et produits lors de l’analyse.
Dans le stade de la réflexion métacognitive (ou métaréflexion), la
réflexion se fonde sur les ressources déjà mobilisées lors des stades pré-
cédents, c’est-à-dire les savoirs d’expérience ou savants. Par exemple, la
lecture des enjeux des positionnements scientifiques peut se faire par une
approche sociologique ou philosophique ou par un éclairage de l’expérience
dans l’institution. Il y a mobilisation des mêmes ressources, non pour analy-
ser la situation, mais pour analyser l’analyse (figure 1.7). Nous reprécisons ici
que le niveau de ces ressources chez l’enseignant débutant15 constitue une
limite du développement de l’analyse multiréfléchie et que cette dernière
en est à la fois facteur de développement et créatrice de besoins. L’ambition
des formations est alors conçue en regard des limites formulées par Altet
quant à la possibilité de retrouver en un seul acteur la capacité à élargir
de façon conséquente le spectre d’analyse.
La figure suivante met en système l’ensemble des niveaux d’analyse
que nous venons de préciser et d’illustrer. L’analyse métaréflexive porte sur
l’analyse de l’analyse et son évaluation temporaire. Elle permet de plus de
réfléchir sur la construction d’un métalangage susceptible de favoriser le
travail de co-construction et de compréhension dans les formes collectives
d’analyse.

15. Dans le contexte initial de notre travail avant extension à d’autres contextes.
54 Construire une pratique réflexive

Dans la figure suivante, chaque projecteur constitue un angle


subjectif d’éclairage (une analyse référencée et située, car liée aux réfé-
rences et caractéristiques identitaires de l’acteur qui les produit) de la
situation initiale réfléchie. Cet angle/projecteur combine de façon singu-
lière les différentes analyses en leur conférant des validités d’importances
hétérogènes. Lorsque le sujet est seul à produire l’analyse, il hiérarchise
ses propres angles de lecture et les structures en un système si possible
moins dissonant. La mise en tension de ces différents angles (compa-
raison du poids, de la pertinence de chacun d’eux, logique d’apparition,
fondements…) constitue les objets de l’analyse métaréflexive et se maté-
rialise par le système périphérique de flèches qui englobe l’ensemble des
autres niveaux d’analyse. Cette analyse métaréflexive est souvent une
source de dissonance cognitive et ce déséquilibre des modes habituels
de réflexion constitue potentiellement l’une des bases du développe-
ment professionnel. Pour que ce processus soit constructif, il faut qu’il
soit conscientisé et accepté. La mise en place d’un cadre sécurisé et
accompagné constitue un étayage nécessaire à cet engagement dans un
« déséquilibre identitaire ».

Figure 1.7. Approche multiréfléchie :


phase de réfléchissement, réflexion et métaréflexion

Mise en lumière et analyse


des angles de vue référencées
et situées dans l’analyse
métaréfléxive

chologie
psych temps

sociologie discipline
discipline
disc

Physiologie… Savoir…

réfléch
Situation réfléchie

L’approche multiréfléchie, en intégrant la double dimension subjec-


tive de l’expérience en situation et de l’analyse, se fonde sur une position
Définir la pratique réflexive 55

singulière du sujet à la fois objet et sujet. Son engagement dans l’analyse


relève donc d’un processus singulier générateur de tensions.

5. LA POSITION DU SUJET
DANS LA RÉFLEXIVITÉ :
ENTRE EXPLICATION ET IMPLICATION
Comme nous venons de le voir, la construction d’une analyse multi-
réfléchie nécessite un engagement important du sujet, car elle implique
d’importants déplacements des points de vue. Elle est de ce fait potentiel-
lement génératrice de tensions, l’acteur étant à la fois objet et sujet actif de
l’analyse. Ce passage à l’action/réflexion sur soi est qualifié d’« autorisation »
par Ardoino (Ardoino, 1990)16 Cette dernière nécessite le dépassement de
tensions liées au risque de transformation profonde du sujet. Ainsi, la pra-
tique réflexive et plus particulièrement l’une de ses déclinaisons formelles
possibles, l’analyse de pratiques, « exige de chacun un véritable travail
sur soi […] elle expose au regard d’autrui, elle invite à la remise en
question, elle peut s’accompagner d’une crise ou d’un changement
identitaire » (Perrenoud, 2001, p. 113). Face à ce risque de déstabilisation,
les études montrent que le désengagement de l’analyse réflexive17 est le plus
souvent privilégié chez les enseignants débutants et qu’ils adoptent alors
des stratégies de contournement ou d’évitement (Jorro, 2005).
Si le sujet s’autorise, au sens d’Ardoino, il peut alors s’engager dans
une pratique réflexive qui articule deux éléments en apparence contradic-
toires : l’explication et l’implication. L’analyse étymologique (plicare = plier)
nous permet de cerner ce qu’Ardoino appelle le « sens de la pliure » (Ardoino,
1983). Nous utiliserons ce sens pour construire une schématisation de la
nature des processus d’explication et d’implication. Dans la définition de
l’explication, le sens de la pliure est extérieur à l’objet analysé alors que dans
la définition de l’implication ce sens est intérieur. Illustrons cette image  :
pour parvenir à s’engager dans le processus réflexif, tel que nous l’avons
défini dans l’approche multiréfléchie, le sujet doit à la fois se proposer une
relecture de l’expérience qui soit faite « de l’intérieur » (implication, c’est-à-
dire qui laisse s’exprimer un maximum de la subjectivité de la perception)
et une lecture « de l’extérieur » (explication) qui mette à distance cette
subjectivité pour en faire un objet d’analyse.

16. Dans cet article, Ardoino définit de multiples sens au terme d’« autorisation » dont celui
qu’il rapproche d’« auteurisation » qu’il développera par la suite et qui traduit l’idée
d’avoir autorité sur soi.
17. Au sens physique défini, c’est-à-dire sur soi.
56 Construire une pratique réflexive

Dans la situation initiale que nous avons exposée précédemment, il


s’agit dans un premier temps de laisser la place à l’expression du ressenti,
du phénomène, des souvenirs saillants (volonté de comprendre la situation,
appréciations des collègues sur l’élève, informations sur les résultats sco-
laires, absence de clarté des informations relatives au travail à la maison,
centration sur le facteur travail…) qui traduisent une implication du sujet
dans la pratique et l’analyse. Cette implication se traduit par la phase de
réfléchissement. Ainsi, la situation est vue et vécue de l’intérieur et la pliure
traduit un regard en soi.

Figure 1.8. Implication

Le travail d’analyse réflexive (réflexion et métaréflexion) et donc


de dépassement du réfléchissement constitue au contraire une tentative de
sortie de soi, de se regarder du dehors. La perspective multiréfléchie traduit
cet enrichissement des angles de vue. Il s’agira pour l’acteur de tenter de
se regarder de l’extérieur. Comme le montre la figure suivante, la pliure est
cette fois vers l’extérieur. Dans la situation exposée, il s’agira par exemple
d’expliquer/comprendre en mobilisant des ressources qui ne sont pas celles
que l’acteur mobilise spontanément au quotidien. Par exemple le passage
d’une lecture structurée autour des indicateurs temps-groupement-savoir
à une réflexion complétée par les références savantes psychologique et/ou
philosophique. Ce « tirage sur soi » est amplifié lorsqu’il s’agit de prendre
en compte ses stratégies d’analyses, de regarder ses références. La méta-
réflexion constitue donc un mécanisme d’explication d’un autre niveau.

Figure 1.9. Explication
Définir la pratique réflexive 57

Nous avons précisé que nous concevions la structure de la pratique


réflexive comme unissant les éléments de réfléchissement, de réflexion et de
métaréflexion ; aussi nous affirmons que dans ce cadre les postures d’implica-
tion et d’explication sont les caractères indissociables de la pratique réflexive.
Ainsi, si nous poursuivons notre métaphore des figures précédentes,
nous constatons que dans les deux cas de figure l’acteur est à l’origine de la
pliure (son intensité, son degré…) et ne peut en conséquence se dissocier
de l’analyse. Sa position extérieure (explication) le conduit à une tentative
d’extraction qui se traduit soit par une réduction de la complexité (corres-
pondant à une assimilation à des cadres d’explication ou connaissances pré-
existants), soit à une orientation de la lecture de la complexité par un maintien
de la subjectivité personnelle. À l’opposé, la pliure interne (implication) peut
conduire à une absence de lisibilité en raison du grand nombre des éléments
évoqués, mais permet par contre de ne pas réduire la complexité.
Nous émettons l’hypothèse que la réflexivité permet de poser un
regard sur l’équilibre entre les deux processus d’explication et d’implication.
Nous utiliserons la métaphore d’un élastique pour illustrer ce système, cet
équilibre.

Figure 1.10. Explication et implication

1 Explication

2 Implication
58 Construire une pratique réflexive

En tirant vers la position extérieure (1 explication) le système se met


en tension et déforme l’objet analysé dans le sens d’une mise en conformité
avec les connaissances décontextualisées. Dans notre exemple, cela se tradui-
rait par exemple par une lecture normative de la situation et à l’attribution
de l’écart de notes à l’absence de suivi des parents dans le travail à réaliser
à la maison. A contrario, en tirant l’élastique vers l’intérieur (2 implication),
la déformation risque d’aboutir à une concentration sur le singulier et le per-
sonnel (dont les logiques inconscientes) au risque de rendre impossible toute
saisie par l’intelligence de l’objet analysé. Cela s’incarnerait dans le mélange
de l’ensemble des hypothèses dans une sorte de conclusion sur la fatalité
d’une complexité irréductible et donc illisible. L’explication et l’implication
seraient donc deux facettes de la réflexivité qui vivent de façon simultanée
et complémentaire. L’équilibre entre les deux processus relève ainsi pour
nous d’une accommodation et implique l’engagement dans la métaréflexion
pour « réduire » ou « faire avec » la dialectique implication/explication. Cette
métaréflexion se réalise de façon simultanée (ou microjuxtaposée) à l’analyse
et met en perspective l’objet et la distance avec laquelle le sujet analyse.
Cette distance devient alors à son tour l’objet de la métaréflexion.
En résumé, nous proposons de poursuivre notre approfondissement
de la définition de la pratique réflexive en précisant qu’elle se constitue
de la possibilité d’analyser une situation et de façon concomitante d’une
distanciation réflexive composée d’une métaréflexion sur le processus d’ana-
lyse et sur la dialectique implication/explication. Cette perspective multiple
s’incarne dans l’approche multiréfléchie et dépasser ainsi la seule perspec-
tive d’analyse d’une situation particulière. Dans cette définition, la pratique
réflexive unit les perspectives situées et développementales.
Définir la pratique réflexive 59

À retenir sur…
la pratique réflexive

Des éléments d’éclairage


– Elle s’inscrit dans une option constructiviste.
– Elle possède plusieurs fonctions et objectifs (voir tableau 1.1).
– Elle se caractérise par des processus cognitifs variés (voir tableaux  1.2,
1.3, 1.4 et 1.5).
– Elle porte sur des niveaux et objets variés (voir tableaux 1.5 et 1.6).
– Elle se développe dans un processus continu de développement
professionnel.
– Elle nécessite un engagement fort de l’acteur qui se traduit par une
recherche d’équilibre entre les processus d’implication et d’explication.
Des éléments de définition
– Le praticien réflexif est une personne capable d’affronter, d’accepter la
complexité du métier (dans toutes ses dimensions) et d’agir en assumant
ses responsabilités, et ce par la médiation de la réflexion.
– La pratique réflexive se caractérise par la mobilisation complémentaire
de trois modes d’appréhension du vécu de 3 niveaux différents  : le
réfléchissement, la réflexion et la métaréflexion (voir tableaux  1.3 et 1.4
et 1.5).
– Les matériaux de la pratique réflexive sont de plusieurs ordres : rationnel et
contrôlé (grille de lecture, stratégie d’analyse…) et en émergence dans le
rapport au vécu de réfléchissement, réflexion et métaréflexion (émotionnel,
résonance, mode de communication…).
– Dans l’approche multiréfléchie, la matière de la réflexion se construit à
partir des savoirs issus des champs disciplinaires, scientifiques et de
l’expérience, des références qui les fondent, des perspectives propres aux
sujets qui réalisent l’analyse, des données relatives aux conjonctures dans
lesquelles s’inscrivent la situation analysée et l’analyse produite et enfin
de l’étude du « voile de subjectivité » qui relie l’ensemble. Cette approche
se réalise à « hauteur de ressources » de l’apprenant.
Des questions sur…
– L’existence potentielle d’une différence entre la réflexion menée dans
l’action et la réflexion menée sur l’action.
– Une vision « minimaliste » de la pratique réflexive dans laquelle son apparition
se limite à la situation d’analyse formelle ou une vision maximaliste qui
la considère comme une « habitude du quotidien « et qui aboutirait au
développement d’un réflexe réflexif.
Chapitre 
Vers la conception
2
de dispositifs de développement
de la pratique réflexive :
conditions et variables
de mise en œuvre

La plupart des formations dans le champ des « métiers de l’humain »


sont interrogées sur leur capacité à professionnaliser les acteurs (Wittorski,
2008) et à répondre ainsi aux réalités des besoins du terrain. Les missions
de professionnalisation dans les institutions de formation dédiées à ces
champs sont désormais au cœur des projets de formation et des offres. Face
à ces interrogations de leur performance, les institutions ont développé un
ensemble de dispositifs de valorisation de l’alternance. Ainsi, depuis plus
d’une vingtaine d’années sont apparus dans les plans de formation des dis-
positifs d’analyse de pratiques tentant de répondre à cette mission. Le savoir
analyser, la résolution de problèmes par l’analyse, le développement d’une
intelligence collective (Thiébaud, 2013 ; Thiébaud et Vacher, 2018, 2020)
sont autant d’objectifs isolés ou combinés poursuivis dans ces modules de
formation. Si le concept de praticien réflexif est souvent invoqué comme
objectif de ces dynamiques ingéniériales, il n’en demeure pas moins que
son apparition massive dans les discours n’en a pas réduit pour autant la
62 Construire une pratique réflexive

polysémie et la variété des déclinaisons pratiques qui le constituent. Aussi,


pour faciliter la lecture du lien qui unit la conception de dispositifs de for-
mation à la pratique réflexive aux définitions précédentes, nous proposons
de dresser un panorama des conditions susceptibles de favoriser l’entrée
dans cette pratique ainsi que de préciser les variables mises en œuvre dans
les dispositifs existants. Nous noterons, avant d’entamer ce cheminement,
que dans une vision maximaliste de la pratique réflexive, et en accord avec
la thèse de Perrenoud, le développement de cette pratique en vue de la
construction d’un réflexe réflexif ne saurait se limiter aux dispositifs institués
d’analyse de pratiques professionnelles. Dans cette hypothèse, les vécus de
formation en centre et sur le terrain constituent potentiellement des objets
d’analyse qui peuvent être réfléchis hors des temps dédiés à l’analyse de
pratiques professionnelles. Ces vécus/objets pourraient être placés au cœur
des plans de formation.

1. LES CONDITIONS DE DÉVELOPPEMENT


DE LA PRATIQUE RÉFLEXIVE
À travers la définition de l’approche multiréfléchie, nous avons mis
en évidence la complexité de l’engagement du praticien. Faite d’un équilibre
permanent entre les processus d’implication et d’explication, la pratique
réflexive, qui agit en moteur du développement professionnel, engage poten-
tiellement des transformations profondes chez le praticien. En conséquence,
l’engagement sur le chemin de la réflexivité n’est pas aisé pour ce dernier.
Ce cheminement est conditionné par l’élaboration d’un environnement favo-
rable. Ce système de conditions générales repose sur plusieurs domaines
qui seront étudiés successivement dans les points suivants. L’environne-
ment favorable, construit en système, se détermine au final par l’ensemble
des conditions décrites par la suite ainsi que l’articulation entre elles par des
acteurs multiples et porteurs de ce projet en une éventuelle « convergence
globale » (Perrenoud, 2001, p. 63).

1.1 La clarification du contrat de formation


et sécurisation de l’engagement du sujet
La clarification du contrat de formation se fonde sur une éthique
de l’institution et du formateur (Grégoire, 2014 ; Rebetez, 2017 ; Boucenna,
Thiébaud et Vacher, 2022) et se justifie pour plusieurs raisons.
La première de ces raisons est liée à la singularité de la situation
de la formation initiale. On relève en effet dans la littérature relative à
l’étude de cette étape (ici dans la formation des enseignants) la présence de
tensions pour les formés et les formateurs (Zinguinian et André, 2017) qui
Vers la conception de dispositifs de développement de la pratique réflexive 63

nécessitent la mise en place d’un travail de sécurisation par la clarification


du contrat de formation. Deux paradoxes essentiels sont relevés comme
étant la cause de ces tensions :

– Celui d’une institution qui affirme des volontés de prise en compte


de la dimension singulière de la formation (alternance, adulte) par
la responsabilisation et qui en même temps infantilise par l’usage le
plus directif du mode de socialisation scolaire (évaluation floue ou
formelle, cours magistraux) (Dubois, Gasparini et Petit, 2005) ;
– Celui des enseignants débutants18 qui, face au choc de la transition
(Veenman, 1984), se retrouvent à formuler des attentes contra-
dictoires. D’une part en demandant que cesse la dynamique d’infan-
tilisation (Fabre, 2009) et d’autre part en réclamant des apports
prédigérés et économisant leur engagement cognitif (Roux-Perez,
2004).

Dans le cas de la formation des enseignants, qui est notre terrain


de recherche, ces tensions peuvent être attribuées à plusieurs causes. Le
mode de socialisation scolaire des enseignants débutants peut être évoqué
au premier plan. Les parcours des enseignants débutants sont assez homo-
gènes et aboutissent à des modes de socialisation professionnelle domi-
nants. Les enseignants novices ont en effet vu, à travers leur réussite au
concours de recrutement, la reconnaissance de leurs stratégies de travail et
d’apprentissage mises en œuvre au cours de leur scolarité et que l’on peut
nommer « identité héritée » selon l’expression de Dubar (1991). Les études
montrent que ces enseignants débutants ont pour la plupart été des élèves
en réussite scolaire et universitaire. En outre, la forme de travail proposée
en institution de formation conserve une grande partie des caractéristiques
fondant leur propre socialisation scolaire et universitaire. Dubois, Gasparini
et Petit (2005) précisent à ce sujet que « leur formation s’effectue en effet
au travers d’apprentissages méthodiques et relativement uniformes, de
progressions réglées, d’exercices contrôlés, d’évaluations régulières ».
La présence de ces modes valorisés de socialisation constitue un biais de
renforcement des habitudes de travail, mais aussi en conséquence des
représentations du métier d’enseignant et de la réussite scolaire (Tardif
et Lessard, 1999 ; Rayou et Van Zanten, 2004). Le modèle universitaire
de formation, dont sont issus la plupart des candidats, ne s’inscrit pas en
rupture avec ce schéma (Altet, Fabre et Rayou, 2001).
La forte composante disciplinaire des concours de recrutement
permet finalement le maintien des habitudes de travail lors de l’année de

18. Dans le modèle français, les enseignants débutants ont réussi ou préparent un concours
académique après une formation universitaire disciplinaire et sont placés après cette
réussite en formation en alternance durant un an.
64 Construire une pratique réflexive

préparation des concours de recrutement. La conversion nécessaire lors de


la formation en alternance constitue, lorsque l’institution propose des formes
alternatives de travail, une réelle remise en cause des représentations et habitus
qui en découlent. Le passage au rôle d’acteur, auteur de sa transformation n’est
pas inscrit dans les habitus de travail ni dans la représentation du métier ou
de la formation. Un rapport du comité national d’évaluation affirme ainsi que
« beaucoup de stagiaires sont déroutés ou réticents dès lors qu’on leur
propose un type de formation qui fait appel à leur autonomie et à leur
capacité de trouver eux-mêmes des solutions, ou une activité qui exige
d’eux un investissement personnel » (CNE 2001, p. 58).
D’un point de vue psychosocial, on constate que les formes de travail
sont très majoritairement individuelles au cours du cursus universitaire, ce
constat est renforcé par la logique des concours qui impose implicitement
une mise en concurrence des candidats. Les pratiques collectives de forma-
tion ne sont pas ou peu pratiquées et constituent, elles aussi, une rupture
sur la forme d’avec les habitudes de travail de l’étudiant. En outre, le travail
collaboratif implique un relatif désengagement du formateur au profit d’une
réappropriation par chacun du projet de formation conférant à tous une
responsabilité individuelle et collective. Cette autonomie de fait et la res-
ponsabilité qui en découle, liées aux formes nouvelles de travail, aboutissent
souvent à des contournements ou des engagements minimalistes dans les
dispositifs les requérant. Pourtant ces formes de travail ne constituent pas
une réelle dissonance du fait de la souplesse de fonctionnement formel qui
caractérise les nouvelles générations d’enseignants (Rayou et Van Zanten,
2004). Ce ne sont donc pas les formes de travail, mais plutôt les effets et
conséquences de celles-ci que les enseignants débutants pourraient cher-
cher à éviter. L’activité de formation est en conséquence souvent réduite
par le maintien d’un fonctionnement à partir d’habitus forts et la négation
ou le rejet de la forme dissonante (notamment l’écriture individuelle et
réflexive, le travail de co-construction…). Les formateurs pour leur part
rencontrent un certain nombre de difficultés. Lorsque ces derniers tentent
de résoudre ces paradoxes, ils se confrontent immédiatement à une série
de contraintes notamment liées aux faibles volumes des enseignements, à
la pression des enseignants débutants, à leurs propres approches de l’ensei-
gnement et de l’apprentissage ou encore à l’exigence d’évaluation certifi-
cative (Gremion et Maubant, 2017). Ces contraintes se traduisent chez les
formateurs par l’apparition d’un nombre conséquent de dilemmes lors de
leurs interventions (Tardif et Lessard, 1999). Les institutions tentent par-
fois à travers leur projet de résoudre ces dilemmes ou d’accompagner leur
résolution. Mais ces tentatives se heurtent souvent à leurs propres contra-
dictions épistémologiques, historiques, sociologiques ou encore éthiques.
La deuxième raison s’inscrit en cohérence avec la première, elle
est relative à la confusion possible entre les processus de formation et les
Vers la conception de dispositifs de développement de la pratique réflexive 65

procédures d’évaluation instituée (Zinguinian et André, 2017). Le rapport à


l’évaluation peut paraître d’autant plus en tension que la pratique réflexive
postule « la dé-maîtrise partielle » face à l’incertitude. Dans ce système de
tension entre formation et évaluation, la pratique réflexive semble, dans une
approche distinctive, favorisée par une séparation de ces deux démarches.
Cette condition peut poser des difficultés institutionnelles ou de légitimité
aux modules de formation dissociés de l’évaluation instituée, notamment, et
de façon accrue en formation initiale. A contrario, dans une approche maxi-
maliste de la pratique réflexive (Perrenoud, 2001), cette superposition serait
moins visible puisque la pratique réflexive ne serait plus cantonnée à un type
de module spécifiquement dédié, mais serait présente dans l’ensemble de la
formation dans une « convergence globale » (Perrenoud, 2001, p. 63). Quoi
qu’il en soit du choix de définition, le rapport évaluation-développement de
la pratique réflexive est à clarifier pour éviter les stratégies d’évitement qui
sont relevées dans la littérature notamment à travers la perception par le
formé d’un « chantage à la certification » (Fabre, 2009).
La dernière raison qui explique la nécessité de concevoir un environ-
nement favorable à l’amorce et l’entretien de la pratique réflexive se situe
dans la possible confusion entre les dimensions personnelles et profession-
nelles du sujet. Dubois, Gasparini et Petit affirment ainsi que, « par ailleurs,
l’idée même de réflexivité peut conduire à un malentendu, si l’on entend
par elle une réflexion intime sur soi et ses actes » (Dubois, Gasparini et
Petit, 2005, p. 98), et Bourgeois et Nizet d’affirmer que l’engagement dans
la transformation, « c’est aussi de “parier” sur l’inconnu, l’incertain ;
c’est se détacher de repères familiers et sûrs, pour s’engager dans une
voie inédite dont on ne peut forcément connaître l’issue » (Bourgeois
et Nizet, 1997, p.  139). Les remises en cause pouvant être produites par
la pratique réflexive portent sur le professionnel, mais les résonances pos-
sibles avec la personne sont potentiellement créatrices d’angoisses chez le
praticien. Donnay précise à ce sujet que l’accompagnement de l’acteur doit
permettre, pour et par celui-ci, la gestion du rapport « fusion-différencia-
tion de la personne et de la fonction » et d’ajouter que l’acteur doit ainsi
pouvoir faire sienne l’affirmation suivante « je ne suis pas à confondre
avec mes actes » (Donnay, 2002, p. 7). Il serait irréaliste et inutile de pré-
tendre contrôler cette séparation entre personne et professionnel, mais il
est cependant nécessaire d’accompagner et d’encadrer cette dualité. Dubois,
Gasparini et Petit proposent que cet encadrement se réalise par l’intermé-
diaire de la connaissance et de l’usage d’un « référentiel de compétences,
qui fixe pour tous les membres de l’institution ce que l’on est en droit
d’attendre des stagiaires en formation » (Dubois, Gasparini et Petit, 2005,
p. 98). La définition de référentiels de compétences présente cependant le
risque d’une approche normative de la formation qui viendrait en contra-
diction avec l’approche complexe que nous proposons. Plusieurs auteurs
66 Construire une pratique réflexive

développent ainsi plutôt l’idée d’un référentiel qui serve de base pour réfléchir
l’action et non la prescrire (Paquay et Wagner, 1996) ou alors l’entrevoient
comme une  incitation ouverte et non stricte (Le Boterf, 2004). Lessard
synthétise cette idée lorsqu’il affirme qu’un référentiel est « un instrument
pour penser et impulser le mouvement » du travail réel vers le travail
prescrit (Lessard, 2009, p.  136). Idée que l’on retrouve dans le sous-titre
de l’ouvrage de Perrenoud lorsqu’il précise qu’il s’agit d’une « invitation au
voyage » (Perrenoud, 1999a). Ce type de référentiel constituerait un élément
de contractualisation de la formation.
Mais si le contrat de formation précise effectivement les objectifs
par l’intermédiaire des compétences à acquérir, il décline aussi les disposi-
tifs et interlocuteurs chargés plus spécifiquement de tel ou tel contenu, les
modalités de mises en œuvre retenues et enfin l’articulation en complémen-
tarité de ces éléments. Mais cette connaissance d’un cadre commun et de
ses acteurs et modules opérationnels n’est pas suffisante car elle n’engage
que l’institution et les formateurs (Zinguinian  et  André, 2017). Du côté
du formé, Donnay précise trois conditions pour accepter d’entrer dans le
processus réflexif :

– « ne pas sentir sa personne menacée, accepter de changer ses


pratiques,
– accepter de modifier éventuellement sa fonction,
– accepter de modifier ses images de soi liées aux pratiques »
(Donnay, 2002, p. 6).

Ces conditions semblent aussi être au fondement de l’entretien de


cette pratique, et ce aussi bien dans une définition minimaliste que maxi-
maliste de la pratique réflexive.
La perspective ouverte par Donnay (2002) replace le sujet au centre
de l’environnement et pas seulement comme décideur de l’alternative « refu-
ser ou accepter le contrat de formation ». La sécurisation de l’engagement
dans la pratique réflexive se développe à travers la reconnaissance et la
prise en compte des angoisses et de la déstabilisation du praticien. Ainsi,
« la situation de formation, en ce qu’elle constitue un cadre protégé hors
de l’espace et du temps “réels” de la vie, offre au sujet une scène où il
peut se permettre d’emprunter d’autres manières de penser et d’agir »
(Bourgeois et Nizet, 1997, p. 141). Robo décline plus spécifiquement les cinq
conditions favorables à la sécurisation de l’engagement dans les formations
par l’analyse de pratiques professionnelles que l’on retrouve dans la plupart
des dispositifs de formation en groupe dédiés à ce champ (Robo, 2002b). Ces
conditions s’inscrivent cette fois dans une option minimaliste, c’est-à-dire où
le développement de la pratique réflexive s’effectue par l’intermédiaire de
dispositifs institués d’analyse de pratiques professionnelles. L’auteur relève
Vers la conception de dispositifs de développement de la pratique réflexive 67

les principes suivants à travers une étude systématique des règles de fonc-
tionnement de ces dispositifs :

– une démarche personnelle et volontaire de participation, un respect


de l’autre et de sa parole,
– une confidentialité,
– une liberté d’expression dans le cadre adopté,
– un respect du fonctionnement et du rituel, une gestion rigoureuse
du temps,
– une assiduité du groupe sur une période choisie, une régularité des
réunions (rythme et alternance).

Toutes ces conditions traduisent le principe d’une formation conçue


comme « cadre protégé hors de l’espace et du temps “réels” de la vie »
(Bourgeois et Nizet, 1997).
Le respect de ces principes dans la conception de dispositifs par-
ticipe à la sécurisation de l’engagement du formé. Mais si la clarification
du contrat de formation et de la sécurisation permet l’engagement dans la
pratique réflexive, ces conditions, règles et principes de fonctionnement ne
sont pas les seules à définir la possibilité de l’entrée dans le développement
de la pratique réflexive. Ainsi, nous verrons que, si la formation est un cadre
« hors de l’espace et du temps réel de la vie » (Bourgeois et Nizet, 1997),
il ne peut être coupé de cette dernière.

1.2 Le décalage du niveau de contenu


Le principe du décalage du niveau de contenu est un facteur
essentiel dans l’option constructiviste (zone proximale de développement,
décalage optimal…). Aussi, nous émettons l’hypothèse que le développe-
ment optimal de la pratique réflexive s’effectuera par l’intermédiaire d’une
adéquation des niveaux de réflexion proposés ou rencontrés en formation.
Ces niveaux de tâche s’incarnent à travers les situations à analyser, qu’elles
soient professionnelles (expériences de terrain) ou de formation instituée
(en centre). La formation à la pratique réflexive consiste ici en l’adéquation
des dispositifs, médiation et médiatisation qu’elle propose. D’autre part, en
tant que moyen de construction de l’autonomie du praticien, la pratique
réflexive est auto-organisatrice du niveau de la tâche, car l’acteur se réflé-
chit et régule ainsi son rapport à l’environnement en dosant l’intensité et
le contenu de la réflexion sur ce dernier. En ce sens, Malglaive affirme
qu’« en réalité la complexité d’un objet ou d’un système n’existe pas.
Ce qui est complexe c’est la représentation que s’en fait l’acteur. La
complexité de la tâche […] est en fait relative à la complexité de la
structure des capacités dans laquelle elle s’inscrit » (Malglaive, 1990,
p. 275). En cohérence avec la définition de l’approche multiréfléchie que
68 Construire une pratique réflexive

nous avons proposée, la pratique réflexive serait de ce fait un proces-


sus « à niveau » des ressources du sujet, à partir de l’appréhendable des
situations vécues. L’ancrage dans les pratiques vécues par le formé serait
donc un gage de décalage de niveau de contenu qui se combinerait à la
mobilisation des ressources disponibles pour analyser ces expériences.
Le concept d’approche multiréfléchie que nous avons proposé se fonde
sur cette hypothèse d’adaptation du niveau de la réflexion. Ainsi ce n’est
pas « l’exhaustivité » de l’approche multiréférentielle ou plurielle qui est
recherchée, mais l’orientation vers ce type d’approche par l’augmentation
du volume de réflexion au sens physique du terme. Cependant, il est
évident que le risque d’un fonctionnement « à niveau » est de limiter la
réflexion aux processus d’assimilation et ainsi de ne pas se transformer
par l’accommodation en référence aux concepts piagétiens. Pour cela les
formations à la pratique réflexive s’articulent autour de plusieurs principes
que nous détaillerons dans les points suivants.

1.3 Paramètres organisationnels et temporels


du développement de la pratique réflexive
La structuration de dispositifs institués de développement de la pra-
tique réflexive se fonde sur une réflexion multiparamétrique. L’interrogation
des cadres organisateurs ou de la composante temporelle est essentielle à
ce titre pour concevoir les conditions favorables au développement de la
pratique réflexive.

1.3.1. Des cadres organisateurs du développement :


la construction accompagnée de démarches
Les principes structurant le développement de la pratique réflexive
par l’institution sont relatifs à l’organisation de dispositifs qui facilitent le
déclenchement et l’entretien de la pratique réflexive. Ces cadres de média-
tion du rapport à la pratique réflexive reposent sur la mise en système des
composantes du modèle proposé par Poisson à savoir l’apprenant (objet,
sujet, auteur), le formateur (transmetteur, accompagnateur, entraîneur),
les savoirs et les ressources (humaines, matérielles) (Poisson, 2008). Les
processus énoncés et décrits par l’auteur (médiatisation, médiation, forma-
tion et autoformation) constituent les domaines de formalisation des cadres
d’accompagnement du développement de la pratique réflexive. L’enjeu est
ici pour le formé de s’approprier l’articulation de ces cadres à travers une
démarche de pratique réflexive. L’usage systématique et récurrent de cadres
de réflexion se matérialise tout autant par des principes de mobilisation
des ressources que par des mises en situation, formalisées et instituées,
d’analyse. L’accompagnement de ce développement se situe donc dans la
possibilité offerte aux formés de construire une approche multiréfléchie à
Vers la conception de dispositifs de développement de la pratique réflexive 69

partir de situations de formation dans lesquelles le formateur combine les


trois fonctions :

– transmetteur : proposer des cadres de référence19 (médiatisation),


éventuellement alimenter l’analyse d’apports théoriques en réponse
aux demandes exprimées et à l’exigible défini (formation), orienter
vers les ressources (médiation) ;
– accompagnateur : réguler les rapports du formé à l’environnement
de formation par l’entretien de la sécurité affective, la gestion des
dynamiques sociales et l’(ré)explication des enjeux, principes et
règles de fonctionnement, réguler les modalités de formation en
fonction de l’évolution des formés et des situations rencontrées afin
d’accompagner l’autonomisation (vers autoformation) ;
– entraîneur  : gérer la récurrence, la systématicité de la pratique
réflexive et produire des stratégies d’entretien ou de réorientation
vers la démarche en cours de construction (médiation vers auto
formation).

La combinaison de ces trois fonctions a vocation à permettre une


professionnalisation qui passe par l’autonomisation. La régulation du niveau
de mobilisation de chacune des fonctions peut en conséquence, se fonder
sur une co-évaluation formatrice/formative des processus de formation. Le
produit de cette évaluation partagée éclaire la possible zone proximale de
développement du professeur stagiaire. Le dosage de ce partage et de l’arti-
culation des fonctions fait passer le formateur « du maître tout-puissant
à l’accompagnateur réflexif » (Poisson, 2005, p. 146).
Dans cette perspective, la fonction d’entraîneur, que nous avons
définie précédemment, interroge directement la définition de la temporalité
de la formation. Si de façon macroscopique l’alternance se décline dans la
nécessité d’organiser un temps « liant » de façon fonctionnelle formation en
centre et expérience de « terrain », le développement de la pratique réflexive
nécessite aussi une reconsidération de la question du temps.

1.3.2. Le temps pour développer la pratique réflexive :


un entraînement
L’option constructiviste dans laquelle nous nous plaçons postule
que, dans l’apprentissage, la question du temps est essentielle, pourtant
cette question est rarement traitée comme objet théorique en soi. Les
mentions explicites à ce paramètre sont assez rares dans les ouvrages
de synthèse (Malglaive, 1990 ; Bourgeois et Nizet, 1997 ; Jonnaert, 2002),

19. Cadres conçus comme contenu/méthode lors de la conception des dispositifs.


70 Construire une pratique réflexive

alors que le terme d’entraînement revient fréquemment dans la littérature


consacrée à la pratique réflexive (Altet, 1996 ; Tardif, Lessard et Gauthier,
1998 ; Perrenoud, 1998a, 2001 ; Lamy, 2002 ; Fumat, Vincens et Étienne,
2003). Ainsi, « on ne peut enseigner directement des compétences, mais
seulement créer les conditions de leur développement, au gré de dis-
positifs d’entraînement » (Perrenoud, 1998a, p. 507). Cette notion d’en-
traînement fixe la composante temporelle au cœur de l’apprentissage, du
développement de la pratique réflexive. Les définitions de l’apprentissage
de Reuchlin (1977) ou de Reboul (1980) insistent sur le caractère systé-
matique, reproductible et relativement durable des « réponses » construites
face à des situations nouvelles. L’ensemble des capacités/schèmes, qui fonde
la pratique réflexive et s’incarne dans la compétence en situation, est le
produit d’apprentissages qui endossent les caractéristiques précédemment
énoncées. Or, dans le modèle constructiviste, l’apprentissage procède d’un
processus d’équilibration entre accommodation et assimilation, la construc-
tion des capacités s’inscrit en conséquence dans un temps long de forma-
tion/ autoformation.
La notion d’entraînement n’est pas seulement porteuse de la notion
de durée, la logique de répétition y est prédominante. Le développement de
la pratique réflexive serait donc le produit d’une mise en situation régulière
d’analyse réflexive. Si l’on peut penser que la posture réflexive devienne,
une fois « prise », une habitude, l’entrée dans l’apprentissage de cette pra-
tique passe selon nous par un accompagnement institué qui organise, dans
l’entraînement, les deux paramètres temporels que sont la durée et la répé-
tition. On notera que cet accompagnement ouvre aussi la possibilité pour
le praticien d’adopter de façon synchronique la posture réflexive hors de
ces moments institués (option maximaliste).
Cependant, si l’on reprend les éléments de la définition de Reuchlin
(1977), nous sommes contraints d’interroger le caractère « relativement
durable » de l’apprentissage  : « une absence d’activité mentale et phy-
sique engendre rarement des apprentissages », ainsi « l’activité durant
la formation n’est qu’une condition nécessaire d’acquis durables »
(Perrenoud, 1998a, p.  507). La condition du développement d’un habitus
professionnel de pratique réflexive se situe en conséquence dans l’entretien
des acquis de cet apprentissage initial, car « comme la liberté, les savoirs
et les compétences s’usent d’autant plus que l’on ne s’en sert pas ! »
(Perrenoud, 1998a, p. 507).
De ce point de vue nous pensons que la perspective métaréflexive
constitue une ressource pour la stabilisation et le transfert de la capacité
acquise. Ainsi, si le réflexe réflexif peut être acquis durablement, la pratique
réflexive ne peut, pour sa part, être conçue comme un objet simple d’ap-
prentissage, définitivement construite. La démultiplication des ressources
Vers la conception de dispositifs de développement de la pratique réflexive 71

confère un caractère dynamique à la pratique réflexive et l’actualisation


des stratégies et savoirs, fruit d’une métaréflexion, y est une condition
de développement. Cette perspective qui ouvre la formation initiale sur la
formation continue donne sens à l’expression de « développement profes-
sionnel ». L’autonomisation du sujet est un élément finalisant de la formation
à la pratique réflexive et l’institution et ses formateurs inscrivent donc le
temps de la formation dans la perspective de l’autodidaxie à venir.

2. VARIABLES DE MISE EN ŒUVRE


ET DISPOSITIFS VISANT LE DÉVELOPPEMENT
D’UN PRATICIEN RÉFLEXIF
Avec l’apparition du concept de praticien réflexif et l’inflexion des
directives ministérielles dans ce sens, les structures de formation ont conçu
un nombre important de dispositifs au service du développement de la
posture réflexive. On retrouve la plupart du temps ses dispositifs sous
l’appellation d’Analyse de Pratiques Professionnelles (APP). La variété des
propositions conçues atteste des caractères récents et ouverts du para-
digme et nous avons mis en lumière précédemment que cette richesse
était présente à la fois dans les objectifs, les objets, les processus et les
démarches envisagés (Boucenna, Thiébaud  et  Vacher, 2022). Nous abor-
derons la diversité des propositions à travers les variables structurant ces
dernières puis nous terminerons ce point par une description générale des
dispositifs existants.
Nous noterons avant d’entrer dans ce descriptif que la référence
la plus fréquente est faite à « l’analyse de pratiques » et non au « dévelop-
pement de la pratique réflexive ». Nous émettons plusieurs hypothèses
pour expliquer le contenu de ce constat20. En premier lieu, nous postulons
que cette situation est liée à la nature plus explicite, plus opérationnelle
du concept d’« analyse de pratiques » et que l’ancrage dans l’expérience y
apparaît en effet plus clairement. En second lieu, le concept d’« analyse »
revêt un caractère plus concret et une connotation plus rationnelle que
celui de « pratique réflexive » qui replace la complexité et donc le risque
d’illisibilité au premier plan. Ces constats peuvent aussi s’expliquer par le
fait que si le terme de praticien réflexif est à la mode, la maîtrise de sa
richesse reste limitée à un « petit nombre de spécialistes » de la question
et ne connaît pas une diffusion large chez les acteurs de la formation au-
delà du slogan généraliste. Enfin, nous devons aussi émettre l’hypothèse
qu’il peut exister une différence d’objectif entre les deux processus. Ainsi,

20. Hypothèses émises à partir des échanges formels et informels réalisés avec les forma-
teurs, mais aussi les professeurs stagiaires dans nos différentes fonctions.
72 Construire une pratique réflexive

il est possible de concevoir une relation hiérarchique fonctionnant dans


les deux directions entre « analyse de pratiques » et « développement de
la pratique réflexive ».
Dans la première direction, l’analyse des pratiques pourrait être une
des modalités de la seconde qui serait une capacité plus générale visant
une sorte « d’habitus professionnel total »21. On retrouvera cette cohérence
à travers la définition que donne Altet de l’analyse de pratiques. Ainsi,
« la démarche d’analyse de pratiques est finalisée par l’apprentissage
du métier. Le but est d’aider à construire l’identité professionnelle et
donc de mettre en place les compétences pédagogiques, didactiques
et relationnelles du métier » (Altet, 2002c). En renversant la direction
hiérarchique, la pratique réflexive serait un outil d’analyse de pratiques
au service de la résolution immédiate des situations problématiques. La
perspective de développement disparaîtrait ici derrière la logique ponc-
tuelle de résolution.

2.1 Variables de mise en œuvre


des dispositifs d’APP
Dans un article datant de 2002, Robo dresse un panorama des
dispositifs d’APP, (Robo, 2002a). Pour ce faire, l’auteur formalise la liste
des variables (acteur, processus, temporalité, média, contexte) qui struc-
turent les propositions de type d’analyse des pratiques professionnelles
(tableau 2.1).
On notera que la lecture du tableau s’effectue par ligne et non en
colonne ce qui implique une très grande variété de combinaison des variables
et en conséquence de dispositifs possibles. En cohérence avec nos analyses
précédentes, l’on peut ajouter à ce panorama les variables relatives au temps
(volume et récurrence de l’analyse)22 et la possibilité de jouer sur la taille
du groupe dans la variable  9 (analysée collectivement) en travaillant sur
le nombre (de la dyade au grand groupe). De plus, la variable  7 (perçue
objectivement ou subjectivement) peut aussi être lue comme celle de l’usage
de cadres conceptuels (grille de lecture) préexistant à l’analyse. Enfin,
l’on pourrait ajouter à ce panorama la variable de l’objet traité à savoir la
situation analysée ou la situation d’analyse.
Cette étude rapide montre qu’il est possible de démultiplier les
variables et ainsi les dispositifs potentiels de mises en œuvre de la pratique
réflexive.

21. Nous entendons par là susceptible d’organiser le rapport « permanent » du profession-


nel à son environnement.
22. Nous proposons ainsi la variable analyse ponctuelle, conjoncturelle ou systématique
Vers la conception de dispositifs de développement de la pratique réflexive 73

Tableau 2.1. Variable structurant les propositions de types d’analyse


de pratiques professionnelles

1 traitée par son auteur/acteur ou par un tiers extérieur


observée ou décrite, racontée
ou ou ou ou
2 de manière de manière par par par
impliquée non- oral écrit image
impliquée
3 l’objet d’un récit ou l’objet d’un discours (développement)
abordée en faits ou abordée en phénomènes
4
(ce qui est) (ce qui est perçu)
5 traitée in vivo ou traitée in vitro
6 traitée hic et nunc ou traitée a posteriori
7 perçue subjectivement ou perçue objectivement
8 traitée consciemment ou traitée inconsciemment
analysée individuellement ou analysée collectivement
(auto) (socio)
9 ou ou
avec avec des experts /
des pairs ex-pairs
10 gérée en micro-analyse ou gérée en macro-analyse

Tiré de Robo P. (2002) « L’analyse des pratiques professionnelles : éclairages ». Le nouvel éducateur, n° 136, p 28-34
NB : l’auteur précise que ce panorama n’est pas exhaustif et que d’autres variables peuvent exister.

2.2 Dispositifs de développement de la pratique


réflexive
On retrouve généralement trois grandes formes de dispositifs d’ana-
lyse de la pratique  : l’écriture, les entretiens et les groupes d’analyse de
pratiques.

2.2.1. La médiation de la réflexion par l’écrit


L’analyse de pratiques ou le développement de la pratique réflexive
peuvent être produits à partir de l’écriture. Ce travail de médiation par
l’écriture peut prendre de multiples formes. Les plus fréquentes sont
les mémoires professionnels, les récits de pratique ou de vie (écriture
clinique et monographie, Imbert, 1994 ; Cifali, 1996 ; approches biogra-
phiques, Kelchtermans, 2001 ; livret de réflexivité, Donnay, 2000) ou
plus récemment les portfolios (Tardif, 2006) ou les listes de discussion
(Ferone, 2005).
74 Construire une pratique réflexive

La communauté de ces propositions se fonde sur la médiation par


l’écriture. L’ensemble des propositions s’articule en effet autour de la pos-
sibilité qu’offre l’écriture de réorganiser, dans le temps et avec précision,
de façon significative les expériences. Cette question du temps est essen-
tielle pour les défenseurs de ces modalités, car pour eux l’immédiateté de
l’échange oral et la relation intersubjective de la communication orale sont
porteuses d’un risque de déformation du contenu du message émis. Ce
temps est aussi celui du lecteur : l’échange oral peut être source de défor-
mation de la réception du message. Pour les auteurs n’utilisant pas cette
modalité, au contraire cette précision et le caractère solitaire de l’écriture
sont des paramètres de blocage de la réflexion. De plus, pour eux, l’écriture
pourrait permettre la réinterprétation aseptisée de l’expérience et donc un
évitement de la subjectivité qui peut être interrogée dans les échanges oraux
(expression d’un surmoi professionnel, Saint-Arnaud, 2001). Nous postulons
pour notre part qu’il est possible de combiner ces modalités. Par exemple,
les modalités groupales et l’écriture articulée peuvent permettre d’aboutir
à la co-construction d’un métalangage écrit, porteur de précision et moins
limitateur de l’engagement dans la réflexion.

2.2.2. L’entretien
L’entretien est une modalité que l’on rencontre de façon quasi
systématique dans les institutions de formation puisqu’elle accompagne
la plupart du temps la visite sur le terrain des formés. De ce fait, son
contenu porte sur l’analyse de pratiques, cependant le développement de
la pratique réflexive n’y est pas pour autant une finalité « naturelle ». Ainsi,
les logiques conseil/prescription sans analyse préalable peuvent y trouver
leur place et dénaturer la notion même d’entretien. Dans la majorité des
cas, l’entretien est cependant orienté vers une réelle analyse de l’expérience
et non la résolution extérieure des problèmes rencontrés et non analysés.
Les modalités sont diverses et peuvent porter sur l’émergence d’un incons-
cient pratique, d’un savoir caché selon l’expression de Schön (Schön, 1994 ;
entretien d’explicitation, Vermersch, 1994), l’interrogation des processus
mis en jeu dans l’action (autoscopie, Faingold, 1993 ; instruction au sosie,
Clot, 1999) ou sur une analyse plus simple et objective du décalage entre
le prévu et le réalisé. Une fois encore, les modalités combinatoires sont
explorées par exemple à travers le couplage de l’usage de la vidéo et de
l’entretien d’explicitation qui permet la double approche du réalisé et de
la « pensée privée » (Vermersch, 1994).

2.2.3. L’analyse de pratiques en groupe


La multitude des modalités existantes dans ce domaine témoigne de
la diversité des références scientifiques, mais aussi empiriques qui fondent
l’analyse de pratiques en groupe. Ainsi, on pourrait noter, de façon non
Vers la conception de dispositifs de développement de la pratique réflexive 75

exhaustive, des modalités organisées par les théories psychanalytiques


(Soutien Au Soutien, Groupe Balint) ou plutôt par l’analyse systématique
multidimensionnelle (étude de cas par grille d’analyse, SAPEA, DAGNEA),
l’approche multiréférentielle au service d’un savoir-analyser (GEASE ;
GFAPP) ou encore de jeux de rôle permettant la ré-expérience (atelier de
praxéologie, GAPP).
Ici encore, les questions relatives à la nature du savoir (SAPEA
vs Atelier de praxéologie), à la prise en compte de la subjectivité voire
de l’inconscient (SAS vs étude de cas normé), à la logique de prise de
conscience vs entraînement (Groupe Balint vs GFAPP, GEASE) sont autant
d’axes de différenciation des propositions.
En résumé, nous pouvons retenir que la diversité des dispositifs se
fonde sur plusieurs éléments :

– La prise en compte de la subjectivité et de l’inconscient. Ainsi on


trouve des différences notables entre les approches d’un GFAPP et
d’une GEASE, entre le mémoire professionnel et le portfolio.
– Les conditions d’émergence de la réflexion. La mise en situation des
protocoles d’instruction au sosie ou de praxéologie diffère des dispo-
sitifs de GFAPP, ou du groupe Balint par exemple ; l’organisation du
temps. La temporalité d’une liste de discussion, d’un mémoire profes-
sionnel ne se fonde pas sur le même rapport au temps qu’un dispositif
institué, récurrent et s’inscrivant dans une logique d’entraînement.
– L’importance accordée aux médias. Le passage par l’écrit ou l’oral
peut être objet de formation par la construction d’un métalan-
gage (entretien d’explicitation) ou au contraire n’être qu’un outil
(SAPEA).
– Les objectifs du dispositif. Les différences s’établissent sur l’objectif
et son inscription dans le temps. Ainsi, à la production de savoirs
répertoriés (SAPEA) s’opposent la logique d’ouverture consciente
du développement professionnel (GFAPP) ou encore celle de
réflexion dans l’action (atelier de praxéologie).

Comme pour les différentes formes de modalités (écriture, entretien


ou analyse en groupe), nous émettons l’hypothèse que toutes les combi-
naisons sont possibles et permettent de viser un large spectre d’objectifs.

3. VERS UNE DÉFINITION


DU PRATICIEN RÉFLEXIF
Notons en préalable que, comme pour les parties précédentes, les
exemples que nous choisirons porteront principalement sur le champ de
76 Construire une pratique réflexive

l’éducation. Les principes et réflexions sont cependant aisément transpo-


sables aux métiers de l’humain.
Dans la préface du livre de Postman, Hameline et Piveteau affirment
que « la pédagogie n’est pas, tant s’en faut, la science de l’éducation. Elle
est une pratique de la décision concernant cette dernière. L’incertitude
est donc son lot. Incertitude conjoncturelle, augmentée par la mobi-
lité parfois vertigineuse des repères contemporains, mais incertitude
essentielle dès lors qu’une connaissance et une action sont à conjoindre
dans une théorie de la pratique » (Hameline et Piveteau, 1981, p.  6).
Cette incertitude, que décrit aussi Perrenoud, remet en cause la légitimité
et l’efficacité de l’usage du paradigme prescriptif de l’expertise (Perrenoud,
1996a). Ce changement, cette bascule vers un paradigme de l’incertitude
semblent pour de nombreux auteurs la condition de l’amélioration ou de
l’enclenchement de la professionnalisation (Hameline et Piveteau, 1981 ;
Meirieu, 1997 ; Perrenoud, 1996a, 1998b, 1999a ; Bouvier et Obin, 1998 ;
Saint-Arnaud, 1999, 2001 ; Giordan, 2002).
Cette incertitude est interrogée bien au-delà du champ de l’éduca-
tion. Ainsi, pour éclairer la complexité de ce paradigme et la rupture qu’il
constitue d’avec les approches scientifiques classiques et applicationnistes,
Schön propose « d’opposer » à la « science appliquée » la « science de l’agir
professionnel » (« Science Action » pour Argyris). Pour les auteurs, ces
sciences pragmatiques pourraient être mises au service de la profession-
nalisation23. Ces sciences ont pour but de « produire des théories qui ont
une portée pratique » (Argyris, 1980, p. 121). Ainsi, à l’approche technique
du modèle applicationniste aboutissant à la passivité cognitive du sujet
(« problem solving »), les auteurs opposent la prise en compte du chaos
de la situation (complexité et incertitude qui en découlent) et formalisent
une approche se fondant sur l’action de poser les problèmes (« problem set-
ting ») qui dépasse la seule perspective de résolution de problèmes (« pro-
blem solving ») (Agyris, 1980 ; Schön, 1983 ; Argyris et Schön, 2002). Cette
action de poser les problèmes s’incarne dans la pratique réflexive. Elle
interroge alors au premier titre la relation qui unit les savoirs théoriques et
les savoirs produits « en » et « par » la pratique. La difficulté de clarification
de la complémentarité et de l’articulation entre les savoirs théoriques et
les savoirs de l’expérience conduit souvent à une dynamique de profession-
nalisation peu perceptible par l’acteur. La tension entre ces deux corpus
constitue pourtant le moteur de la dynamique d’évolution des pratiques.
Vygotsky affirme ainsi que « les concepts scientifiques germent par le bas
par l’intermédiaire des concepts quotidiens. Ceux-ci germent par le
haut par l’intermédiaire des concepts scientifiques. » Et d’ajouter : « Ce

23. Même s’ils n’utilisent pas explicitement ce terme qui est plus récent mais parle des prin-
cipes qui le sous-tendent.
Vers la conception de dispositifs de développement de la pratique réflexive 77

qui fait la force des concepts scientifiques fait la faiblesse des concepts
quotidiens et inversement » (Vygotsky, 1997, p. 292). L’accompagnement
de la mise en tension de ces concepts constitue ainsi un enjeu essentiel
dans les processus de formation du professionnel. La pratique réflexive
serait le pivot de la construction d’un lien entre théorie et pratique qui
permettrait d’éviter « l’enfermement des concepts quotidiens dans une
logique narrative et des concepts scientifiques dans une logique para-
digmatique »24 (Saussez, Ewen et Girard, 2001, p. 85).
Cette nécessité de mise en perspective des différents types de savoir
semble d’autant plus importante que les métiers de l’humain opposent une
résistance vive à une lecture simpliste de leur contenu. Ainsi, la diversité
des situations d’enseignement, des profils d’enseignants, des conceptions du
métier d’enseignant atteste à la fois de la richesse du métier, mais aussi de
l’impossibilité de définir de façon exhaustive ou absolue le contenu de l’exer-
cice. L’hétérogénéité des descriptions du métier d’enseignant (référentiels
de compétences, ouvrages de référence sur le sujet) est à la fois un obstacle
à la conception intangible et donc définitive d’une définition des contenus
de formation et en même temps révélatrice et porteuse de la dynamique
des pratiques et des réflexions engendrées. Croisant les connaissances aca-
démiques, les compétences et capacités professionnelles, les composantes
émotionnelles, les notions d’éthique et les exigences institutionnelles, les
métiers de l’humain se caractérisent avant tout par leur complexité. Par
effet de miroir, nous pourrions aisément, et sans le dénaturer, qualifier de
la même façon le métier de formateur d’enseignant.
Une approche complexe des métiers de l’humain nous incite à les
penser comme des objets dynamiques et ouverts. Pour viser une intervention
« efficiente », le professionnel articule les différents savoirs relatifs au métier
(savoirs savants, experts, référentiels…) à l’analyse de l’unicité des situa-
tions. L’analyse de cette différence (« universalité » /singularité) s’effectue à
travers des schèmes qui permettent in fine de choisir une stratégie et en
conséquence de mobiliser l’ensemble des ressources adéquates pour agir. Le
processus complexe de la construction de ces ressources de l’intervention
correspond à la professionnalisation du formé.
Cependant, si l’action qui découle de ce processus complexe d’arti-
culation des ressources est singulière, la conséquence n’est pas pour autant
l’impossibilité de produire une formation. La professionnalisation relève bien
en partie d’un processus de formation instituée, mais dont les contours,
objectifs et principes doivent tenir compte de cette complexité (constituée
de l’incertitude de l’action liée à l’émergence de phénomènes inattendus).
L’espace de formation n’est pas en conséquence un espace clos dans lequel

24. Nous retrouvons ici la complémentarité des angles de vues de l’approche multiréfléchie.
78 Construire une pratique réflexive

la définition des contenus et leur transmission pourraient suffire à assurer la


professionnalisation des sujets en formation. La confrontation constructive
des curriculums prescrits et des expériences vécues est alors l’enjeu prin-
cipal du processus de formation. Le développement d’une pratique réflexive
apparaît dans cette perspective comme le vecteur de cette confrontation
constructive.
Face à la complexité des situations professionnelles et de formation,
l’engagement de l’acteur au cœur de la formation paraît une condition essen-
tielle du processus de professionnalisation, il se matérialise par la conception
et la mise en œuvre d’un projet de formation. Ce projet de l’acteur qui
porte sur son rapport contextualisé et temporaire à l’environnement (agir et
comprendre dans « l’immédiat »), mais aussi sur son rapport à son dévelop-
pement professionnel décontextualisé (agir, comprendre et se transformer
dans le futur) se traduit par l’engagement dans des processus de formation
à échéances fonctionnelles diverses. Dans le cas des enseignants débutants,
cet engagement se fait au cœur d’un système de tensions mêlant à la fois
les enjeux institutionnels (validation, présence…), les enjeux professionnels
(agir dans l’immédiat, se former…) et sous la contrainte de l’environnement
pressant et complexe. Ces systèmes de tension se traduisent par une série
de conflits provoquant chez l’apprenant des dilemmes dont certains doivent
être tranchés dans l’urgence. L’option constructiviste replace le sujet comme
acteur unique de cette résolution des conflits internes et la réflexion devient
un outil de ce processus. L’usage réflexif se traduit dans ce contexte par la
régulation cognitive et consciente de l’engagement qui vise la compréhen-
sion, l’acceptation et la résolution éventuelle des conflits cognitifs propres
à la dynamique d’apprentissage. Dans l’option constructiviste, la média-
tion par la réflexion semble un facteur d’amplification de la transformation.
Cependant, cette réflexion, pour participer à la réelle professionnalisation,
doit être au service d’un rapport constructif à l’environnement, c’est-à-dire
inscrire le sujet dans un système de transformation réciproque avec le
milieu. Dans ce cadre, l’interaction avec autrui semble de nature à favoriser
ce rapport constructif du sujet à l’environnement par l’intermédiaire de la
réflexion. La dimension sociale de l’apprentissage constitue un potentiel
d’enrichissement de ce processus d’apprentissage. Ainsi, autrui constitue
sur le fond (contenu) et sur la forme (nature des échanges  : attitudes,
code, formalisation de la pensée) un déclencheur potentiel de déséquilibre
et donc d’apprentissage. Doise et Mugny ont montré dans leurs travaux que
l’apprentissage en groupe ou dyade permettait le dépassement du niveau
initial, mais aussi entraîne une augmentation du « volume d’apprentissage »
des sujets (Doise et Mugny, 1981).
L’objectif de formation d’un praticien réflexif s’inscrit dans une
option constructiviste et socioconstructiviste. Cette inscription se fonde
sur les caractéristiques du sujet en formation et sur la nature de l’objet de
Vers la conception de dispositifs de développement de la pratique réflexive 79

formation. La conjonction entre les ressources spécifiques du sujet et la


nécessaire, mais complexe, professionnalisation aboutit au placement de
l’acteur au centre de sa formation.
Visant une professionnalisation servie par une autonomisation, la
poursuite de la finalité de développement de la pratique réflexive impose
un changement de paradigme. L’entrée dans le paradigme de l’incertitude
réforme profondément l’ensemble des relations qui unissent l’ensemble des
acteurs et l’institution. Dépassant les logiques applicationnistes, le praticien
réflexif se construit dans le rapport actif qu’il entretient avec l’ensemble
des éléments de formation et lui-même. Étant de façon synchrone objet,
sujet et auteur de la formation, le formé endosse une responsabilité qu’il
partage avec les formateurs. Autoformation et formation s’imbriquent dans
un système complexe dans lequel la pratique réflexive offre une « fenêtre
d’intelligibilité » (Vacher 2016).
La perspective générale de développement de la pratique réflexive
s’inscrit dans une vision ouverte sur l’avenir et liant ainsi les formations
initiales et continues. Visant les transformations de l’intervention immédiate
par l’investissement de ressources nouvelles, la pratique réflexive permet
aussi d’envisager une dynamique permanente et interactive de transfor-
mation de sa professionnalité. L’ambition large de la pratique réflexive se
traduit par la démultiplication des objets, processus ou mises en œuvre
formalisés, recherchés ou mis en œuvre.
Face à cette complexité, nous définissons le praticien réflexif
comme une personne capable de développer une réflexion
systématique, reproductible, évolutive et autonome pour
agir et se transformer (dimensions indissociables dans nos choix
conceptuels). Ainsi, la réflexion permet au formé25 d’accepter
la complexité, de l’affronter en acte et de l’intégrer pour
se  transformer. La réflexion enclenchée dans cette pratique
se fonde sur l’ensemble des ressources que l’acteur possède,
dont celles qui sont issues de son expérience.

25. Et plus généralement au professionnel.


80 Construire une pratique réflexive

À retenir sur…
Le praticien réflexif et les conditions de développement
de la pratique réflexive

Des éléments d’éclairage


– Le développement d’une pratique réflexive expose le praticien aux
« risques » de transformations profondes. Si ces dernières s’inscrivent
dans un processus souhaitable de développement professionnel, il
n’en demeure pas moins que l’engagement dans ce processus est
potentiellement anxiogène.
– La sécurisation de cette entrée est une condition nécessaire au
développement de la pratique réflexive. De multiples conditions sont à
développer pour la favoriser.
– La définition des cadres organisateurs des dispositifs de formation participe
à la sécurisation de l’engagement.
– La notion d’entraînement est au cœur le développement de la pratique
réflexive.
– Les dispositifs qui visent explicitement le développement de la pratique
réflexive se déclinent sous diverses formes  : écrit, entretien et analyse
en groupe.
– Les variables de constitution des dispositifs sont multiples et aboutissent
à un potentiel riche de combinaisons.
– L’incertitude et la complexité qui en découle sont au fondement du
changement de paradigme de formation.
– La pratique réflexive constitue un moyen d’articuler les savoirs théoriques
et les savoirs d’expérience.
– La pratique réflexive s’inscrit dans une option constructiviste et socio-
constructiviste du développement professionnel et de la professionnalisa-
tion et concourt à l’autonomisation du professionnel.
– La pratique réflexive se fonde sur un rapport actif et constructif à
l’environnement humain, matériel, institutionnel (celui de la formation en
centre et celui de l’expérience sur le terrain).
Des éléments de définition
– Le praticien réflexif est une personne capable de développer une
réflexion systématique, reproductible, évolutive et autonome pour agir et
se transformer. La réflexion permet au formé d’accepter la complexité,
de l’affronter en acte et de l’intégrer pour se transformer. La réflexion
enclenchée dans cette pratique se fonde sur l’ensemble des ressources
dont l’acteur dispose, dont celles qui sont issues de son expérience.
Des questions sur…
– La compatibilité entre les dispositifs dédiés au développement de la pratique
réflexive et l’évaluation certificative des participants à ces formations.
– Le lien entre pratique réflexive et analyse de pratiques professionnelles.
Chapitre 
Concevoir des dispositifs
3
de développement de la pratique
réflexive : principes et cadre général

1. UN CADRE CONCEPTUEL GÉNÉRAL


PRÉALABLE À LA CONSTRUCTION
DES DISPOSITIFS DE DÉVELOPPEMENT
DE LA PRATIQUE RÉFLEXIVE
Le cadre que nous proposons se fonde sur l’ensemble des éléments
théoriques qui ont été étudiés dans les parties précédentes ainsi que sur
l’expérience construite dans nos différentes fonctions. Ainsi ce cadre se
structure autour de deux principes généraux qui ancrent notre travail
dans la double perspective institutionnelle et constructiviste, et nous situe
dans une dynamique de rénovation des paradigmes organisateurs des for-
mations initiales et continues aux métiers de l’humain et du domaine de
l’accompagnement. Compte tenu de nos analyses précédentes, ces principes
prennent le statut de conditions à mettre en œuvre pour parvenir à l’amé-
lioration de la professionnalisation par la formation d’un praticien réflexif
ou à son développement par l’accompagnement.
Si les principes qui suivent sont déclinés dans le contexte de la
formation initiale des enseignants, ils trouvent aussi une pertinence en
82 Construire une pratique réflexive

formation ainsi que dans les processus d’accompagnement. En tant que


principe, les propositions suivantes sont assez facilement transposables
dans ces différents contextes. Prenons par exemple le premier d’entre eux
« prendre en compte la logique des acteurs et de l’institution ». Ce principe
est au cœur même de l’accompagnement ou de la formation continue.
Dans le cas de la formation, sa déclinaison intégrera de façon importante
les  dimensions curriculaires et de référentiel alors que dans le cas de
l’accompagnement les composantes du projet personnel ou de  l’imprévu
seront accentuées dans cette prise en compte.
En résumé, la déclinaison du cadre général de conception que nous
proposons doit être perçue comme une invitation du lecteur à penser l’adap-
tation qu’il peut en faire dans son contexte d’activité.

1.1 Prendre en compte la logique des acteurs


et de l’institution : une double transition
La largeur des missions des acteurs des métiers de l’humain, l’étendue
et la complexité de leurs liens, les représentations des différents acteurs et
enfin le système de contraintes qu’impose le cadrage de la formation consti-
tuent un système complexe qui remet en cause les modèles « classiques »
de formation.
Ainsi, les propositions que nous établissons sont conçues comme
des éléments singuliers et complémentaires des modules traditionnels de
formation déjà existants. Il ne s’agit pas en effet de modifier la totalité des
maquettes de formation, mais de les aménager, de les enrichir de modules
et outils susceptibles de répondre plus efficacement, car créant du lien entre
eux, aux attentes des formés et aux exigences de la formation. En effet, en
cohérence avec nos analyses précédentes, nous postulons qu’une stratégie
de transformation des pratiques de formation s’inscrivant dans un processus
institutionnel doit passer par une forte prise en compte de l’existant, c’est-
à-dire par une démarche concertée de recherche de complémentarité et
de transversalité plutôt que de suppression et remplacement. Ce principe
participe de l’éthique générale de notre travail de recherche, qui ne prétend
en effet pas apporter une solution efficace définitive, mais procède plutôt
d’une critique constructive, puisqu’engagée dans la voie de la conceptua-
lisation et de la mise en œuvre institutionnalisée. Ainsi, les propositions
réalisées se situent dans une stratégie de double transition. La première
définit la formation des professeurs stagiaires comme une charnière entre
une formation initiale académique et une formation continuée profession-
nelle. Cette transition impose la prise en compte des habitus liés à la socia-
lisation précédant l’entrée en formation et l’orientation vers la construction
de ressources qui sont susceptibles d’étayer la professionnalisation à venir.
La seconde transition est relative à la culture et aux habitus en vigueur dans
Concevoir des dispositifs de développement de la pratique réflexive 83

l’institution. Il s’agit en effet de viser, autour du développement de la pratique


réflexive du professeur stagiaire, un effet « tache d’huile ». Cette visée s’inscrit
dans la perspective ouverte par Perrenoud lorsqu’il positionne la pratique
réflexive comme élément transversal à l’ensemble des composantes de for-
mation, mais aussi comme une habitude « intégrée à la vie quotidienne »
des acteurs (Perrenoud, 2001, p.  62). Là encore, l’inertie, la culture, les
enjeux identitaires ou de pouvoir sont des éléments à prendre en compte
pour envisager cette transition culturelle de l’institution et de ses acteurs.
En d’autres termes, nous émettons l’hypothèse que le développement d’une
pratique réflexive dans l’ensemble de la formation constitue une visée fina-
lisante, mais ne peut, en l’état des architectures et ressources de formation
disponibles, se réaliser sans la conception d’une transition culturelle. Ainsi,
la double transition que nous concevons vise un accompagnement de l’entrée
de l’acteur, mais aussi de l’institution dans le paradigme de l’incertitude.
Dans ce cadre, Perrenoud affirme que, pour assurer la transition du
formé vers le statut de praticien réflexif, « il y faut certainement l’adhésion
des intéressés, donc un programme clairement orienté vers la pratique
réflexive et un contrat de formation tout à fait explicite » (Perrenoud,
2001, p. 60). Nous détaillerons dans les points suivants ces trois éléments
de la citation précédente.

1.1.1. Adapter les propositions à la spécificité du public.


Mais viser l’autonomie
Nous avons vu que les publics en formation sont porteurs de repré-
sentations, de besoins spécifiques, mais aussi d’habitudes de travail qui
nécessitent d’être pris en compte pour s’assurer de la qualité de la transition
entre le statut d’étudiant et celui de professeur.
En premier lieu, les études montrent que les représentations ini-
tiales dominantes conduisent le professeur stagiaire du second degré à une
survalorisation de la maîtrise des savoirs disciplinaires dans la représenta-
tion de la compétence et a contrario une partie importante des besoins
ressentis porte sur la résolution immédiate des problèmes de pédagogie et
principalement de gestion de classe. Pour leur part, les habitudes de travail
se fondent, elles, majoritairement sur la rétention de l’information et non la
construction de ressources. De plus, l’accès à ces informations est individuel
et les formes collectives ne sont pas habituelles. Si ces caractéristiques sont
dominantes, les études sur la génération actuelle des professeurs débutants
(Rayou et Van Zanten, 2004) montrent que les ressources des sujets per-
mettent un dépassement ou une reconfiguration de ces attentes, habitus
et représentations.
La prise en compte de ces éléments dans la conception de forma-
tions peut s’effectuer à travers le processus suivant et qui incarne le principe
84 Construire une pratique réflexive

de transition : les outils et modules peuvent permettre le passage d’un travail


dirigé (cadre de référence et résolution) à un travail guidé, puis accompa-
gné (accompagnement du processus de compréhension et de construction)
pour enfin aboutir à un travail autonome (conception singulière, évolutive,
consciente et assumée). Cette évolution des modalités peut aussi bien se
retrouver à l’intérieur d’une séquence qu’au fil d’un module de formation
et le dosage de cette évolution pourra être réalisé à partir de la régulation
conjointe opérée par les acteurs.
Nous déclinons les sous-principes suivants pour rendre opération-
nelle la démarche de conception de dispositifs :

– l’usage des cadres de référence (savoirs normés extérieurs au formé)


s’effectuera principalement en début de formation et s’effacera au
profit de ceux, plus fonctionnels, car personnels, construits par le
formé. Ces cadres personnels peuvent se limiter à une redéfinition des
cadres de référence. L’utilisation pratique et l’adaptation de ces cadres
personnels constituent la phase d’autonomisation qui aboutit aux
perspectives d’autoformation dont la formation continue fait partie :
– le conseil, visant à rassurer et répondre aux « besoins urgents » res-
sentis, présents en début de formation, sera remplacé peu à peu par
la recherche de compréhension des pratiques. La phase d’autonomie
correspond aux conséquences de cette compréhension sur les mises
en œuvre, c’est-à-dire à la transformation des pratiques profession-
nelles issue de la pratique réflexive ;
– au travail individuel d’écoute ou de réception passive, posture majo-
ritaire des professeurs stagiaires en début de formation, viendra
s’ajouter la forme de l’échange puis celle de la co-construction. On
visera ainsi le passage d’une posture de récepteur de l’information à
celle de demandeur puis, dans une phase d’autonomie, à une attitude
de concepteur.

Les lignes d’action que nous venons d’énoncer s’inscrivent dans


la perspective d’un accompagnement de la transition du statut d’étudiant
(ayant un mode de socialisation scolaire) au statut de professionnel réflexif
(acceptant, comprenant et affrontant la complexité). Cependant nous préci-
sons que ces sous-principes ne constituent pas un cadre prescriptif, mais une
grille d’intelligibilité des possibles démarches de transition. En conséquence,
la structuration de la formation qui découle de cette prise en compte des
logiques et ressources des acteurs implique une vision évolutive/ adaptative
et donc ouverte des dispositifs conçus. Mais cette structuration des étapes
de l’accompagnement ne peut suffire à garantir le développement de la
pratique réflexive et la professionnalisation hypothétique qui en découle  :
l’engagement des acteurs dans ce processus est déterminant pour l’ampli-
fication de son efficacité.
Concevoir des dispositifs de développement de la pratique réflexive 85

1.1.2. Rechercher l’engagement des acteurs


Dans la perspective constructiviste que nous avons adoptée, le sujet
adulte en formation est le porteur du projet de transformation. Cette néces-
sité est amplifiée par notre objectif de formation d’un praticien réflexif. Nous
avons en effet évoqué les risques de déstabilisation qu’engendre la pratique
réflexive, et l’engagement dans les processus de transformation n’est pos-
sible que s’il émane de l’acteur conscient et volontaire. Cet engagement
s’exprime à travers la négociation et la contractualisation des modalités de
formation lorsque celles-ci sont possibles. Il peut aussi prendre la forme
du volontariat lorsque l’architecture de formation le permet. Le volontariat,
né de l’engagement éclairé dans la formation et ses dispositifs, nous appa-
raît cependant comme une nécessité, car « former des étudiants à une
pratique réflexive alors qu’ils attendent des réponses catégoriques, des
recettes et des routines, est une entreprise sans espoir » (Perrenoud,
2001, p. 60).
Conformément à nos analyses précédentes, nous postulons que l’un
des déclencheurs de cet engagement se situe dans la question du sens,
même si nous gardons à l’esprit que « la formation à la pratique réflexive
ne répond pas, en tant que telle, à la question du sens » (Perrenoud,
2001, p. 60), mais outille son interrogation. Ainsi, l’engagement conscient et
volontaire sera d’autant plus facile que les formations s’articulent autour du
projet d’analyse et de transformation de situations professionnelles person-
nelles et dont la transformation revêt un sens pour le professeur stagiaire.
L’analyse de situations professionnelles personnelles se justifie ainsi,
selon nous, pour trois raisons essentielles. La première est relative à la
création du sens de la formation chez l’acteur. L’engagement volontaire et
conscient ne peut se réaliser sans la construction du sens de son action
par le sujet. Ce sens se conçoit en premier lieu à partir des préoccupations
professionnelles du formé. Ces dernières émanent de son expérience sur le
terrain dans les dispositifs en alternance. La confrontation à la réalité du
métier et la volonté ou la nécessité ressentie de transformation des pratiques
personnelles, qui en découlent, constituent le déclencheur du processus de
création du sens de l’engagement dans la formation. Les pratiques person-
nelles sont dans ce cadre un point initial (déclencheur) et un point d’arri-
vée du processus (finalité). Ce cycle de formation reprend le modèle de la
professionnalisation pratique-théorie-pratique qu’a théorisé Altet (1996).
Nous avons vu que certaines propositions peuvent ne pas porter sur les
pratiques personnelles, mais sur des études de cas extérieurs aux sujets
en formation. L’étude de cas extérieurs aux participants de la formation
permet une distance affective à la situation étudiée, mais présente le risque
de l’artificialité (virtualité) ou du non-sens. Elle peut être un recours tem-
poraire dans des cas particuliers, mais ne peut pas constituer selon nous le
86 Construire une pratique réflexive

cœur de la formation. Cependant, dans l’optique de développement d’une


approche multiréfléchie, nous avons vu que l’implication du sujet était un
élément décisif. Cette implication est alors d’autant plus grande que l’acteur
trouve du sens dans l’objet de formation. Outre l’accentuation du sens, la
reconnaissance de l’expérience personnelle comme élément de compétence
et base de formation constitue un enjeu d’intégration institutionnelle, cela
constitue notre deuxième raison. En effet, l’écoute du sujet à propos de sa
situation professionnelle personnelle n’est pas dans la culture de l’institu-
tion qui le réduit le plus souvent au « silence » (Carter et Doyle, 1996) et
dans laquelle la plupart du temps se sont des moments informels (salle des
« profs », les « à côté » des stages de formation continue…) qui permettent
l’expression (parole et écoute) de la singularité du professionnel.
En dernier lieu, nous postulons que l’analyse de situations person-
nelles, contrairement aux études de cas, permet d’intégrer les dimensions
subjectives de la perception du sujet et de « coller » ainsi en retour aux
exigences de transformations des pratiques personnelles. Nous défendons
l’idée que la pratique réflexive participe au processus de maturation de la
perception en vue d’une compréhension évolutive. Cet aspect dynamique de
l’analyse réflexive ne permet pas de prétendre à l’objectivité. La déformation
de l’interprétation est alors en soi un objet à analyser en tant que processus
préalable de réfléchissement. La pratique réflexive devient alors un moyen
d’APP et un moyen d’analyse de son analyse. Nous avons vu que cet élément
était au cœur de l’approche multiréfléchie puisque cette dernière se fondait
sur la mise en perspective des lectures subjectives, réactives, objectivantes
et distanciées. L’ancrage dans la réalité de son propre vécu permet d’enrichir
la matière à analyser, et ce dans ces deux niveaux. Dans le cas de l’analyse
du vécu de pairs, l’ancrage s’effectue à partir de la proximité (à niveau de
ressource) et de la potentialité d’existence (sens du vécu) et là encore,
l’approche multiréfléchie trouve de ce fait un terrain de développement.
Mais cette prise en compte des logiques de l’acteur ne se limite pas
au formé et les négociations et contractualisations correspondent aussi au
respect de la singularité des formateurs. Le choix des modalités, des varia-
tions des formes de travail émane en conséquence, tout autant du formateur
que de l’apprenant et ce dans le respect des cadres institutionnels. Ainsi,
pour permettre le développement de la pratique réflexive, la formation se
positionne comme l’espace de rencontre entre les engagements conscients
et volontaires des différents acteurs. Il nous semble que ces engagements
s’incarnent dans une posture constructive qui dépasse la passivité de la
réception d’information pour le formé et la « passivité de la magistralité »
pour le formateur.
Cependant, ce principe d’engagement, centré sur le formateur, l’ap-
prenant et ses ressources, ne peut trouver d’efficacité que si l’institution
dans sa totalité donne sens à cette transition. Pour cela, l’institution et ses
Concevoir des dispositifs de développement de la pratique réflexive 87

acteurs peuvent se trouver dans la nécessité d’opérer une réorientation de


leur stratégie de formation qui concoure à la transition culturelle évoquée
précédemment.

1.1.3. S’inscrire dans un projet de convergence préservant


la diversité des contenus et objectifs
Les différents acteurs de la formation interagissent dans le cadre
des exigences de formation et d’évaluation fixées par l’institution, mais aussi
en fonction de l’évolution des ressources de l’apprenant. Nos propositions
s’inscrivent en conséquence dans une démarche de prise en compte de ces
éléments et de conciliation entre les différents enjeux. Si nous avons opté
pour une stratégie d’évolution concertée qui nous semble opérationnelle
dans le cadre d’une transition, cette dernière passe par une mise à plat des
contenus et objectifs de l’ensemble des éléments de la formation. Ce travail
préalable permet ensuite de concevoir la mise en cohérence des différents
modules et outils de formation à travers la complémentarité des contenus
et le respect des logiques d’acteurs voire de « territoire ».
Or la pratique réflexive se fonde, entre autres, sur la capacité à
mobiliser des apports hétérogènes, et ce dans la logique d’approche multi-
réfléchie que nous avons développée. Ces savoirs émanent de l’ensemble
des acteurs et espaces de formation et la perspective d’usage multiple des
savoirs émergents nécessite que leur conception soit ouverte. Cette exigence
se fonde sur la connaissance par l’ensemble des acteurs de la formation
des contenus de tous les modules de formation, mais aussi des outils et
démarches de construction de ces contenus. La capacité à concevoir des
contenus et outils ouverts sur l’usage hors de leur lieu d’émission, de concep-
tion permet le dépassement du cloisonnement des apports. Le respect de
ce principe est à la base de la construction d’un projet de complémentarité
entre les différents apports.
Nous retiendrons deux stades de conception de ce projet :

– l’information de tous sur les objectifs, contenus et modalités de


formation ;
– la recherche d’ouverture sur les autres apports afin de construire des
passerelles de sens chez les acteurs.

Cette démarche constitue un moyen de rupture d’avec une vision


dualiste des apports théoriques et des vécus sur le terrain. Cependant, si l’en-
semble des modules de formation concourent aux mêmes objectifs généraux
de formation, il ne s’agit en aucun cas de fusionner les objectifs spécifiques
de chacun d’eux. Cette nécessité est amplifiée par le fait que la formation
est en alternance. Cette dernière se réfléchit ainsi à la fois dans des logiques
de complémentarité (autonomie des contenus), d’interactivité (dépendance
88 Construire une pratique réflexive

des contenus) et enfin de temporalité différée (usage non immédiat des


acquis). Les contradictions qui peuvent naître de cette triple logique font
partie intégrante de la formation à l’autonomie du sujet apprenant puisque
le confrontant à la complexité du métier, mais aussi de la formation (Vialle,
2005). Malglaive précise aussi que « ce qu’il faut prendre en compte c’est
la dynamique structurelle des compétences, et cette dynamique impose
de compter avec le temps » (Malglaive, 1994, p.  28) et d’ajouter que la
formation permet aussi la construction de ressources dont le sujet n’a pas
forcément un usage, ou une conscience de l’utilité directe.
La diversité, l’usage différé des ressources construites et les para-
doxes de la formation constituent un objet potentiel d’analyse réflexive et
de ce fait un moyen d’autonomisation. Aussi, choisissons-nous, dans notre
logique de transition, d’ouvrir sur l’information et la concertation sans tou-
tefois chercher à cacher ou faire disparaître les paradoxes apparents et
constitutifs du projet institutionnel.
La convergence et le maintien de la diversité sont, en résumé, deux
éléments fondamentaux pour le développement de la pratique réflexive et
notamment à travers l’approche multiréfléchie qui implique à la fois un travail
sur le vécu personnel ou proche et la mobilisation de savoirs théoriques ou
de cadres théoriques de lecture de ces vécus. Ces éléments (convergence et
maintien de la diversité) participent à la transition culturelle de l’institution.
Ces préalables, prise en compte de la logique des acteurs, recherche
de leur engagement, et structuration en cohérence des composantes de la
formation, aboutissent de façon opérationnelle à la clarification du contrat
de formation.

1.2 Clarifier le fond et la forme des éléments


du contrat de formation
La clarification des éléments du contrat de formation, que nous
avons évoquée en tant que condition de développement de la pratique
réflexive au cours du chapitre précédent, relève à la fois de la recherche
d’efficacité et de l’engagement éthique. La recherche d’efficacité se fonde
tout autant sur des paramètres cognitifs d’accès aux enjeux par la décli-
naison des objectifs et contenus que sur des paramètres psychologiques
d’acceptation et d’engagement dans la formation. Ces deux dimensions
seront détaillées dans les points suivants.

1.2.1. Définir les objectifs et la nature des objets


de formation
Le processus de formation du professeur débutant s’inscrit dans
une triple temporalité. La première se fonde sur la durée de l’année de
Concevoir des dispositifs de développement de la pratique réflexive 89

stage, elle est finalisée par des procédures de validation-certification et/ou


obtention du master actuellement. La deuxième repose sur l’exigence pour
le professeur débutant d’agir au quotidien avec ses classes en combinant sa
recherche d’efficacité et de préservation. Et enfin, la dernière est ouverte
sur la suite de la carrière et ne comporte pas de borne temporelle. Dans
ce cas, la formation initiale est considérée comme préparatoire à la for-
mation continue. Cette triple exigence met l’acteur en formation au cœur
d’un système en tension qui se compose de la construction de capacités et
compétences utiles immédiatement (acquisition en vue de la validation des
transformations et l’action quotidienne) et qui puissent aussi être à la base
des transformations ultérieures (moyen et long terme). Nous pensons que
l’acquisition des secondes est compatible avec des transformations à court
terme, a contrario la finalisation unique par des réponses à l’urgence ne
nous semble pas permettre d’ouvrir le processus de formation sur un temps
long. Il est alors nécessaire de définir, à travers les objectifs de formation26,
les perspectives d’usage des contenus.
Questionnement/hypothèse et solution/réponse  : une ques-
tion de temporalité
La prise en compte de la logique des acteurs aboutit à la construc-
tion dans les échanges de cette double perspective temporelle. La clarifica-
tion de la nature des contenus sous l’angle de la temporalité de leur usage
constitue alors une nécessité. Les acteurs peuvent ainsi structurer l’échange
en formation à travers les contenus suivants :

– les solutions/réponses  : elles sont conçues comme un moyen de


résolution à court (voire très court) terme des problèmes profession-
nels. Elles deviennent par la suite matière de la pratique réflexive via
une approche multiréfléchie de leur genèse ;
– les questionnements/hypothèses de compréhension : porteurs de
perspectives de transformation à moyen et long terme, ils peuvent
trouver, au fil de la formation et avec le développement de la pratique
réflexive, une opérationnalité de plus en plus courte dans le temps.

Nous faisons l’hypothèse que le processus de solution/réponse aux


besoins urgents doit être une étape courte et que le processus de question-
nement/hypothèse peut majoritairement s’y substituer puisqu’il est poten-
tiellement porteur d’effet à court, moyen et long terme.
Enfin, pour compléter notre analyse, nous gardons à l’esprit la
réflexion de Malglaive qui affirme que la totalité des apports de formation
ne peut être liée à la notion d’utilité et de transformation, et ce quelle

26. Qu’ils soient relatifs à une séquence de formation ou à la totalité d’un dispositif se
déroulant sur toute l’année de formation.
90 Construire une pratique réflexive

qu’en soit la temporalité (Malglaive, 1994). Cette réflexion nous permet


de différencier des objectifs relatifs à la culture professionnelle générale
de l’enseignant, à la responsabilité et l’éthique du professionnel et enfin à
ceux relatifs à l’intervention concrète du professionnel.27 Dans ce cadre,
et une fois encore, la clarification des objectifs et contenus relatifs à cette
« utilité non ciblée » ou différée est essentielle pour ne pas perdre la cohé-
rence des apports.
En résumé, la clarification des objectifs et contenus permet l’enga-
gement conscient, volontaire et actif de l’acteur dans la formation et inscrit
la démarche de formation dans une option constructiviste. Si la dimension
cognitive de cette option se matérialise en effet par la connaissance de
l’articulation des objectifs et contenus, la transition (changement de statut)
que nous avons évoquée peut participer à la déstabilisation de l’acteur, aussi
est-il fondamental d’envisager la clarification des dimensions éthiques du
contrat de formation afin de « sécuriser » l’engagement de l’acteur.

1.2.2. Une clarification éthique du contrat : la conception


de règles sécurisantes
Au vu de nos apports précédents, les dispositifs de formation doivent
permettre au formé d’aborder les contenus de l’analyse dans la préoccu-
pation unique de la formation. Pour cela, le respect de principes éthiques
est un préalable à l’engagement dans le dispositif. La pratique réflexive
conduit en effet à des remises en cause déstabilisantes qu’il s’agit d’accom-
pagner et non d’éviter, car elles peuvent être à la base du processus de
transformation. Cette déstabilisation se fonde sur l’interrogation des compé-
tences, des capacités du sujet, mais dépasse aussi cela et renvoie souvent
à des questionnements plus personnels. Les questions de la vocation, de
l’impuissance à agir efficacement face à l’incertitude et l’urgence, peuvent
en effet devenir inhibitrices des processus de formation. L’enjeu est alors
de formaliser et contractualiser l’ensemble des procédures qui permettent
de sécuriser l’entrée et le maintien dans le processus de transformation.
Nous avons vu dans le point précédent que la construction d’un
projet convergent participe à ce titre à la clarification du positionnement
des différents acteurs et contenus par rapport aux objectifs de l’année de
formation. La présentation de la complémentarité de ces différents éléments
revêt donc un caractère essentiel. Ainsi, le rôle des acteurs et leur statut se
doivent d’être explicités en les mettant en perspective avec le spectre large
des contenus, mais aussi à travers le rapport des formateurs à l’évaluation

27. Si ces objectifs peuvent être différenciés par des objets spécifiques, la logique systé-
mique de la professionnalité les associe de façon complexe dans chacune des actions
du professionnel.
Concevoir des dispositifs de développement de la pratique réflexive 91

(formative, formatrice, certificative). Nous avons vu précédemment que la


superposition des rôles d’évaluateur (certificateur) et de formateur peut
aboutir à des situations de contournement et d’évitement des enjeux de
formation. C’est dans ce sens que Saint-Arnaud affirme que, pour entrer dans
un réel processus de transformation des pratiques, l’enjeu est de dépasser
l’expression sécurisée du surmoi professionnel.
Les outils et modules proposés peuvent alors comprendre des garan-
ties de protection de l’acteur en formation. Ces garanties prennent la forme
de règles et principes que nous déclinons de la façon suivante :
– la connaissance des rôles, conceptions et compétences des diffé-
rents acteurs par les formés leur permet de s’engager en limitant les
risques pris dans leurs rapports aux interlocuteurs de formation. La
clarification de ce qu’ils peuvent attendre de chacun d’eux permet
la facilitation de l’entrée et du maintien de l’échange ;
– la confidentialité des échanges de formation. Elle protège l’acteur
contre la diffusion de ses analyses personnelles à l’extérieur des
acteurs de la formation, mais éventuellement aussi à l’interne de
la formation lorsqu’il y a risque de confusion entre les enjeux. Elle
nécessite aussi que soient contractualisées les limites de ce qui
relève du contenu de la formation ;
– les contenus de formation portent sur les composantes profes-
sionnelles de l’individu et non sur des facteurs personnels. Il s’agit
bien en effet de transformer les pratiques du professionnel et non
de modifier le profil personnel en vue de sa conformation à une
quelconque orthodoxie ;
– la possibilité d’évolution de l’usage des outils et formes de travail
doit être contractualisée initialement. Les variations se justifient
par l’évolution du profil des formés et trouvent une pertinence dans
ce cadre des changements non contractualisés présentent par contre
le risque de déstabiliser les acteurs s’ils ne sont pas explicités et anti-
cipés. De plus, l’autonomie et la responsabilité de l’adulte en formation
impliquent que ces variations puissent être initiées par le formateur,
par le formé ou soient le fruit d’une élaboration concertée ;
– la distinction entre les contenus de formation et ceux conduisant
à l’évaluation (détermination des exigences minimales en matière de
formation et de validation par exemple). Il s’agira d’éviter la confusion
quant à ce qui est du domaine du processus de transformation et ce
qui est du domaine de l’exigible. Il n’y a pas superposition exacte des
deux domaines et les contenus d’accès à l’exigible sont souvent de
nature singulière et non validables en tant que tels ;
– la clarification de la définition du jugements de l’interrogation,
de la transmission et du conseil. Si le conseil, la transmission et
l’interrogation s’inscrivent dans une logique formative, le jugement
92 Construire une pratique réflexive

relève lui plus de l’approche certificative. La différence entre les


deux logiques peut être clarifiée à la fois à travers les temporalités
d’apparition, mais aussi à travers les formes de langage qui déter-
minent le registre de l’échange.

En résumé, la contractualisation de ces règles devient une assurance


pour le professeur en formation de ne pas être la victime d’une confusion
entre formation et validation, d’être évalué de façon transparente et de
s’engager en connaissance de cause avec les différents interlocuteurs. Mais,
de façon prioritaire, cette sécurité multidimensionnelle est avant tout un
préalable à l’engagement dans une réelle démarche de transformation qui
nécessite pour être enclenché que le sujet en formation en devienne acteur.
Le point suivant sera l’occasion de la déclinaison et la définition de
ces deux principes (prise en compte de la logique des acteurs et de l’insti-
tution et clarification du contrat) au cœur d’un cadre général de construc-
tion d’outils de formation visant le développement de la pratique réflexive.

2. DES OUTILS ET DISPOSITIFS


DE FORMATION CONSTRUITS
À PARTIR DU CADRE CONCEPTUEL
Cette partie a pour objectif de clarifier les objectifs, principes et
contenus susceptibles d’être réinvestis dans une multitude de déclinaisons
sous forme d’outils de formation qui visent le développement de la pratique
réflexive au service de la professionnalisation. Ces propositions s’inscrivent
dans la suite logique de nos apports précédents, et ce notamment par la prise
en compte des différents éléments du contexte (ressources des apprenants,
culture de l’institution, enjeux des différents acteurs,  etc.). Le principe
présidant à nos propositions est de s’inscrire dans l’accompagnement de la
transition des modes de fonctionnement, vers la révolution culturelle dont
parle Fabre (2009), et ce aussi bien au niveau de l’apprenant que de celui
de l’institution et de ses acteurs.

2.1 Objectifs généraux des dispositifs


Dans l’objectif général de formation d’un professionnel, praticien
réflexif. La conception des dispositifs vise la valorisation de la formation
en alternance par la création de liens fonctionnels entre les différentes
ressources disponibles pour le sujet. Il ne s’agit donc pas ici, et ce confor-
mément aux analyses précédentes, de viser la transmission d’un savoir théo-
rique (objectif partiel d’autres modules de formation) ni même de produire
un compte rendu d’expérience, mais de transformer et lier fonctionnellement
Concevoir des dispositifs de développement de la pratique réflexive 93

ces deux contenus qui sont de natures différentes. Pour cela, le développe-
ment de la pratique réflexive en tant que capacité d’analyse systématique et
reproductible de l’expérience pratique, mobilisant des savoirs scientifiques
et de l’expérience, finalisée par la transformation de l’intervention (acti-
vité productive) et le développement professionnel (activité constructive)
constitue la visée centrale des dispositifs.
Cette pratique réflexive se décline en plusieurs éléments distincts
et s’accompagne de façon indissociable du développement de capacités,
conditions de l’amélioration, de l’apparition ou de l’entretien de la pratique
réflexive. Ainsi, si le savoir-analyser se situe bien au cœur de la pratique
réflexive, cette dernière est constituée, du fait de sa logique praxique, d’un
système unissant de façon intangible des éléments divers appartenant aussi
bien au champ cognitif qu’affectif, relationnel ou communicationnel. Des
liens de récursion et de rétroaction unissent ces éléments et aboutissent à
la formalisation d’un espace d’objectifs en système. Les visées de formation
sont issues de trois registres qui feront chacun l’objet d’un développement
dans les points suivants du chapitre :

– la construction de capacité d’analyse pour nourrir la pratique réflexive ;


– la construction de la capacité à travailler en équipe à la fois fin et
moyen de la pratique réflexive ;
– le confort de formation et le confort professionnel comme fin et
moyen de la pratique réflexive.

2.1.1. Construire des capacités d’analyse


pour nourrir la pratique réflexive
Pour le professionnel, l’amélioration de l’efficience de ses interven-
tions (au sens large d’activité productive et constructive), se fonde entre
autres sur sa capacité à articuler ses actes professionnels et la production
d’une analyse sur ces dernières. Cette capacité générale permet d’accepter,
de comprendre et d’affronter la complexité du métier et de s’engager ainsi
dans une réelle professionnalisation et un développement professionnel.
La pratique réflexive se compose ainsi du développement de straté-
gies d’analyse. Ces stratégies se fondent sur la conception et/ou l’usage de
cadres d’analyse de la pratique qui portent soit sur la forme (méthodologie
de l’analyse) soit sur le fond (repérage des domaines de professionnalité,
réalité de l’objet analysé…). L’analyse fondée sur des cadres de définition du
métier issus de la recherche scientifique et des savoirs professionnels permet
la rencontre fonctionnelle entre théorie et pratique. Dans une perspective
dynamique de construction de l’analyse, le professionnel utilise différents
savoirs théoriques pour éclairer la complexité des expériences pratiques.
En retour, il interroge la pertinence de ces références et se construit ses
94 Construire une pratique réflexive

propres cadres d’interprétation. Le recul réflexif permet ainsi le chemi-


nement dans la complexité du métier en instaurant un dialogue entre les
champs et références théoriques et les vécus.
En l’absence de mobilisation simultanée de ces trois éléments (théo-
rie, pratique et mise à distance réflexive), on prend le risque de limiter la
théorie à son champ, c’est-à-dire celui des énoncés, et l’expérience à celui
de la fatalité d’une complexité impénétrable du métier. La perspective de
l’approche multiréfléchie se fonde sur cette hypothèse d’indissociabilité des
trois dimensions énoncées. On relève en effet que l’approche multiréfléchie
repose sur la combinaison des approches savante, empirique et expérientielle
ainsi que sur l’analyse de cette combinaison dans une perspective située,
métaréflexive. Mais cette mise en perspective des trois dimensions est aussi
l’occasion d’éviter le risque de l’éventuelle stérilité didactique qu’énoncent
les auteurs qui critiquent l’usage du concept de pratique réflexive (Vanhulle,
2009 ; Schneuwly, 2012).

Concevoir une démarche d’analyse


Pour éviter cette stérilité, la construction d’un savoir-analyser consti-
tue un enjeu central. En tant que modèle reproductible de compréhension
des situations professionnelles, il devient une base d’élaboration des futures
pratiques mais aussi du développement professionnel par la mise à distance
de ses pratiques. Ce savoir-analyser se compose de deux ressources complé-
mentaires qui en sont le fondement et créent le matériau de l’analyse  : le
savoir-observer et le savoir-réfléchir (Altet, 1994).
Compte tenu de la complexité des objets analysés (situations, acti-
vité, pratiques), nous optons pour une démarche d’analyse se fondant sur
une lecture systémique de ces objets. Cette lecture de l’expérience, en
tant que système, est un gage d’éclairage de la complexité des pratiques
professionnelles. Cette approche systémique sera d’autant plus éclairante
qu’elle se fonde sur une approche multiréfléchie (combinant les avantages
des approches multidimensionnelle, plurielle et multiréférentielle). Le croi-
sement des différents champs scientifiques, perspectives de vision et niveaux
d’analyse permet un éclairage nouveau sur le fonctionnement du système
étudié. Il permet de sortir des logiques unidimensionnelles d’explication et
d’attribution causale simple ou réactive. Dans la cadre de formations insti-
tuées et lorsque les dispositifs de développement de la pratique réflexive
sont au cœur de plan plus large de formation, la perspective systémique
de l’approche multiréfléchie permet d’enrichir la mise en perspective du
contenu des différents modules de formation. C’est en effet à travers les
modules plus traditionnels ou du conseil pédagogique « classique » que
peuvent s’acquérir des contenus issus de dimensions multiples, mais c’est
aussi par cette diversité et leur mise en perspective que l’acteur peut se
familiariser avec une vision complexe des pratiques.
Concevoir des dispositifs de développement de la pratique réflexive 95

Au travers de cette diversité, le professionnel peut faire l’expérience


du décalage entre les niveaux et origines des analyses, des stratégies et des
représentations. Ce processus nourrit sa prise de recul et sa décentration.
Nous postulons en effet que la rupture d’avec les modalités traditionnelles
d’accès au savoir passe par une remise en cause de ses propres démarches
et l’interrogation de leur pertinence.

Analyser son analyse


Cette interrogation peut se produire à l’occasion d’un regard sur sa
propre pensée ou de la confrontation à celle d’autrui (qu’il soit un pair, un
interlocuteur symétrique ou non). Cette analyse de l’analyse constitue le
processus de métaréflexion qui est la condition/composante de la réflexivité
telle que nous l’avons définie. Elle est favorisée par la mise en place de
temps méta (Vacher 2014b ; Thiébaud, 2019a).
Dans ce sens, il nous semble que la construction d’une stratégie
d’analyse de la pratique professionnelle est un processus ouvert et dyna-
mique. Les « certitudes » d’un savoir académique ou de l’expérience s’y
trouvent relativisées par l’émergence d’autres « vérités » ou interrogations
temporaires. Ce doute constructif est un moteur de l’entretien de la réflexi-
vité. La stratégie et son produit, l’analyse, ne peuvent être conçus comme
définitifs et immuables. Le développement de la capacité à comprendre les
pratiques à faire évoluer et développer ses cadres d’analyse, plutôt que celle
de résoudre des situations, sera alors privilégié.
Mais, dans un cadre institué, l’analyse ne fonctionne pas « à vide »,
et sa matière se fonde sur des cadres de lecture/analyse qu’il s’agit de
s’approprier ou de construire. Ce risque d’absence d’étayage a constitué
l’une des critiques majeures du développement d’une pratique réflexive,
alors qualifiée de stérile (Schneuwly, 2012 ; Bissonette et al., 2021).

Utiliser et concevoir des cadres de définition du métier


La démarche d’analyse permet de construire une lisibilité des pra-
tiques et ainsi de transformer ces dernières. Elle s’appuie, dans les cadres
institués des formations sur des savoirs (qu’ils soient scientifiques ou profes-
sionnels) qui constituent les définitions des métiers. La redéfinition/appro-
priation de ces éléments par le professionnel dans le cadre d’une approche
réflexive est un enjeu central.
Ce travail d’apprentissage de grilles normées (validées) de lecture
est parfois conçu comme un préalable au processus d’analyse. Dans notre
approche constructiviste il est l’un des produits de la réflexivité. Dans le
premier cas (approche normative), il s’agit de faire fonctionner des cadres
préexistants en tant que support de l’analyse de pratiques. Ces cadres
peuvent être de natures diverses (référentiel, paradigme, théorie, grille,
96 Construire une pratique réflexive

modélisation…) et sont d’ordre théorique. Ils reposent sur les corpus de


savoirs scientifiques, institutionnels ou professionnels.
La conception de ces cadres doit cependant tenir compte de la
nécessité d’éviter l’enfermement de l’usager dans une vision stéréotypée,
normative du métier, contraire au principe même d’ouverture de la réflexi-
vité. L’étape de contractualisation, autour de l’usage de ces cadres, permet
à la fois un apport théorique sur la définition du métier et la clarification
de l’interprétation et des enjeux pour chacun des acteurs.
Dans le second cas qui correspond à l’approche constructiviste et
à notre inscription dans le paradigme de la complexité et de l’incertitude,
la (re)construction de cadres de définition du métier constitue l’un des
objectifs temporaires de la pratique réflexive. Le processus visé est la mobi-
lisation des cadres préexistants d’analyse (extérieurs au sujet ou lui étant
propre) et leur interrogation en vue de la reconstruction d’une conception
personnelle et fonctionnelle du métier (cf. cadre interprétatif personnel,
Kelchtermans, 2001). Cet objectif temporaire ne saurait cependant consti-
tuer la visée totale de formation. La réflexivité n’est pas la simple maîtrise
d’un cadre définitif d’analyse, elle s’inscrit dans une dynamique évolutive
conforme à la logique du paradigme de l’incertitude.
Derrière l’opposition visible de ces deux rapports à la définition
des cadres de référence d’analyse du métier et de leur usage, se cache en
réalité la complémentarité entre l’exigence et les contraintes d’une forma-
tion institutionnelle (donnant lieu à une validation normée et à un accès à
une fonction dans l’institution) et celle du développement d’une attitude
réflexive. Le regard de la seconde sur la première, mais aussi l’acquisition
des cadres de la première constitue légitimement des visées de formation
complémentaires bien qu’en apparence contradictoire. La complémentarité
de ces éléments est au cœur du lien entre la théorie et la pratique. Ce lien
associe fonctionnellement l’objet normé et son analyse qui fonde l’adap-
tation à ces normes ou la transformation de ces dernières. Cette prise de
recul sur ce lien constitue l’une des matières premières privilégiées dans
le processus de métaréflexion.
Si la combinaison entre la mobilisation de ces cadres et le recul
réflexif sur l’usage de ces derniers constitue un élément central de l’analyse,
la centration de cette dernière sur des pratiques réellement vécues paraît
tout aussi riche pour le développement de la réflexivité.

Analyser des pratiques réellement vécues


La construction d’une conception du métier passe donc par l’élabo-
ration d’un regard singulier de l’acteur sur les pratiques professionnelles.
Cette singularité se fonde sur les ressources de l’acteur au cœur desquelles
son expérience pratique prend une place centrale. Nous avons vu dans
Concevoir des dispositifs de développement de la pratique réflexive 97

notre formalisation de l’approche multiréfléchie qu’elle avait en partie pour


principe de prendre en compte le niveau réel des ressources de l’apprenant,
mais aussi de l’impliquer par l’analyse d’objets familiers ou de proximité.
Ainsi, nous émettons l’hypothèse que l’amélioration de l’efficience
professionnelle passe par l’analyse de pratiques réelles et en partie vécues
par le débutant. Cet ancrage dans la réalité permet de prendre en compte
la spécificité du profil des débutants et la complexité de l’expérience
située. Ces derniers sont en effet confrontés à des situations concrètes
(stage en responsabilité et en pratique accompagnée) et l’enjeu est pour
eux de comprendre pour transformer cette « matière vivante ». L’analyse
se fondant sur la réalité des vécus, qu’ils soient personnels ou ceux des
pairs, nous semble une garantie de sens pour les sujets en formation.
De plus, le travail sur les pratiques réelles permet d’éviter l’écueil d’une
démarche de laboratoire qui neutraliserait un certain nombre de para-
mètres pour tester une variable. Si cette démarche convient dans le cadre
de recherches fondamentales et monoparamétriques, nous avons vu à tra-
vers les travaux de nombreux auteurs que la définition du métier d’ensei-
gnant ne peut se satisfaire d’une vision réductrice et monoparamétrique.
Ainsi l’étude des pratiques réelles est une nécessité pour préserver la
complexité du  système fonctionnant et ainsi l’efficience des stratégies
d’analyse multiréfléchie.
Cette perspective d’une mise en cohérence entre le fond et la forme
de l’analyse n’est pas le seul facteur garant de l’amélioration de l’efficacité
professionnelle  : selon nous, la construction de la professionnalité, par la
mise en place d’une pratique réflexive systématique et reproductible, est
fortement dépendante de la dimension sociale d’exercice du métier. C’est
pourquoi le développement de la pratique réflexive nécessite aussi l’inté-
gration et la prise en compte des composantes relationnelles et communi-
cationnelles du métier et de la formation.

2.1.2. Construire une capacité à travailler en équipe :


une composante fin et moyen de la pratique réflexive
Capacité et compétences à travailler en équipe participent en tant
que fins et moyens du développement de la pratique réflexive : « moyens »,
car ces capacités sont au service de l’amélioration de la qualité des pro-
cédures d’analyse et donc de la compréhension, de l’acceptation et de
l’affrontement en acte de la complexité du métier. Elles sont aussi « fins »,
car la pratique réflexive contribue selon nous à l’amélioration des compo-
santes relationnelles et communicationnelles qui sont constitutives de la
professionnalité (Vacher 2018b). La construction de la capacité à échanger
à propos de la pratique professionnelle devient ainsi un enjeu essentiel des
dispositifs de formation. Ces dernières permettent en effet l’enrichissement
98 Construire une pratique réflexive

de l’analyse par la mutualisation, mais aussi le dépassement des connais-


sances, capacités et compétences individuelles par la co-construction de
la réflexion. En cohérence avec les hypothèses précédentes, nous postu-
lons que le travail en groupe/équipe ou binôme permet un gain temporel,
mais aussi un gain qualitatif (décalage/décentration) dans la production
de réflexion.
Quatre domaines de capacité susceptibles de participer à l’amélio-
ration de la pratique réflexive (moyen) et de la qualité du travail en équipe
(fin) sont ainsi distinguables. Chacun d’eux est à la base de l’enrichissement
potentiel de l’approche multiréfléchie car ils concourent à l’augmentation
des perspectives référencées et de leur analyse.

De l’écoute compréhensive à l’écoute constructive


L’objectif est ici de développer des processus d’écoute, lors des
échanges en binôme ou en groupe, afin de viser une amélioration de la
réflexivité. Cette écoute est porteuse de trois fonctions.
Le repérage de la nature des éléments du discours de(s) l’inter-
locuteur(s), des niveaux de liens, de la structure argumentaire constitue
la base de cette écoute que nous qualifierons de compréhensive pour ces
premiers contenus. Cette écoute s’orientera vers la construction à partir du
moment où elle s’effectuera en parallèle à une mise en perspective avec ses
propres représentations, réflexions et savoirs à propos du sujet d’échange.
Les perspectives de décalage et de décentration que nous présenterons par
la suite, mais aussi celle d’analyse des références (approche multiréfléchie)
de(s) l’interlocuteur(s) peuvent découler directement de cette capacité. Ce
deuxième niveau peut être qualifié d’écoute comparative. Cette mise en
perspective peut alors aboutir à la dernière fonction qui est relative à la
construction en cours d’écoute. Il s’agit ici de reconstruire sa compréhension
en fonction des informations initiales perçues et des mises en perspectives.
Nous pourrions résumer cette analyse de l’écoute en affirmant qu’elle
permet de comprendre puis de confronter et enfin de construire. La
simultanéité28 de ces trois fonctions nécessite une structuration singulière
des temps d’échange et l’apprentissage de ce fonctionnement. Pour cela la
déclinaison des règles de fonctionnement peut faire l’objet d’une contrac-
tualisation qui garantit la possibilité d’émergence de ces trois fonctions. On
pense ici par exemple aux règles de prise de parole, au cadrage temporel
de l’écoute…

28. Cette simultanéité est réelle ou « fausse » lorsqu’elle s’effectue par juxtaposition de
temps très courts. Ces microjuxtapositions courtes aboutissent cependant dans une
unité d’écoute (phase « muette » de l’échange) à une macro-simultanéité des fonctions.
Concevoir des dispositifs de développement de la pratique réflexive 99

Une prise de parole compréhensible et constructive


Si la capacité d’écoute (et l’attitude qui en découle) est un élément
essentiel du travail en équipe, la prise de parole constitue son pendant pour
entrer dans un réel processus d’échange et de valorisation du travail en
équipe. Cette prise de parole est, elle aussi, porteuse de trois composantes :
clarifier, s’assurer de la réception et construire.
Il s’agira en premier lieu, et ce comme pour l’écoute, de clarifier
ses propres pensées pour les rendre audibles et compréhensibles par l’(es)
interlocuteur(s). Le choix des concepts, les niveaux de formulation et l’ex-
plicite de la structure argumentaire, informative ou explicative sont alors
déterminants dans la recherche de qualité de la prise de parole. Dans un
second temps l’acteur qui prend la parole doit chercher à s’assurer que
le contenu de son intervention est compris. Pour cela il développe,
simultanément à l’énonciation, une attention aux attitudes de réception
de(s) l’interlocuteur(s) (geste, posture…). Enfin, la prise de parole peut
contenir ou permettre une mise en perspective avec les autres apports déjà
effectués. Elle est un élément de la construction commune, mais cette
dernière ne rime pas avec la recherche d’un consensus, la co-construction
pouvant par exemple porter sur des définitions et non sur les intentions ou
interprétations. Comme pour l’écoute, la simultanéité de ces trois fonctions
impliquera une structuration adéquate des temps de formation qui peut
passer par la formalisation de règles de prise de parole.
Si l’échange oral constitue la modalité la plus fréquente, nous avons
vu que certains dispositifs mettent en place une médiation par l’écrit. Le
passage à l’écrit est un complément singulier de formation et relève de
processus similaires à l’échange oral.

La formalisation écrite
La formalisation écrite reprend en effet deux des fonctions de la
prise de parole en les singularisant. On retrouvera ainsi la mise en pers-
pective avec le contenu des différentes interventions et la recherche de
formulations explicites (structure du propos, choix des concepts…). Ce
dernier point est d’autant plus fondamental que contrairement à l’échange
oral, le retour de l’éventuel lecteur n’est pas direct et nécessite donc une
précision « définitive » dans les formulations. La capacité à écrire ses inter-
rogations, ses interprétations, ses conceptions constitue donc en ce sens
un moyen d’amélioration de la pratique réflexive29.

29. « Ce matériau déposé sur un support se détache de la personne qui le produit et


acquiert une autonomie suffisante pour le conduire à s’interroger sur le choix des
mots, sur l’organisation spatiale, sur les non-dits qui affleurent dans la significa-
tion qui en est offerte » (Cros, Lafortune et Morisse, 2009, p. 9).
100 Construire une pratique réflexive

Nous parlerons ici de véritable occasion de « mise à plat », au sens


matériel de la formule, de l’approche multiréfléchie produite. Nous gardons
à l’esprit les limites que nous avons évoquées précédemment à savoir que
l’écriture peut constituer un frein de l’engagement dans la pratique réflexive
si son usage n’est pas contractualisé et accompagné.
L’écriture peut aussi lorsqu’elle est collective être un moyen de
formaliser un contenu en commun ; on parlera alors de co-construction.

La co-construction
La co-construction est littéralement un processus de construction
en commun, un processus qui aboutit à un produit conforme au principe
de la théorie de la forme qui stipule que le tout est différent de la somme
de ses parties (Vacher 2018c). Ce travail de co-construction nécessite d’avoir
conçu et mis en place un environnement favorable à l’acceptation de l’autre
en tant que partenaire nécessaire de formation, acteur essentiel de la trans-
formation de ses propres pratiques.
La co-construction peut apparaître au niveau d’étapes intermédiaires
de la séquence ou comme dernière étape de l’échange. Dans ce dernier cas,
elle est le moment de construction commune d’une synthèse des échanges
(modèle de compréhension, analyse de l’analyse…). Cette étape peut être
intermédiaire lorsqu’une nécessité apparaît face à la complexité et l’ampleur
des apports lors de l’échange ou pour démultiplier cette forme de travail.
Nous répétons à cette occasion que ces synthèses (intermédiaires ou finales)
ne visent pas un consensus et peuvent aussi bien comporter un ensemble
de convergences que de divergences.
Lors de la co-construction finale, l’objectif est de tenter de clarifier
et  d’arrêter temporairement la compréhension des éléments de l’échange
(Thiébaud et Vacher, 2018). Pour la décrire, une image pourrait être utilisée
dans ce cas, il s’agirait d’une photographie de la formalisation de l’approche
multiréfléchie commune. Elle permet en outre de mettre en perspective ces
contenus avec la suite de la formation et les autres éléments de formation. Dans
ces cas, la co-construction prend la forme d’une planification de la formation.
Le contenu de la formalisation en commun est conçu à partir de
l’évaluation du poids de chacun des apports (légitimité, rationalité, vali-
dité…) et de la mise en perspective temporelle de ces apports (adaptabi-
lité, programmatique…). Cette étape constitue la phase métaréflexive de
l’approche multiréfléchie. Les produits de cette co-construction peuvent être
multiples : hypothèse ou modèle de compréhension, cadre problématique,
interrogation, échéancier de formation, proposition de solution. Ces éléments
issus de la co-construction sont au fondement du développement de la
pratique réflexive (moyen) et en tant que processus social ils participent à
l’amélioration de la capacité à travailler en équipe (fin).
Concevoir des dispositifs de développement de la pratique réflexive 101

2.1.3. Construire un confort de formation


et professionnel : un élément finalisant
mais aussi levier de la pratique réflexive
L’analyse réflexive nécessite une disponibilité de l’acteur qui n’a de
chance de se développer que s’il existe chez l’acteur un sentiment perçu
de confort professionnel. Dans ce cas, la disponibilité liée au confort est
conçue comme un préalable c’est-à-dire un moyen de développement de la
pratique réflexive. Mais, de façon concomitante, la pratique réflexive, par le
nouveau rapport à la complexité qu’elle instaure, permet l’amplification de ce
confort. Une fois encore, c’est un système d’interdépendance récursive qui
lie confort professionnel et pratique réflexive. Dans le premier cas (moyen),
ce confort est d’autant plus nécessaire qu’en formation initiale en alternance
l’acteur est confronté à un faisceau d’éléments nouveaux (la complexité du
métier et des vécus, la place centrale de la pratique, le nouveau statut et
la responsabilité qui en découle, l’hétérogénéité des interlocuteurs…) sont
autant de facteurs de déstabilisation (Veenman, 1984). La formation d’un
praticien réflexif est conditionnée par l’acceptation du formé d’un regard
éclairé sur ses propres pratiques, que ce regard soit celui d’un interlocuteur
ou le sien. Cette analyse de ses propres pratiques renvoie le praticien à ses
incertitudes, à ses ressources et à sa responsabilité. La situation de réflexi-
vité conduit temporairement à une remise en cause, une interrogation de
sa propre maîtrise professionnelle et nécessite alors un engagement assuré
par un confort de formation.
Dans ce cadre, le développement de la pratique réflexive implique
des dispositions psychologiques favorables et, comme pour les cadres de
référence, ces dernières sont à la fois préalables et objet de formation. Les
ancrages signifiants, l’usage de cadres de référence extérieurs ou la clari-
fication du contrat de formation, que nous avons analysés précédemment,
sont autant d’éléments qui participent à l’équilibre du système « pratique
réflexive », aussi bien en tant que condition préalable et d’entretien qu’en
tant que produit de la réflexivité par la mise à distance affective et cognitive
qu’elle permet.
En effet, comme nous l’avons affirmé précédemment, la création
par le formé du sens de sa formation nous semble un préalable à l’entrée
dans le processus de transformation. Or nous avons vu que les attentes
des différents acteurs divergent et que l’enjeu est bien la construction
d’un premier compromis permettant la création d’un sens « acceptable »
pour le formé. Cette construction d’un compromis semble nécessaire
pour créer les conditions de la formation. Le travail sur les situations
professionnelles personnelles paraît de ce point de vue être de nature à
rendre signifiant le travail de formation. L’usage de cadres de référence
est aussi susceptible d’assurer cette qualité en donnant une première
102 Construire une pratique réflexive

grille fonctionnelle de lecture de la complexité. L’ancrage sur les situa-


tions auxquelles le stagiaire est confronté ainsi que la proposition de
cadres de référence constituent deux éléments qui participent à la mise
en confiance du formé. Ces deux éléments peuvent être complétés par
la clarification des objectifs, des procédures de formation, des règles de
fonctionnement, des rôles des différents acteurs ou de la séparation entre
le personnel et le professionnel. En cela, les phases de contractualisation
de début de formation et de régulation en cours de formation peuvent
permettre l’amélioration du confort de formation qui est concomitant de
l’amélioration du confort professionnel puisque le déterminant, l’encadrant
ou l’accompagnant.

2.1.4. Synthèse
En résumé, la construction de stratégies d’analyse de pratiques,
le développement de la capacité à travailler en équipe et le développe-
ment d’un confort professionnel s’articulent en système autour et au cœur
de la pratique réflexive, et participent ainsi d’une dynamique globale de
professionnalisation ; chacun d’eux participe de façon complémentaire à la
construction d’une identité professionnelle choisie, assumée et nécessaire-
ment évolutive.
La compréhension, l’acceptation et la confrontation en acte (et non
la réduction) à la complexité du métier sont, selon nous, de nature à per-
mettre la maîtrise de sa propre « dé-maîtrise » professionnelle et d’engendrer
ainsi une évaluation et une transformation non anxiogène de sa pratique
(Blanchard-Laville et Nadot, 2001). Dans ce cadre la pratique réflexive
agit comme moyen d’acceptation du réel professionnel tout autant
que comme moteur de la dynamique d’évolution de la « professionna-
lité » et finalement des pratiques professionnelles. L’acteur conscient
des enjeux du système auquel il participe, auteur de ses compétences et
collaborateur du projet collectif devient ainsi, légitimement et efficacement,
l’élément central du dispositif de formation.

2.2 Des processus cognitifs visés,


constitutifs de l’activité réflexive
Deux grands types de processus cognitifs peuvent être susceptibles
de nourrir l’atteinte des objectifs précédents :

– les premiers processus sont relatifs à l’apparition de décalages dans


les analyses produites. Nous émettons l’hypothèse que ces décalages
participent au déclenchement et à l’entretien de l’activité réflexive ;
– les seconds processus constituent le cœur de l’approche multi-
réfléchie et sont la décentration et la prise de recul.
Concevoir des dispositifs de développement de la pratique réflexive 103

2.2.1. Émergence de décalages et de prises de conscience


Compte tenu du positionnement constructiviste que nous adoptons
pour la conception de nos outils de formation, nous émettons l’hypothèse
que l’apprentissage se déclenche à partir de décalages qui ouvrent la pers-
pective d’un éclairage multiréfléchi. Si ce décalage, pour être déclencheur,
doit se situer dans une zone proximale, nous avons émis l’hypothèse que,
dans le cas de la formation d’adultes, ce décalage est le produit d’un dosage
qui est tout autant sous la responsabilité du formateur que du formé. Le
dosage de l’interaction des ressources du sujet avec les situations vécues
aboutit à l’émergence d’un décalage voulu favorable à l’apprentissage. Dans
le modèle de l’approche multiréfléchie que nous développons, l’apparition
du décalage est permise par l’ajout de nouvelles dimensions et références
et leur mise en perspective. Ainsi, l’observation de deux niveaux d’analyse
permet de mettre en lumière des décalages de compréhension ou même
de méthode d’éclairage d’une même situation.
Nous déterminons ainsi quatre processus de décalage (synchronique
et diachronique, interne et externe) qui sont susceptibles de participer et/
ou d’entretenir l’activité réflexive :

– décalage synchronique  : l’apparition du décalage se fait, durant


la formation et au cours de la réflexion du sujet en formation, à
l’intérieur d’une séquence identifiée et courte. Les outils doivent
permettre, dans ce cas, de provoquer l’émergence d’éclairages mul-
tiples au cours d’une même séquence (cf. approche multiréfléchie) ;
– décalage diachronique  : le décalage n’est pas inscrit cette fois
dans une séquence identifiée de formation, mais se produit lorsque,
dans un temps différé, le professionnel formé ou accompagné prend
conscience et/ou met en perspective deux analyses en décalage. Ce
mécanisme est rendu possible par la conception d’outils ouverts sur
le temps, c’est-à-dire prolongeant l’analyse hors du dispositif. On voit
ici la perspective maximaliste de l’activité réflexive.

Dans ces deux premiers cas, la séquence ou l’outil de formation sont


à la fois porteurs de contenus autonomes (décalage synchronique) et de
contenus dépendants/ouverts (décalage diachronique). Ces deux processus
sont complétés par la possibilité de deux occurrences complémentaires à
savoir les décalages internes et externes que nous définirons ainsi :

– décalage interne : le décalage émerge à l’intérieur de la réflexion


du formé, il est constitué de la différence entre des analyses propres
au sujet ; il s’agira ici d’une perspective multiréfléchie personnelle ;
– décalage externe : le décalage est lié à des analyses extérieures à
l’acteur. Il est issu de la différence entre des analyses émanant du
104 Construire une pratique réflexive

sujet en formation et de tierces personnes. Dans ce cas la perspec-


tive multiréfléchie est un produit social.

La prise de conscience d’un décalage en tant qu’origine d’un désé-


quilibre constitue dans notre option un élément central du déclenchement
du processus d’apprentissage. Les objets décalés peuvent être multiples  :
des décalages peuvent apparaître entre le « planifié » et le « réalisé », entre
les différentes hypothèses de compréhension, entre les références de la
réflexion ou encore entre les conceptions et les actions mises en œuvre.
Nous pensons que la prise de conscience de ces décalages constitue un
élément déclencheur et d’entretien de la pratique réflexive telle que nous
l’avons définie.
La mise en perspective des décalages, qui constitue l’un des cœurs
de l’approche multiréfléchie, s’incarne dans les processus de décentration
et de prise de recul.

2.2.2. La décentration et la prise de recul


au cœur de l’approche multiréfléchie
Les processus de décentration et de prise de recul ne se limitent
cependant pas à la mise en perspective des décalages  : ils peuvent appa-
raître avec l’entraînement comme le produit des stratégies d’analyse déve-
loppées. Ainsi la construction ou l’usage systématique de cadres d’analyse
multidimensionnelle, plurielle ou multiréférentielle constitue un moyen de
décentration et de prise de recul. Ces deux processus se positionnent ainsi
au cœur de l’analyse multiréfléchie que nous proposons.
Nous définirons de la façon suivante ces deux processus :

– la décentration : elle réside dans le déplacement du sujet autour de


l’objet étudié, à savoir les contenus de formation dont sa propre pra-
tique fait partie. L’éclairage nouveau donnerait ainsi lieu à un proces-
sus de décentration qui se fonde sur la recherche d’éclairages à partir
d’angles non spontanés et qui matérialisent l’approche multiréfléchie30.
Nous avions illustré cela par les différents projecteurs dans notre
modélisation de l’approche multiréfléchie (cf. figure 1.7) ;
– la prise de recul31 : elle consiste en un processus de déplacement
non plus autour de l’objet étudié, mais sur un axe traversant l’objet.

30. Faingold qualifie cette décentration de condition nécessaire à la prise de conscience de


sa pratique et ainsi elle participe totalement à l’activité réflexive (Faingold, 1993).
31. Donnay et Charlier (2006) différencient mise à distance et prise de recul. La première
consiste en l’adoption d’un statut d’observateur objectif de sa propre pratique et cher-
chant à établir des invariants. La seconde (qualifiée de réflexivité), replace le sujet
comme objet d’analyse porteur de subjectivité.
Concevoir des dispositifs de développement de la pratique réflexive 105

La mise à distance et le rapprochement constituent les moyens


d’un nouveau point de vue alliant fonctionnellement analyse micro-
scopique et macroscopique, implication et explication. Ce processus
conduit à une vision systémique des éléments qui constituent la
situation analysée. La dernière étape temporaire de prise de recul
porte sur le processus d’analyse lui-même. Elle est constituée d’une
réflexion sur le processus d’analyse que nous avons défini comme
métaréflexion dans l’approche multiréfléchie. Cette phase vise l’éva-
luation constructive des stratégies d’analyses développées.

La combinaison de ces deux effets « zoom » (prise de recul) et


rotation de l’objet (décentration) permet de voir ce que l’on ne peut
distinguer d’où l’on est historiquement, socialement et conjonctu-
rellement. Historiquement placé en tant que produit de sa propre histoire
faite d’acquisitions (volontaires ou non), d’habitus et de capacités, sociale-
ment en tant que professionnel astreint aux missions qui lui sont confiées
et aux représentations qui en découlent et conjoncturellement parce que
placé dans une situation singulière.
La transformation du sujet en formation par la décentration et la
prise de recul peut se fonder sur l’interrogation de la mise en perspective de
ces trois pôles et le dépassement de ces éléments préalables et constitutifs
de l’acteur. L’approche multiréfléchie constitue le moyen opérant de cette
interrogation et de ce dépassement.
L’ensemble des éléments que nous venons de détailler à travers le
cadre conceptuel, les objectifs, les principes et la définition des processus
cognitifs en jeu constitue la trame que nous proposons en vue de la construc-
tion de dispositifs et outils de développement de la pratique réflexive en
formation initiale et continue ou en accompagnement. Le premier niveau à
prendre en compte est celui des objectifs, leur clarification constitue la porte
d’entrée dans la conception des dispositifs. Cette logique de détermination
initiale des fins se matérialise dans la figure suivante (figure  3.1) par les
flèches  1 qui partent de cette définition des objectifs et se rendent vers
l’enjeu de construction des dispositifs. Mais, si cette étape apparaît comme
un préalable axiologique nécessaire, elle ne trouve son sens opérationnel
(flèche  2) qu’à travers la définition des principes de construction des dis-
positifs et la déclinaison des processus visés chez le formé. Ces éléments
constituent le système de la partie basse de la figure, il unit indissocia-
blement (flèche  3) l’apparition des processus cognitifs susceptibles d’être
déclencheur et matière de la pratique réflexive aux principes d’ingénierie
(prise en compte du contexte et clarification du contrat). Les principes
sont pour leur part le produit d’une mise en cohérence des objectifs et du
contexte, qu’il soit lié aux institutions ou aux caractéristiques des acteurs.
Les processus cognitifs quant à eux, constituent le niveau des contenus
106 Construire une pratique réflexive

de formation. La figure 3.1 illustre donc un cadre général de conception qui


va des composantes axiologiques aux contenus de formation en passant par
la déclinaison des principes de construction au cœur d’une cohérence d’ingé-
nierie. Ce cadre s’organise ainsi en système selon la structure suivante :

Figure 3.1. Cadre général support de la construction


des dispositifs de formation

Développer les capacités Construire une capacité Construire un confort


d’analyse : à travailler en équipe : de formation
– Concevoir une démarche – De l’écoute compréhensive et professionnel :
Objectifs

d’analyse à l’écoute constructive – Modifier le rapport


– Utiliser et concevoir – Une prise de parole à la formation
des cadres de définition compréhensible – Modifier le rapport
du métier et constructive à la pratique
– Analyser des pratiques – La formalisation écrite professionnelle
réellement vécues – La co-construction
1 1 1

Concevoir des dispositifs


Enjeu de formation au service du développement
de la pratique réflexive

2 Clarifier le fond et la forme


Prendre en compte la logique
des acteurs et de l’institution : du contrat de formation :
– Adapter les propositions – Définir les objectifs
Principes

à la spécificité du public, et la nature des objets


mais viser l’autonomie 3 de formation
– Rechercher l’engagement – Une clarification éthique
des acteurs du contrat : la conception
– S’inscrire dans un projet de règles sécurisantes
de convergence préservant
la diversité des contenus
et objectifs

– Émergence de décalages
Processus – Prise de conscience
cognitifs – Décentration
– Recul
Concevoir des dispositifs de développement de la pratique réflexive 107

À retenir sur…
… former et se former à la pratique réflexive

Des éléments d’éclairage


– Une prise en compte de l’existant dans une logique de transition : adapter
les propositions à la spécificité des acteurs, rechercher leur engagement
et s’inscrire dans une convergence globale de la formation.
– Clarifier le fond et la forme des éléments du contrat de formation : définir
les objets et objectifs de la formation, une approche éthique du contrat.
– Construire des dispositifs autour de trois objectifs : le développement des
capacités d’analyse, l’amélioration des capacités au travail en équipe et
le confort professionnel.
– Viser l’apparition de processus cognitifs : émergence de décalage, prise
de conscience, décentration, recul.
Des éléments de définition
– La pratique réflexive agit comme moyen d’acceptation du réel professionnel
tout autant que comme moteur de la dynamique d’évolution de la
« professionnalité » et finalement des pratiques professionnelles.
Chapitre 
Illustration de la conception
4
d’un dispositif de formation : ARPPEGE

Ce chapitre est l’occasion de la présentation du dispositif et proto-


cole ARPPEGE. Nous utilisons le terme dispositif pour décrire l’usage d’un
protocole dans un contexte particulier et en fonction de visées spécifiques.
Seront donc présentés dans les points qui suivent, les éléments de contexte
de la conception d’ARPPEGE, ses objectifs, ses principes et la déclinaison
approfondie de ses étapes.
Nous précisons en préalable que le choix d’un protocole répond à la
prise en compte d’un contexte situé, constitué de demandes, de contraintes
et d’opportunités (Boucenna, Thiébaud et Vacher 2022). Dans le cas de cet
ouvrage, ce contexte est celui de la formation initiale des enseignants carac-
térisé par un « choc de la transition » (Veenman, 1984) entre une formation
théorique et le passage à la prise en responsabilité de classes sur le terrain.
Cependant, si ce contexte initial est celui qui est principalement
étudié et évoqué, le protocole ARPPEGE a été depuis largement utilisé
dans le champ de l’accompagnement ainsi que dans celui de la formation
continue. La présentation du protocole, dans le point  2 de ce chapitre,
pourra donc être une source d’inspiration pour les acteurs de ces contextes.
L’acronyme A.R.P.P.E.G.E signifie Analyse Réflexive de Pratiques Profes-
sionnelles En Groupe d’Échange. Il s’agit d’un dispositif que nous avons
conçu en 2006 et qui est inscrit dans le plan de formation des professeurs
stagiaires de l’IUFM de Corse depuis l’année universitaire 2007-2008. Il est
depuis présenté à l’occasion de formations et conférences dans divers pays
110 Construire une pratique réflexive

et institutions. En cohérence avec le cadre général présenté précédemment,


sa conception générale s’inscrit dans la volonté de proposer un dispositif
d’accompagnement de la transition des acteurs et des institutions. La prise
en compte des logiques existantes (acteurs et institutions) est au centre de
la stratégie d’élaboration du dispositif. La description de ce dernier portera
en premier lieu sur les objectifs et les principes d’élaboration puis dans un
second temps sur la forme concrète du dispositif.

1. OBJECTIFS ET PRINCIPES PARTICULIERS


D’ÉLABORATION
1.1 Objectifs
Le module ARPPEGE s’inscrit dans les objectifs généraux de déve-
loppement de la pratique réflexive telle que nous l’avons définie, à savoir
une capacité à développer une réflexion systématique, reproductible, évo-
lutive et autonome pour agir et/ou se transformer en vue d’accepter la
complexité, de l’affronter en acte et de l’intégrer pour se transformer. De
façon spécifique, nous visons par ce dispositif deux sous-objectifs qui se
succèdent macroscopiquement dans le temps, mais que l’on retrouve de
façon microscopique tout au long de chaque étape du dispositif :

– Une prise de conscience. Nous émettons l’hypothèse que cette


prise de conscience permet, dans notre logique d’accompagnement
de la transition, d’ouvrir la perspective d’un « penser autrement » et
donc de l’éventualité d’un « agir autrement » répondant aux besoins
temporaires du professeur débutant. Cet objectif évolue ensuite vers
la perspective de transformation du profil professionnel. En d’autres
termes, la prise de conscience vise au départ l’enclenchement du
processus réflexif par l’émergence du contradictoire ou du différent
(décalage). Elle permet dans un deuxième temps le maintien de
l’activité réflexive et son développement par l’intégration des élé-
ments conscients de l’analyse multiréfléchie ;
– La formalisation d’une compréhension commune. Compte tenu
des paradigmes dans lesquels nous nous sommes inscrits nous émet-
tons l’hypothèse que le travail de co-construction permet l’apparition
de quatre processus complémentaires : la mutualisation, son dépas-
sement par l’émergence d’un « non existant préalable » plus fonction-
nel, la création d’un langage commun ou au moins l’interrogation de
son propre langage et enfin le retour sur ses propres analyses. Nous
pouvons ajouter que nous visons l’effet suivant : que la communauté
de fonctionnement qui s’établit lors de cette formalisation participe
à l’amélioration du confort de formation.
Illustration de la conception d’un dispositif de formation : ARPPEGE 111

Ces deux sous-objectifs constituent, en combinaison, la spécificité


de notre proposition en se fondant sur une prise en compte de la logique
et des ressources des acteurs. Ainsi, le statut de ces objectifs évolue en
fonction de l’étape de formation et, s’ils demeurent des objectifs, ils peuvent
aussi temporairement être moyen l’un de l’autre. Nous détaillerons dans le
point suivant les principes retenus pour permettre l’atteinte de ces deux
sous-objectifs.

1.2 Principes d’élaboration


Pour parvenir à l’atteinte de ces deux sous-objectifs, deux principes
qui correspondent chacun à l’un des objectifs ont été formalisés32. Ainsi,
de façon macroscopique, les séquences se structurent en deux phases suc-
cessives qui permettent la prise en compte des logiques de l’acteur et des
éventuelles résistances auxquelles elles peuvent aboutir. De plus, au cours
de chaque séquence, la possibilité est donnée aux participants de faire des
propositions de modifications du fonctionnement. Nous repréciserons ceci
lors de la présentation de la forme de l’outil.

1.2.1. Provoquer des décalages pour obtenir


une prise de conscience
Plusieurs formes sont proposées pour parvenir à atteindre les dif-
férentes déclinaisons du décalage (synchronique, diachronique, interne
et externe). Si nous acceptons l’hypothèse de l’émergence de décalages
incidents, nous structurons notre dispositif de façon à « forcer » leur appa-
rition. Ainsi, dans une première moitié de dispositif, la stratégie est de
ne pas amplifier les dissonances cognitives par les décalages externes, et
les possibles évitements qui en découlent, en faisant apparaître des déca-
lages internes. Ils nous semblent plus acceptables par le participant compte
tenu de la transition qui finalise notre démarche. Il s’agira de viser la prise
de conscience à partir de l’émergence de décalages individuels et qui
demeurent personnels entre analyse « spontanée » ou réactive d’un récit et
analyse réfléchie à partir d’un temps de questionnement en groupe. Cette
prise de conscience est accompagnée par des consignes qui visent la mise
en perspective des décalages apparus. Une phase de verbalisation commune
sur cette mise en perspective (et non sur son contenu) assurera la transition
vers la deuxième moitié du protocole dans lequel cette fois les décalages
seront externes et émergeront à partir d’un travail de co-construction.

32. Une autre modélisation des principes est proposée dans Vacher 2021, elle comporte
6  principes  : Sécuriser le cadre, favoriser les dissonances, favoriser les résonances,
utiliser des détours formels, outiller l’analyse, accompagner/provoquer l’analyse et son
analyse.
112 Construire une pratique réflexive

1.2.2. Modéliser la co-construction d’une « synthèse »


temporaire de la compréhension
Pour parvenir à atteindre l’objectif de formalisation d’une co-
construction, nous mettons en place une phase de modélisation écrite de
la compréhension de la situation33. Cette phase se situe dans la deuxième
partie de séquence. L’activité de modélisation à l’écrit constitue un processus
de formalisation susceptible de participer au développement de la pratique
réflexive en « obligeant » les participants à produire des clarifications de
leur langage et de leur compréhension34. La perspective de transformation
de l’intervention est ici au cœur de la modélisation, mais nous choisissons
de faire porter cette modélisation sur la compréhension et non sur la réso-
lution ou la proposition d’action. Conformément à nos analyses préalables
et à la logique de transition, nous cherchons, dans cette deuxième partie
de séquence du dispositif, à poursuivre la transition en direction d’une
pratique réflexive qui ne soit pas « parasitée » par l’exigence de résolutions
immédiates des situations vécues.
Le point suivant est l’occasion de la présentation de la forme de
l’outil et de son contenu concret à travers la description de ces différentes
étapes.

2. FORME DU DISPOSITIF ET DES SÉANCES


En l’état de la proposition institutionnelle35, le dispositif dure
quinze heures, réparties en cinq séances de trois heures se déroulant entre
le mois d’octobre et le mois de mars de l’année de formation. Ce volume
est faible et limite la perspective d’entraînement, cependant il correspond
à celui avec lequel nous avons recueilli les données de notre recherche.
La répartition des séances au cours de l’année de formation s’effectue
par le recoupement de nos observations et des résultats obtenus dans
des études anglo-saxonnes relatives à l’évolution des demandes des ensei-
gnants novices en formation initiale. Fuller, Parsons et Watkins proposent
ainsi, après une étude systématique par questionnaire donnée à une popu-
lation d’enseignants novices, une catégorisation en 3 stades successifs des

33. Mode figural (cf. Malglaive, 1990).


34. Le Moigne affirme à ce sujet que modéliser est « une action d’élaboration et de
construction intentionnelle, par composition de symboles, de modèles susceptibles
de rendre intelligible un phénomène perçu complexe, et d’amplifier le raisonne-
ment de l’acteur projetant une intervention délibérée au sein du phénomène »
(Le Moigne, 1990, p. 5).
35. Ce cadre est illustratif et tient compte des contraintes institutionnelles, il ne présume
pas de toutes les combinaisons possibles de mise en œuvre, notamment dans le cadre
actuel de la mastérisation et du fonctionnement en semestre.
Illustration de la conception d’un dispositif de formation : ARPPEGE 113

préoccupations (Fuller, Parsons et Watkins, 1974). Chronologiquement,


et par ordre d’importance, apparaît en premier la préoccupation relative
au « rôle et position de l’enseignant dans la classe ». Cette préoccupation
traduit la préoccupation de l’acteur de se protéger et dure environ un
semestre. Les auteurs anglo-saxons utilisent le terme de stade « self »,
vers soi. Le deuxième stade est celui où la baisse du niveau d’insécurité
perçue entraîne une prise en compte de la situation d’enseignement. Les
Anglo-Saxons la nomment « task », tâche. Les préoccupations sont alors
relatives à la structuration de l’enseignement. Ces deux premières étapes
se caractérisent, selon nous, par une logique égocentrique, de l’acteur
en tant que « personne enseignante ». La première s’intéresse en effet à
la protection de la personne alors que la seconde s’articule autour de la
mission théorique de transmission ou a priori de planification puisque
centrée sur l’enseignement et non l’apprentissage.
Seul le troisième stade consiste en une prise en compte des effets
de l’action d’enseignement et se traduit par une préoccupation à propos
de l’impact de l’enseignement sur la transformation des élèves. Cette phase
est nommée « impact » en anglais et porte donc cette fois sur la notion
d’apprentissage ou sur les effets de l’enseignement. On notera en résumé
que la phase 3, qui est la finalité de la mission de l’enseignant, ne constitue
pas une priorité pour l’enseignant novice dans son apprentissage du métier.
Lors de nos analyses des demandes de contenus de formation, nous
avons constaté que ces dernières s’organisaient effectivement sur la base de
cette chronologie à l’échelle d’une année. La phase d’urgence pédagogique
(« self ») se traduit par une demande de « recettes » pour organiser/pacifier
le climat d’enseignement (que l’on retrouve aussi dans les travaux d’Adams
et Krockover, 1997). Dans nos observations d’enseignants stagiaires réalisées
sur plusieurs années, cette phase dure d’un à quatre mois. La seconde phase
se fonde sur des besoins verbalisés en termes d’organisation didactique du
travail36 (« task ») préalable à la mise en œuvre et dure environ 3 à 8 mois.
La dernière phase, conçue par Fuller, Parsons et Watkins (1974) est consti-
tuée de la préoccupation de rendre efficace son enseignement c’est-à-dire
d’aboutir à un apprentissage de l’élève (« impact »). Cette phase dure, dans
nos observations, de 2 à 6 mois. Elle est parfois suivie d’une quatrième qui
se compose d’une recherche de compréhension et de réduction du déca-
lage entre planifié et réalisé par l’intermédiaire d’une pratique réflexive
systématique et organisée. Ce processus reste marginal et ne concerne
spontanément que très peu de professeurs débutants. On peut, à ce titre,
préciser que tous les professeurs débutants ne parviennent pas à atteindre
la troisième étape au cours de leur formation initiale.

36. La dimension didactique se limite à ce stade à la planification d’un enseignement non


différencié et inscrit dans la conformité des programmes.
114 Construire une pratique réflexive

Le modèle proposé par Fuller, Parsons et Watkins est en partie


recoupé par celui proposé par Veenman en 1984. Après étude de quatre-
vingt-trois cas, il propose la liste suivante des plus importantes difficultés
perçues et évoquées par les enseignants débutants :

1. Installer et maintenir la discipline.


2. Motiver les élèves.
3. Prendre en compte et gérer des différences individuelles.

Si l’élève intervient ici dans la deuxième préoccupation, en tant que


contrainte de la planification de l’enseignement (produire un enseignement
qui motive les élèves), son apprentissage reste une préoccupation ultérieure.
On notera que cette classification est centrée sur l’élève et ne comporte
pas le rapport aux contenus d’enseignement présent dans la phase « task »
qui arrive dans l’étude en quatrième position alors que les perspectives de
prise en compte de l’efficacité de l’enseignement arrivent elles en huitième
position. La recherche récente menée par Dubois, Gasparini, Petit, publiée
en 2005, confirme les modèles de Fuller, Parson et Watkins ainsi que celui
de Veenman à propos de la prédominance des préoccupations relatives à soi
et à l’enseignement37. Cette confirmation permet de redonner une légitimité
actuelle aux modèles conçus il y a plus de 40 ans.
Pour illustrer nos observations et les résultats des études citées,
nous proposons la figure 4.1, en reprenant la classification des auteurs et en
y ajoutant la phase réflexive. On notera en préalable que ce modèle se base
sur la moyenne des observations que nous avons pu réaliser et demanderait
un ajustement au profil de chaque professeur stagiaire, notamment sur la
période de superposition entre les phases « task » et « impact » dans les 5e,
6e et 7e mois et leur prolongation sous des formes atténuées au cours de
l’année puis tout au long de la carrière. De plus, l’apparition de la phase
trois et quatre n’est pas systématique dans l’évolution du profil des profes-
seurs stagiaires. Cette modélisation se fonde sur l’hypothèse d’une année
théorique de formation en alternance et clôturant la formation initiale, ce
modèle est donc à adapter en fonction des contextes de formation.

37. Les travaux de Kember corroborent ces résultats, ce dernier note en effet le passage
d’une centration sur le professeur et le contenu, « Teacher-centered/content oriented »,
à une centration sur l’apprenant et ses apprentissages, « Student-centered/ learning-
oriented » (Kember, 1997).
Illustration de la conception d’un dispositif de formation : ARPPEGE 115

Figure 4.1. Évolution des préoccupations et demandes de contenus

Temps
de formation 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
(En mois)

1
« self »

2
« task »

3
« impact »

4
réflexive

En conséquence de ce modèle, nous proposons la structuration


suivante de la répartition des séances ARPPEGE dans le contexte présenté
d’une année de formation en alternance :

– deux séances consécutives à la fin du mois d’octobre ou au début du


mois de novembre. La stratégie de placement dans le temps de ces
séances répond à une double prise en compte. D’une part, ne pas les
placer au cours du premier mois durant lequel les considérations sont
prioritairement liées à l’urgence et au besoin de sécurisation (phase
« self »). Dans ce cas, les demandes pourraient entrer en conflit
« rédhibitoire » avec la visée de non-résolution immédiate. Par contre,
le placement assez tôt dans l’année pourrait permettre de répondre
à des besoins non immédiats et s’inscrivant dans une transformation
plus globale du profil, mais aussi viser ainsi une « adhésion » à la pers-
pective réflexive dès le début de la formation ;
– une séance à la fin du mois de janvier ou au début du mois de février,
visant à offrir une nouvelle perspective d’usage du dispositif. Cette
séquence se positionne au moment où les préoccupations des pro-
fesseurs stagiaires se modifient (phase « task »). L’hypothèse que
nous émettons ici est que cette modification de profil influence la
nature de l’implication du stagiaire et les ressources qu’il mobilise
dans le dispositif et en conséquence, permet l’approfondissement
des contenus construits ;
– les deux dernières séances se déroulent entre le mois de mars et
celui d’avril. Ce placement est contraint par les échéances diverses
d’évaluation (rédaction et soutenances du mémoire professionnel,
éventuelles visites finales, période d’examen…). Ces deux dernières
116 Construire une pratique réflexive

séances pourraient permettre, pour les participants « non réflexifs »38,


le passage à une phase d’entraînement, c’est-à-dire de développement
d’une « habitude » réflexive (phase « impact » et réflexive).

La volonté de regrouper les séances en unités fonctionnelles de


deux répond à la volonté de permettre la fixation des capacités à travers
des répétitions rapprochées.
Pour assurer un fonctionnement efficace du groupe, ce dernier peut
compter de trois à vingt formés. Dans l’expérimentation réalisée dans l’IUFM
de Corse, les stagiaires réalisent, à l’issue d’une séquence de bilan de repré-
sentation et d’éveil à la pratique réflexive, le choix de participer ou non à ce
dispositif. Leur choix est éclairé par une présentation des objectifs et des
règles de fonctionnement évoqués précédemment. Le choix s’effectue entre
ce module et un module d’analyse de pratiques plus neutre et sans pro-
tocole préétabli. Cette présentation est réalisée lors d’une séance d’entrée
dans la pratique réflexive et l’APP à partir d’un bilan de représentations et
d’exercices d’échange en groupe de ces contenus émergés. Cette séance a
lieu au début du mois d’octobre.

2.1 Forme générale de la séance


La séquence de trois heures est constituée de deux grandes étapes
qui répondent au principe de progressivité et de transition. La première pro-
gressivité est relative à l’implication du sujet dans le groupe et la réflexion.
Ainsi :

– la première étape se déroule de la phase 1 à 5 bis. Elle est centrée


sur une construction et une analyse de ses propres propositions,
réflexions et compréhensions. Elle permet à travers la variation
des formes de groupe et de contenu une approche individuelle de
décentration proximale ;
– la seconde étape (6 à 8) est collective et vise un processus de
décentration large. Elle se caractérise par l’entrée dans un mode
de fonctionnement inhabituel pour les stagiaires (co-construction),
que nous pensons possible du fait qu’il succède à la première étape.

La complémentarité et l’ordonnancement des deux étapes sont essen-


tiels pour assurer la transition d’une approche autoréférencée à une approche
multiréfléchie. La structuration des formes de groupement s’inscrit aussi dans
cette logique de progressivité et vient compléter cette première organisation.
Ainsi, les formes de groupement vont du travail seul ou juxtaposé (phases 1
à 5), au petit groupe (phase 6), grand groupe (7 et 8). Lors de la première

38. Au sens de notre définition.


Illustration de la conception d’un dispositif de formation : ARPPEGE 117

étape les temps de prise de parole et d’écoute en grand groupe se fondent


sur une analyse individuelle préalable ou en cours, nous qualifions donc de
« travail juxtaposé » ces formes de groupements, mais pas encore de travail
collectif bien que l’échange soit déjà présent. Cette progressivité vise la faci-
litation de l’émergence de la parole et de l’écoute en évitant de confronter
directement les participants aux dynamiques des grands groupes. Le petit
groupe ne sera qu’une étape, car il présente les risques de subir les effets
de leadership, mais aussi de limitation de l’ampleur de l’éclairage et de la
compréhension multiréfléchie. Le passage en grand groupe vient clore le
protocole et offrir ici la perspective la plus grande d’éclairage multiréfléchie.
Nous émettons l’hypothèse qu’avec l’expérience du protocole et le
développement de la pratique réflexive au cours du dispositif, les partici-
pants sont en mesure de passer à une perspective de co-construction dès
la première étape de la séquence.

2.2 Constitution des étapes par phase


Le dispositif se compose de dix phases dans chacune des séances
(tableau  4.1). Les points à venir permettront le détail du contenu et des
principes organisateurs de chacune d’entre elles.

2.2.1. Phase 0 : Présentation et rappel du fonctionnement


Cette phase constitue l’entrée dans la séquence, elle est composée
du rappel des objectifs, des règles de fonctionnement (principes généraux
et rôle de chacun) et du déroulement du protocole (étape, phase, durée).
Elle sert d’entrée dans le dispositif, mais aussi de recontractualisation des
engagements de chacun.
Ainsi, il est précisé lors de la phase :

– L’intervention de l’animateur : l’animateur est garant du bon déroule-


ment de la séance. Dans ce cadre, il peut être amené à intervenir en
cours de séquence, pour repréciser les objectifs, règles et principes de
fonctionnement ou aller jusqu’à l’aide par l’illustration39. La limitation
de ces interventions répond à la préoccupation de ne pas le placer
comme porteur d’un savoir ou d’une expertise spécifique à trans-
mettre. L’animateur agit donc ici comme élément potentiel de la dyna-
mique de fonctionnement (ouvrir des perspectives et non résoudre).
Le principe général de son intervention est la neutralité. Ses relances
sont en conséquence très majoritairement relatives au fonctionnement
et non au fond de l’analyse produite par les participants.

39. L’animateur peut poser des questions, aider à reformuler des questions lors de la
phase 3 ou présenter des modèles alternatifs non hiérarchisés lors de la phase 6.
118 Construire une pratique réflexive

– Les principes éthiques essentiels de fonctionnement  : l’animateur


rappelle dans cette phase les règles se fondant sur les principes
éthiques intangibles. Pour mémoire, et outre la clarification des rôles
que nous venons d’entrevoir à travers celui de l’animateur, le dispo-
sitif repose sur la confidentialité des échanges, la séparation entre
les dimensions personnelles et professionnelles, la disjonction des
procédures d’évaluation, la posture de non-jugement, la production
d’une compréhension (et non d’une résolution) et une variabilité
conditionnée40.

Nous pensons qu’il peut s’établir une spirale de formation : l’adhé-


sion aux principes éthiques étant à la fois objet et moyen de formation,
elle constitue une base (moyen) nécessaire à l’émergence des contenus de
l’analyse, mais ces contenus peuvent aussi devenir à leur tour un moyen
de renforcement et d’approfondissement des principes éthiques de fonc-
tionnement qui deviennent ainsi objets de réflexion.
La durée de cette phase varie selon le moment du dispositif et
selon les demandes des stagiaires. Les échanges relatifs aux demandes de
modification sont renvoyés à la phase 8 de méta-analyse. Ainsi, cette phase
peut durer de deux à dix minutes environ.

2.2.2. Première étape : un retour sur ses analyses


Cette étape est constituée de six phases, elle vise la construction
et l’analyse de ses propres propositions, réflexions et compréhensions. Elle
repose donc au départ sur une analyse égocentrique. Nous détaillerons
dans les points suivants les différentes phases constitutives de cette étape.

Phase 1 : récit/réfléchissement
La phase  1 constitue le « réel » point de départ de la pratique
réflexive instituée41.
La consigne de lancement de cette phase est la suivante :

Qui souhaite présenter le récit d’une situation qu’il a vécue et qui l’interroge,
voire lui pose problème ?

Cette interpellation peut être suivie d’un échange dans le cas où


plusieurs personnes souhaitent exposer ou à l’inverse que personne ne le

40. L’acceptation de la modification du protocole est en effet conditionnée par la non-remise


en cause des autres principes constitutifs.
41. Dans une vision large de la pratique réflexive (cf. Perrenoud, 2001), le contenu de la
phase de présentation pouvait déjà constituer un objet de réflexion.
Illustration de la conception d’un dispositif de formation : ARPPEGE 119

souhaite. Le principe de l’échange se fonde sur l’interrogation de l’intensité


du souhait, l’intérêt des autres participants pour les différentes propositions
ou a contrario sur les éventuelles inhibitions à lever pour faciliter l’enga-
gement d’un des participants dans le récit.
La phase se compose d’un récit « non objectif » et se fonde sur le
processus de réfléchissement. Le choix de ce principe est la conséquence
de nos analyses précédentes et s’inscrit dans la perspective d’enrichissement
par la subjectivité des objets de l’approche multiréfléchie. Cette option se
traduit ainsi par deux principes :

– le récit est non préparé par l’exposant. La préparation du récit


présente en effet plusieurs risques alors qu’elle ne peut prétendre
à une objectivation que très partielle et personnelle (cf. paradigme
de l’incertitude et de la complexité). Ainsi nous entrevoyons trois
risques principaux :
• l’anticipation et la préparation consciente ou inconsciente des
réponses en induisant des questions ;
• l’orientation sécurisante ou non du récit (présentation des para-
mètres ne remettant pas en cause la personne ou inversement) ;
• la construction d’un modèle abouti de compréhension (limité à
l’exposant et préalable à l’ouverture de la compréhension).

Nous n’évacuons pas l’hypothèse d’un récit préparé, mais il vise-


rait alors d’autres buts. Nous émettons en effet l’hypothèse que cette
procédure serait pertinente dans une structuration individuelle de la pra-
tique réflexive notamment à travers les outils d’écriture (portfolio, récit
biographique) et  qu’elle serait utilisable en vue d’un travail en groupe
si les participants et le rédacteur étaient déjà entrés dans une posture
réflexive systématique. En d’autres termes, nous pensons que l’émergence
des décalages que nous cherchons dans notre transition est facilitée par
le récit non préparé.

– le récit est non structuré à partir d’un cadre imposé. Nous optons
pour le choix d’un récit sans contrainte, c’est-à-dire ne s’organisant
pas autour de cadres préconçus. Les participants peuvent sponta-
nément mobiliser ce type de cadre, et ce de plus en plus au cours
de l’avancée du module, mais cela ne constitue pas une contrainte.
Cette possibilité est en cohérence avec le principe de travail à niveau
de ressources qui fonde l’approche multiréfléchie. Ce choix présente
selon nous, trois intérêts :
• il permet d’éviter la normalisation des récits et la définition
a  priori des éléments importants dans la compréhension de la
120 Construire une pratique réflexive

situation, et, en conséquence, dans la conception du métier et les


compétences du professionnel ;
• il permet à l’exposant de faire place à sa subjectivité en lais-
sant émerger des éléments a priori non conformes aux cadres
préconçus ;
• enfin, cette absence de contrainte ouvre la possibilité au partici-
pant de se lancer sans avoir à se soucier de la conformité de son
récit à des normes extérieures.

En résumé, nous émettons l’hypothèse que cette phase permet de


construire un récit dans une logique d’ouverture de la compréhension à ses
propres références et à celles des autres. Cette logique s’inscrit dans celle
de l’approche multiréfléchie et de notre définition des processus réflexifs.
Cette phase dure de cinq à quinze minutes.

Phase 2 : décentration/recentration
Cette phase permet au participant de recentrer son analyse sur
sa propre expérience. L’objectif est de prendre en compte la logique égo-
centrique majoritairement présente chez les participants, mais aussi la
demande prioritaire de pistes d’action. Elle permet aussi de créer un sup-
port d’émergence des décalages. Pour cela, la consigne de la phase est :

Quelles seraient les modifications que vous apporteriez à l’intervention profes-


sionnelle si vous étiez à la place de l’exposant dans la situation décrite ?

Une variable pourrait être

Quelle activité ou intervention développeriez-vous si vous étiez à la place de


l’exposant dans la situation décrite ?

Cette consigne, qui demande une implication virtuelle dans l’action,


présente le risque de déclenchement d’un jugement public du contenu du
récit et des choix d’intervention réalisés. Aussi, son contenu demeure
personnel et est une matière prétexte à réflexion tout autant qu’un moyen
de partir des logiques de l’acteur.
Les participants écrivent les interventions qu’ils conçoivent. L’écri-
ture a ici deux fonctions. D’une part elle sert de trace pour permettre la
comparaison qui sera établie lors de la phase 5. Et, d’autre part, elle oblige
le participant à clarifier sa pensée par la précision des formulations et à
ainsi construire un langage de l’analyse (non réactif comme peut l’être la
parole lors d’un échange).
Illustration de la conception d’un dispositif de formation : ARPPEGE 121

La durée de la phase est de cinq minutes. Le principe est d’aligner


cette durée totale sur le dernier participant en train d’écrire ou de réfléchir42.

Phase 3 : questionnement de l’exposant


La phase 3 est constituée du questionnement de l’exposant par les
autres participants. Cette phase est lancée à partir de la question suivante :

Quelles questions souhaiteriez-vous poser à l’exposant pour approfondir votre


compréhension du récit ?

Cette interpellation est accompagnée du rappel de la règle de non-


conseil. Pour cela les questions doivent être formulées de façon à ne pas
induire une réponse ou un jugement. L’animateur peut donc intervenir ici
pour stopper un questionnement ou faciliter une reformulation. Le principe
de neutralisation du questionnement à partir de l’identification d’un domaine,
de la dépersonnalisation éventuelle et/ou de l’intention initiale peut être
expliqué et illustré par l’animateur ou un autre participant après demande
et en cours de questionnement pour aider à la formulation43.
Cette phase permet l’émergence d’un questionnement issu à la fois
des zones d’ombres laissées dans le récit de la phase  1, mais aussi des
contenus de la phase 2, c’est-à-dire de la décentration/recentration opérée.
Il s’agit donc pour chaque participant d’approfondir sa compréhension à
partir des « manques » qu’il a fait émerger et de ses grilles initiales d’analyse.
L’animateur peut intervenir pour relancer un questionnement si
l’épuisement est rapide ou si une perspective est ouverte, ou encore que
les participants font part de leur difficulté à formuler la question. Ces inter-
ventions sont le fruit d’observations « subjectives » de l’animateur et qui
répondent aux principes de décalage optimal et de pertinence/continuité.
En d’autres termes, l’animateur peut procéder à une relance du contenu
lorsque celle-ci n’est pas en décalage trop important avec le niveau et
les registres de questionnement des participants. De plus, nous émettons
l’hypothèse que ces relances sont constructives si elles s’inscrivent dans la
continuité des questionnements produits. Les éventuelles ruptures qu’elles

42. Pour ce faire, l’animateur procède à une observation des postures des participants en
tentant de déceler les indices de la réflexion en cours. L’animateur peut poser la ques-
tion pour s’assurer de la fin perçue des productions.
43. Par exemple une question qui serait formulée de la façon suivante « as-tu demandé au
CPE d’intervenir ? » pourrait selon le contexte être un conseil implicite, la dépersonnalisa-
tion aboutirait à la formulation suivante « le CPE est-il intervenu ? » ou par l’identification
d’un domaine « quelles sont les personnes qui sont intervenues dans la situation ? ».
122 Construire une pratique réflexive

produisent se fondent sur des éléments déjà présents, mais non avancés en
tant qu’éléments de rupture.
La durée de cette phase est importante en volume (jusqu’à trente
minutes), car elle doit permettre la prise de parole éventuelle de tous, mais
aussi l’approfondissement de la compréhension individuelle. Les différentes
postures d’écoute et de prise de parole que nous avons détaillées précé-
demment peuvent se construire lors de cette phase. Durant cette phase,
l’approche multiréfléchie se décline sous une forme sociale.

Phase 4 : Décentration/recentration
Cette phase reprend l’intégralité de la phase 2. En conséquence la
consigne de lancement de la phase est la même que celle de la phase  2.
Par contre, son contenu s’enrichit des apports réalisés lors de la phase  3
et de la nouvelle compréhension qui en découle.
L’écriture conserve les mêmes fonctions que lors de la phase  2.
Comme lors de cette même phase, le risque de bascule vers le mode du
jugement/conseil public est évité par le statut individuel et non partagé
du contenu de ces écrits.
La durée de la phase peut être de dix minutes et s’interrompt de la
même façon que lors de la phase 2. Elle augmente par rapport à la phase 2
du fait d’une démultiplication des possibles liée à l’augmentation du volume
des informations (phase 3).

Phase 5
La phase  5 a pour objectif de faire apparaître un premier niveau
de décalage. Ce dernier, dans notre objectif d’accompagnement de la
transition, se situe au niveau interne. Il s’agit en effet pour le participant
de comparer le contenu écrit des phases  2 et 4. Chaque participant est
amené à s’interroger sur les éléments du récit et du questionnement qui
ont guidé son choix d’orientation de l’intervention. Ce positionnement
individuel44 est selon nous, de nature à produire une prise de conscience
par le participant de ses cadres d’analyse et d’intervention. La consigne
de départ est :

Analysez le contenu des phases 2 et 4 et mettez en perspective cette analyse


avec les éléments nouveaux liés à la phase 3.
Quelle analyse pouvez-vous faire de cette mise en perspective ?

44. Dont le fond n’est pas mis en commun.


Illustration de la conception d’un dispositif de formation : ARPPEGE 123

Dans le cadre de la variation possible du dispositif, les participants


ont fait part, dès la première séance, de la première année de mise en place
du protocole de leur souhait de partager avec le groupe le contenu de cette
phase. L’échange organisé par l’animateur a abouti à la mise en place d’une
phase 5 bis qui sera reprise dans les séances suivantes et années suivantes.
L’acceptation de cette variation se fonde sur la possibilité d’augmenter la
perspective sociale de l’approche multiréfléchie et ainsi les décalages externes
potentiels. En conséquence, les consignes de la phase 5 en sont modifiées dans
le sens de la préparation de la présentation réalisée lors de la phase 5 bis.
Elles deviennent :

Entre vos deux écrits, y a-t-il eu transformation ?

Ce processus est choisi lorsque de nouvelles pistes d’intervention


sont apparues lors de la phase 4.

Entre vos deux écrits, y a-t-il eu renforcement ?

Ce mécanisme est présenté lorsqu’il n’y a pas eu de modification


du contenu des écrits de la phase 2 et 4.

Entre vos deux écrits, y a-t-il eu approfondissement ?

Il s’agit dans ce cas de l’apparition de précisions des pistes forma-


lisées lors de la phase 2.
Pour accompagner la compréhension du décalage, deux consignes
supplémentaires sont ajoutées :

Quel(s) sont le(s) domaine(s) comportant les modifications éventuelles ou


renforcement ?

L’objectif de cette première consigne est double, d’une part de


mobiliser ou concevoir les cadres de références qui sous-tendent l’analyse
et d’autre part de faire apparaître des décalages externes par le moyen de
l’identification de domaines différents chez les participants.

Quel(s) élément(s) déclencheur(s) du questionnement et/ou des réponses qui


est (sont) à l’origine des modifications éventuelles ou du renforcement ?
124 Construire une pratique réflexive

Cette seconde question a deux buts. Le premier est d’aider à l’identi-


fication des domaines (et donc des cadres de références) alors que le second
est d’amplifier l’émergence des décalages externes par l’identification d’élé-
ments microscopiques susceptibles de déclencher d’importants décalages.
Ces deux compléments de question ont pour objectif d’aider à la prise de
conscience des références utilisées, mais aussi de mettre en perspectives
ces différents éléments à travers deux niveaux que sont les domaines et les
éléments déclencheurs. Cette mise en perspective est un processus au cœur
de l’approche multiréfléchie. En effet, chacun des domaines constitue un
niveau de lecture que nous avions présenté comme autant de plans constitu-
tifs de la matière de l’approche multiréfléchie. Ainsi, ces domaines peuvent
être en référence à l’expérience pratique ou aux champs des connaissances
scientifiques. On perçoit ici la possibilité de lier ces contenus à ceux des
modules d’enseignement théorique.
Cependant ce travail de théorisation ou d’identification systématique
des connaissances mobilisables n’est pas au cœur d’ARPPEGE contrairement
à d’autres dispositifs d’APP qui en font une phase autonome (SAPEA ou
Saussez, Ewen et Girard, 2001).

Phase 5bis
Pour éviter les jugements/conseils publics, cette phase d’échange
porte sur l’analyse de la différence entre les phases  2 et 4, l’identification
de son origine, mais pas sur le contenu des interventions imaginées.
La durée totale des phases  5 et 5 bis est de vingt minutes et se
base encore une fois sur le dernier participant en train de produire pour
la phase 5 et sur l’arrêt des échanges lors de la phase 5 bis.
La phase 5 bis clôt la première étape qui avait pour objectif le déve-
loppement d’une analyse centrée sur ses propres réflexions et niveaux de
compréhension. La première étape se déroule sur un maximum horaire d’une
heure trente et se termine par une pause d’une dizaine de minutes. Durant la
pause il est demandé aux participants de ne pas échanger sur le contenu des
phases 2 et 4, une fois encore pour éviter les dynamiques de jugement/conseil.

2.2.3. Deuxième étape : Une co-construction


Nous émettons l’hypothèse que la deuxième étape est rendue pos-
sible par le contenu de la première étape. Ainsi, l’acceptation de décalages
internes, donnant lieu à échanges neutres (car ne portant pas sur le contenu)
lors de la phase 5 bis, est selon nous de nature à déclencher l’intérêt et les
conditions du passage à l’étape de construction commune. De plus, les formes
d’échange (écoute et prise de parole) construites lors de la première étape
sont susceptibles de favoriser le passage à la co-construction. Cette étape se
structure en trois phases.
Illustration de la conception d’un dispositif de formation : ARPPEGE 125

Phase 6
L’objectif de cette phase est de parvenir, en groupe restreint
(3  ou  4), à produire une modélisation de la situation qui traduise la
compréhension qu’en ont les participants du groupe. Cette phase de co-
construction aboutit à la production écrite du modèle de compréhension.
L’écriture a ici aussi deux fonctions. La première est relative à l’aspect
visuel du modèle écrit puisqu’il est présenté à l’ensemble du groupe dans
la phase suivante. Ainsi, le schéma doit être susceptible de « donner à
voir » la compréhension et il se crée ici un langage de la modélisation.
La deuxième fonction est de créer un langage commun permettant la co-
construction de la modélisation. Le passage par l’écrit et la formalisation
d’un modèle peut permettre l’apparition d’une phase préalable de défini-
tion des concepts par les participants. Une fois encore, l’écriture est un
moyen de « formaliser/figer temporairement » la pensée pour la rendre
critiquable dans le temps45. La durée limitée de la phase et son placement
dans la séquence obligent les participants à faire des choix de contenus
et de modélisation (hypothèse de compréhension) à partir de la matière
et des réflexions développées lors des phases précédentes. En ce sens, la
phase 6 peut être définie comme un temps de réflexion simultanée dans
et sur l’action et la séquence serait ainsi un entraînement à la prise de
décision, aux choix en situation de contrainte temporelle46.
L’objectif de la phase est double, elle vise tout autant la produc-
tion d’un modèle de compréhension que l’exercice de co-construction.
Ainsi, il ne s’agit pas de parvenir à une conclusion de l’analyse qui forma-
liserait la « bonne » compréhension de la situation, mais bien de pratiquer
l’exercice réflexif jusqu’à la formalisation d’un modèle temporairement
fonctionnel de compréhension. Le développement d’un savoir-analyser en
équipe est ici l’un des enjeux. On le perçoit, ce travail de co-construction
interroge en permanence les conceptions, compréhensions et représen-
tations individuelles et permet ainsi en parallèle d’enrichir l’approche
multiréfléchie.
Lors de cette phase, l’animateur peut intervenir pour relancer une
réflexion ou faciliter la mise en perspective des réflexions produites. Ici
encore, l’observation de l’animateur est à l’origine de ses interventions éven-
tuelles et si la complexité des phénomènes qui apparaissent lors de cette
phase ne permet pas de prétendre à une objectivité de l’observation, sa
rationalisation s’organise autour des principes de décalage optimal et de

45. Le modèle de compréhension produit lors de cette phase traduit en effet un processus
temporaire de réduction de la complexité.
46. On ne prétendra cependant pas que le système de contraintes qui se développe lors
de cette phase soit le même que celui d’une séquence d’enseignement, notamment par
rapport à l’urgence et aux enjeux qui s’y développent.
126 Construire une pratique réflexive

pertinence/continuité des contenus de la relance comme lors de la phase 3.


En d’autres termes, ces interventions doivent jouer le rôle de catalyseur ou
d’accélérateur de l’émergence du contenu « affleurant ».
Pour rendre opérationnels ces principes que nous venons d’énoncer
et atteindre l’objectif de la phase, la consigne est la suivante :

Au cours de cette phase, vous allez produire en petit groupe de trois ou quatre,
une formalisation collective de votre compréhension de fa situation exposée.
Dans le cas de l’apparition de divergences de compréhension, vous tenterez
de modéliser les éléments consensuels ainsi que les différentes variations du
modèle qui matérialisent ces divergences.

La durée de la phase est importante (trente à quarante minutes)


et ce pour permettre l’expression de chaque participant et l’apparition
d’éléments de co-construction c’est-à-dire dépassant le simple énoncé
de la compréhension individuelle et la mise en commun de ces dernières
(mutualisation).

Phase 7
Elle se constitue de la présentation par chaque groupe de son
modèle de compréhension de la situation exposée et d’échanges (éventuel-
lement en cours de présentation) que font naître ces apports. Cette phase
permet de travailler sur plusieurs fonctions de la dynamique du groupe.
Il s’agit pour l’un ou plusieurs des participants d’exposer le modèle. Cela
nécessite de développer une prise de parole compréhensive et compréhen-
sible. Il s’agit ensuite de développer pour les autres une écoute constructive
qui peut aboutir à une prise de parole constructive par l’interrogation ou
la critique. Enfin, les échanges peuvent avoir pour objet la reformulation
d’affirmations ou d’hypothèses à partir de phases de redéfinition commune
de la terminologie employée. Ici encore, le travail produit lors de la phase
est tout autant relatif au contenu de la présentation qu’à la forme utilisée
pour l’échange. Les capacités à travailler en équipe sont donc fortement
sollicitées et construites lors de ces deux phases 6 et 747.
La diversité d’analyse intragroupe (phase précédente) et inter-
-groupe qui apparaît lors de cette phase doit permettre de ne pas figer
la complexité dans un « simple » compliqué. Ainsi, la différence entre les
modélisations peut faire l’objet d’un échange portant sur les arguments

47. Par exemple, la possibilité d’intervention offerte, pour les participants qui ne présentent
pas, vise le développement de la capacité à prendre la parole pour co-construire et est
sous-tendue par la capacité à analyser de façon individuelle et prospective l’intérêt de
son intervention pour le groupe.
Illustration de la conception d’un dispositif de formation : ARPPEGE 127

et mécanismes ayant conduit aux choix opérés. La dimension sociale de


l’approche multiréfléchie est au cœur de ces deux phases.
La consigne de lancement de la phase vise à ouvrir l’ensemble de
ces perspectives contenues dans la phase est la suivante :

Chaque groupe va présenter son modèle de compréhension et/ou l’état de sa


réflexion sur cette question48. Les autres participants, du groupe qui présente
ou non, peuvent intervenir pour poser une question ou réaliser une critique au
cours de la présentation ou à l’issue de cette dernière. Un groupe souhaite-
t-il démarrer ?

La durée de cette phase doit permettre à la fois le temps de pré-


sentation, mais aussi les échanges qui peuvent aboutir à de nouvelles for-
malisations de modèles. Ainsi, trente à quarante minutes sont disponibles
pour réaliser cette phase.

Phase 8
La dernière phase du dispositif est commune à de nombreux dispo-
sitifs d’analyse de pratique en groupe (GEASE, GFAPP…). Elle se constitue
d’une analyse du protocole, elle est très souvent de ce fait qualifiée de phase
« méta ». L’enjeu de cette phase est de procéder à une analyse, non plus du
contenu, mais de l’accompagnement ou du déclenchement de l’émergence
de ce contenu et de ces effets. Ainsi, les prises de parole, et les échanges
qui s’ensuivent parfois, peuvent porter sur une appréciation générale de la
séquence (bénéfice, inconvénient, intérêt, usage ou prise de conscience de
références et cadres nouveaux d’analyse, émotions et freins ressentis…)
ou sur une analyse plus microscopique (difficulté dans une phase, prise de
conscience d’un élément, évolution possible, mise en relation de la capacité
d’analyse développée avec la logique d’une phase…).
Dans le cas de la proposition d’évolutions du dispositif lors de cette
phase, il est précisé que celles-ci peuvent être retenues à la condition d’être
compatibles avec le maintien des autres principes d’élaboration du dispo-
sitif (cf. phase 5 bis). L’animateur intervient ici pour réguler le contenu de
l’échange, et ce notamment pour éviter de repartir sur un contenu relatif

48. Cette possibilité est offerte dans l’éventualité de groupes qui ne seraient pas parvenus
à produire un modèle, du fait de divergences trop importantes et non mises en pers-
pective ou d’un niveau de complexité de la tâche temporairement trop important.
128 Construire une pratique réflexive

à la situation exposée49. Pour parvenir à ces objectifs, la consigne de lan-


cement de la phase est :

Chaque participant est invité au cours de cette phase à prendre la parole pour
s’exprimer sur ses impressions, ses émotions ou faire part de son analyse de
la séance vécue. Ces échanges ne portent pas sur le contenu relatif à la situa-
tion exposée, mais sur le protocole vécu.

Dans le cas d’absence de prise de parole, l’animateur peut appro-


fondir la consigne de la façon suivante :

Cette séance vous a-t-elle permis de vous transformer ? Si oui, de quel point
de vue, quel (s) processus et quelle(s) phase(s) du dispositif pourraient en être
à l’origine ?
Sinon pourquoi ?

Ou encore pour généraliser le questionnement :

Quelle évaluation faites-vous de l’intérêt, sur fa forme ou le fond, de la séance


ou du module vécu et pourquoi ?

La durée de la phase est de dix à vingt minutes et doit permettre à


chacun de prendre la parole plusieurs fois notamment en laissant émerger
de nouveaux contenus d’analyse, mais aussi de rebondir sur le contenu
énoncé par les autres participants. Ici encore, la prise de parole et l’écoute
constructive sont au cœur de la phase et constituent une partie des objectifs
de formation.

2.2.4. Remarques générales


Le cadrage temporel de chacune des phases doit permettre un temps
suffisant à l’émergence des contenus, mais nous prenons le parti de le limi-
ter pour, d’une part contraindre à la production et ne pas tomber dans la
spirale d’une ouverture sans fin de la réflexion qui serait en partie contraire
à la logique d’opérationnalité de la réflexion et incompatible avec le cadrage
temporel institutionnel. D’autre part, nous émettons l’hypothèse que les
paramètres liés à la fatigue (allongement de la durée des phases) pourraient,
dans le temps de la séance, devenir inhibiteurs de la construction réflexive.

49. L’animateur peut aussi intervenir pour rappeler les objectifs et éventuellement
réexpliquer leur principe d’élaboration ou chercher à interroger les fondements « ration-
nels » des impressions et émotions ressenties.
Illustration de la conception d’un dispositif de formation : ARPPEGE 129

De plus, si nous avons opté pour la construction d’un dispositif per-


mettant d’assurer la transition des formés « non réflexifs », dans le sens de
notre définition, le dispositif permet aussi le fonctionnement de participants
qui ont déjà un habitus réflexif. En d’autres termes, la logique d’entraîne-
ment, qui permet d’enrichir l’habitus réflexif, est rendue possible par le
dispositif dès la première étape et s’accentue encore dans la deuxième.
Le tableau  4.1 présente l’ensemble des phases du dispositif ainsi
que leur consigne.
Le tableau 4.2 reprend l’ensemble des éléments relatifs à l’élabora-
tion du dispositif ARPPEGE et les met en perspective avec le cadre général
que nous avons présenté au chapitre précédent. Sont précisés les objectifs,
principes et processus de ce cadre et la forme de leur déclinaison spécifique
dans le dispositif sous forme de principes et des phases du dispositif qui
incarnent le plus ces principes.

Tableau 4.1. Phases, consignes et formes de groupement


dans le dispositif ARPPEGE

Durée Forme
phase en objet de consignes
minutes groupement

Phase 0 0 à 10 Présentation Collectif Rappel des règles


de fonctionnement

Phase 1 5 à 15 Récit Exposant/ Qui souhaite présenter


collectif le récit d’une situation qu’il
a vécue et qui l’interroge,
voire lui pose problème ?

Phase 2 5 Proposition 1 /1 Quelles seraient


les modifications que vous
apporteriez à l’intervention
professionnelle ?
ou
Quelle activité ou intervention
développeriez-vous si vous
étiez à la place de l’exposant
dans la situation décrite ?

Phase 3 5 à 30 Questionnement Collectif Quelles questions souhaiteriez-


vous poser à l’exposant
pour approfondir votre
compréhension du récit ?
130 Construire une pratique réflexive

Durée Forme
phase en objet de consignes
minutes groupement

Phase 4 10 Proposition 2 /1 Quelles seraient


les modifications que vous
apporteriez à l’intervention
professionnelle
ou
Quelle activité ou intervention
développeriez-vous si vous
étiez à la place de l’exposant
dans la situation décrite ?

Phase 5 10 à 20 Analyse /1 Analyser le contenu


du décalage des phases 2 et 4 et mettez
en perspective cette analyse
avec les éléments nouveaux
liés à la phase 3. Quelle
analyse pouvez-vous
faire de cette mise
en perspective ?
Entre vos deux écrits
– Y a-t-il eu transformation ?
Phase 5 Présentation Collectif – Y a-t-il eu renforcement ?
bis et échange – Y a-t-il eu
sur décalage approfondissement ?
Et
– Quel(s) sont les domaines
comportant les
modifications éventuelles
ou renforcement ?
– Quel(s) élément(s)
déclencheur(s) du
questionnement et/ou
des réponses qui est
(sont) à l’origine des
modifications éventuelles
ou du renforcement ?

Phase 6 30 à 40 Modélisation /3 ou 4 Au cours de cette phase,


hypothèse de vous allez produire en petit
compréhension groupe de trois ou quatre,
une formalisation collective
de votre compréhension
de la situation exposée.
Dans le cas de l’apparition
de divergences de
compréhension, vous
tenterez de modéliser les
éléments consensuels ainsi
que les différentes variations
du modèle qui matérialisent
ces divergences.
Illustration de la conception d’un dispositif de formation : ARPPEGE 131

Durée Forme
phase en objet de consignes
minutes groupement

Phase 7 30 à 40 Présentation Collectif Chaque groupe


hypothèse va présenter son modèle
de compréhension
et/ou l’état de sa réflexion
sur cette question.
Les autres participants,
du groupe qui présente
ou non, peuvent intervenir
pour poser une question
ou réaliser une critique
au cours de la présentation
ou à l’issue de cette
dernière. Un groupe
souhaite-t-il démarrer ?

Phase 8 10 à 20 Méta-analyse Collectif Chaque participant


est invité au cours
de cette phase à prendre
la parole pour s’exprimer
sur ses impressions,
ses émotions ou faire part
de son analyse de la séance
vécue. Ces échanges ne
portent pas sur le contenu
relatif à la situation exposée
mais sur le protocole vécu.
Et complément possible :
Cette séance vous a-t-elle
permis de vous transformer ?
Si oui de quel point
de vue, quel(s) processus
et quelle(s) phase(s)
du dispositif pourraient
en être à l’origine ?
Si non pourquoi ?
Quelle évaluation faites-vous
de l’intérêt, sur la forme
ou le fond, de la séance
ou du module vécu
et pourquoi ?
132 Construire une pratique réflexive

Tableau 4.2. Mise en perspective du cadre général de conception


et des contenus spécifiques du dispositif ARPPEGE

Cadre général Principe d’ARPPEGE Phase du dispositif

Améliorer Accompagnement de la prise • Phase 5


la capacité de conscience et de la modélisation • Phase 5 bis
d’analyse par la structuration progressive • Phase 6
et développement de l’analyse • Phase 7
d’une approche • Phase 8
multiréfléchie

Mise en œuvre de règles • Phase1


de fonctionnement des phases • Phase 3
d’échanges garanties par l’animateur • Phase 5 bis
puis intériorisées. • Phase 6
Formalisation de la compréhension • Phase 7
Améliorer • Phase 8
la capacité
à travailler Formalisation des interrogations, • Phase 2
Objectifs

en équipe de la compréhension • Phase 3


et des propositions • Phase4
et développement de l’écoute • Phase 5 bis
et de la prise de parole • Phase 6
• Phase 7
• Phase 8

Sécurisation du dispositif • Phase 0


par les règles et la différenciation • Confidentialité du
du contenu des phases individuelles contenu phases 2,
Améliorer et collectives 4, 5 bis
le confort • Règles d’animation
professionnel Aide à la perception de l’amélioration • Phase 8
des capacités d’analyse
et de communication ainsi que
de l’acceptation de la complexité

Prise en compte des habitudes de travail par la structuration


en 2 étapes (phase 1 à 5bis et phase 6 à 8) avec passage de :
Assurer – temps de travail court à long
une transition – travail individuel à collectif
par la prise – de réagir (ph 1, 2,4) à s’informer (ph3) puis comprendre
en compte et confronter (ph 6, 7, 8)
Principes

de la spécificité Prise en compte du niveau • Phase 2


du contexte de ressources par la production libre • Phase 3
(acteur, cadrage (individuel et collective entre pairs • Phase 4
institutionnel…) • Phase 5
• Phase 6
• Phase 8

Clarifier le contrat Définition des règles • Phase 0


de formation de fonctionnement
Illustration de la conception d’un dispositif de formation : ARPPEGE 133

Cadre général Principe d’ARPPEGE Phase du dispositif

Interne : mise en perspective du • Phase 5


contenu des 2 phases d’écritures
Faire émerger individuelles
des décalages
et une prise Externe : échange • Phase 5 bis
de conscience sur les productions • Phase 6
et construction commune • Phase 7
• Phase 8

Phase de production • Phase 2


avec la même consigne • Phase 4
mais évolution et analyse individuelle • Phase 5
puis collective • Phase 5 bis
Processus

Favoriser
la décentration de cette dernière
et la prise Phase de confrontation aux contenus • Phase 3
de recul des autres participants • Phase 5 bis
• Phase 6
• Phase 7
• Phase 8

Favoriser Modélisation commune • Phase 6


la co-construction et échange • Phase 7

Passage par la formalisation écrite • Phase 2


Favoriser
• Phase 4
la production
• Phase 5
écrite
• Phase 6

3. RÉGULATIONS ET VARIATIONS
POTENTIELLEMENT RÉALISÉES
PAR L’ANIMATEUR AU COURS
DES SÉANCES ET AUTOUR D’ELLES.
Le point qui suit aura pour objet la présentation des régulations que
l’animateur est susceptible de réaliser au cours d’une séance.
Chaque régulation produite par l’animateur répond à l’objectif de
maintenir la cohérence et la congruence entre les objectifs et le dérou-
lement de la séance. Contrairement à certains éléments qui vous seront
présentés dans le sixième chapitre de cet ouvrage, les régulations propo-
sées ici se limitent au cadre d’ARPPEGE et à la recherche d’atteinte des
objectifs initiaux. Ces propositions ne concernent donc pas la possibilité
de la réorientation des buts, dont l’opportunité ou le besoin émergerait
au cours de la séance. De même, ne seront pas traitées les possibilités de
134 Construire une pratique réflexive

recontractualisation en cours de séance ou en interséance et les éventuels


ajouts de temps méta à la demande50.
Les régulations présentées ci-après sont dépendantes de multiples
facteurs dont on relèvera principalement les suivants :

– la maturité du groupe dans le dispositif et en APP ;


– la maturité du groupe en matière de réflexivité ;
– les dynamiques particulières de la séance en lien avec des facteurs
exogènes (Heure de déroulement, météo, conditions matérielles…) ;
– les charges émotionnelles traduites par l’apparition de tensions,
d’inconforts (incompréhension, insécurité, résonance forte…) ;
– les opportunités d’apprentissage et de développement qui émergent ;
– les rythmes individuels et collectifs de progression dans la séance ;
– le respect ou le non-respect des règles de fonctionnement.

Les régulations sont réalisées en réponse à un déséquilibre du fonc-


tionnement ou à une opportunité en lien avec l’un de ces facteurs ou avec
leur combinaison. Dans les points suivants, les régulations susceptibles d’être
proposées au niveau de chacune des phases sont présentées et commentées.
Comme nous l’avons précisé, chaque régulation qui suit est une
réponse de l’animateur à une situation émergente, en lien avec les dyna-
miques de groupes ou d’analyse. Le tableau suivant reprend quelques
exemples de régulation dans chacune des phases du dispositif et permet
de voir ce que peut être l’intervention de l’animateur en fonction de l’origine
de cette adaptation. Le contenu de ce dernier n’est pas exhaustif, l’enjeu
est plutôt de donner les orientations générales des régulations, leur nature
et stratégies sous-jacentes ainsi que leur origine. Sont plus particulièrement
développés ici quelques cas typiques (situations récurrentes) de régulation.

50. Pour un approfondissement de ces questions, voir Boucenna, Thiébaud et Vacher, 2022.
Tableau 4.3. Régulations possibles dans chacune des phases

Origine
Phase Régulation
des régulations

Lors de cette phase, En fonction de la maturité du groupe dans le dispositif, l’animateur peut moduler le volume de présentation
les régulations sont de chacun des points.
principalement liées Les régulations peuvent aussi viser à attirer l’attention du groupe sur des éléments s’étant déroulés lors
au besoin de précision des séances précédentes, par exemple si certaines règles n’ont pas été strictement respectées
que seraient susceptibles

Phase 0
Présentation
de demander
les participants.

La régulation principale Plusieurs options sont possibles. En reprécisant que dans ARPPEGE le récit est une matière « prêtée »
de cette phase est liée au groupe et que son traitement n’est pas la finalité principale, l’animateur est susceptible d’enlever
au choix de l’exposant. une pression aux participants qui jugeraient que leur situation ou récit potentiel n’est pas intéressant.
Premier cas de figure, Le silence peut aussi être la conséquence d’une absence de sécurité ressentie (visible par exemple lors
aucun participant des premières séances). Dans ce cas, l’animateur peut rappeler les règles de sécurisation de l’échange
ne souhaite exposer. mais aussi éventuellement utiliser des détours par des séquences (hors protocole du dispositif)
Selon les hypothèses de construction de la confiance dans le groupe.
réalisées par l’animateur
quant aux causes
de cette absence.

Phase 1
La régulation principale Afin de faciliter le choix collectif du récit, l’animateur peut proposer que chaque exposant potentiel présente
de cette phase est liée en deux phrases la pratique à laquelle il pense. Ensuite, plusieurs critères peuvent être utilisés pour réaliser
au choix de l’exposant. le choix de l’exposant du jour. Par exemple : l’urgence ou non pour les exposants potentiels de traiter

Choix de l’exposant et récit


Deuxième cas de figure, leur pratique, l’intérêt de chacun des récits pour chacun des participants ou encore les éventuelles
plusieurs participants proximités et résonances des thèmes pour chacun des membres du groupe. Selon la maturité du groupe
Illustration de la conception d’un dispositif de formation : ARPPEGE

souhaitent exposer. (dans le dispositif est en matière de réflexivité) ou les contraintes temporelles, le choix peut être plus
ou moins laissé au groupe de décider.
135
Origine
136
Phase Régulation
des régulations

Les régulations sont Cette phase est au cœur de la stratégie de conception du dispositif. C’est principalement en rappelant
nécessaires lors que les productions écrites demeurent personnelles et non communiquées que les incompréhensions
des premières séances et réticences éventuelles sont levées. Ce rappel permet aux participants de comprendre que la consigne
face à l’étonnement n’est pas en contravention avec l’éthique générale de bienveillance par l’absence de jugement et de conseil.
des participants quant Dans cette situation, l’animateur reprécise que la position de l’exposant est symétrique par rapport
à la consigne du travail à celle des autres dans le dispositif. Parfois, lors de la première séance, l’exposant n’écrit pas durant
à réaliser cette phase. Du fait de la durée courte de cette dernière, il est possible de faire quelques régulations
De façon plus spécifique, individuelles pour rassurer sur le caractère normal de cette absence. C’est rarement le cas par la suite car,
il arrive que l’exposant avec l’expérience, l’exposant perçoit dès son récit initial de nouvelles perspectives d’action.

Phase 2
Proposition 1
interroge l’animateur L’animateur peut se baser sur le dernier participant qui écrit pour stopper la phase. Il annonce ainsi avant
pour savoir s’il doit aussi la fin du temps dédié, qu’il reste deux à trois minutes pour écrire. Comme pour toutes les autres phases,
réaliser la phase. les silences font partie intégrante du recul réflexif. Une absence d’écriture temporaire n’est donc pas
Construire une pratique réflexive

Des disparités mécaniquement un signe de désengagement. Cependant, une vigilance sur les signaux de décrochage
des temps d’écriture permet de proposer quelques régulations notamment en proposant aux personnes concernées une pause
peuvent apparaître méta au sujet de ce qu’ils vivent dans ces moments.

Bien que présente dans beaucoup de dispositifs d’analyse de pratiques professionnelles, cette phase possède
quelques spécificités dans ARPPEGE qui nécessitent des régulations de l’animateur (notamment du fait
que cette phase succède à une phase de jugement et projection). La règle de non jugement ou conseils
implicites impose en effet une vigilance accrue lors des phases de questionnement. Je régule en général
La régulation principale
cela en interrompant toute formulation qui s’inscrirait dans cette logique de jugement, de conseil. Je précise
de cette phase
ici que par précaution, j’ai tendance à intervenir assez vite lors de la formulation de la question, afin que
est liée à l’apparition
l’exposant ne se sente pas jugé. De ce fait, les régulations peuvent être nombreuses lorsque les participants
de questions pouvant
ne sont pas familiers du dispositif et il faut alors faire attention à ne pas trop hacher le rythme pour ne pas
exprimer même
casser la dynamique globale de recherche collective de compréhension. Lorsque j’interviens pour interrompre
implicitement

Phase 3
la formulation de questions, Je propose immédiatement un exercice de neutralisation des questions. Chaque
ou involontairement

Questionnement
participant est invité à réaliser cet exercice collectif, puisque chacun partage ses propositions de reformulation.
des jugements
Cet exercice est assez déstabilisant car il confronte les participants à leur modèle souvent dominant qui est
ou conseils.
celui du jugement comme base de la compréhension. Des régulations de réassurance sont donc parfois
nécessaires pour accompagner cette déstabilisation.
Avec la maturité du groupe dans le dispositif, ces régulations sont de moins en moins nombreuses
et les participants témoignent du fait que la neutralisation a constitué pour eux un apprentissage essentiel.
Origine
Phase Régulation
des régulations

Comme la phase 4 est On retiendra les propositions liées au temps d’écriture pour maintenir les dynamiques du groupe.
identique à la phase 2,
les régulations
sont en général

Phase 4
peu nombreuses

Proposition 2
Ces consignes sont en effet assez inhabituelles et nécessitent en général d’être illustrées pour devenir
fonctionnelles lors des premières séances. Ces régulations peuvent être collectives mais aussi individuelles
Les régulations produites pour ne pas freiner l’engagement de ceux qui ont saisi le sens du travail.
lors de la phase 5 Lors de premières séances, il n’est pas rare que les participants demandent à l’animateur des grilles
sont en général liées de lecture leur permettant de cibler les domaines. Dans les régulations que je réalise, je choisis la plupart
à la clarification des du temps de ne pas donner de grilles de lecture mais renvoie chaque participant à ce qui fonde ses propres

Phase 5
consignes. analyses. Ces éléments peuvent être liés à l’expérience professionnelle ou à des formations par exemple.
L’enjeu de la régulation est ici de ne pas orienter le travail de conceptualisation sachant que la phase

phase 2 et phase 4
Analyse du décalage
suivante permettra une mutualisation de ces domaines et donc l’enrichissement de chacun.

Il arrive que lors L’animateur intervient pour rappeler que les participants ne doivent pas dévoiler le contenu de leurs parties 2
des premières séances et 4 mais seulement l’analyse neutralisée qu’ils en font (processus, domaines et éléments déclencheurs).
certains participants Il peut éventuellement aider à reformuler pour neutraliser le contenu des prises de parole.
souhaitent partager
leur piste d’action
et l’exposant

Phase 5 bis
les entendre

Présentation et
échange sur décalage
Illustration de la conception d’un dispositif de formation : ARPPEGE
137
Origine
138
Phase Régulation
des régulations

Les régulations peuvent L’animateur cherche par ses régulations à favoriser l’implication de tous pour des raisons à la fois
ponctuellement permettre de dynamique psychosociale mais aussi d’enrichissement de la pluralité des angles de vue. L’observation
de clarifier les consignes des leaderships dans les petits groupes est de ce point de vue souvent nécessaire.
mais elles visent La nature des interventions est souvent polymorphe. En circulant parmi les groupes, l’animateur repère par
prioritairement l’entretien exemple le(s) type(s) de frein que rencontrent les participants et propose (sous la forme de questionnement
des dynamiques cognitives la plupart du temps) des éléments pour tenter de les dépasser ou en faire des objets de réflexivité. Ainsi,
et psychosociales il pourrait interroger un groupe sur la méthode de formalisation retenue, pour un autre il demandera
des sous-groupes. quelles sont les questions qu’ils auraient pu poser à l’exposant pour aller plus loin dans leur compréhension.
L’animateur produit Face à des groupes qui auraient beaucoup de difficultés à rentrer dans la formalisation, l’animateur peut
ces régulations proposer des types de modélisation : schéma, carte mentale, dessins, récit métaphorique, etc.
notamment lorsqu’il Si l’animateur perçoit des décalages dans les degrés d’avancement et un éventuel arrêt du travail pour un
perçoit des décalages groupe, il peut relancer la dynamique par 2 stratégies. D’une part en interrogeant ce qui pourrait apparaître
Construire une pratique réflexive

dans les vitesses comme des zones blanches, des zones d’ombres dans la modélisation produite de la compréhension

Phase 6
de progression. ou encore le repérage de domaines structurant leur modèle, d’autre part il pourrait amener le groupe
Une vigilance à avoir un échange réflexif sur la forme de travail adopté, les arbitrages réalisés, l’interrogation de la vitesse
supplémentaire peut être de réalisation, la présence de consensus ou divergences, leurs origines, etc.
développée quant La durée de la phase peut varier du simple au double d’une séance à l’autre mais de l’hétérogénéité est
à l’apparition « masquée » aussi visible entre les groupes. Deux principes viennent alors structurer les régulations : gérer la durée totale
de pistes d’action de la séance et maintenir les dynamiques de groupe.

Modélisation hypothèse de compréhension


dans les modélisations L’animateur, lors de la circulation dans les sous-groupes, peut interroger les participants sur les éventuels
produites. contenus pouvant conduire à ce type de situation. Ceci permet d’éviter les régulations relatives à ce sujet
lors de la phase suivante. Il peut aussi inviter à inscrire la modélisation dans sa temporalité d’origine
mais aussi demander au groupe que ses membres ne positionnent que des éléments qui ont été
objectivement dits par l’exposant.

Cette phase Une vigilance sera tout de même apportée à ce que les questions posées à un groupe lors de sa présentation
de mutualisation ne relèvent pas non plus des jugements ou des conseils implicites.
et d’échange ne nécessite
pas en général

Phase 7
Présentation
modélisation
beaucoup de régulations.
Origine
Phase Régulation
des régulations

La principale régulation Parfois, l’animateur reprécise le périmètre possible des réponses lorsque celles-ci se focalisent uniquement
à réaliser vise à recadrer sur un registre, par exemple celui des émotions vécues, délaissant totalement la question des apprentissages
les échanges lorsque ou des dynamiques d’analyse.
certains participants
repartent dans l’analyse

Phase 8
de la pratique exposée

Méta-analyse
et ne se situent pas
dans le registre méta.
Illustration de la conception d’un dispositif de formation : ARPPEGE
139
Chapitre 
Former un praticien réflexif :
5
effets du dispositif ARPPEGE

L’étude des effets de formation de l’outil ARPPEGE a fait l’objet


d’une recherche menée entre 2007 et 2010 (Vacher, 2010). Plusieurs outils
d’analyse ont été mis en place pour mettre en lumière les processus de
construction d’une pratique réflexive telle que nous l’avons définie précé-
demment et la professionnalisation susceptible d’en découler. Des documents
illustrant les résultats ainsi que la méthodologie de la recherche sont placés
en annexe à cet ouvrage sur le site de l’édition.

1. MÉTHODOLOGIE D’ANALYSE
ET D’ÉTUDE DES EFFETS
Pour évaluer ces effets de formation, nous avons choisi de procéder
à des analyses quantitatives et qualitatives qui portent tout autant sur le
contenu de l’outil que sur sa forme. Ce choix visait à permettre à la fois
l’évaluation des effets de professionnalisation (par le développement de la
pratique réflexive), l’évaluation de l’adéquation de l’outil à l’atteinte de ce
but et enfin la mise en lien de ces deux paramètres, c’est-à-dire la mise en
perspective entre les éléments de fond et de forme.
De plus, la stratégie générale reposait sur la structuration d’une
évaluation de l’usage et des effets de l’outil à deux niveaux. Le premier est
142 Construire une pratique réflexive

celui de l’usage réel et se compose de l’analyse concrète des productions.


Les résultats sont issus dans ce cas d’un recueil de données réalisé par le
chercheur et indépendant des retours des acteurs participants. Le second
niveau porte sur les perceptions des formés. Il s’est agi dans ce cas de
recueillir les avis, représentations et impressions des acteurs au sujet de leur
vécu dans le dispositif proposé (cf. annexe 1 lien vers site). Le recueil de
données s’est effectué cette fois à partir de questionnaires proposés aux
acteurs. Le dispositif ARPPEGE a fait l’objet d’une étude qualitative appro-
fondie du fait de la double fonction du formateur (chercheur, animateur)
qui a rendu possible une observation accrue en cours de séance. La majorité
des données recueillies52 a fait l’objet d’un traitement par l’intermédiaire
du logiciel MODALISA.

1.1 Questionnaires de recueil des avis,


représentations et impressions
Plusieurs types de questionnaires ont été produits dans le but
de multiplier les éclairages d’un éventuel développement de la pratique
réflexive, à travers les traces d’une approche multiréfléchie, tout en
cherchant à mettre en lumière d’éventuels autres processus incidents à
l’usage de l’outil. Ainsi, nous avons conçu trois types de questionnaires
(« Après séance », « Final » après la fin du module, et « Après visionnage
des séquences filmées ») en vue de percevoir et comprendre les effets
du dispositif, la place de ce dernier dans la formation et le lien entre les
processus de formation en cours et le contenu du protocole. Pour cela,
les effets produits par le dispositif sont mis en lien avec des perspectives
temporelles et les composantes du protocole et de la formation. Le deux-
ième champ général qui structure les questionnaires est celui du réinvestis-
sement des acquis. Nous avons cherché à identifier leurs espaces (domaine
de compétence) et leur forme (illustration de l’usage des acquis). L’enjeu
était de pouvoir analyser la perspective de transformation des pratiques
effectives d’enseignement.
Les trois questionnaires conçus sont formalisés de façon à appro-
fondir, au fur et à mesure de la formation et de l’entrée dans le métier en
tant que titulaire, les différentes rubriques précédentes (effets/protocole,
réinvestissement, appréciation générale). Cette logique d’approfondissement
se traduit par une augmentation du nombre des questions, mais aussi une
place de plus en plus importante aux questions ouvertes et semi-ouvertes.
Notre hypothèse est qu’avec le temps de formation, mais aussi de développe-
ment professionnel, les avis, représentations et impressions des professeurs

52. Seuls l’analyse qualitative des séances ARPPEGE et le questionnaire d’après visionnage
ne sont pas traités avec le logiciel MODALISA.
Former un praticien réflexif : effets du dispositif ARPPEGE 143

stagiaires peuvent évoluer, à la fois dans le sens d’une clarification des


processus en jeu, mais aussi possiblement dans le sens d’une inflexion
des appréciations.

1.2 Outils d’analyse des effets


en usage d’ARPPEGE
Deux types d’outils ont été formalisés pour analyser les effets et pro-
cessus déclenchés par notre dispositif ARPPEGE. Ils reposent sur les mêmes
principes et ne se différencient que par leur mode de recueil. Le premier est
constitué par l’observation et la prise de notes en cours de séance alors que
le second consiste en l’analyse de séquences vidéo de ces mêmes séances.
Le second outil n’est utilisé que pour deux séances de la seconde année de
recueil. Les outils ont été élaborés pour permettre le recueil de données
de type quantitatif et qualitatif et relatives au contenu des séquences et à
la forme d’émergence du contenu.
Afin de faire apparaître les processus de développement de la pra-
tique réflexive, le contenu des différentes phases (durée, nature des ques-
tions, langage utilisé, témoignage sur le dispositif en cours…) et des formes
de développement des échanges (écoute, prise de parole, posture…) sont
analysés. Les éléments relatifs au cadre formel du protocole sont analysés
à partir du recueil de l’ensemble des questions, appréciations et remarques
ayant trait à ce cadre et qui apparaissent en cours de séquence, mais « hors
protocole » contenu ou lors de la phase  8 (reformulation des consignes,
questionnement sur les objectifs…).
Ces recueils s’inscrivent dans la volonté de permettre une analyse de
chaque séquence de façon indépendante ainsi qu’une mise en perspective
de chacune d’entre elles avec les autres pour mettre à jour des dynamiques
d’évolution au fur et à mesure du déroulement du module. Cette mise en
perspective s’effectue aussi entre les deux années d’observation pour per-
mettre l’identification d’éventuels invariants.

1.3 Outil complémentaire de croisement


des données
Afin de croiser les données issues des questionnaires et des obser-
vations des séances, une séquence de recueil de données à partir du vision-
nage par les participants de séquences « critiques » filmées lors de séances
ARPPEGE a été conçue. L’objectif de cette séquence était de partir de
faits qui se sont réellement produits lors des séances (vidéo support) pour
approfondir les avis, représentations et impressions des participants. Cet
outil permet de produire une phase de méta-analyse accompagnée qui doit
aboutir à l’approfondissement des données recueillies. Cet outil a permis de
144 Construire une pratique réflexive

recueillir des informations sur des processus internes (sans manifestations


visibles). Pour cela, les participants sont amenés à formuler des hypothèses
sur des faits filmés dont ils sont les acteurs et dont la cohérence n’est pas
lisible de « l’extérieur »53. La figure 5.1 reprend l’ensemble des éléments de
recueil à partir de la distinction entre les traces réelles recueillies et les
retours subjectifs des acteurs par questionnaires.

Figure 5.1. Outils d’analyse des effets d’ARPPEGE

Outils d’analyse
des effets d’ARPPEGE

Recueil des avis, Observation


représentations et impressions de l’usage réel

Questionnaire Questionnaire final Questionnaire Séquences Observations


après séance après module après visionnage filmées directes

1.4 Corpus quantitatif de données recueillies


Le tableau  5.1 présente la quantité de données recueillies par
le  biais des outils précédents et au cours des deux années d’étude
(2007-2008 = N1 et 2008-2009 = N2 dans la suite du texte). Les résul-
tats présentés dans la suite de cette partie se fondent sur ces données,
mais sont précisément corroborés par les effets constatés lors des deux
années suivantes de mise en œuvre du dispositif et avec des publics
variés54.

53. Par exemple, le questionnaire comporte la question suivante : « Ce comportement laisse


à penser qu’un événement s’est produit lors de l’écriture. Si c’est le cas, de quoi s’agit-
il ? Y a-t-il coexistence d’un autre processus à côté de celui d’écriture et de la prise de
parole ? », ou encore « Comment expliquez-vous le déclenchement de la modélisation et
la relative rapidité de la formalisation lors du passage au tableau ? ».
54. Soit une population de 23 professeurs stagiaires et de plus de 50 participants d’un autre
statut entre 2007 et 2012.
Former un praticien réflexif : effets du dispositif ARPPEGE 145

Tableau 5.1. Quantité et nature des données


recueillies au cours des deux années d’étude

Nombre
Nombre d’acteurs
Dispositif Type d’analyse Outil d’analyse d’entités
concernés
analysées

9
Observation directe 10 (5 pour N1 et 4
Usage réel pour N2)

Observation filmée 2 4

Questionnaire
27 9
après séance
ARPPEGE
8
Questionnaire final 8
Avis, représentations sur 9
et impressions
3
Questionnaire (sur 4 concernés
3
après visionnage par les séances
filmées)

2. ANALYSE DES RÉSULTATS RELATIFS


AU DÉVELOPPEMENT DE LA PRATIQUE
RÉFLEXIVE DANS LE DISPOSITIF
DE FORMATION ARPPEGE
La première partie de ce point (2.1) est consacrée à la présen-
tation des effets observés. La suite du point (2.2) portera sur l’étude
des effets perçus et déclarés dans les enquêtes (questionnaires après
les  séances, le module et le visionnage). Un troisième temps de l’ana-
lyse  (2.3) sera consacré à la mise en perspective de ces deux types
de données. Cette étude se terminera par une analyse prospective
(2.4). La  totalité des données brutes est disponible dans l’annexe  II
(lien  vers  site).

2.1 Effets observés : une entrée


dans la pratique réflexive
Nous tenterons de répondre aux interrogations suivantes à travers
les résultats et analyses proposées :

– L’outil ARPPEGE participe-t-il au développement de la pratique


réflexive (et en son sein d’une approche multiréfléchie) par l’atteinte
des objectifs que nous avions fixés ?
146 Construire une pratique réflexive

– Si oui, de quelle nature sont les modifications du profil des parti-


cipants qui attestent de l’atteinte de ces objectifs et quels sont les
processus enclenchés qui traduisent ce passage au mode réflexif ?
– Peut-on percevoir des traces de capacités émergentes qui sont
susceptibles de permettre une transformation des pratiques effec-
tives ?

Pour répondre à l’ensemble de ces questions, les différents élé-


ments du cadre général que nous avons conçus seront étudiés à travers
l’analyse des données recueillies. Ainsi seront étudiés les principaux effets
qui se traduisent par des modifications des stratégies d’analyse, des modes
de communication et du rapport affectif à l’engagement réflexif. À titre
d’exemple, l’analyse complète des deux séances filmées est présentée en
annexe  3. Cette analyse permet de comprendre à la fois la méthodologie
de recherche ainsi que de toucher du doigt les modifications enclenchées.

2.1.1. Des modifications de l’analyse :


vers une approche multiréfléchie
Les résultats obtenus font apparaître quatre processus essentiels
enclenchés par le dispositif et qui s’inscrivent dans le sens du développe-
ment de la pratique réflexive et en son sein d’une approche multiréfléchie :

– la transformation du mode de questionnement ;


– la transformation de l’analyse et de la modélisation de la compré-
hension ;
– l’apparition des processus cognitifs singuliers ;
– une analyse pluridimensionnelle dominante.

Chacun de ces processus sera détaillé au cours des points suivants


sous la forme suivante : présentation de la synthèse des données, analyse
de ces dernières puis enfin, illustration des transformations. Pour ne pas
alourdir la présentation des résultats, nous avons fait le choix de présenter
les données issues des phases les plus illustratrices de ces transformations
et en note bas de page sont mentionnées les autres phases dans lesquelles
ces processus apparaissent.

Transformation du mode de questionnement


La phase 3 du protocole ARPPEGE se compose du questionnement
de l’exposant à propos de son récit par les autres participants55. Cette phase
est centrale dans le dispositif, car elle est la première phase d’échange entre

55. Ces transformations du mode de questionnement sont aussi visibles lors des échanges
des phases 6 et 7.
Former un praticien réflexif : effets du dispositif ARPPEGE 147

tous les participants. On peut y lire à travers son déroulement aussi bien le
type d’analyse que les dynamiques psychosociales. Globalement, les profils
de questionnement sont assez similaires au cours des deux années comme
le montre le tableau 5.2. Dans les tableaux suivants, il est fait référence aux
registres ou domaines (nous utiliserons indifféremment ces deux termes par
la suite) qui correspondent aux éléments d’analyse que nous avons évoqués
comme étant à la base de l’analyse multidimensionnelle qui apparaît dans les
premiers niveaux de l’approche multiréfléchie. Pour mémoire, nous avons
par exemple évoqué dans cette partie (figures 1.3 et 1.5) les registres tels
que le savoir ou le temps et les domaines tels que la psychologie ou la
physiologie. Comme nous l’avons illustré, il pouvait s’agir de registres usuels
ou de domaines scientifiques.
Le contenu de ce tableau traduit une évolution significative du mode
de questionnement au fur et à mesure du déroulement du dispositif dans
l’année. Ainsi, le profil initial et le premier palier se caractérisent par une
approche égocentrique. La référence est en effet limitée à soi et à une ana-
lyse réactive. Cette réaction est produite à partir de plusieurs déclencheurs.
En premier lieu, le contenu du récit ou d’une réponse peut entrer en réso-
nance avec le vécu d’un participant qui évoque, par le biais d’une question,
sa propre expérience. En second lieu, la réaction peut être liée à l’actualité
d’un thème ou à la présence d’un thème « évident » sur lequel le partici-
pant à « quelque chose à dire ». Enfin il peut s’agir d’une réaction qui vise
simplement à prendre la parole pour « trouver une place » dans le groupe.
Ces trois processus se fondent sur une autoréférence de l’intervention, il
n’y a donc pas à ce stade de prise en compte de l’autre ni d’émergence
d’une analyse approfondie. Concrètement, cela se traduit par des prises
de paroles coupées lorsque la réponse ne correspond pas à ce qui était
attendu par le participant auteur de la question. On peut parler de stade
autoréférencé et réactif et la pratique réflexive n’est pas enclenchée à ce
premier palier, car les interventions ne relèvent pas encore d’une intention
consciente d’affronter la complexité. L’approche n’est pas multiréfléchie ni
au niveau personnel ni par la mise en perspective du contenu de l’analyse
des autres. Nous constatons lors de la mise en œuvre du dispositif que ce
stade dure deux séances en moyenne.
La situation est différente lorsque l’on étudie le contenu du deu-
xième palier (et en partie palier 1 année 2). En effet, un premier stade de
prise en compte de l’autre apparaît et se traduit par la prise en compte
de l’intervention d’autrui pour soi-même intervenir. Les rebonds se font
ainsi par rapport à la réponse précédente obtenue et des mini-relances non
réactives apparaissent.
Année 07-08 (N1) Séance d’apparition Année 08-09 (N2) Séance d’apparition
Profils – Questionnement réactif, – Questionnement factuel
148
initiaux centré sur les préoccupations organisé par la question
S1 S1
du moment ou sur un point précédente ou la réponse
unique et « évident » du récit précédente
– Nombre de registres limité – Registres limités et épuisement
mais épuisement des domaines rapide du questionnement
Palier par les participants – Rebond sur d’autres
S2-S3 S2
n° 1 domaines après ouverture
des champs de questionnement
par l’animateur
– Questionnent en fonction – Questionnent en fonction
des réponses précédentes des réponses précédentes
apportées par l’exposant apportées par l’exposant
Palier ou ou
S3-S4 S3
n° 2 – Suivent une progression – Suivent une progression
Construire une pratique réflexive

dans la précision dans la précision de leurs


de leurs interrogations interrogations (quelques mini
relances56 non réactives).
– Le questionnement se structure – Le questionnement se structure
autour de séries cohérentes autour de séries cohérentes
de 4 à 5 questions (selon dont des approfondissements
les 2 stratégies du palier par mini relances.
Palier précédent) puis lorsque Lorsque le participant semble
S5 S4-S5
n° 3 le participant, semble avoir les informations pour
avoir les informations comprendre il change alors
pour comprendre il change de domaine de questionnement.
de registre de questionnement. – Différents niveaux à l’intérieur
d’un registre sont envisagés
Tableau 5.2. Évolution des modes de questionnement par palier

56. Nous entendons par « mini relance » des interventions courtes permettant de poursuivre un questionnement tout en rebondissant sur les réponses
obtenues.
Former un praticien réflexif : effets du dispositif ARPPEGE 149

La séquence suivante illustre cette nouveauté du mode de ques-


tionnement :
Pl « moi j’ai une question, leurs problèmes, c’est des problèmes
d’orthographe, de grammaire, de vocabulaire ? »
Réponse de l’exposante
Pl reprend la parole « alors j’ai une 2e question, es-tu sûr qu’ils
savent travailler ? » Question écrite avant le début de la phase.
Réponse de l’exposante.
Puis relance Pl « je vais préciser ma question, les élèves savent-
ils ce qu’ils doivent faire quand ils sont à la maison ? » Question écrite
avant le début de la phase.
Cette transformation témoigne d’un premier niveau de processus
réflexif. Ce dernier se compose d’une part d’une décentration par intégration
de l’apport d’autrui et changement partiel et temporaire de la référence
d’analyse, et d’autre part d’une prise de recul se matérialisant par une
amorce de structuration du questionnement (progression dans la précision
de l’interrogation). Mais le nombre de registres reste cependant limité à ce
stade et chaque participant en aborde un ou deux seulement. De plus les
questions sont rédigées avant la réponse et la prise en compte du contenu
qu’apporte autrui n’est donc que partielle. Dans notre analyse filmée de la
séance n° 3 de la seconde année, nous mettons en évidence que cette straté-
gie d’organisation du questionnement n’est d’ailleurs pas encore consciente.
Cependant, le second palier correspond à l’entrée dans la pratique
réflexive telle que définie. Nous retrouvons en effet un premier niveau
d’approche multiréfléchie et un dépassement conscient du stade du
réfléchissement. La construction reste encore individuelle et la perspective
de co-construction n’est pas encore organisatrice de l’intervention. En effet,
à ce stade, l’approche multiréfléchie reste limitée, car si le questionnement
« s’ouvre à l’autre » il n’est produit que dans une logique d’information et pas
encore d’enrichissement de l’analyse par l’analyse de l’autre (multiplication
des sources d’analyse [domaine, interlocuteur] ni par recul sur sa propre
analyse [méta réflexion].
Le troisième palier regroupe dans ses contenus la plupart des éléments
constitutifs de la pratique réflexive telle que définie. On constate en effet
que le mode de questionnement répond désormais à une stratégie. Ainsi, les
questions s’organisent en séries cohérentes et dans lesquelles les mini-relances
sont au service de l’approfondissement de la réponse. Cette cohérence se mani-
feste clairement dans l’attitude du participant qui pose les questions, la série
s’arrête en effet avec l’apparition d’une réponse, les approbations de la tête, et
parfois verbales, témoignent de la satisfaction d’avoir obtenu une information
150 Construire une pratique réflexive

recherchée. Cependant, ces cohérences ne semblent pas s’organiser autour


d’une stratégie qui relie l’ensemble des séries de questions. L’analyse est à ce
stade structurée à partir de l’étude juxtaposée de domaines de questionnement.
La  perspective systémique se développe à l’intérieur d’une dimension, mais
pas lors du questionnement entre les dimensions.
On notera aussi que les séries de questionnement s’organisent
autour d’une stratégie « d’entonnoir » qui vise au départ, par des questions
ouvertes, à laisser une liberté d’expression à l’exposant, puis le questionne-
ment se précise jusqu’à devenir fermé. La séquence suivante, extraite de
la séance 4 de la seconde année, illustre cette stratégie :

Les élèves ont-ils fait des remarques sur le changement d’attitude du


professeur ? Sur le mode de fonctionnement ?

Puis

Y a-t-il des témoignages de satisfaction du fait du changement ?

On perçoit ici en effet que la question initiale par l’usage du terme


« remarque » puis des deux variables « changement d’attitude » et « mode
de fonctionnement » est ouverte puis se précise par une proposition de
ce que peuvent être ces « remarques », c’est-à-dire des « témoignages de
satisfaction ».
Ou encore dans la séquence suivante avec un enchaînement question
ouverte/réponse/question fermée :

Quels sont ton comportement et ta réponse devant les élèves quand


cela part dans tous les sens ?

Puis

Est-ce qu’il y a des sanctions ou est-ce qu’il n’y en a pas ?

La mise en place de ces stratégies atteste selon nous de l’appari-


tion d’une démarche consciente pour enrichir l’analyse de la réflexion de
l’autre. La présence de questions ouvertes alors que des pistes sont déjà
potentiellement envisagées [questions fermées] est un témoin probable de la
volonté de ne pas limiter l’analyse à ses propres références et à un contenu
attendu. L’approche est ici alors multiréfléchie, nous n’avons cependant
pas d’indicateur nous permettant de valider la présence d’une intention de
co-construction dans ce type de processus. L’approche multiréfléchie n’est
peut-être encore à ce stade qu’un moyen d’enrichir sa propre compréhen-
Former un praticien réflexif : effets du dispositif ARPPEGE 151

sion et pas forcément celle d’autrui pour lui ou le groupe. Les stratégies de
questionnement ne sont pas révélatrices de la composante métaréflexive
de l’approche multiréfléchie. En effet, si l’on constate la mise en système
des contenus à l’intérieur des registres et domaines, l’interaction avec les
autres domaines qui constitue un niveau de l’approche de la complexité
[figure 1.7] n’est pas lisible dans les questionnements. De ce point de vue,
le questionnement demeure multidimensionnel et non encore multiréfléchi.
L’évolution du mode de questionnement traduit donc l’entrée dans
la pratique réflexive du fait de la participation au module, cependant l’en-
semble des caractéristiques de cette pratique ne sont pas encore réunies
ici, notamment les cadres temporaires d’analyse qui ne semblent pas issus
de la structuration de connaissances préexistantes ni mobilisables de façon
systématique ou durable.
L’analyse du mode de questionnement permet donc d’affirmer que
le déclenchement de la pratique réflexive semble réalisé, mais qu’il ne s’agit
que d’un stade initial c’est-à-dire d’un premier niveau de décentration, de
prise de recul et de co-construction et l’ensemble des éléments de l’approche
multiréfléchie n’apparaît pas dans le registre du questionnement.
L’analyse des transformations des stratégies d’analyse et de modé-
lisation qui suit renforcera en grande partie cette interprétation.

Transformation de l’analyse et de la modélisation


de la compréhension qui en découle
La deuxième partie du protocole d’ARPPEGE débute par une
séquence [phase 6] de travail en petit groupe [2, 3 ou 4] et a pour contenu
la construction d’un modèle de compréhension de la situation exposée57.
Ce moment constitue la deuxième étape essentielle du dispositif, car c’est
à partir d’elle que les démarches de co-construction peuvent s’enclencher
le plus facilement [tableau 4.1], mais aussi que le degré de prise en compte
de la complexité apparaît de façon visible. Le tableau 5.3 synthétise les don-
nées relatives à l’évolution du profil des participants dans le domaine de la
modélisation et donc de la compréhension. Nous en détaillerons le contenu
à travers une analyse et des illustrations dans la suite de cette partie.
Le profil initial se caractérise par une approche juxtapositive des élé-
ments de compréhension du récit. La logique de système n’est pas présente
dans l’analyse bien que les remarques réalisées par les participants de la
seconde année témoignent du souhait de « faire des liens », mais que l’absence
d’outils rend impossible cette volonté. La compréhension de la situation se

57. L’enrichissement des modes d’analyse est aussi visible dans la phase  5 lors de la pré-
sentation du décalage entre les phases 2 et 4.
152 Construire une pratique réflexive

limite à une série de phénomènes simples et indépendants liant une cause à


un effet. Le lien causal simple se structure à partir de contenus chronologiques
organisés en microstructures. À ce stade, les participants ne semblent pas
disposer de cadres leur permettant de dépasser une analyse simple, c’est-
à-dire monoparamétrique, de la compréhension. Ce profil correspond au non-
dépassement d’une approche causale simple par registre et est illustré par
les stades non complexes de l’approche multiréfléchie [figures 1.3 et 1.5].
Le premier palier permet d’entrevoir une évolution de ce profil vers
une approche plus systémique. Cet enrichissement de l’analyse est rendu
possible par l’augmentation du nombre de registres explorés [2 à 3]. Nous
avons vu que ces registres étaient limités à un ou deux par participant lors de
la phase de questionnement, l’augmentation témoigne ici d’un effet de mutua-
lisation des analyses. Il y a donc à ce stade un premier effet de collaboration
qui se traduit par la mise en commun des analyses et donc l’étude collective
de chacun des contenus. Cependant, cette mise en commun ne dépasse pas
à ce stade la juxtaposition des apports individuels et la modélisation qui en
découle traduit la volonté d’une compréhension systémique, mais organisée
autour d’analyses temporairement indépendantes. Cette juxtaposition ne
correspond donc pas non plus à l’approche multiréfléchie telle que définie.
Pour illustrer ce premier palier, nous présentons ici les modèles
réalisés par deux groupes de participant lors d’une séance 2. Ces modèles
sont réalisés lors de la phase  6 et ont pour objet d’analyse la situation
initiale qui suit. Pour augmenter la cohérence et la continuité de notre
propos, nous reprenons la situation initiale utilisée lors de l’explication de
l’approche multiréfléchie [cf. point 4.3]. Cette situation initiale est la matière
proposée par l’exposant lors de la phase 1 du dispositif, nous reproduisons
ici les propos du participant lors de cette phase et que nous avions déjà
présentés dans le point 4.3 du chapitre 1 :

Le problème que j’ai repose sur un constat, un élève de classe de 4e


présente aux évaluations certificatives des résultats qui ne sont pas en cohé-
rence avec le travail fourni en classe. En effet, lors des séquences de travail
accompagné réalisées en classe avec l’enseignant, l’élève fait preuve de
concentration et de pugnacité traduisant une motivation. Les évaluations
formatives produites en cours de séance permettent de faire l’hypothèse que
ces efforts fournis sont à l’origine de sa réussite et de sa compréhension.
Cependant, lors des évaluations sommatives et certificatives hebdomadaires,
ce même élève n’obtient que de très mauvais résultats. Il semble ne pas s’être
préparé et donne même l’impression d’avoir oublié ce qu’il réussissait à faire
avant en cours dans la semaine. Je lui demande régulièrement s’il travaille
chez lui, mais vraisemblablement non. Cet élève est considéré comme « pas
travailleur » par mes autres collègues.
Année 07-08 Séance d’apparition Année 08-09 Séance d’apparition

– Linéaire cause-effet – Volonté mais impossibilité


Profils – Micro structure chronologique de renter dans une lecture
S1 S1
initiaux – Juxtaposition des hypothèses systémique
– Juxtaposition des hypothèses

– Systémique mais nombre – Systémique, basée sur micro


de registre limité [2 ou 3] structure chronologique
Palier n° 1 S2-S3 S2
– Systémique, basée sur micro et portant sur 2 ou 3 registres.
structure chronologique

– Systémique avec nombre – Systémique avec nombre


de registres en augmentation de registres en augmentation
[4 ou 5] [4 ou 5]
Palier n° 2 – Systémique, équilibre entre les S3-S4 – Systémique, équilibre entre les S3
microstructures chronologiques microstructures chronologiques
et les boucles d’influences et les boucles d’influences
rétroactives ou réciproques rétroactives ou réciproques

– Présence dominante – Présence dominante


des influences réciproques des influences réciproques
et de modélisation par palier

et rétroactives et rétroactives
– Choix d’évaluation – Choix d’évaluation
de l’importance des influences de l’importance des influences
permettant la conception permettant la conception
Palier n° 3 S5 S4-S5
de plusieurs modèles d’analyse de plusieurs modèles d’analyse
systémique, comparés, systémique, comparé, critiqué.
Former un praticien réflexif : effets du dispositif ARPPEGE

critiqués. – capacité spontanée mais


inorganisée à la méta-analyse
Tableau 5.3. Évolution des modes d’analyse, de compréhension

– Centration prioritaire
de l’analyse sur l’enseignant.
153
154 Construire une pratique réflexive

On notera que certaines dimensions des modèles ne sont pas pré-


sentes dans ce récit initial. Elles sont ajoutées à la suite de la phase  3
de questionnement et des apports complémentaires opérés par l’exposant.

Figure 5.2. Exemple de modèle de compréhension


avec juxtaposition des domaines

NB : Ce champ est lié à la relance


de l’animateur

Abandon du soutien
En 4ème test hebdomadaire
de l’Institution
En 5ème travail supplémentaire

Complémentarité
Groupe
Remise en cause de contenu
autorité maison/classe
du professeur

Constat de départ :
Manque de travail
personnel à la maison

Effet miroir
Réunion
parents/professeurs Différence de comportement
renforce l’hypothèse maison/classe et des résultats
qui en découlent

N.B. : Les variations de gris reprennent les variations de couleur (bleu, noir, vert et rouge à l’origine) proposées
par les participants.

Dans cette modélisation, plusieurs éléments de compréhension sont


proposés, mais juxtaposés :

– performance du travail scolaire (tests hebdomadaires et comparai-


son des classes de 4e et de 5e),
– rapport psychologique au travail (différence de comportement
classe/maison),
– rapport du groupe classe à l’enseignant et au travail et rapport des
enseignants à l’élève.

Si chacun de ces éléments éclaire la situation de façon indépendante,


la perspective systémique qui les unirait est absente. Ce premier palier
de compréhension n’est donc pas inscrit dans la perspective complexe de
l’approche multiréfléchie. La réflexion permet de sortir de la phase réactive
Former un praticien réflexif : effets du dispositif ARPPEGE 155

du réfléchissement, mais pas de donner une « profondeur » importante d’ana-


lyse à travers par exemple l’évaluation du poids de chacun des éléments
ou l’émergence de la pensée liant les éléments épars.
Cependant, l’on constate tout de même à ce niveau un gain en pro-
fondeur d’analyse, et ce à travers l’approfondissement des registres analysés.
Ainsi, alors que les structures initiales étaient limitées à une cause simple et
un effet simple nous constatons qu’il y a démultiplication de ces dernières dans
ce palier. Dans l’illustration précédente, on constate en effet que les pistes
explicatives sont multiples, mais cet approfondissement peut aussi se traduire
par un allongement de la chaîne chronologique et ainsi la démultiplication des
causes en série. Ce processus est visible dans le modèle suivant qui a été réalisé
par le second groupe lors de la même séance pour la situation initiale exposée.

Figure 5.3. Exemple de modèle de compréhension


avec structure chronologique simple

Manque de suivi
et de motivation
à la maison « Remédiation »
terme proposé par l’animateur

Manque de travail
Plus de travail
à la maison

Situation initiale :
Participation positive P2 bilan général
Mini-contrôle Échec
en cours, mais échec en fin de séance
à l’évaluation
Ou =
divergence P1-P2

P1 Un cours
de préparation pour
réussir l’évaluation
NB : Les variations de gris reprennent les variations de couleur (b1eu, noir, vert et rouge à l’origine) proposées
par les participants.

On perçoit dans la comparaison de ces modèles, la diversité des


compréhensions, mais cette comparaison traduit cependant un niveau similaire
d’analyse. La volonté d’organisation en système apparaît, mais ne semble pas à
ce stade rendue possible du fait de l’absence de maîtrise des outils d’analyse
systémique et d’une prise en compte de la complexité. À ce stade, ce qui est
pris en compte est le « compliqué » et non le « complexe ». Comme pour le
palier 2 du mode de questionnement, nous constatons une amorce de proces-
sus de décentration (mutualisation des apports et enrichissement des proces-
sus d’explication à travers 2 ou 3 domaines identifiés) et d’une prise de recul/
approfondissement en système simple (juxtaposé ou chronologie allongée).
156 Construire une pratique réflexive

Ce n’est que dans le palier suivant (2) que cette amorce se matéria-
lise par une transformation nette des productions. Ainsi, l’augmentation du
nombre des registres intégrés au modèle (4 ou 5) s’effectue à la fois à partir
d’un processus de mutualisation des analyses et du positionnement éventuel
de nouveaux registres à partir de l’échange. Il  s’agit dans ce cas d’un réel
processus de co-construction dans lequel les échanges et les questionnements
entre membres du groupe sont relancés au profit d’un approfondissement
collectif de la compréhension. La transformation du mode d’analyse est aussi
visible dans le modèle final qui inclut désormais à ce stade des éléments de
l’approche complexe. L’apparition systématique, dans l’ensemble des modélisa-
tions réalisées lors des séances 3 et 4 des deux années, de boucles d’influence
de type rétroactif ou de réciprocité traduit cette entrée dans la complexité.
Cette apparition est la conséquence d’une amplification des processus de prise
de recul (approfondissement) et de décentration (approche multiréfléchie).
Cependant à ce stade les structures chronologiques restent très présentes
(la moitié des liens) et constituent l’ossature centrale du modèle de compré-
hension c’est-à-dire sont conçues en premier et l’enrichissement complexe
est ajouté à la suite des échanges. Dans ce palier, un équilibre s’établit entre
les structures chronologiques et synchroniques.
Le dernier palier que l’on constate laisse apparaître une évolution
complémentaire qui se traduit par la présence majoritaire des liens de type
complexe (rétroaction, réciprocité). Les perspectives multiples qu’offre
l’échange en groupe sont débattues et le modèle final traduit l’évaluation
de la pondération de chacun des apports et de la pertinence des synthèses
produites. Ce niveau d’analyse constitue un processus collectif d’approche
multiréfléchie dans laquelle les décentrations sont tout autant liées aux déca-
lages internes qu’à ceux de nature externe. Pour parvenir à ces modèles
coconstruits, les participants passent par des activités de redéfinition des
termes employés, parfois les divergences de définition et de compréhen-
sion sont telles que plusieurs options de modélisation sont alors produites.
L’apparition de ces divergences est parfois accompagnée de la justification
des références qui les fondent. Cette analyse de la logique de construction
de la compréhension correspond au processus même de l’approche multiré-
fléchie. Cependant, cette analyse qui met en perspective la réflexion et ses
références n’est pas systématique. Nous avons donc une trace d’approche
multiréfléchie, mais qui reste à ce stade encore partielle ou tout du moins non
systématique et non partagée par tous. Ce caractère systématique faisait partie
de notre définition du praticien réflexif et les modélisations traduisent donc
une entrée encore inachevée dans cette pratique. De plus, on constate que
la présentation des modèles de chaque groupe lors de la phase 7 donne lieu
à des échanges constructifs qui permettent parfois de faire évoluer les pro-
positions. Cette nouvelle perspective qui apparaît seulement dans le palier 3,
valide l’entrée dans le paradigme de l’incertitude par l’acceptation de la perti-
Former un praticien réflexif : effets du dispositif ARPPEGE 157

nence de modèles d’explication différents des siens pour une même situation.
L’intervention suivante de l’exposante témoigne de ce processus : « c’est pour
ça que la dernière fois que vous avez fait votre schéma avec [nom d’un
autre participant] (phase 6) quand on l’a complété (phase 7), pour moi
c’était tout, et un schéma aussi valable ». Cette acceptation de la complexité
et de l’incertitude qui en découle traduite aussi un élément de l’approche
multiréfléchie, car la dimension subjective de l’analyse (analyse référencée)
est acceptée et permet de reconnaître la validité potentielle de deux propo-
sitions qui pourtant ne sont pas porteuses du même contenu. L’appropriation
du langage de l’analyse systémique et complexe est aussi manifeste et se
traduit par l’usage spontané dans les modélisations des termes propres à cette
approche58. Cependant, les analyses produites prennent toutes pour point de
référence l’enseignant acteur de la situation exposée. Les références multiples
n’apparaissent que comme des déclinaisons de la référence de l’enseignant.
À  titre d’illustration, les participants construisent leurs analyses à partir de
leur point de vue d’enseignant, ces points de vue s’enrichissent lors des
échanges, car les participants n’ont pas les mêmes conceptions de leur pro-
fession. Mais jamais n’apparaît dans la réflexion de manifestation explicite
du passage au point de vue des autres acteurs. Dans notre situation initiale,
cela pourrait se traduire par une exploration des motifs de l’élève dans une
perspective subjective d’élève ou encore de celle des parents. L’investigation
demeure limitée à ou par la focale de l’enseignant. Cette limite temporaire
de la perspective multiréfléchie sera étudiée par la suite.
Enfin, nous constatons à ce stade l’apparition spontanée de réflexions
de type méta-analyse59. Ces dernières ne sont pas systématiques et leur
contenu est à ce stade réactif, seule la phase 8 est censée permettre l’ex-
pression de ce type de contenu. Les participants, par leurs interventions
de type méta, témoignent d’un niveau supérieur de décentration et réflé-
chissent cette fois non plus la compréhension du récit, mais leur propre
démarche d’analyse. Ce type d’intervention, bien que visible chez seulement
la moitié des participants, est une trace d’une forme explicite d’approche
multiréfléchie puisque concevant l’analyse comme objet d’analyse.
Le modèle suivant (figure  5.4) illustre le palier n°  3, il est extrait
de la dernière séance de la deuxième année de mise en place du dispositif.
Ce modèle est en deux parties, le calque (figure  5.5) ayant été ajouté, à
l’issue de la construction du premier modèle, et en réponse à la difficulté
de traduire un certain nombre d’éléments d’analyse. Il est à noter que ce
calque a été produit lors d’un dépassement de la durée théorique de la
phase (30 minutes) à la demande des stagiaires.

58. La légende de la modélisation présentée ci-après illustre cette appropriation.


59. Ces réflexions sont de plusieurs types  : surprise de la capacité à produire de telle
réflexion, validation du protocole ou encore suggestion de modification du protocole.
158

Groupe classe

Modèle
de l’élève élève – élève enseignant
en rupture

Défaut Échec scolaire


d’autorité
Situation

Élève en
Défaut rupture Exclusion
Construire une pratique réflexive

d’autorité

culturelles
Influences
Suivi social

Défaut d’autorité
Difficultés
produit lors de la phase 6 (séance 5)

linguistiques
Figure 5.4. Modèle complexe de compréhension

CPE
Collège prof –équipe
Falep, éducateur, assistante sociale dispositifs d’aide

INSTITUT
enseignant

Différenciation didactique
Maintien des efforts pédagogique

reconnaissance
Mise en confiance

Élève en réussite
participation
Légende des deux schémas :

Conséquences =
Changement d’attitude
Influence =
produit lors de la phase 6 (séance 5)

Influence réciproque =
Former un praticien réflexif : effets du dispositif ARPPEGE

Figure 5.5. Complément du modèle de compréhension

Fait appel =
159

N.B. : calque rajouté après discussion avec l’animateur sur la difficulté à placer une dimension supplémentaire au modèle précédent
160 Construire une pratique réflexive

La situation initiale présentée lors de la phase 1 est la suivante :

J’ai dans ma classe un élève qui présente de grandes difficultés à la


fois de comportement et d’apprentissage. Il maîtrise mal la langue, car il est
d’origine étrangère, il est très en retard et encore plus dans ma matière le
français. Personne n’a de prise sur lui, ni moi, ni mes collègues qui disent
que cela ne sert à rien de s’user avec lui. Je débute dans le métier et je ne
veux pas lâcher. Mais le problème c’est qu’il s’exclue et qu’il est rejeté aussi
par les autres élèves, ce n’est pas le bouc émissaire parce qu’il joue le dur ; du
coup les autres élèves se plaignent auprès de moi sans lui dire directement.
Il est suivi par une assistante sociale et d’autres services, je crois, mais ça ne
change rien il est en échec partout. J’essaye de m’accrocher et des fois ça
marche quand je le prends à part, mais c’est rare. Il réussit parfois et lorsqu’il
semble en confiance. Il a des raisonnements qui me surprennent parfois. »

Ce récit est complété par les nombreuses réponses apportées lors


de la phase 3 de questionnement.
La singularité de cette modélisation réside dans la nouveauté de l’un de
ses contenus. On constate en effet que dans la figure 5.4 un thème est récur-
rent, celui du « défaut d’autorité ». Il constitue un élément qui lie les structures
qui étaient disjointes dans les paliers précédents. Ce point constitue une sorte
de problématique de la situation. Dewey évoquait pour ce stade et ce type de
production le caractère unifié et sous contrôle de la situation. Si nous pensons
que le terme de contrôle n’est pas approprié, nous concevons qu’effectivement
le caractère unifié traduit une nouvelle lisibilité de la complexité. Si elle ne peut
prétendre être une photographie fidèle, elle ouvre les chemins de l’acceptation
de la complexité en tant qu’élément constitutif des pratiques. On perçoit dans
cette perspective l’ouverture vers les logiques d’action sans passer toutefois par
la logique de résolution. Une analyse plus fine de la figure 5.4 montre la richesse
des domaines explorés : domaine de la famille entrevue sous l’angle culturel et
social, intervention des institutions et connexion entre elles, structuration de la
communication en classe et des dynamiques de groupe ainsi que les effets liés
aux problèmes identifiés. Chacun de ces registres de compréhension se struc-
ture autour de modèles systémiques dans lesquels on retrouve différents types
de liens (réciprocité, sollicite, influence, conséquence) incarnés par la légende
des deux figures se trouvant sur la figure 5.5. Le calque (figure 5.5) permet de
montrer le caractère multiréfléchie de l’analyse produite. En effet, les échanges
ont abouti dans un premier temps à la modélisation de la figure 5.4, mais les
participants du groupe constatent que de nombreux éléments du récit et des
échanges n’y apparaissent pas et notamment tous ceux relatifs aux réussites de
l’enseignante avec l’élève. Le calque, lorsqu’on le superpose à la première figure
traduit un élément central de l’approche multiréfléchie, à savoir la pondération
et l’évaluation du poids des analyses. Dans le cas étudié, les participants se
rendent compte que lorsque l’enseignant construit un espace de reconnaissance
Former un praticien réflexif : effets du dispositif ARPPEGE 161

de l’élève ce dernier est en réussite. Dans la figure 5.5, la question de la recon-


naissance annule (on place le calque au-dessus) les conséquences négatives de
la figure 5.4. Ainsi l’échec scolaire, l’exclusion sont remplacés par une mise en
confiance, une participation et un changement d’attitude. Or cet élément n’était
pas perceptible dans le récit initial. Seul le travail collectif d’interrogation et
de remise en perspective des éléments hétérogènes a permis de faire émerger
cette dimension « invisible » de la situation. L’approche multiréfléchie apparaît
ici sous sa forme presque complète (les éléments individuels de l’analyse de
ses propres démarches n’apparaissent pas dans la production collective). La
multiplication des points de référence et des échanges incluant les points de
vue subjectifs a permis l’émergence d’une compréhension complexe fondée sur
une évaluation du poids des éléments de la situation et des différentes com-
préhensions des participants ainsi que sur une lecture problématique mettant
en tension des éléments apparemment dialectiquement insociables. En d’autres
termes, les réussites obtenues par la reconnaissance ne sont attribuées par les
participants qu’à l’existence d’un système fort de défaut d’autorité qui pourrait
paraître au départ en contradiction avec cette réussite. Dans ce cas de figure,
la dissonance créée par les informations est intégrée à l’analyse pour produire
une compréhension globale. Cette intégration des éléments dissonants traduit
la perspective multiréfléchie en ce sens qu’elle est une acceptation de l’éclai-
rage différent allant jusqu’à l’intégration dans un niveau dialectique supérieur.
Dans les paliers précédents au contraire, les dissonances étaient évitées par
l’adoption de compréhensions causales simples.
Les évolutions relatives aux stratégies de questionnement et de
modélisation traduisent une entrée dans l’approche multiréfléchie bien que
cette dernière demeure parfois partielle et non systématique. La pratique
réflexive telle que nous l’avons définie en serait à un stade initial en cohé-
rence avec nos stratégies de transition. D’autres processus qui apparaissent
sont aussi de nature à traduire une évolution significative du profil des
participants au gré de leur participation au module ARPPEGE.

Apparition de processus cognitifs singuliers


Lors des deux années d’expérimentation du dispositif, nous avons
constaté un phénomène assez fréquent qui apparaît à partir des séances 3 et
4 et se poursuit lors de la cinquième séance. À partir de ce phénomène, nous
avons inféré l’existence d’un processus cognitif singulier. De façon récurrente,
ont émergé au cours des différentes phases du dispositif de formation, des
prises de conscience soudaines (compréhensions ou interrogations) de la part
des participants. Ces prises de conscience apparaissaient alors que les sujets
sont en train de réaliser une autre tâche (écriture, présentation de modélisa-
tion, échange oral…) et portent sur des objets différents de ceux de la tâche
consciente, mais restent en lien avec la compréhension de la situation. La pos-
sibilité même de l’existence de ce type de processus cognitifs en  parallèle est
162 Construire une pratique réflexive

de nature à permettre l’enrichissement de la réflexion sur la pratique réflexive.


L’une des interrogations qui animent le débat entre chercheurs sur la question
du praticien réflexif est en effet relative au lien entre réflexion sur l’action et
réflexion dans l’action. Comme nous l’avons vu précédemment Saint-Arnaud
défend par exemple l’idée d’une différence de nature entre ces deux types de
réflexion et affirme que le développement des capacités de l’une n’a pas de
lien direct avec l’autre (Saint-Arnaud, 2001) s’il n’est pas médié par la mise en
situation en formation. Au contraire, dans le processus que nous constatons,
nous pouvons émettre l’hypothèse de l’existence d’un ou plusieurs processus
réflexifs non conscients au cours de l’action. Il se déroulerait en parallèle d’un
autre qui lui serait conscient, et qui consisterait en l’activité prioritaire et obser-
vable (dont une part d’activité cognitive). Cette coexistence serait le fondement
d’un lien possible entre réflexion dans l’action et sur l’action en une même
séquence temporelle. Il existerait ainsi la possibilité d’une réflexion sur l’action
qui soit inconsciente jusqu’à l’émergence d’une prise de conscience soudaine et
qui transformerait le processus alors en un traitement sous forme de réflexion
dans l’action prioritaire. Ce type de processus est en partie étudié par Piaget
dans son ouvrage de 1974 intitulé « La prise de conscience ».
Mais plusieurs limites apparaissent par rapport à cette interprétation.
Nous sommes en effet partis du principe que la situation d’activité dans le
dispositif pouvait être assimilée à celle de l’activité professionnelle, or les
contextes de l’activité diffèrent. Ils sont définis par plusieurs paramètres, tels
que la pression temporelle, les contraintes pédagogiques ou institutionnelles,
et Saint-Arnaud (2001) parle à ce sujet de situations menaçantes dans le cas
de l’intervention en enseignement. Ces différences d’environnement de l’acti-
vité pourraient invalider la possibilité de l’existence de ce processus cognitif
parallèle en situation fortement contrainte. La charge affective pourrait par
exemple être de nature à empêcher le développement de tous les processus
autres que celui de la réflexion dans l’action prioritaire. Cette interprétation
nous semble donc pour l’instant pertinente dans le cadre du dispositif que
nous mettons en place et pourrait faire l’objet de poursuite de la recherche.
On trouve dans la bibliographie des traces d’observations similaires à la nôtre.
Ainsi, on peut lire : « En cours d’action, comme personnes accompagna-
trices, il nous arrive de constater que certains individus ont des déclics
métacognitifs, c’est-à-dire “une prise de conscience de certains éléments
de sa démarche mentale en cours d’action” (Lafortune, Jacob et Hebert,
2000, p. 28) » (Lafortune et Deaudelin, 2001, p. 42). Si, dans ce cas, le pro-
cessus porte sur une analyse méta, il n’en demeure pas moins qu’il témoigne
de l’existence de processus inconscients orientés vers la réflexion sur l’action.
Pour approfondir la compréhension de ce phénomène, nous avons pro-
cédé à un travail d’enquête et d’entretien avec les acteurs après le visionnage
de séquences filmées qui comportaient ce type de processus. Les réponses
des participants convergent, par exemple lors de la séquence d’analyse avec
Former un praticien réflexif : effets du dispositif ARPPEGE 163

visionnage, sur le fait que ces prises de conscience ne sont pas l’objet d’une
rationalisation de l’analyse, mais plutôt une émergence incontrôlée. Une partici-
pante affirme ainsi lors de l’entretien après visionnage que « c’est plus un flash
que de la réflexion aboutie ». Les participants soulignent aussi que le travail
de modélisation et la variation des formes de supports de réflexion favorisent
ce type d’émergence. Ainsi, ils affirment par exemple que lors des phases  6
et 7 le passage au tableau pour présenter son modèle permet une mise à dis-
tance constructive. Les témoignages suivants attestent de cette analyse. Par
exemple, pour une exposante, la formalisation au tableau a permis une « prise
de recul accélérée », une autre participante affirme qu’« une fois le schéma
global vu au tableau, d’autres pistes se sont imposées » et enfin pour une
dernière participante « le fait d’utiliser un autre support […] pour expli-
citer mon point de vue a déclenché la modification ». Un autre témoignage
renforce notre interprétation de l’existence de ce processus parallèle lors de
la variation des supports. Lors d’une tâche d’écriture (phase 4)60, une partici-
pante demande soudainement si elle peut poser une question supplémentaire
à l’exposante. Dans ce cas de figure, les deux processus peuvent apparaître
soit de façon simultanée soit dans une alternance très courte permettant un
effet macroscopique de simultanéité. Interrogée lors de la séance d’entretien
après visionnage sur l’origine de sa demande de précision, la participante
déclare qu’elle a pris « conscience d’un fait en particulier  : le problème
de sanction ». Ces témoignages et les séquences que nous avons analysées
nous permettent d’affirmer que le double processus se met en place lorsque
les acteurs se livrent à une activité formalisée par un support (écriture, for-
malisation de modèle) ou à partir d’un contenu préétabli (présentation de
synthèse) d’une analyse. Nous ne constatons en effet pas ce processus de prise
de conscience soudaine lors des échanges de type réactif, ils n’apparaissent
que lorsque l’activité n’est pas sous pression temporelle. Cette limite est de
nature à nous inciter à relativiser l’interprétation de la possible existence de ces
processus dans des situations de fortes pressions et d’urgence. Cependant,
l’ensemble de l’intervention professionnelle ne se résume pas à ces situations
sous forte pression temporelle et il nous semble alors possible que ce processus
soit présent dans les autres situations. Compte tenu de l’absence de traces
de ces processus lors des premières séances, nous pouvons penser que le
dispositif est à l’origine du développement de ces schèmes cognitifs61. Dans ce
cas, la situation d’analyse en groupe, présente dans ARPPEGE, constituerait
un entraînement (Altet, 1996 ; Tardif, Lessard et Gauthier, 1998 ; Perrenoud,

60. Les séquences d’écriture lors des phases 2 et 4 évoluent sensiblement sur la forme alors
que les premières séances laissent apparaître une écriture continue, on constate en fin
de module que l’écriture est entrecoupée de phases de réflexion qui peuvent durer
jusqu’à 1 minute.
61. Une autre piste d’interprétation serait que la nouveauté du dispositif inhibe lors des pre-
mières séances, ces schèmes déjà présents chez les participants.
164 Construire une pratique réflexive

1998a, 2001 ; Lamy, 2002 ; Fumat, Vincens et Étienne, 2003) ou une reproduc-
tion de la situation d’intervention de type de jeu de rôle faisant apparaître le
même système de contraintes (Saint-Arnaud, 2003).
L’existence potentielle de ces processus est aussi à mettre en lien
avec l’approche multiréfléchie. Les résultats que nous obtenons montrent
que le contenu de ce processus est relatif à un autre domaine que celui
qui est au cœur de la tâche prioritaire consciente. Ce processus parallèle
s’exerce donc à propos d’un contenu porteur d’une dimension autre, il s’agi-
rait par exemple de présenter un élément relatif aux dynamiques psycho-
sociales de la classe et de voir apparaître un élément soudain relatif au rôle
de l’institution ou de la famille. Cette possibilité de penser le multiple autour
d’une situation pourtant unique et à terme réunifiée dans la complexité,
cette perspective d’émergence du différent sans dissonance est au cœur de
la logique systémique et critique de l’approche multiréfléchie.

Une analyse pluridimensionnelle,


mais une perspective multiréfléchie encore limitée
Les points précédents ont permis de mettre en évidence que le
dispositif semblait à l’origine d’une modification des modes de réflexion et
en conséquence d’analyse des pratiques. Si nous avons conditionné l’amé-
lioration de la professionnalisation à ce type de transformation, l’approche
multiréfléchie que nous avons définie n’est pas limitée dans le degré d’appro-
fondissement. Ainsi, nous avons affirmé à ce sujet qu’il s’agissait de déve-
lopper un niveau optimal d’analyse de la complexité, c’est-à-dire permettant
d’orienter et penser les transformations de la pratique.
Les observations précédentes montrent que le niveau d’analyse,
développé lors du module ARPPEGE, s’inscrit dans un nouveau rapport à
la complexité (cf. transformation du mode de questionnement et transfor-
mation de la modélisation), mais qui reste cependant limité dans son degré
d’approfondissement. Cette limite se matérialise dans trois domaines.
Le premier est relatif aux cadres de référence. En effet, dans les
quatrièmes et cinquièmes séances, qui sont celles où le plus haut niveau
d’analyse est développé, nous avons constaté que l’angle d’analyse demeure
limité à la référence de l’enseignant. Si la décentration existe, elle se limite
à « ce que pourrait faire, dire, comprendre un autre enseignant dans cette
situation ». La perspective est donc déjà multiréfléchie, mais limitée. Nous
n’avons aucune trace d’interrogations ou de déplacements de l’angle de vue
de l’analyse centrale et cette dernière retombe systématiquement sur ce que
l’enseignant a fait. Si ce phénomène traduit le désir de modifier sa pratique,
il est aussi révélateur d’un rapport autoréférencé à la pratique et peut-être
d’un maintien, même affaibli, dans le paradigme de l’expertise, d’un idéal de
maîtrise (toute puissance de l’enseignant). Parfois, à la périphérie de l’ana-
lyse est envisagé ce que peuvent être les représentations des autres acteurs
Former un praticien réflexif : effets du dispositif ARPPEGE 165

(élève(s), parent(s), CPE, chef d’établissement), mais jamais comme élément


central de l’analyse. La modélisation que nous avons présentée précédemment
laisse apparaître ces perspectives (élève au centre), mais a été réalisée, à la
demande des participants, dans un temps plus long que la durée prévue dans
le cadre original. Ce point de référence « unique » ou « central » de l’ensei-
gnant nous semble donc attester d’une limite du degré de développement
de l’approche multiréfléchie qui traduit cependant un gain en décentration.
Le deuxième domaine traduisant une limite de l’approche multi-
réfléchie est celui de la mobilisation des savoirs théoriques. À aucun moment,
il n’est fait référence explicitement, lors de l’analyse, aux savoirs savants
théoriques acquis/construits au cours de la formation ou précédemment.
Par contre, la référence aux savoirs de la pratique apparaît parfois. Elle est
majoritairement issue de l’expérience propre du participant et parfois (assez
rarement) de l’observation ou de l’échange avec un formateur (principalement
le conseiller pédagogique ou professeur référent). Nous pouvons cependant
noter que lors de la première année d’expérimentation, à la moitié du module,
les participants ont interrogé l’animateur lors de la phase 8 sur la nature des
cadres d’analyses qu’il utilisait lui-même pour procéder à la relance du ques-
tionnement et à ses interventions lors de l’accompagnement des phases de
modélisation. L’échange qui a suivi a abouti à la demande par les participants
d’un cadre d’analyse qui mentionne les registres scientifiques utilisables pour
enrichir l’analyse62. Si nous n’avons pas accédé à cette demande dans le cadre
du dispositif, nous pensons que cet échange témoigne du besoin ressenti de
construire des cadres formels d’analyse pour structurer l’approche de l’expé-
rience. Ce profil de demande atteste aussi d’une évolution par rapport aux
attentes initiales qui étaient orientées par une certaine réticence face aux
apports théoriques (CNE, 2001). Cependant, la maîtrise de cadres efficients
nous paraît en cohérence avec le pragmatisme (Rayou et Van Zanten, 2004)
et le souci d’économie cognitive qui en découle (Roux-Ferez, 2004).
De prime abord, le constat de cette absence de référence semble
remettre en cause la capacité du dispositif à créer du lien entre les diffé-
rents types de savoirs. Il est possible d’émettre l’hypothèse qu’à ce stade
initial de développement de la pratique réflexive la perspective d’éclairage
de la pratique par les savoirs professionnels est déjà riche, prend du sens
pour le praticien et est en conséquence le registre prioritairement mobilisé.
Les études réalisées quant aux préoccupations des enseignants débutants
montrent que les intérêts prioritaires sont orientés par la gestion du quotidien

62. Nous avons opté pour la diffusion d’un document simple (hors protocole et dans le
cadre d’autres modules de formation) illustrant un type d’approche algorithmique de
l’analyse. Ce document était volontairement réduit pour ne pas offrir de cadre « réfé-
rence unique » ou idéalisé. De plus, nous avions pris la précaution de préciser aux parti-
cipants que l’usage de ce cadre n’avait de pertinence qu’en regard des savoirs théoriques
et professionnels que nous maîtrisions nous-mêmes.
166 Construire une pratique réflexive

et la capacité à agir (Brau-Antony et Jourdain, 2004 ; Rayou et Van Zanten,


2004 ; Dubois, Gasparini et Petit, 2005). En d’autres termes, il semble que les
savoirs savants théoriques peuvent être une ressource mobilisable de façon
systématique et approfondie lorsque la pratique réflexive est elle-même une
activité systématique et durable (cf. notre définition de la pratique réflexive).
On précisera que le dispositif ARPPEGE contrairement à d’autres dispositifs
d’APP (SAPEA ou Saussez, Ewen et Girard, 2001) ne contient aucune phase
dédiée à la mobilisation ou la formalisation explicite des savoirs théoriques.
Cet élément participe probablement à expliquer le constat que nous réalisons.
Le dernier domaine est relatif à l’usage conscient de cadres d’analyse.
Nous ne relevons pas de traces (déclarations ou autres formes de mise en
mot) de cadre systématique de formalisation de la démarche. Seul le cadre
permettant de produire le contenu de la phase  563 semble maîtrisé et les
interrogations sur les domaines disparaissent au fur et à mesure du module.
Nous constatons en effet que la phase  5 se déroule « mécaniquement » lors
des séances  4 et 5 de N1 et N2, mais ce cadre n’est pas réutilisé de façon
systématique ou consciente pour les autres phases. Si la qualité (décentration
et prise de recul) s’est indéniablement développée, il semblerait que cela se
soit fait de façon inconsciente et sans volonté de rationaliser cette progression.
En synthèse, nous pouvons affirmer que le dispositif de formation
permet de développer la pratique réflexive, mais que ce développement est
limité. L’approche pluridimensionnelle demeure majoritaire au détriment de la
richesse d’une approche multiréférentielle ou plurielle. Cependant, l’inscription
globale dans une dynamique multiréfléchie nous semble être le témoin d’un
stade initial de la pratique réflexive qui est déjà porteur d’une transformation
importante du rapport du stagiaire à la complexité de son expérience.

Synthèse
Nous avons pu mettre en évidence que la participation des profes-
seurs stagiaires au dispositif ARPPEGE a pour conséquence la modification de
l’analyse qu’ils font de leurs pratiques (4 participants sur 9 au palier n°  3 et
9 sur 9 au palier n° 2). Ces modifications portent sur plusieurs dimensions des
stratégies de l’analyse. Ainsi, les interrogations, les modélisations de la compré-
hension, les champs de références utilisés évoluent tout au long du module.
Cette évolution témoigne d’un rapport nouveau à la complexité de
l’expérience. Les décalages produits et constatés semblent à la base
de processus de prise de recul et de décentration. Si le nouvel équilibre
entre l’implication et l’explication qui se construit apparaît comme porteur de
développement de la professionnalisation, nous ne pouvons, à partir de nos
résultats, inférer de transformations des pratiques effectives. Ce potentiel de
développement sera étudié à travers les données recueillies dans nos enquêtes.

63. Approfondissement, renforcement, transformation, domaines et éléments déclencheurs.


Former un praticien réflexif : effets du dispositif ARPPEGE 167

Si l’entrée dans une approche multiréfléchie semble attestée par les


résultats, il apparaît aussi que cette pratique est encore limitée. Les perspec-
tives demeurent centrées sur l’enseignant et la mobilisation des savoirs est
restreinte aux savoirs professionnels, et ce même au palier n°  3. La  phase
« méta » est à ce titre révélatrice d’une intention, désormais systématique, de
l’entrée dans l’approche réflexive, mais d’une inorganisation des cadres struc-
turant cette démarche64. Nous affirmons à ce stade que le dispositif ARPPEGE
participe au déclenchement de la pratique réflexive, mais que son dévelop-
pement reste encore limité et les participants n’ont pas encore forcément
conscience des processus qu’ils mettent en œuvre pour procéder à l’analyse.

2.1.2. Modification de la dynamique sociale :


vers la co-construction et le travail d’équipe
L’étude des comportements et attitudes observés lors des deux
années d’expérimentation servira à mettre en évidence les modifications
de la dynamique collective et individuelle constatées. Ces modifications
portent sur plusieurs dimensions, séparées pour l’analyse, mais s’inscrivant
dans une cohérence de profil global. Trois évolutions seront ainsi traitées :
les transformations de mode de communication, la transformation du regard
sur autrui et l’augmentation de l’engagement individuel.

Mode de communication : une augmentation


de la capacité à travailler en équipe
Nous avions émis l’hypothèse de la possibilité du développement
de la pratique réflexive à travers l’augmentation des capacités au travail
en équipe. La qualité de l’écoute et de la prise de parole apparaissait en
ce sens au centre de cette capacité et l’étude de ces éléments est un
révélateur potentiel de la transformation de cette capacité générale (Rey,
Carette, Defrance et Kahn, 2006). De façon globale, le dispositif permet
une transformation des modes de communication qui s’inscrit dans le sens
de l’amélioration de la capacité au travail en équipe. Cette appréciation se
fonde sur les éléments suivants.
Alors que l’on constate lors des deux premières séances (dominante
séance 1 pour année 2) que le mode de communication est réactif (parole
coupée, discussion en parallèle), le palier suivant (séances  2 et  3) laisse
place à une augmentation de l’attention à la parole d’autrui. Cet effet du
dispositif est assez net et se trouve illustré et validé par un phénomène
apparu aux séances 2 et 3 de la première année. Une participante absente
à la première séance se retrouve en décalage de construction des modes de

64. Inorganisation, mais attitude systématique que l’on constate aussi lors des séquences
méta non planifiées qui apparaissent au cours des phases 5 ou 6 par exemple.
168 Construire une pratique réflexive

communication ; ses interventions sont systématiquement sur le mode réactif


alors que, lors de la séance  3, les autres participants ont déjà dépassé ce
mode. Lors de la phase méta, ces autres participants, conscients du phé-
nomène, vont amener l’échange sur ce terrain en faisant part du décalage
qu’ils ont perçu entre les niveaux d’engagement dans la communication.
Bien qu’elles ne portent que sur un cas, il nous semble que ces postures sont
révélatrices des transformations et l’on constatera que lors de la séance  4
cette participante adoptera les modes de communication du stade suivant.
Dans ce palier, la parole n’est plus coupée, mais cette attitude semble tempo-
rairement découler d’une augmentation du respect en tant que valeur sociale
et non encore en tant qu’élément de valorisation de la réflexion commune.
Cependant dès ce stade, le respect, permettant une augmentation de la
capacité d’écoute, participe déjà à l’augmentation de la capacité à travailler
en équipe. L’échange suivant matérialise ce type de respect qui se développe :
Participant 2 laisse un blanc après une réponse longue et plusieurs
mini relances de sa question puis reprend la parole « alors… » et s’inter-
rompt en voyant que (P3) va s’engager (doigt levé et buste s’avançant).
P3 précise « ah non termine ».
P2 « non ce n’était pas une remarque, c’était juste pour poser une
question sur ce qu’elle venait de rajouter, tu veux poser ta question ? »
P3 « non, non, non finis ».
Le respect de l’autre est ici incarné par l’intention empathique qui se
traduit par une écoute/observation de l’attitude de l’autre (posture d’enga-
gement, doigt levé…). Ce « souci de l’autre » participe à l’augmentation des
interactions constructives même s’il n’est pas porteur en lui de ces contenus.
Le palier suivant matérialise le passage à un mode de communication
collaboratif aboutissant à la possibilité d’une co-construction. On voit appa-
raître de nombreux indicateurs de la transformation de la prise de parole
et de l’écoute. Par exemple, alors que les prises de notes sont quasiment
inexistantes lors des deux premières séances, ces dernières apparaissent lors
des séances suivantes. C’est tout d’abord lors de la phase de récit (phase 1)
puis de questionnement de l’exposant (phase 3) que ces prises de notes se
systématisent pour la majorité des participants. Au départ, elles concernent
les réponses fournies à ses propres questions puis elles s’étendent lors des
séances  4 et 5 à l’ensemble des réponses produites. Parfois (rarement) les
prises de notes sont aussi déclenchées par les questions posées. Cette trans-
formation importante des prises de notes témoigne de deux capacités nou-
velles  : d’une part il s’agit d’un nouveau pouvoir de  formalisation de
l’analyse et d’autre part du développement d’une écoute que nous
avions qualifiée de compréhensive. Cette écoute est aussi multiréfléchie si
l’on ajoute la capacité à rebondir (écrire) à partir de l’interrogation des autres.
Former un praticien réflexif : effets du dispositif ARPPEGE 169

L’exemple des prises de notes n’est pas le seul à incarner la trans-


formation des modes de communication. On constate par exemple qu’au mode
réactif de réponse, les exposants substituent un mode de prise de parole que
nous avions qualifié de compréhensible et constructive. Ce mode se traduit
par des reformulations spontanées de leur réponse lors de la phase de ques-
tionnement (phase 3) ou des formules du type « ce que je veux dire, c’est
que… » lors des phases d’échange (phases 6, 7 ou 8). Ces reformulations font
suite à des prises d’informations sur l’attitude des interlocuteurs (attitude
d’approbation, d’interrogation…) et ne sont plus sur le mode réactif de la
justification. Nous avions en effet constaté l’usage de ce type de formules lors
des premières séances, mais elles étaient intégrées à une prise de parole sans
interruption ni prise d’information sur autrui. À ce stade initial, ces phrases
semblaient viser une justification plutôt qu’une explication et une clarification
pour soi même plutôt que le désir d’être compris voir éclairé par l’autre.
Le stade constructif se traduit aussi par des interpellations sur les
intentions des interlocuteurs du type « si j’ai bien compris, tu veux dire
que… ». Ces formules attestent du souci de prendre en compte la construc-
tion de la compréhension d’autrui et témoignent du dépassement de la
recherche de justifications, qui est centrée sur son propre mode d’explication
et non pas comme ici sur la construction de l’autre participant. Dans le même
sens, nous constatons que pour environ la moitié des participants lors des
dernières séances (S5 année  1 et 2) le participant qui a la parole intègre
des temps morts de façon à laisser le temps de terminer la prise de note
en cours. On constate ainsi nettement que la reprise de parole s’effectue au
moment où les écritures se terminent et que les attitudes témoignent de la
reprise de l’écoute (signe de la main, orientation de la tête, du regard…).
Enfin, un dernier indicateur témoigne de ces transformations du
mode de communication, il est relatif à la neutralisation des questions. Alors
que l’on constate lors des deux premières séances la présence de questions
pouvant être interprétées comme des conseils implicites, les séances 3 et 4
marquent la fin de ces apparitions. Progressivement (dès la séance 3 puis
majoritairement en séances 4 et 5) on voit apparaître des phases de refor-
mulation des questions dans le but double de ne pas nuire (fonction respect,
processus empathique) et d’ouvrir le questionnement (ne pas induire une
réponse attendue). Les interventions suivantes sont représentatives de ce
type de préoccupation :
P2 : « J’ai une question, mais je vais d’abord la neutraliser. »
Ou encore la séquence suivante :
P1 « Alors moi j’ai une question, mais je ne sais pas du tout
comment la formuler », elle réfléchit 10  secondes puis se lance « vois-tu
une différence entre “manque de liberté avec les élèves” et “être trop
maternel avec les élèves” ? ».
170 Construire une pratique réflexive

Ces deux interventions témoignent du dépassement du mode réactif


et du passage au mode empathique et coconstructif. La mention explicite
au processus de réflexivité « je vais d’abord » ou le temps de réflexion pris
illustrent le passage à la pratique réflexive inscrite ici dans les objectifs
interdépendants de développement de la capacité de réflexion et celle de
travail en équipe. On notera d’ailleurs que ce mode de fonctionnement n’est
pas individuel, en effet dans cet exemple, lors du temps de la réflexion pris
par la participante, aucun autre participant n’en profite pour prendre la
parole et chacun respecte le silence pour laisser la possibilité de reformu-
ler et neutraliser la question. En fin de dispositif, le nombre important de
questions et l’absence de reformulation annoncée marquent l’intégration du
réflexe de neutralisation. Il nous semble que cette capacité nouvelle du fait
de ces deux fonctions (respect et construction) participe à l’amélioration
du travail en équipe. Cette amélioration se traduit aussi dans nos résultats
par l’augmentation de l’engagement de chaque participant et du groupe.

Une augmentation de l’engagement global


Cette dynamique sera mise en évidence à travers l’analyse quan-
titative du contenu des séances (durée des phases, nombre de questions,
nombre de participants qui écrivent). De façon globale on constate que
l’engagement est en augmentation dans les phases collectives (phases 3,
5bis, 6, 7 et 8) alors qu’il est en baisse, voire stable, dans les phases indivi-
duelles (phases 1, 2, 4, 5). Compte tenu du volume plus réduit des phases
individuelles (en théorie et au maximum 50  minutes contre 150  minutes
pour les phases collectives), la durée totale des séances est en nette aug-
mentation comme le traduit le graphique suivant :
Graphique 5.1. Évolution de la durée totale des séances
300
Durée des phases (en minutes)

250

200

150 année 1

année 2
100
total
50

0
Séance 1 Séance 2 Séance 3 Séance 4 Séance 5
Séance
N.B. 1 Les durées de la première et de la deuxième séance sont « artificiellement » augmentées du fait de la comptabilisation
du temps de présentation de la phase par l’animateur qui est importante en début de dispositif et qui disparait presque
totalement lors des séances 3,4 et 5.
N.B. 2 La baisse notable de la séance 3 est liée à la présence d’un seul groupe (3 participants) et en conséquence à la non
réalisation de la phase 7.
Former un praticien réflexif : effets du dispositif ARPPEGE 171

L’augmentation du temps de travail peut s’expliquer par deux inter-


prétations. La première est celle d’une adhésion des professeurs stagiaires
au dispositif. La seconde, qui pourrait être liée à la première, se fonderait
sur l’amélioration de la compréhension des principes du module et ainsi une
meilleure exploitation de son potentiel de formation. Ces interprétations
seront validées lors de l’analyse à suivre des effets perçus et déclarés par
les participants.
L’étude de la durée de ces phases collectives révèle pour sa part
une augmentation significative de l’engagement global des groupes dans le
dispositif de formation. Le graphique suivant reprend les différentes données
relatives à ce champ (3, 5bis, 6, 7 et 8).
Graphique 5.2. Évolution de la durée des phases collectives
en fonction des séances
300
Durée des phases (en minutes)

250

200

150 année 1

année 2
100
total

50

0
Séance 1 Séance 2 Séance 3 Séance 4 Séance 5
Séance
NB 1 : Les durées de la première et de la deuxième séance sont « artificiellement » augmentées du fait de la comptabilisation
du temps de présentation de la phase par l’animateur qui est importante en début de dispositif et qui diminue presque
totalement lors des séances 3,4 et 5.
NB 2 : La baisse notable de la séance 3 est liée à la présence d’un seul groupe (3 participants) et en conséquence à la non-
réalisation de la phase 7.
NB 3 : À la demande des candidats la phase 6 de S5 année 2 a été hors cadre puisque les limites de durée ont été
supprimées.

Compte tenu des effets liés aux contextes particuliers de déroule-


ment et à l’augmentation des durées de la phase  1 (cf. nota bene précé-
dents), on constate une augmentation importante de la durée des phases (de
64 à 126 en année N1 et de 66 à 114 en année N265. Nous pouvons penser
que cet engagement traduit à la fois la compréhension des effets positifs du
travail en groupe (mutualisation, co-construction de règles de fonctionne-
ment et de l’analyse), mais aussi l’amélioration de la capacité à communiquer.

65. Une analyse plus précise par phase ne nous montre pas de différences significatives
entre les évolutions de durée des différentes phases.
172 Construire une pratique réflexive

Cet élément apparaît clairement pour les participants qui en font part lors
des phases 8 des séances 3 et 4 les deux années. Ce constat est un indica-
teur de l’atteinte des objectifs que nous nous étions fixés. Nous avions en
effet conditionné la possibilité du développement de la pratique réflexive à
la mise en place d’un confort de formation passant par la conception d’un
cadre sécurisant. L’engagement dans les phases collectives témoigne de la
pertinence des choix de conception de ce cadre, car seule la compréhension
du dispositif ne pourrait suffire à déclencher l’engagement. Le sentiment de
sécurité constitue une condition nécessaire à l’engagement dans la réflexion
et ce d’autant plus face aux déstabilisations qu’elle peut produire comme nous
l’avons vu chez de nombreux auteurs (Bourgeois et Nizet, 1997 ; Perrenoud,
2001 ; Donnay, 2002 ; Dubois, Gasparini et Petit, 2005). À ce stade, nous
n’avons pas d’outils d’analyse pour le valider, mais nous pouvons penser
que la forte augmentation de la durée globale de la séance s’inscrit dans la
logique d’un système exponentiel liant sécurisation et engagement.

Graphique 5.3. Évolution de la durée des phases individuelles


en fonction des séances et des années
45
40
Durée des phases (en minutes)

35
30
25
année 1
20
année 2
15
total
10
5
0
Séance 1 Séance 2 Séance 3 Séance 4 Séance 5
Séance

NB 1 : Les durées de la première et de la deuxième séance sont « artificiellement » augmentées du fait de la comptabilisation
du temps de présentation de la phase par l’animateur qui est importante en début de dispositif et qui diminue presque
totalement lors des séances 3, 4 et 5.

L’analyse de la durée des phases individuelles montre au contraire


que cet engagement semble diminuer ou être stable au fil du dispositif.
Le graphique 5.3 illustre cette tendance :
Si nous attribuons la baisse conséquente de la première séance de
l’année  1 à un temps long de présentation des phases, on obtient un faible
niveau de variation des durées (écart-type de 4 pour N1 et de 2 pour N2
hors séance 1). Cette variation en légère baisse n’atteste pas, nous l’avons vu,
d’un désengagement du dispositif. Nous pourrions alors penser que les phases
Former un praticien réflexif : effets du dispositif ARPPEGE 173

collectives sont de plus en plus privilégiées au détriment des phases indivi-


duelles qui apparaissent peut-être temporairement comme moins porteuses
de transformations. Cette éventualité remet partiellement en cause l’un des
principes de conception de notre outil puisque nous avions fait le choix de per-
mettre une transition en favorisant dans la première partie de la séance le travail
individuel pour ne pas exposer directement le participant aux contraintes que
peut représenter le groupe. Si l’effet escompté est obtenu (augmentation globale
de l’investissement), il serait intéressant d’étudier la possibilité de faire varier
la proportion de ces phases au fur et à mesure du dispositif pour s’adapter à la
demande des participants. Cependant nous avions aussi émis l’hypothèse que
les séquences individuelles pouvaient être un moment privilégié d’émergence
de décalages internes et favorisant le passage au travail collectif.
Une analyse plus précise de ces temps de production individuelle
fait apparaître que si la durée totale a tendance à ne pas varier voire dans
certains cas à diminuer, l’implication dans la production est mieux répartie
entre les participants. Ainsi, alors que lors des premières séances moins de
la moitié des participants produisait à l’écrit lors des phases  2, 4 et 5, le
temps total des phases66 concerne, en fin de module, plus des trois quarts
des participants. En d’autres termes, si les durées des phases ne progressent
pas, l’appropriation de ces temps pour produire est effective pour de plus en
plus de participants et l’analyse qualitative relativise donc le constat global
d’un engagement sans variation lors des phases individuelles.
Ce constat d’une diminution des écarts d’engagement entre les
participants ne se limite pas aux seules phases individuelles. Ainsi, une
analyse de la répartition du questionnement lors de la phase  3 nous per-
met de constater que l’engagement individuel dans les phases collectives
est en progression chez les participants les moins engagés. Le tableau 5.4
nous permet en effet de constater que les écarts types diminuent de façon
sensible les deux années passant de 3.8 à 0.5 pour l’année 1 et de 1.4 à 1
pour l’année 2 (en passant par 2.1). La structuration du protocole semble
donc être de nature à faciliter l’implication de chaque participant lors des
phases collectives. Mais nous constatons aussi que le groupe constitué est
peut-être un facteur de régulation de l’implication de chacun. Quelques
éléments d’échanges que nous avons relevés lors de l’analyse vidéo nous
permettent de penser que le climat de fonctionnement est à l’origine de
l’intervention de certains participants dans le sens de cette régulation67.

66. En moyenne pour les deux années, 4  minutes pour la phase  2 et 5  minutes pour la
phase 4.
67. On relève ainsi dans les dernières séances des interpellations du type « et toi qu’en
penses-tu ? » (phase  6) ou des formules moins personnelles telles que « est-ce que
quelqu’un d’autre a ressenti la même chose » (phase 8) ou encore lors du choix col-
lectif de l’exposante en S4 année N2.
174 Construire une pratique réflexive

Tableau 5.4. Évolution du questionnement lors de la phase 3 :


nombre et origine

Année S1 S2 S3 S4 S5

Somme N1 26 24 32 52 57
des questions N2 10 19 13 14 38

N1 3,8 3,9 2,6 9 0,5


Écart-type
N2 1,4 2,1 0,5 0,9 1

Durée totale N1 30 30 22 26 20
de la phase N2 14 30 20 28 27

8,11 et 11 et
N1 18e minute 19e minute 16e minute
Nombre 23e minutes 16e minutes
de relances
de l’animateur 9 et 12 et
N2 9e minute 0 0
16e minutes 17e minutes

Mais la poursuite de l’analyse de ce tableau nous permet de faire


apparaître que l’augmentation de l’engagement n’est pas seulement visible
dans la durée des phases. Ainsi, nous constatons que le nombre total de
questions augmente de façon significative. Le nombre de questions est
a minima multiplié par deux bien que les courbes de progression ne soient
pas homogènes. Nous mettons en lien ce constat avec l’augmentation du
nombre de domaines explorés lors du questionnement. Cette perspective
atteste d’un développement des cadres d’analyse multiréfléchie dans le sens
d’un enrichissement multidimensionnel. Cette multiplication des domaines,
témoin d’un élargissement de l’analyse, a pour conséquence la démultipli-
cation des interrogations potentielles et se traduit par la hausse du nombre
de questions. Nous avions vu que cette augmentation se réalisait de façon
structurée et constructive et n’était pas le fruit d’une simple compréhension
du protocole. La diminution (disparition en N2) du nombre des relances
de l’animateur témoigne aussi de cette appropriation de l’outil par les par-
ticipants. En effet, alors que l’on constate un épuisement assez rapide du
questionnement lors des deux premières séances (8, 9 et 11e  minute) la
diminution (N1) ou disparition (N2) des relances atteste de la capacité nou-
velle des participants à enclencher eux-mêmes des relances en rebondissant
sur le questionnement ou les réponses de l’autre. Ce « désengagement »
de l’animateur dans le domaine du contenu est pour nous un révélateur
de l’implication des participants dans le processus de transformation en
cohérence avec nos principes constructivistes.
Deux derniers indicateurs nous permettent d’attester de l’augmen-
tation de l’implication. Le premier est relatif à la poursuite du module.
Former un praticien réflexif : effets du dispositif ARPPEGE 175

Lors des phases 8 des deux premières séances, une moitié des participants
s’interroge encore sur le bien-fondé du module et de la limitation à la
compréhension et non la résolution. Ces interventions disparaissent ou s’in-
versent (justification de la nécessité de ce principe) et, lors des séances 4
et 5 de N1 et N2, des demandes de poursuite du module apparaissent.
Les participants justifient leur demande par l’efficacité du dispositif dans
l’accompagnement de leur expérience. Ces  témoignages dépassent d’ail-
leurs la structure de formation de l’année de stage. Ainsi, les participants
de N2 vont proposer de trouver une procédure d’ARPPEGE à distance en
vue de leurs affectations géographiques distantes à venir. Cette idée ne
sera pas suivie formellement dans les faits, mais atteste de l’adhésion et
de l’émulation créées par le dispositif.
Le second indicateur de ce fort engagement s’est traduit par le
dépassement du cadre temporel lors de la dernière séance de N2. À la
demande des participants, nous avons opté, compte tenu de la présence
d’un seul groupe (3 participants) pour le fait de ne pas limiter la durée de
la phase 6. Initialement prévue pour ne durer que 40 minutes, la séquence
s’est déroulée sur 70  minutes et a permis d’aboutir à une modélisation
en deux étapes que nous avons reproduites précédemment (figures 5.4 et
5.5). Cette demande traduisait selon les participants leur souhait d’appro-
fondir la compréhension de la situation exposée, mais aussi de trouver des
modélisations qui traduisent la richesse de cette compréhension. Le temps
supplémentaire alloué portera d’ailleurs principalement sur cette dimension
de formalisation (figure 5.5).

Synthèse
Nous pouvons affirmer, compte tenu de nos résultats, que le module
ARPPEGE produit des effets dans le domaine des modes de commu-
nication. Ces effets ne semblent pas dissociés des principes éthiques du
dispositif. Ainsi, nous avons vu qu’à la fonction d’outil de l’analyse
s’ajoute de façon synchrone la fonction d’implication de tous et de
respect de la communication. Il semble que les participants reprennent à
leur compte ces principes éthiques (respect de l’autre, empathie, séparation
du personnel et du professionnel…) qui sont ceux du module et agissent en
fonction de ces derniers. Les outils mis en œuvre ne permettent pas à ce
stade de valider l’hypothèse d’une contamination hors protocole de ce type
d’attitude ou d’adhésion. L’analyse des effets perçus et déclarés permettra
de répondre en partie à cette interrogation.
Globalement, le profil des participants a évolué pour tous, même
si des différences subsistent, allant d’une approche réactive de l’interven-
tion dans le groupe à une approche pour soi et le groupe. Dans le  profil
de départ, les objectifs de l’intervention sont égocentrés (se justifier ou
prendre une place dans le réseau de communication) alors que dans le
176 Construire une pratique réflexive

second l’implication vise la transformation de soi par et pour le  groupe.


La communication est alors conçue à la fois comme un moyen au
service du collectif et aussi comme une fin en tant que capacité
professionnelle générale. Dans ce dernier profil, le stade de la mutuali-
sation est dépassé et l’on constate une réelle entrée dans des processus de
co-construction qui se définissent à partir de la plus value du groupe, non
dans une logique sommative, mais dans celle de l’acceptation de l’incertain
et de la création d’analyses non préexistantes au groupe.

Figure 5.6. Système liant engagement dans le dispositif


et amélioration de la communication

Sentiment
de sécurité

Engagement
éthique
et fonctionnel
dans le dispositif

Compréhension Intérêt pour


du cadre le contenu

Implication

Amélioration des modes


de communication
Moyens Fins

L’engagement important dans le dispositif témoigne pro-


bablement d’une nouvelle capacité à affronter la complexité de
l’expérience. Chaque indicateur révèle en effet une recherche de la
part des participants d’un éclairage nouveau sur leur vécu. Pourtant les
études montrent que ce passage au mode réflexif n’est que très rarement
présent chez les professeurs stagiaires, car il représentait une mise en
danger potentielle de la personne (remise en cause de l’identité, de l’éva-
luation…). Et ce processus est profond, car l’analyse de pratique « expose
au regard d’autrui, elle invite à la remise en question, elle peut s’ac-
compagner d’une crise ou d’un changement identitaire » (Perrenoud,
2001, p.  113). Malgré ce risque latent, nous constatons que, conformé-
ment à nos principes initiaux, la conception d’un cadre qui clarifie et
sécurise l’implication est de nature à permettre l’émergence de la
Former un praticien réflexif : effets du dispositif ARPPEGE 177

pratique réflexive au service d’un nouveau rapport à l’expérience et qui


concourt ainsi à l’amélioration de la professionnalisation. L’engagement
dans le dispositif (fonctionnel et éthique) est la conséquence d’un système
unissant l’intérêt pour le contenu, un sentiment de sécurité et la compré-
hension du cadre proposé. Ce système favorise l’implication de l’acteur
et lui permet l’évolution de ces modes de communication. En retour,
ces derniers deviennent alors à la fois fins et moyens du système initial.
D’une part, l’amélioration de la communication est un moyen d’augmenter
la compréhension du cadre et le sentiment de sécurité. D’autre part, en
tant qu’objectif du dispositif, l’amélioration de la communication permet
de développer un intérêt pour le contenu de l’expérience en formation.
La figure  5.6 reprend ce système complexe et les rétroactions liées à
la communication qui sont à l’origine des dynamiques psychosociales
constatées.

2.1.3. Synthèse
Les résultats obtenus ont permis de mettre en évidence que les par-
ticipants au dispositif ARPPEGE transforment leur mode de réflexion. Ces
modifications s’orientent dans deux domaines qui constituent les objectifs
de formation. Ainsi, les participants développent de nouveaux rapports
à leur expérience par le biais d’une acceptation et de la prise en
compte de la complexité. Ceci se traduit par le développement d’une
nouvelle capacité d’analyse se fondant sur des processus de décen-
tration et de prise de recul. Dans le domaine psychosocial, nous avons
mis en lumière l’adoption de modes de communication compréhensifs et
constructifs qui sont à la base de l’amélioration des capacités au travail en
équipe. Le passage au mode coconstructif témoigne de cette trans-
formation des profils.
Les nouveaux rapports à la complexité du vécu sont le produit
de l’entrée dans une démarche réflexive. Celle-ci semble à un stade
initial, mais se traduit déjà par une adhésion consciente à son principe. Les
indicateurs du dépassement du paradigme de l’expertise sont nombreux
et permettent d’en identifier l’origine dans la participation au dispositif
ARPPEGE. Les tableaux 5.5 et 5.6 synthétisent les données précises obte-
nues et traduisent cette trajectoire de transformation des participants.
Cependant, l’observation en séance n’a pas permis d’identifier ou non
la présence de toutes les caractéristiques de la pratique réflexive telles que
nous les avons définies à savoir la systématicité hors protocole (réinvestis-
sement réflexe de l’analyse dans la transformation des pratiques effectives)
ou la durabilité dans le temps. L’analyse des effets perçus et déclarés qui
fait l’objet des points suivants permettra de répondre en partie à cet enjeu
de mise en lumière des effets de formation.
178

Comportements
Étape Attentes Stratégies Stratégie Acquis Séance
et attitudes
d’évolution stagiaires d’analyse de questionnement professionnel d’apparition
observables

– Compréhension – Participe « pour voir » – Linéaire cause- – Réactive, – Fonctionnement


des causes (tension négative) effet préoccupation réactif dans
simples en vue – Demande – Micro-structure du moment l’urgence et volonté
de réponses de solutions chronologique ou point unique de se sécuriser.
Représentation
simples – Doute sur l’intérêt – Juxtaposition évident
et profils S1
de limiter à la des hypothèses
initiaux
compréhension
– Réactif, parole coupée
Construire une pratique réflexive

– Questionnement
inorganisé
– Compréhension – Adhésion au dispositif – Systémique mais – Registres limités – Acceptation
des causes (remarque, détente S3) nombre de registre mais épuisement des difficultés
complexes – Acceptation de l’intérêt limité (2 ou 3) d’un champ dans professionnelles
année 2007-2008

en vue de la compréhension – Systémique, basée le questionnement – Analyse


de réponses complexe sur microstructure multiréfléchie réduite
simples – Maintien chronologique – Analyse systémique
de la demande chronologique
1er palier de solutions
Arppege – Écoute mais encore
S2-S3
quelques réactions
incontrôlées
– Prises de parole
inégales
– Questionnement
Tableau 5.5. Étapes et contenus de l’évolution générale des profils,

approfondi mais
dans un seul registre
– Compréhension – Recherche – Systémique, – Questionnent – Relativisation
des causes de l’échange nombre de registre en fonction des difficultés
complexes pour construire en augmentation des réponses professionnelles
– Construction – Demande de cadres (4 ou 5) précédentes – Acceptation
d’un cadre d’analyse – Systémique, apportées de la démaîtrise
d’analyse – Respect de la parole équilibre entre par l’exposant – Augmentation des
2e palier de référence – Prise de parole les microstructures ou capacités à travailler
Arppege le temps partagée chronologiques – Suivent en groupe (écoute,
de la séance – Questionnement et les boucles une progression prise de parole, S3-S4
approfondi d’influences dans la précision mutualisation dans
de plusieurs registres rétroactives de leurs l’échange)
ou réciproques interrogations – Analyse multiréfléchie
et systémique mais
ampleur limitée
– Demande – Expérimentation – Dominante – Le questionnement – Impulsion
d’échange et de différents cadres des influences se structure de stratégies
de mutualisation de compréhension : réciproques autour de séries collectives
pour mise questionnement, et rétroactives cohérentes de 4 de travail type
en perspective critique (interpellation – Choix d’évaluation à 5 questions (selon APP, perspective
critique constructive) de l’importance les 2 stratégies d’innovation.
des différents – Prise de parole des influences du palier précédent) – Régulation des
cadres d’analyse encouragée permettant puis lorsque échanges collectifs
3e palier – Développement – Relance et la conception le participant et individuels
Arppege des capacités approfondissement de plusieurs semble avoir (classes, parent,
d’écoute des interrogations modèles d’analyse les informations élève, équipe S5
et de prise – Gestion systémique, pour comprendre disciplinaire,
de parole du questionnement comparés, il change inter catégoriel,
en fonction d’une critiqués. changement transdisciplinaire…)
Former un praticien réflexif : effets du dispositif ARPPEGE

stratégie globale de domaine – Analyse multiréfléchie


de compréhension de questionnement. et systémique large
– Apparition de prises de – Bien-être
conscience soudaines professionnel
N.B. : Le niveau 3 ne semble avoir été stabilisé que par une participante et le niveau initial n’était globalement que celui de trois des cinq participants.
179
Étape Attentes Comportements et attitudes Stratégies Stratégie de Acquis Séance
d’évolution stagiaires observables d’Analyse questionnement professionnel d’apparition
180

– Compréhension – Participe avec curiosité – Volonté mais – Questionnement – Fonctionnement S1


des causes (tension positive) impossibilité factuel organisé ouvert
Représentation simples – Réactif parole coupée de rentrer dans par la question (expérimentation)
et profil (Phase 3 et 6 principalement) une lecture précédente mais sans outil
initiaux – Questionnement organisé pré systémique ou la réponse pour pouvoir
établi sans profondeur – Juxtaposition précédente le gérer
des hypothèses
– Compréhension – Adhésion au dispositif – Systémique – Champs limités – Acceptation
des causes (remarque, détente) basée sur et épuisement rapide des difficultés
complexes – Acceptation de l’intérêt microstructure du questionnement professionnelles S2
en vue d’une de la compréhension complexe chronologique – Rebond sur autres en tant qu’objet
modification – Maintien de la demande et portant sur registres après de transformation
de l’intervention de solutions (phase 8) mais 2 ou 3 registres. ouverture par – Analyse
à différentes acceptation de son absence l’animateur multiréfléchie
Construire une pratique réflexive

échéances – Écoute mais encore quelques non consciente


réactions incontrôlées et limitée
1er palier
(1 participante) – Analyse
Arppege
– Prise de parole inégale systémique limitée
– Questionnement diffus à une vision
année 2008-2009

ou approfondi mais chronologique


principalement dans un seul – Régulation
registre autonome dans
cadre du dispositif,
de ce groupe
et du respect
des règles.
– Compréhension – Recherche de l’échange pour – Systémique – Questionnent – Relativisation
des causes construire nombre de en fonction des difficultés
complexes – Questionnement approfondi registres en des réponses professionnelles
2e palier
– Construction de plusieurs registres augmentation (4 précédentes – Acceptation S3
Tableau 5.6. Étapes et contenus de l’évolution générale des profils,

Arppege
d’un cadre – Régression sur les modes ou 5) apportées par de la démaîtrise
d’analyse d’échanges du fait de l’exposant
de référence l’ouverture de la réflexion – ou
– Verbalisation sur la diversité – Systémique, – Suivent une – Amélioration
des profils mais pas de équilibre progression dans du contenu
recherche de compréhension entre les la précision de de l’écoute
du profil de l’autre. Seule microstructures leurs interrogations – Analyse S3
2e palier la phase 6 oblige chronologiques quelques mini multiréfléchie
Arppege à ce comportement qui et les boucles relances non et systémique
est au départ absent puis d’influences réactives. mais ampleur
désorganisé et enfin construit. rétroactives limitée
– Apparition de prises ou réciproques
de conscience soudaines
– Demande – Questionnement, critique – Dominante – Le questionnement – Impulsion S4-S5
d’échanges et (interpellation constructive) des influences se structure de stratégies
de mutualisation – Prise de parole encouragée réciproques autour de séries collectives
pour mise – Relance et approfondissement et rétroactives cohérentes dont de travail type
en perspective des interrogations – Choix l’approfondissement APP, perspective
critique – Gestion du questionnement d’évaluation par mini-relances. d’innovation
des différents en fonction d’une stratégie de l’importance Lorsque le participant (mémoire
cadres globale de compréhension des influences semble avoir les professionnel 2
d’analyse – La richesse du réseau permettant informations pour sur 4).
– -Demande témoigne du changement la conception comprendre il change – Analyse
de volume pour de statut de l’autre qui est de plusieurs alors de domaine multiréfléchie
3e palier s’approprier désormais conçu comme modèles de questionnement. et systémique
Arppege la méthode un moyen d’enrichissement d’analyse – Différents niveaux systématique
et approfondir potentiel mais ce dans systémique, à l’intérieur – Augmentation
les cadres le respect de cet autrui = comparés, d’un registre sont du bien-être
d’analyse acteur Co constructeur critiqués. envisagés professionnel par
– Augmentation du nombre – Capacité le biais de l’entrée
des prises de conscience spontanée mais raisonnée dans
soudaines inorganisée à la la complexité
méta-analyse
Former un praticien réflexif : effets du dispositif ARPPEGE

– Centration
prioritaire
de l’analyse
sur l’enseignant.
181

NB 1 : Comme pour l’année précédente, la lecture par ligne n’est pas toujours significative de tous les profils de participants, certains pouvant connaître des décalages entre les demandes, les comportements
et les stratégies mises en œuvre.
NB 2 : Le niveau 3 semble avoir été atteint par trois des quatre participantes et le niveau initial était globalement celui des quatre participantes.
182 Construire une pratique réflexive

2.2 Analyse des effets perçus et déclarés


dans les enquêtes
L’analyse des effets perçus et déclarés révèle en premier lieu les
impressions globales des participants, car les formats courts des enquêtes68
ne sont pas propices au développement d’une analyse approfondie. L’enquête
après visionnage de séquences filmées, couplée avec des entretiens, permet
pour sa part d’approfondir en partie l’analyse des participants. De plus, il
faut garder à l’esprit que les enquêtes sont aussi potentiellement le moyen
d’expression d’impressions idéalisées.
En cohérence avec les observations réalisées, les effets du module
se traduisent, dans la perception qu’en ont les participants par le change-
ment du rapport à la pratique. Globalement ils traduisent une évolution de
la professionnalité comme l’attestent les 100 % de réponses positives dans
le questionnaire final et 81,5 % dans les questionnaires après séance, à la
question qui associe le module à un gain en compétences à l’origine d’une
évolution générale du profil professionnel. Cette unanimité se retrouve
aussi dans le niveau de satisfaction des participants qui jugent très positi-
vement le module (87,5 % de « très intéressant » et 12,5 % « d’intéressant »).
L’analyse plus précise des réponses fournies montre que pour les partici-
pants, le dispositif est à l’origine des transformations perçues.
Les points suivants seront l’occasion de mettre en lumière ce pro-
cessus et de détailler ensuite l’origine des effets, les domaines dans lesquels
ils se réalisent et enfin l’inscription de ces effets dans la formation globale.

2.2.1. Une conception de la forme de l’outil


en cohérence avec les objectifs de formation
Les participants attribuent la responsabilité de leur transformation et
acquisition au module. Ainsi, 87,5 % d’entre eux affirment que les effets de for-
mation sont liés à la totalité du module. Leurs appréciations de chacun des prin-
cipes de conception du module se traduisent par une adhésion à la quasi-totalité
d’entre eux. Ainsi, tous les participants affirment que le cadre formel du dispositif
est un « élément nécessaire » à l’atteinte des objectifs de formation. À l’intérieur
de ce cadre, les formes de groupements (nombre69 et origine disciplinaire des
participants), la répartition des séances dans le calendrier, la structuration
des phases ou encore le volume des séances  sont  pour  les participants des

68. Les questions fermées sont majoritaires pour diminuer le temps de remplissage et ainsi
favoriser les taux de retour.
69. L’intervention réalisée par l’une des participantes lors de la phase 8 de S3 N2 atteste de
cette pertinence des formes de groupement intraséance : « En fait ce schéma il naît
de la discussion, confrontation, suscitée par l’exposé de la situation. Après si on
est trop nombreux, non ça ne doit pas être possible, ça peut être la cacophonie. »
Former un praticien réflexif : effets du dispositif ARPPEGE 183

éléments qui permettent la construction des compétences. Enfin, le rôle de


l’animateur leur apparaît comme tout autant essentiel (pour 87,5 % des par-
ticipants). Pour eux, trois raisons principales justifient son rôle, la première
est relative au cadrage formel du déroulement (temps, échange, contenu), la
seconde est relative au fait d’empêcher l’apparition de débordements (respect,
écoute, évitement du conseil…) et la dernière porte sur la capacité à relancer
les échanges en permettant l’émergence sans guidage d’un contenu d’analyse.
Enfin, si certaines compétences (du référentiel général de formation) ne
sont pas construites à l’issue du module, ce processus n’est pas lié au choix de
finaliser les séquences par la compréhension et non la résolution pour les trois
quarts des participants. Pour 62,5 % des participants, la non-construction de
ces compétences est liée à l’inadéquation du dispositif pour certains domaines.
Les échanges réalisés dans les différentes phases  8 à ce sujet, permettent
d’identifier des contenus à acquérir (connaissances scientifiques, connaissances
des programmes…) plutôt qu’à construire (capacité, compétence…) et qui
ne semblaient pas de ce fait, nécessiter la mise en place d’un dispositif d’APP.
Si le cadrage général des séances semble donc répondre aux exigences de
formation ainsi qu’aux besoins des participants, ces derniers pensent à 87,5 %
qu’un approfondissement ou une construction de compétences complémentaires
pourraient être réalisés si le module de formation contenait plus de séances.
Ce résultat corrobore d’autres études et notamment la note d’information 01-56
de 2001 de la DPD dans laquelle les enseignants novices, une fois en poste,
affirment que les volumes d’analyse de pratiques sont insuffisants.
Le seul principe qui ne semble pas rencontrer l’adhésion des par-
ticipants est celui relatif à l’évaluation du module. Nous avions en effet
émis le principe de la nécessité de dissocier l’évaluation certificative des
contenus de l’analyse de pratiques, ce principe ne semble pas nécessaire
aux participants en fin de module. Nous expliquons cette appréciation par
le fait qu’elle est formulée à l’issue du protocole, une fois que la confiance
a été construite et éprouvée. En d’autres termes, le rapport à l’évaluation
ne serait plus prépondérant dès lors que les formes de « chantages à la
certification » (Fabre, 2009) auraient disparu. Dans la logique de transition
que nous poursuivons, il semble nécessaire de maintenir ce principe, mais
par contre, en formation continue avec un public initié au dispositif, la
question de l’évaluation pourrait être réenvisagée notamment sous l’angle
de la co-construction d’une forme adéquate.

2.2.2. Une origine globale des effets,


mais des tendances d’attribution causale
Lorsque l’on interroge les participants sur l’origine des effets de for-
mation, ces derniers répondent à 87,5 % que c’est la totalité des séances et du
module qui est responsable de leur formation. Lorsqu’ils classent les phases
184 Construire une pratique réflexive

susceptibles de participer le plus à ces transformations, on constate une


importante dispersion dans les données. Le tableau 5. 7 illustre ce phénomène.

Tableau 5.7. Phases à l’origine des effets de formation perçus


(en pourcentage)

Phase Séance 1 Séance 2 Séance 3 Séance 4 Final Moyenne


0 8,3 0 8,3 10 0 6,65
1 8,3 25 16,6 20 0 13,98
2 25 0 8,3 0 0 6,66
3 8,3 33,3 25 20 25 22,32
4 25 8,3 16,6 0 12,5 12,48
5 8,8 0 0 10 12,5 6,26
5bis 0 8,3 0 10 12,5 6,16
6 16,6 8,3 8,3 0 25 11,64
7 0 1 6,6 8,3 10 0 6,98
8 0 0 8,3 20 12,5 8,16

Si aucune tendance lourde ne semble apparaître, on notera cepen-


dant quelques éléments dominants. On constate que la phase de questionne-
ment (phase 3) est principalement entrevue comme cause de transformation.
Ce constat semble attester d’une adhésion à un modèle classique d’apprentis-
sage, celui de l’information pour comprendre, mais nous avons vu aussi que
c’est au cours de cette phase que les nouvelles capacités réflexives apparaissent
d’une façon très significative. On notera que c’est aussi cette phase que l’on
retrouve le plus systématiquement dans les dispositifs d’analyse de pratiques
en groupe (Robo, 2002a) et qu’elle constitue le noyau central (voire parfois
seul) de ce type de modalité. Le placement de cette phase comme cause pre-
mière (mais pas unique) des transformations atteste peut-être de l’engagement
dans la transition qui organise nos propositions. Viennent ensuite les phases
de récit (phase  1) puis de proposition de pistes d’action (phase  4) et enfin
de co-construction (phase  6). Toutes ces phases ont en commun d’apporter
une plus-value directement observable dans l’analyse (informations, solutions
individuelles, constructions). Lorsque l’on analyse l’évolution interséance, on
constate que, dans le questionnaire final sommatif, la part d’importance des
phases de  construction (phase  6) et de réflexion méta (phases  5, 5bis et 8)
augmente de façon significative avec respectivement 25 % et 12,5 % pour les
trois suivantes, soit les deux tiers de la totalité. Si les analyses permettent
de faire apparaître quelques tendances légères dans les données, une lecture de
ces dernières par l’éclairage de la forme sociale de travail permet de faire appa-
raître une inversion importante de tendance comme le montre le graphique 5.4.
Former un praticien réflexif : effets du dispositif ARPPEGE 185

Graphique 5.4. Part des phases individuelles et collectives dans l’origine


des effets de formation (en pourcentage)

NB : Les calculs sont réalisés à partir des pourcentages cumulés des phases individuelles (1, 2,4 et 5) et des phases
collectives (3,5 bis, 6, 7 et 8).

On constate en effet dans le graphique précédent que la part des


phases individuelles et collectives dans les effets de formation s’inverse
nettement. Ce résultat est en cohérence avec notre principe qui stipule la
nécessité de produire un accompagnement de la transition des modes de
travail des participants. Les modes de socialisation scolaire70 aboutissaient
à un habitus de travail individuel. Mais les travaux de Rayou et Van Zanten
avaient démontré que la perspective du travail en collaboration n’était désor-
mais plus évitée comme elle avait pu l’être en majorité par les générations
précédentes (Rayou et Van Zanten, 2004). Ce résultat semble donc confir-
mer ces travaux en mettant en lumière que la forme de co-construction est
compatible avec le profil des « nouveaux » professeurs débutants à condition
d’accompagner la transition vers ce mode de fonctionnement. Cette iden-
tification des phases collectives comme étant à l’origine des effets, traduit
aussi le passage à un processus multiréfléchie d’analyse. Les apports de
l’autre, les échanges avec autrui et la co-construction sont autant d’occasions
d’enrichir la perspective multiréfléchie d’angles variés d’analyse.

2.2.3. Effets généraux : amélioration de l’analyse,


transformation des pratiques et augmentation
du bien-être professionnel
L’analyse des données recueillies dans les différents questionnaires
permet de mettre en évidence de grandes tendances significatives. Les gra-
phiques 5.5 et 5.6 reprennent ces tendances relatives aux effets du module
tout en les précisant.

70. Modes de socialisation que nous avions constatés dans notre expérience et qui étaient
corroborés par des travaux de recherche (Dubar, 1991 ; Dubois, Gasparini et Petit,
2005).
186 Construire une pratique réflexive

Graphique 5.5. Effets perçus et déclarés dans les questionnaires


« après séance » (en pourcentage)

NB : Le corpus est de 56 occurrences pour les effets immédiats, 34 et 39 respectivement pour les effets à moyen et long
terme. Ces occurrences sont réparties équitablement entre les différents participants.

Graphique 5.6. Effets perçus et déclarés dans les questionnaires finaux


(en pourcentage)

NB : Le corpus est de 14 occurrences pour les effets immédiats, 14 et 13 respectivement pour les effets à moyen et long
terme. Compte tenu de ce faible effectif, nous nous en tiendrons à l’analyse des tendances lourdes. Ces occurrences sont
réparties équitablement entre les différents participants.

On relève dans ces résultats trois tendances dominantes :

– l’importance du gain en capacité d’analyse ;


– la présence de plus en plus importante de la transformation des
pratiques ;
– l’effet de bien-être professionnel.
Chacune de ces tendances fera l’objet d’une analyse dans les points
suivants.
Former un praticien réflexif : effets du dispositif ARPPEGE 187

Amélioration de l’analyse
Le premier point notable dans les graphiques précédents est relatif
à la déclaration d’effets dominants dans le domaine des capacités d’ana-
lyse des pratiques. Cette perception des effets par les participants porte
aussi bien sur le court terme que sur le long terme (respectivement 50 %
et 76,9 % dans le questionnaire final). Si l’analyse (dont la méta-analyse/
métaréflexion) est l’objet central de notre dispositif, c’est aussi l’un des trois
objectifs de notre module, et en ce sens l’outil ARPPEGE répond pour les
participants aux objectifs à atteindre. La terminologie employée pour définir
ces transformations est, de plus, en cohérence avec les processus visés. Ainsi,
on relèvera de façon prédominante la présence des termes « réfléchir »,
« prendre conscience » ou « prendre du recul ». Si le premier terme est
assez général, il est la plupart du temps accompagné de la notion de « plus »
d’« approfondissement ». Le second terme « prendre conscience » renvoie
par inférence à la notion de décalage (que nous ne relevons cependant pas
ici explicitement) à l’origine de cette prise de conscience et dont nous avions
fait l’un des processus visés. Le dernier terme « prendre du recul » faisait
littéralement partie des processus visés. L’un des participants résume cette
nouvelle approche par la formule suivante : « développer une vision d’en
haut sur toutes les dimensions jusque-là inaperçues ». Cette formulation
du positionnement d’en haut traduit les déplacements qu’opère une approche
multiréfléchie. S’il n’est pas question de donner une valeur supérieure à
certains éclairages, le recul produit permet de pondérer, de mettre en pers-
pective les différentes références et se traduit dans cette affirmation par ce
positionnement « haut » du participant qui regarde/surplombe ses analyses.
Lors du travail d’enquête après visionnage les participants précisent
la nature des processus mis en place et qui traduisent cette amélioration
de la capacité d’analyse. Ainsi en séance 3 de N2 la stratégie déclarée est :

– je note ce qui me paraît important ;


– je me pose le problème ;
– je soulève une question.

Ou encore en séance 4 de N2 la présence non perçue jusque-là de


processus de méta-analyse apparaît :

Chaque phase constitue une méta-analyse de la phase précédente.

Mais ces éléments demeurent peu précis et les processus ne sont


jamais décrits d’une façon approfondie.
Les contenus de type « méta-analyse » apparaissent peu dans les
données recueillies. Leur présence atteste de la conscience des processus
188 Construire une pratique réflexive

en  jeu, mais la faiblesse de leur occurrence témoigne aussi du caractère


partiel de cette perception ou de la minoration de l’importance de ces
processus. Le témoignage suivant montre effectivement que lorsqu’ils appa-
raissent, ces processus méta ne sont pas perçus comme tels, par exemple,
pour expliquer les raisons de son passage au tableau une participante
affirme « en fait j’ai besoin de “montrer” ce que je veux expliquer,
pas seulement aux autres, mais à moi-même ». Cet extrait montre que
pour la participante la démarche de variation des supports a pour objectif
d’offrir une possibilité de se réfléchir (« à moi-même ») et d’approche mul-
tiréfléchie, mais sans que celle-ci ne soit le fruit d’une stratégie consciente
et/ou systématique.
En synthèse, on peut affirmer que le développement d’un « savoir
analyser » est ici perçu par les participants comme une capacité à réfléchir
en prenant conscience et du recul sur leurs pratiques. La dimension opéra-
tionnelle71 n’est que peu présente dans les données recueillies ; en d’autres
termes, c’est une approche globale et sans précision qui caractérise à ce
stade le rapport des participants à l’analyse. La précision de stratégies
formelles utilisables n’est que rarement formulée et cette absence
atteste probablement de l’état initial de l’entrée dans le profil
réflexif et de la nécessité de concevoir des stratégies de transition
inscrites dans la durée pour atteindre cet objectif.
Mais bien qu’existante à un stade initial, cette perspective réflexive
n’est pas détachée des visées de transformation de la pratique (dimension
de problématisation et de changement (Altet, 2000, 2009).

Transformation des pratiques


Les données recueillies montrent en effet que les gains en capacités
et compétences liés au module ont pour conséquence, perçue et affirmée
par les participants, une modification de la pratique. Ainsi, ces derniers
affirment dans le questionnaire final à 87,5 % que le module leur a permis
de modifier leurs pratiques. Cela se traduit pour 7 sur 8 d’entre eux par une
gestion différente de leurs interventions et des réflexes nouveaux d’analyse
des situations (62,5 %). Pour la totalité des participants, ces modifications
sont positives (50 % oui totalement et 50 % oui probablement). Nous n’avons
pas pu vérifier sur le terrain si ces perceptions se traduisaient par un réel
changement des pratiques effectives et ce travail constituerait probablement
l’une des perspectives de la recherche menée. Si nous avons vu dans le
point précédent que les participants ne formalisaient pas précisément, à ce
stade, le contenu du « savoir analyser » au-delà des processus de réflexion et

71. Complétant les logiques instrumentale, heuristique, de problématisation et de change-


ment (Altet, 2000, 2009).
Former un praticien réflexif : effets du dispositif ARPPEGE 189

de prise de recul, cela ne les empêche pas de concevoir cette amélioration


globale comme un outil de la transformation des pratiques. Le « savoir ana-
lyser » est bien, dans ce cas, perçu comme un instrument de modification de
l’intervention professionnelle (Altet, 2000, 2009). Cette possible dissociation
de la précision de la définition des outils et de ces effets est probablement
un indice du caractère pragmatique des « nouveaux » professeurs (Rayou
et Van Zanten, 2004). La formule de Rayou utilisée dans son entretien avec
le site « la maison des enseignants » « Pour eux, les choses sont vraies
parce qu’elles fonctionnent, et non l’inverse » prend ici tout son sens.
Cependant, la perspective d’enrichissement de ces capacités passe proba-
blement par l’étape de la métaréflexion qui met en perspective ces nou-
veaux pouvoirs réflexifs et les objectifs de transformation. Or nous avons
vu qu’à ce stade de développement de la pratique réflexive, les processus
méta n’étaient pas une finalité pour les participants et la conscience de ces
derniers demeurait limitée.
Mais le fait que les transformations de la pratique soient potentielle-
ment plus nombreuses dans les effets à long terme témoigne probablement
de la conscience ou de l’intuition qu’ont les participants du fait que le proces-
sus réflexif n’est à ce stade qu’à ses débuts. L’amplification de la construction
des capacités réflexives serait donc perçue comme un élément d’évolution
tout au long de la carrière. Cette perception nous semble essentielle pour
stabiliser la posture réflexive et vient corroborer les demandes de poursuite
du dispositif et l’appréciation d’une durée trop courte de ce dernier.
En résumé, nous pouvons affirmer que, pour les participants, le
module est porteur de transformations, mais que ces dernières ne sont
pas directement liées à l’identification de processus réflexifs précis qui en
seraient la cause.
Cette transformation du rapport à la pratique ne se limite pas à la
dimension rationnelle de la réflexion et des effets psychologiques sont aussi
identifiés comme résultant du module de formation.

Développement d’un « mieux-être »72 professionnel


Dans les effets déclarés par les participants, les phénomènes
psychologiques apparaissent de deux façons ; sous une forme générale
tout d’abord (satisfaction, gêne, enthousiasme…) et sous une forme en

72. Nous produisons cette formule pour pondérer la notion de bien-être professionnel que
Lafortune (2007) définit en citant Fahey, Insel et Roth (1999), « sensation agréable
procurée par la possibilité de satisfaire, sans stresser ou surmener l’organisme
ses besoins sur les plans physique, émotif, intellectuel, spirituel, interpersonnel
et social, et environnemental ». Cependant, nous ne reprenons pas à notre compte la
définition du « mieux-être » que les mêmes auteurs définissent comme une amélioration
du bien-être.
190 Construire une pratique réflexive

rapport avec  le métier et les pratiques ensuite (dédramatisation,


dynamisme…). On  constate que ces deux catégories apparaissent de
façon singulière selon la temporalité des effets. Ainsi les effets psycho-
logiques généraux apparaissent principalement en début de dispositif73 et
sont à parité entre les effets négatifs (gêne, doute) et positifs (enthou-
siasme, impression sympathique…). Lorsqu’ils se maintiennent, c’est
seulement sous leur forme positive. Ces  effets sont de type réactif, car
ils n’apparaissent que dans la période immédiate (court terme). Pour
percevoir des effets durables, il nous faut étudier ceux qui sont relatifs
au rapport aux pratiques. Ainsi, et au contraire des effets précédents,
ceux-ci sont en augmentation tout au long du dispositif74 et apparaissent
tout autant comme des effets immédiats qu’à long terme. L’emploi par une
participante de N1 du terme « gagné » dans la réponse suivante traduit
ce type d’effet : « Et moi qui étais quelque peu en attente ou en quête
de réponses lors de la séance de présentation du module, je pense
y avoir gagné mieux que de simples réponses. » ou encore l’emploi
du terme « remonter » dans la formule suivante « remonter son estime
personnelle et celle du métier ».
Ce développement d’un rapport positif à la pratique, s’il est statisti-
quement moins important que l’amélioration de l’analyse (moyenne de 12,5
à 17 %) est néanmoins présent chez tous les participants. Ainsi à la question
« Ce module vous a-t-il permis de développer un rapport positif à vos
pratiques ? » la réponse positive est unanime75.
Si nous ne pouvons prétendre avoir permis le développement d’un
« bien-être » professionnel, nous pensons que la participation au module
ARPPEGE est de façon certaine à l’origine d’un « mieux-être » profession-
nel. Cette opportunité de mieux-être se développe notamment à travers la
capacité nouvelle pour les participants à s’autoanalyser. Cette capacité à se
concevoir comme sujet de l’analyse analysant (méta-analyse/métaréflexion)
atteste selon nous de la capacité nouvelle à différencier ce qui relève du
personnel et du professionnel. Le témoignage (à propos de S4 N2 phase
8) recueilli lors de la séquence après visionnage illustre cet effet : « Il me
semble que la grande difficulté de ce métier est de séparer, de distin-
guer ce qui dans son exercice relève du personnel et du professionnel.
Ce processus m’aura sans doute aidé à le séparer. » La même participante
précise que le module lui permettra sûrement d’« être capable de répondre
à toutes les questions lors d’un entretien sans me sentir mise en cause
personnellement ».

73. Nous obtenons ces résultats à partir de l’analyse du contenu de ces rubriques par
séance.
74. Idem, cf. note précédente.
75. « Oui totalement » 62,5 % et 37,5 % « Oui probablement ».
Former un praticien réflexif : effets du dispositif ARPPEGE 191

Cette capacité à distancier la personne du professionnel nous


semble être un élément essentiel de l’engagement maîtrisé dans la for-
mation et du rapport entre l’implication et l’explication (Ardoino, 1983).
C’est aussi une garantie pour que la personne se sente en sécurité face
à la complexité et l’incertitude qui en résulte (Perrenoud, 2001 ; Donnay,
2002) et qui est selon Perrenoud une condition de la transformation,
« se sentir en sécurité, c’est le socle de tout apprentissage complexe »
(Perrenoud, 1999 c, p. 30).
Ce « mieux-être » atteste d’un nouveau rapport au métier, et ce à
travers d’une perspective nouvelle du rapport à la complexité, à l’incertitude
et aux enjeux qui traversent les pratiques. Le terme de « dédramatiser » ou
la phrase suivante « se sentir plus armé dans une phase de transition face
aux difficultés » témoignent de ce rapport nouveau à la complexité de la
pratique.
On constate à travers cette réponse positive globale que ce « mieux-
-être » n’est pas dissociable du développement de la capacité réflexive.
La  décentration et la compréhension de situations complexes participent
ici à l’articulation entre ces deux domaines d’objectifs. Cet élément ren-
force nos choix dans lesquels nous avions postulé l’interdépendance entre
les objectifs à savoir l’amélioration de la capacité d’analyse, des capacités
d’échange et le développement d’un bien-être professionnel. Nous validons
ici le fait que la pratique réflexive est au cœur d’un système qui unit ces
trois visées76.

Des effets perçus contrastés quant aux capacités


à travailler en équipe
Si nous avions en effet conçu que les capacités à travailler en équipe
constituaient un élément central, nous remarquons que peu d’occurrences
lui sont consacrées dans les réponses relatives aux effets immédiats. Pour-
tant les participants reconnaissent avoir gagné en capacité d’intervention
dans les équipes qu’elles soient disciplinaires ou d’établissement 77. De plus
lorsque l’on approfondit la question lors de l’entretien et l’enquête après
visionnage, cette capacité redevient un élément important des acquis de
la formation. Ainsi, les trois participantes associent la qualité de l’analyse
développée à la qualité des échanges. L’une des participantes précise que
« de bons échanges permettent forcément une meilleure analyse. En
plus, lors de l’écoute, on réfléchit, donc plus ces temps sont respec-
tés, plus la réflexion et donc l’analyse sont favorisées ». Ces propos

76. Résultats qui recoupent les analyses de Lafortune (2007).


77. Gain en compétence pour s’inscrire dans la dynamique disciplinaire : 5 sur 8. Gain en
compétence pour s’inscrire dans la dynamique d’établissement : 5 sur 8.
192 Construire une pratique réflexive

sont représentatifs de l’analyse des autres participantes que nous avons


recueillie. Toujours dans cette enquête après visionnage, les participants
précisent leur stratégie de communication et l’impact qu’ils escomptent.
Par exemple pour deux d’entre elles, les signes d’approbation qu’elles
produisent lors des échanges visent le fait d’informer de la compréhen-
sion, mais aussi d’offrir cette compréhension comme un objet éventuel
d’échange. Pour la troisième participante, ses approbations ont aussi une
dimension psychologique à travers une fonction d’encouragement de la
personne qui a la parole.
En synthèse nous pouvons affirmer que si l’amélioration des capaci-
tés à travailler en équipe n’apparaît pas de façon prioritaire dans les effets
déclarés et perçus de formation, ces capacités réapparaissent sous d’autres
formes dans les réponses des participants et attestent d’une amélioration
en la matière.

2.2.4. Des effets dominants dans les domaines


pédagogiques et du climat d’enseignement
Lorsque l’on interroge les participants sur les domaines d’interven-
tion dans lesquels le gain de compétences en formation est le plus réin-
vestissable ou a été réinvesti, nous constatons que tous les domaines sont
cités (planification, stratégies didactiques et pédagogiques, gestion logistique
et gestion du climat d’enseignement). Cependant une étude du détail de
l’importance de chacun des domaines de réinvestissement nous montre que
les domaines prioritaires sont ceux de la pédagogie et du climat d’ensei-
gnement. Ces domaines obtiennent respectivement dans les questionnaires
d’après séance et finaux 92,6 et 100 %, 70,4 et 87,5 %.
Ces secteurs d’effets dominants sont aussi ceux que nous avions
vus apparaître dans notre étude préalable comme étant les domaines prin-
cipaux de besoins déclarés ou de préoccupations pour les professeurs
stagiaires (Fuller, Parson et Watkins, 1974 ; Veenman, 1984 ; Kember, 1997 ;
Note DPD 01-56 ; Dubois, Gasparini et Petit, 2005 ; Note DEP 06-26). Plu-
sieurs raisons pourraient expliquer ce phénomène. La première raison est
relative au contenu des récits exposés, car ces derniers portent en effet
majoritairement sur les domaines de réinvestissement cités. La liberté lais-
sée dans le choix du thème du récit semble ainsi avoir pour conséquence
d’orienter prioritairement les contenus du module vers les préoccupa-
tions des professeurs débutants. Cela constituerait une seconde raison
qui recoupe la première. La dernière raison que l’on pourrait évoquer
relève de la psychologie. Les participants ayant vécu de façon positive leur
participation à ce module chercheraient dans une forme d’idéalisation des
acquis à projeter ces derniers sur leurs besoins. Compte tenu de nos outils
d’évaluation et de la limite de notre suivi des pratiques effectives, nous ne
Former un praticien réflexif : effets du dispositif ARPPEGE 193

pouvons opter prioritairement pour l’une de ces trois raisons qui gardent
en conséquence chacune leur validité. Dans les deux premières raisons
que nous avons évoquées, la perception de réinvestissements possibles ou
effectifs dans les domaines pédagogique et de gestion du climat atteste de
la pertinence du module par rapport aux préoccupations des professeurs
stagiaires, et ce mécanisme est peut-être à l’origine de la forte adhésion
des participants. Mais si ces deux domaines sont largement dominants,
nous constatons aussi que c’est l’ensemble des domaines dans lesquels
une majorité des participants affirment réinvestir ou réinvestissent déjà
les acquis de la formation. En d’autres termes, le module correspond pour
les participants à un outil de transformation des pratiques, et ce dans
tous les domaines.

2.2.5. L’inscription du dispositif dans la formation


Les études montrent que majoritairement les professeurs stagiaires
sortaient de leur formation avec une connaissance assez fine des objectifs
de leur formation dans les domaines pratiques alors que leur connaissance
était moindre en ce qui concerne les modules théoriques. Ce constat est
peut-être à l’origine des résultats observés dans le domaine des liens entre le
module ARPPEGE et les autres domaines de formation. Ainsi, nous consta-
tons dans le tableau 5.8 que le domaine dans lequel le travail de continuité
et de complémentarité est le plus visible est celui du stage en responsabilité.
Les forts pourcentages (de 75 à 92,6 %) attestent de la vision claire qu’ont
les professeurs du lien entre les deux domaines. Cette prédominance peut
être expliquée par les préoccupations des professeurs stagiaires qui sont
centrées sur les contenus « pratiques » de la formation. Dans ce cadre, le
module ARPPEGE offre une passerelle entre le suivi de la pratique sur
le  terrain et les modules de formation en centre (ici le dispositif). Le dis-
positif constituerait donc de ce point de vue une double transition, à la
fois vers une relecture de la pratique, mais aussi vers un nouveau sens
attribué aux modules « théoriques ». Cette interprétation semble validée par
le fait que la complémentarité et la continuité soient aussi entrevues avec
la formation didactique et disciplinaire et la formation transdisciplinaire78.
On notera cependant que, comme dans l’étude de Brau-Antony et Jourdain
(Brau-Antony et Jourdain 2004), c’est le domaine de la formation trans-
disciplinaire qui est le moins perçu comme en continuité avec les problé-
matiques pratiques (59,3 et 50 %). Pourtant c’est dans ce domaine que
le traitement des thématiques qui sont au centre des préoccupations des
débutants, mais aussi des réinvestissements devrait prendre place.

78. Bien que les chiffres soient moins importants, ils demeurent au-dessus de la moyenne.
194 Construire une pratique réflexive

Tableau 5.8. Continuité et complémentarité avec les autres modules


de formation (en pourcentage)

Continuité Complémentarité

Après Après
finale finale
séance séance

Formation didactique
74,1 62,5 77,8 75
et disciplinaire

Formation transdisciplinaire 59,3 50 77,8 62,5

Stage en responsabilité 88,9 87,5 92,6 75

Globalement, nous pouvons affirmer que l’ancrage dans les pratiques


réelles, qui était l’un de nos principes fondateurs, apparaît ici comme un
moyen de formation actionnable pour participer à la construction d’une
convergence des contenus et projets de formation (Bourgeois et Nizet, 1997).
Cependant, la mobilisation dans ARPPEGE de savoirs construits
ou de connaissances acquises dans les autres modules n’apparaît jamais
dans les réponses aux questionnaires. Pourtant, lorsque l’on interroge les
participants, dans le questionnaire d’après visionnage, sur l’apparition de
besoins de définition des domaines d’intervention (phase  5), ils précisent
que cela correspond d’une part à la prise de conscience de besoins jusque
là inconscients et d’autre part que le dispositif est à l’origine de la création
de besoins en la matière.
En synthèse, nous affirmerons que si les participants déclarent per-
cevoir des complémentarités et continuités entre les éléments de formation,
seule la perspective de transformation des pratiques (lien au stage en res-
ponsabilité) est clairement opérationnalisable.

2.3 Mise en perspective des deux types de données


recueillies : une transition effective
Les effets observés en séance et les données recueillies dans les
enquêtes convergent en de nombreux points. Cette tendance globale témoigne
probablement de l’absence (ou de la faible) de déformation des impressions
et perception des participants par rapport aux processus en cours dans le
module. Nous infirmons donc ici le fait que les enquêtes aient pu donner lieu
à l’expression d’une impression idéalisée du module de formation.
La convergence qui apparaît s’établit autour de trois contenus :

– la construction de capacités nouvelles ;


– le bénéfice du maintien de l’ouverture et de la compréhension ;
– un temps de formation trop court.
Former un praticien réflexif : effets du dispositif ARPPEGE 195

Chacun de ces éléments fera l’objet d’une analyse dans les points
suivants qui aboutira ensuite à une synthèse de cette mise en perspective
des données recueillies.

2.3.1. Une construction de capacités nouvelles


Le premier point notable de l’analyse des données est relatif à la
convergence entre les perceptions des participants et les observations quant
aux effets du module. Ainsi l’on constate une cohérence entre les effets
perçus et ceux observés dans le domaine du développement des capacités
d’analyse, de celles liées au travail en équipe et enfin dans le développe-
ment d’un « mieux-être » professionnel. Ces trois éléments constituaient
les trois objectifs à atteindre et valident ainsi la pertinence des choix pour
leur atteinte.

Développement des capacités d’analyse


Cet effet était largement dominant dans les données des enquêtes,
mais ce paramètre était aussi très visible dans l’évolution du profil des
participants. Dans les enquêtes, ces capacités apparaissaient sous la forme
assez diffuse d’une perception globale. Le détail des processus mis en œuvre,
attestant de capacités nouvelles, n’était jamais approfondi, et ce même lors
de la séquence après visionnage. Pourtant nous avions mis en lumière que
de réels nouveaux processus d’analyse étaient enclenchés lors des séances
(questionnement, modélisation…). Les stratégies mises en place étaient
de plus en plus structurées et s’ouvraient largement sur une perspective
d’approche multiréfléchie. « L’autre » est conçu comme un partenaire privilé-
gié de construction de l’analyse, car il offre un contenu d’analyse singulier,
mais aussi un angle de vue différent du sien. Ces éléments sont à la base
de la construction d’une approche multiréfléchie et d’un rapport différent
à la complexité du vécu, mais aussi de son éclairage. De plus, le caractère
systématique des stratégies était attesté par des mises en action rapides et
l’approfondissement organisé de l’analyse. Ces éléments témoignent tous de
l’adoption d’une posture réflexive telle que nous l’avons définie.
Il semblerait donc dans ce domaine que les participants n’aient
pas une conscience précise des transformations en cours. La faiblesse de
la structuration des phases de méta-analyse est probablement un témoi-
gnage de ce faible niveau de conscience. Or nous avions vu que la phase
de métaréflexion était un élément essentiel dans la définition de la pratique
réflexive que nous avions produite. On peut donc conclure à ce stade que,
si les participants adoptent une posture réflexive, ce processus n’est pas
encore totalement conscientisé et que la réflexion sur cette nouvelle atti-
tude constituerait une étape supplémentaire qui permettrait l’atteinte du
développement de la totalité des caractéristiques de la pratique réflexive.
196 Construire une pratique réflexive

Le caractère autonome et reproductible de cette pratique n’est rendu pos-


sible que lorsque le sujet est capable dans un premier temps d’analyser
son analyse et de s’ouvrir ainsi des perspectives conscientes et volontaires
d’évolution de cette dernière. Il est possible qu’à ce stade la présence
d’un cadre d’accompagnement du développement soit encore une
condition sine qua non de construction. Cette affirmation est en adé-
quation avec le principe de transition que nous avons adopté, mais atteste
aussi de la nécessité de poursuivre ce type de dispositif79 pour compléter la
formation d’un praticien réflexif ou tout du moins le faire accéder au stade
de l’autonomie en la matière (cf. la notion d’« habitude du quotidien »,
Perrenoud, 2001).

Développement des capacités au travail en équipe


Si cet élément apparaît de façon minorée dans les effets déclarés par
les participants, nous avions constaté que les réponses obtenues à l’issue
d’une analyse plus approfondie après visionnage ou encore les réponses
relatives à la capacité d’intégration aux dynamiques disciplinaire et d’établis-
sement traduisaient au contraire un gain dans le domaine. Cette information
relative au gain en capacités était recoupée par l’amélioration très significa-
tive de la qualité des échanges au cours de la formation. Mais cette qualité
d’échange n’est pas seulement formelle, et les témoignages recueillis lors
de la séquence après visionnage lient de façon indissociable cette qualité de
l’échange à la qualité de l’analyse. L’option socioconstructiviste, pour laquelle
nous avions opté, trouve une validité dans cette interdépendance des
acquis de formation et dans le regard constructif qu’elle permet de
développer sur la complexité du vécu et en son sein, des relations
humaines professionnelles qui la composent.
Cependant, comme pour les capacités d’analyse, il semble qu’à ce
stade la conscience de cette construction de capacités soit diffuse et les
participants ont du mal à la formuler de façon précise. La transformation des
pratiques d’échanges (respect de la parole, écoute de l’écoute…) attestant
du développement de capacités d’écoute et de prise de parole construc-
tive, constitue cependant déjà un acquis professionnel très visible lors de
nos observations. L’émergence de cet acquis au stade de la conscience
précise permettrait de développer une métaréflexion sur ces contenus et
probablement d’en augmenter l’usage, d’en améliorer le contenu et/ou d’en
diversifier les formes.
Nous concluons ici aussi, que la construction de ces capacités
en est à son stade initial et que la perspective de stabilisation que
nécessite la pratique réflexive ne peut probablement s’ouvrir qu’avec

79. Nous étudierons dans un point ultérieur cet élément.


Former un praticien réflexif : effets du dispositif ARPPEGE 197

la mise en place d’un accompagnement prolongé vers la reproduc-


tibilité et l’autonomie.

Développement d’un mieux-être professionnel


Nous avons pu constater tout au long du dispositif une disparition
des tensions présentes au départ et de façon inverse une augmentation de
l’engagement dans les différentes phases. Cette inversion et le dévelop-
pement de cette forte adhésion sont aussi lisibles dans les réponses aux
enquêtes. Si ces témoins n’attestent temporairement que d’une forme de
bien-être dans le module, ce processus participe déjà au mieux-être profes-
sionnel global. Les études relatives à cette question montrent en effet que
les professeurs stagiaires reprochent aux formations en centre leur faible
pertinence du point de vue de la transformation des pratiques (CNE, 2001 ;
Note DPD  01-56, 2001 ; Rayou et Van Zanten, 2004 ; Dubois, Gasparini et
Petit, 2005 ; Note 06-26 DEP, 2006 ; Rayou, 2008). L’adhésion au module
ARPPEGE constitue un moyen de remettre en cause cette appréciation
globale de la rupture entre la théorie (formation en centre) et la pratique
(stages et suivi). En d’autres termes, nous validons ici le fait que la création
d’un espace de mise en cohérence des contenus de formation est de
nature à diminuer les tensions et ainsi favoriser un « mieux-être »
professionnel et aider « à traverser au mieux ce temps d’adolescence
professionnelle » (4e de couverture, Blanchard-Laville et Nadot, 2001).
L’effet ne se limite pas seulement au rapport des professeurs sta-
giaires à leur formation, car les témoignages recueillis nous révèlent que
les acquis de formation ont aussi pour conséquence une modification du
rapport à l’expérience en établissement. Si les processus de « prise de
conscience » et de « prise de recul » sont les plus souvent cités, les termes
« dédramatiser » ou « effet cathartique » traduisent cette modification du
rapport cognitivo-affectif à la pratique, c’est-à-dire d’une acceptation non
anxiogène de la complexité et des transformations de la pratique80. Nous
avions qualifié ce rapport dans notre définition de la pratique réflexive
comme « une acceptation de la complexité » qui s’opposait aux postures
d’évitement ou de fatalisme qui apparaissaient souvent face au « choc de
la transition » (Veenman, 1984).
Nous ne pouvons savoir à ce stade, compte tenu de nos outils, si
cette transformation du rapport à la pratique est durable. On peut penser
que, si ce déclenchement laisse des traces cognitives « irréversibles », son
opérationnalité dépend de la capacité réflexive totale et demeure donc liée
à son développement et son entretien. L’analyse des capacités précédentes

80. Effets anxiogènes que mettaient en évidence Blanchard-Laville et Nadot dans leur
ouvrage de 2001.
198 Construire une pratique réflexive

nous a révélé le stade initial de cette pratique et nous incite à penser que
le « mieux-être » professionnel développé lors de la participation au module
est de ce fait un acquis fragile.

2.3.2. Le bénéfice du maintien de l’ouverture


de la compréhension
Nous avions fait le choix du maintien de l’ouverture de la compré-
hension en cohérence avec notre inscription dans le paradigme de l’incer-
titude et l’acceptation de la complexité qui en découle. Ce choix n’est pas
dominant parmi les propositions de dispositifs d’analyse de pratiques et
nous avons vu lors de notre étude préalable qu’il entrait en rupture avec
les demandes des professeurs débutants et leur habitus de socialisation
scolaire. Nous constatons dans nos résultats que ces représentations et
demandes se sont modifiées tout au long du processus pour finalement
s’inverser. Ce phénomène est tout autant perceptible dans les séances
que dans les réponses aux questionnaires. Ainsi, alors que des demandes
allant dans le sens de la production ou de la fourniture de solutions étaient
visibles dans les deux premières séances, les attitudes ont évolué vers la
défense de la nécessité du maintien de l’ouverture par la compréhension.
Cette défense se traduit en acte par des échanges lors de la phase  8 des
séances 2 et 3 (N1 et N2) au cours desquels les participants justifient
de façon spontanée ce principe d’ouverture face à d’autres participants
qui s’interrogent ou doutent sur cette question. Les échanges suivants,
extraits de la phase 8 de la séance 4 (N2), attestent de cette inversion de
la représentation :
L’exposante « le protocole tel qu’il est établi permet une progres-
sion c’est évident, au cours de la séance rien à dire d’autant plus qu’il
aboutit à un questionnement ».
Et P2 « je pense que l’exposant ne ressent pas enfin interprète
mes questions et je pense que tu ne penses pas à ce que je pense
[. ] Avant d’exposer je ne me rendais pas compte parce que quand on
expose on perçoit vraiment les questions comme… je comprends pour
quoi vous mettez l’accent sur le fait qu’elles soient neutres ».
Ces témoignages en acte convergent avec les réponses fournies dans
les enquêtes ou les enquêtes/entretiens après visionnage. La finalisation par
la compréhension et non la résolution apparaît comme un élément de sécu-
risation de la parole (non jugement) et donc d’expression et aussi comme
un moyen de maintenir la réflexion ouverte en cohérence avec le paradigme
de l’incertitude et l’appréhension de la complexité. Cet élément est d’autant
plus important qu’il ouvre des perspectives d’adaptation plutôt que d’inter-
vention limitée à un contexte restreint. Ainsi, nos résultats montrent qu’il est
possible d’inverser partiellement (dans le cadre d’un module au moins) la
Former un praticien réflexif : effets du dispositif ARPPEGE 199

tendance, mise en lumière par la note 06-26 de 2006 ou le rapport du CNE


de 2001, relative à la prédominance importante des demandes de solutions
en formation. Mais c’est aussi une validation de l’affirmation de  Dubois,
Gasparini et Petit lorsqu’ils précisent que les professeurs stagiaires entre-
tiennent une relation ambiguë « à cette socialisation paradoxale, qui est
tout à la fois […] rejetée pour cause d’infantilisation ou d’inadaptation
à une formation professionnelle adulte et recherchée pour le cadre
rassurant qu’elle offre face aux incertitudes du métier d’enseignant et
à l’engagement personnel qu’appelle la posture enseignante » (Dubois,
Gasparini et Petit, 2005, p. 6). Nous pensons à la lumière de nos résultats
qu’il est possible de dépasser ce paradoxe par un accompagnement conçu
et orienté dans cette perspective, en sécurisant le passage au paradigme
de l’incertitude.
De façon concrète le maintien de l’ouverture a permis l’expres-
sion d’une importante diversité de réflexion, s’inscrivant dans la
logique d’adéquation de l’analyse aux ressources, et qui caractérise
l’approche multiréfléchie telle que nous l’avons définie. Cette diversité est
présente dans le contenu des phases 2 et 4, mis en mot lors de la phase 5 bis
(domaines et éléments déclencheurs), dans les modes de questionnement
de la phase  3, dans les modélisations de la phase  6 (verbalisée et visible
lors des échanges de la phase 7) ou encore dans les analyses de la phase 8.
Cette diversité traduit la complexité de l’analyse et la singularité de son
produit, et nous interroge sur les liens possibles qui peuvent se créer entre
les cadres personnels d’analyse et les cadres préexistants. Si nous avions
postulé pour la construction ou l’usage premier de cadres préexistants, nous
nous rendons compte que la référence explicite à ces derniers est très peu
présente dans nos résultats. Au contraire, nous constatons plutôt que la
construction de grilles personnelles est première et constitue un gage de
sens pour l’acteur. Cette construction semble permettre le passage ensuite à
une phase commune d’appropriation des cadres préexistants conventionnels
et/ou scientifiques. Ainsi, nous affirmons que, par la clarification personnelle
des liens et des contenus de chaque registre analysé, le praticien construit
ses prérequis nécessaires à l’échange, à l’accès et à l’usage de cadres exté-
rieurs. Nous observons ainsi de façon significative au fur et à mesure du
déroulement du module, une augmentation du travail de définition indivi-
duelle lors des phases  5, puis de redéfinition en commun lors des phases
collectives (phase 5 bis ou 6 par exemple). Mais ce système n’est pas fermé
et nous pouvons postuler l’existence d’un aller-retour permanent possible
entre l’usage de cadres extérieurs et la conception/transformation des cadres
personnels. Cette hypothèse est confortée par celle formulée par Clenet
lorsqu’il affirme qu’« apprendre et se former c’est pouvoir construire
ses propres formes en s’appropriant des cadres pour s’adapter à son
environnement. » (Clenet, 2005 p. 22).
200 Construire une pratique réflexive

Dans cette logique, il serait sans fondement de croire que ces cadres
personnels soient créés ex nihilo et leur contenu est par force issu de
champs de connaissances et de savoirs de l’expérience ou théorique sur
l’expérience81. Mais à ce stade, l’usage de ces ressources préalables n’est
pas conscientisé et cette absence de conscience ne semble pas permettre
une structuration systématique ou reproductible de ces usages, d’un savoir
analyser. Il se produit donc dans ce domaine un effet de formation relatif
à la clarification des cadres d’analyse, mais qui n’accède pas encore
dans nos résultats au rang d’objet de la réflexivité.

2.3.3. Un temps de formation trop court


Nous avons recueilli plusieurs expressions de cette appréciation
dans nos données. Ainsi, nous avons vu que les réponses présentes dans
les questionnaires finaux affirment à 87,5 % que le volume global du module
(15 h) est trop court pour pouvoir acquérir l’ensemble des compétences
professionnelles attendues. Cet élément est corroboré par les demandes de
poursuite du dispositif que l’on constate les deux années. Ces demandes
s’établissent à la fois dans le cadre de la formation instituée des néo-titulaires
(N1), mais aussi dans une dynamique informelle de poursuite des échanges
(N2), les participants de cette seconde année s’interrogeant sur la possibilité
de trouver une formule en distanciel compatible avec les mutations géogra-
phiques dispersées à venir. D’autres indicateurs attestent de cette perception
d’un temps trop court, par exemple, la possibilité offerte de dépassement
du temps protocolaire de la phase 6 (S5 N2) a mis en évidence le souhait
des participants d’approfondir la compréhension et sa formalisation. L’usage
de temps de plus en plus important pour tous les participants ou encore le
nombre très important de questions lors des phases 3 des dernières séances
renforcent cette appréciation.
Cette perception d’un temps trop court atteste selon nous d’une
efficacité en l’état du dispositif de formation pour les participants, mais d’un
besoin de poursuite pour compléter ou valoriser cette efficacité. Ce volume
de formation et sa répartition constituent un élément important des condi-
tions de développement de la pratique réflexive que l’on retrouve chez de
nombreux auteurs derrière le terme d’entraînement (Altet, 1996 ; Tardif,
Lessard et Gauthier, 1998 ; Perrenoud, 1998a, 2001 ; Lamy, 2002 ; Fumat,
Vincens et Étienne, 2003). Paramètre essentiel de l’apprentissage (Reu-
chlin, 1977 ; Reboul, 1980), la répétition constitue donc un élément de notre
dispositif, mais qui demeure limité dans le temps (cinq fois trois heures).
Si nous constatons déjà de nombreux effets de formation, nous avons aussi
systématiquement vu les limites du caractère reproductible de ces acquis.

81. Affirmation en cohérence avec les travaux de Deaudelin, Brodeur et Bru (2005).
Former un praticien réflexif : effets du dispositif ARPPEGE 201

En d’autres termes il nous semble que notre dispositif est fonctionnel dans
une logique de transition et qu’en ce sens il ouvre les perspectives de déve-
loppement de la pratique réflexive. Mais ces perspectives ne semblent pas
accessibles de façon autonome à ce stade et les demandes de poursuite de
ce protocole matérialisent cette nécessité d’un accompagnement. Un temps
long de formation nous apparaît comme une nécessité pour passer
d’une posture réflexive encore conjoncturelle à cet habitus, cette
habitude quotidienne dont parle Perrenoud en 2001.
Ce paramètre temporel essentiel n’est cependant pas dépendant
des principes de conception ou de construction des outils de formation, il
est, dans sa forme macroscopique, déterminé par les moyens institutionnels
globaux et leur répartition à l’intérieur des plans de formation tout au long
du continuum de formation initiale et continuée.

2.3.4. Synthèse : des transformations de pratiques,


de la construction de capacités nouvelles, mais…
un stade initial d’entrée dans la pratique réflexive
Nous avons vu à travers les analyses précédentes que notre dispo-
sitif revêt une efficacité qui se traduit globalement par des transformations
de l’intervention professionnelle par le biais de capacités nouvelles et
d’une modification du rapport à la pratique. Les professeurs sta-
giaires ont développé une capacité nouvelle à accepter, appréhender et
affronter en pratique la complexité, les faisant accéder au stade des
apprentissages en double boucle par l’intermédiaire de l’accompagne-
ment de la réflexion (Argyris et Schön, 1974). Ainsi, les transformations
constatées et déclarées permettent d’affirmer que les déclenchements,
nécessaires à la bascule dans le paradigme de l’incertitude, et susceptibles
d’entrouvrir les perspectives d’une professionnalisation accrue, ont été
réalisés grâce au dispositif.
Mais nous avons aussi constaté dans chacun de ces paramètres le
caractère initial de leur développement. La conscience de ces bascules,
la formalisation claire de ces processus demeurent peu présentes
et si le processus de métaréflexion semble désormais s’enclencher
de façon spontanée, sa faible structuration n’offre pas encore
l’opportunité d’un fonctionnement totalement autonome. De la défi-
nition de la pratique réflexive que nous avons formulée, il nous semble
que seuls les caractères systématiques, évolutifs et reproductibles sont
stabilisés dans le cadre du protocole. La mobilisation hors protocole est,
selon les déclarations, encore non systématique ou non perçue, la ques-
tion du réinvestissement des acquis demeure entière pour définir le degré
d’entrée dans la posture réflexive. Ainsi, la logique de transition dans
laquelle nous avions conçu notre outil trouve donc une légitimité,
202 Construire une pratique réflexive

mais rencontre de façon concomitante une limite, celle du temps


de  formation. En  cohérence avec notre hypothèse de développement
d’une approche multiréfléchie « à niveau de ressource », nos résultats
montrent que l’enclenchement d’un « réflexe multi » est présent, mais
que ce dernier ne constitue pas encore une capacité approfondie et per-
mettant par exemple de systématiser l’analyse et la mise en perspective
de ses propres cadres. Un premier pas dans l’approche multiréfléchie est
donc réalisé et, s’il est une étape fondamentale pour l’enrichissement
du processus de  professionnalisation, il n’en constitue pas encore une
ressource complète.
Ce constat ne remet cependant pas en cause les choix que nous
avons effectués et nos résultats valident la majeure partie des principes
que nous avons conçus. Le point suivant sera l’occasion de détailler les
principes validés ainsi que les limites et perspectives de ces propositions.

2.4 Synthèse et analyse prospective de l’usage


du dispositif ARPPEGE
Cette partie sera l’occasion de synthétiser les principes que les résul-
tats ont permis de valider, mais aussi d’analyser les limites des propositions
et en conséquence de dresser des perspectives d’usage et d’évolution.

2.4.1. Validation des principes de construction


et de conception
Le premier point détaillé est relatif à la validation des principes
de conception et de construction de l’outil ARPPEGE. Cette validation est
issue de deux types d’analyse. La première est liée à la convergence des
hypothèses, des témoignages et des observations, mais nous avons vu que
les déclarations ne reprenaient pas systématiquement la totalité de nos
observations. C’est pourquoi nous inférerons à partir de nos observations
seules, un certain nombre d’hypothèses de validation.

Éléments validés à partir de la convergence des données


Cinq principes présents dans notre cadre conceptuel sont validés par
les données recueillies dans l’observation et par l’intermédiaire des enquêtes.
Nous présenterons d’abord les éléments liés aux processus réflexifs puis
ceux relatifs aux choix de construction du dispositif :

– La dimension systémique du développement en groupe de la


pratique réflexive
Nous avions fait l’hypothèse d’un fonctionnement en système
des trois objectifs. Les manifestations observées traduisent l’expression
Former un praticien réflexif : effets du dispositif ARPPEGE 203

de ce système et valident cette conception  : les capacités d’analyse,


de  communication et le bien-être forment un ensemble d’éléments dont
chacun contribue de façon interdépendante au développement de la pra-
tique réflexive. Ce système semble présenter, lorsque la phase initiale de
développement est enclenchée, un fort potentiel de croissance alliant
autonomie et accompagnement. Ainsi, le gain en capacité dans un registre
a pour conséquence immédiate l’amélioration dans les autres registres.
Mais ce fonctionnement constaté sur les groupes ne répond pas à la
seule chronologie. Des boucles récursives d’interaction semblent lier ces
capacités et leur développement. La pratique réflexive ne serait alors
pas limitée à un « savoir réfléchir », mais constituerait bien une posture
systémique englobant la totalité des ressources de l’individu (cognitive,
affective et sociorelationnelle).

– L’option constructiviste
La prédominance de la fonction d’accompagnement, d’étayage,
semble, à la vue de nos résultats, être une condition de l’engagement
constructif des participants. Dans le dispositif, le placement de l’apprenant
au centre des processus de formation a pour conséquence l’enclenchement,
par le sens puis la motivation, de l’engagement. Cet engagement se traduit
par les processus d’implication et d’explication. Ces deux processus sont
présents dans tous les résultats et montrent la validité de la recherche
d’une approche multiréfléchie qui permette de comprendre de l’intérieur
(acteur ayant vécu la situation), mais aussi de l’extérieur (acteur pre-
nant du recul) l’expérience professionnelle. Le rapport du formateur aux
savoirs semble de ce point de vue essentiel. Dans les résultats obtenus,
cet engagement constructif s’est traduit par une diversité importante des
productions, visible tout autant dans les productions (phases 5bis et 7)
que dans les déclarations.

– L’option socioconstructiviste
Si l’engagement de l’acteur apparaît comme essentiel, la forme
sociale de l’apprentissage apparaît dans les résultats comme tout aussi
importante. Ainsi, les organisations collectives d’échange ont permis d’accé-
der à de réelles phases de co-construction qui sont perçues comme telles
par les participants dans leur déclaration. Les processus sociaux enclen-
chés sont au cœur du système qui lie les objectifs. Ils participent ainsi à
l’amélioration des capacités d’analyse (dépassement de la mutualisation
par la co-construction), au développement des capacités à travailler en
équipe (écoute, prise de parole, respect) et contribuent au développement
d’un « mieux-être » (sécurisation, motivation). La perspective multiréfléchie
apparaît dans les témoignages comme fortement enrichie par les structures
sociales du travail d’analyse.
204 Construire une pratique réflexive

– Le maintien de l’ouverture par l’option compréhensive


Nous avions opté dans le domaine pour une stratégie en rupture
avec les demandes des professeurs débutants  : le choix de ne pas finali-
ser les séquences par la production de solutions était accompagné dans la
séance par une stratégie de progressivité82. Les observations et les réponses
produites dans les enquêtes nous montrent que ce choix est fonctionnel et
devient même pour les participants une condition d’efficience du module.
De plus, la singularité des modèles de compréhension, mais aussi des habitus
professionnels se traduit par une grande diversité des modes de questionne-
ment (phase 3) des contenus exposés (phase 5bis), des apports en phase de
construction commune (phase 6), des stratégies de formalisation (phases 6
et 7) et des préoccupations méta (phase 8). Cette diversité valide le principe
relatif au maintien des contenus dans le domaine de la compréhension et
non de la résolution. Une unicité de la solution ou l’expertise affichée de son
émetteur viendraient en dissonance avec la singularité du praticien et de
son rapport aux contenus de formation et remettraient en cause une partie
de notre inscription dans le paradigme de l’incertitude. Par contre, nous
relevons dans nos données que ce maintien n’est pas en contradiction avec
la transformation des pratiques qui finalise la pratique réflexive. La profes-
sionnalisation accrue est en effet conditionnée par l’opérationnalité praxique
de la nouvelle posture construite.

– La structuration formelle du dispositif et de ses règles de


fonctionnement
Les critiques fréquentes des professeurs débutants quant aux
séances d’analyse de pratiques portent souvent sur leur caractère inor-
ganisé et les conséquences en matière de dérapage ou de stérilité. Aussi,
nous avions fait le choix d’une structuration stricte de la forme de notre
dispositif. Le développement d’habitudes réflexives constatées chez tous les
participants à partir des troisièmes séances, ainsi que les réponses four-
nies dans les enquêtes valident le choix de structuration que nous avons
réalisé. La rupture avec les modes transmissifs de formation a été rendue
possible par le maintien d’un mode directif de déroulement formel. La struc-
turation formelle du dispositif constitue un repère de fonctionnement qui
semble favoriser la transition vers la pratique réflexive et l’acceptation de
l’entrée dans le paradigme de l’incertitude. Ces éléments participent à la
clarification du contrat de formation en précisant la nature des contenus
et objectifs de chaque entité du dispositif. Mais ce processus se double

82. L’émergence de solutions est limitée aux phases  2 et 4 qui sont individuelles, placées
assez tôt dans la séance pour être dépassées et objet d’analyse de la phase  5. Cette
triple stratégie (individuel, proche du début et objet d’analyse) permet un accompa-
gnement et donc une progressivité dans la démarche de dépassement.
Former un praticien réflexif : effets du dispositif ARPPEGE 205

d’une approche éthique du contrat qui permet l’engagement sécurisé du


participant. Les participants déclarent ainsi que la conception et le respect
de règles temporairement intangibles de fonctionnement (confidentialité,
respect, non-jugement…) ont favorisé leur engagement dans le dispositif
et ont permis son maintien voire son amplification. Structuration formelle
et approche éthique sont des éléments qui sont d’ailleurs à la base de la
plupart des dispositifs d’APP.

– La variation des formes de support d’analyse


Toutes nos données convergent dans le sens de l’efficacité de la
variation des supports d’analyse. La richesse de combinaison des possibles
est perçue par les participants comme un élément favorisant l’enrichisse-
ment de l’ensemble des capacités. Ce type de variation est indissociable des
formes sociales de travail. Ainsi, l’écriture collective (modélisation) nous
semble possible, car elle a été précédée de phases individuelles d’écriture,
mais aussi de phases collectives d’échange. Ce caractère indissociable des
effets de formation liés aux variations des supports n’est pas formulé par
les participants et seules nos observations valident ce processus. D’autres
types de choix sont validés à partir de ces seules informations, nous les
développerons dans le point suivant.

Éléments validés à partir d’inférences


Nous n’avons pu valider la totalité de nos principes à partir de nos
données, nous avons cependant travaillé sur deux principes à partir d’infé-
rences construites sur la base des données recueillies.

– L’option de transition
Cette option se fondait sur le principe de la nécessité de prendre en
compte la spécificité du public en formation. Nos observations nous montrent
que les choix de progressivité des formes de travail83 ont favorisé l’entrée
dans la pratique réflexive. Cependant les participants n’ont pas conscience
de ces éléments de structuration du dispositif. Aucun d’eux en effet ne
formule de traces de perception de cette stratégie d’organisation. Dans nos
observations nous ne relevons pas de blocages ou de phases de freinage
dans le déroulement des séances ou l’évolution des profils. Les  phases
5bis84 marquent, par exemple, nettement cette transition entre les diffé-
rentes formes de rapport aux contenus de formation qu’entretiennent les

83. Forme de groupement  : de l’individuel (ph  2 et 4) au collectif (ph  7 et 8) en passant


par des structures réduites (phase 6). Nature des contenus : de la solution (ph 2 et 4)
à la compréhension (ph 6 et 7) et à la méta-analyse (phase 8). Variabilité de la forme
du dispositif par l’ajout de phases ou de consignes. Variation des formes de support.
84. Cette phase a d’ailleurs été conçue à la demande des participants de la première année.
206 Construire une pratique réflexive

participants. Le choix de partir des habitudes de travail en proposant un


accompagnement de la transformation de ces modes de rapport au savoir
nous a permis de contourner le risque des postures d’évitement ou de refus85.
En d’autres termes, nous pensons que cette option constitue un « filet » pour
s’assurer d’une transition fonctionnelle entre les paradigmes de formation.

– La production de décalages
Nous ne relevons pas de traces importantes dans les réponses aux
enquêtes de la perception de l’importance des décalages dans le processus
de formation. Pourtant nous constatons que les éléments reconnus comme
constructifs (décentration, prise de recul) sont presque tous le produit d’un
décalage préalable. Ces derniers sont présents entre les phases individuelles
(2 et 4) entre les formes et contenus de questionnement (phase 3) ou les
phases collectives de production et d’échanges (phases 6 à 8). La valo-
risation de la conscience du décalage est pour nous le processus central
de l’approche multiréfléchie et participe au déclenchement des prises de
conscience soudaines que nous avons observées.

2.4.2. Limites du fonctionnement du dispositif ARPPEGE


Si la majorité des principes de conception et de construction de
notre outil semble validée par nos résultats, nous ne pouvons cependant pro-
céder à cette validation pour d’autres principes. Nous mettons en lumière,
du fait de cette absence de validation, plusieurs limites de notre outil qui
sont détaillées ci-après.

Peu de traces de convergence des éléments de formation


Dans nos données, nous n’avons constaté que peu de traces de la
convergence des contenus de formation proposés dans les différents modules
de formation. Si les déclarations des participants positionnent clairement le
module ARPPEGE en continuité et complémentarité avec les expériences
de stages, nous ne relevons aucun témoignage concret ou phénomène obser-
vable attestant d’un lien effectué entre les contenus du module ARPPEGE et
ceux des autres modules de formation en centre. Notre principe de création
de besoins en matière de connaissances par le module ne peut donc à ce
stade être validé. Nous pouvons expliquer ce résultat par le stade de déve-
loppement de la pratique réflexive. En effet, nous avons constaté que les
participants avaient développé de nouvelles capacités, mais que celles-ci ne
s’inscrivaient encore que peu dans une pratique consciente et structurée.

85. Nous avons recueilli avant la première séance de N1 des témoignages de défiance envers
le dispositif et son formateur qui témoignaient de ce type de posture. Ces traces étaient
infimes à l’issue de la première séance et avaient totalement disparu à l’issue de la
seconde.
Former un praticien réflexif : effets du dispositif ARPPEGE 207

Nous pouvons penser que ce stade n’est pas encore propice à la création
systématique ou consciente de passerelles réflexives vers les autres contenus
de formation. La référence explicite est à ce stade la pratique (prioritairement
la sienne et, de façon minoritaire, celle d’autrui, un pair ou un ex-pair/expert)
qui se traduit par une convergence perçue avec l’expérience de stage. Les
savoirs théoriques pour leur part ne semblent pas encore constituer des
ressources directement et consciemment mobilisables. Cependant nous ne
pouvons que supposer la mobilisation réelle, mais inconsciente de ces savoirs
et pensons que l’allongement du temps de formation dans le dispositif serait
probablement de nature à permettre l’émergence de ces savoirs.
Nous avons aussi constaté dans les résultats que la constitution
de cadres personnels d’analyse (définition, regroupement d’indicateurs par
registre) semblait être préalable à la mise en commun et à la constitution
de cadres extérieurs à soi. Il en va peut-être de même pour le rapport aux
cadres théoriques existants.
Cependant pour Perrenoud, la construction de passerelles entre
modules de formation ne peut être liée aux seuls contenus des dispositifs
d’analyses de pratiques et seul un travail global d’orientation vers ce type
d’habitus, une entrée massive dans le paradigme de l’incertitude « accroîtra
les chances des étudiants d’accrocher à l’une ou l’autre et enrichira leur
palette » (Perrenoud, 2001, p. 63). Il serait naïf que d’espérer transformer
les pratiques d’une institution en ne transformant qu’une petite partie de
ses pratiques et le regard de quelques-uns de ses acteurs. Si Bourgeois et
Nizet précisaient que l’apprentissage était possible lorsqu’il se fondait sur
la rencontre/convergence entre le projet des apprenants, celui des forma-
teurs et celui de l’institution (Bourgeois et Nizet, 1997), il nous semble,
en accord avec Perrenoud (2001), que la convergence doit aussi s’établir
entre les formateurs et notamment par l’intégration de la logique réflexive
dans l’ensemble des modules de formation. Ce processus ne présage par
contre pas de la transformation des modalités pédagogiques de chacun des
modules, mais intègre la perspective de construction de passerelles entre ces
modalités à partir d’une posture réflexive des apprenants et des formateurs.
Les conditions d’efficacité décrite par Bourgeois et Nizet (1997) reposent
aussi sur l’engagement de l’acteur au travers d’un projet.

Le volontariat
Ainsi, une deuxième limite semble très importante dans le disposi-
tif proposé  : la participation au module ARPPEGE s’effectue à partir d’un
choix entre deux modalités d’analyse de pratiques. Cette possibilité aboutit
à un « volontariat relatif » et nous avons constaté qu’une grande majorité
des professeurs stagiaires qui choisissaient l’autre modalité le faisaient dans
le souhait d’éviter un dispositif trop impliquant ou en rupture avec les
approches classiques de l’apprentissage et de l’enseignement. Dans ce cadre
208 Construire une pratique réflexive

on peut s’interroger sur les effets que nous aurions obtenus avec un public
qui ne fasse pas ce choix initial, mais qui serait contraint à la participation86.
L’analyse de la demande et l’adhésion aux propositions qui en découle
font partie des éléments de réflexion des acteurs du domaine de l’analyse
de pratiques et pour beaucoup ils conditionnent l’efficacité des dispositifs.
Perrenoud traduit cette interrogation et affirme ainsi que « former des étu-
diants à une pratique réflexive alors qu’ils attendent des réponses caté-
goriques, des recettes et des routines, est une entreprise sans espoir »
(Perrenoud, 2001, p.  60). Lorsque l’on interroge les participants sur leurs
motivations à s’inscrire dans ce module, ils évoquent la curiosité, la nouveauté,
l’orientation vers la compréhension et non la résolution, et enfin l’écoute et
l’investissement du formateur lors de la  présentation du module. Ces élé-
ments semblent attester d’une sensibilité particulière qui, si elle ne traduit
pas encore une posture réflexive, révèle une éventuelle affinité avec elle.
Jorro propose une classification en trois types d’attitudes d’appre-
nant et d’engagement dans les dispositifs qui recoupent nos constats (Jorro,
1999, 2005) :

– le retranchement : ils ne s’inscrivent pas dans le dispositif et ont des


appréciations négatives sur ce dernier ;
– le témoignage : dominant en début de cycle et début de séance, les
participants s’inscrivent pour témoigner et éventuellement échanger ;
– le questionnement : dominant en fin de cycle et fin de séance, les
professeurs stagiaires s’inscrivent pour comprendre.

Le principe du volontariat, même relatif, permet d’éviter l’attitude


de retranchement qui déstabilise l’équilibre du dispositif. Nous envisageons
en effet plusieurs risques en cascade à la remise en cause du principe du
volontariat dans ce type de formation et à la participation contrainte :

– l’évitement de l’entrée dans l’analyse de sa pratique qui se traduit


par des mécanismes de défense, de défiance et des conduites d’évi-
tement. Ces comportements sont parfois présents dans les modules
d’analyses de pratiques proposés dans la formation initiale des ensei-
gnants (Dubois, Gasparini et Petit, 2005) ;
– l’absence de confiance par rapport à la sécurité de son engagement.
Il pourrait se traduire par une inhibition de la parole et l’expression
de contenus filtrés par le « surmoi professionnel ». Les questions
de sécurisation de la parole et de contrat éthique ne semblent pas

86. On notera que la totalité des étudiants des nouveaux masters choisira ce module lors
des années qui ont suivi la recherche, témoignant d’un impact des modifications de
maquettes, mais aussi du crédit acquis.
Former un praticien réflexif : effets du dispositif ARPPEGE 209

pouvoir être abordées si l’engagement préalable n’est pas le fruit d’un


acte volontaire et constructif. Le rapport à la confidentialité illustre
parfaitement cette forme de risque et l’animateur peut jouer un rôle
central dans l’enclenchement du processus de mise en confiance ;
– Le cloisonnement disciplinaire : nous avons vu qu’une des raisons de
la non-inscription dans le module était relative à l’absence de vision
transdisciplinaire du métier. Cette représentation probablement liée
aux cultures disciplinaires et aux identités héritées pourrait être
un frein à l’engagement constructif dans le cas d’une participation
involontaire.

Ainsi, si le volontariat semble une condition nécessaire d’efficacité


des dispositifs, ce principe présente cependant deux obstacles. Le premier
est relatif à la logique institutionnelle qui n’est pas toujours compatible avec
la mise en place de modules au choix  : les problèmes de dédoublement,
d’emploi du temps sont autant d’éléments potentiellement freins de ce type
de démarche. Ce constat est d’autant plus prégnant dans une structure
de petite taille. Le second écueil est celui de l’égalité d’accès à la forma-
tion. Le  principe du volontariat présente le risque de n’offrir la possibilité
d’accéder à de nouvelles capacités qu’aux professeurs débutants présen-
tant déjà une « affinité » avec la logique réflexive, celle de la complexité
ou le paradigme de l’incertitude (curiosité, nouveauté…). Si nous pensons
qu’un tel processus conduirait à une forme de discrimination dans une
structure d’éducation d’enfants, nous pensons que dans le cas d’une forma-
tion d’adultes, la responsabilité de la construction de ce rapport au savoir
incombe autant à l’institution qu’aux formateurs et aux formés. En d’autres
termes, il s’agit bien de tenter de construire des convergences, car pour
être efficace en la matière il « faut certainement l’adhésion des intéressés,
donc un programme clairement orienté vers la pratique réflexive et
un contrat de formation tout à fait explicite » (Perrenoud, 2001, p. 60).

Une autonomie limitée


Dans la vision maximaliste de la pratique réflexive qu’il développe,
Perrenoud envisage cette dernière comme un élément produit par une
convergence globale des formations (Perrenoud, 2001). Dans nos résultats
nous vérifions que notre dispositif n’est pas le moteur de cette convergence
globale, ce que nous voyons dans le caractère limité des transformations.
Nous avons en effet constaté que les participants au dispositif affirmaient que
le temps de formation du module était trop court et que ce témoignage pou-
vait être mis en perspective avec le faible niveau de conscience des processus
enclenchés. À ce stade, la pratique réflexive ne constituait pas « une habi-
tude, une dépense d’énergie intégrée à la vie quotidienne » (Perrenoud,
2001, p. 62), mais plutôt un réflexe, partiellement conscientisé et structuré,
observable dans la limite du protocole. Les  perspectives d’autonomie que
210 Construire une pratique réflexive

pourrait traduire une conscience claire lors des échanges « méta » et une
approche multiréfléchie totale ne semblent pas totalement ouvertes. Comme
nous l’avions visé dans notre stratégie générale de conception, les participants
semblent dans une transition entre le paradigme classique de l’expertise et
celui de l’incertitude. Ainsi, si la mobilisation de nouvelles capacités d’analyse,
constatée lors des dernières séances des deux années et dans les réponses
aux différents questionnaires, atteste par sa spontanéité des processus de
transformation en cours, on peut s’interroger sur la largeur des champs
d’utilisation et de réinvestissement (travail en équipe, phase de bilan après
intervention, situation d’enseignement). De la définition que donne Altet du
« savoir analyser », les professeurs stagiaires s’approprient, à ce stade, les
dimensions heuristiques et de problématisation (Altet, 2000, 2009), mais
en les limitant principalement au cadre du protocole. La capacité de méta-
réflexion demeure limitée à un travail « réactif » (non enclenché et structuré
volontairement) qui n’ouvre pas de perspective systématique d’autorégulation
(Tillema, 2005) ou encore de transformation en profondeur du « cadre inter-
prétatif personnel » (Kelchtermans, 2001). Si le caractère systématique appa-
raît dans la situation de formation du protocole, la reproductibilité et la
durabilité des capacités nouvelles sont en question. Conformément à notre
définition de la pratique réflexive, nous pouvons considérer que les partici-
pants sont à un stade initial de développement qui, s’il est nécessaire, est
insuffisant pour offrir une stabilité à la nouvelle posture.
Les perspectives d’autonomie du sujet dans les modèles de l’alter-
nance87, au service d’une amélioration de la professionnalisation, ne paraissent
pas comme opérationnalisables chez les formés observés dans la recherche.
Cette limite du dispositif nous renvoie directement à la question du temps
de formation et nous avons entrevu deux pistes pour analyser ce paramètre.
La  première est relative au développement de la pratique réflexive. Nous
avons en effet constaté que le dispositif permettait aux participants d’accé-
der à un stade initial de réflexivité, mais qu’il serait nécessaire de leur
proposer un entraînement pour stabiliser et structurer de façon consciente
cette nouvelle posture. Cette analyse recoupe les nombreux travaux sur la
question qui stipulent la nécessité de cet entraînement (Altet, 1996 ; Tardif,
Lessard et Gauthier, 1998 ; Perrenoud, 1998a, 2001 ; Lamy, 2002 ; Fumat,
Vincens et Étienne, 2003). La deuxième piste est relative non plus à l’en-
clenchement et à l’entraînement, mais au développement professionnel et à
l’évolution de la posture réflexive. Cette démarche s’inscrit dans une visée à
long terme, mais aussi dans la perspective maximaliste de Perrenoud d’une
pratique réflexive fonctionnant comme un habitus en œuvre au quotidien.
Pour intervenir dans ce domaine, il s’agirait de développer à la fois des

87. Modèle de la « reversabilité » chez Lerbet (1995) par exemple ou « paradoxes construc-
tifs » chez Vialle (2005).
Former un praticien réflexif : effets du dispositif ARPPEGE 211

modules de formation continue reprenant les options du dispositif, mais


aussi de concevoir les moyens pour procéder à cette révolution paradig-
matique de l’entrée dans l’acceptation et l’appréhension de la complexité
à travers le paradigme de l’incertitude. Ce constat de la nécessité d’entrée
dans ce paradigme et cette révolution, que nous faisons apparaître dans nos
résultats, sont déjà mentionnés, nous l’avons vu, chez de nombreux auteurs
(Hameline et Piveteau, 1981 ; Meirieu, 1997 ; Morin, 1999 ; Perrenoud, 1999a ;
Saint-Arnaud, 1999, 2001 ; Giordan, 2002 ; Fabre, 2009).

Les compétences de l’animateur


Une dernière limite apparaît, elle porte sur la mise en œuvre des
dispositifs. Dans les travaux présentés, nous sommes à la fois chercheur,
concepteur et animateur, cette triple fonction est selon nous une garan-
tie de la cohérence de la mise en œuvre et le passage à l’« animation
active » (Perrenoud, 1996 c, p. 198). L’usage de l’outil par d’autres forma-
teurs nécessite l’engagement d’une réflexion sur les compétences et les
capacités nécessaires à l’animation de tels dispositifs. Plusieurs auteurs
précisent la diversité des champs de compétences et la complexité qui les
unit88 (Altet, 2010). Nos résultats, l’analyse de notre expérience et l’étude
de ces travaux nous permettent d’identifier une série de domaines qui ont
une place centrale dans l’animation de ce type de dispositif :
Les capacités d’écoute et la maîtrise de la parole. Ces deux
capacités permettent en lien de prendre de l’information sur le déroulement
(temps, contenu, attitudes…) et d’intervenir pour cadrer la forme et le fond
des échanges en vérifiant leur compatibilité avec les règles et principes de
fonctionnement (non-conseil, séparation du personnel et du profession-
nel, cadrage temporel…). Ces capacités favorisent la création d’un climat
constructif, mais aussi la clarification du contrat de formation (rappel des
règles, des objectifs, des formes acceptables…).

– Le développement d’une empathie témoignant de l’engagement


collaboratif de l’animateur. Ce signe est selon nous nécessaire au
développement de la confiance des participants et à leur engagement.
– L’acceptation de la perte partielle de la « toute-puissance » que
confère dans les modèles classiques de formation, l’autorité du savoir
et de la fonction. Cette acceptation conditionne l’apparition d’un
rapport non anxiogène au savoir en émergence, mais aussi l’ouver-
ture intellectuelle nécessaire à l’émergence de processus (contenus,
phénomènes relationnels et sociaux) non planifiés. Il n’en demeure

88. Notamment Robo, Donnay dans des articles sur le site http://probo.free.fr/, ou en ce
qui concerne les formateurs de façon générale Alin (2006), Poisson (2008), Thiébaud
(2019b-2021) ou Vacher (2013, 2014a).
212 Construire une pratique réflexive

pas moins que le formateur est un expert de l’animation du dispositif,


c’est-à-dire de la maîtrise de la procédure d’accompagnement.
– La question de la maîtrise des contenus analysés par l’ani-
mateur  : elle demeure en débat dans le champ de l’analyse de
pratiques. Pour notre part, nous avons fait le choix d’intervenir en
cours de séquence pour procéder à des relances (questionnement ou
co-construction modélisation) et d’agir donc en combinant « guidage »
et accompagnement. Dans le cas du guidage, une maîtrise minimale
du contenu de l’analyse nous semble requise, mais il apparaît aussi
que ces contenus « extérieurs » n’ont pas été décisifs en fin de proto-
cole dans le développement de l’analyse, mais l’ont été dans les pre-
mières séances, pour créer des déclenchements par décalage. Nous
pensons ainsi qu’il n’est donc pas nécessaire que l’animateur possède
un haut niveau de maîtrise des connaissances dans le domaine pour
pouvoir animer une séquence d’analyse et qu’un niveau de connais-
sance minimal pourrait suffire à produire les décalages en début de
module. Le dosage de l’intervention de l’animateur en la matière
répond au principe de dynamisation du processus d’émergence du
décalage et non d’orientation des contenus de l’analyse. En cela, le
terme de guidage pourrait être impropre et l’intervention serait en
fait une déclinaison singulière de l’accompagnement.
– La maîtrise de l’approche et du vocabulaire de la modéli-
sation complexe apparaît comme nécessaire pour accompagner
l’émergence des nouvelles capacités d’analyse. Cette maîtrise permet
de faire « gagner du temps » aux groupes lors des échanges (notam-
ment en phase 6). Dans ce cas, l’intervention est de type « apport
extérieur », mais se limite à la forme (terminologie et formalisation)
et n’interfère pas avec le fond de l’analyse. Cette maîtrise nous a été
nécessaire pour réaliser notre travail et le recueil d’informations qui
peut cependant n’afférer qu’au chercheur et non à l’animateur.

La variété de ces registres se traduit de façon globale par le pas-


sage d’une activité de conseil à une activité d’accompagnement en
passant par une éventuelle activité de guidage. Cette richesse, que
nous avions formalisée à partir des travaux d’Alin, nécessite, selon nous,
de développer une expertise dans et sur la formation (Alin, 2006). Cette
expertise, fruit d’une approche complexe et multiréfléchie peut se
construire dans les dispositifs de formation de formateurs. Mais,
comme pour la formation des professeurs débutants, il serait risqué de
croire que la bascule de paradigme s’effectue avec la simple mise en place
de formations courtes et ponctuelles. La création de l’habitus réflexif
chez les formateurs s’inscrit dans une perspective de transforma-
tion profonde du rapport au savoir, à l’autre et à l’institution qui
impose un travail dans la fréquence et le temps (Perrenoud, 2001,
Former un praticien réflexif : effets du dispositif ARPPEGE 213

Vacher, 2016). Cette dimension constitue l’un des pivots de la transformation


des pratiques de formation et demande un engagement conséquent et suivi
des institutions qui pilotent la formation des enseignants (Vacher, 2007).
L’outil ARPPEGE, conçu et mis en œuvre dans un environnement
institutionnel prédéterminé, rencontre de ce fait des limites externes qui
portent principalement sur les volumes de formation, l’entrée de l’institution
dans une révolution culturelle, et enfin, de façon concomitante, l’accompa-
gnement des acteurs formateurs dans cette rupture paradigmatique.
Ces limites ne sont pas les seules que nous entrevoyons et des
limites méthodologiques à notre travail apparaissent aussi.

2.4.3. Limites méthodologiques de l’analyse


des effets de l’outil ARPPEGE
Ces limites ne relèvent pas de l’outil ARPPEGE, mais plutôt de
la méthodologie d’analyse des effets qu’il produit. Quatre limites les plus
importantes seront ainsi étudiées. Si ces dernières ne remettent pas en cause
les résultats généraux, elles incitent à compléter ce travail ou à procéder
à des relativisations de certains des résultats comme nous l’avons fait lors
de nos analyses précédentes.

Des transformations effectives des pratiques ?


Nous n’avons pas conçu d’outils susceptibles de nous renseigner
sur les transformations effectives des pratiques des participants au dispo-
sitif. Nos seules données relatives à ces transformations sont sous forme
déclarative or nous avons pu constater que les réponses fournies dans les
enquêtes peuvent ne pas être représentatives des transformations réelles.
Cette différence apparaît par exemple à travers la mise en perspective des
transformations en acte et la faible conscience des capacités nouvelles ou
la description confuse de leur contenu. Mais les déclarations sont aussi un
espace potentiel d’expression de l’attendu social (Jorro, 2005) ou d’un sur-
moi professionnel (Saint-Arnaud, 2001) qui pourrait remettre en cause la
validité de leur contenu. Nous constatons cependant que les participants font
preuve de recul dans les réponses qu’ils fournissent aux différentes enquêtes
et précisent qu’ils ne se perçoivent pas, à ce stade, en mesure de mobiliser
leurs nouvelles capacités en situation de pression temporelle importante.
L’analyse que développe Saint-Arnaud au sujet de la différence entre
réflexion sur et dans l’action est aussi un élément qui interroge notre méthodo-
logie. Ce dernier affirme que seule une forme de jeu de rôle est susceptible
d’assurer le développement de capacités mobilisables in situ (Saint-Arnaud,
1999, 2003). À première vue notre méthodologie ne nous permet pas en
effet de distinguer ce qui relève des domaines de la réflexion sur l’action
214 Construire une pratique réflexive

et de la réflexion dans l’action. Cependant notre dispositif peut être consi-


déré comme un jeu de rôle, une mise en situation équivalente aux situations
professionnelles pouvant exister hors du cadre de la pression temporelle
forte. Dans ce cadre d’interprétation, nous constatons déjà des modifications
de pratiques effectives hors urgence. De plus, le changement de rapport à
la pratique constitue aussi pour nous un élément décisif de transformation
des pratiques effectives. La diminution des tensions face à la complexité et
à l’urgence (appréhension, culpabilité, doute, fatalisme, désarroi) est pour
nous un déclencheur mécanique de transformations. En  d’autres termes, si
nous ne pouvons attester par un vaste corpus de données de transformations
effectives, nous pouvons d’ores et déjà valider la construction de capacités
nouvelles, visibles dans le module, et la modification du rapport à la pratique.
Ces deux éléments nous semblent permettre une validation par inférence, au
moins partielle, de l’efficacité pratique de notre outil.

Compétences ou capacité : quel niveau ?


La question du réinvestissement dans les pratiques nous oblige à
interroger la nature des ressources développées dans le dispositif. Aussi,
nous nous posons la question de savoir s’il y a émergence de compétences
à être réflexif en situation d’ARPPEGE ou développement d’une capacité
générale à la réflexivité ?
Cette question nécessite de réfléchir au problème du transfert à la
famille de situations ou de la généralité de l’acquis, mobilisable dans des
situations diverses.
Le transfert attesterait de la possibilité d’exprimer des compétences
si la situation dans laquelle le sujet peut mobiliser la réflexion est consti-
tuée d’un noyau dur89 de caractéristiques semblables à celui de la situation
ARPPEGE. Si l’on reprend à la fois l’étude des composantes du métier et le
cadre de définition du praticien réflexif, nous pouvons opérer une distinction
entre la réflexion sur l’action et la réflexion dans l’action. Nous  reprenons
ici le distinguo que nous avons opéré précédemment entre les temps où le
professeur est en situation d’interaction contrainte (réunion ou enseigne-
ment) et ceux où le professeur peut conduire sans contrainte sa réflexion
(phase de bilan, planification, réunion apaisée…). Dans le premier cas, la
réflexion sur l’action que met en œuvre le professeur peut être considérée
comme une situation similaire à celle du dispositif de formation. Pourtant,
un certain nombre d’éléments peut varier, processus en groupe ou individuel,
institué ou non, organisation temporelle, etc. Dans le cadre de définition pro-
posé par Carette, Defrance, Khan et Rey, nous parlerions de compétences de
second ou troisième degré, désigné par le concept de « compétence à situa-

89. En référence à la définition de Rey (1996).


Former un praticien réflexif : effets du dispositif ARPPEGE 215

tion ouverte » (Carette, Defrance, Kahn et Rey, 2006). Mais, selon Le Boterf,
la compétence n’est pas un acquis de formation, mais une mobilisation in situ
de ressources construites en formation (Le Boterf, 1994). Les situations de
réflexion sur l’action seraient alors de nature à faciliter l’expression de cette
compétence par la mobilisation des ressources acquises et développées en
formation dans le dispositif ARPPEGE. Comme nous l’avons vu, les réponses
aux questionnaires témoignent de cette construction, mais en révèlent aussi
quelques limites (situation de stress, contraintes temporelles…).
En ce qui concerne la réflexion dans l’action, nous affirmons que
les composantes de la situation en interaction sont différentes de celles
du dispositif ARPPEGE. En effet, comme nous l’avons défini et en accord
avec les travaux de Saint-Arnaud, le système de contraintes particulières de
l’interaction (facteur P chez Saint-Arnaud, 1999) confronte à l’incertitude
déstabilisante alors que celui de la formation est lui « relativement confor-
table » et sécurisé par un ensemble de règles conçues à cet effet. Dans ce
cadre, les acquisitions du dispositif relèveraient de ce que Carette, Defrance,
Kahn et Rey (2006) nomment les capacités générales.
Face à la complexité des définitions des termes de compétences et
de capacités, nous résumerons en précisant :

– qu’il est possible d’identifier des ressources développées grâce à la


participation au dispositif ;
– que ces dernières sont le socle d’expression de compétences à la
réflexivité ;
– que les situations de réflexion sur l’action semblent plus favorables
à cette expression
– que les capacités développées lors du dispositif pourraient aussi être
mobilisables dans d’autres compétences qui ne seraient pas forcé-
ment liées à la réflexivité (communication, écoute…).

Effets du dispositif ou effet de formation ?


Une troisième limite méthodologique paraît importante, elle porte sur
l’origine des transformations observées. En effet, compte tenu du cadre et
de l’objet des travaux, il paraît impossible de définir un cadre expérimental
qui garantisse la traçabilité de l’origine des transformations et des ressources
construites. Nous ne pouvons donc affirmer de façon absolue que les trans-
formations constatées dans notre dispositif sont strictement, partiellement ou
ne sont pas, la conséquence de la participation à notre outil. La répartition
des séquences de formation dans le temps accompagne l’évolution du profil
des professeurs stagiaires et nous ne pouvons dissocier les effets du module
de cette « évolution naturelle dans le temps ». Cependant, l’étude des données
présentes dans les enquêtes nous oriente vers une attribution a minima
216 Construire une pratique réflexive

partielle des évolutions à notre dispositif de formation. Outre les déclarations


des participants l’affirmant, plusieurs éléments semblent valider cette respon-
sabilité du dispositif. Le premier est relatif à la posture d’une participante
qui a seulement débuté le dispositif à la quatrième séance (année  2 et en
raison d’un arrêt maladie). Nous avons en effet constaté que bien que cette
dernière se soit tenue au courant des objectifs et principes de fonctionnement,
ses capacités d’analyse, d’échange, de structuration de la parole étaient en
décalage avec celles des participants qui avaient suivi le module depuis son
début. Le deuxième élément qui corrobore cette analyse est relatif au témoi-
gnage que nous avons pu recueillir hors protocole. Les participants au module
ARPPEGE faisaient état de leur différence d’analyse avec les professeurs
stagiaires qui n’avaient pas participé à ce module. Les appréciations portaient
aussi bien sur les capacités d’analyse que sur les modes de communication.
Cependant, nous prenons ces dernières données avec recul et précaution,
car elles peuvent aussi attester d’un effet de groupe ou d’une recherche de
reconnaissance du sentiment de compétence. Lors de l’entretien/enquête
après visionnage les participantes ont une position mesurée et affirment que
si les transformations sont déclenchées par le protocole, elles sont amplifiées
par la maturité professionnelle acquise dans l’expérience.
De façon générale, cette limite méthodologique nous semble indépas-
sable lors de l’étude de l’effet de propositions qui se déroulent dans le temps et
en parallèle d’autres processus de formation. Un dispositif court et intense de
formation (semaine bloquée sans intervention professionnelle) serait plus pro-
pice à de telles évaluations, mais serait probablement contraire aux exigences
temporelles de l’apprentissage d’objets complexes. Sur ce sujet, Brau-Antony
et Jourdain affirment que « si l’on souhaite évaluer des effets de formation,
la méthodologie la plus valide consisterait à repérer ce qui est réellement
réinvesti dans la pratique professionnelle en allant voir dans les situations
de travail réel ce que la formation a transformé chez le stagiaire », mais
ils ajoutent aussi « or l’évaluation des effets concrets de formation soulève
des difficultés méthodologiques considérables pour pouvoir analyser les
processus de changement, car cela implique une observation prolongée »
(Brau-Antony et Jourdain, 2004, p. 10). Nous pensons que ce repérage pourrait
aboutir à une vision réductrice de la complexité à la fois du métier, mais aussi
du réinvestissement des capacités construites. Ainsi, nous affirmons à l’issue
du travail que la durée d’observation efficace que mentionnent Brau-Antony et
Jourdain est inobjectivable dans le cas de la pratique réflexive, tant les effets
produits par les formations peuvent se révéler tout au long d’une carrière et
sous des formes diverses (Behets, 1990 ; Woods et Karpp, 2000).
D’autres limites moins importantes pourraient être étudiées. La taille
du groupe complet90 (réduite dans les années N1 et N2) ou l’impact de la

90. Réduite pour les années N1 et N2, mais montant jusqu’à 20 participants par session pour
les années suivantes et ne conduisant pas à la modification des résultats constatés.
Former un praticien réflexif : effets du dispositif ARPPEGE 217

triple fonction chercheur, concepteur et animateur sur les données recueillies


seraient de nature à permettre l’approfondissement de la lecture de nos résul-
tats, mais nous n’avons pas développé d’outil pour procéder à ces analyses.

Variation autour et dans ARPPEGE

À l’issue du travail d’analyse des résultats, mais aussi de l’expérience que


nous avons dans l’animation de ce dispositif depuis 15 ans, nous propo-
sons ici quelques perspectives de variation et d’extension de notre disposi-
tif. Cette présentation n’est pas exhaustive, mais se veut une invitation à la
poursuite de l’exploration du champ et plus particulièrement ceux de l’usage
et de la conception des dispositifs de formation. Nous précisons que l’en-
semble des pistes de variations proposé ne trouve de sens que si ces der-
nières ne sont réalisées que dans le respect des principes du cadre général
de conception. Une « transgression » de ce cadre, si elle est bien sûr envi-
sageable, nécessiterait une redéfinition des objectifs et de la fonction des
différents acteurs du dispositif.
… Des variations dans ARPPEGE
– Des variations de durée  : si nous avons constaté que la durée des
différentes phases était variable, il est possible que l’animateur en fasse
un élément de régulation de son intervention. Ces adaptations peuvent se
faire en fonction du degré d’implication des participants, de l’émergence
de tensions ou encore à la demande des participants. Des évolutions des
volumes globaux peuvent aussi apparaître. Ainsi, si l’animateur constate
une importante production, lors de la phase 6 par exemple, il est possible
d’augmenter le temps de la phase (nous avions opéré ce choix la seconde
année en séance 5).
– Des variations dans l’implication de l’animateur  : on peut penser par
exemple que la durée importante des silences pourrait être mieux tolérée
et devenir de plus en plus constructive au cours du module, alors
qu’a  contrario elle pourrait constituer un blocage en début de module.
Dans ce cas, au cours de la ou des premières séances, l’animateur
pourrait participer à la phase 3 pour lancer le questionnement.
– Des variations temporaires des formes de groupe : dans le cas de groupes
ayant des difficultés à travailler ensemble et notamment lors des premières
séances, il est possible de faire précéder les phases collectives d’une
production individuelle. Ainsi, les échanges des phases 6 et 8 pourraient
être précédés d’un temps de production écrite individuelle (de modélisation
individuelle dans la phase 6 ou de formalisation écrite du bilan méta pour
la phase 8).
218 Construire une pratique réflexive

– Des variations de structure de la séance : dans le cas de la mise en œuvre


du dispositif sur de nombreuses séances (au-delà de 15 par exemple), il est
possible que les décalages qui surviennent lors des phases 4 diminuent.
Ce processus qui attesterait d’une amplification des capacités réflexives
et de la maîtrise plus fine de cadres de lecture pourrait aboutir au choix
par l’animateur de supprimer ces phases et de ne conserver en vue de
la modélisation que les phases 1 et 3.
– Des variations en fin de cycle de formation : la dernière séance d’un cycle de
formation pourrait être enrichie de temps méta sommatif structuré. Ainsi, il serait
possible de réaliser un travail individuel de mise en perspective de l’ensemble
des contenus des phases  5 afin d’en dégager des points communs, mais
aussi d’éventuelles évolutions des cadres mobilisés. L’identification des causes
ou encore des traces d’éventuelles modifications des pratiques réelles qui
en découleraient pourrait constituer un contenu de travail méta qui s’inscrit
dans la perspective de développement professionnel. Ce même type de
mise en  perspective pourrait être réalisé individuellement ou collectivement
avec les différentes modélisations des phases 6 et avec les mêmes enjeux.
… Des variations autour d’ARPPEGE
– Les contenus d’analyse développés lors des séances pourraient être une
matière exploitable pour d’autres secteurs de formation. Cette logique
s’inscrit dans la stratégie générale de convergence et de complémentarité
des modules de formation. Ainsi, il est possible d’imaginer que le contenu
des phases 2 et 4 soit l’objet d’un travail individuel dans des modules de
formation dédiés à la conception des pistes concrètes d’intervention. Dans
cette même logique, le dispositif peut servir à aboutir à l’émergence d’une
demande des participants ou de besoins identifiés par l’animateur dans
divers domaines. Les phases 5bis, qui permettent la verbalisation autour des
domaines d’analyse et d’intervention, sont propices à ce type d’émergence.
Le recueil de ces informations pourrait se traduire par la proposition de
modules de formation complétant la connaissance des participants dans
tel ou tel domaine de compétence. Cette possibilité nécessite comme nous
l’avons vu une articulation entre les différents acteurs de la formation.
… Des questions hétéroclites pour ouvrir l’appropriation du dispositif
par le lecteur
– Quelle position idéale de l’animateur pour détecter les signaux faibles ?
– Comment gérer les silences et analyser leur nature ?
– Que faire si les participants transgressent les règles de fonctionnement ?
– Faut-il modifier les consignes ou l’ordre des phases s’il n’y a pas de
décalage entre la phase 2 et 4 lors d’une séance précédente ?
– Les variations susceptibles d’être mises en œuvre ne vont-elles pas
déstabiliser les participants ?
– Quels sont les indicateurs précis qui permettront de mettre en œuvre les
variations ?
… Et de très nombreuses autres questions…
Chapitre 
Former un praticien réflexif :
6
synthèse et limites

L’entrée dans la pratique réflexive, telle que définie, nécessite une


transformation de l’orthodoxie des pratiques de formation. Le changement
de paradigme est tel que cette « révolution culturelle », comme la nomme
Fabre (2009), implique un travail en profondeur dans trois directions  : la
clarification du contrat de formation, la formation des formateurs et la struc-
turation des moyens. L’objectif n’est pas de produire ici une liste exhaustive
des principes et pistes à suivre pour garantir la formation d’un praticien
réflexif, mais plutôt de dresser un panorama des domaines dans lesquels
les résultats obtenus dans cette recherche permettent d’identifier des freins
et des leviers actionnables pour tenter le pari de la réflexivité dans les
formations ou l’accompagnement. Il s’agira en d’autres termes de parcourir
les espaces de formation pour mettre en lumière les mécanismes en leur
sein susceptible de permettre le développement de formations à la pratique
réflexive au service de la professionnalisation des formés. Si nos travaux
ont porté plus spécifiquement sur la formation initiale des enseignants,
les problématiques qui sont apparues tout au long de l’ouvrage semblent
recouper de nombreux domaines de formation (santé, travail social…) tout
autant que celui de la formation continue. Le lecteur percevra ainsi aisément
les transferts de ces pistes qu’il pourrait s’approprier pour penser l’adap-
tation à son contexte d’intervention. On notera aussi que les champs de
l’accompagnement paraissent, pour leur part, plus proches de ce nouveau
paradigme. L’incertitude, la complexité, la singularité et le projet personnel
220 Construire une pratique réflexive

jalonnent le chemin de l’accompagnement et intègrent donc plus facilement


que la structure curriculaire de la formation, la logique du développement
réflexif (Boucenna, Thiébaud et Vacher 2022).

1. LA CLARIFICATION DES CONTRATS


DE FORMATION
Cette question se pose tout autant à l’échelle du formateur et
de sa part de suivi/formation qu’à celle de l’institution dans sa globalité
à travers la cohérence de son plan de formation. À l’issue de ce travail,
nous pouvons identifier trois facteurs susceptibles de conditionner la
clarification des usages de ce contrat. Ils nous semblent aussi apporter
un éclairage sur les conditions de développement de la pratique réflexive
dans le champ de l’accompagnement. Ces éléments sont détaillés dans
les points suivants.

1.1 Le sens : un ancrage dans les pratiques


La plupart des auteurs actuels dans le champ de l’éducation et plus
précisément dans celui de l’alternance s’accordent sur la place essentielle
du sens dans les processus d’apprentissage (Mérieux, 1990a, 1992, 2001 ;
Dévêla, 1996 ; Perrenoud, 1996b ; Geay, 1998). Cette question est peu traitée
dans les formations des enseignants débutants. Or, elle pourrait constituer
le cœur de l’articulation des plans de formation. La pertinence des savoirs
construits ou des connaissances proposées en formation ne peut que, selon
nous, découler du sens de leur inscription dans la perspective de transfor-
mation des pratiques (Altet, 1994 ; Perrenoud, 1996a). En d’autres termes,
le sens, dans une formation qui vise une professionnalisation, ne peut être
selon nous que celui de la transformation des pratiques professionnelles (au
sens large des pratiques, c’est-à-dire intégrant aussi les valeurs et l’éthique
en acte). Cette affirmation ne contraint pas la forme et l’orientation des
contenus de formation91 mais oblige à les penser dans un système cohérent
qui rencontre les attentes légitimes des acteurs formés. Nous avons constaté
qu’en la matière, les études montrent toutes que le sens de l’engagement
des professeurs débutants est organisé par des préoccupations pratiques
et d’intervention sur le terrain (Brau-Antony et Jourdain, 2004 ; Dubois,
Gasparini et Petit, 2005 ; Rayou, 2008).

91. Nous gardons ici à l’esprit la remarque de Malglaive (1994) relative à l’immédiateté du
sens de l’usage de certains contenus pour lesquels l’enjeu est la clarification de cette
nature singulière.
Former un praticien réflexif : synthèse et limites 221

1.2 Une convergence explicite


et des définitions de modalités
qui donnent des repères à l’apprenant
La création du sens par l’ancrage ou la centration sur les pratiques
réelles apparaît comme un processus préalable à la clarification plus fine
des éléments du contrat de formation, ces derniers trouvant une cohérence
avec ce sens et ainsi une articulation avec les autres éléments. Comme le
soulignaient Bourgeois et Nizet, l’apprentissage, ici l’évolution de l’inter-
vention et le développement professionnel, est le fruit de la rencontre entre
les projets de l’institution ceux des formateurs et enfin, de façon logique,
mais pas toujours évidente en pratique, ceux de l’apprenant (Bourgeois
et Nizet, 1997). À l’issue de ce travail, on peut affirmer qu’il est essentiel
que chaque acteur puisse « à tout moment » répondre à la question de la
raison d’être des contenus et objectifs de formation. Mais cette exigence ne
se limite pas aux seuls contenus et objectifs et il semble qu’en formation
d’adultes92, la connaissance des modalités pédagogiques de formation, leur
justification ou même la participation à leur conception sont des éléments
nécessaires de l’ingénierie pédagogique. La clarification de cette partie du
contrat porte sur le couple enseignement-apprentissage et précisément
sur les fonctions de l’intervention du formateur (prescription, conseil, gui-
dage, accompagnement) tout autant que sur les modes de construction du
savoir (réception, co-construction et méta réflexion). La complémentarité
des interventions et de ces modalités de construction des contenus semble
un élément à la base de la convergence des projets de formation. Ainsi,
le montage de la formation, du fait principalement de son caractère initial,
pourrait consister en la combinaison évolutive de ces différents éléments et
leur contractualisation serait de nature à donner des repères à l’apprenant
pour favoriser son engagement en formation.

1.3 La définition des objets de la pratique


réflexive et de leur place dans l’ensemble
des ressources et objectifs de formation.
À l’issue de ce travail, il semble que la logique conceptuelle et pra-
tique proposée trouve une pertinence tant du point de vue des savoirs,
compétences et capacités qu’elle permet de développer, que de celui de
la réponse qu’elle apporte à la déstabilisation qu’éprouvent les formés lors
de ce passage du monde étudiant à celui des professionnels. En cela, les
propositions effectuées semblent être de nature à permettre une diminution

92. Et ce, probablement encore plus dans une formation d’enseignant pour la valeur d’ob-
jet à analyser que prennent les dispositifs de formation.
222 Construire une pratique réflexive

des tensions présentes dans le système de formation. Le point central de


cette diminution serait le développement d’une pratique réflexive.
Cependant, les propositions réalisées ne permettent en aucun cas de
constituer un modèle d’ingénierie suffisant et indépendant pour former un
professeur débutant. Aussi, à l’issue de ce travail, nous pensons que la for-
mation est un système complexe qui devrait se fonder sur trois piliers dont
la complémentarité rend envisageable une formation équilibrée : le premier
pilier serait constitué d’une formation complémentaire à celle reçue
lors de la formation initiale académique et relative à la construc-
tion de savoirs théoriques. Dans le cas des professeurs débutants, ces
derniers portent tout autant sur les savoirs pour enseigner, que les savoirs
à enseigner. D’ordre théorique, ils peuvent rencontrer des temporalités
d’usage hétérogènes (cf. Malglaive, 1994) et permettent la construction
d’une culture générale du métier d’enseignant. Le second pilier serait
constitué des savoirs pour enseigner répondant à l’urgence de la pratique.
Fruits de l’alternance, ils viendraient répondre à la nécessité pour le pro-
fesseur débutant de construire une pratique quotidienne lors des stages
alors que sa professionnalité est en gestation. Si la temporalité de l’usage
de ces savoirs est ici unique et se limite à « l’urgence », il est alors néces-
saire de construire une réflexion critique sur leur usage et ses limites.
Ce  registre serait celui du troisième pilier à savoir celui du développe-
ment de la capacité à réfléchir sur sa pratique. Il était au cœur de
cet ouvrage et revêt une valeur importante, car il s’impose, comme nous
avons tenté de le démontrer, tout autant comme un domaine spécifique de
savoir, savoir analyser pour comprendre et agir, que comme un domaine
de mise en perspective/mobilisation des deux autres formes de savoir. Dans
cette logique de capacité métaréflexive, la pratique réflexive se définit
comme la capacité nécessaire à la mise en perspective de l’ensemble
des éléments de formation (ou d’expériences, ressources et projets
personnels dans le cas de l’accompagnement) et aboutit ainsi à
une mobilisation amplifiée de ces derniers. Cette valorisation des
ressources construites et acquises conditionne une professionna-
lisation accrue. La pratique réflexive se définirait alors ici comme
la capacité nouvelle à affronter la complexité et à accepter que les
dilemmes vécus soient constitutifs de l’exercice du métier et, donc,
éléments à part entière de formation. De plus, ce nouveau rapport
à la complexité s’inscrirait dans une logique de l’action tout autant
que dans celle du développement professionnel.
Ainsi définie, la pratique réflexive de l’acteur serait le moteur de sa
dynamique de professionnalisation à travers quatre processus qui se déve-
loppent en parallèle, mais avec des objectifs singuliers  : cognitifs (appré-
hender et comprendre la complexité), affectifs (accepter et affronter la
complexité), pragmatiques (agir) et prospectifs (évoluer, se transformer).
Former un praticien réflexif : synthèse et limites 223

On retrouvera en filigrane de ces différentes composantes les objectifs géné-


raux que nous avions fixés et qui fonctionnaient en système :

– l’amélioration des capacités d’analyse notamment à travers le déve-


loppement d’une approche multiréfléchie ;
– le développement de capacités d’intervention évolutives par l’inter-
médiaire de l’amélioration des capacités à travailler en équipe et le
développement d’un mieux-être professionnel en formation et lors
de l’intervention professionnelle.

La figure 6.1 illustre les processus de professionnalisation à travers


quatre logiques d’espace et qui incarnent le développement en système des
enjeux et objectifs de formation.
Chacun des quatre domaines (l’appréhension/compréhension de la
complexité, de son acceptation, de l’action et de la transformation profes-
sionnelle) est en lien avec les trois autres et se matérialise par des espaces
singuliers de professionnalisation (les quatre faces de la pyramide). Les
espaces qui unissent ces différents domaines peuvent être définis de la
façon suivante :

– Espace « Évoluer/Appréhender la complexité/Accepter la comple-


xité » : Se développer.
Cet espace est celui dans lequel s’ouvrent les perspectives de déve-
loppement professionnel (Donnay et Charlier 2006). Il se traduit
pour l’acteur par le fait de « se développer » au sens général de trans-
former sa professionnalité. On retrouve ici la dimension constructive
de l’activité (Samurçay et Rabardel, 2004) ;
– Espace « Évoluer/Appréhender la complexité/Agir » : Innover.
Cet espace est celui de l’innovation, il se traduit par une perspective
globale de transformation qui s’incarne dans la nouveauté de l’action
produite. Cette production d’un agir nouveau, inscrit dans une pers-
pective de transformation globale, est réalisée à partir d’une nouvelle
appréhension/compréhension des savoirs et de l’expérience ;
– Espace « Agir/Évoluer/Accepter la complexité » : S’engager.
Il se compose d’une modification du rapport à la pratique et se tra-
duit par l’engagement de l’acteur dans la transformation globale de
sa professionnalité mais aussi de son action « quotidienne » ;
– Espace « Agir/Appréhender la complexité/Accepter la comple-
xité » : Fonctionner.
Il correspond à celui de l’action, produit de la réflexion et du chan-
gement de rapport à la pratique. Il se constitue du fonctionnement
et de la gestion du quotidien de l’intervention professionnelle.
On fait ici référence à la dimension productive de l’activité humaine
(Samurçay et Rabardel, 2004 ; Vinatier et Altet, 2008).
224 Construire une pratique réflexive

Figure 6.1. Processus de professionnalisation enclenchés


et entretenus par la pratique réflexive

Évoluer,
se transformer

Agir
Accepter
et affronter
Pratique la complexité
Appréhender réflexive
et comprendre
la complexité

La pratique réflexive, telle que définie ici, est porteuse d’une multi-
tude de perspectives pour la construction des formations et l’analyse de
pratiques peut ainsi tout aussi bien être un support déclencheur du sens
pour l’apport de connaissances générales que pour la construction de capa-
cités d’analyse ou de travail en équipe. Dans cette option, les référentiels
de compétence ont un statut double. Ils sont la référence de l’exigible et
constituent donc le point d’ancrage institutionnel des objectifs opérationnels
de formation. Mais compte tenu des risques de fixation et d’entretien du
paradigme de l’expertise que l’usage de ces référentiels comporte, il semble
nécessaire d’attribuer au référentiel de compétences une deuxième fonc-
tion qui leur confère le rôle de support ou d’objet de la réflexivité. Cette
fonction offre une perspective d’enrichissement de l’approche multiréfléchie
pour sortir d’une analyse uniquement autoréférencée et devient « un ins-
trument pour penser et impulser le mouvement » du travail réel vers le
travail prescrit et réciproquement (Lessard, 2009, p. 136). Cette approche
se retrouve chez de nombreux auteurs et pourrait être synthétisée par le
sous-titre de l’ouvrage de Perrenoud de 1999 lorsqu’il qualifie sa démarche
relative au référentiel d’« invitation au voyage » (Paquay et Wagner, 1996 ;
Perrenoud, 1999a ; Lessard, 2009).
Pour synthétiser l’ensemble de ces éléments relatifs aux dynamiques
rendues possibles ou amplifiées par la pratique réflexive dans les processus
de formation, nous proposons la modélisation suivante (Figure  6.2). Elle
se constitue de l’identification de trois registres de formation que sont la
transformation des pratiques professionnelles (expérience sur le terrain),
la transmission d’apports théoriques (formation théorique en centre) et
le développement de la pratique réflexive (en tant que médiation entre
Former un praticien réflexif : synthèse et limites 225

les deux registres précédents). Les deux premiers registres (transmis-


sion théorique et transformation des pratiques) constituent les deux pôles
« distants » des formations traditionnelles. Nous avions en effet postulé en
début d’ouvrage, et à la lumière de nombreuses études, que l’un des enjeux
du développement d’une pratique réflexive en formation se situait dans la
possibilité de retisser les liens distendus ou inexistants entre la théorie et
la pratique. Pour les formés, les contradictions entre ces « deux mondes »
apparaissaient comme l’élément central de la remise en cause de l’efficacité
des formations. Le développement d’une pratique réflexive en tant que fin
et moyen nous semble, à l’issue de cet ouvrage, un puissant moyen de mise
en perspective constructive de ces « mondes qui s’ignorent ». Les différents
liens qui structurent cette remise en cohérence sont détaillés à travers
les chaînes de processus qu’ils permettent d’enclencher (en ovale dans la
figure 6.2). Nous détaillerons à l’issue de cette figure les différents éléments
qui la constituent. Pour faciliter cette explication, nous avons attribué à
chacun de ces processus une lettre de A à J. Cette désignation ne constitue
pas un élément indicateur d’une chronologie ou de priorité des processus,
mais seulement un guide pour l’explication.
Nous explorons dans les paragraphes suivants chacun des liens
qui unissent en système le développement de la pratique réflexive à la
transformation des pratiques professionnelles et à la transmission d’apports
théoriques.
Partons du développement de la pratique réflexive pour nous rendre
vers la transmission d’apports théoriques. Nous avons mis en lumière que la
pratique réflexive pouvait se fonder sur le développement d’une approche
multiréfléchie. Cette dernière repose elle-même sur la construction de la capa-
cité à savoir analyser (A). Cette capacité se développe par un double moyen :
d’une part la décentration qui prend pour objet les références utilisées pour
analyser et d’autre part l’enrichissement/élargissement des grilles de lecture
du formé. Nous avons constaté que dans ce second registre, le dispositif
ARPPEGE pouvait aboutir à une demande de cadres de lecture (année  N1
séances 2 et 3). Dans nos résultats, si cette demande n’est pas encore systé-
matique et ne se traduit pas par une mobilisation des ressources théoriques
acquises dans d’autres modules, nous avons fait l’hypothèse qu’avec un temps
plus long de formation et en conséquence une entrée plus profonde dans la
pratique réflexive, des demandes de connaissances (B) seraient une évolution
logique des requêtes des formés. La construction de savoirs nouveaux issus
par exemple des sciences humaines et sociales (Lessard, Altet, Paquay et
Perrenoud, 2004) deviendrait une ressource à la fois pour l’enrichissement
de la pratique réflexive (J) et pour l’intervention professionnelle (C et D).
Par ce dernier chemin, la transformation des pratiques professionnelles se
fonde sur l’acquisition de nouveaux savoirs qui sont le fruit d’une demande
rendue possible par le développement de la pratique réflexive.
226 Construire une pratique réflexive

Figure 6.2. Rapport de la pratique réflexive en formation aux registres


pratique et théorique de formation

Développement
de la pratique
Construction réflexive
Construction
d’un « savoir analysé » d’un « savoir
exploratoire analyser »
E A
Acceptation
de la complexité
G Demande
de connaissances
Transformation
institutionnelle,
de l’activité cognitive
scientifiques,
en cours d’action Enrichissement méthodologiques…
F des objets analysés B
I

Transformation
du rapport affectif Construction
à la pratique de nouveaux savoirs
H J

Transformations Transmission
Mobilisation Construction
des pratiques d’apports
de nouveaux de nouveaux
professionnelles théoriques
savoirs pour agir savoirs
D C

En parcourant le trajet direct qui mène de la pratique réflexive à


la transformation des pratiques professionnelles, deux chemins s’offrent
à  nous. Le premier se constitue d’une lecture de l’activité cognitive du
sujet. La construction d’un savoir analyser (E) témoigne dans la pratique
réflexive, et notamment dans l’approche multiréfléchie, d’une ressource
cognitive nouvelle. Elle se fonde sur une modification de la mobilisation
des ressources, et ce notamment dans une perspective plus systémique
que laissent transparaître les modélisations obtenues à partir des séances 3
d’ARPPEGE ainsi que dans la métaréflexion. Cette capacité à élargir la
réflexion et à se réfléchir permet une transformation de l’activité cognitive
en cours d’action et sur l’action (F). Dans ce sens elle constitue une nou-
velle ressource pour l’intervention (analyser, identifier, valider, choisir…) et
modifie donc les pratiques professionnelles. Les limites de notre méthodo-
logie n’ont permis d’inférer ce type de processus qu’à partir des déclarations
des participants. De façon indirecte, la construction d’un savoir analyser
permet aussi de nourrir un sentiment de compétence qui participe à la
Former un praticien réflexif : synthèse et limites 227

transformation du rapport affectif à la pratique et qui se matérialise dans


notre figure par le lien unissant les processus E et H.
Le second chemin empruntable pour aller de la pratique réflexive
aux pratiques professionnelles est celui relatif à la dimension affective du
rapport du sujet à la pratique. Nous avons mis en lumière que la pratique
réflexive permettait de transformer le rapport du sujet à la complexité
des pratiques professionnelles. La compréhension et la formalisation de la
complexité des pratiques, que nous avons mises en lumière, notamment
dans l’étude des productions des phases  6 du dispositif, aboutissent dans
tous les témoignages à une acceptation non anxiogène de cette dernière
(G). Elle se traduit par un changement du rapport affectif à la pratique
(H). La complexité n’est en effet plus vue comme un abîme inabordable
ou indépassable, mais comme un élément de la pratique sur lequel il s’agit
d’avoir une prise partielle et temporaire pour agir.
Enfin, si la pratique réflexive nourrit le processus global de forma-
tion, la transmission d’apports théoriques comme les transformations de la
pratique fournissent en retour des ressources et de la matière nouvelle à
la réflexion et à l’analyse. Nous avons vu que ce retour pouvait se matéria-
liser par un processus d’enrichissement des savoirs pour analyser (J), il se
complète aussi de la possibilité d’enrichir les objets analysés (I). En effet, la
production de nouvelles pratiques constitue un vivier potentiel de matières
premières à analyser qui inclut les nouvelles façons d’agir, mais aussi les
nouveaux angles d’observation développés lors de la pratique.
La dynamique mise en lumière dans cet ouvrage, et incarnée dans
cette modélisation, permet de cerner la place centrale que peut occuper
la pratique réflexive de l’acteur et ainsi ouvrir la perspective de construc-
tion d’une dynamique autonome d’apprentissage (Vialle, 2005). Cependant,
nous avons aussi pu mettre en évidence la nécessité d’une transition vers
cette autonomie et avec elle d’un accompagnement. Les formateurs et leur
compétence sont au premier plan dans ce processus de suivi, de soutien et
d’étayage de l’autonomisation.

2. LA FORMATION DES FORMATEURS :


ACCOMPAGNER LA TRANSITION
CULTURELLE
Nous avons vu que les modèles actuels dominants, de la formation
des enseignants, se centrent sur l’approche de l’enseignement et délèguent à
l’espace d’autonomie de l’acteur, supposé construit par le formé, la charge de
l’apprentissage (Tillema, 2005). La formation des formateurs doit permettre
de dépasser ce constat en accompagnant les acteurs dans la transformation
228 Construire une pratique réflexive

de leurs pratiques de formation. Dans la plupart des cas pour les formateurs
intervenants, Pelpel précise qu’il ne s’agira pas d’une « formation continue
(d’enseignant) », mais bien d’une « formation initiale (de formateur) »
(Pelpel, 2002, p. 187).
Cette transformation profonde des pratiques des formateurs, du
fait d’un ancrage fort de la différenciation des approches de l’enseigne-
ment et de l’apprentissage chez les formateurs (Kember et Kwan, 2000 ;
Tillema, 2005 ; Grandtner, 2007 ; Rayou, 2008), nécessite un haut niveau
de changement et ainsi une « rupture paradigmatique » dans la formation.
Cette rupture porte, nous l’avons vu, sur le rapport au savoir et la nature
de la mobilisation de ce dernier, face à la complexité. Ainsi, la prise en
compte consciente et l’intégration de la part de l’autorégulation des
apprentissages par l’apprenant ainsi que les apports du codéveloppe-
ment constituent des leviers essentiels de la transformation des pratiques
des formateurs en vue d’une professionnalisation accrue (Butler, 2005 ;
Deaudelin, Brodeur et Bru, 2005 ; Boucenna, Chartier et Donnay, 2007).
Le constat du besoin de l’accompagnement des formateurs dans ce chan-
gement n’est pas récent et de nombreux ouvrages attestaient déjà de
cette « urgence » de transformation des pratiques par la formation des
formateurs (Bouvier et Obin, 1998 ; Altet, Paquay et Perrenoud, 2002).
Plusieurs pistes sont abordées dans ces ouvrages, mais, comme le note
Pelpel, les temps consacrés à cette formation doivent être conséquents
pour permettre un véritable changement, et l’auteur d’affirmer que
les temps courts de formation qui dominent actuellement l’offre sont
« largement suffisant [s] pour les déstabiliser, mais radicalement
insuffisant  [s] pour reconstruire des compétences opératoires »
(Pelpel, 2002, p.  190).
La professionnalisation des formateurs demeure un enjeu central de
la réforme des pratiques de formation d’enseignants et s’inscrit dans une
dynamique d’innovation (mise en œuvre des outils et analyse des effets pro-
duits) qui se fonde dans notre travail sur la conception d’un cadre concep-
tuel susceptible de contribuer à enclencher des changements de pratique et
qui favorisera la génération d’autres outils par l’appropriation éventuelle par
d’autres acteurs de ce cadre. La création de ce système conceptuel vise à
proposer un cadre organisateur de la construction d’outils de formation tout
en clarifiant les enjeux de la manipulation des variables de construction93.
Ceci est en cohérence avec le positionnement constructiviste, l’inscription
dans le paradigme de l’incertitude et l’engagement pour que la formation
de formateurs soit un territoire de co-construction et éviter ainsi de recons-
truire un nouvel espace d’expertise prescriptrice.

93. Cette étape de la construction ne peut être dissociée, sous peine de risque d’ineffica-
cité, de la maîtrise des concepts fondateurs du nouveau paradigme.
Former un praticien réflexif : synthèse et limites 229

Le travail d’approfondissement du concept de pratique réflexive


semble être un élément théorique susceptible d’enrichir la formation des
formateurs, mais mérite une réflexion élargie si l’on prend en considération
que la compétence des formateurs ne peut s’exprimer que dans le cadre
d’un projet de l’institution et des moyens qui sont destinés à sa réalisation.

2.1 Un travail sur les moyens concrets de formation


La question des moyens de formation est essentielle et elle se pose
aujourd’hui dans une actualité complexe du fait des réformes en cours.
Nous envisageons, outre la compétence des formateurs que nous avons
traitée précédemment, deux dimensions principales. La première est rela-
tive à la nature et la taille des groupes de formés et la seconde porte sur
la dimension temporelle.

2.2 Effectifs, volontariat et module de formation


Nous avons constaté que les formes de groupement et d’engage
ment pouvaient avoir des conséquences sur la nature des transformations
enclenchées. Ainsi, dans le cas du module ARPPEGE le volontariat à l’ori-
gine des groupements, même partiel, semble avoir favorisé le développe-
ment d’une dynamique de formation. Il a aussi été mis en évidence que le
volume de l’effectif était une cause d’apparition du contenu. Dans le disposi-
tif ARPPEGE, la possibilité de l’apparition de l’approche multiréfléchie était
clairement liée aux formes de groupement et à leur évolution (individuel,
petit groupe, grand groupe). Cependant, le principe d’une taille limite de
fonctionnement, au-delà de laquelle la gestion des échanges devenait plus
difficile et risquait de remettre en cause le rapport à la formation et notam-
ment le confort nécessaire à l’engagement, semble pertinent. En d’autres
termes, les modalités pédagogiques retenues pour former (dont les formes
de groupement) conditionnent la qualité de la formation. La multiplication
des groupes, voir des formateurs pour produire les conditions propices au
déclenchement de la pratique réflexive, nécessite la mobilisation de moyens
humains et financiers qui ne sont possibles que si l’institution pilote s’engage
dans cette voie. La dimension des moyens ne s’envisage pas seulement
sous l’angle des groupements et de l’encadrement, la question de l’équilibre
entre les différents types de contenus dans un plan de formation est aussi
à envisager pour éviter de produire des formations vidées de leur sens.

2.3 À moyen temporel constant, un risque


d’assèchement
La question du volume de formation est récurrente dans l’analyse
des limites que nous venons d’opérer. Si, en fonction des résultats présentés,
230 Construire une pratique réflexive

nous avons pu émettre l’hypothèse que l’augmentation du volume horaire


global (nombre de séances ou nombre de visites, volume des entretiens)
permettrait un accroissement des effets des dispositifs (notamment par une
poursuite au cours de la carrière en formation continue), nous envisageons
aussi que cette hausse éventuelle poserait des problèmes d’équilibre de
volume de formation. En effet, la mise en œuvre d’une telle orientation
nécessiterait soit de réduire le volume des autres modules de formation,
soit d’augmenter le volume global de formation (dans l’année ou dans le
début de carrière). Dans le premier cas, la question du « point d’équilibre
formateur » est centrale, car les modules d’analyse de pratiques se basent
potentiellement sur les connaissances acquises dans les autres modules
(figure  5.6) et un déséquilibre trop important en leur faveur risquerait
d’aboutir à leur fonctionnement « à vide » par l’amont (connaissance) et
donc limiterait les capacités d’analyse multiréfléchie. Dans le second cas,
le temps total de formation n’étant pas extensible (cadre légal et formation
réalisable), le volume supplémentaire serait pris sur le temps de formation et
de préparation en autonomie, cette fois c’est un risque de fonctionnement à
vide par l’aval (problématique de terrain) qui serait susceptible d’apparaître.
Deux options semblent de nature à résoudre en partie cette équa-
tion. La première, à moyen constant, serait de maintenir les volumes exis-
tants, mais de produire une réelle convergence des contenus de formation.
Dans cette démarche, chaque module se verrait attribuer une part de com-
plémentarité fonctionnelle par rapport aux autres, les séquences d’entretien,
le mémoire professionnel ou encore les modules d’APP deviendraient les
espaces de matérialisation de cette convergence. Cette option est celle
que développent de nombreux auteurs et notamment Perrenoud lorsqu’il
parle d’une forme d’habitude « quotidienne » nourrit par une convergence
globale des contenus et modalités de formation (Perrenoud, 2001). Dans
cette option, le caractère volontaire de l’institution et les ressources des
formateurs sont décisifs. La deuxième option consisterait en l’augmenta-
tion du volume global de la formation initiale pour préserver les équilibres
APP/autres modules, mais aussi temps de formation en centre/temps sur
le terrain.
Nous retiendrons pour conclure que la formation d’un praticien
réflexif ne peut être en formation initiale que le produit d’un projet de
convergences qui met en mouvement l’ensemble des ressources des institu-
tions et des acteurs. Si ces conditions semblent difficiles à réunir, il apparaît
aussi dans nos résultats que des enclenchements de cette pratique peuvent
être réalisés dans un milieu peu favorable.
Pour ne pas conclure…
La pratique réflexive,
un champ ouvert de conceptualisation
et d’innovation au service
de la professionnalisation des acteurs

« Pour commencer, il faut simplement commencer.


On n’apprend pas à commencer.
Pour commencer, il faut simplement du courage »

Vladimir Jankélévitch, 1960

Cet ouvrage a pour objet praxique l’étude de l’amélioration de


l’accompagnement du professeur débutant dans son chemin de profes-
sionnalisation, un chemin jalonné d’une série de renoncements partiels  :
renoncer au sentiment d’expertise et aux modèles pédagogiques qui en
découlent, renoncer au pouvoir que confèrent les certitudes et fonctions et
enfin renoncer à la détention d’une vérité. Cet ouvrage, issu de la recherche
qui en est à la base, avait également pour objet de parvenir à poser une
réflexion singulière dans l’immense champ de travail que constitue l’étude
des systèmes enseignement-apprentissage-institution.
Une approche complexe et l’entrée dans le paradigme de l’incerti-
tude, que matérialise la construction d’une pratique réflexive, servent les
deux « focales » présentées ci-dessus, et peuvent être déclinées (valable-
ment, nous semble-t-il) suivant les problématiques posées par les différents
acteurs : formés, formateurs, accompagnateurs et chercheurs. Ce travail est
ainsi multidimensionnel et cet ouvrage interroge le lien entre recherche
et pratique. L’aller-retour permanent, éclairé, entre les mondes du cher-
cheur et du praticien s’incarne dans cette posture de praticien réflexif qui
trouve ici un terrain d’expression, un espace de lien et finalement de sens.
Mais la pratique réflexive n’est pas sans risque  : « Il est possible que le
232 Construire une pratique réflexive

paradigme actuellement dominant dans la formation, celui du pra-


ticien réflexif, contribue à nourrir cette inquiétude, en incitant à ne
pas systématiquement imputer au contexte les causes d’un échec, mais
à interroger aussi ses propres attitudes ou manières de faire pour
éventuellement travailler à les modifier » (Dubois, Gasparini et Petit,
2005, p. 97). Le risque est aussi que l’injonction à la réflexivité traduise une
hyper responsabilisation individuelle des acteurs. Ce mécanisme rendrait
l’acteur « seul responsable » des dysfonctionnements puisque conscient de la
complexité et la comprenant. Pour s’inscrire réellement dans le développe-
ment du pouvoir d’agir, la pratique réflexive devrait aussi s’inscrire dans des
dynamiques collectives et la responsabilité des collectifs (Bourdieu, 2001 ;
Boucenna, Thiébaud et Vacher 2022). « Peut-être y a-t-il du masochisme
dans l’apprentissage réfléchi, dans l’étude et la remise en question
permanente de ses propres pratiques et de ses idées… » (Kelchtermans,
2001, p.  64) et parodiant les paquets de cigarettes Kelchtermans ajoute  :
« La réflexion peut nuire gravement à la santé, ou du moins à la paix
de l’esprit » (ibid.).
Aussi convient-il, et nous avons cherché à le mettre en évidence
tout au long de cet ouvrage, de sécuriser au maximum cette entrée dans « le
monde de l’incertain » tant du point de vue du chercheur que de celui des
formés, des formateurs ou des accompagnateurs. Cette exigence de struc-
turation d’un contexte sécurisé est rendue d’autant plus nécessaire dans
notre contexte de recherche, lorsque le public est en formation initiale et
subit un véritable « choc de la transition » (Veenman, 1984). Les modèles
classiques dominants dans les pratiques de formation, mais aussi les attentes
paradoxales des formés témoignent de cette déstabilisation.
Cet ouvrage tente de montrer que le développement de la pratique
réflexive permet en partie de diminuer le risque de repli sur soi face à la
déstabilisation ou de façon plus générale, à la pression de l’hyper responsa-
bilisation individuelle. D’autres auteurs ont une ambition plus grande encore,
« Développer son pouvoir réflexif est au centre du développement de
l’homme, de son espérance d’une vie heureuse, de sa survie peut-être »
(p. 43, Bucheton, 2019)
Mais la complexité de la transition implique la structuration d’un
contexte sécurisé de formation dans lequel le formateur comme le profes-
seur stagiaire se voit confier pour tâche de « gérer la relation dialectique
entre deux pôles tensionnels opposés  : assimilation, différenciation. »
(Donnay et Charlier, 2006, p.  128). Nous avons cherché à élaborer des
éléments de structuration d’un tel contexte au travers de la mise en pers-
pective des études sur le sujet, de la formalisation d’un cadre conceptuel
et enfin de l’évaluation du dispositif proposé. Les écueils sont nombreux
dans la construction d’une telle démarche, même lorsqu’elle s’appuie sur
Pour ne pas conclure… 233

une proposition conceptuelle affirmée, une connaissance approfondie du


terrain et dans un contexte à échelle humaine réduite. Les stratégies pour
contourner ces écueils sont, à l’image de l’approche choisie, complexes.
Ainsi, dans la mesure où la perspective d’autonomie partielle des
formés se dresse comme une visée finale d’une formation initiale, il semble
que cette dernière doive être conçue par paliers, étayés par l’accompa-
gnement convergent des acteurs de la formation94. Pour ce qui concerne
l’expertise attendue, le maintien de l’expertise programmée dans les curri-
cula (référentiels) en formation initiale relève d’une ambition probablement
irréaliste. Dans la perspective d’une expertise, aux contours généraux définis
mais à l’opérationnalisation non formalisable, car conjoncturelle et indivi-
duelle (Tochon, 1993), il faut, semble-t-il, tout autant chercher à finaliser
par ces références institutionnelles ou professionnelles que les interroger.
On pourrait ainsi espérer enclencher les mécanismes de construction d’une
expertise personnelle, produit d’une pratique réfléchie et incarnée dans un
développement professionnel. Dans cette perspective, « se professionna-
liser revient alors à naviguer dans un réseau d’opportunités et non
pas seulement à monter à la corde à nœuds d’un programme ou d’un
cursus préétabli de formation » (Le Boterf 1997/1999, p. 203).
Si les travaux présentés ici s’inscrivent dans la perspective tracée
par de nombreux chercheurs et praticiens, il apparaît que le champ de la
pratique réflexive est encore à définir, à dessiner et étudier. Cette potentia-
lité constitue un moteur puissant de l’engagement dans les domaines de la
recherche et de la formation. Les réformes actuelles des systèmes de  for-
mation, les mutations du paysage universitaire et de l’accompagnement sont
autant de chantiers et d’opportunités pour poursuivre le développement du
champ de la pratique réflexive et la défense d’une éthique qui peut en être
le fruit (Boucenna, Thiébaud et Vacher 2022). Pourtant, l’idée de l’accompa-
gnement de ce développement est ancienne dans l’institution et l’on note déjà
en 1984 dans le plan de rénovation des formations des maîtres, un module
« palier de scolarité » permettant un travail d’articulation théorie-pratique,
transdisciplinaire et pluricatégoriel (note de service n°  84-114 du 29  mars
1984). À la question de savoir « pourquoi ces dispositifs évoqués et invo-
qués ne se sont pas systématisés ? », Perrenoud répond par quatre raisons
(Perrenoud, 2001, p. 76) :

– « Les tenants de la pratique réflexive sont moins marginaux au


fil des années, mais ils ne font pas le poids en regard des lob-
bies disciplinaires. » Les enjeux de transformation des pratiques
se déclinent ici probablement à travers la formation de formateurs,

94. Nos résultats ne nous permettent en effet pas d’espérer une autodidaxie quant à la valo-
risation des paradoxes (Vialle, 2005)
234 Construire une pratique réflexive

mais aussi des moyens qui lui sont attribués. Cette option se fonde
sur le pari d’une « conversion » des cultures et lobbies.
– « Une partie des formateurs n’investit guère dans la formation
à une pratique réflexive. » Perrenoud propose plusieurs raisons :
elles seraient relatives au manque d’adhésion idéologique ou intel-
lectuelle, à la non-pratique réflexive par ces formateurs qui sou-
haitent maintenir en priorité leur modèle pédagogique transmissif ou
encore qui estiment que cette pratique est déjà présente « en creux »
notamment dans les formations à la recherche ou dans les capacités
d’abstraction en général. La formation des formateurs semble ici
un levier actionnable pour viser la vulgarisation des paradigmes qui
fondent la pratique réflexive.
– « Tous les formateurs ne s’identifient pas à la figure du praticien
réflexif », ils réfutent l’utilité de l’approche « intellectualisante »
universitaire, ou bien ils pensent que la formation doit se composer
essentiellement de l’observation des experts en situation. Ici encore
des « conversions » des acteurs sont ambitieuses et ne semblent pou-
voir s’appuyer que sur la formation déclinée sous toutes ses formes :
instituée, informelle en équipe, autodidaxique.
– « Une partie des étudiants n’aime pas réfléchir, ils préfèrent
absorber et restituer des savoirs », reproduisant ainsi leur mode de
socialisation scolaire. La construction d’outils de formation, suscep-
tibles de favoriser cette bascule des représentations et demandes,
était au cœur de cet ouvrage. L’adhésion est complexe, mais le prin-
cipe du volontariat et de l’accompagnement de la transition semble
de ce point de vue un facteur discriminant.

Nous le voyons ici, les facteurs de développement de la pratique


réflexive sont identifiables, mais leur mobilisation simultanée relève d’équi-
libres complexes qui ne semblent possibles que dans le cadre du dévelop-
pement de convergences larges entre les projets des différents acteurs et
de l’institution. La structuration des formations autour de l’alternance est
de ce point de vue un élément porteur, mais complexifiant de la démarche
de convergence. On notera également que l’étude des effets d’ARPPEGE,
à travers notamment l’adhésion des participants au dispositif, a permis de
mettre en lumière qu’il n’y a pas de fatalité à la superposition entre for-
mation en centre et préoccupation théorique, expérience sur le terrain et
préoccupation pratique.
Bien que des études réalisées (Woods et Karpp, 2000 ; Adams et
Krockover, 1997) montrent que les pratiques en classe ne sont pas directe-
ment ou nettement impactées par le développement de la pratique réflexive
en formation initiale, il semble, au terme de cette étude et en fonction des
résultats obtenus, que plusieurs éléments sont de nature à légitimer la place
de ces contenus en formation et de ce fait la réflexion ingénieriale pour la
Pour ne pas conclure… 235

développer. Nos travaux ont en effet mis en lumière que si le changement de


pratique n’a pas été directement observé, des modifications psychologiques
(baisse des tensions, augmentation de la motivation, prise de confiance,
relativisation), mais aussi cognitives (stratégie d’analyse multiréfléchie),
fruits de ces dispositifs sont de nature à permettre l’évolution des pra-
tiques. Dans une spirale de développement professionnel, c’est le rapport
à la professionnalité qui évolue avec le développement de la réflexivité.
L’effet sur le changement des pratiques est dans ce cas présent mais indirect
et probablement trop diffus pour acquérir une légitimité institutionnelle.
On  notera également, en accord avec les résultats de ces mêmes études,
que la valorisation des acquis de formation dans le domaine de la pratique
réflexive trouve une efficacité dans le temps. C’est bien sur cet aspect que les
critiques du paradigme du praticien réflexif sont les plus aigües. En concur-
rence avec des modèles ou doxas recherchant une efficacité directe, le lent
processus de développement professionnel est « accusé » de n’être qu’une
chimère dont la poursuite serait stérile. Pour les partisans d’une approche
plus applicationniste dans laquelle l’activité du professionnel est une opti-
misation du choix des pratiques jugées efficaces, la pratique réflexive ne
peut se justifier qu’au prix d’une normalisation de ses produits. « D’autres
chercheurs (Bocquillon, 2020 ; Bocquillon  et  Derobertmasure, 2018 ;
Gauthier, 2016) ont souligné les limites importantes d’une pratique
réflexive qui “tourne à vide”, sans recourir aux connaissances scienti-
fiques relatives aux pratiques enseignantes efficaces » (Bissonette et al.,
2021, p. 11). Pourtant, ces critiques se fondent elles aussi sur des résultats
de recherche qui sont interrogés (Talbot, 2012). Il y a donc autour de la
pratique réflexive un débat témoignant de divergences de conception qui
dépassent celui de la recherche et se positionne dans celui des idéologies
de la formation. Dans cet espace de dissensus et de consensus, le paradigme
de l’incertitude dans lequel nous nous inscrivons, nous amène à penser
l’éthique de la démarche plus que de rechercher une conformisation à une
déontologie de l’intervention. À l’opposé de cette dernière dans laquelle le
« principe des “bonnes pratiques” est supposé remplacer le jugement
et la décision personnelle » (Bucheton 2019, p. 32), l’éthique est en effet
« un engagement, une responsabilité dans l’action […] Toute décision
qui concerne l’autre […], engage la responsabilité du praticien en tant
que personne morale. » (op cit.)
Si l’affichage institutionnel d’une orientation (toujours très présente
en ce début des années  20) en direction du paradigme constructiviste du
praticien réflexif semble attester d’un choix dans ce débat idéologique, force
est de constater que la difficulté pour une entreprise normative (formation
institutionnelle) de « franchir le pas » de l’entrée dans le paradigme de
l’incertitude est bien présente. Instillant des espaces de changement dans
la mosaïque de l’orthodoxie institutionnelle, déplaçant les zones de pouvoir
236 Construire une pratique réflexive

que confèrent le savoir et les contours des statuts classiques attribués aux
acteurs, la mise en action du paradigme de l’incertitude semble demeurer
partiellement incompatible avec les cadres institutionnels de formation (et
plus particulièrement ceux des professeurs débutants, Altet, Desjardins,
Étienne, Paquay et Perrenoud, 2013). L’atteinte partielle des visées de for-
mation est liée non à leurs légitimités, mais plutôt aux moyens d’accompa-
gnement de la passation des outils et modules de formation. Les résultats
obtenus ont en effet permis de montrer que lorsqu’il y avait un contrôle du
dispositif (ARPPEGE avec compétence nécessaire présente, standardisation
du protocole) les effets de formation répondaient aux objectifs fixés.
Nous espérons également que cet ouvrage soit une contribution
modeste à l’inscription du modèle du praticien réflexif dans l’analyse des
postures et des compétences des acteurs des systèmes enseignement
apprentissage-institution que sont ici les futurs professionnels des métiers
de l’humain, les professionnels formateurs institutionnels, les accompagna-
teurs et les chercheurs. Nous souhaitons avoir rendu perceptible le désir de
placer le concept d’analyse dans une perspective de « production de sens,
une ouverture à l’agir » (Ferry, 1987, p.  58) dans le système complexe
qu’est l’intervention de l’acteur. Enfin, souhaitons que cet ouvrage permette
d’éviter un peu plus au « mille-pattes de Schön » ses récurrentes « sorties
de route » (Schön, 1983).
Les chemins de l’innovation ont cette qualité et cette exigence de
nous projeter dans l’espace inconnu et incertain dans lequel il nous faut
bien « commencer » sans avoir appris à commencer…
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Table des sigles

APP Analyses de Pratiques Professionnelles


ARPPEGE Analyse Réflexive de Pratiques Professionnelles
en Groupe d’Échange
CNE Comité National d’Évaluation
CP Conseiller Pédagogique
CPE Conseiller Principal d’Éducation
DAGNEA Dispositif d’Analyse en Groupe selon la grille des Natures
d’Enjeux inspirées des niveaux d’analyse d’Ardoino
EQP Examen de Qualification Professionnelle
GAPP Groupe d’Analyse de Pratiques Professionnelles
GEASE Groupe d’Entraînement à l’Analyse de Situations
Éducatives
GFAPP Groupe de Formation à l’Analyse de Pratiques
Professionnelles
INRP Institut National de Recherche Pédagogique
IUFM Institut Universitaire de Formation des Maîtres.
SAPEA Séminaire d’Analyse des Pratiques d’Enseignement/
Apprentissage
SAS groupe de Soutien Au Soutien
STAM Secondary Teaching Analysis Matrix
Liste des graphiques,
figures et tableaux

GRAPHIQUES
Graphique 5.1. Évolution de la durée totale des séances 170
Graphique 5.2. Évolution de la durée des phases collectives
en fonction des séances 171
Graphique 5.3. Évolution de la durée des phases individuelles
en fonction des séances et des années 172
Graphique 5.4. Part des phases individuelles et collectives
dans l’origine des effets de formation
(en pourcentage) 185
Graphique 5.5. Effets perçus et déclarés dans les questionnaires
« après séance » (en pourcentage) 186
Graphique 5.6. Effets perçus et déclarés dans les questionnaires
finaux (en pourcentage) 186

FIGURES
Figure 1.1. Approche juxtaposée ou unidimensionnelle,
lecture simple et/ou réactive 47
Figure 1.2. Approche multidimensionnelle pragmatique,
mobilisation juxtaposée des registres usuels 48
Figure 1.3. Approche multidimensionnelle pragmatique
globale, interactions entre les registres usuels 49
Figure 1.4. Approche savante analytique,
juxtaposition des analyses 50
Figure 1.5. Approche savante globale,
interactions entre les analyses 50
Liste des graphiques, figures et tableaux 249

Figure 1.6. Combinaison des approches savante


et pragmatique globale 51
Figure 1.7. Approche multiréfléchie : phase de réfléchissement,
réflexion et métaréflexion 54
Figure 1.8. Implication 56
Figure 1.9. Explication 56
Figure 1.10. Explication et implication 57
Figure 3.1. Cadre général support de la construction
des dispositifs de formation 106
Figure 4.1. Évolution des préoccupations et demandes
de contenus 115
Figure 5.1. Outils d’analyse des effets d’ARPPEGE 144
Figure 5.2. Exemple de modèle de compréhension
avec juxtaposition des domaines 154
Figure 5.3. Exemple de modèle de compréhension
avec structure chronologique simple 155
Figure 5.4. Modèle complexe de compréhension
produit lors de la phase 6 (séance 5) 158
Figure 5.5. Complément du modèle de compréhension
produit lors de la phase 6 (séance 5) 159
Figure 5.6. Système liant engagement dans le dispositif
et amélioration de la communication 176
Figure 6.1. Processus de professionnalisation enclenchés
et entretenus par la pratique réflexive 224
Figure 6.2. Rapport de la pratique réflexive en formation
aux registres pratique et théorique de formation 226

TABLEAUX
Tableau 1.1. Objectifs et fonctions du développement
de la pratique réflexive (selon Zeichner,
Altet et Perrenoud) 27
Tableau 1.2. Processus potentiellement présents dans la pratique
réflexive Basé sur (Saussez, Ewen et Girard, 2001) 29
Tableau 1.3. Articulation des processus rationnels de réflexion
dans la pratique réflexive 33
250 Construire une pratique réflexive

Tableau 1.4. Articulation des processus complexes


de la réflexion dans la pratique réflexive 35
Tableau 1.5. Matériau de la réflexion et métaréflexion
et niveau d’apparition 36
Tableau 1.6. Exemple de la matière de la pratique réflexive
dans le cas de la formation des enseignants 41
Tableau 2.1. Variable structurant les propositions de types
d’analyse de pratiques professionnelles 73
Tableau 4.1. Phases, consignes et formes de groupement
dans le dispositif ARPPEGE 129
Tableau 4.2. Mise en perspective du cadre général
de conception et des contenus spécifiques
du dispositif ARPPEGE 132
Tableau 4.3. Régulations possibles dans chacune des phases
Tableau 5.1. Quantité et nature des données recueillies
au cours des deux années d’étude 145
Tableau 5.2. Évolution des modes de questionnement
par palier 148
Tableau 5.3. Évolution des modes d’analyse, de compréhension
et de modélisation par palier 153
Tableau 5.4. Évolution du questionnement lors de la phase 3 :
nombre et origine 174
Tableau 5.5. Étapes et contenus de l’évolution générale
des profils, année 2007-2008 178
Tableau 5.6. Étapes et contenus de l’évolution générale
des profils, année 2008-2009 180
Tableau 5.7. Phases à l’origine des effets de formation perçus
(en pourcentage) 184
Tableau 5.8. Continuité et complémentarité
avec les autres modules de formation
(en pourcentage) 194
Table des matières

Sommaire 5

Avant-propos de la deuxième édition 7

Préface à  la  première édition 9

Introduction 13

Chapitre 1. Définir la pratique réflexive 21


1. Préalable : origine et logique d’apparition du concept 21
2. Objectifs et fonctions du développement
de la pratique réflexive 24
3. Caractéristiques de la réflexion 29
3.1. La réflexion, oui, mais quand ? 30
3.2. Quels processus cognitifs ? Réfléchissement,
réflexion et métaréflexion 32
3.3. Quelle structuration de la démarche réflexive ?
Une hétérogénéité de conceptions 37
4. Les objets de l’activité réflexive 40
4.1. Une matière traitée hétérogène 40
4.2. Une matière traitée complexe 42
4.3. Approche multidimensionnelle, plurielle,
multiréférentielle : vers une approche multiréfléchie 43
5. La position du sujet dans la réflexivité : entre explication
et implication 55

Chapitre 2. Vers la conception de dispositifs


de développement de la pratique réflexive :
conditions et variables de mise en œuvre 61
1. Les conditions de développement de la pratique réflexive 62
1.1. La clarification du contrat de formation
et sécurisation de l’engagement du sujet 62
252 Construire une pratique réflexive

1.2. Le décalage du niveau de contenu 67


1.3. Paramètres organisationnels et temporels
du développement de la pratique réflexive 68
1.3.1. Des cadres organisateurs du développement :
la construction accompagnée de démarches 68
1.3.2. Le temps pour développer la pratique réflexive :
un entraînement 69
2. Variables de mise en œuvre et dispositifs visant
le développement d’un praticien réflexif 71
2.1. Variables de mise en œuvre
des dispositifs d’APP 72
2.2. Dispositifs de développement de la pratique
réflexive 73
2.2.1. La médiation de la réflexion par l’écrit 73
2.2.2. L’entretien 74
2.2.3. L’analyse de pratiques en groupe 74
3. Vers une définition du praticien réflexif 75

Chapitre 3. Concevoir des dispositifs de développement


de la pratique réflexive : principes et cadre général 81
1. Un cadre conceptuel général préalable à la construction
des dispositifs de développement de la pratique réflexive 81
1.1. Prendre en compte la logique des acteurs
et de l’institution : une double transition 82
1.1.1. Adapter les propositions à la spécificité
du public. Mais viser l’autonomie 83
1.1.2. Rechercher l’engagement des acteurs 85
1.1.3. S’inscrire dans un projet de convergence
préservant la diversité des contenus
et objectifs 87
1.2. Clarifier le fond et la forme des éléments
du contrat de formation 88
1.2.1. Définir les objectifs et la nature
des objets de formation 88
1.2.2. Une clarification éthique du contrat :
la conception de règles sécurisantes 90
2. Des outils et dispositifs de formation construits
à partir du cadre conceptuel 92
2.1. Objectifs généraux des dispositifs 92
2.1.1. Construire des capacités d’analyse
pour nourrir la pratique réflexive 93
Table des matières 253

2.1.2. Construire une capacité à travailler en équipe :


une composante fin et moyen de la pratique
réflexive 97
2.1.3. Construire un confort de formation
et professionnel : un élément finalisant
mais aussi levier de la pratique réflexive 101
2.1.4. Synthèse 102
2.2. Des processus cognitifs visés,
constitutifs de l’activité réflexive 102
2.2.1. Émergence de décalages et de prises
de conscience 103
2.2.2. La décentration et la prise de recul
au cœur de l’approche multiréfléchie 104

Chapitre 4. Illustration de la conception d’un dispositif


de formation : ARPPEGE 109
1. Objectifs et principes particuliers d’élaboration 110
1.1. Objectifs 110
1.2. Principes d’élaboration 111
1.2.1. Provoquer des décalages pour obtenir
une prise de conscience 111
1.2.2. Modéliser la co-construction d’une « synthèse »
temporaire de la compréhension 112
2. Forme du dispositif et des séances 112
2.1. Forme générale de la séance 116
2.2. Constitution des étapes par phase 117
2.2.1. Phase 0 : Présentation et rappel
du fonctionnement 117
2.2.2. Première étape : un retour sur ses analyses 118
2.2.3. Deuxième étape : Une co-construction 124
2.2.4. Remarques générales 128
3. Régulations et variations potentiellement réalisées
par l’animateur au cours
des séances et autour d’elles. 133

Chapitre 5. Former un praticien réflexif : effets du dispositif


ARPPEGE 141
1. Méthodologie d’analyse et d’étude des effets 141
1.1. Questionnaires de recueil des avis,
représentations et impressions 142
254 Construire une pratique réflexive

1.2. Outils d’analyse des effets


en usage d’ARPPEGE 143
1.3. Outil complémentaire de croisement des données 143
1.4. Corpus quantitatif de données recueillies 144
2. Analyse des résultats relatifs au développement de la pratique
réflexive dans le dispositif de formation arppege 145
2.1. Effets observés : une entrée
dans la pratique réflexive 145
2.1.1. Des modifications de l’analyse :
vers une approche multiréfléchie 146
2.1.2. Modification de la dynamique sociale :
vers la co-construction et le travail d’équipe 167
2.1.3. Synthèse 177
2.2. Analyse des effets perçus et déclarés
dans les enquêtes 182
2.2.1. Une conception de la forme de l’outil
en cohérence avec les objectifs de formation 182
2.2.2. Une origine globale des effets,
mais des tendances d’attribution causale 183
2.2.3. Effets généraux : amélioration de l’analyse,
transformation des pratiques et augmentation
du bien-être professionnel 185
2.2.4. Des effets dominants dans les domaines
pédagogiques et du climat d’enseignement 192
2.2.5. L’inscription du dispositif dans la formation 193
2.3. Mise en perspective des deux types de données
recueillies : une transition effective 194
2.3.1. Une construction de capacités nouvelles 195
2.3.2. Le bénéfice du maintien de l’ouverture
de la compréhension 198
2.3.3. Un temps de formation trop court 200
2.3.4. Synthèse : des transformations de pratiques,
de la construction de capacités nouvelles,
mais… un stade initial d’entrée
dans la pratique réflexive 201
2.4. Synthèse et analyse prospective de l’usage
du dispositif ARPPEGE 202
2.4.1. Validation des principes de construction
et de conception 202
2.4.2. Limites du fonctionnement du dispositif
ARPPEGE 206
Table des matières 255

2.4.3. Limites méthodologiques de l’analyse


des effets de l’outil ARPPEGE 213

Chapitre 6. Former un praticien réflexif : synthèse et limites 219


1. La clarification des contrats de formation 220
1.1. Le sens : un ancrage dans les pratiques 220
1.2. Une convergence explicite et des définitions
de modalités qui donnent des repères à l’apprenant 221
1.3. La définition des objets de la pratique réflexive
et de leur place dans l’ensemble des ressources
et objectifs de formation. 221
2. La formation des formateurs : accompagner
la transition culturelle 227
2.1. Un travail sur les moyens concrets de formation 229
2.2. Effectifs, volontariat et module de formation 229
2.3. À moyen temporel constant, un risque
d’assèchement 229

Pour ne pas conclure… 231

Bibliographie 237

Table des sigles 247

Liste des graphiques, figures et tableaux 248

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