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MIEUX

CONNAITRE SON CERVEAU


POUR EN TIRER LE MEILLEUR
Notre cerveau possède une marge de progression phénoménale, pour peu que nous en
comprenions les mécanismes et que nous adoptions les stratégies adaptées.
Tenir compte de quelques grandes règles de fonctionnement cérébral nous permet de :
comprendre et gérer nos réactions émotionnelles,
prendre de bonnes décisions en situation de tension ou d’incertitude,
nous adapter aux changements incessants,
déterminer nos motivations durables,
mieux résister au stress,
tisser des relations constructives,
accroître l’efficacité collective.

Cet ouvrage s’appuie sur les avancées les plus récentes en psychologies comportementales et
en neurosciences pour ouvrir de nombreuses opportunités d’applications professionnelles, pour
soi-même ou dans la gestion d’une équipe. Il permet ainsi à chacun, en fonction de ses attentes
et de ses motivations, d’explorer son plein potentiel.

BERNARD ANSELEM est médecin, titulaire d’un master de recherche en neuropsychologie


(Toulouse, Lyon, Grenoble), spécialiste en imagerie médicale, auteur, conférencier orienté vers
l’application des connaissances sur la prise de décision, l’intelligence émotionnelle, les
motivations intrinsèques, l’adaptation au changement et la qualité relationnelle. Il est aussi
formateur (médecins et entreprises), membre du comité d’éthique et chargé d’enseignement à
l’université de Savoie.

EMMANUELLE JOSEPH-DAILLY est anthropologue de formation. Consultante, formatrice et


conférencière sur les sujets du leadership et des organisations du futur, elle n’a de cesse de créer
des liens entre les mondes de la recherche et de l’entreprise. Elle exerce par ailleurs une activité
de coach en développement personnel, enseigne dans plusieurs grandes écoles et publie
régulièrement dans la presse. Également directrice au sein du groupe Julhiet-Sterwen, elle a
coécrit l’ouvrage Développez l’engagement de vos collaborateurs (Eyrolles, 2018).
Bernard Anselem
Emmanuelle Joseph-Dailly

LES TALENTS CACHÉS DE VOTRE


CERVEAU AU TRAVAIL

Les neurosciences pour cultiver votre intelligence


émotionnelle, prendre les bonnes décisions et gérer
votre énergie
Éditions Eyrolles
61, bd Saint-Germain
75240 Paris Cedex 05
www.editions-eyrolles.com

Note d’information : les différentes applications citées dans le livre nous ont semblé être une aide
pour le lecteur. Le fait de les citer ne s’insère nullement dans une démarche publicitaire. Les
auteurs n’ont pas d’information d’ordre économique ou éthique sur les produits cités.

Création de maquette et composition : Hung Ho Thanh

En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou


partiellement le présent ouvrage, sur quelque support que ce soit, sans autorisation de l’éditeur
ou du Centre français d’exploitation du droit de copie, 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris.

© Éditions Eyrolles, 2020


ISBN : 978-2-212-57316-9
À mon trio lumineux du quotidien
À la transformation « du texte en images,
des mots en vie et de la vie en poésie »
À R.
SOMMAIRE

AVANT-PROPOS
PROLOGUE

Connaître votre corps pour mieux avancer !


Faire pousser vos neurones
Utiliser les sciences comportementales et les neurosciences au travail

LE LIVRE EN UN COUP D’ŒIL

CHAPITRE 1 > DÉVELOPPER VOTRE INTELLIGENCE ÉMOTIONNELLE

Qu’est-ce qu’une émotion ?


Qu’est-ce que l’intelligence émotionnelle ?
Comprendre vos émotions avec les neurosciences
Se faire des alliées de vos émotions
Anticiper le pouvoir de vos émotions dans le monde du travail

CHAPITRE 2 > DÉCIDER : ENTRE INTUITION, RÉFLEXION ET


ÉMOTIONS

Décider sous influence


Comprendre les rouages de la décision
Intuition ou réflexion ?
Décider au travail

CHAPITRE 3 > MOTIVER ET SUSCITER L’ENGAGEMENT

Qu’est-ce que la motivation ?


Distinguer les motivations externes des motivations internes
Comprendre les mécanismes cérébraux qui vous poussent à agir
Pour durer, déterminer vos motivations intrinsèques
Passer de la motivation à l’engagement au travail

CHAPITRE 4 > TRAVAILLER VOTRE CAPACITÉ À VOUS ADAPTER ET À


CHANGER

Développer votre aptitude à accueillir le changement


Comprendre les bases neurologiques du changement
Prendre conscience des freins au changement
Vous adapter à un changement imposé

CHAPITRE 5 > GÉRER VOTRE ÉNERGIE, VOTRE ATTENTION ET


VOTRE STRESS

Développer votre capacité d’attention


Gérer votre énergie : un cerveau affûté dans un corps sain
Savoir gérer votre stress

CHAPITRE 6 > AMÉLIORER VOTRE QUALITÉ RELATIONNELLE GRÂCE


AU CERVEAU SOCIAL

Revaloriser le potentiel du cerveau social


Comprendre votre cerveau social : un avantage de taille

CHAPITRE 7 > EXPLOITER L’INTELLIGENCE COLLECTIVE

Doper la performance avec la sécurité psychologique


Passer de l’individuel au collectif : pas si facile…
Repenser les organisations pour favoriser l’intelligence collective

PETIT CONDENSÉ DE VOS TALENTS CACHÉS


ÉPILOGUE
LES TABLES
INDEX
AVANT-PROPOS

e livre est un alliage de connaissances et de perceptions. Un


C bouquet de neurones que l’on a essayé de créer et de faire
pousser. Tout au long de ces chapitres, qui retracent sept grandes
fonctions cérébrales, nous avons voulu allier le meilleur de la
complémentarité de nos compétences : neurosciences et psychologies
comportementales dans leur forme scientifique et concrète, appuyées
par de l’expérience pratique en médecine et imagerie médicale et la
transposition de toutes ces sciences comportementales au monde du
travail. Pour ce faire, nous nous appuyons sur près de deux décennies
d’observations des hommes et des femmes en situation professionnelle
et plus de dix ans d’accompagnements individuels ou collectifs de
collaborateurs des TPE, PME, grands groupes comme organismes
publics. Le tout coloré d’expériences au contact d’indépendants,
d’entrepreneurs, de start-upers, pour nous adresser à un public large et
que chacun puisse se reconnaître au fil de l’ouvrage.

Les avancées récentes en psychologies comportementales et en


neurosciences nous ouvrent aujourd’hui de précieuses opportunités
d’applications professionnelles. Mais, ces dernières années, les
neurosciences ont eu tellement d’écho qu’elles sont désormais souvent
utilisées pour faire figure d’argument d’autorité pour convaincre et clore
le débat. Le but de cet ouvrage est tout au contraire de l’ouvrir, de passer
du « prêt à penser au prêt à explorer 1 ». De comprendre l’étendue de
nos possibilités, mais aussi d’identifier les limites de la littérature sur le
sujet ou les idées toutes faites sur le fonctionnement de notre cerveau.
Cet ouvrage n’a pas vocation à être une « neuro-dictature », pas plus
que nous ne sommes des « neuro-gourous ». L’objectif est d’aiguiser
l’esprit de discernement de chacun, de fournir les outils de
compréhension de notre machine intérieure pour que les applications des
neurosciences ne soient plus le pré carré d’experts scientifiques, mais
deviennent accessibles et utilisables pour tous et par tous. En revanche,
la rigueur scientifique, les références des recherches sur le sujet et des
sources citées restent une exigence. Les neurosciences sont en effet
tellement vulgarisées que l’on peut souvent lire des éléments
approximatifs, voire inexacts, sur nos modes de fonctionnement, et il
nous a semblé important de permettre au lecteur d’aller creuser les
recherches ou les points qui lui semblaient les plus pertinents.

À chacun maintenant de disposer des clés de son propre véhicule pour


optimiser le fonctionnement de la machine et surtout d’un mode d’emploi
pour en comprendre mieux les rouages, automatiques ou mécaniques.

Tous les exemples pris dans cet ouvrage sont des témoignages réels et
fidèles aux propos tenus, reçus durant les centaines de séances de
coaching que nous réalisons chaque année, pendant des séminaires ou
tout simplement des interviews et conversations privées. L’identité des
personnes concernées a néanmoins été grimée afin de préserver leur
anonymat et leur liberté de parole.

1. Expression d’Éric-Jean Garcia, professeur affilié en Leadership à Executive Education


Sciences-Po Paris, dans ses travaux : « Un tour du monde de la notion de leadership » (
https://www.youtube.com/watch?v=Ln7p2MMfHXA ).
PROLOGUE

ne forêt qui pousse fait moins de bruit qu’un arbre qui tombe. Il
U n’est pas toujours possible d’éviter les arbres qui tombent car nous
avons naturellement tendance à nous inquiéter de ce qui ne va pas,
mais nous avons du pouvoir pour faire pousser notre forêt neuronale et
développer ainsi de nouveaux comportements qui seront bénéfiques
pour tous. Toutes nos pensées et nos actions découlent du bon
développement des arborescences de notre cerveau. Faire pousser nos
neurones s’avère non seulement épanouissant, mais très efficace pour
progresser personnellement et collectivement. Il est établi que le plaisir,
la motivation ou encore la curiosité favorisent cette croissance neuronale
et renforcent ainsi nos aptitudes, et ce tout au long de notre vie et jusqu’à
notre mort.

CONNAÎTRE VOTRE CORPS POUR MIEUX


AVANCER !
Les sportifs de haut niveau doivent connaître leurs capacités physiques
pour espérer gagner. Tout navigateur doit maîtriser la technicité de son
voilier pour en tirer le meilleur. Alors pourquoi prendre le risque de
dériver en nous laissant mener passivement par notre cerveau ?
Comment espérer cultiver la relation à soi et aux autres si nous ne
comprenons pas déjà nos propres modes de fonctionnement ?
Nous avons l’énorme chance de vivre une révolution de la
connaissance : des ponts se construisent sous nos yeux entre les
mondes du corps et ceux de l’esprit. Les psychologies scientifiques et les
neurosciences ont progressé comme jamais ces dernières années. En
deux décennies, elles ont investi l’ensemble de nos activités. Elles nous
guident pour créer un environnement favorable à l’épanouissement de
nos nombreuses aptitudes humaines. Leur éclairage nous permet de
mieux comprendre les forces qui animent notre cerveau, ainsi que nos
automatismes avec leurs avantages et leurs pièges.

Les sciences cognitives étudient les grandes fonctions cérébrales telles


que les perceptions sensorielles, l’attention, les émotions, la motivation,
la prise de décision, la mémorisation, les mécanismes de raisonnement
ou le lien social, entre autres. Leur exploration nous permet de définir
progressivement les conditions optimales d’épanouissement de nos
capacités mentales et nous aide à utiliser plus finement notre cerveau,
sans perdre de temps ou d’énergie. Mais, pour cela, nous devons
connaître le potentiel et les limites de ce cerveau pour mieux anticiper les
épreuves, faire de meilleurs choix, collaborer plus efficacement avec
notre entourage ou vivre le changement plus sereinement.

Les liens entre les disciplines de neurologie, de psychologie


expérimentale, de sciences de l’éducation, d’économie, de sociologie ou
encore de leadership nous permettent d’aborder concrètement des
domaines aussi impalpables et subjectifs que la prise de décision
complexe, l’intelligence émotionnelle, la relation à l’autre ou la créativité.

En somme, connaître les rouages de notre cerveau nous permet de


cultiver les conditions optimales pour obtenir le meilleur de nous-même.
Ces savoirs renforcent nos capacités à affronter les difficultés de la vie,
ils nous apportent une vision plus sereine et plus de détermination pour
les actions à entreprendre.
Mieux connaître son cerveau a donc surtout un aspect pratique ! Cela
améliore la performance au travail, les choix stratégiques et même notre
bonheur au quotidien, en agissant sur des éléments aussi variés que :
notre efficacité au travail : en nous donnant les moyens de mieux
utiliser notre potentiel, de savoir sur quels leviers agir et surtout
comment agir ;
nos décisions : en nous rendant capables de sélectionner les
informations primordiales dans des environnements complexes,
voire stressants ;
notre intelligence émotionnelle : en nous permettant de trouver en
nous les motivations pour être plus entreprenant, plus endurant, plus
résistant aux difficultés ou au surmenage et mettre à distance nos
pensées toxiques pour développer des relations humaines de
qualité ;
notre flexibilité mentale : en développant notre capacité au
changement, en levant les freins de nos croyances limitantes, ces
convictions inadaptées qui font que l’on se limite soi-même dans son
champ d’action ;
nos relations aux autres : en améliorant la compréhension de leurs
réactions, en cultivant une meilleure écoute.

FAIRE POUSSER VOS NEURONES


De nombreux travaux montrent que nous possédons une marge de
progression importante dans la plupart des domaines évoqués. Les
résultats dépendent en majorité de notre état d’esprit et de notre
motivation.

Nos ressources mentales s’essoufflent par exemple au fur et à mesure


d’une tâche qui demande de l’attention. Après quelques heures, nous
réagissons de façon plus émotionnelle, plus mécanique. Nous résistons
alors moins aux émotions désagréables et pouvons faire des choix
impulsifs, être irritable, anxieux, découragé. Notre capacité à rechercher
de l’information avant de prendre une décision s’émousse. Dans ce
cadre-là, les apports des sciences cognitives porteront à la fois sur :
la prévention de ces états pour garder un mental affûté ;
la capacité à identifier les signes de fatigue attentionnelle et
émotionnelle ;
la reconnaissance de ces moments pour prendre du recul ;
la mise en place d’une stratégie dite de régulation en lien avec notre
intelligence émotionnelle ;
l’adaptation de procédures permettant des prises de décision plus
aiguisées.

UTILISER LES SCIENCES


COMPORTEMENTALES ET LES
NEUROSCIENCES AU TRAVAIL
Dans nos environnements professionnels, la croissance exponentielle
des informations à traiter en un temps record, les contraintes
réglementaires et les transformations constantes imposent un
fonctionnement matriciel et en réseau. Cela nécessite un partage des
tâches clair, une fluidité de l’information et une confiance entre parties
prenantes. Ces évolutions ne se feront pas sans une compréhension fine
de nos mécanismes émotionnels et motivationnels.

Lorsque nous décidons ou initions un changement personnel, il faut en


évaluer l’efficacité espérée dans la vie de tous les jours.

Les compétences innées sont importantes, mais nous avons le pouvoir


de les faire progresser tout au long de notre vie, tout dépend de ce que
nous en faisons.
De nombreux travaux montrent que nous possédons une marge de
progression non négligeable, dans la plupart des domaines évoqués. Les
résultats dépendent en majorité de notre état d’esprit, de notre motivation
et de notre organisation qui se compose de plusieurs étapes :
planification, mise en pratique, évaluation et répétition des actions.

En résumé, nous pouvons progresser si nous le voulons !


Les éclairages des sciences cognitives sont de précieux alliés dont il
serait dommage de se passer. Ils ne constituent pas un « mode
d’emploi » prêt à l’usage, mais un guide pour forger les outils et les
stratégies de chacun, adaptés à l’immense diversité de nos métiers, des
situations et des personnalités.
LE LIVRE EN UN COUP D’ŒIL
Nos émotions (chapitre 1 )
C’est le préalable à tout. Les neurosciences cognitives nous apprennent que l’émotion est
première par rapport à notre perception consciente. Elle était là avant le développement de
l’intelligence humaine. Elle s’est développée dans l’évolution animale avant les aptitudes du
langage et du raisonnement complexe. Ses réseaux cérébraux sont aussi plus rapides que
l’accès d’une information à la conscience. L’émotion précède la pensée, son émergence ne se
contrôle donc pas.

Nous verrons ce qu’est une émotion, comment s’en faire une alliée et travailler ce qu’on
appelle notre « intelligence émotionnelle ». Cela nous permettra de mieux accepter, apprivoiser,
tolérer et utiliser nos émotions désagréables, tout en appréhendant nos émotions trompeuses.
Parce qu’une émotion, parfois, ça trompe énormément ! Et tout comme l’émotion était à l’origine
des choses dans notre développement, elle sera également un atout du futur hors du commun
pour le monde technologique qui nous attend demain.

Nos décisions (chapitre 2 )


Les émotions sont aussi à la base de nos jugements et de nos décisions. Ces dernières
décennies, un ensemble de travaux et plusieurs prix Nobel ont montré que la décision purement
rationnelle n’existait pas. Le manque d’appréciation d’une émotion comme la peur ou la colère
peut conduire à une mauvaise décision.

Nous expliquerons comment comprendre les rouages de la décision et améliorer sa pratique,


déjouer les pièges, traquer les erreurs de jugement et utiliser les atouts de notre intuition pour
décider de manière éclairée. Nous observerons ces moments où l’intuition est notre alliée et
comment agir pour favoriser notre agilité mentale et améliorer notre réflexion dans nos
environnements professionnels.

Notre motivation et notre engagement (chapitre 3 )


Pendant longtemps, les visions de la motivation par les sciences humaines et les neurosciences
étaient séparées par un gouffre. En effet, les observations physiologiques qui étaient réalisées
dans le domaine de la motivation ne permettaient pas de progresser sur le sujet dans un monde
professionnel.
Récemment, les progrès en biologie, en imagerie cérébrale, mais aussi en addictologie, ont
permis d’avancer dans la compréhension de motivations plus abstraites, telles que
l’appartenance, l’envie de progresser ou d’acquérir son autonomie. Nous progressons encore
dans la distinction entre nos motivations transitoires et nos motivations plus durables.

Nous présenterons les ressorts neurologiques de la motivation et étudierons comment


connaître nos motivations durables, qui nous apportent de la détermination et de la sérénité pour
mieux mobiliser nos forces et celles de notre entourage. Dans une optique professionnelle, nous
envisagerons aussi le lien entre motivation et engagement, l’idée d’engagement au travail
dépassant la seule motivation et reposant sur plusieurs facteurs à prendre comme un tout.

Notre flexibilité mentale, notre résilience et notre rapport au changement (chapitre 4 )


L’accélération des rythmes et la révolution des connaissances nous imposent une adaptation
incessante. L’arrivée de l’intelligence artificielle nous pousse plus que jamais vers la nécessité
d’une flexibilité mentale et d’une capacité de résilience accrues.

Nous verrons comment appréhender cette nécessaire flexibilité, comment lever les freins
naturels, cultiver nos capacités d’apprentissage, et nous appuyer sur le socle solide qui peut être
apporté par l’estime de soi. Pour que ces démarches ne restent pas des incantations, chaque
décision de changement devra faire l’objet d’une méthode. Par méthode, il faut entendre une
organisation plus ou moins planifiée, une mise en pratique immédiate et une répétition de l’action
afin d’ancrer les nouveaux comportements acquis. Cela permettra d’éviter qu’ils disparaissent,
noyés par l’océan de nos habitudes. À travers la compréhension de ce que sont les mécanismes
neuroscientifiques du changement, nous comprendrons nos résistances, la force de nos
habitudes et de nos automatismes et comment actionner nos forces dans l’exploration de la
nouveauté. Ces aptitudes serviront, entre autres, à développer notre résilience dont nous
détaillerons les applications possibles.

Notre gestion de l’énergie et notre résistance au stress (chapitre 5 )


Tous ces changements effrénés mettent nos organismes à rude épreuve. Les incertitudes, la
compétition, l’obligation de résultat, le surmenage, peuvent conduire à l’anxiété, à l’impulsivité, au
découragement, au désengagement, voire à des altérations mentales et physiques durables.
Savoir utiliser au mieux ses ressources cérébrales et bien comprendre ce qui se passe dans
notre tête et dans notre corps n’est plus une option.

Nous développerons une compréhension de nos propres mécanismes pour mieux gérer notre
attention, notre énergie, notre stress, sommeil ou alimentation, qui deviennent plus que jamais
des ressources indispensables. Nous proposerons des actions managériales et des moyens
concrets de faire face pour tous, des clés pour travailler la mise à distance de nos pensées
toxiques, conserver notre agilité mentale et maintenir notre attention, tout en repérant les facteurs
de risque qui nous guettent dans nos quotidiens professionnels.

Nos relations aux autres (chapitre 6 )


L’interaction humaine et la qualité de la relation sont des domaines qui ont largement bénéficié
des avancées en neurosciences cognitives. Une part de notre cerveau ne s’active qu’en relation à
l’autre, c’est le cerveau social. Ces liens font partie intégrante d’un fonctionnement cérébral
harmonieux. Les travaux récents nous enseignent l’importance de cet enjeu sur l’ensemble de
notre développement mental et physique.

Dans cet ouvrage, nous verrons en quoi notre cerveau est hypersensible, imitateur, accro au
lien affectif… Nous envisagerons différentes manières d’améliorer nos relations aux autres et des
solutions pratiques pour travailler nos qualités relationnelles, en agissant à la fois sur la
compréhension d’autrui, et sur nos perceptions, sur la coopération mais également sur
l’affirmation de nous-même dans un cadre empathique et respectueux de l’autre, et ce, au travers
d’outils et d’exercices pratiques.
Notre intelligence collective (chapitre 7 )
Dans nos entreprises, l’organisation du travail, le développement des compétences ou les
conséquences du management peuvent vite se retrouver en contradiction avec les besoins de
notre cerveau. Il peut alors être utile de prendre appui sur les sciences comportementales et sur
une meilleure compréhension des fonctions cérébrales pour favoriser le fonctionnement collectif
renforcé par les connaissances autour du cerveau social.

Dans ce chapitre, nous observerons ce qu’est la sécurité psychologique et pourquoi elle est
une clé de performance. Nous développerons le rôle de l’échec et l’importance de la tolérance à
l’erreur. Nous verrons également les grandes difficultés, légitimes, que nous avons pour passer
de l’individuel au collectif et proposerons des outils de connaissance de soi pour optimiser les
performances de groupes. Enfin, nous questionnerons nos organisations actuelles pour repenser
les modes de gouvernance vers une intelligence collective, qui valorise une production commune.
CHAPITRE 1
DÉVELOPPER VOTRE
INTELLIGENCE ÉMOTIONNELLE

« Les gens pourront oublier ce que


vous avez dit, mais ils n’oublieront jamais

»
ce que vous leur avez fait ressentir 1 .

os sociétés ont la capacité d’envoyer des hommes dans l’espace,


N de sauver des vies en greffant des cœurs ou de concevoir des
intelligences artificielles, mais ne savent pas toujours régler les
conflits, effacer les craintes, les démotivations ou les ressentiments.
Comment dès lors expliquer cette stagnation des compétences
humaines ?

Nous commençons seulement à comprendre le rôle central des


émotions. Les neurosciences nous apprennent l’importance des réseaux
émotionnels pour sélectionner les informations importantes ou vitales et
les gérer dans l’intérêt de notre organisme.
Comme souvent, l’étymologie nous éclaire sur la signification du mot
« émotion ». Il nous vient du latin motio, le mouvement, l’impulsion. D’où
l’idée que les émotions sont indispensables à notre passage à l’action.
Vouloir dissocier nos émotions de nos actions est un non-sens, tant d’un
point de vue neurologique que comportemental. Dans l’évolution de notre
cerveau, les réseaux émotionnels sont plus centraux et plus anciens que
le langage ou les raisonnements abstraits. Les émotions sont à l’origine
de toutes nos actions, y compris les plus rationnelles, comme un choix
économique. Il n’est donc pas étonnant qu’elles soient plus marquantes
et plus influentes que certains raisonnements logiques : le cœur prime la
raison.
Pendant longtemps, le monde de l’entreprise et des organisations a très
peu investi le champ des émotions. Il y a quelques années, être
compétent, instruit et efficace étaient les critères souverains d’une
réussite professionnelle. Les autres talents passaient au second rang. De
nos jours, les agences spatiales sélectionnent leurs astronautes sur des
critères de compétences émotionnelles et les armées du monde entier
font de même. En entreprise, les organisations se sont récemment
saisies du sujet et intègrent dans leurs programmes de développement
des compétences certaines séquences autour de l’intelligence
émotionnelle. Cette prise de conscience n’en est qu’à ses débuts, mais
les entreprises vont y venir peu à peu, en prêtant bientôt plus d’attention
à l’intelligence émotionnelle des candidats qu’à leurs compétences
techniques. Le sujet reste cependant encore très marginal au regard des
enjeux de demain.

Il existe néanmoins une difficulté de taille : c’est précisément lorsque


l’émotion nous submerge qu’il nous est difficile de prendre du recul. Et
cette distance est d’autant plus difficile à appréhender que nous avons
peu l’habitude de manier ces sujets. Dès la petite enfance, nous avons
appris à muscler la part rationnelle de notre cortex. À l’âge adulte, il est
nettement plus entraîné que notre cerveau émotionnel, qui pilote la
sphère de nos sentiments. Ses productions sont également plus
valorisées par une société qui privilégie l’analyse cartésienne à l’intuition.
De manière assez logique, la sphère de l’intelligence émotionnelle,
complètement négligée par des générations successives à l’école, a
donc été peu investie par le monde du travail.
Cette absence de formation n’est pas le seul défi. Les connaissances
progressent à un rythme exponentiel, alors que notre capacité de
traitement reste linéaire. Face à cette complexité grandissante, au
déploiement des technologies envahissantes et des précarités multiples,
les capacités de compréhension humaines accèdent au premier plan.
Cela prend forme notamment à travers la montée en puissance des
connaissances sur l’intelligence émotionnelle et l’émergence croissante
des soft skills (compétences comportementales), considérées comme les
compétences de demain. À l’heure de la révolution numérique et de
l’automatisation de nombreuses tâches intellectuelles par les algorithmes
de l’intelligence artificielle, une revalorisation de ce qui fait de nous des
humains va forcément s’imposer.

Dans ce chapitre, nous aborderons tout d’abord la compréhension de


l’intelligence émotionnelle et les rouages des émotions, afin de préciser
ce que nous pouvons modifier et ce que nous devons accepter. Puis
nous nous intéresserons aux différentes stratégies de régulation
émotionnelle utiles sur le moment et à long terme. Et, enfin, nous
considérerons différentes applications au monde du travail dans les
domaines de la transformation, de la gestion des conflits, des doutes, de
l’anxiété, de la démotivation ou encore du ressentiment.

QU’EST-CE QU’UNE ÉMOTION ?


Chez nos lointains ancêtres et dans le règne animal, les émotions sont
apparues pour sélectionner les informations importantes pour survivre,
se développer et se reproduire : elles permettent ainsi d’éviter les
menaces et de rechercher ce qui fait du bien à l’organisme.

Les émotions sont donc les marqueurs de ce qui nous importe.

Nous comprenons alors mieux leur rôle central : les réseaux émotionnels
se sont construits avant l’apparition du langage et de la pensée
complexe. L’émotion précède la pensée consciente. C’est aussi elle qui
reprend le contrôle en période de tension ou de danger. Chez les
premiers humains, la relation de groupe était indispensable à la survie.
L’Homme est un animal social, un individu isolé n’avait que peu
d’espérance de vie à l’époque et les relations sociales sont donc
naturellement devenues une source majeure d’émotions.

Il existe une centaine de définitions universitaires du mot « émotion ».


L’une des plus couramment admises est une notion physiologique : par
émotion, on entend une réaction passagère, rapide et spontanée, en
adaptation à une information importante, accompagnée de signaux
corporels. Ces signaux, dits « universels », se manifestent, entre autres,
par des expressions faciales similaires, reconnaissables dans le monde
entier. La question de l’image renvoyée en entreprise est donc centrale,
puisqu’une émotion génère souvent un comportement visible. Et nous
sommes empreint de convenances professionnelles fortes, qui régissent
l’expression de nos ressentis dans notre sphère professionnelle.

Il existe de nombreux modèles de représentation et de classification des


émotions. Le plus utilisé est celui de Paul Ekman, comportant six
émotions universelles de base, établies en 1972, et qui ont toutes un rôle
dans notre survie. Ce sont ces émotions qui ont permis la survie de notre
espèce humaine au fil de l’évolution :
la joie (qui permet la reproduction) ;
la peur (qui prévient du danger) ;
la colère (qui encourage à défendre ses droits) ;
la tristesse (qui permet de se réintégrer à la tribu, au groupe) ;
la surprise (qui apprend à s’adapter à l’imprévu) ;
le dégoût (qui empêche de s’empoisonner).

Une émotion universelle se traduit par une expression faciale, une fuite
inconsciente de l’expression, qui se visualise de la même façon, quels
que soient la civilisation, la culture, la nationalité, la couleur de peau ou le
genre de la personne qui la ressent.

À ces six émotions de base, dix autres, plus complexes, ont été ajoutées
dans les années 1990 :
le mépris ;
la gêne ;
la honte ;
la culpabilité ;
la fierté ;
le soulagement ;
l’amusement ;
la satisfaction ;
l’excitation ;
le plaisir sensoriel.
Le travail de Paul Ekman est encore très actuel. Il a récemment inspiré la
série Lie to Me 2 ou encore le dessin animé Pixar Vice-versa 3 , qui nous
fait vivre dans la tête d’une petite fille à travers cinq expressions
émotionnelles. C’est littéralement la vulgarisation grand public du rôle de
nos émotions dans notre quotidien !

Le modèle du psychologue américain Robert Plutchik enrichit plus tard le


travail d’Ekman en ajoutant deux émotions : la confiance et l’anticipation.
Son travail est vulgarisé sous le nom de Roue de Plutchik. L’outil a
l’avantage de permettre une gradation sémantique et aide ainsi à mettre
des mots sur des ressentis, à nuancer et à préciser ses émotions. La
langue française est effet riche en expressions liées à des émotions :
bleu de peur, vert de rage, rouge de honte, une colère noire…

Ces émotions jalonnent nos quotidiens professionnels. Quand un salarié


partage un vécu, son vocabulaire est généralement celui de l’émotion.
Les situations nécessitant une adaptation du rapport à soi ou aux autres
sont multiples. Et les émotions jouent un rôle déterminant dans notre
représentation des situations et dans nos prises de décisions.

Dans L’Erreur de Descartes 4 , le neuroscientifique Antonio Damasio


évoque des cas médicaux dans lesquels certains patients ont subi des
lésions cérébrales altérant leurs capacités à ressentir des émotions.
Leurs capacités au raisonnement restent alors constantes, mais leur
aptitude à la prise de décision est en revanche considérablement altérée.

Géraldine, commerciale dans l’agroalimentaire, a du répondant et


une forme de franc-parler, qui la pousse à exprimer de temps à autre
une forme de négativité, laissant ses collègues désarmés face à son
attitude. Ils attribuent ce tempérament à une forme de jalousie face
au poste de responsable pour lequel elle n’a pas été retenue l’année
précédente. Ils sentent qu’elle a envie de prendre plus de
responsabilités et, même si elle en a les capacités, elle ne le fait pas
spontanément. Elle semble réticente et inquiète de prendre ce rôle
de leadership attendu d’elle et auquel elle aspire pourtant. Cette
anxiété, en partie non consciente, modifie son comportement à son
insu.
***
Arnaud, responsable Compensation et Benefits (Comp and Ben)
dans l’énergie, est rattaché à la DRH. De la manière dont il le voit,
son poste nécessite rigueur et créativité. Il tente donc tous les
trimestres de proposer de nouvelles façons innovantes de procéder.
De nature très patiente, il se confronte constamment aux limites d’un
système très politique qui n’a pas intérêt à voir certains éléments
évoluer. Chaque refus de tester, de considérer les propositions sur
lesquelles il s’est investi enclenche chez lui une émotion de colère,
qu’il renferme en lui en ressassant sa frustration.
***

Laëtitia, chef de produit marketing commercial dans un groupe de


luxe international, est d’un naturel adaptable. Elle aime résoudre les
problèmes et prend du plaisir à trouver des solutions à tout. Elle
travaillait auparavant dans une agence de publicité et a fait le choix
de rejoindre les équipes de l’un de ses clients. Une prise de risque
pour elle car elle quittait un poste connu et maîtrisé pour un avenir
plus incertain. Dans son nouvel environnement, elle doit proposer
des idées de campagnes flash pour des événements et des
lancements produits. Dernièrement, elle a trop tergiversé sur une
campagne et laissé passer une belle opportunité, que le concurrent
a saisie avec un grand retentissement médiatique. Elle qui était très
appréciée pour son agilité dans son travail de publicitaire craint de
ne plus avoir d’impact. Elle doute de sa valeur ajoutée, prend de
moins en moins de plaisir à proposer de nouvelles idées et
commence à se renfermer sur elle-même. Des émotions de
résignation, de tristesse et de culpabilité germent en elle.

Ces exemples nous montrent que les compétences rationnelles et


techniques nous aident à faire face, mais qu’elles ne suffisent pas. Il
existe une prise de conscience de l’importance de notre aptitude à nous
connaître nous-même et à comprendre les autres, autrement dit à
cultiver des compétences d’intelligence émotionnelle.

ÉVEILLEZ VOS TALENTS…


Analysez votre rapport physique aux émotions
Reconnaissez-vous monter en vous les prémices physiques des émotions
lorsqu’elles se présentent ?
Les signes physiologiques de la peur :

votre cœur s’accélère,


vos poils se hérissent,
vous transpirez,
vous tremblez,
vous avez les mains moites ;

Les signes physiologiques de la colère :

paresthésies,
sueurs,
tremblements,
tachycardie,
bouffées de chaleur,
oppression thoracique,
perte de contrôle,
envie de détruire des objets,
envie d’attaquer autrui verbalement ou physiquement.

QU’EST-CE QUE L’INTELLIGENCE


ÉMOTIONNELLE ?

Reconnaître, comprendre, réguler et tirer parti de ses émotions


et de celles des autres

Dans la sphère professionnelle, l’intelligence émotionnelle nous permet


un temps de décryptage, d’analyse, de filtre. C’est une intelligence de soi
et une intelligence de l’autre. Plutôt que de réagir machinalement, par
réflexe, à une situation qui nous bouleverse, qui nous enthousiasme ou
qui nous fait peur, nous pouvons prendre le temps de la réflexion sur
l’attitude pertinente à adopter. L’émotion s’impose à nous. Elle est
toujours acceptable car nous n’en sommes pas maître. En revanche, les
actes qui en découlent restent en notre pouvoir : une remarque brusque
à destination d’un voisin de bureau qui parle très fort au téléphone dans
l’open space et nous agace, un mail sec et procédurier rapidement
envoyé à un collègue qui nous irrite par sa mauvaise foi, un éclat de
colère verbale face à l’erreur répétée d’un collaborateur, un partage trop
enthousiaste d’informations personnelles que l’on aurait préféré garder
pour soi… Si ces émotions de joie, de colère, de frustration, d’agacement
ne sont pas évitables, nos réactions qui en découlent le sont. « Vous ne
pouvez pas arrêter les vagues, mais vous pouvez apprendre à surfer 5
. » À chacun de choisir sa façon d’interpréter son émotion. Pour que nos
émotions nous soient utiles dans un quotidien où notre survie n’est plus
en jeu, nous devons les comprendre et sortir du mode « pilotage
automatique », c’est-à-dire une réaction automatique qui fait suite au
processus émotionnel plus ou moins conscient. Il nous faut donc être
intelligent dans notre reconnaissance de l’émotion et dans le
comportement qui y fait suite.

Les psychologues Peter Salovey et John Mayer 6 ont été les premiers à
formuler le concept d’intelligence émotionnelle en 1990. Pour eux, il
s’agissait d’un ensemble de compétences distinctes de l’intelligence
générale, recouvrant les capacités d’identifier, de comprendre et de
réguler nos sentiments et émotions, puis d’utiliser ces informations pour
guider nos réflexions et actions.

Grâce à son ouvrage L’Intelligence émotionnelle (1995), le psychologue


Daniel Goleman a popularisé cette notion, en reprenant les travaux de
Salovey reposant sur cinq compétences clés :
connaissance et conscience de ses ressentis émotionnels ;
régulation et gestion de ses émotions ;
motivation de soi ;
conscience et reconnaissance des émotions des autres, empathie ;
aptitude à interagir harmonieusement avec autrui.

Depuis les années 1990, un ensemble impressionnant d’études ont


montré l’importance de ces compétences dans des domaines divers,
allant de la santé physique à la performance lors d’une prise de
décisions.
Les bienfaits de l’intelligence émotionnelle

De nombreuses études pointent les différences entre les groupes de


population à intelligence émotionnelle haute et basse. Les avantages de
développer une intelligence émotionnelle élevée portent autant sur la
santé physique (diminution des pathologies liées au stress, telles que
l’hypertension, les maladies cardio-vasculaires et inflammatoires) que sur
la santé mentale (moins d’anxiété, de dépression ou de conduites
addictives). D’un point de vue psychologique on constate une baisse des
ressentis négatifs (rapport entre la perception des émotions
positives/négatives), une élévation du niveau de satisfaction de vie, une
meilleure estime de soi et une plus grande rapidité à faire face à
l’adversité (résilience). D’autres champs de recherche montrent une
meilleure résistance aux impulsions émotionnelles et aux biais cognitifs
avec amélioration de la prise de décision. Enfin, la qualité et la quantité
des relations sociales apparaissent nettement améliorées.
Les bienfaits de l’intelligence émotionnelle selon différents travaux de recherches

ÉVEILLEZ VOS TALENTS…

Analysez votre rapport cognitif à l’intelligence


émotionnelle
Vous percevez-vous comme à l’écoute de ce que les gens ressentent ?
Vous considère-t-on comme sensible aux ressentis des autres ?
Avez-vous une attitude non verbale considérée généralement comme très
expressive ?
Extériorisez-vous vos émotions les plus fortes ? De quelle manière ?
Comment gérez-vous vos émotions négatives ?

Pour repérer une émotion, il peut être utile de se détendre physiquement et de


regarder en soi pour comprendre ce qui est ressenti. Cela peut durer un bref instant,
quelques minutes, pour détecter le sentiment, relâcher ses muscles en fermant les
yeux et en ralentissant la cadence. C’est une technique d’écoute corporelle,
d’isolement de la pensée négative, pour se recentrer sur soi.

COMPRENDRE VOS ÉMOTIONS AVEC LES


NEUROSCIENCES

Une émotion ne se contrôle pas, elle s’apprivoise

Nous sommes confrontés à un ensemble de réactions personnelles


désagréables et surtout contre-productives : craintes, doutes, irritations,
regrets, frustrations, autocritiques, rancœur, jalousie, culpabilité…

Ces ressentis émotionnels ne sont pas là par hasard. À l’origine, ils sont
utiles pour adapter nos décisions aux situations. Rappelons qu’une
émotion est un mécanisme profond, ancestral, destiné à nous informer
d’un événement important. Au départ, une émotion devait nous guider
vers des actions pour sauver notre peau ou rechercher ce qui comptait
pour nous (alimentation, sécurité, reproduction). Mais le monde moderne
évolue plus vite que les structures profondes de notre cerveau.
L’accumulation de déséquilibres, c’est-à-dire d’excès d’émotions
négatives, provoque des réactions indésirables, pénibles et stressantes.
Les sources de désagréments émotionnels sont variées, induites par le
monde professionnel, la concurrence, les objectifs tendus, les rythmes
accélérés, l’hyper-connexion, la soumission aux ordres, les interactions
permanentes, la complexité, les échecs ou encore l’épuisement.
Apprendre à limiter ces effets n’est pas secondaire ; comprendre son
cerveau est tout simplement vital.

Comment fonctionne notre cerveau ?

Quelques connaissances de base nous aident ici à mieux comprendre


les enjeux d’une bonne gestion émotionnelle.

Un système d’une grande complexité


Le cerveau est l’objet le plus complexe actuellement connu sur Terre : il a
85 milliards de neurones, 1 million de milliards de connexions. Les
neurones communiquent entre eux par signaux électriques. Les points de
contact, appelés les « synapses », permettent la diffusion des
informations. Une image, un son, un mouvement, une pensée vont
déclencher des réactions électriques et chimiques à l’origine de la
circulation des données. Il est important de souligner que ces connexions
se modifient en permanence sous l’effet de nouvelles informations ou de
rappels de souvenirs : cette faculté est connue sous le nom de
« plasticité cérébrale ». Notre cerveau est complexe, il varie en
permanence, il faut donc abandonner l’idée que tout peut être rationnel et
que nous pouvons maîtriser nos pensées et nos émotions. Nous
pouvons en revanche apprendre à cultiver un terreau favorable aux
bonnes idées.

Neuroplasticité : notre cerveau se modifie en fonction de nos


activités mentales et physiques 7

À chaque connexion entre deux neurones, notre capacité de


communication se renforce. Plus nous utilisons nos neurones, plus nous
les sollicitons, mieux ils fonctionnent. La connexion s’établit plus vite et
plus fort à chaque stimulation. Tel un sportif s’améliorant au fil des
entraînements, les connexions neuronales se fortifient avec l’action.

Cette connaissance d’apparence banale est révolutionnaire pour nos


capacités au travail. Elle constitue une extraordinaire motivation à agir
pour s’améliorer. Nous possédons du pouvoir sur notre cerveau ! En
adoptant de nouveaux comportements, nous créons un chemin neuronal
qui va s’amplifier si nous persistons, ou s’estomper si nous
l’abandonnons. Cette notion est sous-estimée. Pourtant, elle détermine
notre capacité au changement. Cette aptitude peut s’utiliser, par
exemple, pour modifier des réactions émotionnelles indésirables.

GRAINES DE CONNAISSANCES

Utilisation concrète de la neuroplasticité


Notre cerveau est beaucoup plus adaptable que nous ne l’imaginons ; nous sous-estimons
nos potentiels et surestimons nos difficultés. Sans le savoir, nous fabriquons souvent nos
propres freins. Cette capacité n’est en outre pas réservée aux jeunes générations, elle reste
valable à tout âge. Les libertés les plus belles sont celles que l’on s’accorde.
Attention : cette neuroplasticité fonctionne aussi en sens inverse. Si nous multiplions les
pensées d’hostilité, de crainte, de regrets, de reproches, ressentiments ou autocritiques,
nous cultivons alors la colère, la peur, la tristesse, la rancœur ou encore la culpabilité.
Finalement, un changement d’idée peut remodeler en bien ou en mal nos réseaux
cérébraux. À nous de choisir.

Le processus émotions-pensées

Environ 90 % de l’activité de notre cerveau est inconsciente. Se


concentrer sur une tâche consciente ne mobilise que 5 % de l’énergie
cérébrale. Parmi ces processus inconscients, l’émergence d’une émotion
prend moins de 3/10es de seconde. Sa perception consciente ne survient
que plus tard (entre 0,5 et 1 s.). Lorsque vous percevez une crainte, un
regret, une tristesse, une irritation, un ressentiment ou une envie, les jeux
sont déjà faits dans votre cerveau. Il est impossible d’éviter l’émergence
d’un sentiment subjectif désagréable. Les émotions précèdent nos
pensées car leur rôle est vital. Les centres de gestion émotionnelle
appartiennent à des structures anciennes, au centre du cerveau, car ils
gèrent des fonctions indispensables de survie. Réagir à un danger ou
repérer des ressources sont des fonctions capitales. En période de
tension, elles prennent le pas sur les autres. On les retrouve chez la
plupart des animaux. Ces structures sont beaucoup plus anciennes que
le langage et la mémoire qui ne sont apparues que beaucoup plus tard
dans l’évolution. Nos ressentis conscients ne constituent que la dernière
partie, la part émergée de l’iceberg. Le cerveau traite en permanence
une infinité d’informations, qui ne parviennent pas jusqu’à notre
conscience, mais influencent concrètement nos pensées, nos
impressions, nos actions. Nos humeurs et états d’âme représentent la
résultante d’accumulation d’émotions et de souvenirs plus ou moins
perçus.
Les étapes de l’émotion à l’action : nous ne pouvons agir que sur le dernier stade, les
pensées

Ces connaissances nous montrent que la pensée n’est pas première ;


elle provient d’une succession d’événements, de perceptions et
d’émotions ressenties.

RECOMMAND’ACTIONS

Connaître les rouages de l’articulation émotions-pensées


Il est inutile de s’acharner à contrôler ce qui est hors de notre volonté (comme
l’apparition d’une émotion).
Il est inutile de culpabiliser de ne pas y parvenir.
Il ne sert à rien de perdre son énergie à lutter contre des phénomènes
automatiques hors de portée. Il nous faut donc accepter l’émergence d’une émotion
à l’origine d’une pensée désagréable. Cette simple étape, d’apparence modeste,
voire superficielle, est en fait un levier majeur pour bien vivre ses émotions
négatives, libérer son esprit et favoriser le passage à la suite avec des sentiments
positifs.

La prédominance des émotions sur nos jugements se retrouve en


imagerie cérébrale. Les prises de décision font intervenir de larges
régions impliquées dans l’évaluation émotionnelle d’une situation.

La spirale des pensées nocives


Le processus émotions-pensées n’est pas linéaire, il fonctionne en
boucle. Les pensées vont induire des souvenirs, des jugements, qui
nourrissent eux-mêmes de nouvelles émotions. Elles alimentent
également un état d’esprit, que l’on peut qualifier d’humeur, favorisant
des colorations négatives d’émotions et de pensées diverses.
La spirale des pensées toxiques

Nos émotions et pensées sont contagieuses… pour le meilleur


comme pour le pire !
L’image d’un visage exprimant une émotion forte projetée devant vos
yeux pendant seulement 33 millisecondes (ms) n’est pas perçue
consciemment, car masquée par d’autres images. Elle est alors dite
subliminale . Mais elle suffit à modifier nos réactions cérébrales au
niveau des régions du traitement de l’émotion. La conscience n’arrive
que bien plus tard, après 300 ms.

Nous réagissons à notre insu aux informations non verbales


(mouvements du visage, regards, intonations et volume de voix, attitude
corporelle) plus ou moins conscientes. Ces signaux sont
émotionnellement perçus par les autres et constituent la base de la
contagion émotionnelle. Toute une série de réactions quasiment
impossibles à contrôler en permanence vont envoyer des signaux
implicites à nos interlocuteurs. Ces informations répétitives, plus ou
moins agréables, adressées aux autres, vont favoriser chez eux la
création de circuits neuronaux, en réaction. Elles vont conditionner leur
humeur, leurs émotions et leurs réponses. Ces réseaux à l’origine de
cette contagion émotionnelle sont un danger, car ils nous absorbent dans
une émotion dont nous ne voulons pas toujours. Et en même temps, ils
sont indispensables et considérablement précieux car ils nous permettent
d’entrer en connexion avec les autres.

Il importe donc d’être bien avec soi-même. Adopter une attitude


authentique et positive sera mieux perçu. Si nous multiplions les signaux
positifs, nous développons chez l’autre des connexions similaires. On
peut affirmer que, en termes de qualité relationnelle, nous trouvons ce
que nous apportons, par effet miroir. À ce sujet, Katie Byron écrit :
« Quand vous êtes fermé et apeuré, le monde est hostile ; quand vous
aimez ce qui est, tout dans le monde devient le bien-aimé. L’intérieur et
l’extérieur coïncident toujours… Le monde est le miroir de votre pensée 8
. »

SE FAIRE DES ALLIÉES DE VOS ÉMOTIONS


La phase d’acceptation-déculpabilisation-prise de distance sera souvent
suffisante pour nous libérer l’esprit et repartir vers des pensées plus
constructives. Parfois, lorsque l’émotion est intense et les pensées
répétitives, cette étape nécessitera d’être confortée par d’autres
stratégies, que nous choisirons librement, en fonction de notre
expérience et de notre personnalité.
Selon de nombreuses recherches, les stratégies les plus actives
immédiatement après une émotion négative et dans les heures qui
suivent sont, par ordre décroissant d’efficacité 9 :
l’acceptation ;
l’imagerie mentale positive : imaginer ou remémorer un épisode
particulièrement agréable ;
la réévaluation cognitive : repenser à une situation sous un angle
plus favorable ;
la distraction par une activité prenante ;
la mise en perspective : relativiser en rappelant d’autres priorités ;
l’exercice physique ;
la recherche de bénéfice face à une situation négative ;
le support d’un proche, le soutien social ;
l’expression de son besoin en lien avec l’émotion.

Agir sur la régulation émotionnelle à court terme et en


profondeur

L’ensemble de ces stratégies aura pour effet de nous faire prendre du


recul face à nos ressentis nocifs, momentanés ou durables. Connaître
les possibilités d’adaptation de notre cerveau permet de modifier les
pensées néfastes. Cela est valable à tout âge et en toutes circonstances,
à condition d’accepter un minimum d’efforts et la persévérance
nécessaire pour consolider un début de transformation. Ces solutions
sont nombreuses car elles s’adaptent à des situations très variées, ainsi
qu’à des personnalités et des vécus extrêmement divers.

L’acceptation
Nous devons accepter l’émergence d’une émotion ; en revanche nous
avons du pouvoir sur les pensées conscientes, une fois qu’elles sont
énoncées. Nous pouvons les critiquer et les modifier.
Une pensée n’est qu’une pensée. Elle n’est pas la réalité, c’est une
interprétation personnelle d’une situation. Elle est modifiable par notre
seule volonté, à condition de ne pas s’identifier à elle, de séparer nos
idées de notre personnalité (notre identité profonde) et de revenir dans le
présent. Penser « je ne supporte pas cette situation » est différent de
s’observer penser la même chose. La prise de distance permet de
reprendre la liberté d’orienter volontairement les pensées et
comportements.

Les étapes d’acceptation

« J’ai une appréhension dès qu’un changement se profile. Pendant


longtemps, j’ai été victime de cette peur car je refusais tout ce qui
m’était présenté. Puis, avec le temps, j’ai pris conscience de cette
angoisse. Je la ressens toujours, mais quand elle arrive, je sais en
rigoler en disant : “Bon, c’est mon aversion au changement qui me
pousse à dire ça, mais on ne pourrait pas continuer de faire comme
avant ?” »
Valeria, spécialiste en cyber-sécurité

GRAINES DE CONNAISSANCES

L’acceptation, à l’origine d’un courant de thérapie en plein essor


Un des thérapeutes actuels les plus reconnus, Steven Hayes, utilise l’image d’un autobus
rempli de passagers : vous êtes le conducteur et vos pensées, vos émotions, vos
perceptions, vos souvenirs sont les passagers. Certains sont agités et pénibles. Votre but
est de conduire le bus sur le chemin choisi par vous seul, selon vos désirs, vos besoins,
vos croyances, vos valeurs. Si vous cherchez à convaincre ou à exclure les passagers
perturbants (les émotions désagréables, les ruminations), vous perdez le contrôle de la
route, vous n’avancez plus vers la destination souhaitée, vous dilapidez votre temps et
votre énergie à lutter inutilement contre ces perturbateurs. En les écoutant sans leur donner
trop d’importance, vous parvenez à maintenir votre route, tout en limitant les souffrances et
en progressant vers votre objectif.
L’acceptation et la poursuite du chemin sont ainsi indissociablement liées. La première
apaise, la seconde motive et maintient à distance les émotions douloureuses et leur
cortège de ruminations. Ces démarches constituent la base des thérapies d’acceptation et
d’engagement (ACT acceptation and commitment therapy) initiées par Steven Hayes 10 .

L’acceptation, telle qu’utilisée par Valeria, présente de loin la meilleure


influence sur l’humeur à court et moyen terme. Elle est aussi la plus
utilisée, mais son effet reste extrêmement sous-estimé, probablement
parce qu’il n’est pas spectaculaire. Cette stratégie peut même paraître
paradoxale (commencer par éprouver un ressenti désagréable n’est pas
intuitif). Elle est plutôt utilisée par défaut, en l’absence d’autre solution,
par fatalisme. Par erreur, elle est souvent assimilée à une forme de
passivité, de résignation. Accepter n’est pas subir, c’est au contraire un
processus actif et courageux, qui nécessite la capacité d’identifier ses
émotions pénibles, de savoir les ressentir (ce qui n’est pas
particulièrement agréable) et de prendre de la distance en passant à
autre chose. Cette seconde phase, le passage à l’action, la distingue
d’une attitude passive et subie : accepter pour mieux penser et mieux
agir. Lorsque les situations sont singulièrement difficiles, cette attitude
active devient primordiale, elle permet de tenir à distance les ruminations
et leur cortège de frustrations : « Quelle que soit l’importance des
difficultés à affronter, il est toujours possible de poursuivre ses buts de
vie en fonction des valeurs qui nous guident 11 », dit Steven Hayes.

L’efficacité de cette attitude tient aussi à l’évitement de conduites contre-


productives : inutile de lutter contre les émotions désagréables, ce sont
des processus de défense ancestraux inévitables. Il faut savoir
« accepter ce qui est ». L’acceptation écarte également la dramatisation
et la culpabilité, qui peuvent prendre des formes variées :
« Je ne vais pas y arriver », « Je suis nul » (autocritique,
dévalorisation) ;
« Je ne peux plus supporter cela » (dramatisation) ;
« Ça finit toujours comme ça, je n’ai jamais de chance »
(généralisation abusive) ;
« Tout est de la faute d’untel » (report sur les autres,
déresponsabilisation).

L’acceptation évite également les ruminations : en cherchant à contrôler


une émotion nocive par notre réflexion, nous allons faire appel à notre
mémoire (analyser un événement, se rappeler des situations similaires)
ou anticiper de possibles conséquences désagréables. Toutes ces
pensées, ces évocations pénibles provoqueront inconsciemment une
augmentation de la tension émotionnelle qui va en retour favoriser les
pensées négatives, créant ainsi un magnifique cercle vicieux, aboutissant
au déferlement émotionnel que l’on cherchait à éviter 12 . En cherchant à
résoudre nos problèmes par des ruminations improductives, nous
reproduisons la course compulsive du hamster qui s’agite à l’intérieur de
sa roue, sans aller nulle part. La porte de la cage est ouverte, mais il ne
la voit pas, car il est enfermé dans la roue de ses pensées.

Nous avons donc ici une clé de fonctionnement très puissante que nous
sous-estimons. L’acceptation est une attitude relativement facile à
adopter et dont l’efficacité est sans commune mesure.

L’imagerie mentale positive


« Un sentiment ne peut être contrarié ou supprimé que par un sentiment
contraire et plus fort que le sentiment à contrarier », disait déjà Baruch
Spinoza dans son traité L’Éthique , publié en 1677.
« J’ai du mal à gérer ma colère. J’en ai vaguement conscience et
mes collègues de l’équipe RH me le disent aussi. Je suis d’un
naturel très calme, mais je peux m’énerver sans qu’ils comprennent
d’où ça vient. En plus, cela met un long moment à s’évacuer et dans
ma tête les pensées tournent en boucle. Surtout quand j’ai le
sentiment d’une injustice ou lorsque quelqu’un a manqué à sa
parole. Du coup, pour me calmer, maintenant, je m’isole au parc
devant le bureau pendant cinq minutes, je m’assois sur un banc et je
pense à mon dernier week-end avec mon grand-père à Cabourg.
Plus précisément à l’image d’une sortie ensemble sur le front de
mer, un jour de marché, avec l’odeur des poissons, le bruit des
mouettes et l’apaisement que je ressentais à son contact. C’est très
personnel, mais c’est infaillible pour me rappeler à la sérénité qui
s’impose. »
Valentin, chargé de recrutement et marque employeur

La technique de Valentin consiste à mettre à distance les pensées


nocives en pensant à un souvenir ou une scène imaginaire
particulièrement agréable et apaisant. Les évocations peuvent concerner
des épisodes personnels incluant des proches, un moment de plénitude
particulièrement marquant ou des évocations plus générales de
paysages relaxants ou scènes d’intérieur. Pour être efficace, ce souvenir
devra inclure un maximum d’éléments visuels, auditifs, sensoriels, les
personnes impliquées, leurs paroles et surtout un rappel détaillé des
émotions bénéfiques ressenties au moment de l’épisode (joie,
contentement, exaltation, sérénité, etc.) : plus les émotions positives sont
fortes, plus elles seront efficaces. Par exemple, si vous visualisez une
scène de détente au bord de la mer, pensez au son des vagues, à la
couleur turquoise des eaux, à la sensation du sable sur votre peau, à la
chaleur du soleil sur votre corps, au verre frais dans votre main ou aux
paroles agréables de vos proches, et ressentez le bien-être qui vous
envahit. Vous pouvez aussi penser à une personne qui vous inspire un
profond respect ou pour qui vous avez beaucoup d’admiration. Comment
se comporter à son image, qu’aurait-elle fait à votre place ?

Cette méthode possède le mérite de vous transporter loin de vos


ruminations ; c’est en quelque sorte une rêverie organisée. Son efficacité
est largement sous-estimée. Elle est relativement peu employée, sauf
par les sportifs en compétition, qui connaissent bien son efficacité. Elle
peut aussi se révéler très utile pour éloigner les ruminations après la
phase d’acceptation.
La réévaluation cognitive

Une situation complexe se prête toujours à plusieurs visions. Il n’existe


pas une seule façon de voir la réalité. Nos pensées ne sont qu’une
interprétation du réel. Certes, nous ne pouvons pas changer l’existence
d’événements désagréables, mais il est possible en revanche d’aborder
cette réalité sous un angle plus positif.

« Nous ne voyons pas le monde tel qu’il est, mais tel que nous
sommes. »
Emmanuel Kant

Les neurosciences nous montrent que l’émotion apparaît beaucoup plus


vite que les pensées conscientes. Son émergence n’est pas maîtrisable.
En revanche, nous possédons le pouvoir de modifier les raisonnements
et jugements qui surviennent à la suite d’une émotion. Une idée n’est
qu’une idée, pas la réalité. Nous pouvons donc explorer divers points de
vue et approfondir celui qui nous paraît le plus favorable, sans s’identifier
à notre pensée initiale. Cette simple substitution, ce changement d’angle
de vision, sans modification de la situation de départ, produira une baisse
de tension émotionnelle, ressentie de façon immédiate et durable.

Alice a monté une agence d’architecture il y a cinq ans avec Julie,


une amie d’école. Elles partagent leur chiffre d’affaires et travaillent
chacune à leur rythme, selon leurs contraintes personnelles et leurs
envies. La relation de travail se passe bien, mais Alice ressent
constamment un sentiment de culpabilité dû au fait qu’elle rapporte
moins de clients à l’agence et qu’elle a un fort besoin de
déconnexion le soir après le travail. Elle imagine que Julie lui en
veut chaque fois que cette dernière regarde sa montre à son arrivée
ou à son départ. Elle prête souvent à Julie des pensées négatives à
son encontre. Chacune des remarques de Julie sur son travail est
donc interprétée comme visant à lui faire comprendre qu’elle n’est
pas assez impliquée. Dernièrement, une réflexion de Julie alors
qu’elle s’apprêtait à quitter l’agence un vendredi soir lui a gâché tout
son week-end en famille. Elle a retourné la remarque sous tous ses
angles, sans changer son angle de vision. Pourtant, on pourrait
penser que Julie n’avait aucune hostilité envers Alice et ne faisait
qu’exprimer son dépit face à un gros dossier qu’elle allait devoir
gérer seule vendredi soir alors qu’elle-même était prise dans ses
propres préoccupations. S’imaginer à la place de Julie aurait pu
permettre de se décentrer de la situation en changeant d’angle de
vision. Essayer de comprendre également le besoin de Julie aurait
permis de faire baisser la tension émotionnelle ressentie par Alice.

Si une situation ne nous convient pas, si nous jugeons l’émotion ou la


pensée indésirable, il nous faut dépasser le premier degré de nos
raisonnements, quelle qu’en soit leur justification. Quelle est l’émotion qui
me fait raisonner ainsi ? Comment accepter cette émotion et penser
autrement pour me sentir mieux, tout en répondant à mes attentes ?

Cet exercice n’est pas évident car nous sommes entraîné à voir le
monde selon nos propres automatismes, ces schémas forgés dans notre
passé. Or la réalité est trop riche pour être perçue à travers un seul filtre.
Nous devons apprendre à remplacer notre vision d’une situation,
responsable d’émotions indésirables, par un point de vue différent,
émotionnellement plus favorable à nos attentes. Par exemple, savoir
transformer les difficultés en défis présente le double avantage de
stimuler la motivation et de mettre à distance les pensées toxiques et
autres croyances limitantes.

Ce que l’on se dit en période difficile La pensée que l’on pourrait substituer

Je ne vais jamais y arriver J’ai déjà vécu des épreuves aussi exigeantes

Un échec serait une catastrophe Je finirai bien par réussir, cette fois-ci ou une
autre

« Quoi qu’il arrive je ne perds jamais, soit je


gagne, soit j’apprends » (Nelson Mandela).

C’est insupportable C’est un nouveau défi

C’est stressant ! C’est stimulant !

Je n’ai pas de chance Je réussirai la prochaine fois, je suis


persévérant
C’est de la faute de… Comment éviter cela la prochaine fois ?

Une de vos relations vous croise sans porter attention à votre salutation :
la réévaluation consistera à remplacer la première impulsion (colère ou
frustration devant ce mépris ou cette indifférence) par une vision moins
autocentrée :
« Peut-être est-il préoccupé ou distrait » ;
« Ce n’est pas une atteinte personnelle »…

Quand quelqu’un ne répond pas à vos mails ou SMS, le plus souvent


c’est parce qu’il n’a pas le temps, ou est passé à autre chose. Penser en
premier qu’il ne vous aime pas ou vous méprise est un signe de manque
d’estime de soi. Cette sévérité avec soi-même provoque des
interprétations négatives de toutes les situations qui peuvent entraîner
des doutes, telles qu’une absence de réponse à un mail. Dans ces
contextes, il faut « apprendre à être un ami pour soi-même, un tel
homme est l’ami de tous les hommes », comme Sénèque nous le
conseille dans ses Lettres à Lucilius .

Au travail, les bienfaits de cette forme d’agilité ou de flexibilité mentale ne


sont plus à prouver 13 . La réévaluation trouve des applications
permanentes. Ainsi, si un collègue surmené refuse de participer à un
projet qui vous tient à cœur… votre première interprétation peut être
impulsive : « Il est gonflé, je n’aime pas être déconsidéré. » Mais la
réévaluation consisterait à s’intéresser à son quotidien et à sa perception
des choses : « Il a d’autres impératifs en ce moment », « Il doit être
préoccupé par sa charge de travail pour refuser une telle opportunité. »
Cette vision est souvent plus proche de la réalité que nos supputations
négatives égocentrées. Voici quelques stratégies concrètes, susceptibles
de nous orienter vers une interprétation plus favorable de la réalité, et qui
peuvent nous aider dans notre réévaluation des situations.

Prendre en compte ses Imaginer le point de Rechercher des


forces, ses réussites vue de l’autre. solutions plutôt que
passées pour évaluer S’intéresser à la vie des coupables, oublier
une situation future des autres plutôt qu’à les interprétations
inquiétante ses problèmes hostiles
S’appuyer sur des pensées inspirantes.
Corriger un jugement Anxiété : « Si tu as du pouvoir sur les choses, inutile
sévère sur soi ou de s’inquiéter mieux vaut agir ; si tu n’as aucun
autrui. pouvoir, s’inquiéter ne sert à rien. »
Quels événements Échec ou séparation : « Vous ne pouvez empêcher les
contredisent cette oiseaux noirs de voler au-dessus de votre tête, mais
évaluation négative ? vous pouvez les dissuader de faire leur nid dans vos
cheveux. »

Échec : distinguer une


erreur transitoire de
Se demander comment Après un échec, fixer notre personnalité
aurait réagi quelqu’un des objectifs motivants profonde (un épisode a
que nous admirons Poursuivre son chemin l’importance que nous
(imagerie mentale) Cultiver ses atouts lui donnons) Se
recentrer sur ses
objectifs

Quelques stratégies de réévaluation (à utiliser seules ou en association avec une autre)

Les psychologies expérimentales et neurosciences nous enseignent que


ces démarches sont beaucoup plus efficaces qu’il n’y paraît :
diminution des ressentis négatifs, des marqueurs hormonaux et
cardio-vasculaires de stress, augmentation des émotions et pensées
positives 14 ;
amélioration des liens sociaux 15 ;
en imagerie cérébrale : diminution d’activité des aires liées à la
perception des émotions désagréables et augmentation de l’activité
des régions en lien avec la régulation émotionnelle 16 .

ÉVEILLEZ VOS TALENTS…

Nourrissez votre intelligence émotionnelle


Dans le tableau ci-dessous, face à chaque phrase susceptible d’apparaître à votre
esprit, nommez :
l’émotion sous-jacente ;
un exemple de situation personnelle en rapport avec cette émotion ;
une ou plusieurs pistes de réévaluation par votre esprit critique.
Situation Émotion en jeu Exemple adapté Réévaluation

C’est insupportable

Cette perspective
m’angoisse

Je n’ai jamais de
chance

C’est trop difficile, je


n’y arriverai pas

Je ne suis pas bon à


ça

C’est injuste

J’abandonne

J’en ai assez fait

Pourquoi lui et pas


moi

Je ne suis pas aussi


bien que

La vie est dure

Je dois plaire aux


autres

Je n’ai pas envie de


changer

Ça m’ennuie

Il faut que…

Les autres ne
m’écoutent pas

La distraction active

« Pour ma responsable, rien n’est jamais assez bien. Elle complète


ou corrige tout ce que je lui propose. Pas sur la partie technique
parce que je connais mon job, mais plus sur les communications aux
salariés par exemple. Alors j’ai développé ma propre petite
méthode : dès qu’elle me fait un retour négatif, pour éviter de
ressentir trop de contrariétés, je me lance dans une activité que
j’aime. Pour moi, c’est rédiger des modes opératoires, des
processus. Il y a toujours de quoi faire et ça me change
complètement l’esprit ! »
Nadège, responsable paie dans la santé

La stratégie qu’emploie Nadège est simple, nous l’utilisons tous. Chasser


un ressenti désagréable en se plongeant dans une activité prenante, une
tâche absorbante, une distraction agréable, un loisir ou une discussion
avec son entourage. Cette activité peut être mentale ou physique. La
distraction active a pour avantage d’être simple à appliquer et efficace.
La conscience ne peut traiter qu’une tâche à la fois, les préoccupations
sont donc mécaniquement mises à distance.

La distraction présente l’inconvénient de fuir les ressentis sans les traiter


(hormis si elle est accompagnée par l’étape d’acceptation). Ces
sentiments ne sont pas évacués et restent en arrière-plan dans notre
subconscient. Si nous fuyons nos émotions, elles resurgiront plus tard
sous forme de nouvel épisode émotionnel, de pensées intrusives, voire
de ruminations. Rappelez-vous la métaphore des passagers agités de
l’autobus : s’ils n’arrivent pas à se faire entendre, ils reviendront à la
charge, plus fortement. L’efficacité à long terme est donc limitée. En
revanche, ces démarches sont utiles sur le moment pour éviter un excès
d’émotions fortes. Elles peuvent permettre de passer un cap.

La mise en perspective
« Je travaille dans l’univers de la chaussure. Quand tout va mal, je
me dis que je ne sauve pas des vies et je pense à ma petite-fille, qui
a beaucoup de problèmes de santé depuis qu’elle est née et fait
preuve d’un courage et d’une résilience hors pair. Ça me permet de
revenir à l’essentiel. »
Katia, Responsable industrialisation souliers
dans une maison de mode
La mise en perspective utilisée par Katia est une autre forme de mise à
distance d’une pensée préoccupante, en relativisant : la situation n’est
pas aussi catastrophique que nous l’imaginons, notre inquiétude du
moment n’est rien par rapport au cours de notre vie, par rapport à nos
objectifs ou à d’autres problèmes plus profonds. Cette simple prise de
distance atténue les perceptions négatives. Elle est apparentée aux
réévaluations cognitives, mais ne possède pas l’efficacité profonde d’une
authentique remise en cause de nos inquiétudes par la réévaluation des
interprétations personnelles.

L’exercice physique

L’application concrète en lien avec l’exercice physique est traitée de


manière globale au chapitre 5 sur la gestion de son énergie et du stress.

La recherche de bénéfices

Face à une situation négative, la recherche de bénéfices consiste à


envisager les aspects positifs de toute situation désagréable (par
exemple apprendre de ses échecs ou se reposer après une blessure).
Elle est particulièrement utile, mais son effet sur l’amélioration immédiate
de l’état émotionnel et de l’humeur reste limité.

Le support d’un proche, le soutien social


Les méthodes d’application du soutien social seront traitées au chapitre 6
abordant la qualité relationnelle.

L’expression de son besoin en lien avec l’émotion


Les méthodes d’expression de son besoin en lien avec son émotion
seront détaillées au chapitre 6 .

GRAINES DE CONNAISSANCES

La gestion émotionnelle à travers la communication non violente (CNV)


Dans son ouvrage de référence 17 , Marshall Rosenberg nous apprend à bannir le « tu »
qui « nous tue » et à employer le « je » pour assumer nos émotions, nos besoins et prendre
nos responsabilités. Cela désamorce déjà bien des conflits :
« Je me sens humiliée » est très différent de « Tu m’as humiliée » ou « Tu as cherché à
m’humilier », qui prête à l’autre une intention négative.
Avec sa méthode OSBD, Rosenberg permet à chacun d’exprimer :
ce qu’il observe de la situation (O pour observation) ;
son émotion par rapport à cette situation (S pour sentiment) ;
son besoin décrypté en lien avec cette émotion (B pour besoin) ;
sa demande, en lien avec le besoin identifié (D pour demande).

Heure de pointe dans le métro parisien un jour de grève. Émilie se


retrouve à laisser passer un train, puis deux, puis trois, car, chaque
fois, les rames sont bondées et elle ne peut pas entrer.
Après quelques minutes de ruminations, elle s’essaye à la méthode
OSBD pour s’adresser aux Franciliens agglutinés comme des
sardines dans la rame :
« Je vois que la situation est loin d’être agréable et que chacun fait
déjà un gros effort pour respirer et rester serein dans le contexte de
la grève » (O)

« De mon côté, je suis inquiète d’arriver très en retard au travail et


de pas pouvoir monter dans les trains qui arrivent car j’en ai déjà
laissé passer trois » (S)

« J’aurais besoin d’une toute petite place juste pour cinq stations »
(B)
« Est-ce que vous pensez que cela serait possible pour moi de me
faufiler dans le coin ici ? » (D)
De manière générale, l’expression de son besoin, avec confiance,
bienveillance, mais également exigence, permet de gagner en efficacité
relationnelle.

Activer des démarches en profondeur


La réévaluation et l’acceptation, associées à l’engagement vers un
objectif motivant, sont des méthodes applicables ponctuellement face à
un épisode difficile inopiné. Mais elles ont aussi une action durable :
l’entraînement répétitif peut conduire à une intégration de ces modes de
pensée ; un véritable apprentissage d’automatismes sera bénéfique et
réutilisable à chaque nouvelle éventualité. Cette nouvelle habitude de
pensée aura alors une action profonde et persistante.

Des démarches liées aux interactions corporelles existent (l’activité


physique, la pleine conscience, les techniques de relaxation, l’exposition
à la nature) ; elles seront traitées dans le chapitre 5 .

Les autres stratégies actives en profondeur (développement de relations


sociales harmonieuses, capacité à repérer la part positive des
événements et des personnes par la gratitude et l’optimisme actif,
réorientation de l’esprit sur le présent par la pleine conscience, objectifs
motivants et recherche de sens), seront abordées avec les questions de
motivation (voir chapitre 3 ) et d’interactions sociales (voir chapitre 6 ) .

Sur le long terme, les actions les plus durables seront :


le développement de relations sociales harmonieuses ;
la capacité à repérer la part positive des événements et des
personnes : gratitude et optimisme actif ;
la capacité à réorienter son esprit vers le présent sans juger ni
s’attarder sur ses pensées négatives (pleine conscience et
techniques de relaxation) ;
la capacité à se fixer des objectifs motivants et engageants
(recherche de sens) ;
une hygiène de vie bénéfique, tant pour le cerveau que pour le reste
du corps : activité physique, sommeil, exposition à la nature,
modération alimentaire, activité cérébrale variée.

Éviter les stratégies contre-productives

La suppression expressive
C’est l’idée que les émotions n’ont rien à faire au travail et qu’on peut
faire comme si elles n’existaient pas ou pouvaient être mises de côté en
attendant le bon moment. Cela correspond au contrôle de son attitude,
de son expression faciale et de ses paroles, en bloquant volontairement
toute manifestation extérieure. La suppression émotionnelle consiste à
oublier ou à négliger toute perception émotionnelle. C’est une forme de
déni plus ou moins conscient. Ces attitudes sont parfois nécessaires
dans certaines situations professionnelles : négociations, entretiens
d’évaluation, tâches nécessitant une grande attention, activités de
représentation… Mais elles sont souvent adoptées par habitude
culturelle ou par croyances.

« J’ai une éducation assez stricte, dans laquelle on laisse parler les
gens, on ne leur coupe pas la parole. Or, l’univers professionnel,
c’est un peu la guerre de la gouaille, surtout entre femmes. C’est à
qui parle le plus fort, met son pied dans la porte pour s’imposer. Je
voudrais bien avoir un comportement un peu moins bien élevé que
ce que mon éducation me pousse à être. Alors, je mets de côté mon
émotion de dégoût face à ces postures et j’essaie d’en prendre les
codes. Je ne laisse rien paraître, jamais. Parce que j’estime que
c’est ce qui est attendu d’une femme en entreprise, quand elle a de
fortes responsabilités. »
Audrey, responsable marketing dans l’horlogerie

Pour certains, ressentir et exprimer ses émotions peut être considéré


comme un signe de faiblesse. La conséquence de cette stratégie est
d’entretenir un état de stress physique et mental latent qui altère la santé,
si cette technique est utilisée trop fréquemment. De nombreuses études
montrent que la suppression expressive diminue la perception
d’émotions positives, augmente les émotions négatives, les réactions
corporelles de stress et diminue la qualité relationnelle. En neuro-
imagerie, la suppression expressive augmente l’activation cérébrale des
régions impliquées dans la production des émotions. Fuite, déni et
suppression sont responsables d’un « effet rebond » avec retour en force
des émotions indésirables et des ruminations. Finalement, cela accentue
les émotions pénibles que l’on cherchait à éviter. L’émotion est
essentielle à notre bien-être et notre rapport aux autres. L’exprimer ne
signifie pas que l’on ne se maîtrise pas.
« Quand nous sommes en fin de collection, que nous avons passé
des jours et des nuits à travailler ensemble, tout le monde est à
cran. Durant ces périodes-là, j’intériorise toujours tout. Je fais la
cocotte-minute. J’absorbe pendant plusieurs jours et à un moment,
j’explose. Pas toujours sur la personne qui a fait monter la pression,
d’ailleurs. »
Mathilde, modéliste dans une maison de mode

Longtemps, l’émotion a été laissée à la porte de l’entreprise. Le domaine


des ressentis n’avait pas droit de cité dans le monde du travail, qui avait
une connotation cartésienne qui se mariait mal avec l’émotion. Toute
réaction affective devait être masquée. On parlait de « masque
managérial », du caractère inapproprié de l’émotion ou de la spontanéité
en milieu professionnel. Les formations managériales conseillaient aux
dirigeants d’évacuer leurs émotions pour piloter leurs équipes de manière
rationnelle, neutre, objective. Aujourd’hui, les progrès des connaissances
scientifiques, l’évolution des attentes, ainsi que l’accumulation des
changements en lien avec les révolutions numériques ont replacé
l’équilibre personnel et l’authenticité, la vulnérabilité au centre de nos
actions, même si le chemin des représentations est encore sinueux.

Les ruminations

Les ruminations ne sont bien évidemment pas un moyen d’action choisi,


mais une attitude subie. Il est rare que l’on se dise : « Tiens, si je passais
quelques heures à ruminer des pensées désagréables. » Lorsqu’on
rumine, l’esprit s’enlise dans la recherche de coupables, l’accumulation
de reproches envers les autres ou soi-même. Les ruminations sont non
seulement des pensées répétitives et désagréables, mais surtout des
jugements dénués de solution pratique pour résoudre le problème.

« Depuis que j’encadre Louisa, je ne dors plus la nuit. La relation se


passe très mal, je n’arrive pas sereine le matin et je ressasse
chacune de mes actions sans cesse : Ai-je bien fait de dire cela ?
Est-ce que j’aurais dû réagir différemment ? La semaine dernière,
mon mari m’a dit que j’allais devenir folle et que cela ne pouvait plus
durer. »
Élodie, responsable des alternants dans l’industrie

Les pensées négatives deviennent intrusives, tournent en boucle et


accroissent le malaise initial, à l’insu de la personne, qui pense essayer
de réfléchir à la solution d’un problème. La maîtrise de ce désordre
consiste à identifier les pensées répétitives dès le début et à leur
appliquer d’autres méthodes de régulation émotionnelle.
La précocité de la prise de conscience est ici déterminante, afin de ne
pas laisser les émotions prendre trop d’ampleur.

Les recherches de responsabilités

Ce sont des autocritiques, critiques de l’autre, ou encore des


généralisations abusives (« je n’y arrive jamais, ils ne comprennent rien,
ça tombe toujours sur moi »…).

Ces attitudes sont nuisibles pour l’état émotionnel immédiat et induisent


des ruminations persistantes, très destructrices. Elles entraînent une
perte de confiance en soi (autocritique, généralisation) ou du
ressentiment (destruction du lien social, rejet des responsabilités sur les
autres). Ces jugements vont à leur tour créer des émotions négatives en
boucle et alimenter les ruminations.

Pour en sortir, il nous faut trouver des solutions, plutôt que de placer
notre énergie dans la recherche de coupables.

L’utilisation de substances toxiques


Les substances comme l’alcool, les stupéfiants, le tabac, les
automédications d’anxiolytiques améliorent transitoirement les émotions
pénibles (au début) mais s’accompagnent d’un effet rebond incitant à
l’augmentation des doses. Consommées à forte dose, ces substances
sont à l’origine de phénomènes de dépendance conduisant à
l’autodestruction.
ANTICIPER LE POUVOIR DE VOS ÉMOTIONS
DANS LE MONDE DU TRAVAIL
Tout indique que l’intelligence des émotions fera partie des aptitudes clés
du futur. Dès 2002, les travaux de Daniel Kahneman, puis plus
récemment de Richard Thaler en 2017, sont récompensés par des prix
Nobel d’économie. À quinze ans d’intervalle, les deux hommes ont en
commun de relier économie de marché et émotions. On le sait
désormais, le marché est émotionnel. Et pourtant, l’entreprise qui
alimente ce marché reste paradoxalement un univers rationnel.

Plus récemment, le Forum économique mondial prenait position et listait


la résolution de problèmes complexes, la pensée critique ou encore la
créativité en tête de liste des dix compétences nécessaires aux emplois
de 2020. Suivies de près par l’intelligence émotionnelle, nouvellement
entrée dans le peloton de tête. Autant de compétences absolument
nécessaires pour affronter les nouveaux paradigmes qui se présentent à
nous.

Adapter nos émotions au monde actuel

La demande de changement est instantanément entendue comme une


perte ou la modification à l’intérieur d’un état donné (la chaussure reste
en place mais le lacet se défait). Le changement est rarement
instinctivement perçu comme une opportunité de gain. Pourtant,
l’innovation est un impératif de survie. La révolution digitale n’est pas
digérée que se profile déjà la déferlante de l’intelligence artificielle (IA). Et
si les défis sont passionnants, l’émotion de peur est dans les esprits.
Néanmoins, l’arrivée de l’IA pourrait bien être une opportunité
extraordinaire de repenser l’utilité de l’intelligence émotionnelle.

GRAINES DE CONNAISSANCES

Quand on dit « changer », les gens entendent « perdre »


Quand, en séminaire ou en formation, on demande aux gens de faire l’expérience de se
lever dans une salle et de changer quelque chose sur eux, sans leur en dire davantage, le
résultat est probant :
70 % retirent un élément : bracelet, lunette, montre ou veste ;
25 % modifient un état existant : ils défont un lacet, changent leur alliance de doigt ou
déboutonnent leur chemise ;
5 % ajoutent quelque chose sur eux : stylo dans leur poche, écharpe, manteau…

Notre monde VUCA 18 dans lequel tout va très vite

Dans son roman De l’autre côté du miroir , qui succède à Alice au pays
des Merveilles , Lewis Carroll relate une conversation entre Alice et la
Reine Rouge :

« Juste à ce moment, je ne sais pourquoi, Alice et la Reine Rouge


se mirent à courir. Ce qu’il y avait de plus curieux, c’est que les
arbres et tous les objets qui les entouraient ne changeaient jamais
de place : elles avaient beau aller vite, jamais elles ne passaient
devant rien.

“Je me demande si les choses se déplacent en même temps que


nous ? pensait la pauvre Alice, tout intriguée.” […]

– Mais voyons, s’exclama-t-elle, je crois vraiment que nous n’avons


pas bougé de sous cet arbre ! Tout est exactement comme c’était !

– Bien sûr, répliqua la Reine ; comment voudrais-tu que ce fût ?


– Ma foi, dans mon pays à moi, répondit Alice […] on arriverait
généralement à un autre endroit si on courait très vite pendant
longtemps.
– On va bien lentement dans ton pays ! Ici, vois-tu, on est obligé de
courir tant qu’on peut pour rester au même endroit, dit la reine. Si tu
veux te déplacer, tu dois courir au moins deux fois plus vite ! »

Le concept de courir pour rester sur place sonne familier et génère des
émotions très fortes chez les salariés. C’est le quotidien des
collaborateurs qui voient les transformations se succéder en
permanence. À peine un changement est-il terminé qu’un autre se
profile. Organisation des entités et des équipes, systèmes informatiques,
processus, déménagements, restructurations, rachats, gouvernance,
lignes hiérarchiques… tout change et tout le temps. Les métiers actuels
affrontent des bouleversements sans précédent. Le mot
« transformation » a succédé à celui de « changement ».

Les organisations parlent aujourd’hui du monde qui nous entoure comme


d’un environnement volatil, incertain, complexe et ambigu (VUCA). Dans
le futur hasardeux qui s’offre à nous, dans ce lendemain VUCA,
l’apprentissage sera sans nul doute d’être en confort dans l’inconfort. De
sauter sans filet de sécurité et de s’éduquer à apprécier le geste. Le
principe ne sera plus d’apprendre à lire une boussole, mais de savoir
naviguer sans repère. En se faisant confiance. En apprivoisant ses
émotions, en apprenant à les écouter, à en prendre soin. Et pour une
transformation efficace et durable, il faudra aussi apprendre à induire des
émotions positives. Savoir créer son propre désir, apprendre à se faire
plaisir, pour mieux s’impliquer.

L’adaptation émotionnelle autant que technique est devenue un enjeu


ainsi qu’une source d’inquiétude, de nostalgie ou de désengagement
professionnel. Car cette adaptation prend énormément d’énergie. Or
pour des raisons de survie, les besoins considérables du cerveau lui
imposent une recherche permanente d’économie de moyens. Entre deux
options, il apprend à choisir la solution la moins coûteuse en énergie. Or
un changement nécessite de l’attention. Cette option sera donc
instinctivement perçue comme désagréable. Et l’information, évaluée par
notre inconscient comme déplaisante, générera des émotions négatives
comme la peur, l’irritation ou encore le ressentiment. Ces émotions
seront susceptibles de prendre le contrôle de nos jugements, par des
mécanismes instinctifs. L’inconnu est donc évalué comme dangereux. Le
connu, même s’il est pénible et insatisfaisant, est rassurant.

Parler aux émotions dans la gestion des transformations

Durant les phases de transformation, les spécialistes du changement ont


coutume de prévenir les équipes que, si le changement doit échouer, ce
ne sera pas du fait de critères objectifs, tangibles, mais beaucoup plus du
fait de critères émotionnels. Dans la plupart des cas, nos peurs sont
irrationnelles. Elles n’en restent pas moins de réelles inquiétudes.
Longtemps les équipes qui menaient à bien des changements dans les
organisations ont éludé la question des émotions par rapport aux pertes,
réelles ou supposées, aux modifications culturelles ou de valeurs, aux
changements de perception ou de représentation que les gens avaient
de leur propre valeur ajoutée.

« Il y a dix ans, j’intervenais dans une grande entreprise de


distribution de courrier qui intégrait un nouveau progiciel
informatique, qui allait permettre de casser les silos et d’avoir toutes
les informations financières en temps réel. Un progrès a priori.
Seulement, en accompagnant ce changement en matière de
formation et de communication, nous n’avions pas perçu que
certaines personnes de l’entreprise avaient un rôle tacite de
sachants, de mémoire collective. Bien sûr, cette identité s’était créée
au fil du temps et n’apparaissait dans aucune fiche de poste, mais
c’était leur raison d’être. Ils étaient appelés souvent, leurs collègues
de tous les services passaient régulièrement les voir, car ils
disposaient d’une connaissance livresque sur les historiques des
transactions. Mais voilà, avec le nouveau progiciel, leur
connaissance ne servait plus à rien puisque tout pouvait apparaître
en un clic. Du jour au lendemain, leur téléphone a arrêté de sonner
et les visites se sont faites plus rares. Ils avaient perdu tout
sentiment de valeur ajoutée et cette émotion très négative les a
positionnés en opposants farouches de notre projet. »
Emma, consultante en accompagnement du changement

Appréhender les émotions complexes

Quand la situation s’avère plus compliquée que prévu, que le doute et les
incertitudes nous envahissent, plusieurs attitudes sont possibles :
attester qu’il existe des difficultés, des incertitudes, des efforts à
fournir…
se dire qu’il est normal d’être inquiet et que comme cela n’est pas
évitable, accepter cette émotion ;
ne pas dramatiser ni culpabiliser, ne pas rejeter les responsabilités
sur autrui ;
réévaluer ses pensées anxiogènes : cette inquiétude ne nous
empêche pas de rechercher les meilleures solutions, au contraire
elle motive à relever les défis ;
ne pas se sous-estimer car nous disposons de ressources infinies
pour faire face aux choses.

GRAINES DE CONNAISSANCES

Le lâcher-prise travaillé via l’improvisation théâtrale


L’improvisation est un excellent moyen pour travailler ses émotions. Le lâcher-prise est
alors vital : l’histoire proposée par son partenaire ne se refuse jamais, on ne peut pas
reculer, il faut toujours aller de l’avant.
Bannissez le « oui… mais non »… C’est le carton jaune de l’improvisation ! Dans la
démarche, les comédiens appellent cela le « syndrome du sapin de Noël ». En impro, on
veut tirer la ficelle, et non pas ajouter des boules ou des guirlandes. Cela demande de se
relâcher et d’accueillir ce qui vient, comme cela vient. En tentant de bâtir sur ce qui est
proposé. L’improvisation est également une clé particulièrement utile dans les pratiques de
négociation. Un classique est l’exercice de la chambre jaune : deux protagonistes sont
dans la même pièce, ont des objectifs communs, mais aussi un objectif contradictoire. Et ils
doivent construire leur histoire, sans jamais refuser ce que l’autre propose. Le « non » n’est
pas de mise !

Gérer les situations de conflit

En situation de conflit, les émotions prennent souvent le dessus : un


collègue vous interpelle violemment, visiblement très irrité : « C’est
toujours pareil, chacun travaille dans son coin sans se coordonner avec
les autres ni s’informer de ce qui a été fait, il n’y a pas d’esprit d’équipe,
tout le monde perd un temps fou, c’est un bazar pas possible ! »
Comment réagir à cette apostrophe ? Une première étape possible serait
de prendre conscience de son propre énervement et de penser : « Il est
normal que je me sente irrité par ce ton employé. » Cette prise de
conscience permettrait de mettre à distance une réponse intuitive. La
réponse attentive et apaisée par le sentiment d’acceptation viendrait
alors naturellement : « Qu’est-ce qui te fait dire ça ? » « Que voudrais-tu
proposer ? » « Comment pourrait-on faire prendre conscience aux autres
de cette situation ? » ou encore « Je partage le constat, mais tel impératif
nous impose de… ».
La réponse à éviter serait de répliquer immédiatement : « Calme-toi ! Les
procédures sont bien indiquées et on en a déjà parlé… » Cette position
défensive, dictée par notre propre colère face à une agression ressentie,
serait la réponse la plus intuitive et naturelle, mais pas la plus efficace.
Elle ferait comprendre à votre interlocuteur que vous n’écoutiez pas sa
demande, ce qui risque de renforcer sa colère. C’est alors le début d’un
cercle vicieux, d’une impasse !

Outre les stratégies de régulations émotionnelles personnelles


développées dans ce premier chapitre, il existe des démarches qui
agissent sur l’interaction avec son interlocuteur. Elles seront développées
au chapitre 6 .

ÉVEILLEZ VOS TALENTS…

Trouvez des solutions aux schémas mentaux fréquents


Et vous, quels sont les schémas mentaux dans lesquels vous vous reconnaissez ?
Quelles stratégies vous paraissent efficaces ?

Action émotionnelle qui peut être


Exemples de schémas comportementaux
bénéfique

Personnalité perfectionniste, qui estime que le La réévaluation permet de modifier sa


niveau produit n’est jamais satisfaisant. perception de ce résultat considéré comme
imparfait. Elle permet de déplacer l’attention
vers ce qui est réussi, plutôt que vers ce qui
manque.

Personne à faible estime d’elle-même, ayant Changer de perspective, se focaliser sur ses
tendance à interpréter les informations atouts.
négatives comme des signes d’insuffisances.

Personnes de tempérament anxieux, Relativiser l’impact de l’événement redouté.


s’imposent une pression sur la réalisation de
leurs objectifs. L’incertitude est mal vécue. Les
anxieux anticipent en priorité le pire scénario
possible.
Personnalité colérique : les contraintes Accepter sa colère, si elle existe elle signifie
imposées sont mal vécues, elles sont qu’un besoin a été bafoué.
génératrices de frustrations ou de conflits. Réévaluation : comment canaliser cette
énergie en comportement constructif plutôt
qu’en conflit ou rumination ?

Démotivation, usure, découragement. Identifier les émotions de la famille de la


tristesse ou de l’ennui.
Faire la part de ce qui est modifiable (et affiner
les stratégies) et de ce qui ne l’est pas (trop
de contraintes ou efforts trop importants) et
l’accepter puis passer à d’autres actions plus
constructives.

Appréhender l’intelligence émotionnelle lors des recrutements

La question revient souvent dans la bouche des RH et des dirigeants :


certes l’importance de l’intelligence émotionnelle est établie, mais
comment s’assurer de la compétence en question lors des
recrutements ? Comment être sûr que les managers nommés sauront
développer cette force ?
Et, surtout, que faire quand on a une intelligence émotionnelle faible ?
Peut-on, par exemple, s’entraîner à l’écoute et à développer son
empathie quand on manque de prédispositions sur le sujet ? Les
interrogations sur un développement possible de la compétence
émotionnelle sont nombreuses.

Le robot Vera a réalisé entre janvier 2017 et 2018 environ un million


d’entretiens d’embauche pour le compte de grosses entreprises. Mais
ces groupes, qui s’en remettaient à l’IA pour recruter, ont rapidement fait
marche arrière. En effet, à ce stade, la machine n’a pas les compétences
pour déceler la plasticité ni l’intelligence émotionnelle, collective, qui
permettra au candidat une intégration dans la dynamique de l’entreprise.
Le sujet de la détection de l’intelligence émotionnelle, s’il peut être outillé,
n’en reste pas moins résolument humain. Du moins pour le moment !

GRAINES DE CONNAISSANCES
La flexibilité se mesure !
La flexibilité comportementale peut se mesurer et plusieurs questionnaires de compétences
comportementales portent sur ce sujet. Prenons l’exemple du questionnaire PerformanSe®.
qui présente un nuancier de flexibilité comportementale. Selon l’éditeur de solutions d’aide
à la décision pour l’évaluation et le développement des compétences en milieu
professionnel, la flexibilité comportementale correspond alors à la plage de variation de la
personne lorsque celle-ci cherche à adapter ses comportements au contexte. L’amplitude
de cette plage de variation apparaît clairement sur les questionnaires qui, dans un cadre
éthique, peuvent être un appui au recrutement, sous réserve d’être une aide à la décision.
Prenons l’exemple de la réceptivité. La flexibilité sur la compétence peut aller de
l’assimilation à l’autre (très forte réceptivité) à l’indifférence (forte distanciation, faible
réceptivité). Mais entre les deux, les individus peuvent être plus ou moins plastiques.
L’échelle se présente ainsi :
9 – Assimilation à l’autre
8 – Sensibilité envers autrui
7 – Ouverture à l’autre
6 – Intérêt pour l’autre
5 – Écoute
4 – Écoute filtrée
3 – Sélectivité
2 – Distance
1 – Indifférence

Le questionnaire d’auto-positionnement permet de visualiser les plages couvertes, qui sont


donc des zones de confort comportemental.

Mélanger les intelligences émotionnelles et artificielles ?

Depuis une vingtaine d’années, le concept d’intelligence émotionnelle


s’est fait connaître dans le monde de l’entreprise. Peu à peu introduite
dans les programmes de développement, l’intelligence de ses émotions
n’en est pas pour autant devenue une compétence attendue et évaluée
par les organisations. La sphère des émotions, absolument centrale pour
la performance de demain, doit en effet aujourd’hui être repensée, au
regard de l’arrivée bouleversante de l’intelligence artificielle dans nos
sphères professionnelles. Dans le paradigme actuel, l’IA va
probablement nous pousser à repenser l’utilité de nos propres émotions.

Le robot évacue l’élément le plus complexe du rapport à l’autre : la


gestion de ses propres émotions. Le robot n’a pas ses propres émotions
à gérer. Satisfaire le besoin de l’autre n’est pas ce qui est le plus
complexe. La difficulté est de satisfaire le besoin de l’autre tout en
préservant le sien. Le robot n’a pas de difficulté à rester serein et aimable
en toutes circonstances. Il n’a pas à intégrer les difficultés de la
régulation émotionnelle. Il n’est pas en proie au stress, qui régit le
quotidien des salariés. Il intègre sans mal les critiques, les attaques et le
manque de considération. Pas de risque que son ego soit touché. Autant
d’arguments qui donnent à l’IA un temps d’avance sur le terrain des
émotions. L’humain gardera-t-il l’apanage de l’empathie, compétence clé
de l’intelligence émotionnelle ?
Si certains des critères constitutifs de l’empathie, comme l’écoute ou la
reformulation, peuvent être paramétrables, cela ne signifie pas pour
autant que l’empathie peut se paramétrer.
Les représentations d’émotions ne sont pas des émotions. Les robots,
s’ils sont capables de susciter une émotion par un comportement donné,
ne ressentent pas l’émotion eux-mêmes et n’ont pas la compréhension
sensorielle du sentiment. Or les émotions humaines sont un condensé
d’expériences. Même un fœtus mémorise l’expérience des ressentis de
sa mère et développe une sensibilité à ses émotions.

Par ailleurs, les humains, à la différence des robots ou des animaux,


montrent de l’empathie de manière consciente. Ils peuvent intellectualiser
le sentiment. Et c’est ce qui leur permet de l’activer à bon escient. Les
robots pourront être conscients de l’action mise en œuvre pour montrer
de l’empathie – la reformulation par exemple – et savoir qu’ils actionnent
l’un des signaux représentatifs de l’empathie. Le fait de réaliser leur
propre présence est une forme de conscience d’eux-mêmes. Or
sensorialité et intellectualité font encore bon ménage dans l’intelligence
émotionnelle, telle que nous, les humains, l’expérimentons. Les robots
n’entrent donc pas en contact via des ressentis, mais via une perception
de ressentis reconstitués, qui vont s’articuler au travers d’algorithmes.
Difficile aujourd’hui de croire que leur compassion naîtra à l’écoute d’une
mésaventure narrée par un collègue ou un client.
Les études prospectives sur les conséquences annoncées de l’IA
annoncent que des millions d’emplois seront susceptibles d’être
prochainement remplacés par des robots. Cette révolution implique que
chaque acteur trouve sa place, non dans une tentative vaine de
concurrencer l’IA, mais en replaçant les spécificités et les qualités
purement humaines au cœur de nos métiers. Le robot n’a ni émotion ni
ressenti. Cette absence émotionnelle constitue paradoxalement un
tremplin extraordinaire pour pousser les humains à développer leur
intelligence de soi. La révolution numérique a bouleversé nos
organisations, l’IA le fera plus encore, mais le véritable moteur actuel de
transformation de nos métiers tient au changement des mentalités.

Avec une dose d’envie et la flexibilité nécessaire, chacun peut


développer son intelligence émotionnelle. Nous pouvons tous améliorer
notre attention à l’autre, aux micro-signaux émis, au non-verbal qui
émane de chacun… La prise de conscience de nos propres mécanismes
est un premier pas. Pour cela, le coaching individuel, dans son aspect
systémique (qui perçoit les choses dans un système global et connecté),
est d’une grande aide. Quelques séances permettent en effet de
développer un autre regard sur soi et sur ses propres ressources.
Certains outils, à l’instar du questionnaire évoqué, sont également un
appui.

Mais la prise de conscience ne fait pas tout et le véritable travail


commence avec la volonté de s’améliorer. Passer de l’envie de mieux
faire à un comportement autre prend du temps. L’étape intermédiaire de
volonté est cruciale et surtout son maintien dans le temps, pour parvenir
à une phase d’ancrage, une étape où le comportement devient pérenne,
presque habituel.

ÉVEILLEZ VOS TALENTS…

Analysez votre culture émotionnelle personnelle et


collective
Votre culture émotionnelle personnelle
Chez vous, quelles sont les émotions désagréables qui reviennent le plus souvent :
doutes, angoisses, anxiété, ressentiment, déception, irritation, colère, culpabilité,
jalousie, démotivation ?
Êtes-vous capable de les identifier et de les nommer avec le plus de précisions et de
détails possible ?
Vous sentez-vous capable d’accueillir et accepter cette émotion sans jugement ni
reproches ?
Quelles sont les stratégies de régulation qui vous paraissent les plus efficaces pour
vous-même ?
Les mettez-vous en œuvre ?
Si non, pourquoi ?
Si oui, est-ce efficace ? Combien de temps ? Comment améliorer cette efficacité ?
Comment utiliser au mieux ces émotions inévitables à l’avenir ?
Votre culture émotionnelle collective
Sur votre lieu de travail, quelles sont les valeurs affectives partagées, celles qui sont
ouvertement exprimées par le discours et celles qui s’extériorisent par le langage
corporel ou les non-dits ?
Quelles sont les émotions que les gens s’autorisent à exprimer ?
Quelles sont celles qui vous inspirent et vous guident (ou au contraire nous
entravent) ?
Comment faire pour faire prendre conscience à votre entourage des émotions
destructrices ou démotivantes ?

À IMPRIMER DANS VOS NEURONES

Puisque les émotions touchent tout ce qui nous importe, elles sont au centre de nos vies.
Il importe donc de savoir faire la part entre ce que nous pouvons améliorer et ce qu’il faut
accepter car hors de portée. Il en découlera une grande sérénité et une meilleure qualité de
vie, avec des conséquences immédiates et à plus long terme sur notre efficacité
professionnelle. Le champ immense des applications possibles devrait nous motiver à aller
de l’avant pour devenir meilleur, pour soi et pour les autres.
Cet objectif ambitieux n’est pas facile, mais il est à la portée de chacun d’entre nous, sous
réserve d’un minimum de motivation, d’organisation et de persévérance.
Certaines de nos émotions proviennent du monde extérieur sur lequel nous n’avons
souvent aucun pouvoir. Mais une grande part est issue de nos interprétations personnelles,
de nos schémas et habitudes de pensée, susceptibles de favoriser l’anxiété, la colère, le
dépit ou le découragement. C’est dans cette voie que nous pouvons agir.
Nos efforts pourront porter sur :
la compréhension et l’identification de ces ressentis émotionnels, sur lesquels il faut
apprendre à mettre des mots ;
l’acceptation de la part inévitable du ressenti émotionnel ;
la mise en place de stratégies de remplacement, par des pensées ou des
comportements appris, répétés encore et encore pour en faciliter l’ancrage ;
des expérimentations dans des situations peu exigeantes au départ, puis
progressivement de plus en plus complexes.

Le point commun entre toutes ces démarches est notre capacité à remettre en cause notre
vision habituelle des choses, puisque cette interprétation du réel génère les émotions
pénibles et les pensées répétitives qui leur sont liées.
Les pratiques développées ici : l’acceptation, l’imagerie mentale, la réévaluation cognitive,
la distraction active, la communication non violente… seront complétées par des stratégies
d’actions comme :
l’exercice physique ;
le contrôle respiratoire ;
les techniques de relaxation ;
ou des stratégies à plus long terme :

d’entraînement à la pleine conscience,


de développement de liens sociaux de qualité,
d’orientation positive,
de culture de l’optimisme et du sens.

La singularité de chaque situation, chaque personne, chaque moment, nécessite une


adaptation particulière. C’est pourquoi les solutions proposées sont multiples. Elles ont été
évaluées de façon rigoureuse, mais ne conviennent pas à toute l’immensité de la diversité.
À chacun de déterminer ce qui fonctionne au mieux dans son univers professionnel et
personnel.

« Paradoxe étrange : en m’acceptant tel que je suis, je me


donne les moyens de changer. »
Carl Rogers (1902-1987), psychologue américain

1. La citation est attribuée à la fois à Maya Angelou (1928-2014), poétesse, écrivaine, actrice et
militante américaine, et à Carl Frederick Buechner (1926-) écrivain et théologien américain.
La phrase originale est « They may forget what you said, but they will never forget how you
made them feel ».
2. Lie to Me est une série américaine (quarante-huit épisodes de quarante-deux minutes) créée
par Samuel Baum. Dans la série, le Docteur Cal Lightman, psychologue spécialisé dans la
détection de mensonges au travers de l’analyse des micro-expressions, vend ses services
au FBI pour résoudre des enquêtes criminelles.
3. Vice-versa (Inside Out) , sorti en 2015 est réalisé en images de synthèse par Pete Docter. Il
remporte en 2016 l’Oscar du meilleur film d’animation. Dans l’histoire, les parents de Riley
déménagent du Minnesota pour s’installer à San Francisco. C’est une nouvelle vie pour la
petite fille, guidée par ses émotions, qui sont toutes incarnées par des personnages résidant
dans sa tête et plus précisément dans le Quartier cérébral, le centre de contrôle de son
esprit. Ses souvenirs sont eux aussi représentés par des boules d’une couleur différente
selon l’émotion qu’ils contiennent.
4. Damasio A., L’Erreur de Descartes , Odile Jacob, 1995.
5. Citation attribuée à Joseph Goldstein, auteur contemporain de nombreux livres sur le
bouddhisme.
6. Salovey P. et Mayer J. D., « Emotional Intelligence », Imagination cognition and personality ,
9(3), 1990, 185-211.
7. Fuchs E. et Flügge G., « Adult Neuroplasticity : More Than 40 Years of Research », Neural
Plasticity , 2014 ( https://doi.org/10.1155/2014/541870 ).
8. Byron K., A Thousand Names for Joy , Harmony, 2008. Katie Byron est une conférencière
américaine, auteur de nombreux ouvrages sur le développement personnel.
9. Heiy J. E. et Cheavens J. S., « Back to Basics : A Naturalistic Assessment of the Experience
and Regulation of Emotion », Emotion , 14(5), 2014, 878-891.
10. Hayes S., Luoma J., Bond F., Masuda A. et Lillis J., « Acceptance and commitment therapy :
Model, processes, and outcomes », Behaviour Research and Therapy , 44, 2006, 1-25.
11. Hayes S., Get Out of Your Mind and Into Your Life: The New Acceptance and Commitment
Therapy , New Harbinger, 2005.
12. Anselem B., Je rumine, tu rumines, nous ruminons , Eyrolles, 2017.
13. Gross J.J., « Emotion regulation », Handbook of emotions , Guilford Press, 2010 (3 e édition).
14. Gross J.J., « Antecedent-and response-focused emotion regulation : divergent
consequences for experience, expression, and physiology », Journal of Personality and
Social Psychology, 74(1), 1998, 224-237.
15. Gross J.J. et John O.P., « Individual Differences in Two Emotion Regulation Processes :
Implications for Affect, Relationships and Well-Being », Journal of Personality and Social
Psychology , 85(2), 2003, 348-362.
16. Kim S. et Hamann S., « Neural correlates of positive and negative emotion regulation »,
Journal of Cognitive Neuroscience , 19(5), 2007, 776-798.
17. Rosenberg M., Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs) , La Découverte, 2004.
18. Acronyme pour Volatilité, Incertitude, Complexité et Ambiguité.
CHAPITRE 2
DÉCIDER : ENTRE INTUITION,
RÉFLEXION ET ÉMOTIONS

« Une décision parfaite est une décision qui ne se prend jamais.


Au lieu de chercher à faire le choix parfait, faites un choix basé

»
sur vos meilleurs informations et instincts et allez de l’avant.

William M. Marston (1893-1947),


psychologue, inventeur et écrivain américain

our prendre une décision, notre cerveau possède des ressources


P sous-estimées. Mais il peut aussi nous tendre des pièges.
Observons les rouages d’une prise de décision, ses causes, ses
faiblesses, ses atouts, puis appliquons les connaissances des sciences
cognitives dans deux cadres distincts que nous utilisons en permanence
dans nos univers professionnels : nos décisions quotidiennes et nos
choix stratégiques.

DÉCIDER SOUS INFLUENCE


Ceux qui réussissent leurs parcours professionnels ne sont souvent pas
les plus brillants, mais ceux qui savent « sentir » une situation, une
opportunité ou éviter les impasses. Ils apprécient jusqu’où ils peuvent
aller et savent trouver des motivations pour persévérer. Est-ce un
sixième sens inné ? Pas seulement. En effet, l’intuition se dresse, se
patine. Développer son intuition et prendre de bonnes décisions, cela se
travaille et s’apprend aussi.
Seuls 25 % des salariés de grandes entreprises affirment que leur
manager sait « tout à fait décider 1 ». Les conséquences de cette
absence de compétence sont multiples. L’objectif de ce chapitre est de
mieux comprendre ce qui se joue dans notre cerveau quand nous
prenons des décisions, afin d’identifier les ressources mobilisables pour
que nos décisions soient un succès. Se positionner, trancher ou arbitrer
constitue parfois un attendu de notre entourage, une responsabilité. Celle
du leader par exemple. Qu’il soit dirigeant, manager d’équipe, chef de
projet ou qu’il ait une implication de leadership dans l’action. Or il est
fréquent de se sentir paralysé devant de tels enjeux. Décider est un
apprentissage. Savoir accueillir ses intuitions est fondamental. Et cela
passe par une prise de conscience de son état émotionnel.

Les décisions majeures gagnent donc à être prises après une analyse
personnelle approfondie, doublée d’une écoute attentive de son
entourage, de son environnement.

« Pour recruter, il faut que je le sente bien. On pourrait croire que


cela n’a pas de sens de sélectionner sur la base d’une émotion,
mais avec le temps, j’ai appris à décoder pourquoi je ressentais les
choses d’une manière ou d’une autre. Et les signaux de l’intuition me
rattrapent toujours. »
Ingrid, DRH d’un laboratoire d’analyses médicales

Certains nous conseillent d’écouter nos ressentis – nous savons


d’instinct ce qui est bon pour nous. À l’opposé, d’autres nous alertent sur
les émotions qui nous trompent ou nous aveuglent. Qui croire ? Les deux
approches sont intéressantes, mais pas dans les mêmes
circonstances…
Les sciences cognitives peuvent nous aider à démêler l’utile du nuisible.
Il est possible d’améliorer ses aptitudes. Qu’il s’agisse de choisir l’heure
de la pause-café, une stratégie de développement commercial ou un
changement de carrière, nous prenons sans cesse des décisions. La
plupart des gens pensent que leurs choix proviennent d’une analyse
logique et rationnelle des données. En réalité la majorité, voire la totalité,
de nos décisions, sont sous influence émotionnelle. Prenons un exemple
de décision qui semble complètement rationnelle : un choix économique
entre deux valeurs boursières. Quoi de plus froid et rationnel qu’une
comparaison de données chiffrées ? Décider à partir de données
mathématiques est a priori éloigné du monde impalpable des émotions
humaines. Pourtant l’étude du cerveau pendant l’exercice d’une telle
décision montre que les régions impliquées dans les émotions sont au
moins aussi actives que celles liées à l’analyse rationnelle !

Sans émotions, pas de raison !

Dans un premier temps, nous aborderons dans ce chapitre quelques


mécanismes de fonctionnement cérébral, utiles à connaître pour mieux
tirer parti de nos intuitions et analyses rationnelles. Comment éviter les
erreurs les plus courantes ? Comment éviter les impasses et exploiter
nos capacités naturelles ? Puis, nous envisagerons quand et comment
écouter notre intuition, ou exploiter nos capacités d’analyse. Enfin, nous
confronterons ces connaissances à quelques situations de choix
stratégiques, ou de décisions du quotidien.

GRAINES DE CONNAISSANCES

À l’origine du verbe « décider »


L’étymologie du verbe « décider » nous guide dans sa signification profonde. Le mot vient
du latin decidere (diminuer, réduire) ; il est composé du préfixe de- et du verbe cædere
(abattre, couper, tuer en latin). Chaque choix est un potentiel renoncement. André Gide
disait que choisir, c’était se priver du reste. Le suffixe « -cide » formé à partir du parfait -
cecidi fait référence à « ce qui fait disparaître ». On le retrouve dans des mots évoquant
l’idée d’annihiler, comme « homicide » ou « insecticide ». L’art de la décision contient donc
une certaine violence, en lien avec la privation 2 . Pourtant, nous décidons en permanence.

COMPRENDRE LES ROUAGES DE LA DÉCISION

Décision : les deux vitesses de la pensée humaine

Les grandes fonctions cérébrales sont organisées en réseaux de


neurones : motricité, vision, audition et perceptions sensorielles,
mémoires, émotions, maintien de l’attention, motivation, récompense
immédiate ou différée, langage, orientation dans l’espace, pensées
intérieures, évaluation d’un effort, etc.

Ces ensembles de neurones communiquent entre eux par des points de


jonction, les synapses, elles-mêmes sous influence de neuromédiateurs
et d’hormones. Ces réseaux vont, selon les situations, entrer en
collaboration ou en compétition. Chaque activité mentale est le fruit d’un
équilibre fragile et instable entre ces grandes fonctions, héritées de
millions d’années d’évolution.

Plus de 90 % de notre activité cérébrale est inconsciente (hors de notre


perception) ou subconsciente (hors de notre attention du moment). La
quasi-totalité de nos décisions et jugements repose sur des mécanismes
non conscients, mais néanmoins actifs.

L’émotion précède la décision. Les décisions sont au départ des


réactions à des états émotionnels (peur, faim, reproduction) et
déterminent des actions engagées automatiquement (fuite, lutte,
recherche de ressources ou de partenaires), adaptées à chaque nouvelle
situation. Nous sommes donc en « pilote automatique » à la suite d’une
émotion, qui apporte un signal. Ce n’est que récemment dans l’évolution
que l’espèce humaine a utilisé des capacités de mémoire et
d’associations d’idées plus développées, permettant un mode de
décision plus réfléchi, plus lent, basé sur des évaluations complexes et
conscientes. Si cette couche de facultés supplémentaires nous paraît
rationnelle et autonome, elle reste pourtant sous l’emprise d’autres
activités automatiques et inconscientes, plus anciennes et
prépondérantes.
Les pensées et actions conscientes correspondent globalement à deux
types de fonctionnement cérébral, selon les travaux maintenant bien
connus du psychologue, mathématicien et prix Nobel Daniel Kahneman 3
. Ces deux modes font intervenir des réseaux cérébraux différents 4 .

Le mode automatique, intuitif


Il est indépendant de notre réflexion consciente. C’est le mode de
fonctionnement habituel de notre vie quotidienne, chaque fois qu’une
pensée émerge spontanément à notre conscience. Il fait intervenir des
réseaux neuronaux subconscients, s’activant à notre insu. Ce
fonctionnement est le plus souvent suffisant pour gérer le quotidien.

Ce mode présente un avantage : les mécanismes sont rapides, peu


coûteux en énergie ou en effort de concentration et adaptés à la majorité
des situations courantes.

L’inconvénient est que ce mode intuitif est soumis à l’influence des


émotions, des habitudes de pensées, plus susceptibles d’introduire des
erreurs ou des biais dans le jugement.

Le mode analytique rationnel ou « adaptatif »

C’est une pensée plus délibérée, analytique et logique, dirigée


consciemment à partir d’informations présentes ou stockées en mémoire.
Ce mode est plus lent, il utilise des raisonnements pas à pas et nécessite
un effort attentionnel. Il est choisi lorsque la situation est jugée complexe,
par exemple dans un contexte d’apprentissage, ou pour un choix délicat.

Mode intuitif Mode analytique

Ancestral, par défaut Récent dans l’évolution

Inconscient Conscient

Automatique Effort attentionnel volontaire

Rapide Lent

Économique en énergie et attention Coûteux en énergie et attention

Association d’idées Raisonnement par étapes

Sensible aux biais émotionnels Moins sensible aux biais

Spontané Auto-évaluation

Les deux vitesses de la pensée

Spontanément, le cerveau aura tendance à opter pour le mode intuitif. En


effet, le cerveau est un énorme consommateur d’énergie : il consomme
20 % de l’énergie corporelle totale alors qu’il ne représente que 2 à 3 %
du poids du corps. Par souci d’économie, il aura donc tendance à opter
pour l’attitude la moins dépensière, qui est ici le mode automatique ou
intuitif, sauf si les circonstances l’exigent ou si sa curiosité est éveillée.

Pour basculer du mode intuitif vers un mode analytique, il faut un signal


fort, la perception d’une difficulté, d’une complexité ou d’une situation
inhabituelle.

Un réseau particulier va se charger de lancer un signal d’alarme : le


« réseau de saillance ». Il nous sort de notre automatisme et permet de
prendre conscience d’une information importante aux dépens des autres.
L’attention va alors pouvoir se concentrer sur une tâche choisie
consciemment : je décide de me concentrer sur un événement particulier.

ÉVEILLEZ VOS TALENTS…

Distinguez les MINUSCULES des majuscules ?


Petite mise en route pratique : faites l’exercice de dire à haute voix si le mot est écrit
en majuscule ou minuscule 5 .
• MINUSCULE • Majuscule
• MINUSCULE • MAJUSCULE
• Minuscule • MAJUSCULE
• Majuscule • MINUSCULE

Dans cet exercice, notre intuition lit en pilote automatique, sans réfléchir, tandis que
notre réflexion essaye de répondre aux contraintes de l’exercice. Par conséquent, il
est normal d’hésiter et de se tromper quand les deux dynamiques se mélangent,
voire s’affrontent.

Comment décide notre cerveau ?

Pour choisir, nous analysons une situation et décidons en fonction des


différents avantages et inconvénients attendus. Ces raisonnements
impliquent l’activité d’une région spécifique, à l’avant de notre cerveau :
le cortex préfrontal ventromédian et orbitofrontal. Cette région de notre
cerveau peut être apparentée à un « chef d’orchestre » réalisant la
synthèse de plusieurs sources d’informations :
des informations conscientes en provenance du reste du cerveau :
perception du présent, évaluation d’une situation, confrontation aux
souvenirs, anticipations, évaluation d’une probabilité ;
des évaluations subconscientes en provenance notamment des
circuits émotionnels : évaluation affective d’un événement – cette
situation est agréable, souhaitable, je la recherche ou, à l’inverse, je
ne l’aime pas et donc je l’évite ;
des automatismes subconscients, intégrés par l’apprentissage et les
habitudes de pensée.

Cortex préfrontal ventromédian (vmPFC)

Après avoir intégré ces informations diverses et complexes, le cortex


préfrontal va impulser une décision et une action qu’il juge adaptée :
en validant des comportements intuitifs automatiques, quand il juge
la situation simple et sous contrôle ;
ou en optant pour le mode rationnel, conscient et contrôlé, dès
qu’une difficulté est perçue.

En cas de situation complexe, comment choisir la meilleure option ?

En théorie, la question est résolue depuis le XVIII e siècle, date à laquelle


un penseur mathématicien du nom de Bernoulli a formalisé la loi de
l’« utilité espérée » : la décision correspond schématiquement à
l’amélioration attendue × la probabilité de réalisation.

Pour chaque option, il suffirait alors d’évaluer les valeurs d’amélioration


attendue et de probabilité de réalisation. Idéalement, l’« utilité espérée »
de Bernoulli devrait permettre de résoudre l’ensemble des problèmes de
décision. Mais nous sommes souvent peu efficaces pour évaluer la
probabilité de réalisation d’un choix et encore plus mauvais pour
apprécier la valeur d’un avantage attendu ! En effet, les résultats
accumulés par plusieurs équipes, dont celles des professeurs Daniel
Kahneman et Herbert Simon, tous deux prix Nobel d’économie, remettent
en question le mythe du décideur rationnel, au profit du décideur à la
rationalité limitée. Ils incitent par leurs recherches l’ensemble des acteurs
responsables à plus de modestie.

Nos décisions sont perméables aux émotions, parfois à bon escient,


mais elles sont également souvent prises sur la base d’erreurs de
perception ou de mémorisation. Ces imperfections sont nommées « biais
cognitifs ». Nous sommes donc constamment sous influence, notamment
parce que notre cerveau procède par raccourcis mentaux intuitifs,
appelés « heuristiques ».

Quelques secondes avant la décision : les informations qui nous marquent

Quelques minutes avant : l’état émotionnel, le comportement de l’entourage

Les heures et jours précédents : notre humeur, notre état de fatigue ou de forme
physique, manque de sommeil, nos neurotransmetteurs
Les mois précédents la décision : nos expériences marquantes, nos succès, nos
échecs, les cultures sociales ou d’entreprise

L’enfance, l’adolescence : le cortex préfrontal immature se structure en fonction des


expériences marquantes

La vie fœtale et les premières années de vie : les premières influences hormonales,
sensorielles, les premiers contacts, les stress, les soins parentaux

Les nombreuses sources d’influences d’un choix supposé « rationnel »

Francine est une personne consciencieuse, méticuleuse, organisée,


elle adore vivre dans le monde des idées 6 .
Selon vous, Francine a-t-elle plus de chances d’être :
bibliothécaire ;
collaboratrice en milieu bancaire ?

La réponse immédiate et intuitive penche en faveur du choix 1, car


les qualificatifs nous semblent plus appropriés à l’idée du métier de
bibliothécaire. Mais sur un plan statistique, les collaborateurs du
monde bancaire sont beaucoup plus nombreux que les
bibliothécaires. Il est donc plus probable que le travail de Francine
appartienne à cette catégorie.

La réponse 1 fait appel au système intuitif, la réponse 2 utilise nos


réseaux analytiques. Au-delà des apparences, nous utilisons nos
connaissances et potentiellement nos souvenirs pour bâtir une
réponse plus pertinente.

Les biais cognitifs, ces faux amis qui nous trompent…

Depuis quelques années, nous entendons de plus en plus parler de biais


cognitifs, reconnus comme une des principales sources d’erreur. Toute
rationalité, idéalement recherchée par chacun d’entre nous, est en
pratique bridée par les limites de notre capacité de mémoire, le temps
disponible ou l’accessibilité aux informations. Les erreurs de
raisonnement, de perception ou de mémorisation que constituent les
biais, sont fréquentes. Elles sont dues :
à des raccourcis utilisés par notre cerveau, dans le but d’économiser
du temps ou de l’énergie face à des situations complexes et des
océans d’informations ;
à la nécessité d’agir vite ou de trouver du sens.

Nous construisons des raisonnements rapides et approximatifs


(heuristiques), qui sont le plus souvent suffisants et efficaces, mais
peuvent parfois se révéler faux. Ces raccourcis datent d’une époque où
les premiers hommes devaient prendre des décisions rapides pour
survivre aux différents types de situation. Il existe plus de 180 biais
cognitifs répertoriés, validés et référencés par des études. Citons
quelques-uns d’entre eux, parmi les plus fréquents, particulièrement
criants en milieu professionnel.

Le biais de disponibilité en mémoire


Les événements les plus disponibles dans notre mémoire vont fausser
nos choix. Par exemple, nous sommes plus effrayés par un accident
d’avion ou un attentat, qui génèrent une émotion majeure, que par les
risques de circulation, alors qu’ils sont statistiquement bien plus élevés.
L’exemple le plus connu est le requin. La plupart d’entre nous ont une
peur phobique des requins, alors que les décès par réaction allergique
aux piqûres d’abeilles sont beaucoup plus fréquents. Mais le requin, et
plus spécifiquement l’image des Dents de la mer , a fortement marqué
notre mémoire émotionnelle.
Le biais de disponibilité agit également avant une décision : les
événements qui ont directement précédé, comme une parole négative ou
au contraire un sourire, un geste attentionné, vont inconsciemment nous
influencer.
« En tant que formatrice, je suis sensible aux attitudes non verbales
des participants lorsqu’ils franchissent la porte de la salle de
formation pour la première fois. En quelques secondes, je ressens
leur état émotionnel, leur état d’esprit. Si, d’aventure, l’un d’eux
passe le seuil avec une posture arrogante et négative, je sais
d’emblée qu’il va me falloir beaucoup d’énergie pour ne pas me
laisser influencer, dans un processus inconscient, par ce que je
ressens comme un rejet. Je suis alors attentive à chaque interaction,
car je suis sensible à ce biais comportemental. »
Florence, formatrice métier

Ce biais de disponibilité en mémoire est complémentaire du biais


d’ancrage, qui consiste à raisonner par comparaison. Ainsi, si dans un
groupe, chacun écrit sur un papier le numéro de sa rue, puis se voit
demander combien il est prêt à payer pour un bon repas au restaurant,
ceux qui ont indiqué un numéro de rue plus grand proposeront une plus
grande somme pour le repas au restaurant. Notre cerveau retient la
dernière chose mémorisée et procède en outre par comparaison. Ce qui
peut biaiser fortement nos décisions.

Le biais de négativité

« Cette semaine, notre salon de coiffure était ouvert tout le week-


end. Les clients se sont bousculés samedi. J’ai eu de gros
pourboires et une bonne dose de compliments. À croire que les
gens sont de meilleure humeur quand la semaine est finie ! En fin de
journée, une cliente qui vient régulièrement est ressortie mitigée du
salon après m’avoir dit : “Yuki, franchement, d’habitude tu me coiffes
super bien, mais là, honnêtement, c’est foiré. C’est pas un drame,
mais vraiment j’aime pas.” Eh bien, je n’ai pensé qu’à cela toute la
soirée et tout le dimanche. Ça tournait en boucle dans ma tête. »
Yuki, coiffeuse

S’il vous arrive neuf événements agréables et un problème, à quoi allez-


vous penser en fin de journée ? Probablement à votre problème. De la
même manière, si votre manager passe quarante-cinq minutes à vous
faire des retours positifs et évoque durant les dix dernières minutes
quelques zones de progrès ou d’amélioration (ou pire encore, des
reproches), votre esprit sera probablement focalisé sur les paroles de
ces dernières minutes. Cette tournure d’esprit qui entraîne des biais de
négativité est utile pour progresser et se préserver des dangers
multiples, mais elle peut aussi influencer négativement nos choix.

Dans le domaine des choix financiers, Amos Tversky et Daniel


Kahneman ont démontré que, à niveau de risque égal, les décisions des
acteurs expérimentés n’étaient pas identiques selon qu’il s’agissait de
gains ou de pertes.

L’aversion aux pertes est plus forte que l’attirance pour le gain 7 . Cette
démonstration du rôle de l’irrationnel dans les raisonnements leur a valu
un prix Nobel d’économie, le premier attribué à des psychologues,
puisque ni Tversky ni Kahneman ne sont économistes.

Le biais de confirmation
« Quand je suis arrivée dans l’équipe, plusieurs collègues m’ont
alertée sur les difficultés qu’ils avaient à travailler avec Sylvie.
Ingérable, caractérielle, de mauvaise foi… toutes les accusations y
passaient. Quand j’ai commencé à travailler avec elle, j’étais
crispée. Elle devait le ressentir, parce qu’elle était de plus en plus
distante. Je consignais tout par écrit, pour garder des traces et, au
bout de quelques semaines, j’abondais dans le sens de mes
collègues sur son caractère agressif. Ce n’est qu’une année plus
tard que j’ai réalisé que la rumeur avait complètement influencé ma
perception, et plus encore, l’avait alimentée alors que rien ne s’y
prêtait. »
Nathalie, technicienne en énergie renouvelable

Les informations allant dans le sens de nos croyances sont mieux


repérées et mieux mémorisées que les autres, elles sont aussi plus
recherchées. Dans le même temps, nous négligeons les informations
contraires et doutons des opinions opposées. Cette habitude va petit à
petit nous entourer d’une « bulle » de sources d’informations favorables à
nos avis de départ et ainsi nous conforter dans nos croyances.

Le biais d’attribution ou de causalité


En cherchant à donner du sens aux choses, notre cerveau prend des
raccourcis et estime que les mêmes causes créent les mêmes effets.
Nous aimons aller vite dans notre perception de l’environnement, même
si cela induit de fortes approximations. Ainsi, notre cerveau attribue des
causes aux choses en continu, afin de simplifier ce qu’il constate et d’en
donner une compréhension apparemment cohérente 8 . Dans Les
Incertitudes de l’heure présente , Gustave Le Bon écrivait déjà en 1923
qu’une des plus fréquentes sources d’erreurs politiques était « d’attribuer
à des causes uniques des événements issus de causes nombreuses et
compliquées ».

RECOMMAND’ACTIONS

Limiter les effets de ses propres biais


La première chose à comprendre sur les biais est que nous ne pouvons pas les
éviter ; ils nous concernent tous, malgré notre bonne volonté. Nous avons
cependant le pouvoir de limiter leur influence de différentes manières. Pour ce faire,
il sera nécessaire :
d’être conscient de notre vulnérabilité, ce qui nous permettra de développer
notre esprit critique ou notre capacité à changer d’avis face à une information
discordante (flexibilité mentale) ;
de multiplier les sources d’informations afin de ne pas nous contenter de ce
que nous avons en mémoire ;
d’aller chercher des avis chez notre entourage, les autres n’ayant pas les
mêmes biais que nous ;
de nous faire l’avocat du diable face à une décision complexe en cherchant à
démontrer que notre idée est fausse ;
de changer d’angle de vision en nous projetant à la place des autres
protagonistes.

Depuis quelques années, on entend par ailleurs de plus en plus parler de


nudge , en lien avec les biais cognitifs 9 .

Le nudge est une incitation sans contrainte pour rendre un choix plus
attractif qu’un autre. La technique est largement utilisée par les
mentalistes dans leurs performances, mais également par les équipes de
marketing et de communication. L’exemple de nudge le plus connu du
grand public est à Amsterdam, où il a été gravé de fausses mouches
dans les urinoirs de l’aéroport, pour inciter les hommes à mieux viser. La
réussite est flagrante : 80 % de dépenses de nettoyage en moins dans
les toilettes pour hommes 10 .

INTUITION OU RÉFLEXION ?
Nous avons vu que l’intuition liée aux automatismes de pensée est en
général plutôt utilisée dans les situations simples et connues, alors que le
mode analytique (parfois appelé « mode adaptatif ») était plutôt choisi
dans les situations complexes ou incertaines. Ce schéma simple mérite
d’être nuancé. Dans certaines situations particulièrement complexes,
mais comportant de nombreuses incertitudes, l’intuition peut se révéler
très efficace. C’est en particulier le cas lorsque nous avons accumulé
une somme d’expériences professionnelles susceptibles de l’alimenter.

D’où proviennent nos intuitions ?

Herbert Simon, prix Nobel d’économie en 1978, disait que jamais nos
décisions ne seraient rationnelles. Steve Jobs nous suggérait, quant à
lui, d’avoir le courage de suivre notre cœur et notre intuition. Comment
dès lors définir cette chose curieuse qu’est l’intuition ? Daniel Kahneman
décrit une pensée qu’il appelle Système 1 (rapide et intuitive) qu’il
oppose à une pensée lente et analytique qui serait le Système 2. Les
raisonnements font appel à notre mémoire consciente. Celle-ci n’est que
la partie émergée de l’iceberg puisque 90 % de notre activité cérébrale
échappe à notre conscience. L’intuition est constituée par toute une série
d’informations stockées et traitées avant de parvenir à notre conscience.
Les intuitions se forment en mode automatique, guidées par des
associations d’idées inconscientes, elles-mêmes sous influence de ce qui
est important pour nous (en positif ou en négatif), c’est-à-dire par nos
émotions et nos besoins profonds. Nous pouvons apprendre à favoriser
ces processus.

La pensée intuitive va principalement être utile si nous avons de


l’expérience dans le domaine de la décision et si celle-ci est simple.
« À chaque décision prise, nous stockons en mémoire inconsciente le
bilan de nos précédentes décisions. Nous pouvons diviser ce bilan en
trois parties : informations/contexte + prise de décision + feedback sur la
décision.

Pour la décision suivante, les informations seront enrichies de


l’expérience précédente et ainsi de suite 11 . »

Lors d’une étude de référence 12 , Antonio Damasio a montré que, pour


prendre de meilleures décisions économiques dans un environnement
complexe et incertain, les personnes qui écoutent leurs intuitions
émotionnelles peuvent prendre des décisions plus pertinentes que celles
qui cherchent à mémoriser et à rationaliser coûte que coûte. Ce type
d’environnement se retrouve lorsque nous ne maîtrisons pas l’ensemble
des données et que le nombre d’informations dépasse nos capacités de
mémoire, ce qui est le cas de la plupart des situations professionnelles.
Cette étude fut l’une des premières à montrer clairement que l’intuition
peut créer de la valeur économique !
D’autre part, Damasio a mis en évidence, dans son activité médicale de
neurologue, une altération majeure des capacités de choix, chez les
patients privés d’affect par une lésion cérébrale du cortex préfrontal
médian. Ces patients présentent par ailleurs une indifférence aux
conséquences de leurs actes. Ces observations confirment que cette
région du cerveau est indispensable à la fois pour décider et pour évaluer
émotionnellement une situation. Émotions et prise de décision impliquent
les mêmes régions cérébrales et sont indissociables.

En pratique, quand préférer l’intuition ou la réflexion ?

Intuitions, ressentis, pulsions : doit-on tout accepter ou tout rejeter en


bloc ?

Les influences émotionnelles peuvent aider ou entraver nos décisions.


Cette ambiguïté n’est pas forcément un handicap, à condition d’en être
conscient. Au départ, les situations complexes nécessitent une réflexion
et une prise de distance par rapport à nos impulsions intuitives. Mais de
nombreuses situations ne permettent pas d’aller au bout de cette
réflexion. Il nous manque souvent des informations cruciales pour
décider et la part d’incertitude reste importante malgré nos tentatives de
rationalisation. Il nous faut alors utiliser nos ressentis. Ils nous informent
intuitivement d’un danger ou d’une opportunité.

Mais nos émotions, lorsqu’elles sont trop intenses ou mal dirigées,


peuvent aussi déformer nos jugements. C’est ici qu’intervient la notion
d’intelligence émotionnelle pour développer une capacité de repérage,
d’utilisation ou de mise à distance de nos émotions.

Pour les petites décisions quotidiennes

Il faut pouvoir repérer son état émotionnel, ce qui est évident pour
certains et très complexe pour d’autres. Cette aptitude à prendre du recul
et à évaluer ses ressentis permet de juger si notre état émotionnel est
favorable à la décision. Si l’émotion est forte (anxiété, colère, exaltation,
dépit, culpabilité, rancœur…), le moment n’est pas favorable pour agir et
il est préférable d’attendre :
L’anxiété nous rend hypersensibles à l’incertitude et aux risques, elle
freine la décision.
La colère, à l’inverse, gonfle exagérément notre confiance et nous
entraîne dans des choix qui seront regrettés plus tard.
La culpabilité nous incite à accepter des situations que nous
regretterons.

Encore faut-il être capable d’identifier cette composante émotionnelle.


Certains se sentent peu connectés à leurs émotions, par tempérament,
par déni ou par culture. Cela peut néanmoins s’apprendre, avec un
minimum d’entraînement (voir chapitre 1 ) .
En période moins agitée, dans un domaine que nous maîtrisons (lorsque
nous possédons une expérience par rapport à une situation précise), il
est possible d’apprendre à ressentir les signaux émotionnels émis par
notre corps et notre cerveau. Ils représentent notre mémoire profonde,
subconsciente, et sont en lien direct avec nos besoins et nos valeurs. À
chacun de les écouter, si le contexte est favorable, ou de choisir de les
ignorer en cas d’émotion perturbante. L’intuition nécessite d’être à
l’écoute de ses sensations, de prendre le temps de ralentir, de
temporiser, de faire une pause pour être plus productif, plus créatif, plus
tourné vers le présent…

Les experts d’une activité spécifique (spécialistes professionnels,


artistes, chercheurs, sportifs) font de meilleurs choix, dans leurs
domaines. Avec l’expérience, les chemins neuronaux s’éclaircissent,
l’intuition s’améliore tout en nécessitant moins d’effort. Ces spécialistes
s’accordent alors plus de libertés pour agir selon leurs intuitions. Il existe
bien entendu des exceptions : si la situation est inhabituelle (hors du
domaine de compétence) ou si on est en poste depuis de nombreuses
années. L’accoutumance, la routine, l’excès de confiance peuvent
entraîner des revers douloureux : une trop grande confiance dans la
validité de ses intuitions est une erreur fréquente.

Les grandes décisions : choix stratégiques, choix de vie…

Elles nécessitent d’intégrer une donnée supplémentaire : nous-mêmes,


notre personnalité, notre parcours…

À chacun de repérer s’il fait partie de ceux qui ont tendance à se laisser
mener par leurs émotions.

Il est possible de s’aider en se retrouvant dans un ou plusieurs des


comportements suivants : impulsivité, recherche de nouveauté,
addictions, rapport dépensier à l’argent, jeu compulsif, conduites à
risque, style de vie instable. Dans un tout autre contexte :
hypersensibilité, anxiété majeure, peurs irrationnelles…
Il sera alors préférable d’apprendre à reconnaître ses influences
émotionnelles et de les mettre à distance : temporiser, raisonner, prendre
un avis extérieur, apprendre à réguler ses émotions.
À l’inverse, les personnes trop « rationnelles » peuvent se reconnaître
dans les traits suivants : anxiété légère, culture cartésienne, personnalité
consciencieuse, perfectionnisme, culture « never explain, never complain
13 », valorisation de l’intellect, contrôle de soi, ignorance de ses

émotions, rapport économe à l’argent. Elles auront intérêt à apprendre à


ressentir leurs émotions et à laisser parler leurs intuitions avant de
décider. Elles apprendront à sortir des raisonnements et des tableaux
Excel, à prendre de la distance, à pratiquer la conscience du présent, la
relaxation.

Dans la plupart des cas, nous nous situerons entre ces deux extrêmes.
Notre personnalité est à la fois complexe et changeante selon les
environnements dans lesquels nous évoluons. Nous pouvons
parfaitement nous révéler impulsif dans un domaine et trop rationnel
dans un autre. La connaissance de soi devient alors un atout
fondamental.

À partir de ses expériences précédentes.


À partir d’indices : votre rapport :

à l’argent (dépensier ou économe),


aux addictions,
aux risques,
à l’anxiété.
S’évaluer soi-
Au regard de votre caractère consciencieux, de vos études
même
supérieures, de votre stabilité sentimentale, professionnelle, etc. :
autant d’indices en faveur d’une tendance à l’analyse plutôt qu’à
l’écoute de ses émotions.

Avantage de la démarche de s’évaluer soi-même : simplicité,


adaptation fine à la situation présente.
Inconvénient : subjectif, soumis aux biais émotionnels et biais de
mémorisation.

Avantage de la démarche de demander à des proches : point de vue


extérieur.
Demander à des Inconvénient : reste subjectif.
proches

Avantage de la démarche des tests de personnalité : plus objectifs.


Inconvénient : plus général, moins adapté à l’événement en cours
Tests de nécessitant la décision.
personnalité
Mieux se connaître

ÉVEILLEZ VOS TALENTS…

Favorisez votre intuition et améliorez votre réflexion !


Emmagasinez des connaissances
L’intuition se nourrit des connaissances accumulées. Il est donc profitable de
recueillir un maximum d’informations et de les mémoriser. C’est ce que l’on retrouve
dans l’acquisition d’expérience professionnelle.
Échangez avec votre entourage
Pour limiter l’effet négatif des biais cognitifs, il importe d’échanger au maximum, de
préférence avec les personnes qui expérimentent des situations comparables. Elles
ont également une appréciation subjective, mais leurs biais d’évaluation seront
différents et les deux visions se compléteront. Les autres ont aussi des faiblesses,
mais pas les mêmes que vous…
Restez à l’écoute des autres idées
Variez au maximum les sources d’informations. Les bons décideurs ont conscience
de la fragilité de leurs jugements et des possibilités de biais multiples qui sont non
maîtrisables. Tout en s’appuyant sur leurs convictions, ils sont humblement à l’affût
des idées productives, quelle que soit leur provenance, et savent aussi prendre
appui sur la force du collectif.
Ménagez votre cerveau (l’impulsivité augmente avec la fatigue mentale)
Respectez vos temps de sommeil : les idées sont plus claires après une bonne nuit.
Les performances chutent nettement en cas de privation de sommeil.
Observez des pauses : la créativité et la productivité augmentent après dix ou
quinze minutes de repos complet. Cependant, ces pauses ne permettent pas de
supprimer les effets négatifs d’un manque de sommeil durant la nuit 14 . Pratiquez
de courtes siestes 15 . Détendez-vous, pratiquez une activité physique délassante.
Utilisez votre créativité
en permettant à votre esprit de s’échapper quelques instants ;
en explorant diverses facettes de votre imagination.

Testez vos choix avant d’agir


Mettez-vous en situation, imaginez l’évolution après avoir choisi l’une des options,
puis, le jour suivant, explorez le choix de l’autre option. Cette appropriation d’un
choix peut permettre d’approfondir ses perceptions, réflexions et intuitions.
DÉCIDER AU TRAVAIL
En entreprise, nous prenons des décisions à chaque instant, sans même
nous en rendre compte. Ouvrir sa boîte mail, répondre à un message
entrant, tourner la tête pour dire bonjour à un collègue qui passe derrière
nous, répondre à son portable, peaufiner une présentation non aboutie,
avancer telle idée plutôt qu’une autre… Quasiment chacune de nos
actions est une décision, plus ou moins consciente. Une décision qui
évacue parfois en quelques secondes des dizaines d’autres options.
Nous prenons également des décisions plus structurantes, parfois
difficiles. Certains de ces arbitrages sont tranchés dans des zones où
l’incertitude demeure, où les données objectives, rationnelles,
cartésiennes ne sont pas suffisantes à la prise de décision.

Francesca Gino et John Beshears, tous deux professeurs à Harvard,


cosignaient en 2016 un article intitulé « Leaders, devenez des architectes
décisionnels 16 », illustré par une photo d’une des œuvres de l’artiste de
street art Millo, représentant des hommes construisant une grande tour
de Lego. Le message était clair : la prise de décision est un art. Un art
subtil, similaire à l’architecture, entre création intuitive et rationalité
contraignante.

Décider, ne pas décider, faire le « bon choix ? »

La décision est un traitement de l’information disponible et une


interprétation des données environnementales. Certaines décisions sont
délicates car se fourvoyer peut s’avérer très coûteux : quelle voie suivre
à ce tournant de carrière ? Face à plusieurs propositions d’emploi,
laquelle accepter ? Dois-je déménager pour accepter la promotion qui
m’est offerte ou refuser la mobilité ? Pour des raisons variées, face à la
difficulté et à la multitude de choix qui se présentent, nous repoussons
souvent nos prises de décision. Nous sommes réticents à l’incertitude, au
risque ou à l’engagement dans l’action et choisissons donc souvent le
statu quo . Mais le statu quo est, lui aussi, une décision, un choix. Ne pas
décider, c’est une décision !
« J’ai conscience d’avoir beaucoup de chance d’avoir été recrutée
sur ce poste. Le contenu de l’activité est passionnant et
intellectuellement très stimulant. Je côtoie des personnes brillantes
et la nouveauté ne manque pas. On travaille avec un fort niveau
d’adrénaline dans une équipe très soudée. Je crois pouvoir dire
sans prétention qu’un beau parcours pourrait m’attendre parce que
je pense être très appréciée. Le problème, c’est que ce quotidien ne
m’épanouit pas du tout. On est en flux tendu permanent. Il fait nuit
quand je sors du travail. Mes vacances d’été ne sont jamais un
moment de détente. Au mieux, je récupère un peu du stress de
l’année. Le quotidien s’est installé comme ça et cela me paraît
presque normal maintenant d’être connectée en permanence, de
répondre dans l’urgence aux demandes. Mais je n’arrive pas à
prendre la décision de partir. Je crois que j’ai peur de ce que le futur
pourrait réserver… »
Ava, analyste de tendances

Ava est victime d’un processus psychologique connu, qui s’appelle


l’« habituation ». Notre cerveau s’habitue aux événements agréables
répétitifs et ne les remarque plus, alors que les inconvénients deviennent
de plus en plus saillants, voire insupportables.

Pour sortir de cette situation, Ava devra probablement faire le point sur
ses aspirations profondes, ses valeurs et accepter (ou pas) son choix,
son environnement agité, les inconvénients de son métier comme le prix
de sa fonction passionnante et de son ambition, tout en organisant sa
régulation du stress. Chaque métier possède ses duretés, il n’existe pas
de métier épanouissant sans aucun effort.
Ava peut décider d’abandonner cette vie inspirante mais usante, en
s’orientant vers un autre poste plus en rapport avec ses aspirations : ce
choix sera fonction de ses attentes profondes. Pour les préciser, elle
devra prendre son temps, s’immerger dans chacune des options, se
renseigner auprès de ses pairs, approfondir ses motivations internes, se
poser les bonnes questions (voir le chapitre 3 sur les motivations).
Elle peut aussi organiser son travail pour limiter autant que possible son
stress : hiérarchiser les tâches, déléguer, préciser ses missions avec sa
hiérarchie, trouver un équilibre corps/esprit (voir chapitre 5 ) …

« J’ai deux filles de 15 mois et 3 ans. Aujourd’hui, ma priorité est de


les accompagner au mieux dans leur développement. J’essaie
d’aménager mon temps de travail afin de respecter les attentes de
mon employeur, mais comme j’ai beaucoup de transport matin et
soir, je ne vois mes enfants que le week-end. Nous sommes en
février et je n’ai rencontré la maîtresse de mon aînée qu’une seule
fois. Dernièrement, après plusieurs années d’attente, j’ai obtenu
deux journées par semaine de télétravail, ce qui change
complètement mon quotidien et me permet de petit-déjeuner et dîner
avec mes enfants. Mais mon chef me propose d’évoluer et de
passer responsable de tout le département, ce qui m’obligerait
probablement à renoncer à ces journées à distance. Il attend une
réponse de ma part et je n’arrive pas à me positionner ou à prendre
une décision. D’une certaine façon, je veux progresser et ne
souhaite pas être perçue comme sans ambition, mais, d’une autre,
j’ai trouvé dans la configuration actuelle un confort de vie qui me
correspond et m’épanouit. »
Lorraine, haut potentiel dans l’assurance

Lorraine aura avantage à écouter ses désirs profonds en lien avec ses
aspirations, afin de donner la priorité à son désir d’accomplissement
professionnel ou à son équilibre personnel et familial. Quel que soit son
choix, elle devra l’accepter, en prenant conscience qu’aucune option
n’est idéale et que les conséquences négatives de chacun des choix
doivent être acceptées pour une meilleure santé mentale.
C’est aussi parfois un apprentissage du renoncement car les journées,
pour chacun d’entre nous, ne font que vingt-quatre heures.
Dans ces cas-là, une hiérarchisation de valeurs est un exercice
intéressant. Cela permet de se recentrer sur ce qui est important pour
nous.

L’exercice des réussites/regrets est aussi puissant et souvent utilisé en


coaching : la projection dans le temps – nous sommes en 2030 et vous
regrettez amèrement votre décision car elle ne vous a pas épanoui par
exemple. Ou bien nous sommes en 2030 et tout va bien pour vous. Vos
choix ont été les bons.

Lesquels étaient-ce ?

« J’ai la responsabilité de la gestion des plannings des techniciens.


Chaque année, c’est la même chose et il faut arbitrer qui pourra
prendre ses congés sur août ou sur les ponts du mois de mai. On
peut mettre en place tous les processus du monde et anticiper au
maximum. Au bout du compte, je dois toujours trancher et chaque
décision me coûte, car elle a des répercussions sur la vie
personnelle des gens. Du coup, je repousse au maximum. Je fais
toujours tout pour ne pas avoir à décider. »
Frédéric, cadre de site hospitalier

Décider en s’entourant d’un maximum d’avis et de règles objectives sera


la première étape pour Frédéric, puis assumer ses choix forcément
imparfaits sera indispensable, en expliquant à chacun les contraintes de
ses choix et la prise en compte sur le long terme des indispensables
rééquilibrages, afin de ne pas laisser à ses coéquipiers une impression
d’injustice.

Apprendre à connaître ses freins décisionnels

Les exemples d’Ava, de Lorraine et Frédéric nous le montrent : nous


avons des freins décisionnels, et ils interviennent plus ou moins
régulièrement. En entreprise, nous pouvons repérer ces freins chez les
autres : validations excessives pour ne pas avoir à trancher, mise en
copie de la hiérarchie pour « être couvert », délais de réponse pour ne
pas se positionner soi-même… L’absence de décision fait souvent perdre
du temps et peut être source de désengagement.
Dans leur ouvrage Décider ça se travaille, Marine Balansard et Marine de
Cherisey relient nos freins à trois éléments principaux 17 :
le passage à l’action et par là même la prise de responsabilité ;
l’incertitude, le flou face à ce qui va pouvoir arriver ;
l’engagement, le renoncement aux autres options. C’est une sorte
de deuil.

Repérer à quel élément se rattachent nos freins est une première piste
pour avancer.

Apprendre à décider sans avoir tous les éléments à disposition

Notre cerveau veut s’économiser et recherche donc des univers connus.


En privilégiant des environnements moins hasardeux, je renonce
potentiellement à des opportunités. En cela, la pratique du théâtre
d’improvisation autour des émotions est une excellente méthode pour
accueillir les événements imprévus. C’est la posture du « oui »,
l’ouverture à ce qui peut arriver, non prévu à l’origine.

GRAINES DE CONNAISSANCES

Une décision rapide : l’amerissage sur l’Hudson


Souvenons-nous de la décision du capitaine Sully Sullenberger d’amerrir sur l’Hudson,
lorsque, avec son copilote Jeff Skiles, ils perdent deux moteurs de leur Airbus A320. Nous
sommes le 15 janvier 2009, l’incident arrive après un violent choc avec des oies sauvages,
à peine deux minutes après le décollage de l’aéroport de LaGuardia, à New York.
Le professeur Laurent Bibard 18 décrypte la prise de décision exemplaire, actée en 208
secondes, et revient sur l’incertitude, l’intuition, la prise de distance avec le connu, ainsi que
l’association du copilote à la décision. Il introduit également un élément fondamental :
l’importance de percevoir la décision, non pas comme une finalité, mais comme un
engagement de moyen. Le pilote a toujours dit qu’il s’était donné l’objectif de faire du mieux
possible et non pas de réussir. Et c’est ce qui lui a permis de prendre cette décision qui a
sauvé les 155 passagers et membres d’équipage.
Au regard de l’analyse de ce cas, Laurent Bibard nous donne trois conseils pour optimiser
nos prises de décision :
Réfléchir en permanence à l’urgence, pour toujours se maintenir en capacité de prise
de recul.
S’exercer à concevoir ce que pourrait être quelque chose d’inhabituel, pour mieux
faire face à l’inhabituel quand il se présente.
Cultiver son agilité pour mieux improviser et « jouer entre le connu et l’inconnu ».
Se préparer à ne pas être préparé : développer son agilité
mentale

L’agilité consiste à s’adapter aux changements de situation et à ne pas


rester bloqué sur sa première idée en fonction des nouveaux éléments.
Pour cela, il convient de garder à l’esprit un principe fondamental : « Une
idée n’est qu’une idée, elle n’est pas votre identité. » Cette notion permet
de ne pas impliquer son ego, de se détacher plus facilement de nos
réactions émotionnelles de crainte ou de rejet et de ne pas se bloquer
sur sa première impression, tout en gardant à l’esprit son objectif final et
le sens de son action. Elle permet notamment de ne pas s’attarder sur
une émotion de déception, de surprise ou de tristesse, mais de prendre
en compte le message envoyé par l’émotion, pour décider de la
prochaine étape. Cette prise de distance nourrit l’agilité et permet les
adaptations. Nous nous ajustons aux changements d’environnements et
les décisions ne sont pas figées, elles vivent dans le temps.
« Développez humilité et vigilance […] Préparez vos décisions comme si
vous aviez le plein contrôle et restez connecté au réel pour ajuster
comme si vous n’aviez rien préparé 19 . » L’un des écueils de la décision
consiste à se croire infaillible car parfaitement préparé.

Les outils d’aide à la décision collective

Certains outils sont d’une grande utilité pour trouver une direction. Par
ailleurs une grande partie du travail de coaching consiste à aider les
personnes à prendre une décision, à regarder leur sujet sous un autre
prisme, avec d’autres lunettes. Citons ci-après quelques méthodologies
qui peuvent être utiles à la prise de décision collective.

Matrice d’Eisenhower (méthode individuelle et/ou collective)


Conçue par Eisenhower, alors chef d’état-major général des forces
armées des États-Unis, c’est un outil d’analyse extrêmement prisé en
entreprise et qui connaît un franc succès. Dans une gestion du temps
efficace, il permet de classer les tâches à faire en fonction de leur
urgence ou de leur importance. La matrice permet ainsi de prendre les
bonnes décisions d’actions immédiates ou différées.
Matrice d’Eisenhower

« Plus une seule de mes journées ne commence sans que je me


trace rapidement la matrice urgent/important sur une feuille avec
mes activités de la journée. Dans le sentiment d’urgence
permanente qui est le mien au quotidien, cela me permet d’y voir un
peu plus clair, d’optimiser mon temps et de prendre les bonnes
décisions. »
Lucie, gestionnaire de projets immobiliers

Cette matrice est un cadre utile pour sélectionner les tâches à privilégier,
à reporter, à déléguer ou à abandonner. Elle permet aussi de visualiser
les « tâches plaisir », ni urgentes, ni importantes, mais qui procurent un
petit moment de coupure et de satisfaction dans une journée difficile.

L’analyse SWOT (méthode individuelle et/ou collective)

La matrice SWOT est un outil de stratégie qui vise à déterminer les


options dans un domaine d’activité. Elle aide à préciser les objectifs et à
identifier les facteurs internes et externes, favorables ou défavorables, à
leur réalisation. Le mot SWOT vient de l’anglais : Strengths (forces),
Weaknesses (faiblesses), Opportunities (opportunités), Threats
(menaces).

Points d’appui Vigilance

Origine interne (organisationnelle) Forces Faiblesses

Origine externe (environnementale) Opportunités Menaces

Matrice SWOT

Méthode Philips 6.6 (méthode collective)

Elle permet de structurer les échanges, d’organiser un travail collectif, en


vue de prendre une décision. Elle consiste à diviser un grand groupe en
groupes de six personnes, qui échangent sur le sujet pendant six
minutes. Elle favorise ainsi la participation de tous. Au terme des six
minutes, un porte-parole par groupe est chargé de partager les résultats
de son sous-groupe. Cette méthode peut être itérative.

Les rôles délégués (méthode collective)

Les rôles délégués ne constituent pas à proprement parler une méthode


de prise de décision et, pourtant, ils donnent un éclairage intéressant qui
peut y contribuer. Utilisés généralement pour dynamiser une réunion, ils
consistent à donner des rôles différents à chacun à tour de rôle. Ces
rôles se dessinent en fonction des besoins, mais on peut imaginer par
exemple avoir :
un gardien du temps, qui cadre et cadence le rythme des échanges ;
un agitateur d’idées, qui remet en cause, questionne et prend une
posture innovante et audacieuse ;
un catalyseur de solutions, qui va aider le groupe à avancer en
formalisant les décisions prises au fil de l’eau ;
un coach de la séance qui donnera des « feedforward » individuels
pour permettre au collectif de progresser. Un feedforward reprend le
principe du feedback, en se tournant, non pas vers le passé, mais
vers l’avenir : la prochaine fois, je t’invite à… ; une autre option pour
toi serait de…

Le célèbre conférencier Zig Ziglar disait que la pire décision de toutes


était celle que l’on n’avait pas prise. Pour avancer dans la réflexion, le
coaching, et particulièrement l’approche systémique, offre une large
palette d’outils. L’un d’eux est la projection dans le futur :
Dans dix ans, quand je parlerai de cette époque à mes enfants,
qu’est-ce que je leur dirai ?
Si je prends la décision A et que j’y repense cinq ans plus tard et en
discute avec un ami lors d’un week-end entre copains, qu’est-ce que
je pourrais en dire ?

ÉVEILLEZ VOS TALENTS…

Prenez une décision dans votre vie de tous les jours


Face à une décision du quotidien, posez-vous les bonnes questions :
Quel est votre état émotionnel ?
Quelles sont vos peurs, angoisses, hostilité, culpabilité, ressentiment,
démotivation, frustrations, exaltations… ?
Quelle est l’intensité de votre émotion ?
Est-elle compatible avec une prise de décision sereine ?
Quels sont vos signaux corporels ?
Si vous estimez être dans un état suffisamment serein pour écouter vos
intuitions, quel est votre ressenti profond ?
Faut-il le suivre ?
Est-il en lien avec vos aspirations et vos valeurs, celles qui vous motivent ?
N’êtes-vous pas entraîné par une crainte ou une autre émotion masquée ?
Devez-vous utiliser les outils d’aide à la décision ?

Prenez une décision stratégique


Devant un choix plus stratégique, qui implique le long terme, posez-vous les mêmes
questions que précédemment.
Prenez également le temps de connaître votre personnalité et les influences de
votre parcours de vie :
En cas de tendance à l’impulsivité, l’hypersensibilité, l’anxiété, apprenez à
mettre à distance vos jugements émotionnels : temporisez, raisonnez,
approfondissez, prenez un avis extérieur, apprenez à réguler vos émotions…
En cas de tendance à la rationalisation excessive, apprenez à ressentir les
émotions, les messages corporels et laissez parler votre intuition avant de
décider. Apprenez à sortir des raisonnements, à prendre de la distance ;
pratiquez la relaxation…

Dans les deux cas, immergez-vous dans chacune des options, prenez des avis
pertinents et acceptez les inconvénients de chaque alternative.

À IMPRIMER DANS VOS NEURONES

Chaque décision est une combinaison complexe de rationalité et d’intuition.


Notre intuition est le mode de fonctionnement par défaut. Il est le plus souvent suffisant
pour prendre les décisions quotidiennes, mais est soumis à nos émotions et parfois aux
biais cognitifs qui nous influencent. De plus, l’intuition fonctionne moins bien dans des
contextes peu connus.
Notre rationalité intervient lorsqu’un automatisme intuitif est insuffisant, elle contribue à
diminuer les effets négatifs de l’intuition mais reste également soumise aux biais dans une
moindre mesure. Il faut donc manier nos deux systèmes de manière fine pour savoir
reconnaître les situations qui impliquent d’élaborer sa pensée avec logique, et passer nos
intuitions au filtre de l’esprit critique, ce qui naturellement demande un effort
supplémentaire.
La prise de décision comporte plusieurs volets :
une part intuitive, grandement dépendante de notre environnement émotionnel, mais
également enrichie par nos expériences passées. Ces influences sont le plus souvent
utiles, mais peuvent aussi favoriser des imprécisions préjudiciables à travers les biais
cognitifs. L’intelligence émotionnelle permet d’apprécier notre état mental et d’évaluer
s’il est favorable ou pas à l’acceptation de cette intuition par notre pensée critique ;
une part rationnelle (partiellement sous l’effet des émotions, mais sous contrôle de
notre esprit critique). Cette démarche s’enrichit des expériences et apprentissages et
de la confrontation avec l’expérience de son entourage. Elle pourra aussi bénéficier
de l’analyse consciente de nos tendances personnelles connues.
Cette dimension rationnelle peut être complétée par une méthodologie appliquant les
outils d’aide à la décision. Ces outils permettent de prendre un peu de distance avec
nos habitudes de pensée. Ils restent cependant une aide et ne se substituent pas à la
confrontation de nos intuitions et analyses ;
une part sociale prenant appui sur les visions complémentaires de personnes
compétentes ou influentes. La diversité de points de vue et de compétences enrichit
notre décision.

En résumé, pour une prise de décision efficace, il est nécessaire de :


cultiver son intelligence émotionnelle : savoir identifier, comprendre, réguler, et utiliser
ses émotions ;
savoir naviguer entre raisonnement et intuition quand nous le choisissons ;
éviter de penser que tout est affaire de logique et d’intelligence ;
ne pas croire qu’il faut toujours se fier à ses émotions et à son intuition.

« Des pensées sans matière sont vides ; des intuitions sans


concepts sont aveugles. Aussi est-il tout aussi nécessaire de
rendre sensibles les concepts, que de rendre intelligibles les
intuitions. Ces deux facultés ou capacités ne sauraient non plus
échanger leurs fonctions. L’entendement ne peut rien percevoir,
ni les sens rien penser. La connaissance ne peut résulter que de
leur union. »
Emmanuel Kant, Critique de la raison pure

1. 1 er baromètre de la décision – IFOP MPI Executive 2018.


2. Voir Balansard M. et Cherisey (de) M., Décider, ça se travaille ! , Eyrolles, 2019.
3. Kahneman D., Thinking Fast and Slow , Penguin, 2011.
4. Lieberman M. D. et al. , « Evidence-based and intuition-based self-knowledge, an fMRI
study ». Psychological Bulletin , 126(1), 2004, 109-137.
5. Exercice de psychologie, adapté du test de Stroop utilisé en psychologie. Il est inspiré de D.
Kahneman, Système 1, Système 2 – Les 2 vitesses de la pensée , Flammarion, 2012.
6. Exemple tiré de l’ouvrage Système 1, système 2, op. cit.
7. Kahneman D. et Tversky A., « Prospect theory: Ananalysis of decision under risk »,
Econometrica , 47, 1979, 263-291.
8. Les personnes intéressées par une liste plus détaillée des nombreux biais connus peuvent
consulter le site https://associationslibres.wordpress.com/2016/10/14/petit-guide-exhaustif-
des-biais-cognitifs/ ou se plonger dans l’analyse des biais les plus fréquents, à travers
l’ouvrage de référence de Daniel Kahneman Système 1, Système 2… , op. cit .
9. Cass Sunstein et Richard Thaler, prix Nobel d’économie en 2017, ont récemment publié un
ouvrage intéressant sur le sujet : Nudge : émotions, habitudes, comportements : comment
inspirer les bonnes décisions , Vuibert, 2017.
10. « Des exemples de “nudges” qui ont fait leurs preuves », Le Parisien , 12 avril 2016 (
http://www.leparisien.fr/espace-premium/oise-60/des-exemples-de-nudges-qui-ont-fait-leurs-
preuves-12-04-2016-5706295.php ).
11. Balansard M. et Cherisey (de) M., Décider, ça se travaille ! , op. cit .
12. Bechara A. et Damasio A. « The somatic marker hypothesis : A neural theory of economic
decision », Games and Economic Behavior , 52, 2005, 336-372.
13. En français : « Ne jamais se justifier, ne jamais se plaindre. »
14. Sallinen M., « Recovery of cognitive performance from sleep debt : do a short rest pause
and a single recovery night help ? », Chronobiol Int. , 25(2), 2008, 279-296.
15. Ruggiero J.S. et Redeker N.S., « Effects of napping on sleepiness and sleep-related
performance deficits in night-shift workers : a systematic review », Biol Res Nurs , 16(2),
2014, 134-142.
16. Harvard Business Review France , 10 mars 2016 (
https://www.hbrfrance.fr/magazine/2016/03/10022-leaders-devenez-des-architectes-
decisionnels/ ).
17. Balansard M. et Cherisey (de) M., Décider, ça se travaille ! , op. cit .
18. Professeur titulaire de la chaire Edgar-Morin de la complexité à l’ESSEC. « Conseil de
Décideurs : Décider comme le capitaine Sully, avec Laurent Bibard » (
https://www.youtube.com/watch?v=b-uMNUIRUbI&t=1572s ).
19. Balansard M. et Cherisey (de) M., Décider, ça se travaille !, op. cit .
CHAPITRE 3
MOTIVER ET SUSCITER
L’ENGAGEMENT

« Si tu veux construire un bateau, ne rassemble pas tes


hommes et femmes pour leur donner des ordres, pour expliquer
chaque détail, pour leur dire où trouver chaque chose… Si tu
veux construire un bateau, fais naître dans le cœur de tes

hommes et femmes le désir de la mer. »


Inspiré d’un texte de Citadelle , Antoine de Saint-Exupéry

our nous mettre en action, sortir de notre lit ou réussir notre


P carrière, nous savons obéir aux obligations externes, les contraintes
de la vie, la nécessité d’assurer les fins de mois. Nous pouvons
aussi nous appuyer sur nos rêves de réussite sociale, de richesse ou sur
nos envies du moment. La carotte ou le bâton. Pour assurer ces
objectifs, il est possible de nous appuyer sur l’intelligence rationnelle et
sur notre volonté d’aller de l’avant. Mais il existe des sources de
motivations plus puissantes, car plus durables : celles qui nous touchent,
qui font appel à nos émotions positives, celles qui viennent de nous.

QU’EST-CE QUE LA MOTIVATION ?


La question principale est : « Que voulez-vous le plus ? » Elle peut
paraître simpliste, pourtant la réponse reste très souvent floue. Nous
avons tendance à éluder, à nous mentir. Il est beaucoup plus difficile de
se connaître qu’il n’y paraît, nos objectifs sont parfois influencés par des
facteurs matériels transitoires ou des normes culturelles.

Après avoir déterminé ce que vous voulez, votre énergie sera mobilisée,
votre attention sera plus concentrée sur la question, les solutions à vos
problèmes et à vos craintes apparaîtront plus clairement et simplement.
Face aux difficultés permanentes de la vie professionnelle, mais aussi
aux incertitudes grandissantes, aux échecs, à l’accélération exponentielle
des rythmes et des amoncellements d’informations, il faut une motivation
d’acier pour tenir bon. Découvrir ses propres centres de motivation
interne est une force, une source d’efficacité, de persévérance, de
résilience et de bien-être. Obéir à ses forces intérieures rend les
obstacles moins hauts et efface nos doutes. Les difficultés deviennent
alors moins pesantes.
Les contraintes extérieures et la recherche de satisfactions matérielles
ne sont pas les seules sources de motivation. La motivation intrinsèque
est plus robuste, plus durable. Lors d’une journée de travail type, il est
probable que l’accumulation des difficultés, tensions, inquiétudes,
fatigues et autres désagréments, dépasse les périodes de bien-être. Si
nous devions nous arrêter à ce décompte, la vie professionnelle ne serait
qu’un long chemin de croix ! Pourtant, de nombreux professionnels
trouvent une satisfaction d’accomplissement malgré ces enchaînements
de difficultés : ils sont motivés par un projet global, trouvent un sens à
leur vie professionnelle dans l’accomplissement d’un objectif ou
l’engagement dans des valeurs qui leurs sont propres, véritables moteurs
internes.
Se retrouver balloté par des tensions incessantes ou être animé par une
force intérieure sont des choix personnels, c’est le sens que l’on donne et
les valeurs que l’on se choisit qui font la différence.
Il a été montré que, lorsque nos choix ne sont pas imposés mais
autodéterminés, ils améliorent réellement les performances et le bien-
être. La découverte et la culture de nos potentiels insoupçonnés sont
autant de moteurs bénéfiques dans nos projets de vie.

Pour définir ce qu’est une motivation en entreprise, l’étymologie nous


éclaire. Le mot vient du latin motivus qui veut dire mobile et de movere .
En ancien français, cela signifiait « ce qui met en mouvement ». La
motivation intrinsèque est bien un moteur intérieur qui nous donne de
l’énergie. Appliquée au monde du travail, c’est une dynamique
individuelle, personnelle, quasi intime. On ne motive pas quelqu’un. En
revanche, l’entreprise, le manager et l’organisation peuvent proposer un
terrain favorable au développement des motivations. Un environnement
approprié peut ainsi permettre aux différentes motivations de se
développer. Ainsi, l’identification de ce qui incite un collaborateur à se
mettre en mouvement est une donnée-clé. Cette identification des
moteurs de chacun peut également permettre de veiller à ne pas
démotiver les autres, même sans en avoir l’intention.

DISTINGUER LES MOTIVATIONS EXTERNES


DES MOTIVATIONS INTERNES

Les motivations externes : indispensables mais fragiles

Aux origines, subvenir à ses besoins était la première des motivations.


Chez l’humain, cette notion est complétée par un intense réseau de
besoins culturels et sociaux, ceux que nous nous créons dans notre vie
relationnelle. Dans notre cerveau, les réseaux du désir, du plaisir et de la
récompense ou, à l’inverse, les mécanismes émotionnels de la peur et
de l’aversion, sont de puissants motivateurs. Ils fonctionnent de façon
automatique, à l’insu de notre conscience, mais peuvent heureusement
être contrôlés a posteriori par notre analyse consciente. Ces
mécanismes vont se renforcer avec l’expérience : les résultats positifs
vont entraîner un renforcement de la récompense, expliquant la mise en
place d’habitudes, voire d’addictions. Si vous remarquez qu’une stratégie
fonctionne bien, vous aurez naturellement tendance à la reproduire. Les
résultats négatifs provoqueront des comportements d’évitement, pouvant
parfois déborder vers des phobies ou des troubles anxieux.

Il serait aisé de croire que les renforcements professionnels positifs les


plus souhaités sont les primes ou augmentations de salaires. Les
motivations externes positives d’ordre matériel sont logiquement très
recherchées, mais leurs avantages sont très surestimés : une multitude
d’études mesurant leurs effets bénéfiques ne les estiment pas au-dessus
de quelques mois. Par exemple, l’effet d’une promotion se chiffre en
semaines, pas en années 1 . Et effectivement, la motivation par le salaire
permet d’améliorer ses conditions de vie et son bien-être subjectif, mais
jusqu’à un certain niveau. Au-delà d’un certain seuil (une rémunération
annuelle de 40 000 à 75 000 dollars selon certaines études anglo-
saxonnes), une augmentation de salaire n’aura pas l’effet attendu et le
bien-être immédiat aura tendance à plafonner 2 . Une trop faible
rémunération génère de nombreux inconforts, mais une forte
rémunération n’apporte pas de bien-être subjectif supplémentaire.
Certains marqueurs tels que la santé, la qualité relationnelle ou la qualité
des soins seront plus influents. Bien entendu, la satisfaction de vie
globale sera plus élevée en cas de fort salaire, mais d’autres facteurs liés
à la réussite personnelle interviennent et le seul aspect financier est
insuffisant : chez les personnes qui privilégient la recherche de biens
matériels et financiers (ce qui qualifie le matérialisme), la satisfaction de
vie est altérée, tout particulièrement dans les domaines de la vie sociale
et familiale 3 . Fréquenter des hôtels de luxe ou posséder une belle
voiture est certes très agréable mais les recherches montrent que cela
n’améliore pas longtemps le bien-être subjectif. Un tel mode de vie peut
améliorer la satisfaction de vie globale, mais d’autres moteurs de réussite
personnelle seront plus actifs que l’accumulation de biens matériels.
Les renforcements négatifs correspondent, quant à eux, aux contraintes
et aux risques d’événements négatifs : échecs, mises à l’écart, difficultés
financières ou, au maximum, faillites et licenciements. L’anticipation de
ces risques active les réseaux émotionnels de la peur et de l’aversion.
L’évitement de ces risques constitue ainsi une motivation négative
puissante. Ces inquiétudes et contraintes sont bien sûr très efficaces
pour nous pousser à agir, mais elles sont aussi particulièrement
stressantes. Elles s’imposent d’elles-mêmes et n’ont nul besoin d’être
cultivées.

Les contraintes externes et les satisfactions matérielles sont donc


insuffisantes pour bâtir une motivation robuste. Nous devons faire appel
à nos potentiels personnels, qu’on appelle les « motivations internes ».
Les motivations internes : durables et indépendantes de
l’adversité

Elles correspondent globalement à la réalisation de trois types de


besoins psychologiques fondamentaux (compétence, appartenance et
autonomie), selon le modèle d’Edward Deci et de Richard Ryan 4 ,
conforté par d’innombrables preuves expérimentales, d’études de terrain
ou de suivis sur plusieurs années :
compétence : besoin de progresser, maîtriser une connaissance ou
un geste, se dépasser, s’engager dans un projet ;
appartenance : relation à l’autre, besoin d’appartenir à un couple,
une famille, un cercle d’amis, une équipe, une entreprise, une
communauté, une nation ;
autonomie : pouvoir décider de ce qui est bon pour soi, sans
dépendre des conditions extérieures ou des autres. Dit autrement :
liberté de choisir ses actions.

Ces différentes motivations internes permettent de trouver du sens, un


engagement, voire un dépassement de soi. On pourrait également les
classifier selon les trois grandes fonctions :
cognition (apprendre, savoir) ;
émotions (aimer) ;
comportements (agir, faire, réaliser une œuvre, devenir libre).

… Ou encore plus simplement, selon les « savoirs », « savoir-être » et


« savoir-faire ». C’est ce qui nous touche et nous met en action !

Bien sûr, il existe autant de sources de motivations internes que


d’individus, ces trois besoins de base ne couvrent pas tous les possibles,
mais sont considérés comme essentiels à l’intégrité et au bien-être de
l’humain. L’accomplissement d’un de ces besoins donne du « sens » à
nos actions. En revanche, les moteurs habituels les plus cités (l’argent, le
pouvoir, la sexualité, les plaisirs matériels) sont parfois puissants, mais
dépendants des conditions extérieures de réussite ou d’échec. Ils sont
donc fragiles et transitoires, soumis aux montagnes russes de
l’existence. Ils présentent, de plus, un énorme inconvénient : cette
recherche est sans fin comme nous le montrent les neurosciences
cognitives et la physiologie des réseaux de récompense. Chaque
perception génère une nécessité d’accumulation permanente, un besoin
insatiable, une quête sans fin. Ils ne comblent pas durablement notre
envie d’aller de l’avant, alors que la recherche de sens à travers la
compétence, l’appartenance ou l’autonomie apporte des satisfactions
plus durables. Ces résultats sont issus d’observations scientifiques, ils ne
doivent pas être considérés comme des « leçons de vie », à prendre au
pied de la lettre, mais comme des éclairages sur les états d’esprit qui ont
le plus de chance de générer une motivation et une satisfaction durables.

Selon de nombreuses études 5 , le respect de ces motivations


autonomes est associé à une meilleure performance, plus de créativité,
de persévérance, d’émotions positives et une meilleure santé mentale.
C’est considérable ! Ces motivations améliorent également
l’apprentissage, la réussite scolaire 6 et les performances sportives.

D’autres modèles travaillant sur l’engagement et la motivation existent :


« l’engagement » de Martin Seligman 7 ;
le « flow » de Mihaly Csíkszentmihályi 8 ;
la très connue classification des besoins d’Abraham Maslow ;
le chapitre « motivation » de l’intelligence émotionnelle de Daniel
Goleman 9 ;
la théorie X et Y de Douglas McGregor ;
les théories de Victor Vroom ou de Frederick Herzberg…

Les abords sont différents, mais les notions de base sont souvent
communes. Et quels que soient les modèles, ils convergent vers la notion
de sens pour alimenter les motivations internes.
Les personnes les plus efficaces, et surtout les plus accomplies, sont
toutes habitées par des objectifs forts.

COMPRENDRE LES MÉCANISMES CÉRÉBRAUX


QUI VOUS POUSSENT À AGIR

Le réseau de récompense

Les réseaux cérébraux impliqués dans la motivation par le désir sont


parfois appelés « dopaminergiques » car ils font principalement intervenir
un neuromédiateur, la dopamine. Ils activent des structures profondes du
cerveau animal (tronc cérébral et noyaux de la base) et sont reliés à un
centre supérieur d’évaluation émotionnelle, le cortex préfrontal médian.
Ils sont communs aux mammifères. Leur activation constitue en quelque
sorte la « carotte ». Ce système de récompense est très puissant, à la
base de tous nos comportements. Mais il a néanmoins un défaut
important : il n’est jamais rassasié, il s’accoutume, il lui en faut toujours
plus, d’où de nombreuses frustrations et addictions. L’accoutumance est
à la fois une habitude à combattre et une source de difficulté ou d’échec,
si nous ne comprenons pas les mécanismes qui nous poussent à vouloir
toujours plus.

Nous sommes très nombreux à penser « je serai plus heureux quand… »


(… quand j’aurai le métier de mes rêves, quand je rencontrerai l’âme
sœur, quand j’aurai des enfants, quand je serai augmenté, quand je
n’aurai plus de crédit, quand j’aurai déménagé, quand je serai à la
retraite…). Ces événements nous rendent effectivement plus heureux,
mais pas aussi longtemps ni avec la puissance que nous pourrions
imaginer 10 . La lune de miel est de courte durée !
Le coupable est l’accoutumance, autrement dit, d’un point de vue
neurologique, l’épuisement du réseau de récompense. Un neurone
toujours stimulé par la même information cesse de transmettre son
signal ! Lorsque la stimulation est toujours la même (par exemple même
récompense, même salaire, même maison), ce réseau cesse d’émettre
et d’alimenter la perception émotionnelle positive de la situation, d’où
accoutumance et désintérêt.
D’un point de vue neurologique, la motivation est le résultat de l’équilibre
de plusieurs facteurs, sous-tendus par plusieurs réseaux :
Motivation =

(Besoins) * × (valeur d’amélioration attendue) **

évaluation de l’effort à fournir

* Besoin : physiologique, matériel, affectif ou cognitif


** Amélioration attendue : matérielle, affective, sociale, morale ou abstraite

La motivation sous l’angle neurologique

Si l’amélioration n’est pas conforme aux attentes, la motivation s’effondre


car le réseau de la récompense n’est pas comblé. Si l’effort à produire
est trop élevé, la motivation diminue.

Le réseau des émotions désagréables

Le réseau des émotions désagréables (principalement la peur) fait


intervenir d’autres structures profondes (entre autres, amygdale et
insula) : c’est la motivation par le bâton !
Éviter un licenciement, un reproche sur son travail ou un dépôt de bilan
sont de puissants motivateurs. Malheureusement, cela s’accompagne
d’un cortège d’émotions négatives et de ruminations douloureuses –
anxiété, angoisses, mal-être divers, épuisement physique ou mental et
biais d’appréciation : erreurs de jugement, dont l’origine sera ici la
déformation de la vision du monde, par la peur et l’anxiété.
Une autre émotion désagréable peut motiver à agir : la colère.

La comparaison aux autres, la perception d’une injustice, réelle ou


simplement ressentie, génère une motivation puissante. L’étude des
réseaux de neurones permet de comprendre cette habitude humaine
répandue : pour des raisons ergonomiques et énergétiques, il est plus
simple d’effectuer des comparaisons et des prédictions par rapport à
l’existant que de recréer une information complète en partant de zéro. Ce
mode de fonctionnement produit des comparaisons permanentes par
rapport à la situation antérieure, à une attente future, ou par rapport aux
situations comparables de notre entourage. Ces comparaisons sont une
source de frustration incessante qui altère notre bien-être et nous motive
au prix d’une insatisfaction durable.

Toujours plus

Le phénomène d’habituation explique notre tendance au « toujours


plus ». Chez l’être humain, les réseaux de récompense et de menace
sont sous le contrôle partiel d’une région située à l’avant de notre
cerveau (cortex préfrontal médian).

Cette région du cerveau est impliquée dans :


la flexibilité mentale ;
la planification ;
l’évaluation d’une situation ;
la régulation des émotions ;
la prise de décision : elle constitue une zone « chef d’orchestre » de
l’évaluation et de la décision.

Il est important de savoir que ce système de régulation et de motivation,


bien que fortement activé par les plaisirs immédiats, l’est encore plus par
les motivations internes, qui déterminent les meilleures performances 11 .
Ces stimulations intrinsèques obéissent aussi à la règle de l’habituation,
mais il est plus facile d’assouvir une attente en progressant dans une
pratique, en développant des compétences ou en multipliant les relations
de qualité, qu’en augmentant indéfiniment son niveau de revenus.

La loi du moindre effort

Comme nous l’avons déjà évoqué dans les chapitres précédents, notre
cerveau consomme un quart de notre énergie corporelle, alors qu’il ne
pèse que 2 % de notre poids. De manière logique, ces besoins
considérables lui imposent une recherche permanente d’économie de
moyen. Face à une motivation à agir, le cerveau évalue en permanence
la valeur d’une action face à l’économie de l’inaction. Il va mettre en
concurrence le bénéfice (la récompense attendue), avec l’évaluation de
l’effort à fournir.

L’évaluation du bénéfice implique le réseau de récompense et inclut le


cortex préfrontal médian. La mesure de l’effort correspond à l’activation
d’un autre réseau impliquant le cortex cingulaire et l’insula. Le bénéfice
d’une action entre en balance avec son coût. Le rapport des deux
détermine s’il faut s’engager dans l’action. Afin de dépasser le puissant
frein de l’économie d’énergie et du coût estimé, il importe de déterminer
des objectifs motivants et inspirants. À défaut, notre esprit sera
hypersensible aux arguments incitants à ne pas agir : manque de temps,
d’envie, complexité, préférence pour une habitude connue, incertitude,
crainte du changement… Nous sommes assez doués pour nous mentir à
nous-même. En l’absence d’une motivation forte, nos évaluations
instinctives nous poussent insensiblement vers la reprise des anciennes
habitudes. L’inconnu est inconsciemment évalué comme déplaisant ou
dangereux, le connu est rassurant, même s’il est pénible et insatisfaisant.

« Je suis dans une situation professionnelle qui ne me convient pas


du tout et ne me rend pas heureux. Pourtant, je trouve toutes les
excuses possibles pour ne pas en changer. Je me dis que la suite
pourrait encore être pire. »
Émilien, manager des opérations dans le retail

Le cœur prime la raison

En termes moins romantiques mais plus neurologiques, les émotions


structurent notre cerveau. Pour des raisons de survie, en période de
tension, elles sont prioritaires et plus profondes que la pensée consciente
apparue beaucoup plus tard dans l’évolution du cerveau humain. Elles
sont à l’origine de nos pensées, de nos jugements, et les dirigent. Cette
prédominance se retrouve en imagerie cérébrale : les prises de décision
font intervenir de larges régions impliquées dans l’évaluation
émotionnelle d’une situation. Pour une motivation efficace et durable, il
faut savoir induire des émotions positives, y compris, et surtout, au
travail. Le plaisir est fondamental. Il faut créer du désir et du plaisir à
s’impliquer !
« Je fais des horaires à rallonge, mais avec un tel plaisir que tout
paraît acceptable. Parfois, je me dis que mon employeur a vraiment
de la chance que je fonctionne tant au plaisir. Et puis en même
temps, il sait me donner des défis qui vont m’épanouir. Alors même
si ça me demande beaucoup, ça me booste en énergie
également ! »
Gaël, chef de partie dans un restaurant étoilé

Ce plaisir se traduit à plusieurs niveaux : à court terme, dans l’instant


immédiat, en favorisant les petites satisfactions : savoir repérer le positif
dans toute situation, cultiver les petits plaisirs quotidiens au travail, savoir
créer un excédent de moments agréables par rapport aux moments
déplaisants. À long terme, en favorisant les points de vue inspirants et en
identifiant les sources de motivation internes. Un simple changement de
vision peut nous aider : les plus entreprenants et les plus ouverts savent
transformer les difficultés en défis, ce qui présente le double avantage de
stimuler leur motivation à devenir plus compétent, plus performant, et de
mettre à distance leurs pensées toxiques et autres croyances limitantes.

En développement personnel ou en formation managériale, le travail


autour de la notion de plaisir est essentiel :
Qu’est-ce qui nous a fait plaisir dans la journée ?
Qu’est-ce qui a été source de déplaisir ?

Savoir verbaliser ses plaisirs et déplaisirs est source de richesse. Aider


les collaborateurs à les énoncer en ritualisant la pratique, de manière
hebdomadaire, mensuelle ou pourquoi pas journalière lorsque cela s’y
prête est une pratique managériale puissante.

Accessoirement, c’est un rituel qui peut se pratiquer à la maison, à la


table du dîner par exemple, ou avant le coucher des enfants.

POUR DURER, DÉTERMINER VOS


MOTIVATIONS INTRINSÈQUES
Ces besoins fondamentaux sont de formidables générateurs d’énergie.
Prendre conscience d’une motivation intérieure est une force à la fois
entraînante et apaisante. Nous savons pourquoi nous agissons et cela
nous plaît !

Les sentiments d’autonomie, de compétence et d’appartenance sont à


l’origine d’effets positifs en boucle. Imaginez une occupation que vous
aimez, une activité professionnelle que vous maîtrisez, ou toute autre
action qui vous plaît : la motivation entraîne une implication plus intense,
d’où une efficacité accrue et un sentiment de progression ou de
satisfaction, ce qui amorce la boucle vertueuse en produisant une
nouvelle motivation à agir.
Les deux niveaux de bien-être sont améliorés : le plaisir immédiat et
l’accomplissement de soi.
Le cercle vertueux de l’implication

Que désirez-vous plus que tout ? Quelles sont les motivations qui vous
donnent la force d’affronter les difficultés ? En coaching, il existe une
question clé qui consiste à demander au client ce qu’il souhaite vraiment
. Souvent, le questionnement sur nos souhaits profonds n’est pas si
évident car il n’est pas directement accessible. Nous nous limitons nous-
même par une multitude de facteurs bloquants : pas le temps, pas la
possibilité, pas l’autorisation, pas les moyens… C’est ce que l’on appelle
les croyances autolimitantes.
Il nous appartient de nous poser les bonnes questions, de trouver le bon
moteur interne et de nous le rappeler à chaque envie d’abandonner nos
résolutions exigeantes. Jean-Paul Sartre disait en ce sens que
l’important n’est pas ce qu’on a fait de soi ; « mais ce que je fais moi-
même de ce qu’on a fait de moi ».

La singularité de chaque expérience ne nous permet pas de donner une


directive qui serait applicable à tous. Il appartient donc à chacun de
déterminer la ou les motivations les plus impliquantes pour lui-même,
celles qui seraient susceptibles de mobiliser toutes ses forces.

ÉVEILLEZ VOS TALENTS…

Déterminez vos motivations


Pour déterminer vos motivations personnelles, nous vous invitons à utiliser le
tableau ci-après qui vous donnera quelques pistes de motivations fréquentes, des
plus focalisées aux plus abstraites (liste non exhaustive) en partant des trois
catégories de motivations intrinsèques : compétence, appartenance et autonomie,
plus le sens qui relie les trois autres.

Compétence Dépassement de
Appartenance Autonomie
Progression soi et sens

Relever un défi Couple Gagner en liberté de Transmettre des


personnel choix savoirs

Développer une Famille, famille Progresser dans la Accomplir une


compétence élargie, clan hiérarchie mission collective
Développer des Équipe Subvenir à ses Contribuer à
savoirs besoins améliorer le monde

S’engager dans un Entreprise Se protéger de Prendre soin des


projet inspirant l’adversité prochaines
générations

Bâtir une entreprise Cultiver de belles Être unique, Rechercher un idéal


relations s’affirmer par la
création

Innover, créer Communauté Changer, se Faire progresser la


(quartier, village surprendre, faire ce connaissance
ville, nation) que l’on aime

Atteindre la sagesse Communauté Atteindre la sérénité Vie spirituelle


sociale (profession,
passion, croyances)

Une fois vos motivations principales précisées, déterminez les situations


personnelles et professionnelles les plus difficiles et imaginez comment
le recours aux motivations profondes peut les améliorer.

PASSER DE LA MOTIVATION À L’ENGAGEMENT


AU TRAVAIL

Pourquoi motivation ne rime pas forcément avec engagement ?

Souvent, les managers et le monde des organisations ne différencient


pas les notions de motivation et d’engagement. Les distinguer est
pourtant fondamental pour la performance. Je peux être très motivé par
ce que je fais, sans pour autant être engagé pour l’entreprise qui
m’emploie. Prenons l’exemple d’un acheteur dans un groupe pétrolier. Il
peut aimer la négociation, l’adrénaline des grandes transactions, la
technicité des actes d’achat. Il est motivé par son travail. Mais cela
n’implique pas qu’il ressente un engagement, un attachement émotionnel
à la structure dans laquelle il évolue.
« J’adore enseigner. Si cela ne me plaisait pas autant, je serais
partie depuis longtemps. Je ne m’entends pas du tout avec l’équipe
dirigeante de l’école et je ne m’en cache pas. La structure va à
l’encontre de mes valeurs les plus fondamentales. J’aspire
clairement à autre chose. En revanche, j’aime profondément mon
métier. Mes élèves me donnent beaucoup d’énergie et je suis
toujours très motivée pour enrichir mes connaissances et me
développer dans mon job. Mais que la directrice ne vienne pas me
demander quelque chose pour son école, elle trouverait porte
close ! »
Leïla, enseignante

« Mon métier, c’est de résoudre les problèmes de 7 heures à 15


heures. Les gens qui appellent la centrale ont la trouille. Le gaz, ça
fout les jetons. Alors quand j’arrive ils sont plutôt contents. C’est
valorisant. Mais si je n’ai pas terminé à 15 heures, je ne peux pas
planter le client encore inquiet qui me demande des précisions.
C’est une question d’amour du travail bien fait et de respect pour les
gens. J’adore mon métier. Mais je n’aime pas la manière dont on
nous demande de le faire aujourd’hui. »
David, technicien gaz

Leïla et David sont motivés par leur activité. Ils sont également engagés
pour leur emploi. Mais ils sont détachés de l’organisation dans laquelle ils
travaillent, dont ils ne partagent plus les valeurs et la vision du métier. Ils
n’ont pas confiance en leurs dirigeants et ne se reconnaissent pas dans
les ambitions et les valeurs proposées par leurs organisations
respectives.

La notion d’engagement se distingue donc de la motivation intrinsèque,


déterminée par des intérêts profonds, cumulés à une émotion du plaisir
et non forcément en lien avec l’organisation.

L’engagement au travail : de quoi parle-t-on ?

En France, la crise de l’engagement est tangible. Les constats chiffrés


sont alarmants : seuls 6 % des salariés se disent engagés ; 69 %
affirment faire leur travail sans engagement, quand 25 % évoquent une
vision négative de leur entreprise et se disent même susceptibles d’agir
contre ses intérêts. Les coûts du désengagement pour les entreprises
sont directs comme indirects : retards, absentéisme, erreurs,
nonchalance, négligence, lenteur, manque de collaboration, dissimulation
d’informations, critique de son organisation en externe… La satisfaction
des clients en pâtit par ricochet, de même que l’image de l’entreprise et
par là même les résultats économiques. Au contraire, quand
l’engagement est fort, des résultats très positifs sont observés sur la
performance collective 12 . Ces chiffres du désengagement sont
néanmoins à prendre avec précaution, car ils émanent principalement de
l’Institut Gallup qui, en parallèle de son activité de sondages, a
développé une activité lucrative d’accompagnement des entreprises sur
ces sujets. Les salariés français pourraient dès lors être moins
désengagés qu’on ne le pense 13 .

Mais avec plus de 150 définitions différentes de ce qu’est l’engagement,


il peut exister un flou sur ce que l’on mesure exactement. Cela renforce
d’autant plus la nécessité de travailler dès le départ sur ce que
l’engagement recouvre pour chaque organisation.

Anciennement et de manière très classique, on distinguait cinq grands


facteurs d’engagement :
La loyauté envers son organisation (engagement par rapport à son
organisation, à sa marque, à sa structure)

« Je suis très attachée à nos produits. Je ne me verrais pas du tout


aller chez le concurrent. De l’extérieur, on fait peut-être la même
chose, mais moi ce qui me plaît, c’est tout ce que nous véhiculons
en termes d’histoire, de valeurs. »

Le sens d’appartenance (engagement par rapport à son équipe, son


cercle social, son manager direct)

« Si mes collègues n’étaient pas là, j’aurais quitté l’enseigne depuis


longtemps. Mais nous formons une équipe, nous sommes solidaires.
Tout ce que je ne fais pas reporte la charge sur eux. Donc je
m’applique à le faire le mieux possible. »
L’alignement avec la stratégie (engagement vis-à-vis des dirigeants
et potentiellement de son manager direct)

« Je travaille pour mon chef. Je cherche à être le moins un souci


pour lui. Je veux progresser pour l’épater. Je suis entière, alignée.
Donc si j’ai un chef qui ne tient pas la route, je me désengage
complètement. Il doit m’impressionner par son expertise ou par son
humanité. Par les deux, c’est encore mieux. »

L’attachement à son travail (engagement par rapport à la valeur


travail)

« Peu importe où j’ai travaillé et avec qui, j’aime que mon travail soit
bien fait. Je me donne au maximum car au final, je travaille pour
moi. J’ai été élevé dans l’idée qu’il faut s’investir à fond parce qu’on
n’a rien sans rien. Mes parents me récitaient souvent la fable de
Jean de la Fontaine, “Le Laboureur et ses enfants”, qui disait :
“Travaillez, prenez de la peine […] Mais le père fut sage De leur
montrer, avant sa mort, Que le travail est un trésor”. »

Le sentiment de responsabilisation (c’est le fameux empowerment


anglo-saxon)

« Je travaille dans une TPE et dans mon équipe, je suis responsable


de mon client de A à Z. De sa satisfaction, de la revente, de la
fidélisation et du contrôle de la qualité de la prestation. C’est très
valorisant pour moi de me dire que j’ai un réel impact sur notre
chiffre d’affaires. »
Cinq facteurs classiques d’engagement

Les schémas classiques d’engagement qui impliquent un lien exclusif


auprès de son entreprise semblent aujourd’hui inadaptés à nos enjeux
futurs et à la psychologie sociale des nouveaux entrants sur le marché
du travail. L’engagement demande à être repensé à la lumière de nos
environnements en mutation afin que son évolution suive celle des
nouvelles organisations du travail, flexibles, matricielles, ouvertes. Dans
notre environnement si volatil, comment l’engagement pourrait-il être un
lien entre le collaborateur et son entreprise, si ce lien est susceptible un
tant soit peu d’entraver une liberté ?

Cette vision de l’attache mise en avant dans toutes les définitions de


l’engagement semble délicate à maintenir dans un univers globalisé,
instantané et concurrentiel, qui cherche à ouvrir davantage qu’à refermer.
Les éléments de mesure qui existent aujourd’hui font encore écho à un
espace étriqué, dans lequel le salarié serait attaché. Demain,
l’engagement devrait pouvoir rimer avec audace, imagination ou envie
d’entreprendre. Car la notion de plaisir reste souvent la grande absente
de nos environnements de travail, quand bien même elle est au cœur de
la problématique 14 .

Comment susciter l’engagement ?

Sur le plan individuel, la recherche permanente de récompenses par les


puissants réseaux dopaminergiques du désir explique la prédominance
des motivations émotionnelles à la base de l’engagement.
D’autres mécanismes sociaux basés sur l’empathie et sur les
mécanismes de reconnaissance sociale seront également d’efficaces
moteurs. Ils expliquent l’engagement pour le groupe, mais également la
réciprocité, la contagion émotionnelle, l’incitation à la coopération, la
confiance ou au contraire, la démotivation, l’ennui ou le désengagement.
La compréhension de ces mécanismes nous permet d’envisager les
pistes de renforcement de l’engagement. Ces sujets seront développés
également au chapitre 6 .

Au niveau de l’entreprise, il est conseillé aux dirigeants d’observer les


facteurs suivants pour favoriser l’engagement de leurs salariés.

Veiller à la réciprocité : l’engagement doit être bilatéral

Les organisations se sentent de plus en plus investies de la mission


d’engager leurs collaborateurs. Or le défi est que la responsabilité de
l’engagement doit être mutuelle et ne peut pas reposer que sur la volonté
de l’organisation. Un challenge quand on connaît la part émotionnelle
que chacun place dans son propre engagement. Les employés
dénoncent des principes de segmentation et de polyvalence, qui
favorisent la crainte d’être remplacés à tout moment. Comment, dès lors,
leur demander d’être loyaux et investis sur le long terme vis-à-vis de leur
organisation quand ils ne sentent pas la réciproque valable ? La crise de
l’engagement – si elle existe – serait alors bilatérale.
L’engagement souhaité par les collaborateurs va au-delà de la signature
d’un contrat. Les salariés sont en attente :
de conditions de travail favorables ;
d’une organisation qui rende possible leur épanouissement ;
de formations qui développent leur employabilité ;
d’un accompagnement managérial qui leur donne envie de
s’engager ;
de reconnaissance de leur travail accompli ;
de perspectives d’évolution…

Avec le temps, les salariés peuvent sentir que le contrat qu’ils pensaient
avoir passé avec leur entreprise n’est pas respecté, ce qui peut être
source de désengagement.

Favoriser l’implication des managers de proximité

Le manager de proximité a un rôle central dans l’engagement de chacun


de ses collaborateurs. Confiance mutuelle et qualité relationnelle sont
des leviers d’engagement forts. Et pour être engageant pour ses
équipes, le manager doit avant tout être lui-même engagé dans la
fonction d’encadrement. Or les managers ne sont pas tous arrivés dans
cette fonction de management par passion de l’humain. Si certains
apprécient le management, d’autres ne s’y épanouissent plus ou n’ont
même jamais souhaité manager des équipes. Dans les organisations
françaises, le rôle de manager est encore très souvent la seule façon
d’évoluer, d’accroître ses responsabilités ou d’améliorer son salaire.

Pour espérer engager : savoir avant tout se montrer exemplaire


La confiance réciproque entre un manager et son collaborateur est
source d’efficacité et de performances. Le manager exemplaire est
inspirant ; il montre la voie, développe les intelligences et engage dans
l’action les membres de son équipe. Il y a dix ans, les recherches sur
l’engagement montraient que les collaborateurs attendaient une vision et
espéraient un leader courageux, qui savait relever les challenges et les
risques.
Mais ces critères pour s’engager aux côtés d’un leader ont radicalement
évolué aujourd’hui. Le professeur Remi Finkelstein parle d’attentes
comme :
la ponctualité lors des rendez-vous fixés ;
la réactivité par rapport aux demandes qui leur sont faites ;
l’esprit d’équipe pour fédérer un collectif ;
la politesse et la sensibilité aux autres ;
la prise d’initiatives ;
le sens des responsabilités.

On attend d’un leader qu’il s’applique à lui-même ce qu’il attend de ses


équipes 15 . Quatre questions peuvent ainsi être posées pour vous
permettre de mieux cerner si votre manager est engageant :
Est-il constant et stable émotionnellement ?
A-t-il une posture attentionnée ? Prend-il soin des autres ?
Son intention dans son leadership est-elle positive ?

Tom Kolditz, professeur de leadership à Yale, rappelle la valeur de


l’intention dans le management au quotidien. La raison pour laquelle
vous voulez être leader détermine la puissance de votre leadership,
affirme Kolditz. Si le management n’est pas toujours un choix, le
leadership reste quant à lui une décision consciente et l’intention qui la
nourrit doit être positive pour engager les autres. L’engagement des
salariés sera d’autant plus fort que la relation avec le manager sera
collaborative. Pour instaurer une relation de confiance, la qualité et la
régularité des entretiens individuels sont centrales.

Dans son best-seller Multipliers , Liz Wiseman parle d’un leader


multiplicateur qui développe les intelligences autour de lui. Mais pour
elle, l’intention positive a ses limites 16 .
Elle décrit les « diminishers accidentels », qui diminuent
accidentellement, et distingue six types de profils de leaders qui, par leur
posture, sont amenés à diminuer les autres sans le vouloir, en ayant
malgré tout une intention positive :
le leader ayant toujours plein d’idées ;
le leader toujours en forme et plein d’énergie ;
le leader sauveteur qui vient à votre secours ;
le leader qui donne le rythme, toujours devant les autres ;
le leader qui répond rapidement ;
le leader toujours optimiste.
Son propos est de montrer que ces postures, en apparence positives,
peuvent renvoyer à l’autre une image négative de lui-même ou
d’infériorité, par rapport à un leader omniscient.

Encourager l’autonomie

En permettant à chacun de se développer selon ses souhaits et avec les


marges de manœuvre nécessaires, mais également de prendre des
responsabilités, l’organisation peut susciter un engagement fort.
Quelques organisations ont aujourd’hui fait le choix de donner une
complète autonomie pour implémenter un principe de subsidiarité, sur la
base d’un constat de bon sens, réaliste. « Quand je ne travaille pas sur
une machine, je ne peux pas décider de son réglage. » L’idée est que la
décision soit prise au plus près du terrain, que la personne la plus
compétente pour l’action soit en mesure de l’exécuter et aussi de prendre
les décisions qui la concernent. Le principe est de manager
l’environnement pour permettre aux gens de s’automanager. Celui qui a
la compétence décide, celui qui sait fait.

Il existe également d’autres pistes pour susciter l’engagement :


Adopter une organisation du travail responsabilisant et propice à
générer du bien-être au travail.
Communiquer de manière transparente et par le sens. Parler aux
émotions autant qu’aux intellects : l’engagement demande de se
concentrer non pas seulement sur le « quoi » ou le « comment »,
mais avant tout sur le « pourquoi ».
Faire grandir la confiance avec ses dirigeants et son management
de proximité : avant de s’engager auprès de son équipe, de son
organisation ou de ses clients, c’est d’abord auprès de son manager
de proximité que l’on s’engage. C’est avec la ligne managériale qu’il
faudrait co-construire, dans une approche globale, jusqu’aux
instances dirigeantes.
Permettre aux managers de prendre conscience de leurs propres
facteurs d’engagement : travailler à la prise de conscience de ce qui
engage ou n’engage pas afin de susciter une réflexion autour de ce
que je peux faire face à mes propres facteurs de désengagement.
Aider les managers à prendre conscience de l’importance de leur
rôle dans l’engagement de leurs collaborateurs.
Développer des actions accessibles et à fort impact : les recherches
autour de l’engagement montrent que donner de la visibilité, adopter
une communication transparente, des règles claires, ainsi qu’une
culture du feedback et de la responsabilisation sont des éléments
constitutifs de l’engagement des salariés. Viennent s’ajouter le
développement des compétences, la sensation d’être reconnu pour
ce que l’on est, la pratique du retour d’expérience collectif, la
célébration des succès et pourquoi pas des efforts dans les échecs
et par là même le développement du sentiment d’appartenance.

L’engagement et la génération Y
Pas une seule intervention autour du thème de l’engagement sans que la
question du rapport spécifique à l’engagement des « nouvelles »
générations soit posée. Cette génération Y 17 qui « fait le pari de faire
passer le pourquoi avant le comment, la flexibilité avant la sécurité,
l’exemplarité avant le statutaire, l’ambition de s’accomplir avant celle de
réussir et juge son épanouissement à travers ses yeux et non pas ceux
des autres 18 ». Ce que l’on attribue parfois à une perte d’engagement
serait alors plutôt une mutation de la représentation de l’engagement.
Sans évolution de la représentation des modalités de l’engagement et
des formes qu’il peut prendre, le risque est fort de se confronter à une
coquille vide, de faire face à une notion désincarnée auprès des
nouvelles générations.

ÉVEILLEZ VOS TALENTS…

Découvrez vos motivations intrinsèques


Répondez le plus spontanément possible :
« Dans la vie ce que j’aime, c’est… »
« Ce qui me procure du plaisir, c’est… »
« Qu’est-ce qui est le plus important pour moi ? »
« Qu’est-ce que ça m’apporte ? »

En cas de difficultés à préciser vos choix :


aidez-vous de la liste de motivations du tableau de la page 112 ;
appuyez-vous sur les « valeurs » subjectives ci-dessous, sur lesquelles nous
nous fondons de façon plus ou moins consciente et qui guident nos choix et
comportements.

La recherche du plaisir au travail est en France encore souvent assimilée


à l’intime et sa quête n’est pas toujours assumée. Dire à son employeur
que l’on se lève le matin pour prendre du plaisir reste encore tabou. Et
pourtant, savoir ce qui nous nourrit et nous fait plaisir contribue fortement
à notre épanouissement et par là même à notre engagement dans
l’action.

GRAINES DE CONNAISSANCES

Les dix-neuf valeurs universelles selon Schwartz


De nombreux travaux abordent le thème des valeurs. Parmi eux le modèle des valeurs de
Schwartz 19 est l’un des plus reconnus. Selon la « théorie des valeurs universelles », dix-
neuf items couvriraient la globalité des valeurs que l’on retrouve dans l’ensemble des
sociétés actuellement.
1. Autodétermination de la pensée : liberté de cultiver ses propres idées et capacités.
2. Autodétermination des actions : liberté de déterminer ses propres actions.
3. Stimulation : excitation, nouveauté et changement.
4. Hédonisme : plaisir et gratification sensuelle.
5. Réalisation : succès selon les normes sociales.
6. Pouvoir-dominance : pouvoir par l’exercice d’un contrôle sur les gens.
7. Pouvoir-ressources : pouvoir par le contrôle des ressources matérielles et sociales.
8. Image publique : sécurité et pouvoir en maintenant son image publique et en évitant
l’humiliation.
9. Sécurité-personnel : sécurité dans l’environnement immédiat.
10. Sécurité-société : sécurité et stabilité dans la société.
11. Tradition : maintenir et préserver les traditions culturelles, familiales ou religieuses.
12. Conformité-règles : respect des règles, lois et obligations formelles.
13. Conformité interpersonnelle : éviter de bouleverser ou de blesser les autres.
14. Humilité : reconnaître son insignifiance dans l’ensemble des choses.
15. Bienveillance-soins : prendre soin du bien-être des membres du groupe
d’appartenance.
16. Bienveillance-fiabilité : être un membre fiable et digne de confiance du groupe
d’appartenance.
17. Universalisme-préoccupation : engagement envers l’égalité, la justice et la protection
de tous.
18. Universalisme-nature : préservation de l’environnement naturel.
19. Universalisme-tolérance : acceptation et compréhension de ceux qui sont différents
de soi-même.

À IMPRIMER DANS VOS NEURONES

D’un point de vue personnel


Pour affronter les incertitudes, les contraintes et l’instabilité du monde professionnel, nous
avons besoin de motivations fortes. La peur de l’échec, la motivation par les satisfactions
matérielles ou par les contraintes sont puissantes, mais insuffisantes pour établir une action
à la fois durable et épanouissante. En revanche, nos forces intérieures seront mobilisées
par un ensemble d’attentes liées à des motivations internes :
AIMER (relation à l’autre, appartenance) : besoin d’appartenir à un couple, une
famille, une équipe, une entreprise, une communauté, une nation.
SAVOIR (compétence) : besoin de progresser, de maîtriser une tâche, une
connaissance ou un geste technique, se dépasser, s’engager dans un projet.
FAIRE (autonomie) : pouvoir décider de ce qui est bon pour soi, sans dépendre des
conditions extérieures ou des autres, autrement dit, être libre de choisir ses actions.

S’appuyer sur nos motivations internes nous rend plus persévérant, plus endurant, plus
efficace, plus fort et plus épanoui. Les tracas quotidiens, les petites préoccupations
matérielles, les ressentiments, les frustrations prennent une autre tournure quand nous les
comparons à nos objectifs fondamentaux !
Ne sous-estimons pas la force des motivations internes ; elles sont plus robustes et plus
tenaces que les envies matérielles ou les rêves de réussite sociale. La reconnaissance d’un
groupe, d’une communauté, le désir de se dépasser, la reconnaissance de ses
compétences et la défense de son autonomie sont des moteurs incomparables.
Du point de vue du salarié
Se rendre au travail en traînant les pieds n’est jamais enviable. Quels que soient les motifs
de mécontentement (stress, incertitude, pression des objectifs, ennui, démotivation,
mésentente), ils peuvent être mis en face de nos motivations profondes et d’une
connaissance de soi : pour qui vais-je avancer, pour quelle progression, pour quelle
autonomie ?
Du point de vue des dirigeants
Si vous attendez une obéissance aveugle et sans limites, la carotte et (surtout) le bâton
sont suffisants. Mais dans un univers concurrentiel et connecté, dans lequel les valeurs de
créativité et d’agilité mentale sont essentielles, l’implication, le bien-être et la motivation des
salariés dépassent les évidentes notions d’éthique et deviennent une nécessité.
Vérifiez que la culture d’entreprise et les procédures sont compatibles avec les besoins
motivationnels et donnent envie à toute l’équipe de se dépasser, d’être ensemble ou de
donner libre cours à des initiatives profitables à tous. Les collaborateurs sont aussi
importants à convaincre que les clients. Ils sont les ambassadeurs de l’ensemble de
l’entreprise.
L’engagement en bref
La notion d’engagement diffère de celle de motivation. Elle intègre une dimension
émotionnelle de lien avec l’organisation.
Les facettes de l’engagement sont multiples :
l’engagement envers la valeur travail, envers son métier ;
l’engagement envers son organisation ;
l’engagement envers son manager ;
l’engagement envers ses collègues de travail ;
l’impact de l’exemplarité se constate dans la durée (constance) ;
un collaborateur satisfait génère davantage de satisfaction chez ses clients ;
s’intéresser à ce qui se pratique dans d’autres organisations permet d’apporter de
l’oxygène dans ses propres pratiques ;
une relation de qualité implique une disponibilité, une écoute, du respect, de l’aide si
nécessaire et une reconnaissance du travail réalisé ;
la notion de soin de l’autre (care en anglais) permet la création de la confiance dans
une relation attentionnée et transparente ;
l’engagement dans un collectif suppose de situer le rôle de chacun dans un cadre
plus large, de donner du sens à l’action, une vision, une direction.

À condition de savoir mobiliser notre plaisir en face des efforts à fournir, tout en nous
alignant sur nos aspirations profondes capables de nous mettre en mouvement, nous
avons plus de pouvoir sur notre cerveau que nous ne l’imaginons.

« Entre le stimulus et la réponse, il y a un espace, dans cet


espace se trouve notre pouvoir de choisir notre réponse et dans
notre réponse se trouve notre croissance et notre liberté. »
Viktor Frankl, professeur autrichien de neurologie et de psychiatrie,
rescapé d’Auschwitz
1. Boswell W. R., Boudreau W. et Tichy J., « The relationship between employee job change
and job satisfaction: The honeymoon-hangover effect », The Journal of Applied Psychology ,
90, 2005, 882-892.
2. Kahneman D. et Deaton A., « High income improves evaluation of life but not emotional well-
being », Proc Natl Acad Sci USA , 107(38), 2010, 16489-16493.
3. Nickerson C., Schwarz N., Diener E. et Kahneman D., « Zeroing in on the dark side of the
American Dream: a closer look at the negative consequences of the goal for financial
success », Psychol Sci ., 14(6), 2003, 531-536.
4. Ryan R.M. et Deci E.L., « Self-Determination Theory and the facilitation of intrinsic
motivation, Social Development, and Well-Being », American Psychologist , 55(1), 2000, 68-
78.
5. Deci, E. L. et Ryan R.M., « The importance of universal psychological needs for
understanding motivation in the workplace » in M. Gagne, The Oxford handbook of work
engagement, motivation, and self-determination theory , Oxford University Press, 2014, 13-
32.
6. Early D.M., Berg J.K., Alicea S., Si Y., Aber J.L., Ryan, R.M. et Deci E.L., « The impact of
every classroom, every day on high school student achievement: Results from a school-
randomized trial », Journal of Research on Educational Effectiveness , 9(1), 2016, 3-29.
7. Seligman M.E.P., Steen T.A., Park N., Peterson C., « Positive psychology progress »,
American Psychologist , 60(5), 2005, 410-421.
8. Csíkszentmihályi M., Good Business: Leadership, Flow, and the Making of Meaning , Penguin
Books, 2003.
9. Goleman D., Emotional Intelligence: Why It Can Matter More Than IQ, Bantam Edition , 2006.
10. Layous K. et Lyubomirsky, S., « The how, why, what, when, and who of happiness:
Mechanisms underlying the success of positive activity interventions » in J. Gruber et J.
Moscowitz (dir.), The Light and Dark Side of Positive Emotions , Oxford University Press,
2012, 473-495.
11. Murayama K., Matsumoto M., Izuma K, Sugiura A., Ryan R.M., Deci E.L. et Matsumoto K.,
« How self-determined choice facilitates performance: A key role of the ventromedial
prefrontal cortex », Cerebral Cortex , 25, 2015, 1241-1251.
12. Bryson A., Forth J. et Stokes L., « Does Worker Wellbeing Affect Workplace Performance? »,
IZA , Discussion Paper No. 9096, 2015 ( https://ssrn.com/abstract=2655044 ) ; Delobbe N. et
al. , Bien-être au travail et performance de l’organisation , Center for Research in
Entrepreneurial Change & Innovative Strategies, 2009.
13. Voir Nicolas Arnaud et Thibaut Bardon, « Les salariés français sont moins désengagés qu’on
ne le dit », The Conservation , 29 mai 2019 ( https://theconversation.com/les-salaries-
francais-sont-moins-desengages-quon-ne-le-dit-117541 ).
14. Voir Joseph-Dailly E., « Et si la notion d’engagement était dépassée ? », Harvard Business
Review , 20 février 2019.
15. Finkelstein R., Wang L. et Didry A., « Comment l’Exemplarité Managériale favorise la
satisfaction des collaborateurs et l’engagement affectif au travail ? Un modèle de médiation-
modération dans un contexte de management proximal et virtuel », Intervention lors du
Congrès international de psychologie (ICP), Yokohama, Japon, juillet 2016.
16. Wiseman L., Multipliers: How the Best Leaders Make Everyone Smarter , Harper Business,
2010.
17. Cette génération est appelée Y ou Millenium. Les baby-boomers sont nés entre 1946 et
1965, la génération X, entre 1965 et 1980, la génération Y entre 1980 et le milieu/la fin des
années 1990.
18. Duez E., Positive Economy Forum, Le Havre, 2015 ( https://www.youtube.com/watch?
v=gkdvEg1kwnY ).
19. « Les dix-neuf valeurs (priorités) qui guident les choix et comportements, selon un modèle de
psychologie », Psychomédia, 2016 ( http://www.psychomedia.qc.ca/psychologie/2016-02-
04/19-valeurs-fondamentales-de-schwartz ).
CHAPITRE 4
TRAVAILLER VOTRE CAPACITÉ À
VOUS ADAPTER ET À CHANGER

« Ce n’est pas que les gens n’aiment pas changer,


c’est qu’ils n’aiment pas qu’on les change. »

Richard Teerlink,
CEO de Harley-Davidson de 1989 à 1997

es croyances liées à nos compétences sont importantes pour nous


L adapter aux changements divers. Les personnes persuadées que
toutes leurs capacités sont fixées depuis l’enfance ont des difficultés
à se lancer et à persévérer dans leurs apprentissages. Les changements
sont vécus comme des épreuves, la nouveauté représente pour elles un
risque d’échec. À l’inverse, celles qui pensent qu’il est toujours possible
de progresser et que nos résultats dépendent plus des efforts fournis que
de nos aptitudes innées acceptent les transformations, les difficultés, les
erreurs et sont plus réactives et plus résilientes après un échec. Les
études comportementales actuelles nous indiquent qu’une part non
négligeable de nos comportements est améliorable par des actions
volontaires et des apprentissages.
Cela conforte l’idée qu’il existe une marge de progression accessible à la
plupart des individus 1 . Les neurosciences nous indiquent par ailleurs
que notre cerveau est adaptable jusqu’à un âge avancé, grâce à ses
capacités de neuroplasticité.

DÉVELOPPER VOTRE APTITUDE À ACCUEILLIR


LE CHANGEMENT
Le mot « changement » s’accommode de toutes sortes de compléments :
changer de chemise, de vitesse, de domicile… Cela peut faire référence
à un changement superficiel, qui n’atteint que les apparences. Mais le
verbe « changer » peut aussi s’employer dans des expressions où seul le
sujet est concerné : « Il a énormément changé depuis l’an dernier », « Le
climat de la région a changé ». On parle alors de changement qui atteint
la nature de l’être, l’équilibre des rapports. Pour être exact, il faudrait au
moins deux mots pour distinguer ces deux sortes de changements.
Paul Watzlawick, de l’École de Palo Alto, propose de distinguer deux
types de changements :
le changement de type 1, qui prend place à l’intérieur d’un système
donné qui, lui, reste inchangé. L’exemple pris est celui de
convoyeurs de fonds attaqués par des voleurs. Pour y mettre fin, la
compagnie de transfert décide de renforcer les blindages des
camions et de raccourcir la distance pour le chargement des sacs
contenant l’argent ;
le changement de type 2 qui modifie le système. Nos mêmes
convoyeurs de fonds sont attaqués par des voleurs. Pour y mettre
fin, la compagnie de transport de fonds casse complètement le
schéma habituel de la voiture blindée et de l’armement pour
organiser une dématérialisation des billets ou un transport anonyme.
Ce type de changement peut impliquer des ruptures dans les
représentations, les valeurs, les règles du jeu, l’identité des
personnes, les limites de territoires, les rapports entre acteurs…

Comment définir alors ce qu’est un changement ?


C’est, avant tout, une remise en cause d’un existant, de manière
volontaire et/ou sous la contrainte. Le passage d’un existant connu vers
un futur promis, avec potentiellement une part de risque et d’aléas. En
effet, le monde dans lequel nous évoluons est toujours plus exigeant et
nous sommes en permanence bousculés. Avancées technologiques
envahissantes, rythmes tendus, acquisitions permanentes de savoirs,
législations contraignantes, précarités et incertitudes multiples,
informations pléthoriques, attentes élevées des collaborateurs, de leur
management et de leurs clients, devoir d’exemplarité… tous ces
éléments nous questionnent.

Face à cette avalanche de besoins, les compétences techniques restent


indispensables mais ne suffisent plus. Il devient nécessaire de maîtriser
les compétences comportementales adéquates pour s’adapter à ces
ruptures incessantes.

L’intelligence émotionnelle et la capacité à engager, déjà évoquées dans


les chapitres précédents, deviennent des atouts clés. La résistance au
stress, mais aussi l’adaptation au changement, l’agilité et la flexibilité
mentale, ont fait leur entrée dans les compétences décisives pour le
monde d’aujourd’hui, mais aussi de demain. Pourtant, ce que l’on a mis
au point, parfois laborieusement, et qui fonctionne bien, reste précieux.
Ce que l’on a appris au terme de lourds efforts est rassurant. Les
habitudes sont fortes et nous cherchons parfois à échapper à cette
remise en question qu’est la transformation professionnelle, quand bien
même cette dernière serait inéluctable.

« Dans ma génération, nous n’avions pas beaucoup de choix. Les


conditions matérielles étaient très difficiles, mais les conditions
psychologiques étaient, elles, beaucoup plus simples. Moi, je savais
que, si je travaillais, je deviendrais un homme libre (et que je serais
en sécurité et considéré). Donc, si j’étudiais, si j’apprenais, j’aurais la
totale sécurité (et liberté et considération). On ne peut plus dire ça
aujourd’hui. À l’époque où le travail apportait la certitude, on
acceptait l’ennui, la contrainte, on acceptait même la soumission à
une hiérarchie 2 . »
Boris Cyrulnik

Ainsi, il semble que les sociétés actuelles du monde développé soient


moins violentes et matériellement plus confortables ou sécurisées que
celles des générations précédentes. Mais elles sont aussi beaucoup plus
incertaines et plus exigeantes pour notre univers mental. Savoir
s’adapter au changement n’est pas une option, c’est un impératif
incontournable. Ce changement devient la norme et nous devons
abandonner l’idée que « ça a toujours bien fonctionné comme ça », pour
apprendre et nous renouveler en permanence. Avec la diffusion
numérique de l’information, l’époque verticale des élites du savoir laisse
place au monde plus horizontal des réseaux, des matrices et des
apprenants permanents. Alvin Toffler, sociologue, écrivain et futurologue
américain, disait à ce sujet que « les analphabètes du XXI e siècle ne
seront pas ceux qui ne savent ni lire ni écrire, mais ceux qui ne peuvent
pas apprendre, désapprendre et réapprendre ».

Comment alors s’adapter, absorber les chocs, tenir le rythme, sans se


brûler les ailes ?

Dans un premier temps, nous exposerons les principes de


fonctionnement des grandes fonctions cérébrales, celles qui poussent au
changement et celles qui nous freinent. Il sera alors possible de nous
appuyer sur les potentiels, en évitant de lutter inutilement contre les
fonctions naturelles qui s’imposent et contourner les freins accessibles à
notre conscience.
Puis nous aborderons les moyens de contourner nos freins mentaux, ces
mécanismes plus ou moins conscients qui nous font construire des
raisonnements de protection et d’immobilisme : les biais et distorsions
cognitives. Nous verrons comment dépasser nos réticences personnelles
et comment susciter le changement dans notre entourage.

Ensuite, nous explorerons la situation inverse : comment nous adapter à


un changement non souhaité, imposé par une hiérarchie, par des
contraintes extérieures ou par les épreuves de la vie.

COMPRENDRE LES BASES NEUROLOGIQUES


DU CHANGEMENT
Le changement, quand il s’opère, mélange souvent une dimension très
rationnelle et cartésienne à une dimension éminemment émotionnelle.
Se conjuguent alors la transformation du métier (processus de travail,
objectifs visés, indicateurs de succès, performances recherchées,
changements de systèmes d’information, de lieu de travail) et le ressenti
de chacun, les émotions, la représentation des collaborateurs, de leur
valeur ajoutée, les relations interpersonnelles, le sentiment de
communication et de coopération, la perception de la culture et des
valeurs…

Que se passe-t-il alors dans notre cerveau quand celui-ci refuse la


transformation du système ou même le changement de surface ?

Repérer les résistances au changement

Il existe de nombreux automatismes cérébraux qui nous influencent. La


plupart agissent en dehors du champ de notre conscience. Parmi eux, un
certain nombre vont nous pousser à nous opposer aux transformations,
pour nous maintenir dans le confort du statu quo .

L’économie d’énergie

« Le principe de la start-up, c’est l’itération. La période d’incubation


nous permet de passer de l’idée au projet et suppose que l’on teste
notre idée des milliers de fois. À chaque pitch, elle peut évoluer en
fonction des retours des auditeurs. Notre cerveau est mis à mal car il
ne peut s’économiser en énergie. Le changement, c’est la survie de
la start-up. À chaque nouveau levier de croissance, on se
réadapte. »
Adrien, fondateur d’une start-up
sur les services à la personne

Nous avons vu précédemment que l’économie d’énergie est un puissant


facteur d’inaction. Elle entrave la motivation et la conduite du
changement. Le cerveau consomme environ 20 % de l’énergie corporelle
totale, il doit donc gérer cette énorme dépense au plus près. Il évalue en
permanence les coûts d’une action ou de son évitement, avec une
préférence pour le statu quo , si l’action n’est pas indispensable.

La force des habitudes


« Pendant des années, former en présentiel (c’est-à-dire avec un
formateur de chair et d’os, présent physiquement et qui s’adressait à
un auditoire) a été le moyen privilégié pour développer une
compétence, technique ou comportementale. Mais de retour à leur
poste de travail, nos collaborateurs revenaient très vite à leurs
routines car l’habitude imposait sa loi. »
Charline, responsable Ressources humaines
dans l’industrie

La neuroplasticité nous aide à nous adapter mais, paradoxalement, elle


constitue aussi un obstacle : les connexions neuronales se renforcent
quand elles sont utilisées souvent, la force d’une habitude provient donc
de ces réseaux surexploités et surperformants. Face au frêle chemin
neuronal d’un nouveau comportement, l’autoroute des habitudes impose
sa loi. Le seul moyen d’implanter une modification consiste donc à
répéter encore et encore la nouvelle pratique, afin de développer ce
jeune chemin face aux puissants anciens. La persévérance devient une
indispensable alliée du changement.

Les automatismes intuitifs

« À travers ma carrière, j’ai mis en place plein de choses pour être


plus affirmée. C’est un sujet qui dépasse ma sphère professionnelle.
J’ai du mal à oser, de peur de froisser, pire, de blesser.
Rationnellement, je sais que mon angoisse n’a pas de fondement,
car je suis précautionneuse dans mon rapport à l’autre. Alors,
j’essaie de travailler sur moi. Cela fonctionne la plupart du temps.
Mais dès que je suis stressée ou soucieuse, le naturel revient au
galop et je me renferme dans ma coquille. »
Lulu, bibliothécaire dans le privé

Notre cerveau bascule en permanence entre l’intuition en mode


automatique et la réflexion en mode adaptatif. Lorsque nous décidons de
modifier un comportement, nous utilisons le mode adaptatif/analytique.
Les fonctions exécutives cérébrales maintiennent alors notre attention
orientée dans le but d’accomplir le changement voulu. Mais cette
capacité d’attention n’est pas éternelle, elle sera remplacée, à la moindre
distraction, par un comportement intuitif automatisé, laissant la place aux
autoroutes neuronales des comportements habituels.

Pour les réseaux neuronaux, un des moyens les plus efficaces pour
économiser de l’énergie et du temps consiste à établir des prédictions et
des comparaisons par rapport à un modèle existant, plutôt que de tout
reconstruire à partir d’une nouvelle situation. Notre cerveau passe son
temps à décomposer chaque événement perçu en de multiples petites
briques, qui seront comparées à d’autres briques préexistantes, par
exemple aux prédictions tirées des situations précédentes.

« Lorsque notre direction nous a annoncé que l’on déménageait en


grande banlieue, j’ai immédiatement scanné dans ma tête tous les
comparatifs possibles : temps de transport, type de route employée,
lignes de métro substituables, restos sympas pour le midi, salle de
sport à proximité… En l’espace de quelques minutes, j’avais
comparé toute une projection de ce que serait la nouvelle situation
versus ma situation actuelle. »
Léonard, paysagiste

Ces mécanismes mettent en avant l’importance de la comparaison face à


tout changement, avec une préférence pour l’existant si la modification
n’apporte pas un avantage clair. En général, la nouvelle situation va
générer un certain nombre d’inconforts qui seront vite repérés et
amplifiés par notre jugement subjectif.

Biais de négativité, biais de confirmation


« Hier, j’animais dans un tout nouveau lieu, dans lequel je n’avais
jamais mis les pieds. Avant d’arriver, je me suis dit que le quartier
était beaucoup moins facile d’accès, que la salle serait
probablement moins lumineuse et les plats du traiteur du déjeuner
moins généreux. Finalement, la journée s’est passée à merveille. Je
ne sais pas pourquoi je m’étais imaginé le pire. »
Benjamin, formateur interne dans un réseau
d’agences immobilières
Notre propension naturelle à repérer et amplifier les événements négatifs
nous oriente fortement vers les inconvénients de toute nouvelle situation.
C’est le biais de négativité (voir chapitre 2 ) .

« J’ai longtemps fait un blocage complet au sujet des fichiers


partagés sur le cloud, dans des SharePoint ou des Dropbox par
exemple. J’invoquais la nécessité d’une connexion Internet stable et,
lors de chacun de mes déplacements, je me remémorais le fait que
j’avais eu bien raison d’utiliser des modes de partage de document
plus traditionnels. Ça me permettait de justifier à mes propres yeux
ma difficulté à travailler sur ces nouveaux types de supports. Je me
demande même si, inconsciemment, je ne choisissais pas des
hôtels sans le wifi pour me renforcer dans ma croyance ! »
Manon, commerciale pour une marque de vêtements

Notre tendance à rechercher et mémoriser les informations qui vont dans


le sens de nos croyances va compléter et renforcer ces réticences, en
masquant ou minimisant les avantages à évoluer. C’est le biais de
confirmation.

Faire du changement une force

Nos capacités d’adaptation sont sous-évaluées. Face aux puissantes


forces d’inertie, il existe d’autres mécanismes qui nous poussent à agir et
à nous adapter, à ressentir l’envie d’emprunter ce chemin nouveau, dans
un environnement changeant.

« On ne peut pas changer les gens, on peut seulement leur


montrer un chemin et leur donner envie de l’emprunter. »
Laurent Gounelle, Les Dieux voyagent toujours incognito

La motivation des réseaux de récompense


« J’ai régulièrement besoin de me nourrir avec de nouvelles
rencontres. Cela ne veut pas dire que je dois changer de collègues
tous les jours, mais je suis stimulé par l’idée d’une mobilité tous les
trois ans, qui me donne de nouvelles perspectives régulièrement. »
Arnold, responsable processus
dans une entreprise ferroviaire

Une situation trop stable n’apporte plus de satisfaction au réseau de


récompense ; la recherche de nouvelles motivations est permanente.
L’origine peut être très diverse : matérielle, affective, sociale, abstraite
(désir de progresser, de monter en compétences) voire éthique (sens
d’un nouvel engagement dans ce travail).

La neuroplasticité

« Dans notre structure, nous avons sans cesse de nouveaux outils.


D’une certaine façon, c’est bien parce que nous nous adaptons au
marché. Mais d’un autre côté, j’ai toujours l’impression d’être en
échec, de ne pas réussir à m’y faire aussi vite que les autres. Je suis
peu douée avec la technologie et j’ai l’impression qu’à peine je
maîtrise un logiciel, on m’en propose un autre. Ça devient une
véritable angoisse pour moi de devoir demander de l’aide à chaque
fois. »
Olga, consultante en énergie renouvelable

Nous avons souvent mentionné la neuroplasticité, cette aptitude des


connexions neuronales à se renforcer dès qu’elles sont utilisées à
plusieurs reprises. Cette qualité est enthousiasmante car elle nous ouvre
une infinité de possibilités insoupçonnées. Elle met à notre portée des
améliorations que nous imaginions inaccessibles. Elle est à la base de
tous les processus d’apprentissage et d’adaptation au changement.
Cette capacité est largement sous-estimée, en particulier dans
l’évaluation de notre capacité à modifier nos comportements. Nombre de
routines, acquises à la suite d’une expérience de vie, sont tellement
automatisées et ancrées en nous que nous les assimilons à des
principes intangibles, à des postulats, des évidences, que tous les autres
devraient adopter, alors qu’ils ne sont qu’une option sujette à modification
en fonction des situations.

Par exemple, si à la suite d’expériences difficiles, vous pensez que vous


n’êtes pas capable de maîtriser un nouvel outil informatique, cette
croyance va favoriser un cercle vicieux :
évitement pour ne pas se retrouver face à la situation ;
pas d’implication mentale ;
pas de réussite ;
pseudo-confirmation de l’absence de compétence ;
aversion pour les nouveaux logiciels.

« J’ai une très forte propension au doute, à ne voir que les


problèmes et à considérer tout ce qui pourrait arriver. Pour me
rassurer, je me dis que je suis prévoyante et que j’anticipe. Mais au
fond, je sais que j’ai un côté pessimiste qui est plus fort que moi. Je
voudrais faire en sorte que les choses glissent davantage sur moi et
ne pas m’inquiéter de tout. Tout simplement parce que c’est épuisant
pour moi et je crois aussi pour les autres. »
Annie, libraire

La connaissance de ses capacités de modifications neuronales permet à


une personne bloquée dans ces attitudes méfiantes de s’impliquer plus
fortement. Si elle sait que son « incompétence » n’est qu’une supposition
et que l’objectif est accessible, elle peut alors accepter le défi et chercher
de l’aide pour se développer.

Ces aptitudes au changement sont applicables à des modifications :


comportementales (adopter une nouvelle organisation de travail) ;
cognitives (apprendre l’utilisation d’un outil).

… mais également à des processus émotionnels et relationnels :


améliorer sa résistance au stress ;
améliorer sa régulation émotionnelle ;
limiter ses doutes, ses angoisses ;
développer sa relation à l’autre ;
enrichir son estime de soi.

L’attirance pour l’exploration et la nouveauté


« Tout se passe bien au travail, je connais le secteur, les gens, les
produits, les codes. Pendant longtemps, ça m’a bien convenu parce
que j’avais d’autres priorités. Mais ça va faire dix ans que j’y suis et
je ressens une lassitude. C’est confortable, c’est sûr, mais je sens
que je n’avance plus. »
Wilfried, analyste dans le département marketing d’un
laboratoire pharmaceutique

D’un point de vue évolutionniste, notre cerveau s’est formé au fil des
millénaires, pour repérer tout ce qui change, ce qui bouge, ou ce qui est
nouveau. C’est une question de survie. C’est indispensable pour explorer
notre environnement et trouver de nouvelles ressources. À l’inverse, une
situation invariable va perdre de son attrait, y compris s’il s’agit d’une
situation agréable : ce processus, largement mesuré en psychologie,
porte le nom d’habituation.

Si on se place dans le monde animal, qui souvent nous éclaire sur nos
propres modes de fonctionnement, donner une banane à un singe active
ses réseaux dopaminergiques du plaisir. Mais si cette récompense (la
banane) devient habituelle, cette activation disparaît. Le cerveau effectue
une comparaison et reconnaît l’absence de changement. Si la
récompense diminue ou si elle est inférieure à celle de ses congénères,
entraînant ainsi une rupture négative de l’habitude, il sera même possible
d’observer des signes d’irritation chez le singe. Son cerveau reconnaît
alors l’évolution négative et la traduit en émotion en réaction à l’injustice
ressentie.

Chez l’être humain, cette habituation a été mise en évidence par des
études évoquées au chapitre précédent. L’une d’elles porte sur des
gagnants du Loto. Elles montrent que gagner de très grosses sommes
n’améliore la satisfaction de vie que pendant quelques mois 3 . Ce qui
apparaît comme un rêve pour beaucoup ne constitue donc pas une
motivation durable. De manière générale, les récompenses matérielles
apportent une amélioration peu durable.

« J’ai été fortement augmenté il y a deux ans. C’était un geste de


reconnaissance que j’attendais depuis longtemps. J’ai été ravi sur le
moment, j’ai marqué le coup en famille et j’ai redoublé d’efforts,
parce que je me sentais redevable. Mais le sentiment d’euphorie
s’est vite tassé et la routine classique a repris le dessus. »
Albert, dentiste salarié dans un centre médical

Si la recherche de nouveauté fait partie de notre motivation intérieure,


elle est néanmoins souvent perdue de vue par les contraintes et
anticipations négatives face à un changement (biais de négativité).
Chacun doit alors retrouver les sources profondes de son envie
d’apprendre, de s’améliorer ou de s’adapter aux nouvelles configurations.

La force d’entraînement des émotions positives et de l’optimisme


actif

« Quand mon chef vient me voir pour commenter le seul détail


inapproprié de la note que j’ai mis trois mois à construire, ça me met
un vrai coup au moral. Pas un mot de félicitation ou un
remerciement, tout de suite des critiques. Il a beau me dire que c’est
constructif et que ça va m’aider à progresser, j’ai du mal à continuer
à m’investir, même si je suis quelqu’un de très engagé. Je sais que
je suis payé pour faire mon travail, mais j’ai l’impression que dire
merci et attester de l’effort fourni est une base avant de parler de ce
qui ne fonctionne pas. »
Charles, chargé de développement de jeux virtuels

De nombreuses expérimentations utilisent l’induction d’une émotion


positive, par une vidéo ou l’interaction d’un complice ; elles nous
montrent qu’une personne sous l’effet d’émotions positives adoptera un
comportement plus entreprenant, plus ouvert, plus altruiste et plus
persévérant que les autres.
À l’inverse, ceux qui sont en proie à une émotion négative – par exemple,
après avoir reçu une mauvaise appréciation d’un travail fourni – se
découragent plus vite et adoptent une vision plus égocentrée. Les études
portant sur l’évaluation de l’optimisme mettent aussi en évidence une
meilleure résilience et une plus grande implication dans la résolution de
problèmes.

« En 2012, j’ai assisté à la conférence TED de Hamou Bouakkaz,


qui s’appelait : “Aveugle, arabe et citoyen”. Il a alors tenu des propos
d’une grande simplicité, qui m’ont durablement marquée depuis. Il a
dit que s’il avait pu devenir homme politique et responsable
associatif, c’est parce qu’il avait toujours cru que s’il tombait, au pire
il rebondirait sur le tapis de couscous que ses parents avaient
construit pour lui. Un tapis de sécurité psychologique que ses
proches, qui croyaient en lui avec optimisme, lui réservaient. Je
reprends depuis souvent avec ma famille cet exemple
enveloppant. »
Abigaïl, psychothérapeute

PRENDRE CONSCIENCE DES FREINS AU


CHANGEMENT

Prise de conscience des freins

« La direction a décidé de regrouper plusieurs départements sur un


grand plateau projet, ouvert. Je pense qu’ils se disaient que les open
spaces étaient à la mode et qu’il fallait qu’on s’y mette. Mais dès
l’annonce du plan, levée de boucliers dans l’équipe. Personne
n’avait été associé au projet et les espaces n’étaient pas pensés en
fonction des besoins. Par ailleurs, aucune communication ne nous
avait expliqué les choses. En gros on avait l’impression de perdre
notre confort et de ne rien gagner. Résultat, beaucoup de demandes
de mobilités, une ambiance très négative et un lourd
désengagement. Le lieu de travail, ça peut paraître anodin, mais ça
compte énormément dans l’envie de se lever le matin ! »
Lucian, chercheur en biologie moléculaire

Un changement imposé par les circonstances, par la hiérarchie ou par


une nouvelle législation, sera rarement accueilli avec bienveillance. Le
dérangement perçu sera en général plus saillant que les bénéfices
attendus. Dans les dynamiques de changement, on parle de « loi du Z ».

La loi du Z

L’idée de ce schéma est que, quand on doit déployer un projet dont on


n’est pas soi-même à l’origine, le temps nécessaire pour se l’approprier
est double par rapport à un projet que l’on aurait eu le temps de mûrir.
Le maintien du statu quo semble pouvoir préserver indéfiniment l’acquis.
Il présente l’avantage de nous maintenir en terrain connu, malgré les
incertitudes et bouleversements extérieurs. Porter atteinte à ce fragile
équilibre réveille des forces, conscientes ou non, qui nous font réagir en
toute bonne foi. La connaissance des rouages neurologiques, en
particulier de notre préférence pour les pensées intuitives automatiques,
des biais de négativité et de notre réticence à abandonner les autoroutes
neuronales de nos habitudes, nous incite à prendre du recul sur ces
jugements spontanés et à les examiner avec un esprit critique. Cela
permet de faire la part entre nos tendances naturelles à privilégier le
statu quo et d’éventuelles raisons objectives pour ne pas changer. Pour
se motiver, il suffira de prendre conscience des avantages du prochain
changement. S’ils sont perceptibles, il sera facile d’envisager un petit
effort pour un bénéfice futur. En revanche, en l’absence d’avantages
clairs (comme cela peut être le cas dans un changement imposé), les
forces d’opposition seront énormes, et imposeront à la direction de
fournir du sens et des explications convaincantes.

« J’ai la chance de travailler dans une structure qui fait de la


prévention plutôt que de réparer les dégâts après coup. Nous avons
une petite cellule de personnes formées à l’accompagnement des
transformations. Leur approche est généralement globale avec de la
formation, du coaching, mais également une communication
complète et des baromètres de perception. Mais ce qui pour moi fait
une vraie différence pour lever les craintes, c’est que, pour tous
projets, des volontaires sont associés en amont et participent à des
ateliers appelés “Ça gratte” pour parler de tout ce qui déplaît ou
inquiète dans le projet proposé. »
Joseph, chef de projet dans l’audiovisuel

En permettant aux destinataires de s’exprimer, ces derniers sont


impliqués dans le projet et ont le sentiment de participer aux
améliorations en cours. Les besoins psychologiques de base de
développement des compétences, d’autonomie et d’appartenance à un
groupe sont alors comblés, même si leurs suggestions ne sont pas
forcément adoptées, pour des raisons objectives qu’ils peuvent
comprendre, si elles sont explicitées. En revanche, si leur parole n’est
pas écoutée, leur frustration sera démultipliée.

Identifier les pensées automatiques et les différents biais


Il est impossible de contrôler en permanence ses actes et pensées. Le
mode automatique/intuitif reprend rapidement le dessus. Néanmoins,
nous pouvons gagner à connaître les biais les plus universels, ceux qui
déforment notre pensée à notre insu, alors que nous pensons agir en
toute bonne foi. À chaque décision importante, il est possible de prendre
un moment pour examiner avec un peu de recul nos jugements, nos
raisonnements et nos évaluations. Nous n’obtiendrons pas une
objectivité complète, c’est impossible ; cependant, nous parviendrons à
éliminer un certain nombre de tendances nocives, concernant la
motivation au changement, le jugement de soi, l’évaluation d’autrui ou la
prise de décision.

Le monde, en particulier notre univers professionnel, nous fournit


simultanément trop d’informations et trop d’incertitudes. Nous devons
sélectionner les données qui nous sont directement utiles, celles qu’il
faudra mémoriser, celles qui ont du sens. Les émotions nous aident à
cette sélection. Mais devant cet afflux d’informations ou d’incertitudes,
notre esprit subconscient doit faire en permanence des choix, des
compromis ou des interprétations. C’est souvent le point de départ à la
création de biais involontaires.

Par exemple, il sera moins coûteux pour notre cerveau de généraliser


plutôt que de s’occuper de tous les cas spécifiques. Devant un excès de
données, nous en choisissons quelques-unes sur des critères
inconscients et ignorons le reste. Dans l’incertitude, au contraire, nous
cherchons à donner du sens là où les véritables causes nous échappent.
Nous utilisons le passé, les émotions négatives les plus saillantes, pour
bâtir des jugements incertains. Finalement, nous résumons, simplifions et
interprétons un monde complexe et incertain.
Nous avons présenté au chapitre 2 trois biais particulièrement fréquents,
voire universels : biais de négativité, de confirmation, de disponibilité en
mémoire. Il existe des dizaines d’autres biais répertoriés. Citons-en trois
autres, plus impliqués dans l’évaluation du changement : le biais de
croyance, le biais de statu quo et l’aversion à la dépossession (ou effet
de dotation).

Le biais de croyance
« Il y a deux ans, j’ai coopté Bastien dans notre équipe. C’était un
ancien camarade de promo et j’en gardais un très bon souvenir.
Tous mes collègues m’ont à tour de rôle fait savoir que c’était
compliqué de travailler avec lui, pour des raisons variées qu’ils
m’exposaient avec clarté. Pour chacun de leurs exemples factuels,
je cherchais des justifications et les poussais toujours à étayer
davantage. Pendant des mois, je me suis dit qu’ils manquaient de
tolérance, devraient travailler leur relationnel et avaient une
responsabilité d’accompagnement. Finalement, la situation n’a
cessé d’empirer jusqu’au départ de Bastien. Je crois que, convaincu
que c’était un bon recrutement, je ne voulais pas voir tous les
indices qui m’indiquaient le contraire. »
Abélard, dessinateur de bandes dessinées

L’analyse logique d’un argument est influencée par la croyance en la


vérité ou la fausseté de la conclusion. Si nous sommes hostile à une
conclusion, l’importance de l’esprit critique sera amplifiée en toute bonne
foi et les raisonnements en faveur de cette conclusion seront mis en
doute avec sévérité. À l’inverse, lorsqu’une conclusion est conforme à
nos croyances fortes, la vérification de la validité des arguments ne sera
pas rigoureuse, les informations allant dans notre sens seront plus
facilement acceptées sans vérification. La désinformation fonctionne sur
ce principe : nous n’aimons pas vérifier une conclusion qui va dans le
sens de nos convictions.

Le biais de statu quo

« J’ai une vraie difficulté à assumer mon rôle hiérarchique et à


conduire les changements demandés quand je ne vois pas leur
utilité. Tout marche plutôt bien chez nous. Je ne comprends pas
pourquoi la direction cherche toujours à changer les recettes qui
fonctionnent. Qu’est-ce que le changement nous apporterait de
mieux ? Sans doute pas grand-chose par rapport à la prise de
risque. Même si tout n’est pas parfait, je me demande si ce n’est pas
un peu la maladie du XXI e siècle de vouloir sans cesse casser le
statu quo . »
Valia, responsable production dans la mode

Le biais de statu quo est la tendance à préférer laisser les choses en


l’état. Les risques apportés par la nouveauté sont alors exagérés, par
rapport aux avantages possibles. Le passé est également surévalué,
ainsi que le désir de le prolonger dans le présent : « C’était mieux
avant. » La critique du changement prend alors une tournure
irrationnelle.
Le biais d’omission se rapproche de cette notion : penser que l’absence
d’action est moins nocive que l’action peut être à l’origine de nombreuses
persistances de procédures obsolètes.

L’aversion à la dépossession (ou effet de dotation)

« Je travaillais à développer le secteur des bords de Seine et du XIII


e arrondissement depuis plusieurs mois quand le patron régional m’a

demandé de me consacrer à celui des quartiers nord de Paris, à


l’opposé géographiquement. Non seulement je n’ai pas compris ses
arguments, mais, en plus, j’ai vraiment regretté d’abandonner ma
mission de prospection qui pour moi avait nettement plus d’intérêt. »
Dominique, directeur d’une agence immobilière parisienne

L’aversion à la dépossession ou effet de dotation est la tendance à


attribuer une plus grande valeur à un objet que l’on possède qu’à un
même objet que l’on ne possède pas. Avoir travaillé sur un projet lui
donne plus de valeur qu’un nouveau projet de qualité équivalente. En
finance comportementale, ce biais consiste, pour le propriétaire d’un
bien, à faire preuve d’un attachement psychologique à sa possession.
Prenons l’exemple de la vente d’un appartement ayant appartenu à ma
famille. Indépendamment du prix du marché, je peux avoir tendance à
surestimer la valeur de mon bien. Parce qu’il m’appartient et que j’y suis
émotionnellement attaché. Le phénomène se duplique quand on parle
d’un projet dont je suis le porteur. Quand j’ai déjà investi une énergie
dans une tâche, je n’aime pas en être dépossédé.

Par ailleurs, nos émotions négatives (principalement la peur et l’anxiété


face au changement) peuvent modifier nos évaluations. L’anxiété est liée
à une intolérance à l’incertitude ainsi qu’à une hypersensibilité aux
informations négatives (préférence involontaire pour le scénario
catastrophe). Ces déformations de perception induisent une vision du
monde altérée, en faveur de l’immobilisme. Elles participent aux biais de
négativité, de statu quo et d’omission.

La perception d’une réticence personnelle peut donc faire l’objet d’une


analyse critique et de la recherche d’un des biais exposés ici.

Les distorsions cognitives

Les distorsions cognitives constituent une notion plus large que les biais
cognitifs. Il s’agit d’un mode de raisonnement globalement inadapté,
responsable d’erreurs prévisibles et répétitives.

L’un des moyens les plus aisés de prendre conscience de ses propres
biais consiste à les passer par le filtre de ces distorsions cognitives. Ces
distorsions ont été identifiées par le psychiatre Jeffrey Young, l’initiateur
de la thérapie des schémas, dans un but thérapeutique.

Le tableau ci-après des erreurs de raisonnement les plus fréquentes


nous permet de confronter notre jugement ou décision, face à chaque
action importante que nous entreprenons.

ÉVEILLEZ VOS TALENTS…

Travaillez sur vos distorsions cognitives


Utilisez ce tableau des distorsions cognitives et appliquez-le à toutes les situations
de changement imposées qui vous posent problème.
Remplacez l’exemple de la deuxième colonne par votre problématique actuelle et
complétez la dernière colonne en fonction de la situation, de votre personnalité et de
vos forces.

Exemples d’actions
Principe Exemple
possibles

Tout ou rien, noir ou Si j’échoue, je suis Envisager tous les


blanc, difficulté à nul intermédiaires
Pensée binaire intégrer les nuances Si je ne suis pas sûr « échelle des gris »
à 100 % je refuse d’y
aller

Règle générale J’ai du mal avec telle Rechercher les


Surgénéralisation déduite d’un cas mission : je ne suis exemples en
particulier pas doué pour ça contradiction

Ne repérer que les On m’a couvert de Entraînement à


Perception sélective
événements négatifs compliments, mais l’orientation positive
négative
et ignorer les positifs untel n’a rien dit et à la gratitude

Exagération des Si j’échoue, ma Focalisation sur ses


conséquences carrière est fichue forces et talents
Dramatisation « C’est intolérable » Projection sur sa vie
au lieu de « C’est dans cinq ans
désagréable »

Déduction sans Il ne m’a pas écouté : Rechercher d’autres


Conclusion hâtive fondement il est méprisant (ou explications possibles
(inférence arbitraire) Interprétation « je suis sans
imaginaire intérêt »)

Relier des L’échec du projet est Imaginer le point de


événements externes de ma faute vue de l’autre
Personnalisation
à sa propre personne Travail d’estime de
soi

Prendre ses ressentis Si j’ai peur, c’est qu’il Pleine conscience


pour des preuves de y a un vrai danger Relaxation
Raisonnement
réalités Cohérence cardiaque
émotionnel
Réévaluation
cognitive

Jugements définitifs Il n’a pas dit qu’il était Rechercher d’autres


que l’on pose sur soi- absent, c’est un explications possibles
Étiquetage
même ou sur les menteur
autres

Règle de Je dois, ils doivent, il Identifier ses


fonctionnement plus faut, c’est croyances limitantes
Fausses obligations ou moins indispensable
Attentes irréalistes inconsciente sur soi
ou autrui
« musturbation 4 »

Tenir les autres Ils me fatiguent, je ne Rechercher d’autres


Blâme excessif responsables de ses les supporte plus explications possibles
états mentaux

Focalisation sur les Je m’évalue moins Travail de l’estime de


comparaisons avec bon qu’untel (et je soi inconditionnelle
Comparaison
des personnes minimise mes Identifier ses forces
sociale
perçues comme plus propres succès) et talents
performantes

Pensée tournée vers J’aurais dû agir Chercher les «


Regrets persistants
les imperfections du autrement : comment agir » plutôt
(pensée
passé, contre les faits ruminations que les « pourquoi »
contrefactuelle)
avérés

D’après la liste des distorsions cognitives de A. Beck (1967) et D. Burns (1980), exemples et
propositions de B. Anselem.

S’appuyer sur ses forces et talents

Pour trouver sa motivation à évoluer, il nous faut donc ressentir l’envie de


ce changement. Le principal vecteur de motivation est le réseau de la
récompense (voir chapitre 3 ) . Il est puissant, mais nécessite d’être
alimenté en permanence, le statu quo ne lui convient pas. Cela implique
que, pour durer, il faut aimer ce que l’on fait. Et pour trouver du plaisir, il
faut se sentir en confiance, ne pas être dans une position de défense ou
de crainte et s’appuyer sur ses forces plutôt que recenser ses
insuffisances ou s’appesantir sur ses difficultés.

« Depuis toujours, je peux dire que je suis un éternel insatisfait.


Enfant, mon côté perfectionniste me rendait malheureux parce que
rien n’était jamais assez bien. Puis, un jour, lors d’un séminaire, le
formateur nous a demandé si on connaissait les deux points forts
d’un célèbre tennisman espagnol. De concert, tous les participants,
qui l’avaient souvent vu jouer à Roland-Garros, ont répondu : son
coup droit et son mental ! Deux forces bien identifiées sur terre
battue. Puis le formateur nous a demandé si on savait ce que ce
sportif travaillait avec son coach. Le réflexe premier de l’auditoire a
été de s’écrier : “Eh bien son revers !” Et c’est en regardant
l’expression du formateur à cet instant précis que j’ai compris. Il
travaillait surtout son coup droit et son mental… et s’il travaillait le
revers, c’était juste pour qu’il ne soit pas éliminatoire. En quelques
secondes, j’avais pris conscience de l’ineptie de m’acharner sans
cesse sur mes difficultés pour espérer en faire des forces. »
Meyer, patron d’une ETI de solutions nutritionnelles
Ces dernières années, un courant de recherche, la psychologie positive,
a montré que les personnes connaissant et utilisant leurs forces
personnelles obtiennent de nombreux bénéfices, tant dans le domaine de
l’efficacité que de celui du bien-être. Selon Alex Linley 5 , une force est
« la capacité préexistante envers une façon particulière de penser, de
ressentir ou de se comporter, qui est authentique et énergisante pour la
personne et qui engendre son fonctionnement optimal, son
développement et sa performance ».

Cette définition implique trois caractéristiques :


Bien qu’elle soit susceptible d’être développée, une force possède
une dimension innée et relativement stable.
Sa mise en pratique, dans l’action, entraîne une perception de bien-
être et de motivation.
Son utilisation améliore l’efficacité dans la réalisation d’une tâche.

Afin de structurer les interventions en recherche ou en applications


professionnelles, il existe un classement des principales forces initiées
par les fondateurs de la psychologie positive 6 en référence à la
classification des pathologies psychiques (DSM-V). Il en résulte une liste
de vingt-quatre forces, réparties en six grandes catégories de vertus 7 .
De cette classification découle un test par échelles de mesure, Values In
Action Survey (VIA-Survey), donnant accès à ses cinq principales forces,
appelées « forces signatures 8 ». Les recherches ultérieures ont montré
un effet significatif de l’utilisation volontaire de ces forces, à la fois sur la
diminution de la dépression et sur la hausse du niveau de bien-être des
individus, et ce sur une période de trois à six mois 9 .

Connaître ses qualités n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît. Nous
sommes souvent focalisé sur nos imperfections réelles ou supposées et
peinons à discerner nos réels atouts. Souvent, une facilité dans un
domaine quelconque nous semblera tellement naturelle et universelle
que nous ne l’évaluerons pas comme une force. Ainsi, nous avons
souvent de vraies forces en communication, dans notre rapport à
l’empathie, à l’organisation ou encore une réelle puissance énergétique.
Mais nous ne les reconnaissons pas comme telles.
GRAINES DE CONNAISSANCES

Deux tests pour découvrir ses forces


Deux autres modèles, plus axés sur l’utilisation professionnelle, ont vu le jour.
« Realise2 », d’Alex Linley, test permettant de découvrir ses zones de forces
exploitées ou en second plan, ses comportements appris et ses faiblesses. Il est
disponible sur Internet. Les travaux de son équipe permettent de faire un lien entre
l’utilisation de ces forces et l’atteinte d’objectifs personnels 10 .
« Forces selon Gallup », basé sur les travaux de Donald Clifton, s’intéressant à
l’origine à l’excellence. L’étude de plus de deux millions d’individus performants dans
différents domaines a montré que les personnes à hauts niveaux de performance ont
systématiquement identifié leurs propres talents et les ont appliqués dans la
continuité, pour en constituer des sources de forces personnelles 11 . Le test issu de
ces recherches est également disponible sur Internet 12 .

L’utilisation de l’un de ces deux tests nous aidera à prendre conscience


de ces forces, et surtout à les utiliser avec plus de plaisir, d’énergie ou
d’efficacité. Pour plus de détails sur le test Gallup et Via, il est possible
de consulter une analyse approfondie en français, par le chercheur David
Vellut 13 .

Initier le changement avec l’exemplarité managériale

« Je travaille pour ma responsable, pour lui donner satisfaction,


qu’elle soit contente de m’avoir embauchée, d’avoir cru en moi. Je
cherche à ce que tout roule au quotidien. Et je le fais parce qu’elle
m’inspire, qu’elle est cohérente entre ses requêtes et ses actes. Je
la suis dans ses différentes demandes et dans les transformations
mises en place parce qu’elle incarne l’idée que je me fais du
leadership : bienveillance, respect et audace. »
Joséphine, responsable d’une association de patients

Il y a dix ans, les recherches sur l’engagement montraient que, pour


s’impliquer aux côtés d’un leader, ce qui était attendu de lui était
d’inspirer les autres à travers une vision et d’être courageux, c’est-à-dire
de ne pas avoir peur des challenges ou des risques. Ces critères
évoluent aujourd’hui comme nous l’avons vu au chapitre précédent avec
les travaux de Remi Finkelstein 14 sur les nouvelles attentes des
collaborateurs.
Parmi les compétences comportementales que l’on attend d’un leader,
l’art d’entraîner les autres est fondamental. Quelles que soient les
raisons initiales, décréter de manière unilatérale un changement, sans
consulter et associer les équipes, sera mal perçu et le plus souvent
contre-productif. De nombreux décideurs se piègent eux-mêmes en
heurtant de front les fonctionnements cérébraux et en attisant ainsi les
conflits et sources de démotivations. Il ne s’agit pas d’expliquer aux
autres ce qui est bien, mais de leur donner envie de vous suivre. Les
décideurs devront donc :
respecter et encourager les réseaux neuronaux les plus favorables :

circuits de l’évaluation de la récompense (affective, matérielle,


sociale),
circuits de l’attention, de la motivation et de l’apprentissage ;

rassurer les réseaux de l’évitement et de la menace (peur, anxiété,


colère, comparaisons/jalousies).

En clair, ils devront savoir créer du désir et de l’envie chez leurs


collaborateurs. Non pas en faisant miroiter des avantages cosmétiques,
superficiels ou trop lointains, mais en utilisant les ressorts authentiques
qui fonctionnent depuis des millénaires et qui sont confirmés par les
recherches modernes : la reconnaissance, la confiance, l’entraînement
par l’exemplarité, l’empathie, la passion, l’enthousiasme et la qualité
relationnelle. Ces attitudes sont les seules à susciter une motivation et à
mobiliser les énergies dans la durée. Elles sont incontournables et se
retrouvent tant dans les recherches académiques que dans les success
stories ou les témoignages de structures qui fonctionnent. On attend d’un
leader qu’il s’applique à lui-même ce qu’il attend de ses équipes. C’est en
étant lui-même exemplaire sur les qualités attendues de ses
collaborateurs que le manager assoit sa légitimité, installe la confiance
indispensable à tout engagement. Toutes ces attitudes devront
correspondre à un état d’esprit authentique.
VOUS ADAPTER À UN CHANGEMENT IMPOSÉ
La vie professionnelle fournit une profusion de changements imposés,
par la hiérarchie, en conséquence des nouvelles législations, des
ruptures technologiques, des évolutions de la concurrence… L’adaptation
à ces changements non souhaités sera bien sûr plus complexe que pour
des évolutions d’habitudes que l’on met en place pour soi-même.

Ces transformations subies sont en outre susceptibles de provoquer des


manifestations d’inquiétude ou de démotivation passagère, mais
également d’angoisse, d’épuisement, de ruminations ou autres
manifestations émotionnelles nocives à long terme.

Faisons un zoom sur quelques outils utiles pour comprendre les phases,
les rythmes du changement. Une meilleure compréhension de ce qui
nous traverse quand on vit une transformation permet une meilleure
acceptation des temporalités irréductibles ou des phases plus moroses,
passages parfois obligatoires vers un renouveau plus éclairé.

GRAINES DE CONNAISSANCES

La courbe du changement ou courbe du deuil


Elisabeth Kübler-Ross, psychiatre helvético-américaine et pionnière de l’approche des
« soins palliatifs » pour les personnes en fin de vie, est connue pour sa théorisation des
différents stades par lesquels passe une personne à qui l’on annonce une mort prochaine.
Elle a modélisé un outil très utilisé en formation managériale, que l’on appelle la « courbe
du deuil » ou plus fréquemment la « courbe du changement ».
Courbe du changement

GRAINES DE CONNAISSANCES

Le cycle de Prochaska 15
Le changement est un processus qui fonctionne de manière cyclique. Prochaska et Di
Clemente définissent six étapes au processus de changement :
1. La pré-intention. Il est possible que la personne n’envisage pas de changer son
comportement dans les six prochains mois, du fait :
d’un manque d’information ;
d’un manque de confiance en elle ;
d’échecs antérieurs ;
de la peur des conséquences ;
d’autres priorités.

2. L’intention. La personne envisage de modifier ses habitudes dans un avenir


relativement proche et pèse le pour et le contre.
3. La préparation. La décision est prise et la personne se prépare au changement. Elle
demande conseil, recherche des informations.
4. L’action. C’est la période au cours de laquelle la personne modifie ses habitudes. Cela
lui demande une énergie importante et plus d’attention au quotidien.
5. Le maintien. Le changement est désormais effectif. L’effort à fournir est moins intense,
la personne a davantage confiance en ses capacités. Il s’agit alors d’éviter la rechute,
même si elle fait partie du processus et ne doit pas être considérée comme un échec,
mais comme une dernière étape vers le changement.
6. La résolution. La tentation du comportement antérieur a disparu, y compris sous stress.
La personne s’est faite au changement et ne rechutera normalement plus.

Dans ce contexte, il importe de faire la distinction entre ce que nous


pouvons changer et ce qui est hors de notre contrôle. Cette simple prise
de conscience est à l’origine de démarches qui apporteront des gains de
temps, d’énergie et un soulagement durable. Les travaux de psychologie
expérimentale sont sur ce sujet corroborés par les disciplines
thérapeutiques traitant les désordres émotionnels profonds (anxiété,
dépression, phobies, troubles relationnels). La pratique permet de
sélectionner les meilleures méthodes de régulation émotionnelle. Leur
efficacité dans des contextes de troubles profonds permet, a fortiori , de
les appliquer à des situations plus générales telles que l’adaptation à une
situation désagréable. Les démarches les plus efficaces dans ce
contexte sont l’acceptation et la réévaluation cognitive.

Accepter ce que l’on ne peut modifier

Environ 170 ans après J.-C., l’empereur Marc-Aurèle demandait qu’il lui
soit donné « la sérénité d’accepter ce qui ne peut être changé, le
courage de changer ce qui peut l’être, et la sagesse de distinguer l’un de
l’autre 16 ».

Accepter une situation peut paraître passif, la connotation sera plutôt


négative, alors qu’il s’agit d’une démarche volontaire et courageuse dès
lors qu’il est établi que nous n’avons pas de moyen d’action. Cette étape
initiale permet tout simplement de libérer nos capacités cérébrales pour
d’autres actions, d’autres moyens de faire face à cette situation nouvelle.
Sachant qu’il est impossible de contrôler l’apparition d’une émotion
désagréable (voir chapitre 1 ) il est inutile et épuisant de perdre son
temps à lutter en vain contre l’émergence de ces sentiments pénibles.
Mieux vaut alors les accepter et permettre ainsi aux mécanismes
inconscients de régulation émotionnelle de se mettre en action. Au
niveau conscient, cela nous permet également de « passer à autre
chose » en ayant apaisé l’engrenage émotions désagréables / pensées
nocives, à l’origine des ruminations.

« J’ai un rapport très conflictuel à ma supérieure hiérarchique.


Chaque interaction avec elle est source de stress pour moi. J’ai bien
essayé de lui parler, de travailler au travers de multiples techniques
de communication non violente, mais rien n’y fait, elle s’adresse
encore à moi avec un grand manque de respect. Si jamais j’ai le
malheur de la croiser un vendredi, ça me pourrit tout mon week-end.
Quand la colère se mélange à de la tristesse, je reste complètement
bloquée dans mon émotion. »
Daphna, webmaster

En cherchant à contrôler une émotion ou une pensée nocive par notre


réflexion, nous allons concentrer notre attention sur le problème, faire
appel à notre mémoire (décortiquer un événement, se rappeler des
situations similaires) ou anticiper de possibles conséquences
désagréables. Toutes ces pensées, ces évocations pénibles,
provoqueront insensiblement une augmentation de la tension
émotionnelle qui va en retour favoriser les pensées négatives, créant
ainsi un magnifique cercle vicieux, aboutissant au débordement
émotionnel que l’on cherchait à éviter.
Sur le plan neurologique, on expliquera ce renforcement par la notion de
plasticité cérébrale (meilleure communication entre neurones, grâce à la
répétition et l’apprentissage). Dans ce cas, la stimulation répétitive des
neurones mémorisant les épisodes émotionnels pénibles va renforcer
ces circuits sensibles aux mauvaises nouvelles, et faciliter en retour les
pensées négatives et les ruminations en boucle. Il importe donc de
mettre fin à ce cercle par l’acceptation de ses émotions désagréables et
des situations non modifiables. Cette étape permet de déculpabiliser, de
faire baisser la tension émotionnelle et de garder l’esprit suffisamment
libre pour prendre de la distance et passer à autre chose.
Pour éviter la récidive de ces pensées toxiques, l’acceptation devra être
couplée à une phase active, l’engagement dans une action qui nous tient
à cœur (conforme à nos valeurs selon S. Hayes 17 ) ou la réévaluation de
ses pensées sur un mode critique en adoptant un point de vue
émotionnellement plus favorable.

ÉVEILLEZ VOS TALENTS…

Acceptez le changement
Identifiez une situation de changement perturbant, génératrice de crainte, d’anxiété,
d’irritation ou de ressentiment.
Quelle est la part d’acceptation possible ?
Quels sont les éléments à accepter ?
Quels sont ceux que vous pouvez modifier ? Comprenez ce que vous devez
accepter et pourquoi cela vous sera bénéfique en termes d’équilibre mental.
Comment éviter que l’acceptation devienne passive et vous conduise à la
résignation ?
Quels éléments de résilience pouvez-vous appliquer ?

Réévaluation cognitive : une application de l’agilité mentale

Une fois l’étape d’acceptation intégrée, notre esprit sera plus ouvert à la
recherche d’un autre point de vue sur cette situation désagréable.
Trouver une autre façon d’apprécier ce changement imposé sera alors
envisageable.

Si une pensée nous fait souffrir, il faut la changer ! La plupart des


informations se prêtent à des interprétations multiples, mais nous ne les
voyons pas, car nous sommes entraîné à voir le monde selon nos
propres automatismes (les schémas forgés dans notre passé). La réalité
est trop riche pour être perçue à travers un seul filtre. L’idée est de
remplacer notre vision d’une situation, responsable d’émotions
indésirables, par un point de vue différent, mais émotionnellement plus
favorable à nos attentes.

S’intéresser au point de Prendre en compte ses Remplacer l’impulsion


vue de l’autre plutôt forces, ses réussites de riposte par une
qu’à ses propres passées Cultiver ses interrogation neutre
ressentis atouts « quelle solution ? »
S’appuyer sur quelques Anxiété face à la Orientation vers
pensées inspirantes nouveauté : est-ce l’avenir, objectifs
pertinent ? motivants

Comment aurait réagi


Contredire une Rechercher des
quelqu’un que nous
évaluation négative par solutions plutôt que
admirons (imagerie
un point positif des coupables
mentale)

Quelques pistes de réévaluation cognitive

S’adapter grâce à la résilience

Un des axes de développement personnel intéressants en lien avec le


changement concerne la capacité à la résilience, dont nous parlions plus
haut. Il arrive que l’on ait des déconvenues dans un parcours
professionnel, que l’on soit déçu par une situation qui ne se résout pas,
que l’on ait des difficultés à rebondir à la suite d’un changement non
souhaité. Notre capacité de résilience nous permet alors de faire face à
notre frustration. À l’origine, le concept de résilience est un terme de
physique qui définit la capacité de résistance d’un matériau à un choc. La
notion s’est ensuite étendue à d’autres domaines comme la psychologie.
Elle a été popularisée par Boris Cyrulnik, qui a consacré sa vie à la
recherche autour des thématiques de renaissance au-delà de la
souffrance, du rebond après un traumatisme. Cette capacité peut
permettre d’éviter le désengagement en vivant différemment les
événements qui pourraient d’ordinaire le générer.
La résilience, qui peut prendre une forme individuelle comme
organisationnelle, est devenue un sujet clé pour les organisations ces
dernières années. On peut aisément comprendre pourquoi : nous vivons
dans un univers rempli d’incertitudes, la globalisation a entraîné une
immédiateté des échanges, des décisions, des ruptures et les avancées
technologiques ont fait un bond spectaculaire ces dernières années,
avec l’introduction de l’intelligence artificielle dans nos environnements
de travail. Ce monde VUCA nous pousse à muer, à nous adapter de
manière agile, pour nous transformer et plus encore rester
professionnellement utiles dans des environnements dans lesquels la
machine va prendre le pas sur des millions de tâches et d’activités
préalablement opérées par de l’intelligence humaine.

Les facultés de résilience sont variables selon les tempéraments, mais il


est important de savoir qu’elles peuvent être apprises, si elles ne sont
pas naturellement présentes.

GRAINES DE CONNAISSANCES

The Resilience Institute


Le docteur Sven Hansen est le fondateur de The Resilience Institute et a consacré ses
recherches à faire le lien entre la performance sportive de haut niveau et le
développement de la résilience. L’Institut a des équipes en Nouvelle-Zélande, en
Australie, en Europe, en Amérique du Nord, en Asie du Sud-Est et en Chine. Il a
permis à plus de 70 000 personnes dans le monde d’expérimenter son approche qui
définit la résilience comme une capacité apprise à faire preuve de rebond, de courage,
de créativité et de facultés de mise en connexion, de création de liens.

Dans Éloge de l’optimisme – Quand les enthousiastes font bouger le


monde 18 , Philippe Gabilliet explique que cette capacité à rebondir après
avoir vécu un revers dépend de l’optimisme de la personne, de sa
focalisation sur les points forts ; une tournure d’esprit optimiste qui
permet de recycler une déconvenue en opportunité nouvelle, en faisant
confiance à l’avenir. Il ne s’agit pas de promouvoir un optimisme béat,
générateur de prise de risques inconsidérées, ni un optimisme passif
générateur d’une inactivité néfaste, mais plutôt d’encourager un
optimisme responsable et actif, anticipant les difficultés autant qu’une
personnalité pessimiste ou anxieuse, mais dans un état d’esprit plus
entreprenant.

Comment dès lors développer cette capacité ressource qu’est la


résilience ? Le modèle de Robertson Cooper, qui propose également un
test de résilience gratuit en ligne, définit quatre axes principaux :
l’adaptabilité (voir p. 152 ) ;
le lien social (voir chapitre 6 ) ;
la confiance en soi (voir p. 211 ) ;
le sens de l’action (voir chapitre 3 ) .

Par extension, on remarque que, face à une crise, certains


comportements contribuent à diminuer la résilience :
la volonté de contrôler : notre tendance à nous concentrer sur ce sur
quoi nous n’avons pas d’impact ou de possibilité d’action ;
la volonté d’avoir un impact : notre tendance à regarder les
responsabilités (qui est fautif ?) à l’origine d’un problème plutôt qu’à
orienter notre énergie pour le résoudre ;
la profondeur du problème : notre idée que tous nos autres projets
seront compromis par la source du problème ;
la durée : l’idée que le problème ne finira jamais, qu’il n’y a pas de
lumière à la sortie du tunnel.

RECOMMAND’ACTIONS

Développer sa résilience
Identifier ses motivations profondes, celles qui poussent à repartir de l’avant.
Abandonner l’idée que nos capacités sont définies à la naissance.
Ne pas associer un échec à une preuve de notre incompétence : remplacer
cette croyance par l’idée que nos aptitudes peuvent se développer au travers
d’un entraînement mental et s’améliorer par des efforts et un travail
permanents d’adaptations aux nouvelles conditions.
Ne pas lier notre estime de soi aux échecs ou succès, mais à nos capacités
d’adaptation et à notre autocompassion (estime inconditionnelle de soi).
Développer des relations de confiance avec son entourage.
Développer des mécanismes de solidarité avec ses proches, amis et famille.
Après un échec, identifier les sources d’apprentissage pour progresser.
Adopter une approche proactive pour anticiper les scénarios.
Gérer les risques selon leur gravité et leur probabilité d’occurrence.
Faire preuve d’un optimisme réaliste.

Pour être efficaces, ces méthodes d’acceptation, de réévaluation et de résilience


nécessitent un minimum de planification :
Répéter l’exercice régulièrement pendant plusieurs jours ou semaines afin
d’établir une nouvelle plasticité neuronale face aux autoroutes de l’habitude.
Mettre en place une programmation bienveillante en débutant par des
situations faciles afin de gratifier notre réseau de récompense, source de
motivation. Rien de tel qu’une victoire facile pour nous engager à aller plus
loin ! C’est ce que l’on appelle en coaching la « politique des petits pas ».

Quelle est la première marche que je peux franchir ?


Quelle est la première action que je peux enclencher pour aboutir à mon
nouvel objectif ?

À IMPRIMER DANS VOS NEURONES

Nos réticences au changement sont conditionnées par des influences subconscientes


répondant aux règles de fonctionnement cérébral nous incitant à trouver de plus ou
moins bonnes raisons de ne rien changer :
économie d’énergie ;
prédominance des habitudes instituées par la neuroplasticité ;
schémas non conscients responsables de biais ;
distorsions de raisonnement.

Il existe en revanche des ressources en faveur du changement :


réseaux de la récompense matérielle (carotte) ou réseau d’évitement (bâton) ;
récompenses psychologiques plus durables (attentes fondamentales ou
valeurs) :

reconnaissance,
appartenance,
identification à un exemple,
recherche de compétence, de dépassement, de sens, d’autonomie,
attirance pour la nouveauté, pour le mouvement,
culture d’un optimisme réaliste et actif.

La connaissance de nos freins personnels (schémas de raisonnements) des biais et


distorsions cognitives les plus fréquents permet d’appliquer une pensée critique à nos
impulsions et de les passer au filtre de notre évaluation.
La prise en compte de nos forces et talents nous incite à un surplus de motivation et
d’engagement tout en améliorant notre confiance et notre estime de soi.
L’exemplarité et l’humilité permettent d’engager notre entourage.
L’adaptation aux changements imposés est assurée par deux niveaux d’action :
l’acceptation des éléments impossibles à modifier (éventuellement associée à
une modification de notre angle de vision de la situation par réévaluation) ;
l’engagement dans des actions motivantes, à travers le lien social, l’identification
de nos motivations profondes et de nos valeurs, et la confiance dans nos
capacités à progresser.

Face à des transformations plus importantes, les capacités de résilience feront appel à
ces mêmes moteurs.
Finalement, gérer une transformation désirée ou subie nécessite des aptitudes variées,
une capacité à distinguer nos propres freins inconscients, à dépasser nos
automatismes, à cultiver nos motivations internes, à accepter les changements
imposés et à s’adapter à eux avec agilité, à susciter le désir de transformation dans
notre entourage, ou encore à mobiliser nos forces de reconstruction après un
changement déstabilisant.
Ces capacités spontanées sont inégalement réparties selon les individus. Il est
cependant plus important de savoir qu’elles peuvent se cultiver et s’améliorer par un
travail sur soi et un état mental ouvert à la remise en question de nos habitudes de
pensée.

« Je ne divise pas le monde en faibles et en forts, ou selon les


succès et les échecs. Je divise le monde en apprenants et non-
apprenants. »
Benjamin Barber (1939-2017), politologue et écrivain américain

1. Dweck C.S., Changer d’état d’esprit : Une nouvelle psychologie de la réussite , Éditions
Mardaga, 2010.
2. Propos retranscrits dans Le Monde , 12 décembre 2016.
3. Brickman P., Coates D. et Janoff-Bulman R., « Lottery winners and accident victims: is
happiness relative ? », Journal of Pers Soc Psychol , 36(8), 1978, 917-927.
4. Musturbation : jeu de mot utilisé par Albert Ellis, psychologue américain, pionnier des
thérapies cognitives. Mot composé de « must » (devoir, il faut en anglais) et de
« masturbation ». Le concept désigne le comportement des personnes qui passent leur
temps à se dire ou dire aux autres : « Il faut que… », « On doit… » Il fait référence aux
schémas de pensée qui ont tendance à se rigidifier tout au long de nos existences et qui
impliquent que les choses doivent forcément se passer d’une certaine manière.
5. Linley A., Joseph S., Harrington S. et Wood A.M., « Positive psychology. Past, present, and
(possible) future », Journal of positive psychology , 1(1), 2006, 3-16 (
https://doi.org/10.1080/17439760500372796 ).
6. Seligman M., Peterson C., Clifton D., Csikszentmihalyi M., Diener E., et Fredrickson B. entre
autres.
7. Peterson C. et Seligman M., Character Strengths and Virtues: A Handbook and Classification
, Oxford University Press, 2004.
8. Ce questionnaire est disponible gratuitement sur Internet ( https://www.viacharacter.org/ ) ;
une version française est disponible sur ce site.
9. Seligman M., Steen T.A., Park N. et Peterson C., « Positive psychology progress: empirical
validation of interventions », Am Psychol ., 60(5), 2005, 410-421.
10. Linley P.A., Nielsen K.M., Wood A.M. et Biswas-Diener R., « Using signature strengths in
pursuit of goals: Effects on goal progress, need satisfaction, and well-being », International
Coaching Psychology Review , 5(1), 2010, 6-15.
11. Hodges T.D. et Asplund J., « Strengths development in the workplace » in P.A. Linley, S.
Harrington et N. Garcea (dir.), Oxford handbook of positive psychology and work , Oxford
University Press, 2010, 213-220.
12. https://www.gallupstrengthscenter.com/product/fr-fr/10108/top-5-cliftonstrengths-access .
Des résultats en français sont également disponibles.
13. https://www.davidvellut.com/inventaire-des-forces-de-caractere-via/
14. Professeur en psychologie sociale et des organisations. Spécialiste des questions de justice
organisationnelle, il conduit des programmes de recherches appliquées en entreprise pour
mieux comprendre les conséquences organisationnelles de mécanismes tels que
l’engagement.
15. Le modèle de Prochaska a notamment été utilisé par la Haute Autorité de Santé par le
Service des bonnes pratiques professionnelles en octobre 2014 comme l’un des outils
associés à la recommandation de bonne pratique sur le sujet « Arrêt de la consommation de
tabac : du dépistage individuel au maintien de l’abstinence » ( https://www.has-
sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2014-
11/outil_modele_prochaska_et_diclemente.pdf ).
16. Marc-Aurèle, Pensées .
17. Hayes S., Luoma J., Bond F., Masuda A. et Lillis J., « Acceptance and commitment
therapy… », op. cit .
18. Voir Gabilliet P., Éloge de l’optimisme – Quand les enthousiastes font bouger le monde ,
Éditions Saint-Simon, 2010.
CHAPITRE 5
GÉRER VOTRE ÉNERGIE, VOTRE
ATTENTION ET VOTRE STRESS

« Chacun conduit sa vie à toute allure et souffre de tout


attendre du futur et d’être insatisfait du présent. »
Sénèque

ans l’immense majorité des cas, nous savons très bien ce qu’il faut
D faire pour être efficace, prendre les bonnes décisions, cultiver des
relations de qualité et atteindre nos objectifs. Mais souvent, les
circonstances nous conduisent sur des chemins indésirables. Nous ne
pouvons alors pas appliquer les plans prévus et nos comportements ne
sont pas toujours adaptés. Face à ces environnements difficiles, hostiles
ou inattendus, nous savons en théorie comment nous comporter. Des
bibliothèques entières d’ouvrages remplis de sagesse nous expliquent
comment agir, ne pas céder à nos appréhensions, ne pas se laisser
emporter par la colère ou le découragement, rester persévérant et
consciencieux, ouvert d’esprit, bienveillant, tourné vers les autres, etc.
Tout cela, nous le savons en théorie… Mais en période de tension ou
d’épuisement, ces excellents conseils sont souvent oubliés et laissent la
place à des comportements critiquables.

Grâce à la lecture du chapitre 1 , nous connaissons l’origine de ces


défaillances, la prise de contrôle de nos jugements par les réseaux
émotionnels de l’aversion, de l’évitement, de la lutte ou de la recherche
de récompense. Nous avons aussi vu comment s’en prémunir et réguler
ces emballements, sous réserve d’un peu de méthode, de persévérance
et de motivation.
Il reste néanmoins une dimension fondamentale à aborder dans ces
circonstances : notre rapport au corps et au cerveau.

Il ne viendrait à l’esprit de personne de commencer un marathon par un


sprint et de prétendre maintenir ce rythme pendant 42 kilomètres. C’est
pourtant ce que nous demandons à notre organisme surexploité dans
nos vies professionnelles. Pour durer et prendre les bonnes décisions
dans la tempête, il faut disposer d’un corps et d’un cerveau en bonne
forme, grâce au sommeil, aux pauses, à l’alimentation, à l’exercice
physique, à l’entraînement mental, à une bonne gestion du stress, ainsi
qu’à des pratiques de relaxation, de prise de distance avec ses pensées
ou encore de pleine conscience.

DÉVELOPPER VOTRE CAPACITÉ D’ATTENTION


Il existe des limites physiologiques dans nos capacités attentionnelles :
ce n’est un mystère pour personne, d’innombrables études montrent
qu’au fil des heures notre capacité d’attention diminue. Nous voyons
circuler des chiffres divers de notre aptitude à être attentif :
deux heures pour une tâche de précision ;
quarante-cinq minutes pour un cours ;
quinze minutes pour un discours ;
et maintenant une minute sur les réseaux sociaux…

Ces données ne sont pas à prendre au pied de la lettre car ce sont des
simplifications 1 . Tout varie bien entendu selon la nature de la tâche, la
motivation, l’entraînement, les aptitudes personnelles, ou encore
l’environnement.

« Je suis dans le service informatique d’une grande banque. Nos


locaux ont été refaits il y a trois ans avec une salle de sieste, dans la
pénombre. Il y a trente matelas. C’est un endroit où l’on dort
vraiment. J’y vais de temps en temps, sans limite spécifique de
durée. Parfois, je mets un chronomètre. Ça fait rêver mes amis
tellement c’est rare. Mais quand on y pense, si on est suffisamment
fatigué pour s’endormir sur un matelas au travail, notre productivité
devant notre ordinateur a des chances d’être extrêmement faible si
on ne le fait pas. »
Michaël, manager d’un service informatique
dans une banque

Comment fonctionne le cerveau de l’attention

Prenons l’exemple de la conduite automobile. La décision d’action se


passe au niveau du cortex préfrontal, une région « chef d’orchestre »
située à l’avant du cerveau, au-dessus des orbites. Elle fait la synthèse
entre les informations traitées par notre conscience (par exemple : notre
vision, notre décision de conduire, de se concentrer sur la route…), les
évaluations subconscientes en provenance notamment des circuits
émotionnels (j’ai envie de continuer, d’arrêter) et les automatismes
intégrés par l’apprentissage des gestes et attitudes de la conduite.

L’action de conduire se fait en général sous un mode « intuitif »


automatique (intégration d’automatismes appris), sauf si les conditions
sont difficiles et requièrent une concentration forte. Le conducteur passe
alors en mode « analytique », cesse de parler à son voisin et se
concentre sur la route. Lors de la conduite « automatique », les réseaux
de perception sensorielle (vision), d’appréciation visuospatiale,
d’évaluation émotionnelle et de commande motrice sont actionnés.
Lors de la conduite « concentrée », les réseaux de contrôle exécutif qui
orientent et maintiennent l’attention vont se surajouter 2 . Que la conduite
soit conscientisée ou automatisée, la performance de cette tâche n’est
pas linéaire, elle a tendance à diminuer avec le temps 3 .

La charge cognitive induit une fatigue mentale responsable de baisses


de concentration, de diminution des vitesses de réaction et de difficultés
à la prise de bonnes décisions. L’organisme résiste moins aux
sollicitations extérieures et peine à maintenir son attention ; de plus, la
capacité à résister aux récompenses immédiates va décliner 4 . On
observe une diminution de la résistance à l’envie de prendre des risques
(l’envie d’arriver le plus vite possible devient prépondérante par rapport
aux consignes de prudence, la volonté initiale de conduire avec
courtoisie cède la place à des impulsions égocentrées). Cette baisse du
contrôle impulsif peut aussi se traduire par exemple par l’utilisation de
son téléphone au volant, ou encore le refus des pauses malgré le
sommeil ou la fatigue. Les réseaux recherchant la satisfaction immédiate
(réseau de récompense) prennent alors le dessus sur les pensées
rationnelles.

Avec la charge mentale et la fatigue cognitive, nous prenons donc de


plus mauvaises décisions, et résistons moins aux impulsions. En milieu
professionnel, cette information primordiale devrait être gravée dans le
marbre, ou tout au moins présente à l’esprit de chacun.
« Au mois de novembre ont lieu ce que l’on appelle les “revues de
personnel”. Nous déroulons la liste des collaborateurs pour décider
des augmentations et changements de postes. Nous sommes tous
épuisés à cette période de l’année. Généralement, ces revues ont
lieu le soir, après une journée de travail classique. On parle de
chaque salarié pendant environ une minute, chacun donne son avis
et on décide ainsi de son futur dans le Groupe. Autant dire que nous
ne sommes pas forcément dans les meilleures conditions pour
prendre de bonnes décisions et être conscients de nos biais à ce
moment-là. »
Mehdi, partner dans un cabinet d’audit et de fiscalité

Lutter contre les difficultés de concentration

« Si j’arrête de travailler cinq minutes pour rêvasser à mon poste de


travail toutes les heures, les chances sont grandes que mon
manager vienne me voir pour me parler de ce qu’il appellera mon
“manque d’investissement au travail”. S’arrêter toutes les deux
heures pour prendre un café avec les collègues pendant dix minutes
est encore bien mieux perçu que décompresser toutes les demi-
heures, même trois minutes. Et pourtant, c’est bien moins
efficace ! »
Octave, juriste en droit des sociétés
S’imposer des pauses

L’élément le plus efficace pour gérer son attention est de loin


l’observation de pauses régulières 5 . Il s’agit de contraintes
physiologiques incontournables, du même ordre que la fatigue physique.
Il convient d’insister sur ce point. Quand les contraintes sont lourdes, il
peut être envisagé de basculer sur une autre tâche nécessitant d’autres
facultés et moins de concentration. Ces pauses ne sont pas des pertes
de temps, elles doivent être vues comme des « investissements
cognitifs ». Une pause de soixante secondes toutes les quinze minutes
suffit pour améliorer nos performances. La condition est néanmoins de
respecter un vrai repos et de laisser son esprit vagabonder sans but.

Limiter les sollicitations

À l’inverse, les interruptions non voulues (l’hyper-sollicitation des


smartphones en particulier) sont beaucoup plus destructrices de nos
capacités d’attention qu’il n’y paraît. La production d’informations est
exponentielle, et dans un temps limité, la capture de notre attention est
devenue un enjeu crucial. Les réseaux sociaux sont calibrés pour fournir
une suite permanente d’informations addictives. Une discipline
commerciale s’est d’ailleurs développée : la « captologie », destinée à
détourner notre attention par des moyens redoutablement efficaces,
utilisant, entre autres, les connaissances en neurosciences.

« Quand j’anime une conférence, je demande toujours d’entrée de


jeu aux participants de s’interroger sur leur niveau de “présence” ici
et maintenant, de présence psychique à ce qui se passe en salle. Et
la plupart s’évaluent souvent à moins de 7 sur 10. Ils le confient
sans peine, leur esprit est souvent resté au bureau ou dans leurs
problèmes personnels. »
Manuela, conférencière sur les thématiques
de développement personnel

Apprendre à cultiver son attention

Comme nous le précise Jean-Philippe Lachaux, chercheur et spécialiste


reconnu en sciences de l’attention, il faut « apprendre à repérer le plus
tôt possible les signes de la distraction 6 ». « C’est en focalisant sa
conscience sur le nombre et la force des distracteurs, afin d’en corriger
les effets, que l’apprenant progresse dans son attention 7 . »
L’entraînement de l’attention est nécessaire, mais difficile : « No pain, no
gain ! » Il est notamment délicat de rester attentif sur chaque petite
partie d’un acte, le plus longuement possible sur un élément, en étant
résistant à l’effet des distracteurs.

« Quand je fais l’exercice de ramener mon attention et mon niveau


de présence à ce qui se joue sous mes yeux en réunion, je me
prends en flagrant délit d’inattention plus d’une quinzaine de fois.
Mon esprit part principalement dans mes soucis personnels, quand
je n’essaye pas de me remémorer toute ma liste de tâches de la
semaine. »
Éloi, ingénieur structure entreprise autoroutière

Segmenter les tâches


Face à une tâche complexe, il faut se fixer un objectif en mémoire et le
fractionner en sous-objectifs, se concentrer sur l’étape en cours (afin de
contrer l’instabilité de la mémoire de travail).

Connaître les limites physiques de l’attention et de la concentration

Au-delà des capacités habituelles, les ressources énergétiques


s’épuisent, à l’image d’un effort physique.
« Grâce à ma DRH, j’ai eu l’opportunité de me faire coacher quand
j’ai commencé à encadrer des équipes de techniciens. Les séances
me changeaient de mon quotidien, j’étais attentif à chaque mot et
après à peine une heure d’accompagnement, j’étais aussi épuisé
que si j’avais fait 100 mètres en nage papillon. »
Adam, cadre de laboratoire dans la transfusion sanguine

Connaître notre fragilité émotionnelle


En cas de charge mentale trop longue, cette connaissance nous permet
de prendre un peu de distance sur nos jugements impulsifs, à condition
de prendre conscience de cette fatigue mentale.

Fatigue = fragilité émotionnelle = difficulté à résister aux impulsions =


prise de risques inadaptés.

Il pourrait être utile d’exploiter les pratiques habituelles de fragmentation


et de hiérarchisation des tâches, ainsi que la coopération et l’intelligence
collective.
« Quand je sens que je m’éparpille, que je commence à perdre pied,
je prends cinq minutes pour souffler et j’organise mes tâches selon
l’urgent et l’important. Cela me permet de prendre du recul et
éventuellement d’en parler à des collègues si je me sens en réelle
surcharge. En discutant à plusieurs, les idées viennent beaucoup
plus naturellement pour faire face aux contraintes. »
Émilien, responsable approvisionnements
dans la restauration collective

Nos organisations mettent en permanence au défi notre vigilance


attentionnelle. L’ère des open spaces a remplacé les bureaux individuels
dans la quasi-totalité des entreprises, avec pour ambition de favoriser la
transversalité, mettant à rude épreuve nos capacités d’attention.

Dans ces espaces de travail, les interruptions sonores peuvent être


directes ou indirectes :
une question d’un collègue alors que je suis en plein milieu d’une
tâche de fond ;
une requête de mon manager ;
un voisin au téléphone ;
un autre qui se mouche après un mauvais rhume ;
la machine à café qui s’enclenche ;
un échange qui se prolonge au sujet d’un dossier ;
deux copains qui se racontent leurs week-ends…

Ces espaces de partage et de vies communes sont le théâtre d’un bruit


permanent. Boules Quies, casque isolant, musique, confinement
ponctuel dans des salles de réunion, les salariés essayent d’y échapper
comme ils le peuvent. Mais les interruptions sont également visuelles :
notification Outlook d’un rendez-vous à venir ;
notification d’arrivée d’e-mail ;
surbrillance de l’écran de téléphone portable pour les appels
entrants ;
sms, messages WhatsApp ou autre, et ce même si le téléphone est
en mode « silence ».

« Quand j’anime un atelier, je parle souvent aux participants de la


“téléphone thérapie”. C’est une boutade pour voir combien de
minutes ils pourront se détacher de ce partenaire de vie qu’est
devenu leur smartphone. Surtout que ce n’est plus un seul
téléphone qu’ils posent sur leur table, mais souvent deux ! Ils
multiplient leurs potentiels de déconcentration de manière
exponentielle ! C’est presque addictif, comme un réflexe. Parfois ils
regardent l’écran et à peine quinze secondes plus tard vérifient à
nouveau. Souvent inconsciemment. Et sans plaisanter, ils ressentent
parfois une forme d’inconfort psychique à ne pas le faire pendant
une heure. »
Naomie, facilitatrice et formatrice

GÉRER VOTRE ÉNERGIE : UN CERVEAU


AFFÛTÉ DANS UN CORPS SAIN
Nous avons souvent plusieurs vies au sein d’une même journée. Entre le
moment où le réveil sonne et le moment où nous fermons les paupières
le soir peut se passer cinq ou six vies différentes. Elles ont toutes leur
temporalité propre et nécessitent de l’énergie : préparation des enfants,
de soi-même, temps de transport, journée de travail, retour à la maison,
éventuels devoirs ou bains, cuisine, repas, tâches ménagères… Nous ne
pouvons pas nous permettre d’arriver les batteries à plat au travail, ni
d’en repartir complètement épuisés car une autre vie nous attend le soir,
qu’elle soit affective, sociale ou parentale. Nous devons donc
impérativement savoir gérer notre énergie.

Une journée type

Toute la journée durant, nos performances dépendent de notre cerveau.


Mais celui-ci n’est pas isolé, son efficacité résulte d’une infinité de
connexions corporelles que nous avons tendance à sous-évaluer. Elles
agissent sur notre énergie et nos performances mentales par
l’intermédiaire de commandes nerveuses autant que par la
vascularisation sanguine, qui nourrit les neurones et la glie (cellules de
support et de régulation des neurones).

Passer une bonne nuit de sommeil

« Je vois en un coup d’œil le matin qui a mal dormi. C’est la joie des
open spaces. Nous cohabitons avec les émotions de chacun. Alors,
régulièrement, j’ai de la peine pour les nouveaux parents, qui
arrivent les yeux cernés, avec une démarche ralentie, dont tout
indique qu’il ne faut surtout rien leur demander avant qu’ils
récupèrent un peu de sommeil. »
Alison, assistante de direction au siège
d’un réseau d’agences immobilières
« Dans mon métier, j’enchaîne les nuits blanches. C’est un peu le
job qui veut ça, les clients mettent une forte pression et les délais
sont très courts. Quand j’avais 25 ans, ça passait encore, mais
maintenant, je vois bien la différence. Les jours qui suivent, j’ai du
mal à poser mon esprit, je suis maladroit avec les objets, mais
également brouillon dans ma tête. Prendre une décision est un
calvaire et, à la moindre contrariété, je n’ai plus aucun filtre.
Généralement, je monte dans les tours très rapidement. Comme si
mon esprit était trop fatigué pour avoir du tact. »
Hippolyte, architecte salarié en agence

Après une seule nuit blanche, la mémorisation d’une liste de mots sera
altérée, mais surtout les mots à connotation négative seront mieux
conservés que leurs homologues positifs ou neutres 8 . Le manque de
sommeil induit donc une vision déformée et négative du monde ! Le
respect du sommeil constitue un investissement pour nos résultats
professionnels.

Outre les pauses abordées plus haut, le sommeil est le meilleur


investissement vers l’efficacité. Nous passons un tiers de notre vie à
dormir. D’autre part, la privation complète de sommeil est à l’origine de
troubles multiples aboutissant au décès. Il s’agit donc d’un besoin
physiologique, au même titre que boire ou s’alimenter. Un bon sommeil
est à l’origine d’amélioration de l’humeur, de l’apprentissage, de la
mémoire 9 , de l’agilité mentale, de la résistance au stress, de la
créativité, ou encore de l’entretien du système de défense immunitaire et
du nettoyage des déchets du cerveau.
Nous disposons d’une marge de manœuvre pour améliorer notre
sommeil. Il est régulé par une horloge interne, selon des cycles
cérébraux d’environ vingt-quatre heures. Le premier facteur, le plus
puissant, est l’exposition à la lumière du jour : la stimulation de la lumière
provoque un recalage de l’horloge interne grâce à la mélatonine. Le
second facteur est l’activité physique, cognitive et sociale qui stimule
l’état de veille et laisse la place au sommeil si nous la cessons
suffisamment tôt. Une forte activité en soirée aura tendance à décaler
l’horloge interne et provoquer des troubles d’endormissement.
RECOMMAND’ACTIONS

Miser sur un bon sommeil


Stimuler son cerveau le matin et en début d’après-midi. Tout ce qui favorise
l’exposition à la lumière (comme un lever précoce) et les activités physiques
intellectuelles et sociales sera bénéfique au sommeil de la nuit suivante.
Apaiser son cerveau en fin de journée. Le soir, il faudra, en revanche, éviter les
stimulations fortes, lumineuses, cognitives, alimentaires (café, alcool) ou
physiques et favoriser les activités apaisantes.
En cas d’insomnie, conserver un horaire de lever précoce : la création d’une dette
de sommeil favorisera le repos lors de la nuit suivante. Accepter les micro-réveils
nocturnes sans s’alarmer, ces épisodes sont quasi généralisés après 50 ans.

Pratiquer une activité physique

Il a fallu une bonne vingtaine d’années pour que les connaissances des
effets bénéfiques de l’effort physique sur la santé passent largement
dans le grand public. Actuellement, ce n’est plus un sujet de découverte.
Mais les effets positifs du sport sur la cognition, la croissance neuronale,
l’humeur et la lutte contre le stress restent encore peu connus. Un seul
exemple : chez les personnes dépressives chroniques, l’exercice
physique obtient de meilleurs résultats que les antidépresseurs dans la
prévention des rechutes 10 .
Le corps humain s’est façonné pendant des millénaires pour marcher et
s’agiter. Il aime l’activité et les muscles représentent 50 % du poids du
corps. Il n’est donc pas conçu pour rester des heures devant un écran ou
sur le siège d’une voiture. L’effort physique va permettre l’utilisation des
énergies produites par le stress, en les canalisant dans l’action.

« Le pire pour moi, c’est d’imaginer un travail sédentaire. Petit, je ne


savais pas ce que je ferais, mais je savais que je ne pourrais pas
être dans un bureau. Responsable de la maintenance, ça me permet
de bouger en permanence sur les sites, avec l’énergie nécessaire
au dépannage des problèmes. Ce mouvement constant, c’est ce qui
me permet de me sentir vivant. »
Amir, responsable maintenance dans une SSII
Les apports de l’exercice physique

Nous le savons, une activité physique régulière est bénéfique pour notre
santé. Pourtant, en dépit de nos bonnes résolutions, nous n’arrivons pas
toujours à y consacrer du temps. Le premier petit pas pour y remédier
pourrait être de se fixer un temps qui nous semble raisonnable pour s’y
consacrer de la manière la plus régulière et la plus fréquente possible. Et
si on peut s’y engager vis-à-vis de quelqu’un (conjoint, ami, club sportif,
enfant…), c’est encore mieux pour s’y contraindre vraiment ! Voici déjà,
pour se donner du courage, la liste de tous les bienfaits que cela nous
procurera sur le long terme.

Stimule le coeur, les


Santé renforcée à tous
poumons, apporte de
les âges de la vie
l’oxygène au cerveau, Meilleure réponse
Diminution de la
réveille les muscles et immunitaire aux agressions
mortalité, augmentation
régule les sécrétions
de la qualité de vie
hormonales

Prévention et traitement
Diminution du stress Action à long terme sur
des principales
Mise à distance des l’humeur, diminution des
pathologies chroniques
ruminations troubles anxieux et
(cancer, maladies
Meilleure régulation dépressifs (pratique
cardio-vasculaires,
émotionnelle prolongée)
diabète, ostéoporose)

Les avantages multiples d’une activité physique régulière

Si un médicament était capable de tels résultats, l’humanité entière se


l’arracherait. Ces améliorations sont disponibles, à notre portée et sans
effets secondaires, si l’effort est bien dosé.

L’amélioration des capacités mentales

Les individus les plus entraînés physiquement présentent une meilleure


« agilité » d’esprit lors de tests mentaux (mémoire et contrôle des
pensées). L’imagerie neurologique montre qu’ils activent mieux leurs
cortex. L’effort induit la formation d’une substance cérébrale, le « BDNF »
(Brain Derived Neurotrophic Factor) , qui améliore les connexions des
neurones. Mais il n’est pas nécessaire d’être un sportif entraîné, vingt
minutes d’exercices à intensité moyenne, trois fois par semaine, suffisent
pour obtenir un effet visible par imagerie cérébrale sur les aires de
régulation de l’humeur.

Après le sommeil et les pauses, l’activité physique est une troisième


source d’investissement mental.

Bien s’alimenter

Le rôle de l’alimentation sur la santé est bien connu de tous, en


particulier en prévention des accidents vasculaires. Mais, à l’instar du
sport, les vertus de l’alimentation sur le fonctionnement cérébral sont
encore trop peu reconnues.

Les antioxydants contenus dans les fruits et les légumes ont un pouvoir
neuroprotecteur, anti-inflammatoire et protecteur vasculaire. Le
resveratrol (raisin, fruits rouges, épinards, brocolis) ou les flavonoïdes
(chocolat, thé, fruits rouges) montrent par exemple de puissantes
capacités protectrices.
Les oméga-3 et les acides gras non saturés jouent un rôle primordial
dans le cerveau (fluidité membranaire des connexions neuronales), leur
carence est associée à des troubles de l’humeur et de la personnalité.
On les trouve dans les poissons gras (sardines, maquereaux, saumon,
anchois), les fruits de mer et les huiles de colza, noix ou lin.

Le régime « méditerranéen » (riche en fruits, légumes, huiles végétales,


noix, amandes, viandes blanches, céréales complètes, et graisses non
saturées) diminue notablement le risque de dépression et de troubles
cognitifs type Alzheimer 11 . En revanche, les régimes orientés vers plus
de viande, charcuteries, graisses animales et produits laitiers sont
associés à plus de pathologies vasculaires cérébrales et de déficits
cognitifs. Le tabac, l’alcool et les excès caloriques sont de loin les
premiers toxiques alimentaires pour le cerveau comme pour l’ensemble
des vaisseaux sanguins.

Les aliments riches en vitamine A comme le foie ou les précurseurs de


cette vitamine que l’on trouve dans les tomates, abricots ou carottes
favorisent la production d’acide rétinoïque, une molécule impliquée dans
la plasticité cérébrale et la formation de nouveaux neurones. De
nombreuses autres vitamines interviennent dans le développement
neuronal (par exemple, la vitamine B9, présente dans le foie, les haricots
et petits pois, ou les vitamines B2 et B12, présentes dans les produits
laitiers, fruits de mer et foie).

RECOMMAND’ACTIONS

Nourrir correctement son cerveau 12


Maintenir une consommation élevée en fruits et légumes.
Renforcer les apports en légumineuses et légumes secs, en céréales
complètes, en huiles de colza et de noix.
Privilégier les produits céréaliers complets ou semi-complets.
Consommer du poisson en moyenne deux fois par semaine en privilégiant
le poisson gras une fois sur deux (pour l’apport en oméga-3).
Limiter la consommation de viande à 500 grammes par semaine.
Limiter la charcuterie à 25 grammes par jour.
Limiter la consommation de boissons sucrées à un verre par jour.
Limiter la consommation de sel.
Diversifier son alimentation pour réduire l’exposition aux contaminants tels
que l’arsenic, le plomb, l’acrylamide, etc.

« Maintenir une alimentation équilibrée, c’est loin d’être facile quand


les seuls commerces aux alentours du bureau vendent de la
restauration rapide. L’une des solutions que j’ai trouvées est
d’apporter au travail un bocal que je remplis de fruits à coques, pour
casser mon appétit vers 10 heures et 16 heures, ainsi qu’un grand
thermos de thé vert. Quand j’ai le temps le matin, je me prépare une
boîte avec de la nourriture préparée la veille. Ça me prend quelques
minutes en plus le matin, c’est vrai que c’est de la logistique, mais
l’investissement en temps est rentable. La différence de ressenti
physique est édifiante. Et en plus je fais des économies ! »
Alexandra, responsable de pilotage
commercial dans l’énergie
SAVOIR GÉRER VOTRE STRESS
Nos ancêtres devaient apprendre à repérer les dangers plutôt que se
satisfaire de leurs acquis. La sélection naturelle éliminait sans pitié les
plus confiants au profit des plus inquiets. Depuis, notre cerveau a cultivé
cette capacité à déceler et traiter les informations menaçantes, à
anticiper des solutions pour survivre. Nous avons donc naturellement
tendance à amplifier les événements négatifs.

Les tensions, les déceptions, les inquiétudes font partie du quotidien


professionnel. À ces difficultés universelles s’ajoutent les contrariétés du
monde numérique : hyperconnexion, précarité, incertitude, éloignement,
isolement, surmenage, accélération générale des rythmes. Inutile de
s’étendre sur nos sources personnelles de stress, vous les connaissez
mieux que personne. Cependant, un minimum de compréhension des
mécanismes de ce stress permettra de se motiver pour lutter contre ses
excès et pour éviter ainsi les conséquences nuisibles (perte d’efficacité,
perte de contrôle) ou les désordres plus profonds (épuisement,
démotivation, burn-out). Moins de stress permettra surtout de se sentir
mieux et d’être plus ouvert pour apprécier les bons côtés de notre
activité. Cela se ressentira sur la satisfaction de vie, tant professionnelle
que privée.

Comprendre ce qui se passe dans notre tête et dans notre corps

Le stress est un ensemble de réactions « d’adaptation corporelle à un


changement de situation ». Il est d’origine externe (environnement) ou
interne (pensée, émotion, rumination). L’organisme humain vient du
monde animal, il est programmé pour s’adapter aux changements de
situation multiples. Pour cela, il va mobiliser des automatismes globaux
et coûteux en énergie. Échapper à un fauve affamé, répondre à des
sollicitations multiples ou à une inquiétude professionnelle déclenche des
mécanismes de même nature, dans le but d’adapter l’organisme à
répondre à la situation nouvelle. La réaction corporelle, hormonale et
nerveuse sera comparable en qualité, si ce n’est en quantité.

Pour s’adapter, le corps et le cerveau doivent échanger rapidement leurs


informations. Ils sont reliés par des réseaux nerveux dont nous n’avons
pas conscience. Sans le savoir, notre esprit obéit aux informations en
provenance du corps. Une fringale, un verre de vin ou un mal de dos
vont modifier nos pensées, par l’intermédiaire des informations
transmises au cerveau. Ces nerfs fonctionnent du corps vers le cerveau
ou en sens inverse. Il existe principalement deux réseaux entre le corps
et le cerveau : un système d’excitation et d’action (dit orthosympathique).
C’est celui qui répond au stress. Et un réseau d’apaisement et de
récupération (parasympathique). C’est celui que l’on va favoriser pour
diminuer le stress.

Face à des informations inquiétantes, le corps doit se préparer à l’action.


Il mobilise donc l’énergie nécessaire (sucre et oxygène). C’est le rôle du
réseau d’excitation : un ensemble de nerfs, d’hormones et de
neurotransmetteurs (surtout le cortisol, mais aussi l’adrénaline et la
dopamine). Il envoie un message de mobilisation, avec augmentation
des tensions musculaires, cardio-vasculaires et mentales. L’organisme
ne fait pas la différence entre un stress externe (danger réel) ou interne
(anxiété, surmenage). Pas de différence perçue donc entre un chien
menaçant ou une surcharge de travail mental.

Quand d’autres informations plus rassurantes prédominent, l’autre


système (apaisement parasympathique) prend le relai. Il prépare le corps
à la récupération et le mental à l’apaisement. Bien assis au fond de votre
canapé, au calme, avec de la musique douce ou votre boisson favorite,
votre cerveau perçoit la situation détendue et relâche vos muscles. Il
informe aussi les centres émotionnels qui diffusent alors cette bonne
nouvelle au reste du cerveau. Nous voyons alors le monde autrement,
plus calmement, avec plus d’ouverture vers les autres. Notre créativité
peut alors s’exprimer et nous trouvons des solutions à nos problèmes.
Ce mécanisme va être favorisé et amplifié par toutes les techniques de
relaxation.

Quand l’épisode stressant est isolé, l’organisme sait très bien faire face.
Mais la prolongation de l’épisode stressant est particulièrement nocive.
« J’ai un métier cyclique avec des pics d’activités. Je crois que j’ai
choisi cette activité parce que j’aime cette adrénaline, cette mise
sous tension de temps à autre. Ça me donne un coup de fouet ! »
Pierre-Arnaud, intermittent du spectacle, chef monteur

Les neurosciences et la physiologie apportent une définition du stress un


peu différente de celle utilisée en entreprise. En entreprise, on ne parle
pas de la notion de stress positif, considérée comme obsolète et
potentiellement perverse dans un environnement déjà souvent fortement
sous pression. Or, en neurosciences, le stress a des vertus positives et
bénéfiques pour le cerveau. Un peu de stress est donc plutôt stimulant.
C’est l’idée d’avoir un enjeu. On court plus vite un sprint si on fait la
course avec quelqu’un que si on est seul. Mais si vous aimez courir, il ne
vous viendrait pas à l’idée de le faire pendant plusieurs jours sans vous
arrêter. En cas de stress prolongé et élevé, les capacités d’adaptation de
l’organisme s’épuisent. La mobilisation d’énergie corporelle est coûteuse
et usante. Divers symptômes peu réjouissants vont apparaître, liés à une
altération neuronale, en particulier au niveau de l’hippocampe, qui joue
un rôle important dans la mémorisation et l’humeur. On constate aussi
une baisse des défenses immunitaires, avec une sensibilité aux
infections, des inflammations diverses, mais également de l’hypertension
et des maladies cardiaques. Il en découle une altération de l’agilité
mentale, de la mémoire, de l’ouverture d’esprit, des troubles de la
concentration, de l’efficacité et de l’humeur (irritabilité, insomnies), qui
vont à leur tour accentuer les causes de stress (cercle vicieux).

Au-delà de la durée, l’intensité de la stimulation peut donc également


influencer les performances. Un stress intense peut faire perdre les
moyens quand les réseaux émotionnels capturent l’attention et
détournent les capacités de mémoire et de contrôle exécutif.
Courbe de performance de Yerkes et Dodson confirmée par Sjöberg 13

Repérer les facteurs de risques dans l’entreprise

De manière générale, dans nos quotidiens professionnels, un certain


nombre d’éléments sont des facteurs de risques et augmentent la
probabilité d’être en proie au stress.

L’injonction paradoxale

« Chaque année, pendant mes congés d’été, mon manager me dit


de bien me reposer, de prendre du recul, de déconnecter. Mais en
même temps, il me demande de continuer à suivre les gros
dossiers, d’arbitrer en cas de problèmes dans l’équipe et de valider
les remises spéciales. »
Samuel, chef d’atelier menuiserie dans le design
La constance managériale, c’est aussi la chasse aux injonctions
paradoxales, particulièrement délétères pour le sentiment de bien-être au
travail. La constance est une compétence au cœur de l’exemplarité
managériale, qui va de pair avec la stabilité émotionnelle du leader, qui
projette ainsi de la sérénité sur son équipe.

« Avec ma manager, je ne sais pas sur quel pied danser. Le matin,


elle est tout sourire et très enthousiaste sur nos réalisations puis
l’après-midi, rien ne va, elle s’énerve, hausse la voix, enchaîne les
reproches et plombe l’ambiance sur le plateau. Ces montagnes
russes émotionnelles doivent l’épuiser, mais elles sont extrêmement
contre-productives pour les équipes, qui ont toujours le stress de se
demander quelle va être l’humeur du moment. »
Daphné, responsable supply chain dans l’aéronautique

Le mythe des objectifs SMART

Pendant longtemps, SMART a été la grande référence des entretiens de


performance annuels. Les objectifs devaient être « Spécifiques,
Mesurables, Accessibles, Réalistes et Temporels (limités dans le
temps) ». Cela constituait les critères d’un objectif bien formulé. Tous les
guides d’entretiens et formations en management mentionnaient ce
SMART comme un passage obligé. Mais dans les faits, dans la majorité
des organisations, rares sont les collaborateurs qui ont la latitude pour
négocier réellement leurs objectifs s’ils les considèrent irréalistes ou non
accessibles. Or la conséquence directe d’un objectif inatteignable, a
fortiori s’il a été considéré comme SMART, est un sentiment d’anxiété de
ne pas être à la hauteur, une image de soi négative à l’idée de ne pas y
arriver, un épuisement psychique de toujours devoir en faire plus pour un
résultat que l’on sait pertinemment ne pas pouvoir atteindre.

L’absence de marges de manœuvre et de latitude


organisationnelle/décisionnelle 14

Au lieu de simplifier leurs règles de fonctionnement en assouplissant les


processus, les entreprises ont souvent tendance à compliquer le
quotidien des salariés par des reporting chronophages et un contrôle
accru, source de tensions pour qui en fait les frais. Pour se réaliser dans
leur travail et être apaisés dans leur quotidien, les salariés ont besoin de
sentir qu’ils ont un espace pour leurs initiatives personnelles et la liberté
de gérer leur temps comme ils l’entendent. En 1990, les travaux de
Karasek et de Theorell mettent en corrélation cette autonomie de
décision, cette possibilité de faire des choix que l’on appelle « latitude
décisionnelle », avec deux autres dimensions que sont l’exigence
psychologique du travail et le soutien social. Ce soutien peut provenir du
manager, des collègues, du cercle de relations créé au travail. Quant à
l’exigence psychologique, elle repose sur les formes de pressions, les
imprévus, interruptions ou contraintes ressentis par les salariés.

Le modèle de Karasek

« La seule raison pour laquelle j’arrive à absorber ces délais et cette


masse de travail énorme que l’on me donne, c’est la paix royale
qu’on me laisse. Personne ne vient vérifier mes analyses derrière
mon dos, on me fait confiance. »
Raoul, directeur des ressources humaines secteur public
Quelques entreprises ont aujourd’hui fait le choix de donner une
complète autonomie à leurs salariés pour instaurer un principe de
subsidiarité, sur la base d’un constat de bon sens, réaliste. « Quand je
travaille sur une machine, je peux décider de son réglage. » L’idée est
que la décision soit prise au plus près du terrain, que la personne la plus
compétente pour l’action soit en mesure de l’exécuter et de prendre les
décisions qui la concernent. Le principe est d’organiser l’environnement
pour permettre aux gens de s’automanager et d’être épanouis dans leur
activité. Celui qui a la compétence décide, celui qui sait, fait.

Voici quelques exemples liés aux faibles marges de manœuvre :


impossibilité d’interrompre son travail en dehors des pauses
réglementaires ;
non-consultation du collaborateur pour les décisions ayant un impact
sur son activité ;
non-utilisation de certaines compétences, faibles perspectives de
développement ;
fort contrôle de l’activité par le manager.

Pour agir et pour développer les marges de manœuvre et la latitude


décisionnelle, diverses actions peuvent être menées au niveau du
management :
faire confiance à la compétence de ses collaborateurs ;
déléguer en respectant le principe de subsidiarité ;
encourager l’autonomie ainsi que la participation aux décisions
surtout lorsqu’elles concernent directement le collaborateur ;
manager en fonction du niveau d’autonomie de chacun ;
éviter le prétexte de l’urgence pour prendre des solutions rapides et
unilatérales ;
encourager les collaborateurs qui soulèvent un problème à explorer
les pistes de solutions envisageables.

La charge de travail
La charge de travail concerne tout ce qui est en lien avec la quantité de
travail, son intensité et sa complexité, qui peuvent engendrer stress et
charge mentale :
charge de travail non régulée ;
non-adaptation des compétences à l’activité réalisée ;
manque de clarté dans la définition des responsabilités ;
non-atteinte de la qualité souhaitée en termes de résultats ;
entrecoupement des tâches ;
mise à disposition de moyens techniques et humains non adaptés ;
exposition et visibilité physique permanente.

« Mon quotidien est une course permanente. Mon réveil sonne à 6


heures, puis tout s’enchaîne sans aucune pause jusqu’à la nuit
tombée. Les rendez-vous se succèdent, même pendant l’heure du
déjeuner. Je n’ai pas cinq minutes pour moi dans ma journée. Je
suis face à un public en permanence, donc je ne peux jamais me
détendre ou respirer. J’ai coutume de dire en rigolant qu’il n’y a
qu’aux toilettes que je suis cinq minutes tranquille ! »
Judith, formatrice salariée en management

Pour limiter les risques inhérents à cette charge de travail, un certain


nombre d’actions peuvent être prises au niveau du management pour
favoriser le maintien d’un niveau de stress bas 15 :
réguler et contrôler la charge de travail :

évaluer la charge réelle de travail de ses collaborateurs. Ce qui n’est


pas fait, ce qui n’est pas terminé, a été abandonné, ou ce qu’on
cherche à faire sans y parvenir fait aussi partie de la charge de
travail,
réduire les interruptions,
apprendre à dire non dans le respect de l’autre et de soi-même
gérer ses priorités,
définir les charges de travail en collectif ;

veiller à l’adéquation entre compétences et exigences (plan de


formation, tutorat, mentoring…) ;
clarifier les rôles de chacun y compris aux interfaces
(négociable/non négociable) ;
réaliser des descriptions de poste détaillées ;
développer l’utilisation du management visuel : afficher de manière
claire, lisible et directement observable des informations d’analyse
ou d’action. Cela permet :

de faciliter la réactivité et donc être une aide à la prise de décision,


de rendre visible la contribution de chacun et donc de la clarifier,
de visualiser les objectifs à atteindre,
de suivre en temps réel la production,
d’améliorer la communication et développer l’esprit d’équipe,

augmenter sa présence terrain pour mieux évaluer la réalité d’un


poste.

Le manque de soutien au salarié

Un salarié doit se sentir soutenu dans son entreprise, que ce soit par ses
dirigeants, managers, collègues…

En effet, dans le milieu professionnel, on remarque fréquemment :


un faible soutien de la hiérarchie et/ou des collègues (technique et
affectif) ;
une absence d’écoute des difficultés par le management (peu ou
pas de feedback) ;
un travail individuel ne demandant aucune interaction avec le
collectif ;
peu de modalités de reconnaissance professionnelle ;
une appréciation insatisfaisante de la performance et de
l’investissement ;
une mauvaise ambiance de travail ;
des mécanismes d’exclusion ;
une absence d’équilibre pro/perso ;
des parcours non motivants et/ou non sécurisants ;
des outils d’évaluation non conformes à la réalité du travail (forte
quantité de travail invisible) ;
un sentiment d’iniquité salariale ;
un accompagnement au changement insuffisant ;
une incertitude sur l’avenir de l’entreprise…

Pour y remédier, les managers et dirigeants se doivent de :


favoriser l’intégration des nouveaux arrivants dans le collectif de
travail ;
créer des moments de convivialité au sein de l’équipe ;
permettre les processus collaboratifs ;
établir les conditions de la confiance entre les acteurs ;
prévenir les relations dégradées entre individus ;
témoigner de la reconnaissance ;
redonner de l’importance aux échanges oraux et informels ;
faire du feedback une pratique quotidienne.

Les moyens « personnels » de faire face

Il existe également des moyens « personnels » d’apprivoiser l’excès de


stress.
Le stress étant un mécanisme d’adaptation à un événement ou à une
pensée (une anticipation d’un événement), il sera possible de l’atténuer
en modifiant la situation, lorsque c’est faisable, ou sinon, en modifiant
son mental (adopter une pensée différente moins stressante). Cet
objectif sera atteint par les méthodes de régulation émotionnelle
exposées au chapitre 1 (acceptation émotionnelle, imagerie mentale
positive, réévaluation cognitive, distraction par une activité prenante,
mise en perspective, recherche de bénéfice).
ÉVEILLEZ VOS TALENTS…

Retrouvez l’apaisement avec l’imagerie mentale


Faites un effort d’imagination pour vous projeter dans une scène particulièrement
agréable pour vous, selon vos goûts personnels (endroit agréable, réunion entre
amis, repas, réalisation d’une action qui vous tient à cœur, scène de vacances,
souvenir du passé ou projection dans l’avenir, etc.).
Choisissez-la en fonction du maximum de bien-être que peut vous procurer cet
événement, incluez un maximum de détails, physiques (ressentis visuels, auditifs,
paroles, sensations tactiles, parfums, évocations émotionnelles agréables,
interactions avec des personnes aimées ou estimées).
Analysez pourquoi ces perceptions vous font du bien.
Attardez-vous pendant cinq minutes au minimum.
Notez sur une échelle de 1 à 10 votre état mental avant et après l’expérience.

Il existe également une méthode, appelée Tipi (Technique d’identification


des peurs inconscientes), qui vise à mieux se connaître pour mieux se
ressourcer. En groupe restreint ou auprès d’un large public, des
formations gratuites, en deux sessions d’une heure, sont régulièrement
organisées dans la France entière. Elles visent à apprendre à réguler ses
émotions en situation, lorsqu’un désordre émotionnel survient.

Les émotions et le stress sont intimement liés. À partir du moment où


une information nécessite une adaptation par le stress, elle est jugée
suffisamment importante par le cerveau pour produire une émotion. Il
n’est donc pas étonnant que les démarches de régulation émotionnelle et
de lutte contre le stress soient quasiment superposables.

Outre changer la situation ou modifier son mental, une troisième voie


consiste à utiliser le principe de l’influence corporelle sur la détente
mentale. Cela consiste à agir sur les informations en provenance du
corps et à favoriser l’apaisement par une distraction au travers d’une
activité qui nous motive, un exercice physique (ou encore de la
relaxation).

Quelques méthodes de relaxation


Elles visent à stimuler le système d’apaisement (parasympathique) en
adressant au cerveau un message de détente pour contrer l’excitation
entretenue par les informations stressantes. Parmi toutes les actions
corporelles susceptibles d’adresser ce signal de calme, très peu sont
accessibles à notre contrôle conscient. Il est difficile d’agir sur sa tension
artérielle ou sa fréquence cardiaque ; en revanche, nous pouvons
contrôler notre rythme respiratoire et la contraction de nos muscles. Ces
informations vont véhiculer vers le cerveau un efficace message
d’apaisement émotionnel et de diminution du stress.

Le contrôle respiratoire

La méthode la plus simple et la plus abordable pour apaiser son stress


est le « contrôle respiratoire », encore appelé « respiration rythmique »
ou « cohérence cardiaque ». C’est un ralentissement volontaire du
rythme respiratoire Cette action envoie au cerveau un message de
relaxation 16 , dont nous pouvons percevoir les effets en trois à cinq
minutes. C’est un excellent moyen pour aborder la relation entre corps et
esprit, sans besoin d’apprentissage complexe ni de talent spécifique, si
ce n’est un entraînement initial dans un environnement calme, avant de
pouvoir être appliquée en période de crise aiguë.

RECOMMAND’ACTIONS

Contrôler sa respiration
La technique consiste à ralentir le rythme en contrôlant de longues respirations.
Inspirer lentement puis expirer doucement.
Selon certaines études, le rythme optimum est de cinq secondes d’inspiration et
cinq secondes d’expiration : à cette fréquence, on observe le plus souvent une
coordination des mouvements respiratoires avec le rythme cardiaque, d’où le nom
de « cohérence cardiaque 17 ».
Cette coordination n’est pas systématique, mais constitue un bon signe d’équilibre
émotionnel.
Ressentir le passage de l’air dans le nez, la gorge et la cage thoracique.
Compter calmement jusqu’à cinq en inspirant et jusqu’à cinq en expirant.
Prendre conscience en expirant que votre corps se relaxe naturellement…
Prolonger cet exercice pendant un minimum de cinq minutes.

Les résultats sont obtenus au bout de quelques minutes : sensation


d’apaisement mental et diminution des perceptions émotionnelles
négatives. Cette technique a montré son efficacité, en particulier dans les
contextes d’anxiété 18 .
Il existe des logiciels disponibles dans le commerce, mesurant les
rythmes cardiaques et respiratoires à l’aide de capteurs et visualisant le
résultat sur des écrans. Ils peuvent aider à atteindre une vraie cohérence
cardiaque (les rythmes peuvent être visualisés et contrôlés), mais ne
sont pas indispensables.

Hormis les situations demandant une réaction instantanée, la cohérence


cardiaque peut être utilisée en toutes circonstances : avant une prise de
parole publique, face à une inquiétude, à un énervement dans une file
d’attente, en préparation d’un entretien tendu ou avant un acte délicat
nécessitant une importante concentration.

En entreprise, cela peut se pratiquer avant une prise de parole en public


ou une réunion dans laquelle on doit intervenir, un entretien annuel ou un
rendez-vous que l’on prévoit conflictuel. Cela peut également permettre
un retour à la sérénité après un feedback déroutant.

RECOMMAND’ACTIONS

Se relaxer par contrôle respiratoire/cohérence cardiaque


À partir d’une application smartphone (Ma cohérence cardiaque ou RespiRelax)
ou à l’aide d’un métronome et d’un chronomètre, programmer une séance de cinq
minutes et évaluer son état de tension mentale subjective (c’est-à-dire telle que
nous la percevons instinctivement), avant et après l’exercice, sur une échelle de 1
à 10.

Les méthodes de relaxation neuromusculaire

Edmund Jacobson, un médecin américain du début du XX e siècle, avait


observé que la moindre activité psychique s’accompagnait d’une
contraction musculaire, alors que le relâchement musculaire profond était
lié à une détente physique et émotionnelle. Plus les émotions sont
répétitives ou intenses, plus les contractions ont tendance à s’amplifier.
Le corps se prépare à l’action mais… l’action ne vient pas, le corps et le
mental s’altèrent.

Le relâchement musculaire volontaire des différents muscles accessibles


à la conscience peut rompre cette tension physique et psychique. La
contraction puis décontraction musculaire, ainsi que la focalisation de
l’attention sur ces régions du corps adressent un message d’apaisement
au cerveau par l’intermédiaire du système nerveux ascendant.
Il existe actuellement de nombreuses variantes, toutes basées sur
l’alternance contraction-relaxation musculaire.

RECOMMAND’ACTIONS

Se relâcher
Les méthodes consistent, pour la plupart, à prendre conscience, à contracter puis
à relâcher les principaux groupes musculaires du corps : serrer le poing droit le
temps d’une inspiration, rester contracté trois secondes puis relâcher pendant
l’expiration en soufflant calmement, sentir son avant-bras relâché pendant une
minute.
Procéder de même avec le côté gauche, puis avec les biceps, jambes, cuisses,
abdominaux, nuque et épaules. Les phases de contraction ont l’intérêt de faire
prendre conscience des muscles, d’apprendre à les ressentir en cas de stress.
La phase de relâchement stimule le réseau vagal qui envoie le message
d’apaisement au cerveau.

Contrairement aux techniques de contrôle respiratoire, la relaxation


musculaire nécessite un apprentissage avec un thérapeute formé ou au
minimum un guidage par une source sonore ou une vidéo. Une fois ces
compétences acquises, elle peut être utilisée en toute circonstance, en
préventif ou en réaction à un événement.
Une version simplifiée peut s’utiliser au quotidien, lors d’une pause ou
d’un déplacement. Il s’agit de pratiquer de petits exercices de relaxation
consciente, répétés tout au long de la journée, en identifiant ses tensions
musculaires et en pratiquant des petits mouvements de détente des
zones repérées. L’efficacité dépend de la répétition régulière des
exercices.

Les techniques de sophrologie, le training autogène, la méthode Vittoz


Ces méthodes, comme de nombreuses autres mises au point par des
médecins ou chercheurs du siècle dernier, sont basées sur le recentrage
vers la respiration, la tension musculaire, la position du corps et les
sensations corporelles. Elles ont, pour la plupart, montré leur efficacité.
Bien qu’utiles, nous ne les détaillerons pas, car l’aide d’un thérapeute
expérimenté est nécessaire.

Toutes ces méthodes de relaxation sont efficaces, elles nous aident à


prendre conscience de notre corps, à détecter plus rapidement les
émotions, les tensions respiratoires ou musculaires. Elles nous
familiarisent avec nos sensations corporelles, afin de mieux les prendre
en charge dès leur apparition, ce qui est primordial pour l’efficacité.
Cependant, elles nécessitent un minimum de temps et ne s’adaptent pas
aux situations imprévues. Elles s’appliquent à des situations d’intensité
moyenne ou répétitives mais restent peu efficaces face à un stress
violent (angoisse, colère, phobie, épuisement ou état dépressif).

Enfin, il existe des démarches qui allient une action immédiate à un effet
préventif à long terme, en agissant à la fois sur le mental et sur les
ressentis corporels : ce sont les méthodes de pleine conscience
(mindfulness). Issues de sagesses ancestrales, mais évaluées et
reprogrammées pour nos modes de vie actuels, elles proposent de nous
préserver de nos angoisses d’avenir ou des préoccupations du passé, au
profit de l’attention au présent. Elles modifient notre rapport au monde,
en s’appuyant sur l’orientation de notre attention consciente vers
l’observation de notre corps et de nos pensées.

La pleine conscience : une discipline mentale et une orientation


vers le présent

Au travail, vous pensez généralement être concentré sur votre tâche.


Pourtant la moitié du temps, votre esprit s’évade du présent. Publiée
dans la prestigieuse revue Science , une très grande étude de Matt
Killingsworth, portant sur 15 000 personnes, 80 pays et 86 milieux
sociaux différents, a révélé que notre esprit divague 47 % de notre temps
en moyenne.

« L’avenir nous tourmente, le passé nous retient, et c’est pour


cela que le présent nous échappe. »
Gustave Flaubert, Correspondance

Mais le plus intéressant est ailleurs : ce vagabondage mental


s’accompagne d’une baisse du bien-être. Il concerne le plus souvent des
thèmes désagréables, que nous le voulions ou non. De plus, la
chronologie montre que cette évasion mentale précède le mal-être et
qu’elle en est donc responsable.

Les origines de certains errements

Notre cerveau fonctionne par comparaisons, prévisions et associations


d’idées. Il passe son temps à échafauder des scénarios, à se remémorer
et à décortiquer des épisodes passés. C’est là une fonction
indispensable pour anticiper les difficultés et aider à la prise de décision.

Une partie du cerveau s’active quand l’attention n’est plus concentrée sur
une tâche présente – le réseau par défaut . Il est tourné vers notre
monde intérieur, nous permet d’analyser le monde mais ouvre également
la porte aux errements et ruminations. Nous devons donc apprendre à
débrancher ce pilote automatique, à passer du mode « penser » au
mode « ressentir ». Ce n’est pas évident car cet automatisme fait partie
de nos habitudes. Il faut donc faire un effort pour en sortir. Un effort
d’autant plus important que notre éducation française nous a appris à
penser, beaucoup plus qu’à ressentir. Nous éduquons peu à la gestion
de l’émotion et le système scolaire est encore très orienté vers le
développement de l’intellect et des raisonnements analytiques.
Dans le but de changer ces modes habituels, notre conscience utilise
d’autres réseaux qui :
hiérarchisent l’importance des éléments à traiter – le réseau de
saillance ;
dirigent nos pensées selon un but que nous avons choisi – les
fonctions exécutives.

Ces fonctions nous donnent la liberté de choisir nos pensées selon notre
volonté. Mais elles nécessitent cependant un effort. La maîtrise de
l’attention est un art accessible à tous, sous réserve de motivation et
d’entraînement.

Entraîner sa capacité à rester au présent


Pour revenir au présent, il faut développer une capacité de prise de
distance par rapport aux pensées et émotions envahissantes. Ces
pratiques sont connues depuis des millénaires. Elles ont été
redécouvertes récemment et développées dans le sillage de Jon Kabat-
Zinn. Ce chercheur du MIT a adapté la « pleine conscience » aux
exigences du monde moderne 19 . D’abord utilisées dans le traitement de
l’anxiété et la prévention des dépressions, ces méthodes ont montré une
telle efficacité qu’elles se sont répandues comme une traînée de poudre
dans les hôpitaux du monde entier, puis ont été diffusées au grand
public. Les séances sont simplifiées, libérées de tout contexte spirituel.

La pratique consiste à orienter son attention sur les perceptions du


présent. Au début, le plus simple est d’observer sa respiration,
calmement et sans jugement. Puis, au fil des séances, d’ouvrir ses
perceptions au corps et aux ressentis émotionnels, toujours sans s’y
arrêter.

Ne pas s’accrocher à ses pensées implique de les accepter 20 et de les


prendre pour de simples idées qui ne font que passer, au lieu de les tenir
pour des vérités. Les pensées sont une interprétation du monde, elles ne
sont pas le monde. En prenant le parti d’accepter tous nos ressentis sans
les juger, nous désamorçons cette machine à ruminer qui se met en
route chaque fois que nous portons un jugement négatif.
Tout cela peut paraître un peu abstrait ; une autre façon de l’expliquer est
d’imaginer un enfant agité : si vous essayez de l’immobiliser par la force,
il va se débattre avec plus de violence. Si vous lui laissez de l’espace,
avec bienveillance, il va finir par se calmer. En tentant de maîtriser vos
inquiétudes, elles se développeront, alors qu’en les accueillant avec
distance et bienveillance, elles s’éloigneront.

RECOMMAND’ACTIONS

Se guider avec une appli de pleine conscience


Il existe une multitude d’applications, gratuites ou pas, qui permettent de faire des
exercices de méditation en pleine conscience. Voici une liste indicative et non-
exhaustive des applications qui peuvent être des supports ponctuels ou plus
pérennes aux démarches de pleine conscience.
Méditer avec Christophe André, Petit BamBou, Zenfie (partie destinée aux
enfants), Pleine conscience, Imagine Clarity, Mindful Attitude, une application
d’une fondation d’entreprise, gratuite et adaptée à tous types de situation
(programme découverte, rendez-vous avec soi-même, moment de médiation au
travail, express ou plus longue…).

Des résultats probants

Bien que ces démarches soient initialement détachées de tout objectif


utilitaire, les résultats sont impressionnants. L’efficacité de ces méthodes
sur le stress, l’épuisement nerveux, l’anxiété et le contrôle de soi n’est
plus à prouver. Il semblerait que les principaux vecteurs d’efficacité
soient l’acceptation émotionnelle de ce qui nous arrive (notre capacité à
prendre de la distance) et l’entraînement à orienter son attention sur
l’instant présent par utilisation de « fonctions exécutives de contrôle » qui
nous « recadrent » dans le présent 21 .
Les effets bénéfiques ne s’arrêtent pas au mental. On constate
également :
une baisse de la tension artérielle ;
une baisse du stress ;
un renforcement des défenses immunitaires.
Les mérites dépassent le simple objectif de mise à distance des
émotions et pensées indésirables : leur pratique régulière apporte
apaisement, ouverture au monde et améliore la qualité de vie. Encore
plus étonnant, elle modifie l’intimité de notre cerveau, la densité des
neurones, la réactivité des aires de régulation émotionnelle 22 , du
contrôle attentionnel 23 , de l’empathie, du traitement de la douleur !

Quel enseignement retirer de ces découvertes ?


Une pratique de trente minutes par jour pendant huit semaines est
suffisante pour modifier durablement nos capacités attentionnelles, notre
régulation émotionnelle et notre rapport aux événements désagréables.
Elle modifie la structure et le fonctionnement cérébral.

Pratiquer le contrôle volontaire de son attention, en la ramenant encore


et toujours dans le présent, est un véritable exercice, au même titre qu’un
entraînement physique.

La pleine conscience nous entraîne à garder un cap, en concentrant


l’esprit sur un objectif (focalisation) tout en nous ouvrant sereinement à
tout ce qui se présente, aux expériences extérieures comme à nos états
intérieurs (vision élargie).
En développant notre capacité à être « conscient » de nos ressentis et
pensées, nous cultivons notre liberté de choix, celle de laisser filer un
ressenti désagréable et de résister à nos ruminations.

RECOMMAND’ACTIONS

Prendre soin de son cerveau


Programmez grâce à une alarme des séances de pauses courtes (deux à trois
minutes) toutes les trente minutes lors d’une tâche à forte charge de travail. C’est
la technique « Pomodoro » du nom d’un compte-minute populaire, en forme de
tomate.
Testez la sieste de quinze minutes en cas de fatigue ou de nuit écourtée.
Testez l’endormissement trente minutes plus tôt quand c’est possible.
Faites la liste de tous les distracteurs intempestifs que vous pouvez limiter
(notifications, alarmes, mails, discussions, déconnexion téléphonique temporaire
ou en mode silencieux).
Programmez un cycle de huit semaines d’exercices de pleine conscience
(minimum vingt minutes par jour) en commençant par des séances supervisées
individuelles ou collectives et/ou en utilisant les guidages sonores des sites
conseillés.
Identifiez, hiérarchisez et au besoin sélectionnez les tâches la veille ou en début
de journée, si besoin utilisez la matrice Eisenhower vue au chapitre 2 .
Prenez conscience de l’importance de l’exercice physique sur l’équilibre mental, et
programmez une activité qui vous plaît avec un minimum de trois séances par
semaine de vingt à trente minutes (et plus si possible).
Clarifiez autant que possible, avec votre responsable et vos collaborateurs (ou
avec vous-même), les priorités, les contraintes de suivi et de communication, les
limites et les contradictions de chaque objectif défini et les possibilités
d’autonomie, d’initiatives, voire de tolérance à l’erreur en fonction de chaque
situation.

À IMPRIMER DANS VOS NEURONES

Il existe un fossé entre nos attentes et ce que peuvent fournir notre corps et notre cerveau.
Nous sommes habitué à savoir gérer notre énergie lors d’un effort physique, mais les
contraintes de la vie professionnelle nous font souvent oublier les limites de notre
organisme au travail. Tel un athlète, nous devons apprendre à gérer au mieux nos
potentiels physiques et mentaux à partir de quelques règles simples mais incontournables
et en adaptant finement ces ressources aux demandes professionnelles et aux objectifs.
Ces aptitudes sont heureusement évolutives et susceptibles de s’améliorer avec
l’entraînement, à condition de respecter notre cerveau autant que le reste de notre
organisme. La plasticité cérébrale est à l’image des formidables capacités d’adaptation du
corps humain : elle permet des merveilles, mais demande un minimum de respect des
limites physiologiques. Elle nécessite par ailleurs des phases de récupération, aussi
indispensables que les périodes d’action. Cette acceptation sereine et engagée des lois de
la nature permet de progresser par étapes, dans un état d’esprit serein mais déterminé, en
évitant les dépenses d’énergie inutiles ou improductives et en apaisant les sources
d’anxiété et de stress.
Cet état d’esprit provient :
d’une prise de conscience des limites attentionnelles en fonction de la charge de
travail ;
du respect et de l’entretien des capacités mentales : pauses, sommeil, alimentation et
exercice physique ;
des méthodes de régulations émotionnelles centrées sur l’action mentale (voir
chapitre 1 ) ;
de l’entraînement à la concentration, en s’aidant au besoin de l’acceptation
émotionnelle et des méthodes d’entraînement à la pleine conscience ;
d’une limitation des dépenses d’énergie improductives : sollicitations,
hyperconnexion, cadre de travail stressant ;
d’une clarification des objectifs, des méthodes, des marges de manœuvre et de
tolérance, pour soi, ses collaborateurs ou vis-à-vis de ses structures de contrôle ;
de la mise en place d’un tissu coopératif, empathique, bienveillant et attentif aux
besoins et attentes de son entourage professionnel (tout en étant capable d’affirmer
ses propres attentes par une communication assertive et apaisée). Les émotions
étant éminemment contagieuses, ces pratiques personnelles se diffuseront à grande
vitesse dans l’ensemble du cadre de travail.

L’ensemble de ces actions seront plus efficaces si elles sont régulièrement répétées dans la
journée, que si elles font l’objet d’un effort important mais sporadique.
La régulation du stress provient en partie des capacités d’actions personnelles que nous
venons d’évoquer et, par ailleurs, de notre aptitude à identifier les événements sur lesquels
nous n’avons pas de prise, afin de pratiquer l’acceptation émotionnelle. Cette démarche
présente l’avantage de ne pas saturer nos ressources cérébrales et de les laisser
disponibles pour gérer les situations concrètes, accessibles à nos actions.

« Comme un océan, la vie comporte des vagues, parfois hautes


parfois modestes. Nombreux sont les gens qui pensent que le
but de la méditation est de les aplanir pour vivre dans des eaux
calmes, mais ce n’est pas en son pouvoir. Vous ne pouvez pas
arrêter les vagues, mais vous pouvez apprendre à les surfer. »
Jon Kabat-Zinn

1. Bradbury N.A., « Attention span during lectures Advances », Physiology Education , 40(4),
2016, 509-513 (
https://www.physiology.org/doi/full/10.1152/advan.00109.2016#.W3h4p2CqpA4.twitter ).
2. Lieberman M.D. et al ., « Evidence-based and intuition-based self-knowledge: an FMRI
study », Journal Pers Soc Psychol , 87(4), 2004, 421-435.
3. Persson J. et al. , « Imaging fatigue of interference control reveals the neural basis of
executive resource depletion », Journal Cogn Neurosci , 25(3), 2013, 338-351.
4. Blain B. et al. , « Neural mechanisms underlying the impact of daylong cognitive work on
economic decisions », Proc Natl Acad Sci USA , 113(25), 2016, 6967-6972.
5. Couffe C. et Cuny C., « Comment booster sa concentration au travail ? », GEM, 2017 (
https://www.grenoble-em.com/actualite-comment-booster-sa-concentration-au-travail ).
6. Lachaux J.-P., Le Cerveau attentif , Odile Jacob, 2013.
7. Ibid .
8. Walker M.P. et Stickgold R., « Sleep, memory, and plasticity », Annu Rev Psychol , 57, 2006,
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9. Tucker M.A. et al. , « To sleep, to strive, or both: How best to optimize memory », PloS One ,
20 juillet 2011.
10. Lawlor D.A. et Hopker S.W., « The effectiveness of exercise as an intervention in
management of depression: systematic review and meta-regression analysis of randomised
controlled trials », British Medecine Journal , 322, 2001, 763-767.
11. Valls-Pedret et al. , « Mediterranean Diet and Age-Related Cognitive Decline: A Randomized
Clinical Trial », JAMA Intern Med. , 175(7), 2015, 1094-1103 (doi :
10.1001/jamainternmed.2015.1668).
12. Selon l’ANSES et la Fédération pour la recherche sur le cerveau.
13. Sjöberg H., « Relation between different arousal levels induced by graded physical work and
psychological efficiency », Reports from the psychological laboratories , University of
Stockholm, 1968, 251.
14. Voir Noyé D. et Joseph-Dailly E., Développez l’engagement de vos collaborateurs , Eyrolles,
2018.
15. Voir Noyé D. et Cristofini R., Faire face au stress – Agir pour la qualité de vie au travail ,
Eyrolles, 2011.
16. Schipke J.D., Pelzer M. et Arnold G., « Effect of respiration rate on short-term heart rate
variability », Journal of Clinical Basic Cardiology , 2, 1990, 92-95.
17. Lehrer P.M., Vaschillo E., Vaschillo B., Lu S.E., Eckberg D., Edelberg R. et Hamer R. M.,
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Psychosomatic Medicine , 65, 2013, 796-805.
18. Meier N.F. et Welch A.S., « Walking versus biofeedback: a comparison of acute interventions
for stressed students », Anxiety Stress Coping , 25, 2015, 1-16.
19. Kabat-Zinn J., Où tu vas, tu es. Apprendre à méditer pour se libérer du stress et des tensions
profondes , J’ai lu, 1996.
20. Philippot P., Émotion et psychotérapie , Éditions Mardaga, 2011.
21. Teper R. et Inzlicht M., « Meditation, mindfulness and executive control: the importance of
emotional acceptance and brain-based performance monitoring », Soc Cogn Affect Neurosci
, 8(1), 2013, 85-92 (doi:10.1093/scan/nss045).
22. Lutz J., Herwig U., Opialla S., Hittmeyer A., Jäncke L., Rufer M. et Brühl A.B., « Mindfulness
and emotion regulation – an fMRI study », Social Cognitive and Affective Neuroscience , 9(6),
2014, 776-785.
23. Hölzel B.K., Ott U., Hempel H., Hackl A., Wolf, K., Stark R. et Vaitl D., « Differential
engagement of anterior cingulate and adjacent medial frontal cortex in adept meditators and
non-meditators », Neurosci. Lett. , 421(1), 2007, 16-21.
CHAPITRE 6
AMÉLIORER VOTRE QUALITÉ
RELATIONNELLE GRÂCE AU
CERVEAU SOCIAL

« La vie est telle un écho :


ce que tu envoies te revient
ce que tu sèmes, tu récoltes
ce que tu donnes, tu l’obtiens
»
ce que tu vois dans les autres existe en toi.

Hilary Hinton dit « Zig Ziglar » (1926 –2012),


auteur et conférencier américain
sur le développement personnel

maginez que l’on vous demande quelle est la compétence la plus


I importante pour améliorer votre vie professionnelle et personnelle.
Quel est le domaine qui mériterait que vous y investissiez le plus
d’énergie ? Chacun sa réponse, ses croyances, ses valeurs. Mais
quelles que soient nos convictions, il existe un facteur qui dépasse tous
les autres en termes de bien-être, d’efficacité mentale et de santé
physique.
Comment le connaître ?

Difficile d’apprécier un si vaste sujet par notre seule expérience ou par


des témoignages ponctuels. Il faudrait observer des vies entières depuis
l’enfance jusqu’à la vieillesse, évaluer des milliers de données objectives,
année après année, pour repérer ce qui rend les gens plus heureux, plus
motivés et en bonne santé. Et la bonne nouvelle est que cette étude
existe : elle a débuté en 1938 et concerne 724 personnes de milieux
sociaux différents. Elle porte actuellement sur les enfants des premiers
participants. L’étude de Waldinger et Vaillant, de l’université de Harvard,
est peut-être la plus longue évaluation scientifique jamais réalisée 1 .
Pendant quatre-vingts ans, les vies de centaines de personnes ont été
scrutées dans leur travail, leur perception personnelle, leur vie de famille
et leur santé. Des milliers d’informations, de témoignages et
d’évaluations objectives ont été croisés et analysés 2 .

Le résultat ?

Intelligence, richesse, chance, ambition, courage seraient les choses qui


nous rendraient plus heureux ? Non, le plus important tient en une
phrase : « Les relations de qualité nous rendent plus heureux et en
meilleure santé. » C’est tout.
Les personnes les plus connectées à leur famille, leurs collègues, leurs
amis, leur communauté sont plus heureuses, physiquement en meilleure
santé et vivent plus longtemps. L’étude montre par ailleurs que la solitude
abrège la vie. Les gens qui étaient les plus satisfaits dans leurs relations
à 50 ans étaient ceux en meilleure santé à 80 ans…

Cette recherche n’est pas isolée, elle est confirmée par une multitude
d’autres. Vivre et travailler entouré de gens que l’on apprécie est tout
simplement le meilleur moyen de se sentir bien dans son travail et dans
sa vie. De plus, lorsque nous nous sentons bien, nous devenons plus
performant, plus ouvert et plus apte au succès 3 . Être compétent,
intelligent, travailleur, posséder des diplômes ou des savoir-faire sont des
atouts fondamentaux, mais insuffisants pour réussir, encore moins pour
se sentir bien au travail.
Nous avons analysé l’importance de l’intelligence émotionnelle (voir
chapitre 1 ) et ses retentissements sur les stratégies de décision (voir
chapitre 2 ) , le rôle de la motivation (voir chapitre 3 ) et de l’adaptation au
changement (voir chapitre 4 ) , il nous reste à comprendre la finesse des
rouages de l’intelligence émotionnelle relationnelle, l’intelligence du
rapport à l’autre. Dans cette optique, nous utiliserons une synthèse des
avancées récentes en psychologie expérimentale, en biologie et en
neurosciences cognitives.
REVALORISER LE POTENTIEL DU CERVEAU
SOCIAL

Le point de vue des neurosciences

L’homme est un animal social, son cerveau s’est structuré autour


d’interactions sociales. Ses capacités de coopération et d’organisation lui
ont permis de s’imposer sur la planète, aux dépens d’espèces plus
puissantes ou plus prolifiques. L’homo sapiens a supplanté les primates
et autres hominidés par ses capacités à mieux coopérer et communiquer.
Dans cette optique, l’empathie est un outil fondamental de cohésion du
groupe. Le cerveau s’est donc façonné pour cet impératif : comprendre et
communiquer des informations en société. Nous avons besoin des
autres, c’est un fait. La notion d’interaction sociale et d’importance du
groupe est directement liée au volume du cortex préfrontal qui est une
spécificité humaine 4 . Le développement de l’écoute de l’autre et de
l’empathie a démultiplié nos capacités de coopération. Nous savons
aujourd’hui que les groupes qui parviennent à bien s’écouter et à capter
les émotions des membres, pour agir en fonction, ont une intelligence
collective plus importante 5 .

Nous approfondirons cette intelligence collective au chapitre suivant.

Nous naissons paramétrés pour l’entraide et la solidarité. Ce sont des


capacités innées. Mais en grandissant, nous nous éloignons de ces
compétences, les rendant quasi invisibles, en même temps que la
tentation du repli sur soi et la peur de l’autre gagnent du terrain.
Plusieurs raisons à cela. D’une part, l’école nous a, pendant des
décennies, poussé à l’individualisme.
« Je me souviens de manière très nette de mon professeur de
français de classe de seconde qui nous répétait régulièrement
pendant nos devoirs sur table : “Et abstenez-vous de collaborer !
C’est avec soi-même que l’on réfléchit !” À l’école, collaborer, c’était
copier. Tout ou presque devait se faire seul et l’évaluation était
individuelle. Comment espérer alors que, du jour au lendemain, on
bascule vers une appétence pour les pratiques collaboratives et la
performance collective ? »
Annaëlle, informaticienne

Puis notre monde rationnel nous a éloigné de ces compétences sociales


basiques. Nous sous-estimons dramatiquement notre capacité à
percevoir les signaux émotionnels émis par les autres (et ceux que nous
produisons vers autrui). Or nos pensées sont contagieuses pour les
autres. Nous transmettons sans le savoir des informations émotionnelles
par notre visage, notre attitude, notre démarche ou le ton de notre voix,
créant ainsi une véritable contagion émotionnelle. Ces informations
répétitives, plus ou moins agréables, que nous adressons aux autres,
vont favoriser chez eux, à leur insu, la stimulation de circuits neuronaux,
en réaction. Ces modifications inconscientes vont conditionner leur
humeur, leurs émotions et leurs réponses. Si nous multiplions les signaux
positifs, nous développons chez l’autre des connexions similaires. Nous
sommes tous responsables de la propagation d’une ambiance positive,
engageante et bienveillante ou, à l’inverse, d’un climat de défiance ou de
récriminations !

Ces messages ne fonctionnent pas en mimant une fausse bienveillance,


mais en vivant de l’intérieur un état d’esprit authentique (puisque les
messages transmis et perçus sont en majeure partie non conscients).

Nick Morgan, dans son livre Power Cues 6 , évoque ces millions de
signaux que nous émettons à travers notre langage non verbal et que
nous recevons des autres.

« Quand les gens arrivent dans une salle de formation, ils viennent
avec leurs problèmes de la veille, voire du jour même, leur niveau
d’énergie plus ou moins haut et leur envie fluctuante. Dès qu’ils
passent la porte, ils émettent des signaux que je reçois plus ou
moins positivement. Cela me demande souvent un effort de prendre
conscience que mes ressentis quasi intuitifs à l’égard de telle ou
telle personne sont reliés à un geste, à une absence de sourire ou à
un certain type de regard, qui a duré à peine une fraction de
seconde, mais a suffi à me marquer émotionnellement. »
Kelig, formateur informatique

Un cerveau hypersensible

Une simple exposition à une image de visage émotionnel pendant 33 ms


(subliminale car masquée par d’autres images plus longues) suffit à
modifier notre réponse cérébrale, en particulier dans les régions
impliquées dans la perception émotionnelle (noyaux amygdaliens) 7 .
Cette perception entraîne toute une chaîne de réactions inconscientes,
sources de pensées plus ou moins conscientes. D’autres études
montrent que la perception émotionnelle d’un visage (environ 120 ms 8 )
est plus rapide que la perception visuelle et la reconnaissance
consciente (environ 300 ms). Cette action débute bien avant la prise de
conscience. Elle peut même agir sur notre état affectif à notre insu, sans
prise de conscience du caractère émotionnel de la scène.

Un cerveau imitateur

Les actions de voir, imaginer et faire activent les mêmes circuits


cérébraux. Des micro-mesures des muscles du visage montrent qu’ils
s’activent en mimétisme des expressions faciales d’autrui. Pour
comprendre l’autre, nous avons besoin de l’imiter inconsciemment. Cette
compréhension visuelle diminue chez les personnes dont les muscles
faciaux sont anesthésiés, par du botox par exemple. Voir ou percevoir un
comportement apaisant va en outre favoriser l’apaisement personnel car
le lien social produit des pensées et actions en miroir.

Dans le monde de l’entreprise, il existe un principe appelé la « symétrie


des attentions ». On a constaté qu’il existait une symétrie entre la relation
salarié-client et la relation manager-salarié. Autrement dit, si l’on veut
que le salarié s’implique fortement dans une relation attentionnée envers
son client, il est nécessaire que le manager développe une relation
attentionnée envers son collaborateur. La notion de symétrie des
attentions a été popularisée il y a une dizaine d’années dans l’ouvrage
Les Employés d’abord, les clients ensuite, comment renverser les règles
du management . Dans ce livre, Vineet Nayar affirme que la qualité de la
relation entre le salarié et son organisation impacte la satisfaction client.
Par extension, l’exemplarité du comportement managérial est un levier
sur la relation client.

Aujourd’hui, le leadership mue pour passer d’une posture de guide à une


posture attentionnée. Être leader, c’est désormais prendre soin des
autres, les protéger du danger. Le véritable leader est celui qui cède son
bureau à celui qui en a l’utilité ou qui se charge d’aller chercher le café
dans la réserve lorsque les stocks sont vides. Dans son livre Pourquoi
les vrais leaders se servent en dernier , Simon Sinek explique que
l’évolution des cultures d’entreprise tend vers la disparition progressive
de la suprématie du leader qui écrase. Ce profil dominant, parfois
associé au mâle alpha, qui, dans le monde animal, est respecté, voire
craint et reçoit de ce fait des privilèges sociaux décuplés. C’est
aujourd’hui l’idée du manager au service de ses équipes, et non l’inverse
9 . Et le formidable pouvoir du cerveau mimétique prend ici toute son

ampleur.

Un cerveau accro au lien affectif

Le lien social va aussi activer un réseau lié au plaisir et au désir (réseau


de récompense) et à la production de dopamine et d’ocytocine 10
(neurotransmetteurs cérébraux liés à la satisfaction, à l’affection et à la
confiance). Des études d’imagerie du cerveau montrent aussi que toute
une partie du cerveau ne s’active que lorsque nous sommes en relation
sociale. Pour Pierre-Marie Lledo, directeur du département
Neurosciences à l’Institut Pasteur, « s’intéresser à l’autre est bénéfique »
car cela développe notre cerveau social. Par conséquent, « cultiver son
altérité revient à entretenir son cerveau ». Mais en cas d’isolement
prolongé, cette fonction va s’altérer.

GRAINES DE CONNAISSANCES

Le cerveau des personnes rejetées


Le rejet (social, professionnel ou sentimental) est destructeur : si l’on montre à une
personne la photo d’un proche qui l’avait rejeté dans un passé récent, l’imagerie de son
cerveau révèle une activation des mêmes zones cérébrales que celles de la douleur
physique (cortex somato-sensoriel secondaire). De plus, l’administration d’un antidouleur
diminue cette activation cérébrale et atténue la perception de la douleur mentale 11 ! Le
rejet constitue donc, au même titre qu’une fracture osseuse, une cause de souffrance
extrême.
Ces observations ne sont pas étonnantes si on considère qu’aux origines, les premiers
humains ne devaient leur survie qu’au maintien du groupe. Un individu isolé avait une
espérance de vie courte, un rejet était synonyme de peine capitale ! Le fonctionnement
structurel du cerveau n’a pas varié depuis ces époques, seuls les acquis culturels ont été
modifiés.
Les connaissances de psychologie expérimentale, de neurosciences cognitives ou encore
d’anthropologie vont donc converger pour nous apprendre que notre cerveau social est
sous-estimé.
Ignorer ce pan entier de notre activité cérébrale revient à amputer nos capacités mentales.

COMPRENDRE VOTRE CERVEAU SOCIAL : UN


AVANTAGE DE TAILLE
Dans un monde fluctuant, hyperconnecté et incertain, ne négligeons pas
le cerveau social !

À l’heure des tentations de repli sur soi, de l’envahissement par les


réseaux « sociaux » et de l’isolement avec son smartphone, la
connaissance des lois du cerveau social devient cruciale. Ces savoirs
nous imposent de donner plus d’importance à notre rapport réel aux
autres et de cultiver notre intelligence émotionnelle qui favorise le lien
social. Il faut réintroduire ce lien parmi nos priorités.
Ces démarches ne sont pas antagonistes avec les valeurs individuelles
d’efficacité, de compétence, d’engagement et d’ambition constructive. En
revanche, elles peuvent équilibrer une tendance individualiste trop
présente dans nos modes de vie, nos formations scolaires et nos
représentations de la réussite.

Pour ceux qui ne sont pas naturellement doués pour le contact, les
incantations à plus d’attention pour leur entourage, d’écoute, de gratitude
et d’altruisme seront perdues, si elles ne sont pas accompagnées d’une
appropriation du sens profond, d’une compréhension des mécanismes et
d’une méthode utilisant des techniques validées et éprouvées. D’autre
part, les inévitables tensions de la vie professionnelle feront, de manière
bien légitime, vite oublier ces bonnes résolutions, si elles ne sont pas
intégrées dans un plan volontaire de changement.

RECOMMAND’ACTIONS

Améliorer ses relations à l’autre


Cultiver son estime de soi, base de toute relation à autrui.
Travailler son intelligence émotionnelle.
Privilégier les rencontres physiques, non virtuelles.
Apprendre à développer son écoute.
Développer une affirmation de soi, respectueuse d’autrui.
Se montrer empathique et reconnaissant.
Accroître ses capacités à repérer les événements positifs.

Cultiver une bonne estime de soi

La connaissance des interactions inconscientes avec autrui nous montre


que l’on ne triche pas avec soi-même, ni avec la myriade de signaux que
nous envoyons aux autres. Être bien dans sa peau, en accord avec sa
personnalité et ses valeurs, est indispensable. Un moyen primordial pour
y parvenir consiste à cultiver une bonne estime de soi.
L’estime de soi, selon les psychologues, reflète « l’évaluation personnelle
de sa propre valeur ».
Il existe de nombreux modèles. Pour simplifier, disons que la part
d’estime liée au jugement conscient détermine la confiance en soi. Elle
dépend directement des événements extérieurs, elle varie donc en
fonction des résultats (réussites, échecs, avis des autres, acquisition de
compétences) et reste vulnérable aux difficultés, réelles ou imaginaires,
ainsi qu’aux émotions négatives (craintes, anxiété culpabilité, etc.). Elle
est instable et obéit aux montagnes russes de l’existence.
L’estime de soi dépend d’un autre facteur : la capacité à se juger digne
d’affection, quelles que soient les circonstances. C’est « l’estime
inconditionnelle de soi », une forme d’affection spontanée pour soi.

Les sources d’estime de soi

Cette estime inconditionnelle peut se travailler à travers


l’autocompassion 12 . L’enjeu n’est pas simplement théorique ; une bonne
compréhension de ces automatismes de pensée peut transformer nos
vies.

L’estime inconditionnelle provient d’une dimension affective profonde, la


perception instinctive de soi (je me sens digne d’estime ou pas).

Celle-ci est liée au tempérament inné et aux expériences du passé : la


stabilité des liens parentaux pendant la petite enfance, les premières
expériences sociales d’enfance et d’adolescence, d’éventuelles carences
affectives ou maltraitances physiques et mentales.
Ces événements forgent nos peurs. Avec l’âge, ces peurs se
transforment en croyances automatiques et influencent profondément
notre vision du monde, notre rapport aux difficultés et relations aux
autres.
« La plupart du temps, je manque d’assurance parce que j’ai
l’impression qu’on ne me reconnaît pas à ma juste valeur. J’ai
toujours l’impression qu’on ne m’écoute pas parce que je ne
m’exprime pas avec assez de conviction et que ce que je dis est
sans intérêt. Je peux être en souffrance par rapport au fait de ne pas
être entendu et je me sens vite envahi par les profils extravertis, qui
ont toujours l’air tellement sûrs de ce qu’ils présentent. »
Bruno, chargé d’étude marketing tarifaire
société de transport urbain

Un manque d’estime inconditionnelle se traduira par des autocritiques et


reproches permanents et rendra la personne complètement dépendante
de ses résultats extérieurs. Elle deviendra alors exposée à une quête
éternelle de performance.
Les inévitables imperfections et échecs seront alors jugés avec la plus
grande sévérité, ils produiront un déluge d’autocritiques, puisque la
responsabilité sera attribuée à soi. À l’inverse, l’absence de traumatisme
et des liens affectifs stables pendant l’enfance auront tendance à
produire une haute estime de soi, une « autocompassion spontanée »,
une confiance en soi et envers les autres. L’adversité sera toujours aussi
désagréable, mais sera affrontée pour ce qu’elle est, sans ajouter
d’autoflagellation.

Entre ces deux extrêmes, les profils à estime de soi variable seront
vulnérables aux échecs et épreuves, mais retrouveront une estime
élevée en période d’accalmie.
« Mon père vient de décéder et, à l’occasion de ses funérailles, j’ai
bien géré la relation avec ma sœur avec qui je me suis toujours senti
le petit. J’appréhendais beaucoup de passer du temps dans cette
grande maison avec cette “grande” sœur, son mari ultra-doué et
toutes leurs réussites qui me reviendraient à la figure. Et contre
toute attente, ça s’est très bien passé. Pour moi, ça a été une vraie
satisfaction et même une fierté personnelle de passer ces quelques
jours sereinement. »
Pablo, ingénieur IT
« Dans un des bâtiments sur lesquels je travaille, il y a une marquise
qu’il était question de supprimer. J’ai réussi à faire passer mon idée
de la réparer plutôt que de la détruire et l’architecte du patrimoine
m’a donné raison. Le jour où j’ai reçu la confirmation du chantier, j’ai
ressenti une joie profonde, comme si mon émotion d’allégresse
venait me dire que j’avais enfin été écouté. »
Renan, chargé de mission structure et interface ferroviaire

« Je travaillais dans les systèmes hydrauliques quand je suis arrivée


dans le domaine du luxe. Un gros enjeu pour moi. Je quittais un
monde archi-connu pour aller vers l’inconnu le plus complet. Avec
une nouvelle période d’essai et à nouveau tout à prouver. En plus, je
n’appartenais pas à cet univers. Mais le piment, peut-être aussi la
taille de la montagne, m’ont poussée à aller de l’avant et à grimper
sans limiter mes efforts. »
Indeza, responsable qualité dans la maroquinerie

Cette estime spontanée ne dépend pas de notre volonté, elle échappe


également aux raisonnements. En revanche, elle est sensible à
l’autocompassion qui intervient sur un registre plus émotionnel. Quels
que soient nos résultats, nos actions, nos échecs, nous méritons notre
affection inconditionnelle en tant qu’individu. Notre personnalité profonde
vaut mieux que nos imperfections réelles ou supposées.

La bonne nouvelle est que des actions volontaires sont possibles 13 pour
développer notre autocompassion. Selon Kristin Neff, chercheuse
renommée dans le domaine de l’estime de soi, nous pouvons développer
notre pratique d’autocompassion selon trois axes :
notre bienveillance pour nous-même ;
l’universalité de l’insatisfaction ;
la prise de distance par rapport aux perceptions désagréables.

Notre bienveillance pour nous-même


Elle consiste à être bienveillant et compréhensif face à nos défauts et
faiblesses, plutôt que pratiquer l’autoflagellation ou à l’inverse le déni. Se
traiter comme on aimerait l’être par un ami attentionné. Il ne s’agit pas de
nier nos défauts, nos doutes et insuffisances, mais de les accepter
comme faisant partie d’un tout à un moment donné. Ils seront pris
comme des constats ou des points à améliorer si besoin. Pas de honte
ou de culpabilité car personne n’est parfait et chacun porte son lot de
faiblesses passagères. Passer son temps à se juger et se comparer est
très destructeur. Il y aura toujours quelqu’un de plus brillant, plus malin
ou plus séduisant dans votre entourage. Se comparer est une impasse.

Attention cependant à ne pas tomber dans l’excès inverse,


l’autocomplaisance. Il ne s’agit pas de se permettre n’importe quoi, mais
d’accepter un constat, pour ensuite progresser, en améliorant nos
insuffisances ou en exploitant nos forces.

L’universalité de l’insatisfaction

Personne ne peut être entièrement conforme à ses désirs. Il existe


toujours des domaines d’insatisfaction. Le nier augmente inutilement les
souffrances, les frustrations, l’anxiété et le stress. Les plus brillants
comme les plus charismatiques ont connu des déceptions ou échecs
personnels et commis des erreurs. Ils ont su rebondir. De l’extérieur,
nous percevons l’excellence de certaines personnes dans un domaine
spécifique, mais il nous est plus difficile d’accéder aux montagnes
d’efforts, de doutes, d’échecs ou de frustrations qu’elles ont dû affronter
pour en arriver à la position enviable qu’elles occupent dans notre esprit.
Albert Einstein insistait plus sur sa capacité de travail que sur sa
créativité, il affrontait par ailleurs de graves troubles relationnels
familiaux. Quant à Winston Churchill, qui apparaît comme un exemple de
détermination, il était aussi de tempérament dépressif. Il serait ainsi
possible de multiplier ces exemples à l’infini.

Prise de distance par rapport aux perceptions désagréables


Une pensée n’est qu’une pensée, elle n’est pas notre identité.
L’autocompassion nécessite d’accepter nos émotions négatives, sans les
amplifier par des pensées inadaptées, ni pour autant les nier. De
nombreuses personnes ne réalisent pas qu’elles souffrent, quand elles
se critiquent avec rudesse.

« Je viens de m’inscrire dans une association de quartier et j’ai


proposé mon aide à la conception d’un flyer de communication pour
lequel des bénévoles étaient demandés. Mais quelques semaines
plus tard, j’ai reçu le flyer sans même avoir été consulté. Ça m’a
contrarié. Je me suis dit qu’ils n’avaient pas voulu de moi et je me
suis senti rejeté. Puis, je suis entré dans une spirale de pensées
négatives en me disant que je ne valais rien et que je n’étais même
pas capable de faire un flyer de toute façon. »
Philibert, directeur de projets de développement

ÉVEILLEZ VOS TALENTS…

Pratiquez l’autocompassion quotidiennement


Commencez par repérer les pensées automatiques dévalorisantes :
Comment ai-je été aussi stupide pour faire/pour dire ça ?
C’est trop dur pour moi.
Je vais tout rater.
Les gens ne m’aiment pas.
Je ne suis pas doué pour ça.
Je ne suis pas assez bien pour… etc.

À chacune de ces autocritiques, opposez deux phrases :


une formule de bienveillance pour vous-même (par exemple : je mérite d’être
traité aussi bien que les autres) ;
un rappel sur le fait que nous ressentons tous des imperfections et des doutes
(nous avons tous des défauts et ceux des autres peuvent être différents des
miens, mais ils ne sont ni pires ni meilleurs).

Préparez ces phrases à l’avance avec vos mots, ceux qui vous paraissent les plus
convaincants et les plus adaptés à votre situation et réutilisez-les à chaque
occasion.
Enfin, observez cette pensée dévalorisante en pleine conscience, avec distance et
bienveillance : « Voyons ce que je pense, c’est ainsi, mais ce n’est qu’une pensée
parmi d’autres. » Nous constatons alors qu’il ne s’agit que de pensées subjectives,
pas d’une réalité.

Mise en pratique opérationnelle


Reprenons l’exemple de Philibert, qui avait en vain proposé son aide à la conception
d’un flyer :
bienveillance : je n’ai peut-être pas été assez visible, je ne voulais pas
m’imposer bruyamment, les gens ne m’ont pas remarqué. Mais ce n’est pas
insurmontable, je serai plus présent la prochaine fois, je sais le faire ;
universalité : les personnes qui m’ont ignoré ont d’autres soucis et d’autres
préoccupations, je n’étais pas visé directement, il ne s’agit pas de moi ;
prise de distance : il est normal d’être frustré de n’être pas entendu, mais c’est
un épisode passager, à moi de construire la suite.

Travailler son intelligence émotionnelle

Apprendre à identifier, accepter, comprendre, réguler et gérer nos


émotions permet également de mieux identifier, accepter, comprendre et
gérer celles des autres et, par conséquent, de mieux les comprendre et
d’interagir avec eux de façon plus constructive et bienveillante. Dans
cette optique, les conseils du chapitre 1 s’adressent autant à nous-même
qu’à la relation à notre entourage. Développer notre intelligence
émotionnelle s’apprend et améliore nos liens relationnels.

Privilégier les contacts réels, de visu

Pour favoriser l’empathie au sein de votre équipe, vos contacts,


prospects ou clients, privilégiez les rencontres non virtuelles lorsque c’est
possible. Les interactions humaines favorisent naturellement les
processus émotionnels et relationnels évoqués plus haut et provoquent
la part implicite et automatique de l’empathie. Les émotions vécues
ensemble et en direct favorisent la mémorisation des informations et
instaurent un lien favorable naturel.
« Je ressentais depuis des années une antipathie instinctive pour un
de mes fournisseurs que je n’avais jamais rencontré. Il était de Pau
et moi de Strasbourg, autant dire que nous avions peu d’occasions
de nous croiser par hasard. Ses mails étaient secs, je les trouvais
condescendants et depuis nos tout premiers échanges, je l’avais
placé dans la catégorie “antipathique”. Puis un jour il est monté en
Alsace. Lorsqu’il est entré et a commencé à échanger avec mon
collègue avec qui il travaillait également, j’ai trouvé qu’il avait l’air
sympathique, comme ça, vu de l’extérieur. Je ne savais pas qui il
était et j’étais à mille lieues de m’imaginer qu’il s’agissait de mon
contact. Quand il s’est présenté, j’ai été très surprise. Puis, on a fait
connaissance et depuis, tout va bien mieux. »
Mira, responsable approvisionnements
dans une entreprise de transport

Développer une écoute active : réceptive, accueillante et


présente à l’autre

Écouter pour comprendre plutôt que pour répondre ou argumenter.


L’écoute est une compétence rare et précieuse. Elle n’est pas binaire
comme une compétence technique peut l’être. Soit je sais faire du vélo,
soit je ne sais pas en faire. L’entre-deux est rare sur le sujet du vélo.
Mais en ce qui concerne l’écoute, mon comportement oscille et peut
varier en fonction de mon stress, du contexte, de mon lien avec la
personne en face, de mon attention. On ne peut pas dire : « Je suis
quelqu’un toujours à l’écoute ou je ne suis jamais à l’écoute. » Comme
souvent en matière de relation ou de comportement, l’inconditionnel au
travers de « toujours » ou « jamais » n’est pas très à propos.
L’écoute est une compétence comportementale qui se travaille, qui peut
s’améliorer, se développer, se renforcer, en fonction du soin que l’on y
met et du niveau de conscience que l’on y prête. « Savoir écouter c’est
posséder outre le sien, le cerveau des autres », disait Léonard de Vinci.
Quels sont les principes à appliquer pour mieux comprendre ce que
l’autre essaie de nous dire, plus ou moins adroitement ?

Développée au départ par Carl Rogers 14 dans le monde de la santé,


pour instituer de bonnes relations avec les patients, « l’écoute active »
est par la suite apparue utile à tous et s’est diffusée dans tous les milieux
nécessitant une interaction orale. Autant dire à pratiquement à
l’ensemble des métiers de la planète.
Notre première interprétation impulsive peut parfois ne pas être
pertinente, d’où l’intérêt de commencer par des questions pour
comprendre ce que ressent l’autre et ce qu’il veut dire. D’autre part,
l’écoute ne se limite pas à la compréhension du message, elle comporte
aussi la perception et le partage des émotions de la personne en face de
nous. Avant tout, notre interlocuteur doit se sentir compris et écouté sans
être jugé, ce qui est souvent le plus difficile pour nous.

« Pendant longtemps, j’ai cru qu’écouter signifiait seulement ne pas


interrompre. Étant d’un tempérament spontané, je me faisais
violence pour ne pas couper mes interlocuteurs et mettais presque
un point d’honneur à les laisser parler. Puis, en approfondissant ma
pratique du coaching, j’ai compris qu’écouter, ce n’était pas que ça,
c’était surtout chercher à comprendre et à approfondir son message.
En apprenant à poser les bonnes questions au bon moment, j’ai
renforcé ma présence à l’autre et par là même mon écoute. »
Manolita, coach

Développer des relations authentiques et réciproques demande de


s’intéresser à l’autre autant qu’à soi-même. Apprendre à écouter l’autre
n’est pas si simple qu’il n’y paraît 15 ! Nous sommes naturellement
poussé à nous focaliser sur nos objectifs et nos ressentis. Il suffit
d’ailleurs d’observer une conversation banale pour noter les multiples
coupures de parole, les interprétations approximatives, les réponses
sans rapport avec la question ou les détournements de sujet pour placer
son idée du moment. Il sera plus facile de noter ces défauts chez les
autres que de repérer les nôtres, puisque, par définition, lorsque nous
parlons, nous ne nous observons pas ! C’est d’ailleurs un exercice
intéressant de se prendre en flagrant délit de non-écoute : soyez attentif
à votre écoute et vous vous rendrez compte par vous-même que l’on
écoute rarement.

« Depuis que je suis sensible au sujet de l’écoute et que j’ai travaillé


sur le sujet, je suis très attentive au défaut d’écoute de mes
interlocuteurs. Je remarque tout de suite s’ils sont avec moi ou
ailleurs dans leur tête, s’ils préparent leurs réponses, jugent ce que
je raconte ou cherchent des solutions au sujet au lieu de se
concentrer sur ce que j’exprime. »
Sabine, directrice de boutique dans un magasin outlet
La première des qualités relationnelles consiste à mieux comprendre le
sens et les non-dits des paroles de nos interlocuteurs. Notre système de
valeurs, nos priorités, nos ressentis ne s’appliquent pas forcément aux
autres et il nous est parfois très difficile d’en prendre conscience. Les
petites brouilles comme les plus grands conflits proviennent souvent
d’une incompréhension mutuelle.

« Je pense renvoyer un sentiment de confiance, on me dit souvent


qu’on a envie de se reposer sur moi car je vais chercher plus loin
que ce que l’on me demande. Mais je voudrais embarquer
davantage sur mes sujets, être plus influente. Et en réunion, si je ne
peux pas répondre à une question, je deviens toute rouge et je reste
bloquée. Et en y réfléchissant, c’est sans doute parce que j’ai mal
écouté les signaux, la question ou ce qui se jouait. »
Célia, chargée de relations partenaires extérieurs
dans un office de tourisme

Prenons maintenant l’exemple de François, qui raconte à ses


collègues son différend avec son jeune collaborateur, Baptiste, qu’il
juge très exigeant mais peu impliqué dans sa fonction.

Sans attendre la fin de la phrase de François, Sébastien lui répond :


« Tu as raison, il ne faut pas te laisser faire. »

Géraldine ajoute une critique sur le respect des horaires par


Baptiste.
Et Vadim réplique : « Baptiste a raison, on est mal considéré ici, ça
ne donne pas envie de s’impliquer. »
Or François n’attendait pas des avis péremptoires ou des jugements,
mais simplement du soutien. Toutes les remarques de ses collègues sont
donc prématurées par rapport à sa demande implicite qui était d’être
écouté. Notre première impulsion nous pousserait à répondre à François
par une approbation, une objection ou un avis. Mais le plus souvent ces
réponses sont hâtives et ne cherchent pas à comprendre la situation.
François a tout d’abord besoin d’être compris et soutenu. Une première
intervention de ses amis pourrait être le questionnement
d’approfondissement :
« De quel type de comportement désinvolte s’agit-il ? »
« En quoi son attitude te perturbe-t-elle ? »

Les conseils, solutions ou jugements définitifs ne devraient survenir


qu’après cette première phase de compréhension et d’écoute de
l’émotion exprimée.

RECOMMAND’ACTIONS

Appliquer une écoute active, réceptive, accueillante


Les conseils suivants peuvent paraître simplistes, mais ils sont pourtant largement
ignorés alors qu’ils sont susceptibles de briser des tensions à l’origine de
nombreuses ruminations intempestives.
Écouter pour comprendre, accueillir la pensée de l’autre plutôt que
d’essayer de convaincre.
Attendre la fin de la phrase pour poser ses questions. Cela paraît simple,
mais combien de fois nous nous laissons emporter par notre envie de
répondre ou d’interrompre parce que nous pensons avoir saisi le propos
avant que notre interlocuteur ait fini de l’exprimer.
Montrer sa présence. Celui qui écoute doit être vivant, appréciatif. Il peut
montrer son écoute par des gestes (mouvements de tête, regards, sourires,
froncements de sourcils, plissements des yeux…) ou encore des sons
(soupirs, ah ! hum !…).
Questionner notre interlocuteur afin d’approfondir ou de confirmer le
message qu’il a souhaité exprimer.
Reformuler le message, s’il est incomplet à nos yeux, ambigu ou trop
complexe, pour s’assurer que le sens est bien compris.
Se mettre à la place de l’autre, percevoir les émotions de celui qui parle,
imaginer ses ressentis. L’empathie doit être sincère pour être perçue par la
personne qui s’exprime.
Accepter le point de vue de l’autre, même si nous ne l’approuvons pas.

Comprendre ne signifie pas être d’accord.


Accepter n’est pas approuver, un simple changement d’angle de vue fait
baisser la tension et nous permet de réfléchir avec plus d’ouverture d’esprit,
plutôt que d’affronter l’interlocuteur par des jugements impulsifs.
Remplacer « c’est faux » ou « c’est absurde » par un point de vue plus
apaisant : « Nous ne sommes pas d’accord, mais voyons pourquoi il/elle
pense cela » (réévaluation cognitive).
Prendre de la distance face à une idée qui nous déplaît.

Éviter de passer tout de suite à un conseil. Une personne qui nous parle
recherche souvent une écoute, un support plutôt qu’une solution.

L’écoute et l’empathie sont souvent plus appréciées que des conseils,


auxquels la personne aura souvent déjà pensé.
Parfois, il sera possible de suggérer une solution personnelle, seulement
après avoir bien compris les démarches déjà envisagées.

S’appuyer sur un mémo pense-bête, une alarme récurrente sur votre


smartphone ou tout autre moyen pour vous rappeler de penser à être en
écoute active avant une réunion ou un entretien important.

Le premier exercice pratique auquel on se prête lorsque l’on se forme au


coaching est un exercice d’écoute. Les participants se mettent en
binôme. L’un est coach, l’autre est client. La consigne que reçoit le coach
est de ne pas parler. Le client présente pendant six minutes une
problématique qu’il aimerait résoudre. Et sans rien dire à haute voix, le
coach doit l’accompagner dans son cheminement. C’est un exercice très
difficile qui montre à quel point nous émettons des messages même
lorsque nous croyons être silencieux. Lorsque nous n’utilisons pas notre
voix, chacun de nos gestes, de nos mouvements, de nos regards ou de
nos sourires est reçu comme une parole. Notre corps nous précède
souvent dans la réaction offerte à notre interlocuteur. Dans nos
environnements rapides, nous n’écoutons plus les silences. Ils nous
mettent mal à l’aise. Or c’est là que tout arrive, que tout se passe.

Dans un premier temps, la compréhension et le soutien de l’interlocuteur


sont indispensables pour progresser, y compris dans une discussion
conflictuelle ou dans une négociation. Cette étape permet d’instaurer un
climat de confiance et rend la relation plus authentique, moins
superficielle et plus détendue. Par la suite, si on souhaite à son tour faire
passer un message clair, il faudra passer à l’étape suivante de
communication apaisée : l’assertivité.

S’affirmer en respectant son interlocuteur

L’assertivité est la capacité à défendre son point de vue, tout en


respectant celui de son interlocuteur, sans se placer dans une position de
jugement, encore moins d’agression, y compris dans les situations les
plus tendues. C’est l’art de défendre son avis avec conviction, mais dans
le respect de l’autre. Un art, car complexe, fin, subtil.
En théorie, c’est une règle acceptée par tous… mais rarement appliquée
en pratique. L’assertivité est complexe, c’est un juste positionnement à
trouver. Un mélange entre confiance en soi et empathie.

Les difficultés à être assertif proviennent souvent d’une mauvaise gestion


de ses émotions et/ou de son stress.
« Quand je me sens attaqué sur mon travail, j’ai de grosses
difficultés à bien gérer mon émotion. J’oscille entre le repli sur moi et
l’agressivité. Du coup, soit je me rabaisse, soit je bouillonne
intérieurement. »
Jean-Luc, chargé de mission structure dans le patrimoine

Souvent, on perçoit qu’oser s’affirmer, c’est ne pas mettre de filtre.

« Le dernier épisode de colère remonte à l’automne. L’équipe de


comité de direction préparait le séminaire de fin d’année. J’étais
plutôt introverti car je n’avais rien de spécial à dire. Jusqu’à ce qu’ils
en viennent au repas de Noël et évoquent un dîner. Tout d’un coup,
ça m’a mis hors de moi. J’avais l’impression qu’on allait faire une
fausse promesse aux gens. On est 120 en tout, alors un repas de
Noël, ça aurait plutôt été trois chips et deux cacahuètes debout
entassés, plutôt que du foie gras et de la dinde assis autour d’une
belle table. Personne n’a compris pourquoi je haussais la voix de
manière cassante d’un coup, alors que j’étais complètement passif
le reste du temps. Et à vrai dire, je n’ai pas saisi non plus pourquoi
ça m’avait tellement énervé. »
Nolan, directeur d’un centre de service partagé logistique

En situation de conflit, en cas d’anxiété, de ressentiment ou toute autre


émotion intense, les réactions impulsives ont tendance à s’imposer. Elles
nous envoient des messages sur nos propres besoins. Pour mieux les
gérer, voire les contrôler, il faut apprendre à repérer et accepter ses
émotions négatives puis à corriger (réévaluer) ses paroles impulsives.
Nous ne sommes pas responsables de nos émotions, mais nous
sommes responsables de ce que nous en faisons ! Une réponse
affirmée, mais respectueuse, nécessite donc un véritable apprentissage
contre-intuitif. Elle permet d’éviter les paroles agressives d’une part, ou
une passivité frustrante d’autre part.

« Ancien chef d’entreprise, j’ai en moi une combativité, voire une


agressivité. Mais conscient de cela, je me refrène pour la canaliser
car j’ai peur de dire les choses de manière trop abrupte. Du coup, je
paraphrase, je tourne autour du pot, ce que l’on me reproche
souvent. Mais j’ai besoin de beaucoup expliciter, de donner des
éléments de contexte pour rentrer en empathie. Si je me sens en
connivence avec quelqu’un, alors je peux être cash, sinon, j’ai du
mal. Avec ma hiérarchie, cela fonctionne très bien, mais avec mes
collaborateurs, c’est plus compliqué. »
Connor, chef de service au ministère de l’Agriculture

ÉVEILLEZ VOS TALENTS…

Cultivez votre assertivité


Imaginez une réponse assertive face à un coéquipier, un supérieur hiérarchique ou
un collaborateur qui ne prend pas en compte vos besoins ou vos contraintes dans
un contexte précis.
Comment séparer les faits de vos perceptions subjectives ?
Comment anticiper et éviter une réponse impulsive de votre part ?
Quelle formule adopter pour exprimer vos besoins, vos attentes ?
Quelle solution proposer, acceptable par les deux parties ?

Déminer une situation tendue


« Deux de mes collaboratrices ont de gros problèmes relationnels.
L’une est la manager de l’autre. Je l’ai donc reçue en premier pour
essayer d’arbitrer le conflit. Mais à l’entendre parler en des termes
très désobligeants et dégradants de sa collègue absente, ça m’a
mise hors de moi et je suis devenue très directive. Cela a été
radicalement contre-productif puisque le lendemain, elle était en
arrêt maladie et n’est toujours pas revenue. Quand j’essaye
d’analyser la raison de mon emportement, je pense que ce sont mes
valeurs humaines qui ont été touchées et je n’ai pas réussi à
contrôler complètement mes paroles. »
Isabelle, responsable financière
dans les énergies renouvelables

Il existe une règle simple : séparez la partie factuelle et incontestable


d’une part, des opinions et reproches d’autre part.

Il peut s’agir de reproches justifiés, sous-entendus ou inventés à tort.


Nous avons tous une tendance naturelle à surinterpréter les non-dits.
Votre réponse doit porter sur les faits, en ignorant les attaques
personnelles, évitant ainsi une phrase blessante, susceptible d’amorcer
un cercle vicieux d’émotions toxiques et croisées.

Cette simple démarche de séparation des faits possède un effet apaisant


pour les deux parties, car l’autre personne adaptera son attitude à la
vôtre. On parle alors de « contagion émotionnelle » ou « d’effet miroir ».
Certains neurones possèdent en effet la capacité de reproduire les
actions perçues par le cerveau de façon complètement inconsciente.
Ainsi, si nous percevons un sourire, nous reproduisons un sourire. Nous
parlerons plus simplement d’imitation inconsciente.

L’étape suivante consistera à bloquer ses ripostes pour se focaliser sur


l’affirmation calme de ses besoins, sans agresser l’autre.

Ces réactions sont sous-tendues par deux autres éléments déjà


mentionnés : l’estime de soi et l’autocompassion. Connaître et améliorer
(si besoin) son estime de soi permet de ne pas tomber dans l’agression
ou la fuite : « Je me respecte et je vous respecte, nous parlons d’égal à
égal. »
Imaginons une discussion houleuse entre deux collègues à propos d’une
interprétation différente d’une mission. Chacun estime que sa conception
est évidente et universelle, ce qui n’est manifestement pas le cas.
Mathieu estime que la mission implique de tenir au courant
l’ensemble des acteurs, quand Antoine pense que les excès de
mails et de communication entravent le travail de chacun. Pour lui, la
communication se fera en fin de processus.

Chacun interpelle l’autre sur ses insuffisances réelles ou supposées.

Pour Antoine, les incursions intempestives et répétitives de Mathieu


dans son cœur de compétence sont insupportables et entravent son
efficacité.
Pour Mathieu, les actions individuelles d’Antoine, sans égards pour
les demandes de ses collègues, sont une conduite égocentrée et
contraire à l’intelligence collective.

Une façon plus constructive d’éclaircir le problème serait d’accepter sa


colère mais mettre entre parenthèses ses reproches et débuter par une
écoute active centrée sur l’autre.
Antoine : Pour quelles raisons veux-tu communiquer à chaque étape
du processus ? (écoute active). Cette mission m’a été confiée, j’en
suis responsable (factuel), j’ai besoin d’un minimum d’autonomie
pour avancer et être efficace, je n’ai pas assez de temps ni de goût
pour communiquer par mail (affirmation de ses besoins).
Mathieu : Quel serait pour toi l’intérêt de ne pas nous faire part de
tes avancées ? (écoute active). La mission implique que l’on
recueille les besoins de chacun et que l’on en tienne compte,
l’absence d’information implique d’être mis devant le fait accompli
sans pouvoir corriger le résultat final (factuel). Pour moi une
conclusion qui ignore les besoins des membres du service ne serait
pas acceptable (affirmation sereine de ses besoins).
Ce simple changement de vision peut permettre de détendre
l’atmosphère et surtout de mieux comprendre les perceptions de l’autre,
et éventuellement de désamorcer des interprétations erronées.
Parfois l’affirmation de ses besoins pourra s’accompagner d’un
témoignage de l’émotion ressentie : « Passer son temps à discuter et
faire des mails est frustrant, devoir se justifier est vexant alors que je suis
investi pour ce travail » ; « Être mis sur la touche d’un projet qui me
concerne me donne l’impression d’être méprisé ». Parler de ses
ressentis avec l’utilisation du « je » plutôt que du « tu » permet de
respecter l’autre tout en l’informant de l’importance du problème.
Souvent, « le tu nous tue » car on se focalise sur l’autre et ses dérives
plutôt que sur soi-même. Il est très différent de dire : « Tu m’as agressé »
ou « Je me sens agressé. »

La communication non violente ou CNV


Il existe une méthode proche de l’assertivité et également
particulièrement puissante pour éviter le « tu » et exprimer un besoin :
c’est la communication non violente (CNV), déjà évoquée au chapitre 1 .
La méthode, qu’on doit à Marshall Rosenberg, est simple, mais, comme
tout exercice de communication, demande un peu de rodage. Les retours
sur son efficacité sont excellents.

La démarche proposée par Marshall Rosenberg se déroule en quatre


temps : Observation – Sentiment – Besoin – Demande (OSBD).
Elle permet d’évoquer les faits de manière objective, de clarifier sa
propre émotion en évoquant son sentiment, de partager le besoin
derrière l’émotion ou plus largement en lien avec les faits, et de faire une
demande à son interlocuteur. Cela permet par la même occasion non
seulement d’entendre son propre besoin, mais aussi de l’écouter et de le
partager.
Pour éviter aux gens de se sentir attaqués lorsque l’on parle de
communication non violente (comme si on les accusait d’être violents) on
peut préférer le terme « communication bienveillante ». Le principe reste
le même.

Dans la méthode, les deux parties peuvent exprimer leurs besoins réels
tout en étant écoutées avec attention, puis exposer clairement leurs
attentes sans agresser l’autre. L’orientation vers l’autre par l’écoute, puis
l’affirmation sereine de ses besoins, auront permis de poser clairement
les termes d’une situation qui, sinon, aurait pu devenir complexe.
« Je sortais d’un programme de développement de l’assertivité dans
lequel j’avais découvert la méthode OSBD. Le soir même, je prenais
le train pour rejoindre mon compagnon à Grenoble pour une
semaine de vacances. J’avais prévu de traiter mes mails de la
journée et de finir un dossier. Par malchance, je me suis retrouvée
dans le train au milieu d’un groupe de comité d’entreprise, qui partait
faire du ski. On imagine le décor : chips, bière et musique à fond.
Pendant près d’une heure, j’ai pris mon mal en patience. L’envie ne
manquait pas de leur dire ce que je pensais de ce raffut. Mais j’ai
opté pour un essai CNV, en mode débutant. Je me suis levée et je
leur ai dit :

“Je constate que vous êtes contents de vous retrouver et que ce


voyage est un vrai moment de partage entre vous, avec du coup le
niveau sonore associé aux moments de joie. Mon sentiment, c’est
que c’est assez frustrant pour moi de ne pas voyager au calme
après une journée de travail et j’ai l’impression que ma tête va
exploser. En fait, j’ai besoin de traiter une centaine de mails avant
d’arriver et juste de pouvoir me concentrer sur un dossier l’espace
de trente minutes. Est-ce que vous pensez que ce serait possible de
rester vigilant quant au niveau sonore ?”

Mes quatre petites phrases ont eu l’effet d’une bombe. Ils se sont
confondus en excuse et durant tout le trajet ils ont veillé à maintenir
le wagon dans le calme. C’est incroyable ce que l’on peut obtenir
quand on est clair sur son besoin sans agresser les gens ! »
Catherine, directrice qualité, centre de services

Ces démarches découlent des méthodes de régulation émotionnelle :


ressentir une émotion négative face à une situation stressante est
naturel, incontrôlable. En revanche, la réponse impulsive qui en résulte
peut se corriger. C’est ce que fait Catherine dans le train, après avoir pris
un temps de recul.
L’apprentissage de la méthode portera d’abord sur le repérage et
l’acceptation de son agacement ou de sa déception. Puis sur
l’élaboration d’une réponse limitée aux faits constatables, en évitant de
succomber à son envie de riposte impulsive, de paroles agressives ou de
fuite. Pour remplacer ces pensées violentes, les techniques de
réévaluation pourront nous aider :
« Je dois chercher à résoudre un problème, pas à accuser ou à me
justifier. »
« L’autre cherche à régler son problème ou n’a simplement pas
conscience du mien, il ne cherche pas à m’agresser. »
« S’il se comporte aussi mal, c’est qu’il doit souffrir d’une certaine
manière. »

La méthode OSBD sert également à savoir dire non sans atteindre un


point de non-retour.

« Je manque de capacité à dire non. Je cherche à faire plaisir. Il me


manque un côté “bad boy”. Je suis du genre à me lever un matin et
dire que je pose ma démission. Mais au lieu de ça, je réponds à
toutes les demandes, peu importe le coût pour moi. Si je savais dire
non, j’éviterais de charger la barque trop fortement et de craquer un
beau matin. »
Zelig, manutentionnaire, salarié
chez un promoteur immobilier

Développer ses capacités d’empathie et de coopération

Selon Jean Decety, un neuropsychologue faisant figure d’autorité en


matière de recherches sur l’empathie, « l’empathie peut se définir comme
la capacité de ressentir et comprendre les émotions et les sentiments
des autres personnes 16 ». Bien qu’il existe de nombreuses définitions
de l’empathie, la plupart des auteurs considèrent que ce comportement
se caractérise par deux composantes primaires :
une réponse affective envers autrui qui implique parfois (mais pas
toujours) un partage de son état émotionnel ;
la capacité cognitive à se représenter le point de vue subjectif d’une
autre personne.

Revenir à l’étymologie du mot « empathie » est intéressant pour mieux


en comprendre le sens. Le mot vient du grec empatheia , composé du
préfixe en et de pathos , la souffrance. C’est notamment l’idée de se
transporter à l’intérieur des chaussures de quelqu’un pour comprendre sa
souffrance. L’émotion que l’on ressent alors peut être similaire à
l’émotion que vit l’autre. L’empathie est donc la capacité à ressentir,
partager et se représenter les sentiments et les pensées d’autrui. Cette
compétence existe chez tous les mammifères sociaux, mais atteint un
développement supérieur chez l’humain. Nous disposons de cette faculté
précieuse qui a permis à nos ancêtres de se développer, de forger des
communautés de plus en plus étendues et de résister aux autres
espèces. L’empathie est le vecteur essentiel de nos interactions sociales.
Sans elle, impossible de comprendre les réactions de nos collègues ou
clients, impossible de s’intéresser à nos semblables, de repérer la
crainte, l’insatisfaction, la méfiance ou le désir. Elle motive et entretient le
contact, l’échange, l’entraide, l’altruisme et la compassion.

Une grande partie des incompréhensions et des débats autour de


l’empathie provient de sa dualité.
Elle inclut d’une part une composante émotionnelle, automatique,
implicite que l’on appelle la « résonance émotionnelle ». Cela met en jeu
des mécanismes inconscients (activation de l’amygdale, de l’insula
antérieure, du cortex cingulaire antérieur).

Et, d’autre part, des processus conscients pour se mettre à la place de


l’autre, pour mieux le comprendre, intégrant de nombreuses autres
régions cérébrales, en particulier les aires en charge de l’évaluation et de
la régulation émotionnelle (cortex orbito-frontal et préfrontal médian).

Ces deux réseaux distincts expliquent la double perception


contradictoire, à la fois incontrôlable et réfléchie, de l’empathie.

L’empathie est également à l’origine de la compassion, terme qui fait


intervenir une notion supplémentaire. La compassion implique une
souffrance partagée et un sentiment de bienveillance, avec l’envie d’agir
pour aider l’autre dans sa souffrance. L’étymologie du mot
« compassion » : com + pathos (souffrir avec) implique que l’on est
« avec » l’autre. La compassion est elle-même le moteur de la
coopération et de l’altruisme, qui impliquent une mise en action réelle, le
dernier maillon de cette chaîne d’émotions, de pensées et de
comportements prosociaux.
Empathie et compassion sont génératrices d’échanges, mais un excès
de compassion peut parfois se révéler nuisible et nous détourner de
l’action ou nous épuiser émotionnellement. Néanmoins, dans la majorité
des situations, les problèmes surgissent plus d’un manque que d’un
excès de compassion.

En entreprise, dans l’accompagnement managérial, on vise à orienter les


managers davantage vers un sentiment d’empathie que de compassion.
Et ce afin d’éviter un effet « éponge » dans lequel le manager absorberait
toute l’émotion de ses collaborateurs et les ferait siennes, rendant toute
prise de décision complexe. Cela dit, en psychologie cognitive, les deux
états d’empathie et de compassion sont considérés comme très
complémentaires.

« Je suis très sensible aux gens. Mais ça me bouffe. Après une


interaction, je me demande ce qu’ils pensent de moi. Je veux leur
être utile. Je suis mal à l’aise à l’idée de verbaliser mon émotion et,
chez nous, c’est toujours perçu comme une faiblesse. Je sais que je
ne peux pas le faire à chaud ou en collectif. Je voudrais pouvoir
davantage me distancier parce que, dans mon rôle de responsable,
c’est insupportable d’avoir autant d’empathie. »
Philippine, chef de projet production audiovisuelle

Chez l’enfant et l’adulte, la neuro-imagerie, les psychologies sociales et


l’étude du développement nous montrent que ces conduites sont
instinctives et profondément ancrées, probablement pour les raisons
évolutives de survie. Elles conditionnent notre appréciation inconsciente
de nos semblables et sont le juge de l’authenticité des actions que nous
observons chez les autres. Il ne s’agit donc pas seulement d’une
injonction éthique, mais d’une nécessité sociale. Ces tendances peuvent
souvent heurter de front les intérêts compétitifs de nos professions, dans
une optique de court terme, mais sont en général très bénéfiques dans la
durée, y compris dans la dimension matérielle.

L’enseignement que l’on peut tirer de multiples études transdisciplinaires


sur le sujet se situe principalement dans une notion d’équilibre : l’idée
n’est pas de vivre dans un monde idéal, rempli de gens bienveillants et
gentils en permanence. Cette attente est même évaluée comme contre-
productive, car créatrice de frustrations. En revanche, l’évolution du
travail en réseau ne tolère plus les conduites individualistes prédatrices.
Les contraintes matérielles et concurrentielles sont toujours aussi vives,
mais sont équilibrées par un besoin d’authenticité et de coopération en
plein essor.

« Ma manager pleure régulièrement. Elle se sent dépassée en


permanence et alors elle craque, sûrement sous la pression. J’en
arrive à ne plus avoir d’empathie à son égard tellement ça m’agace.
Je me dis qu’elle a accepté le job et que maintenant, il faut
assumer. »
Adèle, contrôleur de gestion

Pour son équilibre personnel, Adèle devrait chercher à se mettre à la


place de son manager, et comprendre qu’elle est par moments
submergée par une vague émotionnelle incontrôlable, malgré son désir
de bien faire. La connaissance des mécanismes émotionnels permettrait
à Adèle de développer la part consciente de l’empathie et d’améliorer
ainsi ses rapports avec sa hiérarchie tout en réduisant son agacement
personnel.

ÉVEILLEZ VOS TALENTS…

Développez votre empathie envers une personne qui vous


agace
Un collègue vous coupe la parole ou ne respecte pas celle des autres, c’est
l’occasion de développer la part cognitive et consciente de votre empathie et de
mettre en place quelques stratégies d’adaptation.
Prenez de la distance et acceptez vos émotions : un ressenti n’est qu’une
perception momentanée, pas un jugement définitif.
Réévaluez votre jugement spontané, évitez la « personnalisation » et la
cristallisation d’un conflit : la personne n’agit pas contre vous, elle fait ce
qu’elle peut en fonction de ses impératifs et de ses capacités.
Soyez conscient de vos biais d’interprétation (biais de confirmation, de
négativité, etc.). Après une première orientation négative, nous avons
tendance à interpréter toute situation sous l’éclairage de ce jugement négatif.
Recherchez activement des points communs entre vous ; recherchez les
aspects sympathiques chez cette personne.
Sachez aborder les sujets qui fâchent avec assertivité :

Limitez l’intervention au factuel.


Commencez par les points positifs ou agréables.

Cultivez la curiosité pour l’autre, cherchez à « comprendre » la personne, à


mieux la connaître sans la juger :

Quelles sont ses motivations à agir ainsi ?


Quelles sont ses craintes ?
Quelles sont ses contraintes ?

Orientez-vous vers l’avenir : comment travailler ensemble plutôt que comment


évaluer la personne…
Trouvez des règles de fonctionnement acceptables et acceptées par les deux
parties.
En cas d’irritation majeure, appliquez des méthodes de régulation
émotionnelle à effet immédiat :

contrôle respiratoire ;
distraction active par une occupation prenante.

Repérer les événements positifs, favoriser la reconnaissance et


la gratitude

Développer sa capacité à reconnaître les éléments positifs et à en


prendre conscience est un facteur puissant d’amélioration du lien social,
de l’humeur et de la santé physique.

« Les gens les plus heureux n’ont pas nécessairement le


meilleur de tout ; ils ne font que ressortir le meilleur de tout ce
que la vie met sur leur route. »
Sagesse populaire

Il ne s’agit pas d’une incantation naïve ou bien-pensante, mais bien d’une


réalité physiologique observable. Il existe maintenant des centaines
d’études montrant qu’orienter son attention sur les éléments positifs de la
vie augmente nos capacités à affronter l’adversité 17 , améliore notre
créativité et notre ouverture d’esprit 18 , approfondit nos liens sociaux 19 ,
notre motivation, lutte contre le stress et les tendances à la dépression
ou à l’anxiété 20 . Finalement, voir le bon côté des choses et témoigner
de la gratitude nous rend plus efficaces, plus ouverts, en meilleure santé
mentale. Tout cela associé à un réel mieux-être 21 , bien loin des
caricatures irréalistes que l’on décrit parfois.

ÉVEILLEZ VOS TALENTS…

Prenez conscience des sources de reconnaissance


Faites la liste de toutes les actions efficaces (travail donnant satisfaction)
réalisées par votre entourage professionnel et prévoyez un moment pour
mentionner des personnes en particulier et les remercier.
Faites la liste de toutes les actions bienveillantes réalisées par votre
entourage professionnel et prévoyez un moment pour mentionner les
personnes concernées et les remercier.

Cette démarche volontaire d’orientation positive de l’attention diffère de


l’autopersuasion (connue par la méthode Coué) qui consiste à se
persuader d’éléments qui n’existent pas encore, alors que l’orientation
reconnaissante s’appuie sur le réel.
D’où vient donc cette efficacité ?

Les informations négatives sont en général prépondérantes, non pas


dans la réalité, mais dans notre esprit. Ce biais de négativité déjà évoqué
déforme notre perception. Nous sommes entraîné à repérer toutes nos
insuffisances professionnelles, nos échecs, nos contrariétés et
inquiétudes d’avenir, en oubliant ce qui va bien. Il existe toujours une
bonne raison de redouter de perdre un avantage, de décevoir son
entourage ou de rater un objectif. Le problème n’est pas la peur naturelle
des événements (utile pour anticiper les difficultés), mais la souffrance
que nous bâtissons consciencieusement autour de ces réalités.
L’inquiétude occupe tout l’espace de notre esprit et nous ferme aux
autres. Elle nous masque de belles opportunités.
Cependant, la conscience des bienfaits et la gratitude ne sont pas les
seuls facteurs bénéfiques repérés par les travaux de psychologie
positive. Mais ce sont les éléments sur lesquels il est le plus facile d’agir,
sans déployer d’efforts démesurés.

RECOMMAND’ACTIONS

Développer sa gratitude
Il existe des exercices d’efficacité reconnus pour développer sa gratitude.
La première étape consiste bien sûr à repérer volontairement le travail bien fait et
à témoigner, remercier et encourager les responsables de ces actions.
Le déroulé sera :
1. Prendre conscience : constatation du bienfait reçu, matériel ou soutien
moral.
2. Approfondir l’origine : une autre personne, mais aussi les événements de
vie, apprécier le coût de l’effort que la personne a dû fournir pour réaliser
cette action.
3. Mémoriser : se rappeler les détails factuels et émotionnels.
4. Partager avec l’intéressé ou avec d’autres.
5. Et ne pas oublier de remercier…

Les résultats sont surprenants, témoignant de cette immense soif de


reconnaissance et de considération exprimées par la majorité des
acteurs professionnels, quels que soient leurs niveaux hiérarchiques ou
leurs spécialisations.
Si cette démarche n’est pas naturelle, il est possible de développer cet
état d’esprit par des exercices dont le plus simple est celui des trois
bienfaits.

ÉVEILLEZ VOS TALENTS…

Trouvez trois « kifs » par jour


Prenez dix minutes (par exemple au coucher) pour noter dans un carnet trois
moments de la journée qui se sont bien passés et vous ont apporté satisfaction et
gratitude.
Notez une explication détaillée des causes, recherchez un maximum de détails, ce
qui a été dit ou fait, incluez les émotions ressenties sur le moment ou à distance,
établissez les origines et l’évolution de l’épisode.
Il est important d’utiliser l’écrit, afin de provoquer un approfondissement de la
réflexion et une meilleure mémorisation. Plus l’épisode est détaillé, plus les effets
seront profonds. Cet exercice a montré une efficacité remarquable, se prolongeant
plus de six mois après le test 22 .
Connaissez-vous d’autres démarches qui ne prennent que quelques minutes par
jour pendant deux semaines et restent efficaces plusieurs mois ?

À IMPRIMER DANS VOS NEURONES

En général, nous sous-estimons la sensibilité de nos réseaux cérébraux à toute interaction


relationnelle : nous émettons et percevons des signaux en majorité non conscients, qui
modifient nos jugements et nos actions, et qui influencent la réaction de notre entourage.
Nous sommes sensible au langage non verbal, à la tonalité positive ou négative d’un
discours, au niveau d’énergie déployé. Nous sommes également plus dépendant du lien
social que nous ne l’imaginons, c’est le premier facteur de bien-être et de santé physique et
mentale. De plus, c’est un élément déterminant de l’efficacité, de la créativité et de l’agilité
mentale. À l’inverse, la perception d’un rejet est plus perturbante que pourrait le laisser
penser une analyse rationnelle de la situation.
Ces interactions, en majeure partie non conscientes, nous montrent qu’on ne triche pas
avec soi-même, ni avec la myriade de signaux qu’on envoie aux autres. Être bien dans sa
peau, en accord avec sa personnalité et ses valeurs, est indispensable. Un moyen
primordial pour y parvenir consiste à cultiver une bonne estime de soi en développant notre
autocompassion.
Ces considérations nous incitent également à cultiver nos capacités d’échange et de
coopération.
La qualité relationnelle dépend de ce que nous apportons. Quelques éléments pour
renforcer ce lien :
Porter attention au point de vue de l’autre, s’entraîner à activer ses réseaux de la
récompense, gage de confiance et de reconnaissance, plutôt que rester bloqué sur
ses attentes personnelles.
S’entraîner à l’écoute active.
Se familiariser avec l’assertivité en commençant par une situation émotionnelle facile
avant de l’appliquer à des situations plus tendues.
S’intéresser à ce qui passionne les autres, comprendre leurs motivations profondes
plutôt que leur intérêt immédiat.
Contrer sa tendance naturelle à ne traiter que ce qui va mal (biais de négativité) et
orienter son attention sur ce qui se passe bien, sur le travail bien fait et sur ceux qui
sont à l’origine de cet accomplissement positif (reconnaissance, gratitude).
Apprendre à repérer le positif chez les autres, apprendre à le leur dire et à les
remercier de ce qu’ils apportent.
Planifier une conduite à tenir empathique adaptée à chaque situation (en son
absence les bonnes intentions seront balayées par les exigences de résultats et les
tensions émotionnelles).
Travailler son orientation reconnaissante par l’exercice des trois bienfaits par jour.

L’empathie et la gratitude sont comme l’amour pour ses enfants : ils se multiplient à chaque
arrivée davantage, sans rien enlever aux autres. Les biens matériels se soustraient, mais
les émotions positives se multiplient.
Parmi les ressources que nous pouvons mobiliser pour améliorer notre efficacité
professionnelle, la qualité relationnelle est un élément central, trop souvent sous-estimé.
L’empathie, la confiance, l’estime de soi, l’orientation positive et reconnaissante,
l’optimisme, l’enthousiasme, sont autant d’états mentaux qui activent chez l’autre les
réseaux de l’attention, de la motivation, de la confiance et de la mise en action.
Dans un univers tourné vers la compétition individuelle stressante, la culture de ces qualités
relationnelles renforce notre efficacité mentale. Elle constitue une application concrète des
découvertes majeures en neurosciences cognitives et psychologies scientifiques. Bien loin
d’une vision idéaliste et naïve, cette disposition d’esprit améliore nos capacités
professionnelles tout en rendant la vie plus agréable pour notre entourage et pour nous-
même.

« Tu m’imposes, je m’oppose. Tu m’impliques, je m’applique. »


Adage populaire

1.
https://www.ted.com/talks/robert_waldinger_what_makes_a_good_life_lessons_from_the_longest_study_o
language=fr
2. Vaillant G. et Mukamal K., « Successful Aging », American Journal of Psychiatry , 158, 2001,
839-847.
3. Lyubomirsky S., King L. et Diener E., « The Benefits of Frequent Positive Affect: Does
Happiness Lead to Success ? », Psychological Bulletin , 131(6), 2005, 803-855.
4. Dunbar R., « Neocortex size as a constraint on group size in primates », Journal of Human
Evolution , 22(6), 1992, 469-493.
5. Voir Servan-Schreiber É., Supercollectif. La nouvelle puissance de nos intelligences , Fayard,
2018.
6. Morgan N., Power Cues: The Subtle Science of Leading Groups, Persuading Others, and
Maximizing Your Personal Impact , Harvard Business Press, 2016.
7. Whalen P.J. et al. , « Masked Presentations of Emotional Facial Expressions Modulate
Amygdala Activity without Explicit Knowledge », Journal of Neuroscience , 18 (1), 1998, 411-
418.
8. Vuilleumier P. et Pourtois G., « Distributed and interactive brain mechanisms during emotion
face perception: evidence from functional neuroimaging », Neuropsychologia , 45(1), 2007,
174-194.
9. Voir Noyé D. et Joseph-Dailly E., Développez l’engagement de vos collaborateurs , op. cit.
10. Atzil S. et al. , « Dopamine in the medial amygdala network mediates human bonding », PNAS
, 114(9), 2017, 2361–2366.
11. Ethan K. et al. , « Social rejection shares somatosensory representations with physical pain »,
PNAS , 108(15), 2010, 6270-6275.
12. Neff K.D., « Self-compassion and adaptive psychol functioning », Journal of Research in
Personality , 41, 2007, 139-154.
13. Zhang J.W., « Self-Compassion Promotes Personal Improvement », Pers Soc Psychol Bul l,
42(2), 2016, 244-258.
14. Carl Rogers est un psychologue et psychothérapeute ; il a fondé une école de thérapie
d’inspiration humaniste, basée sur l’écoute et l’empathie.
15. Voir Folkman J. et Zenger J., « Ce que font vraiment les gens à l’écoute », Harvard Business
Review , « Chroniques d’experts HBR France » ( https://www.hbrfrance.fr/chroniques-
experts/2018/12/23380-ce-que-font-vraiment-les-gens-a-lecoute/ ).
16. Decety J. « Neurosciences : Les mécanismes de l’empathie », entretien avec Jean Decety,
Sciences Humaines , 150, juin 2004.
17. Janoff-Bulman R. et Berger A.R., « The other side of trauma : Towards a psychology of
appreciation », in J.H. Harvey et E.D. Miller (dir.), Loss and trauma: General and close
relationship perspectives , Brunner-Routledge, 2000, 29-44.
18. Fredrickson B.L. et Branigan, C., « Positive emotions broaden the scope of attention and
thought–action repertoires », Cognition and Emotion , 19, 2005, 313-332.
19. Algoe S.B., Haidt J., Gable S.L., « Beyond reciprocity: gratitude and relationships in
everyday life », Emotion , 8(3), 2008, 425.
20. Wood A.M., Froh J.J. et Geraghty A.W., « Gratitude and well-being: a review and theoretical
integration », Clin Psychol Rev , 30(7), 2010, 890-905 (doi : 10.1016/j.cpr.2010.03.005).
21. Emmons R.A. et Mc Cullough M.E., « Counting blessing versus burdens: an experimental
investigation of gratitude and subjective well-being in daily life », Journal of personality and
social Psychology , 84, 2003, 377-389.
22. Seligman M.E.P., Steen T.A., Park N. et Peterson C., « Positive psychology in progress.
Empirical validation of interventions », American Psychologist , 60, 2005, 410-421.
CHAPITRE 7

EXPLOITER L’INTELLIGENCE
COLLECTIVE

« L’innovation est souvent le résultat de deux


connaissances qui ne se parlaient pas. »

Anonyme

ouer collectif, produire une intelligence de groupe, coopérer en vue


J d’un résultat commun n’est pas chose aisée. Ces dernières années,
l’injonction de collectif s’est largement répandue, parfois de façon un
peu culpabilisante pour des salariés qui n’ont pas appris à construire
ensemble et qui, pour la plupart, ont grandi dans des environnements qui
valorisaient en premier lieu la réussite individuelle.

C’est finalement peu énoncé, mais le collectif demande un réel effort :


une écoute attentive et respectueuse, de la confiance, un regard
introspectif, doublé d’un travail sur soi qui permette de la justesse dans le
rapport à l’autre. C’est loin d’être chose aisée !
Récemment, face au besoin grandissant de collectif, les plus
prestigieuses universités se sont dotées de chaires sur l’intelligence
collective. En 2006, le MIT a créé le Centre pour l’intelligence collective,
dirigé par Thomas Malone 1 . Depuis 2012 se tient par ailleurs chaque
année une conférence internationale, réunissant les scientifiques du
monde entier qui travaillent sur le sujet 2 . Pourtant, le sujet n’est pas
nouveau. Il a pris au fil du temps des formes multiples au sein des
familles, des armées, des organisations ou encore des états. Dans les
années 1970, le prix Nobel Friedrich Hayek 3 , penseur et philosophe,
avait déjà construit des théories économiques souvent reprises
aujourd’hui autour du principe de catallaxie, science des échanges, qui
régit les rapports mutuels. Mais l’intelligence collective n’a gagné sa
place que récemment sur le podium des sciences cognitives, en se
positionnant en voisine de l’intelligence artificielle, de l’anthropologie ou
encore de la psychologie. Et dernièrement, Internet a permis de
nouvelles formes d’intelligences collectives : Wikipedia, Linux, Google
ou, moins connu, le projet Polymath.

GRAINES DE CONNAISSANCES

Polymath, un projet de collaboration mathématiques


Depuis 2009, sur une plate-forme en ligne, des mathématiciens collaborent à des
résolutions de problèmes ; lorsque leurs travaux aboutissent, leurs publications sont
signées sous le pseudonyme collectif D.H.J. Polymath.
Cette initiative d’open science a été impulsée par Tim Gowers et Terence Tao, deux
détenteurs de la médaille Fields.

Nous avons donc des recherches sérieuses sur lesquelles bâtir une
réflexion pour avancer sur le sujet du collectif. Et la définition de
l’intelligence collective se précise elle aussi. Auparavant, on parlait
d’intelligence collective quand des groupes d’individus agissaient
collectivement d’une ou plusieurs manières qui paraissent intelligentes.
Aujourd’hui, les chercheurs s’appuient davantage sur les définitions
utilisées en psychologie pour définir l’intelligence individuelle. Ces
définitions consistent à parler de l’aptitude d’un groupe à être performant,
et ce, sur une multitude de tâches et non pas seulement sur une action
isolée.

DOPER LA PERFORMANCE AVEC LA SÉCURITÉ


PSYCHOLOGIQUE
En 2012, Google Alphabet, la plus high-tech et la plus digitalisée des
entreprises, cherche à comprendre les facteurs de l’efficacité de ses
équipes et lance une étude de grande envergure, le projet Aristote. Les
maîtres de la donnée numérique collectent des montagnes de données
parmi 150 équipes et 50 000 collaborateurs, en espérant identifier le
secret de l’intelligence collective. Mais les premiers résultats sont
décevants. Malgré des tonnes de datas, la performance collective n’est
pas corrélée aux différents paramètres testés :
composition des équipes (homogènes ou disparates) ;
niveau de formation ;
quotient intellectuel des membres ;
degré de proximité ou d’amitié ;
origines sociales ;
chevauchement ou cloisonnement des tâches ;
hiérarchisation ou égalité des membres…

Ces facteurs n’avaient pas d’influence sur les résultats.

Les chercheurs de Google se sont alors tournés vers les conclusions


d’une étude universitaire identifiant les facteurs liés à la plus grande
performance de groupe pour la réalisation d’une large variété de tâches.

En retravaillant leurs datas internes, en scrutant les règles implicites de


fonctionnement, les équipes de Google parviennent enfin à démontrer
cette corrélation : l’efficacité d’une équipe repose sur la confiance et
l’empathie, ainsi que sur un temps de parole distribué, donc sur
l’implication directe de chacun ! Si un des membres domine la parole,
l’équipe est moins performante, quels que soient le QI et le niveau de
compétence individuelle de chacun. Ces deux facteurs sont des
composantes majeures de la notion de « sécurité psychologique ».

GRAINES DE CONNAISSANCES

Les clés de la performance collective


Les conclusions d’une étude, menée par Anita Woolley, de Carnegie Mellon et Tom Malone
du MIT 4 , publiée dans la prestigieuse revue Science , identifient, dès 2010, les facteurs
liés à une performance de groupe accrue.
Il en ressort que la performance n’est pas corrélée au quotient intellectuel (le fameux QI)
individuel de chaque membre du groupe, mais à trois facteurs déterminants :
le niveau d’écoute émotionnelle entre les individus (lié à l’intelligence émotionnelle) ;
le partage du temps de parole (implication de tous) ;
la proportion de femmes dans les équipes. L’intelligence collective augmente avec la
proportion de femmes dans le groupe. La mixité est bel et bien un facteur primordial
de « sensibilité sociale », cette capacité à déceler le non-verbal, les non-dits et ce qui
se joue entre les lignes.

La sécurité psychologique ressort d’un climat de confiance, d’une


tolérance à l’erreur, d’une attention et d’un respect mutuels qui favorisent
les prises de risque et la créativité.

Ces conditions créent des liens émotionnels forts entre membres d’un
même groupe et génèrent ainsi une motivation puissante.

Adhérer à une vision collective, ressentir une envie d’implication, se


sentir écouté et être attentif aux autres sont donc des éléments
primordiaux pour les nouvelles organisations du travail. Le
fonctionnement matriciel ou en réseau fait que cela le sera plus encore
dans les évolutions inéluctables des métiers de demain. Nous retrouvons
ici toutes les applications des principes de neurosciences : cerveau
émotionnel et social, motivé par le plaisir autant que par les contraintes.

Ces nouveaux principes d’efficacité collective sont issus des attentes


récentes face à un monde changeant et complexe, mais sont également
inspirés par les connaissances des dernières années sur nos
fonctionnements cérébraux. Pour gérer une organisation de manière
optimale, il est nécessaire de s’appuyer sur le mode de fonctionnement
du cerveau social, de l’impact des réseaux émotionnels, de récompense
ou d’évitement et de leur influence sur les processus décisionnels, la
créativité, l’attention et la motivation. Les systèmes d’évaluation de la
performance et de formation continue devraient pouvoir s’inspirer de ces
avancées. La dimension humaine du management devient alors le
contrepoids indispensable face à la tension des évolutions
technologiques et sociétales. L’évolution du rôle de manager vers des
fonctions de leader, de développeur de potentiels et de compétences,
susceptible d’insuffler de l’entrain et de donner du sens, s’inscrit
pleinement dans ce mouvement.

Privilégier le droit d’essayer

Pour espérer développer une culture de la responsabilité collective, il faut


encourager l’essai. L’audace devient alors un rituel et le poids du
collectif, avec tous les biais qu’il comporte, s’allège. Plutôt que « droit à
l’erreur », qui effraie souvent les managers et dirigeants, privilégions « le
droit d’essayer », l’obligation d’audace, d’essais-erreurs – avec une
tolérance assumée sur l’erreur – afin de libérer les énergies et de
déverrouiller les potentiels.

ÉVEILLEZ VOS TALENTS…

Interrogez votre rapport à l’erreur et à l’échec


Que représente l’échec pour vous ?
Vous l’autorisez-vous ?
Avez-vous coutume d’analyser vos erreurs pour les percevoir positivement ?

Apprendre à se tromper

Avant d’essayer en groupe, il faut s’acculturer à oser essayer


individuellement et à accepter de se tromper éventuellement.

Une des universités des célèbres Seven Sisters 5 , Smith College, dans
le Massachusetts, a créé un programme pour que les étudiantes
« échouent avec succès 6 ». Les recherches montrent que, préparées à
l’éventualité d’un échec perçu positivement ou du moins non
négativement, les étudiantes « sont moins fragiles et plus hardies que
celles qui visent la perfection et une performance sans faille 7 ».

GRAINES DE CONNAISSANCES
Tom Watson ou la tolérance à l’erreur mais l’obligation d’en apprendre quelque
chose
Légende ou fait véritable, on raconte que Tom Watson, fondateur d’IBM, aurait un jour reçu
dans son bureau un commercial qui aurait fait perdre plus de 500 000 dollars à l’entreprise.
Tout penaud, l’homme se présente avec la peur au ventre et sa lettre de démission à la
main. Watson l’interroge sur les erreurs commises. Il l’écoute dans son récit. Puis le
commercial tend sa lettre à Watson qui lui répondit alors : « Je ne vais quand même pas
accepter votre démission maintenant alors que vous venez de me coûter 500 000 dollars
de formation ! L’erreur est apprenante, vous ne la referez plus. Je considère cette somme
comme un investissement. »
Watson avait coutume de dire à ses cadres qu’ils avaient un droit à l’erreur, mais en
revanche pas aux erreurs. À l’instar d’IBM, Coca-Cola, Netflix ou encore Amazon ont
encouragé l’erreur d’innovation.

D’un point de vue psychologique, on observe que certaines pratiques


comme l’empathie, la bienveillance, l’écoute attentive, la reconnaissance,
le sens donné à une activité, à une mission ou encore la transparence de
l’information, encouragent l’efficacité relationnelle et influencent donc
directement l’intelligence collective (voir chapitre 6 ) .

PASSER DE L’INDIVIDUEL AU COLLECTIF 8 :


PAS SI FACILE…
Le Forum économique mondial prédisait en 2016 que la coordination
deviendrait l’une des cinq compétences clés du futur 9 . Et les Français
ont eux aussi évolué dans leur représentation du groupe puisque depuis
2016, dans le Baromètre des valeurs des Français (BVF), ils estiment
« qu’il est désormais impossible de s’en sortir seul face à l’ampleur et à
la globalité des dysfonctionnements du système 10 ». Pour réussir et
gérer la complexité du monde actuel, bien résumé par l’acronyme VUCA,
il va falloir développer notre intelligence collective.

Mais le problème est que, depuis l’enfance, tout nous pousse à mesurer
notre performance individuellement. Depuis 2016, les écoles sont dotées
d’un nouvel outil, le carnet de suivi des apprentissages, utilisé pour
évaluer les progrès des très jeunes enfants. Les enseignants le
complètent tout au long du cycle de maternelle 11 . Dans le livret, peu de
références au collectif. Y figurent quelques apprentissages de groupe
comme « échanger et réfléchir avec les autres », « collaborer, coopérer,
s’opposer » ou « communiquer avec les autres au travers d’actions à
visée expressive ou artistique ». Mais l’immense majorité des
compétences attendues avant l’âge de six ans reste individuelle. C’est
une évolution très douce par rapport au monde d’hier qui valorisait la
réussite indépendante, autant qu’il sanctionnait l’échec individuel. Notre
modèle fait également figure d’antithèse par rapport au modèle finnois
qui, depuis 1968, a repensé les fondamentaux éducatifs pour faire face
aux enjeux du monde à venir. La conséquence naturelle est que, adultes,
nous préférons être le meilleur individuellement, plutôt que de contribuer
à un collectif, par souci de préserver notre image, mais également par
peur d’être redevable, par manque de confiance en l’autre ou
scepticisme sur sa valeur ajoutée 12 . Les quinze ans de système
pédagogique français traditionnel ont en cela durablement marqué nos
comportements.

La compétition, dans le mode d’apprentissage comparatif qui a été le


nôtre, est notre réflexe premier. Nous ne portons pas en nous un réflexe
coopératif pérenne. La Nature en revanche, qui possède cette force
d’adaptation constante à son environnement, a très bien intégré le fait
que la compétition ne pouvait être qu’une posture temporaire, quand il y
a un enjeu de domination sociale ou de survie. Si elle perdure,
l’interaction compétitive peut mener chez les animaux à l’extinction de
l’espèce 13 . L’un des exemples pourrait être l’étourneau de Bourbon, un
oiseau de l’île de La Réunion, qui a disparu depuis 1870 pour de
multiples raisons, dont la compétition avec une autre espèce de
passereau, le martin triste. Les animaux privilégient donc logiquement la
coopération, plus économe de leurs ressources, et conjuguent
généralement leurs intérêts particuliers à l’intérêt général.
Il y a donc un paradoxe systémique : d’un côté un besoin reconnu de
coopération et de l’autre une difficulté sociétale à mettre en place les
moyens profonds d’y répondre.
La difficulté de nos environnements humains est que, à l’instar de la
confiance, la coopération ne peut être une injonction. Jouer collectif
suppose non seulement de trouver un moteur, une envie dans le partage
de ses compétences, mais également d’être en capacité de le faire. Cela
implique d’avoir développé les compétences émotionnelles et
situationnelles nécessaires à la construction d’une relation qui dépasse
l’instinct de survie (voir les chapitres 1 et 6 ) . Cela suppose également de
ne pas se sentir menacé par l’altérité. En entreprise, le jeu collectif est
protéiforme : partage de connaissances, d’idées ou d’informations
stratégiques, présentations communes, répartition des tâches en vue
d’une production qui fusionnerait le travail de chacun en un rendu unique.
C’est une des pistes vers une économie de la connaissance, une
entreprise apprenante et responsable, qui développerait l’employabilité.
On parlerait alors de compétition collaborative, appelée « coopétition »,
pour évoquer l’alignement des intérêts individuels et collectifs.

Le collectif ne nous rend pas toujours plus performants 14

Nos paradoxes humains s’expriment ici pleinement. L’idée qu’ensemble,


nous sommes plus forts est certes répandue, mais le collectif et la
dimension participative comportent néanmoins des risques ! Et cela rend
son incitation encore plus délicate. Cela peut même expliquer pourquoi,
dans une certaine mesure, nous avons tant de mal à nous y soumettre.

Nous sommes plus paresseux en groupe que seuls


L’effet rebond le plus connu du travail collectif est la paresse sociale : ce
phénomène selon lequel plus le nombre de participants est élevé pour
réaliser une tâche, plus chacun s’autorise à diminuer son engagement.
Ainsi, les efforts individuels diminuent proportionnellement à la taille du
groupe. Ce mécanisme a été mis en lumière par Maximilien Ringelmann
en 1882 par une expérience sur la force de traction d’hommes réalisant
la tâche seuls, puis regroupés. Les conclusions montrent que, lorsqu’on
dépasse sept personnes, l’effort de chacun diminue de moitié par rapport
à l’effort individuel fourni lorsque l’exercice est réalisé seul 15 .
Des recherches récentes sur les influences sociales réalisées par Paul
Paulus et Mary Dzindolet ont montré que des individus qui réfléchissaient
seuls sur un projet produisaient jusqu’à deux fois plus d’idées que s’ils y
réfléchissaient en groupe 16 .

Selon certaines théories, ce serait dû à l’absence d’évaluation


individuelle, qui encouragerait chacun à se retrancher derrière le groupe.
Réminiscence de toutes ces années structurantes durant lesquelles nous
avons été évalués sur notre performance individuelle ? Certainement.

Nous nous conformons à l’avis général, quand bien même ce


dernier est stupide

Notre conformisme est par ailleurs susceptible d’augmenter avec la taille


du groupe dont nous faisons partie. Plus le groupe est unanime, plus
l’individu perd sa capacité à prendre de la distance 17 . L’une des
expériences les plus criantes sur notre conformisme est celle du
psychologue Solomon Asch 18 , qui réalisa dans les années 1950 des
études sur les effets de la pression sociale sur les comportements.
Répliquées par la suite des centaines de fois dans des vingtaines de
pays, les résultats montrent que les gens conforment jusqu’à 40 % de
leurs réponses à celles du groupe. Si la majorité du groupe défend une
idée, quand bien même elle peut être fausse ou même stupide, les
autres se laissent convaincre.

Et les prix Nobel d’économie 2017 Richard Thaler et Cass Sunstein


d’ajouter : « C’est presque comme si les gens disaient voir un chat quand
on leur présentait l’image d’un chien parce que d’autres l’avaient fait
avant eux 19 . » Notre cerveau s’aveugle pour se plier à cette volonté de
conformité. Nous savons encore très mal rester nous-même, ensemble.
Les enjeux d’employabilité qui vont être les nôtres dans quelques années
nous placent face à une obligation de renouvellement de nos méthodes
d’éducation et d’apprentissages de l’interactivité. Le XXI e siècle nous
pousse à développer des trésors d’inventivité pour apporter une valeur
ajoutée humaine dans nos projets et nous démarquer par notre
intelligence sociale des futures « intelligences » artificielles.

Nous, humains, sommes en prise avec notre ego, ce qui complexifie


notre rapport au collectif
D’un point de vue évolutionniste, l’ego a pour fonction d’assurer notre
place dans le groupe et d’assurer la meilleure descendance possible.
Mais il est aussi équilibré et régulé par les nécessités d’empathie et de
coopération, absolument indispensables pour la survie du groupe. Et
toutes les sociétés, religions ou législations ont cherché à limiter les
effets néfastes de ces impulsions égocentrées, souvent contre-
productives. Cependant l’ego fait partie de chacun de nous. Il ne s’agit
pas de le renier, mais plutôt d’apprendre à s’en distancier, à y réfléchir, à
percevoir en quoi il oriente nos actions et pensées. Dans son ouvrage
Reinventing organizations, vers des communautés de travail inspirées ,
Frédéric Laloux appelle ce travail sur soi la « maîtrise des peurs de
l’ego » et suggère que nous cessions d’être dans une « relation
fusionnelle à notre ego », pour ne plus « laisser notre existence sous
l’emprise de nos peurs 20 ».

ÉVEILLEZ VOS TALENTS…

Adoptez un regard critique sur votre aptitude à


l’intelligence collective
Comment estimez-vous votre capacité à comprendre les émotions des
autres ?
Percevez-vous généralement les besoins qui découlent des émotions
exprimées par les autres ?
Quelle est votre propension à sentir la souffrance des autres ?
Quel est votre niveau de conscience organisationnelle, c’est-à-dire votre
capacité à apprécier la culture et les valeurs d’un groupe constitué ?
Sentez-vous généralement les non-dits, ce qui est écrit entre les lignes ou ce
qui peut se dégager du non-verbal ?
Quelle est votre attention au temps de parole de chacun au sein d’un
collectif ?

Développer une intelligence de groupe et un rapport sain au collectif


passe par un travail sur soi. Le questionnement managérial autour du
rapport à ses choix et à la part d’ego qui les a dictés est une condition
sine qua non d’un leadership éclairé. Pour ce faire, plusieurs outils
introspectifs sont à disposition.
Découvrir son « angle mort »

Utiliser la fenêtre de JoHari pour mieux se connaître


L’angle mort est ce que l’on ignore sur soi-même, mais ce dont les autres
autour peuvent avoir conscience. La fenêtre de JoHari date du milieu du
XX e siècle et doit son existence à Joseph Luft et Harrington Ingham. Le
mot « JoHari » est d’ailleurs la combinaison des premières syllabes des
deux prénoms de ses inventeurs.

Zone connue de moi Zone inconnue de moi

1. Zone publique, d’ouverture : « Connu de 3. Zone inconnue de tous : « Inconnu de moi,


moi, connu des autres » inconnu des autres ».

2. Zone privée, cachée aux autres : « Connu 4. L’angle mort : « Inconnu de moi, mais
de moi, inconnu des autres ». connu des autres »

La fenêtre se décompose en quatre cadrans :


la zone publique, d’ouverture. Elle est connue de vous et connue
des autres. C’est l’information partagée, ce que les sens et les gens
peuvent librement capter à votre sujet : la couleur de vos cheveux,
votre odeur, votre tenue… Mais aussi vos compétences, votre CV,
votre parcours, vos réalisations ou tous les éléments que vous
divulguez librement et partagez avec les autres ;
la zone cachée : elle est connue de vous seul et inconnue des
autres. C’est toute l’information vous concernant que vous avez
choisi de conserver privée (votre feuille de paie, votre situation de
famille, votre chiffre d’affaires, vos objectifs…) ;
la zone inconnue : elle est inconnue de vous et inconnue des autres.
C’est une zone d’inconscient ;
l’angle mort : c’est la zone inconnue de vous, mais connue des
autres. C’est le mascara qui a coulé au coin de l’œil, le morceau de
salade coincé sur votre dent. Dans un cadre professionnel, cela peut
être un comportement récurrent sous stress dont vous n’avez pas
conscience, une attitude non verbale, une posture un peu sèche que
vous prenez parfois… Vous ne vous en rendez pas compte, mais
votre entourage, lui, l’a bien perçu. Peut-être même que vos
collègues en parlent entre eux en votre absence. Si seulement
quelqu’un avait le courage de vous le dire, cela vous donnerait une
marge de progrès !
Explorer cette zone de potentiel permet également de mettre en
évidence des compétences, des capacités et des talents dormants
dont nous n’avons pas toujours conscience mais que les autres
peuvent percevoir. Il n’est pas évident de se confronter à ces
découvertes mais, même si c’est dur, vous préférez sans doute
savoir ce que les autres perçoivent que de rester dans l’ignorance
de ce que vous renvoyez.

ÉVEILLEZ VOS TALENTS…

Réduisez votre angle mort pour mieux vous connaître


Sollicitez votre entourage, questionnez-le sur vos comportements, vos postures non
verbales, les attitudes que vous renvoyez.
Allez chercher activement les feedbacks, les retours, après vos interventions, vos
présentations en public, vos travaux communs.
Rassurez vos interlocuteurs sur vos réactions quant au partage de ces informations.
Pour permettre aux personnes sollicitées de se sentir prêtes à vous exposer des
éléments d’angle mort, vous devez leur montrer que vous être prêt à les recevoir. Ne
tuez pas le messager qui apporte les nouvelles !

Traquer l’angle mort collectif ?


Collectivement, travailler sur l’angle mort permet de prendre conscience
de l’image interne – ou externe auprès de clients par exemple – d’une
équipe. Cela donne ensuite des clés supplémentaires dans la prise de
décision.
De multiples modalités permettent de travailler la connaissance mutuelle
entre équipes et l’image réciproque renvoyée.
« Il y a quelques années, j’ai été missionnée par une mutuelle
d’assurances pour accompagner les directions comptabilité et
contrôle de gestion, qui ne parvenaient pas à travailler efficacement
ensemble.
La fluidité dans les interactions était pourtant essentielle à leurs
performances communes. L’absence de coopération était
essentiellement due à un manque de considération réciproque qui
touchait les identités professionnelles. Le problème n’était pas intuitu
personæ . Il reposait essentiellement sur l’image que chaque
direction renvoyait à l’autre. Lors du diagnostic préalable, j’ai fait
toute une série d’entretiens durant lesquels les ressentis
émergeaient :

“Ils se prennent pour les rois du monde et nous donnent des ordres
comme si on devait obéir au doigt et à l’œil.”

“Ils nous ignorent toute la semaine, mais s’ils ont un besoin le


vendredi, ils déboulent dans notre bureau et il faut que ce soit fait
dans la journée.”

“Ça se passerait mieux si on ne devait pas constamment rattraper


leurs erreurs.”

“Rien n’est jamais livré dans les temps et après nous sommes tous
compressés pour la clôture.”

Nous avons alors proposé un atelier “Vis ma vie” aux deux équipes,
pour qu’elles prennent conscience de leurs réalités mutuelles.
Certains verbatims ont été projetés à l’écran. Un exercice de purge a
été réalisé, sous forme de catharsis. Et un workshop sur l’image a
permis de se représenter ce que chacun percevait. Il consistait en
un exercice très simple. La question de départ était : “Si l’équipe
contrôle de gestion était un personnage, qui serait-il ?”

“Grand ? Mince ? Sportif ? Pantouflard ? Rentrant tard du travail ?


Habitant au vert ? Citadin ? Comment s’appellerait-il ? Où partirait-il
en vacances ? Quels seraient ses hobbies ? Aurait-il un animal de
compagnie ? Comment s’habillerait-il ? Quelles seraient ses
lectures ? Et son type d’alimentation ? Serait-il gourmand ? Quels
seraient ses comportements d’achat ? Quelle voiture conduirait-il ?
Comment s’appellerait-il ?”

Nous avons fait dans une salle séparée le même exercice avec les
deux équipes. Les résultats ont été étonnants ! Ils ont permis de
faire ressortir sous un format imagé toutes les perceptions et angles
morts de chacune des deux équipes. »
Mélanie, consultante en organisation

REPENSER LES ORGANISATIONS POUR


FAVORISER L’INTELLIGENCE COLLECTIVE
Avec la croissance exponentielle des connaissances, des technologies et
l’hyper-connexion, la structure pyramidale et centralisée classique de ces
dernières années n’est plus adaptée aux exigences actuelles du monde
du travail. La force de travail physique et la capacité à produire des
gestes répétitifs ont fait place aujourd’hui à des aptitudes cognitives
d’adaptation pour gérer les évolutions incessantes de nos entreprises.
Des organisations souples, en réseaux, apprenantes, dotées de leaders
capables de fédérer les équipes peuvent davantage fournir les capacités
d’adaptation nécessaires aux bouleversements permanents.

Agiles, vous avez dit agiles ?

Le monde de l’entreprise parle aujourd’hui beaucoup d’agilité. Le mot est


devenu une valise multifacette tellement il a été galvaudé. Il existe
désormais des professionnels spécialisés dans l’agilité, des coachs
agiles, des méthodes agiles, des sprints agiles, des boosters d’agilité…
Mais que met-on derrière le mot exactement ?

Deux synonymes sont particulièrement pertinents pour essayer de le


définir simplement : souplesse et vivacité.
Et si l’agilité se rapprochait de la neuroplasticité ?

Nous avons vu que les capacités d’adaptation de notre cerveau étaient


largement sous-estimées (voir chapitre 4 ) et perduraient tout au long de
notre vie. Les personnes persuadées que les qualités et défauts sont
fixés dès les premières années de vie se privent d’une capacité
d’adaptation cruciale. En effet, si nous pensons être améliorable en
permanence, nous accordons plus de place à l’effort pour s’adapter, nous
y consacrons plus d’énergie et de temps et les difficultés sont vues
comme des défis, tandis que nos échecs ne remettent pas en cause
notre identité. Nous sommes donc plus « agile » et plus motivé pour nous
adapter à l’environnement changeant, mais aussi au fonctionnement du
collectif. Nous sommes moins rigide pour défendre des situations
acquises, car une organisation différente ne constitue pas une atteinte à
notre identité ou à notre vision du monde, ni un risque de mise à jour de
faiblesses définitives, mais une simple occasion de progresser.

Et plus largement, si l’agilité se rapprochait du fait d’être adaptable,


d’avoir plusieurs vies dans une seule ? Aujourd’hui, les carrières ne sont
plus linéaires, les activités peuvent être multiples et l’agilité pourrait être
cette capacité à changer d’espaces, de temporalités, d’interlocuteurs.
L’avenir appartient aux « slasheurs » : avoir plusieurs vies
professionnelles en une, passer d’une activité à l’autre, se réinventer, se
renouveler. Le mot a d’ailleurs fait son apparition officielle dernièrement.
Les « slasheurs » sont ces pluriactifs, selon le ministère du Travail, qui
conjuguent plusieurs activités professionnelles, par volonté de se
diversifier, par peur de l’ennui et/ou besoin économique. Leurs activités
ne sont pas toujours connectées entre elles. Et la tendance est véritable.
Le modèle est d’ailleurs probablement en passe de devenir la norme
dans la réalité très volatile du monde du travail 21 .

Le caractère hybride de ces nouveaux modes d’organisation est encore


malheureusement très mal compris par le monde de l’entreprise, peu
équipé pour faire face à ces demandes dans lesquelles la mono-activité
et le mono-engagement disparaissent. L’enjeu RH d’adaptabilité à la
nouvelle donne est donc de taille.

L’entreprise libérée et l’holacratie : deux tentatives de repenser


l’organisation

La nouvelle donne implique également de penser de nouveaux schémas


d’organisation. Il en existe plusieurs, plus ou moins aboutis, plus ou
moins modélisés ou reproductibles. Ils ont le mérite d’inspirer, de
permettre de nouveaux cadres de réflexions.

Les théories assimilées à l’entreprise libérée : quelques notions


L’expression d’entreprise libérée date de 1993, sous la plume de Tom
Peters. Elle a été popularisée en France par Isaac Getz en 2009.
L’entreprise libérée est alors décrite comme « une forme
organisationnelle dans laquelle les salariés sont totalement libres et
responsables dans les actions qu’ils jugent bon — eux et non leur patron
— d’entreprendre 22 ».

Le modèle s’inspire de la théorie Y de Douglas McGregor qui affirme que


l’Homme aime travailler et prône la confiance comme valeur de base :
L’entreprise libérée donne aux salariés une responsabilité entière sur
leurs missions et mise sur l’auto-organisation.
la théorie de l’entreprise libérée estime que le contrôle nuit à
l’épanouissement, à l’engagement et donc à la performance.

La théorie de l’entreprise libérée ne constitue pas une méthodologie car


sa déclinaison n’est pas duplicable à l’identique. Elle est à ce jour parfois
critiquée sur la base du peu de recul sur les résultats atteints et des
potentielles dérives sectaires qui peuvent découler de certains de ses
principes.

L’holacratie : clés de lecture du concept organisationnel

De grands groupes mais aussi des PME ont adopté ce système de


gouvernance, qui consiste à supprimer les lignes hiérarchiques pour
laisser plus d’autonomie aux salariés et favoriser l’agilité. L’holacratie
cherche à engager les salariés à travers une gouvernance adaptable, qui
mise sur l’intelligence collective. Le concept repose sur quelques
principes clés :
la formalisation de règles du jeu claires et d’une raison d’être de
l’entreprise ;
une structure d’entreprise en cercles autonomes et auto-organisés,
ayant pour mission l’atteinte d’objectifs ;
trois outils de coordination : la réunion de gouvernance, la réunion
opérationnelle et la réunion debout ;
la définition de rôles : chaque salarié a environ quatre rôles ;
l’affectation des rôles selon les compétences ;
un processus de gouvernance qui régule les tensions ;
le renoncement du leader à avoir une vision au profit d’une
conception agile et adaptable.

Favoriser une dynamique participative

Dans une organisation qui permet à l’intelligence collective de se


développer, les projets se réalisent à travers une responsabilité partagée.
Chaque membre du collectif a un rôle spécifique dans ce collectif, qui lui
donne un pouvoir de consentement aux orientations proposées. Cette
dynamique s’accompagne d’outils, de méthodes, de formations des
responsables et de facilitateurs ; elle ne s’improvise pas.

Pour collaborer et prendre de bonnes décisions, il ne suffit pas d’être


ensemble, sans cadre défini.

Pour générer de l’intelligence collective, nous savons aujourd’hui qu’il


faut respecter certaines règles essentielles que sont :
la diversité qui permet la pluralité (géographique, socioculturelle, de
genre…) ;
l’indépendance (d’esprit, par rapport à une hiérarchie, des codes
énoncés ou tacites, des intérêts divers…) ;
l’agrégation des propositions qui transforme les échanges en
proposition cohérente.

Selon Stefan Merckelbach, « en dynamique participative, nous ne


demandons jamais aux décideurs s’ils sont d’accord avec une décision,
mais nous les interrogeons sur leurs objections à son encontre car ces
objections permettent de rendre manifestes des limites de tolérance 23 ».

La dimension participative permet ainsi d’exploiter l’intelligence collective


différemment, dans la prise de décision et la résolution de problèmes.
Les objections sont prises en compte d’emblée, ce qui permet à chacun
de se sentir inclus dans la démarche et acteur de cette dernière.

ÉVEILLEZ VOS TALENTS…

Réfléchissez à votre place dans le collectif


Quel est le rôle que vous aimez jouer au sein du collectif ?
Comment estimez-vous contribuer au collectif lorsque vous en faites partie ?
Comment jugez-vous votre facilité/difficulté à vous concentrer sur la
performance collective versus votre performance individuelle ?
La valeur que vous apportez au collectif est-elle connue et reconnue par votre
entourage ?

Certaines organisations, dans le sillage des GAFAM, ont instauré une


rupture, en rendant l’information libre, instantanément accessible, en
mettant en place des structures de travail qui s’affranchissent des
contraintes de temps et d’espace et en responsabilisant les équipes
selon des réseaux horizontaux plutôt que des axes hiérarchiques
verticaux. Ces ruptures culturelles ne sont pas toujours applicables telles
quelles dans tous les secteurs, mais elles ne peuvent pas être ignorées.
Elles s’adaptent aux exigences d’un monde en pleine mutation et
génèrent des attentes nouvelles.

L’intention collective plutôt que l’objectif

Longtemps, tout le management de la performance a tourné autour de la


notion d’objectifs.
Cette vision est aujourd’hui obsolète et les entreprises l’abandonnent
progressivement au profit de pratiques plus agiles, de feedbacks
permanents et à 360 degrés ou de management par l’intention ou le
résultat.
Mais que veut dire privilégier le « management par intentions » versus le
management par objectifs ?
« L’intention favorise une approche plus qualitative que quantitative, elle
respecte mieux les rythmes et les évolutions […] Là où l’objectif attire de
l’extérieur, l’intention jaillit de l’intérieur […] elle stimule la créativité,
favorise la découverte de nouveaux chemins pour la réaliser, encourage
la recherche collective de solutions […] Avec l’intention, un “pourquoi”
vient s’adjoindre au “quoi”, ouvrant par là même la dimension du sens 24
. »

« Dans notre ETI, nous n’écrivons plus lors des entretiens annuels
que l’objectif est d’atteindre 500 000 euros de chiffre d’affaires par
membre de l’équipe. En revanche, nous consignons tout ce que
nous avons collectivement l’intention de faire pour y parvenir et notre
intention d’adapter nos efforts aux évolutions externes. Cela nous
permet d’être très agile et de maintenir l’engagement très haut
puisque nous gardons une grande part d’autonomie et de liberté. »
Amélia, en charge du développement commercial dans une
ETI du secteur de la chimie

GRAINES DE CONNAISSANCES

Une pépite d’intelligence collective : le codéveloppement


Il existe une méthodologie d’intelligence collective qui vient du Canada et qui s’appelle le
codéveloppement. Elle vise à partager autour d’un sujet concret, pour trouver des solutions
collectivement. Dans la démarche, un volontaire présente brièvement au groupe (sept
personnes généralement) un problème, une préoccupation ou un projet (les 3P) pour lequel
il aimerait bénéficier de l’intelligence du groupe.
La première chose demandée aux participants une fois que le volontaire (appelé client) a
fini, c’est de le questionner de façon tout à fait neutre pour mieux comprendre sa situation.
Cette phase est généralement très difficile pour les participants qui sont tentés de donner
leur avis, de proposer des questions fermées sous la forme de deux alternatives
(introduisant ainsi un biais dans le choix du client), ou d’aller directement suggérer des
solutions sous la forme de questions déguisées. Rares sont les questions qui visent
véritablement à comprendre.
Ce type d’atelier peut également s’adapter sous d’autres formats, proches des ateliers de
résolution de problèmes ou ateliers d’analyse de pratiques. Les méthodologies de
codéveloppement sont des sources facilement accessibles et très puissantes
d’enrichissement personnel.
Le codéveloppement repose sur trois règles :
confidentialité ;
bienveillance ;
authenticité (« parler vrai »).
Il permet à la fois d’exposer sa situation, de se mettre au service des autres dans la
réflexion autour de leur sujet de préoccupation, de créer un réseau d’entraide, de favoriser
l’expression des émotions et le recul sur les pratiques. Il se centre sur l’individu dans la
situation exposée.
Les ateliers d’analyse de la pratique ont quant à eux une vocation plus pragmatique, en ce
qu’ils recherchent des solutions aux problèmes exposés.

Un des ingrédients supplémentaires de l’intelligence collective, c’est


aussi de « libérer les imaginaires », de laisser les gens se projeter « au-
delà des arguments rationnels » comme l’exprime très bien Antoine
Brachet, directeur exécutif de la start-up hybride Bluenove, une des
pionnières en intelligence collective 25 .

ÉVEILLEZ VOS TALENTS…

Questionnez-vous sur votre collectif


Quel est l’objectif de votre équipe ?
Est-il commun au vôtre ?
De quoi auriez-vous besoin pour collaborer efficacement ?
Comment pourriez-vous favoriser la connaissance mutuelle avec les
personnes qui travaillent avec vous ?
Connaissez-vous les forces de vos coéquipiers ?
Ressent-on ces forces dans votre collectif ?
Remarquez-vous une différence entre les performances individuelles et les
performances collectives ?
Quelles sont les compétences qui manquent collectivement au regard de vos
objectifs ?
Votre collectif est-il divers et varié ?
Quelles sont les réussites récentes du groupe ?
Quels sont les échecs récents du groupe ?
Comment ont-ils été exploités ?
Comment évalueriez-vous le partage d’informations au sein de votre collectif ?
Quels seraient les leviers à actionner pour améliorer la performance
collective ?
Quels comportements (compétences comportementales) contribuent le mieux
à la performance du collectif ?
Comment ces compétences pourraient-elles être développées ?
Existe-t-il des comportements qui freinent l’intelligence collective ?
Comment pourrait-on y remédier ?
À quel stade de maturité est votre équipe ?
Votre équipe pourrait-elle être accompagnée ou inspirée pour générer
davantage d’intelligence collective ?
Par qui ? Par quoi ?

À IMPRIMER DANS VOS NEURONES

Selon le World Economic Forum, coopération et capacité à travailler en équipe seront deux
compétences dont le besoin se renforcera dans le futur.
L’intelligence collective a gagné sa place récemment sur le podium des sciences cognitives
et les plus grandes universités du monde ont désormais des chaires d’intelligence
collective.
Depuis 2010, on sait que trois facteurs déterminent l’intelligence d’un groupe :
le niveau d’écoute émotionnelle entre les individus ;
le partage du temps de parole ;
la proportion de femmes dans l’équipe.

Sécurité psychologique et tolérance à l’erreur sont des notions clés pour générer de
l’intelligence de groupe.
Nous faisons face à un paradoxe systémique français : d’un côté, un besoin de
coopération, et de l’autre, une difficulté sociétale à mettre en place les moyens d’y
répondre.
Le collectif ne nous rend pas toujours plus intelligent et il est utile d’en connaître les biais
pour mieux les contrer. Travailler sur notre ego et la notion d’angle mort permet de mieux se
connaître, pour être au service du collectif.
De nombreuses organisations du travail plus responsabilisantes et flexibles peuvent être
inspirantes pour générer de l’intelligence de groupe.
En 2015, on estimait que la puissance additionnée de tous les ordinateurs valait environ 1
000 cerveaux humains. « Un cerveau de polytechnicien prend plus de temps qu’une
calculette à trouver une racine carrée. À l’inverse, le langage courant semble voué à
confondre durablement les plus puissantes intelligences artificielles. Demandez à Google
de traduire en anglais “j’ai acheté des avocats au marché”, il comprendra que vous avez
soudoyé des juristes devant l’étalage 26 . Des prophéties bien argumentées estiment qu’il
faudra encore au moins un siècle avant que les machines soient dotées d’une intelligence
générale similaire à la nôtre 27 . »
Demain sera technologique, digital, connecté.
Le collectif est déjà devenu l’une des clés de multiplication de nos intelligences
individuelles. Il est globalement plus facile d’augmenter l’intelligence collective qu’un
quotient intellectuel individuel.
Mais en même temps, il serait illusoire d’espérer améliorer une démarche collective si les
individus qui constituent le groupe sont débordés par leurs ego ou problèmes personnels.
Un travail préalable de chacun sur soi semble donc être une des conditions de réussite d’un
collectif performant.

« Si seulement HP savait ce que HP sait, nous serions trois fois


plus productifs. »
Lew Platt, ancien PDG de Hewlett-Packard

1. Center for Collective Intelligence.


2. Site du cycle de conférence autour de l’intelligence collective : https://ci.acm.org
3. Hayek et Myrdal reçurent en 1974 le Nobel d’économie pour leurs travaux sur les fluctuations
économiques et l’interdépendance des phénomènes économiques, sociaux et
institutionnels.
4. Woolley A.W. et al. , « Evidence for a collective intelligence factor in the performance of
human groups », Science , 330 (6004), 2010, 686-688.
5. Les Sept Sœurs regroupent sept universités pour femmes, créées en 1927 pour promouvoir
l’éducation des femmes qui n’avaient alors pas accès aux universités de l’Ivy League. Ces
établissements d’excellence sont aujourd’hui encore des lieux ouverts d’échanges et de
débats, notamment autour des questions éthiques, culturelles ou de genre.
6. Bennett J., « On Campus, Failure Is on the Syllabus », New York Times , 24 juin 2017 (
https://www.nytimes.com/2017/06/24/fashion/fear-of-failure.html ).
7. Bill Taylor, « Comment Coca-Cola, Netflix et Amazon ont appris de leurs erreurs », Harvard
Business Review France , 5 juillet 2018 ( https://www.hbrfrance.fr/chroniques-
experts/2018/07/20881-comment-coca-cola-netflix-et-amazon-ont-appris-de-leurs-erreurs/ ).
8. Extraits choisis d’une chronique d’expert originellement publiée dans la Harvard Business
Review France , « Pourquoi avons-nous tant de mal à jouer collectif ? », 27 mai 2019 par
Emmanuelle Joseph-Dailly.
9. http://reports.weforum.org/future-of-jobs-2016/shareable-infographics/
10. Baromètre des valeurs des Français 2016/2017 : « (Re)Faire collectif ». Le baromètre
décrypte tous les deux ans les tendances dans les évolutions d’état d’esprit de la société.
Tous les deux ans, l’interprétation des résultats met en évidence dix tendances pour rendre
compte des évolutions majeures de l’état d’esprit de la population ( https://www.tns-
sofres.com/communiques-de-presse/barometre-des-valeurs-des-francais-2016-2017-refaire-
collectif ).
11. http://eduscol.education.fr/cid97131/suivi-et-evaluation-a-l-ecole-maternelle.html
12. Bolino M.C. et Thompson P.S., « Why We Don’t Let Coworkers Help Us, Even When We
Need It », Harvard Business Review , 15 mars 2018 ( https://hbr.org/2018/03/why-we-dont-
let-coworkers-help-us-even-when-we-need-it ).
13. Martínez‐Ruiz C. et Knell R.J., « Sexual selection can both increase and decrease extinction
probability: reconciling demographic and evolutionary factors », Journal of Animal Ecology ,
British Ecological Society, 14 novembre 2016 (
https://besjournals.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/1365-2656.12601 ).
14. Extraits choisis et revus d’une chronique d’expert originellement publiée dans la Harvard
Business Review France , « Pourquoi avons-nous tant de mal à jouer collectif ? », op. cit.
15. Ringelmann M., « Recherches sur les moteurs animés : travail de l’homme », Annales de
l’Institut national agronomique , 1913. Ringelmann est un universitaire français, professeur
d’ingénierie agricole, un des précurseurs de la psychologie sociale en France.
16. Paulus P.B. et Dzindolet M.T., « Social influence processes in group brainstorming », Journal
of Personality and Social Psychology , 64(4), 1993, 575-586.
17. Freud S., Psychologie des masses et analyse du moi (1932).
18. Psychologue américain (1907-1996), pionnier de la psychologie sociale, il fait partie du
courant gestaltiste.
19. Voir les prix Nobel d’économie 2017 Richard Thaler et Cass Sunstein, Nudge : la méthode
douce pour inspirer la bonne décision , Pocket, 2012.
20. Laloux F., Reinventing organizations, vers des communautés de travail inspirées , Diateno,
2015.
21. Voir Rebourg A., « Ils cumulent plusieurs métiers par envie : les “slasheurs” vont-ils
bouleverser le monde du travail ? », LCI.fr , 15 mars 2018 (
https://www.lci.fr/societe/entreprise-les-slasheurs-qui-cumulent-plusieurs-metiers-par-envie-
vont-ils-bouleverser-le-monde-du-travail-2081564.html ).
22. Getz I. et Carney B.M., Liberté & Cie [2009, édition en anglais], Flammarion, 2016 (1 re éd.
Fayard, 2012).
23. Merckelbach S., Le Dit d’Ordinata , Éditions l’Aigle d’Ordinata, 2017.
24. Merckelbach S., Le Dit d’Ordinata , op. cit.
25. « Intelligence collective – 5 questions à Antoine Brachet », propos recueillis le 6 septembre
2019 par Carole Babin-Chevaye ( http://www.cbabinchevaye.com/5-questions-a-antoine-
brachet ).
26. Selon Google Translate le 27 juillet 2019, la traduction de « j’ai acheté des avocats au
marché » est : « I bought lawyers at the market » – Exemple pris par Émile Servan-
Schreiber, dans Supercollectif , op. cit.
27. Hanson R., The Age of Em , Oxford University Press, 2016. Repris par Émile Servan-
Schreiber, Supercollectif , op. cit.
PETIT CONDENSÉ DE VOS
TALENTS CACHÉS
Votre intelligence émotionnelle
Le chapitre 1 nous a proposé de renforcer notre intelligence émotionnelle en nous entraînant à
anticiper l’émotion, à l’identifier lorsqu’elle se présente, à l’accepter et à agir de manière
adéquate, suite au signal reçu.
L’intelligence émotionnelle peut se développer à tout moment de la vie. Elle consiste à être en
capacité :
d’identifier nos émotions et de pouvoir les nommer ;
de repérer les manifestations physiques de nos émotions ;
de trouver les moyens d’accepter nos émotions désagréables ;
de réévaluer les pensées qui découlent de ces émotions ;
de pouvoir se projeter dans une imagerie mentale engageante.

Certains outils peuvent également être très utiles. C’est le cas de l’exercice physique, des
techniques de contrôle respiratoire, de communication assertive ou encore des démarches de
pleine conscience.

Vos décisions : entre intuition, réflexion et émotions


Le chapitre 2 nous a éclairé sur la prise de décision, qui intégrerait au juste équilibre les
différences entre pensée intuitive et pensée rationnelle.

L’intuition est notre mode de fonctionnement par défaut. Mais lorsque les situations sont
complexes ou que nous devons intégrer de nouvelles données et comportements, nous utilisons
la pensée analytique et rationnelle. Cependant, certaines situations incertaines ou changeantes
n’apportent pas assez d’informations pour décider, malgré les tentatives de rationalisation. Il sera
alors nécessaire de prendre une décision sans maîtriser les données et de savoir en
conséquence développer son intuition.
Comment alors arbitrer entre rationalité et intuition ?

Les neurosciences nous suggèrent d’apprendre à prendre conscience du caractère intuitif et


émotionnel de la plupart de nos décisions. Pour ce faire, il est recommandé :
d’accepter cette subjectivité lorsqu’elle ne porte pas à conséquence ;
de repérer les situations complexes où cette subjectivité peut se révéler néfaste ;
de corriger les effets néfastes de l’intuition par une prise de distance et une analyse
rationnelle de la situation ;
de repérer les situations dans lesquelles notre état émotionnel nous masque les bonnes
décisions ;
de développer notre intuition en la nourrissant par des connaissances pertinentes et
adaptées ;
de développer notre créativité en l’alimentant par des éléments divergents (associations
d’idées) ;
d’apprécier notre degré de compétence face à une situation (ce qui permet une intuition
efficace) ;
d’apprécier le degré d’incertitude d’une situation. Plus l’incertitude est élevée, plus nous
devrions nous méfier de nos intuitions car l’incertitude réduit l’efficacité de l’intuition ;
de prendre des avis de personnes compétentes pour enrichir la réflexion ;
de connaître ses traits de personnalité et son mode de fonctionnement habituel pour
l’enrichir ;
d’utiliser les outils d’aide à la décision pour contrer nos automatismes ;
d’utiliser les compétences de chacun et de répartir les recueils d’informations pour une
décision collective.

Votre motivation et votre engagement


Le chapitre 3 confirme que les thématiques de motivation et d’engagement, si centrales pour le
monde de l’entreprise, peuvent pleinement exploiter les connaissances neuropsychologiques.

Ce sujet bénéficie de connaissances psychologiques fondamentales. Ces recherches nous


permettent d’améliorer nos performances, d’affronter les difficultés avec plus de détermination et
de trouver un sens qui nous inspire dans notre quotidien.

Les motivations immatérielles (progresser, développer des relations de qualité, comprendre,


réaliser une œuvre, gagner en autonomie, trouver du sens, ou se dépasser…) sont de puissants
moteurs. Contrairement aux satisfactions matérielles, elles peuvent être activées indéfiniment,
sont beaucoup plus robustes et comblent notre besoin neurologique de « toujours plus » de façon
satisfaisante.

Pour améliorer notre motivation, nous devons apprendre à :


repérer les motivations intrinsèques qui nous correspondent et les mettre en accord avec
nos fonctions et métiers ;
trouver et mettre en valeur ces motivations au quotidien ;
se rappeler ces moteurs internes, à chaque difficulté ;
développer des compétences qui comblent ces besoins.
Pour favoriser l’engagement au travail, les travaux en psychologie sociale et autour du
management insistent sur :
l’exemplarité à tous niveaux ;
la cohérence entre le comportement des dirigeants et les efforts demandés aux
collaborateurs ;
la constance et la stabilité émotionnelle des leaders ;
la confiance envers les différents acteurs ;
l’autonomie et la responsabilité ;
la reconnaissance du travail accompli ;
l’esprit d’équipe.

Votre capacité à vous adapter et à changer


Le chapitre 4 nous a emmenés sur le terrain de l’adaptation au changement et de la flexibilité
mentale.

Nous bénéficions ici encore des neurosciences qui nous indiquent que notre cerveau est
adaptable jusqu’à un âge avancé, grâce à ses capacités de neuroplasticité. La connaissance
d’études comportementales renforce également notre capacité d’adaptation, en montrant qu’une
part non négligeable de nos comportements est améliorable par des actions volontaires et des
apprentissages. Les choses ne sont pas fixées à la naissance, il existe une marge de progression
accessible à la plupart des individus. Cette simple notion permet de révolutionner notre rapport au
changement.

Pour stimuler cette adaptabilité, nous savons aujourd’hui que nous pouvons agir sur :
la connaissance des potentiels de plasticité cérébrale : libération des énergies et prise en
compte de la force des habitudes ;
l’utilisation des ressources en faveur du changement : activation des réseaux de
récompense par des satisfactions matérielles ou immatérielles (motivations intrinsèques) ;
l’identification à un exemple inspirant (hiérarchie, coéquipier, autre) ;
la prise en compte de l’importance de la qualité relationnelle au travail ;
la connaissance de nos freins personnels : schémas de raisonnements, biais et distorsions
cognitives incitant au statu quo ;
l’identification et l’utilisation de nos forces et talents ;
face aux changements imposés, l’implication dans des actions de modification lorsque cela
est possible. Lorsque nous n’avons aucune prise sur les événements, l’acceptation des
éléments impossibles à modifier (sans rumination) et éventuellement la modification de
notre angle de vision ;
le développement de sa résilience face aux difficultés, en travaillant l’estime et la confiance
en soi. Cette perception positive de soi permet de s’ouvrir aux autres et de développer des
mécanismes de solidarité avec ses proches ;
l’identification des sources d’apprentissage après un échec pour progresser et s’engager
sans tarder dans l’action ;
la mise en place des processus d’organisation mentale : programmation, exercices,
feedbacks, répétition des actions pour favoriser l’ancrage.

Votre énergie, votre attention et votre stress


Le chapitre 5 a eu pour objectif de traiter notre gestion de l’énergie et du stress pour nous
apprendre à nous ménager au mieux en utilisant les capacités de notre cerveau.

Pour cultiver nos compétences cérébrales, il importe de nous adapter aux règles de
fonctionnement de notre cerveau. Les circonstances imprévues et les contraintes nous
conduisent souvent à nous imposer une charge mentale exagérée, qui peut nuire à l’efficacité de
notre action. Dans ce but il est recommandé :
de connaître les limites de l’attention, de comprendre les conséquences du manque de
sommeil, les effets néfastes du stress chronique, du manque d’activité physique, du
manque d’exposition à la nature ou des déséquilibres alimentaires ;
d’appliquer des stratégies actives de diminution du stress : activité physique, relaxation,
respect des pauses et micro-siestes, cohérence cardiaque ;
de mettre en place des stratégies à plus long terme : entraînement à la pleine conscience,
cultiver l’orientation positive…
de clarifier les tâches, règles de communication, marges de latitude décisionnelle et
injonctions paradoxales ;
de hiérarchiser les priorités ;
de mettre en place un réseau de collègues empathiques ;
de rester bienveillant et attentif aux besoins des autres, tout en affirmant ses propres
attentes à travers une communication assertive et apaisée.

Votre qualité relationnelle grâce au cerveau social


Un des apports principaux des neurosciences et des psychologies comportementales est la
confirmation du rôle majeur du lien social et de la qualité relationnelle. C’est l’objet du chapitre 6
qui traite des relations interpersonnelles.
Le cerveau social a en effet des conséquences sur :
la santé physique et mentale ;
l’efficacité ;
la motivation, l’engagement ;
la satisfaction de vie.

Il est possible d’améliorer ses relations à l’autre à travers :


la culture de son estime de soi, base de toute relation à autrui ;
le travail de son intelligence émotionnelle ;
la préférence pour les rencontres physiques, non virtuelles ;
l’apprentissage d’une bonne qualité d’écoute, en portant attention au point de vue de
l’autre ;
le développement de son affirmation de soi, respectueuse d’autrui ;
la culture de l’empathie et de la reconnaissance ;
le choix délibéré de repérer les événements positifs et de manifester sa reconnaissance.

Votre intelligence collective


Avant de conclure sur les talents cachés de notre cerveau au travail, le chapitre 7 a eu pour
vocation d’ouvrir sur le collectif, sur l’intelligence de groupe et les facteurs de performance
collective.

L’accroissement permanent des connaissances et la révolution numérique imposent une part


toujours croissante de travail en équipe. De nombreux travaux de psychologie sociale et de
sciences du management nous aident à améliorer notre intelligence de groupe. Nous savons que
demain sera un environnement collectif, mais force est de constater notre grande difficulté à
passer de l’individuel au collectif et notre faible culture du travail en commun.
Le chapitre 7 apporte différents éclairages sur les dynamiques participatives, les facteurs de
performances d’un collectif, le rapport à l’ego ou les organisations du travail à repenser pour
donner un autre sens au collectif. Nous devons trouver des sources d’inspiration pour faire face
aux enjeux. La nature et le biomimétisme pourraient en être une et les réflexions autour du
rapport à l’erreur, d’une autre forme de leadership ou de responsabilisation permettraient de
nourrir un modèle de performance individuelle qui plafonne dans son acception actuelle.
ÉPILOGUE

ous parler de nous : c’est la vocation de ce livre ! Nous montrer que


N nous portons en nous la richesse qui nous permettra de surmonter
les enjeux de demain. Notre intelligence humaine est merveilleuse
et infinie. En tant qu’êtres humains, nous avons une capacité à la
curiosité qui est une pépite pour le monde de demain. Elle nous
différencie de la machine. Exploitons-la, apprenons un peu chaque jour,
de manière ciblée ou pourquoi pas de façon complètement aléatoire en
fonction de nos envies ? Nous entraînerions ainsi nos capacités de
mémorisation et de ramifications entre nos thèmes d’apprentissages.
Nous nous devons d’avoir un coup d’avance, de rester en mouvement
constant, de ne jamais céder à la tentation de l’immobilisme.
Développons cette polyvalence, questionnons, débattons, critiquons de
manière constructive… c’est ce qui nous maintiendra employable et
alerte !

Alors, quels enseignements pouvons-nous finalement tirer des


extraordinaires avancées de ces dernières décennies en sciences
cognitives ? Et comment ces découvertes pourraient-elles nous aider
dans nos pratiques professionnelles ?
Tout d’abord, nous vous avons présenté quelques principes théoriques
de fonctionnement cérébral, sous un angle global, à partir de rudiments
de neurologie et de psychologie, appliqués au monde du travail. Ils sont
indispensables pour comprendre le pourquoi des applications pratiques,
et l’origine de l’efficacité des démarches proposées.
La première idée à retenir concerne les extraordinaires capacités
d’adaptation de nos neurones.
Nous avons beaucoup plus de pouvoir sur notre cerveau que nous le
croyons. Nos compétences de neuroplasticité sont sous-estimées car
tout dépend de notre motivation à engager des actions durables.

Les limites que nous nous imposons sont souvent liées à plusieurs
facteurs :
neurologiques : recherche d’économie d’énergie, renforcement des
réseaux neuronaux par les habitudes ;
psychologiques : croyances limitantes, résistance au changement,
biais multiples ;
conjoncturels : contraintes personnelles, professionnelles ;
socioculturels : normes sociales, contraintes administratives ou
règlementaires, pressions culturelles.

La seconde idée se rapporte à la prééminence de la sphère


émotionnelle.
Les émotions protègent notre organisme et nourrissent notre mental. En
sélectionnant les informations primordiales, elles précèdent nos
jugements et nos actions. Elles ont le pouvoir d’élever nos esprits ou, au
contraire, de nous entraîner dans l’abîme. Elles doivent être comprises,
acceptées, stimulées ou régulées selon nos besoins. Si nous nous y
prenons bien, elles peuvent animer une motivation indestructible,
entraîner notre entourage, mobiliser les énergies. Les émotions
désagréables nous alertent, mais peuvent aussi nous aveugler, nous
décourager ou nous entraîner vers de fausses pistes, des biais cognitifs
et autres distorsions cognitives.
D’autres notions sont importantes à rappeler.
Les réseaux cérébraux qui nous mettent en marche, qui nous
animent, sont, à l’origine, de deux ordres :

des motivations positives : les neurosciences nous enseignent que


les traces neurologiques des émotions positives et de la motivation
empruntent le même chemin, le réseau de la récompense. Ces
structures s’activent autant pour des récompenses matérielles que
pour des objectifs mentaux immatériels, souvent plus durables. Si
nous savons identifier ces sources de motivation, il est possible de
progresser beaucoup plus que nous l’imaginons ;
des motivations dites « négatives », car animées par l’évitement des
menaces. Pour des raisons de survie, elles prennent souvent le pas
sur les moteurs positifs. Ces motivations sont très puissantes, elles
peuvent nous procurer une énergie fantastique pour nous sortir des
situations difficiles. En revanche, leur sollicitation chronique altère
notre quotidien, épuise notre organisme et fait le lit des pathologies,
tant mentales que physiques.

Notre cerveau s’active en présence de l’autre. La relation est un


formidable outil de développement mental, trop souvent sous-
estimé. Cultiver notre cerveau social est un besoin vital et renforce à
la fois notre équilibre émotionnel, nos capacités cognitives et notre
capacité d’action.
La subjectivité est prédominante. En ce qui concerne notre capacité
à raisonner, les neurosciences et la psychologie comportementale
nous rendent humbles, en nous enseignant les multiples causes
d’influences externes non conscientes. Les influences inconscientes
commencent dès les premières heures de vie et s’échelonnent
jusqu’aux dernières heures et dernières secondes avant l’émission
d’un jugement ou d’une prise d’une décision.
Ces mécanismes non conscients occupent la majeure partie de nos
activités cérébrales et nous échappent. Il est donc inutile de
chercher à contrôler l’incontrôlable. Mieux vaut se concentrer sur
nos pensées et actions conscientes, qui sont accessibles à notre
volonté. Cette humilité nous permet d’autre part de corriger nos biais
et distorsions cognitives et rend notre esprit plus agile.
L’ énergie disponible est limitée. La charge mentale diminue nos
performances cognitives. Sa gestion demande une véritable
stratégie. Elle nécessite de privilégier certaines actions, selon une
hiérarchie pensée à l’avance. Comme nous l’avons évoqué tout au
long de l’ouvrage, des règles simples d’hygiène mentale et physique
permettent de prolonger utilement l’efficacité de nos réflexions.

Une fois ces notions théoriques intégrées, nous pouvons librement nous
tourner vers des applications plus pratiques, utiles dans notre quotidien
professionnel.
***

Depuis plus d’une cinquantaine d’années, deux sciences se taquinent


l’une l’autre : la psychologie cognitive et l’intelligence artificielle.
Accompagnées des neurosciences, elles évoluent à une vitesse
vertigineuse et nous aident à penser l’avenir. Mais ce raz-de-marée
technologique ne doit pas nous éloigner de nos besoins physiologiques
mentaux et physiques, ni nous empêcher de porter notre attention sur
tout ce qui nous entoure de plus naturel, qui constitue également une
source d’inspiration : la nature, par ses mécanismes de préservation et
d’évolution, peut elle aussi nous aider à penser le futur, pour peu que l’on
prenne le temps de l’observation. Le temps, cette notion abstraite qui
nous échappe de plus en plus, au fur et à mesure de nos difficultés à
ralentir quand tout s’accélère.
Aujourd’hui, l’espérance de vie est telle qu’une petite fille qui vient au
monde pourra certainement vivre plus d’un siècle. Notre espace-temps
s’est considérablement allongé. Pourtant nous le comprimons de plus en
plus en accélérant constamment, en nous précipitant, en courant après le
temps. L’injonction de « faire vite » nous empêche de voir l’essentiel,
nous oublions de rêver, de flâner. Et lorsque nous le faisons, c’est
forcément sur notre temps privé, personnel. Alors que ce devrait être
l’une des activités professionnelles de notre quotidien créatif. Demain,
nos visions des équilibres entre plaisir et contraintes vont
nécessairement être revues. Notre cerveau sera un allié. Nous allons
devoir nous appuyer de plus en plus sur nos capacités psychologiques et
neurocognitives. Et pour reprendre les mots de Boris Cyrulnik 1 en
préparation d’un Forum sur « S’orienter au XXI e siècle » :

« Le problème est que l’on fait sprinter nos jeunes, et ces


jeunes, en sprintant, se cassent souvent la figure […] Or, ce qui
peut aider un jeune à prendre sa voie, c’est son pouvoir de rêve
[…] Le rêve mène au réveil […] Il faut être capable de moments
d’austérité, de moments où l’on retarde le plaisir de façon à
pouvoir acquérir des connaissances pas toujours très
amusantes. L’équilibre à trouver est comme le flux et le reflux :
c’est l’alternance entre les deux qui donne le plaisir et la solidité
de vivre. »

Nous avons beaucoup plus de pouvoir sur notre cerveau que nous
pouvons l’envisager. Et ce, à condition de le connaître un minimum et de
savoir l’utiliser. Une motivation solide, un peu d’organisation et de
persévérance nous ouvrent les portes de l’amélioration de nos talents
qui, désormais, après la lecture de ce livre, ne sont plus pour vous des
talents cachés.

1. « Si, après son bac, on perd un an ou deux, qu’est-ce que cela peut faire ? », propos
recueillis par L. Belot, Le Monde , publié le 12 décembre 2016, mis à jour le 28 janvier 2019 (
https://www.lemonde.fr/o21/article/2016/12/12/boris-cyrulnik-ce-qui-peut-aider-un-jeune-a-
trouver-sa-voie-c-est-son-pouvoir-de-reve_5047373_5014018.html ).
LES TABLES

TOUTES NOS RECOMMAND’ACTIONS


Connaître les rouages de l’articulation émotions-pensées
Limiter les effets de ses propres biais
Développer sa résilience
Miser sur un bon sommeil
Nourrir correctement son cerveau
Contrôler sa respiration
Se relaxer par contrôle respiratoire/cohérence cardiaque
Se relâcher
Se guider avec une appli de pleine conscience
Prendre soin de son cerveau
Améliorer ses relations à l’autre
Appliquer une écoute active, réceptive, accueillante
Développer sa gratitude

TOUT POUR ÉVEILLER VOS TALENTS


Analysez votre rapport physique aux émotions
Analysez votre rapport cognitif à l’intelligence émotionnelle
Nourrissez votre intelligence émotionnelle
Trouvez des solutions aux schémas mentaux fréquents
Analysez votre culture émotionnelle personnelle et collective
Distinguez les MINUSCULES des majuscules ?
Favorisez votre intuition et améliorez votre réflexion
Prenez une décision dans la vie de tous les jours
Prenez une décision stratégique
Déterminez vos motivations
Découvrez vos motivations intrinsèques
Travaillez sur vos distorsions cognitives
Acceptez le changement
Retrouvez l’apaisement avec l’imagerie mentale
Pratiquez l’autocompassion quotidiennement
Cultivez votre assertivité
Développez votre empathie envers une personne qui vous agace
Prenez conscience des sources de reconnaissance
Trouvez trois « kifs » par jour
Interrogez votre rapport à l’erreur et à l’échec
Adoptez un regard critique sur votre aptitude à l’intelligence collective
Réduisez votre angle mort pour mieux vous connaître
Réfléchissez à votre place dans le collectif
Questionnez-vous sur votre collectif

TOUTES VOS GRAINES DE CONNAISSANCES

Utilisation concrète de la neuroplasticité


L’acceptation, à l’origine d’un courant de thérapie en plein essor
La gestion émotionnelle à travers la communication non violente (CNV)
Quand on dit « changer », les gens entendent « perdre »
Le lâcher-prise travaillé via l’improvisation théâtrale
La flexibilité se mesure !
À l’origine du verbe « décider »
Une décision rapide : l’amerissage sur l’Hudson
Les dix-neuf valeurs universelles selon Schwartz
Deux tests pour découvrir ses forces
La courbe du changement ou courbe du deuil
Le cycle de Prochaska
The Resilience Institute
Le cerveau des personnes rejetées
Polymath, un projet de collaboration mathématiques
Les clés de la performance collective
Tom Watson ou la tolérance à l’erreur mais l’obligation d’en apprendre
quelque chose
Une pépite d’intelligence collective : le codéveloppement
INDEX

A
acceptation 33 – 38 , 45 , 47 , 56 , 63 , 64 , 96 , 123 , 152 , 155 – 157 , 161
163 , 189 , 198 , 201 – 202 , 230 , 268
accoutumance 82 , 106
adaptation émotionnelle 54
agilité 14 - 15 , 22 , 41 , 90 – 91 , 125 , 129 , 157 , 163 , 175 , 177 , 182 ,
256 – 258
angle mort 252 – 254 , 264
angoisse 35 , 43 , 132 , 135 , 152 , 195
anticipation 21 , 103 , 189
anxiété 15 , 19 , 22 , 25 , 62 - 63 , 81 - 82 , 95 , 107 , 144 , 151 , 155 , 157
184 , 192 , 197 , 198 , 201 , 211 , 215 , 225 , 236
appartenance 14 , 103 , 104 , 110 , 115 , 121 , 123 , 124 , 141 , 162
Asch Solomon 250
assertivité 224 , 226 , 228 – 229 , 235 , 239
attention 11 – 12 , 15 , 18 , 41 , 48 , 54 , 57 , 61 , 68 , 70 , 100 , 133 , 151
156 , 165 – 172 , 182 , 193 , 195 – 199 , 210 , 219 , 229 , 236 , 239
240 , 244 – 245 , 252 , 268 , 273
autocompassion 161 , 212 – 214 , 216 , 227 , 239
automatisme 11 , 15 , 40 , 47 , 70 , 71 , 79 , 96 , 131 – 132 , 157 , 163 , 167
180 , 196 , 212 , 267
autonomie 14 , 103 – 104 , 110 , 120 , 124 – 125 , 141 , 162 , 185 , 186 ,
228 , 258 , 261 , 267
B
Barber Benjamin 163
Bernoulli Daniel 72
Beshears John 86
biais cognitifs 25 , 73 – 74 , 78 , 84 , 96 , 145 , 272
biais d’ancrage 75
biais d’attribution 77
biais de confirmation 77 , 133 – 134 , 234
biais de croyance 143
biais de disponibilité 75
biais de négativité 76 , 134 , 138 , 141 , 142 , 145 , 237 , 240
biais de statu quo 143 , 145

C
captologie 169
cerveau social 15 , 203 , 205 , 209 – 210 , 245 , 268 , 273
changement 11 – 15 , 28 – 29 , 35 , 39 , 52 – 55 , 61 , 66 , 109 , 110 , 123
– 134 , 136 – 145 , 148 , 151 – 154 , 157 – 158 , 162 – 163 , 180 , 188
, 205 , 210 , 223 , 228 , 267 , 272 , 276
choix stratégiques 11 , 65 , 67 , 82
colère 14 , 20 – 24 , 29 , 37 , 41 , 57 – 58 , 62 – 63 , 81 , 107 , 151 , 156 ,
195 , 225 , 228
communication non violente 46 , 64 , 156 , 228 – 229
compétences 8 , 13 , 15 , 17 – 19 , 23 ,– 25 , 52 , 58 – 59 , 97 , 103 , 108
, 124 , 127 , 129 , 135 – 136 , 141 , 151 , 186 – 188 , 194 , 206 , 211
245 , 247 – 249 , 253 , 259 , 263 – 264 , 267 – 268 , 271
compétition 15 , 38 , 68 , 240 , 248 – 249
confiance 13 , 21 , 47 , 51 , 54 , 81 – 82 , 114 , 117 , 119 – 121 , 123 , 125
, 152 , 154 , 159 – 163 , 186 , 189 , 209 , 211 , 213 , 221 , 224 , 239
41 , 243 – 244 , 248 – 249 , 258 , 267 – 268
constance managériale 184
contrôle respiratoire 64 , 191 , 193 – 194 , 235 , 266
coopération 15 , 117 , 131 , 171 , 205 , 231 – 233 , 239 , 248 – 249 , 251
, 264
Cooper Robertson 160
cortex 18 , 71 – 72 , 80 , 105 , 107 – 108 , 167 , 177 , 199 , 205 , 209 , 232
Csíkszentmihályi Mihály 105
culpabilité 20
Cyrulnik Boris 129 , 158 , 27 3

D
Damasio Antoine 21 , 80
Decety Jean 231
Deci Edward 103
décisions quotidiennes 65 , 81 , 96
dégoût 20 , 49
Descartes René 21
Di Clemente Carlo 154
distorsions 130 , 145 , 147 , 162 , 268 , 272 – 273
distraction 33 , 44 – 45 , 64 , 133 , 170 , 189 – 190 , 235
Dodson Fitzhugh 183
dopamine 105 , 181 , 209
Dzindolet Mary 250

E
échec 15 , 40 , 104 , 106 , 124 , 127 , 135 , 146 , 154 , 160 – 161 , 245 – 246
248 , 268
écoute active 219 , 222 – 223 , 228 , 239
efficacité 11 , 13 , 33 , 36 – 38 , 45 , 47 , 62 , 63 , 100 , 110 , 119 , 148 – 149
150 , 155 , 173 – 174 , 180 , 182 , 192 , 194 – 195 , 197 – 198 , 203
210 , 227 , 229 , 237 , 238 – 240 , 243 , 245 , 247 , 267 – 268 , 271
ego 60 , 91 , 251 , 252 , 264 , 269
Einstein Albert 215
Eisenhower Dwight D. 91 – 92 , 200
Ekman Paul 20 – 21
Ellis Albert 147
émotion négative 26 – 27 , 30 , 33 , 49 , 51 , 54 , 107 , 139 , 142 , 144 , 211
216 , 225 , 230
émotion positive 139
empathie 25 , 58 , 60 , 117 , 149 , 152 , 199 , 205 , 218 – 219 , 223 – 225
– 234 , 240 , 243 , 247 , 251 , 268
énergie 11 , 15 , 22 , 29 – 30 , 35 , 45 , 51 , 54 , 58 , 69 – 70 , 74 – 75 , 77
– 101 , 108 – 110 , 113 , 120 , 131 , 133 , 135 , 144 , 150 , 154 – 155
160 , 162 , 165 , 173 , 176 , 179 ,– 182 , 201 , 203 , 207 , 239 , 256
, 272 – 273
engagement 14 , 35 , 47 , 86 , 89 – 90 , 99 – 100 , 103 – 105 , 113 – 123
– 126 , 135 , 151 – 152 , 156 , 162 – 163 , 185 , 199 , 208 , 210 , 249
257 – 258 , 261 , 267 – 268
estime de soi 15 , 25 , 41 , 137 , 146 – 147 , 161 – 162 , 211 – 214 , 227
– 240 , 268
estime inconditionnelle de soi 161 , 212 – 213
excitation 20 , 123 , 181 , 190
exercice physique 33 , 45 , 47 – 48 , 64 , 85 , 175 – 177 , 201 , 268

F
fenêtre de JoHari 252
fierté 20
Finkelstein Remi 119 , 151
flexibilité mentale 12 , 14 – 15 , 41 , 78 , 108 , 129 , 267

G
Goleman Daniel 25 , 105
gratitude 48 , 146 , 210 , 235 – 238 , 240

H
habituation 87 , 107 – 108 , 137 – 138
habitudes 18 , 47 – 48 , 76 – 77 , 106 – 107 , 109 , 132 , 137 , 161 , 267 ,
Hayes Steven 35 – 36 , 156
Herzberg Frederick 105

I
imagerie mentale 33 , 37 , 64 , 189 , 266
implication 66 , 110 – 111 , 118 , 125 , 136 , 139 , 243 – 244 , 268
improvisation 56 , 90
Ingham Harrington 252
injonction paradoxale 183
insatisfaction 107 , 214 – 215 , 232
intelligence artificielle 14 , 19 , 52 , 58 , 60 – 61 , 159 , 242 , 273
intelligence collective 15 , 171 , 205 , 227 , 241 – 244 , 247 , 252 , 256 ,
– 259 , 261 – 265 , 269
intelligence émotionnelle 11 – 12 , 14 , 17 – 19 , 23 – 26 , 43 , 52 , 58 –
81 , 96 – 97 , 105 , 129 , 204 , 210 – 211 , 218 , 244 , 266 , 268
intention 46 , 101 , 119 – 120 , 154 , 260 – 261
intuition 14 , 18 , 65 – 67 , 71 , 79 – 82 , 84 – 85 , 90 , 94 – 97 , 133 , 167
– 267

J
Jacobson Edmund 193
Jobs Steve 79
joie 20 , 24 , 38 , 174 , 214 , 229

K
Kabat-Zinn Jon 197 , 202
Kahneman Daniel 51 , 69 , 72 , 76 – 77 , 79
Kant Emmanuel 39 , 97
Karasek Robert 185
Killingsworth Matt 195
Kolditz Tom 119
Kübler-Ross Elisabeth 153

L
lâcher-prise 56
Laloux Frédéric 251
Le Bon Gustave 77
Linley Alex 148
Luft Joseph 252

M
Malone Thomas 241 , 244
Mandela Nelson 40
Maslow Abraham 105
Mayer John 24
McGregor Douglas 105 , 258
mémoire 11 , 29 , 36 , 55 , 68 – 69 , 73 – 75 , 78 – 81 , 142 , 156 , 170 , 174
175 , 177 , 182 , 218 , 238 , 271
mépris 20
Merckelbach Stefan 259
Millo 86
mise en perspective 33 , 45 , 189
Morgan Nick 207
motivation 10 – 14 , 25 , 28 , 40 , 48 , 63 , 65 , 68 , 87 , 99 – 114 , 117 , 122
124 – 125 , 131 , 135 , 138 , 142 , 148 – 149 , 151 – 152 , 160 – 163
166 , 196 , 205 , 235 – 236 , 239 – 240 , 244 – 245 , 267 – 268 , 271
272 , 274
motivations externes 101 – 102
motivations internes 101 , 103 , 124

N
Nayar Vineet 208
neurones 8 , 10 , 12 , 28 , 63 , 68 , 96 , 107 , 124 , 156 , 162 , 174 , 177 –
199 , 201 , 227 , 239 , 264 , 271
neuroplasticité 29 , 128 , 132 , 135 – 136 , 162 , 256 , 267 , 271
neurosciences 8 , 10 , 13 – 15 , 17 , 27 , 39 , 42 , 104 , 127 , 169 , 182 , 205
209 , 240 , 244 , 266 – 268 , 272 – 273
nudge 78

P
Paulus Paul 250
pause 84 – 85 , 166 , 168 – 169 , 174 , 177 , 186 , 200 – 201 , 268
pensées nocives 31 , 38 , 155
Peters Tom 258
peur 14 , 20 – 21 , 23 – 24 , 29 , 35 , 52 , 54 , 75 , 87 , 101 , 103 , 107 , 124
, 144 , 146 , 151 , 154 , 206 , 225 , 237 , 246 , 248 , 257
plaisir sensoriel 20
plasticité cérébrale 28 , 156 , 178 , 201 , 267
Platt Lew 265
Plutchik Robert 21
principe de subsidiarité 120 , 186
prise de décision 11 , 21 , 25 , 65 , 79 – 80 , 85 – 86 , 90 – 91 , 93 – 94 ,
97 , 108 , 142 , 188 , 196 , 233 , 254 , 259 , 266
Prochaska James 154
psychologie positive 148 – 149 , 237

R
recherches de responsabilités 51
réciprocité 117 – 118
reconnaissance 12 , 24 – 25 , 117 – 118 , 124 – 125 , 138 , 152 , 162 , 188
189 , 207 , 235 – 236 , 238 – 240 , 247 , 267 – 268
recrutement 58
réévaluation 33 , 38 , 41 – 43 , 45 , 47 , 57 , 64 , 155 – 156 , 158 , 161 , 163
189 , 223 , 230
réflexion 14 , 24 , 36 , 39 , 65 , 69 , 71 , 79 – 80 , 84 , 94 , 121 , 133 , 156
242 , 262 , 266 – 267
relaxation 64 , 190 , 193
réseau de la récompense 107 , 148 , 272
réseau de récompense 105 , 135
résilience 14 – 15 , 25 , 45 , 100 , 139 , 157 – 161 , 163 , 268
Ringelmann Maximilien 249
Rogers Carl 64 , 219
Rosenberg Marshall 46 , 229
rumination 35 – 38 , 45 , 47 , 49 – 51 , 58 , 107 , 147 , 152 , 155 – 156 , 180
196 , 199 , 222 , 268
Ryan Richard 103

S
Saint-Exupéry Antoine (de) 99
Salovey Peter 24 , 25
satisfaction 20 , 25 , 92 , 100 , 102 , 104 , 110 , 114 , 116 , 125 , 135 , 138
, 168 , 180 , 208 – 209 , 213 , 238 , 268
Schwartz Shalom 123
sécurité psychologique 243
Seligman Martin E.P. 105 , 149 , 238
Sénèque 41 , 165
Simon Herbert 72 , 79
Sinek Simon 208
Sjöberg Hans 183
Skiles Jeff 90
slasheur 257
SMART 184
soft skills 19
sommeil 15 , 48 , 84 – 85 , 166 , 168 , 174 – 175 , 177 , 201 , 268
sophrologie 194
soulagement 20
Spinoza Baruch 37
stimulation 28 , 106 , 156 , 175 , 182 , 206
stress 15 , 25 , 42 , 45 , 49 , 60 , 86 – 87 , 124 , 129 , 137 , 154 , 156 , 165
, 175 – 176 , 180 – 184 , 187 , 189 – 191 , 194 – 195 , 197 – 198 , 201
– 202 , 215 , 219 , 224 , 236 , 253 , 268
Sullenberger Sully 90
Sunstein Cass 250 – 251
suppression émotionnelle 48
suppression expressive 48 – 49
surprise 20 , 91 , 218
SWOT 92 – 93
symétrie des attentions 208

T
Tao Terence 242
Teerlink Richard 127
Thaler Richard 51 , 250
Theorell Thores 185
Toffler Alvin 130
training autogène 194
tristesse 20 , 23 , 29 , 58 , 91 , 156
Tversky Amos 76

U
utilité espérée 72
V
Vaillant George 204
valeurs 35 – 36 , 54 , 62 , 67 , 72 , 81 , 87 – 88 , 94 , 100 , 113 – 115 , 122
123 , 125 , 128 , 131 , 156 , 162 – 163 , 203 , 210 – 211 , 221 , 226
, 247 , 252
Vellut David 150
Vinci Léonard (de) 219
vision collective 244
Vittoz (méthode de) 194
Vroom Victor 105
VUCA 54 , 159 , 247

W
Waldinger Robert 204
Watson Thomas 246
Watzlawick Paul 128
Wiseman Liz 120
Woolley Anita 244

Y
Yerkes Robert 183
Young Jeffrey 145

Z
Zig Ziglar 94 , 203
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