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Sommaire
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LISTE DES AUTEURS V
PRÉFACE VII
Serge Boimare
2. Maths et mètis(se) 27
Marc-Olivier Roux
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BIBLIOGRAPHIE 207
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SERGE BOIMARE
Enseignant et psychologue.
COLETTE BOISHUS
Orthophoniste.
LAURENCE BOUVET
Psychanalyste.
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DIDIER CHAULET
Psychomotricien.
ÉVELYNE LEVY
Professeur des écoles.
CORALINE MABROUK
Orthophoniste.
MARC-OLIVIER ROUX
Psychologue.
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Orthophoniste et graphothérapeute.
ÉVELYNE SCHEMBRI
Orthophoniste.
L ISTE
VI
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Préface
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F REUD, dès 1925, dans « Ma vie et la psychanalyse » évoque la possibi-
lité pour des enfants de bénéficier d’un traitement alliant l’influence
analytique à des méthodes pédagogiques : « Il existe encore des enne-
mis de l’analyse, je ne sais par quels moyens ils pourraient empêcher
ces psychanalystes pédagogues d’exercer leur activité. »
Par la suite, pédagogues et psychanalystes furent nombreux à s’inté-
resser à cette alliance pour aider les enfants en difficulté. Citons, par
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lioration des résultats scolaires ; il vise un travail psychique à effet
thérapeutique.
Le psychopédagogue qui s’intéresse au vécu de l’enfant à l’école, tra-
vaille avec lui, à partir de médiations choisies en fonction de son
intérêt ; il s’agit parfois de s’appuyer sur des exercices scolaires. L’im-
portant est la manière de mener cette activité. L’effet thérapeutique
de cette rencontre se fonde notamment sur la restauration narcissique
chez l’enfant.
Carmen Strauss, psychopédagogue au C.M.P.P de Strasbourg, évoque une
évolution de la prise en charge psychopédagogique à partir des années
soixante-dix. Pour que l’enfant accède au registre symbolique, développe
la pensée et renoue avec les apprentissages, la bienveillance des adultes
et la mise en confiance chez l’enfant sont insuffisantes. L’enfant doit
être confronté aux expériences du manque, de la frustration, et de la
solitude. Le psychopédagogue devient alors, selon l’analyse qu’en fait
Serge Boimare : « non plus celui qui donne une relation valorisante mais
aussi celui qui sépare et qui marque les limites ».
Aujourd’hui la psychopédagogie propose deux grands types d’interven-
tion, l’une proche de la rééducation psychopédagogique marquée par
une orientation cognitive, davantage liée aux programmes scolaires,
travaillée avec des médiations spécifiques ; l’autre s’apparente aux théra-
pies à médiation culturelle et utilise des supports choisis pour approcher
Préface IX
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seuls à pratiquer la psychopédagogie. Des psychologues, orthophonistes
ou psychomotriciens se sont formés à l’utilisation de ces médiations.
Cependant, cette tradition alliant approche pédagogique et compré-
hension psychanalytique s’est perpétuée au Centre Claude Bernard au
moment même où l’approche globale des troubles des enfants et des
adolescents que nous rencontrons est actuellement parfois remise en
question.
Ce que Serge Boimare a écrit dans son introduction à la première édition
de ce livre reste d’actualité. La nouvelle génération a bien pris le relais
afin d’aider ces jeunes que nous recevons « à créer ces liens entre
l’intérieur et l’extérieur, qui leur manquent pour pouvoir penser ».
La créativité de chacun de ces professionnels leur permet d’utiliser des
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Natalie BAYLE
Psychiatre
Directrice Médicale du Centre Claude Bernard
Frédéric VALENTIN
Psychologue
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Directeur administratif et pédagogique du Centre Claude Bernard.
Introduction
Pourquoi la psychopédagogie ?
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Serge Boimare
L A PSYCHOPÉDAGOGIE , UN OUTIL
THÉRAPEUTIQUE ANCIEN POUR LES ENFANTS
D ’ AUJOURD ’ HUI
Le Centre Claude Bernard a été créé en 1946 sur l’idée d’une alliance
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Cette évolution n’est pas sans conséquence sur les demandes qu’adressent
les familles au Centre Claude Bernard. Dès leur premier appel télépho-
nique, quatre parents sur cinq évoquent d’emblée les difficultés que
rencontre leur enfant pour affronter les exigences de l’apprentissage.
Comment apprendre quand on n’a pas été entraîné par les premières
expériences éducatives à supporter l’attente et la règle ? Comment se
risquer à réfléchir quand on ne supporte ni le manque, ni la solitude ?
Sans ces compétences psychiques fondamentales, la confrontation avec
le doute est vite vécue comme une remise en cause. Elle vient réveiller
des idées de frustration, d’auto-dévalorisation, de persécution. Ces sen-
timents parasites vont freiner le travail de liaison nécessaire à la pensée.
Souvent, ils déclenchent en prime des dérèglements de comportement
qui inquiètent les enseignants.
Sans doute ne s’agit-il pas là d’une pathologie nouvelle. Depuis la
création du Centre, nous avons toujours connu ces dysfonctionnements
révélés par les contraintes de l’apprentissage. Mais nous devons à l’évi-
dence, constater qu’ils se sont généralisés. Quelle que soit la pathologie
de nos patients, ils viennent désormais s’inscrire comme une donnée
majeure. Dans le tableau des symptômes, les troubles de l’agi ont pris
le pas sur des troubles plus intériorisés.
Bien entendu, cette particularité va questionner nos pratiques de Centre
Médico-Psycho-Pédagogique (CMPP). Elle va mettre en évidence leurs
limites et la nécessité de les faire évoluer.
Pourquoi la psychopédagogie ? 3
Comment amorcer une aide psychologique avec des patients qui vivent
l’intérêt porté à leur monde interne comme une intrusion ? Comment
nouer une relation thérapeutique avec ceux qui ne fournissent pas une
production personnelle en parole, en dessin, en jeu... suffisante pour
amorcer un travail psychique ?
Pour autant, la palette des aides rééducatives que nous connaissons
bien dans nos CMPP n’offre pas une bonne alternative. Elle va aussi se
trouver contestée par beaucoup de ces enfants. Même quand ils sont
en confiance et demandeurs d’aide, nous les voyons encore continuer à
s’agiter ou à s’endormir trop vite. Même quand ils annoncent leur désir
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d’apprendre et leur souci de combler leurs lacunes, nous les voyons
continuer à ne pas écouter et à oublier d’une séance sur l’autre ce que
nous leur transmettons.
L A PSYCHOPÉDAGOGIE , UN OUTIL
THÉRAPEUTIQUE QUI DÉPASSE LES SPÉCIALITÉS
de personnes au total. Deux fois par mois, ils croisent leurs observations
avec celles des psychanalystes du Centre. Leur réflexion est toujours
alimentée par un travail clinique en cours.
Dans cet ouvrage, neuf d’entre eux ont accepté, dans un article court,
de faire part de leur expérience. Nous allons pouvoir vérifier à quel point
la spécialité de chacun est bousculée et doit être soutenue par d’excel-
lentes compétences relationnelles et une créativité permanente. Que
faire avec celui ou celle qui ne demande rien ? Que proposer à celui ou
celle qui s’enferme dans le mutisme ? Comment faire évoluer la relation
avec celui ou celle qui se montre violent à la moindre contrariété ? etc.
4 P RATIQUER LA PSYCHOPÉDAGOGIE
L ES TROIS TEMPS
DU TRAITEMENT PSYCHOPÉDAGOGIQUE
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Le conte ou le jeu, l’image ou le groupe, l’écriture ou le corps, les
mathématiques ou la philosophie, vont s’avérer des détours de choix
pour, d’abord, aller chercher cet intérêt trop accaparé par la curiosité
primaire pour pouvoir se porter sur les règles et les lois qui organisent
la connaissance.
Première étape donc pour la psychopédagogie : réussir à fabriquer
des ponts entre un objet culturel et un désir de savoir trop imprégné
par l’égocentrisme pour accepter de se détourner des préoccupations
personnelles.
C’est lorsque ce premier palier de l’intérêt est trouvé que la richesse
du « support médiateur » doit donner un second souffle au travail psy-
chopédagogique. Permettre enfin à ces enfants et à ces adolescents de
donner du sens, de donner une forme, de mettre du scénario sur ce qui
les inquiète et les préoccupe. Le jeu, l’image, l’histoire, la métaphore...
vont être des alliés de choix pour franchir cette seconde étape, qui
doit être celle de la réconciliation avec le monde interne.
Sécuriser, enrichir un capital de représentations pour pouvoir aider
ceux qui ne pouvaient accéder au temps de suspension nécessaire à la
pensée. C’est ce qui va permettre d’atteindre le troisième palier de
la psychopédagogie.
Cette fois, chaque thérapeute va pouvoir déployer les apports propres à
sa spécialité. Ces articles nous montrent bien comment chacun, avec sa
Pourquoi la psychopédagogie ? 5
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renouveler la forme et les outils de ce type de traitement, mais parions
que leur priorité restera toujours la même : aider les enfants et les
adolescents à créer ces liens entre l’intérieur et l’extérieur, qui leur
manquent pour pouvoir penser.
Chapitre 1
La psychopédagogie
face aux adolescents ascolaires
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Quand la psychopédagogie s’appuie sur la mythologie
Serge Boimare
« Joue pas les intellos, si t’avais un mouchoir avec des gouttes de sang
magiques, tu t’en servirais en premier. »
« Il n’y a que les bouffons pour préférer un mouchoir à de l’argent. »
« On voit que tu connais rien à la vie, avec de l’or et de l’argent on fait
ce qu’on veut mon pote. »
8 P RATIQUER LA PSYCHOPÉDAGOGIE
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Avec beaucoup de réticence et de peine, comme je le décrirai par la
suite, ils venaient de lire seuls la première page du texte.
Dans le début de ce conte, environ une douzaine de lignes d’introduction,
nous apprenons qu’une princesse, fille unique, doit quitter sa mère qui,
elle, est veuve, pour aller se marier avec le prince du pays voisin qu’elle
ne connaît pas.
Pour moi, l’idée principale était bien là, elle annonce un événement
grave et fort : la séparation entre une mère et sa fille qui s’aiment beau-
coup, et la sexualité qui se profile avec un inconnu, dans un mariage
arrangé où l’on fait passer l’intérêt général avant celui de la jeune fille.
À ma grande surprise, les adolescents qui ont lu seuls ces lignes d’in-
troduction ne sont pas du même avis que moi. Un seul d’entre eux sur
les cinq penche pour le mariage de la princesse comme idée principale,
les quatre autres se rabattent sur des éléments de l’histoire que je
considérais comme secondaires.
Au moment du départ en effet, la mère remet à sa fille sa dot, avec
beaucoup d’or et d’argent. Un beau cheval blanc qui parle et un mouchoir
avec trois gouttes de sang qui ont le pouvoir de lui venir en aide si elle
rencontre des problèmes sur la route. D’où cette discorde et ces propos
véhéments évoqués en introduction.
La psychopédagogie face aux adolescents ascolaires 9
Je ne comptais pas sur cette discussion pour qu’un accord se fasse quant
à l’idée principale. Il y a longtemps que je fais ce genre de groupe et
je sais d’expérience qu’il faut au moins une année de travail pour en
arriver à cette étape.
Par contre, j’avais l’espoir que chacun puisse au moins justifier avec
quelques arguments son point de vue. Je dois vite constater que cela
n’est possible pour aucun d’entre eux. Pour faire valoir son idée, chacun
s’emploie à parler fort, à empêcher l’autre de s’exprimer en empiétant
sur sa parole, en ne le laissant pas terminer sa phrase, voire en prenant
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un ton menaçant ou méprisant.
La façon de ponctuer son point de vue d’une pique qui veut rabaisser
l’autre : « joue pas les intellos », « n’importe quoi », « bouffon », « tu
connais rien à la vie », « écrase-toi », nous montre que la confrontation
verbale n’est jamais loin d’un affrontement physique. Il ne manque ici
que le classique « pédé », ou quelques remarques sur la sexualité des
mères, pour que la panoplie des insultes soit complète.
Les adolescents qui sont dans ce groupe ont entre 13 et 14 ans. Tous
ont deux points en communs. Le premier est d’être en échec dans leur
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Finalement, il faut que le sujet soit déjà connu par l’autre pour qu’il y
ait un semblant d’échange.
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Qu’est-ce que l’empêchement de penser ?
Comment le reconnaître ?
Pour illustrer mon propos, je vais continuer à vous parler de ces adoles-
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cents que j’ai eu l’occasion de rencontrer dans mon groupe de soutien
psychopédagogique et qui sont sans aucun doute, comme je vais tenter
de le montrer, de vrais empêchés de penser.
Nous avons déjà vu, en introduction, à quel point leur difficulté à
s’appuyer sur la réflexion, quand il leur faudrait argumenter, transforme
un désaccord sur l’idée principale de La gardeuse d’oie en une situation
quasi conflictuelle. Nous allons voir, maintenant, à quel point l’inquié-
tude déclenchée par la confrontation avec un temps de recherche et
d’élaboration provoque du malaise et vient dérégler leur comportement.
Avant d’en arriver à ce simulacre de débat déjà évoqué, je leur avais
demandé de lire en silence, chacun pour soi donc, les douze premières
lignes du conte de Grimm et d’en dégager l’idée la plus importante.
Comme je leur avais demandé un silence complet pendant les deux
minutes de la durée de l’exercice, chacun, face à son texte que j’avais
pris soin de photocopier, j’ai pu observer leur façon de procéder dans
ce temps de lecture silencieuse.
Temps particulier, où chacun doit se concentrer pour fabriquer ses
images avec le texte écrit, où chacun dans la solitude, même s’il est
parmi les autres, doit faire appel à ses représentations pour comprendre
le sens d’une dizaine de lignes.
Cette évaluation des compétences en lecture, je la fais à chaque fois
que je commence un groupe de soutien psychopédagogique avec des
La psychopédagogie face aux adolescents ascolaires 13
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encouragements et mes appels réitérés au calme, tout est bon, tous les
moyens sont utilisés pour éviter et attaquer ce temps de suspension où
chacun doit faire un retour à lui-même dans le silence.
Voici un aperçu des événements qui ont perturbé ces trois minutes de
lecture silencieuse.
Signalons d’abord des agitations individuelles qui se diffusent dans le
groupe ; comme se balancer sur sa chaise, passer d’une fesse sur l’autre,
reculer sa chaise, donner des coups de genou dans les pieds de la table
pour la faire bouger, faire trembler la table avec les mains...
Puis des altercations du style : bouge pas, tais-toi, arrêtez vos conneries,
ça empêche de travailler, t’es pénible, calme-toi, écrase-toi.
L’un a dit qu’il faisait froid, un autre a sifflé, un troisième a roté.
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Finalement, malgré tous ces incidents, nous arrivons, après trois minutes
environ, au bout de la tâche demandée. Apparemment, tous les cinq
ont lu le texte.
Je fais donc le tour du groupe pour que chacun puisse donner son idée
principale. C’est ici que je suis surpris de constater qu’un seul d’entre
eux seulement penche pour le mariage de la princesse avec un inconnu.
Deux pensent que c’est une fille qui a reçu beaucoup d’or et d’argent.
Un que c’est une princesse qui a un mouchoir magique avec des gouttes
de sang, un que c’est une fille qui a reçu un cheval qui parle.
C’est parce qu’il y avait ce désaccord que j’ai eu l’idée de leur demander
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de discuter ensemble, afin de dégager l’idée principale que nous allions
retenir pour le groupe. Je ne reviens pas sur l’échange qui a eu lieu.
de penser
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fuir.
La concentration impossible
Le second point commun des empêchés de penser touche cette fois aux
particularités de leur curiosité.
16 P RATIQUER LA PSYCHOPÉDAGOGIE
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retrouver l’idée principale, les jeunes gens du groupe plongent sur des
idées annexes, l’or, les gouttes de sang, le cheval qui parle.
Ce n’est pas parce que leur technique de lecture est insuffisante – peut-
être l’est-elle aussi – mais c’est avant tout parce que leur désir de savoir
est capté par des éléments de l’histoire qui flattent la curiosité primaire.
Jeux vidéo, feuilletons violents, films pornographiques, oui. Règle du
participe passé, théorème de Thalès, non. Pour les intéresser, les sujets
doivent donc permettre d’en revenir très vite à des préoccupations qui
évoquent des histoires de sexe, d’argent ou de violence.
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en place de stratégies de contournement du temps de la réflexion, qui
finissent par marquer et par déterminer le fonctionnement intellectuel.
Trois stratégies méritent d’être repérées : le conformisme de penser,
l’association immédiate et le besoin de certitude.
Le conformisme de penser consiste avant tout à limiter l’investigation,
à inhiber ou à ralentir le fonctionnement intellectuel en ne s’engageant
pas dans l’inconnu ou la recherche. Ce sont souvent des enfants qui
aiment bien faire et refaire ce qui est maîtrisé. Qui manifestent peu
d’intérêt et de curiosité. Qui aiment bien appliquer des recettes, qui
sont soucieux de la forme.
C’est ici que l’on trouve parfois des pseudo-débilités, utilisation défen-
sive des stratégies appauvrissantes et déjà maîtrisées.
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tion et un besoin d’associer la pensée à la faiblesse ou à la féminisation.
Il faut savoir aussi que certains des enfants qui connaissent ce parasi-
tage de la réflexion continuent leur activité d’apprentissage, avec une
pensée infiltrée par l’affect. Le dérèglement est cette fois visible. Il
est souvent interprété comme un manque de confiance, une peur de
se tromper. Ce sont souvent des enfants gentils, demandeurs, qui nous
donnent envie de les aider.
Comment faire bouger cette situation ? Comment aider ces jeunes gens
à retrouver une confiance minimale, nécessaire au fonctionnement intel-
lectuel alors qu’ils continuent à évoluer dans un environnement où tout
et tous pointent leurs insuffisances ?
N’oublions surtout pas qu’avec les adolescents « empêchés de penser »,
nous ne pouvons plus parier sur un rattrapage scolaire sous forme d’en-
traînement supplémentaire ou d’exercices pour apprendre à apprendre.
C’est comme cela que nous en avons fait des réfractaires à l’apprentis-
sage.
Nous allons voir que le seul espoir d’une réconciliation avec eux-mêmes
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et avec le savoir repose, selon moi, sur une remise en marche des
rouages de la pensée.
Pour cette remise en marche des rouages de la pensée, trois voies com-
plémentaires sont à privilégier. Elles vont rythmer chacune des séances.
Il s’agit du nourrissage par la culture pour la première d’entre elles, de
l’entraînement à parler pour la seconde et de l’entraînement à écrire
pour la troisième.
Ces trois étapes du travail psychopédagogique sont dépendantes l’une
de l’autre et elles doivent s’enrichir mutuellement.
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nario sur des émotions et des inquiétudes qui peuvent se déclencher
avec la pensée et les contraintes de l’apprentissage.
" Mais ils doivent aussi, et c’est sans doute cela le plus délicat, donner
le fil pour s’en éloigner. Car c’est bien dans cet entre-deux, dans cette
capacité à se rapprocher et à s’éloigner des émotions et de la curio-
sité primaire, que se trouve l’espace nécessaire au fonctionnement
intellectuel.
Le défaut majeur des empêchés de penser est bien là, ils ne peuvent
pas faire des liens entre leurs ressentis, leurs émotions et les savoirs
proposés en classe. Il est donc primordial que semaine après semaine,
mois après mois mais aussi année après année, leur soient apportées
à jet continu, des images à partir des mots lus, entendus et partagés
avec les autres.
C’est ainsi que nous allons permettre aux enfants et aux adolescents
qui évitent la pensée de mettre enfin de la forme et du contenu sur des
peurs qui, habituellement, les obligent à se disperser ou à disparaître
quand elles s’imposent à eux. C’est ainsi que nous allons les amener à
décoller de préoccupations trop personnelles.
Le rôle des textes fondamentaux : qu’ils prennent la forme de mythes
ou de contes, de fables ou de romans initiatiques, qu’ils mettent en récit
la vie d’un héros, la quête ou l’épopée d’un groupe, qu’ils nous parlent
d’une période de notre histoire, de l’histoire de nos croyances ou de
La psychopédagogie face aux adolescents ascolaires 21
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➙ le désir confronté à la loi et à l’attente,
➙ le conflit entre générations,
➙ l’organisation du groupe social,
➙ les sentiments éprouvés devant les grandes épreuves de la vie que
sont la séparation, l’amour et la mort.
L’histoire de l’homme et des civilisations nous montre que l’esprit humain
a eu besoin de réponses à ces questions fortes pour pouvoir se mettre
en marche et se structurer. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour
les enfants et les adolescents qui ont besoin de se réconcilier avec la
pensée et qui sont, de ce fait, en échec à l’école ?
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entre l’intérieur et l’extérieur, qui leur manquent tant quand ils veulent
communiquer une idée et apprendre.
C’est grâce à cet exercice, quand il se fait régulièrement, que se donne
l’habitude de la réflexion. Il faut environ une année de travail, soit 30 à
40 rencontres, pour que ces adolescents puissent en arriver à un débat
de type argumentaire. Cette étape est primordiale, elle nous montre que
la boucle réflexive est en train de se construire et de se renforcer.
Ce moment d’échange doit être organisé autour de deux temps forts.
D’abord, resituer et remettre en forme ce qui a été entendu par tous.
Ensuite, confronter les points de vue autour d’une question propice au
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débat, qui ne manque jamais d’arriver avec ce type de textes.
Le premier temps du débat va permettre à chacun de reformuler avec
ses propres mots ce qu’il a entendu. Cette reprise donne l’occasion de
marquer les étapes du récit, d’en faire la synthèse et le résumé, d’éviter
les malentendus et les contresens, de dégager les questions posées par
le texte.
Le support du dessin, du jeu mimé peut, ici, être d’un grand secours
pour ceux qui parlent peu. Ces outils les aident à prendre leur place
dans l’échange.
Cette étape de la construction collective ne doit jamais être escamotée.
Elle joue un rôle majeur dans la dynamique du groupe. Non seulement
elle permet à chacun de faire valoir son apport, mais elle autorise
aussi ceux qui n’avaient pas bien compris ou ceux qui avaient décroché
pendant la lecture à renouer le fil. C’est ainsi qu’ils retrouvent leur
appartenance à l’ensemble et qu’ils se préparent au travail écrit qui va
suivre.
Mais cette activité linguistique ne serait pas complète si ce premier
temps de l’échange n’était pas prolongé par un débat, autour d’une
question forte amenée par le récit.
Chaque texte, quand il a une valeur universelle, laisse une part impor-
tante au regard et à l’interprétation personnelle.
La psychopédagogie face aux adolescents ascolaires 23
C’est ici que très souvent un dialogue se met en place autour d’une
confrontation des idées personnelles, des préjugés que chacun porte en
lui, avec les valeurs universelles qui organisent la vie individuelle et
collective.
Pourquoi Ulysse refuse-t-il l’immortalité ? Pourquoi le corbeau est-il
sensible aux flatteries ? Pourquoi les dieux ne veulent-ils pas donner le
pouvoir aux hommes ? Pourquoi les trois petits cochons ne font-ils pas
la même maison ? Pourquoi le Petit Chaperon rouge écoute-t-il le loup
plutôt que sa grand-mère ? etc.
En partant de ces questions qui surgissent de la lecture proposée à tous,
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nous évitons la monopolisation de la parole par les plus favorisés sur
le plan culturel, nous réduisons le risque de voir arriver des exemples
trop personnels. Lorsqu’une lecture a su mobiliser les intérêts et les
questions des enfants, non seulement la confrontation des points de
vue dans le débat et la recherche d’arguments sont facilitées, mais il
existe aussi dans ce moment d’échange une circulation fantasmatique
très favorable à ceux qui ont du mal à s’exprimer.
C’est grâce à cet exercice quotidien que la pensée s’organise et se
structure, et que se donnent les moyens de s’appuyer sur les capacités
réflexives. En tout cas, c’est ici que les premiers progrès se remarquent.
Soyons patients, ils sont longs à arriver (environ 6 mois). Soyons
confiants, ils sont difficiles à évaluer.
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de la confrontation à la réflexion, face à la solitude que réclame l’écrit,
est donc une épreuve de vérité qui va permettre d’évaluer les effets
du travail préparatoire. Ne nous précipitons pas, ces effets bénéfiques
nécessitent généralement une année de travail pour se faire sentir.
Toutefois, nous constatons beaucoup plus rapidement que des ado-
lescents intéressés, nourris et sollicités pour parler, se comportent
différemment devant le temps de suspension nécessaire à la pensée.
Afin d’entrer dans ce temps d’élaboration si effrayant pour certains, qui
vivent la réflexion comme un saut dans le vide, cette approche psycho-
pédagogique leur offre, dès les premières semaines, deux parachutes
dont ils vont pouvoir se servir.
Le premier : des images nouvelles leur sont fournies par le nourrissage
culturel. Elles vont pouvoir les aider à supporter ce contrecoup des
sentiments parasites qui les dérèglent.
Le second : l’entraînement des capacités réflexives, grâce au débat,
vient renforcer progressivement ces liaisons intérieur/extérieur beau-
coup sollicitées dans l’écrit. Ils vont pouvoir commencer à s’en servir.
Ce passage à l’écrit est donc un bon moyen pour renforcer et entraîner
les compétences psychiques, pour stimuler la capacité imageante mise
en mouvement lors des deux premiers temps. C’est lors de cette troisième
étape que vont pouvoir se faire naturellement les apports techniques,
qui permettront de renforcer les savoirs fondamentaux nécessaires à une
utilisation normale de langue écrite et parlée.
La psychopédagogie face aux adolescents ascolaires 25
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pour habitude de ne pas écouter la parole de l’adulte lorsqu’elle ne les
concernait pas individuellement et directement.
Ils ont perturbé les vingt premières minutes de lecture à haute voix que
je faisais, en bougeant, en plaisantant, en taquinant les autres, etc. Le
temps de l’échange qui suivait, comme celui de l’écrit, s’en est trouvé
appauvri et parfois même sans intérêt.
Au bout de la cinquième rencontre, j’ai même dû abandonner une lecture
des meilleurs moments du Voyage au centre de la terre, avec lequel
j’avais débuté le temps du nourrissage culturel, pour en revenir à la
lecture de contes de Grimm.
Ces récits plus courts, à la structure plus simple, aux personnages plus
typés, avec des préoccupations plus archaïques, leur convenaient mieux.
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des points de vue est devenu évident et il a été le moteur de nos séances
jusqu’à la fin du groupe.
Des progrès nets dans la capacité à écrire ont pu être évalués au cours
de la deuxième année. Ici, l’élément déclencheur est venu de la lecture
à haute voix de leur production écrite.
Cette communication aux autres, et à moi, de leurs idées couchées sur
le papier à travers la lecture, a beaucoup contribué à la cohésion du
groupe. Les moqueries se sont même transformées en soutien très net
pour celui d’entre eux qui écrivait le plus difficilement.
Bien entendu, il n’y a pas eu de miracle. Ce travail psychopédago-
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gique arrive trop tard pour pouvoir infléchir le parcours scolaire de ces
adolescents en échec depuis le début de leur scolarité.
Toutefois, il faut relever que pour tous, les activités de lecture et
d’écriture sont devenues envisageables. Le rejet, voire le dégoût, qu’ils
m’avaient montré lors des premières rencontres, s’est estompé. Chez
tous aussi, un meilleur comportement, marqué par une plus grande
acceptation de leur difficulté, une baisse du sentiment d’injustice, et
une meilleure capacité à coopérer dans un groupe, ont été remarqués
par leurs professeurs et leurs parents.
Chapitre 2
Maths et mètis(se)1
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Quand la psychopédagogie s’appuie sur les mathématiques
Marc-Olivier Roux
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D’emblée, elle se présente à moi comme une enfant vive et volubile,
s’exprimant bien et suscitant la sympathie. Physiquement, elle est mani-
festement issue de l’union de deux continents, métissage qu’elle est
seule à porter dans sa famille, à la différence de ses demi-frères nés
d’une première union du côté maternel. Les parents de Joanne sont
séparés depuis plusieurs années mais entretiennent de bonnes relations.
Joanne voit régulièrement son père.
J’apprends qu’elle a consulté il y a quelques années pour des troubles
attentionnels et qu’elle a rencontré dans sa première enfance des difficul-
tés d’orientation et de repérage temporo-spatial. La naissance de Joanne
avait été un peu difficile sur le plan médical (souffrance néonatale avec
hypoxie).
Une consultation en ville, effectuée quelques mois auparavant, avait
donné lieu à un bilan psychologique. Les résultats, dont je n’aurai
connaissance qu’après-coup, attestent d’une intelligence tout à fait
dans la moyenne des enfants de son âge, Joanne obtenant même des
notes très supérieures aux épreuves conceptuelles verbales. Compara-
tivement, les épreuves visuo-spatiales apparaissent moins réussies, de
même que celles faisant appel à la mémoire de travail et à la vitesse de
traitement. L’examen de personnalité décrit Joanne comme une enfant
créative, indemne de trouble psychopathologique, capable d’élabora-
tions riches et originales, pouvant s’appuyer sur des représentations de
Maths et mètis(se) 29
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La lecture comme l’écriture des nombres ne posent pas de problème.
Cependant, il apparaît que les aspects conceptuels de la numération ne
sont pas du tout maîtrisés. Joanne n’arrive pas à associer les représen-
tations matérialisées de groupements par 10 ou 100 avec l’écriture d’un
nombre. En fait, j’observe que cette enfant manque singulièrement d’ai-
sance dans la manipulation des nombres en général. En ce qui concerne
la pratique des opérations, Joanne effectue avec succès des petits cal-
culs. Elle peut s’appuyer sur une bonne mémorisation des doubles et
des moitiés, ainsi que sur sa connaissance des techniques opératoires
enseignées en classe. À ce propos, j’apprends qu’il lui arrive de faire
des erreurs dans la disposition des chiffres en colonnes lorsque les
opérations sont posées. En ce qui concerne le sens de l’addition et
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« U N TEMPÉRAMENT ARTISTE »
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La reproduction par le dessin d’une figure géométrique complexe se
révèle difficile pour Joanne. Sa production manque d’organisation et
les proportions ne sont pas respectées. Cependant Joanne m’indique
qu’elle se sent à l’aise en dessin figuratif et artistique, activité qu’elle
investit dans le cadre de ses loisirs. Je me demande alors quelle est la
part du contexte dans la manifestation des difficultés instrumentales
suspectées plus haut : celles-ci n’apparaissent-elles que lorsqu’il s’agit
de mathématiques ? Ou bien faut-il penser que leur existence n’empêche
pas l’expérience d’une satisfaction subjective, lorsque Joanne produit un
dessin d’elle-même ou pour elle-même ? Au cours de la prise en charge,
la mère de Joanne confirmera le tempérament « artiste » de sa fille, à
l’image de son père. Madame ayant, elle, davantage les pieds sur terre.
Pour compléter le bilan, et au vu de ce qui est apparu jusque-là, je
propose à Joanne une activité qui explore la sensorialité tactile. Cela
se déroule de la façon suivante : l’enfant pose sa main sur la table, les
doigts écartés et il ferme les yeux. Avec un stylo, on touche un ou deux
de ses doigts. L’enfant doit alors désigner, en le(s) montrant, quel(s)
doigt(s) vien(nen)t d’être touché(s). En ce qui concerne Joanne, les
confusions apparaissent nombreuses à cette épreuve. Elle se révèle en
grande difficulté pour désigner correctement le doigt qui a été touché,
quelle que soit la main concernée, et obtient un résultat très médiocre
pour son âge.
Maths et mètis(se) 31
Mon attention, à l’issue du bilan, est donc attirée par la coexistence chez
cette enfant d’acquisitions mathématiques scolaires (connaissances ver-
bales mémorisées, techniques opératoires, lecture/écriture des nombres)
et de lacunes conceptuelles (numération, sens des opérations). Est éga-
lement notable la dissociation entre son très bon niveau en logique
verbale et son manque d’aisance au niveau pratique, spatial et corpo-
rel (manipulations, graphisme, discrimination digitale). Je fais alors
l’hypothèse qu’une difficulté dans le premier développement de Joanne
au niveau psychomoteur, notamment sur le plan des fonctions visuo-
spatiales et motrices, a pu empêcher une construction assurée de la
logique des quantités, domaine où ces fonctions sont largement sollici-
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tées. Ce qui peut avoir gêné l’acquisition des concepts numériques de
base et des premiers apprentissages mathématiques à l’école primaire.
L’investissement important du langage dont Joanne fait preuve n’a pu
que partiellement compenser le manque d’aisance vis-à-vis des nombres.
Je laisse par ailleurs ouverte, à ce moment, la question de la façon dont
Joanne vit la « vieille histoire » du rapport qui la lie aux mathématiques.
Les difficultés rencontrées par Joanne dans son appropriation des mathé-
matiques me semblent donc réelles et importantes, dans la mesure où
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s’est nourri de ce que j’ai pu proposer à cette enfant, mais aussi de la
manière dont elle y a réagi et des questions qu’elle a amenées.
Durant la première année de prise en charge, dont je vais relater mainte-
nant les temps essentiels, Joanne est venue très régulièrement, arrivant
généralement avec beaucoup de choses à dire. Son discours est labile et
associatif, émaillé de digressions dessinées (croquis, gribouillages), par-
lées (elle me coupe volontiers la parole, chantonne) ou agies (agitation
ponctuelle, excitation motrice). Elle est très présente dans la relation,
tout en me donnant l’impression qu’une partie d’elle-même résiste à
s’engager, s’oppose et a besoin de s’échapper. Ses réalisations s’en res-
sentent. C’est ainsi qu’au début, et indépendamment des difficultés que
lui posent certaines techniques opératoires (cf. infra), Joanne semble
avoir du mal à faire aboutir ses procédures de calcul, laissant réguliè-
rement une faute, oubliant des retenues... De même, son implication
dans la résolution de problèmes est variable en fonction des moments.
On retrouve là sur le plan cognitif les difficultés attentionnelles notées
lors des consultations précédentes. D’un point de vue psychodynamique,
la question peut aussi se poser du sens que pourrait prendre cet enga-
gement ambivalent, avec sa composante anxieuse, lorsque Joanne se
retrouve devant quelqu’un comme moi, et face à une discipline comme
les mathématiques. Nous y reviendrons.
Maths et mètis(se) 33
Pour rendre compte du travail qui nous a réunis, Joanne et moi, durant
l’année du CM1, je choisis de le découper, un peu artificiellement, en plu-
sieurs rubriques en fonction des dominantes qui nous ont occupés durant
les séances. Ces rubriques correspondent néanmoins approximativement
aux différentes périodes qui ont scandé l’année scolaire.
L E NOMBRE DE NAISSANCE
Dès les premières semaines, j’ai engagé Joanne dans un travail soutenu
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portant sur la numération. Une part conséquente des séances y était
consacrée. Afin d’élaborer la dimension conceptuelle de la numération
(sens du nombre, numération de position...), différentes médiations
pédagogiques furent mises à contribution et associées entre elles :
représentations analogiques (matériel constitué de petits cubes uni-
tés se groupant en dizaines et en centaines), représentations sym-
boliques (manipulation d’argent avec fausses coupures de 1, 10, 100
et 1 000 euros), représentations langagières (étiquettes portant l’écri-
ture des constituants élémentaires de la numération). Nous avons ainsi
travaillé l’articulation entre le nombre et la quantité, le codage de
quantités représentées par des nombres écrits en chiffres, la valeur des
différents chiffres dans l’écriture des nombres, le calcul mental utilisant
les propriétés de la numération (n + 10, n + 100, etc.).
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Interpellé par ce que Joanne rapporte là, je lui dis qu’une telle scène
d’hôpital peut avoir légitimement suscité de l’émotion, voire de l’an-
goisse, chez l’ensemble des personnes concernées par ce moment fort.
Puis nous convenons ensemble du fait que, maintenant, on voit claire-
ment qu’elle, Joanne, respire tout à fait bien et est bien vivante. Je me
dis aussi que, au-delà de l’aspect historique de ce « souvenir », Joanne
fait peut-être un lien implicite entre ses débuts dans la vie et ce qu’elle
ressent de la situation actuelle ou de la relation qui nous unit à ce
moment, elle et moi, en ce début de prise en charge psychopédago-
gique, avec ce qu’elle en attend ou en redoute. Je lui indique donc qu’on
pourrait voir également dans ces manipulations vigoureuses imposées
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à un bébé pour qu’il naisse, une parabole de la violence inhérente à
toute éducation ou apprentissage, lesquels, pour faire advenir un sujet,
nécessitent que soit prodiguées « à la fois affection et agression » (pour
reprendre une formule d’Edgar Morin).
Une autre fois, alors que nous nous faisions mutuellement deviner des
nombres à l’aide d’indices mathématiques, je lui rappelle qu’il existe
des nombres pairs et des nombres impairs. Joanne annonce alors avec
assurance : « pairs, c’est l’anagramme de Paris ». Je lui fais remarquer
que Paris est la ville où elle habite avec sa mère, et où habite son
« père ». Un autre moment, l’étude d’un nombre à trois chiffres m’amène
à évoquer avec elle le chiffre zéro. Je lui montre que, placé au sein
d’un nombre, le chiffre zéro permet de marquer une place en l’absence
de représentants de la classe en question (dans 504, par exemple, le
zéro marque la place de dizaines « qui ne sont pas là »). J’insiste sur le
fait que cette place continue d’exister, même si elle est actuellement
inoccupée, et qu’il faut bien la marquer/garder faute de quoi tout le
nombre se trouverait modifié (504 n’est pas 54). Nous en venons à
évoquer l’origine du nombre zéro. Joanne a des idées sur la question :
elle me rapporte une histoire scandée par la naissance de Jésus-Christ
et l’apparition de l’écriture, thème abordé récemment dans sa classe.
Je remarque qu’elle insiste à ce propos sur la continuité affirmée d’une
filiation.
Maths et mètis(se) 35
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elle de façon personnelle : « pour chaque poule, il faut une graine ».
Correspondance particulièrement fondatrice en l’occurrence.
Le matériel de numération sera l’occasion pour Joanne de se livrer à
des manipulations tantôt ludiques, comme le ferait un jeune enfant,
tantôt mathématiques, par exemple quand elle entreprend de composer
et décomposer des quantités, de les traduire en écriture chiffrée, etc.
Un jour, Joanne m’interroge : « d’où viennent les chiffres qu’il y a dans
le 10 ? ». Comme c’est la fin de la séance, je suggère qu’on reparle la
prochaine fois de cette question importante. Je la raccompagne auprès
de sa mère et entends Joanne poser à celle-ci la même question. Je dis
à sa mère, la prenant à témoin : « Joanne se pose des questions ».
Nous reprenons le sujet lors de la séance suivante. Joanne s’interroge :
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doigts n’était pas automatisée, ne l’avait sans doute jamais été. Or, du
point de vue du développement, représenter corporellement les petits
nombres peut constituer un point de départ pour l’élaboration de procé-
dures de calcul rapide, appelées ultérieurement à être mentalisées. Il
me semblait important de voir s’il était possible à Joanne d’établir un
ancrage corporel des petites quantités sans que cela provoque trop de
confusion ou d’angoisse. Ainsi, nous avons recouru aux doigts comme
outil de représentation mathématique, bien qu’en théorie cela ne fût
plus tout à fait de son âge.
Sur ma sollicitation, mais durant des temps courts, Joanne s’entraîne
donc à produire des configurations de doigts : montrer six doigts d’un
coup, quatre doigts... J’insiste notamment sur les quantités 7 et 8,
très mal distinguées et source de confusion chez elle. Lorsqu’elle doit
produire des nombres avec les doigts sans regarder ses mains, même
le 3 n’est pas assuré. Je lui ai proposé de décalquer sa main sur une
feuille blanche, activité qu’elle a spontanément utilisée comme point
de départ pour diverses expérimentations sur les ombres que projetaient
ses doigts sur la feuille de papier.
Par la suite, Joanne a pu découvrir et produire sur ses mains les dif-
férentes décompositions de 10. J’ai proposé de les valider par des
collections de 10 jetons que Joanne a entrepris de partager de diffé-
rentes façons (8 et 2, 6 et 4...). Mais, pour cette enfant qui sait par cœur
que 6 + 4 font 10, dénombrer 10 jetons posés sur une table s’est révélé
Maths et mètis(se) 37
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Nous avons ensuite fait le lien entre les nombres sur le corps (les doigts)
et la numération étudiée par ailleurs : comment représenter 45 avec les
doigts ? 45 c’est « quatre 10 et cinq 1 », donc on peut ouvrir quatre
fois les deux mains puis lever 5 doigts. Réaliser cela les yeux fermés est
longtemps resté source de nombreuses erreurs.
travail implicite portant sur la symétrie axiale, dans une mise en forme
qui sollicite la projection du corps propre et de son axe vertical sur un
espace plan. Joanne saisit tout de suite de quoi il retourne : « non, pas
les axes de symétrie ! » gémit-elle, montrant en passant qu’elle possède
du vocabulaire mathématique, mais rappelant également la dissociation,
apparue dès le bilan, entre ses connaissances verbales et ses difficultés
au niveau des réalisations pratiques.
Courageusement, Joanne s’efforce de dessiner l’aile symétrique de
chaque avion. Je la vois imprimer de nombreuses rotations à la feuille,
multiplier les prises de repères approximatives, pour obtenir finalement
des réalisations graphiques très décevantes. À cette occasion, Joanne
38 P RATIQUER LA PSYCHOPÉDAGOGIE
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à ce genre d’exercices, j’engage Joanne à s’aider de la verbalisation pour
appuyer et orienter son action, procédure qu’elle utilise spontanément,
on l’a vu également lors du bilan, quand elle a des tâches pratiques à
réaliser.
À l’occasion de problèmes rencontrés en classe portant sur la notion
de périmètre, je reprends avec Joanne la notion de mesure en lui fai-
sant mesurer effectivement des longueurs d’objets présents dans notre
bureau, à l’aide non pas de la règle graduée en centimètres et mil-
limètres, mais de gabarits trouvés sur le corps : mesure en pas, en
longueur de pouce... Joanne s’empare de cette activité pour rechercher
activement diverses unités corporelles à projeter et pour en explorer
les variations : empan, largeur de sa main... Elle demande à écrire sur
une feuille les résultats de ces diverses mesures à médiation corporelle,
afin d’en garder la trace, et emporte précieusement la feuille avec elle
à l’issue de la séance.
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différentes respectivement une ligne et une colonne. Notre attention
est alors attirée par le point d’intersection des deux lignes colorées. Je
montre qu’une case du tableau matérialise l’intersection d’une ligne et
d’une colonne. Je lui fais suivre du doigt ligne et colonne afin de faire
saisir à Joanne la notion de case comme intersection, avec la double
détermination (une ligne, une colonne) qui lui donne son sens.
Joanne réagit à cette activité par une phrase péremptoire, que je mets
quelques secondes à comprendre : « il l’a connue là, et après il s’est pas
gêné, il a continué son chemin ! ». Elle enchaîne : « le petit bonhomme,
il marche, ils vont bien se rencontrer... boum ! » et elle produit un bruit
de collision. Mettant ainsi en mots (et en sons) une représentation
personnelle essentielle associée à ses propres origines dans la vie.
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savoir (elle ne se sentirait pas autorisée à poser des questions sur ce
sujet à la maison ?), à la représentation qu’elle se fait de la relation
parentale dont elle est issue (le « boum ! » de la séance précédente,
associé ici à une interrogation sur ce que font les parents quand ils sont
« occupés » ensemble), à un sentiment d’exclusion vis-à-vis de la vie
privée des adultes à laquelle elle n’a pas accès...
À la fin de la séance, je propose à Joanne qu’on récapitule les questions
qu’elle se pose, de façon à les reprendre la prochaine fois si elle le
souhaite. Elle en fait la liste, commençant par une nouveauté :
! pourquoi y a-t-il toujours le nombre 6, partout, ou alors le nombre
600 ; c’est le nombre le plus utilisé en France, à son avis ; elle se
demande pourquoi... et ça la perturbe ;
! dans quels pays passe le Père Noël ?
! pourquoi n’est-ce pas la même heure en Asie et en France ?
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que des bribes, qu’elle mélangeait entre elles et qui la laissaient au final
désemparée. Son malaise et sa confusion retentissaient même sur ses
acquis antérieurs. C’est ainsi que l’étude, faite à l’école, de la technique
de la « multiplication » à deux chiffres rendit Joanne confuse au point
qu’elle ne savait plus faire une opération à un chiffre.
Il est vrai que la pédagogie dispensée en classe avait fait le choix
de présenter en parallèle plusieurs techniques concurrentes pour une
même opération (techniques anciennes et/ou utilisées dans d’autres
pays) avant de se centrer sur la procédure classique actuelle. Il est vrai
également que plusieurs de ces techniques ont la particularité, redou-
table pour des enfants comme Joanne, d’imposer des calculs réalisés en
diagonale, contrainte spatiale à laquelle elle mit beaucoup de temps
à s’accoutumer. En la matière, il me semble que ce n’étaient pas les
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L’usage d’aides instrumentales diverses (chemins tracés à l’avance de
différentes couleurs, écriture de l’opération dans un quadrillage composé
de gros carreaux, verbalisation des différentes étapes à suivre) s’est
révélé indispensable et a accompagné ce travail de longue haleine...
finalement couronné de succès.
Durant cette période, je remarquai que Joanne faisait moins de digres-
sions pendant les séances. Elle restait plus longtemps concentrée sur
les aspects notionnels des objets mathématiques que nous étudiions,
même si elle mettait un point d’honneur à y introduire régulièrement
un peu de fantaisie, transformant d’un coup de crayon, par exemple, tel
nombre écrit sur sa feuille en une paire de lunettes, tel rectangle en
jardin fleuri.
Cependant, les préoccupations personnelles de Joanne trouvèrent encore
l’occasion de s’exprimer à l’occasion des sollicitations directes ou indi-
rectes qu’elle rencontrait en classe. À ces moments, Joanne me prend à
témoin en quelque sorte de ce qui est compliqué à gérer pour elle, ou
amène à nouveau en séance ce qui n’avait pas été suffisamment entendu
par moi jusque-là. Par exemple, à l’occasion de l’apprentissage d’une
procédure de calcul mental, elle m’explique qu’une de ses condisciples,
enfant adoptée, utilise une technique propre à son pays d’origine. Nous
avons alors parlé ensemble de la richesse que constituent les apports
de plusieurs cultures, nous avons convenu en même temps qu’il était
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Joanne fait partie de ces enfants pour qui les mathématiques ne sont pas
une matière neutre sur le plan émotionnel. Elle me fera part à intervalles
réguliers, tout au long de l’année, de son rejet des mathématiques.
Cela, sans que ça l’empêche d’en faire, et indépendamment des résultats
scolaires qu’elle obtient. Quand je la félicite d’avoir réussi une activité
de calcul par exemple, elle tient à préciser : « oui, mais j’aime pas les
maths ». Il semble important pour elle d’affirmer une telle position,
et que j’en sois le témoin, comme si à travers moi elle s’adressait à
quelqu’un d’autre. De mon côté, je lui dis que personne n’est obligé
d’aimer les mathématiques, et que si tout le monde en fait, dans le
monde entier, on peut tout à fait les pratiquer sans les aimer plus que
ça.
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feux, en ayant du mal à imaginer qu’on a le droit d’aimer des deux
côtés. Ultérieurement, j’entendrai Joanne dire, comme en passant, qu’il
y a les mathématiques qu’elle aime bien et les mathématiques qu’elle
n’aime pas, ce qui me semble une manière intéressante de conserver une
division tout en l’aménageant autrement et en l’assouplissant quelque
peu.
Vers la fin de l’année scolaire, à la suite d’un échange informel avec moi,
Joanne entreprend de dessiner ce qu’elle appelle « le bonhomme des
maths ». Elle le représente sous l’aspect d’une figure humaine dessinée
à la 6-4-2. « Il est bizarre, il appartient au monde des chiffres » dit-elle.
Je ne commente pas les échos transférentiels de sa remarque. Puis elle
se demande s’il y a un bonhomme pour chaque pays. Ouvrant à nouveau
le livre illustré auquel nous nous étions référés naguère, je lui montre
que l’écriture des chiffres est maintenant la même dans bien des pays
du monde.
Ces mêmes dernières semaines, ainsi que durant le début de l’année
scolaire suivante, je propose à Joanne d’essayer de produire elle-même
des énoncés de problèmes. Elle peut imaginer puis écrire des énoncés
de son cru comme si elle était une maîtresse qui prépare des exercices
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J OANNE À L ’ ISSUE D ’ UNE ANNÉE DE TRAVAIL
vis-à-vis des mathématiques. Elle a remarqué que Joanne n’a plus peur
d’aller à la boulangerie avec de l’argent pour acheter le pain. Sur ce
point, Joanne est très fière de ce qu’elle considère comme une victoire,
qui la valorise à ses propres yeux.
Le travail ne s’est pas arrêté là. Par la suite, Joanne évoquera parfois,
implicitement, ce qui la préoccupe, mais cela ne parasite plus son com-
portement ou ses réalisations mathématiques. Bien que la géométrie,
la lecture de tableaux ou de graphiques ainsi que la représentation des
nombres restent des points difficiles pour elle, Joanne poursuit une
scolarité où les mathématiques sont devenues une matière qui l’intéresse
intellectuellement et qu’elle peut maintenant travailler en y trouvant
46 P RATIQUER LA PSYCHOPÉDAGOGIE
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aussi d’aborder et de commencer à élaborer certaines questions qui la
traversaient, influant sur son développement personnel comme sur son
investissement scolaire.
L’évolution de Joanne au décours de la prise en charge indique, me
semble-t-il, que, pour avancer, elle avait besoin que soit à la fois perçu
ce qu’elle n’avait pas construit dans ses apprentissages mathématiques,
et écouté ce qu’elle avait à dire. À partir de la prise en compte des
aspects aussi bien psychologiques que cognitifs sous-jacents aux diffi-
cultés d’apprentissage de Joanne, la dynamique du travail a convoqué
différentes démarches : construction de concepts, mise en perspec-
tive culturelle, rééducation instrumentale, apprentissage de procédures,
accueil d’un questionnement subjectif, mise en mot des émotions ressen-
ties et de représentations inconscientes, production de liens associatifs,
élaboration de contenus symboliques, assouplissement de positions
d’identification.
C’est cet ensemble, à mon avis, servi par le cadre protégé et protecteur
des rencontres régulières intervenant en dehors du milieu tant scolaire
que familial, qui a aidé Joanne à prendre du recul, à gagner une certaine
confiance dans sa capacité à maîtriser des savoir-faire scolaires, mais
aussi à pouvoir vivre avec les mathématiques et à les mettre au service
de son développement.
Maths et mètis(se) 47
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lité parmi d’autres. Elle n’est pas la seule à être pertinente et elle
n’est pas valable dans tous les cas. La nécessaire prise en compte de
l’individualité de chaque enfant impose que la psychopédagogie des
mathématiques ne se positionne pas comme une pratique monolithique
dont le déroulement serait connu à l’avance. Elle doit s’adapter aux
enfants et aux adolescents que l’on rencontre, ainsi qu’à la façon dont
chacun d’eux se situe par rapport aux mathématiques comme disci-
pline scolaire, comme corps de savoirs conceptuels et comme « forme
symbolique » (Cassirer) faisant partie de la culture.
La pratique décrite ici correspond en tout cas à une façon d’aborder
l’implication des facteurs psychologiques et cognitifs qui contribuent
à singulariser la rencontre entre un sujet et les apprentissages mathé-
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ou ne les comprend pas, la manière qu’il a d’en faire ou de ne pas pouvoir
en faire. Si l’on admet que la causalité d’un « symptôme » mathématique
est souvent plurielle et surdéterminée, il s’ensuit que différents niveaux
de compréhension et d’action sont alors sollicités, qui ne s’excluent
pas l’un l’autre. En effet, considérer que les difficultés rencontrées par
certains élèves au cours de leur scolarité peuvent avoir des ressorts
multiples (cognitifs, psychologiques...) et intriqués me semble une
position théoriquement raisonnable et cliniquement en accord avec ce
que je perçois des enfants qu’il m’est donné de rencontrer.
Quant à la question de la relation causale unissant, à l’origine, les
facteurs psychologique et cognitif (l’un a-t-il provoqué l’autre ? l’un
a-t-il constitué un point de cristallisation pour l’autre ? les deux sont-ils
apparus indépendamment l’un de l’autre ?), elle est peut-être plus théo-
rique que déterminante pour la pratique. Il arrive fréquemment qu’à un
moment donné de l’histoire d’un enfant les différentes déterminations
finissent par s’enchevêtrer et que leur retentissement devienne mutuel.
D’où la participation de plusieurs dimensions au sein de la pratique
psychopédagogique :
! la remédiation notionnelle de contenus mathématiques précis (en
référence à la didactique des mathématiques),
! l’entraînement instrumental des opérations logiques et fonctions cog-
nitives impliquées dans les apprentissages mathématiques (en réfé-
rence à la psychologie du développement et à la neuropsychologie),
Maths et mètis(se) 49
L’articulation, dans des proportions variables selon les sujets, les pro-
blématiques et les moments dans le travail, de ces quatre dimensions
imprime une tonalité spécifique à chaque prise en charge.
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U NE HISTOIRE DE RENCONTRES ...
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Chapitre 3
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et l’écrit
Évelyne Schembri
L ES MOTS DE PAUL
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forme dyslexique et dysorthographique, lorsqu’il y a une prédominance
des substitutions, des déplacements, des ajouts ou des omissions de
phonèmes, j’ai relevé une redondance dans mes observations.
En effet, dans de nombreux cas, les confusions touchant le langage me
semblent pouvoir figurer la projection, sur le support de l’écrit, d’une
incompréhension des liens de filiation, d’une question posée à propos
du fonctionnement des relations intrafamiliales.
Cette hypothèse de travail a accompagné en arrière-plan ma compré-
hension des difficultés de Paul dont les séances font l’objet de cette
première partie.
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Le texte qu’il écrit le jour où nous faisons connaissance est fourni en
erreurs du même type : nous remarquons ensemble qu’indépendamment
des fautes d’usage et d’accord, des lettres sont déplacées, remplacées,
omises ou ajoutées.
Ainsi, malgré son aisance dans le maniement du langage oral, cet enfant
se comporte face à l’écrit comme s’il s’agissait d’une langue étrangère
dont il ne pourrait pas s’approprier les règles. Puisqu’il s’exprime correc-
tement, je suis surprise lorsqu’il ne lui vient aucun mot pour me dire
quel sport pratique l’un de ses frères : il utilise un mouvement, il semble
taper sur quelque chose. Je m’étonne de cette définition corporelle
d’une occupation dont je saurai par la suite qu’elle n’évoque ce geste
que pour l’enfant.
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langage écrit ne le concerne pas.
A-t-il une hypothèse au sujet de cette difficulté à lire et à écrire ? Il en
a une : « j’ai trop de choses dans la tête », me dit-il, sans pouvoir m’en
dire davantage pour le moment.
Étant donné sa scolarité plutôt satisfaisante malgré ce problème, je
décide de ne pas aborder frontalement la lecture. Je préfère orienter
mes interventions autour de son attitude vis-à-vis de l’écrit, avec l’idée
de l’aider à modifier son a priori négatif dans ce domaine. Ce choix me
paraît d’autant plus s’imposer qu’il fait lui-même un lien entre son souci
et l’envahissement de son espace psychique.
Il y aura donc immédiatement deux clés sur notre partition : les exer-
cices, les jeux concrets avec le langage écrit, et les représentations qui
ne manqueront pas de déborder de son trop-plein dans la tête.
Je sais d’expérience que les deux plans se côtoient ou se confondent
selon les moments. Je me tiens donc prête à suivre le mouvement.
Nous allons passer plusieurs séances à jouer avec les mots, les sons,
à opérer volontairement les transformations qu’il a coutume de voir
surgir à son insu lorsqu’il déchiffre et écrit. Ce paradoxe – jouer à faire
consciemment ce qu’il subit habituellement – va créer un déséquilibre
profitable, puisqu’il se détend et que ses erreurs de lecture vont se
raréfier.
Paul et Kevin, ou comment s’approprier le langage oral et l’écrit 55
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trahison, ou la mort, d’un des protagonistes.
L’histoire inaugurale de cette série est une saga familiale où des arrières
grands-parents sont victimes d’accidents incroyables. Il l’achève en
affirmant que le héros rescapé de ces aventures rocambolesques est l’un
de ses grands-parents. Intriguée, je l’invite à poursuivre et il me donne
quelques détails plus plausibles de sa généalogie.
Ses explications sont tout de même assez confuses et en contradiction
avec les informations recueillies auprès de ses parents, en sa présence,
peu de temps auparavant. J’insiste donc un peu pour tenter d’y com-
prendre quelque chose. Paul conclut que de toutes les façons, tout ça
ne le concerne pas.
Je retrouve alors précisément la mimique collée à son désintérêt pour
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Face à son étonnement, je fais un pas de côté et lui présente pour finir
cette séance un livre que nous avons lu. Il s’agit de l’ouvrage Les mots
de Zaza1 , dans lequel une souris collectionne des gros mots imaginaires.
Paul m’a fait vivre ce jour-là une sensation très éprouvante, étrange. Ces
mots prononcés sans émotion, sans retenue, ne lui appartenaient pas.
La fois suivante, Paul revient avec ce même souhait d’écrire des gros
mots. J’accepte en lui suggérant que nous fassions quelque chose de
plus. Peut-être pourrions-nous en inventer, comme Zaza. Il refuse très
gentiment : ce texte était amusant, mais il préférerait de vrais gros
mots.
Finalement, je lui propose de créer un jeu dont je me sers souvent pour
ses inépuisables ressources, un jeu de l’oie dont il remplira les cases
avec les consignes de son choix. J’espère lui offrir l’occasion d’exprimer
la violence manifestement non reconnue des gros mots, en l’apprivoisant
grâce à une médiation acceptable, moins brutale.
C’est d’accord, et Paul va travailler avec beaucoup d’enthousiasme à la
fabrication de son jeu en acceptant volontiers d’écrire. Il y a les cases
« dis un petit gros mot » ou « dis un gros mot grossier », mais le thème
1. Jacqueline Cohen et Bernadette Després, Les mots de Zaza, Bayard Jeunesse, 2007.
Paul et Kevin, ou comment s’approprier le langage oral et l’écrit 57
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« dédramatiser » cette activité.
J’attends un assouplissement de son attitude, pour ensuite mêler l’écrit
à davantage d’émotion en utilisant ses productions imaginaires.
Paul délaisse son jeu au profit d’histoires qu’il prend, je le crois, plaisir
à lire et je me dis que le temps de l’écriture d’un récit est maintenant
arrivé. Il lit désormais de manière fluide, quelques textes lui ont claire-
ment plu mais lorsque je le félicite sur ses nouvelles dispositions face à
la lecture, il résiste à cette idée, il ne se reconnaît pas et devant mon
étonnement il lâche : « lire, ça me fait chier ». Cette grossièreté lui a
échappé. Elle nous intrigue tous les deux. Il repense à son jeu, dont
il souhaiterait faire une nouvelle version. Ce sera un jeu de l’oie, qui
aura la forme d’une grosse vague qui déferle de la gauche vers la droite,
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phique. Il retrouve le mot « gros » et y adjoint « maux ». En comprenant
cette nouvelle erreur, il s’exclame, théâtral : « Les gros mots, ça fait
saigner le cœur ! » et comme recouvrant ses esprits, il peut se corriger.
Une parole juste s’est faufilée dans l’erreur d’écriture : en effet, les gros
mots, ça mord et ça fait mal.
Quand je me demande à voix haute qui peut bien prononcer tant d’in-
jures et à qui, il me souffle que c’est à la maison. C’est la violence du
grand frère. La réponse à l’étrange définition corporelle lors de notre
première rencontre est peut-être là. Ce sont également les échanges
grossiers entre parents et grands-parents, les non-dits à propos de
certains membres de la famille.
Paul est traversé par les insultes prononcées par ses proches. Les mots
sont vides, séparés de leurs signifiants. De même, il y a du non-sens
dans les invectives échangées par les adultes qui l’entourent.
Les parents de Paul évoquent les conflits familiaux comme une qualité :
« Chez nous, quand on a quelque chose à se dire, on le dit ». Ce que
l’on peut finalement traduire dans ce cas comme une façon de masquer
et de nier leur mésentente.
L’enfant a cependant l’intuition que dans ce discours, on banalise la
violence des mots.
Selon mon hypothèse, Paul a dit par la confusion des lettres sa percep-
tion de dysfonctionnements dans les liens entre ses proches, perception
Paul et Kevin, ou comment s’approprier le langage oral et l’écrit 59
jusque-là enfermée dans une sorte de terrain vague sur lequel sa pensée
ne pouvait se construire. Il sait la perturbation des liens intrafamiliaux,
sans pouvoir l’exprimer autrement que par ce brouillage dans les lettres.
Les gros mots, « ça fait saigner le cœur »...
La validation de ce savoir a libéré le champ des apprentissages. Paul ne
détourne plus la tête devant ses productions et le travail d’appropriation
de la langue écrite a pu commencer à l’issue de cette séance.
Nos rencontres ont pris la forme d’ateliers d’écriture très vivants.
À la faveur de ces progrès, la famille a cependant souhaité interrompre
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le travail, dans un passage à l’acte sans possibilité de négociation. Pris
dans la loyauté vis-à-vis de ses proches, Paul a accepté ce choix.
Lorsque je lui ai demandé son point de vue à propos de cette décision,
il n’a pu répondre que « Ma mère a dit... ». Pourtant, son salut, le jour
de notre dernière séance m’en a dit davantage que ses mots : la main
toute molle, il m’a tendu un avant-bras sans vitalité.
Une fois de plus, son corps a pris la parole et j’ai eu le sentiment de
voir une porte se refermer. Mais maintenant qu’il connaît le chemin,
peut-être ira-t-il l’ouvrir ailleurs, plus tard ?
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Quand un petit lion joue aux dés...
!
Ainsi nous lançons le dé, séance après séance, dans une atmosphère
joyeuse et j’assiste à la fausse victoire de Kevin qui « gagne » en s’ex-
clamant « vocou ! » (beaucoup), amassant les jetons devant lui. Je
joue le désespoir et la colère face à cette comptabilité truquée, qui me
maintient dans le rôle de l’éternelle perdante. Puis, au fil des séances, ce
rituel devient sa résistance à tout effort de pensée, à tout échange. Je
ressens de l’ennui, il endort totalement ma créativité, j’ai le sentiment
d’être à côté de lui, ficelée à une place, à mon tour prisonnière.
Un jour, j’exprime ma lassitude non plus en parlant mais en chantonnant.
À la manière d’un ménestrel, je commente mes gestes et les siens, le
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contenu de la séance, mes interrogations, ses colères, en inventant des
ritournelles. Le chant est accepté, il cesse son brouillage habituel et
devient plus attentif. La victoire est toutefois modeste : en écho à mes
mélopées apparaît un hit-parade de comptines scatologiques venant
interrompre ce nouvel élan...
Mais un changement s’annonce, un jeu avec les mots s’installe et mes
courtes phrases chantées sont entendues, parfois reprises à son compte,
comme si le langage sous cette forme faisait rupture avec une conduite
automatique, apprivoisait ses craintes, contournait sa position de refus
obligé.
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pas », épuisant une infinité de variations articulatoires et syntaxiques
tant cet énoncé le désarçonnait.
Sans jamais pointer à Kevin les importantes déformations de parole et
de langage de ses productions, j’ai décliné avec lui ce texte au gré de
ses souhaits et de ses progrès. Debout, assis par terre, en face-à-face
au bureau, côte à côte, en tapant des pieds et des mains, avec force, en
chuchotant, en détachant les syllabes, en les bâclant, en le racontant
ensemble ou à tour de rôle... Le travail autour de ce texte est ainsi
devenu le prélude ou la conclusion de nombreuses séances.
Ce livre doit sans doute sa place privilégiée d’unique objet culturel
commun à la synergie de divers facteurs : l’élément moteur facilite la
mobilisation de Kevin et le chant rompt avec le langage parlé et le
familiarise avec une comptine appartenant au patrimoine musical enfan-
tin. Enfin, le contenu offre un support de représentations affectivement
« fort ».
La douleur en miroir
!
Mais comment enrichir la palette des images dont Kevin a besoin pour
se construire sans piocher dans ma bibliothèque ?
Il arrive fréquemment très excité aux séances et, à l’occasion d’une de
ses colères dont j’ignore le motif, des objets sont jetés par terre et
me voici la cible de sa tyrannie : « Va chéché ! » (va chercher). Je lui
Paul et Kevin, ou comment s’approprier le langage oral et l’écrit 63
confie alors très doucement que son attitude me fait mal à la tête. Cette
douleur, tout à fait authentique, il l’entend et fait ce geste : les mains
à hauteur du front, paumes vers le sol, il appuie l’air du haut vers le
bas en expirant lentement mimant un « faire baisser la pression ». Il
l’utilisera ensuite très régulièrement, le ponctuant de « ah oui ! C’est
vrai » aux premiers signes de trop grande tension interne.
C’est en m’utilisant comme miroir, en s’appuyant sur mes sensations,
que ce rituel a pu s’inventer et opérer son pouvoir calmant à d’autres
moments. Ce temps est précieux puisqu’il a donné une forme à un début
de maîtrise de son agitation, une prise en compte de celle-ci, pour lui
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et vis-à-vis de moi.
Pendant quelques séances, Ravel a volé à mon secours. J’ai raconté
et chanté de courts extraits de l’opéra L’enfant et les sortilèges1 . Le
thème de l’enfant qui refuse tout et s’en glorifie ne pouvait pas le
laisser indifférent. « Je suis méchant, je suis très méchant ! » clame le
personnage de l’opéra en déchirant ses livres.
Ma tentative pour utiliser ensuite le disque a échoué : il me fallait
interpréter l’histoire pour lui, dans l’espoir d’ouvrir sa capacité à une
écoute directe donc plus autonome de l’œuvre, étape qui nécessite une
sécurité intérieure suffisante.
Son goût inconditionnel du dé me guide vers un jeu de l’oie mais la
séquence « jet du dé + repérage de la quantité + avancée du pion » est
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De ce nouveau chantier vont naître des récits qui iront dans le sens d’un
souci de maîtrise du chaos et de la constitution de limites psychiques :
il imagine un village, dont je suis le maître d’œuvre car il souhaite
former un espace parfaitement fermé mais peine à s’organiser au niveau
moteur. Il existe en effet des villageois turbulents qui projettent de
casser les ponts ou de renverser les habitations, et je dois lui prêter
main-forte pour écarter ces agitateurs et protéger la quiétude à l’inté-
rieur du village. Porté par le récit, Kevin veut activement devenir plus
habile, il accepte son ignorance, il observe, reproduit et même réclame
mon modèle. Sa gestuelle et son langage s’organisent : « il faut faire
dou-ce-ment » chuchote-t-il en manipulant maintenant le matériel avec
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délicatesse.
Il a appris à devenir le gardien de l’intégrité du village et cette construc-
tion est devenue un refuge où il a pu imaginer quelques histoires, libre
du trop d’excitation et de la confusion.
C’est alors qu’entre en piste le « mémory », jeu qui consiste à retrouver
des paires d’images dont les cartes ont été disposées au hasard, face
cachée sur la table. Activité intéressante mais à fort potentiel hypno-
tique ! Après un temps d’exploration innovant autour des règles (par
exemple le changement de critère pour l’appariement des cartes), la
rigidité revient. De même qu’avec le dé, le jeu devient l’arme de sa
tyrannie. L’absence de pensée reprend le pouvoir : reprise de la séquence
de jeu, toujours identique, maîtrise de la durée de la partie et tem-
pête psychique sous la forme de décharges motrices à chaque tentative
d’échappée de ma part.
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séance, ce jeu a-t-il agi comme un écho de son vécu interne ? C’est-
à-dire une juxtaposition d’images qu’il tente de lier entre elles pour y
donner du sens ? Quoi qu’il en soit, simultanément à cette période, Kevin
convoque à plusieurs reprises sa mère dans mon bureau, en exigeant
qu’elle relate certains évènements de leur quotidien devant moi.
L’enfant s’appuie maintenant sur notre relation pour inviter son parent à
la réflexion : il a en effet conscience d’attitudes inadéquates et irrespec-
tueuses envers sa place d’enfant dans certaines conduites familiales. Ce
mouvement d’appel à un tiers, dans le dessein clair de valider une ques-
tion à propos d’une parole ou d’un comportement bousculant l’éthique,
est encouragé. Je l’ai soutenu en m’interrogeant à haute voix pour qu’il
participe à ma volonté de comprendre, me donne ses hypothèses et
préfère la curiosité et la recherche de sens à l’oubli de sa capacité de
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penser.
Cette position est difficile à tenir et Kevin l’a souvent fuie, en particu-
lier en refusant toujours les livres, symboles de la connaissance et du
questionnement. Toutefois, lorsqu’un enfant fait l’expérience de cette
possible ouverture de la pensée, elle peut redevenir disponible. C’est
un aspect inhérent au travail pour l’accès aux apprentissages à travers
toutes sortes de médiations : aller à la rencontre de la singularité de
l’enfant en étayant ses intuitions, son projet d’humain en devenir.
66 P RATIQUER LA PSYCHOPÉDAGOGIE
Voici trois ans que nous nous connaissons et, après plusieurs dispari-
tions, Kevin fréquente le Centre avec davantage d’assiduité. La question
de l’entrée dans la langue écrite devient désormais centrale puisqu’il a
déjà sept ans.
Ma préoccupation – et la sienne, bien entendu – à propos de la lecture
et de l’écriture alimente vivement son anxiété et son excitation. Je
décide néanmoins d’installer, en la ritualisant, la présence de la trace
écrite à chaque séance malgré ses résistances. « Je m’en fous de tes
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lettres ! Pas besoin de regarder ton modèle qui pue ! » En réalité, ce
sont ses productions, réussies ou échouées, qu’il identifie à des déchets
et qui atterrissent invariablement déchiquetées dans la poubelle.
Si je peux aisément composer avec sa destructivité, par quelle brèche
de sa forteresse se faufilera son désir d’abandonner ses fanfaronnades
et d’investir positivement l’écrit ?
Pour apprivoiser sa peur d’échouer et aiguiser son intérêt, je commence
par imaginer de déplacer nos affrontements à propos de l’écrit dans
des jeux. Je délaisse la feuille au profit du tableau et j’organise des
concours avec les lettres et la motricité comme ingrédients (par exemple
des courses de rapidité dans le tracé d’une lettre). Puis, en se décollant
du dessin de la lettre, seront introduits des mots jusqu’à la maîtrise d’un
lexique pioché dans son univers le plus familier. Lorsqu’il est attentif,
j’enchaîne les tracés rapidement en lui demandant un effort de mémoire
à court terme ou légèrement différé. Ses temps de réceptivité s’allongent
à mesure que s’étoffe son répertoire.
C’est par l’écriture que Kevin abordera la lecture, toujours avec une
grande méfiance. Travailler sur du déjà-connu semble être la seule issue
pour lui éviter le vertige éprouvé face à la nécessité de cet apprentis-
sage.
À présent j’introduis de courtes séquences, plus directement techniques,
pour l’acquisition de la lecture. Il les reçoit avec de nombreuses oscil-
lations entre alliance et attaque. Ses progrès s’accompagnent de longs
Paul et Kevin, ou comment s’approprier le langage oral et l’écrit 67
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Kevin veut écrire dans ses cocottes et oublie sa crainte de l’échec. Le
« tu veux combien ?... » triomphe et je suis dorénavant la cible de
son agressivité à travers de courtes phrases griffonnées sur un coin de
feuille ou bien majestueusement inscrites sur le tableau noir.
Les nouvelles acquisitions de Kevin n’en font pourtant pas un lecteur.
Quand mes exigences deviennent plus pressantes, il renoue avec des
attitudes de prestance sur le mode du mépris. Dans les moments où il
est mobilisé par une tâche, de brèves formules sans rapport manifeste
avec le contexte envahissent nos séances de la présence d’une voix off
hostile : « ah ! tu veux jouer à ça ?... » ou bien « bon, allez, laisse-moi
faire !... ».
Ces automatismes, dont il ne peut empêcher l’intrusion, alourdissent les
séances de la souffrance de son échec. Il lutte contre mon modèle « qui
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Fuir un temps la pression sociale dans cette activité... offrande à la
lâcheté ou rameau de sa curiosité ?
L’origami est un art exigeant, il nécessite patience et habileté. Il pos-
sède également sa magie, je l’expérimente régulièrement pour moi-même.
N’est-il pas exaltant d’obtenir un objet en trois dimensions à partir d’une
simple feuille ? Du deux au trois, la métaphore m’enchante et c’est avec
elle en tête que j’accède à sa demande. Kevin se passionne et apprend
avec une volonté et une capacité toutes nouvelles à tolérer ses mal-
adresses. Lorsque nous découvrons des modèles de pliage, nous sommes
d’une certaine manière à égalité face à l’inconnu.
Nous devons parfois chercher ensemble des solutions puisque je ne com-
prends pas toujours immédiatement les explications menant à l’objet
fini. Il est, bien entendu, prompt à vouloir renoncer devant le premier
obstacle mais se rallie finalement à mon souhait d’arriver au bout de la
tâche avec un vif contentement.
Les avions et les oiseaux volèrent ainsi dans le bureau, jusqu’au jour où
il ne refusa pas de choisir un livre. Il exhuma alors son histoire favorite,
Délivrez-moi !, et en fit plusieurs lectures, laborieuses mais appliquées.
Lorsqu’il put, une séance plus tard, le déchiffrer parfaitement, il me
regarda tout étonné : « c’est tout ? ». Ce texte lu en deux minutes
devenait soudain le témoin d’un passé révolu.
Joie et nostalgie se mêlèrent dans une juste émotion.
Nos rencontres se peuplent désormais de lectures.
Paul et Kevin, ou comment s’approprier le langage oral et l’écrit 69
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Le support qui nous sert de médiation serait-il dans cet instant le fragile
rempart derrière lequel il peut s’abriter contre la peur de détruire ou
d’être détruit ?
La feuille comme métaphore de la culture et de l’entrée dans le symbo-
lique devient la page où s’inscrit sa singularité...
J’ai reçu sa réponse comme une image pertinente et belle de notre
travail.
Kevin participe maintenant à un groupe psychothérapique en plus de
nos séances. De nouvelles occasions lui sont ainsi offertes de travailler à
sa construction affective. Comment s’en saisira-t-il ? Seul l’avenir nous
le dira...
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Conclusion
!
Les médiations ne sont pas des objets finis, les supports et les tech-
niques sont à disposition mais le travail avec l’enfant est avant tout
une rencontre, et de celle-ci va naître quelque chose qui ne serait pas
advenu autrement.
Lorsque nous recevons un enfant, nous recevons également de l’enfant
et cela va être l’occasion d’une découverte, d’une création.
Il est essentiel d’offrir un espace propice à cet imprévu pour ouvrir
la voie d’un remaniement psychique qui accompagnera les progrès de
l’enfant.
Chapitre 4
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Quand la psychopédagogie s’appuie sur le corps
Didier Chaulet
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mise en groupe, dont l’effet le plus sensible sera d’atténuer le poids
de notre présence en instituant un rapport indirect avec nous, puisque
l’enfant passera aussi par les autres pour découvrir cet adulte étranger
que nous sommes d’abord pour lui.
Un point de vue que je vais illustrer en m’appuyant sur deux extraits
cliniques. Le premier portera sur un groupe thérapeutique à médiation
motrice réunissant concrètement plusieurs enfants, le second mettra
en scène un groupe fictif à l’intérieur d’une thérapie psychomotrice
individuelle.
Éléments du dispositif
!
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Sur ce point, j’essaierai d’être plus explicite avec l’illustration clinique,
dans la mesure où justement c’est avec ce genre de retours à l’intérieur
de la médiation qu’on peut attendre un effet de changement, un effet
thérapeutique.
Une autre remarque maintenant, concernant encore le dispositif : le
caractère collectif de la séance. Un collectif restreint, suscitant des
interactions entre les enfants, avec cette forme de socialisation des
échanges qu’on peut mettre en valeur quelquefois. Mais des interactions
capables également de s’organiser, sous certaines conditions, dans un
processus, qu’on peut qualifier, lui, plus spécifiquement, de processus
de groupe. Un processus dont l’intérêt principal, si on fait le choix de
s’appuyer dessus, est d’amener une utilisation originale, supplémentaire
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fermé oblige une séparation partagée par tous, et donc rend possible
un travail de séparation commun, y compris pour les thérapeutes (sous
réserve bien sûr que le terme n’ait pas été fixé à l’avance).
A contrario, un groupe ouvert reste plus proche du modèle familial, avec ses arrivées
de petits derniers, et ses départs de grands. Des aléas qui, à chaque fois, tendent à
ramener individuellement chacun des participants sur des enjeux de rivalité. D’autre
part, les groupes ouverts, au moins potentiellement, et particulièrement pour les théra-
peutes, eux ne sont pas confrontés à une fin.
Une autre des conditions, et là, je vais être encore plus schématique,
c’est le nombre réduit des animateurs, qui évite d’imposer un bloc adulte
trop fort, et autorise plus facilement les enfants à s’associer ensemble
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dans une dynamique qui, suivant les phases, les amènera à se situer
avec, sans ou contre le camp adulte, c’est-à-dire suivant une certaine
modulation des distances relationnelles.
C’est donc avec cette question des distances relationnelles qui peuvent
s’établir entre les enfants et nous, que je vais évoquer maintenant ce
groupe à médiation motrice. Un groupe fermé, qui a duré presque trois
ans, que j’animais seul, et qui réunissait en même temps et régulière-
ment une fois par semaine, cinq enfants, au début tous âgés de 5 à
6 ans. Des enfants qui présentaient des retards, sinon des dysharmonies
du développement.
La séance que j’ai choisi de montrer situe ce moment où les enfants
se solidarisent entre eux et se constituent d’une certaine façon en une
petite communauté imaginaire. Autrement dit, le moment où ils passent
par la fiction du groupe pour gagner un autre poste d’observation sur la
réalité extérieure dans laquelle ils me voyaient jusque-là. Avant d’entrer
dans ce groupe, je vais dire un mot sur chacun d’eux à travers les séances
du début, dans la mesure où à cette période les enfants de cet âge
s’engagent plutôt à contre-groupe. C’est-à-dire essayent de maintenir
l’espoir ou l’illusion d’une relation duelle toujours possible.
Parmi ces enfants, pris un par un, il y a :
Entre trop près et trop loin... 75
Simon. Dans ces premières séances, Simon est un enfant qui tourne le
dos, se réfugie sous la table, utilise le matériel pour s’enfermer. Quand
il heurte un autre enfant, c’est vers moi qu’il jette son œil sévère,
supposant ma réaction. Dans la vie, Simon a la chance d’avoir un papa
qui prépare de bons petits plats à la maison ; donc, Simon mange de
tout. Sauf tout ce qui ressemble à la cuisine de son père, c’est-à-dire
l’essentiel. C’est un enfant maigrelet, pâle, avec des cernes sous les
yeux.
Pierre, lui, n’en finit pas de me solliciter, de m’appeler, de me demander.
Dès qu’il arrive à la consultation, en petit patient modèle, il vient s’an-
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noncer seul au secrétariat, confirmant à chaque fois que lui, Pierre, sans
compter les autres, a bien rendez-vous avec le monsieur. Pendant les
séances, il a toujours besoin de mon avis, de mon aide, au risque d’un
écart et d’une angoissante perte d’amour. Pourtant, Pierre, atteint d’une
maladie génétique, ne peut être conforme, ce qui est déjà suffisant pour
entretenir la culpabilité de décevoir sa famille.
Marie est la seule fille de ce groupe. C’est une enfant qui ne sait pas
comment exister au milieu des autres. Bien sûr, elle sait les rejoindre,
proposer ses services ou faire comme eux, mais on l’oublie vite, et quand
son regard se tourne vers moi rien ne la sort de son anonymat. Le jour
de la première consultation, en compagnie de sa maman, une mère
surinterprétante, donnant un sens très projectif aux comportements de
sa fille, Marie s’était trouvé une identité. Le médecin qui les recevait
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toutes les deux avait entendu une sorte de miaulement sous son bureau.
C’était Marie qui, réellement, lui léchait ses chaussures.
Et puis il y a Jean et André, qui se sont vite associés en couple dans les
activités. « On est copains » se répètent-ils souvent. Une autre façon
d’éviter le collectif.
André est celui dont l’expression est la plus régressive, la plus passive,
avec une articulation toujours peu compréhensible. Enfant unique de
parents séparés, c’est un peu comme s’il vivait entre deux mamans,
tellement les soins du père et de la mère sont identiques. Une vie
76 P RATIQUER LA PSYCHOPÉDAGOGIE
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m’arrêter sur celle qui suit immédiatement.
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l’étroite plate-forme construite en haut du toboggan.
Le loup, que je suis devenu, ne peut que leur dire son dépit, son empê-
chement à les atteindre aussi haut perchés. Mais les mots du loup sont
rejetés par un vacarme de protestations « Non ! Va-t-en ! Méchant !
Connard ! ». Une véritable barrière sonore les enferme encore plus dans
ce camp retranché. Une limitation de l’espace qui, pour eux, ne va faire
que durer.
Un commentaire sur cette séquence, et l’utilisation de la médiation. Quelques instants
avant, il était question d’un méchant qui les pousse à l’école, c’est-à-dire dans une
réalité extérieure à la séance. Mais, c’est à moi qu’ils s’adressent pour dire ça, en
reconnaissant ce trait identitaire commun, qui fonde dès lors un groupe de victimes
à l’intérieur de la séance. Avec les petites bousculades entre eux dans un jeu de
glissade, mais par rapport à moi, aussi, qui d’une certaine façon les ai poussés là-
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La séance qui suit va donc s’ouvrir, très logiquement, par un aperçu sur
des figures animales. Les enfants sont particulièrement calmes, le genre
de calme qui précède la tempête... et qui délie les langues aussi. On
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parle pour voir venir...
Un échange, riche d’imaginaire, circule entre eux. Marie nous apprend
la mort de son Papi « qui est tombé d’un avion, dans la mer, et les
requins l’ont mangé, on a retrouvé que sa casquette ». Jean associe sur
son Papi à lui « qui va bientôt lui montrer une chauve-souris, parce que
c’est le chat qui l’a tué avec ses dents ». André rajoute une histoire
de dinosaures qui s’entretuent et tuent tout le monde, et c’est terrible.
Mais Pierre fait remarquer que « c’est fini leur truc, là, c’est la vie des
humains, comme ça on est tranquille ». Enfin, Simon vient condenser
toute cette fantasmatique en concluant que « avant, quand c’était les
dinosaures, on existait pas ».
Alors, je crois devoir rappeler qu’il y avait aussi l’histoire du loup, la
dernière fois. L’effet est immédiat. Je me retrouve seul à ma place parce
que, déjà, ils ont fui en criant, et sont tous à l’abri en haut du toboggan.
Mais dans leur course, et par imitation entre eux, tous cette fois-ci ont
pris, au passage, un des gros cubes en mousse dans le panier. Une arme
que chacun brandit maintenant à la face du loup, resté en contrebas. Le
saisissement n’est plus exactement le même, et le jeu entre attraction
et répulsion plus visible encore quand ils se mettent à lancer les cubes
vers le loup. À l’image de cette scène, où des enfants envoient des
cailloux sur le chien qui les regarde, et qui leur fait peur. Une façon
de le toucher de loin, avec l’envie de le supprimer, de le détruire, mais
aussi l’envie de le voir réagir.
Entre trop près et trop loin... 79
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sont ensemble. Le loup est loin maintenant, et tourne le dos.
Un autre commentaire, rapide, sur cette séquence-là. Parce qu’elle montre, je crois,
ce qui se peut se produire dans ce genre de séances. C’est-à-dire, pour les enfants, le
passage entre des positions passives et des positions actives. Ici en particulier autour
de la fonction du regard, entre être regardé (ils étaient sous l’œil menaçant du loup,
véritables captures dans le regard de l’animal, comme dans celui de l’hypnotiseur,
figés dans un espace bidimensionnel) et regarder (le loup se laisse observer dans ses
déambulations, laisse également entendre son dialogue intérieur, où se retrouvent les
paroles initiales des enfants, mais transformées. Le loup, lui-même, regarde ailleurs,
introduisant ainsi une troisième dimension). Ce passage entre position passive et
position active amenant à découvrir une position intermédiaire, la position réflexive
dans ce qui vient ensuite.
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Un problème nouveau pourtant les confronte à leur impuissance d’en-
fants et va relancer le dialogue avec moi. Le scotch qu’ils déroulent
pour suspendre les feuilles se colle aux doigts, sur les vêtements, sur
le voisin, les ligotant presque entre eux. Maintenant, seul le recours à
une aide extérieure pourra les en sortir. Mais quand ils ont appelé mon
nom, peut-être avaient-ils parlé trop vite. Parce qu’ils ont réalisé qu’il
leur faudrait ouvrir la porte à deux personnes. Ou plus exactement à un
personnage double, ce bi-pôle du monsieur et du loup.
Je suis rentré dans la maison. Chacun a gardé un peu ses distances,
mais la rencontre s’est bien passée. Ils m’ont regardé faire, ils s’y sont
repris autrement. Et puis, ils m’ont oublié un peu. Surtout quand ils
ont découvert qu’il y avait la mer en bas du toboggan. Ils ont plongé,
là aussi chacun trouvant une nouvelle une technique de saut. Un des
enfants a dit que c’était son père qui lui avait appris à plonger comme
ça. Dans l’excitation du bain, on m’a pris à témoin « hein monsieur, on
a pas le droit de dire des gros mots », mais pour mieux m’oublier encore.
Ils s’amusaient ensemble, tout au plaisir d’explorer ce nouvel espace,
maritime, avec aussi le plaisir de s’imiter, de rivaliser, en même temps
qu’ils pouvaient me voir, et qu’ils pourraient, plus tard, entendre ce que
j’aurais encore à leur dire.
Entre trop près et trop loin... 81
Un dernier commentaire. Après avoir été regardés par le loup (position passive), et
après s’être trouvés en situation de le regarder (position active), les enfants, à pré-
sent, se regardent entre eux (position réfléchie, qui est aussi la position narcissique)
dans un espace qu’ils ont créé, la mer. C’est donc le début d’une intériorité, pour
l’instant partagé, en présence d’un adulte. Avec la perspective de découvrir ensuite,
plus individuellement, cette capacité d’être seul en présence d’un adulte.
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a refusé les soins, et a fait ensevelir son cadavre dans le panier des
cubes. Ou comment Simon (avec ses refus alimentaires) lui a répondu
en organisant la cérémonie d’un repas fraternel...
Du dehors au dedans
!
figure de l’adulte, qui pourra toujours être aimée, mais quelquefois aussi
un peu moins, quelquefois même un peu crainte. Une figure qui pourra
toujours les accompagner, même si sa présence extérieure sera quel-
quefois oubliée, sauf à se rappeler à eux comme un secours répondant
à certaines des limitations de leur âge, et donnant en cela le sens
d’une différence, c’est-à-dire le sens protecteur de la différence des
générations.
Un tel cadre thérapeutique vise à une relance dans leur développement.
La contrepartie ou le dédommagement que ces enfants peuvent attendre
de tout ce travail qui les détourne du perceptif, de la réalité extérieure,
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pour les confronter d’abord à une certaine solitude dans l’espace du
groupe. Le dédommagement donc, c’est l’ouverture pour eux d’un autre
espace, plus intérieur, plus narcissique aussi. Un espace où se trouvent
les ressources d’une possible autonomie instrumentale, au bout d’un
processus qui est un processus de recentrement, de retour sur soi, et
qui deviendra propre à chacun des enfants, pris un par un. L’espace du
groupe n’étant qu’une annexe de son propre espace personnel, quand
chacun pourra à la fois se regarder en même temps qu’il regarde les
autres. C’est-à-dire, là aussi, quand chacun par rapport aux autres ne
sera ni trop près, ni trop loin.
U NE ARMÉE D ’ ENFANTS
Non seulement les objets renversés, cassés, les bleus et les bosses ne se
comptent plus, tellement sa vie paraît se dérouler au milieu d’accidents
en tout genre, mais sa maladresse fait aussi des histoires à l’école.
C’est bien autour de ces histoires-là que Léa n’en finira pas de me parler,
racontant d’une voix souvent explosive tout le désordre qui l’entoure.
Le bruit des enfants de la classe, les disputes de la maîtresse mais aussi
les bobos, ces traces laissées sur sa peau, sans trop savoir comment.
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Un univers où tout lui échappe, un univers dans lequel la présence
des autres, la présence de son corps aussi, semblent ne jamais se faire
oublier.
Mais déjà, il y a notre première rencontre, avec son sursaut devant
mon arrivée, la fuite pour se cacher derrière un des fauteuils de la
salle d’attente, son retour aussi brusque et la précipitation vers moi,
comme pour venir se jeter dans mes bras (l’intérieur de mes bras, un
refuge, une autre cachette où je ne la verrai pas), et finalement son
arrêt, avant de me suivre tête baissée, les bras pendants. Une scène qui
d’emblée définissait les conditions à partir desquelles nous pourrions
nous retrouver ensemble dans la pièce, c’est-à-dire qu’il fallait d’abord
que mes yeux ne rencontrent pas les siens.
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Et puis, très vite, Léa va faire de ses séances une sorte de coulisse aux
exploits. Transformant chacune de ses attitudes, chacun de ses actes
en performance à accomplir, en risque à prendre ou à créer. Que ce soit
avec cette façon improbable de s’asseoir sur le rebord de la chaise, de
vouloir porter encore d’autres choses dans ses mains déjà pleines, ou
cette tentative de se tenir debout, en équilibre sur la pile des coussins.
Autant de comportements, autant d’expériences qui immanquablement
conduisaient à de petits désastres. Parce que dans sa confrontation à
ces catégories du possible et de l’impossible (mais aussi du permis et
du défendu, qui pouvait interroger ma tolérance), Léa ne cherchait que
le triomphe et un contrôle magique sur le monde extérieur, faute de
84 P RATIQUER LA PSYCHOPÉDAGOGIE
cette sécurité que son corps ne lui apportait pas, en la laissant ainsi
tomber, le plus souvent les fesses par terre.
Mais surtout, dans ce tête-à-tête avec Léa, nous n’étions pas vrai-
ment seuls. Il y avait tous ces autres, les enfants de l’école. Toute une
foule de personnages qu’elle convoquait dans les nombreux récits de
son quotidien, sans pour autant que je puisse vraiment en repérer les
portraits, ni trouver la liaison d’une histoire. Parce qu’il ne s’agissait
que de courts fragments, la chronique d’événements sans suite. Une
course pour s’attraper ou se faire toucher pendant la récréation, avec
ces heurts, ces contacts cutanés mêlant agression et caresses volées,
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aussi la mauvaise odeur autour du garçon qui pétait dans les couloirs,
ou encore le rire sorti de la grande bouche de sa copine. Et je remarquais
comment parfois, son visage proche du mien de l’autre côté du bureau,
elle surveillait le mouvement de mes lèvres quand je prononçais un mot.
Un mot, d’ailleurs, aussitôt emporté dans son flot de paroles, où il n’y
avait pas de repos, pas de silences. Où les mots justement forçaient
encore d’autres mots chargés de toutes ces sensations.
Mais, c’était d’abord vers moi qu’elle dirigeait ses histoires, c’était
devant moi aussi qu’elle risquait ses chutes à répétition. Et je ne pou-
vais que constater comment sa position active, combien ses efforts,
prenaient l’aspect d’une lutte. Une lutte pour se défier de tout besoin de
mon aide. Une lutte aussi pour nous précipiter ensemble dans cette foule
imaginaire qui envahissait nos séances, au détriment d’un face-à-face
où, plus passivement, elle se serait laissée regarder. Au détriment donc,
d’un autre dialogue avec moi, mais qui peut-être lui aurait imposé de
retrouver dans celui qui la regardait, comme dans la relation avec son
corps, cet adulte si particulier ; le plus familier des étrangers...
Un exil forcé
!
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cette façon transitive de prendre à son compte la douleur des autres. Ces
enfants absents de notre réalité, mais qu’elle avait mis entre nous depuis
le début, et qui à cet instant pour moi, avec l’effet d’un trop-plein,
prenaient une consistance imaginaire qui, un peu plus qu’à l’habitude,
les faisait exister. Alors, je l’ai interrompue, et c’est vers eux que je me
suis tourné. Le ton était celui de la grosse voix, et en pointant mon
regard sur les côtés je me suis mis à jouer l’autorité « parce que vraiment
aujourd’hui, ils exagèrent, on n’y comprend rien, et c’est chacun son
tour pour grimper sur les coussins et le matelas, et d’abord chacun à sa
place » et pour Léa en particulier, je désignais le petit bureau, un peu
plus loin, près de la fenêtre.
Un petit coin qui aurait pu lui apparaître comme un exil forcé, mais il y
avait sa surprise devant ma façon de faire semblant, et la curiosité aussi
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pour voir ce qui allait se passer. Elle partit donc s’installer à quelques
mètres de moi, sans se douter encore que c’était là qu’elle prendrait ses
quartiers, séance après séance, dans ce qui allait devenir, tout à la fois,
un poste d’observation d’où elle exercerait son voyeurisme, mais aussi
une base à partir de laquelle elle lancerait ses revendications, et plus
tard un espace privé à l’abri des intrusions, une sorte de retraite qui
l’amènerait à se tourner vers une autre comédie, celle-là plus tranquille
et plus intérieure aussi.
Pour l’instant donc, je commandais l’entrée en piste de ces participants
fictifs, reprenant les prénoms que j’avais déjà entendus. Léa, depuis son
86 P RATIQUER LA PSYCHOPÉDAGOGIE
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la lampe noire, pourtant éloignée du matelas, en se rappelant que « le
noir, c’est une couleur qu’on voit pas dans le ciel, c’est dans la chambre
quand c’est éteint. » Et puis son dernier argument « d’abord, c’est moi
la plus grande, et je suis toujours la première. » Au bout du compte,
Léa dénonçait tout ce remue-ménage, et faisait constater à ces enfants
que nous avions imaginé tout le travail de rangement qui me reviendrait
après leur départ, quand ils ne seraient plus là.
Dans sa colère, il était donc question d’absence. Je n’ai pas évoqué son
absence de la chambre de ses parents, la nuit, chez elle, quand tout était
éteint. Mais, en étant plus direct que je n’en avais eu l’intention, je lui
disais que « oui, elle aussi repartirait quand la séance serait terminée,
et elle savait que moi je resterais occupé ici, et qu’il faudrait seulement
attendre avant de se retrouver. »
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« c’est une histoire, tu dois deviner que c’est une fleur. » J’ai eu droit à
un « assez bien ». Pour le dessin suivant, j’ai dû fermer les yeux, mais il
y avait un indice : « c’est quelque chose qu’est pour les filles, et qu’est
pas en gris, parce que le gris c’est pas pour les filles. » Ce dessin que je
n’ai pas su deviner était celui d’un cœur.
Ensuite, elle a voulu que ce soit son tour, mais le protocole avait un
peu changé : pendant que je dessinerais, Léa, les yeux fermés, devrait
se rendre à la fenêtre, là, elle pourrait ouvrir les yeux, et même regarder
dehors, puis à nouveau les yeux clos, elle reviendrait vers moi pour
trouver mon dessin caché et deviner.
J’observais, dans sa marche à l’aveugle, comment elle acceptait de se
laisser guider par ses pas, comment elle se confiait à la prudence de son
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Pour le dire autrement, fermer les yeux, ou plutôt cacher ses yeux dans
un premier temps, n’était qu’un moyen chez Léa de ne pas rencontrer
les miens bien sûr, mais d’abord parce qu’il s’agissait de ne pas se
faire prendre dans mon regard comme dans la fascination du serpent.
C’était bien ce qui se passait dans sa vie à ce moment-là ; cette cap-
ture imaginaire dans le regard de l’autre, dans un espace seulement
bidimensionnel.
Il y avait eu ce dernier événement qui avait définitivement décidé les
parents à consulter : une promenade dominicale à vélo. Un moment
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rare, où la famille se retrouvait enfin au complet, après les fréquentes
absences professionnelles des deux parents, en semaine. Ils étaient
heureux d’avoir leur fille qui pédalait à leur côté. Mais elle ne les quittait
pas des yeux, malgré les avertissements. Et ils avaient compris comment
elle s’était perdue dans leur regard pour aller percuter le poteau, et une
nouvelle fois, sans verser de larmes, recevoir quelques points de suture.
Quand Léa s’est mise à dessiner des bonshommes ce n’était que des
visages sans corps. Dans sa maladresse certainement aussi, il manquait
l’image d’un corps, parce qu’elle passait toujours par celui des autres
pour engager le sien. Pas de représentation de son corps à elle, elle
était effacée, mais des figurations agies qui ne tenaient que dans la
toute-puissance, c’est-à-dire qui ne tenaient pas.
C’est peut-être cette toute-puissance, cette statue du commandeur
contre quoi elle avait monté toute une armée d’enfants imaginaires, qui
a pu être décondensée. Elle acceptait l’idée que je puisse être occupé
en son absence, que moi aussi, donc, j’avais besoin des autres, et même
que je pouvais y penser. C’est ce troisième terme entre nous qu’elle est
allée montrer, pour elle aussi, en regardant par la fenêtre.
Et dans ce jeu des dessins cachés, où elle ne fuyait pas mes yeux, elle
s’en décrochait simplement, ce qu’elle devinait, c’était moi en train de
la regarder, moi en train de l’imaginer surtout. Un circuit plus indirect,
où en se regardant dans ce miroir elle pouvait s’imaginer, se représenter
elle-même.
Entre trop près et trop loin... 89
Léa avait voulu refaire le chemin à l’aveugle pour vérifier cette image
intérieure qui la guidait. Une image non plus autosuffisante, mais avec
laquelle, maintenant, elle commençait à connaître la prudence.
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de leur monde intérieur tel qu’ils l’adressent dans la relation avec nous.
En psychomotricité, les enfants que nous rencontrons régulièrement sont
ceux-là qui justement ont du mal à se soustraire de la réalité extérieure
et du perceptif, préférant le régime des sensations et de l’action, avec
des supports plus concrets venant en quelque sorte suppléer leur défaut
d’intériorité.
Pour autant, il s’agit toujours de retrouver leur espace psychique, même
si dans ce type de dispositif, avec cette prévalence du regard sur le
corps, le tête-à-tête de la séance semble vite imposer notre présence
comme un poids de réel accaparant toutes leurs préoccupations.
Les deux illustrations cliniques choisies ont tenté de préciser :
Comment atténuer le poids de cette présence adulte, en associant
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"
plusieurs enfants (réels ou imaginaires) en même temps. Une façon,
pour nous, de nous tenir à la périphérie du dispositif, en laissant le
regard de l’enfant se diffracter sur les autres du groupe. Et, à partir de
ce décentrement, mais également avec notre propre capacité à entrer
dans la médiation, en l’occurrence ici, à entrer dans l’espace du jeu.
" Comment amener la création d’une fiction racontant quelque chose
des tensions, des contradictions vécues dans cette relation avec nous.
Une forme de récit instituant, dans le décor de la séance, un espace
imaginé et non plus seulement effectif.
90 P RATIQUER LA PSYCHOPÉDAGOGIE
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Chapitre 5
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Quand la psychopédagogie s’appuie sur les images animées
Coraline Mabrouk
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par des questions vitales, ils étaient venus rapidement consulter au
CMPP. Manuela présentait alors un retard global (retard de croissance,
retard moteur, retard langagier important en français comme dans sa
langue maternelle). Ce retard, déjà signalé dans son pays d’origine, avait
également attiré l’attention de l’interprète venu accompagner la famille
lors des premiers entretiens, lui qui pourtant avait rencontré beaucoup
d’enfants ayant un parcours similaire.
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à faire de son mieux et se montre pleine d’enthousiasme, ce qui peut
paraître idéal, pourtant là n’est pas l’objectif du soin... Cette confor-
mité excessive se comprend au regard de son histoire : elle cherche
à s’adapter, à s’intégrer, mais elle y perd sa subjectivité. Certes son
attitude est positive, l’investissement est évident ; Manuela a eu besoin
d’en passer par ce conformisme mais il faut que cela évolue.
Pour ceux qui n’auraient pas fait connaissance avec le jeune sorcier, voici la
présentation du premier tome :
Harry Potter est un jeune garçon qui vit chez son oncle et sa tante depuis la
mort de ses parents. Ils étaient de grands sorciers et ont été assassinés par
le plus puissant mage noir, Voldemort. Étonnamment, Harry, encore bébé, a
survécu bien que Voldemort ait tenté de le supprimer aussi ; il garde la marque
de cette attaque : une cicatrice en forme d’éclair. Harry ignore qu’il est sorcier
car son oncle et sa tante refusent le monde de la magie mais il utilise parfois
ses pouvoirs involontairement. Il faut préciser que les deux mondes (le monde
des sorciers et le nôtre) coexistent dans cet univers. Les sorciers se cachent :
des signes qu’il faut savoir décrypter trahissent leur présence. Le jour de ses
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11 ans, Harry intègre Poudlard, l’école des sorciers où il est inscrit depuis sa
naissance. Chaque tome représente une année scolaire à Poudlard. Harry y
trouve certaines réponses aux questions qu’il se pose sur lui-même et vit de
nombreuses aventures avec ses meilleurs amis Ron et Hermione.
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Identification à l’héroïne et communication
!
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trigue est totalement centrée sur Hermione et sur les conflits opposant
les « sang-pur » et les « sang-de-bourbe » (terme péjoratif désignant
les sorciers nés de parents « moldus »). En effet, Harry et ses amis se
reconnaissent dans l’idéologie du professeur Dumbledore, le directeur de
Poudlard et « guide » d’Harry, à savoir : donner accès à l’enseignement
de la magie en fonction du potentiel de l’enfant, indépendamment
de sa naissance. Totalement à l’opposé se situent Voldemort et ses
adeptes pour lesquels il faut réserver le savoir aux « sang-pur » et qui
veulent asseoir la domination des sorciers sur les « moldus ». Cette
problématique est effectivement centrale dans l’histoire de J.K. Rowling
mais beaucoup d’autres éléments sont importants, notamment en ce
qui concerne Harry. Dans le récit de Manuela, c’est à peine s’il fait
partie de l’histoire ! Elle a été touchée par certains événements du film ;
en dépit des distorsions de compréhension et bien que cela n’ait pu
être pensé mais seulement éprouvé, le film a pointé chez Manuela des
questionnements très forts. En me les racontant, elle est parfois même
débordée pas ses affects, ce qui témoigne de leur puissance suscitée
par le film alors même qu’il s’agit dans le présent d’un récit. Le langage
permet en effet ce double mouvement, qui peut sembler paradoxal, de
faire ressurgir les émotions et de les mettre à distance.
Ce travail a marqué un tournant dans la prise en charge. Les capacités de
compréhension et d’expression de Manuela ont progressé rapidement et
elle a pu par la suite proposer des activités et manifester son désaccord
éventuel face à mes suggestions. En outre, elle s’est mise à parler de ses
Ces images qui nous parlent... Parlons-en ! 97
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bilan. Jennifer avait alors 6 ans et entrait à l’école élémentaire. Elle
était déjà suivie en consultation et en psychomotricité au CMPP. C’était
une petite fille au visage fermé, s’exprimant de manière très décousue ;
elle me parlait de sa classe, de sa famille, de personnages de fiction
– dont les Winx, de ses camarades, de sa naissance et de sa maison
qui avait brûlé, comme si je partageais son quotidien et que tout cela
m’était déjà connu. De plus, son incapacité à prendre en compte son
interlocuteur se doublait d’un retard de parole et langage massif (confu-
sions, simplifications, inversions, assimilations et syntaxe très altérée)
qui ne rendaient pas les échanges aisés. La mise en perspective des
résultats montrait cependant de meilleures capacités d’expression dans
le cadre d’épreuves ciblées que lors du discours spontané.
Par ailleurs, Jennifer présentait un niveau de compréhension subnormal
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mère et fille, pour qui toutes les activités du quotidien étaient pré-
textes aux conflits : repas, toilette, coucher etc. Jennifer, fille unique,
avait bien du mal à s’épanouir dans ce contexte. Elle parlait peu, avec
difficulté, et lorsqu’elle parlait elle n’avait de cesse de demander de nou-
veaux films, de nouveaux livres et des objets dérivés dont ses parents la
couvraient : fées, princesses et autres héroïnes venaient alors s’ajouter à
sa collection et compenser, pour un temps, les manques... Elle passait la
plupart de son temps libre seule à regarder ses DVD, des dessins animés,
à faire l’inventaire de ses poupées, stickers, images et vêtements à
l’effigie de ses personnages favoris et à les dessiner, fort bien d’ailleurs.
Lorsque le suivi s’est mis en place, Jennifer s’est montrée plus tendue
que lors des deux rencontres du bilan, les enjeux relationnels étant
très différents : la fréquence des séances et l’installation du suivi dans
la durée génèrent nécessairement un autre type de lien, qu’il soit ou
non de bonne qualité. Il apparaissait avec évidence que Jennifer se
méfiait de moi et qu’elle ne voulait surtout pas que je l’amène où elle
n’était pas résolue d’aller. Elle entendait maîtriser le déroulement des
événements. Sans éclat, sans débordement, elle s’est mise en position
de résistance passive. Lorsque je lui posais une question à laquelle elle
ne voulait pas répondre, ou que je proposais une activité qui ne lui
convenait pas, elle restait impassible. Le plus souvent, elle baissait
les yeux ou bien allait passer l’éponge sur le tableau ou encore filait
aux toilettes : jamais elle ne pouvait réagir avec des mots, exprimer
son point de vue ou tenter de négocier. Elle se fermait comme une
Ces images qui nous parlent... Parlons-en ! 99
huître. Les moments où elle s’animait étaient ceux où elle parlait des
personnages de fiction qu’elle appréciait. Fréquemment, Jennifer venait
en séance avec un objet apporté de chez elle : une petite boîte, une
image à colorier, un livre... Les personnages récurrents étaient les Winx,
Diddle et Cendrillon.
Un jour, Jennifer apporte un livre de Cendrillon reprenant la version de
Walt Disney : je la lui lis puis la semaine suivante, je lui propose d’en
lire une autre version pour que nous comparions les deux. Je vois là
l’opportunité de travailler sur d’autres contes par la suite et peut-être
lui en faire découvrir qu’elle ne connaît pas. Mais cela ne lui plaît pas
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du tout : elle ne retrouve pas les mots qu’elle attend – elle connaît son
livre à la virgule près – ni les images du dessin animé en illustration.
J’ai beau lui expliquer le principe du conte et des variantes possibles,
elle répète que ce n’est pas la véritable histoire et qu’elle ne veut plus
écouter de contes. Même plusieurs semaines plus tard, ma tentative de
lecture de Blanche Neige se heurte à une fin de non-recevoir. Jennifer,
elle, veut dessiner des Winx. Comme je ne connais celles-ci que de
nom, je demande à Jennifer de m’en parler : elle est si confuse que je
comprends seulement qu’il s’agit de fées et que sa préférée est Bloom.
Elle la dessine puis nous passons à autre chose. Constatant ses qualités
de dessinatrice, je propose à Jennifer que nous fassions chacune le
portrait d’un personnage et que nous inventions ensemble une histoire
à partir de ces dessins, que je transcrirai. Elle souhaite qu’il s’agisse de
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Du livre au DVD
!
Nous voici donc revenues au monde magique des Winx : j’en arrive
à la conclusion que si les Winx sont si récurrentes dans l’espace des
séances, c’est que quelque chose m’a échappé, qui a de l’importance
pour Jennifer et que je n’ai pas repéré. Je lui demande à nouveau de
me raconter ce qu’elle connaît des Winx : comme elle ne parvient pas
à se faire comprendre, elle m’apporte la semaine suivante un livre des
Winx. En effet, les aventures des Winx existent à la fois sous forme de
petits livres et de dessins animés, par épisodes. Elles ciblent un public
de petites filles de 6 à 9 ans environ. Du fait de leur succès croissant
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et international, un épisode clé est également sorti dans les salles de
cinéma. Les épisodes relatent les événements de la vie quotidienne des
amies du « Winx-club ».
Je parcours donc le livre mais Jennifer ne souhaite pas que je le lui lise.
En plus de son livre, elle a apporté des images des fées : elle veut me
faire deviner quelle jeune fille correspond à chaque prénom. Jennifer
me demande également de désigner ma préférée, à l’exclusion de Bloom
puisqu’elle-même l’a choisie. La séance suivante, Jennifer affiche un
grand sourire et sort de son sac le boîtier du DVD du dessin animé
ayant été diffusé en salle de cinéma, ainsi qu’une boîte contenant de
petits objets à l’effigie des Winx : « c’est notre trésor » déclare-t-elle
rayonnante. En l’espace de deux séances, j’ai la sensation d’être passée
« de l’autre côté du miroir ». Je quitte en quelque sorte mon statut
Ces images qui nous parlent... Parlons-en ! 101
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Quand la fiction fait écho à la réalité
!
tâche très difficile pour Jennifer. Quant à projeter ses propres goûts
ou désirs, elle n’y parvient pas car elle s’identifie totalement à Bloom,
comme si cette héroïne de fiction était plus réelle qu’elle-même.
La découverte du film et la mise en lien de celui-ci avec l’histoire de
Jennifer m’ont permis de constituer des hypothèses sur cette proximité
et de mettre du sens sur le fonctionnement de Jennifer.
102 P RATIQUER LA PSYCHOPÉDAGOGIE
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et pleins de vie. Pour ce faire, Bloom est aidée de ses amis, les autres Winx et
les garçons. Toutes les Winx ont un pouvoir différent. Bloom possède le pouvoir
le plus puissant, celui de la flamme du dragon : elle peut faire apparaître ou
disparaître le feu.
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Ce travail n’a pas amené de changement aussi spectaculaire au niveau de
la qualité d’expression de l’enfant que dans le cas de Manuela, toutefois
il n’a pas été moins important car il a permis des avancées majeures sur
d’autres plans. Il faut noter qu’il n’est pas intervenu au même moment
de la prise en charge et que les objectifs visés n’étaient pas les mêmes.
Suite à ce travail, Jennifer s’est détournée des Winx et il n’en a plus été
question en séance. L’utilisation de la médiation présentée a joué un
rôle clé dans notre relation ; elle a ouvert le champ des possibles pour
la suite du travail. Elle a permis que Jennifer m’introduise dans sa bulle.
Il semble que, prenant appui sur mon regard, porté sur son univers et
donc sur elle, Jennifer ait perçu que je la considérais comme sujet ; elle
a pu alors porter son regard sur elle-même et parler en son nom.
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et des amis
Dans les deux cas présentés, il est question d’un univers de fiction
ayant trait à la magie. Les héros sont des magiciens en devenir, dont
le quotidien se déroule la majeure partie du temps à l’école, avec leurs
amis. Ainsi, l’aspect magique crée une distance avec la réalité, à l’instar
de la spatialité et de la temporalité des contes, tandis que l’aspect
scolaire renvoie à une proximité, ce qui favorise les identifications. En
outre, dans les deux histoires, on observe que le groupe de pairs apparaît
au premier plan, au contraire de la famille chargée de l’éducation de
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l’enfant. Les parents réels, quant à eux, sont absents de la vie de celui-ci,
morts dans le cas d’Harry Potter et figés dans le cas de Bloom, mais bien
présents dans son esprit. Ils sont idéalisés et lui servent de modèle.
Aussi ces histoires alimentent-elles chez l’enfant spectateur, au travers
des processus d’identification, ses désirs de puissance (par le biais des
pouvoirs magiques), de reconnaissance, ainsi que la construction de son
roman familial.
Le fait de trouver autant de points communs entre ces deux DVD est
peut-être lié à de simples raisons commerciales : créée peu après le
succès mondial d’Harry Potter, la série des Winx a sans doute tenté de
surfer sur la même vague. Cependant, si l’on prend en compte leurs
caractéristiques générales, on s’aperçoit qu’elles sont très répandues
parmi les histoires ayant du succès auprès des enfants de la même
tranche d’âge que Manuela et Jennifer, parce qu’elles correspondent à
leurs questionnements.
Un autre point commun relie les DVD des Winx et de Harry Potter : ce
sont actuellement des phénomènes de mode, ce qui peut aussi présenter
un intérêt dans notre travail. Comme cela est mis en avant par Manuela,
s’intéresser aux héros du moment permet à certains enfants de trou-
ver une place parmi leurs pairs et de s’inscrire dans une culture. La
dynamique est la même que celle qui se joue avec les contes et autres
histoires enfantines : on se reconnaît autour d’un socle commun. Ce
sont les enfants qui ne partagent pas ce socle, par exemple certains
Ces images qui nous parlent... Parlons-en ! 105
enfants d’origine étrangère, qui nous sollicitent le plus pour les aider à
s’inscrire dans les phénomènes de mode. Ils peuvent ressentir le besoin
d’en passer par là avant de se tourner dans un second temps vers
d’autres symboles culturels pour élargir leur horizon. Là encore, il n’est
pas question de définir une ligne de suivi orthophonique spécifique aux
enfants d’origine étrangère, ce qui serait aberrant, mais de prendre en
compte ce qui est amené par chaque enfant et d’y répondre au mieux.
Manichéisme vs réalisme
!
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Ayant relevé les similitudes entre les deux DVD, intéressons-nous mainte-
nant à leurs différences. D’une part, l’un est un film tandis que l’autre est
un dessin animé. On pourrait penser que le film amène plus facilement
le spectateur à s’identifier aux personnages du fait de leur réalisme,
mais ce n’est pas toujours le cas : preuve en est la facilité avec laquelle
Jennifer se projette en Bloom.
D’autre part, les deux DVD offrent une vision du monde très différente.
L’univers des Winx est on ne peut plus manichéen. Tout n’y est que féerie.
Les héroïnes sont toutes jeunes, belles, courtisées, elles incarnent un
idéal et parviennent bien entendu à vaincre le mal. La souffrance n’existe
pas dans le monde Magix et la mort elle-même est traitée de manière très
particulière puisque les parents de Bloom sont « figés » : ils reviennent
à la vie en pleine santé et ne gardent aucune séquelle de cet épisode !
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ne saurait en être autrement concernant cette approche. En revanche,
la qualité du film en tant que tel importe peu. L’utilisation d’un film
ou d’un dessin animé apparemment riche de contenu ne permet pas
nécessairement d’en faire une médiation profitable et inversement. Ce
n’est pas le support qui fait médiation mais la façon dont on l’utilise et
en ce sens il n’a pas de valeur de médiation en lui-même. Par contre, les
différents types de supports ne sont pas équivalents et se choisissent à
partir d’un ensemble de critères dont les particularités par rapport aux
autres supports de travail et selon le projet thérapeutique.
Dans le cadre de cette réflexion, nous nous centrerons sur le DVD comme
support d’un film, d’un dessin animé ou d’un film d’animation, constitué
d’un ensemble d’images dynamiques et de sons organisés au service d’un
scénario, d’une histoire. Le sens est porté par toutes ces composantes.
Comparé au livre, support d’histoire lui aussi, le DVD est d’accès plus
direct et les images sont déjà présentes. Le livre, au contraire, est
crypté : il exige pour mettre du sens non seulement que le lecteur le
déchiffre, mais encore qu’il se construise ses propres images. Le film, lui,
se déroule selon un rythme imposé et implique de prendre en compte des
informations de différente nature (personnages, arrière-fond, dialogues,
Ces images qui nous parlent... Parlons-en ! 107
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pas cantonnées à une sphère en particulier, elles traversent les espaces
où évolue l’enfant, qu’il a parfois du mal à concilier. De plus le DVD, en
général, n’est ni l’objet de l’adulte ni l’objet de l’enfant symboliquement.
Ces caractéristiques jouent sur la relation enfant/adulte et sur la façon
dont l’enfant va s’engager dans le travail.
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un écart entre l’intention de l’émetteur et la perception du récepteur.
Cela est valable pour le langage, les sons et aussi pour les images
constituant le film. Notre psychisme impacte notre appréhension, notre
manière de recevoir ces informations, de façon consciente ou incons-
ciente. Cela apparaît très nettement chez Manuela comme chez Jennifer.
Par conséquent, la verbalisation de ce qui est compris et éprouvé au
cours du visionnage du DVD nous fournit de précieux renseignements
sur le fonctionnement psychique de l’enfant avec lequel est intriqué
le fonctionnement langagier. Ce dernier comprend ce qui est exprimé
et la façon dont cela est exprimé. Le langage a, dans notre discipline,
la particularité d’être moyen et finalité : il est à la fois notre outil de
travail et notre objectif.
Grâce aux informations recueillies, l’orthophoniste peut constituer des
hypothèses de travail et adapter ses réponses et ses propositions. Parfois,
cela ne fonctionne pas, il faut réajuster ses interventions. Mais le plus
souvent, cela assure la dynamique du suivi. L’objectif n’est pas forcément
que les hypothèses soient justes, mais plutôt qu’elles nous permettent
de penser l’enfant et la relation avec lui. Un travail avec médiation
implique un jeu relationnel triangulaire. On introduit un intermédiaire
qui va permettre au patient de parler de lui et d’entendre parler de lui
indirectement. Cela ne passe pas seulement par l’expression verbale,
mais celle-ci demeure bien sûr la voie privilégiée en orthophonie. Les
interventions de l’orthophoniste vont venir modifier le regard que porte
l’enfant sur le DVD et surtout son regard sur lui-même regardant ce
Ces images qui nous parlent... Parlons-en ! 109
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et de contenu. Ainsi, leurs spécificités en font un outil intéressant
qui peut permettre d’aborder le langage dans ses différents aspects.
Cependant, ce n’est pas tant le support qui importe que ce que l’on en
fait, et c’est bien là que se joue la médiation. À partir du moment où le
travail mis en œuvre autour du DVD est pensé, et que l’enfant en tire
bénéfice selon les objectifs visés, on peut considérer que le DVD a tout
à fait sa place dans le soin du langage.
Chapitre 6
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Quand la psychopédagogie s’appuie sur les contes
Évelyne Lévy
Ma Mère l’Oye.
La plus populaire est celle des frères Grimm, en Allemagne, un siècle
plus tard, avec un dénouement moins cruel. Le Petit Chaperon rouge et
sa grand-mère reviennent à la vie et le loup a le châtiment qu’il mérite.
Les enfants d’aujourd’hui comme ceux d’hier ne se lassent pas d’écouter
et de réécouter ces contes de tradition orale qui se sont transmis de
génération en génération, reconnus par tous, toutes origines et milieux
confondus.
Depuis, des versions ont fleuri en France et dans tous les coins du
monde.
112 P RATIQUER LA PSYCHOPÉDAGOGIE
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son initiative soit sur ma proposition, s’approche de ces livres et, très
souvent, après un bref coup d’œil, il se précipite sur l’un ou l’autre de
ces contes.
C’est l’occasion que je saisis pour introduire le rituel de lecture d’une
de ces versions.
Nous allons nous intéresser plus particulièrement à celles du Petit Cha-
peron rouge...
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portugaises, chinoises, tchèques, berbères, etc. Toutes s’inspirent de
textes originaux de la tradition orale (contes du XVIIe siècle recueillis
dans les provinces françaises) et des contes de Grimm (pour la plupart)
tout en y apportant des éléments nouveaux.
Elle a 8 ans, elle redouble son CE1. Elle est adressée par l’école. Ses
parents sont d’origine asiatique, ils ne maîtrisent pas la langue française
(orale et écrite). À la maison, on parle mandarin.
Line-Rose a une mauvaise image d’elle-même. Elle ne donne pas de sens
aux apprentissages. Elle s’exprime plutôt correctement à l’oral mais elle
a des problèmes de lecture et de compréhension, dus en grande partie à
des difficultés de langue. Cela entraîne un manque de confiance et un
manque d’autonomie.
C’est moi qui lui propose le conte du Petit Chaperon rouge. Elle le
connaît : il y a des « dames » qui le lisent à la bibliothèque.
Elle raconte et j’écris (il s’agit des toutes premières séances) :
La maman du Petit Chaperon rouge a donné une galette à Petit Chaperon
rouge et une tartine pour sa grand-mère qui est malade et le Petit Chaperon
rouge elle est passée vers la forêt après y avait le loup, après le loup il dit :
« pourquoi t’es là ? » Après Petit Chaperon rouge répond : « parce que je
vais rapporter une galette et la tartine à ma grand-mère ». Après le loup il
a dit : « il faut pas aller toute seule à la forêt ». Après Chaperon Rouge est
partie ramener la galette et la tartine pour sa grand-mère. Après le loup il a
pris des raccourcis pour aller dans la maison de la grand-mère, il a mangé la
grand-mère et après il s’est déguisé à la grand-mère. Après Petit Chaperon
rouge a frappé à la porte. Après Petit Chaperon rouge dit : « Grand-mère je
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t’ai apporté une galette et une tartine. »
Après Chaperon Rouge dit : « pourquoi t’as un grand nez ? » Après le loup
dit : « c’est pour mieux respirer »
Petit Chaperon rouge dit : « pourquoi t’as des grandes oreilles ? »
Le loup dit : « c’est pour mieux entendre »
Petit Chaperon rouge dit : « pourquoi ta voix est aussi grave ? »
Le loup dit : « c’est pour mieux te manger »
Le loup a mangé le Petit Chaperon rouge, après il a mangé les gâteaux.
La lecture du conte...
"
C’est moi qui lis, ou bien Line-Rose quand je le lui propose, ou bien nous
faisons les dialogues à deux voix. Petit à petit, c’est elle qui demande à
lire.
Après lecture de plusieurs versions, Line-Rose va s’intéresser plus parti-
culièrement à l’une d’entre elles : Le Petit Chaperon rouge a des soucis1 .
Line-Rose ne connaît pas le sens du mot souci. Une recherche dans le
dictionnaire s’impose. Elle connaît le synonyme : préoccupation.
Le Petit Chaperon rouge a décidément bien des soucis. Alors qu’elle part
chez sa grand-mère malade lui apporter une galette et un petit pot de
beurre, une bande d’enfants se jette sur elle en criant : « le père Noël !
Le père Noël ! »
Elle a beau expliquer qu’ils se trompent, personne ne veut la croire ! Même
le loup qui passe par là refuse de la manger. Déçue, le Petit Chaperon
rouge rentre chez elle. Elle s’habille tout en vert. Au moins on ne la
confondra pas avec le père Noël. Hélas quand elle arrive, les enfants se
mettent à crier : « Peter Pan ! Peter Pan ! »
Nous sommes quelques mois après le début des séances.
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Les deux couleurs, rouge et vert, évoquent un souvenir personnel et
familial. Elle parle longuement des membres de sa famille... « C’est
comme le mariage, avant la robe était rouge maintenant c’est blanc.
Avant la mère de ma mère, elle avait une robe rouge de mariage. J’ai
deux grands-mères, une c’est à mon père, un c’est à ma mère. Les grands-
mères sont vivantes mais loin [grands-parents restés au Vietnam]. Le
grand-père est déjà venu à Paris. Il m’avait acheté un jouet quand j’étais
au CE1. »
C’est alors qu’elle demande à faire un livre pour écrire sa version.
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Le Petit Chaperon rouge voit le loup.
Le loup voit aussi Le Petit Chaperon rouge. Il crie : « AAAAAA !!!!!!!! »
Le Petit Chaperon rouge rit.
Le chauffeur dit : « tu es arrivée, tu dois payer ! »
- Mais, je n’ai pas d’argent. » Le Petit Chaperon rouge s’enfuit, le chauffeur
va lui taper les fesses... Aïe !!!!!! Elle s’enfuit, elle ouvre la porte, elle va dans
l’ascenseur et appuie vite à l’étage 25 et appuie sur la sonnette.
La grand-mère ouvre la porte, elle donne son panier : « on va manger
ensemble ?
- Oui, mamie »
Fin, avec un point final, signée d’un morceau de son prénom comme un
pseudo.
Line-Rose, 8 ans
« Le Petit Chaperon rouge », un conte à lire... et à réécrire
117
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118 P RATIQUER LA PSYCHOPÉDAGOGIE
pour apprendre
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manière dont les parents eux-mêmes ou l’école ont raconté l’histoire...
À propos du conte de Grimm, Marie, une autre enfant du Centre, aura cette
réflexion : « le bûcheron opère le loup, c’est comme une césarienne ». Morale
du conte : « les jeunes filles ne doivent pas parler à des inconnus, ça peut être
dangereux ». C’est elle-même qui se fait la morale : « elle doit être obéissante ».
Les enfants perçoivent la mise en garde sous-tendue dans ce conte.
L’histoire dans l’histoire : ce Chaperon-là est vert1 : c’est une fille très sympa-
thique et courageuse. Elle n’a qu’une ennemie cette sale menteuse de Petit
Chaperon rouge. Valérie : « il ne faut pas mentir parce que sinon, on ne croit
plus les enfants. »
L’histoire détournée : le Chaperon vert2 , plus malin que le Chaperon rouge, qui
saura gruger le loup qui regrette les enfants naïfs d’autrefois, etc. Marianne :
« dans les autres histoires les enfants se font piéger par le loup. La fille, elle est
maligne, c’est le loup qui est piégé, les enfants de maintenant sont plus futés. »
L’histoire du loup devenu vendeur de pizzas3 . Sophia : « au lieu de manger les
enfants, mange plutôt des pizzas ». « Plutôt que d’écouter le loup, écoute plutôt
ta maman »
1. Grégoire Solotareff et Nadja, Le Petit Chaperon vert, L’école des loisirs, 1990.
2. Cami et Chantal Cazin, Le Petit Chaperon vert, Flammarion, 1998.
3. Jean Claverie, Le Petit Chaperon rouge, Albin Michel, 1994.
« Le Petit Chaperon rouge », un conte à lire... et à réécrire 119
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linguistique. Qu’il existe une logique, un ordre chronologique. C’est à ce
moment que peut se poser la question de l’orthographe. Les mots aussi
ont leur origine et leur histoire...
Voici deux versions imaginées par deux petites filles, toutes deux au
CM1 quand commence cette aventure, suite au même travail que celui
proposé à Line-Rose. Nous allons retrouver tous les ingrédients de l’his-
toire originale, tout en découvrant des éléments nouveaux inventés par
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
Clémentine a 10 ans, elle est au CM1 dans une classe à double niveau
(CM1-CM2) avec un maître. Ses parents sont d’origine chinoise. Ils ne
maîtrisent pas la langue française. À la maison, on parle cantonais.
120 P RATIQUER LA PSYCHOPÉDAGOGIE
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Clémentine ne donne pas de sens au code écrit. Elle voudrait réus-
sir mais n’y arrive pas. Elle semble empêchée de comprendre par une
impossibilité à mettre des images sur les mots.
Elle souhaite être aidée.
Il lui faut un travail structurant qui lui permettra de prendre confiance
en elle, de mettre à distance et d’élaborer ses préoccupations intérieures.
Il lui faut parallèlement un travail tourné vers la maîtrise de la langue
orale et écrite. C’est ce que propose la psychopédagogie, thérapie à
médiation.
Je propose donc à Clémentine l’histoire du Petit Chaperon rouge. Cette
histoire va lui permettre de mettre ses peurs à distance : sur le plan
affectif, Clémentine fait tout dans l’agitation ; elle parle fort, a des
gestes désordonnés et fait des commentaires hors propos. Cela traduit
une anxiété. La peur de ne pas savoir. Sur le plan des apprentissages,
la répétition de la lecture des versions va créer un dynamisme pour
apprendre. Ces deux plans combinés devraient lui donner accès au désir
d’apprendre et à la compréhension.
Dès la deuxième séance, je lui demande si elle connaît cette histoire.
Clémentine s’y engouffre avec enthousiasme. Elle ne veut pas écrire,
elle exprime clairement sa peur de mal faire. Je lui propose de la dire
comme elle s’en souvient. C’est moi qui écris. Elle s’en souvient pour
l’avoir jouer en pièce de théâtre au CE1 ou CE2.
« Le Petit Chaperon rouge », un conte à lire... et à réécrire 121
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bien la sienne.
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Clémentine, 10 ans
122 P RATIQUER LA PSYCHOPÉDAGOGIE
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Je lui demande pourquoi elle a représenté la petite fille qui fait un clin
d’œil au loup : « Parce que c’est rigolo. Elle a peur du loup mais là, elle
a pas peur. C’est comme celle d’Éric Battut » (la version illustrée du
conte de Perrault1 ).
Elle s’identifie à cette petite fille du livre qui, pour elle, n’a pas peur :
« Moi, ma manière pour ses mains c’est comme ça. » Cela est dit de
manière très affirmative.
Elle observe son dessin : « on dirait que ils sont habillés pareil. Ses
habits ils sont pour un petit » (allusion à la petite enfance ?). « Là, il
se dit miam miam ». « Le chaperon rouge dit : je serai en retard pour
voir grand-mère. »
Je lui propose de donner un titre à son dessin. Après réflexion, elle
déclare : « Le loup et l’enfant » (nouvelle identification).
En quelques séances, Clémentine s’est approprié l’histoire et s’est affir-
mée (moi, ma manière) : son graphisme (écriture) qui était celui d’un
élève de grande section s’est transformé. Les quelques mots écrits sont
segmentés et mieux orthographiés. Elle a accepté d’écrire.
1. C. Perrault, Le Petit Chaperon rouge, Éditions bilboquet, 1998 (illustré par E. Battut).
« Le Petit Chaperon rouge », un conte à lire... et à réécrire 123
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récit initial. Elle a introduit un élément original (le clin d’œil). Elle est
autorisée à le faire. Elle a trouvé un cadre structurant. Elle sent une
écoute bienveillante et une reconnaissance de ses capacités.
Clémentine a déjà choisi la version suivante, qui représente un loup très
effrayant sur la couverture.
L’histoire est détournée dans notre monde moderne : l’arrière-arrière-
arrière-petite-fille du bûcheron de la fameuse histoire du Chaperon
Rouge, Mama Gina, vend des pizzas. C’est une pizza avec un coulis de
tomate que la petite fille doit apporter à sa grand-mère. Mama Gina a
gardé précieusement la hache de son grand-père avec laquelle elle va
délivrer la grand-mère et sa petite fille... Le loup, repenti, deviendra
marchand de pizzas...
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
mais elle cherche à faire de son mieux. Elle écrit désormais sa propre
version, intitulée : « Le Petit Chaperon jaune et ses frères ». Elle a un
frère aîné avec lequel elle a des difficultés relationnelles. L’histoire est
en cours d’élaboration. Elle a intégré la structure du récit, la syntaxe et
le doute orthographique.
Claudia, 9 ans, est en CM1. Elle est d’origine espagnole. C’est une petite
fille au visage doux et timide. Elle est souvent triste et découragée.
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Elle a été scolarisée deux années en Espagne (en maternelle). À son
retour en France, elle a intégré une grande section, l’école a conseillé de
ne plus parler espagnol. Un déménagement a conduit à un changement
d’école (CP-CE1).
Elle situe sa difficulté au niveau de la compréhension de la langue. Elle
n’aime pas le français, et parle espagnol avec ses deux parents. Malgré
tout, Claudia communique volontiers. Elle s’exprime dans un langage
correct, avec un vocabulaire approprié. Sa lecture orale est laborieuse :
elle s’essouffle, fait des inversions. Elle dit n’avoir pas compris et s’en
attriste. C’est la même chose en classe. Elle a peur de mal lire.
Claudia n’a pas de méthodes de recherche pour répondre à des questions
concernant le texte. Elle est bloquée pour tout ce qui concerne la
langue écrite. Expression écrite, grammaire et orthographe ne sont pas
intégrées, au point qu’elle ne peut pas écrire.
La situation d’évaluation entraîne des blocages dès qu’il s’agit de la
langue française. Elle est tendue et résignée. Elle a une inhibition de
la pensée qui l’empêche de raisonner et de réussir. Elle manque de
confiance en elle.
Le Petit Chaperon rouge va venir sauver Claudia, qui connaît cette his-
toire en espagnol. Je possède une version espagnole du conte, traduite
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« Le Petit Chaperon rouge », un conte à lire... et à réécrire
Claudia, 9 ans
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126 P RATIQUER LA PSYCHOPÉDAGOGIE
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Rouge.
Un jour, pendant qu’elles étaient en train de jouer dehors, leur mère les
appelle et leur dit :
« Vous devez aller chez votre cousine qui a la varicelle.
Pourquoi
Pour lui apporter de la soupe.
-?
Et pourquoi de la soupe, pourquoi pas de la galette et un petit pot de beurre ?
Parce que vous savez bien qu’elle ne peut pas manger de la galette parce
qu’elle n’a pas de dents
Et pourquoi pas le beurre
Parce qu’elle fait un régime...
Ah ! Ah ! Ah ! un régime !
Bon, arrêtez de vous moquer et allez lui apporter la soupe avant qu’elle
refroidisse.
D’accord. À plus tard !
Ah ! Les enfants... Méfiez-vous du fou »
Une minute après, elles virent le fou... et le fou leur dit :
« Bonjour
Bonjour
Puis-je savoir où vous allez ?
Nous allons chez notre cousine.
Prenez ce chemin, il est plus court...
D’accord, merci beaucoup... au revoir
Au revoir... »
Une des jumelles dit : « Il a cru qu’il nous a eues... allez courez ! Il faut arriver
avant le fou !
Elles coururent, elles coururent mais, mince ! Le fou est arrivé avant elles.
Une des jumelles dit :
« Dépêchez-vous, il faut aller le tuer avant qu’il mange notre cousine
Allez dépêchez-vous !
1. Pau Estrada, Francesca Boada, Le Petit Chaperon rouge, Éditions Épigones, 1995.
« Le Petit Chaperon rouge », un conte à lire... et à réécrire 127
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FIN
Claudia a gardé ici le fil conducteur, sans s’éloigner du récit initial. Elle
a introduit des éléments originaux : le titre est différent, ainsi que les
héroïnes, au nombre de trois.
Claudia a surmonté sa peur de la page blanche. Le conte a servi de
passerelle entre son imaginaire et la réalité. Le message original s’est
métamorphosé. Elle a introduit des éléments très personnels, sans tou-
tefois altérer le conte original. On trouve des inventions humoristiques.
Aujourd’hui, Claudia aime écrire et elle en est fière. Reste à améliorer
l’orthographe, la syntaxe et le vocabulaire, ce qui fera partie de la
deuxième étape du travail de cette année, alors que Claudia est en CM2.
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Il était une fois, à côté d’une grande forêt, une petite maison. De l’autre côté
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de la forêt, il y avait une ville. Dans la petite maison, il y avait un petit garçon,
sa maman et une grand-mère.
Un jour, le petit garçon alla faire les courses. En chemin, il rencontre un loup :
- « Où vas-tu comme ça, lui demande le loup ? ».
- Je vais acheter du gruyère, des pâtes et du jus de tomate, en ville.
- Pourquoi ?
- Oh non, pour rien...
Et le loup s’en alla.
- C’est louche, je vais le suivre... »
Le loup s’était caché derrière la maison.
Pensant qu’il voulait lui faire une farce, il repartit faire les courses.
On surnommait ce garçon, le Petit Chaperon rouge car il était ceinture rouge
de karaté.
Quand il rentra, il retrouva le loup (il avait pris du bide), et comprit immédiate-
ment qu’il avait mangé ses parents. Il lui donna alors un gros coup de poing
dans le ventre et lui fit cracher sa mère, sa grand-mère et le marché de la
semaine qu’il avait aussi mangé.
Il l’obligea même à devenir un chien de garde et ils vécurent heureux (sauf le
loup).
Pour conclure...
"
Les trois premiers exemples cités sont des filles. Sans avoir fait de
véritables statistiques, je peux dire qu’au fil des années, et selon mon
expérience, l’histoire du Petit Chaperon rouge attire plus les filles que
les garçons, qui iront plus spontanément vers les Trois Petits Cochons.
Elles sont toutes les trois d’origine étrangère et connaissent bien cette
histoire. Elles en ont eu connaissance soit dans leur famille soit à l’école.
Elles en ont gardé un souvenir positif. Toutes les trois ont eu les mêmes
« Le Petit Chaperon rouge », un conte à lire... et à réécrire 129
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peuvent passer à « autre chose »... Ils sont capables de parler de l’au-
teur, de donner un point de vue sur le contenu et sur le style. Ils ont
développé leur imaginaire et leur esprit critique.
Chapitre 7
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Quand la psychopédagogie s’appuie sur le jeu
P RÉCÉDÉEpar ses parents, suivie par son frère de deux ans son cadet,
une fillette aux yeux hagards entra, un matin, dans mon bureau du
CMPP :
« Bonjour, la psychologue nous a dit de vous voir pour notre fille qui
parle mal. Quand elle était dans mon ventre elle a attrapé le « mauvais
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R ENCONTRE ...
Envoyée quelques mois plus tôt par l’école (moyenne section de mater-
nelle) au CMPP, pour un retard global des acquisitions et de graves
difficultés de compréhension, Binta était aussi suivie dans un hôpital
132 P RATIQUER LA PSYCHOPÉDAGOGIE
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praxiques. Le graphisme comme le langage correspondait à 3 ans.
L’évaluation neuropsychologique mettait donc en évidence un retard
global du développement psychomoteur, ainsi qu’un trouble langagier
massif versant expressif et réceptif. L’hôpital proposait alors un main-
tien en moyenne section, avec probablement, une orientation en fin de
maternelle vers une institution spécialisée.
Lors du bilan orthophonique que j’ai pratiqué suite à notre première
rencontre, j’ai pu remarquer que Binta possédait tous les phonèmes.
Cependant, spontanément, elle jargonnait d’une voix étrange, « d’outre-
tombe ». Écholalique, elle répétait, de façon très simplifiée, agram-
matique, toutes les questions que je lui proposais, en me regardant
bizarrement. Par contre elle aimait jouer, manipuler, agencer person-
nages et objets... Rester seule avec l’adulte ne l’ennuyait pas du tout
et les éclats de rire étaient fréquents.
C’est au cours d’une réunion de synthèse que la consultante a présenté
Binta. La psychomotricienne et moi-même avons présenté nos bilans
respectifs. Une longue discussion avec l’équipe s’en est suivie. Devant
la gravité du tableau, il a été décidé qu’en plus d’un suivi en ortho-
phonie, Binta bénéficierait d’un travail avec une psychomotricienne,
et participerait à un groupe contes mères-enfants (il s’était avéré que
les relations mère-fille étaient tendues, la mère ne sachant comment
« gérer » sa fille).
Binta, à la découverte de soi 133
Pendant un an, nous nous sommes vues une fois par semaine. Chaque
séance offrait une nouvelle perspective, tant Binta était avide d’échanges...
Ce qui m’a d’abord déstabilisée fut donc sa voix, d’une raucité un peu
effrayante et ses yeux, qui pouvaient me regarder sans me voir... Elle
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me faisait penser à un petit animal désemparé !
Nous avons beaucoup sauté, dansé en soufflant, en émettant des lalla-
tions variées, en chantant et en riant. Après plusieurs mois de ce régime
enjoué et sautillant, sa voix s’est adoucie, devenant chantante ! Elle a
commencé à répéter des mots, mais les phrases restaient jargonnées,
inintelligibles, provoquant chez elle de grosses colères et d’importantes
bouderies, car Binta n’acceptait pas d’être « incomprise » et de ne
pas réussir ce qui lui était demandé. Omnipotente, elle supportait mal
de ne pas maîtriser ce qu’elle souhaitait, ce qui donnait l’impression
qu’elle comprenait uniquement ce qu’elle voulait (ou était-ce ce qu’elle
pouvait ?)
Assez vite, il m’est apparu qu’elle manipulait correctement les notions
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racontait à tout ce petit monde. C’était comme si elle s’identifiait à l’un
des participants et pouvait comprendre à travers lui. Le premier conte
qui l’a marquée (et qui reste à ce jour une référence entre nous) est Le
Petit Chaperon rouge.
C’est ainsi qu’évolua notre première année de travail. Nous avions pu
nous rencontrer, car j’avais essayé de la rejoindre : nous avons tout agi
ensemble. J’ai fait resurgir la fillette restée en moi pour jouer, crier,
chanter, bousculer, chambouler, tout en restant une adulte à l’écoute
et au regard « bienveillants », structurants. J’ai essayé de lui apprendre
à jouer en tenant compte de l’autre, ce qui a peut-être permis à Binta
de s’identifier à moi et d’associer sa voix à la mienne.
Binta est passée en grande section. Des réunions avaient lieu entre
le Centre et l’école, qui notait des progrès très encourageants. Régu-
lièrement, en réunion de synthèse, nous discutions avec les différents
membres de l’équipe et tous les intervenants (consultante, psychomo-
tricienne et animatrices du groupe conte) de cette fillette inquiétante
et surprenante à la fois.
Binta, à la découverte de soi 135
À la demande de Binta, l’année suivante fut axée sur les livres. Nous
avons « épluché » tous les Petit Ours Brun du bureau : je les lui lisais
régulièrement, puis elle les a racontés aux poupées et à moi, ensuite
elle les a dessinés. J’ai appris, peu de temps après, par ma collègue
psychomotricienne, que Petit Ours Brun servait de support à des jeux
symboliques, initiés par Binta, lors des séances de cette période ! Binta
a souhaité, aussi, écouter des cassettes en suivant l’histoire illustrée
sur un album. C’est ainsi que nous avons découvert ensemble une autre
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version du Petit Chaperon rouge, Boucle d’Or et les trois ours, Le Chat
Botté. Ces récits ont été écoutés et réécoutés jusqu’à ce qu’elle les
connaisse pratiquement par cœur !
Parallèlement à cet intérêt croissant pour les mots, Binta développait
une parole plus précise et un langage mieux construit : des phrases
simples apparaissaient spontanément et le jargon disparaissait... Elle
commençait à se faire comprendre et s’en réjouissait.
Par contre, les moments de bouderies, parfois accompagnés de larmes
de rage, persistaient, en particulier lorsque je lui posais des questions :
Où ? Quand ? Comment ? et surtout Pourquoi ? semblaient la terroriser,
la laissant sans voix et désemparée.
Vivait-elle mes interrogations comme des intrusions ? Toujours est-il que
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choses » ensemble. La psychomotricité est restée à deux séances par
semaine. L’orthophonie est passée à deux séances par semaine, pour
renforcer les acquis. Les consultations ont continué régulièrement.
pour, ensuite, les intégrer et, peut-être, les réutiliser ; c’est en discutant
avec l’équipe que ces constats me sont apparus.
Parfois, le regard d’incompréhension que me lançait Binta face à des
mots courants (qui ne pouvaient prendre sens pour elle, puisqu’elle
ne les associait à aucune image de son stock lexical : elle n’avait pas
de références) me laissait sans voix, dans un sentiment d’impuissance
(ce qui m’a aidée à m’identifier à elle lorsqu’elle ne pouvait suivre mes
explications).
Ayant fait part à mes collègues de ma difficulté à réaliser ce qui se
passait, j’ai pu prendre du recul et aborder plus sereinement la situation.
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Comme j’étais plus détendue et confiante, Binta s’est montrée plus
ouverte et capable d’appréhender des notions plus complexes. Je lui ai
proposé de jouer avec les différences, les oppositions, les contraires.
Nous avons utilisé tout ce qui nous entourait, tout ce qui pouvait se
voir, se toucher, s’entendre, se sentir, etc. Tous les sens ont été exploités
et nous avons beaucoup ri !
Elle a demandé à dessiner pour mieux se souvenir et, régulièrement, nous
observions ses productions, qui devenaient des références. Parallèlement
à ces mouvements, elle me montrait qu’elle avait saisi le mécanisme de
la combinatoire et appréciait vraiment cet apprentissage de la lecture.
Ce qui m’a totalement déconcertée fut qu’elle sut rapidement déchiffrer
des mots simples, sans leur donner aucun sens : c’était comme un jeu
où il fallait assembler des lettres pour obtenir de jolis sons et se faire
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L ES COULEURS - FILLES
ET LES COULEURS - GARÇONS
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deux des couleurs, et bon espoir quant à la suite de nos rencontres.
Une des périodes les plus ardues a été l’élaboration de puzzles et
l’agencement d’images séquentielles. Binta était perdue devant quelques
pièces, il m’a fallu un petit moment pour réaliser que c’était de les
voir mélangées qui la « torturait ». Le désordre l’inquiétait, la mettant
peut-être face à son manque de structure, d’assise ?
Nous avons donc d’abord observé le bon ordre à suivre, nous l’avons
plusieurs fois reproduit ensemble ; une fois l’ordre mémorisé, elle a pu
s’organiser seule, sous mon regard « bienveillant ». Rassurée, elle a
tenté et retenté jusqu’à maîtriser cette nouvelle situation.
À cette époque, elle avait l’habitude de classer les feutres par couleurs-
filles (claires) et couleurs-garçons (foncées). Cet agencement semblait
lui apporter un soutien réconfortant. Peu à peu, nous les avons fait
jouer ensemble et donc mélangé, mais il fallait toujours les ranger
à l’identique et les retrouver ainsi. Ce rangement obsessionnel, mais
structurant car rassurant, a permis plus tard d’associer les feutres par
paires (masculin-féminin), puis de passer à autre chose !
Les images séquentielles, de leur côté, nous ont procuré de nombreux
maux. À nouveau, je ne comprenais pas ce qu’elle ne comprenait pas.
Face à deux images relatant une situation progressive, Binta ne savait
que faire, ne saisissant ni la consigne, ni mon attente. J’avais beau
agir devant elle et avec elle, commenter, illustrer (la construction d’une
maison, étape par étape, par exemple), elle restait bouche bée...
Binta, à la découverte de soi 139
Alors nous avons bâti ensemble plusieurs petits objets nécessitant peu
d’étapes, pour matérialiser les notions avant-après, d’abord-ensuite, en
premier-en deuxième... Tant que nous manipulions, que nous étions
dans le concret, Binta semblait comprendre. Dès que les notions étaient
plus abstraites (mettant en scène des animaux, des personnages) et
qu’il fallait organiser de petites histoires, tout s’effondrait.
J’ai donc décidé de la laisser tranquille avec ça et de reprendre plus
tard.
Nous avons terminé cette année de CP autour de jeux de mémoire en
tout genre, car il s’est avéré que Binta retenait parfaitement les lettres
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et les chiffres, mais qu’elle ne parvenait pas à les utiliser à bon escient...
Nous avons beaucoup créé de paires à retenir, à transformer, à associer,
à réunir, à faire et à défaire pour saisir la « permanence de l’objet ».
Quand j’ai rencontré la mère, avant les grandes vacances, nous avons
discuté du bien-fondé du maintien de Binta en CP, proposé par l’école
(et soutenu par l’équipe) non seulement pour consolider ses acquis,
mais surtout pour qu’elle apprenne à comprendre ce qu’elle lisait et pour
affiner la transcription écrite, le tout manquant d’autonomie.
Comme « devoirs de vacances », j’ai proposé que sa mère verbalise le
plus possible, pour Binta, ses actions et nomme tous les objets et
situations du quotidien. L’idée l’a intéressée, et elle a dû s’y atteler,
étant donné les changements à la rentrée suivante !
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Pour son nouveau CP, Binta a bénéficié d’une AVS (Auxiliaire de Vie
Scolaire), du fait de sa difficulté à penser seule. Un PPS (Projet Personnel
de Scolarisation) a été établi.
U NE NOUVELLE ANNÉE DE CP
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tait d’affronter ! Elle acceptait aussi plus aisément mes questions, sauf
« Pourquoi ? », qui continuait de la persécuter.
Cette année-là a beaucoup tourné autour de l’écrit, car Binta s’était
découvert une réelle passion pour la lecture et l’écriture (jolie, assez
régulière, aux lettres bien formées). Ce qui restait surprenant était sa
difficulté à donner sens aux mots.
Un nouveau rituel a été instauré (Binta maîtrisant la date et mieux le
temps, le précédent rituel avait cessé) : à chaque séance, elle lisait « le
mot du jour » sur un calendrier pour les 5-6 ans, et l’illustrait, après
avoir essayé avec moi de le comprendre. Cette démarche lui a demandé
de gros efforts, car elle ne pouvait se représenter le mot s’il n’avait
aucune réalité pour elle, si elle ne l’avait jamais vu, ni touché, ni senti...
Nous avons donc essayé de « faire vivre » pour Binta le plus d’objets,
personnages, animaux, possibles, pour lui permettre de les matérialiser
et les mémoriser, développant ainsi son stock lexical et imagier. Nous
avons beaucoup plus joué qu’auparavant, avec de nombreux jeux dits
pédagogiques, déductifs, logiques, demandant peu à peu une démarche
plus abstraite. Je tentais ainsi d’approcher conceptualisation et symbo-
lisation.
Évidemment, les récits continuaient de ponctuer nos rencontres. Je
lui ai proposé quelques contes africains réunissant une belle variété
d’animaux sauvages, que peu à peu elle a semblé repérer et retenir. Mais
ses histoires préférées sont restées les contes de fées !
Binta, à la découverte de soi 141
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ou agir seule, la panique bloquait tout...
Nouvelles réunions avec les collègues, nouvelles remises en question...
Comment l’étayer pour l’aider à acquérir une certaine autonomie de
pensée ? Je me sentais démunie car j’avais la sensation que tous les
intervenants déployaient le maximum pour obtenir ce processus. Il
fallait être patiente, le moment n’était pas venu, Binta n’était pas
encore prête. En effet, elle « revenait de loin » et fournissait déjà de
magnifiques efforts pour avancer. Elle y parvenait, mais à son rythme.
L’école confirmait des progrès réguliers à tous les niveaux, sauf pour
travailler de façon autonome. Binta osait lever la main pour intervenir
à plus ou moins bon escient. Elle avait de plus en plus de camarades,
avec qui elle établissait des relations durables (le groupe thérapeutique
avait lieu une fois par semaine, offrant de l’assurance à Binta quant à
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D ES MOTS EN IMAGES
J’ai proposé à Binta d’imaginer des histoires. Je pensais ainsi lui per-
mettre d’être plus à l’aise avec ses idées et de développer son imaginaire.
Elle a choisi ses copines et copains pour reprendre des évènements réel-
lement vécus à l’école. Elle s’est aussi racontée dans le métro avec son
142 P RATIQUER LA PSYCHOPÉDAGOGIE
frère et son père. C’est ainsi que j’ai découvert qu’elle connaissait prati-
quement par cœur la plupart des stations des lignes du métro parisien.
Elle a pu m’expliquer que le week-end, elle parcourait Paris avec son
frère et son père. Elle m’a décrit certains monuments observés lors de
ces promenades, très importantes pour elle, car répétitives, ce qui lui
fournissait des repères structurants et rassurants.
Elle avait vu, donc elle pouvait imager ses propos, qui prenaient sens.
Par contre, lorsque je lui ai proposé d’inventer sa version du Petit Cha-
peron rouge, elle n’a pas réussi à se détacher de l’histoire tant connue !
Je n’ai pas insisté...
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J’ai aussi tenté les associations d’idées, notées sur le tableau (je me suis
inspirée de « la méthode des séries », créée par C. Chassagny). Nous
partions de sons complexes (OU, ON, OI, AN...) et devions chacune écrire
un mot le contenant. Il a fallu du temps et des astuces pour que Binta
saisisse la consigne, puis lorsqu’elle a compris, elle a pu s’organiser et
trouver de nombreux mots bien adaptés.
Ensuite, nous avons compliqué la démarche : un mot devait nous faire
penser à un autre. De la même façon, après le temps de réflexion requis,
Binta a pu montrer ses connaissances. Le stock lexical, toujours pauvre,
ne cessait cependant de s’enrichir.
J’ai pu noter que, lorsqu’une notion avait été énormément travaillée, elle
était bien intégrée et pouvait être réutilisée dans différents contextes.
En fait, encore actuellement, plus les explications sont précises, claires
et répétées, plus Binta se sent rassurée, à même de mémoriser pour
maîtriser. Des exercices variés, fréquemment repris, ont permis à Binta
d’oser faire seule et de réussir des consignes très simples vues et revues.
Malgré tout, face à toute nouveauté, Binta « bloque » toujours...
Cette année du CP a été plus cadrante car en classe, cette fillette, à
l’assurance fragile, a repris des notions déjà travaillées l’année pré-
cédente et a constaté qu’elle pouvait réussir à lire et à écrire (elle
développe un sens de l’orthographe inattendu !), même si elle a encore
besoin du soutien de l’adulte. En séance, elle est apparue plus confiante,
Binta, à la découverte de soi 143
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fait diversion en interrogeant sur un détail physique, vestimentaire ou
sur la vie personnelle de son interlocuteur ! Malgré le fait qu’il soit
nécessaire de tout expliquer dans les moindres détails, elle commence
à accepter échecs, contraintes et frustrations, sans pour autant se
sentir déstabilisée et bouder... Le langage est mieux organisé, mais la
construction syntaxique est peu élaborée.
Le CE1 apportera son lot de nouvelles « souffrances », mais aussi tant
de satisfactions, car il n’y a pas de raisons de ne pas continuer de croire
en Binta et en ses capacités à rebondir et à retomber sur ses pieds,
comme le petit chat perdu auquel elle a ressemblé un temps...
Lors de notre dernière rencontre, avant les vacances d’été, avec Binta
et sa mère, celle-ci a noté des progrès constants à la maison comme
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Binta a bien suivi le récit de sa mère et a voulu lui montrer tous les
beaux dessins réalisés cette année : quelle fierté nous avons ressentie
toutes les trois... À ce moment, il m’est apparu que la rencontre entre
Binta et moi avait pu « porter tous ces fruits » grâce au jeu complexe des
identifications qui n’a cessé d’agir entre nous. En effet, selon Laplanche
et Pontalis :
« La personnalité se constitue et se différencie par une série d’identifica-
tions. » Ils définissent l’identification comme un « processus psycholo-
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gique par lequel un sujet assimile un aspect, une propriété, un attribut
de l’autre et se transforme, totalement ou partiellement, sur le modèle de
celui-ci1 . »
Binta, 4 ans
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Binta, 4 ans
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Binta, à la découverte de soi
Binta, 7 ans
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Chapitre 8
À la recherche de Claudia
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Quand la psychopédagogie s’appuie sur la famille
Colette Boishus
est en retrait dans les activités et n’ouvre pas la bouche en classe ; elle
a d’ailleurs du mal à parler, en français comme en portugais, la langue
de ses parents.
Le bilan orthophonique aura lieu peu de temps après son arrivée au
Centre. La consultante me l’enverra après une première rencontre, car
les difficultés de langage de la fillette paraissent être au premier plan,
entravant la passation du test Terman-Merril qui lui avait été proposé
au cours des premiers entretiens.
Elle a quatre ans et un mois lorsque je la vois pour la première fois, elle
est scolarisée en moyenne section de maternelle. C’est une jolie petite
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fille aux yeux noirs et aux cheveux bruns tout bouclés ; elle ressemble
à une poupée.
1. Voir l’article de Zoé Ivanov, « Le poids de la famille dans les troubles du langage
orale et écrit », in Revue des Amis du Centre Claude Bernard, n° 1 « Amour, haine et
connaissance ».
À la recherche de Claudia 155
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à qui on donne du pain).
Peu à peu, pourtant, apparaissent de petites structures syntaxiques :
[sékuasa] (c’est quoi ça ?), toujours à voix chuchotée, en écho à mon
ton de voix ou bien [sécho] (c’est chaud) au jeu de cache-tampon...
Après deux mois de suivi, Claudia se met à pointer. Lorsqu’elle ne fait
pas le geste avec l’index, je sens qu’elle fixe son regard vers les objets
convoités. Elle prononce quelques mots spontanément, très clairement
en situation de jeu : [moi], [papa], [adir] formulé pour appeler son
frère « Frédéric », [vache], [un chat].
Après six mois, j’entends de nouvelles petites structures : [deux] et
[tuseul] (toute seule), en réponse à ma question lorsque je lui demande
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Nous avons mis en place un jeu de dînette avec les poupées. Elle
commence à reprendre quelques mots pour son propre compte et à
répondre à mes questions lors de l’installation du repas. J’initie des
activités de tri : « On range tout ce qui va ensemble » pour organiser
un « espace à penser ». On appréhende les notions de « tous les »,
« toutes les », les « uns »... On établit des catégories dans le jeu à
travers le nourrissage des poupées. Elle prend les assiettes, les porte
jusqu’à la table et je commente : « Pour qui ? Pour elle ? Pour lui ? Il en
manque ? Combien ? Beaucoup ?... » Parce que parler, c’est établir des
relations, catégoriser des éléments distincts et identiques, on fait sans
cesse des allers et retours entre les objets en extension (les « uns ») et
en compréhension (le tout). Au cours d’une des séances, Claudia a une
attitude de sidération quand je lui pose la question « pour qui ? » alors
qu’elle a mis une assiette au hasard sur la table et que les poupées ont
une place bien localisée ; elle arrête son geste de couper du papier et
comme je continue à jouer, elle se montre capable de se récupérer dans
le mouvement et de poursuivre en réorganisant.
De temps en temps, avec des lueurs dans les yeux, elle me montre son
collier ou son bracelet...
Ce jeu va occuper plusieurs séances. Au bout de quelque temps, Claudia
peut répondre à certaines questions comme : « qu’est-ce qu’on met
maintenant ? » : « les verres ! » dit-elle tout en allant chercher direc-
tement le nombre d’objets requis, alors qu’auparavant elle les prenait
À la recherche de Claudia 157
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Après une séance, une fois arrivée dans la salle d’attente avec sa mère,
elle lui fait part de mon absence la semaine suivante. C’est la première
fois qu’elle fait ainsi des liens verbaux en ma présence hors du bureau.
Je me demande alors si, a contrario, elle arriverait bientôt à apporter
des thèmes de l’extérieur en séance.
Claudia commence à bien différencier le rôle de chacune de nous dans
le jeu : « moi, je fais ceci, toi, cela ». Sa mère dira qu’elle « sort » des
mots qu’elle n’avait pas l’habitude de lui entendre dire.
Pourtant, au cours des mois qui suivent, les quelques mouvements
d’avancée alternent avec des phases de régression sur le plan du lan-
gage. Brusquement, sans aucun signe qui puisse en expliquer la raison,
je n’entends pratiquement plus sa voix. Est-ce un retour de l’inhibition ?
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I NQUIÉTUDES ET PESSIMISME
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différé. On introduit le sablier pour marquer la durée de cuisson des
plats. J’essaie de l’impliquer en lui demandant de surveiller le processus :
« tu surveilles, tu me dis quand c’est cuit ! » Elle ne dit pas encore « ça
y est ! » mais vient me chercher en me montrant le sable qui est tombé.
On a placé une boîte ouverte avec couvercle pour symboliser le four
et sa porte. On a posé dessus une casserole de papier effrité dans un
détournement des objets où le « faire-semblant » prend peu à peu sa
place pour Claudia. Je m’aperçois qu’elle regroupe par catégories les
assiettes, les verres et je reformule après son rangement en glosant les
actions dans notre scénario. De temps en temps, je demande : « On doit
ranger quoi maintenant ? » Elle ne me répond pas toujours et utilise
encore rarement la parole spontanée pour communiquer. Elle montre ou
exécute une action, fait « oui » ou « non » de la tête.
Je m’aperçois que Claudia est de plus en plus intéressée par la trace car
elle cherche à écrire, dès son arrivée, son prénom au tableau, du moins
les premières lettres, sans doute à la manière de ce que l’on cherche à
lui faire faire en classe et je l’invite à terminer son mouvement. Nous
sommes alors à la fin du premier trimestre de grande section.
Au retour des vacances de Noël, Claudia est à nouveau très inhibée. Elle
présente des difficultés multiples dans la compréhension des consignes,
la symbolisation, le repérage des formes, le schéma corporel, et dans
les perceptions diverses... Elle reste souvent sidérée devant la tâche et
semble perdre tous ses moyens.
À la recherche de Claudia 159
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effectif. Suspectant un trouble grave (déficit ? dysphasie ? problème
neurologique ? psychose ? traits autistiques ?), je sollicite l’intervention
du médecin responsable de notre équipe. Un bilan serait-il nécessaire
en structure hospitalière ? Indépendamment du problème de langage,
elle ne construit pas les concepts du nombre, ne mémorise pas les
constellations numériques, est incapable de suivre dans l’espace du plan,
ne retient pas les propositions et semble avoir des persévérations.
Plus tard, devant la réapparition d’otites à répétition, son pédiatre
l’enverra à l’hôpital Trousseau pour passer des PEA (Potentiels Évoqués
Auditifs) qui ne révéleront aucune anomalie auditive.
À la fin de l’année scolaire, elle ne repère pas les symboles des chiffres
écrits lorsqu’on les lui nomme mais par contre elle peut repérer l’image
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Claudia est dans le schème « remplir » au niveau du graphisme, ou
plutôt « mettre dans ». Mon hypothèse de travail par rapport à l’espace
à penser (cf. Lydie Morel, orthophoniste, formatrice à Cogi-act) est la
suivante :
! Réitérer du même (mettre dans, remplir) avec des collections ; ma
préoccupation est toujours d’aider Claudia à construire le nombre.
Je commente : « un, un, un, encore ! »... Elle peut le dire quand moi je
fais. Elle transverse d’une coupe à l’autre le tout. Elle peut remplir et
s’arrête maintenant quand c’est plein en disant « on peut pas ! ». Elle
a des réactions d’émotion. Par exemple, elle rit quand ça déborde ou
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s’esclaffe, ce qui me rassure sur ses capacités émotionnelles. Ensuite il
y a répartition dans différentes boîtes pour ranger. Nous jouons pour
lier la notion à l’expérience et au mot. Ainsi sont appréhendés « un,
beaucoup, peu... », qu’elle semble saisir.
C’est alors que Claudia m’apporte un jour son livre de lecture. Là encore,
elle ne peut que répéter les mots après moi en regardant les images, en
écholalie. Elle cherche à s’accrocher à ma parole pour répondre quand
je lui pose des questions sur les personnages de son livre, mais elle ne
comprend pas le sens de la plupart des mots de l’histoire. Elle n’associe
pas les sons et elle est incapable de les isoler. Elle a du mal avec les
signes, ne mémorise pas non plus les mots appris globalement. Les
chiffres sont produits à l’envers, elle est incapable de les interpréter.
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Elle reproduit des suites de signes sans sens. Elle ne peut organiser une
histoire. Je me dis que vraiment, une séance par semaine est bien trop
peu ; mais les aménagements horaires ne sont pas simples pour mettre
en place une deuxième séance.
Par ailleurs, elle commence à partir en me disant : « à demain ! » pour
« à la semaine prochaine ! » comme si la conscience d’une temporalité
commençait à poindre. Elle dit « merci » en prenant quelque chose que
je lui tends. Elle répète après moi : « à samedi ! ». Elle commence à
utiliser des verbes non encore actualisés : « ouvrir ! », me dit-elle, en
me tendant le sac de coton... Ou bien encore elle dit : « on mange ! », je
réponds : « qui est-ce qui mange ? », « moi ! » dit-elle et je reprends :
162 P RATIQUER LA PSYCHOPÉDAGOGIE
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À la fin d’une séance, je demande : « qui est-ce qui range ? » ; elle :
« pas moi, [è] toi ! » ou encore : « ça [è] poubelle, ça pas [è] pou-
belle ! ».
Claudia commence à prendre des initiatives et même à devenir provo-
catrice dans ses actes : elle veut ouvrir ma colle dans la boîte sur un
mode de défi, ou bien me dit : « non, je veux pas ranger, toi, range ! ».
Après toute une phase où est engagée notre personne (jeu de la maî-
tresse et des élèves), je remarque des séquences phrastiques de plus
en plus longues, par exemple : « on peut écrire au tableau ? ». Et là,
elle énonce la comptine numérique « 15, 16, 17, 18, 15, 16 » mais en
voulant écrire 26, elle trace 8 et le lit 8.
Le « elle » et le « je » apparaissent de temps en temps même si l’articu-
lation du [j] d’attaque est iodée [yéfas] pour « j’efface ».
On commence à travailler les voyelles. Elle est très déroutante avec les
sons car elle n’arrive pas à les lier. Elle est encore dans le sensori-moteur,
s’amuse à superposer les lettres mobiles et à les faire passer sous la tige
de la boîte qui les contient ; il n’y a pas de permanence des sons quand
on a découpé les mots en syllabes et que l’on cherche à les recomposer.
À la recherche de Claudia 163
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préconisait d’intensifier les séances d’orthophonie (ce que nous avions
déjà évoqué avec la mère de Claudia) et recommandait la méthode
Borel que j’avais déjà abordée. J’avoue que, si cette consultation n’avait
pas apporté d’éléments particulièrement éclairants, elle avait au moins
permis, aux yeux de la famille, d’introduire un regard tiers et de confor-
ter l’entourage comme les soignants dans l’idée de la nécessité d’un
traitement plus intensif et multifocal.
Les entretiens avec la psychologue consultante sont passés, déjà depuis
quelques mois, à un rythme hebdomadaire. Nous avons enfin pu mettre
en place les deux séances d’orthophonie par semaine, avec une sorte de
contrat par lequel la maman s’engage à participer régulièrement à l’une
des deux séances autour de l’apprentissage de la lecture.
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Après plus de deux ans de suivi, je n’ai encore jamais rencontré le père,
la consultante non plus d’ailleurs...
Cet élément fondamental de la participation de la mère dans le dispositif
semble avoir un impact très dynamisant pour Claudia, comme si, tout à
coup, la fillette se sentait vivre dans le regard de sa mère. Claudia me
paraît davantage dans le lien en présence de cette dernière. Elle peut
prononcer des phonèmes devant elle, commence à opérer des relations
de sens syllabe/mot et énonce de plus en plus de termes en accord
avec la situation du moment. La mère elle-même m’interroge parfois sur
le vocabulaire que nous rencontrons, ou sur celui que la maîtresse est
amenée à utiliser devant les parents. Par exemple, elle me demande un
164 P RATIQUER LA PSYCHOPÉDAGOGIE
jour ce que veut dire le mot « transcription », n’osant sans doute pas
poser la question en public. J’ai le sentiment, tout à coup, que ce qui
profite à la fille peut profiter aussi à la mère.
La situation n’est pas pour autant résolue. Malgré les progrès dans
quelques domaines, Claudia montre, encore souvent, un réel manque de
motivation et de grosses difficultés de différenciation des phonèmes
auditivement ou visuellement proches, présente de nombreuses ten-
sions corporelles avec une grande maladresse de la motricité fine et des
problèmes importants dans l’espace.
Elle est muette avec le médecin homme qui a repris les consultations,
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mais en séance avec moi elle se déride et sort de son inhibition. À
six ans et demi, elle utilise enfin, spontanément et systématiquement,
le pronom personnel « je » pour parler d’elle-même, et peut émettre
une phrase bien construite : « je regarde les images ». Je m’interroge
toujours sur sa structure psychique ; s’agit-il d’une inhibition ou, comme
le pense le médecin de l’équipe, les séquelles d’une dépression grave de
la petite enfance ? La mère avait confié à la consultante son sentiment
d’avoir délaissé Claudia bébé, dans son berceau transporté chez ses
employeurs alors qu’elle s’occupait de leurs enfants dont elle était la
gouvernante... Elle s’interrogeait sur les répercussions qu’auraient pu
entraîner ce « délaissement ». Nous avons peu d’éléments, par ailleurs
sur les débuts de vie de l’enfant, les circonstances de sa naissance et
l’histoire familiale.
Claudia a des difficultés dès qu’il faut se contraindre un peu pour orga-
niser les lettres et lâche au bout d’un moment. Quand quelque chose
l’énerve, elle se braque, mais moins qu’avant ; parfois, elle repousse ma
main brusquement.
Elle reconnaît enfin la syllabe « clau » comme la première syllabe de
son prénom mais elle ne respecte pas l’espace entre les mots qu’elle
transcrit, confond les écritures scripte et cursive et semble ne pas
avoir conscience des limites de la ligne. Le signe paraît ne pas avoir
encore pris valeur de sens. Souvent, elle commet encore des maladresses
syntaxiques qui l’entravent considérablement dans son expression orale.
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Ma proposition de travailler la lecture en présence de la maman émane,
entre autres, de l’idée que celle-ci puisse se saisir de certains outils
lors d’une des séances de Claudia pour les reprendre éventuellement à la
maison avec l’enfant, s’ils s’avèrent stimulants pour elle. La deuxième
séance, où Claudia est seule avec moi, fait plutôt l’objet d’un travail
en deçà de la lecture, davantage sur les « structures de pensée » en
particulier liées à la logique et au nombre.
Claudia est considérablement aidée, me semble-t-il, par une rééducatrice
en psychomotricité du RASED (Réseau d’Aides Spécialisées aux Élèves en
Difficulté) qui l’a beaucoup investie. Ses difficultés persistent cependant
à la fin de son deuxième CP d’adaptation.
Elle commence à s’intéresser, malgré tout, aux jeux de société (dames,
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différenciation des signes qu’elle commence à intégrer pour construire
l’oral, car elle dit de plus en plus de petites structures bien différenciées,
et repère aussi progressivement les différences de formes des lettres
visuellement similaires. Elle dit maintenant : « il est là le a ! » ou « c’est
pas a ».
Claudia me parle de son père pour dire qu’il ne sait pas lire au moment
où je lui dis que je l’ai invité à venir en séance. Elle se montre alors de
plus en plus persévérante, pose des questions et s’applique à l’oral. Elle
se désinhibe beaucoup, me fait part de ses impressions sur les choses.
Elle demande quel jour on est, si c’est le lendemain qu’elle revient...
Elle semble confondre « demain » et « hier », demande si samedi, c’est
« après-demain ». Cherche-t-elle à entrer dans le code commun, à se
socialiser ?
On joue à des jeux de société avec la mère en séance (jeu de l’oie,
dominos...). Madame dit que Claudia en réclame chez elle et qu’elle a
joué à la maison avec son père et son frère. Elle a gagné la partie.
Elle fait des liens temporels et linguistiques, dit : « Samedi, il y a de
l’école mais pas de cantine. » et écrit : « Moi, j’ai 7 ans ». Sur sa feuille :
« Samedi, c’est que ma maman ».
Claudia connaît très peu de vocabulaire du quotidien, j’insiste auprès
de la mère pour qu’elle lui montre les choses de la vie courante comme
par exemple des aliments. La mère est toujours en train de dire : « Oui
À la recherche de Claudia 167
ça, mon mari, il en mange mais moi et les enfants, on n’aime pas ». Je
dis que même si « on n’aime pas », il est important de leur montrer que
ça existe et de le leur désigner. Il y a d’énormes carences à ce niveau.
Et le père n’est toujours pas venu en séance, il garde le frère qui est
malade. Il y a toujours un prétexte. La mère, elle-même, n’est quelque-
fois pas venue alors que nous l’attendions, sans rien en dire. Claudia
me fournissant une explication : « Maman s’est disputée avec papa ».
Je trouve parfois que le maillage est trop lâche de notre part (mais
aussi peut-être de la leur), car Claudia oublie les feuilles que je lui ai
demandé de compléter avec sa mère à la maison pour avancer, et la
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mère les perd parfois. On fait des allers-retours désignation/ évocation.
Souvent, Claudia lâche tout... La mère ne semble pas toujours être en
mesure d’aider sa fille dans sa quête du monde environnant, par exemple
lui faire goûter de nouvelles saveurs, préparer des choses avec elle, lui
faire découvrir des lieux... J’ai le sentiment qu’il n’y a pas de mots à
portée de Claudia pour dire le monde.
Pour la première fois, alors que je suis Claudia depuis presque trois ans,
le papa participe à la séance de sa fille. Je le lui avais proposé, j’avoue,
alors qu’il ne pouvait pas refuser. Je demande pourquoi sa femme ne
l’a pas suivi alors que je les avais invités tous les deux. Il répond qu’il
ne sait pas. Le père commence par me dire qu’il ne parle pas très bien
français. La mère m’avait dit qu’il était timide comme Claudia. Je lui
réponds que je le comprends très bien. On constate ensemble les progrès
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enregistrer les gestes Borel même s’il les compare aux gestes des sourds.
Je note combien il serait important de reprendre avec eux deux l’image
qui plane du handicap, car ce mot a été utilisé devant eux mais non
connoté dans son sens le plus lourd. La mère discute de l’orientation,
admet la souffrance de Claudia dans une classe ordinaire. Elle peut parler
du négatif et du positif, et elle qui ne voulait pas que sa fille soit suivie
par la rééducatrice en psychomotricité du RASED, va finir par accepter
deux séances par semaine avec celle-ci.
On différencie les liens internes et externes.
La mère parle de l’autonomie grandissante de Claudia qui a travaillé
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toute la matinée seule dans sa chambre. On parle des bons modèles à
donner à Claudia La mère confond les appellations des lettres, elle dit
[ké] pour « k », « q », « c », et s’en rend compte.
Claudia veut jouer au loto des odeurs et l’exprime. Elle sait maintenant
utiliser le langage pour mettre à distance l’autre et exprimer ses désirs...
« Tu m’écoutes ! » dit-elle à sa mère qui me parle. Les séances prennent
parfois « une tournure d’alphabétisation » pour la maman qui « digère »
la langue pour pouvoir la transmettre à sa fille et on joue. La mère dit
qu’elle n’avait jamais joué auparavant. Comment réanimer aussi cette
mère pour faire circuler le plaisir au niveau des apprentissages ?
On écrit une lettre au Père Noël. On lit de petites histoires qui com-
mencent à intéresser Claudia. La mère dit qu’elle en a comme celles-ci,
à la maison, comme si elle découvrait l’intérêt de tout cela, tout à coup.
La mère parle beaucoup de son mari, tout à coup, qui la conseille ou
fait travailler Claudia. On continue l’histoire en y introduisant du mime.
On fait des petites recherches sur les ours... Et Claudia m’apporte un
jour, son propre livre de Boucle d’or pour que nous terminions de lire
l’histoire que nous avions commencée la fois précédente. Le mot décodé
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à un rythme moins soutenu car Claudia va mieux. La mère, cependant,
accepte l’idée que le passage direct en CE1 serait trop dur pour Claudia
Et l’on commence, à l’initiative de Claudia un jeu dramatique autour
du thème de la maîtresse (elle) et des élèves (sa mère et moi). La
mère, à cette occasion, pose des questions sur la langue, les marques de
conjugaison, par exemple. Elle pose aussi la question du nom de famille
de Claudia pas bien défini : elle s’appellerait « Santos » mais dit « Dos
Santos » tout en écrivant « Santos ».
Claudia m’apparaît presque peu à peu comme une fillette de son âge avec
un simple retard de parole et de langage. Elle se comporte normalement,
me parle de sa vie, de ce que son papa lui a acheté... Elle manifeste
beaucoup d’enthousiasme, fière d’avoir bien lu, heureuse des stylos
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qu’elle vient d’avoir, etc. Elle sort peu à peu de l’attitude « schizoïde »
dans laquelle elle s’était réfugiée. Elle s’ouvre au monde des relations.
S’interrogeant sur la matière, elle me demande si mon pull est doux, de
même pour ma bague et elle les touche.
Elle se pose des questions sur mon nom, sur le sien : « Santos » ou
« Dos Santos »? Elle demande si le pot à crayon est « brillant ».
Sa mère, cependant, commence à s’absenter plusieurs fois sans explica-
tion ; c’est Claudia qui m’apprend qu’elle ne sera pas là ce jour-là. Elle
me dit qu’elle est « mal dans sa tête ». Il me semble que ce serait bien
que son papa me dise quand sa maman ne peut pas venir. À ce propos,
170 P RATIQUER LA PSYCHOPÉDAGOGIE
je n’aurai plus jamais de lien avec lui et il ne réussira jamais non plus à
venir voir le médecin de consultation.
Claudia colorie un chien en violet, je lui demande si ça existe, elle me
dit : « Non, ça c’est du faux ! ». Dans le jeu de la maîtresse que nous
poursuivons, même en l’absence de sa mère, elle écrit d’elle-même la
date du jour, elle cherche à recopier des modèles de phrases dans les
livres. Elle dit « regarde les enfants ! » et transpose l’écriture bâton en
attaché.
Elle a maintenant des expressions : « Non, j’écris pas ça, moi ! » ou
« Oh la la, tu m’agaces ! », « t’es pressée ! ». Un [kruk] se corrige en
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un « truc ». Tout à coup, elle dit « dring, c’est l’heure, tu vas à ta
maman ! ». Elle me pose toujours beaucoup de questions, me demande
si le prénom « Simon » est celui d’une fille ou d’un garçon...
La séance suivante, sa mère est à nouveau là. On écrit « absente » sur
la feuille de l’élève « Ana » qui n’était pas là la semaine précédente.
Finalement, la mère a vérifié sur le livret de famille, leur nom est bien
« Dos Santos ». La mère le réécrit sur sa feuille d’élève. C’est comme si la
mère puisait un étayage en lecture qui va l’aider elle-même à s’améliorer.
Sa mère progressant, Claudia peut progresser.
Madame m’annonce un jour qu’elle va se faire opérer de l’utérus et en
même temps se plaint de maux de tête... Claudia, elle, se plaint de
« mal au cœur », elle a faim. La mère dit que Claudia est allée dormir
chez une copine et que, sûrement, elle n’a pas assez mangé.
On lit l’album Les mots de Zaza, où il est question d’une petite souris
qui range les mots sous des cloches en fonction de leur tonalité affec-
tive. À cette occasion, j’apprends à la mère à se servir du dictionnaire.
On commence à classer les mots selon leur registre lexical. Claudia a
beaucoup de mal car cela reste trop abstrait pour elle. Je fais ici un
parallèle avec les difficultés en logique qu’elle rencontre dans tout ce
qui est relations d’ordre et sériations.
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D U PLAISIR À LA DÉSINHIBITION
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nous avons fabriquées en lien avec l’histoire de Zaza. Claudia commence
à expliquer ce qu’elle fera pendant les vacances de Pâques. Elle com-
mence à utiliser les flexions verbales et les temps de la conjugaison.
De plus, elle égrène les syllabes en chaînes et en chantant, elle dit
qu’elle chante seule, puis me demande de chanter seule et avec elle.
Elle me demande si j’ai une flûte ; elle paraît désormais complètement
désinhibée.
Un jour, elle me dit que sa mère ne veut plus aller au Portugal car « la
maison est moche » et que « son frère a vomi ».
Je pense que même si les liens sémantiques ne sont pas toujours appa-
rents, Claudia a maintenant davantage de structures syntaxiques et aussi
davantage de contenus lexicaux. J’ai l’impression qu’elle profite, en dif-
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faire les opérations « avec des bâtons barrés », les soustractions. Les
mécanismes ont été appris et elle ne se trompe pas dans les réponses.
Je m’aperçois qu’en séance, la mère a elle-même parfois du mal à former
les lettres.
Claudia a finalement été orientée en CLIS (Classes pour l’Inclusion Sco-
laire) avec l’assentiment de ses parents, qui commencent peut-être à
mesurer un peu mieux la teneur des difficultés de leur fille.
On commence à fabriquer un « jeu des groupes » (F. Jaulin-Mannoni,
GEPALM).
En numération, elle n’a pas construit la notion de dizaine, comme « 1 »
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différent de celui du « 1 » unité c’est-à-dire un « 1 » qui contient « 10 ».
Pour elle, ce double regard est encore impossible.
Dans le langage, elle a du mal à systématiser la flexion : « un cheval/des
chevaux » ; par indifférenciation, elle dit « des cheval/un chevaux » ou
bien encore : « le vache petit vert ». Et on groupe, dégroupe : lapin,
lapin, pas lapin, pas lapin (tri). Elle peut énoncer : « Voilà ! Tous les
lapins ». Elle peut dire elle-même qu’ils ne sont, par exemple, ni des
vaches, ni des chiens...
Parfois, elle régresse dans le langage : « [mé] partir ? » au lieu de « moi
partir ? » ou plutôt : « Je vais partir ? ».
À propos des mots, lors d’un jeu (« Zoo de papier »), il lui est encore
très difficile d’évoquer les noms des animaux, comme si la mémoire à
long terme faisait défaut.
Avec sa mère, en séance, a propos d’une sortie en famille à EuroDisney,
je propose d’apporter des photos de la sortie que la mère a faites et
un plan du parc pour tenter d’organiser un récit (avant/après, tâche
délicate pour Claudia). Lors de ce récit, la mère répond souvent à la
place de sa fille. C’est moi qui écris pour Claudia. J’essaye de formuler
les idées en langage construit et organisé avec une chronologie.
Un jour où sa femme ne peut pas venir, le père dira qu’il ne veut pas
venir à sa place comme je l’y invitais pour participer à la séance du
mardi, prétextant que Claudia « se sentirait plus à l’aise. »
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La mère commence à se rendre compte sérieusement du décalage avec
les enfants de son âge qui, à 8 ans, savent ajouter 20 + 20 + 20 + 20...
Claudia a énormément de mal, toujours, avec le dénombrement. Elle
compte et recompte sur ses doigts en « pointage/numérotage ».
Un jour, la mère vient avec une demande de la classe, celle de trouver
des mots de la même famille. Elle a besoin de trouver, non seulement le
critère commun d’une classe de mots (logique) mais, en plus, elle a un
stock lexical très restreint, donc elle ne peut même pas s’appuyer sur sa
mémoire. Les structures de pensée et les structures de langage sont en
difficulté.
Claudia a encore des moments de sidération mais a minima.
On parle de sa tante « tata... » et elle est incapable de réévoquer son
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et j’apprends qu’elle dort avec sa mère et son frère dans le lit de la mère
alors que le père dort « au dessus d’eux ». Le père est-il complaisant ?
Madame annonce cela comme un état de fait et dit que son mari pense
que c’est de sa faute à elle si cela se passe ainsi. Claudia se met à fondre
en larmes lorsqu’on évoque qu’à son âge elle devrait dormir seule.
Madame me dit que le père de Claudia trouve qu’elle a un problème de
mémoire : on lui répète, elle ne retient pas et n’évoque pas non plus...
Les parents ont besoin d’accompagnement mais le père n’est jamais
venu aux rendez-vous des consultants. Il se met en colère contre Claudia
car il trouve qu’elle « a mal travaillé ».
La mère, elle, a beaucoup de maux de tête. Je la sens parfois com-
plètement découragée, lâchant prise. Elle me dit un jour, à propos
de Claudia : « j’aurais aimé qu’elle soit quelqu’un ! qu’elle fasse des
études... » J’avoue avoir été très touchée par cette réflexion morti-
fiante proférée en présence de l’enfant. Comment se construire avec
un tel regard porté sur soi ? J’avais pourtant cru moi-même apporter
suffisamment d’investissement, montré suffisamment d’intérêt pour que
Claudia puisse briller et se valoriser aux yeux de cette mère. Je me
trouvais là face à ma désillusion, à mon impuissance et aux limites de
ma fonction. Je venais peut-être d’entrevoir un pan de la dépression
maternelle. Cette mère me livrait là sa détresse, comme une partie d’elle
échappée au grand jour, reflétant probablement l’image perçue de sa
propre personne...
À la recherche de Claudia 175
Les paroles de sa mère semblent glisser sur Claudia qui n’en dit rien.
Mais, est-ce fortuit si, après cet épisode, Claudia me dira qu’elle ne fait
pas exprès de dire « n’importe quoi », se rendant manifestement compte
de l’inadéquation de ses réponses dans le jeu. Elle me dit aussi que son
papa « ne parle pas bien français » puis elle me dit qu’elle n’aime pas
ce jeu. Peu de temps après, Claudia commence à se corriger toute seule,
spontanément, lorsqu’elle se trompe.
La mère me pose des questions sur « l’intérêt de lire des histoires ».
Serait-ce une remise en cause de mon travail ?
Je note que Claudia réussit partiellement à sérier l’escalier de Piaget.
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Elle ne peut insérer les éléments intermédiaires, elle cherche mais ne
réussit pas à comparer un à un et un à tous : elle n’a pas de procédure,
me donne le plus petit de façon perceptive et ne peut justifier son
choix.
Ce sera une période où nous tenterons de sérier dans différents domaines,
en particulier, on reviendra sur le récit de la balade à EuroDisney. La
mère a enfin apporté les photos. Claudia s’en sort bien, je remarque
qu’elle conteste le discours de sa mère.
C’est une période ou l’on va aussi prendre conscience dans des exer-
cices systématiques de l’ordre des mots dans une phrase à l’écrit. Nous
réfléchirons sur la ponctuation.
En présence de sa mère, on lit un album intitulé Voyage au Portugal.
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mieux le scolaire.
Je pense que Claudia n’a pas compris la fonction de la lecture et sa mère
non plus.
À la rentrée suivante de septembre, Claudia entre en CLIS. Elle a 8 ans
et dix mois.
Elle m’explique que sa mère ne peut plus venir car elle doit aller chercher
son frère à l’heure de la séance. Elle me dit qu’il y a dix élèves dans
sa classe, et elle sait qu’il y a deux garçons. Il lui est impossible d’en
déduire le nombre de filles. On représente sa classe, elle en fait le plan.
Elle veut lire un texte de son livre de lecture où elle n’a quasiment rien
compris.
Claudia commence à exprimer ses envies, c’est nouveau ; elle s’éveille
de plus en plus aux autres, adopte les mimiques des enfants de son âge.
On fera des jeux de mime.
Elle commence à dire quand elle ne sait pas, par exemple elle ne connaît
pas le mot « hibou » et me dit aussi que « la forêt, elle n’y a jamais
été ». Elle ne peut pas transposer les informations dans l’abstrait.
En mathématiques, elle fait maintenant de petites additions par méca-
nisme, mais elle fonctionne sans se représenter les quantités.
Elle ne saisit pas les relations physiques de cause à effet sur les photos
d’une série d’images séquentielles (exemple : un trop versé d’eau, sorti
d’un arrosoir, et formant une flaque au sol ; un torchon est par terre,
À la recherche de Claudia 177
elle ne voit pas le lien entre les différents épisodes). De plus, elle ne
peut retrouver les mots dans son stock lexical, elle dit « mouchoir »
pour « torchon », ce qui lui est plus familier. On a l’impression que
Claudia est dans l’incapacité de « penser les pensées des autres » et de
reconstruire leurs paroles, mais maintenant elle se sert des mots écrits
pour retrouver le vocable.
Elle fait des mouvements saccadés avec ses cheveux sur ses joues,
fouette sa figure et la cache dès qu’on lui pose une question à laquelle
elle ne sait pas répondre. Alors, elle se ferme. Je la trouve néanmoins
de plus en plus vivante, mais par moment elle a un manque du mot
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(même des mots simples comme « loto » ou « bague »). Elle me confie
que sa mère lui dit qu’elle est maigre. Maintenant, elle peut dire qu’elle
n’est pas d’accord avec une activité, alors que c’était impossible aupara-
vant. Parfois elle est un peu grimaçante, voire maniérée, en s’esclaffant
comme si elle voulait donner le change.
Lors d’une tâche liée aux mathématiques, elle m’interroge sur mon âge.
Elle ne comprend pas « plus que/moins que » ; par exemple, pour « plus
que 40 ans », elle dira « 35 ».
En revanche, elle connaît de plus en plus de mots. En me faisant deviner
au Taboo le mot « timide », elle me dira que c’est comme ça qu’elle
était avant, que c’est « quelqu’un qui n’aime pas parler, qui se cache »
et qu’elle n’avait pas envie de parler, du temps de son ancienne consul-
tante.
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D ÉVELOPPER L ’ IMAGINAIRE
faire comme moi. Elle ne sait pas dire le mot « orthophoniste » mais dit
« faire comme toi avec les enfants ».
Elle me dit en me dessinant au tableau : ça c’est Mélanie, il y a un
garçon qui vient chez toi ou tu vas chez lui (elle dessine une maison
entre le garçon et Mélanie). Il te dit : « viens on va au cinéma ! ».
Après le cinéma, vous allez à la plage !... Après, lui il va chez lui et
elle va chez elle. Claudia me semble avoir passé un cap ; mais quand
verra-t-on poindre la pré-adolescence ? Elle me dit que tous les jours
après l’école, elle se lave ; « toi aussi ! », me dit-elle. Elle commence à
se saisir d’informations qui peuvent servir ses intérêts. Elle me demande
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où on peut acheter les livres qu’elle aime. Elle commence à mémoriser
des chansons du patrimoine culturel apprises en classe et les chante
en séance. Elle se saisit d’expressions qu’elle utilise en situation « c’est
génial ! » ou « c’est Jésus qui m’aide » lorsqu’elle gagne un jeu. Elle a
l’air de s’épanouir dans sa classe.
Claudia me parait finalement davantage dans une dysharmonie d’évo-
lution où les contenants de pensée sont défaillants (tel que le décrit
Bertrand Gibello dans l’ouvrage L’enfant à l’intelligence troublée, aux
éditions Bayard) plutôt que dans une dysphasie ; en tous cas, dès que
je fais appel à son raisonnement et qu’elle a du mal, elle se renferme
dans sa coquille et reste les yeux vides, sidérée comme si elle se vidait
de sa substance.
J’ai maintenant pris le parti de développer plutôt l’imaginaire. Clau-
dia commence à faire des liens entre les histoires et le vocabulaire
qu’elle s’approprie (le souffle de son frère dans le cou, son père qui est
« épuisé »). Au jeu des mots croisés, qui est l’occasion d’apprendre du
vocabulaire, elle ne coordonne pas les critères. Elle confond « 8 cases »
et « la huitième case », elle n’a pas construit l’ordinal.
On construit des histoires à partir de jeux ou de scènes mimées sur des
photos ou des dessins.
Elle a de plus en plus d’expressions appropriées : par exemple « J’ai eu
peur ! », avec quelques ajustements à faire parfois sur le plan temporel :
À la recherche de Claudia 179
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le bulletin qu’elle m’apporte ? Il est difficile de le dire car elle ne fait
pas de commentaire, j’imagine, de peur de se tromper. Tout à coup, elle
me pose une question très bien formulée : « Est-ce que vous avez un
taille-crayon ? », je la félicite pour la clarté de sa question.
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par la collectivité.
Avec une histoire de Blanche Neige, vue au théâtre avec sa classe, je
lui demande si elle a eu peur de la sorcière, ce à quoi elle me répond
« Non ! Elle m’a rien fait ! J’étais loin en haut ! », et en ce qui concerne
ce qui lui a plu ou l’a marquée elle dit : « Rien ». Elle est rivée au
concret comme un petit, incapable d’expliquer quelque chose d’un lien
imaginaire.
Il faut « réhabiliter » le droit de « ne pas savoir », sinon elle a une
attitude de sidération, les yeux dans le vague.
Nous approchons de Noël mais elle a l’air déprimée ; est-ce parce que
sa mère n’est pas venue la voir chanter à la fête de l’école alors qu’elle
l’attendait ? Celle-ci n’est pas venue me voir non plus, sans explication,
alors que nous avions rendez-vous, et elle n’est pas allée non plus à la
réunion prévue à l’école pour voir la maîtresse.
Claudia me demande si on peut faire des « dessins de Noël ». Je com-
prends son désir de jouer avec moi, est-elle nostalgique du temps où sa
mère venait ? Elle cherche à partager du plaisir avec l’adulte, ce qu’elle
ne connaît sans doute pas chez elle...
Un autre jour, Claudia est en pleine forme car elle a reçu une invitation
de la part d’une fille de sa classe pour son anniversaire. Retrouve-t-elle
son enthousiasme ? Serait-elle revalorisée ? Elle a trouvé sa place dans
le groupe.
À la recherche de Claudia 181
Claudia ne fait pas les liaisons dans son langage oral. Elle n’est pas
totalement consciente encore des mots statués comme des « uns ».
On explique le mot « consoler » à travers une histoire de deuil. Une
stagiaire sera présente en séance une fois sur deux, autour du langage
écrit.
Tout à coup, avec les histoires de J’aime lire qu’elle choisit, Claudia a
l’air de se sentir un peu « concernée ». Nous devons retracer les épisodes
des histoires lues, en présence et hors la présence de la stagiaire.
Avec la stagiaire d’origine espagnole, nous avons une discussion autour
des langues espagnole et portugaise et des origines géographiques.
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Nous sommes proches des vacances de Pâques et Claudia me dit qu’elle
va aller au collège de sa cousine, au Portugal, et apprendra l’anglais.
Avec l’histoire de J’aime lire « Les chats anglais », pour la première fois,
on commence à exprimer des sentiments avec la perte de quelqu’un
qu’on aime et elle dit à la fin : « c’était bien l’histoire ! » Je demande
si elle aime les histoires tristes, elle répond que oui.
À la fin de la lecture, elle me dit : « Et alors, la fille, elle est morte ? »
C’est l’histoire d’une jeune fille qui se prend d’amitié pour une famille
dont la fille est morte. Elle dit : « Ah, ça m’énerve ! » Je demande
pourquoi et elle me répond : « Non, rien ! » J’insiste, elle me dit en
revenant sur une image de l’histoire (le père avec la hache qui coupe
des planches puis tape sur des clous pour assembler) : « ah, peut-être
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Elle dit du personnage du Chaperon rouge dans l’histoire : « Ma maman
demande à la fille de chercher des fruits pour la grand-mère parce qu’elle
est morte ».
Elle n’exprime pas les liens et fait un récit incohérent. Elle dit du
chasseur que « l’homme cherchait un loup pour le manger ». Elle a un
rapport au réel très particulier. Elle nous parle soudain de sa grand-mère
morte et tout à coup elle dit : « Non, rien ! », de nombreuses fois.
Je lui demande pourquoi elle en parle tant, serait-ce parce qu’elle lui
manque ?
Je lui dis que quand les gens sont morts, on ne peut pas leur parler et
ils nous manquent. Elle répond : « si, je parle au Dieu »...
On explique aussi ce qu’est une frontière : Espagne/France, Espagne/
Portugal.
Claudia est très surprenante, à certains moments sa pensée paraît fluide
et brusquement on dirait un « court-circuit », comme si elle se désac-
cordait.
Ou alors, parfois, elle émet une incohérence et, probablement devant
ma réaction, se rattrape en disant : « Non, c’est une blague ! » comme
pour donner le change.
Elle me dit que sa mère est allée à l’école pour voir la maîtresse qui a
dit : « Je fais bien, je mange bien ! », « Ma maman, elle croyait pas ! ».
Elle dit que sa mère trouve qu’elle doit manger « pour avoir des seins ».
À la recherche de Claudia 183
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peler « Da Silva »... Confusion réel/imaginaire, confusion génération
et interrelations... Pourtant, elle peut dire, au moment où l’on choisit
son personnage : « je veux être » et elle suggère de saluer le public
imaginaire à la fin de la scène.
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Pour pallier cet ennui, nous cherchons un autre registre d’activités et
nous entreprenons, selon son choix, des constructions en Lego. Je lui
demande si chez elle, elle en a, elle me répond qu’un jour, elle était
rentrée chez elle et avait demandé à sa mère où étaient ses Lego ; celle-
ci lui aurait répondu qu’elle les avait jetés. Lors de ces activités, Claudia
semble prendre un réel plaisir à manipuler les objets sans exigence de
ma part, pour le plaisir simple et gratuit d’être ensemble et d’échanger
nos productions.
En ce début d’année scolaire, j’avais invité la mère de Claudia à venir
en séance pour discuter de l’évolution de sa fille.
Je présente la stagiaire à la mère, Claudia ne lui avait jamais parlé d’elle.
On évoque ce que l’on fait et Claudia a beaucoup de mal à raconter à
sa mère, comme si toutes les deux n’avaient pas l’habitude de se parler.
La mère est elle-même murée. Tête baissée, elle n’est pas tournée vers
sa fille. Elle ne lui parle pas directement face à face, mais l’évoque à la
troisième personne. Puis on parle du Portugal. Claudia ne pose pas de
questions à sa mère, en tous cas pas devant moi. On parle des vacances,
de sa famille maternelle et paternelle. La mère dit que pendant l’été,
Claudia est sortie avec sa cousine, la fille de sa sœur. Je me dis qu’il
aurait fallu encore beaucoup de partenariat dans le travail avec la mère
(avec des photos par exemple) mais celle-ci n’est pas disponible. Elle
dit qu’elle n’a pas de temps. J’apprends que là-bas, il y a deux maisons,
À la recherche de Claudia 185
dont l’une est à côté de chez eux où la tante paternelle « fait le pain »
et où il y a un four. Il aurait fallu avoir le temps de « faire raconter » à
la mère devant Claudia. Il ne semble pas y avoir de paroles sur le vécu
de cette enfant.
Sa mère nous dit qu’elle sait écrire le portugais mais Claudia ne parle
en portugais qu’à demis mots devant elle. Madame épelle les lettres que
Claudia reprend, celle-ci semble savoir mieux manipuler les lettres que
sa mère. Celle-ci est très confuse dans sa propre fratrie, elle parle du fait
qu’ils étaient quatorze frères et sœurs. « Quatorze ? », interroge Claudia
tout à coup, comme si elle découvrait cela. La mère a du mal à retrouver
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le nom de ses frères et sœurs. Elle recompte plusieurs fois, ne sait
plus s’ils sont encore sept ou neuf. Apparemment, l’un d’eux est mort
accidentellement, un autre de maladie, et quatre enfants sont morts nés.
Madame, tout en énonçant les choses crûment, n’est cependant pas très
explicite.
Une semaine plus tard, nous reprenons les Lego. Claudia a fabriqué
des personnages et nous leur cherchons un nom. On crée une famille
à chacun. J’installe les liens généalogiques avec un arbre et Claudia
a l’idée de prendre des prénoms dans la liste que sa mère a faite sur
ceux de sa fratrie. Elle propose d’écrire l’histoire lorsqu’on aura fini de
construire l’arbre.
À la séance du mardi qui suivra, nous continuons, avec la stagiaire,
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Claudia me dit que chez elle, elle a fabriqué une maison depuis la
dernière séance où nous avons commencé à construire l’habitat des
personnages. Elle veut découper la porte et les fenêtres de la maison.
Elle coupe de la main gauche avec beaucoup de difficultés. On continue
cette maison en carton avec un étage et des pièces ; elle choisit cinq
chambres parce qu’il y a cinq personnages (j’apprécie la correspondance
terme à terme) ; ils sont en colocation. Elle accepte d’aller demander à
la secrétaire le scotch qui nous manque pour adjoindre les murs. Elle
parait à l’aise et me dit qu’elle a attendu que la secrétaire ait fini de
parler avec une autre dame avant de faire sa demande car elle ne voulait
pas lui « couper la parole »...
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Q UAND LE REGARD EXTÉRIEUR RELANCE LE SOIN
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dois dire que cette question m’a, sur le moment, déroutée et permis,
en y réfléchissant après-coup, de poser un écart. Déroutée parce que
je me suis sentie remise en cause dans l’idée que je me faisais de ma
position d’orthophoniste ; dans ce cas précis de ma relation avec une
Claudia, souvent passive, inerte, attendant tout de l’adulte et que je
me faisais fort de réanimer. Des moments où ma part était moins active,
où Claudia avait davantage le champ de la manœuvre me revenaient en
mémoire mais se pourrait-il que j’aie été si aveugle et si peu attentive
à l’autre et à ses tentatives à exister ?
En proie au doute, mon premier mouvement fut de me défendre : « Com-
ment ? Mais, je ne suis pas psychothérapeute, je suis orthophoniste et,
à ce titre, je suis là pour proposer, pour alimenter le sujet ». Je me
sentais flouée dans mes bonnes intentions. Cette petite remarque m’a
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Et elle finit par proposer quelque chose de très intéressant : que l’on
écrive chacune alternativement une liste de jeux dont elle décide le
nombre (vingt) sur une feuille, parmi lesquels nous choisirions, tour à
tour, l’activité de la séance. Ce jour-là, elle veut faire un jeu de rôles,
dans lequel nous échangerions nos identités. Ceci a-t-il un lien avec
l’époque où nous faisions cela en présence de sa mère, lorsque nous
jouions à la maîtresse et aux élèves ? En tout état de cause, elle me
confiera qu’avec sa mère, elle ne joue pas. Je note qu’elle manifeste
beaucoup d’humour et un certain sens de la dérision en campant une
Madame Boishus en train de faire faire des opérations à Claudia.
Lorsque je lui propose de continuer ce jeu la fois d’après, c’est elle qui
dit : « mais non, vendredi, c’est la maison ! » en levant la tête pour me
montrer la maquette que nous avons commencé à construire pour les
personnages de l’histoire qu’elle a inventée...
Avec Claudia, le travail a cheminé, oscillant entre des moments de sidé-
ration (de moins en moins nombreux) et des moments de réel partage
de plaisir, d’amusement et d’intérêt. Elle a été le maître d’œuvre de sa
maison que nous avons construite à quatre mains. Souvent, encore, des
mots simples du quotidien font défaut. Nous sommes allées visiter la
cuisine du Centre pour pouvoir évoquer et placer l’évier ou le frigidaire
afin que les perceptions mêlées à l’expérience puissent être métabolisées.
Cette fois, contrairement aux premières séances avec la dînette dont
le lien avec l’oralité et le nourrissage m’apparaît aujourd’hui, on sent,
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mort » puisqu’elle n’est plus comme avant, qu’elle a changé... « Moi
aussi, dit-elle, j’ai changé ! Ils disent que ça va mieux, ma timi...té » ;
ou bien un jour encore, tout en dessinant dans le silence, je l’entendrai
formuler : « ça fait du bien quand il n’y a pas de bruit ».
Surprenante Claudia !
Celle-ci a développé de plus en plus d’expressions du quotidien, qu’elle
place tout à fait à bon escient. Pour dire que la géométrie, c’est dur :
« c’est pas un... cadeau ! Euh... gâteau ? » ou encore : « c’est trop bien,
cette histoire ! ». Elle ne fait pas encore toujours les liaisons à l’oral
et se trompe dans le genre des déterminants : « je vais le dire à (mon)
maman et l’écrire (dans le) tableau ». Elle parle d’un (animo) ou d’une
« professeuse ». Ceci me fait penser aux erreurs de surgénéralisation des
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me nourrir de bonnes choses !
Je la sens s’incarner peu à peu.
Elle voudrait comme son frère lire des « gros » livres : Le petit Nicolas
ou Harry Potter. Nous réussirons à lire Peau d’âne et, finalement, Charlie
et la chocolaterie que convoitait beaucoup Claudia.
Sa sensibilité me touche profondément. Elle semble avoir des capaci-
tés à se faire aimer et, maintenant, à s’intégrer tout à fait dans les
groupes. Elle a développé un certain talent à donner le change. Elle
peut me dire, au jeu de « la première journée de classe », qu’elle s’est
trompée exprès, en écrivant la date ou me fait croire qu’elle doit aller
à l’hôpital, pour voir comment je réagis. Nous avons d’ailleurs cherché
à exploiter ce talent en écrivant des blagues. L’animateur du groupe
thérapeutique auquel elle a participé était très surpris, en entendant
évoquer la petite enfance de Claudia, qu’il connaissait sous une toute
autre facette. Déjà en CLIS, Claudia intégrait régulièrement la classe
ordinaire pour certaines activités où elle paraissait très bien acceptée
par ses camarades.
Son passage en sixième va être une vraie réussite sur le plan de l’adap-
tation et de l’autonomie. Les professeurs diront que Claudia est parfois
agressive à leur égard, sa mère rétorquera que Claudia, maintenant,
« répond », mais elle considère cela comme un progrès car, avant, elle
ne se défendait pas... Quelle évolution dans le regard de cette mère !
Claudia lui apparaîtrait-elle maintenant comme « quelqu’un » qui saurait
À la recherche de Claudia 191
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plus soucieuse de sa réussite. Elle m’apporte fièrement son bulletin où
elle a eu les compliments du conseil de classe et me demande de le
lui lire et de le communiquer au consultant. Elle devient d’ailleurs de
plus en plus scolaire et commence à pouvoir définir certaines catégories
grammaticales. Elle me demande un jour de travailler sur les multipli-
cations, en me montrant qu’elle s’est appropriée certaines procédures
pour lire les nombres et des stratégies pour calculer.
Pourtant, par moments, je vois son regard absent, lointain, je la sens
insécurisée et angoissée. Que s’est il passé pendant les vacances ? Ses
parents l’attendront-ils pour aller chercher ses cousins à l’aéroport, ou
va-t-elle se retrouver, sans clé, sur le pas de la porte ? Ira-t-elle à
EuroDisney avec eux ou sa mère ira-t-elle à sa place ? Son père est à
l’hôpital, elle ne sait pas si c’est grave...
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À la recherche de Claudia 193
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Tout au long de tes jours
Te précède ton enfance
Entravant ta marche
Ou te frayant un chemin
Singulier et magique
L’œil de ton enfance
Qui détient à sa source
L’univers des regards.
Andrée Chedid
Chapitre 9
Quelle frontière
entre psychopédagogie
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et psychothérapie ?
Laurence Bouvet
j’ai atteint le fond de toute la tristesse qui est en moi mais n’en parlons
pas et transformons en histoires nos petits ennuis. »
Près de quarante ans d’écriture plus tard, dans la suite de son journal
intitulé Vers l’invisible, il dit :
« Commencer un roman. Je vois non sans une certaine inquiétude que
je m’y suis rejoint, que c’est de moi que je parle. Autrefois, je jouais à
cache-cache et j’étais dupe. »
196 P RATIQUER LA PSYCHOPÉDAGOGIE
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précisément dans le domaine des mathématiques.
L’investissement du langage, et de la lecture en particulier, fait d’Alice
une hyper lectrice douée d’une mémoire infaillible concernant les livres
qu’elle dévore. Elle retient par cœur tous les détails des histoires qu’elle
a lues plusieurs fois, comme interdite d’oubli, s’assurant peut-être ainsi
de la permanence d’un objet qu’elle peut retrouver quand elle le sou-
haite, toujours disponible, et qui de surcroît lui garantit une continuité
psychique de substitution. La contrainte, pour Alice, étant de renouveler
sans cesse les livres que ses parents finissent par refuser de lui acheter.
L’investissement de la lecture est inversement proportionnel à l’impos-
sibilité dans laquelle Alice se trouve de « lire » en elle et d’exprimer
ses émotions. Le recours à un imaginaire livresque ne nuit cependant
pas au lien qu’elle maintient avec la réalité, à grand renfort de conflits
situés exclusivement dans la sphère familiale.
Jalouse de son frère, 5 ans, de sa sœur aînée, 17 ans, ne supportant ni la
frustration, quand elle se double de l’attente, ni le manque, ni l’autorité
parentale, elle souffre de plus d’une peur généralisée qui concerne de
manière assez floue les gens dans la rue qui pourraient l’attaquer ou
l’enlever. Cela va de la gardienne de son immeuble au clochard croisé
dans la rue, en passant par ses parents eux-mêmes, non différenciés
dans la haine qu’elle semble leur vouer. Récemment, ils ont cru bon
d’adopter un chat, baptisé Kamikaze, qu’Alice sadise à l’occasion quand
Quelle frontière entre psychopédagogie et psychothérapie ? 197
ses parents lui interdisent de battre son frère. Des parents démunis,
épuisés et impuissants face à tant de tyrannie.
Alice n’a pas d’amis. Seule une camarade de jeu semble trouver grâce
à ses yeux, même si elle ne peut rien en dire quand je la questionne.
Elle ne la voit qu’à l’école, où Alice passe pour être une enfant modèle,
réservée, au comportement exemplaire. Ce qui correspond assez bien à
la tenue qu’elle arbore : queue de cheval ramenée à l’arrière du crâne
avec une barrette, souliers vernis, jupe écossaise, chemisier blanc. Elle
paraît être directement sortie des romans de la Comtesse de Ségur et le
contraste entre les deux facettes de sa personnalité, saisissant, laisse
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soupçonner un clivage évoquant un faux-self.
Elle a donc 9 ans quand la thérapie débute. Je la verrai une fois par
semaine, pour commencer, puis rapidement deux séances seront mises
en place.
Alice entre dans le bureau, les mains positionnées sur ses tempes en
guise d’œillères pour ne pas rencontrer mon regard. Cependant, à sa
gauche, se trouve un miroir mural dans lequel elle jette un œil et
neutralise ainsi son angoisse d’intrusion, en réduisant à une image ma
présence trop réelle. Elle s’assoit sans prononcer un seul mot, les genoux
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serrés, comme les mâchoires dont la crispation est visible, les yeux écar-
quillés... Je suis assez impressionnée par cette posture et désolée pour
elle de lui faire un tel effet. Posture qui, pour le moins, signifie un grand
malaise. Elle ne prend pas spontanément la parole, pourtant ce n’est
pas la première fois que nous nous rencontrons. Quelques séances ont
précédé celle-ci et elle a déjà raconté, sur mon incitation, le cauchemar
récurrent qu’elle fait chaque nuit. Le scénario est toujours le même : on
veut la tuer ; ou bien elle meurt, ou bien elle survit et crie pour que
quelqu’un vienne la chercher. L’agresseur est parfois un monsieur, parfois
sa sœur. Elle n’a rien à dire de plus. Le récit du rêve se suffit à lui-même,
et n’est pas l’occasion pour Alice d’associer sur ses craintes dans la
198 P RATIQUER LA PSYCHOPÉDAGOGIE
vie de tous les jours, ni même sur les conflits entre elle et sa famille,
ni même sur quelque événement factuel derrière lequel elle pourrait
se réfugier pour éviter de parler d’elle. On la dirait dépossédée de la
capacité même de se défendre. Seul le récit du rêve semble faire écran
entre elle et moi, un écran plat auquel il manquerait la profondeur du
champ associatif, un écran en mal d’intériorité, qui se dresse entre elle
et le monde comme un bouclier contre ce qui pourrait faire effraction
du dehors, mais probablement aussi du dedans... Ne viendra-t-elle pas
un jour, portant à même la peau et dissimulée sous un manteau, la
cuirasse de l’escrimeur, en m’expliquant que son cours a lieu juste après
la séance ?
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Surfaces projetées plutôt que surfaces de projection, ses rêves, à l’instar
de ses dessins dépourvus de tridimensionnalité, construisent entre elle
et moi un mur de silence s’épaississant au fil des semaines.
L’encourager à développer sa pensée l’effarouche, nommer ses peurs les
atteste et confirme ma toute-puissance, me taire l’inquiète au plus haut
point.
J’avais une fois pensé, en regardant Alice pétrifiée sur sa chaise, qu’elle
vivait une sorte d’effroi face au sens et à l’inconnu. Prisonnière de son
raisonnement binaire (disant oui ou non, tout étant une question de
vie ou de mort), sans compassion pour l’autre, sans curiosité pour sa
vie intérieure, le conflit ou la fuite représentaient pour elle les deux
seules modalités du lien à autrui, à moindre frais sans doute pour son
économie psychique et son intégrité identitaire. Même si je pouvais
déplorer qu’un tel système sans nuance ait coupé Alice de ses émotions,
c’est bien par le gel des courants pulsionnels et affectifs confondus
qu’elle assurait sa défense.
son père est sur le point de tuer sa mère avec une épée... Armé de
cette épée, il ne se distingue de la mère que par des cheveux coiffés en
pointe. La maison ne touche pas le sol, l’herbe est d’un vert soutenu ;
il est vrai qu’elle est rarement rouge dans les dessins d’enfants, mais
justement... Cette évidence n’interroge que trop rarement au-delà de
son simple constat. Pour peu que la maison symbolise la psyché et ses
contenus, elle est ici tenue à distance d’un appui qui serait pourtant
nécessaire à son équilibre, à son ancrage. Comme loin de l’objet primaire,
de la terre-mère, dans un mouvement anti-pulsionnel que représenterait
assez bien la couleur verte, plus froide, antagoniste de la couleur rouge,
et utilisée à des fins d’isolation, de pare-excitation.
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La mère n’a pas de main. La maison n’a pas de fenêtre. Elle est une
scène ouverte dont l’intérieur nous est directement accessible. La limite
entre le dedans et le dehors est fragile et seul le pourtour de la maison
tient lieu de frontière avec l’extérieur, ce qui accentue la rigidité de
l’enveloppe et son imperméabilité.
La porosité demeure cependant, qui implique le surinvestissement des
limites dont Alice cherche confirmation auprès de parents surmoïques,
frustrants et sévères, qu’elle provoque pour qu’ils le restent.
Alice s’est elle-même dessinée en train de rêver et ne dit que quelques
mots sur le meurtre suspendu. Quelques mots pour une description sans
débord.
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autant, mais pour Alice la régression que suppose une telle abolition est
sûrement terrifiante, d’où la sidération dans l’échange. La temporalité
narrative rassurerait donc les enfants aux limites fragiles. Et comme le
dit Ricœur :
« Le récit permet de faire apparaître le temps, le récit est le gardien du
temps1 . »
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à la régression, et au risque de désorganisation qui l’accompagne parfois,
dans un cadre qui ne lui garantirait plus un ancrage temporel suffisant.
Je pense aux « déliaisons dangereuses » de Raymond Cahn.
Aussi, quand au bout de trois mois elle voudra arrêter la psychothérapie,
parce qu’elle n’a plus rien à dire, je lui proposerai de venir deux fois
par semaine au lieu d’une et l’inviterai à me parler des histoires qu’elle
aime tant et qu’elle connaît bien. Non sans crainte de brosser dans le
sens du poil les défenses typiques de la « période de latence », mais
avec l’espoir de construire un espace où le transfert puisse se déployer
sans trop de peur et sans danger pour Alice.
Deux séances, plutôt que de céder à son désir de fuir, parce qu’avant de
me dire son souhait d’arrêter elle s’était dessinée se noyant dans une
piscine et criant « à l’aide »...
Dans un article sur la valeur thérapeutique de la création artistique,
Michel Ledoux, psychanalyste, écrit :
« Il faudrait pouvoir vivre à la fois l’élaboré et le pulsionnel, revivre l’ar-
chaïque sans qu’il s’en suive une destruction de nos structures psychiques
élaborées, mais aussi sans que ces acquisitions plus récentes entraînent
l’abrasement de l’intensité vivante de nos vécus anciens [...]. L’artiste est
capable de réaliser ce que nous ne pouvons faire dans notre vie psychique,
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A LICE AU PAYS DU LIVRE
Alice entre dans le bureau tenant dans ses mains, et serré contre son
torse, un livre de Clive Staples Lewis : Le lion, la sorcière blanche et
l’armoire magique, dont voici la trame laborieusement élaborée par Alice
avec mon soutien :
multiples pièces.
Au cours d’une partie de cache-cache, les enfants entrent dans une pièce
complètement vide exception faite d’une armoire, à l’intérieur de laquelle Lucy,
la benjamine, pénètre et découvre, à la place du fond qu’elle ne trouve pas,
un monde fantastique et inquiétant à la fois. Elle y rencontre un faune, voleur
d’enfants, qui lui apprend que le domaine, vaste comme un pays, comprenant
une forêt et un château, est plongé dans un hiver sans Noël depuis longtemps
et pour toujours, sous l’emprise d’une sorcière blanche, autoproclamée reine
du domaine en question. Son visage est pâle, ses lèvres sont rouges et elle ne
1. Michel Ledoux, « Vie, mort et création », in Revue française de psychanalyse, vol. 36,
PUF, 1972.
202 P RATIQUER LA PSYCHOPÉDAGOGIE
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On ne saurait mieux résumer le chemin parcouru par Alice, de la sidé-
ration qui gelait les associations d’idées et leur libre-échange au sou-
lagement de pouvoir trouver asile dans une histoire qui reprenait de
manière distanciée son entrée dans le monde de la psychothérapie. De
plus, l’intuition d’un paysage interne gelé, sous l’empire d’un clivage
tarissant ses forces vives et l’espoir qu’il puisse en être autrement, tous
deux signifiés par le choix de ce texte, étaient de bon augure pour
la suite de la thérapie. Car c’est Alice qui avait choisi l’un des sept
chapitres qui une fois rassemblés forment ce livre de neuf cents pages
intitulé Le Monde de Narnia...
Avant d’en lire quelques passages chacune à notre tour, Alice se servira
de l’objet-livre comme d’un éventail qu’elle manipulera devant moi en
souriant pour éloigner les angoisses ou les pensées dérangeantes. Ne
sachant pas encore si elle peut s’appuyer sur mon regard neutre et
craignant l’intrusion dans ce cadre remanié, elle trouvera drôle d’essayer
de me faire cligner des yeux avec l’air que brasse le livre quand elle
l’agite. Dans une tentative renouvelée de me contrôler à distance, de
faire de moi une marionnette dont les paupières s’ouvrent et se ferment
mécaniquement selon le bon vouloir du marionnettiste, Alice instaure
les conditions d’une maîtrise qui lui est nécessaire dans le commerce
avec autrui et en cela « répète » dans le jeu ce qu’elle vit par ailleurs
dans les cris et les larmes. Une marionnette malléable, sorte de double
Quelle frontière entre psychopédagogie et psychothérapie ? 203
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Après le livre, le corps du texte même sert de pare-excitation pour Alice
au cours de sa lecture, quand elle crée des liaisons entre chaque mot là
où il n’y en a pas, par crainte de l’ajour et du vide où je pourrais glisser
d’autres mots qu’elle ne veut pas entendre. Sorte de tricot sonore aux
mailles serrées contre l’intrusion non plus du regard, mais de la voix...
Quant aux fois où elle me demandera de prendre la relève de sa lecture
filante, elle éprouvera un plaisir certain à me malmener en disqualifiant
ma voix, mon ton, la vitesse à laquelle je lis, la tonalité, l’articulation ;
elle ne comprend rien, dit-elle, s’indigne, vocifère, profère insultes et
reproches, fait mine de me frapper tout en retenant son bras... Admo-
nestations jubilatoires à la limite du faire semblant... Luttant peut-être
ainsi contre le risque de se laisser bercer par la musicalité propre à la
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Heidi1 , de son vrai nom Adélaïde, est une petite fille de huit ans, orpheline, qui
part habiter chez son grand-père sur un alpage au-dessus de Maienfeld, en
Suisse. Alors qu’elle s’est habituée à la vie en montagne, qu’elle a trouvé de
nouveaux amis, dont Peter le petit chevrier et sa grand-mère, la tante d’Heidi
qui doit légalement l’élever revient la chercher pour vivre à Francfort-sur-le-
Main, où elle devra tenir compagnie à sa cousine Clara Sesemann, âgée
de douze ans et paralysée. La gouvernante Fräulein Rottenmaïer, revêche,
exigeante mais aimante, s’occupe de Clara.
Heidi, nostalgique, ne supportant pas de vivre loin de son grand-père, tombe
malade et retourne à Maienfeld. Seulement, la santé de Clara décline à son
tour et décision est prise d’envoyer la jeune malade auprès d’Heidi afin de
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recouvrer la forme dans un environnement sain et naturel. Peter, très proche
de Heidi, qui ne va pas volontiers à l’école en raison de difficultés d’appren-
tissage, sera jaloux de la cousine Clara et la rivalité s’illustrera régulièrement
au sein de cette fratrie reconstituée que forme le trio, sur fond de lutte entre
l’industrialisation de la fin du XIXe siècle et la vie simple des gens de montagne.
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me laissant guider et surprendre par les histoires successives que je
considérerai comme autant d’associations libres, puisque seule Alice
les choisira et qu’elle apportera ses propres livres. Quelques relances
émailleront le chemin qu’Alice a décidé d’emprunter dans une certaine
solitude, quelques questions concernant les personnages, leurs devenirs,
leurs pensées éventuelles, la fin de certaines histoires que l’on aurait
pu changer... Interventions qu’Alice accueillera avec plus ou moins de
bonheur, me retournant les questions, répétant mes interventions en
riant, m’interpellant parfois sur tel ou tel fait, là un épilogue, là une
étrangeté au cours d’une intrigue. S’appuyant sur cette présence qu’elle
souhaite discrète tout en montrant son attachement à la continuité
des séances, Alice fait l’expérience d’une permanence tranquille qui ne
désespère pas de sa destructivité récurrente. Je n’aurai fait que survivre
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aux projections et aux tentatives d’attaques des liens, mais il faut croire
que cela devait avoir lieu.
Plus tard, il sera possible à Alice d’envisager l’écriture d’une histoire
avec mon aide, supportant que nous puissions penser ensemble, mais
supportant également d’être seule en ma présence pour réfléchir à plu-
sieurs séquences dont elle endossera la responsabilité. L’histoire sera
celle d’un professeur d’espagnol soupçonné de trafics en tout genre,
qu’un groupe d’élèves espionnera pour en savoir plus, allant de surprise
en surprise jusqu’à la mort du professeur, blessé par balles lors d’un
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Bibliographie
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208 P RATIQUER LA PSYCHOPÉDAGOGIE
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D’Héraklès au Penseur de Rodin : de l’acte
De l’image au verbe, n°8, 1997. à la pensée, n°16, 2005.
Table des matières
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SOMMAIRE III
PRÉFACE VII
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2. Maths et mètis(se) 27
Marc-Olivier Roux
Joanne, enfant vive et créative 28
Des difficultés singulières face aux mathématiques 29
« Un tempérament artiste » 30
Une présence qui s’échappe 31
Le nombre de naissance 33
Compter avec le corps 36
Discours rigoureux, gestes maladroits 37
Une rencontre qui fait boum 38
Multiplications à résonance géographique 41
« C’est de la faute des arrière-grands-parents si on a des maths ! » 43
« Le bonhomme des maths » 44
Joanne à l’issue d’une année de travail 45
La psychopédagogie des mathématiques comme médiation 47
Une histoire de rencontres... 49
Table des matières 211
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d’histoires aux histoires personnelles, 64 • Trois ans plus
tard..., 66 • Quand la feuille devient un objet
métaphorique..., 67 • Conclusion, 69
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La lecture du conte..., 114 • Réécriture et illustration de sa
propre version, 115 • Chaque nouvelle version nourrit la
dynamique pour apprendre, 118
Clémentine, Claudia, Pierrot et leurs chaperons 119
Clémentine, « Le loup et l’enfant », 119 • Claudia, les trois
Chaperons bleu, blanc, rouge et le fou, 124 • Pierrot, « Le Petit
Chaperon ceinture rouge de karaté », 127 • Pour conclure..., 128
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Développer l’imaginaire 177
Au Portugal, un arbre orange 179
Ennui et réactions décalées 182
Essayer de garder le fil de l’histoire 183
Quand le regard extérieur relance le soin 186
L’attente où le désir émerge 188
Douze ans, passage en sixième... 190
BIBLIOGRAPHIE 207
Articles en lien avec la psychopédagogie parus dans la Revue de
l’Association des Amis du Centre Claude Bernard 208