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en psychopathologie
de l’adulte
Nathalie Dumet
Jean Ménéchal
3e édition
Conseiller éditorial :
René Raës
Maquette de couverture :
Atelier Didier Thimonier
Maquette intérieure :
www.atelier-du-livre.fr
(Caroline Joubert)
© Dunod, 2017
11 rue Paul Bert – 92240 Malakoff
ISBN : 978-2-10-076617-8
Table des matières
Préambule................................................................................................................................................................... 7
Préface........................................................................................................................................................................... 9
Introduction............................................................................................................................................................... 11
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16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Conclusion.................................................................................................................................................................. 253
Bibliographie générale........................................................................................................................................ 257
Index des notions.................................................................................................................................................... 267
Index des noms propres....................................................................................................................................... 275
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Préambule
Étudiante en psychologie à la fin des années 1980 à Lyon, je découvrais l’ensei-
gnement de la psychopathologie clinique, son objet, les multiples formes que peut
revêtir la souffrance psychique de l’homme. Schizophrénie, paranoïa, psychose
maniaco-dépressive ou mélancolie, névroses obsessionnelle et hystérique, etc., autant
d’appellations et plus encore de figures de la psychopathologie que je ne pouvais alors
me représenter que très schématiquement. Que ne disposais-je alors d’un ouvrage
foisonnant d’exemples qui m’aurait permis d’un coup d’un seul d’embrasser la multi-
plicité et la variété des formes cliniques traditionnelles, voire prototypiques, que
peuvent prendre la souffrance et le trouble psychiques ! Bien évidemment, je ne tardai
pas à découvrir très rapidement la complexité et surtout la singularité des situations
et phénomènes pathologiques. L’autre éminemment singulier : tel est l’enseignement
de la psychologie et de la psychopathologie cliniques. Derrière un même diagnostic
psychopathologique, voire même derrière quelques symptômes ou conduites appa-
remment semblables – délire, phobie, angoisse… – existent indubitablement des
individus bien distincts les uns des autres, tant par leur histoire, leur développement
psychoaffectif, leurs modalités de fonctionnement psychique, que bien sûr par le
sens de leurs symptômes… Mais quand même, un tel ouvrage de psychopathologie
clinique qui à la fois rassemblerait, présenterait des cas et proposerait des hypothèses
explicatives sur la genèse de ces troubles, sur le contexte de leur survenue, sur leur(s)
signification(s) dans la vie et dans l’histoire psychique du sujet, sur le devenir de celui-
ci et sur les possibilités thérapeutiques, cela pourrait bien exister…
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16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Ce livre est donc tout d’abord un héritage ainsi qu’un partage, ceux de son travail
d’enseignant et de clinicien.
Pour ma part, Jean Ménéchal m’a fait, avec ce projet, un véritable don. Je lui suis
extrêmement reconnaissante tant pour ce legs, cette transmission, que pour la
confiance qu’il m’a témoignée à cette occasion – sans oublier que Jean Ménéchal
m’a aussi permis, sans le savoir, de donner corps à ce vieux rêve estudiantin. Comme
tout legs, celui-ci n’a pas été facile à assumer tout de suite, d’où l’intervalle entre
la proposition inaugurale de Jean Ménéchal, sa disparition et la publication de cet
ouvrage.
Nathalie Dumet
Professeur de psychopathologie clinique
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Préface
Il faut saluer la parution de cet ouvrage Quinze cas cliniques en psychopathologie
de l’adulte1 pour plusieurs raisons.
D’abord parce qu’il rend hommage à Jean Ménéchal2. Cet ouvrage présente
en effet pour une grande part probablement les derniers textes élaborés par cet
auteur, dont l’enseignement clinique en psychopathologie possède à mon avis une
valeur inestimable, tant pour les psychologues cliniciens en formation que pour
les professionnels d’orientation psychanalytique.
1. Tel était en effet le titre originel de ce recueil de cas (comprenant 15 cas cliniques) paru pour
la première fois en 2005 et pour lequel le Pr Claude de Tychey avait alors rédigé cette préface
(ajout de N. Dumet pour l’édition de 2017).
2. Jean Ménéchal nous a quittés prématurément en 2001 alors qu’il venait d’être qualifié aux
fonctions de professeur par le Conseil national des Universités.
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16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Sur un autre plan, Pascal Roman, pour un des cas, nous montre tout l’apport
possible de l’investigation projective à côté des outils cliniques irremplaçables
que sont l’anamnèse, l’entretien, l’observation et l’analyse de la dynamique
transféro-contre-transférentielle.
Ce livre, écrit avec une très grande rigueur et une très grande honnêteté, met
également en relief la complexité de la prise en charge des patients venant certes
consulter parce qu’ils sont plongés, peu ou prou, sur la voie de la décompensation
psychologique, mais pouvant demeurer néanmoins dans le déni de leur trouble, et
résister de manière plus ou moins durable à l’engagement thérapeutique. Par rapport
à l’ensemble de la littérature existante dans le domaine de la psychopathologie, cet
ouvrage est probablement un des seuls à évoquer de manière précise pour chacune
des études de cas présentées les perspectives thérapeutiques offertes. Il a le mérite
de rendre le clinicien conscient des inévitables difficultés inhérentes à toute prise
en charge et aux possibles impasses auxquelles elle peut parfois conduire, sans pour
autant nous pousser au pessimisme, mais plutôt à la prise de conscience des limita-
tions inhérentes à l’engagement thérapeutique. Même dans ce contexte, le lecteur
ne pourra qu’adhérer au credo développé par les auteurs au final, centré sur « la
conviction d’une possible mobilisation psychique (et ce, tout au long de l’existence
humaine…), de par les effets de la rencontre intersubjective (ici thérapeutique) ».
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Introduction
1
À cet égard, nous avons déplacé les cas d’Olga et de Monsieur Some, anté-
rieurement intégrés dans le troisième chapitre consacré aux enjeux archaïques
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
et/ou psychotiques (et ce, en raison des enjeux de cette nature de fait chez ces
sujets). Mais afin de souligner le rôle déterminant1 – et de plus en plus croissant ?
– de situations et autres événements traumatiques dans la réalité externe et leurs
effets plus ou moins dévastateurs sur l’organisation psychique et identitaire indi-
viduelle, il nous a semblé plus pertinent de les réunir maintenant dans ce nouveau
1. Et tout aussi déterminant que les facteurs de personnalité, eux-mêmes inhérents aux modalités
de développement psychogénétique (lui-même tributaire bien évidemment aussi des conditions
de réalité environnementales).
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16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
1. Il convient plutôt de dire déjà les dépressions, tant celles-ci sont plurielles dans leurs formes
cliniques comme au regard des enjeux psychopathologiques qui les sous-tendent.
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Introduction
plus reconnu comme tel. Sans doute faut-il signaler toutefois l’augmentation de
plus en plus préoccupante sur le plan sociétal des solutions psychopathologiques
agies, des troubles du comportement aux formes variées là encore et dans lesquels
l’agressivité – sinon même la violence – prédominent. Dans l’anorexie mentale par
exemple, la destructivité du sujet se déploie massivement contre lui-même, contre
le corps propre. À l’inverse dans les agirs délinquants, psychopathiques, meurtriers
de manière extrême, la violence pulsionnelle déferle sur les objets matériels de la
réalité extérieure, sinon même sur la psyché et/ou le corps d’autrui. En plusieurs
décennies, la souffrance psychique a changé de visage, de registre, non pas que
le sexuel ou même « le sexual » (Laplanche, 2007), moteur de la vie psychique et
de ses souffrances, ait disparu ou ne soit devenu caduc mais peut-être le sexuel
n’est-il plus le seul régime en souffrance ou en panne chez l’homme dans la société
postmoderniste hypernarcissique et/ou bien alors s’agit-il d’un sexuel pulsionnel
violent dont la force (destructrice) ne parvient pas ou plus à être domptée par
l’individu voire le socius…
Force est bien de constater que la construction basique du moi, celle de son
narcissisme, s’est trouvée, au fil du temps, de plus en plus précaire, malmenée,
voire attaquée, amenant à constater dans la continuité de D.W. Winnicott le rôle
décisif que prend et joue l’environnement extérieur – plus précisément l’environ-
nement affectif et relationnel – avec ses qualités et fonctions (ou non) de portance,
de bienveillance et de sécurité, sur la structuration psychique du sujet singulier,
sur la construction de sa psyché, de sa personnalité, en somme sur les processus
de subjectivation.
1. Et même si les psychologues cliniciens et les psychanalystes peuvent eux aussi se prononcer et
proposer en conséquence des analyses psychodynamiques de ces liens intersubjectifs, groupaux
et sociaux.
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16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Si les quinze cas cliniques initiaux sont demeurés inchangés dans la présente
édition, celle-ci n’a pas non plus envisagé de transformation majeure dans leurs
analyses psychopathologiques respectives. Tout au plus a-t-on ajouté parfois, de-ci
de-là, quelques légers ajouts ou compléments, favorisés par le travail de l’après-
coup. Il ne fait pas de doute que ce travail de l’après-coup serait justement propice
à plus ample approfondissement de ces études cliniques, à l’affinement encore de
certaines hypothèses tant diagnostiques, processuelles que pronostiques et théra-
peutiques. Nous avons renoncé à cette option de manière à ce que cet ouvrage de
cas reste suffisamment accessible pour les lecteurs néophytes en psychopatho-
logie clinique dans leur découverte et dans l’utilisation de la méthodologie clinique
préconisée. En revanche le chapitre d’Ouverture destiné à la présentation et à
l’explication de celle-ci s’est enrichi de compléments, destinés à souligner l’intérêt
et la fécondité de cette méthode. Enfin, cette nouvelle édition s’est étoffée de réfé-
rences récentes de publications qui accompagnent chacune des études cliniques. La
bibliographie générale en fin d’ouvrage a, elle aussi, été actualisée1, car l’abord du
sujet contemporain, qui plus est souffrant psychiquement (comme somatiquement
d’ailleurs), requiert une vision renouvelée de la complexité de la vie psychique, de
ses processus, conflits et déterminants que seule peut garantir une ouverture sur des
regards, des écoutes, des sensibilités autres, pluriels, diversifiés et aussi nouveaux.
N’est-ce point ici une reconnaissance de l’altérité, une inscription dans l’ordre
générationnel ? Cela même qui fait justement défaut dans les pathologies préœdi-
piennes, dans les actuelles pathologies du narcissisme (de l’excès narcissique tout
aussi répandu que sa pathologie carentielle). Force est alors de constater combien
la méthode clinique ici préconisée porte la trace même de son objet, à savoir la vie
psychique et (certains de) ses enjeux !
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Ouverture
D’une méthode
en psychopathologie clinique
et de sa nécessité
Conformément à l’esprit dans lequel nous avons entendu à l’origine et faite
nôtre la proposition de Jean Ménéchal relative à la conception de cet ouvrage de
cas cliniques, celui-ci propose une méthode particulière destinée à permettre à
l’apprenti psychologue et psychopathologue d’effectuer ses premiers pas sur le
terrain de la souffrance psychique et de sa compréhension clinique. Ce recueil de
cas offre donc un éclairage théorico-clinique, à qui s’intéresse à l’approche, à l’étude
et à la compréhension de certaines souffrances psychiques humaines.
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16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
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D’une méthode en psychopathologie clinique ■ Ouverture
Pourquoi ces cinq points ? C’est ce que nous allons expliciter au cours de cette
ouverture introductive, après une présentation plus générale de cet ouvrage.
Celui-ci s’organise autour de seize cas cliniques et concerne des sujets adultes
d’âges, de genres, d’origines et de contextes socioculturels divers. Ils ont été retenus
pour leur dimension d’exemplarité respective dans le champ de la psychopatho-
logie, sans pour autant prétendre à l’exhaustivité – laquelle ne saurait exister dans
le champ clinique, comme on l’a, en préambule, rappelé.
Les observations de dix d’entre eux ont été initialement conçues et rédigées par
J. Ménéchal ; il s’agit des observations suivantes (par ordre d’apparition dans l’ou-
vrage) : Leïla, Bruno, Emmanuelle, Madame Blanche, Léonard, Tarek, Icare, José,
Élise et Olga. Six autres leur ont été ajoutées afin de couvrir un plus large spectre
des troubles psychiques ordinairement rencontrés dans la pratique clinique. Notre
collègue P. Roman, professeur de psychopathologie à l’université de Lausanne, a
réalisé l’intégralité d’une observation et de son analyse psychopathologique, suivant
la méthode proposée : il s’agit du cas de Christophe L.1. Nous avons de notre côté
ajouté les cas de Madame Fraile, d’Éléonore, du couple formé par Monsieur et
Madame Sic, de Monsieur Some et enfin de Christiane.
Lorsqu’il existait des éléments et pistes d’analyse des cas proposés (à titre de
correction destinée aux étudiants) par J. Ménéchal, ceux-ci ont été systématique-
ment repris et intégrés aux présentes études : cela concerne les cas de Bruno, de
Léonard, d’Icare et de José.
Ces cas ont donc été choisis pour donner une représentation des formes
majeures de la psychopathologie contemporaine. Ainsi le lecteur trouvera-t-il une
illustration de certaines des grandes formes cliniques que revêtent la souffrance et
la désorganisation psychiques telles qu’on peut les rencontrer aujourd’hui, dans
divers dispositifs d’accueil et de soin qui plus est. Ceux-ci vont de la consultation
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
1. Compte tenu de ces éléments, le lecteur pourra parfois observer une disparité stylistique entre
les diverses études de cas.
2. En centre hospitalier général ou en services de psychiatrie, intra ou extra-muros, comme les
centres médico-psychologiques.
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16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Chacun de ces cas soulève des questions tant théoriques que techniques et théra-
peutiques qui lui sont propres mais également communes.
La première question posée par ces cas est celle du diagnostic. En effet, nombre
de ces cas cliniques sont propices à des discussions diagnostiques différentielles,
voire divergentes, compte tenu de l’expression symptomatique multiforme, d’une
part, et de la diversité des modalités de fonctionnement psychique, d’autre part,
repérables chez un même sujet. À ce titre, ces « cas » pointent et montrent bien
les limites des classifications et autres taxinomies qui seraient tentées de réduire
l’incroyable complexité et l’inexorable richesse du fonctionnement psychique
humain – ou qui font parfois fi de celles-ci – aux seuls désordres manifestes, à la
seule sémiologie, et même aux simples caractéristiques de l’organisation psycho-
logique sous-jacente (ou structure psychique) du sujet. C’est pourquoi ces cas font
notamment l’objet d’une double évaluation diagnostique. Un diagnostic d’abord
symptomatique, puis structurel.
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D’une méthode en psychopathologie clinique ■ Ouverture
Une autre critique formulée depuis, tant à l’encontre des classifications psychia-
triques que de l’activité diagnostique elle-même, réside dans leur dimension
d’assèchement, voire de dévitalisation du sujet, un sujet en souffrance faut-il le
rappeler. Le principal reproche que d’aucuns ne se privent pas d’émettre envers
la classification (et même envers le diagnostic pathologique), c’est alors d’aboutir
à une typologie fixe qui immobilise les conduites, les attitudes du sujet lesquelles
sont, de plus, isolées de leur contexte intra- et intersubjectif de survenue, et de ce
fait aussi privées de leur sens. Les signes pris en compte dans ces tableaux psycho-
pathologiques s’avèrent désinsérés de la personnalité et de l’histoire personnelle
du sujet chez qui on les observe, d’une part, et des situations affectives et relation-
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
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16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Bien évidemment, le clinicien ne saurait s’en tenir aux seules dimensions symp-
tomatiques ou manifestes du comportement du patient. C’est ici que s’impose
pour le clinicien, plus que le diagnostic pathologique, la recherche d’un deuxième
type de diagnostic, le diagnostic structurel – auquel il est donc porté une attention
soutenue dans les études de cas suivantes et qui constitue le deuxième point, ou
vertex, de la méthode préconisée et adoptée dans cet ouvrage.
1. Pour plus de détails sur celles-ci, nous renvoyons le lecteur à l’ouvrage de Ionescu (2010).
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D’une méthode en psychopathologie clinique ■ Ouverture
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16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
1. Car les manifestations dépressives ne sont en effet pas l’apanage des seuls sujets-limites ; elles
peuvent s’observer au sein de toute personnalité psychologique, chez qui elles revêtent alors une
signification propre à l’économie psychique du sujet concerné en regard de sa lignée structurelle.
2. À la nuance près d’une certaine instabilité, toutefois, pour le sujet-limite.
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D’une méthode en psychopathologie clinique ■ Ouverture
étudiés ici, quelles notables différences en effet entre Éléonore, jeune patiente bouli-
mique, Madame Fraile, femme dépressive porteuse de troubles somatiques divers,
et Christophe L., aux comportements psychopathiques, chez lesquels pourtant on
mettra sans conteste en évidence l’existence d’une personnalité (et d’une économie)
limite sous-jacente à toutes leurs expressions symptomatiques, franches ou larvées !
l’autre des pathologies afférentes à la structure dont il est le plus proche. Ainsi un
sujet-limite ayant conservé certaines fixations aux étapes archaïques de son déve-
loppement psychoaffectif pourra-t-il, en cas de décompensation, présenter, outre
la dépression (limite), des symptômes de la série dite psychotique.
1. Car ne bénéficiant pas des solides assises que lui conférerait une authentique structure mentale.
C’est d’ailleurs pour cette raison que Bergeret n’a pas accordé, sur le plan terminologique, le statut
de « structure » à cette configuration psychologique, préférant parler à son égard d’astructuration,
contrairement aux structures psychotiques et névrotiques.
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16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Mais les sujets-limites ne sont pas les seuls concernés, exposés au risque psycho-
tique. En effet, si l’on suit le modèle de la troisième topique, dite encore topique
du clivage, proposée par Dejours (1986, 2001), il apparaît que la décompensa-
tion délirante par exemple, ou même le passage à l’acte et la somatisation, tous
rejetons de l’inconscient non représenté, non pensé (ou « inconscient amential »,
selon la terminologie de l’auteur) peuvent advenir chez tout individu, quel que soit
son degré d’organisation psychique propre et spécifique, dès lors que chez lui « la
zone de sensibilité de l’inconscient » (Fain, 1981) se trouve activée, effractée par
une épreuve de réalité – faisant, au passage, voler en éclat le mécanisme du déni,
lequel assure d’ordinaire une protection efficace, chez tout sujet là encore. Sans
remettre fondamentalement en cause le principe structurel, la topique du clivage
décrite par cet auteur montre les limites d’une conception par trop schématique
des structures mentales1.
1. Enfin, des structures mentales conçues comme une ossature rigide. Même si en effet le modèle
de Bergeret souligne l’irréversibilité de la structuration psychique après la résolution de la crise
adolescente (irréversibilité qui se discute au regard des enjeux et effets du travail psychique
approfondi), l’auteur n’en reconnaissait pas moins l’existence d’une pluralité possible de méca-
nismes et/ou d’angoisses et/ou de modes relationnels susceptibles d’être activés chez l’individu,
quel que soit son mode (ou pôle) d’organisation psychique dominant. La critique a sans doute
trop retenu et souligné le caractère fixiste de cette conception structurale en psychopathologie
là où elle laissait néanmoins toute sa part – et place – à la diversité de la vie psychique.
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D’une méthode en psychopathologie clinique ■ Ouverture
névrotiques. Ceux-ci sont susceptibles d’être activés, mobilisés chez le sujet – chez
tout sujet, redisons-le – à la faveur de son existence, de ses expériences dans la réalité
et de ses rencontres avec autrui. C’est d’ailleurs ici que se dessine le rôle, clef, que
tient l’objet dans l’équilibre psychique individuel. L’autre, la relation du sujet avec
cet autre, et plus encore le mode de lien noué et engagé dans l’interrelation, sont
d’éminents facteurs d’équilibration de la personnalité et réciproquement de désor-
ganisation psychique (voire psychosomatique) de l’individu.
s’en rendra vite compte, la pensée unique ne domine pas dans les analyses cliniques
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16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
proposées. Le choix a été de privilégier ici des modèles et des théorisations psychanaly-
tiques explicatifs du fait psychopathologique s’avérant1 les plus pertinents, signifiants,
eu égard à la singularité de chaque cas clinique considéré. Ainsi ont été élaborées et
formulées des hypothèses convoquant tantôt les références freudiennes, tantôt les
travaux kleiniens, bioniens, winnicottiens, lacaniens, sans parler de nombreux autres
auteurs, anciens et plus contemporains2, appartenant au courant psychanalytique.
Parfois aussi ont été sciemment évoqués des auteurs et travaux extrinsèques au
champ psychanalytique (à commencer par les éléments de sémiologie psychiatrique)
car, ainsi que son histoire le met en évidence, la psychopathologie est fondamentale-
ment une discipline transversale à beaucoup d’approches. Elle n’est pas l’apanage de la
psychologie ni celui de la psychanalyse, pas plus que de la seule psychiatrie. La psycho-
pathologie en tant que discipline propre ayant pour objet l’étude, la description et
l’explication des troubles et souffrances psychologiques s’est en effet historiquement
forgée, ainsi que le rappelle Beauchesne (1986), au contact de quatre grands courants :
l’organogenèse (et plus particulièrement la psychiatrie, en tant que branche de la
médecine spécialisée dans l’étude des troubles affectant le cerveau), la philosophie
(plus précisément, le courant phénoménologique), le courant psychosociologique
et, enfin, l’approche psychanalytique. Aujourd’hui il existe bien plus d’approches de
la psychopathologie que ces quatre originaires. Ionescu, dans l’un de ses premiers
ouvrages (1991), n’hésitait pas à en recenser au moins quatorze ! Aujourd’hui il en liste
même 15 (Ionescu, 2015). C’est dire que la psychopathologie, même en ce xxie siècle,
continue d’intriguer au point de susciter de multiples hypothèses étiologiques, expli-
catives, à l’intérieur sinon à l’entrecroisement3 de disciplines au demeurant aussi
disparates qu’antagonistes, ayant toutes, peu ou prou, un caractère légitime. Cette
1. De notre point de vue… Force est alors de reconnaître la dimension subjective d’un tel choix.
2. Nous nous excusons ici auprès de nombreux spécialistes en psychopathologie d’hier et d’au-
jourd’hui qui n’apparaissent pas expressément cités dans cet ouvrage mais dont les travaux ont,
de près ou de loin, sédimenté et fertilisé notre pensée clinique et continuent de le faire.
3. Ainsi en est-il justement de l’approche intégrative en psychopathologie (cf. Ionescu, 2015),
laquelle intègre simultanément les perspectives autant biologique que psychologique, sociale et
culturelle. Vivement critiquée par les autres spécialités de la psychopathologie, au (soi-disant) motif
de l’impossible articulation de facteurs relevant d’épistémologies radicalement différentes entre
elles, cette approche a au moins le mérite de proposer une lecture plurielle ou la plus complexe
possible du fonctionnement psychique et de ses souffrances. Le lecteur intéressé par une vision
d’ensemble en psychologie (cette fois-ci seulement) d’un même cas clinique pourra aussi se reporter
au livre de S. Schauder et de ses collaborateurs, L’Étude de cas en psychologie clinique. 4 approches
théoriques (Paris, Dunod, 2012) dans lequel une même observation clinique est commentée et
analysée sous l’angle de quatre référentiels théoriques différents : cognitivo-comportemental, ethno-
psychiatrique, systémique et psychanalytique. Les échanges et débats inter-sous-disciplinaires en
psychologie sont tellement rares qu’on ne saurait omettre de les signaler.
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D’une méthode en psychopathologie clinique ■ Ouverture
Nous avons donc tenu à évoquer cette diversité théorique (intrinsèque ou extrin-
sèque au champ psychanalytique), ne serait-ce que succinctement dans les cas
qui s’y prêtaient, même si en tant que psychologue clinicienne nous souscrivons
d’abord et fondamentalement à l’approche psychodynamique du sujet comme de
sa souffrance quelle qu’en soit l’expression manifeste.
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16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Le quatrième grand axe retenu pour l’étude des cas cliniques est consacré au
repérage des enjeux transférentiels et contre-transférentiels. En effet, une réelle
étude clinique de la psychopathologie ne saurait être conduite sans l’identification
d’abord, puis l’analyse autant que faire se peut, des manifestations psychiques et
affectives, conscientes et inconscientes, mobilisées dans la rencontre clinique entre
les deux protagonistes de l’interrelation. Nous désignons ici par transfert ce que le
patient va venir, inconsciemment la plupart du temps, projeter sur la figure du clini-
cien et réactualiser dans la relation avec lui certains modes de relations intériorisées
dans son histoire infantile. Réciproquement, le contre-transfert désigne ce qui va
venir habiter ce professionnel, consciemment et inconsciemment là encore, dans sa
rencontre singulière avec le patient1 – l’analyse de ces vécus contre-transférentiels
s’avérant nécessaire en vue de parer au développement de contre-attitudes, dans
la relation thérapeutique, lesquelles seraient induites par le transfert du patient.
1. À cet égard, on doit mentionner certaines réserves ou limites des observations cliniques
présentées. En effet, la présentation écrite d’un cas est déjà tout entière infiltrée de la subjectivité
de son auteur que l’on serait bien en peine ici d’éradiquer.
2. À quelques nuances près. Certains points ont parfois pu être regroupés pour des raisons de
clarté et de cohérence d’exposé.
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D’une méthode en psychopathologie clinique ■ Ouverture
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16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
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D’une méthode en psychopathologie clinique ■ Ouverture
le constater, chacune de ces études de cas est conduite de manière à faire ressortir
la diversité des enjeux psychiques et de leurs manifestations chez un même sujet,
c’est-à-dire l’intrication de problématiques, d’angoisses, de conflits, de défenses…
de différentes natures, des plus archaïques aux plus névrotiques, et de leurs raisons
d’être…
Un mot également sur le nombre de cas dans chacun de ces chapitres : comme
le lecteur ne manquera pas de le noter, les enjeux strictement névrotiques sont
réduits à la portion congrue dans ce recueil (deux cas sur seize), tandis que celui-
ci fait la part belle aux problématiques narcissiques sous ses nombreuses formes
(huit cas) ainsi qu’aux enjeux plus archaïques à proprement parler (six cas). Ces
perspectives se sont imposées au regard de la clinique contemporaine, porteuse et
révélatrice d’aménagements précaires de la personnalité, de pathologies de l’agir, de
souffrances narcissiques accrues et de désordres identitaires fonciers. S’il importe
bien sûr sur le plan psychopathologique de considérer la névrose sur le plan d’un
mode de personnalité offrant richesse et plasticité d’expression pour le sujet, avec
ou sans productions symptomatiques, n’en reste pas moins évident aujourd’hui
que les affections névrotiques ne constituent pas l’ordinaire du psychologue ni du
psychopathologue clinicien ; les enjeux narcissiques, les problématiques d’indif-
férenciation, d’intrusion mais également celles d’abandon sont bien plus saillants
et fréquents, sous des formes et figures extrêmement variées, comme nous avons
tenté d’en rendre compte.
Derniers mots avant de s’engager plus avant dans ces études psychopathologiques.
1. Citons à cet égard, depuis la première parution de ce recueil de cas, la publication de l’ouvrage
de cas cliniques de L. Fernandez et al., Psychopathologie des addictions : 12 cas cliniques (Paris,
In Press, 2010).
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16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
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Chapitre 1
Conflits génitaux
et expressions névrotiques
Sommaire
1. De l’hystérie… : Leïla........................................................................................ 39
2. Névrose obsessionnelle et troubles
de l’identité masculine : Bruno......................................................................... 53
1. De l’hystérie… : Leïla
Après la naissance de cette petite fille, elle avait rencontré le père de Christian,
son second enfant. Elle avait obtenu un travail de caissière dans une chaîne de
restauration collective, et aimait bien ce type de contact avec la clientèle, où elle
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
réussissait très bien. En particulier, elle restait très souriante et agréable, malgré les
nombreuses récriminations des usagers contre la lenteur de la chaîne, le manque
de variété des repas ou leur prix. Elle se disait volontiers « intuitive », et capable
de prédire du premier coup d’œil quelle serait l’attitude du client à son égard.
Beaucoup l’appréciaient d’ailleurs pour son affabilité et sa prévenance, et le soin
apporté à sa tenue qui tranchait avec la morosité de cette cantine. Il en résultait une
grande jalousie de la part de ses collègues, exacerbée par le manque de rationalité
des clients : à chaque repas, dit-elle, c’est elle qui avait « toujours la plus grande
queue pour attendre à sa caisse », ce qui déclenchait des réactions d’hostilité ouverte
des autres caissières, nettement plus âgées.
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16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Ses troubles avaient commencé là, il y a quatre ans. Ils étaient dus à la disposi-
tion particulière de son écran d’ordinateur par rapport à une vitre qui lui faisait
face. Techniquement, elle devait d’abord regarder le client pour le saluer, puis
son plateau, taper sur son clavier la nature des plats choisis, vérifier sur l’écran,
et annoncer le total au client. Entre le moment où elle quittait son écran des yeux
et celui où elle croisait le regard de son client, il y avait un reflet dans une vitre
en face qui l’éblouissait systématiquement. Cela lui avait créé des insomnies et
des nausées au point qu’elle avait dû quitter son emploi. Le père de Christian
l’avait beaucoup aidée dans cette période, qui avait été marquée pour elle par de
nombreuses difficultés somatiques, assez incompréhensibles. En particulier, elle
avait eu un trouble de la vue persistant qui réduisait considérablement son champ
de vision. C’est à ce moment-là qu’elle avait pris la décision de faire opérer son fils,
avec les conséquences dramatiques qui s’en étaient suivies.
Le décès de son fils l’avait beaucoup affectée et elle avait décidé de s’en défendre
en n’en laissant rien paraître. Elle avait eu des hallucinations pendant plusieurs mois,
en particulier au petit matin, où, juste au moment du réveil, elle le voyait près de son
lit. N’en parlant à personne, elle continuait de mener une existence apparemment
normale. Plusieurs de ses proches, qui l’avaient revue alors qu’elle promenait sa fille
dans le jardin public, avaient été extrêmement troublés par son grand détachement.
Le seul moment où elle se sentait vraiment menacée était lorsqu’elle entendait des
voix qui l’accusaient d’avoir tué Christian parce qu’il était le fils d’un Européen. Elle
s’enfermait alors avec les quelques objets qu’elle avait conservés de son enfance,
en particulier un petit bol en métal argenté dans lequel sa mère lui avait montré
comment il était possible de se regarder déformé en faisant varier les angles. Puis
les hallucinations avaient cessé. Avaient alors recommencé ses insomnies et cette
impossibilité de se retrouver seule dans un grand magasin. Une amie lui avait conseillé
de consulter pour obtenir des tranquillisants. Elle avait peur de devenir folle.
40
Conflits génitaux et expressions névrotiques ■ Chapitre 1
Arrêtée dans un magasin alors qu’elle volait des produits de maquillage, une
perquisition menée par la police à son domicile découvre une véritable collection
de rouges à lèvres, mascara et vernis non utilisés, dont elle assure qu’ils ne sont pas
destinés à une revente frauduleuse. À l’occasion de cette enquête, elle noue une rela-
tion avec l’inspecteur chargé de l’interroger, mais se plaint au psychologue du peu de
« compréhension » et de « tendresse » dont fait preuve cet homme. Elle s’interroge
sur la possibilité de garder l’enfant qu’elle attend de lui, et dont il ne veut pas.
La deuxième raison tient au fait que le cas de Leïla interroge de manière centrale
le rapport à la culture – ici maghrébine – et son rôle, central ou latéral, dans la
détermination des conflits sinon des troubles psychiques du sujet ainsi que dans
leur explication. En effet, une analyse par trop rapide pourrait conduire à mettre
l’accent sur le poids répressif de la culture maghrébine sur le sujet féminin, entra-
vant, voire brimant son autonomie, sa liberté, sexuelle notamment. Recourir trop
hâtivement aux poids des facteurs culturels dans l’explication – et la rationalisa-
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
Enfin, la troisième et la plus importante des raisons tient au fait que ce cas met
en lumière de manière assez exemplaire la problématique névrotique. Sur le plan
41
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
42
Conflits génitaux et expressions névrotiques ■ Chapitre 1
Avant d’envisager la nature de ses troubles, il faut noter la conscience qu’a Leïla
de ceux-ci (surtout les plus récents) : la patiente est angoissée et a peur de devenir
folle. C’est donc l’angoisse qui est ici organisatrice du tableau clinique, angoisse
qui a d’ailleurs poussé Leïla à venir consulter.
Cette angoisse se circonscrit autour d’une phobie (ou peur irraisonnée) ; il s’agit
plus précisément de la peur, pour Leïla, d’entrer seule dans un grand magasin pour
effectuer ses achats. Ce lieu phobogène suscite chez elle des conduites d’évitement
sauf si elle est accompagnée – l’accompagnateur jouant alors pour elle un rôle
d’objet apaisant ou contraphobique. Cette peur d’entrer dans les magasins est
associée, comme on le verra plus tard, à la peur de croiser des gens, notamment
des hommes, et leurs regards surtout.
1. La présence d’un accompagnateur dans les magasins permet aussi à Leïla, consciemment ou
non, d’éviter ces conduites de vol.
43
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
« capable de prédire au premier coup d’œil l’attitude du client à son égard »), les
contenus à symbolisme sexuel de son discours (voir supra) joints à ses conduites
d’évitement et de fuite des situations dérangeantes (magasin, lieu de travail,
séance avec le psychologue) convergent eux aussi vers le diagnostic de névrose,
et plus particulièrement d’hystérie. Il reste toutefois à apprécier plus finement le
type d’hystérie – hystérophobie ou hystérie de conversion ? – compte tenu de la
double nature des symptômes relevés ici et à confirmer, par l’analyse psychodyna-
mique, la nature génitale des angoisses, conflits, fantasmes et défenses.
1. Cette rémission est aussitôt suivie de la réapparition des troubles physiques (insomnies), plus
habituels chez Leïla, marquant le retour de la problématique névrotique sur le devant de la scène.
44
Conflits génitaux et expressions névrotiques ■ Chapitre 1
Remarque préliminaire
Toujours est-il que Leïla vit en France depuis quatre ans, dans des conditions
sociales difficiles sinon précaires (sans papiers à son arrivée, elle a « réussi à vivre
quelques mois d’expédients », « de galère en galère, et d’aide sociale en foyer »),
séparée successivement des deux pères de ses enfants. Mais elle ne semble pas souffrir
outre mesure de cette situation ; il n’y a chez elle ni plaintes ni états d’âme particu-
liers à ce sujet. Sans aller jusqu’à invoquer une indifférence de sa part à l’égard de sa
situation sociale et matérielle, il semble que pour Leïla les difficultés soient ailleurs…
Mécanismes psychiques
45
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
À noter encore, parmi les stratégies défensives de Leïla, des conduites d’évite-
ment, destinées, comme leur nom l’indique, à éviter le contact avec l’objet perçu
comme dangereux – et qui n’est autre ici que l’objet du désir du sujet (voir supra).
Les troubles de Leïla ont débuté sur son lieu de travail et peu de temps après la
naissance de sa petite fille. Les situations relationnelles auxquelles elle se trouvait
exposée sur ce lieu de travail sont visiblement (!) entrées en résonance symbolique
avec ses conflits internes, sans parler de ce que la naissance de son enfant est aussi
venue (ré)activer dans son économie psychique et fantasmatique.
46
Conflits génitaux et expressions névrotiques ■ Chapitre 1
que l’obtention de l’objet génital, soit symboliquement ici le phallus paternel1. Selon
Leïla, c’est toujours « elle qui avait la plus grande queue ». Par ces termes, Leïla
exprime symboliquement son désir infantile de détrôner la rivale œdipienne qu’est
la mère, et d’obtenir l’objet du désir de celle-ci (à savoir le phallus paternel, ou plus
précisément le pénis, ou son équivalent, tel un enfant, en référence à la théorie
freudienne de la féminité). C’est donc une problématique œdipienne qui est ici en
jeu, montrant clairement au passage les relations d’objet de nature triangulaire et
génitale dans l’économie psychique de Leïla. Nous y reviendrons plus bas.
L’arrêt de ce travail – qui équivaut ici à une fuite, un évitement de l’objet source
du désir inconscient – ne règle cependant pas les conflits et tourments de Leïla,
puisqu’un nouveau type de troubles apparaît dorénavant chez elle. La phobie
succède à la conversion, signe que l’angoisse (de castration – voir supra) n’est plus
endiguée, ou gérable, par la voie précédente. La problématique psychique incons-
ciente perdure bel et bien et réapparaît (par déplacement) dans un autre contexte
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
47
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
sur elle, l’accompagnatrice femme jouant ici le rôle de tiers interdicteur (présence
surmoïque) de ces rencontres à symbolisme sexuel.
Pourquoi le regard ? De quoi est-il synonyme pour Leïla pour qu’il soit à ce point
sanctionné (équivalents de castration là encore) ? Quel est le sens de ces troubles
qui l’empêchent de voir ? Que s’agit-il pour Leïla de ne pas voir ? De quel regard
encore cherche-t-elle à se prémunir ?
Le regard est chez Leïla associé à la séduction (cf. vol des produits de maquil-
lage), aux hommes et à la sexualité fortement érotisée, conflictualisée ; source de
plaisirs coupables, cette zone érogène devient alors comme frappée d’interdit – ou
castrée – et par voie de conséquence devient objet d’affec(ta)tion. On assiste à ce
que l’on appelle un déplacement du bas (des organes génitaux) vers le haut (les
yeux, sans oublier la zone oro-œsophagienne, elle aussi affectée, par des nausées
et des quintes de toux).
Le regard, c’est encore et surtout pour Leïla le symbole de son père, la sévé-
rité (redoutée) du regard de celui-ci. Mais pourquoi cela est-il si redouté chez
Leïla ? Quel forfait a-t-elle accompli pouvant mériter la sanction paternelle ou la
castration ?
Éviter le père et son regard équivaut certes pour Leïla à éviter le courroux
paternel face à sa liberté sexuelle et à ses comportements transgressifs des coutumes
culturelles mais plus encore des lois et interdits1 édictés par lui. Mais c’est aussi
et surtout pour Leïla éviter ses désirs œdipiens pour ce père2, désirs réactivés à
l’adolescence et désormais réalisables de par la maturation biologique.
48
Conflits génitaux et expressions névrotiques ■ Chapitre 1
On peut dire encore qu’aller contre (ou braver) les interdits paternels/culturels
n’est qu’une autre manière pour Leïla de réaliser ses propres désirs, une manière
symbolique de satisfaire ceux-ci. Cette hypothèse explicative trouve sa confirma-
tion, par exemple, au vu du comportement de séduction de Leïla à l’égard de
l’inspecteur de police, lui, représentant de la loi (et par voie associative représentant
paternel) – inspecteur de police dont elle attend un enfant (auquel elle a ravi un
enfant serait-il plus juste de dire car Leïla « s’interroge sur la possibilité de garder
l’enfant qu’elle attend de lui, et dont il ne veut pas »).
Un dernier point mérite d’être relevé dans l’analyse du cas de Leïla, faisant
également apparaître chez elle l’actualisation momentanée d’une problématique
de perte d’objet. Le décès de son fils Christian a pu agir (être vécu) chez elle sur
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
un double registre : à la fois comme une véritable castration pour ses désirs et
surtout comme la réalisation de désirs coupables (d’où les voix accusatrices) et plus
encore comme perte objectale. Contre le vécu douloureux, Leïla a su mobiliser des
ressources défensives : elle s’enfermait en effet avec les quelques objets conservés
de son enfance, et notamment un petit bol donné par sa mère. Par ce « jeu » auquel
1. Angoisse de castration liée tant à la peur que la pensée se réalise (source de la phobie) qu’à
celle de la réalisation de l’acte sexuel (source de la conversion).
49
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Leïla transfère massivement sa réalité psychique, ici ses imagos parentales, sur le
cadre soignant, plus précisément sur les deux thérapeutes qui assurent sa prise en
charge – psychiatre et psychologue. Avec eux, elle duplique, reproduit le scénario
relationnel de l’enfant (ou de l’adolescente) avec ses parents, objets bien discriminés
l’un de l’autre (et différenciés sexuellement) : psychologue-père au regard sévère
dont elle se plaint à sa mère-psychiatre. Cette situation ternaire actuelle révèle
bien, là encore, la nature œdipienne et triangulaire du fonctionnement psychique
et des relations d’objet de Leïla.
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Conflits génitaux et expressions névrotiques ■ Chapitre 1
Sur le plan médical, Leïla bénéficie d’un traitement médicamenteux prescrit par
la psychiatre. Sous l’évocation de tranquillisants, il s’agit sûrement d’anxiolytiques
destinés à juguler les états d’angoisse de Leïla. Si, par certains aspects, ce traitement
médicamenteux peut paraître (à certains psychanalystes par trop orthodoxes…)
venir entraver le travail psychothérapique, voire analytique, qui peut être proposé
à la patiente, il est aussi ce qui lui permet de continuer à avoir une vie sociale à
l’extérieur ; peut-être même ce traitement peut-il l’aider à reprendre une activité
professionnelle, ce qui, dans la conjoncture sociale et familiale qui est la sienne
ainsi que du point de vue du principe de réalité, ne serait pas superflu. L’intérêt
psychologique de ce traitement réside à cet égard dans la préservation des capacités
d’autonomie existantes de cette jeune femme.
L’idée d’une thérapie comportementale pourrait sans doute ici être suggérée à
la patiente, les symptômes phobiques constituant une bonne indication pour cette
forme de thérapie. À court terme seulement du moins, car il est en effet fréquent
d’observer dans l’après-coup de cette thérapeutique la résurgence des troubles ou
l’apparition de nouveaux troubles (mécanisme et dynamique du déplacement tels
51
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Bibliographie conseillée
André J., Lanouzière J., Richard F. (1999). Freud S. (1973). Névroses, psychoses et
Problématique de l’hystérie, Paris, Dunod. perversion, Paris, PUF.
Birraux A. (1994). Éloge de la phobie, Paris, Green A. (1973). Le Discours vivant, Paris,
PUF. PUF.
Denis P. (2011). Les Phobies. Paris, PUF, Harrus-Revidi G. (1997). L’Hystérie, Paris,
coll. « Que sais-je ? », 2e éd. PUF, coll. « Que sais-je ? ».
Freud S., Breuer J. (1895). Études sur l’hys- Le Guen, Anagyros, Janin (2010). Hystérie,
térie, Paris, PUF, 1981. Paris, PUF, coll. « Monographies de
Freud S. (1905). « Fragment d’une analyse psychanalyse ».
d’hystérie (Dora) », in Cinq psychanalyses, Ménéchal J. (1999). Qu’est-ce que la
Paris, PUF, 1954, p. 1-91. névrose ?, Paris, Dunod.1
52
Conflits génitaux et expressions névrotiques ■ Chapitre 1
2. N
évrose obsessionnelle et troubles
de l’identité masculine : Bruno
« Je vous fais confiance, mais… supposons que vous vous trompiez, supposons
que vous vous disiez : “Le type, il est là, il est dans cette case, et on va le faire passer
dans cette autre case…”, mais manque de chance, vous vous trompez de case, je
ne suis pas dans la première case… qu’est-ce qui me prouve que vous ne vous
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
1. Ce cas et une étude de celui-ci ont déjà fait l’objet d’une publication de Ménéchal (2000)
figurant dans le recueil collectif indiqué en bibliographie. Nous avons repris, avec l’accord des
éditions Dunod, certains éléments de ce cas en regard de la méthode clinique d’étude psychopa-
thologique privilégiée ici. Le lecteur n’hésitera toutefois pas à compléter cette approche à l’aide
du texte antérieur de Ménéchal.
53
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Bien entendu, ce n’est pas sans quelques frissons dans le dos qu’il imaginait son
interlocuteur – comme il le lui signala d’ailleurs – reprenant à son compte, pour
s’enrichir à ses dépens, le premier dicton au demeurant assez bien frappé. L’idée
lui faisait horreur au point d’en étrangler le son dans sa bouche, et de l’amener à
des contorsions physiques que le silence du clinicien portait à leur comble.
1. Bruno s’était fait une spécialité de séduire des hommes mariés, sans jamais passer à l’acte. Une
fois la personne discrètement approchée, en général sur la plage, rendez-vous était pris de nuit
à son domicile, où il la dévalisait contre une menace de dévoilement à la famille.
54
Conflits génitaux et expressions névrotiques ■ Chapitre 1
Depuis cette « dépression », quelques années auparavant, et bien que ses prin-
cipaux indicateurs, selon son expression, soient « au vert », une inquiétude sourde
globalement le tenaillait, et parfois le tenaillait viscéralement. Il donnait certes
le change vis-à-vis de ses amis ou de ses relations professionnelles, grâce à un
conditionnement parfait sous-tendu par la nécessité, qui craquait cependant régu-
lièrement dans des scènes violentes qui renforçaient son image de « dur ». Mais un
début d’alcoolisation de sa femme, imparfaitement dissimulé, et surtout des accès
de sa part d’une grande et brutale violence ménagère, inexpliquée et incontrôlable,
qui terrorisaient sa jeune enfant, lui avaient fait envisager une démarche de type
analytique dont il ne voulait cependant pas entendre le nom.
Tout cela, il pouvait en désigner cependant l’origine. Toute cette haine, c’était
celle de cette mère folle, de noir toujours vêtue, qui hurlait lorsque l’une des six
nappes superposées sur la table de salle à manger pour la protéger était par mégarde
plissée par un geste malencontreux. Qui hurlait encore lorsque un signe – un
jouet par exemple – pouvait rappeler la vocation première de cette pièce devenue
commune : la chambre des enfants qui hurlait également. Et de plus belle quand
son mari rentrait, après avoir probablement prolongé la journée au café du coin.
Alors il la battait, ou faisait mine de. Et elle s’enfermait avec lui, Bruno, pendant un
temps qui lui semblait de longues heures, dans le noir, dans les toilettes. Du noir,
il en sera de nouveau question plus tard dans l’entretien1 à propos de ses frasques
passées, cette « merde noire » de laquelle il avait réussi à sortir à la force du poignet.
« Je ris, dit-il alors, en étouffant un petit ricanement sec, parce que je pense que
vous allez faire le rapprochement avec le noir que j’avais vu chez ma mère… Et ça
n’a vraiment rien à voir… »
Bruno évoque ensuite des douleurs abdominales ayant justifié plusieurs consul-
tations de spécialistes en urgence, sans succès. Pour le coup, dans la merde, il y
était vraiment, dit-il encore. Il tenait de la lecture récente d’un article de journal
de renom la connaissance de la relation entre les excréments et le don pour le
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
petit enfant. Cette idée le faisait rire aux larmes, et il se mit à prendre à témoin le
clinicien du caractère désopilant que pouvait revêtir le fait de prédire l’avenir d’un
homme au travers de ses premières hésitations intestinales infantiles. Bruno se mit
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16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
néanmoins à avouer, non sans mal, s’être livré au rituel du grummus merdæ1 au
détour d’un souvenir de délinquance.
2.2.2 De la symptomatologie
1. Décrit précisément par Freud comme la contrepartie de l’acte de cambrioler et qui consiste
à marquer son passage en déféquant dans le lit des victimes…
2. Et réciproquement d’obsessionnalité dans l’hystérie.
56
Conflits génitaux et expressions névrotiques ■ Chapitre 1
et l’angoisse qui étreignent Bruno, ses rituels incessants et incontrôlables (les acti-
vités de comptage où que se trouve Bruno, ses vérifications), son investissement
du savoir et son rapport au langage marqué, on en reparlera plus loin, d’un fort
intellectualisme, corrélatif d’une froideur affective non moins intense1.
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16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
2.2.3 L
a dynamique intrapsychique
(aspects structuraux et point de vue dynamique)
Par ailleurs, si l’analité vient parasiter la sexualité, elle protège Bruno dans le
même temps de la sexualité génitale et de sa reconnaissance de l’autre différent.
Il s’agit là d’une fixation sur le mode de la résistance à l’élaboration œdipienne.
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Conflits génitaux et expressions névrotiques ■ Chapitre 1
de façon classique, même si elle s’organise ici de façon plus complexe. Car l’inter-
rogation de Bruno concernant sa masculinité est d’abord un questionnement sur la
façon dont l’autre prend en considération sa masculinité : « Comment puis-je être un
homme si j’ignore si les autres me considèrent comme un homme ? » Le jeu déployé
avec les hommes mariés et sensibles à ses charmes maintient la question ouverte…
Dans la névrose obsessionnelle, l’équilibre établi par Freud autour des processus
de pensée et des expériences corporelles de plaisir, mais également autour des
matrices de l’agir et des stratégies intersubjectives vient rencontrer de façon très
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16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
La dénégation (cf. Freud, 1925b) est massivement présente chez Bruno (il ne
veut pas en savoir plus sur le travail du psychologue, ne veut pas même entendre
le terme d’analyse ; négation aussi du lien entre le noir et sa mère – toujours vêtue
de noir –, ou le noir du sexe de sa mère). L’intellectualisation (investissement du
savoir) est bien là, corrélative d’une évacuation de l’affect à mettre sur le compte
de l’isolation, outre le déplacement sur le corps (symptôme somatique : atroces
douleurs intestinales) dont la localisation est cohérente avec la problématique
psychique marquée par l’analité et la génitalité. À ce titre ces douleurs pourraient
bien signifier, sur le plan fantasmatique, la sanction (ou castration) méritée pour
ce rapproché érotique d’avec le corps de la mère, actualisé de plus dans la relation
avec le clinicien. L’angoisse organisatrice de cette personnalité et de son tableau
clinique apparaît alors bel et bien être une angoisse de castration sur le plan génital.
C’est clairement apparent dans le récit de l’observation clinique : l’angoisse étreint
Bruno dès la simple évocation (représentation) d’un fragment d’intime…
60
Conflits génitaux et expressions névrotiques ■ Chapitre 1
2.2.4 H
ypothèses psychogénétiques
et dimensions transférentielles
En tout cas, il est clair que l’analité a été le théâtre objectif d’une séduction
maternelle (mère qui s’enferme dans un lieu intime avec son fils…) – confirmant
au passage l’hypothèse freudienne d’un « choc sexuel présexuel » dans l’étiologie
de la névrose obsessionnelle. Cette séduction est encore vive dans le souvenir
du sujet, qui la revit transférentiellement dans l’entretien, puisqu’en présence du
psychologue, Bruno se met soudain à souffrir de ses atroces douleurs intestinales.
Bruno a également reproduit avec son épouse le climat conjugal jadis observé
dans le couple de ses parents. À noter que ce sont d’ailleurs les conduites ménagères
brusques ou violentes de son épouse (comme celles de sa mère…), ses conduites
alcooliques non dissimulées (comme celles de son père…), terrorisant leur jeune
enfant, qui l’ont amené à consulter, car réactivant très certainement son propre
désarroi infantile. En effet, comment Bruno pouvait-il, et peut-il aujourd’hui
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
encore, s’y retrouver quant à l’amour de sa mère pour lui, compte tenu de ces
attitudes maternelles contrastées envers lui : rapprochés corporels alternant avec
des hurlements et des scènes d’hystérie face au désordre ? Sans compter que son
père, bien que présent dans son enfance, ne semble pas, du point de vue de Bruno,
avoir pu tempérer suffisamment la « folie » (l’exagération) maternelle. Sans oublier
que le retour de ce père vers son Italie natale, laissant femme et enfants (devenus
grands), pourrait laisser penser à une démission paternelle sinon à une victoire
œdipienne… alors source de culpabilité et d’inquiétudes (d’angoisses de castration)
tenaillant, viscéralement parfois, Bruno.
61
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Bibliographie conseillée
Bouvet M. (1953). « Le moi dans la névrose Dorey (1988). Le Désir de savoir, Paris,
obsessionnelle », Revue française de Denoël.
psychanalyse, 1-2, 111-196. Freud S. (1909). « Remarques sur un cas
Brusset B., Couvreur C. (dir.) (1993). La de névrose obsessionnelle (L’homme aux
Névrose obsessionnelle, Paris, PUF, rats) », in Cinq psychanalyses, Paris, PUF,
Monographies de la Revue française de 1993, p. 199-261.
psychanalyse. Freud S. (1907-1931). La Vie sexuelle, Paris,
Cohen de Lara A., Ménéchal J., Marinov V. PUF, 1969.
(2000). La Névrose obsessionnelle, Freud S. (1925). Inhibition, symptôme,
contraintes et limites, Paris, Dunod.1 angoisse, Paris, PUF, 1951.
62
Chapitre 2
Problématiques narcissiques.
Figures dépressives
et solutions par l’agir
Sommaire
1. L’en-deçà de la névrose… l’état-limite : Emmanuelle........................................ 65
2. Dépression, pathologie du lien et incidences
dans la transmission : Madame Blanche et ses filles......................................... 80
3. Dépression, somatisations et pertes d’objet : Madame Fraile........................... 94
4. Troubles alimentaires et problématique identitaire : Éléonore......................... 102
5. Violence et troubles narcissiques : Christophe L............................................... 114
6. Perversion sexuelle et rôle de la création
dans l’économie psychique : Léonard................................................................ 137
7. Relations conjugales et narcissisme pervers : Monsieur et Madame Sic............ 148
1. L’en-deçà de la névrose… l’état-limite : Emmanuelle
Emmanuelle est inscrite en doctorat de biologie. C’est une bonne étudiante qui a jusqu’à
présent bien réussi aux examens, mais elle n’est cependant pas très satisfaite de ses études.
Elle voudrait apprendre un vrai métier, sans pour autant savoir lequel. Elle s’attribue la
responsabilité de cet état d’incertitude : elle ne sait pas quoi faire de sa vie. Cet aveu est livré
avec une émotion contenue, des larmes au bord des yeux.
Emmanuelle est la fille aînée d’un couple stable. Elle a une sœur cadette avec laquelle
règne une bonne entente, bien que leurs caractères soient assez différents : Sophie, qui a
20 ans, est très spontanée, les relations aux autres sont pour elle « faciles ». Emmanuelle
65
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
décrit un climat familial sans conflit particulier, sans beaucoup d’échanges non
plus. Elle a une fois essayé de parler à sa mère de ses difficultés. Celle-ci lui a dit
qu’elle-même avait été très timide, mais que cela avait disparu vers vingt ans ; elle
avait alors rencontré son premier amour, devenu son mari. Emmanuelle n’envisage
pas de quitter le domicile familial, effrayée par l’idée de solitude qu’elle y associe
immédiatement.
Emmanuelle a « toujours » été timide. Elle garde cependant des liens avec
ses amis de lycée qui l’invitent à des fêtes. Elle est contente d’être invitée, mais
éprouve toujours la même angoisse d’intervenir dans une conversation. Interrogée
sur sa consommation d’alcool dans ces circonstances et sur les effets de celui-ci,
Emmanuelle dit que non, ça ne l’aide pas ; si elle boit de l’alcool ça l’endort : c’est
presque pire. Elle lit un peu mais ne peut parler d’aucun livre qui l’ait intéressée.
Elle lisait surtout quand elle était au lycée, les livres recommandés par le profes-
seur de français. Elle va parfois au cinéma avec des amis mais est toujours étonnée
d’entendre leurs réactions passionnées à la sortie alors qu’elle n’en pense rien.
« Je me demande toujours si j’étais vraiment là », dit-elle, émue. En fait elle passe
beaucoup de son temps libre en randonnées solitaires. Elle adore la nature, et il lui
arrive de partir pendant quelques jours, avec le strict minimum. Elle prend même
parfois de gros risques dans des sports extrêmes de haute montagne, avoue-t-elle
en rougissant. Elle a imaginé un moment se retirer dans une lamaserie au Tibet
pour être plus proche des éléments.
66
Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
Madame T. s’est toujours arrangée pour que ses horaires de travail coïncident
avec les temps scolaires. Pourtant elle a dû faire garder Emmanuelle pendant les
cinq derniers mois de sa deuxième grossesse, car elle refusait d’aller à l’école, et
manifestait ce refus par de telles crises de larmes que l’institutrice a dû alerter les
parents. Emmanuelle passait donc la journée chez sa grand-mère paternelle, dont
elle garde une image de sévérité. Cette grand-mère est décédée il y a quelques
années. Emmanuelle « ne sait pas » si ce décès a affecté son père, fils unique et
depuis orphelin.
assez à l’aise avec elle en raison de cela. L’autre personne est aussi une femme dont
Emmanuelle pense qu’elle a organisé sa vie en séparant bien les choses : d’une part
la fac, d’autre part le cercle d’amis d’enfance qu’elle retrouve chaque fin de semaine
dans la ville dont elle est originaire, à plus de cent kilomètres. Cette personne ne
lui a jamais présenté l’ami avec qui elle vit mais qui fait partie de l’autre cercle.
Emmanuelle n’imagine pas pouvoir téléphoner à l’une ou à l’autre parce qu’« il lui
faudrait avoir quelque chose de précis à dire ».
67
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Elle a le projet de travailler pendant l’été dans l’entreprise de son père, comme
l’an passé. Elle a un bon souvenir de cette expérience : le travail n’était pas très
intéressant mais elle avait été bien accueillie par l’équipe, composée essentielle-
ment d’hommes beaucoup plus âgés qu’elle. Elle partira sans doute avec ses parents
ensuite, contrairement à sa sœur qui va effectuer un stage de perfectionnement
en gymnastique. Curieusement, Emmanuelle déteste la gymnastique, car « elle a
horreur que les autres voient son corps dans l’effort ». Déjà quand elle était enfant
elle était souvent exemptée pour des raisons médicales dont elle garde un souvenir
flou : mal au ventre, angines à répétition… Elle n’aime pas se montrer. Elle évoque
alors, à nouveau très émue, sa difficulté à s’habiller. Lorsqu’elle voit les vêtements
dans les magasins beaucoup lui plaisent, mais l’essayage est une épreuve : elle a le
sentiment en se regardant dans le miroir que ce n’est pas elle. Elle « ne supporte
pas », en fait, de se regarder dans une glace, et se dépêche de sortir du champ.
C’en est arrivé au point qu’elle achète systématiquement les mêmes habits, qui
constituent une sorte d’uniforme plutôt triste convient-elle. Elle s’est trouvée
confrontée tout récemment à cette question car elle est invitée au mariage d’une
amie d’enfance. Sa mère lui a dit : « Tu n’as qu’à acheter quelque chose de couleur
vive. » Elle a parcouru les magasins avec sa sœur dont elle apprécie le goût sans
pouvoir acheter quoi que ce soit.
68
Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
1.2.2 D
iagnostic psychopathologique et organisation
de la personnalité
son temps libre en randonnées solitaires » elle a l’idée de se retirer dans une lama-
serie tibétaine), elle entretient des relations avec diverses personnes (collègues
de la faculté, amie d’enfance, amis de lycée, parents) même si les échanges, avec
ces derniers notamment, ne sont pas très intenses. Les relations aux autres sont
cependant souvent difficiles pour Emmanuelle, de par sa timidité, ses difficultés
d’expression orale, mais aussi sa peur d’être exposée au regard d’autrui, sa gêne
surtout dans les groupes, les groupes mixtes tout particulièrement. La sexualité
génitale a jusqu’alors été évitée (selon ses propres termes, elle a échappé à cette
question). Les motifs de toutes ses difficultés, insatisfactions et inquiétudes sont en
69
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
partie reconnus par Emmanuelle même si certaines d’entre elles peuvent paraître
en décalage avec des éléments de réalité. Ainsi, par exemple, malgré ses connais-
sances, son niveau d’études, Emmanuelle doute de pouvoir « formuler un propos
intéressant », ce qui montre chez elle l’existence d’un écart entre l’idéal du moi et
(sa perception de) la réalité. Ces premiers éléments suggèrent d’ores et déjà une
problématique narcissique centrale chez Emmanuelle, responsable de ses mani-
festations anxio-dépressives notamment, qu’il convient de préciser davantage et
de confronter à d’autres éléments.
1. Peut-être même ces substituts parentaux sont-ils gages, pour Emmanuelle, de l’évitement
de tout rapproché érotique. On peut alors inférer un mécanisme de dénégation devant le désir
œdipien assorti d’une conduite d’évitement.
2. À cet égard on peut dire aussi qu’Emmanuelle n’est pas totalement sortie de la problématique
de l’adolescence.
70
Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
1. Se pourrait-il qu’Emmanuelle échoue à son doctorat ? Que représente la fin de celui-ci ? Que
va-t-elle faire après ? Que signifie pour Emmanuelle terminer ses études, s’insérer activement
dans la vie professionnelle ? Telles sont quelques-unes des questions que l’on peut se poser
dans la continuité de ce qu’elle-même exprime, à savoir son insatisfaction de ses études, son
envie d’apprendre « un vrai métier » – ce qui dit au passage qu’Emmanuelle ne considère pas
son diplôme ni son investissement dans les études universitaires comme des moyens potentiels
d’insertion ou d’orientation professionnelle.
2. Et en ce cas, comment ne pas comprendre l’attitude d’Emmanuelle consistant à se sentir
différente, voire étrangère à ceux qui l’entourent, de manière à éviter la blessure narcissique
issue d’une telle représentation…
3. Façon de mettre à distance ou de surseoir à l’intérêt d’autrui pour elle, toute son attention est
tendue vers sa propre personne et sa non-valeur.
71
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
1. Il est fort probable aussi que ces efforts physiques revêtent un caractère autoérotique pour
Emmanuelle, et soient associés à un plaisir coupable comme le suggère son rougissement
lorsqu’elle en parle.
72
Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
Pour résumer, nous dirons que, sur le plan psychologique, Emmanuelle présente
une personnalité (ou organisation) limite marquée par des relations d’objet de
type anaclitique, des angoisses de séparation et de perte d’objet, un conflit entre
le moi et l’idéal du moi. Parmi les ressources défensives, on note le mécanisme du
clivage ou plutôt du dédoublement des imagos (adaptation de surface, immaturité
affective1, qui n’est pas sans évoquer ce qui se passe pour l’enfant en âge de latence2)
assorti de la dénégation (Emmanuelle « ne sait pas » si le décès de sa grand-mère
paternelle a affecté son père, dénégation de l’éprouvé de souffrance affective liée
à la perte). L’agir, notamment moteur (dans les conduites extrêmes), constitue
également une voie de recours pour Emmanuelle ; il lui permet de maîtriser ou de
parer à certaines souffrances affectives. Il permet aussi de scotomiser la pensée,
les représentations douloureuses et leur ressenti. La voie mentale n’est cependant
pas exclue chez Emmanuelle comme l’attestent son investissement intellectuel
et sa recherche universitaire. On peut penser que ces derniers constituent aussi
une voie de dérivation, voire de sublimation des pulsions, sexuelles notamment.
Mais cela semble à ce jour insuffisant à contenir ses anxiétés, comme le révèlent
ses incertitudes et insatisfactions en ce domaine. La problématique narcissique
ne fait ici pas de doute, ainsi que l’atteste le sentiment de honte et les évocations
récurrentes de « réussite » ou d’« échec » dans la bouche même d’Emmanuelle.
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
1. Et l’on comprend mieux à cet égard pourquoi Emmanuelle est si admirative envers cette autre
amie de faculté qui « a organisé sa vie en séparant bien les choses : d’une part, la fac, d’autre part,
le cercle d’amis d’enfance qu’elle retrouve chaque fin de semaine dans la ville dont elle est origi-
naire à plus de cent kilomètres ». Ainsi, scène publique et scène privée sont cloisonnées. Un tel
fonctionnement fait écho au mécanisme du dédoublement des imagos utilisé par Emmanuelle,
et dans lequel le moi du sujet se déforme selon les différents secteurs de réalité dans lesquels
il se trouve – ce qui permet de trouver certaines satisfactions d’un côté, d’apaiser certaines
anxiétés de l’autre, et d’offrir en apparence tous les signes de la normalité (pseudo-normalité
ou faux self encore).
2. Latence dans laquelle serait resté fixé le sujet état-limite selon Bergeret, en raison d’un trau-
matisme bloquant la poursuite de l’évolution libidinale.
73
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Réussite et échec sont deux indices essentiels de son appréciation des réalités. Tels,
par exemple, les efforts, décrits comme « ses réussites » qu’elle s’impose pour lutter
contre sa timidité. Malheureusement Emmanuelle ne semble pouvoir tirer profit
ou gain, narcissique justement, de ces prétendues réussites (cela « ne lui apporte
qu’un soulagement relatif et temporaire ») ; elle ne peut se nourrir de son propre
jugement ni de ses propres réalisations, car elle est trop dépendante du regard de
l’objet sur elle et de sa présence dans son environnement proche. Son vécu d’échec
n’a donc rien d’une signification névrotique, révélateur d’une angoisse de castration,
il est au contraire associé à des angoisses de perte d’objet.
1. On note ici la honte de cet aveu, voire de ce souvenir pénible, de par la diminution du ton
de la voix.
74
Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
devient plus souriante et se livre peu à peu avec plus d’authenticité (réponses qui
se transforment « en récits plus détaillés »), signes d’un accrochage positif dans la
relation avec son interlocuteur. Celui-ci, assurément, a su installer un climat de
confiance permettant à Emmanuelle d’aborder assez rapidement ses difficultés, ou
du moins de ne pas les éviter. Il est néanmoins vrai, selon elle, que le psychologue
la malmène : à la troisième séance, elle l’accuse de l’avoir poussée à bout avec ses
questions sur le difficile sujet de sa sexualité. C’est une véritable épreuve… orale
que vit là Emmanuelle… Qui n’est pas sans rappeler celle qu’elle a vécue lors du
baccalauréat et peut-être d’autres épreuves encore… (voir supra). Autrement dit,
le transfert est bien là, installé dans la relation thérapeutique, et ne demandera qu’à
être travaillé ultérieurement s’il y a lieu.
encore pour Emmanuelle de faire l’expérience que cet objet tolère son absence,
c’est-à-dire accepte et survive à l’expression de ses pulsions agressives (agressi-
vité orale, exprimée par exemple envers le clinicien à travers les accusations) et
plus encore de faire l’expérience qu’elle demeure bien vivante dans la topique
psychique de l’autre, même une fois absentée à lui… Ceci se trouve corroboré
par l’autre expression transférentielle d’Emmanuelle, son étonnement « lorsque
le psychologue lui propose un nouveau rendez-vous : elle pensait qu’il serait en
vacances ». Là encore, cette réaction montre qu’Emmanuelle ne perçoit pas le lien
établi comme durable ; la patiente imagine que l’objet d’amour – sous les traits
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16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
1.2.4 O
rigines des conflits psychiques :
perspectives psychodynamique et psychogénétique
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Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
psychique. Cela équivaut à une perte de l’objet, sur lequel elle s’appuyait, venant
réactiver ses angoisses d’abandon et de séparation.
Le maintien toujours vif de ces angoisses1 prend sens en regard de son histoire
infantile et plus précisément de certains faits marquants.
Jusqu’à l’âge de cinq ans, Emmanuelle est restée enfant unique car sa mère
souhaitait « en profiter pleinement ». Cette attitude maternelle s’origine dans sa
propre enfance, Mme T. enfant ayant souffert à l’âge de trois ans d’une séparation
(vécue comme brutale) d’avec ses parents à l’occasion de la naissance de sa sœur
cadette, et ayant alors entraîné son placement chez une grand-mère ; elle ne revoyait
ses parents en général que le dimanche. La rancœur de Mme T. à l’égard de ses
parents, qui atteste le caractère marquant de cette situation sur son économie
affective, a eu des incidences dans sa relation à sa propre fille (Emmanuelle 2).
D’après la reconstruction qu’on peut faire du vécu psychoaffectif d’Emmanuelle
dans ce contexte maternel, Emmanuelle enfant aurait été suffisante pour sa mère
(ou capable à elle seule de la satisfaire pleinement) au point d’éluder tout autre
désir de grossesse chez elle pendant un certain temps du moins.
Une telle représentation n’est pas dénuée de lien avec la manière dont
Emmanuelle a été investie par sa mère : on peut vraisemblablement évoquer chez
Mme T. un investissement narcissique phallique de son (voire de ses) enfant(s).
Emmanuelle, dans son fantasme, a donc seule compté dans l’attention et le regard
maternels durant environ cinq ans. Elle aurait ainsi disposé de l’objet maternel pour
elle toute seule (tout au moins dans son fantasme autant que dans la réalité…). À
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
noter au passage la défection du père d’Emmanuelle dans son rôle de tiers sépa-
rateur du couple mère-fille (triangulation), plus précisément son absence dans
1. Car il est bien évident que ce type d’angoisse est susceptible d’être activé chez tout individu lors
de situations de séparation et de perte effective, réelle ou symbolique (cf. par exemple Quinodoz,
1991). Chez Emmanuelle ces angoisses sont préséantes et désorganisatrices.
2. Puisqu’elle compense dans la relation à ses enfants, dont Emmanuelle, ses carences affectives
infantiles.
77
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
cette relation dyadique dans la psyché enfantine1. On relève aussi que le compor-
tement maternel venait donner corps au fantasme infantile, puisque, par exemple,
« Mme T. s’est toujours arrangée pour que ses horaires de travail coïncident avec
les temps scolaires », ne supportant pas elle-même la séparation d’avec sa fille
(compte tenu de sa propre histoire affective).
1. La fonction paternelle ne fait pas l’objet d’un déni chez Emmanuelle, plutôt d’une dénégation,
portant sur la place du père auprès de la mère et dans la relation mère-fille, corrélative du vif
attachement d’Emmanuelle pour l’objet maternel. À noter par ailleurs que lorsqu’Emmanuelle
parle de son père, c’est pour le référer à sa propre mère (la grand-mère paternelle donc), comme
enfant de celle-ci, sur toile de fond de la disparition du tiers paternel (on retrouve là aussi au
premier plan la notion de perte d’objet).
2. Une partie de cet objet, sûrement. Mais pour Emmanuelle, cette partie équivaut au tout en
regard d’une problématique anale prégnante.
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Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
79
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Bibliographie conseillée
André J. (dir.) (1999). Les États-limites, Green A. (1990). La Folie privée.
Paris, PUF. Psychanalyse des cas limites, Paris,
Bergeret J. et al. (1974). La Dépression et Gallimard.
les états-limites, Paris, Payot. Keller P.H. (2013). Lettre ouverte au
Bergeret J. (1996). La Pathologie narcis- déprimé, Paris, Dunod.
sique. Transfert, contre-transfert, Kernberg O. et coll. (1989). La Thérapie
technique de cure, Paris, Dunod. psychodynamique des personnalités
Ciccone A., Ferrant A. (2009). Honte, limites, Paris, PUF, 1995.
culpabilité et traumatisme, Paris, Dunod. Klein m ; (1968). Essais de psychanalyse,
Estellon V. (2010). Les états-limites, Paris, Paris, Payot.
PUF, coll. « Que sais-je ? ». Revue française de psychanalyse, « La
cure des états-limites », 2011, 75, 2.
2. D
épression, pathologie du lien et incidences
dans la transmission : Madame Blanche et ses filles
80
Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
Mme Blanche, qui est une femme de cinquante-deux ans, frappe par sa beauté
et par le soin apporté à sa tenue, d’une élégance non agressive, mais très recher-
chée. Il se dégage d’elle un sentiment de lassitude, mêlé cependant à une forme
de séduction passive et distanciée. En particulier, elle offre en parlant son regard
longuement et sans réticence à celui de son interlocuteur, sans jamais détourner les
yeux. Elle est extrêmement attentive au moindre signe venant de lui, prête à l’inter-
préter comme de la fatigue ou du désintérêt. L’histoire de sa vie, qu’elle raconte
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
sans guère d’affect et sans rupture, d’une voix douce et monocorde, est émaillée
d’événements présentés séquentiellement dans un enchaînement tranquille qui
forcera son interlocuteur à faire répéter par moments certains des éléments.
Née dans une famille pauvre de Bretagne, elle n’a guère de souvenirs de ses
premières années, mis à part les disputes fréquentes entre ses parents. Sa mère
est morte alors qu’elle avait treize ans. Elle se rendait à bicyclette à son travail et
a été écrasée par la voiture de son amant. Il a été mis en prison après un procès
au cours duquel son intention de tuer a été reconnue. Cela, elle l’a su par la suite
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16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
par la sœur de sa mère restée en Bretagne. Sur le moment, comme elle était élève
dans une institution religieuse, les sœurs lui ont seulement dit que sa mère avait
été rappelée par Dieu. Elle garde un souvenir marqué de la scène au cours de
laquelle les sœurs l’ont obligée à embrasser son visage glacé, et notamment des
cotons qui bouchaient les orifices, pour empêcher le sang de couler. Elle est restée
après une année en pensionnat dans cette institution, sans revoir pratiquement
son père, puis a été envoyée en banlieue parisienne, chez une tante, sœur de son
père. Là, « c’était Cosette », dit-elle. En fait elle était employée comme bonne à
tout faire à la maison, et aidait sur les marchés le week-end. Le reste du temps,
elle était en formation professionnelle dans une grande maison de couture, dont
elle est cependant partie après un conflit avec la couturière chef. Sa tante l’a
alors mise à la porte sans lui indiquer qu’elle avait en fait été salariée pendant
deux ans de cette maison de couture, car c’était elle qui touchait le salaire. Les
impôts ont par la suite réclamé à Mme Blanche le paiement des contributions
sur ce salaire jamais perçu en réalité, et elle a dû s’exécuter. Elle a toujours des
relations curieuses avec l’argent. Il lui est arrivé une fois d’en dépenser vraiment
sans compter, alors qu’elle était sans le sou. Elle a dû rembourser pendant cinq
années ces achats d’un après-midi.
Elle s’est mariée assez rapidement ensuite, pour partir de la maison de sa tante,
avec « le premier venu », un homme passionné par la compétition automobile,
et qui lui consacrait tout l’argent du ménage. Elle aimait bien en fait ce milieu,
même si elle considère à présent que le couple était très instable et ne reposait
sur aucun sentiment véritable. Lorsqu’elle a admis que son mari la trompait,
elle a pris la décision de se séparer de lui, et s’est alors sentie « libérée ». Depuis,
elle vit seule avec ses filles, entourée de quelques amies veuves ou célibataires
avec lesquelles elle organise des soirées. Elle travaille depuis quelques années
comme hôtesse d’accueil dans une grande entreprise, où elle s’occupe en outre
du standard téléphonique.
82
Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
elle a été l’objet se sont souvent mal passées. En particulier au cours de l’une d’elles
le chirurgien a provoqué une fistule duodénale qui a entraîné une septicémie néces-
sitant la réouverture. Elle estime qu’elle « ne peut arriver à bout de ces questions
de ventre » qui la trahissent. Depuis toutes ces opérations, elle ne cesse de se sentir
« gênée » par cette présence souvent bruyante. De fait, au cours des entretiens, sa
voix sera fréquemment couverte par de nombreux borborygmes.
Elle se sent très responsable de toute cette situation, et des difficultés de sa fille
cadette, quoi que puissent lui dire ses amies. Elle a été en particulier très choquée au
début de la « dépression » de Christine, qui a commencé par « une sorte de délire » :
elle régressait complètement, disait « maman » comme un petit enfant, et voulait
téter. Après il a fallu l’hospitaliser, lorsqu’elle s’est enfermée dans un mutisme quasi
complet, brusquement interrompu par des déclarations étranges. En particulier,
elle était persuadée qu’on cherchait à l’empoisonner. Elle pensait que c’était parce
qu’un enfant qu’elle avait gardé chez une voisine avait mystérieusement contracté
une méningite. Elle tenait des propos assez incohérents et s’était rapprochée des
Témoins de Jéhovah. Après sa dernière tentative de suicide et son séjour dans le
Sud, elle menait une vie très désorganisée, tout en restant fixée à la maison fami-
liale. Aucun ami ne lui était connu, et elle passait parfois de longues heures à faire
des réussites ou à se tirer les cartes. Mme Blanche l’avait retrouvée un jour errant
dans une rue proche de chez elle, habillée de façon étrange (« comme un clown »)
avec une série de vêtements pris à sa mère, l’air absent et proférant des paroles
incompréhensibles.
Mme Blanche pense que tout cela est de sa faute, qu’elle n’a pas su l’aimer comme
elle aurait dû. D’une manière générale, d’ailleurs, n’avait-elle pas tout raté dans
sa vie ? Les diverses interventions chirurgicales qu’elle endurait étaient là pour le
prouver : il n’y avait rien à attendre de bon de ce corps et de cet être qui étaient
les siens. Elle n’avait jamais tenté de se suicider, et répondait à cette question avec
réticence. Elle avouait cependant se demander régulièrement si le mieux ne serait
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
Pendant une période de trois mois Mme Blanche est reçue dans cette consultation
publique une fois par semaine, rendez-vous auquel elle se rend avec ponctualité.
Elle y évoque, avec un grand détachement parfois entrecoupé d’intense émotion,
les moments importants de son enfance, notamment avec sa mère, qu’elle accusait
d’être toujours absente. Elle évoque également par moments la figure de son père,
qui avait disparu après l’« accident ». Puis elle souhaite être adressée dans le privé,
pour entreprendre une expérience personnelle plus poussée, comme celle dans
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16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
laquelle est engagée sa fille. Après plusieurs semaines de ce type de travail, elle
envoie un fax au psychologue :
« Monsieur,
Je réponds à votre question, pourquoi cette douleur ?
Sincèrement, je croyais que vous alliez m’aider à trouver la réponse !…
Alors voici la mienne, je pense que la blessure est si profonde qu’elle
ne guérira jamais, elle s’estompe, dès qu’on y touche un peu trop, c’est
très très douloureux.
Je n’aurais jamais cru que cela pouvait être à ce point, car lorsque j’y
pense c’est “VOILÉ”, en parler c’est autre chose. Je panique même. »
À la suite de cela elle indiquera qu’il ne lui est plus possible de poursuivre les
entretiens : son travail est devenu plus prenant, d’une part, et sa fille réclame sa
présence à l’heure du déjeuner, d’autre part.
1. Sans oublier non plus le cas ultime de Monsieur Some figurant dans le quatrième chapitre.
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Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
Ce qui domine dans le cas de Mme Blanche, c’est principalement une tonalité
dysphorique et dépressive, qui va crescendo au fil du cas (et du suivi psychothéra-
pique même) : en effet, les affects dépressifs, non clairement exprimés par la patiente
au début, « explosent » à la fin du récit clinique (« Pourquoi cette douleur ? », « …
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
c’est très très douloureux »). On note au premier abord chez elle un sentiment de
lassitude, l’exposé de son histoire sur le mode de la passivité et du fatalisme.
Une dépression est apparue il y a vingt ans, juste après la naissance de sa fille
cadette Christine, caractérisée alors par de la fatigue, une difficulté à se lever, une
apathie, un manque d’énergie (ou d’élan vital), tous troubles prédominants dans
la matinée, des douleurs lombaires. C’est également au même moment qu’ont
débuté les premiers troubles intestinaux. Les nombreux troubles somatiques (parmi
lesquels les troubles lombaires et les troubles intestinaux surtout) constituent
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16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Enfin, les dépenses excessives réalisées une fois au cours de son existence font
évidemment penser à un épisode de type maniaque, mineur (une seule fois vu les
conséquences onéreuses !) et isolé, dont la fonction est justement de lutter contre
les affects dépressifs.
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Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
En ce qui concerne ses filles, autant Florence ne semble pas avoir de diffi-
cultés particulières (tout au plus peut-on observer chez elle certaines attitudes
de dépendance à l’égard de l’objet maternel, sans doute corrélatives du processus
de détachement adolescent encore inachevé), autant il ne fait pas de doute que
Christine présente de sérieux troubles psychiques. Bien que sa mère mentionne
une « dépression » chez elle, les éléments rapportés renvoient davantage à une
décompensation schizophrénique délirante, de type paranoïde (en raison du délire
d’empoisonnement, associé à un mutisme alternant avec des déclarations étranges,
un isolement relationnel majeur, des conduites de retrait et témoignant aussi d’une
certaine impénétrabilité, l’errance venant confirmer l’existence de troubles des
conduites sociales), ayant d’ailleurs nécessité une hospitalisation.
Sans doute peut-on évoquer chez Mme Blanche une régression de la génitalité
au narcissisme, les tromperies maritales ayant agi tel un traumatisme désorgani-
sateur. Traumatisme, qui plus est, venu en réactiver un précédent, survenu dans
l’enfance de Mme Blanche, la liaison adultérine de sa mère ayant au final entraîné
la mort de celle-ci. Alors que Mme Blanche avait treize ans, sa mère en effet est
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
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16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
consacrait tout l’argent du ménage ») qui n’est pas sans rappeler la figure de l’amant
maternel avec sa voiture destructrice… Ce télescopage des histoires mère-fille
explique sans doute le sentiment de liberté recouvré par Mme Blanche après sa
décision de se séparer de son mari1. En prenant cette décision, Mme Blanche tente
de s’affranchir du même coup du poids du passé et des effets délétères du drame
qui affecta sa famille, son existence et qui lui fut caché – même si l’on ne peut pas
dire que cette histoire ait été symbolisée par la patiente à ce jour.
1. Sans parler qu’à cette époque du divorce, sa fille Christine a alors treize ans, soit le même âge
que Mme Blanche lors de l’éclatement de sa cellule familiale et de la mort du couple parental en
raison de la mort maternelle… Une reproduction de l’histoire s’opère là : les filles de Mme Blanche
se trouvent privées de leur père tout comme Mme Blanche, enfant, le fut, et elles vont baigner
dans l’univers de femmes, lui-même comparable à celui dans lequel évolua Mme Blanche enfant
après « l’accident ».
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Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
Cette perte d’intégrité psychique est d’ailleurs cela même qui s’est joué chez
Mme Blanche lors de la naissance de Christine. Les manifestations dépressives
observées dans le post-partum1 traduisent en effet le vécu de castration, narcis-
sique plus que génitale, et surtout le vécu de perte, objectale et narcissique, qu’a
représenté cette naissance pour Mme Blanche2. Christine semble bien avoir été
investie comme un complément phallique et surtout narcissique, conférant à
Mme Blanche une certaine complétude (narcissique), dont elle n’a pu faire le deuil
après sa naissance (sinon un deuil pathologique comme l’atteste sa dépression
d’alors). Les nombreux troubles somatiques3 récurrents dont s’est mise à souffrir
Mme Blanche consécutivement, troubles intestinaux nécessitant qu’on lui ouvre
le ventre, viennent à cet égard révéler la perte traumatique de cet enfant dans
l’économie psychosomatique maternelle. Survenant sur les lieux mêmes (dans une
indifférenciation génitalo-anale) de la tragédie qu’a représentée pour Mme Blanche
la naissance de sa seconde fille, ces troubles somatiques montrent justement l’échec
d’un travail du deuil ou d’une fonction élaborative de cette perte symbolique. Ils
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
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16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Ce mécanisme est toutefois suppléé par d’autres, telle la forclusion (ou répres-
sion) des représentations affectives douloureuses2 – en tout cas jusqu’à l’entreprise
psychothérapique, qui a visiblement fait céder cette défense, comme l’atteste le fax
final adressé au thérapeute.
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Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
Toutefois ces autoaccusations ne sont jamais en réalité que les reproches destinés
à l’objet d’amour (perdu, absent), lesquels ont été retournés sur le moi du sujet
faute que celui-ci puisse exprimer son agressivité. On en voit la trace à travers
l’impossibilité où se trouve Mme Blanche d’exprimer sa rancœur, voire sa colère,
à l’égard des personnes dont elle a été victime (sa tante d’abord qui la spoliait, les
impôts lui réclamant un dû sur de l’argent non perçu, le chirurgien qui provoque
une fistule…). Il y aurait vraiment de quoi être en colère face à toutes ces situations
d’injustice, or Mme Blanche, elle, accepte tout cela passivement, et s’en tient même
pour responsable.
C’est dire qu’il s’est opéré primitivement chez Mme Blanche un processus
d’identification narcissique avec l’objet, et même d’incorporation de l’objet mauvais
(mauvais en raison de son absence), visant à lui permettre de conserver un lien
avec l’objet, tant celui-ci est vital pour son économie psychoaffective. Le deuil
impossible de l’objet maternel à l’âge de treize ans ne vient donc en réalité que
marquer l’échec de la position dépressive lors de la psychogenèse, l’échec de son
élaboration, ayant abouti chez Mme Blanche à l’édification de cette identification
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
Ce qui nous permet de dire, pour conclure, que l’état psychique (et dépressif) de
Mme Blanche relève de l’état-limite, de par les angoisses et vécus de perte objectale,
mais d’un état-limite toutefois proche de l’organisation psychotique car la perte
d’objet draine chez le sujet une perte d’essence plus narcissique.
91
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
2.2.4 P
erspectives thérapeutiques et éléments
transféro-contre-transférentiels
Mme Blanche est suivie durant trois mois en centre médico-social, avant d’en-
gager un travail plus approfondi avec un autre clinicien, travail qu’elle arrêtera
toutefois peu de temps après. Cette rupture suggère plusieurs choses. D’abord
il semble que les cliniciens soient tous deux des hommes, lesquels ne sont pas
sans porter la trace de la différence et du génital, et du génital traumatique plus
encore, dont Mme Blanche se tient d’ordinaire à distance. Plus encore, il semble
que le relais soit difficile pour Mme Blanche, celle-ci ne pouvant, en regard de sa
problématique interne, faire le deuil du précédent psychologue. L’arrêt des consul-
tations et la séparation d’avec le premier clinicien n’ont sûrement pas pu être
négociés adéquatement psychiquement, faute d’une interprétation transférentielle,
par exemple, qui aurait pu éclairer les enjeux psychiques actualisés dans cette
primo-relation thérapeutique. On peut aussi considérer le projet de psychothérapie
comme un agir signifiant, comme une rupture de la première relation thérapeutique
établie. À ce titre, la décision d’arrêter tout traitement psychologique, cette seconde
séparation d’avec le thérapeute, peut elle aussi constituer un agir transférentiel,
et cette répétition d’actes de rupture peut être vue comme une défense contre
l’établissement du lien à l’objet. Mieux vaut en somme, pour Mme Blanche, ne pas
s’accrocher à l’objet plutôt que de risquer de le perdre. On perçoit bien ici toute
la pathologie du lien qui existe chez Mme Blanche mais aussi combien le transfert
s’était massivement déployé sur les figures des psychologues successifs.
Tout d’abord, le processus thérapeutique a sûrement été trop vite pour la patiente,
la confrontant trop hâtivement (et brutalement alors) à ses affects douloureux
jusqu’alors évacués, réprimés, somatisés. Après tout, cela fait moins de six mois
qu’elle s’est engagée dans cette démarche introspective… Peut-être le clinicien
a-t-il été trop présomptueux dans l’évaluation des capacités d’élaboration et de
symbolisation de la patiente, ainsi que dans celle de sa capacité à tolérer l’émer-
gence de sa douleur affective (« lorsque j’y pense [à la douleur], c’est VOILÉ », dit
la patiente, serait-ce vécu par elle comme une injonction : « VOIS-LES »… ?). La
panique ressentie par la patiente, et exprimée seulement par écrit, montre, dans tous
les cas, l’important bouleversement que le travail psychologique induit chez elle.
92
Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
Bibliographie conseillée
Bergeret J. et al. (1974). La Dépression et Kristeva J. (1987). Soleil noir. Dépression
les États-limites, Paris, Payot. et mélancolie, Paris, Gallimard.
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
93
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
3. D
épression, somatisations et pertes d’objet :
Madame Fraile
Mme Fraile se décrit comme sans joie de vivre aujourd’hui. À plusieurs reprises,
elle s’effondre en pleurs lors de l’évocation de certains souvenirs douloureux ; il
s’agit pour la plupart de pertes et de ruptures affectives : récent décès d’un grand-
père auquel elle était très attachée, disparition d’un couple de cousins dans
un tragique accident de la route, mais aussi départ en retraite de son premier
employeur – source de changements dans son travail – et, dernier événement en
date, rupture avec son amant (un collègue de travail).
Mme Fraile a travaillé pendant plus de dix ans dans une petite société, gérée de
manière familiale – une « maison familiale » des mots même de Mme Fraile – où
elle occupait une fonction de manutentionnaire. Son travail consistait, dit-elle, à
« porter des poids » (transporter des objets d’un endroit à l’autre de l’usine) mais,
outre cette fonction officielle, elle assurait d’autres charges et missions plus grati-
fiantes pour elles telles que déléguée du personnel, mais aussi « infirmière » ou
« assistante sociale2 » dès qu’un employé était en difficulté. Elle était extrêmement
dévouée envers cette société et son personnel, au point d’être « la bouée de sauve-
tage des uns et des autres » comme elle le dira lors de l’entretien, ajoutant aussitôt
qu’« il est dur de se déprendre de quelque chose qu’on a porté toute sa vie ».
1. Certains éléments de ce cas ont déjà fait l’objet de publications auxquelles le lecteur pourra
se reporter pour plus de précisions. Cf. Dumet, 1998 et 2002a.
2. Bien sûr il ne s’agissait pas de fonctions officielles : Mme Fraile aidait à mettre un pansement
tout comme elle prenait le temps d’écouter les doléances de ses collègues.
94
Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
Interrogée sur son enfance, Mme Fraile relate une scolarité très difficile, chao-
tique ; elle n’arrivait pas à suivre, elle a redoublé plusieurs fois pour, au final,
quitter l’école à l’âge de seize ans sans qualification aucune. C’est seulement depuis
quelques années que Mme Fraile a trouvé intérêt et plaisir dans l’investissement
intellectuel et culturel, auprès de son amant, un homme « travaillant à ses côtés ».
C’est cet homme qui, des propres mots de Mme Fraile, « l’avait fait entrer dans
la vie, l’avait initiée à la vie », lui avait fait découvrir « la Grande Musique », mais
aussi la lecture d’ouvrages et de revues scientifiques. Leur liaison a duré quelques
années, elle a choisi de rompre et de rester avec son époux parce que cet homme
ne voulait pas s’engager maritalement avec elle et ses enfants. Elle le regrette très
vivement car cet homme « était le pilier de son existence ».
De son enfance, elle garde encore le souvenir d’un père absent de par son travail
(représentant de commerce), de sa mère malade, alitée, auprès de laquelle elle
restait silencieuse de longs après-midi, tandis que ses frères et sœurs, plus jeunes
qu’elle, jouaient dans la cour. Mme Fraile ne peut dire précisément de quoi souffrait
sa mère, sinon que c’était « la même maladie que moi » et que son état nécessitait
qu’elle reste allongée. De ses frères et sœurs, elle dira qu’elle en avait « la charge »
en l’absence parentale. Elle s’occupait aussi de la maison, autant que faire se peut,
du moins telle qu’une fillette le peut… Elle ajoutera peu après cette remémoration
qu’elle n’a « pas eu d’enfance enfant ».
Depuis cet accident, son congé pour longue maladie, elle a été licenciée par la
société qui l’employait. Mme Fraile est assez amère de cet état de fait – « me lâcher
après plus de dix années de bons et loyaux services ! », dit-elle – mais reconnaît tout
de même qu’elle n’avait pas envie de reprendre le travail avec le nouveau directeur.
En effet, son ancien patron, en âge de prendre sa retraite, a vendu son entreprise
et c’est un jeune cadre décrit comme « un ambitieux aux méthodes expéditives »
qui lui a succédé. À peine arrivé, celui-ci a visiblement réorganisé le fonctionne-
ment de l’entreprise, recrutant au passage de jeunes secrétaires, comme le souligne
95
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Il n’est pas franchement utile de trancher ici, tout au plus peut-on reconnaître
l’incidence pathogène et l’effet renforçateur de chacune des pathologies sur l’autre,
et inférer en conséquence l’action d’une causalité circulaire entre ces différents
troubles.
96
Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
Tout d’abord, on peut émettre l’hypothèse économique que ces divers événements,
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
leur nombre comme leur succession dans le temps2, ont eu un impact traumatique,
au sens freudien du terme, sur l’organisation de personnalité de Mme Fraile ; ils ont
constitué une surcharge d’excitations (ou surcharge économique) pour son appareil
psychique, débordé celui-ci et surtout ses capacités de liaison et de pare-excitation,
1. Et en regard des travaux freudiens opposant névroses actuelles et psychonévroses (cf. Freud,
1895b).
2. Temporalité qu’on ressent ou imagine comme condensée, faute de plus amples précisions…
97
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
entraînant même une faillite provisoire des processus psychiques, elle-même à l’ori-
gine d’une désorganisation somatique (cf. Marty, 1976, 1980).
Mais s’en tenir à cette seule hypothèse économique pour expliquer la désorganisa-
tion psychique et somatique de Mme Fraile équivaut à négliger le sens de ces troubles
et donc une approche psychodynamique de ceux-ci. Or pour l’école psychosomatique
de Paris (cf. Marty, de M’Uzan, Fain, David, etc.) on le sait, les troubles somatiques, à
la différence du symptôme de conversion, ne recèlent aucun sens. Pour autant l’ana-
lyse ne peut s’arrêter ici. On peut d’ores et déjà émettre une seconde hypothèse selon
laquelle ces événements désorganisateurs dans la réalité environnementale sont venus
réveiller des angoisses et des vécus de perte prégnants dans l’économie psychique
de Mme Fraile. L’examen du contexte d’apparition de ses troubles psychiques et
somatiques a précédemment permis de montrer combien ces événements avaient
été désorganisateurs pour Mme Fraile en tant qu’ils avaient constitué à la fois des
pertes d’ordre libidinal et narcissique et des ruptures des étayages affectifs sur lesquels
reposait jusqu’alors son équilibre psychique. L’amant de Mme Fraile avait même été
clairement identifié par elle comme « le pilier de son existence ».
98
Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
On voit à cet égard combien ces protagonistes dans la réalité actuelle repré-
sentent pour Mme Fraile des substituts des objets perdus, voire absents de son
enfance : père peu présent de par son travail, mère indisponible psychiquement
et même physiquement, pendant une période de deux ans au moins, semble-t-il,
de par sa maladie (des lombalgies ?), voire son état dépressif. Cette « absence »
ou défection maternelle n’est pas sans évoquer « le complexe de la mère morte »
décrit par Green (1980). Dans tous les cas, à l’âge de six ans1, Mme Fraile se trouve
confrontée à une mère indisponible psychiquement pour son enfant, une mère, de
plus, qu’elle s’empresse alors de venir secourir (telle une bouée de sauvetage… ?),
d’assister, de porter. Sans parler de ses puînés ou de certaines tâches ménagères
dont elle « se charge » aussi telle une petite maman, dans son souvenir, dans sa
préoccupation à tout le moins. Mission qui perdurait jusqu’alors dans la vie adulte
comme on l’a vu dans les investissements professionnels de Mme Fraile.
« Qu’il est donc dur de se déprendre de ce que l’on a porté toute sa vie », dit
Mme Fraile. Cette phrase, tout comme les nombreuses expressions langagières
relatives aux poids et aux charges diverses portés par Mme Fraile, ne peut manquer
d’entrer en résonance avec ses troubles somatiques : problèmes vertébraux et
lombaires qui la font ployer, lui font courber le dos ; surcharge pondérale qui grève
son équilibre psychosomatique. De prime abord, et dans la continuité de l’hypo-
thèse économique émise plus haut, on pourrait donc penser que c’est le défaut de
mentalisation chez Mme Fraile qui aurait entraîné ce recours au corps, aux agirs
somatiques (chute d’abord, troubles lombaires puis pondéraux) pour traiter un
surcroît d’excitations traumatogènes – et on pourrait être tenté, dans la foulée, de
qualifier ce langage qui colle à la réalité comme le signe d’une pensée opératoire
(au moment des faits). Au moment où elle est vue en consultation, autrement dit
dans l’après-coup de ses troubles, Mme Fraile paraîtrait maintenant en mesure
d’exprimer verbalement, voire d’élaborer (ou presque…) ses vécus de surcharge,
antérieurement indicibles et donc somatisés. Or s’en tenir à une telle hypothèse
économique équivaut, on l’a dit, à négliger la signification de ces troubles, et revient
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
1. Sinon plus tôt ? Faute de précisions sur l’histoire précoce, nous ne pouvons l’affirmer ; néan-
moins on peut aussi se demander à quoi ce souvenir de la période des six ans vient faire écran
chez Mme Fraile : à l’expression des désirs œdipiens ? Certainement, mais sans doute aussi à
d’autres vécus d’abandon plus précoces…
99
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
premières (et par là à une position sociale inférieure…), l’amant qui ne veut pas
s’engager auprès d’elle, tous reproduisent les figures parentales défaillantes, et plus
encore la figure de l’objet maternel indisponible ou absent de par sa dépression
(sa maladie). Dans un tel contexte comment ne pas perdre pied, ne pas chuter,
ne pas s’effondrer, ne pas s’écrouler sous le poids… ? Tel est bien ce qui est arrivé
à Mme Fraile enfant lorsqu’elle perdit pied à l’école (redoublements) et quand à
l’âge adulte se reproduit concrètement et symboliquement la perte de ses étayages
familiers, la perte de ses repères (visiblement ni le mari, ni le foyer familial n’ont
pu alors servir de relais ou de support suffisant pour le maintien de l’équilibre
psychoaffectif et psychosomatique de Mme Fraile).
Dans un tel contexte psychoaffectif, les agirs somatiques sont loin d’être insensés
ou insignifiants, ils reproduisent et cristallisent des vécus et des souffrances restés
en souffrance d’appropriation subjective ; ils assurent également une fonction de
liaison entre l’infantile et l’actuel.
Ceci permet encore de dire qu’il n’est donc point question de conversion (de
nature névrotique) dans les manifestations somatiques de la patiente, même s’il
n’est pas impossible d’apercevoir chez elle, dans sa vie psychique, des filaments
de la problématique œdipienne (l’employée modèle qu’elle est et qui seconde son
patron n’est pas sans évoquer le rôle de « petite maman » qu’elle tenait lors de la
maladie maternelle, lui-même expression de ses désirs incestueux envers le père).
Toutefois, redisons-le, cette problématique génitale n’est nullement prédomi-
nante dans l’économie psychique de Mme Fraile, ainsi que son lapsus relatif à la
1. Cf. notamment les travaux de Burloux, Le Corps et sa douleur, Paris, Dunod, 2004.
100
Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
maladie maternelle vient encore en rendre compte : « la même maladie que moi »,
dit Mme Fraile. Son inversion de l’ordre générationnel, au-delà du désir œdipien de
prendre la place de la mère-rivale, révèle une fois de plus combien Mme Fraile, dès
l’enfance, a intériorisé l’idée de devoir porter et prendre en charge psychiquement
cette mère en souffrance (enfant-thérapeute de sa mère en somme).
3.2.4 P
ropositions thérapeutiques et fonctions psychiques
du cadre soignant
Les troubles somatiques de la patiente requièrent bien sûr la poursuite des soins
et traitements médicaux engagés jusqu’alors. À ce jour force est tout de même de
constater que, seuls, ces traitements n’ont pas suffi pour permettre la restauration
de l’équilibre de la patiente, et qu’ils nécessitent alors une approche complémen-
taire, une approche psychologique peut-être…
Outre les aspects manifestes de cette prise en charge médicale, il importe aussi de
prendre en compte la fonction symbolique de holding (Winnicott) que peuvent (que
vont même !) représenter le corps médical et les objets soignants pour Mme Fraile.
Au vu des éléments d’analyse dégagés, cette fonction de holding contribuera très
certainement à son rétablissement (redressement, allégement…) somatique comme
psychique.
1. Il est évident que la psychothérapie seule ne saurait suffire dans le cas de Mme Fraile et d’autres
patients porteurs de troubles somatiques, touchés réellement dans leur organisme.
101
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Bibliographie conseillée
Bergeret J. et al. (1986). Narcissisme et Dejours C. (1989). Recherches psycha-
états-limites, Paris, Dunod. nalytiques sur le corps. Répression et
Burloux G. (2004). Le Corps et sa douleur, subversion en psychosomatique, Paris,
Paris, Dunod. Payot.
Carton S., Chabert C., Corcos M. (2011). Le Dumet N. (2002). Clinique des troubles
Silence des émotions. Clinique psycha- psychosomatiques. Approche psychana-
nalytique des états vides d’affects, Paris, lytique, Paris, Dunod.
Dunod. Fédida P. (1977). Corps du vide et espace
Chabert C., Brusset B., Brelet-Foulard de séance, Paris, J.-P. Delarge.
F. (1999). Névroses et fonctionnements Fédida P. (2001). Des bienfaits de la
limites, Paris, Dunod. dépression. Éloge de la psychothérapie,
Paris, Odile Jacob.
102
Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
Éléonore ne put se résoudre à le faire que deux ans après, prenant conscience de
ne pas arriver seule à réguler son comportement alimentaire. Autrefois elle avait
déjà, sur les conseils d’une amie, consulté une psychiatre psychanalyste, mais elle
avait arrêté les séances au bout de trois fois. Elle trouvait la « thérapeute trop
froide… elle me parlait pas, elle attendait que je parle, et moi j’étais vide, j’avais
rien à dire ». Un autre élément a renforcé Éléonore dans cette récente décision de
consulter : la rencontre d’un homme avec lequel elle envisage sérieusement, pour
la première fois de son existence, d’entreprendre une vie commune. Jusqu’alors
Éléonore avait cumulé les liaisons éphémères. Associativement elle énonce son
important besoin de séduire. Il lui est même arrivé à certaines périodes de sa
vie d’avoir plusieurs amants en même temps. C’était toujours lors de périodes
d’angoisse pendant lesquelles elle ne supportait pas de se retrouver seule chez elle
le soir. La plus longue de ses relations amoureuses n’a jamais excédé huit mois. En
général, c’est elle qui prend la décision de rompre quand la relation se dégrade ou
bien alors quand cela devient plus sérieux avec l’autre.
Interrogée sur ces périodes d’angoisse, Éléonore précise que ça la prend souvent
le soir, lorsqu’elle est de retour chez elle – c’est pour ça qu’elle s’arrange pour
travailler le plus tard possible. Cela commence par de la tachycardie, puis de folles
idées lui traversent l’esprit. Éléonore ne précise pas davantage, elle s’arrête de parler
et un silence s’installe. Encouragée à poursuivre, elle a du mal à reprendre son
discours, balbutie, demande à fumer, allume deux cigarettes de suite et parvient
finalement à dire les choses suivantes. Pour que ça passe elle se plante devant
son placard de cuisine et se met à avaler en vrac gâteaux, plats cuisinés à même
l’emballage, pain, fromage, etc. « Tout y passe, je mange jusqu’à m’en étouffer. » Elle
est consciente de manger sans faim, sans réel plaisir, mais « juste pour s’occuper
les mains et se vider la tête », comme elle dit. Après ces accès elle est mal en point
bien sûr, « encore plus mal et plus oppressée » qu’avant ce geste, elle ne peut plus
respirer, et surtout elle a honte de s’être laissée aller à pareil comportement. « C’est
indécent, scandaleux, sale… c’est à vomir », dit Éléonore, et c’est ce à quoi elle va
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
alors se livrer. Après seulement qu’elle aura vomi mais aussi tout nettoyé chez
elle, qu’il ne restera plus trace de son forfait, elle pourra aller dormir, s’endormir…
jusqu’à la prochaine fois, la prochaine angoisse… Malgré ses difficultés face à la
solitude, la perspective d’une vie commune avec son ami l’angoisse tout autant.
L’idée de vivre avec cet homme, l’idée d’une présence quotidienne auprès d’elle…
À ces évocations Éléonore commence à se sentir de nouveau mal dans l’entretien,
elle se met à s’agiter sur sa chaise, et change de sujet. Plus tard seulement, Éléonore
ajoutera qu’elle refuse « de continuer plus avant cette vie… Autant en finir, plutôt
que d’avoir cette sale bouffe pour seul compagnon ! ».
103
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Invitée à parler d’elle sur un plan général, Éléonore décrit un emploi du temps
extrêmement rempli ; avec peu de temps vacant ; elle travaille beaucoup, est très
investie dans son travail d’architecte dans un cabinet qu’elle a elle-même monté
avec deux confrères. Elle est spécialisée dans la construction individuelle. Si les
gens sont généralement très satisfaits de son travail, et le lui disent, elle n’en est
jamais convaincue, estimant qu’elle devrait « pouvoir et surtout savoir faire mieux ».
Éléonore a très souvent le « sentiment de ne pas être à la hauteur des espérances
des clients ». Ceux-ci, ajoute-t-elle, « veulent toujours des grandes maisons, alors
qu’elle, elle en aimerait une assez petite, car sinon on se sent perdue… mais avec
des cloisons en verre qui permettent de voir dans chaque pièce… comme ça, on
sait toujours où est l’autre ! ».
Elle avoue travailler même les week-ends. Mais elle s’accorde quand même des
pauses dans son emploi du temps. Alors, elle fonce au club de gym, trois-quatre fois
dans la semaine, c’est un minimum, elle se rue sur les appareils de musculation ;
elle aime bien, dit-elle, ces moments où elle est toute seule. « Oui, bien sûr il y a
d’autres personnes, qui font du sport elles aussi, mais ça compte pas. » Ou plutôt
elle s’en fiche, plus rien ne compte qu’être seule, en tête-à-tête, avec elle-même, avec
son corps. Elle reconnaît faire parfois trop de zèle : « Ça me tue tous ces exercices,
mais j’aime bien sortir d’ici épuisée, vidée. » Elle se sent alors « étrangement bien ».
Autrefois, quand elle était adolescente, elle a fait de la natation et de la plongée
sous-marine, elle adorait. Maintenant elle ne sait pas pourquoi, rien que l’idée de
mettre la tête sous l’eau la dérange.
104
Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
Éléonore est la dernière enfant d’une fratrie de trois ; sa mère lui a dit qu’elle
était arrivée par accident. Ses parents, tous deux enfants uniques, avaient décidé
d’avoir deux enfants, un de chaque sexe de préférence ; mais aux dires maternels ils
n’avaient jamais regretté sa naissance. Elle doit son prénom à une tante maternelle.
C’est sa mère qui, en souvenir de cette tante très affectionnée par elle, et décédée
environ un an avant la naissance d’Éléonore, avait tenu à lui attribuer son prénom.
Son frère et sa sœur sont de 10 et 8 ans plus âgés qu’elle. Elle les aime bien, dit
bien s’entendre avec eux, mais explique que cette différence d’âge entre eux fait
qu’« il manque quelque chose entre nous… c’est pas comme eux deux, mon frère et
ma sœur ont toujours fait plein de choses ensemble, sorties, sports… moi j’étais bien
trop petite pour pouvoir être avec eux. […] Pendant les vacances, ils partaient en
camp au même endroit, et moi j’étais expédiée chez l’une ou l’autre de mes grands-
mères, là-bas j’étais toujours toute seule ». Après ces mots, Éléonore rapporte une
scène survenue lorsqu’elle était enfant : « C’était à table, j’étais encore petite car
je me souviens être assise dans ma chaise haute, mes parents parlaient avec mes
frères et sœurs. Je me suis étouffée avec un aliment. Personne n’a réagi… Enfin,
pas tout de suite. À un moment ils ont quand même fini par se rendre compte.
Qu’est-ce que j’ai eu peur… » Elle ne peut rien ajouter à la suite de ce récit, sinon
qu’elle a toujours peur quand ça lui arrive depuis.
Ses parents n’ont jamais pris de vacances avec leurs enfants, sauf une fois ou
deux en hiver ; ils avaient créé une petite entreprise, et l’été était toujours pour eux
un moment de grande effervescence professionnelle. Sa grand-mère maternelle est
celle dont elle garde le meilleur souvenir car elle était toujours aux petits soins pour
elle, elle lui cuisinait des tas de pâtisseries dont Éléonore raffolait. Petite, Éléonore
se souvient avoir été très gourmande ; elle relate que sur les photos, elle apparaît
très souvent un biscuit à la main, au point d’être une enfant plutôt joufflue jusqu’à
l’adolescence. C’est là que Éléonore s’est mise à réduire son alimentation, elle se
trouvait plus grosse que les jeunes filles de son âge et se sentait rejetée. Elle trouve
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
sa sœur Hélène bien plus belle et bien plus intelligente qu’elle (pourtant cette sœur
n’a pas entrepris d’études, au contraire d’elle, de plus elle n’a jamais travaillé en
dehors de ses fonctions de mère au foyer). Depuis cette période, Éléonore surveille
toujours scrupuleusement son poids, fixé à deux kilos en dessous du seuil pondéral
minimal pour sa taille. C’est la limite qu’elle s’est fixée. Elle aime bien les sensations
que ça lui procure d’être en dessous de ce poids… mais elle sait, depuis qu’elle a
fait ces malaises il y a deux ans, qu’il faut qu’elle arrête « de jouer avec son corps ».
En revanche, dès que son poids s’approche de la limite supérieure « interdite », elle
« panique », elle ne « se sent plus elle-même… ».
105
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
• ensuite, des conduites boulimiques, survenant par accès soudains, le soir lors
de moments d’angoisse et de solitude ; elles portent typiquement sur des
aliments bourratifs à forte teneur calorique (féculents, gâteaux, fromage).
Les raptus boulimiques sont aussitôt suivis de vomissements provoqués (d’où
les écorchures sur les mains), destinés à effacer – annuler – tant les effets
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Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
Au moment où elle consulte, son poids est stable mais inférieur au poids moyen
du sujet, et il fait surtout l’objet d’une scrupuleuse surveillance. On observe une
obsession de la minceur, voire de la maigreur – sans parler d’une jubilation et
d’un état d’euphorie chez la patiente quand son poids est en baisse (elle aime les
sensations procurées par un état pondéral inférieur à celui qu’elle s’est déjà restric-
tivement fixé) – ainsi que, corrélative, une hantise de grossir (« prendre du poids,
pas question ! » ; elle panique dès que son poids approche la limite qu’elle s’est fixée).
fait une pause), l’espace des relations amoureuses et sexuelles (elle a un « important
besoin de séduire » à une époque, elle avait plusieurs amants simultanément. Tout
cela montre une Éléonore « Don Juane »…). Globalement on peut dire que la motri-
cité est très investie par Éléonore (« travailler, bouger, être en mouvement… est
son leitmotiv », elle aime mieux les boîtes de nuit que le cinéma) et joue un rôle
régulateur certain de son économie pulsionnelle.
107
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
(le soir par exemple) et annonce la crise boulimique à venir ; les aspects dépressifs
sont au demeurant assez larvés (plutôt évacués par les agirs moteurs, on en repar-
lera plus loin), à l’exception d’une fois (un été durant lequel elle avait « déprimé
à mort »). On relève également une tonalité suicidaire dans certains propos (« …
refus de continuer plus avant cette vie… Autant en finir, plutôt que d’avoir cette
sale bouffe pour seul compagnon ! »).
Bien que la fréquence et la durée des accès boulimiques ne soient pas nommé-
ment connues ici, l’ensemble des éléments précédemment identifiés permet, sur
le plan psychopathologique, de dire qu’Éléonore présente un tableau clinique
d’anorexie-boulimie. Sur cette même base, le DSM-IV conclurait sûrement à un
« trouble des conduites alimentaires non spécifié », car malgré la présence ici de
tous les critères retenus pour l’anorexie mentale (anorexie de type 2, non restric-
tive), il manque l’aménorrhée. À vrai dire, faute d’informations sur ce point, rien
ne permet d’inférer ni de réfuter l’hypothèse de l’aménorrhée.
Étudions-les successivement.
108
Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
neveux, Éléonore entend la plus petite crier et pleurer sa maman… faisant ainsi écho
à son propre vécu infantile. En effet, ses angoisses étaient déjà très présentes dans
l’enfance, par exemple lorsque ses frères et sœurs, dont elle a une vision idyllique
(celle d’un couple d’inséparables…), partaient en vacances de leur côté, ensemble,
tandis qu’elle « était expédiée » chez l’une ou l’autre de ses grands-mères.
Très tôt l’objet-nourriture est alors venu remplacer, pour Éléonore, l’objet
d’amour manquant, ressenti comme tel dans tous les cas. La grand-mère ne lui
confectionnait-elle pas des douceurs alimentaires (pâtisseries) pour atténuer la
douleur de l’absence et de l’éloignement d’avec ses proches, parents et fratrie ? À
défaut de l’objet d’amour auprès d’elle, c’est le biscuit qu’Éléonore avait toujours
sous la main. Aujourd’hui, le scénario perdure, via les accès boulimiques.
Ceux-ci, survenant quand Éléonore rentre seule chez elle le soir, pourraient
peut-être laisser penser à une régression libidinale, de la génitalité à l’oralité, à un
déplacement hystérique : à défaut d’amant, Éléonore consomme et se console avec
des aliments. Pourtant, l’important besoin de séduire d’Éléonore de même que sa
« boulimie sexuelle » ne sont pas tant les signes d’une libido génitale excessive ou
excessivement affamée qu’ils ne correspondent chez elle au besoin de l’objet et
plus encore à un important besoin de réassurance narcissique.
Quelle est donc la place d’Éléonore dans la famille et plus encore dans l’amour
maternel ? Ou encore quel type d’investissement affectif Éléonore a-t-elle suscité
chez l’objet maternel ? La question vaut d’être posée en regard du contexte familial
de sa naissance. Éléonore est née peu de temps après le décès d’une grand-tante
particulièrement affectionnée de sa mère, dont elle porte d’ailleurs le prénom…
Comment dès lors pour Éléonore penser qu’elle a pu ou su séduire, intéresser l’objet
maternel autant que le fit cette tante dont elle porte le prénom, le souvenir… ?
Éléonore existe dans l’ombre de cette figure disparue. N’est-elle pas alors dans
109
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
1. Voir notamment les travaux de Aulagnier (1984) et de Kaës (1993) sur la place du Je à l’intérieur
d’un ensemble intersubjectif qui le précède et l’assigne à une certaine place.
110
Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
Si les troubles anorexiques ont débuté chez Éléonore, comme chez bien d’autres
jeunes filles, à l’adolescence, c’est donc certes en regard d’une problématique géni-
tale actualisée par la maturation pubertaire, mettant en jeu l’identité sexuelle et
avec elle la reconnaissance de la différence des sexes : la maternité, avoir quelque
chose dans son ventre/utérus, comme symboles de la rencontre génitale, avec les
angoisses de castration afférentes, sont ici nettement insupportables à Éléonore.
Mais ces troubles adviennent aussi en raison d’une problématique prégénitale (de
perte notamment, voir infra), et plus encore d’une problématique archaïque où
la question de l’identité primaire, de l’accès à un Je individualisé, est posée. Si les
troubles alimentaires anorexiques d’Éléonore survenus à l’adolescence signalent
un certain « refus du féminin » (au sens secondaire, génital, du terme), c’est parce
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
que cette féminité naissante est pour elle source d’impossible rivalité (avec la
sœur, symbole œdipien, par exemple) mais aussi synonyme de perte, d’abandon
par l’objet. On peut pousser plus loin l’analyse et postuler, avec André (1995) par
exemple, que la rencontre génitale vient également réactiver chez Éléonore les
enjeux et les échanges du corps-à-corps primitif avec l’objet maternel. On peut alors
émettre l’hypothèse que les soins maternels primaires ont laissé une empreinte trop
pénétrante, soit alors une emprise sur le sujet et sur son corps, laissant perdurer
chez lui des vécus originaires d’intrusion, d’envahissement, c’est-à-dire encore
d’étouffement. Devenir femme, et plus encore mère, c’est pour Éléonore « prendre
111
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
du poids » et, si elle le refuse énergiquement, c’est parce que devenir femme équi-
vaut à devenir comme la mère, équivalent fantasmatique chez Éléonore ou chez
d’autres anorexiques-boulimiques d’avoir la mère en soi. Se profile ici le spectre de
la fusion-aspiration narcissique. Celle-ci s’avère autant recherchée (pour occulter
les angoisses de séparation-individuation) que redoutée (en raison de ses aspects
destructeurs, perceptibles par exemple dans l’impossibilité d’Éléonore à mettre la
tête sous l’eau). Outre les enjeux génitaux et la problématique de la perte de l’objet,
ce fantasme de fusion est donc ce qui sous-tend en dernier ressort les agirs compor-
tementaux d’Éléonore (crises de boulimie/vomissement, exercices physiques). En
effet, durant ces nombreux tête-à-tête sportifs avec son corps, se muscler mais
surtout s’épuiser, se vider ressemblent fort aux signes d’une rude bataille menée
avec l’objet primaire incorporé, bataille dont Éléonore a parfois le sentiment de
sortir victorieuse. Cela lui procure un « étrange sentiment de bien-être », mais qui
est bien éphémère puisqu’il faut à Éléonore réitérer sans relâche ces exercices, soit
encore ces retrouvailles-rejets avec elle et avec l’objet incorporé.
112
Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
4.2.4 É
léments transféro-contre-transférentiels
et propositions thérapeutiques
113
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Bibliographie conseillée
Brusset B., Couvreur C., Fine A., Jeammet Igoin L. (1979). La Boulimie et son infor-
P., McDougall J., Vindreau C. (1991). La tune, Paris, PUF, 1981.
Boulimie, Monographies de la Revue fran- Jeammet P. (1974). « L’anorexie mentale »,
çaise de psychanalyse, Paris, PUF. EMC Psychiatrie, 37350 A10 et A15.
Chabert C. (2015). La Jeune Fille et le Marinov V. (dir.) (2001). Anorexie, addic-
Psychanalyste, Paris, Dunod. tions et fragilités narcissiques, Paris,
Corcos M. (2000). Le Corps absent. PUF.
Approche psychosomatique des troubles Marinov V. (2008). L’Anorexie : une étrange
des conduites alimentaires, Paris, Dunod. violence, Paris, PUF.
Dumet N. (2017). L’Inconscient dans l’as- Revue française de psychanalyse,
siette, Paris, Dunod. « Addiction et dépendances », 2004, 68, 1.
Flament M., Jeammet P. (dir.) (2000). La
Boulimie. Réalités et perspectives, Paris,
Masson.
1. L’observation clinique du cas de Christophe et son étude ont été réalisées par Pascal Roman,
professeur de psychologie clinique, psychopathologie et psychanalyse à l’Université de Lausanne
(Suisse).
114
Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
115
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
La figure du père est décrite sur un mode idéalisé : il soutient son fils dans
ses difficultés actuelles, vient le voir, et, de fait, apporte comme une confirma-
tion à ses positions de déni de sa participation aux actes qui lui sont reprochés.
Ce sentiment de pouvoir disposer d’un soutien paternel inconditionnel conforte
Christophe L. dans un discours de toute-puissance, que l’on peut mettre en lien
avec les croyances qu’il énonce quant aux rituels et envoûtements (participation
animiste) qui, pour lui, pourraient expliciter sa situation actuelle. On entend bien
sûr que le recours à ses croyances résonne également pour Christophe L. comme
un appel aux origines…
La figure maternelle est convoquée de manière plus distante, ainsi que celle de la
fratrie. La mention de sa sœur puînée ne sera mobilisée par Christophe L. que pour
confirmer les positions d’hostilité de ce dernier à l’égard du viol (on pourrait même
entendre position de militance contre le viol), au travers de ce que Christophe L.
fait valoir du souci qu’il peut avoir de la protection de sa sœur…
116
Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
Sur le plan de sa vie affective, Christophe L. indique avoir eu, en particulier, une
relation affective de plusieurs années avec une jeune fille originaire d’Amérique du
Sud, qui l’aurait ensuite quitté pour rejoindre son pays d’origine : la séparation est
évoquée dans un contexte de dramatisation affective, dans un vécu de perte notable.
On entend à nouveau, en arrière-plan, le souci manifesté par Christophe L. de
présenter une image normalisée de son inscription sociale et affective.
À propos des faits qui lui sont reprochés (viol avec séquestration), Christophe L.
évoque tour à tour les machinations dont il a pu faire l’objet ou le malentendu qui
a pu s’établir sur la qualité de la relation instaurée avec sa victime.
117
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
d’aide de sa part, demande traduite par ce dernier (on pourrait dire : interprétée)
dans les termes d’une demande de relation affective. Dans un second temps,
Christophe L. présente la victime comme s’étant trouvée prise dans la double
nécessité, paradoxale, de protéger son agresseur et de se protéger elle-même.
Dans une banalisation des faits rapportés par la victime, Christophe L. peut
parler, à son propre égard, d’une « mésaventure ». Tout se passe alors comme si,
au mépris des témoignages accablants et des preuves matérielles réunies contre lui,
Christophe L. allait, magiquement, être reconnu innocent, dans un mouvement de
restauration de sa dignité bafouée par sa mise en examen.
Face aux faits de viols avec séquestration qui lui sont reprochés, Christophe L. ne
manifeste aucune empathie à l’égard de sa victime. Il se considère lui-même comme
la victime d’une jeune femme sans scrupule, qui se serait retirée après l’avoir séduit,
et il introduit celle-ci dans sa propre responsabilité, voire sa propre perversité.
• d’une part cette jeune fille qu’il a conviée, généreusement, chez lui n’a pas été
digne de son accueil (pas plus que la jeune fille à l’égard de laquelle il y aurait
eu tentative de séquestration d’ailleurs) ;
118
Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
un papillon, une abeille un papillon (enquête : les ailes), les crocs là… Ça, ça
embrouille (montre la partie supérieure), ça cache… et on voit le corps.
4. Et là une tête (détail noir supérieur), pas une tête d’être humain, d’un insecte
peut-être avec les ailes, des grosses ailes oui, c’est clair là, c’est un papillon
(répétition). (Enquête : je vois deux yeux là mais il y a pas de corps alors on peut
pas savoir si ça représente entièrement un papillon.)
Planche III (3,00’) : Ça, c’est quoi ? c’est… ça représente quelque chose norma-
lement… je suis censé voir quoi ? Je suis censé voir une forme ?
5. Je vois un nœud là, comme un nœud de cravate (détail rouge central), incroyable
quand même, incroyable… oui c’est incroyable… c’est un truc que j’ai déjà vu
quelque part mais c’est rien…
6. Là je vois comme une tête, comme une tête de cafard (enquête : non c’est pas
une tête de cafard… je vois deux trucs là, je pense que c’est des yeux mais je
pense…).
7. Et là je vois comme deux personnages mais c’est pas des personnages, c’est pas
des êtres humains, c’est des formes… on dirait deux formes, mais c’est pas des
êtres, j’ai vu deux formes, je sais pas ce que c’est, c’est un dessin abstrait, des
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
8. Je vois un œil là, un œil là avec deux crocs là, comme une tête d’insecte… je sais
pas ce que c’est cet insecte… le reste c’est une forme, je sais pas… on dirait un
gros papillon quoi… mais… difficile quand même parce que là… V. Ù. Voilà
119
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
c’est tout (enquête : la tête là, les crocs comme des scarabées des fois ils ont de
grosses… j’en ai vu de près, ils ont des défenses).
Planche V (1,20’)
Planche VII (2,00’) V. : (sourit) Ù. C’est une drôle de forme, je comprends pas…
10. J e vois une drôle de tête là et une tête là (détail supérieur) avec une bouche
noire et une bouche noire (symétrie)… c’est une forme abstraite ça… comme si
on avait fait une tête de quelqu’un et on voit pas le visage et il y a pas de forme.
12. L
à c’est deux animaux, on a l’impression que ce sont des… je sais pas ce que
c’est comme animal, on dirait deux tigres qui marchent… c’est des animaux,
il y a quatre pattes, un corps un peu abstrait… >.V. (Enquête : je sais pas quel
genre ça peut être d’animal.)
13. E
t là je vois comme un vêtement, comme une chemise, une veste avec une
fermeture (enquête : un tee-shirt, y a des bras)… Ù.
14. C
omme un oiseau là (détail bleu) mais c’est très abstrait comme peinture… c’est
du Picasso… on voit les deux pattes d’un oiseau, un aigle, les grandes ailes…
mais c’est une forme abstraite parce qu’il y a un truc au milieu qui cache ce
qu’il y a derrière…
120
Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
Planche IX (1,30’) V. Ù.V. : Y a pas de forme Ù…. Là, je vois rien (enquête : pas
de forme de papillon) – (refus).
16. L
à je vois deux pattes, comme une forme de quelque chose debout avec une
queue chacun (détail gris supérieur) qui sont comme jumelles (symétrie)…
deux choses qui sont identiques mais pas humain, il y a pas une tête d’hu-
main… je vois deux pattes mais je vois pas de forme au-dessus… pas de forme
précise, voilà… c’est un test piège (enquête : une forme, un déguisement qui
est debout… on voit pas bien la forme, ça s’évade).
et elle est pensive, elle tient son ventre, et l’homme au fond je pense qu’il travaille,
au quatrième plan je vois des pyramides parce qu’elles ont la forme de pyramides…
un paysage de montagne derrière la jeune femme avec les livres… et la femme qui
est enceinte elle est pensive, elle attend patiemment l’arrivée de son nouveau-né,
elle est tranquille, elle attend du bonheur et c’est tant mieux pour elle…
121
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Planche 3 (2,30’) – Ben là il me semble que c’est une femme… je pense c’est une
femme qui… qui a l’air… je dirais pas fatiguée parce que si elle était fatiguée elle se
serait allongée sur son lit mais elle est en sanglots, malheureuse, parce qu’elle a un
chagrin d’amour ou elle a perdu quelque chose, des amis… mais je remarque sur
sa gauche une rose, à sa gauche… c’est comme un chagrin d’amour il me semble,
on peut imaginer plusieurs choses… mais c’est tout dans la tristesse… je crois pas
qu’elle dort… elle est triste, elle est très malheureuse donc elle s’accoude, c’est une
fille qu’il ne faut pas déranger, la laisser évacuer et peut-être après voir quelqu’un
comme vous, pour pouvoir en parler.
Planche 4 (3,00’) – Donc là je vois donc là deux personnages qui sont un homme
et une femme qui ont l’air assez complices… qui se connaissent bien car la femme
a un geste de compassion pour lui, avec la main gauche elle le retient et lui il a
l’air de fuir quelque chose… peut-être elle lui a dit un truc… on peut pas savoir ce
qu’ils se disent, j’essaie d’inventer… elle a l’air d’avoir une compassion et lui il a
l’air évasif, pas colérique mais pensif, il a une double vision des choses, colérique
et pensif… et elle lui dit : « T’en fais pas », peut-être la suite de l’image ça peut être
il revient vers elle… et derrière il y a un dessin au mur, je sais pas si c’est un dessin,
avec une femme qui croise les jambes de manière curieuse, c’est assez contrasté…
il a l’air de regarder quelqu’un… elle a l’air de le faire revenir vers lui, de l’apaiser.
Planche 5 (2,30’) – Donc ici… donc je vois… je vois un plan dans un appartement
à mon avis apparemment… je sais pas quelle pièce c’est… une femme qui ouvre
une porte ou qui la ferme… qui ouvre une porte et qui regarde ce qui se passe… on
discerne une cuisse, peut-être elle a un tailleur avec une ouverture sur la gauche ce
qui fait qu’on discerne sa cuisse… on voit une cuisse mais elle est habillée de façon
normale… peut-être c’est pas sa cuisse mais la lumière… et elle regarde quelque
chose dans la pièce… je vois rien d’autre mais c’est bien dessiné quand même.
Planche 6 BM (4,40’) – Ici je vois un homme et une femme, une dame… l’homme
a l’air beaucoup plus jeune d’aspect, la trentaine quarantaine… il se tient les mains
sur quelque chose, il a l’air pensif ou ennuyé… et la femme qui peut être sa mère,
ou sa tante, elle a l’air préoccupée par quelque chose comme s’il y avait eu… je sais
pas… un décès, pour lui, et elle, elle regarde par la fenêtre pensive, elle doit avoir
70 ans, assez simple comme dame, et lui, c’est son fils, pensif, et assez ennuyé par
sa mine… ils sont dans une pièce dans un appartement ou une maison…
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Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
livre amené par son père au parloir et dont la transmission en détention est refusée
à Christophe L.) on a l’impression que c’est un père et son fils, le père doit avoir
la soixantaine, le fils 35/40… il a l’air assez triste son fils, en même temps triste et
pensif… et son père a l’air de compatir dans sa douleur… il a l’air de dire : « Quel
coup dur mon fils ! »… c’est pas sûr… ils ont l’air préoccupés par quelque chose qui
les touche de près… et le père a l’air aussi préoccupé, il est proche.
Planche 8 BM (2,40’) – Donc donc donc… donc ici… bizarre quand même… ici
au premier plan je vois comme une personne je sais pas si c’est un homme ou une
femme… je vois un personnage comme s’il tient un fusil… je sais pas s’il le tient…
et qui regarde… et en deuxième plan je vois un homme couché sur… sur un lit
et qui a l’air de crier, de hurler, d’avoir mal parce que je vois aussi un homme qui
enfonce quelque chose dans son corps… mais c’est pas un instrument de chirurgie
parce qu’il n’y a pas de fil de chirurgien… ça ressemble à une torture… c’est très
abstrait mais il a l’air de souffrir… l’autre personne c’est une tête, on voit une tête,
peut-être un morceau de corps… et je vois comme des barreaux, ou une fenêtre
(regarde la fenêtre du bureau où se déroule la passation)… c’est incompréhensible
quand même… elle a l’air de souffrir la personne, ça a pas l’air d’être drôle pour lui.
Planche 11 (2,15’) – Alors ici je vois dans ce paysage des rochers sur la gauche et
je vois sur la droite comme si c’était le ciel, gris, la nuit, dessin très abstrait et… voilà
quoi… je vois comme des rochers, sortes de petits rochers… petites montagnes…
fumée, c’est noir… je sais pas.
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
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16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Planche 13 B (3,00’) – Ici je vois un petit garçon donc… qui est dans… y en a
aussi des maisons comme ça en Afrique… et ma grand-mère qui est morte l’année
dernière elle habitait dans une maison en bois et ça me fait penser à moi… le petit
garçon regarde un objectif… celui de l’appareil photo… un enfant innocent… c’est
un enfant qui grandit tranquille… un enfant qui n’est pas encore rentré dans les
soucis du monde où on vit… qui a peut-être ses parents… s’il est devant chez lui,
il est tranquille, tout simplement tranquille…
Planche 13 MF (2,45’) – Ici je vois donc une pièce apparemment c’est une
chambre puisqu’il y a un lit… un homme qui a l’air de se mettre la main droite
sur le visage de détresse… ou vient de se lever… une femme sur le lit, on voit sa
poitrine et son bras ballant sur le lit… on a l’impression qu’il s’est passé quelque
chose… détresse là-dedans comme s’il a fait une bêtise ou bien elle lui a dit un
truc… on a l’impression qu’il est malheureux, on sait pas si elle dort vraiment, si
elle est malade, si elle est en vie… c’est difficile parce qu’on voit pas de trace… on
a l’impression qu’il pleure et qu’elle est pas en vie…
Planche 19 (2,00’) – Ouh là ! ça, c’est un dessin assez abstrait pour moi, je sais
pas si c’est l’impressionnisme ou le surréalisme… je sais pas… je sais pas en termes
d’impressionnisme j’ai l’impression que ce sont des vagues et le reste je vois pas du
tout ce que c’est… je vois des formes mais qui représentent rien sur cette terre…
ici je peux dire que c’est des vagues, souvent dans les tableaux comme Dali… mais
je suis pas un professionnel pour dire ce qu’il y a derrière…
Planche 16 (4,00’) – Y a rien là… dire ce que je vois là… je comprends pas… c’est
un piège… ce que j’invente comme histoire c’est… c’est… je dessinerais je sais pas
ce que je dessinerais… je dessinerais la prison où je suis et je la… un petit morceau
et je dessinerais plutôt en principe la sortie… et je dessinerais les parents à côté qui
m’attendent… et mes amis qui sont en pleurs parce qu’ils savent ce que je subis et
que j’endure parce que là c’est trop dur là… et je me dessinerais qui ouvre les bras et
qui les attrape dans mes bras, pas dans la prison mais bien… 100 mètres de la prison.
124
Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
• d’une part du fait du mandat judiciaire, qui place la rencontre clinique sous
le signe de la contrainte il s’agit alors, à partir du mandat judiciaire et en
préalable de la rencontre, de recueillir une adhésion suffisante de la part de
Christophe L., afin de garantir a minima la qualité de celle-ci, dans le souci
d’ouvrir un espace de parole au sein duquel puisse se trouver soutenue une
position de sujet. On pourra noter, incidemment au décours de ces entretiens,
que Christophe L. ne manifeste à aucun moment une demande d’aide sur le
plan psychologique
125
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
5.2.2 D
iagnostic psychopathologique
et organisation de la personnalité
• une présentation dans la relation qui se traduit dans les termes d’une adap-
tation, voire d’une hyperadaptation, construite pour l’essentiel sur le mode
d’une intellectualisation dans un contexte de séduction ; cette première lignée
adaptative s’ancre dans un discours relativement construit, accessible dans
l’échange avec le psychologue ;
• l’absence de culpabilité au regard des faits qui lui sont reprochés, faits
présentés tour à tour, et de manière incohérente, dans une banalisation et/
ou dans un déni ;
• l’engagement dans des agirs violents, dont l’essence transparaît dans la relation
clinique, agirs qui affectent les conduites sexuelles de Christophe L. sur le mode
de conduites sexuelles déviantes (pratiques sexuelles sous contrainte) dans un
contexte de préparation, semble-t-il, minutieuse du scénario de séquestration
(au vu de certains éléments fournis par le dossier judiciaire du sujet) ;
126
Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
Les réponses sont de qualité médiocre, d’une élaboration limitée, relativement peu
nombreuses (un peu plus de dix réponses, deux planches font l’objet d’un refus de la
part de Christophe L.) et très largement marquées par le doute : elles se présentent
volontiers de manière imprécise (planche I : « Là je vois un insecte papillon ou…
ouais un papillon avec deux crocs là, deux pinces et une bouche, une sorte de gros
gros papillon avec des taches… et les ailes elles sont un peu hautes ou peut-être
elle les a ouvertes… oui un papillon, une abeille, un papillon »), voire disqualifiées
1. Les épreuves projectives de personnalité peuvent être classées en deux groupes principaux : les
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
127
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
(planche IV : « […] et là je vois deux personnages mais c’est pas des personnages, c’est
pas des êtres humains, c’est des formes, on dirait deux formes, mais c’est pas des
êtres […] ») et elles portent la marque de sa difficulté à prendre position au regard
d’une épreuve qui confronte à la nécessité d’une organisation d’un stimulus sans
forme prédéterminée, à partir de ses propres organisateurs internes. Les représen-
tations sont peu diversifiées, les mouvements de persévération autour de la figure
récurrente du papillon donnent à voir quant à eux la précarité des procédures de
différenciation entre son monde interne et la réalité externe.
128
Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
mais il a l’air de souffrir… l’autre personne c’est une tête, on voit une tête, peut-
être un morceau de corps […] »).
Cette épreuve est investie sur une modalité quelque peu logorrhéique : la
passation durera plus de 45 minutes, Christophe L. manifestant des difficultés
à se séparer du matériel, dans une qualité de récit marquée par le doute, qui se
traduit en particulier par des procédés de discours de l’ordre du remâchage.
Christophe L. propose des récits qui peinent à une véritable élaboration de la
dynamique conflictuelle et qui se trouvent comme contaminés par ce qui se
dessine dans le registre des fragilités identitaires.
liaison entre l’affect et la représentation (cf. planche 8BM au TAT) laisse le champ
ouvert à l’expression d’une violence aveugle.
129
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
130
Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
On peut penser que ce dernier mouvement s’est trouvé exacerbé par les condi-
tions de la rencontre carcérale, en un lieu clos, précisément et dans l’actuel référé à
l’enfermement. Le vécu douloureux de l’incarcération par Christophe L., cristallisé
d’une certaine manière par la situation de l’examen psychologique sur mandat judi-
ciaire, vient mobiliser le psychologue dans une forme de compassion, mouvement
qui tend à confirmer celui-ci dans une position de victime à ses propres yeux. On
voit bien ici le risque contre-transférentiel spécifique à la rencontre de ce type de
patient et bien décrit par un certain nombre d’auteurs (Balier en particulier), celui
de se trouver en position d’otage des aménagements limites et pervers, engageant
une distorsion dans la position clinique.
séduction de type narcissique, portée par une présentation qui met en avant
ses capacités d’investissement d’une relation d’aide à destination de sujets en
souffrance psychique (voir ce qu’il énonce de son engagement professionnel)
et placent le psychologue dans une relation d’étayage en miroir : là où le sujet
témoigne de sa sollicitude à l’égard d’autrui, la propre sollicitude du clinicien se
trouve mobilisée aux fins de soutenir un mouvement qui s’inscrit dans le registre
de l’illusion.
131
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Ainsi alternent, dans la relation avec Christophe L., d’une part des moments
dans lesquels la séduction vient comme immobiliser toute capacité de pensée (sur
le mode d’une quête du sujet d’une reconnaissance narcissique au regard de ce qui
peut apparaître comme une fragilité, voire comme une blessure) et d’autre part des
temps d’annulation de la relation au travers d’une violence sous-jacente.
Car au fond, ce qui se joue ici dans le contre-transfert signe l’attaque des opéra-
teurs de la différenciation et de l’affirmation de la subjectivité de l’autre, dans une
configuration qui ouvre largement sur un espace de confusion.
132
Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
5.2.4 O
rigine des conflits psychiques :
perspectives psychodynamique et psychogénétique
Dans ce sens, on peut alors faire l’hypothèse d’une carence dans la constitution
d’imagos parentales fiables et différenciées, carence venant entraver l’établisse-
ment de relations conflictualisées : en effet, il semble que Christophe L. s’inscrive
essentiellement dans des relations sur un mode anaclitique, dans le registre de la
dépendance affective. Tant les éléments contre-transférentiels que la nature de
ses engagements relationnels au quotidien (sur le plan de son insertion sociale
et professionnelle) ainsi que ceux visés par les faits de violence dans lesquels
il s’est trouvé mobilisé, témoignent du mode aliéné des relations investies par
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
Christophe L.…
Par ailleurs, les stratégies défensives qui se déploient ici en termes de retourne-
ment, voire d’identification projective, garantissent à Christophe L. une manière
de survie psychique, au sens où la fonction de dépôt mobilisée dans la rencontre
de l’autre l’assure d’une protection contre ses propres mouvements destructeurs
(autodestructeurs) et violents. L’alternance, sur fond de labilité, entre des mobili-
sations défensives par inhibition d’une part, et un mode persécutoire d’autre part,
133
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
En arrière-plan, ce sont bien sûr des angoisses peu organisées, angoisses qui
empruntent largement au registre préœdipien, qui tapissent la vie psychique
de Christophe L. : angoisses de perte d’objet, voire d’abandon, dont les effets de
désorganisation de l’adaptation à la réalité apparaissent majeurs, même s’ils se
trouvent en quelque sorte sectorisés à une part de ses investissements psychiques.
En effet, on peut considérer que la participation aux passages à l’acte violents de
Christophe L. s’inscrit dans un double mouvement de réassurance :
134
Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
L’hypothèse d’un soin sous contrainte, dans le cadre d’une injonction de soin
ou d’une mesure de suivi sociojudiciaire, dont on peut penser qu’il se trouverait
en mesure de réduire ou, à tout le moins, de circonscrire la part séductrice de
135
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Par ailleurs, il apparaît tout à fait déterminant que le soin puisse prendre appui
sur la reconnaissance de la culpabilité portée par l’acte de jugement, qui constitue
l’issue du traitement judiciaire des actes transgressifs, au sens où cette reconnais-
sance sociale de la transgression peut se proposer comme point d’appui d’une
reconstruction subjective.
Bibliographie conseillée
Balier C. (1988). Psychanalyse des compor- Balier C. (1996). Psychanalyse des compor-
tements violents, Paris, PUF. tements sexuels violents, Paris, PUF.
136
Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
Il a trois enfants de trois femmes différentes, et ne peut assumer cette vie mouve-
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
mentée. Il vit à présent avec un ami ex-enfant de troupe comme lui. « J’ai réussi à
faire une œuvre », dit-il, mais, en art, « il n’y a ni commencement ni fin ». « C’est
comme si je n’arrivais pas à rassembler les morceaux. »
Élevé par un grand-père alcoolique, il n’a jamais connu son père, mort juste
avant sa naissance, fusillé par erreur à la place d’un résistant qui portait le même
nom que lui. Il sait juste de ce père qu’il était sous-officier de la Légion étrangère
et qu’il avait participé à plusieurs campagnes en Indochine. Il avait rencontré là
la future mère de Léonard et l’avait ramenée en France. Elle était repartie vivre
137
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
« J’ai passé mon enfance à attendre. Qui ? Peut-être ma mère », dit-il d’un trait
au psychologue en souriant. Il a toujours vécu comme un cauchemar l’école et
toute forme de communauté. Il a horreur de la compétition et s’est toujours
battu seul. Il craignait, dit-il, de décevoir ses grands-parents qui avaient tellement
idéalisé leur fils, mais il a le sentiment d’avoir passé sa vie à les décevoir.
À vingt ans, il est allé à Paris, pour travailler chez un critique d’art. Il était
homosexuel, et Léonard « n’était pas très fier ». « Ça s’est terminé par une crise
de coliques néphrétiques… » Il était à l’époque très amoureux d’une chanteuse
138
Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
connue, avec laquelle il est resté en relation. Puis en 1966 il s’est marié avec une
« grande dépressive, qui avait de grandes phobies ». Ils ont eu une fille. Six ans
plus tard, son père, qui avait une énorme emprise sur elle, l’a obligée à divorcer.
« J’étais toléré par cet homme dont la précédente femme était morte en couches.
Il ne pensait qu’au pouvoir de l’argent, et est mort milliardaire. Il a tout légué à
sa fille. »
« Après cette séparation, toutes les aventures sont devenues difficiles. En fait j’ai
toujours vécu entre deux eaux, et ma femme a emporté quelque chose avec elle. Je
suis très sensible à cette dépossession, et c’est elle en même temps qui me permet
d’être spectateur de moi-même. Je vis à blanc, avec l’angoisse comme seule émotion
que j’éprouve. J’ai vécu une immense recherche érotique avec ma première femme.
Une relation entre le sexe pur et l’art que je n’ai jamais retrouvée. »
« J’ai fait une tentative de suicide il y a dix ans. Après, j’ai vécu cinq ans avec une
de mes cousines, avec une certaine tranquillité parce que j’étais reconnu pour mon
art sur le plan international. Puis j’ai entrepris de faire des films pour ramener le
monde de l’image à la peinture. Ces films tentaient de reproduire le sexe pur en
image sur la pellicule ; j’ai notamment tourné un happening dans ce sens au début
des années soixante-dix avec une actrice très connue. J’ai été très déçu du résultat.
Sur le plan sentimental, j’ai alors rencontré une très jolie fille homosexuelle avec
qui j’ai eu un autre enfant qu’elle a gardé et qu’elle élève dans une communauté de
femmes. Je n’ai aucune nouvelle de lui. Je me suis remarié après avec la fille d’une
amie de mon père que je connaissais depuis l’enfance, et avec qui j’ai une fille. »
toujours le peintre… Dans les années soixante-dix, j’ai mis mon corps en question
dans la peinture, en me mettant nu avec mes modèles et en travaillant avec mon
corps. Je me sens à présent coupé de cette réalité, et je ne peux plus peindre qu’au
travers de ce dispositif de projection que je vous ai décrit. Je voudrais que vous
veniez voir ces œuvres, plutôt que de parler ainsi de moi. Je ne crois pas à la parole,
parce qu’elle est toujours mensonge. »
139
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
6.2.2 D
iagnostic psychopathologique
et approche psychodynamique
Pour débuter, on pourra mettre l’accent sur le malaise qui se dégage de cet
entretien avec un psychologue homme, tenant à une « franchise » suspecte quant
au vécu sexuel du patient, et en particulier à l’accumulation des situations « origi-
nales », voire franchement scabreuses, dont il fait part lorsqu’il évoque sa vie. On
peut en effet partir de cette question centrale de la sexualité, comme premier
« descripteur » de sa pathologie. De ce point de vue, Léonard joue manifestement
avec la limite, en permanence. Certes, il ne s’« exhibe » pas véritablement, mais il
suggère (« immense recherche érotique »), rompt (« n’était pas très fier »), dénie
(« il ne s’était rien passé »), avoue (« du moins avec mes modèles »), se fait char-
meur (« J’ai passé […] mère »), séducteur (« que vous veniez voir ces œuvres… »),
140
Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
plaintif (« déçu, désemparé… »), pitoyable (« baissé les armes »), glorieux (« actrice
très connue », « chanteuse connue », « j’ai réussi à faire une œuvre… »)… bref, cette
suggestion manipulatrice invite l’autre en permanence à un partage de la trans-
gression, tout en se protégeant a priori contre une telle interprétation, puisqu’elle
reste implicite. On pourrait dire que Léonard cherche à nous entraîner dans le bal
masqué permanent de sa vie. (On verra plus loin l’importance de cette question
du masque, du cache, dans sa technique de peinture.)
Le sexuel transgressé est donc au premier plan, dans cet entretien, et il convient
de le nommer, seul moyen pour l’aborder psychiquement en cassant la connivence
face à un personnage expérimenté, compétent et tentateur… (cf. Perrier, 1994,
sur le talent des pervers dans l’emprise et la transgression, et sur l’exigence de se
confronter à cette question).
Léonard, sachant que cette question du sexuel n’est pas en soi discriminante mais
qu’elle organise toute la psychopathologie. Donc psychose, névrose, ou perversion ?
Ou combinaison des trois ?
141
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Pas de dissociation donc ici, bien que le mécanisme du clivage soit présent, mais
de façon particulière (on y reviendra plus bas). Pas de syndrome dépressif à ce jour,
pas de véritable dévalorisation (malgré les paroles manifestes et les plaintes expri-
mées ; il parle de « dérision »). Pas de délire, non plus. Reste la question importante
de la projection, métaphorisée dans sa technique picturale, qui peut interroger la
paranoïa, d’autant que, comme pour le président Schreber (Freud, 1911), les mêmes
« ingrédients » semblent présents, notamment l’homosexualité passive refoulée par
rapport au père (« moi un homme, je l’aime, lui, un homme »…). Mais il ne faut pas
oublier, ainsi que Freud le précise bien, que dans le cas Schreber, l’élément psycho-
tique est que le malade, « pour se défendre d’un fantasme de désir homosexuel, ait
réagi par un délire de cet ordre ». En d’autres termes, c’est le choix délirant articulé
autour du mécanisme de la projection qui « fait » la psychose, et non les origines
de l’homosexualité passive adressée au père. D’ailleurs, Freud ajoute que tous les
paranoïaques échouent sur cette tâche si difficile : maîtriser leur homosexualité
consciente renforcée. C’est le délire qui leur sert d’échappatoire, et les coupe de
142
Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
la réalité, les conduisant à la psychose. On verra que Léonard « choisit » une autre
manière de gérer ce rapport problématique à l’homosexualité : par la perversion
et par la création.
143
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Donc, la problématique névrotique n’est pas non plus convaincante dans ce cas,
lequel est caractéristique en revanche d’une organisation de type pervers, dont on
retrouve les signes majeurs : l’exigence de poser la sexualité dans son « anomalie »
comme distinctive de la perversion (cf. Laplanche, Pontalis, 1967), le talent parti-
culier du pervers dans sa « technique d’intimité » (cf. Khan, 1976, 1981) avec son
partenaire, les mécanismes de complicité, la relation d’emprise, le défi perma-
nent à la limite, le penchant habituel à la transgression, le goût pour le secret, le
mécanisme prévalent du déni, porté par le clivage, enfin le caractère stable de la
problématique perverse.
Tous ces éléments se retrouvent sans exception dans le cas proposé. Les dérives
de la sexualité ont été déjà abordées ainsi qu’à ce sujet la technique d’intimité. À
noter que le choix même de la peinture d’après modèle pose question de ce point de
vue, s’agissant d’une mise en scène particulière de la relation d’emprise. D’ailleurs,
il convient de noter dans le cas de Léonard que partant de ce schéma classique, ce
choix l’a conduit à son extrême (nu avec ses modèles et travaillant avec son corps),
puis il l’a transformé dans la « nouvelle figuration », excluant tout contact avec la
matière même. Il y a là un point intéressant à développer dans le registre de la
formation réactionnelle. Défi à la limite, transgression, secret sont également clairs.
Il s’agit pour Léonard, dans son choix pervers de l’homosexualité, d’une orien-
tation stable, quelle que soit la « réalité » féminine de ses liaisons sentimentales
(des trois mères de ses enfants, deux sont explicitement référées au père ou à un
substitut) – l’homme riche et « puissant » – et la troisième est homosexuelle ; on
remarque simultanément ici la puissante disqualification de la femme et la dotation
d’un attribut particulier (soit alors un symbole phallique) à celle-ci, tout du moins
aux femmes qu’il a fréquentées : l’une est (une chanteuse) connue, une autre est
grande (dépressive), enfin la dernière est une très jolie (homosexuelle) a laquelle
il a fait un enfant.
Quant au déni (qui est, dans la théorie freudienne, déni de la différence des
sexes), il est porté par les conduites sexuelles, et par la difficulté que Léonard
rencontre dans sa peinture pour représenter, pour figurer. En fait, pour figurer la
différence (« Je suis désemparé par l’impossible de la représentation »), Léonard
l’exprime remarquablement en disant « c’est une boucle infinie qui saisit le réel et
144
Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
De son père, on retiendra surtout que Léonard ne l’a pas connu en raison de sa
disparition tragique juste avant sa naissance. Ce père a été victime de son nom,
alors qu’il avait « servi la nation » comme militaire. Comment peut donc s’inscrire
le signifiant du Nom-du-Père (Lacan) dès lors qu’il a été porteur de l’exécution de
ce dernier ? En fait, on ne sait pas si cette histoire est « réelle », ou bien s’il s’agit
145
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
d’un roman familial, mais quoi qu’il en soit on peut penser que la « méprise » fatale
autour du nom constitue un garde-fou contre un mécanisme forclusif, puisqu’il
y a toujours (potentiellement) quelqu’un de vivant, et « résistant », porteur de ce
signifiant paternel. En même temps, elle introduit une problématique du double qui
sert de support au clivage, et facilite également le choix homosexuel de Léonard.
La présence des portraits du père en uniforme dans toutes les pièces révèle bien
l’idéalisation (voire l’idolâtrie) et le deuil impossible alors de cet homme par ses
parents – les grands-parents de Léonard. Par ailleurs ces portraits omniprésents
dans l’enfance de Léonard sont sans doute à mettre en rapport aussi avec le scénario
pervers étudié plus haut. Son enfance parmi les enfants de troupe lui donne par
ailleurs comme famille l’armée tout entière, ce qui introduit tout naturellement
une confusion ultérieure entre les registres de l’intime et du public. Au fond sa
relation avec le monde de l’art n’est qu’une réplique inversée de son enfance dans
cet univers particulier de l’armée, où d’ailleurs il avait établi très jeune un « atelier
clandestin ».
146
Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
Quel rôle joue cet « ami ex-enfant de troupe » ? Comment entendre ce penchant
pour l’alcoolisme ? On ne peut s’empêcher de penser ici au(x) manifestation(s)
et besoin(s) de dépendance de Léonard envers l’objet (anaclitisme révélant chez
Léonard l’importance de la problématique narcissique de manière concomitante à
147
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Bibliographie conseillée
Aulagnier P. et al. (1967). Le Désir et la McDougall J. (1996). Éros aux mille et un
Perversion, Paris, Le Seuil. visages, Paris, Gallimard.
Bonnet G. (1993). Les Perversions Mijolla-Mellor S. de (2009). Le Choix de
sexuelles, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? ». la sublimation, Paris, PUF, coll. « Le fil
Dumet N. (dir.) (2013). La Maladie créa- rouge ».
trice, Toulouse, éditions Érès. Perrier J. (1994). Le Mont Saint-Michel,
Faure-Pragier S. (2000). La Perversion ou Strasbourg, Arcane.
la Vie. Klim, l’homme aux deux noms, Pirlot G., Pedinielli J.L. (2009). Les
Paris, PUF. Perversions sexuelles et narcissiques,
Freud S. (1905). Trois essais sur la théorie Paris, A. Colin.
de la sexualité, Paris, Gallimard, 1962. Stoller R. (1978). La Perversion, forme
Freud S. (1910). Un souvenir d’enfance de érotique de la haine, Paris, Payot.
Léonard de Vinci, Paris, Gallimard, 1987. Tychey C. de (dir.) (2007). Clinique des
Freud S. (1894-1924). Névrose, psychose et perversions. Repérage diagnostique
perversion, Paris, PUF, 1973. et prise en charge thérapeutique,
Ramonville Saint-Agne, Érès.
Khan M. (1981). Figures de la perversion,
Paris, Gallimard.
7. R
elations conjugales et narcissisme pervers :
Monsieur et Madame Sic
148
Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
avait alors eu du mal à trouver ses mots, hésitant, n’achevant pas ses phrases. Il
était finalement et péniblement parvenu à énoncer des difficultés de couple faisant
suite à une aventure extraconjugale de sa femme. Mais « c’est surtout elle qui a
besoin de travailler sur elle », ne cessait-il de répéter au téléphone. Le psychologue
propose de les recevoir tous les deux, ce qu’accepte Monsieur Sic, vraisemblable-
ment soulagé d’avoir été entendu. Toutefois avant de raccrocher, il s’enquiert du
montant des consultations et tente de négocier à la baisse les honoraires, arguant
des difficultés économiques. Le psychologue explique que cette question pourrait
éventuellement être étudiée si un travail psychothérapique long devait advenir,
mais que pour l’instant la rencontre aurait lieu selon les modalités et honoraires
fixés et énoncés. Vraisemblablement contrarié, il confirme malgré tout le rendez-
vous, prévu une dizaine de jours plus tard.
Monsieur et Madame Sic seront reçus deux fois ensemble, puis chacun une fois
individuellement, avant un dernier entretien conjoint destiné à faire le point sur
leurs situations et demandes.
Le jour du premier entretien, Monsieur et Madame Sic arrivent avec plus d’un
quart d’heure d’avance sur l’horaire prévu. Dès le début de l’entretien, Monsieur
prend la parole et redit ce qu’il avait déjà exprimé au téléphone, à savoir qu’il vient
pour sa femme, que celle-ci a des problèmes. « Vous comprenez, dit-il, prenant le
psychologue à parti, elle a des comportements d’enfant, c’est une vraie gamine, il
faut qu’elle change la situation ne peut plus durer, elle doit faire quelque chose… Je
ne suis même pas sûr qu’elle comprenne, qu’elle se rende compte. » Tout cela est
dit sur un ton sec et autoritaire. Parallèlement, il se présente comme une victime
de cette situation. Certaines de ses attitudes et postures suggèrent au psycho-
logue des images de tristesse, de fragilité contrastant avec la directivité verbale de
Monsieur Sic dans les entretiens.
Invités tous les deux à se présenter et à faire un récit de leur situation, on apprend
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
qu’ils sont mariés depuis plus de quinze ans, ont une fille de quatorze ans, travaillent
tous les deux comme employés dans la fonction publique, mais dans des secteurs
et activités différents. Ils se sont connus à l’âge de 17 et 18 ans respectivement pour
elle et lui, et ils ont découvert ensemble la sexualité. Madame a connu un autre
homme à l’âge de 20 ans avant d’être mariée avec Monsieur, alors qu’ils étaient
momentanément éloignés l’un de l’autre (pendant le service militaire de Monsieur)
mais cela son mari l’ignore, dira-t-elle au psychologue lors d’un entretien individuel,
elle n’a jamais jugé utile d’en informer son mari. Quant à Monsieur Sic, Madame
est l’unique femme de sa vie à ce jour et pour toujours il s’est marié, « c’est pour
149
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Durant les entretiens, Madame demeure assise sur le bord du fauteuil, mal à
l’aise ; timide, elle a du mal à s’exprimer spontanément en présence de son époux,
elle ne prend jamais l’initiative de la parole, mais répond assez facilement à toutes
les questions qui lui sont posées ; elle regarde sans cesse son mari, l’air inquiet,
surtout avant de parler. Celui-ci, qu’il soit seul ou non, ne cesse de mettre en avant
la défaillance conjugale de sa femme, ce qu’il nomme tantôt « sa faute », tantôt
« sa bêtise ». Celle-ci ne s’est produite qu’une seule fois et remonte à plus d’un an
maintenant. Pour Madame, « c’est loin tout ça », elle ne revoit plus cet homme
qui a d’ailleurs changé de lieu de travail. Elle ne comprend pas pourquoi son mari
« s’entête comme ça sur cette aventure », elle s’est excusée de nombreuses fois,
elle dit être d’accord avec son époux et reconnaître qu’elle s’est « mal conduite,
mais c’est du passé maintenant, il faut passer à autre chose ». Mais voilà, lui ne
peut oublier, il ne peut s’empêcher d’y penser. C’est lorsqu’il sera reçu indivi-
duellement qu’il pourra dire qu’il se pose toutes sortes de questions sur lui, sur
elle, sur leur relation de couple et sur leurs rapports sexuels depuis cette histoire.
Madame lui a avoué depuis ne pas toujours éprouver de désir sexuel.
150
Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
d’une discussion, engagée par Monsieur. Il lui faut en effet revenir à ce qui s’est
passé, et au comportement, selon lui « immature », de sa femme, expliquant à
celle-ci ce qu’elle doit faire pour changer. Madame dit avoir fait des efforts en ce
sens, faire ce que son époux lui demande (être moins nonchalante, par exemple,
ou bien préparer de la « vraie cuisine » et pas des plats préparés d’avance, faire
le ménage selon ses conseils et règles à lui, etc.), mais « maintenant c’est à lui
aussi de faire des efforts, comme d’arrêter de ressasser cette histoire passée ».
la partie dans toutes ses randonnées. Or, elle, elle n’aime pas trop cela. Mais il ne
lui est jamais venu à l’idée de ne pas l’accompagner ou de suggérer un autre loisir ;
elle pense que Jean-Pierre [son mari] refuserait.
151
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
pire, elle ne voulait pas me laisser sortir, alors des fois je sortais quand même, en
douce, et j’allais retrouver ma bande de copains. Qu’est-ce qu’on s’amusait ! », dit
nostalgiquement Madame Sic. « C’est comme ça que j’ai connu Jean-Pierre d’ail-
leurs, on avait les mêmes amis. […] Et puis ma mère fouillait mon placard et jetait
tout par terre si ce n’était pas rangé comme il fallait, comme elle voulait que ce soit
rangé, vous savez, les piles alignées bien droites ! […] Alors quand j’ai connu Jean-
Pierre, c’était la liberté, c’était enfin l’occasion de quitter la maison. […] Mon père
il s’opposait jamais à ma mère, il s’occupait de ses affaires, il faisait ses maquettes
le soir en rentrant du travail… il avait sûrement la paix, comme ça. »
Monsieur Sic est lui aussi un enfant unique, de parents divorcés quand il n’était
qu’un garçonnet (huit ans) ; il n’a jamais revu son père par la suite. Sa mère ne
cessait de lui répéter qu’elle ne voulait pas qu’il ait un tel modèle paternel sous les
yeux. Il n’a jamais vraiment compris ce qui s’était passé entre eux, sa mère ne voulait
pas en parler. Plus grand, sa tante (sœur de sa mère) lui aurait dit qu’elle soup-
çonnait des infidélités de la part de son père, mais il ne croit pas à cette histoire…
Avec ce cas – ce double cas devrait-on dire –, c’est à une nouvelle déclinaison
clinique de la perversion que l’on se trouve confronté, une forme qui rompt avec
l’image psychiatrique stéréotypée du pervers, défini comme sujet affichant une
déviance sexuelle (fétichisme, sadomasochisme…), une forme encore qui ne renvoie
pas non plus au mode de fonctionnement psychique articulé autour de l’angoisse
de castration génitale (décrite par Freud) et dont « la névrose serait le négatif »
(Freud). Il s’agit bien davantage ici d’une forme de perversion narcissique, au sens
152
Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
donné par le psychiatre contemporain Eiguer (1989) par exemple. Soit le mode de
fonctionnement psychique d’un sujet qui se fait valoir au détriment d’un autre (et
même des autres) devenant dès lors son acolyte, en un mot son complice, et sur
lequel le pervers narcissique exerce donc son emprise. Cette idée de perversion
narcissique renvoie surtout à un narcissisme pathologique, lequel peut d’ailleurs,
selon ce même auteur, concerner et sous-tendre nombre de pathologies (dont les
perversions sexuelles, les toxicomanies…). À ce titre, l’étude du cas de Monsieur et
Madame Sic permet de compléter le précédent en montrant combien et comment
la dimension, voire la pathologie narcissique se trouve prégnante dans ce type
de fonctionnement. L’intérêt du cas de Monsieur et de Madame Sic, plus encore
que celui de Léonard, est donc de mettre en évidence comment le moi d’un sujet
(ici surtout Monsieur Sic), se trouvant menacé par la relation objectale, se trouve
recourir à l’emprise, forme de défense perverse, consistant en l’utilisation de l’autre
à des fins de maîtrise narcissique. Ce cas illustre alors à juste titre comment la
perversion s’avère être « une spécificité humaine si peu sexuelle », pour reprendre
l’expression de Jeammet (2003).
7.2.2 P
ortraits psychologiques individuels
et dynamique conjugale
passionnelle.
153
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Monsieur Sic, lui, se présente sous un double jour : à la fois maître de la situa-
tion et directif – c’est lui qui prend l’initiative du rendez-vous, prend les rênes de
la consultation dès le début de celle-ci – et par ailleurs comme un « petit garçon
triste et malheureux » (contre-transfert du clinicien, qui n’est, bien sûr, pas sans faire
penser au vécu infantile du patient après le divorce parental), passif et désorienté
par une situation qui le trouble et le submerge (l’adultère de son épouse, réactivant
1. À noter que celle-ci a eu lieu quand la fille de Monsieur et Madame Sic entrait dans l’adoles-
cence… situation qui n’a donc pas été sans réactiver la propre adolescence de Madame.
154
Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
la tromperie paternelle qu’il dénie…). Mais ces deux aspects sont résolument clivés
chez le patient, Monsieur Sic se défendant en effet constamment, par le contrôle et
la maîtrise de soi, de ses affects dépressifs et de son vécu abandonnique – sauf lors de
l’achèvement du premier entretien, alors qu’il est justement question… de se séparer,
où il craque (il s’épanche sur son ressenti) et tente inconsciemment ainsi de prolonger
l’entretien. Dans le groupe familial, il occupe manifestement une place de leader (c’est
lui qui décide et qui gère les activités familiales, à partir de ses désirs propres), que nul
ne semble lui contester (sa femme ne songe pas à lui suggérer une activité de loisir
autre que la randonnée, persuadée par avance de son refus). Lui aussi s’avère très
dépendant affectivement de l’objet d’amour, dépendance que l’on perçoit aisément,
ne serait-ce que par la tyrannie exercée sur son environnement – et bien que cette
dépendance affective soit précisément déniée chez lui. Il exerce plus précisément
une relation d’emprise sur l’objet (qu’il s’agisse de sa femme dans sa vie privée, qu’il
somme de changer, lui expliquant comment faire, et qu’il n’a de cesse de réprimander,
ou qu’il s’agisse du psychologue, qu’il somme là encore de raisonner sa femme, ou
avec lequel il tente de négocier à la baisse le montant des honoraires avant même
de l’avoir rencontré !). L’infantilisation de son épouse et l’attitude disqualifiante qu’il
présente à son égard montrent bien que, pour lui, l’objet et le narcissisme de celui-ci
ne comptent pas ; surtout, que l’autre n’est pas véritablement reconnu comme distinct
de soi ; et plus encore, que Monsieur Sic le considère comme une (sa…) chose, comme
un objet non humain en somme, un objet qui sert à alimenter le propre narcissisme
du sujet, à renforcer son sentiment de toute-puissance et son soi grandiose. Ses atti-
tudes méprisantes constituent aussi pour le patient une manière d’éloigner le danger
de la perte de sa propre intégrité narcissique – c’est dire au passage la faiblesse et la
fragilité de la personnalité psychique sous-jacente. Les angoisses de séparation sont
chez lui aussi patentes : Monsieur Sic se plaint de ne plus supporter la situation de son
couple, mais n’imagine absolument pas divorcer. De même, au moment de quitter le
psychologue et malgré les redites de celui-ci, Monsieur Sic s’épanche et demeure assis,
signe qu’il ne peut supporter cette rupture (même si elle est assortie symboliquement
de « retrouvailles », via le prochain entretien déjà fixé). Sûrement cette séparation
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
155
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
qu’il est question de l’autonomie de l’objet, de l’altérité, cela fait vivre à Monsieur Sic
un sentiment de perte catastrophique équivalent à une mort (« tout est détruit »).
On perçoit bien ici que la séparation est douloureuse ou traumatique parce qu’elle
vient raviver des angoisses de perte mais également des angoisses archaïques, des
agonies primitives, des vécus d’effondrement, contre lesquels Monsieur Sic lutte au
moyen de mécanismes psychiques eux aussi archaïques (mépris de l’objet, contrôle
et omnipotence sur l’objet). Maintenir l’autre sous son contrôle représente le plus
sûr moyen trouvé par Monsieur Sic pour dénier ses propres besoins de dépendance,
d’une part, et pour s’assurer de sa toute-puissance (autrement dit pour lutter contre
son effondrement narcissique), d’autre part.
Au final, le couple fonctionne sur un mode pervers narcissique où, tour à tour,
chacun des membres du couple exerce une certaine emprise sur l’autre (même si au
demeurant, il semble que l’emprise soit plus massivement du côté de Monsieur Sic).
Quoi qu’il en soit, pour fonctionner, le pervers a besoin d’un complice et celui-ci
vient s’offrir à lui Cet aménagement relationnel et conjugal sert fondamentalement
à colmater les angoisses de perte, de différenciation et les brèches dans le sentiment
d’identité, carencé narcissiquement, de chacun des deux protagonistes. L’équilibre
conjugal repose sur le contrat ou pacte inconscient selon lequel l’union est gage de
protection pour chacun des deux partenaires mais exige en contrepartie le sacrifice
de leurs individualités. L’aventure extraconjugale de Madame Sic est venue mettre
en péril cet équilibre et plus encore l’équilibre psychique de Monsieur Sic.
156
Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
Madame Sic, elle, est amenée en consultation par son époux, et semble, dans
cette démarche, surtout soucieuse de coopérer avec lui en vue d’éviter une sépa-
ration redoutée.
patients, sur les plans individuel comme conjugal peut-être même ces propositions
ont-elles renvoyé aux patients trop directement et trop hâtivement leurs fragilités
(individuelles, conjugales), suscitant en conséquence chez eux de fortes résistances et
défenses, ici la désertion du cadre thérapeutique. L’idée exprimée par Monsieur Sic
du recours à un médecin sexologue traduit bien sa déception-frustration que le
1. Revenir à l’état d’équilibre antérieur dit au passage chez le patient le déni des événements
perturbateurs…
157
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
psychologue n’ait pas répondu favorablement à ses attentes (à ses volontés…), mais
aussi le fait qu’il ne soit pas prêt à une démarche introspective, ni désireux de celle-
ci, qui viendrait mettre au jour des zones de fragilité qu’il n’a de cesse d’occulter.
Mieux vaut, pour lui, porter l’accent – équivalent ici à détourner l’intérêt – sur sa
femme et sur une dimension physique et manifeste de leur relation, la sexualité,
bien moins engageante que le travail psychothérapique proposé, ce qui permet au
passage à Monsieur Sic de conserver le contrôle. Madame Sic de son côté n’est
nullement prête à s’engager sur la voie de son autonomisation qui, à ce jour pour
elle, n’est pas encore gage de liberté ni d’épanouissement, mais plutôt synonyme
d’angoisse, de perte et de plus amples souffrances affectives que celles l’ayant initia-
lement conduite à cet agir extraconjugal.
158
Problématiques narcissiques. Figures dépressives et solutions par l’agir ■ Chapitre 2
Bibliographie conseillée
Ciccone A. (dir.) (2003). Psychanalyse du Jeammet N., Neau F., Roussillon R. (2003).
lien tyrannique, Paris, Dunod. Narcissisme et perversion, Paris, Dunod.
Eiguer E. (1989). Le Pervers narcissique et Kestemberg E. (1978). « La relation féti-
son complice, Paris, Dunod. chique à l’objet », Revue française de
Ferrant A. (2001). Pulsion et liens d’em- psychanalyse, 42, 195-214.
prise, Paris, Dunod. Revue française de psychanalyse, « De
Grunberger B. (1971). Le Narcissisme, Paris, l’emprise à la perversion », 1992, 56, 5.
Payot. Revue française de psychanalyse, « La
Hurni M., Stoll G. (1996). La Haine de perversion narcissique », 2003, 75, 3.
l’amour. La perversion du lien, Paris, Tychey de C. (dir.). (2007). Clinique des
L’Harmattan. perversions, Paris, Érès.
Jeammet P. (2003). « La perversion, une
spécificité humaine si peu sexuelle »,
Filigrane, 12, 2, 32-46.
159
Chapitre 3
Expressions psychotiques
et/ou vécus archaïques
Sommaire
1. Un aménagement pervers comme défense contre la psychose : Tarek............... 163
2. Une problématique anale complexe : Icare........................................................ 175
3. Un processus dissociatif : José......................................................................... 186
4. Schizophrénie paranoïde et lutte contre la désorganisation interne : Élise...... 195
1. Un aménagement pervers comme défense
contre la psychose : Tarek
À la lecture de son dossier on apprend qu’il est en France depuis trois ans pour suivre ses
études de théologie. Enfant d’une famille chrétienne très pratiquante établie à Damas, dispo-
sant de la double nationalité, il a été envoyé dans la ville de C. pour suivre les cours de la faculté
catholique, ce qui, la première année, s’est bien déroulé sur le plan des résultats. Tarek est très
solitaire, on ne lui connaît aucun ami. Il ne fréquente aucun des autres étudiants originaires
du Moyen-Orient, sans faire preuve d’hostilité particulière vis-à-vis d’eux. Mais cette attitude
a suscité une certaine méfiance, au point qu’il avait été dénoncé auprès des services de police,
soupçonné d’avoir été mêlé à des attentats terroristes. Ses parents n’avaient été informés que
très tardivement de cette affaire, et son père avait dû faire jouer ses relations avec l’ambassade
afin que cette affaire soit arrêtée. Lui-même (Tarek) avait voulu, à l’époque, « aller jusqu’au
bout du dispositif », qu’il avait pris selon ses dires comme une « expérience mystique ». On
ne sait pas très bien ce qui s’est passé dans les épisodes de garde à vue qu’il a vécus, mais les
témoignages policiers concordent pour dire qu’il n’avait rien souhaité expliquer, ni justifier
de sa position, ce qui, dans le climat de tension prévalant alors, avait évidemment aggravé son
statut de suspect. On disait qu’il avait été victime à cette occasion d’interrogatoires « musclés »,
mais il n’avait pas souhaité porter plainte. Le trouble était tel que sa mère s’était interrogée
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
sur la réalité de son innocence lors d’un entretien avec le psychiatre qui suivait son fils. La
mère de Tarek avait accouru au chevet de son fils à la suite d’un coup de téléphone où il lui
apprenait son hospitalisation. C’était la première fois qu’elle le voyait depuis son départ. Tarek
n’avait pas voulu participer à l’entretien.
C’était un enfant qui jouait en permanence avec le feu, et dont l’apparence nonchalante
dissimulait souvent une grande ambivalence et un goût marqué pour la transgression. Elle
avait presque honte d’avouer cela, mais à plusieurs reprises elle s’était sentie déroutée par ses
conduites surprenantes. Tout jeune, par exemple, il se livrait à des expériences particulières
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16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
sur son corps, et s’était une fois gravement mis en danger en se comprimant la cuisse
avec une sorte de garrot. Une autre fois, elle l’avait retrouvé dans la baignoire en train
de faire des essais d’apnée prolongée. Tout ceci faisait qu’elle était en permanence
secrètement inquiète pour lui, sans jamais le lui dire. Pour l’épisode du garrot, par
exemple, elle avait fait semblant d’admettre l’explication qu’il avait donnée rela-
tive à une lecture de textes religieux. Elle avait jugé préférable de mettre ceci sur
le compte de l’adolescence et de ses mystères. Elle n’avait pas d’autre enfant, guère
d’expérience pratique de ces bizarreries, et était elle-même toujours gênée d’aborder
avec quiconque la question du corps. Elle avait « fait » un enfant parce qu’il fallait
qu’elle démontre qu’elle n’était pas stérile ; par chance c’était un garçon, et elle avait
« obtenu » de son mari de cesser toutes relations sexuelles après. Lui vivait sa vie de
son côté, tout en maintenant une façade familiale indispensable à son statut. Personne
n’était dupe, mais chacun s’en accommodait.
Pour cette affaire d’attentats, elle avait été questionnée par la police française – des
gens cultivés, disait-elle – qui avait cherché à savoir non pas si elle avait des indices
ou des soupçons, mais ce qu’elle pensait de son fils, de ses relations, et s’il ne s’était
pas un peu perdu, à C., avec toutes ces « tentations » qu’offre une grande ville. Elle
leur avait menti, en affirmant qu’ils s’appelaient, son fils et elle, tous les deux jours, et
qu’elle était au courant de ses moindres gestes. Pourquoi avait-elle fait cela ? Elle n’en
savait vraiment rien. En tout cas, son fils aurait été sûrement extrêmement fâché de
l’apprendre. Il était très autonome, très en avance sur son âge, et depuis longtemps
déjà personne ne savait vraiment ce qu’il faisait. Alors ces attentats…
De toute façon, l’affaire avait été classée grâce aux relations de son mari. Son
nom avait suffi, sans même qu’il se déplace. Elle laissait entendre son hostilité
à l’égard de cet homme, sa suffisance, son orgueil, son goût pour l’argent… Elle
avouait son admiration pour son fils qui avait choisi le chemin opposé, au prix de
quelques « bavures ».
Elle n’avait jamais évoqué avec Tarek cette affaire d’attentats. Non plus que le
premier épisode psychiatrique qui avait suivi. Il avait été hospitalisé, en effet, peu
de temps après, à la demande du directeur de l’établissement dans lequel il pour-
suivait ses études, qui était très inquiet pour sa santé. Il avait en effet commencé
une période de jeûne en référence à de très anciennes pratiques chrétiennes en pays
musulman, thème sur lequel il avait décidé de rédiger un mémoire érudit. Pour
marquer leur opposition à l’assimilation religieuse, ces minorités se livraient à des
privations de nourriture qui les affaiblissaient insensiblement jusqu’à un épuise-
ment complet. Cet état leur permettait alors une sorte de délire automatique qui
164
Expressions psychotiques et/ou vécus archaïques ■ Chapitre 3
les « autorisait » à blasphémer Mahomet sans pour autant encourir les lois édictées
pour les « sains d’esprit ». La mort intervenait à brève échéance. Le directeur avait
surpris un jour Tarek dans une sorte de transe, en train d’évoquer conjointement
son père, Dieu, et un jeune prêtre de l’établissement, qui s’était récemment suicidé.
Il était en larmes, très angoissé, et visiblement dans un état « anormal ». La tenta-
tive de nouer un dialogue avec lui s’était soldée par un échec et avait entraîné, au
contraire, la formulation de propos extrêmement crus laissant peu de doutes quant
aux fantasmes qu’il mûrissait quant à ces trois personnages. Il avait par chance
immédiatement fait le lien entre le mémoire rédigé par Tarek et cette situation, et
avait accompagné à l’hôpital Tarek, qui avait accepté de se soumettre aux soins.
À l’hôpital, où il était resté trois semaines, Tarek s’était montré taciturne comme
de coutume. Il avait pris l’habitude de s’imposer des séances d’hygiène minutieuses,
chaque matin, qui lui prenaient environ deux heures. Son apparence raffinée et
sa grande froideur, qui détonnait notoirement dans l’unité, avaient fait hésiter les
infirmiers devant une intervention à son égard. Ceci d’autant qu’il avait lui-même
pris l’initiative d’une demande de rendez-vous auprès du directeur de l’hôpital pour
se plaindre du manque de discipline dans l’unité. Il avait dénoncé les petits trafics
d’alcool et de cannabis qui s’y déroulaient pendant la nuit, et menacé de dévoiler les
faits au Ministère. À l’appui de ses dires, il avait déposé plusieurs preuves matérielles
sur le bureau du directeur, et lui avait fait écouter un enregistrement qu’il avait lui-
même réalisé avec un mini-magnétophone dissimulé dans sa poche pour confondre
l’un des malades de l’unité à qui il avait proposé de fournir divers produits illicites
en échange de relations sexuelles. « Il faut nettoyer tout cela, avait-il ajouté, purifier,
revenir aux vertus chrétiennes, redonner à la religion le soin de prendre en charge la
folie. Il n’y a rien de bon à la confier aux hommes. Vous-mêmes vous êtes des vicaires
de l’Esprit Saint et vous devez remplir pleinement cette mission. »
question sur son état psychique et proposait, selon l’interlocuteur, une discussion
sur le traitement moral de la folie, la décadence de la civilisation chrétienne euro-
péenne et la montée de l’islam, ou encore l’art des icônes et la controverse entre
les iconoclastes et les iconolâtres.
Tarek était d’accord pour poursuivre les entretiens dans le cadre d’un centre
médico-psychologique (CMP). Il souhaitait sortir de l’hôpital pour reprendre ses
études et préparer ses examens. La fin de l’hospitalisation était donc décidée. Après
sa sortie, il ne s’est cependant pas rendu aux consultations proposées au CMP.
165
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Il se tient allongé, sous ses couvertures, et ne serre pas la main que le psychologue
lui tend. Il répond cependant à la salutation de façon courtoise.
« Je ne sais pas ce qui m’a pris… J’étais fatigué, surmené. Il ne faut pas téléphoner
à ma mère, elle s’inquiéterait inutilement… Dans quelques jours ça ira. Je dois
bientôt rentrer chez moi, j’ai un billet d’avion pour le 7… » Tarek se tait, le regard
fixe. Invité à s’exprimer il reprend mais l’échange prend pour lui une connotation
pénible. Il murmure des paroles difficilement compréhensibles parmi lesquelles
il est question de chemin de Damas, de conversion, de saint Paul… Il rit bizarre-
ment et ajoute : « Vous savez que c’est saint Paul qui a épargné la circoncision aux
non-Juifs ?… Vous imaginez un monde de circoncis ?… Tous égaux : Jésus, Judas,
Mahomet… » Il se retourne et refuse toute autre forme d’échange.
166
Expressions psychotiques et/ou vécus archaïques ■ Chapitre 3
celui pour les pratiques ascétiques d’une très ancienne minorité religieuse) ;
• des troubles des conduites sociales (« retrouvé nu allongé sur le sol » dans la rue) ;
• des troubles du langage (tel que mutisme avec les membres de SOS
Médecins, Tarek « ne répondant à aucune sollicitation », et contrastant avec
167
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
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Expressions psychotiques et/ou vécus archaïques ■ Chapitre 3
Bien que Tarek ait présenté des conduites inquiétantes dès son enfance, les
caractéristiques de l’environnement parental (certaine absence du père, complai-
sance maternelle), voire même le déni maternel à l’endroit de la souffrance de
son fils, n’ont pas permis une reconnaissance de celle-ci ni une prise en charge
précoce de Tarek.
Les parents, qui n’ont plus de relations sexuelles, restent ensemble pour les
convenances sociales. Le « personne n’était dupe mais chacun s’en accommodait »
révèle ici un fonctionnement parental en faux self. Pas de place pour l’amour, la
démonstration affective ; la sexualité est réduite à une stricte finalité reproductrice,
sans parler des inhibitions maternelles vis-à-vis du corps. Les pratiques corporelles
(ascèse, hygiène minutieuse et conduites à risques) de Tarek constituent sûrement
des tentatives de trouver des limites (psychiques comme corporelles), de sentir
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
169
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Le père, lui, est relativement absent de la scène familiale mais pas totalement ; en
effet, il est présent par son nom (!) et fait par ailleurs l’objet de vives disqualifications
maternelles. Impossible donc de parler ici de forclusion du Nom-du-Père (Lacan),
éventuellement de forclusion partielle du signifiant paternel dans la mesure où ce
père n’a pu jouer le rôle de tiers séparateur entre Tarek et sa mère. À cet égard, il
faut noter la complicité paternelle face aux agissements maternels dans la relation
à leur fils (manière pour lui d’avoir la paix face à cette femme phallique… ?), sans
oublier non plus le rapport à la loi trouble de chacun des deux parents (le père
se sert de ses relations pour éviter des complications à son fils, la mère ment à la
police).
Face à ces deux imagos, mère phallique, père disqualifié sinon castré dans le
discours maternel, face à l’absence tant de limites protectrices que d’une loi incon-
tournable, quel devenir identificatoire pour Tarek… ? La suite nous le dira. Pour
l’heure et au vu de ces éléments, on peut sans trop de doute parler de défaillance
de la fonction maternelle, jointe à une défaillance de la fonction paternelle, lors
du développement psychoaffectif de Tarek, ayant entraîné chez lui des difficultés
identitaires (d’ordre primaire et secondaire).
On a, en effet, retrouvé Tarek nu, allongé immobile sur le parvis d’un édifice
religieux, la basilique de Notre-Dame-d’Ainay, les bras en croix et mutique. Cette
170
Expressions psychotiques et/ou vécus archaïques ■ Chapitre 3
position n’est pas sans évoquer, pour le clinicien, le sacrifice de Jésus mort sur la
croix (pour sauver ses prochains) mais aussi l’exposition d’un nouveau-né, vulné-
rable, sans protection (sans vêtement1), totalement livré aux mains de la Mère
toute-puissante. Tarek aurait-il agi son drame intérieur par ce comportement,
dans cette scène ? Tel est ce que se demande le clinicien…
laisser planer le doute et le mystère autour de lui ; directeur d’hôpital auquel Tarek
exhibe la preuve des trafics existant dans son établissement, et ce au moyen de
preuves elles-mêmes fabriquées de toutes pièces par lui), Tarek ne peut s’empêcher
de se mesurer à l’autre (tel un rapport… de forces entre hommes), de vouloir se
montrer plus puissant que son interlocuteur (représentant d’une figure paternelle).
1. Comme ensuite à l’hôpital, où il ôte son pyjama et se tient nu sous les couvertures.
2. À noter la présence d’un traître ou d’un usurpateur parmi les deux prophètes…
171
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Toutefois l’analyse ne saurait s’en tenir à ces seuls aspects apparemment géni-
taux, fussent-ils déniés. Dans l’ombre de la figure (de Loi) paternelle se dresse en
effet la figure maternelle, figure encore plus centrale et omnipotente que la précé-
dente dans la vie psychique de Tarek. Dans ses relations aux autres, ce n’est pas
tant un semblable à soi sexuellement que Tarek recherche, dans un mouvement
œdipien (névrotique ou pervers), qu’un objet identique à soi et surtout indifférencié
quant au sexe, soit à cet égard un double narcissique, sinon même l’objet maternel
primaire. Les fantasmes de désir et (tentatives d’)agirs sexuels ne traduisent alors
pas tant chez Tarek une homosexualité secondaire qu’une homosexualité psychique
plus primitive, ou homosexualité primaire selon Fénichel – ce que Bergeret a (1999)
plus récemment qualifié de son côté d’« érotisme narcissique ». C’est plus fonda-
mentalement une quête de l’objet maternel primaire qui hante et habite en effet
Tarek. Étayons cette seconde piste, moins génitalo-perverse et plus narcissique,
voire archaïque comme cela était suggéré dès le début de cette partie.
De plus, face aux imagos parentales déjà décrites, quelle représentation, sinon
quel fantasme des origines peut bien se forger Tarek ? Sa conduite sur le parvis de
la basilique semble offrir une mise en acte de son fantasme originaire : Tarek pour-
rait bien être issu d’un seul géniteur, être né d’une femme hors rapport sexuel… à
l’instar de Notre-Dame… (la Vierge Marie)…., voire il se pourrait même qu’il soit
un enfant sacrifié sur l’autel d’une puissance divine qui n’est autre que la Mère phal-
lique et toute-puissante… Tarek est en effet depuis l’enfance tout entier abandonné
sans protection (paternelle et pare-excitante) aux mains d’une figure maternelle
qui se sert de lui à des fins purement narcissiques (enfant-phallus). Tarek est pris
dans cette séduction narcissique (antœdipienne) avec l’objet primordial, l’empê-
chant d’exister par lui-même – ainsi que l’atteste sa régression comportementale.
172
Expressions psychotiques et/ou vécus archaïques ■ Chapitre 3
dans ses pratiques corporelles dangereuses). Outre le déni (portant sur la réalité
de la castration, voire sur la réalité elle-même), Tarek dispose donc de défenses
comportementales et recourt à la technique d’emprise sur l’objet, des stratégies
qui lui permettent de lutter contre des vécus d’anéantissement et surtout d’essayer
de dompter, de maîtriser cet objet primaire aliénant ou asservissant auquel il est
resté collusionné.
permis de gérer la crise. Mais la prise en charge de trois semaines a été trop brève
pour amorcer à ce jour chez le patient une interrogation sur la genèse de ses
troubles et sur ses vécus psychiques, trop brève aussi pour nouer une relation de
confiance suffisante compte tenu de la problématique psychique et fantasmatique
de Tarek. Au cours de cette nouvelle hospitalisation, Tarek n’est donc toujours pas
entré dans une démarche de soins psychiques.
173
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
sont amplifiés (au délire se sont ajoutés des troubles sur la voie publique), le patient
n’est pas coopérant, il est surtout dans le déni de sa maladie et de l’intérêt des soins.
Il demeure dans l’évitement de questions sur son état psychique et ne se présente
pas aux entretiens psychothérapiques de postcure en centre médico-psycholo-
gique contrairement à ce qui a été convenu. Sans oublier l’anamnèse faisant état
de troubles sinon de souffrances précoces chez Tarek qui ont été négligés. On
peut donc rester on ne peut plus réservé quant à l’avenir et au devenir de Tarek.
Bibliographie conseillée
Bergeret J. et al. (1999). L’Érotisme narcis- Pedinielli J.L., Gimenez G. (2002). Les
sique. Homosexualité et homo-érotisme, Psychoses de l’adulte, Paris, Nathan.
Paris, Dunod. Resnik S.(1973). Personne et psychose,
Chartier J.P. (2003). Guérir après Freud. Paris, Payot.
Psychoses et psychopathie, Paris, Dunod. Resnik S. (1999). Le Temps des glacia-
Dayan M. (1985). Les Relations au réel tions. Voyage dans le monde de la folie,
dans la psychose, Paris, PUF. Ramonville Saint-Agne, Érès.
Grivois H. (1991). Naître à la folie, Paris, Rosenfeld H. (2005). Le Patient psycho-
Synthélabo, coll. « Les Empêcheurs de tique. Aspects de la personnalité,
penser en rond ». Larmor-Plage, éditions du Hublot.
Pankow G. (1969). L’Homme et sa
psychose, Paris, Aubier-Montaigne.
174
Expressions psychotiques et/ou vécus archaïques ■ Chapitre 3
en cadeau à Ariane, pourtant âgée de quarante ans. « Est-ce que mon père m’envoie
des sous-vêtements, à moi ?… », souligne-t-il à ce sujet.
Son père, d’ailleurs, est « une nullité, » « une larve », un « aigri ». Directeur
commercial en retraite d’une importante société, il passe son temps à faire des
puzzles avec sa femme, sans accorder le moindre intérêt à son fils aîné, lui, Icare,
et à ses projets, notamment informatiques, « auxquels il ne peut rien comprendre ».
Avec son jeune frère Abel, les parents ont une attitude totalement différente qu’il
ne peut s’expliquer. Ce frère est lui aussi « un raté sans ambition » dont les rêves
175
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
se limitent à l’acquisition d’une petite librairie. « Moi, je ne sais pas, si j’aimais les
livres, j’ambitionnerais d’acheter la FNAC… », dit-il. Pourtant, les parents vont
déjeuner chez Abel pratiquement tous les dimanches. « Je me demande ce qu’ils
peuvent bien se raconter, ils sont tellement nuls les uns et les autres ! » Les rares fois
où ses parents l’invitent, cela se passe invariablement très mal. Dimanche dernier
justement, il est parti en claquant la porte à la suite de remontrances de son père,
parachevées par une réplique de sa mère qu’il a trouvée particulièrement insup-
portable. Elle lui aurait dit : « Décidément tu es bien comme moi !… »
Le seul endroit qu’il trouve véritablement accueillant est son domicile, où il vit
seul, recevant parfois ses enfants le week-end. Un intérieur « ultra-clean », dit-il,
où tout doit être rangé, en ordre parfait. Quand Ariane partait, la première chose
qu’il faisait, c’était le ménage, pour que tout soit under control. Il déteste les cock-
pits d’avion, jamais nettoyés, et dans lesquels on sent parfois l’odeur du précédent
pilote. Lorsqu’il était marié, il se réfugiait longuement dans la salle de bains, le seul
lieu où il se sentait vraiment bien. Maintenant, il a aménagé un bureau chez lui,
vide à l’exception d’un ordinateur sophistiqué devant lequel il passe de longues
heures d’affilée, pour tenter de pénétrer dans le système et le mettre en défaut. Il
a déjà réussi à deux reprises, à l’étonnement de la société informatique qui lui a
livré le matériel, et qui ne comprend pas vraiment ce sentiment de triomphe qu’il
éprouve chaque fois qu’il « plante l’engin ».
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Expressions psychotiques et/ou vécus archaïques ■ Chapitre 3
à l’étranger, il a mis en sang le visage d’un de ses collègues par un « gauche » bien
placé. Le motif était que cet homme ne cessait de le provoquer ironiquement à
propos de cette affaire. C’est surtout avec son chef que les relations sont difficiles :
il ne comprend pas qu’il l’ait menacé de passer en commission de discipline sous
prétexte que l’un de ses derniers décollages n’aurait pas été mené selon les règles.
Il reconnaît avoir opéré un virage un peu sec en sortie de piste, qui a sans doute
tassé les passagers sur leurs fauteuils, et « bousculé leur petit confort », mais il peut
démontrer qu’il n’a pris aucune liberté avec la sécurité, et qu’il se sentait parfaite-
ment maître de ses moyens. La sécurité, de toute façon, c’est son obsession, et il
connaît l’avion dans ses moindres détails : lors d’une panne technique en escale, il
a passé plus de huit heures plongé dans l’un des moteurs avec les mécaniciens. Il
adore démonter, décortiquer. Il s’est vu, d’ailleurs, dans un de ses derniers rêves,
en train de s’autopsier lui-même, et de dévider méthodiquement l’ensemble de ses
viscères sur une table à langer devant l’œil sévère d’une femme-officier de l’armée
allemande qui le menaçait en permanence de tout lui enlever et de lui greffer un
utérus à la place s’il ne retrouvait pas en une minute le bout de cette pelote de
boyaux. Il ricane de ce rêve, qui lui paraît absurde, mais cette histoire le renvoie à
une angoisse dont il se souvient, lorsqu’il était petit, de voir les aliments se diffuser
dans son corps de façon désordonnée au lieu de suivre le trajet des intestins. Chaque
constipation, symptôme très fréquent chez lui, s’accompagnait d’une inquiétude
sourde d’emmagasiner la nourriture sans évacuation possible autre que par éclate-
ment. Il poursuit avec une grande réticence en indiquant qu’il avait alors recours de
façon répétitive à des lavements administrés par sa mère, opérations qu’il attendait
avec une certaine appréhension.
et en jeans, alors que la clientèle est d’ordinaire très bourgeoise. Dans la liste des
personnes qu’il pouvait éventuellement rencontrer, il a choisi exprès des « épou-
vantables », « pour voir jusqu’où pouvait aller la bêtise humaine… ». En fait il aime
bien les femmes assez masculines, avec des cheveux courts, pas de maquillage,
bien charpentées. Des « nageuses ». Il ne supporte pas les femmes féminines. « Les
homosexuels non plus », ajoute-t-il : il lui est arrivé d’en venir aux mains avec eux.
Pourquoi les femmes masculines et pas les corps masculins ?… C’est un « puzzle »
qu’il ne comprend pas. Le rouge à lèvres, surtout, le dégoûte. Il revoit sa grand-
mère maternelle, un monstre assis, énorme, mama italienne, qui l’embrassait et
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16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Bien qu’il n’ait guère confiance dans la nature humaine, il s’est intégré depuis
quelques années dans une société philosophique dont il répugne à parler, car ses
activités sont secrètes. Il s’y sent bien, dans un univers exclusivement masculin,
qui lui donne l’occasion de dresser des projets et des perspectives à caractère
humanitaire.
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Expressions psychotiques et/ou vécus archaïques ■ Chapitre 3
d’Icare lui-même de n’être pas entendu, écouté (par ses employeurs, les politiques,
les médias) ou compris (de son père, du thérapeute), sans parler des femmes, vues
comme « profiteuses » (telle Ariane qui prend contact avec lui lorsqu’elle a besoin
de venir « à la pompe […] se régénérer »).
La manière qu’a Icare de décrire les relations avec son amie (« des rapports
indestructibles et mortifères ») témoigne sans équivoque de sa relation à l’autre et
de son rapport au monde extérieur, inscrits sous le signe de l’ambivalence (entre
l’amour et la haine, comme l’exprime bien par exemple le « je t’aime mais va-t’en »).
Au travail, c’est la même violence, la même attirance pour les conflits, au point
qu’on peut penser qu’il les provoque, inconsciemment bien sûr, par sa manière de
raisonner, de contester, d’« argutier » tout le temps et partout. De son propre aveu,
il est « un emmerdeur ». Que recherche-t-il au fond avec cette attitude, sinon « la
bagarre », dont on soupçonne, avec l’épisode « musclé » dont il a été l’auteur, que
c’est la bagarre ou plutôt la rencontre avec les hommes (le rapport de forces – à
entendre au double sens du terme… !) qui lui plaît avant tout et fait chez lui l’objet
d’un puissant désir refoulé1.
Dans son travail comme chez lui, il décrit une série de pratiques – l’intérieur
de son appartement doit être « ultra-clean », « rangé, en ordre parfait » afin que
« tout soit under control », etc. – dont la tonalité obsessionnelle est patente : l’ordre,
la propreté, le contrôle, la sécurité (« son obsession », dit-il), les vérifications,
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
1. L’idée de refoulement est à entendre ici dans le sens originaire freudien d’une défense. Nous
préciserons plus tard de quel mécanisme il s’agit.
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16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
1. Même si l’on est conscient de leurs différences : chez Schreber, la transformation sexuelle fait
l’objet d’un délire, alors que chez Icare il s’agit seulement d’un rêve. La différence est importante,
elle concerne le rapport à la réalité du sujet qui, chez Icare, n’est pas atteint, contrairement au
Président Schreber.
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Expressions psychotiques et/ou vécus archaïques ■ Chapitre 3
Outre les troubles obsessionnels déjà décrits, tous ces éléments convergent donc
bien en faveur de troubles paranoïaques chez Icare, nullement incompatibles pour
autant avec la préservation de son adaptation à la réalité. À ce sujet, il convient de
dire combien c’est l’environnement sociorelationnel d’Icare qui doit, bien davantage
que lui, souffrir et pâtir de ses comportements !
La relation d’Icare envers les femmes, les hommes et le toucher est profondément
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
Tout d’abord, en ce qui concerne le rapport aux femmes : Icare affiche claire-
ment sa supériorité par rapport à elles. « Sa supériorité intellectuelle les gêne »,
dit-il et elles viendraient, selon lui, chercher chez l’homme ce dont elles manquent
(enfant, profit). Par ailleurs il aime les femmes, mais masculines, sans attributs
féminins nettement marqués (tels cheveux longs, maquillage, générosité des formes
181
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
corporelles) qui pourraient alors lui rappeler les figures maternelles de son enfance
– sa grand-mère d’abord, décrite comme une énorme mama italienne au rouge à
lèvres suintant, ou sa mère, dont le contact le dégoûte. Cette aversion manifeste à
l’égard du corps féminin (et du corps maternel, objet premier des pulsions sexuelles
infantiles, notamment incestueuses) constitue ici une véritable formation réac-
tionnelle chez Icare, qui n’en donne pas moins à entendre l’intensité de ses désirs
sexuels à l’égard de sa mère. Le souvenir des lavements maternels prodigués dans
l’enfance et « attendus avec une certaine appréhension » traduit bien, en effet, chez
le patient l’attente du rapproché corporel avec la mère (et la culpabilité angoissante
liée à ce plaisir sexuel anal). Ses désirs sexuels, il s’agit pour Icare de n’en point
laisser de trace, de les éradiquer, et ce au moyen de ses obsessions-compulsions
ménagères (à l’instar du « … Rouge baiser ne laisse pas de traces… »). En effet,
« quand Ariane partait, la première chose qu’il faisait, c’était le ménage, pour que
tout soit under control ». C’est le désir sexuel qui doit, notamment ici, être muselé
chez Icare par ses pratiques de nettoyage. Mais il s’agit sûrement aussi de retrouver
le contrôle de son espace intime, de son territoire propre après le passage de l’objet,
sans nul doute activateur d’angoisses d’évidement et de possession de ses parties
intimes et/ou internes projetées sur l’habitacle spatial.
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Expressions psychotiques et/ou vécus archaïques ■ Chapitre 3
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16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Une question se pose alors de savoir ce qui durant la psychogenèse et les inter-
relations précoces a contribué à cette structuration psychique. La description du
climat familial donnée par Icare (et telle que vécue par lui) fait apparaître un défaut
d’attention paternelle à son endroit et l’envahissement des figures maternelles
(mère et grand-mère). Sans oublier que la fréquence des lavements maternels
administrés à Icare enfant a constitué une situation source d’excitations intenses
et débordantes, le laissant alors en proie aux divers angoisses et conflits psychoaf-
fectifs évoqués précédemment.
Il est difficile de dire à partir des seuls éléments relatés si l’indication de psycho-
thérapie pourra être envisagée. En effet, Icare consulte, adressé par un médecin,
mais il ne se plaint pas. Tout au plus expose-t-il les difficultés et avatars rencontrés
dans sa vie affective, relationnelle et socioprofessionnelle. De la même manière il ne
semble pas souffrir de ses aménagements défensifs (et symptomatiques), pas plus
184
Expressions psychotiques et/ou vécus archaïques ■ Chapitre 3
Quoi qu’il en soit, dans la mesure où le patient a repris à son compte le conseil
de consultation, où il présente de bonnes capacités associatives ainsi que verbales
(goût pour l’intellect oblige !), compte tenu de la diversité de ses troubles et des
conflits sous-jacents, une psychothérapie en face-à-face à raison d’un entretien
hebdomadaire seulement pour commencer pourrait lui être proposé. Elle pourra
être centrée sur l’analyse des fantasmes et conflits du patient dès lors que la rela-
tion de confiance sera suffisamment instaurée. Il faudra autant que faire se peut
débuter par l’analyse des troubles et conflits d’ordre névrotique avant d’envisager
les aspects plus archaïques et prégénitaux, puissamment en jeu ici.
cation, toutes deux envisagées avec le concours du corps médical – dès lors que
l’équilibre psychique s’amenuiserait et que l’état persécutoire irait en s’amplifiant
(activé, par exemple chez le malade, par un énième sentiment d’incompréhension
ou d’injustice à son endroit) et ce, en prévention d’un risque de passage à l’acte
hétéro-agressif de sa part (le patient n’en étant pas à son coup d’essai en matière
1. Sachant que, de toute façon, l’hospitalisation d’un sujet paranoïaque ne se réalise pratiquement
jamais avec son consentement, mais à la demande d’un tiers (HDT), sinon même du préfet (HO).
185
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Bibliographie conseillée
Bilheran A. (2016). Psychopathologie de la Lacan J. (1932). De la psychose para-
paranoïa, Paris, A. Colin. noïaque et ses rapports avec la
Dorey R. (1993). « Problématique obses- personnalité, Paris, Le Seuil, 1975.
sionnelle et problématique perverse. Mijolla-Mellor S. de(2011). La Paranoïa,
Parenté et divergences », in La Névrose Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2e éd.
obsessionnelle, Monographies de la RFP, Revue française de psychanalyse,
Paris, PUF, p. 87-106. « Paranoïa : ses paradoxes », 1982, 46, 1.
Freud S. (1911). « Remarques psychanaly- Revue française de psychanalyse,
tiques sur l’autobiographie d’un cas de « Jalousie, paranoïa et homosexualité »,
paranoïa (Le Président Schreber) », in 2011, 75, 3.
Cinq psychanalyses, Paris, PUF, 1993,
p. 263-324.
186
Expressions psychotiques et/ou vécus archaïques ■ Chapitre 3
m’intéresse. » Après son service militaire, il a passé une année à lire l’Encyclopædia
universalis. Il reconnaît que cette question de la connaissance est pour lui « à la
limite du pathologique » et qu’il se sent « dominé de façon un peu faustienne par
le savoir ». Il écrit des poèmes, sans ponctuation, « seulement des calligrammes,
comme Apollinaire ». Depuis deux ans, il estime avoir « reversé dans l’action toute
cette propension à théoriser […]. C’est comme une mécanique qui se répare toute
seule ». Il est parti en voyage en Afghanistan puis, de retour, s’est installé dans une
ferme de 108 hectares en Corrèze dans laquelle il vivait, en tension permanente
avec l’agriculteur qui ne supportait pas son silence, son véritable mutisme, qu’il
considère, lui, comme une expérience. « Le silence est un défi plutôt plus sportif
que la parole. C’est difficile de se taire. » Son père, alerté par l’agriculteur, a décidé
de demander son admission en hôpital psychiatrique, « parce qu’il avait peur que je
parte sans laisser d’adresse ». D’abord hospitalisé pendant une semaine en Corrèze,
il a été admis ensuite en hôpital psychiatrique où, depuis six mois, il observe un
mutisme quasiment complet.
187
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Il a vraiment le sentiment d’avoir été puni de son originalité. Il « postule à une vie
dans le siècle ». Les questions qu’on lui pose ne sont pas assez difficiles. L’entretien
tourne court et s’arrête.
188
Expressions psychotiques et/ou vécus archaïques ■ Chapitre 3
multiplicité des formes revêtues par ce trouble, selon les secteurs – psychique,
langagier, moteur… – les plus touchés par le processus dissociatif. Ainsi, sur le
plan symptomatique, la psychiatrie distingue classiquement :
C’est la bizarrerie des situations et des expériences du sujet qui doit d’emblée
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
appeler l’attention : bizarrerie d’un parcours académique qui le voit réussir bril-
lamment un concours difficile sans donner suite pour le diplôme ; bizarrerie de
l’occupation de son temps, de choix erratiques sans fil directeur apparent (appren-
tissage de l’arabe, « consommation » immodérée de l’Encyclopædia universalis,
fréquentation « anormalement élevée » des musées, la Corrèze après l’Afghanistan,
passer un mois dans une voiture…).
189
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Dans la relation il paraît syntone, avec toutefois une rupture inopinée en fin
d’entretien, qui place celui-ci sous le signe de l’incompréhension, voire du malen-
tendu : au fond, même dans ce type d’entretien où il paraît se livrer, le patient
reste maître du jeu, isolé, à distance. Il rompt sans prévenir, sur une formulation
joliment discordante (« pas assez difficile », manière de maintenir l’autre à distance
de lui), manifestant par là même ses troubles affectifs. Dans son discours et dans ses
propos apparemment « décousus » il est beaucoup question de l’autonomie versus
dépendance affective tournant à l’aliénation (« quand on en a fini avec un père, on
en choisit un autre sous forme de patron », « sujétions à l’entourage », « l’amour de
ma mère m’étouffait »), révélateur de l’ambivalence affective du patient.
Enfin, son refus de s’asseoir peut éventuellement être interprété comme le signe
de troubles psychomoteurs chez lui.
190
Expressions psychotiques et/ou vécus archaïques ■ Chapitre 3
mais dont le titre n’est pas moins éloquent (cf. analyse plus loin). En revanche, il
n’y a aucune raison d’assimiler le mutisme et le retrait du patient à un quelconque
mouvement dépressif, ce sont bien des signes schizophréniques ici.
1. On retrouve ici le même registre, très minoré bien sûr, que les fantasmes schreberiens (voir
Freud, 1911).
191
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
192
Expressions psychotiques et/ou vécus archaïques ■ Chapitre 3
précarité » – formule qui, au fond, exprime bien de façon ramassée le type de rela-
tion que cette mère pouvait entretenir avec lui. Une relation que la personnalité, la
présence et l’attention du père (car c’est lui qui le fait hospitaliser en psychiatrie)
n’ont pu venir rectifier, remodeler.
193
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
3.2.5 É
léments transféro-contre-transférentiels
et perspectives thérapeutiques
À n’en pas douter, l’abord souriant et la sympathie dégagée par le patient vont
opérer un effet de séduction certain sur le clinicien, qui pourrait contribuer à
écarter l’angoisse, l’étrangeté devant ses conduites bizarres – et de ce fait même,
induire des résistances contre-transférentielles à la désignation du diagnostic
de psychose. Mais cet effet ne réussit cependant pas à masquer totalement son
désarroi (celui du patient, voire celui du clinicien…). Même devant son intelligence
(incontestable) que le patient transforme, aliène en pratiques de « chien savant »,
sa lucidité caustique est là, et frappe particulièrement juste.
Il faut aussi relever les tentatives inconscientes (le patient n’est donc pas pervers)
de culpabilisation de l’interlocuteur à propos de son originalité pour laquelle il
sait avoir été puni. Ne peut-on retrouver ici les traces d’un double-bind auquel
le patient aurait précocement été confronté (assujetti) et qui prendrait la forme
actuelle d’un : « Je suis un fou et je vous le montre, ce n’est pas pour cela, j’espère,
que vous allez me prendre pour un fou… » De ce fait, ce patient suggère et appelle
à une voie thérapeutique de type psychothérapique, même si au bout du compte, sa
manière de rompre l’entretien laisse peu d’illusions sur un pronostic globalement
assez sombre (le patient approche de la trentaine et a déjà un assez long passé
d’« errance » psychique, il s’agit de sa deuxième prise en charge en psychiatrie, dont
six mois d’hospitalisation au cours desquels il est resté mutique).
194
Expressions psychotiques et/ou vécus archaïques ■ Chapitre 3
Bibliographie conseillée
Besson J. (1997). Traitement psychothéra- Racamier P.C. (1980). Les Schizophrènes,
pique d’une jeune schizophrène (récit), Paris, Payot.
Paris, L’Harmattan. Rosenfeld H. (1965). États psychotiques,
Garrabe J. (1992). Histoire de la schizo- Paris, PUF, 1976.
phrénie, Paris, Seghers. Searles H.(1977). L’Effort pour rendre
Gillibert J. (1993). Dialogue avec les schi- l’autre fou, Paris, Gallimard.
zophrènes, Paris, PUF. Sechehaye M.A. (1969). Journal d’une schi-
Pankow G. (1981). L’Être-là du schizo- zophrène, Paris, PUF.
phrène, Paris, Aubier-Montaigne,
195
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
nombreux colliers. À peine assise, elle explique ses difficultés, d’une voix abso-
lument monocorde et continue, avec laquelle elle enchaîne les phrases les unes
aux autres sans reprendre son souffle. Ce sont d’abord ses symptômes soma-
tiques qu’elle détaille, en mettant l’accent en particulier sur ce gène HLA-27 que
l’on vient de lui découvrir. « Ne t’inquiète pas, on n’en meurt pas », lui a dit le
médecin, ami, qui lui a communiqué les résultats. Il reste cependant que cette
inscription singulière, dans chacune des cellules de son corps, lui provoque une
impression bizarre et très angoissante qu’elle décrit en souriant de façon douce
et charmeuse : « C’est un peu comme si vous écriviez un roman, et qu’une fois
tout terminé, le livre sorti de l’imprimerie, vous vous apercevez que le nom de
l’héroïne ne colle pas du tout avec le texte ; vous l’avez appelée Bénédicte, il
faudrait l’appeler Malicorne, ou bien même Christian, ou ne pas l’appeler du
tout… Dans les ordinateurs, il y a une fonction de traitement de texte, comme
ça, “remplacer”, mais ça ne marche jamais, il faut toujours tout récrire pour les
accords, pour relativer les phrases entre elles. »
Depuis deux ans, elle vit à Paris, où elle est venue pour faire du théâtre. Elle y
a refait sa vie – « enfin refait, c’est beaucoup dire, puisque je suis toujours dans
cette dualité entre la vie et la mort ». Elle vit de nouveau avec Jean-Marc, qu’elle
a rencontré lorsqu’elle était à Caen. Ils ont habité ensemble pendant quatre ans
dans une bergerie, pratiquement coupés du monde. C’était paradisiaque, surtout
pour elle qui adore la nature et l’eau. D’ailleurs, elle a écrit un roman, sur l’océan :
l’histoire d’une jeune femme qui a des relations sexuelles incessantes avec l’océan,
et qui en meurt. L’eau revient, partout, dans toutes les poésies qu’elle écrit. Des
poésies cyniques, très morbides, qui mêlent l’humour et la mort en permanence.
Elle « passe au travers des vies » de ses personnages, de la sorte. Jean-Marc s’est
déclaré objecteur de conscience, puis il est parti avec une de ses amies, Lucie. Elle
savait bien ce que Lucie voulait : Jean-Marc a flanché. Il lui avait dit que les relations
sexuelles n’avaient pas d’importance, mais il a flanché ; pourtant ils avaient vécu
quatre ans ensemble dans cette bergerie sans faire l’amour. Des problèmes sexuels ?
Elle n’en a pas du tout. Du moins pas avec Jean-Marc. Avant, c’était différent. Elle
a eu de nombreux amants, à la suite de cette aventure étrange qui lui est arrivée
un soir au bord de la mer. Elle se donnait à eux, mais ne voulait rien faire. Elle se
sentait comme un fantôme. Oui, elle a d’énormes problèmes sexuels.
C’était sur les plages du débarquement, en Normandie. Elle était allée en week-
end avec ses parents, rendre visite à des amis, et elle était allée se promener, le soir,
sur la plage. Elle avait dix-sept ans, les discussions sur la guerre l’ennuyaient. Elle
196
Expressions psychotiques et/ou vécus archaïques ■ Chapitre 3
avait assisté au coucher du soleil, tard, et soudain elle s’était sentie, d’un seul coup,
différente. Les couleurs se transformaient autour d’elle, décrivant tout le spectre de
l’arc-en-ciel. Elle avait ressenti, en même temps, un étrange bien-être, tandis que des
voix, qu’elle entendait distinctement, l’incitaient à plonger dans l’eau, ce qu’elle a fait
sans prendre le temps de se déshabiller. Elle avait couru longuement, après, sur la
plage, riant sans cesse et prononçant répétitivement des paroles qui lui étaient restées
en mémoire : « Chasse le bien, chasse le mal, envole-toi dans le canal ! » Bien plus tard,
lorsque les parents, inquiets, étaient venus la retrouver, elle était en conversation
imaginaire avec un groupe de personnes qu’elle tentait de convaincre de sa possession
divine. Personne, dans son entourage, n’avait véritablement cru à cette expérience
surnaturelle et on l’avait soupçonnée d’avoir pris une drogue quelconque. Elle-même,
maintenant, s’interrogeait sur la réalité de cette scène, tout en comprenant le sens
qu’elle avait. Elle y avait fermement cru pendant des années, et sa vie, depuis, s’était
transformée. Cela lui avait donné l’inspiration pour écrire, le sentiment, aussi, qu’elle
n’était plus seule dans sa vie, qu’il y avait quelqu’un avec elle et en elle qui la suivait
en permanence. C’était rassurant. C’était très inquiétant, aussi.
Ses parents, il faut le dire, sont bien loin de ces préoccupations élevées. C’est
peut-être pour cela qu’elle se sent toujours dans un rapport de forces avec eux,
toujours dans le conflit. Elle n’a vraiment connu son père, en fait, qu’à douze ans :
il travaillait sur des chantiers de vieilles maisons à retaper, et n’apparaissait que
quelques week-ends. Elle dormait jusque-là avec sa mère, et se sentait extrêmement
libre, en tant que fille unique. Quand il est rentré, les choses ont changé. « C’est un
rustre, un terrien. Il ne fallait rien toucher dans la maison. Il avait décidé de prendre
le maquis familial. Sa mère était stérile, c’est ce qui devait énerver son père. Elle
a fait quatre fausses couches – enfin il y a eu un enfant mort-né sur les quatre. »
Quand Élise avait quatorze ans, son père a fait une tentative de suicide. Elle (Élise)
avait fait un rêve prémonitoire.
Maintenant, elle « travaille dans une librairie qui reçoit des dommages et inté-
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
rêts ». Mais ça ne va pas durer : « ils » ne la comprennent pas, « ils » la harcèlent, lui
font comprendre qu’elle va vieillir, c’est la seule chose qui peut la toucher vérita-
blement et « ils le savent » : elle est terrorisée par la maladie, la vieillesse et la mort.
Elle va retourner faire des castings pour tenter de se faire recruter sur un tournage
de film. Elle déteste le milieu du cinéma, mais il la fascine : tourner plusieurs fois la
même scène, par exemple, quatre ou cinq fois sans rien changer, a quelque chose
d’étourdissant. Ou bien alors elle va se plonger dans la lecture de la folie : Antonin
Artaud, Virginia Woolf, Bretch (sic). Elle se dit captivée par la folie.
197
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
« Vous vous trompez dans ce que vous pensez de moi », dit-elle, en fin d’entre-
tien, avec un large sourire. « Il faut jouer avec les mots pour ne pas les laisser
décider. » Elle s’en va sans serrer la main qui lui est tendue.
On observe tout d’abord chez Élise les quatre signes pathognomoniques révéla-
teurs de la dissociation ou « schize » à savoir ambivalence, détachement, bizarrerie
et impénétrabilité, et se manifestant dans les différents secteurs de sa personnalité
(sphères intellectuelle et langagière, vie affective, vie relationnelle…). Ainsi, citons :
1. Pour une approche de la sublimation, le lecteur pourra se reporter par exemple à l’ouvrage
de Guillaumin (1998).
198
Expressions psychotiques et/ou vécus archaïques ■ Chapitre 3
• des troubles du langage (voix monocorde, néologisme tel que « relativer », sans
doute issu de la condensation des verbes relier et relativiser, transformation
de mots ou de noms tels que « psoriosis », « Bretch », toutes altérations lexi-
cales montrant que le langage a acquis un sens très personnel pour Élise, et
que ce langage la coupe des autres, il n’est plus communément partageable) ;
• une distance relationnelle qui se révèle par exemple lors de son départ de
l’entretien psychologique (Élise s’en va sans serrer la main qui lui est tendue)
et qui a même culminé dans une forme de retrait (« pendant quatre ans dans
une bergerie, pratiquement coupés du monde ») ;
• sentiment d’étrangeté en effet que vit Élise un soir sur les plages de Normandie
et qui lui fait soudain se sentir différente, lui fait alors percevoir le monde
environnant de manière changeante (« les couleurs se transformaient autour
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
199
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
C’est ici qu’il convient de préciser temporellement les différents troubles d’Élise,
leur apparition. En effet, au moment où Élise est vue en consultation, elle est
âgée de 24 ans et présente, au vu des divers symptômes précédemment réper-
toriés, un tableau de psychose schizophrénique avec manifestations délirantes.
Toutefois la décompensation, le vacillement psychologique d’Élise, autrement dit
sa déstructuration et la perte de ses repères remontent à quelques années plus
tôt ; elles apparaissent à l’occasion, semble-t-il, du week-end en Normandie ; Élise
est alors âgée de 17 ans. Sa perception du monde environnant se modifie tout
comme ce qui se passe dorénavant en elle : « Soudain, d’un seul coup, elle s’était
200
Expressions psychotiques et/ou vécus archaïques ■ Chapitre 3
sentie différente. » Depuis elle a surtout le sentiment de ne plus être seule, d’être
accompagnée, voire habitée par un autre. C’est donc vraisemblablement dans ce
contexte spatio-temporel précis qu’Élise a connu un état de déréalisation, soit
aussi sa première expérience délirante (ou expérience délirante primaire). Toutes
ces manifestations témoignent du processus de dépersonnalisation qui s’opère en
Élise1 et du vécu de morcellement qui en résulte chez elle, perceptible notamment
dans l’énumération de ses nombreux troubles somatiques. À n’en pas douter ces
symptômes sont pour Élise une manière d’exprimer et de traduire la désagrégation
de sa personne et personnalité, désagrégation vécue… à même son corps !
1. Et contre lequel elle ne cesse de lutter depuis au gré de divers moyens, comme l’expression
artistique (écriture, théâtre) ; nous discuterons plus loin la qualité de ces aménagements défensifs
pour Élise et étudierons leur rapport à la sublimation.
201
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Sans doute le lieu où se trouvait Élise – les plages de Normandie – ainsi que
le contexte dans lequel elle se trouvait – les discussions ennuyeuses sur la guerre
qu’elle a fuies en allant sur la plage – sont-ils venus faire écho à certaines réalités
psychiques chez elle. Le débarquement sur les plages de Normandie n’est pas sans
rappeler, en effet, d’autres arrivées traumatiques. À commencer par le retour du
père à la maison, tout d’abord, vraisemblablement vécu comme un véritable débar-
quement : celui d’une puissance étrangère venant s’emparer du territoire privé
(« le maquis familial »), retour du père qui s’avère surtout synonyme d’un arrache-
ment d’avec l’objet maternel, objet référentiel d’Élise, dans la proximité et même la
symbiose duquel elle a vécu pendant plus de douze ans (elle dormait jusque-là avec
sa mère). Mais cette situation de vie actuelle ne vient elle-même que (ré)activer un
traumatisme plus ancien ou archaïque, celui de la défusion – impossible ici – du
sujet d’avec l’objet primaire. En effet, ce père qui revient, (re)prend dès lors sa place
dans le lit conjugal, met une limite à la relation mère-enfant et prive Élise du même
coup du corps-à-corps entretenu jusqu’alors avec l’objet maternel – montrant au
passage l’intense lien fusionnel mais plus encore incestuel existant entre mère et
enfant, soit encore ce que Racamier a décrit sous le terme de « séduction narcis-
sique », laquelle obère considérablement le développement psychique du sujet.
Le débarquement sur les plages en Normandie n’est pas sans résonner encore
symboliquement1 avec l’apparition du processus pubertaire (« le débarquement
des Anglais », comme on dit populairement…) et ce que celui-ci vient dès lors
rendre possible, à savoir la réalisation des désirs œdipiens (incestueux autant que
1. Certains auteurs affirment que les patients psychotiques n’ont pas atteint le stade du symbo-
lisme, carence qui ferait justement le lit de la psychose. Dans le cas d’Élise, si les plages de
Normandie ont été le lieu de sa décompensation, il faut bien reconnaître que celles-ci ont offert,
réellement et/ou symboliquement, un point d’accrochage à ses conflits internes.
202
Expressions psychotiques et/ou vécus archaïques ■ Chapitre 3
parricides) qui sont justement réactivés à l’adolescence. « Quand Élise avait 14 ans,
son père a fait une tentative de suicide », signe pour Élise, du point de vue de sa vie
psychique, que sa maturation (sexuelle…) rend son père fou, lui donne envie de
se tuer, voire entraîne la destruction de l’objet d’amour (symboliquement l’objet
maternel)… Quoi qu’il en soit de la réalité ou non du geste paternel autodestruc-
teur, penser/fantasmer la mort du père ne vient pas tant traduire chez Élise le
renversement de ses désirs érotiques pour lui (une défense contre la satisfaction
de motions désirantes) que ses pulsions meurtrières envers cet objet venu rompre
la fusion mère-enfant, et à ce titre objet perçu davantage comme une menace
portée à l’univers indifférencié dans lequel baignait Élise. Le père n’est pas perçu
ici comme un tiers séparateur et interdicteur, au sens œdipien. La venue de ce père
– extérieur à la monade mère-enfant –, c’est en quelque sorte le visage de l’étranger,
venant raviver cette expérience précoce du même nom (cf. Spitz, 1968) survenant
d’ordinaire aux alentours des 8-9 mois de vie de l’enfant. Si cette épreuve ne va
certes pas sans générer de l’inquiétude légitime chez le jeune enfant, elle ne l’en
conduit pas moins, d’ordinaire, sur les chemins de l’autonomisation et de la diffé-
renciation… Ce qui ne semble pas avoir été le cas ici. Chez Élise, la problématique
prégénitale et préœdipienne domine largement (même s’il ne faut pas négliger la
présence d’éléments de type œdipien dans la psychose). En effet, le retour du père,
séparateur dans la réalité de/dans la relation mère-fille, est surtout traumatique et
désorganisateur pour Élise parce qu’il vient faire voler en éclat la bulle d’indifféren-
ciation dans laquelle celle-ci vivait jusqu’alors1. C’est la menace de l’altérité et de
la différence qui se fait jour ici, et dont Élise se trouvait justement à l’abri de par la
relation de séduction narcissique entretenue avec l’objet maternel.
1. Et qu’elle reproduit dans sa relation avec Jean-Marc dans la bergerie, quand ils vivent presque
coupés du monde.
203
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Expressions psychotiques et/ou vécus archaïques ■ Chapitre 3
qu’il traduit l’angoisse du sujet d’être détruit par l’objet qu’il a lui-même fantas-
matiquement voulu détruire faute d’être suffisamment conforme aux aspirations
de son ça. Ce qui permet au passage de pointer la nature du conflit en jeu dans la
psychose : il se joue entre le ça et la réalité, la seconde ne permettant pas la totale
satisfaction des pulsions du premier.
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16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
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Expressions psychotiques et/ou vécus archaïques ■ Chapitre 3
On aurait pu débuter cette analyse clinique par le repérage des éléments trans-
féro-contre-transférentiels, tant ils constituent un outil essentiel dans/pour la
compréhension psychodynamique du cas. Il est toutefois difficile de parler de
transfert ici, compte tenu de la brièveté de la rencontre thérapeutique : un seul
entretien à ce jour. La manière dont Élise se comporte à la fin de celui-ci nous
renseigne cependant sur son mode de relation à l’objet et complète les analyses
précédentes. Le refus de serrer la main du clinicien, outre qu’il traduit le déta-
chement d’Élise vis-à-vis des usages sociaux, équivaut à une mise à distance du
psychologue. Il constitue aussi une stratégie défensive inconsciente destinée à
éviter à Élise (de par ses projections et angoisses) le sentiment d’être happée
par l’autre, absorbée par lui. Cela laisse corrélativement entrevoir combien le
clinicien est topiquement perçu par Élise comme un personnage dangereux et
dévitalisant pour elle et ce, comme nous l’avons notifié plus haut, faute qu’Élise
dispose d’une enveloppe psychique et corporelle suffisamment contenante et
imperméable face aux objets de la réalité. Cette phase, finale, de la consultation
psychologique laisse augurer certaines difficultés pour l’avenir, tant d’Élise que
d’un dispositif thérapeutique… (voir plus bas).
et afin de pouvoir introduire un écart, une absence, une limite… enfin, si thérapie
il y a, évidemment. Ce qui nous amène au dernier point de cette étude clinique :
le devenir d’Élise, le pronostic quant à l’évolution de son état psychique et les
possibilités thérapeutiques.
207
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
dite s’est produite plusieurs années en arrière et qu’Élise lutte depuis pour main-
tenir un certain équilibre. Il semble que ce soit la majoration de ses angoisses
– vraisemblablement due à ses maladies somatiques – qui l’ait amenée à prendre
rendez-vous, signe de la précarité ou de l’insuffisance des aménagements et
moyens défensifs alors utilisés par elle.
208
Expressions psychotiques et/ou vécus archaïques ■ Chapitre 3
Bibliographie conseillée
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
Aulagnier P. (1975). La Violence de l’inter- Azoulay C., Chabert C., Gortais J., Jeammet
prétation. Du pictogramme à l’énoncé, P. (2002). Processus de la schizophrénie,
Paris, PUF. Paris, Dunod.
Aulagnier P. (1984). L’Apprenti-historien et Bateson (1969). Vers une écologie de
le Maître-sorcier. Du discours identifiant l’esprit, Paris, Le Seuil, 1980.
au discours délirant, Paris, PUF.
209
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
210
Chapitre 4
Psychopathologie
et réalités externes
traumatiques
Sommaire
1. Devenir d’une psychose infantile… et/ou adaptation
à une situation traumatique : Olga.................................................................... 213
2. Décompensation somatique après un événement désorganisateur,
modalité opératoire et hystérie archaïque : Monsieur Some.............................. 224
3. Douleur et rémanence d’un trauma sexuel infantile : Christiane....................... 237
1. Devenir d’une psychose infantile… et/ou adaptation
à une situation traumatique : Olga
Son père, qui avait été reçu seul lors d’une précédente consultation, apparaît comme une
« force de la nature ». Massif, le regard direct, il prend d’emblée la parole pour se plaindre
des tracas que leur cause cette situation. Olga n’a jamais été une enfant « facile » malgré
toute l’attention qu’ils lui ont apportée. Dès sa naissance, elle leur était apparue comme
« différente » des autres enfants qu’ils connaissaient. Elle pleurait fréquemment, sans qu’il
soit apparemment possible de la consoler. Elle avait ensuite pris l’habitude de s’isoler avec
ses poupées et, plus tard, elle passait de longues heures à écouter ses chanteurs préférés sur
son walkman. Au début, cela ne les avait pas trop inquiétés : c’était un peu « de famille ».
Établis depuis des générations sur ces terres, on n’avait pas trop le temps de se raconter les
petits soucis des uns et des autres, car les tâches à accomplir étaient multiples, et lui-même
se souvenait d’avoir eu une enfance dure dans ce contexte. Au début, ils souhaitaient avoir
des garçons pour reprendre l’exploitation mais, pendant longtemps ils n’avaient pas pu
avoir d’enfant. Ils avaient suivi un programme de procréation médicalement assistée qui
avait fini par porter ses fruits, mais n’avaient pas souhaité renouveler l’expérience. De toute
façon, sa femme était trop âgée, et n’envisageait pas de nouvelle grossesse. C’était surtout
lui, d’ailleurs, qui s’était occupé d’Olga car les relations conjugales s’étaient dégradées à la
suite de sa naissance. En fait ils étaient devenus véritablement étrangers l’un à l’autre et
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
ne faisaient que se croiser dans l’exploitation ou échanger des données factuelles sur son
fonctionnement.
Lorsqu’il parle d’Olga, son père est manifestement très troublé. Il lui a consacré, en fait,
tout son maigre temps disponible, en regrettant que la ferme l’empêche de lui en donner
plus. C’est une enfant qui n’a pas été très assidue à l’école, et qui en est partie dès que son
âge le lui a permis. Elle n’a acquis aucune formation professionnelle, mais a largement
compensé cela par son engagement ultérieur dans les travaux de l’exploitation, en parti-
culier avec les animaux. Il peut totalement compter sur elle de ce point de vue, et c’est
213
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
son « meilleur associé », dit-il en riant. Elle est disponible à chaque heure du jour
et de la nuit, dès qu’il y a un problème, et l’exploitation s’en ressent : les résultats
sont excellents et ils ont même été honorés par une médaille d’argent au dernier
Salon de l’agriculture à Paris pour leurs charolaises. Ils « faisaient » le salon depuis
de longues années, et c’était toujours lui qui y allait seul : « Paris, ça vous change
les idées… », dit-il avec un clin d’œil. Cette année, il a eu une crise de sciatique
qui l’a cloué au lit, juste au moment du Salon, et la seule solution était d’y envoyer
Olga. Il avait entièrement préparé son voyage, lui avait indiqué le moindre dépla-
cement, et programmé chaque heure de sa journée. Il lui avait d’ailleurs confié
son téléphone portable, et l’appelait toutes les deux heures. Tout s’était très bien
passé, les résultats le montraient. Mais c’était une expérience qu’il espérait ne pas
reconduire : « Elle manque vraiment quand elle n’est pas là… Ça fait drôle… » C’est
d’ailleurs la première fois, en fait, qu’Olga était partie pour plus d’une journée de
l’exploitation. Jusque-là ses déplacements s’étaient limités à des marchés locaux
ou à des visites chez des clients ou fournisseurs. Personne dans la famille n’avait
jamais pris de vacances.
À l’issue de ces deux entretiens, Olga est reçue, également seule. C’est une jeune
femme athlétique au physique agréable, qui conserve en permanence un regard
baissé. Elle vient parce qu’elle dort très mal et qu’elle n’arrive pas à récupérer ce
214
Psychopathologie et réalités externes traumatiques ■ Chapitre 4
sommeil, ce qui la fatigue. Elle n’a rien de particulier à dire de sa vie, qui se résume
selon elle à son travail à la ferme. En poussant un peu plus l’entretien, on apprend
cependant qu’elle éprouve de véritables terreurs nocturnes, auxquelles elle remédie
en se rendant auprès des animaux. Son séjour à Paris a été difficile de ce point de
vue, et elle était vraiment très angoissée. Heureusement que son père avait tout
organisé, parce qu’elle redoute tout ce qui la change de ses habitudes. Outre les
animaux, ce qu’elle aime dans la vie, c’est la musique « techno » et les marches
militaires. Si elle avait été un garçon, elle pense qu’elle serait restée à l’armée, « dans
les chars », après son service militaire. Dans son hôtel, lors du Salon de l’agriculture
à Paris, elle a vu un reportage à la télévision sur les femmes-soldats américaines
pendant la guerre du Golfe, qui l’a enthousiasmée. « C’est bien qu’elles puissent
s’engager comme cela. En Israël aussi, il y a beaucoup de femmes dans l’armée. »
Depuis son retour de Paris, les choses ont changé à la maison. Son père est « plus
nerveux ». Il « la surveille » sans cesse et lui « fait des réflexions ». Il lui a reproché
récemment d’être rentrée après l’heure du dîner : elle était allée en ville pour la
matinée et elle ne sait pas pourquoi, elle s’est retrouvée au bord de la Loire. Elle
avait marché, comme cela, le long de la berge et s’était perdue. Elle avait eu du mal
à trouver quelqu’un qui lui indique le chemin du retour, et en fait cet homme avait
voulu la conduire à l’hôpital, parce qu’elle disait qu’elle avait très mal à la tête. Mais
elle avait expliqué au médecin qui l’avait reçue que c’était sans doute une insolation
et il l’avait laissée partir. Puis elle avait repris sa voiture et était rentrée à la ferme.
Elle s’était alors « vraiment fait engueuler » par son père quand il avait su l’histoire.
Il avait d’ailleurs raison, son père : « Il ne faut pas mêler les autres à ses problèmes. »
Elle s’en souviendrait la prochaine fois. Elle n’a pas envie de parler plus d’elle, et
souhaite des cachets pour l’aider à dormir. Elle ne souhaite pas revenir pour un
nouveau rendez-vous.
Le cas d’Olga pose tout d’abord la question du devenir d’une souffrance infantile
et même d’une psychopathologie infantile non soignée, mais ayant pu se compenser
en raison des paramètres (étayants et protecteurs) de l’environnement sociofamilial.
Cependant, ce cas pose de manière concomitante la question du traumatique, et
celle de sa place, dans cette économie subjective fragile et des nouveaux ajustements
symptomatiques alors susceptibles d’apparaître. En lien, ce cas invite également à
215
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
1.2.2 D
’hier à aujourd’hui : troubles et fonctionnement
psychique d’Olga au regard de l’épigenèse
Grâce aux entretiens conduits avec chacun des parents d’Olga, on apprend
– ou plutôt on en déduit – que celle-ci a vraisemblablement présenté dans son
enfance des difficultés et des conduites étranges ou plutôt révélatrices de souf-
frances et d’angoisses précoces chez elle : enfant, Olga « pleurait beaucoup », sans
grande possibilité de consolation, s’isolait fréquemment, préférant à la compagnie
humaine1 celle de ses poupées, des chanteurs sur son walkman et des animaux de
la ferme, sans oublier ses conduites d’évitement fuyant avec sa mère, des difficultés
scolaires et plus largement peu d’engouement pour investir d’autres choses que
celles de son quotidien, à savoir la ferme parentale et les animaux. Bien que le
père dise avoir rapidement pris conscience d’une certaine « différence » d’Olga
par rapport aux autres enfants connus, il a, semble-t-il, banalisé rapidement ses
comportements, les mettant sur le compte d’une tendance familiale, sans doute
renforcée par un mode de vie rural, laissant peu de place aux sorties et à l’échange
relationnel. Sans oublier que l’investissement – ou labeur – d’Olga dans les activités
de la ferme a facilité chez lui le balayage de ses doutes.
Du point de vue parental en tout cas, Olga « n’a jamais été une enfant facile »,
contrastant avec les autres enfants de leur entourage, tout comme sa naissance
n’avait déjà pas été chose aisée pour les parents, nécessitant leur recours à une
assistance médicale à la procréation. Mais, tant l’avancée en âge invoquée ration-
nellement par les époux que plus sûrement les difficultés parentales, maternelles2
notamment, rencontrées avant et après la naissance d’Olga, avaient dissuadé
le couple parental de réitérer cette démarche. Aussi peut-on d’ores et déjà se
demander lequel des deux, enfant ou couple parental, était le plus en difficultés :
Olga, réellement « différente » des autres enfants, au sens où elle aurait présenté par
exemple un défaut d’équipement constitutionnel et/ou des difficultés précoces de
1. On ne peut déjà s’empêcher de se questionner sur la réelle présence dans l’entourage d’Olga
enfant de personnes autres que ses parents…
2. On se demande en effet ce qu’a représenté cette grossesse, et même ce bébé-fille, pour cette
femme restée inféconde pendant un certain laps de temps et qui, après la naissance de son enfant,
se refuse désormais à toute relation, dont charnelle et sexuelle alors aussi, avec son époux…
Quelles angoisses corporelles et primitives cette grossesse et cette naissance ont-elles bien pu
raviver chez cette mère ?
216
Psychopathologie et réalités externes traumatiques ■ Chapitre 4
contact générant progressivement chez elle des tendances d’allure autistique ? Et/ou
ne seraient-ce pas aussi les parents eux-mêmes, chez qui la naissance tardive d’un
enfant – qui plus est une fille au lieu des garçons attendus1 pour reprendre l’exploi-
tation agricole familiale – est venue bouleverser un équilibre conjugal peut-être
déjà précaire (voire symbiotique…) – un équilibre qui éclate en tout cas peu après
la naissance d’Olga, les parents devenant tels des étrangers l’un envers l’autre – et
un style de vie organisé sous le primat du travail à la ferme, dans des conditions
rudes et sans beaucoup de place pour l’affectivité (les animaux de la ferme étant
plus dociles, moins complexes et moins exigeants qu’un enfant… ?).
1. On se demandera dans quelle proportion ces attentes parentales concernant le sexe de l’enfant
à venir n’ont pas entravé la construction psychique d’Olga, celle-ci se retrouvant en quelque sorte
aliénée par ces désirs parentaux incorporés ; la psychose d’Olga peut alors se penser comme une
issue pour se déprendre des assignations parentales.
2. Qu’en est-il réellement du désir d’enfant de la mère d’Olga ?
217
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
présence moins effrayante et/ou moins imprévisible que celle de l’objet primaire
et de ses tenant-lieu dans la réalité (parents débordés par l’arrivée de ce bébé)… ?
À l’âge adulte, sur le plan manifeste, Olga présente toujours des tendances
prégnantes au retrait et à l’isolement relationnel, préférant la compagnie des êtres
vivants non humains (les animaux) outre l’investissement exclusif du travail de la
ferme. Cette activité, exclusive de toute autre, a sans aucun doute une fonction
structurante, et défensive, pour Olga. Cette activité dans laquelle elle s’investit
sans limites (elle est toujours disponible, pas de vacances) est en effet peu impli-
quante sur les plans émotionnel et relationnel, ceux-là mêmes qui mettent Olga
en difficulté ; c’est aussi un repère immuable pour elle, parant par avance à tout
imprévu, dans un temps non subjectivé. Peut-être cette activité présente-t-elle
aussi l’énorme avantage de pallier le vide interne de la jeune femme, vide généra-
teur d’intenses angoisses désorganisatrices (des agonies primitives), à l’instar de
celles qui surviennent chez elle la nuit, quand il n’y a plus le travail justement. À
moins qu’il ne s’agisse encore dans cet (hyper-)investissement dans le travail, tout
comme dans celui des musiques techno ou des marches militaires écoutées par
Olga, de procédés autocalmants, destinés, par la recherche d’excitations (physiques
ou sonores), à procurer (paradoxalement) un apaisement.
218
Psychopathologie et réalités externes traumatiques ■ Chapitre 4
Enfin, on n’oubliera pas de noter les troubles dont Olga se plaint, à savoir fatigue
et difficultés de sommeil, lesquelles s’avèrent être, selon le texte, de véritables
terreurs nocturnes (sans autre précision toutefois). Ces terreurs, si elles peuvent à
certains égards être perçues comme la résurgence d’angoisses archaïques primitives,
ne doivent pas pour autant éradiquer l’hypothèse de manifestations post-trauma-
tiques. En effet, le récit du cas invite à penser le caractère relativement récent de
ces insomnies et terreurs.
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
219
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
1. Là encore, de qui s’agit-il sous ce elle ? d’Olga ? de sa mère ? Est-ce Olga qui a tenu secrète sa
grossesse, à moins qu’il ne se soit agi d’un déni de grossesse chez elle ? Ou est-ce sa mère qui,
d’une main de fer, a imposé le silence à sa fille, pour éviter un scandale (celui d’être fille-mère)
ou étouffer un délit (celui de l’inceste commis entre père et fille…) ?
220
Psychopathologie et réalités externes traumatiques ■ Chapitre 4
eux trois (Olga, père et mère), et sur lequel repose d’ailleurs l’équilibre familial – il
est plus juste de dire l’équilibre parental, car pour Olga les choses sont peut-être
bien différentes. Souffre-t-elle de l’abandon de son enfant ? Ne souffre-t-elle pas
plus encore des origines de cette grossesse ? La sexualité a-t-elle été traumatique ?
Pourquoi, comment ? Quel est le véritable mystère, ou secret, qui entoure cette
conception ? Est-ce la honte d’avoir une fille-mère dans la famille qui a conduit au
placement de cet enfant, resté toutefois dans le groupe familial ? Est-ce la honte,
voire l’effroi, à l’idée – la réalité ? – que cet enfant soit issu d’un viol, ou plutôt
d’un inceste… ?
Bien sûr, cette hypothèse ne peut que rester ouverte au vu des éléments rapportés
(tant ceux du cas que ceux issus du travail d’élaboration auquel ils ont conduit).
cette relation sexuelle à l’origine de sa grossesse : qui que soit son partenaire sexuel,
comment a-t-elle vécu ce rapproché érotique ? Celui-ci n’est-il pas venu faire écho
à un corps-à-corps primitif (relations préobjectales indifférenciées), source d’an-
goisses déstructurantes, source de confusion ? La sexualité n’aurait-elle pas, enfin,
1. Face à laquelle la mère serait inconsciemment complice… Cette mère peut-elle ignorer les
conditions de la grossesse de sa fille ? Ne ferme-t-elle pas les yeux pour éviter d’avoir à prendre
conscience de son rôle, inconscient, dans cette situation, et de ses propres difficultés dans sa rela-
tion conjugale ? N’a-t-elle pas justement pris les choses en main afin d’enterrer ce secret familial ?
221
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
On note que ce sont les parents d’Olga, inquiets, qui sont à l’origine de la
consultation.
Si la mère envisage la souffrance de sa fille (en lien avec la perte de son enfant),
elle se sent en revanche démunie et surtout impuissante à aider sa fille (« je crois
qu’elle a vraiment besoin que quelqu’un s’occupe d’elle »). Revit-elle ses difficultés
d’accordage avec Olga enfant… ? Elle craint que sa fille « ne fasse des bêtises ».
Cette formulation souligne la vision infantile que la mère a de sa fille, comme le
père. Cela souligne également l’impossibilité de nommer les situations ou états
affectifs douloureux (suicide, angoisse de mort). Le père quant à lui « se plaint des
tracas » que leur cause la situation d’Olga. Celle-ci, compte tenu de ses compor-
tements actuels, risque bien de ne plus être aussi efficace dans son travail, et l’on
imagine que la baisse de la rentabilité serait désobligeante pour cet homme.
Olga, de son côté, « n’a pas envie de parler plus d’elle, ne souhaite pas revenir
pour un nouveau rendez-vous », mais souhaite en revanche « des cachets pour
l’aider à dormir » ; autrement dit, elle est certes en quête d’une solution, une solu-
tion d’apaisement, mais celle-ci doit être d’ordre physique et surtout immédiate.
Pas de place pour la pensée, pour la parole – la seule voie d’expression d’Olga, ce
sont manifestement ses troubles. Enfin, la phrase « son père a raison, il ne faut pas
mêler les autres à ses problèmes » traduit bien encore chez elle le rejet de l’altérité
et de la différence (impossible de faire appel à un membre extérieur à la famille,
222
Psychopathologie et réalités externes traumatiques ■ Chapitre 4
À l’issue de ces rencontres avec chacun des trois protagonistes de cette famille,
tous venus et reçus individuellement – manifestations visibles de leurs difficultés
de communication et de contact – compte tenu de l’absence de demande d’Olga,
le clinicien trouvera avantage à s’appuyer sur les inquiétudes et la demande mater-
nelle, pour proposer une, voire quelques consultations familiales, avec l’aide d’un(e)
cothérapeute. Un tel dispositif permettrait d’aménager progressivement la relation
avec Olga, et de commencer à travailler sur les modalités de lien entre les membres
de la famille. Il n’est cependant pas certain que cette proposition rencontre l’adhé-
sion de tous les membres et soit en conséquence suivie d’effet… Un couple de
thérapeutes porteur de la différence sexuelle permettrait le déploiement d’un jeu
d’alliances avec chacun des membres du couple conjugal, en difficulté ne l’oublions
pas, propice à l’établissement et au maintien du lien thérapeutique. Enfin, compte
tenu des difficultés voire des résistances, à l’expression psychique et verbale des
patients, il serait plus confortable contre-transférentiellement parlant d’être deux,
deux psychés pour porter ces individualités et penser, voire « rêver » cette groupa-
lité, cet appareil psychique familial.
Bibliographie conseillée
Caillot J.P., Decherf G. (1982). Thérapie Kaës R., Faimberg H., Enriquez M.,
familiale analytique et paradoxalité, Baranes J.J. (1993). Transmission de la
Paris, Clancier-Guénaud. vie psychique entre générations, Paris,
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
223
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Pedinielli J.L., Gimenez G. (2002). Les Ruffiot A. et al. (1981). La Thérapie fami-
Psychoses de l’adulte, Paris Nathan, liale psychanalytique, Paris, Dunod.
3e édition, 2016. Tustin F. (1989). Le Trou noir de la psyché,
Racamier P.C. (1995). L’Inceste et l’Inces- Paris, Le Seuil.
tuel, Paris, Les éditions du Collège. Tustin F. (1992). Autisme et protection,
Paris, Le Seuil.
2. D
écompensation somatique après un événement
désorganisateur, modalité opératoire
et hystérie archaïque : Monsieur Some
C’est son médecin qui l’adresse au psychologue de l’hôpital, préoccupé par son
état de santé du moment et par ses nombreuses rechutes sévères. Monsieur Some
se présente donc au rendez-vous, qui a été planifié « parce que c’est le médecin
qui lui a dit de le faire ». Lui n’en voit pas bien l’utilité mais, si le médecin a jugé
bon, alors il y va, voici comment débute l’entretien psychologique. Monsieur Some
est d’un abord assez jovial, il dit avoir toute confiance en l’hôpital, il s’en remet
totalement aux décisions médicales, il n’a jamais eu à se plaindre du personnel
soignant. Au contraire, il a toujours trouvé les infirmières aux petits soins pour
lui. « C’est tellement difficile l’hôpital », ajoute-t-il, amorçant une discussion sur
les difficiles conditions de travail du personnel. Très rapidement le psychologue
recentre l’entretien sur lui, sa venue ici… Le patient évoque alors sa venue à l’hôpital
pour sa première opération. Il dit avoir eu des diarrhées auxquelles il n’a pas prêté
attention tellement c’est courant chez lui. Plus tard il précisera que cela date de la
224
Psychopathologie et réalités externes traumatiques ■ Chapitre 4
préadolescence. C’est seulement quand il a vu du sang dans ses selles plusieurs jours
consécutifs qu’il s’est finalement décidé à aller consulter. Après, tout s’est enchaîné
très vite, l’hospitalisation en urgence, puis plusieurs opérations successives. Il n’a
jamais été inquiet, tout le monde autour de lui, à l’hôpital comme dans sa famille,
étant plein d’attentions à son égard. Interrogé sur le contexte de survenue de ses
troubles, le patient n’évoque rien de particulier. Il poursuit par le récit d’autres
problèmes somatiques : il a autrefois subi une chirurgie pour une histoire d’ulcère
à l’estomac, une opération aussi pour des varices, sans parler de ses nombreuses
migraines et algies faciales, survenant surtout l’hiver. Enfant, il avait de l’eczéma
généralisé, qui a disparu quand il a quitté le domicile familial.
Plus tard, lorsque le psychologue lui demandera s’il lui arrive de rêver, il répondra
par la négative, « ou alors je m’en souviens pas [de mes rêves] ». Il ajoutera en
revanche avoir passé une période d’insomnies rebelles à tout traitement, du temps
où il faisait ses études.
Monsieur Some est âgé de 45 ans, il travaille comme cadre dans une grosse société
informatique en pleine restructuration. Il y est entré à l’âge de 35 ans et est monté
en grade progressivement. « Ils [l’entreprise] ont été rachetés à la suite d’un dépôt de
bilan » – il y a moins d’un an, lui fera préciser plus tard le clinicien. Il est probable que
des licenciements soient envisagés, surtout du côté des professionnels de sa catégorie,
mais pour l’instant rien n’est officiellement annoncé. « Que va-t-il advenir de notre
peau ? Ça, on le saura seulement dans quelques mois », dit-il. Comment vit-il cela ?
« Ben, enfin… », la question du psychologue l’amène à verbaliser qu’il se demande bien
parfois un peu ce que demain lui réserve, mais « pour l’heure on me laisse tranquille,
alors ça ne sert à rien d’imaginer, on verra bien assez tôt », conclut-il.
Marié, il est aujourd’hui père de deux garçons de dix et douze ans. Sa femme
travaille dans le commerce et, comme elle rentre tard, c’est une de ses sœurs (à
lui) qui s’occupe des enfants. Ils habitent depuis deux ans environ un pavillon hors
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
agglomération, assez proche de son lieu de travail à lui. Car depuis un terrible acci-
dent de voiture où « on lui est rentré dedans sur l’autoroute », il lui arrive d’avoir
peur au volant, il ne veut donc plus emprunter les voies rapides à fort trafic. Chaque
fois qu’il doit cependant le faire, seul ou accompagné, lui revient la vision de la scène
de l’accident, de sa voiture en train de frapper celle qui se trouvait devant lui (du
fait même que son propre véhicule était embouti par l’arrière au même moment).
Il ne peut rien dire de plus, mais son visage est marqué par l’angoisse lors de cette
remémoration. Peu de temps après cet accident il avait dû être hospitalisé pour
des saignements importants.
225
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Mis à part cela, tout va bien dans son existence, dit-il, « le travail de sa femme
marche bien, les garçons à l’école c’est pareil » et Monsieur Some de poursuivre
son récit autour de ses enfants, de décrire leurs activités scolaires et extrascolaires.
Le samedi, par exemple, c’est lui qui les emmène tous les deux au solfège pendant
que les enfants sont à leur cours, il en profite pour faire le marché, puis il va
les chercher. Parfois ils continuent ensemble les courses, pendant que sa femme
s’occupe de l’entretien domestique. Il rentre avec les enfants peu avant midi et
prépare alors le repas avec son épouse. Depuis que les enfants ont des activités le
samedi, sa femme et lui ont mis au point cette organisation à laquelle ils dérogent
rarement. Monsieur Some poursuit l’énumération en détail de toutes les activités
des différents membres de la famille durant le week-end. Le mode de vie apparaît
assez routinier, sans pour autant gêner le patient ; parfois ils vont voir ses parents,
qui résident à trois cents kilomètres de chez eux.
Ils n’ont pas beaucoup d’amis, mais voient assez souvent en revanche leurs frères et
sœurs respectifs. De ses parents, Monsieur Some dit ne jamais avoir eu à se plaindre ;
ceux-ci ont élevé comme ils l’ont pu, et assez difficilement sur le plan économique,
leurs six enfants (lui était le quatrième, le seul garçon de la fratrie) ; ses parents
étaient tous deux ouvriers. C’est lui, Monsieur Some, qui a financé ses études après
le baccalauréat tout en travaillant à mi-temps, comme ouvrier lui aussi à l’époque.
Il est reconnaissant envers ses sœurs aînées de l’avoir élevé. L’une d’entre elles l’a
même hébergé assez longtemps (à vrai dire toute la durée de ses études supérieures).
Après il s’est marié, avec une amie d’une autre de ses sœurs, sa cadette de trois ans.
De sa mère, il dira qu’elle était « mère-courage, jamais elle se plaignait, jamais elle
criait ». Pourtant « le père était pas facile, parfois il avait un peu bu et il faisait des
crises ». Il arrivait alors à Monsieur Some enfant de se cacher dans les toilettes dans
ces moments-là. Il ne peut préciser ce qu’il ressentait alors. « C’est du passé tout ça
maintenant, c’est pas la peine d’en parler, ça n’a plus d’importance… Les parents, ils
ont fait comme ils ont pu, ils ont pas bien eu de chance dans leur vie. »
226
Psychopathologie et réalités externes traumatiques ■ Chapitre 4
« On a tous des problèmes de santé dans la famille, ça doit être héréditaire, vous
croyez pas vous aussi docteur ? »
Au sortir de cet entretien, qui a duré à peine une heure, et au cours duquel le
patient a beaucoup parlé, le psychologue se sent étrangement vide, engourdi aussi.
Il a du mal à penser, n’arrive pas à noter quoi que ce soit concernant ce patient. Il
a soudain envie d’aller dormir…
Qui plus est, le déclenchement des troubles à l’âge adulte semble bien provenir,
chez Monsieur Some, d’une situation ayant entraîné chez lui une surcharge d’ex-
citations, débordante, désorganisatrice de son économie psychosomatique. Ces
excitations, faute de pouvoir être gérées ou traitées psychiquement, se déversent
227
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
du côté de la sphère somatique. On peut dire alors avec J.-B. Stora (1995) que le
corps prend le relais d’une activité psychique ici insuffisante ou défaillante, dans
un contexte traumatogène, en l’occurrence pour lui l’accident de voiture. C’est ce
que le cas de Monsieur Some va en effet permettre d’appréhender et de discuter,
sans méconnaître au demeurant ce qui de la problématique psychique propre du
patient va se trouver activé, mobilisé.
2.2.2 D
iagnostic pathologique
et caractéristiques psychologiques
En effet, si l’on peut dire, de manière générale, que le patient parle assez facile-
ment, il s’avère qu’il livre surtout un discours factuel centré sur la description des
événements quotidiens et actuels de son existence (cf. le passage sur le déroulement
du week-end), dénotant au passage une pensée de type opératoire (cf. Marty, de
M’Uzan, 1963), sans grande richesse associative.
228
Psychopathologie et réalités externes traumatiques ■ Chapitre 4
Si le patient n’objective pas en tant que telle la survenue d’un événement déstabili-
sateur en amont de ses troubles somatiques, en revanche on ne peut manquer d’être
frappé par la conjonction des événements suivants (comme on avait déjà pu l’entre-
voir dans le cas de Madame Fraile au deuxième chapitre2) : accident automobile et
survenue de sa première (semble-t-il…) décompensation somatique (saignements
importants apparus peu après l’accident), rachat de l’entreprise et récente réhos-
pitalisation3. D’autant que dans tous ces cas le danger, la menace, semble venir de
derrière… S’il n’est pas interdit au clinicien de songer (fantasmer) que ces situations
font peut-être écho chez le patient à certains fantasmes de passivité sexuelle et de
pénétration anale, on voit que la situation accidentelle, la situation professionnelle
tout comme ces troubles ne suscitent pas ou peu d’évocations, d’associations chez
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
1. On reviendra sur cet élément dans le paragraphe consacré à l’analyse des enjeux
transféro-contre-transférentiels.
2. Il ne s’agit pas ici de rechercher une quelconque causalité directe entre les deux phéno-
mènes, laquelle n’aurait pas lieu d’être sans les associations du patient lui-même, d’autant plus
que les troubles intestinaux de Monsieur Some ont visiblement commencé dans son enfance
(préadolescence).
3. Même si l’on ignore au juste la date réelle du début de la rectocolite hémorragique de
Monsieur Some. Sans doute cette imprécision révèle-t-elle le flou, voire le défaut d’organisation
temporelle qui habite le patient.
229
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Monsieur Some. C’est plutôt le blanc psychique qui s’impose, laissant augurer
d’un échec de l’organisation fantasmatique (ne pouvant alors donner lieu à aucune
symptomatologie psychique, névrotique ou psychotique). À moins que ce blanc
ne soit justement l’effet d’une défense répressive destinée à endiguer une somme
de représentations psychiques ou fantasmatiques sous-jacentes particulièrement
violentes, voire des angoisses mortifères… Des angoisses ou affects – dont on
postule qu’ils sont si intenses qu’ils seraient intraitables psychiquement, impen-
sables, au point que toute la charge pulsionnelle passerait directement dans le
soma ; l’excitation pulsionnelle se déchargerait alors dans la muqueuse intestinale,
faute de pouvoir être contenue dans le tissu représentatif. En tout cas, il convient
de redire combien dans ces deux situations vécues par Monsieur Some, l’accident
de voiture ou la rectocolite, le danger sinon la mort semblent rôder derrière lui…
et quelque chose vient le toucher, le frapper dans sa chair…
Pour l’heure, que penser d’un point de vue diagnostic à partir de ces premiers
éléments ? Il est sans doute encore trop tôt ou présomptueux pour énoncer un
diagnostic précis, qui plus est à l’issue de cette unique rencontre. Tout au plus
peut-on émettre les hypothèses suivantes, que l’analyse métapsychologique
ultérieure du cas va venir ou non conforter. Au vu de la sémiologie blanche ou
négative, soit encore ce qu’on peut appeler une alexithymie (ses difficultés à penser,
à parler, à ressentir), repérée chez Monsieur Some, il serait tentant de conclure
à un fonctionnement psychique opératoire, voire peut-être même à une névrose
de caractère au sens délivré par Marty, à savoir un état psychologique caractérisé
par une mentalisation irrégulière ou incertaine exposant alors le sujet, selon cet
auteur, aux somatisations. La piste de l’hystérie archaïque demande à être davan-
tage étayée au vu des enjeux psychodynamiques des troubles. On a préalablement
envisagé l’existence d’angoisses mortifères ; il s’agit plus précisément d’angoisses
d’atteinte à l’intégrité propre, comme certains propos du patient en rendent expli-
citement compte : « Que va-t-il advenir de notre peau ? », se demande celui dont
la chair est meurtrie, et dont le je est noyé sous le « on », le collectif professionnel.
230
Psychopathologie et réalités externes traumatiques ■ Chapitre 4
Sur le plan des relations d’objet, on est tenté de parler ici d’anaclitisme, proche de
la symbiose même chez le patient, dans la mesure où celui-ci vit dans un univers
restreint, relativement clos sur lui-même (sa famille proche) qui constitue un
étayage important. Jeune adulte il présentait déjà certains signes de dépendance
envers ses sœurs aînées (il a même trouvé son épouse dans le cercle relationnel
de l’une de ses sœurs), tout comme aujourd’hui il fait montre d’une attitude de
soumission aux représentants médicaux.
On l’a dit, le récit par le patient de sa propre histoire ne laisse pas apparaître
de liens particuliers entre certains événements qui auraient pu le déstabiliser et la
survenue de sa dernière décompensation somatique. On ne peut toutefois s’empê-
cher de penser (d’imaginer à la place du patient en somme…) que, dans l’actualité, le
récent rachat de l’entreprise (à laquelle il est attaché depuis de nombreuses années)
ait pu générer chez lui des anxiétés désorganisatrices de son économie psychoso-
matique. À défaut d’une gestion psychique ou d’une expression du ressenti (colère,
rage, tristesse, voire désespoir, impuissance), la désorganisation psychique aurait,
selon les hypothèses de Marty et de l’école de Paris, cédé progressivement le pas
à une désorganisation somatique, entraînant l’apparition de troubles organiques,
ici hémorragiques.
1. Caïn (1990), mais aussi Obadia (1984) avant lui ou plus récemment Dejours (2001), par
exemple, ont montré qu’au décours de la prise en charge psychothérapique de graves malades
somatiques, il n’était pas rare d’observer l’apparition d’un épisode psychotique, délirant par
exemple, une fois la somatisation enrayée. Il faut sans doute préciser que cela est sûrement plus
fréquent chez d’authentiques personnalités psychotiques.
2. Comme on a pu le penser un temps dans l’histoire de l’approche psychanalytique des malades
somatiques. Dunbar postulait en effet l’existence de « malades psychosomatiques » chez lesquels
la nature du trouble somatique était à mettre sur le compte de la personnalité psychologique du
malade. Cf. Dunbar (1943).
231
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
débordées, mises en défaut. Celles-ci peuvent, de fait, être mises en déroute chez tout
individu lors de l’advenue d’événements et/ou de circonstances particulièrement
déstabilisants et éprouvants. On souscrit à cette hypothèse chez Monsieur Some,
au vu d’une actualité incertaine et anxiogène, faisant sûrement écho à d’autres
représentations – récentes (cf. l’accident de voiture) et plus anciennes (scènes
d’enfance) – restées en attente d’intégration psychique. On en reparlera plus bas.
Toutefois, on relève que cette expression somatique ou tendance à somatiser n’est
sans doute pas sans lien non plus avec ses identifications et avec ses images paren-
tales. Tout d’abord, en ce qui concerne l’affection somatique (actuelle) du patient,
on ne peut manquer d’évoquer le terrain familial : il existe en effet des antécédents
maternel et grand-maternel de maladie de Crohn, dont le tableau clinique est très
proche de la pathologie RCH de Monsieur Some. Sans doute faut-il reconnaître ici
une vulnérabilité biologique, individuelle sinon familiale, de cette partie de l’orga-
nisme. Cependant la « filiation de l’imaginaire » décrite par Sapir semble s’ajouter à
cette possible « filiation du tissulaire ». En effet, il semble que l’on n’échappe pas au
destin de malade dans cette famille ; le patient l’énonce lui-même : ils ont « tous des
problèmes de santé », signant là un conformisme sinon un pacte de loyauté incons-
cient avec les siens, dont il convient pour le sujet de ne point se différencier – sous
peine d’être rayé de la liste ? À cet égard, les insomnies rebelles de Monsieur Some,
jeune adulte, alors qu’il effectuait ses études supérieures, destinées à le mener
à un statut professionnel autre que celui de ses parents, peuvent sûrement être
comprises dans cette optique. À noter qu’aujourd’hui, une incertitude plane sur
le patient, son devenir, justement à cause de ce statut de cadre… Pour revenir
à la maladie, on peut envisager dans le cas présent que la mythologie familiale
(Célérier, 1989 ; Sami-Ali, 1981) s’ordonne autour de la maladie somatique comme
modalité d’être – ou plutôt comme seul mode d’expression des conflits (voir plus
bas) –, l’identification à une famille de malades confortant de plus le sentiment
d’identité fragile, sinon vulnérable du sujet.
En tout cas, ces éléments semblent confirmer chez Monsieur Some l’hypothèse
de relations de nature narcissique et fusionnelle ainsi que celle d’une identification
narcissique à l’objet maternel. Avec sa pathologie intestinale, Monsieur Some est,
comme sa mère, « mère courage » résistante aux crises (de quel ordre à vrai dire ?).
C’est ici qu’il convient d’approfondir l’analyse du cas, et la signification potentielle
des somatisations, sur des axes tout à la fois psychogénétique et psychodynamique
plus qu’économique comme nous l’avons fait jusqu’à présent.
Le patient semble avoir grandi dans un environnement assez fruste, tant du point
de vue matériel qu’affectif, peu disponible (voire peu attentif ?) à la satisfaction
232
Psychopathologie et réalités externes traumatiques ■ Chapitre 4
Peu de paroles aussi semble-t-il dans ce foyer, excepté les crises de colère et les
cris du père à l’occasion de ses états d’ivresse. On comprend mieux alors que les
attentions du corps médical à son endroit retiennent, par contraste, considérable-
ment l’attention de Monsieur Some ; il trouve sans doute là, dans cette seconde
famille (mère-médecine), les moyens de panser des plaies infantiles, de combler des
carences affectives, de soigner le défaut fondamental (Balint). Sa famille, dit-il (on
pense surtout à sa mère ici), elle a fait comme elle a pu pour lui et ses frères et sœurs.
Cette phrase dénote-t-elle chez le patient un travail d’élaboration et d’intégration
de ses vécus infantiles où n’est-ce point davantage une tentative de maintenir dans
l’ombre, dans l’inconscient, ce qui s’y trouve justement stocké, voire demeure sans
traitement représentatif ? C’est plutôt cette seconde option que l’on retiendra ici.
En effet on a remarqué que le patient ne pouvait pas exprimer ouvertement ses
pulsions agressives à l’égard de l’objet, qu’il s’agisse des dirigeants de son entreprise
qui laissent ses cadres dans le flou, ou d’un milieu parental absent, inaffectif, parfois
même violent (crises du père en état d’ivresse). Quel est alors chez Monsieur Some
le traitement de ses pulsions agressives, leur destin ?
233
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Mais l’effet de cette violence paternelle sur le patient ou plutôt les angoisses
en résultant ne peuvent se comprendre sans résonance avec une plus primitive
violence. S’agit-il de la « violence fondamentale » décrite par Bergeret (1984),
laquelle renvoie au fantasme archaïque selon lequel la survie de l’un passe par la
destruction de l’autre ? N’est-ce pas cette terreur primitive d’avoir à tuer ou inver-
sement d’être tué par l’objet qui ronge Monsieur Some du fond de ses entrailles ?
À moins qu’il ne s’agisse de la terreur d’être, de rester fusionné, collusionné avec
l’objet primitif, autrement dit l’angoisse d’« un corps pour deux » (McDougall).
Ainsi, des angoisses oro-anales de vidage, voire d’éviscération pourraient sous-
tendre les hémorragies anales du patient et plus encore émailler sa personnalité
sur le plan psychologique. Ce qui nous ramène à l’hystérie archaïque décrite par
McDougall. Celle-ci désigne justement ainsi une problématique psychique dans
laquelle il existe des brèches de l’identité primaire, une mauvaise différenciation
entre soi et l’autre et surtout ces angoisses d’être envahi par l’autre et la peur de
perdre son intégrité. C’est un enjeu vital, le droit à exister, bien davantage que le
droit à obtenir des satisfactions libidinales qui domine dans ce type d’organisation
hystérique archaïque, contrairement à l’hystérie névrotique. Chez Monsieur Some,
c’est bien cette angoisse de mort, cette idée de perdre la vie (« Que va-t-il advenir
de notre peau ? » a-t-il lâché, avant de réprimer toute autre manifestation psychique
et affective) qui se trouve réveillée, activée depuis la perte, la séparation d’avec
ses précédents employeurs. On se souvient aussi de l’eczéma infantile du patient,
qu’on est tenté d’interpréter comme le signe d’un contact peau à peau par trop
rapproché entre sujet et objet ; la pathologie dermatologique aurait alors eu pour
fonction sur le plan psychique d’introduire précocement une limite protectrice,
sorte de seconde peau, entre soi et l’autre. Cet eczéma avait d’ailleurs disparu chez
le patient juste après son départ du domicile familial.
234
Psychopathologie et réalités externes traumatiques ■ Chapitre 4
dans son entier). Le transfert est non pas duel mais triangulé en somme par l’ins-
titution médicale.
235
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Bibliographie conseillée
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Psychopathologie de l’expérience du Payot.
corps, Paris, Dunod.
236
Psychopathologie et réalités externes traumatiques ■ Chapitre 4
3. D
ouleur et rémanence d’un trauma sexuel infantile :
Christiane
237
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
La pesanteur des vécus physiques douloureux qui sont les siens contraste forte-
ment avec la présentation physique de Christiane : il s’agit en effet d’une jeune
femme frêle, fluette, à la peau diaphane. Christiane de son côté se décrit comme
transparente, absente aux yeux des autres.
Dans les séances suivantes, Christiane a tout de même été amenée à préciser son
histoire familiale. Elle décrit d’un côté un père attentionné mais trop absent et de
l’autre une « mère folle », dont il lui faut aujourd’hui se tenir à distance.
238
Psychopathologie et réalités externes traumatiques ■ Chapitre 4
Dans le discours de la patiente, cette mère apparaît en effet tantôt comme enva-
hissante (capable de téléphoner à sa fille plusieurs fois par jour et même par nuit
quand elle est en proie à ses propres angoisses et délires), tantôt comme complè-
tement absente, disparaissant brutalement et ne se préoccupant alors plus de rien
ni de personne.
239
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Le jour de cette séance, Christiane revient donc de sa propre initiative à cette scène
infantile mais à peine y a-t-elle fait allusion qu’elle fait volte-face, se bloque, ne veut,
ne peut en dire davantage. Elle est mal, elle a mal, elle frissonne. Peu à peu, au cours
de cette séance et de nombreuses autres ainsi qu’avec le soutien de sa psychothéra-
peute, elle parviendra à retrouver et à nommer plus encore ce que jusqu’alors, de son
histoire, et de cette histoire-ci en particulier, elle avait exclu d’elle.
Parler de cette scène infantile est douloureux pour Christiane à plus d’un titre.
240
Psychopathologie et réalités externes traumatiques ■ Chapitre 4
En parler « pour de vrai », comme elle dit, c’est raviver cette scène à son esprit,
et donc son vécu, proscrit jusqu’alors, c’est activer celui-ci. Et s’il n’est pas simple
d’en parler, c’est notamment parce que Christiane a ressenti – tel est ce qui sera
progressivement (re)constitué dans la thérapie – un mélange de plaisir et d’hor-
reur. Du « plaisir », oui, enfin à certains égards, car quelqu’un, un adulte, s’est enfin
occupé d’elle ; il s’est intéressé à elle, s’est penché sur elle – certes d’un peu trop
près et abusivement donc. De l’horreur, car elle n’a sur le moment pas compris ce
qui se passait sinon vaguement. Lors de cette séance thérapeutique précisément,
Christiane peut alors dire la chose suivante : les doigts de cet homme sur son corps
et sur son sexe de fillette, elle sait maintenant, elle le ressent, elle se souvient, c’était
douloureux, ça lui faisait mal alors.
Mais cette réalité indicible jusqu’alors de l’abus sexuel douloureux était encore
horrible pour Christiane parce qu’elle cachait une autre réalité, autant sinon plus
douloureuse encore pour elle, et contre laquelle elle s’évertuait à lutter depuis
toujours (donc aussi depuis le début de la thérapie), à savoir le manque d’atten-
tion parentale sinon les carences et négligences parentales auxquelles elle avait
été précocement exposée. Ce que la thérapie permettra notamment encore de
dévoiler et de travailler.
1. À la différence du cas d’Olga cependant, chez laquelle c’est le clinicien qui (re)construit
l’hypothèse d’un traumatisme de nature sexuelle – l’inceste paternel (compte tenu des secrets
et non-dits qui existent au sein du groupe familial) – lors de l’adolescence de la patiente, dans
le cas de Christiane, l’expérience sexuelle traumatique survenue, elle, dans l’enfance (les attou-
chements sexuels subis) est nommée (très succinctement au demeurant) par Christiane avant
que d’être immédiatement délaissée ou plutôt mêlée indifféremment à tout un tas d’autres
événements listés par la patiente comme sources de son mal-être. Comme on le verra pourtant,
bien que verbalisé, cet événement traumatique n’est nullement intégré dans la vie psychique de
la patiente, du moins certains de ses aspects ont vraisemblablement fait l’objet de forclusion,
de clivage et de répression.
241
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
242
Psychopathologie et réalités externes traumatiques ■ Chapitre 4
(comme la question de la douleur, par exemple) ne sont pas sans faire penser chez
Christiane à des manifestations alexithymiques ; mais cela co-existe ou alterne
avec des manifestations authentiquement psychopathologiques (dépression,
angoisses, hypocondrie) et aussi avec des modalités psychiques plus souples, de
type névrotique, qui permettent d’engager un travail d’élaboration psychique avec
la patiente. À cet égard, le cas de Christiane montre là encore les limites de la
théorisation psychosomatique de P. Marty, par exemple, pour lequel le désordre
somatique s’accompagne toujours d’une vie opératoire. À cet égard encore, ce
cas conforte les assertions du psychanalyste C. Dejours (2002) soutenant la
coexistence d’enjeux psychiques distincts et variés (ici dépression, angoisses et
hypocondrie, par exemple) chez un même sujet.
Cette problématique identitaire primitive peut (voire doit) sans doute être reliée
aux conditions d’instabilité et d’insécurité dans lesquelles se sont vraisemblable-
ment déroulés le développement psychoaffectif de Christiane et la construction
de son appareil psychique (et avec lui celle de son moi). Au regard des vécus et
des informations délivrées par la patiente sur son histoire de vie avec ses parents,
243
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
En effet, durant sa première année de vie, on apprend que sa mère fut hospita-
lisée en psychiatrie pour des troubles graves de nature schizophrénique, qu’elle
a également présentés à d’autres moments du développement de Christiane –
mère qui continue souvent d’envahir l’espace psychique de sa fille adulte. Cette
mère a-t-elle été déstabilisée, éprouvée sur le plan psychique par la naissance de
Christiane, son premier enfant, ou présentait-elle déjà avant des signes avant-
coureurs de schizophrénie ? Celle-ci était-elle alors discrète, ou compensée par
certains éléments de la réalité (comme la relation à son mari) ? Qu’est-ce que
cette maternité et cette naissance ont pu (ré)activer chez la mère de Christiane,
sachant combien l’accès à la maternité/parentalité constitue pour tout parent une
transformation de son identité, une expérience qui réactive au passage des traces
de sa propre relation mère-enfant, jusqu’à faire émerger parfois les aléas et les
souffrances inhérents à cette relation primaire ? Nous ne saurions le dire préci-
sément ici. L’idée de psychose puerpérale maternelle semble toutefois pouvoir
être écartée (faute d’éléments anamnestiques plus précis mais surtout compte
tenu de la récurrence et de la persistance des troubles psychiatriques de la mère
de Christiane au fil des ans).
244
Psychopathologie et réalités externes traumatiques ■ Chapitre 4
245
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
Enfin, ont lieu les attouchements sexuels à l’âge de 8-9 ans : il s’agit ici d’un
nouveau trauma, à caractère sexuel cette fois, mais l’enfant qu’est alors Christiane
ne dispose pas d’une maturité suffisante (sur les plans génital comme psychique)
pour intégrer cette expérience, qui plus est abusive et transgressive. On pensera
bien sûr à la « confusion des langues » exposée par S. Ferenczi (1932) qui s’est
réalisée ici : l’adulte propose un langage sexuel à l’enfant qui, lui (elle ici), est
davantage à la recherche du langage de la tendresse – Christiane en effet est
sensible à cette présence d’un adulte auprès d’elle et, ce, compte tenu de ses
manques et besoins affectifs insatisfaits. Tel est d’ailleurs ce qui explique, pour
Christiane, l’impensable de cette expérience, et donc son caractère traumatique,
mais traumatique d’une nature autre que celle de sa dimension d’effraction
sexuelle manifeste. Christiane mettra en effet un certain temps dans la thérapie
(plus de deux ans) avant de pouvoir commencer à parler (non sans mal) de cette
expérience, à en retrouver les traces. D’abord parce qu’il lui faut mettre des mots
sur un vécu étrange, complexe, paradoxal (plaisir et horreur simultanés), autre-
ment dit il lui faut extraire cette expérience enfouie – clivée1 – en elle, en son
1. Une part d’elle sait qu’elle a vécu cette situation, une autre partie de son moi en a fait l’éco-
nomie, c’est-à-dire n’a pu la mettre en représentations et en affects. C’est ce que le travail de la
psychothérapie lui permettra justement.
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Psychopathologie et réalités externes traumatiques ■ Chapitre 4
3.2.4 A
pproche psychodynamique
des douleurs et maux physiques
247
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
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Psychopathologie et réalités externes traumatiques ■ Chapitre 4
1. Mais cette sexualité n’était pas source de jouissance, comme cela l’est chez le sujet masochiste
membre d’un couple pervers sexuel.
249
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
La psychothérapie semble très bien investie par Christiane, la relation placée sous
le signe d’une bonne alliance thérapeutique, et le transfert est nettement positif.
Christiane trouve auprès de la psychologue-psychothérapeute un tenant lieu d’objet
primaire, maternel surtout, présent, étayant, rassurant, fiable. Christiane trouve
auprès d’elle une présence chaleureuse qui contraste avec (et renouvelle de ce fait
aussi) ses expériences et vécus infantiles. L’atteste ce qu’elle exprime à propos
du bureau où les séances ont lieu. Christiane se montre très sensible à la chaleur
ressentie, qu’il s’agisse de la température mais plus encore de l’atmosphère de la
pièce, qu’elle décrit maintes fois comme « habitée, chaleureuse, et dans laquelle elle
se sent bien », phrase qu’on entend en contrepoint des différents logements occupés
jadis avec ses parents, décrits eux comme froids, austères, vétustes – entendons
peut-être aussi sans vie.
250
Psychopathologie et réalités externes traumatiques ■ Chapitre 4
Bibliographie conseillée
Baste N. (2004). Aide-mémoire en sophro- Dejours C. (2002). « Le corps comme
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251
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
252
Conclusion
Comme indiqué dès l’introduction, ce recueil de cas cliniques s’est efforcé de
donner un aperçu de nombreuses formes de la souffrance subjective ordinaire-
ment rencontrées par les cliniciens – psychologues et/ou psychiatres. Bien qu’il
existe indubitablement d’autres formes, mineures, majeures, ou très complexes,
et bien qu’en dernier ressort la souffrance s’avère et demeure éminemment
singulière, au-delà de toute expertise sémiologique, diagnostique, structurale,
voire psychanalytique destinée à en rendre compte. La clinique, et la clinique
psychopathologique, est et reste, à chaque fois et à chaque rencontre, de l’ordre
de l’inédit et de l’inattendu. Aussi, un tel ouvrage consacré à la clinique ne saurait
appeler à une conclusion, aussi ouverte soit-elle.
Nous nous contenterons donc d’indiquer qu’en aucun cas cet ouvrage ne
peut se substituer, dans la formation estudiantine et/ou professionnalisante, à
la formation théorique et plus encore à la pratique, soit la rencontre avec l’autre
en souffrance, rencontre éminemment singulière. L’expérience clinique propre
est, comme chacun le sait, irremplaçable. Tout au plus ce recueil peut-il donc
constituer un temps, dans un parcours de formation, voire de professionnali-
sation, un outil, l’apprentissage d’une méthode, tout du moins les bases et les
incontournables de la méthode clinique d’appréhension de la psychopathologie.
Celle-ci peut se résumer de la manière suivante : au-delà de la symptomatologie
manifeste présentée par le sujet (qu’il importe a minima de repérer) mais afin de
la comprendre, il importe au psychopathologue-clinicien de se pencher sur les
modalités d’organisation de la personnalité et de fonctionnement psychique du
sujet, en regard de sa psychogenèse. Néanmoins, c’est essentiellement l’analyse
des conditions et modalités intersubjectives de la rencontre clinique qui orien-
tera et guidera le clinicien tant dans la compréhension psychodynamique des
souffrances affectives du patient que dans la conduite de la relation (psycho-)
thérapeutique avec lui.
Enfin, au-delà de l’intérêt formateur de ces études cliniques sur le plan indivi-
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
255
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
1. Fédida exprimait cette idée à propos de la dépression, mais nous pouvons évidemment l’envi-
sager plus largement, c’est-à-dire pour toute autre forme de souffrance psychique.
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265
Index des notions
A – d’abandon 153
abandon 134, 240 – de castration 47, 49, 59, 60, 74,
abus sexuels 238, 245 145, 152, 171, 172, 183
accès maniaque 74, 190 – de mort 172, 222, 234
actualité 14 angoisses 237, 243
adolescence 70, 91, 106, 111, 126, 135, angoisses
154, 201, 202, 203, 243 – archaïques 156, 219, 236
affect 62, 85, 92, 107, 113, 129, 155, 167, – de la séparation 245
183, 227, 228, 230, 235 – de morcellement 192, 204
agir 15, 35, 59, 73, 87, 92, 100, 108, 112, – de perte 100, 108, 156
158, 166, 171, 221, 233, 234 – de perte d’objet 74, 134
– sexuel 48, 57, 172 – de séparation et d’abandon 243
agirs somatiques 99 – de séparation-individuation 112
agirs violents 126 – d’intrusion-persécution 184
agonies primitives 203, 218 anorexie mentale 15
agressions 245 antipsychiatrie 23
agressivité 93 antœdipienne 170, 172
– orale 75, 79 appareil psychique familial 223
aire transitionnelle 25 après-coup 202
alliance thérapeutique 250 archaïque 27, 35, 74, 108, 110, 128, 161,
altérité 203, 222 166, 172, 183, 202, 206, 227, 234, 235
ambivalence 167, 179, 190, 200 attouchements sexuels 240, 246
– amour/haine 180 autisme 31
aménagement pervers 135, 148 autoaccusation 86, 91
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267
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
C D
ça 47, 170, 205 décompensation 26, 27, 33, 87, 97, 100,
carences 241 198, 199, 200, 201, 207, 229, 231
– narcissiques 71 dédoublement des imagos 90
castration 58, 60, 171 défaut d’accordage 217
– narcissique 90 défenses 35, 251
causalité circulaire 96 défi 181
classification 23, 29 délire 142, 144, 168, 171, 174, 180, 189,
200, 205
clivage 26, 73, 88, 135, 140, 142, 144,
146, 191, 247, 251 – de persécution 198
– de l’objet 204 – mystique 173
complément phallique 169 demande 51, 125, 157, 158, 209, 223,
235, 255
complexe de la mère morte 99
dénégation 60, 70, 73
complexe œdipien 58
déni 23, 28, 108, 126, 128, 129, 133, 134,
compulsion 87
144, 167, 169, 171, 173, 174, 183, 185,
– de répétition 19, 51, 88 204, 205, 218, 247, 251
conduites alimentaires 168 dépendance 70, 88, 93, 130, 132, 133,
conflit 25, 35, 41, 45, 47, 84, 169, 201 147, 154, 184, 192, 206, 219, 231
– ça/surmoi 49 – affective 243
– œdipien 78 dépersonnalisation 199, 201
confusion 221 déplacement 45, 47, 49, 60, 109
consultation psychologique 21 dépression 14, 26, 27, 69, 85, 89, 90,
contre-transfert 23, 32, 76, 132, 154, 96, 100, 148, 243
207, 237 – de type mélancoliforme 86
contrôle 129, 155, 156, 179 – de type mélancolique 86
conversion 43, 45, 47, 90, 100, 143, 227 – masquée 96
– des affects 49 déréalisation 44, 201
création 137, 140, 143 désir homosexuel 182
crise 51, 169, 173, 192 désir œdipien 70, 202
– adolescente 28 désirs incestueux 100
crises d’angoisse 237 désirs sexuels 47
culpabilité 41, 46, 61, 107, 126, 136, 143, désorganisation 76, 129, 134, 166, 169,
182 195, 198, 231, 233
culture 41 destructivité 15, 79
cure 28 détachement 42, 86, 168, 200, 207
268
Index des notions
269
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
H individuation 217
hallucinations 42, 44, 46, 50, 200 infantile 14
harcèlement 245 intellectualisation 60, 126, 129, 179
histoire intergénérationnelle 87 interactions précoces 244
homosexualité 141, 142, 143, 144, 172 interdit 135
honte 73, 107, 219, 221 interprétations 19
hyperactivité 107 introjection du mauvais objet 90
hypertrophie du moi 180 intrusion 110
hypocondriaques 242 isolation 60
hypocondrie 90, 243
K
hystérie 39, 44, 56, 234
kleptomanes 43
– archaïque 227, 230, 234
L
I
latence 59, 73
idéal du moi 70, 73
libido 106, 109
idéalisation 128, 129, 146
lien à l’objet 92, 192
identification 146, 171, 232
lien d’attachement 248
– narcissique 91, 232
limite 127, 140, 144, 169, 170, 242
– projective 133, 134, 235
loi 133, 170, 171, 181
– secondaire 72
identité 203 M
– masculine 59 maîtrise 72
– primaire 72, 111, 234 – du lien 130
– psychosexuelle 56 maladie somatique 245, 247
– sexuelle 111, 140 maltraitances 240
imago 50, 77, 113, 128, 133, 154, 170, 172 manifestations 243
immaturité affective 70, 73, 154 manque d’affects 86
impénétrabilité 167, 168 masculin 56, 60, 88
inceste 61, 221 masculinité 59
incestuel 170, 202, 221 masochisme érogène 249
inconscient 27, 28, 47, 233 mauvais objet 184, 205
– amential 233, 247 mécanismes 42, 156
indifférenciation 192, 203, 206 – de défense 25, 49
indistinction moi/non-moi 111 méfiance 180
270
Index des notions
271
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
psychodynamique 20 – triangulaire 49
relation dyadique 78
psychogenèse 26, 79, 91, 184
relation objectale 153
psychogénétique 20
renversement passif-actif 155, 182
psychopathie 125
répétition 92, 205, 249
psychose 25, 27, 34, 69, 130, 140, 141,
148, 163, 166, 188, 194, 205, 219 répétitions agies 90
272
Index des notions
S tendances suicidaires 86
sadisme 79 tiers 203
scénario pervers 145 – séparateur 77
schizophrénie 31, 168, 188, 190, 193, topique 20, 25, 28, 47, 204, 205
198, 201, 206, 244 – du clivage 28
séduction 43, 48, 49, 61, 126, 131, 132, toute-impuissance 135
194
toute-puissance 156, 168, 180, 206
– narcissique 135, 202, 203
traces 242
sémiologie 22, 23, 24, 30, 230
transfert 19, 28, 32, 50, 51, 62, 75, 76,
sentiment d’étrangeté 72 92, 113, 147, 184, 209, 235, 250
séparation 78, 97, 130, 157 transgénérationnel 110
séparation-différenciation 217 transgression 141, 144, 171, 221
séparation-individuation 77, 242 trauma 88, 247
sex-addict 240 – sexuel 241
sexualité 48 traumatique 215, 220
– génitale 25, 49, 58, 68, 69, 71, 91
traumatisme 87, 90, 100, 202, 245
soi grandiose 26
– primaire précoce 241
somatisation 28
– psychique primaire 244, 246
sophrologie 251
triangulation 58, 77
structuration 15, 26, 27
troubles des conduites alimentaires
structure 28, 29, 34 106
– mentale 25 troubles obsessionnels 181
subjectivation 15 troubles somatiques 45, 85, 89, 96,
sublimation 73, 140, 198, 205 106, 143, 227, 237
subversion libidinale 233
suicide 222
V
vide 72, 110, 113, 193, 203, 218
surmoi 47, 61
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T
TAT 127, 128
tendances sadomasochistes 153
273
Index des noms propres
A Carton S. 102
Andréas-Salomé L. 60 Célérier M.C. 113, 143, 232, 236
André J. 52, 53, 80, 111 Célestin-Lhopiteau I. 251
Ansermet F. 33 Chabert C. 102, 137, 209
Anzieu D. 222 Chahraoui K. 251
Aulagnier P. 148, 209 Chartier J.-P. 29, 174
Azoulay C. 209 Ciccone A. 28, 80, 159, 223
Clérambault de G. 210
B
Cohen de Lara A. 62
Balier C. 131, 135, 136
Corcos M. 102, 114
Balint M. 192, 233
Cournut J. 112
Baste N. 251
Couvreur C. 62, 114
Bateson G. 209
Crocq L. 229
Beauchesne H. 30
Bergeret J. 25, 27, 80, 93, 94, 102, 172, D
174, 175, 234, 242, 251 David 98
Besson J. 195 Dayan M. 174
Bion W. 236 Debray R. 231, 236
Bioy A. 251 Decherf G. 223
Birraux A. 52 de Clérambault G. 200
Bonnet G. 148 Dejours C. 28, 100, 102, 233, 236, 243,
Bouvet M. 25, 56, 57, 62 247, 251
Brelet-Foulard F. 102 de M’Uzan M. 98, 228
Breuer J. 52 Denis 52
Dolto F. 19
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275
16 cas cliniques en psychopathologie de l’adulte
F K
Fain M. 28, 98 Kaës R. 220, 223
Faure-Pragier S. 148 Kernberg O. 26, 80, 137
Fédida P. 90, 102, 236, 256 Kestemberg E. 159
Fénichel 172 Khan M. 132, 137, 148
Ferenczi S. 246 Klein M. 79, 80
Ferragut E. 252 Kristeva J. 93
Ferrant 28, 80
L
Fine A. 114
Lacan J. 145, 170, 186, 206
Flament M. 114
Laing R. 23
Freud S. 25, 52, 56, 57, 59, 62, 91, 93,
Lanouzière J. 52
140, 142, 148, 152, 186, 201, 210, 229
Laplanche J. 15
G Le Poulichet S. 252
Garrabe J. 195 L’Heureux-Le-Beuf D. 249
Gillibert J. 195
Gimenez G. 174
M
Magistretti P. 33
Godfrind J. 28, 209
Mahler M.S. 223
Gortais J. 209
Marinov V. 62, 114
Green A. 52, 80, 93, 99, 113
Marty F. 90, 98, 100, 228, 230, 231,
Grivois H. 174
236, 252
Grunberger B. 25, 159
Marty P. 242, 243
H McDougall J. 90, 114, 148, 227, 234, 237,
Harrus-Revidi G. 52 256
Hochmann J. 210 Ménéchal J. 52, 55, 57, 62
Houser M. 242, 251 Mijolla-Mellor S. 186
Hurni M. 159 N
I Neau F. 159
Igoin L. 114 P
Ionescu E. 24, 30 Palo Alto 192
J Pankow G. 174, 195, 223, 224
Janin C. 252 Parat C. 228
Jeammet P. 114, 153, 159, 209 Pedinielli J.-L. 148, 174
276
Index des noms propres
277