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ISBN : 9782100812325
www.dunod.com
Dunod Editeur
11 rue Paul Bert, 92240 Malakoff
Introduction 9
10 Accompagnement psychologique
des expériences exceptionnelles 311
Tradition clinique dans le champ
des expériences exceptionnelles 312
Naissance d’un dispositif :
le service de consultation de CIRCEE 318
Positionnement clinique et connaissances « de base »
321
Psychothérapie psychodynamique
des expériences exceptionnelles 332
Remerciements 361
Bibliographie 369
Introduction
« Il ne semble plus possible de rejeter l’étude de ce qu’on appelle les faits occultes,
ces choses qui prétendent cautionner l’existence réelle de puissances psychiques
autres que l’âme des hommes et des animaux que nous connaissons, ou qui
dévoilent des capacités jusqu’ici insoupçonnées en cette âme. L’attrait de cette
recherche semble être d’une force irrésistible. »
Sigmund Freud, Psychanalyse et télépathie
Notes
1. Traduction de l’auteur. Il en sera de même pour les nombreuses
citations provenant d’écrits en anglais.
Prolégomènes à l’étude
clinique
des expériences exceptionnelle
s
« Je pense qu’il est important de faire preuve d’audace lorsque l’on s’attaque à des
problèmes difficiles, tout spécialement à ceux qui apparaissent initialement confus et
non structurés. On ne devrait pas être effrayé de tenter de nouvelles aventures,
comme changer de domaine ou bien travailler à l’interface de disciplines différentes,
car c’est aux frontières que l’on trouve certains des problèmes les plus
intéressants. »
Eric Kandel, À la recherche de la mémoire
DÉFINIR L’EXCEPTIONNEL
Les termes pour désigner les expériences exceptionnelles sont
nombreux et un même auteur choisit parfois de changer de terme ou
de faire évoluer celui qu’il utilisait initialement. Il existe par
conséquent une pluralité de vocables et de définitions associés à
ces expériences et une première particularité d’ordre étymologique
concerne le simple fait de les nommer. Cela témoigne de la difficulté
à catégoriser et intégrer ces expériences dans nos modèles de
pensée comme nous le verrons au chapitre suivant.
Pour le grand public, elles sont souvent considérées comme
appartenant au champ global du « paranormal » (Wallon, 1999). Le
Petit Larousse dit de celui-ci qu’il concerne « des phénomènes en
marge de la normalité ». Le paranormal serait donc un domaine dont
les contours se dessinent en négatif par rapport à la normalité. Il se
situe « à côté » du normal, à la différence du surnaturel qui
échapperait aux lois de la nature. On remarquera cependant que le
normal est lui-même un concept à géométrie variable selon les
époques, les sociétés et les cultures. Celles-ci tentent en effet de
« normaliser » le réel, de le faire rentrer dans des catégories
heuristiques, rassurantes et utiles, permettant de distinguer ce qui
« existe » de ce qui n’existe pas selon une logique essentiellement
pragmatique. Dans la culture occidentale, la pensée scientifique
(Chalmers, 1987) – influencée en particulier par le matérialisme et le
réductionnisme – a pris une place prédominante dans ce travail de
catégorisation du réel1. Notre culture produit ainsi une dichotomie
entre le normal-scientifique et le paranormal-non scientifique. De ce
point de vue, le paranormal est souvent considéré comme ce qui
serait donc non scientifique ou pseudo-scientifique (Charpak &
Broch, 2002). Il est alors réduit aux registres de l’illusion, de la
croyance, de l’irrationnel et de la folie. Certains revendiquent au
contraire l’existence et l’accès à un paranormal relevant de l’indicible
et du mystère en tant que part du réel inatteignable par
l’investigation scientifique.
Ces représentations caricaturales sont réductrices et peu
heuristiques car elles tendent à déterminer d’emblée que ces
expériences seraient opposées ou inaccessibles à la démarche
scientifique. Elles correspondent en outre à une vision du
paranormal floue et mouvante qui entrave la possibilité de définir
rigoureusement cet objet d’étude. Le risque est ainsi de faire
perdurer une forme de clivage de ces expériences en les situant
hors de la norme ou de ce qui serait considéré comme appartenant
à la normalité. Une partie des recherches anglo-saxonnes a
néanmoins fait le choix de reprendre ces termes d’expériences
paranormales (paranormal experiences) et de croyances au
paranormal (paranormal beliefs). Plusieurs questionnaires largement
utilisés portent ainsi sur ces croyances, en particulier la Paranormal
Belief Scale (Tobacyk & Milford, 1983) et l’Australian Sheep-Goat
Scale (Thalbourne & Delin, 1993)2. D’autres auteurs ont proposé
d’insister sur le caractère subjectif de ces expériences avec le terme
d’« expériences paranormales subjectives » (subjective paranormal
experiences) (Neppe, 1980) dont l’usage est resté cependant limitée
(Ruttenberg, 2000).
Une autre expression utilisée fréquemment dans la littérature est
celle de facteur « psi » proposée par le psychologue Robert
Thouless (1942) en référence à la vingt-troisième lettre de l’alphabet
grec (ψ) qui symbolise l’inconnu. Thouless distingue plus
précisément le « psi gamma » pour les processus perceptifs
(perceptions extra-sensorielles) et le « psi kappa » concernant les
processus projectifs (psychokinèse). Ce terme a pour avantage de
désigner ces expériences sans préjuger de leur nature sur le plan
théorique. Nous l’avons repris pour une catégorie d’expériences
exceptionnelles, les perceptions psi, car il semble moins connoté
que celui de perceptions extra-sensorielles3. Dans le même ordre
d’idée, le psychologue Keith Harary (1986) a proposé le terme
d’« expérience psi apparente » (apparent psi experience) avant de
privilégier l’expression d’« expérience psi rapportée » (reported psi
experience) (Harary, 1989).
Dans le champ psychanalytique, le paranormal a souvent été
désigné par les termes d’« occulte » ou d’« occultisme » dans la
continuité des écrits freudiens sur ce sujet (Freud, 1936 ; Moreau,
1976). Les chercheurs en sciences psychiques du début du XXe
siècle se référaient également à une possible « psychologie
occulte » (Richet, 1922) tandis que d’autres termes de cette époque
ont eu des destins variables comme celui d’expériences
« noétiques » (William James, 1902)4. Plus récemment, Charles Tart
(2000) a pour sa part largement utilisé le terme d’expériences
« transpersonnelles » tandis que le psychiatre Stanislas Grof (1989)
parle d’expériences ou d’émergences « psycho-spirituelles ». Nous
trouvons également l'expression d’expériences « extraordinaires »
sous la plume de David Helminiak (1984) et John Mack (1994)
tandis que la littérature new-age a recours à diverses appellations
telles que expériences « parapsychiques », « transcendantales » ou
« ésotériques ».
Au cours des années 1980, le terme d’« expérience anomale »
(anomalous experience) fait son apparition, dans un ouvrage de
Graham Reed (1988) qui porte sur un abord essentiellement cognitif
de ces expériences. À la même époque, Sybo Schouten (1986)
propose d’appeler « expérience anomale » toute expérience
humaine interprétée de façon paranormale. Ce terme sera repris
dans le Varieties of anomalous expériences (2000), ouvrage de
référence publié par l’American Psychological Association dont les
auteurs définissent une expérience anomale comme :
« Une expérience inhabituelle (par exemple, la synesthésie) ou une expérience, qui
bien qu’elle puisse être vécue par une part substantielle de la population (par
exemple, les expériences interprétées comme étant télépathiques), est perçue
comme déviant des expériences ordinaires et des explications classiques de la
réalité » (p. 4).
PHÉNOMÉNOLOGIE ET CLASSIFICATION
Cette diversité dans les termes utilisés pour désigner les
expériences exceptionnelles se retrouve dans les différentes
manières de décrire leur phénoménologie et de les catégoriser.
Nous proposons tout d’abord de dégager six critères qui
caractérisent les expériences exceptionnelles et justifient de les
désigner en tant qu’entité « clinique »8 à part entière :
1. interactions supposées non ordinaires avec l’environnement ;
2. caractéristiques phénoménologiques spécifiques ;
3. caractère marquant et parfois traumatique de l’expérience ;
4. interprétations et croyances spécifiques qui leur sont liées ;
5. dimension transculturelle9 ;
6. effets potentiellement transformateurs sur le corps et la psyché.
Plusieurs classifications ont été proposées pour rendre compte de
cette phénoménologie depuis les premiers travaux menés par les
sociétés de recherche psychique à la fin du XIXe siècle. Il s’agit en
particulier des recherches de Gurney, Myers et Podmore (1886) en
Angleterre, de Louisa Rhine (1963) aux États-Unis et de Sannwald
(1963) en Allemagne. Gurney et ses collègues (1886) ont analysé
les réponses de 5705 personnes concernant des expériences
exceptionnelles tandis que Rhine et Sannwald ont évalué
respectivement 1073 et 1000 cas. Les résultats de Gurney et al. ont
été publiés dans Phantasms of the Living (1886), le mot phantasm
faisant référence à « toutes les catégories de cas où il y a une raison
de supposer que l’esprit d’un être humain a affecté l’esprit d’un
autre, sans l’utilisation du discours, l’écriture de mots, ou de signes
fabriqués ; par affecté de la sorte, nous entendons par aucun autre
moyen que ceux reconnus comme reposant sur les canaux
sensoriels » (p. 7). La classification proposée dans de ce premier
recueil de cas spontanés est la suivante : (1) transferts de pensée,
(2) expériences motrices et émotionnelles, (3) rêves, (4) cas limites
entre l’état vigile et le sommeil, (5) expériences visuelles, auditives
et multisensorielles, (6) cas réciproques et enfin (7) expériences
impliquant plusieurs personnes.
Après la Seconde Guerre mondiale, Louisa Rhine (1953) étudie un
peu plus de 1000 récits d’expériences exceptionnelles relevant
essentiellement du champ des perceptions psi. Elle repère la
précognition comme étant l’expérience la plus commune, suivie de la
télépathie puis de la clairvoyance. Rhine décrit également un certain
nombre de leftover cases habituellement rapportés à la suite du
décès d’un proche10. Rhine organise ses cas en quatre catégories :
(1) expériences intuitives associées à un sentiment inhabituel lié à
un événement en train de se produire ou qui se produira ensuite
(26 %), (2) hallucinations pour lesquelles une stimulation sensorielle
semble indépendante d’un stimulus externe (9 %), (3) rêves réalistes
(44 %) et enfin (4) rêves non réalistes dans lesquels le message
semble déformé (21 %). Cette classification porte donc
essentiellement sur l’état de conscience dans lequel se trouve le
sujet lors de l’expérience. Dix ans plus tard, en Allemagne,
Sannwald (1963) mène également une large étude portant sur les
cas spontanés comparant en particulier la proportion de cas de
précognition (52 %) et de télépathie (48 %).
Ces études réalisées à partir de récits d’expériences exceptionnelles
ont néanmoins pour défaut de ne pas rendre compte de l’ensemble
de la population puisqu’elles concernent un échantillon sélectionné.
Des travaux davantage représentatifs ont donc été menés
ultérieurement, portant souvent sur les croyances au paranormal et
utilisant généralement la Paranormal Belief Scale (Tobacyk &
Milford, 1983) ainsi que l’Australian Sheep-Goat Scale (Thalbourne
& Delin, 1993)11. D’autres échelles concernant plus spécifiquement
les expériences en elles-mêmes ont également été développées et
utilisées comme l’Anomalous Experiences Inventory (Gallagher,
Kumar & Pekala, 1994)12. Parmi les nombreuses études sur cette
thématique, nous pouvons relever en particulier celles de Palmer
(1979), Blackmore (1984), Haraldsson (1985), Ross et Joshi (1992)
ainsi que le sondage Gallup et Newport de 1991.
Les auteurs du Varieties of Anomalous Experience (Cardeña et al.,
2000) catégorisent quant à eux ces expériences en fonction de leur
contexte (niveau de conscience, volonté et contrôle du sujet) et de
leur phénoménologie (aspect hédonique, qualités physiques,
dimensions sensorielles, corporelles et transformationnelles). Une
autre grille de lecture a été proposée par Berenbaum, Kerns et
Raghavan (2000) qui distinguent trois paramètres : (1) les
perceptions sensorielles inhabituelles (auditives, visuelles, tactiles,
olfactives et kinesthésiques) ; (2) les expériences exceptionnelles
(somme de l’ensemble de l’expérience phénoménologique vécue) ;
(3) la croyance au paranormal (interprétation paranormale de
l’expérience). Ces trois paramètres peuvent varier d’une personne à
l’autre (par exemple : perceptions inhabituelles sans expérience
exceptionnelle ou croyance associée ; croyance à une expérience
sans perceptions inhabituelles ou phénoménologie d’une expérience
exceptionnelle).
Des classifications ont également été développées à partir de
populations rencontrées par l’intermédiaire de services de
consultation spécialisés dans le champ des expériences
exceptionnelles. À l’IGPP13, Wolfgang Fach et ses collègues (2013)
ont proposé un modèle reprenant la théorie des représentations
mentales de Thomas Metzinger (2004) selon lequel l’esprit génère
un modèle de réalité au sein duquel sont distingués le modèle de soi
et le modèle du monde. Les expériences exceptionnelles sont
considérées comme des particularités de ces deux modèles donnant
lieu respectivement à des phénomènes internes et des phénomènes
externes. Deux autres catégories d’expériences proviennent de
phénomènes de dissociation ou, à l’inverse, de coïncidence entre
ces deux modèles. Par exemple, une expérience de sortie hors du
corps sera pensée comme étant le fruit d’une dissociation entre le
modèle de soi et le modèle du monde. À l’inverse, une coïncidence
sera considérée comme la connexion exceptionnelle du monde
interne et du monde externe14.
À partir de données collectées à l’IGPP auprès de plusieurs milliers
de personnes, Fach et ses collègues ont pu montrer que l’on peut
classer de manière empirique les expériences exceptionnelles selon
ces quatre facteurs de base (interne, externe, dissociation,
coïncidence). Six sous-classes d’expérience (clusters) peuvent être
repérées ainsi que leur fréquence à partir de ces facteurs :
1. perceptions extra-sensorielles ;
2. coïncidences significatives ;
3. poltergeist et apparitions ;
4. paralysie du sommeil et cauchemars ;
5. automatisme et médiumnité ;
6. présence interne et influence.
Classification des expériences exceptionnelles selon
Wolfgang Fach
à partir du modèle de Thomas Metzinger.
CARACTÉRISTIQUES PRINCIPALES
Nous allons à présent décrire brièvement chacune de ces
expériences ainsi que leurs caractéristiques principales19 :
Perceptions psi : impression réaliste d’avoir accès à des
informations selon des modalités sensorielles inexpliquées pour le
sujet. On différencie habituellement trois sous-catégories :
télépathie (échange direct entre deux personnes), clairvoyance
(description d’un événement à distance) et précognition
(description d’un événement futur)20. Un distinguo est possible
entre perceptions psi de la vie quotidienne et perceptions psi de
crise. Les premières renvoient à des expériences ponctuelles et
anodines comme l’impression d’anticiper l’appel téléphonique
d’un proche (Sheldrake, 2000). Les secondes se produisent
souvent lorsque le sujet ou l’un de ses proches est en grande
difficulté. Il décrit alors des sensations (visuelles, auditives,
kinesthésiques) qu’il relie à cet événement de diverses manières
(message, appel à l’aide, rêve prémonitoire, etc.). Cette forme
d’expérience est souvent très marquante. Classiquement, les
perceptions psi les plus intenses se produisent au cours des
rêves ou lors d’états modifiés de conscience. Elles sont jugées
positives lorsque la personne a le sentiment de pouvoir utiliser
ces perceptions. A l’inverse, elles sont considérées comme
négatives quand elles deviennent envahissantes et source
d’anxiété ou de culpabilité. Elles ont fait l’objet d’analyses à partir
de cas spontanés dans les sociétés de recherche psychique
avant d’être étudiées en conditions expérimentales (Coulombe,
2003 ; Evrard, 2010 ; Cardeña, 2018). Sur le plan clinique, elles
sont notamment utiles pour comprendre les formes primaires de
l’intersubjectivité (Widlöcher, 1996, 2004).
Expériences de vision et d’apparition : perception, le plus souvent
visuelle, en l’absence manifeste d’un stimulus externe et dont la
nature paraît particulièrement réaliste et signifiante pour le sujet.
On distingue habituellement les expériences d’apparition ou de
vision qui se déroulent de façon récurrente dans un même endroit
et qui sont souvent interprétées comme une forme de hantise ou
de mémoire des lieux (Catala, 2004). Il arrive également que
plusieurs personnes décrivent la même apparition, ce qui rend les
dynamiques psychologiques à son origine plus complexes qu’une
« simple » hallucination intrapsychique. Ces expériences peuvent
s’avérer fréquentes chez certains sujets (par exemple,
l’impression de voir des personnes décédées) tandis que pour
d’autres l’expérience est ponctuelle. Les apparitions et les visions
sont parfois traumatisantes du fait de l’effroi et de la crainte
qu’elles peuvent susciter. Elles sont étudiées du point de vue des
travaux portant sur les hallucinations au sein de populations non
psychotiques (Bentall, 1990) et questionnent les modèles de
l’hallucinatoire, notamment sur le plan structural (Maleval, 1981).
Expériences de sortie hors du corps : elles correspondent à « un
état modifié de conscience où le sujet ressent son esprit comme
étant séparé de son corps physique mais de façon plus vraie
qu’un rêve » (Le Maléfan, 2005, p. 519). Ce vécu émerge
habituellement lors d’un stress intense (hyperstimulation) ou à
l’inverse du fait d’un profond état de relaxation (hypostimulation).
L’impression très réaliste d’être situé hors de son corps survient
alors en étant associée à une phénoménologie sensorielle
spécifique (audition de bruits, vécus kinesthésiques particuliers,
etc.). L’aspect le plus étonnant, voire perturbant pour les sujets,
est souvent la conviction d’avoir eu accès à des informations
véridiques durant l’expérience (Tart, 1967, 1968). Si l’expérience
peut survenir de manière spontanée, il arrive également que
certaines personnes aient la capacité, partielle ou totale, de
contrôler son émergence et son déroulement. Ces expériences
ont notamment été abordées du point de vue de la notion
« schizotypie saine » (happy schizotypy) (McCreery & Claridge,
2002), car les personnes qui rapportent des sorties hors du corps
ont souvent une santé mentale de meilleure « qualité » que la
population générale. Quant aux neurosciences cognitives, elles
ont pu mettre en évidence, depuis une dizaine d’années, leurs
corrélats neurologiques dans le but de mieux comprendre le
sentiment d’incarnation corporelle (Blanke & Dieguez, 2009).
Expériences de mort imminente (EMI) : il s’agit d’un « état de
conscience particulier qui se produit pendant une période
imminente ou effective de mort physique, psychologique ou
émotionnelle » (Van Lommel et al., 2001, p. 42). Elles se
produisent souvent pendant ou à la suite d’un coma ou d’un arrêt
cardiaque. Des critères phénoménologiques spécifiques peuvent
être dégagés21 : passage dans un tunnel, lumière, rencontre avec
des « êtres », sentiment de bonheur, revue de vie, etc. Les
expériences de mort imminente sont généralement des
expériences positives – hormis les cas dits d’EMI négatives
(Rommer, 2000) – qui peuvent cependant s’avérer déstabilisantes
quand elles sont mal intégrées. Largement diffusées auprès du
grand public par les travaux du médecin Raymond Moody (1977),
elles sont souvent interprétées comme une preuve de la « vie
après la vie » et induisent fréquemment de potentiels effets de
transformation psychique (Van Lommel, 2012).
Expériences médiumniques : expériences spontanées ou
provoquées impliquant la communication supposée avec des
défunts. Diverses techniques ont pour objectif d’initier ces
communications comme le « Oui-Ja » (lors duquel plusieurs
personnes posent le doigt sur un verre qui se déplace de lettre en
lettre), l’écriture automatique et l’incorporation (ainsi que sa
version plus moderne, le « channeling »). Ces expériences sont
généralement provoquées volontairement, le plus souvent en
groupe, mais il peut arriver qu’elles se produisent de façon
inopinée. Il existe en France différents organismes qui se réfèrent
aux doctrines spirites qui sont également très développées dans
certains pays comme le Brésil (Aubrée & Laplantine, 1990). Ces
expériences, que l’on retrouve souvent à l’adolescence comme
une forme de rite initiatique (Coulombe, 2003 ; Evrard, 2010)
peuvent s’avérer très perturbantes. Sur le plan intrapsychique,
elles interrogent en particulier les processus relevant de la
transmission psychique inconsciente et sa dimension
transgénérationnelle (Kaës et al., 1993).
HYPOTHÈSES GÉNÉRALISTES
▶ Déficit cognitif, marginalité sociale et vision du
monde
Nous allons à présent dégager plusieurs hypothèses que l’on
pourrait qualifier de « généralistes » et qui ont orienté les travaux
menés sur les expériences et les croyances au paranormal. Ceux-ci
sont le fruit d’une approche essentiellement empirique utilisant des
questionnaires afin de dégager des corrélations entre traits
psychologiques et expériences exceptionnelles. Ils portent tout
d’abord sur le champ cognitif. Par exemple, The psychology of
anomalous experiences (Reed, 1988) analyse ces expériences sur
le plan de l’attention, de l’imagerie, de la mémoire et du flux de
conscience. Nous pouvons également mentionner l’ouvrage de
Léonard Zusne et Warren Jones (1989), Anomalistic psychology, qui
traite plus spécifiquement des sources cognitives de la pensée
magique. Enfin, Thomas Gilovich (1991) a discuté plus largement
d’aspects cognitifs, motivationnels et sociaux relatifs aux croyances
et aux expériences anomales. Parmi les hypothèses présentées
dans ces ouvrages, on remarque tout d’abord celle du « déficit
cognitif » de James Alcock (1981), également appelée hypothèse de
la « mauvaise attribution » (misattribution hypothesis) (Wiseman &
Watt, 2006). Les expériences paranormales sont alors conçues
comme la conséquence de biais cognitifs et d’une intelligence en
dessous de la moyenne ou d’une éducation insuffisante, en
particulier sur le plan du raisonnement scientifique. Si certaines
données semblent étayer l’hypothèse du déficit cognitif, d’autres, au
contraire, la contredisent. Par exemple, la corrélation entre quotient
intellectuel et croyance au paranormal est positive et la relation entre
pensée critique et croyance au paranormal est l’objet de résultats
hétérogènes (Hergovich & Arendasy, 2005). En outre, plusieurs
études montrent que des personnes avec des formations
scientifiques de haut niveau rapportent fréquemment de telles
expériences (Wahbeh, Radin, Mossbridge, Vieten & Delorme, 2018).
Une autre hypothèse, celle « de la marginalité sociale » (marginality
hypothesis) a également pour but d’expliquer pourquoi certaines
personnes rapportent de telles expériences (Bainbridge, 1978).
Cette hypothèse suppose que le sujet en situation de marginalité
sociale recherche une forme de reconnaissance par le biais du
paranormal, ce qui le conduit à interpréter d’une manière originale
certaines expériences inhabituelles. Selon cette hypothèse, nous
devrions trouver des corrélations entre certaines variables qui
témoignent de cette marginalité (comme l’âge, le genre ou le statut
économique), or les résultats en ce domaine demeurent également
très disparates (Irwin, 2009). On observe ainsi que certaines
populations manifestent des croyances aux expériences
exceptionnelles sans être en situation de marginalité.
D’autres travaux supposent que les personnes qui vivent de telles
expériences développent une vision particulière du monde
(worldview hypothesis) fondée sur un attrait marqué pour
l’ésotérisme (Zusne & Jones, 1989). Il en découle des croyances qui
pourraient se substituer en partie aux fonctions dévolues
antérieurement aux croyances religieuses. Un trait cognitif est
associé en particulier à cette hypothèse, le « lieu de contrôle »
(locus of control) qui fait référence au degré de contrôle sur sa vie
(Randall & Desrosiers, 1980). Les croyants au paranormal ont
habituellement un centre de contrôle davantage externalisé ce qui
signifie qu’ils se considèrent plus vulnérables à des facteurs
indépendants de leur volonté (Dag, 1999). Ils auront par conséquent
tendance à interpréter différents événements de leur vie comme la
conséquence d’un destin sur lequel ils n’ont guère de prise.
Ces hypothèses mettent en exergue les multiples facettes des
expériences exceptionnelles et des croyances qui leur sont liées.
Néanmoins, elles se heurtent au caractère idiosyncrasique de ces
vécus qui rend difficile leur généralisation. De plus, les études par
questionnaires ne permettent guère une lecture aussi fine que les
données cliniques. Ainsi, l’approche que nous proposons dans cet
ouvrage se veut complémentaire car elle met au travail les
tendances soulignées par la recherche empirique et les confronte à
la réalité clinique. Nos réflexions reposent ainsi essentiellement sur
des études de cas (single case studies) et s’inscrivent dans le
courant actuellement en plein développement des preuves fondées
sur la pratique (practice-based evidence) (Levy, Ablon & Kächele,
2011).
Notes
1. Voir à ce propos les réflexions de l’historien et ethnologue Ernesto
de Martino (1948) qui considère que les expériences exceptionnelles
sont davantage intégrées dans d’autres cultures. Elles feraient un
retour dans la culture occidentale selon un clivage induit par une
représentation de la réalité orientée par la technique et la science.
19. Notre objectif n’est pas ici d’être exhaustif et notre lecteur voudra
bien nous pardonner si nous en restons à une description très
partielle de ces expériences. Il trouvera pour chacune d’elle des
descriptions plus précises, ainsi que des cas cliniques, dans la suite
de l’ouvrage.
32. Les résultats de ces travaux (de même que dans de nombreuses
disciplines scientifiques) utilisent habituellement deux indicateurs sur
le plan statistique : la valeur de p et la taille d’effet. La valeur de p
(valeur de probabilité, en anglais p-value) représente la probabilité
d’obtenir un résultat par rapport au hasard lors de l’utilisation d’un
test statistique. Le seuil de significativité utilisé habituellement est de
0.05 ou 0.01. Dans les publications, la valeur de p sera par exemple
indiquée ainsi : p < 0.05. Dans ce cas, cela signifie qu’il y a moins
d’une chance sur vingt (1/20 = 0.05) que le résultat statistique
obtenu soit dû au hasard et on conclura donc qu'un effet a été mis
en évidence. La valeur de p tend néanmoins à être moins utilisée
actuellement, car elle a pour défaut d’être dépendante du nombre de
sujets participant à une étude (plus ce nombre est faible et plus il est
difficile d’obtenir des résultats significatifs). Par conséquent, un autre
indicateur, la taille d’effet (souvent indiquée r dans les publications)
est utilisée pour préciser la force de l’effet mesuré. Il existe plusieurs
types de calculs statistiques pour mesurer la taille d’effet, mais celle-
ci se situe le plus souvent entre 0 (aucun effet) et 1 (effet important).
33. Des protocoles ont également été menés par Rhine pour tester
expérimentalement l’influence de l’esprit sur la matière
(psychokinèse). Ces travaux ont été perfectionnés depuis en utilisant
des générateurs de nombres aléatoires (Radin, 2018). Une méta-
analyse sur ce sujet, portant sur 380 études, a été publiée dans le
Psychological Bulletin (Bösch, Steinkamp & Boller, 2006 ; Radin,
Nelson, Dobyns & Houtkooper, 2006)
34. Une méta-analyse (Child, 1985) met ainsi en évidence que, dans
les recherches menées de 1966 à 1973, 450 sessions ont été
conduites, menant à un taux de réussite de 63 % (au lieu d’un taux
de 50 % attendu selon le hasard). Plus récemment, Simon
Sherwood et Chris Roe (2003) ont proposé une méta-analyse
proposant une prise en compte des études du même type jusqu’en
2004. Sur un total de 49 expériences et 1270 essais, le taux de
succès est de 59,1 % au lieu des 50 % attendus par le simple fait du
hasard. Une telle augmentation a une chance sur 22 milliards d’être
due au hasard selon Sherwood et Roe.
Les expériences
exceptionnelles
à travers l’histoire
des pratiques cliniques
« Je ne suis pas de ceux qui désapprouvent a priori l’étude des phénomènes
psychologiques soi-disant occultes comme étant non scientifiques, sans intérêt ou
même dangereux. Si j’étais au début de ma carrière scientifique, plutôt qu’à la fin de
celle-ci, comme maintenant, peut-être que je ne choisirais pas un autre champ de
travail, malgré ses difficultés. »
Sigmund Freud, Lettre adressée à Hereward Carrington, le 24 juillet 1921
SPIRITISME ET HYPNOTISME
Outre le magnétisme animal et le somnambulisme artificiel, le
spiritisme est l’un des courants que l’on peut situer en amont de la
clinique des expériences exceptionnelles. Le mouvement spirite
prend naissance en 1847, à Hydesville, dans l’état de New York.
Deux jeunes filles, Margaret et Kate Fox, âgées respectivement de
12 et 15 ans, rapportent de mystérieux coups frappés dans les murs
de leur maison. Il ne peut s’agir selon elles que des manifestations
d’une entité intelligente. Elles décident alors de tenter de
communiquer avec cette entité en frappant à leur tour dans les
cloisons de la maison par le biais d’un code alphabétique
rudimentaire inspiré du Morse créé à la même époque. C’est ainsi
qu’elles « apprennent » que cet esprit serait en réalité un colporteur
décédé, assassiné et enterré dans la cave de leur maison6.
Cette pratique se dissémine ensuite aux États-Unis et en Europe,
donnant lieu aux fameuses séances de « tables tournantes » qui font
sensation dans les cercles aristocratiques. À Paris, le
développement du spiritisme est tel qu’il devient quasiment une
forme de religion à part entière ayant pour référence les écrits
d’Hippolyte Léon Rivail (1804-1869), plus connu sous le nom d’Allan
Kardec, du nom d’un druide dont il pensait être la réincarnation.
Allan Kardec publie, en 1857, Le Livre des Esprits, dans lequel le
spiritisme est présenté comme un ensemble de techniques visant à
entrer en communication avec les défunts. Durant les séances
spirites, le plus souvent de groupe, le médium, par le biais de
procédés favorisant l’« incorporation »7, prête son corps à un esprit.
Dans cet état particulier, il peut réaliser différentes productions par
écriture automatique. Le spiritisme a fait l’objet d’un regain d’intérêt
après chacune des deux guerres mondiales, car de nombreuses
familles tentèrent alors de rentrer en contact avec les proches
disparus au front (Laufer, 2007). Le spiritisme et la médiumnité
seront également au centre de débats pour la psychiatrie naissante,
comme le montrent les travaux de Pascal Le Maléfan (2000) sur les
liens entre folie et spiritisme. Le spiritisme intéresse également des
scientifiques renommés à la fin du XIXe siècle, notamment le célèbre
physicien William Crookes. Celui-ci teste, dès 1870, plusieurs
médiums tels que Daniel Dunglas Home et Florence Cook8. Ces
recherches donnent naissance à de fortes controverses, dont la
prégnance et l’intensité s’estompent progressivement au cours de la
première partie du XXe siècle (Méheust, 1999)9. De même que le
magnétisme animal, le spiritisme a cependant laissé des traces dans
notre société contemporaine prenant la forme de nombreuses
œuvres de fiction et certaines pratiques comme le « Oui-Ja »
(Evrard, 2010a) ou ses expressions modernes comme la
« transcommunication instrumentale » (TCI)10.
Si le spiritisme a connu un large développement au début du XXe
siècle, le magnétisme est pour sa part tombé dans une relative
désuétude après les rapports de l’Académie des sciences
discréditant les pratiques de Mesmer. Cependant, certains médecins
continuèrent à s’y intéresser comme le chirurgien écossais James
Braid (1795-1860), qui, lors d’une expérience menée avec le
magnétiseur français Charles Lafontaine, découvre que le sommeil
ainsi induit peut l’être autrement que par des passes : il suffit de
demander au sujet de fixer un objet brillant. Braid reprend le terme
d’« hypnose » (du grec húpnos qui signifie sommeil), en 1843, pour
désigner cet état comme l’avait fait, dès 1819, le baron Etienne Felix
d’Hénin de Cuvillers. En s’émancipant des théorisations fluidiques et
en rendant plus neutre la relation entre l’hypnotiseur et l’hypnotisé,
Braid participe ainsi à l’intégration partielle et progressive d’une
partie de la phénoménologie du magnétisme animal dans les milieux
médicaux.
C’est ensuite le médecin français Auguste Ambroise Liébeault
(1823-1904) qui utilise l’hypnose, vers 1860, avec ses patients à
Nancy. Malgré les critiques de ses confrères, il continue de
prodiguer des soins hypnotiques et publie même à compte d’auteur,
en 1866, Du sommeil et des états analogues. Il insiste sur
l’importance du « rapport » entre le patient et le médecin ainsi que
sur l’utilisation des suggestions post-hypnotiques. La persévérance
de Liébeault est payante : après presque vingt années de pratique, il
attire l’attention du professeur de médecine Hippolyte Bernheim
(1840-1919) qui vient le consulter pour des problèmes de dos
en 1882. Bernheim apprend les techniques hypnotiques et n’aura de
cesse de défendre Liébeault. Pour ces médecins, qui seront les fers
de lance de l’école de Nancy, le phénomène central, véritable
moteur de l’hypnose, est la suggestion. À la même époque, Jean-
Martin Charcot (1825-1893), neurologue réputé, propose à
l’Académie des sciences une communication Sur les divers états
nerveux déterminés par l’hypnotisation chez les hystériques (1882).
Il décrit dans le détail les phases de la « Grande Hystérie » et ce qui
la distingue de l’épilepsie. Il participe ainsi à l’intérêt pour l’hypnose
dans le monde médical mais au prix d’une certaine pathologisation,
point de désaccord avec les tenants de l’École de Nancy qui
considèrent que le sommeil hypnotique n’est pas pathologique en
lui-même (Gay, 2005). Cette logique de pathologisation des états
modifiés de conscience s’étendra ensuite, tout au long du XXe siècle,
à l’ensemble du champ du paranormal et des expériences
exceptionnelles11.
Les phénomènes étudiés par les quatre grands courants que nous
venons d’évoquer (magnétisme, somnambulisme, spiritisme et
hypnotisme) participèrent au développement ultérieur des
psychothérapies. À mesure que celles-ci ont précisé la nature de
leurs pratiques, une partie de la phénoménologie décrite par ces
différents courants est devenue une forme d’anomalie au sein des
connaissances scientifiques de l’époque (Evrard & Ouellet, 2019).
Ce « merveilleux psychique » (Pierssens, 1993 ; Plas, 2000) est
néanmoins demeuré l’objet de la « recherche psychique », née à la
fin du XIXe siècle, représentée en particulier par trois sociétés
savantes : la Society for Psychical Research (SPR), créée en 1882 à
Londres, l’American Society for Psychical Research (ASPR), en
1885 à New York et l’Institut Métapsychique International (IMI),
en 1919 à Paris12. Il est difficile de se rendre compte aujourd’hui de
l’incroyable engouement suscité à l’époque par cette thématique
(Méheust, 1999) : William James (1972), Charles Richet (1923),
Pierre et Marie Curie, Henri Bergson (1932), Edouard Branly ou
encore Camille Flammarion comptent, avec un certain nombre de
membres de l’Académie de médecine, de l’Académie des sciences
et d’hommes politiques de premier plan, parmi les figures
prestigieuses qui participent aux activités de ces sociétés.
Ces chercheurs souhaitent étudier la nature ontologique de ces
expériences en se démarquant des dérives idéologiques du
spiritisme et de l’occultisme. Ces expériences appartiennent alors
encore au champ de la psychologie et font l’objet de nombreuses
publications. Régine Plas (2000) note ainsi que pratiquement tous
les premiers psychologues « ont été, de près ou de loin, impliqués
dans des recherches qui seraient, de nos jours, exclues du champ
de la psychologie et renvoyées à la parapsychologie comme, par
exemple, l’étude de ces phénomènes que l’on appelle actuellement
perception extra-sensorielle ou télépathie » (p. 11). Ces chercheurs
ont réuni un important corpus de données souvent considéré comme
une forme d’errance préscientifique de la psychologie comme le note
à nouveau Régine Plas : « les recherches des premiers
psychologues, qui côtoyaient les frontières de l’occultisme sans
toutefois les franchir, sont le plus souvent oubliées, voire déniées par
leurs successeurs. Elles sont, au mieux, considérées comme une
maladie infantile de la psychologie » (p. 12). Ces travaux ont
pourtant abouti à des avancées scientifiques majeures, comme, par
exemple, l’introduction du calcul des probabilités par Charles Richet
pour analyser les résultats d’expériences de clairvoyance (Hacking,
1988) ou l’invention de l’électro‑encéphalogramme par Hans Berger
dans le but d’étudier la télépathie (Millett, 2001). La genèse de la
psychologie moderne provient donc en partie des courants menés
dans le champ de la recherche psychique comme en témoigne la
toute première Revue de psychologie expérimentale fondée par le
docteur Timothée Puel, dont les deux tiers furent consacrés à cette
approche (Evrard & Pratte, 2017). Les revues de ces sociétés
fourmillent en outre de comptes-rendus d’une grande finesse qui
représentent aussi les premiers linéaments d’une clinique des
expériences exceptionnelles.
Nous allons aborder à présent plus en détail le développement de
chacune de ces sociétés, la nature de leurs travaux ainsi que
certaines de leurs figures les plus marquantes. La Society for
Psychical Research (SPR), tout d’abord, est le premier organisme à
avoir étudié spécifiquement les expériences que l’on qualifie
aujourd’hui d’exceptionnelles. Elle est créée à Londres, en 1882, par
Frederic Myers, philosophe et psychologue, Henri Sidgwick,
philosophe au Trinity College de Cambridge et le spécialiste de
l’hypnose Edmund Gurney. Leur objectif, précisé en préambule des
Proceedings de la société, est d’« étudier de nombreux phénomènes
controversés sans préjugé ou prédisposition d’aucune sorte et dans
le même esprit d’exactitude et d’objectivité qui a permis à la science
de résoudre de si nombreux problèmes ». Ainsi, si Vienne est le
berceau de la psychanalyse, Cambridge apparaît comme celui de la
recherche psychique, la SPR étant essentiellement composée
d’intellectuels faisant partie de la haute société britannique. L’un des
ouvrages fondateurs de la SPR, qui émerge de ce bain culturel, est
Phantasms of the Living de Gurney, Myers et Podmore, publié
en 1886. Il décrit l’analyse de témoignages de télépathie spontanés
collectés durant quatre années. Les auteurs remarquent que ces
expériences se produisent essentiellement dans des situations de
détresse psychologique (accident, décès, etc.). Sidgwick, Johnson,
Myers et Podmore publient ensuite, en 1894, le Report on the
census of hallucinations, une vaste analyse de près de 1700
témoignages obtenus en réponse à la question suivante : « Avez-
vous déjà eu une impression réaliste de voir, d’être touché, ou
d’entendre une voix, impression ne semblant pas avoir pour origine
une cause externe à partir de ce que vous avez observé ? ». Une
personne sur dix répond par l’affirmative et les réponses sont
catégorisées selon qu’elles correspondent à des hallucinations, des
perceptions ordinaires des sens, des rêves ou des imageries
eidétiques. L’analyse de ces témoignages met ainsi en évidence un
fait essentiel dès la fin du XIXe siècle : une part importante de la
population – environ 10 % – rapporte des vécus inhabituels sans
pour autant souffrir de troubles psychologiques manifestes. Dès lors,
comment les psychologues doivent-ils considérer ces expériences ?
Frédéric Myers (1843-1901) poursuit ensuite ses recherches en
proposant la notion de « Moi subliminal » qu’il considère comme un
Moi inconscient susceptible de faire irruption dans les états modifiés
de conscience comme le rêve et la transe. Ce Moi aurait des
capacités plus vastes que le Moi conscient – le « Moi supraluminal »
– comme il l’explique dans Human Personality and Its Survival of
Bodily Death (1903). Myers propose donc, à la même époque que
Freud ou Janet, une lecture du psychisme fondée sur ses
potentialités inconscientes, mais il insiste davantage sur les
capacités créatrices de l’inconscient. On lui doit également le terme
de télépathie. Les membres de la SPR s’intéressent en effet aux
phénomènes de lucidité magnétique décrits par Puységur. Ils
travaillent en conditions expérimentales avec des médiums en état
de transe et des médiums dits « lucides ». Par exemple, Mrs Curran
vit un cycle étonnant dans lequel elle prétend s’appeler Patience
Worth et être née en 1649 dans le Dorsetshire. Elle écrit ainsi un
poème de 270 pages, intitulé Telka, rédigé dans un dialecte anglais
datant du XVIIe siècle et dicté sous écriture automatique en moins de
trente-quatre heures ! Quant à Mrs Willette, juge de paix du
Glamorganshire, elle pense être en contact avec des êtres
désincarnés dont elle retranscrit, par écriture automatique, les
consignes et commentaires. Ces différentes formes de médiumnité
mettent en évidence dès cette époque le fonctionnement inconscient
et parallèle de processus psychiques d’une grande complexité qui
transcendent les capacités habituelles de la conscience. Par
exemple, certains médiums apparaissent en mesure d’écrire
simultanément avec leurs deux mains des textes différents tout en
tenant une conversation normale (Marx, 2006).
Henri Bergson (1859-1941) sera également l’un des « compagnons
de route » de la SPR et en fut même président en 1913. Cet intérêt
de Bergson s’insère au sein de ses théories philosophiques selon
lesquelles la vie est pensée comme un « élan » ou un « courant »
qui traverse et structure la matière pour donner naissance aux
formes du vivant. Il suppose également, à partir du même principe,
un débordement du mental sur le cérébral. Dans cette perspective,
nombre de phénomènes observés par les membres de la SPR
mettent selon lui en évidence les aspects les plus extrêmes de cette
influence de la pensée sur la matière. Son discours d’investiture à la
présidence de la SPR, prononcé le 28 mai 1913, représente encore
aujourd’hui un concentré d’intelligence et de perspicacité considéré
par Bertrand Méheust comme le « discours de la méthode des
sciences psychiques ». On retrouve la clarté et la précision du style
de Bergson – qui lui vaudra le prix Nobel de Littérature en 1927 –
mais aussi et surtout, une analyse détaillée des difficultés
épistémologiques associées aux phénomènes étudiés par la SPR.
LE DISCOURS D’HENRI BERGSON (1913) À LA
PRÉSIDENCE DE LA SPR :
FANTÔMES DE VIVANTS ET RECHERCHE PSYCHIQUE
Bergson décrit tout d’abord ce que la recherche psychique pourrait apporter de « vérité
positive ». Il se réfère de ce point de vue aux « hallucinations véridiques », ces
apparitions « d’un malade ou d’un mourant à un parent ou à un ami qui demeure très
lointain ». Bergson détaille alors la méthode utilisée par les membres de la SPR pour
le recueil de ces récits, mélange de l’approche du juge d’instruction et de celle de
l’historien. Il étudie de quelle manière un seul cas de ces hallucinations télépathiques,
pour peu qu’il soit détaillé et précis sur le plan qualitatif, met en échec toute analyse
statistique et peut emporter la conviction. Cette même démarche sera d’ailleurs
défendue à l’Académie des sciences par Charles Richet. Mais Bergson remarque
également à quel point ces phénomènes demeurent suspects pour l’entendement tant
leur mise en évidence est délicate dans le cadre du laboratoire. Que faire de
phénomènes dont la nature même semble inapte à être reproduite en un milieu
aseptisé ? Car paradoxalement, c’est bien à un « dédain du concret » que pourrait
conduire une approche scientifique prête à « mutiler » le réel de crainte de voir celui-ci
mettre à mal les logiques mêmes de ses représentations.
Bergson propose alors un détour vers les fondements de la pensée scientifique, dont
l’origine est à rechercher en Grèce, par le biais de la mesure et des mathématiques. Il
évoque au passage les rapports de l’esprit et du cerveau, reprenant ses thèses
habituelles selon lesquelles le parallélisme entre production psychique et substrat
neuronal ne lui paraît guère tenable compte tenu des faits scientifiques dont il dispose.
Pour Bergson, le cerveau ne conserve pas les représentations et les images du passé,
il a surtout pour fonction un « mécanisme de rappel ». Ainsi, « les phénomènes
cérébraux sont à la vie mentale ce que les gestes du chef d’orchestre sont à la
symphonie ». Le philosophe évoque les expériences de mort imminente – qui ne sont
pas alors dénommées ainsi – et les revues de vie qui les caractérisent pour étayer
l’hypothèse selon laquelle le passé « tout entier » est accessible lors d’états
spécifiques. Il s’appuie en particulier sur le concept de monade de Leibniz pour qui
l’esprit porte en lui les représentations conscientes et inconscientes de la totalité du
réel. Dans les phénomènes de télépathie, cette même relation au monde opérerait du
fait d’une levée de l’inhibition habituelle de la relation entre les êtres (une
« intercommunication ») conduisant la conscience à « déborder » les limites étroites de
l’organisme biologique.
Bergson se permet enfin une rêverie dans laquelle la société aurait privilégié l’étude de
l’esprit sur celle de la matière en tenant compte des faits rapportés par les membres de
la SPR. Une science de l’esprit aurait ainsi pu voir le jour, science qui nous paraîtrait
probablement difficilement compréhensible, de la même manière que les profondes
découvertes des sciences de la matière nous seraient alors tout à fait énigmatiques.
Mais Bergson demeure lucide : « on ne lâche pas la proie pour ce qui n’est peut-être
qu’une ombre ». En définitive, la précision de la mesure, la rigueur de la démarche et
le souci de la preuve qui caractérisent la pensée scientifique permettent de distinguer
« le plausible de ce qui doit être accepté de façon définitive ». Il s’agit alors peut-être
d’une étape nécessaire favorisant l’avènement de cette science de l’esprit dont il rêvait
et qu’il a tenté de promouvoir par cette présidence et, plus largement, par l’ensemble
de ses réflexions philosophiques.
À noter que Freud fut lui aussi membre de la SPR, dès 1911, et ce
jusqu’à sa mort. Il mentionne dans son article « Rêve et télépathie »
(1922) qu’il dispose de la revue Proceedings de la société anglaise
et de son équivalent américain. Myers sera d’ailleurs l’un des
premiers à faire connaître Freud en Angleterre par des articles
publiés dans les Proceedings et, comme nous le verrons dans le
chapitre suivant, ses recherches eurent un impact sur le
développement de la psychanalyse13. La SPR existe encore
aujourd’hui et regroupe, comme à l’époque, des universitaires et des
intellectuels britanniques travaillant dans le champ de la psychologie
anomalistique, la parapsychologie et la clinique des expériences
exceptionnelles.
Les recherches menées à la SPR ont également été développées
par son équivalent américain, l’American Society for Psychical
Research (ASPR), créée en 1884 aux États-Unis par le Dr Richard
Hodgson (1855-1905) de l’Université de Cambridge. Elle est tout
d’abord une branche de la SPR avant de gagner son indépendance
en 1905 sous la conduite du professeur de logique et d’éthique
James Hyslop. Des philosophes et psychologues, comme William
James ou Gardner Murphy, en sont membres. L’ASPR recueille des
témoignages et des observations cliniques et met en place des
expérimentations avec de nombreux médiums. La plus célèbre est
probablement Leonora Piper, qui développe des expériences
médiumniques – après un traumatisme crânien – qui se traduisent
par le fait que des « esprits » empruntent son corps, en particulier un
supposé médecin français, le Dr Jean Phinuit. Elle est l’une des
médiums qui fut la plus étudiée, notamment par William James et
Richard Hodgson, et les procès-verbaux de ces séances
médiumniques sont consignés dans pas moins de 25 volumes des
Proceedings de l’ASPR ! Après la mort de Hodgson, en 1905,
William James effectue soixante-neuf séances au cours desquelles il
est intrigué par une Mrs Piper censée être « contrôlée » par
Hodgson, ce sur quoi James proposera plusieurs explications par
l’analyse des processus inconscients (Trochu, 2019). L’ASPR
engendra une tradition de pensée centrée sur les expériences
exceptionnelles à l’Université d’Harvard qui s’est exportée à
l’Université de Duke, sous l’influence du professeur de psychologie
William McDougall (1871-1938). Celui-ci sera l’initiateur des travaux
de parapsychologie développés ensuite par Joseph Banks Rhine
(1966). Des recherches sur les expériences exceptionnelles sont
encore menées à Harvard par l’équipe de Richard McNally (Clancy
et al., 2002) et, plus récemment, un protocole portant sur la
précognition fut réalisé par le laboratoire de Stephen Kossslyn
(2008).
La France crée ensuite à son tour, en 1919, une fondation reconnue
d’utilité publique, l’Institut Métapsychique International, pour fédérer
les recherches en ce domaine. L’IMI se veut l’équivalent
francophone de la SPR et a pour ambition de rassembler, au-delà de
l’Hexagone, les travaux de la recherche psychique au niveau
international14. Fondé par le médecin italien et ancien Directeur
général de la Santé publique dans son pays, Rocco Santoliquido,
Gustave Geley et un mécène spirite, Jean Meyer, l’IMI s’installe
dans un hôtel particulier à Paris avenue Niel. D’autres intellectuels et
chercheurs illustres comme Flammarion et Bergson suivent de près
les travaux de l’Institut. Celui-ci connaît une intense activité sous
l’impulsion de son premier directeur, le docteur Gustave Geley, qui
publie dans La revue métapsychique les comptes-rendus de ses
recherches avec des médiums15.
L’Institut métapsychique est également largement influencé par les
travaux de Charles Richet, qui en est le président d’honneur à sa
création, puis qui en sera président de 1930 à 193516. Professeur de
physiologie, inventeur de la sérothérapie, membre de l’Académie de
médecine et de l’Académie des sciences, prix Nobel de médecine en
1913 pour sa découverte du choc anaphylactique, Richet (1933) est
un personnage étonnant doté d’une capacité de travail hors du
commun17. Il considère que les expériences occultes doivent être
étudiées scientifiquement et propose en 1905 le terme de
métapsychique pour désigner ce domaine d’investigation18 :
« La métapsychique est une science qui a pour objet l’étude des phénomènes
mécaniques ou physiologiques dus à des forces qui semblent intelligentes, ou à des
puissances latentes de l’intelligence humaine » (Richet, 1933, p. 41).
Notes
1. Nous ne pourrons, dans le cadre de ce travail, que reprendre les
points saillants de ce trajet historique. Nous renvoyons en particulier
le lecteur aux travaux de Jean Laplanche (1987), Jacqueline Carroy
(1991), René Roussillon (1992), Henri Ellenberger (1994), Bertrand
Méheust (1999), Djohar Si Ahmed (2006) et Renaud Evrard (2014,
2016) qui méritent d’être consultés dans le détail pour mesurer
l’ampleur et les conséquences de cette perspective historique.
11. Même l’hypnose semble être restée pour certains cliniciens une
pratique obscure et douteuse. La raison en est probablement qu’au-
delà de son efficacité thérapeutique, notamment pour les troubles
psychosomatiques (Flammer & Assen, 2007), ses principes sur le
plan neurologique demeurent relativement mystérieux, malgré le
développement récent de recherches neuroscientifiques sur ce sujet
(Kosslyn, Thompson, Costantini-Ferrando, Alpert & Spiegel, 2000).
Depuis maintenant quelques années, on observe néanmoins
clairement un regain d’intérêt et d’ouverture envers l’hypnose et plus
largement envers les états modifiés de conscience.
19. De ce point de vue, Sudre (1956) anticipe les travaux portant sur
les processus de personnification au sein du champ analytique
décrits notamment par Antonio Ferro (2015). Ce phénomène se
donne aussi à voir à l’extrême dans les personnalités multiples ainsi
que dans « l’objectivation des types » sous hypnose décrite
auparavant par Richet (1923).
INTERSUBJECTIVITÉ PRÉCOCE
ET EXPÉRIENCES EXCEPTIONNELLES
La problématique du regard est très présente dans les œuvres de fiction ayant trait au
paranormal comme l’illustre en particulier le film The Ring. Celui-ci est tiré d’un roman,
Ringu, écrit par Kôji Suzuki, auteur prolifique considéré comme le « Stephen King
japonais ». En 1998, une première adaptation au cinéma, Ring, réalisée par Hideo
Nakata, rencontre un tel succès au Japon qu’une adaptation américaine, The Ring, est
réalisée par Gore Verbinski en 2002. Séduit par celle-ci, Hideo Nakata en fait la suite
en 2005, intitulée The Ring II. Ces deux versions ont rencontré un vif succès, non
seulement auprès du grand public, mais aussi de la critique. Dans les deux films, l’un
des aspects particulièrement angoissants provient de la vision des visages des
victimes, retrouvés déformés par l’effroi et que l’on entrevoit une fraction de seconde.
Ces visages au teint bleuté et aux yeux blancs évoquent en effet une grande terreur.
Dans la semaine qui précède leur décès, ceux qui ont visionné une cassette vidéo
meurtrière remarquent un fait troublant : leur visage, et uniquement leur visage, n’est
plus reflété. Il est déformé quand il est pris en photo ou lorsqu’ils passent devant une
caméra vidéo. Les personnes qui ont vu la vidéo auront donc un visage sans reflet
pendant sept jours, avant qu’il soit figé dans l’horreur et la mort. Elles ont par ailleurs
tendance à « griffonner » tout visage qu’elles aperçoivent sur un support papier.
Pour essayer de comprendre ce trajet qui va de l’inquiétante étrangeté engendrée par
le visage déformé à l’effroi le plus total, il convient de se tourner vers Samara (une
jeune fille qui tue ces personnes en sortant du téléviseur) dont le visage est caché par
de longs cheveux noirs. On ne voit son visage, très brièvement, que lorsqu’elle regarde
ses victimes pour les tuer. On pense alors au mythe de la Gorgone Méduse qui pétrifie
du regard. Le caractère terrifiant de Méduse a d’ailleurs longtemps été conçu en
termes d’angoisse de castration, symbolisée par les serpents présents sur sa tête.
René Roussillon (2012) souligne que cette interprétation ne rend pas compte du fait
que le visage de Méduse est lui aussi déformé par la peur : il renvoie également
l’angoisse de la victime6. Nous passons donc d’une problématique de la castration à
une dimension archaïque relevant du reflet maternel qui paraît centrale dans The Ring.
Ce film met ainsi en scène la rencontre progressive avec un reflet maternel terrifiant.
Le visage, tout d’abord déformé par les appareils photo et les caméras, serait le
symbole de ce reflet informe et inquiétant renvoyé par la mère. L’inquiétante étrangeté
et l’angoisse suscitées par ces visages pourraient provenir de l’invocation de cet état
premier où le visage de la mère est le reflet du monde intérieur du nourrisson. Il
existerait donc un gradient mis en scène par ce film, allant du non-reflet du visage, ou
du reflet déformé, à un reflet d’horreur et d’effroi. The Ring montrerait ce rapport
complexe au miroir qui porte atteinte aux premières constructions du Moi que l’on
retrouve dans la clinique des expériences exceptionnelles. De nombreuses œuvres de
fiction mettent également en scène cette problématique du regard, du reflet et du
double, comme tentative d’élaboration et de symbolisation par le biais de la médiation
artistique. On retrouve ainsi fréquemment, dans les films portant sur le paranormal, un
« couple » de héros constitué d’un enfant et d’un parent comme dans The Ring ou
Sixième Sens.
LA PERMÉABILITÉ PSYCHIQUE
ET SES MULTIPLES FORMES D’EXPRESSION
Pour Anaïs, les multiples décès survenus dans son entourage et des
capacités d’élaboration limitées semblent liés à ces nombreuses
apparitions. Celles-ci seraient un moyen de lutter contre le
processus de deuil comme si l’autre était encore en vie mais
« ailleurs », la souffrance provenant de la perte d’un proche
paraissant dès lors atténuée. Ce type de dynamique inconsciente
peut conduire à divers phénomènes allant des sentiments de
présence jusqu'à des expériences mixtes entre croyance et illusion,
comme l’analyse Laurie Laufer (2007) à propos des photos spirites.
Cette dernière insiste sur la déchirure dans le Moi induite par les
expériences spirites et remarque que « le clivage créé par le
traumatisme met à l’écart la cause du trouble et modifie la réalité.
Pour surmonter la douleur, le sujet transforme et métamorphose la
réalité en produisant des représentations que Ferenczi nomme
illusionnaires24 » (p. 66). Laufer note plus généralement que « face à
la terreur du désêtre, le retour des fantômes deviendrait alors
paradoxalement une épreuve nécessaire pour, par la traversée de
l’angoisse, donner une forme à la perte. Le fantôme serait la
condition de possibilité de tracer une figure afin de border un trou qui
puisse donner une forme à l’angoisse de séparation » (p. 70).
Ces expériences peuvent donc être considérées comme des
phénomènes hallucinatoires correspondant à un mode particulier de
traitement du deuil aux vertus potentiellement symbolisantes
(Juranville, 2005). Les différents éléments perceptifs qui composent
les expériences d’apparition se trouvent en effet rassemblés en une
scénarisation cohérente qui permet l’unification de l’expérience
perceptive et le processus de deuil. Un parallèle peut être fait avec
ce que décrit Anne Juranville (2001) de la voyance et du processus
mélancolique en tant que « transmutation de l’objet perdu en
inspiration » :
« La solution de la voyance consistant donc à maintenir l’autre (et soi) tout en le (et
se) perdant, cette construction acrobatique calque en partie son mécanisme sur le
modèle mélancolique freudien. L’installation de l’objet perdu en soi selon une
identification narcissique primaire, avec retour de l’altérité forclose sous le mode du
double halluciné, ce processus obéit au schéma de la « régression » du deuil
pathologique. “Génie”, “guide”, “esprit”, “messager”, “ange gardien”… tel est alors
fréquemment le devenir des chers disparus intériorisés, qui vont précipiter la vocation
de voyant et dorénavant en tout cas l’“inspirer”, dans sa vie comme dans sa
pratique » (p. 194).
Cas cliniques
Pascale, qui rencontre de nombreuses difficultés dans sa vie, finit par consulter
une voyante qui lui dit : « on m’empêche de vous répondre, il y a quelque chose
de très fort ». Cette voyante lui décrit alors une vie antérieure tout en faisant
allusion à de la « magie noire ». Dans cette vie passée, qui se serait déroulée en
Turquie au XVIIe siècle, deux jeunes filles lui plaçaient « la tête en bas dans le
sol », car « elle avait une petite étincelle en plus qui rendait ces deux filles
jalouses ». Pascale a également fait un travail de « régression » dans lequel elle
était un chevalier dans une autre vie antérieure. Elle s’était d’ailleurs mise à
pleurer après qu’on lui eut « pris son château ».
Rose, un après-midi, alors qu’elle est en profonde relaxation, se trouve dans ce
qu'elle appelle « son jardin secret ». Elle rentre dans un état très différent du rêve
selon elle, une sorte de régression qui se caractérise par une succession de
courtes séquences. Tout d'abord, une « plage avec une hutte », sur laquelle elle
observe deux personnes très âgées qu'elle a l'impression de reconnaître comme
étant « ses parents ». La séquence suivante a lieu l'hiver, dans une boîte de nuit.
Elle voit un soldat avec un saxophone accompagné d'une jeune femme portant
une robe à pois. Rose aime d’ailleurs beaucoup cet instrument. Elle revoit ensuite
cet homme dans une bibliothèque. Plus âgé, toujours lors de cette expérience, il
est devenu prêtre et semble plein de doutes. Elle verra également un tunnel et
une lumière blanche, se demandant si elle n’a pas revécu la fin de sa vie
précédente.
Processus hallucinatoires
et états modifiés de conscience
« Voici, sentis-je soudain, quelque chose qui allait trop loin. Trop loin, bien que ce fût
pour pénétrer dans une beauté plus intense, dans une signification plus profonde. La
crainte, telle que je l’analyse rétrospectivement, était celle d’être submergé, d’être
désintégré sous une pression de réalité plus forte qu’un esprit habitué à vivre la
plupart du temps dans un monde douillet de symboles, n’en pouvait supporter. »
Aldous Huxley, Les portes de la perception
ANALYSE STRUCTURALE
ET EXPÉRIENCES EXCEPTIONNELLES
Cette explication fait écho à ce que l’on observe dans le champ des
expériences exceptionnelles et qui relèverait donc de cette
régression au fond hallucinatoire de la psyché. Ces théories ont été
affinées par les modèles psychanalytiques ultérieurs avec la notion
d’hallucinatoire en tant que « fondement de la dynamique
transformationnelle représentation-perception hallucinatoire »
(Mijolla, 2002, p. 758). César et Sara Botella (1990) proposent de le
définir ainsi :
« Par hallucinatoire, nous entendons un état de qualité psychique potentiellement
permanent formé de continuité, d’équivalence, d’indistinction représentation-
perception ; où le perçu et le percevant, le figuré et le figurant ne font qu’un […].
Habituellement l’hallucinatoire prend part le jour à certains processus psychiques
quotidiens : il sous-tend la figurabilité diurne de la même manière qu’il sous-tend le
rêve nocturne ; il participe à la vivacité des souvenirs, de même qu’il contribue à
éveiller le sentiment d’évidence de conviction […]. Ce serait le ratage, la faille ou
l’absence des instances régulatrices et freinatrices de l’hallucinatoire qui pourrait
colorer celui-ci d’un aspect pathologique » (p. 59).
Notes
1. Voir sur ce sujet le réseau des entendeurs de voix (REV) :
www.revfrance.org. Il existe des recoupements entre la clinique
rencontrée au sein du service de consultation de CIRCEE (cf.
chapitre 10) et le REV même s’il nous semble que le REV touche
davantage une population composée de patients ayant fait
l’expérience de la psychiatrie.
2. Nous ne pouvons décrire ici que partiellement ce modèle étant
donné sa complexité et nous nous restreindrons à l’éclairage qu’il
offre sur les relations entre expériences exceptionnelles et structure.
« Ce qui suit est spéculation, une spéculation remontant souvent bien loin et que tout
un chacun prendra en compte ou négligera selon sa position particulière. C’est aussi
une tentative pour exploiter de façon conséquente une idée, avec la curiosité de voir
où cela mènera. »
Sigmund Freud, Au-delà du principe de plaisir
MÉTABOLISATION PSYCHIQUE
ET SYMBOLISATION PRIMAIRE
Cas cliniques
Paula nous contacte suite à un rêve prémonitoire concernant la mort de son petit
ami, militaire, décédé d’un accident de voiture un matin. Au même moment, elle a
rêvé de lui. Il portait son uniforme de l’armée, avec un béret noir, dont elle ne
connaissait pas la signification. Il lui disait qu’il l’aimait, qu’il partait mais qu’il
serait toujours près d’elle et qu’elle ne devait donc pas être triste. Paula se
réveille alors et voit qu’il est 7h15 du matin. Elle apprendra le soir même que son
petit ami est décédé à 7 heures du matin ce jour-là.
Marion rapporte certains ressentis particuliers. Alors qu’elle n’avait pas vu sa
mère depuis plusieurs semaines, elle ressent soudainement une forte douleur au
niveau de la poitrine et dit à son mari « ça me serre, ça me fait trop mal ». Elle
pense alors à sa mère que rien ne prédisposait à une mort prématurée. Marion
reçoit un peu plus tard un appel de son frère lui annonçant que leur mère vient de
mourir d’une crise cardiaque au moment où elle avait ressenti cette douleur au
niveau de la poitrine.
Nathalie fait régulièrement des rêves prémonitoires. Dans l’un de ceux qui l’ont le
plus marquée, une amie l’appelait au secours. Elle apprendra un peu plus tard
que son amie était victime d’une agression à l’étranger au moment de ce rêve.
Laetitia a vécu plusieurs rêves prémonitoires qui l’ont fortement perturbée. Elle a
rêvé à plusieurs reprises d’accidents et de malaises touchant ses collègues de
travail la veille de l’arrivée de ces événements. Laetitia éprouve une certaine
culpabilité, car elle n’a pas osé en parler et se demande si elle aurait pu
empêcher ces choses d’arriver… Laetitia observe également que ces rêves sont
souvent métaphoriques. Par exemple, lors de l’un d’eux, elle voit de la cire en lien
avec un incendie, et apprend le lendemain qu’une bougie s’était effectivement
trouvée à l’origine d’un sinistre.
Philippe, alors qu’il était enfant, avait rêvé de que son oncle mourait à moto. Il se
rappelle avoir parlé de ce rêve à plusieurs reprises à ses parents avant que son
oncle ne décède effectivement dans un accident de moto. Philippe vit depuis
fréquemment des expériences de précognition du même ordre, qui sont pour lui
comme un « sentiment d’évidence ». Il sait que son grand-père avait vécu le
même genre d’expériences durant la guerre.
Cas cliniques
Manon rapporte avoir participé à plusieurs séances de spiritisme et d’écriture
automatique. Lors de l’une de ces séances, elle dit avoir communiqué avec une
jeune fille décédée qui racontait son accident de voiture. Les détails de cet
accident, comme la marque et la couleur du véhicule, se sont révélés exacts par
la suite selon Manon.
Andrée explique avoir parfois des visions et utiliser un pendule. Dans l’une de
celles-ci, elle « vit » son oncle avec « une tête de rat » au cours de la nuit où
celui-ci décéda. Andrée s’interroge sur les raisons de cette tête d’animal. Ses
enfants vivent eux aussi des expériences étranges. Son fils a pour sa part un ami
imaginaire qui a annoncé récemment qu’un de ses camarades serait bientôt en
chaise roulante, ce qui arriva effectivement. Quant à sa fille, elle entend parfois
des voix qui annoncent des événements qui se produiraient ensuite.
Notes
1. Didier Anzieu (1974) a également montré que les premières
enveloppes du Moi se constituent en étayage sur les propriétés de la
peau.
14. Cela ne signifie pas pour autant que les processus psi ne
concernent que 5 % des situations cliniques, car on peut envisager
qu’ils soient présents de manière plus discrète dans certaines de
celles-ci, voire même qu’ils sont d’une manière ou d’une autre
toujours présents en arrière-fond de l’activité psychique comme le
suppose par exemple le psychologue clinicien James Carpenter
(2012) avec sa théorie de la « première vue ».
17. Cette hypothèse rend compte du fait que, chaque année, par le
simple fait du hasard, se produit fréquemment une conjonction entre,
par exemple, un rêve et un événement réel quand on tient compte
de larges populations. Mais cette hypothèse explique mal les cas
pour lesquels une même personne rapporte avoir vécu de telles
précognitions à plusieurs reprises. Voir sur ce sujet notamment les
nombreuses situations rapportées par Bertrand Méheust (2003). De
ce point de vue, la probabilité statistique s’effondre et d’autres
hypothèses paraissent nécessaires.
Les abductions :
clinique de l’originaire
Le film Mysterious Skin (2004), réalisé par Gregg Araki à partir de l’ouvrage éponyme
de Scott Heim illustre ces différentes hypothèses. Il décrit le destin de plusieurs
adolescents victimes d’attouchements durant l’enfance. Si l’un deux, Neil, se tourne
vers divers comportements à risque, un autre, Brian, fait l’expérience de réminiscences
de l’abus initial sous forme d’abductions qui le conduiront à rechercher d’autres
personnes ayant vécu la même expérience. C’est également un point important
souligné par Roe et Morgan (2002) concernant l’appui narcissique que représente pour
le sujet le fait de se considérer comme un abducté et d’appartenir à cette communauté.
Comme en témoigne le cas d’Orythie, le sentiment d’avoir été « choisie » pourrait
renvoyer au fait d’avoir été choisie par l’adulte séducteur. Il en découle d’ailleurs une
forme d’ambivalence (les aliens reviendront-ils ?) entre dimension narcissique de ce
choix (« Je suis spéciale si j’ai été choisie ») et en même temps crainte de revivre la
situation traumatique qui en a découlé. À noter également l’interrogation récurrente à
propos des origines mystérieuses de ce choix qui pourrait renvoyer au questionnement
de l’enfant concernant les motivations de son agresseur.
Les films de la série Alien (1979, 1986, 1992, 1997) peuvent être interprétés comme
une tentative de scénarisation de cette question des origines, ce qui apparaît
également de manière flagrante dans Prometheus24 (2012) et Alien Covenant (2017),
préquels à la série Alien, qui illustrent les origines de cet être dangereux aux attributs
phalliques. La créature effrayante d’Alien rassemble des éléments phalliques
(puissance, bouche, forme, etc.) qui viennent masquer des enjeux plus archaïques du
registre maternel et féminin (l’alien le plus inquiétant n’est-il pas d’ailleurs la reine-
mère ?). Le féminin apparaît de ce point de vue comme la représentation de la toute-
puissance féminine qui découle du pouvoir de porter et donner la vie. La mère est
aussi une figure de toute puissance face à l’état de passivité de l’enfant qui vient au
monde, comme en témoigne la situation anthropologique fondamentale décrite par
Laplanche. La mère, et le féminin qu’elle représente, deviennent alors source
d’angoisse – en particulier pour certains hommes –, voire même une forme d’horreur,
comme en témoignent différentes expressions cliniques relevant du champ de la
perversion. On comprend mieux dès lors pourquoi l’héroïne de la série Alien (jouée par
l’actrice Sigourney Weaver) ne pouvait être qu’une femme et pourquoi la thématique
de la maternité est si présente en filigrane. L’intelligence artificielle, également très
visible dans Alien, s’associe à ces logiques puisqu’elle vient interroger ce qui distingue
l’espèce humaine de la matière inanimée, et questionne de manière complémentaire
les origines de la psyché. L’extraterrestre représenté dans les abductions serait donc à
entendre comme une figuration moderne de cette toute-puissance du féminin, dont les
processus se trouvent exprimés à leur paroxysme dans les œuvres de fiction. La
projection dans la science-fiction de cette problématique, dans un monde situé à
distance dans l’espace et le temps, a d’ailleurs la même fonction que le « il était une
fois… » du conte pour enfant. Il permet l’éloignement de thématiques psychiques trop
« chaudes » pour être traitées dans l’ici et maintenant. C’est ainsi aux limites que se
trouve l’essence des processus.
Ecrit et réalisé par Scott Charles Stewart, Dark Skies (2013) dépeint l’histoire de la
famille Baret, confrontée à des visites de plus en plus inquiétantes menant à
l’abduction de leur fils aîné. On remarquera que les phénomènes émergent avec la
rencontre, par l’adolescent, de la question de la sexualité lorsqu’il regarde un film
pornographique avec un ami. Cette thématique de la sexualité semble alors diffractée
sur les différents personnages de la famille : l’enfant en période de latence (qui sera
aveuglé), l’adolescent (qui tombe amoureux) et les parents (dont les ébats amoureux
ont lieu aussitôt les enfants éloignés). La venue des extraterrestres figure ainsi cette
rencontre avec l’étrangeté de la sexualité qui « dérange » le calme tranquille de la vie
familiale. On observe, parallèlement à la rencontre progressive avec les
extraterrestres, les enjeux latents de l’énigme de la sexualité aux différents âges de la
vie. L’aspect « chaud » de la sexualité contraste avec l’aspect « froid » et distant des
extraterrestres comme formation réactionnelle. Le phénomène des abductions apparaît
ainsi comme la face émergée d’une expression culturelle plus globale ayant comme
but la représentation et la mise en scène métaphorisée, du fait du refoulement, des
origines les plus énigmatiques de la vie psychique.
Notes
1. Il est délicat de déterminer quel est le terme le plus approprié pour
désigner cette expérience en français. Bertrand Méheust (1992)
utilise le terme de « ravis » tandis que Jean-Claude Maleval (Maleval
& Charraud, 2003) privilégie celui de « syndrome d’enlèvement
extraterrestre ». Le premier terme nous paraît trop généraliste tandis
que le second nous semble trop connoté. L’expression « abduction »
– qui signifie « enlèvement » en anglais – a pour intérêt d’être au
plus proche de son appropriation par ceux qui rapportent cette
expérience. Le fait de lui adjoindre la notion d’expérience permet de
la replacer dans un contexte subjectif qui respecte le vécu du sujet
sans le réduire à une interprétation donnée.
14. On pense ici aux très nombreux livres, films et séries abordant la
thématique des abductions, à commencer par la série X-Files qui
rencontra un large succès dans les années 1990, dans laquelle l’un
des personnages principaux, Dana Scully, découvre au fil des
épisodes qu’elle a elle-même vécu une expérience d’abduction.
24. Il n’est pas anodin que l’on retrouve ici Prométhée pour traiter de
la thématique des origines. Rappelons qu’il est celui qui a créé l’être
humain à partir de restes de boue, de roche et du savoir divin sous
forme de feu sacré caché au cœur de l’homme. Ainsi, dans le
Protagoras de Platon, il nous est dit : « Il fut jadis un temps où les
dieux existaient, mais non les espèces mortelles. Quand le temps
que le destin avait assigné à leur création fut venu, les dieux les
façonnèrent dans les entrailles de la Terre d’un mélange de terre et
de feu et des éléments qui s’allient au feu et à la terre ». Ce feu
sacré représenterait-il l’objet-source de la pulsion ? La métaphore du
feu intérieur paraît pertinente dans la mesure où le feu permet la vie
mais qu’il peut également brûler. Les signifiants énigmatiques
seraient ainsi à l’origine aussi bien de la pulsion de vie que de la
pulsion de mort. Par ailleurs, Prométhée vient du grec ancien « pro-
metis », ce qui signifie « avant la pensée », aussi traduit comme le
« prévoyant », celui qui connaît l’avenir. On voit donc un lien entre
l’émergence de la pensée et la capacité à anticiper l’avenir.
25. Cet étranger qui, dans la médiumnité, prend la forme non pas
d’un extraterrestre mais d’un esprit. Les séances de médiumnité, par
la transe, l’incorporation et le contact physique qu’elles mettent en
scène, n’en sont pas moins infiltrées de sexualité inconsciente
comme en témoigne la place du toucher qu’elles révèlent en
filigrane.
La télépathie : clinique de
l’intersubjectivité primaire
« Pour nous cependant les questions les plus essentielles restent à aborder. Elles
concernent la manière dont ces messages sont véhiculés, le fait qu’ils parviennent ou
non au destinataire, leur mode de passage par le transfert ou hors le transfert. »
René Major, Cahiers Confrontation, Télépathie
« Difficile d’imaginer une théorie de ce qu’ils appellent encore l’inconscient sans une
théorie de la télépathie. Elles ne peuvent ni se confondre ni se dissocier. Jusqu’à ces
derniers temps, j’imaginais, par ignorance et par oubli, que l’inquiétude “télépathique”
était contenue dans de petites poches de Freud – enfin ce qu’il en dit dans deux ou
trois articles considérés comme mineurs. Ce n’est pas faux mais je perçois mieux
maintenant, après enquête, combien ces poches sont nombreuses. Et ça y remue
beaucoup, beaucoup, le long des jambes. »
Jacques Derrida, Cahiers Confrontation, Télépathie
1. Une première période est marquée par les écrits de Freud et des
premiers analystes – en particulier Jung et Ferenczi – qui
proposent essentiellement, à partir des années 1920, les ferments
d’une réflexion sur l’occultisme à partir du prisme du transfert de
pensée.
2. Une deuxième période commence alors, dont l’apogée est la
publication de l’ouvrage dirigé par George Devereux intitulé
Psychoanalysis and the occult (1953) qui reprend les écrits de
Freud sur ce sujet, expose les réflexions des analystes de
l’époque et synthétise les controverses que suscite ce thème de
recherche. De la publication de cet ouvrage jusqu’aux années
1980, l’occulte et la télépathie demeurent d’un intérêt mineur,
voire même sont l’objet d’un certain rejet, comme en témoigne la
lenteur avec laquelle les textes de Freud sur ce sujet sont traduits
en français13.
3. Enfin, une troisième et dernière période, depuis les années 1980,
au cours de laquelle des travaux abordent à nouveau la
télépathie, marquant un renouveau de l’intérêt des analystes pour
l’occulte, à mesure que les travaux sur l’identification projective, la
transmission psychique inconsciente et le groupe se développent.
Ce mouvement est ensuite renforcé avec les travaux sur
l’intersubjectivité précoce, le mouvement post-bionien (Grotstein,
2016), et les théories du champ (Rabeyron, 2019) qui rendent
davantage intelligible les niveaux les plus primaires de la relation
analytique.
Nous allons à présent reprendre brièvement les principaux apports
théoriques et cliniques issus de ces différentes périodes. La
première d’entre elles débute avec les écrits de Wilhelm Stekel
(1921) qui publie Le rêve télépathique, une monographie de patients
névrosés dans laquelle l’auteur suggère que ces expériences
émergent au gré de situations affectives intenses qui peuvent
impliquer notamment des mouvements inconscients d’agressivité ou
de jalousie. Il suppose également que la plupart des personnes
possèdent cette capacité. Freud poursuivra les développements de
Stekel la même année dans Rêve et télépathie (1921) en montrant
comment le contenu télépathique peut être interprété par
l’intermédiaire des processus de déplacement mis en évidence par
la psychanalyse. Quelques années plus tard, Roheim (1932) insiste
dans le Psychoanalytic Quaterly sur le fait que le recours à un
fonctionnement psychique de nature télépathique découlerait d’une
fixation à la scène primitive.
Ensuite, en 1933, Freud souligne de quelle manière la méthode
analytique peut être utilisée pour déterminer un contenu télépathique
au sein des associations des patients. Jules Eisenbud (1954) note à
ce sujet que Freud propose une « étude élargie des complexités du
fonctionnement télépathique in vivo, sans entraves, sans structure
artificielle, sans orientation factice » (p. 79) contrairement aux
approches quantitatives qui se développent alors aux États-Unis
(Rhine & McDougall, 1934). Deutsch (1926) et Burlingham (1935)
décrivent à la même période l’émergence de la télépathie en cours
d’analyse, à partir de cas provenant de cures d’enfants. Ces deux
analystes se focalisent sur le transfert de pensée qu’elles
considèrent comme un élément essentiel de la relation
thérapeutique. Quant au Hongrois Hollos (1933), élève de Ferenczi,
il publie un article qui rassemble pas moins de cinq-cents
observations ayant trait à la télépathie sur une période de vingt ans.
Il met en évidence que le matériel télépathique correspond aussi
bien au matériel refoulé du côté de l’analysant qu’à des événements
survenus chez l’analyste (Gyimesi, 2015). Poursuivant certaines
intuitions de Ferenczi, Hollos suppose également que la télépathie
émergerait à l’interaction des psychés de l’analyste et l’analysant. Le
psychanalyste italien Servadio (1935) proposera des analyses
similaires, ainsi que Fodor (1947).
Le psychiatre et psychanalyste américain Jan Erhenwald (1942,
1944, 1948, 1971) développe ensuite une analyse plus théorique de
la télépathie. Il propose l’idée qu’un état de déséquilibre ou de
déficience psychobiologique – perte de conscience, trouble cérébral,
épuisement physiologique – induit le fonctionnement télépathique et
suppose que l’« on pourrait situer le transfert de pensée dans un
espace qui, d’un côté, va asymptotiquement jusqu’à la confusion
sujet-objet d’une identification maternelle originaire et qui, d’un autre
côté, s’en dégage par l’identification projective et introjective »
(Ehrenwald, 1971, p. 68). Il propose d’expliquer les processus de
déformation décrits par Freud comme la conséquence d’un
« phénomène d’éparpillement » selon lequel le processus
télépathique est indissociable d’une certaine imprécision. Ehrenwald
se demande également si certains cas de psychoses paranoïaques
ne proviendraient pas d’une incapacité à se défendre face à un
matériel hétéro-psychique anxiogène menant certains patients à la
catatonie. Le psychiatre et psychanalyste américain Jules Einsenbud
(1946, 1948, 1954, 1969, 1970), l’une des grandes figures de ces
questions dans l’après-guerre, propose également une analyse
approfondie de la télépathie au sein du cadre analytique. Il suppose
que son incidence est considérable dans l’analyse, qu’elle peut
s’appliquer aux liens entre différents malades et qu’il est essentiel de
prendre en compte les éléments inconscients refoulés de l’analyste
pour la comprendre. Eisenbud (1970) dégage ainsi un « processus
psi » qu’il conviendrait de repérer dans le cadre analytique et qu’il
étudiera plus avant dans sa longue collaboration avec le sujet psi
Ted Serios (1966).
Parallèlement à l'abord de ces analystes qui sont ouverts à
l’existence de la télépathie, d’autres auteurs proposent des
explications pour rendre compte de certains phénomènes occultes
dans la perspective « anti-télépathique » évoquée par Michaël
Turnheim (2008). Les écrits de Hitschmann (1924, 1933) en
représentent un excellent exemple. Celui-ci expose un cas dont il est
lui-même sujet et qui concerne un accident de dirigeable qu’il aurait
perçu à distance. Hitschmann insiste sur le fait qu’il eut
naturellement tendance à embellir son histoire lorsqu’il la partagea
avec d’autres personnes. Il se demande donc s’il ne pourrait pas en
être de même pour d’autres prophéties. Il propose également
plusieurs hypothèses pour rendre compte d’une telle expérience
dans un article publié en 1923 dans l’International Journal of
Psychoanalysis. Il discute en particulier les sentiments inconscients
qui auraient ainsi donné lieu à cette clairvoyance :
« Il y avait tant de raisons et elles étaient si fortes qu’elles n’ont pas donné naissance
à une pensée mais à une hallucination que ma vanité a pris le risque de rapporter à
mes compagnons. Il semble que je me sois attribué, pour un moment, l’omnipotence
des pensées, la capacité de clairvoyance et le pouvoir d’exercer une influence
magique à distance » (p. 121)14.
Ce modèle est donc l’un des plus aboutis sur le plan de la neutralité :
si l'analyste ne peut affirmer a priori que deux événements sont
reliés par télépathie, il peut aider à montrer leur association sur le
plan heuristique. Devereux s’interroge alors : « Quelle est
précisément la signification psychologique et la conséquence de
l’hypothèse qu’un phénomène psi s’est produit ? Quelle différence
cela fait-il pour le psychologue ou le psychanalyste qui cherche à
interpréter cette occurrence ? » (p. 42). Il revient au cas de Mr et
Mrs Doe et note que, selon que l’on prenne ou non en compte
l’hypothèse de la perception psi, cela conduira à une interprétation
très différente, qu’il s’agisse d’un souhait de mort refoulé envers le
mari ou la perception d’un matériel hétéropsychique. Le travail de
deuil pour Mrs Doe sera en effet envisagé différemment selon la
façon dont est interprétée cette expérience. Devereux conclut ainsi
son analyse :
« Quel que soit le résultat final de cette controverse, elle peut mener à d’importantes
extensions du champ de la théorie psychanalytique et à des avancées profondes et
significatives de celle-ci. […] Il est légitime de supposer qu’il puisse exister au moins
un “phénomène psi” et, si celui-ci existe, alors de nombreux autres “phénomènes psi”
pourraient aussi exister » (p. 46).
Les deux autres parties de l’ouvrage présentent ensuite des
controverses qui impliquent respectivement Hollos, Schilder et
Servadio, et Eisenbud, Perderson-Krag, Fodor et Ellis. On ne peut
qu’être frappé par la vigueur de ces débats ainsi que par leur
influence sur le découpage ultérieur du champ psychothérapeutique
aux États-Unis. En effet, Albert Ellis, formé initialement à la
psychanalyse, fondera ensuite sa propre école de « thérapie
rationnelle-émotive », berceau des thérapies cognitivo-
comportementales. Son but était de changer les croyances
irrationnelles de ses patients en leur démontrant qu’elles sont la
cause de leurs souffrances. Le principal exemple sur lequel il étaye
initialement sa thèse est la « correction » des perceptions
supposées télépathiques, ce qui lui vaudra son appellation de
« prince de la raison ». L'argumentation d’Ellis consiste à réduire
tous les exemples de télépathie à des coïncidences. Avec la loi des
grands nombres, même l'improbable peut se produire et la quantité
de matériel que rencontre un analyste favorise sa survenue. Ellis
pense également que les causes de ces coïncidences auraient pour
origine des effets de suggestion de la part de l’analyste. Il propose
donc une liste de recommandations pour les analystes qui
souhaitent démontrer l’existence de la télépathie : éliminer tout
facteur affectif, toute suggestion, toute croyance antérieure,
demander à ce que les motifs oniriques ne se présentent pas sous
forme symbolique, de sorte que la télépathie émerge dans un vide
absolu et stérilisé. Tout ceci n'est possible que dans un laboratoire
de psychologie expérimentale et non dans un dispositif analytique.
Devereux répondra d’ailleurs que les phénomènes n’existent pas en
eux-mêmes mais qu’ils se produisent toujours au sein d’un cadre qui
les formalise. Cette réflexion sera poursuivie dans ses ouvrages
ultérieurs dans lesquels le contre-transfert prendra une place
fondamentale au sein de l'épistémologie et de la pratique
psychanalytique, et dans la rencontre avec d’autres cultures
(Devereux, 1970).
TRANSFERTS ET PROCESSUS TÉLÉPATHIQUES
Malgré la richesse des contributions de Psychoanalysis and the
Occult, une position officielle n’émergera guère concernant la
manière de considérer le transfert de pensée dans les milieux
analytiques. Cette notion se trouva dès lors maintenue dans un
statut clinique et théorique ambigu. Thème en marge, qui intrigue
néanmoins les analystes dans leur pratique, il est souvent abordé
« entre la poire et le fromage » comme le remarque André Green
(1998), comme si cet objet n’était pensable qu’hors-cadre. En outre,
l’oubli dans lequel sont tombées les recherches psychiques semble
également avoir eu pour conséquence de laisser inexploité l’héritage
freudien en ce domaine16. Une minorité d’analystes continua
néanmoins à l’étudier en proposant du matériel clinique
approfondissant les hypothèses freudiennes (Balint, 1987 ; Bendit,
1944 ; Jan Ehrenwald, 1978, 1981 ; Eisenbud, 1946 ; Eshel, 2006 ;
Mayer, 2007 ; Rosenbaum, 2011 ; Totton, 2003), en reprenant les
travaux de Freud pour en proposer des interprétations originales
(Barbier & Decourt, 1998 ; Bernat, 2001 ; Granoff & Rey, 1983) et en
collaborant avec les sociétés de recherche psychique (de Peyer,
2014, 2016 ; Eisenbud, 1966, 1970 ; Ullman et al., 1973). Ces
contributions contemporaines sur le transfert de pensée demeurent
néanmoins isolées et nous allons donc tenter de les synthétiser
selon trois questionnements complémentaires qui poursuivront les
réflexions engagées au cinquième chapitre concernant les liens
entre le psi et la pratique clinique : (1) Quelle est la réalité
ontologique de la télépathie ? (2) Quelles sont ses conditions
d’émergence au sein du dispositif psychanalytique ? (3) Quelle
intégration théorique possible de la télépathie dans la
métapsychologie ?
Notes
1. Comme évoqué au chapitre deux, Freud fut membre
correspondant de la Society For Psychical Research, à partir
de 1911, puis membre d’honneur en 1938 et cela, jusqu’à sa mort. Il
fut également membre d’honneur de l’American Society for
Psychical Research à partir de 1915, et membre d’honneur de la
société grecque de recherche psychique à partir de 1923.
2. Malgré la prudence de Freud, ses positions à l’égard de la
télépathie provoqueront d’ailleurs des réactions critiques. On notera
ainsi que Rosolato (1978) conçoit la position de Freud à propos de la
télépathie comme le désir d’être un devin ou « au moins comme
l’égal d’Œdipe résolvant l’énigme » (p. 23). Plé (1968) a également
analysé la fascination de Freud pour cet aspect de l’occulte comme
le déplacement d’une forme de peur existentielle. Roustang (1980) a
pour sa part fait l’hypothèse que l’intérêt de Freud pour la télépathie
serait la conséquence d’un noyau psychotique.
15. Une partie de ces textes sera traduite et publiée, trente ans plus
tard, dans le numéro 10 de la revue Confrontation, en 1983, sous le
titre « Télépathie », incluant également des articles incontournables
de René Major et Jacques Derrida.
« Mon âme ou quelque chose qui sortait de mon corps comme quand vous tirez un
mouchoir de soie de votre poche, mon âme, donc, se déploya autour de moi, puis
revint et réintégra mon corps, mais je n'étais pas mort. »
Ernest Hemingway, L’adieu aux armes
Cas cliniques
Stéphane est un jeune homme d’une vingtaine d’années. Il a vécu plusieurs
expériences de sorties hors du corps qui l'ont profondément marqué. L’une d’elle
se produit un soir alors qu'il est à moitié endormi. Il ressent tout d’abord des
vibrations avec la sensation d'avoir le corps « très détendu », ce qu’il avait déjà
éprouvé lors d’états de transe antérieurs. Il se retrouve « bloqué au plafond »
avec la sensation étrange d’être « couché » le long de celui-ci. Il tente alors de
traverser le mur « en forçant » et, n’y parvenant pas, retourne spontanément
dans son corps.
Damien a vécu une sortie hors du corps après avoir été traversé de la tête aux
pieds par une « énergie », un « courant » qui l’a conduit à se redresser par
réflexe sur son lit afin de contenir la douleur et la chaleur qu’il éprouvait. Il ressent
ensuite un « bourdonnement », « comme une vibration », qui s’amplifie jusqu’à un
« crac ». Il se retrouve alors hors de son corps tandis qu’il perçoit des formes
colorées autour de lui.
Julie a vécu plusieurs sorties hors du corps qui se produisent parfois durant son
sommeil, même s’il lui arrive d’être consciente au début de l’expérience. Dans ce
cas, elle entend des « bourdonnements » et des « vibrations » associées à un
stress élevé. Il peut également lui arriver de ne vivre que le « début » de
l’expérience, donnant lieu à ces vibrations qui peuvent durer une dizaine de
minutes sans pour autant conduire à une sortie hors du corps.
Cas cliniques
Emmanuel est un étudiant d'une vingtaine d'années qui a vécu plusieurs
expériences de sorties hors du corps dont il comprend mal la signification. La
première eut lieu alors qu’il était dans un grand état de fatigue après une journée
passée aux sports d’hiver. Il eut l'impression de sortir de son corps de façon
spontanée et d’être « une boule » alors que « tout était clair ». Paniqué, il décida
de « rentrer dans son corps ». Il fera par la suite plusieurs essais, mais à chaque
fois il présenta des tremblements dus à la peur qui mettaient un terme à
l’expérience. Il réussit finalement à se libérer de sa peur et vécut une expérience
de sortie hors du corps « complète » dont voici le récit : « Je suis vraiment
détendu et j’ai des fourmis sur tout mon corps. J’ai un effet d’engourdissement. Je
me sens moins anxieux que d’habitude. J’essaie de ne penser à rien. Je
commence à entendre mes oreilles qui bourdonnent durant deux minutes. Mes
yeux commencent à bouger seuls, ils montent, c’est comme s’ils se révulsaient.
J’ai l’œil qui tremble. J’ai l’impression de commencer à m’élever, de façon
oblique. C’est une sensation agréable. J’ai le sentiment que je m’élève et que je
sors de mon corps. J’ai une sensation toute bizarre… comme une bulle de savon
qui éclate, mais de façon globale. C’est presque imperceptible. C’est comme un
bruit que je ressens dans mon corps. J’ai une sensation de légèreté, de liberté,
une impression que tout va bien. Je me rends compte que je suis sorti de mon
corps. Je vois la pièce alors que j’ai les yeux fermés, d’un peu plus haut, et je vois
ma tête qui dépasse des couvertures. Ma vision est plus claire, plus large, elle est
panoramique, comme à 360°. Il fait plus clair, tout est plus lumineux. J’ai
également quelque chose de légèrement opaque et jaune devant les yeux, c’est
comme si on mettait des lunettes. Je vois le clic-clac et je vois ma forme, ça fait
bizarre. C’est comme si c’était quelqu’un d’autre, ce n’est pas comme le matin
quand on se voit dans la glace. C’est comme quand on entend sa voix sur un
répondeur et qu’on se dit : “Ah, je ressemble à ça !” ».
Hector décrit une expérience de sortie hors du corps qui se produit peu de temps
après avoir rejoint l’armée. Alors qu’il est étendu sur son lit, il se perçoit
soudainement du dessus. Il se tient plus précisément au niveau du coin opposé
de sa chambre et se « voit » en train de dormir paisiblement. Il distingue le
dessus de son armoire et les différents éléments qui y sont entreposés. Il a
également le sentiment de pouvoir percevoir l’ensemble de la pièce, celle-ci étant
nappée d’une lumière diffuse dont il ne parvient pas à déterminer la source. Il
peut aussi entendre ce qui se dit dans une pièce voisine. Cet état dure quelques
minutes et se termine par un « retour » soudain lors duquel son cœur bat la
chamade. Étonné par le réalisme de l’expérience, Hector essaiera de vérifier par
la suite que les éléments perçus sont bien présents sur le dessus de l’armoire et
que la discussion entendue dans la pièce voisine a bien eu lieu.
Cas cliniques
Irène, après une expérience inaugurale de dissociation, a découvert une
« capacité » qu’elle avait en elle « depuis toute petite » et qui lui permet
d’accéder à ce qu’elle appelle « le plan ». Celui-ci est un espace particulier,
« soumis à d’autres lois », et qui fonctionne par « projection ». Irène décide dans
cet espace de ce qu’elle veut voir, du lieu où elle souhaite se rendre, de la forme
qu’elle prend, étant donné qu’elle n’est pas soumise aux « règles habituelles du
temps ». Elle décrit longuement comment cet environnement est au départ
« vide » et aperceptif avant de se remplir de riches expériences. Dans cet état,
Irène détermine le lieu où elle souhaite se rendre et l’environnement se construit
progressivement autour d’elle selon son désir. Pour influencer ce qui l’entoure, il
lui suffit de penser à certaines choses et celles-ci se matérialisent alors.
Mona, une jeune femme d’une vingtaine d’années, pratique régulièrement la
« projection astrale » à partir de différentes techniques de méditation. Elle
parvient ainsi à provoquer, environ une fois par semaine, une expérience dans
laquelle elle est persuadée de se transformer en son « double » qui ne serait
autre qu’une licorne qu’elle incarne dans cet espace particulier. Elle a alors le
sentiment de rejoindre sa « vraie famille », celle-ci étant constituée de créatures
fantastiques. Cette identité de licorne, qu’elle décrit avec de nombreux détails,
occupe une place importante dans sa vie et se trouve au cœur de ses
préoccupations.
« I'm not afraid of death. It's just that I don't want to be there when it happens. »
Woody Allen
PHÉNOMÉNOLOGIE ET RÉPERCUSSIONS
PSYCHOLOGIQUES
Deux autres femmes qui ont vécu une EMI, Bénédicte et Muriel,
pensent aussi avoir manqué d’affection au cours de leur enfance et
en avoir beaucoup en souffert. On peut s’interroger concernant la
qualité du lien entre ces femmes et leur mère, et comment celui-ci
leur a permis de développer ou non une fonction continue et
contenante de leur expérience subjective. Winnicott (1989) et Bion
(1962) ont largement insisté sur l’importance des soins maternels
pour la psyché dont une défaillance risque d’engendrer des
« terreurs sans nom » (Bion, 1962) ou des « terreurs agonistiques »
définies par Roussillon (1999) comme « un état de souffrance
psychique extrême, mêlé à une terreur de cet éprouvé ou de la
violence réactionnelle qu’il mobilise » (p. 141). Il peut en résulter un
vécu traumatique non représenté du fait de l’immaturité du moi
compte tenu de ses capacités d’intégration insuffisantes. Ces
terreurs agonistiques sont « sans issue, sans représentation, sans
possibilité de satisfaction » (Roussillon, 1999, p. 141) et le sujet n’a
d’autre choix que de se retirer de sa subjectivité comme défense
ultime face au vécu traumatique. Celui-ci induit une « mémoire sans
souvenir » qui garde la trace de ses effets sensoriels et émotionnels,
(Botella & Botella, 1990), une crypte traumatique formée d’une
énergie psychique non représentée et a-sensée.
On ne peut déterminer une relation de causalité linéaire entre ces
récits après-coup de la petite enfance et l’émergence ultérieure
d’expériences de mort imminente. Mais la récurrence de cette
thématique met en lumière la possibilité que certaines EMI puissent
être l’expression de terreurs agonistiques dans un contexte
psychologique ou somatique de crise. L’état de détresse intense
dans lequel se trouverait le sujet reconvoquerait ce « non vécu » qui
ferait ainsi retour dans la subjectivité10. Cette élaboration potentielle
gardera néanmoins la trace de sa dimension traumatique initiale et
menacera l’intégrité psychique. Une dialectique complexe
émergerait alors entre logique mortifère et processus symboligènes,
ce que donnent d’ailleurs à voir les expériences exceptionnelles de
manière plus globale, comme nous l’avons envisagé au cinquième
chapitre. Les EMI dites « négatives » pourraient représenter l’échec
de cette tentative d’élaboration qui confronterait frontalement le sujet
à ce retour de terreurs agonistiques. L’enfer dont il serait question
alors ne serait pas relatif à la vie après la mort mais davantage aux
premiers temps de la vie en tant que mémoire du passé en
recherche de représentation par l’intermédiaire d’une figuration de
l’au-delà.
Ces souffrances des liens subjectifs précoces peuvent aussi
engendrer un intense vécu de vide et d’effondrement (Winnicott,
1989). Les capacités représentatives sont en effet altérées par les
expériences traumatiques et donnent lieu à « un fonctionnement
psychique qui se trouve confronté à un vide et aux réactions contre
ce vide » (p. 103). Julia rapporte ainsi qu’avant son EMI elle
ressentait un profond sentiment de vide compensé par des
comportements autodestructeurs et une addiction à l’alcool. Sa
défenestration pourrait être interprétée comme une mise en acte de
cette confrontation au vide en tant que solution paradoxale pour
tenter de se défaire de ce vécu sur le mode du retournement passif-
actif (ce que l’on pourrait résumer ainsi : « mieux vaut maitriser un
saut dans le vide plutôt que subir passivement ce ressenti »). L’EMI
apparaît en outre lors d’une séparation amoureuse venant raviver
ses fragilités narcissiques précoces. Le cas de Simone illustre
également cette problématique dans un contexte familial difficile :
L’anorexie peut ici être interprétée comme une solution extrême qui
passe par un « vide contrôlé » de l’alimentation et de ses effets sur
le corps (Roussillon, 1999). L’anorexie assèche la psyché et la
chaire afin de se cliver des affects traumatiques. On remarquera que
Simone éprouve d’ailleurs un soudain besoin de boire qui la conduit
à se rendre dans cette église. S’agit-il d’une tentative de transcender
« l’assèchement » qui l’anime lors d’une EMI vécue au sein d’une
église ? L’EMI apparaîtrait ainsi comme un processus venant
combler le vide ou le trou représentationnel conséquence d’un vécu
agonistique.
On remarquera également qu’un nombre conséquent d’EMI se
produit dans un contexte psychologique particulier. On repère
fréquemment des événements de vie négatifs survenant quelques
temps avant l’expérience comme nous l’avons souligné avec le
modèle de la solution paranormale11. Par exemple, Julia tente de
mettre fin à ses jours après une séparation, Muriel vit une EMI peu
de temps après son divorce, de même que Bénédicte dont l’EMI se
produit du fait du désespoir induit par la séparation d’avec ses
enfants. Quant à Irène, l’EMI a lieu alors qu’elle essaye de se
« défaire des griffes » d’un mari violent. La prise en compte du
contexte subjectif global de ces expériences donne le sentiment
qu’elles émergent quand les capacités d’élaboration du sujet sont
débordées. Il se produit alors un passage à l’acte, une mise en
danger ou une situation critique à la faveur desquels émerge l’EMI
comme dans le cas d’Isaac12 :
Irène décrit pour sa part différentes maladies qui ont « failli la tuer »
tandis que René évoque de multiples accidents de voiture. De la
même manière, Simone est gravement malade et sent « la mort
arriver » quand se produit son EMI, tandis qu’Irène est considérée
comme mourante lors de son expérience. On est donc frappé, dans
la rencontre avec ces personnes, de constater la fréquence des
expériences aux frontières qui ont marqué leur existence, aussi bien
dans l’enfance qu’à l’âge adulte. On se souviendra dans cette même
optique que l’EMI n’implique pas nécessairement une menace
« réelle » de mort sur le plan somatique comme nous l’avons déjà
évoqué. Certaines personnes rapportent en effet cette expérience
lors de situation de danger potentiel et avant même tout impact
physique corporel lié à la situation » (par exemple, lors d’une chute),
voire même indépendamment de tout contexte dangereux pour
l’intégrité physique. L’EMI s’avère donc avant tout un vécu subjectif
de mort imminente qui souligne l’importance de la dynamique
subjective à son origine et tempère la pertinence des hypothèses
neurobiologiques de nature réductionniste13.
POTENTIALITÉ SYMBOLIGÈNE
ET RELANCE DE L’ACTIVITÉ REPRÉSENTATIVE
Didier Anzieu (1923-1999) pourrait être considéré comme l’un des précurseurs de
l’approche psychanalytique des expériences exceptionnelles. En effet, au-delà de son
exploration des premières formes de symbolisation avec les notions d’enveloppes
psychiques, de Moi-peau et de signifiants formels qui mènent naturellement vers ces
thématiques, il a dirigé la thèse de Djohar Si Ahmed intitulée Parapsychologie et
psychanalyse (1990). Dans un très beau texte publié à l’automne 1993 dans la
Nouvelle Revue de Psychanalyse, « L’esprit, l’inconscient », sous-titré, « Contribution à
une méthode d’auto-analyse », il explore lui-même cette thématique à partir du constat
que « le traitement psychanalytique est sans fin » et que l’analyste est donc conduit à
poursuivre le travail de symbolisation par l’intermédiaire de phases d’auto-analyses
comme Freud l’avait fait avec l’interprétation de ses rêves. Existe-t-il alors des
« séances de psychanalyse sans psychanalyste », s’interroge Anzieu ? Par exemple,
l’écrivain construit un espace imaginaire qui « fournit le cadre matériel dans lequel un
processus auto-analytique va pouvoir se dérouler ». Ces questionnements font écho à
la clinique des expériences exceptionnelles : dans quelle mesure induisent-elles des
mouvements originaux d’auto-analyse ? Quelle est la place de l’autre et du double
dans ce travail de symbolisation extrême que l’on trouve en particulier dans les sorties
hors du corps et les expériences de mort imminente ?
Ces questionnements sont mis au travail par Anzieu à partir de sa rencontre avec une
jeune collègue, Eiffel, qui lui parle d’une guérisseuse qui « à quatre heures du matin
pense intensément à des personnes dont on lui a donné le nom et l’adresse, et, je
crois, la profession. […] La cure dure vingt-et-un jours à la suite de laquelle une
amélioration de l’état du destinataire semble se manifester ». Anzieu accepte qu’Eiffel
transmette ses coordonnées à cette personne dans le but d’être guéri de ses
problèmes de santé, en particulier de son Parkinson. Il explore alors ce désir de
guérison et note chaque jour son vécu nocturne à partir de l’intervention de la
guérisseuse. Il explique ainsi dès la deuxième nuit : « Je ne crois pas aux esprits, mais
il faut que je sois honnête avec moi-même : j’y crois sans y croire. Je sais bien qu’ils
n’existent pas, mais quand même, ils peuvent manifester leurs effets ; la preuve, c’est
que dès la seconde nuit cette inconnue qui pense à moi, ou plus exactement dont je
pense qu’elle pense à moi, me fait du bien ». Anzieu s’interroge : « Comment ça se
passe en moi pour que ça se passe ainsi ? Comment ça se passe dans la vie
psychique de cette femme ? Ou ça se passe ? ».
La huitième nuit arrive et Anzieu raconte cette expérience qui évoque une EMI : « Je
me vois pris dans le faisceau d’une torche qui m’éblouit et me cache l’émetteur. Je suis
inondé de lumière. Comme les mourants, paraît-il ? […] Je revois la vision du monde
extérieur au moment de ma naissance : je suis aspiré par la lumière. Je me rendors,
l’esprit calmé, lavé, purifié par ce bain de clarté. Mais je ne me sens pas encore
illuminé : il me reste beaucoup à comprendre » (p. 156). Anzieu suppose alors que la
guérisseuse est « une figure de l’analyste, une forme vide, une sphère de projection.
Et peut-être un cadre constituant de l’auto-analyse ? (p. 157). Il explique qu’elle
« l’entretenait dans un fantasme passif de tout-petit porté dans les bras de la mère »
(p. 158). Nous arrivons à la dix-septième nuit qui plonge Anzieu dans des
interrogations transcendantales : « L’esprit est-il à l’origine ou au terme de l’univers ?
Indécidable. […] L’esprit absolu est-il immobile, attractif, providentiel, indifférencié ?
Sommes-nous une étincelle provisoire de ce feu éternel ? À quand l’extinction des
feux ? » (p. 159). Arrive enfin la dernière nuit qui produit chez Anzieu un soulagement
le menant à des décisions dont il garde le secret partagé avec cette inconnue qu’il ne
rencontrera jamais. Une figure du double semble ainsi, par sa simple présence et
connaissance, participer de ce travail d’auto-analyse. Celui-ci est peut-être favorisé
lorsque ce double est figuré de manière hallucinatoire dans les EMI.
Cas cliniques
Louise rapporte ce qui va suivre onze ans après son expérience. Elle a dix-sept
ans et demi quand elle est hospitalisée pour une banale extraction dentaire.
L’opération tourne mal et dure finalement plus de deux heures. Au cours de celle-
ci, Louise a le sentiment de devenir consciente et perçoit autour d’elle une
« gigantesque bulle de couleur comme celles que l’on fait avec du produit
vaisselle ». Elle se voit allongée d’en haut avec des personnes qui s’agitent
autour d’elle. Elle peut raisonner normalement même si elle se sent détachée de
la situation. Elle n’a ni mal ni peur alors qu’elle est habituellement de nature
anxieuse. Elle découvre qu’elle peut se « déplacer » dans les couloirs de l’hôpital
et se rend compte que les autres personnes ne peuvent lui répondre, hormis un
jeune homme qu’elle tentera en vain de retrouver ultérieurement. Elle échange
avec lui et lui demande s’ils sont morts, celui-ci lui répond qu’il ne sait pas. Louise
se retrouve ensuite dans un état très particulier dans lequel le temps s’écoule
différemment. Elle peut également voir « tout ce qu’elle voulait ». Par exemple,
elle pense à l’Égypte et se retrouve instantanément dans un paysage égyptien.
Louise est plongée dans un coma artificiel durant les quinze jours suivant
l’intervention. Elle est comme dans un « trou noir » explique-t-elle, dont elle garde
quelques « souvenirs » : berceuse de sa mère, paroles des infirmières, odeur
d’un parfum, etc. Elle se rappelle s’être dit à plusieurs reprises « il faut que tu
vives, il faut que tu respires », avant de se sentir à nouveau partir dans les limbes
de l’inconscience. À son réveil, elle ne parvient pas à parler et ne comprend pas
ce qui lui est arrivé. Une part « rationnelle » d’elle-même résiste à ce qu’elle a
vécu, explique-t-elle. Quelques jours plus tard, elle rencontre une psychologue du
service à qui elle essaye de parler de cette expérience. Celle-ci lui répond qu’il
s’agit des « effets de la morphine ». Louise n’est pas convaincue d’autant qu’elle
ressent de profonds effets après-coup. Elle dit en particulier se sentir dans un état
de « pleine conscience » qui se traduit par le fait que les expériences sensorielles
lui paraissent plus intenses. Elle ressent également un profond besoin de faire
« don d’elle-même ». Des relations conflictuelles avec sa mère s’apaisent suite à
cette expérience, favorisant chez elle un sentiment de paix intérieure, de pardon
et d’amour. Sa peur de la mort diminuera également dans les suites de cette
expérience. Elle explique avoir eu de « bons et de mauvais souvenirs du séjour
en réanimation » mais qu’au final elle avait surtout des « beaux souvenirs »
qu’elle voulait « absolument conserver ».
Idriss décrit une EMI qui se déroula alors qu’il traversait une période délicate de
sa vie. Sa petite amie venait de le quitter et sa situation familiale et
professionnelle était difficile. Suivi par un psychiatre, il rencontrait d'importantes
difficultés relationnelles. Il était facilement « blessé par les paroles d'autrui » et se
trouvait en souffrance dans son emploi d'enseignant. Il se trouvait ainsi « au bout
du rouleau » et se sentait comme s'il était « mort dans sa tête ». C’est dans ce
contexte qu’il prend en stop un homme religieux, fort affable, qui lui propose de
lire le livre La vie des maîtres et lui dit « le soir vous pouvez vous mettre en
résonance si vous le voulez ». Idriss achète le livre et le soir venu, alors qu’il
s’apprête à s’endormir, il commence soudainement à ressentir de la joie. Il voit
une lumière blanche « très vive » qui selon lui « représentait ses difficultés ».
Tandis que la lumière grossit, il est troublé et se dit « Je fais quoi, j'y vais à fond
? ». Le lendemain matin, en se réveillant, Idriss se sent transformé. Sa
dépression et ses problèmes relationnels semblent s’être largement atténués.
Son psychiatre, selon les dires d’Idriss, parle de « miracle » et le dit « rajeuni et
méconnaissable ». Il a l'impression d'être devenu lui-même, d'être enfin
« entier ». Il arrête même de fumer et se met au sport. Il commence également à
peindre des paysages et à faire un peu de musique alors qu’il n’était pas porté
sur les activités artistiques. Cet « état de grâce » comme il le nomme durera
quatre à cinq ans. Depuis, Idriss aimerait revivre l’expérience initiale à l’origine de
sa « transformation ». Il pense en particulier que cette expérience montre que
nous avons tous en nous une « puissance supérieure ».
Notes
1. Alvarado et Zingrone (2009) dégagent plus particulièrement les
circonstances suivantes : maladie et chirurgie (45 %), accidents
(23 %), accouchement (20 %), tentatives de suicide (8 %) et usage
de drogue (4 %). À noter également qu’on les retrouve aussi
fréquemment sur les terrains de guerre (Goza, Holden & Kinsey,
2014).
8. Terme fréquemment utilisé par les personnes ayant vécu des EMI
pour se désigner elles-mêmes.
9. Les cas présentés dans ce chapitre proviennent du service de
consultation de CIRCEE et d’entretiens de recherche menés par
moi-même ainsi que par Anna Bergs, dans le cadre d’un travail de
recherche universitaire sur les expériences de mort imminente.
14. À noter à ce propos que la revue de vie n’est pas sans évoquer
une connotation religieuse, en particulier la pesée des âmes lors de
l’arrivée au paradis et le jugement dernier. Une question importante
émerge alors : dans quelle mesure le religieux est-il une
interprétation de ces vécus spontanés et ancestraux à l’approche de
la mort ? Sur les parallèles entre religion et expériences
exceptionnelles (Kripal, 2017), voir également l’étonnant Jésus
thaumaturge (2015) de Bertrand Méheust ainsi que La mystique
sauvage de Michel Hulin (1993).
15. Le tunnel est d’ailleurs souvent dans les œuvres de fiction un
espace intermédiaire vers d’autres mondes, en particulier le monde
de l’inconscient comme dans Alice au pays des merveilles. Ce qui
importe ici, ce n’est donc pas la relation de causalité linéaire entre
naissance et tunnel, mais la dimension imaginaire associée au
tunnel.
17. Même si nous avons trouvé plusieurs cas pour lesquels cette
hypothèse n’est pas confirmée comme nous l’avons déjà évoqué.
18. Bion aurait-il lui-même vécu une EMI ? Brown (2019) fait
l’hypothèse que certaines notions de Bion, en particulier la « fonction
alpha » sont une tentative de Bion d’élaborer un vécu traumatique
lors de la Première Guerre mondiale (ce dernier dira en effet : « Je
suis mort le 8 août 1918 à Amiens »). La fonction alpha aurait été un
moyen d’auto-théoriser la sidération induite par les traumas venus
enrayer sa capacité à rêver son expérience. Ainsi, si Freud a pensé
le rêve à partir du principe de plaisir, Bion le conçoit dans son
rapport au principe de réalité : « Freud dit qu’Aristote établit qu’un
rêve est la manière dont un esprit travaille quand il est endormi : je
dis que c’est la manière dont il travaille éveillé. ».
21. Brown rappelle que Turner fut élevé par une mère mélancolique
et qu’il a vécu des expériences de perte sa vie durant. Cette
recherche de lumière par le sublime était-elle un moyen d’éclairer
ces douloureuses expériences de l’enfance ? La même logique est-
elle à l’œuvre dans les EMI ?
Accompagnement
psychologique
des expériences exceptionnelle
s
« Le temps est venu pour les psychologues et les scientifiques des sciences sociales
et des sciences du comportement de considérer sérieusement les différentes formes
d'expériences exceptionnelles et de les intégrer dans leurs théories, leurs recherches
et leur pratique clinique. »
Etzel Cardeña, Steven Jay Lynn et Stanley Krippner, Varieties of Anomalous
Experience
« Je me vois pris dans le faisceau d’une torche qui m’éblouit et me cache l’émetteur.
Je suis inondé de lumière […] Je revois la vision du monde extérieur au moment de
ma naissance : je suis aspiré par la lumière. Je me rendors, l’esprit calmé, lavé,
purifié par ce bain de clarté. Mais je ne me sens pas encore illuminé : il me reste
beaucoup à comprendre. »
Didier Anzieu, L’esprit, L’inconscient
Seule une analyse clinique détaillée, au cas par cas, permet d’y voir
plus clair. Pour cela, il est essentiel d’avoir des bases solides dans le
champ de la psychopathologie. Il convient en particulier de parvenir
à déterminer la structure psychique prédominante au sein de
laquelle les expériences ont émergé, ce qui donnera des indications
précieuses concernant la compréhension de ces vécus et la suite du
suivi22. La grille proposée au quatrième chapitre (cf. p. 131) sera
utile à cet égard pour distinguer organisations névrotiques et
psychotiques. La question du diagnostic sera ainsi centrale, en
particulier au début de prise en charge et cela pour plusieurs raisons
(Evrard, 2014). Il s’agit tout d’abord d’être en mesure de distinguer
les expériences exceptionnelles de troubles psychopathologiques
qui pourraient nécessiter un suivi psychiatrique ambulatoire ou intra-
hospitalier. Il nous arrive en effet, comme les autres services de
consultation de ce type, d’être contactés par des personnes qui
présentent des prodromes de troubles psychotiques, le plus souvent
de nature schizophrénique. Ces personnes interprètent des
manifestations de ces troubles (perceptions inhabituelles,
hallucinations, syndrome d’influence, troubles cognitifs, etc.) comme
étant de nature paranormale. L’exercice clinique est souvent délicat,
car il peut s’agir de patients qui sont sur le point ou qui viennent de
décompenser sans être suivis dans un contexte médical.
Habituellement, le nombre d’entretiens avec ces patients est limité et
ceux-ci sont souvent déçus que nous ne puissions attester de leurs
capacités télépathiques ou de leurs visions prémonitoires. Voici
quelques exemples de ces situations :
Cas cliniques
Sinclair travaille comme ouvrier et nous contacte car il produit « un champ
électrique » qui l’oblige à mettre « du spray pour les cheveux » et « un bonnet la
nuit ». Après avoir vu un reportage sur les poissons, il pense avoir sur la tête des
sortes de « capteurs télépathiques » qui utilisent l’électricité. Les différents
neurologues qu’il a rencontrés lui ont dit qu’il s’agissait de l’effet de son
imagination. Un psychologue lui a également expliqué que cela dépassait ses
compétences. Sinclair souhaiterait être débarrassé de ces perceptions. Il précise
qu’il a déjà été hospitalisé en psychiatrie, car il se prenait « pour un prophète ».
Salomon se dit désespéré par un « lien psychique » avec de « vrais
psychopathes » qui le « rallument avec la télépathie ». Il n’arrive pas à se
« débrancher » et, quand tel est le cas, « ces vermines de l’astral rallument sa
glande pinéale ». Il s’agit selon lui de « parapsychologues de l’université de
Montréal » et Salomon explique qu’il souhaite une autre aide que « médicale ».
Stéphane, âgé d’une vingtaine d’années, entend des voix : celle du soleil et de sa
mère décédée, ce qui fait que sa tête est « grosse comme une pastèque ». Il
pense également avoir été l’objet « d’agressions télékinésiques » de la part d’un
chamane mal intentionné. Il se dit très gêné par la télépathie, car il « capte
n’importe quel message ». Il a cru qu’il allait devenir fou, au point de faire une
tentative de suicide. Il a également vu une « porte des étoiles dans le ciel » et a
alors eu l’impression d’avoir « tout l’univers dans la tête ». Ces expériences ont
commencé après un voyage à l’étranger au cours duquel on lui « pressait le
cœur » et on lui « éclatait la carotide ». Il voyait également des morts et parlait
avec eux. Il a été hospitalisé en psychiatrie et prend des antipsychotiques depuis.
Stéphane regrette que son psychiatre ne le comprenne pas, car il est certain de
l’existence de la télépathie. Il fume régulièrement du cannabis pour ne plus
penser à tout cela. Il nous contacte pour être rassuré sur le fait qu’il n’est pas fou
et pour l’aider face au travail qu’effectue sur lui une « équipe de chamanes ».
Sylvie, âgée de cinquante ans, dit vivre des choses « bizarres » depuis une
vingtaine d’années. Elle s’exprime avec difficulté et se trouve manifestement en
grande souffrance. Elle a l’impression d’être manipulée suite à un « choc mental »
et un médium lui a parlé récemment de « manipulation magique ». Elle a des
flashs et perçoit parfois des formes invisibles. Elle se demande si certaines
personnes ne lui en veulent pas. Elle a été suivie en psychiatrie durant dix ans et
a vu de nombreux prêtres, médiums et imams pour des voix qu’elle entendait, ce
qui est toujours le cas. Elle se demande si elle n’est pas possédée, comme si elle
était « hypnotisée ». Elle ressent également parfois des « piqûres ». Elle a aussi
pu voir des « fantômes en habit du Moyen Âge ». Sylvie se pose la question de
savoir si ses difficultés ne proviennent pas du fait qu’un cimetière se trouve en
face de chez elle. Le commissariat, situé à proximité, dérangerait peut-être les
morts…
Serge a l’impression de ne pas être maître de ses pensées. Il entend des bruits et
des bourdonnements. Il est très perturbé par ces ressentis et prend des
antidépresseurs depuis déjà quelques temps. Il souhaiterait avoir des
informations sur la télépathie et connaître ses conséquences sur le plan
psychologique. Il aimerait aussi être « dans un caisson hermétique pour éviter
ces interactions ». Il entend également « des bruits dans les murs avec un code »
et s’est demandé s’il s’agissait du diable ou des extraterrestres. Serge n’ose pas
parler de ces expériences à sa famille. Son psychiatre lui a répondu que la
télépathie était une forme de délire tandis que, selon Serge, sa psychologue voit
ces manifestations comme des échanges d’inconscient à inconscient. Ces
phénomènes ont commencé par l’impression « d’entendre les pensées » alors
qu’il était âgé d’une vingtaine d’années. Il se demandait si on pouvait « lui
envoyer une fille » et les voisins avaient répondu « pas comme ça ». Il était dans
une période de repli sur lui-même et fumait beaucoup de cannabis. Il avait aussi
la sensation d’être suivi, que les gens parlaient de lui dans la rue et il a « fait un
peu de mégalomanie ». Il pouvait également avoir l’impression que la télévision le
regardait. Serge se demande s’il n’est pas « un parasite » qui ressent le mal-être
des autres. Les antipsychotiques qu’il prend l’aident beaucoup dit-il, et il a
aujourd’hui un certain recul sur les délires qu’il a pu vivre précédemment.
Cependant, la télépathie et les coups dans le mur existent bel et bien selon lui.
Sabine, âgée d’une vingtaine d’années, dit « souffrir de télépathie ». Elle ne peut
pas regarder la télévision, car elle transmet ses pensées aux personnes qu’elle
voit dans le poste (Nicolas Sarkozy, Bill Clinton, etc.). Elle en éprouve d’ailleurs
une grande culpabilité. Sabine dit avoir eu « quelques problèmes
psychiatriques », ainsi qu’une « crise délirante » lors de laquelle elle se « prenait
pour Dieu ». C’est dans une deuxième phase qu’elle a commencé à vivre des
phénomènes télépathiques, par exemple dans le métro. Sabine refuse de prendre
les antipsychotiques prescrits par son psychiatre et elle souhaite que la réalité de
la télépathie soit reconnue. De façon plus générale, elle est persuadée que les
autres personnes entendent tout haut ce qu’elle pense. Elle se décrit ainsi
comme étant « télépathisante ». Si Sabine a conscience d’avoir vécu des
épisodes délirants concernant Dieu, elle est en revanche convaincue que ses
expériences télépathiques sont bien réelles.
Notre dispositif n’est guère approprié pour le suivi de tels patients,
pour lesquels une prise en charge dans un cadre psychiatrique, une
aide médicamenteuse ainsi qu’une hospitalisation peuvent parfois
s’avérer nécessaires. Nous faisons donc notre possible pour
réorienter ces personnes vers une structure adaptée. Enfin, comme
nous le verrons un peu plus loin, l’analyse psychopathologique est
aussi un préalable nécessaire à l’aide qui peut être apportée à
certaines personnes, en permettant de « faire le tri » entre les
différents vécus rencontrés. L’IGPP rapporte ainsi que près de la
moitié des personnes qui les contactent ont déjà un suivi
psychothérapique ou psychiatrique, ce qui correspond également
aux données que nous avons pu recueillir dans le service de
consultation23.
(2) Connaissances concernant les expériences exceptionnelles : s’il
n’est pas nécessaire d’avoir vécu soi-même une expérience de ce
type, une bonne connaissance de leur phénoménologie est
indispensable (Cardeña et al., 2014). Le clinicien devra en effet
parvenir à se représenter le vécu du patient de manière à pouvoir
s’identifier à celui-ci de manière non jugeante. Cela s’associe à la
capacité d’expliciter le vécu du patient comme nous le verrons un
peu plus loin. Il est également essentiel d’avoir des connaissances
concernant les réseaux et acteurs du champ du paranormal comme
ceux présentés dans le tableau page 317. De ce point de vue, le
travail clinique relève d’une forme d’ethnopsychiatrie tant le
paranormal fait office de monde parallèle à notre culture usuelle
comme l’illustre par exemple le cas de Paulette24 :
PSYCHOTHÉRAPIE PSYCHODYNAMIQUE
DES EXPÉRIENCES EXCEPTIONNELLES
« Est-ce que vous pouvez revoir la porte de la maison quand vous sortez ?
– Oui.
– Comment est-elle ?
– Je ne la vois plus très bien, la poignée est ronde.
– Ok. Vous ouvrez cette porte, que se passe-t-il juste après ?
– Il fait noir dehors. C'est la nuit
– Que se passe-t-il ensuite ?
– Je marche dans la neige. Je suis en tee-shirt. J'entends des voix.
– Comment sont ces voix ?
– Je ne me rappelle pas. Je suis à moitié conscient.
– Que se passe-t-il juste après ?
– Je crie le nom de mes beaux-parents.
– Ok.
– J'ai l'impression que le temps se rétrécit. On m'a dit que je suis resté vingt minutes
dehors dans la neige et que mes beaux-parents sont venus me réchauffer avec une
couverture. J'entends ma belle-mère dire qu'elle ne comprend pas, que je suis
pourtant un garçon très brillant.
– Quand vous dites que le temps se rétrécit, vous voulez dire qu'un temps qui vous a
paru très court était en fait plus long dans la réalité ?
– Oui, voilà.
– Que se passe-t-il ensuite ?
– Je sens une odeur d'hôpital. C'est probablement l'odeur de l'ambulance.
– D’accord.
– Et je me sens bien, j'ai l'impression de flotter.
– Ok.
– Et j'ai l'impression de rentrer dans un tunnel. Il y a une lumière au bout.
– Comment est ce tunnel ?
– Il est noir et assez long.
– Fait-il l'ensemble de votre champ visuel ?
– Oui, je ne vois que ça.
– Quelle longueur fait-il ?
– Environ cinquante mètres.
– D'accord. À quelle distance sont les parois ?
– Très proches, quelques centimètres.
– Ok. Donc vous êtes dans ce tunnel, qui est long d'une cinquantaine de mètres et
dont les parois sont très proches, avec une lumière au bout ?
– Oui.
– De quelle couleur est cette lumière ?
– Blanche et bleutée.
– Quelle taille fait-elle ?
– Elle est de la taille d'une grosse balle de tennis.
– Ok. Entendez-vous quelque chose ?
– Non, je n'entends rien.
– D’accord. Que se passe-t-il ensuite ?
– J'avance dans ce tunnel.
– À quelle vitesse ?
– Je ne sais pas. Il faut plusieurs minutes pour que j'arrive au bout.
– Ok. Que se passe-t-il ensuite ?
– La lumière me submerge. Je me sens bien, même si j'ai un peu peur. Je ressens
du bien-être dans la lumière. Je ne vois que du blanc et du bleu.
– Comment ressentez-vous ce bien-être ?
– Je ne sais pas bien.
– C'est dans l'ensemble de votre corps ?
– Oui.
– Ok. Ensuite ?
– Je suis submergé par la lumière et j'ai l'impression de partir. C'est à ce moment-là
que je me déconnecte. »
Le film Paranormal Activity, premier d’une série de cinq films du même nom, écrit et
réalisé par Oren Peli, et sorti sur les écrans en 2009, décrit l'histoire fictionnelle de
Micah et Katie, un jeune couple vivant à San Diego, confronté à des phénomènes
caractéristiques des cas de poltergeist. Afin de les enregistrer, Micah décide d'acheter
une caméra et de filmer en continu leur quotidien. Paranormal Activity se présente
ainsi comme un documentaire filmé à la première personne mettant en scène
l'intensité croissante des phénomènes auxquels le couple sera confronté. Bien que
tourné avec un petit budget (seulement 15 000 dollars), ce film a rencontré un certain
succès auprès du grand public et de la critique au point qu’il est le film le plus rentable
de tous les temps en rapport de son budget initial. Il a provoqué chez de nombreux
spectateurs une frayeur telle que plusieurs d’entre eux ont vécu des crises de panique
durant la projection du film, ce qui a conduit à son interdiction aux moins de 18 ans
dans plusieurs pays. Ce succès, et l’angoisse profonde suscitée par Paranormal
Activity, ne sont pas étrangers à la façon dont certains enjeux inconscients sont mis en
scène par le biais du paranormal. Ce film aide également à vivre « de l’intérieur » l’état
de stress induit par certaines expériences exceptionnelles.
Le début du film ressemble en effet à s'y méprendre à un cas de poltergeist, tel qu’il
est possible d’en rencontrer en clinique, mélange de bruits étranges, de
« déplacements » inexpliqués d'objets et d’apparitions. Outre l’association habituelle
de fascination et de peur que ce type d'expérience engendre, nous retrouvons les
réactions classiques dans cette situation : recherche d'explications alternatives,
demande d'aide à des proches, quête d’informations sur internet, appel à un médium,
tentative d'objectivation des phénomènes, interprétations spirites et essai de
communication avec les « entités ». La fiction semble ainsi se nourrir des cas
spontanés d'une manière relativement réaliste.
Au début du film, dès les premiers soirs suivant l'acquisition de la caméra, une
première manifestation discrète se produit alors que le couple est couché : un léger
bruit se fait entendre au rez-de-chaussée. Katie et Micah découvrent au matin que
leurs clefs sont tombées sur le sol de la cuisine. Il convient généralement de porter une
attention particulière aux objets qui sont ainsi « touchés » par le poltergeist. En
l'occurrence, nous pourrions interpréter ces clefs comme étant le symbole de cette
maison dans laquelle le couple vient d'emménager, symbole qui ne deviendra
intelligible qu'avec les manifestations ultérieures. Un autre phénomène se produit la
nuit suivante : la porte de la chambre à coucher s’ouvre et se ferme toute seule. Cette
porte peut être interprétée comme figurant l'entrée dans l'intimité du couple. Alors que
le phénomène est d’abord distant et discret, lors de la chute des clefs dans la cuisine, il
se rapproche et devient plus visible au seuil de la chambre à coucher. Dans les cas
spontanés, de façon similaire, les phénomènes s'intensifient généralement
graduellement, laissant progressivement s'exprimer le contenu psychique latent.
Katie demande alors l'aide d'un médium qui semble mal à l'aise. Celui-ci pense que
l'entité à l'origine des phénomènes est un démon, ce qui dépasse ses compétences.
Dans la réalité, il est fréquent que les personnes fassent ainsi appel à des médiums ou
autres spécialistes des milieux ésotériques. Ces derniers, avec leur sensibilité
exacerbée, présentent habituellement de façon métaphorique la nature des difficultés
rencontrées. Le fantôme, le revenant, ou, dans ce cas, le démon, vient dire quelque
chose de la dynamique psychique à l'origine du poltergeist. Ainsi, derrière le discours
manifeste du médium, nous pouvons entendre qu'il ne peut ni intervenir, ni faire office
de tiers dans cette situation. Les phénomènes se jouent donc au sein du couple et les
enjeux inconscients sont d'une intensité telle que le médium ne peut agir. Il précise par
ailleurs que le démon « veut Katie ». Le couple se trouve alors plongé dans une
solitude autarcique.
Micah, rationnel et cartésien, est cependant bien déterminé à trouver une explication à
ces manifestations intempestives. Malgré ses réticences initiales, il déploie tous ses
efforts pour aider sa compagne. Alors qu’il nargue « le démon » avec amusement et
curiosité dans un premier temps, il tente ensuite de communiquer avec lui à l'aide d'un
micro et d'une table de Oui-Ja. Katie, en revanche, ne veut rien savoir du « message »
du démon et souhaite simplement s'en débarrasser. Cette attitude est semblable à
celle observée dans les cas spontanés et traduit les phénomènes de projection et de
mise à distance du contenu psychique à l'origine du poltergeist. Chaque cas
correspond ainsi à une dynamique et une conflictualité psychique spécifiques qu'il
convient de dégager, cette mise en sens permettant aux personnes de se réapproprier
une histoire qui semble faire écho dans leur environnement. Il s'agit ainsi
d’« exorciser » ce contenu latent et le poltergeist demande donc à être « entendu ». Ce
processus demande un temps de décantation, qui permettra, au fil des entretiens, de
comprendre quels sont les conflits psychiques sous-jacents au poltergeist.
Quels sont alors, dans Paranormal Activity, les conflits psychiques qui font ainsi
intrusion dans la vie intime de ce couple ? Nous proposons l'hypothèse suivante : le
poltergeist, plus précisément le démon, a pour fonction de séparer le couple. Cette
séparation semble faire écho à une problématique œdipienne. Se séparer de Micah
correspondrait-il pour Katie à la possibilité d’être à nouveau « disponible » pour une
imago paternelle ? Celle-ci prendrait la forme du démon, représentation omnipotente et
terrifiante du père. Si l’on suit cette interprétation, les phénomènes semblent se
produire selon le dogme psychologique inconscient suivant : « Tu ne devrais pas être
avec cet homme, tu devrais être avec moi, ton père ». Cette problématique œdipienne
prendra la forme originale de la projection de cette conflictualité psychique, associée à
une forte culpabilité et des angoisses de castration. Cette hypothèse semble étayée
par plusieurs éléments. Tout d’abord, Micah reproche à Katie de ne pas avoir fait
mention de ces manifestations intempestives avant qu’ils emménagent ensemble.
N'était-ce pas déjà, chez elle, le signe de cette culpabilité, qui s'est traduite par
l’incapacité à en parler ? En effet, les phénomènes n'ont pas commencé avec
l'emménagement avec Micah, mais quand Katie était âgée de huit ans. À l’époque, sa
maison avait alors pris feu, ce qui peut être interprété comme symbole de la force des
premiers enjeux pulsionnels inconscients dans l’enfance. Dès cet âge, l'organisation
œdipienne et son refoulé se seraient donc exprimés selon cette projection dans
l'environnement avant de faire leur retour à l'âge adulte. Dans cette optique, on
comprend mieux que Micah et Katie, guidés par le démon, retrouvent dans le grenier,
au-dessus de leur lit, une photo d'enfance de Katie en partie brûlée. Le grenier pourrait
être pensé comme métaphore de cette réalité psychique latente qui se superpose à la
réalité manifeste. Il se cache donc « quelque chose » au-dessus de ce lit et Katie
demande d'ailleurs avec force à Micah de ne pas aller voir ce qui s'y trouve. Cette
dynamique inconsciente, qui rend complexe pour Katie le fait de vivre avec un homme,
apparaît également en filigrane derrière les demandes répétées de Micah de faire
l'amour. Les échanges du couple paraissent tendus et nous pouvons nous interroger
sur l’existence de problèmes conjugaux avant l'apparition des manifestations
paranormales. Nous pouvons également remarquer, dans la perspective d'une
dynamique œdipienne et castratrice, un geste prémonitoire de Micah, au début du
film : il fait mine d'égorger l'agresseur supposé avec un couteau. Cette dynamique
psychique restant masquée, elle se traduit par des manifestations qui s'intensifient. Ce
sont, comme souvent en clinique, des cauchemars récurrents de Katie dont elle ne
veut pas parler à Micah. Quelques nuits plus tard, un coup est frappé dans le mur. Il
est associé à un cri et au déplacement d’un lustre du salon. Le couple est terrorisé. La
nuit suivante, Katie se lève et regarde Micah comme un prédateur observe sa proie.
Elle sort alors dans le jardin, en état somnambulique, et répète qu’elle préfère dormir
dehors. Elle dit également à plusieurs reprises à Micah « Laisse-moi » et « Va-t’en ».
S'agit-il pour elle de la seule solution pour éviter d'agresser son compagnon ? Nous
passons ainsi progressivement de la projection dans l'environnement de la dynamique
inconsciente à des processus de possession.
Si Katie reste indifférente à une éventuelle explication des phénomènes, Micah met en
œuvre différents stratagèmes qui visent à les objectiver. Il semble vouloir donner forme
à cet agresseur de façon à pouvoir l'affronter et place de la farine à l'entrée de leur
chambre. Cette attitude est également fréquente en clinique et vise à tenter de garder
le contrôle par un phénomène de rationalisation des phénomènes. Au cours de la nuit,
des bruits de pas se font entendre tandis que des traces apparaissent au sol. Leur
forme rappelle celle des sabots d'un démon, nouveau symbole de cette imago
paternelle effrayante et bestiale. Le phénomène se rapproche toujours davantage du
couple qui ne peut fuir. La réalisation, avec une seule caméra, dans la lignée de films
comme Le Projet Blair Witch, met d'ailleurs en scène, pour le spectateur, ce sentiment
d'être contraint et de n’avoir aucune échappatoire possible. Le démon prend ainsi
progressivement « corps ». La nuit suivante, son ombre apparaît sur la porte, à
proximité du lit, avant que les draps ne soient soulevés et qu’il ne prenne place dans le
lit. Là encore, il s’agit de « phénomènes » classiques dans les cas cliniques. Ils se
traduisent souvent par des visions d’ombres ou de formes floues, ainsi que par le
ressenti d’un « souffle » ou d’une « respiration », alors que la personne est sur le point
de s’endormir.
Les phénomènes prennent une autre ampleur la nuit suivante et nous quittons la
réalité clinique pour rentrer dans une fiction qui permet de mettre d’autant mieux en
évidence les contenus inconscients de ce type de manifestations. Le démon en vient à
chasser violemment Katie hors du lit. Alors qu’elle est traînée dans le couloir par une
force invisible, Micah tente de la retenir jusque dans la salle de bain. Katie demande
une nouvelle fois à Micah de quitter la chambre et de rester en bas, ultime tentative
pour éviter l'intimité de la chambre qui raviverait la violence des enjeux inconscients.
Nous découvrons le lendemain que Katie a été mordue dans le dos. Elle paraît comme
vampirisée par cette morsure qui précipite la possession. L'imago paternelle, clivée et
projetée à l'extérieur, est à présent intériorisée. Les manifestations qui se cantonnaient
jusqu'alors à une activité nocturne se produisent désormais en plein jour, symbolisant
ainsi le fait que les contenus latents deviennent manifestes. Un bruit retentit à l'étage
et le couple découvre un cadre brisé : la photo de Micah qui porte une griffure. À
mesure que les phénomènes évoluent, ils sont plus précis et se caractérisent par une
agressivité évidente à l’égard du compagnon de Katie. Micah comprend que la
situation devient ingérable. Le couple est d’autant plus paniqué que les deux jeunes
gens ont découvert sur internet l’existence d’un cas similaire au leur. Celui-ci se serait
produit plusieurs dizaines d’années auparavant et aurait conduit à la mort d’une jeune
fille possédée. Micah et Katie en déduisent qu’ils sont poursuivis par le même démon,
car le prénom de cette jeune fille, Diane, était apparu sur la table de Oui-Ja qui avait
pris feu. Ces tentatives de mise en sens et d’explication des phénomènes de
poltergeist par différentes entités sont également habituelles en clinique.
Alors que le couple s’apprête à quitter la maison, la possession devient plus manifeste
quand Katie demande à Micah qu'ils restent finalement dans la maison. Elle regarde
alors la caméra et prononce quelques mots : « Tout va bien se passer maintenant ».
Sa voix est doublée de celle du démon tandis qu'un sourire inquiétant se dessine sur
son visage. La dernière nuit commence. La lumière s'allume à plusieurs reprises dans
le couloir. Des bruits de pas retentissent. Katie se lève comme les nuits précédentes.
On peut alors voir qu'elle est bien la cause des phénomènes : par un geste qu’elle fait
à distance, elle enlève le drap qui recouvre Micah. Elle s'approche de lui et le regarde
longuement. Puis elle quitte la pièce. Un cri se fait entendre au rez-de-chaussée.
Micah descend en courant pour tenter de secourir Katie. Quelques instants s'écoulent
en silence jusqu'à ce que des pas retentissent dans l'escalier. Micah est soudainement
projeté, de dos, sur la caméra. Katie apparaît, couverte de sang, le visage déformé par
un rictus démoniaque. Elle s'approche et se jette sur la caméra, ce qui sera la dernière
image du film. Nous apprenons enfin, par deux phrases laconiques, que le corps de
Micah fut découvert sans vie et que Katie n'a jamais été retrouvée.
La perméabilité psychique peut être comparée à l’obturateur d’un appareil photo qui a
pour fonction de laisser passer temporairement la lumière qui atteint le capteur ou la
pellicule. De la même manière, la psyché nécessite ce que Freud nomme le « pare-
excitation » qui vient filtrer, voire « tamiser », les expériences sensorielles et
émotionnelles afin de les rendre intégrables à la réalité psychique. Ainsi, de même que
l’obturateur s’ouvre de manière temporaire dans un appareil photo, la perméabilité
psychique varie d’un sujet à l’autre en fonction de son état psychique. La psyché
semble ainsi avoir à disposition un « obturateur psychique » qui lui permet, selon la
situation, de s’ouvrir plus ou moins au monde extérieur. Ce mécanisme engendre
secondairement l’ensemble des sous-processus relatifs à la perméabilité psychique :
hypnotisabilité, suggestibilité, hallucinatoire, etc. et des processus tels que l’hyper-
empathie, l’identification projective exacerbée et le retour d’éléments
transgénérationnels. De la même façon qu’une ouverture trop grande conduit à une
image surexposée (entièrement blanche) et qu’une ouverture trop petite produit une
image sous-exposée (entièrement noire), l’ouverture soudaine de la psyché risque
d’engendrer un phénomène de « surexposition » qui prendra la forme d’un vécu
traumatique qui met en danger l’équilibre psychique41.
Notes
1. Hans Bender a commencé par des études de psychologie et de
littérature avant de devenir médecin. Il suit les cours de Pierre Janet
et rédige sa thèse, soutenue en 1933, sur l’automatisme
psychologique dans ses rapports à la perception extra-sensorielle.
Après la Seconde Guerre mondiale, Bender obtient un poste
d’enseignant en psychologie à l’Université de Fribourg. Ce poste
devient en 1954 un professorat extraordinaire, puis ordinaire en
1967, portant à la fois sur la psychologie et ses zones frontières.
En 1950, il crée l’IGPP et propose une communication sur
« L’occultisme comme problème de l’hygiène mentale ».
16. Un séminaire de recherche a lieu une fois par mois portant aussi
bien sur des dimensions cliniques que plus expérimentales. CIRCEE
offre également la possibilité de passer facilement des annonces
pour de nouvelles recherches et d’interagir avec les médias.
18. Tous les contacts ne donnent pas lieu à des suivis et cela, pour
plusieurs raisons : certaines personnes nous font parfois des
demandes qui ne relèvent pas de la clinique des expériences
exceptionnelles ; d’autres ne donnent pas suite lorsque nous les
recontactons ; d’autres enfin souhaitent simplement quelques
informations par email. Environ les deux tiers des contacts se
traduisent par un suivi.
20. Il arrive également que nous soyons contactés par des proches
de personnes confrontées à des expériences exceptionnelles.
Comme cela peut arriver dans des services de consultation plus
traditionnels, nous essayons alors d’avoir un échange avec la
personne directement concernée si celle-ci est ouverte à cette
démarche.
25. Ces discours ne sont d’ailleurs pas sans intérêts, car ils gardent
souvent, chacun à leur manière, la trace des processus psychiques
qui animent le patient. Par exemple, il peut être utile de savoir ce
qu’un médium ou un voyant a pu dire au patient quant à l’origine de
ses souffrances.
39. Réaction qui n’est pas tout à fait dénuée de fondements, car il
arrive en effet que ces expériences soient considérées comme le
signe d’un trouble mental par certains praticiens du champ de la
santé mentale.
44. Ce recours peut prendre des formes très variées. Les positions
très militantes « contre » le paranormal (sceptiques, rationalistes,
« debunker », etc.) représentent aussi un rapport particulier à cet
objet qui témoigne de processus inconscients à son égard. Le
paranormal représente de ce point de vue un espace de projection
pour les mouvements psychiques les plus intimes. Plusieurs études
témoignent des traces de ces processus sur le plan cognitif avec des
particularités aussi bien chez les « croyants » que les « incroyants »
au paranormal (Irwin, 1993).
46. Par exemple, les perceptions psi chez les scientologues ou les
expériences d’abduction chez les raëliens.
À mon père, à qui je dédie cet ouvrage, car il fut à l’origine de mon
intérêt pour ce sujet et avec lequel d’innombrables discussions ont
constitué les ferments de mes réflexions, ainsi qu’à ma mère et ma
sœur dont le soutien fut tout aussi essentiel.
À Bernard Chouvier, pour m’avoir fait confiance lors de mes études
de psychologie et qui a su m’accompagner en thèse avec la
bienveillance qui le caractérise, tout en me laissant la liberté et
l'ouverture nécessaires à l’élaboration de ma pensée.
Aux enseignants-chercheurs du « baquet lyonnais » au sein duquel
j’ai eu la chance d’être immergé de nombreuses années. Mes
remerciements en particulier à René Roussillon, Anne Brun, Alain
Ferrant, Albert Ciconne, René Kaës et Nathalie Dumet, dont les
écrits et les enseignements furent fondamentaux dans ma formation
de psychologue clinicien et dont cet ouvrage garde la trace. Une
pensée également pour mon collègue lyonnais et ami Nicolas
Baltenneck.
Aux membres de l’Unité Koestler de l’Université d’Édimbourg, en
particulier Caroline Watt qui m’a accepté comme étudiant de thèse et
a su m’orienter au mieux dans mes travaux. Je pense aussi aux
nombreux conseils de Ian Tierney et la gentillesse avec laquelle il
m’a fait découvrir la psychologie clinique écossaise.
À Alain Finkel dont les enseignements à l’École Normale Supérieure
de Cachan ainsi que son soutien, durant toutes ces années, furent
extrêmement précieux. À mes collègues nantais, Didier Acier et
Aurore Deledalle, qui ont été des soutiens indéfectibles. Merci aussi
à Olivier Bonnot, Michel Amar, Michel Sanchez-Cardenas, Pascal Le
Maléfan, Emile Jallet et Pierre-Henri Castel qui m’ont beaucoup
appris.
À mes collègues de l’étranger, Daryl Bem, Patrizio Tressoli, Walter
Von Lucadou, Etzel Cardeña, Ed May, Dick Bierman, Dean Radin,
Chris Roe et Claudie Massicotte, dont l’aide et la pensée furent
également essentiels. Merci aussi à Pierre Lagrange, Eberhard
Bauer et Wolfgang Fach pour leurs conseils et leur relecture
attentive.
Aux membres du comité directeur de l’IMI, en particulier Bertrand
Méheust, Mario Varvoglis, Djohar Si Ahmed, Pascale Catala et Peter
Bancel ainsi qu’aux étudiants du GEIMI, au premier rang desquels
David Acunzo et Louis Sagnières avec qui j’ai eu tant de discussions
passionnantes. J’ai une pensée particulière pour Renaud Evrard qui
m’accompagne depuis le début de cette aventure et qui représente
un compagnon de route aussi exceptionnel que les sujets que nous
explorons ensemble. Aux membres du séminaire de CIRCEE que je
ne peux citer ici tant ils sont nombreux et qui ont également participé
à l’élaboration de ma pensée.
À l’ensemble de mes collègues nancéiens dont l’accueil en Lorraine
m’a permis de rédiger cet ouvrage dans les meilleures conditions. À
mes étudiants de master et de thèse, en particulier Olivier Charlet,
Samuel Caussié et Hélène Lansley qui sont une source toujours
renouvelée de motivation et d’inspiration.
À mon éditeur, Jean Henriet, qui a permis que ce livre soit publié
chez Dunod ainsi qu’à Valérie Le Rey et Candice Michel qui en ont
permis sa réalisation.
À toutes les personnes qui m’ont aidé ou qui ont contribué, d’une
façon ou d’une autre, à la construction de ce travail, fruit de plus de
quinze années d’efforts et de recherches ainsi qu’à toutes les
personnes qui m’ont fait confiance et qui ont bien voulu partager
avec moi ces vécus étranges et intimes.
Enfin, à ma compagne et à notre fille qui ont accompagné avec
tendresse la réalisation de cet ouvrage.
Parcours de lecture sur les
expériences exceptionnelles
SÉLECTION D’OUVRAGES
Koestler, A. (1972). Les racines du hasard (2018e éd.). Paris : Les
belles lettres.
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Empêcheurs de penser en rond.
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expériences exceptionnelles. Rennes : PUR.
Si Ahmed D. (2006). Comment penser le paranormal ?
Psychanalyse des champs limites de la psyché. Paris :
L’Harmattan.
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