Vous êtes sur la page 1sur 532

© Dunod, 2020

ISBN : 9782100812325

www.dunod.com
Dunod Editeur
11 rue Paul Bert, 92240 Malakoff

Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux


termes des paragraphes 2 et 3 de l'article L122-5,
d'une part, que les « copies ou reproductions
strictement réservées à l'usage privé du copiste et non
destinées à une utilisation collective » et, d'autre part,
sous réserve du nom de l'auteur et de la source, que
« les analyses et les courtes citations justifiées par le
caractère critique, polémique, pédagogique,
scientifique ou d'information », toute représentation ou
reproduction intégrale ou partielle, faite sans
consentement de l'auteur ou de ses ayants droit, est
illicite (art; L122-4). Toute représentation ou
reproduction, par quelque procédé que ce soit,
notamment par téléchargement ou sortie imprimante,
constituera donc une contrefaçon sanctionnée par les
articles L 335-2 et suivants du code de la propriété
intellectuelle.

All rights reserved. This work may not be translated or


copied in whole or in part without the written
permission of the publisher.

Toute reproduction d'un extrait quelconque de ce livre


par quelque procédé que ce soit, et notamment par
photocopie ou microfilm, est interdite sans autorisation
écrite de l'éditeur.
Table des matières

Introduction 9

1 Prolégomènes à l’étude clinique


des expériences exceptionnelles 15
Définir l’exceptionnel 15
Phénoménologie et classification 19
Caractéristiques principales 28
Hypothèses généralistes 36

2 Les expériences exceptionnelles à travers l’histoire


des pratiques cliniques 47
Entre magnétisme animal et somnambulisme artificiel
49
Spiritisme et hypnotisme 54
Les précurseurs modernes :
les sociétés de recherche psychique 57
Perspectives contemporaines sur les destins
de l’occulte 66

3 La solution paranormale, entre trauma et perméabilité


psychique 75
Événements de vie négatifs
et expériences exceptionnelles 75
Intersubjectivité précoce
et expériences exceptionnelles 79
Traumas dans l’enfance
et expériences exceptionnelles 84
La perméabilité psychique
et ses multiples formes d’expression 92

4 Processus hallucinatoires et états modifiés de conscience


123
Hallucinations et expériences exceptionnelles 124
Analyse structurale et expériences exceptionnelles
128
États modifiés de conscience et états hypnotiques 134
Fond hallucinatoire de la psyché
et figurabilité psychique 137

5 Les formes primaires de symbolisation et le psi 147


Métabolisation psychique et symbolisation primaire
147
Expériences de rencontre et dimension symboligène
153
Le psi dans la pratique clinique 159
Vers un modèle heuristique du psi ? 168

6 Les abductions : clinique de l’originaire 179


Phénoménologie et facteurs associés
aux expériences d’abduction 180
L’abduction, entre paralysie du sommeil
et processus hypnoïdes 190
Abduction, clivage et trauma 193
Fantasmes de séduction et situation anthropologique
fondamentale 197

7 La télépathie : clinique de l’intersubjectivité primaire 209


Freud et la télépathie : un héritage inexploité ? 210
L’occult(é) dans la correspondance Freud-Ferenczi
219
Développement des positions télépathiques et anti-
télépathiques 230
Transferts et processus télépathiques 239

8 Les sorties hors du corps : clinique de la réflexivité 255


Les expériences de sortie hors du corps
et leurs conséquences 256
Sorties hors du corps, enveloppes psychiques
et trauma 261
Matrice hallucinatoire, subjectivité et habitat psychique
266
De l’autre côté du miroir : double, réflexivité
et processus symboligènes 272
9 Les expériences de mort imminente : clinique de la
transformation 281
Phénoménologie et répercussions psychologiques 281
Vécu agonistique et vide représentationnel 289
Potentialité symboligène
et relance de l’activité représentative 293
Formes extrêmes de symbolisation
et processus transformationnels 298

10 Accompagnement psychologique
des expériences exceptionnelles 311
Tradition clinique dans le champ
des expériences exceptionnelles 312
Naissance d’un dispositif :
le service de consultation de CIRCEE 318
Positionnement clinique et connaissances « de base »
321
Psychothérapie psychodynamique
des expériences exceptionnelles 332

Conclusion et perspectives. De l’anomalie au paradigme ?


355

Remerciements 361

Parcours de lecture sur les expériences exceptionnelles 363

Bibliographie 369
Introduction

« Plus un fait est bizarre, plus il est instructif. »


Hippolyte Taine, De l’intelligence

« Il ne semble plus possible de rejeter l’étude de ce qu’on appelle les faits occultes,
ces choses qui prétendent cautionner l’existence réelle de puissances psychiques
autres que l’âme des hommes et des animaux que nous connaissons, ou qui
dévoilent des capacités jusqu’ici insoupçonnées en cette âme. L’attrait de cette
recherche semble être d’une force irrésistible. »
Sigmund Freud, Psychanalyse et télépathie

Cet ouvrage propose un abord clinique des expériences appelées


paranormales, exceptionnelles ou anomales. Celles-ci
correspondent à des vécus généralement rares, spontanés ou
provoqués, impliquant du point de vue du sujet une interaction non
ordinaire avec son environnement. Elles engendrent des émotions
intenses, positives ou négatives, provenant de leur caractère
inhabituel et étrange (Rabeyron, Chouvier & Le Maléfan, 2010). Ce
champ désigne plus précisément une dizaine d’expériences telles
que la télépathie, les sorties hors du corps, les expériences de mort
imminente ainsi que des phénomènes associés comme le déjà-vu, la
synesthésie ou la paralysie du sommeil. Sachant qu’environ la moitié
de la population rapporte avoir vécu au cours de sa vie au moins
l’une de ces expériences (Ross & Joshi, 1992), l’objectif de ce travail
sera de mettre en évidence leurs caractéristiques et leur intérêt à
partir des questionnements suivants : pourquoi certaines personnes
vivent-elles des expériences qu’elles considèrent comme
paranormales ? Quel est le contexte d’émergence de ces
expériences ? Quelles sont leurs particularités
phénoménologiques ? Quels sont les processus psychiques qui les
caractérisent ? Comment s’articulent-elles avec des éléments
psychopathologiques ? Sont-elles source de transformations
psychiques et que peuvent-elles nous apprendre de notre rapport au
réel ?
Les perspectives ainsi ouvertes prolongent les réflexions engagées
par la communauté scientifique depuis la fin du XIXe siècle. À cette
époque, des recherches sont initiées par des universitaires membres
de la Society for Psychical Research (SPR) à Cambridge, de
l’American Society for Psychical Research (ASPR) à Boston et de
l’Institut Métapsychique International (IMI) à Paris (Méheust, 1999).
Des philosophes, médecins et psychologues comme William James
(1902), Fréderic Myers (1903), Charles Richet (1923, 1928, 1933),
Henri Bergson (1932) ou encore Sigmund Freud (Devereux, 1953 ;
Freud, 1936 ; Massicotte, 2014) tentent alors de comprendre et
d’expliquer ces expériences. Des membres de la SPR (Sidgwick,
Johnson, Myers & Podmore, 1894) publient en particulier dans le
Report on the census of hallucinations les conclusions de l’une de
leurs principales études pour laquelle 17 000 personnes répondent à
la question suivante : « Avez-vous déjà eu l’impression réaliste de
voir, d’entendre ou d’être touché par un être vivant ou un objet
inanimé qui ne semblait pas avoir de cause externe alors que vous
étiez entièrement éveillé ? »1. Près d’une personne sur dix répond
par l’affirmative, cette étude soulignant déjà la prégnance de vécus
inhabituels au sein de la population générale (Méheust, 1999).
Cependant, leur statut épistémologique et leur complexité les
rendirent difficilement intégrables aux modèles scientifiques de
l’époque. Ces expériences seront donc progressivement
marginalisées par la psychologie mainstream tout au long du XXe
siècle, demeurant un « reste » qui n’a été que partiellement intégré
par la psychologie et la médecine contemporaines (Evrard, 2014 ; Le
Maléfan, 2000).
Les avancées de la psychologie clinique, de la psychanalyse, de la
médecine et des neurosciences permettent aujourd’hui de mieux
comprendre ces expériences appelées désormais exceptionnelles
ou anomales. Ainsi, ces dernières années ont-elles vu de nombreux
travaux se dégager sur ce thème du point de vue de la psychologie
clinique (Kramer, Bauer & Hövelmann, 2012), de la psychologie
anomalistique (Cardeña, Lynn & Krippner, 2014 ; Holt, Simmonds-
Moore, Luke & French, 2012), de la psychanalyse2 (Brottman, 2011 ;
De Peyer, 2014 ; Eshel, 2006 ; Si Ahmed, 2014) et des
neurosciences cognitives (Brugger & Mohr, 2008 ; Krippner &
Friedman, 2009). Ces travaux montrent que ces expériences se
manifestent chez des personnes de tous âges, indépendamment du
genre, de l’éducation ou de la culture (Evrard, 2013). Il existe en
outre des relations complexes entre psychopathologie et
expériences exceptionnelles, ces dernières ne pouvant cependant
être systématiquement réduites à des phénomènes de nature
pathologique (Evrard, 2013 ; Rabeyron, 2010).
Ces expériences peuvent être classées en dix catégories
principales. Certaines d’entre elles impliquent tout d’abord une
interaction « perceptive » inhabituelle entre un sujet et son
environnement. Ainsi, durant les (1) perceptions psi, le sujet pense
être en mesure d’obtenir des informations sur un mode paranormal
directement à partir de l’esprit d’une autre personne (télépathie), à
distance (clairvoyance) ou du futur (précognition)(Bem, 2011). Dans
(2) les expériences de visions et d’apparitions, un élément (une
personne, un animal ou un objet) est perçu de manière réaliste sans
que le sujet puisse déterminer l’origine de cette perception. (3) Les
sorties hors du corps impliquent quant à elles l’impression de se
trouver en dehors de son corps (Blanke & Dieguez, 2009). D’un
point de vue plus « projectif », certaines personnes pensent avoir
une influence paranormale sur ce qui les entoure. C’est le cas des
(4) expériences de psychokinèse et de poltergeist qui supposent
l’action à distance de la pensée sur la matière ainsi que des (5)
expériences de magnétisme et de guérison qui correspondent à une
influence du même ordre sur la matière biologique et les organismes
vivants (Schmidt, Schneider, Utts & Walach, 2004).
Un autre ensemble d’expériences exceptionnelles implique les
contacts supposés avec ce que l’on pourrait considérer comme
d’autres mondes ou d’autres formes de vies. Cela inclut les (6)
expériences de mort imminente (Mobbs & Watt, 2011 ; Van Lommel,
Van Wees, Meyers & Elfferich, 2001) qui se produisent en particulier
après un coma ou un arrêt cardiaque et durant lesquelles les
personnes (après avoir vu, par exemple, un tunnel) interprètent
fréquemment cette expérience comme un voyage dans l’après-vie
(Parnia et al., 2014). Une croyance en la vie après la mort est
également habituelle dans les (7) expériences médiumniques, qui
donnent lieu à différentes formes de communications supposées
avec les défunts. Dans les (8) expériences de réincarnation, le sujet
pense avoir accès à des souvenirs de vies antérieures (Stevenson,
1967) tandis que les (9) expériences mystiques correspondent au
sentiment souvent intense de faire un avec Dieu ou l’univers. Enfin,
la plus surprenante de ces expériences est probablement (10)
l’expérience d’abduction lors de laquelle le sujet est convaincu
d’avoir été enlevé par des extraterrestres (Clancy, McNally, Schacter,
Lenzenweger & Pitman, 2002).
Il est commun pour une même personne de rapporter plusieurs de
ces expériences, en particulier après une « expérience paranormale
inaugurale » qui ouvre la voie à d’autres expériences du même ordre
(Rabeyron, 2012). Il apparaît pertinent pour cette raison, comme
nous le proposons dans cet ouvrage, de les aborder comme un
ensemble du point de vue aussi bien clinique que théorique. Dans
cette perspective, la psychologie anomalistique aide à expliquer ces
expériences dans leur globalité (French & Stone, 2013 ; Holt,
Simmonds-Moore, Luke & French, 2012), tandis que la clinique des
expériences exceptionnelles se focalise sur l’accompagnement
psychologique de ces vécus inhabituels (Landolt et al., 2014). Une
prise en charge psychologique spécialement adaptée peut ainsi
s’avérer nécessaire pour aider les personnes confrontées à ces
expériences. En effet, si près de la moitié d’entre elles trouve ces
expériences agréables, voire même les recherche, l’autre moitié
développera différentes formes de souffrance psychique et
somatique. De ce point de vue, ces expériences interrogent de
quelle manière les cliniciens sont susceptibles de réagir face à des
récits qui viennent parfois heurter leur propre conception de la
réalité. Ainsi, dans une étude menée aux Pays-Bas auprès
de 640 spécialistes de la santé mentale (Evrard, 2013), près de la
moitié d’entre eux ont répondu avoir déjà été confrontés à des récits
d’expériences anomales de la part de leurs patients. Quatre
cliniciens sur cinq ont également rapporté un manque d’information
sur ce sujet3. Ces expériences peuvent pourtant induire chez ceux
qui les vivent – et parfois ceux qui les écoutent – un « choc
ontologique » (Mack, 1995)4. Cet ouvrage aura donc pour objectif
d’aider les cliniciens à accompagner leurs patients quand ces
expériences et leurs effets émergeront en cours de thérapie. Celles-
ci engendrent fréquemment des réactions de rejet ou de fascination
aussi bien chez le grand public qu’au sein de la communauté
académique. Ainsi, comme le remarque Pascal Le Maléfan (2005) :
« La question concerne […] l’attitude du clinicien envers ce qui est proprement
extraordinaire, soit ce qui vient mettre en question son rapport à la rationalité
ambiante et aux catégories fondamentales qui ordonnent le monde, ainsi que sa
conception de la psyché et sa pratique. La difficulté est ici d’ordre épistémologique
autant que transférentielle. Il n’est aucunement anodin, en effet, dans l’accueil et
l’accompagnement des dires d’un sujet, de juger qu’ils sont inacceptables,
irrecevables, car pas concevables dans le cadre des connaissances partagées par
une communauté scientifique. Il l’est tout autant de tout accepter. Le problème est en
fait celui d’un discernement éclairé, qui ne préjuge pas trop vite et ouvre sur un
temps pour évaluer » (p. 514).

Les expériences exceptionnelles impliquent donc une gymnastique


intellectuelle afin de juguler la dissonance cognitive5 (Festinger,
1957) induite par la rencontre avec l’inconnu ou l’incroyable
(Rosolato, 1978). La tentation est grande, en effet, de rejeter a priori
l’intérêt de ces expériences, voire même de dénier leur existence ou,
au contraire, d’être emporté par diverses croyances qui leur sont
associées (Irwin, 2009). Nous verrons dans quelle mesure la
capacité à porter un regard réflexif sur ces réactions spontanées est
essentiel en ce domaine. Cette « clinique de l’extrême » (Estellon &
Marty, 2012) implique en effet une dynamique contre-transférentielle
qui garde la trace de l’« extrémisation » des processus à son origine.
C’est probablement en partie pour cette raison que cette thématique
de recherche est restée jusqu’à récemment assez peu développée
dans les milieux universitaires en France (Evrard, 2016). Dans le
champ psychanalytique, cette tendance fut renforcée par la position
ambivalente de Freud concernant la télépathie. Cette thématique
mène pourtant à des questionnements fondamentaux portant, par
exemple, sur la profondeur des liens intersubjectifs, la nature intime
du transfert et les processus hallucinatoires, autant de sujets qui
conduisent en retour à interroger un certain nombre de présupposés
des pratiques cliniques dans leur ensemble (Rabeyron, Evrard &
Massicotte, 2019).
Ainsi, de la même manière que le fonctionnement pathologique
éclaire le processus normal, de nouvelles découvertes cliniques et
théoriques sont parfois possibles aux frontières de l’expérience
subjective. Ces expériences aident ainsi à mieux comprendre les
formes extrêmes du processus de symbolisation (Chouvier, 1998 ;
Roussillon, Chabert, Ciccone & Ferrant, 2007). Par exemple, les
sorties hors du corps offrent la possibilité d’étudier sous un angle
original les processus de « personnalisation » du corps (Winnicott,
1989). Ces expériences aident aussi à analyser la façon dont la
psyché tend à auto-représenter ses propres processus à ses limites.
Cette clinique conduit dès lors à explorer la théorie à partir d’une
extension des pratiques qui vient déborder nos modèles
épistémologiques (Kaës, 2015). De ce point de vue, malgré les
travaux déjà existants, les expériences exceptionnelles demeurent
encore aujourd’hui une relative terra incognita.
Dans cette perspective, cet ouvrage sera utile pour l’ensemble des
praticiens du champ de la santé susceptibles d’être confrontés à ces
expériences. Il pourra aussi intéresser le lecteur curieux, en
particulier celui qui a vécu certaines de ces expériences et souhaite
mieux en comprendre les tenants et aboutissants. Dans cette
perspective, nous avons fait notre possible pour vulgariser les
notions utilisées et permettre à un lecteur néophyte en psychologie
ou en psychanalyse de parvenir à suivre le fil du propos au cours
des dix chapitres qui composent l’ouvrage. Celui-ci débutera par un
premier chapitre offrant des éléments de définition et de
classification des expériences exceptionnelles. Le deuxième chapitre
sera l’occasion de se plonger dans les origines historiques des
travaux sur cette thématique, préalable nécessaire à la
compréhension des particularités épistémologiques liées à ces
expériences. Nous pourrons ensuite, au troisième chapitre,
développer un abord global des expériences exceptionnelles à partir
du modèle de la solution paranormale6. Le quatrième chapitre
portera sur les processus hallucinatoires associés à ces expériences
tandis que le chapitre cinq sera l’occasion d’explorer la
symbolisation et le psi. Les chapitres suivants approfondiront l’étude
de quatre de ces expériences selon différents prismes théoriques : la
télépathie et l’intersubjectivité primaire (chapitre 6), les abductions et
l’originaire (chapitre 7), les sorties hors du corps et la réflexivité
(chapitre 8), les expériences de mort imminente et la transformation
psychique (chapitre 9). Enfin, nous proposerons au dixième chapitre
une synthèse concernant l’accompagnement psychologique des
personnes qui rapportent des expériences exceptionnelles avant de
conclure par quelques mots dédiés au futur de ce champ de
recherche.

Notes
1. Traduction de l’auteur. Il en sera de même pour les nombreuses
citations provenant d’écrits en anglais.

2. Nous pouvons remarquer une augmentation sensible des


publications sur ce sujet en français depuis quelques années,
portant notamment sur la télépathie (Si Ahmed, 2014), les
abductions (Maleval & Charraud, 2003), les sorties hors du corps (Le
Maléfan, 2005), les expériences médiumniques (Laufer, 2007), les
expériences mystiques (Gumpper, 2008), les hallucinations
« véridiques » (Le Maléfan, 2008b) et les expériences
exceptionnelles de manière plus globale (Evrard, 2014).

3. De ce point de vue, les expériences exceptionnelles partagent


d’ailleurs certaines particularités avec la clinique transgenre. Elles
confrontent toutes les deux à des problématiques identitaires
complexes et parfois déroutantes (Castel, 2003). Nous y reviendrons
en conclusion.

4. Cette thématique a par ailleurs des ramifications plus globales


concernant la manière dont les cliniciens travaillent avec les
expériences hallucinatoires ou réputées psychotiques (Evrard &
Rabeyron, 2012). Des points de convergence sont possibles ici avec
l’approche des entendeurs de voix (Romme & Escher, 1989).

5. La théorie de la dissonance cognitive suppose qu’un sujet


éprouve une situation de tension désagréable quand il se trouve
confronté à des connaissances, des opinions ou des croyances le
concernant, ou concernant son environnement, qui s’avèrent
incompatibles entre elles. Le sujet vise alors à diminuer cette
dissonance selon des processus de rationalisation.

6. Les situations cliniques présentées dans cet ouvrage proviennent


de mon travail de thèse (Rabeyron, 2009), du service de
consultation de CIRCEE (présenté au dernier chapitre), d’entretiens
de recherche et de travaux universitaires menés avec certains de
mes étudiants (Chapitre 7, Samuel Caussié ; Chapitre 8, Anna
Bergs).
Chapitre 1

Prolégomènes à l’étude
clinique
des expériences exceptionnelle
s
« Je pense qu’il est important de faire preuve d’audace lorsque l’on s’attaque à des
problèmes difficiles, tout spécialement à ceux qui apparaissent initialement confus et
non structurés. On ne devrait pas être effrayé de tenter de nouvelles aventures,
comme changer de domaine ou bien travailler à l’interface de disciplines différentes,
car c’est aux frontières que l’on trouve certains des problèmes les plus
intéressants. »
Eric Kandel, À la recherche de la mémoire

DÉFINIR L’EXCEPTIONNEL
Les termes pour désigner les expériences exceptionnelles sont
nombreux et un même auteur choisit parfois de changer de terme ou
de faire évoluer celui qu’il utilisait initialement. Il existe par
conséquent une pluralité de vocables et de définitions associés à
ces expériences et une première particularité d’ordre étymologique
concerne le simple fait de les nommer. Cela témoigne de la difficulté
à catégoriser et intégrer ces expériences dans nos modèles de
pensée comme nous le verrons au chapitre suivant.
Pour le grand public, elles sont souvent considérées comme
appartenant au champ global du « paranormal » (Wallon, 1999). Le
Petit Larousse dit de celui-ci qu’il concerne « des phénomènes en
marge de la normalité ». Le paranormal serait donc un domaine dont
les contours se dessinent en négatif par rapport à la normalité. Il se
situe « à côté » du normal, à la différence du surnaturel qui
échapperait aux lois de la nature. On remarquera cependant que le
normal est lui-même un concept à géométrie variable selon les
époques, les sociétés et les cultures. Celles-ci tentent en effet de
« normaliser » le réel, de le faire rentrer dans des catégories
heuristiques, rassurantes et utiles, permettant de distinguer ce qui
« existe » de ce qui n’existe pas selon une logique essentiellement
pragmatique. Dans la culture occidentale, la pensée scientifique
(Chalmers, 1987) – influencée en particulier par le matérialisme et le
réductionnisme – a pris une place prédominante dans ce travail de
catégorisation du réel1. Notre culture produit ainsi une dichotomie
entre le normal-scientifique et le paranormal-non scientifique. De ce
point de vue, le paranormal est souvent considéré comme ce qui
serait donc non scientifique ou pseudo-scientifique (Charpak &
Broch, 2002). Il est alors réduit aux registres de l’illusion, de la
croyance, de l’irrationnel et de la folie. Certains revendiquent au
contraire l’existence et l’accès à un paranormal relevant de l’indicible
et du mystère en tant que part du réel inatteignable par
l’investigation scientifique.
Ces représentations caricaturales sont réductrices et peu
heuristiques car elles tendent à déterminer d’emblée que ces
expériences seraient opposées ou inaccessibles à la démarche
scientifique. Elles correspondent en outre à une vision du
paranormal floue et mouvante qui entrave la possibilité de définir
rigoureusement cet objet d’étude. Le risque est ainsi de faire
perdurer une forme de clivage de ces expériences en les situant
hors de la norme ou de ce qui serait considéré comme appartenant
à la normalité. Une partie des recherches anglo-saxonnes a
néanmoins fait le choix de reprendre ces termes d’expériences
paranormales (paranormal experiences) et de croyances au
paranormal (paranormal beliefs). Plusieurs questionnaires largement
utilisés portent ainsi sur ces croyances, en particulier la Paranormal
Belief Scale (Tobacyk & Milford, 1983) et l’Australian Sheep-Goat
Scale (Thalbourne & Delin, 1993)2. D’autres auteurs ont proposé
d’insister sur le caractère subjectif de ces expériences avec le terme
d’« expériences paranormales subjectives » (subjective paranormal
experiences) (Neppe, 1980) dont l’usage est resté cependant limitée
(Ruttenberg, 2000).
Une autre expression utilisée fréquemment dans la littérature est
celle de facteur « psi » proposée par le psychologue Robert
Thouless (1942) en référence à la vingt-troisième lettre de l’alphabet
grec (ψ) qui symbolise l’inconnu. Thouless distingue plus
précisément le « psi gamma » pour les processus perceptifs
(perceptions extra-sensorielles) et le « psi kappa » concernant les
processus projectifs (psychokinèse). Ce terme a pour avantage de
désigner ces expériences sans préjuger de leur nature sur le plan
théorique. Nous l’avons repris pour une catégorie d’expériences
exceptionnelles, les perceptions psi, car il semble moins connoté
que celui de perceptions extra-sensorielles3. Dans le même ordre
d’idée, le psychologue Keith Harary (1986) a proposé le terme
d’« expérience psi apparente » (apparent psi experience) avant de
privilégier l’expression d’« expérience psi rapportée » (reported psi
experience) (Harary, 1989).
Dans le champ psychanalytique, le paranormal a souvent été
désigné par les termes d’« occulte » ou d’« occultisme » dans la
continuité des écrits freudiens sur ce sujet (Freud, 1936 ; Moreau,
1976). Les chercheurs en sciences psychiques du début du XXe
siècle se référaient également à une possible « psychologie
occulte » (Richet, 1922) tandis que d’autres termes de cette époque
ont eu des destins variables comme celui d’expériences
« noétiques » (William James, 1902)4. Plus récemment, Charles Tart
(2000) a pour sa part largement utilisé le terme d’expériences
« transpersonnelles » tandis que le psychiatre Stanislas Grof (1989)
parle d’expériences ou d’émergences « psycho-spirituelles ». Nous
trouvons également l'expression d’expériences « extraordinaires »
sous la plume de David Helminiak (1984) et John Mack (1994)
tandis que la littérature new-age a recours à diverses appellations
telles que expériences « parapsychiques », « transcendantales » ou
« ésotériques ».
Au cours des années 1980, le terme d’« expérience anomale »
(anomalous experience) fait son apparition, dans un ouvrage de
Graham Reed (1988) qui porte sur un abord essentiellement cognitif
de ces expériences. À la même époque, Sybo Schouten (1986)
propose d’appeler « expérience anomale » toute expérience
humaine interprétée de façon paranormale. Ce terme sera repris
dans le Varieties of anomalous expériences (2000), ouvrage de
référence publié par l’American Psychological Association dont les
auteurs définissent une expérience anomale comme :
« Une expérience inhabituelle (par exemple, la synesthésie) ou une expérience, qui
bien qu’elle puisse être vécue par une part substantielle de la population (par
exemple, les expériences interprétées comme étant télépathiques), est perçue
comme déviant des expériences ordinaires et des explications classiques de la
réalité » (p. 4).

Les expériences anomales s’inscrivent plus largement dans le


champ de la psychologie anomalistique (anomalistic psychology), un
courant initié au Royaume-Uni dans les années 2000, qui vise à
expliquer scientifiquement les expériences paranormales (French &
Stone, 2013 ; Holt, Simmonds-Moore, Luke & French, 2012)5. Ce
terme a pour intérêt d’être neutre et de souligner le fait que ces
expériences représentent une forme d’anomalie du point de vue de
nos modèles de connaissance actuels (Evrard et Ouellet, 2019).
Cependant, sa traduction française en « expérience anomale » est
très proche du terme « anormal » menant à un amalgame fréquent
qui réduit ces expériences à leur caractère pathologique.
C’est pourquoi nous lui préférons le terme d’« expériences
exceptionnelles6 » (exceptional experiences)7 davantage utilisé par
les cliniciens spécialisés en ce domaine (Belz-Merk, 2000). Elles
sont alors définies comme des « expériences qui s’écartent, par leur
qualité, leur déroulement ou leur genèse, des croyances sur la
réalité des personnes concernées et/ou de leur environnement
social et/ou des concepts épistémologiques, des principes
scientifiques et des lois qui sont établis dans les sociétés modernes.
Ce terme est idéologiquement neutre et n’implique aucune
affirmation sur le statut réel de ces expériences ou sur l’état de santé
mentale des personnes qui les rapportent » (Fach et Belz, 2015,
p. 466). Reprenant ce terme, nous en avons proposé la définition
suivante :
« Une expérience exceptionnelle est une expérience généralement rare, spontanée
ou provoquée, impliquant du point de vue du sujet une interaction non ordinaire avec
son environnement. Elle engendre habituellement des émotions intenses, positives et
négatives, provenant de son caractère inhabituel et étrange » (Rabeyron, 2009).

Cette définition met l’accent sur la dimension subjective et non


ordinaire de ces expériences ainsi que sur l’impact émotionnel
qu’elles induisent. Le sujet se trouve ainsi confronté à une
interaction avec son environnement dont il ne parvient pas à faire
sens à partir de sa représentation usuelle de la réalité. Il est délicat
de proposer une définition plus précise sans induire une
interprétation implicite de ces vécus sur le plan ontologique, raison
pour laquelle nous avons choisi d’en rester à ce niveau « méta ».
Cette définition ne prend véritablement son sens qu’associée à une
classification phénoménologique qui permet de se représenter les
spécificités de chacune de ces expériences comme nous allons le
voir.

PHÉNOMÉNOLOGIE ET CLASSIFICATION
Cette diversité dans les termes utilisés pour désigner les
expériences exceptionnelles se retrouve dans les différentes
manières de décrire leur phénoménologie et de les catégoriser.
Nous proposons tout d’abord de dégager six critères qui
caractérisent les expériences exceptionnelles et justifient de les
désigner en tant qu’entité « clinique »8 à part entière :
1. interactions supposées non ordinaires avec l’environnement ;
2. caractéristiques phénoménologiques spécifiques ;
3. caractère marquant et parfois traumatique de l’expérience ;
4. interprétations et croyances spécifiques qui leur sont liées ;
5. dimension transculturelle9 ;
6. effets potentiellement transformateurs sur le corps et la psyché.
Plusieurs classifications ont été proposées pour rendre compte de
cette phénoménologie depuis les premiers travaux menés par les
sociétés de recherche psychique à la fin du XIXe siècle. Il s’agit en
particulier des recherches de Gurney, Myers et Podmore (1886) en
Angleterre, de Louisa Rhine (1963) aux États-Unis et de Sannwald
(1963) en Allemagne. Gurney et ses collègues (1886) ont analysé
les réponses de 5705 personnes concernant des expériences
exceptionnelles tandis que Rhine et Sannwald ont évalué
respectivement 1073 et 1000 cas. Les résultats de Gurney et al. ont
été publiés dans Phantasms of the Living (1886), le mot phantasm
faisant référence à « toutes les catégories de cas où il y a une raison
de supposer que l’esprit d’un être humain a affecté l’esprit d’un
autre, sans l’utilisation du discours, l’écriture de mots, ou de signes
fabriqués ; par affecté de la sorte, nous entendons par aucun autre
moyen que ceux reconnus comme reposant sur les canaux
sensoriels » (p. 7). La classification proposée dans de ce premier
recueil de cas spontanés est la suivante : (1) transferts de pensée,
(2) expériences motrices et émotionnelles, (3) rêves, (4) cas limites
entre l’état vigile et le sommeil, (5) expériences visuelles, auditives
et multisensorielles, (6) cas réciproques et enfin (7) expériences
impliquant plusieurs personnes.
Après la Seconde Guerre mondiale, Louisa Rhine (1953) étudie un
peu plus de 1000 récits d’expériences exceptionnelles relevant
essentiellement du champ des perceptions psi. Elle repère la
précognition comme étant l’expérience la plus commune, suivie de la
télépathie puis de la clairvoyance. Rhine décrit également un certain
nombre de leftover cases habituellement rapportés à la suite du
décès d’un proche10. Rhine organise ses cas en quatre catégories :
(1) expériences intuitives associées à un sentiment inhabituel lié à
un événement en train de se produire ou qui se produira ensuite
(26 %), (2) hallucinations pour lesquelles une stimulation sensorielle
semble indépendante d’un stimulus externe (9 %), (3) rêves réalistes
(44 %) et enfin (4) rêves non réalistes dans lesquels le message
semble déformé (21 %). Cette classification porte donc
essentiellement sur l’état de conscience dans lequel se trouve le
sujet lors de l’expérience. Dix ans plus tard, en Allemagne,
Sannwald (1963) mène également une large étude portant sur les
cas spontanés comparant en particulier la proportion de cas de
précognition (52 %) et de télépathie (48 %).
Ces études réalisées à partir de récits d’expériences exceptionnelles
ont néanmoins pour défaut de ne pas rendre compte de l’ensemble
de la population puisqu’elles concernent un échantillon sélectionné.
Des travaux davantage représentatifs ont donc été menés
ultérieurement, portant souvent sur les croyances au paranormal et
utilisant généralement la Paranormal Belief Scale (Tobacyk &
Milford, 1983) ainsi que l’Australian Sheep-Goat Scale (Thalbourne
& Delin, 1993)11. D’autres échelles concernant plus spécifiquement
les expériences en elles-mêmes ont également été développées et
utilisées comme l’Anomalous Experiences Inventory (Gallagher,
Kumar & Pekala, 1994)12. Parmi les nombreuses études sur cette
thématique, nous pouvons relever en particulier celles de Palmer
(1979), Blackmore (1984), Haraldsson (1985), Ross et Joshi (1992)
ainsi que le sondage Gallup et Newport de 1991.
Les auteurs du Varieties of Anomalous Experience (Cardeña et al.,
2000) catégorisent quant à eux ces expériences en fonction de leur
contexte (niveau de conscience, volonté et contrôle du sujet) et de
leur phénoménologie (aspect hédonique, qualités physiques,
dimensions sensorielles, corporelles et transformationnelles). Une
autre grille de lecture a été proposée par Berenbaum, Kerns et
Raghavan (2000) qui distinguent trois paramètres : (1) les
perceptions sensorielles inhabituelles (auditives, visuelles, tactiles,
olfactives et kinesthésiques) ; (2) les expériences exceptionnelles
(somme de l’ensemble de l’expérience phénoménologique vécue) ;
(3) la croyance au paranormal (interprétation paranormale de
l’expérience). Ces trois paramètres peuvent varier d’une personne à
l’autre (par exemple : perceptions inhabituelles sans expérience
exceptionnelle ou croyance associée ; croyance à une expérience
sans perceptions inhabituelles ou phénoménologie d’une expérience
exceptionnelle).
Des classifications ont également été développées à partir de
populations rencontrées par l’intermédiaire de services de
consultation spécialisés dans le champ des expériences
exceptionnelles. À l’IGPP13, Wolfgang Fach et ses collègues (2013)
ont proposé un modèle reprenant la théorie des représentations
mentales de Thomas Metzinger (2004) selon lequel l’esprit génère
un modèle de réalité au sein duquel sont distingués le modèle de soi
et le modèle du monde. Les expériences exceptionnelles sont
considérées comme des particularités de ces deux modèles donnant
lieu respectivement à des phénomènes internes et des phénomènes
externes. Deux autres catégories d’expériences proviennent de
phénomènes de dissociation ou, à l’inverse, de coïncidence entre
ces deux modèles. Par exemple, une expérience de sortie hors du
corps sera pensée comme étant le fruit d’une dissociation entre le
modèle de soi et le modèle du monde. À l’inverse, une coïncidence
sera considérée comme la connexion exceptionnelle du monde
interne et du monde externe14.
À partir de données collectées à l’IGPP auprès de plusieurs milliers
de personnes, Fach et ses collègues ont pu montrer que l’on peut
classer de manière empirique les expériences exceptionnelles selon
ces quatre facteurs de base (interne, externe, dissociation,
coïncidence). Six sous-classes d’expérience (clusters) peuvent être
repérées ainsi que leur fréquence à partir de ces facteurs :
1. perceptions extra-sensorielles ;
2. coïncidences significatives ;
3. poltergeist et apparitions ;
4. paralysie du sommeil et cauchemars ;
5. automatisme et médiumnité ;
6. présence interne et influence.
Classification des expériences exceptionnelles selon
Wolfgang Fach
à partir du modèle de Thomas Metzinger.

Un questionnaire (le PAGE-R, Revised Questionnaire for Assessing


the phenomenology of Exe ; composé de 42 items) (Belz & Fach,
2012 ; Fach, 2007, 2011) a été développé à partir de ces facteurs de
base afin de mieux décrire les paramètres sous-jacents à la
phénoménologie des expériences exceptionnelles. Testé auprès de
six populations différentes (patients IGPP, population générale en
Suisse et aux États-Unis, étudiants, expérienceurs d’EMI,
méditants), il permet aux patients de décrire eux-mêmes leur vécu
(Atmanspacher & Fach, 2019). On retrouve alors les mêmes
facteurs de base dans ces différentes populations même si leur
intensité varie. Ainsi, les phénomènes de coïncidences entre modèle
du soi et modèle du monde apparaissent les plus fréquents quelle
que soit la population, tandis que les phénomènes externes sont les
plus rares. L’intensité de ces expériences est en outre deux fois plus
importante dans la population composée de patients IGPP par
rapport à la population générale15. On notera également que
l’intensité des expériences est la plus marquée chez les méditants et
les personnes qui rapportent des EMI. Fach dégage en outre quatre
étapes classiques dans l’émergence phénoménologique des
expériences exceptionnelles : perceptions internes > sentiment
d’intrusion > occupation interne > contrôle du vécu. Une
processualité psychique des expériences exceptionnelles se dégage
ainsi, passant du perceptif à leur contrôle par le sujet. Enfin, Fach
suppose qu’il existe une prédisposition aux expériences
exceptionnelles qui correspond à la même configuration de ces
facteurs de base mais dont l’intensité sera également variable en
fonction de facteurs culturels.
Ces différentes études, dont nous ne pouvons ici que décrire à
grands traits les éléments les plus saillants, montrent les multiples
possibilités concernant la manière de classer ces expériences. Deux
logiques peuvent orienter ce travail de définition et de classification :
les termes et interprétations utilisés spontanément par le grand
public d’une part, les nosographies proposées par les chercheurs à
partir d’analyses statistiques d’autre part. Nous avons tenté de
trouver une position d’équilibre entre ces deux logiques en
proposant une classification phénoménologique qui rende compte
des expériences exceptionnelles tout en gardant sa cohérence aussi
bien aux yeux du grand public que des cliniciens. Cette approche est
essentiellement de nature anthropologique, car elle décrit l’ensemble
des expériences rencontrées dans le champ global du paranormal à
partir de leur phénoménologie dans notre espace culturel, mais sans
rentrer dans le détail de leurs processus16. Nous avons ainsi fait le
choix de dégager dix catégories d’expériences exceptionnelles
comme l’illustre le schéma ci-dessous. Chaque cercle correspond à
l’une d’entre elles. La taille des cercles est relative à la fréquence de
ces expériences dans la population générale :
Classification des expériences exceptionnelles

Ces dix expériences sont organisées selon trois pôles17. Tout


d’abord un pôle « perceptif » qui regroupe les perceptions psi, les
sorties hors du corps et les expériences d’apparition et de vision. Le
sujet a alors le sentiment qu’il est confronté à une interaction ou une
perception non ordinaire sur le mode essentiellement perceptif. À
l’opposé se trouve un pôle « projectif » qui concerne les expériences
de psychokinèse et de poltergeist d’une part, et de magnétisme et
de guérisons inhabituelles d’autre part, lors desquelles le sujet a
l’impression qu’il a produit ou observé une action paranormale sur
soi ou dans son environnement18. Enfin, la catégorie « autre vie /
autre monde » renvoie à une phénoménologie correspondant aux
expériences médiumniques, mystiques, de réincarnation, de mort
imminente et d’abduction. Elles impliquent fréquemment des
interprétations et des croyances en « une autre vie »
(extraterrestres) ou « une après-vie » (esprits, au-delà). Par rapport
à la classification de Wolfgang Fach, notre proposition de
classification apparaît plus « méta » au vu de son caractère
anthropologique global (elle obéit à la logique du « jardinier »)
(Micoulaud-Franchi, Geoffroy, Amad & Quiles, 2015) tandis que la
classification de Fach vise davantage à dégager les différents
facteurs sous-jacents aux expériences exceptionnelles (elle
correspond davantage à la logique du « botaniste »). Chacune de
ces approches a des intérêts et des inconvénients, leur recoupement
favorisant la description d’un même objet selon des perspectives
complémentaires.
Sur le plan de leur fréquence, si ces expériences sont
habituellement rares dans la vie d’une personne, environ une sur
deux rapporte au moins une expérience exceptionnelle au cours de
sa vie (Ross & Joshi, 1992). Elles sont donc largement répandues
au sein de la population générale. Le tableau 1.1 reprend la
fréquence habituelle de chacune de ces expériences dans la
population générale :
Tableau 1.1.
Nous pouvons donc observer de grandes variations selon le type
d’expériences, certaines pouvant s’avérer très rares, comme les
expériences d’abduction ou de réincarnation, tandis que d’autres
sont plus communes, à l’instar des perceptions psi ou des sorties
hors du corps (Targ et al., 2000). Leur contexte d’apparition est très
varié et peut aller d’un vécu anecdotique (une expérience
télépathique ou prémonitoire) à des situations qui perturbent
profondément et durablement le sujet (par exemple, les poltergeists
et les abductions). Sur le plan du genre, les analyses de Schouten
(1986) montrent que les femmes n’ont pas davantage tendance à
admettre l’existence des expériences paranormales que les
hommes. Cependant, les femmes les recherchent davantage tandis
que les hommes en ont plus peur (Houran & Williams, 1998 ; Lange
& Houran, 1999). Nous pouvons penser qu’au-delà de cette variété
contextuelle demeure ainsi un « continuum de l’exceptionnel »
partageant un ensemble de processus à l’intensité variable selon le
contexte et les configurations rencontrées.

CARACTÉRISTIQUES PRINCIPALES
Nous allons à présent décrire brièvement chacune de ces
expériences ainsi que leurs caractéristiques principales19 :
Perceptions psi : impression réaliste d’avoir accès à des
informations selon des modalités sensorielles inexpliquées pour le
sujet. On différencie habituellement trois sous-catégories :
télépathie (échange direct entre deux personnes), clairvoyance
(description d’un événement à distance) et précognition
(description d’un événement futur)20. Un distinguo est possible
entre perceptions psi de la vie quotidienne et perceptions psi de
crise. Les premières renvoient à des expériences ponctuelles et
anodines comme l’impression d’anticiper l’appel téléphonique
d’un proche (Sheldrake, 2000). Les secondes se produisent
souvent lorsque le sujet ou l’un de ses proches est en grande
difficulté. Il décrit alors des sensations (visuelles, auditives,
kinesthésiques) qu’il relie à cet événement de diverses manières
(message, appel à l’aide, rêve prémonitoire, etc.). Cette forme
d’expérience est souvent très marquante. Classiquement, les
perceptions psi les plus intenses se produisent au cours des
rêves ou lors d’états modifiés de conscience. Elles sont jugées
positives lorsque la personne a le sentiment de pouvoir utiliser
ces perceptions. A l’inverse, elles sont considérées comme
négatives quand elles deviennent envahissantes et source
d’anxiété ou de culpabilité. Elles ont fait l’objet d’analyses à partir
de cas spontanés dans les sociétés de recherche psychique
avant d’être étudiées en conditions expérimentales (Coulombe,
2003 ; Evrard, 2010 ; Cardeña, 2018). Sur le plan clinique, elles
sont notamment utiles pour comprendre les formes primaires de
l’intersubjectivité (Widlöcher, 1996, 2004).
Expériences de vision et d’apparition : perception, le plus souvent
visuelle, en l’absence manifeste d’un stimulus externe et dont la
nature paraît particulièrement réaliste et signifiante pour le sujet.
On distingue habituellement les expériences d’apparition ou de
vision qui se déroulent de façon récurrente dans un même endroit
et qui sont souvent interprétées comme une forme de hantise ou
de mémoire des lieux (Catala, 2004). Il arrive également que
plusieurs personnes décrivent la même apparition, ce qui rend les
dynamiques psychologiques à son origine plus complexes qu’une
« simple » hallucination intrapsychique. Ces expériences peuvent
s’avérer fréquentes chez certains sujets (par exemple,
l’impression de voir des personnes décédées) tandis que pour
d’autres l’expérience est ponctuelle. Les apparitions et les visions
sont parfois traumatisantes du fait de l’effroi et de la crainte
qu’elles peuvent susciter. Elles sont étudiées du point de vue des
travaux portant sur les hallucinations au sein de populations non
psychotiques (Bentall, 1990) et questionnent les modèles de
l’hallucinatoire, notamment sur le plan structural (Maleval, 1981).
Expériences de sortie hors du corps : elles correspondent à « un
état modifié de conscience où le sujet ressent son esprit comme
étant séparé de son corps physique mais de façon plus vraie
qu’un rêve » (Le Maléfan, 2005, p. 519). Ce vécu émerge
habituellement lors d’un stress intense (hyperstimulation) ou à
l’inverse du fait d’un profond état de relaxation (hypostimulation).
L’impression très réaliste d’être situé hors de son corps survient
alors en étant associée à une phénoménologie sensorielle
spécifique (audition de bruits, vécus kinesthésiques particuliers,
etc.). L’aspect le plus étonnant, voire perturbant pour les sujets,
est souvent la conviction d’avoir eu accès à des informations
véridiques durant l’expérience (Tart, 1967, 1968). Si l’expérience
peut survenir de manière spontanée, il arrive également que
certaines personnes aient la capacité, partielle ou totale, de
contrôler son émergence et son déroulement. Ces expériences
ont notamment été abordées du point de vue de la notion
« schizotypie saine » (happy schizotypy) (McCreery & Claridge,
2002), car les personnes qui rapportent des sorties hors du corps
ont souvent une santé mentale de meilleure « qualité » que la
population générale. Quant aux neurosciences cognitives, elles
ont pu mettre en évidence, depuis une dizaine d’années, leurs
corrélats neurologiques dans le but de mieux comprendre le
sentiment d’incarnation corporelle (Blanke & Dieguez, 2009).
Expériences de mort imminente (EMI) : il s’agit d’un « état de
conscience particulier qui se produit pendant une période
imminente ou effective de mort physique, psychologique ou
émotionnelle » (Van Lommel et al., 2001, p. 42). Elles se
produisent souvent pendant ou à la suite d’un coma ou d’un arrêt
cardiaque. Des critères phénoménologiques spécifiques peuvent
être dégagés21 : passage dans un tunnel, lumière, rencontre avec
des « êtres », sentiment de bonheur, revue de vie, etc. Les
expériences de mort imminente sont généralement des
expériences positives – hormis les cas dits d’EMI négatives
(Rommer, 2000) – qui peuvent cependant s’avérer déstabilisantes
quand elles sont mal intégrées. Largement diffusées auprès du
grand public par les travaux du médecin Raymond Moody (1977),
elles sont souvent interprétées comme une preuve de la « vie
après la vie » et induisent fréquemment de potentiels effets de
transformation psychique (Van Lommel, 2012).
Expériences médiumniques : expériences spontanées ou
provoquées impliquant la communication supposée avec des
défunts. Diverses techniques ont pour objectif d’initier ces
communications comme le « Oui-Ja » (lors duquel plusieurs
personnes posent le doigt sur un verre qui se déplace de lettre en
lettre), l’écriture automatique et l’incorporation (ainsi que sa
version plus moderne, le « channeling »). Ces expériences sont
généralement provoquées volontairement, le plus souvent en
groupe, mais il peut arriver qu’elles se produisent de façon
inopinée. Il existe en France différents organismes qui se réfèrent
aux doctrines spirites qui sont également très développées dans
certains pays comme le Brésil (Aubrée & Laplantine, 1990). Ces
expériences, que l’on retrouve souvent à l’adolescence comme
une forme de rite initiatique (Coulombe, 2003 ; Evrard, 2010)
peuvent s’avérer très perturbantes. Sur le plan intrapsychique,
elles interrogent en particulier les processus relevant de la
transmission psychique inconsciente et sa dimension
transgénérationnelle (Kaës et al., 1993).

Exemple d’écriture automatique dans lequel la


personne se mit à écrire spontanément sur de
nombreuses pages des symboles dont l’origine
et la signification lui sont restées mystérieuses.

Expériences mystiques : expériences donnant l’impression d’un


contact direct ou d’une communion avec l’univers ou le divin se
traduisant par une dissolution des frontières usuelles du moi. Elles
peuvent prendre différentes formes : extase, visions, sentiment
océanique, etc. On distingue habituellement les expériences
mystiques survenant dans un cadre religieux des expériences
émergeant hors d’un espace ritualisé (Valla & Pélicier, 1992). Des
expériences mystiques « du quotidien » peuvent ainsi se produire
de manière inattendue à l’occasion d’états modifiés de
conscience spontanés. Elles sont également recherchées,
induites et étudiées par certaines pratiques religieuses et
méditatives ancestrales. Elles peuvent laisser une impression
intense, durable et positive chez le sujet. Elles sont également
favorisées par la prise de psychédéliques (Luke, 2017). Il existe
une pluralité de vécus mystiques dont l’un des plus fréquents est
appelé « montée de la Kundalini ». Elles sont souvent
interprétées par les modèles psychanalytiques comme une
régression à des strates archaïques du fonctionnement psychique
(Freud, 1927).
Expériences d’abduction : impression d’avoir été enlevé par des
extraterrestres qui s’inscrit plus largement dans les expériences
dites de « rencontre » avec des êtres aux apparences et attitudes
variées. Elles se produisent souvent au moment de
l’endormissement ou au cours de la nuit. Les personnes décrivent
des étapes récurrentes : vision d’un ovni, rencontre avec des
extraterrestres, échange télépathique, opération, cosmogonie,
vision du futur, retour, etc. Ces expériences sont souvent pénibles
et peuvent conduire à des états post-traumatiques (McNally et al.,
2004). Elles ont fait l’objet de nombreux travaux de la part de
psychiatres et psychologues de l’Université d’Harvard du fait de la
prédominance de cette phénoménologie aux États-Unis (Mack,
1994). Ces expériences interrogent les formes originaires du
processus de symbolisation et les mécanismes de clivage
consécutifs à des événements traumatiques (Rabeyron, 2018).
Expériences de réincarnation : souvenirs et marques somatiques
interprétés comme des réminiscences de vies antérieures. Les
expériences de réincarnation spontanées sont connues pour se
produire principalement chez le jeune enfant (Stevenson, 1967).
Elles sont rares et concernent essentiellement les pays orientaux
comme l’Inde ou le Tibet. Ces expériences se traduisent par des
souvenirs spontanés (lieux, personnes, etc.) qui paraissent
conformes au passé d’un défunt que l’enfant n’est pas censé
connaître et qu’il évoque quand il commence à parler. Celui-ci
peut aussi présenter des attitudes, comportements (phobies,
intérêts spécifiques) et traces somatiques qui rappellent ceux du
défunt (Cadoret, 2005). Les expériences de réincarnation
provoquées sont plus fréquentes et apparaissent habituellement
chez l’adulte à la faveur de transes hypnotiques connues pour
induire de faux souvenirs (Loftus, 2001). Ces expériences, qui
occupent une place sociale importante dans certaines régions du
monde (en particulier dans la culture tibétaine) peuvent
notamment être abordées du point de vue de la transmission
psychique inconsciente (Kaës et al., 1993).
Expériences de psychokinèse et poltergeist : les premières
désignent la capacité supposée à influencer directement la
matière par la pensée. Lorsqu’elles sont spontanées, les
expériences de psychokinèse correspondent à des
transformations ou des comportements inattendus d’objets.
Quand elles se produisent en contexte de deuil, elles sont
souvent interprétées comme une tentative de communication d’un
défunt (Rhine, 1953). Elles apparaissent parfois dans un contexte
plus global de hantise souvent associé à un lieu spécifique22 .
Ces expériences peuvent aussi prendre la forme d’un
poltergeist – terme allemand signifiant « esprit frappeur » – quand
elles se cristallisent autour d’une personne dite « focale »23.
(Catala, 2004). Les expériences de poltergeist correspondent à
une phénoménologie spécifique qui se caractérise par des
déplacements d’objets et des bruits inexpliqués, des sensations
de présence, des courants d’air chaud ou froid, des odeurs
inattendues, des comportements jugés étranges de la part des
animaux de compagnie, un fonctionnement inhabituel du matériel
électroménager (Houran & Lange, 2001). Dans près d’un tiers des
cas, cette phénoménologie s’accompagne de visions ou
d’apparitions (Irwin & Watt, 2007). Ces manifestations engendrent
parfois un état de sidération et d’angoisse menant à une grande
détresse psychologique. Des travaux ont mis en évidence l’impact
de facteurs externes qui pourraient participer de l’émergence de
cette phénoménologie, comme des champs électromagnétiques
et des infrasons (French, Haque, Bunton-Stasyshyn & Davis,
2008) ainsi que l’importance de la configuration spatiale des lieux
réputés hantés (Wiseman, Watt, Stevens, Greening & O’Keeffe,
2003). Comme nous le verrons, les notions d’identification
projective (Klein, 1946) et de perméabilité psychique (Ciccone,
1999) sont particulièrement utiles pour penser ces expériences.
Expériences de magnétisme et guérisons exceptionnelles :
expériences au cours desquelles le sujet a la conviction d’avoir
une influence directe sur un organisme biologique (végétal,
animal ou humain) selon des modalités inexpliquées. On peut
rapprocher ces expériences des guérisons survenant dans un
cadre religieux – par exemple, certaines guérisons dites
« miraculeuses », comme à Lourdes (Ogorzelec, 2014) – ou
laïque. Les magnétiseurs ou guérisseurs décrivent fréquemment
des ressentis corporels spécifiques au niveau des mains (chaleur,
picotement, etc.) interprétés comme l’effet d’énergies ou de
fluides subtils. Ces pratiques peuvent émerger spontanément ou
se transmettre comme un don de génération en génération
(Holzinger, LaBerge & Levitan, 2006). Nous verrons comment ces
expériences interrogent la possible résurgence des relations
intersubjectives précoces.
De manière complémentaire à cette brève description des
expériences exceptionnelles, le tableau 1.2 (page suivante) propose
une synthèse de leurs caractéristiques principales en fonction
de l’état de conscience, la recherche de l’expérience, son contrôle,
sa dimension agréable ou désagréable, les croyances associées et
leur dimension interne ou externe.
Tableau 1.2.
Outre ces dix catégories d’expériences, il existe une
phénoménologie associée fréquemment aux expériences
exceptionnelles et qui semble lui être naturellement liée. Sa
connaissance s’avère donc utile pour le clinicien. Il s’agit en
particulier du déjà-vu, des rêves lucides, de la paralysie du sommeil,
de la synesthésie et de la paréidolie :
Le déjà-vu, terme utilisé pour la première fois par Émile Boirac
dans son ouvrage L’avenir des sciences psychiques (1917),
désigne l’impression d’avoir déjà vécu une situation. Cette
expérience est souvent accompagnée d’un sentiment particulier,
mélange d’étrangeté et de familiarité. Près de 60 % de la
population rapporte avoir rencontré ce phénomène qui pourrait
correspondre à la réminiscence d’un souvenir ou d’un contenu
onirique ayant des similarités avec une situation perçue. Sur le
plan neurocognitif, il pourrait s’agir d’une activation du
parahippocampe indépendamment de l’hippocampe qui gère
l’activation de la mémoire (Adachi et al., 2003). Sur le plan
phénoménologique, on distingue le déjà-vu de la précognition du
fait de sa temporalité habituellement plus courte.
Les rêves lucides correspondent au fait d’être conscient durant
l’activité onirique (Holzinger, LaBerge & Levitan, 2006). Une
majorité de la population rapporte avoir vécu une telle expérience
au moins une fois dans sa vie et certaines personnes en font
fréquemment l’expérience (Cardeña et al., 2000). Les rêves
lucides se produisent tardivement dans le cycle du sommeil et
presque exclusivement durant le sommeil paradoxal. La
méditation et les psychothérapies sont connues pour faciliter leur
émergence. Les personnes qui vivent des expériences
exceptionnelles rapportent davantage de rêves lucides que la
population générale et ceux-ci sont fréquemment associés aux
perceptions psi.
La paralysie du sommeil est un trouble qui advient à
l’endormissement (état hypnagogique) ou au réveil (état
hypnopompique) (Abrams, Mulligan, Carleton & Asmundson,
2008). Caractérisé par l’impossibilité de bouger et de parler durant
quelques minutes, il est souvent associé à un fort sentiment
d’oppression au niveau de la poitrine, une sensation de présence
et des hallucinations. Ce trouble concerne environ 20 % de la
population et se produit en particulier au cours de l’adolescence.
Dans les deux tiers des cas, les personnes éprouvent la sensation
d’une présence ou d’une entité (Cheyne & Girard, 2007). Sur le
plan neurobiologique, on observe une absence d’atonie
musculaire qui caractérise habituellement le sommeil paradoxal
en tant que conséquence de l’inhibition des motoneurones
spinaux par la glycine (Abrams et al., 2008). Le sujet fait alors
l’expérience pénible de se trouver à la fois éveillé et paralysé.
La synesthésie correspond à la transposition spontanée et
automatique de certains sens dans d’autres modalités perceptives
(par exemple : perception des lettres d’une couleur spécifique,
vision hallucinatoire de notes de musique). Il existe de multiples
formes de synesthésie qui sont l’objet de travaux dans le champ
des sciences cognitives (Ward, 2013). Une batterie de tests
spécialement dédiée à cet effet permet de l’évaluer (Eagleman,
Kagan, Nelson, Sagaram & Sarma, 2007). Les personnes dites
« synesthètes » rapportent dans leur grande majorité de
nombreuses expériences exceptionnelles.

Ce dessin représente ce que Monsieur D., synesthète,


perçoit spontanément comme imagerie mentale lors de
l’audition de Moonlight Sonata
de Ludwig van Beethoven.
La paréidolie est une illusion cognitive impliquant un stimulus
vague ou ambigu perçu comme étant clair et distinct (par
exemple le fait de percevoir des formes structurées dans les
nuages). Cette capacité du psychisme à donner du sens peut être
la source d’interprétations paranormales de phénomènes
aléatoires. Ceci est fréquent pour les « photographies
paranormales » dont un exemple classique est « le visage sur
Mars », une illusion d’optique due à la succession particulière de
zones d’ombre et de lumière telles qu’elles sont apparues sur une
photographie de la surface de cette planète. Il peut s’agir
également d’un phénomène auditif qui donne l’impression
d’entendre des phrases articulées à partir d’un stimuli auditif
imprécis24.

HYPOTHÈSES GÉNÉRALISTES
▶ Déficit cognitif, marginalité sociale et vision du
monde
Nous allons à présent dégager plusieurs hypothèses que l’on
pourrait qualifier de « généralistes » et qui ont orienté les travaux
menés sur les expériences et les croyances au paranormal. Ceux-ci
sont le fruit d’une approche essentiellement empirique utilisant des
questionnaires afin de dégager des corrélations entre traits
psychologiques et expériences exceptionnelles. Ils portent tout
d’abord sur le champ cognitif. Par exemple, The psychology of
anomalous experiences (Reed, 1988) analyse ces expériences sur
le plan de l’attention, de l’imagerie, de la mémoire et du flux de
conscience. Nous pouvons également mentionner l’ouvrage de
Léonard Zusne et Warren Jones (1989), Anomalistic psychology, qui
traite plus spécifiquement des sources cognitives de la pensée
magique. Enfin, Thomas Gilovich (1991) a discuté plus largement
d’aspects cognitifs, motivationnels et sociaux relatifs aux croyances
et aux expériences anomales. Parmi les hypothèses présentées
dans ces ouvrages, on remarque tout d’abord celle du « déficit
cognitif » de James Alcock (1981), également appelée hypothèse de
la « mauvaise attribution » (misattribution hypothesis) (Wiseman &
Watt, 2006). Les expériences paranormales sont alors conçues
comme la conséquence de biais cognitifs et d’une intelligence en
dessous de la moyenne ou d’une éducation insuffisante, en
particulier sur le plan du raisonnement scientifique. Si certaines
données semblent étayer l’hypothèse du déficit cognitif, d’autres, au
contraire, la contredisent. Par exemple, la corrélation entre quotient
intellectuel et croyance au paranormal est positive et la relation entre
pensée critique et croyance au paranormal est l’objet de résultats
hétérogènes (Hergovich & Arendasy, 2005). En outre, plusieurs
études montrent que des personnes avec des formations
scientifiques de haut niveau rapportent fréquemment de telles
expériences (Wahbeh, Radin, Mossbridge, Vieten & Delorme, 2018).
Une autre hypothèse, celle « de la marginalité sociale » (marginality
hypothesis) a également pour but d’expliquer pourquoi certaines
personnes rapportent de telles expériences (Bainbridge, 1978).
Cette hypothèse suppose que le sujet en situation de marginalité
sociale recherche une forme de reconnaissance par le biais du
paranormal, ce qui le conduit à interpréter d’une manière originale
certaines expériences inhabituelles. Selon cette hypothèse, nous
devrions trouver des corrélations entre certaines variables qui
témoignent de cette marginalité (comme l’âge, le genre ou le statut
économique), or les résultats en ce domaine demeurent également
très disparates (Irwin, 2009). On observe ainsi que certaines
populations manifestent des croyances aux expériences
exceptionnelles sans être en situation de marginalité.
D’autres travaux supposent que les personnes qui vivent de telles
expériences développent une vision particulière du monde
(worldview hypothesis) fondée sur un attrait marqué pour
l’ésotérisme (Zusne & Jones, 1989). Il en découle des croyances qui
pourraient se substituer en partie aux fonctions dévolues
antérieurement aux croyances religieuses. Un trait cognitif est
associé en particulier à cette hypothèse, le « lieu de contrôle »
(locus of control) qui fait référence au degré de contrôle sur sa vie
(Randall & Desrosiers, 1980). Les croyants au paranormal ont
habituellement un centre de contrôle davantage externalisé ce qui
signifie qu’ils se considèrent plus vulnérables à des facteurs
indépendants de leur volonté (Dag, 1999). Ils auront par conséquent
tendance à interpréter différents événements de leur vie comme la
conséquence d’un destin sur lequel ils n’ont guère de prise.
Ces hypothèses mettent en exergue les multiples facettes des
expériences exceptionnelles et des croyances qui leur sont liées.
Néanmoins, elles se heurtent au caractère idiosyncrasique de ces
vécus qui rend difficile leur généralisation. De plus, les études par
questionnaires ne permettent guère une lecture aussi fine que les
données cliniques. Ainsi, l’approche que nous proposons dans cet
ouvrage se veut complémentaire car elle met au travail les
tendances soulignées par la recherche empirique et les confronte à
la réalité clinique. Nos réflexions reposent ainsi essentiellement sur
des études de cas (single case studies) et s’inscrivent dans le
courant actuellement en plein développement des preuves fondées
sur la pratique (practice-based evidence) (Levy, Ablon & Kächele,
2011).

▶ Santé mentale et expériences exceptionnelles


Une autre hypothèse généraliste consiste à considérer les
expériences paranormales comme l’expression de troubles
psychopathologiques. En somme, vivre des expériences
paranormales, ce serait être « fou » comme l’imagine parfois le
grand public. Le DSM-5 propose plusieurs items qui recoupent
certaines expériences exceptionnelles et participent de cette
confusion25. Par exemple, les expériences télépathiques sont
repérées comme un critère potentiel pour le diagnostic de
schizophrénie. Plusieurs études ont par ailleurs mis en évidence un
lien possible entre croyances au paranormal, pensée magique et
troubles maniaco-dépressifs (Eckbald & Chapman, 1983 ;
Thalbourne & French, 1995 ; Tobacyk & Wilkinson, 1990 ; Williams &
Irwin, 1991). Les personnes croyant au paranormal auraient
également des résultats élevés d’hypomanie, tandis qu’une relation
négative a été rapportée entre croyances au paranormal et
ajustement psychologique (Irwin, 1991). En outre, des troubles plus
spécifiques comme la dépression ont été corrélés à certaines
expériences exceptionnelles comme les expériences mystiques
(Thalbourne, 1991 ; Thalbourne & Delin, 1994 ; Thalbourne &
French, 1995). D’autres recherches suggèrent à l’inverse une
absence de lien entre expériences paranormales et troubles
psychopathologiques (Goulding, 2004 ; Reinsel, 2003). Ainsi, il
n’existe pas d’association claire entre expériences paranormales et
dépression selon plusieurs études (Gowan, 1974 ; Shafer, 1982 ;
Windholz & Diamant, 1974). Certains chercheurs estiment même
que ces expériences pourraient améliorer la santé mentale, le bien-
être et le développement personnel (Kennedy & Kanthamani, 1995 ;
Kennedy, Kanthamani & Palmer, 1994).
Les données concernant les liens entre psychopathologie et
expériences exceptionnelles sont donc contradictoires. Cette
ambiguïté est poussée à son paroxysme avec les travaux sur la
schizotypie, un facteur de personnalité multifactoriel mesurant la
prédisposition à la psychose (Claridge, 1997). De nombreuses
recherches ont en effet montré un lien entre schizotypie et
expériences exceptionnelles (Schofield & Claridge, 2007). La
schizotypie est alors considérée dans le modèle dit quasi-
dimensionnel (Meehl, 1990) comme un signe de troubles mentaux
associé aux expériences exceptionnelles. Mais si les personnes qui
vivent de telles expériences ont des résultats élevés aux échelles de
schizotypie portant sur les perceptions et les croyances
inhabituelles, elles ont aussi des résultats peu élevés aux échelles
de symptômes négatifs. Ainsi, la notion de « schizotypie saine » a
été proposée (Goulding, 2004, 2005 ; McCreery & Claridge, 1995) et
un modèle dit « total » de la schizotypie a été développé pour rendre
compte de ce profil particulier. Dans celui-ci, une personne peut
avoir des scores élevés à l’échelle de schizotypie sans souffrir de
troubles mentaux et les personnes qui rapportent des expériences
exceptionnelles sont alors considérées comme des « schizotypes
heureux ». Ces travaux conduisent à des contorsions théoriques qui
portent à confusion du fait que les expériences exceptionnelles sont
abordées selon un prisme psychopathologique.
Comme nous aurons l’occasion de le discuter dans la suite de
l’ouvrage, l’expérience clinique montre que la diversité d’expression
de ces expériences ne peut être réduite à une analyse
psychopathologique binaire du type « normal ou pathologique ».
Cette complexité conduit fréquemment à une difficulté à différencier
expériences exceptionnelles et troubles mentaux, ce qui peut
engendrer des erreurs de diagnostic26.

▶ Trauma, transliminalité et perméabilité psychique


D’autres travaux mettent en évidence un lien étroit entre traumas et
expériences exceptionnelles. Ce lien fut tout d’abord souligné par
Wilson et Barber (1983) qui déterminèrent un plus grand nombre de
traumas chez des femmes ayant des tendances à l’imaginaire. Ce
résultat fut confirmé par des études ultérieures portant sur les
expériences paranormales, les traumas et la dissociation (Ross &
Joshi, 1992). Irwin (1992) a approfondi ces hypothèses en
déterminant un lien entre croyances au paranormal et besoin de
contrôle interpersonnel. Celui-ci serait associé au degré d’anxiété et
à la perception de contrôle durant la petite enfance (Watt, Watson &
Wilson, 2007). Les croyances et les expériences paranormales
seraient donc un moyen de garder le contrôle suite à des situations
traumatiques27. Irwin a reproduit ces observations avec des sujets
dont les parents étaient alcooliques et a développé le « modèle des
causes dans l’enfance » (childhood factors model) – appelé
également « hypothèse de la fonction psychodynamique »
(psychodynamic function hypothesis) – selon lequel les traumas
dans l’enfance conduisent à une tendance à l’imaginaire qui
engendre expériences et croyances au paranormal (Irwin, 1994).
D’autres recherches ont également démontré l’existence parallèle
d’un lien direct et indirect – médiatisé par la tendance à l’imaginaire
– entre traumas et expériences paranormales (Lawrence, Edwards,
Barraclough, Church & Hetherington, 1995).
French et Kerman (1996) ont voulu s’assurer que ces corrélations
n’étaient pas dues au fait que les personnes présentant des
tendances à l’imaginaire confondent souvenirs réels et imaginaires.
Ils ont donc comparé un groupe d’adolescents, provenant d’une
unité médico-psychologique, connus pour avoir été l’objet d’abus
avérés, avec un groupe contrôle issu d’une école située à proximité.
Leurs résultats montrent que « les conclusions provenant d’études
antérieures rapportant des corrélations entre les traumas dans
l’enfance, la tendance à l’imaginaire et les croyances au paranormal
sont valides » (p. 7). Perkins et Allen (2006) ont à leur tour étudié
l’association entre traumas dans l’enfance et croyances au
paranormal. Ils confirment que « les sujets ayant subi de la
maltraitance physique ont un degré de croyance au paranormal plus
élevé que ceux qui ne rapportent pas de telles maltraitances »
(p. 352). Ils ont aussi avancé l’idée que les croyances au new age28
sont utiles pour remédier au sentiment de vulnérabilité ressenti du
fait de maltraitances tandis que les croyances au paranormal dites
« traditionnelles » favorisent un sentiment de sécurité et un degré de
compréhension accrue de situations potentiellement déstabilisantes.
D’autres recherches ont mis en évidence des corrélats
psychologiques fréquemment associés aux expériences
exceptionnelles. Il s’agit tout d’abord de la dissociation (Irwin, 1994;
Ross & Joshi, 1992; Wolfradt, 1997) et de l’absorption29 (Irwin, 1985;
Parra, 2006). La tendance à l’imaginaire (Irwin, 1991; Wilson &
Barber, 1983) - qui se traduit par une difficulté à distinguer réalité et
imaginaire - est également fortement corrélée aux expériences
exceptionnelles. Ces tendances peuvent conduire à des difficultés à
déterminer si certains évènements correspondent à un souvenir réel
ou à un rêve et si ceux-ci surviennent durant l’éveil ou le sommeil.
Enfin, une corrélation est à noter entre hypnotisabilité - la facilité
avec laquelle un sujet peut être hypnotisé - et expériences
exceptionnelles (Pekala, Kumar, & Marcano, 1995). Ces différentes
caractéristiques ont été rassemblées autour de la notion de
transliminalité ou « tendance à franchir (trans) le seuil (limen) »
proposée par Michael Thalbourne (1991) dans la continuité des
travaux de Frédéric Myers (1905). Cette notion sous-tend également
des variables comme la créativité et la pensée magique (Thalbourne
& Delin, 1994)30. Comme nous le verrons plus en détail au
quatrième chapitre, les personnes qui rapportent des expériences
exceptionnelles ont des scores très élevés de transliminalité. La
notion de perméabilité psychique, développée par le psychiatre
américain James Hartmann (Harrison, Hartmann, & Bevis, 2006;
Hartmann, 1991; Zborowski, Hartmann, Newsom, & Banar, 2003),
rend compte des mêmes processus selon une perspective théorique
différente. Un questionnaire destiné à étudier les frontières mentales
(Boundary questionnaire) permet de déterminer si celles-ci sont plus
ou moins épaisses (imperméables) ou fines (perméables). Cette
échelle est également fortement corrélée aux expériences
exceptionnelles.

▶ L’hypothèse psi : une brève revue de littérature


Au-delà des travaux portant sur les facteurs de personnalité
associés aux expériences exceptionnelles, un autre courant de
recherche a tenté de déterminer si certaines de ces expériences
pourraient être le fruit de phénomènes ou d’interactions spécifiques
(Irwin & Watt, 2007 ; Radin, Veraldi & Lesueur, 2000 ; Cardeña,
Palmer & Marcusson-Clavertz, 2015). Ainsi, certains sujets
posséderaient-ils réellement la capacité à obtenir des informations
ou influencer la matière par-delà les limites usuelles de l’espace et
du temps ? Nous allons revenir brièvement sur l’évolution de ces
recherches pour comprendre leurs enjeux actuels et leur influence
potentielle sur les modèles développés dans le champ des
expériences exceptionnelles31.
Ces travaux de recherche ont été initiés par les membres des
sociétés de recherche psychique. Ils ont commencé par une
approche dite « élitiste » auprès de sujets prétendant disposer de
facultés exceptionnelles. À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, de
nombreux scientifiques et intellectuels travaillent ainsi avec des
médiums pour tenter d’objectiver ces phénomènes (Méheust, 1999 ;
Plas, 2000). Un certain nombre de ces recherches sont émaillées de
défauts méthodologiques dans le contexte d’une psychologie
scientifique naissante (Evrard, 2016). Il existe cependant un noyau
dur d’expériences menées en conditions contrôlées qui conduisent
des savants de l’époque à la conviction de la réalité de certains de
ces phénomènes (Méheust, 1999 ; Richet, 1922).
Ces protocoles ont ensuite été perfectionnés, donnant naissance à
plusieurs paradigmes expérimentaux visant à démontrer l’existence
de perceptions appelées alors « extra-sensorielles »32. Il s’agit en
premier lieu des expériences de Joseph Banks Rhine avec les
cartes de Zener (Rhine & McDougall, 1934) dans lesquelles les
sujets devaient deviner des symboles par télépathie, clairvoyance ou
précognition33. Ces premières recherches furent l’objet de vives
critiques qui conduisirent progressivement à leur amélioration (Rhine
et al., 1966). Dans Extra-sensory perception after sixty years, Rhine
met en évidence des effets statistiques significatifs qui semblent
obéir à plusieurs lois psychologiques. Rhine avance notamment
l’idée que certains sujets seraient plus doués que d’autres en
fonction de leurs croyances en la réalité ou non de ces perceptions,
hypothèse que reprendra la psychologue Gertrude Schmeidler
(1945). Cette dernière conduira ainsi des expériences dont l’objectif
fut de mettre en évidence « l’effet mouton-chèvre » selon lequel les
croyants (les moutons) auraient de meilleurs résultats que les non-
croyants (les chèvres) (Lawrence, 1993). Les chercheurs ont ensuite
tenu compte du fait que les expériences avec les cartes de Zener
semblaient trop répétitives et généraient facilement de l’ennui. Ils
tentèrent donc de déterminer des conditions plus favorables à
l’émergence des perceptions psi et développèrent des travaux sur
les rêves télépathiques à partir des années 1970 (Ullman, Krippner
& Vaughan, 1973). Ces perceptions sont alors considérées comme
étant catalysées dès lors que le seuil de la conscience ainsi que la
censure sont abaissés. Des expériences de télépathie seront
conduites dans des laboratoires du sommeil et mèneront également
à des résultats significatifs (Ullman et al., 1973)34.
Deux protocoles apparaissent ensuite. Il s’agit tout d’abord du
Ganzfeld35 (Bem & Honorton, 1994) qui vise à favoriser l’émergence
d’états modifiés de conscience. Dans celui-ci, le sujet – dit
« percipient » – est confortablement installé dans un fauteuil tandis
qu’il écoute un bruit blanc et qu’un masque lui fait voir un champ
visuel uniforme. Il se trouve ainsi plongé dans un champ sensoriel
constant et neutre qui engendre rapidement un état modifié de
conscience favorisant l’émergence d’hallucinations hypnagogiques.
Le sujet tente ensuite de retrouver, parmi plusieurs images cibles,
celle qui lui a été « transmise » par télépathie par un sujet
« émetteur » appelé « agent » situé dans une autre pièce. Les
recherches Ganzfeld ont donné lieu à des dizaines de publications et
plusieurs méta-analyses (Bem, Palmer & Broughton, 2001 ; Milton &
Wiseman, 1999 ; Storm & Ertel, 2001, 2002 ; Storm et Tressoldi,
2010) qui ont conduit à des résultats statistiquement significatifs36.
Le deuxième protocole est appelé « vision à distance » (remote
viewing) et nécessite une relation en binôme entre un « voyant »
(viewer) et un « moniteur » (monitor) qui guide le premier pour
décrire une cible située à distance37. Ces recherches représentent la
forme moderne des premières expériences des sociétés de
recherche psychique sur la télépathie, en particulier les travaux de
René Warcollier (1921). Ceux-ci seront repris et développés à
l’université de Princeton et dans le cadre de programmes militaires
américains – le plus connu portant le nom de Stargate – qui se
termineront au début des années 1990. Les tailles d’effet obtenues
lors de ces expériences ont également conduit à des résultats
statistiquement significatifs (Utts, 1991).
Toujours dans les années 1990, un nouveau protocole de recherche
est développé dans la continuité des recherches sur la
précognition38. Ces expériences dites de « pressentiment » (Radin,
1997) reposent sur l’idée que les perceptions psi seraient perçues
inconsciemment et traverseraient l’appareil psychique jusqu’à la
conscience lors de situations exceptionnelles, expliquant ainsi les
difficultés de reproductibilité rencontrées antérieurement39. Des
dispositifs expérimentaux ont donc été mis en place dans lesquels
des mesures physiologiques permettent d’étudier les réactions
automatiques et inconscientes du sujet. Le but était ainsi de
déterminer s’il existe des indicateurs d’une réponse qui anticipe la
présentation d’un stimulus. Il s’agirait d’une forme de précognition
inconsciente et corporelle (Radin 2006). Ce protocole a été reproduit
avec des stimulus variés (flashs lumineux, images chargées
affectivement ou érotiques, stimulations sonores) et mène
également à des résultats significatifs selon une méta-analyse
publiée récemment (Mossbridge, Tressoldi & Utts, 2012). Ces
recherches sur le pressentiment ont évolué vers des tâches dites de
« rétro-causalité » dans lesquelles des expériences de psychologie
cognitive (par exemple de priming) sont inversées au niveau
temporel. Elles ont été développées initialement par Daryl Bem
(2011) à l’université de Cornell, qui a publié en 2011 les résultats de
neuf expériences dans le Journal of Personality and Social
Psychology. Une méta-analyse à laquelle j’ai participé a depuis été
publiée, qui montre là encore un effet significatif quand on rassemble
les 90 études menées à partir de ce type de protocole (Bem,
Tressoldi, Rabeyron & Duggan, 2015 ; Rabeyron & Watt, 2010 ;
Rabeyron, 2014 ; Rabeyron et al., 2018).
Ces recherches ont donc conduit à la mise en évidence de
corrélations statistiques significatives, dans des conditions
contrôlées, entre les expériences corporelles, émotionnelles et
cognitives de différents sujets et des informations situées à distance
dans l’espace et le temps (Cardeña, Palmer & Marcusson-Clavertz,
2015). Ainsi, comme le remarque Deborah Delanoy (2005) :
« Selon des normes scientifiques standard, ces méta-analyses établissent que
“quelque chose” se produit dans ces études. Mais est-ce que ce “quelque chose” est
psi ou, comme certains critiques l’ont avancé, plus simplement, des problèmes
statistiques non reconnus ou des artefacts méthodologiques non détectés ? » (p. 59).

Cet état actuel de la recherche donne lieu à des interprétations


divergentes et à l’absence de consensus scientifique (Alcock, Burns
& Freeman, 2003). Certains auteurs défendent une position dite
« sceptique » à l’égard de ces résultats et supposent que ces effets
sont la conséquence de fraudes et d’erreurs qui n’ont pas encore été
déterminées (Wiseman, 2010, 2012). D’autres pensent que ces
travaux révèlent une forme de perception réelle et que les
recherches actuelles ne font que rencontrer des problèmes de
reproductibilité qui touchent, de façon plus large, le champ de la
psychologie (Radin, 2006, 2018). Enfin, un troisième courant
suppose que ces résultats mettent en évidence des interactions d’un
autre ordre que des transferts d’information. Ils seraient plutôt à
penser comme des effets d’une intrication entre un observateur et un
système observé (Von Lucadou, Römer & Walach, 2007) comme
nous l’aborderons au cinquième chapitre.
Au final, il paraît indéniable que des effets ont été mis en évidence
sur le plan statistique dans des conditions contrôlées suivant des
méthodologies expérimentales fiables. Cependant, ces recherches
se situent sur une « faille épistémologique » qui rend très délicate –
voire même impossible ? – l’interprétation de ces résultats dans
l’état actuel de nos connaissances. En effet, ces corrélations ne
permettent pas de déterminer ce qu’il en est de la nature physique
ou biologique de ces interactions supposées. Cet écart entre les
données statistiques et leur étayage théorique engendre un clivage
qui permet difficilement de conclure quant à leur interprétation.
Pourtant, sur le plan clinique, ces résultats ont potentiellement une
incidence considérable, car l’hypothèse psi pourrait signifier que
certaines de ces interactions ne seraient pas réductibles uniquement
à leur dimension psychologique.
Ces recherches, de même que la clinique des expériences
exceptionnelles, confrontent ainsi à une forme d’hypercomplexité de
la matière psychique qui interroge les limites d’une approche
réductionniste qui pense de façon séparée le sujet et l’objet. Ces
considérations épistémologiques invitent à rejoindre la position
d’Husserl (1913), dans ses Idées directrices pour une
phénoménologie, qui opte pour une « mise en suspens » (épochê)
concernant la réalité objective de ces perceptions. Nous proposons
de la même manière une « position d’indécidabilité » rejoignant le
cadre épistémologique de l’indécidable développé par Pascal Le
Maléfan (2008) :
« L’indécidable est un reste inassimilable et irréductible des savoirs reconnus, dont la
propriété épistémologique est de maintenir l’éventualité légitime de la véracité d’une
proposition en dépit d’un jugement scientifique consensuel sceptique à un moment
donné » (p. 17).

Dans l’état actuel de nos connaissances, il semble donc judicieux,


pour le clinicien, de prendre connaissance de ces travaux et de
garder ces questionnements ouverts avec toute la prudence et le
regard critique nécessaires, étant donné l’importance des enjeux
scientifiques et cliniques. Nous reviendrons sur ce positionnement
lorsqu’il sera question de l’accompagnement psychologique des
expériences exceptionnelles au dernier chapitre. Mais avant cela,
nous allons tout d’abord nous tourner vers un abord historique de
ces expériences, dans le but d’inscrire les travaux contemporains
que nous venons de mentionner au sein d’une filiation plus globale
favorisant la compréhension de leurs particularités
épistémologiques.

Notes
1. Voir à ce propos les réflexions de l’historien et ethnologue Ernesto
de Martino (1948) qui considère que les expériences exceptionnelles
sont davantage intégrées dans d’autres cultures. Elles feraient un
retour dans la culture occidentale selon un clivage induit par une
représentation de la réalité orientée par la technique et la science.

2. Le terme « sheep-goat » (mouton-chèvre) provient des


recherches menées par la psychologue Gertrude Schmeidler (1945,
1949) différenciant les personnes qui croient (les moutons) de ceux
qui ne croient pas (les chèvres) à l’existence des phénomènes
paranormaux. Une méta-analyse portant sur une possible corrélation
entre cette variable et les résultats à des tâches de perceptions psi a
été publiée par Lawrence (1993).

3. Ce terme paraît inapproprié car les perceptions supposées extra-


sensorielles semblent au contraire très ancrées dans le sensoriel.
Comme nous le verrons par la suite, il serait plus pertinent de les
considérer comme étant au contraire « hyper-sensorielles » même si
ce terme pourrait engendrer une possible confusion avec les
phénomènes d’hyperesthésie.

4. Ce terme se développa notamment sous l’impulsion de


l’astronaute Edgar Mitchell qui fut le co-fondateur de l’Institut of
Noetic sciences en Californie, en 1971, et qui demeure aujourd’hui
un centre de recherche important sur cette thématique. Pour plus de
détails, cf. www.noetic.org. Il existe également un Institut des
sciences noétiques à Genève (www.issnoe.ch).

5. Il existe au Royaume-Uni plusieurs laboratoires spécialisés dans


la psychologie anomalistique, en particulier celui dirigé par Chris
French à l’Université Goldsmith de Londres
(http://www.gold.ac.uk/apru/).

6. Cf. p. 345 pour une analyse plus détaillée du terme d’exception et


ce qu’il implique sur le plan des processus psychiques.

7. Le terme d’expériences exceptionnelles se rapproche également


de l’expression utilisée par Rhea White (1994) d’expériences
humaines exceptionnelles (exceptional human experiences).
Cependant, l’ajout du terme « humaines » nous semble tautologique.
White (1993) distingue les catégories suivantes parmi les
expériences humaines exceptionnelles : expériences mystiques,
psychiques, de rencontre, liées à la mort et normales (par exemple,
le déjà-vu).

8. Le terme de clinique est à entendre en tant qu’expression


phénoménologique que l’on rencontrera auprès des patients, sans
pour autant considérer cette dernière comme étant de nature
pathologique en soi.
9. On observe des variations culturelles concernant ces expériences
en fonction de ce qui sera considéré culturellement comme étant
« non ordinaire ». Néanmoins, il existe un noyau commun à ces
différentes expériences qui semble métabolisé et interprété
différemment selon les cultures. Ce noyau offre un matériel « de
base » qui sera utilisé de différentes manières par le sujet, en
particulier en contexte traumatique, comme le remarque
Devereux (1970) : « L’individu traumatisé peut chercher à échapper
à ses difficultés par un usage abusif de matériaux culturels qui, non
déformés, ne se prêtent pas à une utilisation symptomatique, ou
encore en isolant certains traits culturels irrationnels qui peuvent
servir à des fins symptomatiques sans distorsion préalable » (p. 13).

10. Par exemple, une personne qui rapporte qu’elle a entendu


frapper à sa porte ou qu’une horloge s’est arrêtée à l’heure du décès
d’un proche.

11. Il existe des controverses pour désigner et définir ce qu’est une


expérience paranormale selon ces questionnaires. Par exemple,
Lawrence, Roe et Williams (1997) pensent que la croyance en la vie
extraterrestre n’a rien à voir avec le paranormal et ne devrait pas
être présente dans la Paranormal Belief Scale. Ces controverses
concernent en particulier la façon dont sont conçues les origines des
croyances paranormales. Pour certains chercheurs, la croyance au
paranormal serait unidimensionnelle, ce qui les amène à une
conception élargie du paranormal, comme le remarque Irwin (1993,
2009). D’autres pensent au contraire qu’elles seraient
pluridimensionnelles. Lawrence, Roe et Williams (1997) ont proposé
dans cette perspective de dégager cinq sous-échelles dans la
Paranormal Belief Scale : les croyances religieuses traditionnelles,
les croyances psi, la superstition, la sorcellerie et les phénomènes
naturels anomaux.

12. Ce questionnaire, qui comporte 70 items, distingue les


catégories suivantes : expériences paranormales, capacités
paranormales, croyances au paranormal et peur du paranormal. Il
existe deux échelles au sein de la catégorie « expériences
paranormales » : les expériences de rencontre et les expériences de
poltergeist.

13. À noter également, toujours à l’IGPP, la classification de Martina


Belz-Merk (2000) qui différencie trois types d’expériences en
fonction de leur contexte d’émergence : (1) spontané (synchronicité,
rêve prémonitoire, poltergeist, etc.), (2) auto-induit (expériences
médiumniques, transe, etc.) et (3) engendré par une personne
extérieure (guérisseur, voyant, hypnotiseur, etc.).

14. Ce modèle ne rend pas compte d’environ 3 % des expériences


exceptionnelles, car celui-ci ne prend son sens que si le modèle de
soi et le modèle du monde sont suffisamment stables. Or, certaines
expériences exceptionnelles induisent justement une déconstruction
de ces catégories. Il s’agit tout d’abord des expériences mystiques
qui sont dites « acatégoriques », car elles conduisent à une
indistinction des deux éléments constitutifs du modèle de réalité. Il
peut aussi s’agir d’expériences dites « non catégoriques » qui se
traduisent par un vécu dans lequel ni le modèle de soi ni le modèle
du monde n’ont d’existence ce qui produit un vécu global de
confusion (Belz & Fach, 2015).

15. Les personnes qui contactent l’IGPP ont en outre un rapport


ambivalent à ces expériences considérées comme « positives et
enrichissantes » mais aussi « négatives et pénibles » (Belz & Fach,
2015). Cela suggère que les expériences exceptionnelles sont
présentes dans l’ensemble de la population, mais que les personnes
qui contactent les services de consultation spécialisés ont davantage
un vécu ambivalent à l’égard de ces expériences.

16. Les auteurs du Varieties of anomalous experience (Cardeña et


al., 2000) ont fait un choix similaire en relevant de grandes
catégories d’expériences qui définissent les différents chapitres de
l’ouvrage.

17. Nous nous sommes essentiellement focalisés sur la dimension


expérientielle de ces vécus et non sur les croyances qui leur sont
parfois associées. Bruno Silva (communication personnelle), dans le
cadre de sa thèse de doctorat à l’université de Porto, a mené une
recherche sur une population portugaise à partir de cette
classification pour déterminer des patterns sur le plan de la
croyance. Il a pu en déterminer trois : (1) « perceptions psi » :
perceptions psi, expériences de magnétisme, expériences
mystiques, visions et apparitions, poltergeist ; (2) « hypothèse
survivaliste » : expériences médiumniques, expériences de
réincarnation, sorties hors du corps, expériences de mort imminente,
poltergeist ; (3) abductions.

18. La distinction entre pôles perceptif et projectif est discutable pour


certaines expériences qui sont à cheval entre ces deux dimensions.
Par exemple : les expériences de mort imminente peuvent être
pensées comme relevant également du pôle perceptif ; les sorties
hors du corps pourraient être considérées comme une forme de
projection ; les poltergeists sont souvent interprétés comme le
contact avec des défunts. Nous avons donc fait des choix en
fonction des données existant dans la littérature tout en sachant qu’il
existe certaines variations du fait de l’interconnexion complexe entre
expérience et croyance. À noter également qu’une expérience peut
parfois en inclure d’autres (par exemple : une sortie hors du corps
peut advenir lors d’une expérience de mort imminente).

19. Notre objectif n’est pas ici d’être exhaustif et notre lecteur voudra
bien nous pardonner si nous en restons à une description très
partielle de ces expériences. Il trouvera pour chacune d’elle des
descriptions plus précises, ainsi que des cas cliniques, dans la suite
de l’ouvrage.

20. Certains auteurs évoquent également la « rétro-cognition » pour


désigner une cognition non ordinaire relative à des objets ou des
événements du passé.

21. Moody (1977) relève douze facteurs communs aux EMI :


incommunibilité, audition de l’annonce de sa propre mort, sentiment
de paix, bruits particuliers, tunnel, décorporation, contact avec des
êtres, vision d’un être de lumière, panorama de vie, frontière, retour,
difficulté à témoigner.
22. La thématique de la hantise prend une place prédominante dans
certaines cultures sous forme de vécus d’envoûtement et de
possession. La dimension ethnopsychiatrique est alors centrale dans
la prise en charge de ces expériences.

23. À noter que les personnes qui rapportent des phénomènes de


type poltergeist ne s’estiment habituellement pas à l’origine de ceux-
ci. On pourrait les considérer de ce point de vue comme une forme
de « psychokinèse inconsciente ».

24. Ce qui pourrait être une explication de certaines pratiques de


type transcommunication instrumentale (TCI) qui consistent à
essayer de communiquer avec les défunts par l’intermédiaire de
matériel audio et vidéo. On en trouve de nombreux exemples
facilement sur Youtube.

25. Le DSM-IV avait intégré une catégorie « problèmes religieux et


spirituels » qui a été supprimée dans le DSM-5.

26. Cela ne signifie pas pour autant que certaines expériences


présentées comme paranormales ne sont pas en lien avec des
troubles psychiatriques. Par exemple, les schizophrènes présentent
fréquemment des délires associés à la télépathie ou à des thèmes
d’influence à distance. Mais il convient de ne pas réduire l’ensemble
des processus télépathiques à cette condition d’émergence
spécifique. Nous aurons l’occasion de revenir sur cette question lors
du dernier chapitre.

27. Les croyances au paranormal sont également associées à un


style d’attachement insécure (Rogers, Qualter, Phelps, & Gardner,
2006).

28. La Paranormal Belief Scale est scindée en deux facteurs


principaux que sont les croyances new-age et les croyances
traditionnelles au paranormal.

29. L’absorption correspond à la facilité avec laquelle un sujet peut


être absorbé par un stimulus sur le plan perceptif.
30. Une première échelle de transliminalité a été développée, suivie
d’une version réduite appelée Rasch Revised Transliminality Scale
(Houran, Thalbourne & Lange, 2003 ; Lange, Thalbourne, Houran &
Storm, 2000).

31. Pour une revue de littérature plus complète, il est possible de


consulter en particulier Varvoglis, 1997 ; Radin, 2000, 2006, 2018 ;
Irwin et Watt, 2007 ; Cardeña, 2018. Pour des réflexions plus
épistémologiques concernant la prise en compte de ces recherches
dans le champ de la psychologie, voir en particulier Watt, 2005 et
Varvoglis, 2006.

32. Les résultats de ces travaux (de même que dans de nombreuses
disciplines scientifiques) utilisent habituellement deux indicateurs sur
le plan statistique : la valeur de p et la taille d’effet. La valeur de p
(valeur de probabilité, en anglais p-value) représente la probabilité
d’obtenir un résultat par rapport au hasard lors de l’utilisation d’un
test statistique. Le seuil de significativité utilisé habituellement est de
0.05 ou 0.01. Dans les publications, la valeur de p sera par exemple
indiquée ainsi : p < 0.05. Dans ce cas, cela signifie qu’il y a moins
d’une chance sur vingt (1/20 = 0.05) que le résultat statistique
obtenu soit dû au hasard et on conclura donc qu'un effet a été mis
en évidence. La valeur de p tend néanmoins à être moins utilisée
actuellement, car elle a pour défaut d’être dépendante du nombre de
sujets participant à une étude (plus ce nombre est faible et plus il est
difficile d’obtenir des résultats significatifs). Par conséquent, un autre
indicateur, la taille d’effet (souvent indiquée r dans les publications)
est utilisée pour préciser la force de l’effet mesuré. Il existe plusieurs
types de calculs statistiques pour mesurer la taille d’effet, mais celle-
ci se situe le plus souvent entre 0 (aucun effet) et 1 (effet important).

33. Des protocoles ont également été menés par Rhine pour tester
expérimentalement l’influence de l’esprit sur la matière
(psychokinèse). Ces travaux ont été perfectionnés depuis en utilisant
des générateurs de nombres aléatoires (Radin, 2018). Une méta-
analyse sur ce sujet, portant sur 380 études, a été publiée dans le
Psychological Bulletin (Bösch, Steinkamp & Boller, 2006 ; Radin,
Nelson, Dobyns & Houtkooper, 2006)
34. Une méta-analyse (Child, 1985) met ainsi en évidence que, dans
les recherches menées de 1966 à 1973, 450 sessions ont été
conduites, menant à un taux de réussite de 63 % (au lieu d’un taux
de 50 % attendu selon le hasard). Plus récemment, Simon
Sherwood et Chris Roe (2003) ont proposé une méta-analyse
proposant une prise en compte des études du même type jusqu’en
2004. Sur un total de 49 expériences et 1270 essais, le taux de
succès est de 59,1 % au lieu des 50 % attendus par le simple fait du
hasard. Une telle augmentation a une chance sur 22 milliards d’être
due au hasard selon Sherwood et Roe.

35. Provenant d’un terme allemand signifiant « champ uniforme ».

36. De 1974 à 2004, 88 Ganzfeld ont été menés, correspondant à


3145 essais et 1008 hits. Le taux de succès est de 32 % comparé au
taux de théorique de 25 %. Une nouvelle méta-analyse a été publiée
en juin 2010 (Storm, Tressoldi & Risio, 2010), ainsi que plusieurs
articles la discutant (Hyman, 2010 ; Storm, Tressoldi & Risio, 2010).
L’analyse combinée de ces résultats montre, tout comme les études
sur les rêves télépathiques, un effet très significatif sur le plan
statistique.

37. Ces recherches ont tout d’abord été développées au Stansford


Research Institute (Targ, 2004) et au Princenton Engineering
Anomalies Research Lab (Nelson, Dunne, Dobyns & Jahn, 1996).

38. Celles-ci ont donné lieu à un ensemble de travaux dont les


résultats ont été repris par Honorton et Ferrari (1989). Leur méta-
analyse rapporte 309 études menant à des résultats significatifs sur
le plan statistique. D’autres méta-analyses (Steinkamp, 1998) sur la
précognition ont également conduit à des résultats significatifs. Les
comparaisons effectuées entre clairvoyance et précognition n’ont
pas montré des résultats différents.

39. En effet, même si dans leur ensemble, les résultats de ces


études s’avèrent significatifs, il n’en demeure pas moins qu’elles ont
rencontré depuis leur début divers problèmes de reproductibilité au
sens classique du terme. Pour plus de détails, voir notamment
Kennedy (2003).
Chapitre 2

Les expériences
exceptionnelles
à travers l’histoire
des pratiques cliniques
« Je ne suis pas de ceux qui désapprouvent a priori l’étude des phénomènes
psychologiques soi-disant occultes comme étant non scientifiques, sans intérêt ou
même dangereux. Si j’étais au début de ma carrière scientifique, plutôt qu’à la fin de
celle-ci, comme maintenant, peut-être que je ne choisirais pas un autre champ de
travail, malgré ses difficultés. »
Sigmund Freud, Lettre adressée à Hereward Carrington, le 24 juillet 1921

Un bref détour historique paraît à présent nécessaire afin de mettre


en perspective la clinique des expériences exceptionnelles dans un
contexte épistémologique plus large. Une telle approche, partant de
Mesmer jusqu’à Freud, a déjà été développée par plusieurs auteurs
concernant l’origine des dispositifs cliniques contemporains
(Ellenberg, 1994). Une analyse rétrospective recontextualise ainsi
les pratiques cliniques à partir de leurs fondements historiques,
allant du « baquet de Mesmer au baquet de Freud » (Laplanche,
1987 ; Roussillon, 1992). En effet, qu’il s’agisse de Mesmer,
Puységur, Charcot ou Freud, ce sont les mêmes dimensions de
l’être, les mêmes processus qui sont appréhendés et théorisés selon
des conceptions relatives à chaque époque. Comme le remarque
René Roussillon (1992), cette mise en abyme historique permet
alors de saisir, selon un mouvement de prise et de reprise théorique,
à chaque nouvelle génération, le reste inhérent à ce processus
dialectique :
« Ce qui est décadré du dispositif pratique est “repris” à un niveau d’abstraction plus
élevé dans une série de principes – dégagés dans son principe –, de processus voire
de théories, mais cette reprise laisse un reste. L’Aufhebung n’est jamais complète,
elle laisse un dépôt qui est à la fois un vestige et une trace de l’ancien cadre
théorico-pratique » (p. 8).

Les expériences exceptionnelles apparaissent comme l’un de ces


dépôts, de ces restes, sur lesquels s’est fondée en partie la
psychanalyse. En ce sens, l’occulte porte bien son nom, car il
représente peut-être ce que la psychanalyse a occulté de ses
origines concernant le rapport qui organise la relation thérapeutique.
Ainsi, comme le remarque Jean Bernachon (2004) :
« Cette affaire de l’occultisme et de la télépathie a un destin à part dans l’histoire de
la psychanalyse. Elle n’y occupe certes pas une place majeure, mais retient
l’attention par tous les mouvements qui se forment autour d’elle, croyance, frayeur,
danger pour la psychanalyse, et les atermoiements qui en découlent, entre annexion
et rejet : s’en occuper ou pas, en parler ou ne pas en parler, et surtout publier ou
pas » (p. 65).

La clinique des expériences exceptionnelles témoigne donc d’un


héritage transgénérationnel concernant les dimensions les plus
archaïques de la vie de l’âme. Dans cette perspective, si Henri
Ellenberger (1994) a permis que soient appréhendées plus finement
les origines historiques de la psychanalyse, Bertrand Méheust, dans
sa somme magistrale Somnambulisme et Médiumnité (1999),
prolonge le travail d’Ellenberger en montrant comment une partie de
la phénoménologie associée aux expériences exceptionnelles est
devenue progressivement, depuis le début du XXe siècle, un objet
situé aux « marges » pour les élites intellectuelles. Replacer la
clinique des expériences exceptionnelles dans ce contexte
diachronique apparaît ainsi comme un travail préalable nécessaire à
leur intégration potentielle1 et conduit naturellement aux
interrogations suivantes : qu’en est-il de ce reste aujourd’hui, et est-il
devenu intégrable à nos cadres de pensée ainsi qu’à nos modèles
cliniques ?
ENTRE MAGNÉTISME ANIMAL
ET SOMNAMBULISME ARTIFICIEL

Il serait nécessaire de remonter aux pratiques chamaniques


(Martino, 1948) et au monde antique pour mieux saisir les origines et
la complexité du rapport qu’entretient la société occidentale envers
le paranormal, l’occulte et ce qui est qualifié aujourd’hui
d’expériences exceptionnelles. Si les Grecs sont considérés comme
les fondateurs de la pensée rationnelle, cette représentation est en
grande partie une reconstruction des Lumières excluant leur rapport
à l’irrationnel (Dodds, 1977). En effet, certaines expériences comme
les perceptions psi – avec des oracles comme la Pythie ou la Sybille
(Chouvier, 2009) – ou le magnétisme, étaient au cœur de la culture
grecque. Il s’est ainsi produit une première marginalisation de ces
expériences avec l’émergence de la culture occidentale moderne et
une certaine représentation de la rationalité.
Au-delà de ces racines antiques que nous ne pouvons qu’évoquer,
notons que ces expériences émergent quelles que soient la culture2
ou l’époque. Nous retrouvons au Moyen Âge, sous la plume
d’auteurs comme Avicenne, Ficin ou encore Pomponazzi, des
études approfondies concernant de possibles interactions à distance
et une action de l’âme que décriront aussi Paracelse et Van Helmont
(Si Ahmed, 2006). Mais c’est véritablement Johann Joseph Gassner
(1727-1779), en Autriche (Burkhard, 2005), qui peut être considéré
comme l’intermédiaire entre ces représentations obscurantistes du
Moyen Âge et les théoriciens de l’esprit du XVIIIe siècle. Gassner,
curé de campagne devenu célèbre exorciste, distinguait les
« maladies naturelles » des « maladies surnaturelles » causées par
la sorcellerie et la possession. Il demandait à ses patients d’agiter
les parties de leur corps dans lesquelles se situait le démon. Le
patient rentrait alors dans un état de crise et le curé utilisait
différentes formules d’exorcisme pour chasser les manifestations
diaboliques dont le possédé était la victime supposée. Une première
enquête par l’Université d’Ingolstadt accrédite les thèses de
Gassner, mais une deuxième commission, conduite par Mesmer,
arrive à la conclusion que Gassner est certes honnête, mais qu’il ne
fait qu’utiliser son propre « magnétisme animal ».
C’est avec ce même Franz Anton Mesmer (1734-1815), toujours en
Autriche, que les théorisations de ces maladies surnaturelles seront
appréhendées de façon plus approfondie selon une première
ébauche de cadre psychothérapique. Après avoir étudié des
domaines aussi variés que la théologie, la philosophie, le droit et la
médecine, Mesmer postule l’existence d’un fluide universel dans
lequel baigne tout élément. Cette influence à distance entre les
corps se caractérise selon lui par un fluide qui peut se trouver altéré
ou mal réparti. Mesmer essaye donc de rétablir l’harmonie de ce
fluide, dont la bonne circulation s’accompagne d’un état de crise
transitoire qui accentue les symptômes avant de les voir disparaître.
Mesmer utilise au début de sa pratique des aimants qu’il cesse
progressivement de manier, leur préférant l’influence du
« magnétisme animal » rendant obsolète l’aide de minéraux. Par le
biais des passes, il tente ainsi de créer un « rapport » avec son
patient, de façon à développer un « sens interne », ou « sixième
sens » qui le relie à l’univers. Ce sens se trouve exacerbé durant les
états de sommeil et de somnambulisme, et se situe en deçà du
langage, favorisant une communication particulière menant à la
guérison du patient.
Les succès thérapeutiques de Mesmer le rendent rapidement
célèbre, jusqu’à ce qu’il tente de redonner la vue à Maria-Thérésa
Paradis, une jeune musicienne appartenant à la famille royale
d’Autriche. Mesmer se trouve alors au cœur de vives controverses,
car la jeune fille ne semble retrouver la vue qu’en sa présence. Il
quitte Vienne en 1777, en conflit avec la famille de la jeune fille mais
également discrédité par les savants autrichiens. Il décide donc de
s’installer à Paris où il ouvre une maison de santé. Il connaît alors un
succès considérable, ce qui le conduit à imaginer son célèbre
baquet, qu’il utilise pour magnétiser jusqu’à une vingtaine de
personnes simultanément. Ce baquet est constitué d’une cuve
remplie d’eau préalablement magnétisée. Des tiges reliées au
baquet sont appliquées sur l’organe malade du patient. Une corde
relie l’ensemble des personnes présentes afin d’aider à la circulation
du fluide. Des miroirs sont placés dans la pièce et renvoient leur
image aux patients. Mesmer agit alors par le biais du toucher et de
la musique en jouant de l’harmonica de verre et du piano. Cette mise
en scène conduit à des épisodes de transe qui produisent diverses
expressions symptomatiques. Mesmer parle alors de « crises
salutaires » qui participent à la résolution finale des symptômes.
Mais Mesmer suscite bientôt l’animosité du monde médical et une
commission est désignée par l’Académie des sciences pour évaluer
l’existence du fluide. Cette commission, au sein de laquelle figurent
notamment le chimiste Antoine Lavoisier et le physicien américain
Benjamin Franklin, conclut, en 1784, à l’inexistence de ce fluide,
même si des effets thérapeutiques sont observés, ceux-ci étant
réduits au pouvoir de l’imagination. Un autre rapport, secret et
destiné au roi – le rapport Bailly – insiste sur le danger que
représentent ces pratiques et plus précisément certains
attouchements sur la gent féminine au cours des crises. Mesmer se
trouve donc à nouveau discrédité3 et quitte Paris en 1785, avant de
mourir vingt ans plus tard, en 1815.
Les théories de Mesmer, contrairement à celles de Gassner, ont
donc pour particularité de se situer dans un cadre laïque, faisant un
usage métaphorique des théories scientifiques de l’époque. Mesmer
réduit l’ensemble des troubles somatiques et psychiques à une
mauvaise harmonisation du fluide, ce qui entre en conflit avec les
représentations médicales de l’époque. Il fut néanmoins un
précurseur de l’utilisation des rapports d’influence entre le patient et
son thérapeute. Il fut aussi l’un des premiers à mettre en place des
dispositifs à médiation, utilisant le corps et la musique, tout en
soulignant l’importance des crises cathartiques dans le processus
thérapeutique. On trouve encore aujourd’hui de nombreux vestiges
des principes de Mesmer – théorie fluidiste, utilisation de passes –
dans la pratique des magnétiseurs. Sa théorisation peut être
considérée comme une première forme de représentation
extériorisée et matérialisée du fonctionnement psychique
(Roussillon, 1992).
L’un des principaux successeurs de Mesmer est Armand Marie
Jacques de Chastenet (1751-1825), plus connu sous le nom de
Marquis de Puységur4. Ancien colonel d’artillerie au passé glorieux,
il possède des terres immenses, à Buzancy, dans le Soissonnais. Le
marquis aime à reproduire des expériences sur la découverte de
l’électricité et il s’initie au magnétisme animal sur les conseils de ses
deux frères. Après avoir magnétisé quelques soldats de sa garnison,
Puységur en vient, le 4 mai 1784, à s’occuper d’un jeune paysan de
23 ans, Victor Race, atteint d’une grave affection pulmonaire. Celui-
ci tombe alors dans un état de transe différent de ce que Mesmer
rapportait. Dans cet état particulier, que Puységur nommera « transe
somnambulique », Victor peut tenir une conversation au cours de
laquelle ses capacités intellectuelles paraissent plus prononcées
qu’à l’état vigile. Il semble également deviner certaines des pensées
de Puységur. Il décrit même son diagnostic, le traitement qui devra
lui être administré et la date de sa future guérison ! Puységur
renouvelle l’opération sur d’autres sujets et obtient, à son propre
étonnement, des résultats analogues.
Le marquis se trouve vite débordé devant l’afflux de patients et
décide d’utiliser, à l’instar de Mesmer, un traitement collectif par
l’intermédiaire d’un orme magnétisé situé au milieu de la place de
Buzancy. Les patients se tiennent par la main et sont reliés aux
branches de l’arbre par des cordes avant de tomber dans l’état
magnétique. Une fois guéris, ils deviennent thérapeutes à leur tour
grâce aux facultés de « lucidité magnétique » acquises dans cet état
qui donnent lieu à des visions prémonitoires. Le marquis dégage
ainsi une potentialité de la psyché qui se trouve exacerbée durant la
transe somnambulique et prenant la forme d’une instance auto-
guérisseuse interne. L’état magnétique observé par Puységur se
différencie des crises mesmériennes et le rapport médecin-malade
se trouve largement transformé, car le patient découvre et
développe ses propres capacités thérapeutiques. En outre, si les
structures psychiques sont symbolisées de manière externalisée
chez Mesmer (fluide, baquet), la figuration du psychisme se fait par
Puységur au travers d’une théorie de la vision qui apparaît
davantage internalisée (Roussillon, 1992).
Au courant du XIXe siècle, le magnétisme connaît ensuite un large
discrédit en France du fait de sa condamnation par l’Académie des
sciences. Il devient un objet impropre à penser pour la science
naissante qui s’affirme dans la ligne de la philosophie des Lumières
et de son cortège de rationalité. Il demeure néanmoins un élément
présent dans la culture française, avec de nouveaux acteurs, comme
le voyant Alexis Didier (Méheust, 2003). On observe parallèlement
en Allemagne le développement du courant romantique qui favorise
la diffusion des thèmes associés au magnétisme. Des chaires de
mesmérisme sont ainsi créées à Bonn et Berlin, vers 1820, où
Goethe, Hegel et Schopenhauer participent à leur développement
(Méheust, 2005). Kant (1766), dans Les rêves d’un visionnaire, avait
quant à lui déjà évoqué la clairvoyance célèbre d’Emmanuel
Swedenborg concernant un incendie qui ravagea Stockholm
en 17565. Justinius Kerner, médecin allemand et élève de Kant,
proposera dans la même perspective, en 1829, l’analyse d’une
médium, dans La voyante de Prevorst, ouvrage dans lequel il relate
l’observation de Friederike Hauffe qui présente un tableau
médiumnique composé de visites d’esprits et de poltergeist.
LE MAGNÉTISME ANIMAL SELON HEGEL (1817)

L’analyse de Hegel des phénomènes du magnétisme animal souligne l’importance de


cette thématique à son époque et propose une lecture de cette phénoménologie qui
demeure très actuelle. Selon le philosophe allemand, les phénomènes du magnétisme
animal font apparaître dans l’expérience « l’unité substantielle de l’âme et la puissance
de son idéalité » (p. 39). Ces phénomènes placent alors les distinctions de
l’entendement dans un état de confusion, car le magnétisme animal suspend la
relation de cause à effet. Apparaît alors une « supériorité de l’esprit sur le séparé »
(p. 42) qui demeure pour l’entendement un prodige incroyable. Pour autant, Hegel ne
considère pas les phénomènes du magnétisme animal comme une élévation de l’esprit
mais davantage comme une maladie qui conduit l’esprit à « s’affranchir des limites de
l’espace et du temps » (ce qu’il appelle les « liens finis »). Le recours au magnétisme
animal est alors – pour l’esprit élevé jusqu’à l’entendement – considéré comme une
chute. Ainsi, dans le magnétisme animal opère l’« âme sentante dans son
immédiateté » en tant que « rapport d’âme » ou « unité d’âme ». Ce matériau
substantiel de l’être donne naissance secondairement à la subjectivité réfléchie. Elle
contient « dans sa simplicité enveloppante tous les liens à venir et les essentielles
relations » (p. 45).
Hegel se réfère également à Platon afin de mieux cerner le lien entre prophétisation et
conscience lucide. Selon Platon, la part irrationnelle de l’être peut atteindre la vérité
par la menteia, la faculté d’avoir des visions. Ce lien entre déraison humaine et
prophétie a pour conséquence paradoxale que l’homme lucide n’est pas dans la
raison, car il se trouve enchaîné au sommeil de l’entendement. Hegel rejoint les
conceptions platoniciennes selon lesquelles ces visions n’auront d’intérêt que si elles
sont liées à l’entendement. Pour qu’émerge cette compétence, un état de passivité est
nécessaire. Ne subsiste alors qu’un « soi formel » empli de sensations qui donne
accès à une forme de relation immanente reliant les êtres au monde. Hegel note
également que « de même que l’âme sentante s’élève au-dessus de la condition de
l’espace, de même elle s’élève en second lieu au-dessus de la condition du temps »
(p. 70). Dès lors que les visions concernent le futur, Hegel récuse l’idée d’un futur déjà
écrit. Il s’agit plutôt selon lui d’un « éternel » qui n’est ni passé ni futur, un « présent
absolu au-dessus du temps ». Mais seul l’entendement permet véritablement de
déployer la représentation dans l’espace et le temps. Hegel termine son analyse par
quelques mots concernant les mécanismes de guérison. Selon lui « bien des guérisons
advenues autrefois, que l’on considérait comme des miracles, doivent être envisagées
pour rien d’autre que pour des effets du magnétisme animal » (p. 187). Le traitement
magnétique permettrait alors de relancer « l’être fluide en soi même de l’organisme »
et d’atteindre une forme d’harmonie curatrice, mettant ainsi en évidence la parenté
entre clairvoyance et processus de guérison.

En France, Joseph Philippe François Deleuze (1753-1835) propose


dans son Histoire critique du magnétisme animal, publiée en 1813,
des innovations concernant la rythmicité et la limitation de la durée
des séances magnétiques. Ainsi, comme le note René Roussillon
(1992) :
« [Deleuze] propose un véritable cadre, c’est-à-dire un ensemble temporo-spatial
marqué par la constance, la régularité, la fixité, l’invariance. C’est au cadre et non
plus à l’effort personnel du magnétiseur qu’il revient d’assurer une partie des
conditions extrinsèques et intrinsèques de l’instauration de l’état somnambulique »
(p. 71).

Le cadre thérapeutique devient plus économique et confortable pour


le « clinicien ». Les innovations proposées par Deleuze visent
également à améliorer le « rapport » entre le magnétiseur et son
patient pour agir sur des « points de fixation » du fluide repérés à
l’aide d’un profond état de concentration. Ainsi, si Deleuze utilise
encore des passes et la théorie du fluide, les capacités
diagnostiques et thérapeutiques sont davantage conceptualisées
comme étant du côté du thérapeute. Ce sont désormais les
thérapeutes qui ont en quelque sorte des visions sous l’effet du
fluide et de la lucidité magnétique.
À la même époque, l’Abbé Faria reprend les pratiques de Mesmer et
Puységur en ajoutant des suggestions post-hypnotiques. Faria peut
être considéré de ce point de vue comme le précurseur de l’école de
Nancy et de la psychothérapie par la parole. Dans son ouvrage De
la cause du sommeil lucide, paru en 1819, Faria explique qu’il ne
croit pas à l’existence d’un fluide et utilise donc simplement
l’injonction « Dormez ! ». Les patients plongent alors dans un
« sommeil lucide » et réparateur qui leur permet de disposer d’une
« intuition pure » qui s’exprime sous forme d’une « intuition mixte »
qui découle de l’association de l’intuition pure avec les
représentations mentales du patient. Les thématiques du
somnambulisme et du magnétisme animal demeurent également
l’objet d’autres travaux. Le général Noizet fait ainsi parvenir à
l’Académie des sciences de Berlin son Mémoire sur le
somnambulisme et le magnétisme animal (1854) qui influencera
l’École de Nancy qui reprendra avec l’hypnose une partie des
réflexions des magnétistes.

SPIRITISME ET HYPNOTISME
Outre le magnétisme animal et le somnambulisme artificiel, le
spiritisme est l’un des courants que l’on peut situer en amont de la
clinique des expériences exceptionnelles. Le mouvement spirite
prend naissance en 1847, à Hydesville, dans l’état de New York.
Deux jeunes filles, Margaret et Kate Fox, âgées respectivement de
12 et 15 ans, rapportent de mystérieux coups frappés dans les murs
de leur maison. Il ne peut s’agir selon elles que des manifestations
d’une entité intelligente. Elles décident alors de tenter de
communiquer avec cette entité en frappant à leur tour dans les
cloisons de la maison par le biais d’un code alphabétique
rudimentaire inspiré du Morse créé à la même époque. C’est ainsi
qu’elles « apprennent » que cet esprit serait en réalité un colporteur
décédé, assassiné et enterré dans la cave de leur maison6.
Cette pratique se dissémine ensuite aux États-Unis et en Europe,
donnant lieu aux fameuses séances de « tables tournantes » qui font
sensation dans les cercles aristocratiques. À Paris, le
développement du spiritisme est tel qu’il devient quasiment une
forme de religion à part entière ayant pour référence les écrits
d’Hippolyte Léon Rivail (1804-1869), plus connu sous le nom d’Allan
Kardec, du nom d’un druide dont il pensait être la réincarnation.
Allan Kardec publie, en 1857, Le Livre des Esprits, dans lequel le
spiritisme est présenté comme un ensemble de techniques visant à
entrer en communication avec les défunts. Durant les séances
spirites, le plus souvent de groupe, le médium, par le biais de
procédés favorisant l’« incorporation »7, prête son corps à un esprit.
Dans cet état particulier, il peut réaliser différentes productions par
écriture automatique. Le spiritisme a fait l’objet d’un regain d’intérêt
après chacune des deux guerres mondiales, car de nombreuses
familles tentèrent alors de rentrer en contact avec les proches
disparus au front (Laufer, 2007). Le spiritisme et la médiumnité
seront également au centre de débats pour la psychiatrie naissante,
comme le montrent les travaux de Pascal Le Maléfan (2000) sur les
liens entre folie et spiritisme. Le spiritisme intéresse également des
scientifiques renommés à la fin du XIXe siècle, notamment le célèbre
physicien William Crookes. Celui-ci teste, dès 1870, plusieurs
médiums tels que Daniel Dunglas Home et Florence Cook8. Ces
recherches donnent naissance à de fortes controverses, dont la
prégnance et l’intensité s’estompent progressivement au cours de la
première partie du XXe siècle (Méheust, 1999)9. De même que le
magnétisme animal, le spiritisme a cependant laissé des traces dans
notre société contemporaine prenant la forme de nombreuses
œuvres de fiction et certaines pratiques comme le « Oui-Ja »
(Evrard, 2010a) ou ses expressions modernes comme la
« transcommunication instrumentale » (TCI)10.
Si le spiritisme a connu un large développement au début du XXe
siècle, le magnétisme est pour sa part tombé dans une relative
désuétude après les rapports de l’Académie des sciences
discréditant les pratiques de Mesmer. Cependant, certains médecins
continuèrent à s’y intéresser comme le chirurgien écossais James
Braid (1795-1860), qui, lors d’une expérience menée avec le
magnétiseur français Charles Lafontaine, découvre que le sommeil
ainsi induit peut l’être autrement que par des passes : il suffit de
demander au sujet de fixer un objet brillant. Braid reprend le terme
d’« hypnose » (du grec húpnos qui signifie sommeil), en 1843, pour
désigner cet état comme l’avait fait, dès 1819, le baron Etienne Felix
d’Hénin de Cuvillers. En s’émancipant des théorisations fluidiques et
en rendant plus neutre la relation entre l’hypnotiseur et l’hypnotisé,
Braid participe ainsi à l’intégration partielle et progressive d’une
partie de la phénoménologie du magnétisme animal dans les milieux
médicaux.
C’est ensuite le médecin français Auguste Ambroise Liébeault
(1823-1904) qui utilise l’hypnose, vers 1860, avec ses patients à
Nancy. Malgré les critiques de ses confrères, il continue de
prodiguer des soins hypnotiques et publie même à compte d’auteur,
en 1866, Du sommeil et des états analogues. Il insiste sur
l’importance du « rapport » entre le patient et le médecin ainsi que
sur l’utilisation des suggestions post-hypnotiques. La persévérance
de Liébeault est payante : après presque vingt années de pratique, il
attire l’attention du professeur de médecine Hippolyte Bernheim
(1840-1919) qui vient le consulter pour des problèmes de dos
en 1882. Bernheim apprend les techniques hypnotiques et n’aura de
cesse de défendre Liébeault. Pour ces médecins, qui seront les fers
de lance de l’école de Nancy, le phénomène central, véritable
moteur de l’hypnose, est la suggestion. À la même époque, Jean-
Martin Charcot (1825-1893), neurologue réputé, propose à
l’Académie des sciences une communication Sur les divers états
nerveux déterminés par l’hypnotisation chez les hystériques (1882).
Il décrit dans le détail les phases de la « Grande Hystérie » et ce qui
la distingue de l’épilepsie. Il participe ainsi à l’intérêt pour l’hypnose
dans le monde médical mais au prix d’une certaine pathologisation,
point de désaccord avec les tenants de l’École de Nancy qui
considèrent que le sommeil hypnotique n’est pas pathologique en
lui-même (Gay, 2005). Cette logique de pathologisation des états
modifiés de conscience s’étendra ensuite, tout au long du XXe siècle,
à l’ensemble du champ du paranormal et des expériences
exceptionnelles11.

LES PRÉCURSEURS MODERNES :


LES SOCIÉTÉS DE RECHERCHE PSYCHIQUE

Les phénomènes étudiés par les quatre grands courants que nous
venons d’évoquer (magnétisme, somnambulisme, spiritisme et
hypnotisme) participèrent au développement ultérieur des
psychothérapies. À mesure que celles-ci ont précisé la nature de
leurs pratiques, une partie de la phénoménologie décrite par ces
différents courants est devenue une forme d’anomalie au sein des
connaissances scientifiques de l’époque (Evrard & Ouellet, 2019).
Ce « merveilleux psychique » (Pierssens, 1993 ; Plas, 2000) est
néanmoins demeuré l’objet de la « recherche psychique », née à la
fin du XIXe siècle, représentée en particulier par trois sociétés
savantes : la Society for Psychical Research (SPR), créée en 1882 à
Londres, l’American Society for Psychical Research (ASPR), en
1885 à New York et l’Institut Métapsychique International (IMI),
en 1919 à Paris12. Il est difficile de se rendre compte aujourd’hui de
l’incroyable engouement suscité à l’époque par cette thématique
(Méheust, 1999) : William James (1972), Charles Richet (1923),
Pierre et Marie Curie, Henri Bergson (1932), Edouard Branly ou
encore Camille Flammarion comptent, avec un certain nombre de
membres de l’Académie de médecine, de l’Académie des sciences
et d’hommes politiques de premier plan, parmi les figures
prestigieuses qui participent aux activités de ces sociétés.
Ces chercheurs souhaitent étudier la nature ontologique de ces
expériences en se démarquant des dérives idéologiques du
spiritisme et de l’occultisme. Ces expériences appartiennent alors
encore au champ de la psychologie et font l’objet de nombreuses
publications. Régine Plas (2000) note ainsi que pratiquement tous
les premiers psychologues « ont été, de près ou de loin, impliqués
dans des recherches qui seraient, de nos jours, exclues du champ
de la psychologie et renvoyées à la parapsychologie comme, par
exemple, l’étude de ces phénomènes que l’on appelle actuellement
perception extra-sensorielle ou télépathie » (p. 11). Ces chercheurs
ont réuni un important corpus de données souvent considéré comme
une forme d’errance préscientifique de la psychologie comme le note
à nouveau Régine Plas : « les recherches des premiers
psychologues, qui côtoyaient les frontières de l’occultisme sans
toutefois les franchir, sont le plus souvent oubliées, voire déniées par
leurs successeurs. Elles sont, au mieux, considérées comme une
maladie infantile de la psychologie » (p. 12). Ces travaux ont
pourtant abouti à des avancées scientifiques majeures, comme, par
exemple, l’introduction du calcul des probabilités par Charles Richet
pour analyser les résultats d’expériences de clairvoyance (Hacking,
1988) ou l’invention de l’électro‑encéphalogramme par Hans Berger
dans le but d’étudier la télépathie (Millett, 2001). La genèse de la
psychologie moderne provient donc en partie des courants menés
dans le champ de la recherche psychique comme en témoigne la
toute première Revue de psychologie expérimentale fondée par le
docteur Timothée Puel, dont les deux tiers furent consacrés à cette
approche (Evrard & Pratte, 2017). Les revues de ces sociétés
fourmillent en outre de comptes-rendus d’une grande finesse qui
représentent aussi les premiers linéaments d’une clinique des
expériences exceptionnelles.
Nous allons aborder à présent plus en détail le développement de
chacune de ces sociétés, la nature de leurs travaux ainsi que
certaines de leurs figures les plus marquantes. La Society for
Psychical Research (SPR), tout d’abord, est le premier organisme à
avoir étudié spécifiquement les expériences que l’on qualifie
aujourd’hui d’exceptionnelles. Elle est créée à Londres, en 1882, par
Frederic Myers, philosophe et psychologue, Henri Sidgwick,
philosophe au Trinity College de Cambridge et le spécialiste de
l’hypnose Edmund Gurney. Leur objectif, précisé en préambule des
Proceedings de la société, est d’« étudier de nombreux phénomènes
controversés sans préjugé ou prédisposition d’aucune sorte et dans
le même esprit d’exactitude et d’objectivité qui a permis à la science
de résoudre de si nombreux problèmes ». Ainsi, si Vienne est le
berceau de la psychanalyse, Cambridge apparaît comme celui de la
recherche psychique, la SPR étant essentiellement composée
d’intellectuels faisant partie de la haute société britannique. L’un des
ouvrages fondateurs de la SPR, qui émerge de ce bain culturel, est
Phantasms of the Living de Gurney, Myers et Podmore, publié
en 1886. Il décrit l’analyse de témoignages de télépathie spontanés
collectés durant quatre années. Les auteurs remarquent que ces
expériences se produisent essentiellement dans des situations de
détresse psychologique (accident, décès, etc.). Sidgwick, Johnson,
Myers et Podmore publient ensuite, en 1894, le Report on the
census of hallucinations, une vaste analyse de près de 1700
témoignages obtenus en réponse à la question suivante : « Avez-
vous déjà eu une impression réaliste de voir, d’être touché, ou
d’entendre une voix, impression ne semblant pas avoir pour origine
une cause externe à partir de ce que vous avez observé ? ». Une
personne sur dix répond par l’affirmative et les réponses sont
catégorisées selon qu’elles correspondent à des hallucinations, des
perceptions ordinaires des sens, des rêves ou des imageries
eidétiques. L’analyse de ces témoignages met ainsi en évidence un
fait essentiel dès la fin du XIXe siècle : une part importante de la
population – environ 10 % – rapporte des vécus inhabituels sans
pour autant souffrir de troubles psychologiques manifestes. Dès lors,
comment les psychologues doivent-ils considérer ces expériences ?
Frédéric Myers (1843-1901) poursuit ensuite ses recherches en
proposant la notion de « Moi subliminal » qu’il considère comme un
Moi inconscient susceptible de faire irruption dans les états modifiés
de conscience comme le rêve et la transe. Ce Moi aurait des
capacités plus vastes que le Moi conscient – le « Moi supraluminal »
– comme il l’explique dans Human Personality and Its Survival of
Bodily Death (1903). Myers propose donc, à la même époque que
Freud ou Janet, une lecture du psychisme fondée sur ses
potentialités inconscientes, mais il insiste davantage sur les
capacités créatrices de l’inconscient. On lui doit également le terme
de télépathie. Les membres de la SPR s’intéressent en effet aux
phénomènes de lucidité magnétique décrits par Puységur. Ils
travaillent en conditions expérimentales avec des médiums en état
de transe et des médiums dits « lucides ». Par exemple, Mrs Curran
vit un cycle étonnant dans lequel elle prétend s’appeler Patience
Worth et être née en 1649 dans le Dorsetshire. Elle écrit ainsi un
poème de 270 pages, intitulé Telka, rédigé dans un dialecte anglais
datant du XVIIe siècle et dicté sous écriture automatique en moins de
trente-quatre heures ! Quant à Mrs Willette, juge de paix du
Glamorganshire, elle pense être en contact avec des êtres
désincarnés dont elle retranscrit, par écriture automatique, les
consignes et commentaires. Ces différentes formes de médiumnité
mettent en évidence dès cette époque le fonctionnement inconscient
et parallèle de processus psychiques d’une grande complexité qui
transcendent les capacités habituelles de la conscience. Par
exemple, certains médiums apparaissent en mesure d’écrire
simultanément avec leurs deux mains des textes différents tout en
tenant une conversation normale (Marx, 2006).
Henri Bergson (1859-1941) sera également l’un des « compagnons
de route » de la SPR et en fut même président en 1913. Cet intérêt
de Bergson s’insère au sein de ses théories philosophiques selon
lesquelles la vie est pensée comme un « élan » ou un « courant »
qui traverse et structure la matière pour donner naissance aux
formes du vivant. Il suppose également, à partir du même principe,
un débordement du mental sur le cérébral. Dans cette perspective,
nombre de phénomènes observés par les membres de la SPR
mettent selon lui en évidence les aspects les plus extrêmes de cette
influence de la pensée sur la matière. Son discours d’investiture à la
présidence de la SPR, prononcé le 28 mai 1913, représente encore
aujourd’hui un concentré d’intelligence et de perspicacité considéré
par Bertrand Méheust comme le « discours de la méthode des
sciences psychiques ». On retrouve la clarté et la précision du style
de Bergson – qui lui vaudra le prix Nobel de Littérature en 1927 –
mais aussi et surtout, une analyse détaillée des difficultés
épistémologiques associées aux phénomènes étudiés par la SPR.
LE DISCOURS D’HENRI BERGSON (1913) À LA
PRÉSIDENCE DE LA SPR :
FANTÔMES DE VIVANTS ET RECHERCHE PSYCHIQUE

Bergson décrit tout d’abord ce que la recherche psychique pourrait apporter de « vérité
positive ». Il se réfère de ce point de vue aux « hallucinations véridiques », ces
apparitions « d’un malade ou d’un mourant à un parent ou à un ami qui demeure très
lointain ». Bergson détaille alors la méthode utilisée par les membres de la SPR pour
le recueil de ces récits, mélange de l’approche du juge d’instruction et de celle de
l’historien. Il étudie de quelle manière un seul cas de ces hallucinations télépathiques,
pour peu qu’il soit détaillé et précis sur le plan qualitatif, met en échec toute analyse
statistique et peut emporter la conviction. Cette même démarche sera d’ailleurs
défendue à l’Académie des sciences par Charles Richet. Mais Bergson remarque
également à quel point ces phénomènes demeurent suspects pour l’entendement tant
leur mise en évidence est délicate dans le cadre du laboratoire. Que faire de
phénomènes dont la nature même semble inapte à être reproduite en un milieu
aseptisé ? Car paradoxalement, c’est bien à un « dédain du concret » que pourrait
conduire une approche scientifique prête à « mutiler » le réel de crainte de voir celui-ci
mettre à mal les logiques mêmes de ses représentations.
Bergson propose alors un détour vers les fondements de la pensée scientifique, dont
l’origine est à rechercher en Grèce, par le biais de la mesure et des mathématiques. Il
évoque au passage les rapports de l’esprit et du cerveau, reprenant ses thèses
habituelles selon lesquelles le parallélisme entre production psychique et substrat
neuronal ne lui paraît guère tenable compte tenu des faits scientifiques dont il dispose.
Pour Bergson, le cerveau ne conserve pas les représentations et les images du passé,
il a surtout pour fonction un « mécanisme de rappel ». Ainsi, « les phénomènes
cérébraux sont à la vie mentale ce que les gestes du chef d’orchestre sont à la
symphonie ». Le philosophe évoque les expériences de mort imminente – qui ne sont
pas alors dénommées ainsi – et les revues de vie qui les caractérisent pour étayer
l’hypothèse selon laquelle le passé « tout entier » est accessible lors d’états
spécifiques. Il s’appuie en particulier sur le concept de monade de Leibniz pour qui
l’esprit porte en lui les représentations conscientes et inconscientes de la totalité du
réel. Dans les phénomènes de télépathie, cette même relation au monde opérerait du
fait d’une levée de l’inhibition habituelle de la relation entre les êtres (une
« intercommunication ») conduisant la conscience à « déborder » les limites étroites de
l’organisme biologique.
Bergson se permet enfin une rêverie dans laquelle la société aurait privilégié l’étude de
l’esprit sur celle de la matière en tenant compte des faits rapportés par les membres de
la SPR. Une science de l’esprit aurait ainsi pu voir le jour, science qui nous paraîtrait
probablement difficilement compréhensible, de la même manière que les profondes
découvertes des sciences de la matière nous seraient alors tout à fait énigmatiques.
Mais Bergson demeure lucide : « on ne lâche pas la proie pour ce qui n’est peut-être
qu’une ombre ». En définitive, la précision de la mesure, la rigueur de la démarche et
le souci de la preuve qui caractérisent la pensée scientifique permettent de distinguer
« le plausible de ce qui doit être accepté de façon définitive ». Il s’agit alors peut-être
d’une étape nécessaire favorisant l’avènement de cette science de l’esprit dont il rêvait
et qu’il a tenté de promouvoir par cette présidence et, plus largement, par l’ensemble
de ses réflexions philosophiques.

À noter que Freud fut lui aussi membre de la SPR, dès 1911, et ce
jusqu’à sa mort. Il mentionne dans son article « Rêve et télépathie »
(1922) qu’il dispose de la revue Proceedings de la société anglaise
et de son équivalent américain. Myers sera d’ailleurs l’un des
premiers à faire connaître Freud en Angleterre par des articles
publiés dans les Proceedings et, comme nous le verrons dans le
chapitre suivant, ses recherches eurent un impact sur le
développement de la psychanalyse13. La SPR existe encore
aujourd’hui et regroupe, comme à l’époque, des universitaires et des
intellectuels britanniques travaillant dans le champ de la psychologie
anomalistique, la parapsychologie et la clinique des expériences
exceptionnelles.
Les recherches menées à la SPR ont également été développées
par son équivalent américain, l’American Society for Psychical
Research (ASPR), créée en 1884 aux États-Unis par le Dr Richard
Hodgson (1855-1905) de l’Université de Cambridge. Elle est tout
d’abord une branche de la SPR avant de gagner son indépendance
en 1905 sous la conduite du professeur de logique et d’éthique
James Hyslop. Des philosophes et psychologues, comme William
James ou Gardner Murphy, en sont membres. L’ASPR recueille des
témoignages et des observations cliniques et met en place des
expérimentations avec de nombreux médiums. La plus célèbre est
probablement Leonora Piper, qui développe des expériences
médiumniques – après un traumatisme crânien – qui se traduisent
par le fait que des « esprits » empruntent son corps, en particulier un
supposé médecin français, le Dr Jean Phinuit. Elle est l’une des
médiums qui fut la plus étudiée, notamment par William James et
Richard Hodgson, et les procès-verbaux de ces séances
médiumniques sont consignés dans pas moins de 25 volumes des
Proceedings de l’ASPR ! Après la mort de Hodgson, en 1905,
William James effectue soixante-neuf séances au cours desquelles il
est intrigué par une Mrs Piper censée être « contrôlée » par
Hodgson, ce sur quoi James proposera plusieurs explications par
l’analyse des processus inconscients (Trochu, 2019). L’ASPR
engendra une tradition de pensée centrée sur les expériences
exceptionnelles à l’Université d’Harvard qui s’est exportée à
l’Université de Duke, sous l’influence du professeur de psychologie
William McDougall (1871-1938). Celui-ci sera l’initiateur des travaux
de parapsychologie développés ensuite par Joseph Banks Rhine
(1966). Des recherches sur les expériences exceptionnelles sont
encore menées à Harvard par l’équipe de Richard McNally (Clancy
et al., 2002) et, plus récemment, un protocole portant sur la
précognition fut réalisé par le laboratoire de Stephen Kossslyn
(2008).
La France crée ensuite à son tour, en 1919, une fondation reconnue
d’utilité publique, l’Institut Métapsychique International, pour fédérer
les recherches en ce domaine. L’IMI se veut l’équivalent
francophone de la SPR et a pour ambition de rassembler, au-delà de
l’Hexagone, les travaux de la recherche psychique au niveau
international14. Fondé par le médecin italien et ancien Directeur
général de la Santé publique dans son pays, Rocco Santoliquido,
Gustave Geley et un mécène spirite, Jean Meyer, l’IMI s’installe
dans un hôtel particulier à Paris avenue Niel. D’autres intellectuels et
chercheurs illustres comme Flammarion et Bergson suivent de près
les travaux de l’Institut. Celui-ci connaît une intense activité sous
l’impulsion de son premier directeur, le docteur Gustave Geley, qui
publie dans La revue métapsychique les comptes-rendus de ses
recherches avec des médiums15.
L’Institut métapsychique est également largement influencé par les
travaux de Charles Richet, qui en est le président d’honneur à sa
création, puis qui en sera président de 1930 à 193516. Professeur de
physiologie, inventeur de la sérothérapie, membre de l’Académie de
médecine et de l’Académie des sciences, prix Nobel de médecine en
1913 pour sa découverte du choc anaphylactique, Richet (1933) est
un personnage étonnant doté d’une capacité de travail hors du
commun17. Il considère que les expériences occultes doivent être
étudiées scientifiquement et propose en 1905 le terme de
métapsychique pour désigner ce domaine d’investigation18 :
« La métapsychique est une science qui a pour objet l’étude des phénomènes
mécaniques ou physiologiques dus à des forces qui semblent intelligentes, ou à des
puissances latentes de l’intelligence humaine » (Richet, 1933, p. 41).

Richet distingue la métapsychique objective qui concerne les


phénomènes de « matérialisation » et la métapsychique subjective,
portant notamment sur la télépathie. Il participe au développement
de tests quantitatifs qui influenceront l’évolution future de la
psychologie et la parapsychologie expérimentale (Rhine, Pratt,
Smith, Stuart & Greenwood, 1966), et effectue des séances avec de
nombreux médiums comme Eusapia Palladino (pas moins d’une
centaine avec elle !). Il est mis en difficulté, en 1905, lors du célèbre
épisode de la Villa Carmen à Alger concernant les apparitions du
« fantôme » Bien Boâ donnant lieu à des controverses (Evrard,
2016 ; Le Maléfan, 2004). Il publie ensuite, en 1922, son Traité de
métapsychique, qu’il présente à l’Académie des sciences le 13
février de la même année.
À la mort de Geley, en 1924, le docteur Eugène Osty deviendra le
fer-de-lance des activités de l’Institut (Rabeyron, 2010). Ce dernier
travaille avec de nombreux médiums, en particulier Pascal Forthuny,
tout en prenant ses distances avec les théories spirites. Il développe
l’idée d’une « faculté d’hyperconnaître » qui apparaîtrait sous le coup
d’une dissociation fonctionnelle. Le sujet aurait alors accès à des
perceptions psi sous forme hallucinatoire. Les expériences d’Osty
ont ceci de remarquable qu’elles mettent en évidence les mêmes
processus que ceux décrits par Freud pour le rêve – déplacement et
condensation – dans la façon dont les informations sont perçues par
les médiums. Ceux-ci expriment sous forme métaphorique des
éléments qu’ils ne peuvent comprendre directement et qu’il convient
donc de décrypter comme le fait un analyste à partir du contenu
manifeste d’un rêve. Ces phénomènes sont considérés par Osty
comme le fruit d’une intelligence « tapie dans l’ombre », un « hôte
inconnu » qui ne se laisse appréhender que de façon déguisée.
Ces recherches seront poursuivies par René Sudre (Evrard, 2009,
2016). Journaliste scientifique, féru de psychologie, Sudre (1956)
développe deux concepts originaux, ceux de « métagnomie »
(emprunté à Boirac) et de « prosopopèse ». La métagnomie désigne
la capacité d’acquérir des informations indépendamment des
modalités sensorielles connues. Quant à la prosopopèse, elle
concerne la façon dont un médium, ou un « métagnome » comme
les appelle Sudre, figure et donne naissance à une nouvelle
personnalité. Il s’agit selon lui d’un processus de personnification
aux origines mêmes de la personnalité humaine19. Sudre forge ce
concept après des séances effectuées avec des médiums spirites
qui adoptent l’attitude et le comportement de défunts d’une façon
suffisamment précise pour convaincre les proches de la présence
réelle de la personne décédée20, conséquence, selon Sudre, de
l’association des mécanismes de métagnomie et de prosopopèse.
L’activité de l’IMI déclina ensuite mais s’est néanmoins poursuivie
jusqu’à aujourd’hui avec un regain d’activité depuis la fin des années
1990 (Lachapelle, 2005). Nous pouvons également souligner les
travaux de René Warcollier (1921) sur la télépathie, repris par la
suite par Henri Marcotte (1977) et la psychanalyste Djohar Si Ahmed
(2006). Une tradition clinique d’écoute et de conseil sera également
maintenue au sein de cette fondation notamment grâce à l’action du
médecin Hubert Larcher (Larcher & Méheust, 1997) ainsi que la
participation de Juliette Favez-Boutonier. On notera également que
la Revue Métapsychique a publié régulièrement des cas cliniques
d’une grande finesse qui sont aussi à considérer comme les
ferments d’une clinique future des expériences exceptionnelles.
Enfin, l’Institut renouera en partie avec son projet initial de
rayonnement international à partir des années 2000 sous l’influence
d’un nouveau président, Mario Varvoglis (1991, 2006), docteur en
psychologie expérimentale ayant notamment mené des travaux
expérimentaux sur la télépathie et le ganzfeld aux Laboratoires de
Psychophysique de l’hôpital Maimonides à New York et aux
Psychophysical Research Laboratories (PRL) de Princeton.
Outre les chercheurs appartenant aux organismes que nous venons
d’évoquer, plusieurs « indépendants » ont également apporté des
contributions importantes sur le thème des expériences
exceptionnelles à la fin du XIXe siècle, en particulier Janet, Flournoy
et Jung. En 1885, alors qu’il est professeur de philosophie au Havre,
Pierre Janet (1859-1947) rencontre, par le biais du Dr Joseph
Gilbert, Léonie Leboulanger, une jeune fille censée être hypnotisable
à distance, comme sur « télécommande mentale », et avec laquelle
il mène plusieurs expérimentations (Evrard, Pratte & Cardeña,
2018). Léonie semble dotée de trois personnalités différentes,
conséquence selon Janet « d’idées fixes subconscientes ». Il se
détournera ensuite de ses premières expérimentations avec Léonie
et se recentrera sur ses études concernant l’automatisme
psychologique (Janet, 1889) qui témoigne selon lui d’une première
forme de conscience rudimentaire inconsciente. Il analyse les
manifestations de l’hypnose et découvre l’effet curatif du retour à la
conscience de traumatismes oubliés. Si Janet s’est confronté à ses
débuts à la suggestion mentale à distance, aux dermatoglyphes, à la
possession et la médiumnité, il les considère finalement comme un
effet de la désagrégation psychique et fut l’un de ceux qui
participèrent de sa réduction à sa dimension psychopathologique.
En Suisse, à la même époque, Théodore Flournoy (1854-1920) est
lui aussi un auteur prolifique sur ces sujets. Professeur de
psychophysiologie à l’Université de Genève, il analyse le cas de la
médium Hélène Smith dans un ouvrage célèbre intitulé Des Indes à
la planète Mars (1900). Flournoy est alors très imprégné des
théories de Myers et rencontre Hélène Smith en 1884 lors d’une
séance spirite. Le linguiste Ferdinand de Saussure assiste lui aussi
à ces séances durant lesquelles la médium décrit trois cycles de
vie : le cycle martien, le cycle hindou et le cycle royal, au cours
duquel elle pense être la réincarnation de Marie-Antoinette. En état
de transe, Hélène Smith parle également des langues inconnues
que Flournoy et De Saussure tentent d’analyser. Flournoy décrit
ainsi l’existence de forces inconscientes en soulignant, tout comme
Myers (1903), leurs capacités créatives et imaginatives. Flournoy
(1900) conclut que les informations dont dispose Hélène Smith
correspondent aux réminiscences de romans lus dans son enfance,
remaniés par l’imagination subliminale :
« La simple analyse des circonstances et du contenu des communications indique
que, selon toute probabilité, elles proviennent de réminiscences et d’impressions
appartenant à des individus vivant plutôt qu’aux désincarnés. Autrement dit, ces
messages et personnifications reflètent trop évidemment le point de vue du médium
et d’autres gens actuels pour qu’il soit permis d’y voir l’intervention de défunts »
(p. 348).

Toujours en Suisse, Carl Gustave Jung, ami de Flournoy, mène lui


aussi des recherches sur les médiums. Il travaille à partir de l’étude
de sa cousine Hélène Preiswerk, qui présente des accès de
somnambulisme médiumnique, et développe ses analyses dans sa
thèse de médecine intitulée Sur la psychologie et la pathologie des
phénomènes dits occultes et publiée en 1902. Utilisant son test
d’association de mots, Jung s’efforce de comprendre les noms
donnés aux esprits décrits par la médium. Il forge en particulier, avec
le physicien Pauli (Pauli & Jung, 1955), le concept de
« synchronicité » qui correspond à un principe d’a-causalité entre
deux événements signifiants pour le sujet (Jung, 1952). L’exemple
paradigmatique de la synchronicité proposé par Jung est celui du
scarabée d’or. Au cours d’une séance d’analyse, un scarabée vient
frapper à la fenêtre de Jung tandis que sa patiente lui raconte un
rêve dans lequel apparaît un scarabée doré. Selon Jung, cet
épisode favorisa la levée des résistances chez cette patiente et il
s’interrogea plus avant sur le sens de ces coïncidences. Ces
phénomènes synchronistiques sont selon lui liés à l’activation de
« constellations archétypales ». Il appliqua ultérieurement ses
théories aux ovnis et à d’autres phénomènes du registre des
expériences exceptionnelles (Jung, 1961).
Chacun de ces chercheurs a ainsi porté une lecture complémentaire
des expériences exceptionnelles. Si Janet se positionnera
finalement comme sceptique, Flournoy se montrera davantage
ouvert, mais restera prudent, étant intrigué par certaines
compétences mises en évidence par Hélène Smith. Quant à Jung, il
développera une approche qui intègre plus largement les
expériences exceptionnelles. Ces trois chercheurs illustrent ainsi la
palette de positionnements que l’on retrouve habituellement face aux
thématiques abordées dans cet ouvrage.

PERSPECTIVES CONTEMPORAINES SUR LES DESTINS


DE L’OCCULTE

Un bref bilan s’impose à présent afin de recontextualiser la


thématique des expériences exceptionnelles dans une perspective
clinique plus large, à partir d’un héritage que nous pouvons résumer
à travers le schéma suivant :
Figures marquantes et principaux courants ayant
précédé l’émergence
de la clinique des expériences exceptionnelles

Ce schéma montre tout d’abord que la phénoménologie associée


aux expériences exceptionnelles fut étudiée et théorisée selon des
prismes relatifs à chaque époque et suivant un processus que
Bertrand Méheust (1999) nomme le « décrire-construire », en tant
que :
« mode de production de la réalité psychique et culturelle qui se trouve déjà en
germe dans toutes les élaborations théoriques et pratiques où l’être humain cherche
à se représenter sa propre nature ; l’adjectif « théorique » étant pris au sens large,
c’est-à-dire qu’il implique aussi bien la théologie, les mythes, que les doctrines à
prétention scientifique, et désigne tout effort de l’homme pour se représenter sa
propre nature, la penser, la justifier, la mettre à distance » (p. 88).

Le décrire-construire21 est une conception héritée notamment du


pragmatisme de William James selon lequel « l’homme se construit,
s’édifie, à travers le processus même par lequel il se décrit ». Il
représente un processus d’autoreprésentation du sujet et de son
bain culturel qui façonne en retour ses propres modes d’être et son
rapport au réel. Ce processus permet également de catégoriser ce
qui apparaît pensable ou non pensable, intégrable ou non intégrable.
La phénoménologie associée aux expériences exceptionnelles se
trouve ainsi, de façon cyclique, intégrée et exclue des champs
sociaux et académiques en fonction de la représentation que l’être
humain se fait de lui-même et du monde qui l’entoure. La
représentation occidentalisée, influencée dans sa forme dominante
par les avancées scientifiques majeures des XIXe et XXe siècles, ne
fut guère conciliable avec la phénoménologie de ces expériences.
Cela conduisit progressivement celles-ci à n’être considérées que
comme des anomalies sans intérêt. Une partie de la
phénoménologie associée aux expériences exceptionnelles est ainsi
demeurée exclue du champ académique du fait de son caractère
inassimilable aux paradigmes scientifiques du XXe siècle (Kuhn,
1962). De ce point de vue, les expériences exceptionnelles semblent
avoir été sacrifiées dans le but de maintenir la cohérence des
paradigmes dominants. Cette logique aide à comprendre le déclin
progressif des sociétés de recherche psychique qui ne sont pas
parvenues à produire un corpus théorique aussi cohérent que
d’autres champs scientifiques comme la physique ou la biologie.
Dans le domaine de la psychopathologie et de la psychothérapie,
ces anomalies ont donc été reléguées au champ de l’occulte, puis
du paranormal, situé par son appellation même en dehors de la
norme. Ainsi, malgré les effets thérapeutiques rapportés par Mesmer
et Puységur, ces expériences ne furent guère intégrées au sein du
savoir académique et les résultats empiriques de ces pratiques ont
été réduits à des catégories générales comme celle de l’imagination.
Il en résulte néanmoins un questionnement toujours d’actualité pour
savoir si « la suggestion au sens classique du terme suffit à rendre
compte de tous les phénomènes observés, et si le rapport
magnétique est réductible à celui que met en jeu l’hypnose »
(Méheust, 1999, p. 129). Il en découle donc une forme de « retour
du refoulé » qui conduit ces expériences à émerger de manière
cyclique dans les débats académiques et sociétaux, produisant à
chaque fois le même mouvement de balancier associant résurgence
et oubli, fascination de la redécouverte et rejet de l’inexpliqué. Ces
résurgences semblent cependant favoriser une métabolisation
partielle de la phénoménologie associée à ces expériences. Par
exemple, une partie des phénomènes décrits par les magnétistes fut
intégrée au savoir médical par l’intermédiaire des travaux sur
l’hypnose. Il en est de même de la psychanalyse qui a permis de
conceptualiser le cadre thérapeutique esquissé de manière
approximative par les magnétistes. Freud a ainsi rendu
culturellement acceptable l’utilisation de certains processus décrits
par les fluidistes et a permis, avec la métapsychologie, de produire
un modèle d’intelligibilité des symptômes et des possibilités
thérapeutiques transcendant les théories biologiques de son époque
(Ellenberger, 1994).
Néanmoins, comme en témoignent les travaux des sociétés de
recherche psychique, une partie de la phénoménologie associée au
magnétisme, au somnambulisme et au spiritisme est passée à la
trappe lors de ce redécoupage de la « géopolitique du psychisme »
entre hypnose et psychanalyse (Méheust, 1999, p. 121). La
prégnance et la force des débats idéologiques au début du XXe siècle
rendent compte des enjeux sous-jacents à la représentation du réel
et de la réalité psychique qui se dessinent alors. Cette
représentation n’est d’ailleurs pas sans avoir des ramifications plus
profondes sur les plans éthique et politique, car touchant à la nature
intime des relations entre les êtres et à la manière de les concevoir
(Jaurès, 1902).
Cette mise à l’index s’est doublée d’un processus de pathologisation
de ces expériences qui les a essentiellement circonscrites au champ
de la folie. Ainsi, comme le souligne Méheust :
« La psychiatrie française, de Janet à Clérambault, et malgré les divergences
importantes relatives à la conception même de l’automatisme, s’accorde sur ces
vues ; tout le monde est d’accord pour pathologiser la médiumnité et la
métagnomie » (p. 102).

Les médiums, autour desquels se cristallisent alors l’étude des


expériences exceptionnelles, seront donc relégués au champ du
pathologique. La médiumnité a ainsi joué un rôle prépondérant dans
les classifications nosographiques psychiatriques du début du XXe
siècle pour déterminer ce qui appartenait au normal ou au
pathologique (Le Maléfan, 2000). Cette tension entre l’aspect sain,
voire potentiellement thérapeutique et créatif des expériences
exceptionnelles, et leur dimension pathologique, peut être suivie à la
trace tout au long des débats et des controverses allant du
magnétisme jusqu’à la psychanalyse. Elle a donné lieu à de vifs
échanges entre magnétistes et hypnotistes concernant la nature
même de l’inconscient. Par exemple, le neurologue Joseph Grasset
représente le fonctionnement de l’inconscient comme relevant de
« fonctions inférieures du psychisme » tandis que Myers considère
au contraire l’inconscient subliminal comme recelant des capacités
créatrices.
Ces controverses conduisent à dégager deux processus qui
caractérisent les expériences exceptionnelles. Le premier est une
chute de conscience dans les automatismes due à une perte de la
fonction de synthèse mentale. Elle se traduit par les états morbides
de l’hystérie qui conduit à une hypersensibilité à la suggestion et à
différentes formes de dissociations. Le second correspond à des
états marqués par un sentiment d’unité faisant culminer l’intuition et
l’intégration psychique. Ces deux processus sont bien résumés,
en 1914, par Joseph Maxwell, médecin, juriste et futur membre de
l’IMI :
« Je connais des médiums qui ont des facultés supérieures à la moyenne et qui ne
présentent aucun stigmate de dégénérescence. J’ai dit, et je le répète encore, les
plus beaux phénomènes m’ont été donnés par des sujets sains d’esprit et de corps.
C’est avec les hystériques qu’à côté des phénomènes vrais on constate de la fraude :
avec un médium qui n’est pas névrosé, dont l’intelligence équilibrée sait résister à
l’idée fixe et à l’autosuggestion, on a des phénomènes vrais, ou l’en n’en a pas du
tout. »

Ainsi, comme le remarque également Méheust :


« Tout se passe comme si un double mouvement traversait la conscience humaine :
l’un, qui tend vers l’unité, vers des états de tension et d’intégration de plus en plus
élevés ; et l’autre, au contraire, qui va vers la pluralité, vers la fragmentation et la
dispersion. Les magnétiseurs et leurs dispositifs culturels tendraient à construire
leurs somnambules vers ces états d’intégration ; les hypnologues et leur dispositif, au
contraire, vers des états de fragmentation » (p. 113).

Les travaux contemporains sur les expériences exceptionnelles


suivent cette ligne de démarcation initiée au début du XXe siècle. Par
exemple, les recherches concernant les liens entre expériences
exceptionnelles, schizotypie et continuum de la psychose
témoignent de son actualité (Goulding, 2004). Les spécialistes de la
psyché semblent ainsi confrontés à un objet qui leur échappe et
qu’ils tentent, par défaut, de penser dans ses rapports au
pathologique, ce qui entrave une analyse fine et sans a priori des
expériences exceptionnelles.
Ce bref historique permet donc de mettre en perspective l’approche
contemporaine des expériences exceptionnelles qui témoigne d’un
nouveau « retour » de ces expériences dans notre espace social
accompagné d’un regain d’intérêt du monde académique. Nous
pouvons tenter de dégager quatre paramètres qui aident à
comprendre cette évolution récente :
1. Les progrès des neurosciences cognitives (IRMf, EEG, PET scan,
etc.) permettent d’aborder des domaines qui échappaient
auparavant à l’investigation scientifique. Les travaux portant sur
les sorties hors du corps (Blanke, Landis, Spinelli & Seeck, 2004),
les expériences de mort imminente (Thonnard et al., 2013), les
abductions (Clancy, McNally, Schacter, Lenzenweger & Pitman,
2002), mais aussi l’intuition ou encore les psychédéliques
(Carhart-Harris et al., 2014) se sont multipliés et permettent de
faire rentrer au sein de la psychologie mainstream des domaines
qui avaient jusqu’à présent été relégués au champ du
paranormal. Ces expériences se voient ainsi éclairées sous un
jour nouveau par l’intermédiaire de ces avancées techniques et
théoriques qui aident à démystifier l’aura qui les enveloppaient
antérieurement. On découvre même que « l’esprit paranormal »
(Brugger & Mohr, 2008) devient un outil précieux pour
comprendre le fonctionnement cognitif du cerveau. Ces
recherches s’associent néanmoins souvent à des procédés
réductionnistes qui peuvent conduire à expliquer ces expériences
uniquement selon des logiques cognitives et neurobiologiques.
2. L’horizontalisation des relations au sein du champ social découle
d’une chute du modèle patriarcal qui a longtemps vectorisé la
structure des sociétés occidentales modernes (Pirard, 2010).
Cette évolution se traduit par des relations entre individus
marquées davantage par « l’horizontalité » que par la verticalité,
favorisée notamment par l’utilisation des réseaux sociaux22, ce
qui engendre de nouveaux organisateurs du champ social et des
processus identitaires. En témoigne, par exemple, la clinique
transgenre qui met en évidence une pluralité d’expressions
identitaires à mesure qu’une vision binaire et réductrice du genre
se déconstruit, favorisant ainsi les dimensions multiples de
l’identité (Castel, 2003). De la même manière, le vécu et
l’expression des expériences exceptionnelles sont favorisés par
cette évolution sociétale par laquelle chacun serait davantage en
mesure d’exprimer sa nature profonde. Les relations sociales
horizontales se traduisent plus précisément dans le champ de la
santé par les mouvements de réappropriation et les échanges
entre pairs (Martin, 2017) qui favorisent les discours sur les
expériences exceptionnelles. Le mouvement des entendeurs de
voix en est un excellent exemple et participe à une ouverture
certaine à l’égard de cette clinique (Evrard & Le Maléfan, 2013)
de même que le développement actuel des médecines
alternatives ou parallèles23.
3. L’organisation narcissique-identitaire de la personnalité qui
organise de plus en plus la subjectivité de nos contemporains se
traduit par une expression de la souffrance humaine marquée du
sceau des souffrances dites « limites » (Roussillon et al., 2007).
La structure du sujet devient plus souple, plus labile et s’émancipe
d’une confrontation directe et « forcée » à la castration, ce qui
favorise notamment les troubles états-limites. Le sujet développe
ainsi une perméabilité accrue aux contenus mentaux et ses
frontières mentales paraissent plus fines et plus poreuses aux
dynamiques inconscientes. Ceci engendre en retour une clinique
du narcissisme, une clinique « aux limites » ou « aux extrêmes »
(Estellon & Marty, 2012), souvent présente dans les expériences
exceptionnelles (Rabeyron, 2010).
4. Une préoccupation pour l’écologie et un rapport harmonieux à
l’environnement se fait grandissante à mesure que les effets du
réchauffement climatique et les excès du capitalisme et du
néolibéralisme se font sentir de manière concrète (catastrophes
naturelles, disparition des espèces végétales et animales, etc.)
(Jensen, Lierre & Aric, 2018). Cette conception écologique du
monde fut soutenue de longue date par les courants magnétistes
et métapsychiques qui supposaient une solidarité profonde entre
les êtres dont les expériences exceptionnelles seraient l’une des
formes d’expression (Méheust, 2015 ; Jaurès, 1902). On
remarquera de ce point de vue que les cultures premières
intègrent habituellement ces vécus – voire même en font un
élément central – de même qu’elles entretiennent un rapport
différent à leur environnement (Martino, 1948)24. Cette vision
écologique de l’humain et son environnement semble donc
favoriser une ouverture aux vécus exceptionnels et leurs
conséquences sont davantage intégrables par la société.
La conjonction de cet héritage avec ces facteurs contemporains aide
ainsi à comprendre l’émergence actuelle des expériences
exceptionnelles selon une perspective historique, sociologique et
anthropologique plus globale (Rabeyron, 2002 ; Evrard & Ouellet,
2019), préalable indispensable à leur compréhension clinique qui
fera l’objet de la suite de l’ouvrage.

Notes
1. Nous ne pourrons, dans le cadre de ce travail, que reprendre les
points saillants de ce trajet historique. Nous renvoyons en particulier
le lecteur aux travaux de Jean Laplanche (1987), Jacqueline Carroy
(1991), René Roussillon (1992), Henri Ellenberger (1994), Bertrand
Méheust (1999), Djohar Si Ahmed (2006) et Renaud Evrard (2014,
2016) qui méritent d’être consultés dans le détail pour mesurer
l’ampleur et les conséquences de cette perspective historique.

2. Il existe ainsi de nombreux travaux anthropologiques sur ce


thème. Outre les recherches de François Laplantine (Aubrée &
Laplantine, 1990), nous renvoyons notamment le lecteur aux écrits
d’Ernesto De Martino (1948), Jeanne Favret-Saada (1977),
Dominique Camus (2002) et Christine Bergé (2003).

3. Le discrédit de Mesmer provient également des sommes


astronomiques qu’il fut amené à demander pour son enseignement.

4. J’ai eu l’occasion de rencontrer, il y a quelques années, l’un de


ses descendants, Georges de Bellerive. Alors installé comme voyant
à Lyon – il est décédé en 2009 –, il avait notamment participé à un
ouvrage dirigé par l’anthropologue François Laplantine (1985) intitulé
Un voyant dans la ville. C’était un homme charmant et cultivé, mais
qui avait la particularité d’oublier chacune de nos rencontres
précédentes !

5. Sur ce sujet, voir par exemple la lettre de Kant à Charlotte de


Knobloch du 10 août 1758 qui montre tout son intérêt, sa prudence,
mais aussi son ouverture sur ce sujet. Kant évoque l’anecdote de
l’incendie de Stockholm qu’il présente ainsi : « le fait qui suit me
semble le plus décisif de tous et coupe court à tous les doutes
imaginables ».

6. Dans les cas de poltergeist, nous retrouvons fréquemment la


même conviction concernant la présence d’un défunt dans la
maison. Celle-ci mène souvent à des recherches sur l’histoire du lieu
afin de découvrir un éventuel passé tragique pouvant expliquer les
phénomènes de hantise.

7. De telles pratiques existent toujours, notamment dans les Cercles


Allan Kardec présents dans plusieurs villes de France. J’ai eu
l’occasion d’assister à une séance publique lors de laquelle plusieurs
médiums en état de transe ayant « incorporé » l’esprit de différents
défunts, réalisaient des paysages distribués au public comme
messages de l’au-delà.

8. Tout comme chez Mesmer, l’hystérie et la séduction ne sont


jamais bien loin. Les recherches de Crookes seront en effet
critiquées du fait de la relation amoureuse qu’auraient entretenue le
célèbre physicien et Florence Cook.

9. De nombreux médiums – dits à effets physiques, censés produire


une gamme variée de phénomènes (déplacement d’objets,
ectoplasme, etc.) – tels que Eusapia Palladino, Franek Kluski, Jean
Guzik ou encore Rudi Schneider, participèrent également à des
expériences menées par la Society for Psychical Research (SPR) et
l’Institut Métapsychique International (IMI). Parmi les personnalités
présentes à ces séances, on compte des membres de l’élite
intellectuelle française de l’époque, comme Pierre Curie, qui fut
renversé par une voiture – il décéda des suites de cet accident –
après une séance menée avec Eusapia Palladino (Evrard, 2010b).
10. Il s’agit d’une technique moderne de spiritisme lors de laquelle
des personnes posent des questions devant un magnétophone en
laissant tourner la bande avec le plus souvent un bruit blanc en fond
(le type de bruit que l’on peut trouver entre deux stations de radio)
pour ensuite réécouter la bande, à la recherche de réponses des
défunts. Des techniques similaires existent dans lesquelles la
« neige » d’un écran de téléviseur est également utilisée comme
support. À noter également la pratique des « chasseurs de
fantômes » qui se développe largement sur Internet. Ces derniers
utilisent différents outils (caméra, capteur de champ
électromagnétique, etc.) pour tenter de mettre en évidence la
présence supposée d’entités dans des lieux hantés.

11. Même l’hypnose semble être restée pour certains cliniciens une
pratique obscure et douteuse. La raison en est probablement qu’au-
delà de son efficacité thérapeutique, notamment pour les troubles
psychosomatiques (Flammer & Assen, 2007), ses principes sur le
plan neurologique demeurent relativement mystérieux, malgré le
développement récent de recherches neuroscientifiques sur ce sujet
(Kosslyn, Thompson, Costantini-Ferrando, Alpert & Spiegel, 2000).
Depuis maintenant quelques années, on observe néanmoins
clairement un regain d’intérêt et d’ouverture envers l’hypnose et plus
largement envers les états modifiés de conscience.

12. Un peu plus tôt, un Institut Psychique International fut créé


en 1900, avant de devenir en 1902 l’Institut Général Psychologique
(IGP), dont la création marque, selon Régine Plas (2000, p. 151),
une première scission entre les psychologues plus « classiques » de
l’époque (comme Ribot ou Janet qui feront néanmoins partie de
l’IGP) et les tenants de la recherche psychique, menant
progressivement à la naissance de l’Institut Métapsychique
International. La recherche psychique devient ainsi progressivement
une spécialité avant d’être évacuée progressivement des
thématiques mainstream (Evrard, 2016).

13. Ce point souligne d’ailleurs une forme d’alliance naturelle entre


psychanalyse et métapsychique. La métapsychique permet en effet
d’étayer certains points de vue psychanalytiques en étudiant en
« circuit externe » ce que Freud a analysé en « circuit interne »,
comme le souligne Méheust : « tous les phénomènes produits par
les médiums peuvent être assimilés à des messages – y compris les
phénomènes physiques. On retrouve donc ici, mais en circuit
externe, les phénomènes de la conversion hystérique, tels que les a
pensés Freud » (Méheust, 1999, p. 101).

14. Projet qui fut néanmoins en partie un échec, comme le montrent


les analyses de Nicolas Marmin (2001) et Sophie Lachapelle (2005).
L’IMI ne parviendra pas à atteindre ce statut de centre de référence
international, même s’il a toujours participé aux réseaux
internationaux de recherche sur ce sujet.

15. Ce qui sera une tradition de l’Institut auprès de médiums comme


Eusapia Palladino, Marthe Béraud, Rudi Schneider, Kluski, Georges
Forthuny ou encore Stefan Ossowiecki.

16. Richet fut également secrétaire de la Société de Psychologie


Physiologique, fondée en 1885 sous la présidence de Charcot et
dont l’un des objets d’étude était déjà ces phénomènes (Richet,
1933). Puis il accepta, en 1891, de co-fonder avec l’ophtalmologue
Xavier Dariez, les Annales des sciences psychiques, sur le modèle
des Proceedings de la SPR, auxquelles succéda, à partir de 1920, la
Revue métapsychique qui paraîtra régulièrement jusqu’en 1982. S’ils
considèrent la métapsychique comme les origines de la psychologie,
les manuels négligent souvent de reconnaître le rôle de pionnier que
joua Richet dans le champ de la psychologie (Evrard, Gumpper,
Beauvais & Alvarado, 2019).

17. Richet (1923, 1928, 1933) fut professeur de médecine, mais


aussi pionnier de l’aviation, poète, psychologue et historien,
défenseur du pacifisme et de l’espéranto. Il sera également un
soutien de thèses eugénistes, ce qui lui a été rétrospectivement
reproché. Il convient néanmoins de tenir compte du contexte
historique dans lequel ces thèses, grandement partagées à
l’époque, se sont développées. Sur ce point, voir notamment :
Evrard, 2016, p. 150.
18. Il existe d’ailleurs une certaine proximité entre la définition de
l’occulte proposée par Freud et celle que donne Richet (1923) de la
métapsychique. Cette proximité est peut-être due au fait que Freud
avait lu le Traité de métapsychique de Richet (comme le montre une
lettre de Freud, du 4 février 1921, envoyée à Eitington) et qu’ils ont
peut-être eu l’occasion de se rencontrer lors de repas organisés
chez Charcot.

19. De ce point de vue, Sudre (1956) anticipe les travaux portant sur
les processus de personnification au sein du champ analytique
décrits notamment par Antonio Ferro (2015). Ce phénomène se
donne aussi à voir à l’extrême dans les personnalités multiples ainsi
que dans « l’objectivation des types » sous hypnose décrite
auparavant par Richet (1923).

20. Ce type de phénomènes a d’ailleurs pris des allures très


particulières durant les « correspondances croisées » analysées par
la SPR et qui associent des écrits de médiums provenant de
différentes régions du monde censés former un ensemble cohérent.
Une analyse détaillée de ces correspondances resterait à faire tant
ce matériel est riche sur le plan clinique.

21. Un parallèle entre le « décrire-construire » et le « trouvé-créé »


de Donald Winnicott (1989) paraît pertinent. Le premier correspond
à un niveau sociologique et culturel tandis que le second apparaît
comme un processus fondamental inhérent à la construction du
psychisme de l’enfant dans sa relation à l’environnement. À ce
propos, René Roussillon décrit un processus
d’« autoreprésentation » qu’il met en parallèle avec le play
winnicottien : « Au fur et à mesure que se déconstruit le cadre
théorico-pratique, au fur et à mesure que certains fonctionnements
psychiques immobilisés dans le cadre commencent à se
reprocessualiser, ils s’autoreprésentent et ainsi se définissent
comme fondateurs. On peut apparenter ce processus à celui du jeu
(play) libre de l’enfant qui découvre et invente ses propres règles de
fonctionnement à l’avenant de ses besoins, en autoreprésentant ses
propres conditions de possibilités » (p. 30). Ce play était d’ailleurs
déjà présent dans la clinique de Puységur, comme l’évoque
Roussillon, et il est possible d’en repérer les traces chez Ferenczi.
Nous voyons ainsi comment l’homme se découvre lui-même « par
fragments » par le biais de ses dispositifs empiriques et ses modèles
théoriques. Nous renvoyons également le lecteur intéressé par ce
sujet à La fabrication du psychisme (Mancini, 2006).

22. Ces réseaux (Youtube, Facebook, Instagram, etc.) permettent en


effet de communiquer directement sans passer par des relais
d’informations hiérarchisés et dépendants de structures sociales pré-
organisées. Cela n’est d’ailleurs pas sans effet sur la thématique du
paranormal de manière plus globale et plusieurs chaînes à succès
de Youtube abordent fréquemment ce sujet, étant en partie à
l’origine de sa diffusion et de son expression actuelle.

23. Une partie des facteurs à l’origine du développement social


des expériences exceptionnelles recoupe en effet ceux qui ont
permis, dès la fin des années 1960, le développement des
médecines dites parallèles, sur fond de « retour du refoulé
irrationnel » (Laplantine & Rabeyron, 1987).

24. Ce qui se traduit d’ailleurs par un intérêt pour le chamanisme


avec également les excès qui accompagnent parfois l’acculturation
de ces pratiques.
Chapitre 3

La solution paranormale, entre


trauma et perméabilité
psychique
« Le docteur Marrande, le plus illustre et le plus éminent des aliénistes, avait prié
trois de ses confrères et quatre savants, s’occupant de sciences naturelles, de venir
passer une heure chez lui, dans la maison de santé qu’il dirigeait, pour leur montrer
un de ses malades. Aussitôt que ses amis furent réunis, il leur dit : “Je vais vous
soumettre le cas le plus bizarre et le plus inquiétant que j’ai jamais rencontré”. »
Guy de Maupassant, Le Horla

Nous allons à présent aborder, dans ce troisième chapitre, les


processus qui caractérisent la clinique des expériences
exceptionnelles à travers le modèle de la « solution paranormale ».
Plusieurs pistes vont être explorées concernant leur contexte
d’émergence, en particulier celui des traumas précoces ou plus
tardifs qui pourront donner lieu ensuite aux caractéristiques
psychologiques d’une « personnalité ayant tendance aux
anomalies » (anomaly prone personality) (Simmonds-Moore, 2010).

ÉVÉNEMENTS DE VIE NÉGATIFS


ET EXPÉRIENCES EXCEPTIONNELLES

Dans quelles situations des personnes rapportent-elles des


expériences exceptionnelles ? Peut-on dégager des caractéristiques
psychologiques communes favorisant l’émergence de cette
phénoménologie indépendamment du type d’expérience
exceptionnelle concernée ? En vue de répondre à ces questions,
notre intérêt s’est tout d’abord porté sur le fait que les personnes qui
rapportent des expériences exceptionnelles ont souvent rencontré,
peu de temps avant celles-ci, des difficultés dans leur vie
personnelle. La même observation est présente chez plusieurs
auteurs. Ainsi, la psychiatre Élisabeth Laborde-Nottale (1990)
remarque, à propos d’un voyant, que « les premières sensations
d’avoir un don de double vue étaient liées, chez Monsieur C., à une
dépression en rapport avec une rupture sentimentale » (p. 62).
Quant à l’anthropologue Dominique Camus (2002), il note,
concernant voyants et magnétiseurs, qu’« il est […] frappant de
constater que tous ces individus ressentent les manifestations de
leur aptitude à des moments très difficiles de leur existence » (p. 50).
Nombreux sont ceux qui décrivent ainsi des vécus inhabituels à la
suite de contextes de vie perturbés par une séparation amoureuse,
un décès, une perte d’emploi, un déménagement, etc. Cet aspect se
révèle très présent dans la clinique des expériences exceptionnelles
et il est fréquent d’observer une contiguïté entre événements de vie
négatif1 et expériences exceptionnelles.
Le simple fait du hasard pourrait-il conduire à repérer dans les cas
cliniques des événements survenus en amont d’une expérience
exceptionnelle ? Cette interrogation nous a mené à tester cette
hypothèse en étudiant la corrélation entre événements de vie
négatifs et expériences exceptionnelles (Rabeyron & Watt, 2010).
Dans un échantillon constitué de 162 personnes, près d’une
personne sur cinq a rapporté avoir vécu une expérience
exceptionnelle au cours de l’année écoulée. Parmi celles-ci, plus de
la moitié (54,9 %) a signalé un événement de vie jugé comme
négatif survenu en amont de cette expérience, faisant ainsi
apparaître une corrélation significative entre ces deux facteurs
(r = .29, p < 0.01). Cette corrélation s’est trouvée confirmée par la
comparaison entre deux groupes de personnes ayant vécu
respectivement un nombre élevé ou restreint d’expériences
exceptionnelles. Le premier a connu, de façon significative,
davantage d’événements de vie difficiles (r = .24, p < 0.01). Ces
résultats confirment donc l’existence d’une corrélation entre
événement de vie négatif et expérience exceptionnelle2.
Ce lien entre événements de vie négatifs et expériences
exceptionnelles n’apparaît cependant pas toujours de manière
évidente au premier abord sur le plan clinique. En effet, lors des
premiers entretiens, les personnes rapportent habituellement une ou
plusieurs expériences exceptionnelles sans pour autant évoquer un
éventuel événement de vie négatif. L'aspect fascinant ou effrayant
de certaines de ces expériences semble gêner l’élaboration de leurs
causes sous-jacentes, leur conférant parfois une dimension
défensive. La fonction première de ces expériences peut alors être
la mise à distance de vécus traumatiques. Cette constatation nous a
également conduit à dégager la notion d’« expérience paranormale
inaugurale » en tant que première expérience exceptionnelle qui
ouvre ensuite la voie à d’autres expériences de ce type. Par
exemple, Hélène (cf. p. 88), après une première expérience
mystique et médiumnique, se met à vivre des perceptions psi et des
synchronicités. Il en va de même pour Nathalie (cf. p. 154) qui, après
quelques rêves prémonitoires, rapporte de multiples intuitions et un
grand intérêt pour le paranormal. Quant à Charles (cf. p. 343), il vit
des expériences de magnétisme et un fort engouement pour la
médiumnité suite à une situation de harcèlement. Le paranormal
semble ainsi faire l’effet d’un « pôle attracteur » de la psyché aussi
bien sur le plan expérientiel qu’au niveau de l’interprétation de ce
vécu. Cette expérience paranormale inaugurale initie souvent ce que
nous avons proposé d’appeler la « solution paranormale » qui
correspond à une stratégie d’adaptation prenant la forme
d’expériences exceptionnelles dans les suites d’événements de vie
difficiles (Rabeyron, Chouvier & Le Maléfan, 2010). Cette solution
apparaît comme une constellation de processus psychiques
commune à l’ensemble des expériences exceptionnelles et donne
lieu à l’impression d’une interaction non ordinaire avec
l’environnement. Nous pouvons dégager les cinq caractéristiques
suivantes de la solution paranormale :
CINQ CARACTÉRISTIQUES PRINCIPALES DE LA
CINQ CARACTÉRISTIQUES PRINCIPALES DE LA
SOLUTION PARANORMALE

1. La solution paranormale commence par une expérience exceptionnelle forte et


marquante – l’expérience paranormale inaugurale – qui découle d’une interaction
non ordinaire avec l’environnement.
2. La personne demeure habituellement en phase avec la réalité et ne sait comment
interpréter cette expérience qui la perturbe cependant profondément. Elle tente de
l’expliquer par le biais d’une interprétation paranormale qui peut associer des
« preuves objectives » concernant l’expérience (témoins, photos, etc.).
3. On découvre généralement un événement de vie négatif ou une période de vie
difficile qui précède l’émergence de l’expérience paranormale inaugurale. Des
prédispositions dans l’enfance sont également fréquentes (relations
intersubjectives précoces particulières, traumas, intérêt familial pour le
paranormal).
4. La personne développe par la suite d’autres expériences exceptionnelles, ainsi que
des croyances au paranormal, ce qui se traduit de façon plus globale par un intérêt
marqué pour ce sujet qui devient parfois central pour elle.
5. L’expérience produit après-coup chez certains sujets des transformations
psychiques concernant leur personnalité, leurs capacités créatives et leurs
relations à leur environnement de manière plus globale.

La personne semble ainsi confrontée à un vécu qui transcende ses


cadres de pensée habituels et la solution paranormale crée une
brèche dans les processus de représentation (Evrard, 2015). Cette
situation se traduit fréquemment par des mécanismes de rejet3 ou
de fascination que nous aurons l’occasion de décrire plus en détail.
Cette solution paranormale ne saurait cependant être étendue à tous
les cas cliniques. L’expérience clinique montre en effet qu’elle
correspond à environ deux tiers des personnes qui contactent le
service de consultation (cf. chapitre 10). Il existe donc d’autres
formes d’émergence des expériences marquées du sceau de la
paranormalité. Il s’agit tout d’abord d’expériences exceptionnelles
« de crise » qui se produisent de manière simultanée à une situation
difficile sur le plan psychique ou somatique. C’est en particulier le
cas des expériences de mort imminente et de certaines expériences
de sortie hors du corps. Il semble alors que le stress induit par
l’événement génère l’expérience exceptionnelle sur le moment
même. On observe également un troisième contexte d’émergence
dans lequel l’expérience exceptionnelle se produit en dehors de tout
événement de vie difficile ou de situation de crise. Parmi les cas de
ce type, moins fréquents, citons celui d’Emmanuel (cf. p. 269) qui
développe spontanément, puis de façon provoquée, des perceptions
psi et des sorties hors du corps. Nous pouvons également évoquer
le cas de Prudence (cf. p. 166), une jeune femme qui décrit des
perceptions psi répétées. Il est donc possible de dégager
schématiquement trois contextes d’émergences des expériences
exceptionnelles qui soulignent la pluralité de leur inscription
subjective :
1. dans les suites d’un événement de vie négatif ;
2. en contexte de crise ;
3. hors de tout contexte traumatique.

INTERSUBJECTIVITÉ PRÉCOCE
ET EXPÉRIENCES EXCEPTIONNELLES

Nous allons à présent aborder les origines de ce contexte


d’émergence des expériences exceptionnelles de manière plus
approfondie. Une première piste concerne l’incidence des traumas
précoces sur le développement ultérieur de croyances et
d’expériences exceptionnelles. Comme le montrent les travaux
anglo-saxons présentés au premier chapitre, il existe une corrélation
forte entre traumas dans l’enfance et expériences exceptionnelles. Il
s’agit cependant d’un premier niveau d’analyse qui ouvre la voie à
de nombreux questionnements. Par exemple, comment et pourquoi
certains traumatismes donnent lieu, préférentiellement, à des
expériences exceptionnelles ? Peut-on relier certains types de
traumas avec l’émergence de formes spécifiques d’expériences
exceptionnelles ? Les données cliniques mènent à une première
hypothèse : les expériences exceptionnelles seraient la
conséquence de modalités relationnelles précoces qui resurgiraient
à l’âge adulte4. Elles représenteraient donc des « vestiges » de
relations archaïques faisant leur retour lors de conditions de vie
difficiles. Trois vignettes cliniques illustreront cette hypothèse :
Cas cliniques
Hélène est née prématurément et séparée de sa mère à la naissance. Elle n’a
pas pu être allaitée par celle-ci du fait d’un abcès au sein. Elle rapporte des
« terreurs d’abandon » qu’elle relie à de nombreux abandons dans sa famille
avant sa naissance. Elle décrit ses deux parents comme étant tous les deux
« très froids », ce qui lui donnait l’impression d’être mise à l’écart quand elle était
petite. Ce vécu s’associe à l’idée qu’elle était, selon elle, une enfant « non
voulue ».
Prudence a gardé de son enfance le souvenir d’une mère « très froide » qui ne lui
faisait guère de « câlins ». Elle n’a d’ailleurs pas été allaitée par celle-ci et elle
milite pour l’allaitement maternel. Elle était en revanche proche de son père, et
vivait très difficilement les moments où il partait. Prudence se dit depuis
particulièrement sensible aux séparations.
Pauline est née prématurée. Elle décrit sa mère comme étant « dépressive », lui
faisant « porter le chapeau » et lui disant régulièrement qu’elle était « idiote » ou
« irresponsable » de façon à se « défouler sur elle ». Pauline revoit son visage
fermé et se rend compte qu’elle ne lui faisait jamais de compliments. Elle a
depuis développé un attrait marqué pour Amma, une figure spirituelle bien
connue qui a la particularité d’étreindre dans ses bras les personnes venues à sa
rencontre.

Nous pouvons remarquer d’intéressantes convergences entre ces


cas et bien d’autres encore : une naissance prématurée, une
séparation d’avec la mère à la naissance et une mère vécue comme
« froide ». Cela semble engendrer chez ces trois femmes une
sensibilité aux séparations et la recherche de substituts maternels
ou d’activités en lien avec le maternage. Les expériences
exceptionnelles rapportées relèvent en outre essentiellement des
perceptions psi dans ces trois situations. Un mode spécifique de
relation à l’environnement maternel pourrait-il induire une sensibilité
se traduisant ensuite par ces perceptions ? De ce point de vue,
pourrait-on considérer ces expériences comme la conséquence de
la rencontre – ou de la non-rencontre – avec une mère perçue
comme étant distante physiquement ou psychiquement ? L’enfant
tenterait-il alors de se « rapprocher » de sa mère du fait de la
défaillance, à cet âge précoce, du miroir maternel nécessaire à sa
propre régulation émotionnelle et affective ?
En effet, comme l’a notamment mis en évidence Daniel Stern
(1989), la mère est indispensable au bon développement émotionnel
de l’enfant à travers l’accordage affectif qui correspond à
« l’exécution de comportements qui expriment la propriété
émotionnelle d’un état affectif partagé sans imiter le comportement
expressif exact de l’état interne » (p. 185). La mère s’accorde à son
enfant en imitant son comportement et en le transposant par
l’intermédiaire d’autres modalités (sonore, visuelle, kinesthésique). Il
existe ainsi une inter-affectivité première en tant que forme
primordiale de communication qui engendrerait une hypersensibilité
à l’autre chez certains bébés – ce que Ferenczi nomme les « bébés
sages » (wise babies) – leur permettant d’être davantage en lien
avec leur mère. Ce mode relationnel précoce resurgirait en
particulier lors de situations de séparation et donnerait naissance à
des perceptions jugées « non ordinaires » provenant d’une tentative
désespérée de garder un lien à l’autre. Cette relation intersubjective
primordiale passerait en particulier par la dimension scopique
comme l’ont largement souligné Jacques Lacan (1949) et Donald
Winnicott (1971). Cette question du « voir » et du regard – par
exemple, avec la notion de « double vue »5 – apparaît ainsi très
présente dans la clinique des expériences exceptionnelles.
THE RING : LA PLACE DU REGARD DANS LE
PARANORMAL

La problématique du regard est très présente dans les œuvres de fiction ayant trait au
paranormal comme l’illustre en particulier le film The Ring. Celui-ci est tiré d’un roman,
Ringu, écrit par Kôji Suzuki, auteur prolifique considéré comme le « Stephen King
japonais ». En 1998, une première adaptation au cinéma, Ring, réalisée par Hideo
Nakata, rencontre un tel succès au Japon qu’une adaptation américaine, The Ring, est
réalisée par Gore Verbinski en 2002. Séduit par celle-ci, Hideo Nakata en fait la suite
en 2005, intitulée The Ring II. Ces deux versions ont rencontré un vif succès, non
seulement auprès du grand public, mais aussi de la critique. Dans les deux films, l’un
des aspects particulièrement angoissants provient de la vision des visages des
victimes, retrouvés déformés par l’effroi et que l’on entrevoit une fraction de seconde.
Ces visages au teint bleuté et aux yeux blancs évoquent en effet une grande terreur.
Dans la semaine qui précède leur décès, ceux qui ont visionné une cassette vidéo
meurtrière remarquent un fait troublant : leur visage, et uniquement leur visage, n’est
plus reflété. Il est déformé quand il est pris en photo ou lorsqu’ils passent devant une
caméra vidéo. Les personnes qui ont vu la vidéo auront donc un visage sans reflet
pendant sept jours, avant qu’il soit figé dans l’horreur et la mort. Elles ont par ailleurs
tendance à « griffonner » tout visage qu’elles aperçoivent sur un support papier.
Pour essayer de comprendre ce trajet qui va de l’inquiétante étrangeté engendrée par
le visage déformé à l’effroi le plus total, il convient de se tourner vers Samara (une
jeune fille qui tue ces personnes en sortant du téléviseur) dont le visage est caché par
de longs cheveux noirs. On ne voit son visage, très brièvement, que lorsqu’elle regarde
ses victimes pour les tuer. On pense alors au mythe de la Gorgone Méduse qui pétrifie
du regard. Le caractère terrifiant de Méduse a d’ailleurs longtemps été conçu en
termes d’angoisse de castration, symbolisée par les serpents présents sur sa tête.
René Roussillon (2012) souligne que cette interprétation ne rend pas compte du fait
que le visage de Méduse est lui aussi déformé par la peur : il renvoie également
l’angoisse de la victime6. Nous passons donc d’une problématique de la castration à
une dimension archaïque relevant du reflet maternel qui paraît centrale dans The Ring.
Ce film met ainsi en scène la rencontre progressive avec un reflet maternel terrifiant.
Le visage, tout d’abord déformé par les appareils photo et les caméras, serait le
symbole de ce reflet informe et inquiétant renvoyé par la mère. L’inquiétante étrangeté
et l’angoisse suscitées par ces visages pourraient provenir de l’invocation de cet état
premier où le visage de la mère est le reflet du monde intérieur du nourrisson. Il
existerait donc un gradient mis en scène par ce film, allant du non-reflet du visage, ou
du reflet déformé, à un reflet d’horreur et d’effroi. The Ring montrerait ce rapport
complexe au miroir qui porte atteinte aux premières constructions du Moi que l’on
retrouve dans la clinique des expériences exceptionnelles. De nombreuses œuvres de
fiction mettent également en scène cette problématique du regard, du reflet et du
double, comme tentative d’élaboration et de symbolisation par le biais de la médiation
artistique. On retrouve ainsi fréquemment, dans les films portant sur le paranormal, un
« couple » de héros constitué d’un enfant et d’un parent comme dans The Ring ou
Sixième Sens.

D’autres problématiques archaïques ayant trait à la relation


maternelle sont également signifiantes pour penser le
développement d’expériences exceptionnelles, comme dans le cas
de Petra :

Cas clinique : Petra


Petra décrit une mère dépressive et fusionnelle « à la limite de l’inceste » tout en la
dévalorisant. Sa mère fit plusieurs fausses couches dont un fils avant sa naissance,
ce qui fut particulièrement difficile pour des parents qui souhaitaient avoir un garçon.
Petra avait ainsi le sentiment d’avoir été une « enfant qui n’aurait pas dû naitre » et
cela d’autant plus qu’elle était souvent battue par son père. Son enfance fut
également marquée par plusieurs abus sexuels. Petra a vécu, à l’âge adulte, après
plusieurs séparations amoureuses, de nombreuses expériences de télépathie et de
clairvoyance, ayant l’impression de rester « connectée » avec ses anciennes petites
amies. Ces perceptions psi seraient-elles la résurgence d'une séparation difficile
d'avec l’objet primaire ? Cette séparation la conduirait alors à la recherche, dans ses
relations amoureuses, d'un état fusionnel dont elle n’aurait pu faire le deuil.
Le sentiment d’être toujours en contact avec l’autre, que ce soit de
façon « télépathique » ou « prémonitoire », permettrait ainsi de
garder un lien avec l’objet perdu et de lutter contre de fortes
angoisses anaclitiques, comme le souligne Opra Eshel (2006) :
« Chacun de ces patients, durant la petite enfance (entre quelques mois et jusqu’à
pratiquement deux ans), avait une mère qui était “absente dans la présence”, c'est-à-
dire, une mère physiquement présente mais cependant émotionnellement absente du
début de la vie de son enfant suite à l’absence d’une figure importante de sa propre
vie » (p. 1619).

Ces processus sont proches de ceux observés avec la « mère


morte » décrite par André Green (1983) qui fait référence à un
épisode dépressif de la mère qui ne lui permet plus d’être disponible
pour son enfant. Pour Green (1983), cette configuration engendre
un :
« échec de l’expérience de séparation individuante où le jeune moi, au lieu de
constituer le réceptacle des investissements postérieurs à la séparation, s’acharne à
retenir l’objet primaire et revit répétitivement sa perte, ce qui entraîne au niveau du
moi primaire confondu avec l’objet, le sentiment d’une déplétion narcissique se
traduisant phénoménologiquement par le sentiment de vide, si caractéristique de la
dépression, qui est toujours le résultat d’une blessure narcissique avec déperdition
libidinale » (p. 248)

Dans certains cas, les expériences exceptionnelles, et plus


précisément les perceptions psi, représenteraient donc une modalité
de traitement de la perte de l’objet primaire associé au complexe de
la mère morte. Elles découleraient des phases de développement
caractérisées par une « relation en double ». Winnicott (1971) note à
ce propos :
« Chez les personnes de type schizoïde, il se peut que la position dépressive ne se
réalise pas de façon significative et il est nécessaire d’avoir recours à une recréation
magique, faute de ce que l’on décrit comme réparation et restauration » (p. 152).

L’expérience exceptionnelle aurait donc cette fonction de recréation


magique d’un lien perdu. Dans le cas des perceptions extra-
sensorielles, il s'agirait d'un mode perceptif et visuel, tandis que pour
les expériences de magnétisme, les mêmes processus seraient à
l’œuvre sur un versant davantage projectif et corporel. Dans les
deux cas, il s’agit d’une tentative de rester connecté à l’autre par-
delà la distance et le temps. Diverses colorations de cette
problématique archaïque et maternelle sont repérables. Par
exemple, Nathalie se décrit comme une enfant « fatiguée » et
« angoissée » qui se protégeait d’une mère « autoritaire » et
« toxique », « frustrée par sa vie ». Celle-ci, très lunatique selon
Nathalie, se mettait souvent en colère de façon inattendue.
Alexandra décrit, pour sa part, sa mère comme étant « d’un
caractère difficile » et elle pense avoir développé une certaine
sensibilité pour anticiper les changements d’humeur de celle-ci.
La variabilité des états d’humeur de la mère engendrerait plus
précisément une hypersensibilité visant à détecter ces changements
dans l’environnement primaire donnant lieu à des perceptions jugées
précognitives. Par exemple, Nathalie a développé des précognitions
ayant trait à divers événements au cours d’une période d’instabilité.
La dimension stressante de son environnement professionnel aurait-
elle catalysé cette sensibilité visant à anticiper des événements
pénibles ? Le fait que les précognitions rapportées concernent des
événements internationaux (accidents d’avion, attentats,
catastrophes naturelles, etc.) pourrait représenter une métaphore de
l’environnement primaire et la volonté inconsciente de le contrôler.
Ce contexte archaïque laisserait une trace dans la psyché sous
forme de ce que Stern (1989) appelle des « relations d’interactions
généralisées » (RIG) qui constituent « une unité de base pour la
représentation d’un soi noyau » et qui « résultent de l’empreinte
directe de réalités multiples en tant qu’expériences […] elles unifient
en un tout les différents attributs des actes, des perceptions et des
affects d’un soi noyau » (p. 132). Il existe ainsi « des sens du soi qui
existent bien avant l’apparition du langage et de la réflexivité »
(p. 17). Certaines relations à l’environnement primaire auraient donc
eu une influence majeure sur l’internalisation des premiers sens du
soi avant la constitution du langage. Les expériences
exceptionnelles représenteraient la résurgence de ces configurations
archaïques du soi selon des « retours à des modes antérieurs et
plus globaux d’expérience [qui] surviennent surtout lors de situations
de défi, de stress, de conflit, d’échec de l’adaptation ou de fatigue, et
au cours de rêves, d’états psychopathologiques ou sous l’action de
drogues » (Stern, 1989, p. 47).
Ces configurations archaïques se traduisent plus précisément par
une désorganisation du travail de catégorisation menant au sens
organisé de soi selon quatre formes (Stern, 1989) : l’activité propre
de soi, la cohérence de soi, l’affectivité de soi et la permanence de
soi. Les expériences exceptionnelles semblent susceptibles d’induire
une déstructuration de ces catégories de manière passagère. Par
exemple, les expériences d’écriture automatique, d’incorporation ou
de possession relèvent de ces ratés de l’activité propre de soi
appelée également l’agentivité. Quant aux perceptions psi et au
magnétisme, ils impliquent des formes exacerbées d’empathie
correspondant au registre de l’affectivité de soi. Le sujet ressent
alors les émotions d’autrui sans pouvoir les distinguer de son
expérience propre. Les expériences exceptionnelles présentent donc
des tableaux variés qui témoigneraient de ces différentes formes de
« ratés » relatifs aux premières configurations psychiques. Quand le
psychisme se trouve en difficulté, il régresse ainsi à ces premières
structurations tout en réactivant les « imperfections » qui les
caractérisent. Le sujet est alors confronté à des interactions avec
son environnement jugées non ordinaires et interprétées de façon
paranormale. L’aspect particulièrement réaliste et intense de ces
vécus rendrait compte de la nature archaïque
des couches psychiques impliquées. Dans cette perspective, des
relations spécifiques à l’environnement précoce (mère distante,
rupture inattendue de la relation, variation brusque de l’humeur, etc.)
pourront conduire à différentes « empreintes » dans la constitution
des premières expériences du soi menant ultérieurement à la
résurgence de ces modes relationnels archaïques sous forme
d’expériences exceptionnelles.

TRAUMAS DANS L’ENFANCE


ET EXPÉRIENCES EXCEPTIONNELLES
Au-delà de ces problématiques psychiques archaïques, des traumas
liés à une phénoménologie paranormale semblent impliquer des
niveaux d’élaboration plus tardifs. Il s’agit alors de processus
davantage « méta » qui visent à favoriser une représentation stable
de l’environnement7. Comme nous l’avons décrit au premier
chapitre, le lien entre trauma et expériences exceptionnelles est bien
documenté et nous avons également eu l’occasion de le mettre en
évidence en utilisant la Child Abuse and Trauma Scale (CATS,
r = 0.44)8. Les quatre sous-échelles de la CATS (environnement
familial négatif, abus sexuel, châtiments, traumas émotionnels)
s’avèrent toutes corrélées aux expériences exceptionnelles de
manière significative. Les traumas émotionnels se sont avérés les
plus significatifs, ce qui est en adéquation avec les résultats
précédents d’Irwin (1996). Les traumas dans l’enfance apparaissent
donc comme un facteur essentiel dans l’émergence d’expériences
exceptionnelles à l’âge adulte.
L’analyse clinique permet d’affiner la compréhension de cette
relation. Elle met tout d’abord en évidence une configuration selon
laquelle un environnement familial autoritaire et rigide favorise
l’émergence ultérieure d’expériences exceptionnelles. Pascale parle
ainsi d’une « une enfance désastreuse » marquée par la mort de son
père alors qu’elle n’avait que quatre ans. Son beau-père avait quant
à lui tendance à la dévaloriser et était l’auteur de violences
physiques à son égard. Charles décrit un père dur et maltraitant et
se rappelle avoir été poursuivi par sa mère « un couteau à la main ».
Cette violence quotidienne le conduisait fréquemment à l’envie de
mourir dès son enfance. Enfant stressé, très sensible, il se vivait
ainsi comme étant le « vilain petit canard ». Les personnes qui
rapportent des expériences exceptionnelles décrivent fréquemment
de tels environnements familiaux et semblent avoir développé très
tôt une « fuite dans le paranormal » face à un environnement familial
caractérisé par des maltraitances psychologiques et physiques.
Ces maltraitances conduiraient dans certains cas à des « intuitions
de survie » comme l’évoque Prunelle concernant des parents jugés
« froids » et « mauvais ». Elle passait ainsi de longues heures dans
un placard et fut victime de plusieurs attouchements lui donnant
envie de « disparaître ». La solution paranormale devient alors un
véritable mécanisme de survie. Kyra explique avoir été « très triste »
de vivre dans sa famille, car elle se sentait « rejetée » et
« incomprise ». Elle décrit sa mère comme très « négative », se
« méfiant de la vie » et son père comme étant « loin du monde des
émotions ». Comme elle le précise elle-même, elle fut ainsi
confrontée à l’équation « s’ouvrir ou crever ! » afin de pourvoir
survivre psychiquement tant son envie de mourir était grande étant
enfant. Cette maltraitance s’articule parfois à des questionnements
relatifs aux origines et à la mort, comme Yaelle qui fut abandonnée
et dit ne pas bien savoir « d’où elle vient ». Face à une mère
adoptive jugée « violente », elle s’imaginait des compagnons de jeu
et se réfugiait dans l’écriture et la musique. Le paranormal apparaît
alors comme un moyen de donner du sens à l’insensé, une tentative
de panser l’impensable. À partir de ces différentes observations, il
est possible de dégager trois « voies » ou lignées processuelles
relatives à l’émergence d’expériences exceptionnelles et
d’interprétations paranormales. Elles ne s’excluent pas et peuvent se
combiner selon des logiques différentes d’une personne à l’autre :
(1) La voie de l’imaginaire est la première voie – la plus fréquente –
susceptible d’être associée à l’émergence d’expériences
exceptionnelles. Elle correspond, comme son nom l’indique, au
développement exacerbé de l’imaginaire portant aussi bien sur des
phénomènes hallucinatoires que sur des croyances associées au
paranormal. Ce refuge dans l’imaginaire a des vertus protectrices,
ce qui se traduit par une propension à donner du sens à des
événements aléatoires. Les travaux sur les « personnalités enclines
à l’imaginaire » (fantasy prone personality)(Wilson & Barber, 1983)
ont souligné cette émergence de l’imaginaire associée au
paranormal chez des personnes ayant été victimes de maltraitance
durant l’enfance. Marie-Claire Gay (2005) remarque ainsi que ces
personnes « ont une capacité d’halluciner des objets en fonction de
leur fantaisie, des talents de guérisseurs et relatent des expériences
paranormales » (p. 129). Elle note également que :
« Ces personnes utiliseraient l’imaginaire comme moyen de gérer leurs peurs dans
l’enfance, dans des situations où il n’y avait pas d’échappatoire possible, tel que des
abus physiques et psychologiques. Ainsi, elles auraient une tendance chronique à se
plonger dans l’imaginaire comme substitut à l’expression de la colère et la rage, ce
qui pourrait expliquer leurs difficultés à différencier la réalité et l’imaginaire » (Gay,
2005, p. 130).

Ces personnes vivent ainsi dans un monde imaginaire peuplé


d’expériences paranormales et évoluent souvent dans une niche
sociologique qui leur permet d’inscrire socialement et culturellement
leurs particularités psychologiques. L’imaginaire devient prédominant
pour juguler toute anxiété, faisant évoluer le sujet dans un monde
régi par le paranormal. Il arrive ainsi que l’ensemble de
l’environnement, selon des degrés divers, soit interprété en lien avec
des significations occultes et mystérieuses déchiffrées par le biais de
différentes théories paranormales. Le recours à cet invisible chargé
de sens est à la fois défensif et protecteur. Gay note aussi que ces
personnes ont une tendance à la conversion et rapporte que 70 %
de ces personnes souffrent de symptômes somatiques9.
(2) La voie du contrôle concerne la manière dont les croyances au
paranormal font office de représentations qui donnent l’illusion de
contrôler les événements. Selon les perspectives ouvertes par
Blackmore et Troscianko (1985), ce besoin de contrôle face à
l’inattendu se traduit en particulier par un besoin de « contrôle
interpersonnel ». Irwin (1992) note à ce propos :
« Les croyances au paranormal peuvent être générées en réponse à des
événements traumatiques de l’enfance et la fonction de ces croyances est
d’engendrer un sentiment de contrôle sur un monde capricieux, en particulier celui
qui concerne les relations sociales » (p. 204).

Nous rejoignons ici les hypothèses proposées par Taylor et Brown


(1988) selon lesquelles les croyances paranormales auraient pour
fonction de réduire l’anxiété et de juguler les émotions négatives.
Par exemple, dans le cas de Petra, cela se traduit par un système
de croyance relativement rigide qui l’a conduit à voir un certain
nombre de « signes ». Elle suppose l’existence d’une loi du karma
selon laquelle le mal que l’on fait aux autres conduit toujours à une
punition ultérieure10. Cette voie du contrôle se traduit parfois par une
dynamique transférentielle engendrant chez le clinicien un sentiment
d’emprise de la part du patient. Ce processus s’associe à un écart
chez des personnes qui, se présentant comme ouvertes et
tolérantes du fait de leurs expériences paranormales, cachent
parfois une volonté forte, mais inconsciente, de contrôle de leur
environnement et de leurs proches.
(3) La voie de la transmission des parents aux enfants concerne un
certain rapport au monde associé au paranormal. Elle se traduit
dans le discours de ceux qui vivent ces expériences par l’idée d’une
transmission de génération en génération, comme par exemple le
don de voyance ou de guérison (Camus, 2002). Elle peut concerner
aussi bien des éléments intergénérationnels (énoncés de manière
explicite) que transgénérationnels (cf. chapitre 3, p. 117). Le cas de
Kyra et de son fils Cole illustre cette dynamique :

Cas clinique : Kyra et Cole


Kyra a développé dans l’enfance de nombreuses expériences et croyances
paranormales en réaction à un environnement perçu comme maltraitant. Son fils,
Cole, âgé de huit ans, suit la voie ouverte par sa mère et présente à son tour un
imaginaire marqué par le paranormal, malgré l’absence d’un environnement
maltraitant. Ainsi, Cole voit, comme Kyra, des entités, qu’il peut même dessiner.
Cette logique est catalysée par le fait que Kyra est seule à s’occuper de son enfant,
étant séparée du père depuis la naissance de Cole. Dans ce type de cas, l’enfant
construit naturellement une représentation du monde associée au paranormal. Ce
processus s’inscrit en outre dans une relation dyadique particulièrement fusionnelle
entre mère et fils. Il est alors fréquent que l’enfant développe des expériences
exceptionnelles pour étayer narcissiquement le ou les parents, sentant intuitivement
la valence narcissique et défensive de ces vécus. La logique qui s’instaure est
fréquemment la suivante : « si mon enfant vit les mêmes manifestations que moi,
alors cela signifie qu’elles sont réelles ».

Afin d’illustrer ce tableau d’ensemble de la solution paranormale,


voici le cas d’Hélène qui associe de nombreux éléments que nous
avons tenté de mettre en exergue jusqu’à présent :

Cas clinique : Hélène


Lors de nos premiers échanges, Hélène fait référence à deux expériences
exceptionnelles qui lui ont « ouvert l'esprit » : une expérience de mort imminente et
« une communication télépathique avec un ami décédé ». Âgée d'une cinquantaine
d'années, Hélène est souriante et ponctuelle, à chacun des huit entretiens que nous
aurons ensemble. Scientifique de formation, ayant occupé des postes à
responsabilités, elle est à présent mère au foyer. Elle est bien insérée socialement et
n’a pas d’antécédents psychiatriques. Elle ne s’intéressait pas au paranormal jusqu’à
ce qu’elle vive une expérience très forte qui a marqué les débuts d’une grande
ouverture à ces questions.
La première expérience à laquelle Hélène fait référence est la « communication »
avec un ami, que nous appellerons Rodolphe, peu de temps après le décès de ce
dernier, survenu quelques années plus tôt. Elle se sentait d’autant plus proche de
Rodolphe qu’il avait été son petit ami. Lorsqu’elle en parle, elle paraît très touchée
par cette expérience et le ton de sa voix en est légèrement troublé. Elle se rendait
avec son fils à un rendez-vous quand elle s’est soudainement trouvée dans une
« dimension qui n’a rien à voir ». Elle a alors eu le sentiment de recevoir un « flot
d'informations » de la part de Rodolphe, comme s'il lui parlait sans qu'elle entende sa
voix. Cette communication lui donne l'impression que cet ami est quelque part mais
qu'il est comme « magnifié ». Elle échange alors avec lui et le ressent comme étant
sur un autre registre, comme s'il ne voyait plus les « choses de la vie » de la même
façon et avait accès à une connaissance universelle. Hélène éprouve également un
grand sentiment de clarté, de connaissance infinie et un amour d'une puissance
qu’elle a du mal à retranscrire par des mots.
Cette expérience terminée – elle ne dura que quelques minutes mais lui parut plus
longue – Hélène va à son rendez-vous. Elle entend alors, au cours de celui-ci, une
chanson d'un artiste que Rodolphe appréciait tout particulièrement. Étonnée par cette
coïncidence, Hélène en fait part à ses amis et découvre que plusieurs d'entre eux ont
vécu une anecdote en rapport avec cet artiste, en particulier la veuve de Rodolphe.
Bouleversée par cette expérience, Hélène tente de la retranscrire dans une lettre.
Elle hésite d’ailleurs à la transmettre à la veuve de Rodolphe, ce que ce dernier
souhaitait, selon elle, lors de leur « communication ». Quand je lui demande
quelques précisions concernant celle-ci, elle me répond qu’elle pensait à Rodolphe,
au fait qu’il aurait pu vivre plus longtemps s’il avait davantage pris soin de sa santé.
Elle éprouvait même quelques pensées hostiles à son égard à ce moment-là. Hélène
avait déjà été confrontée auparavant au décès de plusieurs personnes de sa famille,
mais seul le décès de Rodolphe a eu de telles conséquences. Cette expérience est
d’ailleurs à l’origine de sa conviction qu’il existe une survie de la conscience après la
mort.
Alors qu’elle ne s’est jamais intéressée au paranormal jusque-là, Hélène se plonge
dans des lectures sur ce sujet et découvre qu'elle a déjà vécu une autre expérience
exceptionnelle. Étant enceinte, elle s’était rendue à l’hôpital pour rendre visite à une
amie. Elle avait perdu connaissance dans un ascenseur de l’hôpital, vivant alors un
« rêve » d'une rare intensité. Elle se rappelle avoir éprouvé de la colère d'avoir été
réanimée par un médecin tant elle se sentait bien dans cet état. Dans ce rêve, elle
déambulait dans une verte prairie jusqu’à une barrière. Encore aujourd'hui, elle se
souvient parfaitement de ce rêve qu'elle interprète comme une expérience de mort
imminente.
Après l’expérience de « communication », Hélène développe également des
capacités artistiques. Elle décrit en particulier une « sensation immédiate » qui lui
permet de reproduire fidèlement des toiles d'artistes. Lors de nos entretiens, Hélène
apportera à plusieurs reprises des photographies de ses tableaux. Je suis frappé par
la qualité de sa première création qui correspond à la reproduction d’un bouquet qui
n’a pas grand-chose à envier à l’original, une toile de maître nécessitant des
techniques qu’Hélène dit avoir acquises spontanément. Un détail en particulier
m’interpelle dans ce premier tableau : Hélène n’a pas reproduit un oiseau présent
dans l’original. Elle explique qu’elle n’a volontairement pas peint cet animal, car on lui
a « coupé les ailes » en la « réveillant » de son expérience de mort imminente. Elle
avait en outre choisi de reproduire ce tableau parce qu’une fleur blanche, située en
son centre, lui rappelait le tunnel décrit lors des expériences de mort imminente. Ses
autres tableaux sont variés, dépassant progressivement la simple reproduction et
portant sur des paysages urbains et des portraits.
Hélène a ainsi entrepris ce qu'elle conçoit comme un « chemin de recherche » fait
d'expériences et de lectures. Ce cheminement se caractérise par l’acquisition de
techniques décrites dans certains ouvrages sur le paranormal qu’Hélène partage
avec des amies lors d'ateliers. Elle note aussi dans un cahier les coïncidences qu'elle
rencontre. Lors d'ateliers au cours desquels elle utilise des cristaux, il lui arrive, en
état modifié de conscience, de faire des « voyages » tandis qu'une amie fait de
même et essaie de la « suivre ». Chacune rend compte ensuite de son voyage et
Hélène découvre des correspondances entre ses voyages et ceux de son amie,
comme si un lien télépathique s’établissait entre elles. Elle participe aussi
régulièrement à des ateliers centrés sur l’usage des pierres. Elle ressent alors
souvent des émotions associées aux différents types de minéraux. Elle expérimente
également fréquemment de petites expériences exceptionnelles au quotidien, comme
le fait de recevoir un coup de téléphone d'une personne qu'elle n'avait pas vue
depuis longtemps et à laquelle elle pensait. Dans de nombreux événements anodins,
Hélène semble aussi leur donner un sens particulier. Ainsi, dans des situations
difficiles, elle trouve « miraculeusement » de l’aide et, après des décès, repère
parfois différents signes.
Hélène a également pu faire l’expérience de rêves censés lui apporter des
informations véridiques. Par exemple, elle a rêvé d’une amie au-dessus de laquelle
planait un poignet ensanglanté. Cette amie, qui n’avait plus ses règles depuis
longtemps, les a vues réapparaître le lendemain. Hélène rapporte aussi des
expériences mystiques avec beaucoup d’émotion. Par exemple, alors qu’elle était en
train de conduire sur l’autoroute, elle a soudainement eu l’impression de rentrer en
contact avec une « autre conscience », « une force impensable, qui n’est pas
humaine ». Le monde lui apparut alors « plus beau » et les couleurs « plus vives ».
Elle a entendu une phrase : « Tu connais la réponse ». Elle s’est sentie très calme.
Le paysage, le coucher de soleil, tout lui parut différent et dégageant une impression
de perfection. Lorsque nous discutons du contexte de cette expérience, Hélène
précise qu’elle revenait chez elle après une période très difficile dans sa vie
personnelle. Elle revivra une expérience de ce type quelques années plus tard. Elle
marchait dans le désert lorsqu’elle vit une « fleur bleue » et entendit un oiseau
chanter. Elle ressentit alors une union totale avec l’univers comme si elle avait « été
le champ, le sable, le chameau ». Lors de ce type d’expérience, le temps et l’espace
sont différents et elle ressent un fort sentiment d’unité et d’amour.
Mais ce qui reste très difficile pour Hélène, c’est, dit-elle, « qu’après l’extase, c’est la
lessive ». Cela met en évidence le décalage entre des expériences qui la marquent
profondément et un quotidien de mère au foyer en charge des tâches domestiques.
Ces expériences sont cependant susceptibles d’avoir des conséquences dans ce
quotidien. Au fil des entretiens, Hélène en vient aussi à évoquer différents épisodes
difficiles durant son enfance comme à l’âge adulte. Nous passons ainsi d’une de ces
expériences exceptionnelles à une réflexion plus large concernant sa réalité
psychique. Hélène souligne tout d’abord qu’elle est née prématurément, avec un
mois d’avance. À sa naissance, elle est séparée de sa mère durant plusieurs mois,
cette dernière étant malade. Hélène associe cet épisode au fait que sa mère n’avait
peut-être pas envie de l’allaiter. Elle est donc élevée en partie par sa grand-mère,
comme ce fut le cas pour la plupart des femmes de sa lignée. Sa mère était en effet
orpheline de père et les pères ont « toujours été absents » dans sa famille
maternelle. Du côté de son père, plusieurs enfants ont été abandonnés. Hélène
explique d’ailleurs qu’elle a ressenti des « terreurs d’être abandonnée » au moment
de la mort de Rodolphe. De son enfance, Hélène dit avoir gardé peu de souvenirs.
Jusqu’à l’âge de sept ans, elle faisait des crises d’asthme et fut placée en maison de
cure. Elle n’est donc pas allée à l’école jusqu’en classe de CE1 et a appris à écrire
« toute seule ». Elle se souvient qu’il lui arrivait aussi de faire du somnambulisme et
des cauchemars. Dans l’un de ceux-ci, récurrent, elle était emprisonnée dans une
bouteille dont elle ne pouvait sortir. Elle se remémore également des hallucinations
hypnagogiques lors desquelles des crapauds et des « têtes qui dégoulinaient » lui
faisaient peur. Elle parle par ailleurs de ses parents comme étant très froids. Son
père parlait peu, même s’il y avait entre elle et lui un lien qui ne passait pas « par les
paroles ». Il était explorateur et Hélène remarque que son exploration à elle, c’est le
paranormal. Sa mère avait un côté plus artiste. Hélène pense alors au fait qu’elle a
retrouvé une boîte contenant des photographies dans laquelle il y avait peu de
clichés de ses parents ensemble et très peu d’elle-même. Les rares fois où elle est
prise en photo, elle remarque qu’elle est comme « tenue à distance ». Conçue, selon
elle, durant la nuit de noces de ses parents, elle pense pourtant qu’elle n’était pas
« voulue ».
À l’âge adulte, elle a vécu plusieurs événements difficiles (agression, attentats,
tremblement de terre, etc.) au point que lorsqu’elle a dû remplir un questionnaire de
santé publique, elle a coché presque « trop de cases ». Elle se dit aujourd’hui très
sensible. Elle ne supporte pas « les attaques entre les gens », trouvant que les mots
veulent souvent dire bien plus que ce que l’on ne pense. C’est d’ailleurs l’une des
raisons qui l’ont conduite à cesser de travailler, car elle n’appréciait pas le
fonctionnement inhumain de la multinationale qui l’employait. De la même façon, elle
ne supporte pas d’entendre les pleurs d’un bébé dans la rue. Elle essaie alors de lui
envoyer de « l’énergie » pour qu’il se sente mieux. Enfin, deux rêves qui auront lieu
durant le suivi sont importants pour Hélène. Le premier est survenu après notre
première rencontre. Hélène déambule dans un lycée et n’obtient pas la moyenne à
un examen qu’elle doit donc repasser. Elle croise un étudiant à lunettes. Elle sort du
lycée et descend par un ascenseur jusqu’à un endroit très sombre, ressemblant aux
souterrains d’un château fort du Moyen Âge. Une jeune fille « gothique » s’accroche
à l’ascenseur. Hélène a peur que cette jeune fille ne le déséquilibre. Elle trouve alors
une passerelle traversant au-dessus du vide. Elle a peur d’être folle ou de passer
pour folle mais elle se dit que ce n’est pas si risqué. Le deuxième rêve est un « rêve
bilan » comme Hélène en fait parfois. Elle se retrouve alors entre deux allées, au
milieu d’arbres. Une allée se dirige vers un château de la Renaissance et l’autre vers
un paysage vallonné qui lui rappelle son expérience de mort imminente…

Nous pouvons synthétiser les principales caractéristiques de la


solution paranormale telles qu’elles sont illustrées par le cas
d’Hélène11 : nous repérons tout d’abord une première étape
marquée par les (1) origines de la solution paranormale en lien avec
des relations précoces particulières et des traumas plus tardifs. Ces
éléments donnent lieu à des (2) traits de personnalités qui favorisent
l’émergence d’expériences exceptionnelles, en particulier la
tendance à l’imaginaire, le contrôle interpersonnel et la perméabilité
psychique. La survenue d’un contexte de crise ou d’un (3)
événement de vie difficile engendre une réaction sous forme (4)
d’expériences exceptionnelles qui s’articulent de manière complexe
avec les croyances au paranormal12. Enfin, on observe dans un
certain nombre de situations une cinquième étape marquée par une
(5) transformation psychique en lien avec la ou les expériences
exceptionnelles qui témoigne des processus de symbolisation à
l’œuvre dans ce type d’expérience. En l’occurrence, ce processus se
traduit chez Hélène par une grande créativité, en particulier dans le
champ de la peinture. Le schéma suivant synthétise ces cinq étapes
dont on trouvera l’expression fréquente en clinique.
Le modèle de la solution paranormale

LA PERMÉABILITÉ PSYCHIQUE
ET SES MULTIPLES FORMES D’EXPRESSION

Des relations précoces spécifiques, des traumas dans l’enfance et


un environnement parental versé dans le paranormal représentent
donc autant de facteurs qui peuvent conduire au développement
d’une personnalité favorisant l’émergence d’expériences
exceptionnelles sur le mode de la solution paranormale. Nous allons
à présent préciser les caractéristiques et les logiques de ce profil de
personnalité à travers la notion de perméabilité psychique.

▶ Enveloppes psychiques, frontières mentales et


transliminalité
Une brève illustration clinique donnera un premier aperçu des
processus psychiques que nous allons tenter de rendre intelligibles :

Cas clinique : Palma


Palma a l’impression de pouvoir ressentir les émotions des autres, notamment sous
forme de flashs et d’intuitions concernant la vie de ses proches. Cette sensibilité –
partagée avec sa mère et sa grand-mère – s’est soudainement accrue après une
situation de harcèlement à son travail. Quand elle était enfant, Palma avait déjà
tendance à percevoir des « entités » et autres apparitions qu’elle voit encore
régulièrement. Elle rapporte également des rêves prémonitoires récurrents. À son
travail, sa sensibilité est si intense qu’il lui arrive même d’en perdre connaissance.
Elle explique se sentir comme une éponge, comme si elle pouvait percevoir ce que
les autres ressentent, notamment ses collègues. Elle sera d’ailleurs rejetée par
plusieurs d’entre eux qui la surnommeront la « sorcière » tandis que d’autres
personnes lui diront qu’elle est en réalité médium. Elle entamera finalement une
formation auprès d’un magnétiseur et d’un médium qui confirmeront ses capacités
médiumniques. Palma décrit plus généralement une enfance violente et insécure.
Elle interprète elle-même sa sensibilité comme une réaction à une vie faite de
« chocs » et une tentative de rester en lien avec les autres afin d’anticiper leurs
éventuelles réactions.

Dans le but de comprendre cette sensibilité exacerbée, que l’on


retrouve fréquemment chez les gens vivant des expériences
exceptionnelles, nous allons décrire plus en détail que nous ne
l’avons fait au premier chapitre les modèles de la perméabilité
psychique avant de les articuler à la clinique des expériences
exceptionnelles. Les prémisses d’une théorie de la perméabilité
apparaissent dans l’œuvre freudienne dans L’Esquisse d’une
psychologie scientifique (Freud, 1895). Ce dernier décrit des
« barrières de contact » entre la perception et la mémoire selon la
variabilité neuronale. C’est ensuite avec le Moi, qu’il conçoit comme
une enveloppe, que Freud suppose une forme d’hétérogénéité des
processus psychiques en fonction de la capacité à contenir les
excitations issues des organes des sens et la circulation des
quantums d’énergie psychique qui en découle. Freud propose donc
une variation de la perméabilité associée aux différents registres de
fonctionnement de la réalité psychique. Ces conceptions seront
approfondies par Ferenczi (1909) qui décrira les mécanismes
d’introjection qui correspondent à la capacité du Moi à internaliser
les objets externes investis par la libido. La nature plus archaïque de
ces processus sera analysée par Mélanie Klein (1946) avec les
mécanismes de défense primaires comme le clivage et la projection
menant à la notion d’identification projective. Celle-ci met en
évidence comment le Moi se débarrasse des parties de la
personnalité jugées non intégrables en les « projetant » sur les
différents objets qui l’entourent. Ces concepts représentent une
première manière de penser la perméabilité psychique du point de
vue des processus d’introjection et de projection qui caractérisent la
symbolisation.
Paul Federn (1956) approfondira ces réflexions avec la notion de
« frontières mentales » pour rendre compte d’observations cliniques
relatives au fonctionnement du Moi à ses limites. Federn différencie
le sentiment du moi (le noyau) des frontières du moi qui sont
fluctuantes et dynamiques en fonction des états de conscience, que
ce soit à l’endormissement, au réveil, durant le rêve ou certains
épisodes de dépersonnalisation. Ces variations donnent l’impression
au sujet « que les objets extérieurs ou ses expériences intérieures
ont subi un mystérieux changement » (p. 255). Cette altération du
sentiment d’unité du moi le conduit à vivre une expérience
« fondamentalement mystérieuse » dont l’origine est « la perte ou le
retrait de l’élément libidinal de l’investissement de la frontière du
Moi » (p. 255). Les frontières du moi sont ainsi considérées comme
un processus en perpétuel changement et les expériences
exceptionnelles seraient le fruit de cette « respiration normale du
Moi » qui engendre une hypersensibilité ayant pour conséquence
que « le contenu accru du moi mental est également sensible à ces
stimulus ». Federn note à ce propos que « l’empathie et la télépathie
semblent causées par ce fait » (p. 267).
Wilfred Bion (1962) étendra ensuite les théories de la perméabilité
psychique avec une conception de l’identification projective comme
moyen de communication normal au-delà de ses expressions
pathologiques décrites par Mélanie Klein (1946). Le psychisme est
composé selon Bion d’une « membrane psychique » qui maintient la
séparation entre processus conscients et inconscients. Lorsque
certains contenus inconscients traversent cette membrane de
manière inopinée, ils engendrent un sentiment d’inquiétante
étrangeté (Freud, 1919). Cette membrane trouve ses origines dans
les fonctions corporelles et plus précisément la peau qui conduit à
une première démarcation entre monde interne et monde externe.
Bion évoque ainsi une « peau mentale » de même que Winnicott
(1971). Didier Anzieu (1974) développera plus avant ces
perspectives avec le « moi-peau » qu’il définit ainsi :
« Par moi-peau nous désignons une figuration dont le moi de l’enfant se sert au
cours des phases précoces de son développement pour se représenter lui-même
comme Moi à partir de son expérience de la surface du corps. Cela correspond au
moment où le Moi psychique se différencie du Moi corporel sur le plan opératoire et
reste confondu avec lui sur le plan figuratif » (p. 207).

Anzieu décrit plus précisément deux feuillets superposés, l’un tourné


vers la réalité extérieure et l’autre vers la réalité intérieure dans la
continuité de l’article de Freud (1925) sur le « bloc magique ». Le
concept d’« enveloppe psychique » associé à ces travaux sera une
véritable révolution dans le champ des théories psychanalytiques,
conduisant à repenser l’activité psychique de façon plus dynamique
(Houzel, 2005)13.
Le psychiatre et psychanalyste Ernest Hartmann (1991) proposera
une approche fondée sur la notion de « frontières mentales »
(mental boundaries) dans la continuité des travaux d’Anzieu (1974).
Hartmann (1991) mène initialement des recherches sur les
cauchemars et tente de comprendre leur nature en fonction de
critères de personnalité. Ses travaux démontrent que les personnes
rapportent davantage de cauchemars quand elles obtiennent un
score élevé à la variable « enveloppe » du Rorschach (Sivan, 1983 ;
Hartmann, 1984 ; Hartmann, Sivan et al. 1984). Hartmann
développe ensuite un questionnaire sur les frontières mentales afin
d’étudier plus précisément les caractéristiques de cette enveloppe
considérée comme étant plus ou moins fine (thin) ou épaisse (thick).
Il remarque en effet que « les nombreux psychanalystes et cliniciens
qui ont écrit sur les frontières du Moi n’ont fait aucune tentative pour
quantifier ou mesurer la perméabilité de ces frontières ou de certains
de leurs aspects » (p. 52) et il essaie donc d’opérationnaliser les
hypothèses développées dans les travaux de Lewin (1935), Federn
(1956) et Anzieu (1974). Son objectif est de produire un outil
quantitatif afin d’étudier sur de larges échantillons les
caractéristiques de ces frontières mentales. Ce questionnaire a
permis de dégager des frontières mentales portant sur les rapports
conscient-inconscient, éveil-sommeil et pensées primaires-
secondaires.
Hartmann a également mené des entretiens avec des personnes
dont les frontières mentales sont particulièrement perméables ou
imperméables. Il remarque ainsi, à partir d’un échantillon de vingt
personnes ayant des frontières mentales très « épaisses » qu’elles
étaient toutes mariées et avaient des emplois comme ingénieur,
avocat, cadre, etc. Ces personnes sont plus stables, résistent bien
au stress et se conforment aisément aux normes sociales. Elles ont
en revanche tendance à développer davantage de troubles
obsessionnels et compulsifs. Pour un groupe de vingt personnes
ayant au contraire des frontières mentales très « fines », seulement
six d’entre elles étaient mariées et ces personnes, plus changeantes
et créatives, étaient pour la plupart enseignants, artistes ou
infirmiers. Elles tendaient à développer davantage de troubles de
type borderline.
Enfin, une troisième approche théorique de la perméabilité
psychique a été initiée plus récemment par Michaël Thalbourne
(1991) à partir de la clinique des expériences exceptionnelles. Le
terme de transliminalité – tendance à franchir (trans) le seuil (limen)
– fut introduit par Thalbourne dans la continuité des termes de
« conscience subliminale » de Frédéric Myers (1903) et de
« transmarginal » de William James (1902). Cette notion est d’abord
proposée par Thalbourne comme critère commun à six variables :
créativité, expériences mystiques, pensée magique, expériences
maniaco-dépressives, croyances et expériences paranormales
(Thalbourne & Delin, 1994). Thalbourne (2000) suppose ainsi que :
« De nombreux contenus de la conscience ont leur origine, ou au moins leur
influence, dans des processus inconscients et préconscients, et leur matériel
psychologique subliminal doit parvenir à certains seuils avant de se manifester au
niveau de la conscience supraluminale » (p. 29).

Il définit ainsi la transliminalité : « une hypersensibilité à du matériel


psychologique provenant de l’inconscient et/ou de l’environnement
externe » (Thalbourne & Maltby, 2008). Ce matériel psychologique
peut concerner des idées, des images mentales, des émotions et
des perceptions.
Un questionnaire de transliminalité a été développé par
Thalbourne14 et corrélé avec de nombreux facteurs de personnalités
comme la religiosité, le rappel des rêves ou la tendance à
l’imaginaire et aux hallucinations. La transliminalité est largement
corrélée avec l’échelle d’Eysenck, l’échelle australienne mouton-
chèvre, le questionnaire de frontières mentales (Houran, Thalbourne
& Hartmann, 2003), l’inventaire des expériences anomales
(Anomalous Experiences Inventory), les expériences inhabituelles
mesurées par l’échelle d’Oxford-Liverpool (Thalbourne & Maltby,
2008), la labilité temporelle et spatiale (Thalbourne, Crawley &
Houran, 2003). Les traumas dans l’enfance (Thalbourne, Houran &
Crawley, 2003), l’absorption, l’hyperesthésie et les expériences de
Kundalini sont également corrélés à la transliminalité (Crawley,
French & Yesson, 2002 ; Houran, Hughes, Thalbourne & Delpin,
2006). Nous pouvons en outre remarquer une relation faible, mais
positive, entre la transliminalité et l’aspect réaliste de l’imagerie
visuelle, l’ouverture à l’expérience et la tendance aux troubles
psychosomatiques.
Ces trois perspectives théoriques (enveloppes psychiques, frontières
mentales et transliminalité) sont complémentaires pour penser la
perméabilité psychique présente dans les expériences
exceptionnelles. L’approche analytique précise les processus
archaïques de la constitution de la perméabilité psychique tandis
que les travaux d’Hartmann portent davantage sur son interaction
avec la personnalité du sujet. Quant à l’approche développée par
Thalbourne, elle se rapproche de celle d’Hartmann même si ses
origines diffèrent. Thalbourne s’est centré sur la détermination d’un
critère commun qui caractérise la perméabilité psychique alors
qu’Hartmann a tenté de différencier les formes de frontières
mentales qui la constituent.
Nous allons à présent décrire le cas de Kyra (déjà évoqué p. 88)
pour lequel la thématique de la perméabilité psychique et des
enveloppes psychiques apparaît au premier plan :

Cas clinique : Kyra


Kyra est une jeune femme d'une trentaine d'années rencontrée en présence de son
fils Cole, âgé de sept ans, et avec qui elle partage un certain nombre de ses
expériences. Celles-ci sont variées et concernent aussi bien des visions que des
sorties hors du corps, des perceptions psi ou encore des expériences de
magnétisme. Kyra paraît plus jeune que son âge et je suis frappé, lors de notre
première rencontre, par son aspect fragile, accentué par une peau claire et des
cernes marqués. Elle vit seule avec son fils depuis qu'elle s’est séparée du père de
son enfant. Elle travaille dans le milieu artistique. Lors de nos premiers entretiens,
elle décrit de façon détaillée les phénomènes qu'elle a rencontrés. Elle fait tout
d'abord allusion à de nombreuses expériences exceptionnelles qui ont commencé
durant son enfance dans une vieille maison dans laquelle elle ne se sentait pas bien.
Elle entendait des bruits de pas et avait l'impression que des personnes
« s'asseyaient sur les chaises ». La maison était ainsi « pleine de merde ». Elle se
sentait très angoissée et avait fréquemment du mal à s'endormir. Elle se souvient en
particulier qu'elle avait très peur de « Nosferatu », un homme habillé de noir, dont le
visage très blanc était maquillé autour des yeux. C'est toujours durant l'enfance, vers
l’âge de dix ans, qu'elle fait une rencontre aussi désagréable que marquante avec
une « entité ». Alors qu'elle était sur le point de s'endormir, elle eut l'impression que
son chat était monté sur son dos, ce qui n’était pas le cas. Elle commença également
à sentir son cou se serrer. Elle se dit alors « je réagis ou je vais mourir » et réussit à
se retourner, mettant ainsi un terme à cette expérience pénible. Elle préféra, à
l’époque, ne pas en parler de peur qu'on ne la croie pas. Au fil des années, cette
expérience s'est transformée en l'impression d'avoir un « trou dans le dos », par
lequel elle « perdrait son énergie » et au niveau duquel elle se sent particulièrement
vulnérable.
Devenue adulte, Kyra a toujours peur du « monde invisible » et fait de nombreux
cauchemars. Elle a parfois l'impression d'être « coupée entre la tête et le corps ».
Elle a également le sentiment de ne pas être seule, comme si elle était suivie. Kyra
décrit aussi plusieurs expériences de sorties hors du corps. Un jour, alors qu'elle
s'était assoupie après une longue journée de travail, elle eut ainsi le sentiment de
tomber et d'être « comme un sac de couchage de 2 cm ». Cette expérience s'est
reproduite il y a quelques années. Elle se voyait chez elle, mais ne parvenait pas à
ouvrir les yeux. Elle avait l'impression d'être concentrée à l'intérieur d'elle-même
comme si elle était « un ballon qui monte ». Elle se sentait bien et ne voulait pas
redescendre. Kyra dit en outre entendre parfois des voix. La première fois cela eut
lieu alors qu'elle lisait de la « grammaire » et elle se demanda si elle n'avait pas
oublié d'éteindre la radio. Elle entendit la phrase suivante « Tiens Patrick, qu'est-ce
que tu fais là ? ». Elle avait le sentiment que « deux petites personnes » parlaient à
son oreille. Elle eut aussi l’impression d'entendre parler une langue étrangère à
plusieurs reprises. Elle ne s’est pour autant confiée à personne, se disant qu'elle était
normale et qu'il devait s'agir de « perceptions d'un autre monde ».
Kyra se considère par ailleurs très sensible aux personnes qui l'entourent dans les
lieux publics, en particulier dans le métro. Ainsi, lorsqu'elle est à côté de quelqu’un
qui ne va pas bien, elle a l'impression de le ressentir, au point qu'elle est obligée de
changer de place. Cela se traduit notamment par une sensation étrange et
désagréable au niveau des jambes, comme si les autres « rentraient à l'intérieur »
d’elle et qu'elle stockait leurs « énergies négatives » dont elle met alors du temps à
se débarrasser. Quelqu’un lui a d'ailleurs dit un jour : « C’est la première fois que je
vois un adulte ouvert comme ça ! ». Elle eut aussi des visions, à plusieurs reprises,
sans savoir si elle était éveillée ou endormie. Par exemple, elle se réveilla dans son
appartement et des boules roses « dansaient » dans sa chambre. Lorsqu'elle ouvrit à
nouveau les yeux, une heure plus tard, elles étaient encore là. Dans ces moments-là,
elle ne comprend pas ce qui se passe mais se sent bien. Ces visions étaient
également présentes pendant son enfance, au cours de laquelle elle se souvient
avoir vu un « boudin lumineux » se déplacer sur les murs de sa chambre.
Quand Kyra a pris conscience de cette hypersensibilité et des désagréments que
celle-ci lui causait, elle s'est dit : « Je ne veux plus vivre ça, il faut que je ferme ».
Kyra a donc voulu « fermer toute possibilité de rentrer à l’intérieur » et a entamé un
parcours de « protection ». Elle a d’abord rencontré un enseignant qui se trouvait être
magnétiseur. Celui-ci l’a aidé à parler de ces expériences. La première fois fut si
intense qu'elle se souvient que le simple fait d’en parler la faisait trembler. Ce
magnétiseur l’a ensuite soignée pendant trois ans, avant qu’elle ne découvre qu'elle
pouvait se soigner elle-même. Un médecin l'a également aidée alors qu'elle se
sentait de plus en plus fatiguée. Elle ressentait en effet comme une « fuite
énergétique ». Le médecin utilisa de l'aurico-réflexologie en lui plaçant en particulier
un crayon dans l'oreille. Cela la soulagea beaucoup, lui donnant le sentiment que le
trou qu’elle avait dans le dos et par lequel elle perdait de l’énergie depuis
l’adolescence s’était refermé, même s’il s'ouvre encore quand elle ne se sent pas
bien. Kyra utilise à présent différentes techniques pour se « protéger » comme des
exercices de visualisation qui lui demandent « beaucoup d'énergie » et durant
lesquels elle imagine qu’un rayon lumineux descend du ciel pour nettoyer et protéger
sa maison. D'ailleurs, son fils Cole le remarque alors et commente d’un « oui, ça va
mieux ». Elle utilise aussi plusieurs livres qui proposent des techniques à visée
protectrice. Kyra a plus spécialement développé des méthodes de protection
concernant la maladie de Darier (une dyskératose se transmettant génétiquement).
Sous l’effet de cette maladie, sa peau a tendance à se « fissurer » et la pénétration
de bactéries peut entrainer des infections. Allergique aux antibiotiques, elle a
recherché d'autres modes de soin. Elle utilise donc, en complément d’un peu de
cortisone, des élixirs qui aident ses plaies à se refermer et à ne pas s’infecter. Ces
élixirs lui sont d’un grand soutien et lui apportent un réel bien-être. Elle se sent alors
comme « collée » à l'intérieur d’elle-même et ne pouvant plus être « transpercée ».
Au fil des entretiens, nous avons discuté des raisons qui avaient pu conduire Kyra à
ces multiples expériences. Elle abordera progressivement les souffrances de son
enfance évoquant le fait que, lorsqu'elle avait cinq ou six ans, elle était très triste de
vivre dans sa famille. Elle se sentait « incomprise, pas acceptée, pas aimée ». Par
exemple, elle n'avait pas le droit de monter sur les genoux de ses parents. On lui a
aussi souvent dit qu'elle était adorable toute petite avant qu'elle ne commence à dire
« non ». À cette époque, elle avait envie de mourir et ne savait pas pourquoi elle se
sentait si mal. Elle a décidé de se mettre à écrire vers l’âge de neuf ans, sentant qu’il
y avait chez elle « le besoin de s’ouvrir ou on crève ». Sa famille ne l’entendant pas,
elle était ainsi obligée « d’ouvrir au maximum » pour « survivre » dit-elle. Aujourd'hui
encore, Kyra communique difficilement avec ses parents. Ils ont, selon elle, une
vision du monde différente et la jugent toujours comme ayant un comportement
affligeant : « Je suis conne et puis voilà » dit-elle. Elle ne souhaite d’ailleurs à
personne d'être à sa place. Elle décrit sa famille comme « très négative » et
composée de personnes qui se « méfient de la vie ». Elle se demande pourquoi ses
parents l'ont conçue et ne sait pas si elle était désirée. Kyra n’a cependant été que
très rarement l’objet de violences physiques. Il s’agissait principalement d'une
violence psychologique, en particulier de la part de sa mère qui pouvait changer
d'humeur très brusquement. Kyra se représente donc ses expériences comme un
moyen de se préserver face à un sentiment d’humiliation lié à son originalité.
La fin des entretiens sera concomitante avec plusieurs rêves de Kyra. Le premier
comporte un défilé de cirque sur les Champs-Élysées avec un clown blanc coiffé d’un
chapeau pointu lui disant « C'est pas bien ce que tu as fait ! ». Ce clown se déplace
devant une longue porte vitrée et a dans la main un outil étrange et dangereux qui
ressemble à un sèche-cheveux avec une pointe en diamant. Le clown commence
alors à faire un trou dans la porte vitrée. Il est sur le point de rentrer et Kyra se sent
en danger quand le rêve se termine. Elle associe le mot clown au mot clone et le trou
creusé par le clown lui fait penser au trou qu'elle a dans le dos. Elle associe
également ce rêve avec un rêve concernant une yourte et un chamane. Ce dernier
fait une cérémonie de purification « dans une maison dans les airs » dont les murs
sont des vitres. Elle note d'ailleurs que les maisons, et donc les baies vitrées, sont
généralement le symbole de sa peau dans ses rêves. Sur le plan transférentiel, Kyra
provoquera chez moi des impressions contrastées. Attachante, par son côté enfantin,
elle me donnait l’impression de m’entraîner dans un monde intime et merveilleux. Elle
put aussi dire à plusieurs reprises, en riant, que je devais la « prendre pour une
folle » et fit ainsi quelques commentaires du type : « J'aimerais bien être dans votre
tête ! ».

Reprenons les éléments les plus saillants de cette rencontre


clinique. Dans le contexte d’une enfance difficile, marquée par de
fortes angoisses se traduisant par une peur de « Nosferatu », Kyra
fait une expérience qui lui donne l’impression d’avoir un « trou dans
le dos ». Elle se sent dès lors particulièrement vulnérable comme si
de « l’énergie » sortait par ce trou. De façon plus générale, Kyra
présente les caractéristiques que l’on observe fréquemment chez
des personnes ayant une perméabilité psychique exacerbée. Elle dit
vivre depuis son enfance dans un monde invisible et évoque de
nombreux cauchemars. Au niveau corporel, il lui arrive de se sentir
comme « coupée entre la tête et le corps » et décrit des ressentis
étranges (impression d’être suivie), des hallucinations (bruits de
chaises, voix, boules roses, boudin lumineux, dame blanche), des
expériences de sortie hors du corps ainsi que de nombreuses
intuitions. Il lui arrive également de vivre des expériences d’hyper-
empathie au cours desquelles elle a l’impression de ressentir ce que
vivent les personnes qui l’entourent.
Cette forte porosité psychique s’associe chez Kyra à des
souffrances qui l’ont amenée à décider de « se fermer » tout au long
d’un parcours de protection. Tout d’abord auprès d’un magnétiseur
qui lui a permis de se soigner elle-même. C’est un médecin qui l’a
ensuite aidée à fermer le trou qu’elle avait dans le dos à l’origine de
« fuites énergétiques ». Cette porosité psychique, ainsi que cette
métaphore du trou, sont associées à l’idée que des entités viennent
se coller à elle comme un « aimant ». Ce magnétiseur et ce médecin
ont-ils permis de relancer chez Kyra une activité psychique de
contenance qui lui faisait défaut ? Cette porosité psychique
vacillante viendrait mettre en évidence chez elle les défaillances de
ce travail de « détoxification » qui aurait dû advenir durant l’enfance.
Nous pouvons, plus généralement, faire l’hypothèse que Kyra décrit
de façon métaphorique une enveloppe psychique « trouée ». Les
« fuites énergétiques » peuvent être pensées comme la figuration
d’une enveloppe qui ne permet pas une régulation adaptée des
enjeux narcissiques. Elle pratique diverses techniques de
visualisation, ce qui rejoint les observations d’Hartmann (1991) qui
suppose que les personnes ayant des frontières mentales très fines
ont une plus grande capacité à être l’objet de processus de guérison
par le biais de techniques de visualisation.
Ces différents aspects se trouvent poussés à leur paroxysme avec la
maladie de Darier dont souffre Kyra. Celle-ci met ainsi en évidence
de quelle façon le Moi psychique s’étaye sur le Moi corporel. Chez
elle, cette enveloppe psychique « trouée » semble s’étayer sur une
peau qui se fissure. On remarquera d’ailleurs que Kyra utilise des
élixirs qui l’aident à « refermer ses plaies » et lui permettent de se
sentir « collée à l’intérieur » puisqu’elle ne peut plus être
« transpercée ». Il semble ainsi se dégager un processus de va-et-
vient entre, d’une part, une enveloppe psychique qui s’étaye sur la
peau, et d’autre part, une peau qui peut elle-même à son tour
s’étayer sur les processus psychiques. Plus généralement, cette
porosité psychique est allée de pair chez Kyra avec un besoin de
s’ouvrir pour ne pas « crever » durant l’enfance et face à la rigidité
parentale. Certaines personnes semblent ainsi mettre en place ce
que nous proposons de désigner comme une « stratégie du
roseau ». Face à un environnement parental rigide et froid, certains
n’auraient pas d’autre solution que de développer une
hyperperméabilité psychique menant à des contenants psychiques
particulièrement souples et poreux. Cette perméabilité sera en
quelque sorte transmise à Cole qui voit et dessine des entités,
partageant avec sa mère certaines expériences hallucinatoires.
Les rêves que fera Kyra à la fin du suivi peuvent être interprétés
comme symbolisant ces différentes problématiques. Nous pouvons
ainsi penser ce clown blanc, affublé d’un chapeau pointu, qui tente
de percer son enveloppe (une vitre), comme me représentant dans
la dimension transférentielle et prenant la place de ses parents
perçus comme étant rigides face au paranormal. Mais cette première
image laissera progressivement la voie à un travail de
« purification » dans lequel je ferai plutôt office de « chamane » dans
le rêve de Kyra. Nous voyons ainsi comment cette porosité
psychique, qui met parfois en difficulté cette jeune femme, se révèle
aussi être source d’évolution à travers, par exemple, la grande
capacité créatrice dont elle fait preuve dans son travail artistique.
Dans le champ interpersonnel, cette perméabilité psychique prend
souvent la forme, comme chez Kyra, de flashs et de ressentis
concernant autrui. Les logiques de communication non verbales et
infra-verbales paraissent ici essentielles. Elisabeth Laborde Nottale
(1990) utilise ainsi le terme de « micro-mimiques » pour désigner les
éléments à la base de cette communication. Il semble s’agir d’une
porosité aux processus primaires donnant lieu à des ressentis et à
des pensées figuratives de l’ordre de l’empathie et de l’intuition. Le
sujet interprète les informations ainsi obtenues comme ayant « un
sixième sens », conception magique qui proviendrait de
l’aspect magique de la première relation à la mère.
Il peut également arriver que ces personnes projettent chez l’autre
ce qu’elles ne peuvent penser d’elles-mêmes. Nous nous situons
alors davantage dans le registre de l’identification
projective pathologique (Klein, 1946). Dans certains cas de
magnétisme, nous pouvons envisager qu’il s’agit d’un « transfert »
des pathologies provenant d’un processus d’incorporation (Ciccone,
1999) lors duquel « le Moi incorpore l'objet sans le transformer »
alors qu’« il est lui-même transformé par l'objet, il est aliéné à
l'objet ». Ce type de processus pourrait être la conséquence d’une
expérience de survie psychique précoce revenant à mettre l’objet
maternel à l’intérieur de soi. Nous passons donc d’une forme
exacerbée de l’identification projective à une modalité qui vise à
prendre sur soi le mal d’autrui. Il semble de ce point de vue que les
processus de « détoxification » qui caractérisent les expériences de
magnétisme représentent une forme plus archaïque que les
perceptions psi comme nous l’avons déjà évoqué. Les passes
effectuées peuvent en effet être interprétées comme des figurations
des soins maternels précoces. Une continuité semble ainsi se
dégager partant des niveaux les plus archaïques et allant jusqu’aux
« flashs » qui sont une version plus différenciée impliquant l’appareil
visuel.
Ces observations pourraient être associées aux travaux portant sur
les neurones miroirs qui montrent à quel point nous sommes liés à
ceux qui nous entourent et de quelle manière les processus
intersubjectifs sont constitutifs de notre fonctionnement psychique.
Ces recherches, initiées par les travaux de Giacomo Rizollati (1996)
chez le singe, et depuis confirmées chez l'homme, mettent en
évidence que les mêmes groupes neuronaux sont activés que nous
réalisions une action ou que nous observions une autre personne la
réaliser. On remarquera plus particulièrement que ces neurones
miroirs s’activent différemment non seulement selon l'action (par
exemple : attraper un objet), mais aussi selon l'intention qui leur est
associée (par exemple, prendre un verre d'eau pour le boire)
(Iacoboni & Dapretto, 2006). Le fonctionnement des neurones
miroirs est également en jeu dans les processus de cognition
sociale, donnant lieu à un « effet caméléon » (Chartrand & Bargh,
1999) qui correspond à la reproduction automatique des états
psychologiques d'autrui. Ces mêmes neurones miroirs sont liés au
développement de l'empathie et il apparaît que nous percevons les
émotions d'autrui en activant les mêmes émotions en nous
(Damasio, 2003 ; Rizzolatti & Craighero, 2006).
Nicolas Georgieff (2008) a proposé dans la même perspective l’idée
d’un « système du même » qui correspondrait à un « ensemble de
processus qui assurent la reproduction ou réplication des activités
cérébrales et mentales d’un individu par celles d’un autre individu »
(p. 365). Il s’agit plus précisément d’une « propriété neurocognitive
générale, miroir ou spéculaire, transitive et mimétique, qui produit
des configurations d’activité cérébrale et des représentations
mentales analogues chez soi et autrui ; et qui assure donc la
reproduction, par l’activité cérébrale et mentale d’un individu, de
celle d’un autre individu » (p. 365). Ce système du même est
associé à un système de distinction (le « who system ») conduisant
Georgieff à l’idée que « pour une première modalité, l’autre est
double de soi-même, par le jeu d’un mécanisme d’identification à
l’autre qui nous rend identique à lui. Pour une seconde modalité,
l’autre est repéré comme étranger, distinct, différent du soi »
(p. 366). Goergieff suppose donc qu’une « dialectique identification
empathique / distinction soi-autrui, ou système du même / système
de l’autre, opère en permanence et est sous-jacente à toute
représentation de soi et d’autrui ». De ce point de vue, les personnes
qui rapportent des expériences exceptionnelles, en particulier les
voyants et les magnétiseurs, semblent associer une version
exacerbée de cette capacité à reproduire les émotions d’autrui à une
difficulté à repérer l’autre comme différent de soi (relevant peut-être
d’une inhibition du who system). Le système du même est très
probablement antérieur au système de différenciation, ce qui
souligne une nouvelle fois la dimension régressive de ces
expériences et leur affinité avec les phases précoces du
développement psychique.

▶ Perméabilité psychique, identification projective et


poltergeist
Nous allons à présent nous attarder plus spécifiquement sur les
expériences de poltergeist qui offrent une forme très particulière de
perméabilité psychique sur un mode essentiellement projectif. Un
bref détour historique paraît tout d’abord nécessaire en reprenant
l’ouvrage La maison hantée, histoire des Poltergeists (2007) de
Claude Lecouteux, professeur de littérature et de civilisation du
Moyen Âge à la Sorbonne. Celui-ci montre que la phénoménologie
des poltergeists est décrite depuis fort longtemps et note à ce
propos qu’il n’y a « aucune raison de postuler qu’il s’agit là d’une
sorte de génération spontanée du XIXe siècle. Il y en a eu bien avant,
mais le vocable poltergeist ne les désignait pas forcément » (p. 15).
Lecouteux raconte les différentes formes qu’ont pu prendre les
poltergeists au cours de l’Histoire. Il retrouve leur trace dès le XVIe
siècle dans le Dictionnaire d’Erasme Albertus, publié en 1540, puis
dans les Propos de table de Martin Luther datant de 1568. Une
première définition du terme voit ensuite le jour dans le Dictionnaire
universel encyclopédique de Claude Augé en 189715. Lecouteux en
vient à déterminer la nature du poltergeist telle qu’elle est
habituellement présentée : « ce peut-être un esprit tapageur, un
kobold, un génie domestique, un diable, un mort, une mystification »
(p. 27) et se tourne vers les auteurs plus contemporains ayant tenté
d’en cerner plus précisément la phénoménologie comme le
psychologue William Roll (2004) :
« Les phénomènes sont focalisés sur une personne. Ils montrent une certaine
focalisation spatiale ; les mouvements d’objets présentent parfois un but précis et des
trajectoires inhabituelles. Il arrive que les objets traversent les murs ou la matière
physique sans en endommager la surface ; un grand nombre de cas est associé à
des visions et à des voix paranormales, de même qu’avec des coups frappés et
d’autres moyens de communication intelligibles ; les exorcismes et les rituels restent
sans effet ; généralement, les perturbations cessent si la personne centrale, le
médium […] ou d’autres membres de la famille quittent l’endroit » (p. 34).

Les poltergeists ont fait l’objet de diverses explications depuis le


Moyen Âge. La plus courante les rattache au fait qu’un mort soit
resté sans sépulture. Trouver le cadavre en question et lui offrir une
tombe ferait alors disparaitre les phénomènes. Une autre explication
leur attribue une origine diabolique. Il peut aussi arriver que ces
phénomènes soient perçus comme annonciateurs d’un décès.
Lecouteux en déduit qu’il s’agit d’un « phénomène pérenne lié à
l’humain » que les religieux ont été les plus aptes à observer. Il note
également que la communication par coups avec les « esprits » est
mentionnée dès 1526, bien avant le cas des sœurs Fox présenté au
chapitre deux (cf. p. 54). Plus généralement, Lecouteux remarque
pour un certain nombre de cas « qu’à partir d’un fait central et
présenté comme avéré, tout un ensemble de croyances s’est
condensé, ledit fait agit comme un catalyseur des fantasmes propres
aux acteurs de ce petit drame » (p. 80). Les poltergeists donnent
aussi fréquemment lieu à des récits du type « Maison du diable »,
comme le « Diable de Mâcon » en 1612-1613, ou le « Diable de
Glenluce », en 1654, en Ecosse. Fréquemment, le lien entre la
présence d’un enfant ou d’un adolescent en crise et la survenue des
phénomènes est observé. Voici à présent un exemple de cas de
poltergeist provenant de notre clinique qui prolongera ces éléments
historiques :

Cas clinique : Catherine


Catherine contacte le service de consultation car elle est victime depuis un mois des
phénomènes qui lui font peur et qu’elle ne comprend pas : apparitions nocturnes,
sentiment de présences et bruits récurrents et inexpliqués dans sa maison. Ces
« phénomènes » ont également été entendus par d’autres membres de la famille,
des voisins mais aussi leur femme de ménage qui refuse de revenir dans la maison.
Le premier entretien se déroule au domicile de Catherine16. Elle paraît très
angoissée et a « peur de devenir folle ». Elle n’a pourtant pas d’antécédents
psychiatriques et vit une vie que l’on pourrait qualifier de « normale » en compagnie
de son mari et de son fils, âgé de sept ans. Lorsque je demande à Catherine de
décrire les apparitions nocturnes, elle évoque un « petit garçon habillé de rouge »
dont elle ne peut deviner le visage. Quant aux bruits inexpliqués (bruits de pas,
coups frappés dans les murs, claquements), ils sont localisés à l’étage et j’aurai
d’ailleurs l’occasion de les entendre lors du premier entretien17. Catherine pense
qu’il pourrait s’agir de l’esprit de personnes décédées « coincées entre deux
mondes » et elle craint que ces phénomènes ne soient le présage d’un malheur à
venir pour son fils.
Lors des entretiens suivants, Catherine donnera plus de détails sur les apparitions
nocturnes. Elle est persuadée qu’il ne s’agit pas d’hallucinations, car elles peuvent
durer plusieurs minutes et lui paraissent tout à fait réalistes. Ces apparitions
reviennent de façon récurrente et angoissante, au point que Catherine prend des
anxiolytiques avant de se coucher. Au fil des entretiens, il apparaît qu’elle a très peur
que son fils soit « enlevé ». D’ailleurs, avant la première apparition, elle a cru
entendre un « bruit de clé » comme si son fils était « somnambule et sortait de la
maison ». En outre, le petit garçon est habillé en rouge et son fils a justement perdu
récemment des vêtements de couleur rouge.
Après quelques semaines, Catherine fait un rêve : elle voit enfin le visage de cet
enfant, qui n’est autre que celui de son fils couvert de balafres. Elle associe alors
cela avec ses propres angoisses de séparation qui semblent liées à une très grande
peur de la mort et du noir. Elle se rappelle d’ailleurs que lorsqu’elle était enfant, sa
mère la laissait seule dans le noir durant des heures. Très émue, elle semble faire le
lien entre ces apparitions et ses propres mouvements psychiques internes. Nous
tentons également de donner du sens aux bruits inexpliqués. Catherine pense qu’ils
sont causés par des esprits décédés et elle essaye de comprendre de « qui » il
pourrait s’agir. Elle en vient à parler de son père qu’elle dit ne « pas aller voir
suffisamment au cimetière », et de sa mère, atteinte de la maladie d’Alzheimer, dont
elle a « déjà fait le deuil ». Elle semble éprouver à l’égard de cette dernière une
agressivité qu’elle ne peut cependant verbaliser. La culpabilité qui en découle serait-
elle la source de cette projection sous forme d’esprits qui viendraient réclamer
l’attention qui leur est due ? Cette hypothèse semble confirmée par plusieurs
associations de Catherine entre l'étage de la maison et le paradis. La prise de
conscience de cette dynamique intrapsychique paraîtra aider Catherine et, au terme
des entretiens effectués sur une durée d’environ trois mois,
les phénomènes cesseront. Les échanges autour de ces deux axes de travail
(angoisses de séparation et problématique de deuil) ont, semble-t-il, aidé Catherine à
faire des liens entre ces expériences et sa propre dynamique intrapsychique.

Nous observons dans ce cas l’émergence d’une solution


paranormale prenant cette forme très particulière dont nous pouvons
proposer quelques analyses. Les filles de Catherine, dont elle était
très proche, ont quitté le domicile familial récemment et son fils, qui
rentre en classe de CP, grandit lui aussi. Par ailleurs, Catherine,
issue d’une famille nombreuse, a toujours été entourée et vient de
déménager dans un quartier où elle ne connaît personne. Ces
différents éléments sont aggravés par le fait qu’elle se trouve sans
emploi. Elle souffre donc d’une profonde solitude qui semble la
renvoyer à des angoisses de séparation et des mouvements
dépressifs. Ceux-ci laissent progressivement la place à une
phénoménologie de type poltergeist survenue au retour de
vacances.
Il s’agit tout d’abord d’apparitions quand elle est sur le point de
s’endormir ou qu’elle se réveille angoissée au cours de la nuit.
Catherine voit alors « un petit garçon habillé de rouge ». Celui-ci ne
serait-il pas une représentation de son fils, l’apparition ayant le
même âge que lui et portant des vêtements de couleur rouge lui
appartenant et qui ont mystérieusement disparu peu de temps
auparavant ? Ce lien apparaît de façon plus flagrante quand
Catherine explique qu’elle a entendu un « bruit de clef » peu avant
l’apparition, comme si son fils tentait de quitter la maison dans un
accès de somnambulisme. Nous voyons ainsi comment des
angoisses de séparation semblent figurées au travers de cette
présence inquiétante dont Catherine découvre finalement le visage
qui n’est autre que celui de son enfant. Catherine semble ainsi
projeter dans ces apparitions ses angoisses de voir un malheur lui
arriver.
Les autres aspects de la phénoménologie poltergeist (déplacements
d’objets, bruits, etc.) semblent également tenir compagnie à
Catherine. Habituée à être entourée, ne peuple-t-elle pas sa maison
d’êtres qui lui évitent de ressentir la solitude ? De plus, comme
souvent dans ces situations, le poltergeist permet de s’extraire de la
routine quotidienne et d’attirer l’attention de manière détournée. Les
cliniciens qui se sont intéressés aux poltergeists les conçoivent ainsi
comme une forme de projection « externalisée » de conflits
intrapsychiques. C’est notamment la position de Djohar Si Ahmed
(2006) pour qui le poltergeist vient « chanter » les souffrances
familiales à travers la maison. Celle-ci se trouve ainsi « attaquée »,
ce qui permet à Catherine d’exprimer indirectement son mal-être
dans ce nouveau logement. De manière plus globale, le fait que les
phénomènes émergent le plus souvent dans la maison familiale
souligne aussi la dimension symbolique et fortement investie de
cette dernière (Bass & Cuynet, 2018 ; Eiguer, 2013)
Ces manifestations pourraient également être interprétées comme la
conséquence d’un sentiment de culpabilité en lien avec un deuil
difficile. Catherine pense en effet qu’il pourrait s’agir d’« esprits
coincés entre deux mondes ». Elle se sent coupable de ne pas aller
voir son père au cimetière et de ne pas rendre plus souvent visite à
sa mère. Ce contexte est rendu plus complexe par le fait que
Catherine en veut énormément à cette dernière, ce qui se traduira
par un rêve prémonitoire concernant la date de la mort de sa mère.
D’un point de vue métaphorique, le fait que les « phénomènes » se
produisent à l’étage ne vient-il pas dire aussi qu’ils surviennent au
paradis, Catherine associant elle-même l’étage avec le ciel ? Les
angoisses de séparation précédemment décrites et cette
problématique de deuil paraissent ainsi s’articuler pour donner
naissance à cette phénoménologie particulière qui mêle apparitions,
sentiment de présence et bruits divers.
Dès lors, comment comprendre que Catherine développe une telle
expérience plutôt qu’un trouble plus « classique » ? Il semble de ce
point de vue s’opérer une évolution d’un contexte dépressif à la
phénoménologie du poltergeist sur un mode très archaïque au sein
duquel la distinction contenant/contenu n’est plus maintenue.
L’enveloppe qui sépare le dedans du dehors se trouve ainsi
attaquée. Est-ce pour cette raison que les manifestations prennent
des formes archaïques et souvent très enfantines ? Ces
observations font écho à l’une des dimensions pathologiques de
l’identification projective qui consiste à se débarrasser d’un contenu
mental perturbant dans les objets externes. Comme l’a montré Bion
(1962), les parties projetées – les éléments Bêta – peuvent ainsi se
désintégrer et désintégrer les objets qu’elles enkystent, formant des
« objets bizarres » chargés d’hostilité persécutrice.
Les phénomènes de poltergeist ont en outre les mêmes
caractéristiques que l’organisation psychique individuelle et
groupale. Walter Von Lucadou (2019) propose ainsi de distinguer
différents types de poltergeist – gériatrique, névrotique, dépressif, de
deuil, etc. – en définissant pour chacun d’eux leurs caractéristiques
majeures. Par exemple, dans le cas de Catherine, la dynamique
psychique, dans un contexte névrotique et dépressif, est de nature
essentiellement opératoire. Les manifestations apparaissent ainsi
comme des bruits qui ne viennent pas déranger « l’ordre » d’une
maison bien rangée par ailleurs. Certains cas de poltergeist
semblent à ce propos se produire du fait d’un déficit des processus
de mentalisation et d’un fonctionnement opératoire typique des
troubles psychosomatiques (Dumet, 2002 ; Marty, 1980). Les
expériences de ce registre représenteraient de ce point de vue une
forme de « psychosomatique externe »18. Enfin, on peut repérer
quatre phases caractéristiques de cette phénoménologie comme le
propose Von Lucadou – surprise, déplacement, déclin et
suppression – qui organisent habituellement, sur le plan systémique,
la logique d’émergence et d’évolution du poltergeist dont nous
pouvons rassembler les cinq caractéristiques principales :
CINQ CARACTÉRISTIQUES PRINCIPALES DES CAS DE
POLTERGEIST

1. Les bruits et les déplacements d’objets sont variés. Plusieurs personnes,


notamment extérieures à la famille et présentes sur les lieux, peuvent également
les rapporter.
2. On ne retrouve pas dans ces cas de signes manifestes de psychose et le sujet ne
présente pas a priori d’aspect délirant ou halluciné. On observe une position
marquée par le questionnement avec un sentiment prédominant d’angoisse, voire
même de terreur, quand les phénomènes deviennent ingérables.
3. Les phénomènes présentent un aspect métaphorique que l’on peut relier à la
dynamique psychologique des personnes ou de la famille impliquées.
4. Un historique de phénomènes de poltergeist, et souvent d’autres expériences
exceptionnelles, existe dans la famille ou dans l’histoire de la personne dite
« focale » autour de laquelle les manifestations se cristallisent.
5. Les phénomènes évoluent en fonction de facteurs psychologiques ou
ethnosociologiques, par exemple l’intervention d’un prêtre exorciste, d’un
spécialiste des sciences occultes, de la police, de journalistes ou d’un
psychologue. Ils cessent dans la quasi-totalité des cas au bout de quelques
semaines, même si des épisodes de « rechute » se produisent parfois dans les
années qui suivent.

▶ Neurobiologie de la perméabilité psychique et hyper-


associativité
Les expériences exceptionnelles peuvent donc être considérées
comme l’expression d’une perméabilité psychique exacerbée
prenant des formes variées dans le contexte de la solution
paranormale. Ce processus est « bi-face » : il correspond à une forte
perméabilité psychique entre logiques conscientes et inconscientes
mais aussi entre monde interne et monde externe. Ce processus est
également « bi-directionnel », pouvant donner lieu à des
mouvements perceptifs et projectifs. Sur le versant perceptif, il s’agit
souvent de perceptions psi prenant la forme de visions et
d’intuitions. Sur le versant projectif, les processus sont plus
corporels, plus archaïques comme nous l’avons déjà évoqué pour
les expériences de magnétisme et de poltergeist.
Les théories psychanalytiques offrent un éclairage intéressant à ces
logiques afin de mieux en cerner la dynamique du point de vue de
l’associativité et de la labilité psychique. Rappelons à ce propos que
les interactions précoces avec la mère permettent la constitution des
premiers contenants de pensée par le biais de la « fonction alpha »
(Bion, 1962). Il en découle une « membrane psychique » entre les
contenus psychiques de la mère et ceux du bébé. Les contenants de
pensée et la perméabilité entre processus psychiques s’étayeront
progressivement sur cette membrane, en particulier les rapports
entre conscient et inconscient. Certaines personnes développent
ainsi une sensibilité limitée à leur dynamique inconsciente comme le
montrent les travaux d’Hartmann (1991). D’autres, au contraire,
feront l’expérience fréquente de contenus inconscients qui
émergeront de manière inopinée19. Les données provenant de la
biologie et les récents progrès des neurosciences peuvent
également s’avérer très éclairants. Ainsi, les travaux menés sur les
caractéristiques des personnes qui ont des frontières mentales fines
sont également utiles pour penser la clinique des expériences
exceptionnelles sur le plan neurobiologique. Nous rejoignons les
voies ouvertes par Hartmann (1991) en ce domaine qui propose
plusieurs pistes théoriques permettant de lier perméabilité psychique
et données neurobiologiques :
« Je crois que la psychologie est une biologie d’un niveau élevé, une description
globale d’événements cérébraux. Toute description psychologique solide doit
cependant décrire quelque chose qui se produit dans le cerveau. Et je considère
aussi comme vraies les descriptions psychologiques développées par la psychologie
comportementale (avec le concept classique de conditionnement de Pavlov ou
Skinner), par la psychanalyse (avec les mécanismes de défense), par la psychiatrie
descriptive (avec les conceptions de schizophrénie ou de « groupes de
schizophrènes »), ou par la psychologie cognitive (avec les « les modules de
traitement d’informations) » (p. 227).

Hartmann pense plus précisément que « les frontières mentales


fines et épaisses pourraient être un critère de personnalité pour
lequel nous pourrions trouver relativement facilement une biologie
cérébrale sous-jacente » (p. 233). Il suppose que les frontières
mentales perméables favorisent la communication entre processus
psychiques, tandis que les frontières imperméables la réduisent. Des
études EEG (électroencéphalographie) mettent en effet en évidence
le fait que la démarcation entre états de conscience est bien moins
nette chez les personnes ayant des frontières mentales perméables.
On peut observer en outre que ces personnes ont tendance à
expérimenter à l’état vigile ce que l’on voit habituellement lors de
mouvements oculaires rapides ayant lieu au cours du sommeil
paradoxal (Hartmann, 1991). Ces données laissent à penser que
ces personnes changent facilement d’état de conscience et
expérimentent, lors de l’éveil, des états oniriques du fait de frontières
mentales très fines. À noter également que les personnes ayant des
frontières mentales épaisses dorment moins que la moyenne (moins
de six heures par nuit). Hartmann pense qu’elles sont en quelque
sorte « pré-programmées » et ont donc besoin de moins de temps
pour intégrer leurs expériences journalières durant le sommeil. À
l’inverse, les personnes ayant des frontières mentales fines ont
besoin de dormir plus longtemps, car une durée minimum de
sommeil leur est probablement nécessaire pour traiter les données
accumulées au cours de la journée. Sur le plan cognitif, des études
ont également montré des stratégies cognitives différentes selon la
perméabilité psychique des sujets. Les personnes ayant des
frontières mentales fines font preuve d’une plus grande capacité à
changer de stratégie (Hartmann, 1991), ce qui pourrait laisser
présager des différences de traitement de l’information. Les
personnes rapportant des expériences exceptionnelles tendent en
effet à privilégier généralement les processus intuitifs.
Par ailleurs, lorsqu’il est demandé à un sujet d’imaginer qu’un glaçon
– ou à l’inverse une source de chaleur – soit placé(e) dans sa main,
tandis que la température au niveau de sa peau est mesurée, les
personnes ayant des frontières mentales fines obtiennent des
variations de température plus importantes que celles ayant des
frontières mentales épaisses (Hartmann, 1991). Ce résultat suggère
un lien fort entre perméabilité psychique et représentations
mentales. Ceci aide à comprendre pourquoi les personnes qui vivent
des expériences exceptionnelles ont tendance à utiliser des
techniques de visualisation pour se soigner, comme Kyra. De la
même façon, des recherches démontrent que ces personnes sont
plus sensibles aux stimuli de l’environnement et qu’il en est de
même concernant la suggestibilité (Hartmann, 1991). Il n’est donc
pas surprenant qu’elles fassent appel à des praticiens de
l’ésotérisme qui auront facilement une influence sur leurs ressentis.
Pour Kyra, cela se traduit par la sollicitation régulière d’une personne
qui lui « nettoie » sa maison. Ce lien entre frontières mentales, vécu
subjectif et physiologie est également essentiel pour penser les
situations lors desquelles apparaissent des phénomènes corporels –
souvent sur la peau – interprétés comme ayant une origine
paranormale. Dans certains cas d’abduction (Mack, 1994), les
personnes rapportent ainsi des traces apparues à la suite de leur
« enlèvement » ce qui rappelle également la phénoménologie des
stigmates en milieu religieux (Kluger & Cribier, 2013). Dans l’un de
nos cas cliniques, celui d’Aaron, des griffures sont ainsi apparues
dans son dos après la vision d’un ovni.
Hartmann compare également la psychologie des personnes ayant
une forte perméabilité psychique avec les descriptions de sujets
ayant consommé du LSD. Il suppose que ce type de substance
induit des modifications de la perméabilité psychique de façon
passagère. Hartmann cite ainsi une patiente qui lui rapporte à
propos de sa prise de LSD : « Je peux comprendre pourquoi
certaines personnes aiment ces associations entre images et leur
aspect très réaliste, mais ce n’est pas mon cas. Je suis déjà trop
comme ça sans drogues ! » (p. 239). Hartmann suppose plus
précisément que la norépinéphrine, la dopamine et la sérotonine
sont impliquées dans les processus de perméabilité. L’impact de la
norépinéphrine et de la sérotonine se ferait plus précisément par le
biais de l’inhibition de certains processus psychiques.
La psychiatre Diane Powell (2009) a proposé plus récemment des
liens possibles entre ces facteurs biologiques et les expériences
exceptionnelles. Observant que les processus associatifs paraissent
exacerbés en fonction de l’activité du système limbique, elle
remarque tout d’abord que « quand notre système limbique est plus
actif que d’habitude, il en est de même pour nos lobes temporaux et
le monde autour de nous apparaît comme ayant plus de sens et
étant plus symbolique » (p. 173). Powell suppose que des
substances telles que la kétamine ou l’ayahuasca agissent sur le
système limbique et plus précisément les récepteurs de glutamate
appelés récepteurs NMDA. Une substance proche de la kétamine –
la dimethyltryptamine (DMT) -, naturellement présente dans le sang,
serait produite par la glande pinéale et affecterait de façon
préférentielle le système limbique. Il s’agit d’un dérivé de la
sérotonine qui agit sur les récepteurs de ce système. La DMT
influencerait ainsi les récepteurs NMDA par l’intermédiaire du
système sérotinergique. La glande pinéale produirait également, en
réponse au stress et à l’adrénaline, des substances – la bêta-
carboline et la pinoline – qui diminuent la décomposition de la DMT
et catalysent donc ses effets. Nous reviendrons plus en détail sur
ces aspects lorsque nous aborderons les expériences de mort
imminente au neuvième chapitre, mais notons dès à présent que ces
données suggèrent que des substances naturellement produites par
le corps – ou ingérées volontairement – engendrent une variation de
la perméabilité psychique, ce qui éclaire en partie la dynamique
affective, biologique et neurologique des expériences
exceptionnelles.
D’autres chercheurs travaillant dans le champ des expériences
exceptionnelles, comme Christine Simmonds-Moore (2003), ont
également orienté leurs recherches vers la notion de perméabilité
psychique et ses soubassements neurobiologiques. Simmonds-
Moore fait l’hypothèse que la variation de perméabilité observée lors
des expériences exceptionnelles serait le fruit d’un déficit des
processus d’inhibition. Le cerveau « filtre » des millions de données
à chaque instant et ce travail ne se ferait pas de façon appropriée
chez certaines personnes, entraînant une « inhibition de
l’inhibition ». Cette absence d’inhibition serait la cause, ou la
conséquence, d’une labilité psychique exacerbée chez les
personnes rapportant des expériences exceptionnelles (Kennedy,
Kanthamani & Palmer, 1994). Simmonds-Moore suppose plus
précisément une suppression de l’inhibition des processus
transmodaux. Le sujet deviendrait alors en quelque sorte synesthète
(cf. p. 35) le temps de l’expérience. Cette labilité psychique opèrerait
à deux niveaux. Tout d’abord, sur le plan « vertical », les liens entre
système limbique et néocortex sont renforcés (Thalbourne, 1999).
Les processus associatifs au niveau du cortex seront alors d’autant
plus intenses que le système limbique sera activé (Powell, 2009).
Cela pourrait se traduire par le fait d’être facilement submergé par
des émotions d’une intensité exceptionnelle. Cette labilité psychique
correspond également à un niveau « horizontal » entre hémisphères
cérébraux (Simmonds-Moore, 2010) et certaines expériences
exceptionnelles se produiraient lors d’état de synchronie des deux
hémisphères, ce que l’on retrouve également durant les états
hypnagogiques.
Sur le plan subjectif, ces différents éléments relatifs à la perméabilité
psychique se traduisent par une associativité débridée (Rabeyron,
2015 ; Roussillon, 2009)20. Ce mécanisme opère comme une
protection dans le contexte de la solution paranormale et produit une
dérégulation des lois habituelles de l’associativité. Les expériences
exceptionnelles seraient-elles de ce point de vue une réminiscence
d’un état précoce du psychisme grâce à une levée de l’inhibition
habituelle de l’associativité, une forme d’associativité originaire ? La
fonction d’un tel mécanisme serait d’opérer comme un système de
secours en cas de déséquilibre transformant de manière
momentanée les lois habituelles de la perméabilité et de
l’associativité psychiques. Nous rejoignons la « stratégie du roseau »
déjà évoquée : mieux vaut pouvoir se courber durant la tempête
plutôt que de rompre. Peut-être s’agit-il plus globalement d’un
mécanisme qui s’est avéré important au cours de l’évolution de
l’espèce humaine. Sur le plan groupal, il pourrait être essentiel que
l’un des membres du groupe – le chamane ? – ait cette capacité
pour favoriser la survie globale du groupe.
De récents travaux dans le champ des neurosciences et de la
psychanalyse sont très utiles pour mieux comprendre ces
processus, car ces deux disciplines ont développé des modèles
visant à mieux comprendre la nature associative du psychisme
(Rabeyron, 2015). Les variations de la perméabilité et de
l’associativité interrogent ainsi l’écoulement de l’énergie psychique,
ce que Freud étudia en particulier du point de vue de la « liaison »
psychique, c’est-à-dire la manière dont le psychisme tente de
contenir et de lier les excitations internes et externes ainsi que
l’énergie nerveuse qui en découle. Freud et Breuer (1895) ont été en
ce sens influencés par les physiciens de leur époque, en particulier
par les théories d’Hermann von Helmholtz à partir desquelles Breuer
proposa la distinction entre « énergie tonique » et « énergie
cinétique » avant que Freud ne relève l’opposition « énergie libre » /
« énergie liée » qui différencie les modes de fonctionnement
primaires et secondaires.
Cette notion d’énergie libre a été reprise plus récemment dans les
travaux du neuroscientifique britannique Karl Friston (2009)
(Rabeyron, 2015), travaux que nous allons décrire brièvement pour
en montrer l’intérêt dans la compréhension des expériences
exceptionnelles. Ils offrent en effet un éclairage original sur la
thématique de l’associativité en interrogeant la pertinence du modèle
freudien du point de vue computationnel. Friston rappelle que tout
organisme vivant doit résister à la deuxième loi de la
thermodynamique, à savoir la tendance spontanée d’un système à
tendre vers un état de désorganisation. Ce niveau d’organisation
peut être évalué selon le degré d’entropie : plus celui-ci est élevé,
plus le niveau de désorganisation est important. Les organismes
biologiques doivent lutter de manière primordiale contre un degré
d’entropie élevé. Celui-ci peut provenir d’une source externe – la
désorganisation produite par l’environnement qui se transfère dans
l’être vivant par le biais de l’excitation de ses organes sensoriels –
mais elle peut également provenir de l’organisme lui-même du fait
de la tendance naturelle et spontanée de la « matière douée de vie »
à se désorganiser (Freud, 1937). Le psychisme étant une sous-
catégorie du vivant qui obéit aux mêmes logiques, il est conçu par
Friston comme un « modèle de travail » dont la fonction essentielle
est de limiter les états de désorganisation. Pour cela, le cerveau
produit une représentation cohérente et prédictive de
l’environnement extérieur et tend à déduire les causes probables
des stimuli sensoriels. Mais ce travail de prédiction n’est pas parfait
et il en résulte un écart entre les représentations du psychisme et les
données perceptives du monde environnant. Friston reprend dans
cette optique la notion d’énergie libre pour désigner cet écart. Le
psychisme ne peut en effet simuler l’ensemble des situations de
rencontre avec l’environnement et il en découle sur le plan subjectif
des états de surprise. Pour limiter l’augmentation de la
désorganisation interne, c’est-à-dire l’augmentation de l’énergie libre
et ces effets de surprise, le cerveau développe un modèle
probabiliste bayésien21 de la cause potentielle de ses sensations en
fonction de ses croyances antérieures, permettant ainsi de réduire a
priori l’énergie libre.
Ce modèle se construit, selon Friston, à partir des sensations, des
actions et des interactions du sujet avec son environnement. Plus
celui-ci est fiable – ce qui restreint l’écart entre monde interne et
monde externe – et plus l’effet de « surprise » induit par la rencontre
avec l’environnement diminue, de même que l’entropie générée par
cette rencontre. Les différents états occupés par le système
biologique pour être en phase avec son environnement sont alors
réduits. Cette relation sera également modulée par les actions de
l’organisme biologique, car celles-ci lui permettent de modifier son
rapport à l’environnement et donc les effets d’entropie auxquels il
pourrait être confronté. Selon Friston, ces processus seraient
organisés en fonction d’un modèle hiérarchique dans lequel les
niveaux plus élevés du fonctionnement cérébral exercent une
contrainte sur les niveaux inférieurs : « la suppression de l’énergie
libre signifie que chaque niveau tente d’expliquer les erreurs de
prédiction à son niveau et au niveau situé en dessous » (Friston,
2009, p. 295). L’associativité peut être considérée de ce point de vue
comme l’écho de ces processus, c’est-à-dire l’intériorisation de ce
mode de construction de la réalité psychique en lien avec la réalité
externe. L’associativité intrapsychique apparaît ainsi comme le fruit
d’une associativité externalisée. Elle est le reflet, la trace, de
l’associativité de l’environnement auquel a été confronté le sujet.
Robin Carhart-Harris (2014) prolonge et étend ces réflexions par
l’hypothèse du « cerveau entropique ». Il suppose que les structures
hiérarchisées du cerveau appartiennent à un continuum selon leur
degré d’organisation sur le plan entropique. Les formes primaires de
conscience correspondent ainsi à une entropie élevée : elles sont
moins « méticuleuses » dans leur rapport au monde, elles sont plus
« perméables » au réel et sont donc plus facilement influencées par
des facteurs internes et externes, ce qui fait écho aux processus que
l’on observe dans le champ des expériences exceptionnelles. La
conscience secondarisée, en revanche, se caractérise par sa
capacité à diminuer l’entropie, issue de la conscience primaire, en
organisant et en contraignant la cognition. Ainsi, les états plus
primaires sont davantage entropiques que les états secondarisés,
comme l’illustre ce schéma :
États de conscience et entropie

La conscience vigile telle qu’on la conçoit habituellement dans le


sens commun est donc un état de haute organisation correspondant
à une faible entropie. À l’inverse, les expériences exceptionnelles se
caractérisent par un faible niveau d’organisation et un haut niveau
d’entropie. Ainsi, quand le rapport à l’environnement se complexifie
et devient source d’une grande incertitude – ce qui se traduit par de
l’angoisse – le sujet est « imprégné » par cette incertitude qu’il doit
juguler. Il pourra alors réagir de différentes manières, notamment
sous la forme d’expériences exceptionnelles. De même que la
régression à la pensée magique serait une façon d’interpréter le
monde en fonction de ses désirs lorsqu’un niveau d’entropie élevé
« déborde » les processus secondarisés.
Carhart-Harris décrit plus finement ces logiques à partir de la
« théorie de l’auto-organisation critique » (self-organized criticality).
Celle-ci porte sur la manière dont un système complexe,
déséquilibré par une entrée d’énergie nouvelle, développe des
propriétés spécifiques lorsqu’il atteint un point critique. Celui-ci est
situé dans une étroite zone de transition entre les deux positions
extrêmes de chaos et d’ordre d’un système. Trois propriétés se
développent alors : (1) des états métastables ou stables de façon
transitoire ; (2) une sensibilité à la perturbation ; (3) une tendance à
des processus de type « avalanche » ayant un impact sur le
fonctionnement du Moi.
Il est possible d’étudier expérimentalement ces variations
d’organisation et d’associativité par le biais des psychédéliques – en
particulier la psilocybine – comme le fait l’équipe de Carhart-Harris
(Carhart-Harris et al., 2014 ; Erritzoe et al., 2018). Les
psychédéliques produisent un état prototypique de conscience à
haute entropie, semblant très proche des états psychiques impliqués
dans les expériences exceptionnelles. Ils altèrent la conscience par
une désorganisation de l’activité cérébrale qui se traduit par une
diminution significative de l’activité des zones cérébrales associées
au mode par défaut22. Ils engendrent des états d’insight profonds
concernant le « Soi », souvent rapportés comme un sentiment de
dissolution du Moi et du registre du sentiment océanique.
Une distinction est ainsi faite entre deux styles de cognition, le
premier étant caractéristique de l’état de conscience de l’adulte
tandis que le second pourrait émerger à la faveur des expériences
exceptionnelles. Ces états de conscience correspondent à certaines
fréquences de l’activité neuronale comme la puissance des ondes
alpha (Carhart-Harris et al., 2014). Certains rythmes cérébraux
seraient également associés à une diminution de l’entropie du fait
d’une augmentation des échanges d’information entre assemblées
de neurones. La prise de psilocybine induit ainsi une diminution de
l’activité cérébrale dans le spectre alpha, corrélée à un sentiment
subjectif de désintégration. Le cerveau se comporte alors sous
psychédéliques de manière plus aléatoire, sa connectivité et son
fonctionnement hiérarchique deviennent anarchiques et
l’associativité se débride. Les effets thérapeutiques des
psychédéliques reposent donc sur une forme « extrême » de
symbolisation que l’on observerait en psychothérapie de manière
atténuée (Carhart-Harris et al., 2018). Le déploiement de
l’associativité, et le passage par des états entropiques élevés qui lui
sont corrélés, permettront dès lors qu’advienne un certain « lâcher-
prise » nécessaire à la psyché pour relancer les processus de
symbolisation. L’associativité apparaît ainsi comme le point nodal
d’évaluation du rapport aux processus d’intégration de la rencontre
entre monde interne et monde externe que l’on retrouve sous une
forme extrême dans le champ des expériences exceptionnelles.

▶ Expériences exceptionnelles et processus


transgénérationnels
Pour conclure ce chapitre, nous allons revenir à des considérations
plus cliniques portant sur une dernière forme d’expression de la
perméabilité psychique. Celle-ci concerne la transmission
transgénérationnelle qui désigne la porosité à des contenus
familiaux « encryptés » qui pourront ressurgir sous forme
d’expériences jugées paranormales (Rabeyron, Veuillet-Combier &
Chouvier, 2016). Il convient de rappeler de ce point de vue que les
fondements de la réalité psychique trouvent leur origine avant même
la naissance, dans les désirs et les fantasmes portés par ceux qui
précèdent la venue au monde du sujet et qui participent à sa
construction mais aussi à ses failles. Les processus qui opèrent
ainsi, de génération en génération, peuvent tout d’abord être
distingués selon qu’ils appartiennent aux processus dits
intergénérationnels ou transgénérationnels (Granjon, 1989). Les
premiers désignent la transmission dite, parlée, élaborée entre
générations ; les seconds concernent les problématiques psychiques
insuffisamment élaborées, non symbolisées, qui se transmettent de
manière « brute » d’une génération à une autre. Le
transgénérationnel met ainsi en évidence une rupture fondamentale
du processus de symbolisation, dont l’origine se situe en deçà de la
symbolisation primaire, dans un « déjà-là » qui enveloppe et
structure le sujet à son origine.
Les processus transgénérationnels peuvent alors prendre des
formes variées, donnant naissance à une multitude de symptômes :
comportements étranges et inhabituels, troubles psychosomatiques,
hallucinations, coïncidences étonnantes, etc., comme dans le cas de
Guy :

Cas clinique : Guy


Guy fait référence à des expériences qui lui ont fait particulièrement peur lors de sa
rencontre avec un poltergeist au sein de la famille d’une amie. Il a alors eu un
« flash » dans lequel il a vu un « Allemand enterré dans le jardin » qui aurait été tué
par l’ancien propriétaire de la maison de son amie. Guy aime depuis faire des
séances de spiritisme afin de découvrir des « choses cachées » à l’origine de
« souffrances familiales ». Lors de ces séances, il cherchera à communiquer avec sa
grand-mère décédée et certaines informations obtenues par ce biais lui seront
ultérieurement confirmées par sa mère.

Une personne confrontée à ce type de processus tente parfois de


développer une capacité à « lier » psychiquement les traces héritées
des générations passées sous forme d’un « objet
transgénérationnel » dont elle se retrouve à son insu la destinataire
(Eiguer & André-Fustier, 2013). Elle devra donc composer avec ces
« fantômes » qui l’entourent (Fraiberg, 1991), ces « visiteurs qui
surgissent du passé oublié des parents » et qui « ne sont pas invités
au baptême » (p. 57). Elle aura à tenir compte de ceux qu’Alain de
Mijolla (1981) décrit comme des « visiteurs du Moi » conduisant à
des identifications refoulées qui ressurgissent sous forme de
comportements et de symptômes étrangers au sujet. La voix des
morts semble ainsi faire retour chez les vivants.
Les conceptualisations développées par Nicolas Abraham et Maria
Torok (1978) dans L’écorce et le noyau aident à rendre ces
expériences intelligibles. Suite à un deuil inavouable consécutif à la
perte d’un objet jouant le rôle d’idéal du Moi, le sujet met en œuvre
une incorporation de l’objet conduisant à une « crypte ». À l’origine
de cette incorporation se trouve souvent un secret honteux en lien
avec l’objet. La formation de cette crypte peut avoir des
conséquences sur les générations suivantes et conduire à la
création d’un « fantôme », fruit de la transmission d’une « crypte ».
Le fantôme est plus précisément « le travail dans l’inconscient du
secret inavouable d’un autre (inceste, crime, bâtardise, etc.) »
(Abraham & Torok, 1978, p. 391). Il est donc « un fait
métapsychologique » :
« C’est dire que ce ne sont pas les trépassés qui viennent nous hanter, mais les
lacunes laissées en nous par les secrets des autres […]. Le fantôme des croyances
populaires ne fait donc qu’objectiver une métaphore qui travaille dans l’inconscient :
l’enterrement dans l’objet d’un fait inavouable » (p. 429).

Ainsi, les esprits qui reviendraient hanter Guy seraient-ils la


conséquence d’une crypte ? La mère de Guy semble en effet avoir
été la dépositaire d’une crypte ayant pour origine le secret honteux
de sa naissance : sa grand-mère avait eu un enfant alors que son
mari était parti au front durant la guerre, dont il ne reviendra pas.
Cette hypothèse aide à penser les flashs de Guy. Face à une
maison hantée, topique externe représentant sa topique interne
(Bass & Cuynet, 2018), Guy projette-t-il un « Allemand enterré dans
le jardin », retour fantomatique de cette figure à l’origine de la
naissance de sa mère ? Il y aurait donc, inscrit en Guy, ce secret
familial faisant retour lors des flashs de voyance et les séances de
spiritisme. Cette hypothèse est étayée par d’autres éléments qui
peuvent être des traces de ce fantôme, comme le fait que Guy ait dû
épouser une jeune femme se trouvant enceinte, renvoyant au
mariage obligé de sa propre mère. Une autre situation clinique
illustrera de quelle manière des contenus transgénérationnels
peuvent faire un retour sous le sceau du paranormal :

Cas clinique : Marc


Marc se présente comme étant atteint du syndrome d’Asperger et dit chercher depuis
longtemps à « analyser son fonctionnement ». Il rapporte avoir déjà vécu deux
épisodes de décompensation. La première fois, il y a quinze ans, un 2 juin, il a le
sentiment d’être « très fort » tandis qu’une « aïeule s’exprime à travers lui et
demande pardon ». Il demande soudainement à être emprisonné. Il se rappelle que,
dès son plus jeune âge, il avait déjà été très attiré par une cage vue dans un livre et
dans laquelle il aurait aimé être enfermé. Devenu adulte, il rêvait même de pouvoir
acheter une ancienne prison. Marc fait ensuite allusion à l’histoire de son arrière-
grand-père qui fut retrouvé pendu dans une grange après avoir été surpris en train de
voler des sacs de blé, ce qui fut longtemps un secret de famille. En faisant des
recherches, Marc découvrira que ce suicide eut lieu un 2 juin, le jour de sa première
décompensation.

On ne peut qu’être frappé par la coïncidence entre le jour du suicide


de cet arrière-grand-père et l’épisode de décompensation de Marc
qu’il interprète comme un phénomène de possession par son
ancêtre. Ainsi semble-t-il reproduire, à travers ses propres
comportements, la culpabilité de cet arrière-grand-père suscitant ce
besoin récurrent d’être enfermé en prison. D’autres auteurs ont
relevé ces coïncidences saisissantes interprétées comme étant de
nature paranormale tant elles paraissent précises et surprenantes
(Schützenberger, 1997). Certains cas d'apparitions et de visions
peuvent également être pensés selon ces dynamiques
transgénérationnelles. Bernard Chouvier (2004) propose une
illustration frappante de ces problématiques à travers l'analyse du
roman d'Henri James Le tour d'écrou. Dans ce récit, un jeune garçon
aperçoit un fantôme dans la chambre où dort avec sa mère,
l’ensemble de ce texte littéraire visant à sublimer cette vision d’effroi
tout en illustrant le retour d’un fantôme familial sous forme
d’apparition (Chouvier, 2004, 2007). Bernard Chouvier développe
l’hypothèse selon laquelle il « existe une seule et même figure
fantomatique chez Henry James, objet transgénérationnel transmis
en héritage de la lignée paternelle » (Chouvier, 2004, p. 20). Le
retour du fantôme sous forme d’apparitions – ce que donne à voir,
de l’intérieur, Le tour d’écrou – est ainsi souvent décrit par les
personnes qui vivent des expériences paranormales.
Partant de la clinique et de cette illustration littéraire, plusieurs traits
caractéristiques de ces apparitions sont repérables23. Tout d’abord,
elles sont souvent associées à un sentiment d’inquiétante étrangeté,
conséquence d’une réalité interne perçue au niveau externe,
renvoyant au flou des limites qui peut trouver son origine dans une
dynamique transgénérationnelle. L’apparition a également une
dimension récurrente comme le remarque Bernard Penot (1992) : ce
« caractère de répétition de la revenance […] nous place au-delà du
principe de plaisir » (p. 124). L’apparition correspond alors souvent à
un deuil inachevé donnant lieu au retour sous différentes formes des
disparus que Jean Allouch (1997) appelle la « vivance » comme
dans le cas d’Anaïs :

Cas clinique : Anaïs


Anaïs décrit principalement des apparitions dont elle a une « peur bleue » et qui ont
eu lieu le plus souvent dans l’appartement où elle a vécu avec ses parents et ses six
frères. Elle a déménagé depuis peu, car elle en avait particulièrement peur. Anaïs
voyait des formes « qui n’ont pas d’yeux » et qui dégagent « une odeur bizarre », une
« odeur de renfermé ». Elle a également vu, avant de s’endormir, une « dame avec
un vêtement blanc » qui était dans un coin de la pièce et regardait fixement le mur.
Ces visions étaient partagées par plusieurs membres de sa famille, notamment sa
mère. Après le décès de ses deux parents, les phénomènes s’amplifièrent. Elle eut
alors la sensation de présences autour d’elle. Celles-ci pouvaient la toucher et lui
enlever sa couverture la nuit. Anaïs a également vécu une expérience angoissante
lorsqu’un robinet de sa salle de bains s’ouvrit seul et qu’elle entendit des bruits de clé
et de pas dans le couloir, avant d’avoir l’impression qu’on lui tapait sur les pieds.
Terrorisée et se cachant sous ses couvertures, elle se demandait : « Pourquoi ils
viennent m’embêter ? ». Insistant sur le fait qu’elle était « bien réveillée » et que
c’était « réel », Anaïs associa ce dernier événement au fait que sa mère lui avait une
fois « tapé sur les jambes » alors qu’elle lui tirait les tarots. Anaïs tend à penser que
ces différentes expériences paranormales ont pour origine des « âmes errantes », en
particulier celles de son père et de sa mère.

Pour Anaïs, les multiples décès survenus dans son entourage et des
capacités d’élaboration limitées semblent liés à ces nombreuses
apparitions. Celles-ci seraient un moyen de lutter contre le
processus de deuil comme si l’autre était encore en vie mais
« ailleurs », la souffrance provenant de la perte d’un proche
paraissant dès lors atténuée. Ce type de dynamique inconsciente
peut conduire à divers phénomènes allant des sentiments de
présence jusqu'à des expériences mixtes entre croyance et illusion,
comme l’analyse Laurie Laufer (2007) à propos des photos spirites.
Cette dernière insiste sur la déchirure dans le Moi induite par les
expériences spirites et remarque que « le clivage créé par le
traumatisme met à l’écart la cause du trouble et modifie la réalité.
Pour surmonter la douleur, le sujet transforme et métamorphose la
réalité en produisant des représentations que Ferenczi nomme
illusionnaires24 » (p. 66). Laufer note plus généralement que « face à
la terreur du désêtre, le retour des fantômes deviendrait alors
paradoxalement une épreuve nécessaire pour, par la traversée de
l’angoisse, donner une forme à la perte. Le fantôme serait la
condition de possibilité de tracer une figure afin de border un trou qui
puisse donner une forme à l’angoisse de séparation » (p. 70).
Ces expériences peuvent donc être considérées comme des
phénomènes hallucinatoires correspondant à un mode particulier de
traitement du deuil aux vertus potentiellement symbolisantes
(Juranville, 2005). Les différents éléments perceptifs qui composent
les expériences d’apparition se trouvent en effet rassemblés en une
scénarisation cohérente qui permet l’unification de l’expérience
perceptive et le processus de deuil. Un parallèle peut être fait avec
ce que décrit Anne Juranville (2001) de la voyance et du processus
mélancolique en tant que « transmutation de l’objet perdu en
inspiration » :
« La solution de la voyance consistant donc à maintenir l’autre (et soi) tout en le (et
se) perdant, cette construction acrobatique calque en partie son mécanisme sur le
modèle mélancolique freudien. L’installation de l’objet perdu en soi selon une
identification narcissique primaire, avec retour de l’altérité forclose sous le mode du
double halluciné, ce processus obéit au schéma de la « régression » du deuil
pathologique. “Génie”, “guide”, “esprit”, “messager”, “ange gardien”… tel est alors
fréquemment le devenir des chers disparus intériorisés, qui vont précipiter la vocation
de voyant et dorénavant en tout cas l’“inspirer”, dans sa vie comme dans sa
pratique » (p. 194).

Morts et apparitions se traduisent également chez un grand nombre


de personnes par des liens particuliers avec la mort et les
cimetières. Perrine doit ainsi se rendre dans les cimetières pour
savoir « de quoi les gens étaient morts ». Elle associe cette envie au
fait d’avoir été pratiquement enterrée vivante alors qu’elle était
enfant. Manon décrit quant à elle une fascination pour la mort et les
cimetières et plus précisément la tombe de son grand-père. Elle
participe à des séances de spiritisme et rêve pratiquement chaque
nuit de personnes du début du XIXe siècle. Le paranormal, la mort et
les esprits, paraissent ainsi très liés selon des variations culturelles
et anthropologiques complexes (Aubrée & Laplantine, 1990). Par
exemple, la dimension transgénérationnelle des expériences
exceptionnelles pourra également s’exprimer par le biais de vécus
de type « réincarnation » comme illustré par les cas de Pascale et
de Rose :

Cas cliniques
Pascale, qui rencontre de nombreuses difficultés dans sa vie, finit par consulter
une voyante qui lui dit : « on m’empêche de vous répondre, il y a quelque chose
de très fort ». Cette voyante lui décrit alors une vie antérieure tout en faisant
allusion à de la « magie noire ». Dans cette vie passée, qui se serait déroulée en
Turquie au XVIIe siècle, deux jeunes filles lui plaçaient « la tête en bas dans le
sol », car « elle avait une petite étincelle en plus qui rendait ces deux filles
jalouses ». Pascale a également fait un travail de « régression » dans lequel elle
était un chevalier dans une autre vie antérieure. Elle s’était d’ailleurs mise à
pleurer après qu’on lui eut « pris son château ».
Rose, un après-midi, alors qu’elle est en profonde relaxation, se trouve dans ce
qu'elle appelle « son jardin secret ». Elle rentre dans un état très différent du rêve
selon elle, une sorte de régression qui se caractérise par une succession de
courtes séquences. Tout d'abord, une « plage avec une hutte », sur laquelle elle
observe deux personnes très âgées qu'elle a l'impression de reconnaître comme
étant « ses parents ». La séquence suivante a lieu l'hiver, dans une boîte de nuit.
Elle voit un soldat avec un saxophone accompagné d'une jeune femme portant
une robe à pois. Rose aime d’ailleurs beaucoup cet instrument. Elle revoit ensuite
cet homme dans une bibliothèque. Plus âgé, toujours lors de cette expérience, il
est devenu prêtre et semble plein de doutes. Elle verra également un tunnel et
une lumière blanche, se demandant si elle n’a pas revécu la fin de sa vie
précédente.

Ce type d’expériences à l’âge adulte, dont les réminiscences se


produisent souvent en état modifié de conscience – parfois avec
l’aide d’un hypnothérapeute – apparaissent aussi comme une
possible figuration d’éléments transgénérationnels. Il se constitue
ainsi un roman venant mettre en forme, par la représentation d’une
vie antérieure, le caractère pénible des répétitions du passé infiltrant
l’expérience présente25.
Notes
1. La notion d’événement de vie négatif est fréquemment utilisée
dans les recherches empiriques. Elle est généraliste et désigne la
dimension manifeste de ces événements au sens où ceux-ci se
produisent dans la réalité, sont aisément objectivables et, comme
leur nom l’indique, ont un effet « négatif » sur la vie du sujet. Ils
peuvent être de natures très variées (séparation, accident,
déménagement, etc.).

2. Nous avons également tenté de déterminer si certains


événements de vie négatifs produiraient des expériences
exceptionnelles spécifiques, mais sans parvenir à des résultats
significatifs. En effet, pour les trois échelles d’expériences dont nous
disposions (perceptions psi, poltergeist, expériences de rencontres),
les corrélations se sont avérées très proches entre événements de
vie négatifs et ces trois questionnaires (avec respectivement des
corrélations de r = .21, .28, .24). Ce résultat est une bonne
illustration des limites des approches par questionnaire et de la
nécessité de les associer à une lecture fine des processus à partir
de la clinique.

3. Dans le cas du rejet, on observe parfois une aversion marquée à


l’égard du paranormal, celui-ci pouvant faire plus généralement
office d’objet persécutant contre lequel il s’agit de lutter (Rabeyron,
2014). Ces logiques peuvent parfois conduire à un engagement
militant dit « sceptique » ou « rationaliste » que l’on peut interpréter
comme une formation réactionnelle concernant la nature des
processus sous-jacents à ce positionnement (Irwin, 1989). Il est
cependant rare que ces personnes nous contactent directement, car
elles refusent habituellement l’existence même de leur vécu et
évitent donc les services de consultations spécialisés (cf. chapitre
10).
4. Nous ne pouvons ici « démontrer » une relation causale entre ces
relations précoces et l’émergence des expériences exceptionnelles,
car cela nécessiterait des études longitudinales permettant
l’observation d’éventuelles corrélations entre certaines interactions
et expériences vécues à l’âge adulte.. Cependant, la vie psychique
peut garder les traces de ces interactions et une observation clinique
attentive aide à les repérer telles qu’elles apparaissent au sein des
dispositifs cliniques. Pour plus de détails à ce propos, voir
notamment : Rabeyron, 2018.

5. Question du regard qui était déjà présente chez Puységur avec la


notion de lucidité magnétique.

6. Persée utilise d’ailleurs un bouclier faisant office de miroir pour


tuer Méduse, lui renvoyant son propre reflet. On peut relier cet
élément au fait que l’héroïne, Rachel, à la fin de The Ring, parvient à
déjouer la malédiction de Samara en dupliquant la cassette vidéo qui
cristallise les images effrayantes imprégnées par Samara sur le
support vidéo.

7. Il est néanmoins délicat de distinguer ce qui serait d’un registre


purement archaïque de ce qui appartiendrait à des organisations
plus avancées du développement, car ces deux niveaux se
combinent sous forme de ce que Stern (1989) appelle des
« modèles opérants » qui représentent l’évolution des relations
d’interactions généralisées (RIG). Les modèles psychanalytiques
insistent également sur le travail d’après-coup (Laplanche, 1987) qui
caractérise la vie psychique et transforme constamment les
différentes strates psychiques que l’on ne peut donc différencier que
de manière artificielle.

8. Menant à une corrélation (r = 0.44) entre expériences


paranormales et trauma dans l’enfance (Rabeyron & Watt, 2010).

9. Ce tableau clinique recoupe par bien des aspects le tableau


d’hystérie tel que décrit initialement par Freud (1895), en particulier
du côté du démoniaque (Freud, 1923).
10. De ce point de vue, les croyances au paranormal remplacent
certaines fonctions dévolues habituellement aux croyances
religieuses. La diminution actuelle de l’investissement de ces
dernières favorise d’ailleurs le développement de croyances et
d’expériences interprétées selon le prisme du paranormal.

11. Le cadre de cet ouvrage ne nous permet pas de proposer des


analyses détaillées pour la plupart des cas qui y seront évoqués.
Des analyses plus fines de situations cliniques seront néanmoins
présentes dans plusieurs chapitres (par exemple au chapitre 7, sur
les abductions). Un exemple d’analyse de cas plus approfondie est
également disponible dans cette publication : Rabeyron, Chouvier &
Combier, 2016.

12. Sur ce point, il est délicat de distinguer la poule de l’œuf d’autant


que les situations individuelles montrent des relations très variables
entre ces deux paramètres. Sur le plan statistique (Lawrence et al.,
1995), il semblerait néanmoins que ce soit essentiellement le trauma
qui engendrerait des expériences paranormales qui a leur tour
mèneraient secondairement aux croyances au paranormal.

13. Plusieurs auteurs reprendront plus avant ce concept et


l’étendront aux notions d’enveloppes sonore (Anzieu, 1976), visuelle
(Lavallée, 1999), groupale (Kaës, 1976) ou encore institutionnelle
(Guillaumin, 2003).

14. Une nouvelle version de l’échelle de transliminalité a ensuite été


développée (Rasch Revised Transliminality Scale has been created)
(Houran et al., 2003 ; Lange et al., 2000) et une « Rasch version »
est désormais utilisée (Houran et al., 2003).

15. Voici la définition proposée par Augé : « Esprits frappeurs : âmes


des morts qui manifestent leur présence en frappant contre les murs,
contre les meubles, ou expriment leur pensée en frappant un
nombre de coups équivalent au rang de la lettre alphabétique qu’ils
veulent désigner » (p. 13)
16. Les cas de poltergeist représentent l’une des configurations
cliniques pour lesquelles un entretien à domicile apparaît souvent
pertinent, en particulier selon une approche systémique et familiale.

17. Bruits dont je ne parviendrai pas à déterminer l’origine et qui se


sont produits alors que Catherine parlait de sa mère. À noter un
autre phénomène pour le moins étonnant qui est arrivé par la suite :
au cours du suivi, Catherine m’a contacté pour me dire que la façade
de sa maison (plus précisément l’étage) était recouverte de
mouches, ce que j’ai effectivement pu constater sans parvenir à
déterminer non plus l’origine de ce phénomène.

18. Sur la question délicate de la réalité objective des phénomènes,


qui avait d’ailleurs opposé Freud et Jung à travers le célèbre épisode
de l’armoire « parlante », nous ne pouvons que constater, ce qui est
également la position des cliniciens spécialisés dans ce domaine
(Von Lucadou, 2019), la réalité « concrète » des phénomènes dans
certaines situations. En l’occurrence, dans ce cas, et dans d’autres,
j’ai pu observer moi-même certaines manifestations (des coups
frappés dans les murs). Mais cela ne permet pas pour autant de
déterminer l’explication de ces manifestations (frauduleuse,
accidentelle, etc.), ce qui reste l’objet de débats et non d’un
consensus au sein de la communauté scientifique. Nous reviendrons
sur ces questions au dernier chapitre, lorsque nous aborderons
l’accompagnement psychologique des expériences exceptionnelles.

19. Les personnes qui vivent des expériences exceptionnelles sont


également très sensibles à des indices discrets présents dans
l’environnement du fait d’une perméabilité psychique exacerbée
(Bergson, 1886). Par exemple, elles seraient particulièrement
sensibles à la configuration architecturale des lieux sur des sites
réputés hantés, voire à des stimuli inconscients tels que des
infrasons (French, Haque, Bunton-Stasyshyn & Davis, 2008).

20. On sous-estime probablement les capacités associatives et leur


dimension mémorielle comme le montrent certains cas
d’hypermnésie. Powell (2009, p. 149) cite ainsi le cas d’une patiente
qui pouvait se rappeler toutes les phrases lues ou dites au cours de
sa vie !

21. Créées par Thomas Bayes, les statistiques bayésiennes


consistent à déduire une probabilité en fonction d’événements qui se
sont déjà produits. Ce modèle est de plus en plus utilisé dans le
champ de la psychologie empirique (Dienes, 2011).

22. Le mode par défaut (Default Mode Network, DMN) correspond à


un réseau qui se développe durant l’enfance et qui conduit à
l’interconnexion de plusieurs zones anatomiques, en particulier le
lobe temporal médial, le cortex préfrontal médial, le cortex cingulaire
postérieur, le précunéus et d’autres régions avoisinantes du cortex
pariétal (Buckner, Andrews-Hanna & Schacter, 2008) qui ont pour
particularité d’être actives à l’état de repos.

23. Sur ce sujet, il sera également possible de consulter l’excellent


ouvrage de Pascale Catala (2004) Apparitions et maisons hantées,
réédité en 2019 dans une version augmentée.

24. Laurie Laufer cite ces propos de Ferenczi provenant de


Réflexions sur le traumatisme : « La production de représentations
concernant le changement futur de la réalité dans le sens favorable ;
le fait de s’accrocher à ces images de représentations qui mettent
donc l’accent sur le plaisir potentiel nous rend capable de
« supporter » ce déplaisir, c'est-à-dire de ne pas ou moins le
ressentir comme tel. Les représentations agissent comme antidote
contre le déplaisir […]. Simultanément se produisent aussi des
« réactions substitutives » qu’on pourrait déjà qualifier
d’illusionnaires » (p. 66).

25. Des dynamiques différentes et sans doute plus complexes sont


probablement à l’œuvre dans les cas d’enfants, qui sont beaucoup
plus rares, et dont il reste à proposer une analyse clinique
approfondie, dans la continuité des travaux du professeur de
psychiatrie Ian Stevenson (1967).
Chapitre 4

Processus hallucinatoires
et états modifiés de conscience

« Voici, sentis-je soudain, quelque chose qui allait trop loin. Trop loin, bien que ce fût
pour pénétrer dans une beauté plus intense, dans une signification plus profonde. La
crainte, telle que je l’analyse rétrospectivement, était celle d’être submergé, d’être
désintégré sous une pression de réalité plus forte qu’un esprit habitué à vivre la
plupart du temps dans un monde douillet de symboles, n’en pouvait supporter. »
Aldous Huxley, Les portes de la perception

La solution paranormale et les différentes formes de perméabilité


psychique qui lui sont liées entretiennent des liens étroits avec les
hallucinations, les états modifiés de conscience et les processus
hallucinatoires. De ce point de vue, les questionnements abordés
dans ce chapitre seront les suivants : quels sont les points communs
et les divergences entre hallucinations et expériences
exceptionnelles ? Comment l’étude des processus hallucinatoires et
des états modifiés de conscience peut-elle nous aider à mieux les
comprendre ? Dans cette perspective, après une vue d’ensemble
des travaux récents concernant les hallucinations dans le champ de
la psychiatrie et de la psychologie clinique, nous verrons comment
une approche structurale aide à mieux en déterminer les processus
sous-jacents. Cela nous conduira ensuite à réfléchir de manière plus
approfondie à la nature des états modifiés de conscience et du fond
hallucinatoire de la psyché tels qu’ils se donnent à voir dans le
champ des expériences exceptionnelles.
HALLUCINATIONS ET EXPÉRIENCES EXCEPTIONNELLES
Les personnes qui rapportent des expériences exceptionnelles
voient, entendent ou ressentent des choses qui ne semblent pas
avoir, selon elles, de cause interne. Par exemple, Petra décrit de
nombreuses expériences de ce type. Alors qu’elle est sur le point de
s’endormir, elle a soudain un sentiment étrange et « voit » sa grand-
mère décédée au pied de son lit. Quelques années plus tard, en
compagnie de sa sœur, sa chambre s’illumine avec des « paillettes
d’or ». Il lui arrive aussi de percevoir des ombres qui semblent
« sortir des murs ». Comme nous l’avons mentionné au deuxième
chapitre, des membres de la SPR avaient déjà identifié une
prévalence élevée d’expériences d’apparence hallucinatoire dans la
population générale.
Ces résultats ont depuis été confirmés et mettent en évidence que
près de 10 % de la population rapporte des expériences de cet ordre
(Johns et al., 2004). Elles sont souvent considérées par les milieux
académiques comme appartenant à un « phénotype psychotique »
sans expression pathologique (Os, Hanssen, Bijl & Ravelli, 2000 ;
Strauss, 1969). Van Os et al. (2000) ont ainsi étudié la prévalence
d’expériences proches de la psychose dans une population
composée de 7075 personnes issues de la population générale. Si
4,2 % des personnes ont rapporté des phénomènes délirants ou
hallucinatoires du registre psychiatrique, 17,5 % ont décrit des
expériences de ce type sans contexte psychiatrique. Johns et Van
Os (2001) en arrivent à la conclusion qu'il existe « des individus
normaux qui rapportent des expériences hallucinatoires dans des
circonstances ordinaires et les sondages montrent qu’il existe plus
de sujets qui en font l’expérience que de personnes qui sont en
contact avec les services médicaux et psychiatriques » (p. 1129).
Ces mêmes auteurs notent que les expériences psychotiques
pourraient ainsi concerner près de 8 % de la population générale,
dont 4 % développeraient des symptômes psychotiques et
seulement 3 % des troubles psychotiques à proprement parler (Van
Os et al., 2009). Les limites du phénotype psychotique ne seraient
donc pas réductibles au diagnostic clinique de psychose.
Richard Bentall (2000) explique pour sa part que « ces observations,
associées avec les observations qui supposent que les
hallucinations sont liées à un ou plusieurs continuums avec les états
mentaux normaux, interrogent le fait de savoir si les hallucinations
devraient toujours être considérées comme pathologiques » (p. 93).
Les personnes qui rapportent des expériences exceptionnelles
pourraient appartenir à cette catégorie de personnes décrivant des
phénomènes hallucinatoires sans expression d’un trouble mental
associé. Plusieurs études ont donc tenté de saisir ce qui les
différencie des hallucinations survenant dans un contexte
pathologique. On observe que l’aspect pathologique ne proviendrait
pas de l’hallucination en elle-même, mais plutôt de la façon dont le
sujet s’adapte à celle-ci comme le souligne à nouveau Bentall
(2000) :
« Il se pourrait que ce ne soit pas la nature de l’expérience hallucinatoire en elle-
même qui détermine si les personnes deviennent des patients psychiatriques ou non,
mais la façon selon laquelle les individus réagissent à leurs expériences » (p. 96).

Plusieurs modèles contemporains de l’hallucination permettent alors


de mieux les comprendre, venant éclairer en retour la clinique des
expériences exceptionnelles. De ce point de vue, la définition
originale des hallucinations par Esquirol (1832) – la perception d’un
objet en l’absence d’un objet à percevoir – semble dépassée et de
multiples modèles ont depuis été développés pour comprendre les
hallucinations sous les angles neurobiologiques, affectifs et cognitifs.
Salde et Bentall (1988) ont ainsi proposé la définition suivante de
l’hallucination :
« Toute expérience de type perceptif qui (a) se produit en absence d’un stimulus
approprié, (b) a un impact ou une force identique à la perception réelle
correspondante et (c) n’est pas réductible au contrôle volontaire ou direct de celui qui
la vit » (p. 86).

Ces hallucinations peuvent s’avérer aussi bien négatives que


positives. Certains sujets pourraient être dotés d’une « personnalité
schizophrénique » ayant une propension à vivre de telles
hallucinations sans pour autant développer les symptômes de la
schizophrénie. Celle-ci est alors considérée comme le point extrême
d’un continuum et non une pathologie correspondant à des
processus différenciés. Ces débats ont donné naissance au concept
de schizotypie déjà évoqué au premier chapitre. Certains modèles
de la schizoptypie supposent alors un continuum entre des
personnalités de type schizophrénique et des personnalités
baptisées « schizotypies saines » (Goulding, 2005) qui recouvrent
potentiellement la population composée de personnes rapportant
des expériences exceptionnelles.
D’autres recherches ont porté sur la phénoménologie des
hallucinations. Romme et Escher (1989) ont conduit dans cette
perspective différentes études auprès d’« entendeurs de voix » et
ont dégagé trois phases dans l’émergence des hallucinations
acoustico-verbales. Ils ont tout d’abord noté (1) une phase
d’apparition lors d’une période de perturbation émotionnelle. Le fait
d’entendre des voix engendre alors peur et anxiété. S’ensuit (2) une
phase d’adaptation à ces voix puis une (3) phase de stabilisation au
cours de laquelle certaines personnes parviennent à intégrer ces
voix comme faisant partie d’elles-mêmes et pouvant avoir une
incidence positive. Cependant, des difficultés d’adaptation
demeurent présentes dans près de deux tiers des cas quand les voix
sont perçues négativement. Le mouvement des entendeurs de voix,
qui propose d’aider ces personnes à s’adapter à ces voix, s’est
depuis largement développé1 face à une psychiatrie biologique qui
refuse souvent de donner aux hallucinations l’écoute et la dimension
subjective qu’elles nécessitent (Evrard & Le Maléfan, 2013).
Plusieurs modèles issus des neurosciences cognitives considèrent
pour leur part les hallucinations en fonction du « contrôle de réalité »
(reality monitoring), un processus appartenant de manière plus
générale au « contrôle de source » (source monitoring). Les
hallucinations seraient à considérer de ce point de vue comme la
conséquence d’une catégorisation inappropriée : le cerveau
interprète une perception interne, une représentation ou un souvenir
comme ayant une source externe (Bentall, 1990). Les hallucinations
résulteraient donc d’une altération du processus de jugement de
réalité pouvant être le fruit d’une défaillance des relations entre
processus top-down et bottom-up (Allen, Laroi, McGuire & Aleman,
2008). D’autres auteurs supposent qu’une hyperactivité de l’état de
repos (resting state) pourrait conduire à une perception externalisée
de l’expérience interne (De Masi, Davalli, Giustino & Pergami, 2015).
Une hyperactivité des zones perceptives serait également associée
à un déclin des fonctions cognitives supérieures ayant des
conséquences sur le jugement de réalité. Les hallucinations
représenteraient dès lors une « retraite psychique » (De Masi et al.,
2015 ; Steiner, 2003) dont le but serait de provoquer un évitement du
monde environnant afin de lutter contre l’anxiété suscitée par la
réalité (Delespaul, Van Os et al., 2002). Le sujet est alors coupé de
ses capacités adaptatives et relationnelles du fait des relations
antagonistes entre hallucinations et attention portée au monde
extérieur (De Masi et al., 2015). Plus largement, le rôle de
l’environnement et du contexte émotionnel semble crucial dans
l’émergence d’expériences hallucinatoires. Différents facteurs –
comme l’urbanisation ou la labilité familiale (Van Os, Hanssen, Bak,
Bijl & Vollebergh, 2003) – sont des éléments communs à
l’expression phénotypique psychotique et aux troubles psychotiques
cliniques. Les expériences exceptionnelles semblent également
influencées par ces facteurs (Tandy & Street, 2000), en particulier
les champs magnétiques faibles et les infrasons (Persinger, 2001).
Une « chambre hantée » a même été développée afin d’essayer de
reproduire ces éléments contextuels en conditions contrôlées
(French et al., 2008).
La dynamique émotionnelle et les croyances méta-cognitives auront
également un rôle important dans l’émergence des phénomènes
hallucinatoires. Quand les pensées du sujet ne sont pas en
adéquation avec ses systèmes de représentation – par exemple, des
pensées agressives à l’égard d’un proche – elles auront tendance à
être externalisées (Laroi & Linden, 2005) afin d’éviter un état de
dissonance cognitive (Festinger, 1957). Les émotions négatives sont
ainsi projetées vers l’extérieur et peuvent s’articuler aux processus
hallucinatoires (Laroi, DeFruyt, Os, Aleman & Linden, 2005). Ce
modèle cognitif et social des hallucinations rejoint les théories
psychanalytiques, et plus précisément le concept d’identification
projective définit par Mélanie Klein (1946) comme un processus qui
« dérive des pulsions anales et urétrales impliquant la projection des
substances dangereuses (les excréments) à l’extérieur du soi et à
l’intérieur de la mère » (p. 99). Mélanie Klein (1946) a souligné
l’importance de ce processus durant la phase schizo-paranoïde lors
de laquelle l’enfant projette d’une manière indifférenciée chez la
mère les mauvaises parties de soi et les pulsions agressives.
Les théories psychanalytiques insistent plus précisément sur le fait
que les champs perceptifs et hallucinatoires sont la conséquence de
relations subtiles entre pensées intrapsychiques et projection chez
l’autre. Wilfred Bion (1962) a montré comment certains patients
psychotiques sont terrorisés par des « objets bizarres » chargés
d’hostilité persécutante et fruits d’un défaut du processus de
symbolisation. Bion a ainsi étendu le concept d’identification
projective en soulignant le fait qu’il appartient à un processus normal
par lequel la psyché projette certaines parts d’elle-même dans le but
de les intégrer. Les recherches psychanalytiques contemporaines
ont étendu ce paradigme théorique et clinique aux relations entre
processus intrapsychiques et intersubjectifs (Roussillon et al., 2007).
Dans cette perspective, les neurosciences cognitives décrivent les
bases neurobiologiques de ces processus tandis que la
psychanalyse souligne leurs dimensions affectives et
intersubjectives. La clinique des expériences exceptionnelles met
alors en lumière d’une manière exacerbée ce jeu subtil entre
contenus intrapsychiques, projection externalisée et processus
hallucinatoires.
Les traumas ont également une forte incidence sur cette dialectique
entre dynamique intrapsychique et processus hallucinatoires. Dans
une étude longitudinale incluant 4000 sujets adultes issus de la
population générale, Janssen et al. (2004) ont montré que le risque
de symptômes psychotiques était dix fois plus important après un
abus dans l’enfance. Van Os et al. (2009) remarquent également
que les expériences traumatiques permettent de prédire l’apparition
d’états cliniques psychotiques transitoires. Sommer et al. (2010) ont
aussi trouvé une forte prévalence des traumas – en particulier les
abus émotionnels et sexuels – lors d’entretiens avec des patients
souffrant d’hallucinations auditives, la distinction essentielle entre
populations clinique et non clinique étant la nature négative de ces
hallucinations.
S’il existe effectivement un lien entre trauma et expériences
hallucinatoires, il est alors essentiel de déterminer si des formes
atténuées d’hallucinations sont les signes d’une psychose à venir et
les raisons pour lesquelles certains patients développeront une
psychose chronique (De Leede-Smith & Barkus, 2007). Ces travaux
ont progressivement donné naissance à la notion de « psychose
atténuée » qui vise à décrire de manière préventive les éléments
précurseurs d’un tableau psychotique, avec notamment pour objectif
de prescrire des antipsychotiques en amont d’une décompensation
éventuelle. Cependant, une telle approche peut conduire à de
nombreux « faux positifs », c’est-à-dire à détecter des personnes
comme étant à risque de psychose sans que cela n’advienne
réellement. Hanssen et al. (2005) soulignent à ce propos que
seulement 8 % des sujets présentant des symptômes psychotiques
transitoires maintiennent ces symptômes sur le long terme. Le risque
est également de faire rentrer dans ces catégories l’ensemble des
vécus inhabituels du registre des expériences exceptionnelles et
donc de les réduire au champ du pathologique (Evrard & Rabeyron,
2012 ; Evrard & Rabeyron, 2014).

ANALYSE STRUCTURALE
ET EXPÉRIENCES EXCEPTIONNELLES

Nous venons de voir comment les études épidémiologiques repèrent


la fréquence élevée d’expériences hallucinatoires dans la population
générale, ainsi que l’impact des traumas et des facteurs
environnementaux dans l’émergence de symptômes d’allure
psychotique. Cependant, bien que ces expériences hallucinatoires
aient la même apparence « en surface » que les troubles
psychotiques cliniques, elles semblent correspondre à des
processus sous-jacents hétérogènes. Une lecture plus fine de la
nature de ces processus hallucinatoires – et leur articulation avec les
expériences exceptionnelles – paraît alors nécessaire afin de mieux
en comprendre la logique et la dynamique.
Le modèle structural développé par Jacques Lacan (1932) améliore
grandement de ce point de vue l’analyse de la nature de ces
processus hallucinatoires. De manière à comprendre plus
précisément cette proposition théorique, il est tout d’abord
nécessaire de dire quelques mots du modèle lacanien de la
psychose (Lacan, 1981)2 afin d’en voir l’intérêt dans le champ des
expériences exceptionnelles. Dans ce modèle, une distinction est
habituellement faite entre le « retour du refoulé » – tel que décrit par
Freud (1895) et qui concerne la névrose – et la « forclusion
psychotique » proposée par Lacan (1966). Dans la névrose, le
refoulement produit des éléments refoulés qui font un retour dans la
conscience d’une manière déguisée, par exemple sous forme de
rêves ou de lapsus. Une illustration de ce type de processus
névrotique est donnée par Freud (1923) dans Une névrose
démoniaque au XVIIe siècle. Freud analyse les visions diaboliques du
peintre bavarois Christophe Haitzmann en réaction à la mort de son
père et à son besoin de trouver une position plus confortable du
point de vue matériel, ce qui le conduira finalement à rentrer dans
les ordres. Freud pense les hallucinations d’Haitzmann comme étant
de nature névrotique et considère qu’elles peuvent être interprétées
en utilisant les mêmes processus que ceux du rêve (Freud, 1900).
En revanche, dans la structure psychotique, le processus de
symbolisation est directement attaqué, conséquence du fait que « le
Nom-du-père » (Lacan, 1955), en tant que signifiant fondamental de
la castration, n’est pas intégré dans l’ordre symbolique du sujet – il y
a donc « forclusion du Nom-du-père » – produisant un « trou » dans
le processus de symbolisation lui-même3. Ainsi, le sujet se trouve-t-il
confronté à un effondrement de la chaîne signifiante et devient «
incapable de signifier différents aspects de son existence selon les
axes métonymiques et métaphoriques » (Redmond, 2013, p. 2). Des
éléments psychiques sont dès lors rejetés de l’ordre symbolique et
font un retour dans le réel hallucinatoire. Le sujet psychotique est
ainsi confronté à un « excès de réel » prenant la forme de
phénomènes « élémentaires » de la psychose (intuitions étranges,
hallucinations énigmatiques, intrusion du signifié). Il se trouve
également confronté à l’abysse terrifiant de la forclusion et doit être
en mesure de tolérer le contact au réel, le délire psychotique ayant
pour objectif de combler ce trou dans l’ordre symbolique. En
conséquence, la structure et le transfert psychotiques seront
spécifiques, de même que l’accompagnement psychothérapique
mené auprès de ce type de patients. De ce point de vue, Lacan
propose que le clinicien devienne le « scribe » ou le « secrétaire de
l’aliéné », de manière à juguler sa jouissance au contact du réel. Il
s’agit ainsi d’aider le patient à faire sens de son histoire sans
interpréter son propos comme avec un rêve. De cette manière, le but
du clinicien est de « faire rentrer l’excès de réel dans le réseau des
signifiants » (Brémaud, 2005, p. 697) en accompagnant le patient
dans la construction de « suppléances »4 visant à réguler un
équilibre psychique instable.
Ainsi, s’il existe une « capacité hallucinatoire » de la psyché aussi
bien dans la névrose que dans la psychose, notamment du fait
d’épisodes traumatiques, le contenu et la forme de ce qui est perçu
ainsi que leurs processus sous-jacents diffèrent. La psychose et la
névrose peuvent en effet toutes deux conduire à des phénomènes
hallucinatoires mais « les hallucinations névrotiques seront la
conséquence du retour du refoulé et sont ouvertes à l’interprétation,
mais non l’hallucination psychotique qui est produite par
l’automatisme mental » (Maleval, 2014, p. 9). Auprès d’un patient
rapportant des expériences exceptionnelles, le clinicien essaiera de
la même manière de déterminer la structure du patient en
« explorant le type de voix, le type de message, l’interprétation de
ces messages, les expériences antérieures, la stratégie
d’adaptation, le contexte d’émergence et les liens potentiels avec
l’histoire du sujet » (Maleval, 2014, p. 9). Ces distinctions
diagnostiques entre névrose et psychose rejoignent les débats qui
se sont tenus à la fin du XIXe siècle autour de la notion de « névrose
extraordinaire » proposée par Pierre Janet pour décrire le
fonctionnement psychique des médiums (Evrard, 2013). Pour Janet,
ce type de névrose concerne des patients de structure hystérique
dont les manifestations cliniques – délires et hallucinations – sont
habituellement référées à la psychose, distinction reprise par
Maleval (1981) entre délire psychotique et délirium névrotique. Le
délire psychotique concerne la forclusion du Nom-du-père tandis que
le delirium névrotique porte sur « une projection fantasmatique
focalisée sur le retour de l’imaginaire refoulé » (Maleval, 1981)
prenant la forme d’une « hystérie crépusculaire ».
Confirmant les intuitions de Janet, et poursuivant l’analyse
structurale de Lacan et Maleval, Geoffrey Spriet (2006) a comparé
les hallucinations de médiums avec les hallucinations de patients
psychotiques, mettant en évidence leurs différences à plusieurs
égards5. Geoffrey Spriet (2006) en arrive à la conclusion que la
structure psychique des médiums est le plus souvent de nature
névrotique. Renaud Evrard (2014, p. 286-287) a ensuite utilisé les
mêmes critères pour proposer une distinction entre « l’expérience
anomale du névrosé » (névrose extraordinaire) et « l’expérience
anomale du psychotique » (psychose extraordinaire) en fonction des
types de néologisme, de croyance, de dissociation, d’automatisme,
de voix, d’adresse de l’expérience, d’hypnotisabilité, d’influence de
l’environnement, d’anxiété, de projection et d’évolution du délire. Le
tableau ci-dessous, inspiré de ces différents travaux, reprend et
affine ces critères de différenciation selon que la structure du sujet
est de nature névrotique ou psychotique :
Tableau 4.1. Critères de distinction des structures
névrotique et psychotique
Ainsi, certains processus hallucinatoires pourront-ils apparaître aussi
bien dans la névrose extraordinaire que dans la psychose
extraordinaire. Dans les cas de névrose extraordinaire, les
phénomènes sont labiles et évolutifs. Ils se produisent
habituellement en état hypnoïde, concernent essentiellement des
aspects corporels et génitalisés et ne sont souvent pas associés à
une croyance ferme et définitive. Ces éléments apparaissent à l’âge
adulte dans les suites d’expériences traumatiques durant l’enfance.
Il s’agit donc d’une forme extrême de névrose dans laquelle les
éléments traumatiques ressurgissent de manière déguisée dans le
fonctionnement psychique du sujet. Ces éléments traumatiques ont
été clivés et gelés dans la psyché et font leur retour transformés et
métaphorisés dans le champ hallucinatoire. Il y aura donc, aussi
bien dans la névrose que dans la psychose, une expression
hallucinatoire d’éléments traumatiques non subjectivés dont
l’expression dépendra de la structure du sujet (Le Maléfan, 2001,
2014). Plus précisément, comme l’explique Maleval (1981) :
« L’hystérique ne parvient pas à accepter son corps sexuel, tandis que le psychotique
a des difficultés avec le langage […]. Le psychotique recherche une solution interne à
l’énigme de son être ; l’hystérique demande à l’Autre des solutions à son problème »
(p. 112)6.

On ne saurait réduire l’ensemble de la phénoménologie des


expériences exceptionnelles à cette grille de lecture7, mais celle-ci
offre néanmoins des points de repère dans la compréhension de leur
expression subjective, comme nous le verrons au dernier chapitre
lorsqu’il sera question de leur accompagnement psychologique.

ÉTATS MODIFIÉS DE CONSCIENCE ET ÉTATS HYPNOTIQUES


Les états modifiés de conscience sont également essentiels dans la
compréhension des expériences exceptionnelles et des processus
hallucinatoires, car ces derniers émergent le plus souvent lors de
ces états particuliers de la psyché. Djohar Si Ahmed (2009) note à
ce propos que le dénominateur commun à ces expériences est un
« régime de fonctionnement de la psyché – et donc de la conscience
[…] qui n’a, en ces circonstances, plus rien à voir avec le régime
habituel » (p. 298). Comme nous l’avons abordé au deuxième
chapitre, cette thématique fut largement étudiée par Mesmer avec le
magnétisme animal, puis par le Marquis de Puységur avec le
somnambulisme artificiel, ainsi que par Charcot et l’école de Nancy
avec l’hypnose. Ces différents courants de pensée témoignent du
fait que le sujet peut faire l’expérience d’un fonctionnement
psychique qui engendrera une modification de son comportement,
une variation de l’imagerie mentale et des manifestations
somatiques inhabituelles. Depuis, les recherches en ce domaine ont
permis de mieux comprendre la nature et les fonctions des différents
états de conscience (Etzel Cardeña & Winkelman, 2011 ; Vaitl et al.,
2005 ; Dehaene, 2014 ; Wittmann, 2018). De ce point de vue, l’état
de conscience « ordinaire » apparaît adapté à notre expérience
quotidienne, car il offre une stabilité suffisante de l’expérience
subjective. Cependant, son ouverture perceptive, ses capacités de
traitement de l’information et d’intégration psychique demeurent
limitées. Cet état se caractérise en outre par une certaine rigidité
cognitive associée à une appréhension de la réalité qui demeure
globalement restreinte.
Les états de conscience non ordinaires représentent pour leur part
des états de conscience transitoires et réversibles qui correspondent
à une configuration spécifique de l’expérience subjective, des
fonctions corporelles et du comportement. De nombreux contextes
d’émergence de ces états sont possibles : relaxation, méditation,
rêverie diurne, états hypnagogiques, hypnose, rêve, prise de
substances, état traumatique, activités sexuelles, jeûne, états
dissociatifs, maladie, etc. (Vaitl et al., 2005). On distingue
habituellement les états psychiques de ce type, qui sont transitoires,
des traits psychologiques qui concernent les transformations
durables de l’état de conscience (Tart, 2000). Studerus et al. (2016)
proposent quant à eux de distinguer à partir d’une analyse
psychométrique onze dimensions phénoménologiques qui
caractérisent les états modifiés de conscience, comme l’illustre le
schéma suivant :
Les différentes dimensions des états modifiés de
conscience

Les états modifiés de conscience peuvent aussi induire une relation


particulière entre le corps et la psyché (Cardeña & Winkelman,
2011). Certains sujets ont pu démontrer dans ces états une capacité
à influencer directement certaines propriétés de la peau et des
systèmes digestifs ou immunitaires (Jacobs et al., 2011 ; Mason,
1952). Par exemple, certains yogis parviennent à diminuer un
saignement, leur rythme cardiaque et leur fonctionnement
métabolique global (Raghavendra et al., 2013). Certains sujets
produisent également des effets analgésiques, diminuent leur
réaction au froid ou à l’inverse augmentent sensiblement leur
température corporelle (Rainville & Price, 2003). Les fonctions
perceptives et cognitives peuvent aussi être modifiées lors des états
modifiés de conscience. La sensibilité perceptive, la capacité à
discriminer des stimuli, les processus attentionnels et la mémoire
pourront être exacerbés (Full, Walach & Trautwein, 2013) de même
que la créativité, comme en témoignent les nombreuses découvertes
scientifiques et artistiques réalisées par leur intermédiaire (Cardeña
& Winkelman, 2011). Les effets thérapeutiques sont également bien
documentés pour différents troubles (dépression, anxiété, stress,
troubles du sommeil, syndromes post-traumatiques, troubles
alimentaires, douleur, etc.) (Goleman & Davidson, 2017). L’induction
d’états modifiés de conscience par des psychédéliques produit
également des effets bénéfiques (Carhart-Harris et al., 2018) et des
évolutions de la personnalité ont été rapportées suite à des
pratiques méditatives et la prise de psilocybine (Erritzoe et al.,
2018).
Sur le plan neurologique, les recherches faisant usage d’IRMf
démontrent que les zones cérébrales activées sous hypnose sont
proches de celles qui sont actives lorsque la même tâche est
effectuée dans la réalité (Oakley & Halligan, 2013). Les états
hypnotiques ne permettent donc pas seulement de revivre un
événement ou d’imaginer une nouvelle situation de manière réaliste,
ils tendent aussi à modifier des aspects visuels, auditifs et
kinesthésiques de l’expérience (Kosslyn, Thompson, Costantini-
Ferrando, Alpert & Spiegel, 2000). Par exemple, des sujets peuvent
placer leur main dans de l’eau très chaude sans inconfort en état de
suggestion hypnotique (Rainville et al., 1999). En outre, des
observations cliniques montrent non seulement la facilité avec
laquelle l’esprit humain peut basculer d’un état de conscience à un
autre, mais aussi à quel point la réalité psychique évolue et se
modifie en fonction de ces états (Cardeña & Winkelman, 2011). La
tendance à l’hypnotisabilité pourra fluctuer selon la situation. Par
exemple, les personnes en fin de vie sont plus facilement
hypnotisables (Spiegel, 1985). Quand la réalité paraît trop
contraignante, certaines personnes deviennent ainsi plus sensibles
aux états modifiés de conscience, ce que montre également la
clinique des expériences exceptionnelles.
Parmi ceux qui se sont centrés sur les potentialités thérapeutiques
des états modifiés de conscience, François Roustang (1994) nous
semble être l’un des meilleurs théoriciens de l’hypnose. Celui-ci
propose de considérer les états hypnotiques comme une « veille
paradoxale » (p. 18) qui emprunte au rêve « la possibilité de vivre en
images des situations passées, présentes et futures, c’est-à-dire de
produire ce qui ressemble à des hallucinations par des modifications
de l’espace, du temps et des circonstances » (p. 20). Nous revenons
ainsi lors de l’état hypnotique à un état premier au plus près de
nous-mêmes et nous sommes paradoxalement davantage
conscients de notre réalité psychique, même si cela implique d’être
moins éveillé, d’où l’expression de « veille paradoxale »8. Cet état
permet d’avoir accès à ce qui est habituellement « maintenu dans
l’obscurité, ce que l’on pourrait dire endormi dans la veille et qui se
trouvera éveillé dans les moments de veille paradoxale […], une
condition cachée de la veille, comme veille trop vaste pour pouvoir
rester éveillé » (p. 46). Roustang (2003) propose d’appeler
« perceptude » ce mode de perception primaire en tant que premier
rapport au monde faisant retour lors de l’hypnose et fait ainsi
l’hypothèse que « l’être humain disposerait de deux sortes de
perceptions : l’une première et fondamentale qui ferait l’unité des
successions de blancs et de pleins, et l’autre seconde et secondaire
qui s’arrêterait aux pleins pour les distinguer et les objectiver »
(p. 141). Roustang distingue ainsi perception atomiste et perception
holistique, veille restreinte et veille généralisée, perception et
perceptude. Cette dernière serait à l’œuvre lors des expériences
exceptionnelles et mènerait à un développement inhabituel de
l’associativité et la symbolisation de manière générale. En effet,
toujours selon Roustang :
« L’hypnose […] libère un pouvoir inné, celui d’organiser le monde pendant le jour. Il
s’agirait, par l’état hypnotique, de revenir non pas à une forme de relation pré-
langagière, mais à une potentialité qui s’affirme dès la naissance et qui va déterminer
le rapport au monde tout au long de l’existence » (p. 14).

Les vertus symboligènes des expériences exceptionnelles


proviendraient alors de la réappropriation de ce « pouvoir architecte
du monde ».

FOND HALLUCINATOIRE DE LA PSYCHÉ


ET FIGURABILITÉ PSYCHIQUE

La psychanalyse propose également une lecture originale des états


modifiés de conscience à partir des théories portant sur la figurabilité
psychique. Rappelons que l’hallucination apparaît tout d’abord chez
Freud comme un phénomène universel et primitif au fondement des
représentations mentales en fonction de la satisfaction hallucinatoire
du désir. Freud (1900) suppose ainsi que le besoin réactive chez
l’enfant les traces mnésiques de l’expérience de satisfaction, créant
une hallucination analogue à la perception :
« La réapparition de la perception est l’accomplissement du désir, et l’investissement
total de la perception depuis l’excitation du besoin est le chemin le plus court vers
l’accomplissement du désir. Rien ne nous empêche d’admettre un état primitif de
l’appareil psychique où ce chemin est réellement parcouru et où le désir, par
conséquent, aboutit en hallucination. Cette première activité psychique tend donc à
une identité de perception, c’est-à-dire à la répétition de la perception, laquelle se
trouve liée à la satisfaction du besoin » (p. 481).

Le désir apparaît ainsi comme une forme d’investissement


hallucinatoire du souvenir de la satisfaction sur le mode de l’identité
de perception. Ferenczi (1913) reprendra plus largement ces
conceptions concernant la vie infantile pour expliquer la « toute-
puissance des pensées » qu’il appelle « période de toute puissance
hallucinatoire magique » ou « stade hallucinatoire ». Dans la
métapsychologie psychanalytique, cette phase hallucinatoire du
développement psychique s’articule progressivement au principe de
réalité permettant à l’enfant de lier monde interne et monde externe.
Winnicott (1971) a montré plus précisément la coexistence de
l’hallucination interne du nourrisson et la satisfaction hallucinatoire
externe au sein d’un espace d’illusion appelé « aire transitionnelle ».
L’enfant peut ainsi, grâce à une mère « suffisamment bonne »,
s’émanciper d’une dyade mère-enfant offrant une satisfaction
immédiate de ses besoins et construire un monde interne qui
s’articule harmonieusement au monde externe par le biais des
processus de l’ordre du « trouvé-créé ».
Le rêve apparaît de ce point de vue comme un reste de ce
fonctionnement hallucinatoire du psychisme régi sur le mode de la
réalisation hallucinatoire du désir. La régression onirique conduit
ainsi à une résurgence de l’identité de perception entre les images
associées au désir et leur satisfaction hallucinatoire. Il s’agit d’une
régression topique à un fonctionnement primitif du fond
hallucinatoire de la psyché. Freud (1900) avance également l’idée
que ce fonctionnement du rêve se retrouve dans certaines
« psychonévroses de défense » comme l’hystérie :
« Pour les hallucinations de l’hystérie, de la paranoïa, pour les visions des normaux,
je puis donner une explication : elles correspondent effectivement à des régressions,
c’est-à-dire qu’elles sont des pensées transformées en images, et seules subissent
cette transformation les pensées qui sont en relations intimes avec des souvenirs
réprimés ou demeurés inconscients » (p. 462).

Cette explication fait écho à ce que l’on observe dans le champ des
expériences exceptionnelles et qui relèverait donc de cette
régression au fond hallucinatoire de la psyché. Ces théories ont été
affinées par les modèles psychanalytiques ultérieurs avec la notion
d’hallucinatoire en tant que « fondement de la dynamique
transformationnelle représentation-perception hallucinatoire »
(Mijolla, 2002, p. 758). César et Sara Botella (1990) proposent de le
définir ainsi :
« Par hallucinatoire, nous entendons un état de qualité psychique potentiellement
permanent formé de continuité, d’équivalence, d’indistinction représentation-
perception ; où le perçu et le percevant, le figuré et le figurant ne font qu’un […].
Habituellement l’hallucinatoire prend part le jour à certains processus psychiques
quotidiens : il sous-tend la figurabilité diurne de la même manière qu’il sous-tend le
rêve nocturne ; il participe à la vivacité des souvenirs, de même qu’il contribue à
éveiller le sentiment d’évidence de conviction […]. Ce serait le ratage, la faille ou
l’absence des instances régulatrices et freinatrices de l’hallucinatoire qui pourrait
colorer celui-ci d’un aspect pathologique » (p. 59).

Green (1993) a également affiné ces théories des processus de


figurabilité psychique afin de mieux saisir les liens qui les unissent. Il
suppose que nous développons dans la petite enfance un espace de
représentation interne dans la rencontre avec l’environnement
maternel. La mère devra en ce sens être hallucinée négativement9
par l’enfant afin que celui-ci ne soit pas entièrement pris dans les
perceptions du monde environnant et puisse développer ses
représentations internes. Il existe donc une interrelation complexe
entre hallucinations négatives (la capacité à ne pas percevoir un
objet) et hallucinations positives (la capacité à produire une
représentation de l’objet en son absence). Les expériences
exceptionnelles apparaissent de ce point de vue comme une forme
de « débordement » du cadre de l’hallucinatoire et un effet des
fluctuations, voire des échecs, du système hallucinatoire qui découle
de la dialectique hallucinatoire négatif – hallucinatoire positif.
Botella et Botella (2001) ont souligné l’importance des liens entre
ces processus de figurabilité et les événements traumatiques en
montrant comment les régressions qui se produisent parfois en
analyse permettent au patient de figurer de manière hallucinatoire
des éléments traumatiques. Il se produit alors des « accidents de
pensée » dus à une forme de collusion de la pensée du patient et de
l’analyste comme nous le verrons plus en détail au septième
chapitre. Les expériences exceptionnelles seront considérées de ce
point de vue comme une forme particulière de ces accidents de
pensée se produisant en dehors du dispositif analytique. Elles
représentent une hallucination figurative, par l’intermédiaire d’un état
hallucinatoire, donnant naissance à une première forme de
représentation aux événements traumatiques10. L’hallucinatoire
apparaît ainsi comme le négatif du trauma. Les Botella font
également le lien entre ces états traumatiques du Moi, les moments
d’étrangeté qui leur sont associés et les « hallucinations
accidentelles chez les gens sains » décrites par Freud. Ils en
arrivent à l’idée que :
« Toute la question porte alors sur le “quasi-hallucinatoire”, sur l’hallucination
accidentelle non psychotique, c’est-à-dire sur les possibilités de manifestations hors
de l’état psychique de sommeil, d’une régression hallucinatoire type rêve nocturne
[…] il existe donc une capacité normale du psychisme pour l’expression
hallucinatoire, celle du rêve de la nuit, qui est en permanence freinée, le jour, par la
nécessité de maintenir l’épreuve de réalité. Cette qualité hallucinatoire ne serait pas
la conséquence d’un rejet ou “d’une abolition à l’intérieur”, mais une capacité de
régression de la pensée se rapprochant le jour de la forme d’un “état primitif de
l’appareil psychique où le désir aboutit en hallucinatoire”, et dont le rêve nocturne est
un reliquat » (p. 80).

La clinique des expériences exceptionnelles donne une illustration


frappante de cette capacité hallucinatoire du psychisme dont la
dimension régrédiente permet d’invoquer l’irreprésentable. Comme
le souligne Claude Janin (2001), « la régrédience est un des moyens
par lesquels le négatif, le clivé devient accessible » (p. 1259). Il
existe donc, au fond du psychisme, une « position hallucinatoire »
(Jeanneau, 2001), une « matrice primordiale des investissements à
venir » (Janin, 2001) qui permet, par certains mouvements de
régrédience, le retour d’éléments clivés à la faveur d’expériences
exceptionnelles. Ainsi, de même que les travaux mentionnés
précédemment sur les hallucinations, ces théories conduisent à
dépathologiser les processus hallucinatoires associés aux
expériences exceptionnelles. Ceux-ci représentent alors des
fluctuations normales de l’hallucinatoire, comme l’illustre cette
vignette clinique en contexte de deuil :

Cas clinique : Ameline


Ameline nous contacte suite à une vision qu’elle a eue deux ans auparavant et
qu’elle aimerait mieux comprendre. Après le décès de son père, elle s’est rendue sur
une montagne pour disperser ses cendres. Elle est restée un moment « pour lui
parler ». C’est alors que des « points lumineux » sont apparus durant une dizaine de
minutes. Elle se sentait, à ce moment-là, particulièrement sereine. Ameline décrira en
détail ses tentatives pour trouver une explication (vélos, randonneurs, etc.) d’autant
qu’elle avait tendance à chercher des signes de son père sans y croire véritablement.
Elle associe cela au fait qu’elle a rêvé à plusieurs reprises de son père qui souriait
avant de voir ces lumières. Elle se dit assez sceptique même si elle aimerait bien que
de telles communications puissent exister. Elle note aussi que son deuil se fait
« bizarrement », car elle pleure peu, ayant l’impression « que ce deuil ne se fait
pas ».

L’apparition survient ici chez une personne qui ne souffre pas de


troubles psychotiques manifestes. Le cas d’Ameline évoque les
analyses de Cognet (2007) à propos de la description, par François
Mauriac, d’un ressenti étrange de l’ordre du « quasi hallucinatoire »
après le décès de son père. Il s’agirait d’une tentative de pallier
l’absence du père par une création hallucinatoire. Ces hallucinations
peuvent être pensées comme une forme de « débordement » du
cadre de l’hallucinatoire interne, de l’hallucinatoire négatif, sous le
coup d’angoisses de séparation survenant en contexte de deuil. Il se
produit alors une hallucination obéissant au principe de satisfaction
du désir. Freud (1895) avait déjà repéré ce phénomène chez Anna
O., décrivant l’apparition d’hallucinations suite à la mort de son père.
Freud suppose que l’hallucination peut alors émerger sur de courtes
durées par l’intermédiaire d’une régression allant « de la
représentation d’objet surinvestie à la perception ».
Freud (1915) évoquera plus tard le terme de « psychose
hallucinatoire de désir » lorsque l’hallucination est conçue comme un
moyen de garder un lien avec l’objet perdu. Il indique plus
précisément que « la psychose de désir de la confusion mentale
hallucinatoire aiguë est la réaction à une perte que la réalité affirme,
mais que le Moi doit nier (Verleugnung) parce qu’il la trouve
insupportable » (p. 144). L’hallucination permet donc de nier la perte
de l’être cher, mais également de représenter les aspects
traumatiques de cette expérience, comme le remarque Jimena
Garcia Menendez (2006) à partir de plusieurs cas d’hallucinations
dans le cadre du processus de deuil. Par exemple, Pervenche dit
percevoir régulièrement des « fantômes et des anges » depuis
qu’elle a perdu un enfant en bas âge. Il s’agit alors d’halluciner l’être
perdu de façon à lui dire un dernier au revoir. Ces expériences
représenteraient dans cette configuration une forme spécifique de
défense face au deuil et la clinique infantile des hallucinations non
psychotiques mène d’ailleurs à la même hypothèse (Askenazy et al.,
2009). Ces processus hallucinatoires ont donc une dimension auto-
calmante qui participe des fonctions psychiques de la solution
paranormale. Doit-on alors considérer ces manifestations comme un
destin pathologique de deuil ou, au contraire, un mécanisme
pouvant favoriser son élaboration ?
Pour Jean-Paul Matot (2003), les apparitions peuvent clairement
participer au travail de deuil11. Il souligne ainsi « l’extraordinaire
pouvoir du visuel, qui est d’atténuer la douleur du deuil par
l’omniprésence intemporelle, inaltérable, d’une représentation
interne intimement conjointe à une figuration externe » (p. 138).
Matot se demande plus précisément « s’il n’existe pas, entre le
développement d’une psychose hallucinatoire de désir et le
déplacement de la libido vers un nouvel objet, des formes de
passage intermédiaires ? » (p. 146). Il décrit également un « objet de
deuil » qui « peut être défini comme le lieu d’une émergence, de
nature transitionnelle, d’une figure intermédiaire entre perception et
représentation, qui est à la fois présente et absente, et assure, au
sein du processus de deuil, la continuité de l’investissement objectal
par la promesse d’autre chose derrière » (p. 152)12. Certaines
apparitions teintées d’inquiétante étrangeté semblent ainsi
représenter une forme particulière de ces objets de deuil qu’il
conviendra de pouvoir accueillir, comme le propose Ignacio Melo
(2005) :
« Il s’agit d’accueillir l’hallucinatoire du patient sans le soumettre au tamis de
l’épreuve de réalité, mais comme l’expression directe et imagée de désirs et de
défenses qu’il n’arrive pas à penser. Le but serait de reconstituer les conflits auxquels
l’hallucination apportait une prétendue solution en utilisant pour cela les constituants
mêmes de cet hallucinatoire » (p. 254).

Il arrive aussi que ces apparitions soient très angoissantes comme


l’illustre le cas d’Anaïs (cf. p. 120120). L’hallucination de l’être perdu
apparaît alors profondément inquiétante et le processus de deuil ne
peut s’effectuer dans de bonnes conditions, les disparus faisant
inlassablement leur retour dans la vie psychique du sujet sur le
mode de la compulsion de répétition. Ainsi, comme le remarque
Madji Sali (2001), « ce que la réalité hallucinatoire de la satisfaction
n’a pas pu retenir et qui lui échappe va venir harceler la
subjectivité » (p. 1393). Jean-Paul Matot (2003) souligne également
à ce propos :
« [La] disparition de l’objet externe remet en tension l’alliage du représenté et du réel
traumatique au sein de l’objet interne inclus dans le Moi : que cet alliage vienne à se
défaire et voici le moi confronté à une inclusion traumatique, qui lui “tombe” dessus,
et qu’il lui faut traiter ou évacuer » (p. 146).
Ces dynamiques hallucinatoires ne sont pas restreintes aux
situations de deuil et il arrive que l’ensemble de la vie psychique soit
régie sur ce mode comme dans le cas de Kyra déjà évoqué
précédemment (cf. p. 88 et 97) :

Cas clinique : Kyra


Kyra entend parfois des voix. La première fois, cela s’est produit alors qu'elle lisait et
elle s’est demandé si elle n'avait pas oublié d'éteindre la radio. Elle a entendu la
phrase suivante : « Tiens Patrick, qu'est-ce que tu fais là ? ». Elle avait l'impression
que deux « petites personnes » parlaient devant son oreille. Elle a eu aussi à
plusieurs reprises le sentiment d'entendre parler une langue étrangère. Elle n'en a
parlé à personne et s’est dit qu'il devait s'agit de perceptions d'un « autre monde ».
Elle a également pu entendre « toc toc toc » chez ses grands-parents alors qu'elle
regardait la télévision. Elle a aussi eu des visions à plusieurs reprises, en particulier
lors d'états où elle ne sait pas si elle est éveillée ou endormie. Il y a un an, elle s’est
ainsi réveillée dans son appartement et des boules roses « dansaient ». Lorsqu'elle a
ouvert à nouveau les yeux une heure plus tard, elles étaient encore là. Un autre
exemple : après une consultation éprouvante chez son thérapeute au cours de
laquelle elle se dit confrontée « à la question de la mort », elle perçoit « un gros truc
lumineux ». Éblouie, elle sait alors instantanément « qu’elle ne mourra jamais ». Ces
visions étaient également présentes dans l'enfance. Par exemple, elle a vu une
femme vêtue d'une robe blanche lui disant « C'est fini ». Kyra pense que ces
expériences sont la conséquence d'entités qui peuvent prendre son énergie et qui
ont été si nombreuses à une époque que son appartement ressemblait à « une
auberge de jeunesse ». Un géobiologue lui a d’ailleurs rendu visite et a confirmé la
présence de ces entités.

Ces processus hallucinatoires présentent des configurations


cliniques très variées. Il peut s’agir, par exemple, de l’expression
métaphorique d’une pensée, comme Annette qui voit soudainement
une « aura grise » autour d’un homme qui traverse une période
difficile. Ces hallucinations peuvent aussi être le fruit d’une forte
suggestibilité, comme chez Agathe qui voit une forme blanche dans
le ciel après avoir regardé une émission sur les ovnis. Quant à
Adèle, elle voit des « silhouettes colorées » tandis qu’elle rend visite
à une amie à l’hôpital.
Il arrive que ces hallucinations aient pour origine un percept ambigu
qui constitue le support de l’hallucination. Ceci est fréquent lors des
phénomènes de « paréidolie » auditive13 et visuelle (cf. p. 35) qui
mettent en évidence le travail de construction hallucinatoire entre
représentation et perception. Les perceptions semblent envahies par
la réalité interne. Nous sommes alors davantage dans le champ de
l’illusion, comme dans le cas de Maurice qui voit le visage d’un oncle
décédé sur les photos prises avec un Polaroïd. Il est fréquent que
des personnes nous adressent ainsi des photographies ou des
enregistrements pour lesquels elles pensent déceler une influence
paranormale liée le plus souvent à des proches disparus, comme
dans le cas de Miguel :

Cas clinique : Miguel


Miguel se trouve en situation difficile après avoir surpris l'un des employés des
pompes funèbres au sein desquelles il travaillait en train de « violer une morte ». Il
est encore très perturbé par cet événement, d’autant qu’il a été licencié après en
avoir parlé. Il vit depuis de nombreuses expériences exceptionnelles. Cette situation
est renforcée par des affects dépressifs depuis le décès de son père. Miguel explique
ainsi que, lorsqu’il est chez lui, la lumière s'allume toute seule et des coups sont
frappés à la porte alors que personne n’est présent. La télévision s'est mise en
marche à plusieurs reprises (en particulier quand il pleurait) sans qu’il en trouve la
cause et son téléphone sonne sans que personne ne soit au bout du fil. Il précise que
des phénomènes du même ordre se seraient produits quand il était adolescent. Un
ami artiste lui a dit récemment penser « qu'il y avait quelqu'un » et Miguel s'est donc
demandé si cette entité souhaitait entrer en contact avec lui. Il a utilisé en ce sens un
enregistreur pour pratiquer de la transcommunication instrumentale et a ainsi obtenu
près de « soixante-dix voix ». Il se demande ce qu'il doit en faire et souhaiterait que
ces enregistrements soient authentifiés comme étant paranormaux. Sur l’un d’eux, il
pense avoir reconnu la voix de son père. Miguel nous a transmis plusieurs de ces
enregistrements dont la nature ne paraît pas dépasser celle d’un simple phénomène
de paréidolie auditive. Quelques éléments sont cependant plus audibles qui
ressemblent à sa propre voix. On peut notamment entendre que « ce qui se passe
sur Terre n'est qu'un passage ». Ces voix sont très importantes pour Miguel qui s’est
même converti à l’Islam à partir du message transmis par certaines d’entre elles.

Ce type de phénoménologie, qui semble essentiellement du registre


de l’illusion, a pris des proportions étonnantes avec la multiplication
sur Internet de sites dédiés aux photos paranormales et en
particulier aux « orbs ». Ces dernières correspondent à des formes
habituellement arrondies et lumineuses présentes sur certaines
photographies, conséquences le plus souvent de la rencontre du
flash de l’appareil avec des grains de poussière ou de l’humidité.
Nombreux sont ceux qui les interprètent comme la manifestation
d’esprits désincarnés.
Dans ces différentes configurations, il n’existe alors pour le sujet
plus de délimitation claire entre imaginaire et réalité, ce que
Suzanne Ferrières-Pestureau (2007) aborde du point de vue de
l’émergence de l’hallucinatoire chez les créateurs. Elle décrit en
détail ce mécanisme chez Sabine, une patiente qui voit des formes
grimaçantes surgir de la contemplation d’une fente dans un mur.
Ferrières-Pestureau en arrive à la conclusion que le « le retour
hallucinatoire et l’ouverture d’un espace d’illusion [sont] propices au
déclenchement du processus créateur » (p. 105). Il semble que ce
processus soit exacerbé lors des expériences exceptionnelles,
donnant une illustration supplémentaire de la façon dont la réalité se
forme selon les mécanismes du « trouvé-créé » à la rencontre entre
réalité interne et réalité externe. Dans certains cas, ces illusions sont
si fortes, du fait des enjeux psychiques, que le rapport à la réalité
devient très ténu. Dans une analyse des photos spirites du début du
e
XX siècle, Laurie Laufer (2007) rappelle ainsi comment un soldat
inconnu, Anthelme Mangin, revenu du front après 1918, en bonne
santé mais entièrement amnésique, fut reconnu par des centaines
de familles malgré des différences flagrantes entre le physique de ce
soldat et celui de leurs proches dont ils étaient sans nouvelles.

Notes
1. Voir sur ce sujet le réseau des entendeurs de voix (REV) :
www.revfrance.org. Il existe des recoupements entre la clinique
rencontrée au sein du service de consultation de CIRCEE (cf.
chapitre 10) et le REV même s’il nous semble que le REV touche
davantage une population composée de patients ayant fait
l’expérience de la psychiatrie.
2. Nous ne pouvons décrire ici que partiellement ce modèle étant
donné sa complexité et nous nous restreindrons à l’éclairage qu’il
offre sur les relations entre expériences exceptionnelles et structure.

3. Une métaphore aidera à comprendre la différence entre névrose


et psychose en fonction de l’intégration ou non du Nom-du-père : la
névrose correspond à un « accroc » dans le tissu psychique qu’il est
possible de « repriser » par l’interprétation des conflits psychiques
sous-jacents ; la psychose relève en revanche d’un défaut
fondamental de la structure même du tissu psychique et de son
organisation qui engendre donc un « trou » trop grand pour être
reprisé.

4. Pour reprendre la métaphore du tissu psychique, les suppléances


viennent consolider le tissu autour du trou afin d’éviter que
l’ensemble du tissu ne se désorganise.

5. Par exemple, un patient psychotique aura l’impression spontanée


de recevoir un « appel de Dieu » tandis que le médium sera le plus
souvent à l’origine de cet « appel à Dieu ».

6. Pour une comparaison de ces différents critères entre cas


cliniques relatifs à la névrose extraordinaire et la psychose
extraordinaire, nous invitons le lecteur à comparer par exemple les
cas d’Hélène page 88 (névrose extraordinaire) avec ceux présentés
en page 323 (psychoses extraordinaires).

7. Sur le plan psychopathologique, cette classification propose en


effet une lecture qui distingue la névrose de la psychose, mais
d’autres critères, que nous ne développerons pas ici, pourraient
également s’avérer pertinents concernant la perversion, les
problématiques psychosomatiques et les états-limites.

8. Roustang note en outre que « nous sommes en permanence en


état d’hypnose dans la mesure où la veille généralisée, même
recouverte, demeure toujours à l’œuvre dans l’existence humaine
(p.52) ». Il rejoindrait en ce sens les observations antérieures de
Bion (1962) concernant le rêve considéré par ce dernier comme
étant toujours présent en toile de fond de la psyché.

9. L’hallucination négative est l’inverse d’une hallucination dite


« positive ». Elle est définie par Green comme « la non-perception
d’un objet ou d’un phénomène psychique perceptible » (2005,
p. 216). Voici un exemple frappant d’hallucination négative proposé
par Bernheim en 1891 : « Un jour, je me trouvais chez le docteur
Liébault : il suggéra à une femme endormie – ce n’était pas une
hystérique – qu’à son réveil elle ne me verrait plus, je serais parti,
ayant oublié mon chapeau. Avant de partir, elle prendrait mon
chapeau, le mettrait sur sa tête et me l’apporterait à mon domicile.
Quand elle se réveilla, je me plaçai en face d’elle. On lui demanda :
« Où est le docteur Bernheim ? » Elle répondit : « Il est parti ; voici
son chapeau ». Je lui dis : « Me voici, madame, je ne suis pas parti,
vous me reconnaissez bien ». Elle ne répondit rien […]. Réveillée,
elle me cherche ; j’ai beau me montrer, lui corner à l’oreille que je
suis là, lui pincer la main qu’elle retire brusquement sans découvrir
l’origine de cette sensation ; les dames présentes lui disent que je
suis là, que je lui parle ; elle ne me voit pas et croit que ces dames
veulent se moquer d’elle ».

10. Ces processus hallucinatoires sont associés à une sensibilité


exacerbée à l’environnement qui peut expliquer l’influence
d’éléments culturels dans leur expression (par exemple, la forme des
extraterrestres dans les expériences d’abduction).

11. Un dispositif favorisant de telles apparitions était d’ailleurs utilisé


par les Grecs qui le dénommaient « psychomanteum », dispositif
remis au goût du jour récemment (Si Ahmed & Mercier, 2001).

12. Ce que nous pourrions rapprocher des « objets de perspective »


décrits par Guy Rosolato (1987) situés entre le visible et l’invisible, le
connu et l’inconnu.

13. Pour un exemple de paréidolie auditive, voir par exemple cette


vidéo de l’hymne national russe « sous-titré » en français :
https://www.youtube.com/watch?v=WM5H1KthhUU&t=13s
Chapitre 5

Les formes primaires


de symbolisation et le psi

« Ce qui suit est spéculation, une spéculation remontant souvent bien loin et que tout
un chacun prendra en compte ou négligera selon sa position particulière. C’est aussi
une tentative pour exploiter de façon conséquente une idée, avec la curiosité de voir
où cela mènera. »
Sigmund Freud, Au-delà du principe de plaisir

Après l’analyse de la perméabilité psychique et des processus


hallucinatoires, nous allons poursuivre notre exploration des
différents facteurs associés à la solution paranormale en étudiant les
liens entre expériences exceptionnelles et processus de
symbolisation. Cela nous conduira en premier lieu à penser
certaines de ces expériences comme des formes d’expressions
primaires du processus de symbolisation. Nous verrons ensuite, à
partir des travaux contemporains sur les perceptions psi, comment
les expériences exceptionnelles interrogent la nature profonde du
réel et son lien avec la psyché.

MÉTABOLISATION PSYCHIQUE
ET SYMBOLISATION PRIMAIRE

Les théories de la métabolisation psychique décrivent la manière


dont la « matière psychique première » (Freud, 1900) est l’objet de
divers processus de symbolisation jusqu’à donner naissance à
l’expérience consciente. Elles concernent différentes formes de
« proto-représentations » situées entre le biologique et le psychique
et invoquées dans les formes limites de la subjectivité. Piera
Aulagnier (1975) a proposé dans cette perspective une vision
originale de l’articulation entre le soma et la psyché en repérant trois
niveaux de métabolisation de la matière psychique : (1) le stade
originaire, donnant lieu à une forme originaire de représentation
appelée pictogramme ; (2) la représentation de chose ou
phantasme, correspondant aux processus primaires ; (3) la
représentation de mots ou énoncés relatifs aux processus
secondaires. Ce travail de métabolisation, toujours à l'œuvre en toile
de fond de la psyché, obéit à la contrainte de représenter
l’expérience du sujet en réaction aux excitations venues des mondes
interne et externe. Il permet de construire les premières « briques »
de pensée en étayage sur le corporel. Par exemple, le pictogramme
d’agrippement correspond à une indifférenciation entre la main et
l’objet qui permet de construire la conception d’un appui solide et de
lutter contre des angoisses de chute.
Didier Anzieu (1987) a également décrit les formes primaires de
symbolisation avec le concept de « signifiant formel » désignant les
premiers contenant de la vie psychique pouvant conduire à des
avatars pathologiques1. Anzieu les définit comme des
« représentants psychiques, non seulement de certaines pulsions,
mais des diverses formes d’organisation du Soi et du Moi. À ce titre,
ils semblent s’inscrire dans la catégorie générale des représentants
de choses, et plus particulièrement des représentations de l’espace
et des états des corps en général » (Anzieu, 1974, p. 1). Ce sont des
images du corps proprioceptives ou tactiles, kinesthésiques2, qui ne
peuvent être refoulées, situées à la jointure entre inconscient et
préconscient et se présentant sous forme de syntagmes verbaux
dans une indifférenciation du corps et de l’environnement extérieur. Il
n’y a donc pas de sujet dans les signifiants formels.
Les signifiants formels pourront avoir une dimension pathologique
quand leur intégration ne se fait pas convenablement comme
l’illustre le cas de Kyra (cf. p. 97). Le sujet tend alors à reproduire de
manière énigmatique certains vécus subjectifs ou comportements
qui signent l’échec de l’intégration de ces premières formes de
métabolisation psychique. Par exemple, un jeune homme âgé d’une
vingtaine d’années évoque en consultation des crises d’angoisse
dont il a des difficultés à parler (Rabeyron, 2018). Il parvient
finalement à décrire cette expérience, non sans peine, expliquant
que durant ces épisodes de grande souffrance, il a le sentiment que
« ça explose et ça se condense en même temps »3. À l’image des
signifiants formels, cette expérience est décrite au présent et sans
sujet avec un pronom « ça » impersonnel. Elle définit un vécu
corporel relevant potentiellement d’une faillite des premiers
contenants psychiques selon une organisation paradoxale qui sera
parfois interprétée sous le sceau du paranormal. Certains créateurs,
comme Henri Michaux4 (Brun, 1999), travaillent également avec ces
pictogrammes qu’ils tentent de représenter dans un espace d’illusion
entre perception et processus hallucinatoires :
« Tout le problème de Michaux écrivain qui cherche à rendre compte de ces
éprouvés sera de traduire en images et en mots ces éprouvés hallucinatoires qui
relèvent souvent de la représentation pictographique. Il ne pourra ressaisir ces
expériences qu’en leur donnant une texture fantasmatique, proche d’un scénario,
fondé sur la sensation liée au pictogramme » (p. 130).

Dans la même optique, René Roussillon (1999, 2015) a proposé une


distinction entre symbolisations primaire et secondaire. Le premier
niveau de transformation psychique (la symbolisation primaire)
concerne essentiellement des expériences archaïques non verbales,
tandis que le second niveau de transformation (la symbolisation
secondaire) porte sur la transcription verbale des expériences
subjectives5. Un déficit d’intégration de l’expérience relative à ces
niveaux de transformation psychique conduira à différentes formes
d’expression de la souffrance humaine. Certaines expériences
exceptionnelles pourraient correspondre à l’expression de ces
premières formes de métabolisation psychique. Par exemple, si
nous reprenons notre analyse de The Ring (cf. p. 80), la vidéo qui
est l’objet supposé d’un effet psychokinétique peut être interprétée
comme une succession de plusieurs signifiants formels6. Cette
fiction montre comment le paranormal et le processus créateur ont
une affinité particulière avec ces premières formes de symbolisation.
Nous nous situons alors dans ce que José Bleger (1967) appelle le
« noyau agglutiné »7 dont certaines expériences exceptionnelles
seraient l’expression paroxystique menant à l’intrusion inopinée de
vécus inhabituels dans le champ de la conscience8. Nous rejoignons
également ce que décrit Tobie Nathan (1990) à propos des
« contenants formels » :
« Les contenants formels ressemblent à des objets, des rythmes, des images plus
qu’à des mots. Ils sont perçus comme des modifications de la structure corporelle et
sont donc véhiculés essentiellement par des mouvements corporels difficilement
perceptibles à l’œil nu. Ils peuvent être exceptionnellement véhiculés par le langage,
mais toujours de manière imprécise. Ils constituent la matière des premiers échanges
entre la mère et le bébé » (p. 55).

Ces concepts aident à comprendre pourquoi les expériences


exceptionnelles – en particulier les perceptions psi – portent
rarement sur des éléments comme des chiffres ou des lettres, mais
le plus souvent sur des formes, des couleurs et des informations
générales. En effet, ces contenants formels appartiennent à des
registres corporels de l’ordre des processus primaires qui n’offrent
pas la même finesse que le langage. Cette forme de communication
correspond à ce que la psychiatre et psychanalyste Elisabeth
Laborde-Nottale (1990) appelle des « scopèmes » qu’elle définit
comme des « représentations psychiques imagées sous forme
d’idéogrammes qui émergent à partir de groupes de sensations ».
Djohar Si Ahmed (2006) est arrivée aux mêmes rapprochements
entre pictogrammes, signifiants formels et télépathie. Elle reprend
les processus originaires décrits par Aulagnier, soulignant le fait
qu’ils se caractérisent par une « indifférenciation des espaces
psychiques et corporels de soi et de l’autre » ainsi qu’une
« indifférenciation radicale de la représentation et de la
représentation de l’affect qui sont intriquées et indiscernables »
(p. 274). Si Ahmed suppose que les pictogrammes pourraient se
transférer d’une psyché à l’autre lors de vécus télépathiques et
propose plusieurs exemples de transmissions pictographiques lors
de « groupes d’entraînement à la télépathie » (p. 276).

Télépathie et niveaux de symbolisation

Nous poursuivons dans ce schéma les tentatives de modélisation de


Djohar Si Ahmed (2006, p. 328-330) pour rendre compte des
différentes formes de communication possibles dans le champ des
expériences exceptionnelles et que l’on retrouve également dans les
dispositifs psychothérapiques. On observe, à gauche, le travail de
symbolisation (originaire, primaire, secondaire) du côté du patient, à
partir du réel, qui conduit progressivement à une idée consciente.
Celle-ci peut être transmise par l’intermédiaire de différents canaux
(verbal, non verbal, pictographique, ontique9) qui ne s’excluent pas
et qui participent du transfert auprès du clinicien. Les mêmes
échanges peuvent se produire en dehors du cadre psychothérapique
et engendrer des « transferts » d’information qui prennent l’allure
d’expériences exceptionnelles.
Pour Hélène Deutsch (1926), les personnalités « as if » – qui
correspondent aujourd’hui aux organisations états-limites – auraient
une capacité particulière à évoluer dans ces champs pré-
symboliques du registre de la symbolisation primaire. C’est
également ce que suggère François Roustang (2003) concernant
ceux qu’il désigne comme des « frontaliers » qui seraient plus
éveillés à certains stimuli censés rester inconscients :
« Nombreuses sont les personnes aujourd’hui, que l’on catalogue comme états
limites et qu’il vaudrait mieux nommer frontaliers, qui ont avec la réalité un rapport
incertain. Elles s’étonnent et s’inquiètent d’être envahies de sensations ou de
perceptions qu’elles ne peuvent pas dire et partager avec d’autres sous peine d’être
taxées de folie ou d’aliénation » (p. 65).

Les expériences exceptionnelles que rapportent ces personnes font


alors office de révélateur de l’inconscient, comme si ces perceptions
étaient remaniées et colorées par l’inconscient, de la même façon
qu’une photographie garde les traces des bains successifs dans
lesquels elle a été plongée. Les processus les plus archaïques sont
ainsi mis en œuvre lors des processus de déformation et de
mélange des pensées qui caractérisent la symbolisation primaire10,
donnant à voir de façon préférentielle ce qui, du sujet, se métabolise
dans le trajet allant du soma à la psyché. Les perceptions psi, ainsi
qu’un certain nombre d’expériences exceptionnelles,
correspondraient à une forme de résurgence de différentes formes
de « communications originaires » qui articulent premières formes
de symbolisation et mélange des pensées. Cette communication, de
par sa nature même, est associée aux premières formes de
symbolisation de la matière psychique, ce qui en fait sa richesse,
mais aussi ses limites : sa richesse, dans la mesure où nous nous
trouvons alors paradoxalement au plus près du réel perceptif, et
donc, en quelque sorte, de nous-mêmes, au sein d’un bain sensoriel
originaire et indifférencié ; ses limites, étant donné que cette forme
de communication, métaphorique et figurative, ne donne lieu que
rarement à des éléments conceptuels et verbaux. La clinique des
expériences exceptionnelles mettrait donc en évidence une
résurgence de ce mode primaire de symbolisation-communication
archaïque. Ceci aide à comprendre pourquoi les perceptions psi
paraissent souvent ineffables et imprécises, ce qui demande alors
un travail d’interprétation et de reconstitution après-coup par
l’intermédiaire des processus secondarisés, comme nous aurons
l’occasion de l’étudier plus avant lors du chapitre sept portant sur la
télépathie.
Les premières phases de développement et de structuration de la
psyché demeurent donc en toile de fond du fonctionnement
psychique et les expériences exceptionnelles seraient une
régression à ces modes de symbolisation pré-symboliques
caractérisés par une indistinction entre le soi, le corps et
l’environnement. De ce point de vue, les expériences
exceptionnelles donnent un aperçu original des premières formes de
transformation de l’expérience subjective. La perméabilité psychique
et les processus hallucinatoires peuvent ainsi être considérés
comme les dimensions des processus de symbolisation impliqués
dans les expériences exceptionnelles. Elles mettent en exergue de
quelle manière la psyché se représente elle-même et transforme son
expérience passée et actuelle lors de situations extrêmes. La psyché
peut ainsi utiliser différents « curseurs » jugulant les relations subtiles
entre le sujet et son environnement, entre son monde interne et le
monde externe. Les expériences exceptionnelles apparaissent donc
aux frontières des capacités de symbolisation en tant que tentatives
d’exploration originales de solutions psychiques. Ces expériences
impliquent alors un processus de transformation qui devient
paradoxalement, en lui-même, un risque pour la psyché quand il
déborde les capacités de métabolisation comme nous allons le voir à
présent par l’intermédiaire des expériences mystiques.

EXPÉRIENCES DE RENCONTRE ET DIMENSION


SYMBOLIGÈNE DES EXPÉRIENCES EXCEPTIONNELLES
La régression à des processus de symbolisation primaire est
souvent initiée par une rencontre particulièrement marquante pour le
sujet. C’est par exemple le cas de Patrick qui fait de nombreux rêves
prémonitoires après la rencontre avec une personne qui l’aurait
pratiquement « hypnotisé ». C’est aussi le cas d’Idriss qui rapporte
une expérience de mort imminente peu de temps après avoir fait la
connaissance d’un « homme religieux ». Enfin, Nathalie développe
des perceptions psi après avoir croisé une femme lui disant qu’elle
est médium dans le contexte suivant :

Cas clinique : Nathalie


Nathalie contacte le service de consultation pour des « ressentis particuliers ». Elle
souhaite savoir si ceux-ci sont le fruit de son imagination ou d’aptitudes particulières.
Scientifique de formation, Nathalie se présente comme ayant été tout à fait
hermétique aux expériences paranormales avant d’en vivre elle-même. Tout
commence il y a un an, quand une femme l’arrête dans la rue et lui dit : « vous êtes
médium ». Cette femme lui demande de lui prendre la main et de lui dire ce qu’elle
voit. Nathalie décrit alors « comme des souvenirs » qui « s’avèreront justes à 90 % ».
Nathalie renouvelle cette expérience avec d’autres personnes de son entourage et
donne à nouveau des informations pertinentes. Plus généralement, elle se rend
compte qu’il lui suffit de fermer les yeux pour ressentir spontanément des intuitions
sous forme d’images. Elle fait également l’expérience régulière de rêves
prémonitoires et l’un deux l’a fortement marquée. Dans celui-ci, une amie l’appelait
au secours. Cette amie était en réalité, à ce moment-là, victime d’une agression à
l’étranger, ce que Nathalie n’apprendra que plus tard. Perturbée par ces expériences,
elle commence progressivement à s’intéresser à ce sujet. Elle trouve cependant peu
de soutien de la part de son mari et de sa famille qui n’y croient absolument pas. Elle
est alors en proie à des interrogations concernant l’origine, le sens et l’intérêt de ces
« capacités ».
Au fil des entretiens, Nathalie décrit les visions qui s’imposent à elle. Peu de temps
avant un tremblement de terre en Chine, elle voit ainsi comme une « fissure, des
ambulances et des gens qui courent partout ». Nathalie dit qu’en réalité elle a
toujours eu des images de ce type, mais elle supposait alors que « tout le monde
était comme ça ». Ces « flashs » prendront une telle importance qu’elle les mettra en
ligne, détaillant les correspondances entre ses intuitions et des événements réels.
Elle se dit convaincue que « l’esprit est indépendant du corps humain ». Une autre
expérience s’est produite après le décès du mari de l’une de ses amies, quelques
années plus tôt. Sa radio s’était alors mise en marche toute seule, sur une station
qu’elle n’écoutait pas habituellement. La première phrase prononcée à la radio fut
« Dis-lui bien de garder l’affaire pour les enfants », alors que son amie se demandait
si elle devait conserver un restaurant dont elle était propriétaire avec son défunt mari.
Cette histoire lui avait fait « très drôle » et elle avait d’ailleurs conseillé par la suite à
son amie de garder ce restaurant.
Nathalie explique, concernant une éventuelle origine familiale de cette sensibilité,
qu’on ne croit pas à ces choses-là dans sa famille. L’une de ses sœurs s’intéresse
néanmoins aux esprits et tire les cartes, mais « sans grand succès ». Une autre de
ses sœurs, décédée quatre ans plus tôt, appréciait la compagnie des voyants mais il
s’agissait davantage « d’une fuite ». Quant à Nathalie, un attrait pour la numérologie
avait précédé cette première rencontre qui l’avait conduite à s’intéresser plus avant à
la voyance. Il semble donc qu’elle ait eu très tôt une sensibilité qui ne fut en quelque
sorte exploitée qu’à la suite de cette rencontre initiatique. Cette sensibilité se traduit
également par des « sentiments de présence », plus particulièrement le soir et par
l’impression « de voir des ombres passer ». Plus récemment, elle a observé des
« lumières qui clignotaient » et s’est demandé s’il ne s’agissait pas d’un signe de sa
sœur décédée ou de son père, hospitalisé en service de réanimation. Mais, là
encore, elle fait preuve d’une certaine prudence, du fait de sa formation scientifique,
et s’interroge sur l’origine de ces perceptions. Enfin, outre le développement de ces
intuitions, Nathalie s’est mise récemment à peindre spontanément « les âmes des
gens ».

Certaines rencontres, présentes de façon récurrente dans la clinique


des expériences exceptionnelles, semblent ainsi générer une
résurgence de modes de communication primaires ouvrant la voie à
différentes expériences exceptionnelles. À partir de l’analyse de
l’autoportrait de Goya avec son médecin (1820) et du Livre des
demeures (1577) de Thérèse d’Avila, Mercedes Allendesalazar
(2007) insiste à ce propos sur le fait que « la présence du
destinataire permet, dans les deux cas, de transformer l’hallucination
douloureuse en vision créatrice » (p. 159). Allendesalazar propose
un parallèle avec la figure du Nebenmensch :
« Littéralement celui qui est à côté, celui qui est proche avant d’être étranger, évoque
d’abord cette fonction protectrice du semblable qui rend possible le monde des
perceptions et des objets, permettant ainsi à l’enfant, dans la sécurité des formes, de
se sentir, lui aussi, exister » (p. 148).

Certaines personnes seraient donc à la recherche de ce


Nebenmensch, cet autre contenant et vecteur de la relance des
processus de symbolisation dont le destin sera variable selon la
qualité de la relation, ce qui permet aussi de mieux cerner la nature
des visions :
« Une vision, à la différence d’une simple imagination, répond à une logique de la
douleur suscitée par l’absence, par un vide auquel elle confère une forme sans pour
autant le remplir. Or, la seule façon d’éviter que cette vision ne tombe, à la façon
d’une marchandise illicite, dans un régime de contrebande, de trafic souterrain,
dangereux parce que séparé de celui de la communauté, consiste à lui procurer un
témoin extérieur : un confesseur capable de l’accueillir, de la transformer ; en
empruntant l’idée à Bion, on pourrait presque dire de la métaboliser en lui ôtant son
côté toxique, mortifère » (Allendesalazar, 2007, p. 155).

Ces rencontres inaugurales et le partage ultérieur des expériences


exceptionnelles participent donc au devenir symboligène de celles-
ci. Ces différentes observations mettent en évidence des liens étroits
entre expériences exceptionnelles, souffrance psychique, créativité,
rencontre et symbolisation. La solution paranormale apparaît de ce
point de vue comme une tentative de guérison qui s’étend parfois à
l’ensemble de la vie psychique. Pascal Le Maléfan (2004) propose à
ce sujet une analyse des peintures de Marguerite Brunat-Provins qui
a produit plus de 3000 figures, appelées Ma ville, qu’elle peignait de
façon compulsive à la suite de ses visions. Le Maléfan note ainsi :
« Malgré l’épuisement dans lequel elle était plongée après chaque vision et l’énigme
que leur production suscitait chez elle, il est manifeste que Ma ville a servi à
Marguerite Brunat-Provins de dérivatif imaginaire contrastant avec une réalité
marquée par un corps malade, douloureux, partiellement impotent, à quoi s’ajoutait
une symptomatologie névrotique (crises d’étouffement, phobies, tachycardie, maux
de tête…), le tout générant une plainte sans trêve dont les débuts remontent à la
petite enfance » (p. 399).

Ces expériences se présentent alors comme une forme particulière


de résilience face à des événements traumatiques et peuvent
susciter à cette occasion des effets bénéfiques. Par exemple, les
études empiriques portant sur les sorties hors du corps ont montré
que les personnes rapportant de telles expériences ont une
meilleure santé mentale que la population générale (McCreery &
Claridge, 2002).
Les visions du conjoint disparu chez des veufs et des veuves
peuvent également s’avérer bénéfiques, de même que les visions
chez des mourants – dénommées « visions à l’approche de la mort »
– qui contribuent à diminuer la peur de la mort chez les personnes
en fin de vie (Haraldsson & Osis, 1977). Storm et Thalbourne (2006)
supposent également que ces vécus ont une vertu thérapeutique et
constituent une nouvelle forme de gestion du deuil provenant
d’évolutions culturelles intégrant peu de phases ritualisées. Beck,
Fernandez, Dolder et Rosselet (2004) soulignent à ce sujet, à partir
de leur expérience au sein d’un service de soins palliatifs, la
prégnance de visions harmonieuses en fin de vie qu’ils considèrent
comme un objet transitionnel vers la mort. Selon ces auteurs, il est
essentiel « d’établir une différence entre les hallucinations
(pathologiques) et les phénomènes “visionnaires” (de l’ordre de la
normalité), sans nier ou exclure aucun des termes en présence »
(p. 162). Ils distinguent les hallucinations potentiellement
pathologiques de l’expérience visionnaire qui « laisse le sujet à lui-
même, quand elle conduit à s’approfondir et à donner du sens à ce
qu’il est en train de vivre. C’est une expérience normale, où l’on
entre et d’où l’on sort, et dont il est possible de faire quelque chose,
parce que face à elle, on demeure un sujet » (p. 162). Toujours selon
les mêmes auteurs, « le grand danger en cette matière, c’est donc
de réduire les visions à n’être que des hallucinations, et donc de
vouloir ramener au pathologique des phénomènes qui ressortent du
mourir normal » (p. 162).
Il arrive également que des guérisons inattendues se produisent à la
suite d’expériences exceptionnelles, les cas les plus connus étant
les guérisons considérées comme étant de nature miraculeuse dans
des sanctuaires religieux comme Lourdes (Ogorzelec, 2014). Robert
Bobrow (2003), dans un article reprenant plusieurs cas médicaux de
ce type, donne l’exemple d’une patiente qui entendait une voix lui
ordonnant de réaliser un scanner afin de diagnostiquer une tumeur
cérébrale. Malgré l’absence de signes cliniques, son médecin
accepta de lui faire passer l’examen qui décela effectivement une
tumeur permettant à la patiente d’être opérée. Cette même voix lui
dira même « au revoir » à son réveil après l’opération et ne se fera
plus entendre ! Au-delà de cet exemple étonnant et caricatural, il
arrive que les expériences exceptionnelles aient des retombées
positives qui favorisent la santé, le bien-être et les processus de
symbolisation.
De ce point de vue, les expériences mystiques sont particulièrement
instructives, car elles se situent à l’interface entre dimensions
pathologique et symboligène. Nous retrouvons le sentiment
océanique rapporté par Romain Rolland en tant que « libre
jaillissement total » et objet de sa correspondance avec Freud
(Vermorel & Vermorel, 1993). En 1938, Freud décrira la mystique
comme étant l’« obscure perception du royaume extérieur au Moi, le
ça ». Emmanuel Falque (2001) note à ce propos que la mystique
n’est « pas le privilège de certains illuminés, mais elle peut
accompagner la dynamique propre à tout être humain qui s’engage
dans l’aventure de vivre son humanité en profondeur et en vérité ». Il
s’agit alors d’une « mystique du quotidien » qui « se joue sur les
paradoxes : vivre-mourir, intimité-étrangeté, le temps et l’éternité,
anormal-essentiel, l’un et le multiple, soi et l’Autre » (p. 24). Il s’agit
en général d’expériences qui se produisent à la suite de chocs
émotionnels et viennent protéger le sujet, comme le remarque Nicole
Jammet (2008) au sujet d’Edith Stein (p. 122). Jean-Baptiste Lecuit
(2008) et Catherine Parat (2002) considèrent pour leur part la
mystique comme une « sublimation hors du commun », voire même
une « sublimation parfaite », tout comme Sophie de Mijolla-Mellor
(2004) qui analyse cette expérience en tant que « dérivation
pulsionnelle sublimatoire » obéissant à une logique de « non-
résolution » du paradoxe (Anzieu, 1980). La mystique se situe ainsi,
comme le note Jacques Arènes (2008) « entre l’hypothèse
structurante et déstructurante, entre l’hypothèse mortifère et la voie
créative, entre la grâce de l’éphémère et le noyau inaltérable de la
compulsion de répétition » (p. 115). Ces différents éléments
conduisent à un questionnement qui concerne l’ensemble des
expériences exceptionnelles : sommes-nous confrontés à des
mouvements de régression ou de sublimation, de régrédience ou de
progrédience ?
Bernard Chouvier (2006) propose quelques éclaircissements à ce
sujet dans un article abordant la mystique du point de vue de la
temporalité psychique. Il rappelle que la mystique confronte la
psyché à ses limites par un état de régression au narcissisme
primaire. La mystique relèverait ainsi de « vécus exceptionnels liés à
des événements aussi exceptionnels, tout au moins pour les
fondateurs des pratiques mystiques » (p. 144), en réaction à une
situation traumatique extrême conduisant à l’appréhension d’une
« altérité mystérieuse et grandiose ». Bernard Chouvier se demande
alors « où se situe la différence avec une expérience créatrice et
comment appréhender le caractère pathogène d’un vécu mystique »
(p. 145). Dans cette perspective, il montre comment les expériences
mystiques de Thérèse d’Avila ont manifestement pour origine un
épisode agonistique donnant lieu à un mouvement de « suspens des
activités ordinaires de perception et de pensée » (p. 148). L’état
extatique vient alors « réactiver les traces mnésiques d’une réelle
mort approchée dans un passé plus ou moins lointain, traces
mnésiques masochiquement investies » (p. 148). Chouvier
rapproche ce vécu des crises d’hystérie qui auraient pour
particularité d’induire une « union fusionnelle » ouvrant la voie à une
« mystique intégrative apte à surmonter les risques de destruction »
(p. 153).
La situation est en revanche bien différente chez Madeleine – une
mystique décrite initialement par Pierre Janet – pour laquelle un
mouvement de désymbolisation conduit à un profond déséquilibre
psychique. La différence entre ces deux mystiques se situerait alors
« au niveau de la capacité de conserver l’intégrité du pouvoir
d’autoconservation et de jugement du Moi » (Chouvier, 2006,
p. 157). À noter également que « l’activitisme militant de Thérèse lui
a permis de socialiser dans des conditions optimales son vécu
mystique, alors que c’est justement cette ouverture au monde qui a
si cruellement manqué à Madeleine » (p. 162). Ainsi, Madeleine
n’aura pas les capacités créatrices de Thérèse d’Avila et ne peut
parvenir à une « ouverture symbolisante structurante » (p. 163).
Toujours selon Bernard Chouvier, Madeleine reste donc dans
« l’excès et le débordement émotionnel et affectif, sans pouvoir
dépasser la simple imitation des figures fondatrices de la mystique »
(p. 164). Nous rejoignons ici la question de la créativité dans ses
rapports à la vérité de l’être comme le rappelle Michel de M’Uzan
(1977) :
« Ces moments où le Moi et le non-Moi échangent si facilement leur place entraînent
un élargissement considérable de l’expérience, grâce auquel l’individu peut
parachever son intégration pulsionnelle et rejoindre ainsi son fond le plus
authentique. Loin de n’être que des symptômes, ils sont la meilleure chance offerte
d’échapper aux identifications étrangères à sa vérité, autrement dit de se construire
lui-même, sans risque de falsification » (p. 9).

Ces vacillements de l’être correspondent selon De M’Uzan (1977) à


une « expérience de saisissement », une « modification de la
naturelle altérité du monde extérieur, l’altération de l’intimité
silencieuse du Moi psychosomatique, le sentiment d’un flottement
des limites séparant ces deux ordres avec une connotation
d’étrangeté, le sentiment d’entrer en contact avec quelque chose
d’essentiel et pourtant d’ineffable » (p. 9). Anzieu propose
également, dans son analyse du processus créateur dans Le corps
de l’œuvre (1981), une « phase de saisissement » survenant lors de
crises personnelles et correspondant à une régression topique,
chronologique et formelle.
Ces critères de différenciation aident à penser plus largement les
expériences exceptionnelles dont le destin pathologique ou
symboligène dépendra donc de la capacité du sujet à intégrer les
élans créatifs associés à la résurgence de vécus traumatiques. La
solution paranormale mène ainsi à l’expression de processus
primaires qui s’accompagnent d’un déploiement de divers modes de
symbolisation archaïques. Certains états de régression favoriseront
une réorganisation psychique et somatique prenant la forme d’une
symbolisation extrême. Un gradient se dessine alors, allant de
processus discrets de l’ordre de l’intuition jusqu’à certaines
guérisons ou expressions somatiques extrêmes, ce que nous
étudierons plus en détail du point de vue des propriétés
symboligènes des expériences exceptionnelles quand nous
aborderons les expériences de mort imminente au chapitre neuf.

LE PSI DANS LA PRATIQUE CLINIQUE


Nous proposons à présent de réfléchir aux expériences
exceptionnelles lorsqu’elles interrogent les niveaux de symbolisation
les plus originaires et ce que nous pourrions décrire comme « la
nature profonde du réel ». Il s’agit en particulier de questionner les
interactions en jeu dans ces expériences (cf. chapitre 1, p. 41) dont
les particularités expliquent probablement en partie les réticences du
monde académique à les aborder frontalement et menant parfois à
une forme de tabou à l’égard de tels questionnements (Méheust,
1999). L’investigation clinique et scientifique se doit pourtant
d’aborder les différentes facettes de l’expérience humaine, même
celles qui semblent a priori incongrues ou dérangeantes pour notre
conception de la réalité.
Dans cette optique, après avoir proposé une brève reprise des
positions des cliniciens à l’égard du psi (Coly & McMahon, 1989),
nous développerons un modèle heuristique – un modèle « comme
si » – dans le but d’accroître l’intelligibilité de ces cas particuliers.
Nous verrons ainsi comment les perceptions psi s’articulent de
manière subtile avec les processus décrits précédemment qui
relèvent du trauma, de la perméabilité psychique, des processus
hallucinatoires et de la symbolisation. Elles apparaissent alors
comme une caractéristique spécifique des expériences
exceptionnelles qui mérite l’attention des cliniciens. Ainsi, ce sous-
chapitre visera à répondre à la question suivante : comment
comprendre les cas qui pourraient mettre en jeu une forme
d’ontologie qui transcenderait nos modèles épistémologiques et
scientifiques actuels ?
Cette réflexion est tout d’abord l’occasion de relancer la pensée de
Freud et Ferenczi concernant l’existence de la télépathie – ce que
nous aborderons plus en détail au chapitre sept –, tous deux ayant
manifesté un intérêt certain pour sa dimension objective ou
ontologique. Freud (1921) explique ainsi qu’« il n’est guère douteux
que s'occuper des phénomènes occultes aura très vite pour résultat
de voir confirmer l’actualité de nombre d'entre eux » (p. 10). Il
critique même l’évitement de cette question qui reviendrait selon lui
à une « fuite devant le problème » (p. 31). Il consultera donc les
ouvrages et comptes-rendus des sociétés de recherche psychiques
et, comme nous l’avons déjà rappelé, sera membre de plusieurs
d’entre elles. Freud indique ainsi, dans une circulaire de février
1925 :
« La plus forte impression littéraire de ce mois m'est venue d'un rapport sur des
expériences de télépathie avec le professeur Murray. Je reconnais que l'impression
de ce rapport a été tellement forte que je suis prêt à abandonner mon refus de
l'existence de la transmission de pensée […] Je serais même prêt à offrir à la cause
de la télépathie le soutien de la psychanalyse »11.

Par ailleurs, Freud et Ferenczi ont mené diverses expériences avec


des voyants et des médiums pour étudier la télépathie et
comprendre les circonstances de sa survenue. Ils ont cependant été
dépassés par les enjeux de ces questionnements d’autant qu’ils
étaient déjà occupés par d’autres chantiers théoriques. Ils n’en
parviendront pas moins tous deux à la conviction, tout d’abord
cachée, avant d’être énoncée publiquement, de l’existence de la
télépathie.
Comme l’ont souligné Bertrand Méheust (1999) et Régine Plas
(2000), de nombreux membres de l’élite intellectuelle de leur époque
partageaient cette opinion, entre autres Bergson, James, Gödel,
Richet, Durkheim ou encore Jaurès12. Comment expliquer un tel
positionnement ? Ces chercheurs ont-ils repéré une forme de
perception particulière ou bien ont-ils succombé aux sirènes de la
pensée magique ? Plusieurs analystes, à la suite de Freud, ont
supposé que la télépathie pouvait avoir une part de vérité objective.
Hitschmann (1924), initialement sceptique sur ce sujet, deviendra
plus ouvert dans ses textes ultérieurs (Hitschmann, 1933). Puis
Hollos, Fodor, Servadio, Eisenbud, Ehrenwald ou Ullman mèneront
de nombreuses expériences de télépathie. Michaël Balint (1987) a
aussi publié des réflexions à ce propos :
« J’ai également dans ma pratique quelques cas de télépathie apparente qui, même
après un examen attentif, sont demeurés inexplicables par les mécanismes
mentionnés précédemment. Durant un certain temps, j’ai collecté ces cas sans en
faire quelque chose, dans l’espoir que, tôt ou tard, je parviendrais à mieux les
comprendre. Progressivement, il m’est apparu que dans tous les cas de ce type, il y
avait une situation émotionnelle particulière entre l’analyste et son patient » (p. 32).
Balint suppose que plusieurs obstacles s’opposent à l’étude de la
télépathie. Tout d’abord, « l’hypocrisie professionnelle » qui consiste
à penser qu’il existe une barrière étanche entre la pensée de
l’analyste et celle de son analysant, mais aussi la projection,
correspondant au fait que l’analyste est persuadé que les pensées
de l’analysant n’ont rien avoir avec les siennes, ou encore
l’idéalisation, qui fait écho à la fascination engendrée par les
occurrences télépathiques, ce qui conduit à ne pas prendre en
compte la souffrance qui leur est parfois associée. Balint indique que
ce n’est qu’après avoir dépassé ces trois obstacles que « nous
pourrions réussir à atteindre les vrais problèmes sous-jacents à la
nature et la fonction des perceptions extra-sensorielles » (p. 35).
Plus récemment, en France, Djohar Si Ahmed (2006), ou encore
Elisabeth Laborde-Notalle (1990) ont proposé des réflexions sur ce
sujet, faisant office de précurseures à l’égard du nombre croissant
de publications dans le monde psychanalytique anglo-saxon depuis
une quinzaine d’années. Elizabeth Mayer (2007) s’est ainsi
largement intéressée aux expériences exceptionnelles après que la
harpe de sa fille fut volée puis retrouvée avec l’aide d’un sourcier
pourtant situé à plusieurs milliers de kilomètres13 ! Mayer en viendra
progressivement à la position suivante :
« J’ai graduellement eu à faire face à l’idée qu’il y avait des choses que mes patients
ne me disaient qu’à moitié depuis des années, des choses qu’ils voyaient comme
étant trop étranges ou trop risquées de révéler par peur que je ne les crois pas – ou
pire – que je pense qu’ils soient fous » (p. 7).

Concernant la dynamique psychique des patients rapportant des


expériences exceptionnelles, Mayer (2007) note que :
« Ces patients croyaient qu’ils avaient développé leurs dons en réponse à un trauma,
de façon à survivre dans des circonstances qui nécessitaient d’être en mesure de
savoir des choses que la plupart des personnes ne peuvent connaître. Ainsi, ces
patients disaient qu’ils devaient savoir. Ils ne pouvaient pas se permettre de ne pas
savoir » (p. 101).

Mayer (2001) en arrive également à la conviction que :


« Notre attention sur ce qui a été appelé la nature intersubjective de la relation
analytique ouvrira la voie à des recherches menant à une meilleure compréhension,
non seulement de réalités intersubjectives conventionnelles, mais aussi de la
télépathie et de perceptions anomales moins conventionnelles, également de nature
intersubjective » (p. 634).

Cette analyste a aussi permis la publication d’un texte de grande


valeur sur les rêves télépathiques (Mayer, 2001), rédigé par un
célèbre analyste et professeur de psychiatrie américain, Robert
Stoller, connu notamment pour ses travaux sur le genre (Stoller,
1994). Dans cet article, Stoller rapporte plusieurs rêves
télépathiques rencontrés auprès de ses patients, son intention étant
de « collecter de façon responsable des données concernant
d’apparentes expériences anomales et télépathiques » (p. 631).
Mais suivant les conseils de plusieurs collègues analystes, il choisit
de ne pas publier ce texte qu’il reprendra finalement peu de temps
avant sa mort. Stoller note tout d’abord dans cet écrit :
« Je ne suis pas intrigué par le sujet de la télépathie ni un adepte de cette littérature,
sentant habituellement que ce sont des cas dus au hasard, à la fraude ou à la triche.
Ayant finalement décidé de présenter ces données, je n’aimerais pas m’être dirigé
dans le sens des pensées négatives que j’avais fréquemment quand d’autres
abordaient ce sujet. Mais les données – des rêves apparemment télépathiques –
semblent être plus que des coïncidences ; peut-être est-il temps d’y jeter un œil »
(p. 634).

Stoller rapporte ensuite des exemples fort intéressants, dont celui-ci,


qui commence par la description du rêve que lui a livré une patiente :
« Il y avait une fête dans la maison de quelqu’un. Il y avait une foule importante se
déplaçant dans une grande pièce, qui, au lieu d’avoir des murs, avait une vitre sur un
côté. Un homme plus âgé, que je ne connaissais pas, mais qui était très gentil, était
là. Il marcha vers moi en portant un large objet quand, soudainement, il rentra dans
la vitre. J’avais terriblement peur qu’il ne soit blessé, et cependant, d’une étrange
manière, il ne le fut pas. Il y avait en revanche des morceaux de la vitre brisée tout
autour de lui. Le rêve, rapporté le lundi, avait été rêvé le samedi soir / dimanche
matin. Ce soir-là, j’étais [Stoller] allé à une soirée organisée par un homme politique.
De nombreuses personnes étaient présentes dans le salon de la maison où la fête
était donnée, et, après un discours, les chaises furent déplacées alors qu’elles
étaient installées devant une large vitre coulissante, qui constituait l’un des murs de
la pièce. Je portais des chaises à plusieurs reprises au travers de cette baie vitrée,
alors ouverte, quand quelqu’un décida de la fermer. Étant donné le peu de lumière,
elle était invisible, et, portant une chaise, je m’écrasais contre elle. Bien que les
morceaux de la vitre tombèrent autour de moi, je fus à peine égratigné » (p. 639).
Par la suite, Lazar (2001), Bobrow (2003), Reiner (2004) et Eshel
(2006) ont également publié des articles développant le même type
d’observation. Lazar (2001) en vient pour sa part à la conclusion
qu’« il apparaît probable que, tôt ou tard, le champ de la
psychothérapie et de la psychanalyse sera obligé de se confronter et
d’intégrer les découvertes concernant des connaissances et des
influences de nature paranormale » (p. 129). Reiner (2004)
s’intéresse aux états émotionnels associés à la télépathie et
suppose que ces perceptions pourraient « dériver d’une brèche dans
le lien émotionnel au parent et qui est également une brèche dans la
connexion émotionnelle au self » (p. 320). Quant à Eshel (2006), elle
a publié ses analyses concernant les rêves télépathiques dans
l’International Journal of Psychoanalysis. Ces articles étayent les
hypothèses relatives aux aspects émotionnels et traumatiques
associés aux expériences exceptionnelles. Ils soulignent également
qu’une forme de communication non ordinaire semble s’être produite
entre les analystes et leurs patients. Claire Petitmengin (2001), dans
sa thèse effectuée sous la direction de Francisco Varela sur les
expériences intuitives, propose également plusieurs exemples de ce
type :
« Muriel (formatrice en communication) perçoit à des centaines de kilomètres qu’un
incendie menace son appartement. En vacances au mois d’août dans les Cévennes,
un mercredi soir, alors qu’elle va s’endormir dans sa caravane, elle est prise d’un
sentiment de malaise, associé à la pensée “qu’il doit faire très chaud à Paris”. Ce
malaise se reproduit le lendemain. Elle apprend le surlendemain que le mercredi soir,
un incendie a ravagé plusieurs immeubles de son quartier et qu’il s’est arrêté juste
derrière la cloison de son appartement. L’appartement voisin a complètement brûlé, il
ne reste qu’un trou à la place du plancher » (p. 202).

Petitmengin cite également le cas de « Sylvie, psychanalyste, [qui]


voit apparaître un matin dans son bol de café l’image de la tête d’un
homme inconnu. Une semaine après, cet homme se présente à son
cabinet pour un premier entretien » (p. 104). Sally Rhine Feather
(2005), psychologue clinicienne, a publié de nombreux exemples de
perceptions psi du même ordre. Elle décrit plusieurs cas de
personnes qui semblent ainsi « sentir » à distance quand un proche
est en danger (p. 30) comme dans le cas suivant :
« Un dimanche après-midi, plusieurs membres de notre famille [celle du patient]
étaient en train de manger à la maison de ma grand-mère paternelle. Soudainement,
et sans raison apparente, au cours d’un plaisant dîner de famille, ma mère se leva et
cria “Ma mère ! Ma mère ! Ma mère !”. Nous étions tous choqués… Environ quinze
minutes après, le téléphone sonna, et elle apprit de la bouche de son père que sa
mère était effectivement morte quinze minutes plus tôt. Ma mère ne savait pas que
sa mère était malade, ou même qu’elle était dans un hôpital, où elle mourut » (p. 39).

Rhine-Feather en arrive à la conclusion suivante :


« Les hallucinations ordinaires produisent de l’imaginaire, du non-sens, et arrivent
lors d’état de maladie physique ou sont induites par des drogues. Les hallucinations
extra-sensorielles délivrent des informations précises, factuelles, qui peuvent être par
la suite vérifiées et sont vécues par des personnes normales, saines et en bonne
santé » (p. 27).

Nous avons également collecté plusieurs cas évoquant de possibles


interactions psi. Ceux-ci représentent une part minoritaire de la
clinique des expériences exceptionnelles et nous l’évaluons
grossièrement à environ 5 %14 des cas du service de consultation de
CIRCEE15. Voici par exemple les situations rapportées par Paula,
Marion, Nathalie, Laetitia et Philippe :

Cas cliniques
Paula nous contacte suite à un rêve prémonitoire concernant la mort de son petit
ami, militaire, décédé d’un accident de voiture un matin. Au même moment, elle a
rêvé de lui. Il portait son uniforme de l’armée, avec un béret noir, dont elle ne
connaissait pas la signification. Il lui disait qu’il l’aimait, qu’il partait mais qu’il
serait toujours près d’elle et qu’elle ne devait donc pas être triste. Paula se
réveille alors et voit qu’il est 7h15 du matin. Elle apprendra le soir même que son
petit ami est décédé à 7 heures du matin ce jour-là.
Marion rapporte certains ressentis particuliers. Alors qu’elle n’avait pas vu sa
mère depuis plusieurs semaines, elle ressent soudainement une forte douleur au
niveau de la poitrine et dit à son mari « ça me serre, ça me fait trop mal ». Elle
pense alors à sa mère que rien ne prédisposait à une mort prématurée. Marion
reçoit un peu plus tard un appel de son frère lui annonçant que leur mère vient de
mourir d’une crise cardiaque au moment où elle avait ressenti cette douleur au
niveau de la poitrine.
Nathalie fait régulièrement des rêves prémonitoires. Dans l’un de ceux qui l’ont le
plus marquée, une amie l’appelait au secours. Elle apprendra un peu plus tard
que son amie était victime d’une agression à l’étranger au moment de ce rêve.
Laetitia a vécu plusieurs rêves prémonitoires qui l’ont fortement perturbée. Elle a
rêvé à plusieurs reprises d’accidents et de malaises touchant ses collègues de
travail la veille de l’arrivée de ces événements. Laetitia éprouve une certaine
culpabilité, car elle n’a pas osé en parler et se demande si elle aurait pu
empêcher ces choses d’arriver… Laetitia observe également que ces rêves sont
souvent métaphoriques. Par exemple, lors de l’un d’eux, elle voit de la cire en lien
avec un incendie, et apprend le lendemain qu’une bougie s’était effectivement
trouvée à l’origine d’un sinistre.
Philippe, alors qu’il était enfant, avait rêvé de que son oncle mourait à moto. Il se
rappelle avoir parlé de ce rêve à plusieurs reprises à ses parents avant que son
oncle ne décède effectivement dans un accident de moto. Philippe vit depuis
fréquemment des expériences de précognition du même ordre, qui sont pour lui
comme un « sentiment d’évidence ». Il sait que son grand-père avait vécu le
même genre d’expériences durant la guerre.

Ces cas se rapprochent des expériences de « télépathie de crise »


rapportées par Gurney, Myers et Podmore (1886). Celles-ci se
produisent le plus souvent quand un proche se trouve en difficulté.
Nous pourrions tout d’abord les concevoir comme la rencontre
fortuite entre un désir de mort à l’égard d’autrui et un événement réel
survenant de manière aléatoire16, ce qui peut effectivement se
produire pour des raisons purement statistiques17. Il pourrait donc
s’agir d’un simple effet du hasard, mais les descriptions des patients
sont parfois très précises. Ces expériences ne semblent alors ne
devenir intelligibles que si l’on prend en compte l’hypothèse d’une
interaction non ordinaire qui apparaît parfois, paradoxalement,
comme l’hypothèse la plus économique. Pour reprendre une célèbre
citation d’Arthur Conan Doyle « lorsque vous avez éliminé
l’impossible, ce qui reste, si improbable soit-il, est nécessairement la
vérité ». Le dispositif clinique ne permet cependant guère de
trancher et le principe d’indécidabilité (cf. chapitre 10, p. 329)
prévaut afin d’offrir au patient un espace au sein duquel il pourra
construire sa propre signification de ces vécus. Cet espace ne peut
cependant exister que si le clinicien reste ouvert aux différentes
hypothèses et ne cherche pas à réduire le vécu du patient à sa
propre conception du réel. Ainsi, la dynamique psychique sera bien
différente s’il s’agit d’accompagner l’élaboration d’une agressivité
inconsciente ou d’un attachement qui conduit au fait de « sentir » un
événement grave concernant un proche. Nous allons à présent nous
arrêter sur le cas de Prudence afin d’envisager une compréhension
plus détaillée de ces processus :
Cas clinique : Prudence
Prudence fait régulièrement l'expérience de prémonitions concernant des
événements pénibles. Se considérant de nature particulièrement optimiste, elle
suppose que ces prémonitions lui évitent d’être confrontée à des circonstances
désagréables. Elles se produisent habituellement de la façon suivante. Elle ressent
soudainement, sans raison apparente, un stress important, plus exactement un
« gros nœud », comme « la veille d’un examen ». Cette angoisse est telle qu'elle ne
peut la chasser de son esprit. Ce sentiment est parfois relié à une idée et elle tente
alors, par association libre, de déterminer l’événement en lien avec son éprouvé.
Prudence décrit en particulier trois de ces expériences :
1. Elle prépare un gâteau dans sa cuisine quand elle ressent soudain cette
impression désagréable. Elle « voit » alors plus précisément un ami monter à
cheval. Persuadée qu’il va faire une mauvaise chute, elle le contacte par
téléphone. Il se trouve effectivement sur un cheval et lui promet d’être prudent. Il
tombe néanmoins lourdement une heure plus tard et se fracture le bras ;
2. Il y a quelques années, alors qu’elle est également en train de cuisiner, elle
ressent cette même impression. Elle pense au mot « anniversaire ». Elle passe
en revue les personnes qui seront présentes à son anniversaire – qui a lieu le
lendemain – et découvre que cette angoisse est liée à sa mère. Cette dernière
sera hospitalisée dans la nuit ;
3. Prudence à un mauvais pressentiment concernant l’enfant d’une amie. Elle est
persuadée qu’il va lui arriver malheur mais de peur de passer pour folle, elle fait
le choix de ne pas appeler cette amie. Elle apprend néanmoins le lendemain qu’il
a fait un début de mort subite et qu'il a failli mourir.
D’après Prudence, ces prémonitions sont rares mais précises. Elle ne se souvient
pas s’être trompée et insiste sur la force de ces éprouvés qui l’empêchent de penser
à autre chose. Elle explique qu’elle a été particulièrement désemparée la première
fois que cela s’est produit. Elle a depuis développé cette technique de
« tâtonnement » par association avec laquelle elle cherche ce qui est à l'origine de
l'angoisse initiale.

Prudence ressent donc une forte émotion qu’elle tente de rattacher à


une idée par tâtonnement. Il semble qu’il y ait là un clivage entre
affect et représentation, ce qui nécessite un travail d’auto-
interprétation. Ce processus souligne la dimension primaire de ces
intuitions qui ne se projettent que difficilement au niveau des
processus secondaires, comme en témoigne également le schéma
proposé en page 151. Cette forme de « perception » peut aussi se
mêler à d’autres expériences exceptionnelles, comme dans le cas
d’Emmanuel (cf. p. 269) qui décrit plusieurs sorties hors du corps.
Dans l’une d’elles, il a le sentiment d’être en mesure de « voyager »
et décide de se « rendre » ainsi chez un ami. Il découvre celui-ci en
train de dormir auprès d’une jeune fille qu’il ne connaît pas. Les
différents détails de cette scène seront confirmés ultérieurement par
cet ami selon les dires d’Emmanuel. La capacité à décrire ainsi des
informations « véridiques » lors des sorties hors du corps est
d’ailleurs relativement fréquente dans le discours des patients et
laisse habituellement chez eux une forte impression. Cela a même
conduit à des recherches visant à objectiver de telles perceptions,
en particulier les célèbres travaux de Charles Tart (1967, 1968)18.
L’ensemble des expériences exceptionnelles peut, de la même
manière, être associé à des éléments du registre des perceptions psi
comme dans les cas suivants :

Cas cliniques
Manon rapporte avoir participé à plusieurs séances de spiritisme et d’écriture
automatique. Lors de l’une de ces séances, elle dit avoir communiqué avec une
jeune fille décédée qui racontait son accident de voiture. Les détails de cet
accident, comme la marque et la couleur du véhicule, se sont révélés exacts par
la suite selon Manon.
Andrée explique avoir parfois des visions et utiliser un pendule. Dans l’une de
celles-ci, elle « vit » son oncle avec « une tête de rat » au cours de la nuit où
celui-ci décéda. Andrée s’interroge sur les raisons de cette tête d’animal. Ses
enfants vivent eux aussi des expériences étranges. Son fils a pour sa part un ami
imaginaire qui a annoncé récemment qu’un de ses camarades serait bientôt en
chaise roulante, ce qui arriva effectivement. Quant à sa fille, elle entend parfois
des voix qui annoncent des événements qui se produiraient ensuite.

Les situations dans lesquelles des personnes prétendent ainsi


obtenir des informations qui leur semblent crédibles sont néanmoins
assez rares. Elles insistent alors généralement sur la nature très
particulière de ces ressentis sur le plan phénoménologique. Patricia
décrit ainsi ses rêves prémonitoires comme étant « très nets et
comme un jet », ce que remarque également Claire Petitmengin
(2001) :
« Plusieurs personnes disposent de critères intérieurs subtils qui leur permettent de
distinguer une intuition véritable d’une projection sur le monde extérieur de leur
propre monde intérieur, de leurs désirs ou de leurs peurs. Ces critères sont soit des
qualités propres de la sensation ou de la pensée intuitive, soit des qualités de l’état
interne associé à l’émergence de l’intuition. (p. 227) […] Toute la difficulté consiste à
savoir identifier la provenance de l’image, de la sensation, de la pensée qui apparaît.
Qui parle à travers elle ? Est-ce une opinion, un jugement, une croyance qui
s’exprime ? Est-ce une mémoire du passé, une peur ou un désir qui se projettent ?
Provient-elle d’une zone plus profonde de mon être ? » (p. 304)

VERS UN MODÈLE HEURISTIQUE DU PSI ?


L’expérience clinique dans le champ des expériences
exceptionnelles peut donc mener à prendre au sérieux l’hypothèse
psi. Il s’agit alors de proposer un modèle d’intelligibilité de ces
processus qui favorise la compréhension de ces expériences avec
toute la prudence qui s’impose19. Dans cette optique, nous
proposons de décrire brièvement les deux modèles qui nous
paraissent actuellement les plus prometteurs – le Modèle de
l’Information Pragmatique (MPI) de Walter Von Lucadou et la
conjecture Jung-Pauli reprise par Harald Atmanspacher –
développés à partir de la clinique des expériences exceptionnelles.
Le MPI est le fruit des réflexions du physicien20 et psychologue
allemand Walter Von Lucadou (1995) à partir de son expérience
clinique au sein du WGFP (cf. chapitre 10, p. 314). Ce modèle s’est
progressivement perfectionné avec le développement de la théorie
quantique généralisée (generalized quantum theory) appelée aussi
théorie quantique faible (weak quantum theory) (Atmanspacher,
Römer & Walach, 2002) qui reprend le formalisme quantique pour
l’appliquer au niveau macroscopique. Le MPI apparaît comme une
théorie complexe à cheval entre psychologie et physique. Ce modèle
suppose tout d’abord que les interactions à distance entre deux
sujets obéiraient à des lois du même ordre que les intrications
quantiques21 (Von Lucadou, 1995). Deux systèmes quantiques
intriqués – par exemple deux particules – obéissent ainsi à des
« corrélations » instantanées. Ces deux particules pourront donc
être considérées comme un système unique malgré leur
éloignement physique. Il en découle une propriété particulière de ces
systèmes quantiques appelée « non localité » ou « intrication » selon
laquelle la mesure d’une partie d’un système a une répercussion
immédiate sur les autres parties qui le constituent. Ce phénomène
d’intrication est également lié au principe d’incertitude décrit par
Heisenberg selon lequel on ne peut mesurer simultanément deux
propriétés intriquées d’un système quantique (Vedral, 2018). Par
exemple, on ne peut connaître précisément à la fois la vitesse et la
position d’une particule, selon une logique d’incompatibilité.
Le MPI suppose que ces principes issus de la physique quantique
ont leur pendant au niveau macroscopique22. La dimension psi des
expériences exceptionnelles est alors considérée comme le fruit de
corrélations « non locales » ou de « corrélations d’intrication
généralisées » émergeant au sein « d’un réseau d’interactions qui
génère de façon récursive un réseau comme une unité dans le
temps » fonctionnant selon le modèle de l’auto-organisation décrit
par Francisco Varela (1994). Ce dernier suppose que les
organismes vivants développent une propriété spécifique d’auto-
organisation qui permet aux éléments qui le constituent d’interagir.
Ces processus d’auto-organisation ont lieu à l’intérieur d’un système
fermé par une « clôture organisationnelle ». Selon le MPI, les
systèmes biologiques disposant d’une telle clôture favorisent
l’expression d’intrications généralisées qui émergeront à des
endroits indéterminés du système ainsi composé. Par conséquent,
les facteurs permettant d’améliorer l’auto-organisation et la clôture
organisationnelle d’un système favoriseront l’émergence de
phénomènes d’intrication. Par exemple, les liens émotionnels entre
personnes augmentent la qualité de la clôture organisationnelle et
donc les phénomènes d’intrication23. Nous rappelons qu’il s’agit
d’une théorie heuristique et que Von Lucadou ne prétend pas qu’il
s’agit réellement d’interactions de nature quantique mais de
phénomènes qui se comportent comme des systèmes quantiques et
que l’on peut donc les modéliser par le biais des mêmes outils
mathématiques et conceptuels, en particulier les notions d’intrication,
de complémentarité24 et de non-compatibilité.
Von Lucadou et al. (2007) insistent également sur le principe
fondamental de cette théorie appelé « axiome de non-transmission »
selon lequel « les relations d’intrication ne peuvent être utilisées pour
transmettre un signal ou engendrer des influences causales ». Ainsi,
le fait de mesurer ou d’observer ces effets tendrait à les faire
disparaître25. Von Lucadou (1995) appelle « documentation » le fait
d’extraire de cette manière des informations d’un système, décrites
en termes d’« information pragmatique » (Weinberger, 2002), celle-ci
désignant la signification que peut avoir une information pour le
sujet. Ces interactions auront donc un caractère profondément élusif
du fait même de leur nature. Cet axiome aurait également pour
conséquence l’« effet de déclin » observé parfois quand on tente de
mettre en évidence de telles corrélations en conditions
expérimentales (Schooler, 2011). Selon Von Lucadou, les intrications
généralisées ne peuvent en effet permettre le transfert fiable et
durable d’un signal. Quand un effet de ce type sera reproduit, il
tendra donc à diminuer ou à se déplacer dans le système
expérimental, car il est alors utilisé comme moyen d’extraire de
l’information à partir de ce dernier26.
Sur le plan clinique, ce principe d’élusivité27 serait en partie la cause
des processus de déformation du message télépathique. Il serait
inhérent à ces interactions elles-mêmes28 et non uniquement le fruit
de la traversée des différentes strates psychiques. Ce principe
d’élusivité a d’autres conséquences concrètes : il serait, par
exemple, impossible de mesurer des perceptions psi au-delà d’un
certain niveau de précision. En outre, lorsqu’une personne partage
de telles expériences (par exemple, avec un psychologue), cela
engendrerait un effet de documentation – au sens de Von Lucadou –
et contribuerait donc à faire cesser les phénomènes. Certains
cliniciens mettent d’ailleurs l’accent sur le risque de voir subitement
la modalité d’expression du mal-être d’une personne ne plus pouvoir
se « décharger » par ce biais (Tierney, 2007). Plusieurs de nos cas
cliniques montrent en effet des phénomènes de ce type, par
exemple Catherine (cf. p. 104), qui fera un accident cérébral après la
fin d’un épisode de poltergeist, ou encore Norman, qui sombrera
dans un état dépressif à mesure que les phénomènes de poltergeist
survenant autour de lui cesseront.
Plusieurs notions proposées par Edgar Morin (2005) et Francisco
Varela (1999) sont également éclairantes dans le cadre des
perspectives ainsi ouvertes par le MPI29. En reprenant l’hypothèse
que ces formes d’interaction à distance – aussi bien dans l’espace
que dans le temps – seraient possibles, il paraît tout d’abord évident,
comme le suppose le MPI, qu’elles correspondent à des effets d’une
nature différente de ceux déjà connus. Il semble également que ces
effets soient très probablement liés à la conscience et à la relation
observateur-observé. De ce point de vue, on peut considérer que le
psychisme aurait pour fonction d’organiser le réel de façon discrète
et habituellement indiscernable. Cette relation ne serait pas
seulement une découverte du monde, il s’agirait en réalité d’une co-
création prenant la forme de mouvements perceptifs et projectifs
entre le sujet et le monde environnant.
Cette co-création, dans sa forme classique, est relevée aussi bien
par la psychanalyse que par les neurosciences cognitives. Elle
provient de rapports complexes entre le sujet et son environnement,
comme le souligne Francisco Varela (1999) qui en arrive à « la
conviction croissante selon laquelle la cognition, loin d’être la
représentation d’un monde prédonné, est l’avènement conjoint d’un
monde et d’un esprit à partir de l’histoire des diverses actions
qu’accomplit un être dans le monde » (p. 35). Varela montre
notamment par l’analyse de la perception des couleurs que « le
monde et le sujet percevant se déterminent l’un l’autre » (p. 234).
Ainsi, « le monde n’est pas un terrain d’atterrissage dans lequel les
organismes sont parachutés : la nature et la culture entretiennent
entre elles une relation réciproque, où chacune est à la fois
processus et produit » (p. 270). Varela suppose également que
« l’organisme et l’environnement sont imbriqués l’un dans l’autre sur
de multiples modes et, ainsi, ce qui constitue le monde d’un
organisme est produit ou enacté par l’histoire du couplage structurel
de cet organisme » (p. 274). Cela conduira en particulier Varela à la
notion d’énaction qui rend compte de ce lien intime entre le sujet et
son environnement. Ainsi, dans une analyse approfondie des
principes aux fondements du soi, Varela en vient à l’idée que toute
recherche de fondements du soi est vaine, car les « choses sont
créées de manière co-dépendante » (p. 301).
Selon les mêmes perspectives épistémologiques, Edgar Morin
(2005) note que « le point essentiel est que ces systèmes n’opèrent
pas par représentation : au lieu de représenter un monde
indépendant, ils enactent un monde comme domaine de distinctions
inséparable des structures incarnées dans le système cognitif »
(p. 200). Morin en arrive à la conclusion que « nous sommes des
coproducteurs d’objectivité » (p. 147) au sein d’un « réel
monstrueux » de par sa complexité. La prise en compte de cette
complexité nécessite alors « la réintégration de l’observateur dans
son observation » (p. 126). Il remarque plus précisément qu’« à
différents niveaux d’organisation émergent certaines qualités et
propriétés propres à ces niveaux. Il faut donc faire intervenir des
considérations nouvelles à chaque niveau » (p. 141). Si le cadre de
pensée de ces auteurs se développe au sein de paradigmes
classiques, il est possible que l’interrelation mise en évidence par
certaines expériences exceptionnelles soit plus profonde encore
qu’ils ne le supposent.
Ainsi, certains niveaux d’organisation du vivant impliqueraient des
interactions permettant des échanges d’information au-delà d’un
cadre spatio-temporel « classique ». Ces échanges se logeraient
dans les rapports observateur-observé au sein de mécanismes de
co-création et se superposeraient de façon subtile aux interactions
classiques. Les principes d’auto-organisation permettraient par
conséquent l’émergence d’autres formes d’interactions
habituellement plus discrètes30. Cela expliquerait pourquoi celles-ci
ne sont habituellement pas repérées comme telles, car étant
masquées par les interactions « classiques »31. Toute recherche
expérimentale visant justement à séparer observateur et objet
détruirait d’ailleurs de telles propriétés des systèmes biologiques32.
Ce mécanisme de co-création n’est pas pour autant omnipotent et
obéit à des règles relevant, par exemple, des principes de non-
transmission et d’élusivité évoqués précédemment. Il est à ce
propos intéressant de remarquer avec Edgar Morin que :
« De même qu’en microphysique l’observateur perturbe l’objet, lequel perturbe sa
perception, de même les notions d’objet et de sujet sont profondément perturbées
l’une par l’autre : chacune ouvre une brèche dans l’autre. Il y a, nous le verrons, une
incertitude fondamentale, ontologique sur la relation entre le sujet et l’environnement,
que seule peut trancher la décision ontologique absolue (fausse) sur la réalité de
l’objet ou celle du sujet » (p. 60).

Cette relation d’incertitude, présente au cœur du vivant, en fait


également sa force, car comme le souligne à nouveau Edgar Morin :
« Une des conquêtes préliminaires dans l’étude du cerveau humain est de
comprendre qu’une de ses supériorités sur l’ordinateur est de pouvoir travailler avec
de l’insuffisant et du flou ; il faut désormais accepter une certaine ambiguïté et une
ambiguïté certaine (dans la relation sujet/objet, ordre/désordre, auto-hétéro-
organisation). Il faut reconnaître des phénomènes, comme liberté ou créativité,
inexplicables hors du cadre complexe qui seul permet leur apparition » (p.51).

Pourrions-nous alors envisager que ces principes jouent un rôle


fondamental dans les constituants primaires des organismes
biologiques et du développement de la psyché ? Et de manière plus
générale, comment ces principes s’articulent-ils à la mémoire, la
conscience et la créativité ? Le concept d’information paraît pertinent
de ce point de vue et Edgar Morin note qu’il faut « considérer
l’information organisationnelle, tantôt comme une mémoire, tantôt
comme un message, tantôt comme un programme, ou plutôt comme
tout cela à la fois » (p. 36). Il défend dès lors une vision
« euphorique du monde » reposant sur une unité fondamentale à
laquelle les expériences exceptionnelles donneraient peut-être
accès. De telles hypothèses restent à démontrer mais elles aident à
réfléchir lorsque certaines observations cliniques défient nos cadres
de pensée usuels. Ces élaborations théoriques paraissent donc
appropriées tant qu’elles restent nuancées et susceptibles d’ouvrir la
voie à une compréhension raisonnée de ces expériences.
Le deuxième cadre théorique que nous souhaiterions brièvement
présenter, et qui prolonge ces différentes hypothèses, est la reprise
par le philosophe et physicien allemand Harald Atmanspasher de la
« conjecture Jung-Pauli » (Atmanspacher, 2014 ; Atmanspacher &
Fach, 2019 ; Atmanspacher & Fuchs, 2017) qui a également
participé au développement de la théorie quantique faible
(Atmanspacher, Römer & Walach, 2002). Nous avons tenté de
résumer cette théorie avec un schéma (page suivante) que nous
allons commenter brièvement.

La conjecture Jung-Pauli et ses développements


à partir du modèle d’Harald Atmanspacher

Ce modèle suppose tout d’abord qu’il existe un niveau ontologique


du réel (le domaine de l’ontique, de l’être en soi, en dehors donc du
champ du connaissable), qui relève de ce que Jung désigne comme
l’Unus Mundus (le Monde Un en latin) et que l’on peut considérer
comme la substance même du réel tel décrit par Lacan (1981) ou du
O de Bion (1965). Il est dit « non boolien », c’est-à-dire qu’il est
continu et ne peut-être discriminé selon des caractères de type
« vrai/faux » ou « oui/non ». Le temps et l’espace ne sont pas des
coordonnées qui organisent sa structure. Il s’agit d’un monde qui
nous échappe de par sa nature même et que l’on peut considérer
comme étant a-causal, a-temporel et a-spatial. L’esprit et la matière
seraient l’expression « parallèle » de l’Unus Mundus prenant en
même temps la forme de l’esprit (les états mentaux) et de la matière
(les états de la matière). Les premiers donnent lieu à une expérience
subjective et phénoménonale interne (le point de vue en première
personne) étudiés, par exemple, par la phénoménologie et la
psychanalyse, tandis que les seconds peuvent être étudiés à la
troisième personne et de manière externalisée au sujet (par
exemple : les lois physiques ou biologiques des systèmes et des
organismes vivants). Ces deux registres épistémiques (en tant que
champs de connaissances susceptibles d’être appréhendés par
l’être humain) sont donc l’expression d’une décomposition du réel.
Néanmoins, cette substance ontique demeure toujours en arrière-
fond de ces modalités d’expression. Celles-ci s’exprimeront selon le
contexte d’appréhension épistémique, ce qui souligne l’onticité
relative de ces modes d’être dans le champ des états mentaux,
comme dans celui des états de la matière. C’est plus précisément
par l’observation – et donc, on peut le supposer, l’expérience
consciente – que l’Unus Mundus est en quelque sorte « traduit » en
éléments subjectifs et objectifs. Les phénomènes deviennent dès
lors appréhendables par le biais de la mesure dans un monde régi
par les coordonnées spatiales et temporelles. Les sciences de la
subjectivité et les sciences de la matière étudient chacune les lois
spécifiques qui organisent ces deux domaines séparés par un
clivage épistémique. Ce modèle est considéré sur le plan
épistémologique comme une forme de monisme dit à « double
aspect », car il suppose une même matière (psyché et cerveau)
abordée selon deux perspectives différentes. Ces deux perspectives
peuvent entretenir des relations de causalités étudiables
scientifiquement (par exemple : l’influence des représentations
mentales sur le métabolisme). Elles sont alors appelées corrélations
structurelles et ont des propriétés suffisamment stables pour que l’on
puisse déterminer leurs principes qui sont stables et reproductibles.
Si l’on suit les pistes théoriques ouvertes par ce modèle, la clinique
des expériences exceptionnelles, et plus précisément les
interactions psi, seraient le fruit de corrélations d’une autre nature
appelées corrélations induites, corrélations psychophysiques ou
encore correspondances signifiantes. Elles sont la conséquence
d’interactions entre les états mentaux et les états de la matière par
l’intermédiaire de l’Unus Mundus. On peut se les représenter comme
des corrélations de « contre-bande » qui s’étayent sur les
dimensions ontiques du réel et qui s’émancipent des lois habituelles
du temps et de l’espace. Ces corrélations pourront alors être de
deux types : soit elles peuvent induire des mouvements de
coïncidences, soit, à l’inverse, des mouvements de dissociation
entre les états mentaux et la matière (ce que l’on retrouve dans le
schéma de Wolfgang Fach présenté en p. 23). Ces corrélations
obéissent à des lois spécifiques de complémentarité – décrites
notamment par le MPI – et que l’on peut expliciter selon plusieurs
principes de la physique quantique. Par exemple, le fait d’observer
des phénomènes dans le domaine épistémique engendrera une
transformation du domaine de l’ontique. Ceci pourrait aider à
comprendre comment l’observation peut en elle-même modifier,
voire supprimer, l’existence même de ces interactions qui ne
semblent pouvoir s’exprimer qu’en dehors de l’expérience
consciente. Ce modèle, qui demeure hypothétique – et dont les
implications vont d’ailleurs bien au-delà de la clinique des
expériences exceptionnelles –, a néanmoins une profondeur
heuristique certaine qui donne lieu actuellement à diverses
expérimentations dans le but de démontrer sa pertinence (Wittmann
et al., 2007). Il pourrait en particulier aider à mieux saisir les relations
si complexes entre l’esprit et la matière, et plus largement la place et
l’influence de la conscience dans ces relations, thématique qu’il
serait probablement nécessaire de mieux comprendre en tant que
préalable indispensable à la détermination de la nature profonde des
expériences exceptionnelles.

Notes
1. Didier Anzieu (1974) a également montré que les premières
enveloppes du Moi se constituent en étayage sur les propriétés de la
peau.

2. Des convergences entre psychanalyse et neurosciences


émergent ici avec les travaux de Jackendorff. Selon cet auteur,
certains éléments psychiques correspondent « à des représentations
de niveau intermédiaire […] situées à mi-chemin entre le niveau le
plus “périphérique” ou sensoriel et le niveau le plus “central” de la
pensée » (Varela, 1999, p. 91). Johnson utilise ainsi le terme de
« schèmes d’images kinesthésiques » qui « s’originent dans
l’expérience corporelle, qui peuvent être définis en termes
d’éléments structurels, possèdent une logique élémentaire, et
peuvent être projetés métaphoriquement de manière à structurer
une large palette de domaine cognitifs » (p. 241). Cette définition est
étonnamment proche des pictogrammes et des signifiants formels.
Psychanalyse et neurosciences se rejoignent ainsi pour comprendre
la façon dont le psychisme produit par étapes successives une
« matière psychique » à partir de sa rencontre avec l’environnement.

3. Dans le champ des médiations thérapeutiques (Brun, 2010), on


retrouvera ces traces pré-figuratives de représentation psychique
dans la manière dont la feuille de dessin est traitée par des enfants
souffrant de psychose infantile : la feuille de dessin est arrachée
(« une peau commune est arrachée ») ; les tubes de peinture sont
atomisés (« ça explose ») ; l’enfant se laisse tomber de manière
récurrente (« un appui s’effondre »). Il s’agit d’expériences « sans
sujet » qui se transfèrent sur l’objet médiateur et qui correspondent à
des « contenus » de pensée relatifs à la symbolisation primaire en
attente d’un « contenant » (Bion, 1965). Ces éléments concernent
des sensations ainsi que des états du corps qui pourront se mettre
en forme dans le contact avec la médiation.

4. Henri Michaux a d’ailleurs fait un usage conséquent des états


modifiés de conscience induits par les psychédéliques.
5. Les neurosciences cognitives proposent un point de vue
complémentaire concernant ces processus de symbolisation qui
président à l’émergence de la subjectivité. Damasio (2010) et
Edelman (2000) décrivent tous deux les premières formes de
processus psychiques menant au développement de la conscience.
Damasio (2010) propose en particulier une distinction entre le
protoself (des patterns neuronaux représentant l’état corporel
interne), la conscience de base (l’organisme devenant conscient de
ses propres ressentis) et la conscience étendue (le degré le plus
élevé de la pensée qui implique le temps et l’espace permettant
l’émergence des souvenirs autobiographiques). Edelman (1990,
2011) propose quant à lui une distinction entre la conscience
primaire et un degré de conscience plus élevé s’appuyant sur un
cœur dynamique (un pattern d’activité neuronale spécifique) et la ré-
entrée (les signaux continus d’une région cérébrale à une autre) de
cartes neuronales progressivement sélectionnées par l’évolution.
Ces théories soulignent dans quelle mesure la subjectivité est la
conséquence de différentes « couches » de conscience qui se
développent à partir d’une forme primaire de conscience. Ces
modèles insistent également sur l’idée que la conscience primaire et
les niveaux plus élevés de conscience sont interconnectés.

6. D’une durée d’environ une minute, cette vidéo est constituée de


courtes séquences énigmatiques en noir et blanc. On y voit
notamment une échelle qui tombe, une femme qui se peigne dans
un miroir, et une mouche qui semble sortir de la vidéo. L’échelle qui
tombe peut être interprétée comme l’expression d’un signifiant
formel (« un appui qui s’effondre »).

7. Pour Bleger (1967), dans le registre du noyau agglutiné, « Il n'y a


ni doute, ni certitude, ni confusion, il y a indifférenciation, ce qui
revient à dire déficit de la discrimination et de l'identité ou déficit de
la différenciation entre moi et non-moi ».

8. Lorsque les signifiants formels rentrent en jeu dans les


communications avec autrui, ils peuvent être à la source
d’expériences prenant la forme de transferts de pensées comme
nous le verrons au chapitre sept.
9. Le terme de « communication ontique » fait référence au schéma
de la conjecture Jung-Pauli (cf. p. 175) en tant que forme de
communication « potentielle » située au niveau du réel et qui serait
plus originaire encore que les pictogrammes. Le terme de
« communion ontique » (plutôt que communication) pourrait
également être pertinent pour mieux la distinguer d’autres formes
d’interactions.

10. On notera qu’à l’époque où se tiennent les échanges entre Freud


et Ferenczi, les métapsychistes travaillant avec des voyants
parviennent, de façon parallèle, à des idées proches de celles
développées par les psychanalystes concernant certains
mécanismes fondamentaux de l’inconscient. Nous avons analysé ce
point en nous centrant sur La connaissance supranormale, d’Eugène
Osty (Rabeyron, 2010). On retrouvera la même logique à l’œuvre
dans les dessins télépathiques de René Warcollier ou d’Upton
Sinclair.

11. Nous avons présenté les expériences du professeur Murray et le


rapport de Freud à ces dernières dans cette publication : Evrard &
Rabeyron, 2017.

12. Nous pourrions également citer Descartes, Hegel ou encore


Schopenhauer, parmi les philosophes qui en sont arrivés à une
position favorable envers l’existence de la télépathie. Plus tard,
même Albert Einstein, initialement sceptique sur ce sujet, prendra
une position plus ouverte à la lecture du livre Mental Radio d’Upton
Sinclair, qui présentait les résultats d’expériences de télépathie du
même type que celles menées par René Warcollier à l’Institut
Métapsychique International. Dans une lettre de juillet 1946,
envoyée à Ehrenwald, Einstein précise ainsi que certains résultats
d’expériences de télépathie sont « très intéressants » et qu’« on ne
devrait pas aller de par le monde avec des œillères ». Au total, on
compte 23 prix Nobel s’étant prononcés publiquement en faveur de
l’existence de ces perceptions : Prudhomme, Pierre Curie, Marie
Curie, Strutt-Rayleigh, Thomson, Marconi, Maeterlinck, Sabatier,
Carrel, Richet, Rolland, Yeats, Perrin, Compton, Bergson, Mann,
Pauli, Dean, Schweitzer, Eccles, Josephson, Salam, Mullis (Evrard,
2019, Nobel Prize and Parapsychology, texte non publié).

13. Mayer organisa, dès 1997, un séminaire intitulé : « Intuition,


communication inconsciente et transfert de pensée » lors du congrès
annuel, sur la côte est, de l’American psychoanalytic Association.
Elle remarque à cette occasion que les analystes n’osent guère
parler publiquement de ces expériences, ce qui souligne une
nouvelle fois la force du contre-transfert induit par ces vécus (Mayer,
2007, p. 14).

14. Cela ne signifie pas pour autant que les processus psi ne
concernent que 5 % des situations cliniques, car on peut envisager
qu’ils soient présents de manière plus discrète dans certaines de
celles-ci, voire même qu’ils sont d’une manière ou d’une autre
toujours présents en arrière-fond de l’activité psychique comme le
suppose par exemple le psychologue clinicien James Carpenter
(2012) avec sa théorie de la « première vue ».

15. Ce service sera présenté au chapitre dix.

16. Voir à ce propos : Bronner (2007).

17. Cette hypothèse rend compte du fait que, chaque année, par le
simple fait du hasard, se produit fréquemment une conjonction entre,
par exemple, un rêve et un événement réel quand on tient compte
de larges populations. Mais cette hypothèse explique mal les cas
pour lesquels une même personne rapporte avoir vécu de telles
précognitions à plusieurs reprises. Voir sur ce sujet notamment les
nombreuses situations rapportées par Bertrand Méheust (2003). De
ce point de vue, la probabilité statistique s’effondre et d’autres
hypothèses paraissent nécessaires.

18. Le sujet devait deviner cinq chiffres situés en hauteur et qu’il ne


pouvait voir en position allongée, son activité cérébrale étant
simultanément étudiée à l’aide d’un EEG.

19. François Roustang (2006) rapporte également plusieurs cas de


supervision qui semblent liés à des influences à distance. Il
remarque cependant que discuter de ces interactions « susciterait la
plus grande inquiétude » car il serait impossible « d’importer ces
phénomènes dans notre culture ». Lors d’un séminaire à l’ENS lors
duquel j’ai pu échanger avec lui à ce propos, il me répondit ceci :
« La plupart des gens ne l’ont pas vu et ne le voient pas dans cet
ouvrage. De même que les gens ne voient pas ça chez Hegel ou
chez James. Il faut une grande prudence, la raison a toujours raison.
Il s’agit d’être plus rationnel en ce domaine qu’en aucun autre ».

20. D’autres physiciens ont également tenté de rendre compte de


ces mécanismes, en particulier le physicien hollandais Dick Bierman
(2008), qui a proposé plusieurs hypothèses portant sur les
paradoxes que produiraient ce type d’intrications. Selon Bierman, il
ne s’agit pas tant de paradoxes quantiques structurels et spatiaux
que de paradoxes de nature temporelle. Bierman part de l’idée que
le formalisme mathématique et physique ne permet pas d’exclure –
et même, au contraire, pour des raisons théoriques, envisage plutôt
l’existence – de formes d’« ondes » qui ne vont pas du passé vers le
futur mais également du futur vers le passé. Bierman conçoit ainsi
l’ensemble des expériences de télépathie comme étant en réalité
des auto-prémonitions, idée que l’on retrouvait également chez
François Favre (Evrard, 2016).

21. Celles-ci, démontrées notamment par les expériences d’Alain


Aspect en 1981, mettent en évidence qu’une mesure effectuée sur
une particule issue d’un couple de deux particules initialement
intriquées a une influence instantanée sur la mesure de l’autre
particule. Il s’agit de ce qu’Einstein appelait a spooky action at a
distance et qu’il supposait, à tort, comme une impossibilité théorique,
car suggérant un échange d’information plus rapide que la vitesse
de la lumière.

22. Il ne s’agit pas pour autant d’intrications quantiques, car celles-ci


se produisent dans des conditions très spécifiques de température et
de durée qui paraissent incompatibles avec l’émergence de
représentations mentales au niveau cérébral. Néanmoins, des
travaux récents tendent à montrer que des processus quantiques
sont à l’œuvre dans le vivant à des niveaux plus élaborés que ce
que l’on ne le pensait jusque là. De récentes expériences mettent
ainsi en évidence l’utilisation par les plantes de processus
quantiques lors de la photosynthèse. Pour autant, à notre
connaissance, aucune preuve scientifique ne permet à l’heure
actuelle d’expliquer comment de telles interactions pourraient avoir
une influence au niveau du cerveau et encore moins entre deux
cerveaux. Il convient donc de garder toute la prudence nécessaire
en ce domaine et de considérer ce modèle avant tout comme étant
de nature métaphorique.

23. Sur le plan expérimental, le fait de favoriser la motivation des


sujets ou de leur proposer un « feed-back » améliorera les résultats,
car cela catalyse les liens entre les différentes parties du système.

24. De ce point de vue, il existe probablement une relation de


complémentarité entre expériences exceptionnelles et troubles
psychopathologiques qui sont comme les vases communicants des
mêmes processus. La conflictualité psychique et les éléments non
symbolisés tendent donc naturellement à s’exprimer par
l’intermédiaire des expériences exceptionnelles.

25. Il existerait plus précisément une relation de complémentarité


entre la structure et la fonction d’un système conduisant au principe
d’incertitude au niveau macroscopique. Les effets psi proviendraient,
dans ce modèle, de corrélations non locales qui dérivent de
processus d’intrication régis selon des relations d’incertitude entre la
structure et la fonction d’un système.

26. Si de telles hypothèses sont pertinentes, elles pourraient avoir


des conséquences bien au-delà du simple champ de la psychologie
des expériences exceptionnelles. De nombreuses recherches en
sciences humaines, en pharmacologie ou en médecine, impliquant
des effets faibles sont confrontées elles aussi à cet effet de déclin.
Elles pourraient s’avérer n’être que des artefacts relatifs à ce type
d’intrications.

27. Ce principe d’élusivité rappelle d’ailleurs le « phénomène


d’éparpillement » déjà décrit par Jan Ehrenwald (1978, 1981).
28. Certains auteurs, comme Hansen (2001), suppose que ce
caractère élusif serait en réalité intentionnel et dériverait de ce qu’il
appelle le trickster.

29. Christine Hardy (2000) reprend également les théories de Varela


pour développer la « théorie des champs sémantiques » afin de
rendre compte de certaines logiques des perceptions psi.

30. L’électricité, pourtant essentielle au fonctionnement du corps


humain, est si discrète qu’elle est difficilement discernable en
comparaison, par exemple, de son expression lors de certains
phénomènes météorologiques. De même, la clinique des
expériences exceptionnelles mettrait en lumière des formes
extrêmes du psi alors que celui-ci serait un composant essentiel et
discret de la matière biologique, comme peut l’être l’électricité.

31. Certains membres de la SPR, comme le physicien William


Barrett, avaient déjà cette intuition dès 1882. Barrett distingue ainsi
le « transfert de pensée » de la « transfusion de pensée », la
seconde n’opérant pas selon lui sur le mode d’un transfert de signal.
Nous pourrions distinguer de la même façon le transfert et la
communion de pensée.

32. Pour aider à comprendre les relations subtiles entre causalités


locales et non locales, Von Lucadou propose la métaphore d’une
éponge (corrélations locales) imbibée d’eau (corrélations non
locales). Une expérience portant sur les perceptions psi revient à
extraire l’eau de l’éponge, ce qui conduit progressivement à sa
disparition, comme si celle-ci s’évaporait dès lors qu’elle n’était plus
contenue dans l’éponge. En somme, l’extraction des corrélations
non locales ne permet par leur existence autonome. On ne peut
donc qu’en repérer les effets dans un contexte local, sinon ceux-ci
se dissipent rapidement pour des raisons relatives à leur nature
même. Une autre métaphore pourra s’avérer parlante : les
corrélations non locales émergent dans des systèmes clos (comme
un œuf). Dès lors que l’on tente de briser sa clôture
organisationnelle (la coquille), l’organisation interne nécessaire à
l’émergence de ces intrications devient impossible.
Chapitre 6

Les abductions :
clinique de l’originaire

« Près de quarante années dans le champ de la psychiatrie ne m’ont aucunement


préparé à ce que j’ai rencontré en travaillant auprès de personnes rapportant des
expériences d’abduction. »
John Mack, Abduction

Nous avons jusqu’à présent choisi d’aborder les expériences


exceptionnelles comme un ensemble. Cette partie de l’ouvrage va
explorer de façon plus détaillée quatre expériences exceptionnelles
(abductions, télépathie, sorties hors du corps et expériences de mort
imminente) dans le but d’approfondir les analyses précédentes. Le
lecteur ne sera donc pas surpris de découvrir certaines thématiques
déjà abordées de façon plus panoramique au cours des cinq
premiers chapitres. Pour chacune de ces expériences, nous avons
centré la réflexion sur une dimension conceptuelle en particulier
(originaire, intersubjectivité, réflexivité, transformation) afin de
montrer comment cette clinique interroge nos modèles théoriques et
conduit en retour à repenser la théorie à ses limites selon la logique
des « extensions » décrites par René Kaës (2015). Nous
commencerons par les expériences d’abduction car celles-ci
questionnent les dimensions les plus originaires du fonctionnement
psychique.
PHÉNOMÉNOLOGIE ET FACTEURS ASSOCIÉS
AUX EXPÉRIENCES D’ABDUCTION

Les expériences d’abduction1 (alien abduction experiences)


représentent l’une des formes les plus originales d’expériences
exceptionnelles (Rabeyron, 2017). Elles correspondent à
l'impression habituellement très réaliste d’avoir été enlevé par des
extraterrestres. Ce qui pourrait apparaître de prime abord comme
une expérience délirante se produit en réalité le plus souvent chez
des personnes ne souffrant pas de troubles psychopathologiques
avérés (Mack, 1994 ; Parnell & Sprinkle, 1990), même si elle émerge
parfois au sein d’un tableau psychopathologique plus global
(Goldberg, 2000 ; Neagoe, 2000). Malgré le caractère étrange d’un
tel vécu, de nombreuses personnes rapportent ainsi avec sincérité,
et parfois avec une grande souffrance, ce type d’expérience
(Cardeña et al., 2014).
Comprendre l’origine de ces expériences nécessite de revenir
brièvement sur quelques éléments sociologiques concernant la
représentation des extraterrestres dans notre culture qui les associe
souvent aux observations d’objets volants non identifiés (ovni ; ufo
en anglais)2. Ainsi, l’une des premières observations d’ovni qui a fait
date après la Seconde Guerre mondiale fut celle du pilote américain
Kenneth Arnold qui rapporta l’observation de plusieurs « soucoupes
volantes », le 24 juin 1947, lors d’un vol privé dans l’état de
Washington3. Quelques années après cette observation, et sa large
médiatisation, George Adamski rapporta à son tour, en 1952, un
« contact » rapproché – dit du « quatrième type »4 – lors
d’une rencontre avec des extraterrestres dans le désert californien
au cours de laquelle il aurait voyagé à bord de leur vaisseau spatial
(French & Stone, 2013). Le cas d’Antonio Villas-Boas est également
présenté comme l’un des premiers cas d’abduction, celui-ci s’étant
déroulé au Brésil, en 1957, et ayant pour originalité à l’époque
d’avoir donné lieu à un abus sexuel lors de l’enlèvement (French &
Stone, 2013). Par la suite, le phénomène d’abduction prendra de
l’ampleur aux États-Unis avec la publication et la diffusion du
premier cas médiatique de ce type à partir de 1965. Il s’agit de celui
des époux Betty et Barney Hill qui, suite à un épisode de « temps
manquant »5 (missing time), en septembre 1961, lors d’un trajet en
voiture pour revenir dans le New Hampshire, rapportèrent à leur tour
sous hypnose – utilisée à la demande de Betty Hill – une expérience
d’abduction. Les récits de cet ordre, dont on pouvait déjà trouver des
préfigurations dans la littérature de science-fiction (Méheust, 1992),
se feront alors de plus en plus nombreux dans la culture et les
médias sous forme de récits, de livres et de films6.
Il est difficile d’évaluer précisément combien de personnes ont vécu
une telle expérience. Strieber rapporte avoir reçu pas moins de 250
000 lettres de personnes pensant avoir vécu une abduction
(Lagrange, 2007). Hopkins a estimé pour sa part que près de quatre
millions d’Américains pourraient avoir vécu une telle expérience.
Patry et Pelletier (2001) ont trouvé, sur un échantillon
de 398 Américains, près de 2 % rapportant avoir vécu des éléments
relatifs à la phénoménologie des abductions. Il paraît peu plausible
que chacun d’entre eux ait vécu cette expérience dans sa totalité,
mais ces chiffres soulignent néanmoins sa prégnance aux États-
Unis. La moitié des abductés proviendrait des États-Unis selon
Bullard (1987), même si un grand nombre sont également originaires
d’Argentine, du Brésil, de l’Australie et de Grande-Bretagne. Les cas
sont en revanche plus rares en Afrique, au Moyen-Orient, en Asie et
en Europe continentale (Cardeña et al., 2014). Certains auteurs,
comme Jean-Claude Maleval (2012), évoquent ainsi un « syndrome
d’enlèvement extraterrestres » représentant une épidémie du même
ordre que l’augmentation, aux États-Unis, des cas de personnalités
multiples ou des souvenirs d’abus sataniques (Hacking, 1998). Si
cette phénoménologie est plus limitée dans l’hexagone, le clinicien
pourra néanmoins, à l’occasion, être confronté à ce type de récit si la
personne s’autorise à lui en parler, ce qui est peu fréquent dans le
cadre de consultations psychologiques ou psychiatriques7.
L’expérience en elle-même, particulièrement réaliste, produit
habituellement sur le sujet un sentiment profond et durable, souvent
déstabilisant, donnant naissance à différentes formes d’angoisses.
Lorsqu’il est demandé au sujet de se remémorer son expérience,
tandis que l’on mesure ses variables physiologiques, on observe
ainsi les marqueurs d’un syndrome de stress post-traumatique
comparables à ceux des vétérans de guerre ou des victimes de viols
(McNally et al., 2004). Cette dimension traumatique explique en
partie l’intérêt développé pour les abductions par la psychiatrie et la
psychologie clinique à l’université d’Harvard, notamment à travers la
figure emblématique du psychiatre John Mack (1994)8. Celui-ci a
rencontré plus d’une centaine d’abductés et a rédigé plusieurs
ouvrages à leur sujet qui ont fait grand bruit lors de leur publication
(en particulier Abduction, en 1994, qui rapporte le cas de treize
abductés9), apportant une caution scientifique à ces récits, qui, pour
Mack « ne sont ni des hallucinations ni des rêves, mais des
expériences réelles ». On lui doit notamment le terme de « choc »,
« clash » ou encore de « résistance » ontologique pour décrire l’état
dans lequel se trouvent ces personnes après leur expérience. Cette
notion fait écho aux réflexions de l’épistémologue Thomas Kuhn sur
le concept de paradigme, produisant chez le sujet une « rupture
paradigmatique » comme propose de l’appeler Renaud Evrard
(2015), engendrant parfois ce que Mack nomme une
« expansion paradigmatique »10. À noter cependant que le choc
existentiel qui découle de ce type d’expérience n’est pas
systématique étant donné le caractère hétérogène des réactions
rapportées (Schäfer, 2013).
Quelques mots à présent de la phénoménologie à proprement parler
des abductions qui recoupe un certain nombre d’étapes et de
thématiques récurrentes. Nous pouvons tout d’abord remarquer que
l’expérience se produit le plus souvent à l’heure du coucher ou au
cours de la nuit. Elle est alors fréquemment remémorée sous la
forme d'un rêve au contenu inhabituel. Les détails de l’expérience
émergent souvent durant des sessions d’hypnose pratiquées après
coup – dans près de 40 à 70 % des cas (Bullard, 1989) – pour
retrouver des aspects présumés cachés d’une expérience
partiellement remémorée. Par le biais de l’étude de près de 270 cas
d’abduction, Bullard (1987) dégage un temps de rencontre avec des
êtres (aux apparences variées, dont la forme la plus caractéristique
est dite des « petits-gris ») donnant lieu à un temps d’enlèvement11.
Se produit ensuite habituellement une phase d'examen, physique et
psychologique, qui peut s'avérer particulièrement désagréable et
traumatique, donnant lieu dans certains cas à des rapports sexuels
non consentis avec les extraterrestres. Ces rapports sont souvent
interprétés comme appartenant à un programme de mélange des
ADN humain et extraterrestre. Certaines femmes pensent même
être tombées enceintes de la sorte (Newman & Baumeister, 1996) et
rapportent parfois communiquer par télépathie avec leurs enfants à
distance. Il arrive ensuite qu’une visite de la galaxie soit organisée,
celle-ci étant l’occasion d’un discours au caractère spirituel, religieux
et écologique – souvent transmis de manière télépathique –
concernant les dangers de la guerre et l’importance de protéger la
planète12. Survient enfin le « retour », ainsi que les conséquences
après-coup de l’expérience, qui peuvent être aussi bien d'ordre
somatique (marques sur le corps, coupures, brulures, recherche
d’implants13), psychosomatique (vomissements, troubles gastriques,
problèmes d’équilibres, déshydratation) que psychologique
(amnésie, hypersensibilité, cauchemars, angoisse, stress post-
traumatique).
Différentes hypothèses ont été proposées pour expliquer les
abductions. Tout d’abord, la croyance en l’existence d’entités
extraterrestres serait un facteur prédisposant qui orienterait le cadre
d’interprétation de troubles du sommeil, ce que nous explorerons
plus en détail un peu plus loin. De ce point de vue, on notera que
près d’un tiers des Américains considère sérieusement l’existence
d’extraterrestres (Patry & Pelletier, 2001), croyance qui s’avère plus
répandue chez les hommes que chez les femmes. Pour autant, les
expériences d’abduction sont plus fréquentes chez les femmes que
chez les hommes, mettant en exergue les limites d’un modèle
explicatif fondé uniquement sur les croyances. Les facteurs culturels
seraient également un élément prédisposant comme le montrent
plusieurs études lors desquelles les sujets, provenant de la
population générale sont invités à imaginer une expérience
d’abduction (French & Stone, 2013). Ceux-ci décrivent
habituellement une expérience imaginaire qui combine les éléments
classiques de l’abduction, mettant en évidence le fait que sa
phénoménologie appartient dorénavant au patrimoine culturel
commun, notamment par le biais de la science-fiction14 (Meurger,
1995). On remarquera néanmoins certaines variations d’une culture
à une autre, même si la plupart des éléments qui composent
l’abduction demeurent les mêmes. Par exemple les extraterrestres
sont habituellement d’un contact plus sympathique au Brésil qu’aux
États-Unis (Carpenter, 1997). Pour certains auteurs, les abductions
représentent également, sur le plan sociologique, une forme
d’expression originale de certaines préoccupations sociales
contemporaines (écologie, dangers du nucléaire, conflits armés,
etc.) (Gulyas, 2013).
Certains traits de personnalité pourraient également s’avérer un
facteur favorisant, en particulier la tendance à l’imaginaire, même si
les études menées sur ce sujet conduisent à des résultats
hétérogènes (French & Stone, 2013)15. En effet, les études
quantitatives peinent à différencier la population générale des
abductés en fonction de ce paramètre (Spanos, Cross, Dickson &
DuBreuil, 1993). En revanche, l’analyse de cas et de biographies
met en évidence la prévalence de la tendance à l’imaginaire parmi
les abductés (Bartholomew, Basterfield & Howard, 1991). D’autres
facteurs de personnalité ont été évoqués, en particulier une porosité
psychique exacerbée, même si les données manquent également
pour confirmer cette hypothèse (Spanos et al., 1993). Des
Rorschach ou des TAT menés auprès d’abductés n’ont pas permis
d’observer de différences notables (Slater, 1985).
Au niveau psychopathologique, comme nous l’avons déjà évoqué, il
n’existe pas non plus de différences significatives au sein des
populations composées d’abductés (Parnell & Sprinkle, 1990),
hormis un taux de tentatives de suicide cinq fois plus élevé que dans
la population générale (Stone-Carmen, 1994). On remarquera
également une prévalence significative du nombre de traumas dans
l’enfance au sein des populations d’abductés (Ring & Rosing, 1990),
une plus grande tendance aux processus hallucinatoires, à la
dissociation et à l’absorption (Clancy et al., 2002 ; French & Stone,
2013). On notera enfin qu’ils rapportent un nombre élevé
d’expériences exceptionnelles et de croyances au paranormal
(Basterfield, Thalbourne et al., 2002 ; French, Santomauro,
Hamilton, Fox & Thalbourne, 2008). L’ensemble de ces éléments ont
conduit certains auteurs à évoquer une « personnalité encline aux
rencontres » (encounter prone personality) (Parnell & Sprinkle,
1990 ; Ring & Rosing, 1990) ayant une tendance à la dissociation du
fait d’expériences traumatiques dans l’enfance.
Plusieurs hypothèses psychanalytiques ont également été
proposées pour rendre compte des expériences d’abductions, en
particulier le fait que celles-ci seraient la conséquence de souvenirs-
écrans d’un abus réel qui ferait retour de manière déguisée à l’âge
adulte. Selon Powers (1994, 1997), le retour d’éléments
traumatiques sous forme d’abduction réduirait l’angoisse et
permettrait l’intégration de l’abus initial au sein d’une trame narrative.
Lawon (1984) suppose pour sa part que les abductions seraient une
réminiscence de la naissance tandis que Grosso (1985), suivant les
hypothèses proposées par Jung (1961), souligne leur dimension
archétypale.
Enfin, des hypothèses plus originales ont été envisagées, à
commencer par le fait que les abductions pourraient correspondre
au retour d’éléments mémoriels issus d’interventions chirurgicales,
ce qui nécessiterait d’être attentif à l’anamnèse chirurgicale (Forrest,
2008). Le fait que l’expérience d’abduction puisse correspondre à un
enlèvement réel par des extraterrestres a également été évoqué par
plusieurs auteurs (Cardeña, Lynn & Krippner, 2013), hypothèse qui
est loin d’avoir emporté la conviction de la communauté scientifique
étant donné la rareté et le manque de fiabilité des récits d’abduction
confirmés par d’autres personnes, hormis quelques rares cas qui
sont l’objet de controverses16. John Mack (1994) a également
proposé l’idée que ces personnes auraient été en lien avec une
autre forme de réalité dont nos modèles épistémologiques actuels
ne rendraient pas compte.
Nous avons recueilli environ une dizaine de récits d’abduction et,
parmi ceux-ci, nous allons présenter deux situations cliniques. Nous
les avons sélectionnées car elles nous ont semblé bien illustrer les
processus sous-jacents à ces expériences. Bien sûr, il ne s’agira pas
de ne prétendre à une quelconque exhaustivité dans l’analyse, étant
donné la complexité des processus mis en jeu dans ce type
d’expériences.

Cas clinique : Orythie


Orythie est âgée d’une trentaine d’années. D’allure soignée, bien intégrée
socialement, mariée et mère d’un enfant, elle nous contacte concernant une certaine
sensibilité liée à plusieurs vécus étranges auxquels elle ne parvient pas à donner un
sens. Il s’agit en particulier d’une expérience qui s’est produite quand elle était enfant
et dont elle a du mal à déterminer l’éventuelle véracité. Elle la considère comme une
possible expérience d’abduction. Celle-ci s’apparente à un rêve très réaliste dont la
nature lui paraît fort différente de ses productions oniriques habituelles. Cette
expérience l’a profondément marquée et elle s’interroge sur la possibilité d’utiliser
l’hypnose afin de l’explorer davantage.
Orythie raconte ainsi comment, lorsqu’elle était âgée de huit ans, alors qu’elle
dormait chez ses grands-parents, elle s’est trouvée soudainement comme
« aspirée » au cours de la nuit dans un grand espace lumineux ressemblant à un
tunnel dont elle ne pouvait distinguer les contours. Elle voyait à l’intérieur de celui-ci
des centaines de lits d’hôpitaux. Des personnes étaient allongées tandis que des
expériences étaient réalisées sur les patients par des êtres translucides et sans nez,
à peu près de la taille d’un enfant de huit ans. Orythie découvre alors, avec effroi,
qu’un œil et son nerf optique ont été sortis de leur orbite ou encore l’extraction d’un
intestin d’un de ces patients. Elle peut échanger avec ces êtres par télépathie et
découvre que ceux-ci ne semblent pas comprendre la notion de douleur. Ils lui disent
également « Nous reviendrons pour toi le… », en lui donnant un jour précis de
l’année. Orythie se réveille alors en pleurs et complètement choquée, ce qui conduira
ses grands-parents à appeler ses parents pour qu’ils viennent la chercher.
Depuis cette expérience, Orythie redoute la date en question de peur que ces êtres
ne reviennent la chercher. Elle a donc pris l’habitude de ne rien faire ce jour-là et de
rester seule comme dans une « bulle ». Elle a également rédigé une petite nouvelle
dont le titre est cette date anniversaire et dans laquelle une jeune fille décède ce jour-
là. Cependant, si c’est essentiellement l’inquiétude qui prévaut, une certaine
ambivalence émerge également du discours d’Orythie, car celle-ci semble aussi
regretter que rien ne se soit produit ce jour-là jusqu’à présent, comme si elle n’avait
pas été digne du retour de ces êtres ou qu’ils l’avaient oubliée. Elle reste donc avec
cette expérience ne sachant qu’en faire, ni quelle signification lui donner, ce qui
participe par ailleurs de son sentiment « de ne pas être complète ».
Cette expérience s’insère au sein d’un panorama composé de multiples expériences
exceptionnelles qui ont émaillé la vie d’Orythie et autour desquelles elle a le
sentiment de s’être construite. Elle évoque ainsi la vision d’un compagnon
imaginaire, quand elle était enfant, sous forme d’un lapin blanc qui apparaissait
surtout dans la salle de bain. Il restait à ses côtés durant plusieurs minutes et
« prenait » sa douleur sur lui avant de disparaître. Elle le reverra plus tard, à
plusieurs reprises, notamment à dix-huit ans, après une dispute avec son père,
tandis qu’elle se cachait dans la salle de bain. Ce lieu représentait un espace de
sécurité dans lequel elle s’enfermait quand elle était enfant lors de disputes entre ses
parents. Elle se blottissait alors contre sa mère et sa sœur, dans la baignoire, pour se
protéger d’une violence paternelle qui a pu les conduire à plusieurs reprises à quitter
le domicile familial. Orythie évoque également plusieurs sorties hors du corps, la
vision d’un « fantôme » quand elle était plus jeune – « une vieille dame avec un
foulard rouge » – ce qui la fait s’interroger sur la nature et la normalité de ces
expériences. Pour essayer d’y voir plus clair, elle a d’ailleurs réalisé une carte de ces
différents vécus. Elle sent qu’il y a là comme une énigme qu’elle ne parvient pas à
résoudre. Ce sentiment s’associe chez elle à une difficulté plus globale à se satisfaire
de cette vie terrestre qui ne lui convient pas véritablement. Son intérêt pour le
bouddhisme et les religions s’est d’ailleurs développé au fil des ans, ainsi que
différentes pratiques ésotériques, comme le spiritisme et les cartes divinatoires,
celles-ci étant associées à des intuitions qui lui sont utiles dans son travail.
Ces expériences sont mêlées à une difficulté à faire la différence entre ses rêves et
la réalité. Il lui arrive, par exemple, de rêver de situations du quotidien très proches
de la réalité, mais dans lesquelles quelques détails seront modifiés. Elle fait
également de nombreux rêves de catastrophes impliquant des incendies et des
tsunamis au cours desquels ses proches sont présents. Ces rêves sont associés à
un mal-être plus généralisé, qui, lorsqu’elle était plus jeune, a pu donner lieu à de
l’insomnie, des troubles anorexiques ainsi que des pensées suicidaires. Ces
symptômes ont néanmoins disparu pour la plupart avec l’arrivée d’un enfant. La joie
de vivre qui caractérise Orythie tend parfois à diminuer quand le sentiment d’être
différente et de ne pas appartenir à ce monde devient trop grand. Elle s’interroge
alors sur sa sensibilité, ses origines et le sens de celles-ci, véritable question
existentielle pour elle. L’expérience d’abduction demeure particulièrement
énigmatique à cet égard étant donné qu’elle ne sait pas, en définitive, déterminer son
niveau de réalité.

Cas clinique : Perséphone


Perséphone, âgée d’une trentaine d’années, contacte le service de consultation pour
des vécus « émotionnels et profonds », marqués en particulier par des « visites » et
de nombreuses expériences de visions et d’apparitions. Elle décrira, tout au long des
entretiens, de façon chronologique et avec moult détails, différentes expériences
vécues depuis l’enfance. Elle se rappelle tout d’abord avoir vu, à l’âge de huit ans,
des « lueurs bleues » et une « silhouette noire » qui se penchait sur son lit au cours
de la nuit. Malgré l’étrangeté de cette vision, celle-ci ne lui faisait pas peur. Elle la
trouvait au contraire rassurante, car survenant dans un contexte familial difficile, lié
en particulier à un violent conflit parental qui conduisit au divorce de ses parents. Elle
a beaucoup souffert d’une situation très tendue, où son père alcoolique frappait
régulièrement sa mère et sa sœur. Quand cette violence se déchaînait, elle restait
cachée sous son lit et essayait ensuite de consoler une mère dépressive avec
laquelle la communication était difficile. Enfant sensible, Perséphone vivait mal ce
manque de communication et l’impression plus globale d’être le « vilain petit canard
de la famille ». Elle fut également victime d’abus sexuels à plusieurs reprises par une
connaissance de sa famille alors qu’elle était enfant. Perséphone fera à l’âge adulte
de nombreux cauchemars en lien avec ces agressions sexuelles et elle rapportera
des sentiments de « présences ». Ceux-ci se traduisent par l’impression désagréable
que quelqu’un se trouve à ses côtés, le soir, une fois les lumières éteintes, ce qui
peut s’associer à l’impression de sortir de son corps. À la même époque, elle
commencera également à développer des intuitions et à prédire de petits
événements de la vie quotidienne.
Après s’être mariée, Perséphone vivra très mal une fausse couche. Elle avait le
pressentiment qu’elle allait perdre son enfant et, pendant longtemps, elle ne sera pas
en mesure de mettre des mots sur cette expérience. Cet événement réactivera des
souvenirs douloureux en lien avec les agressions sexuelles de son enfance. Alors
que son couple va mal, Perséphone commence ensuite à « descendre moralement »
et les sentiments de présences se multiplient. Elle ressent en particulier, le soir,
comme un souffle sur elle et elle a l’impression qu’on respire sur son visage. Elle se
demande alors si elle n’est pas en train de « devenir folle ». Quelque temps plus tard,
sa belle-mère lui rend visite un matin, dans un grand état d’agitation. Elle lui raconte
avoir vu la veille un ovni au-dessus de la maison de Perséphone. Au moment de
rentrer les chiens, elle avait entendu un bourdonnement qui avait fait trembler les
vitres. Elle était alors sortie et avait pu observer une « énorme masse » au-dessus de
la maison.
Les difficultés de couple se faisant plus pressantes, une possible séparation est
évoquée. Perséphone découvre également qu’elle souffre d’un problème aux
cervicales nécessitant une intervention chirurgicale. Un soir, alors qu’elle discute au
téléphone avec un proche qu’elle soutient pour son propre divorce, elle voit dans
l’encadrement d’une porte une « forme blanche, vaporeuse, en l’air, comme un
nuage de fumée ». Cette forme devient progressivement plus opaque. Perséphone
tente de la toucher, mais elle « disparaît brusquement, comme un ballon de
baudruche qui se dégonfle ». Elle se souvient avoir éprouvé des sensations étranges
durant cette apparition, « comme un soulagement ». Il s’est ensuite produit un autre
phénomène qui la perturbée : lors d’une séance de Oui-Ja, alors que les participants
ont le doigt sur le verre, celui-ci « refuse » de bouger puis se met à se déplacer de
façon anarchique avant d’« insulter » son mari. Le verre s’approche alors de
Perséphone et « propose » plusieurs fois les mêmes mots : « pont-passeur-
extraterrestre ». Envahie d’une grande angoisse, elle n’utilisera plus le Oui-Ja
pendant plusieurs années.
Elle va vivre une nouvelle expérience un peu après, une « visite » qu’elle a
longtemps gardée pour elle et dont elle paraît troublée à la simple évocation. Lors de
cette expérience, elle se réveille une nuit alors qu’elle est couchée sur le dos. Elle
revoit la « lumière bleutée » de son enfance, une « lumière diffuse et non
éblouissante ». Elle se rend compte qu’elle est paralysée pendant que son cœur se
met à palpiter. Elle sent également plusieurs présences au pied de son lit, des
silhouettes qu’elle ne peut discerner. Elle a soudain très peur, mais arrive néanmoins
à tourner la tête vers elles. Elle observe un « être » qui, lui tenant la main, est comme
« à son chevet ». Elle ressent des sentiments ambivalents et contrastés à son égard,
se trouvant simultanément angoissée et rassurée. Perséphone a également
l’impression qu’un autre être est derrière elle, ce qui est impossible, puisqu’il n’y a là
que le mur.
Elle fixe celui qui se tient à ses côtés. Sa « peau est plutôt rugueuse » et il a de
« grands yeux noirs et vides ». Elle déteste ces yeux dans lesquels « on ne sait pas
ce qui se passe et qui vous aspirent ». Elle a le sentiment d’être impuissante et « à la
merci de quelque chose qui vous atteint au plus profond ». Elle éprouve alors la
sensation d’être « vidée d’un seul coup et de ne plus rien ressentir », tout en ayant
paradoxalement « l’impression d’être remplie ». Elle perçoit ensuite une pression sur
l’épaule droite accompagnée d’une douleur très vive. Elle se débat, affolée, et fond
en larmes, en état de choc, avant de sortir soudainement de son état de paralysie.
Elle s’assoit sur son lit et réveille son mari qui ne parvient pas à la calmer. Le
lendemain, elle tente de se convaincre qu’il ne s’agissait que d’un cauchemar mais
elle reste néanmoins troublée par cet épisode. Elle ne comprend pas pourquoi elle
réagit de façon si disproportionnée. Elle se dit qu’il ne peut s’agir d’un événement
réel, que cela n’a aucun sens que des êtres soient ainsi venus la trouver dans sa
chambre. Pourtant, elle a l’intime conviction qu’on a « envahi son espace », comme
lorsqu’on est « agressé » et « impuissant », au point que, durant trois semaines, elle
évoluera dans un état post-traumatique caractérisé par le fait qu’elle avait « peur de
tout ».
Perséphone ressent alors, malgré ses propres réticences, qu’il est question de
« choses latentes » auxquelles elle devra faire face. Son mari se plonge pour sa part
dans la littérature ufologique pour trouver des réponses aux questions qu’ils se
posent, même si Perséphone ne souhaite plus en entendre parler. Elle finira par dire
qu’elle s’intéresse aux ovnis le jour où elle en verra un. Et c’est effectivement ce qui
se produit une semaine plus tard. Rentrant un soir chez elle, elle sent à nouveau qu’il
y a « quelque chose derrière elle » et voit dans le ciel « une grande masse
triangulaire ». Autour de cette masse, elle observe des lumières orange et jaune,
« très douces et pas du tout agressives ». Elle n’a pas peur, elle est simplement
« surprise » et souhaite que d’autres personnes puissent observer le même
phénomène. Elle se précipite donc chez elle, l’ovni l’accompagnant lentement et
silencieusement. Ses deux fils et son mari observent à leur tour cette forme, de
l’arrière, brillant d’« une lumière bleue très douce ». Perséphone se souvient bien que
cet objet « glissait » et était « très aérien », comme s’il était vivant et qu’elle était « en
osmose » avec lui. Elle se sent alors très heureuse et associe cette observation aux
formes blanches vues quelques années auparavant.
Quelques mois après cette observation, une nouvelle « visite » se produit.
Perséphone est réveillée par un « bruit énorme » au cours de la nuit, comme si « tout
le bois de la maison se mettait à craquer en même temps ». Elle a également
l’impression « d’être tombée sur le lit » et n’arrive pas à se réveiller, alors qu’elle est
dans un état « particulier et bizarre », comme « après une anesthésie ». Elle entend
des cris au loin mais ne parvient pas à réagir. Une deuxième déflagration survient
alors et son mari se réveille à son tour. Ils se rendent auprès des enfants. Sa fille,
âgée de deux ans, pleure, assise dans son lit et comme « tétanisée ». L’un de ses
fils, lui aussi réveillé, raconte avoir vu « une petite dame » arriver par la fenêtre,
accompagnée d’une lumière. Quant à son second fils, il a entendu un
bourdonnement et a eu l’impression que « son lit avait été soulevé ». Celui qui a vu
cette « petite dame » rapportera ensuite avoir vu également à plusieurs reprises des
« personnages », suivant toujours le même scénario : il s’endort puis se réveille
tandis que ces personnages l’entourent et qu’il ne parvient pas à bouger. Après
quelques mois, comme il dort de plus en plus mal – il est également réveillé par une
« dame rouge qui a de grands yeux et pas de cheveux » -, Perséphone en parlera à
son médecin généraliste, mais les examens pratiqués se révéleront négatifs. Elle-
même rencontre à nouveau à cette époque des problèmes de santé. Ceux-ci
débutent par des saignements de nez et des céphalées, mais une IRM pratiquée ne
montrera rien d’anormal.
Il se produit un peu après une nouvelle expérience étrange. Un soir, Perséphone
entend avec son compagnon des pas dans la chambre de sa fille pourtant endormie.
Ils entendent également à l’extérieur de la maison des claquements dont ils ne
peuvent repérer l’origine. Le lendemain, leur fille raconte que « quatre êtres avec des
capuches » sont venus dans sa chambre. Elle ne s’en est pas inquiétée outre
mesure, d’autant, dit-elle, que ce n’était pas la première fois. Ces êtres lui parlent,
mais elle ne comprend pas ce qu’ils lui disent. Elle se recouche alors et se rendort.
Elle verra lors d’une autre occasion une « boule avec des ailes » se poser à côté de
son lit. Le deuxième fils de Perséphone continue pour sa part à voir des
personnages. Différentes visions sont ainsi partagées par toute la famille, notamment
au cours de l’été, lorsqu’ils verront ensemble un « grand cigare blanc » briller dans le
ciel.
Perséphone décrit une dernière « visite » qui s’est déroulée quelques mois avant nos
entretiens. Elle se réveille durant la nuit et croit voir dans le couloir un « corps nu »
dont elle ne peut distinguer « ni le visage, ni le sexe ». Cette « chose » se place
derrière elle. Elle se sent plaquée sur son lit et ne peut plus bouger. Elle commence à
paniquer et sent qu’on lui tire le bras pour la retourner. Elle voit alors un « être blanc,
les yeux en amande » tout près de son oreille, un « être blanchâtre et laiteux »…
Paralysée, elle a également la vision d’un médecin qui lui ouvre la bouche et regarde
à l’intérieur de son nez. Elle sort finalement de cet état étrange, très fatiguée et
particulièrement nerveuse. Elle se sent en colère et se demande pour quelles raisons
elle doit à nouveau subir tout cela. Elle s’inquiète, car elle est enceinte – ce qui est
toujours le cas lors de nos entretiens – et elle espère que cette expérience n’aura
pas d’impact sur son bébé. Elle s’interroge : comment doit-elle se comporter avec
ses enfants à propos de ces « visites » ? Que penser plus généralement de ce
qu’elle vit ? Quelle est l’explication de ces différents phénomènes et existe-t-il un lien
entre eux ? Concernant l’interprétation de ces phénomènes, Perséphone expliquera
ne pas avoir de croyances particulières. D’une manière générale, elle se décrit
comme non croyante et peu tournée vers les questions spirituelles. Elle a longtemps
pensé qu’elle était responsable de tout cela, mais elle continue à s’interroger à
propos de l’origine de ces expériences mystérieuses qui la perturbent profondément.
L’ABDUCTION, ENTRE PARALYSIE DU SOMMEIL
ET PROCESSUS HYPNOÏDES

Nous allons à présent explorer plusieurs axes thématiques dans le


but de mieux comprendre les processus sous-jacents aux
expériences d’abduction. Nous partirons des hypothèses les plus
manifestes avant de nous tourner progressivement vers une lecture
plus latente afin de mieux saisir les liens complexes unissant réalité
psychique, état de conscience, clivage et trauma dans la continuité
des réflexions initiées au chapitre trois sur la solution paranormale. Il
paraît tout d’abord nécessaire de souligner l’état particulier dans
lequel se sont trouvées aussi bien Orythie que Perséphone lors de
leurs expériences. En effet, comme dans la majorité des cas, les
abductions se produisent souvent la nuit, tandis qu’elles sont alitées,
même si de ce point de vue la phénoménologie du cas de
Perséphone apparaît plus complexe. Une première hypothèse
consiste donc à considérer l’expérience d’abduction comme le fruit
de phénomènes liés au sommeil et à l’endormissement, et plus
particulièrement à la paralysie du sommeil (Hufford, 2005 ; Kinne &
Bhanot, 2008 ; Siddiqui, Qureshi & Al Ghamdi, 2018). Celle-ci
correspond à un trouble survenant aussi bien à l’entrée dans le
sommeil (état hypnagogique), au réveil (état hypnopompique), qu’au
cours de la nuit. Touchant près de 25 à 40 % de la population
(French & Stone, 2013), la paralysie du sommeil se caractérise par
le fait que le dormeur se sent paralysé et incapable de parler
pendant parfois plusieurs minutes. Une sensation d’oppression au
niveau de la poitrine est également caractéristique de cet état. Sur le
plan neurologique, la paralysie du sommeil est associée à un
dysfonctionnement de la coordination et de la transition entre les
phases de sommeil paradoxal et de réveil (cf. p. 35). Des analyses
électroencéphalographiques ont ainsi mis en évidence le fait que le
sujet se trouve dans un état particulier. Il évolue de manière
consciente au sein d’un environnement sensoriel onirique relevant
du sommeil paradoxal (Takeuchi, Miyasita, Sasaki, Inugami et al.,
1992). L’atonie musculaire présente pendant ce dernier – qui
empêche la réalisation d’actions physiques durant le sommeil – est
la conséquence de l’inhibition des motoneurones spinaux par un
neurotransmetteur, la glycine.
Cet état induit également une hyper-vigilance rendant le sujet plus
sensible aux stimuli de l'environnement. Des sensations de
présences inquiétantes et des hallucinations réalistes émergent
alors fréquemment, celles-ci pouvant s’accompagner d’une grande
anxiété. Certaines personnes seraient tentées de rendre compte de
ce qu’elles vivent par le biais d'interprétations paranormales. Il n'est
ainsi pas rare de rencontrer des personnes terrorisées par ces
expériences nocturnes, étant persuadées d'être attaquées par des
forces démoniaques et invisibles. Plusieurs études ont confirmé que
les abductés rapportent davantage de phénomènes de paralysie du
sommeil (Cheyne, Rueffer & Newby-Clark, 1999 ; French et al.,
2008 ; Spanos et al., 1993). Pour Baker (1995), l’expérience
d’abduction relève ainsi de manière caractéristique des
hallucinations liées au sommeil, celles-ci étant amenées à varier
selon l’époque et la culture. Dans le folklore et la littérature
ésotérique, l’exemple le plus typique est représenté par les incubes
et les succubes. L’incube – qui provient du latin incubus, « couché
sur » – est considéré comme un démon masculin tandis que le
succube est un démon qui prend l’apparence d’une femme.
Cependant, la paralysie du sommeil ne saurait rendre compte à elle
seule des expériences d’abduction, comme l’illustre notamment le
cas de Perséphone qui témoigne d’un débordement de l’expérience
au-delà des phénomènes liés au sommeil. Spanos et al. (1993)
rapportent également que près de 40 % des expériences
d’abduction se produisent dans une situation non liée au sommeil.
L’expérience semble alors le fruit de processus associés de manière
plus globale aux états modifiés de conscience tels que nous les
avons décrits au chapitre cinq (Vaitl et al., 2013). De ce point de vue,
aussi bien la clinique que les dernières avancées en neurosciences
cognitives soulignent la tendance naturelle de la psyché à basculer
d’un état de conscience à un autre, modifiant d’autant le rapport à la
réalité. Freud et Breuer (1895), dans les Études sur l’hystérie,
utilisaient d’ailleurs déjà le terme d’« hystérie hypnoïde » pour
souligner la prégnance des états hypnoïdes dans cette affection. Ils
supposaient plus précisément que l’événement traumatique à
l’origine de la névrose se serait produit lors de cet état, ce qui
engendrerait secondairement les symptômes hystériques.
On observe également, de manière plus générale, la variation de
l'hypnotisabilité selon la situation dans laquelle se trouve le sujet.
Par exemple, plusieurs études récentes ont mis en évidence que les
personnes en fin de vie ont tendance à être davantage
hypnotisables (Spiegel, 1985). La capacité à se placer dans ce type
d'état serait donc mobilisée lorsque la réalité externe devient trop
pénible, s’agissant d’une illustration de la « stratégie du roseau »
déjà décrite. Celle-ci produit une exacerbation de la perméabilité
psychique, favorisant la survenue d’états hypnoïdes et conduisant,
dans certains cas, à des expériences interprétées par la suite
comme étant paranormales, notamment sous forme d’abduction. On
remarquera également qu’il ne s’agit pas seulement de l’émergence
spontanée d’un état modifié de conscience, mais que celui-ci est
parfois recherché par le sujet. Ainsi, dans près de 30 à 70 % des
cas, l’expérience semble « enrichie » ultérieurement lors de séances
réalisées avec un psychothérapeute utilisant l’hypnose (Clancy et
al., 2002), démarche effectuée aussi bien par Perséphone que par
Orythie17.
De ce point de vue, les dernières recherches en ce domaine –
brièvement évoquées au chapitre cinq – mettent en évidence que le
sujet revit dans cet état de conscience les événements plus qu'il ne
s'en souvient. On observe ainsi, sous IRM fonctionnel, que les zones
cérébrales activées sont identiques à celles mises en jeu lorsqu'une
personne effectue réellement une tâche, alors que le simple fait de
l'imaginer à l'état vigile ne conduit pas à une activation de même
intensité (Maquet et al., 1999). L’hypnose permet donc de produire
des hallucinations qui correspondent à un fonctionnement cérébral
du même registre que celui induit par la perception d’un objet
externe. Ces données laissent penser que l’aspect réaliste des
expériences d’abduction pourrait être corrélé à une activité
neurologique spécifique proche des états hypnotiques. On notera
ainsi avec intérêt, comme nous l’avons déjà évoqué, que plusieurs
personnes qui ont pu observer des abductés lors de leur expérience
rapportent qu’ils se trouvaient dans un état de transe et de perte de
conscience (French & Stone, 2013).
Persinger et Makarec (1987) ont proposé pour leur part l’idée qu’une
plus grande labilité temporale, caractérisée par des patterns
d’activation anormaux au niveau des lobes temporaux, serait
susceptible de conduire à l’émergence de processus hallucinatoires.
Enfin, ces processus s’articulent très probablement de manière plus
globale à la production de faux souvenirs. Ainsi, les recherches de
Loftus (1993, 2001) ont-elles mis en évidence que le simple fait
d’imaginer un événement pouvait produire chez certains sujets des
faux souvenirs, ce que Loftus appelle « l’inflation imaginaire ». Il est
possible que les abductés, dans l’après-coup, du fait d’une tendance
à l’imaginaire prononcée, produisent un « remodelage imaginaire »
de l’expérience au fil de son récit et de la place qu’il prendra dans
leur économie psychique. Il conviendra donc de distinguer les
processus liés au sommeil et aux états modifiés de conscience à
l’origine de l’expérience, de son éventuel enrichissement dans
l’après-coup en fonction de la trame subjective au sein de laquelle
elle s’insère.

ABDUCTION, CLIVAGE ET TRAUMA


Si la paralysie du sommeil et les états modifiés de conscience
expliquent en partie la phénoménologie des expériences d’abduction
du point de vue neurologique, ils ne sauraient rendre compte de
leurs soubassements subjectifs. Or, comme l’illustrent les cas
d’Orythie et de Perséphone, l’expérience est largement infiltrée par
des éléments affectifs et s’inscrit d’une manière spécifique dans la
vie psychique du sujet. Aussi bien Orythie que Perséphone
rapportent ainsi une enfance difficile, émaillée de nombreux
épisodes traumatiques. On notera en particulier, pour chacune
d’elles, une crainte prononcée de la violence paternelle. Ces
observations cliniques rejoignent les travaux anglo-saxons
soulignant la prégnance des phénomènes de paralysie du sommeil
et d’hallucinations hypnagogiques au sein de populations ayant
souffert de violences et d’abus durant l’enfance (McNally & Clancy,
2005).
Ces expériences traumatiques semblent induire une tendance à
l’hypnotisabilité convoquée de façon privilégiée par les expériences
exceptionnelles. Nous rejoignons ici les recherches de Barber et
Wilson (1983) sur la personnalité encline à l’imaginaire (fantasy
prone personality). Comme nous l’avons vu au troisième chapitre,
ces chercheurs ont pu mettre en évidence une forte corrélation entre
trauma et tendance à l’imaginaire au sein d’une population
composée de femmes ayant subi des abus durant l’enfance. Marie-
Claire Gay (2005) note, à propos de ces personnes :
« À l’âge adulte, ils continuent à vivre dans un monde de fantaisie et considèrent que
le rêve éveillé, l’imagination et la fantaisie occupent une place centrale dans leur vie.
Ils compensent notamment une vie affective souvent peu satisfaisante et leurs
déceptions en développant une vie parallèle, et possèdent, entre autres, une
imagination sexuelle très développée. En vieillissant, ils n’ont donc pas cessé de
rêver, mais ont cessé d’en parler. […] De même, le fait qu’ils aient un imaginaire très
développé ne peut être détecté à première vue et rien ne les distingue des gens
ordinaires » (p. 129).

Gay remarque également que « la majeure partie de ces sujets très


imaginatifs ne présentent aucun trouble psychologique » rejoignant
ainsi les observations concernant l’absence globale de troubles
psychopathologiques au sein de populations d’abductés. Il existerait
donc un lien étroit entre abduction, trauma et développement d’une
structure de personnalité orientée par la tendance à l’imaginaire.
Ces observations rejoignent les théories de Sandor Ferenczi (1932)
concernant l’importance des épisodes traumatiques dans la réalité et
ses conséquences pour l’étiologie de certaines psychopathologies. Il
en résulte selon lui une « confusion des langues » entre les désirs
de l’adulte et la souffrance de l’enfant, fruit d’un trop plein de
séduction, menant à un « clivage narcissique » du Moi se produisant
parfois avant l’émergence du langage. Le traumatisme conduirait
également à une identification à l’agresseur et à son introjection. Les
éléments traumatiques clivés auraient alors tendance à faire retour
de manière déformée lors de certaines expériences oniriques, le
rêve étant une tentative d’élaboration. Le clivage du Moi
empêcherait cependant le travail de symbolisation de l’expérience,
expliquant le caractère traumatique de l’abduction qui répète la fois
l’effroi initial et le clivage qui lui a succédé. Les abductions seraient
ainsi à considérer comme la mise en scène imaginaire d’éléments
traumatiques associée à une introjection de la figure de l’agresseur.
De ce point de vue, ces expériences représentent un paradigme
clinique original pour étudier la manière dont la psyché fait advenir
dans la subjectivité certains vécus traumatiques, l’état de lâcher-
prise associé à la paralysie du sommeil et le fait d’être allongé
opérant comme un catalyseur. Une telle hypothèse permet de mieux
comprendre le cas de Perséphone et les agressions dont elle fut
l’objet. Le trauma représente alors un noyau traumatique qui pourra
s’exprimer aussi bien sous forme de réminiscences quasi-
hallucinatoires que de rêves. L’expérience traumatique fera retour à
l’adolescence sous la forme de cauchemars puis de sentiments de
présence récurrents. La psyché semble ainsi rechercher différentes
formes de solution protéiformes dans le but d’intégrer le trauma.
Perséphone est également confrontée à différentes « visites » qui
paraissent garder la trace de ce retour partiel de l’abus dans la
subjectivité. À l’évocation de son vécu – un être qui se plaque à ses
côtés, respire au-dessus d’elle et l’empêche de bouger –, on pense
naturellement aux agressions de son enfance. Certaines
expériences d’abduction correspondraient donc au retour, sur le
mode hallucinatoire, de vécus antérieurs clivés, conséquence de ces
abus sexuels. Ces vécus hallucinatoires, en particulier sur le plan
kinesthésique, seraient donc « réels » mais correspondraient à un
autre temps, d’où leur caractère très réaliste. Ne pouvant être
élaborés, ils seront mis en scène au sein de la trame narrative que
représente l’expérience d'abduction18. Le traumatisme viendrait
donc représenter cette tentative de réélaboration, par le psychisme,
sur le mode de la compulsion de répétition, de ces vécus congelés,
lors d’états modifiés de conscience favorisant l’advenue des
processus régrédients. Il ne s’agit donc pas tant d’un trauma suscité
par l’expérience présente que du retour d’une expérience antérieure.
MYSTERIOUS SKIN : L’ABDUCTION COMME DESTIN DU
TRAUMA

Le film Mysterious Skin (2004), réalisé par Gregg Araki à partir de l’ouvrage éponyme
de Scott Heim illustre ces différentes hypothèses. Il décrit le destin de plusieurs
adolescents victimes d’attouchements durant l’enfance. Si l’un deux, Neil, se tourne
vers divers comportements à risque, un autre, Brian, fait l’expérience de réminiscences
de l’abus initial sous forme d’abductions qui le conduiront à rechercher d’autres
personnes ayant vécu la même expérience. C’est également un point important
souligné par Roe et Morgan (2002) concernant l’appui narcissique que représente pour
le sujet le fait de se considérer comme un abducté et d’appartenir à cette communauté.
Comme en témoigne le cas d’Orythie, le sentiment d’avoir été « choisie » pourrait
renvoyer au fait d’avoir été choisie par l’adulte séducteur. Il en découle d’ailleurs une
forme d’ambivalence (les aliens reviendront-ils ?) entre dimension narcissique de ce
choix (« Je suis spéciale si j’ai été choisie ») et en même temps crainte de revivre la
situation traumatique qui en a découlé. À noter également l’interrogation récurrente à
propos des origines mystérieuses de ce choix qui pourrait renvoyer au questionnement
de l’enfant concernant les motivations de son agresseur.

En ce sens, l’expérience d’abduction est une excellente illustration


des logiques de l’après-coup. Le sujet se trouve confronté dans un
premier temps à un épisode de détresse et d’effroi – ce que Freud
(1914) nomme la « névrose d’effroi » – lors duquel il rencontre de
manière passive un événement de nature traumatique, le plus
souvent sexuel, auquel il ne peut donner du sens. N’ayant pas les
capacités de refouler l’événement en question, il le clive de son
expérience subjective, ce qui le conduit à l’enkyster au plus profond
de son être. Par la suite, comme le souligne Jean Laplanche (1987),
« laissé en attente, le souvenir n’est pas en lui-même pathogène, ni
traumatisant. Il ne le devient que par sa reviviscence lors d’une
seconde scène qui entre en résonance associative avec la
première » (p. 111). Ce n’est donc pas tant la scène d’abduction à
l’âge adulte qui est source de trauma que l’expérience originelle qui
est la source de l’énergie psychique effractante et traumatisante. La
théorie du traumatisme en deux temps, caractérisée par la logique
de l’après-coup, met ainsi en lumière la dimension auto-traumatique
de l’expérience d’abduction. Ceci souligne également le fait que le
sujet n’est pas uniquement en difficulté face au retour d’un
événement réel, mais aussi face à une pulsion interne qui découle
de la trace mnésique non élaborée. Ce retour traumatique se fera
sous forme du processus hallucinatoire « négatif du trauma » pour
César et Sara Botella (2001). La régrédience favorisée par l’état
modifié de conscience, à la faveur de la nuit le plus souvent,
permettra ainsi l’émergence de l’irreprésentable traumatique, ce qui
n’empêche pas d’ailleurs que le patient ait des souvenirs du trauma
initial. Ce qui importe, c’est qu’une part de celui-ci ait été l’objet du
processus de clivage. Il s’agit donc d’une « mémoire sans souvenir »
faisant retour sous forme d’un « transfert par substitution » (Botella &
Botella, 2001) illustrant la manière dont la scène d’abduction vient se
substituer à la scène d’agression dans l’enfance19.
Ce trauma et ses conséquences sont si intenses dans le cas de
Perséphone qu’elle semble les transmettre à l’ensemble du groupe
familial. Ses enfants rapportent en effet à leur tour des visites
nocturnes, produisant ce qui pourrait être considéré de prime abord
comme une forme de folie à plusieurs. Neagoe (2000) décrit à ce
propos une observation clinique du même ordre dans laquelle une
épouse transfère sa conviction en la réalité de son expérience à son
mari. Philippe Wallon (2000) évoque à ce propos des phénomènes
de « contagion affective » dont on saisit encore assez mal les
rouages et la dynamique psychique. Dans le cas de Perséphone,
nous sommes peut-être en partie dans le registre de l’illusion décrit
au chapitre quatre. Il paraît en effet probable qu’un stimulus visuel
(lors de la vision de l’ovni par exemple) ou auditif (lors des réveils
nocturnes de toute la famille) soit le noyau d’une expérience qui se
trouve ensuite infiltrée par les représentations inconscientes qui
circulent au sein de l’appareil psychique familial. De ce point de vue,
comme le soulignent de nombreux cas issus de la clinique des
expériences exceptionnelles, il arrive fréquemment que le ou les
enfants figurent de manière hallucinatoire ce pour quoi le parent
éprouve des difficultés à se représenter (cf. par exemple, Kyra et
Cole p. 88). L’enfant devient ainsi un appui narcissique certain
auprès d’un parent souvent traversé par la crainte de la folie. Le
clinicien pourra d’ailleurs être pris dans la même dynamique, ce qui
explique peut-être les raisons pour lesquelles certains spécialistes
des abductions en viennent à épouser au premier degré certaines
thèses des abductés. Cela souligne la force des enjeux traumatiques
sous-jacents.

FANTASMES DE SÉDUCTION ET SITUATION


ANTHROPOLOGIQUE FONDAMENTALE

L’expérience d’abduction se caractérise donc par l’émergence d’une


phénoménologie marquée par la paralysie du sommeil et les états
modifiés de conscience, conséquences supposées de différents
abus durant l’enfance. Mais les abductés ont-ils été tous confrontés
à des traumas de cet ordre ? Les expériences d’abduction
interrogent ainsi la nature du trauma à son origine, problématique
qui participe sans doute à rendre les auteurs anglo-saxons
perplexes, les conduisant à des débats marqués par une opposition
caricaturale entre l’hypothèse du trauma et celle de l’abduction
« authentique ». Il semble en effet leur manquer un cadre
paradigmatique leur permettant de comprendre la place du trauma
en fonction de son inscription au sein de la réalité psychique20. Nous
nous trouvons confrontés, d’une manière contemporaine, aux
interrogations initiales de Freud et Breuer concernant les origines de
la symptomatologie hystérique (1895). L’expérience d’abduction aide
alors à saisir plus avant les relations complexes existant entre
trauma et réalité psychique.
Pour cela, revenons tout d’abord aux théories initiales de Freud sur
ce sujet. Celui-ci proposa, dans un premier temps, l’hypothèse d’un
abus réel (inceste ou viol) à l’origine des symptômes hystériques,
théorie que Freud nomme Neurotica et que Laplanche (1987)
désigne comme la « théorie de la séduction restreinte ». Cet abus
dans l’enfance deviendra traumatique avec l’advenue de la sexualité
à l’adolescence signifiant après-coup le caractère sexuel de
l’expérience initiale. On notera avec intérêt, à ce propos, que cette
hypothèse est confirmée par les travaux de Susan Clancy (2009) –
qui a également travaillé sur les abductions (Clancy et al., 2002) –
montrant que le vécu habituel des enfants lors d’un abus dans
l’enfance n’est pas tant la peur que la confusion. Freud abandonne
finalement la Neurotica, ce qu’il explique dans la lettre 139, du 21
septembre 1897, adressée à Fliess. Il propose alors une seconde
théorie, plus élaborée et complémentaire de la première, pour rendre
compte de certains troubles hystériques. Freud comprend en effet
que le trauma n’est souvent pas le fruit d’un trauma réel, mais qu’il
semble en réalité la conséquence d’un fantasme inconscient de
séduction. Celui-ci engendre des « angoisses de désirance » que le
Moi ne parvient pas à intégrer, ce qui produit des effets traumatiques
menant aux symptômes hystériques. Cette avancée théorique et
clinique majeure permet ainsi à Freud de s’émanciper d’une lecture
naïve du trauma qui la restreint à des sources externes relevant
d’événements survenus dans la réalité21.
Dans cette perspective, Nathalie Charraud et Jean-Claude Maleval
(1997, 2003) soulignent la structure hystérique des abductés à partir
d’une analyse des cas rapportée par John Mack (1994). Ils
remarquent notamment la tendance des extraterrestres à se
« métamorphoser » d’un récit à l’autre (forme, taille, yeux, etc.)
malgré la récurrence des paramètres structurels de l’expérience. Cet
élément témoignerait du fait que nous sommes confrontés à une
expression protéiforme d'un fantasme névrotique, ou plus
précisément d’un délirium névrotique se nourrissant de matériaux
culturels (cf. p. 130). Charraud et Maleval (2003) supposent que
l’expérience d’abduction révèlerait un fantasme de séduction, le
corps de l'abducté mettant en scène le fait de devenir l’objet du désir
de l'Autre. Ils insistent en effet sur la scène de viol, centrale dans un
grand nombre d’abductions, comme expression d’un fantasme
inconscient de séduction lié à « des images négatives de scènes
d’un plaisir honteux » (p. 135). Cette scène serait ainsi « le dernier
écran fantasmatique qui masque la rencontre avec le réel », en
particulier le réel de la castration lié à la jouissance de l’Autre. C’est
d’ailleurs dans ce registre, qui caractérise l’au-delà du principe de
plaisir, que se situait le démoniaque pour Freud (1923). Le vampire
et le démon symbolisent cette extraction de la jouissance du corps
par l’Autre, ce que l’on retrouve dans les récits cauchemardesques
de succubes ou d’incubes. L’abduction mettrait ainsi en scène le
fantasme inconscient de séduction, provenant du désir de sa
transgression, ainsi que l’angoisse de castration suscitée par
l’expression fantasmatique de ce désir.
Celle-ci serait à entendre, selon Maleval et Charraud (2003), comme
une forme moderne de délirium hystérique qui produit parfois une
réduction de l’anxiété chez l’abducté. Le développement de
l’imaginaire, à la faveur notamment de l’hypnose, permet en effet au
sujet de mettre en place une défense contre le surgissement du réel
par cette production fantasmatique. Le groupe d’abductés est
également un soutien qui bénéficie au sujet sur le plan narcissique. Il
lui permet de partager son vécu intime ainsi que l’idéal commun qui
lui est lié, celui-ci participant d’une attaque du discours du Maître
faisant appel à une autre réalité. Maleval (1996) évoque d’ailleurs à
ce propos la « militance pour une cause » qui émerge souvent
comme forme finale d’évolution du délirium névrotique. L’expérience
d’abduction n’est donc pas sans bénéfices secondaires, comme
l’illustre le cas d’Orythie, qui pourrait passer du statut de victime à
celui d’élue. L’expérience d’abduction, malgré son caractère
traumatique, est donc marquée du sceau de l’ambivalence entre la
confrontation au réel de la jouissance de l’Autre et la réduction de
l’anxiété qu’elle suscite sur le plan fantasmatique. On comprend
mieux, dès lors, la logique des interventions de John Mack, suivant
peut-être son instinct de thérapeute chevronné. Il n’est en effet pas à
exclure que la régression hypnotique aide le sujet à produire une
représentation imaginaire faisant barrage au surgissement du réel et
sa nature traumatique. En ce sens, le sujet se trouve apaisé par
cette représentation du réel sous-jacent grâce au délirium névrotique
qui vient opérer comme « tampon » imaginaire.
La théorie de la séduction généralisée de Jean Laplanche (1987)
permet d’approfondir ces perspectives théoriques, l’expérience
d’abduction aidant alors à comprendre la place et la fonction des
fantasmes originaires dans la structuration psychique, ce qui
nécessite tout d’abord de décrire brièvement les théories de
Laplanche. Celui-ci suppose que le développement de la réalité
psychique se fait par le biais d’une « situation anthropologique
fondamentale » entre un nourrisson et un adulte donnant lieu à
l’inscription passive dans l’enfant d’un « sexuel pré-sexuel » – les
« signifiants énigmatiques » ou « messages compromis » – qui
gardent la trace de la sexualité inconsciente de la mère dans les
soins prodigués à l’enfant. Ces signifiants énigmatiques sont
progressivement internalisés sous forme d’un « objet source de la
pulsion » au caractère énigmatique dont la psyché tente de faire
sens par sa capacité auto-théorisante. Pour Laplanche, la source
ultime de la pulsion n’est donc pas le biologique, comme le
supposait Freud, mais l’Autre, selon une inscription de cette énigme
première au sein d’une temporalité originaire dont l’actualité dans la
psyché est par conséquent toujours présente. On passe ainsi de la
théorie de la séduction restreinte (un abus réel et localisé) à la
théorie de la séduction généralisée (une séduction originaire, fait de
structure).
L’expérience d’abduction serait à entendre comme le retour, de
manière détournée et selon un matériel culturel contemporain, de
cette énigme fondatrice de la psyché, en particulier lors
d’expériences hypnoïdes. N’est-il pas question, en effet, lors des
expériences d’abduction, d’un Autre qui s’occupe du sujet d’une
manière qu’il ne comprend pas et dont l’intention sexuelle lui
échappe ? Ceci aide également à saisir dans quelle mesure un
trauma est toujours articulé, dans la réalité psychique, à ce trauma
originaire, d’où la difficulté, en clinique, de distinguer ce qui relève du
fantasme d’un abus réel, les deux étant liés de manière indissociable
dans les temps les plus archaïques de la réalité psychique, voire
même dans le « hors temps » qui caractérise certaines couches de
l’inconscient. L’expérience d’abduction serait ainsi une forme d’auto-
théorisation hallucinatoire de la situation anthropologique
fondamentale qui se caractérise par l’état de désaide (Hiflogistkeit)
et de passivité premier dans lequel s’est trouvé le nourrisson. Cette
expérience représenterait cet Autre aux intentions énigmatiques22 –
prenant la forme d’un être inexpressif aux grands yeux noirs
impénétrables – qui vient implanter ce principe qui distingue la
psyché humaine, à savoir le fait d’avoir de l’étranger en soi (de
l’alien), de l’ADN psychique exogène implanté dans l’enfant par
l’adulte23. Il y a de l’étrange, de l’étranger, à l’origine d’un écart avec
nous-mêmes de par cette médiation par l’Autre. Celle-ci laisse sa
trace au cœur de l’être et l’énigme que représentent les intentions
inconscientes de l’Autre devient le fondement de l’activité auto-
théorisante de la psyché et de l’activité symbolisante.
ALIEN : L’ÉTRANGER EN SOI

Les films de la série Alien (1979, 1986, 1992, 1997) peuvent être interprétés comme
une tentative de scénarisation de cette question des origines, ce qui apparaît
également de manière flagrante dans Prometheus24 (2012) et Alien Covenant (2017),
préquels à la série Alien, qui illustrent les origines de cet être dangereux aux attributs
phalliques. La créature effrayante d’Alien rassemble des éléments phalliques
(puissance, bouche, forme, etc.) qui viennent masquer des enjeux plus archaïques du
registre maternel et féminin (l’alien le plus inquiétant n’est-il pas d’ailleurs la reine-
mère ?). Le féminin apparaît de ce point de vue comme la représentation de la toute-
puissance féminine qui découle du pouvoir de porter et donner la vie. La mère est
aussi une figure de toute puissance face à l’état de passivité de l’enfant qui vient au
monde, comme en témoigne la situation anthropologique fondamentale décrite par
Laplanche. La mère, et le féminin qu’elle représente, deviennent alors source
d’angoisse – en particulier pour certains hommes –, voire même une forme d’horreur,
comme en témoignent différentes expressions cliniques relevant du champ de la
perversion. On comprend mieux dès lors pourquoi l’héroïne de la série Alien (jouée par
l’actrice Sigourney Weaver) ne pouvait être qu’une femme et pourquoi la thématique
de la maternité est si présente en filigrane. L’intelligence artificielle, également très
visible dans Alien, s’associe à ces logiques puisqu’elle vient interroger ce qui distingue
l’espèce humaine de la matière inanimée, et questionne de manière complémentaire
les origines de la psyché. L’extraterrestre représenté dans les abductions serait donc à
entendre comme une figuration moderne de cette toute-puissance du féminin, dont les
processus se trouvent exprimés à leur paroxysme dans les œuvres de fiction. La
projection dans la science-fiction de cette problématique, dans un monde situé à
distance dans l’espace et le temps, a d’ailleurs la même fonction que le « il était une
fois… » du conte pour enfant. Il permet l’éloignement de thématiques psychiques trop
« chaudes » pour être traitées dans l’ici et maintenant. C’est ainsi aux limites que se
trouve l’essence des processus.

Cette expérience, lorsqu’on tente d’en décrypter la dimension


latente, est ainsi largement imprégnée de ce « sexuel pré-sexuel »
comme l’illustre le cas de Perséphone. Ce ne sera donc pas un
hasard que cet étranger prenne fréquemment la forme, dans les
expériences d’abduction, d’un extraterrestre qui utilise différents
objets à connotation sexuelle25. De la même manière, on
comprendra mieux plusieurs éléments phénoménologiques des
expériences d’abduction à commencer par les « implants » que les
sujets pensent parfois avoir en eux. Ceux-ci seraient la
représentation fantasmatique et métaphorique de l’implantation du
sexuel pré-sexuel de l’adulte en l’enfant, de cet « objet-source » de
la pulsion implantée dans le corps26. Il est souvent l’objet
d’interrogations concernant son sens, sa fonction, conservant ainsi
la trace du caractère élusif des signifiants énigmatiques. L’idée qu’il
serait un système de contrôle mental serait une illustration de
l’intrusion de la psyché maternelle dans la psyché de l’enfant. On
remarquera également avec intérêt que les signifiants énigmatiques
se situent dans un premier temps au niveau des enveloppes
corporelles. Ils émergent lors de l’investissement maternel du corps
de l’enfant et plus précisément de ses zones érogènes. On
comprend mieux dès lors pourquoi les abductés rapportent
essentiellement des abus concernant ces mêmes zones érogènes :
bouche, anus, sexe intéressent en effet les aliens de manière
prévalente.
L’expérience d’abduction apparaît en ce sens une figuration
contemporaine d’un vécu partagé par tout un chacun : cette
rencontre avec cette énigme première dont il s’agit de mettre en
sens, notamment par le biais des fantasmes originaires. La théorie
de la séduction généralisée amène en effet à considérer la situation
anthropologique fondamentale comme le fondement d’une matière
psychique transcendante. Celle-ci s’extrait des logiques temporelles
ultérieures au travers de son caractère « hors du temps », car cette
séduction se déroule avant la constitution d’une temporalité
psychique mature chez le nourrisson. On ne saurait
donc localiser temporellement cette expérience princeps. Le sujet
essaye néanmoins d’en donner une représentation afin de réduire
autant qu’il le peut l’anxiété qu’elle suscite, ce qui conduit à la
localiser dans le temps et l’espace de manière artificielle sous forme
d’abduction. Dès lors, cette expérience pourra advenir
indépendamment d’un contexte traumatique externe et objectivable,
comme cela est probablement le cas dans la plupart des situations
d’abduction. Le trauma, dans ce cas, est le fruit d’une attaque
interne, la conséquence d’une « angoisse de désirance », le sujet
étant « débordé par l’attaque interne de son objet-source qui ne
trouve plus à se symboliser » (Laplanche, 1987, p. 100). La scène
traumatique recherchée à l’origine de l’expérience d’abduction ne
peut alors être déterminée, car elle est un fait de structure qui vient
borner les vecteurs originaires de la réalité psychique elle-même.
Les abus traumatiques réels seront également structurés par ces
logiques de l’après-coup. La « séduction » dont l’enfant sera l’objet
ne deviendra en effet traumatique, le plus souvent, que par un effet
d’après-coup, lorsque celle-ci sera signifiée et intégrée par le
complexe d’Œdipe dans un premier temps, puis par les processus
pubertaires qui font émerger la signification sexuelle du pré-sexuel
implanté dans l’enfant. En ce sens, l’épisode traumatique qui fera
son retour lors de l’expérience d’abduction sera infiltré par ces
formes originaires de signification de l’expérience traumatique, ce
qui atténue les limites entre la séduction originaire « traumatique » et
l’aspect traumatique d’une éventuelle séduction réelle. Ces
« temps » sont en réalité indissociables car toute tentative de reprise
par la psyché pour contenir un trauma se fera en fonction de ses
premières assises auto-théorisantes. On comprend dès lors à quel
point il est vain de distinguer les facteurs exogènes et endogènes
dans le trauma : « Ici tout est exogène et en même temps tout est
endogène » comme l’explique Laplanche (1987, p. 112). On ne
saurait donc proposer une théorie du trauma sans développer une
théorie de la réalité psychique au sein de laquelle celui-ci s’insère,
comme l’illustrent les expériences d’abduction. Ceci permet de
mieux saisir les raisons pour lesquelles l’abus réel empruntera les
mêmes « circuits fantasmatiques » ayant trait aux modes de
figuration imaginaire portant sur la thématique des extraterrestres.
L’abduction apparaît ainsi comme une représentation moderne de la
Sphinge, un attracteur culturel de l’expression idiosyncrasique du
rapport à l’énigme aux fondements de la psyché.
Ce lien entre abduction et énigme de la sexualité se trouve poussé à
son paroxysme dans différentes œuvres de fiction ayant trait à cette
thématique, comme nous l’avons évoqué avec Alien. Ces processus
travaillent en effet la psyché au-delà de la communauté des
abductés et favorisent une production culturelle qui en déploie les
dimensions latentes, ce qui engendre une résonance entre réalité
psychique et productions diffusées dans la culture.
DARK SKIES : L’INSCRIPTION FAMILIALE DE
L’ABDUCTION

Ecrit et réalisé par Scott Charles Stewart, Dark Skies (2013) dépeint l’histoire de la
famille Baret, confrontée à des visites de plus en plus inquiétantes menant à
l’abduction de leur fils aîné. On remarquera que les phénomènes émergent avec la
rencontre, par l’adolescent, de la question de la sexualité lorsqu’il regarde un film
pornographique avec un ami. Cette thématique de la sexualité semble alors diffractée
sur les différents personnages de la famille : l’enfant en période de latence (qui sera
aveuglé), l’adolescent (qui tombe amoureux) et les parents (dont les ébats amoureux
ont lieu aussitôt les enfants éloignés). La venue des extraterrestres figure ainsi cette
rencontre avec l’étrangeté de la sexualité qui « dérange » le calme tranquille de la vie
familiale. On observe, parallèlement à la rencontre progressive avec les
extraterrestres, les enjeux latents de l’énigme de la sexualité aux différents âges de la
vie. L’aspect « chaud » de la sexualité contraste avec l’aspect « froid » et distant des
extraterrestres comme formation réactionnelle. Le phénomène des abductions apparaît
ainsi comme la face émergée d’une expression culturelle plus globale ayant comme
but la représentation et la mise en scène métaphorisée, du fait du refoulement, des
origines les plus énigmatiques de la vie psychique.

L’abduction apparaît donc comme une expérience originale et


surprenante qui s’étaye sur des éléments neurobiologiques relatifs
aux troubles du sommeil et aux états hypnoïdes participants de sa
phénoménologie et de son caractère particulièrement réaliste. Elle
apparaît également comme l’émergence d’un mythe moderne des
sociétés occidentalisées à la rencontre d’éléments traumatiques –
réels et fantasmatiques – ainsi que des matériaux anthropologiques
contemporains comme le résume le schéma suivant :

Les deux voies traumatiques de l’abduction

Nous souhaiterions pour conclure ce chapitre nous centrer sur ce qui


distingue l’abduction d’une expérience psychotique. Quelques mots
à ce propos paraissent en effet nécessaires, car précisant l’approche
thérapeutique à mettre en place pour le sujet en difficulté face à
cette expérience. Dans cette perspective, trois articles font un lien
direct entre expérience d’abduction et troubles psychotiques
(Goldberg, 2000 ; Myers & Ziv, 2016 ; Neagoe, 2000). Dans le
premier, l’expérience émerge au sein d’un couple dont le mari est
envahi de pensées suicidaires à la date anniversaire du décès de sa
défunte épouse qui pensait avoir été abductée (Neagoe, 2000). Le
psychiatre tente de traiter le patient, sans succès, par un
antipsychotique (Risperdal) et un thymorégulateur (Dépakote), et
interprète cette expérience comme un délire psychotique partagé
entre conjoints le conduisant à un diagnostic de psychose. Or, le cas
paraît au contraire mettre en évidence des phénomènes de
régression et une « frontière entre la réalité et l’imagination qui
pourrait avoir été progressivement indifférenciée » (p. 205). En
outre, l’épouse du patient avait vécu plusieurs expériences
d’abduction en état de transe alors qu’elle était alitée du fait d’une
maladie grave. Ces éléments soulignent le noyau hystérique de
l’expérience d’abduction que nous avons tenté de décrire et qui est
parfois interprété à tort comme étant de nature psychotique. Cette
publication met ainsi en évidence ce qu’il semble pertinent d’éviter
avec ce type de patient, à savoir réduire l’expérience à un délire de
nature psychotique et la médicaliser en conséquence.
Le deuxième cas est rapporté par un psychologue clinicien, Carl
Goldbger (2000), travaillant à la fin des années 1960 au sein d’une
unité spéciale de la Maison Blanche prenant en charge les
personnes qui tentent de rentrer en contact avec le président des
États-Unis et présentant un tableau psychopathologique. Le cas
décrit est celui d’un militaire qui désire s’entretenir avec le président
du fait d’un message qu’il aurait à lui transmettre de la part des
extraterrestres, suite à une expérience d’abduction. Goldberg
explique qu’il a tout d’abord interprété cette situation clinique comme
un trouble psychotique, comme il en était d’usage à l’époque, et plus
précisément une schizophrénie paranoïde. Le patient en question
raconte ainsi avec beaucoup de conviction une abduction au cours
de son sommeil, dans un état de transe, lors de laquelle les
extraterrestres lui transmettent la capacité de transcender l’espace
et le temps suite à une opération. Il semblerait, dans ce cas, que
l’expérience et son noyau hystérique se trouvent pris
secondairement au sein d’une structure psychotique donnant lieu à
un délire de grandiosité. Goldberg nuance néanmoins dans l’après-
coup son diagnostic de psychose et insiste sur le fait que cette
expérience avait émergé lors d’une « crise personnelle » exprimée
de manière métaphorique27.
Le troisième cas dans lequel un lien est proposé avec les troubles
psychotiques (Myers & Ziv, 2016) émerge dans le cadre d’une étude
d’anthropologie médicale centrée sur le vécu de patients Américains
d’origine africaine au sein d’unités psychiatriques. L’un de ces
patients rapporte une expérience d’abduction qui le conduit à être
hospitalisé et à se voir administrer de l’Haldol. Le patient explique
qu’il n’a pas compris pourquoi on lui a demandé de prendre des
médicaments après avoir raconté cette expérience et que cela ne l’a
nullement aidé. Il critique donc vivement la prise en charge qui lui a
été proposée. Le manque d’éléments cliniques précis, aussi bien
concernant les symptômes de l’expérience que l’abduction en elle-
même, ne permettent cependant pas d’affiner l’analyse de ce cas.
De manière plus générale, l’ensemble des éléments étudiés dans ce
chapitre conduit à considérer l’abduction comme une expérience
essentiellement de nature névrotique représentant une forme
d’expression contemporaine de la névrose hystérique. Cette
expérience confronte le sujet à l’énigme des origines, celle-ci étant
parfois associée à un contexte traumatique réel, tout en pouvant,
dans un second temps, se trouver prise au sein d’autres
organisations structurelles. L’expérience d’abduction devient ainsi
une illustration saisissante d’une clinique aux frontières qui aide à
mieux comprendre les fondements de la vie psychique. L’étranger en
soi apparaît dès lors source d’une meilleure représentation des
arcanes de la psyché.
Sur le plan clinique, de même que pour la plupart des expériences
anomales ou exceptionnelles comme nous le verrons plus loin – et
particulièrement lors du dernier chapitre –, le clinicien sera sensible
à l’éventuelle dimension traumatique sous-jacente à cette
expérience. Elle pourra représenter, de ce point de vue, le retour
d’éléments clivés de la subjectivité. Comme toute expression
hallucinatoire, l’abduction recèle des potentialités symboligènes qu’il
sera possible de faire éclore par le biais d’une écoute attentive,
ouverte et non jugeante, qui aidera le sujet à donner du sens à son
expérience en fonction de ses propres représentations. Il convient,
de ce point de vue, de saisir et de respecter la tentative de
narrativité des éléments traumatiques que représente l’abduction
comme le souligne Goldberg (2000) en tant que « représentation
métaphorique de sentiments de désespoir et d’impuissance »
(p. 318). L’expérience d’abduction serait ainsi une tentative de
réinjecter du sens dans une existence marquée par une crise
personnelle, écho contemporain de traumas réels et fantasmatiques
passés. Il sera également nécessaire de parvenir à ne pas
succomber à la fascination et au rejet que peuvent susciter les
expériences de ce type, produisant parfois, au niveau transférentiel,
un vécu particulièrement intense en écho à l’énigme qui travaille au
corps les abductés.

Notes
1. Il est délicat de déterminer quel est le terme le plus approprié pour
désigner cette expérience en français. Bertrand Méheust (1992)
utilise le terme de « ravis » tandis que Jean-Claude Maleval (Maleval
& Charraud, 2003) privilégie celui de « syndrome d’enlèvement
extraterrestre ». Le premier terme nous paraît trop généraliste tandis
que le second nous semble trop connoté. L’expression « abduction »
– qui signifie « enlèvement » en anglais – a pour intérêt d’être au
plus proche de son appropriation par ceux qui rapportent cette
expérience. Le fait de lui adjoindre la notion d’expérience permet de
la replacer dans un contexte subjectif qui respecte le vécu du sujet
sans le réduire à une interprétation donnée.

2. Nous proposons ici une brève synthèse concernant les origines


du phénomène. Celle-ci demeure cependant très partielle compte
tenu de la complexité de ce sujet qui mériterait à lui seul un travail
historique plus approfondi. Le lecteur qui souhaite une analyse plus
poussée de l’émergence de la phénoménologie des abductions
pourra se tourner en particulier vers les écrits de Pierre Lagrange
(1990, 2007, 2009), Bertrand Méheust (1992, 2000), Jacques Vallée
(1997) et Marie-Thérèse de Brosse (1994).

3. Ce type d’observation s’est largement multiplié depuis,


notamment en France. Elles se développent parfois lors de
« vagues », la plus célèbre étant la « vague belge » dans les années
1990 (Méheust, 2000). En France, une unité spécialisée du Centre
National d’Études Spatiales, le Groupe d’Etudes et d’Informations
sur les Phénomènes Aérospatiaux Non identifiés (GEIPAN) s’occupe
de recueillir les observations de Phénomènes Aerospatiaux Non
identifiés (PAN) transmises par la gendarmerie et de les analyser
(pour plus de détails sur ce sujet : http://www.cnes-geipan.fr). Je suis
membre, depuis 2018, du groupe d’expert du GEIPAN qui se réunit
annuellement pour évaluer les observations de ce type. Une thèse
sous ma direction (Hélène Lansley) est actuellement en cours.

4. L’astronome américain Allen Hynek a proposé, en 1972, une


classification des observations d’ovni allant du premier
type (observation de lumière à distance) au plus extraordinaire
(quatrième type : rencontre rapprochée). Ce denier type est
subdivisé en trois catégories, les abductions appartenant à la
troisième catégorie (dite « rencontre rapprochée de troisième
type »). Cette classification a notamment inspiré Steven Spielberg
pour son film Rencontre du troisième type (1977).

5. Le « temps manquant » correspond au fait que le sujet ne parvient


pas à déterminer ce qu’il a fait durant une période de temps donnée.
Cela peut aller de quelques minutes à plusieurs jours.

6. Quatre autres cas méritent d’être soulignés comme ayant


largement participé de la diffusion de ces expériences. Tout d’abord,
l’enlèvement de Pascagoula, en 1973, qui concerne Charles Hickson
et Calvin Parker dans le Mississippi, qui aura duré une vingtaine de
minutes suite à l’observation d’un ovni ; celui du de Travis Walton,
jeune bûcheron qui a disparu en novembre 1975, à Snow Flake
dans l’Arizona, suite à une observation d’ovni par plusieurs de ses
collègues. Il réapparaîtra en état post-traumatique cinq jours plus
tard (Walton, 1978) ; celui de l’artiste New Yorkais Budd Hopkins, qui
a publié dans Missing Time (1981) le récit de son enlèvement, qu’il
développera davantage encore dans Intruders (1987), détaillant les
abus sexuels auxquels se prêtèrent les aliens supposés ; enfin, la
même année, Whitely Striber publia le récit d’une expérience
d’abduction terrifiante dans Communion.
7. Dans les expériences d’abduction, la crainte est souvent très forte
chez les sujets de voir leur récit interprété comme un délire. On
notera également, depuis quelques années, la multiplication des
associations en France qui visent à rassembler les abductés et à
diffuser des thèses validant leur vécu.

8. John Mack était directeur du département de psychiatrie de


l’université d’Harvard et lauréat du Prix Pulitzer pour la biographie de
Lawrence d’Arabie. Il était également spécialiste de l’étude des
cauchemars et a rédigé plusieurs ouvrages de référence en
psychiatrie, avant de s’intéresser aux expériences d’abduction. Il est
décédé brutalement, en 2004, renversé par une voiture à Londres.

9. Maleval et Charraud (2003) comparent cet ouvrage au Livre des


Esprits d’Allan Kardec (1857) qui fut à l’origine du développement du
spiritisme et des pratiques spirites visant à dialoguer avec les
défunts.

10. Sur ce point, Mack (1994) rapporte une anecdote intéressante.


Son ami d’enfance, Thomas Kuhn, épistémologue bien connu pour
ses travaux sur la structure des révolutions scientifiques, lui aurait
proposé d’étudier les expériences d’abduction en restant au plus
près du matériel obtenu d’une manière brute, sans chercher à les
interpréter, afin d’éviter les pièges des modèles scientifiques de son
époque.

11. Les avis divergent concernant l’existence de cas pour lesquels


d’autres personnes auraient pu assister à ce temps d’enlèvement,
voire à l’expérience d’abduction dans son ensemble. Mack (1994)
rapporte plusieurs cas cliniques pour lesquels le sujet aurait
manifestement disparu en présence d’un témoin, tandis que French
et Stone (2013) évoquent des situations lors desquelles le sujet
abducté semble inconscient ou en transe lorsqu’il est observé par
une autre personne. Le cas le plus troublant en ce domaine est
probablement celui de Travis Walton qui a donné lieu au film Fire in
the Sky (1993).
12. Il est particulièrement intéressant de voir comment les récits
d’abduction présentent de manière extrême des craintes qui
concernent à présent une part importante de la population
(particulièrement sur le plan de l’écologie ainsi que de la
collapsologie). Cela découle peut-être du fait que notre univers
social contemporain est en complet décalage avec notre univers
naturel selon Pierre Lagrange (communication personnelle).

13. Ceux-ci sont habituellement interprétés comme un système de


traçage et de contrôle mental à distance des abductés.

14. On pense ici aux très nombreux livres, films et séries abordant la
thématique des abductions, à commencer par la série X-Files qui
rencontra un large succès dans les années 1990, dans laquelle l’un
des personnages principaux, Dana Scully, découvre au fil des
épisodes qu’elle a elle-même vécu une expérience d’abduction.

15. Une hypothèse envisagée pour expliquer cette absence de


corrélation serait que les abductés recherchent une forme
de normalisation de leur expérience et pourraient donc remplir les
questionnaires de manière à éviter toute forme de pathologisation.

16. La difficulté essentielle réside dans le fait que la littérature sur ce


sujet comporte de nombreuses références prenant aussi bien des
positions très partisanes qu’ultra-sceptiques qui, en quelque sorte,
« encapsulent » l’expérience initiale dans une sorte de membrane
d’interprétation rendant difficile son analyse précise et argumentée.

17. De ce point de vue, le rôle du clinicien est essentiel. Le fait


d’accompagner le sujet vers une régression hypnotique risque de
renforcer le clivage des éléments traumatiques et les logiques
défensives de nature dissociative. De même, la prise de recul et
l’intégration globale de l’expérience dans la dynamique psychique
risquent également d’être diminuées par les effets de la régression
hypnotique et l’effet de cristallisation, voire d’embellissement de
l’expérience que cette pratique peut induire. Pour ces différentes
raisons, nous n’utilisons pas l’hypnose avec ces patients au sein du
service de consultation.
18. Certains récits de possession mettent en évidence des
processus similaires. Véronique Donard (2005) insiste ainsi sur la
fréquence des traumas chez les personnes rapportant ce type de
vécu : « ces traces mnésiques dont la mémoire archaïque est
imprégnée, n’ayant pas été élaborées en leur temps par des
processus secondaires – devenant ainsi les éléments narrables
d’une histoire –, clament sans cesse l’horreur à jamais présente »
(p. 87).

19. De ce point de vue, le fait de se trouver à nouveau dans la


situation initiale de l’abus – allongé sur un lit et dans le noir –
favorise la réminiscence de l’expérience traumatique.

20. C’est également ce que relèvent Maleval et Charraud (2003) : la


désuétude dans laquelle est tombée la psychanalyse et l’étude de
l’hystérie chez les psychiatres américains explique probablement
pourquoi certains d’entre eux ne sont pas en mesure d’en repérer
les signes dans le discours de ces patients comme l’illustrent
certaines études de cas (Neagoe, 2000).

21. À noter, comme le précisait déjà Freud, que les origines


traumatiques de l’hystérie ne doivent pas pour autant être limitées à
ses origines inconscientes. Il s’agit d’une hypothèse complémentaire
qui ne sera pas pertinente pour certaines situations cliniques. De
manière générale, il est délicat pour le clinicien de déterminer dans
quelle mesure le patient rapporte des faits réels ou le fruit de
fantasmes de séduction. La situation est d’autant plus complexe que
les deux sont mêlés dans la réalité psychique, car le trauma s’inscrit
dans un ensemble subjectif qui vient lui donner son sens. Nous
pourrions résumer cela par cette formule : « un trauma, ça n’existe
pas », sous-entendu, celui-ci n’existe qu’en fonction de son
inscription au sein d’un réalité psychique. Un événement ne peut
être traumatique en lui-même, il ne le devient qu’en fonction de son
impact sur une surface de projection.

22. De ce point de vue, les extraterrestres semblent d’ailleurs


représenter une forme moderne de la Sphinge. On repère également
fréquemment des points de convergence à partir des associations
des patients entre la figure de la Vierge et celle des extraterrestres
qui appartiennent tous deux à un monde « au-delà ». Dans le
modèle de Laplanche, la Vierge représente la mère et une forme de
pureté des premiers temps de la vie d’avant le sexuel génitalisé, ce
que l’on retrouve d’ailleurs dans le fait paradoxal que ces êtres
venus d’ailleurs sont habituellement présentés sans attributs
sexuels. Cela illustre à nouveau comment les expériences
exceptionnelles apparaissent comme une nouvelle forme de
mythologie qui vient supplanter certaines représentations religieuses
antérieures.

23. Pour Laplanche (1987), c’est la nature inconsciente de


l’inconscient de l’adulte qui le rend traumatique pour l’enfant, dans le
sens où celui-ci déborde les capacités d’élaboration de celui qui
prend soin de lui. C’est d’ailleurs la même logique de débordement
qui caractérise ce qui fait trauma de manière générale.

24. Il n’est pas anodin que l’on retrouve ici Prométhée pour traiter de
la thématique des origines. Rappelons qu’il est celui qui a créé l’être
humain à partir de restes de boue, de roche et du savoir divin sous
forme de feu sacré caché au cœur de l’homme. Ainsi, dans le
Protagoras de Platon, il nous est dit : « Il fut jadis un temps où les
dieux existaient, mais non les espèces mortelles. Quand le temps
que le destin avait assigné à leur création fut venu, les dieux les
façonnèrent dans les entrailles de la Terre d’un mélange de terre et
de feu et des éléments qui s’allient au feu et à la terre ». Ce feu
sacré représenterait-il l’objet-source de la pulsion ? La métaphore du
feu intérieur paraît pertinente dans la mesure où le feu permet la vie
mais qu’il peut également brûler. Les signifiants énigmatiques
seraient ainsi à l’origine aussi bien de la pulsion de vie que de la
pulsion de mort. Par ailleurs, Prométhée vient du grec ancien « pro-
metis », ce qui signifie « avant la pensée », aussi traduit comme le
« prévoyant », celui qui connaît l’avenir. On voit donc un lien entre
l’émergence de la pensée et la capacité à anticiper l’avenir.

25. Cet étranger qui, dans la médiumnité, prend la forme non pas
d’un extraterrestre mais d’un esprit. Les séances de médiumnité, par
la transe, l’incorporation et le contact physique qu’elles mettent en
scène, n’en sont pas moins infiltrées de sexualité inconsciente
comme en témoigne la place du toucher qu’elles révèlent en
filigrane.

26. Un objet qui est donc inatteignable, à l’image de « l’objet a » de


Jacques Lacan. Dans les œuvres de fiction, cet implant s’éloigne
d’ailleurs souvent quand on tente de le saisir ou se désagrège
lorsqu’il est extrait du corps ce qui témoigne de son caractère élusif.

27. Fait remarquable, on notera dans ces deux situations cliniques


(Goldberg, 2000 ; Neagoe, 2000) à quel point les cliniciens sont
perplexes face aux prédictions de leurs patients respectifs qui
affirment avoir acquis des capacités particulières : dans le premier
cas, le compte-rendu d’hospitalisation, qui avait disparu, réapparaît
quelques jours plus tard comme l’avait annoncé le patient. Dans le
second, le clinicien demande au patient d’utiliser sa capacité
supposée de voir dans l’avenir. Celui-ci rapporte un rêve dans lequel
un vendredi, un an plus tard, il aura disparu tandis qu’une fumée
noire planera au-dessus de Washington. Un an après, le clinicien
découvre effectivement une fumée noire au-dessus du centre-ville
de Washington du fait d’émeutes et d’un incendie suite à l’assassinat
de Martin Luther King. Goldberg contacte alors l’unité psychiatrique
et découvre que le patient a disparu la nuit précédente, comme
annoncé ! Le flou des limites entre le réel et l’imaginaire semble ainsi
s’étendre aux cliniciens, ce vécu transférentiel étant habituel au
contact des personnes qui rapportent des expériences
exceptionnelles.
Chapitre 7

La télépathie : clinique de
l’intersubjectivité primaire

« Pour nous cependant les questions les plus essentielles restent à aborder. Elles
concernent la manière dont ces messages sont véhiculés, le fait qu’ils parviennent ou
non au destinataire, leur mode de passage par le transfert ou hors le transfert. »
René Major, Cahiers Confrontation, Télépathie

« Difficile d’imaginer une théorie de ce qu’ils appellent encore l’inconscient sans une
théorie de la télépathie. Elles ne peuvent ni se confondre ni se dissocier. Jusqu’à ces
derniers temps, j’imaginais, par ignorance et par oubli, que l’inquiétude “télépathique”
était contenue dans de petites poches de Freud – enfin ce qu’il en dit dans deux ou
trois articles considérés comme mineurs. Ce n’est pas faux mais je perçois mieux
maintenant, après enquête, combien ces poches sont nombreuses. Et ça y remue
beaucoup, beaucoup, le long des jambes. »
Jacques Derrida, Cahiers Confrontation, Télépathie

Ce chapitre propose une synthèse historique et contemporaine de la


notion de transfert de pensée (Gedankenübertragung) dans le
champ psychanalytique, dans le but de montrer la manière dont les
recherches liées à l’occultisme et la télépathie ont joué un rôle
heuristique essentiel dans la construction du positionnement clinique
(Rabeyron, Evrard & Massicotte, 2019). Cette notion a en effet
largement participé du développement des concepts de transfert,
d’identification projective et de transmission psychique inconsciente
(Ciccone, 1999). Les écrits de Freud, sa correspondance avec
Ferenczi, les élaborations et controverses historiques des analystes
représentent ainsi un matériel clinique très riche qui permet de
réfléchir à la télépathie et aux effets de cet objet d’étude sur la
psyché. Cette analyse sera également l’occasion de rassembler les
contributions concernant la télépathie du point de vue de ses
conditions d’émergence et de son expression spontanée aussi bien
à l’intérieur qu’en dehors du cadre psychothérapique. Nous verrons
alors comment le transfert de pensée témoigne des formes les plus
primaires du lien intersubjectif.

FREUD ET LA TÉLÉPATHIE : UN HÉRITAGE INEXPLOITÉ ?


Nous avons décrit au deuxième chapitre le contexte épistémologique
du début du XXe siècle lors duquel Freud a tenté quelques incursions
dans le champ des recherches psychiques. Celles-ci ne peuvent être
réellement comprises sans référence à cette conjoncture et plus
particulièrement aux travaux des sociétés de recherche psychique.
Les quatre textes portant sur la télépathie rédigés par Freud
montrent qu’il avait parfaitement saisi les tenants et aboutissants de
ces travaux. Contrairement à ce qui a pu être interprété comme
étant une forme de fascination pour l’occulte (Onfray, 2010), nous
pensons au contraire que Freud a laissé un héritage essentiel sur ce
sujet malgré la prudence politique dont il a dû faire preuve. On
notera à ce propos, comme le souligne René Kaës (1993), que cet
intérêt de Freud est resté « une question longtemps méconnue,
cachée, occultée, et jusqu’à ces toutes dernières années en France :
des manuscrits ont disparu, des textes ont attendu vingt ans pour
être publiés (après la mort de Freud), davantage encore pour être
traduits, et certains ne le sont pas encore » (p. 19).
Au-delà des facteurs historiques déjà précédemment évoqués, cette
attitude est probablement la conséquence du positionnement
ambivalent de Freud envers l’occultisme (Campbell & Pile, 2010),
qu’il définit ainsi dans Psychanalyse et télépathie (1936) : « toutes
choses qui semblent plaider en faveur de l’existence réelle de forces
psychiques autres que celles connues jusqu’ici dans le psychisme
humain ou animal, ou qui révèlent des facultés mentales non
admises pour l’instant ». Se montrant tout d’abord sceptique
jusqu’en 1910, Freud reconnaît progressivement en la télépathie un
« noyau dur » de vérité au sein de l’occultisme. Il est ainsi possible
de résumer ses positions, comme le propose Christian Moreau
(1976) : (1) « Freud refuse toute vision occultiste du monde. En ce
sens, on peut affirmer qu’il ne croit pas en l’occultisme ; (2) Freud
accepte, dans le cadre d’une conception scientifique de l’univers,
d’admettre l’hypothèse de la télépathie » (p. 20).
Membre d’honneur de plusieurs sociétés de recherche psychique1,
Freud réalise quelques expériences avec sa femme et sa fille Anna,
ainsi qu’avec Ferenczi et des médiums comme nous le verrons un
peu plus loin. Ce thème est donc d’un grand intérêt pour lui et il ira
jusqu’à dire dans une lettre du 24 juillet 1921 adressée à
Carrington :
« Je ne suis pas de ceux qui refusent dès l’abord l’étude des phénomènes
psychiques dits occultes parce qu’elle est anti-scientifique, indigne d’un savant, voire
dangereuse. Si je me trouvais au début de ma carrière scientifique au lieu d’être à sa
fin, je ne choisirais peut-être pas d’autre domaine de recherches en dépit de toutes
les difficultés qu’il présente. »

Cependant, quand George Layton demande à Freud, huit ans plus


tard, s’il se souvient de cet écrit, ce dernier répond par la négative
(Oring, 2007, p. 87-88). La lettre adressée à Carrington sera
néanmoins retrouvée par Nandor Fodor qui la transmet à Jones
avant de la publier (Fodor, 1971 ; Jones, 1957). Freud explique
également, dans une lettre de 1922 adressée à Eitington, que la
lecture du Traité de métapsychique de Richet le rend « perplexe
jusqu’à lui en faire perdre la tête » et sur la fin de sa vie, Freud
n’hésite pas à déclarer publiquement sa position en faveur de
l’existence de la télépathie comme dans cette interview, de 1935,
donnée à Cornélius Tabori :
« La transmission de pensée ne peut être simplement accidentelle. Quelques gens
disent que je deviens crédule en vieillissant, mais je ne le pense pas. J’ai simplement
appris toute ma vie à accepter des faits nouveaux, humblement. »

Malgré l’insistance de plusieurs de ses élèves – en particulier Jung


et Ferenczi – Freud préféra cependant ne pas mêler la psychanalyse
trop étroitement aux « flots noirs de l’occultisme » de peur de les voir
anéantir le crédit naissant du monde scientifique. Si ce thème n’est
donc pas central dans ses théories, ses ouvrages et
correspondances témoignent de son intérêt à ce propos.
La première approche de Freud de ces sujets peut être qualifiée de
« sceptique » et vise à expliquer rationnellement, au moyen de la
psychanalyse, un certain nombre de faits qualifiés d’occultes. Cette
analyse critique permet d’ailleurs probablement à Freud de conjurer
ses propres tendances superstitieuses. Il analyse ainsi, dans
L’interprétation des rêves (1900), les apparitions et la divination,
concevant cette dernière comme une illusion, car « c’est bien en
réalité l’avenir que le rêve nous montre, non pas tel qu’il se réalisera,
mais tel que nous souhaitons le voir réalisé » (p. 92). Il interprète
ensuite le phénomène du déjà-vu, dans Psychopathologie de la vie
quotidienne (1901), comme le « souvenir d’un fantasme
inconscient » et conçoit les coïncidences rapportées par L’homme
aux rats (1907) en tant qu’effet de la toute-puissance des pensées,
thème qu’il approfondit dans Totem et Tabou (1913). Le champ de
l’occulte est ensuite abordé dans L’inquiétante étrangeté (1919),
sentiment qui caractérise selon Freud l’émergence inattendue de
pensées inconscientes produisant cette impression d’étrangeté.
Dans Au-delà du principe de plaisir (1920), il analyse certains
comportements interprétés comme l’influence d’un sort ou de la
destinée comme le fruit de la compulsion de répétition. Une névrose
démoniaque au XVIIe siècle (1923) présente un cas de possession
pensé comme étant le fruit de mécanismes de projection, explication
qu’il reprendra pour le spiritisme et les apparitions abordées dans
L’Avenir d’une illusion (1927). Enfin, Freud analyse à nouveau le
phénomène du « déjà-vu » dans Un trouble du souvenir sur
l’Acropole (1936).
Si Freud propose une lecture critique de l’occultisme dans ces
différents textes, il dégage également progressivement une
deuxième position qui consiste à considérer la télépathie comme un
« noyau dur de vérité »2. Cette prise de position découle notamment
de ses lectures des Proceedings de la SPR et de l’ASPR et de
plusieurs cas qu’il a pu collecter lui-même et que nous allons à
présent examiner. Le premier texte publié par Freud sur ce sujet est
Psychanalyse et télépathie, achevé en août 1921 et publié à titre
posthume, en 1941, dans lequel il tente d’expliquer trois prophéties.
Il précise en introduction que l’occultisme représente un territoire
inexploré et potentiellement dangereux pour la psychanalyse. Il se
méfie donc des occultistes qui tenteraient de faire remonter à la
surface de « vieilles croyances religieuses » :
« Dès la première approbation, les occultistes vont déclarer leur cause victorieuse, ils
vont élargir à toutes les autres la croyance accordée à une seule affirmation, et, des
phénomènes, l’étendre aux explications qui leur sont les plus proches et les plus
chères. Les méthodes de l’investigation scientifique ne leur serviront que d’échelle
pour s’élever au-dessus de la science. Malheur, s’ils arrivent à monter si haut ! »
(p. 10).

Freud craint plus particulièrement de placer la psychanalyse dans


une situation intenable à l’égard de cette thématique :
« Au cours de cette guerre, nous avons entendu parler de personnes placées entre
deux nations ennemies, appartenant à l’une par la naissance, à l’autre par le choix et
la résidence ; ce fut leur destin d’être traitées en ennemis d’abord par l’une, puis, si
elles avaient la chance d’en réchapper, par l’autre. Tel pourrait être aussi le destin de
la psychanalyse » (p. 11).

Freud cerne donc bien la situation complexe dans laquelle se situe


la psychanalyse par rapport aux phénomènes occultes. Il connaît la
littérature et a conscience qu’il s’agit là potentiellement d’un facteur
essentiel dans l’étude du psychisme humain :
« Il ne semble plus possible de rejeter l’étude de ce qu’on appelle les faits occultes,
ces choses qui prétendent cautionner l’existence réelle de puissances psychiques
autres que l’âme des hommes et des animaux que nous connaissons, ou qui
dévoilent des capacités jusqu’ici insoupçonnées en cette âme. L’attrait de cette
recherche semble être d’une force irrésistible » (p. 7).

Mais Freud a bien conscience que ce sujet représente une véritable


boîte de Pandore. Il est donc pris entre deux feux : le désir de
s’attaquer à ce problème et la peur de voir ses analyses récupérées
par les courants occultistes. Freud propose, à la suite de ces
réflexions préliminaires, trois cas de prédictions non accomplies sur
lesquels il reviendra à plusieurs reprises. Cependant, on remarque
qu’il s’agit de prédictions « ratées » : n’est-ce pas un moyen pour
Freud d’analyser et de travailler sur un matériel télépathique sans
pour autant avoir un parti pris trop marqué quant à son existence sur
le plan ontologique ?
Le premier cas est celui de l’empoisonnement par des écrevisses.
Un étudiant en philosophie, très attaché à sa sœur, vit mal le
mariage de celle-ci. Une diseuse de bonne aventure lui prédit alors
que le mari de sa sœur va mourir d’une intoxication alimentaire
après avoir consommé des écrevisses ou des huîtres. Cela ne se
produira pas, mais le mari de sa sœur a effectivement souffert,
l’année précédente, d’une grave intoxication alimentaire après avoir
consommé des écrevisses. La diseuse de bonne aventure semble
ainsi avoir saisi l’expression de haine de l’étudiant envers son beau-
frère avant de l’exprimer dans sa prédiction selon un contexte
plausible à partir d’événements passés3. Freud note d’ailleurs à ce
propos le caractère « perméable » de la voyante, ce qui illustre la
manière dont il étudie les niveaux les plus archaïques des dispositifs
cliniques par cet intermédiaire : « Le rôle du travail astrologique de la
voyante serait alors celui d’une activité destinée à détourner ses
propres forces psychiques en leur donnant une occupation anodine,
de sorte que, réceptive et perméable aux pensées de l’autre qui
agissent sur elle, elle puisse devenir un véritable “médium” » (p. 15).
Freud expose ensuite le cas d’une jeune femme qui avait épousé un
riche homme d’affaires russe dans l’espoir d’aider son père
financièrement. Ne parvenant pas à avoir d’enfant, elle consulte un
« professeur » qui lui affirme qu’elle aura deux enfants à trente-deux
ans. Quand elle raconte cette histoire à Freud, elle est âgée de
43 ans et n’envisage plus la perspective de tomber enceinte car son
mari est stérile. Il se trouve en réalité que la mère de la patiente
avait eu ses enfants à 32 ans. Ainsi, la prophétie correspond selon
Freud au désir de cette patiente de prendre la place de sa mère et
de se substituer à celle-ci auprès du père4. Freud suppose donc que
le voyant fut réceptif au souhait inconscient de la patiente d’une
manière télépathique.
Le dernier cas concerne un jeune homme désireux de se séparer
d’une courtisane. Il demande l’avis d’un graphologue qui, à partir
l’écriture de celle-ci, la voit mettre fin à ses jours. Il se trouve en
réalité que ce jeune homme fut tenté, quelques années plus tôt, de
se suicider par amour pour une femme plus âgée. Il demeurerait en
lui une haine profonde qu’il aurait transférée sur cette courtisane
devenue son souffre-douleur. Ce que perçoit le graphologue serait
donc l’expression des pensées inconscientes du patient. Freud
termine ainsi ce premier texte sur la télépathie en associant une
psychanalyse qui accepterait l’hypothèse de la télépathie à un
martyr décapité :
« Mais réfléchissez seulement aux lourdes conséquences du pas que nous ferions
au-delà de notre point de vue actuel en acceptant cette seule supposition [celle du
transfert de pensée]. Ce que le gardien de Saint Denis avait coutume d’ajouter au
récit du martyr du saint reste vrai. Après qu’on lui eut coupé la tête, Saint Denis
l’aurait ramassée et aurait encore parcouru un bout de chemin en la portant sous son
bras. Et le gardien ajoutait : “Dans des cas pareils, ce n’est que le premier pas qui
coûte. Après, cela va tout seul” » (p. 17).

Quatre mois plus tard, en décembre 1921, Freud publie « Rêve et


télépathie » dans Imago. Freud y adopte une position alambiquée,
précisant que cet écrit ne permettra pas de savoir s’il croit à la
télépathie ni de la comprendre. Il note cependant : « [ma position] ne
sera pas de dire que je ne suis rien qu’un psychanalyste, que les
questions de l’occultisme ne me concernent en rien » (p. 31). Dans
ce texte, Freud fait part de son scepticisme à l’égard de la télépathie
du point de vue de son expérience personnelle et dit ne jamais avoir
vécu lui-même de rêve télépathique. Il a fait en revanche
l’expérience de plusieurs prémonitions dont aucune ne s’est
réalisée. Il a, par exemple, rêvé de la mort de son fils à la guerre,
alors que celui-ci est revenu en bonne santé5. De même, il a fait un
rêve dans lequel la mère de ses nièces décédait sans que cela
n’arrive finalement. Freud reconnaît cependant la qualité des récits
récoltés par les sociétés de recherches psychiques et fait référence
aux Proceedings de la SPR.
Freud propose alors de s’appuyer sur deux récits venus
d’Allemagne. Dans le premier, un homme lui écrit concernant un
rêve au cours duquel sa femme accouchait de jumeaux. Il apprend
quelques jours plus tard que c’est en réalité sa fille qui a accouché
de jumeaux, la nuit pendant laquelle il avait fait ce rêve, et
s’interroge : s’agit-il d’un échange télépathique ? Il s’avère que cet
homme était « insatisfait » de sa femme, sa deuxième épouse, et ne
voulait pas avoir d’enfant avec elle. Freud suppose donc que cette
modification du message télépathique provient du travail du rêve qui
a échangé la place de l’épouse avec celle de sa fille sous l’influence
de désirs inconscients. Ce sont donc ici les connaissances
psychanalytiques qui aident à découvrir un fait télépathique qui,
autrement, serait resté mystérieux et inaperçu. Cependant, Freud
reste prudent et précise qu’un tel rêve ne nous dit que peu de
choses concernant la nature objective de la télépathie : il pourrait
tout aussi bien s’agir d’une coïncidence et il se méfie d’un écart
potentiel entre le récit transmis et la réalité des événements. Freud
propose néanmoins quelques hypothèses relatives aux rêves
télépathiques :
« Le message télépathique est traité comme un morceau du matériel destiné à la
formation du rêve, comme tout autre stimulus qu’il vienne de l’extérieur ou de
l’intérieur, comme un bruit gênant venant de la rue, comme une sensation insistante
venant d’un organe du dormeur » (p. 35).

Freud se demande même si un rêve télépathique serait encore à


considérer comme un rêve (qui ne serait ni déformé, ni condensé,
etc.) et parle alors plutôt d’« expérience télépathique vécue dans
l’état de sommeil ». Il évoque ensuite un second cas impliquant une
expérience de vision ainsi décrite par une patiente :
« Parfois, pour un moment, la réalité disparaît et je vois quelque chose de tout autre.
Dans mon appartement, je vois par exemple très souvent un vieux couple et un
enfant, l’appartement a alors un autre mobilier. Lorsque j’étais encore à la maison de
santé, vers quatre heures du matin, mon amie venait dans ma chambre, j’étais
réveillée, j’avais la lampe allumée et je lisais à une table, car très souvent je souffre
d’insomnie. Cette apparition signifie toujours pour moi une contrariété, cette fois-là
aussi » (p. 38).

Freud propose l’analyse suivante :


« S’agissant d’une personne chez qui la réalité s’évanouit si facilement dès sa prime
jeunesse, pour faire place à un monde fantasmatique, la tentation devient très forte
de rapprocher ses expériences vécues et ses visions télépathiques de sa névrose et
de les en déduire, même si nous ne devons nous illusionner ici non plus sur la force
contraignante de nos thèses » (p. 44-45).
Il propose alors plus précisément comme hypothèse une « illusion
mnésique » pour un cas de télépathie de crise et plusieurs analyses
en termes œdipiens. Freud publie ensuite, en 1925, La signification
occulte des rêves, toujours dans Imago, qui est un complément à
L’interprétation des rêves (1900). Il y développe quelques réflexions
générales avant d’en arriver aux rêves occultes pour lesquels il
distingue deux catégories :
« Il y aurait deux catégories de rêves qui sont à mettre au nombre des phénomènes
occultes, les rêves prophétiques et les rêves télépathiques. En faveur des deux parle
une masse immense de témoignages ; contre les deux, l’aversion opiniâtre ou, si l’on
veut, le préjugé de la science » (p. 185).

Il fait ensuite part du fait que, malgré sa « résolution d’impartialité »


au sujet de la précognition, il ne peut se résoudre qu’à des
explications en termes d’illusions mnésiques. Il en est autrement
pour les rêves télépathiques. Freud résume à nouveau le cas de la
prophétie des enfants à trente-deux ans et indique qu’« en faisant
des essais dans le cercle de mes intimes, j’ai également, de façon
répétée, acquis l’impression que le transfert de souvenirs à tonalité
fortement affective réussit sans difficulté » (p. 187). Il précise :
« Je suis enclin à tirer la conclusion que de tels transferts se produisent
particulièrement bien au moment où une représentation émerge de l’inconscient ou,
exprimé en termes théoriques, dès qu’elle passe du processus primaire au processus
secondaire » (p. 188).

Enfin, en 1932, dans Rêve et occultisme, il revient sur différents


exemples issus de ses articles précédents et propose une
argumentation détaillée dont nous allons reprendre les principaux
éléments. Freud remarque tout d’abord que l’occultisme est un sujet
difficile, mais qu’il convient néanmoins d’aborder en allant au-delà
d’une certaine étroitesse d’esprit à partir de la métaphore suivante :
qu’y a-t-il à l’intérieur de la Terre ? Différentes hypothèses sont
proposées (roche en fusion, liquide, etc.). Si on en vient à supposer
qu’il y a de la confiture au centre de la Terre, cette hypothèse ne
sera pas prise au sérieux tant elle paraît improbable compte tenu de
nos connaissances de l’univers et de la confiture. Ainsi, bien que
nous ne sachions pas la réponse définitive à cette question,
certaines réponses seront exclues d’emblée. Il s’agit là, selon Freud,
de l’effet du préjugé, qui permet un gain de temps. Freud considère
que l’occultisme se trouve dans la même situation que la confiture :
nos préjugés nous conduisent à rejeter a priori son existence. Il
s’agit là du (1) premier obstacle de nature intellectuelle. Ces faits
semblent si dérangeants qu’ils ne peuvent gagner le crédit suffisant
pour être abordés sereinement par la science. Cependant, force est
de constater que « les préjugés sont parfois appropriés et justifiés,
mais d’autre fois erronés et nocifs, et on ne sait jamais quand ils
sont l’un, quand ils sont l’autre » (p. 114). Freud propose alors
plusieurs exemples de faits avérés – concernant les météorites et
les fossiles – qui allaient à l’encontre de préjugés anciens.
Le deuxième obstacle à l’étude de l’occultisme est un facteur
psychologique. Il existerait une (2) tendance à la complaisance
envers les affirmations de l’occultisme, même chez le scientifique et
l’homme érudit. Il est donc de mise de se méfier d’un intérêt pour
l’occultisme, fruit du principe de plaisir et de la pensée magique. Le
troisième obstacle est (3) un scrupule historique, car l’occultisme se
réfère à des faits passés qui, s’ils étaient vrais, conduiraient à
considérer comme crédibles des faits remontant à l’Antiquité et
considérés jusqu’alors comme des affabulations. Ceux-ci pourraient
conforter la croyance religieuse et cette association engendre une
aversion supplémentaire à l’égard des phénomènes occultes. Une
fois ces différents obstacles dépassés, Freud considère que la
question de la réalité de l’occulte doit être tranchée par l’observation,
mais celle-ci se heurte à quatre autres difficultés : (1) les
observations sont souvent menées dans un contexte peu propice à
l’examen scientifique6 ; (2) l’attitude incrédule et l’observation
rigoureuse limiteraient l’émergence de ces phénomènes ; (3) les
médiums sont peu fiables ; (4) aucune force physique n’a pu être
mise en évidence pour expliquer ces phénomènes supposés.
Freud précise cependant que « l’occultisme est un noyau réel de
faits non encore reconnus, autour duquel l’imposture et l’action de la
fantaisie ont tissé une enveloppe difficile à percer » (p. 117). Il choisit
alors de se tourner vers le rêve pour préciser ses analyses sur la
télépathie et présente à nouveau l’ensemble des cas abordés dans
ses textes précédents : le cas des jumeaux, de la prédiction des
deux enfants à trente-deux ans, des écrevisses et du jeune homme
et sa courtisane. Ces cas conduisent Freud à une impression
favorable quant à la réalité objective de la transmission de pensée,
dont le contenu serait, non pas ce qui adviendra dans le futur, mais
l’expression de désirs inconscients du consultant.
Freud aborde alors plus spécifiquement un cas personnel7 dont voici
le résumé. Freud doit recevoir Monsieur P., un patient dont l’analyse
arrive bientôt à son terme. Juste avant que Monsieur P. ne se
présente, un futur patient, David Forsyth, dépose une carte au
cabinet de Freud. Au cours de la séance qui se déroule ensuite,
Monsieur P. explique qu’une amie l’appelle « Herr von Vorsicht ».
Monsieur P. lui avait également transmis quelques jours auparavant
un volume d’une saga concernant la famille « Forsyte ». Une autre
coïncidence se produit ensuite quand Freud rend visite à un ami, le
docteur Freund, et découvre que Monsieur P. habite la même
pension. Or, lors d’une séance ultérieure, Monsieur P. fait un lapsus
et le nomme « Freund ». À la fin de cette même séance, Monsieur P.
raconte qu’il a fait un rêve dont il s’est réveillé angoissé. Mais il ne
se rappelle pas le terme anglais pour désigner un cauchemar
(nightmare) lorsqu’un ami l’interroge à ce propos et utilise à la place
le terme a mare’s nest, « une histoire incroyable ». Or, un mois plus
tôt, Ernest Jones, qui a rédigé une monographie sur les cauchemars
intitulée On the nightmare, est arrivé lors d’une séance avec
Monsieur P. Pour Freud, ces différents éléments sont l’expression de
la jalousie inconsciente catalysée par la fin prochaine de l’analyse et
exprimée par l’intermédiaire de la télépathie.
Il convient donc, selon Freud, d’être ouvert à la possibilité du
transfert de pensée et d’être confiant en la science et sa capacité à
intégrer des faits nouveaux. Il propose alors deux métaphores. La
première est un parallèle entre télégraphie sans fil et télépathie. La
deuxième suppose que la télépathie pourrait être une
communication originelle et archaïque présente également chez les
insectes. Freud en vient à l’idée que cette communication serait
peut-être plus vive chez les enfants et conclut son article avec
l’exemple de la « pièce d’or » de Dorothy Burlingham. Dans celui-ci,
une mère en analyse décrit, durant une séance, une pièce d’or qui a
joué un rôle essentiel dans l’un de ses souvenirs d’enfance.
Lorsqu’elle rentre chez elle, son enfant, âgé de dix ans, lui apporte
une pièce d’or qu’il avait reçue lors d’un anniversaire plusieurs mois
auparavant. Quelques semaines plus tard, la mère prend des notes
à son bureau concernant cette histoire, lorsque son fils arrive et lui
réclame la pièce. Dans ce cas, l’analyse de l’enfant n’a conduit à
aucun élément probant dans ses associations d’idées, comme si la
transmission de pensée avait opéré en tant que « corps étranger »
dans le psychisme de celui-ci.

L’OCCULT(É) DANS LA CORRESPONDANCE FREUD-


FERENCZI
La correspondance de Freud et Ferenczi, disponible en trois
volumes (Freud & Ferenczi, 1994, 1996, 1996) et qui s’étend
de 1908 à 19398, mérite une attention particulière tant elle offre un
éclairage complémentaire aux analyses de Freud que nous venons
de résumer (Rabeyron & Evrard, 2012). Elle met en exergue les
difficultés – toujours d’actualité – rencontrées par les deux analystes
pour penser la télépathie. Dès son jeune âge, Ferenczi est un
lecteur assidu des recherches psychiques et sa première publication
en 1899 (Ferenczi & Fodor, 1963), dans une revue médicale
hongroise, est d’ailleurs dévolue au spiritisme, le choix de ce journal
lui ayant étant dicté durant un épisode d’écriture automatique (Fodor,
1961 ; Júlia Gyimesi, 2015) ! Nous trouvons ensuite une première
allusion à l’occultisme sous la plume de Ferenczi, le 5 mai 1909,
avec le récit de l’analyse d’un « jeune homme, très intelligent,
homosexuel » chez qui le « déjà-vu » est « frappant » :
« Il raconte les événements du jour et, entre autres, un « déjà-vu » ; puis, au cours
de l’analyse du rêve qui suit, un fragment de rêve oublié apparaît, qui lui permet de
comprendre cette sensation de familiarité de façon immédiate, ou seulement au
cours de l’interprétation. Cette “autre vie d’il y a plusieurs milliers d’années”, c’était la
vie onirique de la nuit précédente, étroitement associée, il est vrai, à des impressions
de l’enfance depuis longtemps oubliées. La croyance si répandue à la renaissance et
à la métempsychose n’admettrait-elle pas la même explication ? » (p. 69).

Ferenczi interprète ainsi la croyance en la réincarnation comme le


retour d’impressions de l’enfance et d’éléments oniriques. Cinq mois
plus tard, le 5 octobre 1909, Ferenczi fait référence à des
expériences de clairvoyance effectuées avec la voyante Frau
Seidler. Dans ces premières expériences, il demande à la voyante
de décrire la personnalité du Professeur Philipp et celle de Freud, à
partir d’une carte adressée par ce dernier. Voici ses conclusions à ce
propos :
« Lorsque je cherche à m’expliquer ce que j’ai vu et entendu, je dois reconnaître que
je n’en suis pas capable. Lire à travers un foulard, c’est-à-dire les yeux bandés, ce
peut-être de la prestidigitation. Mais deviner le métier du Prof. Philipp, cela ne peut
sûrement pas l’être, pas plus que les descriptions étonnantes à propos de votre
personnalité. Je n’ai rien dit qui aurait pu l’aider pour cela, j’ai d’ailleurs à peine parlé
– elle ne m’a pas laissé placer un mot. La carte qu’elle a eue entre les mains (et
qu’elle a peut-être lue adroitement sans que je m’en aperçoive) était si anodine,
qu’on ne peut manquer d’être frappé par ses nombreuses remarques pertinentes à
propos de votre métier et de votre tournure d’esprit » (p. 84).

Ferenczi utilise donc un matériel qui concerne Freud dès ces


premières expérimentations. Il imagine une « sorte d’hyperesthésie
extatique à de tout petits mouvements d’expression » (p. 85) qui
permettrait d’expliquer les résultats obtenus. Cependant, il se tourne
rapidement vers l’hypothèse de la télépathie : « Si donc, j’admets
qu’elle possède vraiment des capacités inhabituelles, peut-être
pourrait-on les expliquer par une sorte de lecture de la pensée, par
la lecture de mes pensées ? » (p. 85). Ferenczi analyse plus
précisément la description de la voyante : « Mme S. ne semble
jamais savoir si elle doit interpréter une idée – une image – qui
émerge devant elle (elle est visuelle) dans un sens concret ou
abstrait […] Cette incertitude quant à la signification concrète ou
symbolique, nous l’avons aussi dans l’interprétation des rêves »
(p. 85).
Il propose ainsi un parallèle, récurrent dans les textes des premiers
analystes et des métapsychistes, concernant la proximité entre les
processus télépathiques et ceux du rêve. Ferenczi conclut cette
lettre par ces quelques mots prophétiques : « Peut-être cette affaire
est-elle quand même le commencement de quelque chose – et ce
matériel serait alors utilisable » (p. 86). Freud répond dès le
lendemain, le 6 octobre 1909, par une première remarque, prudente
et mesurée, à l’image de son scepticisme de l’époque : « On peut
admettre en toute tranquillité que cette personne lit, avec ses yeux,
ce qui lui est présenté – tout comme vous lisez cette lettre – au
moyen d’un quelconque tour de passe-passe » (p. 87). Il note
cependant :
« Mais cela mis à part, il semble bien qu’il y ait quelque chose là-dedans. Le reste a
l’air authentique ! […] Mais la transmission de vos pensées par des voies
incompréhensibles, voilà qui est remarquable et peut-être nouveau. Gardez le silence
là-dessus, pour le moment ; il nous faudra mettre en place de nouvelles
expériences » (p. 87).

Cette lettre de Freud est une synthèse de sa position à venir qui


associe son intérêt pour la télépathie et le choix d’une grande
prudence sur le plan politique. En outre, s’il fait preuve d’un certain
scepticisme, il se montre, dès ces premiers échanges, ouvert à
l’existence de la télépathie. Le revirement de 1921 est donc le fruit
d’une élaboration entamée plus de dix ans auparavant, revirement
contemporain du « tournant de 1920 » qui le conduit à rechercher
certaines logiques de la réalité psychique au-delà du principe de
plaisir. Freud, manifestement interloqué par cette première
expérience rapportée par Ferenczi, rédige le 11 octobre 1909 une
nouvelle lettre concernant les voyances de Mme Seidler : « Elle
devine les pensées, et peut-être les pensées inconscientes de la
personne qui la soumet à l’expérience – avec les malentendus et les
approximations d’une sorte de déformation au passage d’une
psyché à l’autre » (p. 88).
Freud remarque ainsi qu’il n’est pas tant question du contenu
conscient que du contenu inconscient qui sera perçu et transformé
par le voyant. De fait, la psychanalyse se trouve donc convoquée
pour l’étude de la télépathie puisque, sans analyse de ces éléments
inconscients échangés par transmission de pensée, on ne peut en
dégager le sens originel et son éventuelle origine télépathique9.
Freud note plus précisément que « dans l’analyse des oracles, il
faudrait donc prendre en considération : (1) la déformation due à la
psyché (2) vos propres résistances » (p. 88). Freud dégage deux
processus parallèles : les processus de déformation provenant du
sujet « récepteur » et les déformations provenant de
« l’émetteur »10. Pour autant, une certaine prudence est à nouveau
prônée par Freud : « Pour l’instant, taisons-nous, silence absolu sur
l’affaire. Le seul que j’ai mis dans la confidence est Heller qui, il est
vrai, a fait des expériences avec elle » (p. 88).
Ferenczi répond trois jours plus tard, le 14 octobre, en décrivant les
nouvelles expériences qu’il envisage avec l’aide de son frère afin
d’éviter une interaction directe avec la voyante. Le 8
novembre 1909, il détaille le protocole, qui utilise trois lettres.
Ferenczi a occulté et modifié plusieurs éléments de la première
missive. La deuxième est en hongrois et ne peut donc être lue par la
voyante. Il l’a d’ailleurs traduite et retranscrite intégralement dans
son courrier destiné à Freud. La troisième est une fausse lettre,
rédigée par une amie et sans réelle signification affective, placée
dans une enveloppe pour plus de sécurité. Ferenczi trouve les
résultats intéressants et remarque :
« Il est aussi très vraisemblable qu’elle mélange les pensées d’autres personnes
avec ses propres pensées (de la façon dont nous nous le sommes expliqué après la
première expérience) ; et qu’elle répète dans l’ignorance de la signification abstraite
ou concrète des images qu’elle voit (et sans savoir, probablement, ce qui lui
appartient et ce qui appartient au partenaire) » (p. 104).

Ferenczi envisage alors une nouvelle expérience et fait allusion à


une personne qui réaliserait des séances de voyance après avoir été
hypnotisée. Freud, dans sa réponse du 10 novembre, tempère
l’enthousiasme de Ferenczi. Ce dernier fait mention de nouvelles
expériences le 20 novembre 1909 avec une médium qui se dit
somnambule, Mme Jelinek. Ferenczi lui pose plusieurs questions
personnelles après qu’elle fut placée en état de sommeil magnétique
par son mari. Elle lui répond par des remarques générales qui
trouvent néanmoins un certain écho avec les préoccupations de
Ferenczi. Il lui demande plus précisément : « Comment dois-je
travailler, et à quoi ? », « Que convient-il de faire en ce qui concerne
ma relation à Jung ? », « Que pouvez-vous me dire de mes amis
viennois ? ». Par le biais de cette nouvelle expérience, Ferenczi en
dit donc autant sur la télépathie que sur ses préoccupations de
l’époque concernant Jung et Freud. Ferenczi précise également qu’il
souhaiterait que Freud rencontre Mme Jelinek mais celui-ci ne
répondra pas à cette lettre. A-t-il perçu les inquiétudes de Ferenczi à
peine dissimulées derrière ce compte-rendu ? Préfère-t-il, par son
silence, ne pas avoir à lui répondre sur des thèmes qu’il ne souhaite
pas aborder directement, en particulier la rivalité de Ferenczi avec
Jung ?
Ce thème réapparaît dans leur correspondance, un an plus tard,
le 15 novembre 1910, lorsque Freud décrit le cas de
l’empoisonnement par les écrevisses. Dans cette même lettre, il écrit
à propos de la télépathie : « c’est bien cela que sera votre grande
découverte ». L’italique souligne le fait que Freud ne souhaite pas se
risquer sur ce terrain glissant, malgré son intérêt, et qu’il laisse le
soin à Ferenczi, et à Jung, d’aborder de façon approfondie l’occulte
et la télépathie. S’agit-il pour Freud d’un moyen de protéger la
psychanalyse d’attaques provenant de potentiels détracteurs ? Ou
bien est-il davantage question d’une forme de prudence le
conduisant à déléguer ainsi les tâches plus dangereuses d’une
recherche qui lui paraît pourtant féconde ? On ne peut en effet
qu’être frappé par l’insistance avec laquelle Freud place Ferenczi
dans ce rôle de précurseur. Ferenczi répond dès le lendemain, le 16
novembre, en décrivant un cas de transmission de pensée avec un
patient homosexuel. Celui-ci semble décrire dans ses associations
des échanges que Ferenczi a eus plus tôt dans la journée avec une
autre personne. Ce patient lui dit notamment : « Le professeur Freud
est vraiment un égoïste s’il compte devenir célèbre après sa mort ».
On serait tenté, une nouvelle fois, de se demander dans quelle
mesure Ferenczi adresse à Freud, comme avec Mme Jelinek, des
propos qu’il n’ose lui dire directement. Ferenczi précise : « La façon
dont mon homosexuel devine mes pensées plaide pour le fait que
même des idées entièrement abstraites (c’est-à-dire déjà exprimées
en images verbales) peuvent être transférées, et pas seulement des
représentations imagées » (p. 244).
Ferenczi demande également à Freud les coordonnées d’une
voyante de Munich qu’il aimerait rencontrer. Quelques jours plus
tard, le 22 novembre 1910, Ferenczi tient des propos étonnants :
« Je suis un formidable voyant, ou plutôt lecteur de pensées ! Je lis
(dans mes associations libres) les pensées de mes patients »
(p. 245). Il vient en effet de réaliser quatre essais avec son patient
homosexuel le menant à des « succès éclatants ». Le patient devait
choisir des mots au hasard tandis que Ferenczi décrivait ses propres
associations, inversant ainsi la relation habituelle analyste-analysant.
Ferenczi conclut : « Cette méthode conviendra pour surprendre au
travail les complexes les plus actifs des patients […] Je me
présenterai à vous comme “astrologue de cour des
psychanalystes” » (p. 245). Freud ne répond pas d’emblée à cette
lettre, comme si, à chaque écart ou enthousiasme un peu trop
marqué de son élève, il s’agissait pour lui de prendre ses distances.
Trois semaines plus tard, le 2 décembre 1910, Ferenczi fait une
nouvelle allusion à la transmission de pensée. Il fait référence au fait
que la mauvaise humeur de Freud dans ses dernières lettres semble
« imprégner le papier ». On se demande s’il s’agit là uniquement
d’un aspect métaphorique, puisque Ferenczi fait référence, dans
cette même lettre, à des travaux sur la contamination par
radioactivité avant de proposer de nouvelles réflexions sur la
transmission de pensée : « Si on est en proie à une quelconque
émotion et qu’on n’est pas tout à fait dans le coup (de l’expérience) –
on peut être un bon sujet émetteur de rayonnement, mais on ne vaut
rien pour la réception. Une disposition d’esprit calme est plus
favorable » (p. 247). Il note aussi que « les amoureux seraient plus
sensibles à ces phénomènes » et ajoute : « Le récepteur réagit à la
transmission avec ses propres complexes inconscients, parmi
lesquels il choisit précisément ceux qui sont les plus proches des
complexes inconscients de celui qui donne les ordres » (p. 247). Il
illustre cet aspect par un exemple tiré de la clinique obtenue avec le
patient homosexuel déjà mentionné. Ce rapport entre Ferenczi et
son patient homosexuel semble d’ailleurs refléter en miroir la relation
Freud-Ferenczi. Ce dernier inverse-t-il les rôles avec ce patient par
l’intermédiaire d’expériences de télépathie comme il aimerait
inverser les rôles dans sa relation à Freud ?
Freud répond finalement le 3 décembre 1910 à la lettre du 22
novembre et partage cette fois l’enthousiasme de Ferenczi. Il insiste
en effet sur le destin qu’il imagine pour ce dernier : « Je vois venir le
destin qui s’approche inéluctablement et je constate que c’est à vous
qu’il a imparti la charge d’éclairer la mystique et autres choses de ce
genre, et qu’il serait aussi vain que mesquin de vous en empêcher »
(p. 249). Néanmoins, cette entreprise est une nouvelle fois marquée
du sceau du secret : « Je voudrais vous inviter à accumuler les
données pendant deux bonnes années encore, et en secret, et
n’apparaître en public qu’en 1913, et là dans le Jahrbuch, à visage
découvert » (p. 249). Freud, dans un même mouvement, encourage
donc Ferenczi, tout en prônant le plus grand secret. Ce dernier, qui a
déjà dégagé plusieurs hypothèses originales dans ses lettres
précédentes, poursuit ses réflexions et précise le 19 décembre 1910
qu’il lui faudrait « quelques personnes ayant cette sensibilité ». À
défaut de les trouver, il donne un exemple dans lequel il est lui-
même sujet. Comme dans les situations précédentes, il analyse le
contenu de la transmission de pensée par le biais des déformations
inconscientes. Il propose également la métaphore suivante : « Le jeu
rappelle le jeu de cache-tampon des enfants ; pendant les
associations, le questionnant contrôle la bonne qualité ou
l’inadéquation des idées qui surviennent, et il semble constamment
indiquer la direction au récepteur » (p. 254).
Freud annonce alors à Ferenczi, le 29 décembre 1910, qu’il a mis
Jung dans la confidence à propos de la transmission de pensée. Ce
dernier s’est d’ailleurs dit déjà convaincu11. Freud propose donc à
Ferenczi d’introduire Jung dans ses calculs et précise à ce sujet :
« Je suis plus que jamais convaincu qu’il est l’homme de l’avenir ».
Si Ferenczi accepte sagement ces recommandations dans le post-
scriptum d’une lettre rédigé le 3 janvier (« Je vais bientôt
entreprendre Jung avec la transmission de pensée »), cette
thématique condense au plus haut point les rivalités entre Ferenczi
et Jung attisées par les remarques de Freud. Qui sera le véritable
héritier du maître, celui qui saura dégager quelques lumières sur
l’occultisme ? Roland Gori (1996) analyse cette situation en termes
transférentiels entre le maître et ses élèves. Il interprète les intérêts
de Ferenczi et Jung pour le transfert de pensée comme une forme
d’acting out adressé à Freud en l’absence d’un cadre de formation
didactique. Jung et Ferenczi semblent en effet utiliser l’occulte pour
exprimer une part négative du transfert en critiquant de manière
indirecte un certain dogmatisme psychanalytique freudien. De ce
point de vue, leur correspondance révèle les incomplétudes de la
relation analytique, de sorte que des pensées de transfert émergent
à partir du transfert de pensée. Les recherches sur l’occulte
permettent par conséquent à ces deux disciples de poursuivre une
relation analytique non terminée (Gori, 1996, p. 57), tout en abordant
de biais l’épineux problème de la suggestion dans la cure
(Roustang, 1980)12.
Freud évoque ensuite, le 3 janvier 1911, la prophétie des jumeaux. Il
rapporte en détail le dialogue avec sa patiente et, le 24 janvier,
propose un nouvel exemple, succinct, de transmission de pensée.
C’est ensuite le 3 mai que Ferenczi expose une expérience
étonnante dont il est le sujet. Alors qu’il se trouve dans un bus, il
tente de deviner les pensées de plusieurs passagers, en particulier
celles d’un soldat. Après quelques associations, il acquiert la
certitude que ce soldat se nomme « Kohn ». Pour vérifier son
intuition, Ferenczi va jusqu’à lui demander si son nom est bien Kohn,
ce que ce dernier lui confirme avant de lui demander comment ils se
connaissent. Ferenczi précise que cette trouvaille l’a laissé « tout
rêveur » ! Dans sa réponse, Freud considère cette histoire
« étrangement belle » (unheimlich schön), mais se demande
néanmoins s’il ne pourrait pas s’agir d’une cryptomnésie, car il ne
croit pas qu’une transmission de pensée puisse être aussi précise. Il
fait également référence aux territoires de l’occulte et précise « ce
sont des expéditions dangereuses, et là, je ne peux pas vous
accompagner » (p. 289). Freud termine sa lettre ainsi : « Je vous
salue, vous l’étrange inquiétant ».
Le 13 mai, Ferenczi explique les raisons pour lesquelles la
cryptomnésie ne lui paraît guère plausible. Freud se dit
impressionné par ces remarques et ajoute que cette histoire du petit
Kohn est « un point de départ qui peut mener à quelque chose »
(p. 293). Le 11 octobre, Ferenczi fait une brève allusion à la SPR qui
demande à Freud de lui renvoyer une déclaration d’adhésion. Puis, il
faut attendre janvier 1912 pour que Freud indique avoir rédigé un
texte pour les Proceedings intitulé « The unconscious ». Dans une
lettre du 10 octobre, il écrit par ailleurs à la biologiste Fanny Hoppe-
Moser, nièce de la patiente Emmy von N. et passionnée de
recherche psychique, qu’il reste prudent, mais qu’il admet que les
recherches sur la télépathie pourraient bien ouvrir un domaine de
faits qui, s’ils étaient confirmés, pourraient être intégrés au corpus
psychanalytique (Bauer, 1986).
La fréquence des échanges entre Ferenczi et Freud sur ce sujet
diminue ensuite durant quelques mois. Ferenczi semble en difficulté
face à ses interminables hésitations matrimoniales qui occupent
l’essentiel de ses pensées et de ses lettres. En outre, Jung « dévie »
de sa route alors qu’il devait travailler de concert avec Ferenczi dans
l’exploration scientifique de l’occulte. Freud et Ferenczi échangent
ainsi fréquemment concernant leur déception à ce sujet. Ferenczi
commente dans une lettre du 12 mai 1913 : « Enfin, je suis parvenu
au sens le plus secret du travail de Jung. C’est tout simplement sa
profession de foi occultiste, déguisée sous des dehors
scientifiques » (p. 513). Freud rédige une nouvelle lettre abordant la
question de la transmission de pensée le 23 novembre 1913. Il
indique avoir convié le professeur Alexander Roth, avec son épouse,
à l’Association viennoise de psychanalyse pour des expériences de
transmission de pensée. Il fait référence à une séance en présence
de Rank, Sachs, Hitschmann et leurs familles respectives. Freud
juge cette session lamentable, car elle n’a même pas mené à
« l’ombre d’un succès » et se montre extrêmement critique. Dans
une lettre du 27 novembre, il demande même à Ferenczi de
récupérer l’attestation qu’il avait transmise à Alexander Roth après
quelques expériences : « Songez seulement que si les choses en
viennent à une discussion publique concernant cet homme, qui dès
maintenant fait état à Vienne de ses succès à l’Association
Psychanalytique, nous devrions vous lâcher » (p. 557).
Ferenczi, dans une lettre du 29 novembre, renonce donc à la
publication d’un article sur la transmission de pensée. Il envoie
cependant à Freud un communiqué qui résume sa récente
conférence sur ce thème, du 19 novembre, à la Société
psychanalytique de Vienne. Ceci constitue leur dernier échange à ce
propos avant la Première Guerre mondiale et clôt cette période de
correspondance la plus prolifique sur ce sujet. Entre 1914 et 1919,
leurs échanges sur la transmission de pensée se font en effet moins
nombreux. Ferenczi, dans une lettre datée du 22 novembre 1914,
fait une brève remarque concernant une prédiction de Jung. Elle
porte sur le décès du frère de Freud, Emmanuel. Freud reproche à
Ferenczi de penser à cette prédiction et lui dit « Vous êtes bien plus
profondément plongé dans l’occulte que nous ne le pensions ».
Ferenczi répond, le 30 novembre 1914, que son occultisme « est
très nettement séparé du reste du savoir et ne le perturbe en aucune
manière » et qu’il est ainsi « libre de tout mysticisme » (p. 40). Freud
aborde à nouveau ce sujet durant l’été 1915, évoquant un « rêve
prophétique » dans lequel ses fils étaient tués, à commencer par
Martin. Freud précise avoir appris, le lendemain, qu’un garçon qui
avait sauvé son fils venait de trouver la mort lui-même. Le 21 juillet,
Freud apprend que son fils va bien, la prophétie ayant donc échoué.
Cependant, ce dernier a vu la balle d’une patrouille russe érafler son
bras droit et, si Freud dit ne pas connaître la date exacte de
l’événement, il reconnaît « qu’on est probablement plus sensible la
nuit » (p. 81). Ferenczi répond dix jours plus tard : « Je suis
convaincu de l’existence de l’induction de pensées. Ainsi, je crois
même que la preuve que les prophéties sont possibles ne pourrait ni
ne devrait forcer personne à abandonner la base scientifique ». Il
précise également que ce n’est pas l’occulte qui l’intéresse mais
plutôt une « désocculation », probablement fondée, en dernière
instance, « sur certaines tendances magico-religieuses » dont il « se
défend en voulant apporter la lumière sur ces choses » (p. 82).
Le 16 décembre 1915, Ferenczi explique cette fois qu’une tireuse de
cartes lui a « prophétisé » qu’il se marierait deux fois. Elle lui a
également annoncé qu’il aurait dû se marier « récemment » mais
« qu’il avait repoussé sa fiancée » (p. 109).
Les échanges entre Freud et Ferenczi se raréfient ensuite, mais
leurs quelques courriers penchent en faveur de l’existence de la
télépathie, au point que cette question ne semble plus faire débat
entre eux. Le 18 août 1921, Freud annonce avoir terminé de rédiger
Psychanalyse et télépathie. Le 19 février, Freud, dans une lettre
circulaire, fait référence aux expériences récentes du Professeur
Murray (Evrard & Rabeyron, 2017) publiées dans les Proceedings
de la SPR de décembre 1924 et écrit qu’il est « grand temps de
discuter de ce problème ». Ferenczi fait pour sa part allusion à
Myers et à sa tentative d’expliquer la télépathie à l’aide de
l’inconscient. Il observe ainsi que :
« [Ses] propres cas sont significatifs non seulement comme confirmation de
l’effectivité de la transmission de pensée, mais comme une sorte de preuve objective
des modes opératoires de l’inconscient, proposés par la psychanalyse, notamment
de la symbolique » (p. 210).

Après avoir demandé à Freud son article destiné à la SPR, Ferenczi


explique que de nombreux écrits sur la télépathie ont été produits
récemment par les « outsiders » de la recherche psychique.
Ferenczi réagit également à la circulaire de Freud datant de mi-
février dans laquelle ce dernier évoque les expériences du
professeur Murray. Freud aimerait publier « l’article secret »
comprenant différents cas de télépathie, mais il ne le peut pas, pour
cause de discrétion médicale, car il faudrait que les « deux
destinataires des prophéties non accomplies » décèdent avant lui.
Ferenczi fait à nouveau allusion, le 15 mars 1915, à quelques
expériences de télépathie « passablement réussies » menées avec
Freud et Anna, auxquelles une circulaire de Freud fait aussi
référence :
« Ferenczi était chez nous pour un dimanche. Nous avons discuté de bien des
choses et fait, à trois, des expériences de transmission de pensée qui ont
remarquablement bien réussi, en particulier l’expérience où j’ai moi-même joué le
rôle de médium en complétant ensuite mes idées sur un mode analytique. Nous
arrivons à serrer l’affaire de plus près » (p. 230).

On peut lire une dernière allusion à ce sujet dans une circulaire,


du 18 avril 1925, dans laquelle Ferenczi précise : « Pour la question
de la transmission de pensée, je soutiens mon point de vue, mais,
en accord avec Monsieur le Professeur, je renonce pour l’instant à
publier mes acquis, expériences et tentatives d’explication »
(p. 238). Cette thématique a donc, à ce moment, quitté la dyade
Freud-Ferenczi pour concerner un petit cercle d’analystes. Pour
autant, elle reste l’objet d’une grande prudence et cette dernière
remarque de Ferenczi paraît prémonitoire de l’attitude ultérieure
dominante dans le monde analytique. Nous pouvons au final
dégager quatre thématiques principales concernant la manière de
penser la télépathie qui traversent l’ensemble de cette
correspondance et qui demeurent d’actualité :
1. L’expression masquée de motions pulsionnelles : Ferenczi semble
exprimer de manière détournée son agressivité et ses inquiétudes
à l’égard de Freud par l’intermédiaire de la télépathie. Il en est de
même concernant sa rivalité avec Jung et son avenir matrimonial.
Ses propos sont cependant masqués par le filtre de la
transmission de pensée selon un principe que nous pourrions
résumer ainsi : « Ces pensées ne viennent pas de moi, elles
proviennent d’une perception directe de la réalité par télépathie ».
Celle-ci apparaît alors comme un moyen d’exprimer de manière
indirecte certaines motions pulsionnelles refoulées et de juguler
du même coup ses angoisses, ce que nous retrouvons
fréquemment en clinique.
2. L’occultisme et le narcissisme : Freud fait allusion à une possible
« grande découverte » concernant la télépathie, laissant entrevoir,
tout comme Ferenczi, une certaine fascination pour cette
thématique. Celle-ci s’inscrit dans les logiques du narcissisme et
son lot d’inquiétante étrangeté que nous pourrions rapprocher de
la relation « homosensuelle en double » caractérisant le
narcissisme primaire (Roussillon, 2004). Ces logiques se voient
contrebalancées par une formation réactionnelle, mélange de
culpabilité et de castration, qui donne lieu à des interdits et des
injonctions au secret. La peur du mysticisme ou des tendances
magico-religieuses, voire de la folie, ne sont donc pas loin, ce
dont l’épisode jungien est l’exemple emblématique. Ferenczi doit
ainsi prouver de façon récurrente à Freud son abord rationnel et
son projet de « désocculation de l’occulte » en réaction à des
fantasmes de contamination de la télépathie. Nous retrouvons ici
les trois dimensions majeures du transfert de la clinique des
expériences exceptionnelles : fascination, rejet et inquiétante
étrangeté.
3. La nature des processus télépathiques : la correspondance met
aussi en évidence l’affinité des processus télépathiques avec
ceux du rêve. Le « message » initial inconscient semble ainsi
l’objet d’un processus de déformation qui explique son aspect
énigmatique et métaphorique. Ferenczi note que la télépathie
pourrait faire office de « preuve objective » des modes opératoires
de l’inconscient. Il met également en évidence plusieurs facteurs
favorisant son expression : prédispositions individuelles, affects
intenses, lien amoureux et résistances de l’émetteur. Ces études
peuvent être considérées dans cette optique comme les
prémisses des travaux sur la transmission psychique inconsciente
et l’intersubjectivité primaire (Ciccone, 1999).
4. La réalité ontologique de la télépathie : Freud et Ferenczi
s’interrogent concernant la nature ontologique de la télépathie. Ils
avancent plusieurs hypothèses explicatives (fraude,
hyperesthésie, cryptomnésie, etc.) et mènent ensuite de petites
expériences comment le font les métapsychistes à la même
époque. Ils obtiennent certains succès qui atteignent leur apogée
avec la clairvoyance de Ferenczi concernant le soldat Kohn. Mais
ils découvrent aussi les difficultés d’observation et de
reproductibilité rencontrées dans ce champ. Ce manque de
fiabilité dans les résultats obtenus fait courir un grand risque à la
psychanalyse, risque que Freud ne souhaite pas prendre. Il en est
de même pour l’étude de la précognition qui restera marginale
malgré la conviction que Ferenczi entretient à ce sujet. Les
travaux ultérieurs sur les perceptions psi poursuivront les
interrogations esquissées dans cette perspective.

DÉVELOPPEMENT DES POSITIONS TÉLÉPATHIQUES


ET ANTI-TÉLÉPATHIQUES

Des analystes se sont progressivement appropriés ces différentes


thématiques selon deux abords complémentaires que Michaël
Turnheim (2008) désigne comme étant « anti-télépathique » et
« télépathique ». Le premier désigne un abord critique qui vise à
expliquer l’occulte et le transfert de pensée comme la manifestation
de processus inconscients. La psychanalyse éclaire alors les
ténèbres de l’occultisme en déterminant les processus psychiques
qui en sont à l’origine. Le deuxième porte davantage sur la
télépathie en précisant les intuitions de Freud et Ferenczi selon une
approche ouverte concernant l’existence d’un possible « noyau de
vérité ». Les travaux relatifs à ces deux abords peuvent être
rassemblés en trois périodes successives comme résumé dans le
schéma suivant :
Les psychanalystes et la télépathie : des recherches
sur trois générations

1. Une première période est marquée par les écrits de Freud et des
premiers analystes – en particulier Jung et Ferenczi – qui
proposent essentiellement, à partir des années 1920, les ferments
d’une réflexion sur l’occultisme à partir du prisme du transfert de
pensée.
2. Une deuxième période commence alors, dont l’apogée est la
publication de l’ouvrage dirigé par George Devereux intitulé
Psychoanalysis and the occult (1953) qui reprend les écrits de
Freud sur ce sujet, expose les réflexions des analystes de
l’époque et synthétise les controverses que suscite ce thème de
recherche. De la publication de cet ouvrage jusqu’aux années
1980, l’occulte et la télépathie demeurent d’un intérêt mineur,
voire même sont l’objet d’un certain rejet, comme en témoigne la
lenteur avec laquelle les textes de Freud sur ce sujet sont traduits
en français13.
3. Enfin, une troisième et dernière période, depuis les années 1980,
au cours de laquelle des travaux abordent à nouveau la
télépathie, marquant un renouveau de l’intérêt des analystes pour
l’occulte, à mesure que les travaux sur l’identification projective, la
transmission psychique inconsciente et le groupe se développent.
Ce mouvement est ensuite renforcé avec les travaux sur
l’intersubjectivité précoce, le mouvement post-bionien (Grotstein,
2016), et les théories du champ (Rabeyron, 2019) qui rendent
davantage intelligible les niveaux les plus primaires de la relation
analytique.
Nous allons à présent reprendre brièvement les principaux apports
théoriques et cliniques issus de ces différentes périodes. La
première d’entre elles débute avec les écrits de Wilhelm Stekel
(1921) qui publie Le rêve télépathique, une monographie de patients
névrosés dans laquelle l’auteur suggère que ces expériences
émergent au gré de situations affectives intenses qui peuvent
impliquer notamment des mouvements inconscients d’agressivité ou
de jalousie. Il suppose également que la plupart des personnes
possèdent cette capacité. Freud poursuivra les développements de
Stekel la même année dans Rêve et télépathie (1921) en montrant
comment le contenu télépathique peut être interprété par
l’intermédiaire des processus de déplacement mis en évidence par
la psychanalyse. Quelques années plus tard, Roheim (1932) insiste
dans le Psychoanalytic Quaterly sur le fait que le recours à un
fonctionnement psychique de nature télépathique découlerait d’une
fixation à la scène primitive.
Ensuite, en 1933, Freud souligne de quelle manière la méthode
analytique peut être utilisée pour déterminer un contenu télépathique
au sein des associations des patients. Jules Eisenbud (1954) note à
ce sujet que Freud propose une « étude élargie des complexités du
fonctionnement télépathique in vivo, sans entraves, sans structure
artificielle, sans orientation factice » (p. 79) contrairement aux
approches quantitatives qui se développent alors aux États-Unis
(Rhine & McDougall, 1934). Deutsch (1926) et Burlingham (1935)
décrivent à la même période l’émergence de la télépathie en cours
d’analyse, à partir de cas provenant de cures d’enfants. Ces deux
analystes se focalisent sur le transfert de pensée qu’elles
considèrent comme un élément essentiel de la relation
thérapeutique. Quant au Hongrois Hollos (1933), élève de Ferenczi,
il publie un article qui rassemble pas moins de cinq-cents
observations ayant trait à la télépathie sur une période de vingt ans.
Il met en évidence que le matériel télépathique correspond aussi
bien au matériel refoulé du côté de l’analysant qu’à des événements
survenus chez l’analyste (Gyimesi, 2015). Poursuivant certaines
intuitions de Ferenczi, Hollos suppose également que la télépathie
émergerait à l’interaction des psychés de l’analyste et l’analysant. Le
psychanalyste italien Servadio (1935) proposera des analyses
similaires, ainsi que Fodor (1947).
Le psychiatre et psychanalyste américain Jan Erhenwald (1942,
1944, 1948, 1971) développe ensuite une analyse plus théorique de
la télépathie. Il propose l’idée qu’un état de déséquilibre ou de
déficience psychobiologique – perte de conscience, trouble cérébral,
épuisement physiologique – induit le fonctionnement télépathique et
suppose que l’« on pourrait situer le transfert de pensée dans un
espace qui, d’un côté, va asymptotiquement jusqu’à la confusion
sujet-objet d’une identification maternelle originaire et qui, d’un autre
côté, s’en dégage par l’identification projective et introjective »
(Ehrenwald, 1971, p. 68). Il propose d’expliquer les processus de
déformation décrits par Freud comme la conséquence d’un
« phénomène d’éparpillement » selon lequel le processus
télépathique est indissociable d’une certaine imprécision. Ehrenwald
se demande également si certains cas de psychoses paranoïaques
ne proviendraient pas d’une incapacité à se défendre face à un
matériel hétéro-psychique anxiogène menant certains patients à la
catatonie. Le psychiatre et psychanalyste américain Jules Einsenbud
(1946, 1948, 1954, 1969, 1970), l’une des grandes figures de ces
questions dans l’après-guerre, propose également une analyse
approfondie de la télépathie au sein du cadre analytique. Il suppose
que son incidence est considérable dans l’analyse, qu’elle peut
s’appliquer aux liens entre différents malades et qu’il est essentiel de
prendre en compte les éléments inconscients refoulés de l’analyste
pour la comprendre. Eisenbud (1970) dégage ainsi un « processus
psi » qu’il conviendrait de repérer dans le cadre analytique et qu’il
étudiera plus avant dans sa longue collaboration avec le sujet psi
Ted Serios (1966).
Parallèlement à l'abord de ces analystes qui sont ouverts à
l’existence de la télépathie, d’autres auteurs proposent des
explications pour rendre compte de certains phénomènes occultes
dans la perspective « anti-télépathique » évoquée par Michaël
Turnheim (2008). Les écrits de Hitschmann (1924, 1933) en
représentent un excellent exemple. Celui-ci expose un cas dont il est
lui-même sujet et qui concerne un accident de dirigeable qu’il aurait
perçu à distance. Hitschmann insiste sur le fait qu’il eut
naturellement tendance à embellir son histoire lorsqu’il la partagea
avec d’autres personnes. Il se demande donc s’il ne pourrait pas en
être de même pour d’autres prophéties. Il propose également
plusieurs hypothèses pour rendre compte d’une telle expérience
dans un article publié en 1923 dans l’International Journal of
Psychoanalysis. Il discute en particulier les sentiments inconscients
qui auraient ainsi donné lieu à cette clairvoyance :
« Il y avait tant de raisons et elles étaient si fortes qu’elles n’ont pas donné naissance
à une pensée mais à une hallucination que ma vanité a pris le risque de rapporter à
mes compagnons. Il semble que je me sois attribué, pour un moment, l’omnipotence
des pensées, la capacité de clairvoyance et le pouvoir d’exercer une influence
magique à distance » (p. 121)14.

Il expose également le cas d’un poète qui aurait perçu la mort de


son père à distance. Hitschmann suppose qu’il s’agit d’une forme de
régression à la pensée magique et au mysticisme selon le principe
du « Nothing but a miracle can help me ». Dans ce cas, la
clairvoyance serait en réalité l’expression d’une agressivité
inconsciente du poète à l’égard de son père, hypothèse que nous
avons déjà évoquée au chapitre cinq (cf. p. 165). Hitschmann en
déduit donc que cette expérience est un phénomène subjectif lié au
narcissisme, l’omnipotence des pensées et une déficience de la
capacité à « tester » la réalité. Le sujet se considère alors comme
possédant une compétence exceptionnelle, ce qui aurait pour
conséquence qu’il tendrait à inhiber, dans l’après-coup, les preuves
venant contredire une telle croyance. Hitschmann compare cette
forme de régression infantile à la pensée des peuples premiers et
remarque ceci :
« Étant donné que le clairvoyant ne sait rien des raisons de sa propre expérience de
clairvoyance, et parce que ces raisons demandent à être reconnues en lui-même, il
est obligé par un processus de déplacement de les localiser dans le monde extérieur
et de postuler l’existence de forces surnaturelles. L’appel à l’existence de forces
mystiques est simplement la projection dans le monde externe de processus
psychologiques » (p. 127).

Hitschmann propose que la méthode psychanalytique soit utilisée


pour étudier de la même façon l’écriture automatique, les séances
médiumniques et les rêves prémonitoires. Quelques années plus
tard, en 1933, sa position se fait moins critique. Il rapporte un cas
obtenu en analyse lors duquel un patient perçoit de façon
hallucinatoire une lettre alors que lui-même est en train de penser à
une lettre très attendue. Il se demande s’il est pertinent d’interpréter
une telle expérience comme étant télépathique et note ainsi :
« La volonté, ou la non-volonté de chacun d’envisager la possibilité que cet incident –
qui, il faut en convenir, a plusieurs caractéristiques étonnantes – peut avoir été de
nature télépathique, sera déterminée uniquement par l’attitude subjective, c'est-à-dire
par les tendances mystiques ou antimystiques » (p. 130).

Il analyse plus avant cette proposition en mettant en évidence de


quelle manière l’interprétation de cette expérience dépend des
positions a priori du fait des structurations psychiques inconscientes
du sujet. Il en vient à une conclusion plus mesurée que ses écrits
précédents : « Seul un nombre important d’événements de ce type
rendra possible la compréhension de ces incidents durant l’analyse,
laquelle semble offrir un contexte très favorable à leur émergence »
(p. 132).
Jones avait également de fortes réticences à l’égard de la télépathie
et il essaya à plusieurs reprises de dissuader Freud d’admettre
publiquement la possibilité de son existence. Après la publication de
La signification occulte des rêves, en 1925, Jones écrit une lettre
dans laquelle il explique que les recherches sur la télépathie
constituent une menace pour la réputation scientifique de la
psychanalyse. Selon Jones, la position publique de Freud sur ce
sujet est problématique. Dans sa biographie du fondateur de la
psychanalyse, Jones (1957) remédie à cette difficulté en expliquant
que les positions de Freud sur le transfert de pensée sont à
entendre comme un « trait de sa personnalité » (p. 406) plutôt que
comme un objet d’étude psychanalytique à part entière.
Malgré ces critiques et ses propres ambivalences, Freud (1925)
participe aux rapprochements entre psychanalyse et recherches
psychiques, encourageant les analystes à poursuivre leurs réflexions
sur ce sujet : « Il serait satisfaisant si avec l’aide de la psychanalyse
nous pouvions obtenir de meilleures connaissances sur la
télépathie ». Plusieurs d’entre eux – en particulier Hollos, Fodor,
Servadio, Burlingham, Ehrenwald, Eisenbud, Ullman, Perderson-
Krag, Von Winterstein, Vinchon, Gillepsie et Rubin – répondent
favorablement à cet appel et établissent de nouvelles lignes de
recherche sur ce sujet. Celles-ci se traduisent par la publication,
en 1953, de la référence en ce domaine, Psychoanalysis and the
Occult, regroupant des textes rassemblés par Georges Devereux.
Cet ouvrage réunit les principales contributions des analystes
concernant l’occulte jusqu’au début des années 1950 avec pas
moins de 31 essais de membres de l’Association Psychanalytique
Internationale15 selon l’idée que « les analystes qui ont étudié
récemment le problème parapsychologique s’accordent tous sur
l’importance des phénomènes psi, tant pour la pratique
psychanalytique que pour une meilleure intelligence théorique du
fonctionnement de l’esprit » (p. 125).
Ces écrits étudient les processus primaires, les mécanismes de
déformation et les dimensions affectives associés à la télépathie. Ils
montrent que si « certains mécanismes de défense psychologiques
ou psychophysiologiques destinés à intégrer ou à protéger notre vie
affective fonctionnent mal cela conduit au rétablissement d’exutoires
ou de moyens de communication plus primitifs » (Eisenbud, 1954,
p. 123). Le transfert de pensée semble alors influencé par diverses
dynamiques inconscientes : fantasmes sadomasochistes,
scatologiques, conflits œdipiens et désirs incestueux, angoisses de
castration, etc. Plus généralement, ces travaux représentent les
précurseurs des théorisations futures de l’intersubjectivité primaire.
Devereux rédige à cette occasion plusieurs écrits abordant les
fondements épistémologiques concernant l’étude de la télépathie.
Dans Extrasensory perception and psychoanalytic epistemology, il
rappelle que les découvertes scientifiques sont toujours le fruit d’une
subjectivité et donc de logiques inconscientes :
« À la fois en termes de raisonnement psychanalytique et selon des considérations
entièrement indépendantes du point de vue psychanalytique, il est probable
qu’aucune découverte d’une nature scientifique n’aurait été faite s’il n’y avait aucune
subjectivité et aucune motivation inconsciente à leur origine […] Ces besoins sont
habituellement identiques à des intérêts et des souhaits archaïques originellement
responsables de la création d’un domaine magique qui devint ultérieurement une
branche de la science » (p. 17).

Ainsi, selon Devereux, les psychanalystes qui étudient la télépathie


doivent être particulièrement attentifs aux origines inconscientes de
cet intérêt qui pourraient affaiblir leur sens critique. Cependant, il
note, avec Hollos (1933), qu’une opposition a priori concernant son
étude peut aussi représenter une défense face à une sublimation
incomplète de l’omnipotence narcissique. Devereux distingue ainsi la
nature du raisonnement (noesis) de sa conclusion (noema) et en
vient à l’idée que « nous devons chercher à raisonner avec notre
intellect plutôt qu’avec nos souhaits infantiles ou avec nos défenses
contre ces souhaits. Nous devons chercher à afficher notre aptitude
à tester la réalité plutôt que notre tendance à l’invective et au
sarcasme » (p. 23). Il propose en ce sens un cas hypothétique afin
de développer plus avant son raisonnement :
« Supposons que, à 8h du soir, la Chevrolet de John Doe rentre en collision avec une
Ford au coin de la 10e et de la 34e avenue à New York. Également à 8h du soir,
Mrs. John Doe, restée à Boston, s’exclame : “La voiture de mon mari vient de rentrer
en collision avec une Ford au coin de la 10e et de la 34e avenue” » (p. 25).
Comment comprendre cette expérience du point de vue
psychanalytique ? Après une étape préliminaire de recherche de
faits afin de vérifier leur exactitude, plusieurs postulats guideront
l’analyse. Le premier est le « postulat de congruence » selon lequel
ces deux événements pourraient être associés sans que l’on puisse
déterminer si ce lien est le fruit d’une interaction réelle ou du hasard.
Le deuxième est un « postulat de pertinence » qui suppose une
forme de connexion entre les événements dont la nature demeure
indéterminée. Selon cette perspective, l’accident de Mr Doe et la
vision de Mrs Doe pourraient, par exemple, être le fruit de difficultés
matrimoniales. La connexion est alors liée à un déterminisme
psychologique propre à chacun des protagonistes. Il sera possible
de rendre plausible cette hypothèse en analysant la psychologie de
l’« émetteur » et du « récepteur ». Ainsi, du côté de Mrs Doe, il
pourrait s’agir d’un désir inconscient et refoulé de voir son mari
mourir qui prendrait la forme de cette vision. Peut-être même savait-
elle que son mari avait tendance à boire au volant de sa Chevrolet et
qu’il se trouvait en état d’ébriété. Devereux imagine que d’autres
associations pourraient être mises en évidence (34 pourrait être
l’âge de Mr ou Mrs Doe ; la 10e avenue correspondrait à la durée de
leur union ; l’heure de l’accident serait la même que celle de leur
dernière dispute, etc.). De tels éléments, récoltés au moyen de la
technique psychanalytique, forment alors selon Devereux une
gestalt qui conduit à écarter l’hypothèse d’une perception
télépathique à la faveur de la détermination de causes endogènes :
« Ils sont tous les deux connectés uniquement selon le passé et le
déterminisme psychique, c'est-à-dire seulement selon leurs
antécédents antérieurs et cela dans un cadre de référence
psychanalytique » (p. 30).
Mais les choses sont en réalité plus complexes, car le même travail
d’analyse pourrait tout aussi bien démontrer l’existence d’un lien
télépathique. Ce travail d’investigation permet alors de dégager une
cohérence sur le plan des processus psychiques qui pourrait tout
aussi bien exclure qu’au contraire renforcer la pertinence de
l’hypothèse télépathique. Il existe ainsi une tension, mais non une
opposition, entre interprétations endopsychiques et
hétéropsychiques. L’analyse de Devereux porte ensuite sur la
possibilité de décrire cet événement selon la nature de la connexion.
Il remarque que l’on peut envisager une « connexion négative » –
simple fruit du hasard – mais que celle-ci est hypothétique et non
scientifique. Devereux avance alors une position qui lui paraît
préférable et qui repose sur une suspension du jugement, ce qu’il
associe au dicton de Moses Maimonides : « Teach the tongue to
say: I do not know ». Devereux explique ainsi :
« Il s’agit de l’attitude la plus satisfaisante sur le plan scientifique dans l’état actuel de
nos connaissances, mais elle ne requiert pas seulement une ingéniosité intellectuelle
dans le dévoilement des caractéristiques logiques qui expliquent la nature du lien,
mais aussi une formidable capacité à tolérer la frustration, étant donné que, ainsi que
l’a pointé le regretté Professeur L. J. Henderson, peu de personnes peuvent obtenir
la même quantité de relâchement de tension en disant “Je ne sais pas” que celle
qu’elles peuvent obtenir en disant “oui” ou “non”. Nous tenterons d’adhérer à ce point
de vue aussi loin que possible » (p. 32-33).

Ce modèle est donc l’un des plus aboutis sur le plan de la neutralité :
si l'analyste ne peut affirmer a priori que deux événements sont
reliés par télépathie, il peut aider à montrer leur association sur le
plan heuristique. Devereux s’interroge alors : « Quelle est
précisément la signification psychologique et la conséquence de
l’hypothèse qu’un phénomène psi s’est produit ? Quelle différence
cela fait-il pour le psychologue ou le psychanalyste qui cherche à
interpréter cette occurrence ? » (p. 42). Il revient au cas de Mr et
Mrs Doe et note que, selon que l’on prenne ou non en compte
l’hypothèse de la perception psi, cela conduira à une interprétation
très différente, qu’il s’agisse d’un souhait de mort refoulé envers le
mari ou la perception d’un matériel hétéropsychique. Le travail de
deuil pour Mrs Doe sera en effet envisagé différemment selon la
façon dont est interprétée cette expérience. Devereux conclut ainsi
son analyse :
« Quel que soit le résultat final de cette controverse, elle peut mener à d’importantes
extensions du champ de la théorie psychanalytique et à des avancées profondes et
significatives de celle-ci. […] Il est légitime de supposer qu’il puisse exister au moins
un “phénomène psi” et, si celui-ci existe, alors de nombreux autres “phénomènes psi”
pourraient aussi exister » (p. 46).
Les deux autres parties de l’ouvrage présentent ensuite des
controverses qui impliquent respectivement Hollos, Schilder et
Servadio, et Eisenbud, Perderson-Krag, Fodor et Ellis. On ne peut
qu’être frappé par la vigueur de ces débats ainsi que par leur
influence sur le découpage ultérieur du champ psychothérapeutique
aux États-Unis. En effet, Albert Ellis, formé initialement à la
psychanalyse, fondera ensuite sa propre école de « thérapie
rationnelle-émotive », berceau des thérapies cognitivo-
comportementales. Son but était de changer les croyances
irrationnelles de ses patients en leur démontrant qu’elles sont la
cause de leurs souffrances. Le principal exemple sur lequel il étaye
initialement sa thèse est la « correction » des perceptions
supposées télépathiques, ce qui lui vaudra son appellation de
« prince de la raison ». L'argumentation d’Ellis consiste à réduire
tous les exemples de télépathie à des coïncidences. Avec la loi des
grands nombres, même l'improbable peut se produire et la quantité
de matériel que rencontre un analyste favorise sa survenue. Ellis
pense également que les causes de ces coïncidences auraient pour
origine des effets de suggestion de la part de l’analyste. Il propose
donc une liste de recommandations pour les analystes qui
souhaitent démontrer l’existence de la télépathie : éliminer tout
facteur affectif, toute suggestion, toute croyance antérieure,
demander à ce que les motifs oniriques ne se présentent pas sous
forme symbolique, de sorte que la télépathie émerge dans un vide
absolu et stérilisé. Tout ceci n'est possible que dans un laboratoire
de psychologie expérimentale et non dans un dispositif analytique.
Devereux répondra d’ailleurs que les phénomènes n’existent pas en
eux-mêmes mais qu’ils se produisent toujours au sein d’un cadre qui
les formalise. Cette réflexion sera poursuivie dans ses ouvrages
ultérieurs dans lesquels le contre-transfert prendra une place
fondamentale au sein de l'épistémologie et de la pratique
psychanalytique, et dans la rencontre avec d’autres cultures
(Devereux, 1970).
TRANSFERTS ET PROCESSUS TÉLÉPATHIQUES
Malgré la richesse des contributions de Psychoanalysis and the
Occult, une position officielle n’émergera guère concernant la
manière de considérer le transfert de pensée dans les milieux
analytiques. Cette notion se trouva dès lors maintenue dans un
statut clinique et théorique ambigu. Thème en marge, qui intrigue
néanmoins les analystes dans leur pratique, il est souvent abordé
« entre la poire et le fromage » comme le remarque André Green
(1998), comme si cet objet n’était pensable qu’hors-cadre. En outre,
l’oubli dans lequel sont tombées les recherches psychiques semble
également avoir eu pour conséquence de laisser inexploité l’héritage
freudien en ce domaine16. Une minorité d’analystes continua
néanmoins à l’étudier en proposant du matériel clinique
approfondissant les hypothèses freudiennes (Balint, 1987 ; Bendit,
1944 ; Jan Ehrenwald, 1978, 1981 ; Eisenbud, 1946 ; Eshel, 2006 ;
Mayer, 2007 ; Rosenbaum, 2011 ; Totton, 2003), en reprenant les
travaux de Freud pour en proposer des interprétations originales
(Barbier & Decourt, 1998 ; Bernat, 2001 ; Granoff & Rey, 1983) et en
collaborant avec les sociétés de recherche psychique (de Peyer,
2014, 2016 ; Eisenbud, 1966, 1970 ; Ullman et al., 1973). Ces
contributions contemporaines sur le transfert de pensée demeurent
néanmoins isolées et nous allons donc tenter de les synthétiser
selon trois questionnements complémentaires qui poursuivront les
réflexions engagées au cinquième chapitre concernant les liens
entre le psi et la pratique clinique : (1) Quelle est la réalité
ontologique de la télépathie ? (2) Quelles sont ses conditions
d’émergence au sein du dispositif psychanalytique ? (3) Quelle
intégration théorique possible de la télépathie dans la
métapsychologie ?

▶ Ontologie du transfert de pensée et pratique


analytique
Comme le montre une partie des débats évoqués jusqu’à présent, le
transfert de pensée interroge tout d’abord quant à sa nature
ontologique. L’ensemble des expériences de transfert de pensée
sont-elles réductibles à des communications non verbales ou au
hasard, ou bien certaines d’entre elles résulteraient-elles
d’interactions qui transcendent les frontières habituelles de l’espace
et du temps ? De ce point de vue, que peut donc dire la
psychanalyse de la réalité « objective » de la télépathie ? Comme
nous l’avons vu, Freud demeure ambivalent à ce sujet. Il déclare
ainsi, en 1912, dans les Proceedings de la SPR, que de futurs
éléments recueillis par les analystes pourraient « supprimer les
doutes rémanents concernant la réalité du transfert de pensée »
(p. 7). À l’inverse, dix ans plus tard, il explique que la psychanalyse
n’a « rien à dire de l’énigme de la télépathie » (1922, p. 69). Vers la
fin de sa carrière, il invite néanmoins les analystes à « penser avec
plus de bienveillance la possibilité objective du transfert de pensée »
(Freud, 1933). Cette ambivalence s’associe au fait que Freud ne
propose pas de démarcation claire entre les communications
inconscientes, les différentes formes de transfert et la télépathie. Par
exemple, il présente un rêve supposé télépathique (Freud, 1922) et
ses propres expériences avec Ferenczi et Anna comme deux
exemples de télépathie à distance (voir notamment Jones, 1957,
p. 393) alors qu’il s’agit de contextes très différents.
Ce mélange d’ambivalence et de confusion traduit le risque pour la
psychanalyse d’être considérée hors du champ scientifique si elle se
positionne en faveur de l’existence de la télépathie. Pourtant, les
cliniciens semblent parfois confrontés à des vécus qui pourraient
laisser penser qu’elle n’est pas réductible à une communication non
verbale comme en témoignent notamment les situations cliniques
présentées au chapitre cinq (cf. p. 165). Ces processus
télépathiques seraient même catalysés par le dispositif analytique du
fait de la régression qui le caractérise ainsi que de la force du lien
affectif entre l’analyste et l’analysant. Ils pourront concerner des
éléments apparaissant dans le cadre analytique ou s’étant produits
en dehors de celui-ci. L’analyste sera alors conduit à interroger ses
modèles conceptuels pour saisir la manière la plus appropriée de
tenir compte des éventuelles occurrences télépathiques et de leur
inscription dans la dynamique transférentielle17.
Une première approche face à de telles occurrences est de
considérer la télépathie comme relevant de croyances irrationnelles
selon la logique « anti-télépathique » déjà évoquée. Dans cette
perspective, l’interprétation découle d’une prémisse que nous
pourrions résumer ainsi : « il n’y a pas de transfert de pensée ».
L’analyste recherche donc une explication alternative à ce type de
vécu, comme dans ce cas rapporté par Freud (1913) :
« Il y a plus de dix ans de cela, un homme très intelligent me raconta un rêve qu’il
souhaitait utiliser comme preuve de la nature télépathique des rêves. Il avait vu dans
celui-ci un ami dont il n’avait plus de nouvelles depuis un long moment, et dans
lequel il lui reprochait d’ailleurs de manière énergique ce silence, ce à quoi son ami
ne répondait pas. Il s’avéra ultérieurement que celui-ci était mort par suicide à l’heure
du rêve » (p. 294).

Comme le montrent les analyses précédentes de Hitschmann (1910,


1923), ce type de récit, en fonction des associations du patient,
pourra être interprété comme un désir inconscient de mort à l’égard
d’un proche, celui-ci ayant coïncidé avec un événement réel du
simple fait de la loi des grands nombres18. Le patient aurait ainsi
rêvé de la mort de son ami comme conséquence d’une motion
pulsionnelle agressive à l’égard de ce dernier, comme l’évoque
Devereux (1953, p. 408) qui suggère que « la plupart des personnes
sont l’objet de désirs profondément refoulés du registre de la mort
concernant ceux qui leur sont les plus proches », ces désirs ayant
tendance à s’exprimer durant ce type de rêves19. L’exemple proposé
par Freud pourrait ainsi être interprété du point de vue de
« l’hypothèse de la chance » (Ellis, 1947) comme résultant d’une
conjonction entre un désir de mort et son assouvissement par
coïncidence. Martin Stein (1953) propose un exemple similaire
concernant un patient qui rapporte des rêves prémonitoires au sujet
de son père avant que l’un d’eux ne se produise dans la réalité. Le
patient se défend par la suite contre la dépression, évitant le
processus de deuil à travers le raisonnement suivant : « Je n’ai pas
produit la mort de mon père par ce désir dans mon rêve ; c’est plutôt
cet événement qui m’a été communiqué par ce rêve ou mon père lui-
même par amour pour moi » (Stein, 1953, p. 63). Dans ce cas, la
croyance en l’occurrence télépathique du rêve sera le vestige de
l’omnipotence des pensées permettant au patient de dénier
l’existence d’un souhait de mort et la culpabilité intolérable qui lui est
liée du fait du collapsus topique entre vie fantasmatique et
événement réel.
Cependant, Freud (1921) considère sérieusement la possibilité d’un
« don physiologique » pour expliquer certains cas de télépathie, ce
qui le conduit à cette formule : « Il y a du transfert de pensée » (Es
gibt Gedankenübertragung). Le rêve de la mort d’un proche serait
alors davantage orienté par un « souhait de vie », car le patient
sentirait à distance un danger sur le point de se produire concernant
un proche et tenterait de l’éviter par tous les moyens. Considérer le
transfert de pensée comme un phénomène possible étend alors
l’éventail des interprétations et certains analystes ont examiné dans
cette perspective le matériel collecté en analyse – en particulier
Eisenbud, Ehrenwald et Servadio – ainsi que par l’intermédiaire de
dispositifs expérimentaux20. L’un des analystes contemporains les
plus connus à avoir travaillé sur ce sujet est probablement Stoller
(Mayer, 2001) comme nous l’avons évoqué au chapitre cinq. Il a
recueilli un grand nombre de « rêves apparemment télépathiques qui
semblent être plus que des coïncidences » (p. 634) et dont nous
avons déjà donné un exemple (cf. p. 162). La littérature analytique
contient un certain nombre de situations du même ordre qui
soulignent la complexité des phénomènes en question (De Peyer,
2016). Ces contributions montrent comment l’analyste et l’analysant
semblent parfois confrontés à un matériel qui questionne les limites
usuelles du Moi. Si les psychanalystes peuvent difficilement se
positionner quant à la nature ontologique de la télépathie, ils peuvent
néanmoins questionner son émergence éventuelle en séance.
Cette hypothèse télépathique est rendue d’autant plus crédible qu’un
certain nombre d’études menées en conditions contrôlées conduit à
des résultats statistiquement significatifs comme nous l’avons
abordé au premier chapitre (Broderick & Goertzel, 2014 ; Sherwood
& Roe, 2003 ; Storm, Tressoldi & Risio, 2010 ; Cardeña, 2018).
Cependant, ces résultats ne conduisent pas à un consensus au sein
de la communauté scientifique et les analystes demeurent divisés
concernant leurs éventuelles implications cliniques (de Peyer, 2014 ;
Lazar, 2001). Certains d’entre eux proposent que les cliniciens
tiennent compte de ces résultats dans leur pratique. Par exemple,
Jules Eisenbud (1946) défendait déjà l’idée que « l’existence de
processus télépathiques est démontrée de manière aussi fiable que
n’importe quel autre phénomène dans le champ des sciences
empiriques » (p. 21). Plus récemment, Elizabeth Mayer (2001) a
souligné, dans la même optique, que « des résultats significatifs sur
le plan expérimental se sont accumulés dans les dernières années
suggérant que la télépathie […] pourrait constituer un phénomène
réel dont l’existence est vérifiable scientifiquement » (p. 13). Mais
ces résultats sont situés au sein d’une faille épistémologique qui
complexifie leur intégration. Alors que certaines études menées en
conditions contrôlées pourraient soutenir la réalité des phénomènes
télépathiques, leurs éventuels fondements physiques et
neurobiologiques demeurent inexpliqués, ce qui les réduit à une
collection d’anomalies non structurées par un modèle scientifique
mature. Ce « trou » dans les connaissances questionne en
conséquence également la validité et l’intégration des données de
ce type collectées dans le cadre analytique.
Si les débats à propos de la nature ontologique du transfert de
pensée demeurent ouverts, la prise en compte de son existence
peut demander à l’analyste qu’il reconsidère ses positions
concernant les occurrences supposées de phénomènes
télépathiques. De ce point de vue, la position de neutralité introduite
par Devereux paraît particulièrement heuristique et conduit à suivre
une règle d’indécidabilité21. Devereux remarque ainsi que « même si
de telles expériences existent réellement et peuvent être expliquées
au moyen de l’hypothèse de la perception extra-sensorielle,
l’investigation de ces phénomènes par la psychanalyse continuera
d’être entièrement légitime » (p. 46). Pour Devereux, si l’analyste ne
peut rien dire concernant la connexion fondamentale entre deux
événements qui semblent de nature télépathique, il peut en
revanche en proposer une interprétation. Ainsi, si on ne peut prouver
l’existence d’interactions psi par le biais du dispositif analytique, le
fait de tenir compte de cette hypothèse – qui appartient dès lors au
domaine des possibles – peut avoir des conséquences sur les plans
cliniques et théoriques.

▶ Transfert de pensée, régression et processus


interpsychiques
Un deuxième questionnement qui anime les publications
contemporaines sur la télépathie porte sur ses conditions
d’émergence. Dans cette perspective, la plupart de ceux qui
prennent en compte sa possible existence la conçoivent
habituellement comme la résurgence de relations intersubjectives
primaires et le retour à une forme archaïque de communication
comme Freud l’avait suggéré. La télépathie serait alors un moyen de
communication qui resurgirait à la faveur de certains états de
régression. Le dispositif clinique participerait de l’émergence des
phénomènes télépathiques étant donné sa tendance à favoriser de
tels états.
Dans le but de repérer les conditions qui catalysent cette émergence
du transfert de pensée, plusieurs analystes ont souligné l’importance
du lien entre l’analyste et l’analysant. Leurs réflexions suggèrent
qu’une menace sur la relation ou une absence de lien favoriserait les
phénomènes de ce type. Ehrenwald (1978) et Balint (1987)
considèrent ces expériences comme une tentative du patient de
maintenir une connexion avec l’analyste de la même manière que
l’enfant tente de garder un lien à sa mère. Mayer (2007) et Stoller
(2001) ont repris cette idée suggérant que le transfert de pensée
pourrait être un désir de lien archaïque à l’analyste. Pour Stoller
(2001), l’essentiel n’est donc pas le contenu du transfert de pensée,
mais davantage le contenant, à savoir la tentative par l’analysant de
maintenir désespérément une connexion à l’analyste pendant ou
après une période de séparation, comme il l’explique à propos des
rêves télépathiques :
« Premièrement, dans chaque cas, hormis quatre (et même ceux-ci se produisirent le
vendredi, juste avant une séparation), le rêve arrivait durant une séparation – au
cours d’un week-end, après une heure manquée ou lors d’une période au cours de
laquelle j’étais éloigné pendant une période prolongée. Deuxièmement, les patients
avaient moins, voire aucune association en lien avec les éléments du rêve qui étaient
liés à des événements réels de ma vie. Troisièmement, les détails du rêve étaient
différents de ceux qui étaient apparus auparavant dans les rêves précédents et ne
faisaient jamais retour dans ceux-ci » (p. 650).

Certains cliniciens ont observé que les conditions d’émergence du


transfert de pensée impliquent d’autres formes de « séparation ».
Ainsi, pour Reiner (2004) et Chaperot (2011), si le clinicien semble
mentalement absent durant les séances, le patient pourrait tenter de
capter son attention par le biais du transfert de pensée. La télépathie
prendrait alors la forme d’une coïncidence frappante entre les
paroles du patient et les pensées de l’analyste, ramenant
soudainement l’intérêt de celui-ci. Cette idée fait écho aux travaux
de Servadio (1958) qui formula la même hypothèse pour rendre
compte des rêves télépathiques de ses patients. Hann-Kende (1953)
explique pour sa part que les manifestations télépathiques
émergeraient en particulier lors d’une diminution de l’investissement
libidinal de l’analyste. Enfin, pour Prados (1959), les processus
télépathiques tendent à se produire dès lors que le patient perçoit
« une menace de séparation quand il ressent que l’analyste manque
d’empathie » (p. 43).
Ces diverses modalités de connexions « ratées » entre l’analyste et
l’analysant renverraient aux relations précoces entre la mère et
l’enfant, en particulier celles qui sont associées à des expériences
traumatiques et une mère absente. Le patient tenterait ainsi d’établir
une connexion primaire avec l’analyste par le biais d’un transfert
télépathique qui serait la résurgence d’un pattern précoce favorisé
par le dispositif analytique. Balint (1955, p. 169) observe à ce propos
que les expériences de ce type – qu’il nomme « prouesses
télépathiques » (telepathic feats) – émergent essentiellement auprès
de patients souffrant de carences affectives et pour qui le transfert
de pensée est conçu comme une connexion idéale dont l’origine
serait une tentative de réparation de ces carences (voir aussi :
Kohut, 1972). Toujours pour Balint, le transfert de pensée émergera
en particulier quand le patient éprouvera un transfert positif intense,
une observation également rapportée par Ansell (1966) et Löfgren
(1968) qui suggèrent que la télépathie serait une tentative de
compenser certaines imperfections des relations précoces.
Dans la même optique, Opra Eshel (2006) interprète les rêves
télépathiques comme un « moteur de recherche qui cherche et
trouve l’analyste, de manière à arrêter le processus d’abandon et
empêcher le retour à un vécu d’effondrement et au profond
désespoir issu de traumatismes précoces » (p. 1620). Eshel
suppose que les épisodes de transfert de pensée surviennent en
particulier auprès de patients qui ont été confrontés à une « mère qui
était absente-dans-sa-présence ». Dans plusieurs de nos cas
cliniques, les expériences télépathiques sont en effet rapportées par
des patients souffrant de troubles narcissiques qui semblent avoir
développé un complexe de la mère morte (Green, 1983, cf. p. 82).
Les expériences de transfert de pensée permettraient alors de
communiquer certains traumas précoces sous forme de « chimères
obscures » (chimeric darkness) (Eshel, 2012) partagées entre
l’analyste et l’analysant, ce que soulignent également Reiner (2004)
et Bass (2004). Cette forme d’expression traumatique se distingue
par son caractère archaïque qui conduit à une tentative d’intégration
psychique témoignant de la dimension précoce des éléments
traumatiques en jeu.
Le transfert de pensée peut également constituer pour le patient une
prise de contrôle sur l’entretien en inversant la dynamique
transférentielle selon un processus de retournement passif-actif. Le
patient répond aux vulnérabilités de la situation analytique en
« scrutant » l’inconscient de l’analyste, puis en identifiant et en
révélant les éléments inconscients refoulés de ce dernier. Ainsi, pour
Eisenbud, l’analyse des rêves supposés télépathiques a « tendance
à mettre en lumière avec une grande précision ce que l’analyste
tente de refouler » (Eisenbud, 1954, p. 364). Il explique, à propos
d’un cas, que « le patient aurait exposé en miroir mes propres
mouvements de destructivité à l’égard de mon épouse et de sa
grossesse ». Branfman et Bunker (1952, p. 193) ont également
rapporté des situations dans lesquelles leurs patients ont semblé
avoir accès à des informations concernant leur vie personnelle et
leurs préoccupations. Servadio (1955) et Prados (1959) ont donc
proposé que l’analyste étudie son propre contre-transfert et les
émotions impliquées par les phénomènes télépathiques. Ceux-ci
constitueraient un processus réciproque selon lequel le patient
renvoie à l’analyste les éléments psychiques non élaborés
impliquant des affects variés, mélange d’étonnement, de sidération,
d’anxiété et d’inquiétante étrangeté, comme l’illustre la réaction de
Freud (1933) à une expérience télépathique se produisant avec
l’homme aux loups (Birot, 2016). Balint (1955) indique également
qu’il a pu collecter « quelques cas de télépathie apparente qui, après
un examen attentif, sont demeurés inexplicables » (p. 32) mais qu’il
avait honte de publier, car ceux-ci s’étaient produits lors de situations
émotionnelles intenses. Le transfert de pensée en analyse pourrait
ainsi révéler les parts les plus obscures de la dynamique
transférentielle, ce qui explique peut-être pourquoi cette thématique
est peu abordée publiquement. Le transfert de pensée montrerait en
creux les imperfections et les errances du travail analytique
associées à une forme d’effraction du cadre analytique.
Ces éléments soulignent l’importance de prêter attention au transfert
d’allure télépathique et à ce qu’il vient signifier, plus largement, sur la
scène transférentielle. Il apparaît comme une forme de mise en acte
selon la répétition d’un « fantasme commun de communication
symbiotique » (Lévy, 2007). Du point de vue de l’analysant, ce
reliquat de la relation archaïque pourrait être interprété comme une
forme de résistance face à la séparation du contenant maternel et du
refoulement originaire. Le patient rejouerait alors la relation aux
premiers objets d’investissement par la répétition transférentielle et
sa mise en acte dans le présent de l’analyse. Chervet (2009)
propose ainsi de considérer la télépathie comme une solution
« d’après-coup anti-traumatique » qui s’opposerait à la
désobjectalisation et aux processus de séparation-individuation qui
en découlent. Selon Searles (1979), ces « zones de symbiose
fonctionnelle » auraient une fonction thérapeutique, favorisant la
reconstruction des enveloppes psychiques et rétablissant une forme
de continuité transubjectale (Kaës, 2002). C’est également
l’hypothèse avancée par Lévy (2007) pour qui « cette zone de
symbiose entre l’analysant et l’analyste, en créant l’illusion toute-
puissante d’une possible identité entre objet rencontré et objet
préformé par le désir, précède et vise à rendre accessible ce travail
de deuil ouvrant sur le processus subjectivant de séparation-
individuation » (p. 191).

▶ Vestiges télépathiques : chimère, figurabilité et


symbolisation
Nous allons enfin aborder la question de l’intégration théorique des
phénomènes télépathiques dans la métapsychologie
psychanalytique. Remarquons tout d’abord que les écrits de Freud
sur ce sujet émergent avec le développement de la seconde topique.
Freud explore alors ce qui fait son retour dans le cadre analytique
au-delà du principe de plaisir sur le mode de la compulsion de
répétition. Cela le conduit à étudier des formes transférentielles plus
primaires et des niveaux de transmission psychique en deçà de la
névrose de transfert. Ce sont donc de nouvelles figures de
l’appropriation subjective qui émergent du fait du remaniement
théorique induit par la seconde topique (Roussillon, 2008). Rolland
(2015) propose ainsi de considérer l’intérêt de Freud pour la
transmission de pensée comme venant combler la carence des
apports techniques découlant de la seconde topique. Il s’agit alors
de faire survenir une figure inconnue de l’analyste dans la cure, celle
du Nebenmensch par lequel le sujet réfléchit sa propre pensée. Ainsi
la télépathie serait-elle une sorte de « relais théorico-pratique »
(Rolland, 2015) pour penser les formes les plus archaïques de
transmission psychique.
Dès lors, on comprend mieux l’intérêt de Freud et Ferenczi pour les
voyants en tant que « récepteurs sensitifs » pour l’exploration
indirecte des formes primaires de transfert. Ainsi, comme le note
Jacques Press (2011), Psychanalyse et télépathie (Freud, 1922a)
peut être abordé en miroir de De quelques mécanismes névrotiques
dans la jalousie, la paranoïa et l’homosexualité (Freud, 1922b) qui
rassemble des anticipations de la notion d’identification projective
normale (Bion, 1962). Une partie des hypothèses présentes en
germe dans les textes freudiens concernant la télépathie sera
d’ailleurs développée par Bion qui montrera comment l’analyste est
une « surface de projection » pour les pensées et les désirs
inconscients de l’analysant. L’analyste devra ainsi être « sans
mémoire et sans désir » afin de mieux accueillir de telles projections.
De ce point de vue, l’ensemble de l’œuvre de Bion, pourrait même,
comme le propose Totton (2007) « être lue comme un manuel sur la
télépathie » (p. 394). L’analyste prête alors sa psyché comme
médium malléable (Milner, 1979) permettant tout à la fois de
recueillir et de transformer les éléments en souffrance de la réalité
psychique de l’analysant.
Ainsi la télépathie fut-elle progressivement intégrée de manière
indirecte à l’édifice théorique psychanalytique à mesure que se sont
développés les travaux explorant le rôle de la communication
d’inconscient à inconscient, à l’image du concept de « chimère »
proposé par Michel de M’Uzan. Celui-ci définit des interruptions
imprévues dans les pensées de l’analyste. Selon De M’Uzan (1994),
la chimère est un contenu hétéropsychique issu de la situation
analytique prenant la forme de productions spontanées dans la
pensée de l’analyste :
« Tandis qu’il écoute son patient avec l’attention que l’on sait, l’analyste perçoit en lui
une activité psychique différente de toutes celles, affects compris, qui lui sont
habituelles dans cette situation. Brusquement, surgissent des représentations,
étranges, des phrases inattendues et grammaticalement construites, des formules
abstraites, une imagerie colorée, des rêveries plus ou moins élaborées, la liste n’est
pas limitative, mais ce qui compte surtout, c’est l’absence de rapport compréhensible
avec ce qui se déroule présentement dans la séance […] Ce qu’il éprouve alors est
un subtil changement d’état, quelque chose comme un flottement très léger qui,
paradoxalement, ne s’accompagne pas d’un fléchissement de l’attention » (p. 165).
La chimère élargit le concept de De M’Uzan (1977) d’« itinéraires
correspondants » qui conduisent le patient et l’analyste à des
« trains de pensées » identiques dont l’origine inconsciente demeure
inconnue. Une compréhension soudaine peut alors émerger chez
l’analyste prenant la forme d’une « connexion entre différents
champs présents simultanément durant la séance » (De M’Uzan,
1977, p. 50). Ce mélange des pensées serait la conséquence de
transferts paradoxaux conduisant à la production de « chimères
psychologiques » signant la rencontre du matériel psychique du
patient et de celui de l’analyste. Ces chimères correspondent à des
représentations inattendues qui surgissent chez l’analyste et qui
peuvent engendrer un sentiment de dépersonnalisation, comme si
l’appareil psychique du patient était devenu celui de l’analyste. Claire
Petitmengin (2001), dans son analyse des processus intuitifs,
propose un exemple intéressant de ce type de chimère :
« Un jour, à l’instant même où une patiente entre dans son cabinet, Sylvie,
psychanalyste, sent un goût de sang dans sa bouche. “J’ai eu un goût dans la
bouche. C’était fort, c’était comme si on m’avait mis sous le nez et dans la bouche du
sang. Ça ne me quittait pas.” Au bout d’un moment, comme ce goût persiste, elle
interrompt sa patiente et lui demande “Que vous est-il arrivé ?”. La patiente se met à
pleurer : quelques jours auparavant, elle a été hospitalisée d’urgence pour une
fausse couche. “Et là, le goût de sang a disparu. Tout de suite” » (p. 201).

Plusieurs analystes ont poursuivi cette approche en étudiant le


transfert de pensée du côté de l’analyste. Green (1998) remarque
ainsi que la chimère représente une « troisième scène » où se
rencontrent deux doubles, celui du patient et celui de l’analyste, et
où se jouent les phénomènes télépathiques. Widlöcher (1996)
propose pour sa part l’existence de « systèmes de co-pensée »
définissant la manière dont les associations du patient influencent
les associations de l’analyste sous forme d’une empathie mutuelle.
Pour Widlöcher, « le réseau associatif produit dans l’analyste devrait
être traité comme l’expression de la vie psychique de l’analysant »
(1996, p. 4). Georgieff (2008) propose pour sa part le concept de
« co-psychéité » pour décrire de tels mécanismes de transmission
dont l’origine serait une « pulsion de partage » associée aux
corrélats neuronaux de l’empathie. Il propose plus précisément l’idée
que :
« [L’enfant] naît et perdure au sein d’une expérience psychique nécessairement et
constamment partagée, dans une co-pensée et co-conscience originaires
(intersubjectivité primaire) puis constantes, qui ne témoignent pas d’une étape
antérieure à la constitution du soi différencié et qu’il faudrait dépasser, mais qui sont
bien sa condition même, initiale, et durable » (p. 369).

Eshel (2013, p. 929) a plus récemment évoqué la notion d’« être-


ensemble » (twogetherness) pour décrire un « processus dans
lequel l’analyste et le patient sont interconnectés psychiquement et
deviennent une entité nouvelle et émergente qui va au-delà des
limites de leurs subjectivités séparées » tandis que Brottman (2011)
souligne une connexion profonde entre analyste et analysant qui
« questionne les suppositions habituelles concernant ce que nous
sommes capables de savoir et de percevoir l’un de l’autre » (p. 112).
Le dispositif analytique apparaît ainsi comme un « espace
intersubjectif partagé » (Gallese, 2003) au sein duquel le transfert de
pensée est conçu comme une modalité particulière de relations
entre analyste et analysant (voir aussi : Allik, 2003 ; Altman, 2007 ;
Brottman, 2009 ; Tennes, 2007).
Les mêmes préoccupations théoriques semblent au cœur de
l’évolution actuelle des théories post-bioniennes développées
notamment à partir du concept de « champ analytique » (Baranger &
Baranger, 1985 ; Ferro & Basile, 2015 ; Rabeyron, 2019), favorisant,
de même que les théories issues de la psychanalyse relationnelle
(Wooffitt, 2017), une meilleure intégration du concept de transfert de
pensée. Les théories du champ s’intéressent à la situation
analytique considérée comme un « champ bi-personnel » (Baranger
& Baranger, 1985) au sein duquel il s’agit de vivre à deux une
expérience nouvelle dans l’ici et maintenant de la « matrice
relationnelle » des séances (Mitchell, 1988). Ainsi, de la même
manière que les physiciens étudient les particularités des différents
champs physiques, les cliniciens étudient les processus de
transformation émergeant au sein d’un champ psychique dont les
conditions d’émergence peuvent être précisées. Ce fut l’objectif de
deux analystes français expatriés en Argentine, Willy et Madeleine
Baranger, dans un article publié initialement en espagnol, en 196122,
sur les théories du champ. Les Baranger (1985) font l’hypothèse que
la dyade analytique crée un champ bi-personnel et dynamique :
« Les deux psychés en séances forment une nouvelle structure,
complètement nouvelle, qui ne se réduit pas à la somme des deux
vies psychiques » (p. 11). Ils s’inspirent de la Gestalt, ainsi que des
travaux de Lewin, Klein ou encore de Merleau-Ponty (1976) sur
« l’homme en situation ». Bion fut également à l’origine de cette
notion de champ par l’intermédiaire de ses travaux sur le groupe,
menant les Baranger (1985) à définir ainsi le champ analytique :
« Le champ analytique est un terrain commun au patient et à l’analyste […] différant
aussi bien de ce qui peut être observé chez chacun des membres que de la somme
de ce que chacun y a apporté. De ce point de vue, l’objet d’étude n’est ni le patient ni
l’interaction avec l’analyste, mais le champ même de la situation analytique en tant
qu’il engendre des pathologies et des phénomènes originaux ».

Ce champ – le fond – est constitué de trois éléments


complémentaires : (1) le cadre : les aspects formels et le contrat de
base ; (2) la relation : l’interaction entre le clinicien et le patient ; (3)
les fantasmes bi-personnels inconscients sous-jacents à cette
relation. La situation régressive et la règle fondamentale de
l’association libre qui caractérisent les pratiques analytiques
produisent une nouvelle gestalt qui prend la forme d’un fantasme bi-
personnel dont on peut repérer la dynamique au sein du champ
analytique23. Plusieurs générations d’analystes ont approfondi cette
notion de champ (Neri, 2007) au sein de l’école italienne dont
Antonio Ferro (2015) est l’un des représentants les plus influents.
Cette approche porte l’attention sur les sensations, les vécus
corporels, l’atmosphère des séances et le contact émotionnel avec
le patient. Ferro (2015) définit ainsi les propriétés du champ dans la
continuité des théories de Bion :
« (1) Il devient un lieu et un moment où se manifestent les turbulences émotionnelles
que le couple analytique rend actives. (2) Il se fait lieu-et-temps de promotion
d’histoires et de narrations résultant du processus d’alphabétisation des proto-
émotions à l’œuvre dans le couple. (3) Le champ est la matrice qui, à travers la
capacité de rêverie et la disponibilité d’être à l’unisson, génère des aptitudes à
contenir et des fonctions alpha » (p. 21).

De nombreux autres auteurs ont participé au développement de ces


théories du champ et des pratiques qui en découlent comme
Thomas Ogden (2012) avec la notion de « tiers analytique »
(analytic third) conçu comme « le résultat d’un échange entre les
états de rêverie de l’analyste et de l’analysant ». Le tiers analytique
est considéré comme une troisième subjectivité engendrée par le
dispositif analytique qui résulte du mélange des subjectivités de
l’analyste et de l’analysant. Le tiers analytique qui émerge de la
sorte nécessite alors le partage d’un état de rêverie ainsi qu’un
espace psychique indifférencié au sein duquel l’analyste fera parfois
l’expérience de flashs hallucinatoires. Selon Botella et Botella
(2001), l’analyste sera envahi par des « flashs », conséquences
d’une soudaine régression qui surprend l’analyste, celui-ci ne
parvenant pas à déterminer les origines de la chaîne associative,
comme si le contenu transféré l’était de manière brute et immédiate.
Le transfert de pensée pourra ainsi représenter une dimension
particulière de figurabilité psychique participant de la mise en forme
de l’irreprésentable au travail chez l’analysant. La psychanalyse
relationnelle (Mitchell & Aron, 1999) a également largement insisté
sur le fait que « l’analyste participe toujours à ce qu’il cherche à
comprendre avec le patient ; à proprement parler, il le co-crée de
manière inévitable » (p. 62). Les travaux de René Kaës (2002) sur le
groupe et la télépathie soulignent de même l’existence d’un
« espace onirique commun et partagé » qui conduit à un mélange
des pensées dans le dispositif psychanalytique en tant qu’« espace
poreux, étrange et parfois inquiétant […] ; un système d’échange
entre les espaces oniriques et les espaces de veille de plusieurs
sujets » (p. 191).
Cet état de rêverie favorisera l’émergence d’images quasiment
hallucinatoires, aussi bien chez le clinicien que chez le patient, fruit
de ce que Bion nomme transformations en hallucinose (TH) : « La
TH a la vivacité et la force de conviction que possède le rêve
pendant que nous sommes en train de le rêver, et aussitôt après le
réveil quand nous sommes encore envoûtés par ses images »
(Civitarese, 2018, p. 1360). Le clinicien sera donc attentif aux
« flashs oniriques » qui l’envahissent durant les séances qui
apparaissent quasiment sur le même registre que les flashs
télépathiques. Ceux-ci témoigneraient du fond onirique du
psychisme, en arrière-plan de l’activité mentale secondarisée,
prenant la forme de « photogrammes » à la « teneur hallucinatoire
élevée, c’est-à-dire dotés d’une extraordinaire vividité sensorielle »
(Civitarese, 2018, p. 1363). Des idées « non nées » qui
appartiennent au présent, au passé, à l’avenir, des pensées sans
penseur émergent ainsi dans ce creuset hallucinatoire qui favorise la
survenue des processus de figurabilité (Botella & Botella, 2001).
Ces différents apports théoriques et techniques aident à embrasser
plus largement la constellation transférentielle à ses niveaux les plus
primaires impliquant une forme de fusion primaire relevant de
l’interpsychique (Bolgnini, 2014). Bolognini souligne plus
précisément que le recours à un « Nous fonctionnel » émerge
« quand cette expérience fusionnelle ne s’est pas réalisée de
manière adéquate, ou si elle s’est rompue d’une façon
traumatisante » (p. 149). La télépathie relèverait de cet
interpsychique comme mode relationnel co-subjectif donnant lieu à
des phénomènes de coalescence, le sujet ayant besoin de régresser
à ce temps pré-subjectif indifférencié pour élaborer son expérience.
Les réactions de l’analyste aux effets de débordement que pourra
ainsi produire la télépathie, notamment le vécu d’intrusion qu’elle
pourrait susciter, participeront de la transformation d’agirs
transpsychiques en échanges interpsychiques et enfin en processus
intrapsychiques de l’analysant.
Ainsi, le basculement des théories de l’intrapsychique aux modèles
de l’intersubjectif semble favoriser aussi bien l’émergence que
l’intégration métapsychologique des phénomènes télépathiques,
permettant de relever des points de rencontre entre les travaux de
Freud et Ferenczi sur la télépathie avec les modèles contemporains
de l’intersubjectivité primaire. Reste alors à déterminer si ces
théorisations contemporaines rendent compte de l’ensemble des
processus télépathiques. En somme, cette intégration théorique
après-coup est-elle totale ou bien demeure-t-il encore un reste
télépathique ? Celui-ci est peut-être à rechercher dans la manière
dont opère le « frayage télépathique ». Pour Freud (1921)24, celui-ci
se produit plus « facilement au moment où une idée émerge de
l’inconscient et passe des processus primaires aux processus
secondaires ». Ferenczi a supposé pour sa part que les voyants ne
savent jamais s’ils doivent interpréter « une image […] dans un sens
concret ou abstrait […]. Cette incertitude quant à la signification
concrète ou symbolique, nous l'avons aussi dans l'interprétation des
rêves » (p. 85). Dans la même optique, Green (1998) a suggéré que
les contenus interpsychiques trouvent leur origine dans des
systèmes de pensées archaïques émergeant lors du passage du
soma à la psyché. Le contenu transféré pourra apparaître comme
ayant été l’objet de processus de transformations à la manière d’un
rêve. Jean-Charles Arfouilloux (1998) suppose que cette forme de
transmission intrapsychique ouvre sur un « code singulier de
communication », un codage somato-psychique constitué
d’« images sensorielles et motrices qui s’inscrivent dans le corps et
vont constituer elles-mêmes des systèmes codés, susceptibles de
transposer du somatique au psychique et inversement. » (p. 50).
Selon lui, ces systèmes codés permettraient plus précisément « une
communication de préconscient à préconscient, plutôt que
d’inconscient à inconscient, car le processus se situe à la lisière de
l’inconscient et du préconscient, plutôt qu’au niveau du seul
inconscient » (p. 51). L’aspect « corporel » de la télépathie fut
d’ailleurs repris par Lacan (1973) qui parle d'un corps « plus calé »
en jeu dans ce type d'expériences25.
En 1981, dans Télépathie, Jacques Derrida résume la problématique
que nous avons tenté de mettre en lumière dans ce chapitre avec
cette citation que nous avions placée en exergue :
« Il est difficile d’imaginer une théorie de ce qu’ils appellent encore l’inconscient sans
une théorie de la télépathie. Elles ne peuvent ni se confondre ni se dissocier. […] La
télépathie est l’ombre de la psychanalyse » (Derrida, 1983, p. 14).
Freud est pour sa part resté ambivalent tout au long de sa carrière
face à la « pomme acide » que représentait le transfert de pensée.
Cependant, influencé par la recherche psychique de son temps, tout
en cherchant à préserver la caution scientifique de la psychanalyse,
Freud a tenté de dégager le transfert de pensée comme un noyau
de vérité au sein de la boue noire de l’occultisme. Depuis, de
nombreux analystes ont étudié les occurrences du transfert de
pensée, ses conditions d’émergence et son impact sur le
positionnement clinique. Pour des raisons épistémologiques et
politiques complexes, le transfert de pensée est cependant demeuré
un « concept-frontière » à la fois interne et externe à la pensée
psychanalytique. Cette position ambigüe a ouvert la voie à des
débats concernant le rôle de la psychanalyse vis-à-vis du transfert
de pensée dans des directions innovantes, notamment en regard de
la relation clinique entre l’analysant et l’analyste. L’ensemble de ces
contributions témoigne de l’importance de la télépathie pour la
psychanalyse. Elle est en effet à l’origine et à l’intersection de
multiples réflexions cliniques contemporaines ayant notamment
mené, de manière indirecte, à la notion d’identification projective.
L’ensemble de ces débats fait ainsi apparaître la télépathie comme
un espace heuristique participant de l’intelligibilité des phénomènes
intersubjectifs les plus primaires.

Notes
1. Comme évoqué au chapitre deux, Freud fut membre
correspondant de la Society For Psychical Research, à partir
de 1911, puis membre d’honneur en 1938 et cela, jusqu’à sa mort. Il
fut également membre d’honneur de l’American Society for
Psychical Research à partir de 1915, et membre d’honneur de la
société grecque de recherche psychique à partir de 1923.
2. Malgré la prudence de Freud, ses positions à l’égard de la
télépathie provoqueront d’ailleurs des réactions critiques. On notera
ainsi que Rosolato (1978) conçoit la position de Freud à propos de la
télépathie comme le désir d’être un devin ou « au moins comme
l’égal d’Œdipe résolvant l’énigme » (p. 23). Plé (1968) a également
analysé la fascination de Freud pour cet aspect de l’occulte comme
le déplacement d’une forme de peur existentielle. Roustang (1980) a
pour sa part fait l’hypothèse que l’intérêt de Freud pour la télépathie
serait la conséquence d’un noyau psychotique.

3. Le cas de Lucienne, rencontrée dans le service de consultation de


CIRCEE, se rapproche de cette configuration clinique. Plusieurs
voyants lui ont dit qu’un malheur arriverait à son mari bientôt et qu’il
mourrait subitement. Au cours de son suivi, nous en venons à
discuter du décès de son beau-père d’une rupture d’anévrisme lors
d’un repas alors qu’elle était âgée de dix-sept ans. Quelques jours
après la mort de celui-ci, elle eut l’impression que ses draps se
levaient et elle se demanda s’il « était encore dans la maison et s’il
avait du mal à monter ». De façon plus générale, Lucienne souffre
de plusieurs maladies somatiques pour lesquelles son mari n’est
manifestement que d’une aide très limitée. Cela engendre chez elle
une très forte colère à son égard. Les voyants semblaient donc
percevoir la colère de Lucienne qu’ils traduisaient sous forme
prémonitoire : « votre mari mourra bientôt et cette mort sera subite ».
Mais le voyant perçoit peut-être aussi l’histoire de Lucienne, à savoir
le décès brutal de son beau-père. L’agressivité n’est pas exprimée
directement, elle n’est pas non plus symbolisée par un rêve, mais
prend la forme de ce « rêve à deux » que constitue la consultation
de voyance lors de laquelle le voyant se fait le « médium » de cette
agressivité. Pour plus de détails sur ces propriétés de la consultation
de voyance, voir notamment : Rabeyron & Abchiche, 2017 et 2018.

4. Cette prophétie à moitié vraie est d’ailleurs aux origines de


l’expression bien connue d’Octave Mannoni (1969) : « je sais bien,
mais quand même » (Sauret, 1982, p. 246).

5. En réalité, les choses sont plus complexes, comme nous le


verrons un peu plus loin, en étudiant certains échanges à ce propos
lors de sa correspondance avec Ferenczi. (cf. p. 219).

6. Freud fait ici allusion aux expériences conduites avec des


médiums à effets physiques qui tentaient de produire des
ectoplasmes le plus souvent dans la pénombre. À ce sujet, voir par
exemple Les aventuriers de l’esprit de Gregory Gutierez et Nicolas
Maillard (2004) et La légende de l’esprit (Evrard, 2016).

7. Freud présente ce cas, en 1921, lors d’une réunion du Comité


Central de l’Association Psychanalytique Internationale à Harz. Ce
premier discours public sur le transfert de pensée révèle néanmoins
l’un de ses actes manqués les plus significatifs : il découvre, avant
de commencer son exposé intitulé Psychanalyse et télépathie, qu’il a
oublié ses notes qui portaient sur le cas Forsyth. Il explique : « Vous
allez avoir une preuve tangible du fait que je ne m’occupe de ces
questions d’occultisme qu’en restant soumis à la plus grande
résistance. Lorsque je sortis à Gastein les notes que j’avais triées et
emportées pour mettre cet exposé au point, la feuille sur laquelle
j’avais noté cette dernière observation ne s’y trouvait pas, mais par
contre une autre y figurait, emportée par erreur et portant des
notations indifférentes de tout autre nature. On ne peut rien faire
contre une résistance aussi nette. » (Freud, 1921, p. 66). Dans les
années qui suivirent, quand Freud demanda à Eitington le manuscrit
de cette conférence, Jones (1957) rapporte que Eitington assura lui
avoir rendu le manuscrit. Il sera finalement trouvé dans les écrits de
Freud après sa mort (Jones, 1957, p. 396).

8. On pourra également consulter, sur la correspondance Freud-


Ferenczi, le numéro 34 des Études Freudiennes (1993).

9. Si l’on reprend le schéma présenté en page 151, la forme


consciente de la perception (symbolisation secondarisée) n’est
réellement compréhensible qu’à travers la description des niveaux
relatifs à la symbolisation originaire et à la symbolisation primaire.

10. Il rejoint de ce point de vue les observations du médecin et


métapsychiste Eugène Osty à partir de ses rencontres avec des
voyants (Rabeyron, 2010).
11. Jung avait rédigé son travail de thèse sur la psychologie et la
psychopathologie des phénomènes occultes en étudiant sa nièce
Helene Preiswerk (1902) comme nous l’avons évoqué au deuxième
chapitre. Il a poursuivi ses recherches sur ce thème en lien avec sa
propre conception de l’inconscient en proposant des parallèles avec
la parapsychologie (Jung & Pauli, 1955 ; Jung, 1933). Il a même
participé, en compagnie de Bleuler, à quelques expériences de
matérialisation ectoplasmique avec le Baron von Schrenk-Notzing et,
suite à sa correspondance avec le physicien Wolfgang Pauli, a
développé le concept de synchronicité évoqué au cinquième
chapitre (Jung & Pauli, 1955).

12. Les analyses de Gori concernant l’émergence du transfert de


pensée dans le corpus psychanalytique ne rendent cependant pas
entièrement justice aux réflexions de Freud, Jung (Shamdasani,
2000) et Ferenczi (Gyimesi, 2012, 2015). Plus d’une dizaine de
chercheurs – analystes et autres – ont également sollicité Freud
pour conduire des recherches dans le champ de la recherche
psychique (Moreau, 1976), sollicitations qu’il paraît difficile
d’expliquer uniquement du point de vue des relations
transférentielles entre élève et disciple. À plusieurs occasions, les
réflexions de Freud à propos du transfert de pensée furent
également des réponses à des publications sur ce sujet dans la
littérature analytique (par exemple : Deutsch, 1921 ; Stekel, 1921).
Ainsi, si le transfert a joué un rôle essentiel dans les relations entre
Freud, Jung et Ferenczi, concernant la télépathie, l’intérêt des
premiers analystes pour ce sujet ne saurait s’y réduire. En outre, un
nombre conséquent d’avancées théoriques semble avoir émergé à
partir des échanges ayant trait au transfert de pensée, incluant les
premières formes de théorisations du transfert et du contre-transfert
(Gyimesi, 2012). Les discussions sur le rapport hypnotique,
l’hypnose à distance et la suggestion mentale étaient également
largement débattues par les contemporains de Freud et semblent
avoir influencé la compréhension de la relation psychothérapique
(Plas, 2000 ; Roustang, 1980 ; Méheust, 1999).

13. Comme le remarque Opra Eshel (2006) dans un article à propos


des rêves télépathiques publié dans l’International Journal of
Psychoanalysis : « Durant les années 1970, le sujet de la télépathie
dans le contexte psychanalytique a largement disparu. À ma
connaissance, la raison majeure en est l’évolution de la pensée
psychanalytique vers l’influence dans le cadre du transfert entre
patient et analyste au cours du processus analytique » (p. 1611).
Daniel Widlöcher (1996) remarque également que les « douteux
effets télépathiques » (p. 172) ont laissé la place à une
compréhension des relations intersubjectives et à la prise en compte
du transfert dans le travail de l’analyste. La télépathie fut en quelque
sorte phagocytée par ces théories de l’intersubjectivité.

14. Comme cela a déjà été précisé, l’ensemble des citations


provenant de références anglo-saxonnes sont des traductions pour
cet ouvrage, car la quasi-totalité de ces écrits sur le transfert de
pensée n’ont pas été traduits en français.

15. Une partie de ces textes sera traduite et publiée, trente ans plus
tard, dans le numéro 10 de la revue Confrontation, en 1983, sous le
titre « Télépathie », incluant également des articles incontournables
de René Major et Jacques Derrida.

16. L'ouvrage L'occulte, objet de la pensée freudienne (Granoff &


Rey, 1983) – réintitulé La transmission de pensée dans sa réédition
de 2005 – constitue sans doute l’un des meilleurs exemples de la
manière dont cet héritage n’a été exploité que partiellement. Jean-
Michel Rey et Wladimir Granoff proposent en effet des analyses
approfondies concernant des questions ayant trait essentiellement
au style de Freud et à sa manière de le traduire à partir de
Psychanalyse et télépathie. Mais on ne peut s'empêcher de penser
que les préoccupations de Freud exposées dans cet article ne sont
alors abordées que de manière indirecte.

17. Ce qui renvoie, de manière plus générale, à une autre question


théorique essentielle dans la pratique analytique, à savoir la façon
de se comporter envers les éléments de réalité « objective ».

18. On pourrait d’ailleurs tenter quelques statistiques concernant le


nombre de rêves racontés chaque jour à des analystes dans le
monde, le nombre de décès de proches des analysants et les
corrélations potentielles qui peuvent en découler. Le même
raisonnement est possible pour les rêves de catastrophes naturelles
ou d’accidents d’avion. Il est logique qu’émergent ainsi, par le simple
fait du hasard, des coïncidences tout à fait saisissantes, du fait de la
loi des grands nombres. En revanche, le même raisonnement
semble atteindre ses limites lorsqu’une même personne rapporte, à
plusieurs reprises, des coïncidences précises de ce type.

19. Le fait de considérer le rêve comme étant de nature télépathique


permet alors de mettre à distance les motions pulsionnelles sous-
jacentes comme l’illustre la correspondance Freud-Ferenczi.

20. Ullman (1973) a mené des expériences au sein d’un laboratoire


du sommeil pour examiner de possibles phénomènes de transfert de
pensée pendant les rêves et a remarqué en particulier que « les
thèmes de l’agression et à caractère sexuel avaient un impact
télépathique plus important ».

21. La position de neutralité de Devereux paraît également


pertinente si l’on considère qu’une attention trop prononcée
concernant la preuve ou la réfutation objective des perceptions
télépathiques peut gêner l’analyse des raisons de leur survenue
dans la cure et de leur signification plus globale sur le plan de la
réalité psychique.

22. Cet article sera traduit et publié dans La Revue Française de


Psychanalyse en 1985. Un deuxième article (Baranger, Baranger &
Mom, 1996) précise certains points de ce premier travail.

23. Le clinicien se laissera traverser par les éléments clivés de la


personnalité du patient qui se cristalliseront dans le champ
intersubjectif sous forme de « bastions ». Ceux-ci engendrent par
identification projective des « micro-névroses » ou « micro-
psychoses » chez le clinicien dont la prise de conscience par un
« second regard » favorise l’introjection chez le patient. Ce
processus nécessite des « interprétations mutatives » – délivrées au
bon moment du processus de perlaboration appelé « point
d’urgence » – qui permettront la dissolution du bastion et
l’enrichissement de la personnalité du sujet par l’insight. Le patient
sera ainsi accompagné vers l’émergence émotionnelle, la
signification et la co-narration de son expérience.

24. Rosenbaum (2011) approfondit cette perspective à partir du


concept de préconception de Bion : « Dans la théorie du lien de Bion
(1965) – la source dont émerge la pensée – les préconceptions
intuitives ou innées sont formées d’émotions, souvent en réponse à
l’absence de l’objet, dans le cas de l’enfant, en l’absence du sein […]
Quand une préconception rencontre une réalisation, cela forme un
concept ou un symbole, ce qui peut former la prochaine
préconception recherchant une réalisation, produisant une chaîne
infinie de pensées. Dans les expériences psi, un sentiment viscéral
initial donne souvent naissance à une préconception suivie par une
séquence de liens symboliques jusqu’à à ce que la connexion finale
dans la réalité (la réalisation) soit révélée » (p. 77).

25. Lacan fait également référence à la télépathie dans un rapport


au congrès de Rome en 1953 intitulé Fonction et champ de la parole
et du langage. Il fait à nouveau allusion à ce thème, la même année,
dans son séminaire sur Le moi dans la théorie freudienne. Lacan
semble considérer la télépathie comme étant un apport intersubjectif
au sein d’un même « cercle de discours » entre sujets, la télépathie
étant la conséquence de « résonance dans des réseaux
communicants ». Il reviendra sur ce thème le 20 novembre 1973
dans son séminaire intitulé « les non dupes errent » quand il fera
référence à un corps « beaucoup plus calé que ce que connaissent
les anatomo-physiologistes ». Il semble considérer l’occultisme et la
télépathie comme témoignant du fait que l’inconscient du sujet est le
discours de l’autre, mais qu’il s’agit néanmoins d’un domaine qui
échapperait intrinsèquement à la psychanalyse, une forme de réel
inatteignable par l’investigation psychanalytique, ce qui expliquerait
pourquoi il ne s’est pas davantage attardé sur ce sujet.
Chapitre 8

Les sorties hors du corps :


clinique de la réflexivité

« Mon âme ou quelque chose qui sortait de mon corps comme quand vous tirez un
mouchoir de soie de votre poche, mon âme, donc, se déploya autour de moi, puis
revint et réintégra mon corps, mais je n'étais pas mort. »
Ernest Hemingway, L’adieu aux armes

Ce chapitre propose une étude des sorties hors du corps afin de


mieux en saisir les implications cliniques et théoriques. Une
synthèse des connaissances les concernant introduit une lecture
phénoménologique et psychodynamique de ces vécus particuliers.
Ces expériences sont ensuite analysées comme une forme originale
de réflexivité qui représente parfois une mise en symbolisation
d’éléments traumatiques. Nous verrons à cette occasion comment
ces expériences semblent donner accès de manière transitoire à la
matrice hallucinatoire qui sous-tend l’activité psychique ainsi qu’à
une représentation de l’arc réflexif nécessaire au processus de
subjectivation lui-même.

LES EXPÉRIENCES DE SORTIE HORS DU CORPS


ET LEURS CONSÉQUENCES

Les sorties hors du corps1 sont définies comme des expériences


durant lesquelles le sujet « perçoit temporairement son centre de
conscience comme étant situé selon une localisation spatiale
différente de celle de son corps » (Irwin & Watt, 2007, p. 173). Leur
prévalence est d’environ une personne sur dix dans la population
générale et une sur cinq au sein des populations étudiantes (Palmer
& Dennis, 1975), allant jusqu’à 40 % selon certaines études
(Blackmore, 1992). Il s’agit donc de vécus relativement fréquents et
rapportés par une part non négligeable de la population. Ceux-ci
surviennent, dans plus de trois quarts des cas, lorsque le sujet se
trouve dans un état de repos, souvent proche du sommeil,
l’expérience étant favorisée par la position allongée (Zingrone,
Alvarado & Cardeña, 2010). De ce point de vue, un certain nombre
de techniques de méditation (Ring & Cooper, 1997), de déprivation
sensorielle (Kjellgren, Lyden & Norlander, 2008) et d’états
hypnotiques favorisent leur émergence, de même que la prise de
psychédéliques (en particulier la diméthyl-tryptamine et la kétamine)
(Wilkins, Girard & Cheyne, 2011). Elles sont aussi associées, dans
près de 40 % des cas, à la paralysie du sommeil (Cheyne, 2003) et
aux rêves lucides (Blanke & Metzinger, 2009). Les sorties hors du
corps peuvent également se produire à la suite d’un stress ou d’une
émotion intense à l’approche d’un danger. Ainsi, il n’est pas rare
qu’elles soient rapportées par des alpinistes, des pilotes de chasse,
des amateurs de sports extrêmes ou lors de vécus traumatiques
(viols, accidents, etc.). Enfin, on les trouve régulièrement comme
étape préliminaire ou finale d’une expérience de mort imminente
(Cardeña et al., 2013).
L’expérience est généralement marquante pour le sujet qui se
perçoit avec beaucoup de réalisme en dehors de son corps, le plus
souvent au-dessus de celui-ci. La séparation entre l'état habituel de
conscience et la sortie hors du corps est parfois délimitée par une
brève perte de conscience. Il arrive alors que le sujet perçoive son
schéma corporel de manière déformée, par exemple en termes de
« sphère » ou de « nuage » (Twemlow, Gabbard & Jones, 1982).
Certaines personnes décrivent également une modification du
champ perceptif caractérisée par une vision panoramique ainsi
qu’une vibration habituellement localisée au niveau du conduit
auditif, éprouvée aussi bien au début qu’à la fin de l’expérience. Une
sensation de calme ou à l’inverse d’énergie soudaine peut
également être rapportée. Cependant, il n’est pas rare qu’une
certaine inquiétude envahisse le sujet, engendrant un « retour »
involontaire dans le corps qui se trouve aussi favorisé par une
stimulation corporelle ou la perception « visuelle » du corps (Irwin &
Watt, 2007).
Les sorties hors du corps ont des conséquences généralement
positives – dans environ neuf cas sur dix – et sont associées à une
meilleure santé mentale (Irwin & Watt, 2007). Selon Gabbard et
Twemlow (1982), 78 % des personnes rapportent en effet des
conséquences bénéfiques de cette expérience sur le long terme.
Tiberi (1993) souligne ainsi une plus grande sérénité et une baisse
d’intérêt pour les biens matériels. On notera aussi une évolution des
relations interpersonnelles décrites comme étant plus harmonieuses,
des modifications positives de l’humeur ainsi qu'un intérêt pour la
religion, la philosophie et les sciences, avec, en particulier,
l’apparition ou le renforcement de croyances en la vie après la mort
(Tiberi, 1993 ; Twemlow, Gabbard & Jones, 1984). Ces
conséquences seront d’autant plus intenses que l’expérience fut
riche et positive (Alvarado & Zingrone, 2003 ; Tiberi, 1993) et qu’elle
se déroula dans une situation durant laquelle le pronostic vital fut
engagé (Owens, Cook & Stevenson, 1990)2. Néanmoins, il convient
de nuancer ces éléments s’agissant d’une auto-évaluation qui ne
permet pas de distinguer ce que le sujet perçoit de lui-même de son
évolution réelle (Evrard, 2013). Les sorties hors du corps, comme la
plupart des expériences exceptionnelles, impliquent en effet
fréquemment une dimension narcissique qui peut avoir une influence
sur la représentation de l’expérience et ses éventuelles
conséquences.
La plupart des facteurs démographiques et sociologiques (sexe,
niveau d'éducation, statut social, croyances, pratiques religieuses)
se révèlent sans effet notable sur la fréquence et la phénoménologie
des sorties hors du corps (Irwin & Watt, 2007). Les recherches en
neurologie s’avèrent en revanche plus instructives. Celles-ci étudient
les expériences de sorties hors du corps comme appartenant au
spectre des phénomènes autoscopiques (Blanke & Mohr, 2005). On
distingue les hallucinations autoscopiques (le sujet se perçoit à
distance de lui-même et ne s’attribue pas le corps qu’il peut
percevoir) de l’héautoscopie, qui conduit le sujet à une perception de
son double selon différentes configurations spatiales. Dans certains
cas, il peut ainsi arriver que la personne ait le sentiment, souvent
pénible, d’être à la fois située dans son corps, mais aussi à
l’extérieur de celui-ci, tout en observant ces deux « corps » d’un
troisième point de vue. Les sorties hors du corps se produisent par
ailleurs plus fréquemment chez des sujets souffrant de lésions
cérébrales du lobe temporal de l’hémisphère droit (Blanke & Mohr,
2005). On les retrouve parfois associées à des tumeurs, à
l’épilepsie, ainsi qu’à la schizophrénie (Brugger, Regard & Landis,
1997). Une prévalence des sorties hors du corps est également
quatre fois plus importante chez les patients souffrant de stress post-
traumatique (Brewin, 1998).
La stimulation de zones cérébrales spécifiques lors d’opérations
chirurgicales et leur étude avec des d’outils d’imagerie a par ailleurs
permis de déterminer plus précisément les aires cérébrales
associées aux sorties hors du corps. Celles-ci peuvent être induites
par stimulation électrique du cortex de l’hémisphère droit au niveau
de la jonction temporo-pariétale droite (Penfield & Jasper, 1954).
Une sortie hors du corps fut ainsi initiée chez une patiente
épileptique par Penfield (Penfield & Erickson, 1941) lors d’une
stimulation du gyrus temporal supérieur droit. Depuis, l’équipe suisse
dirigée par Olaf Blanke a pu confirmer et préciser l’importance de la
jonction temporo-pariétale dans l’émergence de cette expérience au
niveau du gyrus angulaire droit (Blanke, Ortigue, Landis & Seeck,
2002), résultats qui ont été également confirmés par une équipe
belge (De Ridder, Van Laere, Dupont, Menovsky & Van de Heyning,
2007). Une expérience similaire a été obtenue durant une
craniotomie au niveau de la jonction temporo-pariétale de
l’hémisphère gauche (Bos, Spoor, Smits, Schouten & Vincent, 2016 ;
Nakul & Lopez, 2017).
On notera en outre plusieurs recherches portant sur les sorties hors
du corps à partir d’électroencéphalogrammes (EEG). Tart (1967,
1968) a ainsi rapporté, lors de l’étude d’un sujet produisant
régulièrement cette expérience, une amplitude élevée des ondes
théta dans les fréquences 7-8 Hertz et un pattern EEG
caractéristique du premier stade du sommeil. Gabbard et Twemlow
(1984) rapportent quant à eux des différences d’amplitude des
ondes cérébrales entre hémisphères cérébraux. McCreery et
Claridge (1996) ont trouvé chez les sujets ayant vécu davantage de
sorties hors corps une plus grande activation de l’hémisphère droit,
une amplitude EEG plus importante et une augmentation de la
cohérence entre hémisphères. D’autres recherches ont porté sur la
possibilité de créer expérimentalement l’illusion d’être situé en
dehors de son corps par le biais de miroirs (Altschuler &
Ramachandran, 2007) et de dispositifs de réalité virtuelle associés à
des stimulations corporelles (Ehrsson, 2007). Ces expériences
changent le schéma corporel en associant astucieusement
modification du champ visuel et stimulations sensorielles
(Jeannerod, 2010). Ces travaux montrent que l’on peut facilement
manipuler le point de vue du sujet, ce qui ouvre la voie à de
nombreuses applications cliniques dont nous ne sommes qu’aux
balbutiements. Ainsi, ces recherches peuvent aider à traiter les
douleurs chroniques associées aux membres fantômes (Hänsell,
Lenggenhagerl, von Känell, Curatolol & Blanke, 2011). Elles peuvent
aussi permettre de se représenter dans des situations diverses en
modifiant son point de vue grâce à des dispositifs de réalité
virtuelle3.
Ces travaux conduisent plus largement à des « implications
scientifiques importantes pour comprendre l’intégration corporelle et
les propriétés d’incarnation de la conscience de soi » (Banakou,
Hanumanthu & Slater, 2016). Ils mettent en évidence de quelle
manière la sensation d’avoir un corps et d’être situé dans celui-ci est
l’aboutissement de processus neurophysiologiques complexes. Ces
processus d’incarnation (embodiment) sont à la rencontre de la
sensation de soi, de la position du corps dans l’espace et de la
représentation des espaces intra- et extra-personnels (Blanke,
Lopez & Halje, 2008). Trois conditions minimales au sentiment
d’incarnation sont relevées par Blanke et Metzinger (2009) : (1)
représentation globale du corps perçu ; (2) localisation spatiale et
temporelle de l’expérience subjective ; (3) perspective à la première
personne de la représentation de soi.
Dans cette optique, les sorties hors du corps seraient la
conséquence d’une désagrégation temporaire de ces différents
processus neurobiologiques provenant d’un défaut d’intégration
corticale entre les éléments visuels et kinesthésiques constituant le
sentiment d’incarnation. Ces expériences seraient donc une forme
paroxystique de déformation de la perception du schéma corporel
(Braithwaite, Samson, Apperly, Broglia & Hulleman, 2011 ; Dieguez
& Blanke, 2011). Elles perturbent le vaste réseau neuronal de
traitement des informations proprioceptives afférentes – appelé
« neuromatrice » (Melzack, 1999) – régissant notre inscription
corporelle (Cheyne & Girard, 2009). Ces expériences permettent
donc de mieux comprendre le rôle crucial joué par ces processus
dans l’expérience consciente de l’unité de soi. Encore faut-il saisir ce
qui engendre ce défaut d’intégration dont on peut certes déterminer
des marqueurs cérébraux (par EEG, IRMf, etc.), l’inscription
neurobiologique (lobe temporal droit, gyrus angulaire droit, etc.) et
les facteurs de personnalité (Braithwaite, Watson & Dewe, 2017),
sans pour autant comprendre leur lien avec la dynamique psychique
du sujet. En effet, une sortie hors du corps émerge dans un contexte
subjectif au caractère fondamentalement idiosyncrasique. Le regard
des sciences de la subjectivité est donc à la fois nécessaire et
complémentaire pour comprendre le vécu phénoménologique et les
logiques psychiques au sein desquelles s’inscrit une sortie hors du
corps.
Du point de vue de la psychopathologie, les sorties hors du corps
ont été fréquemment considérées comme relevant des troubles
psychotiques avant qu’elles ne soient associées à la schizotypie
(Evrard, 2010). Comme nous l’avons déjà évoqué, celle-ci
représente une forme de schizophrénie « atténuée » caractérisée
par une perturbation du sentiment d’existence et du contact à autrui
sans pour autant produire les troubles « positifs » de psychose
(délires et hallucinations). Les personnes qui rapportent des sorties
hors corps présentent ainsi un profil spécifique de « schizotype
heureux » caractérisé par une tendance marquée à vivre des
expériences exceptionnelles jugées bénéfiques pour leur santé
mentale (McCreery & Claridge, 2002 ; Twemlow et al., 1984). Des
traits de personnalité plus spécifiques ont été mis en évidence,
communs à la plupart des expériences exceptionnelles, en
particulier une tendance à la dissociation4, l'absorption,
l’hypnotisabilité, la transliminalité et l'imaginaire (fantasy-proneness)
(Cardeña et al., 2013, p. 184). De manière plus générale, les
personnes qui ont vécu des sorties hors du corps rapportent
davantage d’altérations de la conscience et font l’expérience de
distorsions perceptives et corporelles plus marquées, incluant
diverses expériences hallucinatoires et des sentiments de présence
(Cardeña et al., 2013, p. 184). Des corrélations entre les sorties hors
du corps et les traumas dans l’enfance, qu’il s’agisse d’abus sexuels,
de violence physique ou de deuil traumatique, ont également été
relevées par plusieurs études (Cardeña et al., 2013, p. 184).
Ces caractéristiques psychologiques ont été intégrées dans
plusieurs modèles théoriques, à commencer par celui de John
Palmer (1978) dans lequel la sortie hors du corps serait induite par
une perception proprioceptive menaçant l’intégrité du Soi,
l’expérience venant lutter contre cette menace de désintégration.
Susan Blackmore (1983) a proposé, quelques années plus tard, un
autre modèle de compréhension des sorties hors du corps à partir
de la représentation du cerveau comme créateur de « modèles de
réalité ». En fonction des différents stimuli sensoriels reçus par le
cerveau, celui-ci déterminerait le modèle de réalité le plus adapté
aux situations rencontrées. Mais il arrive que le cerveau ne soit pas
en mesure de choisir le modèle le plus apte à rendre compte de son
expérience du fait de données sensorielles insuffisantes (par
exemple, en état de relaxation). Les données de la mémoire et de
l’imagination seraient alors utilisées pour simuler les données
sensorielles manquantes. Certaines représentations mémorielles
étant « stockées » d’un point de vue extérieur au sujet – en hauteur
(bird-eye view) – afin de donner un aperçu plus ramassé des
éléments perçus, l’expérience de sortie hors corps résulterait de
l’utilisation de ce mode de représentation imaginaire. Les sujets
ayant une tendance naturelle à se représenter d’un point de vue allo-
centré (extérieur à soi) dans leurs souvenirs et dans leurs rêves
rapportent en effet plus de sorties hors du corps (Blackmore, 1983 ;
Susan Blackmore, 1987 ; Cook & Irwin, 1983 ; Irwin, 1980).
Un troisième modèle a été proposé par Harvey Irwin (2000) selon
lequel les sorties hors du corps résulteraient de l’interaction entre
facteurs dissociatifs, synesthésie et perte de contact avec les
sensations corporelles. Irwin suppose que la sortie hors du corps est
initiée par l’état dissociatif, celui-ci favorisant l’absorption et la
production d’une « conscience a-somatique » ainsi qu’une
représentation somesthésique « flottante » du Soi. L’absorption
donnerait un caractère très réaliste à l’expérience et la synesthésie
transformerait les perceptions corporelles en imagerie visuelle. Le
contenu de l’expérience serait quant à lui déterminé par l’expression
symbolique des besoins du sujet (Irwin, 2000 ; Irwin & Watt, 2007).
Cette théorie suppose une tendance à la dissociation antérieure à la
sortie hors du corps confirmée par plusieurs études (Murray & Fox,
2005).

SORTIES HORS DU CORPS, ENVELOPPES PSYCHIQUES


ET TRAUMA

Nos réflexions porteront à présent sur une lecture essentiellement


phénoménologique des sorties hors du corps afin d’éclairer leur
contexte d’émergence. La majorité des sorties hors du corps se
produit dans un état de grand relâchement physique et psychique
associé à un état d’absorption intense, comme le révèlent les
analyses d’Harvey Irwin (2000) et comme l’illustre le cas de
Thibault5 :
Cas clinique : Thibault
Thibault est un homme d’une quarantaine d’années qui rapporte une expérience de
sortie hors corps qui se déroula alors qu’il effectuait des exercices de respiration.
Subitement, « il y eut comme une rupture » et il se sentit « partir » par la fenêtre de
sa chambre selon un mouvement de légèreté et d’inertie, comme s’il était « dans
l’eau ». À la suite de cette « rupture », il se voit allongé sur son lit, de l’extérieur de sa
chambre, comme s’il était situé derrière la fenêtre. Il a ensuite le sentiment de se
rapprocher de son corps à grande vitesse avant de faire l’expérience, à nouveau,
d’une « rupture de conscience ». Il se réveille alors « dans » son corps.

À l’inverse, et de manière plus anecdotique, certaines sorties hors


du corps peuvent se produire lors d’un état de stress intense comme
dans cette expérience rapportée par une femme officier de police
(Alvarado, 2000) :
« Quand moi-même et trois autres officiers de police avons arrêté le véhicule et que
nous avons commencé à appréhender le suspect… j’étais effrayée. Je suis
rapidement sortie de mon corps, environ six mètres au-dessus de la scène. Je restais
là, extrêmement calme, tandis que j’observais l’ensemble de l’interpellation durant
laquelle je pouvais me voir réaliser parfaitement ce que j’avais été entraînée à faire
lors d’une arrestation. »6

Qu’il s’agisse d’un état de relaxation ou d’un contexte traumatique,


les sorties hors du corps semblent liées à un processus dissociatif
qui sépare les fonctions habituelles de la psyché donnant naissance
au sens global de soi (Twemlow et al., 1982). Ce phénomène est
souvent initié par un ressenti « vibratoire » au début de l’expérience.

Cas cliniques
Stéphane est un jeune homme d’une vingtaine d’années. Il a vécu plusieurs
expériences de sorties hors du corps qui l'ont profondément marqué. L’une d’elle
se produit un soir alors qu'il est à moitié endormi. Il ressent tout d’abord des
vibrations avec la sensation d'avoir le corps « très détendu », ce qu’il avait déjà
éprouvé lors d’états de transe antérieurs. Il se retrouve « bloqué au plafond »
avec la sensation étrange d’être « couché » le long de celui-ci. Il tente alors de
traverser le mur « en forçant » et, n’y parvenant pas, retourne spontanément
dans son corps.
Damien a vécu une sortie hors du corps après avoir été traversé de la tête aux
pieds par une « énergie », un « courant » qui l’a conduit à se redresser par
réflexe sur son lit afin de contenir la douleur et la chaleur qu’il éprouvait. Il ressent
ensuite un « bourdonnement », « comme une vibration », qui s’amplifie jusqu’à un
« crac ». Il se retrouve alors hors de son corps tandis qu’il perçoit des formes
colorées autour de lui.
Julie a vécu plusieurs sorties hors du corps qui se produisent parfois durant son
sommeil, même s’il lui arrive d’être consciente au début de l’expérience. Dans ce
cas, elle entend des « bourdonnements » et des « vibrations » associées à un
stress élevé. Il peut également lui arriver de ne vivre que le « début » de
l’expérience, donnant lieu à ces vibrations qui peuvent durer une dizaine de
minutes sans pour autant conduire à une sortie hors du corps.

Ces vibrations pourraient être liées à une perturbation du système


vestibulaire menant à une dissociation entre perception de soi et
perception du corps (Blanke et al., 2008). Jeannerod (2010) souligne
également que les vibrations au niveau musculaire produisent
facilement des illusions proprioceptives comme la sensation
d’allongement d’un membre ou la modification de la perception
corporelle dans l’espace. A ce ressenti s’ajoute parfois une perte de
conscience passagère entre l’état habituel et l’état décorporé.
Plusieurs personnes rapportent ainsi une « cassure » ou une
« coupure » qui pourrait être le vécu subjectif du passage d’un
modèle de réalité à un autre tel que décrit par Blackmore (1984).
Si le fonctionnement psychique induit par l’état de relaxation ou de
stress engendre la déconstruction des catégories habituelles de la
pensée qui organisent la représentation du corps, le sujet n’a pas
pour autant l’impression d’être désincarné. Il décrit plutôt le
sentiment d’être incarné autrement. En l’absence de perceptions
corporelles, le cerveau semble en effet reconstituer une nouvelle
enveloppe du Moi – une « incarnation désincarnée » – à partir des
informations dont il dispose. Par exemple, Thibault explique qu’il
était une « masse assez légère » tandis que Damien décrit
l’impression d’être une « boule gazeuse ». Quant à Stella, elle
découvre soudainement qu’elle n’a « aucun membre ». Cette
nouvelle « enveloppe » se retrouve d’ailleurs dénommée de
différentes manières dans la littérature : « forme parasomatique »
(Blanke et al., 2008), « forme hors-du-corps » (Twemlow et al., 1982)
ou encore « corps astral » dans les écrits ésotériques. Il arrive aussi
que le vécu du sujet s’apparente à une absence de représentation
en étant « réduit » à un point de l’espace.
La sortie hors du corps conduit ainsi à dissocier le « Moi-corporel »
(la représentation corporelle du Moi) du « Moi-sujet » (le sentiment
d’être soi) selon un gradient d’incorporation variable d’une personne
à l’autre et d’un moment à l’autre. Certains sujets rapportent en effet
un sentiment d’incarnation simultané dans leur corps physique et
leur « corps exosomatique ». Ainsi Damien explique avoir eu
l’impression d’être situé en même temps en deux à trois points de
l’espace. Sur le plan plus théorique, cette incarnation originale
interroge l’inscription corporelle du Moi considérée initialement par
Freud (1923) comme dérivant des sensations corporelles : « Il peut
être considéré comme une projection mentale de la surface du
corps, [...] il représente la surface de l'appareil mental. Le Moi
conscient est avant tout un Moi-corps » (p. 19). Les sorties hors du
corps semblent montrer que cette articulation entre le Moi et le corps
peut se dissocier. Le Moi-corporel se transforme alors, tandis que le
Moi-sujet persiste.
La fonction d’enveloppe psychique habituellement dévolue au Moi-
corporel semble ainsi transférée au domaine scopique. Lors d’une
sortie hors du corps, l’activité perceptive est en effet maintenue en
grande partie sur le plan visuel. Ce processus paraît particulièrement
étonnant chez certains sujets non voyants qui décrivent l’impression
de « voir » des éléments de leur environnement lors de sorties hors
du corps au cours d’expériences de mort imminente (Ring & Cooper,
1997). Ces personnes sont d’ailleurs en difficulté pour décrire cette
perception qui permettrait de « toucher à distance » les éléments
environnants et dont elles n’auraient pas fait l’expérience
auparavant. Ceci interroge à nouveau l’existence d’un fond
hallucinatoire du psychisme, en deçà de l’activité perceptive
habituelle, qui ressurgirait lors des expériences exceptionnelles.
Ce processus de dissociation entre Moi-corporel et Moi-visuel
apparaît comme un mode de réaction original face à une situation
difficilement intégrable par la subjectivité. Ainsi, comme le soulignent
Johann Jung et René Roussillon (2013) :
« À chaque fois qu’un sujet se trouve confronté à une menace qui pèse sur son
identité, débordé dans sa capacité à se réfléchir lui-même “en double” face à son
expérience : la relation de soi à soi se désorganise, l’identité se mêle à l’altérité, le
sujet vit alors un état “paradoxal” de dépersonnalisation, de confusion ou d’aliénation
qui ne lui permet plus de maintenir un “sentiment continu d’exister” » (p. 1045).

La sortie hors du corps permet donc au sujet de se « couper » de


l’aspect potentiellement traumatisant de l’expérience sensorielle et
représente de ce point de vue une logique particulière d’évitement
d’un danger par le Moi (Freud, 1951). La sortie hors du corps peut
alors être pensée comme une forme de clivage comme l’avait déjà
relevé Ferenczi (1930). Elle conduit ainsi le sujet à se séparer du
« corps senti » et une partie de la psyché se retire de la subjectivité
face à l’expérience potentiellement traumatique. Elle permet donc au
sujet de se tenir à distance de l’événement traumatique ou
désagréable et de s’en protéger comme le montre le cas de James :

Cas clinique : James


James est un homme d’une trentaine d’années qui a vécu une sortie hors-du-corps à
quinze ans. Il explique qu’il avait pris la décision, quand il était enfant, de se
« blinder » et de « ne plus aimer pour ne pas souffrir » suite à une grave dépression
maternelle. Lors de son adolescence, un conflit éclate entre sa mère et lui dans une
cage d'escalier. Il en garde un souvenir très net « aussi vivace que celui de la journée
d'hier ». Après cette dispute, sa mère le prend dans ses bras et James fait
l’expérience d’un « switch » : il se voit désormais dans les bras de sa mère, mais en
hauteur, d’un coin de cette cage d'escalier. Surpris, il étudie la perspective, les murs
et son champ de vision qu’il évalue de l’ordre de « 120° ou 130° ». Il reconnaît
ensuite sa mère, sans toutefois voir son visage, avant de se reconnaître lui-même.
Étonné, il prend un « immense recul » et une pensée s'impose à lui : « Ce n'est pas
toi ». Il ressent alors un frisson, comme une « vague de vibrations » avant de vivre un
« saut brutal de point de vue » vers son corps. Cette expérience a renforcé dans
l’après-coup son envie de se couper de ses émotions, mais aussi de celles de sa
mère, dont il a toujours évité les « élans affectifs ». Il explique avoir remisé cette
expérience « au fond » de lui pendant toutes ces années, jusqu'à ce qu'il décide de
se renseigner sur ce type de vécus.

La mise à distance « physique », comme dans le cas de James,


souligne de manière métaphorique la mise à distance psychique de
l’expérience. La perspective subjective déterminée par la psyché
varie ainsi en fonction de l’économie psychique du sujet. En dernier
recours, il lui est possible de changer la manière dont est perçue et
transformée l’expérience subjective. Mais cette modification de point
de vue obéit alors à un étrange paradoxe, car le sujet doit
« survivre » à la fois physiquement et psychiquement. Ainsi, si le
Moi-sujet n’est pas dissocié de la scène qu’il est en train de vivre, le
psychisme court le risque d’être débordé par l’expérience
traumatique et d’en garder des traces. Mais s’il se coupe
entièrement de la réalité qui l’entoure, ses chances de survie
diminuent. La sortie hors du corps apparaît donc comme une
formation de compromis entre réalité interne et réalité externe. Elle
permet de concilier mise à distance subjective et perception de
l’environnement de manière à réagir face à un danger potentiel.
Après cette expérience particulière de clivage, émerge parfois une
deuxième phase du type « voyage imaginaire », appelée souvent
« voyage astral » par ceux qui les expérimentent comme Nadia :

Cas clinique : Nadia


Nadia est une femme d’une soixantaine d’années qui décrit une expérience de sortie
hors du corps qui se déroula lorsqu’elle était plus jeune. Au cours de celle-ci, après
s’être couchée, elle se réveilla hors de son corps près du plafond de sa chambre.
Elle ressentit alors son corps comme « une chose circulaire » et se sentit aspirée
vers le haut, tout en ayant l’impression de traverser le plafond et de voyager à une
vitesse vertigineuse dans un « environnement sombre ». Elle s’arrêta soudainement
« au milieu du cosmos », entourée d’étoiles, avant d’être prise d’une grande
inquiétude associée à une certitude : « Si je continue, je ne retournerai plus dans
mon corps ». Elle se sentit alors aspirée vers le bas et « réintégra » son corps
endormi quelques secondes plus tard.

La mise à distance se fait grandissante et conduit souvent le sujet à


interpréter son vécu comme un « voyage de l’âme » (Metzinger,
2005). Nous quittons alors l’aspect très réaliste de la décorporation
pour une seconde étape qui semble catalyser sa dimension
défensive. Freud (1919) remarque à ce propos que « primitivement,
le double était une assurance contre la destruction du moi, un
“énergique démenti à la puissance de la mort” et l'âme “immortelle” a
sans doute été le premier double du corps » (p. 19). La création d’un
double, ne serait-ce que durant quelques instants, aiderait ainsi à
conjurer d’éventuelles angoisses d’anéantissement. La sortie hors
du corps représente en ce sens une figuration du voyage de l’âme, à
l’image de la transmigration des âmes décrite par Platon dans le
mythe d’Er de La République. Il s’agirait d’une projection d’un double
archaïque et narcissique qui s’échappe du corps comme d’une
prison (Chevallier, 1999). Le vécu de liberté, très présent dans le
discours de ceux rapportant des sorties hors du corps, contraste
avec le sentiment d’enfermement qui lui a parfois précédé. La
« métamorphose » en être volant – thème récurrent chez Ovide, on
pensera à Scylla qui se trouve changé en aigle de mer – participerait
de ce mécanisme défensif caractéristique de l’expérience de sortie
hors du corps.
En fin d’expérience, la « reliaison » du Moi-corporel et du Moi-sujet
se produit par le biais d’un processus de « réincarnation » de
manière soudaine ou progressive. Il suffit par exemple à Petra de
penser « Je rentre » pour « réintégrer » son corps. Irwin et Watt
(2007) rapportent plusieurs situations durant lesquelles le stress ou
la peur produisent également la fin de l’expérience,
indépendamment de la volonté du sujet. La sortie hors du corps
s’apparente ainsi, pour certaines personnes, à un état fragile et
éphémère. À l’inverse, il arrive qu’un effort psychique ou physique
soit nécessaire pour que le sujet parvienne à mettre un terme à
l’expérience et la crainte d’être définitivement séparé de son corps
physique, comme dans le cas de Nadia, n’est pas rare.

MATRICE HALLUCINATOIRE, SUBJECTIVITÉ


ET HABITAT PSYCHIQUE

Au-delà de ces aspects phénoménologiques, la sortie hors du corps


interroge sous un angle original les différentes facettes des activités
perceptives et représentatives, celles-ci évoluant continuellement
selon les situations dans laquelle se trouve le sujet. La pensée
diurne sera, par exemple, distincte de celle du rêve, la première
étant déconstruite pour que puisse émerger la seconde, chacune
obéissant à un traitement particulier du rapport du sujet à lui-même.
Dans cette perspective, la sortie hors du corps apparaît comme une
étape intermédiaire entre les différents espaces de représentation de
l’activité psychique. En effet, si l’activité diurne nécessite la
représentation de l’activité psychique d’un point de vue corporel
déterminé, l’activité figurative nocturne est le plus souvent
indépendante d’une telle perspective. Le point de vue subjectif est
plus fluctuant. Par exemple, il sera possible, dans un rêve, de se voir
à l’intérieur ou à l’extérieur de soi, et la perception du corps est
souvent absente de même que la conscience de soi. En ce sens,
l’expérience de sortie hors corps apparaît comme une étape de
déconstruction de la représentation corporelle de l’activité figurative
diurne. Il n’est donc pas étonnant que cette expérience soit parfois le
prélude à l’activité onirique. Il arrive aussi que la personne se réveille
en étant décorporée comme dans le cas de Nadia. Pour autant, il ne
s’agit pas d’un simple rêve de vol (Chevallier, 1999), mais d’une
expérience à la phénoménologie distincte, ce qui se trouve étayé par
les recherches en neurosciences, celles-ci discriminant les zones
anatomiques associées au rêve et aux sorties hors du corps
(Krippner, 1996 ; Persinger, 2010).
L’activité représentative est intimement liée, de manière plus
générale, à la matrice hallucinatoire du psychisme ainsi qu’aux
processus de figurabilité qui donnent naissance à l’expérience
subjective. Dans cette perspective, les expériences de sortie hors du
corps semblent suggérer l’existence d’une « matrice hallucinatoire
primordiale » dont l’incarnation n’apparaît que secondairement. La
psyché opère alors une réduction du champ hallucinatoire afin
d’organiser de manière narrative le récit subjectif, elle scénarise et
réduit l’expérience vécue à partir d’un certain point de vue à la
manière de la caméra d’un réalisateur : la psyché « cadre » l’activité
hallucinatoire pour que celle-ci puisse s’auto-représenter. L’activité
hallucinatoire sous-jacente ne devient alors visible qu’aux frontières
de l’expérience subjective comme illustré par le schéma suivant :
Degré de réflexivité, processus et espace de
représentation

Il serait ainsi possible de dégager une typologie des processus


psychiques selon la perspective subjective qu’ils impliquent. Par
exemple, lors de l’activité onirique, l’écran blanc du rêve est une
première forme d’expression de la figurabilité psychique (Lewin,
1946). Cet écran fait office de toile de fond, de surface, sur laquelle
viennent se projeter les images du rêve selon le principe de la
régression formelle (Botella & Botella, 2001). Il est l’une des
premières figurations de la pensée « en double » qui permet
qu’émerge la réflexivité de la psyché humaine, mais cet écran ne
nécessite pas pour autant un spectateur incarné. Lors d’une sortie
hors du corps, la typologie de l’expérience subjective possède
d’autres particularités. Il est tout d’abord fréquent que la réalité soit
perçue de manière réaliste, voire même de façon « hyper-réaliste »
ou « hyper-perceptive ». Le champ perceptif est rapporté comme
étant « transformé », avec, par exemple, une vision décrite comme
étant « panoramique » ou « teintée » d’une coloration particulière. Il
semble alors s’agir d’une forme « d’hyper-réalité » associée à une
lucidité plus élevée que l’état de conscience habituel. Ces éléments
soulignent ce fondement hallucinatoire de l’expérience qui a pour
particularité d’être perçu comme étant « plus réel que la réalité »
comme l’illustrent les cas d’Emmanuel et Hector :

Cas cliniques
Emmanuel est un étudiant d'une vingtaine d'années qui a vécu plusieurs
expériences de sorties hors du corps dont il comprend mal la signification. La
première eut lieu alors qu’il était dans un grand état de fatigue après une journée
passée aux sports d’hiver. Il eut l'impression de sortir de son corps de façon
spontanée et d’être « une boule » alors que « tout était clair ». Paniqué, il décida
de « rentrer dans son corps ». Il fera par la suite plusieurs essais, mais à chaque
fois il présenta des tremblements dus à la peur qui mettaient un terme à
l’expérience. Il réussit finalement à se libérer de sa peur et vécut une expérience
de sortie hors du corps « complète » dont voici le récit : « Je suis vraiment
détendu et j’ai des fourmis sur tout mon corps. J’ai un effet d’engourdissement. Je
me sens moins anxieux que d’habitude. J’essaie de ne penser à rien. Je
commence à entendre mes oreilles qui bourdonnent durant deux minutes. Mes
yeux commencent à bouger seuls, ils montent, c’est comme s’ils se révulsaient.
J’ai l’œil qui tremble. J’ai l’impression de commencer à m’élever, de façon
oblique. C’est une sensation agréable. J’ai le sentiment que je m’élève et que je
sors de mon corps. J’ai une sensation toute bizarre… comme une bulle de savon
qui éclate, mais de façon globale. C’est presque imperceptible. C’est comme un
bruit que je ressens dans mon corps. J’ai une sensation de légèreté, de liberté,
une impression que tout va bien. Je me rends compte que je suis sorti de mon
corps. Je vois la pièce alors que j’ai les yeux fermés, d’un peu plus haut, et je vois
ma tête qui dépasse des couvertures. Ma vision est plus claire, plus large, elle est
panoramique, comme à 360°. Il fait plus clair, tout est plus lumineux. J’ai
également quelque chose de légèrement opaque et jaune devant les yeux, c’est
comme si on mettait des lunettes. Je vois le clic-clac et je vois ma forme, ça fait
bizarre. C’est comme si c’était quelqu’un d’autre, ce n’est pas comme le matin
quand on se voit dans la glace. C’est comme quand on entend sa voix sur un
répondeur et qu’on se dit : “Ah, je ressemble à ça !” ».
Hector décrit une expérience de sortie hors du corps qui se produit peu de temps
après avoir rejoint l’armée. Alors qu’il est étendu sur son lit, il se perçoit
soudainement du dessus. Il se tient plus précisément au niveau du coin opposé
de sa chambre et se « voit » en train de dormir paisiblement. Il distingue le
dessus de son armoire et les différents éléments qui y sont entreposés. Il a
également le sentiment de pouvoir percevoir l’ensemble de la pièce, celle-ci étant
nappée d’une lumière diffuse dont il ne parvient pas à déterminer la source. Il
peut aussi entendre ce qui se dit dans une pièce voisine. Cet état dure quelques
minutes et se termine par un « retour » soudain lors duquel son cœur bat la
chamade. Étonné par le réalisme de l’expérience, Hector essaiera de vérifier par
la suite que les éléments perçus sont bien présents sur le dessus de l’armoire et
que la discussion entendue dans la pièce voisine a bien eu lieu.

L’expérience de sortie hors du corps semble ainsi conduire à une


forme de « réalité augmentée » associée à une plus grande
proximité avec l’état hallucinatoire aux fondements de l’activité
psychique. Le besoin de vérifier après-coup la réalité objective de
l’expérience témoigne de la force et du réalisme de ce vécu7.
Certains travaux expérimentaux en gardent d’ailleurs la trace et
plusieurs équipes de chercheurs ont tenté d’objectiver d’éventuelles
perceptions lors de ce type d’expérience (Morris, Harary, Janis,
Hartwell & Roll, 1978 ; Tart, 1968)8. Dans cet environnement
hallucinatoire particulier, qui succède à une hallucination négative de
l’environnement (Green, 1977), Petra explique que le désir de
bouger la conduit à « voir des mains », tandis que le désir de se
mouvoir engendre une sensation de vol chez Damien. Le sujet
semble ainsi régresser à une création hallucinatoire de son
expérience du registre du trouvé-créé. Ce registre particulier, qui
peut parfois succéder à l’expérience de sortie hors du corps à
proprement parler, mais qui lui est souvent indissociable, est proche
d’un processus hallucinatoire dans lequel l’activité psychique semble
ramenée à l’arc réflexe du principe de plaisir, le désir devenant le
perçu, sans articulation au principe de réalité.
Ces représentations-actions – ces « représentactions » pour
reprendre le terme de Jean-Didier Vincent (1986) – ont leur
temporalité propre et nécessitent parfois un temps de décantation.
Petra rapporte ainsi comment les éléments se présentent tout
d’abord à elle de manière imperceptible avant d’être discriminés à
mesure qu’elle y accorde davantage d’attention. Tel le lapin blanc
d’Alice au pays des merveilles (Caroll, 1865), la sortie hors du corps
apparaît ainsi comme un passage, un accès, à un mode de
fonctionnement « sous-terrain » relevant de processus archaïques
auxquels nous n’avons habituellement pas accès. Elle permet de
percevoir les rouages de l’activité représentative ainsi que la matrice
hallucinatoire sous-jacente et les principes de la figurabilité
silencieusement présents en toile de fond de la psyché. Serait-il
possible de ramener de ces voyages aux frontières de l’expérience
subjective des traces de ce fonctionnement archaïque pour mieux en
décrypter les mécanismes les plus intimes ?
Ainsi, on remarquera que la représentation subjective de l’espace
psychique se réduit à mesure que les processus de réflexivité
augmentent, ce qui interroge le passage d’un hallucinatoire
primordial du fonctionnement psychique – « a-subjectivé » ou « dé-
subjectivé » – aux logiques restreintes de la subjectivité incarnée.
L’expérience de sortie hors du corps apparaît ainsi comme une
étape intermédiaire questionnant la manière dont la psyché vient à
s’installer dans le corps, permettant de mieux comprendre ce qui est
à l’origine de la désorganisation de ce processus (Bonaminio &
Avakian, 2013). Cette installation est un phénomène intersubjectif
complexe, fruit d’un travail de « personnalisation » conduisant
« l’individu à localiser forcément l’esprit à l’intérieur de la tête » selon
Winnicott (1989, p. 160). Ce processus se fait « en double », par le
biais de l’investissement du corps de l’enfant par la mère qui conduit
à un ajustement entre le Moi-corps et le Moi-sujet, comme le
souligne également Guy Lavallée (2007) : « Le Moi-corps doit
prendre le Moi-sujet dans ses bras, le porter tout en réussissant à se
faire oublier » (p. 43). Nous ne prêtons habituellement que peu
d’attention à cette installation dans notre habitat corporel et notre
environnement somato-psychique, tant et si bien que se retrouver
hors de son corps produit un profond vécu d’étrangeté.
La sortie hors du corps résulte ainsi d’une dissociation de ces
espaces habituellement imbriqués, fruit de ce que Winnicott nomme
la « collusion psychosomatique » (in-dwelling) (Winnicott, 1989).
Cette collusion découle des soins maternels, en particulier du
« handling », qui conduit l’enfant à être « hébergé par le corps ».
Mais il arrive que le corps ne soit plus « habitable », qu’il ne soit plus
suffisamment « confortable », et la psyché éprouve alors le besoin
de s’extérioriser dans l’environnement9. La sortie hors du corps
apparaît de ce point de vue comme une forme d’extracorporéité
dans laquelle la structure même de la psyché s’émancipe du corps
dans des circonstances variables selon la dynamique psychique du
sujet.

DE L’AUTRE CÔTÉ DU MIROIR : DOUBLE, RÉFLEXIVITÉ


ET PROCESSUS SYMBOLIGÈNES

L’exploration des fonctions psychiques en jeu dans les sorties hors


du corps interroge également la manière dont l’état de régression
auquel elles sont associées relance potentiellement les processus
de symbolisation. Les expériences exceptionnelles sont liées, dans
leur ensemble, à des processus de transformation psychique qui
produisent parfois des « symbolisations éclair ». Pascal Le Maléfan
(2008) insiste ainsi sur l’existence d’un « hallucinatoire salutaire »
qui émerge lors de la confrontation à la mort. Il semble ainsi que le
sujet métabolise des éléments de sa propre expérience à l’occasion
de vécus extrêmes et potentiellement traumatiques. L’analyse que
fait Petra de ces nombreuses expériences de sortie hors du corps
est éclairante à ce propos :

Cas clinique : Petra


Petra, âgée d’une soixantaine d’années, a vécu une dizaine de sorties hors du corps.
Dans l’une d’elles, suite à une dispute avec son compagnon, elle ressent des
« vibrations » avant d’avoir la tête plongée dans une « piscine d’ours en peluche ».
Elle distingue ensuite son propre corps, « un corps en souffrance », recroquevillé sur
le sol et pour lequel elle ressent une intense compassion. Elle décide alors de
« rentrer » à nouveau à l’intérieur de celui-ci. De cette expérience, Petra explique
qu’elle lui a donné « la douceur dont [elle] avait besoin ». Elle souligne de manière
plus générale que lors de ces expériences « on ne peut trouver que ce que l’on est ».
Par certains aspects, elle les compare à des rêves dont elle les distingue néanmoins.
Elle conçoit les sorties hors du corps comme lui donnant accès un « un espace
intérieur différent de l’espace du rêve » et qu’elle a eu l’occasion de longuement
étudier au cours d’une cure psychanalytique. Les rêves nécessiteraient selon elle un
« passage par le symbole » tandis que les sorties hors du corps seraient « plus
évidentes » et donneraient un accès plus direct à elle-même. Petra insiste également
sur le fait qu’elle s’était souvent sentie, à l’inverse et pendant son enfance, dans une
« prison intérieure », du fait d’un père très autoritaire.

L’expérience de sortie hors du corps conduit ainsi à un mouvement


« régrédient », à l’instar des processus de figurabilité en rêve ou en
analyse, et partage avec ceux-ci un « potentiel de transformation »
(Botella, 2001) tout en ayant des caractéristiques spécifiques
comme le note Petra. Il peut d’ailleurs arriver que le dispositif
analytique conduise à une sortie hors du corps. Guy Lavallée
évoque ainsi une « décorporation subjectivante » chez une patiente
du nom d’Iphigénie qui décrit « son esprit détaché du corps s’élevant
dans l’espace et se penchant en avant pour contempler son corps
vide et asexué » (Lavallée, 2007, p. 129) tandis que Monique
Dechaud-Ferbus (2013) rapporte le cas d’une patiente qui dit se
trouver au-dessus du divan sur lequel elle vient de s’allonger pour la
première fois (p. 992), cette expérience étant interprétée comme
« faisant apparaître des régressions qui ont toutes tendance à
réinvestir les premiers états de la psyché » (p. 995).
Il semblerait qu’il se produise alors un traitement d’éléments clivés
qui font leur retour dans la subjectivité à la faveur de l’expérience de
sortie hors du corps. De sorte que certaines expériences non
représentées par le sujet – n’étant pas en mesure d’en proposer une
représentation symbolisable – reviennent lors de la sortie hors du
corps. Les aspects traumatiques qui ont produit et favorisé la
tendance à la dissociation à l’origine de la sortie hors du corps
ressurgissent alors dans le processus de symbolisation. Il se produit
donc une conjonction des éléments traumatiques et du mode de
clivage à l’origine de leur traitement. Les éléments imaginaires de la
sortie hors du corps seront par conséquent en lien direct avec les
éléments traumatiques – par exemple, la douceur des oursons de
Petra venant faire contrepoint avec la dureté d’une dispute – qui se
trouvent déformés par le biais des processus primaires
(condensation, déplacement, inversion, figurabilité) même si, du fait
de l’aspect réaliste de l’expérience, ces processus opèrent de
manière moins flagrante que dans le rêve.
Ainsi, un certain nombre de sorties hors du corps demeurent
infiltrées d’imaginaire, étant « boursouflées » d’éléments
traumatiques non symbolisés, sachant, comme le souligne André
Green que « le temps où ça se passe n’est pas le temps où ça se
signifie » (2000, p. 45). L’état de relaxation qui précède certaines
sorties hors du corps favoriserait, de la même manière, l’émergence
d’éléments psychiques non métabolisés. En effet, comme le note
René Roussillon (2015), « les expériences non intégrées du fait du
clivage et du retrait subjectif sont soumises à la contrainte de
répétition » (p. 35), celles-ci étant en attente d’un cadre favorable à
leur expression. Il se produit ainsi une compulsion à symboliser
visant l’intégration d’expériences traumatiques antérieures.
Lors d’une sortie hors du corps, le traitement du clivé a pour
particularité son lien intime avec la représentation du double et cela
conduit naturellement à étudier de manière originale « le rapport du
double avec la question de la symbolisation » (Jung & Roussillon,
2013, p. 1053). L’expérience de sortie hors du corps produit et
nécessite en effet un état dans lequel le sujet se perçoit lui-même
comme un double externalisé le plus souvent inerte. Ce processus
se trouve en réalité au cœur de la construction de la psyché comme
le remarque Guy Lavallée (2007) : « La réflexivité et les “processus-
auto” accompagnent la mise en sens fantasmatique, ils sont à la
base de la réalité psychique, du “théâtre du Je” » (p. 117). Ce
processus réflexif est donc en quelque sorte mis en scène dans la
sortie hors du corps : le sujet se « dédouble », il s’auto-crée un
double et constitue une relation en miroir avec lui-même comme
pour mieux intégrer les vécus qu’il ne peut élaborer10. Mais la sortie
hors du corps n’est pas seulement l’expression d’une position
réflexive externalisée, elle est aussi une auto-représentation du
processus réflexif lui-même. En effet, la psyché tend à auto-
représenter ses propres processus lorsqu’elle est située aux limites
de ses capacités d’élaboration. Ainsi l’expérience de sortie hors du
corps symboliserait en elle-même le processus de symbolisation en
mettant en scène le processus réflexif en double qui a fait défaut lors
de l’expérience traumatique. L’expérience de sortie hors du corps
soutiendrait donc le processus de symbolisation par la réflexivité et
l’auto-représentation qu’elle met en scène en tant que figuration de
la boucle réflexive11. Il s’agit donc pour le sujet de se représenter
ses propres processus et même de se représenter le processus de
représentation lui-même dans le but de parvenir à symboliser une
expérience inélaborable comme l’illustre le schéma suivant :

La sortie hors du corps comme externalisation du


processus réflexif

Ce processus produirait une relance de la symbolisation par le biais


du double grâce aux dimensions transitionnelles propres à la sortie
hors du corps. Celle-ci se situe en effet dans une aire à cheval entre
réalité interne et réalité externe. Ainsi, la sortie hors du corps est à la
rencontre de la réalité psychique et de la réalité externe, au sein
d’un espace qui permet qu’émerge ce que Winnicott nomme le
« psyché-soma ». La sortie hors du corps possède ainsi des
propriétés réflexives bien particulières, car elle permet aux
représentations psychiques du sujet de se « refléter » dans
l'environnement à partir du « quantum hallucinatoire » qui vient s’y
loger (Lavallée, 1999). Par l'action de percevoir et d’agir
consciemment dans cet environnement hallucinatoire, l'individu
entame une figuration de ses propres représentations au sein d’un
espace de jeu et de créativité (Winnicott, 1971) :
« C'est seulement là, dans cet état non intégré de la personnalité, que peut
apparaître ce que nous entendons par créatif. Si cette créativité est réfléchie en
miroir, mais seulement si elle est réfléchie, elle s'intègre à la personnalité individuelle
et organisée […]. C'est elle aussi qui lui permettra finalement de postuler l'existence
de son soi » (p. 126).

L’état de déliaison engendré par la sortie hors du corps favorise ainsi


la liaison d’éléments traumatiques non symbolisés. Dans cet état
particulier d'interaction entre le sujet et son environnement, se crée
un espace transitionnel, un « espace psychique » aux vertus
symbolisantes, dans lequel le sujet se « dédouble » et se trouve
observateur de lui-même.
La sortie hors du corps semble même donner accès à l’« espace
psychique » décrit par plusieurs auteurs pour penser le
développement de la psyché (Jalley, 1998) : Wallon évoque un
« espace virtuel où l’espace de la pensée se superpose à l’espace
perçu » avec des caractéristiques d’« hyper-espace » ou « espace
d’ultra-perception ». Winnicott utilise le terme d’« espace potentiel »
tandis que Bion évoque les particularités de l’« espace mental ».
L’expérience transitionnelle qui se loge dans cet espace psychique
que l’on retrouve dans les sorties hors du corps favorise ainsi
l’élaboration des processus identitaires et la constitution du Je. Elle
crée du possible entre soi et la représentation de soi, elle relance les
processus de subjectivation par la désubjectivation. L’expérience de
sortie hors corps opère alors comme un espace transitionnel vecteur
de symbolisation.
Ces différents éléments montrent l’importance du double dans les
mécanismes fondamentaux de la construction de la psyché. Comme
l’indique Guy Lavallée (2007), dans la continuité des réflexions de
Winnicott : « Le miroir maternel dans la mimésis humanise le
dédoublement : la mère est le premier double, le bébé se voit
dedans » (p. 116). Cette rencontre avec un double externalisé
permet le développement progressif d’un double interne aux
fondements de la réflexivité qu’André Green (1983) nomme
« structure encadrante du Moi ». Cette dernière est une introjection
de ce double premier au fondement de l’identité à partir de la
rencontre avec un autre suffisamment accordé et dont on garde la
trace des propriétés corporelles et psychiques. Pour autant, comme
le remarque Freud (1919), « l’idée du double ne disparaît pas
forcément avec le narcissisme primaire » et la sortie hors du corps
serait une figuration de cette structure du double toujours présente
en toile de fond de la psyché. Jung et Roussillon (2013) supposent
ainsi l’existence d’un « double transitionnel » qui « soutiendrait la
capacité du sujet à rétablir une réflexivité identitaire en souffrance
tout en l’accompagnant dans sa rencontre avec l’altérité » (p. 518).
Ce passage par le double sera parfois mis en échec, comme dans
Le Horla de Guy de Maupassant (Jung, 2010), dans lequel le
narrateur demeure aliéné à une hallucination autoscopique négative
qui l’empêche de médiatiser le rapport à lui-même par un double
extériorisé. Il reste ainsi « hanté » par ce double externalisé qui
resurgit constamment dans son expérience subjective. De ce point
de vue, on pourrait considérer que le personnage du Horla
recherche le double que trouvent les personnes qui rapportent des
sorties hors du corps. La clinique de la hantise partage d’ailleurs
souvent des caractères communs avec celle des sorties hors du
corps s’agissant de formes différenciées de projection dans
l’environnement de parts de soi sous le sceau de l’inquiétante
étrangeté.
Ainsi, les processus de sortie hors du corps semblent parcourir en
sens inverse le trajet que poursuit la construction de la subjectivité.
On commence à s’approprier soi-même par le regard porté sur soi
par un Autre, celui d’un « double imaginaire, avec lequel il est
possible de dialoguer, qui accompagne et incarne la naissance du
dédoublement de l’espace interne » (Lavallée, 2007, p. 116). C’est
en effet par l’image spéculaire que le petit enfant unifie le corps
morcelé avant de donner naissance à un « Je » (Lacan, 1949).
Celui-ci voit petit à petit ses représentations psychiques se
condenser en une forme globale et narrative de son expérience
subjective par la médiation externalisée que représente le miroir
maternel. De ce point de vue, la sortie hors du corps représente des
retrouvailles avec la manière dont le Moi s’est constitué par
l’aliénation au regard de l’autre. Mais cette régression au stade du
miroir et de l’appropriation de soi par un regard externalisé est aussi
une tentative ultime de symbolisation revenant à l’origine de ce
processus.
La description que fait Freud (1919) de son expérience d’inquiétante
étrangeté lorsqu’il découvre par inadvertance son reflet dans le
miroir d’un wagon-lit témoigne ainsi de la soudaine rencontre avec
soi en dehors de l’investissement qui lui est habituellement lié. Le
sujet, lors d’une sortie hors du corps, se trouve placé de la même
manière face à ce vécu d’étrangeté mais selon une configuration
différente. Celle-ci met en exergue la disjonction de deux processus
habituellement intimement liés que sont la représentation de soi et
l’investissement de soi. Le sujet s’investit, durant quelques instants,
comme un autre objet, comme le montre le cas d’Emmanuel (cf.
p. 269) lorsque celui-ci a le sentiment de se percevoir de l’extérieur.
La sortie hors du corps illustrerait ainsi l’expérience primordiale
consistant à se percevoir indépendamment de la représentation de
soi par le regard de l’autre – avant le stade du miroir – conduisant,
comme le propose Pascal Le Maléfan (2005) à la « déliaison
momentanée des registres réels, symboliques et imaginaires
constituant habituellement la consistance corporelle et donnant la
conviction d’avoir un corps » (p. 530). Le sujet se détache alors,
l’espace d’un instant, de l’aliénation spéculaire dans laquelle
s’enracine sa subjectivité. Serait-ce ce processus qui permet au
sujet d’avoir du même coup accès au reste non transformé laissé
aux marges de ce processus d’aliénation au spéculaire ?
Pour autant, si la sortie hors du corps s’apparente parfois à un
voyage « de l’autre côté du miroir », certains sujets ne paraissent
pas en mesure d’en revenir indemnes et d’intégrer les processus
ainsi mis en branle. Il en découle des expériences étranges qui
tendent à se reproduire de manière incessante sur le mode de la
compulsion de répétition, comme dans les cas d’Irène et de Mona,
celles-ci étant prises dans les rets de l’illusion spéculaire (Zazzo,
1993) :

Cas cliniques
Irène, après une expérience inaugurale de dissociation, a découvert une
« capacité » qu’elle avait en elle « depuis toute petite » et qui lui permet
d’accéder à ce qu’elle appelle « le plan ». Celui-ci est un espace particulier,
« soumis à d’autres lois », et qui fonctionne par « projection ». Irène décide dans
cet espace de ce qu’elle veut voir, du lieu où elle souhaite se rendre, de la forme
qu’elle prend, étant donné qu’elle n’est pas soumise aux « règles habituelles du
temps ». Elle décrit longuement comment cet environnement est au départ
« vide » et aperceptif avant de se remplir de riches expériences. Dans cet état,
Irène détermine le lieu où elle souhaite se rendre et l’environnement se construit
progressivement autour d’elle selon son désir. Pour influencer ce qui l’entoure, il
lui suffit de penser à certaines choses et celles-ci se matérialisent alors.
Mona, une jeune femme d’une vingtaine d’années, pratique régulièrement la
« projection astrale » à partir de différentes techniques de méditation. Elle
parvient ainsi à provoquer, environ une fois par semaine, une expérience dans
laquelle elle est persuadée de se transformer en son « double » qui ne serait
autre qu’une licorne qu’elle incarne dans cet espace particulier. Elle a alors le
sentiment de rejoindre sa « vraie famille », celle-ci étant constituée de créatures
fantastiques. Cette identité de licorne, qu’elle décrit avec de nombreux détails,
occupe une place importante dans sa vie et se trouve au cœur de ses
préoccupations.

Mona12 et Irène semblent demeurer prisonnières de cette projection


qui devient une fuite et un refuge dans l’imaginaire plutôt qu’une
rencontre et un passage nécessaire par cet imaginaire pour
atteindre les vertus symbolisantes de cette expérience. Cela fait
écho à la distinction proposée par André Green (1990) entre
« décorporation » et « excorporation », la première étant un
éloignement sublimatoire nécessaire et subjectivant dont l’échec
conduirait parfois à l’excorporation psychotisante en tant que faillite
de l’habitat corporel (Lavallée, 2005). Ainsi, lorsque le sujet ne sera
pas en mesure de réintégrer ce qui se joue lors de cette recherche
d’une mise en scène par le double, il sera voué à revivre de manière
compulsive les éléments défensifs à l’origine de l’émergence de
cette expérience.
Aux limites de la subjectivité émergent donc des formes de
l’expérience humaine qui permettent paradoxalement de mieux saisir
les fondements de sa construction. De ce point de vue, l’expérience
de sortie hors du corps est un vécu original, parfois déstabilisant,
aussi bien pour le clinicien confronté à ce type de récit que pour
ceux qui les rapportent. Mais, au-delà des effets là encore de
fascination ou de sidération qu’elle pourra produire, elle offre
l’occasion de mettre à l’épreuve aussi bien le positionnement du
clinicien que la théorie qui permettra d’en rendre compte. Il devient
ainsi envisageable de concevoir les expériences de sortie hors du
corps comme un moyen d’étudier sous une perspective originale les
processus d’incarnation. On saisit mieux alors, par un effet de
contraste, la subjectivité par la désubjectivation vécue durant cette
expérience qui offre une fenêtre éphémère sur les fondements de la
matrice hallucinatoire et l’activité perceptive figurative primaire.
L’expérience de sortie hors du corps permet ainsi à la psyché de
s’auto-représenter de manière originale et d’ouvrir la voie à une
potentielle créativité quand elle n’emprisonne pas le sujet dans un
imaginaire défensif. Elle met alors en exergue un espace potentiel
ou transitionnel nécessitant une forme de régression à une relation
particulière au double. Celui-ci représente en lui-même le processus
de symbolisation dans ses dimensions réflexives, comme l’illustre ce
schéma récapitulatif des grandes étapes des sorties hors du corps
(page suivante).
Les différentes étapes d’une sortie hors du corps

Ces éléments aident à mieux comprendre les conséquences après-


coup associées aux sorties hors du corps jugées le plus souvent
comme étant positives. À ce titre, il est probablement nécessaire,
pour que l’expérience puisse entièrement développer son potentiel
symbolisant, qu’elle soit ancrée et partagée en double, dans une
réalité intersubjective qui ouvre le vécu du sujet à ses dimensions
latentes. Il conviendra donc d’être sensible aux conséquences
après-coup de la sortie hors du corps, étant donné sa force et son
réalisme, en insistant sur l’importance que le clinicien soit en
mesure, lorsqu’il est confronté à de tels vécus, d’en accueillir la
potentialité latente et symboligène, qui garde parfois la trace de
traumas passés ou actuels. Cette expérience aux frontières du corps
vient ainsi mettre en scène des vécus aux frontières de la
symbolisation auxquels il conviendra d’accorder une attention toute
particulière lors de leur expression dans le cadre clinique.
Notes
1. Nous avons choisi d’utiliser le terme de « sortie hors du corps »
car celui-ci est le plus fréquent dans la littérature. Il existe une
certaine ambiguïté concernant la traduction la plus appropriée de
l’expression anglo-saxonne Out of body experience et il arrive que
l’on trouve aussi le terme d’« expérience hors corps ». De manière
générale, comme indiqué au premier chapitre, nous avons privilégié
les termes qui se rapprochent le plus de l’usage qui en est fait par
les personnes prenant contact le service de consultation (cf.
chapitre 10).

2. Nous aborderons peu dans ce chapitre une étude


métapsychologique des processus symboligènes des sorties hors du
corps, car cette question sera davantage l’objet du chapitre sur les
EMI.

3. Par exemple : modifier la perception du corps dans les troubles


alimentaires (Preston & Ehrsson, 2014), faire vivre à un auteur de
violences conjugales (Seinfeld et al., 2018) ou de racisme (Banakou,
Hanumanthu & Slater, 2016) une situation de violence inversée dans
le but d’augmenter l’empathie et diminuer les effets de
discrimination, ou encore faire l’expérience partielle et transitoire
d’un changement de genre.

4. Le type de dissociation le plus fréquemment lié aux sorties hors


du corps est la dissociation somatoforme qui désigne le manque
d’intégration des dimensions somatiques des stimuli (Murray & Fox,
2005, 2005 ; Nijenhuis, 2001).

5. Les cas présentés dans ce chapitre proviennent du service de


consultation de CIRCEE et d’entretiens de recherche menés par
moi-même ainsi que par Samuel Caussié, psychologue clinicien au
sein du service de consultation de CIRCEE (Rabeyron & Caussié,
2016).

6. On notera d’ailleurs, fait intéressant dans ce cas, que


contrairement aux sorties hors du corps qui se produisent en état de
relaxation, le double n’est pas inerte : il est animé et agit sous l’œil
du sujet qui n’a plus conscience de ses actions. Un parallèle pourrait
être fait de ce point de vue avec les expériences d’écritures
automatiques dans lesquelles le sujet n’est plus conscient de la
partie dissociée et de l’activité intellectuelle et motrice associée à
l’écriture.

7. On remarquera que les expériences hyper-réalistes semblent plus


souvent rapportées par les hommes que par les femmes. Ces
dernières décrivent souvent des expériences davantage infiltrées par
des éléments imaginaires conduisant parfois, passée l’étape de
décorporation, à la production d’une forme particulière de néo-
réalité, du registre des « voyages imaginaires » – ou encore
« voyages astraux » – décrits précédemment.

8. La même interrogation fut à l’origine récemment du vaste


programme AWARE visant à étudier les expériences de mort
imminente, dont l’aspect « véridique » fut abordé en plaçant en
hauteur des « cibles » dans des salles de réanimation (Parnia et al.,
2014). Un patient a vécu une sortie hors du corps associée à une
EMI lors de laquelle il a pu décrire la salle de réanimation alors qu’il
semblait inconscient, mais cette salle n’était pas équipée de l’une
des cibles. À noter également les travaux de Tart (1968), déjà
évoqués, avec Miss Z. Celle-ci pouvait produire à volonté des sorties
hors du corps et devait alors déterminer un chiffre caché et placé en
hauteur, ce qu’elle parvint à faire à plusieurs reprises. Tart a pu
corréler l’une de ces sorties hors du corps avec une signature EEG
spécifique.

9. Cela ouvre des perspectives originales pour des pathologies


graves du narcissisme comme les Troubles du Spectre Autistique
(TSA). Dans quelle mesure certains patients passent-ils ainsi une
partie de leur temps « hors » de leur corps ? De récents travaux
mettent ainsi en évidence la prévalence des expériences perceptives
inhabituelles chez les sujets souffrant de TSA (chez plus de 90 %
d’entre eux) et comment ces expériences peuvent être source de
stress (Milne, Dickinson & Smith, 2017). Certaines recherches qui se
focalisent sur l’expérience sensorielle pour soigner le « soi spatial »
ouvrent des perspectives intéressantes sur le plan thérapeutique
(Noel, Cascio, Wallace & Park, 2017).

10. Un petit exemple aidera à saisir ce mécanisme : le fait de


s’enregistrer ou de se filmer permet d’avoir une représentation
externalisée de soi. L’enregistrement permet ainsi de se
« dédoubler » dans l’espace et dans le temps, tout en dissociant le
temps de l’être du temps réflexif. La sortie hors du corps produit de
la même manière une représentation externalisée qui favorise la
réflexivité tout en donnant une illustration du processus de réflexivité
lui-même. Cela reviendrait en quelque sorte à filmer une caméra en
train de filmer le sujet.

11. De la même manière, certains éléments de la sortie hors du


corps viendront symboliser les processus psychiques. Par exemple,
la « corde astrale » parfois rapportée par certains sujets serait une
forme de représentation du retour de l’attention du sujet portée sur
son corps propre qui n’est pas sans rappeler le cordon ombilical et
sa fonction nourricière.

12. Mona illustre d’ailleurs une mouvance en plein développement,


en particulier aux États-Unis, celle des « Otherkin », des personnes
qui s’identifient à des figures animales (Laycock, 2012).
Chapitre 9

Les expériences de mort


imminente : clinique de la
transformation
« It is worth dying to find out what life is. »
Thomas Stearns Eliot

« I'm not afraid of death. It's just that I don't want to be there when it happens. »
Woody Allen

Nous allons à présent aborder dans ce chapitre les expériences de


mort imminente qui, comme nous le verrons, poussent au
paroxysme certaines logiques symboligènes des expériences
exceptionnelles. Cela nous conduira à étudier plus avant les effets
après-coup et les processus transformationnels induits par ces
expériences.

PHÉNOMÉNOLOGIE ET RÉPERCUSSIONS
PSYCHOLOGIQUES

Les expériences de mort imminente (EMI ; Near Death Experience)


désignent un vécu subjectif évoqué par certains patients dans des
contextes réels ou supposés de mise en danger de leur vie, en
particulier lors de coma ou d’arrêts cardiaques (Corman et al., 2017 ;
Greyson, 1983 ; Jourdan, 2007 ; Van Lommel et al., 2001). Sur les
cinquante dernières années, on compte pas moins de vingt-cinq
millions de personnes qui ont rapporté cette expérience à la
phénoménologie spécifique malgré certaines variations culturelles
(Belanti, Perera & Jagadheesan, 2008). Ainsi, selon un sondage
Gallup de 1992, 744 personnes vivraient cette expérience chaque
jour ne serait-ce qu’aux États-Unis. Certaines études plus récentes
vont même jusqu’à repérer des éléments relatifs à une possible EMI
chez près de 10 % de la population générale (Kondziella & Olsen,
2019). Celles-ci peuvent advenir dans des circonstances variées :
intervention chirurgicale, accident, lésion cérébrale, asphyxie,
accouchement, dialyse, etc.1. Les EMI concerneraient ainsi, suivant
les études, entre 6 et 23 % des arrêts cardiaques (Klemenc-
Ketis, 2013 ; Parnia, Waller, Yeates & Fenwick, 2001 ; Schwaninger,
Eisenberg, Schechtman & Weiss, 2002). La mise en danger sur le
plan somatique n’est cependant pas nécessaire et les EMI peuvent
se produire sans que le pronostic vital du patient soit engagé. Ce
n’est donc pas tant le risque vital qui induit l’expérience que
l’impression subjective d’être proche de la mort2, ce qui inviterait à
parler davantage d’« expérience de peur de la mort » (fear death
experience) marquée par l’effet de surprise et d’effroi induits par la
confrontation soudaine avec la mort. On remarquera à ce propos
que la phénoménologie est habituellement d’autant plus riche que le
sujet pense être proche de la mort (Alvarado, 2000). Enfin, si les
psychédéliques et les pratiques méditatives (Facco & Agrillo, 2012)
favorisent leur émergence, le vécu qui caractérise les EMI paraît
distinct des effets produits par des substances médicamenteuses
(Charland-Verville et al., 2014).
Plusieurs auteurs ont contribué à l’étude initiale de ces expériences
à la fin du XIXe siècle, à commencer par le géologue suisse Albert
Heim (1892) qui a lui-même vécu une EMI lors d’une chute en
montagne (Evrard, 2020). Il décrit bien l’intensité et la clarté de
l’expérience qui aurait selon lui une valeur adaptative. À la même
époque, en 1896, le philosophe Victor Egger utilise pour la première
fois le terme d’EMI dans Le Moi des mourants et décrit en particulier
le « sentiment vif du moi » caractérisé par une forme de béatitude
face à l’angoisse (Evrard, Lazrak, Laurent, Toutain & Le Maléfan,
2018). Il souligne également les points communs entre ces
expériences et les processus du rêve. Dans les années 1930, le
pasteur suisse Oskar Pfister vit également cette expérience lors de
deux chutes dont il réchappe grâce à une acuité mentale
particulièrement développée durant l’EMI. Il propose le premier
modèle psychanalytique de l’EMI et souligne comment celle-ci
apparaît face à un danger. Il repère plus précisément deux fonctions
de l’expérience relevant de la pulsion de vie dans le but de sauver le
sujet (par exemple : l’hyper-lucidité3) et de la pulsion de mort
(souvenirs biographiques réconfortants). Sandor Ferenczi, en 1931,
fera la même observation et soulignera ainsi l’existence d’une
« intelligence pure » associée à un « autoclivage narcissique ».
Il faudra ensuite attendre le milieu des années 1970 pour voir
émerger un regain d’intérêt pour cette thématique qui débute avec
les travaux de Russell Noyes et Roy Kletti (1977) qui traduisent les
travaux de Heim. Ils proposent essentiellement un regard
psychiatrique sur ces expériences du point de vue de la
dépersonnalisation :
« L'expérience s’apparente à un syndrome passager de dépersonnalisation. Lorsque
l'on est en danger de mort, on se scinde en un Moi en état d'alerte et en un Moi en
état d'observation, rendu étranger à son propre corps, ce qui correspond à un
mécanisme de protection de la psyché humaine ».

L’EMI est alors considérée comme une forme de dissociation péri-


traumatique, ayant aussi des vertus adaptatives, en réaction à une
situation dangereuse. Ils soulignent également le fait que cette
expérience n’est pas de nature pathologique en soi et en dégagent
vingt-six caractéristiques phénoménologiques. C’est également
l’époque où les travaux du médecin Raymond Moody (1975) vont
largement participer à la diffusion des EMI auprès du grand public4.
Ce dernier propose un tableau phénoménologique comportant les
éléments suivants5 : décorporation, perception de bruits et de
musiques, perception de la voix des médecins et de l’annonce de sa
mort, passage dans un tunnel, vision d’une lumière, sentiments de
calme et de sérénité, contact avec des défunts et des êtres
spirituels, expériences mystiques, panorama de vie, vision d’une
frontière et enfin réintégration du corps6. Moody (1975) décrit ainsi
une EMI typique qui rassemblerait la plupart de ces éléments :
« Voici donc un homme qui meurt, et, tandis qu'il atteint le paroxysme de la détresse
physique, il entend le médecin constater son décès. Il commence alors à percevoir
un bruit désagréable, comme un fort timbre de sonnerie ou un bourdonnement, et
dans le même temps il se sent emporté avec une grande rapidité à travers un obscur
et long tunnel. Après quoi il se retrouve soudain hors de son corps physique, sans
quitter toutefois son environnement immédiat ; il aperçoit son propre corps à
distance, comme en spectateur. Il observe de ce point de vue privilégié les tentatives
de réanimation dont son corps fait l'objet […] Bientôt, d'autres événements se
produisent : d'autres êtres s'avancent à sa rencontre, paraissant vouloir lui venir en
aide ; il entrevoit les esprits de parents et d'amis décédés avant lui […] Mais il
constate alors qu'il lui faut revenir en arrière, que le temps de mourir n'est pas encore
venu pour lui. À cet instant, il résiste, car il est désormais subjugué par le flux des
événements de l'après-vie et ne souhaite pas ce retour […] Par la suite, lorsqu'il tente
d'expliquer à son entourage ce qu'il a éprouvé entre-temps, il se heurte à différents
obstacles. En premier lieu, il ne parvient pas à trouver des paroles humaines
capables de décrire de façon adéquate cet épisode supraterrestre […] Pourtant cette
expérience marque profondément sa vie et bouleverse notamment toutes les idées
qu'il s'était faites jusque-là à propos de la mort et de ses rapports avec la vie »
(p. 35).

Il est rare qu’une même personne rapporte l’ensemble de ce tableau


phénoménologique dont l’ordre peut varier d’un sujet à l’autre
(Martial et al., 2017). Deux échelles permettent d’évaluer plus
précisément cette phénoménologie : la Weighted Core Experience
Inventory (WCEI) développée par Kenneth Ring (1980) qui comporte
10 items cotés de 1 à 10 en fonction de la profondeur du vécu
phénoménologique et la Near Death Experience Scale de Bruce
Greyson (1983) qui regroupe 16 items (avec trois réponses
possibles : vécu absent, léger ou marqué) organisés selon quatre
catégories (cognitif, affectif, paranormal et transcendantal). Un score
minimal de 7 est le seuil utilisé pour déterminer que le sujet a vécu
une EMI. L’expérience apparaît ainsi agréable et positive, même s’il
arrive, pour environ 1 à 2 % des sujets, qu’elle soit jugée très
déplaisante. On parle alors d’EMI « négative » ou « pénible » qui se
caractérise par une angoisse massive souvent due à des visions
terrifiantes (Cassol et al., 2019 ; Greyson & Evans Bush, 1992 ; Irwin
& Bramwell, 1988)7. Les souvenirs laissés par une EMI ont en outre
une intensité particulière leur donnant un caractère « indélébile »
malgré le passage du temps (Thonnard et al., 2013), ce qui explique
en partie leur rôle prépondérant dans les processus narratifs et le
devenir identitaire du sujet (Cassol, D’Argembeau, Charland-Verville,
Laureys & Martial, 2018).
Les EMI ont été abordées plus avant du point de vue de leurs effets
après-coup sur la personnalité du sujet avec la Life changes
Inventory développée par Kenneth Ring (1984) dont il existe une
version révisée (Kentfield, 2004). On estime qu’environ deux-tiers
des personnes qui ont vécu des EMI rapportent des changements
de leur personnalité (Greyson, Holden & James, 2009). Nombreux
sont ceux qui décrivent des effets concernant « leur conception de la
vie, leurs croyances religieuses, leurs valeurs et leur
comportement » (Van Lommel, 2012, p. 53). Musgrave (1997)
explique ainsi qu’un grand nombre des sujets pense être devenu
plus aidant et compatissant (82 %). Ils se considèrent également
plus intuitifs (78 %), croient en l’existence d’une puissance
supérieure (75 %) et apprécient davantage la vie (73 %). Les affects
dépressifs de même que les addictions sont également diminués par
les EMI (Greyson et al., 2009). L’EMI supprime en outre quasi
systématiquement la peur de la mort et influence la nature des
croyances religieuses et spirituelles. Un certain nombre des
« expérienceurs »8 pense en effet que l’EMI lui a donné un aperçu
de la vie après la mort (Sutherland, 1990 ; Elsaesser-Valarino,
2005 ; Ring et Elsaesser-Valarino, 2006).
Ces effets ne semblent pas réductibles à l’approche de la mort, car
la comparaison avec des personnes ayant approché la mort sans
EMI ne présente pas les mêmes effets (Groth-Marnat & Summers,
1998 ; Klemenc-Ketis, 2013). Il en est de même de la transformation
sur le plan spirituel qui sera plus forte lors d’une EMI selon la
profondeur de celle-ci (Greyson & Khanna, 2014). Une étude
prospective auprès de survivants d’arrêts cardiaques souligne que
ceux qui ont vécu une EMI rapportent une plus grande tolérance
envers autrui, une meilleure compréhension de soi, une relation
différente à la nature, une sensibilité au sens de la vie et une
préoccupation pour la justice sociale (Van Lommel, 2012).
Cependant, ces remaniements psychiques ne sont pas sans être
accompagnés de certaines difficultés d’adaptation. Ces personnes
ont parfois du mal à reprendre leur vie « d’avant », ressentant un
profond décalage avec leur environnement, ce qui se traduit par un
taux élevé de divorce dans les suites d’une EMI (Christian, 2005).
Des inquiétudes concernant leur santé psychique associées à la
peur de ne pas être compris rendent parfois le partage de
l’expérience difficile. Hoffman dégage en particulier quatre étapes
différentes : choc et surprise, besoin de validation, implication
personnelle, exploration active et enfin intégration de l’expérience. Il
peut résulter de ces facteurs des mouvements anxio-dépressifs et
un sentiment de solitude face à une expérience ineffable dont
l’intégration sera très variable d’un sujet à l’autre (Greyson & Harris,
1987). Une première vignette clinique9 illustrera ces différents
aspects :

Cas clinique : Marion


Marion rapporte une EMI survenue suite à une intervention chirurgicale. Durant la
nuit succédant à l’opération, alors qu'elle se trouve dans sa chambre d’hôpital, elle se
sent soudainement très faible. Elle ressent un grand mal de ventre, une envie de
vomir et devient très sensible aux bruits environnants. Des infirmières viennent
prendre sa tension, vérifient sa température et lui demandent si tout va bien. Marion
se trouve alors dans un état second et commence à s'endormir. Tandis qu’elle
éprouve un sentiment de soulagement et de bien-être physique, elle se dit qu'elle va
enfin pouvoir trouver le sommeil. Elle « voit » alors un tunnel qui lui semble
particulièrement long. Elle continue d’entendre au loin les infirmières qui s’inquiètent.
Elles lui demandent de rester présente et de respirer, tout en la secouant pour la
maintenir éveillée. Marion souhaite surtout qu’on la laisse tranquille. Elle se sent
particulièrement bien, « trop bien » même dit-elle. Elle voit alors une lumière « jaune
et blanche » comme « les phares d’une voiture » qui grossit et l’éblouit, remplissant
progressivement l’ensemble de son champ de vision. Elle perçoit ensuite le visage de
son mari avant d’ouvrir les yeux et de voir à nouveau les infirmières qui lui
demandent si elle va bien. Marion est bouleversée par cette expérience qu’elle décrit
comme très intense. Elle se demande si elle ne devient pas folle et n'a pas osé sur le
moment en parler aux infirmières et aux médecins.
Quand elle nous contacte, Marion vient d’apprendre qu’elle va devoir subir une
nouvelle opération. Elle craint de revivre cette expérience. Elle en a parlé à son mari
mais celui-ci pense que cette expérience est simplement un effet de l'anesthésie.
Ainsi a-t-elle l'impression de ne pas être crue ni comprise. Cette expérience est
pourtant, selon elle, tout à fait réelle et d’une nature bien différente de ce qu'elle a
vécu auparavant. Marion précise qu'elle se sentait tellement bien qu'elle avait eu
l'impression « de s'endormir pour ne pas revenir ». Elle avoue avoir alors pensé à sa
mère, décédée depuis longtemps, et s'être dit : « Je vais m'endormir, je vais bien,
voilà, je vais la rejoindre ». Marion a donc peur « ne pas revenir » si cette expérience
devait se produire à nouveau, ce qui engendre chez elle une profonde inquiétude se
traduisant par de longs sanglots. Au-delà de son aspect déstabilisant, cette
expérience a entraîné des conséquences positives inattendues. Marion fut victime de
graves violences durant l'enfance. Un mois après cette expérience, elle fut en
mesure, pour la première fois, d'en reparler avec la personne à l'origine des faits. De
façon plus générale, elle a le sentiment de prendre davantage de temps pour dire ou
faire les choses et aborde l’existence avec « plus de philosophie ». Marion
parviendra à parler de son vécu avec plusieurs personnes, en particulier son
médecin généraliste et son kinésithérapeute, ce dernier s’avérant ouvert sur ce sujet.
Elle en gardera finalement une forme de sérénité, notamment lorsqu’elle envisage la
mort. Elle est en effet certaine, le jour où elle sera sur le point de mourir, qu’elle fera
à nouveau l'expérience de cet intense bien-être.

Il existe plusieurs modèles explicatifs des EMI dont nous allons


reprendre brièvement les principales hypothèses. Sur le plan
neurobiologique, elles sont souvent considérées comme le fruit de
différentes formes de troubles ou de dysfonctionnements cérébraux
en fonction de contextes spécifiques (Mobbs & Watt, 2011). Ainsi,
comme le remarquent Blanke et Dieguez (2009) : « L’ensemble des
données suggère que de nombreux mécanismes fonctionnels et
neuronaux sont impliqués dans la production d’une large gamme de
phénomènes regroupés sous le terme d’expérience de mort
imminente » (p. 320). Une désinhibition du cortex visuel primaire
pourrait s’étendre à d’autres zones corticales, menant à la vision
d’un tunnel et des lumières (Blanke & Dieguez, 2009). La vision d’un
tunnel résulterait plus précisément selon Whinnery (1997) de la
diminution de l’apport d’oxygène au cerveau appelée hypoxie. Des
altérations situées au niveau de la jonction temporo-pariétale gauche
pourraient induire pour leur part des sentiments de présence et la
rencontre avec des êtres. La revue de vie, également présente dans
l’épilepsie, proviendrait de troubles du lobe temporal, de
l’hippocampe et de l’amygdale.
Les neuroscientifiques tentent ainsi de découper les EMI en fonction
de leurs particularités phénoménologiques dans le but de les
corréler à certaines zones anatomiques et dynamiques
fonctionnelles du cerveau. Des études visent également à reproduire
des états proches des EMI sous hypnose afin d’en déterminer les
propriétés neurobiologiques grâce à des mesures EEG, mettant
notamment en évidence une augmentation des ondes alpha au
niveau des régions temporale et pariétale durant l’expérience
(Martial et al., 2019). À noter enfin que des études chez le rat ont
montré des corrélats neuronaux lors d’un arrêt cardiaque environ
trente secondes après celui-ci (Zhang et al., 2019), ce qui pourrait se
traduire chez l’humain par des oscillations gamma globales et une
forme de conscience augmentée associée à une intensification de
l’activité neuronale peu de temps avant la mort (Chawla et al., 2017).
D’autres hypothèses visant à expliquer les EMI portent sur l’impact
de certaines molécules sur le fonctionnement cérébral. Ainsi, selon
Jansen (1997), la kétamine – un psychotrope utilisé comme
anesthésique – pourrait être impliquée dans la phénoménologie
associée aux EMI. Cette molécule, synthétisée depuis 1962, est
connue pour engendrer des hallucinations et des sorties hors du
corps en bloquant les récepteurs N-Méthyl-D-Aspartate (NMDA).
Une analyse sémantique comparant l’usage de kétamine et les récits
d’EMI a montré leur proximité (Cassol et al., 2019). La sérotonine et
les endorphines pourraient également participer aux sentiments de
bien-être et de plénitude rapportés dans les EMI. Enfin, la N-N-
Dimethyltryptamine (DMT), un puissant hallucinogène déjà évoqué
au chapitre trois, serait relâchée dans le sang par la glande pinéale
lors d’un stress intense, de même que la pinoline, une tryptoline
méthoxylée qui ralentit la désintégration de la DMT et potentialise
donc ses effets. On retrouve effectivement des correspondances
entre les récits d’EMI et les personnes qui ont consommé des
psychédéliques composés de DMT (Martial et al., 2019).
Sur le plan de la personnalité, les caractéristiques psychologiques
des personnes qui ont vécu des EMI laissent penser qu’il existe une
organisation de la personnalité favorisant leur survenue. Ces
personnes présentent en effet, comme pour l’ensemble des
expériences exceptionnelles, des scores élevés aux échelles
d’absorption, de tendance à l’imaginaire, de dissociation, de
dépersonnalisation et d’expériences dissociatives (Greyson, 2000).
Elles ont aussi davantage souffert d’abus dans l’enfance, de stress,
de maladie et de difficultés sociales. Les sujets qui rapportent des
EMI ont également plus de troubles du sommeil paradoxal
(Kondziella & Olsen, 2019). Elles décrivent d’autres expériences
exceptionnelles, en particulier des expériences mystiques, des
sentiments de présence et des expériences de réincarnation
(Greyson, 2003). Lake (2019) propose ainsi de considérer les EMI
comme une prédisposition cognitive façonnée par l’évolution qui
aurait « permis aux hominidés d’avoir une conscience réflexive et
d’expérimenter des états particuliers de la conscience qui impliquent
une imagerie mentale complexe assurant une réponse adaptative et
flexible face à des situations imprévisibles mettant en danger la vie
du sujet » (p. 135).
Plusieurs théories psychodynamiques ont également été proposées
pour tenter d’expliquer les EMI. Comme nous l’avons déjà évoqué,
Pfister (1930) a souligné la nature défensive de ces expériences
face à un danger potentiel. Le sujet aurait tendance à s’exclure
d’une réalité déplaisante en la remplaçant par une expérience
imaginaire le protégeant contre un choc émotionnel (Ehrenwald,
1974). Ces hypothèses seront reprises par Noyes et Kletti (1977)
pour lesquels la phase de sortie hors du corps correspondrait à un
mécanisme de défense face à une situation menaçant la vie du
sujet. Selon ces auteurs, les expériences de mort imminente
seraient une forme de dépersonnalisation lors de laquelle le sujet se
sépare de son corps afin d’éviter le caractère traumatisant de la
confrontation avec la mort. Cependant, pour Irwin (1993), l’EMI se
distingue d’une dépersonnalisation classique, car le sujet demeure
conscient et lucide. Il considère donc davantage les EMI comme la
conséquence d’une dissociation associée à des processus
synesthésiques (Irwin, 2000). Palmer (1974) suppose pour sa part
que la vision « externalisée » du corps écarterait l’angoisse de mort
liée. Il en va de même pour Oppenheim-Gluckmann (1996) selon
laquelle la phase de sortie hors du corps des EMI permettrait au
sujet de maintenir son sentiment d’existence en tentant de se
représenter sa propre mort. Pour Grof et Halifax (1977), l’EMI
pourrait aussi traduire une forme de réminiscence de la naissance
(tunnel, perception d’une lumière) du fait de l’hyperstimulation induite
par la proximité avec la mort.
Les travaux plus récents ont poursuivi l’hypothèse selon laquelle le
sujet s’extrait par l’EMI d’une situation difficile afin de se protéger
d’une expérience inélaborable (Greyson, 1983). Pascal Le Maléfan
(2001, 2010) envisage ainsi les EMI comme venant « parer l’effet
traumatique du sentiment de mort imminente » (p. 109) et permettre
de faire face au danger de la confrontation « à l’anticipation d’un trou
dans le réel » (p. 135). La rencontre avec la mort et sa propre
finitude engendrerait un « hallucinatoire salutaire » qui soutient la
relance de la subjectivité lors de situations critiques. Les
expériences de mort imminente apparaissent donc comme une
forme de solution face à des situations extrêmes dont nous allons à
présent décrire les processus à partir d’une dizaine de cas cliniques.

VÉCU AGONISTIQUE ET VIDE REPRÉSENTATIONNEL


Comme pour la plupart des expériences exceptionnelles, nous
retrouvons fréquemment, chez ceux qui ont vécu des EMI, des
situations difficiles dans l’enfance, comme l’illustre le cas de Julia :

Cas clinique : Julia


Julia est une femme d’une quarantaine d’années qui rapporte une EMI vécue à l’âge
de treize ans, dans un contexte de séparation amoureuse et suite à une tentative de
suicide. Elle s’est jetée du troisième étage et l’EMI se serait déroulée durant la chute.
Elle voit tout d’abord une lumière, très puissante, dans un lieu « infini où le temps
n’existe plus ». Elle se sent baignée dans une atmosphère d’amour tandis qu’elle
aperçoit au loin trois ou quatre « êtres qui flottent » et dont les visages sont cachés.
Ils resteront présents durant toute l’expérience comme s’ils « l’accompagnaient ».
Elle voit ensuite défiler des images de sa vie en étant spectatrice de son passé
« comme si [elle] baignait dans la scène ». Julia décrit cette expérience comme une
« seconde naissance » à partir de ce « bain d’amour » qui l’a profondément marquée
et qu’elle compare au début d’une relation amoureuse. Lors des entretiens, Julia
décrit de manière plus générale une mère très ambivalente qui alterne soins et
attitudes tyranniques. Par exemple, elle prenait un certain plaisir à se cacher pour
effrayer sa fille, ce qui était pour Julia une expérience terrorisante. Le contexte
familial était plus largement marqué par la violence maternelle et un père qui ne l’en
protégeait guère.

Deux autres femmes qui ont vécu une EMI, Bénédicte et Muriel,
pensent aussi avoir manqué d’affection au cours de leur enfance et
en avoir beaucoup en souffert. On peut s’interroger concernant la
qualité du lien entre ces femmes et leur mère, et comment celui-ci
leur a permis de développer ou non une fonction continue et
contenante de leur expérience subjective. Winnicott (1989) et Bion
(1962) ont largement insisté sur l’importance des soins maternels
pour la psyché dont une défaillance risque d’engendrer des
« terreurs sans nom » (Bion, 1962) ou des « terreurs agonistiques »
définies par Roussillon (1999) comme « un état de souffrance
psychique extrême, mêlé à une terreur de cet éprouvé ou de la
violence réactionnelle qu’il mobilise » (p. 141). Il peut en résulter un
vécu traumatique non représenté du fait de l’immaturité du moi
compte tenu de ses capacités d’intégration insuffisantes. Ces
terreurs agonistiques sont « sans issue, sans représentation, sans
possibilité de satisfaction » (Roussillon, 1999, p. 141) et le sujet n’a
d’autre choix que de se retirer de sa subjectivité comme défense
ultime face au vécu traumatique. Celui-ci induit une « mémoire sans
souvenir » qui garde la trace de ses effets sensoriels et émotionnels,
(Botella & Botella, 1990), une crypte traumatique formée d’une
énergie psychique non représentée et a-sensée.
On ne peut déterminer une relation de causalité linéaire entre ces
récits après-coup de la petite enfance et l’émergence ultérieure
d’expériences de mort imminente. Mais la récurrence de cette
thématique met en lumière la possibilité que certaines EMI puissent
être l’expression de terreurs agonistiques dans un contexte
psychologique ou somatique de crise. L’état de détresse intense
dans lequel se trouverait le sujet reconvoquerait ce « non vécu » qui
ferait ainsi retour dans la subjectivité10. Cette élaboration potentielle
gardera néanmoins la trace de sa dimension traumatique initiale et
menacera l’intégrité psychique. Une dialectique complexe
émergerait alors entre logique mortifère et processus symboligènes,
ce que donnent d’ailleurs à voir les expériences exceptionnelles de
manière plus globale, comme nous l’avons envisagé au cinquième
chapitre. Les EMI dites « négatives » pourraient représenter l’échec
de cette tentative d’élaboration qui confronterait frontalement le sujet
à ce retour de terreurs agonistiques. L’enfer dont il serait question
alors ne serait pas relatif à la vie après la mort mais davantage aux
premiers temps de la vie en tant que mémoire du passé en
recherche de représentation par l’intermédiaire d’une figuration de
l’au-delà.
Ces souffrances des liens subjectifs précoces peuvent aussi
engendrer un intense vécu de vide et d’effondrement (Winnicott,
1989). Les capacités représentatives sont en effet altérées par les
expériences traumatiques et donnent lieu à « un fonctionnement
psychique qui se trouve confronté à un vide et aux réactions contre
ce vide » (p. 103). Julia rapporte ainsi qu’avant son EMI elle
ressentait un profond sentiment de vide compensé par des
comportements autodestructeurs et une addiction à l’alcool. Sa
défenestration pourrait être interprétée comme une mise en acte de
cette confrontation au vide en tant que solution paradoxale pour
tenter de se défaire de ce vécu sur le mode du retournement passif-
actif (ce que l’on pourrait résumer ainsi : « mieux vaut maitriser un
saut dans le vide plutôt que subir passivement ce ressenti »). L’EMI
apparaît en outre lors d’une séparation amoureuse venant raviver
ses fragilités narcissiques précoces. Le cas de Simone illustre
également cette problématique dans un contexte familial difficile :

Cas clinique : Simone


Simone décrit un environnement familial insécurisant et marqué par une dépression
maternelle, marquée par plusieurs tentatives de suicide, ainsi qu’un père violent dont
elle craignait un passage à l’acte incestueux. Elle se souvient s’être très tôt trouvée
dans une quête de sens face à un sentiment de vide et de désespoir. A l’âge de vingt
ans, Simone développe de graves troubles anorexiques. Elle ne pèse plus que 32 kg
et se décrit comme étant dans un état physique « délabré ». C’est dans ce contexte,
au cours de l’été, qu’elle se réfugie dans une église pour boire et s’abriter de la
chaleur. Il lui vient même l’envie de « boire l’eau du bénitier ». Mais alors qu’elle
rentre dans l’église, elle se trouve aussitôt « prise dans un autre monde ». Elle
ressent une lumière « chaleureuse et incroyable » tandis que l’espace qui l’entoure
devient lumineux. Elle a l’impression de communiquer de « pensée à pensée » avec
un être présent à ses côtés. Cet être la « comprend totalement », reconnaît la quête
de sens qui l’anime et l’encourage à suivre « le sens de la vie ». Simone éprouve
alors une joie immense et une « énergie incroyable » comme si son corps
« revivait ». Elle ressent dès lors une forme de « guérison immédiate », reprenant
rapidement du poids dans les jours qui suivent. Ce sera la fin de son anorexie et le
début d’une nouvelle vie marquée par la reprise de ses études.

L’anorexie peut ici être interprétée comme une solution extrême qui
passe par un « vide contrôlé » de l’alimentation et de ses effets sur
le corps (Roussillon, 1999). L’anorexie assèche la psyché et la
chaire afin de se cliver des affects traumatiques. On remarquera que
Simone éprouve d’ailleurs un soudain besoin de boire qui la conduit
à se rendre dans cette église. S’agit-il d’une tentative de transcender
« l’assèchement » qui l’anime lors d’une EMI vécue au sein d’une
église ? L’EMI apparaîtrait ainsi comme un processus venant
combler le vide ou le trou représentationnel conséquence d’un vécu
agonistique.
On remarquera également qu’un nombre conséquent d’EMI se
produit dans un contexte psychologique particulier. On repère
fréquemment des événements de vie négatifs survenant quelques
temps avant l’expérience comme nous l’avons souligné avec le
modèle de la solution paranormale11. Par exemple, Julia tente de
mettre fin à ses jours après une séparation, Muriel vit une EMI peu
de temps après son divorce, de même que Bénédicte dont l’EMI se
produit du fait du désespoir induit par la séparation d’avec ses
enfants. Quant à Irène, l’EMI a lieu alors qu’elle essaye de se
« défaire des griffes » d’un mari violent. La prise en compte du
contexte subjectif global de ces expériences donne le sentiment
qu’elles émergent quand les capacités d’élaboration du sujet sont
débordées. Il se produit alors un passage à l’acte, une mise en
danger ou une situation critique à la faveur desquels émerge l’EMI
comme dans le cas d’Isaac12 :

Cas clinique : Isaac


Isaac a vécu une EMI lors d’un épisode dépressif suite à son divorce. Alors à
l’étranger, il sort par de fortes températures négatives et reste allongé pendant une
vingtaine de minutes dans la neige. Tandis qu’il a l’impression que le temps se
rétrécit, il sent une odeur d’hôpital alors qu’il est transporté dans une l’ambulance en
état d’hypothermie. Il éprouve ensuite un profond sentiment de bien-être et
l’impression de flotter. Il perçoit ensuite un tunnel avec une lumière blanche et
bleutée dans lequel il « avance » durant quelques minutes avant de se sentir
submergé par cette lumière. Malgré sa peur, Isaac se rappelle du sentiment de bien-
être associé à ces couleurs blanche et bleue. Il s’est senti « déconnecté » les jours
suivants, ne comprenant guère la nature de cette expérience lui ayant donné le
sentiment qu’il était au ciel.

Irène décrit pour sa part différentes maladies qui ont « failli la tuer »
tandis que René évoque de multiples accidents de voiture. De la
même manière, Simone est gravement malade et sent « la mort
arriver » quand se produit son EMI, tandis qu’Irène est considérée
comme mourante lors de son expérience. On est donc frappé, dans
la rencontre avec ces personnes, de constater la fréquence des
expériences aux frontières qui ont marqué leur existence, aussi bien
dans l’enfance qu’à l’âge adulte. On se souviendra dans cette même
optique que l’EMI n’implique pas nécessairement une menace
« réelle » de mort sur le plan somatique comme nous l’avons déjà
évoqué. Certaines personnes rapportent en effet cette expérience
lors de situation de danger potentiel et avant même tout impact
physique corporel lié à la situation » (par exemple, lors d’une chute),
voire même indépendamment de tout contexte dangereux pour
l’intégrité physique. L’EMI s’avère donc avant tout un vécu subjectif
de mort imminente qui souligne l’importance de la dynamique
subjective à son origine et tempère la pertinence des hypothèses
neurobiologiques de nature réductionniste13.

POTENTIALITÉ SYMBOLIGÈNE
ET RELANCE DE L’ACTIVITÉ REPRÉSENTATIVE

La mise en symbolisation des expériences traumatiques semble


alors possible à la faveur de l’EMI. Par exemple, Irène se voit lors de
son EMI en trapéziste prête à sauter au-dessus du vide. On retrouve
ici le vécu d’effondrement et de vide ainsi que sa tentative de
représentation par le lâcher-prise et la recherche de soutien. Quant
à Bénédicte, elle se décrit prisonnière d’une « brume épaisse » de
laquelle émergent des images « terrifiantes » et « inimaginables »
qu’elle peine à retranscrire par des mots. Les situations rencontrées
varient grandement d’un sujet à l’autre et la plupart ne se
caractérisent pas tant par la résurgence du vécu traumatique,
comme nous l’avons vu pour les abductions, que dans son
élaboration par l’intermédiaire d’une forme de contre-investissement.
Ces personnes décrivent rarement un vécu traumatique de
néantisation mais plutôt une expérience positive et rassurante pour
la majorité d’entre elles. L’EMI semble donc davantage obéir au
principe de plaisir sur le mode suivant : « Je souhaite être bien, je
souhaite être rassuré(e) » selon les mêmes processus que le rêve,
même si les déformations et l’étrangeté paraissent moins
prévalentes. Les métaphores sont en effet plus claires, plus
explicites. Dans le cas d’Hélène par exemple, l’EMI se concrétise
par une promenade dans une clairière apaisante. Les EMI semblent
ainsi mettre en scène les éléments traumatiques de même que leur
tentative d’élaboration comme dans un rêve mais selon un espace
psychique qui les distingue de l’activité onirique et qui relève
davantage d’une forme « d’hyper-réalité ».
Les éléments qui composent l’EMI témoignent alors de ce processus
de symbolisation du trauma selon une réponse graduelle en fonction
de la profondeur de l’expérience. Cela se traduit tout d’abord – dans
environ un quart des EMI (Van Lommel et al., 2001) – par une sortie
hors du corps. Nous avons souligné au chapitre précédent l’étrange
paradoxe dans lequel est alors pris le sujet : il doit à la fois survivre
psychiquement et physiquement. S’il ne dissocie par le Moi-sujet de
la scène, le psychisme court le risque de l’éclatement et le fait d’être
marqué au fer par la situation traumatogène. Mais les chances de
survie diminuent s’il s’en coupe entièrement ce qui conduit à un
compromis prenant la forme d’un processus en « flight and fight »
(Evrard, 2020). Comme évoqué au chapitre précédent, la sortie hors
du corps apparaît également comme la représentation externalisée
d’un double de soi qui vient représenter le processus réflexif lui-
même (Jung & Roussillon, 2013), ce qui se présente comme une
étape préliminaire au travail de symbolisation de l’EMI par un
phénomène plus global de « prise de recul ». Plusieurs éléments
phénoménologiques des EMI semblent en effet correspondre au
déploiement du processus de symbolisation par une auto-
représentation des processus réflexifs. Ainsi, la revue de vie parfois
décrite peut être interprétée comme une « reprise » ou un « retour »
particulièrement intense de l’ensemble de la vie psychique du sujet
comme illustré par le cas d’Irène :

Cas clinique : Irène


Irène, âgée d’une cinquantaine d’années, décrit une EMI survenue vingt-cinq ans
auparavant. À l’époque, elle ressent, une nuit, une immense douleur qui la conduit à
une hospitalisation et au diagnostic de méningite virale. Après quelques jours à
l’hôpital, elle a l’impression d’être propulsée sur une plateforme, au-dessus du vide,
dans un « immense ciel bleu » d’où elle peut voir les étoiles et la Terre. Un être
apparaît à ses côtés qui lui explique que son rôle est de l’accueillir dans « l’amour
universel ». Il la rassure concernant le fait qu’elle est une « bonne personne ». Elle
rencontre ensuite un guide qui s’enquiert des causes de sa venue. Elle se trouve
alors « baignée » par les images de sa vie, en particulier les échanges avec son
bébé et des scènes de violence conjugale. Elle peut aussi observer de l’extérieur une
scène de viol « comme elle s’était déroulée » et dont elle fut la victime à
l’adolescence. Elle avait partiellement oublié cet épisode traumatique dont la
reviviscence provoqua chez elle un grand soulagement. Irène compare cette revue
de vie à une « psychanalyse express » qui l’aida à accepter et comprendre plusieurs
épisodes difficiles de son existence.

Bénédicte et Julia rapportent également cette revue de vie qui leur a


permis d’être observatrices de plusieurs scènes du passé14. Ce
processus illustre la reprise réflexive de vécus traumatiques et son
cortège d’effets cathartiques. Une expérience partiellement intégrée
psychiquement semble ainsi ressentie dans sa totalité, produisant un
sentiment de soulagement. Le parallèle avec le travail
psychothérapique est ici flagrant – il est même nommé explicitement
par certains patients comme Irène – car celui-ci conduit de même à
une « revue » d’expériences du passé laissées en souffrance. Ce
processus semble amplifié lors d’une EMI par son intensité, sa
rapidité et l’état modifié de conscience dans lequel se trouve le sujet.
Ce contexte favorise une très grande labilité psychique qui participe
d’une potentialité thérapeutique. À noter également la valeur de
narrativité et de scénarisation induite par cette succession de
séquences de vie dont la dimension externalisée et panoramique
permet à la personne de prendre du recul sur son existence, ce qui
participe du processus symboligène.
Ce travail de réflexivité qui caractérise les EMI se traduit également
par la présence de « guides » ou d’« êtres » bienveillants associée à
un amour inconditionnel. Ainsi, René est-il accueilli par « un guide »
dont émane « une compassion exceptionnelle » qui « irradie par son
amour » et qui « connaît et comprend tout de vous ». Julia rapporte
avoir « baigné dans un bain d’amour » avec « l’être aimé », tandis
que Simone et Bénédicte expliquent avoir connu « l’amour universel
et sans limite » dans un échange « de pensées à pensées » avec
une présence bienveillante. Ces êtres à la sensibilité accrue et à
l’amour infini ne sont pas sans faire penser à la figure maternelle des
premiers temps de la vie que Freud nomme le Nebenmensch (« la
personne bien au courant »). Cette relation primitive en double,
constitutive des arcanes de la psyché humaine, semble donc
convoquée lors de l’EMI. Celle-ci met en scène un double
transitionnel, « un double de soi, un autre semblable, à la fois même
et différent de soi » (Jung & Roussillon, 2013, p. 1043). Ce double a
ici un caractère transcendant qui établit les conditions nécessaires à
l’appropriation subjective de l’expérience. Il fait office de médiateur,
de médium, vers l’expérience propre du sujet et implique pour cela
son auto-représentation de l’espace psychique particulier au sein
duquel se déroule l’EMI.
DIDIER ANZIEU ET LA GUÉRISSEUSE : DE LA PLACE DU
DOUBLE DANS L’AUTO-ANALYSE

Didier Anzieu (1923-1999) pourrait être considéré comme l’un des précurseurs de
l’approche psychanalytique des expériences exceptionnelles. En effet, au-delà de son
exploration des premières formes de symbolisation avec les notions d’enveloppes
psychiques, de Moi-peau et de signifiants formels qui mènent naturellement vers ces
thématiques, il a dirigé la thèse de Djohar Si Ahmed intitulée Parapsychologie et
psychanalyse (1990). Dans un très beau texte publié à l’automne 1993 dans la
Nouvelle Revue de Psychanalyse, « L’esprit, l’inconscient », sous-titré, « Contribution à
une méthode d’auto-analyse », il explore lui-même cette thématique à partir du constat
que « le traitement psychanalytique est sans fin » et que l’analyste est donc conduit à
poursuivre le travail de symbolisation par l’intermédiaire de phases d’auto-analyses
comme Freud l’avait fait avec l’interprétation de ses rêves. Existe-t-il alors des
« séances de psychanalyse sans psychanalyste », s’interroge Anzieu ? Par exemple,
l’écrivain construit un espace imaginaire qui « fournit le cadre matériel dans lequel un
processus auto-analytique va pouvoir se dérouler ». Ces questionnements font écho à
la clinique des expériences exceptionnelles : dans quelle mesure induisent-elles des
mouvements originaux d’auto-analyse ? Quelle est la place de l’autre et du double
dans ce travail de symbolisation extrême que l’on trouve en particulier dans les sorties
hors du corps et les expériences de mort imminente ?
Ces questionnements sont mis au travail par Anzieu à partir de sa rencontre avec une
jeune collègue, Eiffel, qui lui parle d’une guérisseuse qui « à quatre heures du matin
pense intensément à des personnes dont on lui a donné le nom et l’adresse, et, je
crois, la profession. […] La cure dure vingt-et-un jours à la suite de laquelle une
amélioration de l’état du destinataire semble se manifester ». Anzieu accepte qu’Eiffel
transmette ses coordonnées à cette personne dans le but d’être guéri de ses
problèmes de santé, en particulier de son Parkinson. Il explore alors ce désir de
guérison et note chaque jour son vécu nocturne à partir de l’intervention de la
guérisseuse. Il explique ainsi dès la deuxième nuit : « Je ne crois pas aux esprits, mais
il faut que je sois honnête avec moi-même : j’y crois sans y croire. Je sais bien qu’ils
n’existent pas, mais quand même, ils peuvent manifester leurs effets ; la preuve, c’est
que dès la seconde nuit cette inconnue qui pense à moi, ou plus exactement dont je
pense qu’elle pense à moi, me fait du bien ». Anzieu s’interroge : « Comment ça se
passe en moi pour que ça se passe ainsi ? Comment ça se passe dans la vie
psychique de cette femme ? Ou ça se passe ? ».
La huitième nuit arrive et Anzieu raconte cette expérience qui évoque une EMI : « Je
me vois pris dans le faisceau d’une torche qui m’éblouit et me cache l’émetteur. Je suis
inondé de lumière. Comme les mourants, paraît-il ? […] Je revois la vision du monde
extérieur au moment de ma naissance : je suis aspiré par la lumière. Je me rendors,
l’esprit calmé, lavé, purifié par ce bain de clarté. Mais je ne me sens pas encore
illuminé : il me reste beaucoup à comprendre » (p. 156). Anzieu suppose alors que la
guérisseuse est « une figure de l’analyste, une forme vide, une sphère de projection.
Et peut-être un cadre constituant de l’auto-analyse ? (p. 157). Il explique qu’elle
« l’entretenait dans un fantasme passif de tout-petit porté dans les bras de la mère »
(p. 158). Nous arrivons à la dix-septième nuit qui plonge Anzieu dans des
interrogations transcendantales : « L’esprit est-il à l’origine ou au terme de l’univers ?
Indécidable. […] L’esprit absolu est-il immobile, attractif, providentiel, indifférencié ?
Sommes-nous une étincelle provisoire de ce feu éternel ? À quand l’extinction des
feux ? » (p. 159). Arrive enfin la dernière nuit qui produit chez Anzieu un soulagement
le menant à des décisions dont il garde le secret partagé avec cette inconnue qu’il ne
rencontrera jamais. Une figure du double semble ainsi, par sa simple présence et
connaissance, participer de ce travail d’auto-analyse. Celui-ci est peut-être favorisé
lorsque ce double est figuré de manière hallucinatoire dans les EMI.

Cette figure archaïque devient dès lors le vecteur des formes


extrêmes du processus de symbolisation. Les termes utilisés par ces
personnes gardent d’ailleurs la trace de ces premières formes de
communications primaires : sa dimension ineffable, en deçà du
langage, affective et par télépathie. C’est la rencontre avec la figure
du grand Autre, omnisciente, qui déborde le sujet, dans une période
originaire de la vie psychique non encore organisée par les
catégories du temps et de l’espace. Une figure qui rassure, qui
accompagne, qui anticipe et qui ouvre la voie – en état de pré-
occupation maternelle primaire – comme dans ce que décrit Irène.
La valeur essentielle de cette représentation d’un double
transcendant n’est pas tant la fonction miroir que la capacité de
contenance affective dans un espace transitionnel et indifférencié du
registre du trouvé-créé. C’est dans cette conversation partagée et
retrouvée avec l’objet primaire que l’activité symbolisante et
l’appropriation subjective peuvent alors se déployer d’une manière
extrême et originale.
De nombreuses personnes décrivent ensuite la sensation de
« devenir le grand tout » ou « d’appartenir à l’univers » comme si
elles quittaient le monde fini de la conscience ordinaire pour se
plonger dans les espaces infinis aux origines de l’être. Il se produit
ainsi une dissolution du sujet que l’on retrouve dans les expériences
mystiques : René a l’impression « de ne plus être sujet » tandis que
Bénédicte ressent un profond sentiment « d’unité » et comprend
soudainement que « chaque partie est le Tout ». Irène et Simone
rapportent une « compréhension infinie et universelle » associée à
un sentiment de plénitude. René explique comment cette
connaissance lui est transmise depuis son EMI par l’intermédiaire
« de tableaux mentaux » sur lesquels défilent à grande vitesse une
quantité « inimaginable » d’informations touchant à tous les
domaines possibles. Bénédicte décrit pour sa part des « packages
de connaissances » qu’elle sentait se « décompresser » en elle
durant l’EMI. Il est ainsi fréquent que le sujet rapporte l’impression
d’avoir pu accéder à un savoir illimité dont ne reste qu’une trace
partielle dans l’après-coup. Ce vécu mélange habituellement un
sentiment de plénitude et une dimension scopique exacerbés. Il est
décrit par Romain Rolland et Freud (1930) comme un « sentiment
d’union indissoluble avec le grand Tout et d’appartenance à
l’universel » (p. 250) interprété comme une régression au
narcissisme primaire et à une non-différenciation entre soi et autrui.
Le Moi est en effet le fruit d’un processus de métabolisation
psychique qui conduit à notre expérience subjective délimitée dans
l’espace et le temps. Comme l’a notamment souligné Piera
Aulagnier (1975), ce processus de métabolisation est constamment
présent en toile de fond de l’activité représentative et s’étaye sur les
pictogrammes, ces premières briques de la construction psychique.
L’EMI apparaît comme une déconstruction de ces catégories
habituelles de la psyché pour revenir aux processus originaires, ce
qui conduit Anne Vernet-Sévenier (2017) à évoquer un « syndrome
de relance originaire » relatif à ces expériences. Celles-ci s’étayent
probablement sur une inhibition des processus secondarisés du Moi
et n’est donc pas tant un « en plus » qu’un « en moins ». Cette
dissolution des catégories usuelles de l’expérience subjective
conduit le sujet aux racines de l’activité psychique dans le but de
fonder un nouveau rapport à sa subjectivité (Aulagnier, 1975 ;
Mijolla-Mellor, 2004).
L’accès à ce fond représentatif originaire engendrerait-il ce
sentiment de « renaissance » dont témoignent Bénédicte et Julia qui
affirment avoir vécu une « deuxième naissance » ? René Roussillon
(1999) note que la régression temporelle permet au sujet un retour à
l’origine dans le but de se « ré-originer ». Ainsi, « à travers le voyage
régressif dans les méandres de l’histoire, il se pourrait que le rapport
subjectif à soi-même s’en trouve être bouleversé » (p. 41). L’EMI
symboliserait alors la relance du processus de symbolisation lui-
même. On pourra noter de ce point de vue que le tunnel décrit par
certains expérienceurs n’est pas sans faire penser, sur le plan
imaginaire, au « tunnel » de la venue au monde15. L’EMI est alors à
penser dans sa dimension régressive et son articulation au champ
des origines. Le fait que le sujet en réanimation se trouve dans une
position très régressive (perfusé, oxygéné, immobilisé, etc.), à
l’image de l’enfant dans le ventre de la mère, n’est probablement
pas étranger à cela. La réanimation, et la fin possible de la vie
qu’elle laisse parfois entrevoir, semblent ainsi invoquer le potentiel
des origines comme dans les expériences d’abduction.

FORMES EXTRÊMES DE SYMBOLISATION


ET PROCESSUS TRANSFORMATIONNELS

Les EMI représentent une forme extrême des logiques de


symbolisation qui opèrent dans l’ensemble des expériences
exceptionnelles. Elles induisent en effet fréquemment chez ceux qui
les vivent une impression de profonds remaniements quant à leur
vision du monde, leurs croyances et leurs valeurs (Sutherland,
1990 ; Van Lommel, 2012). Renaud Evrard (2013) fait l’hypothèse
que la relance de la subjectivité qui opère lors d’une EMI
« appartient autant à l’épisode d’inconscience, lorsque l’individu se
perçoit mourant, qu’à des réélaborations ultérieures dans l’après-
coup » (p. 168). À noter que la comparaison avec des personnes
ayant approché la mort, mais sans EMI, montre qu’il existe des
effets après-coup caractéristiques de ces dernières (Klemenc-Ketis,
2013; Van Lommel et al., 2001). Les personnes ayant vécu une EMI
témoignent fréquemment de ces transformations comme Louise et
Idriss :

Cas cliniques
Louise rapporte ce qui va suivre onze ans après son expérience. Elle a dix-sept
ans et demi quand elle est hospitalisée pour une banale extraction dentaire.
L’opération tourne mal et dure finalement plus de deux heures. Au cours de celle-
ci, Louise a le sentiment de devenir consciente et perçoit autour d’elle une
« gigantesque bulle de couleur comme celles que l’on fait avec du produit
vaisselle ». Elle se voit allongée d’en haut avec des personnes qui s’agitent
autour d’elle. Elle peut raisonner normalement même si elle se sent détachée de
la situation. Elle n’a ni mal ni peur alors qu’elle est habituellement de nature
anxieuse. Elle découvre qu’elle peut se « déplacer » dans les couloirs de l’hôpital
et se rend compte que les autres personnes ne peuvent lui répondre, hormis un
jeune homme qu’elle tentera en vain de retrouver ultérieurement. Elle échange
avec lui et lui demande s’ils sont morts, celui-ci lui répond qu’il ne sait pas. Louise
se retrouve ensuite dans un état très particulier dans lequel le temps s’écoule
différemment. Elle peut également voir « tout ce qu’elle voulait ». Par exemple,
elle pense à l’Égypte et se retrouve instantanément dans un paysage égyptien.
Louise est plongée dans un coma artificiel durant les quinze jours suivant
l’intervention. Elle est comme dans un « trou noir » explique-t-elle, dont elle garde
quelques « souvenirs » : berceuse de sa mère, paroles des infirmières, odeur
d’un parfum, etc. Elle se rappelle s’être dit à plusieurs reprises « il faut que tu
vives, il faut que tu respires », avant de se sentir à nouveau partir dans les limbes
de l’inconscience. À son réveil, elle ne parvient pas à parler et ne comprend pas
ce qui lui est arrivé. Une part « rationnelle » d’elle-même résiste à ce qu’elle a
vécu, explique-t-elle. Quelques jours plus tard, elle rencontre une psychologue du
service à qui elle essaye de parler de cette expérience. Celle-ci lui répond qu’il
s’agit des « effets de la morphine ». Louise n’est pas convaincue d’autant qu’elle
ressent de profonds effets après-coup. Elle dit en particulier se sentir dans un état
de « pleine conscience » qui se traduit par le fait que les expériences sensorielles
lui paraissent plus intenses. Elle ressent également un profond besoin de faire
« don d’elle-même ». Des relations conflictuelles avec sa mère s’apaisent suite à
cette expérience, favorisant chez elle un sentiment de paix intérieure, de pardon
et d’amour. Sa peur de la mort diminuera également dans les suites de cette
expérience. Elle explique avoir eu de « bons et de mauvais souvenirs du séjour
en réanimation » mais qu’au final elle avait surtout des « beaux souvenirs »
qu’elle voulait « absolument conserver ».
Idriss décrit une EMI qui se déroula alors qu’il traversait une période délicate de
sa vie. Sa petite amie venait de le quitter et sa situation familiale et
professionnelle était difficile. Suivi par un psychiatre, il rencontrait d'importantes
difficultés relationnelles. Il était facilement « blessé par les paroles d'autrui » et se
trouvait en souffrance dans son emploi d'enseignant. Il se trouvait ainsi « au bout
du rouleau » et se sentait comme s'il était « mort dans sa tête ». C’est dans ce
contexte qu’il prend en stop un homme religieux, fort affable, qui lui propose de
lire le livre La vie des maîtres et lui dit « le soir vous pouvez vous mettre en
résonance si vous le voulez ». Idriss achète le livre et le soir venu, alors qu’il
s’apprête à s’endormir, il commence soudainement à ressentir de la joie. Il voit
une lumière blanche « très vive » qui selon lui « représentait ses difficultés ».
Tandis que la lumière grossit, il est troublé et se dit « Je fais quoi, j'y vais à fond
? ». Le lendemain matin, en se réveillant, Idriss se sent transformé. Sa
dépression et ses problèmes relationnels semblent s’être largement atténués.
Son psychiatre, selon les dires d’Idriss, parle de « miracle » et le dit « rajeuni et
méconnaissable ». Il a l'impression d'être devenu lui-même, d'être enfin
« entier ». Il arrête même de fumer et se met au sport. Il commence également à
peindre des paysages et à faire un peu de musique alors qu’il n’était pas porté
sur les activités artistiques. Cet « état de grâce » comme il le nomme durera
quatre à cinq ans. Depuis, Idriss aimerait revivre l’expérience initiale à l’origine de
sa « transformation ». Il pense en particulier que cette expérience montre que
nous avons tous en nous une « puissance supérieure ».

De la même manière, Simone souffrait d’anorexie depuis plusieurs


années et parviendra à s’en dégager après une EMI lors de laquelle
elle sentit son corps « revivre ». Irène décide après son EMI de
quitter son mari, prenant conscience de la détresse dans laquelle la
plongeaient ses relations conjugales. Quant à Julia, elle fait son
coming out suite à son EMI, ce qui la soulagera alors « d’un grand
poids ». Irène estime être devenue plus « vraie » et avoir développé,
après l’EMI, une plus grande tolérance aux autres. Elle déclare
également avoir acquis une vision différente de la vie et accorde une
plus forte importance aux signes donnés par l’existence, ce qui se
traduit par l’impression de mieux contrôler les événements suite à sa
rencontre avec « le grand Tout ». Il n’est pas rare que cette
rencontre induise un attrait marqué pour les philosophies orientales
comme le bouddhisme qui semble faire office d’enveloppe culturelle
à l’expérience. Simone et Bénédicte évoquent ainsi un « refuge » et
une voie spirituelle dont l’objectif serait un éveil permettant de vivre à
nouveau les ressentis de l’EMI. Cet attrait pour le spirituel est
également associé à une absence de peur de la mort quasiment
pathognomonique de l’EMI. Cette absence de peur peut être
interprétée comme un effet après-coup de la force de l’expérience
qui vient jusqu’à transformer et diminuer les angoisses de castration.
À noter enfin que les sujets qui ne décrivent pas ces effets
transformateurs ont habituellement vécu une EMI « en surface »,
comme Lucien qui n’a pas eu l’impression de sortir de son corps, n’a
pas senti de présence à ses côtés et n’a pas vécu de sentiment
océanique. Le processus réflexif nécessaire au processus de
symbolisation ne se serait-il pas déployé suffisamment ?
On remarquera cependant qu’il est délicat de distinguer le
changement « réel » de son récit après-coup. L’expérience en elle-
même semble l’objet d’un travail de scénarisation et de reprise entre
son émergence en service d’hospitalisation et son récit plusieurs
années plus tard (Rabeyron & Minjard, 2019). Il est donc essentiel
de distinguer le changement « subjectif », venant potentiellement
étayer le narcissisme, et le changement « réel », que ce soit dans le
rapport du sujet à lui-même ou aux autres, d’autant que des travaux
menés dans le champ du trauma soulignent un écart entre
changements perçu et objectivé (Frazier et al., 2009). Seules des
études longitudinales sur de larges populations permettraient de
répondre plus avant à cette question comme cela a été tenté par
l’équipe de Pim Van Lommel (2012). La difficulté réside cependant
dans le fait que les réponses des sujets pourront être biaisées par
l’importance que peut prendre l’expérience dans leur vie et la
dimension idéologique qui lui est parfois associée.
Le monde des EMI n’est pas pour autant un long fleuve tranquille et
cette expérience peut s’avérer source de profondes souffrances
(Greyson & Evans Bush, 1992). Un faible pourcentage des EMI peut
ainsi engendrer un vécu terrifiant, et l’intégration après-coup de ces
EMI négatives est d’autant plus pénible que le sujet a le sentiment
d’avoir été confronté à une vision infernale qu’il redoute
profondément16. Comme nous l’avons évoqué précédemment, ces
EMI négatives pourraient résulter d’une forme avortée ou ratée de
symbolisation d’expériences traumatiques (comme dans un
cauchemar) et les retombées de l’expérience pourront parfois être
négatives elles aussi. Par exemple, Bénédicte et Julia referont des
tentatives de suicide dans le but de revivre l’état de félicité extrême
de l’EMI, ce qui vient d’ailleurs nuancer une étude de Greyson
(1981) selon laquelle l’EMI aurait une valeur protectrice contre le
risque de récidive suicidaire. Ce destin variable du vécu et des
conséquences des EMI provient peut-être du fait que le potentiel
symboligène de l’expérience est en attente du passage par un objet
« autre-sujet » pour déployer pleinement ses effets (Roussillon,
2014). Quand ce processus ne peut avoir lieu dans de bonnes
conditions, il fragilise et entrave le devenir de ce potentiel. Ainsi,
plusieurs de ces personnes ont gardé l’EMI secrète ou se sont
trouvées confrontées à un rejet de leur expérience que ce soit par le
personnel médical ou leurs proches. Cela participe d’un phénomène
d’auto-censure qui empêche l’appropriation subjective de
l’expérience et conduit ces personnes à se rapprocher d’autres
expérienceurs. René explique ainsi comment le récit de son
expérience fut vécu comme une « délivrance » qui lui a permis « de
faire sauter des verrous et ouvrir des portes ». Pour Julia, aborder ce
vécu provoqua « un énorme déclic » et elle « sentit se briser le lien
entretenu à la mort ». Quant à Simone, elle fera de nombreuses
recherches dans le but de comprendre son expérience ce qui la
conduira à entamer une analyse afin de mettre « du sens » sur son
vécu.
Ainsi, lorsque certaines conditions de l’expérience et son élaboration
après-coup sont réunies, certains cas cliniques amènent à penser
que les EMI produisent des processus transformationnels donnant
lieu parfois à de véritables métamorphoses subjectives. Celles-ci
résulteraient d’une articulation complexe entre facteurs
neurobiologiques et psychiques. Par exemple, la diméthyltryptamine
(DMT), comme nous l’avons déjà évoqué, pourrait être relâchée par
la glande pinéale lors d’une EMI (Strassman, 2001). Peut-être même
existe-t-il des variations génétiques d’une personne à l’autre
concernant cette « chimie exceptionnelle » du cerveau. Ce
mécanisme de survie psychique, induit par un stress intense,
engendre probablement une réaction biologique spécifique. Celle-ci
produit à son tour une porosité psychique exacerbée qui ouvre la
voie à des processus de « symbolisation originaire » déployés en
cas d’extrême nécessité sous forme de « courants à haute tension »
psychique (Si Ahmed, 2006). Cette médiation par le biologique
engendrerait une labilité qui favorise les remaniements psychiques
et les processus de transformation selon une double logique de
processus régrédients et progrédients comme l’illustre le schéma
suivant :
Symbolisation et EMI

Dans cette perspective, il paraît essentiel, comme le note Greyson


(2007), que le taux de récidives de suicide après une expérience de
mort imminente est habituellement réduit17. Ainsi, ce processus de
survie psychique ne viserait pas simplement à sauvegarder l’intégrité
psychique du sujet lors d’un état de stress intense, il aurait
également pour fonction de favoriser ces formes extrêmes de
symbolisation. Les EMI apparaissent ainsi comme un « bouton
reset » permettant à la psyché de se réorganiser lors de situations
critiques prenant la forme d’une symbolisation de la dernière chance.
Ce processus induit au passage un rappel de traumas antérieurs
non élaborés et devient dès lors une « expérience de transformation
imminente ». Ce mécanisme de survie sera d’autant plus fort que les
conditions extérieures le nécessitent comme en témoigne le fait que
l’expérience sera plus riche phénoménologiquement si le sujet a été
réellement proche de la mort (Greyson, 2003). L’EMI apparaît ainsi
comme une expérience de réanimation psychique qui permet de
« réanimer » la psyché en parallèle de la réanimation du corps qui lui
est parfois simultanée.
De manière à détailler la compréhension de ces processus
transformationnels et la manière dont ceux-ci engendrent des
métamorphoses subjectives, les travaux de Wilfred Bion (1965)18, et
plus précisément son usage de la notion de transformation,
s’avèrent très utiles. Bion propose une typologie des processus de
transformation qui le conduit progressivement à sa célèbre grille
(Rabeyron, 2018, 2019)19. Le rêve est pour Bion la modalité
essentielle par laquelle émergeront ces processus de
transformation. Le rêve de nuit est ainsi conçu comme une forme
partielle du processus du rêve qui opère en toile de fond de la
psyché aussi bien de nuit que de jour. Le rêve traduit l’expérience et
Bion cherche à comprendre comment s’articule ce processus avec la
production de la pensée permettant de passer d’un espace infini
(inconscient) à un espace fini (conscient). L’EMI serait une forme de
régrédience à ces espaces infinis qui témoignerait de manière
inversée de ces processus de transformation onirique.
À l’issue de sa description des différentes transformations
psychiques, Bion en arrive à leur point d’origine qu’il désigne par le
terme O pour Origine. Cette notion prolonge et étend « l’ombilic du
rêve » évoqué par Freud comme contact à l’inconnu. Bion décrit ce
O de manière métaphorique sous forme du Dieu fleuve Alphée « qui
se cache sous la terre et qui de temps en temps ressurgit ici et là »
(p. 111). À mesure que l’on plonge dans les formes les plus
originaires et les plus obscures de la vie psychique, les contrées
rassurantes de l’objectivité rencontrent ainsi les espaces
indéterminés du subjectif pur. La définition des mots tend à se
diffracter sous le poids de la multiplicité des sens possibles et le O
renvoie à une constellation de significations qui ne sauraient être
réduites à un signifiant univoque20 : chose en soi, vérité, Dieu,
divinité, réalité ultime, infini, langue, réel, noumène, forme
platonicienne, inconnu, l’Un, Unus mundus, grand Autre, etc. Bion
développera un intérêt croissant pour la mystique, soulignant le fait
que l’humain est incapable d’accéder à la divinité, mais qu’il peut
néanmoins s’en rapprocher à travers la mystique et la poésie : ce
que l’on ne peut dire par les mots, on peut tenter de le devenir aux
frontières de l’expérience subjective.
La même logique opère dans les expériences de mort imminente qui
apparaissent comme une forme de contact avec le O. Dans cette
optique, la lumière souvent rapportée au bout du tunnel évoque les
peintures de William Turner. Lawrence Brown (2019) remarque à ce
propos que « Turner semble focaliser ses impressionnantes
capacités artistiques comme s’il avait pour mission de découvrir
l’essence de la lumière » (p. 124), ses derniers mots sur son lit de
mort étant d’ailleurs : « Le soleil est Dieu »21. Brown s’appuie sur la
notion de sublime – mélange de terreur et de beauté hors norme –
pour décrire la rencontre avec O qui caractérise les œuvres de
Turner. De même, pour Kant, le sublime transcende les sens et
conduit à l’expérience d’un monde infini émergeant du néant. Cette
rencontre avec O est ainsi marquée d’un paradoxe : « Nous pouvons
connaître l’océan à travers nos sens en plongeant nos pieds dans
l’eau salée mais l’étendue de l’océan est une idée qui ne peut être
l’objet de l’expérience sensorielle, car elle n’a ni contour ni limite »
(Brown, p. 127). Bion distingue ainsi les expériences associées à
une connaissance délimitée (transformation en K) des expériences
intuitives relatives à l’infini (transformations en O)22. Ce sublime et
cette lumière, souvent rapportés dans les EMI, signeraient donc une
expérience émotionnelle de contact avec O permettant l’émergence
de nouvelles représentations.
Bion essaya plus globalement de « restituer dans le langage de la
psychanalyse ce que le mystique ou le religieux expriment de vrai
dans leur langage idiosyncrasique » (Civitarese, 2018, p. 152). Il
rejoint ici Heidegger dans une tentative de théorisation du fond pré-
réflexif d’où émerge la subjectivité (Marceau, 2001). Le paradigme
bionien implique donc une théorie intersubjective de l’origine du
concept qui souligne la non-existence d’un « fond » objectif du réel,
lui préférant une spirale intersubjective et onirique située à la source
du processus de subjectivation. Cette notion de fond onirique est
également présente chez Merleau-Ponty (1954) qui décrit dans
L’institution, la passivité « un fond onirique à toute perception ».
Bachelard (1957) évoque également, dans sa Poétique de l’espace
le fait que « toute image a un fond onirique insondable et c'est sur ce
fond onirique que le passé personnel met des couleurs
particulières (p. 33). Nous avions déjà tenté d’aborder la nature de
cet « espace psychique » au chapitre précédent avec les notions
d’espace potentiel ou virtuel. Les expériences de mort imminente
traduiraient également cet accès à ce fond onirique et pré-réflexif qui
ne pourra se déployer entièrement que lors d’une reprise
intersubjective dans l’après-coup23.
Les EMI apparaissent au final comme une constellation
phénoménologique complexe qui émerge à la rencontre de facteurs
biologiques, de traits de personnalité, d’un contexte de vie et de
l’environnement culturel du sujet. Elles représentent un
« organisateur expérientiel » qui rassemble des éléments
phénoménologiques épars en un ensemble cohérent (Moody, 1975).
La réalité clinique montre en effet l’hétérogénéité de vécus dont ne
rend pas toujours compte la littérature sur ce sujet24. Cette visée à
l'unité, qui en ferait une forme d'expérience pure n'est pas un
hasard : elle vient conforter leur éventuelle dimension
transcendantale et soutiendrait l’hypothèse d’une « vie après la vie »
(Moody, 1975). Les EMI apparaissent ainsi comme une construction
anthropologique qui se diffuse dans la culture occidentale selon
plusieurs perspectives : prise en charge médicale, récits des
expérienceurs, chercheurs qui popularisent cette phénoménologie,
reprise médiatique, développement fictionnel, etc. Elles sont en
outre favorisées par le perfectionnement des techniques de
réanimation, ce qui a pour conséquence qu’un nombre grandissant
de personnes survit après un arrêt cardiaque. On peut aussi penser
les EMI du point de vue des logiques qui organisent le sujet post-
moderne et sa tentation toujours plus grande de s’émanciper des
limites de son existence. La mort n’est-elle pas de ce point de vue la
castration ultime sur laquelle la science moderne, par le biais du
transhumanisme, prétendra bientôt prendre le dessus ?
Les EMI, de même que la plupart des expériences exceptionnelles –
en particulier les abductions – apparaissent ainsi comme
l’émergence d’un mythe moderne. Celui-ci permet au sujet
d’organiser son expérience à partir d’une trame culturelle
préexistante. Le sujet confronté à un vécu subjectif de mort
imminente verra celui-ci composé selon cette trame symbolique à
partir de ce patrimoine culturel commun. L’EMI a dès lors pour
particularité, comme les mythes chez les Grecs, de se situer entre
réalité et imaginaire. En l’occurrence, ces expériences viennent
combler en partie le trou laissé dans la culture par la perte
d’influence des représentations religieuses. Les EMI représentent
dans cette optique une forme laïque de mythe du paradis pris dans
les discours caricaturaux qui organisent le rapport au paranormal
dans les sociétés occidentalisées : réduction biologico-scientifique
contre preuve de l’après-vie.
Comme souvent avec le paranormal, la vérité est ailleurs, au-delà de
cette opposition réifiante sur laquelle achoppent les enjeux profonds
des EMI. Le premier discours, biologique, est souvent limité par une
lecture réductionniste et naïve du fonctionnement psychique. Il
méconnaît la construction sociale de l’expérience subjective et
conduit à une forme de parallélisme linéaire entre processus
neurobiologiques et expérience subjective. Comme nous l’avons
déjà souligné, le fait que ces expériences puissent se produire
indépendamment d’affections neurobiologiques et de prise de
substance mène à la plus grande prudence à l’égard de telles
hypothèses. Quant au discours sur l’après-vie, il propose lui aussi
une lecture naïve dans la mesure où il ne saisit guère les
coordonnées épistémologiques de son discours. L’EMI ne peut faire
la preuve de la vie après la vie de même que la médiumnité ne peut
prouver la survivance de l’âme. Non pas que ces questions ne soient
pas pertinentes – ne sont-elles pas d’ailleurs essentielles ? –, mais
les caractéristiques de l’investigation scientifique contemporaines ne
permettent pas de conclure sur celles-ci en l’état actuel de nos
connaissances et compte tenu de leurs limites épistémologiques.
À partir de ces différentes perspectives, nous proposons donc de
considérer les EMI comme une forme extrême de solution
paranormale dont la survenue est favorisée par des expériences
traumatiques et des facteurs de personnalité. Les EMI apparaissent
alors comme ayant une valeur défensive à l’égard d’un vécu
subjectif de mort mettant en péril la subjectivité, ce qui se traduit par
un processus régrédient particulièrement intense. Celui-ci engendre
un sentiment océanique et l’accès au fond représentatif originaire de
la psyché. La fonction symbolisante de l’EMI apparaît alors marquée
par des processus réflexifs prenant la forme des sorties hors du
corps, de la revue de vie et de la rencontre avec un être spirituel.
Lors de cette expérience, la relance des processus de symbolisation
et l’appropriation subjective d’expériences laissées en souffrance
peuvent mener à de potentielles transformations du sujet dans son
rapport à lui-même et aux autres. Nous avons tenté de résumer ces
différents éléments phénoménologiques du point de vue des
processus psychiques dans le schéma suivant :

Phénoménologie des EMI et processus psychiques

Cette vertu transformatrice, vécue parfois comme une véritable


métamorphose, donne une excellente illustration des formes
extrêmes du processus de symbolisation. Cependant, celui-ci ne
deviendra pleinement opérant que dans sa reprise signifiante auprès
d’un autre. Il est donc essentiel que les acteurs du champ de la
santé connaissent ces expériences et sachent comment les
accueillir25. Il peut en effet arriver que différentes formes de
défenses émergent à l’égard des EMI. La plus habituelle consiste à
les réduire à leur niveau neurobiologique ou leur dimension
médicamenteuse. À l’inverse, ces vécus produisent parfois des
mouvements transférentiels intenses en écho au vécu des patients.
La dimension défensive de l’expérience et son caractère idéalisant
peuvent mener à des effets de fascination. À l’image de la lumière
qui emplit entièrement l’espace visuel, toute réflexivité paraît alors
entravée, ce qui ne laisse plus d’espace pour élaborer la signification
de cette expérience. Des conversions et des positions militantes
concernant la « vie après la vie » ne sont alors pas rares dans ce
domaine tant l’expérience est forte. L’exemple le plus frappant est
probablement la « conversion » récente du neurochirurgien
américain Eben Alexander dans son livre La preuve du paradis
(2014) qui témoigne de la force des processus en jeu, notamment
sur le plan transférentiel. Il se produit ainsi une « pénétration agie »
(Donnet, 1995) de la clinique des EMI sur sa théorisation prenant la
forme d’un contre-transfert idéalisant. Cette clinique garde en effet la
trace de la force des processus de protection de la psyché à son
origine26.
Ces expériences engendrent donc chez les équipes des
mouvements d’idéalisation et de contre-idéalisation auxquels il
conviendra d’être attentif. Dans les deux cas, le doute et le vécu
subjectif risquent d’être évacués face à une expérience qui confronte
aux limites du pensable. Il s’agit alors de trouver une position
d’équilibre laissant la place à l’appropriation subjective de ces récits.
L’accueil des EMI rejoint ainsi la nécessité de tenir compte de la
subjectivité du patient dans certains services médicaux. Si celui-ci
n’est pas toujours un temps d’élaboration approprié, il est possible
de placer le sujet dans des dispositions « suffisamment bonnes » à
l’égard de ce vécu de manière à ce que l’expérience soit
transformable par la suite. Il s’agit donc de maintenir la potentialité
symbolisante de ces expériences dans l’attente d’un environnement
qui sera favorable à ce travail. Comme toute expérience aux limites
du processus de symbolisation, l’EMI nécessite alors la rencontre
avec un autre afin que puisse advenir entièrement son potentiel
symboligène.

Notes
1. Alvarado et Zingrone (2009) dégagent plus particulièrement les
circonstances suivantes : maladie et chirurgie (45 %), accidents
(23 %), accouchement (20 %), tentatives de suicide (8 %) et usage
de drogue (4 %). À noter également qu’on les retrouve aussi
fréquemment sur les terrains de guerre (Goza, Holden & Kinsey,
2014).

2. Comme en témoigne, par exemple, l’anecdote rapportée par


Gabbard et Twemlow (1991) d’un marine en formation qui dégoupille
et fait tomber une grenade par inadvertance. Paralysé et incapable
d’agir, il vit alors une EMI composée d’une sortie hors du corps, la
vision d’un tunnel et d’une lumière ainsi qu’un profond sentiment
d’amour. Il réintègre ensuite son corps et découvre que l’instructeur
a en réalité récupéré la grenade qui s’avérait être factice. Ainsi,
comme le souligne cette anecdote : « Toute théorie
neuropsychologique des EMI qui se voudrait complète doit être
capable de rendre compte du fait que les EMI peuvent se produire
dans des cerveaux qui ne sont pas en train de mourir ainsi que du
fait que tous les cerveaux qui s’approchent de la mort ne font pas
cette expérience » (French, 2009, p. 188).

3. Ce que l’on retrouve également chez Bergson (1896) qui évoque


une « exaltation de la mémoire spontanée dans la plupart des cas
où l’équilibre sensori-moteur du système nerveux sera troublé ».
4. Renaud Evrard (2019) note à ce propos que les travaux de Moody
proposent une vision réductrice des EMI qui ne tient guère compte
des travaux historiques sur ce sujet. Cette forme « simplifiée » des
EMI la transforme notamment en une solution anti-
psychopathologique qui rencontra un certain succès auprès du
grand public, car l’EMI devient potentiellement la « preuve » de
l’après-vie. Elle participe aussi de l’émergence d’une forme de
spiritualité laïque associée aux progrès médicaux dans le champ de
la réanimation. On retrouve depuis la même logique à l’œuvre dans
de nombreux travaux portant sur les EMI. À noter cependant que
dans son ouvrage de 1999, The last laugh, Moody est lui-même
critique devant la manière dont ses travaux ont été mis en avant par
ses éditeurs qui recherchaient les ventes et le sensationnalisme. Sa
position apparaît ainsi plus mesurée que la manière dont elle est
souvent présentée.

5. Tableau qui se distingue d’ailleurs par bien des aspects de celui


proposé par Noyes et Kletti (qui repèrent, par exemple, des
mouvements automatiques ou le sentiment d’être contrôlé par une
force extérieure). Nous aurons l’occasion d’y revenir plus loin.

6. Une analyse thématique récente met en évidence les onze


éléments phénoménologiques suivants : lumière, moment du retour,
rencontres, hyper-lucidité, description de scènes, obscurité, sortie
hors du corps, conscience de la mort, entrée dans l’expérience,
altération de la perception temporelle (Cassol et al., 2018).

7. Greyson distingue trois types d’EMI négatives : inversées, vides et


infernales. Cassol et al. (2019) repèrent dans un échantillon de
123 patients un taux de 14 % d’EMI de ce type (8 inversées, 8 vides,
1 infernale) qui sont plus fréquentes chez les sujets ayant réalisé
une tentative de suicide et dont la phénoménologie est aussi riche
que celle des autres EMI.

8. Terme fréquemment utilisé par les personnes ayant vécu des EMI
pour se désigner elles-mêmes.
9. Les cas présentés dans ce chapitre proviennent du service de
consultation de CIRCEE et d’entretiens de recherche menés par
moi-même ainsi que par Anna Bergs, dans le cadre d’un travail de
recherche universitaire sur les expériences de mort imminente.

10. De ce point de vue, comme nous aurons l’occasion de le


développer davantage au dernier chapitre concernant le caractère
d’exception tel que dépeint par Freud à partir du personnage de
Richard III de Shakespeare (cf. p. 345), le vécu agonistique de l’EMI
ne porterait pas tant sur un événement actuel que sur l’émergence
d’un vécu de mort antérieur qui demande à être représenté et
symbolisé par l’intermédiaire de cette expérience.

11. C’est notamment la raison pour laquelle une expérience


exceptionnelle devrait être recueillie en fonction de son contexte
subjectif global, sinon le risque est grand de se centrer uniquement
sur le vécu et non son contexte. Ceci est particulièrement vrai pour
les EMI dont la « lumière » semble cacher l’obscurité qui entoure la
souffrance de nombreux sujets.

12. Une partie de l’entretien mené avec ce patient est disponible en


page 334.

13. En effet, comment comprendre qu’une EMI puisse se produire en


dehors d’un désordre somatique ou de prise de substance si ces
derniers sont censés en être la cause ? Ces récits montrent que
l’émergence, aussi bien que la reprise après-coup des EMI, s’inscrit
toujours au sein de coordonnées subjectives spécifiques.

14. À noter à ce propos que la revue de vie n’est pas sans évoquer
une connotation religieuse, en particulier la pesée des âmes lors de
l’arrivée au paradis et le jugement dernier. Une question importante
émerge alors : dans quelle mesure le religieux est-il une
interprétation de ces vécus spontanés et ancestraux à l’approche de
la mort ? Sur les parallèles entre religion et expériences
exceptionnelles (Kripal, 2017), voir également l’étonnant Jésus
thaumaturge (2015) de Bertrand Méheust ainsi que La mystique
sauvage de Michel Hulin (1993).
15. Le tunnel est d’ailleurs souvent dans les œuvres de fiction un
espace intermédiaire vers d’autres mondes, en particulier le monde
de l’inconscient comme dans Alice au pays des merveilles. Ce qui
importe ici, ce n’est donc pas la relation de causalité linéaire entre
naissance et tunnel, mais la dimension imaginaire associée au
tunnel.

16. Il existe plusieurs interprétations concernant les causes des EMI


négatives. Pour certains auteurs, elles sont la conséquence d’une
expérience qui s’est terminée prématurément. Pour d’autres, elle
signe l’incapacité du sujet à accepter l’état de lâcher-prise et de
dissolution induit par l’EMI.

17. Même si nous avons trouvé plusieurs cas pour lesquels cette
hypothèse n’est pas confirmée comme nous l’avons déjà évoqué.

18. Bion aurait-il lui-même vécu une EMI ? Brown (2019) fait
l’hypothèse que certaines notions de Bion, en particulier la « fonction
alpha » sont une tentative de Bion d’élaborer un vécu traumatique
lors de la Première Guerre mondiale (ce dernier dira en effet : « Je
suis mort le 8 août 1918 à Amiens »). La fonction alpha aurait été un
moyen d’auto-théoriser la sidération induite par les traumas venus
enrayer sa capacité à rêver son expérience. Ainsi, si Freud a pensé
le rêve à partir du principe de plaisir, Bion le conçoit dans son
rapport au principe de réalité : « Freud dit qu’Aristote établit qu’un
rêve est la manière dont un esprit travaille quand il est endormi : je
dis que c’est la manière dont il travaille éveillé. ».

19. La notion de transformation est également aisément articulable


avec celle de symbolisation (Chouvier, 1998 ; Roussillon, 1999). Ces
deux notions ont en commun une représentation processuelle du
psychisme au caractère profondément dynamique et intersubjectif.
Aussi bien la transformation que la symbolisation supposent une
évolution potentielle d’un devenir psychique en souffrance. La notion
de transformation se distingue néanmoins par le fait qu’elle tente de
décrire les formes les plus originaires du processus de symbolisation
et qu’elle s’appuie sur un périmètre épistémologique qui pourrait
sembler plus vaste.
20. Lacan (1966) fut confronté à la même difficulté qu’il tenta de
contourner avec la notion de Réel. À mesure que l’on se rapproche
de ce concept pour tenter de le cerner, les équivoques, les sens
multiples, les paradoxes, se multiplient et limitent la portée des
analyses l’utilisant pour qui veut continuer d’évoluer dans le champ
de la rationalité et de la causalité associées à la pensée
secondarisée.

21. Brown rappelle que Turner fut élevé par une mère mélancolique
et qu’il a vécu des expériences de perte sa vie durant. Cette
recherche de lumière par le sublime était-elle un moyen d’éclairer
ces douloureuses expériences de l’enfance ? La même logique est-
elle à l’œuvre dans les EMI ?

22. La première est une compréhension intellectuelle tandis que la


seconde est le moteur d’une transformation profonde qui nécessite
un partage émotionnel lors de moments d’unisson (at-one-ment).
S’agit-il de cette expérience dont les expérienceurs tentent de rendre
compte ? Les EMI sont-elles une représentation de la fonction alpha
elle-même ?

23. L’étude des processus de transformation conduit à un continuum


qui aurait pour origine l’étude du changement (un état), vers les
processus de transformation (la forme) et enfin la métamorphose
(l’être) (Rabeyron, 2019). En ce sens, la notion de métamorphose
décrit une transformation élargie de l’expérience subjective, une
méta-transformation, qui engendre une nouvelle structure du sujet. Il
s’agirait donc de mieux comprendre l’émergence de ces
métamorphoses subjectives à partir du paradigme des expériences
exceptionnelles dans le but d’apprécier plus précisément l’efficacité
thérapeutique à partir des formes extrêmes de transformation
psychique.

24. Les professionnels de la réanimation ont d’ailleurs tendance à


peu repérer ces expériences, car celles-ci sont noyées dans un
continuum phénoménologique plus vaste (Rabeyron et Minjard,
2019).
25. À noter que, de ce point de vue, comme nous l’avons développé
ailleurs (Rabeyron et Minjard, 2019), ces récits ne sont pas si
fréquemment rapportés dans les services de réanimation auprès du
personnel médical et des psychologues cliniciens.

26. Cet aspect contre-transférentiel des EMI est d’ailleurs si intense


que certains services de soins palliatifs aux États-Unis vont même
jusqu'à proposer à ces personnes de s'occuper de patients
mourants.
Chapitre 10

Accompagnement
psychologique
des expériences exceptionnelle
s
« Le temps est venu pour les psychologues et les scientifiques des sciences sociales
et des sciences du comportement de considérer sérieusement les différentes formes
d'expériences exceptionnelles et de les intégrer dans leurs théories, leurs recherches
et leur pratique clinique. »
Etzel Cardeña, Steven Jay Lynn et Stanley Krippner, Varieties of Anomalous
Experience

« Je me vois pris dans le faisceau d’une torche qui m’éblouit et me cache l’émetteur.
Je suis inondé de lumière […] Je revois la vision du monde extérieur au moment de
ma naissance : je suis aspiré par la lumière. Je me rendors, l’esprit calmé, lavé,
purifié par ce bain de clarté. Mais je ne me sens pas encore illuminé : il me reste
beaucoup à comprendre. »
Didier Anzieu, L’esprit, L’inconscient

L’accompagnement psychologique des personnes ayant vécu des


expériences exceptionnelles présente des spécificités que nous
allons développer dans ce dernier chapitre. Après un bref panorama
de la tradition clinique dans ce champ, nous décrirons les
particularités des principaux centres de consultation spécialisés.
Nous présenterons ensuite le service de consultation du Centre
d’Information de Recherche et de Consultation sur les Expériences
Exceptionnelles (CIRCEE) avant de proposer un modèle de
psychothérapie psychodynamique centrée sur les expériences
exceptionnelles.

TRADITION CLINIQUE DANS LE CHAMP


DES EXPÉRIENCES EXCEPTIONNELLES

Il existe une longue tradition de réflexion concernant la prise en


charge et les dispositifs cliniques destinés aux expériences
exceptionnelles. Celle-ci a commencé au sein des sociétés de
recherche psychique et s’est poursuivie jusqu’à aujourd’hui,
notamment en France, à l’Institut Métapsychique International. Les
milieux psychanalytiques ont également manifesté un intérêt pour
ces expériences, comme nous l’avons déjà abordé avec les écrits de
Freud, Ferenczi et Jung. De nombreux analystes de « deuxième
génération » se sont intéressés à ces questions par la suite –
Georges Devereux (1953), Jan Ehrenwald (1971), Jules Eisenbud
(1946), Emilio Servadio (1935) et Montague Ullman (1973) – à
l’interface entre sciences psychiques et psychanalyse, ce qui se
traduira par un symposium « psi et psychanalyse » lors du premier
congrès international de parapsychologie à Utrecht en 1953.
En France, des cliniciens ont témoigné d’un intérêt pour ce sujet
comme Juliette Favez-Boutonier (Evrard, 2016), Christian Moreau
(1976), Jean-Michel Rey et Wladimir Granoff (1983), René Major
(1983), Jean Guyotat (1980, 2005), Françoise Dolto (1985), André
Green (1998), Didier Anzieu (1993), Joël Bernat (2001), René Kaës
(2002), Djohar Si Ahmed (2014), Elizabeth Laborde-Notale (1990),
Christophe Chaperot (2011) et bien d’autres. Cette thématique s’est
également largement développée au sein de la psychanalyse
américaine depuis le début des années 2000 – Elizabeth Mayer
(2001, 2007), Opra Eshel (2006, 2010, 2013) et Janine de Peyer
(2014, 2016) – donnant lieu depuis plusieurs années à un
symposium annuel sur cette thématique lors du congrès de la
Société Américaine de Psychanalyse à New York. Ces analystes ne
proposent cependant pas une réflexion centrée sur la prise en
charge des expériences exceptionnelles. Ils ont davantage une
pratique qui les conduit à croiser l’occurrence spontanée de ces
vécus – en particulier les phénomènes de nature télépathique – tels
qu’ils sont favorisés par le dispositif analytique.
Un abord spécialisé dans l’accueil et l’écoute des expériences
exceptionnelles fut en revanche développé par le professeur Hans
Bender1 en Allemagne (IGPP), dès les années 1950, ainsi que par le
docteur Hubert Larcher en France (IMI), dont l’approche sera
poursuivie par la psychologue clinicienne et psychanalyste Djohar Si
Ahmed2. Des colloques se dérouleront ensuite sur les liens entre
pratique clinique et expériences exceptionnelles, avec une
conférence internationale sur les cas psi spontanés à l’université de
Berkeley, en 1987, puis un symposium intitulé « psi et pratique
clinique », en 1989, à Londres, dont les interventions donneront lieu
à un ouvrage classique du domaine (Coly & McMahon, 1993).
En 1995, un symposium sera organisé par la Parapsychological
Association dans le cadre de sa convention annuelle à propos des
stratégies thérapeutiques concernant les expériences
exceptionnelles. La publication, en 2000, par l’American
Psychological Association (APA), réédité en 2014, du Varieties of
Anomalous Experience, sera également un moment important car il
s’agit d’une excellente synthèse des connaissances sur les
expériences exceptionnelles dans le champ académique. La
communauté des cliniciens travaillant dans ce domaine s’est ensuite
progressivement étoffée, ce qui se traduira par la première rencontre
des experts internationaux sur les expériences exceptionnelles,
en 2007, à Naarden aux Pays-Bas3. Certaines interventions
donneront lieu à un ouvrage collectif dont l’intention était d’être un
guide pour les soignants confrontés à ces expériences (Kramer,
Bauer & Hövelmann, 2012). Deux ans plus tard, en 2009, se tenait la
première conférence sur « la santé mentale et les expériences
exceptionnelles » à l’université de Liverpool Hope. L’objectif de ces
manifestations fut de rassembler les cliniciens spécialisés en ce
domaine dans le but de fédérer la recherche4 et d’améliorer la
qualité des dispositifs cliniques. Les cliniciens participant à ces
rencontres proviennent essentiellement de quatre centres de
consultation spécialisés5 dont voici une brève description :
L’Institut pour les zones frontières de la psychologie et l’hygiène
mentale (Institut für Grenzgebiete der Psychologie und
Psychohygiene) a été fondé en Allemagne, à Fribourg-en-
Brisgau, en 1950, par le médecin et professeur de psychologie
Hans Bender. Il s’agit d’un institut de recherche composé d’une
vingtaine de cliniciens et chercheurs proposant, depuis sa
création, une approche globale des expériences exceptionnelles.
Son service de consultation est actuellement le plus développé au
niveau international. Celui-ci fut initialement mis en place en
collaboration avec l’Institut de Psychologie de l’Université de
Fribourg, en 1996, sous la direction de Johannes Mischo et
Jürgen Bengel. Ce service fut ensuite développé par la
psychologue clinicienne Martina Belz-Merk qui a également
participé à la mise en place d’un système de documentation des
expériences exceptionnelles – DOKU : Documentation System –
et d’un questionnaire phénoménologique, le PAGE (cf. chapitre 1,
p. 23) (Belz-Merk, 2000 ; Landolt et al., 2014). Ce dernier fut
perfectionné par le psychologue clinicien Wolfgang Fach qui en a
développé les implications théoriques en collaboration avec le
physicien Harald Atmanspacher, également membre de l’IGPP.
Jusqu'à quatre psychologues cliniciens ont travaillé à mi-temps au
sein de ce service6 dirigé par Eberhard Bauer et dont l’approche a
été l’objet de plusieurs thèses. L’institut reçoit environ 2000
demandes de contacts par an avec une moyenne de 5 contacts
par demande, soit une file active annuelle d’environ 500
personnes. L’IGPP propose également des formations à la
clinique des expériences exceptionnelles reconnues par l’ordre
des psychologues allemands.
La Société scientifique pour le progrès de la parapsychologie (
Wissenschaftliche Gesellschaft zur Förderung der
Parapsychologie) fut créée en Allemagne, en 1981, par Johannes
Mischo qui est alors le successeur de Hans Bender à la chaire de
psychologie et des zones frontières de la psychologie à
l’université de Fribourg. Depuis 1989, notamment en réponse à
une vague d’intérêt pour le paranormal chez les jeunes
Allemands, la WGFP a pris une orientation clinique en
développant un Service de consultation dans la même ville que
l’IGPP à Fribourg-en-Brigsau (Zahradnik, 2007). Dirigée par le
psychologue et physicien Walter Von Lucadou (1995), elle est
reconnue d’utilité publique et financée par le gouvernement
allemand depuis 1991. Von Lucadou a publié de nombreux
articles et ouvrages à partir des données collectées au sein de la
WGFP selon une approche systémique (Von Lucadou & Poser,
1997). Ses travaux sont reconnus pour leur originalité aussi bien
sur le plan théorique (le Modèle de l’Information Pragmatique, cf.
p. 168) que concernant la prise en charge de ces expériences, en
particulier les cas de poltergeist (Von Lucadou, 1995).
L'Unité Koestler de Parapsychologie (Koestler Parapsychology
Unit) de l’université d’Édimbourg fut fondée en 1985 suite à un leg
de l’écrivain Arthur Koestler qui, passionné par ces questions, a
rédigé plusieurs ouvrages sur le sujet. La chaire fut dirigée durant
près de vingt ans par le professeur Robert Morris, très apprécié
pour ses qualités scientifiques et humaines, et considéré comme
le « Carl Rogers de la parapsychologie »7. La chaire est
actuellement occupée par la professeure Caroline Watt. Le KPU
demeure l’un des acteurs incontournables dans le champ de la
parapsychologie et de la psychologie anomalistique. Cette unité a
également une tradition d’écoute des expériences
exceptionnelles, étant régulièrement contactée par des personnes
qui rapportent des expériences de ce type. Un psychologue
clinicien, Ian Tierney (2008 ; 2007), s’occupe de prendre en
charge ces demandes depuis de nombreuses années8 et publie
régulièrement des travaux sur ce sujet.
L’Instituto de Psicologia Paranormale (IPP), en Argentine, a pour
fondateur et président Alejandro Parra, professeur de psychologie
à l’Université Interaméricaine d’Abierta. Depuis les années 1990,
l’Institut a engagé un psychologue clinicien dont le travail consiste
à recevoir et conseiller les personnes souhaitant échanger à
propos de leurs expériences exceptionnelles. Le référentiel
psychothérapeutique est humaniste et les consultations se font
principalement par téléphone. Des thérapies de groupe sont
également proposées – deux heures durant douze semaines –
dans le but de favoriser l’intégration des expériences
exceptionnelles. Des évaluations du « degré de perturbation par
l’expérience » en début et en fin de ces groupes montrent une
amélioration sensible de l’équilibre psychique grâce à ce dispositif
(Montanelli & Parra, 2004 ; Parra & Corbetta, 2013).
ARTHUR KOESTLER : LE VISIONNAIRE ET L’INFINI

L’écrivain français Aimé Michel (1976) considérait qu’Arthur Koestler « semblait


toujours avoir vingt ans d’avance sur la réflexion contemporaine » comme en témoigne
son ouvrage Le zéro et l’infini (1940) qui critiquait les dérives du communisme
stalinien. Koestler supposait l’existence d’un principe qui s’émancipe des relations
causales ainsi qu’une forme d’interconnexion profonde entre les êtres dans Les
racines du hasard (1972), L’Étreinte du crapaud (1972) et L’infini et le hasard (1977).
Cela l’a conduit à une forme d’humanisme qui apparaît comme un antidote contre
différentes formes de totalitarisme qu’il épousera avant de les rejeter. Ainsi, il adhère
initialement aux principes du communisme et une certaine idéologie réductionniste.
Dans les deux cas, il s’imprègne entièrement de ces modes de pensée pour mieux en
cerner les limites, les dérives du communisme stalinien d’une part avec Le zéro et
l’infini9 et les limites de l’idéologie scientiste avec Les racines du hasard. Dans ce
dernier cas, cela provient en particulier d’une expérience mystique qu’il a lui-même
vécue lorsqu’il était emprisonné en Espagne. Il la décrit en ces termes : « Le Moi cesse
d’exister parce qu’il est, par une sorte d’osmose mentale, entré en communication
avec le tout universel et a été dissous par lui ». Il évoque également « un état
d’expansion illimitée » et « une paix qui transcende toute intelligence ». Koestler
suppose ainsi qu’il existe « une réalité d’un troisième ordre » qui « seule donnait un
sens à la vie ». Suite à son suicide le 3 mars 1983, à l’âge de 77 ans, se sachant
condamné par une leucémie, Koestler et sa compagne Cynthia, qui décide de le suivre
dans la mort, font un leg de 700 000 pounds à toute université qui acceptera une
chaire de parapsychologie. Voici ce que dit Koestler dans son billet d’adieu : « Je
souhaite que mes amis sachent que je quitte leur compagnie l’esprit en paix, avec un
timide espoir en une vie dépersonnalisée au-delà des confins de l’espace, du temps et
de la matière, et au-delà des limites de notre compréhension. Ce sentiment océanique
m’a souvent soutenu dans les moments difficiles, et il en est ainsi au moment où j’écris
ces lignes ». L’un de ses biographes, Michel Laval, écrira que « le siècle perdait l’une
de ses plus lucides Cassandre » (p. 623) et Le Monde titrait après son décès « le
visionnaire a rejoint l’infini ».
Au-delà de ces différents centres de consultations, les personnes qui
rapportent des expériences exceptionnelles se tournent vers des
interlocuteurs variés appartenant à la nébuleuse du paranormal. Il
existe en effet un monde composé de voyants, guérisseurs,
désenvouteurs, marabouts10, nettoyeurs de maison, spécialistes des
ovnis, exorcistes, chasseurs de fantômes11, etc. qui proposent
d’éclairer ceux qui vivent ces expériences. Ce terreau
anthropologique représente un écosystème qui vient notamment en
contre-point d’une culture occidentale orientée par le rationalisme et
le matérialisme (Camus, 2002 ; Favret-Saada, 1977 ; Laplantine,
1985 ; Laplantine & Rabeyron, 1987). Le tableau ci-dessous rend
compte de certains de ces intervenants privilégiés pour chaque
expérience exceptionnelle12 :
Tableau 10.1.
NAISSANCE D’UN DISPOSITIF :
LE SERVICE DE CONSULTATION DE CIRCEE
Nous avons créé, en 2009, avec Renaud Evrard et David Acunzo14,
le Centre d’Information de Recherche et de Consultation sur les
Expériences Exceptionnelles (CIRCEE)15. Cette structure rassemble
des chercheurs et des cliniciens intéressés par les expériences
exceptionnelles (psychologues, psychiatres, philosophes,
neuroscientifiques, etc.)16. Le centre dispose d’un site internet
(www.circee.org) et l’essentiel de son activité provient de son service
de consultation. Deux psychologues cliniciens et un superviseur
travaillent à temps partiel au sein de celui-ci17. Depuis son ouverture
en septembre 2009, le service de consultation a été contacté par
plus d’un millier de personnes et près de 700 suivis ont été
réalisés18. Sur les cinq dernières années – de mars 2014 à
mars 2019 – 350 suivis ont été effectués, soit près de 70 suivis par
an. La durée de ces suivis est variable et dépasse rarement les vingt
entretiens. Ces entretiens durent habituellement quarante-cinq
minutes et leur fréquence est hebdomadaire ou bimensuelle. Le
tableau ci-dessous indique la fréquence des expériences rapportées
au sein du service de consultation (une même personne peut
rapporter plusieurs d’entre elles), sur une période de deux ans, de
septembre 2017 à septembre 201919 :
Tableau 10.2.

Les personnes contactent habituellement CIRCEE suite à des


recherches sur internet ou bien sont orientées vers nous par des
médecins et des psychologues. Le premier entretien permet
d’évaluer la demande de la personne et ses attentes. Il donne lieu à
une première description des expériences exceptionnelles suivie
d’une forme d’échange et de « retour » sur ces vécus. Dans près de
la moitié des cas, cet entretien est suffisant pour des personnes
trouvant là des réponses à leurs interrogations et ne souhaitant pas
s’engager dans une analyse plus approfondie de leurs
expériences20. Il peut aussi arriver que celles-ci n'apparaissent pas
adaptées au cadre proposé par CIRCEE et nous évoquons alors une
réorientation vers des structures ou des professionnels plus
appropriés quand cela semble nécessaire. Enfin, des suivis sont
proposés aux personnes qui souhaitent aborder plus avant la
dynamique psychique associée aux expériences rencontrées, ce qui
est souvent le cas quand celles-ci sont source de souffrance
psychiques ou somatiques.
Les suivis sont réalisés pour la plupart par téléphone, même s’il peut
arriver, plus rarement, que nous nous déplacions à domicile21. Étant
donné que nous sommes contactés par des personnes qui vivent en
France et dans les pays francophones (Suisse, Belgique, Québec,
etc.), la prise en charge par téléphone est souvent la seule
possibilité qui s’offre à nous. Une thèse a d’ailleurs été menée sur
les particularités de cette « clinique téléphonique » dans le champ
des expériences exceptionnelles (Fangmeier, 1999). Si l’on pouvait
craindre que ce « médium » n’entrave la qualité de la rencontre
clinique, nous avons constaté qu’il présentait autant d’avantages que
d’inconvénients. Nous n’avons certes pas accès aux attitudes non
verbales du patient mais nous gagnons en facilité d’expression. Le
téléphone permet en effet de ne pas être vu et diminue les
mécanismes de défense et les affects de honte fréquents dans cette
clinique. Il permet également au psychologue, n’étant pas en lien
visuel avec le patient durant l’entretien, de se concentrer
entièrement sur la prise de note et les processus associatifs sur le
mode de la rêverie. Cette abolition de la dimension scopique
engendre d’autres spécificités rapportées par les cliniciens travaillant
par téléphone (Cadéac & Lauru, 2007) : un temps « préliminaire »
plus bref, une temporalité condensée, une alliance thérapeutique
plus immédiate, une facilité à partager son expérience, etc.
S'agissant de vécus intimes, le cadre téléphonique se prête donc
bien à la clinique des expériences exceptionnelles, car le fait de ne
pas voir le psychologue favorise la libre association et conduit
souvent le patient à « oser » davantage. Il semble en outre s’opérer
un phénomène de transmodalité (Rabeyron, 2015), comme si la
communication humaine se glissait dans les modalités sensorielles à
sa disposition : le ton de la voix, le fond sonore, la prosodie, les
silences, les arrêts, les reprises, sont autant d’occasions d’entendre
un autre discours derrière les mots et d’appréhender les labyrinthes
de la vie psychique par l’intermédiaire du cadre phonique.

POSITIONNEMENT CLINIQUE ET CONNAISSANCES


« DE BASE »
Avant de décrire plus avant l’accompagnement psychologique
développé au sein du service de consultation, il est nécessaire de
préciser les connaissances préalables dans le but d’aborder dans de
bonnes conditions cette clinique :
(1) Connaissances concernant la psychopathologie : comme nous
l’avons abordé dans le premier chapitre, les relations sont
complexes entre le champ de la psychopathologie et les expériences
exceptionnelles, ce qui peut être source de confusion (Wallon,
1994). Les expériences exceptionnelles sont d’ailleurs depuis
longtemps un enjeu de débats concernant la délimitation entre le
normal et le pathologique (Evrard, 2014), ce que l’on retrouve dans
les discussions contemporaines à propos de la notion de psychose
atténuée (Evrard & Rabeyron, 2012, 2014). Les données de la
littérature montrent que l’on ne peut associer de façon systématique
expériences exceptionnelles et psychopathologie (Goulding, 2004).
Les cas de figure sont très divers selon l’organisation psychique du
sujet et les expériences rencontrées comme l’illustre le schéma
suivant :
Relations entre expériences exceptionnelles et
psychopathologie

Seule une analyse clinique détaillée, au cas par cas, permet d’y voir
plus clair. Pour cela, il est essentiel d’avoir des bases solides dans le
champ de la psychopathologie. Il convient en particulier de parvenir
à déterminer la structure psychique prédominante au sein de
laquelle les expériences ont émergé, ce qui donnera des indications
précieuses concernant la compréhension de ces vécus et la suite du
suivi22. La grille proposée au quatrième chapitre (cf. p. 131) sera
utile à cet égard pour distinguer organisations névrotiques et
psychotiques. La question du diagnostic sera ainsi centrale, en
particulier au début de prise en charge et cela pour plusieurs raisons
(Evrard, 2014). Il s’agit tout d’abord d’être en mesure de distinguer
les expériences exceptionnelles de troubles psychopathologiques
qui pourraient nécessiter un suivi psychiatrique ambulatoire ou intra-
hospitalier. Il nous arrive en effet, comme les autres services de
consultation de ce type, d’être contactés par des personnes qui
présentent des prodromes de troubles psychotiques, le plus souvent
de nature schizophrénique. Ces personnes interprètent des
manifestations de ces troubles (perceptions inhabituelles,
hallucinations, syndrome d’influence, troubles cognitifs, etc.) comme
étant de nature paranormale. L’exercice clinique est souvent délicat,
car il peut s’agir de patients qui sont sur le point ou qui viennent de
décompenser sans être suivis dans un contexte médical.
Habituellement, le nombre d’entretiens avec ces patients est limité et
ceux-ci sont souvent déçus que nous ne puissions attester de leurs
capacités télépathiques ou de leurs visions prémonitoires. Voici
quelques exemples de ces situations :

Cas cliniques
Sinclair travaille comme ouvrier et nous contacte car il produit « un champ
électrique » qui l’oblige à mettre « du spray pour les cheveux » et « un bonnet la
nuit ». Après avoir vu un reportage sur les poissons, il pense avoir sur la tête des
sortes de « capteurs télépathiques » qui utilisent l’électricité. Les différents
neurologues qu’il a rencontrés lui ont dit qu’il s’agissait de l’effet de son
imagination. Un psychologue lui a également expliqué que cela dépassait ses
compétences. Sinclair souhaiterait être débarrassé de ces perceptions. Il précise
qu’il a déjà été hospitalisé en psychiatrie, car il se prenait « pour un prophète ».
Salomon se dit désespéré par un « lien psychique » avec de « vrais
psychopathes » qui le « rallument avec la télépathie ». Il n’arrive pas à se
« débrancher » et, quand tel est le cas, « ces vermines de l’astral rallument sa
glande pinéale ». Il s’agit selon lui de « parapsychologues de l’université de
Montréal » et Salomon explique qu’il souhaite une autre aide que « médicale ».
Stéphane, âgé d’une vingtaine d’années, entend des voix : celle du soleil et de sa
mère décédée, ce qui fait que sa tête est « grosse comme une pastèque ». Il
pense également avoir été l’objet « d’agressions télékinésiques » de la part d’un
chamane mal intentionné. Il se dit très gêné par la télépathie, car il « capte
n’importe quel message ». Il a cru qu’il allait devenir fou, au point de faire une
tentative de suicide. Il a également vu une « porte des étoiles dans le ciel » et a
alors eu l’impression d’avoir « tout l’univers dans la tête ». Ces expériences ont
commencé après un voyage à l’étranger au cours duquel on lui « pressait le
cœur » et on lui « éclatait la carotide ». Il voyait également des morts et parlait
avec eux. Il a été hospitalisé en psychiatrie et prend des antipsychotiques depuis.
Stéphane regrette que son psychiatre ne le comprenne pas, car il est certain de
l’existence de la télépathie. Il fume régulièrement du cannabis pour ne plus
penser à tout cela. Il nous contacte pour être rassuré sur le fait qu’il n’est pas fou
et pour l’aider face au travail qu’effectue sur lui une « équipe de chamanes ».
Sylvie, âgée de cinquante ans, dit vivre des choses « bizarres » depuis une
vingtaine d’années. Elle s’exprime avec difficulté et se trouve manifestement en
grande souffrance. Elle a l’impression d’être manipulée suite à un « choc mental »
et un médium lui a parlé récemment de « manipulation magique ». Elle a des
flashs et perçoit parfois des formes invisibles. Elle se demande si certaines
personnes ne lui en veulent pas. Elle a été suivie en psychiatrie durant dix ans et
a vu de nombreux prêtres, médiums et imams pour des voix qu’elle entendait, ce
qui est toujours le cas. Elle se demande si elle n’est pas possédée, comme si elle
était « hypnotisée ». Elle ressent également parfois des « piqûres ». Elle a aussi
pu voir des « fantômes en habit du Moyen Âge ». Sylvie se pose la question de
savoir si ses difficultés ne proviennent pas du fait qu’un cimetière se trouve en
face de chez elle. Le commissariat, situé à proximité, dérangerait peut-être les
morts…
Serge a l’impression de ne pas être maître de ses pensées. Il entend des bruits et
des bourdonnements. Il est très perturbé par ces ressentis et prend des
antidépresseurs depuis déjà quelques temps. Il souhaiterait avoir des
informations sur la télépathie et connaître ses conséquences sur le plan
psychologique. Il aimerait aussi être « dans un caisson hermétique pour éviter
ces interactions ». Il entend également « des bruits dans les murs avec un code »
et s’est demandé s’il s’agissait du diable ou des extraterrestres. Serge n’ose pas
parler de ces expériences à sa famille. Son psychiatre lui a répondu que la
télépathie était une forme de délire tandis que, selon Serge, sa psychologue voit
ces manifestations comme des échanges d’inconscient à inconscient. Ces
phénomènes ont commencé par l’impression « d’entendre les pensées » alors
qu’il était âgé d’une vingtaine d’années. Il se demandait si on pouvait « lui
envoyer une fille » et les voisins avaient répondu « pas comme ça ». Il était dans
une période de repli sur lui-même et fumait beaucoup de cannabis. Il avait aussi
la sensation d’être suivi, que les gens parlaient de lui dans la rue et il a « fait un
peu de mégalomanie ». Il pouvait également avoir l’impression que la télévision le
regardait. Serge se demande s’il n’est pas « un parasite » qui ressent le mal-être
des autres. Les antipsychotiques qu’il prend l’aident beaucoup dit-il, et il a
aujourd’hui un certain recul sur les délires qu’il a pu vivre précédemment.
Cependant, la télépathie et les coups dans le mur existent bel et bien selon lui.
Sabine, âgée d’une vingtaine d’années, dit « souffrir de télépathie ». Elle ne peut
pas regarder la télévision, car elle transmet ses pensées aux personnes qu’elle
voit dans le poste (Nicolas Sarkozy, Bill Clinton, etc.). Elle en éprouve d’ailleurs
une grande culpabilité. Sabine dit avoir eu « quelques problèmes
psychiatriques », ainsi qu’une « crise délirante » lors de laquelle elle se « prenait
pour Dieu ». C’est dans une deuxième phase qu’elle a commencé à vivre des
phénomènes télépathiques, par exemple dans le métro. Sabine refuse de prendre
les antipsychotiques prescrits par son psychiatre et elle souhaite que la réalité de
la télépathie soit reconnue. De façon plus générale, elle est persuadée que les
autres personnes entendent tout haut ce qu’elle pense. Elle se décrit ainsi
comme étant « télépathisante ». Si Sabine a conscience d’avoir vécu des
épisodes délirants concernant Dieu, elle est en revanche convaincue que ses
expériences télépathiques sont bien réelles.
Notre dispositif n’est guère approprié pour le suivi de tels patients,
pour lesquels une prise en charge dans un cadre psychiatrique, une
aide médicamenteuse ainsi qu’une hospitalisation peuvent parfois
s’avérer nécessaires. Nous faisons donc notre possible pour
réorienter ces personnes vers une structure adaptée. Enfin, comme
nous le verrons un peu plus loin, l’analyse psychopathologique est
aussi un préalable nécessaire à l’aide qui peut être apportée à
certaines personnes, en permettant de « faire le tri » entre les
différents vécus rencontrés. L’IGPP rapporte ainsi que près de la
moitié des personnes qui les contactent ont déjà un suivi
psychothérapique ou psychiatrique, ce qui correspond également
aux données que nous avons pu recueillir dans le service de
consultation23.
(2) Connaissances concernant les expériences exceptionnelles : s’il
n’est pas nécessaire d’avoir vécu soi-même une expérience de ce
type, une bonne connaissance de leur phénoménologie est
indispensable (Cardeña et al., 2014). Le clinicien devra en effet
parvenir à se représenter le vécu du patient de manière à pouvoir
s’identifier à celui-ci de manière non jugeante. Cela s’associe à la
capacité d’expliciter le vécu du patient comme nous le verrons un
peu plus loin. Il est également essentiel d’avoir des connaissances
concernant les réseaux et acteurs du champ du paranormal comme
ceux présentés dans le tableau page 317. De ce point de vue, le
travail clinique relève d’une forme d’ethnopsychiatrie tant le
paranormal fait office de monde parallèle à notre culture usuelle
comme l’illustre par exemple le cas de Paulette24 :

Cas clinique : Paulette


Paulette, âgée d’une soixantaine d’années, nous contacte car elle est perturbée par
les voix qu’elle entend quotidiennement. Après avoir perdu un enfant il y a quelques
années, elle et son mari se sont intéressés au paranormal et aux questions de la
survivance. Ils se sont rapprochés de médiums et ont entrepris d’entrer en contact
avec leur enfant décédé à l’aide de la Trans-Communication Instrumentale. Paulette
ne se doutait alors pas qu’elle allait « ouvrir une porte » sur ses « capacités
médiumniques ». Au bout de quelques mois, elle commence à entendre des voix
qu’elle apprécie initialement, car elles lui parlent de sa famille et lui rappellent des
événements de sa propre vie. Cependant, d'autres voix aux tonalités plus
inquiétantes vont se manifester simultanément à des phénomènes étranges dans
leur maison. Paulette et son mari témoignent de déplacements d’objets et de la mise
en route imprévue d’appareils électriques. Elle tente alors de palier ses angoisses via
la relaxation et l'utilisation d'un appareil électronique « qui fait du magnétisme ». Elle
se présente en entretien comme étant désespérée et souhaite « retrouver sa
normalité » perdue depuis le décès de son enfant. Les voyants, guérisseurs et
magnétiseurs rencontrés pour l’aider évoquent le fait qu’elle est « affectée par le bas
astral ». Progressivement les voix commencent à « se mettre sur les appareils
électriques » et deviennent de plus en plus intrusives, ce qui entraîne Paulette vers
des affects dépressifs et anxieux la conduisant à plusieurs hospitalisations. Les
psychiatres lui disent alors qu'elle fait une « grave dépression » et lui proposent de
prendre des médicaments (Abilify), mais ceux-ci provoquent selon elle des « délires
et de la dépersonnalisation ». Elle choisit donc d’arrêter ces traitements même si elle
poursuit tout de même un suivi régulier avec un psychiatre qui, cependant, « ne l'aide
pas à comprendre ».

Ce monde souterrain du paranormal est composé de symboles, de


personnalité, de lieux et de rituels qu’il s’agit de connaître a minima
pour que l’alliance thérapeutique puisse se mettre en place dans de
bonnes conditions. Ces personnes ont fréquemment un parcours de
soin associant médecine occidentale et circuits alternatifs (Kessler-
Bilthauer & Evrard, 2018). Il n’est donc pas rare que nous arrivions
après le psychiatre, le psychologue, l’hypnotiseur, le guérisseur, le
voyant et l’exorciste qui ont déjà produit différents discours25 sur ces
expériences et la manière de les interpréter.
(3) Connaissances en psychologie anomalistique : ce champ s’avère
également utile pour comprendre les facteurs qui peuvent participer
à l’émergence des expériences exceptionnelles (French & Stone,
2013 ; Holt et al., 2012). L’ensemble des connaissances portant sur
les traits de personnalités associés aux expériences exceptionnelles
(perméabilité psychique, trauma, etc.), les facteurs psychologiques
connexes (faux souvenirs, illusions cognitives, etc.) ainsi que les
travaux expérimentaux sur ces expériences (Irwin & Watt, 2007 ;
Radin et al., 2000) participent d’une trame théorique globale qui
oriente l’écoute du clinicien26. Cela peut même concerner des
éléments très concrets. Il arrive, par exemple, que le
dysfonctionnement de certains appareils électriques et
électroménagers – réveil, micro-ondes, télévision, etc. – induisent
des ondes électromagnétiques qui favorisent la survenue de
processus hallucinatoires (French et al., 2008). Il en est de même de
certaines moisissures comme le stachybotrys chartarum que l’on
trouve parfois sur des lieux réputés hantés (Rogers, 2015). Dans
certains cas de poltergeist, il peut également être pertinent de
connaître les origines potentielles de certains bruits, l’exemple le
plus classique étant les bruits de pas rapportés au niveau d’un
grenier ou de combles qui sont parfois le fait de différents animaux
(hiboux, rongeurs, etc.).
Au-delà de ce ces trois champs de connaissance (psychopathologie,
clinique des expériences exceptionnelles, psychologie
anomalistique), l’observation et le positionnement cliniques
reprennent les ingrédients de base de toute pratique clinique –
bienveillance, empathie, constance, curiosité, etc. – dont certaines
particularités sont néanmoins poussées à l’extrême en ce domaine :
(1) La dynamique transférentielle est souvent intense et induit,
comme nous l’avons déjà évoqué, des mouvements de fascination,
de rejet et d’inquiétante étrangeté chez le clinicien. De fascination,
car les situations rapportées induisent des effets de sidération en
écho à la vie psychique des patients. Mais aussi de rejet prenant la
forme de mouvements spontanés de désintérêt, de disqualification,
voire même potentiellement d’ironie envers des vécus rapportés
parfois très incongrus. Ce double mouvement de rejet et de
fascination est associé à un sentiment d’inquiétante étrangeté qui
témoigne de contenus psychiques qui transitent entre l’inconscient et
la conscience. Par exemple, le cas d’abduction de Perséphone,
présenté au chapitre six (cf. p. 187), avait donné lieu, pour des
raisons pratiques, à des entretiens plus longs et plus rapprochés
qu’à l’accoutumée. La densité du cas fut telle qu’il m’a fallu du temps
après les entretiens pour revenir dans la réalité « ordinaire » et
plusieurs de mes rêves furent infiltrés d’éléments contre-
transférentiels gardant la trace des processus de l’abduction (Brown,
2018). Ces logiques sont favorisées par le fait que nous avons
l’impression de partager certaines « chimères » (cf. p. 247) avec des
patients qui consultent pour des expériences exceptionnelles. Il se
produit ainsi un transfert des processus liés aux expériences
exceptionnelles – par exemple les processus supposés
télépathiques – dans le cadre thérapeutique prenant la forme
d’éléments hétéropsychiques. De la même manière, il n’est pas rare
que certains patients aient des flashs de voyance et éprouvent le
besoin de partager spontanément des visions concernant les
cliniciens du service27. Ces processus peuvent engendrer un vécu
d’intrusion et de rejet quand le cadre paraît « poreux ».
Le paranormal confronte également fréquemment dans le transfert à
l’inconnu, à l’incroyable et donc aux logiques de la castration. Il
explore en effet le rapport du sujet à un possible « au-delà », ou « en
deçà » de la castration avec son cortège d’espoirs et d’inquiétudes,
ce qui aide à comprendre pourquoi le paranormal suscite aussi bien
le désir que la crainte. Par exemple, le fait d’avoir le sentiment de
voler dans les sorties hors du corps, ou d’avoir une action directe sur
la matière dans la psychokinèse, sont des expériences qui
entretiennent un rapport étroit avec la castration induite par les lois
usuelles de la matière (gravité, forces, etc.) auxquelles chacun se
trouve habituellement confronté. Il est question ici d’une forme très
primitive de représentation des limites et de la castration concernant
l’espace, le temps ainsi que les lois de la matière et de la nature.
Celles-ci paraissent si habituelles que nous n’y prêtons pas
attention. Elles seront transcendées selon le principe de plaisir (« Je
peux tout, tout de suite, tout seul ») par l’intermédiaire du
paranormal, ce dont témoignent les œuvres de fiction sur cette
thématique qui gardent la trace de ces processus auxquels
s’identifie le spectateur. Le paranormal permet ainsi une « levée »
temporaire des logiques de la castration, ce avec quoi les
adolescents ont d’ailleurs souvent une affinité particulière28 (Evrard,
2010). Le cas de Maurice illustre ces différentes logiques :

Cas clinique : Maurice


Maurice, scientifique âgé d'une soixantaine d'années, décrit plusieurs petites
expériences de psychokinèse qui l’ont beaucoup troublé car lui semblant
inconciliables avec ses connaissances des lois usuelles de la matière. Il décrit en
particulier un phénomène étrange survenu lors d’un séminaire. Il pensait à son fils,
inquiet des difficultés rencontrées par celui-ci, lorsqu’il retrouva sa clef de chambre
d'hôtel tordue alors qu'il venait de la poser intacte sur une table. Une anecdote
similaire lui était arrivée antérieurement avec la découverte d'un clou tenant seul à la
verticale sur une table chez lui. Il raconte une autre expérience qui l’a beaucoup
troublé. Alors qu’il profite de vacances à la mer avec ses enfants, Maurice prend des
photos avec un Polaroïd dont il vient de faire l'acquisition. Dans un état « étrange », il
est emporté par des interrogations concernant un oncle décédé dont il était très
proche. Il se demande si ce dernier peut le voir d'où il se trouve. Maurice prend alors
une photographie qui va « bouleverser » sa vie. Sur celle-ci apparaissent sa fille,
quelques aquarelles de son oncle accrochées au mur et un miroir. Mais lorsqu’il
observe plus attentivement le cliché, il croit découvrir, stupéfait, le visage de son
oncle dans le miroir, une cigarette à la bouche, avec une expression qui lui est
familière. Son père trouvera également la ressemblance frappante, tandis que sa
femme ne voudra pas entendre parler de cette photographie au point qu'elle finira par
la brûler.

(2) Les niveaux de réalité associés aux expériences


exceptionnelles : un clinicien est conduit de manière générale à
s’intéresser à tout ce que le patient peut dire ou montrer (Chouvier &
Attigui, 2012). De même, nous avons pour habitude d’accueillir la
demande du sujet telle qu’elle se présente. Par exemple, il est
fréquent d’être interpellé à partir d’un matériel jugé paranormal
comme des photos ou des enregistrements audios et vidéos, ce qui
renvoie à une question que les patients nous posent souvent et qui
paraît vitale à leurs yeux : « Est-ce que ce que j’ai vécu est réel ? ».
Il s’agit là probablement d’une spécificité de la clinique rencontrée
dans le service de consultation qui nous conduit à un positionnement
tenant compte de cette demande « objective » en raisonnant selon
différents niveaux de réalité. Ainsi, il nous arrive de proposer des
explications concernant certaines photographies jugées
paranormales (ex : poussière, illusion d’optique, effets du flash,
etc.)29. Il en est de même pour les paralysies du sommeil pour
lesquelles des informations concrètes sont souvent appréciées des
patients. Nous avons donc tendance à intervenir davantage que
dans une clinique traditionnelle – essentiellement en début de suivi –
par des temps d’échanges portant sur la réalité et qui peuvent
s’apparenter à un partage ou à un « transfert » de connaissances.
Ce temps paraît souvent indispensable pour accéder ensuite dans
les meilleures conditions aux dimensions plus subjectives de
l’expérience30. Nous nous situons de ce point de vue dans une
approche que l’on pourrait qualifier de « réaliste », à la jonction des
différents niveaux de réalité, que ceux-ci soient matériels ou
psychiques.
(3) La position d’indécidabilité : nous avons déjà évoqué à plusieurs
reprises cet élément essentiel du positionnement clinique dans le
champ des expériences exceptionnelles. Ce terme d’indécidabilité,
que nous empruntons à Georges Devreux (1953), conduit à une
suspension du jugement concernant leur dimension ontologique. Par
exemple, lorsqu’une personne considère un rêve comme étant de
nature prémonitoire ou qu’elle raconte une expérience d’abduction,
s’il peut nous arriver d’échanger concernant la nature « objective »
de ce vécu comme nous venons de l’évoquer, il ne s’agit pas de
réduire l’expérience du patient à ce que le clinicien pourrait en dire
ou en penser. Devereux (1953) explique à ce propos, comme nous
l’avions déjà indiqué au septième chapitre :
« Il s’agit de l’attitude la plus satisfaisante sur le plan scientifique dans l’état actuel de
nos connaissances, mais elle ne requiert pas simplement une ingéniosité
intellectuelle dans le dévoilement des caractéristiques logiques qui expliquent la
nature du lien, mais aussi une formidable capacité à tolérer la frustration, étant donné
que, ainsi que l’a pointé le regretté Professeur L.J. Henderson, peu de personnes
peuvent obtenir la même quantité de relâchement de tension en disant “Je ne sais
pas” que celle qu’ils peuvent obtenir en disant “oui” ou “non” » (p. 32-33).

Ainsi, s’il nous arrive de nous intéresser à la dimension ontologique


de ces expériences, cet abord se fait sous forme d’un « éventail des
possibles » à partir duquel le patient construit ses propres
représentations. Le but n’est donc pas de réduire le vécu du sujet à
telle ou telle hypothèse. Cette attitude nous est apparue comme la
plus appropriée afin d’offrir un espace d’élaboration aidant la
personne à construire par elle-même le sens et la portée de ses
expériences.
HALLUCINATION VÉRIDIQUE ET INDÉCIDABILITÉ CHEZ
ALBERTO MORAVIA

Un passage de l’œuvre de fiction Le Mépris (1954) d’Alberto Moravia dépeint de


l’intérieur le vécu d’une « hallucination véridique » et la nature indécidable de tels
vécus :
« Emilia était assise en poupe, dans le bikini d’un vert éteint que je connaissais bien.
Les jambes étroitement serrées, appuyée sur ses bras rejetés en arrière, sa svelte
taille nue un peu tordue par rapport à ses hanches, elle avait une pose pleine de grâce
féminine. Devant ma stupéfaction, elle me sourit et me regarda fixement pour me dire :
“Oui, c’est moi… ne dis rien… n’aie pas l’air surpris…” […] Nous étions arrivés à
hauteur de la Grotte Verte et je dirigeai la barque vers l’antre sombre dont la voûte
s’arrondissait au-dessus d’un miroir d’eau d’un vert profond. “M’aimes-tu” osai-je alors
demander. Elle hésita, puis avec une sorte de tristesse qui me surprit : “Je t’ai toujours
aimé…je t’aimerai toujours…” J’insistais, alarmé par cet accent : “Pourquoi le dis-tu si
tristement ?” […] Comme elle ne répondait toujours pas, je me penchai davantage,
prudemment pour ne pas risquer de la heurter et je la cherchai à tâtons. Ma main ne
rencontra que le vide et, sous mes doigts, là où j’aurais dû toucher son corps, je sentis
le bois lisse du banc. […] Et je vis alors que la barque était vide, la plage déserte et
qu’autour de moi il n’y avait personne : j’étais tout seul. […] Je sortis du bateau et je
me jetai sur le sol, enfouissant mon visage dans le gravier humide. Je dus m’évanouir,
car je restai immobile, privé de sentiment, un temps qui me parut interminable. […] Je
regardai l’heure à mon bracelet-montre : il était deux heures de l’après-midi. Je me
souvins que midi est l’heure des fantômes et je sus que c’était devant un fantôme que
j’avais parlé et pleuré. »
« Que c’eût été une hallucination et rien de plus me le prouvait le dialogue fantastique
que j’avais cru avoir avec le fantôme d’Emilia, dialogue dans lequel je lui avais fait dire
tout ce que je souhaitais entendre et comme je souhaitais l’entendre. Tout était venu
de moi ; tout revenait à moi. Et, seule différence avec ce qui se passe en de telles
circonstances, je ne m’étais pas borné à imaginer la réalisation de mes désirs, mais la
force du sentiment qui m’animait m’avait donné l’illusion de la réalité. Chose étrange à
dire : je ne m’étonnais pas d’avoir eu cette hallucination plus rare, unique peut-être.
[…] Que de fois, sur la mer, les rames hors de l’eau, je me posai la question : avais-je
rêvé, avais-je eu une hallucination, ou, chose plus insolite, un fantôme m’était-il
vraiment apparu ? J’arrivai enfin à la conclusion qu’il m’était impossible de le savoir et
que je ne le saurais probablement jamais. […] Sur la table au couvert mis, à côté de
mon assiette, un télégramme m’attendait. En quelques mots il m’annonçait que par la
suite d’un fatal accident, Emilia était dans un état très grave et, à mon arrivée à
Naples, j’appris qu’Emilia était morte d’un accident d’automobile, tout près de
Terracina. »

Cela implique, aussi bien chez le patient que le clinicien, le


développement d’une « capacité négative » (Bion, 1965) en tant que
capacité à tolérer le rapport au doute et à l’incertitude. Il arrive ainsi
que nous rencontrions des situations pour lesquelles il est bien
délicat de comprendre la nature profonde de l’expérience rapportée
par la personne. Nous avons évoqué au chapitre cinq des situations
de ce type dans le champ des perceptions psi (cf. p. 154, 165-167)
dont voici un autre exemple dans un autre domaine :

Cas clinique : Augustine


Augustine, âgée d’une vingtaine d’années, contacte le service de consultation pour
décrire une expérience qu'elle a vécue quelques années plus tôt et dont elle a
reparlé récemment avec l’ami qui était avec elle ce jour-là. Ils étaient partis se
promener dans les bois sur un site pittoresque situé à proximité d'une abbaye. Ils se
trouvaient à un croisement de plusieurs routes qu'ils appelaient le « no man's land ».
L’accès à ce lieu était interdit, car situé sur une propriété privée. Elle vit alors « des
lumières » et craignit qu’il ne s’agisse de gardes forestiers. Ils décidèrent alors de
rentrer dans leur voiture et virent passer une trentaine de ces lumières pendant
moins d’une minute. Celles-ci faisaient quelques dizaines de centimètres et se
présentaient comme des « pastilles blanches » passant au-dessus de la route, à
hauteur d’homme. Prenant peur, ils décidèrent de partir et de consigner séparément
et par écrit leurs observations. Le contexte psychologique global n’était pas marqué
par des événements négatifs, ni par une période particulière de stress. Deux ans plus
tard, Augustine parle de cette expérience avec sa mère. Elle ne s’en était ouverte à
personne jusque-là. Celle-ci lui raconte alors avoir fait une expérience similaire dans
le même bois quand elle était plus jeune, alors qu'elle se trouvait dans une voiture
avec le père d’Augustine. Celle-ci fut très surprise, car elle décrit sa mère comme
étant « très cartésienne ». Augustine associe ces lumières au fait qu'il s'agit d'un lieu
chargé d'histoire où des personnes furent déportées et fusillées. Ce cas est un bon
exemple de ces « apparitions » qui se produisent de façon ponctuelle et lors
desquelles plusieurs personnes sont impliquées. Ce type d’expériences est souvent
très marquant pour les personnes qui les vivent31.

PSYCHOTHÉRAPIE PSYCHODYNAMIQUE
DES EXPÉRIENCES EXCEPTIONNELLES

Nous allons maintenant présenter un modèle de prise en charge que


nous proposons d’appeler « psychothérapie psychodynamique des
expériences exceptionnelles » (PPEE) et dont nous pouvons
résumer les principes essentiels avec le schéma suivant :
Conditions et processus de la psychothérapie
psychodynamique des expériences exceptionnelles

▶ Exploration phénoménologique de l’expérience


Lors du suivi à proprement parler, un premier temps
phénoménologique s’avère souvent une étape essentielle. L’objectif
est alors d’accompagner la personne vers un récit « incarné » de
l’expérience exceptionnelle. Cette exploration phénoménologique a
également pour intérêt d’aider la personne à distinguer son vécu de
son interprétation. Plusieurs méthodes existent pour aider à
expliciter l’expérience phénoménologique et nous avons été formés
en particulier à l’analyse cognitive32. Celle-ci est composée de
techniques d’entretien et d’un modèle théorique applicable à
différents domaines (enseignement, recherche, psychothérapie, etc.)
(Finkel, 2017). Cette approche se situe à la rencontre de plusieurs
théories et champs de recherche, s’appuyant sur des techniques
inspirées de la phénoménologie (Husserl, Heidegger, etc.) ainsi que
des psychologues introspectionnistes de la fin du XIXe siècle. Elle est
également proche des entretiens d’explicitation (Vermersch, 2012) et
de la micro-phénoménologie (Bitbol & Petitmengin, 2017 ;
Petitmengin & Bitbol, 2009). Nous avons repris les principes de
l’analyse cognitive pour les appliquer aux psychothérapies
psychodynamiques à partir de notre expérience initiale dans le
champ des expériences exceptionnelles (Rabeyron, 2010) et nous
avons appelé micro-analyse l’application des méthodes
d’explicitation dans le domaine des psychothérapies d’orientation
psychanalytique (Rabeyron & Finkel, 2019).
Ainsi, si l’on demande à un patient, par exemple, de décrire une
expérience de mort imminente, il évoquera spontanément
l’impression d’avoir traversé un tunnel au bout duquel il aura perçu
une lumière. La description obtenue est essentiellement du registre
symbolique : le patient produit une synthèse verbale concernant son
vécu à partir d’une forme remémorée de son expérience initiale.
Cependant, cette synthèse rend compte de manière amoindrie et
approximative de ce qu’il a réellement vécu. De son côté, le clinicien
produit de façon tout aussi approximative une représentation des
représentations de son patient prenant la forme, dans son propre
espace psychique, d’une représentation de ce tunnel. Un entretien
utilisant la micro-analyse conduit le patient à un état d’évocation
l’aidant à « revivre » son expérience sur les plans sensoriels et
émotionnels menant ainsi à une description plus fine de son vécu.
Quant au clinicien, il obtient un récit détaillé l’aidant à produire pour
lui-même une représentation que l’on peut envisager plus proche de
celle du patient.
Cela implique tout d’abord de placer le sujet dans un état
d’évocation qui partage certaines caractéristiques avec des
méthodes comme la programmation neurolinguistique (Bandler,
Grinder & Andreas, 2005 ; Tosey & Mathison, 2010), la transe
hypnotique (Erickson, Rossi & Rossi, 2006 ; Roustang, 2003), les
entretiens d’explicitation (Vermersch, 1990, 2012), la micro-
phénoménologie (Bitbol & Petitmengin, 2017 ; Petitmengin, 2006) et
l’EMDR (Tarquinio et al., 2017). Le sujet est placé dans un état qui
lui permet de revivre son expérience à la première personne
(Depraz, 2014). Après un questionnement invitant le sujet à revenir
au début ou peu de temps avant l’expérience (« Pouvez-vous décrire
la scène dans laquelle vous vous trouvez avant l’expérience ? »), les
questions posées seront les suivantes : « Que voyez-vous ?
Qu’entendez-vous ? Que ressentez-vous ? ». Ces questions sont
posées au présent et ont pour objectif de « réchauffer » la scène
initiale. Elles se présentent en termes de « comment » et non de
« pourquoi », de façon à accompagner le sujet vers un vécu
expérientiel concret plutôt que réflexif et symbolique. Les questions
qui suivent se limitent au strict minimum afin de diminuer les effets
de suggestion : « Que se passe-t-il ensuite ? Comment savez-vous
que… ? Comment ressentez-vous… ? »33. Pendant ce temps, le
clinicien observe avec attention l’expression verbale et non verbale
du sujet. L’objectif est de vérifier, par le biais de plusieurs indices,
que le sujet « revit » bien la situation de manière concrète sur les
plans sensoriels et émotionnels. Cet état d’évocation sera
notamment repérable grâce à :
1. un ralentissement de la voix ;
2. une certaine fixité du regard ;
3. des mouvements oculaires qui signent une recherche
d’informations sensorielles ;
4. une richesse phénoménologique dans la description du vécu ;
5. l’utilisation du présent.
Voici un exemple d’entretien de ce type mené auprès d’Isaac
concernant une expérience de mort imminente dans un contexte de
grande souffrance psychique (mes interventions sont en italique) :

« Est-ce que vous pouvez revoir la porte de la maison quand vous sortez ?
– Oui.
– Comment est-elle ?
– Je ne la vois plus très bien, la poignée est ronde.
– Ok. Vous ouvrez cette porte, que se passe-t-il juste après ?
– Il fait noir dehors. C'est la nuit
– Que se passe-t-il ensuite ?
– Je marche dans la neige. Je suis en tee-shirt. J'entends des voix.
– Comment sont ces voix ?
– Je ne me rappelle pas. Je suis à moitié conscient.
– Que se passe-t-il juste après ?
– Je crie le nom de mes beaux-parents.
– Ok.
– J'ai l'impression que le temps se rétrécit. On m'a dit que je suis resté vingt minutes
dehors dans la neige et que mes beaux-parents sont venus me réchauffer avec une
couverture. J'entends ma belle-mère dire qu'elle ne comprend pas, que je suis
pourtant un garçon très brillant.
– Quand vous dites que le temps se rétrécit, vous voulez dire qu'un temps qui vous a
paru très court était en fait plus long dans la réalité ?
– Oui, voilà.
– Que se passe-t-il ensuite ?
– Je sens une odeur d'hôpital. C'est probablement l'odeur de l'ambulance.
– D’accord.
– Et je me sens bien, j'ai l'impression de flotter.
– Ok.
– Et j'ai l'impression de rentrer dans un tunnel. Il y a une lumière au bout.
– Comment est ce tunnel ?
– Il est noir et assez long.
– Fait-il l'ensemble de votre champ visuel ?
– Oui, je ne vois que ça.
– Quelle longueur fait-il ?
– Environ cinquante mètres.
– D'accord. À quelle distance sont les parois ?
– Très proches, quelques centimètres.
– Ok. Donc vous êtes dans ce tunnel, qui est long d'une cinquantaine de mètres et
dont les parois sont très proches, avec une lumière au bout ?
– Oui.
– De quelle couleur est cette lumière ?
– Blanche et bleutée.
– Quelle taille fait-elle ?
– Elle est de la taille d'une grosse balle de tennis.
– Ok. Entendez-vous quelque chose ?
– Non, je n'entends rien.
– D’accord. Que se passe-t-il ensuite ?
– J'avance dans ce tunnel.
– À quelle vitesse ?
– Je ne sais pas. Il faut plusieurs minutes pour que j'arrive au bout.
– Ok. Que se passe-t-il ensuite ?
– La lumière me submerge. Je me sens bien, même si j'ai un peu peur. Je ressens
du bien-être dans la lumière. Je ne vois que du blanc et du bleu.
– Comment ressentez-vous ce bien-être ?
– Je ne sais pas bien.
– C'est dans l'ensemble de votre corps ?
– Oui.
– Ok. Ensuite ?
– Je suis submergé par la lumière et j'ai l'impression de partir. C'est à ce moment-là
que je me déconnecte. »

Le but est ainsi d’obtenir un vécu suffisamment proche de


l’expérience initiale provenant d’une granulosité phénoménologique
particulièrement fine afin d’en décomposer la structure globale
malgré une intensité diminuée. Il pourra d’ailleurs arriver que l’on soit
conduit à réduire l’intensité de l’état d’évocation afin d’éviter que la
personne ne soit envahie par des angoisses qui déborderaient ses
capacités d’élaboration34.
Quand nous avons commencé à utiliser ces méthodes dans le
champ des expériences exceptionnelles, essentiellement dans un
but de recherche, nous avons observé avec surprise qu’elles
induisaient des effets thérapeutiques. Le récit de l’expérience dans
cet état d’évocation semble favoriser son intégration par un effet de
« décondensation » des représentations et des affects qui lui sont
liés35. Du point de vue métapsychologique, ce travail d’explicitation
opère à deux niveaux. Il aide tout d’abord à expliciter les processus
préconscients, c’est-à-dire l’ensemble des éléments pouvant
parvenir à la conscience. Le ralentissement temporel du déroulé
subjectif permet au sujet de devenir conscient d’éléments qui ont
traversé son expérience d’une manière trop brève pour qu’il s’en
saisisse sur le plan réflexif. Mais la micro-analyse aide également à
faire émerger des contenus psychiques qui n’ont pu parvenir à la
conscience. Par exemple, certaines émotions qui auront été clivées
et qui n’auront pas été « re-senties » ou « reconnues » (Winnicott,
1989 ; Roussillon, 2014). Il s’agit en particulier d’émotions qui ont été
« maltraitées » dont il est possible d’accompagner l’émergence. De
ce point de vue, la micro-analyse opère comme le système digestif
par une décomposition des nutriments pour pouvoir les absorber. Le
fait de traiter un à un chaque élément psychique aide à leur
intégration comme le propose Bion (1965). Le travail d’explicitation
semble alors favoriser la survenue de contenus inconscients, la
relance de la symbolisation secondaire produisant des effets dans le
champ de la symbolisation primaire (Rabeyron, 2016 ; Roussillon,
2014). Le travail de « loupe » qu’offre la micro-analyse permet donc
de recueillir le vécu phénoménologique d’une manière détaillée tout
en induisant une relance des processus de symbolisation.

▶ Inscription subjective de l’expérience exceptionnelle


Cet abord phénoménologique laisse ensuite la place à un travail
d’élaboration et d’intégration plus approfondi. Celui-ci est
essentiellement orienté par les psychothérapies psychodynamiques
(Shedler, 2010), même si chaque clinicien peut être amené à
intervenir selon des sensibilités théoriques provenant d’autres
approches (systémique, humaniste, etc.). La psychothérapie des
expériences exceptionnelles, comme bien d’autres pratiques,
conduit en effet fréquemment à des « bricolages » théoriques et
cliniques afin de s’adapter au plus près des situations rapportées36.
Pour illustrer la manière dont il est possible d’interpréter les
phénomènes rapportés et favoriser ainsi leur inscription subjective,
nous souhaiterions tout d’abord proposer une brève analyse du film
Paranormal Activity qui aide à vivre de l’intérieur le vécu des
personnes qui rapportent des expériences exceptionnelles :
PARANORMAL ACTIVITY : LA DIMENSION
FANTASMATIQUE DES POLTERGEISTS

Le film Paranormal Activity, premier d’une série de cinq films du même nom, écrit et
réalisé par Oren Peli, et sorti sur les écrans en 2009, décrit l'histoire fictionnelle de
Micah et Katie, un jeune couple vivant à San Diego, confronté à des phénomènes
caractéristiques des cas de poltergeist. Afin de les enregistrer, Micah décide d'acheter
une caméra et de filmer en continu leur quotidien. Paranormal Activity se présente
ainsi comme un documentaire filmé à la première personne mettant en scène
l'intensité croissante des phénomènes auxquels le couple sera confronté. Bien que
tourné avec un petit budget (seulement 15 000 dollars), ce film a rencontré un certain
succès auprès du grand public et de la critique au point qu’il est le film le plus rentable
de tous les temps en rapport de son budget initial. Il a provoqué chez de nombreux
spectateurs une frayeur telle que plusieurs d’entre eux ont vécu des crises de panique
durant la projection du film, ce qui a conduit à son interdiction aux moins de 18 ans
dans plusieurs pays. Ce succès, et l’angoisse profonde suscitée par Paranormal
Activity, ne sont pas étrangers à la façon dont certains enjeux inconscients sont mis en
scène par le biais du paranormal. Ce film aide également à vivre « de l’intérieur » l’état
de stress induit par certaines expériences exceptionnelles.
Le début du film ressemble en effet à s'y méprendre à un cas de poltergeist, tel qu’il
est possible d’en rencontrer en clinique, mélange de bruits étranges, de
« déplacements » inexpliqués d'objets et d’apparitions. Outre l’association habituelle
de fascination et de peur que ce type d'expérience engendre, nous retrouvons les
réactions classiques dans cette situation : recherche d'explications alternatives,
demande d'aide à des proches, quête d’informations sur internet, appel à un médium,
tentative d'objectivation des phénomènes, interprétations spirites et essai de
communication avec les « entités ». La fiction semble ainsi se nourrir des cas
spontanés d'une manière relativement réaliste.
Au début du film, dès les premiers soirs suivant l'acquisition de la caméra, une
première manifestation discrète se produit alors que le couple est couché : un léger
bruit se fait entendre au rez-de-chaussée. Katie et Micah découvrent au matin que
leurs clefs sont tombées sur le sol de la cuisine. Il convient généralement de porter une
attention particulière aux objets qui sont ainsi « touchés » par le poltergeist. En
l'occurrence, nous pourrions interpréter ces clefs comme étant le symbole de cette
maison dans laquelle le couple vient d'emménager, symbole qui ne deviendra
intelligible qu'avec les manifestations ultérieures. Un autre phénomène se produit la
nuit suivante : la porte de la chambre à coucher s’ouvre et se ferme toute seule. Cette
porte peut être interprétée comme figurant l'entrée dans l'intimité du couple. Alors que
le phénomène est d’abord distant et discret, lors de la chute des clefs dans la cuisine, il
se rapproche et devient plus visible au seuil de la chambre à coucher. Dans les cas
spontanés, de façon similaire, les phénomènes s'intensifient généralement
graduellement, laissant progressivement s'exprimer le contenu psychique latent.
Katie demande alors l'aide d'un médium qui semble mal à l'aise. Celui-ci pense que
l'entité à l'origine des phénomènes est un démon, ce qui dépasse ses compétences.
Dans la réalité, il est fréquent que les personnes fassent ainsi appel à des médiums ou
autres spécialistes des milieux ésotériques. Ces derniers, avec leur sensibilité
exacerbée, présentent habituellement de façon métaphorique la nature des difficultés
rencontrées. Le fantôme, le revenant, ou, dans ce cas, le démon, vient dire quelque
chose de la dynamique psychique à l'origine du poltergeist. Ainsi, derrière le discours
manifeste du médium, nous pouvons entendre qu'il ne peut ni intervenir, ni faire office
de tiers dans cette situation. Les phénomènes se jouent donc au sein du couple et les
enjeux inconscients sont d'une intensité telle que le médium ne peut agir. Il précise par
ailleurs que le démon « veut Katie ». Le couple se trouve alors plongé dans une
solitude autarcique.
Micah, rationnel et cartésien, est cependant bien déterminé à trouver une explication à
ces manifestations intempestives. Malgré ses réticences initiales, il déploie tous ses
efforts pour aider sa compagne. Alors qu’il nargue « le démon » avec amusement et
curiosité dans un premier temps, il tente ensuite de communiquer avec lui à l'aide d'un
micro et d'une table de Oui-Ja. Katie, en revanche, ne veut rien savoir du « message »
du démon et souhaite simplement s'en débarrasser. Cette attitude est semblable à
celle observée dans les cas spontanés et traduit les phénomènes de projection et de
mise à distance du contenu psychique à l'origine du poltergeist. Chaque cas
correspond ainsi à une dynamique et une conflictualité psychique spécifiques qu'il
convient de dégager, cette mise en sens permettant aux personnes de se réapproprier
une histoire qui semble faire écho dans leur environnement. Il s'agit ainsi
d’« exorciser » ce contenu latent et le poltergeist demande donc à être « entendu ». Ce
processus demande un temps de décantation, qui permettra, au fil des entretiens, de
comprendre quels sont les conflits psychiques sous-jacents au poltergeist.
Quels sont alors, dans Paranormal Activity, les conflits psychiques qui font ainsi
intrusion dans la vie intime de ce couple ? Nous proposons l'hypothèse suivante : le
poltergeist, plus précisément le démon, a pour fonction de séparer le couple. Cette
séparation semble faire écho à une problématique œdipienne. Se séparer de Micah
correspondrait-il pour Katie à la possibilité d’être à nouveau « disponible » pour une
imago paternelle ? Celle-ci prendrait la forme du démon, représentation omnipotente et
terrifiante du père. Si l’on suit cette interprétation, les phénomènes semblent se
produire selon le dogme psychologique inconscient suivant : « Tu ne devrais pas être
avec cet homme, tu devrais être avec moi, ton père ». Cette problématique œdipienne
prendra la forme originale de la projection de cette conflictualité psychique, associée à
une forte culpabilité et des angoisses de castration. Cette hypothèse semble étayée
par plusieurs éléments. Tout d’abord, Micah reproche à Katie de ne pas avoir fait
mention de ces manifestations intempestives avant qu’ils emménagent ensemble.
N'était-ce pas déjà, chez elle, le signe de cette culpabilité, qui s'est traduite par
l’incapacité à en parler ? En effet, les phénomènes n'ont pas commencé avec
l'emménagement avec Micah, mais quand Katie était âgée de huit ans. À l’époque, sa
maison avait alors pris feu, ce qui peut être interprété comme symbole de la force des
premiers enjeux pulsionnels inconscients dans l’enfance. Dès cet âge, l'organisation
œdipienne et son refoulé se seraient donc exprimés selon cette projection dans
l'environnement avant de faire leur retour à l'âge adulte. Dans cette optique, on
comprend mieux que Micah et Katie, guidés par le démon, retrouvent dans le grenier,
au-dessus de leur lit, une photo d'enfance de Katie en partie brûlée. Le grenier pourrait
être pensé comme métaphore de cette réalité psychique latente qui se superpose à la
réalité manifeste. Il se cache donc « quelque chose » au-dessus de ce lit et Katie
demande d'ailleurs avec force à Micah de ne pas aller voir ce qui s'y trouve. Cette
dynamique inconsciente, qui rend complexe pour Katie le fait de vivre avec un homme,
apparaît également en filigrane derrière les demandes répétées de Micah de faire
l'amour. Les échanges du couple paraissent tendus et nous pouvons nous interroger
sur l’existence de problèmes conjugaux avant l'apparition des manifestations
paranormales. Nous pouvons également remarquer, dans la perspective d'une
dynamique œdipienne et castratrice, un geste prémonitoire de Micah, au début du
film : il fait mine d'égorger l'agresseur supposé avec un couteau. Cette dynamique
psychique restant masquée, elle se traduit par des manifestations qui s'intensifient. Ce
sont, comme souvent en clinique, des cauchemars récurrents de Katie dont elle ne
veut pas parler à Micah. Quelques nuits plus tard, un coup est frappé dans le mur. Il
est associé à un cri et au déplacement d’un lustre du salon. Le couple est terrorisé. La
nuit suivante, Katie se lève et regarde Micah comme un prédateur observe sa proie.
Elle sort alors dans le jardin, en état somnambulique, et répète qu’elle préfère dormir
dehors. Elle dit également à plusieurs reprises à Micah « Laisse-moi » et « Va-t’en ».
S'agit-il pour elle de la seule solution pour éviter d'agresser son compagnon ? Nous
passons ainsi progressivement de la projection dans l'environnement de la dynamique
inconsciente à des processus de possession.
Si Katie reste indifférente à une éventuelle explication des phénomènes, Micah met en
œuvre différents stratagèmes qui visent à les objectiver. Il semble vouloir donner forme
à cet agresseur de façon à pouvoir l'affronter et place de la farine à l'entrée de leur
chambre. Cette attitude est également fréquente en clinique et vise à tenter de garder
le contrôle par un phénomène de rationalisation des phénomènes. Au cours de la nuit,
des bruits de pas se font entendre tandis que des traces apparaissent au sol. Leur
forme rappelle celle des sabots d'un démon, nouveau symbole de cette imago
paternelle effrayante et bestiale. Le phénomène se rapproche toujours davantage du
couple qui ne peut fuir. La réalisation, avec une seule caméra, dans la lignée de films
comme Le Projet Blair Witch, met d'ailleurs en scène, pour le spectateur, ce sentiment
d'être contraint et de n’avoir aucune échappatoire possible. Le démon prend ainsi
progressivement « corps ». La nuit suivante, son ombre apparaît sur la porte, à
proximité du lit, avant que les draps ne soient soulevés et qu’il ne prenne place dans le
lit. Là encore, il s’agit de « phénomènes » classiques dans les cas cliniques. Ils se
traduisent souvent par des visions d’ombres ou de formes floues, ainsi que par le
ressenti d’un « souffle » ou d’une « respiration », alors que la personne est sur le point
de s’endormir.
Les phénomènes prennent une autre ampleur la nuit suivante et nous quittons la
réalité clinique pour rentrer dans une fiction qui permet de mettre d’autant mieux en
évidence les contenus inconscients de ce type de manifestations. Le démon en vient à
chasser violemment Katie hors du lit. Alors qu’elle est traînée dans le couloir par une
force invisible, Micah tente de la retenir jusque dans la salle de bain. Katie demande
une nouvelle fois à Micah de quitter la chambre et de rester en bas, ultime tentative
pour éviter l'intimité de la chambre qui raviverait la violence des enjeux inconscients.
Nous découvrons le lendemain que Katie a été mordue dans le dos. Elle paraît comme
vampirisée par cette morsure qui précipite la possession. L'imago paternelle, clivée et
projetée à l'extérieur, est à présent intériorisée. Les manifestations qui se cantonnaient
jusqu'alors à une activité nocturne se produisent désormais en plein jour, symbolisant
ainsi le fait que les contenus latents deviennent manifestes. Un bruit retentit à l'étage
et le couple découvre un cadre brisé : la photo de Micah qui porte une griffure. À
mesure que les phénomènes évoluent, ils sont plus précis et se caractérisent par une
agressivité évidente à l’égard du compagnon de Katie. Micah comprend que la
situation devient ingérable. Le couple est d’autant plus paniqué que les deux jeunes
gens ont découvert sur internet l’existence d’un cas similaire au leur. Celui-ci se serait
produit plusieurs dizaines d’années auparavant et aurait conduit à la mort d’une jeune
fille possédée. Micah et Katie en déduisent qu’ils sont poursuivis par le même démon,
car le prénom de cette jeune fille, Diane, était apparu sur la table de Oui-Ja qui avait
pris feu. Ces tentatives de mise en sens et d’explication des phénomènes de
poltergeist par différentes entités sont également habituelles en clinique.
Alors que le couple s’apprête à quitter la maison, la possession devient plus manifeste
quand Katie demande à Micah qu'ils restent finalement dans la maison. Elle regarde
alors la caméra et prononce quelques mots : « Tout va bien se passer maintenant ».
Sa voix est doublée de celle du démon tandis qu'un sourire inquiétant se dessine sur
son visage. La dernière nuit commence. La lumière s'allume à plusieurs reprises dans
le couloir. Des bruits de pas retentissent. Katie se lève comme les nuits précédentes.
On peut alors voir qu'elle est bien la cause des phénomènes : par un geste qu’elle fait
à distance, elle enlève le drap qui recouvre Micah. Elle s'approche de lui et le regarde
longuement. Puis elle quitte la pièce. Un cri se fait entendre au rez-de-chaussée.
Micah descend en courant pour tenter de secourir Katie. Quelques instants s'écoulent
en silence jusqu'à ce que des pas retentissent dans l'escalier. Micah est soudainement
projeté, de dos, sur la caméra. Katie apparaît, couverte de sang, le visage déformé par
un rictus démoniaque. Elle s'approche et se jette sur la caméra, ce qui sera la dernière
image du film. Nous apprenons enfin, par deux phrases laconiques, que le corps de
Micah fut découvert sans vie et que Katie n'a jamais été retrouvée.

Paranormal activity met ainsi en scène de manière fictionnelle des


processus caractéristiques des expériences exceptionnelles dans un
contexte aigu d’angoisse et de crise. Nous pouvons dégager en
particulier quatre axes qui orienteraient le travail d’accompagnement
psychologique de manière plus globale dans les expériences
exceptionnelles : la contenance, la dépathologisation, la
distanciation et la mise en sens.
Travail de contenance (« que m’est-il arrivé ? »)
Il s’agit souvent, dans un premier temps, de contenir les angoisses
associées aux expériences exceptionnelles. L’IGPP rapporte ainsi
que près de 80 % des personnes qui les contactent se disent
angoissées par les expériences rencontrées. John Mack (1994)
décrit ainsi un « choc ontologique » que l’on retrouve dans la plupart
des expériences exceptionnelles. Celui-ci provient d’un décalage
entre la réalité telle que la percevait la personne avant l’expérience
et telle qu’elle lui apparaît ensuite. Ce choc ontologique peut
conduire à de profondes souffrances psychiques qui résultent d’un
débordement des capacités d’élaboration du sujet (Belz-Merk,
2000). L’aspect effractant provient autant de l’expérience elle-même
que de ce qu’elle vient représenter de la vie psychique à ses limites.
Ces expériences, du fait du sentiment de honte qui les accompagne
parfois, ne sont en outre partagées que dans un cercle restreint, ce
qui ne favorise par leur élaboration (Ruttenberg, 2000). Cela
souligne leur aspect intime qui donne l’impression d’une mise en
contact immédiate avec les couches les plus secrètes du psychisme.
La souffrance qui en découle est souvent d’autant plus marquée que
l’expérience se trouve associée à des problématiques psychiques
qui en sont le facteur déclenchant (séparation, décès, etc.). Il est
ainsi fréquent que nous soyons contactés par des personnes en
situation de crise, voire même en état de stress post-traumatique. Le
travail clinique consiste alors à rassurer la personne concernant la
gravité de son vécu37. Cette clinique traumatique implique de la part
du clinicien empathie et contenance face aux débordements
émotionnels rencontrés, comme l’illustre le cas de Laetitia (déjà
évoqué p. 165) :

Cas clinique : Laetitia


Laetitia est aide-soignante et veilleuse de nuit dans un hôpital. Âgée d’une trentaine
d’années, elle contacte le service de consultation car elle est très perturbée par des
phénomènes survenant à l’hôpital où elle travaille – « construit sur une ancienne
morgue » – au point qu’elle a peur de s’y rendre. Depuis environ trois semaines, des
phénomènes dérangent en effet les équipes de nuit. Une porte « s’est ouverte
seule », des lampes s’allument sans raison et certaines personnes entendent « des
voix, un souffle et des cris ». Laetitia a même eu l’impression, au cours d’une ronde
avec l’une de ses collègues, d’être poursuivie. Le plus perturbant s’est produit quand
une porte dont elle venait de fermer le verrou s’est ouverte alors que personne n’était
présent dans la chambre. Lorsque nous discutons plus avant de ces événements,
Laetitia précise que ceux-ci ont commencé après de très fortes tensions entre
l’équipe de nuit et l’équipe de jour. Laetitia prend depuis très à cœur ces problèmes.
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’elle est confrontée à ce genre de
phénomènes. Quand elle était enfant, « des objets changeaient de place » dans sa
chambre et des « tiroirs s’ouvraient seuls ». Le suivi aura nécessité de tout d’abord
contenir la charge affective associée à ces expériences pour permettre à Laetitia de
travailler dans de bonnes conditions, avant de l’aider à comprendre plus avant la
dynamique de cette expérience et la manière dont elle pouvait l’appréhender.

Travail de dépathologisation (« suis-je fou ? »)


Un deuxième axe concerne essentiellement la « dépathologisation »
de l’expérience38. Nombreuses sont les personnes qui sont
confrontées à une peur intense de basculer dans la folie suite à une
expérience exceptionnelle. Cette inquiétude est aggravée par le fait
que le paranormal est souvent stigmatisé socialement comme un
signe de folie. Cette crainte conduit les personnes qui nous
contactent à rarement oser parler de ces expériences dans le cadre
de suivis traditionnels auprès de psychiatres ou de psychologues39.
De ce point de vue, on observe parfois dans les milieux médicaux
une logique de pathologisation du même ordre que ce qu’ont pu
connaître les états hypnotiques (Roustang, 2003). Cela peut induire
un « traumatisme secondaire » lorsque la personne tente de
partager son expérience et voit celle-ci réduite à une expression
psychopathologique (Evrard, 2007)40. Il s’agit donc pour le clinicien
de rassurer la personne concernant la nature de son vécu et de
l’accompagner dans une compréhension des relations possibles
entre expériences exceptionnelles et psychopathologie. Cela se
traduit concrètement par un travail de distinction entre le « bon
grain » (expériences exceptionnelles) et « l’ivraie » (éléments
psychopathologiques) qui peut sembler artificiel mais qui est souvent
bénéfique pour les patients. Quand ce travail est effectué
précocement, il semble même parfois éviter que l’expérience ne
dégénère sur un versant pathologique ou somatique, comme
l’illustre le cas de Charles :

Cas clinique : Charles


Après une première expérience, qui pourrait s’apparenter à une bouffée délirante à
coloration paranoïaque commençant par un « souffle au niveau des yeux », Charles
vit, dans un contexte de harcèlement professionnel, ce qu’il décrit comme un état de
« détresse aigüe » qui le conduit à être hospitalisé en psychiatrie. Avant cet incident
qu’il interprète à la fois comme une diabolisation et une grâce, Charles ne
s’intéressait pas au paranormal. Il avait suivi des études scientifiques et occupait un
emploi d’ingénieur. Une certaine sensibilité semblait néanmoins déjà présente chez
lui, ne demandant peut-être qu’à éclore à l’occasion d’une situation difficile.
L’émergence d’une perméabilité psychique exacerbée se traduit alors chez lui par de
nombreux « flashs » qui le conduisent à se demander s’il n’est pas médium. Charles
a l’impression de « voir » différents événements concernant les patients qu’il côtoie à
l’hôpital. Il commence également à pratiquer le magnétisme et développe un intérêt
nouveau pour la peinture. Il s’interroge : est-il confronté à un « éveil » ou un trouble
pathologique ? Doit-il devenir magnétiseur, peintre médiumnique ? Il est partagé
entre la conviction d’avoir un don – celui de voir des événements réels, d’être en
mesure de soigner les gens par magnétisme – et le sentiment de perdre le fil du fait
d’une trop grande sensibilité. Ses pensées « déraillent » et il éprouve des états de
grande détresse psychologique prenant la forme d’intenses craintes d’effondrement.
Il décrit alors l’impression d’être à la fois « mort et vivant » évoquant des « angoisses
de mort imminente ».

Le tableau présenté par Charles associe des éléments


psychopathologiques à des expériences du champ des expériences
exceptionnelles. Il conviendra dans ce type de situation
d’accompagner le patient dans la compréhension des relations entre
ces deux dimensions. De ce point de vue, nous travaillons souvent
avec ces personnes à partir de l’idée que des particularités de leur
fonctionnement psychologique pourraient induire ces vécus. Il s’agit
ainsi d’éviter le piège de l’opposition entre réalité psychique et réalité
objective. Comme nous l’avons vu au premier chapitre, ces
expériences sont liées à des traits de personnalité qui témoignent
d’une perméabilité psychique exacerbée (Houran et al., 2003)
comme l’absorption (Irwin, 1985), la dissociation (Ross & Joshi,
1992), la tendance à l’imaginaire (Wilson & Barber, 1983) et
l’hypnotisabilité (Groth-Marnat, 1998). Ces traits de personnalité ne
sont pas pour autant pathologiques en eux-mêmes (Cardeña, Lynn
& Krippner, 2000, p. 129) et conduisent à l’émergence consciente de
processus habituellement inconscients. Ces personnes font ainsi
l’expérience de vécus sensoriels inhabituels et entretiennent un
mode relationnel particulièrement poreux à leurs processus
inconscients, aux autres et à leur environnement. Le travail clinique
consiste à accompagner ce rapport particulier à soi et au monde.
Juliette évoque ainsi la vision fréquente de « boules de lumière »
aussi bien à l’état vigile qu’à l’orée du sommeil. Elle ne sait que faire
de ces expériences qui la troublent profondément au point qu’elle en
a perdu le sommeil et son emploi. Elle semble ainsi s’engager dans
une spirale faite d’angoisse et d’incompréhension face à un vécu
dont elle ne comprend pas les origines. Le fait d’échanger avec elle
de manière non jugeante à partir de « l’hypothèse de travail » de la
perméabilité psychique lui aura permis progressivement de mettre
des mots sur un vécu qui perdit ainsi son caractère anxiogène. Elle
retrouva d’ailleurs en quelques mois un équilibre psychique lui
permettant de suivre ses activités habituelles malgré la persistance
de ses vécus hallucinatoires.
PERMÉABILITÉ ET EXPÉRIENCES EXCEPTIONNELLES :
LA MÉTAPHORE DE L’OBTURATEUR PSYCHIQUE

La perméabilité psychique peut être comparée à l’obturateur d’un appareil photo qui a
pour fonction de laisser passer temporairement la lumière qui atteint le capteur ou la
pellicule. De la même manière, la psyché nécessite ce que Freud nomme le « pare-
excitation » qui vient filtrer, voire « tamiser », les expériences sensorielles et
émotionnelles afin de les rendre intégrables à la réalité psychique. Ainsi, de même que
l’obturateur s’ouvre de manière temporaire dans un appareil photo, la perméabilité
psychique varie d’un sujet à l’autre en fonction de son état psychique. La psyché
semble ainsi avoir à disposition un « obturateur psychique » qui lui permet, selon la
situation, de s’ouvrir plus ou moins au monde extérieur. Ce mécanisme engendre
secondairement l’ensemble des sous-processus relatifs à la perméabilité psychique :
hypnotisabilité, suggestibilité, hallucinatoire, etc. et des processus tels que l’hyper-
empathie, l’identification projective exacerbée et le retour d’éléments
transgénérationnels. De la même façon qu’une ouverture trop grande conduit à une
image surexposée (entièrement blanche) et qu’une ouverture trop petite produit une
image sous-exposée (entièrement noire), l’ouverture soudaine de la psyché risque
d’engendrer un phénomène de « surexposition » qui prendra la forme d’un vécu
traumatique qui met en danger l’équilibre psychique41.

Pour d’autres patients, le fait de clairement identifier avec eux ce qui


pourrait relever d’un trouble psychique s’avère parfois nécessaire
mais implique de faire preuve de beaucoup de tact. Cela peut
produire des effets inattendus dans l’après-coup, comme pour
Eleonore, une femme d’une cinquantaine d’année qui décrit un
ensemble de symptômes évoquant un tableau de psychose
hallucinatoire chronique (PHC). Celui-ci se traduit chez elle par des
expériences d’étrangeté face aux miroirs ainsi que l’audition de voix
persécutantes. J’ai fait le choix, après plusieurs entretiens, d’essayer
de dire avec tact à cette personne que ce qu’elle rapportait pouvait
évoquer un tableau clinique nécessitant une prise en charge
médicamenteuse. Malgré mes efforts pour aborder cette question
avec bienveillance, la patiente sembla ébranlée par cette annonce et
le suivi tourna court. Néanmoins, deux ans plus tard, elle nous
contacta à nouveau : elle avait finalement suivi les conseils donnés
et pris contact avec un psychiatre dont les prescriptions l’avaient
soulagée de sa symptomatologie. Chaque situation clinique apparaît
ainsi différente et nécessite de faire du « sur mesure » dans le but
d’aider les sujets à mieux cerner les éventuelles dimensions
psychopathologiques associées aux expériences exceptionnelles.
Travail de distanciation (« ce qui m’arrive est incroyable ! »)
Nombreux sont ceux qui sont persuadés d’avoir vécu une
expérience qu’ils seraient les seuls à avoir rencontré. Ce caractère
unique rend compte de la dimension narcissique des expériences
exceptionnelles dont témoigne le terme même pour les désigner : le
fait de se sentir exceptionnel, différent, « choisi », et de devenir ainsi
un être d’exception. Il nous faut dire quelques mots de ce terme tant
son importance est grande pour comprendre la dynamique
psychique qu’il recouvre. Sur le plan étymologique, le terme
d’exception provient du latin exceptio qui provient lui-même de
excipere qui signifie « retirer » ou « excepter ». Il désigne, dès 1275,
ce qui est « hors de la règle commune ». On parle ainsi de
« l’exception qui confirme la règle », ce qui souligne la dialectique
entre la « norme » et en quelque sorte, son « reste ». Sur le plan
psychique, que signifie alors ce statut ou ce désir d’être exceptionnel
qui revient à se situer hors de la règle commune ?

RICHARD III ET LE VÉCU D’EXCEPTION

Dans Quelques types de caractères dégagés par la psychanalyse (1916), Freud


explique que certaines personnes « disent qu’elles ont suffisamment souffert et
éprouvé de privation pour avoir le droit d’être dispensées de nouvelles exigences,
qu’elles ne veulent plus se soumettre à aucune nécessité déplaisante, car elles sont
des exceptions et comptent bien le demeurer » (p. 6). Freud suppose alors qu’à
l’origine du désir d’exception, « il y doit y avoir une raison particulière qui ne se
rencontre pas en général » (p. 7) et en arrive à cette hypothèse : « Leur névrose se
rattachait à un événement ou à une souffrance qui les avait atteints dans leur première
enfance, desquels ils se savaient innocents, et qu’ils pouvaient considérer comme un
préjudice injuste porté à leur personne » (p. 7). Freud prend l’exemple du Richard III de
Shakespeare dans The Life and Death of Richard the Third (1591) dont la laideur
exceptionnelle conduit à un comportement criminel selon le principe suivant : « La vie
me doit en échange une compensation que je vais m’octroyer » (p. 8).
Reprenant ces hypothèses, René Roussillon (2015) s’interroge sur cette « position
d’exception » qui « caractérise une certaine forme de torsion de la régulation
narcissique et du rapport à la condition humaine » (p. 44). Richard III se place ainsi
dans une position existentielle marquée par la revendication d’être une exception qui le
conduit à la criminalité car le « mal est devenu son bien ». Il se place dès lors hors des
règles de la condition humaine, il fait exception à la règle, car « c’est bien parce qu’il
n’a pas pu charmer le miroir primitif des yeux et du visage maternel que quelque chose
en lui est et reste inachevé, arrêté en route, non réfléchi, non subjectivable » (p. 44).
Ce reste donne lieu à une culpabilité primaire que l’on retrouvera dans le passage à
l’acte criminel selon une inversion de la temporalité habituelle : « Les crimes sont
commis parce que le sujet se sent coupable, et sans doute pour tenter de cerner ce
sentiment premier de culpabilité, tenter de s’en rendre maître, et non l’inverse » (p. 47).
Comme pour la criminalité, ce vécu d’exception ressurgissant à la faveur des
expériences exceptionnelles serait-il l’expression d’un vécu d’exception, un déjà-là
déguisé à travers les différentes figures de l’au-delà (de la castration, du deuil, etc.)
relatives au paranormal ?

Nathalie Zilkha (2006) s’interroge sur ceux qui auraient ainsi ce


« sentiment d’être une exception » qui relèverait d’un fantasme
« consolateur et moteur » (p. 87) dans les suites d’un vécu de
menace narcissique ou identitaire. De même, dans le champ des
expériences exceptionnelles, la position d’exception serait le fruit
d’un préjudice antérieur, comme nous l’avons évoqué à plusieurs
reprises, menant à de nouvelles exigences à l’égard d’une situation
présente. Ainsi, ces sujets « portés par leur narcissisme blessé […]
nous demandent de cautionner le contournement de leur surmoi42,
voire dans les situations les plus extrêmes, son désaveu ou sa
subversion » (p. 88). Ces éléments éclairent le vécu transférentiel
induit par les expériences exceptionnelles qui relève souvent de
cette logique de « caution » dont il s’agit de se décaler par un travail
de distanciation. Zilkha en arrive à l’idée suivante : « Faisons
l’hypothèse que le sujet accroché à une position psychique
d’exception est en difficulté dans l’élaboration d’un double enjeu,
narcissique et surmoïque, que l’on pourrait schématiquement
formuler ainsi : “Tu es unique” et “Tu es semblable aux autres” »
(p. 89). Zilkha se demande alors si « les revendications, conscientes
ou inconscientes, d’une position d’exception révèlent-elles les points
de tension ou d’achoppement dans cette dialectique » (p. 90). Un
narcissisme blessé conduit ainsi le sujet à une « solution parfaite de
ses blessures narcissiques mais qui exige de lui un terrible tribut :
elle l’enferme dans une position d’exclu du groupe, et de la
communauté humaine » (p. 91). Le stigmate peut alors devenir
emblème, ce que l’on retrouve dans les positions militantes qui
émergent parfois dans la suite d’une expérience exceptionnelle.
Le vécu d’exception peut ainsi traduire une fragilité narcissique
transformée en sentiment d’omnipotence43. Celui-ci apparaît
d’autant plus grandiose qu’il vient soutenir un narcissisme en
souffrance. La prise de distance sur le vécu expérientiel est dès lors
délicate, car le sujet est comme englué dans un vécu
phénoménologique marqué du sceau du narcissisme et ne cesse de
le répéter implicitement : « Je suis différent, je suis exceptionnel,
écoutez-moi ! ». Cette dynamique semble relever d’une régression à
la pensée magique et aux fantasmes de toute-puissance. Savoir
sans savoir, savoir à distance, être en mesure de décrire le passé et
le futur, s’affranchir ainsi des barrières du temps et de l’espace serait
alors l’expression à peine déguisée de la toute-puissance des
pensées. L’expérience exceptionnelle conduit également à cette
« position d’exception » qui conforte le sujet sur le plan narcissique
et l’aide à s’affranchir, de façon partielle, des règles habituelles des
relations aux autres et à l’environnement.
Le recours au paranormal peut ainsi permettre plus globalement
d’éviter de se confronter à des dynamiques psychiques
inconscientes inélaborées44. La difficulté de distanciation provient
également de l’intimité des processus psychiques en jeu. Il s’agit
alors de comprendre la nature de ces éléments psychiques comme
illustré, par exemple, par Pauline :

Cas clinique : Pauline


Pauline décrit des perceptions psi « revenues en bloc » quand elle s’est trouvée
enceinte dans le contexte du deuil de sa grand-mère. Elle était alors gênée au
quotidien « par de la télépathie » et essayait de « se fermer », car elle avait une
« hypersensibilité à fleur de peau ». À cette période, elle fit également deux rêves
prémonitoires. Le premier concernait selon elle l’attentat de Beslan, impliquant un
massacre d’enfants. Elle s’est alors demandé si elle devenait folle et a fait « une
petite dépression ». Elle fut cependant rassurée en voyant que cet événement était
réellement arrivé. Elle n’était donc pas folle ! Elle fit également un rêve à propos d’un
autre attentat, qui serait survenu à Barcelone, et qu’elle associera à celui de Madrid.
Lorsque Pauline avait rêvé de cet événement, elle ne voulait plus sortir de sa maison
tant elle était inquiète.

Pauline associe donc ses rêves à une réalité tangible prenant la


forme d’attentats. Établir un parallèle entre son vécu onirique et des
événements extérieurs est rassurant, car cela lui évite de se
confronter à sa signification. Dans ce cas, rêver d’un massacre
d’enfants alors même qu’elle est sur le point d’être mère pourrait en
effet s’avérer très perturbant. Ces rêves prémonitoires apparaissent
également dans un contexte de deuil engendrant une collusion
fantasmatique entre la vie et la mort. Des parallèles sont possibles
ici avec ce que décrit Bernard Chouvier (2009) de certains
fanatiques qui projettent dans l’avenir des vécus internes de
destructivité impossible à symboliser. Le rêve prémonitoire se
présente parfois comme une forme nuancée de ce mécanisme de
défense consistant à projeter à l’extérieur des angoisses
intrapsychiques. Ces angoisses n’apparaissent pas pour autant de
façon délirante et hallucinatoire, elles ont lieu durant le rêve qui joue
le rôle de support à leur expression, voire sous forme de flashs à
l’état d’éveil. Ainsi, toute tentative de recul risque de venir interroger
la dynamique psychique sous-jacente, ce qui nécessite là encore de
faire preuve de tact.
L’état de fascination ou d’angoisse qui résulte de cette confrontation
à des contenus psychiques inélaborés conduit également à une
vulnérabilité parfois exploitée par des personnes aux pratiques peu
scrupuleuses (par exemple, des médiums qui demandent des prix
exorbitants45) et différentes formes de dérives sectaires (Chouvier,
1998). Certaines de ces personnes se font même une spécialité
d’accueillir ces expériences46. Le raisonnement qui semble animer le
sujet confronté une expérience exceptionnelle est alors le suivant :
« Si ces expériences sont possibles, alors tout devient possible ».
L’expérience exceptionnelle engendre en effet un remaniement du
modèle de réalité qui devient très labile et peut produire des
conversions idéologiques qui ne sont pas sans risque. Il n’est pas
rare de voir certaines personnes rechercher alors une figure de
l’Autre qui saura leur donner toutes les réponses aux interrogations
existentielles soulevées par ces expériences. Le travail clinique peut
donc parfois mener à une forme de protection, ou de prévention,
contre ces dérives potentielles.
Travail de mise en sens (« tout cela n’a aucun sens »)
Le quatrième axe du suivi, le plus conséquent, consiste à
accompagner l’élaboration de la signification des expériences
exceptionnelles. Ce travail conduit à interroger les raisons pour
lesquelles une personne vit une expérience exceptionnelle à un
moment donné de son existence et comment celle-ci s’inscrit dans
sa trajectoire de vie47. L’expérience est souvent présentée dans un
premier temps comme n’ayant pas de sens. Elle paraît
« désubjectivée », comme un « corps étranger » au sein de la
psyché. L’analyse phénoménologique, la contenance, la
dépathologisation et la distanciation que nous venons de présenter
opèrent alors comme un temps préalable à cette élaboration à partir
de la demande initiale du patient. Nous partons ainsi de cette
« demande exceptionnelle » – une demande d’exception ? – dans le
but de la rendre plus ordinaire, et donc plus pensable, afin de la
mettre en perspective avec l’ensemble de la vie psychique.
L’expérience exceptionnelle apparaît ainsi comme le point de départ,
la porte d’entrée à partir de laquelle un travail psychique peut
s’engager. De ce point de vue, le partage de l’expérience auprès
d’un autre, son adresse48, est en lui-même un élément favorable à
ce travail d’élaboration, comme le note Mercedes Allendesalazar
(2007). L’expérience exceptionnelle apparaît en effet dans ses
prémisses mêmes comme un vécu qui demande à être partagé afin
de pouvoir être métabolisé psychiquement, son partage auprès d’un
autre étant partie prenante de son élaboration future.
Sur le plan psychothérapeutique, il convient alors d’aider ces
personnes à explorer la dynamique psychique sous-jacente aux
expériences exceptionnelles qu’ils ont pu vivre49. Un tel processus
peut s’avérer rapidement bénéfique lorsque le sujet a les capacités
suffisantes pour internaliser les processus psychiques ainsi projetés
dans l’environnement50, comme l’illustre le cas de Patricia :

Cas clinique : Patricia


Patricia se sent déstabilisée par des prémonitions dont elle fait l’expérience
régulièrement. Celles-ci se produisent lorsqu’elle est sur le point de s’endormir,
principalement sous forme de symboles (par exemple, « un col roulé déchiré » ou
une « commode sans poignée »). Ces rêves prémonitoires ont toujours été présents
dans sa vie, mais ils se sont particulièrement développés il y a quatre ans quand elle
a appris la langue des signes. Plusieurs ruptures amoureuses se sont produites à la
même époque. Dans sa famille, des rêves de ce type sont fréquents. Par exemple,
les « rêves de viande » correspondent selon elle à un événement négatif à venir. Elle
associe ces symboles à sa situation professionnelle difficile. Elle se demande
comment et pourquoi travailler quand on sait qu’un projet sera un échec futur.

Ici, les rêves prémonitoires ne sont plus projetés dans des


événements impersonnels relevant d’événements internationaux
mais dans des situations personnelles à venir. Face à une situation
instable et angoissante sur le plan professionnel, Patricia projette
peut-être dans son avenir les difficultés d’un passé qui ne peut être
représenté que sous la forme d’un échec menant à ces vécus
oniriques déplaisants et prenant la forme de ces « rêves de
viande ». Il s’agirait ainsi de processus relevant d’une « névrose
d’échec » qui passerait par le rêve pour signifier au sujet que toute
entreprise est vouée à l’échec, le rêve prémonitoire étant
annonciateur d’un futur intransformable. Le cas de Patrick semble
relever en partie de la même logique :

Cas clinique : Patrick


Patrick décrit des rêves prémonitoires à répétition qui le perturbent beaucoup. Par
exemple, il rêve d’une panne mécanique et découvre le lendemain que son chauffe-
eau est cassé. Un autre rêve concerne deux policiers qu’il croise quelques jours plus
tard. Ces rêves génèrent de nombreux questionnements chez lui. Il se demande
quelle en est la cause, s’il perçoit réellement le futur et dans quelle mesure il serait
lui-même à l’origine d’événements qui se produisent ensuite. Il tente une métaphore
pour expliquer la façon dont il ressent les choses. Il a le sentiment que le temps est
similaire à la toile de fond d’un canevas sur lequel viennent se greffer les « fils du
futur », lui donnant l’impression que ce futur est en quelque sorte déjà là. Il est
troublé par ce sentiment qui l’empêche de vivre une vie harmonieuse. Il se demande
en effet s’il est possible de changer l’avenir et a paradoxalement très peur de
l’influencer. Patrick s’interroge également selon la perspective suivante : à quoi bon
continuer à vivre si l’avenir est déjà écrit ?

Ce mécanisme garde la trace de la pensée magique déjà évoquée,


Patrick ayant peur de pouvoir influencer directement le futur. La
métaphore du canevas peut être interprétée comme une métaphore
de l’inconscient où les fils de l’avenir viennent se greffer sur le
canevas du passé. Ce passé semble trop chargé pour qu’un futur
différent puisse advenir. Cette association entre pensée magique,
projection des angoisses et vécus oniriques prémonitoires peut
prendre des formes variées dans la clinique des expériences
exceptionnelles, comme chez Pascal :

Cas clinique : Pascal


Pascal nous contacte concernant des précognitions et des phénomènes de déjà-vu.
Ces expériences ont commencé quand il était enfant après que son père a été
électrisé par une raie lors d’une pêche au harpon. Il se dit traumatisé par cet
événement et aurait depuis très peur que ses parents décèdent. Dans les suites de
cet épisode, il vivra des épisodes de déjà-vu de façon très fréquente, jusqu’à cinq ou
six fois par jour. Il décrit ainsi « des films » qu’il perçoit comme des souvenirs et qui
se dérouleraient ensuite dans la réalité. Pascal fait également l’expérience régulière
de précognitions. Par exemple, il a senti que « quelque chose de grave allait se
passer » avant d’apprendre qu’un ami venait d’avoir un accident. Cependant, il se
rend compte que les choses sont plus compliquées qu’il n’y paraît. Ainsi, il a cru voir
le décès d’un célèbre chanteur ou trouver un trésor, ce qui ne sera finalement pas le
cas... Il est même resté chez lui quelques jours, persuadé qu’un événement très
grave allait se produire. Pascal pense donc que ces expériences sont un « mélange
de pressentiments, de désirs et de peurs ».

On observe alors un mécanisme de défense que l’on peut retrouver


dans l’ensemble des expériences exceptionnelles et qui repose sur
de la projection : « Ce n’est pas moi qui suis la cause des
phénomènes rencontrés, ce sont des forces occultes » ou encore
« Ce rêve ne me concerne pas, il s’agit d’un rêve prémonitoire ». Les
éléments les plus intimes de la vie psychique apparaissent ainsi
externalisés avant d’être l’objet d’un mécanisme de dénégation
particulièrement efficace.

▶ Intégration subjective de l’expérience exceptionnelle


La suite du suivi vise souvent à aider le sujet à réintégrer ce que, de
lui-même, il tente de symboliser par l’intermédiaire des expériences
exceptionnelles. Cela implique de pouvoir jouer et rêver l’expérience
afin d’en dégager les potentialités symboligènes au-delà de ses
dimensions défensives. Nous retrouvons alors les ingrédients
habituels de tout travail psychothérapique d’orientation
psychanalytique (Rabeyron, 2018) que l’on peut adapter au champ
plus spécifique des expériences exceptionnelles :
L’associativité, tout d’abord, concerne la manière dont le patient
parvient, avec plus ou moins de fluidité, à passer librement d’une
idée à une autre. Habituellement, plus la personne arrive
facilement à se laisser surprendre par ce qu’elle peut dire
spontanément, meilleures sont ses capacités de transformation.
En l’occurrence, nous invitons les patients à évoquer, sur le mode
de l’association libre, ce à quoi ces expériences leur font penser. Il
se dessine ainsi un « halo associatif » relatif à l’inscription
subjective de l’expérience. Les contenus inconscients affleureront
progressivement à la surface, ce qui favorisera leur intégration
dans un réseau associatif plus global.
Le transfert désigne la manière dont le patient transfère sa
dynamique psychique sur la figure du clinicien et le cadre
thérapeutique. Il s’agit d’être attentif à la façon dont le sujet
parvient à repérer ce transfert et à s’en extraire. Lorsqu’il arrive à
porter un regard réflexif sur la relation transférentielle initiale, cela
signe généralement une évolution favorable du suivi. Ce
processus est cependant réduit dans le cadre de ce type de prise
en charge compte tenu du nombre limité d’entretiens avec un
même patient. L’analyse du transfert par le clinicien demeure
néanmoins un outil essentiel de compréhension et d’élaboration
tant les enjeux transférentiels sont majeurs dans cette clinique.
Dans cette optique, nous sommes souvent d’emblée placés de
façon flagrante en position de « sujet supposé savoir », c’est-à-
dire celui qui saurait dire à ces personnes la nature de ce qu’elles
ont vécu. Cette demande est d’autant plus marquée que
l’expérience et sa dimension d’inconnu sont intenses. Il s’agit de
parvenir à se décaler de cette demande de réponse
« préfabriquée » dans le but d’aider la personne à découvrir par
elle-même ce que peut signifier l’expérience à partir de son
inscription transférentielle.
La symbolisation désigne la manière dont le patient parvient à
transformer son expérience sur les plans primaires et secondaires
(Roussillon, 2014). Ces expériences concernent de ce point de
vue un « au-delà » ou un « ailleurs » relatif aux processus situés
aux limites de la symbolisation. Le sujet se trouve ainsi confronté
à une « autre scène », celle de l’inconscient, qui constitue chez
tout être humain une énigme et une part d’inconnu qui lui
échappe. Comme nous l’avons largement développé tout au long
de l’ouvrage, certaines expériences semblent produire des
évolutions étonnantes concernant la symbolisation d’expériences
traumatiques. Il s’agit d’accompagner cette relance du processus
de symbolisation caractérisé par une double logique de
régrédience et de progrédience (cf. schéma p. 303). Le risque est
souvent que le sujet soit débordé par ce processus qui ferait
éclater la subjectivité au lieu de participer à sa restructuration,
comme nous l’avons abordé au cinquième chapitre concernant le
devenir des expériences mystiques (Chouvier, 2006). Le clinicien
fait ainsi office de « Moi auxiliaire » dans le cade de ce travail de
synthèse.
La réflexivité est la manière dont le patient parvient à se ressaisir
de son expérience propre. Le sujet souffre d’un défaut de
réflexivité quand il n’est pas en mesure de se « re-sentir », de se
« re-garder » parce qu’il a été « mal entendu ». Ce travail réflexif
de soi à soi provient des soins prodigués dans l’enfance et
découle d’un reflet de soi par l’autre dont la relance est rendue
possible par l’intersubjectivité thérapeutique. Dans le champ des
expériences exceptionnelles, ce manque de réflexivité se traduit
souvent par le « collage » phénoménologique à l’expérience. Il
s’agit d’aider la personne à prendre du recul sur son vécu et à
« re-sentir » ce qui de l’expérience est demeuré en souffrance.
La narrativité est une forme plus élaborée de réflexivité qui
concerne la manière dont le patient arrive à intégrer son vécu au
sein d’une trame narrative qui fait sens pour lui. La narrativité
opère comme un niveau méta de symbolisation. Certaines
personnes ne parviennent pas à lier l’expérience exceptionnelle
dans leur histoire de vie, ce qui se traduit par une coupure entre
un « avant » et un « après » l’expérience, ce qui entrave le
processus de subjectivation. Plusieurs lignes de lectures
interprétatives seront dégagées quant à la nature de l’expérience
afin de l’inscrire dans une trame narrative. La multiplicité des
points de vue – ce que Bion (1965) appelle des vertex – donnera
progressivement une épaisseur subjective à l’expérience.
Le travail psychothérapique orienté selon ces différents axes
favorisera l’intégration progressive de l’expérience exceptionnelle. Il
arrive d’ailleurs que cette thématique initiale devienne secondaire au
fil des entretiens. Cependant, le suivi reste habituellement en lien
avec celle-ci et nos objectifs thérapeutiques demeurent modestes.
Quand les enjeux psychiques sous-jacents nécessitent une prise en
charge plus intense, nous encourageons le patient à poursuivre ce
travail au long cours dans un cadre plus adapté. Le suivi peut ainsi
devenir la phase préliminaire d’une prise en charge ultérieure plus
approfondie. Enfin, notre dispositif actuel n’évalue pas ses effets sur
la santé psychique des patients et nous n’avons donc pas de
données objectivées concernant l’efficacité de ces psychothérapies
psychodynamiques centrées sur les expériences exceptionnelles51.
Cependant, le suivi des patients donne l’impression que ces prises
en charge les soulagent grandement. Le fait de rencontrer des
cliniciens spécialement formés apparaît parfois comme une bouée
de sauvetage et semble endiguer des spirales mortifères sur les
plans somatique et psychique. Ceci est particulièrement vrai pour
des personnes qui se refusent à consulter des psychiatres et des
psychologues dans des cadres plus classiques. Il conviendrait dans
le futur d’étendre ce type de dispositifs et de professionnaliser
davantage les prises en charge de cet ordre. Notre objectif est
également à terme de pouvoir dispenser des formations auprès des
cliniciens, de façon à sensibiliser les différents intervenants en santé
mentale. Idéalement, des structures de soin spécialisées sur cette
thématique pourraient être financées par l’État, comme cela est déjà
le cas en Allemagne.

Notes
1. Hans Bender a commencé par des études de psychologie et de
littérature avant de devenir médecin. Il suit les cours de Pierre Janet
et rédige sa thèse, soutenue en 1933, sur l’automatisme
psychologique dans ses rapports à la perception extra-sensorielle.
Après la Seconde Guerre mondiale, Bender obtient un poste
d’enseignant en psychologie à l’Université de Fribourg. Ce poste
devient en 1954 un professorat extraordinaire, puis ordinaire en
1967, portant à la fois sur la psychologie et ses zones frontières.
En 1950, il crée l’IGPP et propose une communication sur
« L’occultisme comme problème de l’hygiène mentale ».

2. Djohar Si Ahmed (1990, 2006, 2014) a rédigé sa thèse sur ce


sujet sous la direction de Didier Anzieu et a fondé l’Institut des
Champs Limites de la Psyché (ICLP ; http://www.iclppsy.fr/). Elle a
également été formée à la respiration holotropique par le psychiatre
Stanislas Grof. Elle distingue notamment les expériences
exceptionnelles mineures et majeures dont l’émergence dépendra
de contextes variés : travail énergétique, prise de substance, crise
existentielle, vécu traumatique, deuil pathologique, séparations, etc.

3. D’autres manifestations scientifiques portant sur les expériences


exceptionnelles ont eu lieu depuis les années 2000 mais elles sont
habituellement moins centrées sur un abord clinique. Elles ont été
organisées pour la plupart dans les centres de recherche spécialisés
sur cette thématique au sein des universités de West Georgia,
Harvard, Northampton, Londres, Édimbourg et Lund.

4. Nous avons organisé avec Renaud Evrard la cinquième rencontre


de ces experts à Nancy et Pont-à-Mousson, en mai 2019, réunissant
vingt-six participants provenant de cinq pays différents.

5. Des cliniciens d’autres pays ont également mis en place de


manière plus sporadique des prises en charge axées sur les
expériences exceptionnelles. C’est par exemple le cas du
psychologue clinicien Wim Kramer (2012) à la fin des années 80,
aux Pays-Bas, selon une approche essentiellement rogérienne.

6. Dont il est possible de consulter l’équipe actuelle à cette adresse :


http://www.igpp.de/beratung/ueberuns.htm. L’IGPP diffuse un rapport
biannuel de ses activités dont voici la dernière version :
http://www.igpp.de/allg/Berichte/IGPP_BiennialReport_2016-
2017.pdf

7. Le terme de parapsychologie (Cardeña, Palmer & Marcusson-


Clavertz, 2015) a ici un sens bien différent de celui qu’on lui connaît
habituellement en France et qui est particulièrement galvaudé. Il est
à entendre en tant qu’approche scientifique des phénomènes dits
paranormaux et correspond aux travaux d’universitaires dont les
membres sont réunis au sein d’une association scientifique, la
Parapsychological Association (PA), elle-même membre de
l’American Association for the Advancement of Science (AAAS) qui
publie la revue Science.

8. J’ai effectué ma thèse en co-direction au sein de cette unité où j’ai


pu développer certaines de mes recherches en tant que PhD visiting
student sous la direction du professeur Caroline Watt.

9. Le personnage principal, Roubachof, raconte une expérience


mystique lorsqu’il est en prison qui est probablement inspirée du
vécu de Koestler : « Il se produisait un de ces états que les
mystiques appellent “extase” et les Saints “contemplation” ; les plus
grands et les plus posés des psychologues modernes avaient
reconnu comme un fait l’existence de cet état et l’avaient appelé
“sentiment océanique”. Et en vérité, la personnalité s’y dissolvait
comme un grain de sel dans la mer ; mais au même moment, l’infini
de la mer semblait être contenu dans le grain de sel. Le grain ne se
localisait plus ni dans le temps ni dans l’espace. C’était un état dans
lequel la pensée perdait toute direction et se mettait à tourner en
rond, comme l’aiguille de la boussole au pôle magnétique ; et en fin
de compte, elle se détachait de son axe et voyageait librement à
travers l’espace, comme un faisceau de lumière dans la nuit ; et il
semblait alors que toutes les pensées et toutes les sensations, et
jusqu’à la douleur et jusqu’à la joie, n’étaient plus que des raies
spectrales du même rayon de lumière, décomposé au prisme de la
conscience » (p. 270)

10. Il nous arrive d’ailleurs, assez rarement cependant, d’être


confrontés à des problématiques ethnopsychiatriques comme dans
le cas suivant : Émilie, d’origine africaine, est âgée d’une vingtaine
d’années et nous contacte car elle « ressent des influences ». Elle
décrit des visions et des sentiments de présence, la nuit, qui lui font
peur. Elle pense que cette mauvaise influence provient d’un sort jeté
par ses frères et sœurs. Cela aurait commencé après l’obtention de
son diplôme : ils auraient été jaloux de sa réussite et auraient tenté
de la rendre folle. Elle est ainsi restée « cachée » chez elle durant
deux ans, car elle était tout le temps « fatiguée », au point qu’elle ne
pouvait « plus marcher ». Elle est ensuite partie en Afrique pour se
faire soigner, mais en réalité ses troubles se sont aggravés. Elle se
demande en effet si le marabout censé l’aider ne travaillait pas pour
ses frères et sœurs. Dans ses visions et ses cauchemars,
particulièrement fréquents, elle se trouve « poussée vers un
chemin » et a l’impression de « tomber de haut », d’être « comme
enfermée ». Il arrive également que des animaux la poursuivent et
tentent de la mordre. Elle est terrorisée par ces cauchemars
récurrents dans lesquels elle rencontre parfois des esprits qui
souhaitent « la faire tomber » et qui ont « de grandes dents ». Émilie
a vu de très nombreux marabouts qui lui ont donné des « produits »
qui n’ont généralement eu qu’une action provisoire. Des plantes l’ont
parfois aidée. Un prêtre exorciste lui a également fourni de l’eau
bénite, sans grand succès non plus. Émilie est toujours dans une
quête du marabout qui pourrait la soigner et elle en a déjà vu une
trentaine. Toute la vie d’Émilie tourne autour de cet envoûtement
supposé, la menant à cette recherche du marabout qui serait
susceptible de l’aider à sortir de ses difficultés.

11. On remarquera le développement exponentiel des chaînes de


chasseurs de fantômes sur YouTube qui sont fréquemment
contactées pour des cas de hantise et de poltergeist. Cela peut
d’ailleurs s’avérer problématique, car ces situations nécessitent
habituellement de solides compétences cliniques pour être prises en
charge de manière adéquate.

12. Il existe également des organismes plus généralistes qui


reçoivent des témoignages d’expériences exceptionnelles. C’est par
exemple le cas de l’INREES en France, créé par le journaliste
Stéphane Allix (Allix & Bernstein, 2009), ou encore de NOESIS, en
Suisse, dirigé par la biologiste Sylvie Dethiollaz (Dethiollaz &
Fourrier, 2016).

13. Il existe un prêtre exorciste « officiel » par diocèse qui peut


pratiquer aussi bien le « petit » que le « grand » exorcisme.

14. David Acunzo est ingénieur en télécommunication de formation.


Il a poursuivi son cursus par un Ph.D. à l’université d’Édimbourg
dans le champ des neurosciences cognitives et a également effectué
un stage dans le laboratoire de Princeton (PEAR) spécialisé en
psychologie anomalistique.

15. Nous avons initialement mis en place un service de consultation


avec Renaud Evrard, à Paris, au sein de l'Institut Métapsychique
International dans le cadre de nos thèses respectives. Comme la
plupart des centres de recherches universitaires et des sociétés
savantes de ce type (Montanelli & Parra, 2004 ; Parra & Corbetta,
2013), l’IMI est en effet régulièrement contacté par des personnes
qui souhaitent témoigner ou demander de l’aide concernant des
expériences considérées comme paranormales. Cette fondation a
donc une longue tradition d’écoute et d’orientation à laquelle
participa notamment Juliette Favez Boutonnier, l’une des grandes
figures de la psychologie clinique française. Le médecin Hubert
Larcher et la psychanalyste Djohar Si Ahmed ont repris et développé
cette tradition durant de nombreuses années. Nous avons alors
proposé la mise en place d’un service de consultation plus structuré,
en 2007, intitulé Service d’Orientation et de Soutien pour les
Personnes Sensibles aux Expériences Exceptionnelles (SOS-
PSEE). Nous étions contactés par l’intermédiaire du site internet de
la fondation et d'une permanence téléphonique. Pour les personnes
résidant en région parisienne, il était proposé de venir à la fondation.
Des entretiens téléphoniques étaient possibles pour les personnes
habitant en province. Ce service nous a conduits à recevoir environ
400 demandes et à réaliser 250 suivis sur une période de deux
années.

16. Un séminaire de recherche a lieu une fois par mois portant aussi
bien sur des dimensions cliniques que plus expérimentales. CIRCEE
offre également la possibilité de passer facilement des annonces
pour de nouvelles recherches et d’interagir avec les médias.

17. Cinq psychologues cliniciens (Renaud Evrard, Olivier Charlet,


Samuel Caussié, Hélène Lansley et moi-même) travaillent ou ont
travaillé au sein de ce service. Nous avons longuement réfléchi au
modèle économique le plus cohérent. Les suivis menés dans le
cadre de recherches universitaires ainsi que le premier entretien
sont gratuits. Pour les personnes qui le souhaitent, des entretiens
supplémentaires rémunérés sont possibles au tarif de trente euros
l’entretien de quarante-cinq minutes, ce qui permet au service de
s’auto-financer tout en proposant un prix peu élevé pour une
consultation spécialisée. Notre objectif à terme est d’obtenir des
financements à plus grande échelle, comme cela est le cas à l’IGPP,
afin de pouvoir faire en sorte que l’ensemble des suivis soient
gratuits et que nous ayons des locaux nous permettant d’accueillir
les personnes qui le souhaitent.

18. Tous les contacts ne donnent pas lieu à des suivis et cela, pour
plusieurs raisons : certaines personnes nous font parfois des
demandes qui ne relèvent pas de la clinique des expériences
exceptionnelles ; d’autres ne donnent pas suite lorsque nous les
recontactons ; d’autres enfin souhaitent simplement quelques
informations par email. Environ les deux tiers des contacts se
traduisent par un suivi.

19. On notera que ces statistiques sont proches de la répartition des


expériences exceptionnelles dans la population générale avec
cependant quelques variations, en particulier un taux d’abductions et
d’expériences de mort imminente relativement élevé. Parmi les
phénomènes associés, le plus fréquent est la paralysie du sommeil
(qui concerne environ 17 % des personnes qui nous contactent).

20. Il arrive également que nous soyons contactés par des proches
de personnes confrontées à des expériences exceptionnelles.
Comme cela peut arriver dans des services de consultation plus
traditionnels, nous essayons alors d’avoir un échange avec la
personne directement concernée si celle-ci est ouverte à cette
démarche.

21. Nous intervenons à domicile quand la situation le nécessite et


les conditions matérielles le permettent. Cela s’applique en
particulier aux cas de poltergeist qui viennent « chanter la souffrance
familiale » (Si Ahmed, 1990). Le cas de Catherine (cf. p. 104) illustre
une intervention de ce type.

22. Ces expériences s’inscrivent toujours au sein d’une subjectivité


qui est elle-même dépendante d’une structure. La notion de
structure ne signifie pas en elle-même une entité
psychopathologique. Elle décrit l’organisation du sujet dont
découlera notamment la forme que prendra l’émergence des
symptômes, des angoisses et des mécanismes de défense
(Bergeret, 1985).

23. Il est cependant difficile d’en déduire un lien de corrélation étant


donné que le taux de psychopathologie dans la population générale
est lui-même élevé. La prévalence d’un trouble mental sur la vie
entière est en effet actuellement de plus d’une personne sur deux
dans les pays occidentaux (Belz & Fach, 2015).

24. Ce cas m’a été transmis par Samuel Caussié.

25. Ces discours ne sont d’ailleurs pas sans intérêts, car ils gardent
souvent, chacun à leur manière, la trace des processus psychiques
qui animent le patient. Par exemple, il peut être utile de savoir ce
qu’un médium ou un voyant a pu dire au patient quant à l’origine de
ses souffrances.

26. Les cliniciens allemands de l’IGPP partagent notre avis sur ce


sujet : « Même si dans le cadre d’entretiens de soutien ou d’une
psychothérapie il ne peut être déterminé si une expérience
exceptionnelle est fondée sur des phénomènes psi authentiques, les
cliniciens devraient connaître les modèles pertinents pour expliquer
de tels phénomènes et devraient également clarifier leurs positions
sur ce sujet » (Belz & Fach, 2015, p. 373).

27. Sur le plan transférentiel, il se joue souvent une inversion de la


relation asymétrique qui caractérise le dispositif clinique comme
nous l’avons évoqué lors du chapitre sur la télépathie. Le patient
tente ainsi d’inverser la situation et de « scruter » la vie psychique du
clinicien, révélant ainsi des processus de contrôle interpersonnel.

28. Ce que l’on retrouve également dans les films de super-héros


(par exemple les héros Marvel) qui ont fréquemment des capacités
paranormales (action à distance, précognition, etc.). Sur le plan
métapsychologique, celles-ci renvoient essentiellement aux
processus du Moi-idéal qui est lui-même un reste du narcissisme
primaire.

29. A noter que le « matériel » présenté comme objectif pour le


patient est souvent très riche sur le plan clinique car il garde la trace
des processus psychiques à son origine. On ne peut donc distinguer
ce qui serait du subjectif de ce qui appartiendrait à la réalité
objective et tout élément, même matériel, peut être un indice pour
aider à mieux comprendre la vie psychique du sujet.
30. Il existe une dialectique complexe, voire même parfois une
opposition, entre dimensions objectives et subjectives. Par exemple,
la volonté d’objectivation à tout prix des phénomènes de la part du
clinicien risquerait d’empêcher d’en déployer les dimensions
latentes, tout autant que son refus à priori de les envisager comme
possibles. Il s’agit en réalité de ne pas opposer les deux éléments de
ce « couple objectivité/subjectivité et de les aborder comme les deux
versants d’un même vécu.

31. Nous pourrions envisager un phénomène météorologique


complexe de type foudre en boule. Cette explication cependant se
heurte à la faible probabilité qu’il se produise aussi bien chez la
mère et la fille à plusieurs années d’intervalle. Cette expérience
interroge peut-être une forme de transmission transgénérationnelle
du même ordre que celle évoquée au troisième chapitre.

32. Une méthode développée par Alain Finkel, professeur


d’informatique et de sciences cognitives à l’École Normale
Supérieure de Cachan (voir sur ce sujet : Finkel, 2017).

33. Bien entendu, supprimer toute influence de la part du clinicien


est un vœu pieux, mais cette méthode semble la réduire largement.
Sur ce sujet, voir les réflexions de Petitmengin et Bitbol (2009).

34. A noter que cette utilisation du vécu phénoménologique a donné


lieu à des applications concernant l’expérience intuitive (Petitmengin,
2001) et le vécu méditatif (Petitmengin, Van Beek, Bitbol, Nissou &
Roepstorff, 2018).

35. Une métaphore informatique sera peut-être parlante de ce point


de vue (Rabeyron & Finkel, 2019) : il est possible de compresser
certains fichiers volumineux, ceux-ci prenant alors moins de place
sur un disque dur. Mais ces fichiers ne peuvent être modifiés
directement une fois compressés et un logiciel est donc nécessaire
pour décompresser le fichier afin de pouvoir le modifier à nouveau.
La micro-analyse opère ainsi comme un logiciel de
« décompression » qui permet de faire émerger certaines données
sensorielles et émotionnelles non intégrées dans le processus de
subjectivation. Le fait d’expliciter la vie psychique semble donc
rendre à nouveau accessible des éléments psychiques afin qu’ils
soient transformables.

36. Les cliniciens de l’IGPP utilisent également un modèle à


« plusieurs perspectives » qui tient compte du patient, du
thérapeute, du cadre et de la problématique rencontrée afin de
proposer une réponse spécifique à chaque situation (Belz & Fach,
2015, p. 375).

37. Par exemple, les personnes qui rapportent des phénomènes de


poltergeist ont souvent très peur que les « entités » s’en prennent à
eux ou leur famille, cette peur étant favorisée par les œuvres de
fiction sur cette thématique comme l’illustre Paranormal Activity.

38. Comme nous l’avons déjà évoqué à plusieurs reprises, il arrive


que nous soyons contactés par des personnes souffrant de troubles
psychiques avérés et pour lesquelles le travail de dépathologisation
ne paraît pas approprié. Le travail clinique serait plutôt inverse et
conduirait à les aider à comprendre la nature pathologique de leur
vécu. Cela s’avère bien souvent très difficile compte tenu des
défenses massives à l’égard de toute interprétation de ce type.

39. Réaction qui n’est pas tout à fait dénuée de fondements, car il
arrive en effet que ces expériences soient considérées comme le
signe d’un trouble mental par certains praticiens du champ de la
santé mentale.

40. Les patients semblent d’ailleurs donner « des coups de sonde »


lors des entretiens avec leur thérapeute habituel pour voir si celui-ci
« mord à l’hameçon ». Il convient donc d’être très vigilant lors de
consultations dans des lieux non spécialisés, car l’expression de ces
vécus ne se fera souvent qu’à condition que le clinicien soit attentif à
ces indices discrets. J’ai pu faire l’expérience de ces logiques dans
ma pratique hospitalière. Je pense par exemple à une famille qui
consultait pour leur enfant qui avait développé des troubles du
sommeil. Il leur faudra plusieurs entretiens pour évoquer timidement
les visions de cet enfant qui s’étaient montrées exactes et les
avaient menés à des interprétations paranormales de ses difficultés.

41. On remarquera d’ailleurs que la thématique de la lumière – par


exemple dans les EMI ou les expériences mystiques – est souvent
associée à une perméabilité psychique exacerbée.

42. De ce point de vue, le champ des expériences exceptionnelles


donne plutôt à voir un « contournement » de la castration par
l’intermédiaire du Moi idéal. Il s’agit d’une différence notable, car cela
ne se traduit pas par des passages à l’acte et la transgression de la
loi comme on peut le constater dans la criminalité.

43. Par exemple, dans les cas d’abduction, même si l’expérience


s’avère souvent désagréable, le sujet n’en demeure pas moins
unique dans la mesure où il a été « choisi » par les extraterrestres.

44. Ce recours peut prendre des formes très variées. Les positions
très militantes « contre » le paranormal (sceptiques, rationalistes,
« debunker », etc.) représentent aussi un rapport particulier à cet
objet qui témoigne de processus inconscients à son égard. Le
paranormal représente de ce point de vue un espace de projection
pour les mouvements psychiques les plus intimes. Plusieurs études
témoignent des traces de ces processus sur le plan cognitif avec des
particularités aussi bien chez les « croyants » que les « incroyants »
au paranormal (Irwin, 1993).

45. De manière générale, la voyance audiotel est également un


véritable fléau dont le chiffre d’affaire exorbitant ne doit pas faire
oublier la détresse psychologique à l’origine de ces appels,
conduisant souvent au final à des factures tout à fait déraisonnables.

46. Par exemple, les perceptions psi chez les scientologues ou les
expériences d’abduction chez les raëliens.

47. Sur le plan de la dynamique psychique, on peut repérer des


fonctions psychologiques récurrentes dans ces expériences.
Wolfgang Fach (2019) distingue en particulier les trois fonctions
suivantes à partir de sa clinique à l’IGPP : garder le contrôle d’une
situation ; développer un système d’alerte et d’avertissement ; éviter
une séparation douloureuse. Ces expériences sont plus précisément
considérées comme l’expression inconsciente d’une recherche
d’autonomie ou, à l’inverse, d’attachement. Par exemple, dans les
cas de poltergeist, le besoin d’autonomie est réprimé dans le modèle
du soi (sur le plan intrapsychique), ce qui se traduit par son
expression dans le modèle du monde (Belz & Fach, 2015).

48. La nature de cette demande et son « adressage » sont en eux-


mêmes un élément utile à la compréhension de l’organisation
structurale du sujet (cf. tableau p. 131). Le sujet organisé sur le plan
névrotique recherche souvent un « petit autre » qui saurait le
comprendre, prenant la forme du psychologue spécialisé ou d’autres
personnes ayant vécu la même expérience. Le sujet psychotique
s’intéresse davantage à la rencontre avec un « grand Autre » qu’il
saura instruire sur ses facultés paranormales et qui se ferait le
porteur d’un message adressé au monde et aux puissants.

49. L’analyse d’entretiens vidéos menés à l’IGPP au moyen de la


Plan Analysis (Caspar, 2007) montre que les expériences
exceptionnelles correspondent habituellement à cinq prototypes de
« besoins » psychiques associés à des dynamiques inconscientes :
(1) externaliser des difficultés personnelles, (2) rendre sa vie plus
prévisible et contrôlable, (3) montrer que l’on est exceptionnel et
réguler l’estime de soi, (4) rechercher du sens à sa vie et (5)
diminuer les débordements émotionnels en évitant les événements
pénibles (Belz & Fach, 2015).

50. Les expériences exceptionnelles obéissent en effet à des


mécanismes adaptatifs qui ont possiblement des effets néfastes par
la suite. Cette « fuite dans le paranormal » peut conduire à éviter de
se confronter à des vécus traumatiques et des situations
émotionnelles difficiles. Cette logique d’évitement engendre un
manque de clarification et d’intégration d’expériences pénibles (Belz
& Fach, 2015). De ce point de vue, les expériences exceptionnelles
apparaissent comme un mécanisme défensif fondé sur l’évitement,
ce qui explique pourquoi les événements de vie négatifs sont
rarement évoqués d’emblée par les patients.
51. L’IGPP évalue par un questionnaire le vécu des personnes
accompagnées par leur service de consultation. Les personnes se
disent satisfaites et évaluent positivement l’accompagnement
proposé qui conduit habituellement à ce que les expériences
pénibles diminuent et que les stratégies d’adaptation mises en place
les aident à les supporter.
Conclusion et perspectives
De l’anomalie au
paradigme ?

« Il est facile de croire, facile de ne pas croire.


Ce qui est dur, c’est de ne pas croire à son incroyance. »
Arthur Koestler

Nous voici arrivés au terme de cette exploration du champ des


expériences exceptionnelles. Il s’agissait de mieux comprendre
pourquoi une part importante de la population rapporte des
expériences considérées comme paranormales, mais aussi
d’envisager comment aider ceux qui les vivent lorsque cela semble
nécessaire. Ces expériences représentent encore une relative terra
incognita dont l’étude pourrait s’avérer fructueuse à bien des égards.
À la rencontre de données historiques et contemporaines,
épistémologiques et cliniques, l’objectif fut de proposer un modèle
intégratif de ces expériences à partir de données issues de la
psychologie clinique, de la psychanalyse et des neurosciences
cognitives.
Au moment de conclure, nous allons reprendre brièvement les
principales thèses dégagées dans cet ouvrage. Le premier chapitre
nous a permis d’envisager une vue d’ensemble des difficultés de
définition et de classification de ces expériences ainsi que plusieurs
hypothèses généralistes provenant essentiellement de la recherche
empirique. Le deuxième chapitre fut l’occasion de placer ces travaux
dans une perspective historique afin de mettre en exergue les
difficultés épistémologiques inhérentes à ce champ de recherche
(Méheust, 1999). Le troisième chapitre a présenté le modèle de la
solution paranormale issu du constat qu’un grand nombre de
personnes rapportent des vécus inhabituels à la suite de contextes
de vie difficiles. Cette dimension se révèle très présente dans la
clinique et conduit à supposer un lien fort entre expériences
exceptionnelles et événements de vie négatifs. La solution
paranormale apparaît ainsi comme une stratégie d’adaptation
spécifique suite à une expérience paranormale inaugurale, première
expérience ouvrant la voie à de nombreux vécus du même ordre.
Trois formes d’émergence de la solution paranormale ont été
précisées : dans les suites d’un événement de vie négatif, lors d’une
expérience de crise et enfin hors de tout contexte difficile repérable.
L’analyse des origines de la solution paranormale conduit à l’idée
que certaines expériences exceptionnelles seraient le fruit de modes
relationnels précoces qui resurgissent à l’âge adulte. Ces
expériences peuvent alors être considérées comme la conséquence
de configurations spécifiques des liens intersubjectifs (intrusifs,
contrôlants, instables, distants). Au-delà de ces problématiques
psychiques précoces, des traumas plus tardifs seraient également
susceptibles de participer à l’apparition d’une phénoménologie jugée
paranormale. Ces traumas concernent des niveaux d’élaboration qui
interfèrent avec les registres des croyances et de la représentation
du monde. Trois voies favorisent ainsi l’émergence des expériences
exceptionnelles : (1) la « voie du contrôle » dans laquelle les
croyances au paranormal font office de système de représentation
qui donne une illusion de contrôle ; (2) la « voie de l’imaginaire » qui
est l’expression exacerbée de l’imaginaire dans le champ
hallucinatoire et dans celui des croyances ; (3) la « voie de la
transmission » qui correspond à la transmission inter- et
transgénérationnelle de contenus psychiques et de facteurs de
personnalité qui encouragent les croyances et les expériences
paranormales.
Il découle de ces différents facteurs une structure de personnalité
qui participe à l’émergence d’expériences exceptionnelles à l’âge
adulte. Sa principale caractéristique est une perméabilité psychique
exacerbée qui engendre des interactions jugées non ordinaires avec
l’environnement. Une forte porosité aux processus primaires
donnera lieu à des ressentis et à des pensées figuratives – de l’ordre
de l’hyper-empathie et de l’intuition – interprétée à travers le filtre du
paranormal. Pour les mêmes raisons, ces personnes auront
tendance à projeter chez autrui certains contenus intrapsychiques
sur le mode de l’identification projective. Cette variation de la
perméabilité psychique prend des formes variables selon les
expériences exceptionnelles et semble relever d’un « système de
secours » transformant les lois usuelles de l’associativité. Ce
mécanisme serait un processus d'adaptation de nature non
pathologique en soi comparable à la « stratégie du roseau » selon
une logique « biface » entre processus conscients et inconscients /
mondes interne et externe, mais aussi « bidirectionnelle » donnant
lieu à des mouvements aussi bien perceptifs que projectifs. Cette
perméabilité psychique exacerbée se traduit enfin par d’éventuelles
transmissions transgénérationnelles dont le caractère étrange et
inquiétant est souvent associé à des enjeux psychiques liés au deuil
et à la mort.
Au quatrième chapitre, les expériences exceptionnelles ont été
considérées comme le fruit de processus hallucinatoires et de
différents états modifiés de conscience. Certaines personnes
recherchent une interprétation paranormale à des vécus
hallucinatoires, espérant du même coup exclure une explication de
nature psychopathologique. Dans cette optique, les expériences
exceptionnelles sont considérées comme des fluctuations ou des
ratés du champ de l’hallucinatoire. La clinique des expériences
exceptionnelles étaye ici l’idée selon laquelle il serait pertinent de
dépathologiser la notion d’hallucination dont le spectre s’étend bien
au-delà de la psychose. Sur ce plan, une lecture structurale des
expériences exceptionnelles montre que la majorité de celles-ci
relève davantage du retour du refoulé plutôt que de la forclusion
psychotique. Ces hallucinations représenteraient également un
débordement du cadre de l’hallucinatoire interne – l’hallucinatoire
négatif – visant à réguler différentes formes d’angoisses. Le
psychisme se place ainsi naturellement dans divers états de
conscience, en particulier des états hypnoïdes, menant à des
expériences sensorielles particulièrement réalistes.
Nous avons ensuite examiné au cinquième chapitre comment les
expériences exceptionnelles représentent une forme extrême du
processus de symbolisation. Elles apparaissent ainsi comme une
régression à des niveaux archaïques de métabolisation psychique.
Des réflexions concernant les liens entre expériences
exceptionnelles et perceptions psi conduisent également à interroger
les niveaux les plus originaires de la symbolisation ainsi que la
nature profonde du réel. En ce sens, une position d’ouverture et
d’indécidabilité semble la plus appropriée concernant les potentielles
interactions psi impliquées par certaines expériences
exceptionnelles. L’ébauche d’un modèle théorique visant à rendre
intelligibles de telles interactions conduit à les considérer comme de
discrets échanges d’informations venant se loger dans les rapports
observateur-observé lors de mécanismes de cocréation entre les
champs ontique et épistémique.
Les chapitres suivants ont été dédiés à l’étude plus approfondie de
quatre types d’expériences exceptionnelles en particulier : les
abductions, la télépathie, les sorties hors du corps et les expériences
de mort imminente. Les expériences d’abduction illustrent le retour
de vécus traumatiques clivés sur le mode hallucinatoire. Elles
interrogent également les formes les plus originaires de la
constitution de la psyché et représenteraient une métaphore de la
situation anthropologique fondamentale (Laplanche, 1987). Le
chapitre sur la télépathie se situe pour sa part entre études
historiques et approche contemporaine de la télépathie. Les
propriétés essentielles et les conditions d’émergence de celle-ci ont
été dégagées à partir d’une reprise approfondie des positions de
Freud et Ferenczi. La télépathie semble ainsi opérer comme une
forme de communication originaire émergeant sous le coup de
dynamiques affectives et pulsionnelles intenses. Ces formes de
communications indifférenciées au plus proche du réel, du corporel
et de l’autre surviendraient alors dans le trajet allant du soma à la
pensée.
L’étude des sorties hors du corps et des expériences de mort
imminente aide quant à elle à mieux comprendre les propriétés de
l’espace psychique pré-réflexif. Le fonctionnement psychique induit
par les états modifiés de conscience associés à ces expériences
engendre en effet une déconstruction des catégories habituelles de
la pensée organisant la représentation du corps. Les expériences de
sortie hors du corps offrent ainsi une illustration frappante de la
distinction entre le Moi-corporel, le Moi-visuel et le Moi-sujet. La
survenue de ces expériences en état de crise conduit également à
un « court-circuit » permettant de protéger le psychisme. La forme
extrême de solution paranormale émergeant alors – probablement
médiatisée par des processus neurobiologiques spécifiques –
favorisera les processus transformationnels et l’intégration de vécus
traumatiques par la représentation du processus de symbolisation
lui-même.
Enfin, le dernier chapitre a porté sur l’accompagnement
psychologique des expériences exceptionnelles. Comme l’a souligné
un article du prestigieux American Journal of Psychiatry (Lomax,
Kripal & Pargament, 2011), il apparaît en effet essentiel
« d’encourager les cliniciens à être ouverts aux récits d’expériences
exceptionnelles rapportées par leurs patients et de travailler sur leur
signification lorsqu’elles améliorent la santé, l’adaptation et la
maturation psychiques » (p. 12), car ces expériences peuvent
« relever de manière essentielle du fait de créer, ou de révéler, une
mise en sens ou une narrativité chez un sujet en difficulté face à une
situation traumatique » (p. 15). Il existe ainsi une « adresse » de
l’expérience exceptionnelle comme trace des processus de
transformation avortés dont le devenir dépendra de la nature de la
réponse qui lui sera accordée. Il s’agit ainsi de faire en sorte que ces
expériences ne deviennent pas un « rendez-vous manqué » par le
biais d’un accompagnement qui favorisera leur intégration grâce à
une attitude ouverte évitant les écueils du rejet et de la fascination.
Après avoir présenté les centres spécialisés sur cette thématique,
nous avons décrit le service de consultation de CIRCEE ainsi que
les connaissances et les compétences relatives à ce champ
d’exercice. La prise en charge des expériences exceptionnelles à
proprement parler nécessite en premier lieu un travail d’explicitation
sur le plan phénoménologique. L’inscription subjective de
l’expérience est ensuite accompagnée selon quatre axes
complémentaires : contenance, dépathologisation, distanciation et
mise en sens. Le but est ainsi de favoriser l’intégration harmonieuse
de ces vécus inhabituels en étant sensible à l’expression sous-
jacente de vécus traumatiques dans le but d’en dégager les
potentialités symboligènes.
Au terme de ce panorama global des expériences exceptionnelles et
de leurs processus, celles-ci apparaissent comme des expériences-
frontières à plusieurs niveaux. Sur le plan théorique, elles font office
de révélateur des logiques inconscientes les plus originaires. Elles
éclairent ainsi de façon originale les mécanismes de symbolisation
primaire et les rapports entre fonctionnement psychique et
processus somatiques. Cette clinique interroge donc la théorie qui
se transforme en retour selon la logique des « extensions » de la
psychanalyse décrite par René Kaës (2015). Les expériences
exceptionnelles se situent également aux frontières des disciplines
et impliquent le croisement des regards autour d’un même objet. Aux
frontières des connaissances, elles participent alors à l’intégration de
faits nouveaux, et cela depuis plus d’un siècle, comme en
témoignent les figures illustres (Freud, James, Bergson, Janet, Jung,
etc.) qui ont tenté de mieux les comprendre.
Les expériences exceptionnelles véhiculent aussi une certaine
représentation de l’être humain et de son rapport au monde qui les
place de fait aux frontières des cultures. Georges Devereux (1953,
1970) explora d’ailleurs cette thématique avant de se tourner vers
l’ethnopsychanalyse. Dans cette optique, les expériences
exceptionnelles s’inscrivent dans un contexte anthropologique et
social particulier. Elles semblent relever de ce que nous pourrions
qualifier de « vacillations identitaires » qui conduisent le sujet
contemporain à se construire selon de nouveaux organisateurs
psychiques. Ceux-ci se traduisent par des problématiques sociétales
et des formes d’expression originales de la souffrance humaine.
Ainsi, les cliniques du trauma, des autismes, des enfants dits à haut
potentiel, de l’hyperactivité et de la transidentité traduisent une
évolution complexe de ces problématiques identitaires. Celles-ci ont
pour point commun une identité qui paraît plus labile et qui conduit à
une recherche de soi moins contrainte par les normes sociales. Des
expressions de l’être qui jusqu’alors étaient évacuées ou reléguées
dans le champ de la pathologie mentale deviennent ainsi
appréhendables par notre culture.
Dans cette optique, les points de convergence sont frappants entre
la clinique des expériences exceptionnelles et la thématique
transgenre. Ce n’est d’ailleurs probablement pas un hasard si des
auteurs comme Robert Stoller (1989) ont abordé ces deux
thématiques. Il s’agit dans ces deux champs de métamorphoses
identitaires à partir d’un réel qui transcende nos représentations
imaginaires et symboliques. Au plus près du réel et du corps, des
solutions originales émergent dans un espace social qui refuse
certaines logiques d’aliénation. Ces organisations identitaires
demandent alors une reconnaissance nouvelle, comme en
témoignent certains mouvements de réappropriation dans le champ
de la psychiatrie (Evrard & Le Maléfan, 2013) ainsi que le
développement des dispositifs alternatifs (Kessler-Bilthauer &
Evrard, 2018). En ce sens, une culture qui reconnaîtrait l’importance
et le rôle de ces pluralités ou diversités identitaires dans le
développement psychique favoriserait probablement le bien-être des
membres qui la composent.
Enfin, il nous faut revenir, avant d’en terminer, sur une hypothèse
évoquée brièvement à plusieurs reprises dans l’ouvrage sans être
véritablement développée, à savoir que ces expériences pourraient
représenter l’émergence d’une forme nouvelle de mythologie. La
diminution progressive du religieux dans le lien social, la perte du
sens du sacré, le triomphe d’une science matérialiste et
réductionniste, les progrès techniques fulgurants des dernières
décennies ainsi que les promesses futures du transhumanisme sont
autant d’éléments qui façonnent une représentation de l’humain
réduite à une machinerie biologique dont toute la complexité serait
bientôt entièrement dévoilée. Ces expériences seraient-elles une
forme de « contre-courant » devant des logiques qui ne permettent
plus guère au sujet de se construire sa propre mythologie – un
ensemble de croyances qui organisent son expérience et ses liens –
tant la représentation dominante de l’être humain dans les sociétés
occidentales conduit à une mutilation de ce qui le constitue
intrinsèquement ? Analysée dans le détail, chacune de ces
expériences pourrait apparaître comme une création mythologique
qui se situe dans un espace d’indécision quant à son statut
ontologique entre réel et imaginaire. Ces expériences donnent ainsi
forme à des problématiques ancestrales (la vie, la mort, la
castration, l’amour, le deuil, etc.) selon des configurations originales
venant supplanter en partie le discours religieux tout en proposant
un contre-point au discours scientifique réductionniste. Cette
mythologie moderne sera-t-elle amenée à s’étendre et ces
expériences prendront-elles une place plus centrale dans la société
selon un mouvement conduisant les processus aux frontières à
converger vers le cœur ? Cet ouvrage demeure ainsi un
« instantané » de chantiers en cours, sachant que de nombreuses
pistes restent à explorer. Quels qu’en soient les développements
ultérieurs, nous espérons avoir pu œuvrer en partie à une
« désocculation de l’occulte » comme aimait à le dire Sandor
Ferenczi. Et si ces expériences demeurent encore des anomalies
aux marges de nos modèles de connaissances, peut-être seront-
elles progressivement amenées à devenir le ferment d’évolutions
paradigmatiques substantielles concernant notre manière de
concevoir la psyché, son rapport au réel et peut-être le réel lui-
même.
Remerciements

À mon père, à qui je dédie cet ouvrage, car il fut à l’origine de mon
intérêt pour ce sujet et avec lequel d’innombrables discussions ont
constitué les ferments de mes réflexions, ainsi qu’à ma mère et ma
sœur dont le soutien fut tout aussi essentiel.
À Bernard Chouvier, pour m’avoir fait confiance lors de mes études
de psychologie et qui a su m’accompagner en thèse avec la
bienveillance qui le caractérise, tout en me laissant la liberté et
l'ouverture nécessaires à l’élaboration de ma pensée.
Aux enseignants-chercheurs du « baquet lyonnais » au sein duquel
j’ai eu la chance d’être immergé de nombreuses années. Mes
remerciements en particulier à René Roussillon, Anne Brun, Alain
Ferrant, Albert Ciconne, René Kaës et Nathalie Dumet, dont les
écrits et les enseignements furent fondamentaux dans ma formation
de psychologue clinicien et dont cet ouvrage garde la trace. Une
pensée également pour mon collègue lyonnais et ami Nicolas
Baltenneck.
Aux membres de l’Unité Koestler de l’Université d’Édimbourg, en
particulier Caroline Watt qui m’a accepté comme étudiant de thèse et
a su m’orienter au mieux dans mes travaux. Je pense aussi aux
nombreux conseils de Ian Tierney et la gentillesse avec laquelle il
m’a fait découvrir la psychologie clinique écossaise.
À Alain Finkel dont les enseignements à l’École Normale Supérieure
de Cachan ainsi que son soutien, durant toutes ces années, furent
extrêmement précieux. À mes collègues nantais, Didier Acier et
Aurore Deledalle, qui ont été des soutiens indéfectibles. Merci aussi
à Olivier Bonnot, Michel Amar, Michel Sanchez-Cardenas, Pascal Le
Maléfan, Emile Jallet et Pierre-Henri Castel qui m’ont beaucoup
appris.
À mes collègues de l’étranger, Daryl Bem, Patrizio Tressoli, Walter
Von Lucadou, Etzel Cardeña, Ed May, Dick Bierman, Dean Radin,
Chris Roe et Claudie Massicotte, dont l’aide et la pensée furent
également essentiels. Merci aussi à Pierre Lagrange, Eberhard
Bauer et Wolfgang Fach pour leurs conseils et leur relecture
attentive.
Aux membres du comité directeur de l’IMI, en particulier Bertrand
Méheust, Mario Varvoglis, Djohar Si Ahmed, Pascale Catala et Peter
Bancel ainsi qu’aux étudiants du GEIMI, au premier rang desquels
David Acunzo et Louis Sagnières avec qui j’ai eu tant de discussions
passionnantes. J’ai une pensée particulière pour Renaud Evrard qui
m’accompagne depuis le début de cette aventure et qui représente
un compagnon de route aussi exceptionnel que les sujets que nous
explorons ensemble. Aux membres du séminaire de CIRCEE que je
ne peux citer ici tant ils sont nombreux et qui ont également participé
à l’élaboration de ma pensée.
À l’ensemble de mes collègues nancéiens dont l’accueil en Lorraine
m’a permis de rédiger cet ouvrage dans les meilleures conditions. À
mes étudiants de master et de thèse, en particulier Olivier Charlet,
Samuel Caussié et Hélène Lansley qui sont une source toujours
renouvelée de motivation et d’inspiration.
À mon éditeur, Jean Henriet, qui a permis que ce livre soit publié
chez Dunod ainsi qu’à Valérie Le Rey et Candice Michel qui en ont
permis sa réalisation.
À toutes les personnes qui m’ont aidé ou qui ont contribué, d’une
façon ou d’une autre, à la construction de ce travail, fruit de plus de
quinze années d’efforts et de recherches ainsi qu’à toutes les
personnes qui m’ont fait confiance et qui ont bien voulu partager
avec moi ces vécus étranges et intimes.
Enfin, à ma compagne et à notre fille qui ont accompagné avec
tendresse la réalisation de cet ouvrage.
Parcours de lecture sur les
expériences exceptionnelles

L’exercice n’est pas simple pour un lecteur qui souhaiterait se forger


une culture dans le champ des expériences exceptionnelles. À la
rencontre de la psychologie clinique, de la psychanalyse, de la
psychologie anomalistique, des neurosciences, de l’épistémologie,
de la sociologie et de l’anthropologie, ce domaine est riche et
exigeant d’autant plus que la plupart des publications sont en
anglais. Voici donc une sélection d’écrits qui fera office de chemin
balisé organisé selon trois grandes catégories : manuel et ouvrage
de synthèses, ouvrages et articles. Un ordre de lecture est proposé
pour chaque catégorie.

MANUELS ET OUVRAGES DE SYNTHÈSE


Cardeña E., Lynn S. J. & Krippner, S. (2014). Varieties of anomalous
experience, (2e éd.). Washington: American Psychological
Association.
French, C. C. & Stone, A. (2013). Anomalistic psychology: Exploring
paranormal belief and experience. Londres: Palgrave Macmillan.
Kramer, W., Bauer, E. & Hövelmann, G. (2012). Perspectives of
Clinical Parapsychology. Stiching HJBF: Bunnik.
Irwin H. J. & Watt C. (2007). An introduction to parapsychology.
Jefferson: McFarland
Cardeña, E., Palmer, J. & Marcusson-Clavertz, D. (2015).
Parapsychology: A handbook for the 21st century. Jefferson:
McFarland.

SÉLECTION D’OUVRAGES
Koestler, A. (1972). Les racines du hasard (2018e éd.). Paris : Les
belles lettres.
Méheust B. (1999). Somnambulisme et médiumnité. Paris : Les
Empêcheurs de penser en rond.
Evrard, R. (2014). Folie et paranormal : Vers une clinique des
expériences exceptionnelles. Rennes : PUR.
Si Ahmed D. (2006). Comment penser le paranormal ?
Psychanalyse des champs limites de la psyché. Paris :
L’Harmattan.
Radin, D. (2000). La conscience invisible : Le paranormal à l’épreuve
de la science. Paris : Presses du Châtelet.
Alcock, J. E., Burns, J. & Freeman, A. (2003). Psi War : Getting to
Grips with the Paranormal. Charlottesville: Imprint Academic.
Martino, E. (1948). Le Monde magique (2003e éd.). Paris : Les
Empêcheurs de Penser en Rond.
Favret-Saada J. (1977). Les mots, la mort, les sorts. Paris :
Gallimard.
Laplantine F. et al. (1985). Un voyant dans la ville. Le cabinet de
consultation d’un voyant contemporain. Paris : Payot.
Irwin H. J. (2009). The psychology of paranormal belief, Hertforshire:
University of Hertfordshire Press.
Brottman, M. (2011). Phantoms of the Clinic: From Thought-
Transference to Projective Identification. London: Karnac Books.
Richet, C. (1922). Traité de métapsychique. Paris : Alcan.
Sudre R. (1956). Traité de parapsychologie. Paris : Payot.
Rhine, J. B., Pratt, J. G., Smith, B. M., Stuart, C. E. & Greenwood, J.
A. (1966). Extra-sensory perception after sixty yeears. Boston:
Bruce Humphries Publishers.
Moreau C. (1976). Freud et l'occultisme, Paris : Privat.
Devereux G. (1953). Psychoanalysis and the occult, New York:
International University Press.
Laborde-Nottale E. (1990). La voyance et l'inconscient, Paris :
Editions du Seuil.
Roustang F. (2003b). Qu'est-ce que l'hypnose ? Paris : Éditions de
Minuit.
Ehrenwald, J. (1981). Le lien télépathique. Paris : Laffont
Eisenbud, J. (1970). Psi and Psychoanalysis. New York: Grune and
Stratton
Eisenbud, J. (1966). The World of Ted Serios: « Thoughtographic »
Studies of an Extraordinary Mind. New York: William Morrow.
Jourdan, J. P. (2007). Deadline, dernière limite. Paris : Les Trois
Orangers.
Greyson, B., Holden, J. M. & James, D. (2009). The Handbook of
Near-Death Experiences: Thirty Years of Investigation: Thirty
Years of Investigation. Santa Barbara: Praeger.
Mack, J. E. (1994). Abduction: Human Encounters with Aliens. New
York: Ballantine Books.
Maleval, J. C. (1981). Folies hystériques et psychoses dissociatives.
Paris : Payot.
Petitmengin, C. (2001). L’expérience intuitive. Paris : L’Harmattan.
Huxley, A. (1954). Les portes de la perception (2001e éd.). Paris :
Editions du Rocher.
Luke, D. (2017). Otherworlds: Psychedelics and Exceptional Human
Experience. London: Muswell Hill Press.
Kripal, J. J. (2017). Secret Body: Erotic and Esoteric Currents in the
History of Religions. Chicago: University of Chicago Press.
Carpenter, J. C. (2012). First Sight: ESP and Parapsychology in
Everyday Life. Lanham: Rowman & Littlefield Publishers.
Atmanspacher, H. & Fuchs, C. A. (2017). The Pauli-Jung conjecture
and its impact today. Andrews UK Limited.

SÉLECTION D’ARTICLES ET CHAPITRES D’OUVRAGES


Ross C. & Joshi S. (1992). Paranormal experiences in the general
population, Journal of Nervous and Mental Disease, 180(6), 357-
361.
Lawrence T. R., Edwards C., Barraclough N., Church S. &
Hetherington F. (1995). Modelling childhood causes of paranormal
belief and experience: childhood trauma and childhood fantasy,
Personality and Individual Differences, 19(2), 209-215.
Freud S. (1936). Rêve et occultisme, In Oeuvres complètes, vol. XIX,
Paris, PUF.
Bem, D. J. & Honorton, C. (1994). Does Psi Exist? Replicable
Evidence for an Anomalous Process of Information Transfer.
Psychological Bulletin, 115(1), 4‑18.
Utts, J. (1996). An Assessment of the Evidence for Psychic
Functioning. Journal of scientific exploration, 10(1), 3‑30.
Cardeña, E. (2018). The experimental evidence for
parapsychological phenomena: A review. American Psychologist.
73(5), 663-677.
Alcock, J. E. (2003). Give the Null Hypothesis a Chance. Journal of
Consciousness Studies, 10(6‑7), 29‑50.
Von Lucadou, W., Römer, H. et Walach. H. (2007). Synchronistic
Phenomena as Entanglement Correlations in Generalized
Quantum Theory. Journal of Consciousness Studies, 14(4), 50‑74.
Rabeyron T., Chouvier B. & Le Maléfan P. (2010). Clinique des
expériences exceptionnelles : du trauma à la solution
paranormale, L’Evolution Psychiatrique, 75 (4), 633-653.
Le Maléfan, P. (2014). Clinique de la marge et marges de la clinique.
Esquisse. Psychologie Clinique, 37(1), 159‑171.
Brugger P. & Mohr C. (2008). The paranormal mind: How the study
of anomalous experiences and beliefs may inform cognitive
neuroscience, Cortex, 44(10), 1291-8.
Blanke, O., Ortigue, S., Landis, T. & Seeck, M. (2002). Stimulating
illusory own-body perceptions. Nature, 419(6904), 269‑270.
Bobrow, R. S. (2003). Paranormal phenomena in the medical
literature sufficient smoke to warrant a search for fire. Medical
Hypotheses, 60(6), 864‑868.
Le Maléfan P. (2008). L'hallucination télépathique ou véridique dans
la psychopathologie de la fin du XIXe siècle et du début du XXème
siècle, L’Evolution Psychiatrique, 73(1), 15-40.
Evrard, R. (2013). Psychopathologie et expériences
exceptionnelles : Une revue de la littérature. L’Évolution
Psychiatrique, 78(1), 155‑176.
Anzieu, D. (1993). L’esprit, l’inconscient. Nouvelle Revue de
Psychanalyse, 48, 149-162.
Derrida J. (1983). Télépathie, Cahiers confrontation, 10.
Eisenbud, J. (1954). Psychiatrie et parapsychologie. Revue
Métapsychique, 31, 70‑83.
Ehrenwald, J. (1971). Mother-Child Symbiosis: Cradle of Esp.
Psychoanalytic Review, 58(3), 455‑466.
Maleval, J. C. & Charraud, N. (1997). Modernité du démoniaque.
Psychologie Clinique, 4, 117‑130.
Mayer, E. L. (2001). On “telepathic dreams?”: An unpublished paper
by Robert J. Stoller. Journal of the American Psychoanalytic
Association, 49(2), 629‑657.
De Peyer, J. (2016). Uncanny Communication and the Porous Mind.
Psychoanalytic Dialogues, 26(2), 156–174.
Eshel O. (2006). Where are you, my beloved? On absence, loss,
and the enigma of telepathic dreams, International Journal of
Psychoanalysis, 87(6), 1603-27.
Persinger M. A. (2001). The neuropsychiatry of paranormal
experiences, Journal of Neuropsychiatry and Clinical
Neurosciences, 13(4), 515-524.
Hunter, J. (2016). Engaging the anomalous: Reflections from the
anthropology of the paranormal. European Journal of
Psychotherapy & Counselling, 18(2), 170–178.
Petitmengin, C., Van Beek, M., Bitbol, M., Nissou, J.-M. & Roepstorff,
A. (2018). Studying the experience of meditation through micro-
phenomenology. Current opinion in psychology, 28, 54-59.
Lomax, J. W., Kripal, J. J. & Pargament, K. I. (2011). Perspectives on
“sacred moments” in psychotherapy. American Journal of
Psychiatry, 168 (1), 12-18.
Bem, D. (2011). Feeling the future: Experimental evidence for
anomalous retroactive influences on cognition and affect. Journal
of Personality and Social Psychology, 100(3), 407‑425.
Van Lommel P., van Wees R., Meyers V. & Elfferich, I. (2001). Near-
death experience in survivors of cardiac arrest: a prospective
study in the Netherlands, The Lancet, 358(9298), 2039-45.
Parnia, S., Spearpoint, K., de Vos, G., Fenwick, P., Goldberg, D.,
Yang, J., … others. (2014). AWARE—AWAreness during
REsuscitation—A prospective study. Resuscitation, 85(12), 1799–
1805.
Cassol, H., Pétré, B., Degrange, S., Martial, C., Charland-Verville, V.,
Lallier, F., … Laureys, S. (2018). Qualitative thematic analysis of
the phenomenology of near-death experiences. PloS one, 13(2),
e0193001.
McNally, R. J., Lasko, N. B., Clancy, S. A., Macklin, M. L., Pitman, R.
K. & Orr, S. P. (2004). Psychophysiological responding during
script-driven imagery in people reporting abduction by space
aliens. Psychological Science, 15(7), 493‑497.
Atmanspacher, H. (2014). Le monisme à double aspect selon Pauli
et Jung. Revue de Psychologie Analytique, 1(3), 105–133.
Bibliographie

Abraham, N. & Torok, M. (1978). L’Ecorce et Le Noyau (2002e


éd.). Paris : Aubier.
Abrams, M., Mulligan, A., Carleton, R. & Asmundson, G. (2008).
Prevalence and correlates of sleep paralysis in adults
reporting childhood sexual abuse. Journal of Anxiety
Disorders, 22(8), 1535‑1541.
Acunzo, D. J., Evrard, R. & Rabeyron, T. (2013). Anomalous
Experiences, Psi and Functional Neuroimaging. Frontiers in
Human Neuroscience, 7, 893.
Adachi, N., Adachi, T., Kimura, M., Akanuma, N., Takekawa, Y.
& Kato, M. (2003). Demographic and psychological features
of deja vu experiences in a nonclinical Japanese population.
The Journal of nervous and mental disease, 191(4), 242.
Alcock, J. E. (1981). Parapsychology, Science Or Magic ? A
Psychological Perspective. New York: Pergamon Press.
Alcock, J. E. (2003). Give the Null Hypothesis a Chance.
Journal of Consciousness Studies, 10(6‑7), 29‑50.
Alcock, J. E., Burns, J. & Freeman, A. (2003). Psi Wars : Getting
to Grips with the Paranormal. Charlottesville: Imprint
Academic.
Alexander, E. (2014). La preuve du paradis-Voyage d’un
neurochirurgien dans l’après-vie. Paris : Guy Trédaniel.
Allen, P., Laroi, F., McGuire, P. & Aleman, A. (2008). The
hallucinating brain : A review of structural and functional
neuroimaging studies of hallucinations. Neuroscience &
Biobehavioral Reviews, 32(1), 175‑191.
Allendesalzar, M. (2007). Hallucination et Nebenmensch : Goya
et Thérèse d’Avila. Champ Psychosomatique, 46, 147‑159.
Allik, T. (2003). Psychoanalysis and the uncanny: Take two or
when disillusionment turns out to be an illusion.
Psychoanalysis & Contemporary Thought, 26(1), 3‑37.
Allix, S. & Bernstein, P. (2009). Manuel clinique des expériences
extraordinaires. Paris : InterÉditions.
Allouch, J. (1997). Érotique du deuil au temps de la mort sèche.
Paris : EPEL.
Altman, N. (2007). Integrating the Transpersonal with the
Intersubjective. Contemporary Psychoanalysis, 43(4),
526‑535.
Altschuler, E. L. & Ramachandran, V. S. (2007). A simple
method to stand outside oneself. Perception, 36(4), 632 –
634.
Alvarado, C. (2000). Out-of-body experiences. In Varieties of
anomalous experience. Washington: American Psychological
Association.
Alvarado, C. & Zingrone, N. (2003). Exploring the factors related
to the after-effecs of out-of-body experiences. Journal-Society
for Psychical Research, 68, 161‑183.
Ansell, C. (1966). The unconscious : Agency of the occult.
Psychoanalytic Review, 53(4), 164.
Anzieu, D. (1974). Le moi-peau. Nouvelle Revue de
Psychanalyse, 9, 195‑208.
Anzieu, D. (1976). L’enveloppe sonore du soi. Nouvelle Revue
de Psychanalyse, 13, 161‑179.
Anzieu, D. (1980). Du code et du corps mystiques et de leurs
paradoxes. Nouvelle Revue de Psychanalyse, 22, 159‑177.
Anzieu, D. (1981). Le corps de l’oeuvre. Paris : Gallimard.
Anzieu, D. (1987). Les signifiants formels et le moi-peau. In Les
enveloppes psychiques (1996e éd.). Paris : Dunod.
Anzieu, D. (1993). L’esprit, l’inconscient. Nouvelle Revue de
Psychanalyse, 48, 149-162.
Arènes, J. (2008). Psychopathologie du mysticisme et travail du
négatif. Adolescence, 26(1), 101‑116.
Arfouilloux, J. C. (1998). Relation d’inconnu, séduction, transfert
de pensée. In Transmission, Transfert de pensée,
Interprétation. Puteaux: Edition du monde interne.
Askenazy, F., Dupuis, G., Dor, E., Lestideau, K., Meynadier, A. &
Myquel, M. (2009). Clinique des hallucinations auditives chez
l’enfant non psychotique. Neuropsychiatrie de l’Enfance et de
l’Adolescence, 57(1), 25‑31.
Atmanspacher, H. (2014). Le monisme a double aspect selon
Pauli et Jung. Revue de Psychologie Analytique, 1(3), 105–
133.
Atmanspacher, H. & Fach, W. (2019). Exceptional Experiences
of Stable and Unstable Mental States, Understood from a
Dual-Aspect Point of View. Philosophies, 4(1), 7.
Atmanspacher, H. & Fuchs, C. A. (2017). The Pauli-Jung
conjecture and its impact today. Andrews UK Limited.
Atmanspacher, H., Römer, H. & Walach, H. (2002). Weak
Quantum Theory : Complementarity and Entanglement in
Physics and Beyond. Foundations of Physics, 32(3),
379‑406.
Aubrée, M. & Laplantine, F. (1990). La table, le livre et les
esprits : Naissance, évolution et actualité du mouvement
social spirite entre France et Brésil. Paris : JC Lattès.
Aulagnier, P. (1975). La violence de l’interprétation (2003e éd.).
Paris : Puf.
Bainbridge, W. S. (1978). Chariots of the gullible. Skeptical
Inquirer, 3(2), 33‑48.
Baker, R. A. (1995). Alien dreamtime. The Anomalist, 2, 94–137.
Balint, M. (1987). Notes sur la parapsychologie et la guérison
parapsychologique. Le Coq-Héron, 36(103), 33-39.
Banakou, D., Hanumanthu, P. D. & Slater, M. (2016). Virtual
Embodiment of White People in a Black Virtual Body Leads to
a Sustained Reduction in Their Implicit Racial Bias. Frontiers
in Human Neuroscience, 10.
Bandler, R., Grinder, J. & Andreas, C. (2005). Transe-
Formations : Programmation Neuro-Linguistique et
techniques d’hypnose éricksonienne. Paris : Dunod.
Baranger, M. & Baranger, W. (1985). La situation analytique
comme champ dynamique. Revue Française de
Psychanalyse, 49(6), 1543‑1571.
Baranger, M., Baranger, W. & Mom, J. M. (1996). Processus et
non-processus dans le travail analytique. Revue française de
Psychanalyse, 4(60), 1223–1242.
Barbier, A. & Decourt, P. (1998). Transmission, transfert de
pensée, interprétation. Puteaux: Editions du monde interne.
Bartholomew, R. E., Basterfield, K. & Howard, G. S. (1991).
UFO abductees and contactees : Psychopathology or fantasy
proneness. Professional Psychology: Research and Practice,
22(3), 215‑222.
Bass, H.-P. & Cuynet, P. (2018). La maison, représentation du
psychisme familial. Le Journal des psychologues, 360, 54–
57.
Basterfield, K., Thalbourne, M. A. & others. (2002). Belief in, and
alleged experience of, the paranormal in ostensible UFO
abductees. Australian Journal of Parapsychology, 2(1), 2.
Bauer, E. (1986). Ein noch nicht publizierter Brief Sigmund
Freuds an Fanny Moser über Okkultismus und Mesmerismus.
Freiburger Universitätsblätter, 25(93), 93–110.
Beck, P., Fernandez, M., Dolder, B. & Rosselet, F. (2004). A
propos des visions, hallucinations et apparitions au cours de
l’agonie. Médecine et Hygiène, 44(4), 155‑163.
Belanti, J., Perera, M. & Jagadheesan, K. (2008).
Phenomenology of near-death experiences : A cross-cultural
perspective. Transcultural psychiatry, 45(1), 121–133.
Belz-Merk, M. (2000). Counseling And Therapy For People Who
Claim Exceptional Experiences. Journal of Parapsychology,
64(4), 238‑239.
Belz M. et Fach F. (2015), Exceptional experiences in clinical
psychology, In Parapsychology: A handbook for the 21st
century. Jefferson : McFarland.
Bem, D. (2011). Feeling the future : Experimental evidence for
anomalous retroactive influences on cognition and affect.
Journal of Personality and Social Psychology, 100(3),
407‑425.
Bem, D. J. & Honorton, C. (1994). Does Psi Exist? Replicable
Evidence for an Anomalous Process of Information Transfer.
Psychological Bulletin, 115(1), 4‑18.
Bem, D. J., Palmer, J. & Broughton, R. S. (2001). Updating the
Ganzfeld Database : A Victim of Its Own Success? Journal of
Parapsychology, 65(3), 207‑218.
Bem, D., Tressoldi, P., Rabeyron, T. & Duggan, M. (2015).
Feeling the future : A meta-analysis of 90 experiments on the
anomalous anticipation of random future events.
F1000Research, 4.
Bendit, L. J. (1944). Paranormal Cognition : Its Place in Human
Psychology. London: Faber & Faber Limited.
Bentall, R. P. (1990). The illusion of reality : A review and
integration of psychological research on hallucinations.
Psychological Bulletin, 107(1), 82‑95.
Bentall, R. P. (2000). Hallucinatory experiences. In Varieties of
anomalous experience: Examining the scientific evidence.
Washington: American Psychological Association.
Berenbaum, H., Kerns, J. & Raghavan, C. (2000). Anomalous
experiences, peculiarities, and psychopathology. In Varieties
of anomalous experience. Washington: American
Psychological Association.
Bergeret, J. (1985). La personnalité normale et pathologique
(2003e éd.). Paris : Dunod.
Bergson, H. (1896). Matière et mémoire. Paris : Félix Alcan.
Bergson, H. (1932). Les deux sources de la morale et de la
religion (1982e éd.). Paris : Puf.
Bernachon, P. (2004). De quelques mécanismes de
transmission. Libres cahiers de psychanalyse, 10, 63‑72.
Bernat, J. (2001). Transfert et pensée. Bordeaux: L’esprit du
Temps.
Bierman, D. (2008). Consciousness Induced Restoration of
Time-Symmetry (CIRTS), a psychophysical theoretical
perspective. Paper presented at the 51st Annual Convention
of the Parapsychological Association. Winchester:
Parapsychological Association.
Bion, W. (1962). Aux sources de l’expérience (2003e éd.).
Paris : Puf.
Bion, W. (1962). Learning from experience. London:
Heinemann.
Bion, W. (1962). Réflexion faite (2001e éd.). Paris : Puf.
Bion, W. (1965). Transformations : Passage de l’apprentissage à
la croissance (2002e éd.). Paris : Puf.
Bitbol, M. & Petitmengin, C. (2017). Neurophenomenology and
the Micro-phenomenological Interview. The Blackwell
Companion to Consciousness, 726–739.
Blackmore, S. (1984). A postal survey of OBEs and other
experience. Journal of the Society for Psychical Research,
52, 225‑244.
Blackmore, S. (1987). Where am I? Perspectives in imagery and
the out-of-body experience. Journal of Mental Imagery, 11(2),
53‑66.
Blackmore, S. (1992). Beyond the Body : An Investigation of
Out-of-the-Body Experiences. Chichago: Academy Chicago
Publishers.
Blackmore, S. J. (1983). Birth and the OBE : An unhelpful
analogy. Journal of the American Society for Psychical
Research, 77(3), 229‑238.
Blackmore, S. J. (1984). A psychological theory of the out-of-
body experience. Journal of Parapsychology, 48(3), 201‑218.
Blackmore, S. & Troscianko, T. (1985). Relief in the paranormal :
Probability judgements, illusory control, and the «chance
baseline shift». British Journal of Psychology, 76(4), 459‑468.
Blanke, O. & Dieguez, S. (2009). Leaving Body and Life Behind :
Out-of-Body and Near-Death Experience. In The Neurology
of Consciousness. Londres: Elsevier.
Blanke, O., Landis, T., Spinelli, L. & Seeck, M. (2004). Out‐of‐
body experience and autoscopy of neurological origin. Brain,
127(2), 243‑258.
Blanke, O., Lopez, C. & Halje, P. (2008). Body ownership and
embodiment : Vestibular and multisensory mechanisms.
Clinical Neurophysiology, 38(3), 149‑161.
Blanke, O. & Metzinger, T. (2009). Full-body illusions and
minimal phenomenal selfhood. Trends in cognitive sciences,
13(1), 7–13.
Blanke, O. & Mohr, C. (2005). Out-of-body experience,
heautoscopy, and autoscopic hallucination of neurological
origin. Brain Research Reviews, 50(1), 184‑199.
Blanke, O., Ortigue, S., Landis, T. & Seeck, M. (2002).
Stimulating illusory own-body perceptions. Nature, 419(6904),
269‑270.
Bleger, J. (1967). Symbiose et ambiguïté : Étude
psychanalytique (1981e éd.). Paris : Puf.
Bobrow, R. S. (2003). Paranormal phenomena in the medical
literature sufficient smoke to warrant a search for fire. Medical
Hypotheses, 60(6), 864‑868.
Boirac, E. (1917). L’avenir des sciences psychiques. Paris :
Alcan.
Bonaminio, V. & Avakian, D. (2013). Quand psyché peine à
s’installer dans le corps. Revue française de psychanalyse,
77(4), 1030‑1041.
Borjigin, J., Lee, U., Liu, T., Pal, D., Huff, S., Klarr, D., …
Mashour, G. A. (2013). Surge of neurophysiological
coherence and connectivity in the dying brain. Proceedings of
the National Academy of Sciences of the United States of
America, 110(35), 14432‑14437.
Bos, E. M., Spoor, J. K. H., Smits, M., Schouten, J. W. &
Vincent, A. J. P. E. (2016). Out-of-Body Experience During
Awake Craniotomy. World Neurosurgery, 92, 586.e9-586.e13.
Bösch, H., Steinkamp, F. & Boller, E. (2006). Examining
psychokinesis : The interaction of human intention with
random number generators–A meta-analysis. Psychological
bulletin, 132(4), 497.
Botella, C. (2001). Figurabilité et régrédience. Revue française
de psychanalyse, Vol. 65(4), 1149‑1239.
Botella, C. & Botella, S. (1990). La problématique de la
régression formelle de la pensée et de l’hallucinatoire. In La
psychanalyse : Questions pour demain. Paris : Puf.
Botella, C. & Botella, S. (2001). La figurabilité psychique (2007e
éd.). PParis : In press.
Braithwaite, J. J., Samson, D., Apperly, I., Broglia, E. &
Hulleman, J. (2011). Cognitive correlates of the spontaneous
out-of-body experience (OBE) in the psychologically normal
population : Evidence for an increased role of temporal-lobe
instability, body-distortion processing, and impairments in
own-body transformations. Cortex, 47(7), 839–853.
Braithwaite, J. J., Watson, D. G. & Dewe, H. (2017).
Predisposition to out-of-body experience (OBE) is associated
with aberrations in multisensory integration :
Psychophysiological support from a “rubber hand illusion”
study. Journal of Experimental Psychology: Human
Perception and Performance, 43(6), 1125‑1143.
Branfman, T. G. & Bunker, H. A. (1952). Three extrasensory
perception dreams. The Psychoanalytic quarterly, 21(2), 190–
195.
Brémaud, N. (2005). Conception lacanienne du transfert et du
travail thérapeutique avec le schizophrène. L’Information
psychiatrique, 81(8), 693–700.
Brewin, C. R. (1998). Intrusive autobiographical memories in
depression and post-traumatic stress disorder. Applied
Cognitive Psychology, 12(4), 359‑370.
Broderick, D. & Goertzel, B. (2014). Evidence for Psi : Thirteen
Empirical Research Reports. New York: McFarland.
Brottman, M. (2009). Psychoanalysis and Magic : Then and
Now. American Imago, 66(4), 471‑489.
Brottman, M. (2011). Phantoms of the Clinic : From Thought-
Transference to Projective Identification. London: Karnac
Books.
Brown, L. J. (2018). Transformational Processes in Clinical
Psychoanalysis : Dreaming, Emotions and the Present
Moment. London: Routledge.
Brugger, P. & Mohr, C. (2008). The paranormal mind : How the
study of anomalous experiences and beliefs may inform
cognitive neuroscience. Cortex, 44(10), 1291‑1298.
Brugger, P., Regard, M. & Landis, T. (1997). Illusory
reduplication of one’s own body : Phenomenology and
classification of autoscopic phenomena. Cognitive
Neuropsychiatry, 2(1), 19–38.
Brun, A. (2010). Médiations thérapeutiques et psychose
infantile. Paris : Dunod.
Buckner, R. L., Andrews-Hanna, J. R. & Schacter, D. L. (2008).
The brain’s default network : Anatomy, function, and
relevance to disease. Annals of the New York Academy of
Sciences, 1124, 1‑38.
Bullard, T. E. (1987). UFO abductions : The measure of a
mystery. Mount Reiner: Fund for UFO Research.
Bullard, T. E. (1989). Hypnosis and UFO abductions : A troubled
relationship. Journal of UFO Studies, 1, 3–40.
Burkhard, P. (2005). Gassner’s Exorcism—Not Mesmer’s
Magnetism—Is the Real Predecessor of Modern Hypnosis.
International Journal of Clinical and Experimental Hypnosis,
53(1), 1‑12.
Burlingham, D. T. (1935). Child analysis and the mother.
Psychoanalytic Quarterly, 4, 69‑92.
Cadéac, B. & Lauru, D. (2007). L’entretien clinique au
téléphone. Le carnet psy, 121, 22‑24.
Cadoret, R. J. (2005). European Cases of the Reincarnation
Type. American Journal of Psychiatry, 162(4), 823‑824.
Campbell, J. & Pile, S. (2010). Telepathy and its vicissitudes :
Freud, thought transference and the hidden lives of the
(repressed and non-repressed) unconscious. Subjectivity,
3(4), 403‑425.
Camus, D. (2002). Voyage au pays du magique : Enquête sur
les voyants, guérisseurs, sorciers. Paris : Dervy.
Cardeña, E. (2018). The experimental evidence for
parapsychological phenomena : A review. American
Psychologist. 73(5), 663-677.
Cardeña, E., Lynn, S. J. & Krippner, S. (2000, 2014). Varieties of
anomalous experience : Examining the scientific evidence.
Washington: American Psychological Association.
Cardeña, E. & Winkelman, M. (2011). Altering Consciousness :
Multidisiplinary Perspectives. London: Praeger.
Cardeña, E., Palmer, J. & Marcusson-Clavertz, D. (2015).
Parapsychology : A handbook for the 21st century. Jefferson :
McFarland.
Carhart-Harris, R. L., Bolstridge, M., Day, C. M. J., Rucker, J.,
Watts, R., Erritzoe, D. E., … Pilling, S. (2018). Psilocybin with
psychological support for treatment-resistant depression : Six-
month follow-up. Psychopharmacology, 235(2), 399–408.
Carhart-Harris, R. L., Leech, R., Hellyer, P. J., Shanahan, M.,
Feilding, A., Tagliazucchi, E., … Nutt, D. (2014). The entropic
brain : A theory of conscious states informed by neuroimaging
research with psychedelic drugs. Frontiers in Human
Neuroscience, 8, 20.
Carpenter, J. (1997). Encounters : Now and then. Mufon ufo
journal, 18(353), 17‑33.
Carpenter, J. C. (2012). First Sight : ESP and Parapsychology in
Everyday Life. Lanham: Rowman & Littlefield Publishers.
Carroy, J. (1991). Hypnose, suggestion et psychologie.
L’invention des sujets. Paris : Puf.
Cassol, H., D’Argembeau, A., Charland-Verville, V., Laureys, S.
& Martial, C. (2019). Near-Death Experiences: Are They Self-
Defining? Neurosciencs of consciousness, 1(1), 1-9.
Cassol, H., Martial, C., Annen, J., Martens, G., Charland-
Verville, V., Majerus, S. & Laureys, S. (2019). A systematic
analysis of distressing near-death experience accounts.
Memory, 8, 1122-1129.
Cassol, H., Pétré, B., Degrange, S., Martial, C., Charland-
Verville, V., Lallier, F., … Laureys, S. (2018). Qualitative
thematic analysis of the phenomenology of near-death
experiences. PloS one, 13(2), e0193001.
Castel, P.-H. (2003). La métamorphose impensable : Essai sur
le transsexualisme et l’identité personnelle. Gallimard.
Catala, P. (2004). Apparitions, maisons hantées. Paris :
L’Archipel.
Chalmers, A. F. (1987). Qu’est-ce que la science ? Paris : Livre
de Poche.
Chaperot, C. (2011). Phénomènes d’allure télépathique dans la
relation thérapeutique avec des patients schizophrènes :
Hypothèse d’une potentielle nocivité de la pensée soignante.
Evolution psychiatrique, 76(2), 273‑286.
Charland-Verville, V., Jourdan, J.-P., Thonnard, M., Ledoux, D.,
Donneau, A.-F., Quertemont, E. & Laureys, S. (2014). Near-
death experiences in non-life-threatening events and coma of
different etiologies. Frontiers in Human Neuroscience, 8.
Charpak, G. & Broch, H. (2002). Devenez sorciers, devenez
savants. Paris : Odile Jacob.
Chartrand, T. L. & Bargh, J. A. (1999). The chameleon effect :
The perception-behavior link and social interaction. Journal of
personality and social psychology, 76(6), 893‑910.
Chawla, L. S., Terek, M., Junker, C., Akst, S., Yoon, B., Brasha-
Mitchell, E. & Seneff, M. G. (2017). Characterization of end-
of-life electroencephalographic surges in critically ill patients.
Death Studies, 41(6), 385‑392.
Chevallier, R. (1999). Le rêve de vol dans l’Antiquité. Revue
archéologique de Picardie. 17(1), 23–38.
Cheyne, J. A. (2003). Sleep paralysis and the structure of
waking-nightmare hallucinations. Dreaming, 13(3), 163.
Cheyne, J. A. & Girard, T. A. (2007). The nature and varieties of
felt presence experiences: A reply to Nielsen. Consciousness
and Cognition, 16(4), 984‑991.
Cheyne, J. A. & Girard, T. A. (2009). The body unbound:
Vestibular–motor hallucinations and out-of-body experiences.
Cortex, 45(2), 201‑215.
Cheyne, J. A., Rueffer, S. D. & Newby-Clark, I. (1999).
Hypnagogic and Hypnopompic Hallucinations during Sleep
Paralysis: Neurological and Cultural Construction of the
Night-Mare. Consciousness and Cognition, 8(3), 319‑337.
Child, I. L. (1985). Psychology and anomalous observations:
The question of ESP in dreams. American Psychologist, (40),
1219‑1230.
Chouvier, B. (1998). Matière à symbolisation : Art, création et
psychanalyse. Paris : Delachaux et Niestlé.
Chouvier, B. (1998). Militance et inconscient. Lyon: Pul.
Chouvier, B. (2004). Souffrance traumatique, imagos parentales
et transgénérationnel. Cahiers de Psychologie Clinique,
23(2), 83‑130.
Chouvier, B. (2006). Freud et l’intemporel : De l’art à la
mystique. In La temporalité psychique. Paris : Dunod.
Chouvier, B. (2007). Le traitement créateur d’une présence
fantomatique. La fratrie des James aux prises avec le
transgénérationnel. In Cliniques de la création. Bruxelles: De
Boeck.
Chouvier, B. (2009). Les fanatiques. Paris : Odile Jacob.
Chouvier, B. & Attigui, P. (2012). L’entretien clinique. Paris :
Armand Colin.
Christian, S. R. (2005). Marital satisfaction and stability following
a near-death experience of one of the marital partners.
Denton: University of North Texas.
Ciccone, A. (1999). La transmission psychique inconsciente :
Identification projective et fantasme de transmission. Paris :
Dunod.
Civitarese, G. (2018). Traduire l’expérience : Le concept de
transformation chez Bion et dans la théorie post-bionienne du
champ analytique. Revue francaise de psychanalyse, 82(5),
1327–1386.
Civitarese, G. (2018). Transformations et accomplissements
psychiques. Bulletin de la société psychanalytique de Paris,
1, 115‑196.
Clancy, S. A. (2009). The trauma myth: The truth about the
sexual abuse of children–and its aftermath. New York: Basic
Books.
Clancy, S. A., McNally, R. J., Schacter, D. L., Lenzenweger, M.
F. & Pitman, R. K. (2002). Memory distortion in people
reporting abduction by aliens. Journal of Abnormal
Psychology, 111(3), 455‑461.
Claridge, G. (1997). Schizotypy: Implications for illness and
health. Oxford: Oxford University Press.
Coelho, C., Tierney, I. & Lamont, P. (2008). Contacts by
distressed individuals to UK parapsychology and anomalous
experience research units—A retrospective survey looking to
the future. European Journal of Parapsychology, 23(1).
Cognet, A. (2007). Mauriac : Le père halluciné. Champ
Psychosomatique, 2(46), 161‑174.
Cook, A. M. & Irwin, H. J. (1983). Visuospatial skills and the out-
of-body experience. Journal of Parapsychology, 47(1), 23‑35.
Coly, L. & McMahon, J. (1989). Psi and clinical practice. New
York: Parapsychology Foundation.
Corman, M., Monier, F., Sicard, A., Da Fonseca, A., Didelot, T.,
Hallez, Q., … Dambrun, M. (2017). L’Expérience de mort
imminente (EMI) : Une synthèse de la littérature. L'Annee
psychologique, 117(1), 85–109.
Coulombe, D. (2003). Le fantastique religieux et l’adolescence.
Montreal: Fides.
Crawley, S., French, C. & Yesson, S. A. (2002). Evidence for
transliminality from a subliminal card-guessing task.
Perception, 31(7), 887‑892.
Dag, I. (1999). The relationships among paranormal beliefs,
locus of control and psychopathology in a Turkish college
sample. Personality and Individual Differences, 26(4),
723‑737.
Damasio, A. R. (2003). Looking for Spinoza: Joy, sorrow, and
the feeling brain. New York: Harcourt.
Damasio, A. R. (2010). L’autre moi-même les nouvelles cartes
du cerveau, de la conscience et des émotions. Paris : Odile
Jacob.
De Brosses, M.-T. (1994). Enquête sur les enlèvements
Extraterrestres. Paris : J'ai lu.
De Leede-Smith, S. & Barkus, E. (2007). A comprehensive
review of auditory verbal hallucinations: Lifetime prevalence,
correlates and mechanisms in healthy and clinical individuals.
Frontiers in human neurosciences, 7,792.
De Masi, F., Davalli, C., Giustino, G. & Pergami, A. (2015).
Hallucinations in the psychotic state : Psychoanalysis and the
neurosciences compared. International Journal of
Psychoanalysis, 96(2), 293–318.
De M’Uzan, M. (1977). De l’art à la mort (1983e éd.). Paris :
Gallimard.
De M’Uzan, M. (1994). La bouche de l’inconscient. Paris :
Gallimard.
de Peyer, J. (2014). Telepathic Entanglements: Where are we
Today? Commentary on Paper by Claudie Massicotte.
Psychoanalytic Dialogues, 24(1), 109‑121.
de Peyer, J. (2016). Uncanny Communication and the Porous
Mind. Psychoanalytic Dialogues, 26(2), 156–174.
De Ridder, D., Van Laere, K., Dupont, P., Menovsky, T. & Van de
Heyning, P. (2007). Visualizing out-of-body experience in the
brain. New England Journal of Medicine, 357(18), 1829–
1833.
Dechaud-Ferbus, M. (2013). Bizarre, bizarre, vous avez dit
bizarre... Revue française de psychanalyse, 77(4), 985–996.
Delespaul, P., van Os, J. & others. (2002). Determinants of
occurrence and recovery from hallucinations in daily life.
Social psychiatry and psychiatric epidemiology, 37(3), 97–
104.
Depraz, N. (2014). Première, deuxième, troisième personne.
Bucharest : Zeta Books.
Derrida, J. (1983). Télépathie. Cahiers confrontation, 10.
Déthiollaz, S. & Fourrier, C. (2016). Voyage aux confins de la
conscience : Dix années d’exploration scientifique des sorties
hors du corps : le cas Nicolas Fraisse. Paris : Trédaniel.
Deutsch, H. (1926). Occult processus occurring during
psychoanalysis. In Psychoanalysis and the occult. New York:
International University Press.
Devereux, G. (1953). Psychoanalysis and the occult. New York:
International University Press.
Devereux, G. (1970). Ethnopsychiatrie générale. Paris :
Gallimard.
Dieguez, S. & Blanke, O. (2011). Altered states of bodily
consciousness. In, Altering Consciousness : Multidisiplinary
Perspectives. Praeger.
Dienes, Z. (2011). Bayesian Versus Orthodox Statistics : Which
Side Are You On? Perspectives on Psychological Science,
6(3), 274‑290.
Dodds, E. R. (1977). Les Grecs et l’irrationnel (1999e éd.).
Paris : Flammarion.
Dolto, F. (1985). La cause des enfants. Paris : Robert Laffont.
Donard, V. (2005). Un trauma nommé démon. Topique, 91(2),
83‑91.
Donnet, J.-L. (1995). Le divan bien tempéré. Paris : Puf.
Dumet, N. (2002). Clinique des troubles psychosomatiques.
Approche psychanalytique. Paris : Dunod.
Eagleman, D. M., Kagan, A. D., Nelson, S. S., Sagaram, D. &
Sarma, A. K. (2007). A standardized test battery for the study
of synesthesia. Journal of neuroscience methods, 159(1),
139‑145.
Eckbald, M. & Chapman, L. (1983). Magical ideation as an
indicator of schizotypy. Journal of Consulting and Clinical
Psychology, 51(2), 215‑225.
Edelman, G. (2000). Biologie de la conscience. Paris : Odile
Jacob.
Ehrenwald, J. (1971). Mother-Child Symbiosis: Cradle of Esp.
Psychoanalytic Review, 58(3), 455‑466.
Ehrenwald, J. (1974). Out-of-the body experiences and the
denial of death. Journal of Nervous Mental Disorders, 159(4),
227‑233.
Ehrenwald, J. (1978). The ESP experience: A psychiatric
validation. New York: Basic Books.
Ehrenwald, J. (1981). Le lien télépathique, Paris : Laffont
Ehrsson, H. H. (2007). The experimental induction of out-of-
body experiences. Science, 317(5841), 1048–1048.
Eiguer, A. (2013). L’inconscient de la maison. Paris : Dunod.
Eiguer, A. & André-Fustier, F. (2013). Le générationnel—
Approche en thérapie familiale psychanalytique. Paris :
Dunod.
Eisenbud, J. (1946). Telepathy and Problems of Psychoanalysis.
Psychoanalytic Quarterly, 15, 32‑87.
Eisenbud, J. (1954). Psychiatrie et parapsychologie. Revue
Métapsychique, 31, 70‑83.
Eisenbud, J. (1966). The World of Ted Serios:
« Thoughtographic » Studies of an Extraordinary Mind. New
York: William Morrow.
Eisenbud, J. (1970). Psi and Psychoanalysis. New York: Grune
and Stratton
Ellenberger, H. F. (1994). Histoire de la découverte de
l’inconscient. Paris : Fayard.
Erickson, M., Rossi, E. & Rossi, S. (2006). Traité pratique de
l’hypnose : La suggestion indirecte en hypnose clinique.
Paris : Editions Jacques Grancher.
Elsaesser-Valarino, E. (2005). D’une vie à l’autre. Paris : Dervy.
Erritzoe, D., Roseman, L., Nour, M. M., MacLean, K., Kaelen,
M., Nutt, D. J. & Carhart-Harris, R. L. (2018). Effects of
psilocybin therapy on personality structure. Acta Psychiatrica
Scandinavica, 138(5), 368–378.
Eshel, O. (2006). Where are you, my beloved? On absence,
loss, and the enigma of telepathic dreams. International
Journal of Psychoanalysis, 87(6), 1603‑1627.
Eshel, O. (2010). Patient–Analyst Interconnectedness: Personal
Notes on Close Encounters of a New Dimension.
Psychoanalytic Inquiry, 30(2), 146‑154.
Eshel, O. (2012). A Beam of" Chimeric" Darkness: Presence,
Interconnectedness, and Transformation in the
Psychoanalytic Treatment of a Patient Convicted of Sex
Offenses. Psychoanalytic review, 99(2), 149.
Eshel, O. (2013). Patient-analyst « withness »: On analytic
« presencing, » passion, and compassion in states of
breakdown, despair, and deadness. The Psychoanalytic
Quarterly, 82(4), 925‑963.
Esquirol, J. (1832). Sur les illusions des sens chez les aliénés.
Archives Générales de la Médecine, 2, 5‑23.
Estellon, V. & Marty, F. (2012). Cliniques de l’extrême. Paris :
Armand Colin.
Evrard, R. (2007). La clinique parapsychologique. Magma, 5(3).
Evrard, R. (2009). René Sudre (1880-1968) : The Metapsychist’s
Quill. Journal of the Society for Psychical Research, 73(4),
207‑222.
Evrard, R. (2010). Psychiser le Maître absolu : Solutions
pubertaires par le paranormal. Adolescence, 72, 841‑852.
Evrard, R. (2010). Schizotypie ou névrose ? La place des
expériences réputées psychotiques. Perspectives Psy, 49(3),
230–240.
Evrard, R. (2010). The diva and the nobelists : When Pierre and
Marue Curie studied Eusapia Palladino at the Institut General
Psychologique (1905-1908). In Paper presented at the 53rd
Annual Convention of the Parapsychological Association.
Paris : Parapsychological Association.
Evrard, R. (2013). Pour introduire la névrose extraordinaire.
Recherches en psychanalyse, 15(1), 71‑79.
Evrard, R. (2013). Psychopathologie et expériences
exceptionnelles : Une revue de la littérature. L’Évolution
Psychiatrique, 78(1), 155‑176.
Evrard, R. (2013). Repercussions psychologiques des
«souvenirs» de la mort propre : Une critique des travaux du
docteur Pim Van Lommel. Études sur la mort, 143(1), 159–
172.
Evrard, R. (2014). Folie et paranormal : Vers une clinique des
expériences exceptionnelles. Rennes: PUR.
Evrard, R. (2015). The Paradigmatic Breakdown: A Model to
Define the ExE Dynamics. Journal of Exceptional
Experiences and Psychology, 3(1).
Evrard, R. (2016). Enquête sur 150 ans de parapsychologie, La
légende de l’esprit. Escalquens: Trajectoire.
Evrard, R., Lazrak, N., Laurent, M., Toutain, C. & Le Maléfan, P.
(2018). Du « moi vif » des noyés à l’expérience de mort
imminente : Approche clinique d’une énigme médico-
psychologique à partir d’un nouveau cas. Annales Médico-
psychologiques, 176(2), 189–198.
Evrard, R. & Le Malefan, P. (2013). Que changent les
«entendeurs de voix» à l’écoute des hallucinations? I.
Genèse d’un mouvement. Annales Médico-psychologiques,
revue psychiatrique, 171(9), 623–628.
Evrard, R. & Le Malefan, P. (2013). Que changent les
« entendeurs de voix » à l’écoute des hallucinations ? II.
Recherches sur l’entente de voix. Annales Médico-
psychologiques, revue psychiatrique, 171(9), 629‑634.
Evrard, R. & Rabeyron, T. (2012). Risquer la psychose :
Objections faites au « syndrome de psychose atténuée ».
PSN, 10(2), 45‑67.
Evrard, R. & Rabeyron, T. (2014). Psychose pour tous : La
jeunesse au risque du "syndrome de psychose atténuée. La
psychiatrie de l’enfant, 57(1), 331-348.
Evrard, R. & Rabeyron, T. (2017). La signification occulte des
rêves : Freud pourfendeur ou pourvoyeur de mythes? Bulletin
de psychologie, 552(6), 463–476.
Evrard, R. & Ouellet E. (2019). Vers une sociologie
anomalistique : le paranormal au regard des sciences
sociales. Nancy: PUN.
Facco, E. & Agrillo, C. (2012). Near-death-like experiences
without life-threatening conditions or brain disorders: A
hypothesis from a case report. Frontiers in psychology, 3,
490.
Fach, W., Atmanspacher, H., Landolt, K., Wyss, T. & Rössler, W.
(2013). A comparative study of exceptional experiences of
clients seeking advice and of subjects in an ordinary
population. Frontiers in Psychology, 4, 65.
Falque, E. (2001). Mystique et modernité. Etudes, 394(6), 785–
792.
Fangmeier, R. (1999). Entwicklung eines Konzepts für
telefonische Beratung im Bereich der Beratung für Menschen
mit Außergewöhnlichen Erfahrungen. Freibourg: Universität
Freiburg.
Favret-Saada, J. (1977). Les mots, la mort, les sorts (1985e
éd.). Paris : Gallimard.
Federn, P. (1956). La psychologie du moi et les psychoses
(1979e éd.). Paris : Puf.
Ferenczi, S. (1909). Transfert et introjection. In Oeuvres
complètes, vol. 1 (1968e éd.). Paris : Payot.
Ferenczi, S. (1913). L’acquisition du sens de réalité et ses
stades. In Psychanalyse II (1970e éd.). Paris : Payot.
Ferenczi, S. (1930). De la construction analytique des
mécanismes psychiques. In Psychanalyse IV. Oeuvres
complètes (1982e éd.). Paris : Payot.
Ferenczi, S. (1932). La confusion des langues entre les adultes
et les enfants. In Psychanalyse (1979e éd.). Paris : Payot.
Ferenczi, S. & Fodor, N. (1963). Spiritism. Psychoanalytic
Review, 50, 139‑144.
Ferrières-Pestureau, S. (2007). De la sensation à l’idée,
l’émergence hallucinatoire d’un fond énergétique chez le
créateur. Champ psychosomatique, 2(46), 101-113.
Ferro, A. & Basile, R. (2015). Le Champ analytique. Un concept
clinique. Paris : Les Éditions d’Ithaque.
Festinger, L. (1957). A Theory of Cognitive Dissonance.
Stanford: Stanford University Press.
Finkel, A. (2017). L’analyse cognitive, la psychologie numérique
et la formation des enseignants à l’université. Pratiques
Psychologiques, 23(3), 303–323.
Fisher Bernardino, L. M. (2005). Un retour à Freud pour fonder
la clinique psychanalytique des bébés et de leurs parents :
Les études sur la télépathie. Figures de la psychanalyse, 11,
207-213.
Flammer, E. & Assen, A. (2007). The Efficacy of Hypnotherapy
in the Treatment of Psychosomatic Disorders: Meta-analytical
Evidence. International Journal of Clinical and Experimental
Hypnosis, 55(3), 251‑274.
Flournoy, T. (1900). Des indes à la planète Mars (1983e éd.)
Paris : Alcan.
Fodor, N. (1947). Telepathy in analysis. Psychiatric Quarterly,
21(2), 171‑189.
Fodor, N. (1961). Sándor Ferenczi’s psychic adventures.
International Journal of Parapsychology, 3, 49–64.
Fodor, N. (1971). Freud, Jung, and occultism. San Juan:
University Books.
Forrest, D. V. (2008). Alien abduction: A medical hypothesis.
The Journal of the American Academy of Psychoanalysis and
Dynamic Psychiatry, 36(3), 431‑442.
Frazier, P., Tennen, H., Gavian, M., Park, C., Tomich, P. &
Tashiro, T. (2009). Does self-reported posttraumatic growth
reflect genuine positive change? Psychological Science,
20(7), 912‑919.
French, C. C. & Stone, A. (2013). Anomalistic psychology:
Exploring paranormal belief and experience. Londres:
Palgrave Macmillan.
French, C., Haque, U., Bunton-Stasyshyn, R. & Davis, R.
(2008). The" Haunt" project : An attempt to build a" haunted"
room by manipulating complex electromagnetic fields and
infrasound. Cortex, 45(5), 619‑629.
French, C. & Kerman, M. K. (1996). Childhood trauma, fantasy
proneness and belief in the paranormal. Proceedings of the
British Psychological Society, 5(1), 54.
French, C., Santomauro, J., Hamilton, V., Fox, R. & Thalbourne,
M. (2008). Psychological aspects of the alien contact
experience. Cortex, 44(10), 1387‑1395.
Freud, S. (1895). Esquisse d’une psychologie scientifique.
Paris : Puf.
Freud, S. (1900). L’interprétation des rêves (2010e éd.). Paris :
Puf.
Freud, S. (1901). Psychopathologie de la vie quotidienne (2001e
éd.). Paris : Payot.
Freud, S. (1907). L’Homme aux rats : Un cas de névrose
obsessionnelle (2010e éd.). Paris : Payot.
Freud, S. (1913). Totem et Tabou (2004e éd.). Paris : Payot.
Freud, S. (1914). La naissance de la psychanalyse (2015e éd.).
Paris : Puf
Freud, S. (1915). Complément métapsychologique à la théorie
du rêve (1989e éd.). Paris : Gallimard.
Freud, S. (1919). L’inquiétante étrangeté. In Essais de
psychanalyse appliquée (1971e éd.). Paris : Gallimard.
Freud, S. (1920). Au-delà du principe de plaisir. In Essais de
psychanalyse (1968e éd.). Paris : Payot.
Freud, S. (1921). Psychanalyse et télépathie. In Résultats,
idées, problèmes II (1985e éd.). Paris : Puf.
Freud, S. (1922). Rêve et télépathie. In Œuvres complètes XVI.
Paris : Puf.
Freud, S. (1923). Une névrose démoniaque au XVII e siècle. In
Essais de psychanalyse (1981e éd.). Paris : Gallimard.
Freud, S. (1925). Note sur le « bloc magique ». In Oeuvres
complètes XVI. Paris : Puf.
Freud, S. (1927). L’avenir d’une illusion (2013e éd.). Paris : Puf.
Freud, S. (1930). Malaise dans la culture (2010e éd.). Paris :
Puf.
Freud, S. (1936). Rêve et occultisme. In Nouvelles conférences
sur la psychanalyse (1971e éd.). Paris : Gallimard.
Freud, S. (1936). Un trouble de mémoire sur l’Acropole, In
Résultats, idées, problèmes, II, Paris : Puf.
Freud, S. (1937). L’Analyse finie et l’analyse infinie. In Oeuvres
complètes XX. Paris : Puf.
Freud, S. (1926). Inhibition, symptôme et angoisse (2016e éd.).
Paris : Puf
Freud, S. & Breuer, J. (1895). Etudes sur l’hystérie (2002e éd.).
Paris : Puf.
Freud, S. & Ferenczi, S. (1994). Correspondance, 1908—1914.
Paris : Calmann-Levy.
Freud, S. & Ferenczi, S. (1996). Correspondance, 1914—1919.
Paris : Calmann-Levy.
Freud, S. & Ferenczi, S. (1996). Correspondance 1920—1933,
les années douloureuses. Paris : Calmann-Levy.
Friston, K. (2009). The free-energy principle: A rough guide to
the brain? Trends in cognitive sciences, 13(7), 293–301.
Full, G. E., Walach, H. & Trautwein, M. (2013). Meditation-
induced changes in perception : An Interview study with
expert meditators (sotapannas) in Burma. Mindfulness, 4(1),
55–63.
Gabbard, G. O. & Twemlow, S. W. (1984). With the eyes of the
mind : An empirical analysis of out-of-body states. Westport:
Praeger Publishers.
Gabbard, G. & Twemlow, S. (1991). Do “near-death
experiences” occur only near-death? Journal of Near-Death
Studies, 10, 41‑47.
Gallagher, C., Kumar, V. K. & Pekala, R. J. (1994). The
anomalous experiences inventory: Reliability and validity.
Journal of Parapsychology, 58, 402‑428.
Garcia Menendez, J. (2006). Hallucination et deuil : Quelques
remarques à partir d’un cas clinique. Psychologie Clinique,
22, 191‑202.
Gay, M. C. (2005). Y a-t-il un lien entre hypnotisabilité et
psychopathologie ? Annales Médico-psychologiques,163(2),
127‑131.
Georgieff, N. (2008). L’empathie aujourd’hui : Au croisement des
neurosciences, de la psychopathologie et de la
psychanalyse. La psychiatrie de l’enfant, 51(2), 357‑393.
Gilovitch, T. (1991). How we know what isn’t so: The fallibility of
human reason in everyday life. New York: Free Press.
Goldberg, C. (2000). “The General’s Abduction by Aliens from a
UFO: Levels of Meaning of Alien Abduction Reports”. Journal
of Contemporary Psychotherapy, 30(3), 307‑320.
Goleman, D. & Davidson, R. (2017). The science of meditation:
How to change your brain, mind and body. Penguin UK.
Gori, R. (1996). Pensées de transfert ou transfert de pensée. In
La preuve par la parole : Sur la causalité en psychanalyse.
Paris : Puf.
Goulding, A. (2004). Mental Health Aspects of Paranormal and
Psi Related Experiences, Unpusblished dissertation,
Göteborg: Göteborg University.
Goulding, A. (2004). Schizotypy models in relation to subjective
health and paranormal beliefs and experiences. Personality
and Individual Differences, 37(1), 157‑167.
Goulding, A. (2005). Healthy schizotypy in a population of
paranormal believers and experients. Personality and
Individual Differences, 38(5), 1069‑1083.
Gowan, J. C. (1974). Development of the psychedelic individual.
New York: Creative Education Foundation.
Goza, T. H., Holden, J. M. & Kinsey, L. (2014). Combat near-
death experiences : An exploratory study. Military Medicine,
179(10), 1113‑1118.
Granjon, E. (1989). Transmission psychique et transferts en
thérapie familiale psychanalytique. Gruppo, 5, 47‑58.
Granoff, W. & Rey, J. M. (1983). L’occulte, objet de la pensée
freudienne. Paris : Puf.
Green, A. (1977). L’hallucination négative. L'Evolution
psychiatrique, 42(3), 645-656.
Green, A. (1983). Narcissisme de vie Narcissisme de mort
(2007e éd.). Paris : Les Editions de Minuit.
Green, A. (1990). La folie privée. Paris : Gallimard.
Green, A. (1993). Le travail du négatif. Paris : Les Editions de
Minuit.
Green, A. (1998). Transmission intrapsychique et auto-
interprétation. In Transmission, Transfert de pensée,
Interprétation. Puteaux: Edition du monde interne.
Green, A. (2000). Le temps éclaté. Paris : Les éditions de
minuit.
Greyson, B. (1981). Near-Death Experiences and Attempted
Suicide. Suicide and Life-Threatening Behavior, 11(1), 10–16.
Greyson, B. (1983). The near-death experience scale.
Construction, reliability, and validity. Nerv Ment Dis, 171,
369–375.
Greyson, B. (1983). The psychodynamics of near-death
experiences. Journal of Nervous and Mental Disorders,
171(6), 376–81.
Greyson, B. (2000). Near-death experiences. In Varieties of
anomalous experience. Washington: American Psychological
Association.
Greyson, B. (2003). Incidence and correlates of near-death
experiences in a cardiac care unit. General Hospital
Psychiatry, 25(4), 269‑276.
Greyson, B. (2007). Near-death experiences: Clinical
implications. Revista de Psiquiatria Clínica, 34(1), 49-57.
Greyson, B. & Evans Bush, N. (1992). Distressing near-death
experiences. Psychiatry, 55(1), 95–110.
Greyson, B. & Harris, B. (1987). Clinical approaches to the near-
death experiencer. Journal of Near-Death Studies, 6(1), 41–
52.
Greyson, B., Holden, J. M. & James, D. (2009). The Handbook
of Near-Death Experiences : Thirty Years of Investigation:
Thirty Years of Investigation. Santa Barbara: Praeger.
Greyson, B. & Khanna, S. (2014). Spiritual transformation after
near-death experiences. Spirituality in Clinical Practice, 1(1),
43-55.
Grof, S. & Grof, C. (1989). Spiritual emergency. Los Angeles:
Tarcher.
Grof, S. & Halifax, J. (1977). The Human Encounter with Death.
New York: Dutton.
Grosso, M. (1985). The final choice: Playing the survival game.
Walpole: Stillpoint Publishing.
Groth-Marnat, G. (1998). Hypnotizability, Dissociation, and
Paranormal Beliefs. Imagination, Cognition and Personality,
18(2), 127-132.
Groth-Marnat, G. & Summers, R. (1998). Altered Beliefs,
Attitudes, and Behaviors Following Near-Death Experiences.
Journal of Humanistic Psychology, 38(3), 110‑125.
Guillaumin, J. (2003). Les enveloppes psychiques du
psychanalyste. In Les enveloppes psychiques. Paris : Dunod.
Gulyas, A. J. (2013). Extraterrestrials and the American
Zeitgeist : Alien Contact Tales Since the 1950s. Jefferson,
North Carolina: McFarland & Company.
Gumpper, S. (2008). L’expérience mystique, entre réalisation
ultime et folie, Thèse de psychologie non publiée, Strasbourg:
Université de Strasbourg.
Gurney, E., Myers, F. W. H. & Podmore, F. (1886). Phantasms of
the living. London: Trübner.
Gutierez, G. & Maillard, N. (2004). Les Aventuriers de l’esprit.
Paris : Presses du Châtelet.
Gyimesi, J. (2012). Sándor Ferenczi and the problem of
telepathy. History of the Human Sciences, 25(2), 131–148.
Gyimesi, J. (2015). Why ‘spiritism’? The International Journal of
Psychoanalysis, 97(2), 357-383.
Guyotat, J., & Bordarier, V. (1980). Mort/naissance et filiation :
Études de psychopathologie sur le lien de filiation. Paris :
Masson.
Guyotat, Jean. (2005). Traumatisme et lien de filiation. Dialogue,
168(2), 15–24.
Hacking, I. (1988). Telepathy: Origins of Randomization in
Experimental Design. Artifact and Experiment, 79, 427‑451.
Hacking, I. (1998). L’âme réécrite. Etude sur la personnalité
multiple et les sciences de la mémoire. Le Plessis-Robinson:
Empecheurs de penser en rond.
Hänsell, A., Lenggenhagerl, B., von Känell, R., Curatolol, M. &
Blanke, O. (2011). Seeing and identifying with a virtual body
decreases pain perception. European Journal of Pain, 15(8),
874‑879.
Hansen, G. P. (2001). The Trickster and the Paranormal.
Philadelphia: Xlibris Corporation.
Hanssen, M., Bak, M., Bijl, R., Vollebergh, W. & Os, J. (2005).
The incidence and outcome of subclinical psychotic
experiences in the general population. British Journal of
Clinical Psychology, 44(2), 181–191.
Haraldsson, E. (1985). Representative national surveys of
psychic phenomena: Iceland, Great Britain, Sweden, USA
and Gallups multinational survey. Journal of the Society for
Psychical Research, 53, 145‑158.
Haraldsson, E. & Osis, K. (1977). At the hour of death. New
York: Avon.
Harary, K. (1986). A critical analysis of experimental and clinical
approaches to apparent psychic experiences, Unpublished
dissertation. The Union for Experimenting Colleges and
Universities.
Harary, K. (1989). Clinical approaches to reported psi
experiences : The research implications. In Psi and clinical
practice. New York: Parapsychology Foundation.
Harrison, R. H., Hartmann, E. & Bevis, J. (2006). The Boundary
Questionnaire: Its preliminary reliability and validity.
Imagination, Cognition and Personality, 25(4), 355‑382.
Hartmann, E. (1991). Boundaries In the Mind. New York:
BasicBooks.
Hegel (1817). Le magnétisme animal (2005e éd.). Paris : Puf.
Helminiak, D. A. (1984). Neurology, psychology, and
extraordinary religious experiences. Journal of Religion and
Health, 23, 33‑46.
Hergovich, A. & Arendasy, M. (2005). Critical thinking ability and
belief in the paranormal. Personality and Individual
Differences, 38(8), 1805‑1812.
Hitschmann, E. (1924). Telepathy and Psychoanalysis.
International Journal of Psychoanalysis, 5, 425‑438.
Hitschmann, E. (1933). Telepathy during psychoanalysis. In
Psychoanalysis and the occult. New York: International
University Press.
Hollós, I. (1933). Psychopathologie alltäglicher telepathischer
Erscheinungen. Imago, 19, 529‑546.
Holt, N. J., Simmonds-Moore, C., Luke, D. & French, C. C.
(2012). Anomalistic psychology. Hampshire: Palgrave
Macmillan.
Holzinger, B., LaBerge, S. & Levitan, L. (2006).
Psychophysiological correlates of lucid dreaming. Dreaming,
16(2), 88-94.
Honorton, C. & Ferrari, D. (1989). Future-telling : A meta-
analysis of forced-choice precognition experiments, 1935-
1987. Journal of Parapsychology, 53, 281‑308.
Hopkins, B. (1987). Intruders : The Incredible Visitations at
Copley Woods. New York: Rand House.
Houran, J., Hughes, L. F., Thalbourne, M. A. & Delpin, P. S.
(2006). Quasi-experimental study of transliminality,
vibrotactile thresholds, and performance speed. Australian
Journal of Parapsychology, 6, 54-80.
Houran, J. & Lange, R. (2001). Hauntings and poltergeists.
Jefferson: McFarland.
Houran, J., Thalbourne, M. A. & Hartmann, E. (2003).
Comparison of two alternative measures of the boundary
construct. Perceptual and Motor Skills, 96(1), 311‑323.
Houran, J., Thalbourne, M. A. & Lange, R. (2003).
Methodological note: Erratum and comment on the use of the
Revised Transliminality Scale. Consciousness and Cognition,
12(1), 140‑144.
Houran, J. & Williams, C. (1998). Relation of tolerance of
ambiguity to global and specific paranormal experience.
Psychological Reports, 807‑818.
Houzel, D. (2005). Le concept d’enveloppe psychique. Paris : In
Press.
Hulin, M. (1993). La mystique sauvage. Paris : Puf
Hufford, D. J. (2005). Sleep paralysis as spiritual experience.
Transcultural psychiatry, 42(1), 11–45.
Huxley, A. (1954). Les portes de la perception (2001e éd.).
Paris : Editions du Rocher.
Hyman, R. (2010). A Meta-Analysis That Conceals More Than It
Reveals : Comment on Storm et al. (2010). Psychological
Bulletin, 136(4), 486‑490.
Iacoboni, M. & Dapretto, M. (2006). The mirror neuron system
and the consequences of its dysfunction. Nature Reviews
Neuroscience, 7(12), 942‑951.
Irwin, H. J. (1980). Out of the body Down Under: Some cognitive
characteristics of Australian students reporting OOBEs.
Journal of the Society for Psychical Research, 50(785),
448‑459.
Irwin, H. J. (1985). Parapsychological phenomena and the
absorption domain. Journal of the American Society for
Psychical Research, 79(1), 1‑11.
Irwin, H. J. (1991). A study of paranormal belief, psychological
adjustment, and fantasy proneness. Journal of the American
Society for Psychical Research, 85(4), 317‑331.
Irwin, H. J. (1992). Origins and functions of paranormal belief :
The role of childhood trauma and interpersonal control.
Journal of the American Society for Psychical Research,
86(3), 199‑208.
Irwin, H. J. (1993). Belief in the paranormal: A review of the
empirical literature. Journal of the American Society for
Psychical Research, 87(1), 1‑39.
Irwin, H. J. (1993). The near-death experience as a dissociative
phenomenon: An empirical assessment. Journal of Near
Death Studies, 12, 95–95.
Irwin, H. J. (1994). Childhood trauma and the origins of
paranormal belief: A constructive replication. Psychological
Reports, 74(1), 107‑111.
Irwin, H. J. (1994). Paranormal belief and proneness to
dissociation. Psychological Reports, 75(3), 1344‑1346.
Irwin, H. J. (1996). Traumatic childhood events, perceived
availability of emotional support, and the development of
dissociative tendencies. Child Abuse & Neglect, 20(8),
701‑707.
Irwin, H. J. (2000). The disembodied self: An empirical study of
dissociation and the out-of-body experience. Journal of
Parapsychology, 64(3), 261–278.
Irwin, H. J. (2009). The psychology of paranormal belief.
Hertforshire: University of Hertfordshire Press.
Irwin, H. J. & Bramwell, B. A. (1988). The devil in heaven: A
near-death experience with both positive and negative facets.
Journal of Near-Death Studies, 7(1), 38–43.
Irwin, H. J. & Watt, C. (2007). An Introduction to
Parapsychology. Jefferson: McFarland.
Jacobs, T. L., Epel, E. S., Lin, J., Blackburn, E. H., Wolkowitz,
O. M., Bridwell, D. A., … MacLean, K. A. (2011). Intensive
meditation training, immune cell telomerase activity, and
psychological mediators. Psychoneuroendocrinology, 36(5),
664–681.
Jalley, E. (1998). Freud, Wallon, Lacan : L’enfant au miroir.
Paris : EPEL.
James, W. (1902). The Varieties of Religious Experience (1958e
éd.). New York: New York American Library.
James, W. (1972). Expériences d’un psychiste (2000e éd.).
Paris : Payot
Janet, P. (1889). L’automatisme psychologique (2005e éd.).
Paris : L’Harmattan.
Janin, C. (2001). Contenir par le contact, encadrer par
l’hallucinatoire. Revue Française de Psychanalyse, 65(4),
1251-1261.
Jansen, K. L. (1997). The ketamine model of the near-death
experience: A central role for the N-methyl-D-aspartate
receptor. Journal of Near-Death Studies, 16(1), 5–26.
Janssen, I., Krabbendam, L., Bak, M., Hanssen, M., Vollebergh,
W., Graaf, R. de & Os, J. van. (2004). Childhood abuse as a
risk factor for psychotic experiences. Acta Psychiatrica
Scandinavica, 109(1), 38–45.
Jeammet, N. (2008). Edith Stein. De l’emprison à l’abandon de
soi. Adolescence, 26(1), 117‑129.
Jeanneau, A. (2001). Hallucinatoire et hallucinations. Revue
Française de Psychanalyse, 65(4), 1349‑1359.
Jeannerod, M. (2010). De l’image du corps à l’image de soi.
Revue de neuropsychologie, 2(3), 185‑194.
Jensen, D., Lierre, K. & Aric, M. (2018). Deep Green
Resistance : Un mouvement pour sauver la planète. Herblay:
Editions Libre.
Johns, L. C. & Van Os, J. (2001). The continuity of psychotic
experiences in the general population. Clinical psychology
review, 21(8), 1125–1141.
Jones, E. (1957). Sigmund Freud Life And Work, Volume Three :
The Last Phase 1919-1939. In Sigmund Freud Life And
Work, Volume Three : The Last Phase 1919-1939 (p. 1–521).
London: The Hogarth Press.
Jourdan, J. P. (2007). Deadline, dernière limite. Paris : Les Trois
Orangers.
Jung, C. G. (1902). On the psychology and pathology of so-
called occult phenomena. Collected works, 1, 3–88.
Jung, C. G. (1933). Modern man in search of his soul. New
York: Harcourt, Brace and World.
Jung, C. G. (1961). Soucoupes volantes : Un mythe moderne.
Paris : Gallimard.
Jung, C. G. (1988). Synchronicité et Paracelsica. Paris : Albin
Michel.
Jung, C., Pauli, W. (1955). The Interpretation of Nature and the
Psyche: Synchronicity an Acausal Connecting Principle, New
York: Pantheon Book.
Jung, J. (2010). Du paradoxe identitaire au double transitionnel :
Le Horla de Guy de Maupassant. Revue française de
psychanalyse, 74(2), 507-519.
Jung, J. & Roussillon, R. (2013). L’identité et le « double
transitionnel ». Revue française de psychanalyse, 77(4),
1042‑1054.
Juranville, A. (2001). Entre deuil et mélancole, la voyance. In
Des Mélancolies. Paris : Edition du champ lacanien.
Juranville, A. (2005). Voies de l’inspiration. Psychologie
Clinique, 19, 105‑115.
Kaës, R. (1976). L’appareil psychique groupal (2000e éd.).
Paris : Dunod.
Kaës, R. (2002). La polyphonie du rêve : L’expérience onirique
commune et partagée. Paris : Dunod.
Kaës, R. (2015). L’extension de la psychanalyse : Pour une
métapsychologie de troisième type. Paris : Dunod.
Kaës, R., Faimberg, H., Enriquez, M. & Baranes, J. J. (1993).
Transmission de la vie psychique entre générations. Paris :
Dunod.
Kant, E. (1766). Rêves d’un visionnaire (1989e éd.). Paris : Vrin.
Kardec, A. (1857). Le Livre des esprits (2002e éd.). Paris :
Dervy.
Kennedy, J. E. & Kanthamani, H. (1995). An exploratory study of
the effects of paranormal and spiritual experiences on
peoples’ lives and well-being. Journal of the American
Society for Psychical Research, 89(3), 249‑264.
Kennedy, J. E., Kanthamani, H. & Palmer, J. (1994). Psychic
and spiritual experiences, health, well-being, and meaning in
life. Journal of Parapsychology, 58, 353‑383.
Kentfield, C. A. (2004). The Life Changes Inventory–Revised.
Journal of Near-Death Studies, 23, 41-54.
Kessler-Bilthauer, D. & Evrard, R. (2018). Sur le divan des
guérisseurs… et des autres. À quels soins se vouer? Paris :
Editions des archives contemporaines.
Kinne, P. & Bhanot, V. (2008). I’ve been abducted by aliens.
Current Psychiatry, 7(7), 81-92.
Kjellgren, A., Lyden, F. & Norlander, T. (2008). Sensory isolation
in flotation tanks: Altered states of consciousness and effects
on well-being. The Qualitative Report, 13(4), 636–656.
Klein, M. (1946). Notes sur quelques mécanismes schizoïdes. In
Développements de la psychanalyse. Paris : Puf.
Klemenc-Ketis, Z. (2013). Life Changes in Patients After Out-of-
Hospital Cardiac Arrest. International Journal of Behavioral
Medicine, 20(1), 7‑12.
Kluger, N. & Cribier, B. (2013). Les stigmates : De Saint-
François d’Assise à l’hématidrose idiopathique. Annales de
Dermatologie et de Vénéréologie, 140(12), 771‑777.
Koestler, A. (1940). Le zéro et l'infini (1974e éd.). Paris : Le livre
de Poche.
Koestler, A. (1972). Les racines du hasard (2018e éd.). Paris :
Les belles lettres.
Koestler, A. (1972). L'étreinte du crapaud (2018e éd.). Paris :
Calmann-Lévy.
Koestler, A. (1977). Le hasard et l'infini. Paris : Tchou.
Kohut, H. (1972). Thoughts on narcissism and narcissistic rage.
The psychoanalytic study of the child, 27, 360-400.
Kondziella, D. & Olsen, M. H. (2019). Prevalence of near-death
experiences and REM sleep intrusion in 1034 adults from 35
countries. BioRxiv, 532341.
Kosslyn, S. M., Thompson, W. L., Costantini-Ferrando, M. F.,
Alpert, N. M. & Spiegel, D. (2000). Hypnotic Visual Illusion
Alters Color Processing in the Brain. American Journal of
Psychiatry, 157(8), 1279‑1284.
Kramer, W., Bauer, E. & Hövelmann, G. (2012). Perspectives of
Clinical Parapsychology. Stiching: Bunnik.
Kripal, J. J. (2017). Secret Body : Erotic and Esoteric Currents in
the History of Religions. Chicago : University of Chicago
Press.
Krippner, S. (1996). A Pilot Study in ESP, Dreams and
Purported OBEs. Journal-Society for Psychical Research, 61,
88–93.
Krippner, S. & Friedman, H. (2009). Mysterious Minds: The
Neurobiology of Psychics, Mediums, and Other Extraordinary
People. New York: ABC-CLIO.
Laborde-Nottale, E. (1990). La voyance et l’inconscient. Paris :
Editions du Seuil.
Lacan, J. (1932). De la psychose paranoïaque dans ses
rapports avec la personnalité. Paris : Seuil.
Lacan, J. (1949). Le stade du miroir comme formateur de la
fonction du je telle qu’elle nous est rélévée dans l’expérience
psychanalytique. In Les écrits (1966e éd.).Paris : Éditions du
seuil.
Lacan, J. (1966). Écrits. Paris : Le seuil.
Lacan, J. (1981). Séminaire III, Les psychoses, 1955-1956.
Paris : Seuil.
Lachapelle, S. (2005). Attempting Science : The creation and
early developpement of the institute métapsychique
international in Paris, 1919-1931. Journal of the History of the
Behavioral Sciences, 41(1), 1‑24.
Lagrange, P. (1990). Enquêtes sur les soucoupes volantes. La
construction d’un fait aux États-Unis (1947),et en France
(1951-54), Terrain, 14, 92-112.
Lagrange, P. (2007). Ovnis : ce qu'ils ne veulent pas que vous
sachiez: Armée, services secrets,""débunkers" et autres
maîtres de l’intox... Paris : Presses du Châtelet.
Lagrange, P. (2009). Une ethnographie de l’ufologie : La
question du partage entre science et croyance, Thèse
d'ethnologie et anthropologie sociale, non publiée. Paris :
EHESS.
Lai, C.-F., Kao, T.-W., Wu, M.-S., Chiang, S.-S., Chang, C.-H.,
Lu, C.-S., … Chen, W.-Y. (2007). Impact of near-death
experiences on dialysis patients: A multicenter collaborative
study. American Journal of Kidney Diseases: The Official
Journal of the National Kidney Foundation, 50(1), 124‑132,
132.e1-2.
Lake, J. (2019). The near-death experience (NDE) as an
inherited predisposition : Possible genetic, epigenetic, neural
and symbolic mechanisms. Medical hypotheses, 126, 135-
148.
Landolt, K., Wittwer, A., Wyss, T., Unterassner, L., Fach, W.,
Krummenacher, P., … Rössler, W. (2014). Help-seeking in
people with exceptional experiences : Results from a general
population sample. Frontiers in Public Mental Health, 2, 51.
Lange, R. & Houran, J. (1999). The role of fear in delusion of the
paranormal: A hauting question of perception. Journal of
Nervous and Mental Disease, 186, 637‑649.
Lange, R., Thalbourne, M. A., Houran, J. & Storm, L. (2000).
The revised transliminality scale: Reliability and validity data
from a Rasch top-down purification procedure.
Consciousness and Cognition, 9(4), 591‑617.
Laplanche, J. (1987). Problématiques V. Le baquet.
Transcendance du transfert. Paris : Puf.
Laplanche, J. (1987). Nouveaux fondements pour la
psychanalyse. Paris : Puf.
Laplantine, F. et al. (1985). Un voyant dans la ville. Le cabinet
de consultation d’un voyant contemporain, Georges de
Bellerive. Paris : Payot.
Laplantine, F. & Rabeyron, P.-L. (1987). Les médecines
parallèles. Paris : PUF.
Larcher, H. & Méheust, B. (1997). A propos de métapsychique
et de parapsychologie. Synapse, 141.
Laroi, F., DeFruyt, F., Os, J., Aleman, A. & Linden, M. V. (2005).
Associations between hallucinations and personality structure
in a non-clinical sample: Comparison between young and
elderly samples. Personality and Individual Differences,
39(1), 189‑200.
Laroi, F. & Linden, M. V. (2005). Metacognitions in proneness
towards hallucinations and delusions. Behaviour Research
and Therapy, 43(11), 1425‑1441.
Laufer, L. (2007). De l’image revenante aux illusions bénies.
Champ psychosomatique, 46(2), 65‑78.
Lavallée, G. (1999). L’enveloppe visuelle du Moi. Paris : Dunod.
Lavallée, G. (2005). Sublimations de vie et de mort :
Décorporation ou excorporation? Revue française de
psychanalyse, 69(5), 1721–1729.
Lavallée, G. (2007). Où suis-je ? Revue française de
psychanalyse, 71(1), 115–134.
Lawrence, T. R. (1993). Gathering in the sheep and goats... A
meta-analysis of forced-choice sheep-goat ESP studies,
1947-1993. Paper presented at the 36st Annual Convention
of the Parapsychological Association, 75‑86.
Lawrence, T. R., Edwards, C., Barraclough, N., Church, S. &
Hetherington, F. (1995). Modelling childhood causes of
paranormal belief and experience: Childhood trauma and
childhood fantasy. Personality and Individual Differences,
19(2), 209‑215.
Lawrence, T., Roe, C. & Williams, C. (1997). Confirming the
factor structure of the Paranormal Beliefs Scale: Big
orthogonal seven or oblique five? Journal of Parapsychology,
61, 13‑27.
Lawson, A. H. (1984). Perinatal imagery in UFO abduction
reports. The Journal of Psychohistory, 12(2), 211.
Laycock, J. P. (2012). “We Are Spirits of Another Sort” :
Ontological Rebellion and Religious Dimensions of the
Otherkin Community. Nova Religio: The Journal of Alternative
and Emergent Religions, 15(3), 65‑90.
Lazar, S. G. (2001). Knowing, influencing, and healing :
Paranormal phenomena and implications for psychoanalysis
and psychotherapy. Psychoanalytic Inquiry, 21, 113‑131.
Le Maléfan, P. (2000). Folie et spiritisme—Histoire du discours
psychopathologique sur la pratique du spiritisme, 1850-1950.
Paris : L’Harmattan.
Le Maléfan, P. (2001). Les expériences de mort imminente
(EMI) au regard de la psychanalyse. Perspectives
Psychiatriques, 40(2), 125‑132.
Le Maléfan, P. (2004). La psychopathologie confrontée aux
fantômes. L’épisode de la villa Carmen. Contribution à
l’histoire marginale de la psychologie et de la
psychopathologie. Psychologie et Histoire, 5, 1‑19.
Le Maléfan, P. (2004). Marguerite Burnat-Provins la visionnaire
ou L’œuvre imposée. L’évolution psychiatrique, 69(3),
393‑408.
Le Maléfan, P. (2005). La « sortie hors du corps » est-elle
pensable par nos modèles cliniques et
psychopathologiques ? Essai de clinique d’une marge. À
propos d’un cas. L’Évolution Psychiatrique, 70(3), 513‑534.
Le Maléfan, P. (2008). L’hallucination télépathique ou véridique
dans la psychopathologie de la fin du XIXe siècle et du début
du XXe siècle. L'Evolution Psychiatrique, 73(1), 15‑40.
Le Maléfan, P. (2010). La mort imminente et l’hallucinatoire
salutaire. Études sur la mort, 137(1), 167–178.
Le Maléfan, P. (2014). Clinique de la marge et marges de la
clinique. Esquisse. Psychologie Clinique, 37(1), 159‑171.
Lecouteux, C. (2007). La maison hantée : Histoire des
poltergeists. Paris : Imago.
Lecuit, J.-B. (2008). La mystique, entre régression et passion
sublimatoire. Adolescence, 26(1), 13‑157.
Levy, R. A., Ablon, J. S. & Kächele, H. (2011). Psychodynamic
psychotherapy research: Evidence-based practice and
practice-based evidence. New Yok: Springer.
Lewin, B. D. (1946). Sleep, the mouth, and the dream screen.
The Psychoanalytic Quarterly, 15, 419‑434.
Lewin, K. (1935). A dynamic theory of Personality. New York:
McGraw Hill.
Löfgren, L. B. (1968). Recent publications on parapsychology.
Journal of the American Psychoanalytic Association, 16,
146‑178.
Loftus, E. F. (1993). The reality of repressed memories.
American psychologist, 48(5), 518.
Loftus, E. F. (2001). Imagining the past. The Psychologist,
14(11), 584–587.
Lomax, J. W., Kripal, J. J. & Pargament, K. I. (2011).
Perspectives on “sacred moments” in psychotherapy.
American Journal of Psychiatry, 168(1), 12-18.
Luke, D. (2017). Otherworlds: Psychedelics and Exceptional
Human Experience. London: Muswell Hill Press.
Mack, J. E. (1994). Abduction: Human Encounters with Aliens.
New York: Ballantine Books.
Major, R. (1983). Télépathie, Cahiers confrontation, 10.
Maleval, J. C. (1981). Folies hystériques et psychoses
dissociatives. Paris : Payot.
Maleval, J. C. (1996). Logique du délire. Paris : Masson.
Maleval, J. C. & Charraud, N. (1997). Modernité du
démoniaque. Psychologie Clinique, 4, 117‑130.
Maleval, J. C. & Charraud, N. (2003). The" alien abduction"
syndrome. In Psychoanalysis and the Paranormal : Lands of
Darkness. London: Karnac.
Maleval, J.-C. (2012). La Psychothérapie autoritaire et ses
étonnantes mystifications. Paris : Navarin.
Mancini, S. (2006). La fabrication du psychisme : Pratiques
rituelles au carrefour des sciences humaines et des sciences
de la vie. Paris : Editions La Découverte.
Mannoni, O. (1969). « Je sais bien, mais quand même». In Clefs
pour l’imaginaire, Paris : Seuil.
Maquet, P., Faymonville, M. E., Degueldre, C., Delfiore, G.,
Franck, G., Luxen, A. & Lamy, M. (1999). Functional
neuroanatomy of hypnotic state. Biological Psychiatry, 45(3),
327‑333.
Marceau, J.-C. (2001). Freud, Binswanger, Foucault : La
psychanalyse à l’épreuve critique de la phénoménologie.
Cliniques méditerranéennes, 2, 227–241.
Marcotte, H. (1977). La télesthésie : Méthode d’entraînement à
la télépathie. Paris : Presses de la renaissance.
Marmin, N. (2001). La métapsychique (1875-1935) : Une
impasse fructueuse dans l’histoire de la science de l’esprit,
Thèse d’histoire de la psychologie non publiée. Paris :
Université René Descartes.
Martial, C., Cassol, H., Antonopoulos, G., Charlier, T., Heros, J.,
Donneau, A.-F., … Laureys, S. (2017). Temporality of
Features in Near-Death Experience Narratives. Frontiers in
Human Neuroscience, 11.
Martial, C., Cassol, H., Charland-Verville, V., Pallavicini, C.,
Sanz, C., Zamberlan, F., … Greyson, B. (2019).
Neurochemical models of near-death experiences: A large-
scale study based on the semantic similarity of written
reports. Consciousness and cognition, 69, 52–69.
Martial, C., Mensen, A., Charland-Verville, V., Vanhaudenhuyse,
A., Rentmeister, D., Bahri, M. A., … Faymonville, M.-E.
(2019). Neurophenomenology of near-death experience
memory in hypnotic recall: A within-subject EEG study.
Scientific Reports, 9(1), 1‑11.
Martin, B. (2017). Empowerment et liberté en psychiatrie.
Perspectives Psy, 56(3), 211‑216.
Martino, E. (1948). Le Monde magique (2003e éd.). Paris : Les
Empêcheurs de Penser en Rond.
Marty, P. (1980). L’ordre psychosomatique. Paris : Payot.
Marx, O. (2006). Morton prince and the dissociation of a
personality. Journal of the History of the Behavioral Sciences,
6(2), 120‑130.
Mason, A. A. (1952). Case of congenital ichthyosiform
erythrodermia of Brocq treated by hypnosis. British Medical
Journal, 4781(2), 422-423.
Massicotte, C. (2014). Psychical Transmissions : Freud,
Spiritualism, and the Occult. Psychoanalytic Dialogues, 24(1),
88‑102.
Matot, J.-P. (2003). L’objet de deuil entre figuration et
représentation. Cahiers de Psychologie Clinique, 20(1),
137‑155.
Maturana, H. & Varela, F. (1994). L’arbre de la connaissance.
Paris : Addison-Wesley.
Mayer, E. L. (2001). On « telepathic dreams ? » : An unpublished
paper by Robert J. Stoller. Journal of the American
Psychoanalytic Association, 49(2), 629‑657.
Mayer, E. L. (2007). Extraordinary Knowing : Science,
Skepticism, and the Inexplicable powers of the Human Mind.
New York: Bantam Dell.
McCreery, C. & Claridge, G. (1995). Out-of-the-Body
Experiences and Personality. Journal of the Society for
Psychical Research, 60, 129‑129.
McCreery, C. & Claridge, G. (1996). A study of hallucination in
normal subjects—II. Electrophysiological data. Personality
and Individual Differences, 21(5), 749–758.
McCreery, C. & Claridge, G. (2002). Healthy schizotypy : The
case of out-of-the-body experiences. Personality and
Individual Differences, 32(1), 141‑154.
McNally, R. J. & Clancy, S. A. (2005). Sleep Paralysis, Sexual
Abuse, and Space Alien Abduction. Transcultural Psychiatry,
42(1), 113‑122.
McNally, R. J., Lasko, N. B., Clancy, S. A., Macklin, M. L.,
Pitman, R. K. & Orr, S. P. (2004). Psychophysiological
responding during script-driven imagery in people reporting
abduction by space aliens. Psychological Science, 15(7),
493‑497.
Meehl, P. E. (1990). Toward an integrated theory of schizotaxia,
schizotypy, and schizophrenia. Journal of Personality
Disorders, 4(1), 1‑99.
Méheust, B. (1992). En soucoupes volantes : Vers une
ethnologie des récits d’enlèvements. Imago.
Méheust, B. (1999). Somnambulisme et médiumnité (Tomes 1
et 2). Paris : Les Empêcheurs de penser en rond.
Méheust, B. (2000). Retour sur l’Anomalie Belge. Marseille: Le
livre bleu.
Méheust, B. (2003). Un voyant prodigieux : Alexis Didier, 1826-
1866. Paris : Les Empêcheurs de penser en rond.
Méheust, B. (2005). 100 mots pour comprendre la voyance.
Paris : Empêcheurs de Penser en Rond.
Méheust, B. (2015). Jésus thaumaturge. Paris : InterEditions.
Méheust, B. (2015). La politique de l’oxymore. Paris : La
découverte.
Melo, I. (2005). Notes sur l’hallucinatoire. Adolescence, 23(2),
241‑257.
Melzack, R. (1999). From the gate to the neuromatrix. Pain,
82(1), 121‑126.
Merleau-Ponty, M. (1976). Phénoménologie de la perception.
Paris : Gallimard.
Metzinger, T. (2004). Being no one: The self-model theory of
subjectivity. Cambridge: MIT Press.
Metzinger, T. (2005). Out-of-body experiences as the origin of
the concept of a « soul ». Mind and Matter, 3(1), 57–84.
Meurger, M. (1995). Scientifictions : Alien abduction—
L’enlèvement extraterrestre de la fiction à la croyance.
Amiens: Encrage.
Micoulaud-Franchi, J.-A., Geoffroy, P.-A., Amad, A. & Quiles, C.
(2015). Le jardinier et le botaniste. Proposition d’une
organisation minimale de la sémiologie psychiatrique pour
l’étudiant en médecine. Annales Médico-psychologiques,
revue psychiatrique, 173(5), 460–469.
Mijolla, A. (1981). Les visiteurs du moi. Paris : Belles Lettres.
Mijolla, A. (2002). Dictionnaire international de la psychanalyse.
Paris : Calmann-Levy.
Mijolla-Mellor, S. (2004). Le besoin de croire. Paris : Dunod.
Millett, D. (2001). Hans Berger: From Psychic Energy to the
EEG. Perspectives in Biology and Medicine, 44(4), 522‑542.
Milne, E., Dickinson, A. & Smith, R. (2017). Adults with autism
spectrum conditions experience increased levels of
anomalous perception. PLOS ONE, 12(5), e0177804.
Milton, J. & Wiseman, R. (1999). Does Psi exist? Lack of
replication of an anomalous process of information transfer.
Psychological Bulletin, 125(4), 387‑391.
Mitchell, S. A. & Aron, L. E. (1999). Relational psychoanalysis:
The emergence of a tradition. Eldorado Hills: Analytic Press.
Mobbs, D. & Watt, C. (2011). There is nothing paranormal about
near-death experiences: How neuroscience can explain
seeing bright lights, meeting the dead, or being convinced
you are one of them. Trends in Cognitive Sciences, 15(10),
447‑449.
Montanelli, D. G. & Parra, A. (2004). A clinical approach to the
emotional processing of anomalous/paranormal experiences
in group therapy. Journal of the Society for Psychical
Research, 68, 129-142.
Moody, R. (1975). La vie après la vie (2016e éd.). Paris : Robert
Laffont.
Moody, R. (1999). The last laugh: A new philosophy of near-
death experiences, apparitions, and the paranormal.
Newburyport: Hampton Roads Pub.
Moreau, C. (1976). Freud et l’occultisme. Paris : Privat.
Morin, E. (2005). Introduction à la pensée complexe. Paris :
Seuil.
Morris, R. L., Harary, S. B., Janis, J., Hartwell, J. & Roll, W. G.
(1978). Studies of communication during out-of-body
experiences. Journal of the American Society for Psychical
Research, 72(1), 1–21.
Mossbridge, J., Tressoldi, P. & Utts, J. (2012). Predictive
physiological anticipation preceding seemingly unpredictable
stimuli: A meta-analysis. Frontiers in Perception Science, 3,
390.
Moulton, S. & Kosslyn, S. M. (2008). Using neuroimaging to
resolve the psi debate. Journal of Cognitive Neuroscience,
20(1), 182‑192.
Murray, C. & Fox, J. (2005). Dissociational body experiences:
Differences between respondents with and without prior out-
of-body-experiences. British Journal of Psychology, 96(4),
441‑456.
Murray, C. & Fox, J. (2005). The out-of-body experience and
body image: Differences between experients and
nonexperients. The Journal of nervous and mental disease,
193(1), 70–72.
Musgrave, C. (1997). The near-death experience: A study of
spiritual transformation. Journal of Near-Death Studies, 15(3),
187–201.
Myers, F. W. H. (1903). Human Personality and Its Survival of
Bodily Death (2005e éd.). Mineola: Dover Publications.
Myers, N. A. L. & Ziv, T. (2016). “No One Ever Even Asked Me
that Before”: Autobiographical Power, Social Defeat, and
Recovery among African Americans with Lived Experiences
of Psychosis. Medical Anthropology Quarterly, 30(3),
395‑413.
Nakul, E. & Lopez, C. (2017). Commentary: Out-of-Body
Experience during Awake Craniotomy. Frontiers in Human
Neuroscience, 11.
Neagoe, A. D. (2000). Abducted by Aliens: A Case Study.
Psychiatry, 63(2), 202‑207.
Nelson, R., Dunne, B. J., Dobyns, Y. H. & Jahn, R. G. (1996).
Precognitive remote perception: Replication of remote
viewing. Journal of Scientific Exploration, 10(1), 109‑110.
Neppe, V. M. (1980). Subjective paranormal experience. Psi, 2,
2‑3.
Neri, C. (2007). La notion élargie de champ. Psychothérapies,
27(1), 19–30.
Newman, L. S. & Baumeister, R. F. (1996). Toward an
explanation of the UFO abduction phenomenon: Hypnotic
elaboration, extraterrestrial sadomasochism, and spurious
memories. Psychological Inquiry, 7(2), 99–126.
Nijenhuis, E. R. S. (2001). Somatoform Dissociation. Journal of
Trauma & Dissociation, 1(4), 7‑32.
Noel, J.-P., Cascio, C. J., Wallace, M. T. & Park, S. (2017). The
spatial self in schizophrenia and autism spectrum disorder.
Schizophrenia Research, 179, 8‑12.
Noyes, R. & Kletti, R. (1977). Depersonalization in response to
life-threatening danger. Comprehensive Psychiatry, 18(4),
375‑384.
Ogden, T. H. (2012). Cet art qu’est la psychanalyse : Rêver des
rêves inrêvés et des cris interrompus. Paris : Ithaque.
Ogorzelec, L. (2014). L’évolution de l’expertise médicale des
guérisons de Lourdes au regard de la « conversation de
gestes ». Archives de sciences sociales des religions, 166(2),
221–242.
Onfray, M. (2010). Le crépuscule d’une idole, l’affabulation
freudienne. Paris : Grasset.
Oppenheim-Gluckman, H. (1996). Mémoire de l’absence.
Clinique psychanalytique des réveils de coma. Paris :
Masson.
Os, J. van, Hanssen, M., Bijl, R. V. & Ravelli, A. (2000). Strauss
(1969) revisited : A psychosis continuum in the general
population? Schizophrenia Research, 45(1), 11‑20.
Owens, J., Cook, E. W. & Stevenson, I. (1990). Features of
« near-death experience » in relation to whether or not
patients were near death. The Lancet, 336(8724), 1175–
1177.
Palmer & Dennis, M. (1975). A Community Mail. Survey of
Psychic Experiences in Research in Parapsychology.
Metuchen: Scarecrow Press.
Palmer, J. (1974). ESP and Out-of-the Body Experience: An
exploratory study. Journal of the American Society for
Psychical Research, 68, 257‑280.
Palmer, J. (1978). The out-of-body experience: A psychological
theory. Parapsychology Review, 9(5), 19–22.
Palmer, J. (1979). A community mail survey of psychic
experiences. Journal of the Society for Psychical Research,
73, 221‑251.
Parat, C. (2002). L’inconscient et le sacré. Paris : Puf.
Parnell, J. O. & Sprinkle R.L. (1990). Personality characteristics
of persons claiming UFO experiences. Journal of UFO
studies, 2, 45‑58.
Parnia, S., Spearpoint, K., de Vos, G., Fenwick, P., Goldberg,
D., Yang, J., … others. (2014). AWARE—AWAreness during
REsuscitation—A prospective study. Resuscitation, 85(12),
1799–1805.
Parnia, S., Waller, D. G., Yeates, R. & Fenwick, P. (2001). A
qualitative and quantitative study of the incidence, features
and aetiology of near death experiences in cardiac arrest
survivors. Resuscitation, 48(2), 149–156.
Parra, A. (2006). "Seeing and Feeling Ghosts": Absorption,
Fantasy Proneness, and Healthy Schizotypy as Predictors of
Crisis Apparition Experiences. Journal of Parapsychology,
70(2), 357-369.
Parra, A. & Corbetta, J. M. (2013). Group therapy for
anomalous/paranormal Experiences: Post-effect preliminary
examination of the humanistic approach. Journal of
Exceptional Experiences and Psychology 1 (2), 20–26.
Patry, A. L. & Pelletier, L. G. (2001). Extraterrestrial beliefs and
experiences: An application of the theory of reasoned action.
The Journal of social psychology, 141(2), 199–217.
Pauli, W. & Jung, C. G. (2000). Correspondance, 1932-1957.
Paris : Albin Michel.
Pekala, R. J., Kumar, V. K. & Marcano, G. (1995).
Anomalous/Paranormal Experiences, Hypnotic Susceptibility,
and Dissociation. Journal of the American Society for
Psychical Research, 89, 313‑332.
Penfield, W. & Erickson, C. T. (1941). Epilepsy and cerebral
localization. Oxford: Charles Thomas.
Penfield, W. & Jasper, H. (1954). Epilepsy and the functional
anatomy of the brain,. Boston: Little Brown and Co.
Penot, B. (1992). Le phénomène du revenant dans les cas
limites. Revue Française de Psychanalyse, 56(1), 123‑134.
Perkins, S. & Allen, R. (2006). Childhood physical abuse and
differential development of paranormal belief systems.
Journal of Nervous and Mental Disease, 194(5), 349‑355.
Persinger, M. A. (2001). The Neuropsychiatry of Paranormal
Experiences. Journal of Neuropsychiatry and Clinical
Neurosciences, 13(4), 515‑524.
Persinger, M. A. (2010). The Harribance effect as pervasive out-
of-body experiences: NeuroQuantal evidence with more
precise measurements. NeuroQuantology, 8(4).
Persinger, M. A. & Makarec, K. (1987). Temporal lobe epileptic
signs and correlative behaviors displayed by normal
populations. The Journal of General Psychology, 114(2),
179–195.
Petitmengin, C. (2001). L’expérience intuitive. Paris :
L’Harmattan.
Petitmengin, C. (2006). Describing one’s subjective experience
in the second person : An interview method for the science of
consciousness. Phenomenology and the Cognitive sciences,
5(3‑4), 229–269.
Petitmengin, C. & Bitbol, M. (2009). Listening from within.
Journal of Consciousness studies, 16(10‑11), 363–404.
Petitmengin, C., Van Beek, M., Bitbol, M., Nissou, J.-M. &
Roepstorff, A. (2018). Studying the experience of meditation
through micro-phenomenology. Current opinion in
psychology, 28, 54-59.
Pfister, O. (1930). Shockdenken und shockphantasien bei
höchster todesgefahr. Zeitschrift für Psychonalyse, 16,
430‑455.
Pierssens, M. (1993). Le merveilleux psychique au XIXe siècle.
Ethnologie française, 23(3), 351–366.
Pirard, R. (2010). Le sujet postmoderne entre symptôme et
jouissance. Toulouse: Erès.
Plas, R. (2000). Naissance d’une science humaine, la
psychologie : Les psychologues et le merveilleux psychique.
Rennes: PUR.
Plé, A. (1968). Freud et la religion. Paris : Éditions du Cerf.
Powell, D. H. (2009). The ESP enigma: The scientific case for
psychic phenomena. New York: Walter and Compagny.
Powers, S. M. (1994). Dissociation in alleged extraterrestrial
abductees. Dissociation: Progress in the dissociative
disorders, 7(1), 44-50.
Powers, S. M. (1997). Alien abduction narratives. In Broken
images, broken selves: Dissociative narratives in clinical
practice. Londres: Routledge.
Prados, M. (1959). transference and seemingly
parapsychological phenomena. Psychoanalytic Review,
46(3), 29-44.
Press, J. (2011). La projection inachevée. Revue française de
psychanalyse, 75(3), 665-679.
Preston, C. & Ehrsson, H. H. (2014). Illusory Changes in Body
Size Modulate Body Satisfaction in a Way That Is Related to
Non-Clinical Eating Disorder Psychopathology. Plos One,
9(1), e85773.
Rabeyron P.-L. (2000), Vers une médecine renouvelée, In
Guérir l’âme et le corps. Paris : Albin Michel.
Rabeyron. P.-L. (2002), Anthropologie du paranormal, In
Dictionnaire de l’extraordinaire chrétien. Paris : Fayard.
Rabeyron P.-L. (2004), Croire ou ne pas croire en la
voyance : enjeux de savoir, enjeux de pouvoir, In Le
mythe : pratiques, récits, théories, Vol. 3, Paris :
Economica et Anthropos.
Rabeyron, T. (2009). Les expériences exceptionnelles : Entre
neurosciences et psychanalyse. Recherches en
Psychanalyse, 8.
Rabeyron, T. (2010). Approche psychodynamique et cognitive
des expériences exceptionnelles. Thèse de
Psychopathologie et Psychologie Clinique. Lyon: Université
de Lyon.
Rabeyron, T. (2010). Review of "La connaissance
supranormale, étude expérimentale" by Eugène Osty. Journal
of Scientific Exploration, 24(2), 351-357.
Rabeyron, T. (2012). Psychopathological and psychodynamic
approaches to anomalous experiences : The concept of a
paranormal solution. In Mental Health and Anomalous
Experience. Londres: Nova Publishers.
Rabeyron T. (2014), Retro-priming, priming and double testing:
psi and replication in a test-rest design, Frontiers in Human
Neuroscience, 8, 154.
Rabeyron, T. (2015). Associativité, symbolisation et entropie :
Propositions théoriques et cliniques. Annales Médico-
psychologiques, 173(8), 649–658.
Rabeyron, T. (2016). Les processus de symbolisation et de
représentation comme espace transitionnel pour la
psychanalyse et les neurosciences. L’Evolution
Psychiatrique, 81(1), 160‑175.
Rabeyron, T. (2017). De l’art oratoire en milieu universitaire,
entre psychanalyse et neurosciences cognitives. Pratiques
psychologiques, 23(3), 201–215.
Rabeyron, T. (2018). Psychologie clinique et psychopathologie :
Cours, exemples cliniques, entraînement. Paris : Armand
Colin.
Rabeyron T. (2018), Clinique des expériences d’abduction :
trauma, clivage et logiques de l’originaire, L’Evolution
Psychiatrique, 83(2), 355-379.
Rabeyron, T. (2018). Constructions finies et constructions
infinies : De l’épistémologie psychanalytique dans ses
rapports à la vérité. In analysis, 2(2), 143–155.
Rabeyron, T. (2019). Processus transformationnels et champ
analytique : Un nouveau paradigme pour les modèles et les
pratiques cliniques. L’Évolution Psychiatrique, available
online.
Rabeyron, T. & Watt, C. (2010). Paranormal experiences,
mental health and mental boundaries, and psi. Personality
and Individual Differences, 48(4), 487‑492.
Rabeyron T. et Evrard R. (2012), Perspectives historiques et
contemporaines sur l’occulte dans la correspondance Freud-
Ferenczi/Historical and Contemporary Perspectives on
Occultism in the Freud-Ferenczi Correspondence,
Recherches en Psychanalyse, 13.
Rabeyron T., Loose T. (2015), Anomalous experiences, trauma
and symbolization at the frontiers between neurosciences
and psychoanalysis, Frontiers in Psychoanalysis and
Neuropsychoanalysis, 6, 1926.
Rabeyron T., Caussié S. (2016), Clinique des sorties hors du
corps : Trauma, réflexivité et symbolisation / Clinical Aspects
of Out-of-Body Experiences : Trauma, reflexivity and
symbolisation, L’Evolution Psychiatrique, 81(4), 755-775.
Rabeyron, T. & Abchiche, A. (2017). Des processus psychiques
en consultations de voyance. Le Coq-héron, 231(4), 123–
133.
Rabeyron T. & Abchiche A. (2018), La consultation de voyance.
Entre transfert de pensée et intersubjectivité primaire, in Sur
le divan des guérisseurs. Paris, Archives contemporaines.
Rabeyron, T. & Minjard (2019) Les expériences de mort
imminente en service de réanimation et au-delà, entre
logiques de l’opératoire et processus de subjectivation,
Etudes sur la mort, sous presse.
Rabeyron, T. & Finkel (2019), La micro-analyse comme
méthode d’explicitation de l’expérience subjective au
croisement de l’analyse cognitive et de la psychanalyse,
Pratiques psychologiques, soumis.
Rabeyron, T., Chouvier, B. & Le Maléfan, P. (2010). Clinique des
expériences exceptionnelles : Du trauma à la solution
paranormale. L’Evolution psychiatrique, 75(4), 633–653.
Rabeyron, T., Veuillet-Combier, C. & Chouvier, B. (2016). Les
fantômes d’un deuil impossible. Psychothérapies, 36(1), 13–
25.
Rabeyron, T., Evrard, R. & Massicotte, C. (2019). « Es gibt
Gedankenübertragung » : Transfert de pensée et processus
télépathiques en analyse. Revue française de psychanalyse,
83(4), 1239–1252.
Rabeyron T., Charlet O., Rowe C. Mousseau-C, Deledalle A.
(2018), Anomalous experiences, mental health and creativity:
is psi the missing link? Journal of Consciousness Studies,
25(3-4), 207-232.
Radin, D. (1997). Unconscious perception of future emotions :
An experiment in presentiment. Journal of Scientific
Exploration, 11(2), 163–180.
Radin, D. (2000). La conscience invisible. Paris : Presses du
Châtelet.
Radin, D. (2006). Entangled Minds: Extrasensory Experiences
in a Quantum Reality. New York: Paraview Pocket Books.
Radin, D. (2018). Real magic. New York: Harmony.
Radin, D., Nelson, R., Dobyns, Y. & Houtkooper, J. (2006).
Reexamining psychokinesis : Comment on Bösch,
Steinkamp, and Boller (2006).
Radin, D., Veraldi, G. & Lesueur, V. (2000). La conscience
invisible : Le paranormal à l’épreuve de la science. Paris :
Presses du Châtelet.
Raghavendra, B. R., Telles, S., Manjunath, N. K., Deepak, K. K.,
Naveen, K. V. & Subramanya, P. (2013). Voluntary heart rate
reduction following yoga using different strategies.
International journal of yoga, 6(1), 26.
Rainville, P., Hofbauer, R. K., Paus, T., Duncan, G. H., Bushnell,
M. C. & Price, D. D. (1999). Cerebral mechanisms of hypnotic
induction and suggestion. Journal of Cognitive Neuroscience,
11(1), 110‑125.
Rainville, P. & Price, D. D. (2003). Hypnosis phenomenology
and the neurobiology of consciousness. International Journal
of Clinical and Experimental Hypnosis, 51(2), 105–129.
Randall, T. M. & Desrosiers, M. (1980). Measurement of
Supernatural Belief : Sex Differences and Locus of Control.
Journal of Personality Assessment, 44(5), 493‑498.
Redmond, J. D. (2013). Contemporary perspectives on
Lacanian theories of psychosis. Frontiers in psychology, 4.
Reed, G. (1988). The psychology of anomalous experience: A
cognitive approach. New York: Prometheus Books.
Reiner, A. (2004). Psychic phenomena and early emotional
states. The Journal of Analytical Psychology, 49(3), 313‑336.
Reinsel, R. (2003). Dissociation and mental health in mediums
and sensitives : A pilot survey. In Paper presented at the 46st
Annual Convention of the Parapsychological Association.
Vancouver: Parapsychological Association.
Rhine, J. B. & McDougall, W. (1934). Extra-Sensory Perception
(1983e éd.). Boston: Branden Books.
Rhine, J. B., Pratt, J. G., Smith, B. M., Stuart, C. E. &
Greenwood, J. A. (1966). Extra-sensory perception after sixty
yeears. Boston: Bruce Humphries Publishers.
Rhine, L. E. (1953). Subjective forms of spontaneous psi
experiences. Journal of Parapsychology, 17, 77‑114.
Rhine-Feather, S. & Schmicker, M. (2005). The Gift : The
Extraordinary Experiences of Ordinary People. New York: St.
Martin’s Paperback’s.
Richet, C. (1922). Traité de métapsychique. Paris : Alcan.
Richet, C. (1928). Notre sixième sens. Paris : Aubier.
Richet, C. (1933). Souvenirs d’un physiologiste. Paris :
Peyronnet.
Richet, C. (1933). La grande espérance. Paris : Editions
Montaigne.
Ring, K. (1984). Heading toward omega : In search of the
meaning of the near-death experience. New York: William
Morrow & Co.
Ring, K. & Rosing, C. J. (1990). The omega project: A
psychological survey of persons reporting abductions and
other encounters. Journal of UFO studies, 2, 59‑98.
Ring, K. & Cooper, S. (1997). Near-death and out-of-body
experiences in the blind: A study of apparent eyeless vision.
Journal of Near-Death Studies, 16(2), 101–147.
Ring, K. & Elsaesser-Valarino, E. E. (2006). Lessons from the
light: What we can learn from the near-death experience.
Needham: Moment Point Press.
Rizzolatti, G. & Craighero, L. (2006). Mirror neuron: A
neurological approach to empathy. In Neurobiology of Human
Values. Berlin: Springer.
Rizzolatti, G., Fadiga, L., Gallese, V. & Fogassi, L. (1996).
Premotor cortex and the recognition of motor actions.
Cognitive brain research, 3(2), 131‑141.
Roe, C. A. & Morgan, C. L. (2002). Narcissism and belief in the
paranormal. Psychological Reports, 90(2), 405‑411.
Roheim, G. (1932). Telepathy in a dream. The Psychoanalytic
Quarterly, 1, 227‑291.
Roll, W. G. (2004). The poltergeist. New York: Paraview.
Romme, M. & Escher, A. (1989). Hearing Voices. Schizophrenia
Bulletin, 15(2), 209‑216.
Rommer, B. (2000). Blessing in Disguise: Another Side of the
Near-Death Experience. New York: Routledge.
Rosenbaum, R. (2011). Exploring the other dark continent :
Parallels between psi phenomena and the psychotherapeutic
process. Psychoanalytic Review, 98(1), 57‑90.
Rosolato, G. (1978). La scission que porte l’incroyable. Nouvelle
Revue de Psychanalyse, 18, 15‑27.
Rosolato, G. (1987). L’objet de perspective dans ses assises
visuelles. Nouvelle Revue de Psychanalyse, 35, 143‑164.
Ross, C. A. & Joshi, S. (1992). Paranormal experiences in the
general population. The Journal of Nervous and Mental
Disease, 180(6), 357‑361.
Roussillon, R. (1992). Du baquet de Mesmer au baquet de
Sigmund Freud. Paris : Puf.
Roussillon, R. (1999). Agonie, clivage et symbolisation. Paris :
Puf.
Roussillon, R. (2004). La dépendance primitive et
l’homosexualité primaire « en double ». Revue francaise de
psychanalyse, 68(2), 421‑439.
Roussillon, R. (2009). L’associativité. Libres cahiers pour la
psychanalyse, 20(2), 19‑35.
Roussillon, R. (2014). Manuel de la pratique clinique en
psychologie et psychopathologie. Paris : Elsevier Masson.
Roussillon, R. (2015). Un processus sans sujet. Carnet Psy,
189, 31-35.
Roussillon, R., Chabert, C., Ciccone, A. & Ferrant, A. (2007).
Manuel de psychologie et psychopathologie clinique
générale. Paris : Masson.
Roustang, F. (1980). ... Elle ne le lâche plus. Éditions de minuit.
Roustang, F. (2003). Il suffit d’un geste. Paris : Odile Jacob.
Roustang, F. (2003). Qu’est-ce que l’hypnose? Paris : Éditions
de Minuit.
Roustang, F. (2006). Savoir attendre pour que la vie change.
Paris : Odile Jacob.
Ruttenberg, B. H. (2000). The role of paranormal experiences in
healing, growth and transformation : A study in clinical
parapsychology. Dissertation for the degree of doctor of
philosophy in transpersonal psychology. Palo-Alto: Institute of
transpersonal Psychology.
Sali, M. (2001). Les deux voies de l’hallucination. Revue
Française de Psychanalyse, 65(4), 1389‑1396.
Sannwald, G. (1963). On the psychology of spontaneous
paranormal phenomena. International Journal of
Parapsychology, 5, 274‑292.
Schäfer, C. (2013). Aussergewöhnliche Erfahrungen.
Konstruktion von Identität und Veränderung in
autobiographischen Erzählungen. Münster: Lit Verlag.
Schmeidler, G. (1945). Separating the sheep from the goats.
Journal of the American Society for Psychical Research, 39,
46‑49.
Schmidt, S., Schneider, R., Utts, J. & Walach, H. (2004). Distant
intentionality and the feeling of being stared at : Two meta-
analyses. British Journal of Psychology, 95(2), 235‑247.
Schofield, K. & Claridge, G. (2007). Paranormal experiences
and mental health: Schizotypy as an underlying factor.
Personality and Individual Differences, 43(7), 1908‑1916.
Schooler, J. (2011). Unpublished results hide the decline effect.
Nature, 470(7335), 437.
Schouten, S. A. (1986). A different approach for studying psi. In
Current trends in psi research. New York: Parapsychology
Foundation.
Schützenberger, A. (1997). Aïe, mes aïeux ! Liens
transgénérationnels, secrets de famille, syndrome
d’anniversaire, transmission des traumatismes et pratique du
génosociogramme. Paris : Desclée de Brouwer.
Schwaninger, J., Eisenberg, P. R., Schechtman, K. B. & Weiss,
A. N. (2002). A prospective analysis of near-death
experiences in cardiac arrest patients. Journal of Near-Death
Studies, 20(4), 215–232.
Seinfeld, S., Arroyo-Palacios, J., Iruretagoyena, G., Hortensius,
R., Zapata, L. E., Borland, D., … Sanchez-Vives, M. V.
(2018). Offenders become the victim in virtual reality: Impact
of changing perspective in domestic violence. Nature:
Scientific Reports, 8(1), 2692.
Servadio, E. (1935). Psychoanalysis und telepathy. Imago, 21,
489‑497.
Servadio, E. (1955). A presumptively telepathic-precognitive
dream during analysis. International Journal of
Psychoanalysis, 36(1), 27‑30.
Servadio, E. (1958). Magic and castration-complex. International
Journal of Psychoanalysis, 39, 147‑150.
Shafer, M. G. (1982). Self-actualization, mysticism, and psychic
experience. Unpublished doctoral dissertation. Irvine:
University of California.
Shamdasani, S. (2000). Misunderstanding Jung: The afterlife of
legends. Journal of Analytical Psychology, 45(3), 459–472.
Shedler, J. (2010). The efficacy of psychodynamic
psychotherapy. American Psychologist, 65(2), 98‑109.
Sheldrake, R. (2000). Telepathic telephone calls: Two surveys.
Journal of the Society For Psychical Research, 64, 224–232.
Sherwood, S. J. & Roe, C. A. (2003). A Review of Dream ESP
Studies Conducted Since the Maimonides Dream ESP
Programme. Journal of Consciousness Studies, 10(6‑7),
85‑109.
Si Ahmed, D. (1990). Parapsychologie et psychanalyse. Paris :
Dunod.
Si Ahmed, D. (2006). Comment penser le paranormal :
Psychanalyse des champs limites de la psyché. Paris :
L’Harmattan.
Si Ahmed, D. (2009). Les expériences psycho-spirituelles. In
Manuel clinique des expériences extraordinaires. Paris :
InterEditions.
Si Ahmed, D. (2014). Pour une psychanalyse des expériences
exceptionnelles. Paris : L’Harmattan.
Si Ahmed, D. & Mercier, E.-S. (2001). Expériences autour d’un
miroir. Paris : Jmg.
Siddiqui, J. A., Qureshi, S. F. & Al Ghamdi, A. K. (2018). Alien
Abductions : A Case of Sleep Paralysis. Sleep and Hypnosis,
20(2), 144-147.
Simmonds-Moore, C. (2003). Investigating schizotypy as an
anomaly-prone personality. Unpublished doctoral
dissertation. Leicester: Leicester University.
Simmonds-Moore, C. (2010). Anomalous experiences and
boundary thinness in the mind and brain. In Anomalous
Experiences. London: McFarland.
Slade, P. D. & Bentall, R. P. (1988). Sensory deception: A
scientific analysis of hallucination. London: Croom-Hem.
Slater, E. (1985). Conclusions on nine psychologicals. In Final
report on the psychological testing of UFO abductees. Mount
Reiner: Fund for UFO Research.
Sommer, I. E., Daalman, K., Rietkerk, T., Diederen, K. M.,
Bakker, S., Wijkstra, J. & Boks, M. P. (2010). Healthy
individuals with auditory verbal hallucinations; who are they?
Psychiatric assessments of a selected sample of 103
subjects. Schizophrenia Bulletin, 36(3), 633–641.
Spanos, N. P., Cross, P. A., Dickson, K. & DuBreuil, S. C.
(1993). Close encounters: An examination of UFO
experiences. Journal of Abnormal Psychology, 102(4), 624.
Spiegel, D. (1985). The use of hypnosis in controlling cancer
pain. Cancer Journal for Clinicians, 35(4), 221‑231.
Spriet, G. (2006). Approche psychanalytique de la médiumnité :
Étude auprès de six sujets médiums. Mémoire de Master 1
de psychologie clinique non publié, Paris : Université Paris 8.
Stein, M. H. (1953). Premonition as a defense. Psychoanalytic
quaterly, 22, 68‑74.
Steiner, J. (2003). Psychic retreats: Pathological organizations
in psychotic, neurotic and borderline patients. Londres:
Routledge.
Stekel, W. (1921). Der telepathische Traum. Berlin: Johannes
Baum.
Stern, D. (1989). Le monde interpersonnel du nourrisson (2006e
éd.). Paris : Puf.
Stevenson, I. (1967). Twenty Cases Suggestive of
Reincarnation. New York: American Society for Psychical
Research.
Stoller, R. J. (1994). Sex and gender: The development of
masculinity and femininity. Londres: Karnac books.
Stone-Carmen, J. (1994). A descriptive study of people
reporting abduction by unidentified flying objects. In
Proceedings of the Abduction Study Conference held at MIT.
Cambridge: North Cambridge Press.
Storm, L. & Ertel, S. (2001). Does psi exist? Comments on
Milton and Wiseman’s (1999) meta-analysis of ganzfeld
research. Psychological Bulletin, 127(3), 424‑433.
Storm, L. & Ertel, S. (2002). The Ganzfeld Debate Continued: A
Response to Milton and Wiseman (2001). Journal of
Parapsychology, 66(1), 73‑82.
Storm, L. & Thalbourne, M. A. (2006). The Survival of Human
Consciousness: Essays on the Possibility of Life After Death.
Jefferson: McFarland.
Storm, L., Tressoldi, P. & Risio, L. D. (2010). Meta-Analysis of
Free-Response Studies, 1992–2008: Assessing the Noise
Reduction Model in Parapsychology. Psychological Bulletin,
136(4), 471‑485.
Storm, L., Tressoldi, P. & Risio, L. D. (2010). A meta-analysis
with nothing to hide: Reply to Hyman. Psychological Bulletin,
136(4), 491‑494.
Strassman, R. (2001). DMT: The Spirit Molecule: A Doctor’s
Revolutionary Research into the Biology of Near-Death and
Mystical Experiences. New York: Park Street Press.
Strauss, J. S. (1969). Hallucinations and Delusions as Points on
Continua Function : Rating Scale Evidence. Archive of
General Psychiatry, 21(5), 581‑586.
Strieber, W. (1987). Communion: Encounters with the Unknown-
A True Story. New York: Morrow.
Studerus, E., Gamma, A. & Vollenweider, F. X. (2010).
Psychometric evaluation of the altered states of
consciousness rating scale (OAV). PloS one, 5(8), e12412.
Sudre R. (1956). Traité de parapsychologie. Paris : Payot.
Sutherland, C. (1990). Changes in religious beliefs, attitudes,
and practices following near-death experiences: An
Australian study. Journal of Near-Death Studies, 9(1), 21–31.
Takeuchi, T., Miyasita, A., Sasaki, Y., Inugami, M. & et al.
(1992). Isolated sleep paralysis elicited by sleep interruption.
Sleep: Journal of Sleep Research & Sleep Medicine, 15(3),
217‑225.
Tandy, V. & Street, P. (2000). Something in the cellar. Journal of
the Society for Psychical Research, 64(3), 129‑140.
Targ, E., Schlitz, M. & Irwin, H. J. (2000). Psi-related
experiences. In Varieties of anomalous experience:
Examining the scientific evidence. Washington: American
Psychological Association.
Targ, R. (2004). Limitless Mind: A Guide to Remote Viewing and
Transformation of Consciousness. New York: New World
Library.
Tart, C. (1968). A psychophysiological Study of Out-of-the-Body
Experiences in a Selected Subject. Journal of the American
Society for Psychical Research, 62(1), 3‑27.
Tart, C. T. (1967). A second psychophysiological study of out-of-
the-body experiences in a gifted subject. International Journal
of Parapsychology, 9(3), 251–258.
Tart, C. (2010). Le spirituel est-il réel? Le psychologue, la
science et l’extraordinaire. Paris : InterÉditions
Taylor, S. E. & Brown, J. D. (1988). Illusion and well-being: A
social psychological perspective on mental health.
Psychological Bulletin, 103(2), 193‑210.
Tennes, M. (2007). Beyond Intersubjectivity. Contemporary
Psychoanalysis, 43(4), 505‑525.
Thalbourne, M. A. (1991). The psychology of mystical
experience. Exceptional Human Experience, 9, 168–186.
Thalbourne, M. A. (2000). Transliminality: A review. International
Journal of Parapsychology, 11(2), 1–34.
Thalbourne, M. A., Crawley, S. & Houran, J. (2003). Temporal
lobe lability in the highly transliminal mind. Personality and
Individual Differences, 35(8), 1965‑1974.
Thalbourne, M. A. & Delin, P. S. (1993). A new instrument for
measuring sheep-goat variable: Its psychometric properties
and factor structure. Journal of the Society for Psychical
Research, 59(832), 172‑186.
Thalbourne, M. A. & Delin, P. S. (1994). A common thread
underlying belief in the paranormal, creative personality,
mystical experience and psychopathology. Journal of
Parapsychology, 58(1), 3‑38.
Thalbourne, M. A. & French, C. (1995). Paranormal belief,
manic-depressiveness, and magical ideation: A replication.
Personality and Individual Differences, 18(2), 291‑292.
Thalbourne, M. A., Houran, J. & Crawley, S. (2003). Childhood
trauma as a possible antecedent of transliminality.
Psychological Reports, 93, 687‑694.
Thalbourne, M. A. & Maltby, J. (2008). Transliminality, thin
boundaries, Unusual Experiences, and temporal lobe lability.
Personality and Individual Differences, 44(7), 1617‑1623.
Thonnard, M., Charland-Verville, V., Brédart, S., Dehon, H.,
Ledoux, D., Laureys, S. & Vanhaudenhuyse, A. (2013).
Characteristics of near-death experiences memories as
compared to real and imagined events memories. PLoS One,
8(3), e57620.
Thouless, R. H. (1942). Experiments on paranormal guessing.
British Journal of Psychology, 33(1), 15‑27.
Tiberi, E. (1993). Extrasomatic emotions. Journal of near-death
studies, 11(3), 149–170.
Tierney, I. (2007). Psychotherapeutic style and the MPI. Paper
presented at the 2007 Euro Parapsychological Association
Conference, Paris.
Tierney, I., Coelho, C. & Lamont, P. (2007). Distressed by
anomalous experience: Early identification of psychosis.
Clinical Psychology Forum, 170, 37‑39.
Tobacyk, J. J. & Wilkinson, L. V. (1990). Magical thinking and
paranormal beliefs. Journal of Social Behavior and
Personality, 5, 255‑264.
Tobacyk, J. & Milford, G. (1983). Belief in paranormal
phenomena: Assessment instrument development and
implications for personality functioning. Journal of Personality
and Social Psychology, 44(5), 1029‑1037.
Tosey, P. & Mathison, J. (2010). Exploring inner landscapes
through psychophenomenology: The contribution of neuro-
linguistic programming to innovations in researching first
person experience. Qualitative Research in Organizations
and Management: An International Journal, 5(1), 63–82.
Totton, N. (2003). Psychoanalysis and the Paranormal: Lands of
Darkness. New York: Karnac.
Turnheim, M. (2008). Freud le médium (Notes sur l’affaire de la
télépathie). Psychanalyse, 12, 41‑53.
Twemlow, S. W., Gabbard, G. O. & Jones, F. C. (1984).
Psychological and demographic characteristics of persons
reporting out-of-body experiences. The Hillside Journal of
Clinical Psychiatry, 6(1), 105‑115.
Twemlow, S. W., Gabbard, M. & Jones, F. C. (1982). The Out-of-
Body Experience: A phenomenological typology based on
questionnaire responses. American Journal of Psychiatry,
139(4), 450‑455.
Ullman, M., Krippner, S. & Vaughan, A. (1973). Dream Telepathy
(2003e éd.). Newburyport: Hampton Roads Publishing.
Utts, J. (1996). An Assessment of the Evidence for Psychic
Functioning. Journal of scientific exploration, 10(1), 3‑30.
Vaitl, D., Birbaumer, N., Gruzelier, J., Jamieson, G. A.,
Kotchoubey, B., Kübler, A., … others. (2013). Psychobiology
of altered states of consciousness. Psychology of
Consciousness: Theory, Research, and Practice, 1, 2–47.
Vaitl, D., Birbaumer, N., Gruzelier, J., Jamieson, G., Kotchoubey,
B., Kubler, A., … Weiss, T. (2005). Psychobiology of Altered
States of Consciousness. Psychological Bulletin, 131(1),
98‑127.
Valla, J. P. & Pélicier, Y. (1992). Les états étranges de la
conscience. Paris : Puf.
Vallée, J. (1997). Science interdite : Journal 1957-1969 : un
scientifique français aux frontières du paranormal. Paris : OP
Éditions.
Van Lommel, P. (2012). Mort ou pas. Les dernières découvertes
médicales sur les EMI. Paris :Interéditions.
Van Lommel, P., van Wees, R., Meyers, V. & Elfferich, I. (2001).
Near-death experience in survivors of cardiac arrest : A
prospective study in the Netherlands. The Lancet, 358(9298),
2039–45.
Van Os, J., Hanssen, M., Bak, M., Bijl, R. V. & Vollebergh, W.
(2003). Do urbanicity and familial liability coparticipate in
causing psychosis? American Journal of Psychiatry, 160(3),
477–482.
Van Os, J., Linscott, R. J., Myin-Germeys, I., Delespaul, P. &
Krabbendam, L. (2009). A systematic review and meta-
analysis of the psychosis continuum: Evidence for a
psychosis proneness–persistence–impairment model of
psychotic disorder. Psychological medicine, 39(02), 179–195.
Varela, F., Thompson, E. & Rosch, E. (1999). L’inscription
corporelle de l’esprit. Paris : Le Seuil.
Varvoglis, M. (1991). La rationalité de l’irrationnel : Une
introduction à la parapsychologie scientifique. Paris :
Interéditions.
Varvoglis, M. (2006). Être et connaître : La parapsychologie
comme transformateur épistémologique. In La fabrication du
psychisme. Paris : La Découverte.
Vedral, V. (2018). Decoding reality: The universe as quantum
information. Oxford: Oxford University Press.
Vermersch, P. (1990). Questionner l’action : L’entretien
d’explicitation. Psychologie française, 35(3), 227–235.
Vermersch, P. (2012). Explicitation et phénoménologie : Vers
une psychophénoménologie. Paris : Puf.
Vermorel, H. & Vermorel, M. (1993). Sigmund Freud et Romain
Rolland, correspondance 1923-1936. Paris : Puf.
Vernet-Sévenier, A. (2017). Étude d’un Syndrome de relance
originaire en cours de coma. Paris : L’Harmattan.
Vincent, J.-D. (1986). La biologie des passions. Paris : Odile
Jacob.
Von Lucadou, W. (1995). The model of pragmatic information
(MPI). European Journal of Parapsychology, 11, 58‑75.
Von Lucadou, W., Römer, H. et Walach. H.(2007). Synchronistic
Phenomena as Entanglement Correlations in Generalized
Quantum Theory. Journal of Consciousness Studies, 14(4),
50‑74.
Wahbeh, H., Radin, D., Mossbridge, J., Vieten, C. & Delorme, A.
(2018). Exceptional experiences reported by scientists and
engineers. Explore, 14(5), 329-341.
Wallon, P. (1994). Convergence entre délire et paranormal : Une
simple coïncidence ? L’Information psychiatrique, 70(3),
276‑280.
Wallon, P. (1999). Le paranormal. Paris : PUF.
Wallon, P. (2000). La contagion affective ou le domaine
complexe, subtil, de l’empathie. Paris : Editions du Dauphin.
Walton, T. (1978). The Walton Experience. New York: Berkley
Publishing Corporation.
Warcollier, R. (1921). La télépathie-Recherches expérimentales.
Paris : Félix Alcan.
Ward, J. (2013). Synesthesia. Annual Review of Psychology,
64(1), 49‑75.
Watt, C., Watson, S. & Wilson, L. (2007). Cognitive and
psychological mediators of anxiety: Evidence from a study of
paranormal belief and perceived childhood control.
Personality and Individual Differences, 42(2), 335‑343.
Weinberger, E. D. (2002). A theory of pragmatic information and
its application to the quasi-species model of biological
evolution. Biosystems, 66(3), 105‑119.
Whinery, J. E. (1997). Psychophysiologic correlates of
unconsciousness and near-death experiences. Journal of
Near-Death Studies, 15(4), 237-258.
White, R. (1993). Working classification of EHEs. Exceptional
Human Experience, 11(2), 149‑150.
White, R. (1994). Exceptional human experiences: Background
papers I. New York: Dick Hills.
Widlöcher, D. (1996). Les nouvelles cartes de la psychanalyse.
Paris : Odile Jacob.
Widlöcher, D. (2004). The third in mind. Psychoanalytic
Quarterly, 73, 197‑213.
Wilkins, L. K., Girard, T. A. & Cheyne, J. A. (2011). Ketamine as
a primary predictor of out-of-body experiences associated
with multiple substance use. Consciousness and Cognition,
20(3), 943‑950.
Williams, L. M. & Irwin, H. J. (1991). A study of paranormal
belief, magical ideation as an index of schizotypy and
cognitive style. Personality and individual differences, 12(12),
1339‑1348.
Wilson, S. C. & Barber, T. X. (1983). The Fantasy-Prone
Personality: Implications for Understanding Imagery,
Hypnosis, and Parapsychological Phenomena. In
Imagery:Current Theory, Research, and Application : Current
Theory, Research and Application. New York: Wiley.
Windholz, G. & Diamant, L. (1974). Some personality traits of
believers in extraordinary phenomena. Bulletin of the
Psychonomic Society, 3, 125‑126.
Winnicott, D. W. (1971). Jeu et réalité (1975e éd.). Paris :
Gallimard.
Winnicott, D. W. (1989). De la pédiatrie à la psychanalyse.
Paris : Payot.
Winnicott, D. W. (1989). La crainte de l’effondrement et autres
situations cliniques (2000e éd.). Paris : Gallimard.
Wiseman, R. (2010). Heads I win, tails you lose: How
parapsychologists nullify null results. Skeptical Inquirer, 34(1),
36-39.
Wiseman, R. (2012). Petites expériences extra-sensorielles :
Télépathie, voyance, hypnose... Le paranormal à l’épreuve
de la science. Paris : Dunod.
Wiseman, R. & Watt, C. (2006). Belief in psychic ability and the
misattribution hypothesis: A qualitative review. British Journal
of Psychology, 97(3), 323‑338.
Wiseman, R., Watt, C., Stevens, P., Greening, E. & O’keeffe, C.
(2003). An investigation into alleged hauntings. British
Journal of Psychology, 94(2), 195‑211.
Wiseman, R., Greening, E. & Smith, M. (2003). Belief in the
paranormal and suggestion in the seance room. British
Journal of Psychology, 94(3), 285–297.
Wittmann, M. (2018). Altered States of Consciousness :
Experiences Out of Time and Self. Cambridge : MIT Press.
Wittmann, M., Carter, O., Hasler, F., Cahn, B. R., Grimberg, U.,
Spring, P., … Vollenweider, F. X. (2007). Effects of psilocybin
on time perception and temporal control of behaviour in
humans. Journal of Psychopharmacology, 21(1), 50.
Wolfradt, U. (1997). Dissociative experiences, trait anxiety and
paranormal beliefs. Personality and Individual Differences,
23(1), 15‑19.
Zazzo, R. (1993). Reflets de miroir et autres doubles. Paris :
Puf.
Zborowski, M. J., Hartmann, E., Newsom, M. & Banar, M.
(2003). The Hartmann Boundary Questionnaire : Two Studies
Examining Personality Correlates and Interpersonal Behavior.
Imagination, Cognition and Personality, 23(1), 45‑62.
Zhang, Y., Li, Z., Zhang, J., Zhao, Z., Zhang, H., Vreugdenhil, M.
& Lu, C. (2019). Near-Death High-Frequency Hyper-
Synchronization in the Rat Hippocampus. Frontiers in
Neuroscience, 13.
Zingrone, N. L. & Alvarado, C. S. (2009). Pleasurable Western
adult near-death experiences: features, circumstances, and
incidence. In. The Handbook of Near-Death Experiences.
Santa Barbara : Praeger Publishers.
Zingrone, N. L., Alvarado, C. S. & Cardeña, E. (2010). Out-of-
body experiences and physical body activity and posture :
Responses from a survey conducted in Scotland. The Journal
of nervous and mental disease, 198(2), 163-165.
Zusne, L. & Jones, W. H. (1989). Anomalistic Psychology : A
Study of Magical Thinking. Hillsdale: Lawrence Erlbaum
Associates.

Vous aimerez peut-être aussi